Le Pasteur d'Hermas est un écrit chrétien catholique du IIème siècle après Jésus-Christ.
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HERMAS.
― I. Sa personne. II. Son ouvrage. III. Sa doctrine.
I. SA PERSONNE.
―
1° Autobiographie. ― On ne sait
de l’auteur du Pasteur que ce qu’il a dit de lui-même dans son ouvrage.
Et voici les quelques renseignements qu’il donne. Son nom est Hermas
; c’est ainsi qu’il se désigne à plusieurs reprises. Vis.¸ I, 1,
4 ; 2, 2 ; 4, 3 ; II, 2, 2. Esclave de naissance, vendu à Rome à une
femme nommée Rhoda, il dut être affranchi par elle. Marié, père de
famille, mais commerçant peu scrupuleux, il réussit à s’enrichir ;
car, porté au mensonge et à la dissimulation, il avoue n’avoir jamais
dit la vérité. Mand., III, 3, 3. La fortune jeta le désordre dans sa
famille ; lui-même devint un grand pécheur, Mand., IV, 2, 3 ; sa femme
fut une mauvaise langue et ses fils tournèrent mal au point de renier
leur foi et de dénoncer leurs parents. Vis., I, 3, 1 ; II, 3, 2 ; III,
6, 7, et il ne lui resta plus qu’un champ à cultiver sur la route de
Rome à Cumes. Vis., III, 1, 2 ; IV, 1, 2. Il était donc chrétien ainsi
que toute sa famille, mais ils avaient tous péché et devaient faire pénitence
pour se relever ; et c’est ce qu’ils firent. Comment donc fut-il amené
à écrire le Pasteur ?
Un jour, comme il longeait le Tibre,
il aperçut Rhoda, qu’il aimait comme une sœur, se baignant dans le
fleuve ; il lui tendit la main pour l’aider à sortir de l’eau non
sans se dire à lui-même : " Que je serais
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heureux d’avoir pour épouse une
femme de cette beauté et de ce mérite ! " Pensée mauvaise pour un homme
marié et père de famille ; il devait en faire pénitence. Un peu plus
tard, comme il se rendait à Cumes, il fut transporté par l’Esprit de
Dieu dans un endroit inaccessible ; et là il vit dans le ciel Rhoda, qui
lui apprit que Dieu était irrité contre lui à cause de sa mauvaise pensée.
" Prie le Seigneur, lui dit-elle, et il guérira tes péchés, ceux de
ta maison et de tous les tiens. " Réfléchissant alors au moyen d’apaiser
Dieu et d’assurer son salut, il eut successivement, à intervalles plus
ou moins longs, la vision quatre fois répétée d’une femme, qui représentait
l’Eglise, qui lui lut et lui confia un livre, avec l’ordre de le transcrire
en double exemplaire, l’un pour Clément, qui, selon le devoir de sa
charge, devait le transmettre aux villes étrangères, l’autre pour Grapta,
qui devait en instruire les veuves et les orphelins. Vis., II, 4, 3. Lui-même
devait l’interpréter à Rome avec ceux qui présidaient à l’Eglise.
Dans la suite, ce fut la visite d’un homme qu’il reçut ; celui-ci,
habillé en pasteur, la besace à l’épaule et la houlette à la main,
se dit chargé de lui rappeler les visions qu’il avait eues et de lui
faire écrire des préceptes et des similitudes : c’était l’ange de
la pénitence, Vis., V : de là le livre du Pasteur.
Tels sont les renseignements
autobiographique s fournis par Hermas sur sa vie et l’origine de son
ouvrage. Il se présente donc comme un contemporain du pape saint Clément,
à la fin du Ier siècle. Mais qu’y a-t-il de vrai dans tout cela ? Hermas
s’est-il imaginé avoir eu ces visions ? A-t-il voulu faire croire qu’il
les avait eues réellement ? N’a-t-il pas plutôt recouru à un simple
artifice littéraire pour faire entendre d’une manière saisissante la
leçon de morale qu’exigeait une période de relâchement ? Sa personne
est restée dans une ombre discrète ; mais, en revanche, son livre a joui,
dès la seconde moitié du IIe siècle, d’une assez grande célébrité
; car il fut lu publiquement dans les églises, tout au moins à titre
d’instruction et d’édification, et il passa même, aux yeux de quelques
Pères, pour un livre inspiré. Il import donc de savoir ce qu’en pensa
l’antiquité chrétienne.
2° Tradition primitive chez
les grecs. ― Le Pasteur a été connu, apprécié et cité chez certains
Pères grecs. Saint Irénée, par exemple, en a reproduit un passage, en
le faisant précéder de ces mots assez significatifs : χαλώς είπεν
ή αφήγ. Cont. hær., IV, 20, 2, P. G., t. VII, col. 1032. De même
Clément d’Alexandrie, qui admet la réalité et le caractère divin
des révélations d’Hermas, cite fréquemment le Pasteur et le qualifie
d’Ecriture. Strom., I, 17, 29 ; II, 1, 9, 12, 13 ; VI, 6, P. G., t. VIII,
col. 800, 928, 933, 980, 994, t. IX, col. 357. Mais ni saint Irénée,
ni Clément d’Alexandrie ne disent formellement qu’Hermas ait été
un contemporain des apôtres. Origène, au contraire, qui croit à l’inspiration
du livre, identifie son auteur avec l’Hermas nommé dans l’épître
aux Romains : Puto quod Hermas iste (celui de l’épître aux Romains)
sir scriptor libri illius, qui Pastor appellatur, quæ scriptura valde
mihi utilis videtur et, ut puto, divinitus inspirata. In Rom., X, 31, P.
G., t. XIV, col. 1282. Il n’ignore pourtant pas que son opinion n’est
pas celle de tout le monde, In Matth., XIV ? 21 ? P. G., t. XIII, col.
1240, et que certains ont peu d’estime pour cet ouvrage, De princ., IV
? 11, P. G., t. XI, col. 35. Quatre fois même, quand il en parle, il use
de cette précaution oratoire : Si cui tamen placeat eum legere ou recipere.
P. G., t. II, col. 823-826. Il n’y avait donc pas unanimité chez les
grecs, du temps d’Origène, sur la question de savoir s’il fallait
tenir pour inspiré le livre du Pasteur, mais on s’accordait à lui reconnaître
une utilité et une valeur morale de quelque importance. Au commencement
du IVe siècle, Eusèbe constatait qu’il était lu publiquement dans
les
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églises et servait à l’instruction
des catéchumènes, mais que certains mettaient en doute son inspiration.
Dans ces conditions, il le retranche des όμολογουμένα avec
les Πράξεις Παύλου, l’Αποχάλυψις Πέτρου,
l’Επιοτολή Βαρνάδα et les Διδαχαί τών άποστολων,
H. E., III, 3, P. G., t. XX, col. 217 ; il les range parmi les νόθα.
H. E., III, 25, ibid., col. 269. Plus tard, saint Athanase, tout en l’excluant
aussi du canon des Ecritures, De decr. Nic. syn., 18, P¨. G., t. XXV,
col. 456, le range parmi ceux que l’on doit lire aux catéchumènes :
" Pour plus d’exactitude, écrit-il, je suis obligé de dire que nous
avons d’autres livres qui ne sont point dans le canon, mais qui, selon
l’institution des Pères, doivent être lus à ceux qui veulent être
instruits des maximes de la foi. " Et il signale, parmi ces derniers, le
Pasteur ainsi que des livres de l’Ancien Testament, tels que la Sagesse
de Salomon, la Sagesse de Sirach, Esther, Judith, Tobie, qui n’étaient
pas encore reçus dans le canon des Ecritures par un consentement unanime.
Epist., fest., XXXIX, P. G., t. XXVI, col. 1437. Il n’hésite pas, quant
à lui, à s’appuyer sur le Pasteur pour réfuter les ariens qui l’exploitaient
à leur profit. De incarnatione Verbi, 3, P. G., t. XXV, col. 101. Didyme
l’Aveugle cite de même Vis., III, 2, 8, P. G., t. XXXIX, col. 1141.
L’auteur de l’Opus imperfectum in Matthæum (fin du IVe siècle), XIX,
28, homil. XXXIII, P. G., t. LVI, col. 829, cite Sim., IX, 15. Il est à
noter que, dans le Codex Sinaiticus, le Pasteur se trouve avec l’épître
du pseudo-Barnabé à la suite des livres du Nouveau Testament. Somme toute,
jusqu’au IVe siècle, le Pasteur d’Hermas a joui parmi les grecs d’une
grande autorité puisqu’on en faisait la lecture publique et qu’on
s’en servait pour l’instruction des catéchumènes. Mais bientôt son
influence décline. Il est pourtant encore cité par quelques écrivains.
Et tandis que Nicéphore l’exclut de la liste des livres canoniques,
l’interprète éthiopien en a fait un grand cas qu’il regarde comme
de la main de saint Paul. Voici, en effet, ce qu’on lit en appendice
dans la version éthiopienne, traduite en latin par Antoine d’Abbadie
dans les Abhandlungen für die Kunde des Morgenlandes, 1860, t. II ; Finitæ
sunt visiones et mandata et similitudines Hermæ, qui est Paulus.
3° Tradition primitive chez
les latins. ― Beaucoup moins favorable a ιté le jugement chez les latins.
Vers 180, l’auteur du fragment de Muratori attribue formellement le Pasteur
au frère du pape Pie, et refuse d’admettre son caractère inspiré :
Pastorem vero nupperime temporibus nostris, in urbe Roma, Hermas conscripit,
sedente cathedra urbis Romæ ecclesiæ Pio episcopo, fratre ejus. Et ideo
legi eum quidem oportet, se publicare vero in ecclesia populo, neque inter
prophetas completum (completos) numero, neque inter apostolos in fine temporum
potest. Tertullien, encore catholique, la traitait, il est vrai, de scriptura,
De orat., 16, P. L., t. I, col. 1172 ; mais, devenu montaniste, il le qualifia
de Pastor mæchorum et le repoussa comme un livre apocryphe, De pudicit.,
11, 20, P. L., t. II, col. 1000, 1021 ; sans nul doute parce que la pénitence
y était accordée aux adultères, et vraisemblablement parce que le pape
Zéphirin avait dû s’appuyer sur le Pasteur pour décider l’admission
des adultères à la pénitence. Cf. A. d’Alès, La théologie de Tertullien,
Paris, 1903, p. 228. Mais cela n’empêcha point l’auteur du De alcatoribus,
c. IV, édit. Hartel, t. III, p. 96, de le citer comme Ecriture. Au commencement
du IVe siècle, le décret attribué au pape Pie par le pseudo-Isidore
en appelait à Hermas pour réfuter les quartodécimans. Hardouin, t. I,
col. 95 ; Mansi, t. I, p. 672. C’est qu’en effet on prétendait alors
que la célébration de la Pâque le dimanche avait été prescrite par
l’ange à Hermas. Et le Liber pontificalis, dans la notice consacrée
au pape Pie, s’est fait l’écho de cette tradition : Sub hujus
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episcopatum, Hermis librum scripsit,
in quo mandatum continet quod ei præcepit angelus Domini, cum venit ad
eum in habitu pastoris, et præcepit ut Pascha die dominico celebratur.
Liber pontificalis, édit. Duchesne, Paris, 1886, t. I, p. 132. Mais, d’une
part, le Pasteur ne contient pas la moindre allusion à la Pâque, et,
d’autre part, l’usage romain de célébrer la Pâque le dimanche était
antérieur au pape Pie, puisque, au témoignage de saint Irénée, dans
Eusèbe, H. E., V, 24, P. G., t. XX, col. 505, Hygin, Télesphore et Xyste
le pratiquait déjà. Le Liber pontificalis, qui confond l’auteur du
Pasteur avec le livre lui-même, s’accorde du moins, quant à la date,
avec le fragment du Muratori. Ce titre Liber Pastoris a fait croire à
quelques écrivains que Pastor était un nom d’auteur. L’auteur du
poème contre Marcion présente déjà cette confusion, Adv. Marc., III,
9, P. L., t. II, col. 1078 ; et Rufin tout autant, In symb., 38, P. L.,
t. XXI, col. 374, ainsi que plus tard (vers 530) l’auteur de la Vie de
saint Geneviève. Acta sanctorum, januarii, t. I, p. 139. Saint Jérôme,
après avoir rappelé les témoignages d’Origène et d’Eusèbe, affirme
que le Pasteur était presque inconnu chez les latins, De vir. ill., 10,
P. L., t. XXXII, col. 625 ; qu’il ne faisait point partie du canon, Præf.
in libr. Sam. et Malach., P. L., t. XXXVIII, col. 556 ; et il accuse Hermas
de folie ou de sottise au sujet de ce qu’il avait dit relativement l’ange
Tyri (Thegri). In Habac., I, 14, P. L., t. XXV, col. 1286. On en appelait
encore malgré tout au Pasteur ; c’est ainsi Cassien s’appuyait sur
lui pour soutenir que chaque homme a deux anges. Collat., VIII, 17 ; XIII,
12, P. L., t. XLIX, col. 750, 929. Mais saint Prosper répliquait à Cassien
: Nullius auctoritatis est testimonium, quod disputationi suæ de libello
Pastoris inserucrit. Cont. Collat., XIII, 6, P. L., t. LI, col. 250. Le
Pasteur se trouve cité dans l’appendice de la liste des Livres saints
reproduite dans le Codex Claromontanus ; mais le décret de Gélase, Hardouin,
t. II, col. 941 ; Thiel, Epistolæ romanorum pontificum, 1868, t. I, p.
463, le rejette parmi les apocryphes. Il ne resta pourtant pas inconnu
; il fut même utilisé encore dans l’Eglise latine, comme en témoignent,
vers 530, l’auteur de la Vie de sainte Geneviève, qui cite un passage
selon la version latine du manuscrit palatin, Acta sanctorum, januarii,
t. I, p. 139, et Sedulius Scotus, au IXe siècle, qui partageait l’opinion
d’Origène sur le caractère inspiré de ce livre. Collect. ad Rom.,
XVI, 14, P. L., t. CIII, col. 124. Quelques manuscrits contiennent la version
latine du Pasteur parmi les livres de l’Ancien Testament. Des auteurs
du moyen âge en citèrent quelques passages.
4° La critique moderne. ―
Du XVIe siècle à la moitié du XVIIIe, la plupart des critiques continuèrent
à voir dans Hermas un contemporain des apôtres et plaçaient la date
du Pasteur, les uns avant la ruine de Jérusalem, les autres vers l’an
92. Mais, en 1740, la découverte et la publication du fragment de Muratori,
si précis relativement à l’époque où vécut et écrivit Hermas, firent
abandonner cette opinion par la plupart des critiques. On admit qu’Hermas
n’avait vécu qu’au IIe siècle. Et c’est aujourd’hui l’opinion
à peu près unanime. Mais à ce compte, dit-on l’auteur du Pasteur nous
a trompés en se donnant comme le contemporain du pape Clément. Rien de
plus vrai. Or, en dehors du témoignage si formel du fragment de Muratori,
il y a des raisons internes qui favorisent l’opinion nouvelle. A considérer,
en effet, les idées du Pasteur, sa composition vers le milieu du IIe siècle,
note Bardenhewer, Les Pères de l’Eglise, trad. franç., Paris, 1899,
t. I, p. 91, est sinon hors de conteste, du moins très vraisemblable.
" Le Pasteur se complaît si fort à traiter la grave question du pardon
des péchés graves, il y déploie une si étonnante insistance, qu’on
se prend naturellement à penser qu’Hermas est au courant et tient compte
des premiers
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pas au moins de l’agitation montaniste.
En tout cas, les gnostiques, pour lui, sont déjà l’ennemi. " L’auteur
écrit pendant une longue période de paix, qui semble être celle d’Antonin
le Pieux (138-161) ; le sens chrétien s’est affaibli chez beaucoup de
fidèles ; l’esprit du monde reprend de l’empire. Vis., II, 2, 3. Une
tempête a précédé ce calme, et les circonstances signalées, Sim.,
IX, 28, désignent la persécution de Trajan (98-117) plutôt que celle
de Domitien (81-96). L’Eglise se trouve dans un état de crise morale
ou de relâchement, qui nécessite un retour à une discipline sévère
pour assurer le salut de ses membres. Les apôtres sont morts, Vis., III,
5 Sim., IX, 15, 4 ; on n’est donc plus aux temps apostoliques.
Si Hermas nous a trompés
sur la date, faut-il récuser toute son autobiographie ? Comment adorer
ce qu’il dit de lui-même avec l’idée qu’en donne son livre ? Certes,
tous les détails cadrent admirablement avec la tendance de l’ouvrage,
et laissent l’impression d’une histoire vraie. Hermas et maison figurent
les plaies de l’Eglise ; aussi est-il visé le premier, ainsi que les
siens, par l’appel à la pénitence. La forme apocalyptique qu’il donne
à son ouvrage n’a pas lieu d’étonner. Ce n’est l’œuvre ni d’un
naïf, ni d’un imposteur. Mgr Freppel, qui s’en tient malgré tout
à l’opinion ancienne quant à la date, écrit : " J’incline à penser
que nous sommes en présence d’un traité didactique, d’un sorte de
trilogie morale qui, sans se donner pour une révélation proprement dite,
se développe sous la forme d’une apocalypse, dans une série de communications
entre le ciel et la terre. " Les Pères apostoliques, 4e édit., Paris,
1885, p. 269. Et c’est encore ici, note Bardenhewer, op. cit., p. 92,
une de ces fictions, un de ces artifices littéraires, que goûte et prodigue
la littérature des apocryphes, et dont la critique ne saurait être dupe.
Signalons pourtant une troisième
opinion, celle de Gaâb, Der Hirt des Hermas, Bâle, 1866, et de Th. Zahn,
Der Hirt des Hermas, Gotha, 1868, d’après laquelle le Pasteur n’aurait
été composé ni par le frère du pape Pie, ni par l’Hermas de l’Epître
aux Romains, mais par un personnage du même nom, contemporain du pape
saint Clément. Ce fut aussi l’opinion de Peters, Theolog. Litiraturblatt,
1869, p. 854 sq., de Mayer, Die Schriften der apost. Väter, 1869, p. 255
sq., de Caspari, Quellen zur Geschichte des Taufsymbols, 1875, t. III,
p. 298, et de Nirschl, Patrologie, 1881, t. I, p. 80-88. D’après Salmon,
Dictionary of christian biography, t. II, p. 912-921, cet Hermas aurait
été un prophète comme Quadrat, et son ouvrage ne serait autre qu’un
spécimen de l’enseignement des prophètes au début du IIe siècle.
Quant à l’opinion de Champagny,
Les Antonins, Paris, 1863, t. I, p.134, n. 1 ; t. II, p. 347, n. 3, partagée
par dom Guéranger, Sainte Cécile, 2e édit., p. 132 sq., 197 sq., et
d’après laquelle le Pasteur aurait deux auteur, l’Hermas de l’Epître
aux Romains pour les Visions, et le frère du pape Pie pour les Préceptes
et les Similitudes, elle ne mérite pas, dit Funk, Opera Patr. apost.,
Proleg., p. CXX, d’être réfutée, tellement s’impose l’unité d’auteur.
E. Spitta a cru remarquer
que le Pasteur avait été composé sous Claude (41-54) ou même auparavant
par un juif, mais qu’il avait été interpolé en beaucoup d’endroits
par un chrétien, vers l’an 130. Zur Geschichte und Litteratur des Urchristentums,
Gœttingue, 1896, t. II, p. 241-447. Daniel Völter, Die Visionen des Hermas,
die Sybille und Clemens von Rom, 1900, et H. A. van Bakel, De compositie
van den Pastor Hermæ, 1900, ont plus ou moins adhéré à ce sentiment,
qui doit être absolument rejeté. Voir Funk, dans Theologische Quartalschrift,
1899, p. 321-360. Cf. A. Lelong, Le Pasteur d’Hermas, Paris, 1912, p.
XXXIX-XLVI.
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C’est donc au témoignage du fragment
de Muratori, corroboré d’ailleurs par des arguments d’ordre interne,
qu’il convient de s’en tenir avec Lipsius, Bibellexicon, 1871, t. III,
p. 20 sq. ; Heyne, Quo tempore Hermæ Pastor scriptus sit, Kœnigsberg,
1872 ; Behm, Ueber den Verfasser der Schrift, welche den Titel " Hirt "
führt, Rostoch, 1876 ; Harnack, Patrum apostol. opera, Leipzig, 1876,
t. I, p. LXXVII sq. ; Batiffol, La littérature grecque, Paris, 1897, p.
63 sq. ; Mgr Duchesne, Histoire ancienne de l’Eglise, Paris, 1906, t.
I, p. 224 ; A. Lelong, Le Pasteur d’Hermas, p. XXV-XXIX ; Funk, Opera
Patr. apost., Tubingue 1881, t. I, p. CXVII sq. ; Bardenhewer, Les Pères
de l’Eglise, trad. franç., Paris, 1899, t. I, p. 98-92.
Hermas fait allusion à l’amour
des richesses ; bonne preuve que l’Eglise avait joui d’un temps de
paix. Mais des persécutions avaient eu lieu ; il y eut des martyrs mais
aussi des apostats ; mais quelques chrétiens s’en tirèrent par la seule
perte de leurs biens. Hermas lui-même avait été dénoncé par ses fils
et ruiné ; au moment de ses visions, il ne restait plus qu’un champ.
Peut-être avait-il été, au temps de sa jeunesse, à l’âge de 30 ou
35 ans, l’une des victimes de la persécution de Domitien auxquelles
Nerva, d’après Dion Cassius, 68, 2, avait fait rendre les biens confisqués.
Dans ce cas, sous le règne d’Antonin le Pieux (138-161) contemporain
du pape Pie (140-155), il aurait été plus que septuagénaire. Il écrit
dans un temps où le gnosticisme existe, mais ne paraît pas encore un
danger grave pour l’Eglise ; il combat le relâchement des chrétiens,
mais sans signaler des erreurs doctrinales. Le seul passage qui se rapporte
à un enseignement gnostique est celui où il est question de ceux qui
abusent de la chair, Sim., V, 7 ; mais les faux docteurs visés par Hermas
semblaient encore appartenir à l’Eglise et n’en avoir pas été rejetés,
comme ils ne tardèrent pas à l’être. Dans le passage plus particulièrement
relatif aux gnostiques, Sim., IX, 22, 2, il est encore question de fidèles,
πιστοί, qui « veulent tout savoir et ne connaissent rien, " " être
des maîtres quand ils ne sont que des insensés. " Parmi eux beaucoup
ont été rejetés, mais d’autres, reconnaissant leurs fautes, ont fait
pénitence ; à ceux qui restent la pénitence est proposée comme moyen
de salut, car ils n’ont pas été mauvais, mais plutôt fous et sans
esprit : ούχ έγένοντο γάρ πονηροί, μάλλον δέ
μωροί χαί άσύνετοι, Sim., IX, 22, 4. ce n’est pas ainsi
que se serait exprimé Hermas, si de son temps le gnosticisme avait été
pour l’Eglise le danger qu’il devint peu après ; il pouvait parler
de la sorte avant l’explosion du gnosticisme vers le milieu du IIe siècle.
Etait-ce un montaniste ? Il n’y
paraît guère, malgré certaines affinités de sa morale avec celles du
montanisme. Il considère, en effet, l’Eglise comme étant en droit une
société de saints, mais étant en fait un mélange de justes et de pécheurs
; il regarde comme imminente la parousie du Seigneur ; il a des visions
et des révélations. Mais la solution d’Hermas diffère de celle du
montanisme et porte la marque d’une date antérieure. Tandis que les
montanistes refusaient le pardon aux grands pécheurs, Hermas leur accorde
au moins une fois la pénitence et promet le salut aux pénitents. Montaniste,
il n’aurait pas loué le mari d’une épouse adultère de la reprendre,
si elle venait à faire pénitence, et il aurait condamné les secondes
noces. Les montanistes ajoutaient des jeûnes aux jeûnes prescrits par
l’Eglise ; Hermas se contente de jeûner les jours de station, sans voir
dans cette pratique une obligation et en insistant sur le côté spirituel
du jeûne. Il y a donc dans le Pasteur moins de rigorisme que dans le montanisme,
et il n’y a rien de ce qui est spécial au montanisme. A. Stahl, Patristische
Untersuchungen. . . III, Der " Hirt " des Hermas, Leipzig, 1901, a même
prétendu que l’auteur combattait les montanistes, mais il date
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son œuvre des années 165-170.
Le témoignage du fragment de Muratori a plus d’autorité que les arguments
de Stahl n’ont de valeur.
II. SON OUVRAGE.
― 1° Texte et versions. ― Le Pasteur a été composé en grec, mais
le texte original ne nous est point parvenu dans son intégrité. Le premier
quart, Vis., I - Mand., IV, 3, 6, se trouve dans le Codex Sinaiticus de
la Bible du IVe siècle, découvert en 1859 ; deux autres morceaux se trouvent
dans un papyrus du Ve siècle rapporté de Fayoum et conservé à Berlin
; un manuscrit du mont Athos, XIVe-XVe siècle, publié à Leipzig par
Tischendorf, en 1856, le contient dans sa presque totalité ; trois feuilles
de ce manuscrit, comprenant Mand., XII, 4, 7 - Sim., VIII, 4, 3, et Sim.,
IX, 15, 1, - 30, 2, dérobées par Constantin Simonide, ont été acquises
par la bibliothèque de Leipzig. C’est à l’aide de ces manuscrits
qu’ont été faites toutes les éditions du texte grec par Hilgenfeld,
Novum Testamentum extra canonem receptum, Leipzig, 1866 ; 2e édit., 1881
; 3e, 1887 ; Gebhardt-Harnack, Hermæ Pastor, Leipzig, 1877. En 1880, Lambros
découvrit au Mont-Athos un manuscrit contenant une partie du texte grec
du Pasteur et il constata plus tard qu’il était la source du manuscrit
de Leipzig. Robinson fit la collation du texte, A collation of the Athos
codex of the Shepherd of Hermas, 1888, p. 25-29. Henner fut le premier
qui utilisa ce manuscrit dans son édition des Pères apostoliques en 1891.
Photographie par K. Lake, Oxford, 1907.
La même année, U. Wilcken
découvrit une feuille manuscrite sur papyrus, du IVe siècle, reproduisant
Sim., II, 7-10 ; IV, 2-8, et il en publia le texte. Tabeln zur ältern
griechischen Paläographie, Leipzig et Berlin, 1891, tab. III. Diels et
Harnack rééditèrent et commentèrent ce fragment, trouvé au Fayoum
et conservée au musée de Berlin, dans les Sitzungsberichte der Berliner
Akademie der Wissenschaften, 1891, p. 427-431 ; Albert Ehrhard, dans la
Theologische Quartalschrift, 1892, p. 294-303, et K. Schmidt et W. Schubart,
Altchristliche texte, Berlin, 1910, p. 13-15. Une feuille de papyrus, contenant
une courte citation de Mand., XI, 9 sq., a été publiée par Grenfell
et Hunt, en 1899. Des fragments de sept feuilles de papyrus ont été publiés
par les mêmes savants papyrologistes, The Amherst papyri II, Londres,
1901, p. 195 sq., (Vis., I, 2, 2-3, 1 ; III, 12, 3 ; 13, 3, 4 ; Mand.,
XII, 1, 1, 3 ; Sim., IX, 2, 1, 2, 4, 5 ; 12, 2, 3, 5 ; 17, 1, 3 ; 30, 1-4).
Cf. A. Lelong, Le Pasteur d’Hermas, p. CIII. un fragment (Sim., X, 3,
3-6) a encore été publié par les mêmes. Cf. ibid., p. CIII-CIV. Une
feuille de parchemin, trouvée en Egypte et conservée à la bibliothèque
municipale de Hambourg, du IVe au Ve siècle, contient la fin de Sim.,
V. Cf. K. Schmidt et W. Schubart, dans les Siztungsberichte der Berliner
Akademie, 28 octobre 1909 ; A. Lelong, op. cit., p. XCV-CII. Un papyrus
du VIe siècle donne le dé but de Sim., VIII, 1, 1-12, publié par K.
Schmidt et W. Schubart, Altchristliche Texte, p. 17-20.
Jusqu’en 1856, le Pasteur
n’était connu que par une version latine, dite Vulgate, publiée la
première fois par Lefèvre d’Etaples, Liber trium virorum et trium spiritualium
virginum, Paris, 1513, et reproduite dans leurs éditions des Pères apostoliques
par Cotelier. Fell, Gallandi, Migne, Hefele. Hilgenfeld en a donné une
édition critique insuffisante, Hermæ Pastor, Leipzig, 1873. Une autre
version latine, dite palatine, en a été publiée par Dressel à Leipzig,
en 1857 et en 1863, puis par Hollenberg, à Berlin, en 1868, d’après
un manuscrit du fonds palatin du Vatican, du XIVe siècle. Ces deux version
sont indépendantes l’une de l’autre ; la première doit avoir suivi
de près l’apparition de l’original grec ; Tertullien parle du Pastor,
non du Ποιμήν ; la seconde, dιjà connue de l’auteur de la Vie
de sainte Geneviève, vers 530, remonte au Ve siècle et a eu très
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vraisemblablement la Gaule pour
berceau, cf. I, Haussleiter, De versionibus Pastoris Hermæ latinis, Erlangen,
1884 ; Ph. Thielmann, dans Archiv für lat. Lexikographie, 1885, p. 176
; Still, dans Jahresberichit für Altertumswissenschaft, 1887, t. XVII,
p. 35.
En 1860, Antoine d’Abbadie
découvrait en Abyssinie une version éthiopienne du Pasteur ; il la traduisit
en latin et la publia dans les Abhandlungen für die Kunde des Morgenlandes,
1860, t. II, n. 1. Dillmann démontra qu’elle avait été faite directement
sur le grec. Zeitschrift der Deutschen morgenländischen Gesellschaft,
1861, t. XV, p. 111-118.
On possède aussi de courts
fragments d’une version copte. Voir A. Lelong, Le Pasteur d’Hermas,
p. CV-CVI.
F. X. Funk, profitant des
travaux antérieurs et les améliorant encore, a publié le texte grec
avec une traduction latine faite à l’aide de celles qui existaient déjà
; à partir de Sim., IX, 30, 3, où l’original grec fait défaut jusqu’à
la fin, il a transcrit d’une part, le texte de la version de la Vulgate
et, d’autre part, la version latin d’Antoine d’Abbadie. C’est à
cette édition que nous nous référons, Opera patrum apostolicorum, Tubingue,
1881. Une seconde édition a paru en 1901 sous le titre : Patres apostolici.
Voir aussi sa petite édition : Die apostolischen Väter, Tubingue, 1881.
Photographie du codex Sinaiticus
par K. Lake, Oxford, 1911.
2° Division. ― Par l’étendue
des matières, la richesse du fond et l’originalité de la forme, le
Pasteur constitue un ouvrage à part dans la littérature chrétienne du
IIe siècle. Il comprend cinq Visions, όράσεις, douze Préceptes,
έντολαι, et dix Similitudes, παραδολαι ; et c’est sous
ces trois titres distincts qu’il est divisé dans les éditions actuelles,
contrairement aux indications de l’auteur, qui ne signale que deux parties,
la première comprenant les quatre premières Visions, et la seconde, tout
le reste avec la cinquième Vision pour préface et la dixième Similitude
pour épilogue. Cette division de l’auteur correspond aux deux personnages
qui sont les interprètes ou les organes des révélations : dans la première
partie, c’est l’Eglise qui paraît et parle à Hermas sous les traits
d’une femme, dans la seconde, c’est le Pasteur qui lui notifie les
Préceptes, propose et explique les Similitudes. Le tout forme un ensemble
cohérent qui accuse nettement l’unité d’auteur ; et le titre, Ποιμήν,
donnι à l’ouvrage, lui vient du personnage qui entre en scène dès
la première partie, bien qu’il n’y joue qu’un rôle secondaire,
Vis., II, 4, 1 ; III, 10, 7, mais qui paraît ensuite comme le personnage
chargé de faire connaître les Préceptes et les Similitudes à Hermas.
Les Visions indiquent la raison
d’être de l’ouvrage et en tracent l’esquisse ; les Préceptes et
les Similitudes en sont le développement. Tout s’y ramène à l’idée
fondamentale de pénitence ou de réforme morale. Et cette discipline se
dessine dans les Visions sous forme apocalyptique, se développe d’une
manière plus nette et plus précise dans les Préceptes et s’achève
sous forme de parabole dans les Similitudes. C’est cette pénitence qu’Hermas
doit s’appliquer à lui-même, et qu’il doit prêcher ensuite aux membres
de sa propre famille, à l’Eglise, aux fidèles et au clergé. Et la
raison de cet appel général à la pénitence n’est autre, comme Hermas
le donne à entendre, que l’imminence de la persécution et l’approche
de l’avènement du souverain juge.
On a discuté l’unité du
livre. Le comte de Champagny a soutenu que l’ouvrage actuel est formé
de deux livres très différents, comme il a été dit plus haut. Haussleiter
a émis une opinion analogue : le Pasteur serait composé d’un premier
livre, Vis., V - Sim., X, œuvre d’Hermas frère du pape Pie (un peu
avant 150), et d’un second, Vis., I-IV, œuvre d’un inconnu publiée
sous le nom d’Hermas, personnage apostolique, à la
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fin du IIe siècle. De versionibus
Pastoris Hermæ latinis, Erlangen, 1884. A Hilgenfeld a discerné trois
écrits : un écrit de pastorale, Vis., V - Sim., VII, antérieur au règne
de Trajan, une apocalypse, Vis., I-IV, rédigée sous Adrien (117-138),
un écrit secondaire, Sim., VIII-X ; Vis., V, 5, avec quelques autres additions,
joints aux deux premiers par le frère du pape Pie. Hermæ Pastor, 2e édit.,
1881, p. XXI-XXIX. Ces opinions n’obtinrent aucun succès. elles furent
réfutées par A. Link, Die Einheit des Pastor Hermas, 1888, et par P.
Baumgartner, Die Einheit des Hermasbuchs, Fribourg-en-Brisgau, 1889. Ce
dernier toutefois soutint que l’auteur rédigea d’abord séparément
Vis., I-IV et Vis., V - Sim., IX, qu’il réunit ensuite en un seul livre.
A. Harnack entra dans ces vues et détermina l’ordre successif de la
composition des parties. Geschichte der altchrist, Litteratur, t. II a,
p. 260-263. Ses arguments n’ont pas paru concluants.
1. Les Visions. ― C’est
sous forme d’apocalypse ou de rιvélation que débute le Pasteur ; et
ce procédé rappelle, parmi les auteurs sacrés, les visions d’Ezéchiel
et de saint Jean, et, parmi les apocryphes, l’Ascension d’Isaïe, le
Livre d’Hénoch et surtout le IVe livre d’Esdras. L’entrée en matière
est faite pour piquer la curiosité.
Hermas raconte, en effet,
comme nous l’avons vu dans son autobiographie, les incidents qui donnèrent
lieu à la rédaction de son livre et à sa mission de prêcher la pénitence
: c’est l’objet de la première Vision. Dans la seconde Vision, il
aperçoit encore l’Eglise sous la forme d’une vieille femme, qui lui
confie son livre pour qu’il le transcrive en double exemplaire, et qui
lui apprend que ses fils ont éché contre Dieu et blasphémé le Seigneur,
qu’ils ont trahi leurs parents et sont tombés dans une grande iniquité,
que sa femme a beaucoup péché par la langue, mais qu’ils seront tous
pardonnés s’ils font de tout leur cœur une sincère pénitence. Hermas
se met à pratiquer le jeûne. Dans la troisième Vision, la vieille le
fait asseoir, non à sa droite, car c’est la place réservée à ceux
qui ont souffert pour Dieu, mais à sa gauche, et lui montre, s’élevant
sur les eaux, une tour construite par des anges avec des pierres tirées
du fond de l’abîme ou du sein de la terre, qui s’adaptaient si bien
entre elles qu’on aurait dit un monolithe. Elle lui conseille de conserver
la paix, de secourir les indigents et lui prescrit de recommander aux chefs
de l’Eglise d’éviter les dissensions et d’observer la discipline.
― Vingt jours aprθs, comme il se rendait à son champ, priant le Seigneur
de lui faire comprendre le sens de ces visions et de lui accorder, ainsi
qu’à tous les serviteurs de Dieu, la pénitence, il rencontre une bête
énorme et horrible, qui soulevait des flots de poussière. A sa vue, il
se met à pleurer et à prier, quand lui apparaît la femme comme une vierge
parée, vêtue de blanc. Il reprend aussitôt courage apprend qu’il a
échappé au monstre grâce à la fermeté de sa foi et à la protection
de l’ange Thégri. Le monstre annonçait une grande tribulation, à laquelle
on n’échappera que par la pénitence et la conversion, par la pureté
de vie et la persévérance, par la confiance en Dieu. ― Dans la cinquième
Vision, qui n’est à vrai dire qu’une transition et l’amorce de la
seconde partie, Hermas est dans sa demeure ; il vient de prier et est assis
sur son lit quand se présente à lui un homme, à l’habit de pasteur
: c’est l’ange de la pénitence, qui lui est déjà apparu sous un
autre forme, Vis., II, 4 ; III, 10, 7, et qui se dit chargé de lui rappeler
les visions précédentes et de lui faire écrire les Préceptes et les
Similitudes.
2. Les Préceptes. ― Cette
partie n’est pas sans offrir quelques traites de ressemblance avec l’apocryphe
connu sous le nom de Testament des douze patriarches. C’est un petit
traité de morale en douze préceptes,
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renfermant la plupart des devoirs
de l’homme envers Dieu, envers le prochain et envers lui-même. Il a
pour point de départ et pour fondement la foi en un seul Dieu, créateur
de toutes choses, et pour but le retour à la vertu par le moyen d’une
crainte salutaire et d’un ascétisme bien compris. Dès le début, en
effet, sont recommandées la foi, la crainte et la continence, πίστις,
φόδος, έγχράτεια, trois vertus dont la force et l’efficacitι
sont montrées à partir du VIe précepte. Le second précepte recommande
la simplicité et l’innocence, άπλδότης, άχαχία ; il interdit
la mιdisance parlée ou écoutée, χατχλαλίά, et prescrit l’aumτne
sans acception de personnes. Le troisième ordonne l’amour et la pratique
de la vérité, la fuite du mensonge. Le quatrième prescrit la pureté,
άγνεία, et proscrit toute pensée et tout désir déshonnête, ce
qui provoque, de la part d’Hermas, certaines questions sur le mariage,
l’adultère et la pénitence. Pour pratiquer la justice, est-il dit dans
le cinquième, il faut posséder la longanimité et la prudence et éviter
l’irascibilité, όξυχολία, qui chasse le Saint-Esprit et appelle
le diable ; c’est une sorte de dιmence qui engendre l’amertume, πιχρία,
la colθre, θυμός, la passion, όργή, et la fureur, μήνις
; cette derniθre est un péché inguérissable.
Relativement à la foi, il
faut croire que l’homme a deux anges, celui de la justice et celui de
la malice : les inspirations du premier sont à suivre ; car elles sont
bonnes ; les tentations du second à repousser, car elles sont pervers.
Relativement à la crainte, il faut distinguer celle de Dieu et celle du
diable : la première est à pratiquer parce qu’elle est salutaire, la
seconde à éviter parce qu’elle pernicieuse. relativement à la continence,
il faut distinguer le mal auquel on doit se soustraire, et le bien dont
on ne doit pas s’abstenir.
Le neuvième précepte recommande
la prière par la foi et la confiance, car Dieu est plein de miséricorde,
une prière dénuée du moindre doute, quelque temps que s’en fasse attendre
le résultat, car le doute est d’inspiration diabolique. Il faut en outre
fuir la tristesse, sœur du doute, et revêtir la joie, qui est toujours
agréable à Dieu et favorable au bien. Mand., X.
Il existe des prophètes ;
mais, parmi eux, quelques-uns sont faux et troublent les sens de ceux qui
les consultent. Ils n’ont pas l’esprit de Dieu : orgueilleux, sensuels,
loquaces, avides, intéressés, on les reconnaît à leurs œuvres, et
on doit absolument s’en garder. Mand., XI.
Reste enfin l’έπιθυμία,
qui est bonne ou mauvaise selon que les dιsirs qu’elle inspire sont
bons ou mauvais ; il faut donc éviter la mauvaise concupiscence, qui donne
la mort spirituelle, et, pour lui résister avec succès, il convient d’embrasser
le désir de la justice et de s’armer de la crainte de Dieu. Mand., XII.
3. Les Similitudes. ― Cette
dernière partie du Pasteur a le même caractère que la première, celui
d’une apocalypse, et se rattache à certaines paraboles évangéliques.
Des comparaisons et des tableaux, qui ne sont pas sans charme, servent
à mettre en relief quelques points de doctrine et de morale.
Dans les deux premières similitudes,
il s’agit du bon emploi de la fortune. n’ayant pas ici-bas de cité
permanente, l’homme ne doit pas s’attacher exclusivement aux biens
; ces biens sont donnés par Dieu pour en faire bénéficier les indigents.
Sim., I. Le riche et le pauvre sont l’un pour l’autre comme l’ormeau
et la vigne. L’ormeau soutient la vigne, la vigne pare l’ormeau de
ses fruits. Le riche aide le pauvre, mais ne se dépouille pas sans profit,
car sa pauvreté spirituelle est secourue par le pauvre, qui par sa prière,
enrichit spirituellement le riche. Sim., II.
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Une comparaison non moins gracieuse
sert, dans les deux similitudes suivantes, à expliquer le mélange en
ce monde des justes et des pécheurs, et leur séparation dans le siècle
futur. C’est ainsi qu’en hiver les arbres, dépouillés de leurs feuilles,
se ressemblent ; mais, vienne, l’été, tandis que les uns se parent
de feuilles et de fruits, les autres ne changent pas et sont morts. De
même sur la terre, qui est l’hiver pour eux, bons et mauvais sont confondus
; mais le siècle futur, comme l’été, est révélateur des uns et des
autres : les justes, chargés de fruits, seront récompensés ; les pécheurs,
restés stériles, seront punis.
Dans la cinquième similitude
s’accuse le caractère profondément spiritualiste de l’ascétisme
chrétien, les pratiques extérieures ne devant être qu’un moyen pour
opérer la réforme morale. Voici la vraie notion du jeûne : " Ne fais
pas le mal dans le cours de ta vie, dit le Pasteur à Hermas, mais sers
Dieu avec un cœur pur, observe ses commandements, entre dans la voie de
ses préceptes, et repousse jusqu’au désir coupable qui cherche à se
glisser dans l’âme. Aie pleine confiance en Dieu ; car si tu acceptes
ces choses, si tu t’abstiens de tout par crainte de lui déplaire, il
te donnera la victoire : voilà le véritable jeûne, celui que Dieu agrée.
" Et cela n’est point la condamnation du jeûne pratiquée par Hermas,
car l’ange de la pénitence ajoute : " Le jour où tu jeûneras, tu ne
goûteras d’aucune nourriture pour te borner au pain et à l’eau. Tu
mettras de côté la quantité d’aliments que tu as coutume de prendre
chaque jour, et tu la donneras à la veuve, à l’orphelin et aux pauvres
; c’est ainsi que tu consommeras la mortification de ton âme. " Telle
est la notion complète du jeûne.
A côté de ce précepte,
il y a le conseil. Dans la similitude, imitée de l’Evangile, le Maître
et le serviteur de la vigne, ce dernier ne se contente pas d’exécuter
les ordres reçus, il va au-delà, et, ce faisant, il mérite et reçoit
une récompense plus grande, il est adopté par le Maître.
Dans la sixième similitude,
Hermas voit deux bergers et deux troupeaux : l’ange de la volupté et
l’ange de la peine : l’un respirant la douceur et la joie mais perdant
les âmes parce qu’elles ne font pas pénitence ; l’autre, d’un aspect
rude et repoussant, menant ses brebis, le bâton levé, au milieu des ronces
et des épines, et leur faisant faire pénitence pour leur salut.
Dans la septième similitude,
Hermas demande que l’ange de la peine soit éloigné de sa maison ; mais
le Pasteur lui montre la nécessité d’expier ses fautes et de faire
pénitence, car la pénitence bien acceptée mérite la réconciliation.
Dans les deux similitudes
suivantes, VIIIe et IXe reparaît sous le double symbole du saule et de
la tour. Le saule est ébranché ; chaque fidèle en reçoit une tige qu’il
devra représenter, et selon l’état de cette tige, sera récompensé
ou puni ; c’est une manière de faire entendre que chacun sera traité
selon ses œuvres. Les pécheurs seront soumis à la pénitence et, s’ils
l’accomplissent de tout leur cœur, obtiendront le pardon, sinon ils
seront condamnés. Quant au symbole de la tour, il reparaît avec un ensemble
de circonstances qui sert à caractériser ceux qui entrent dans la construction
pour leur fidélité persévérante ou peur leur sincère pénitence, et
ceux qui en sont écartés.
La dernière similitude sert
de conclusion : à Hermas de faire pénitence et de persévérer ; à Hermas
d’enseigner aux autres ce moyen de salut. Puisque le salut est assuré
par la pénitence, chacun doit prendre ce moyen tant que la tour est en
construction, car après il serait trop trad.
III. SA DOCTRINE.
―
1° Trinité et incarnation.
― Le Pasteur est avant tout l’œuvre d’un moraliste préoccupé de
remédier aux maux de la société chré-
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tienne, et non celle d’un polémiste
qui entend réfuter certaines erreurs ou celles d’un théologien exposant
avec preuves à l’appui quelqu’une des vérités de la foi. Il n’en
affirme pas moins avec netteté certains dogmes, tels que l’unité divine
et la création ex nihilo, Mand., I, 1, p. 388 ; cf. Sim., V, 5, 2 ; VII,
4 ; mais il est loin d’être aussi catégorique sur la Trinité et la
christologie. Là, sa pensée est nuageuse et son langage déconcertant.
Ce n’est point sans quelques subtilités que certains critiques ont défendu
son orthodoxie, entre autres Jackman, Der Hirt des Hermas, Kœnigsberg,
1835, p. 65-73 ; Hefele, Opera patrum apostol., 4e édit., Tubingue, 1855,
p. 386, n. 3 ; Dorner, Lehre von den Person Christi, 2e édit., 1845, p.
190-205 ; Gaâb, Der Hirt des Hermas, Bâle, 1866, p.77-82 ; Zahn, Der
Hirt des Hermas, Gotha, 1868, p. 253-282 ; Donaldson, The apostolical Fathers,
2e édit., Londres, 1874, p. 353-358 ; Freppel, Les Pères apostoliques,
4e édit., Paris, 1885, p.318 ; Rambouillet, L’orthodoxie du livre du
Pasteur d’Hermas, Paris, 1880 ; Un dernier mot sur l’orthodoxie d’Hermas,
Paris, 1880, dans la Revue du monde catholique, 1880, p. 21 sq. ; A. Brüll,
Der Hirt des Hermas, 1882 ; J. Schwane, Dogmengeschichte der vornicanischen
Zeit, 2e édit., 1892, p. 61 ; trad. franç., Paris, 1903, t. I, p. 65
;R. Seeberg, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 1895, t. I, p. 22 ; d’autres
par contre, Lipsius, Zeitschrift für wiss. Theologie, 1865, p. 277-282
; 1869, p. 273-285 ; Bardenhewer, Les Pères de l’Eglise, trad. franç.,
Paris, 1898, t. I, p. 94 ; Funk, Opera Patrum apostol., Tubingue, 1881,
t. I, p. 458 ; 1901, t. I, p. CXLI, CXLIII, ont accusé Hermas d’identifier
la seconde personne de la Trinité avec le Saint-Esprit, et même, d’après
Harnack, dans ses notes, Vis., V, 2 ; Sim., V, 5, 2 ; 6, 5 ; VIII, 1, 2
; IX, 1, 1 ; Duchesne, Les origines chrétiennes, édit. lith., Paris,
1885, p. 198 avec l’archange saint Michel. Mgr Duchesne ne parle plus
de cette identification, Histoire ancienne de l’Eglise, Paris, 1906,
t. I, p. 232-234. Cf. Lueken, Michael, Gœttingue, 1898, p. 87, 148-154
; E. Hückstadt, Der Lehrbegriff des Hirten, 1889 ; O. Bardenhewer, Christi
Person und Werk in Hirten des Hermas, 1886 ; Funk, Patres apostolici, 2e
édit., Tubingue, 1901, t. I, p. 532-540. Ce que l’on doit reconnaître
à tout le moins, c’est que sa terminologie laisse beaucoup à désirer.
Voici, en effet, un premier
message qui permettra d’en juger : il est relatif aux trois personnes
divines. Un homme, dit le Pasteur, Sim., V, 2, p. 450-452, possède un
domaine et de nombreux serviteurs. Il sépare une partie de ce domaine
et y plante une vigne. Puis choisissant un serviteur fidèle et honorable,
il le charge d’échalasser cette vigne, en lui promettant la liberté.
Le maître parti, ce serviteur se met à l’œuvre, et non seulement il
échalasse la vigne, mais encore il en arrache les mauvaises herbes, chose
qui ne lui avait été prescrite. A son retour, le maître est informé
du zèle de son serviteur, et voyant que celui-ci avait fait plus qu’on
lui avait demandé, il convoque en conseil son fils et ses amis ; d’accord
avec eux, il décide que le bon serviteur partagera son héritage avec
son fils. Ayant fait un festin, il envoie des provisions au serviteur fidèle
qui, après en avoir pris part, donne le reste à ses compagnons de servitude.
Il y a bien là trois personnages
distincts : le maître, son fils et le serviteur. Mais qui sont-ils ? Le
champ, explique le Pasteur, Sim., V, 5, 2-3, p. 460, représente ce monde,
dont le maître est Dieu, créateur de toutes choses. Le fils du maître
est le Saint-Esprit, Filius autem Spiritus Sanctus est, porte la version
Vulgate. Ces mots, il est vrai, ne se trouvent ni dans le texte grec ni
dans la version palatine ; ils n’en représentent pas moins la pensée
de l’auteur, puisqu’il dit ailleurs : " Je veux te montrer ce que t’a
montré l’Esprit-Saint,
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qui t’a parlé dans la personne
de l’Eglise ; car cet Esprit est le fils de Dieu : έχείνο γάρ
τό πνεϋμα ό ύίος τού Θεο έστίν. Sim., IX, 1, 1,
p. 498. Quant au serviteur, il est le fils de Dieu ; ό δε δοϋλος
ό ύίος τού Θεο έστίν. Sim., V, 5, 2, p. 460. Or ce serviteur,
nommé fils de Dieu, prépose des anges à la garde de l’Eglise ; il
extirpe les mauvaises herbes ou déracine les péchés par ses labeurs
et ses souffrances ; et il partage les reliefs du festin avec les autres
serviteurs. Telle est son œuvre : œuvre de rédemption, sang que soit
mentionnée la mort expiatoire, et œuvre de communication de la grâce
par la prédication évangélique. Pas une seule fois l’auteur ne le
signale sous le nom de Verbe, de Christ ou de Jésus, pas plus qu’il
ne songe à dire la différence qu’il y a entre sa filiation divine et
celle du Saint-Esprit.
Voici un autre passage relatif
à l’incarnation : " Le maître a appelé en conseil son fils et les
anges glorieux pour délibérer sur la participation du serviteur à l’héritage
; cela veut dire : l’Esprit-Saint qui préexistait, qui a créé toute
créature, Dieu l’a fait habiter dans une chair choisie par lui. Cette
chair, dans laquelle habitait le Saint-Esprit, a bien servi l’Esprit
en toute pureté et toute sainteté, sans jamais lui infliger la moindre
souillure. Après qu’elle se fut ainsi bien et saintement conduite, qu’elle
eut aidé l’Esprit et travaillé avec lui en toute action, se montrant
toujours forte et courageuse, Dieu l’a admise à participer avec l’Esprit-Saint.
La conduite de cette chair a plu à Dieu, car elle ne s’est pas souillée
sur la terre pendant qu’elle possédait l’Esprit-Saint. Il a donc consulté
son fils et ses anges glorieux afin que cette chair, qui avait servi l’Esprit
sans aucun reproche, obtînt un lieu d’habitation et ne perdît pas le
prix de son service. " Sim., V, 6, 4-7, p. 462. " Que conclure de là,
demande Bardenhewer, Les Pères de l’Eglise, trad. franç., Paris, 1898,
t. I, p. 94, sinon que, visiblement, la distinction entre le Saint-Esprit
et le Fils de Dieu avant l’incarnation et le Saint-Esprit ne font qu’un.
" Et Bardenhewer ajoute : " C’en est donc fait de la Trinité, dans la
pensée d’Hermas, tant que Jésus n’a pas achevé l’œuvre de la
rédemption ; la Trinité ne se constitue que lorsque l’humanité du
Sauveur s’élève au rang du Père et du Saint-Esprit. "
Il est question plusieurs
fois, Vis., V, 2 ; Mand., V, 1, 7 ; Sim., V, 4, 4 ; VII, 1, 5 ; VIII, 1,
1 ; p. 384, 402, 456, 474, 476, 478, d’un ange qui est au-dessus des
six anges supérieurs qui forment le conseil de Dieu ; et cet ange est
tour à tour qualifié de très vénérable, de saint, de glorieux, σεμνότατος,
άγιος, ένδοξος, dans lequel la plupart des interprθtes ont
vu le Christ. Mais Hermas finit par le nommer, et il l’appelle Michel.
Sim., VIII, 3, 3, p. 484. Serait-ce qu’il identifie le Fils de Dieu avec
l’archange saint Michel ? La réponse semblerait devoir être affirmative
à raison de multiples ressemblances que le Pasteur relève entre l’un
et l’autre dans leurs fonctions. L’un et l’autre, en effet, sont
investis de la toute-puissance sur le peuple de Dieu, Sim., V, 6, 4 ; VIII,
3,3, p. 462, 484 ; l’un et l’autre prononcent sur le sort des fidèles,
Sim., VIII, 3, 3 ; IX, 5, 2-7 ; 6, 3-6 ; 10, 4, p. 484, 508, 510 ; l’un
et l’autre remettent les pécheurs à l’ange de la pénitence pour
les amender. Sim., VIII, 2, 5 ; 4, 3 ; IX, 7, 1-2, p.480, 484, 510, 512.
Mais cette analogie de situations et de missions n’a point paru suffisante
à Zahn, Der Hirt des Hermas, Gotha, 1868, p. 263-278, et à Bardenhewer,
Les Pères de l’Eglise, trad. franç., Paris, 1898, t. I, p. 95, pour
en induire l’identité des personnes, d’autant plus que les différences
de dénominations et d’attributs sont caractéristiques. C’est ainsi
que saint Michel est toujours qualifié d’ange et que le Fils de Dieu
ne porte jamais ce nom ; si saint Michel a pouvoir sur le peuple, le Fils
de Dieu n’est pas seulement le maître du peuple, Sim., V, 6, 4, p. 462,
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il est encore le maître de la tour,
son propriétaire, son possesseur ; il en dispose souverainement ; αύθέντης,
δεσπότης, Sim., IX, 5, 2, 6, 7 ; IX, 7, 1, p. 508-510 ; et tandis
que saint Michel grave simplement la loi dans le cœur des fidèles, "
cette loi est le Fils de Dieu, tel qu’il a été prêché jusqu’aux
extrémités du monde. " Sim., VIII, 3, 3, p. 484. Cf. Heurtier, Le dogme
de la Trinité dans l’Eglise de S. Clément de Rome et le Pasteur d’Hermas,
Lyon, 1900.
2° Les anges.
― Hermas, sans parler de la nature
des anges, fait allusion à leur nombre considérable et à leurs diverses
fonctions. Il distingue, comme nous l’avons déjà observé, les anges
supérieurs des anges inférieurs ; ceux-ci sont chargés de la vigne ou
des membres de l’Eglise, Sim., V, 5, 3, p. 460 ; ils travaillent à la
construction de la tour mystique, sous la direction des six anges glorieux.
Sim., IX, 6, 2, p. 510. Les anges glorieux font parti du conseil de Dieu
et assistent à la délibération qui doit donner au serviteur l’héritage
divin et à son corps la récompense céleste. Sim., V, 6, 4-7, p. 462.
Diverses sont les fonctions des anges : il y a l’ange de la pénitence,
qui joue un si grand rôle dans le Pasteur ; il y a l’ange Thégri, Θεγρί,
prιposé à la garde des bêtes sauvages, Vis., IV, 2, 4, p. 382 ; il
y a surtout saint Michel, dont nous avons vu le rôle prépondérant. Chaque
homme a son ange gardien, άγγελος διχαιοσύνης, dont il
doit suivre les inspirations et les conseils pour pratiquer la justice
et se prιserver du mal. Mand., VI, 2, 1-3, p. 406. Mais il a aussi un
autre ange, άγγελος πονηρίας, ibid., qui n’est autre que
le diable, dont il doit se méfier, car celui-ci est l’inspirateur et
l’instigateur du péché ; toutes ses œuvres sont mauvaises. Mand.,
VI, 2, 10, p. 408. Il est donc à redouter, car il pourrait empêcher l’accomplissement
des préceptes et faire ainsi manquer le salut. Mais il ne peut rien sur
les serviteurs de Dieu, car il est dominé par l’ange de la pénitence
: έγώ γάρ έσομαι μεθ’ ύμων, ό άγγελος τής
μετανοίας, ό χαταχυριεύων αύτού, Mand., XII,
4, 7, p. 436 ; il les tente, mais ceux qui sont pleins de foi lui résistent
avec succès, et il s’éloigne, faute de trouver place en eux, pour entrer
dans les hommes vains, dont il fait ses esclaves. Mand., XII, 5, 4, p.
436.
3° L’Eglise.
― Hermas donne peu de renseignements sur l’organisation de l’Eglise.
Il fait allusion à l’épiscopat quand il dit de Clément qui enverra
son livre aux villes du dehors selon le devoir de son charge : έχείνω
γάρ έπιτέτραπται. Vis., II, 4, 3, p. 350. Il parle des presbytres
qui président l’Eglise. Ibid. Parmi les pierres qui s’adaptent parfaitement
à la tour, il signale celles qui figurent les apôtres, les évêques,
les didascales et les diacres. Vis., III, 5, 1, p. 360. Il recommande aux
προηγουμένοις et aux πρωτοχαθεδρίταις d’ιviter
toute dissension, d’observer la discipline pour pouvoir faire avec fruit
la leçon aux autres, Vis., III, 9, 7-10, p. 370 ; car ils étaient peut-être
du nombre de ces fidèles ambitieux qui luttaient pour la première place
et les honneurs. Sim., VIII, 7, 4, p. 492. A une époque où le charisme
de prophétie avait ses contrefaçons, il met en garde les fidèles contre
les faux prophètes qui n’étaient que des exploiteurs de la crédulité
publique, Mand., XI, 1-4, p.424, tandis que le prophète selon Dieu se
fait reconnaître à la probité de sa vie, à son humilité, à son ascétisme,
à sa discrétion, ne parlant pas en secret, ne répondant pas à quiconque
l’interroge, mais s’exprimant en public, dans l’assemblée, sous
l’inspiration de l’esprit prophétique. Mand., XI, 7-10, p. 426. Hermas
fait enfin allusion au rôle des diaconesses, quand il nomme Grapta, chargée
du soin des veuves et des orphelins. Vis., II, 4, 3, p. 350.
Ce qui retient surtout l’attention
d’Hermas c’est l’Eglise considérée comme une société de saints
parfaitement une. Par deux fois il la compare à une tour dont la construction
ne forme qu’un monolithe. Une pre-
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mière fois, Vis., III, cette tour
est représentée comme bâtie sur les eaux, par une allusion transparente
au baptême ; et cette tour figure l’Eglise, qui ne comprend que des
saints, les uns déjà sortis de ce monde, les autres vivant encore sur
la terre. Il n’y a pour s’adapter parfaitement à elle que les matériaux
appropriés, tels que les pierres cubiques et blanches, c’est-à-dire
les apôtres, les évêques, les didascales et les diacres, qui ont marché
dans la sainteté et ont bien rempli leur ministère, les martyrs et les
justes. Quant aux autres pierres, les unes gisent au pied de la tour, les
autres sont brisées et rejetées au loin, en attendant qu’une préparation
convenable les mette à même d’être utilisées. Une seconde fois, Sim.,
IX, la tour est bâtie sur un immense roc, dans lequel est pratiquée une
porte ; allusion au Christ qui est la pierre et la porte de l’Eglise.
Mais cette fois les pierres qui entrent dans la construction à titre provisoire
représentent toutes sortes de baptisés, les pécheurs aussi bien que
les justes ; car, avant d’être achevés, l’édifice doit subir, l’inspection
du maître qui, éprouvant les pierres employées, écartera celles qui
ne sont pas de bon aloi pour les livrer à l’ange de la pénitence. Et
celui-ci, selon ce qu’elles seront devenus aptes ou non à la construction,
reste chargé de les utiliser ou de les rejeter définitivement. De telle
sorte qu’à la fin de l’Eglise ne comprend plus que des saints et forme
un corps, pareil à un monolithe brillant, dont les membres n’ont qu’une
pensée, qu’un sentiment, qu’une foi, qu’une charité. Cf. P. Batiffol,
L’Eglise naissante, 2e édit., Paris, 1909, p. 222-224.
4° Le baptême
et la vie chrétienne.
― Nature, nécessité, effets
du baptême, obligations qu’il impose, autant de points signalés par
Hermas. C’est au baptême par immersion qu’il est fait allusion : "
On descend mort dans l’eau (baptismale), et on en remonte vivant. " Sim.,
IX, 16, 4, p. 532. Ce sacrement assure la rémission de tous les péchés
antérieurs. Mand., IV, 3, 1, p. 395. Il imprime un sceau tellement nécessaire
pour faire partie de l’Eglise que les justes de l’Ancien Testament
n’ont pu prendre place dans la construction de la tour et en former les
trois premières assises qu’après l’avoir reçu. Et comme c’était
la seule chose qui manquait à leur justice, c’est aux apôtres qu’ils
ont été redevables d’en connaître l’existence et la nécessité
comme aussi d’en recevoir l’impression. Sim., IX, 16, 3-7, p. 532.
Cette opinion singulière d’une mission posthume des apôtres auprès
des justes de l’Ancien Testament en vue de leur prêcher et de leur conférer
le baptême, a bien été partagée par Clément d’Alexandrie, Strom.,
II, 9 ; VI, 6 ; P. G., t. VIII, col. 980 ; IX, col.263-269, mais elle est
restée sans autre écho parmi les Pères. Voir t. II, col. 212. Or, "
celui qui a reçu le pardon de ses péchés (dans le baptême) ne doit
plus pécher, mais persister dans la pureté (baptismale), " έν άγνεία
χατοιείν. Mand., IV, 3, 2, p. 398. Il est pleinement justifié,
et cette justification confère une sainteté positive, faisant de l’âme
la demeure même du Saint-Esprit. " Conservez votre chair pure et sans
tache, afin que l’Esprit, qui réside en elle, lui rende témoignage
et que votre chair soit justifiée. Gardez-vous de laisser monter dans
votre cœur la pensée que votre chair est périssable et d’en abuser
par vos souillures (comme faisaient certains gnostiques), car, en souillant
votre chair, vous souillez aussi le Saint-Esprit, et si vous outragez le
Saint-Esprit, vous ne vivrez pas. " Sim., VI, 7, 1-2, p. 464. Tel était
le magnifique idéal proposé au baptisé.
La foi, cela va sans dire,
et aussi la crainte de Dieu sont recommandées au chrétien par le Pasteur,
mais tout particulièrement la continence. " Quiconque l’observe (cette
continence) sera heureux dans cette vie, et aura la vie éternelle pour
héritage. " Vis., III, 8,
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4, p. 368. Il ne faudrait pas croire
que ce soit là un écho de la doctrine outrée des encratites. Car être
continent, aux yeux du Pasteur, c’est s’abstenir de tout mal et faire
le bien ; et les maux dont il faut s’abstenir sont l’adultère et la
fornication, l’ivrognerie, l’orgueil, le mensonge, le blasphème, l’hypocrisie,
le vol, le dol, le faux témoignage, l’avarice, la concupiscence mauvaise
et tout ce qui lui ressemble. Mand., VIII, 2-6, p. 412. Etre continent,
c’est aussi pratiquer la foi, la crainte de Dieu, la charité, la concorde,
la justice, la vérité, la patience, et c’est secourir les veuves, les
orphelins et les pauvres, exercer l’hospitalité. Mand., VIII, 9-10,
p. 412. Tout autant de devoirs qui incombent à la vie ordinaire du chrétien,
où il n’est nullement question de l’ascétisme encratite, mais qui
montrent bien qu’à la foi on doit joindre les œuvres. Nous avons déjà
dit comment le Pasteur entendait le jeûne.
Dans l’état de justification,
tel qu’il est constitué par le baptême, l’homme peut acquérir des
mérites, observer les commandements, suivre même les conseils et pratiquer
les vertus héroïques dignes d’une récompense spéciale. Ceci n’est
autre que l’affirmation du dogme catholique relatif aux œuvres surérogatoires.
Pour avoir procédé à l’arrachement des mauvaises herbes, opération
qui ne lui avait été pas prescrite, le serviteur a été adopté comme
cohéritier du Fils de Dieu. " Observez les commandements du Seigneur,
et vous plairez à Dieu, et vous serez inscrit au nombre de ceux qui observent
ses commandements. Mais si vous faites quelque bien qui dépasse les commandements
de Dieu, vous vous acquerrez à vous-mêmes une gloire suréminente et
vous jouirez auprès de Dieu d’un crédit plus grand que vous ne pouvez
l’espérer. " Sim., V, 3, 1-3, p. 454.
Il est vrai que l’observation
des commandements paraît très difficile à Hermas, Mand., XII, 3, 4,
p. 432. Elle n’est pourtant pas impossible, observe le Pasteur : il suffit
de se persuader qu’elle est possible pour en rendre l’accomplissement
aisé, Mand., XII, 3, 4-5, p. 432. En tout cas elle est obligatoire, car
" si tu ne les observes pas, dit le Pasteur à Hermas, Mand., XII, 3, 6,
p. 432, il n’y aura de salut ni pour toi, ni pour tes enfants, ni pour
ta maison, " c’est-à-dire pour personne. Mais il y a le diable, remarque
Hermas, Mand., XII, 5, 1 ; et le Pasteur de répondre : On n’a qu’à
lui résister, car s’il peut lutter, il ne peut vaincre ; l’ange de
la pénitence est là pour soutenir les efforts du chrétien tenté.
5° La pénitence
et le salut.
― Comment conserver intact le
sceau baptismal, pratiquer la chastetι de la vérité, άγνότης
τής
άληθείας, et atteindre cet idιal de perfection, quand la fragilité
humaine est si grande ? Il faut tenir compte d’une chute toujours possible,
trop souvent réelle. Le chrétien qui succombe doit-il désespérer de
son salut ? Ici deux solutions se présentaient, radicalement opposées
l’une à l’autre ; celle des gnostiques relâchés et des rigoristes
outrés. Les premiers tenaient pour indifférente toute faute commise après
le baptême ; mais c’était là " une doctrine étrangère, un enseignement
d’hypocrites, " de nature à pervertir les serviteurs de Dieu, surtout
les pécheurs, en ne leur laissant pas faire pénitence et en les rassurant
par des propos insensés. Sim., VIII, 6, 5, p. 490. Par réaction contre
ce cynique relâchement, d’autres prêchaient un rigorisme outré et
cherchaient à imposer un ascétisme complet. Comme on peut le voir dans
les Acta Thomæ, Bonnet, Acta Thomæ, Leipzig, 1883, p. 11-13, 55-73, et
dans d’autres pièces apocryphes, tels que les Actus Petri cum Simone,
Lipsius, Acta Petri, Leipzig, 1891, p. 85-87, 228-234, et l’Evangile
selon les Egyptiens, Nestle, Novi Testamenti supplementum, Leipzig, 1896,
, p. 72, l’idéal d’une pureté intégrale, d’une continence absolue,
devait être la règle
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à suivre. L’auteur de la IIe
Clementis, 7, 8, 9, 13, 15, Funk, Opera Patrum apostol., Tubingue, 1881,
t. I, P. 152, 154, 158, 160, 162, préconise cet ascétisme. La solution
d’Hermas est plus humaine ; elle est opposée à ceux qui soutenaient
déjà comme devaient le faire les montanistes, l’impossibilité pour
le chrétien failli de reconquérir l’innocence baptismale et d’obtenir
après le baptême le pardon de ses péchés.
" Dieu est plein de longanimité,
et il veut que l’appel adressée par son Fils ne soit pas frustré. "
Sim., VIII, 11, 1, p. 469. " Il connaît l’infirmité de l’homme et
l’astuce du diable, et il a pitié de sa créature. " Mand., IV, 3, 4-5,
p. 398. Lui seul assure la guérison du pécheur. Mand., IV, 1, 11, p.
396. Comment ? Par la μετάνοια. A la volontι divine de sauver
les baptisés, à la miséricorde de Dieu prête à pardonner et à guérir,
doit correspondre de la part du coupable un acte, ou mieux une conduite
morale qui accepte ce moyen et s’y soumette. Or, il ne s’agit ici ni
du sacrement de pénitence, dont Hermas ne parle pas, ni du processus canoniquement
institué pour la réconciliation officielle des pécheurs, tel qu’il
ne tarda pas à fonctionner, mais d’un exercice de la vertu de pénitence,
comportant beaucoup plus que ce que signifie le mot latin de pænitentia,
à savoir, un changement de l’âme, une réforme intérieure, un renouvellement
moral, une transformation des idées, des sentiments et des mœurs, en
un mot, une vraie conversion, car telle est la force du mot grec μετάνοια.
Et cela comprend, avec le regret du passι et le ferme propos pour l’avenir,
c’est-à-dire avec la contrition, l’expiation pénible du péché,
c’est-à-dire la satisfaction. " La μετάνοια est une grande prudence
; car celui qui l’accomplit comprend qu’il a péché, se repent de
son acte, ne fait plus le mal, s’applique à faire le bien, humilie et
tourmente son âme parce qu’il a péché. " Mand., IV, 2, 2, p. 396.
Cette μετάνοια s’applique
à tous les péchés sans distinction, même à ceux qui, pour un temps
assez court, vont être regardés comme des cas réservés, l’apostasie,
l’adultère et l’homicide. Hermas ne parle pas, il est vrai, de l’homicide,
mais il signale les adultères et les blasphémateurs. L’épouse adultère
dit-il, Mand., IV, 1, 7, p. 394, doit être reçue par son époux, si elle
a fait pénitence de son péché. Quant aux apostats, ceux-là peuvent
bénéficier de la μετάνοια qui ont reniι de bouche et non de
cœur. Sim., IX, 26, 5, p. 546.
Mais cette μετάνοια,
si elle s’ιtend à tous les péchés, ne convient pas indistinctement
à tous les pécheurs : elle ne sert qu’aux chrétiens anciens, et non
à ceux qui viennent d’être baptisés ou le seront dans la suite. Ceux-ci
ont bien la rémission de leurs péchés (par le baptême), mais ils n’ont
pas la μετάνοια. Mand., IV, 3, 3, p. 398. Cette restriction arbitraire
accuse bien rigorisme de l’époque, mais elle n’est pas seule, car
il est spécifié que celui qui a profité de la μετάνοια ne peut
y recourir une seule fois ; μίαν μετάνοιαν έχει. Mand.,
IV, 3, 6, p. 398. Si donc il retombe dans le péché, il n’y a pas à
compter sur le secours efficace d’une seconde μετάνοια, et il
le vivra difficilement : άσύμφορόν έστι τώ άνθρώπω
τώ τοιούτω δυσχολως γάρ ζήσεται. Ibid. C’est
ainsi que, pendant quelques temps, l’Eglise introduira dans le régime
pénitentiel une restriction de ce genre en n’accordant qu’une seule
fois au chrétien pécheur le bienfait de la pénitence canonique.
Ces deux points établis, le Pasteur
énumère par trois fois les pécheurs qui peuvent recourir efficacement
à la μετάνοια. Une premiθre fois, au sujet de la tour bâtie
sur les eaux. il n’y a ici de définitivement rejetés de la construction,
c’est-à-dire de l’Eglise, et privés de salut, que les fils d’iniquité
: ils ont exaspéré le Seigneur, Vis., II, 6, 1, p. 362. Parmi les pierres
non encore utilisées, les unes gisent près de la tour, les autres sont
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brisées et rejetées au loin. Les
premières ne sont que momentanément délaissées parce qu’elles sont
encore impropres à la construction. Il en est de noires : ce sont ceux
qui ont connu la vérité, mais n’y ont point persévéré. Il en est
de fendues : ce sont ceux qui n’ont pas gardés la paix vis-à-vis les
uns des autres. Il en est d’ébréchées : ce sont ceux qui ne possèdent
pas la justice intégrale. Il en est de rondes et blanches : ce sont les
croyants asservis à la fortune, qui, au moment de l’épreuve, ont renié
le Seigneur en vue de conserver leurs richesses ; et tel fut le cas d’Hermas.
Mais toutes ces pierres pourront, après une appropriation nécessaire,
faire partie de la tour : les pécheurs qu’elles figurent pourront, après
avoir fait pénitence, prendre rang dans cette société de saints qu’est
l’Eglise. Parmi les pierres brisées et rejetées au loin, les unes roulent
hors du chemin : ce sont ceux qui ont eu la foi, mais qui, par le doute,
ont perdu la voie. D’autres sont tombées dans le feu : ce sont ceux
qui se sont éloignés sans songer à se repentir. D’autres enfin sont
tombées près de l’eau, mais sans pouvoir y entrer : ce sont ceux qui
ont entendu la parole (de vérité) et ont voulu recevoir le baptême,
mais n’ont pas osé le demander afin de pouvoir se livrer à leurs mauvais
désirs. Les pécheurs de cette triple catégorie pourront-ils recourir
à la μετάνοια et prendre place dans la tour ? A cette question
prιcise d’Hermas le Pasteur répond : " Ils ont la μετάνοια,
mais ils ne peuvent point prendre place dans cette tour ; ils seront dans
un lieu bien inférieur, mais après avoir été châtiés. Ils seront
transférés pour avoir eu part à la parole du juste. Et il leur arrivera
d’être transférés de leurs tourments, s’ils ont au cœur le repentir
de leurs iniquités, sinon ils ne seront pas sauvés à cause de la dureté
de leur cœur. " Vis., III, 7, 5-6, p. 366. Autrement dit, ces pécheurs
n’ont pas encore la justice requise pour faire partie de la société
des saints, mais ils sont en voie de purification par la pénitence, et
ils restent assurés de leur salut.
Une seconde fois, dans la
Similitude du saule, tous les chrétiens reçoivent une branche de saule
qu’ils devront représenter ; l’état de cette branche servira à distinguer
ceux qui ont mérité le salut. Or, sur treize catégories de chrétiens,
trois représentent les justes et dix les pécheurs. Ceux-ci sont livrés
à l’ange de la pénitence : mais tous ne font pas également pénitence
d’une manière utile à leur salut. Dieu a prévu ceux qui en profiteraient
et ceux qui feraient semblant d’y recourir. Sim., VIII, 6, 2, p. 488.
Or une seule de ces dix catégories de pécheurs est rejetée, celles des
apostats et des traîtres : ceux-là sont morts définitivement à Dieu.
Pourquoi ? Parce que, parmi eux, " aucun ne s’est repenti, bien qu’ils
aient entendu ce que je t’ai prescrit de leur prêcher (relativement
à la μετάνοια), dit le Pasteur à Hermas ; la vie n’est plus
en eux. " Sim., VIII, 6, 4, p. 490. Toutes les autres seront sauvées :
" Tous ceux qui se seront soumis à la μετάνοια de tout leur cœur
et se seront purifiés de leurs iniquités sans en ajouter de nouvelles,
auront le remède de leurs péchés et vivront à Dieu ; et tous ceux qui
ajouteront à leurs péchés et marcheront selon les désirs du siècle
se condamneront à la mort, " θανάτω έαυτούς χαταχρίνουσιν.
Sim., VIII, 11, 3, p. 498.
Une dernières fois enfin,
au sujet de la tour bâtie sur le roc, il y a d’abord les quatre premières
assises définitivement scellées qui représentent les patriarches, les
prophètes et les justes de l’Ancien Testament ainsi que les apôtres
et les prédicateurs de l’Evangile. Il y a ensuite des pierres de toute
sorte, dont quelques-unes sont écartées et d’autres provisoirement
employées jusqu’à l’inspection du maître de la tour, qui ne retiendra
que les bonnes et confiera les autres à l’ange de la pénitence. La
tour reste inachevée pour permettre aux pécheurs de ses préparer par
la μετάνοια ΰ leur réin-
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tégration dans l’édifice. Les
pierres sont extraites de douze montagnes, qui représentent le monde entier.
Comme plus haut, une seule catégorie, celle des apostats, des blasphémateurs
et de ceux qui ont livré les serviteurs de Dieu, est irrémédiablement
condamnée : ce sont des endurcis : τούτοις όέ μετάνοια
ούχ έοτι, θάνατος όέ έοτι. Sim., IX, 19, 1, p. 536.
Cinq autres, celle de ceux qui ont conservé la simplicité, l’innocence
et la paix, celle des apôtres et des didascales qui ont prêché comme
il convenait la parole de Dieu, celle des évêques et des hospitaliers,
celle des martyrs, et celle de ceux qui ont gardé la simplicité des enfants,
sont assurés de faire partie de cette tour. Pour les six qui restent,
la μετάνοια est la condition imposιe. Plein de confiance, Hermas
s’écrie : Spero quia omnes, qui antea peccaverunt, libenter acturi sunt
pænitentiam, vitam recuperantes. Et le Pasteur de répondre : Quicumque
mandata efficiunt, habebunt vitam. . . Quicumque vero mandata non servant,
fugiunt a sua vita, morti se tradunt, et unusquisque eorum reus fit sanguinis
sui. Sim., IX, 2, 3-4, p. 560.
Somme toute, parmi les anciens
baptisés, tout pécheur peut obtenir le pardon et la guérison de ses
péchés, à la condition de recourir sérieusement à la μετάνοια.
Cette μετάνοια comporte,
chez le pιcheur, le repentir sincère du péché, le ferme propos pour
l’avenir, et une purification laborieuse. Dieu donne alors la guérison,
ϊασις. Mais de la part de Dieu, cette μετάνοια constitue une
grβce ; et le bon usage qu’en fait le pécheur en est une autre. Dieu,
en effet, accorde la μετάνοια ΰ ceux qu’il voit disposés à
purifier leur âme et à le servir de tout leur cœur, tandis qu’il la
refuse à ceux dont il prévoit la duplicité, la malice, l’hypocrisie.
Sim., VIII, 6, 2, p. 488. C’est pour avoir reçu l’Esprit de Dieu que
les uns en profitent, et c’est par leur faute que les autres la rendent
inutile. Le Pasteur dit à Hermas : " Tu vois combien ont fait pénitence
et ont été sauvés ; c’est afin que tu comprennes combien grande et
digne d’être glorifiée est la miséricorde du Seigneur, lui qui a rempli
de son esprit ceux qui ont été dignes de la μετάνοια.. » Sim.,
VIII, 6, 1, p. 488. Mais le Seigneur ne se contente pas de leur donner
cet esprit, il les assiste encore dans l’accomplissement de leur acte,
Sim., V, 3, 4, p. 454 ; il écoute favorablement leur prière. Sim., V,
4, 4, p. 456.
Voilà déjà en germe les
éléments satisfactoires du régime pénitentiel futur. L’Eglise doit
être une société de saints. Elle croit possible la conservation intacte
de la pureté baptismale, mais elle sait aussi combien est grande la fragilité
humaine. Au pécheur, elle offre après le baptême un moyen de salut.
Et de même qu’elle règle l’initiation et administre le baptême,
elle entend régler l’administration de la pénitence et intervenir à
la fin de l’épreuve satisfactoires par un acte juridique pour réconcilier
officiellement le pécheur converti. Mais dans ce développement de la
discipline pénitentielle, les distinctions arbitraires du Pasteur disparaîtront,
et son rigorisme fera place de plus en plus à un régime de bénignité
et d’indulgence. Cf. Rauschen, L’Eucharistie et la pénitence durant
les six premiers siècles, trad. franç., Paris, 1910, p. 139 sq. ; A.
Lelong, Le Pasteur d’Hermas, p. IV-VI, LX-LXXV ; A. d’Alès, L’édit
de Calliste, Paris, 1914, p. 52-113.
6° Le mariage.
― Relativement au mariage chrιtien,
l’indissolubilité du lien conjugal, même dans le cas d’adultère,
est nettement affirmée, et la question des secondes noces résolue dans
un sens nullement prohibitif. Voici, en effet, les cas de conscience proposés
par Hermas et résolus par le Pasteur. ― 1. L’ιpoux pèche-t-il s’il
vit avec sa femme coupable d’adultère ? Non, s’il ignore sa faute
; oui, s’il vient à la connaître, car alors il se rendrait complice
de son péché. ― 2. Que
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doit-il faire dans le cas où sa
femme persévère dans le péché ? Il doit la quitter et rester seul,
car s’il contractait un nouveau mariage, il commettrait lui-même un
adultère. Mand., IV, 1, 4-6, p. 392-394. ― 3. Si l’ιpouse adultère,
après avoir été renvoyée, a fait pénitence, non pas souvent mais une
fois, μή έπί πολό δέ τοίς γάρ δούλοις τού θεού
μετάνοια έστιν μία, l’époux doit la reprendre, sans
quoi il commettrait une faute grave. Mand., IV, 1, 7-8, p. 394. ― 4.
Mκmes solutions pour la femme, quand c’est l’époux qui tombe dans
l’adultère. Ibid. ― 5. Si l’un des deux ιpoux vient à mourir,
le survivant pèche-t-il en se remariant ? Non, mais il acquerrait plus
d’honneur et de gloire auprès de Dieu, en restant dans le veuvage. Mand.,
IV, 4, 1-2, p. 378-400.
7° Les subintroductæ. ―
Sans la Similitude IX, 10, 6, p. 518, Hermas reçoit du Pasteur l’ordre
de rester près de la tour pour attendre l’arrivée du maître ; il est
confié à la garde des vierges. Mais la nuit approchant, il voudrait se
retirer ; et les vierges de lui dire : μεθ ήμών χοιμηθήοη
ώς άδελφός, χαί ούχ ώς άνήρ. Sim., IX, 11, 3, p. 520.
Elles affirment qu’elles l’aiment, et l’une d’elles l’embrasse.
Est-ce une allusion à la coutume des femmes vivant avec les clercs sous
le nom de sorores, subintroductæ, άδελφαί, άγαπηταί, σνείσαχτοι
? Hefele l’a cru, Opera Patrum apost., 4e édit., Tubingue, 1855, p.
XCVI ; mais ni Gaâb, Der Hirt des Hermas, Bâle, 1866, p. 56-59, ni Zahn,
Der Hirt des Hermas, Gotha, 1868, p. 179-181, ne sont de cet avis. Harnack
trouve suspect l’emploi de ces termes χοιμηθήοη, άγαπώμεν,
χαταφιλείν, sans regarder comme vraisemblable l’introduction
de cette coutume avant le IIIe siècle. Funk, à son tour, Opera Patrum
apost., p. 518-519, note , sans nier que le Pasteur y fasse allusion, estime
que l’usage des subintroductæ s’est introduit au IIe siècle, et il
appuie son opinion sur le langage tenu par Tertullien, De jejuniis, 17
; De virginibus velandis, 14, et par saint Cyprien, De habitu virginum,
19 ; Epist. IV, 2. Il se peut fort bien, quoiqu’on n’en puisse pas
donner une preuve positive, que le langage du Pasteur ait favorisé cette
coutume, qui ne devait pas tarder à montrer qu’elle renfermait de choquant
et de dangereux pour les mœurs et à provoquer, dès la fin du IIIe siècle
et au commencement du IVe, son interdiction catégorique. Cf. concile d’Ancyre,
c. 19 ; concile de Nicée, c. 3, dans Lauchert, Die Kanones der wichtigsten
altchr. Concilien, Leipzig, 1896, p. 34, 38. Pour le concile d’Elvire,
c. 27, voir t. IV, col. 2388.
I. EDITIONS.
― Lefèvre d’Etaples, Liber trium virorum et trium spiritualium virginum,
Paris, 1513 ; Cotelier, Patres ævi apostolici, Paris, 1672 ; Leclerc,
Patres ævi apostolici, Anvers, 1698 ; Galland, Bibliotheca veterum Patrum,
Venise, 1763-1767 ; Migne, P. G., t. II ; Hefele, Opera Patrum apost.,
4e édit., Tubingue, 1855 ; Tischendorf, Hermæ Pastor græce, Leipzig,
1856 ; Anger et Dindorf, Hermæ Pastor græce, Leipzig, 1856 ; Dressel,
Patrum apost. opera, Leipzig, 1857 ; Hilgenfeld a publié la version latine
dite Vulgate, Hermæ Pastor, Leipzig, 1873 ; 2e édit. à part, et le texte
grec dans Novum testamentum extra canonem receptum, Leipzig, 1866 ; Hermæ
Pastor græce, Leipzig, 1881 ; 3e édit., 1887, Hollenberg, Pastor Hermæ,
Berlin, 1868 ; Gebhardt, Harnack et Zahn, Patrum opera apost., Leipzig,
1877 ; 2e édit., 1894 ; Funk, Opera Patrum apost., Tubingue, 1881 ; 2e
édit., 1901 ; A. Lelong, Le Pasteur d’Hermas, Paris, 1912 (texte grec,
trad. française et introd.) ; Ant. d’Abbadie a publié une traduction
latine de la version éthiopienne d’Hermas, Hermæ Pastor, dans les Abhandlungen
für die Kunde des Morgenlandes, 1860, t. II.
II. TRAVAUX.
― Outre les prolégomènes et les notes qui accompagnent la plupart des
éditions , on peut consulter ; Weinrich, Disquisitio in doctrinam moralem
ab Herma in Pastore propositam, 1804 ; Jachmann, Der Hirt des Hermas, Kœnigsberg,
1835 ; Gaâb, Der Hirt des Hermas¸ Bâle, 1866 ; Zahn, Der Hirt des Hermas,
Gotha, 1868 ; Freppel, Les
col.2287 fin
col.2288 début
Pères apostoliques, Paris, 1859
; 4e édit., 1885, p 257-322 ; Lipsius, Der Hirt des Hermas und Montanismus
in Rom, dans Zeitschrift für wissenschaftliche Theologie, 1865, t. VIII,
p. 266-308 ; 1866, t. IX, p. 27-81 ; Heyne, Quo tempore Hermæ Pastor scriptus,
sit, Kœnigsberg, 1872 ; Donaldson, The apostolical Fathers, 2e édit.,
Londres, 1874, p. 351-382 ; Behm, Ueber der Verfasser des Schrift welche
den Tiel " Hirt " fuhrt, Rostock, 1876 ; Ledrain, Deux apocryphes du IIe
siècle, avec une étude sur la date du Pasteur d’Hermas, Paris, 1871
; Nirschl, Der Hirt des Hermas, Passau, 1879 ; E. Renan, L’Eglise chrétienne,
3e édit., Paris, 1879, p. 401-425 ; M. du Colombien, Le Pasteur d’Hermas,
Paris, 1880 ; Brull, Der Hirt des Hermas, Fribourg-en-Brisgau, 1882 ; Duchesne,
Les origines chrétiennes, édit. lith.,Paris, 1886 ; Link, Christi Person
und Werk im Hirten des Hermas, Marbourg, 1886 ; Die Einheit des Pastor
Hermas, Marbourg, 1888 ; A. Ribagnac, La christologie du Pasteur d’Hermas,
Paris, 1887 ; Huckstaedt, Der Lehresbegriff der Hirten, Anklam, 1888 ;
Baumgartner, Die Einheit des Hermas Buchs, Fribourg-en-Brisgau, 1889 ;
Taylor, The witness of Hermas to the fous Gospels, Londres, 1892 ; Spitta,
Studien zum Hirten des Hermas, Gœttingue, 1896 ; Fessler, Institutiones
patrologiæ, édit. Jungmann ; Inspruck, 1890, t. I, p. 178 sq. ; Bardenhewer,
Les Pères de L’Eglise, trad. franç, Paris, 1898, t. I, p. 84-98 ; Geschichte
der altkirchlichen Litteratur, Fribourg-en-Brisgau, 1902, t. I, p. 557-578
; J. Bénazech, Le prophétisme chrétien depuis les origines jusqu’au
Pasteur d’Hermas, Cahors, 1901 ; P. Batiffol, Les origines de la pénitence,
Hermas et le problème moral au IIe siècle, Paris, 1902, (ou Revue biblique,
1901, t. X, p. 327-351) ; Wenel, dans Hennecke, Neutestamentliche Apocryphen,
1904, p. 277-279 ; Kirchenlexicon, t. V, col. 1839-1844 ; Dictionary of
christian biography, t. II, col. 912-921 ; Richardson, Bibliographical
synopsis, Buffalo, 1887, p. 30-36 ; Realencyklopädie für protestantische
Theologie und Kirche, t. VII, p. 714-718 ; The catholik encyclopedia, New-York,
t. VII, p. 268-271 ; Chevalier, Répertoire. Bio-bibliographie, t. I, col.
2132 ; D. Völter, Die Visionen des Hermas, etc., Berlin, 1900 ; B. Heurtier,
Le dogme de la Trinité dans l’épître de saint Clément de Rome et
le Pasteur d’Hermas, Lyon, 1900 ; J. Réville, La valeur du témoignage
historique du Pasteur d’Hermas, Paris, 1900 ; Mgr Duchesne, Histoire
ancienne de l’Eglise, Paris, 1906, t. I, p. 225-235 ; K. Lake, The Shepherd
of Hermas and christian life in Rome in the second century, dans Harward
theological review, 1911, t. IV, p. 25-46 ; K. O. Macmillan, The Shepherd
of Hermas, apocalypse or allegory ? dans The Princeton theological review,
1911, t. IX, p. 61-94 ; G. Bardy, Le Pasteur d’Hermas et les livres hérétiques,
dans la Revue Biblique, 1911, p. 391-407 ; Baumeister, Die Ethik des Pastor
Hermæ, Fribourg-en-Brisgau, 1912 ; A. d’Alès, L’édit de Calliste.
Etude sur les origines de la pénitence chrét., Paris, 1914, p. 52-113
; A propos du Pasteur d’Hermas, dans les Etudes, 1912, t. CXXXII, p.
79-94 ; C. H. Turner, The Shepherd of Hermas and the problem of this text,
dans Journal of theol. studies, 1920, t. XXI, p. 193-209.
G. BAREILLE.