TRAITE DE LA VRAIE DEVOTION
A LA SAINTE VIERGE
«PREPARATION AU REGNE
DE JESUS-CHRIST»]
[I. «NECESSITE QUE NOUS AVONS
DE LA DEVOTION
A LA TRES-SAINTE VIERGE»]
[A. NECESSITE DE LA DEVOTION A MARIE]
1. C'est par la Très Sainte
Vierge Marie que Jésus-Christ
est venu au monde, et c'est aussi
par elle qu'il doit régner
dans le monde.
2. Marie a été très
cachée dans sa vie: c'est pourquoi elle
est appelée par le Saint-Esprit
et l'Eglise Alma Mater: Mère
cachée et secrète.
Son humilité a été si profonde qu'elle n'a
point eu sur la terre d'attrait
plus puissant et plus
continuel que de se cacher à
elle-même et à toute créature,
pour n'être connue que de
Dieu seul.
3. Dieu, pour l'exaucer dans les
demandes qu'elle lui fit de
la cacher, appauvrir et humilier,
a pris plaisir à la cacher
dans sa conception, dans sa naissance,
dans sa vie, dans ses
mystères, dans sa résurrection
et assomption, à l'égard de
presque toute créature humaine.
Ses parents mêmes ne la
connaissaient pas; et les anges
se demandaient souvent les uns
aux autres: Quae est ista? Qui est
celle-là? Parce que le
Très-Haut la leur cachait;
ou, s'il leur en découvrait quelque
chose, il leur en cachait infiniment
davantage.
4. Dieu le Père a consentit
qu'elle ne fit point de miracle
dans sa vie, du moins qui éclatât,
quoiqu'il lui en eût donné
la puissance. Dieu le Fils a consenti
qu'elle ne parlât
presque point, quoiqu'il lui eût
communiqué sa sagesse. Dieu
le Saint-Esprit a consenti que ses
Apôtres et ses Evangélistes
n'en parlassent que très
peu et qu'autant qu'il était
nécessaire pour faire connaître
Jésus-Christ, quoiqu'elle fût
son Epouse fidèle.
5. Marie est l'excellent chef-d'oeuvre
du Très-Haut, dont il
s'est réservé la connaissance
et la possession. Marie est la
Mère admirable du Fils, qu'il
a pris plaisir à humilier et à
cacher pendant sa vie, pour favoriser
son humilité, la
traitant du nom de femme, mulier,
comme une étrangère, quoique
dans son coeur il l'estimât
et l'aimât plus que tous les anges
et les hommes. Marie est la fontaine
scellée et l'Epouse
fidèle du Saint-Esprit, où
il n'y a que lui qui entre. Marie
est le sanctuaire et le repos de
la Sainte-Trinité, où Dieu
est plus magnifiquement et divinement
qu'en aucun lieu de
l'univers, sans excepter sa demeure
sur les chérubins et les
séraphins; et il n'est pas
permis à aucune créature, quelque
pure qu'elle soit, d'y entrer sans
un grand privilège.
6. Je dis avec les saints: La divine
Marie est le paradis
terrestre du nouvel Adam, où
il s'est incarné par l'opération
du Saint-Esprit, pour y opérer
des merveilles
incompréhensibles. C'est
le grand et le divin monde de Dieu,
où il y a des beautés
et des trésors ineffables. C'est la
magnificence du Très-Haut,
où il a caché, comme dans son sein,
son Fils unique, et en lui tout
ce qu'il y a de plus excellent
et précieux. Oh! oh! que
de choses grandes et cachées ce Dieu
puissant a faites en cette créature
admirable, comme elle est
elle-même obligée de
le dire, malgré son humilité profonde:
Fecit mihi magna qui potens est.
Le monde ne les connaît pas,
parce qu'il en est incapable et
indigne.
7. Les saints ont dit des choses
admirables de cette sainte
cité de Dieu; et ils n'ont
jamais été plus éloquents et plus
contents, comme ils l'avouent eux-mêmes,
que quand ils en ont
parlé. Après cela,
ils s'écrient que la hauteur de ses
mérites, qu'elle a élevés
jusqu'au trône de la Divinité, ne se
peut apercevoir; que la largeur
de sa charité, qu'elle a plus
étendue que la terre, ne
se peut mesurer; que la grandeur de
sa puissance, qu'elle a jusque sur
un Dieu même, ne se peut
comprendre; et, enfin, que la profondeur
de son humilité et de
toutes ses vertus et ses grâces,
qui sont un abîme, ne se peut
sonder. O hauteur incomprèhensible!
O largeur ineffable! O
grandeur démesurée!
O abîme impénétrable!
8. Tous les jours, d'un bout de la
terre à l'autre, dans le
plus haut des cieux, dans le plus
profond des abîmes, tout
prêche, tout publie l'admirable
Marie. Les neuf choeurs des
anges, les hommes de tous sexes,
âges, conditions, religions,
bons et mauvais, jusqu'aux diables,
sont obligés de l'appeler
bienheureuse, bon gré, mal
gré, par la force de la vérité.
Tous les anges dans les cieux lui
crient incessamment, comme
dit saint Bonaventure: Sancta, sancta,
sancta Maria, Dei
Genitrix et Virgo; et lui offrent
millions de millions de fois
tous les jours la Salutation des
anges: Ave, Maria, etc., en
se prosternant devant elle, et lui
demandant pour grâce de les
honorer de quelques-uns de ses commandements.
Jusqu'à saint
Michel [qui], dit saint Augustin,
quoique le prince de toute
la cour céleste, est le plus
zélé à lui rendre et à lui faire
rendre toutes sortes d'honneurs,
toujours en attente pour
avoir l'honneur d'aller, à
sa parole, rendre service à
quelqu'un de ses serviteurs.
9. Toute la terre est pleine de sa
gloire, particulièrement
chez les chrétiens où
elle est prise pour tutélaire et
protectrice en plusieurs royaumes,
provinces, diocèses et
villes. Plusieurs cathédrales
consacrées à Dieu sous son nom.
Point d'église sans autel
en son honneur: point de contrée ni
canton où il n'y ait quelqu'une
de ses images miraculeuses, où
toutes sortes de maux sont guéris
et toutes sortes de biens
obtenus. Tant de confréries
et congrégations en son honneur!
tant de religions sous son nom et
sa protection! tant de
confrères et de soeurs de
toutes les confréries et tant de
religieux et religieuses de toutes
les religions qui publient
ses louanges et qui annoncent ses
miséricordes! Il n'y a pas
un petit enfant qui, en bégayant
l'Ave Maria, ne la loue; il
n'y a guère de pécheurs
qui, en leur endurcissement même,
n'aient en elle quelque étincelle
de confiance; il n'y a pas
même de diable dans les enfers
qui, en la craignant, ne la
respecte.
10. Après cela, il faut dire,
en vérité, avec les saints:
De Maria nunquam satis.
On n'a point encore assez loué,
exalté, honoré, aimé et servi
Marie. Elle mérite encore
plus de louanges, de respects,
d'amours et de services.
11. Après cela, il faut dire
avec le Saint-Esprit: Omnis
gloria ejus filiae Regis ab intus:
Toute la gloire de la fille
du Roi est au dedans: comme si toute
la gloire extérieure que
lui rendent à l'envi toute
la terre n'était rien, en
comparaison de celle qu'elle reçoit
au-dedans par le Créateur,
et qui n'est point connue des petites
créatures, qui ne
peuvent pénétrer le
secret des secrets du Roi.
12. Après cela, il faut nous
écrier avec l'Apôtre: Nec oculus
vidit, nec auris audivit, nec in
cor hominis ascendit: Ni
l'oeil n'a pas vu, ni l'oreille
n'a entendu, ni le coeur de
l'homme n'a compris les beautés,
les grandeurs et excellences
de Marie, le miracle des miracles
de la grâce, de la nature et
de la gloire. Si vous voulez comprendre
la Mère, dit un saint,
comprenez le Fils. C'est une digne
Mère de Dieu: Hic taceat
omnis lingua: Que toute langue demeure
muette ici.
13. Mon coeur vient de dicter tout
ce que je viens d'écrire,
avec une joie particulière,
pour montrer que la divine Marie a
été inconnue jusqu'ici,
et que c'est une des raisons pourquoi
Jésus-Christ n'est point
connu comme il doit être. Si donc,
comme il est certain, la connaissance
et le règne de Jésus-
Christ arrivent dans le monde, ce
ne sera qu'une suite
nécessaire de la connaissance
et du règne de la Très Sainte
Vierge Marie, qui l'a mis au monde
la première fois et le fera
éclater la seconde.
[1. «DIEU A VOULU COMMENCER
ET ACHEVER SES PLUS GRANDS
OUVRAGES PAR LA TRES SAINTE VIERGE»]
14. J'avoue, avec toute l'Eglise,
que Marie n'étant qu'une
pure créature sortie des
mains du Très-Haut, comparée à sa
Majesté infinie, est moindre
qu'un atome, ou plutôt n'est rien
du tout, puisqu'il est seul "Celui
qui est", et que, par
conséquent, ce grand Seigneur,
toujours indépendant et
suffisant à lui-même,
n'a pas eu ni n'a pas encore absolument
besoin de la Très Sainte
Vierge pour l'accomplissement de ses
volontés et pour la manifestation
de sa gloire. Il n'a qu'à
vouloir pour tout faire.
15. Je dis cependant que, les choses
supposées comme elles
sont, Dieu ayant voulu commencer
et achever ses plus grands
ouvrages par la Très Sainte
Vierge depuis qu'il l'a formée, il
es à croire qu'il ne changera
point de conduite dans les
siècles des siècles,
car il est Dieu, et ne change point en
ses sentiments ni en sa conduite.
16. Dieu le Père n'a donné
son Unique au monde que par Marie.
Quelques soupirs qu'aient poussés
les patriarches, quelques
demandes qu'aient faites les prophètes
et les saints de
l'ancienne loi, pendant quatre mille
ans, pour avoir ce
trésor, il n'y a eu que Marie
qui l'ait mérité et trouvé grâce
devant Dieu par la force de ses
prières et la hauteur de ses
vertus. Le monde étant indigne,
dit saint Augustin, de (le)
recevoir le Fils de Dieu immédiatement
des mains du Père, il
l'a donné à Marie
afin que le monde le reçût par elle.
Le Fils de Dieu s'est fait homme
pour notre salut, mais
en Marie et par Marie.
Dieu le Saint-Esprit a formé
Jésus-Christ en Marie, mais
après lui avoir demandé
son consentement par un des premiers
ministres de sa cour.
17. Dieu le Père a communiqué
à Marie sa fécondité autant
qu'une pure créature en était
capable, pour lui donner le
pouvoir de produire son Fils et
tous les membres de son Corps
mystique.
18. Dieu le Fils est descendu dans
son sein virginal, comme
le nouvel Adam dans son paradis
terrestre, pour y prendre ses
complaisances et pour y opérer
en cachette des merveilles de
grâce. Ce Dieu fait homme
a trouvé sa liberté à se voir
emprisonné dans son sein;
il a fait éclater sa force à se
laisser porter par cette petite
fille; il a trouvé sa gloire
et celle de son Père à
cacher ses splendeurs à toutes
créatures d'ici-bas, pour
ne les révéler qu'à Marie; il a
glorifié son indépendance
et sa majesté à dépendre de cette
aimable Vierge dans sa conception,
en sa naissance, en sa
présentation au temple, en
sa vie cachée de trente ans,
jusqu'en sa mort, où elle
devait assister, et pour être immolé
par son consentement au Père
éternel, comme autrefois Isaac
par le consentement d'Abraham à
la volonté de Dieu. C'est elle
qui l'a allaité, nourri,
entretenu, élevé et sacrifié pour
nous.
O admirable et incompréhensible
dépendance d'un Dieu que
le Saint-Esprit n'a pu passer sous
silence dans l'Evangile, -
quoiqu'il nous ait chaché
presque toutes les choses admirables
que cette Sagesse incarnée
a faites dans sa vie chachée -,
pour nous en montrer le prix et
la gloire infinie. Jésus-
Christ a plus donné de gloire
à Dieu son Père par la
soumission qu'il a eue à
sa Mère pendant trente années, qu'il
ne lui en eût donné
en convertissant toute la terre par
l'opération des plus grandes
merveilles. Oh! qu'on glorifie
hautement Dieu quand on se soumet,
pour lui plaire, à Marie, à
l'exemple de Jésus-Christ,
notre unique modèle!
19. Si nous examins de près
le reste de la vie de Jésus-
Christ, nous verrons qu'il a voulu
commencer ses miracles par
Marie. Il a sanctifié saint
Jean dans le sein de sa mère
sainte Elisabeth, par la parole
de Marie; aussitôt qu'elle eût
parlé, Jean fut sanctifié,
et c'est son premier et plus grand
miracle de grâce. Il changea,
aux noces de Cana, l'eau en vin.
à son humble prière,
et c'est son premier miracle de nature.
Il a commencé et continué
ses miracles par Marie; et il les
continuera jusques à la fin
des siècles par Marie.
20. Dieu le Saint-Esprit étant
stérile en Dieu, c'est-à-dire
ne produisant point d'autre personne
divine, est devenu fécond
par Marie qu'il a épousée.
C'est avec elle et en elle et
d'elle qu'il a produit son chef-d'oeuvre,
qui est un Dieu fait
homme, et qu'il produit tous les
jours jusqu'à la fin du monde
les prédestinés et
les membres du corps de ce chef adorable:
c'est pourquoi plus il trouve Marie,
sa chère et indissoluble
Epouse, dans une âme, et plus
il devient opérant et puissant
pour produire Jésus-Christ
en cette âme et cette âme en
Jésus-Christ.
21. Ce n'est pas qu'on veuille dire
que la Très Sainte Vierge
donne au Saint-Esprit la fécondité,
comme s'il ne l'avait pas,
puisque, étant Dieu, il a
la fécondité ou la capacité de
produire, comme le Père et
le Fils, quoiqu'il ne la réduise
pas à l'acte, ne produisant
point d'autre Personne divine.
Mais on veut dire que le Saint-Esprit,
par l'entremise de la
Sainte Vierge, dont il veut bien
se servir, quoiqu'il n'en ait
pas absolument besoin, réduit
à l'acte sa fécondité, en
produisant en elle et par elle Jésus-Christ
et ses membres.
Mystère de grâce inconnu
même aux plus savants et spirituels
d'entre les chrétiens.
22. La conduite que les trois Personnes
de la Très Sainte
Trinité ont tenue dans l'Incarnation
et le premier avènement
de Jésus-Christ, elles la
gardent tous les jours, d'une
manière invisible, dans la
Sainte Eglise, et la garderont
jusqu'à la consommation des
siècles, dans le dernier avènement
de Jésus-Christ.
23. Dieu le Père a fait un
assemblage de toutes les eaux,
qu'il a nommé la mer; et
il a fait un assemblage de toutes ses
grâces, qu'il a appelé
Marie. Ce grand Dieu a un trésor ou un
magasin très riche, où
il a renfermé tout ce qu'il a de beau,
d'éclatant, de rare et de
précieux, jusqu'à son propre Fils;
et ce trésor immense n'est
autre que Marie, que les saints
appellent le trésor du Seigneur,
de la plénitude duquel les
hommes sont enrichis.
24. Dieu le Fils a communiqué
à sa Mère tout ce qu'il a
acquis par sa vie et sa mort, ses
mérites infinis et ses
vertus admirables, et il l'a faite
la trésorière de tout ce
que son Père lui a donné
en héritage; c'est par elle qu'il
applique ses mérites à
ses membres, qu'il communique ses
vertus et distribue ses grâces;
c'est son canal mystérieux,
c'est son aqueduc, par où
il fait passer doucement et
abondamment ses miséricordes.
25. Dieu le Saint-Esprit a communiqué
à Marie, sa fidèle
Epouse, ses dons ineffables, et
il l'a choisie pour la
dispensatrice de tout ce qu'il possède:
en sorte qu'elle
distribue à qui elle veut,
autant qu'elle veut, comme elle
veut et quand elle veut, tous ses
dons et ses grâces, et il ne
se donne aucun don céleste
aux hommes qui ne passe par ses
mains virginales. Car telle est
la volonté de Dieu, qui a
voulu que nous ayons tout [par]
Marie: car ainsi sera
enrichie, élevée et
honorée du Très-Haut celle qui s'est
appauvrie, humiliée et cachée
jusqu'au fond du néant par sa
propre humilité, pendant
toute sa vie. Voilà les sentiments de
l'Eglise et des Saints Pères.
26. Si je parlais à des esprits
forts de ce temps, je
prouverais tout ce que je dis simplement,
plus au long, par la
Sainte Ecriture, les Saints Pères,
dont je rapporterias les
passages latins, et par plusieurs
solides raisons qu'on pourra
voir au long déduites par
le R.P Poiré en sa Triple Couronne
de la Sainte Vierge. Mais comme
je parle particulièrement aux
pauvres et aux simples qui, étant
de bonne volonté et ayant
plus de foi que le commun des savants,
croient plus simplement
et avec plus de mérite, je
me contente de leur déclarer
simplement la vérité,
sans m'arrêter à leur citer tous les
passages latins, qu'ils n'entendent
pas, quoique je ne laisse
pas d'en rapporter quelques-uns,
sans les rechercher beaucoup.
Continuons.
27. La grâce perfectionnant
la nature, et la gloire
perfectionnant la grâce, il
est certain que Notre-Seigneur est
encore dans le ciel aussi Fils de
Marie qu'il l'était sur la
terre, et que, par conséquent,
il a conservé la soumission et
l'obéissance du plus parfait
de tous les enfants à l'égard de
la meilleure de toutes les mères.
Mais il faut prendre garde
de concevoir en cette dépendance
quelque abaissement ou
imperfection en Jésus-Christ.
Car Marie étant infiniment au-
dessous de son Fils, qui est Dieu,
ne lui commande pas comme
une mère d'ici-bas commanderait
à son enfant qui est au-
dessous d'elle. Marie, étant
toute transformée en Dieu par la
grâce et la gloire qui transforme
tous les saints en lui, ne
demande, ne veut ni ne fait rien
qui soit contraire à
l'éternelle et immuable volonté
de Dieu. Quand on lit donc,
dans les écrits des saints
Bernard, Bernardin, Bonaventure,
etc., que dans le ciel et sur la
terre, tout, jusqu'à Dieu
même, est soumis à
la Très Sainte Vierge, ils veulent dire que
l'autorité que Dieu a bien
voulu lui donner est si grande,
qu'il semble qu'elle a la même
puissance que Dieu, et que ses
prières et demandes sont
si puissantes auprès de Dieu,
qu'elles passent toujours pour des
commandements auprès de sa
Majesté, qui ne résiste
jamais à la prière de sa chère Mère,
parce qu'elle est toujours humble
et conforme à sa volonté.
Si Moïse, par la force de sa
prière, arrêta la colère de
Dieu sur les Israélites,
d'une manière si puissante que ce
très haut et infiniment miséricordieux
Seigneur, ne pouvant
lui résister, lui dit qu'il
le laissât se mettre en colère et
punir ce peuple rebelle, que devons-nous
penser, à plus forte
raison, de la prière de l'humble
Marie, la digne Mère de Dieu,
qui est plus puissante auprès
de sa Majesté que les prières et
intercessions de tous les anges
et les saints du ciel et de la
terre?
28. Marie commande dans les cieux
sur les anges et les
bienheureux. Pour récompense
de son humilité profonde, Dieu
lui a donné le pouvoir et
la commission de remplir de saints
les trônes vides dont les
anges apostats sont tombés par
orgueil. Telle est la volonté
du Très-Haut, qui exalte les
humbles, que le ciel et la terre
et les enfers plient, bon gré
mal gré, aux commandement
de l'humble Marie, qu'il a faite la
souveraine du ciel et de la terre,
la générale de ses armées,
la trésorière de ses
trésors, la dispensatrice de ses grâces,
l'ouvrière de ses grandes
merveilles, la réparatrice du genre
humain, la médiatrice des
hommes, l'exterminatrice des ennemis
de Dieu et la fidèle compagne
de ses grandeurs et de ses
triomphes.
29. Dieu le Père se veut faire
des enfants par Marie jusqu'à
la consommation du monde, et il
lui dit ces paroles: In Jacob
inhabita: demeurez en Jacob, c'est-à-dire
faites votre demeure
et résidence dans mes enfants
et prédestinés, figurés par
Jacob, et non point dans les enfants
du diable et les
réprouvés, figurés
par Esaü.
30. Comme dans la génération
naturelle et corporelle il y a
un père et une mère,
de même dans la génération surnaturelle
et spirituelle il y a un père
qui est Dieu et une mère qui est
Marie. Tous les vrais enfants de
Dieu et prédestinés ont Dieu
pour père et Marie pour mère;
et qui n'a pas Marie pour Mère
n'a pas Dieu pour Père. C'est
pourquoi les réprouvés, comme
les hérétiques, schismatiques,
etc., qui haïssent ou regardent
avec mépris ou indifférence
la Très Sainte Vierge, n'ont point
Dieu pour père, quoiqu'ils
s'en glorifient, parce qu'ils n'ont
pas Marie pour mère: car,
s'ils l'avaient pour mère, ils
l'aimeraient et l'honoreraient comme
un vrai et bon enfant
aime naturellement et honore sa
mère qui lui a donné la vie.
Le signe le plus infaillible et
le plus indubitable pour
distinguer un hérétique,
un homme de mauvaise doctrine, un
réprouvé, d'avec un
prédestiné, c'est que l'hérétique et le
réprouvé n'ont que
du mépris ou de l'indifférence pour la Très
Sainte Vierge, tâchant, par
leurs paroles et exemples, d'en
diminuer le culte et l'amour, ouvertement
ou en cachette,
quelquefois sous de beaux prétextes.
Hélas! Dieu le Père n'a
pas dit à Marie de faire
sa demeure en eux, parce qu'ils sont
des Esaüs.
31. Dieu le Fils veut se former et,
pour ainsi dire,
s'incarner tous les jours, par sa
chère Mère, dans ses
membres, et il lui dit: In Israel
haereditare: Ayez Israël
pour héritage. C'est comme
s'il disait: Dieu mon Père m'a
donné pour héritage
toutes les nations de la terre, tous les
hommes bons et mauvais, prédestinés
et réprouvés; je conduirai
les uns par la verge d'or et les
autres par la verge de fer;
je serai le père et l'avocat
des uns, le juste vengeur des
autres, et le juge de tous; mais
pour vous, ma chère Mère,
vous n'aurez pour votre héritage
et possession que les
prédestinés figurés
par Israël; et, comme leur bonne mère,
vous les enfanterez, nourrirez,
élèverez; et, comme leur
souveraine, vous les conduirez,
gouvernerez et défendrez.
32. "Un homme et un homme est né
en elle", dit le Saint-
Esprit: Homo et homo natus est in
ea. Selon l'explication de
quelques Pères, le premier
homme qui est né en Marie est
l'Homme-Dieu, Jésus-Christ;
le second est un homme pur, enfant
de Dieu et de Marie par adoption.
Si Jésus-Christ, le chef des
hommes, est né en elle, les
prédestinés, qui sont les membres
de ce chef, doivent aussi naître
en elle par une suite
nécessaire. Une même
mère ne met pas au monde la tête ou le
chef sans les membres, ni les membres,
sans la tête; autrement
ce serait un monstre de la nature;
de même, dans l'ordre de la
grâce, le chef et les membres
naissent d'une même mère; et si
un membre du corps mystique de Jésus-Christ,
c'est-à-dire un
prédestiné, naissait
d'une autre mère que Marie qui a produit
le chef, ce ne serait pas un prédestiné,
ni un membre de
Jésus-Christ, mais un monstre
dans l'ordre de la grâce.
33. De plus, Jésus-Christ
étant à présent autant que jamais
le fruit de Marie, comme le Ciel
et la terre lui répètent
mille et mille fois tous les jours:
Et béni est le fruit de
votre ventre, Jésus, il est
certain que Jésus-Christ est pour
chaque homme en particulier, qui
le possède, aussi
véritablement le fruit et
l'oeuvre de Marie, que pour tout le
monde en général;
en sorte que, si quelque fidèle a Jésus-
Christ formé dans son coeur,
il peut dire hardiment: " Grand
merci à Marie, ce que je
possède est son effet et son fruit,
et sans elle je ne l'aurais pas";
et on peut lui appliquer
plus véritablement que saint
Paul ne se les applique, ces
paroles: Quos iterum parturio, donec
in vobis formetur
Christus: J'enfante tous les jours
les enfants de Dieu,
jusqu'à ce que Jésus-Christ
mon Fils ne soit formé en eux dans
la plénitude de son âge.
Saint Augustin se surpassant soi-
même, et tout ce que je viens
de dire, dit que tous les
prédestinés, pour
être conformes à l'image du Fils de Dieu,
sont en ce monde cachés dans
le sein de la Très Sainte Vierge,
où ils sont gardés,
nourris, entretenus et agrandis par cette
bonne Mère, jusqu'à
ce qu'elle ne les enfante à la gloire,
après la mort, qui est proprement
le jour de leur naissance,
comme l'Eglise appelle la mort des
justes. O mystère de grâce
inconnu aux réprouvés
et peu connu des prédestinés!
34. Dieu le Saint-Esprit veut se
former en elle et par elle
des élus et il lui dit: In
electis meis mitte radices. Jetez,
ma bien-aimée et mon Epouse,
les racines de toutes vos vertus
dans mes élus, afin qu'ils
croissent de vertu en vertu et de
grâce en grâce. J'ai
pris tant de complaisance en vous, lorque
vous viviez sur la terre dans la
pratique des plus sublimes
vertus, que je désire encore
vous trouver sur la terre, sans
cesser d'être dans le ciel.
Reproduisez-vous pour cet effet
dans mes élus: que je voie
en eux avec complaisance les
racines de votre foi invincible,
de votre humilité profonde,
de votre mortification universelle,
de votre oraison sublime,
de votre charité ardente,
de votre espérance ferme et de
toutes vos vertus. Vous êtes
toujours mon Epouse aussi fidèle,
aussi pure et aussi féconde
que jamais: que votre foi me donne
des fidèles; que votre pureté
me donne des vierges, que votre
fécondité me donne
des élus et des temples.
35. Quand Marie a jeté ses
racines dans une âme, elle y
produit des merveilles de grâces
qu'elle seule peut produire
parce qu'elle est seule la Vierge
féconde qui n'a jamais eu ni
n'aura jamais sa semblable en pureté
et en fécondité.
Marie a produit, avec le Saint-Esprit,
la plus grande
chose qui ait été
et sera jamais, qui est un Dieu-Homme, et
elle produira conséquemment
les plus grandes choses qui seront
dans les derniers temps. La formation
et l'éducation des
grands saints qui seront sur la
fin du monde lui est réservée;
car il n'y a que cette Vierge singulière
et miraculeuse qui
peut produire, en union du Saint-Esprit,
les choses
singulières et extraordinaires.
36. Quand le Saint-E sprit, son Epoux,
l'a trouvée dans une
âme, il y vole, il y entre
pleinement, il se communique à
cette âme abondamment et autant
qu'elle donne place à son
Epouse; et une des grandes raisons
pourquoi le Saint-Esprit ne
fait pas maintenant des merveilles
éclatantes dans les âmes,
c'est qu'il n'y trouve pas une assez
grande union avec sa
fidèle et indissoluble Epouse.
Je dis: indissoluble Epouse,
car depuis que cet Amour substantiel
du Père et du Fils a
épousé Marie pour
produire Jésus-Christ, le chef des élus et
Jésus-Christ dans les élus,
il ne l'a jamais répudiée, parce
qu'elle a toujours été
fidèle et féconde.
[2. «LA DEVOTION A LA TRES SAINTE VIERGE EST NECESSAIRE»]
37. On doit conclure évidemment
de ce que je viens de dire:
Premièrement, que Marie a
reçu de Dieu une grande
domination dans les âmes des
élus: car elle ne peut pas faire
en eux sa résidence, comme
Dieu le Père lui a ordonné; les
former, les nourrir et les enfanter
à la vie éternelle comme
leur mère, les avoir pour
son héritage et sa portion, les
former en Jésus-Christ et
Jésus-Christ en eux; jeter dans leur
coeur les racines de ses vertus,
et être la compagne
indissoluble du Saint-Esprit pour
tous ces ouvrages de grâces;
elle ne peut pas, dis-je, faire
toutes ces choses, qu'elle
n'ait droit et domination dans leurs
âmes par une grâce
singulière du Très-Haut,
qui, lui ayant donné puissance sur
son Fils unique et naturel, la lui
a aussi donné sur ses
enfants adoptifs, non seulement
quant au corps, ce qui serait
peut de chose, mais aussi quant
à l'âme.
38. Marie est la Reine du ciel et
de la terre par grâce,
comme Jésus en est le Roi
par nature et par conquête. Or,
comme le royaume de Jésus-Christ
consiste principalement dans
le coeur ou l'intérieur de
l'homme, selon cette parole: Le
royaume de Dieu est au-dedans de
vous, de même le royaume de
la Très Sainte Vierge est
principalement dans l'intérieur de
l'homme, c'est-à-dire dans
son âme, et c'est principalement
dans les âmes qu'elle est
plus glorifiée avec son Fils que
dans toutes les créatures
visibles, et nous pouvons l'appeler
avec les saints la Reine des Coeurs.
39. Secondement, il faut conclure
que la Très Sainte Vierge
étant nécessaire à
Dieu, d'une nécessité qu'on appelle
hypothétique, en conséquence
de sa volonté, elle est bien plus
nécessaire aux hommes pour
arriver à leur dernière fin. Il ne
faut donc pas mêler la dévotion
à la Très Sainte Vierge avec
les dévotions aux autres
saints, comme si elle n'était pas
plus nécessaire, et que de
surérogation.
40. Le docte et le pieux Suarez,
de la Compagnie de Jésus, le
savant et le dévot Juste-Lipse,
docteur de Louvain, et
plusieurs autres, ont prouvé
invinciblement, en conséquence
des sentiments des Pères,
entre autres de saint Augustin, de
saint Ephrem, diacre d'Edesse, de
saint Cyrille de Jérusalem,
de saint Germain de Constantinople,
de saint Jean de Damas, de
saint Anselme, saint Bernard, saint
Bernardin, saint Thomas et
saint Bonaventure, que la dévotion
à la Très Sainte Vierge est
nécessaire au salut, et que
c'est une marque infaillible de
réprobation, au sentiment
même d'Oecolampade et de quelques
autres, de n'avoir pas de l'estime
et de l'amour pour la
Sainte Vierge, et qu'au contraire,
c'est une marque
infaillible de prédestination
de lui être entièrement et
véritablement dévoué
ou dévot.
41. Les figures et les paroles de
l'Ancien et du Nouveau
Testament le prouvent, les sentiments
et les exemples des
saints le confirment, la raison
et l'expérience l'apprennent
et le démontrent; le diable
même, et ses suppôts, pressés par
la force de la vérité,
ont été souvent obligés de l'avouer
malgré eux. De tous ces passages
des saints Pères et des
Docteurs, dont j'ai fait un ample
recueil pour prouver cette
vérité, je n'en rapporte
qu'un afin de n'être pas trop long:
Tibi devotum esse, est arma quaedam
salutis quae Deus his dat
quos vult salvos fieri (S. Joan.
Damas): Vous être dévot, ô
Sainte Vierge, dit saint Jean Damascène,
est une arme de salut
que Dieu donne à ceux qu'il
veut sauver.
42. Je pourrais ici rapporter plusieurs
histoires qui
prouvent la même chose, entre
autres: 1 celle qui est
rapportée dans les chroniques
de saint François, lorsqu'il vit
dans une extase une grande échelle
qui allait au ciel, au bout
de laquelle était la Sainte
Vierge et par laquelle il lui fut
montré qu'il fallait monter
pour arriver au ciel; 2 celle qui
est rapportée dans les chroniques
de saint Dominique, lorsque
quinze mille démons possédant
l'âme d'un malheureux hérétique
près de Carcassonne, où
saint Dominique prêchait le Rosaire,
furent obligés, à
leur confusion, par le mandement que leur en
fit la Sainte Vierge, d'avouer plusieurs
grandes et
consolantes vérités
touchant la dévotion à la Sainte Vierge,
avec tant de force et de clarté,
qu'on ne peut pas lire cette
histoire authentique et le panégyrique
que le diable fit
malgré lui de la dévotion
à la Très Sainte Vierge, sans verser
des larmes de joie, pour peu qu'on
soit dévot à la Très Sainte
Vierge.
43. Si la dévotion à
la Très Sainte Vierge est nécessaire à
tous les hommes pour faire simplement
leur salut, elle l'est
encore beaucoup plus à ceux
qui sont appelés à une perfection
particulière; et je ne crois
pas qu'une personne puisse
acquérir une union intime
avec Notre-Seigneur et une parfaite
fidélité au Saint-Esprit,
sans une très grande union avec la
Très Sainte Vierge et une
grande dépendance de son secours.
44. C'est Marie seule qui a trouvé
grâce devant Dieu, sans
aide d'aucune autre pure créature.
Ce n'est que par elle que
tous ceux qui ont trouvé
grâce devant Dieu depuis elle l'ont
trouvée, et ce n'est que
par elle que tous ceux qui viendront
ci-après la trouveront. Elle
était pleine de grâce quand elle
fut saluée par l'archange
Gabriel, elle fut surabondamment
remplie de grâce par le Saint-Esprit
quand il la couvrit de
son ombre ineffable; et elle a [tellement]
augmenté de jour en
jour [et] de moment en moment cette
plénitude double, qu'elle
est arrivée à un point
de grâce immense et inconcevable; en
sorte que le Très-Haut l'a
faite l'unique trésorière de ses
trésors et l'unique dispensatrice
de ses grâces, pour anoblir,
élever et enrichir qui elle
veut, pour faire passer, malgré
tout, qui elle veut par la porte
étroite de la vie, et pour
donner le trône, le sceptre
et la couronne de roi à qui elle
veut. Jésus est partout et
toujours le fruit et le Fils de
Marie; et Marie est partout l'arbre
véritable qui porte le
fruit de vie, et la vraie mère
qui le produit.
45. C'est Marie seule à qui
Dieu a donné les clefs des
celliers du divin amour, et le pouvoir
d'entrer dans les voies
les plus sublimes et les plus secrètes
de la perfection, et
d'y faire entrer les autres. C'est
Marie seule qui donne
l'entrée dans le paradis
terrestre aux misérables enfants
d'Eve l'infidèle, pour s'y
promener agréablement avec Dieu,
pour s'y cacher sûrement contre
ses ennemis et pour s'y
nourrir délicieusement, et
sans plus craindre la mort, du
fruit des arbres de vie et de science
du bien et du mal et
pour y boire à longs traits
les eaux célestes de cette belle
fontaine qui y rejaillit avec abondance;
ou plutôt comme elle
est elle-même ce paradis terrestre,
ou cette terre vierge et
bénie dont Adam et Eve les
pécheurs ont été chassés, elle ne
donne entrée chez elle qu'à
ceux et celles qu'il lui plait
pour les faire devenir saints.
46. Tous les riches du peuple, pour
me servir de l'expression
du Saint-Esprit, selon l'explication
de saint Bernard, tous
les riches du peuple supplieront
votre visage de siècle en
siècle, et particulièrement
à la fin du monde, c'est-à-dire
que les plus grands saints, les
âmes les plus riches en grâce
et en vertus, seront les plus assidus
à prier la Très Sainte
Vierge et à l'avoir toujours
présente comme leur parfait
modèle pour l'imiter, et
leur aide puissante pour les
secourir.
47. J'ai dit que cela arriverait
particulièrement à la fin du
monde, et bientôt, parce que
le Très-Haut avec sa sainte Mère
doivent se former de grands saints
qui surpasseront autant en
sainteté la plupart des autres
saints, que les cèdres du Liban
surpassent les petits arbrisseaux,
comme il a été révélé à une
sainte âme dont la vie a été
écrite par Mr. de Renty.
48. Ces grandes âmes, pleines
de grâce et de zèle, seront
choisies pour s'opposer aux ennemis
de Dieu, qui frémiront de
tous côtés, et elles
seront singulièrement dévotes à la Très
Sainte Vierge, éclairées
par sa lumière, nourries de son lait,
conduites par son esprit, soutenues
par son bras et gardées
sous sa protection, en sorte qu'elles
combattront d'une main
et édifieront de l'autre.
D'une main, elles combattront,
renverseront, écraseront
les hérétiques avec leurs hérésies,
les schismatiques avec leur schismes,
les idolâtres avec leur
idolâtrie, et les pécheurs
avec leurs impiétés; et, de l'autre
main, elles edifieront le temple
du vrai Salomon et la
mystique cité de Dieu, c'est-à-dire
la Très Sainte Vierge,
appelée par les Saints Pères
le temple de Salomon et la cité
de Dieu. Ils porteront tout le monde,
par leurs paroles et
leurs exemples, à sa véritable
dévotion, ce qui leur attirera
beaucoup d'ennemis, mais aussi beaucoup
de victoires et de
gloire pour Dieu seul. C'est ce
que Dieu a révélé à saint
Vincent Ferrier, grand apôtre
de son siècle, comme il l'a
suffisamment marqué dans
un de ses ouvrages.
C'est ce que le Saint-Esprit semble
avoir prédit dans le
Psaume 58, dont voici les paroles:
Et scient quia Dominus
dominabitur Jacob et finium terrae;
convertentur ad vesperam,
et famem patientur ut canes, et
circuibunt civitatem: Le
Seigneur règnera dans Jacob
et dans toute la terre; ils se
convertiront sur le soir, et il
souffriront la faim comme des
chiens, et ils iront autour de la
ville pour trouver de quoi
manger. Cette ville que les hommes
tournoieront à la fin du
monde pour se convertir, et pour
rassasier la faim qu'ils
auront de la justice, est la Très
Sainte Vierge qui est
appelée par le Saint-Esprit
ville et cité de Dieu.
[B. NECESSITE DE LA DEVOTION A MARIE
PARTICULIEREMENT DANS LES DERNIERS
TEMPS]
49. C'est par Marie que le salut
du monde a commencé, et
c'est par Marie qu'il doit être
consommé. Marie n'a presque
point paru dans le premier avènement
de Jésus-Christ, afin que
les hommes, encore peu instruits
et éclairés sur la personne
de son Fils, ne s'éloignassent
de la vérité, en s'attachant
trop fortement et trop grossièrement
à elle, à cause des
charmes admirables que le Très-Haut
avait mis même en son
extérieur; ce qui est si
vrai que saint Denis l'Aéropagite
nous a laissé par écrit
que, quand il la vit, il l'aurait
prise pour une divinité,
à cause de ses charmes secrets et de
sa beauté incomparable, si
la foi, dans laquelle il était bien
confirmé, ne lui avait appris
le contrarie. Mais, dans le
second avènement de Jésus-Christ,
Marie doit être connue et
révélée par
le Saint-Esprit afin de faire par elle connaître,
aimer et servir Jésus-Christ,
les raisons qui ont porté le
Saint-Esprit à cacher son
Epouse pendant sa vie, et à ne la
révéler que bien peu
depuis la prédication de l'Evangile, ne
subsistant plus.
[1. «DIEU VEUT REVELER ET DECOUVRIR
MARIE DANS LES DERNIERS
TEMPS»]
50. Dieu veut donc révéler
et découvir Marie, le chef-
d'oeuvre de ses mains, dans ces
derniers temps.
1 Parce qu'elle s'est cachée
dans ce monde et s'est mise
plus bas que la poussière
par sa profonde humilité, ayant
obtenu de Dieu, de ses Apôtres
et Evangélistes qu'elle ne fût
point manifestée.
2 Parce qu'étant le chef-d'oeuvre
des mains de Dieu,
aussi bien ici-bas par la grâce
que dans le ciel par la
gloire, il veut en être glorifié
et loué sur la terre par les
vivants.
3 Comme elle est l'aurore qui précède
et découvre le
Soleil de justice, qui est Jésus-Christ,
elle doit être connue
et aperçue, afin que Jésus-Christ
le soit.
4 Etant la voie par laquelle Jésus-Christ
est venu à
nous la premIère fois, elle
le sera encore lorsqu'il viendra
la seconde, quoique non pas de la
même manière.
5 Etant le moyen sûr et la
voie droite et immaculée pour
aller à Jésus-Christ
et le trouver parfaitement, c'est par
elle que les saintes âmes
qui doivent éclater en sainteté
doivent la trouver. Celui qui trouvera
Marie trouvera la vie.
Mais on ne peut trouver Marie qu'on
ne la cherche; on ne peut
la chercher qu'on ne la connaisse:
car on ne cherche ni ne
désire un objet inconnu.
Il faut donc que Marie soit plus
connue que jamais, à la plus
grande connaissance et gloire de
la Très Sainte Trinité.
6 Marie doit éclater, plus
que jamais, en miséricorde,
en force et en grâce dans
ces derniers temps: en miséricorde,
pour ramener et recevoir amoureusement
les pauvres pécheurs et
dévoyés qui se convertiront
et reviendront à l'Eglise
catholique; en force contre les
ennemis de Dieu, les
idolâtres, schismatiques,
mahométans, juifs et impies
endurcis, qui se révolteront
terriblement pour séduire et
faire tomber, par promesses et menaces,
tous ceux qui leur
seront contraires et enfin elle
doit éclater en grâce, pour
animer et soutenir les vaillants
soldats et fidèles serviteurs
de Jésus-Christ qui combattront
pour ses intérêts.
7 Enfin Marie doit être terrible
au diable et à ses
suppôts comme une armée
rangée en bataille, principalement
dans ces derniers temps, parce que
le diable, sachant bien
qu'il a peu de temps, et beaucoup
moins que jamais, pour
perdre les âmes, il redouble
tous les jours ses efforts et ses
combats; il suscitera bientôt
de cruelles persécutions, et
mettra de terribles embûches
aux serviteurs fidèles et aux
vrais enfants de Marie, qu'il a
plus de peine à surmonter que
les autres.
51. C'est principalement de ces dernières
et cruelles
persécutions du diable qui
augmenteront tous les jours
jusqu'au règne de l'Antéchrist,
qu'on doit entendre cette
première et célèbre
prédiction et malédiction de Dieu, portée
dans le paradis terrestre contre
le serpent. Il est à propos
de l'expliquer ici pour la gloire
de la Très Sainte Vierge, le
salut de ses enfants et la confusion
du diable.
Inimicitias ponam inter te et mulierem,
et semen tuum et
semen illius; ipsa conteret caput
tuum, et tu insidiaberis
calcaneo ejus (Gn 3,15): Je mettrai
des inimitiés entre toi et
la femme, et ta race et la sienne;
elle-même t'écrasera la
tête, et tu mettras des embûches
à son talon.
52. Jamais Dieu n'a fait et formé
qu'une inimitié, mais
irréconciliable, qui durera
et augmentera même jusques à la
fin: c'est entre Marie, sa digne
Mère, et le diable, entre les
enfants et serviteurs de la Sainte
Vierge, et les enfants et
suppôts de Lucifer; en sorte
que la plus terrible des ennemies
que Dieu ait faite contre le diable
est Marie, sa sainte Mère.
Il lui a même donné,
dès le paradis terrestre, quoiqu'elle ne
fût encore que dans son idée,
tant de haine contre ce maudit
ennemi de Dieu, tant d'industrie
pour découvrir la malice de
cet ancien serpent, tant de force
pour vaincre, terrasser et
écraser cet orgueilleux impie,
qu'il l'appréhende plus, non
seulement que tous les anges et
les hommes, mais, en un sens,
que Dieu même. Ce n'est pas
que l'ire, la haine et la
puissance de Dieu ne soient infiniment
plus grandes que celles
de la Sainte Vierge, puisque les
perfections de Marie sont
limitées; mais c'est premièrement
parce que Satan, étant
orgueilleux, souffre infiniment
plus d'être vaincu et puni par
une petite et humble servante de
Dieu, et son humilité
l'humilie plus que le pouvoir divin;
secondement parce que
Dieu a donné à Marie
un si grand pouvoir contre les diables,
qu'ils craignent plus, comme ils
ont été souvent obligés
d'avouer, malgré eux, par
la bouche des possédés, un seul de
ses soupirs pour quelque âme,
que les prières de tous les
saints, et une seule de ses menaces
contre eux que tous leurs
autres tourments.
53. Ce que Lucifer a perdu par orgueil,
Marie l'a gagné par
humilité; ce qu'Eve a damné
et perdu par désobéissance, Marie
l'a sauvé par obéissance.
Eve, en obéissant au serpent, a
perdu tous ses enfants avec elle,
et les lui a livrés; Marie,
s'étant rendue parfaitement
fidèle à Dieu, a sauvé tous ses
enfants et serviteurs avec elle,
et les a consacrés à sa
Majesté.
54. Non seulement Dieu a mis une
inimitié, mais des
inimitiés, non seulement
entre Marie et le démon, mais entre
la race de la Sainte Vierge et la
race du démon; c'est-à-dire
que Dieu a mis des inimitiés,
des antipathies et haines
secrètes entres les vrais
enfants et serviteurs de la Sainte
Vierge et les enfants et esclaves
du diable; ils ne s'aiment
point mutuellement, ils n'ont point
de correspondance
intérieure les uns avec les
autres. Les enfants de Bélial, les
esclaves de Satan, les amis du monde
(car c'est la même
chose), ont toujours persécuté
jusqu'ici et persécuteront plus
que jamais ceux et celles qui appartiennent
à la Très Sainte
Vierge, comme autrefois Caïn
persécuta son frère Abel, et Esaü
son frère Jacob, qui sont
les figures des réprouvés et des
prédestinés. Mais
l'humble Marie aura toujours la victoire sur
cet orgueilleux, et si grande qu'elle
ira jusqu'à lui écraser
la tête où réside
son orgueil; elle découvrira toujours ses
mines infernales, elle dissipera
ses conseils diaboliques, et
garantira jusqu'à la fin
des temps ses fidèles serviteurs de
sa patte cruelle.
Mais le pouvoir de Marie sur tous
les diables éclatera
particulièrement dans les
derniers temps, où Satan mettra des
embûches à son talon,
c'est-à-dire à ses humbles esclaves et à
ses pauvres enfants qu'elle suscitera
pour lui faire la
guerre. Ils seront petits et pauvres
selon le monde, et
abaissés devant tous comme
le talon, foulés et persécutés
comme le talon l'est à l'égard
des autres membres du corps;
mais, en échange, ils seront
riches en grâce de Dieu, que
Marie leur distribuera abondamment;
grands et relevés en
sainteté devant Dieu, supérieurs
à toute créature par leur
zèle animé, et si
fortement appuyés du secours divin, qu'avec
l'humilité de leur talon,
en union de Marie, ils écraseront la
tête du diable et feront triompher
Jésus-Christ.
[2. LA DEVOTION A MARIE NECESSAIRE
PARTICULIEREMENT DANS LES
DERNIERS TEMPS]
55. Enfin Dieu veut que sa sainte
Mère soit à présent plus
connue, plus aimée, plus
honorée que jamais elle n'a été: ce
qui arrivera sans doute, si les
prédestinés entrent, avec la
grâce et lumière du
Saint-Esprit, dans la pratique intérieure
et parfaite qu je leur découvrirai
dans la suite. Pour lors,
ils verront clairement, autant que
la foi le permet, cette
belle étoile de la mer, et
ils arriveront à bon port, malgré
les tempêtes et les pirates,
en suivant sa conduite; ils
connaîtront les grandeurs
de cette souveraine, et ils se
consacreront entièrement
à son service, comme ses sujets et
ses esclaves d'amour; ils éprouveront
ses douceurs et ses
bontés maternelles, et ils
l'aimeront tendrement comme ses
enfants bien-aimés; ils connaîtront
les miséricordes dont elle
est pleine et les besoins où
ils sont de son secours, et ils
auront recours à elle en
toutes choses comme à leur chère
avocate et médiatrice auprès
de Jésus-Christ; ils sauront
qu'elle est le moyen le plus assuré,
le plus aisé, le plus
court et le plus parfait pour aller
à Jésus-Christ, et ils se
livreront à elle corps et
âme, sans partage, pour être à
Jésus-Christ de même.
56. Mais qui seront ces serviteurs,
esclaves et enfants de
Marie?
Ce seront un feu brûlant,
ministres du Seigneur qui
mettront le feu de l'amour divin
partout.
Ce seront sicut sagittae in manu
potentis, des flèches
aiguës dans la main de la puissante
Marie pour percer ses
ennemis.
Ce seront des enfants de Lévi,
bien purifiés par le feu
de grandes tribulations et bien
collés à Dieu, qui porteront
l'or de l'amour divin dans le coeur,
l'encens de l'oraison
dans l'esprit et la myrrhe de la
mortification dans le corps,
et qui seront partout la bonne odeur
de Jésus-Christ aux
pauvres et aux petis, tandis qu'ils
seront une odeur de mort
aux grands, aux riches et orgueilleux
mondains.
57. Ce seront des nues tonnantes
et volantes par les airs au
moindre souffle du Saint-Esprit,
qui, sans s'attacher à rien,
ni s'étonner de rien, ni
se mettre en peine de rien,
répandront la pluie de la
parole de Dieu et de la vie
éternelle; ils tonneront
contre le péché, ils gronderont
contre le monde, ils frapperont
le diable et ses suppôts, et
ils perceront d'outre en outre,
pour la vie ou pour la mort,
avec leur glaive à deux tranchants
de la parole de Dieu, tous
ceux auquels ils seront envoyés
de la part du Très-Haut.
58. Ce seront des apôtres véritables
des derniers temps, à
qui le Seigneur des vertus donnera
la parole et la force pour
opérer des merveilles et
remporter des dépouilles glorieuses
sur ses ennemis; ils dormiront sans
or ni argent et, qui plus
est, sans soin, au milieu des autres
prêtres, et
écclésiastiques et
clercs, inter medios cleros; et cependant
auront les ailes argentées
de la colombe, pour aller avec la
pure intention de la gloire de Dieu
et du salut des âmes, où
le Saint-Esprit les appellera, et
ils ne laisseront après eux,
dans les lieux où ils auront
prêché, que l'or de la charité
qui est l'accomplissement de toute
la loi.
59. Enfin, nous savons que ce seront
de vrais disciples de
Jésus-Christ, qui marchant
sur les traces de sa pauvreté,
humilité, mépris du
monde et charité, enseignant la voie
étroite de Dieu dans la pure
vérité, selon le saint Evangile,
et non selon les maximes du monde,
sans se mettre en peine ni
faire acception de personne, sans
épargner, écouter ni
craindre aucun mortel, quelque puissant
qu'ils soit. Ils
auront dans leur bouche le glaive
à deux tranchants de la
parole de Dieu; ils porteront sur
leurs épaules l'étendard
ensanglanté de la Croix,
le crucifix dans la main droite, le
chapelet dans la gauche, les sacrés
noms de Jésus et de Marie
sur leur coeur, et la modestie et
mortification de Jésus-
Christ dans toute leur conduite.
Voilà de grands hommes qui
viendront, mais que Marie fera
par ordre du Très-Haut, pour
étendre son empire sur celui des
impies, idolâtres et mahométans.
Mais quand et comment cela
sera-t-il?... Dieu seul le sait:
c'est à nous de nous taire,
de prier, soupirer et attendre:
Expectans expectavi.
II. «EN QUOI CONSISTE LA DEVOTION A MARIE»
[A. VERITES FONDAMENTALES DE LA DEVOTION A LA SAINTE VIERGE]
60. Ayant jusqu'ici dit quelque chose
de la nécessité que
nous avons de la dévotion
à la Très Sainte Vierge, il faut
dire en quoi consiste cette dévotion;
ce que je ferai, Dieu
aidant, après que j'aurai
présupposé quelques vérités
fondamentales, qui donneront jour
à cette grande et solide
dévotion que je veux découvrir.
[«Jésus-Christ est la
fin dernière de toutes nos dévotions»]
61. Première vérité.
- Jésus-Christ notre Sauveur, vrai Dieu
et vrai homme, doit être la
fin dernière de toutes nos autres
dévotions: autrement elles
seraient fausses et trompeuses.
Jésus-Christ est l'alpha
et l'oméga, le commencement et la fin
de toutes choses. Nous ne travaillons,
comme dit l'Apôtre, que
pour rendre tout homme parfait en
Jésus-Christ, parce que
c'est en lui seul qu'habite[nt]
toute la plénitude de la
Divinité et toutes les autres
plénitudes de grâces, de vertus
et de perfections; parce que c'est
en lui seul que nous avons
été bénis de
toute bénédiction spirituelle; parce qu'il est
notre unique maître qui doit
nous enseigner, notre unique
Seigneur de qui nous devons dépendre,
notre unique chef auquel
nous devons être unis, notre
unique modèle auquel nous devons
nous conformer, notre unique pasteur
qui doit nous nourrir,
notre unique voie qui doit nous
conduire, notre unique vérité
que nous devons croire, notre unique
vie qui doit nous
vivifier, et notre unique tout en
toutes choses qui doit nous
suffire. Il n'a point été
donné d'autre nom sous le ciel, que
le nom de Jésus, par lequel
nous devions être sauvés. Dieu ne
nous a point mis d'autre fondement
de notre salut, de notre
perfection et de notre gloire, que
Jésus-Christ: tout édifice
qui n'est pas posé sur cette
pierre ferme est fondé sur le
sable mouvant et tombera infailliblement
tôt ou tard. Tout
fidèle qui n'est pas uni
à lui comme une branche au cep de la
vigne, tombera, séchera et
ne sera propre qu'à être jeté au
feu. Si nous sommes en Jésus-Christ
et Jésus-Christ en nous,
nous n'avons point de damnation
à craindre: ni les anges des
cieux, ni les hommes de la terre,
ni les démons des enfers, ni
aucune autre créature ne
nous peut nuire, parce qu'elle ne
nous peut séparer de la charité
de Dieu qui est en Jésus-
Christ. Par Jésus-Christ,
avec Jésus-Christ, en Jésus-Christ,
nous pouvons toutes choses: rendre
tout honneur et toute
gloire au Père, en l'unité
du Saint-Esprit; nous rendre
parfaits et être à
notre prochain une bonne odeur de vie
éternelle.
62. Si donc nous établissons
la solide dévotion de la Très
Sainte Vierge, ce n'est que pour
établir plus parfaitement
celle de Jésus-Christ, ce
n'est que pour donner un moyen aisé
et assuré pour trouver Jésus-Christ.
Si la dévotion à la
Sainte Vierge éloignait de
Jésus-Christ, il faudrait la
rejeter comme une illusion du diable;
mais tant s'en faut
qu'au contraire, comme j'ai déjà
fait voir et ferai voir
encore ci-après: cette dévotion
ne nous est nécessaire que
pour trouver Jésus-Christ
parfaitement et l'aimer tendrement
et le servir fidèlement.
63. Je me tourne ici un moment vers
vous, ô mon aimable
Jésus, pour me plaidre amoureusement
à votre divine Majesté de
ce que la plupart des chrétiens,
même des plus savants, ne
savent pas la liaison nécessaire,
qui est entre vous et votre
sainte Mère. Vous êtes,
Seigneur, toujours avec Marie, et
Marie est toujours avec vous et
ne peut être sans vous:
autrement elle cesserait d'être
de qu'elle est; elle est
tellement transformée en
vous par la grâce qu'elle ne vit
plus, qu'elle n'est plus; c'est
vous seul, mon Jésus, qui
vivez et régnez en elle,
plus parfaitement qu'en tous les
anges et les bienheureux. Ah! si
on connaissait la gloire et
l'amour que vous recevez en cette
admirable créature, on
aurait de vous et d'elle bien d'autres
sentiments qu'on n'a
pas. Elle [vous] est si intimement
liée, qu'on séparerait
plutôt la lumière du
soleil, la chaleur du feu; je dis plus,
on séparerait plutôt
tous les anges et les saints de vous, que
la divine Marie: parce qu'elle vous
aime plus ardemment et
vous glorifie plus parfaitement
que toutes vos autres
créatures ensemble.
64. Après cela, mon aimable
Maître, n'est-ce pas une chose
étonnante et pitoyable de
voir l'ignorance et les ténèbres de
tous les hommes d'ici-bas à
l'égard de votre sainte Mère? Je
ne parle pas tant des idolâtres
et païens, qui, ne vous
connaissant pas, n'ont garde de
la connaître; je ne parle même
pas des hérétiques
et des schismatiques, qui n'ont garde
d'être dévôts
à votre sainte Mère, s'étant séparés
de vous et
votre sainte Eglise; mais je parle
des chrétiens catholiques,
et même des docteurs parmi
les catholiques, qui faisant
profession d'enseigner aux autres
les vérités, ne vous
connaissent pas, ni votre sainte
Mère, si ce n'est d'une
manière spéculative,
sèche, stérile et indifférente. Ces
messieurs ne parlent que rarement
de votre sainte Mère et de
la dévotion qu'on lui doit
avoir parce qu'ils craignent,
disent-ils, qu'on en abuse, qu'on
ne vous fasse injure en
honorant trop votre sainte Mère.
S'ils voient ou entendent
quelque dévôt à
la Sainte Vierge parler souvent de la dévotion
à cette bonne Mère,
d'une manière tendre, forte et persuasive,
comme d'un moyen assuré sans
illusion, d'un chemin court sans
danger, d'une voie immaculée
sans imperfections, et d'un
secret merveilleux pour vous trouver
et vous aimer
parfaitement, ils se récrient
contre lui, et lui donnent mille
fausses raisons pour lui prouver
qu'il ne faut pas tant parler
de la Sainte Vierge, qu'il y a beaucoup
d'abus en cette
dévotion, et qu'il faut s'appliquer
à les détruire, et à
parler de vous plutôt qu'à
porter les peuples à la dévotion à
la Sainte Vierge qu'ils aiment déjà
assez.
On les entend parfois parler de
la dévotion à votre
sainte Mère, non pas pour
l'établir et la persuader, mais pour
en détruire les abus qu'on
en fait, tandis que ces messieurs
sont sans piété et
sans dévotion tendre pour vous, parce
qu'ils n'en ont pas pour Marie,
regardant le Rosaire, le
Scapulaire, le Chapelet, comme des
dévotions de femmelettes,
propres aux ignorants, sans lesquels
on peut se sauver; et
s'il tombe en leurs mains quelque
dévôt à la Sainte Vierge,
qui récite son chapelet ou
ait quelque autre pratique de
dévotion envers elle, ils
lui changeront bientôt l'esprit et
le coeur: au lieu du chapelet, ils
lui conseilleront de dire
les sept psaumes; au lieu de la
dévotion à la Sainte Vierge,
ils lui conseilleront la dévotion
à Jésus-Christ.
O mon aimable Jésus, ces
gens ont-il votre esprit? Vous
font-ils plaisir d'en agir de même?
Est-ce vous plaire que de
ne pas faire tous ses efforts pour
plaire à votre Mère, de
peur de vous déplaire? La
dévotion à votre sainte Mère
empêche-t-elle la vôtre?
Est-ce qu'elle s'attribue l'honneur
qu'on lui rend? Est-ce qu'elle fait
bande à part? Est-elle une
étrangère qui n'a
aucune liaison avec vous? Est-ce se séparer
ou s'éloigner de votre amour
que de se donner à elle et de
l'aimer?
65. Cependant, mon aimable Maître,
la plupart des savants,
pour punition de leur orgueil, n'éloigneraient
pas plus de la
dévotion à votre sainte
Mère, et n'en donneraient pas plus
d'indifférence, que si tout
ce que je viens de dire était
vrai. Gardez-moi, Seigneur, gardez-moi
de leurs sentiments et
leurs pratiques et me donnez quelque
part aux sentiments de
reconnaissance, d'estime, de respect
et d'amour que vous avez
à l'égard de votre
sainte Mère, afin que je vous aime et
glorifie d'autant plus que je vous
imiterai et suivrai de plus
près.
66. Comme si jusqu'ici je n'avais
encore rien dit en
l'honneur de votre sainte Mère,
faites-moi la grâce de la
louer dignement: Fac me digne tuam
Matrem collaudare, malgré
tous mes ennemis, qui sont les vôtres,
et que je leur dise
hautement avec les saints: Non praesumat
aliquis Deum se
habere propitium qui benedictam
Matrem offensam habuerit: Que
celui-là ne présume
pas recevoir la miséricorde de Dieu, qui
offense sa sainte Mère.
67. Pour obtenir de votre miséricorde
une véritable dévotion
à votre sainte Mère,
et pour l'inspirer à toute la terre,
faites que je vous aime ardemment,
et recevez pour cela la
prière embrasée que
je vous fais avec saint Augustin et vos
véritables amis (tom. 9,
operum meditat.):
"Tu es Christus, pater meus sanctus,
Deux meus pius, rex
meus magnus, pastor meus bonus,
magister meus unus, adjutor
meus optimus, dilectus meus pulcherrimus,
panis meus vivus,
sacerdos meus in aeternum, dux meus
ad patriam, lux mea vera,
dulcedo mea sancta, via mea recta,
sapientia mea praeclara,
simplicitas mea pura, concordia
mea pacifica, custodia mea
tota, portio mea bona, salus mea
sempiterna...
"Christe Jesu, amabilis Domine,
cur amavi, quare
concupivi in omni vita mea quidquam
praeter te Jesum Deum
meum? Ubi eram quando tecum mente
non eram? Jam ex hoc nunc,
omnia desideria mea, incalescite
et effluite in Dominum Jesum;
currite, satis hactenus tardastis;
properate quo pergitis;
quaerite quem quaeritis. Jesu, qui
non amat te anathema sit;
qui te non amat amaritudine repleatur...
O dulcis Jesu, te
amet, in te delectetur, te admiretur
omnis sensus bonus tuae
conveniens laudi. Deux cordis mei
et pars mea, Christe Jesu,
deficiat cor meum spiritu suo, et
vivas tu in me, et
concalescat in spiritu meo vivus
carbo amoris tui, et
excrescat in ignem perfectum; ardeat
jugiter in ara cordis
mei, ferveat in medullis meis, flagret
in absconditis animae
meae; in die consummationis meae
consummatus inveniar apud te.
Amen."
J'ai voulu mettre en latin cette
admirable oraison de
saint Augustin, afin que les personnes
qui entendent le latin
la disent tous les jours pour demander
l'amour de Jésus que
nous cherchons par la divine Marie.
[Nous sommes à Jésus-Christ et à Marie en qualité d'esclaves]
68. Seconde vérité.
- Il faut conclure de ce que Jésus-Christ
est à notre égard,
que nous ne sommes point à nous, comme dit
l'Apôtre, mais tout entiers
à lui, comme ses membres et ses
esclaves qu'il a achetés
infiniment cher, par le prix de tout
son sang. Avant le baptême,
nous étions au diable comme ses
esclaves, et le baptême nous
a rendus les véritables esclaves
de Jésus-Christ, qui ne doivent
vivre, travailler et mourir
que pour fructifier pour ce Dieu
Homme, le glorifier en notre
corps et le faire régner
en notre âme, parce que nous sommes
sa conquête, son peuple acquis
et son héritage. C'est pour la
même raison que le Saint-Esprit
nous compare: 1 à des arbres
plantés le long des eaux
de la grâce, dans le champ de
l'Eglise, qui doivent donner leurs
fruits en leur temps; 2
aux branches d'une vigne dont Jésus-Christ
est le cep, qui
doivent rapporter de bons raisins;
3 à un troupeau dont
Jésus-Christ est le pasteur,
qui se doit multiplier et donner
du lait; 4 à une bonne terre
dont Dieu est le laboureur, et
dans laquelle la semence se multiplie
et rapporte au
trentuple, soixantuple ou centuple.
Jésus-Christ a donné sa
malédiction au figuier infructueux,
et porté condamnation
contre le serviteur inutile qui
n'avait pas fait valoir son
talent. Tout cela nous prouve que
Jésus-Christ veut recevoir
quelques fruits de nos chétives
personnes, savoir: nos bonnes
oeuvres, parce que ces bonnes oeuvres
lui apartiennent
uniquement: Creati in operibus bonis
in Christo Jesu: Créés
dans les bonnes oeuvres en Jésus-Christ.
Lesquelles paroles du
Saint-Esprit montrent et que Jésus-Christ
est l'unique
principe et doit être l'unique
fin de toutes nos bonnes
oeuvres, et que nous le devons servir
non seulement comme des
serviteurs à gages, mais
comme des esclaves d'amour. Je
m'explique.
69. Il y a deux manières ici-bas
d'appartenir à un autre et
de dépendre de son autorité,
savoir: la simple servitude et
l'esclavage; ce qui fait que nous
appelons un serviteur et un
esclave.
Par la servitude commune parmi les
chrétiens, un homme
s'engage à en servir un autre
pendant un certain temps,
moyennant un certain gage ou une
telle récompense.
Par l'esclavage, un homme est entièrement
dépendant d'un
autre pour toute sa vie, et doit
servir son maître, sans en
prétendre aucun gage ni récompense
comme une de ses bêtes sur
laquelle il a droit de vie et de
mort.
70. Il y a trois sortes d'esclavages:
un esclavage de
nature, un esclavage de contrainte
et un esclavage de volonté.
Toutes les créatures sont
esclaves de Dieu en la première
manière: Domini est terra
et plenitudo ejus; les démons et les
damnés en la seconde; les
justes et les saints le sont en la
troisième. L'esclavage de
volonté est le plus parfait et le
plus glorieux à Dieu, qui
regarde le coeur, et qui demande le
coeur, et qui s'appelle le Dieu
du coeur, ou de la volonté
amoureuse, parce que, par cet esclavage,
on fait choix, par-
dessus toutes choses, de Dieu et
de son service, quand même la
nature n'y obligerait pas.
71. Il y a une totale différence
entre un serviteur et un
esclave:
1 Un serviteur ne donne pas tout
ce qu'il est et tout ce
qu'il possède et tout ce
qu'il peut acquérir par autrui ou par
soi-même, à son maître;
mais l'esclave se donne tout entier,
tout ce qu'il possède et
tout ce qu'il peut acquérir, à son
maître, sans aucune exception.
2 Le serviteur exige des gages pour
les services qu'il
rend à son maître,
mais l'esclave n'en peut rien exiger,
quelque assiduité, quelque
industrie, quelque force qu'il ait
à travailler.
3 Le serviteur peut quitter son
maître quand il voudra,
ou du moins quand le temps de son
service sera expiré; mais
l'esclave n'est pas en droit de
quitter son maître quand il
voudra.
4 Le maítre du serviteur
n'a sur lui aucun droit de vie
et de mort, en sorte que s'il le
tuait, comme une de ses bêtes
de charge, il commettrait un homicide
injuste; mais le maître
de l'esclave a, par les lois, droit
de vie et de mort sur lui,
en sorte qu'il peut le vendre à
qui il voudra, ou le tuer,
comme, sans comparaison, il ferait
[de] son cheval.
5 Enfin, le serviteur n'est que
pour un temps au service
d'un maître, et l'esclave
pour toujours.
72. Il n'y a rien parmi les hommes
qui nous fasse plus
appartenir à un autre que
l'esclavage; il n'y a rien aussi
parmi les chrétiens qui nous
fasse plus absolument appartenir
à Jésus-Christ et
à sa sainte Mère que l'esclavage de volonté,
selon l'exemple de Jésus-Christ
même, qui a pris la forme
d'esclave pour notre amour: Formam
servi accipiens, et de la
Sainte Vierge, qui s'est dite la
servante et l'esclave du
Seigneur. L'Apôtre s'appelle
par honneur servus Christi. Les
chrétiens sont appelés
plusieurs fois dans l'Ecriture sainte
servi Christi; lequel mot de servus,
selon la remarque
véritable qu'a faite un grand
homme, ne signifiait autrefois
qu'un esclave, parce qu'il n'y avait
point encore de
serviteurs comme ceux d'aujourd'hui,
les maîtres n'étant servi
que par des esclaves ou affranchis:
ce que le Catéchisme du
saint Concile de Trente, pour ne
laisser aucun doute que nous
soyons esclaves de Jésus-Christ,
exprime par un terme qui
n'est point équivoque, en
nous appelant mancipia Christi:
esclave de Jésus-Christ.
Cela posé:
73. Je dis que nous devons être
à Jésus-Christ et le servir,
non seulement comme des serviteurs
mercenaires, mais comme des
esclaves amoureux, qui par un effet
d'un grand amour, se
donnent et se livrent à le
servir en qualité d'esclaves, pour
l'honneur seul de lui appartenir.
Avant le baptême, nous
étions esclaves du diable;
le baptême nous a rendus esclaves
de Jésus-Christ: ou il faut
que les chrétiens soient esclaves
du diable, ou esclaves de Jésus-Christ.
74. Ce que je dis absolument de Jésus-Christ,
je le dis
relativement de la Sainte Vierge,
que Jésus-Christ, ayant
choisie pour compagne indissoluble
de sa vie, de sa mort, de
sa gloire et de sa puissance au
ciel et sur la terre, lui a
donné par grâce, relativement
à sa Majesté, tous les mêmes
droits et privilèges qu'il
possède par nature: Quidquid Deo
convenit per naturam, Mariae convenit
per gratiam: Tout ce qui
convient à Dieu par nature,
convient à Marie par grâce, disent
les saints; en sorte que, selon
eux, n'ayant tous deux que la
même volonté et la
même puissance, ils ont tous deux les mêmes
sujets, serviteurs et esclaves.
75. On peut donc, suivant le sentiment
des saints et de
plusieurs grands hommes, se dire
et se faire l'esclave
amoureux de la Très Sainte
Vierge, afin d'être par là plus
parfaitement esclave de Jésus-Christ.
La Sainte Vierge est le
moyen dont Notre-Seigneur s'est
servi pour venir à nous; c'est
aussi le moyen dont nous devons
nous servir pour aller à lui,
car elle n'est pas comme les autres
créatures, auxquelles si
nous nous attachions, elles pourraient
plutôt nous éloigner de
Dieu que de nous en approcher; mais
la plus forte inclination
de Marie est de nous unir à
Jésus-Christ, son Fils, et la plus
forte inclination du Fils est qu'on
vienne à lui par sa sainte
Mère; et c'est lui faire
honneur et plaisir, comme ce serait
faire honneur et plaisir à
un roi si, pour devenir plus
parfaitement son sujet et son esclave,
on se faisait esclave
de la reine. C'est pourquoi les
saints Pères et saint
Bonaventure après eux, disent
que la Sainte Vierge est le
chemin pour aller à Notre-Seigneur:
Via veniendi ad Christum
est appropinquare ad illam (In psalt.
min.).
76. De plus, si, comme j'ai dit,
la Sainte Vierge est la
Reine et souveraine du ciel et de
la terre: Ecce imperio Dei
omnia subjiciuntur et Virgo; ecce
imperio Virginis omnia
subjiciuntur et Deus, disent saint
Anselme, saint Bernard,
saint Bernardin, saint Bonaventure,
n'a-t-elle pas autant de
sujets et d'esclaves qu'il y a de
créatures? N'est-il pas
raisonnable que parmi tant d'esclaves
de contrainte, il y en
ait d'amour qui, par une bonne volonté,
choisissent, en
qualité d'esclaves, Marie
pour leur souveraine? Quoi! les
hommes et les démons auront
leurs esclaves volontaires, et
Marie n'en aurait point? Quoi! un
roi tiendra à honneur que la
reine, sa compagne, ait des esclaves
sur qui elle ait droit de
vie et de mort, parce que l'honneur
et la puissance de l'un
est l'honneur et la puisance et
l'autre; et on [pourrait]
croire [que] Notre-Seigneur qui,
comme le meilleur de tous les
fils, a fait part de toute sa puissance
à sa sainte Mère,
trouve mauvais qu'elle ait des esclaves?
A-t-il moins de
respect et d'amour pour sa Mère
qu'Assuérus pour Esther et que
Salomon pour Bethsabée? Qui
oserait le dire et même le penser?
77. Mais où est-ce que ma
plume me conduit? Pourquoi est-ce
que je m'arrête ici à
prouver une chose si visible. Si on ne
veut pas qu'on se dise esclave de
la Sainte Vierge,
qu'importe! Qu'on se fasse et qu'on
se dise esclave de Jésus-
Christ! C'est l'être de la
Sainte Vierge, puisque Jésus-Christ
est le fruit et la gloire de Marie.
C'est ce qu'on fait
parfaitement par la dévotion
dont nous parlerons dans la
suite.
[«Nous devons nous vider de ce qu'il y a de mauvais en nous»]
78. Troisième vérité.
- Nos meilleures actions sont
ordinairement souillées et
corrompues par le mauvais fond qui
est en nous. Quand on met de l'eau
nette et claire dans un
vaisseau qui sent mauvais, ou du
vin dans une pipe dont le
dedans est gâté par
un autre vin qu'il y a eu dedans, l'eau
claire et le bon vin en est gâté
et prend aisément la mauvaise
odeur. De même, quand Dieu
met dans le vaiseau de notre âme,
gâté par le péché
originel et actuel, ses grâces et rosées
celestes ou le vin délicieux
de son amour, ses dons sont
ordinairement gâtés
et souillés par le mauvais levain et le
mauvais fond que le péché
a laissé en nous; nos actions, même
des vertus les plus sublimes, s'en
sentent. Il est donc d'une
très grande importance, pour
acquérir la perfection, qui ne
s'acquiert que par l'union à
Jésus-Christ, de nous vider de ce
qu'il y a de mauvais en nous: autrement,
Notre-Seigneur, qui
est infiniment pur et qui hait infiniment
la moindre souillure
dans l'âme, nous rejettera
de devant ses yeux et ne s'unira
point à nous.
79. Pour nous vider de nous-mêmes,
il faut, premièrement,
bien connaître, par la lumière
du Saint-Esprit, notre mauvais
fond, notre incapacité à
tout bien utile au salut, notre
faiblesse en toutes choses, notre
inconstance en tout temps,
notre indignité de toute
grâce, et notre iniquité en tout
lieu. Le péché de
notre premier père nous a tous presque
entièrement gâtés,
aigris, élevés et corrompus, comme le
levain aigrit, élève
et corrompt la pâte où il est mis. Les
péchés actuels que
nous avons commis, soit mortels, soit
véniels, quelque pardonnés
qu'ils soient, ont augmenté notre
concupiscence, notre faiblesse,
notre inconstance et notre
corruption, et ont laissé
de mauvais restes dans notre âme.
Nos corps sont si corrompus, qu'ils
sont appelés par le
Saint-Esprit corps du péché,
conçus dans le péché, nourris
dans le péché et capable
de tout, corps sujets à mille et
mille maladies, qui se corrompent
de jour en j our, et qui
n'engendrent que de la gale, de
la vermine et de la
corruption.
Notre âme, unie à notre
corps, est devenue si charnelle,
qu'elle est appelée chair:
Toute chair avait corrompu sa voie.
Nous n'avons pour partage que l'orgueil
et l'aveuglement dans
l'esprit, l'endurcissement dans
le coeur, la faiblesse et
l'inconstance dans l'âme,
la concupiscence, les passions
révoltées et les maladies
dans le corps. Nous sommes
naturellement plus orgueilleux que
des paons, plus attachés à
la terre que des crapauds, plus
vilains que des boucs, plus
envieux que des serpents, plus gourmands
que des cochons, plus
colères que des tigres et
plus paresseux que des tortues, plus
faibles que des roseaux, et plus
inconstants que des
girouettes. Nous n'avons dans notre
fond que le néant et le
péché, et nous ne
méritons que l'ire de Dieu et l'enfer
éternel.
80. Après cela, faut-il s'étonner
si Notre-Seigneur a dit que
celui qui voulait le suivre devait
renoncer à soi-même et haïr
son âme; que celui qui aimerait
sa vie la perdrait et que
celui qui la haïrait la sauverait?
Cette Sagesse infinie, qui
ne donne pas des commandemaents
sans raison, ne nous ordonne
de nous haïr nous-mêmes
que parce que nous sommes grandement
dignes de haine: rien de si digne
d'amour que Dieu, rien de si
digne de haine que nous-mêmes.
81. Secondement, pour nous vider
de nous-mêmes, il faut tous
les jours mourir à nous-mêmes:
c'est-à-dire qu'il faut
renoncer aux opérations des
puissances de notre âme et des
sens du corps, qu'il faut voir comme
si on ne voyait point,
entendre comme si on n'entendait
point, se servir des choses
de ce monde comme si on ne s'en
servait point, ce que saint
Paul appelle mourir tous les jours:
Quotidie morior! Si le
grain de froment tombant en terre
ne meurt, il demeure terre
et ne produit point de fruit qui
soit bon: Nisi granum
frumenti cadens in terram mortuum
fuerit, ipsum solum manet.
Si nous ne mourons à nous-mêmes,
et si nos dévotions les plus
saintes ne nous portent à
cette mort nécessaire et féconde,
nous ne porterons point de fruit
qui vaille, et nos dévotions
nous deviendront inutiles, toutes
nos justices seront
souillées par notre amour-propre
et notre propre volonté, ce
qui fera que Dieu aura en abomination
les plus grands
sacrifices et les meilleures actions
que nous puissions faire;
et qu'à notre mort nous nous
trouverons les mains vides de
vertus et de mérites, et
que nous n'aurons pas une étincelle
du pur amour, qui n'est communiqué
qu'aux âmes dont la vie est
cachée avec Jésus-Christ
en Dieu.
82. Troisièmement, il faut
choisir parmi toutes les dévotions
à la Très Sainte Vierge
celle qui nous porte le plus à cette
mort à nous-mêmes,
comme étant la meilleure et la plus
sanctifiante; car il ne faut pas
croire que tout ce qui reluit
soit or, que tout ce qui est doux
soit miel, et que tout ce
qui est aisé à faire
et pratiqué du plus grand nombre soit le
plus sanctifiant. Comme il y a des
secrets de nature pour
faire en peu de temps, à
peu de frais et avec facilité
certaines opérations naturelles,
de même il y a des secrets
dans l'ordre de la grâce pour
faire en peu de temps, avec
douceur et facilité, des
opérations surnaturelles: se vider de
soi-même, se remplir de Dieu,
et devenir parfait.
La pratique que je veux vous découvrir
est un de ces
secrets de grâce, inconnu
du grand nombre des chrétiens, connu
de peu de dévôts, et
pratiqué et goûté d'un bien plus petit
nombre. Pour commencer à
découvrir cette pratique, voici une
quatrième vérité
qui est une suite de la troisième.
[«Nous avons besoin d'un médiateur auprès du Médiateur même»]
83. Quatrième vérité.
- Il est plus parfait, parce qu'il est
plus humble, de n'approcher pas
de Dieu par nous-mêmes, sans
prendre un médiateur. Notre
fond, comme je viens de montrer,
étant si corrompu, si nous
nous appuyons sur nos propres
travaux, industries, préparations,
pour arriver à Dieu et lui
plaire, il est certain que toutes
nos justices seront
souillées, ou de peu de poids
devant Dieu, pour l'engager à
s'unir à nous et à
nous exaucer. Car ce n'est pas sans raison
que Dieu nous a donné des
médiateurs auprès de sa Majesté: il
a vu notre indignité et incapacité,
il a eu pitié de nous, et,
pour nous donner accès à
ses miséricordes, il nous a pourvu
des intercesseurs puissants auprès
de sa grandeur; en sorte
que négliger ces médiateurs,
et s'approcher directement de sa
sainteté, c'est manquer de
respect envers un Dieu si haut et
si saint; c'est moins faire de cas
de ce Roi des rois qu'on ne
ferait d'un roi ou d'un prince de
la terre, duquel on ne
voudrait pas approcher sans quelque
ami qui parlât pour soi.
84. Notre-Seigneur est notre avocat
et notre médiateur de
rédemption auprès
de Dieu le Père; c'est par lui que nous
devons prier avec toute l'Eglise
triomphante et militante;
c'est par lui que nous avons accès
auprès de sa Majesté, et
nous ne devons jamais paraître
devant lui qu'appuyés et
revêtus de ses mérites,
comme le petit Jacob des peaux de
chevreaux devant son père
Isaac, pour recevoir sa bénédiction.
85. Mais n'avons-nous point besoin
d'un médiateur auprès du
Médiateur même? Notre
pureté est-elle assez grande pour nous
unir directement à lui, et
par nous-mêmes! N'est-il pas Dieu,
en toutes choses égal à
son Père, et par conséquent le Saint
des saints, aussi digne de respect
que son Père? Si, par sa
charité infinie, il s'est
fait notre caution et notre
médiateur auprès de
Dieu son Père, pour l'apaiser et lui payer
ce que nous lui devions, faut-il
pour cela que nous ayons
moins de respect et de crainte pour
sa majesté et sa sainteté?
Disons donc hardiment, avec saint
Bernard, que nous avons
besoin d'un médiateur auprès
du Médiateur même, et que la
divine Marie est celle qui est la
plus capable de remplir cet
office charitable; c'est par elle
que Jésus-Christ nous est
venu, et c'est par elle que nous
devons aller à lui. Si nous
craignons d'aller directement à
Jésus-Christ, ou à cause de
sa grandeur infinie, ou à
cause de notre bassesse, ou à cause
de nos péchés, implorons
hardiment l'aide et l'intercession de
Marie notre Mère: elle est
bonne, elle est tendre; il n'y a en
elle rien d'austère ni rebutant,
rien de trop sublime et de
trop brillant; en la voyant, nous
voyons notre pure nature.
Elle n'est pas le soleil, qui, par
la vivacité de ses rayons,
pourrait nous éblouir à
cause de notre faiblesse; mais elle
est belle et douce comme la lune,
qui reçoit la lumière du
soleil et la tempère pour
la rendre conforme à notre petite
portée. Elle est si charitable
qu'elle ne rebute personne de
ceux qui demandent son intercession,
quelque pécheurs qu'ils
soient; car, comme disent les saints,
il n'a jamais été ouï
dire, depuis que le monde est monde,
qu'aucun ait eu recours à
la Sainte Vierge avec confiance
et persévérance, et en ait été
rebuté. Elle est si puissante
que jamais elle n'a été refusée
dans ses demandes; elle n'a qu'à
se montrer devant son Fils
pour le prier: aussitôt il
accorde, aussitôt il reçoit; il est
toujours amoureusement vaincu par
les mamelles et les
entrailles et les prières
de sa très chère Mère.
86. Tout ceci est tiré de
saint Bernard et de saint
Bonaventure; en sorte que, selon
eux, nous avons trois degrés
à monter pour aller à
Dieu: le premier, qui est le plus proche
de nous et le plus conforme à
notre capacité, est Marie; le
second est Jésus-Christ;
et le troisième est Dieu le Père.
Pour aller à Jésus,
il faut aller à Marie, c'est notre
médiatrice d'intercession;
pour aller au Père éternel, il faut
aller à Jésus, c'est
notre médiateur de rédemption. Or, par la
dévotion que je dirai ci-après,
c'est l'ordre qu'on garde
parfaitement.
[«Il nous est très difficile
de conserver les grâces et les
trésors reçus de Dieu»]
87. Cinquième vérité.
- Il est très difficile, vu notre
faiblesse et fragilité, que
nous conservions en nous les
grâces et les trésors
que nous avons reçus de Dieu:
1 Parce que nous avons ce trésor,
qui vaut mieux que le
ciel et la terre, dans des vases
fragiles: Habemus thesaurum
istum in vasis fictilibus, dans
un corps corruptible, dans une
âme faible et inconstante,
qu'un rien trouble et abat.
88. 2 Parce que les démons,
qui sont de fins larrons,
veulent nous surprendre à
l'impourvu pour nous voler et
dévaliser; ils épient
jour et nuit le moment favorable pour
cela; ils tournoient incessamment
pour nous dévorer, et nous
enlever en un moment, par un péché,
tout ce que nous avons pu
gagner de grâces et de mérites
en plusieurs années. Leur
malice, leur expérience,
leurs ruses et leur nombre doivent
nous faire infiniment craindre ce
malheur, vu que des
personnes plus pleines de grâces,
plus riches en vertus, plus
fondées en expérience
et plus élevées en sainteté, ont été
surprises, volées et pillées
malheureusement. Ah! combien a-t-
on vu de cèdres du Liban
et d'étoiles du firmament tomber
misérablement et perdre toute
leur hauteur et leur clarté en
peu de temps! D'où vient
cet étrange changement? Ce n'a pas
été faute de grâce,
qui ne manque à personne, mais faute
d'humilité: ils se sont crus
capables de garder leurs trésors;
ils se sont fiés et appuyés
sur eux-mêmes; ils ont cru leur
maison assez sûre, et leurs
coffres assez forts pour garder le
précieux trésor de
la grâce, et c'est à cause de cet appui
imperceptible qu'ils avaient en
eux-mêmes (quoiqu'il leur
semblât qu'ils s'appuyaient
uniquement sur la grâce de Dieu),
que le Seigneur très juste
a permis qu'ils ont été volés, en
les délaissant à eux-mêmes.
Hélas! s'ils avaient connu la
dévotion admirable que je
montrerai dans la suite, ils
auraient confié leur trésor
à une Vierge puissante et fidèle,
qui le leur aurait gardé
comme son bien propre, et même s'en
serait fait un devoir de justice.
89. 3 Il est difficile de persévérer
dans la justice à cause
de la corruption étrange
du monde. Le monde est maintenant si
corrompu qu'il est comme nécessaire
que les coeurs religieux
en soient souillés, sinon
par sa boue, du moins par sa
poussière; en sorte que c'est
une espèce de miracle quand une
personne demeure ferme au milieu
de ce torrent impétueux sans
être entraînée,
au milieu de cette mer orageuse sans être
submergée ou pillée
par les pirates et les corsaires, au
milieu de cet air empesté,
sans en être endommagée; c'est la
Vierge uniquement fidèle
dans laquelle le serpent n'a jamais
eu de part, qui fait ce miracle
à l'égard de ceux et celles
[qui l'aiment] de la belle manière.
[B. MARQUES DE LA VERITABLE DEVOTION A MARIE]
90. Ces cinq vérités
présupposeées, il faut maintenant plus
que jamais faire un bon choix de
la vraie dévotion à la Très
Sainte Vierge: car il y a plus que
jamais de fausses
dévotions à la Sainte
Vierge, qu'il est facile de prendre pour
de véritables dévotions.
Le diable, comme un faux monnayeur et
un trompeur fin et expérimenté,
a déjà tant trompé et damné
d'âmes par une fausse dévotion
à la Très Sainte Vierge, qu'il
se sert tous les jours de son expérience
diabolique pour en
damner beaucoup d'autres, en les
amusant et endormant dans le
péché, sous prétexte
de quelques prières mal dites et de
quelques pratiques extérieures
qu'il leur inspire. Comme un
faux monnayeur ne contrefait ordinairement
que l'or et
l'argent et fort rarement les autres
métaux, parce qu'ils n'en
valent pas la peine, ainsi l'esprit
malin ne contrefait pas
tant les autres dévotions
que celles de Jésus et de Marie, la
dévotion à la Sainte
Communion et la dévotion à la Sainte
Vierge, parce qu'elles sont, parmi
les autres dévotions, ce
que sont l'or et l'argent parmi
les métaux.
91. Il est donc très important
de connaître, premièrement,
les fausses dévotions à
la Très Sainte Vierge pour les éviter,
et la véritable pour l'embrasser;
secondement, parmi tant de
pratiques différentes de
la vraie dévotion à la Sainte
Vierge, quelle est la plus parfaite,
la plus agréable à la
Sainte Vierge, la plus glorieuse
à Dieu et la plus
sanctifiante pour nous, afin de
nous y attacher.
[1. «FAUX DEVOTS ET FAUSSES DEVOTIONS A LA SAINTE VIERGE»]
92. Je trouve sept sortes de faux
dévots et de fausses
dévotions à la Sainte
Vierge, savoir: 1 les dévots critiques;
2 les dévots scrupuleux;
3 les dévots extérieurs; 4 les
dévots présomptueux;
5 les dévots insconstants; les dévots
hypocrites; 7 les dévots
intéressés.
[1. «Les dévots ctritiques»]
93. Les dévots critiques sont,
pour l'ordinaire, des savants
orgueilleux, des esprits forts et
suffisants, qui ont au fond
quelque dévotion à
la Sainte Vierge, mais qui critiquent
presque toutes les pratiques de
dévotion à la Sainte Vierge
que les gens simples rendent simplement
et saintement à cette
bonne Mère, parce qu'elles
ne reviennent pas à leur fantaisie.
Ils révoquent en doute tous
les miracles et histoires
rapportés par des auteurs
dignes de foi, ou tirés des
chroniques des ordres religieux,
qui font foi des miséricordes
et de la puissance de la Très
Sainte Vierge. Ils ne sauraient
voir qu'avec peine des gens simples
et humbles à genoux devant
un autel ou image de la Sainte Vierge,
quelquefois dans le
coin d'une rue pour y prier Dieu;
et ils les accusent
d'idolâtrie, comme s'ils adoraient
le bois ou la pierre; ils
disent que, pour eux, ils n'aiment
point ces dévotions
extérieures et qu'ils n'ont
pas l'esprit si faible que
d'ajouter foi à tant de contes
et historiettes qu'on débite de
la Sainte Vierge. Quand on leur
rapporte les louanges
admirables que les saints Pères
donnent à la Sainte Vierge, ou
ils répondent qu'ils ont
parlé en orateurs, par exagération,
ou ils donnent une mauvaise explication
à leurs paroles.
Ces sortes de faux dévots
et de gens orgueilleux et
mondains sont beaucoup à
craindre et ils font un tort infini à
la dévotion à la Très
Sainte Vierge, et en éloignent les
peuples d'une manière efficace,
sous prétexte d'en détruire
les abus.
[2. «Les dévots scrupuleux»]
94. Les devôts scrupuleux sont
des gens qui craignent de
déshonorer le Fils en honorant
la Mère, d'abaisser l'un en
élevant l'autre. Ils ne sauraient
souffrir qu'on donne à la
Sainte Vierge des louanges très
justes, que lui ont données
les saints Pères; ils ne
souffrent qu'avec peine qu'il y ait
plus de monde à genoux devant
un autel de la Sainte Vierge que
devant le Saint-Sacrement, come
si l'un était contraire à
l'autre; comme si ceux qui prient
la Sainte Vierge ne priaient
pas Jésus-Christ! Ils ne
veulent pas qu'on parle si souvent de
la Sainte Vierge et qu'on s'adresse
si souvent à elle.
Voici quelques sentences qui leur
sont ordinaires: A quoi
bon tant de chapelets, tant de confréries
et de dévotions
extérieures à la Sainte
Vierge. Il y a en cela bien de
l'ignorance. C'est faire une mômerie
de notre religion.
Parlez-moi de ceux qui sont dévots
à Jésus-Christ (ils le
nomment souvent sans se découvrir,
je le dis par parenthèse):
il faut recourir à Jésus-Christ,
il est notre unique
médiateur; il faut prêcher
Jésus-Christ, voilà le solide!
Ce qu'ils disent est vrai dans un
sens; mais par rapport
à l'application qu'ils en
font, pour empêcher la dévotion à la
Très Sainte Vierge, il est
très dangereux, et un fin piège du
malin, sous prétexte d'un
plus grand bien; car jamais on
n'honore plus Jésus-Christ
que lorsqu'on honore plus la Très
Sainte Vierge, puisqu'on ne l'honore
qu'afin d'honorer plus
parfaitement Jésus-Christ,
puisqu'on ne va à elle que comme à
la voie pour trouver le terme où
on va, qui est Jésus.
95. La Sainte Eglise, avec le Saint-Esprit,
bénit la Sainte
Vierge la première, et Jésus-Christ
le second: Benedicta tu in
mulieribus, et benedictus fructus
ventris tui, Jesus. Non pas
parce que la Sainte Vierge soit
plus que Jésus-Christ ou égale
à lui: ce serait une hérésie
intolérable; mais c'est que pour
bénir plus parfaitement Jésus-Christ,
il faut auparavant bénir
Marie. Disons donc avec tous les
vrais dévots de la Sainte
Vierge, contre ses faux dévots
scrupuleux: O Marie, vous êtes
bénie entre toutes les femmes,
et béni est le fruit de votre
ventre, Jésus.
[3. «Les dévots extérieurs»]
96. Les dévots extérieurs
sont des personnes qui font
consister toute la dévotion
à la Très Sainte Vierge en des
pratiques extérieures; qui
ne goûtent que l'extérieur de la
dévotion à la Très
Sainte Vierge, parce qu'ils n'ont point
d'esprit intérieur; qui diront
force chapelet à la hâte,
entendront plusieurs messes sans
attention, iront aux
processions sans dévotion,
se mettront de toutes ses
confréries sans amendement
de leur vie, sans violence à leurs
passions et sans imitation des vertus
de cette Vierge très
sainte. Ils n'aiment que le sensible
de la dévotion, sans en
goûter le solide; s'ils n'ont
pas de sensibilités dans leurs
pratiques, ils croient qu'ils ne
font plus rien, ils se
détractent, ils quittent
tout cela, ou il font tout à baton
rompu. Le monde est plein de ces
sortes de dévots extérieurs,
et il n'y a pas de gens plus critiques
des personnes d'oraison
qui s'appliquent à l'intérieur
comme à l'essentiel, sans
mépriser l'extérieur
de modestie qui accompagne toujours la
vraie dévotion.
[4. «Les dévots présomptueux»]
97. Les dévots présomptueux
sont des pécheurs abandonnés à
leurs passions, ou des amateurs
du monde, qui, sous le beau
nom de chrétien et de dévot
à la Sainte Vierge, cachent ou
l'orgueil, ou l'avarice, ou l'impureté,
ou l'ivrognerie, ou la
colère, ou le jurement, ou
la médisance, ou l'injustice, etc.;
qui dorment en paix dans leurs mauvaises
habitudes, sans se
faire beaucoup de violence pour
se corriger, sous prétexte
qu'ils sont dévots à
la Vierge; qui se promettent que Dieu
leur pardonnera, qu'ils ne mourront
pas sans confession, et
quils ne seront pas damnés,
parce qu'ils disent leur chapelet,
parce qu'ils jeûnent le samedi,
parce qu'ils sont de la
confrérie du Saint Rosaire
ou Scapulaire, ou de ses
congrégations, parce qu'ils
portent le petit habit ou la
petite chaîne de la Sainte
Vierge, etc.
Quand on leur dit que leur dévotion
n'est qu'une illusion
du diable et qu'une présomption
pernicieuse capable de les
perdre, ils ne le veulent pas croire;
ils disent que Dieu est
bon et miséricordieux; qu'il
ne nous a pas faits pour nous
damner; qu'il n'y a homme qui ne
pèche; qu'ils ne mourront pas
sans confession; qu'un bon peccavi
à la mort suffit; de plus
qu'ils sont dévots à
la Sainte Vierge; qu'ils portent le
scapulaire; qu'ils disent tous les
jours sans reproche et sans
vanité sept Pater et sept
Ave en son honneur; qu 'ils disent
même quelquefois le chapelet
et l'office de la Sainte Vierge;
qu'ils jeûnent, etc. Pour
confirmer ce qu'ils disent et
s'aveugler davantage, ils apportent
quelques histoires qu'ils
ont entendues ou lues en des livres,
vraies ou fausses,
n'importe pas, qui font foi que
des personnes mortes en péché
mortel, sans confession, parce qu'elles
avaient, pendant leur
vie, dit quelques prières
ou fait quelques pratiques de
dévotion à la Sainte
Vierge, ou ont été ressucitées pour se
confesser, ou leur âme a demeuré
miraculeusement dans leur
corps jusqu'à la confession,
ou par la miséricorde de la
Sainte Vierge, ont obtenu de Dieu,
à leur mort, la contrition
et le pardon de leur péchés,
et par là ont été sauvés, et
qu'ils espèrent la même
chose.
98. Rien n'est si damnable, dans
le christianisme, que cette
présomption diabolique; car
peut-on dire avec vérité qu'on
aime et qu'on honore la Sainte Vierge,
lorsque, par ses
péchés, on pique,
on perce, on crucifie et on outrage
impitoyablement Jésus-Christ
son Fils? Si Marie se faisait une
loi de sauver par sa miséricorde
ces sortes de gens, elle
autoriserait le crime, elle aiderait
à crucifier et outrager
son Fils; qui l'oserait jamais penser?
99. Je dis qu'abuser ainsi de la
dévotion à la Très Sainte
Vierge, qui, après la dévotion
à Notre-Seigneur au Très Saint-
Sacrement, est la plus sainte et
la plus solide, c'est
commettre un horrible sacrilège,
qui, après le sacrilège de
l'indigne communion, est le plus
grand et le moins
pardonnable.
J'avoue que, pour être vraiment
dévot à la Sainte Vierge,
il n'est pas absolument nécessaire
d'être si saint qu'on évite
tout péché, quoiqu'il
fût à souhaiter; mais il faut du moins
(qu'on remarque bien ce que je vais
dire):
Premièrement être dans
une sincère résolution d'éviter au
moins tout péché mortel,
qui outrage la Mère aussi bien que le
Fils;
Secondement se faire violence pour
éviter le péché;
Troisièmement, se mettre
des confréries, réciter le
chapelet, le saint rosaire ou autres
prières, jeûner le
samedi, etc.
100. Cela est merveilleusement utile
à la conversion d'un
pécheur, même endurci;
et si mon lecteur est tel, et quand il
aurait un pied dans l'abîme,
je le lui conseille, mais à
condition qu'il ne pratiquera ces
bonnes oeuvres que dans
l'intention d'obtenir de Dieu, par
l'intercession de la Sainte
Vierge, la grâce de la contrition
et du pardon de ses péchés,
et de vaincre ses mauvaises habitudes,
et non pas pour
demeurer paisiblement dans l'état
du péché, contre les remords
de sa conscience, l'exemple de Jésus-Christ
et des saints, et
les maximes du saint Evangile.
[5. «Les dévots inconstants»]
101. Les dévots inconstants
sont ceux qui sont dévots à la
Sainte Vierge par intervalles et
par boutades: tantôt ils sont
fervents et tantôt ils sont
tièdes, tantôt ils paraissent
prêts de tout faire pour son
service, et puis, peu après, ils
ne sont plus les mêmes. Ils
embrasseront d'abord toutes les
dévotions de la Sainte Vierge;
il se mettront de ses
confréries, et puis il n'en
pratiquent point les règles avec
fidélité; ils changent
comme la lune, et Marie les met sous
ses pieds, avec le croissant, parce
qu'ils sont changeants et
indignes d'être comptés
parmi les serviteurs de cette Vierge
fidèle, qui ont la fidélité
et la constance pour partage. Il
vaut mieux ne pas se charger de
tant de prières et pratiques
de dévotion, et en faire
peu avec amour et fidélité, malgré le
monde, le diable et la chair.
[6. «Les dévots hypocrites»]
102. Il y a encore de faux dévots
à la Sainte Vierge, qui sont
des dévots hypocrites, qui
couvrent leurs péchés et leurs
mauvaises habitudes sous le manteau
de cette Vierge fidèle,
afin de passer aux yeux des hommes
pour ce qu'ils ne sont pas.
[7. «Les dévots intéressés»]
103. Il y a encore des dévots
intéressés, qui ne recourent à
la Sainte Vierge que pour gagner
quelque procès, pour éviter
quelque péril, pour guérir
d'une maladie, ou pour quelque
autre besoin de la sorte, sans quoi
ils l'oublieraient; et les
uns et les autres sont de faux dévots,
qui ne sont point de
mise devant Dieu ni sa sainte Mère.
104. Prenons donc bien garde d'être
du nombre des dévots
critiques, qui ne croient rien et
critiquent tout; des dévots
scrupuleux, qui craignent d'être
trop dévots à la Sainte
Vierge, par respect à Jésus-Christ;
des dévots extérieurs, qui
font consister toute leur dévotion
en des pratiques
extérieures; des dévots
présomptueux, qui, sous prétexte de
leur fausse dévotion à
la Sainte Vierge, croupissent dans
leurs péchés; des
dévots inconstants, qui, par légèreté,
changent leurs pratiques de dévotion,
ou les quittent tout à
fait à la moindre tentation;
des dévots hypocrites, qui se
mettent des confréries et
portent les livrées de la Sainte
Vierge afin de passer pour bons;
et enfin des dévots
intéressés, qui n'ont
recours à la Sainte Vierge que pour être
délivrés des maux
du corps ou obtenir des biens temporels.
[2. MARQUES DE LA VERITABLE DEVOTION A LA SAINTE VIERGE]
105. Après avoir découvert
et condamné les fausses dévotions à
la Sainte Vierge, il faut en peu
de mots établir la véritable,
qui est: 1 intérieure; 2
tendre; 3 sainte; 4 constante et
5 désintéressée.
[1. «La vraie dévotion est intérieure»]
106. Premièrement, la vraie
dévotion à la Sainte Vierge est
intérieure, c'est-à-dire
elle part de l'esprit et du coeur,
elle vient de l'estime qu'on fait
de la Sainte Vierge, de la
haute idée qu'on s'est formée
de ses grandeurs, de l'amour
qu'on lui porte.
[2. «La vraie dévotion est tendre»]
107. Secondement, elle est tendre,
c'est-à-dire pleine de
confiance en la Très Sainte
Vierge, comme d'un enfant dans sa
bonne mère. Elle fait qu'une
âme recourt à elle en tous ses
besoin de corps et d'esprit, avec
beaucoup de simplicité, de
confiance et de tendresse; elle
implore l'aide de sa bonne
Mère en tout temps, en tout
lieu et en toute chose: dans ses
doutes, pour être redressée;
dans ses tentations, pour être
soutenue; dans ses faiblesses, pour
être fortifiée; dans ses
chutes, pour être relevée;
dans ses découragements, pour être
encouragée; dans ses scrupules,
pour en être ôtée; dans ses
croix, travaux et traverses de la
vie, pour être consolée.
Enfin, en tous ses maux de corps
et d'esprit, Marie est son
recours ordinaire, sans crainte
d'importuner cette bonne Mère
et de déplaire à Jésus-Christ.
[3. «La vraie dévotion est sainte»]
108. Troisièmement, la vraie
dévotion à la Sainte Vierge est
sainte, c'est-à-dire qu'elle
porte une âme à éviter le péché
et imiter les vertus de la Très
Sainte Vierge,
particulièrement son humilité
profonde, sa foi vive, son
obéissance aveugle, son oraison
continuelle, sa mortification
universelle, sa pureté divine,
sa charité ardente, sa patience
héroïque, sa douceur
angélique et sa sagesse divine. Ce sont
les dix principales vertus de la
Très Sainte Vierge.
[4. «La vraie dévotion est constante»]
109. Quatrièmement la vraie
dévotion à la Sainte Vierge est
constante, elle affermit une âme
dans le bien, et elle la
porte à ne pas quitter facilement
ses pratiques de dévotion;
elle la rend courageuse à
s'opposer au monde, dans ses modes
et maximes; à la chair, dans
ses ennuis et ses passions; au
diable, dans ses tentations; en
sorte qu'une personne vraiment
dévote à la Sainte
Vierge n'est point changeante, chagrine,
scrupuleuse ni craintive. Ce n'est
pas qu'elle ne tombe et
qu'elle ne change quelquefois dans
la sensibilité de sa
dévotion; mais si elle tombe,
elle se relève en tendant la
main à sa bonne Mère;
si elle devient sans goût ni dévotion
sensible, elle ne s'en met point
en peine: car le juste et le
dévot fidèle de Marie
vit de la foi de Jésus et de Marie, et
non des sentiments du corps.
[5. «La vraie dévotion est désintéressée»]
110. Cinquièmement enfin,
la vraie dévotion à la Sainte Vierge
est désintéressée,
c'est-à-dire qu'elle inspire à une âme de
ne se point rechercher, mais Dieu
seul dans sa sainte Mère. Un
vrai dévot de Marie ne sert
pas cette auguste Reine par un
esprit de lucre et d'intérêt,
ni pour son bien temporel ni
éternel, corporel ni spirituel,
mais uniquement parce qu'elle
mérite d'être servie,
et Dieu seul en elle; il n'aime pas
Marie précisément
parce qu'elle lui fait du bien, ou qu'il en
espère d'elle, mais parce
qu'elle est aimable. C'est pourquoi
il l'aime et la sert aussi fidèlement
dans les dégoûts et
sécheresses que dans les
douceurs et ferveurs sensibles; il
l'aime autant sur le Calvaire qu'aux
noces de Cana. Oh! qu'un
tel dévot de la Sainte Vierge,
qui ne se recherche en rien
dans les services qu'il lui rend,
est agréable et précieux aux
yeux de Dieu et de sa Sainte Mère!
Mais qu'il est rare
maintenant! C'est afin qu'il ne
soit plus si rare que j'ai mis
la plume à la main pour écrire
sur le papier ce que j'ai
enseigné avec fruit en public
et en particulier dans mes
missions, pendant bien des années.
111. J'ai déjà dit
beaucoup de choses de la Très Sainte
Vierge; mais j'ai encore beaucoup
plus à dire, et j'en
omettrai encore infiniment davantage,
soit par ignorance,
insuffisance, ou défaut de
temps, dans le dessein que j'ai de
former un vrai dévot de Marie
et un vrai disciple de Jésus-
Christ.
112. Oh! que ma peine serait bien
employée si ce petit écrit,
tombant entre les mains d'une âme
bien née, née de Dieu et de
Marie, et non du sang, de la volonte
de la chair, ni de la
volonté de l'homme, lui découvrait
et inspirait, par la grâce
du Saint-Esprit, l'excellence et
le prix de la vraie et solide
dévotion à la Très
Sainte Vierge, que je vais décrire
présentement! Si je savais
que mon sang criminel pût servir à
faire entrer dans le coeur les vérités
que j'écris en
l'honneur de ma chère Mère
et souveraine Maîtresse, dont je
suis le dernier des enfants et des
esclaves, au lieu d'encre,
je m'en servirais pour former ces
caractères, dans l'espérance
que j'ai de trouver de bonnes âmes,
qui par leur fidélité à la
pratique que j'enseigne, dédommageront
ma chère Mère et
Maîtresse des pertes qu'elle
a faites par mon ingratitude et
infidélité.
113. Je me sens plus que jamais animé
à croire et à espérer
tout ce que j'ai profondément
gravé dans le coeur, et que je
demande à Dieu depuis bien
des années, savoir: que tôt ou tard
la Très Sainte Vierge aura
plus d'enfants, de serviteurs et
d'esclaves d'amour que jamais, et
que par ce moyen, Jésus-
Christ, mon cher Maître, règnera
dans les coeurs plus que
jamais.
114. Je prévois bien des bêtes
frémissantes, qui viennent en
furie pour déchirer avec
leurs dents diaboliques ce petit
écrit et celui dont le Saint-Esprit
s'est servi pour l'écrire,
ou du moins pour l'envelopper dans
les ténèbres et le silence
d'un coffre, afin qu'il ne paraisse
point; ils attaqueront
même et persécuteront
ceux et celles qui le liront et
réduiront en pratique. Mais
n'importe! mais tant mieux! Cette
vue m'encourage et me fait espérer
un grand succès, c'est-à-
dire un grand escadron de braves
et vaillants soldats de Jésus
et de Marie, de l'un et l'autre
sexe, pour combattre le monde,
le diable et la nature corrompue,
dans les temps périlleux qui
vont arriver plus que jamais.
Qui legit, intelligat. Qui potest
capere, capiat.
[C. «PRINCIPALES PRATIQUES DE DEVOTION A MARIE»]
115. Il y a plusieurs pratiques intérieures
de la vraie
dévotion à la Très
Sainte Vierge, dont voici les principales
en abrégé:
1 L'honorer comme la digne Mère
de Dieu, du culte
d'hyperdulie, c'est-à-dire
l'estimer et l'honorer par-dessus
tous les autres saints, comme le
chef-d'oeuvre de la grâce et
la première après
Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme; 2
méditer ses vertus, ses privilèges
et ses actions; 3
contempler ses grandeurs; 4 lui
faire des actes d'amour, de
louange et de reconnaissance; 5
l'invoquer cordialement; 6
s'offrir et s'unir à elle;
7 faire ses actions en vue de lui
plaire; 8 commencer, continuer et
finir toutes ses actions
par elle, en elle, avec elle [et
pour elle], afin de les faire
par Jésus-Christ, en Jésus-Christ,
avec Jésus-Christ et pour
Jésus-Christ, notre dernière
fin. Nous expliquerons cette
dernière pratique.
116. La vraie dévotion à
la Sainte Vierge a aussi plusieurs
pratiques extérieures dont
voici les principales:
1 S'enrôler dans ses confréries
et entrer dans ses
congrégations; 2 entrer dans
les religions instituées en son
honneur; 3 publier ses louanges;
4 faire des aumônes, jeûnes
et mortification d'esprit ou de
corps en son honneur; 5
porter sur soi ses livrées,
comme le saint rosaire ou le
chapelet, le scapulaire ou la chaînette;
6 réciter avec
attention, dévotion et modestie
ou le saint rosaire composé de
quinze dizaines d'Ave Maria en l'honneur
des quinze principaux
mystères de Jésus-Christ,
ou le chapelet de cinq dizaines, qui
est le tiers du rosaire, ou en l'honneur
des cinq mystères
joyeux, qui sont: l'Annonciation,
la Visitation, la Nativité
de Jésus-Christ, la Purification
et le Recouvrement de Jésus-
Christ au Temple; ou en l'honneur
des cinq mystères
douloureux, qui sont: l'Agonie de
Jésus-Christ au jardin des
Olives, sa Flagellation, son Couronnement
d'épines, son
Portement de Croix et son Crucifement;
ou en l'honneur des
cinq mystères glorieux, qui
sont: la Résurrection de Jésus-
Christ, son Ascension, la Descente
du Saint-Esprit ou la
Pentecôte, l'Assomption de
la Sainte Vierge en corps et en âme
dans le ciel, et son Couronnement
par les trois personnes de
la très sainte Trinité.
On peut dire aussi un chapelet de six
ou sept dizaines en l'honneur des
années qu'on croit que la
Sainte Vierge a vécu sur
la terre; ou la petite couronne de la
Sainte Vierge, composée de
trois Pater et douze Ave, en
l'honneur de sa couronne de douze
étoiles ou privilèges; ou
l'office de la Sainte Vierge, si
universellement reçu et
recité dans l'Eglise; ou
le petit psautier de la Sainte
Vierge, que saint Bonaventure a
fait en son honneur, et qui
est si tendre et si dévot,
qu'on ne peut le réciter sans en
être attendri; ou quatorze
Pater et Ave en l'honneur de ses
quatorze allégresses; ou
quelques autres prières, hymnes et
cantiques de l'Eglise, comme le
Salve Regina, l'Alma, l'Ave
Regina coelorum, ou le Regina coeli,
selon les différents
temps; ou l'Ave maris stella, O
gloriosa Domina, etc., ou le
Magnificat ou quelques autres prières
de dévotion, dont les
livres sont pleins; 7 chanter et
faire chanter en son honneur
des cantiques spirituels; 8 lui
faire un nombre de
génuflexions ou révérences,
en lui disant par exemple, tous
les matins, soixante ou cent fois:
Ave Maria, Virgo fidelis,
pour obtenir de Dieu par elle la
fidélité aux grâces de Dieu
pendant la journée; et le
soir, Ave Maria, Mater
misericordiae, pour demander pardon
à Dieu par elle des péchés
qu'on a commis pendant la journée;
9 avoir soin de ses
confréries, orner ses autels,
couronner ou embellir ses
images; 10 porter et faire porter
ses images en procession,
et en porter une sur soi, comme
une arme puissante contre le
malin; 11 faire faire ses images
ou son nom, et les placer ou
dans les églises, ou dans
les maisons, ou sur les portes et
entrées des villes, des églises
et des maisons; 12 se
consacrer à elle d'une manière
spéciale et solennelle.
117. Il y a une quantité d'autres
pratiques de la vraie
dévotion à la Très
Sainte Vierge, que le Saint-Esprit a
inspirées aux saintes âmes,
qui sont très sanctifiantes; on
les pourra lire plus au long dans
le Paradis ouvert à
Philagie, composé par le
R. Père Paul Barry, de la Compagnie
de Jésus, où il a
recueilli un grand nombre de dévotions que
les saints ont pratiquées
en l'honneur de la Très Sainte
Vierge, lesquelles dévotions
servent merveilleusement à
sanctifier les âmes, pourvu
qu'elles soient faites comme il
faut, c'est-à-dire:
1 avec une bonne et droite intention
de plaire à Dieu
seul, de s'unir à Jésus-Christ
comme à sa fin dernière, et
d'édifier le prochain; 2
avec attention, sans distraction
volontaire; 3 avec dévotion,
sans empressement ni négligence;
4 avec modestie et composition de
corps respectueuse et
édifiante.
[D. LA PARFAITE PRATIQUE DE DEVOTION A MARIE]
118. Après tout, je proteste
hautement qu'ayant lu presque
tous les livres qui traitent de
la dévotion à la Très Sainte
Vierge, et ayant conversé
familièrement avec les plus saints
et savants personnages de ces derniers
temps, je n'ai point
connu ni appris de pratique de dévotion
envers la Sainte
Vierge semblable à celle
que je veux dire, qui exige d'une âme
plus de sacrifices pour Dieu, qui
la vide plus d'elle même et
de son amour-propre, qui la conserve
plus fidèlement dans la
grâce, et la grâce en
elle, qui l'unisse plus parfaitement et
plus facilement à Jésus-Christ,
et enfin qui soit plus
glorieuse à Dieu, sanctifiante
pour l'âme et utile au
prochain.
119. Comme l'essentiel de cette dévotion
consiste dans
l'intérieur qu'elle doit
former, elle ne sera pas également
comprise de tout le monde: quelques-uns
s'arrêteront à ce
qu'elle a d'extérieur, et
ne passeront pas outre, et ce sera
le plus grand nombre; quelques-uns,
en petit nombre, entreront
dans son intérieur, mais
ils n'y monteront qu'un degré. Qui
est-ce qui montera au second? Qui
parviendra jusqu'au
troisième? Enfin, qui est
celui qui y sera par état? Celui-là
seul, à qui l'Esprit de Jésus-Christ
révélera ce secret, et y
conduira lui-même l'âme
bien fidèle pour avancer de vertus en
vertus, de grâce en grâce,
et de lumières en lumières pour
arriver jusqu'à la transformation
de soi-même en Jésus-Christ,
et à la plénitude
de son âge sur la terre et de sa gloire dans
le ciel.
[1.] LA PARFAITE CONSECRATION A JESUS-CHRIST
120. Toute notre perfection consistant
à être conformes, unis
et consacrés à Jésus-Christ,
la plus parfaite de toutes les
dévotions est sans difficulté
celle qui nous conforme, unit et
consacre le plus parfaitement à
Jésus-Christ. Or, Marie étant
la plus conforme à Jésus-Christ
de toutes les créatures, il
s'ensuit que, de toutes les dévotions,
celle qui consacre et
conforme le plus une âme à
Notre-Seigneur, est la dévotion à
la Très Sainte Vierge, sa
sainte Mère, et que plus une âme
sera consacrée à Marie,
plus elle le sera à Jésus-Christ.
C'est pourquoi la parfaite consécration
à Jésus-Christ
n'est autre chose qu'une parfaite
et entière consécration de
soi-même à la Très
Sainte Vierge, qui est la dévotion que
j'enseigne; ou autrement une parfaite
rénovation des voeux et
promesses du saint baptême.
121. Cette dévotion consiste
donc à se donner tout entier à la
Très Sainte Vierge, pour
être tout entier à Jésus-Christ par
elle. Il faut lui donner: 1 notre
corps avec tous ses sens et
ses membres; 2 notre âme avec
toutes ses puissances; 3 nos
biens extérieurs qu'on appelle
de fortune, présents et à
venir; 4 nos biens intérieurs
et spirituels, qui sont nos
mérites, nos vertus et nos
bonnes oeuvres passées, présentes
et futures: en deux mots, tout ce
que nous avons dans l'ordre
de la nature et dans l'ordre de
la grâce, et tout ce que nous
pourrons avoir à l'avenir
dans l'ordre de la nature, de la
grâce ou de la gloire, et
cela sans aucune réserve, pas même
d'un denier, d'un cheveu et de la
moindre bonne action, et
cela pour toute l'éternité,
et cela sans prétendre ni espérer
aucune autre récompense de
son offrande et de son service, que
l'honneur d'appartenir à
Jésus-Christ par elle, quand cette
aimable Maîtresse ne serait
pas, comme elle est toujours, la
plus libérale et la plus
reconnaissante des créatures.
122. Ici, il faut remarquer qu'il
y a deux choses dans les
bonnes oeuvres que nous faisons,
savoir: la satisfaction et le
mérite, autrement, la valeur
satisfactoire ou impétratoire et
la valeur méritoire. La valeur
satisfactoire ou impétratoire
d'une bonne oeuvre, c'est une bonne
action en tant qu'elle
satisfait à la peine dûe
au péché, ou qu'elle obtient quelque
nouvelle grâce; la valeur
méritoire, ou le mérite, est une
bonne action en tant qu'elle mérite
la grâce et la gloire
éternelle. Or, dans cette
consécration de nous-mêmes à la Très
Sainte Vierge, nous lui donnons
toute la valeur satisfactoire,
impétratoire et méritoire,
autrement les satisfactions et les
mérites de toutes nos bonnes
oeuvres: nous lui donnons nos
mérites, nos grâces
et nos vertus, non pas pour les
communiquer à d'autres (car
nos mérites, grâces et vertus
sont, à proprement parler,
incommunicables; et il n'y a eu que
Jésus-Christ qui, en se faisant
notre caution auprès de son
Père, nous a pu communiquer
ses mérites), mais pour nous les
conserver, augmenter et embellir,
comme nous dirons encore;
nous lui donnons nos satisfactions
pour les communiquer à qui
bon lui semblera, et pour la plus
grande gloire de Dieu.
123. Il s'ensuit de là: 1
que par cette consécration on donne
à Jésus-Christ, de
la manière la plus parfaite, puisque c'est
par les mains de Marie, tout ce
qu'on peut lui donner, et
beaucoup plus que par les autres
dévotions, où on lui donne ou
une partie de son temps, ou une
partie de ses bonnes oeuvres,
ou une partie de ses satisfactions
et mortifications. Ici tout
est donné et consacré,
jusqu'au droit de disposer de ses biens
intérieurs, et les satisfactions
qu'on gagne par ses bonnes
oeuvres de jour en jour: ce qu'on
ne fait pas même dans aucune
religion. On donne à Dieu
dans les religions les biens de
fortune par le voeu de pauvreté,
les biens du corps par le
voeu de chasteté, la propre
volonté par le voeu d'obéissance,
et quelquefois la liberté
du corps par le voeu de clôture;
mais on ne lui donne pas la liberté
ou le droit qu'on a de
disposer de la valeur de ses bonnes
oeuvres, et on ne se
dépouille pas autant qu'on
peut de ce que l'homme chrétien a
de plus précieux et de plus
cher, qui sont ses mérites et ses
satisfactions.
124. 2 Il s'ensuit qu'une personne
qui s'est ainsi
volontairement consacrée
et sacrifiée à Jésus-Christ par Marie
ne peut plus disposer de la valeur
d'aucune de ses bonnes
actions: tout ce qu'il souffre,
tout ce qu'il pense, dit et
fait de bien, appartient à
Marie, afin qu'elle en dispose
selon la volonté de son Fils,
et à sa plus grande gloire, sans
cependant que cette dépendance
préjudicie en aucune manière
aux obligations de l'état
où l'on est pour le présent, et où
on pourra être pour l'avenir:
par exemple, aux obligations
d'un prêtre qui, par office
ou autrement, doit appliquer la
valeur satisfactoire et impétratoire
de la sainte Messe à un
particulier; car on ne fait cette
offrande que selon l'ordre
de Dieu et les devoirs de son état.
125. 3 Il s'ensuit qu'on se consacre
tout ensemble à la Très
Sainte Vierge et à Jésus-Christ:
à la Très Sainte Vierge comme
au moyen parfait que Jésus-Christ
a choisi pour s'unir à nous
et nous à lui; et à
Notre-Seigneur comme à notre dernière fin,
auquel nous devons tout ce que nous
sommes, comme à notre
Rédempteur et à notre
Dieu.
126. J'ai dit que cette dévotion
pouvait fort bien être
appelée une parfaite rénovation
des voeux ou promesses du
saint baptême.
Car tout chrétien, avant
son baptème, était l'esclave du
démon, parce qu'il lui appartenait.
Il a, dans son baptême,
par sa bouche propre ou par celle
de son parrain et de sa
marraine, renoncé solennellement
à Satan, à ses pompes et à
ses oeuvres, et a pris Jésus-Christ
pour son Maître et
souverain Seigneur, pour dépendre
de lui en qualité d'esclave
d'amour. C'est ce qu'on fait par
la présente dévotion: on
renonce (comme il est marqué
dans la formule de consécration),
au démon, au monde, au péché
et à soi-même, et on se donne
tout entier à Jésus-Christ
par les mains de Marie. Et même on
fait quelque chose de plus, car
dans le baptême, on parle
ordinairement par la bouche d'autrui,
savoir par le parrain et
la marraine, et on ne se donne à
Jésus-Christ [que] par
procureur; mais, dans cette dévotion,
c'est par soi-même,
c'est volontairement, c'est avec
connaissance de cause.
Dans le saint baptême, on
ne [se] donne pas à Jésus-
Christ par les mains de Marie, du
moins d'une manière
expresse, et on ne donne pas à
Jésus-Christ la valeur de ses
bonnes actions; mais, par cette
dévotion, on se donne
expressément à Notre-Seigneur
par les mains de Marie, et on
lui consacre la valeur de toutes
ses actions.
127. Les hommes, dit saint Thomas,
font voeu, au saint baptême
de renoncer au diable et à
ses pompes: In baptismum vovent
homines abrenuntiare diabolo et
pompis ejus. Et ce voeu, dit
saint Augustin, est le plus grand
et le plus indispensable :
Votum maximum nostrum quo vovimus
nos in Christo esse mansuros
(Epis. 59 ad Paulin). C'est aussi
ce que disent les
canonistes: Principuum votum est
quod baptismate facimus.
Cependant, qui est-ce qui garde
ce grand voeu? Qui est-ce qui
tient fidèlement les promesses
du saint baptême? Presque tous
les chrétiens ne faussent-ils
pas la fidélité qu'ils ont
promise à Jésus-Christ
dans leur baptême? D'où peut venir ce
dérèglement universel,
sinon l'oubli où l'on vit des promesses
et des engagements du saint baptême,
et de ce que presque
persone ne ratifie par soi-même
le contrat d'alliance qu'il a
fait avec Dieu par ses parrains
et marraines!
128. Cela est si vrai que le Concile
de Sens, convoqué par
l'ordre de Louis le Débonnaire
pour remédier aux désordres des
chrétiens qui étaient
grands, jugea que la principale cause de
cette corruption dans les moeurs
venait de l'oubli et
l'ignorance où l'on vivait
des engagements du saint baptême;
et il ne trouva point de meilleur
moyen de remédier à un si
grand mal que de porter les chrétiens
à renouveler les voeux
et promesses du saint baptême.
129. Le Catéchisme du Concile
de Trente, fidèle interprète des
intentions de ce saint concile,
exhorte les curés à faire la
même chose et à porter
leurs peuples à se ressouvenir qu'ils
sont liés et consacrés
à Notre-Seigneur Jésus-Christ comme des
esclaves à leur Rédempteur
et Seigneur. Voici ses paroles:
Parochus fidelem populum ad eam
rationem cohortabitur ut sciat
[...] aequum esse nos ipsos, non
secus ac mancipia Redemptori
nostro et Domino in perpetuum addicere
et consecrare (Cat.
Conc. Trid., pte I,c.3).
130. Or, si les Conciles, les Pères
et l'expérience même nous
montrent que le meilleur moyen pour
remédier aux dérèglements
des chrétiens est de les
faire ressouvenir des obligations de
leur baptême et de leur faire
renouveler les voeux qu'ils y
ont faits, n'est-il pas raisonnable
qu'on le fasse
présentement d'une manière
parfaite par cette dévotion et
consécration à Notre-Seigneur
par sa sainte Mère? Je dis d'une
manière parfaite, parce qu'on
se sert, pour se consacrer à
Jésus-Christ, du plus parfait
de tous les moyens, qui est la
Très Sainte Vierge.
131. On ne peut pas objecter que
cette dévotion soit nouvelle
ou indifférente: elle n'est
pas nouvelle, puisque les
conciles, les Pères et plusieurs
auteurs anciens et nouveaux
parlent de cette consécration
à Notre-Seigneur ou rénovation
des voeux du saint baptême
comme d'une chose anciennement
pratiquée, et qu'ils conseillent
à tous les chrétiens; elle
n'est pas indifférente, puisque
la principale source des
désordres, et par conséquent
de la damnation des chrétiens,
vient de l'oubli et de l'indifférence
pour cette pratique.
132. Quelques-uns peuvent dire que
cette dévotion, nous
faisant donner à Notre-Seigneur,
par les mains de la Très
Sainte Vierge, la valeur de toutes
nos bonnes oeuvres, prières
et mortifications et aumônes,
elle nous met dans l'impuissance
de secourir les âmes de nos
parents, amis et bienfaiteurs.
Je leur répond, premièrement,
qu'il n'est pas croyable
que nos amis, parents ou bienfaiteurs
souffrent du dommage de
ce que nous nous sommes dévoués
et consacrés sans réserve au
service de Notre-Seigneur et de
sa sainte Mère. Ce serait
faire injure à la puissance
et à la bonté de Jésus et de
Marie, qui sauront bien assister
nos parents, amis et
bienfaiteurs de notre petit revenu
spirituel, ou par d'autres
voies.
Secondement, cette pratique n'empêche
point qu'on ne prie
pour les autres, soit morts, soit
vivants, quoique
l'application de nos bonnes oeuvres
dépende de la volonté de
la Très Sainte Vierge; c'est
au contraire ce qui nous portera
à prier avec plus de confiance;
tout ainsi qu'une personne
riche qui aurait donné tout
son bien à un grand prince, afin
de l'honorer davantage, prierait
avec plus de confiance ce
prince de faire l'aumône à
quelqu'un de ses amis qui la lui
demanderait. Ce serait même
faire plaisir à ce prince que de
lui donner l'occasion de témoigner
sa reconnaissance envers
une personne qui s'est dépouillée
pour le revêtir, qui s'est
appauvrie pour l'honorer. Il faut
dire la même chose de Notre-
Seigneur et de la Sainte Vierge:
ils ne se laisseront jamais
vaincre en reconnaissance.
133. Quelqu'un dira peut-être:
Si je donne à la Très Sainte
Vierge tout la valeur de mes actions
pour l'appliquer à qui
elle voudra, il faudra peut-être
que je souffre longtemps en
purgatoire.
Cette objection, qui vient de l'amour-propre
et de
l'ignorance de la libéralité
de Dieu et de sa sainte Mère, se
détruit d'elle-même.
Une âme fervente et généreuse qui prise
plus les intérêts de
Dieu que les siens, qui donne à Dieu tout
ce qu'elle a, sans réserve,
en sorte qu'elle ne peut pas plus,
non plus ultra, qui ne respire que
la gloire et le règne de
Jésus-Christ par sa sainte
Mère, et qui se sacrifie tout
entière pour le gagner; cette
âme généreuse, dis-je, et
libérale, sera-t-elle plus
punie en l'autre monde pour avoir
été plus libérale
et plus désintéressée que les autres? Tant
s'en faut: c'est à cette
âme, comme nous verrons dans la
suite, que Notre-Seigneur et sa
sainte Mère sont très libéraux
dans ce monde et dans l'autre, dans
l'ordre de la nature, de
la grâce et de la gloire.
134. Il faut maintenant que nous
voyions, le plus brièvement
que nous pourrons, les motifs qui
nous doivent rendre cette
dévotion recommendable, les
effets merveilleux qu'elle produit
dans les âmes fidèles,
et les pratiques de cette dévotion.
[2. «LES MOTIFS QUI NOUS DOIVENT
RENDRE CETTE DEVOTION
RECOMMANDABLE»]
[Cette dévotion nous livre entièrement au service de Dieu]
135. Premier motif, qui nous montre
l'excellence de cette
consécration de soi-même
à Jésus-Christ par les mains de
Marie.
Si on ne peut concevoir sur la terre
d'emploi plus relevé
que le service de Dieu; si le moindre
serviteur de Dieu est
plus riche, plus puissant et plus
noble que tout les rois et
les empereurs de la terre, s'ils
ne sont pas serviteurs de
Dieu, quelles sont les richesses,
la puissance et la dignité
du fidèle et parfait serviteur
de Dieu, qui sera dévoué à son
service, entièrement, sans
réserve et autant qu'il le peut
être! Tel est un fidèle
et amoureux esclave de Jésus en Marie,
qui s'est donné tout entier
au service de ce Roi des rois, par
les mains de sa sainte Mère,
et qui n'a rien réservé pour soi-
même: tout l'or de la terre
et les beautés des cieux ne
peuvent pas le payer.
136. Les autres congrégations,
associations et confréries
érigées en l'honneur
de Notre-Seigneur et de sa sainte Mère,
qui font de si grands biens dans
le christianisme, ne font pas
donner tout sans réserve;
elles ne prescrivent à leurs
associés que de certaines
pratiques et actions pour satisfaire
à leur obligations; elles
les laissent libres pour toutes les
autres actions et les autres temps
de leur vie. Mais cette
dévotion ici fait donner
sans réserve à Jésus et à Marie
toutes ses pensées, paroles,
actions et souffrances, et tous
les temps de sa vie; en sorte que,
soit qu'il veille ou qu'il
dorme, soit qu'il boive ou qu'il
mange, soit qu'il fasse les
actions les plus grandes, soit qu'il
fasse les plus petites,
il est toujours vrai de dire que
ce qu'il fait, quoiqu'il n'y
pense pas, est à Jésus
et à Marie en vertu de son offrande, à
moins qu'il ne l'ait expressément
rétractée. Quelle
consolation!
137. De plus, comme j'ai déjà
dit, il n'y a aucune autre
pratique que celle-ci par laquelle
on se défasse facilement
d'une certaine propriété,
qui se glisse imperceptiblement dans
les meilleures actions; et notre
bon Jésus donne cette grande
grâce en récompense
de l'action héroïque et désintéressée
qu'on a faite, en lui faisant, par
les mains de sa sainte
Mère, une cession de toute
la valeur de ses bonnes oeuvres.
S'il donne un centuple, même
en ce monde, à ceux qui, pour son
amour, quittent les biens extérieurs,
temporels et
périssables, quel sera le
centuple qu'il donnera à celui qui
lui sacrifiera même ses biens
intérieurs et spirituels!
138. Jésus, notre grand ami,
s'est donné à nous sans réserve,
corps et âme, vertus, grâces
et mérites: Se toto totum me
comparavit, dit saint Bernard: Il
m'a gagné tout entier en se
donnant tout à moi; n'est-il
pas de la justice et de la
reconnaissance que nous lui donnions
tout ce que nous pouvons
lui donner? Il a été
libéral envers nous le premier; soyons-le
les seconds, et nous l'éprouverons
pendant notre vie, à notre
mort et dans toute l'éternité,
encore plus libéral: Cum
liberali liberalis erit.
[Cette dévotion nous fait
imiter l'exemple donné par Jésus-
Christ et par Dieu lui-même,
et pratiquer l'humilité]
139. Second motif, qui nous montre
qu'il est juste en soi-même
et avantageux au chrétien
de se consacrer tout entier à la
Très Sainte Vierge par cette
pratique, afin d'être plus
parfaitement à Jésus-Christ.
Ce bon Maître n'a pas dédaigné
de se renfermer dans le
sein de la Sainte Vierge comme un
captif et un esclave
amoureux, et de lui être soumis
et obéissant pendant trente
années. C'est ici, je le
répète, que l'esprit humain se perd,
lorsqu'il fait une sérieuse
réflexion à cette conduite de la
Sagesse incarnée, qui n'a
pas voulu, quoiqu'elle le pût faire,
se donner directement aux hommes,
mais par la Très Sainte
Vierge; qui n'a pas voulu venir
au monde à l'âge d'un homme
parfait, indépendant d'autrui,
mais comme un pauvre et petit
enfant, dépendant des soins
et de l'entretien de sa sainte
Mère. Cette Sagesse infinie,
qui avait un désir immense de
glorifier Dieu son Père et
de sauver les hommes, n'a point
trouvé de moyen plus parfait
et plus court pour le faire que
de se soumettre en toutes choses
à la Très Sainte Vierge, non
seulement pendant les huit, dix
ou quinze années premières de
sa vie, comme les autres enfants,
mais pendant trente ans; et
elle a plus donné de gloire
à Dieu son Père, pendant tout ce
temps de soumission et de dépendance
de la Très Sainte Vierge,
qu'elle ne lui en eût donné
en employant ces trente ans à
faire des prodiges, à prêcher
par toute la terre, à convertir
tous les hommes; si autrement, elle
l'aurait fait. Oh! oh!
qu'on glorifie hautement Dieu en
se soumettant à Marie, à
l'exemple de Jésus!
Ayant devant nos yeux un exemple
si visible et si connu
de tout le monde, sommes-nous assez
insensés pour croire
trouver un moyen plus parfait et
plus court pour glorifier
Dieu que celui de se soumettre à
Marie, à l'exemple de son
Fils?
140. Qu'on [se] rappelle ici, pour
preuve de la dépendance que
nous devons avoir de la Très
Sainte Vierge, ce que j'ai dit
ci-cessus, en rapportant les exemples
que nous donnent le
Père, le Fils et le Saint-Esprit,
dans la dépendance que nous
devons avoir de la Très Sainte
Vierge. Le Père n'a donné et ne
donne son Fils que par elle, ne
se fait des enfants que par
elle, et ne communique ses grâces
que par elle; Dieu le Fils
n'a été formé
pour tout le monde et engendré que par elle dans
l'union au Saint-Esprit, et ne communique
ses mérites et ses
vertus que par elle; le Saint-Esprit
n'a formé Jésus-Christ
que par elle, ne forme les membres
de son Corps mystique que
par elle, et ne dispense ses dons
et faveurs que par elle.
Après tant et de si pressants
exemples de la très Sainte
Trinité, pouvons-nous, sans
un extrème aveuglement, nous
passer de Marie, et ne pas nous
consacrer à elle, et dépendre
d'elle pour aller à Dieu
et pour nous sacrifier à Dieu?
141. Voici quelques passsages latins
des Pères, que j'ai
choisi pour prouver ce que je viens
de dire:
Duo filii Mariae sunt, homo Deus
et homo purus; unius
corporaliter; et alterius spiritualiter
mater est Maria (Saint
Bonaventure et Origène).
Haec est voluntas Dei, qui totum
nos voluit habere per
Mariam; ac proinde, si quid spei,
si quid gratiae, si quid
salutis ab ea noverimus redundare
(saint Bernard).
Omnia dona, virtutes et gratiae
ipsius Spiritus Sancti,
quibus vult, quando vult, quomodo
vult et quantum vult per
ipsius manus administrantur (saint
Bernardin).
Qui indignus eras cui daretur, datum
est Mariae, ut per
eam acciperes quidquid haberes (saint
Bernard).
142. Dieu, voyant que nous sommes
indignes de recevoir ses
grâces immédiatement
de sa main, dit saint Bernard, il les
donne à Marie, afin que nous
ayons par elle tout ce qu'il veut
nous donner: et il trouve aussi
sa gloire à recevoir par les
mains de Marie la reconnaissance,
le respect et l'amour que
nous lui devons pour ses bienfaits.
Il est donc très juste que
nous imitions cette conduite de
Dieu, afin, dit le même saint
Bernard, que la grâce retourne
à son auteur par le même canal
qu'elle est venue: Ut eodem alveo
ad largitorem gratia redeat
quo fluxit.
C'est ce qu'on fait par notre dévotion:
on offre et
consacre tout ce qu'on est et tout
ce qu'on possède à la Très
Sainte Vierge, afin que Notre-Seigneur
reçoive par son
entremise la gloire et la reconnaissance
qu'on lui doit. On se
reconnait indigne et incapable d'approcher
de sa Majesté
infinie par soi-même: c'est
pourquoi on se sert de
l'intercession de la Très
Sainte Vierge.
143. De plus, c'est ici une pratique
d'une grande humilité,
que Dieu aime par-dessus les autres
vertus. Une âme qui
s'élève abaisse Dieu,
une âme qui s'humilie élève Dieu. Dieu
résiste aux superbes et donne
sa grâce aux humbles: si vous
vous abaissez, vous croyant indigne
de paraître devant lui et
de vous approcher de lui, il descend,
il s'abaisse pour venir
à vous, pour se plaire en
vous, et pour vous élever malgré
vous; mais tout le contraire, quand
on s'approche hardiment de
Dieu, sans médiateur, Dieu
s'enfuit, on ne peut l'atteindre.
Oh! qu'il aime l'humilité
du coeur! C'est à cette humilité
qu'engage cette pratique de dévotion,
puisqu'elle apprend à
n'approcher jamais par soi-même
de Notre-Seigneur, quelque
doux et miséricordieux qu'il
soit, mais à se servir toujours
de l'intercession de la Sainte Vierge,
soit pour paraître
devant Dieu, soit pour lui parler,
soit pour l'approcher, soit
pour lui offrir quelque chose, soit
pour s'unir et consacrer à
lui.
[Cette dévotion nous procure
les bons offices de la Sainte
Vierge]
144. Troisième motif. - La
Très Sainte Vierge, qui est une
mère de douceur et de miséricorde,
et qui ne se laisse jamais
vaincre en amour et en libéralité,
voyant qu'on se donne tout
entier à elle pour l'honorer
et la servir, en se dépouillant
de ce qu'on a de plus cher pour
l'en orner, se donne aussi
tout entière et d'une manière
ineffable à celui qui lui donne
tout. Elle le fait s'engloutir dans
l'abîme de ses grâces;
elle l'orne de ses mérites;
elle l'appuie de sa puissance;
elle l'éclaire de sa lumière;
elle l'embrase de son amour;
elle lui communique ses vertus:
son humilité, sa foi, sa
pureté, etc.; elle se rend
sa caution, son supplément et son
tout envers Jésus. Enfin,
comme cette personne consacrée est
toute à Marie, Marie est
aussi toute à elle; en sorte qu'on
peut dire de ce parfait serviteur
et enfant de Marie ce que
saint Jean l'Evangéliste
dit de lui-même, qu'il a pris la Très
Sainte Vierge pour tous ses biens:
Accepit eam discipulus in
sua.
145. C'est ce qui produit dans son
âme, s'il est fidèle, une
grande défiance, mépris
et haine de soi-même, et une grande
confiance et un grand abandon à
la Sainte Vierge, sa bonne
maîtresse. Il ne met plus,
comme auparavant, son appui en ses
dispositions, intentions, mérites,
vertus et bonnes oeuvres,
parce qu'en ayant fait un entier
sacrifice à Jésus-Christ par
cette bonne Mère, il n'a
plus qu'un trésor où sont tous ses
biens, et qui n'est plus chez lui,
et ce trésor est Marie.
C'est ce qui le fait approcher de
Notre-Seigneur sans
crainte servile ni scrupuleuse,
et le prier avec beaucoup de
confiance; c'est ce qui le fait
entrer dans les sentiments du
dévot et savant abbé
Rupert, qui, faisant allusion à la
victoire que Jacob remporta sur
un ange, dit à la Très Sainte
Vierge ces belles paroles: O Marie,
ma Princesse, et Mère
inmaculée d'un Dieu-Homme,
Jésus-Christ, je désire lutter avec
cet Homme, savoir le Verbe divin,
armé non pas de mes propres
mérites, mais des vôtres:
O Domina, Dei Genitrix, Maria, et
incorrupta Mater Dei et hominis,
non meis, sed tuis armatus
meritis, cum isto Viro, scilicet
Verbo Dei, luctari cupio.
(Rup. prolog. in Cantic.).
Oh! qu'on est puissant et fort auprès
de Jésus-Christ
quand on est armé des mérites
et de l'intercession d'une
digne Mère de Dieu, qui,
comme dit saint Augustin, a
amoureusement vaincu le Tout-Puisant!
146. Comme, par cette pratique, on
donne à Notre-Seigneur, par
les mains de sa sainte Mère,
toutes ses bonnes oeuvres, cette
bonne Maîtresse les purifie,
les embellit et les fait accepter
de son Fils.
1 Elle les purifie de toute la souillure
de l'amour-
propre et de l'attache imperceptible
à la créature qui se
glisse insensiblement dans les meilleures
actions. Dès lors
qu'elles sont entre ses mains très
pures et fécondes, ces
mêmes mains, qui n'ont jamais
été stériles ni oiseuses, et qui
purifient tout ce qu'elles touchent,
ôtent du présent qu'on
lui fait tout ce qui peut y avoir
de gâté ou imparfait.
147. 2 Elle les embellit, en les
ornant de ses mérites et
vertus. Comme si un paysan, voulant
gagner l'amitié et la
bienveillance du roi, allait à
la reine et lui présentait une
pomme, qui est tout son revenu,
afin que la reine la présentât
au roi. La reine, ayant accepté
le pauvre petit présent du
paysan, mettrait cette pomme au
milieu d'un grand et beau plat
d'or, et la présenterait
ainsi au roi de la part du paysan;
pour lors, la pomme, quoique indigne
en elle-même d'être
présentée à
un roi, deviendrait un présent digne de sa
Majesté, eu égard
au plat d'or où elle est et à la personne
qui la présente.
148. 3 Elle présente ces bonnes
oeuvres à Jésus-Christ; car
elle ne garde rien de ce qu'on lui
présente, pour soi, en
dernière fin; elle renvoie
tout à Jésus-Christ fidèlement. Si
on lui donne, on donne nécessairement
à Jésus; si on la loue
et on la glorifie, aussitôt
elle loue et glorifie Jésus.
Maintenant, comme autrefois lorsque
sainte Elisabeth la loua,
elle chante, quand on la loue et
la bénit: Magnificat anima
mea Dominum.
149. 4 Elle fait accepter de Jésus
ces bonnes oeuvres,
quelque petit et pauvre que soit
le présent pour ce Saint des
saints et ce Roi des rois. Quand
on présente quelque chose à
Jésus, par soi-même
et appuyé sur sa propre industrie et
disposition, Jésus examine
le présent, et souvent il le
rejette à cause de la souillure
qu'il contracte par l'amour-
propre; comme autrefois il rejeta
les sacrifices des Juifs
tout pleins de leur propre volonté.
Mais quand on lui présente
quelque chose par les mains pures
et virginales de sa bien-
aimée, on le prend par son
faible, s'il m'est permis d'user de
ce terme: il ne considère
pas tant la chose qu'on lui donne
que sa bonne Mère qui la
présente; il ne regarde pas tant d'où
vient ce présent que celle
par qui il vient. Ainsi Marie, qui
n'est jamais rebutée, et
toujours bien reçue de son Fils, fait
recevoir agréablement de
sa Majesté tout ce qu'elle lui
présente, petit ou grand;
il suffit que Marie le présente pour
que Jésus le reçoive
et l'agrée. C'est le grand conseil que
donnait saint Bernard à ceux
et celles qu'il conduisait à la
perfection. Quand vous voudrez offrir
quelque chose à Dieu,
ayez soin de l'offrir par les mains
très agréables et très
dignes de Marie, à moins
que vous ne vouliez être rejeté:
Modicum quod offere desideras, manibus
Mariae offerendum
tradere cura, si non vis sustinere
repulsam (Saint Bernard,
Lib. de Aquaed.).
150. N'est-ce pas ce que la nature
même inspire aux petits à
l'égard des grands, comme
nous avons vu? Pourquoi la grâce ne
nous portera-t-elle pas à
faire la même chose à l'égard de
Dieu, qui est infiniment élevé
au-dessus de nous, et devant
lequel nous sommes moins que des
atomes; ayant d'ailleurs une
avocate si puissante qu'elle n'est
jamais refusée; si
industrieuse qu'elle sait tous les
secrets de gagner le coeur
de Dieu; si bonne et charitable
qu'elle ne rebute personne
quelque petit et méchant
qu'il soit.
Je rapporterai ci-après la
figure véritable des vérités
que je dis, dans l'histoire de Jacob
et Rébecca.
[Cette dévotion est un excellent
moyen de procurer la plus
grande gloire de Dieu]
151. Quatrième motif. - Cette
dévotion fidèlement pratiquée
est un excellent moyen pour faire
en sorte que la valeur de
toutes nos bonnes oeuvres soit employée
à la plus grande
gloire de Dieu. Presque personne
n'agit pour cette noble fin,
quoiqu'on y soit obligé,
soit parce qu'on ne connait pas où
est la plus grande gloire de Dieu,
soit parce qu'on ne la veut
pas. Mais la Très Sainte
Vierge, à qui on cède la valeur et le
mérite de ses bonnes oeuvres,
connaissant très parfaitement où
est la plus grande gloire de Dieu,
et ne faisant rien que pour
la plus grande gloire de Dieu, un
parfait serviteur de cette
bonne Maitresse, qui s'est tout
consacré à elle, comme nous
avons dit, peut dire hardiment que
la valeur de toutes ses
actions, pensées et paroles,
est employé à la plus grande
gloire de Dieu, à moins qu'il
ne révoque expressément son
offrande. Peut-on trouver rien de
plus consolant pour une âme
qui aime Dieu d'un amour pur et
sans intérêt, et qui prise
plus la gloire de Dieu et ses intérêts
que les siens?
[Cette dévotion est un chemin
pour arriver à l'union avec
Notre-Seigneur]
152. Cinquième motif. - Cette
dévotion est un chemin aisé,
court, parfait et assuré
pour arriver à l'union avec Notre-
Seigneur, où consiste la
perfection du chrétien.
[Cette dévotion est un chemin
aisé]
1 C'est un chemin aisé; c'est
un chemin que Jésus-Christ
a frayé en venant à
nous, et où il n'y a aucun obstacle pour
arriver à lui. On peut, à
la vérité, arriver à l'union divine
par d'autres chemins; mais ce sera
par beaucoup plus de croix,
de morts étranges et avec
beaucoup plus de difficultés, que
nous ne vaincrons que difficilement.
Il faudra passer par des
nuits obscures, par des combats
et des agonies étranges, par
sur des montagnes escarpées,
par sur des épines très piquantes
et des déserts affreux. Mais
par le chemin de Marie, on passe
plus doucement et plus tranquillement.
On y trouve, à la vérité,
de grands combats à donner et
de grandes difficultés à
vaincre; mais cette bonne Mère et
Maîtresse se rend si proche
et si présente à ses fidèles
serviteurs, pour les éclairer
dans leurs ténèbres, pour les
éclaircir dans leurs doutes,
pour les affermir dans leurs
craintes, pour les soutenir dans
leurs combats et leurs
difficultés, qu'en vérité
ce chemin virginal pour trouver
Jésus-Christ est un chemin
de roses et de miel, à vu les
autres chemins. Il y a eu quelques
saints, mais en petit
nombre, comme un saint Ephrem, saint
Jean Damascènne, saint
Bernard, saint Bernardin, saint
Bonaventure, saint François de
Sales, etc., qui ont passé
par ce chemin doux pour aller à
Jésus-Christ, parce que le
Saint-Esprit, Epoux fidèle de
Marie, le leur a montré par
une grâce singulière; mais les
autres saints, qui sont en plus
grand nombre, quoiqu'ils aient
tous eu de la dévotion à
la Très Sainte Vierge, n'ont pas
pourtant, ou très peu, entré
en cette voie. C'est pourquoi ils
ont passé par des épreuves
plus rudes et plus dangereuses.
153. D'où vient donc, me dira
quelque fidèle serviteur de
Marie, que les serviteurs fidèles
de cette bonne Mère ont tant
d'occasions de souffrir, et plus
que les autres qui ne lui
sont pas si dévots? On les
contredit, on les persécute, on les
calomnie, on ne les peut souffrir;
ou bien ils marchent dans
les ténèbres intérieures
et des déserts où il n'y a pas la
moindre goutte de rosée du
ciel. Si cette dévotion à la Sainte
Vierge rend le chemin pour trouver
Jésus-Christ plus aisé,
d'où vient qu'ils sont les
plus crucifiés?
154. Je lui réponds qu'il
est bien vrai que les plus fidèles
serviteurs de la Sainte Vierge,
étant ses plus grands favoris,
reçoivent d'elle les plus
grandes grâces et faveurs du ciel,
qui sont les croix; mais je soutiens
que ce sont aussi ces
serviteurs de Marie qui portent
ces croix avec plus de
facilité, de mérite
et de gloire; et que ce qui arrêteriat
mille fois un autre ou le ferait
tomber, ne les arrête pas une
fois et les fait avancer, parce
que cette bonne Mère, toute
pleine de grâce et de l'onction
du Saint-Esprit, confit toutes
ces croix qu'elle leur taille dans
le sucre de sa douceur
maternelle et dans l'onction du
pur amour: en sorte qu'ils les
avalent joyeusement comme des noix
confites, quoiqu'elles
soient d'elles-mêmes très
amères. Et je crois qu'une personne
qui veut être dévote
et vivre pieusement en Jésus-Christ, et
par conséquent souffir persécution
et porter tous les jours sa
croix, ne portera jamais de grandes
croix, ou ne les portera
pas joyeusement ni jusqu'à
la fin sans une tendre dévotion à
la Sainte Vierge, qui est la confiture
des croix: tout de même
qu'une personne ne pourra pas manger
sans une grande violence,
qui ne sera pas durable, des noix
vertes sans être confites
dans le sucre.
[Cette dévotion est un chemin
court]
155. 2 Cette dévotion à
la Très Sainte Vierge est un chemin
court pour trouver Jésus-Christ,
soit parce qu'on ne s'y égare
point, soit parce que, comme je
viens de dire, on y marche
avec plus de joie et de facilité,
et, par conséquent, avec
plus de promptitude. On avance plus,
en peu de temps de
soumission et de dépendance
de Marie, que dans des années
entières de propre volonté
et d'appui sur soi-mêne; car un
homme obésissant et soumis
à la divine Marie chantera des
victoires signalées sur tous
ses ennemis. Ils voudront
l'empêcher de marcher, ou
le faire reculer, ou le faire
tomber, il est vrai; mais, avec
l'appui, l'aide et la conduite
de Marie, sans tomber, sans reculer
et même sans se retarder,
il avancera à pas de géant
vers Jésus-Christ, par le même
chemin par lequel il est écrit
que Jésus-Christ est venu vers
nous à pas de géant
et en peu de temps.
156. Pourquoi pensez-vous que Jésus-Christ
a si peu vécu sur
la terre, et qu'en le peu d'années
qu'il y a vécu, il a passé
presque toute sa vie dans la soumission
et l'obéissance à sa
Mère? Ah! c'est qu'ayant
été consommé en peu il a vécu
longtemps et plus longtremps qu'Adam,
dont il était venu
réparer les pertes, quoiqu'il
ait vécu plus de neuf cents ans;
et Jésus-Christ a vécu
longtemps, parce qu'il y a vécu soumis
et bien uni avec sa sainte Mère
pour obéir à Dieu son Père;
car: 1 celui qui honore sa mère
ressemble à un homme qui
thésaurise, dit le Saint-Esprit,
c'est-à-dire que celui qui
honore Marie sa Mère jusqu'à
se soumettre à elle, et lui obéir
en toutes choses, deviendra bientôt
bien riche, parce qu'il
amasse tous les jours des trésors
par le secret de cette
pierre philosophale: Qui honorat
matrem, quasi qui
thesaurizat; 2 parce que, selon
une interprétation
spirituelle de cette parole du Saint-Esprit:
Senectus mea in
misericordia uberi: Ma vieillesse
se trouve dans la
miséricorde du sein, c'est
dans le sein de Marie, qui a
entouré et engendré
un homme parfait et qui a eu la capacité
de contenir Celui que tout l'univers
ne comprend ni ne
contient pas, c'est dans le sein
de Marie, dis-je, que les
jeunes gens deviennent des vieillards
en lumière, en sainteté,
en expérience et en sagesse,
et qu'on parvient en peu d'années
jusqu'à la plénitude
de l'âge de Jésus-Christ.
[Cette dévotion est un chemin
parfait]
157. 3 Cette pratique de dévotion
à la Très Sainte Vierge est
un chemin parfait pour aller et
s'unir à Jésus-Christ, puisque
la divine Marie est la plus parfaite
et la plus sainte des
pures créatures, et que Jésus-Christ,
qui est parfaitement
venu à nous n'a point pris
d'autre route de son grand et
admirable voyage. Le Très-Haut,
l'Incompréhensible,
l'Inaccessible, Celui qui Est, a
voulu venir à nous, petits
vers de terre, qui ne sommes rien.
Comment cela s'est-il fait?
Le Très-Haut a descendu parfaitement
et divinement par
l'humble Marie jusqu'à nous,
sans rien perdre de sa divinité
et sainteté; et c'est par
Marie que les très petits doivent
monter parfaitement et divinement
au Très-Haut sans rien
appréhender.
L'Incompréhensible s'est
laissé comprendre et contenir
parfaitement par la petite Marie,
sans rien perdre de son
immensité; c'est aussi par
la petite Marie que nous devons
nous laisser contenir et conduire
parfaitement sans aucune
réserve.
L'Inaccessible s'est approché,
s'est uni étroitement,
parfaitement et même personnellement
à notre humanité par
Marie, sans rien perdre de sa Majesté;
c'est aussi par Marie
que nous devons approcher de Dieu
et nous unir à sa Majesté
parfaitement et étroitement,
sans craindre d'être rebutés.
Enfin, Celui qui Est a voulu venir
à ce qui n'est pas, et
faire que ce qui n'est pas devienne
Dieu ou Celui qui Est; il
l'a fait parfaitement en se donnant
et se soumettant
entièrement à la jeune
Vierge Marie, sans cesser d'être dans
le temps Celui qui Est de toute
Eternité: de même, c'est par
Marie que, quoique nous ne soyons
rien, nous pouvons devenir
semblables à Dieu par la
grâce et la gloire, en nous donnant à
elle si parfaitement et entièrement,
que nous ne soyons rien
en nous-mêmes et tout en elle,
sans craindre de nous tromper.
158. Qu'on me fasse un chemin nouveau
pour aller à Jésus-
Christ, et que ce chemin soit pavé
de tous les mérites des
bienheureux, orné de toutes
leurs vertus héroïques, éclairé et
embelli de toutes les lumières
et beautés des anges, et que
tous les anges et les saints y soient
pour y conduire,
défendre et soutenir ceux
et celles qui y voudront marcher; en
vérité, en vérité,
je dis hardiment, et je dis la vérité, que
je prendrais préférablement
à ce chemin, qui serait si
parfait, la voie immaculée
de Marie: Posui immaculatam viam,
voie ou chemin sans aucune tache
ni souillure, sans péché
originel ni actuel, sans ombres
ni ténèbres; et si mon aimable
Jésus, dans la gloire, vient
une seconde fois sur la terre
(comme il est certain) pour y régner,
il ne choisira point
d'autre voie de son voyage que la
divine Marie, par laquelle
il est si sûrement et parfaitement
venu la première. La
différence qu'il y aura entre
sa première et dernière venue,
c'est que la première a été
secrète et cachée, la seconde sera
glorieuse et éclatante; mais
toutes deux parfaites, parce que
toutes deux seront par Marie. Hélas!
voici un mystère qu'on ne
comprend pas: Hic taceat omnis lingua.
[Cette dévotion est un chemin
assuré]
159. 4 Cette dévotion à
la Très Sainte Vierge est un chemin
assuré pour aller à
Jésus-Christ et acquérir la perfection en
nous unissant à lui:
1 Parce que cette pratique que j'enseigne
n'est pas
nouvelle; elle est si ancienne qu'on
ne peut, comme dit Mr.
Boudon, mort depuis peu en odeur
de sainteté, dans un livre
qu'il a fait de cette dévotion,
en marquer précisément les
commencements; il est cependant
certain que, depuis plus de
sept cents ans, on en trouve des
marques dans l'Eglise.
Saint Odilon, abbé de Cluny,
qui vivait environ l'an
1040, a été un des
premiers qui l'a pratiquée publiquement en
France, comme il est marqué
dans sa vie.
Le cardinal Pierre Damien rapporte
que, l'an 1076, le
bienheureux Marin, son frère,
se fit esclave de la Très Sainte
Vierge, en présence de son
directeur, d'une manière bien
édifiante: car il se mit
la corde au col, et prit la
discipline, et mit sur l 'autel
une somme d'argent pour
marquer son dévouement et
consécration à la Sainte Vierge, ce
qu'il continua si fidèlement
toute sa vie qu'il mérita à sa
mort d'être visité
et consolé par sa bonne Maîtresse, et de
recevoir de sa bouche les promesses
du paradis pour récompense
de ses services.
Cesarius Bollandus fait mention
d'un illustre chevalier,
Vautier de Birbak, proche parent
des ducs de Louvain, qui,
environ l'an 1300, fit cette consécration
de soi-même à la
Sainte Vierge.
Cette dévotion a été
pratiquée par plusieurs particuliers
jusqu'au XVII siècle, où
elle est devenue publique.
160. Le P. Simon de Rojas, de l'Ordre
de la Trinité, dit de la
rédemption des captifs, prédicateur
du roi Philippe III, mit
en vogue cette dévotion par
toute l'Espagne et l'Allemagne; et
obtint, à l'instance de Philippe
III, de Grégoire XV, de
grandes indulgences à ceux
qui la pratiqueraient.
Le R.P. de Los Rios, de l'Ordre
de Saint-Augustin,
s'appliqua avec son intime ami,
le Père de Rojas, à étendre
cette dévotion par ses paroles
et ses écrits dans l'Espagne et
l'Allemagne; il composa un gros
volume intitulé: Hierarchia
Mariana, dans lequel il traite,
avec autant de piété que
d'érudition, de l'antiquité,
de l'excellence et de la solidité
de cette dévotion.
Les R. Pères Théatins,
au siècle dernier, établirent
cette dévotion dans l'Italie,
la Sicile et la Savoie.
161. Le R. Père Stanislas
Phalacius, de la Compagnie de Jésus,
avança merveilleusement cette
dévotion en Pologne.
Le Père de Los Rios, dans
son livre cité ci-dessus,
rapporte les noms des princes, princesses,
évêques et
cardinaux de différents royaumes
qui ont embrassé cette
dévotion.
Le R. Père Cornelius a Lapide,
aussi recommendable pour
sa piété que pour
sa science profonde, ayant reçu commission
de plusieurs évêques
et théologiens d'examiner cette dévotion,
après l'avoir examinée
mûrement, lui donna des louanges dignes
de sa piété, et plusieurs
autres grands personnages suivirent
son exemple.
Les R.Pères Jésuites,
toujours zélés au service de la
Très Sainte Vierge, présentèrent
au nom des congréganistes de
Cologne, un petit traité
de cette dévotion au duc Ferdinand de
Bavière, pour lors archevêque
de Cologne, qui lui donna son
approbation et la permission de
le faire imprimer, exhortant
tous les curés et religieux
de son diocèse d'avancer autant
qu'ils pourraient cette solide dévotion.
162. Le cardinal de Bérulle,
dont la mémoire est en
bénédiction par toute
la France, fut un des plus zélés à
étendre en France cette dévotion,
malgré toutes les calomnies
et persécutions que lui firent
les critiques et les libertins.
Ils l'accusèrent de nouveauté
et de superstition; ils
écrivirent et publièrent
contre lui un écrit diffamatoire, et
ils se servirent, ou plutôt
le démon par leur ministère, de
mille ruses pour l'empêcher
d'étendre cette dévotion en
France. Mais ce grand et saint homme
ne répondit à leur
calomnie que par sa patience, et
à leurs objections contenues
dans leur libelle par un petit écrit
où il les réfute
puissamment, en leur montrant que
cette dévotion est fondée
sur l'exemple de Jésus-Christ,
sur les obligations que nous
lui avons, et sur les voeux que
nous avons faits au saint
baptême; et c'est particulièrement
par cette dernière raison
qu'il ferme la bouche à ses
adversaires, leur faisant voir que
cette cnsécration à
la Très Sainte Vierge, et à Jésus-Christ
par ses mains, n'est autre qu'une
parfaite rénovation des
voeux ou promesses du baptême.
Il dit plusieurs belles choses
sur cette pratique, qu'on peut lire
en ses ouvrages.
163. On peut lire dans le livre de
Mr. Boudon les différents
papes qui ont approuvé cette
dévotion, les théologiens qui
l'ont examinée, et les persécutions
qu'elle a eues et
vaincues, et les milliers de personnes
qui l'ont embrassée,
sans que jamais aucun pape l'ait
condamnée; et on ne le
pourrait pas faire sans renverser
les fondements du
christianisme.
Il reste donc constant que cette
dévotion n'est point
nouvelle, et que si elle n'est pas
commune, c'est qu'elle est
trop précieuse pour être
goûtée et pratiquée de tout le monde.
164. 2 Cette dévotion est
un moyen assuré pour aller à Jésus-
Christ, parce que le propre de la
Sainte Vierge est de nous
conduire sûrement à
Jésus-Christ, comme le propre de Jésus-
Christ est de nous conduire sûrement
au Père éternel. Et que
les spirituels ne croient pas faussement
que Marie leur soit
un empêchement pour arriver
à l'union divine. Car, serait-il
possible que celle qui a trouvé
grâce devant Dieu pour tout le
monde en général et
pour chacun en particulier, fût un
empêchement à une âme
pour trouver la grande grâce de l'union
avec lui? Serait-il possible que
celle qui a été toute pleine
et surabondante de grâces,
si unie et transformée en Dieu,
qu'il a fallu qu'il se soit incarné
en elle, empêchât qu'une
âme ne fût parfaitement
unie à Dieu?
Il est bien vrai que la vue des
autres créatures, quoique
saintes, pourrait peut-être,
en de certains temps, retarder
l'union divine; mais non pas Marie
comme j'ai dit et dirai
toujours sans me lasser. Une raison
pourquoi si peu d'âmes
arrivent à la plenitude de
l'âge de Jésus-Christ, c'est que
Marie, qui est, autant que jamais,
la Mère de Jésus-Christ et
l'Epouse féconde du Saint-Esprit,
n'est pas assez formée dans
leurs coeurs. Qui veut avoir le
fruit bien mûr et bien formé
doit avoir l'arbre qui le produit;
qui veut avoir le fruit de
vie, Jésus-Christ, doit avoir
l'arbre de vie, qui est Marie.
Qui veut avoir en soi l'opération
du Saint-Esprit, doit avoir
son Epouse fidèle et indissoluble,
la divine Marie, qui le
rend fertile et fécond, comme
nous avons dit ailleurs.
165. Soyez donc persuadé que
plus vous regarderez Marie en vos
oraisons, contemplations, actions
et souffrances, sinon d'une
vue distincte et aperçue,
du moins d'une vue générale et
imperceptible, et plus parfaitement
vous trouverez Jésus-
Christ qui est toujours avec Marie,
grand, puissant, opérant
et incompréhensible, et plus
que dans le ciel et en aucune
créature de l'univers. Ainsi,
bien loin que la divine Marie,
toute perdue en Dieu, devienne un
obstacle aux parfaits pour
arriver à l'union avec Dieu,
il n'y a point eu jusqu'ici et il
n'y aura jamais de créature
qui nous aidera plus efficacement
à ce grand ouvrage, soit
par les grâces qu'elle nous
communiquera à cet effet,
personne n'étant rempli de la pensée
de Dieu que par elle, dit un saint:
Nemo cogitatione Dei
repletur nisi per te; soit par les
illusions et tromperies du
malin esprit dont elle vous garantira.
166. Là où est Marie,
là l'esprit malin n'est point; et une
des plus infaillibles marques qu'on
est conduit par le bon
esprit, c'est quand on est bien
dévot à Marie, qu'on pense
souvent à elle, et qu'on
en parle souvent. C'est la pensée
d'un saint qui ajoute que, comme
la respiration est une marque
certaine que le corps n'est pas
mort, la fréquente pensée et
invocation amoureuse de Marie est
une marque certaine que
l'âme n'est pas morte par
le péché.
167. Comme c'est Marie seule, dit
l'Eglise et le Saint-Esprit
qui la conduit, qui a seule fait
périr toutes les hérésies:
Sola cunctas haereses interemisti
in universo mundo; quoique
les critiques en grondent, jamais
un fidèle dévot de Marie ne
tombera dans l'hérésie
ou illusion du moins formelle; il
pourra bien errer matériellement,
prendre le mensonge pour la
vérité, et le malin
esprit pur le bon, quoique plus
difficilement qu'un autre; mais
il connaîtra tôt ou tard sa
faute et son erreur matérielle;
et quand il la connaîtra, il
ne s'opiniâtrera en aucune
manière à croire et à soutenir ce
qu'il avait cru véritable.
168. Quiconque donc, sans crainte
d'illusion, qui est
ordinaire aux personnes d'oraison,
veut avancer dans la voie
de la perfection et trouver sûrement
et parfaitement Jésus-
Christ, qu'il embrasse avec grand
coeur, corde magno et animo
volenti, cette dévotion à
la Très Sainte Vierge, qu'il n'avait
peut-être pas encore connue.
Qu'il entre dans le chemin
excellent qui lui était inconnu
et que je lui montre:
Excellentiorem viam vobis demonstro.
C'est un chemin frayé par
Jésus-Christ, la Sagesse
incarnée, notre unique chef,
le membre en y passant ne peut se
tromper. C'est un chemin aisé,
à cause de la plénitude de la
grâce et de l'onction du Saint-Esprit
qui le remplit; on ne se
lasse point ni on ne recule point
en y marchant. C'est un
chemin court, qui, en peu de temps,
nous mène à Jésus-Christ.
C'est un chemin parfait, où
il n'y a aucune boue, aucune
poussière, ni la moindre
ordure du péché. C'est enfin un
chemin assuré, qui nous conduit
à Jésus-Christ et à la vie
éternelle d'une manière
droite et assurée, sans détourner à
droite, ni à gauche.
Entrons donc dans ce chemin, et
marchons-y jour et nuit,
jusqu'à la plénitude
de l'âge de Jésus-Christ.
[Cette dévotion donne une grande liberté intérieure]
169. Sixième motif. - Cette
pratique de dévotion donne une
grande liberté intérieure,
qui est la liberté des enfants de
Dieu, aux personnes qui la pratiquent
fidèlement. Car, comme
par cette dévotion on se
rend esclave de Jésus-Christ, en se
consacrant tout à lui en
cette qualité, ce bon Maître, pour
récompense de la captivité
amoureuse où on se met: 1 ôte tout
scrupule et crainte servile de l'âme
qui n'est capable que de
l'étrécir et captiver
et embrouiller; 2 il élargit le coeur
par une sainte confiance en Dieu,
le faisant regarder comme
son père; 3 il lui inspire
un amour tendre et filial.
170. Sans m'arrêter à
prouver cette vérité par des raisons, je
me contente de rapporter un trait
d'histoire que j'ai lu dans
la Vie de la Mère Agnès
de Jésus, religieuse Jacobine, du
couvent de Langeac, en Auvergne,
et qui mourut en odeur de
sainteté au même lieu,
l'an 1634. N'ayant encore que sept ans
et souffrant de grandes peines d'esprit,
elle entendit une
voix qui lui dit que, si elle voulait
être délivrée de toutes
ses peines et protégée
contre tous ses ennemis, elle se fît au
plus tôt l'esclave de Jésus
et de sa sainte Mère. Elle ne fut
pas plus tôt de retour à
la maison qu'elle se donna tout
entière à Jésus
et à sa sainte Mère en cette qualité,
quoiqu'elle ne sût pas auparavant
ce que c'était que cette
dévotion; et, ayant trouvé
une chaine de fer, elle se la mit
sur ses reins et la porta jusqu'à
la mort. Et après cette
action, toutes ses peines et scrupules
cessèrent, et elle se
trouva dans une grande paix et dilatation
de coeur, ce qui
l'engagea à enseigner cette
dévotion à plusieurs autres qui y
ont fait de grands progrès,
entre autres à Mr. Olier,
instituteur du Séminaire
de Saint-Sulpice, et à plusieurs
prêtres et ecclésiastiques
du même séminaire... Un jour, la
Sainte Vierge lui apparut et lui
mit au col une chaîne d'or
pour lui témoigner la joie
qu'elle avait qu'elle se fût faite
l'esclave de son Fils et la sienne:
et sainte Cécile, qui
accompagnait la Sainte Vierge, lui
dit: Heureux ceux qui sont
les fidèles esclaves de la
Reine du ciel, car il jouiront de
la véritable liberté:
Tibi servire libertas.
[Cette dévotion procure de
grands biens au prochain]
171. Septième motif. - Ce
qui peut encore nous engager à
embrasser cette pratique, ce sont
les grands biens qu'en
recevra notre prochain, car par
cette pratique on exerce
envers lui la charité d'une
manière éminente, puisqu'on lui
donne, par les mains de Marie, tout
ce qu'on a de plus cher,
qui est la valeur satisfactoire
et impétratoire de toutes ses
bonnes oeuvres, sans excepter la
moindre bonne pensée et la
moindre petite souffrance; on consent
que tout ce qu'on a
acquis, et ce qu'on acquerra, jusqu'à
la mort, de
satisfactions soit, selon la volonté
de la Sainte Vierge,
employé ou à la conversion
des pécheurs ou à la délivrance des
âmes du purgatoire.
N'est-ce pas là aimer son
prochain parfaitement? N'est-ce
pas là être le véritable
disciple de Jésus-Christ, qu'on
reconnait par la charité?
N'est-ce pas là le moyen de
convertir les pécheurs, sans
crainte de la vanité, et de
délivrer les âmes du
purgatoire, sans presque faire rien autre
que ce que chacun est obligé
de faire dans son état?
172. Pour connaître l'excellence
de ce motif, il faudrait
connaître quel bien c'est
que de convertir un pécheur ou
délivrer une âme du
purgatoire: bien infini, qui est plus
grand que de créer le ciel
et la terre, puisqu'on donne à une
âme la possession de Dieu.
Quand, par cette pratique, on ne
délivrerait qu'une âme
du purgatoire en toute sa vie, ou qu'on
ne convertirait qu'un pécheur,
n'en serait-ce pas assez pour
engager tout homme vraiment charitable
à l'embrasser?
Mais il faut remarquer que nos bonnes
oeuvres, passant
par les mains de Marie, reçoivent
une augmentation de pureté,
et par conséquent de mérite
et de valeur satisfactoire et
impétratoire: c'est pourquoi
elles deviennent beaucoup plus
capables de soulager les âmes
du purgatoire et de convertir
les pécheurs que si elles
ne passaient pas par les mains
virginales et libérales de
Marie. Le peu qu'on donne par la
Sainte vierge, sans propre volonté,
en vérité devient bien
puissant pour fléchir la
colère de Dieu et pour attirer sa
miséricorde; et il se trouvera
peut-être à la mort qu'une
personne bien fidèle à
cette pratique aura, par ce moyen,
délivré plusieurs
âmes du purgatoire et converti plusieurs
pécheurs, quoiqu'elle n'ait
fait que des actions de son état
assez ordinaires. Quelle joie à
son jugement! Quelle gloire
dans l'éternité!
[Cette dévotion est un moyen
admirable de persévérance]
173. Huitième motif. - Enfin,
ce qui nous engage plus
puissamment, en quelque manière,
à cette dévotion à la Très
Sainte Vierge, c'est que c'est un
moyen admirable pour
persévérer dans la
vertu et être fidèle. Car d'où vient est-ce
que la plupart des conversions des
pécheurs ne sont pas
durables? D'où vient est-ce
qu'on retombe si aisément dans le
péché? D'où
vient est-ce que la plupart des justes, au lieu
d'avancer de vertu en vertu et acquérir
de nouvelles grâces,
perdent souvent le peu de vertus
et de grâces qu'ils ont? Ce
malheur vient, comme j'ai montré
ci-devant, de ce que l'homme,
étant si corrompu, si faible
et si inconstant, se fie à lui-
même, s'appuie sur ses propres
forces et se croit capable de
garder le trésor de ses grâces,
de ses vertus et mérites.
Par cette dévotion, on confie
à la Sainte Vierge, qui est
fidèle, tout ce qu'on possède;
on la prend pour la dépositaire
universelle de tous ses biens de
nature et de grâce. C'est à
sa fidélité que l'on
se fie; c'est sur sa puissance que l'on
s'appuie, c'est sur sa miséricorde
et sa charité que l'on se
fonde, afin qu'elle conserve et
augmente nos vertus et
mérites, malgré le
diable, le monde et la chair, qui font
leurs efforts pour nous les enlever.
On lui dit, comme un bon
enfant à sa mère,
et un fidèle serviteur à sa maîtresse:
Depositum custodi: Ma bonne Mère
et Maîtresse, je reconnais
que j'ai jusqu'ici plus reçu
de grâces de Dieu par votre
intercession que je ne mérite,
et que ma funeste expérience
m'apprend que je porte ce trésor
en un vaisseau très fragile
et que je suis trop faible et trop
misérable pour les
conserver en moi-même: adolescentulus
sum ego et contemptus;
de grâce, recevez en dépôt
tout ce que je possède, et me le
conservez par votre fidélité
et votre puissance. Si vous me
gardez, je ne perdrai rien; si vous
me soutenez, je ne
tomberai point; si vous me protégez,
je suis à couvert de mes
ennemis.
174. C'est ce que dit saint Bernard
en termes formels, pour
nous inspirer cette pratique: Lorsqu'elle
vous soutient, vous
ne tombez point; lorsqu'elle vous
protège, vous ne craignez
point; lorsqu'elle vous conduit,
vous ne vous fatiguez point;
lorsqu'elle vous est favorable,
vous arrivez au port du salut:
Ipsa tenente, non corruis; ipsa
protegente, non metuis; ipsa
duce, non fatigaris; ipsa propitia,
pervenis (Serm. super
Missus). Saint Bonaventure semble
encore dire la même chose en
des termes plus formels: La Sainte
Vierge, dit-il, n'est pas
seulement retenue dans la plénitude
des saints; mais elle
retient encore et garde les saints
dans leur plénitude, afin
qu'elle ne diminue point; elle empêche
que leurs vertus ne se
perdent, que leurs mérites
ne périssent, que leurs grâces ne
se perdent,que les démons
ne leur nuisent; enfin, elle empêche
que Notre-Seigneur ne les châtie
quand ils pêchent: Virgo non
solum in plenitudine sanctorum detinetur,
sed etiam in
plenitudine sanctos detinet, ne
plenitudo minuatur; detinet
merita ne pereant; detinet gratias
ne effluant; detinet
daemones ne noceant; detinet Filium
ne peccatores percutiat.
175. La Très Sainte Vierge
est la Vierge fidèle qui, par sa
fidélité à
Dieu, répare les pertes qu'a faites Eve l'infidèle
par son infidélité,
et qui obtient la fidélité à Dieu et la
persévérance à
ceux et celles qui s'attachent à elle. C'est
pourquoi un saint la compare à
une ancre ferme, qui les
retient et les empêche de
faire naufrage dans la mer agitée de
ce monde où tant de personnes
périssent faute de s'attacher à
cette ancre ferme: Nous attachons,
dit-il, les âmes à votre
espérance comme à
une ancre ferme: Animas ad spem tuam sicut
ad firmam anchoram alligamus. C'est
à elle que les saints qui
se sont sauvés se sont le
plus attachés et ont attaché les
autres, afin de persévérer
dans la vertu. Heureux donc et
mille fois heureux les chrétiens
qui, maintenant, s'attachent
fidèlement et entièrement
à elle comme à une ancre ferme. Les
effets de l'orage de ce monde ne
les feront point submerger,
ni perdre leurs trésors célestes.
Heureux ceux et celles qui
entrent dans elle comme dans l'arche
de Noé! Les eaux du
déluge de péchés,
qui noient tant de monde, ne leur nuiront
point, car: Qui operantur in me
non peccabunt: Ceux qui sont
en moi pour travailler à
leur salut ne pécheront point, dit-
elle avec la Sagesse. Heureux les
enfants infidèles de la
malheureuse Eve qui s'attachent
à la Mère et Vierge fidèle,
qui demeure toujours fidèle
et ne se dément jamais: Fidelis
permanet, se ipsam negare non potest,
et qui aime toujours
ceux qui l'aiment: Ego diligentes
me diligo, non seulement
d'un amour affectif, mais d'un amour
effectif et efficace, en
les empêchant, par une grande
abondance de grâces, de reculer
dans la vertu ou de tomber dans
le chemin en perdant la grâce
de son Fils.
176. Cette bonne Mère reçoit
toujours, par pure charité, tout
ce qu'on lui donne en dépôt;
et, quand elle l'a une fois reçu
en qualité de dépositaire,
elle est obligée par justice, en
vertu du contrat de dépôt,
de nous le garder; tout comme une
personne à qui j'aurais confié
mille écus en dépôt serait
obligée de me les garder,
en sorte que si, par sa négligence,
mes mille écus venaient à
être perdus, elle en serait
responsable en bonne justice. Mais
non, jamais la fidèle Marie
ne laissera perdre par sa négligence
ce qu'on lui aura confié:
le ciel et la terre passeraient
plutôt qu'elle fût négligente
et infidèle envers ceux qui
se fient en elle.
177. Pauvres enfants de Marie, votre
faiblesse est extrème,
votre inconstance est grande, votre
fond est bien gâté. Je
l'avoue, vous êtes tirés
de la même masse corrompue des
enfants d'Adam et d'Eve; mais ne
vous découragez pas pour
cela; mais consolez-vous; mais réjouissez-vous:
voici le
secret que je vous apprends, secret
inconnu de presque tous
les chrétiens même
les plus dévots.
Ne laissez pas votre or et votre
argent dans vos coffres,
qui ont déjà été
enfoncés par l'esprit malin qui vous a volé,
et qui sont trop petits, trop faibles
et trop vieux pour
contenir un trésor si grand
et si précieux. Ne mettez pas
l'eau pure et claire de la fontaine
dans vos vaisseaux tout
gâtés et infectés
par le péché; si le péché n'y est plus, son
odeur y est encore; l'eau en sera
gâtée. Ne mettez pas vos
vins exquis dans vos anciens tonneaux
qui ont été remplis de
mauvais vins: ils en seraient gâtés
et en danger d'être
répandus.
178. Quoique vous m'entendiez, âmes
prédestinées, je parle
plus ouvertement. Ne confiez pas
l'or de votre charité,
l'argent de votre pureté,
les eaux des grâces célestes, ni les
vins de vos mérites et vertus
à un sac percé, à un coffre
vieux et brisé, à
un vaisseau gâté et corrompu comme vous
êtes; autrement vous serez
pillés par les voleurs, c'est-à-
dire les démons qui cherchent
et épient, nuit et jour, le
temps propre pour le faire; autrement,
vous gâterez, par votre
mauvaise odeur d'amour de vous-même,
de confiance en vous-même
et de propre volonté, tout
ce que Dieu vous donne de plus pur.
Mettez, versez dans le sein et le
coeur de Marie tous vos
trésors, toutes vos grâces
et vertus: c'est un vaisseau
d'esprit, c'est un vaisseau d'honneur,
c'est un vaisseau
insigne de dévotion: Vas
spirituale, vas honorabile, vas
insigne devotionis. Depuis que Dieu
même en personne s'est
enfermé avec toutes ses perfections
dans ce vaisseau, il est
devenu tout spirituel et la demeure
spirituelle des âmes les
plus spirituelles; il est devenu
honorable, et le tròne
d'honneur des plus grands princes
de l'éternité; il est devenu
insigne en dévotion, et le
séjour des plus illustres en
douceur, en grâces et en vertus;
il est enfin devenu riche
comme une maison d'or, fort comme
une tour de David et pur
comme une tour d'ivoire.
179. Oh! qu'un homme qui a tout donné
à Marie, qui se confie
et perd en tout et pour tout en
Marie, est heureux! Il est
tout à Marie, et Marie est
tout à lui. Il peut dire hardiment
avec David: Haec facta est mihi:
Marie est faite pour moi; ou,
avec le Disciple bien-aimé:
Accepi eam in mea. Je l'ai prise
pour tout mon bien, ou, avec Jésus-Christ:
Omnia mea tua sunt,
et omnia tua mea sunt: Tout ce que
j'ai est à vous, et tout ce
que vous avez est à moi.
180. Si quelque critique, qui lira
ceci, s'imagine que je
parle ici par exagération
et par une dévotion outrée, hélas il
ne m'entend pas, soit parce qu'il
est un homme charnel, qui ne
goûte point les choses de
l'esprit, soit parce qu'il est du
monde, qui ne peut recevoir le Saint-Esprit,
soit parce qu'il
est orgueilleux et critique, qui
condamne et méprise tout ce
qu'il n'entend pas. Mais les âmes
qui ne sont pas nées du
sang, ni de la volonté de
la chair, ni de la volonté de
l'homme, mais de Dieu et de Marie,
me comprennent et me
goûtent; et c'est pour elles
aussi que j'écris ceci.
181. Cependant je dis pour les uns
et les autres, en reprenant
ma matière interrompue, que
la divine Marie, étant la plus
honnête et la plus libérale
de toutes les pures créatures,
elle ne se laisse jamais vaincre
en amour et en libéralité; et
pour un oeuf, dit un saint, qu'on
lui donne, elle donne un
boeuf; c'est-à-dire, pour
peu qu'on lui donne, elle donne
beaucoup de ce qu'elle a reçu
de Dieu; et, par conséquent, si
une âme se donne à
elle sans réserve, elle se donne à cette
âme sans réserve, si
on met toute sa confiance en elle sans
présomption, travaillant
de son côté à acquérir les vertus et
à dompter ses passions.
182. Que les fidèles serviteurs
de la Sainte Vierge disent
donc hardiment avec saint Jean Damascène:
"Ayant confiance en
vous, ô Mère de Dieu,
je serai sauvé; ayant votre protection,
je ne craindrai rien; avec votre
secours, je combattrai et
mettrai en fuite mes ennemis: car
votre dévotion est une arme
de salut que Dieu donne à
ceux qu'il veut sauver: Spem tuam
habens, o Deipara, servabor; defensionem
tuam possidens, non
timebo; persequar inimicos meos
et in fugam vertam, habens
protectionem tuam et auxilium tuum;
nam tibi devotum esse est
arma quaedam salutis quae Deus his
dat quos vult salvos fieri"
(Joan. Damas., ser. de Annuntiat).
[3. FIGURE BIBLIQUE DE CETTE PARFAITE
DEVOTION: REBECCA ET
JACOB]
183. De toutes les vérités
que je viens de décrire par rapport
à la Très Sainte Vierge
et à ses enfants et serviteurs, le
Saint-Esprit nous donne, dans l'Ecriture
Sainte, une figure
admirable dans l'histoire de Jacob,
qui reçut la bénédiction
de son père Isaac par les
soins et l'industrie de Rébecca sa
mère.
La voici comme le Saint-Esprit la
rapporte. Ensuite j'y
ajouterai son explication.
[Histoire de Jacob]
184. Esaü ayant vendu à
Jacob son droit d'aînesse, Rébecca,
mère des deux frères,
qui aimait tendrement Jacob, lui assura
cet avantage, plusieurs années
après, par une adresse toute
sainte et toute pleine de mystères.
Car Isaac, se sentant fort
vieux et voulant bénir ses
enfants avant de mourir, appela son
fils Esaü qu'il aimait, lui
commanda d'aller à la chasse pour
avoir de quoi manger, afin qu'il
le benît ensuite. Rébecca
avertit promptement Jacob de ce
qui se passait et lui commanda
d'aller prendre deux chevreaux dans
le troupeau. Lorsqu'il les
eut donné à sa mère,
elle en prépara à Isaac, ce qu'elle
savait qu'il aimait; elle revêtit
Jacob des habits d'Esaü,
qu'elle gardait, et couvrit ses
mains et son cou de la peau
des chevreaux, a fin que son père,
qui ne voyait plus, pût, en
entendant la parole de Jacob, croire
au moins, par le poil de
ses mains, que c'était Esaü
son frère. Isaac, en effet, ayant
été surpris de sa
voix, qu'il croyait être la voix de Jacob,
le fit approcher de lui, et ayant
touché le poil des peaux
dont il s'était couvert les
mains, il dit que la voix, à la
vérité, était
la voix de Jacob, mais que les mains étaient les
mains d'Esaü. Après
qu'il eut mangé et qu'il eut s enti, en
baisant Jacob, l'odeur de ses habits
parfunés, il le bénit et
lui souhaita la rosée du
ciel et la fécondité de la terre; il
l'établit le maître
de tous ses frères, et finit sa
bénédiction par ces
paroles: "Que celui qui vous maudira soit
maudit lui-même, et que celui
qui vous bénira soit comblé de
bénédictions".
A peine Isaac avait achevé
ces paroles qu'Esaü entre et
apporte à manger ce qu'il
avait pris à la chasse, afin que son
père le bénît
ensuite. Ce saint patriarche fut surpris d'un
étonnement incroyable lorsqu'il
reconnut ce qui venait de se
passer; mais bien loin de rétracter
ce qu'il avait fait, il le
confirma, au contraire, parce qu'il
voyait trop sensiblement
le doigt de Dieu en cette conduite.
Esaü alors jeta des
rugissements, comme marque l'Ecriture
Sainte, et, accusant
hautement la tromperie de don frère,
il demanda à son père
s'il n'avait qu'une seule bénédiction:
étant en ce point,
comme le remarquent les saint Pères,
l'image de ceux qui,
étant bien aises d'allier
Dieu avec le monde, veulent jouir
tout ensemble des consolations du
ciel et de celles de la
terre. Isaac, touché des
cris d'Esaü, le bénit enfin, mais
d'une bénédiction
de la terre, et en l'assujetissant à son
frère: ce qui lui fit concevoir
une haine si envenimée contre
Jacob, qu'il n'attendait plus que
la mort de son père pour le
tuer et Jacob n'aurait pu éviter
la mort si sa chère mère
Rébecca ne l'en eût
garanti par ses industries et les bons
conseils qu'elle lui donna et qu'il
suivit.
[Interprétation de l'histoire de Jacob]
185. Auparavant d'expliquer cette
histoire, qui est si belle,
il faut remarquer que, selon tous
les saints Pères et les
interprètes de l'Ecriture
Sainte, Jacob est la figure de
Jésus-Christ et des prédestinés,
et Esaü celle des réprouvés.
Il ne faut qu'examiner les actions
et la conduite de l'un et
de l'autre pour en juger.
1 Esaü, l'aîné,
était fort et robuste de corps et
industrieux à tirer de l'arc
et à prendre beaucoup de gibier à
la chasse.
2 Il ne restait quasi point à
la maison, et, ne mettant
sa confiance qu'en sa force et son
adresse, il ne travaillait
qu'au dehors.
3 Il ne se mettait pas beaucoup
en peine de plaire à sa
mère Rébecca, et il
ne faisait rien pour cela.
4 Il était si gourmand, et
aimait tant sa bouche, qu'il
vendit son droit d'aînesse
pour un plat de lentilles.
5 Il était, comme Caïn,
plein d'envie contre son frère
Jacob et il le persécutait
à outrance.
186. Voilà la conduite que
gardent les réprouvés tous les
jours.
1 Ils se fient en leur force et
leurs industries pour
les affaires temporelles; ils sont
très forts, très habiles et
très éclairés
pour les choses de la terre, mais très faibles
et très ignorants dans les
choses du ciel: In terrenis fortes,
in coelestibus debiles. C'est pourquoi:
187. 2 Ils ne demeurent point ou
très peu chez eux, dans leur
maison propre, c'est-à-dire
dans leur intérieur, qui est la
maison intérieure et essentielle
que Dieu a donné à chaque
homme pour y demeurer à son
exemple: car Dieu demeure toujours
chez soi. Les réprouvés
n'aiment point la retraite, ni la
spiritualité, ni la dévotion
intérieure, et ils traitent de
petits esprits, de bigots et de
sauvages ceux qui sont
intérieurs et retirés
du monde, et qui travaillent plus au
dedans qu'au dehors.
188. 3 Les réprouvés
ne se soucient guère de la dévotion à la
Sainte Vierge, la Mère des
prédestinés; il est vrai qu'ils ne
la haïssent pas formellement,
ils lui donnent quelquefois des
louanges, ils disent qu'ils l'aiment
et ils pratiquent même
quelque dévotion en son honneur;
mais, au reste, ils ne
sauraient souffrir qu'on l'aime
tendrement, parce qu'ils n'ont
point pour elle les tendresses de
Jacob; ils trouvent à redire
aux pratiques de dévotion
auxquelles ses bons enfants et
serviteurs se rendent fidèles
pour gagner son affection, parce
qu'ils ne croient pas que cette
dévotion leur soit nécessaire
au salut, et que, pourvu qu'ils
ne haïssent pas formellement
la Sainte Vierge, ou qu'ils ne méprisent
pas ouvertement sa
dévotion, c'en est assez,
et ils ont gagné les bonnes grâces
de la Sainte Vierge, ils sont ses
serviteurs, en récitant et
marmottant quelques oraisons en
son honneur, sans tendresse
pour elle ni amendement pour eux-mêmes.
189. 4 Les réprouvés
vendent leur droit d'aînesse, c'est-à-
dire les plaisirs du paradis pour
un plat de lentilles, c'est-
à-dire pour les plaisirs
de la terre. Ils rient, ils boivent,
ils mangent, ils se divertissent,
ils jouent, ils dansent,
etc., sans se mettre en peine, comme
Esaü, de se rendre dignes
de la bénédiction
du Père céleste. En trois mots, ils ne
pensent qu'à la terre, ils
n'aiment que la terre, ils ne
parlent et n'agissent que pour la
terre et ses plaisirs,
vendant pour un petit moment de
plaisir, pour une vaine fumée
d'honneur, et pour un morceau de
terre dure, jaune ou blanche,
la grâce baptismale, leur
robe d'innocence, leur héritage
céleste.
190. 5 Enfin, les réprouvés
haïssent et persécutent tous les
jours les prédestinés,
ouvertement ou secrètement; ils les
méprisent, ils les critiquent,
ils les contrefont, ils les
injurient, ils les volent, ils les
trompent, ils les
appauvrissent, ils les chassent,
ils les réduisent dans la
poussière; tandis qu'ils
font fortune, qu'ils prennent leurs
plaisirs, qu'ils sont en belle passe,
qu'ils s'enrichissent,
qu'ils s'agrandissent et vivent
à leur aise.
191. 1 Jacob, le cadet, était
d'une faible complexion, doux
et paisible, et demeurait ordinairement
à la maison pour
gagner les bonnes grâces de
sa mère Rébecca, qu'il aimait
tendrement; s'il sortait dehors,
ce n'était pas par sa propre
volonté, ni par la confiance
qu'il eût en son industrie, mais
pour obéir à sa mère.
192. 2 Il aimait et honorait sa mère:
c'est pourquoi il se
tenait à la maison auprès
d'elle; il n'était pas plus content
que lorsqu'il la voyait; il évitait
tout ce qui pouvait lui
déplaire: ce qui augmentait
en Rébecca l'amour qu'elle lui
portait.
193. 3 Il était soumis en
toutes choses à sa chère mère, il
lui obéissait entièrement
en toutes choses, promptement sans
tarder, et amoureusement sans se
plaindre; au moindre signe de
sa volonté, le petit Jacob
courait et travaillait. Il croyait
tout ce qu'elle lui disait, sans
raisonner: par exemple, quand
elle lui dit qu'il allât chercher
deux chevreaux, et qu'il les
lui apportât pour apprêter
à manger à son père Isaac, Jacob ne
lui répliqua point qu'il
y en avait assez d'un pour apprêter
une fois à manger à
un seul homme; mais, sans raisonner, il
fit ce qu'elle lui avait dit.
194. 4 Il avait une grande confiance
en sa chère mère; comme
il ne s'appuyait point du tout sur
son savoir-faire, il
s'appuyait uniquement sur les soins
et la protection de sa
mère; il la réclamait
en tous ses besoins, et il la consultait
en tous ses doutes: par exemple,
quand il lui demanda si, au
lieu de la bénédiction,
il ne recevrait point la malédiction
de son père, il la crut et
se confia en elle, quand elle lui
dit qu'elle prenait sur elle cette
malédiction.
195. 5 Enfin, il imitait selon sa
portée les vertus qu'il
voyait en sa mère; et il
semble qu'une des raisons pourquoi il
demeurait sédentaire à
la maison, c'était pour imiter sa chère
mère, qui était si
vertueuse, et pour s'éloigner des mauvaises
compagnies, qui corrompent les moeurs.
Par ce moyen, il se
rendit digne de recevoir la double
bénédiction de son père.
196. Voilà aussi la conduite
que gardent tous les jours les
prédestinés:
1 Ils sont sédentaires à
la maison avec leur mère,
c'est-à-dire, ils aiment
la retraite, ils sont intérieurs, ils
s'appliquent à l'oraison,
mais à l'exemple et dans la
compagnie de leur Mère, la
Sainte Vierge, dont toute la
gloire est au-dedans, et qui, pendant
toute sa vie, a aimé la
retraite et l'oraison. Il est vrai
qu'ils paraissent
quelquefois au dehors dans le monde;
mais c'est par obéissance
à la volonté de Dieu
et à celle de leur chère Mère, pour
remplir les devoirs de leur état.
Quelques grandes choses en
apparence qu'ils fassent au dehors,
ils estiment encore
beaucoup plus celles qu'ils font
au dedans d'eux-mêmes, dans
leur intérieur, en compagnie
de la Très Sainte Vierge, parce
qu'ils y font le grand ouvrage de
leur perfection, auprès
duquel tous les autres ouvrages
ne sont que des jeux
d'enfants. C'est pourquoi, tandis
quelquefois que leurs frères
et soeurs travaillent pour le dehors
avec beaucoup de force,
d'industrie et de succès,
dans la louange et approbation du
monde, ils connaissent, par la lumière
du Saint-Esprit, qu'il
y a beaucoup plus de gloire, de
bien et de plaisir à demeurer
caché dans la retraite avec
Jésus-Christ, leur modèle, dans
une entière et parfaite soumission
à leur Mère, que de faire
par soi-même des merveilles
de nature et de grâce dans le
monde, comme tant d'Esaü et
de réprouvés. Gloria et divitiae
in domo ejus: la gloire pour Dieu
et les richesses pour
l'homme se trouvent dans la maison
de Marie.
Seigneur Jésus, que vos tabernacles
sont aimables! Le
passereau a trouvé une maison
pour se loger et la tourterelle
un nid pour mettre ses petits. Oh!
qu'heureux est l'homme qui
demeure dans la maison de Marie,
où vous avez le premier fait
votre demeure! C'est en cette maison
des prédestinés qu'il
reçoit son secours de vous
seul, et qu'il a disposé des
montées et des degrés
de toutes les vertus dans son coeur,
pour s'élever à la
perfection dans cette vallée de larmes!
Quam dilecta tabernacula, etc.
197. 2 Ils aiment tendrement et honorent
véritablement la
Très Sainte Vierge comme
leur bonne Mère et Maîtresse. Ils
l'aiment non seulement de bouche,
mais en vérité; ils
l'honorent non seulement à
l'extérieur, mais dans le fond du
coeur; ils évitent, comme
Jacob, tout ce qui lui peut
déplaire, et pratiquent avec
ferveur tout ce qu'ils croient
pouvoir leur acquérir sa
bienveillance. Ils lui apportent et
lui donnent, non deux chevreaux,
comme Jacob à Rébecca, mais
leur corps et leur âme, avec
tout ce qui en dépend, figurés
par les deux chevreaux de Jacob,
afin: 1 qu'elle les reçoive
comme une chose qui lui appartient;
2 afin qu'elle les tue et
les fasse mourir au péché
et à eux-mêmes, en les écorchant et
dépouillant de leur propre
peau et de leur amour-propre, et,
par ce moyen, pour plaire à
Jésus, son Fils, qui ne veut pour
ses amis et disciples que des morts
à eux-mêmes; 3 afin
qu'elle les apprête au goût
du Père céleste, et à sa plus
grande gloire, qu'elle connaît
mieux qu'aucune créature; 4
afin que, par ses soins et ses intercessions,
ce corps et
cette âme, bien purifiés
de toute tache, bien morts, bien
dépouil lés et bien
apprêtés, soient un mets délicat, digne de
la bouche et de la bénédiction
du Père céleste. N'est-ce pas
ce que feront les personnes prédestinées
qui goûteront et
pratiqueront la consécration
parfaite à Jésus-Christ par les
mains de Marie, que nous leur enseignons,
pour témoigner à
Jésus et à Marie un
amour effectif et courageux?
Les réprouvés disent
assez qu'ils aiment Jésus, qu'ils
aiment et qu'ils honorent Marie,
mais non pas de leur
substance, mais non pas jusqu'à
leur sacrifier leurs corps
avec ses sens et leur âme
avec ses passions, comme les
prédestinés.
198. 3 Ils sont soumis et obéissants
à la Sainte Vierge,
comme à leur bonne Mère
à l'exemple de Jésus-Christ, qui, de
trente et trois ans qu'il a vécu
sur la terre, en a employé
trente à glorifier Dieu son
Père, par une parfaite et entière
soumission à sa sainte Mère.
Ils lui obéissent en suivant
exactement ses conseils, comme le
petit Jacob ceux de Rébecca,
à qui elle dit: Acquiesce
consiliis meis. Mon fils suivez mes
conseils; ou comme les conviés
des noces de Cana, auxquels la
Sainte Vierge dit: Quodcumque dixerit
vobis facite: Faites
tout ce que mon Fils vous dira.
Jacob, pour avoir obéi à sa
mère, reçut la bénédiction
comme par miracle, quoique
naturellement il ne dût pas
l'avoir; les conviés aux noces de
Cana, pour avoir suivi le conseil
de la Sainte Vierge, furent
honorés du premier miracle
de Jésus-Christ, qui y convertit
l'eau en vin, à la prière
de sa sainte Mère. De même, tous
ceux qui, jusqu'à la fin
des siècles, recevront la bénédiction
du Père céleste et
seront honorés des merveilles de Dieu, ne
recevront ces grâces qu'en
conséquence de leur parfaite
obéisssance à Marie.
Les Esaü, au contraire, perdent leur
bénédiction, faute
de soumission à la Sainte Vierge.
199. 4 Ils ont une grande confiance
dans la bonté et la
puissance de la Très Sainte
Vierge, leur bonne Mère; ils
réclament sans cesse son
secours; ils la regardent comme leur
étoile polaire, pour arriver
à bon port; ils lui découvrent
leurs peines et leurs besoins avec
beaucoup d'ouverture de
coeur; ils s'attachent à
ses mamelles de miséricorde et de
douceur, pour avoir le pardon de
leurs péchés par son
intercession ou pour goûter
ses douceurs maternelles dans
leurs peines et leurs ennuis. Ils
se jettent même, se cachent
et se perdent d'une manière
admirable dans son sein amoureux
et virginal, pour y être embrasés
du pur amour, pour y être
purifiés des moindres taches
et pour y trouver pleinement
Jésus, qui y réside
comme dans son plus glorieux trône. Oh!
quel bonheur! Ne croyez pas, dit
l'abbé Guerric, qu'il y ait
plus de bonheur d'habiter dans le
sein d'Abraham que dans le
sein de Marie, puisque le Seigneur
y a placé son trône: Ne
credideris majoris esse felicitatis
habitare in sinu Abrahae
quam in sinu Mariae, cum in eo Dominus
posuerit thronum suum.
Les réprouvés, au
contraire, mettent tout leur confiance
en eux-mêmes, ne mangeant,
avec l'enfant prodigue, que ce que
mangent les cochons, ne se nourrissant
avec les crapauds que
de la terre et n'aimant que les
choses visibles et
extérieures, avec les mondains,
ils ne goûtent point les
douceurs du sein et des mamelles
de Marie; ils ne sentent
point un certain appui et une certaine
confiance que les
prédestinés sentent
pour la Sainte Vierge, leur bonne Mère.
Ils aiment misérablement
leur faim au dehors, comme dit saint
Grégoire, parce qu'ils ne
veulent pas goûter la douceur qui
est toute préparée
au dedans d'eux-mêmes et au dedans de Jésus
et de Marie.
200. 5 Enfin, les prédestinés
gardent les voies de la Sainte
Vierge, leur bonne Mère,
c'est-à-dire: ils l'imitent, et c'est
en cela qu'ils sont vraiment heureux
et dévots, et qu'ils
portent la marque infaillible de
leur prédestination, comme
leur dit cette bonne Mère:
Beati qui custodiunt vias meas:
c'est-à-dire, bienheureux
ceux qui pratiquent mes vertus et
qui marchent sur les traces de ma
vie, avec le secours de la
divine grâce. Ils sont heureux
dans ce monde, pendant leur
vie, par l'abondance des grâces
et des douceurs que je leur
communique de ma plénitude,
et plus abondamment qu'aux autres
qui ne m'imitent pas de si près;
ils sont heureux dans leur
mort, qui est douce et tranquille,
et à laquelle j'assiste
ordinairement, pour les conduire
moi-même dans les joies de
l'éternité; enfin,
ils seront heureux dans l'éternité, parce
que jamais aucun de mes bons serviteurs,
qui a imité mes
vertus pendant sa vie, n'a été
perdu.
Les réprouvés, au
contraire, sont malheureux pendant leur
vie, à leur mort et dans
l'éternité, parce qu'ils n'imitent
point la Très Sainte Vierge
dans ses vertus, se contentant de
se mettre quelquefois de ses confréries,
de réciter quelques
prières en son honneur ou
de faire quelque autre dévotion
extérieure.
O Sainte Vierge, ma bonne Mère,
qu'heureux sont ceux, je
le répète avec les
transports de mon coeur, qu'heureux sont
ceux et celles qui, ne se laissant
point séduire par une
fausse dévotion envers vous,
gardent fidèlement vos voies, vos
conseils et vos ordres! Mais que
malheureux et maudits sont
ceux qui, abusant de votre dévotion,
ne gardent pas les
commandements de votre Fils: Maledicti
omnes qui declinant a
mandatis tuis.
[Devoirs charitables que la Saine
Vierge rend à ses fidèles
serviteurs]
201. Voici présentement les
devoirs charitables que la Sainte
Vierge, comme la meilleure de toutes
les mères, rend à ces
fidèles serviteurs, qui se
sont donnés à elle de la manière
que j'ai dit, et selon la figure
de Jacob.
1. Elle les aime.
Ego diligentes me diligo: J'aime
ceux qui m'aiment. Elle
les aime: 1. parce qu'elle est leur
Mère véritable: or, une
mère aime toujours son enfant,
le fruit de ses entrailles; 2.
elle les aime par reconnaissance,
parce qu'effectivement ils
l'aiment comme leur bonne Mère;
3. elle les aime parce
qu'étant prédestinés,
Dieu les aime: Jacob dilexi, Esau autem
odio habui, 4. elle les aime parce
qu'ils se sont tout
consacrés à elle,
et qu'ils sont sa portion et son héritage:
In Israel haereditare.
202. Elle les aime tendrement, et
plus tendrement que toutes
les mères ensemble. Mettez,
si vous pouvez, tout l'amour
naturel que les mères de
tout le monde ont pour leurs enfants,
dans un même coeur d'une mère
pour un enfant unique:
certainement cette mère aimera
beaucoup cet enfant; cependant,
il est vrai que Marie aime encore
plus tendrement ses enfants
que cette mère n'aimerait
le sien.
Elle ne les aime pas seulement avec
affection, mais avec
efficace. Son amour pour eux est
actif et effectif, comme
celui et plus que celui de Rébecca
pour Jacob. Voici ce que
cette bonne Mère, dont Rébecca
n'était que la figure, fait
pour obtenir à ses enfants
la bénédiction du Père céleste:
203. 1 Elle épie, comme Rébecca,
les occasions favorables de
leur faire du bien, de les agrandir
et enrichir. Comme elle
voit clairement en Dieu tous les
biens et tous les maux, les
bonnes et les mauvaises fortunes,
elle dispose de loin les
choses pour exempter de toutes sortes
de maux ses serviteurs
et les combler de toutes sortes
de biens; en sorte que, s'il y
a une bonne fortune à faire
en Dieu, par la fidélité d'une
créature à quelque
haut emploi, il est sûr que Marie procurera
cette bonne fortune à quelqu'un
de ses bons enfants et
serviteurs, et leur donnera la grâce
pour en venir à bout avec
fidélité: Ipsa procurat
negocia nostra, dit un saint.
204. 2 Elle leur donne de bons conseils,
comme Rébecca à
Jacob: Fili mio, acquiesce consiliis
meis: Mon fils, suis mes
conseils. Et, entre autres conseils,
elle leur inspire de lui
apporter deux chevreaux, c'est-à-dire
leur corps et leur âme,
de les lui consacrer pour en faire
un ragoût qui soit agréable
à Dieu, et de faire tout
ce que Jésus-Christ, son Fils, a
enseigné par ses paroles
et ses exemples. Si ce n'est pas par
elle-même qu'elle leur donne
ces conseils, c'est par le
ministère des anges, qui
n'ont pas de plus grand honneur et
plaisir que d'obéir à
quelqu'un de ses commandements pour
descendre sur terre et secourir
quelqu'un de ses serviteurs.
205. 3 Quand on lui a apporté
et consacré son corps et son
âme et tout ce qui en dépend,
sans rien excepter, que fait
cette bonne Mère? Ce que
fit autrefois Rébecca aux deux
chevreaux que lui apporta Jacob:
1. elle les tue et fait
mourir à la vie du vieil
Adam; 2. elle les écorche et
dépouille de leur peau naturelle,
de leurs inclinations
naturelles, de leur amour-propre
et propre volonté et de toute
attache à la créature;
3. elle les purifie de leurs taches et
ordures et péchés;
4. elle les apprête au goût de Dieu et à sa
plus grande gloire. Comme il n'y
a qu'elle qui sait
parfaitement ce goût divin
et cette plus grande gloire du
Très-Haut, il n'y a qu'elle
qui, sans se tromper, peut
accommoder et apprêter notre
corps et notre âme à ce goût
infiniment relevé et à
cette gloire infiniment cachée.
206. 4 Cette bonne Mère, ayant
reçu l'offrande parfaite que
nous lui avons faite de nous-mêmes
et de nos propres mérites
et satisfactions, par la dévotion
dont j'ai parlé, et nous
ayant dépouillés de
nos vieux habits, elle nous approprie et
nous rend dignes de paraître
devant notre Père céleste. 1.
Elle nous revêt des habits
propres, neufs, précieux et
parfumés d'Esaü l'aîné,
c'est-à-dire de Jésus-Christ, son
Fils, qu'elle garde dans sa maison,
c'est-à-dire qu'elle a
dans sa puissance, étant
la trésorière et la dispensatrice
unique et éternelle des mérites
et des vertus de son Fils,
Jésus-Christ, qu'elle donne
et communique à qui elle veut,
quand elle veut, comme elle veut
et autant qu'elle veut, comme
nous avons vu ci-devant. 2. Elle
entoure le cou et les mains
de ses serviteurs des peaux de chevreaux
tués et écorchés;
c'est-à-dire, elle les orne
des mérites et de la valeur de
leurs propres actions. Elle tue
et mortifie, à la vérité, tout
ce qu'il y a d'impur et d'imparfait
en leurs personnes; mais
elle ne perd et ne dissipe pas tout
le bien que la grâce y a
fait; elle le garde et l'augmente
pour en faire l'ornement et
la force de leur cou et de leurs
mains; c'est-à-dire pour les
fortifier à porter le joug
du Seigneur, qui se porte sur le
cou, et opérer de grandes
choses pour la gloire de Dieu et le
salut de leurs pauvres frères.
3. Elle donne un nouveau parfum
et une nouvelle grâce à
ces habits et ornements en leur
communiquant ses propres habits;
ses mérites et ses vertus,
qu'elle leur a légués
en mourant, par testament, comme dit un
sainte religieuse du siècle
dernier, morte en odeur de
sainteté, et qui l'a su par
révélation; en sorte que tous ses
domestiques, ses fidèles
serviteurs et esclaves sont
doublement vêtus, des habits
de son Fils et des siens propres:
Omnes domestici ejus vestiti sunt
duplicibus: c'est pourquoi
ils n'ont rien à craindre
du froid de Jésus-Christ, blanc,
comme la neige, que les réprouvés
tout nus et dépouillés des
mérites de Jésus-Christ
et de la Sainte Vierge ne pourront
soutenir.
207. 5 Elle leur fait enfin obtenir
la bénédiction du Père
céleste, quoique, n'étant
que les puînés et les enfants
adoptifs, ils ne dussent pas naturellement
l'avoir. Avec ces
habits tout neufs, très précieux
et de très bonne odeur, et
avec leur corps et leur âme
bien préparés et apprêtés, ils
s'approchent en confiance du lit
de repos de leur Père
céleste. Il entend et distingue
leur voix, qui est celle du
pécheur; il touche leurs
mains couvertes de peaux; il sent la
bonne odeur de leurs habits; il
mange avec joie de ce que
Marie, leur Mère, lui a apprêté;
et reconnaissant en eux les
mérites et la bonne odeur
de son Fils et de sa sainte Mère: 1.
il leur donne sa double bénédiction;
bénédiction de la rosée
du ciel: De rore coelesti, c'est-à-dire
de la grâce divine qui
est semence de la gloire: Benedixit
nos omni benedictione
spirituali in Christo Jesu; bénédiction
de la graisse de la
terre: De pinguedine terrae, c'est-à-dire
que ce bon Père leur
donne leur pain quotidien et une
suffisante abondance des
biens de ce monde; 2. il les rend
maîtres de leurs autres
frères, les réprouvés:
non pas que cette primauté paraisse
toujours dans ce monde qui passe
en un instant, où souvent les
réprouvés dominent:
Peccatores effabuntur et gloriabuntur.
Vidi impium superexaltatum et elevatum;
mais elle est pourtant
véritable, et elle paraîtra
manifestement dans l'autre monde,
à toute éternité,
où les justes, comme dit le Saint-Esprit,
domineront et commanderont aux mations:
Dominabuntur populis.
3. Sa Majesté, non contente
de les bénir en leurs personnes et
en leurs biens, bénit encore
tous ceux qui les béniront, et
maudit tout ceux qui les maudiront
et persécuteront.
[Elle les entretient de tout]
208. Le second devoir de charité
que la Sainte Vierge exerce
envers ses fidèles serviteurs,
c'est qu'elle les entretient de
tout pour le corps et pour l'âme.
Elle leur donne des habits
doublés, comme nous venons
de voir; elle leur donne à manger
les mets les plus excellents de
la table de Dieu; elle leur
donne à manger le pain de
vie, qu'elle a formé; A
generationibus meis implemini: mes
chers enfants, leur dit-
elle, sous le nom de la Sagesse,
remplissez-vous de mes
générations, c'est-à-dire
de Jésus, le fruit de vie, que j'ai
mis au monde pour vous. - Venite,
comedite panem meum et
bibite vinum quod miscui vobis;
comedite, et bibite, et
inebriamini, carissimi: Venez, leur
répète-t-elle en un autre
endroit, manger mon pain, qui est
Jésus, et buvez le vin de
son amour, que je vous ai mêlé
avec le lait de mes mamelles.
Comme c'est elle qui est la trésorière
et la dispensatrice des
dons et des grâces du Très-Haut,
elle en donne une bonne
portion, et la meilleure, pour nourrir
et entretenir ses
enfants et serviteurs. Ils sont
engraissés du pain vivant, ils
sont enivrés du vin qui germe
les vierges. Ils sont portés à
la mamelle: Ad ubera portabimini.
Ils ont tant de facilité à
porter le joug de Jésus-Christ
qu'ils n'en sentent pas la
pesanteur, à cause de l'huile
de la dévotion dont elle le fait
pourrir: Jugum eorum putrescere
faciet a facie olei.
[3. Elle les conduit et dirige]
209. Le troisième bien que
la Sainte Vierge fait à ses fidèles
serviteurs, c'est qu'elle les conduit
et dirige selon la
volonté de son Fils. Rébecca
conduisait son petit Jacob et lui
donnait de temps en temps de bons
avis, soit pour attirer sur
lui la bénédiction
de son père, soit pour éviter la haine et
la persécution de son frère
Esaü. Marie, qui est l'étoile de
la mer, conduit tous ses fidèles
serviteurs à bon port; elle
leur montre les chemins de la vie
éternelle; elle leur fait
éviter les pas dangereux;
elle les conduit par la main dans
les sentiers de la justice; elle
les soutient quand ils sont
prêts de tomber; elle les
relève quand ils sont tombés; elle
les reprend, en mère charitable,
quand ils manquent; et
quelquefois même, elle les
châtie amoureusement. Un enfant
obéissant à Marie,
sa mère nourrice et sa directrice
éclairée, peut-il
s'égarer dans les chemins de l'éternité?
Ipsam sequens, non devias. En la
suivant, dit saint Bernard,
vous ne vous égarez point.
Ne craignez pas qu'un véritable
enfant de Marie soit trompé
par le malin et tombe en quelque
hérésie formelle.
Là où est la conduite de Marie, là ni le
malin esprit avec ses illusions,
ni les hérétiques avec leurs
finesses ne se trouvent: Ipsa tenente,
non corruis.
[4. Elle les défend et protège]
210. Le quatrième bon office
que la Sainte Vierge rend à ses
enfants et fidèles serviteurs,
c'est qu'elle les défend et
protège contre leurs ennemis.
Rébecca, par ses soins et ses
industries, délivra Jacob
de tous les dangers où il se trouva,
et particulièrement de la
mort que son frère Esaü lui aurait
apparemment donnée par la
haine et l'envie qu'il lui portait,
comme autrefois Caïn à
son frère Abel. Marie, la bonne Mère
des prédestinés, les
cache sous les ailes de sa protection,
comme une poule ses poussins; elle
parle, elle s'abaisse à
eux, elle condescend à toutes
leurs faiblesses; elle se met
autour d'eux et les accompagne comme
une armée rangée en
bataille: ut castrorum acies ordinata.
Un homme entouré d'une
armée bien rangée
de cent mille hommes, peut-il craindre ses
ennemis? Un fidèle serviteur
de Marie, entouré de sa
protection et de sa puissance impériale,
a encore moins à
craindre. Cette bonne Mère
et Princesse puissante des cieux
dépêcherait plutôt
des bataillons de millions d'anges pour
secourir un de ses serviteurs qu'il
ne fût jamais dit qu'un
fidèle serviteur de Marie,
qui s'est confié en elle, a
succombé à la malice,
au nombre et à la force de ses ennemis.
[5. Elle intercède pour eux]
211. Enfin, le cinquième
et le plus grand bien que l'aimable
Marie procure à ses fidèles
dévots, c'est qu'elle intercède
pour eux auprès de son Fils,
et l'apaise par ses prières, et
elle les unit à lui d'un
lien très intime et les y conserve.
Rébecca fit approcher Jacob
du lit de son père; et le bon
homme le toucha, l'embrassa, et
le baisa même avec joie, étant
content et rassasié des viandes
bien apprêtées qu'il lui avait
apportées; et ayant senti
avec beaucoup de contentement les
parfums exquis de ses vêtements,
il s'écria: Ecce odor filii
mei sicut odor agri pleni, cui benedixit
Dominus: Voici
l'odeur de mon fils, qui est comme
l'odeur d'un champ plein,
que le Seigneur a béni. Ce
champ plein, dont l'odeur charma le
coeur du père, n'est autre
que l'odeur des vertus et des
mérites de Marie, qui est
un champ plein de grâce, où Dieu le
Père a semé, come
un grain de froment des élus, son Fils
unique.
Oh! qu'un enfant parfumé
de la bonne odeur de Marie est
bienvenu auprès de Jésus-Christ,
qui est le Père du siècle à
venir! Oh! qu'il lui est promptement
et parfaitement uni! Nous
l'avons montré plus au long
ci-devant. [152-168]
212. De plus, après qu'elle
a comblé ses enfants et ses
fidèles serviteurs de ses
faveurs, qu'elle leur a obtenu la
bénédiction du Père
céleste et l'union avec Jésus-Christ, elle
les conserve en Jésus-Christ,
et Jésus-Christ en eux; elle les
garde et elle les veille toujours,
de peur qu'ils ne perdent
la grâce de Dieu et ne tombent
dans les pièges de leurs
ennemis: In plenitudine sanctos
detinet: Elle retient les
saints dans leur plénitude,
et les y fait persévérer jusqu'à
la fin, comme nous avons vu. [173-182]
Voilà l'explication de cette
grande et ancienne figure de
la prédestination et réprobation,
si inconnue et si pleine de
mystères.
[4.] LES EFFETS MERVEILLEUX QUE CETTE
DEVOTION PRODUIT DANS
UNE AME QUI Y EST FIDELE.
213. Mon cher frère, soyez
persuadé que si vous vous rendez
fidèle aux pratiques intérieures,
que je vous marquerai ci-
après: [226-256, 257-265]
[Connaissance et mépris de
soi-même]
1 Par la lumière que le Saint-Esprit
vous donnera par
Marie, sa chère Epouse, vous
connaîtrez votre mauvais fonds,
votre corruption et votre incapacité
à tout bien, si Dieu n'en
est le principe comme auteur de
la nature ou de la grâce, et,
en suite de cette connaissance,
vous vous mépriserez, vous ne
penserez à vous qu'avec horreur.
Vous vous regarderez comme un
limaçon qui gâte tout
de sa bave, ou comme un crapaud qui
empoisonne tout de son venin, ou
comme un serpent malicieux
qui ne cherche qu'à tromper.
Enfin l'humble Marie vous fera
part de sa profonde humilité,
qui fera que vous vous
mépriserez, vous ne mépriserez
personne et vous aimerez le
mépris.
[Participation à la foi de
Marie]
214. 2 La Sainte Vierge vous donnera
part à sa foi, qui a été
plus grande sur la terre que la
foi de tous les patriarches,
les prophètes, les apôtres
et tous les saints. Présentement
qu'elle est régnante dans
les cieux, elle n'a plus cette foi,
parce qu'elle voit clairement toutes
choses en Dieu, par la
lumière de la gloire; mais
cependant, avec l'agrément du Très-
Haut, elle ne l'a pas perdue en
entrant dans la gloire; elle
l'a gardée pour la garder
dans l'Eglise militante à ses plus
fidèles seviteurs et servantes.
Plus donc vous gagnerez la
bienveillance de cette auguste Princesse
et Vierge fidèle,
plus vous aurez de pure foi dans
toute votre conduite: une foi
pure, qui fera que vous ne vous
soucierez guère du sensible et
de l'extraordinaire; une foi vive
et animée par la charité,
qui fera que vous ne ferez vos actions
que par le motif du pur
amour; une foi ferme et inébranlable
comme un rocher, qui fera
que vous demeurerez ferme et constant
au milieu des orages et
des tourmentes; une foi agissante
et perçante, qui, comme un
mystérieux passe-partout,
vous donnera entrée dans les
mystères de Jésus-Christ,
dans les fins dernières de l'homme
et dans le coeur de Dieu même;
une foi courageuse, qui vous
fera entreprendre et venir à
bout de grandes choses pour Dieu
et le salut des âmes, sans
hésiter; enfin, une foi qui sera
votre flambeau enflammé,
votre vie divine, votre trésor caché
de la divine Sagesse, et votre arme
toute-puissante dont vous
vous servirez pour éclairer
ceux qui sont dans les ténèbres et
l'ombre de la mort, pour embraser
ceux qui sont tièdes et qui
ont besoin de l'or embrasé
de la charité, pour donner vie à
ceux qui sont morts par le péché,
pour toucher et renverser,
par vos paroles douces et puissantes,
les coeurs de marbre et
les cèdres du Liban, et enfin
pour résister au diable et à
tous les ennemis du salut.
[Grâce du pur amour]
215. 3 Cette Mère de la belle
dilection ôtera de votre coeur
tout scrupule et toute crainte servile
déréglée: elle
l'ouvrira et l'élargira pour
courir dans les commandements de
son Fils, avec la sainte liberté
des enfants de Dieu, et pour
y introduire le pur amour, dont
elle a le trésor; en sorte que
vous ne vous conduirez plus, tant
que vous avez fait, par
crainte à l'égard
de Dieu charité, mais par le pur amour. Vous
le regarderez comme votre bon Père,
auquel vous tâcherez de
plaire incesamment, avec qui vous
converserez confidemment,
comme un enfant avec son bon père.
Si vous venez, par malheur,
à l'offenser, vous vous en
humilierez aussitôt devant lui,
vous lui en demanderez pardon humblement,
vous lui tendrez la
main simplement et vous vous en
relèverez amoureusement, sans
trouble ni inquiétude, et
continuerez à marcher vers lui sans
découragement.
[Grande confiance en Dieu et en Marie]
216. 4 La Sainte Vierge vous remplira
d'une grande confiance
en Dieu et en elle-même: 1
parce que vous n'approcherez plus
de Jésus-Christ par vous-même,
mais toujours par cette bonne
Mère; 2 parce que, lui ayant
donné tous vos mérites, grâces
et satisfactions, pour en disposer
à sa volonté, elle vous
communiquera ses vertus et elle
vous revêtira de ses mérites,
en sorte que vous pourrez dire à
Dieu avec confiance: Voici
Marie votre servante: qu'il me soit
fait selon votre parole:
Ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum
verbum tuum; 3 parce
que, vous étant donné
à elle tout entier, corps et âme, elle
qui est libérale avec les
libéraux et plus libérale que les
libéraux mêmes, se
donnera à vous par retour d'une manière
merveilleuse, mais véritalble;
en sorte que vous pourrez lui
dire hardiment: Tuus sum ego, salvum
me fac: Je suis à vous,
Sainte Vierge, sauvez-moi; ou comme
j'ai déjà dit, avec le
Disciple bien-aimé: Accepi
te in mea: Je vous ai prise, sainte
Mère, pour tous mes biens.
Vous pourrez encore dire, avec
saint Bonaventure: Ecce Domina salvatrix
mea, fiducialiter
agam, et non timebo, quia fortitudo
mea, et laus mea in Domino
es tu...; et en un autre endroit:
Tuus totus ego sum, et omnia
mea tua sunt, o Virgo gloriosa,
super omnia benedicta; ponam
te ut signaculum super cor meum,
quia fortis est ut mors
dilectio tua (S. Bon. In psal. min.
B.V.) Ma chère Maîtresse
et salvatrice, j'agirai avec confiance
et je ne craindrai
point, parce que vous êtes
ma force et ma louange dans le
Seigneur... Je suis tout vôtre,
et tout ce que j'ai vous
appartient; ô glorieuse Vierge,
bénite par-dessus toutes
choses créées, que
je vous mette comme un cachet sur mon
coeur, parce que votre dilection
est forte comme la mort! Vous
pourriez dire à Dieu dans
les sentiments du Prophète: Domine,
non est exaltatum cor meum, neque
elati sunt oculi mei; neque
ambulavi in magnis, neque in mirabilibus
super me; si non
humiliter sentiebam, sed exaltavi
animam; sicut ablactatus
super matre sua, ita retributio
in anima mea: Seigneur, ni mon
coeur, ni mes yeux n'ont aucun sujet
de s'élever et de
s'enorgueillir, ni de rechercher
les choses grandes et
merveilleuses; et, avec cela, je
ne suis pas encore humble,
mais j'ai relevé et encouragé
mon âme par la confiance; je
suis comme un enfant sevré
des plaisirs de la terre et appuyé
sur le sein de ma mère; et
c'est sur ce sein qu'on me comble
de biens. 4 Ce qui augmentera encore
votre confiance en elle,
c'est que, lui ayant donné
en dépôt tout ce que vous avez de
bon pour le donner ou le garder,
vous aurez moins de confiance
en vous et beaucoup plus en elle,
qui est votre trésor. Oh!
quelle confiance et quelle consolation
pour une âme qui peut
dire que le trésor de Dieu,
où il a mis tout ce qu'il a de
plus précieux, est le sien
aussi! Ipsa est thesaurus Domini:
Elle est, dit un saint, le trésor
du Seigneur.
[Communication de l'âme et
de l'esprit de Marie]
217. 5 L'âme de la Sainte
Vierge se communiquera à vous pour
glorifier le Seigneur; son esprit
entrera en la place du vôtre
pour se réjouir en Dieu,
son salutaire, pourvu que vous vous
rendiez fidèle aux pratiques
de cette dévotion. Sit in
singulis anima Mariae ut magnificet
Dominum; sit in singulis
spiritus Mariae ut exultet in Deo
(S. Amb): Que l'âme de Marie
soit en chacun pour y glorifier
le Seigneur; que l'eprit de
Marie soit en chacun, pour s'y réjouir
en Dieu. Ah! quand
viendra cet heureux temps, dit un
saint homme de nos jours qui
était tout perdu en Marie,
ah! quand viendra cet heureux temps
où la divine Marie sera établie
maîtresse et souveraine dans
les coeurs, pour les soumettre pleinement
à l'empire de son
grand et unique Jésus. Quand
est-ce que les âmes respireront
autant Marie que les corps respirent
l'air? Pour lors, des
choses merveilleuses arriveront
dans ces bas lieux, où le
Saint-Esprit, trouvant sa chère
Epouse comme reproduite dans
les âmes, y surviendra abondamment
et les remplira de ses
dons, et particulièrement
du don de sa sagesse, pour opérer
des merveilles de grâces.
Mon cher frère, quand viendra ce
temps heureux et ce siècle
de Marie, où plusieurs âmes
choisies et obtenues du Très-Haut
par Marie, se perdant elles-
mêmes dans l'abîme de
son intérieur, deviendront des copies
vivantes de Marie, pour aimer et
glorifier Jésus-Christ? Ce
temps ne viendra que quand on connaîtra
et on pratiquera la
dévotion que j'enseigne:
Ut adveniat regnum tuum, adveniat
regnum Mariae.
[Transformation des âmes en
Marie à l'image de Jésus-Christ]
218. 6 Si Marie, qui est l'arbre
de vie, est bien cultivée en
votre âme par la fidélité
aux pratiques de cette dévotion,
elle portera son fruit en son temps;
et ce fruit n'est autre
que Jésus-Christ. Je vois
tant de dévots et dévotes qui
cherchent Jésus-Christ, les
uns par une voie et une pratique,
les autres par l'autre; et souvent
après qu'ils ont beaucoup
travaillé pendant la nuit,
ils peuvent dire: Per totam noctem
laborantes, nihil cepimus: Quoique
nous ayons travaillé
pendant toute la nuit, nous n'avons
rien pris. Et on peut leur
dire: Laborastis multum, et intulistis
parum: Vous avez
beaucoup travaillé, et vous
avez peu gagné. Jésus-Christ est
encore bien faible chez vous. Mais
par la voie immaculée de
Marie et cette pratique divine que
j'enseigne, on travaille
pendant le jour, on travaille dans
un lieu saint, on travaille
peu. Il n'y a point de nuit en Marie,
puisqu'il n'y a point eu
de péché ni même
la moindre ombre. Marie est un lieu saint, et
le Saint des saints, où les
saints sont formés et moulés.
219. Remarquez, s'il vous plait,
que je dis que les saints
sont moulés en Marie. Il
y a une grande différence entre faire
une figure en relief, à coups
de marteau et de ciseau, et
faire une figure en la jetant en
moule: les sculpteurs et
statuaires travaillent beaucoup
à faire les figures dans la
première manière,
et il leur faut beaucoup de temps; mais à
les faire dans la seconnde manière,
ils travaillent peu et les
font en fort peu de temps. Saint
Augustin appelle la Sainte
Vierge forma Dei: le moule de Dieu:
Si formam Dei te appellem,
digna existis: le moule propre à
former et mouler des dieux.
Celui qui est jeté dans ce
moule divin est bientôt formé en
Jésus-Christ, et Jésus-Christ
en lui: à peu de frais et en peu
de temps, il deviendra dieu, puisqu'il
est jeté dans le même
moule qui a formé un Dieu.
220. Il me semble que je puis fort
bien comparer des
directeurs et personnes dévotes
qui veulent former Jésus-
Christ en soi ou dans les autres
par d'autres pratiques que
celle-ci, à des sculpteurs
qui, mettant leur confiance dans
leur savoir-faire, leurs industries
et leur art, donnent une
infinité de coups de marteau
et de ciseau à une pierre dure,
ou une pièce de bois mal
polie, pour en faire l'image de
Jésus-Christ; et quelquefois
ils ne réussissent pas à exprimer
Jésus-Christ au naturel,
soit faute de connaissance et
d'expérience de la personne
de Jésus-Christ, soit à cause de
quelque coup mal donné, qui
a gâté l'ouvrage. Mais, pour ceux
qui embrassent ce secret de la grâce
que je leur présente, je
les compare avec raison à
des fondeurs et mouleurs qui, ayant
trouvé le beau moule de Marie,
où Jésus-Christ a été
naturellement et divinement formé,
sans se fier à leur propre
industrie, mais uniquement à
la bonté du moule, se jettent et
se perdent en Marie pour devenir
le portrait au naturel de
Jésus-Christ.
221. O la belle et véritable
comparaison! Mais qui la
comprendra? Je désire que
ce soit vous, mon cher frère. Mais
souvenez-vous qu'on ne jette en
moule que ce qui est fondu et
liquide: c'est-à-dire qu'il
faut détruire et fondre en vous le
vieil Adam, pour devenir le nouveau
en Marie.
[La plus grande gloire de Jésus-Christ]
222. 7 Par cette pratique, bien
fidèlement observée, vous
donnerez à Jésus-Christ
plus de gloire en un mois de temps que
par aucune autre, quoique plus difficile,
en plusieurs années.
- Voici les raisons de ce que j'avance:
1 Parce que, faisant vos actions
par la Sainte Vierge,
comme cette pratique enseigne, vous
quittez vos propres
intentions et opérations,
quoique bonnes et connues, pour vous
perdre, pour ainsi dire, dans celles
de la Très Sainte Vierge,
quoiqu'elles vous soient inconnues;
et, par là, vous entrez en
participation de la sublimité
de ses intentions, qui ont été
si pures, qu'elle a plus donné
de gloire à Dieu par la moindre
de ses actions, par exemple en filant
sa quenouille, en
faisant un point d'aiguille, qu'un
saint Laurent sur son gril,
par son cruel martyre, et même
que tous les saints par leurs
actions les plus héroïques:
ce qui fait que, pendant son
séjour ici-bas, elle a acquis
un comble si ineffable de grâces
et de mérites, qu'on compterait
plutôt les étoiles du
firmament, les gouttes d'eau de
la mer et les sables du
rivage, que ses mérites et
ses grâces, et qu'elle a donné plus
de gloire à Dieu que tous
les anges et les saints ne lui ont
donné ni ne lui en donneront.
O prodige de Marie! vous n'êtes
capable que de faire des prodiges
de grâces dans les âmes qui
veulent bien se perdre en vous.
223. 2 Parce qu'une âme, par
cette pratique, ne comptant pour
rien tout ce qu'elle pense ou fait
d'elle-même, et ne mettant
son appui et sa complaisance que
dans les dispositions de
Marie, pour approcher de Jésus-Christ,
et même pour lui
parler, elle pratique beaucoup plus
l'humilité que les âmes
qui agissent par elles-mêmes,
et qui ont un appui et une
complaisance imperceptible dans
leurs dispositions; et, par
conséquent, elle glorifie
plus hautement Dieu, qui n'est
parfaitement glorifié que
par les humbles et les petits de
coeur.
224. 3 Parce que la Sainte Vierge,
voulant bien, par une
grande charité, recevoir
en ses mains virginales le présent de
nos actions, elle leur donne une
beauté et un éclat admirable;
elle les offre elle-même à
Jésus-Christ, et sans difficulté,
que Notre-Seigneur en est plus glorifié
que si nous les
offrions par nos mains criminelles.
[146-149]
225. 4 Enfin, parce que vous ne pensez
jamais à Marie, que
Marie, en votre place, ne pense
à Dieu; vous ne louez ni
n'honorez jamais Marie, que Marie
avec vous ne loue et
n'honore Dieu. Marie est toute relative
à Dieu, et je
l'appellerais fort bien la relation
de Dieu, qui n'est que par
rapport à Dieu, ou l'écho
de Dieu, qui ne dit et ne répète que
Dieu. Si vous dites Marie, elle
dit Dieu. Sainte Elisabeth
loua Marie et l'appela bienheureuse
de ce qu'elle avait cru;
Marie, l'écho fidèle
de Dieu, entonna: Magnificat anima mea
Dominum: Mon âme glorifie
le Seigneur. Ce que Marie a fait en
cette occasion, elle le fait tous
les jours; quand on la loue,
on l'aime, on l'honore ou on lui
donne, Dieu est loué, Dieu
est aimé, Dieu est honoré,
on donne à Dieu par Marie et en
Marie.
[5.] PRATIQUES PARTICULIERES DE CETTE DEVOTION.
Pratiques Extérieures
226. Quoique l'essentiel de cette
dévotion consiste dans
l'intérieur, elle ne laisse
pas d'avoir plusieurs pratiques
extérieures qu'il ne faut
pas négliger: Haec oportuit facere
et illa non omittere, soit parce
que les pratiques extérieures
bien faites aident les intérieures,
soit parce qu'elles font
ressouvenir l'homme, qui se conduit
toujours par les sens, de
ce qu'il a fait ou doit faire; soit
parce qu'elles sont
propres à édifier
le prochain qui les voit, ce que ne font pas
celles qui sont purement intérieures.
Qu'aucun mondain donc,
ni critique, ne mette ici le nez
pour dire que la vraie
dévotion est dans le coeur,
qu'il faut éviter ce qui est
extérieur, qu'il peut y avoir
de la vanité, qu'il faut cacher
sa dévotion, etc. Je leur
réponds avec mon Maître: Que les
hommes voient vos bonnes oeuvres,
afin qu'ils glorifient votre
Père qui est dans les cieux;
non pas, dit saint Grégoire,
qu'on doive faire ses actions et
dévotions extérieures pour
plaire aux hommes et en tirer quelque
louange, ce serait
vanité; mais on les fait
quelquefois devant les hommes, dans
la vue de plaire à Dieu et
de le faire glorifier par là, sans
se soucier des mépris ou
des louanges des hommes.
Je ne rapporterai qu'en abrégé
quelques pratiques
extérieures, que je n'appelle
pas extérieures parce qu'on les
fait sans intérieur, mais
parce qu'elles ont quelque chose
d'extérieur, pour les distinguer
de celles qui sont purement
intérieures.
[Consécration après
exercices préparatoires]
227. Première pratique. -
Ceux et celles qui voudront entrer
en cette dévotion particulière,
qui n'est point érigée en
confrérie, quoiqu'il le fût
à souhaiter, après avoir, comme
j'ai [dit] dans la première
partie de cette préparation au
Règne de Jésus-Christ,
employé douze jours au moins à se vider
de l'esprit du monde contraire à
celui de Jésus-Christ,
emploieront trois semaines à
se remplir de Jésus-Christ par la
Très Sainte Vierge. Voici
l'ordre qu'ils pourront garder:
228. Pendant la première semaine,
ils emploieront toutes leurs
oraisons et actions de piété
à demander la connaissance d'eux-
mêmes et la contrition de
leurs péchés: et ils feront tout en
esprit d'humilité. Pour cela,
ils pourront, s'ils veulent,
méditer ce que j'ai dit de
notre mauvais fond et ne se
regarder, les six jours de cette
semaine, que comme des
escargots, limaçons, crapauds,
cochons et serpents et boucs;
ou bien ces trois paroles de saint
Bernard: Cogita quid
fueris, semen putridum; quid sis,
vas stercorum; quid futurus
sis, esca vermium. Ils prieront
Notre-Seigneur et son Saint-
Esprit de les éclairer, par
ces paroles: Domine, ut videam; ou
Noverim me; ou Veni, Sancte Spiritus,
et diront tous les jours
les litanies du Saint-Esprit et
l'oraison qui suit, marqués
dans la première partie de
cet ouvrage. Ils auront recours à
la Très Sainte Vierge, et
lui demanderont cette grande grâce
qui doit être le fondement
des autres, et pour cela ils diront
tous les jours, l'Ave maris stella,
et ses litanies.
229. Pendant la seconde semaine,
ils s'appliqueront dans
toutes leurs oraisons et oeuvres
de chaque journée, à
connaître la Très Sainte
Vierge. Ils demanderont cette
connaissance au Saint-Esprit. Ils
pourront lire et méditer ce
que nous en avons dit. Ils réciteront,
comme la première
semaine, les litanies du Saint-Esprit
et l'Ave maris Stella,
et, de plus, un rosaire tous les
jours, ou du moins un
chapelet, à cette intention.
230. Ils emploieront la troisième
semaine à connaître Jésus-
Christ. Ils pourront lire et méditer
ce que nous en avons dit,
et dire l'oraison de saint Augustin,
qui est mis vers le
commencement de cette seconde partie.
[VD 67] Ils pourront,
avec le même saint, dire et
répéter cent et cent fois par
jour: Noverim te: Seigneur, que
je vous connaisse! ou bien,
Domine, ut videam: Seigneur, que
je voie qui vous êtes! Ils
réciteront, comme aux autres
semaines précédentes, les
litanies du Saint-Esprit et l'Ave
maris Stella, et ajouteront
tous les jours les litanies [du
Saint-Nom] de Jésus.
231. Au bout de ces trois semaines,
ils se confesseront et
communieront à l'intention
de se donner à Jésus-Christ, en
qualité d'esclaves d'amour,
par les mains de Marie. Et, après
la communion, qu'ils tâcheront
de faire selon la méthode qui
est ci-après, ils réciteront
la formule de leur consécration,
qu'ils trouveront aussi ci-après;
il faudra qu'ils l'écrivent
ou la fassent écrire, si
elle n'est imprimée, et qu'ils la
signent le même jour qu'ils
l'auront faite.
232. Il sera bon que, ce jour, ils
payent quelque tribut à
Jésus-Christ et à
sa sainte Mère, soit pour pénitence de leur
infidélité passée
aux voeux de leur baptême, soit pour
protester de leur dépendance
du domaine de Jésus et de Marie.
Or, ce tribut sera selon la dévotion
et la capacité d'un
chacun: comme un jeûne, une
mortification, une aumône, un
cierge; quand ils ne donneraient
qu'une épingle en hommage,
avec un bon coeur, c'en est assez
pour Jésus, qui ne regarde
que la bonne volonté.
233. Tous les ans au moins, le même
jour, ils renouvelleront
la même consécration,
observant les mêmes pratiques pendant
trois semaines.
Ils pourront même, tous les
mois et tous les jours,
renouveler tout ce qu'ils ont fait,
par ce peu de paroles:
Tuus totus ego sum, et omnia mea
tua sunt: Je suis tout à
vous, et tout ce que j'ai vous appartient,
ô mon aimable
Jésus, par Marie, votre sainte
Mère.
[Récitation de la petite couronne
de la Sainte Vierge]
234. Deuxième pratique. -
Ils réciteront tous les jours de
leur vie, sans pourtant aucune gêne,
la petite couronne de la
Très Sainte Vierge, composée
de trois Pater et douze Ave, en
l'honneur des douze privilèges
et grandeurs de la Très Sainte
Vierge. Cette pratique est fort
ancienne et elle a son
fondement dans l'Ecriture Sainte.
Saint Jean vit une femme
couronnée de douze étoiles,
revêtue du soleil, et tenant la
lune sous ses pieds, laquelle femme,
selon les interprètes,
est la Très Sainte Vierge.
235. Il y a plusieurs manières
de la bien dire qu'il serait
trop long de rapporter: le Saint-Esprit
les apprendra à ceux
et celles qui seront les plus fidèles
à cette dévotion.
Cependant, pour la dire tout simplement,
il faut d'abord dire:
Dignare me laudare te, Virgo sacrata;
da mihi virtutem contra
hostes tuos; ensuite on dira le
Credo, puis un Pater, puis
quatre Ave Maria et un Gloria Patri;
encore un Pater, quatre
Ave, un Gloria Patri; ainsi du reste.
A la fin, on dit: Sub
tuum praesidium.
[Port de petites chaînes de
fer]
236. Troisième pratique.
- Il est très louable, et très
glorieux et très utile à
ceux et celles qui se seront ainsi
faits les esclaves de Jésus
en Marie, qu'ils portent pour
marque de leur esclavage amoureux
de petites chaînes de fer
bénites d'une bénédiction
propre qui est ci-après.
Ces marques extérieures,
à la vérité, ne sont pas
essentielles, et une personne peut
fort bien s'en passer,
quoiqu'elle ait embrassé
cette dévotion; cependant, je ne puis
m'empêcher de louer beaucoup
ceux et celles qui, après avoir
secoué les chaînes
honteuses de l'esclavage du diable, où le
péché originel et
peut-être les péchés actuels les avaient
engagés, se sont volontairement
mis sous le glorieux esclavage
de Jésus-Christ, et se glorifient,
avec saint Paul, d'être
dans les chaînes pour Jésus-Christ,
chaînes mille fois plus
glorieuses et précieuses,
quoique de fer et sans éclat, que
tous les colliers d'or des empereurs.
237. Quoique autrefois il n'y eût
rien de plus infâme que la
croix, à présent ce
bois ne laisse pas d'être la chose la plus
glorieuse du christianisme. Disons
le même des fers de
l'esclavage. Il n'y avait rien de
plus ignominieux parmi les
anciens, et même encore à
présent parmi les païens; mais,
parmi les chrétiens, il n'y
a rien de plus illustre que les
chaînes de Jésus-Christ,
parce qu'elles nous délivrent et
préservent des liens infâmes
du péché et du démon; parce
qu'elles mettent en liberté,
et nous lient à Jésus-Christ et à
Marie, non pas par contrainte et
par force, comme des forçats,
mais par charité et amour,
comme des enfants: Traham eos in
vinculis caritatis (Osée
4,11): je les attirerai à moi, dit
Dieu par la bouche d'un prophète,
par des chaînes de charité,
qui, par conséquent, sont
fortes comme la mort, et, en quelque
sorte, plus fortes, en ceux qui
seront fidèles à porter
jusqu'à la mort ces marques
glorieuses. Car, quoique la mort
détruise leur corps en les
réduisant en pourriture, elle ne
détruira point les liens
de leur esclavage, qui, étant de fer,
ne se corrompent pas aisément;
et peut-être qu'au jour de la
résurrection des corps, au
grand jugement dernier, ces
chaînes, qui lieront encore
leurs os, feront une partie de
leur gloire, et seront changées
en chaînes de lumière et de
gloire. Heureux donc mille fois
les esclaves illustres de
Jésus en Marie, qui porteront
leurs chaînes jusqu'au tombeau!
238. Voici les raisons pourquoi on
porte ces chaînettes:
Premièrement, c'est pour
faire ressouvenir le chrétien
des voeux et engagements de son
baptême, de la rénovation
parfaite qu'il en a faite par cette
dévotion, et de l'étroite
obligation où il est de s'y
rendre fidèle. Comme l'homme, qui
se conduit souvent plus par les
sens que par la pure foi,
s'oublie facilement de ses obligations
envers Dieu, s'il n'a
quelque chose extérieur qui
les lui remette en mémoire, ces
petites chaînes servent merveilleusement
au chrétien pour le
faire ressouvenir des chaînes
du péché et de l'esclavage du
démon, dont le saint baptême
l'a délivré, et de la dépendance
de Jésus-Christ qu'il lui
a vouée dans le saint baptême, et de
la ratification qu'il en a faite
par rénovation de ses voeux;
et une des raisons pourquoi si peu
de chrétiens pensent à
leurs voeux du saint baptême,
et vivent avec autant de
libertinage que s'ils n'avaient
rien promis à Dieu, comme les
païens, c'est qu'ils ne portent
aucune marque extérieure qui
les en fasse ressouvenir.
239. Secondement, c'est pour montrer
qu'on ne rougit point de
l'esclavage et servitude de Jésus-Christ,
et qu'on renonce à
l'esclavage funeste du monde, du
péché et du démon.
Troisièmement, c'est pour
se garantir et préserver des
chaînes d'iniquité.
Car, ou il faut que nous portions des
chaînes d'iniquité,
ou des chaînes de charité et de salut:
Vincula peccatorun; in vinculis
charitatis.
240. Ah, mon cher frère, brisons
les chaînes des péchés et des
pécheurs, du monde et des
mondains, du diable et de ses
suppôts, et rejetons loin
de nous leur joug funeste:
Dirumpamus vincula eorum et projiciamus
a nobis jugum ipsorum.
Mettons nos pieds, pour me servir
des termes du Saint-Esprit,
dans ses fers glorieux, et notre
cou dans ses colliers: Injice
pedem tuum in compedes illius, et
in torques illius collum
tuum (Eccli, 27). Soumettons nos
épaules, et portons la
Sagesse, qui est Jésus-Christ,
et ne nous ennuyons point de
ses chaînes: Subjice humerum
tuum et porta illam, et ne
accedieris vinculis ejus (Eccli
6,25). Vous noterez que le
Saint-Esprit, avant de dire ces
paroles, y prépare l'âme, afin
qu'elle ne rejette pas son conseil
important. Voici ses
paroles: Audi, fili, et accipe consilium
intellectus, et ne
abjicias consilium meum (Eccli 6):
Ecoute mon fils, et reçois
un conseil d'entendement, et ne
rejette pas mon conseil.
241. Vous voulez bien, mon très
cher ami, que je m'unisse au
Saint-Esprit, pour vous donner le
même conseil: Vincula illius
aligatura salutis (Eccli,6): ses
chaînes sont des chaînes de
salut. Comme Jésus-Christ
en croix doit attirer tout à lui,
bon gré mal gré, il
attirera les réprouvés par les chaînes de
leurs péchés, pour
les enchaîner comme des forçats et des
diables à son ire éternelle
et à sa justice vengeresse; mais
il attirera, particulièrement
en ces derniers temps, les
prédestinés par des
chaînes de charité: Omnia traham ad
meipsum. Traham eos in vinculis
charitatis (Osée, 4).
242. Ces esclaves amoureux de Jésus-Christ
ou enchaînés de
Jésus-Christ, vincti Christi,
peuvent porter leurs chaînes, ou
à leur cou, ou à leurs
bras, ou autour de leurs reins, ou à
leurs pieds. Le Père Vincent
Caraffa, septième général de la
Compagnie de Jésus, qui mourut
en odeur de sainteté l'an 1643,
portait, pour marque de sa servitude,
un cercle de fer aux
pieds, et disait que sa douleur
était qu'il n'en pouvait pas
traîner publiquement la chaîne.
La Mère Agnès de Jésus, dont
nous avons parlé, portait
une chaîne de fer autour de ses
reins. Quelques autres l'ont portée
au cou, pour pénitence des
colliers de perles qu'elles avaient
portés dans le monde.
Quelques-uns l'ont portée
à leur bras, pour se faire souvenir,
dans les travaux de leurs mains,
qu'ils sont esclaves de
Jésus-Christ.
[Dévotion spéciale
au mystère de l'Incarnation]
243. Quatrième pratique.
- Ils auront une singulière dévotion
pour le grand mystère de
l'Incarnation du Verbe, le 25 de
mars, qui est le propre mystère
de cette dévotion, parce que
cette dévotion a été
inspirée du Saint-Esprit: 1. pour honorer
et imiter la dépendance ineffable
que Dieu le Fils a voulu
avoir de Marie, pour la gloire de
Dieu son Père et pour notre
salut, laquelle dépendance
paraît particulièrement dans ce
mystère où Jésus-Christ
est captif et esclave dans le sein de
la divine Marie, et où il
dépend d'elle pour toutes choses; 2.
pour remercier Dieu des grâces
incomparables qu'il a faites à
Marie et particulièrement
de l'avoir choisie pour sa très
digne Mère, lequel choix
a été fait dans ce mystère: ce sont
là les deux principales fins
de l'esclavage de Jésus en Marie.
244. Remarquez, s'il vous plait,
que je dis ordinairement:
l'esclave de Jésus en Marie,
l'esclavage de Jésus en Marie. On
peut, à la vérité,
comme plusieurs ont fait jusqu'ici, dire
l'esclave de Marie, l'esclavage
de la Sainte Vierge; mais je
crois qu'il vaut mieux qu'on se
dise l'esclave de Jésus en
Marie, comme le conseilla Monsieur
Tronson, supérieur général
du Séminaire de Saint-Sulpice,
renommé pour sa rare prudence
et sa piété consommée,
à un ecclésiastique qui le consultait
sur ce sujet: En voici les raisons:
245. 1 Comme nous sommes dans un
siècle orgueilleux, où il y
a un grand nombre de savants enflés,
d'esprits forts et
critiques, qui trouvent à
redire dans les pratiques de piété
les mieux établies et les
plus solides, pour ne pas leur
donner une occasion de critique
sans nécessité, il vaut mieux
dire l'esclavage de Jésus-Christ
en Marie, et se dire
l'esclave de Jésus-Christ
que l'esclave de Marie; prenant la
dénomination de cette dévotion,
plutôt de sa fin dernière, qui
est Jésus-Christ, que du
chemin et du moyen pour arriver à
cette fin, qui est Marie; quoiqu'on
puisse, dans la vérité,
faire l'un et l'autre sans scrupule,
ainsi que je fais. Par
exemple, un homme qui va d'Orléans
à Tours, par le chemin
d'Amboise, peut fort bien dire qu'il
va à Amboise et qu'il va
à Tours; qu'il est voyageur
d'Amboise et voyageur de Tours;
avec cette différence, cependant,
qu'Amboise n'est que sa
route droite pour aller à
Tours, et que Tours seul est sa fin
dernière et terme de son
voyage.
246. 2 Comme le principal mystère
qu'on célèbre et qu'on
honore en cette dévotion
est le mystère de l'Incarnation, où
on ne peut voir Jésus-Christ
qu'en Marie, et incarné dans son
sein, il est plus à propos
de dire l'esclavage de Jésus en
Marie, de Jésus résidant
et règnant en Marie, selon cette
belle prière de tant de grands
hommes: O Jésus, vivant en
Marie, venez et vivez en nous, en
votre esprit de sainteté,
etc.
247. 3 Cette manière de parler
montre davantage l'union
intime qu'il ya a entre Jésus
et Marie. Ils sont unis si
intimement, que l'un est tout dans
l'autre: Jésus est tout en
Marie, et Marie toute en Jésus;
ou plutôt, elle n'est plus,
mais Jésus tout seul en elle;
et on séparerait plutôt la
lumière du Soleil, que Marie
de Jésus. En sorte qu'on peut
nommer Notre-Seigneur Jésus
de Marie, et la Sainte Vierge
Marie de Jésus.
248. Le temps ne me permettant pas
de m'arrêter ici pour
expliquer les excellences et les
grandeurs du mystère de Jésus
vivant et règnant en Marie,
ou de l'Incarnation du Verbe, je
me contenterai de dire en trois
mots que c'est ici le premier
mystère de Jésus-Christ,
le plus caché, le plus relevé et le
moins connu; que c'est en ce mystère
que Jésus, de concert
avec Marie, dans son sein, qui est
pour cela appelé des saints
aula sacramentorum, la salle des
secrets de Dieu, a choisi
tous les élus; que c'est
en ce mystère qu'il a opéré tous les
mystères de sa vie qui ont
suivi, par l'acceptation qu'il en
fit: Jesus ingrediens mundum dicit:
Ecce venio ut faciam,
voluntatem tuam etc.; et, par conséquent,
que ce mystère est
un abrégé de tous
les mystères, qui renferme la volonté et la
grâce de tous; enfin, que
ce mystère est le trône de la
miséricorde, de la libéralité
et de la gloire de Dieu. Le
trône de sa miséricorde
pour nous, parce que, comme on ne peut
approcher de Jésus que par
Marie, on ne peut voir Jésus ni lui
parler que par l'entremise de Marie.
Jésus, qui exauce
toujours sa chère Mère,
y accorde toujours sa grâce et sa
miséricorde aux pauvres pécheurs:
Adeamus ergo cum fiducia ad
thronum gratiae. C'est le trône
de sa libéralité pour Marie,
parce que, tandis que ce nouvel
Adam a demeuré dans ce vrai
paradis terrestre, il y a opéré
tant de merveilles en cachette
que ni les anges, ni les hommes
ne les comprennent point;
c'est pourquoi les saints appellent
Marie la magnificence de
Dieu: Magnificentia Dei, comme si
Dieu n'était magnifique
qu'en Marie: Solummodo ibi magnificus
[est] Dominus. C'est le
trône de sa gloire pour son
Père, parce que c'est en Marie que
Jésus-Christ a parfaitement
calmé son Père, irrité contre les
hommes; qu'il a parfaitement réparé
la gloire que le péché lui
avait ravie, et que, par le sacrifice
qu'il y a fait de sa
volonté et de lui-même,
il lui a donné plus de gloire que
jamais ne lui avaient donné
tous les sacrifices de l'ancienne
loi, et enfin qu'il lui a donné
une gloire infinie, que
jamais il n'avait encore reçue
de l'homme.
[Grande dévotion à
l'Ave Maria et au chapelet]
249. Cinquième pratique.
- Ils auront une grande dévotion à
dire l'Ave Maria, ou la Salutation
angélique, dont peu de
chrétiens, quoique éclairés,
connaissent le prix, le mérite,
l'excellence et la nécessité.
Il a fallu que la Sainte Vierge
ait apparu plusieurs fois à
de grands saints fort éclairés
pour leur en montrer le mérite,
comme à saint Dominique, à
saint Jean de Capistran, au bienheureux
Alain de la Roche. Ils
ont composé des livres entiers
des merveilles et de l'efficace
de cette prière pour convertir
les pécheurs; ils ont publié
hautement, ils ont prêché
publiquement que le salut du monde
ayant commencé par l'Ave
Maria, le salut de chacun en
particulier était attaché
à cette prière; que c'est cette
prière qui a fait porter
à la terre sèche et stérile le fruit
de vie, et que c'est cette même
prière, bien dite, qui doit
faire germer en nos âmes la
parole de Dieu et porter le fruit
de vie, Jésus-Christ; que
l'Ave Maria est une rosée céleste
qui arrose la terre, c'est-à-dire
l'âme pour la faire porter
son fruit en son temps; et qu'une
âme qui n'est pas arrosée
par cette prière ou rosée
céleste ne porte point de fruit et
ne donne que des ronces et des épines,
et est prête d'être
maudite.
250. Voici ce que la Très
Sainte Vierge révéla au bienheureux
Alain de la Roche, comme il est
marqué dans son livre De
dignitate Rosarii, et depuis par
Cartagena: Sache, mon fils,
et fais-le connaître à
tous, qu'un signe probable et prochain
de la damnation éternelle
est d'avoir de l'aversion, de la
tiédeur et de la négligence
à dire la Salutation angélique,
qui a réparé tout
le monde: Scias enim et secure intelligas et
inde late omnibus patefacias, quod
videlicet signum probabile
est et propinquum aeternae damnationis
horrere et attediari ac
negligere Salutationem angelicam,
totius mundi reparativam (De
dignit., cap 11). Voilà des
paroles bien consolantes et bien
terribles, qu'on aurait peine à
croire si nous n'en avions
pour garants ce saint homme et saint
Dominique devant lui, et
depuis plusieurs grands personnages,
avec l'expérience de
plusieurs siècles. Car on
a toujours remarqué que ceux qui
portent la marque de la réprobation,
comme tous les hérétiques
et impies, orgueilleux et mondains,
haïssent ou méprisent
l'Ave Maria et le chapelet. Les
hérétiques apprennent et
récitent encore le Pater,
mais non pas l'Ave Maria, ni le
chapelet; c'est leur horreur: ils
porteraient plutôt un
serpent sur eux qu'un chapelet.
Les orgueilleux aussi, quoique
catholiques, comme ayant les mêmes
inclinations que leur père
Lucifer, méprisent ou n'ont
que de l'indifférence pour l'Ave
Maria, et regardent le chapelet
comme un dévotion de
femmelette qui n'est bonne que pour
les ignorants et ceux qui
ne savent point lire. Au contraire,
on a vu, par expérience,
que ceux et celles qui ont d'ailleurs
de grandes marques de
prédestination aiment, goûtent
et récitent avec plaisir l'Ave
Maria; et que plus ils sont à
Dieu, et plus ils aiment cette
prière. C'est ce que la Sainte
Vierge dit aussi au bienheureux
Alain, en suite des paroles que
je viens de citer.
251. Je ne sais pas comment cela
se fait ni pourquoi, mais
cela est pourtant vrai; et je n'ai
pas un meilleur secret,
pour connaître si une personne
est de Dieu, que d'examiner si
elle aime à dire l'Ave Maria
et le chapelet. Je dis: elle
aime; car il peut arriver qu'une
[personne] soit dans
l'impossibilité naturelle
ou même surnaturelle de le dire,
mais elle l'aime toujours et elle
l'inspire aux autres.
252. AMES PREDESTINEES, ESCLAVES
DE JESUS EN MARIE, apprenez
que l'Ave Maria est la plus belles
de toutes les prières après
le Pater; c'est le plus parfait
compliment que vous puissiez
faire à Marie, puisque c'est
le compliment que le Très-Haut
lui envoya faire par un archange
pour gagner son coeur; et il
fut si puissant sur son coeur, par
les charmes secrets dont il
est plein, que Marie donna son consentement
à l'Incarnation du
Verbe, malgré sa profonde
humilité. C'est par ce compliment
aussi que vous gagnerez infailliblement
son coeur, si vous le
dites comme il faut.
253. L'Ave Maria bien dit, c'est-à-dire
avec attention,
dévotion et modestie, est,
selon les saints, l'ennemi du
diable, qui le met en fuite, et
le marteau qui l'écrase, la
sanctification de l'âme, la
joie des anges, la mélodie des
prédestinés, le cantique
du Nouveau Testament, le plaisir de
Marie et la gloire de la Très
Sainte Trinité. L'Ave Maria est
une rosée céleste
qui rend l'âme féconde; c'est un baiser
chaste et amoureux qu'on donne à
Marie, c'est une rose
vermeille qu'on lui présente,
c'est une perle précieuse qu'on
lui offre, c'est un coup d'ambroisie
et de nectar divin qu'on
lui donne. Toutes ces comparaisons
sont des saints.
254. Je vous prie donc instamment,
par l'amour que je vous
porte en Jésus et en Marie,
de ne vous pas contenter de
réciter la petite couronne
de la Sainte Vierge, mais encore
votre chapelet, et même, si
vous en avez le temps, votre
rosaire, tous les jours, et vous
bénirez, à l'heure de votre
mort, le jour et l'heure que vous
m'avez cru; et, après avoir
semé dans les bénédictions
de Jésus et de Marie, vous
recueillerez des bénédictions
éternelles dans le ciel: Qui
seminat in benedictionibus, de benedictionibus
et metet. [2 Co
9,6]
[Récitation du Magnificat]
255. Sixième pratique. -
Pour remercier Dieu des grâces qu'il
a faites à la Très
Sainte Vierge, ils diront souvent le
Magnificat, à l'exemple de
la bienheureuse Marie d'Oignies et
de plusieurs autres saints. C'est
la seule prière et le seul
ouvrage que la Sainte Vierge ait
composé, ou plutôt que Jésus
a fait en elle, car il parlait par
sa bouche. C'est le plus
grand sacrifice de louange que Dieu
ait reçu dans la loi de
grâce. C'est d'un côté
le plus humble et le plus
reconnaissant, et de l'autre le
plus sublime et le plus relevé
de tous les cantiques: il y a dans
ce cantique des mystères si
grands et si cachés, que
les anges en ignorent. Gerson, qui a
été un docteur si
pieux et si savant, après avoir employé une
grande partie de sa vie à
composer des traités si pleins
d'érudition et de piété
sur les matières les plus difficiles,
n'entreprit qu'en tremblant, vers
la fin de sa vie,
d'expliquer le Magnificat, afin
d'en couronner tous ses
ouvrages. Il nous rapporte, dans
un volume in-folio qu'il en a
composé, plusieurs choses
admirable du beau et divin cantique.
Entre autres choses, il dit que
la Très Sainte Vierege le
récitait souvent elle-même,
et particulièrement après la
Sainte Communion, pour action de
grâces. Le savant Benzonius,
en expliquant le même Magnificat,
rapporte plusieurs miracles
opérés par sa vertu,
et il dit que les diables tremblent et
s'enfuient quand ils entendent ces
paroles du Magnificat:
Fecit potentiam in brachio suo,
dispersit superbos mente
cordis sui.
[Le mépris du monde]
256. Septième pratique. -
Les fidèles serviteurs de Marie
doivent beaucoup mépriser,
haïr et fuir le monde corrompu, et
se servir des pratiques de mépris
du monde que nous avons
données dans la première
partie.
Pratiques particulières et
intérieures pour ceux qui veulent
devenir parfaits.
257. Outre les pratiques extérieures
qu'on vient de rapporter,
lesquelles il ne faut pas omettre
par négligence ni mépris,
autant que l'état et condition
de chacun le permet, voici des
pratiques intérieures bien
sanctifiantes pour ceux que le
Saint-Esprit appelle à une
haute perfection.
C'est en quatre mots, de faire toutes
ses actions PAR
MARIE, AVEC MARIE, EN MARIE et POUR
MARIE, afin de les faire
plus parfaitement par Jésus-Christ,
avec Jésus-Christ, en
Jésus et pour Jésus.
[Faire toutes ses actions par Marie]
258. 1 Il faut faire ses actions
par Marie, c'est-à-dire
qu'ils faut qu'ils obéissent
en toutes choses à la Très Sainte
Vierge, et qu'ils se conduisent
en toutes choses par son
esprit, qui est le Saint-Esprit
de Dieu. Ceux qui sont
conduits de l'esprit de Dieu sont
enfants de Dieu: Qui spiritu
Dei aguntur, ii sunt filii Dei.
Ceux qui sont conduits par
l'esprit de Marie sont enfants de
Marie, et, par conséquent,
enfants de Dieu, comme nous avons
montré, et parmi tant de
dévots à la Sainte
Vierge, il n'y a de vrais et fidèles dévots
que ceux qui se conduisent par son
esprit. J'ai dit que
l'esprit de Marie était l'esprit
de Dieu, parce qu'elle ne
s'est jamais conduite par son propre
esprit, mais toujours par
l'esprit de Dieu, qui s'en est tellement
rendu le maître qu'il
est devenu son propre esprit. C'est
pourquoi saint Ambroise
dit: Sit in singulis, etc.: Que
l'âme de Marie soit en chacun
pour glorifier le Seigneur; que
l'esprit de Marie soit en
chacun pour se réjouir en
Dieu. Qu'une âme est heureuse quand,
à l'exemple d'un bon frère
Jésuite, nommé Rodriguez, mort en
odeur de sainteté, elle est
toute possédée et gouvernée par
l'esprit de Marie, qui est un esprit
doux et fort, zélé et
prudent, humble et courageux, pur
et fécond!
259. Afin que l'âme se laisse
conduire par cet esprit de
Marie, il faut: 1 Renoncer à
son propre esprit, à ses propres
lumières et volontés
avant de faire quelque chose: par
exemple, avant de faire oraison,
dire ou entendre la sainte
Messe, communier, etc.; parce que
les ténèbres de notre propre
esprit et la malice de notre propre
volonté et opération, si
nous les suivons, quoiqu'elles nous
paraissent bonnes,
mettraient obstacle à l'esprit
de Marie. 2 Il faut se livrer
à l'esprit de Marie pour
en être mus et conduits de la manière
qu'elle voudra. Il faut se mettre
et se laisser entre ses
mains virginales, comme un instrument
entre les mains de
l'ouvrier, comme un luth entre les
mains d'un bon joueur. Il
faut se perdre et s'abandonner en
elle, comme un pierre qu'on
jette dans la mer: ce qui se fait
simplement et en un instant,
par une seule oeillade de l'esprit,
par un petit mouvement de
la volonté, ou verbalement,
en disant, par exemple: Je renonce
à moi, je me donne à
vous, ma chère Mère. Et quoiqu'on ne
sente aucune douceur sensible dans
cet acte d'union, il ne
laisse pas d'être véritable:
tout comme si on disait ce qu'à
Dieu ne plaise: Je me donne au diable,
avec autant de
sincérité, quoiqu'on
le dît sans changement sensible, on n'en
serait pas moins véritablement
au diable. 3 Il faut, de temps
en temps, pendant son action et
après l'action, renouveler le
même acte d'offrande et d'union;
plus on le fera, et plus tôt
on se sanctifiera, et plus tôt
on arrivera à l'union à Jésus-
Christ, qui suit toujours nécessairement
l'union à Marie,
puisque l'esprit de Marie est l'esprit
de Jésus.
[Faire toutes ses actions avec Marie]
260. 2 Il faut faire ses actions
avec Marie: c'est-à-dire
qu'il faut, dans ses actions, regarder
Marie comme un modèle
accompli de toute vertu et perfection
que le Saint-Esprit a
formé dans un pure créature,
pour imiter selon notre petite
portée. Il faut donc qu'en
chaque action nous regardions comme
Marie l'a faite ou la ferait, si
elle était en notre place.
Nous devons pour cela examiner et
méditer les grandes vertus
qu'elle a pratiquées pendant
sa vie, particulièrement: 1. sa
foi vie, par laquelle elle a cru
sans hésiter la parole de
l'ange; elle a cru fidèlement
et constamment jusqu'au pied de
la croix sur le Calvaire; 2. son
humilité profonde, qui l'a
fait se cacher, se taire, se soumettre
à tout et se mettre la
dernière; 3. sa pureté
toute divine, qui n'a jamais ni n'aura
jamais de pareille sous le ciel,
enfin toutes ses autres
vertus.
Qu'on se souvienne, je le répète
une deuxième fois, que
Marie est le grand et l'unique moule
de Dieu, propre à faire
des images vivantes de Dieu, à
peu de frais et en peu de
temps; et qu'une âme qui a
trouvé ce moule, et qui s'y perd,
est bientôt changée
en Jésus-Christ, que ce moule représente
au naturel.
[Faire toutes ses actions en Marie]
261. 3 Il faut faire ses actions
en Marie.
Pour bien comprendre cette pratique
il faut savoir:
1 Que la Très Sainte Vierge
est le vrai paradis
terrestre du nouvel Adam, et que
l'ancien paradis terrestre
n'en était que la figure.
Il y a donc, dans ce paradis
terrestre, des richesses, des beautés,
des raretés et des
douceurs inexplicables, que le nouvel
Adam, Jésus-Christ, y a
laissées. C'est en ce paradis
qu'il a pris ses complaisances
pendant neuf mois, qu'il a opéré
ses merveilles et qu'il a
étalé ses richesses
avec la magnificence d'un Dieu. Ce très
saint lieu n'est composé
que d'une terre vierge et immaculée,
dont a été formé
et nourri le nouvel Adam, sans aucune tache
ni souillure, par l'opération
du Saint-Esprit, qui y habite.
C'est en ce paradis terrestre où
est véritablement l'arbre de
vie qui a porté Jésus-Christ,
le fruit de vie; l'arbre de
science du bien et du mal qui a
donné la lumière au monde. Il
y a, en ce lieu divin, des arbres
plantés de la main de Dieu
et arrosés de son onction
divine, qui ont porté et portent
tous les jours des fruits d'un goût
divin; il y a des
parterres émaillés
de belles et différentes fleurs des vertus,
qui jettent une odeur qui embaume
même les anges. Il y a dans
ce lieu des prairies vertes d'espérance,
des tours imprenables
de force, des maisons charmantes
de confiance, etc. Il n'y a
que le Saint-Esprit qui puisse faire
connaître la vérité
cachée sous ces figures de
choses matérielles. Il y a encore
en ce lieu un air pur, sans infection,
de pureté; un beau
jour, sans nuit, de l'humanité
sainte; un beau soleil, sans
ombre, de la Divinité; une
fournaise ardente et continuelle de
charité, où tout le
fer qui [y] est mis est embrasé et changé
en or; il y a un fleuve d'humilité
qui sourd de la terre et
qui, se divisant en quatre branches,
arrose tout ce lieu
enchanté; ce sont les quatre
vertus cardinales.
262. [2] Le Saint-Esprit, par la
bouche des saints Pères,
appelle aussi la Sainte Vierge:
1. la porte orientale, par où
le grand prêtre Jésus-Christ
entre et sort dans le monde; il y
est entré la première
fois par elle, et il viendra la seconde;
2. le sanctuaire de la Divinité,
le repos de la très Sainte
Trinité, le trône de
Dieu, la cité de Dieu, l'autel de Dieu,
le temple de Dieu, le monde de Dieu.
Toutes ces différentes
épithètes et louanges
sont très véritables, par rapport aux
différentes merveilles de
grâces que le Très-Haut a faites en
Marie. Oh! quelles richesses! Oh!
quelle gloire! Oh! quel
plaisir! Oh! quel bonheur de pouvoir
entrer et demeurer en
Marie, où le Très-Haut
a mis le trône de sa gloire suprème!
263. Mais qu'il est difficile à
des pécheurs comme nous sommes
d'avoir la permission et la capacité
et la lumière pour entrer
dans un lieu si haut et si saint,
qui est gardé non par un
chérubin, comme l'ancien
paradis terrestre, mais par le Saint-
Esprit même qui s'en est rendu
le maître absolu, de laquelle
il dit: Hortus conclusus soror mea
sponsa, hortus conclusus,
fons signatus. Marie est fermée;
Marie est scellée; les
misérables enfants d'Adam
et d'Eve, chassés du paradis
terrestre, ne peuvent entrer à
celui-ci que par une grâce
particulière du Saint-Esprit,
qu'ils doivent mériter.
264. Après que, par sa fidélité,
on a obtenu cette insigne
grâce, il faut demeurer dans
le bel intérieur de Marie avec
complaisance, s'y reposer en paix,
s'y appuyer avec confiance,
s'y cacher avec assurance et s'y
perdre sans réserve, afin que
dans ce sein virginal: 1. l'âme
soit nourrie du lait de sa
grâce et de sa miséricorde
maternelle; 2. y soit délivrée de
ses troubles, craintes et scrupules;
3. y soit en sûreté
contre tous ses ennemis, le démon,
le monde et le péché, qui
n'y ont jamais eu entrée:
c'est pourquoi elle dit que ceux qui
opèrent en elle ne pècheront
point: Qui operantur in me, non
peccabunt, c'est-à-dire ceux
qui demeurent en la Sainte Vierge
en esprit ne feront point de péché
considérable; 4. afin
qu'elle soit formée en Jésus-Christ
et que Jésus-Christ soit
formé en elle: parce que
son sein est, comme disent les Pères,
la salle des sacrements divins,
où Jésus-Christ et tous les
élus ont été
formés: Homo et homo natus est in ea.
[Faire toutes ses actions pour Marie]
265. 4 Enfin il faut faire toutes
ses actions pour Marie,
Car, comme on s'est tout livré
à son service, il est juste
qu'on fasse tout pour elle comme
un valet, un serviteur et un
esclave; non pas qu'on la prenne
pour la dernière fin de ses
services, qui est Jésus-Christ
seul, mais pour sa fin
prochaine et son milieu mystérieux,
et son moyen aisé pour
aller à lui. Ainsi qu'un
bon serviteur et esclave, il ne faut
pas demeurer oisif; mais il faut,
appuyé de sa protection,
entreprendre et faire de grandes
choses pour cette auguste
Souveraine. Il faut défendre
ses privilèges quand on les lui
dispute; il faut soutenir sa gloire
quand on l'attaque; il
faut attirer tout le monde, si on
peut, à son service et à
cette vraie et solide dévotion;
il faut parler et crier contre
ceux qui abusent de sa dévotion
pour outrager son Fils; il ne
faut prétendre d'elle, pour
récompense de ses petits services,
que l'honneur d'appartenir à
une si aimable Princesse, et le
bonheur d'être par elle uni
à Jésus, son Fils, d'un lien
indissoluble dans le temps et l'éternité.
GLOIRE A JESUS EN MARIE!
GLOIRE A MARIE EN JESUS!
GLOIRE A DIEU SEUL!
[SUPPLEMENT]
MANIERE DE PRATIQUER CETTE DEVOTION
DANS LA SAINTE COMMUNION
AVANT LA COMMUNION
266. 1 Vous vous humilierez profondément
devant Dieu. 2 Vous
renoncerez à votre fond tout
corrompu et à vos dispositions,
quelques bonnes que votre amour-propre
vous les fasse voir. 3
Vous renouvellerez votre consécration
en disant: Tuus totus
ego sum, et omnia mea tua sunt:
Je suis tout à vous ma chère
Maîtresse, avec tout ce que
j'ai. 4 Vous supplierez cette
bonne Mère de vous prêter
son coeur, pour y recevoir son Fils
dans ses mêmes dispositions.
Vous lui représenterez qu'il y va
de la gloire de son Fils de n'être
pas mis dans un coeur aussi
souillé que le vôtre
et aussi inconstant, qui ne manquerait
pas de lui ôter de sa gloire
ou de le perdre; mais si elle
veut venir habiter chez vous pour
recevoir son Fils, elle le
peut par le domaine qu'elle a sur
les coeurs; et que son Fils
sera par elle bien reçu sans
souillure et sans danger d'être
outragé ni perdu: Deus in
medio ejus non commovebitur. Vous
lui direz confidemment que tout
ce que vous lui avez donné de
votre bien est peu de chose pour
l'honorer, mais que, par la
sainte communion, vous voulez lui
faire le même présent que le
Père éternel lui a
fait, et qu'elle en sera plus honorée que
si vous lui donniez tous les biens
du monde; et qu'enfin
Jésus, qui l'aime uniquement,
désire encore prendre en elle sa
complaisance et son repos, quoique
dans votre âme plus sale et
plus pauvre que l'étable,
où Jésus ne fit pas difficulté de
venir parce qu'elle y était.
Vous lui demanderez son coeur par
ces tendres paroles: Accipio te
in mea omnia. Praebe mihi cor
tuum, o Maria!
DANS LA COMMUNION
267. 2 Prêt de recevoir Jésus-Christ,
après le Pater, vous
lui direz trois fois: Domine, non
sum dignus, etc., comme si
vous disiez, la première
fois, au Père éternel, que vous
n'êtes pas digne, à
cause de vos mauvaises pensées et
ingratitudes à l'égard
d'un si bon Père, de recevoir son Fils
unique, mais que voici Marie, sa
servante: Ecce ancilla
Domini, qui fait pour vous, et qui
vous donne une confiance et
espérance singulière
auprès de sa Majesté: Quoniam
singulariter in spe constituisti
me.
268. Vous direz au Fils: Domine,
non sum dignus, etc., que
vous n'êtes pas digne de le
recevoir à cause de vos paroles
inutiles et mauvaises et votre infidélité
en son service; mais
cependant que vous le priez d'avoir
pitié de vous parce que
vous l'introduirez dans la maison
de sa propre Mère et de la
vôtre, et que vous ne le laisserez
point aller qu'il ne soit
venu loger chez elle: Tenui eum,
nec dimittam, donec
introducam illum in domum matris
meae, et in cubiculum
genitrix meae (Cant 3,4). Vous le
prierez de se lever et de
venir dans le lieu de son repos
et dans l'arche de sa
sanctification: Surge, Domine, in
requiem tuam, tu et arca
santificationis tuae. [Vous lui
direz] que vous ne mettez
aucunement votre confiance dans
vos mérites, votre force et
vos préparations, comme Esaü,
mais dans celles de Marie, votre
chère Mère, comme
le petit Jacob dans les soins de Rébecca;
que, tout pécheur et Esaü
que vous êtes, vous osez vous
approcher de sa sainteté,
appuyé et orné des mérites et vertus
de sa sainte Mère.
269. Vous direz au Saint-Esprit:
Domine, non sum dignus, que
vous n'êtes pas digne de recevoir
le chef-d'oeuvre de sa
charité, à cause de
la tiédeur et iniquité de vos actions et
de vos résistances à
ses inspirations, mais que toute votre
confiance est Marie, sa fidèle
Epouse; et dites avec saint
Bernard: Haec maxima mea fiducia;
haec tota ratio spei meae.
Vous pourrez même le prier
de survenir encore en Marie, son
Epouse indissoluble; que son sein
est aussi pur et son coeur
aussi embrasé que jamais;
et que sans sa descente dans votre
âme, ni Jésus ni Marie
n'y seront point formés, ni dignement
logés.
APRS LA COMMUNION
270. Après la sainte communion,
étant intérieurement
recueilli, et les yeux fermés,
vous introduirez Jésus-Christ
dans le coeur de Marie. Vous le
donnerez à sa Mère, qui le
recevra amoureusement, le placera
honorablement, l'adorera
profondément, l'aimera parfaitement,
l'embrassera étroitement,
et lui rendra, en esprit et en vérité,
plusieurs devoirs qui
nous sont inconnus dans nos ténèbres
épaisses.
271. Ou bien vous vous tiendrez profondément
humilié dans
votre coeur, en la présence
de Jésus résidant en Marie. Ou
vous vous tiendrez comme un esclave
à la porte du palais du
Roi, où il est à parler
à la Reine; et tandis qu'ils se
parlent l'un à l'autre, sans
avoir besoin de vous, vous irez
en esprit au ciel et par toute la
terre, prier les créatures
de remercier, adorer et aimer Jésus
et Marie en votre place:
Venite, adoremus, venite, etc.
272. Ou bien, vous demanderez vous-même
à Jésus en union de
Marie, l'avènement de son
règne sur la terre par sa sainte
Mère, ou la divine sagesse,
ou l'amour divin, ou le pardon de
vos péchés, ou quelque
autre grâce, mais toujours par Marie et
en Marie; disant en vous regardant
de travers: Ne respicias,
Domine, peccata mea. Seigneur, ne
regardez pas mes péchés; sed
oculi tui videant aequitates Mariae:
mais que vos yeux ne
regardent en moi que les vertus
et mérites de Marie. Et en
vous souvenant de vos péchés,
vous ajouterez: Inimicus homo
hoc fecit: C'est moi, qui suis le
plus [grand] ennemi que j'ai
sur les bras, qui ai fait ces péchés;
ou bien: Ab homine
iniquo et doloso erue me, ou bien:
Te oportet crescere, me
autem minui: Mon Jésus, il
faut que vous croissiez dans mon
âme et que je décroisse.
Marie, il faut que vous croissiez
chez moi, et que je sois moins que
je n'ai été. Crescite et
multiplicamini: O Jésus et
Marie, croissez en moi, et
multipliez-vous au dehors dans les
autres.
273. Il y a une infinité d'autres
pensées que le Saint-Esprit
fournit, et vous fournira si vous
êtes bien intérieur,
mortifié et fidèle
à cette grande et sublime dévotion que je
viens de vous enseigner. Mais souvenez-vous
que plus vous
laisserez agir Marie dans votre
communion, et plus Jésus sera
glorifié; et vous laisserez
plus agir Marie pour Jésus, et
Jésus en Marie, que vous
vous humilierez plus profondément et
vous les écouterez avec paix
et silence, sans vous mettre en
peine de voir, goûter, ni
sentir; car le juste vit partout de
la foi, et particulièrement
dans la sainte communion, qui est
une action de foi: Justus meus ex
fide vivit.