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La validité des mariages célébrés par les prêtres de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
premier éléments d'un mémoire d'un étudiant en licence de Droit canonique

Introduction :

 Qu’ils affirment la réalité du schisme ou qu’ils la contestent, tous les observateurs religieux s’accordent pour voir dans les sacres de Mgr Lefebvre la principale rupture ecclésiale du XXème siècle. Celle-ci ne saurait se réduire à un problème de soutane et de messe en latin, encore moins à un affrontement à coloration politique au sein de l’Eglise  : il y a bien eu divergence fondamentale entre deux ecclésiologies et non simplement une crispation sur des usages.
 Une crise d’une telle ampleur engendra logiquement de multiples, et souvent tragiques, conséquences. Comme au temps de la condamnation de l’Action française, à laquelle celle des sacres de 1988 fut comparée abusivement, les consciences sont troublées et de nombreuses familles se déchirent. L’une des questions les plus épineuses concerne la validité des sacrements conférés par les prêtres restés fidèles à l’oeuvre de Mgr Lefebvre ou formés par ses successeurs. En effet, la validité des sacrements de pénitence et de mariage requiert une juridiction du prêtre qui absout ou qui reçoit les consentements. Qu’en est-il si celle-ci fait défaut ? Peut-on se permettre de laisser des fidèles dans le doute ?

Si cette situation est déjà préjudiciable dans le cas de la confession, on conçoit sans peine qu’elle est se révèle extrêmement douloureuse pour le mariage, le sacrement venant consacrer un état de vie qui doit impliquer la stabilité. Comme le relève fort justement l’abbé Celier (de la Fraternité Saint-Pie X ou FSSPX) , le mariage implique, lui, la conscience de deux personnes et, plus largement, de deux familles ; il ne peut donc être question de le remettre en cause à la légère et c’est pour cette raison que l’Eglise considère le mariage célébré comme jouissant de la faveur du droit.
 Laissant de côté la question de la pénitence, nous nous attacherons ici à étudier le sujet du mariage, en exposant successivement les arguments des fidèles de Mgr Lefebvre ainsi que leur manière de traiter les problèmes annexes à la réception du sacrement puis les réponses des canonistes de l’Eglise catholique. Enfin, nous nous efforcerons d’en dégager les conséquences pratiques, tout en ayant bien conscience du caractère très sensible de ce sujet, aux douloureuses retombées pastorales, qui, à la fois, concerne un nombre non négligeable de personnes et n’a paradoxalement guère été traité jusqu’à présent.
Il nous semble toutefois judicieux de commencer cette étude en revenant sur les origines de la rupture de Mgr Lefebvre avec Rome, préalable nécessaire pour affirmer s’il y eut ou non schisme et clarifier la position canonique de ceux qui se réclament de lui.
 

I  Fondation et suppression de la FSSPX

 La biographie de l’ancien archevêque de Dakar est bien connue et nous ne reviendrons pas ici sur son passé missionnaire, ni sur son action au Concile. Il importe seulement de noter qu’en 1968-69 un certain nombre de jeunes gens commencent à s’assembler autour de celui qui, en tant que chef de file du Coetus Internationalis Patrum, était apparu comme la figure la plus marquante d’une certaine opposition traditionaliste à Vatican II. Mgr Lefebvre a, peu auparavant, démissionné de sa charge de supérieur des Pères du Saint-Esprit en refusant de cautionner l’ « autodémolition »  de la congrégation et se retrouve donc libre. L’évêque de Lausanne et Fribourg les accueille, lui et le groupe de jeunes gens qui l’entoure, afin que ceux-ci puissent étudier à l’université catholique de Fribourg. Très vite, l’enseignement qui y est dispensé les déçoit. Mgr Lefebvre prend alors la décision de fonder la Fraternité Sacerdotale Internationale Saint-Pie X .
 Celle-ci est approuvée canoniquement par Mgr Charrière par un décret d’érection le 1er novembre 1970. A ce stade, son statut est celui de pieuse union, approuvée ad experimentum pour 6 ans. Dans les années qui suivent, les relations entre Mgr Lefebvre et le reste de l’épiscopat français deviennent franchement exécrables. Il est vrai que le fondateur de la Fraternité ne fait rien pour les améliorer ; son rejet sans nuances  des réformes issues du Concile et spécialement du nouvel ordo missae adopté en 1969 et devenu obligatoire, sauf dérogation pour les prêtres âgés, en 1971, ne prédispose guère en sa faveur ceux qui vont bientôt l’accuser de diriger un séminaire « sauvage ».

Dans ce climat, la grande déclaration faite par le prélat devant les professeurs et séminaristes d’Ecône le 21 novembre 1974  ne peut qu’achever de mettre le feu aux poudres. Il y distigue deux Rome : la Rome de toujours, à laquelle il adhère naturellement, et la Rome néo-moderniste qui s’est compromise par sa Réforme, laquelle « sort de l’hérésie et aboutit à l’hérésie ». Le pape Paul VI n’est pas épargné par cette terrible profession de foi, suspecté qu’il est de propos contraires à l’enseignement de ses prédecesseurs.
 Cette attaque frontale contre le Vatican décide Mgr Mamie, successeur de Mgr Charrière, à agir. Les six années de probation de la pieuse union ne sont pas écoulées et il ne fait aucun doute qu’il puisse retirer l’approbation de son prédécesseur.  Soit prudence, soit pusillanimité, il commence par écrire au cardinal Tabera, préfet de la Congrégation pour les Religieux  et les Instituts séculiers (24 janvier 1975), pour lui demander son avis. Ce dernier lui confirme dans une lettre du 25 avril qu’il a bien le pouvoir de revenir sur cet acte de Mgr Charrière et le presse même d’agir. C’est chose faite le 6 mai 1975 quand Mgr Mamie retire l’institution canonique de la Fraternité . Parmi les motifs qui l’y ont décidé, figure le fait qu’Ecône, autorisée à ouvrir le 7 octobre 1970 par Mgr Adam, évêque de Sion, pour accueillir seulement une année de spiritualité, soit vite devenue un séminaire international avec un cycle complet d’études .
 Ce retrait prive aussitôt la FSSPX et le séminaire d’Ecône de fondements juridiques et donc d’existence officielle. Refusant toute idée de soumission, Mgr Lefebvre et ses partisans entrent, aux yeux de l’Eglise, dans l’illégalité. Certes, il repousse les « durs » comme l’abbé Noël Barbara et le Père Guérard des Lauriers, O.P., qui lui conseillent de rompre clairement avec Rome . Il affirme même dans une lettre à l’abbé de Nantes, qui souhaiterait le voir partager sa position : «  Sachez que si un évêque rompt avec Rome, ce ne sera pas moi » . Pour autant, il ne change pas de discours, ni n’atténue ses expressions, bien au contraire.
 

  II  De l’illégalité au schisme :

 Peu avant sa mort, ce grand théologien que fut le cardinal Charles Journet écrivait à une religieuse : « En face d’une dérive vers l’hérésie moderniste, on crée une dérive vers le schisme intégriste. C’est un nouveau Port-Royal qui déchire la France, et non seulement la France mais l’Eglise » (lettre du 13 janvier 1975) . La référence à Port-Royal ne manquait pas d’à-propos ; on ne retrouvera que trop souvent chez les fidèles de Mgr Lefebvre les excès de zèle et un certain pessimisme qui caractérisaient déjà les jansénistes. De toute façon, le mot terrible est lâché : dérive vers le schisme. Les événements qui suivront ne viendront hélas que ratifier ce sombre pronostic.
 N’ayant pas changé d’attitude, Mgr Lefebvre se voit mettre en garde par Paul VI. Le 15 juin 1976, il reçoit communication par mandat spécial de s’abstenir de conférer les ordres. Le 29 jun suivant, il passe outre et est frappé pour ce fait d’une suspense a divinis , qui lui est communiquée officiellement le 22 juillet . Il ne peut désormais plus exercer licitement son pouvoir d’ordre, en prêchant ou en administrant les sacrements. Cela ne suffit cependant pas à l’arrêter ; ses partisans et lui-même protestent contre le procès d’intention qui lui serait fait, procès injuste ayant motivé une condamnation sans fondement. Mgr Lefebvre se pose en saint Athanase des temps modernes, dernier rempart de la foi en face de l’apostasie générale . A en croire une étonnante interview accordée à Der Spiegel (9 août 1976) , il se serait même comparé à David ! De son côté, Rome essaie de l’inviter à plus de mesure. Le cardinal Garrone observe justement, dans une interview au Figaro (23 août) , que « Quant aux peines canoniques dont Mgr Lefebvre a été l’objet, il s’agit moins de sanctions que du constat d’une situation qui tombe sous le coup du droit... »
 S’appuyant sur les nombreux abus liturgiques commmis à l’époque au nom de l’ « esprit du Concile », Mgr Lefebvre ne cesse de radicaliser son discours. Sans doute y avait-il besoin de réformes en 1962, mais c’est bien davantage l’esprit mauvais qui a soufflé sur le Concile que l’Esprit-Saint. Les multiples déviations théologiques dont se rendent coupables les Küng et les Schillebeeckx prouvent que le pape est, sinon complice, du moins responsable de l' état des choses. « L'Eglise qui affirme de pareilles erreurs est à la fois hérétique et schismatique. Cette Eglise conciliaire n'est donc pas catholique », n'hésite-t-il pas à écrire (lettre du 29 juillet 1976) . On ne peut pas lui reprocher de ne pas tirer les conséquences de ses principes : s'il y a deux Rome, c'est qu'il y a deux Eglises. Cela ne l'empêche pas parfois de se faire plus accomodant dès qu'on évoque la possilité d'une rupture: « Pour nous, il n'est pas question de schisme; nous continuons l'Eglise... Dans la mesure où le Pape est toujours bien en union avec ceux qui l' ont précédé et nous transmet exactement la vérité de ces prédécesseurs, nous sommes parfaitement en union» (interview sur la 2ème chaîne de télévision française, le 14 septembre 1976) . Mais qui sera juge de cette conformité, sinon lui, seul évêque ou presque à y voir encore clair ?
Au fil des années, les habitudes se créent. Le nouveau pape a suscité certains espoirs des traditionalistes et leur chef de file est de nouveau reçu au Vatican, qui montre sa volonté de réconciliation en accordant l'indult de 1984 sur la célébration de l'ancien ordo missae. Les choses en restent là. Mais status quo ne veut pas dire immobilité totale: la FSSPX, quoiqu'elle dise, a pris l'habitude de se passer du pape, de l'autorité des évêques qui lui sont unis, en un mot, elle s'éloigne doucement mais sûrement des moyens de garder la communion avec l'Eglise universelle. Par l'intermédiaire de son fondateur, elle ne prend plus guère la parole que pour dénoncer de prétendus errements du pontife romain, spécialement en matière d’oecuménisme et de dialogue interreligieux comme on pourra le voir lors de la 1ère  rencontre d' Assise en 1986.
On notera au passage que le nouveau Code de 1983 n'avait pas été épargné, une lettre cosignée par Mgr Lefebvre et Mgr de Castro-Meyer dénonçant « les erreurs du nouveau Droit Canon, pour ne pas dire les hérésies ». Les deux futurs consécrateurs de 1988 s'abritaient derrière l' autorité de saint Robert Bellarmin, affirmant que l' on doit résister au Pontife « dont l'action serait nuisible au salut des âmes » ... Ces déclarations fracassantes n'empêchaient pas Mgr Lefebvre de redire régulièrement son souci d'éviter la fracture ouverte: « Je n'ai cessé de le répéter: si quelqu'un se sépare du pape, ce ne sera pas moi » , redit-il encore dans un ouvrage publié en 1984.

  L' année 1987 semble toutefois marquer un tournant dans le « dossier » traditionaliste. A la demande de Mgr Lefebvre, c'est le cardinal Gagnon qui est venu comme visiteur apostolique à Ecône. Le pape Jean-Paul II ainsi que le cardinal Ratzinger semblent prêts à faire tout leur possible pour favoriser le retour de la FSSPX dans la pleine communion ecclésiale. Les négociations aboutissent à un protocole d'accord le 5 mai 1988, signé, à Rome, par Mgr Lefebvre, qui devrait régler les questions en suspens : les sanctions seront levées, la Fraternité aura un statut de droit pontifical et, surtout, le Vatican accorde à Mgr Lefebvre la possibilité d'avoir un évêque pour successeur. Il n'aura qu'à remettre une liste de candidats éventuels au pape qui en fera sacrer un ultérieurement.
Le protocole fera malheureusement long feu. Dès le lendemain, Mgr Lefebvre dénonce sa signature en affirmant que les bonnes intentions du Saint-Siège lui semblaient trop floues, qu'on ferait traîner en longueur la consécration et enfin qu'un seul évêque lui paraissait nettement insuffisant. Si ce revirement surprit désagréablement sur le coup, il trouva son explication après les sacres lorsque fut publiée une lettre envoyée secrètement par Mgr Lefebvre aux quatre futurs évêques de juin 1988. Usant de formules extrêmement dures - le siège de Rome occupé par des antichrists - il leur demandait de se tenir prêts, affirmant qu'il les sacrerait quoiqu'il arrive afin d'assurer la transmission du dépôt de la foi. Que penser alors de son apparente volonté de réconciliation ? Sincérité sujette à variations ou réelle duplicité, le résultat était là . La solution la plus honorable s'était proposée et, volontairement, par manque de confiance (et d'espérance ), il l'avait repoussée.
Le proccessus fatal est désormais enclenché. L' ancien évêque missionnaire ne reviendra pas sur sa décision, malgré les derniers efforts de Rome. Le Cardinal Ratzinger a beau écrire le 30 mai 1988 que le pape est prêt à accélérer la consécration en la portant au 15 août suivant, rien n'y fait. Mgr Lefebvre a tranché et, désormais, il semble muré dans sa décision. Jusqu'au bout, le Vatican multiplie les mises en garde. Le 16 juin, une note d'information du Saint--Siège rappelle les risques de ces consécrations . Le 9 juin, le pape avait lui-même écrit pour qu'il renonce à son projet qui « ne pourra apparaître que comme un acte schismatique ». Enfin, le 17 juin, une monition préalable lui est adressée par le cardinal Gantin, préfet de la Congrégation pour les Evêques, l'avertissant des peines canoniques encourues. La situation avait au moins le mérite d'être claire et Mgr Lefebvre savait donc parfaitement ce qu'il risquait.

III Le schisme et ses conséquences :

Il ne fait aucun doute que, dans toute l'histoire de l'Eglise, la consécration d'un évêque sans mandat ait toujours été considérée comme un acte objectivement très grave; un pasteur, successeur des apôtres, est établi sans avoir d'Eglise à diriger . Cet acte posé sans l'accord du successeur de Pierre, a fortiori contre sa volonté expresse, constitue une cassure dans l'unité de l'Eglise, c'est-à-dire un schisme .
Dans ces conditions, les consécrations par Mgr Lefebvre et Mgr de Castro-Meyer peuvent-elles être qualifiées autrement que de schisme ? Non, à l'évidence. Le pape prit soin de préciser dans son motu proprio Ecclesia Dei Adflicta du 2 juillet en quoi cet acte constituait, sans l'ombre d'un doute, un acte schismatique . Les consécrateurs étant privés de mandat officiel, la consécration les condamnait ipso facto à l'excommunication selon le c. 1382 du Code de 1983. Pour y échapper, Mgr Lefebvre et ses partisans arguèrent d'un mandat spécial qui lui était confié par le fait même de l'apostasie générale, engendrant une nécessité à poser cet acte pour assurer la transmission de la foi. Le communiqué de la salle de presse du Saint-Siège fut très clair à ce sujet : le c. 1323 exemptant de peine certaines personnes, auteurs d'actes coupables pour différentes raisons ne pouvait en aucun cas être appliqué à Mgr Lefebvre qui n'était pas devant la nécessité de poser cet acte .
Sur ce point, les lefebvristes ont trouvé un renfort momentané (mais toujours utilisé) dans la thèse de doctorat en droit canonique de l'abbé Gérald Murray, travail fortement contestable en raison de son insistance sur l'appréciation subjective de Mgr Lefebvre : puisqu'il pensait être en état de nécessité, il semblerait qu'il soit exempt de sanction selon le canon précité .

Avant d'en arriver aux conséquences pratiques, il nous paraît utile de nous attarder quelque peu sur cette notion de schisme. Selon la définition donnée par le père Congar pour le Dictionnaire de Théologie Catholique , c'est « une séparation voulue de l'unité ou de la communion ecclésiastique; c'est aussi l'état de séparation ou le groupement chrétien constitué en un tel état ». Déjà en leur temps, saint Augustin et saint Jérôme insistaient sur la gravité de cette faute, qui fabrique le plus souvent une hérésie pour se justifier ou tend pour le moins vers l'hérésie . Très rapidement, la théologie catholique, s'appuyant sur ces deux docteurs, enseignera que les sacrements conférés par les schismatiques sont valides mais sans fruit de salut.
Saint Thomas redira que, par le péché de schisme, on se sépare de l'unité que réalise la charité. Avec tous les scolastiques, il ajoute que cela implique une séparation avec le pouvoir du pape : « on appellera schismatiques ceux qui refusent de se soumettre au Souverain Pontife, et ceux qui refusent de communiquer avec les membres de l'Eglise qui lui sont soumis » (lIa lIae, q. 39, art. 1) . Pour ce qui est de leurs pouvoirs, il précise que, s'ils ont toujours le pouvoir sacramentel, ils n'ont pas le pouvoir de juridiction (art. 3), et estime qu'il est convenable que les schismatiques soient punis d'excommunication (art. 4).

A cela, ceux que nous pouvons appeler les lefebvristes  répondent fréquemment que Mgr Lefebvre n'avait nullement l'intention de créer un schisme. C'est oublier un peu vite que le péché de schisme, comme le relevait encore Congar , peut être volontaire directement ou indirectement. Ce deuxième cas s'applique au fidèle qui ne veut pas se séparer de l'unité mais qui fait des choses telles ou de telle manière que la rupture s'ensuit fatalement .
Ces remarques s'appliquent parfaitement à Mgr Lefebvre dont, dès 1976, le même Congar disait que « contre son âme profonde, contre son intention foncière, il s'accule au schisme : « autel contre autel » »  . Le célèbre théologien établissait le parallèle avec Doellinger qui avait dénoncé la création d'une Eglise nouvelle et s'était voulu fidèle à l'ancienne . Or, Mgr Lefebvre n'a pas dit autre chose à partir de sa déclaration de 1974 sur les deux Rome que nous avons déjà évoquée.

Quant au reproche adressé par certains au Vatican d'avoir fait montre d'une trop grande sévérité, il ne tient pas davantage. Les lefebvristes s'appuient fréquemment sur le cas de l'ancien évêque d'Evreux pour dénoncer la complaisance dont on aurait fait preuve à l'égard d'un progressiste avéré, contrastant avec la volonté manifeste de sanction à l'égard du fondateur de la FSSPX. Mais ceux qui raisonnent ainsi ne tiennent pas compte du fait que, au-delà de ses propos déplacés et de ses comportements scandaleux, un Mgr Gaillot n'a pas posé publiquement de gestes entraînant une peine aussi grave que l'excommunication. Encore une fois, dans l'ancien comme dans le nouveau Code de Droit Canonique, cette peine frappe automatiquement ceux qui consacrent « en marge » de l'Eglise, quels qu'ils soient.
La meilleure preuve de ce que nous venons de dire nous sera fournie dans l'exemple récent des consécrations de Palmar de Troya. L'ancien évêque vietnamien de Hué, Mgr Ngô Dinh Thuc, vint ordonner prêtres 5 fidèles et consacrer évêques 5 prêtres à El Palmar de Troya (Espagne), lieu de prétendues apparitions et ce, sans autorisation de l'évêque du lieu . Quelques jours après les faits, le 15 janvier 1976, le nonce apostolique rendait publique au nom du pape la sentence d'excommunication frappant le consécrateur et les nouveaux évêques, en rappelant le décret du Saint-Office du 9 avril 1951  : « L'évêque de quelque rite et dignité qu'il soit, qui consacre comme évêque une personne non nommée par le Siège apostolique ou non confirmée expressément par lui, ainsi que celui qui reçoit la consécration, même au cas où ils subiraient une contrainte très grave, encourent ipso facto l'excommunication très spécialement réservée au Siège apostolique » .

Une fois la réalité du schisme affirmée, se pose la question de ses conséquences pratiques. La première et la plus importante est assurément de savoir qui est visé par la peine d'excommunication. Nous savons, par le c. 1364, que toute personne ayant commis le délit de schisme est excommuniée latae sententiae. Mais ce canon doit être lu à la lumière des principes généraux du droit pénal de l'Eglise, et notamment du c. 1330 : pour ce qui est des déclarations ou autres manifestations de doctrine ou de volonté, il ne peut y avoir de délit consommé si personne ne l'a su. Autrement dit, il n'y a pas de délit et donc pas d'excommunication pour celui qui est schismatique au for interne sans exprimer ses opinions devant un tiers.
C'est dans ce sens que doit être compris le décret d'excommunication rendu par la Congrégation des Evêques le 1er juillet 1988 précisant que « Les prêtres et les fidèles sont avertis de ne pas donner leur assentiment à l'acte schismatique de Mgr Lefebvre afin de ne pas encourir la même peine » . Les peines canoniques, comme on le voit, ne sauraient être limitées aux seuls évêques, contrairement à ce que certains ont laissé entendre après avoir plus ou moins bien interprété la fameuse thèse de l'abbé Murray.

A la suite du Saint-Siège, certains ordinaires s'efforcèrent d'expliquer à leurs fidèles en quoi le fait de suivre Mgr Lefebvre n'était pas innocent. Ce fut le cas du cardinal Lustiger qui déclara, dans un communiqué le 6 juillet: « Tout fidèle catholique qui ferait acte explicite d'adhésion au groupe « lefebvriste » se sépare donc de l'Eglise catholique, entre dans le schisme et encourt l'excommunication ». On retrouve là aussi cette idée de publicité dans l'acte d'adhésion, ce qui se comprend puisque le schisme est caractérisé par un préjudice social.
A la question de savoir qui commet un tel acte explicite et encourt par ce fait l'excommunication, il nous semble, en conclusion, qu'il faut répondre ainsi : outre les clercs de la FSSPX, qui ne peuvent prétendre ignorer la condamnation des sacres de 1988 et ont clairement manifesté leur choix en entrant dans la Fraternité, sont schismatiques tous les fidèles catholiques qui affirment publiquement, et leur rejet de l'autorité de Rome, et leur assentiment aux actes de Mgr Lefebvre et de ses successeurs, ce qui se manifeste notamment par la fréquentation exclusive des lieux de culte de la FSSPX. Etant donnée la publicité faite aux condamnations portées par Rome, les catholiques recevant uniquement les sacrements des mains de prêtres lefebvristes sont présumés agir en connaissance de cause et il reviendrait au fidèle voulant établir qu'il n'est pas schismatique de prouver qu'il a totalement ignoré ces condamnations.
Le droit pénal étant d'interprétation stricte, on ne peut donc considérer comme schismatique tout autre fidèle qui n'aurait pas clairement manifesté sa volonté, par exemple le catholique simple sympathisant de la FSSPX, qui éprouve une certaine admiration pour la personnalité et l'oeuvre de Mgr Lefebvre, se sent attaché au rite tridentin mais qui ne fréquente pas exclusivement Saint-Nicolas du Chardonnet et les autres lieux de culte de la Fraternité. Enfin, précisons que le qualificatif de schismatique ne peut s'appliquer qu'à une personne qui a été baptisée ou reçue dans l'Eglise catholique et l' a quittée par un acte formel ; les personnes nées et éduquées dans les doctrines lefebvristes ou baptisées par des schismatiques sont dites vivant dans le schisme. Elles n'ont en effet pas choisi d'être séparées de l'Eglise catholique et n'ont jamais été sous sa juridiction.

Après avoir tenté de cerner les origines et les conséquences du schisme lefebvriste, nous résumerons dans une première partie les arguments employés pour défendre la validité des mariages célébrées par les prêtres de la FSSPX avant d’aborder dans une seconde partie la vision de l’Eglise catholique.
 
 

I Vision lefebvriste du mariage :

Le moins qu'on puisse dire est que la parution du Code de 1983 ne suscita pas un enthousiasme débordant de la part de la FSSPX. Dans une phrase déjà citée, Mgr Lefebvre critiuque les nombreuses erreurs dont il était rempli, chose logique puisque les fondements de l'actuel Code repose sur l'ecclésiologie de Vatican II.
Mais c'est en 1986 que l'une des figures emblématiques du monde traditionaliste se livre à la critique la plus radicale du nouveau Code. L'abbé Coache, qui fut l'un des tout premiers à s 'élever contre les dérives de l'après-Concile et fut un des organisateurs de la « prise » de Saint-Nicolas du Chardonnet, publie Le Droit Canonique est-il aimable ? , refonte d'une présentation générale du droit de l'Eglise rédigée avant le Concile et augmentée d'une partie sur l'actuel Code. « Il y a un Nouveau Droit canon comme il y a une Nouvelle Religion, des Nouveaux Prêtres et une Nouvelle Messe. Ce Nouveau Droit canon, publié en 1983, est l'émanation de la Nouvelle Religion dans ce qu'elle a d'officiel » , n'hésite-t-il pas à écrire.

Si Coache reconnaît qu'une mise à jour du droit canon était nécessaire, il reproche naturellement au nouveau Code d'être « imprégné d'esprit conciliaire » . Il se montre particulièrement sévère pour le mariage, et nous devons nous pencher sur certaines de ses critiques qui seront souvent reprises - et développées- par d'autres traditionalistes. Dans le Code de 1983, les 111 canons traitant du sacrement de mariage commenceraient ainsi par une très grave erreur : la suppression de la hiérarchisation des fins .
Il est nécessaire de dire quelques mots de cette critique qui vise l'évolution de la pensée théologique majoritaire dans l'Eglise sur le mariage. Il est incontestable que celle-ci a évolué dans un sens nettement personnaliste, aujourd'hui reconnu et approuvé par les plus hautes autorités à commencer par le pape actuel. Nous ne pouvons pas ici détailler cette évolution complexe sans nous écarter de notre sujet, nous nous contenterons donc de la résumer afin de faire ressortir les points de litige entre la thélogie « officielle » et les positions lefebvristes .
Depuis saint Augustin, on distingue trois biens dans le mariage  et, comme corollaire, trois fins que saint Isidore de Séville fut le premier à formuler avec précision: la procréation (complétée par l'éducation des enfants), l'aide mutuelle des époux et le remède à la concupiscence. Les deux premières sont vues comme les plus importantes tout en étant traditionnellement hiérarchisées. Avec saint Thomas, l'Eglise enseignait que la procréation est la fin première du mariage et l'aide mutuelle la fin secondaire, sans qu'il ait jamais été question pour autant de dévaloriser cette dernière, secondaire devant s'entendre uniquement comme passant après un but plus grand et non comme négligeable .

Le Code de droit canonique de 1917 avait lui aussi ratifié cette hiérarchisation des fins dans son canon 1013, regroupant ensemble les deux dernières fins: « la fin première du mariage est la procréation et l' éucation des enfants; la fin secondaire est l'aide mutuelle et le remède à la concupiscence ». Le développement de la philosophie personnaliste et l'approfondissement de la théologie du mariage amenèrent peu à peu l'Eglise à modifier cette
position.
            Ainsi, le document conciliaire Gaudium et spes, qui s'attarde sur le mariage, « communauté profonde de vie et d'amour » , se contente de rappeler que « le mariage et l'amour conjugal sont d'eux-mêmes ordonnées à la procréation et à l'éducation » . Mais ni dans cette constitution pastorale, ni dans les autres documents de Vatican II, il n'est fait mention explicite des différentes fins du mariage et de leur hiérarchie. Déjà, en 1962, Karol Wojtyla, disciple reconnu du philosophe Max Scheler, tout en restant très classique sur les trois fins du mariage énoncées dans l'ordre habituel, précisait que si elles s'opposaient « à toute interprétation subjectiviste de la tendance sexuelle », il était anti-chrétien de croire que ces fins du mariage puissent être atteintes « sans l'appui de la norme personnaliste » .
Devenu pape, ce spécialiste des questions éthiques poursuivit sur cette voie . Désonnais, on mit davantage l'accent sur le mariage comme communauté de vie permettant l'épanouissement des époux. Le nouveau Code vint consacrer cette évolution en écrivant, au canon 1055 §1, que le mariage, « communauté de toute la vie » , est ordonné « au bien des conjoints ainsi qu'à la génération et à l'éducation des enfants ». Fallait-il y voir, comme le firent les lefebvristes et notamment l'abbé Celier dans sa plaquette déjà citée , une véritable révolution caractérisée par l'inversion des fins ? Très certainement non, car il y eut, ici comme sur de nombreux points, un approfondissement authentique dans le sens d'une plus grande fidélité à l' enseignement du Christ.

A cette attaque traditionaliste, deux critiques peuvent être faites. En premier lieu, il n'y a pas, pour le moment du moins, inversion dans la hiérarchie des fins. Certes, le c. 1055 cite d'abord le bien des conjoints, mais la seule conclusion qu'on puisse tirer du texte comme de ce qui l' a précédé est que l'Eglise préfère simplement ne plus distinguer fin primaire et fin secondaire, en mettant sur le même plan d'importance les deux grandes fins . Il faut ensuite ajouter qu'il n'y a pas eu à ce sujet une brusque cassure dans l'enseignement de l'Eglise. Déjà, avant la promulgation du Code de 1917, de grands auteurs s'étaient élevés contre ce point de la doctrine thomiste, ainsi que le rappelle Louis Bonnet dans un intéressant article intitulé L'influence du Cardinal Gasparri sur la conception du mariage du code de droit canonique de 1917 . Le père Palmieri, S.J., estimait injustifiée l'idée de hiérarchie entre les deux fins et le profeseur De Camillis allait plus loin en soutenant la justesse de l'inversion de cette primauté. Il semble que les arguments de ce courant théologique se soient développés rapidement, à tel point que le Cardinal Gasparri aurait dû mettre son autorité dans la balance pour que le Code de 1917 impose la vision traditionnelle.

Par la suite, d'autres théologiens non négligeables tels que H. Doms  et C. Schal  rejoignirent le courant favorable à une remise en valeur du bien des époux. Les oppositions, encore très fortes devant ce qui apparaissait comme une dangereuse innovation, s ' atténuèrent progressivement, et, si le décret du Saint-Office du 1er avril 1944 rappelait qu'on devait s'en tenir à la traditionnelle subordination des fins secondaires à la fin primaire (propos repris par Pie XII, notamment dans son allocution aux sages-femmes du 29 octobre 1951 ), il ne suffit pas à empêcher cette évolution.
Relevons rapidement une autre critique lefebvriste, également non négligeable, incriminant le canon 1095 du Code de 1983, considéré comme trop vague sur les causes psychiques et psychologiques de nullité du mariage. Les officialités sont accusées de faire un usage quasi-systématique de ce qui serait, encore une fois, une nouveauté suspecte, encourageant ainsi le laxisme moral...  Sans méconnaître la possibilité et l'existence d'abus dans les reconnaissances de nullité fondées sur ces chefs, nous nous contenterons ici de renvoyer à l'excellente réponse développée par Mgr Pompedda dans un article intitulé Lecture du c. 1095 du Code de 1983 à la lumière de la doctrine et de la jurisprudence (A.C. 1992, pp. 259-284). Celui qui était alors doyen de la Rote précisait notamment: « Le c. 1095 représente un point d'arrivée de la doctrine canonique et de la jurisprudence, avant tout de la Rote Romaine. Il s'ensuit que la nouveauté de ce canon est seulement formelle » .
En concluant cette introduction consacrée aux critiques faites par les lefebvristes, et avant d’étudier successivement les arguments qu’ils emploient pour défendre la validité de leurs mariages ainsi que la manière dont ils traitent les problèmes matrimoniaux au sein de la FSSPX, il est difficile de ne pas en constater le caractère profondément négatif. Pour eux - mais cela s'applique à tant d'autres sujets - l'évolution en matière de théologie du mariage est entièrement condamnable. Un point trouve-t-il grâce à leurs yeux ? Nous serions bien en peine de le dire. Il nous semble toutefois beaucoup plus réaliste et positif de nous féliciter des approfondissements effectués, en relevant avec Alain Farret que ce Code de 1983 se trouve à la charnière de deux présentations du mariage: là où la première ne s'arrêtait guère que sur l'aspect contractuel, en se centrant sur le consentement (à l'origine du droit sur le corps du conjoint, vision très juridique des choses), la seconde a revalorisé la notion d'alliance en mettant en avant l'aspect institutionnel .

A) Thèse lefebvriste : parfaite validité des mariages célébrés par les     prêtres de la FSSPX

A l'instar de l'abbé Celier, qui rédigea sa plaquette dans ce sens, les prêtres ayant suivi Mgr Lefebvre sont convaincus de célébrer des mariages de manière parfaitement valide. Nous allons donc nous efforcer de présenter ici de la façon la plus complète leurs arguments en faveur de cette validité.

1)  La suppléance de juridiction

Pour célébrer validement un mariage, tout prêtre catholique a besoin d'avoir une juridiction. Les lefebvristes en sont tout à fait conscients et savent que ce point pose problème depuis 1975 et la dissolution officielle de la FSSPX. Certains d'entre eux, à commencer par Mgr Lefebvre , arguèrent de l'invalidité de la suppression de la Fraternité au nom de plusieurs arguments, sur lesquels nous reviendrons dans notre deuxième partie. Mais, quand bien même celle-ci aurait continué à exister, cela suffisait-il pour donner automatiquement juridiction à ses membres ? Non, bien évidemment.
A la suite de l'abbé Coache, Mgr Lefebvre préféra très vite  développer l'idée selon laquelle ses prêtres administreraient validement tous les sacrements du fait des circonstances morales extraordinaires où l'on se trouve. La crise sans précédent traversée par l'Eglise autoriserait de facto la FSSPX à prendre les mesures convenables pour le salut des âmes. A circonstances exceptionnelles, règles exceptionnelles, estime l'abbé Celier, qui ajoute : « la simple application du droit classique ne peut plus suffire pour se sanctifier normalement dans l'Eglise » .
Autrement dit, les autorités de la Fraternité peuvent être légitimement appelées à établir leurs propres règles en s'inspirant de préférence du droit canonique (tel que codifié en 1917 puisque le Code de 1983 établit des principes dangereux pour la foi à leurs yeux). C'est ainsi, comme le dit Mgr Tissier de Mallerais dans sa lettre déjà citée, que la Fraternité et ses organes, à commencer par la Commission canonique saint Charles Borromée (que nous évoquons en détail infra), bénéficient d'un pouvoir supplétoire de juridiction, et ce, conformément aux canons 20, 209 et 2261 du Code de 1917.
Il ne nous semble pas utile d'insister davantage sur cet argument, plus moral et théologique que canonique. Les lefebvristes eux-mêmes ne l'emploient qu'à titre de complément des deux suivants.

2)  L'usage de la forme extraordinaire du mariage

C'est sans aucun doute l'argument central des membres de la FSSPX. L'essentiel de l'exposé de l'abbé Celier s'appuie sur lui. Quelques années auparavant, l'abbé Coache estimait déjà que ces problèmes liés à l'absence de juridiction étaient résolus par le recours à la forme canonique extraordinaire prévue par le c. 1098 du Code de 1917 et reprise par le c. 1116 du Code de 1983. Ce dernier dispose que si l'assistant compétent selon le droit ( c'est-à-dire le curé du lieu ou le prêtre ou le diacre ayant délégation) ne peut être présent lors du mariage sous peine de grave inconvénient, pour lui ou pour les conjoints, ceux-ci peuvent validement échanger leurs consentements devant les témoins s'ils estiment en conscience que cette situation durera plus d'un mois.
Il reste toutefois à arguer d'un grave inconvénient, autre que le traditionnel péril de mort. L'abbé Coache affirmait que, si les fiancés devaient supporter une gêne importante pour trouver un curé « fidèle », ils pouvaient invoquer ce grave inconvénient et se marier devant deux témoins avec l'assitance obligatoire d'un prêtre sûr, par exemple un prêtre de la FSSPX, s'ils en trouvaient un. Cette dernière exigence répondait à la règle posée au §2 du c. 1116, disposant que si un autre prêtre peut être présent lors de cette célébration, il faut lui faire appel.

  De son côté, l'abbé Celier revient sur cet argument et cherche à l'étoffer. II détaille trois éléments dans le grave inconvénient : « la nouvelle messe, le laxisme moral des prêtres et leurs erreurs doctrinales » . On constate donc qu'ils peuvent être résumés simplement, en disant que c'est un grave inconvénient pour des fidèles catholiques d'être obligés de se marier devant un prêtre qui enseigne des erreurs (ou à tout le moins de dangereuses ambiguïtés) doctrinales, particulièrement dans les domaines délicats de la chasteté conjugale et de la procréation, et célèbre une messe elle-même marquée par des ambiguïtés.
S'efforçant de répondre par avance à l'objection qu'il devine, l'abbé Celier tente ensuite de démontrer que le mariage devant un prêtre de la FSSPX est le palliatif le plus convenable au grave inconvénient du c. 1116. Aucune autre solution à envisager, et notamment l'échange des consentements dans une paroisse régulière disposant des registres canoniques et suivi d'une messe dans un prieuré de la Fraternité, ne lui semble souhaitable. II convient volontiers qu'il reste encore quelques prêtres en France qui soient à la fois attachés à la saine doctrine et à la messe traditionnelle et en situation canonique officielle, mais cela ne peut convenir que pour les fidèles traditionalistes demeurant non loin de chez eux. Les autres fidèles ne peuvent se permettre de promener leurs invités sur de longues distances...
En conclusion, le recours au c. 1116 (ou 1098 dans le Code de 1917) semble pleinement justifié et valide les mariages célébrés à Saint-Nicolas du Chardonnet ou dans les prieurés, devant un prêtre ne revendiquant nullement une juridiction officielle, qu'il sait ne pas avoir, mais assistant au mariage conformément au §2 du même canon.

3) L’erreur commune

Un troisième argument est encore invoqué en faveur de la validité de ces mariages, quoiqu’il fût d’un maniement plus délicat que les deux précédents, l’erreur commune. L’abbé Coache l’invoquait déjà, après le recours à la forme extraordinaire, en se fondant sur le canon 209 du Code de 1917, repris par le c. 144 §1 du Code de 1983 en des termes très proches. Une ancienne tradition veut en effet qu’en cas d’erreur commune des fidèles, l’Eglise, sous certaines conditions, supplée le pouvoir défaillant de celui qui a posé un acte sans en avoir la capacité.
Dans le cas qui nous intéresse, les lefebvristes invoquent une erreur commune de fait. Les fidèles qui assistent à un mariage dont le consentement est reçu par un prêtre de la FSSPX croient de toute évidence assister à un vrai mariage, célébré selon les normes de l’Eglise, et ignorent que le prêtre n’a pas la juridiction nécessaire pour ce faire. Il y aurait donc bien une erreur commune, caractérisée, selon les canonistes, par une appréciation inexacte du fait qu’un sujet soit investi d’un pouvoir du fait de ceux qui sont soumis à ce pouvoir. En outre, la suppléance doit profiter à l’intérêt général, ce qui est certainement le cas pour un mariage.

B) Traitement des problèmes matrimoniaux par la FSSPX

Le mariage ne se limite pas à la question de sa validité. il nous faut à présent étudier la manière dont l’oeuvre de Mgr Lefebvre traite les autres problèmes liés à l’état matrimonial. Qu’en est-il, par exemple, des dispenses à accorder dans certains cas ? et, pour les cas plus douloureux, que faire avec les demandes de reconnaissance de nullité d’une union ?  Il n’est bien entendu plus question de recourir à l’évêque diocésain, ni à son officialité, Mgr Tissier de Mallerais ayant expliqué clairement sur ce dernier point que la Fraternité se méfiait de la « dérive personnaliste de la jurisprudence », caractérisée notamment, y compris à la Rote, par le recours jugé trop fréquent au fameux canon 1095, 2° déjà évoqué .
Afin de répondre à ces questions, Mgr Lefebvre songea, peu après la première rupture avec Rome, à donner des consignes claires aux membres de la FSSPX dans le but d’éviter au maximum tout risque de décision arbitraire. En 1980, il leur donna un recueil intitulé « Ordonnances concernant les pouvoirs et facultés dont disposent les membres de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X » sur le modèle de celles qu’il concédait aux missionnaires pendant son épiscopat à Dakar . Une version réajustée de ces ordonnances sera promulguée par son second successeur, Mgr Fellay, en 1997. Or, ce recueil, par définition destiné à un usage interne, nous est désormais accessible grâce à un dossier réalisé par la revue Sodalitium déjà mentionnée .

Les auteurs de ce recueil de pouvoirs commencent par préciser qu’ils suivent en principe le Code de 1917 puisque le nouveau Code « pèche gravement contre la finalité même de la loi » ; ils déclarent néanmoins en accepter « ce qui correspond à un développement homogène, à une meilleure adaptation aux circonstances, à une simplification utile ». Par exemple, s’ils acceptent globalement les normes canoniques concernant la validité des mariages, ils adoptent une discpline propre pour les normes touchant à la seule licéité « dans le but d’assurer le mieux possible les trois biens du mariage » . On notera, une fois de plus, qu’un tel raisonnement est parfaitement contraire au sens de l’Eglise, dans la mesure où il consiste à accepter ce que l’on juge soi-même authentiquement catholique et à laisser le reste de côté, c’est-à-dire à devenir son propre législateur .
Nous nous contenterons ici de quelques précisions sur les dispenses en matière matrimoniale. De manière générale, la FSSPX équipare ses supérieurs de district aux ordinaires. Il en est ainsi pour les permissions accordées aux enfants ayant l’âge requis mais encore mineurs (la FSSPX conserve la majorité à 21 ans) de se marier sans le consentement des parents (c. 1071 §1 6° CIC 83), de même pour les dispenses d’empêchement d’honnêteté publique au 2ème degré (c. 1093 du nouveau Code ne gardant cet empêchement qu’au 1er degré), pour les permissions en cas de parenté spirituelle (ce qui n’existe plus dans l’actuel Code), pour les dispenses de l’empêchement lié à la parenté adoptive (c. 1094), pour les dispenses en cas de mariage avec un baptisé non catholique (mais aussi de permissions pour un mariage avec un catholique conciliaire...) et pour les interpellations à faire au conjoint resté infidèle dans le cas de l’exercice du privilège paulin (c. 1145 §1) ; dans tous ces cas, il revient au supérieur de district d’accorder la dispense ou la permission (il lui est aussi accordé l’important pouvoir de concéder une sanatio in radice, c. 1165 §2) .

Tous les problèmes matrimoniaux ne peuvent cependant être tranchés de cette manière, en concédant quelques facultés à des prêtres isolés, au risque, encore une fois, de favoriser l’arbitraire. C’est pourquoi, Mgr Lefebvre songea rapidement à doter la FSSPX d’une instance canonique centrale, ayant compétence pour résoudre les cas difficiles. Le recueil d’ordonnances de 1997  cite une lettre qu’il écrivit en janvier 1991, peu avant sa mort, à son premier successeur, l’abbé Schmidberger, où il donnait son point de vue sur la création d’une commission canonique. Tout en suggérant un début modeste, il conseillait de la faire présider par un évêque, chose préférable pour l’exercice d’un pouvoir épiscopal de suppléance, et de la charger, en particulier, de concéder les dispenses d’empêchements de mariage, de juger les nullités de mariage et d’absoudre des censures.
Sans que l’on connaisse la date exacte de sa fondation, la Commission Canonique Saint Charles Borromée vit le jour, vraisemblablement peu de temps après cette lettre, et fonctionne encore. Bien que Mgr Lefebvre ait déclaré ne pas voir d’inconvénient à ce que les fidèles en aient connaissance, on peut dire qu’elle n’est pas connu de grand monde, son fonctionnement la prédisposant à la discrétion. Certains membres de la FSSPX n’aiment guère évoquer ce sujet et, si Mgr Tissier de Mallerais (qui en était encore président lors du numéro spécial de Sodalitium) convient volontiers qu’elle peut agir comme un tribunal en jugeant de la validité de mariages voire en revenant sur des décisions d’officialités , d’autres, tel l’abbé Simoulin, supérieur du district italien de la FSSPX, préfèrent en amoindrir l’importance. A en croire ce dernier, il n’existe que des commissions occasionnelles, qui se contentent de rendre des avis.  Pourquoi une telle gêne, sinon parce qu’il est bien difficile pour les lefebvristes de reconnaître l’existence de telles instances officielles tout en continuant à affirmer reconnaître la juridiction suprême du pape. Il est logique que nombre d’entre eux ne soient guère à l’aise en voyant fonctionner ce qui n’est autre qu’un tribunal en marge.

Outre les jugements en matière de validité des mariages, la Commission accorde les dispenses pour les cas plus graves : en matière d’âge (c. 1083), en cas de disparité de culte entre les époux (c. 1086), pour l’ordre sacré (c. 1087, mais uniquement pour les diacres et sous-diacres ), en cas de rapt (c. 1089, encore que la dispense ne soit habituellement pas concédée, précisent les ordonnances), en cas de conjugicide (c. 1090) , de consanguinité (c. 1091) ou pour l’empêchement lié à l’honnêteté publique au 1er degré (c. 1093).
Le recueil de 1997 donne ensuite quelques règles pratiques à observer pour les nullités de mariage . On en retiendra que la FSSPX se reconnaît une « vraie juridiction » sur les causes matrimoniales, dépendant de la nécessité des fidèles ; ses sentences ont valeur obligatoire pour les personnes concernées afin de pouvoir leur indiquer où est leur devoir, sans les laisser dans le doute en cette matière liée au bien public. Pour autant, elle n’oublie pas que ses sentences, comme les autres actes de juridiction supplétive, nécessiteront une confirmation ultérieure du Saint-Siège quand les temps seront redevenus normaux.
Les prêtres sont invités à agir avec beaucoup de prudence dans ce domaine, en évitant de troubler inutilement les âmes. Le cas échéant, il est préférable de laisser des âmes de bonne foi errer sur leur véritable état conjugal si l’on craint qu’elles refusent de régulariser. Dans tous les cas de figure, les prêtres de la Fraternité ne doivent jamais conseiller aux fidèles d’aller devant les tribunaux officiels (« novus ordo » comme ils disent). La méfiance est en effet de rigueur devant leurs sentences, qui ne peuvent constituer une preuve suffisante de nullité. Seule une sentence rendue par le tribunal désigné par la Commission canonique, à condition que la partie concernée ait déclaré auparavant se soumettre à sa décision, peut déclarer cette nullité.
On peut dire ainsi que la boucle est bouclée : ayant constitué progressivement une hiérarchie parallèle, il était logique que la FSSPX se dote d’instances de jugement parallèles...
 
 

  II  Eléments pour une réponse conforme à l’esprit de l’Eglise
 

 Dans cette deuxième partie, nous tenterons d’y voir plus clair sur cette douloureuse question. Le titre est là pour l’indiquer, il ne s’agit nullement de polémiquer sur un sujet sensible, ni d’avoir raison à tout prix, mais d’expliquer pourquoi l’Eglise catholique ne peut accepter les arguments de nos frères lefebvristes, avec les conséquences que cela implique. Nous reviendrons donc sur chacun des trois principaux arguments évoqués par la FSSPX pour justifier sa position, avant d’exposer les conséquences pratiques de leur réfutation.
 

A) Réfutation des arguments lefebvristes

1)  La possibilité de l’erreur commune

 Des arguments invoqués, celui de l’erreur commune est assurément le plus délicat à manier, pour ne pas dire le plus fragile. Il nous semble donc logique de l’examiner en premier.
 Le c. 144 §1 CIC83 vise en fait 4 cas possibles de suppléance par l’Eglise : erreur commune de droit, erreur commune de fait, doute de droit ou doute de fait. Mais le doute, précisent les commentateurs de l’Université de Navarre, concerne le sujet : il est « positif et probable lorsque ce sujet, malgré le doute, possède de solides éléments pour estimer qu’il est investi du pouvoir et pour penser que, s’il l’exerce, il le fera conformément à la discipline ordinaire de l’Eglise ». On voit que cela ne saurait concerner les prêtres de la FSSPX qui ne peuvent prétendre agir selon la discipline ordinaire et se réclament au contraire d’une juridiction exceptionnelle.
 On ne voit pas très bien, par ailleurs, comment l’erreur commune de droit pourrait être légitimement invoquée, à moins de prétendre que l’immense majorité de l’assistance à un mariage lefebvriste ignore qu’il faut une juridiction pour recevoir les consentements, ce qui paraît invraisemblable étant donné la notoriété du contentieux entre Rome et la Fraternité. Nous disposons à ce sujet de deux importantes sentences qu’il est bon de résumer ici. La première fut rendue coram Stankiewicz le 15 décembre 1992 . Deux traditionalistes américains s’étaient mariés en 1980, dans une chapelle dissidente devant le R.P. Ward, prêtre acéphale (la sentence suivante nous apprend qu’il avait été ordonné dans la FSSPX, puis l’avait quitté pour fonder de sa propre autorité les « Serviteurs de la Sainte Famille »), étranger au diocèse. L’un des conjoints ayant demandé la reconnaissance de nullité de cette union, l’officialité de Denver constata le défaut de forme canonique pour défaut de pouvoir du célébrant et conclut, trois semaines après, au terme d’une simple procédure documentaire, à une constation de nullité.
Troublée par des propos du Révérend Ward, la femme en appela à la Rote car le prêtre lui avait soutenu que leur union était valide, l’Eglise suppléant à son défaut de pouvoir en cas d’erreur commune. Mgr Stankiewicz revint longuement sur cette possibilité pour la réfuter dans le cas présent : pas de suppléance si le célébrant, même ordonné validement, n’est pas, de manière notoire, en communion avec l’ordinaire du lieu. Or, l’évêque de Denver n’avait jamais donné de juridiction à ce prêtre et l’avait au contraire averti de la nullité de ses agissements. Il ne pouvait donc, ajoute le juge de la Rote, invoquer ni l’erreur commune, ni le doute de fait ou de droit.
Afin de mieux rappeler ce principe, Mgr Stankiewicz rendit le même jour une autre sentence , concernant un mariage entre deux Américains ayant eu lieu en 1982, devant le même Révérend Ward. La conclusion est identique et le ponent en profite pour insister sur le fait que « les prêtres de la FSSPX n’avaient pas d’autorité canonique pour prêcher et administrer les sacrements. Cela s’appliquait aussi aux Serviteurs de la Sainte Famille » .

Que conclure, sinon qu’il est impossible, de manière générale, d’invoquer la suppléance de l’Eglise pour les mariages qui nous intéressent, puisque les détails sur la condamnation de Mgr Lefebvre sont bien connus du peuple des fidèles . On peut toutefois la considérer comme envisageable dans des circonstances très spéciales. Car, si « Cela ne peut être pris en considération en cas de censure publique ni dans des lieux de fortune » comme le résume très justement l’abbé Mihailovic , on peut a contrario examiner l’hypothèse où la cérémonie ne se déroulerait précisément pas dans un lieu de fortune, c’est-à-dire une chapelle dissidente ou une église enlevée à son pasteur légitime, mais dans une église paroissiale nantie d’un curé en parfaite situation canonique.
Quoique difficile à imaginer, si l’on suppose que ce curé n’a pas fait attention à l’état du prêtre qui va célébrer et que celui-ci n’a pas dit qu’il était de la FSSPX (ou si le curé ignorait la condamnation portée contre elle), la suppléance de l’Eglise pourrait jouer à condition – et notre exemple devient encore plus extraordinaire – que les fidèles eux-mêmes ignorent d’où vient le prêtre... Il faudrait alors imaginer un couple, attaché à la messe traditionnelle mais resté fidèle à Rome, qui échangerait ses consentements devant un prêtre sans connaître son appartenance à la Fraternité... On peut sans doute également envisager l’hypothèse d’un mariage en pays de mission où le prêtre de la FSSPX apparaîtrait, ou se ferait passer, pour le seul prêtre catholique du lieu et donc le pasteur légitime. Il faut quand même reconnaître que ces hypothèses ne recouvrent que des cas très rares, en dehors desquels l’erreur commune ne peut être invoquée.

2) L’usage de la forme extraordinaire

La question essentielle à se poser pour répondre à ce deuxième argument est de savoir en quoi consiste le grave inconvénient prévu par le c. 1116 §1 CIC 83. Les commentateurs précisent qu’il doit s’agir d’une donnée objective, faute de laquelle, s’il y a eu une erreur d’appréciation, le mariage sera invalide. Tout est donc dans l’interprétation et, là-dessus, il est bien évident que les autorités de l’Eglise n’ont pas du tout la même vision que la FSSPX. Cette dernière, à la suite de l’abbé Coache comme nous l’avons vu, voit dans l’absence de célébration  de la messe traditionnelle un grave inconvénient, aggravé encore par le mauvais enseignement dispensé par l’écrasante majorité des prêtres.
On ne peut évidemment imaginer un instant  les autorités romaines et les conférences épiscopales partageant ce point de vue. Ce serait reconnaître avec les traditionalistes que la messe dite de Paul VI, quoique valide (Mgr Lefebvre n’est lui-même jamais allé jusqu’à dire qu’elle était invalide ), contient de graves équivoques et des ambiguïtés sur la notion de sacrifice. Quant à la formation défaillante des prêtres et l’enseignement douteux qu’ils donneraient, aucun évêque ne saurait parler ainsi, même si certains reconnaissent, pour le déplorer, que les abus voire les déraillements existent dans leur clergé. Il nous semble inutile d’insister sur ce point, notre objectif n’étant pas un travail de controverse tendant à prouver que les prêtres de l’après-Concile sont vraiment catholiques...
Là encore, l’abbé Mihailovic souligne à juste titre que l’argumentation sur l’emploi de la forme extraordinaire du mariage découle d’une vision très sombre d’une Eglise déchirée par la crise et affaiblie par l’apostasie du plus grand nombre des clercs. Or, « Nul n’a le droit de faire d’une exception une règle ni du laxisme de quelques-uns une apostasie de l’ensemble du clergé catholique » ...

Pour ce qui est de la célébration de la messe traditionnelle, observons simplement que sa célébration est grandement facilitée depuis l’indult de 1984 et surtout depuis le motu proprio Ecclesia Dei Adflicta de 1988, déjà cité . Reconnaissons volontiers que de grands progrès restent à faire pour obéir à la volonté du pape Jean-Paul II d’en concéder aisément la célébration ; si l’on peut y assister de manière habituelle dans 3 lieux de culte à Paris , il n’en est pas toujours de même en province, y compris dans des grandes villes. Un meilleur accueil des prêtres des communautés traditionalistes fidèles à Rome dans les diocèses faciliterait pourtant grandement les choses en évitant le durcissement d’une quantité non négligeable de personnes de bonne volonté, qui éprouvent l’impression d’être trop souvent considérées comme des catholiques suspects et peu éclairés.
En résumé, il devrait être clair, pour un catholique, qu’aucun abus ne saurait justifier un mariage en marge de l’Eglise. L’origine de la forme extraordinaire et sa mise en oeuvre montrent, comme le dit le canoniste Bernard David, que « l’emploi de cette forme du mariage, hors du péril de mort, a voulu répondre à des situations d’exception : persécutions, pays de mission ou énormes paroisses avec absence d’un prêtre résident... » . En dehors de ces situations quasiment inexistantes en Europe , il y a donc une grave méconnaissance de l’esprit de la loi canonique qui aboutit à l’invalidité de l’union, puisque, encore une fois, l’appréciation subjective des fiancés ne suffit pas.
 

3) La juridiction : question centrale du problème

Dans notre première partie, nous avions vu que les lefebvristes, conscients malgré tout de la faiblesse de leur position canonique, s’arrogeaient une juridiction d’exception, née du besoin des fidèles en butte à l’apostasie des pasteurs. Notre travail n’étant que canonique, il ne nous appartient pas d’approfondir l’indéniable crise de l’Eglise et ses conséquences, ni de tenter de réfuter cette thèse accordant à la FSSPX une large juridiction de suppléance . Comme nous l’avons dit supra, ceux qui la revendiquent s’appuient sur une vision extrêmement noire des choses. A partir du moment où elle est repoussée par le pape et les évêques (et comment pourrait-il en être autrement !), il nous est impossible de fonder sur elle une argumentation catholique.
Nous nous en tiendrons donc à la loi canonique et à ses exigences en matière de juridiction, au risque de passer pour formalistes, accusation dont se servent fréquemment nos frères lefebvristes, à commencer par l’abbé Celier qui, dès sa première page, accuse les autorités de l’Eglise de se réfugier sur « le plan de la pratique réglementaire », plan « exclusivement canonique, voire talmudique », ainsi que dans les interdictions légalistes et les excommunications...

Pour reprendre le problème à la base, d’où vient le pouvoir d’un prêtre catholique (ou d’un diacre depuis le nouveau Code dans l’Eglise latine) de recevoir validement les consentements ? Il vient de son office, répond le c. 1110, pour les ordinaires et les curés, ou d’une délégation d’un titulaire d’un de ces offices, ajoute le c. 1111 (le c. 1108 synthétise cette exigence). Mais dans les deux cas, pour recevoir un office ecclésiastique ou une délégation, il faut être incardiné. Quant au principe, le c. 265 du nouveau Code n’a présenté  aucune nouveauté par rapport au c. 111 §1 du Code de 1917 : tout clerc, c’est-à-dire tout fidèle à partir de la réception du diaconat, doit être incardiné. C’est avant tout la reconnaissance du ministère pastoral qui lui est confié au sein d’une Eglise particulière, ou d’une autre structure puisque l’actuel Code a élargi le champ de l’incardination. Mais c’est aussi une exigence nécessaire à la discipline du corps ecclésial.
Ce point s’avère crucial dans notre discussion. Un clerc dont on sait de manière notoire qu’il n’est pas incardiné (ou qui l’a été mais a été ensuite frappé d’une peine canonique telle que la suspense) ne peut recevoir des consentements et deux fiancés, à condition qu’il y en ait au moins un qui soit baptisé ou reçu dans l’Eglise catholique, ne seront pas validement mariés par lui.
Certes, la présence d’un « témoin qualifié » pour recevoir les consentements ne touche que la forme du mariage et non le fond, mais cette forme revêt une grande importance aux yeux de l’Eglise. C’est pour cette raison qu’elle fut rendue obligatoire par le décret Tametsi (1563), à la fin du Concile de Trente. Il est vrai que la nullité pour cause de vice de forme a toujours suscité de nombreux embarras et des critiques parce qu’elle donne l’impression de subordonner un acte d’une importance capitale au plan humain à l’accomplissement d’opérations purement formelles, quasi « bureaucratiques ». Sans nous étendre sur le sujet, nous pouvons citer l’excellent article de Paolo Moneta, Les causes de nullité de mariage en droit canonique : « la forme ne remplit pas seulement une fonction de preuve et de reconnaissance publique, mais elle a aussi une valeur liturgique plus profonde qui intègre la célébration nuptiale dans le contexte communautaire et rend manifeste le sens ecclésial, et pas seulement individuel, propre au mariage » .

En conséquence, nous devons nous interroger pour chaque mariage célébré par un prêtre de la FSSPX : était-il régulièrement incardiné lorsqu’il reçut les consentements ? La réponse sera déterminante pour la validité du mariage dans la grande majorité des cas ainsi que nous le verrons dans notre deuxième sous-partie.
Qu’en était-il dans les débuts de la FSSPX ? Avant sa suppression, le 6 mai 1975, la Fraternité faisait incardiner ses prêtres par des évêques amis de Mgr Lefebvre (dont Mgr de Castro-Meyer au Brésil) puisqu’elle ne pouvait le faire elle-même, n’étant pas de droit international. Une lettre du Cardinal Wright à Mgr Lefebvre en 1971 l’incitait même à continuer ainsi . Il est donc clair que les mariages célébrés jusqu’alors étaient valides, pourvu que le prêtre fût régulièrement incardiné, précision qui s’impose car certains prêtres ordonnés par Mgr Lefebvre exercaient déjà leur ministère sans reconnaissance de l’ordinaire du lieu (c’était le cas, dit l’abbé Mihailovic, de l’abbé Morgan, envoyé à Londres en 1971 où il desservait une chapelle sans mandat de la hiérarchie locale ).
Nous avons dit en introduction que le retrait par Mgr Mamie de l’institution canonique accordée par Mgr Charrière avait aussitôt privé la FSSPX d’existence officielle. Les prêtres se réclamant d’une association devenue illégale ne pouvaient plus demander l’incardination. La lettre écrite par le Cardinal Villot, secrétaire d’Etat, aux présidents de conférences épiscopales, le 27 octobre 1975, est sans ambiguïtés : « Il est donc clair, maintenant que la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X a cessé d’exister, que ceux qui s’en réclament encore ne peuvent prétendre – à plus forte raison – échapper à la juridiction des Ordinaires diocésains, enfin que ces mêmes Ordinaires sont gravement invités à ne pas accorder d'incardination dans leur diocèse aux jeunes qui déclareraient s'engager au service de la « Fraternité » » .

Consciente de l’enjeu, la Fraternité attaqua immédiatement la décision de l’évêque de Fribourg. Ce dernier n’avait pas le droit de retirer  l’institution accordée par son prédécesseur et, par conséquent, sa décision étant invalide, la FSSPX continuait légalement d’exister. Cette argumentation aura la vie dure, Mgr Lefebvre reviendra fréquemment sur ce point et, avant les sacres, l’abbé Marchal s’y attardera encore.
A en croire le prélat dans sa Lettre ouverte aux catholiques perplexes , quand un évêque érige canoniquement une association comme la Fraternité dans son diocèse, Rome la reconnaît par le fait même. « A tel point que si un évêque, successeur du premier, désire supprimer cette association ou cette Fraternité, il ne peut le faire sans recourir à Rome. L’autorité romaine protège ce qu’a fait le premier évêque, afin que les associations ne soient pas soumises à une précarité qui serait nuisible à leur développement. Ainsi le veut le droit de l’Eglise », conclut-il doctoralement, en renvoyant en note au canon 493 de l’ancien Code. A sa suite, l’abbé Marchal fera encore mieux en dressant une liste de 11 arguments  destinés à combattre la suppresion. Un seul, le huitième, peut vraiment retenir l’attention : la commission cardinalice, à laquelle Mgr Mamie avait écrit, ne pouvait lui déléguer un pouvoir qu’il n’avait pas . L’abbé Marchal citait là encore le c. 493 pour appuyer ses dires.
Ce raisonnement ne tient cependant pas une seconde. Le canon invoqué ne pouvait être appliqué à la FSSPX qui n’était pas un institut religieux ou une société en commun sans voeux. Elle restait une pieuse union de droit diocésain, comme le rappelait l’abbé Mihailovic,  et, à ce titre, l’évêque qui l’avait érigée ou un de ses successeurs pouvait la supprimer s’il le jugeait opportun conformément au canon 699 §1 du Code de 1917 . Ce point aurait d’autant moins de raisons d’être contesté que le délai de 6 ans prévu ad experimendum n’était pas encore écoulé.
Devenue illégale, la Fraternité continuera son chemin et « incardinera » désormais elle-même ses prêtres . A partir de ce moment, ainsi que le Cardinal Villot l’a expliqué, toute incardination est refusée aux prêtres qui veulent demeurer dans le mouvement de Mgr Lefebvre. Il va de soi que, de manière générale, le mariages célébrés après cette date peuvent être considérés comme invalides pour défaut de forme.

Il est intéressant de noter que cette condamnation de la FSSPX sera largement diffusée, tant par les media que par les évêques français, ce qui réduit quasiment à néant les possibilités d’erreur commune. En parcourant la collection de la Documentation Catholique, on trouve ainsi de nombreuses lettres d’évêques, souvent en raison de passages de Mgr Lefebvre dans leurs diocèses. La plupart du temps, ils se bornent à rappeler que l’évêque et ses prêtres sont suspens a divinis. Seul Mgr Kervennic, évêque de Saint-Brieuc, dit explicitement, dans une lettre du 2 septembre 1977, que les prêtres de la FSSPX ne peuvent validement présider aux mariages . Peu après, Mgr Orchampt, évêque d’Angers, rappellera la même vérité dans la Semaine religieuse d’Angers du 11 décembre 1977 et insistera encore dans le numéro de Noël en réponse à la critique du président d’une association traditionaliste .
A son tour, le Cardinal Marty, archevêque de Paris, redit dans une lettre au curé de Saint-Nicolas du Chardonnet que les mariages célébrés dans cette église par ceux qui l’occupent sont invalides . Son successeur, Mgr Lustiger, fait de même quand le célèbre prélat traditionaliste Mgr Ducaud-Bourget transmet la direction de l’église à l’abbé Laguérie, de la FSSPX . Après le schisme, le Cardinal Decourtray est l’un des premiers évêques à évoquer de nouveau le sujet, en rappelant que le mariage n’est valide que s’il est contracté suivant les règles canoniques. Il précise : « l’absence de juridiction du prêtre (suite à sa sortie de la communion, c’est-à-dire à son excommunication, cf. CDC, c. 1331) entraîne habituellement l’invalidité du mariage », ce qui n’est pas tout à fait exact puisque l’absence de juridiction des prêtres lefebvristes était bien antérieure à 1988.
 En conclusion de cette première sous-partie, nous avons donc acquis une certitude, déjà formulée par l’abbé Mihailovic en 1987 : tous les mariages célébrés par des prêtres n’ayant pas juridiction, cas des prêtres de la Fraternité, sont invalides et « toute juridiction de l’Eglise universelle les tiendra pour tels », en dehors de cas très limités .

B) Complément de réponse : validité de certains mariages

1) Changement apporté par le schisme

La réponse donnée jusqu’ici peut-elle être considérée comme suffisante ? Nous sommes partis du principe que, aux yeux de la loi canonique, tout mariage dans lequel une des parties au moins est baptisée catholique et n’a pas quitté l’Eglise par un acte formel doit être célébré devant un témoin qualifié. Il va de soi que ce raisonnement ne peut s’appliquer à des personnes ayant rompu avec l’Eglise, de près ou de loin, soit qu’elles aient choisi cette rupture, soit qu’elles en aient hérité. Or, l’évolution de la pensée de l’Eglise en matière de liberté religieuse a amené à considérer les personnes vivant dans le schisme ou dans l’hérésie comme n’étant pas ou plus soumis directement aux lois de l’Eglise.
Dès lors, il convient de se demander comment l’Eglise envisage le mariage de deux personnes schismatiques. Nous savons que, depuis les sacres de 1988, ainsi que nous l’avons rappelé dans notre introduction,  la question se pose avec acuité pour les fidèles de Mgr Lefebvre. Si le fidèle qui accomplit le fameux « acte formel » pour se séparer de l’Eglise n’est plus soumis à ses lois, il est indubitable que l’adhésion au schisme lefebvriste par un acte explicite constitue un des cas possibles dudit acte.

Suite aux interrogations des officialités, les autorités romaines s’accordèrent sur une réponse commune, synthétisée par l’auditeur de la Rote, Mgr Bernard de Lanversin, dans une lettre du 17 juin 1993 à Mgr Cantan, official d’Aquitaine . Tout en reconnaissant certains manques de clarté, il déclare sans hésiter que si les futurs époux « ont adhéré eux-mêmes formellement au schisme, ils sont automatiquement dispensés de la forme canonique », quand bien même ils ne se marieraient qu’à la mairie (en l’occurence, on imagine difficilement la chose...). Dans ce cas précis, le mariage est donc valide . Nous sommes tentés d’ajouter que l’Eglise le considère « douloureusement valide » car la validité est une chose mais bien insuffisante sans la licéité et les grâces sacramentelles qui l’accompagnent. L’Eglise ne peut, devant ces unions, qu’en reconnaître la validité tout en déplorant la rupture.

2) Conséquences pastorales

Il nous faut à présent, et nous achèverons notre exposé par là, dégager les conséquences pratiques des raisonnements auxquels nous sommes parvenus. Si deux fidèles devenus schismatiques se marient validement en dehors des exigences de forme canonique auxquelles ils ne sont plus tenus, a contrario, pour établir la preuve de la nullité d’un mariage célébré devant un prêtre de la FSSPX, il suffit d’établir qu’un des deux « époux » n’a pas formellement adhéré au schisme et qu’il restait donc soumis à l’exigence de la forme canonique, ainsi que le souligne Mgr de Lanversin.
Toute officialité conclura dans ce sens après un procès simplifié que l’on appelle « procès documentaire », prévu par les canons 1686 à 1688 du Code de 1983. On peut prendre comme exemple le mariage de Mr X et de Mme Y  célébré en 1990 dans la Gironde, remis en question en 1994 et faisant l’objet d’une sentence de l’officialité de Bordeaux le 29 mai 1995 . L’échange des consentements eut lieu devant un prêtre du monastère du Barroux, certes en communion avec Rome mais agissant en la circonstance sur délégation d’un prêtre de la FSSPX, à l’intérieur d’une chapelle tenue par des religieuses lefebvristes (on notera l’attitude étrange du bénédictin qui aurait dû refuser une telle célébration). Afin de prouver la nullité de l’union, l’official relève que rien ne permet de penser que Mr X avait adhéré explicitement au schisme ; au contraire, l’essentiel étant pour lui la célébration dans le rite tridentin, il avait tenu à faire appel à un religieux resté fidèle à Rome.

Dernier point qu’il nous reste à aborder : l’attitude des prêtres face aux couples liés à la FSSPX. Il va de soi que tout prêtre ne peut que les mettre en garde contre le danger du schisme et le péril spirituel qu’il y a à s’écarter de l’Eglise. Il doit avertir les fiancés désireux d’échanger leurs consentements devant un prêtre lefebvriste du risque de nullité de leur union. A la question de savoir ce qu’il faut faire quand une paroisse reçoit une demande de copie d’acte de baptême en vue d’un mariage célébré dans un lieu de culte de la Fraternité, le Comité Canonique de la Conférence des Evêques de France répond dans un texte du 9 février 1995  qu’il n’y a pas de raison de refuser cette pièce mais que l’on doit chercher à entrer en contact avec les personnes concernées ou leurs familles afin de les dissuader de se marier en marge de l’Eglise. Quant aux notifications de mariage éventuellement envoyées par les prêtres de la FSSPX aux paroisses, il est recommandé aux curés de les envoyer directement à leur évêché sans rien transcrire dans leurs registres. La notification sera conservée à l’évêché et le curé indiquera en marge du registre paroissial qu’il convient de ne pas délivrer de copie ou d’extrait de baptême avant de l’avoir consulté.
S’il faut avertir avant, qu’est-il conseillé de faire après le mariage ? Il n’y a certainement pas lieu de tourmenter des familles par un zèle indiscret et de leur clamer au visage qu’ils vivent de manière illégitime, dans le péché... En revanche, face à des questions précises de la part d’un des conjoints, il n’y a pas de raison de chercher une échappatoire mais il est préférable d’expliquer la vision de l’Eglise, de manière mesurée et ferme à la fois, en montrant que la nullité pour défaut de forme n’est pas un vain artifice de procédure mais sanctionne une attitude de rupture de la communion.
Il peut arriver que certains couples prennent conscience de leur situation et souhaitent réintégrer la pleine communion. Si leur mariage n’était pas valide, il conviendra de procéder à une sanatio in radice, pouvoir qui fut conféré à la commission Ecclesia Dei, créée par le motu proprio du même nom pour faciliter le retour à la pleine communion des anciens lefebvristes . Par cette sanation radicale, prévue aux canons 1161 et suivants de l’actuel Code, l’autorité reconnaît, au-delà de l’acte nul, la volonté toujours présente des conjoints d’être unis conjugalement (si celle-ci venait à faire défaut, il ne pourrait y avoir sanation). Il en sera de même pour l’ensemble des mariages célébrés invalidement le jour, prochain nous l’espérons, où la Fraternité réintègrera le sein de l’Eglise. C’est ce qui se serait passé en 1988 si les pourparlers d’accord avaient abouti et ce qui se passe actuellement pour les fidèles de l’évêque de Campos, lequel, jusqu’alors lefebvriste, a fait il y a peu de temps sa soumission à Rome.

   Sans méconnaître la réalité des influences du milieu et de la famille, on pourra regretter que le Père Congar ait cru bon d’écrire de  Mgr Lefebvre que « tout dénonce en lui un homme de droite accordé aux positions de l’ancienne Action française », vision un peu trop réductrice de la part d’un observateur si lucide (La crise dans l’Eglise et Mgr Lefebvre, Paris, Cerf 1976, p. 13).
   Dans son opuscule, Les mariages dans la Tradition sont-ils valides ? (Etampes, Editions Clovis 1999, 28 p.), où il s’efforce de prouver la parfaite validité de ces mariages.
   C’est en vain qu’on chercherait là-dessus une étude synthétique dans l’une des grandes revues de droit canonique existantes. On ne peut signaler, pour l’essentiel, que le mémoire de licence en droit canonique de l’abbé D.S.G. Mihailovic en 1987, Les problèmes actuels concernant la faculté d’entendre les confessions et l’assistance au mariage, qui donne de bons éléments de réponse pour les mariages célébrés avant 1988 (nous le désignerons désormais : Mihailovic I). Le même canoniste fut l’auteur, l’année suivante, d’un autre mémoire pour le DEA qui concerne cette étude pour son introduction, La fraternité sacerdotale internationale Saint-Pie X : érection, suppression, schisme (Mihailovic II).
   Comme il le raconte lui-même dans le livre d’entretiens avec José Hanu, Non, Paris, Stock 1977, p. 189 et s.
    Le « internationale » de la dénomination disparaîtra rapidement (cf. Mihailovic II).
   Ce qualificatif ne convient hélas que trop à sa personnalité, lui qui invoquait une filiation flamande pour affirmer à Hanu (op. cit., p. 14) : « ne vous attendez pas à trop de nuances de ma part », avant d’ajouter peu après : « je refuse d’admettre qu’une cause, telle celle de Notre-Seigneur Jésus-Christ, puisse s’accomoder des méandres de la pensée», ce qui était, pour le moins, maladroitement dit...
   Elle fut rendue publique en janvier 1975 et figure notamment dans Un évêque parle, tome II, Jarzé, DMM 1977, p. 4 à 6.
   Nous reviendrons sur ce point décisif dans notre 2ème partie, les lefebvristes ayant abondamment argumenté contre la suppression de la Fraternité.
   Cf. Documentation Catholique (en abrégé D.C.) n° 1677 (1975), p. 545-6.
   Mihailovic II, p. 38-9.
   A en croire la revue Sodalitium, qui perpétue la pensée de Guérard des Lauriers (pensée « semi-sédévacantiste » pourrait-on dire, puisque, en théorie, elle distingue entre le pape materialiter et le pape formaliter : cette fameuse « thèse de Cassiciacum » , du nom de la revue théologique où elle fut exprimée, aboutit à refuser toute obéissance au pape actuel, hérétique et donc privé de mandat apostolique, tout en reconnaissant qu’il est le vrai pape...) , celui-ci aurait suggéré dès l’époque à Mgr Lefebvre de sacrer un évêque.
Les derniers numéros de cette revue, sur laquelle nous aurons à revenir, peuvent être consultés sur le site Internet www.plion.it/sodali/somfr.html.
   Elle figure dans Itinéraires de mai 1975 comme dans Un évêque parle (op. cit., t. II, p. 6 à 8) et est reproduite dans D.C. n° 1677, p. 544.
   Citée dans D.C. n° 1719 (1977), p. 445.
   Dossier complet dans D.C. n° 1703 (1976), p. 712 à 719.
   Cf. D.C. n° 1704, p. 781.
   Notons que la comparaison aura beaucoup de succès parmi les traditionalistes, qui continueront à l’utiliser fréquemment après sa mort en 1991.
   Reproduit dans D.C. n° 1704, p. 785.
   Cité dans D.C., id., p. 788.
  Citée dans D.C. n° 1705, p. 819.
  Id., p. 816.
   On pourrait, avec d’autres observateurs, parler ici d’une certaine « protestantisation » de l’esprit. Le mot fait naturellement hurler nos frères lefebvristes mais ne correspond-il pas à une réalité ? Mgr Lefebvre est devenu le juge du Vatican au nom de sa conscience, ce qui est tout de même bien proche du libre examen. Sur ce grand paradoxe, un livre est intéressant, en dépit de quelques imperfections : Les réalités de Vatican II et les désirs de Monseigneur Lefebvre de François Houang et Roger Mouton, Paris, Fayard 1978, 144 p.
  Lettre citée dans D.C. n° 1874 (1984), p. 545.
  Lettre ouverte aux catholiques perplexes, Paris, Albin Michel 1984, p. 197.
    De nombreux commentateurs ont vu derrière le brutal changement d'attitude de Mgr Lefebvre l'influence de son entourage. Il est en effet tout à fait possible que tel ou tel membre de la FSSPX soit parvenu à le convaincre de revenir à une ligne de conduite plus dure dans la nuit du 5 au 6 mai. Mais, en dehors du fait que nous ne savons rien avec certitude sur ce point, force est de constater que cette réponse n'est pas plus à l'avantage du supérieur de la Fraternité : que penser d'un chef soumis aux diverses influences des membres de son entourage, ballottant constamment entre deux attitudes et enclin à donner raison à celui qui parle en dernier ?

  Ce point nous semble aussi central qu'évident. Au-delà de toute autre considération sur la valeur de son oeuvre, il est clair que la seule solution catholique consistait à avoir confiance dans la Providence qui n'abandonne jamais ses serviteurs. Si l'oeuvre est menacée, il est juste que son fondateur se batte pour elle en utilisant tous les moyens légitimes mis à sa disposition, mais, s'ils se sont révélés insuffisants, il est infiniment plus profitable, spirituellement parlant, de tout remettre dans les mains de Dieu. En achevant sa Lettre ouverte aux catholiques perplexes déjà citée, Mgr Lefebvre se montrait beaucoup plus serein qu'il ne le sera en 1988 :
« Je peux mourir demain, le Bon Dieu a toutes les solutions. Il se trouvera de par le monde, je le sais, suffisamment d'évêques pour ordonner nos séminaristes. Même s'il se tait aujourd'hui, l'un ou l'autre de ces évêques recevrait du Saint-Esprit le courage de se dresser à son tour. Si mon oeuvre est de Dieu, Il saura la garder et la faire servir au bien de l'Eglise » (p. 216). Comment ne pas voir dans ces lignes de sagesse une véritable condamnation par avance de l'acte de 1988 ?

   D.C. n° 1966 (1988), p. 734 et s.

    On retrouve notamment la vieille prohibition des ordinations absolues: nul ne peut être ordonné qu'au service d'une communauté et non pour son profit personnel.

   Congar observait que « la création d'un ministère irrégulier a toujours été le moment décisif d'une rupture », en rappelant l'exemple du schisme anglican (D.C. n° 1704, p. 791). Un canoniste, Mgr Alex Stenson, relevait dans un article intitulé The Concept and Implications of the Formal Act of Defection of Canon 1117 (Studia canonica 1987, pp. 175-194), qu’il faut une intention délibérée et libre de se couper de l’Eglise, décision manifestée au for externe et devant être reconnue juridiquement par l’Eglise, et que l’Eglise avait traditionnellement considéré le schisme comme un de ces actes.

    D.C. n° 1967, p. 788 et s.

    Id., p. 839.

   Extraits de sa thèse cités dans la brochure éditée par la FSSPX, Ni schismatiques, ni excommuniés, l'aveu de Rome (Clovis s.d., 24 p.), qui reproduit un entretien avec l'abbé Murray paru en 1995 dans la revue The Latin Mass.

   D.T.C., Paris, Letouzey et Ané, t. XIV, 1939, col. 1286 et s.

   Certes, il n'y a pas d'hérésie reconnue dans le cas qui nous intéresse. Mais n'existe-t-il pas une pente dangereuse (et logique) vers cette aberration qu'est le sédévacantisme ? La FSSPX assure qu' elle est consciente de ce danger et a régulièrement l' occasion de se séparer de tel ou tel de ce membre pour ce grief

    On notera que la définition du schisme donnée par le CIC de 1983 au c. 751 reprend quasiment mot pour mot la formule de la Somme.

   Eux-mêmes récusent naturellement cette appellation pour le motif que Mgr Lefebvre n'a pas fondé une nouvelle religion et qu'ils ne sont pas ses adorateurs... Nous maintenons toutefois cette formule en raison de la réalité du schisme qu'il consomma car il est d’un usage courant de désigner des schismatiques par le nom du responsable.

   D.T.C., op. cit., col. 1303.

    Dans ce même article, Congar rappellait qu'on ne pouvait recevoir aucun sacrement d'un ministre schismatique en dehors du danger de mort (col. 1310 ; on notera que l'article Schisme du D.T.C. était nettement plus complet que celui du Dictionnaire de Droit Canonique qui n'évoquait même pas la question des pouvoirs des schismatiques). Suite aux avancées en matière d’oecuménisme, le droit actuel a élargi les possibilités sur cette question de la communicatio in sacris, ainsi que dispose le c. 844 §2 du Code de 1983 : « Chaque fois que la nécessité l’exige ou qu’une vraie utilité spirituelle s’est fait sentir, et à condition d’éviter tout danger d’erreur ou d’indifférentisme, il est permis aux fidèles qui se trouvent dans l’impossibilité physique ou morale d’avoir recours à un ministre catholique, de recevoir les sacrements de pénitence, d’Eucharistie et d’onction des malades de ministres non catholiques, dans l’Eglise desquels ces sacrements sont valides ».

   D.C. n° 1704 (1976), p. 791. En reprenant cette formule dans La crise dans l'Eglise et Mgr Lefebvre, Congar précise qu'elle est de saint Cyprien. Il cite aussi la classique définition du schisme par Cajetan : « refuser d'agir comme partie d'un tout » (p. 38-9).

   Doellinger estimait que l'Eglise romaine avait été victime d'un parti extrémiste au cours du Concile Vatican I et que, dans l'intérêt même de l'Eglise, il fallait s'y opposer. S'il se montra très réticent sur l'idée d'une Eglise distincte (ceux qu'on appellera les Vieux-Catholiques), il finit pourtant par y contribuer... Cf article Doellinger dans le Dictionnaire d'Histoire et de Géographie Ecclésiastiques, Paris, Letouzey et Ané, t. XIV, 1960,
col 559-60.

   Dans la circonstance, on peut, de surcroît, se poser de sérieuses questions sur la validité des rites, du fait des troubles mentaux que connaissait alors Mgr Ngô Dinh Thuc.

   Décret pris dans le contexte délicat des ordinations en Chine.

    Texte latin dans les Acta Apostolicae Sedis 43 (1951), p. 217, qui rappelle le canon 2229 §3, 3° du CIC 1917, ce que ne faisait pas la traduction française de la D.C.

   D.C. n° 1967 (1988), p. 789.

   Beaumont-Pied-de-Boeuf, à compte d’auteur, 1986, 358 p.
   P. 215.
   Id., p. 218-9.

   Id., p. 283.

   Nous ne arrêterons pas toutefois sur l'une de ces critiques, formulée par l'abbé Celier (et peut-être par d'autres auteurs), qu'est l'accusation de laxisme moral à propos des méthodes naurelles de régulation des naissances: la théologie conciliaire errerait sur ce point en en préconisant l'usage systématique, encourageant ainsi l’égoïsme des époux. Traiter cette question complexe nous entraînerait bien loin de notre sujet.

   « Proles, fides, sacrarnentum ». Nous suivons ici l'excellente synthèse classique du Père Pierre Adnès, S.J., Le Mariage, Desclée « Le mystère chrétien » 1963, p. 55-59.

   Adnès, id., p. 118-9.

   GS 48 §1.

   GS 50 §1.

   Amour et responsabilité, Editions du Dialogue / Stock 1978, p. 58-60.

   Jean-Paul II n'évoqua pas la question des fins du mariage dans sa grande Exhortation Apostolique Familiaris consortio du 22 novembre 1981. On trouvera un résumé de l’évolution de la pensée de l’Eglise sur ce sujet dans le livre d’Alain Matttheeuws, Union et procréation,  Développements de la doctrine des fins du mariage, Paris, Cerf 1989, 286 p.
 

   Les commentateurs soulignèrent que ce « consortium totius vitae » s'inspirait des propos déjà cités de GS 48. On trouvera une bonne justification de cette formule dans un article de Pierre Branchereau, Consortium totius vitae, Bonum conjugum. Quelques éléments de réflexion (Année Canonique 1995, pp. 99-116). Elle fut d'ailleurs adoptée par le Code des Eglises Orientales de 1990.

   Les mariages dans la Tradition sont-ils valides ? , p. 14- 5.

  On notera que l'enseignement actuel de l'Eglise ne parle plus de la troisième fin, le remède contre la concupiscence ; en l'occurence, l'abbé Celier ne le lui reproche pas...

   Paru dans l'Année Canonique de 1992, pp. 181 à 197. Il revient sur ce sujet dans Communication sur sa thèse, article paru dans la Revue de Droit Canonique de 1994, n° 1, pp. 231 à 239.

   Du sens et de la fin du mariage, traduit en français en 1937.

   La doctrine des fins du mariage dans la théologie scolastique, paru en 1948.

   Critique exprimée, notamment, par Mgr Tissier de Mallerais, l'un des évêques sacrés par Mgr Lefebvre, dans une lettre écrite à l'abbé Gressier, officiaI d'Arras, le 16 septembre 1995 (lettre qui fut publiée dans  le Recueil Canonique d’Arras, 9ème journée d’études canoniques (1996), p. 251-2) : « le c. 1095, 2°, utilisé systématiquement à défaut de tout autre chef de nullité traditionnel, et affublé d'une signification personnaliste contre sa lettre-même par les tribunaux ecclésiastiques, y compris la Rote, mérite la plus grande défiance ».
 

   Article, p. 269.

   Cf son article Quelles nullités de mariage pour demain ?, paru dans l'A.C. de 1988 (spécialement p. 231).

   Notamment dans sa Lettre ouverte aux catholiques perplexes, déjà citée, p. 184-5.

   On peut renvoyer à son interview dans Itinéraires, décembre 1976 (n° 208), p. 126-7, citée dans Mihailovic I, p. 46-7.

   Op. cit., p. 9.

   Op. cit., p. 13.
   Propos qui figure dans sa lettre déjà citée à l’abbé Gressier, official d’Arras.
   Il avait promulgué ce recueil en 1961.
   Dans son n° 51 de décembre 2000 ; toutes les références données sur le recueil d’ordonnances renverront à ce numéro.
   Article, p. 7.
   Cette position est abondamment critiquée par les sédévacantistes, qui y voient, non sans raisons, une contradiction flagrante.
   Les simples prêtres se voient, eux aussi, confier certains pouvoirs.
   Article, p. 13-14.
   Toujours dans sa lettre à l’abbé Gressier, il parlait de ces sujets avec franchise, en reconnaissant qu’il existe aussi au sein de la FSSPX une officialité générale et des officialités nationales, et autorisait son correspondant à utiliser sa réponse comme bon lui semblerait.
   Sodalitium reproduit son éditorial du bulletin Roma felix de novembre 2000.
   La question ne se pose plus pour les sous-diacres. En revanche, la FSSPX, tout en reconnaissant que la dispense d’ordre sacré pour les diacres est de la compétence exclusive du Saint-Siège (c. 1078 §2 1°), accorde ce pouvoir à sa Commission...
   Comme pour la remarque précédente, la Commission s’octroie un pouvoir réservé au Saint-Siège (c. 1078 §2 2°).
   Article, p. 18-9.
   Sentence reproduite dans Année Canonique 1997, p. 209-14 et dans Studia canonica 1995, p. 515-531.
   Qui n’est reproduite que dans Studia canonica 1995, p. 531-38.
   Id., p. 537.
   Quand nous disons « bien » connus, cela doit s’entendre dans le sens le plus large ; tous les fidèles ne sont pas théologiens ou canonistes professionnels (et n’ont pas vocation à le devenir) et bien peu sans doute seraient capables d’expliquer ce qui motiva la condamnation du fondateur de la Fraternité. Il est cependant indéniable, et c’est l’essentiel pour le raisonnement, que l’immense majorité des catholiques sait qu’il y a un contentieux entre ce dernier et Rome.
   Mihailovic I, p. 30.
   Le fameux document qu’il signa le 5 mai 1988, avant de retirer sa signature le lendemain, contenait même ces lignes : « Nous déclarons reconnaître la validité du Sacrifice de la messe et des sacrements célébrés avec l’intention de faire ce que fait l’Eglise et selon les rites indiqués dans les éditions typiques du Missel romain et des rituels des sacrements promulgués par les papes Paul VI et Jean-Paul II » (D.C. n° 1966 (1988) p. 734).
   Mihailovic I, p. 17.
   On peut consulter le mémoire pour              d’Henri Gleizes (1992), intitulé  Le Motu proprio « Ecclesia Dei Adflicta » du 2 juillet 1988 et son application en France pour les fidèles laïcs, 116 p.
   Les églises de Sainte-Odile et Sainte-Cécile / Saint-Eugène (où elle cohabite avec le Nouvel Ordo) et la chapelle de Notre-Dame du Lys.
   Conclusion de son article,        Esprit & Vie 1999, n° 18, p. 407.
   Le c. 1116 §1 2° prévoit que le grave inconvénient doit durer au moins un mois : on imagine mal des fiancés, avec tous les moyens de communication et de transport dont nous disposons aujourd’hui, prétendre être incapables de contacter un « assistant compétent » pendant un tel laps de temps...
   Ceux qui sont intéressés par ce point peuvent lire la longue réfutation exposée par les « frères ennemis » de Sodalitium dans leur dossier du n° 51.
   Année Canonique 1989, p. 135.
   Lettre du 15 mai 1971, cité par l’abbé Denis Marchal, Mgr Lefebvre  Vingt ans de combat pour le sacerdoce et la foi 1967-1987, N.E.L. mai 1988, p. 10.
   Mihailovic I, p. 44.
   D.C. 1689 (1976), p. 32-33.
   Op. cit., p. 185.
   Marchal, op. cit., p. 18-9.
   Pour être tout à fait exact, c’est au Cardinal Tabera que Mgr Mamie avait écrit mais celui-ci répondit en union avec les Cardinaux Garrone et Wright. Ces trois prélats composeront d’ailleurs la commission devant laquelle Mgr Lefebvre fut invité à s’expliquer en février 1975.
   Mihailovic I p. 44 et II p. 10.
   Cf. l’article      du Dictionnaire de Droit Canonique, Letouzey et Ané 1935, t. I, col. 1284.
   Cf. Luc Perrin, L’affaire Lefebvre, Cref 1989, p. 20.
   Cité dans D.C. n° 1727 (1977), p. 844.
   Cité dans D.C. n° 1734 (1978), p. 95-6.
   Lettre sans date rapportée dans D.C. n° 1760 (1979), p. 296.
   Présence et dialogue. L’Eglise en Ile-de-France n° 348, 5 novembre 1983, p. 10, cité dans Mihailovic I,
p. 87.
   Mihailovic I, p. 77.
   Lettre écrite après avoir eu les avis de la Commission Ecclesia Dei, de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et du Conseil pour l’Interprétation des textes législatifs ; citée dans
   S’il faut encore faire la preuve du choix de l’adhésion formelle au mouvement schismatique, ce ne sera très certainement plus nécessaire pour des personnes ayant grandi dans ce mouvement et n’ayant fréquenté que les écoles de la Fraternité.
   La réponse de Mgr de Lanversin déjà citée fut donnée dans le cadre de cette affaire.
   D.C. n° 2115 (1995), p. 462.
   Texte latin dans Acta Apostolicae Sedis, cf. D.C. n° 2013 (1990), p. 880.
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