Le grand Apôtre
saint Paul, prédicateur de la Croix de Notre Seigneur, raconte (Act.
XVII,
22-23) qu'étant
allé un jour en la ville d'Athènes il fit de ses yeux le
rencontre d'un autel qui
avait pour titre
: Au Dieu inconnu. Je rencontrais de mes yeux, dit?il, un autel dédié
au Dieu
inconnu ; et
de là il prit occasion de prêcher aux Athéniens quel
était ce Dieu inconnu qu'ils
adoraient. Ô
bien aimés et très chers Athéniens, leur disait ce
grand prédicateur de la Croix,
ce Dieu que vous
ne connaissez point encore et que tout maintenant je vous veux faire
connaître
n'est autre que Dieu le Père tout puissant, qui a envoyé
son Fils ça bas en terre
pour prendre
notre nature humaine; en icelle, bien qu'il fut Dieu comme son Père,
de même
nature et essence
que lui, ce divin Fils a néanmoins souffert la mort, et la mort
de la croix
(Phil. II, 6-8),
pour satisfaire à la justice de Dieu son Père justement indigné
contre les
hommes en suite
du péché de nos premiers parents, péché qui
nous eut sans doute causé à
tous la mort
éternelle. Les Athéniens, comme la plupart des hommes de
ce temps?là,
reconnaissaient
plusieurs dieux, mais enfin ils confessaient qu'entre tous ceux-là
il y en avait
un qu'ils ne
connaissaient point.
Le grand Apôtre donc prit sujet
de cette inscription pour leur faire une excellente prédication,
leur
donnant à entendre avec des
termes admirables quel était ce Dieu qu'ils ignoraient encore. Et
moi, mes
très chères
Sœurs, ayant à vous entretenir
ici quelque peu de temps, j'ai jeté les yeux de ma considération
sur le
titre que j'ai vu non au dessus
de l'autel des Athéniens, mais au-dessus de cet autel incomparable
sur
lequel notre Sauveur et Maître
s'est offert pour nous à Dieu son Père en sacrifice très
agréable et d'une
suavité nonpareille, autel
qui n'est autre que la Croix, laquelle depuis a toujours été
honorée comme très
précieuse et adorable. Or,
ayant considéré le titre placé sur icelle, j'ay pensé
qu'à l'imitation du
prédicateur de la Croix,
je ne devais pas rechercher autre sujet pour fondement de ce que je vous
devais
dire. Non pas que je vous veuille
parler d'un Dieu inconnu, car grâce à sa bonté nous
le connaissons;
mais certes, je pourrais bien parler
d'un Dieu méconnu. Nous ne vous ferons donc pas connaître,
mais
nous vous ferons reconnaître
ce Dieu tant aimable qui est mort pour nous.
Oh que c'est une chose utile que
cette reconnaissance! Car véritablement, au dire de plusieurs,
Abraham, Isaac et Jacob eussent
eu quelque excuse s'ils n'eussent pas reconnu la divine Majesté,
d'autant qu'ils ne l'avouent pas
connue si clairement que nous, qui sommes hors d'excuse, ayans appris
de Dieu même ce qu'il est,
par la divine bouche de Notre Seigneur qui est, comme nous avons dit, un
même Dieu avec son Père.
Les Chrétiens seront inexcusables de ne l'avoir pas aimé
et servi de tout leur
cœur, puisqu'ils ont été
si bien enseignés combien il est aimable et comme chèrement
il les a aimés en
donnant sa vie pour eux (Gal. II,20
; Eph. V,2).
Or je n'entends pas vous parler,
mes chères Sœurs, avec combien d'ignominies, de douleurs,
d'amertumes, d'angoisses, de vitupérations,
d'affronts, de mépris notre divin Maître souffrit la mort,
ni
moins vous faire un narration de
la cruauté envenimée avec laquelle les juifs l'attachèrent
à la croix; car
vous savez que je vous ai toujours
fait entendre que c'est la moindre considération en la Passion de
Notre-Sauveur que celle-ci, et celle
sur laquelle vous vous devez moins arrêter, puisque l'affection
de
compassion sur ses souffrances est
la moins utile.
Lui-même a semblé nous
le vouloir inculquer lorsqu'il dit aux femmes qui le suivaient de ne point
pleurer sur lui, mais sur elles
mêmes (Lc XXIII, 27-28). Si nous avons des larmes, pleurons tout
simplement, car nous ne les saurions
jeter pour un plus digne sujet; mais ne nous arrêtons pas là,
passons à des considérations
plus utiles selon que le requiert le pâtir de notre Sauveur.
Je reprends donc mon propos et considère
le titre qui est posé sur le haut de la croix. 0 qu'il est
admirable ! Je suis presque ravi
en le considérant. Jesus, Nazarenus, Rex judaeorum (Jn XIX,19).
Qui
eut jamais pensé que des
paroles si saintes eussent été prononcées par la misérable
bouche d'un si
méchant homme qu'était
Pilate ? Pourtant elles furent très véritables, et Notre
Seigneur les confirma
pour telles en sa Passion, ainsi
que nous verrons en la suite de notre discours. C'est chose remarquable
combien les juifs dirent de belles
paroles en la mort de Notre-Sauveur, quoi qu'ils ne les entendissent
pas et les dissent malicieusement
et à mauvaise intention. Quelle sentence plus belle et plus vraie
peut
être prononcée, que
celle du plus méchant d'entre tous les hommes, ce misérable
Caïphe : Il est requis
qu'un homme meure (c'est à
dire, un homme: le plus excellent d'entre tous les hommes), de peur que
tous les autres ne périssent,
que toutes les gens ne périssent (Jn XI, 49,50). Et les Juifs :
Que son sang
soit répandu sur nous et
sur nos enfants (Mt XXVII, 25). Ce qui arriva tant en la personne de plusieurs
d'entre eux, comme en la conversion
des Apôtres et des autres disciples qui étaient leurs enfants.
Pilate
ayant écrit le titre de la
croix : Ce que j’ai écrit est écrit, dit?il; il est ainsi,
confirmant cette vérité (Jn
IXI,22).
Mais que veulent donc signifier ces
divines paroles ? Premièrement, Jésus est autant à
dire que Sauveur
deuxièmement, de Nazareth,
ville fleurissante, fleurie en troisième lieu, il est dit que Notre
Seigneur était
Roi : trois qualités qui
lui sont extrêmement bien dues.
Et d'abord, il est Sauveur. O combien
ceci est véritable! Il est Sauveur non seulement des hommes mais
aussi des anges. Tous tiennent le
salut de la divine Bonté, et l'ont en vertu de la Mort et Passion
de
Jésus-Christ; car de toute
éternité il projeta cette miséricordieuse pensée
(Jér. XXIX, 11 ; XXXI,3) qu'il
mourrait pour tous. Mais il faut
confesser que les hommes ont un sujet d'une consolation inexplicable
en cette Mort et Passion de Notre-Seigneur;
car si bien il est le Sauveur des anges il n'est pas pourtant
leur Rédempteur, mais oui
bien des hommes. Aussitôt que les Anges eurent péché
ils furent en même
temps confirmés en leur malice
par la volontaire élection qu'ils firent du mal et de ce qui pouvait
être
désagréable à
Dieu; si que dès lors il n'y eut plus d'espérance pour eux
de s'en pouvoir déprendre. Dès
qu'ils eurent élu le péché
ils furent rendus ses esclaves (Jn VIII, 34 ; Rm VI,16); ils furent cloués
et
attachés de telle façon
à la perdition que jamais plus il ne leur sera possible de s'en
détacher. Ils se
servirent malheureusement de leur
franc arbitre contre la volonté divine, c'est pourquoi ce franc
arbitre a
été fait serf des
peines infernales pour jamais. Mais dès que l'homme eut mangé
du fruit défendu de
l'arbre de science du bien et du
mal (Gn II,17 ; III,6), Notre-Seigneur, c'est-à-dire la seconde
Personne
de la sainte Trinité, résolût
de venir racheter ce pauvre homme au prix de son très précieux
sang, se
revêtant de la nature humaine
qu'il unit inséparablement à sa Personne divine pour se rendre
capable de
pâtir et mourir ainsi qu'il
a fait.
0 quelle pensée suave et agréable
plus qu'il ne se peut dire, quelle joie, quelle douceur de cœur, quelle
délectation doit causer à
l'homme cette vérité, que Notre Seigneur est son Rédempteur
et qu'il tient la
vie de lui 1 La vie lui a été
donnée à fin qu'il la donnât à un chacun et
que tous la tinssent de lui comme
il la tenait de son Père
(Jn V,24-26 ; VI,58). Ce n'est pas de la vie corporelle que nous entendons
parler,
car nul n'en peut douter, mais de
la vie spirituelle. Or, Notre-Seigneur possède une vie non commune
et
petite, mais une vie surabondante
, afin qu’un chacun des hommes y participât et vécut de la
même vie,
qui est celle de la grâce,
toute parfaite et tout aimable. Mais pour nous acquérir cette vie,
Notre-Seigneur
nous l'a achetée au prix
de son sang (I Cor.VI ; I P.I,18,19) et a livré la sienne : donc
notre vie n'est pas
notre, mais sienne, nous ne sommes
plus à nous, mais à lui. Puisqu'il nous a achetés,
nous sommes ses
esclaves ; quel heureux esclavage!
Il ne faut donc plus vivre pour nous mais pour lui (II Cor.V,15). O
que cette raison est puissante pour
nous faire dédier totalement au service de cet amour céleste
duquel
nous avons été si
chèrement favorisés, et si je l'ose dire, au dessus des anges
mêmes.
Voyons maintenant comme Notre Seigneur
se montra véritablement Sauveur et Rédempteur des
hommes en sa Mort et Passion. Les
félons Juifs ayant presque assouvi leur cruauté barbare et
inouïe sur
ce très doux Agneau (Jér.
XI,19), l'ayant attaché à la croix, et vomi de leurs misérables
bouches
plusieurs exécrables blasphèmes
contre sa divine Majesté, Notre-Sauveur se print à crier
ces divines
paroles comme en contrecarrant ces
injustes et indignes blasphèmes: Père, pardonnez leur,
car ils ne
savent ce qu'ils font. Mon Dieu,
que ces paroles sont admirables ! Considérez, je vous prie, la douceur
du cœur de notre Maître, et
voyez comme la charité recherche des artifices pour parvenir au
but de sa
prétention qui est la gloire
de Dieu et le salut du prochain. Mon Père, s'écrie notre
cher Sauveur ;
comme s'il eut voulu dire : je suis
votre Fils, souvenez?vous que vous êtes mon Père, et
partant que
vous ne me devez rien refuser. Et
qu'est?ce qu'il demande ? Rien pour lui, car il s'est oublié soi
même.
Il souffre beaucoup plus qu'il ne
se peut jamais imaginer, mais pourtant il ne pense point à lui ni
à ce
qu'il endure ; il fait tout au contraire
de nous autres qui ne pouvons penser qu'à notre douleur quand
nous en avons, et oublions presque
toutes autres choses ; oui même un mal de dents nous ôte le
souvenir de ce qui est autour de
nous, tant nous nous aimons nous mêmes et nous sommes attachés
à
cette misérable chair.
Les hommes pensent presque toute
leur vie à ce qu'ils ont à faire à leur mort, comment
ils pourront bien
établir leurs dernières
volontés à fin qu'elles soient bien entendues de ceux qu'ils
laissent après eux, soit
leurs enfants ou autres qui doivent
hériter de leurs biens. Et pour cela, plusieurs font leur testament
en
pleine santé, craignant que
l'effort des douleurs mortelles ne leur ôte le moyen de manifester
leurs
intentions à leur trépas.
Mais Notre-Seigneur sachant qu'il mettrait sa vie et la garderait comme
et quand
il lui plairait (Jn X,17-18), remit
à faire son testament à la mort, testament qu'il scella et
cacheta avant
même qu'il fut écrit
et prononcé.
Les hommes, pour montrer que ce qui
est écrit est leur volonté et qu'ils entendent qu'il soit
ainsi fait, le
cachettent de leur sceau, mais ils
ne l'appliquent qu'après que tout est parachevé. Le Sauveur
ne voulant
prononcer son testament qu'en la
croix et un peu avant que de mourir, appliqua néanmoins son sceau
et
cacheta son testament avant toutes
autres choses. Son sceau n'est autre que lui même, ainsi qu'il l'avait
fait dire à Salomon parlant
en sa personne à l'âme dévote (Cant. VIII, 6) : Mets-moi
comme un sceau
sur ton cœur et comme un cachet
sur ton bras. Il appliqua ce sceau sacré lors qu'il institua le
très saint et
très adorable Sacrement de
l'autel, qu'il appelle son nouveau testament (Mt XXVI,28); Sacrement
qui
contient en soi la Divinité
et l'humanité tout ensemble, et entièrement la Personne sacrée
de
Notre-Seigneur.
Il se posa et appliqua donc sur nos
cœurs par le moyen de la très sainte Communion comme un sceau
sacré et un cachet très
aimable. Puis il fit son testament, manifestant ses dernières volontés
sur la croix
un peu avant que de mourir, à
fin qu'un chacun des hommes qui devaient être ses cohéritiers
(Rm
VIII,17) au Royaume de son Père
céleste fussent grandement bien instruits, tant de ce qu'ils devaient
faire comme de l'affection incomparable
qu'il avait pour eux. Il s'oublie soi-même pour penser
premièrement à eux,
tant sa charité est grande, puis en après il retournera à
soi même.
Son testament, mes chères
âmes, n'est autre que les divines paroles qu'il prononça étant
en la croix.
Absorbé donc en cet amour
qu'il portait aux pécheurs, il se prit à amadouer son Père
céleste l'appelant
Père : Mon Père, pardonnez?leur,
parce qu'ils ne savent ce qu'ils font. 0 que voici un document
incomparable d'une parfaite charité!
Aimez?vous les uns les autres comme je vous ai aimés disait?il
souvent prêchant au peuple
ou à ses Apôtres, de telle sorte qu'il semblait n'avoir point
tant d'affection
pour autre chose que pour inculquer
cette très sainte dilection. Mais maintenant il en donne un exemple
du tout inimaginable : il excuse
ceux-là même qui le crucifiaient et l'injuriaient d'une rage
toute barbare,
et cherche des inventions pour faire
que son Père leur pardonne, et cela en l'acte même du péché
et de
l'injure. 0 que nous sommes misérables
nous autres, car à peine pouvons?nous oublier une injure dix ans
après qu'elle nous a été
faite ; oui même il s'en est trouvé qui à l'heure de
la mort ne pouvaient ouïr
parler de ceux dont ils avaient
reçu quelque outrage et ne leur voulaient pardonner. 0 Dieu, quelle
misère
est la notre ! A peine pouvons?nous
pardonner à nos ennemis, et Notre-Seigneur les aimait si chèrement
et priait ardemment pour eux !
Cette prière si admirable
porta un tel fruit que plusieurs d'entre eux se convertirent : quelques-uns
sur le
champ, confessant, après
l'avoir ouïe, que cela étant tout à fait au dessus de
la nature humaine, il était
véritablement Fils de Dieu
(Mt XXVII,54 ; Mc XV,39). Les autres firent comme une biche laquelle
étant blessée va néanmoins
rendre les abois encore assez loin du lieu où elle a reçu
le coup de la mort.
Notre divin Maître avait obtenu
de son Père céleste qu'il envoyât des hauts lieux plusieurs
traits et
flèches dans les cœurs de
ceux pour qui il priait ; ce qu'il fit tout ainsi qu'il avait désiré.
Mais pourtant
plusieurs ne rendirent pas
sur l'heure même leur vie par leur conversion, mais portèrent
le coup de ces
divines flèches des remords
intérieurs jusque à la Pentecôte, jour auquel, en la
première prédication de
saint Pierre, se convertirent bien
trois mille personnes (Act. II,41), entre lesquelles étaient
indubitablement plusieurs de ceux
qui se trouvèrent à la mort de notre Sauveur; conversion
qui
appartenait au mérite de
cette tant admirable prière qu'il fit à son Père céleste
en l'acte même des injures
et méchancetés que
ses ennemis lui faisaient souffrir. Chose étrange certes, en même
temps que les
hommes pervers et malheureux vomissaient
contre sa divine Majesté et contre celle de son Père ces
blasphèmes insupportables
: il est tout puissant comme il dit, et se confie en son Père qui
l'a envoyé,
qu'il l'appelle maintenant
et qu'il le sauve; s'il veut que nous croyions en lui, qu'il se sauve maintenant
soi même ; il dit qu'il rétablira
le Temple en trois jours, et semblables paroles vraiment diaboliques (Mt
XXVII,39-43), Notre-Seigneur, dis?je,
à même temps relançait vers Dieu des soupirs de compassion
et
des Paroles plus douces que le miel
(Ps CXVIII,103) et le sucre afin qu'il leur pardonnât leurs forfaits
et
leur donnât sa grâce.
Voyez donc comme Notre-Seigneur est très justement appelé
Sauveur.
Mais outre la grâce qu'il octroie
aux pécheurs, il la demande pour eux à son Père céleste
avec une
charité si artificieuse qu'il
ne l'appelle point son Dieu ni Seigneur, comme nous verrons qu'il
fera
ci-après en parlant pour
soi, mais il l'appelle mon Père, sachant bien que ce mot si tendre
étant prononcé
par l'amour cordial, est plus respectueux
que celui de mon Seigneur, et que partant il serait plus tôt
exaucé. Et semble qu'il commence
par là sa prière pour charmer ce cœur paternel, afin qu'il
pardonne
aux pauvres pécheurs pour
lesquels il se rendait caution devant la justice divine ; comme s'il eut
voulu
dire : Mon Père, Pardonnez
à ces pauvres pécheurs et à ceux même qui me
crucifient, car je suis ici
pour payer pour eux. Je ne demande
pas que vous me pardonniez à moi, car je suis monté sur le
comptoir de la croix afin de satisfaire
à toutes leurs dettes ; et pour que vous ne leur demandiez rien
et
que votre bonté leur pardonne
je répandrai jusqu’à la dernière goutte de mon sang,
bien qu'une seule fut
suffisante. Je me soumets de très
bon cœur à supporter les effets de votre justice, prenez sur moi
la
vengeance de leurs péchés;
mais quant aux pécheurs, pardonnez-leur, car telle est ma volonté.
0 Dieu,
quelle bonté et quelle douceur
du cœur de notre très doux Sauveur.
Le premier légat qu'il fit
en son testament fut de donner aux pécheurs sa grâce, par
le moyen de laquelle
ils pussent par après parvenir
à sa gloire, où nul ne peut entrer sans sa grâce et
sans les mérites de sa
Passion. Ayant donc déjà
montré qu'en donnant sa grâce aux pécheurs il était
très véritablement appelé
Sauveur, il promet la gloire au
bon larron qui était pénitent (Lc XXII, 39-43).
Mais il faut remarquer en passant
que l'un des larrons se convertit et l'autre non. Nous autres, dit le bon
larron, sommes très justement
punis de nos méfaits, car nous avons toujours été
méchants et
malheureux, ayants commis des grandes
voleries : il confessa ainsi ses péchés. Nous en pourrions
bien
faire autant toutes les fois que
nous recevons quelque affliction. Nous sommes très justement punis,
devrions nous dire, faisant ainsi
de nécessité vertu, et confessant nos péchés;
mais hélas, nous nous
comportons comme l'autre larron
qui demeura en son endurcissement, et blasphémait encore en
mourant.
Soudain après avoir fait sa
confession, le bon larron demanda l'absolution : Hé, Seigneur, ajouta?t?il,
souvenez-vous de moi quand
vous serez en ton Royaume. A quoi notre cher Sauveur répondit
gracieusement : Aujourd’hui tu seras
avec moi en Paradis. Et ce fut la première fois qu'il le promit,
à
ce que l'on sache. O quelle douce
et aimable parole : Aujourd’hui tu seras avec moi. Grand a toujours
été l'amour de Notre-Seigneur
envers les pénitent. Peu auparavant il demandait que la grâce
fut donnée
aux pécheurs; maintenant
il donne la gloire aux pénitents. La grâce rend les pécheurs
pénitents, et
ceux?ci sont seuls rendus dignes
de la gloire. Le Ciel n'est presque rempli que de pénitents.
Il n'y a que
Notre Dame, saint Jean-Baptiste,
saint Joseph et quelques autres qui aient été exempts de
péché et
prévenus de la grâce
qui les a empêchés d'y tomber. La très sainte Vierge
l'a été d'une façon toute
particulière au-dessus de
tous autres, car elle ne fut pas seulement préservée de péché
tant originel
qu'actuel, mais elle fut aussi préservée
de l'ombre d'icelui, ne commettant pas même des imperfections
pour petites qu'elles pussent être.
Le Paradis est tout tapissé de pénitents, et, comme nous
avons dit,
l'on n'y voit presque autre chose.
Les Martyrs ont été pénitents en répandant
leur sang dans lequel ils
ont été lavés
comme dans un bain de pénitence ; tous les tourments qu'ils
ont soufferts n'ont été que
des actes de pénitence. Les
Vierges ont été pénitentes, les Confesseurs aussi;
bref, nul n'est entré au
Ciel sans pénitence et sans
se reconnaître pour pécheur, excepté ceux dont nous
avons parlé. Tous sans
exception ont eu besoin du mérite
du sang répandu par Notre-Seigneur, lequel, comme je crois, jetait
des odeurs et des parfums si excellents,
tant devant la Majesté du Père éternel que devant
les hommes,
qu'il était presque impossible
qu'il ne fut reconnu pour être le sang non d'un homme seulement,
mais
d'un homme Dieu. Il m'est avis que
ce sang très sacré était comme l'encens lequel étant
jeté dessus le
feu répand de toutes parts
autour d'icelui sa fumée odoriférante, voire exhale cette
fumée en haut; ainsi
le sang de Notre-Seigneur distillant
de son corps très sacré en terre jusqu’à la dernière
goutte, jetait des
parfums de tous cotés (Eph.
V,2). Aussi cette odeur précieuse parvint jusqu’au bon larron, lequel
fut
rempli d'une si grande suavité
qu'il se convertit à l'instant et mérita d'ouïr
cette tant gracieuse parole:
Aujourd’hui tu seras avec moi en
Paradis. Paradis dont notre Sauveur n'avait pas voulu parler jusqu’à
maintenant qu'il était si
proche d'y entrer et se trouvait déjà à la porte.
N'est?ce pas une vraie marque
que Notre-Seigneur était
vraiment notre Sauveur, puisqu'il promet si absolument la gloire qu'il
ne diffère
point de la donner, mais dit aujourd’hui
? O parole de grande consolation pour les pécheurs pénitents,
car ce que sa Bonté a fait
pour le bon larron elle le fera pour tous les autres enfants de la Croix
qui sont
les chrétiens.
O heureux enfants de la Croix, puisque
vous êtes assurés qu'au même temps que vous serez pénitents
et
vous repentirez de vos péchés,
notre Sauveur sera votre Rédempteur et vous donnera la gloire!
Cependant il lui restait encore quelque
légat à faire en son divin testament. Et quoi, me direz?vous,
qu'y
a?t?il autre chose ? Quoi, mes chers
Sœurs ? Il y a une certaine délicatesse spirituelle dont il devait
faire
présent à ses plus
chers amis, délicatesse qui n'est autre qu'un moyen très
singulier pour conserver la
grâce acquise et pour parvenir
au plus haut degré de gloire. Regardant donc de ses yeux pleins
de
compassion sa très bénite
Mère, qui était debout au pied de la croix avec son bien
aimé disciple, il ne
lui voulut pas donner la grâce
ou la demander pour elle, car elle la possédait déjà
fort excellemment, ni
moins lui promettre la gloire, car
elle en était toute assurée ; mais il lui donna une certaine
union de cœur
et amour tendre pour le prochain,
cet amour des uns pour les autres qui est un don des plus grands que
sa bonté fasse aux hommes.
Mais quel amour? Un amour maternel.
Femme, dit?il, voilà ton fils. O Dieu, quel échange ; du
Fils au
serviteur, de Dieu à la créature
! Néanmoins elle ne refuse point, sachant bien qu'en la personne
de saint
jean elle acceptait pour siens tous
les enfants de la Croix et qu'elle en serait la chère Mère
Notre divin
Maistre nous enseignait par là
que si nous voulons avoir part en son testament et aux mérites de
sa Mort
et Passion, il faut que nous nous
aimions tous les uns les autres de cet amour tendre et grandement
cordial du fils envers la mère
et de la mère envers le fils, qui est en quelque façon plus
grand que non
pas celui des pères.
Il nous faut remarquer que Notre
Dame était debout au pied de la croix. En quoi certes ont grand
tort
ceux qui pensent qu'elle fut tellement
outrée de douleur qu'elle en demeura pâmée; car sans
doute cela
n'est point, ainsi elle demeura
ferme et constante, bien que son affliction fut la plus grande que jamais
femme aie ressenti pour la mort
de son enfant, parce qu'il ne s'en est jamais trouvé qui ait eu
autant
d'amour qu'elle en avait pour Notre-Seigneur,
non seulement parce qu 'il était son Dieu, mais aussi
parce qu'il était son Fils
très cher et très aimable.
Grande fut la constance de la très
sainte Vierge et du bien aimé Disciple; c'est pourquoi celui-ci
fut
favorisé du don que sa bonté
lui fit de sa très sainte Mère, Mère la plus aimable
qu'il soit possible
d'imaginer. Cette vertu de constance
et générosité d'esprit a toujours été
grandement chérie de
Notre-Seigneur au dessus de plusieurs
autres. L'amour de Notre Dame était vraiment plus fort et plus
tendre qu'il ne se peut dire, et
par conséquent sa douleur plus véhémente que toute
autre en la mort et
Passion de Jésus-Christ;
mais comme cet amour était selon l'esprit, conduit et gouverné
par la raison, il
ne produisit point de mouvement
déréglé en l'affliction qu'elle ressentit se voyant
privée de son Fils, qui
lui causait une consolation incomparable.
Elle demeura donc, cette très glorieuse Mère, ferme, constante
et parfaitement soumise au bon plaisir
de Dieu, qui avait décrété que Notre-Seigneur mourrait
pour le
salut et rédemption des hommes.
Il nous faut passer outre, car je
n'ay pas le temps de m'arrêter beaucoup sur ce sujet, bien que je
prendrais plaisir de finir sur cette
sainte délicatesse spirituelle, c'est à dire cet amour cordial
et tendre que
notre cher Maître désire
tant que nous avons les uns pour les autres. Notre Seigneur fut donc appelé
Sauveur, et à très
juste raison, puisqu'il l'approuva lui même et en fit tout particulièrement
l'office sur la
croix, comme nous avons dit. Car
si bien tout ce qu'il a fait durant le cours de sa vie mortelle a été
pour
nous sauver et en intention de satisfaire
pour nous vers son Père céleste, néanmoins ce qu'il
opéra en sa
Mort et Passion est appelé
l’œuvre de notre Rédemption par excellence, comme en étant
l'abrégé.
Mais il ne se montra pas seulement
digne du nom de Jésus, ainsi encore de celui de Nazaréen,
; et ceci
est le deuxième point de
notre discours et la deuxième parole de ce titre sacré que
j'ai regardé et
considéré sur l'autel
de la Croix, dédié non au Dieu inconnu mais au Dieu méconnu.
Le doux Sauveur
de nos âmes voulut qu'on le
nommât Jésus de Nazareth pour ce que Nazareth est interprété
ville fleurie
pu fleurissante ; et lui même,
au Cantique des Cantiques, avait voulu être appelé la fleur
des champs et
le lys des vallées . Or,
pour nous montrer qu'il n'était pas seulement une fleur, mais qu'il
était un
bouquet composé de l'assemblage
des plus belles et plus odoriférantes fleurs que l'on sut rencontrer,
il a
voulu garder le nom de fleurissant
sur
l'arbre de la croix. Mais dites?moi, Notre-Seigneur n'était?il pas
sur icelle une fleur plutôt
flétrie, fanée et passée que non pas fleurie ? Regardez?le,
de grâce, comme il
ose se nommer fleuri, puisqu'il
est si transi, tout couvert et sali de crachats infects et puants, les
yeux
haves et ternis, sa face meurtrie
de coups, pale et décolorée à force de douleurs et
d'avoir répandu son
sang très beni. Bref, les
douleurs de la mort s'étaient déjà saisies de toutes
les parties de son corps.
O mes chères Filles, grandes
et belles à merveille sont les fleurs que cette bénite plante
de la Mort et
Passion de Notre-Seigneur fit éclore
et épanouir tandis qu'il était sur la croix. Elles seraient
trop longues
à vous les rapporter toutes,
c'est pourquoi je me contenterai d'en remarquer quatre tant seulement,
lesquelles je ne ferai que toucher
en passant, les laissant par après considérer le reste
de cette journée à
une chacune de vous autres, à
fin que leurs odeurs très agréables puissent parfumer toutes
vos âmes et
les embaumer d'un saint propos de
les odorer souventefois, ainsi que le Sauveur le désire pour votre
avancement en la perfection. Ces
quatre fleurs ne sont autre que quatre vertus des plus remarquables et
des plus nécessaires. La
première est la très sainte humilité, laquelle comme
la violette répand une odeur
extrêmement suave en la mort
de Notre-Seigneur; la seconde est la patience, la troisième, la
persévérance, et la
quatrirème est une vertu grandement excellente qui est la très
sainte indifférence.
Quant à la première,
Notre-Seigneur ne pratiqua t?il pas au temps de sa Passion l'humilité
la plus
profonde, la plus véritable
et sincère qui se puisse imaginer, mais la plus inimaginable, dans
tous les
tourments et abjections qu'il endura
? Ne pratiqua t?il pas cette vertu tout le temps de sa vie ? Elle fut
certes très grande en ce
que se pouvant faire appeler Hierosolimitain ou bien de Bethléem,
ville où il
était né et qui appartenait
à son grand Père David, il ne le voulut néanmoins
pas, pour montrer qu'il
choisissait tout au contraire des
grands de ce monde, lesquels prennent les noms les plus honorables
qu'ils peuvent. Mais quant à
lui, il choisit le nom de la moindre ville qu'il peut, gardant toujours
pour son
partage l'abjection, la pauvreté
et la bassesse.
Or, les Evangélistes (Mt XXVII,45
; Mc XV,33...) nous disent que soudain que notre Sauveur eut
prononcé les trois premières
paroles que nous avons remarquées, les ténèbres se
firent sur toute la face
de la terre par l'espace de trois
heures et le soleil s'éclipsa, non que cette éclipse fut
naturelle, mais elle
arriva extraordinairement. La lune
ayant rebroussé sa course et se venant opposer devant la lumière
du
soleil, les ténèbres
s'ensuivirent. En quoi certes je m'imagine que la lune fit un extrême
plaisir aux
étoiles, afin qu'elles eussent
l'honneur de venir répandre leur lumière en la présence
de ce vrai Soleil de
justice qui sans doute semblait
s'être éclipsé tant sa couleur était ternie.
Cette fleur était flétrie par les
douleurs mortelles dont il était
déjà environné, de sorte qu'il semblait expiré,
car durant tout ce temps là
il ne dit pas un seul mot, mais
observa un très profond silence par l'espace de trois heures; d'où
vient
que l'on a toujours ordonné
quelques heures de silence en tous les monastères bien reformés,
pour
imiter celui de Notre Seigneur en
la croix.
Mais que pensez?vous qu'il faisait,
ce doux Sauveur de nos âmes, durant ce silence ? Il rentrait en
soi-même et considérait
le mystère de son abjection; car l'humilité, qu'est?ce autre
chose sinon une
rentrée en nous-même
pour nous considérer plus mûrement ? Et que cela ne soit ainsi,
il nous le fait
entendre par ce qu'il dit par après:
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé ? (Ps XXI,1
;
Mt XXVII,46) Ayant considéré
sa pauvreté, non tant extérieure que beaucoup plus intérieure,
il élança
cette parole de parfaite humilité,
faisant connaître sa disette, son abjection et son délaissement.
Il ne faut
néanmoins pas entendre que
le Père céleste l'eut abandonné d'un abandon tel qu'il
eut retiré sa
protection paternelle pour un Fils
tant aimable, car cela ne se peut, puisqu'il était joint et uni
à la
Divinité. Mais quant au sentiment
de cette très sainte protection et union, il était retiré
tout entièrement
en la pointe de son esprit, le reste
de l'âme étant absolument délaissé à
la merci de toutes sortes de
peines et d'afflictions, si qu'il
se prit à dire : Pourquoi m'avez?vous abandonné ?
Durant le cours de sa vie il avait
toujours,
ou pour l'ordinaire, reçu quelques consolations ; il témoignait
aucunes fois de ressentir de la
joie en la conversion des pécheurs, comme il le disait aux Apôtres
(Lc
XV 4-10, 32); mais en sa Mort et
Passion il n'en avait aucune, tout lui servait d'affliction, de tourment
et d'amertume. Grande donc fut sa
pauvreté intérieure et grand l'acte d'humilité qu'il
fit en nous la
donnant à connaître.
Mais encore, que pensons?nous que
notre doux Sauveur fit durant ce long silence ? Pour moi je crois
sans doute qu'il regardait tous
les enfants de la Croix, et tous les hommes, mais plus spécialement
ceux
qui tireraient du fruit de sa Mort
et Passion. Il nous considérait tous les uns après les autres,
méditant les
moyens requis pour nous appliquer
le mérite de ses souffrances. O Dieu, quelle douceur du cœur de
notre Maître qui nous aimait
si chèrement; nous, dis?je, et ceux-même qui étaient
en l'acte du péché le
plus énorme que jamais homme
puisse faire! car il n'y a point de plus grand péché que
de haïr Dieu qui
n'est en façon quelconque
capable d'être haï en soi-même. Non, cette haine ne se
peut trouver qu'au
cœur des hommes forcenés
de désespoir et de rage à cause des véhémentes
douleurs qu'ils souffrent ; et
cela fait que quelquefois ils haïssent
Dieu et sont du tout incapables de l'aimer. Mais quant aux Juifs qui
crucifièrent Notre-Seigneur,
le péché qu'ils commirent fut un monstre de méchanceté
; et néanmoins
Notre-Seigneur avait des pensées
d'amour pour eux, prévoyant les moyens qu'il leur voulait donner
pour
tirer le fruit de sa sainte Passion.
Ceci appartient déjà
à la seconde fleur que nous avons pris à considérer,
qui est la patience. Cette
patience fut grande plus qu'il
ne se peut dire ; car jamais l'on n'entendit nulle plainte sortir de la
bouche
du Sauveur (Is. LIII,7), il
ne rendit nul témoignage, comme nous faisons nous autres, de la
grandeur de
sa souffrance afin d'émouvoir
ceux qui étaient présents à compassion sur lui. Ses
douleurs étaient
indicibles. Je vous laisse à
penser : étant attaché avec des clous sur la croix, navré
de la tête jusqu’aux
pieds en telle sorte qu'il n'avait
qu'une seule plaie qui tenait tout au long de son très sacré
corps (Is.
LIII,6) ; ses os tout disloqués.
Et quant aux douleurs intérieures, elles étaient sans comparaison
plus
grandes. Or, cette parole que nous
disions naguères ne fut nullement prononcée pour se plaindre,
mais
seulement pour nous enseigner comme
au fort de nos peines intérieures, délaissement et
abandonnements spirituels nous nous
devons adresser à Dieu et ne nous plaindre qu'à lui même
qui seul
doit voir notre affliction, ne souffrant
pas que les hommes s'en aperçoivent sinon le moins qu'il se peut.
Mais quelle fut la douleur de notre
Maître oyant ces détestables blasphèmes que ses ennemis
vomissaient contre lui et contre
son Père céleste, et voyant que leur rage ne se pouvait assouvir
à force
de le tourmenter? Sans doute,
cela lui outre transperçait le cœur plus sensiblement encore que
les clous
ne perçaient ses pieds et
ses très bénites mains. Et en outre, quel devait être
l'attendrissement que lui
causait la douleur de sa très
sainte Mère qui l'aimait si chèrement? Les cœurs du Fils
et de la Mère se
regardaient avec une compassion
nonpareille, mais aussi avec une générosité et constance
incomparables
; car ils ne se plaignaient point,
ils ne détournaient point leur vue l'un de dessus l'autre pour rendre
leur
peine moins sensible, mais ils se
regardaient fixement. Bref, il n'est pas en notre pouvoir de décrire
ni
même imaginer quelles furent
les souffrances de notre Maître en sa Passion.
Cependant il ne se plaignit jamais.
Il dit bien voirement qu'il avait soif (Jn XIX,28), mais quoiqu'il
fut
très vrai, hélas,
il ne demanda pourtant pas à boire, car c'était du salut
des âmes qu'il était altéré. Il
manifesta néanmoins
simplement sa nécessité pour notre instruction, si vous le
voulez prendre en ce
sens ; après quoi il fit
un acte de très grande soumission, car quelques uns lui ayant tendu
au bout d'une
lance un morceau d'éponge
trempé dans du vinaigre pour le désaltérer, il le
suça avec ses très bénites
lèvres. Chose étrange
! il n'ignorait pas que c'était un breuvage qui augmenterait
ses peines, néanmoins
il le prit tout simplement, sans
rendre nul témoignage que cela lui fâchait ou qu'il ne l'eut
pas trouvé bon,
pour nous apprendre avec quelle
soumission nous devons prendre ce qui nous est ordonné quand nous
sommes malades, voire quand nous
serions en doute que cela pourrait accroître notre mal ; et de même
devons?nous faire des viandes qui
nous sont présentées, sans rendre tant de témoignages
que nous en
sommes dégouttés et
ennuyés.
Hélas! si nous avons tant
soit peu de mal nous faisons tout au contraire de ce que notre très
doux Maître
nous a enseigné, car nous
ne cessons de nous lamenter et de nous plaindre ; nous ne trouvons pas
assez
de gens, ce semble, pour leur raconter
toutes nos douleurs par le menu. Notre mal, pour petit qu'il soit,
est incomparable, et ceux que les
autres souffrent ne sont rien en comparaison ; nous sommes plus
chagrins et impatiens qu'il ne se
peut dire ; nous ne trouvons rien qui aille comme il faut pour nous
contenter. Enfin c'est grande compassion
de voir combien nous sommes peu observateurs de la
patience de notre Sauveur, lequel
s'oubliait de ses souffrances et ne tachait point de les faire remarquer
par les hommes, se contentant que
son Père céleste, par l'obéissance duquel il les endurait,
les
considérât, et apaisât
son courroux envers la nature humaine pour laquelle il pâtissait.
Je passe outre et remarque la troisième
vertu que Notre Seigneur nous présente sur la croix, comme une
fleur très agréable
: c'est la très sainte persévérance, vertu sans laquelle
nous ne saurions être dignes du
fruit de sa Mort et Passion ; car
ce n'est pas tout de bien commencer si l'on ne persévère
jusqu’à la fin
puisque c'est chose assurée
que l'état auquel nous nous trouverons à la fin de nos jours,
lorsque Dieu
coupera le fil de notre vie, sera
celui où nous demeurerons pour toute éternité. Bienheureuse
donc sera
l'âme qui persévérera
à bien vivre et à faire ce pour quoi elle a été
envoyée, comme Notre-Seigneur qui
persévéra jusqu’à
la mort en la pratique de toutes les vertus, comme saint Paul écrit
(Phil. II,8) de
l'obéissance : Il a été
obéissant jusqu’à la mort; c'est à savoir tout le
temps de sa vie jusqu’à la mort.
C'est pourquoi il dit enfin très
véritablement : Tout est consommé (Jn XIX,30). O l'admirable
parole que
celle-ci : Tout est consommé
! c'est à savoir : Il ne reste plus rien à faire de ce qui
m'a été commandé.
Que les religieux et religieuses
seraient heureux si à la fin de leur vie ils pouvaient dire bien
véritablement
avec le Sauveur : Tout est consommé
; j'ai fait tout ce qui m'était commandé soit par les Règles,
soit
par les Constitutions ou par les
ordonnances des Supérieurs ; j'ai persévéré
fidèlement en tous mes
exercices, il ne me reste plus rien
à faire.
Mais plus excellente que toute autre
est la quatrième vertu, car elle est la crème de la charité,
l'odeur de
l'humilité, le mérite,
ce semble, de la patience et le fruit de la persévérance
; grande est cette vertu, et
seule digne d'être pratiquée
des plus chers enfants de Dieu : c'est la très aimable indifférence.
Mon Père,
dit notre très doux Sauveur
après la sixième parole, je remets mon esprit entre vos mains
(Lc
XXIII,46). Il est vrai, voulait?il
dire, que tout est consommé et que j'ai tout accompli ce que vous
m'aviez commandé (Jn XVII,4);
mais pourtant, si telle est votre volonté que je demeure encore
davantage sur cette croix pour souffrir
plus longtemps, j'en suis content; je remets mon esprit entre vos
mains, vous en pouvez faire tout
ainsi qu'il vous plaira. Nous en devrions faire de même, mes chères
Sœurs, en toutes occasions, soit
quand nous souffrons ou quand nous jouissons, et répéter:
Mon Père,
je remets mon esprit entre vos mains,
faites de moi tout ce qu'il vous plaira, nous laissant ainsi conduire
à la volonté divine,
sans jamais nous laisser préoccuper de notre volonté particulière.
Notre-Seigneur aime donc d'un amour
extrêmement tendre ceux qui sont si heureux que de
s'abandonner entièrement
en son soin paternel, se laissant gouverner par sa divine Providence comme
il
lui plait, sans s'amuser à
considérer si les effets de cette providence leur sont utiles,
profitables ou
dommageables ; étant tout
assuré que rien ne nous saurait être envoyé de ce cœur
paternel et très
aimable, ni qu'il ne permettra que
rien nous arrive de quoi il ne nous fasse tirer du bien et de l'utilité,
pourvu que nous ayons mis toute
notre confiance en lui, et que de bon cœur nous disions : je remets
mon esprit entre vos mains; et non
seulement mon esprit, mais mon âme, mon corps et tout ce que j'ai,
afin que vous en fassiez selon qu'il
vous plaira.
Et en ceci il sera vérifié
que très raisonnablement et véritablement Notre-Seigneur
doit être appelé Roi,
troisième qualité
que Pilate lui bailla, et que la bonté de notre Maître a bien
voulu lui être donnée
jusqu’à présent; car
il veut que nous demeurions absolument et sans réserve soumis à
ses volontés.
Notre cher Sauveur expose son âme,
c'est-à-dire sa vie, à la cruauté des ennemis des
hommes, pour les
défendre de tous malheurs
et leur redonner la paix qu'ils avaient pour jamais perdue par le péché.
Pour
nous rétablir en sa grâce
et nous rendre dignes de sa miséricorde, il a pris sur soi les coups
de la justice
divine, justice qui se devait exercer
sur nous qui étions les seuls contre qui elle fut irritée
à bon droit.
Considérons donc si très
justement il ne doit pas être appelé notre Roi, ayant eu un
tel soin de garantir
son pauvre peuple de tous malheurs
et l'ayant défendu contre ses ennemis.
Or, puisqu'il est notre Roi, il faut
soumettre tout ce que nous avons à son service. Nous lui devons
nos
corps, nos cœurs et nos esprits
afin qu'il en fasse comme de choses siennes, et que jamais nous ne les
employions pour contrevenir à
ses lois divines. Mais quelles sont?elles ces lois de notre Roi ? O quelles
elles sont, mes chères Sœurs?
C'est tout ce que je viens de dire, qu'il a observé le premier pour
nous
donner exemple : la très
sainte humilité, la générosité, la patience,
la constance et invariable
persévérance, et enfin
la très aimable et excellente vertu d'indifférence.
Il veut que nous apprenions de
lui ces vertus en la considération
de sa Mort et Passion, et désire que nous lui témoignions
par icelles
notre amour et notre fidélité,
puisque ç'a été en les pratiquant qu'il nous a montré
l'excellence et l'ardeur
du sien envers nous qui en étions
si indignes. Que le nom de Jésus soit éternellement Beni
! Amen.