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Saint François de Sales
Sermon pour le Vendredi Saint
17 avril 1620



    Le grand Apôtre saint Paul, prédicateur de la Croix de Notre Seigneur, raconte (Act. XVII,
    22-23) qu'étant allé un jour en la ville d'Athènes il fit de ses yeux le rencontre d'un autel qui
    avait pour titre : Au Dieu inconnu. Je rencontrais de mes yeux, dit?il, un autel dédié au Dieu
    inconnu ; et de là il prit occasion de prêcher aux Athéniens quel était ce Dieu inconnu qu'ils
    adoraient. Ô bien aimés et très chers Athéniens, leur disait ce grand prédicateur de la Croix,
    ce Dieu que vous ne connaissez point encore et que tout maintenant je vous veux faire
    connaître n'est autre que Dieu le Père tout puissant, qui a envoyé son Fils ça bas en terre
    pour prendre notre nature humaine; en icelle, bien qu'il fut Dieu comme son Père, de même
    nature et essence que lui, ce divin Fils a néanmoins souffert la mort, et la mort de la croix
    (Phil. II, 6-8), pour satisfaire à la justice de Dieu son Père justement indigné contre les
    hommes en suite du péché de nos premiers parents, péché qui nous eut sans doute causé à
    tous la mort éternelle. Les Athéniens, comme la plupart des hommes de ce temps?là,
    reconnaissaient plusieurs dieux, mais enfin ils confessaient qu'entre tous ceux-là il y en avait
    un qu'ils ne connaissaient point.

Le grand Apôtre donc prit sujet de cette inscription pour leur faire une excellente prédication, leur
donnant à entendre avec des termes admirables quel était ce Dieu qu'ils ignoraient encore. Et moi, mes
très chères
 
 

Sœurs, ayant à vous entretenir ici quelque peu de temps, j'ai jeté les yeux de ma considération sur le
titre que j'ai vu non au dessus de l'autel des Athéniens, mais au-dessus de cet autel incomparable sur
lequel notre Sauveur et Maître s'est offert pour nous à Dieu son Père en sacrifice très agréable et d'une
suavité nonpareille, autel qui n'est autre que la Croix, laquelle depuis a toujours été honorée comme très
précieuse et adorable. Or, ayant considéré le titre placé sur icelle, j'ay pensé qu'à l'imitation du
prédicateur de la Croix, je ne devais pas rechercher autre sujet pour fondement de ce que je vous devais
dire. Non pas que je vous veuille parler d'un Dieu inconnu, car grâce à sa bonté nous le connaissons;
mais certes, je pourrais bien parler d'un Dieu méconnu. Nous ne vous ferons donc pas connaître, mais
nous vous ferons reconnaître ce Dieu tant aimable qui est mort pour nous.

Oh que c'est une chose utile que cette reconnaissance! Car véritablement, au dire de plusieurs,
Abraham, Isaac et Jacob eussent eu quelque excuse s'ils n'eussent pas reconnu la divine Majesté,
d'autant qu'ils ne l'avouent pas connue si clairement que nous, qui sommes hors d'excuse, ayans appris
de Dieu même ce qu'il est, par la divine bouche de Notre Seigneur qui est, comme nous avons dit, un
même Dieu avec son Père. Les Chrétiens seront inexcusables de ne l'avoir pas aimé et servi de tout leur
cœur, puisqu'ils ont été si bien enseignés combien il est aimable et comme chèrement il les a aimés en
donnant sa vie pour eux (Gal. II,20 ; Eph. V,2).
 
 

Or je n'entends pas vous parler, mes chères Sœurs, avec combien d'ignominies, de douleurs,
d'amertumes, d'angoisses, de vitupérations, d'affronts, de mépris notre divin Maître souffrit la mort, ni
moins vous faire un narration de la cruauté envenimée avec laquelle les juifs l'attachèrent à la croix; car
vous savez que je vous ai toujours fait entendre que c'est la moindre considération en la Passion de
Notre-Sauveur que celle-ci, et celle sur laquelle vous vous devez moins arrêter, puisque l'affec­tion de
compassion sur ses souffrances est la moins utile.
 
 

Lui-même a semblé nous le vouloir inculquer lorsqu'il dit aux femmes qui le suivaient de ne point
pleurer sur lui, mais sur elles mêmes (Lc XXIII, 27-28). Si nous avons des larmes, pleurons tout
simplement, car nous ne les saurions jeter pour un plus digne sujet; mais ne nous arrêtons pas là,
passons à des considérations plus utiles selon que le requiert le pâtir de notre Sauveur.
 
 

Je reprends donc mon propos et considère le titre qui est posé sur le haut de la croix. 0 qu'il est
admirable ! Je suis presque ravi en le considérant. Jesus, Nazarenus, Rex judaeorum (Jn XIX,19). Qui
eut jamais pensé que des paroles si saintes eussent été prononcées par la misérable bouche d'un si
méchant homme qu'était Pilate ? Pourtant elles furent très véritables, et Notre Seigneur les confirma
pour telles en sa Passion, ainsi que nous verrons en la suite de notre discours. C'est chose remarquable
combien les juifs dirent de belles paroles en la mort de Notre-Sauveur, quoi qu'ils ne les entendissent
pas et les dissent malicieusement et à mauvaise intention. Quelle sentence plus belle et plus vraie peut
être prononcée, que celle du plus méchant d'entre tous les hommes, ce misérable Caïphe : Il est requis
qu'un homme meure (c'est à dire, un homme: le plus excellent d'entre tous les hommes), de peur que
tous les autres ne périssent, que toutes les gens ne périssent (Jn XI, 49,50). Et les Juifs : Que son sang
soit répandu sur nous et sur nos enfants (Mt XXVII, 25). Ce qui arriva tant en la personne de plusieurs
d'entre eux, comme en la conver­sion des Apôtres et des autres disciples qui étaient leurs enfants. Pilate
ayant écrit le titre de la croix : Ce que j’ai écrit est écrit, dit?il; il est ainsi, confirmant cette vérité (Jn
IXI,22).
 
 

Mais que veulent donc signifier ces divines paroles ? Premièrement, Jésus est autant à dire que Sauveur
deuxièmement, de Nazareth, ville fleurissante, fleurie en troisième lieu, il est dit que Notre Seigneur était
Roi : trois qualités qui lui sont extrêmement bien dues.

Et d'abord, il est Sauveur. O combien ceci est véritable! Il est Sauveur non seulement des hommes mais
aussi des anges. Tous tiennent le salut de la divine Bonté, et l'ont en vertu de la Mort et Passion de
Jésus-Christ; car de toute éternité il projeta cette miséricordieuse pensée (Jér. XXIX, 11 ; XXXI,3) qu'il
mourrait pour tous. Mais il faut confesser que les hommes ont un sujet d'une consolation inexpli­cable
en cette Mort et Passion de Notre-Seigneur; car si bien il est le Sauveur des anges il n'est pas pourtant
leur Rédempteur, mais oui bien des hommes. Aussitôt que les Anges eurent péché ils furent en même
temps confirmés en leur malice par la volontaire élection qu'ils firent du mal et de ce qui pouvait être
désagréable à Dieu; si que dès lors il n'y eut plus d'espérance pour eux de s'en pouvoir déprendre. Dès
qu'ils eurent élu le péché ils furent rendus ses esclaves (Jn VIII, 34 ; Rm VI,16); ils furent cloués et
attachés de telle façon à la perdition que jamais plus il ne leur sera possible de s'en détacher. Ils se
servirent malheureusement de leur franc arbitre contre la volonté divine, c'est pourquoi ce franc arbitre a
été fait serf des peines infernales pour jamais. Mais dès que l'homme eut mangé du fruit défendu de
l'arbre de science du bien et du mal (Gn II,17 ; III,6), Notre-Seigneur, c'est-à-dire la seconde Personne
de la sainte Trinité, résolût de venir racheter ce pauvre homme au prix de son très précieux sang, se
revêtant de la nature humaine qu'il unit inséparablement à sa Personne divine pour se ren­dre capable de
pâtir et mourir ainsi qu'il a fait.

0 quelle pensée suave et agréable plus qu'il ne se peut dire, quelle joie, quelle douceur de cœur, quelle
délectation doit causer à l'homme cette vérité, que Notre Seigneur est son Rédempteur et qu'il tient la
vie de lui 1 La vie lui a été donnée à fin qu'il la donnât à un chacun et que tous la tinssent de lui comme
il la tenait de son Père (Jn V,24-26 ; VI,58). Ce n'est pas de la vie corporelle que nous entendons parler,
car nul n'en peut douter, mais de la vie spirituelle. Or, Notre-Seigneur possède une vie non commune et
petite, mais une vie surabondante , afin qu’un chacun des hommes y participât et vécut de la même vie,
qui est celle de la grâce, toute parfaite et tout aimable. Mais pour nous acquérir cette vie, Notre-Seigneur
nous l'a achetée au prix de son sang (I Cor.VI ; I P.I,18,19) et a livré la sienne : donc notre vie n'est pas
notre, mais sienne, nous ne sommes plus à nous, mais à lui. Puis­qu'il nous a achetés, nous sommes ses
esclaves ; quel heureux esclavage! Il ne faut donc plus vivre pour nous mais pour lui (II Cor.V,15). O
que cette raison est puissante pour nous faire dédier totalement au service de cet amour céleste duquel
nous avons été si chèrement favorisés, et si je l'ose dire, au dessus des anges mêmes.
 
 

Voyons maintenant comme Notre Seigneur se mon­tra véritablement Sauveur et Rédempteur des
hommes en sa Mort et Passion. Les félons Juifs ayant presque assouvi leur cruauté barbare et inouïe sur
ce très doux Agneau (Jér. XI,19), l'ayant attaché à la croix, et vomi de leurs misérables bouches
plusieurs exécrables blasphèmes contre sa divine Majesté, Notre-Sauveur se print à crier ces divines
paroles comme en contrecarrant ces injus­tes et indignes blasphèmes: Père, pardonnez leur, car ils ne
savent ce qu'ils font. Mon Dieu, que ces paroles sont admirables ! Considérez, je vous prie, la douceur
du cœur de notre Maître, et voyez comme la charité recherche des artifices pour parvenir au but de sa
prétention qui est la gloire de Dieu et le salut du prochain. Mon Père, s'écrie notre cher Sauveur ;
comme s'il eut voulu dire : je suis votre Fils, souve­nez?vous que vous êtes mon Père, et partant que
vous ne me devez rien refuser. Et qu'est?ce qu'il demande ? Rien pour lui, car il s'est oublié soi même.
Il souffre beaucoup plus qu'il ne se peut jamais imaginer, mais pourtant il ne pense point à lui ni à ce
qu'il endure ; il fait tout au contraire de nous autres qui ne pouvons penser qu'à notre douleur quand
nous en avons, et oublions presque toutes autres choses ; oui même un mal de dents nous ôte le
souvenir de ce qui est autour de nous, tant nous nous aimons nous mêmes et nous sommes attachés à
cette misérable chair.
 
 

Les hommes pensent presque toute leur vie à ce qu'ils ont à faire à leur mort, comment ils pourront bien
établir leurs dernières volontés à fin qu'elles soient bien entendues de ceux qu'ils laissent après eux, soit
leurs enfants ou autres qui doivent hériter de leurs biens. Et pour cela, plusieurs font leur testament en
pleine santé, craignant que l'effort des douleurs mortelles ne leur ôte le moyen de manifester leurs
intentions à leur trépas. Mais Notre-Seigneur sachant qu'il mettrait sa vie et la garderait comme et quand
il lui plairait (Jn X,17-18), remit à faire son testament à la mort, testament qu'il scella et cacheta avant
même qu'il fut écrit et prononcé.
 
 

Les hommes, pour montrer que ce qui est écrit est leur volonté et qu'ils entendent qu'il soit ainsi fait, le
cachettent de leur sceau, mais ils ne l'appliquent qu'après que tout est parachevé. Le Sauveur ne voulant
prononcer son testament qu'en la croix et un peu avant que de mourir, appliqua néanmoins son sceau et
cacheta son testament avant toutes autres choses. Son sceau n'est autre que lui même, ainsi qu'il l'avait
fait dire à Salomon parlant en sa personne à l'âme dévote (Cant. VIII, 6) : Mets-moi comme un sceau
sur ton cœur et comme un cachet sur ton bras. Il appliqua ce sceau sacré lors qu'il institua le très saint et
très adorable Sacrement de l'autel, qu'il appelle son nouveau testament (Mt XXVI,28); Sacre­ment qui
contient en soi la Divinité et l'humanité tout ensemble, et entièrement la Personne sacrée de
Notre-Seigneur.
 
 

Il se posa et appliqua donc sur nos cœurs par le moyen de la très sainte Communion comme un sceau
sacré et un cachet très aimable. Puis il fit son testament, manifestant ses dernières volontés sur la croix
un peu avant que de mourir, à fin qu'un chacun des hommes qui devaient être ses cohéritiers (Rm
VIII,17) au Royaume de son Père céleste fussent grandement bien instruits, tant de ce qu'ils devaient
faire comme de l'affection incomparable qu'il avait pour eux. Il s'oublie soi-même pour penser
premièrement à eux, tant sa charité est grande, puis en après il retournera à soi même.

Son testament, mes chères âmes, n'est autre que les divines paroles qu'il prononça étant en la croix.
Absorbé donc en cet amour qu'il portait aux pécheurs, il se prit à amadouer son Père céleste l'appelant
Père : Mon Père, pardonnez?leur, parce qu'ils ne savent ce qu'ils font. 0 que voici un document
incomparable d'une parfaite charité! Aimez?vous les uns les autres comme je vous ai aimés disait?il
souvent prêchant au peuple ou à ses Apôtres, de telle sorte qu'il semblait n'avoir point tant d'affection
pour autre chose que pour inculquer cette très sainte dilection. Mais maintenant il en donne un exemple
du tout inimaginable : il excuse ceux-là même qui le crucifiaient et l'injuriaient d'une rage toute barbare,
et cherche des inventions pour faire que son Père leur pardonne, et cela en l'acte même du péché et de
l'injure. 0 que nous sommes misérables nous autres, car à peine pouvons?nous oublier une injure dix ans
après qu'elle nous a été faite ; oui même il s'en est trouvé qui à l'heure de la mort ne pouvaient ouïr
parler de ceux dont ils avaient reçu quelque outrage et ne leur voulaient pardonner. 0 Dieu, quelle misère
est la notre ! A peine pouvons?nous pardonner à nos ennemis, et Notre-Seigneur les aimait si chèrement
et priait ardemment pour eux !
 
 

Cette prière si admirable porta un tel fruit que plu­sieurs d'entre eux se convertirent : quelques-uns sur le
champ, confessant, après l'avoir ouïe, que cela étant tout à fait au dessus de la nature humaine, il était
véritablement Fils de Dieu (Mt XXVII,54 ; Mc XV,39). Les autres firent comme une biche laquelle
étant blessée va néanmoins rendre les abois encore assez loin du lieu où elle a reçu le coup de la mort.
Notre divin Maître avait obtenu de son Père céleste qu'il envoyât des hauts lieux plusieurs traits et
flèches dans les cœurs de ceux pour qui il priait ; ce qu'il fit tout ainsi qu'il avait désiré. Mais pourtant
plu­sieurs ne rendirent pas sur l'heure même leur vie par leur conversion, mais portèrent le coup de ces
divines flèches des remords intérieurs jusque à la Pentecôte, jour auquel, en la première prédication de
saint Pierre, se convertirent bien trois mille personnes (Act. II,41), entre les­quelles étaient
indubitablement plusieurs de ceux qui se trouvèrent à la mort de notre Sauveur; conversion qui
appartenait au mérite de cette tant admirable prière qu'il fit à son Père céleste en l'acte même des injures
et méchancetés que ses ennemis lui faisaient souffrir. Chose étrange certes, en même temps que les
hommes pervers et malheureux vomissaient contre sa divine Majesté et contre celle de son Père ces
blasphèmes insupportables : il est tout puissant comme il dit, et se confie en son Père qui l'a envoyé,
qu'il l'appelle main­tenant et qu'il le sauve; s'il veut que nous croyions en lui, qu'il se sauve maintenant
soi même ; il dit qu'il rétablira le Temple en trois jours, et semblables paroles vraiment diaboliques (Mt
XXVII,39-43), Notre-Seigneur, dis?je, à même temps relançait vers Dieu des soupirs de compassion et
des Paroles plus douces que le miel (Ps CXVIII,103) et le sucre afin qu'il leur pardonnât leurs forfaits et
leur donnât sa grâce. Voyez donc comme Notre-Seigneur est très justement appelé Sauveur.
 
 

Mais outre la grâce qu'il octroie aux pécheurs, il la demande pour eux à son Père céleste avec une
charité si artificieuse qu'il ne l'appelle point son Dieu ni Sei­gneur, comme nous verrons qu'il fera
ci-après en parlant pour soi, mais il l'appelle mon Père, sachant bien que ce mot si tendre étant prononcé
par l'amour cordial, est plus respectueux que celui de mon Seigneur, et que partant il serait plus tôt
exaucé. Et semble qu'il com­mence par là sa prière pour charmer ce cœur paternel, afin qu'il pardonne
aux pauvres pécheurs pour lesquels il se rendait caution devant la justice divine ; comme s'il eut voulu
dire : Mon Père, Pardonnez à ces pauvres pécheurs et à ceux même qui me crucifient, car je suis ici
pour payer pour eux. Je ne demande pas que vous me pardonniez à moi, car je suis monté sur le
comptoir de la croix afin de satisfaire à toutes leurs dettes ; et pour que vous ne leur demandiez rien et
que votre bonté leur pardonne je répandrai jusqu’à la dernière goutte de mon sang, bien qu'une seule fut
suffisante. Je me soumets de très bon cœur à supporter les effets de votre justice, prenez sur moi la
vengeance de leurs péchés; mais quant aux pécheurs, pardonnez-leur, car telle est ma volonté. 0 Dieu,
quelle bonté et quelle douceur du cœur de notre très doux Sauveur.
 
 

Le premier légat qu'il fit en son testament fut de donner aux pécheurs sa grâce, par le moyen de laquelle
ils pussent par après parvenir à sa gloire, où nul ne peut entrer sans sa grâce et sans les mérites de sa
Passion. Ayant donc déjà montré qu'en donnant sa grâce aux pécheurs il était très véritablement appelé
Sauveur, il promet la gloire au bon larron qui était pénitent (Lc XXII, 39-43).

Mais il faut remarquer en passant que l'un des larrons se convertit et l'autre non. Nous autres, dit le bon
larron, sommes très justement punis de nos méfaits, car nous avons toujours été méchants et
malheureux, ayants commis des grandes voleries : il confessa ainsi ses péchés. Nous en pourrions bien
faire autant toutes les fois que nous recevons quelque affliction. Nous sommes très justement punis,
devrions nous dire, faisant ainsi de nécessité vertu, et confessant nos péchés; mais hélas, nous nous
comportons comme l'autre larron qui demeura en son endurcissement, et blasphémait encore en
mourant.

Soudain après avoir fait sa confession, le bon larron demanda l'absolution : Hé, Seigneur, ajouta?t?il,
sou­venez-vous de moi quand vous serez en ton Royaume. A quoi notre cher Sauveur répondit
gracieusement : Aujourd’hui tu seras avec moi en Paradis. Et ce fut la première fois qu'il le promit, à
ce que l'on sache. O quelle douce et aimable parole : Aujourd’hui tu seras avec moi. Grand a toujours
été l'amour de Notre-Seigneur envers les pénitent. Peu auparavant il demandait que la grâce fut donnée
aux pécheurs; main­tenant il donne la gloire aux pénitents. La grâce rend les pécheurs pénitents, et
ceux?ci sont seuls rendus dignes de la gloire. Le Ciel n'est presque rempli que de péni­tents. Il n'y a que
Notre Dame, saint Jean-Baptiste, saint Joseph et quelques autres qui aient été exempts de péché et
prévenus de la grâce qui les a empêchés d'y tomber. La très sainte Vierge l'a été d'une façon toute
particulière au-dessus de tous autres, car elle ne fut pas seulement préservée de péché tant originel
qu'actuel, mais elle fut aussi préservée de l'ombre d'icelui, ne commettant pas même des imperfections
pour petites qu'elles pussent être. Le Paradis est tout tapissé de pénitents, et, comme nous avons dit,
l'on n'y voit presque autre chose. Les Martyrs ont été pénitents en répandant leur sang dans lequel ils
ont été lavés comme dans un bain de péni­tence ; tous les tourments qu'ils ont soufferts n'ont été que
des actes de pénitence. Les Vierges ont été péni­tentes, les Confesseurs aussi; bref, nul n'est entré au
Ciel sans pénitence et sans se reconnaître pour pécheur, excepté ceux dont nous avons parlé. Tous sans
exception ont eu besoin du mérite du sang répandu par Notre-Seigneur, lequel, comme je crois, jetait
des odeurs et des parfums si excellents, tant devant la Majesté du Père éternel que devant les hommes,
qu'il était presque impossible qu'il ne fut reconnu pour être le sang non d'un homme seulement, mais
d'un homme Dieu. Il m'est avis que ce sang très sacré était comme l'encens lequel étant jeté dessus le
feu répand de toutes parts autour d'icelui sa fumée odoriférante, voire exhale cette fumée en haut; ainsi
le sang de Notre-Seigneur distillant de son corps très sacré en terre jusqu’à la dernière goutte, jetait des
parfums de tous cotés (Eph. V,2). Aussi cette odeur précieuse parvint jusqu’au bon larron, lequel fut
rempli d'une si grande suavité qu'il se con­vertit à l'instant et mérita d'ouïr cette tant gracieuse parole:
Aujourd’hui tu seras avec moi en Paradis. Paradis dont notre Sauveur n'avait pas voulu parler jusqu’à
maintenant qu'il était si proche d'y entrer et se trouvait déjà à la porte. N'est?ce pas une vraie marque
que Notre-Seigneur était vraiment notre Sauveur, puisqu'il promet si absolument la gloire qu'il ne diffère
point de la donner, mais dit aujourd’hui ? O parole de grande consolation pour les pécheurs péni­tents,
car ce que sa Bonté a fait pour le bon larron elle le fera pour tous les autres enfants de la Croix qui sont
les chrétiens.

O heureux enfants de la Croix, puisque vous êtes assurés qu'au même temps que vous serez pénitents et
vous repentirez de vos péchés, notre Sauveur sera votre Rédempteur et vous donnera la gloire!
 
 

Cependant il lui restait encore quelque légat à faire en son divin testament. Et quoi, me direz?vous, qu'y
a?t?il autre chose ? Quoi, mes chers Sœurs ? Il y a une certaine délicatesse spirituelle dont il devait faire
présent à ses plus chers amis, délicatesse qui n'est autre qu'un moyen très singulier pour conserver la
grâce acquise et pour parvenir au plus haut degré de gloire. Regardant donc de ses yeux pleins de
compassion sa très bénite Mère, qui était debout au pied de la croix avec son bien aimé disciple, il ne
lui voulut pas donner la grâce ou la demander pour elle, car elle la possédait déjà fort excellemment, ni
moins lui promettre la gloire, car elle en était toute assurée ; mais il lui donna une certaine union de cœur
et amour tendre pour le prochain, cet amour des uns pour les autres qui est un don des plus grands que
sa bonté fasse aux hommes.
 
 

Mais quel amour? Un amour maternel. Femme, dit?il, voilà ton fils. O Dieu, quel échange ; du Fils au
serviteur, de Dieu à la créature ! Néanmoins elle ne refuse point, sachant bien qu'en la personne de saint
jean elle acceptait pour siens tous les enfants de la Croix et qu'elle en serait la chère Mère Notre divin
Maistre nous enseignait par là que si nous voulons avoir part en son testament et aux mérites de sa Mort
et Passion, il faut que nous nous aimions tous les uns les autres de cet amour tendre et grandement
cordial du fils envers la mère et de la mère envers le fils, qui est en quelque façon plus grand que non
pas celui des pères.
 
 

Il nous faut remarquer que Notre Dame était debout au pied de la croix. En quoi certes ont grand tort
ceux qui pensent qu'elle fut tellement outrée de douleur qu'elle en demeura pâmée; car sans doute cela
n'est point, ainsi elle demeura ferme et constante, bien que son affliction fut la plus grande que jamais
femme aie ressenti pour la mort de son enfant, parce qu'il ne s'en est jamais trouvé qui ait eu autant
d'amour qu'elle en avait pour Notre-Seigneur, non seulement parce qu 'il était son Dieu, mais aussi
parce qu'il était son Fils très cher et très aimable.
 
 

Grande fut la constance de la très sainte Vierge et du bien aimé Disciple; c'est pourquoi celui-ci fut
favorisé du don que sa bonté lui fit de sa très sainte Mère, Mère la plus aimable qu'il soit possible
d'imaginer. Cette vertu de constance et générosité d'esprit a toujours été grandement chérie de
Notre-Seigneur au dessus de plusieurs autres. L'amour de Notre Dame était vraiment plus fort et plus
tendre qu'il ne se peut dire, et par conséquent sa douleur plus véhémente que toute autre en la mort et
Passion de Jésus-Christ; mais comme cet amour était selon l'esprit, conduit et gouverné par la raison, il
ne produisit point de mouvement déréglé en l'affliction qu'elle ressentit se voyant privée de son Fils, qui
lui causait une consolation incomparable. Elle demeura donc, cette très glorieuse Mère, ferme, constante
et parfaitement soumise au bon plaisir de Dieu, qui avait décrété que Notre-Seigneur mourrait pour le
salut et rédemption des hommes.
 
 

Il nous faut passer outre, car je n'ay pas le temps de m'arrêter beaucoup sur ce sujet, bien que je
prendrais plaisir de finir sur cette sainte délicatesse spirituelle, c'est à dire cet amour cordial et tendre que
notre cher Maître désire tant que nous avons les uns pour les autres. Notre Seigneur fut donc appelé
Sauveur, et à très juste raison, puisqu'il l'approuva lui même et en fit tout particulièrement l'office sur la
croix, comme nous avons dit. Car si bien tout ce qu'il a fait durant le cours de sa vie mortelle a été pour
nous sauver et en intention de satisfaire pour nous vers son Père céleste, néanmoins ce qu'il opéra en sa
Mort et Passion est appelé l’œuvre de notre Rédemption par excellence, comme en étant l'abrégé.
 
 

Mais il ne se montra pas seulement digne du nom de Jésus, ainsi encore de celui de Nazaréen, ; et ceci
est le deuxième point de notre discours et la deuxième parole de ce titre sacré que j'ai regardé et
considéré sur l'autel de la Croix, dédié non au Dieu inconnu mais au Dieu méconnu. Le doux Sauveur
de nos âmes voulut qu'on le nommât Jésus de Nazareth pour ce que Nazareth est interprété ville fleurie
pu fleurissante ; et lui même, au Cantique des Cantiques, avait voulu être appelé la fleur des champs et
le lys des vallées . Or, pour nous montrer qu'il n'était pas seulement une fleur, mais qu'il était un
bouquet composé de l'assem­blage des plus belles et plus odoriférantes fleurs que l'on sut rencontrer, il a
voulu garder le nom de fleu­rissant sur l'arbre de la croix. Mais dites?moi, Notre-Seigneur n'était?il pas
sur icelle une fleur plutôt flétrie, fanée et passée que non pas fleurie ? Regardez?le, de grâce, comme il
ose se nommer fleuri, puisqu'il est si transi, tout couvert et sali de crachats infects et puants, les yeux
haves et ternis, sa face meurtrie de coups, pale et décolorée à force de douleurs et d'avoir répandu son
sang très beni. Bref, les douleurs de la mort s'étaient déjà saisies de toutes les parties de son corps.
 
 

O mes chères Filles, grandes et belles à merveille sont les fleurs que cette bénite plante de la Mort et
Passion de Notre-Seigneur fit éclore et épanouir tandis qu'il était sur la croix. Elles seraient trop longues
à vous les rapporter toutes, c'est pourquoi je me contenterai d'en remarquer quatre tant seulement,
lesquelles je ne ferai que toucher en passant, les laissant par après con­sidérer le reste de cette journée à
une chacune de vous autres, à fin que leurs odeurs très agréables puissent parfumer toutes vos âmes et
les embaumer d'un saint propos de les odorer souventefois, ainsi que le Sauveur le désire pour votre
avancement en la perfection. Ces quatre fleurs ne sont autre que quatre vertus des plus remarquables et
des plus nécessaires. La première est la très sainte humilité, laquelle comme la violette répand une odeur
extrêmement suave en la mort de Notre-Seigneur; la seconde est la patience, la troisième, la
persévérance, et la quatrirème est une vertu grandement excellente qui est la très sainte indifférence.

Quant à la première, Notre-Seigneur ne pratiqua t?il pas au temps de sa Passion l'humilité la plus
profonde, la plus véritable et sincère qui se puisse imaginer, mais la plus inimaginable, dans tous les
tourments et abjections qu'il endura ? Ne pratiqua t?il pas cette vertu tout le temps de sa vie ? Elle fut
certes très grande en ce que se pouvant faire appeler Hierosolimitain ou bien de Bethléem, ville où il
était né et qui appartenait à son grand Père David, il ne le voulut néanmoins pas, pour montrer qu'il
choisissait tout au contraire des grands de ce monde, lesquels prennent les noms les plus honorables
qu'ils peuvent. Mais quant à lui, il choisit le nom de la moindre ville qu'il peut, gardant toujours pour son
partage l'abjection, la pauvreté et la bassesse.

Or, les Evangélistes (Mt XXVII,45 ; Mc XV,33...) nous disent que soudain que notre Sauveur eut
prononcé les trois premières paroles que nous avons remarquées, les ténèbres se firent sur toute la face
de la terre par l'espace de trois heures et le soleil s'éclipsa, non que cette éclipse fut natu­relle, mais elle
arriva extraordinairement. La lune ayant rebroussé sa course et se venant opposer devant la lumière du
soleil, les ténèbres s'ensuivirent. En quoi certes je m'imagine que la lune fit un extrême plaisir aux
étoiles, afin qu'elles eussent l'honneur de venir répandre leur lumière en la présence de ce vrai Soleil de
justice qui sans doute semblait s'être éclipsé tant sa couleur était ternie. Cette fleur était flétrie par les
douleurs mortelles dont il était déjà environné, de sorte qu'il semblait expiré, car durant tout ce temps là
il ne dit pas un seul mot, mais observa un très profond silence par l'espace de trois heures; d'où vient
que l'on a toujours ordonné quelques heures de silence en tous les monastères bien reformés, pour
imiter celui de Notre Seigneur en la croix.
 
 

Mais que pensez?vous qu'il faisait, ce doux Sauveur de nos âmes, durant ce silence ? Il rentrait en
soi-même et considérait le mystère de son abjection; car l'humilité, qu'est?ce autre chose sinon une
rentrée en nous-même pour nous considérer plus mûrement ? Et que cela ne soit ainsi, il nous le fait
entendre par ce qu'il dit par après: Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé ? (Ps XXI,1 ;
Mt XXVII,46) Ayant considéré sa pauvreté, non tant extérieure que beaucoup plus intérieure, il élança
cette parole de parfaite humilité, faisant connaître sa disette, son abjection et son délaissement. Il ne faut
néanmoins pas entendre que le Père céleste l'eut abandonné d'un abandon tel qu'il eut retiré sa
protection paternelle pour un Fils tant aimable, car cela ne se peut, puisqu'il était joint et uni à la
Divinité. Mais quant au sentiment de cette très sainte protection et union, il était retiré tout entièrement
en la pointe de son esprit, le reste de l'âme étant absolument délaissé à la merci de toutes sortes de
peines et d'afflictions, si qu'il se prit à dire : Pourquoi m'avez?vous abandonné ?
 
 

Durant le cours de sa vie il avait toujours, ou pour l'ordinaire, reçu quelques consolations ; il témoignait
aucunes fois de ressentir de la joie en la conversion des pécheurs, comme il le disait aux Apôtres (Lc
XV 4-10, 32); mais en sa Mort et Passion il n'en avait aucune, tout lui servait d'affliction, de tourment
et d'amertume. Grande donc fut sa pauvreté intérieure et grand l'acte d'humilité qu'il fit en nous la
donnant à connaître.
 
 

Mais encore, que pensons?nous que notre doux Sau­veur fit durant ce long silence ? Pour moi je crois
sans doute qu'il regardait tous les enfants de la Croix, et tous les hommes, mais plus spécialement ceux
qui tireraient du fruit de sa Mort et Passion. Il nous considérait tous les uns après les autres, méditant les
moyens requis pour nous appliquer le mérite de ses souffrances. O Dieu, quelle douceur du cœur de
notre Maître qui nous aimait si chèrement; nous, dis?je, et ceux-même qui étaient en l'acte du péché le
plus énorme que jamais homme puisse faire! car il n'y a point de plus grand péché que de haïr Dieu qui
n'est en façon quelconque capable d'être haï en soi-même. Non, cette haine ne se peut trouver qu'au
cœur des hommes forcenés de désespoir et de rage à cause des véhémentes douleurs qu'ils souffrent ; et
cela fait que quelquefois ils haïssent Dieu et sont du tout incapables de l'aimer. Mais quant aux Juifs qui
crucifièrent Notre-Seigneur, le péché qu'ils commirent fut un monstre de méchanceté ; et néanmoins
Notre-Seigneur avait des pensées d'amour pour eux, prévoyant les moyens qu'il leur voulait donner pour
tirer le fruit de sa sainte Passion.
 
 

Ceci appartient déjà à la seconde fleur que nous avons pris à considérer, qui est la patience. Cette
pa­tience fut grande plus qu'il ne se peut dire ; car jamais l'on n'entendit nulle plainte sortir de la bouche
du Sau­veur (Is. LIII,7), il ne rendit nul témoignage, comme nous faisons nous autres, de la grandeur de
sa souffrance afin d'émouvoir ceux qui étaient présents à compassion sur lui. Ses douleurs étaient
indicibles. Je vous laisse à penser : étant attaché avec des clous sur la croix, navré de la tête jusqu’aux
pieds en telle sorte qu'il n'avait qu'une seule plaie qui tenait tout au long de son très sacré corps (Is.
LIII,6) ; ses os tout disloqués. Et quant aux douleurs intérieures, elles étaient sans comparaison plus
grandes. Or, cette parole que nous disions naguères ne fut nullement prononcée pour se plaindre, mais
seulement pour nous enseigner comme au fort de nos peines inté­rieures, délaissement et
abandonnements spirituels nous nous devons adresser à Dieu et ne nous plaindre qu'à lui même qui seul
doit voir notre affliction, ne souf­frant pas que les hommes s'en aperçoivent sinon le moins qu'il se peut.
 
 

Mais quelle fut la douleur de notre Maître oyant ces détestables blasphèmes que ses ennemis
vomissaient contre lui et contre son Père céleste, et voyant que leur rage ne se pouvait assouvir à force
de le tour­menter? Sans doute, cela lui outre transperçait le cœur plus sensiblement encore que les clous
ne perçaient ses pieds et ses très bénites mains. Et en outre, quel devait être l'attendrissement que lui
causait la douleur de sa très sainte Mère qui l'aimait si chèrement? Les cœurs du Fils et de la Mère se
regardaient avec une compassion nonpareille, mais aussi avec une générosité et constance incomparables
; car ils ne se plaignaient point, ils ne détournaient point leur vue l'un de dessus l'autre pour rendre leur
peine moins sensible, mais ils se regardaient fixement. Bref, il n'est pas en notre pouvoir de décrire ni
même imaginer quelles furent les souffrances de notre Maître en sa Passion.
 
 

Cependant il ne se plaignit jamais. Il dit bien voi­rement qu'il avait soif (Jn XIX,28), mais quoiqu'il fut
très vrai, hélas, il ne demanda pourtant pas à boire, car c'était du salut des âmes qu'il était altéré. Il
manifesta néan­moins simplement sa nécessité pour notre instruction, si vous le voulez prendre en ce
sens ; après quoi il fit un acte de très grande soumission, car quelques uns lui ayant tendu au bout d'une
lance un morceau d'éponge trempé dans du vinaigre pour le désaltérer, il le suça avec ses très bénites
lèvres. Chose étrange ! il n'igno­rait pas que c'était un breuvage qui augmenterait ses peines, néanmoins
il le prit tout simplement, sans rendre nul témoignage que cela lui fâchait ou qu'il ne l'eut pas trouvé bon,
pour nous apprendre avec quelle soumission nous devons prendre ce qui nous est ordonné quand nous
sommes malades, voire quand nous serions en doute que cela pourrait accroître notre mal ; et de même
devons?nous faire des viandes qui nous sont pré­sentées, sans rendre tant de témoignages que nous en
sommes dégouttés et ennuyés.
 
 

Hélas! si nous avons tant soit peu de mal nous faisons tout au contraire de ce que notre très doux Maître
nous a enseigné, car nous ne cessons de nous lamenter et de nous plaindre ; nous ne trouvons pas assez
de gens, ce semble, pour leur raconter toutes nos douleurs par le menu. Notre mal, pour petit qu'il soit,
est incomparable, et ceux que les autres souffrent ne sont rien en compa­raison ; nous sommes plus
chagrins et impatiens qu'il ne se peut dire ; nous ne trouvons rien qui aille comme il faut pour nous
contenter. Enfin c'est grande compas­sion de voir combien nous sommes peu observateurs de la
patience de notre Sauveur, lequel s'oubliait de ses souffrances et ne tachait point de les faire remarquer
par les hommes, se contentant que son Père céleste, par l'obéissance duquel il les endurait, les
considérât, et apaisât son courroux envers la nature humaine pour laquelle il pâtissait.
 
 

Je passe outre et remarque la troisième vertu que Notre Seigneur nous présente sur la croix, comme une
fleur très agréable : c'est la très sainte persévérance, vertu sans laquelle nous ne saurions être dignes du
fruit de sa Mort et Passion ; car ce n'est pas tout de bien commencer si l'on ne persévère jusqu’à la fin
puis­que c'est chose assurée que l'état auquel nous nous trouverons à la fin de nos jours, lorsque Dieu
coupera le fil de notre vie, sera celui où nous demeurerons pour toute éternité. Bienheureuse donc sera
l'âme qui persévérera à bien vivre et à faire ce pour quoi elle a été envoyée, comme Notre-Seigneur qui
persévéra jusqu’à la mort en la pratique de toutes les vertus, comme saint Paul écrit (Phil. II,8) de
l'obéissance : Il a été obéissant jusqu’à la mort; c'est à savoir tout le temps de sa vie jusqu’à la mort.
C'est pourquoi il dit enfin très véritablement : Tout est consommé (Jn XIX,30). O l'admirable parole que
celle-ci : Tout est consom­mé ! c'est à savoir : Il ne reste plus rien à faire de ce qui m'a été commandé.
Que les religieux et religieuses seraient heureux si à la fin de leur vie ils pouvaient dire bien véritablement
avec le Sauveur : Tout est con­sommé ; j'ai fait tout ce qui m'était commandé soit par les Règles, soit
par les Constitutions ou par les ordon­nances des Supérieurs ; j'ai persévéré fidèlement en tous mes
exercices, il ne me reste plus rien à faire.
 
 

Mais plus excellente que toute autre est la quatrième vertu, car elle est la crème de la charité, l'odeur de
l'humilité, le mérite, ce semble, de la patience et le fruit de la persévérance ; grande est cette vertu, et
seule digne d'être pratiquée des plus chers enfants de Dieu : c'est la très aimable indifférence. Mon Père,
dit notre très doux Sauveur après la sixième parole, je remets mon esprit entre vos mains (Lc
XXIII,46). Il est vrai, voulait?il dire, que tout est consommé et que j'ai tout accompli ce que vous
m'aviez commandé (Jn XVII,4); mais pourtant, si telle est votre volonté que je demeure encore
davantage sur cette croix pour souffrir plus longtemps, j'en suis content; je remets mon esprit entre vos
mains, vous en pouvez faire tout ainsi qu'il vous plaira. Nous en devrions faire de même, mes chères
Sœurs, en toutes occasions, soit quand nous souffrons ou quand nous jouissons, et répéter: Mon Père,
je remets mon esprit entre vos mains, faites de moi tout ce qu'il vous plaira, nous laissant ainsi conduire
à la volonté divine, sans jamais nous laisser préoccuper de notre volonté particulière.
 
 

Notre-Seigneur aime donc d'un amour extrême­ment tendre ceux qui sont si heureux que de
s'aban­donner entièrement en son soin paternel, se laissant gouverner par sa divine Providence comme il
lui plait, sans s'amuser à considérer si les effets de cette provi­dence leur sont utiles, profitables ou
dommageables ; étant tout assuré que rien ne nous saurait être envoyé de ce cœur paternel et très
aimable, ni qu'il ne permettra que rien nous arrive de quoi il ne nous fasse tirer du bien et de l'utilité,
pourvu que nous ayons mis toute notre confiance en lui, et que de bon cœur nous disions : je remets
mon esprit entre vos mains; et non seulement mon esprit, mais mon âme, mon corps et tout ce que j'ai,
afin que vous en fassiez selon qu'il vous plaira.
 
 

Et en ceci il sera vérifié que très raisonnablement et véritablement Notre-Seigneur doit être appelé Roi,
troisième qualité que Pilate lui bailla, et que la bonté de notre Maître a bien voulu lui être donnée
jusqu’à présent; car il veut que nous demeurions absolument et sans réserve soumis à ses volontés.
Notre cher Sauveur expose son âme, c'est-à-dire sa vie, à la cruauté des ennemis des hommes, pour les
défendre de tous malheurs et leur redonner la paix qu'ils avaient pour jamais perdue par le péché. Pour
nous rétablir en sa grâce et nous rendre dignes de sa miséricorde, il a pris sur soi les coups de la justice
divine, justice qui se devait exercer sur nous qui étions les seuls contre qui elle fut irritée à bon droit.
Considérons donc si très justement il ne doit pas être appelé notre Roi, ayant eu un tel soin de garantir
son pauvre peuple de tous malheurs et l'ayant défendu contre ses ennemis.
 
 

Or, puisqu'il est notre Roi, il faut soumettre tout ce que nous avons à son service. Nous lui devons nos
corps, nos cœurs et nos esprits afin qu'il en fasse comme de choses siennes, et que jamais nous ne les
employions pour contrevenir à ses lois divines. Mais quelles sont?elles ces lois de notre Roi ? O quelles
elles sont, mes chères Sœurs? C'est tout ce que je viens de dire, qu'il a observé le premier pour nous
donner exemple : la très sainte humilité, la générosité, la patience, la constance et inva­riable
persévérance, et enfin la très aimable et excel­lente vertu d'indifférence. Il veut que nous apprenions de
lui ces vertus en la considération de sa Mort et Passion, et désire que nous lui témoignions par icelles
notre amour et notre fidélité, puisque ç'a été en les pratiquant qu'il nous a montré l'excellence et l'ardeur
du sien envers nous qui en étions si indignes. Que le nom de Jésus soit éternellement Beni ! Amen.
 

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