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Saint François de Sales
Sermon pour la fête de Noel
Sermon de saint François pour la veille de Noël

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Le troisième point est celui-ci : Pourquoi l'Incarnation a-t-elle été faite ? Pour nous enseigner à vivre non plus brutalement comme l'homme avait vécu depuis la chute d'Adam, mais avec et selon la raison. Notre Seigneur vient en effet nous enseigner l'abstinence et sobriété des biens, honneurs et commodités de ce siècle, à fouler aux pieds tout cela pour embrasser le contraire. Avant l'Incarnation les hommes vivaient ainsi que des bêtes brutes *, courant après les dignités et voluptés de cette vie comme les chevaux, chiens et tels autres animaux font après ce qu'ils appètent. (1) Voyez un cheval : quand il est altéré et qu'il trouve de quoi assouvir ou étancher sa soif il se jette à corps perdu dans l'eau, et quoi qu'on lui tire la bride il n'y a moyen de l'en empêcher, de sorte qu'il traîne son chevalier à val eau. Ainsi les hommes qui vivent non point selon la raison mais selon leurs appétits désordonnés, se jettent à corps perdu à la recherche de leurs satisfactions sensuelles ; mais Notre Seigneur, voulant les en sortir, leur vient tirer la bride en s'incarnant, à fin de les retenir leur enseignant par ses oeuvres à mépriser toutes choses.

Il n'y a bête, pour brute qu'elle puisse être, qui ne reconnaisse celui qui lui fait du bien ; car le cheval reconnaît très bien l'étable où il a autrefois logé parce qu'en icelle on lui a donné de l'avoine; le chien connaît son maître, et de même tous les autres animaux ont du ressentiment de ceux qui leur font du bien. Lors donc que l'homme vivait brutalement, Notre Seigneur l'est venu retirer d'entre les animaux, il lui a donné des exemples d'une admirable sobriété et, pour peu de jugement et de raison qu'on ait eu, il n'y a personne qui le sachant n'en ait éprouvé quelque sorte de ressentiment.

Or, le Sauveur s'est incarné pour nous enseigner aussi la sobriété spirituelle, qui consiste en la soustraction et privation volontaire de toutes les choses délectable et agréables qu'il pouvait avoir et recevoir en cette vie ; car il se chargea volontairement et de son plein gré de tous les travaux et tribulations, pauvreté et mépris qui se peuvent endurer en ce monde '. Il avait une âme parfaitement glorieuse qui jouissait de la claire -vision de la Divinité, et néanmoins il ne voulut point pour cela être exempt de douleurs. A l'instant de son Incarnation il vit et lent dans le livre de la prédestination tout ce qu'il devait souffrir. Ce livre était intitulé la sainte volonté de Dieu; or, pendant toute sa vie, Notre Seigneur ne fit autre chose que lire, pratiquer et garder tout ce qu'il y trouva écrit *, ajustant ses volontés à celles de son Père céleste, comme il le dit lui même * : je suis venu non Pour faire ma volonté, mais celle de celui qui M'a envoyé.

 

O que nous serions heureux si nous lisions bien dans ce livre et que toute notre préoccupation fut d'accomplir la volonté de Dieu par le renoncement et entière abnégation de la notre, n'ayant d'autre soin que de l'ajuster à la sienne! Ce serait le moyen d'obtenir de sa Bonté tout ce que nous voudrions, car celui qui n'a autre souci que de faire la volonté divine obtient d'elle tout ce qu'il requiert, et à mesure qu'il accomplit cette sainte volonté, Dieu fait la sienne ainsi qu'il est écrit' : Le Seigneur fiait la volonté de ceux qui le craignent, comme vous avez vu qu'il fit tout ce que voulut Gédéon quand il lui demanda un signe. Notre cher Sauveur vit donc à l'instant de son Incarnation tous les fouets et escourgées, tous les clous et épines, toutes les injures et blasphèmes que l'on devait vomir contre lui, en somme tout ce qu'il devait souffrir. Alors il étendit ses bras sacrés, et s'offrant avec une dilection nonpareille à pâtir toutes ces choses, il les embrassa et mit sur son cœur avec tant d'amour qu'il commença dès cet instant à ressentir tous les tourments qu'il devait par après endurer au temps de sa Passion. Il se priva dès lors, par une entière soustraction, de toutes les consolations qu'il pouvait recevoir en cette vie, ne se réservant que celles dont il ne se pouvait priver, faisant que la partie inférieure de l’âme souffrit et fut sujette pour notre salut et rédemption aux tristesses, peines, craintes, appréhensions et frayeurs ; et tout cela, rien par force ni pour ne pouvoir faire autrement, mais volontiers et de son plein gré afin de nous montrer son amour.

Certes, ce n'est pas que toutes ces souffrances fussent nécessaires pour nous sauver, car un seul acte d'amour, un seul soupir amoureux sortant de son sacré cœur était d'un prix, d'une valeur et d'un mérite infini. Un seul de ses soupirs était suffisant pour racheter lion un monde mais mille mondes, et mille et mille natures humaines et angéliques, s'il y en eut eu autant et qu'elles eussent péché. Et non seulement un seul de ses soupirs, une seule de ses larmes eut suffi pour les racheter, mais encore pour satisfaire à la justice divine, d'autant qu'ils procédaient d'un amour infini et d'une personne infinie. Aussi Notre Seigneur méritât plus en jetant un seul soupir amoureux que ne firent jamais tous les Saints et Saintes ou que tous les Chérubins et Séraphins; et Dieu fut plus honoré par un seul acte d'amour et d'adoration que la très bénite âme du Sauveur fit à l'instant de sa création, qu'il ne l'a été et ne le sera jamais par toutes les créatures angéliques et humaines. Néanmoins notre cher Maistre ne voulut pas nous racheter par un seul soupir, mais pour ce faire il a voulu souffrir mille peines et travaux, payant en toute rigueur de justice nos fautes et iniquités, nous enseignant par son exemple cette sobriété spirituelle, cet éloignement de toutes consolations pour vivre selon la raison et non selon nos appétits et affections.

C'est pourquoi l'on a toujours accoutumé de dire à ces filles quand elles entrent au Monastère, que la Religion, c’est une école de l'abnégation de toutes les volontés *, " une croix où il se faut crucifier, en somme, qu'il y faut venir pour pâtir et non point pour y être consolées. Si vous voulez du sucre et de la dragée, allez en quérir chez les apothicaires ; car l'on ne mange ici que des viandes amères et fâcheuses à la chair, lesquelles sont toutefois profitables au cœur. Je dis toujours à ces âmes, et je ne le saurais trop répéter : Or sus, ma chère fille, qu'êtes-vous venue chercher en Religion ? Y cherchez-vous des consolations? Oui. Et qu'est-ce que vous faites ? Vous-vous trompez si vous pensez y venir pour y être consolée, pour y goûter et y recevoir des douceurs spirituelles. 0 Dieu, il ne faut pas chercher cela, car cette façon d'agir est insupportable à ceux qui savent tant soit peu que c'est que la dévotion. Venez y à fin d'y vivre en une profonde humilité et entière résignation, pour y recevoir d'un cœur égal les désolations comme les consolations, les douceurs et les tribulations, les sécheresses et les dégoûts. Que si Dieu vous donne des consolations ou grains de dragées, baisez-lui la main et le remerciez très humblement, mais ne vous arrêtez point à cela, mais passez outre et vous humiliez *.

Certes, c'est une grande pitié que l'on voie Notre Seigneur tant souffrir, se soustraire à tous les plaisirs et consolations qu'il pouvait recevoir parmi ses souffrances, ne se servant que de ce dont il ne se pouvait priver, et que nous autres nous soyons tant amateurs de ces goûts qu'il semble que l'on rie travaille que pour en avoir! Pour peu qu'on en ait l'on s'amuse tant à, les regarder et les sentir que l'on ne fait rien qui vaille. Ces douceurs ne servent que d'amusement à certaines âmes trop avides et désireuses de telles choses. Hélas ! elles ne sont pas nécessaires, vous n'en êtes pas meilleures pour cela; Dieu ne les accorde pas seulement aux justes mais aux pécheurs, car il en donne bien quelquefois à des âmes qui sont en état de péché et hors de sa grâce : pourquoi donc vous y arrêtez-vous tant ? Considérez, je vous prie, ce petit nouveau né dans la crèche de Bethlehem, écoutez ce qu'il vous dit, regardez l'exemple qu'il vous donne. Il a choisi les choses les plus aspres et souffreteuses qui se puissent imaginer pour le temps de sa Nativité. 0 Dieu, qui pourrait demeurer auprès de cette crèche tout le long de cette octave il se fondrait d'amour, voyant ce petit Enfant en si pauvre lieu, pleurer et trembler de froid. Oh, avec quelle révérence la glorieuse Vierge votre Mère allait regardant ce cœur qu~elle voyait tout palpitant d'amour dans sa poitrine sacrée, comme allait-elle essuyant ces douces larmes qui coulaient si suavement des doux yeux de ce béni Poupon ! Comme courait-elle à la suave odeur de ses vertus

Voila donc ce Dieu incarné. 0 que c'est une belle chose à considérer que le mystère très haut et très profond de l'Incarnation de notre Sauveur! Mais tout ce que nous en pouvons entendre et comprendre par le discours n'est rien, et pouvons bien dire à ce propos ce que disait un sage qui lisait un livre très haut et obscur d'un ancien philosophe (je ne me souviens pas de son nom*) ; il avoua franchement : Ce livre est si docte 'v et difficile que je n'y entends presque rien ; le peu que je comprends est extrêmement beau, mais je crois que ce que je n'entends pas l'est plus encore. Il eut raison de parler ainsi. Nous-nous pourrons bien servir de ces paroles considérant le mystère de l'Incarnation, et dire : Ce mystère est si haut et si profond que nous n'y entendons rien ; tout ce que nous en savons et connaissons est extrêmement beau, mais nous croyons que ce que nous ne comprenons pas l'est encore davantage. En fin nous le saurons un jour là haut, où nous célèbrerons avec un contentement incomparable cette grande fête de Noël, c'est à dire de l'Incarnation ; là nous verrons clairement tout ce qui s'est passé en ce mystère, et bénirons sans fin Celui qui étant si haut s'est tant abaissé pour nous exalter *. Dieu nous en fasse la grâce.

Ainsi soit-il.
 

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