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Hermas
Le Pasteur

Article du Dictionnaire de Théologie Catholique
Abréviations : Vis. = Vision,

Le Pasteur d'Hermas est un écrit chrétien catholique du IIème siècle après Jésus-Christ.

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HERMAS. ― I. Sa personne. II. Son ouvrage. III. Sa doctrine.
I. SA PERSONNE.

1° Autobiographie. ― On ne sait de l’auteur du Pasteur que ce qu’il a dit de lui-même dans son ouvrage. Et voici les quelques renseignements qu’il donne. Son nom est Hermas ; c’est ainsi qu’il se désigne à plusieurs reprises. Vis.¸ I, 1, 4 ; 2, 2 ; 4, 3 ; II, 2, 2. Esclave de naissance, vendu à Rome à une femme nommée Rhoda, il dut être affranchi par elle. Marié, père de famille, mais commerçant peu scrupuleux, il réussit à s’enrichir ; car, porté au mensonge et à la dissimulation, il avoue n’avoir jamais dit la vérité. Mand., III, 3, 3. La fortune jeta le désordre dans sa famille ; lui-même devint un grand pécheur, Mand., IV, 2, 3 ; sa femme fut une mauvaise langue et ses fils tournèrent mal au point de renier leur foi et de dénoncer leurs parents. Vis., I, 3, 1 ; II, 3, 2 ; III, 6, 7, et il ne lui resta plus qu’un champ à cultiver sur la route de Rome à Cumes. Vis., III, 1, 2 ; IV, 1, 2. Il était donc chrétien ainsi que toute sa famille, mais ils avaient tous péché et devaient faire pénitence pour se relever ; et c’est ce qu’ils firent. Comment donc fut-il amené à écrire le Pasteur ?
Un jour, comme il longeait le Tibre, il aperçut Rhoda, qu’il aimait comme une sœur, se baignant dans le fleuve ; il lui tendit la main pour l’aider à sortir de l’eau non sans se dire à lui-même : " Que je serais
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heureux d’avoir pour épouse une femme de cette beauté et de ce mérite ! " Pensée mauvaise pour un homme marié et père de famille ; il devait en faire pénitence. Un peu plus tard, comme il se rendait à Cumes, il fut transporté par l’Esprit de Dieu dans un endroit inaccessible ; et là il vit dans le ciel Rhoda, qui lui apprit que Dieu était irrité contre lui à cause de sa mauvaise pensée. " Prie le Seigneur, lui dit-elle, et il guérira tes péchés, ceux de ta maison et de tous les tiens. " Réfléchissant alors au moyen d’apaiser Dieu et d’assurer son salut, il eut successivement, à intervalles plus ou moins longs, la vision quatre fois répétée d’une femme, qui représentait l’Eglise, qui lui lut et lui confia un livre, avec l’ordre de le transcrire en double exemplaire, l’un pour Clément, qui, selon le devoir de sa charge, devait le transmettre aux villes étrangères, l’autre pour Grapta, qui devait en instruire les veuves et les orphelins. Vis., II, 4, 3. Lui-même devait l’interpréter à Rome avec ceux qui présidaient à l’Eglise. Dans la suite, ce fut la visite d’un homme qu’il reçut ; celui-ci, habillé en pasteur, la besace à l’épaule et la houlette à la main, se dit chargé de lui rappeler les visions qu’il avait eues et de lui faire écrire des préceptes et des similitudes : c’était l’ange de la pénitence, Vis., V : de là le livre du Pasteur.
 Tels sont les renseignements autobiographique s fournis par Hermas sur sa vie et l’origine de son ouvrage. Il se présente donc comme un contemporain du pape saint Clément, à la fin du Ier siècle. Mais qu’y a-t-il de vrai dans tout cela ? Hermas s’est-il imaginé avoir eu ces visions ? A-t-il voulu faire croire qu’il les avait eues réellement ? N’a-t-il pas plutôt recouru à un simple artifice littéraire pour faire entendre d’une manière saisissante la leçon de morale qu’exigeait une période de relâchement ? Sa personne est restée dans une ombre discrète ; mais, en revanche, son livre a joui, dès la seconde moitié du IIe siècle, d’une assez grande célébrité ; car il fut lu publiquement dans les églises, tout au moins à titre d’instruction et d’édification, et il passa même, aux yeux de quelques Pères, pour un livre inspiré. Il import donc de savoir ce qu’en pensa l’antiquité chrétienne.
 2° Tradition primitive chez les grecs. ― Le Pasteur a été connu, apprécié et cité chez certains Pères grecs. Saint Irénée, par exemple, en a reproduit un passage, en le faisant précéder de ces mots assez significatifs : χαλώς είπεν ή αφήγ. Cont. hær., IV, 20, 2, P. G., t. VII, col. 1032. De même Clément d’Alexandrie, qui admet la réalité et le caractère divin des révélations d’Hermas, cite fréquemment le Pasteur et le qualifie d’Ecriture. Strom., I, 17, 29 ; II, 1, 9, 12, 13 ; VI, 6, P. G., t. VIII, col. 800, 928, 933, 980, 994, t. IX, col. 357. Mais ni saint Irénée, ni Clément d’Alexandrie ne disent formellement qu’Hermas ait été un contemporain des apôtres. Origène, au contraire, qui croit à l’inspiration du livre, identifie son auteur avec l’Hermas nommé dans l’épître aux Romains : Puto quod Hermas iste (celui de l’épître aux Romains) sir scriptor libri illius, qui Pastor appellatur, quæ scriptura valde mihi utilis videtur et, ut puto, divinitus inspirata. In Rom., X, 31, P. G., t. XIV, col. 1282. Il n’ignore pourtant pas que son opinion n’est pas celle de tout le monde, In Matth., XIV ? 21 ? P. G., t. XIII, col. 1240, et que certains ont peu d’estime pour cet ouvrage, De princ., IV ? 11, P. G., t. XI, col. 35. Quatre fois même, quand il en parle, il use de cette précaution oratoire : Si cui tamen placeat eum legere ou recipere. P. G., t. II, col. 823-826. Il n’y avait donc pas unanimité chez les grecs, du temps d’Origène, sur la question de savoir s’il fallait tenir pour inspiré le livre du Pasteur, mais on s’accordait à lui reconnaître une utilité et une valeur morale de quelque importance. Au commencement du IVe siècle, Eusèbe constatait qu’il était lu publiquement dans les
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églises et servait à l’instruction des catéchumènes, mais que certains mettaient en doute son inspiration. Dans ces conditions, il le retranche des όμολογουμένα avec les Πράξεις Παύλου, l’Αποχάλυψις Πέτρου, l’Επιοτολή Βαρνάδα et les Διδαχαί τών άποστολων, H. E., III, 3, P. G., t. XX, col. 217 ; il les range parmi les νόθα. H. E., III, 25, ibid., col. 269. Plus tard, saint Athanase, tout en l’excluant aussi du canon des Ecritures, De decr. Nic. syn., 18, P¨. G., t. XXV, col. 456, le range parmi ceux que l’on doit lire aux catéchumènes : " Pour plus d’exactitude, écrit-il, je suis obligé de dire que nous avons d’autres livres qui ne sont point dans le canon, mais qui, selon l’institution des Pères, doivent être lus à ceux qui veulent être instruits des maximes de la foi. " Et il signale, parmi ces derniers, le Pasteur ainsi que des livres de l’Ancien Testament, tels que la Sagesse de Salomon, la Sagesse de Sirach, Esther, Judith, Tobie, qui n’étaient pas encore reçus dans le canon des Ecritures par un consentement unanime. Epist., fest., XXXIX, P. G., t. XXVI, col. 1437. Il n’hésite pas, quant à lui, à s’appuyer sur le Pasteur pour réfuter les ariens qui l’exploitaient à leur profit. De incarnatione Verbi, 3, P. G., t. XXV, col. 101. Didyme l’Aveugle cite de même Vis., III, 2, 8, P. G., t. XXXIX, col. 1141. L’auteur de l’Opus imperfectum in Matthæum (fin du IVe siècle), XIX, 28, homil. XXXIII, P. G., t. LVI, col. 829, cite Sim., IX, 15. Il est à noter que, dans le Codex Sinaiticus, le Pasteur se trouve avec l’épître du pseudo-Barnabé à la suite des livres du Nouveau Testament. Somme toute, jusqu’au IVe siècle, le Pasteur d’Hermas a joui parmi les grecs d’une grande autorité puisqu’on en faisait la lecture publique et qu’on s’en servait pour l’instruction des catéchumènes. Mais bientôt son influence décline. Il est pourtant encore cité par quelques écrivains. Et tandis que Nicéphore l’exclut de la liste des livres canoniques, l’interprète éthiopien en a fait un grand cas qu’il regarde comme de la main de saint Paul. Voici, en effet, ce qu’on lit en appendice dans la version éthiopienne, traduite en latin par Antoine d’Abbadie dans les Abhandlungen für die Kunde des Morgenlandes, 1860, t. II ; Finitæ sunt visiones et mandata et similitudines Hermæ, qui est Paulus.
 3° Tradition primitive chez les latins. ― Beaucoup moins favorable a ιté le jugement chez les latins. Vers 180, l’auteur du fragment de Muratori attribue formellement le Pasteur au frère du pape Pie, et refuse d’admettre son caractère inspiré : Pastorem vero nupperime temporibus nostris, in urbe Roma, Hermas conscripit, sedente cathedra urbis Romæ ecclesiæ Pio episcopo, fratre ejus. Et ideo legi eum quidem oportet, se publicare vero in ecclesia populo, neque inter prophetas completum (completos) numero, neque inter apostolos in fine temporum potest. Tertullien, encore catholique, la traitait, il est vrai, de scriptura, De orat., 16, P. L., t. I, col. 1172 ; mais, devenu montaniste, il le qualifia de Pastor mæchorum et le repoussa comme un livre apocryphe, De pudicit., 11, 20, P. L., t. II, col. 1000, 1021 ; sans nul doute parce que la pénitence y était accordée aux adultères, et vraisemblablement parce que le pape Zéphirin avait dû s’appuyer sur le Pasteur pour décider l’admission des adultères à la pénitence. Cf. A. d’Alès, La théologie de Tertullien, Paris, 1903, p. 228. Mais cela n’empêcha point l’auteur du De alcatoribus, c. IV, édit. Hartel, t. III, p. 96, de le citer comme Ecriture. Au commencement du IVe siècle, le décret attribué au pape Pie par le pseudo-Isidore en appelait à Hermas pour réfuter les quartodécimans. Hardouin, t. I, col. 95 ; Mansi, t. I, p. 672. C’est qu’en effet on prétendait alors que la célébration de la Pâque le dimanche avait été prescrite par l’ange à Hermas. Et le Liber pontificalis, dans la notice consacrée au pape Pie, s’est fait l’écho de cette tradition : Sub hujus
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episcopatum, Hermis librum scripsit, in quo mandatum continet quod ei præcepit angelus Domini, cum venit ad eum in habitu pastoris, et præcepit ut Pascha die dominico celebratur. Liber pontificalis, édit. Duchesne, Paris, 1886, t. I, p. 132. Mais, d’une part, le Pasteur ne contient pas la moindre allusion à la Pâque, et, d’autre part, l’usage romain de célébrer la Pâque le dimanche était antérieur au pape Pie, puisque, au témoignage de saint Irénée, dans Eusèbe, H. E., V, 24, P. G., t. XX, col. 505, Hygin, Télesphore et Xyste le pratiquait déjà. Le Liber pontificalis, qui confond l’auteur du Pasteur avec le livre lui-même, s’accorde du moins, quant à la date, avec le fragment du Muratori. Ce titre Liber Pastoris a fait croire à quelques écrivains que Pastor était un nom d’auteur. L’auteur du poème contre Marcion présente déjà cette confusion, Adv. Marc., III, 9, P. L., t. II, col. 1078 ; et Rufin tout autant, In symb., 38, P. L., t. XXI, col. 374, ainsi que plus tard (vers 530) l’auteur de la Vie de saint Geneviève. Acta sanctorum, januarii, t. I, p. 139. Saint Jérôme, après avoir rappelé les témoignages d’Origène et d’Eusèbe, affirme que le Pasteur était presque inconnu chez les latins, De vir. ill., 10, P. L., t. XXXII, col. 625 ; qu’il ne faisait point partie du canon, Præf. in libr. Sam. et Malach., P. L., t. XXXVIII, col. 556 ; et il accuse Hermas de folie ou de sottise au sujet de ce qu’il avait dit relativement l’ange Tyri (Thegri). In Habac., I, 14, P. L., t. XXV, col. 1286. On en appelait encore malgré tout au Pasteur ; c’est ainsi Cassien s’appuyait sur lui pour soutenir que chaque homme a deux anges. Collat., VIII, 17 ; XIII, 12, P. L., t. XLIX, col. 750, 929. Mais saint Prosper répliquait à Cassien : Nullius auctoritatis est testimonium, quod disputationi suæ de libello Pastoris inserucrit. Cont. Collat., XIII, 6, P. L., t. LI, col. 250. Le Pasteur se trouve cité dans l’appendice de la liste des Livres saints reproduite dans le Codex Claromontanus ; mais le décret de Gélase, Hardouin, t. II, col. 941 ; Thiel, Epistolæ romanorum pontificum, 1868, t. I, p. 463, le rejette parmi les apocryphes. Il ne resta pourtant pas inconnu ; il fut même utilisé encore dans l’Eglise latine, comme en témoignent, vers 530, l’auteur de la Vie de sainte Geneviève, qui cite un passage selon la version latine du manuscrit palatin, Acta sanctorum, januarii, t. I, p. 139, et Sedulius Scotus, au IXe siècle, qui partageait l’opinion d’Origène sur le caractère inspiré de ce livre. Collect. ad Rom., XVI, 14, P. L., t. CIII, col. 124. Quelques manuscrits contiennent la version latine du Pasteur parmi les livres de l’Ancien Testament. Des auteurs du moyen âge en citèrent quelques passages.
 4° La critique moderne. ― Du XVIe siècle à la moitié du XVIIIe, la plupart des critiques continuèrent à voir dans Hermas un contemporain des apôtres et plaçaient la date du Pasteur, les uns avant la ruine de Jérusalem, les autres vers l’an 92. Mais, en 1740, la découverte et la publication du fragment de Muratori, si précis relativement à l’époque où vécut et écrivit Hermas, firent abandonner cette opinion par la plupart des critiques. On admit qu’Hermas n’avait vécu qu’au IIe siècle. Et c’est aujourd’hui l’opinion à peu près unanime. Mais à ce compte, dit-on l’auteur du Pasteur nous a trompés en se donnant comme le contemporain du pape Clément. Rien de plus vrai. Or, en dehors du témoignage si formel du fragment de Muratori, il y a des raisons internes qui favorisent l’opinion nouvelle. A considérer, en effet, les idées du Pasteur, sa composition vers le milieu du IIe siècle, note Bardenhewer, Les Pères de l’Eglise, trad. franç., Paris, 1899, t. I, p. 91, est sinon hors de conteste, du moins très vraisemblable. " Le Pasteur se complaît si fort à traiter la grave question du pardon des péchés graves, il y déploie une si étonnante insistance, qu’on se prend naturellement à penser qu’Hermas est au courant et tient compte des premiers
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pas au moins de l’agitation montaniste. En tout cas, les gnostiques, pour lui, sont déjà l’ennemi. " L’auteur écrit pendant une longue période de paix, qui semble être celle d’Antonin le Pieux (138-161) ; le sens chrétien s’est affaibli chez beaucoup de fidèles ; l’esprit du monde reprend de l’empire. Vis., II, 2, 3. Une tempête a précédé ce calme, et les circonstances signalées, Sim., IX, 28, désignent la persécution de Trajan (98-117) plutôt que celle de Domitien (81-96). L’Eglise se trouve dans un état de crise morale ou de relâchement, qui nécessite un retour à une discipline sévère pour assurer le salut de ses membres. Les apôtres sont morts, Vis., III, 5 Sim., IX, 15, 4 ; on n’est donc plus aux temps apostoliques.
 Si Hermas nous a trompés sur la date, faut-il récuser toute son autobiographie ? Comment adorer ce qu’il dit de lui-même avec l’idée qu’en donne son livre ? Certes, tous les détails cadrent admirablement avec la tendance de l’ouvrage, et laissent l’impression d’une histoire vraie. Hermas et maison figurent les plaies de l’Eglise ; aussi est-il visé le premier, ainsi que les siens, par l’appel à la pénitence. La forme apocalyptique qu’il donne à son ouvrage n’a pas lieu d’étonner. Ce n’est l’œuvre ni d’un naïf, ni d’un imposteur. Mgr Freppel, qui s’en tient malgré tout à l’opinion ancienne quant à la date, écrit : " J’incline à penser que nous sommes en présence d’un traité didactique, d’un sorte de trilogie morale qui, sans se donner pour une révélation proprement dite, se développe sous la forme d’une apocalypse, dans une série de communications entre le ciel et la terre. " Les Pères apostoliques, 4e édit., Paris, 1885, p. 269. Et c’est encore ici, note Bardenhewer, op. cit., p. 92, une de ces fictions, un de ces artifices littéraires, que goûte et prodigue la littérature des apocryphes, et dont la critique ne saurait être dupe.
 Signalons pourtant une troisième opinion, celle de Gaâb, Der Hirt des Hermas, Bâle, 1866, et de Th. Zahn, Der Hirt des Hermas, Gotha, 1868, d’après laquelle le Pasteur n’aurait été composé ni par le frère du pape Pie, ni par l’Hermas de l’Epître aux Romains, mais par un personnage du même nom, contemporain du pape saint Clément. Ce fut aussi l’opinion de Peters, Theolog. Litiraturblatt, 1869, p. 854 sq., de Mayer, Die Schriften der apost. Väter, 1869, p. 255 sq., de Caspari, Quellen zur Geschichte des Taufsymbols, 1875, t. III, p. 298, et de Nirschl, Patrologie, 1881, t. I, p. 80-88. D’après Salmon, Dictionary of christian biography, t. II, p. 912-921, cet Hermas aurait été un prophète comme Quadrat, et son ouvrage ne serait autre qu’un spécimen de l’enseignement des prophètes au début du IIe siècle.
 Quant à l’opinion de Champagny, Les Antonins, Paris, 1863, t. I, p.134, n. 1 ; t. II, p. 347, n. 3, partagée par dom Guéranger, Sainte Cécile, 2e édit., p. 132 sq., 197 sq., et d’après laquelle le Pasteur aurait deux auteur, l’Hermas de l’Epître aux Romains pour les Visions, et le frère du pape Pie pour les Préceptes et les Similitudes, elle ne mérite pas, dit Funk, Opera Patr. apost., Proleg., p. CXX, d’être réfutée, tellement s’impose l’unité d’auteur.
 E. Spitta a cru remarquer que le Pasteur avait été composé sous Claude (41-54) ou même auparavant par un juif, mais qu’il avait été interpolé en beaucoup d’endroits par un chrétien, vers l’an 130. Zur Geschichte und Litteratur des Urchristentums, Gœttingue, 1896, t. II, p. 241-447. Daniel Völter, Die Visionen des Hermas, die Sybille und Clemens von Rom, 1900, et H. A. van Bakel, De compositie van den Pastor Hermæ, 1900, ont plus ou moins adhéré à ce sentiment, qui doit être absolument rejeté. Voir Funk, dans Theologische Quartalschrift, 1899, p. 321-360. Cf. A. Lelong, Le Pasteur d’Hermas, Paris, 1912, p. XXXIX-XLVI.
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C’est donc au témoignage du fragment de Muratori, corroboré d’ailleurs par des arguments d’ordre interne, qu’il convient de s’en tenir avec Lipsius, Bibellexicon, 1871, t. III, p. 20 sq. ; Heyne, Quo tempore Hermæ Pastor scriptus sit, Kœnigsberg, 1872 ; Behm, Ueber den Verfasser der Schrift, welche den Titel " Hirt " führt, Rostoch, 1876 ; Harnack, Patrum apostol. opera, Leipzig, 1876, t. I, p. LXXVII sq. ; Batiffol, La littérature grecque, Paris, 1897, p. 63 sq. ; Mgr Duchesne, Histoire ancienne de l’Eglise, Paris, 1906, t. I, p. 224 ; A. Lelong, Le Pasteur d’Hermas, p. XXV-XXIX ; Funk, Opera Patr. apost., Tubingue 1881, t. I, p. CXVII sq. ; Bardenhewer, Les Pères de l’Eglise, trad. franç., Paris, 1899, t. I, p. 98-92.
Hermas fait allusion à l’amour des richesses ; bonne preuve que l’Eglise avait joui d’un temps de paix. Mais des persécutions avaient eu lieu ; il y eut des martyrs mais aussi des apostats ; mais quelques chrétiens s’en tirèrent par la seule perte de leurs biens. Hermas lui-même avait été dénoncé par ses fils et ruiné ; au moment de ses visions, il ne restait plus qu’un champ. Peut-être avait-il été, au temps de sa jeunesse, à l’âge de 30 ou 35 ans, l’une des victimes de la persécution de Domitien auxquelles Nerva, d’après Dion Cassius, 68, 2, avait fait rendre les biens confisqués. Dans ce cas, sous le règne d’Antonin le Pieux (138-161) contemporain du pape Pie (140-155), il aurait été plus que septuagénaire. Il écrit dans un temps où le gnosticisme existe, mais ne paraît pas encore un danger grave pour l’Eglise ; il combat le relâchement des chrétiens, mais sans signaler des erreurs doctrinales. Le seul passage qui se rapporte à un enseignement gnostique est celui où il est question de ceux qui abusent de la chair, Sim., V, 7 ; mais les faux docteurs visés par Hermas semblaient encore appartenir à l’Eglise et n’en avoir pas été rejetés, comme ils ne tardèrent pas à l’être. Dans le passage plus particulièrement relatif aux gnostiques, Sim., IX, 22, 2, il est encore question de fidèles, πιστοί, qui « veulent tout savoir et ne connaissent rien, " " être des maîtres quand ils ne sont que des insensés. " Parmi eux beaucoup ont été rejetés, mais d’autres, reconnaissant leurs fautes, ont fait pénitence ; à ceux qui restent la pénitence est proposée comme moyen de salut, car ils n’ont pas été mauvais, mais plutôt fous et sans esprit : ούχ έγένοντο γάρ πονηροί, μάλλον δέ μωροί χαί άσύνετοι, Sim., IX, 22, 4. ce n’est pas ainsi que se serait exprimé Hermas, si de son temps le gnosticisme avait été pour l’Eglise le danger qu’il devint peu après ; il pouvait parler de la sorte avant l’explosion du gnosticisme vers le milieu du IIe siècle.
Etait-ce un montaniste ? Il n’y paraît guère, malgré certaines affinités de sa morale avec celles du montanisme. Il considère, en effet, l’Eglise comme étant en droit une société de saints, mais étant en fait un mélange de justes et de pécheurs ; il regarde comme imminente la parousie du Seigneur ; il a des visions et des révélations. Mais la solution d’Hermas diffère de celle du montanisme et porte la marque d’une date antérieure. Tandis que les montanistes refusaient le pardon aux grands pécheurs, Hermas leur accorde au moins une fois la pénitence et promet le salut aux pénitents. Montaniste, il n’aurait pas loué le mari d’une épouse adultère de la reprendre, si elle venait à faire pénitence, et il aurait condamné les secondes noces. Les montanistes ajoutaient des jeûnes aux jeûnes prescrits par l’Eglise ; Hermas se contente de jeûner les jours de station, sans voir dans cette pratique une obligation et en insistant sur le côté spirituel du jeûne. Il y a donc dans le Pasteur moins de rigorisme que dans le montanisme, et il n’y a rien de ce qui est spécial au montanisme. A. Stahl, Patristische Untersuchungen. . . III, Der " Hirt " des Hermas, Leipzig, 1901, a même prétendu que l’auteur combattait les montanistes, mais il date
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son œuvre des années 165-170. Le témoignage du fragment de Muratori a plus d’autorité que les arguments de Stahl n’ont de valeur.
 II. SON OUVRAGE. ― 1° Texte et versions. ― Le Pasteur a été composé en grec, mais le texte original ne nous est point parvenu dans son intégrité. Le premier quart, Vis., I - Mand., IV, 3, 6, se trouve dans le Codex Sinaiticus de la Bible du IVe siècle, découvert en 1859 ; deux autres morceaux se trouvent dans un papyrus du Ve siècle rapporté de Fayoum et conservé à Berlin ; un manuscrit du mont Athos, XIVe-XVe siècle, publié à Leipzig par Tischendorf, en 1856, le contient dans sa presque totalité ; trois feuilles de ce manuscrit, comprenant Mand., XII, 4, 7 - Sim., VIII, 4, 3, et Sim., IX, 15, 1, - 30, 2, dérobées par Constantin Simonide, ont été acquises par la bibliothèque de Leipzig. C’est à l’aide de ces manuscrits qu’ont été faites toutes les éditions du texte grec par Hilgenfeld, Novum Testamentum extra canonem receptum, Leipzig, 1866 ; 2e édit., 1881 ; 3e, 1887 ; Gebhardt-Harnack, Hermæ Pastor, Leipzig, 1877. En 1880, Lambros découvrit au Mont-Athos un manuscrit contenant une partie du texte grec du Pasteur et il constata plus tard qu’il était la source du manuscrit de Leipzig. Robinson fit la collation du texte, A collation of the Athos codex of the Shepherd of Hermas, 1888, p. 25-29. Henner fut le premier qui utilisa ce manuscrit dans son édition des Pères apostoliques en 1891. Photographie par K. Lake, Oxford, 1907.
 La même année, U. Wilcken découvrit une feuille manuscrite sur papyrus, du IVe siècle, reproduisant Sim., II, 7-10 ; IV, 2-8, et il en publia le texte. Tabeln zur ältern griechischen Paläographie, Leipzig et Berlin, 1891, tab. III. Diels et Harnack rééditèrent et commentèrent ce fragment, trouvé au Fayoum et conservée au musée de Berlin, dans les Sitzungsberichte der Berliner Akademie der Wissenschaften, 1891, p. 427-431 ; Albert Ehrhard, dans la Theologische Quartalschrift, 1892, p. 294-303, et K. Schmidt et W. Schubart, Altchristliche texte, Berlin, 1910, p. 13-15. Une feuille de papyrus, contenant une courte citation de Mand., XI, 9 sq., a été publiée par Grenfell et Hunt, en 1899. Des fragments de sept feuilles de papyrus ont été publiés par les mêmes savants papyrologistes, The Amherst papyri II, Londres, 1901, p. 195 sq., (Vis., I, 2, 2-3, 1 ; III, 12, 3 ; 13, 3, 4 ; Mand., XII, 1, 1, 3 ; Sim., IX, 2, 1, 2, 4, 5 ; 12, 2, 3, 5 ; 17, 1, 3 ; 30, 1-4). Cf. A. Lelong, Le Pasteur d’Hermas, p. CIII. un fragment (Sim., X, 3, 3-6) a encore été publié par les mêmes. Cf. ibid., p. CIII-CIV. Une feuille de parchemin, trouvée en Egypte et conservée à la bibliothèque municipale de Hambourg, du IVe au Ve siècle, contient la fin de Sim., V. Cf. K. Schmidt et W. Schubart, dans les Siztungsberichte der Berliner Akademie, 28 octobre 1909 ; A. Lelong, op. cit., p. XCV-CII. Un papyrus du VIe siècle donne le dé but de Sim., VIII, 1, 1-12, publié par K. Schmidt et W. Schubart, Altchristliche Texte, p. 17-20.
 Jusqu’en 1856, le Pasteur n’était connu que par une version latine, dite Vulgate, publiée la première fois par Lefèvre d’Etaples, Liber trium virorum et trium spiritualium virginum, Paris, 1513, et reproduite dans leurs éditions des Pères apostoliques par Cotelier. Fell, Gallandi, Migne, Hefele. Hilgenfeld en a donné une édition critique insuffisante, Hermæ Pastor, Leipzig, 1873. Une autre version latine, dite palatine, en a été publiée par Dressel à Leipzig, en 1857 et en 1863, puis par Hollenberg, à Berlin, en 1868, d’après un manuscrit du fonds palatin du Vatican, du XIVe siècle. Ces deux version sont indépendantes l’une de l’autre ; la première doit avoir suivi de près l’apparition de l’original grec ; Tertullien parle du Pastor, non du Ποιμήν ; la seconde, dιjà connue de l’auteur de la Vie de sainte Geneviève, vers 530, remonte au Ve siècle et a eu très
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vraisemblablement la Gaule pour berceau, cf. I, Haussleiter, De versionibus Pastoris Hermæ latinis, Erlangen, 1884 ; Ph. Thielmann, dans Archiv für lat. Lexikographie, 1885, p. 176 ; Still, dans Jahresberichit für Altertumswissenschaft, 1887, t. XVII, p. 35.
 En 1860, Antoine d’Abbadie découvrait en Abyssinie une version éthiopienne du Pasteur ; il la traduisit en latin et la publia dans les Abhandlungen für die Kunde des Morgenlandes, 1860, t. II, n. 1. Dillmann démontra qu’elle avait été faite directement sur le grec. Zeitschrift der Deutschen morgenländischen Gesellschaft, 1861, t. XV, p. 111-118.
 On possède aussi de courts fragments d’une version copte. Voir A. Lelong, Le Pasteur d’Hermas, p. CV-CVI.
 F. X. Funk, profitant des travaux antérieurs et les améliorant encore, a publié le texte grec avec une traduction latine faite à l’aide de celles qui existaient déjà ; à partir de Sim., IX, 30, 3, où l’original grec fait défaut jusqu’à la fin, il a transcrit d’une part, le texte de la version de la Vulgate et, d’autre part, la version latin d’Antoine d’Abbadie. C’est à cette édition que nous nous référons, Opera patrum apostolicorum, Tubingue, 1881. Une seconde édition a paru en 1901 sous le titre : Patres apostolici. Voir aussi sa petite édition : Die apostolischen Väter, Tubingue, 1881.
 Photographie du codex Sinaiticus par K. Lake, Oxford, 1911.
 2° Division. ― Par l’étendue des matières, la richesse du fond et l’originalité de la forme, le Pasteur constitue un ouvrage à part dans la littérature chrétienne du IIe siècle. Il comprend cinq Visions, όράσεις, douze Préceptes, έντολαι, et dix Similitudes, παραδολαι ; et c’est sous ces trois titres distincts qu’il est divisé dans les éditions actuelles, contrairement aux indications de l’auteur, qui ne signale que deux parties, la première comprenant les quatre premières Visions, et la seconde, tout le reste avec la cinquième Vision pour préface et la dixième Similitude pour épilogue. Cette division de l’auteur correspond aux deux personnages qui sont les interprètes ou les organes des révélations : dans la première partie, c’est l’Eglise qui paraît et parle à Hermas sous les traits d’une femme, dans la seconde, c’est le Pasteur qui lui notifie les Préceptes, propose et explique les Similitudes. Le tout forme un ensemble cohérent qui accuse nettement l’unité d’auteur ; et le titre, Ποιμήν, donnι à l’ouvrage, lui vient du personnage qui entre en scène dès la première partie, bien qu’il n’y joue qu’un rôle secondaire, Vis., II, 4, 1 ; III, 10, 7, mais qui paraît ensuite comme le personnage chargé de faire connaître les Préceptes et les Similitudes à Hermas.
 Les Visions indiquent la raison d’être de l’ouvrage et en tracent l’esquisse ; les Préceptes et les Similitudes en sont le développement. Tout s’y ramène à l’idée fondamentale de pénitence ou de réforme morale. Et cette discipline se dessine dans les Visions sous forme apocalyptique, se développe d’une manière plus nette et plus précise dans les Préceptes et s’achève sous forme de parabole dans les Similitudes. C’est cette pénitence qu’Hermas doit s’appliquer à lui-même, et qu’il doit prêcher ensuite aux membres de sa propre famille, à l’Eglise, aux fidèles et au clergé. Et la raison de cet appel général à la pénitence n’est autre, comme Hermas le donne à entendre, que l’imminence de la persécution et l’approche de l’avènement du souverain juge.
 On a discuté l’unité du livre. Le comte de Champagny a soutenu que l’ouvrage actuel est formé de deux livres très différents, comme il a été dit plus haut. Haussleiter a émis une opinion analogue : le Pasteur serait composé d’un premier livre, Vis., V - Sim., X, œuvre d’Hermas frère du pape Pie (un peu avant 150), et d’un second, Vis., I-IV, œuvre d’un inconnu publiée sous le nom d’Hermas, personnage apostolique, à la
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fin du IIe siècle. De versionibus Pastoris Hermæ latinis, Erlangen, 1884. A Hilgenfeld a discerné trois écrits : un écrit de pastorale, Vis., V - Sim., VII, antérieur au règne de Trajan, une apocalypse, Vis., I-IV, rédigée sous Adrien (117-138), un écrit secondaire, Sim., VIII-X ; Vis., V, 5, avec quelques autres additions, joints aux deux premiers par le frère du pape Pie. Hermæ Pastor, 2e édit., 1881, p. XXI-XXIX. Ces opinions n’obtinrent aucun succès. elles furent réfutées par A. Link, Die Einheit des Pastor Hermas, 1888, et par P. Baumgartner, Die Einheit des Hermasbuchs, Fribourg-en-Brisgau, 1889. Ce dernier toutefois soutint que l’auteur rédigea d’abord séparément Vis., I-IV et Vis., V - Sim., IX, qu’il réunit ensuite en un seul livre. A. Harnack entra dans ces vues et détermina l’ordre successif de la composition des parties. Geschichte der altchrist, Litteratur, t. II a, p. 260-263. Ses arguments n’ont pas paru concluants.
 1. Les Visions. ― C’est sous forme d’apocalypse ou de rιvélation que débute le Pasteur ; et ce procédé rappelle, parmi les auteurs sacrés, les visions d’Ezéchiel et de saint Jean, et, parmi les apocryphes, l’Ascension d’Isaïe, le Livre d’Hénoch et surtout le IVe livre d’Esdras. L’entrée en matière est faite pour piquer la curiosité.
 Hermas raconte, en effet, comme nous l’avons vu dans son autobiographie, les incidents qui donnèrent lieu à la rédaction de son livre et à sa mission de prêcher la pénitence : c’est l’objet de la première Vision. Dans la seconde Vision, il aperçoit encore l’Eglise sous la forme d’une vieille femme, qui lui confie son livre pour qu’il le transcrive en double exemplaire, et qui lui apprend que ses fils ont éché contre Dieu et blasphémé le Seigneur, qu’ils ont trahi leurs parents et sont tombés dans une grande iniquité, que sa femme a beaucoup péché par la langue, mais qu’ils seront tous pardonnés s’ils font de tout leur cœur une sincère pénitence. Hermas se met à pratiquer le jeûne. Dans la troisième Vision, la vieille le fait asseoir, non à sa droite, car c’est la place réservée à ceux qui ont souffert pour Dieu, mais à sa gauche, et lui montre, s’élevant sur les eaux, une tour construite par des anges avec des pierres tirées du fond de l’abîme ou du sein de la terre, qui s’adaptaient si bien entre elles qu’on aurait dit un monolithe. Elle lui conseille de conserver la paix, de secourir les indigents et lui prescrit de recommander aux chefs de l’Eglise d’éviter les dissensions et d’observer la discipline. ― Vingt jours aprθs, comme il se rendait à son champ, priant le Seigneur de lui faire comprendre le sens de ces visions et de lui accorder, ainsi qu’à tous les serviteurs de Dieu, la pénitence, il rencontre une bête énorme et horrible, qui soulevait des flots de poussière. A sa vue, il se met à pleurer et à prier, quand lui apparaît la femme comme une vierge parée, vêtue de blanc. Il reprend aussitôt courage apprend qu’il a échappé au monstre grâce à la fermeté de sa foi et à la protection de l’ange Thégri. Le monstre annonçait une grande tribulation, à laquelle on n’échappera que par la pénitence et la conversion, par la pureté de vie et la persévérance, par la confiance en Dieu. ― Dans la cinquième Vision, qui n’est à vrai dire qu’une transition et l’amorce de la seconde partie, Hermas est dans sa demeure ; il vient de prier et est assis sur son lit quand se présente à lui un homme, à l’habit de pasteur : c’est l’ange de la pénitence, qui lui est déjà apparu sous un autre forme, Vis., II, 4 ; III, 10, 7, et qui se dit chargé de lui rappeler les visions précédentes et de lui faire écrire les Préceptes et les Similitudes.
 2. Les Préceptes. ― Cette partie n’est pas sans offrir quelques traites de ressemblance avec l’apocryphe connu sous le nom de Testament des douze patriarches. C’est un petit traité de morale en douze préceptes,
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renfermant la plupart des devoirs de l’homme envers Dieu, envers le prochain et envers lui-même. Il a pour point de départ et pour fondement la foi en un seul Dieu, créateur de toutes choses, et pour but le retour à la vertu par le moyen d’une crainte salutaire et d’un ascétisme bien compris. Dès le début, en effet, sont recommandées la foi, la crainte et la continence, πίστις, φόδος, έγχράτεια, trois vertus dont la force et l’efficacitι sont montrées à partir du VIe précepte. Le second précepte recommande la simplicité et l’innocence, άπλδότης, άχαχία ; il interdit la mιdisance parlée ou écoutée, χατχλαλίά, et prescrit l’aumτne sans acception de personnes. Le troisième ordonne l’amour et la pratique de la vérité, la fuite du mensonge. Le quatrième prescrit la pureté, άγνεία, et proscrit toute pensée et tout désir déshonnête, ce qui provoque, de la part d’Hermas, certaines questions sur le mariage, l’adultère et la pénitence. Pour pratiquer la justice, est-il dit dans le cinquième, il faut posséder la longanimité et la prudence et éviter l’irascibilité, όξυχολία, qui chasse le Saint-Esprit et appelle le diable ; c’est une sorte de dιmence qui engendre l’amertume, πιχρία, la colθre, θυμός, la passion, όργή, et la fureur, μήνις ; cette derniθre est un péché inguérissable.
 Relativement à la foi, il faut croire que l’homme a deux anges, celui de la justice et celui de la malice : les inspirations du premier sont à suivre ; car elles sont bonnes ; les tentations du second à repousser, car elles sont pervers. Relativement à la crainte, il faut distinguer celle de Dieu et celle du diable : la première est à pratiquer parce qu’elle est salutaire, la seconde à éviter parce qu’elle pernicieuse. relativement à la continence, il faut distinguer le mal auquel on doit se soustraire, et le bien dont on ne doit pas s’abstenir.
 Le neuvième précepte recommande la prière par la foi et la confiance, car Dieu est plein de miséricorde, une prière dénuée du moindre doute, quelque temps que s’en fasse attendre le résultat, car le doute est d’inspiration diabolique. Il faut en outre fuir la tristesse, sœur du doute, et revêtir la joie, qui est toujours agréable à Dieu et favorable au bien. Mand., X.
 Il existe des prophètes ; mais, parmi eux, quelques-uns sont faux et troublent les sens de ceux qui les consultent. Ils n’ont pas l’esprit de Dieu : orgueilleux, sensuels, loquaces, avides, intéressés, on les reconnaît à leurs œuvres, et on doit absolument s’en garder. Mand., XI.
 Reste enfin l’έπιθυμία, qui est bonne ou mauvaise selon que les dιsirs qu’elle inspire sont bons ou mauvais ; il faut donc éviter la mauvaise concupiscence, qui donne la mort spirituelle, et, pour lui résister avec succès, il convient d’embrasser le désir de la justice et de s’armer de la crainte de Dieu. Mand., XII.
 3. Les Similitudes. ― Cette dernière partie du Pasteur a le même caractère que la première, celui d’une apocalypse, et se rattache à certaines paraboles évangéliques. Des comparaisons et des tableaux, qui ne sont pas sans charme, servent à mettre en relief quelques points de doctrine et de morale.
 Dans les deux premières similitudes, il s’agit du bon emploi de la fortune. n’ayant pas ici-bas de cité permanente, l’homme ne doit pas s’attacher exclusivement aux biens ; ces biens sont donnés par Dieu pour en faire bénéficier les indigents. Sim., I. Le riche et le pauvre sont l’un pour l’autre comme l’ormeau et la vigne. L’ormeau soutient la vigne, la vigne pare l’ormeau de ses fruits. Le riche aide le pauvre, mais ne se dépouille pas sans profit, car sa pauvreté spirituelle est secourue par le pauvre, qui par sa prière, enrichit spirituellement le riche. Sim., II.
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Une comparaison non moins gracieuse sert, dans les deux similitudes suivantes, à expliquer le mélange en ce monde des justes et des pécheurs, et leur séparation dans le siècle futur. C’est ainsi qu’en hiver les arbres, dépouillés de leurs feuilles, se ressemblent ; mais, vienne, l’été, tandis que les uns se parent de feuilles et de fruits, les autres ne changent pas et sont morts. De même sur la terre, qui est l’hiver pour eux, bons et mauvais sont confondus ; mais le siècle futur, comme l’été, est révélateur des uns et des autres : les justes, chargés de fruits, seront récompensés ; les pécheurs, restés stériles, seront punis.
 Dans la cinquième similitude s’accuse le caractère profondément spiritualiste de l’ascétisme chrétien, les pratiques extérieures ne devant être qu’un moyen pour opérer la réforme morale. Voici la vraie notion du jeûne : " Ne fais pas le mal dans le cours de ta vie, dit le Pasteur à Hermas, mais sers Dieu avec un cœur pur, observe ses commandements, entre dans la voie de ses préceptes, et repousse jusqu’au désir coupable qui cherche à se glisser dans l’âme. Aie pleine confiance en Dieu ; car si tu acceptes ces choses, si tu t’abstiens de tout par crainte de lui déplaire, il te donnera la victoire : voilà le véritable jeûne, celui que Dieu agrée. " Et cela n’est point la condamnation du jeûne pratiquée par Hermas, car l’ange de la pénitence ajoute : " Le jour où tu jeûneras, tu ne goûteras d’aucune nourriture pour te borner au pain et à l’eau. Tu mettras de côté la quantité d’aliments que tu as coutume de prendre chaque jour, et tu la donneras à la veuve, à l’orphelin et aux pauvres ; c’est ainsi que tu consommeras la mortification de ton âme. " Telle est la notion complète du jeûne.
 A côté de ce précepte, il y a le conseil. Dans la similitude, imitée de l’Evangile, le Maître et le serviteur de la vigne, ce dernier ne se contente pas d’exécuter les ordres reçus, il va au-delà, et, ce faisant, il mérite et reçoit une récompense plus grande, il est adopté par le Maître.
 Dans la sixième similitude, Hermas voit deux bergers et deux troupeaux : l’ange de la volupté et l’ange de la peine : l’un respirant la douceur et la joie mais perdant les âmes parce qu’elles ne font pas pénitence ; l’autre, d’un aspect rude et repoussant, menant ses brebis, le bâton levé, au milieu des ronces et des épines, et leur faisant faire pénitence pour leur salut.
 Dans la septième similitude, Hermas demande que l’ange de la peine soit éloigné de sa maison ; mais le Pasteur lui montre la nécessité d’expier ses fautes et de faire pénitence, car la pénitence bien acceptée mérite la réconciliation.
 Dans les deux similitudes suivantes, VIIIe et IXe reparaît sous le double symbole du saule et de la tour. Le saule est ébranché ; chaque fidèle en reçoit une tige qu’il devra représenter, et selon l’état de cette tige, sera récompensé ou puni ; c’est une manière de faire entendre que chacun sera traité selon ses œuvres. Les pécheurs seront soumis à la pénitence et, s’ils l’accomplissent de tout leur cœur, obtiendront le pardon, sinon ils seront condamnés. Quant au symbole de la tour, il reparaît avec un ensemble de circonstances qui sert à caractériser ceux qui entrent dans la construction pour leur fidélité persévérante ou peur leur sincère pénitence, et ceux qui en sont écartés.
 La dernière similitude sert de conclusion : à Hermas de faire pénitence et de persévérer ; à Hermas d’enseigner aux autres ce moyen de salut. Puisque le salut est assuré par la pénitence, chacun doit prendre ce moyen tant que la tour est en construction, car après il serait trop trad.
 III. SA DOCTRINE.

1° Trinité et incarnation. ― Le Pasteur est avant tout l’œuvre d’un moraliste préoccupé de remédier aux maux de la société chré-
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tienne, et non celle d’un polémiste qui entend réfuter certaines erreurs ou celles d’un théologien exposant avec preuves à l’appui quelqu’une des vérités de la foi. Il n’en affirme pas moins avec netteté certains dogmes, tels que l’unité divine et la création ex nihilo, Mand., I, 1, p. 388 ; cf. Sim., V, 5, 2 ; VII, 4 ; mais il est loin d’être aussi catégorique sur la Trinité et la christologie. Là, sa pensée est nuageuse et son langage déconcertant. Ce n’est point sans quelques subtilités que certains critiques ont défendu son orthodoxie, entre autres Jackman, Der Hirt des Hermas, Kœnigsberg, 1835, p. 65-73 ; Hefele, Opera patrum apostol., 4e édit., Tubingue, 1855, p. 386, n. 3 ; Dorner, Lehre von den Person Christi, 2e édit., 1845, p. 190-205 ; Gaâb, Der Hirt des Hermas, Bâle, 1866, p.77-82 ; Zahn, Der Hirt des Hermas, Gotha, 1868, p. 253-282 ; Donaldson, The apostolical Fathers, 2e édit., Londres, 1874, p. 353-358 ; Freppel, Les Pères apostoliques, 4e édit., Paris, 1885, p.318 ; Rambouillet, L’orthodoxie du livre du Pasteur d’Hermas, Paris, 1880 ; Un dernier mot sur l’orthodoxie d’Hermas, Paris, 1880, dans la Revue du monde catholique, 1880, p. 21 sq. ; A. Brüll, Der Hirt des Hermas, 1882 ; J. Schwane, Dogmengeschichte der vornicanischen Zeit, 2e édit., 1892, p. 61 ; trad. franç., Paris, 1903, t. I, p. 65 ;R. Seeberg, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 1895, t. I, p. 22 ; d’autres par contre, Lipsius, Zeitschrift für wiss. Theologie, 1865, p. 277-282 ; 1869, p. 273-285 ; Bardenhewer, Les Pères de l’Eglise, trad. franç., Paris, 1898, t. I, p. 94 ; Funk, Opera Patrum apostol., Tubingue, 1881, t. I, p. 458 ; 1901, t. I, p. CXLI, CXLIII, ont accusé Hermas d’identifier la seconde personne de la Trinité avec le Saint-Esprit, et même, d’après Harnack, dans ses notes, Vis., V, 2 ; Sim., V, 5, 2 ; 6, 5 ; VIII, 1, 2 ; IX, 1, 1 ; Duchesne, Les origines chrétiennes, édit. lith., Paris, 1885, p. 198 avec l’archange saint Michel. Mgr Duchesne ne parle plus de cette identification, Histoire ancienne de l’Eglise, Paris, 1906, t. I, p. 232-234. Cf. Lueken, Michael, Gœttingue, 1898, p. 87, 148-154 ; E. Hückstadt, Der Lehrbegriff des Hirten, 1889 ; O. Bardenhewer, Christi Person und Werk in Hirten des Hermas, 1886 ; Funk, Patres apostolici, 2e édit., Tubingue, 1901, t. I, p. 532-540. Ce que l’on doit reconnaître à tout le moins, c’est que sa terminologie laisse beaucoup à désirer.
 Voici, en effet, un premier message qui permettra d’en juger : il est relatif aux trois personnes divines. Un homme, dit le Pasteur, Sim., V, 2, p. 450-452, possède un domaine et de nombreux serviteurs. Il sépare une partie de ce domaine et y plante une vigne. Puis choisissant un serviteur fidèle et honorable, il le charge d’échalasser cette vigne, en lui promettant la liberté. Le maître parti, ce serviteur se met à l’œuvre, et non seulement il échalasse la vigne, mais encore il en arrache les mauvaises herbes, chose qui ne lui avait été prescrite. A son retour, le maître est informé du zèle de son serviteur, et voyant que celui-ci avait fait plus qu’on lui avait demandé, il convoque en conseil son fils et ses amis ; d’accord avec eux, il décide que le bon serviteur partagera son héritage avec son fils. Ayant fait un festin, il envoie des provisions au serviteur fidèle qui, après en avoir pris part, donne le reste à ses compagnons de servitude.
 Il y a bien là trois personnages distincts : le maître, son fils et le serviteur. Mais qui sont-ils ? Le champ, explique le Pasteur, Sim., V, 5, 2-3, p. 460, représente ce monde, dont le maître est Dieu, créateur de toutes choses. Le fils du maître est le Saint-Esprit, Filius autem Spiritus Sanctus est, porte la version Vulgate. Ces mots, il est vrai, ne se trouvent ni dans le texte grec ni dans la version palatine ; ils n’en représentent pas moins la pensée de l’auteur, puisqu’il dit ailleurs : " Je veux te montrer ce que t’a montré l’Esprit-Saint,
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qui t’a parlé dans la personne de l’Eglise ; car cet Esprit est le fils de Dieu : έχείνο γάρ τό πνεϋμα ό ύίος τού Θεο έστίν. Sim., IX, 1, 1, p. 498. Quant au serviteur, il est le fils de Dieu ; ό δε δοϋλος ό ύίος τού Θεο έστίν. Sim., V, 5, 2, p. 460. Or ce serviteur, nommé fils de Dieu, prépose des anges à la garde de l’Eglise ; il extirpe les mauvaises herbes ou déracine les péchés par ses labeurs et ses souffrances ; et il partage les reliefs du festin avec les autres serviteurs. Telle est son œuvre : œuvre de rédemption, sang que soit mentionnée la mort expiatoire, et œuvre de communication de la grâce par la prédication évangélique. Pas une seule fois l’auteur ne le signale sous le nom de Verbe, de Christ ou de Jésus, pas plus qu’il ne songe à dire la différence qu’il y a entre sa filiation divine et celle du Saint-Esprit.
 Voici un autre passage relatif à l’incarnation : " Le maître a appelé en conseil son fils et les anges glorieux pour délibérer sur la participation du serviteur à l’héritage ; cela veut dire : l’Esprit-Saint qui préexistait, qui a créé toute créature, Dieu l’a fait habiter dans une chair choisie par lui. Cette chair, dans laquelle habitait le Saint-Esprit, a bien servi l’Esprit en toute pureté et toute sainteté, sans jamais lui infliger la moindre souillure. Après qu’elle se fut ainsi bien et saintement conduite, qu’elle eut aidé l’Esprit et travaillé avec lui en toute action, se montrant toujours forte et courageuse, Dieu l’a admise à participer avec l’Esprit-Saint. La conduite de cette chair a plu à Dieu, car elle ne s’est pas souillée sur la terre pendant qu’elle possédait l’Esprit-Saint. Il a donc consulté son fils et ses anges glorieux afin que cette chair, qui avait servi l’Esprit sans aucun reproche, obtînt un lieu d’habitation et ne perdît pas le prix de son service. " Sim., V, 6, 4-7, p. 462. " Que conclure de là, demande Bardenhewer, Les Pères de l’Eglise, trad. franç., Paris, 1898, t. I, p. 94, sinon que, visiblement, la distinction entre le Saint-Esprit et le Fils de Dieu avant l’incarnation et le Saint-Esprit ne font qu’un. " Et Bardenhewer ajoute : " C’en est donc fait de la Trinité, dans la pensée d’Hermas, tant que Jésus n’a pas achevé l’œuvre de la rédemption ; la Trinité ne se constitue que lorsque l’humanité du Sauveur s’élève au rang du Père et du Saint-Esprit. "
 Il est question plusieurs fois, Vis., V, 2 ; Mand., V, 1, 7 ; Sim., V, 4, 4 ; VII, 1, 5 ; VIII, 1, 1 ; p. 384, 402, 456, 474, 476, 478, d’un ange qui est au-dessus des six anges supérieurs qui forment le conseil de Dieu ; et cet ange est tour à tour qualifié de très vénérable, de saint, de glorieux, σεμνότατος, άγιος, ένδοξος, dans lequel la plupart des interprθtes ont vu le Christ. Mais Hermas finit par le nommer, et il l’appelle Michel. Sim., VIII, 3, 3, p. 484. Serait-ce qu’il identifie le Fils de Dieu avec l’archange saint Michel ? La réponse semblerait devoir être affirmative à raison de multiples ressemblances que le Pasteur relève entre l’un et l’autre dans leurs fonctions. L’un et l’autre, en effet, sont investis de la toute-puissance sur le peuple de Dieu, Sim., V, 6, 4 ; VIII, 3,3, p. 462, 484 ; l’un et l’autre prononcent sur le sort des fidèles, Sim., VIII, 3, 3 ; IX, 5, 2-7 ; 6, 3-6 ; 10, 4, p. 484, 508, 510 ; l’un et l’autre remettent les pécheurs à l’ange de la pénitence pour les amender. Sim., VIII, 2, 5 ; 4, 3 ; IX, 7, 1-2, p.480, 484, 510, 512. Mais cette analogie de situations et de missions n’a point paru suffisante à Zahn, Der Hirt des Hermas, Gotha, 1868, p. 263-278, et à Bardenhewer, Les Pères de l’Eglise, trad. franç., Paris, 1898, t. I, p. 95, pour en induire l’identité des personnes, d’autant plus que les différences de dénominations et d’attributs sont caractéristiques. C’est ainsi que saint Michel est toujours qualifié d’ange et que le Fils de Dieu ne porte jamais ce nom ; si saint Michel a pouvoir sur le peuple, le Fils de Dieu n’est pas seulement le maître du peuple, Sim., V, 6, 4, p. 462,
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il est encore le maître de la tour, son propriétaire, son possesseur ; il en dispose souverainement ; αύθέντης, δεσπότης, Sim., IX, 5, 2, 6, 7 ; IX, 7, 1, p. 508-510 ; et tandis que saint Michel grave simplement la loi dans le cœur des fidèles, " cette loi est le Fils de Dieu, tel qu’il a été prêché jusqu’aux extrémités du monde. " Sim., VIII, 3, 3, p. 484. Cf. Heurtier, Le dogme de la Trinité dans l’Eglise de S. Clément de Rome et le Pasteur d’Hermas, Lyon, 1900.

 2° Les anges.
― Hermas, sans parler de la nature des anges, fait allusion à leur nombre considérable et à leurs diverses fonctions. Il distingue, comme nous l’avons déjà observé, les anges supérieurs des anges inférieurs ; ceux-ci sont chargés de la vigne ou des membres de l’Eglise, Sim., V, 5, 3, p. 460 ; ils travaillent à la construction de la tour mystique, sous la direction des six anges glorieux. Sim., IX, 6, 2, p. 510. Les anges glorieux font parti du conseil de Dieu et assistent à la délibération qui doit donner au serviteur l’héritage divin et à son corps la récompense céleste. Sim., V, 6, 4-7, p. 462. Diverses sont les fonctions des anges : il y a l’ange de la pénitence, qui joue un si grand rôle dans le Pasteur ; il y a l’ange Thégri, Θεγρί, prιposé à la garde des bêtes sauvages, Vis., IV, 2, 4, p. 382 ; il y a surtout saint Michel, dont nous avons vu le rôle prépondérant. Chaque homme a son ange gardien, άγγελος διχαιοσύνης, dont il doit suivre les inspirations et les conseils pour pratiquer la justice et se prιserver du mal. Mand., VI, 2, 1-3, p. 406. Mais il a aussi un autre ange, άγγελος πονηρίας, ibid., qui n’est autre que le diable, dont il doit se méfier, car celui-ci est l’inspirateur et l’instigateur du péché ; toutes ses œuvres sont mauvaises. Mand., VI, 2, 10, p. 408. Il est donc à redouter, car il pourrait empêcher l’accomplissement des préceptes et faire ainsi manquer le salut. Mais il ne peut rien sur les serviteurs de Dieu, car il est dominé par l’ange de la pénitence : έγώ γάρ έσομαι μεθ’ ύμων, ό άγγελος τής μετανοίας, ό χαταχυριεύων αύτού, Mand., XII, 4, 7, p. 436 ; il les tente, mais ceux qui sont pleins de foi lui résistent avec succès, et il s’éloigne, faute de trouver place en eux, pour entrer dans les hommes vains, dont il fait ses esclaves. Mand., XII, 5, 4, p. 436.

 3° L’Eglise. ― Hermas donne peu de renseignements sur l’organisation de l’Eglise. Il fait allusion à l’épiscopat quand il dit de Clément qui enverra son livre aux villes du dehors selon le devoir de son charge : έχείνω γάρ έπιτέτραπται. Vis., II, 4, 3, p. 350. Il parle des presbytres qui président l’Eglise. Ibid. Parmi les pierres qui s’adaptent parfaitement à la tour, il signale celles qui figurent les apôtres, les évêques, les didascales et les diacres. Vis., III, 5, 1, p. 360. Il recommande aux προηγουμένοις et aux πρωτοχαθεδρίταις d’ιviter toute dissension, d’observer la discipline pour pouvoir faire avec fruit la leçon aux autres, Vis., III, 9, 7-10, p. 370 ; car ils étaient peut-être du nombre de ces fidèles ambitieux qui luttaient pour la première place et les honneurs. Sim., VIII, 7, 4, p. 492. A une époque où le charisme de prophétie avait ses contrefaçons, il met en garde les fidèles contre les faux prophètes qui n’étaient que des exploiteurs de la crédulité publique, Mand., XI, 1-4, p.424, tandis que le prophète selon Dieu se fait reconnaître à la probité de sa vie, à son humilité, à son ascétisme, à sa discrétion, ne parlant pas en secret, ne répondant pas à quiconque l’interroge, mais s’exprimant en public, dans l’assemblée, sous l’inspiration de l’esprit prophétique. Mand., XI, 7-10, p. 426. Hermas fait enfin allusion au rôle des diaconesses, quand il nomme Grapta, chargée du soin des veuves et des orphelins. Vis., II, 4, 3, p. 350.
 Ce qui retient surtout l’attention d’Hermas c’est l’Eglise considérée comme une société de saints parfaitement une. Par deux fois il la compare à une tour dont la construction ne forme qu’un monolithe. Une pre-
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mière fois, Vis., III, cette tour est représentée comme bâtie sur les eaux, par une allusion transparente au baptême ; et cette tour figure l’Eglise, qui ne comprend que des saints, les uns déjà sortis de ce monde, les autres vivant encore sur la terre. Il n’y a pour s’adapter parfaitement à elle que les matériaux appropriés, tels que les pierres cubiques et blanches, c’est-à-dire les apôtres, les évêques, les didascales et les diacres, qui ont marché dans la sainteté et ont bien rempli leur ministère, les martyrs et les justes. Quant aux autres pierres, les unes gisent au pied de la tour, les autres sont brisées et rejetées au loin, en attendant qu’une préparation convenable les mette à même d’être utilisées. Une seconde fois, Sim., IX, la tour est bâtie sur un immense roc, dans lequel est pratiquée une porte ; allusion au Christ qui est la pierre et la porte de l’Eglise. Mais cette fois les pierres qui entrent dans la construction à titre provisoire représentent toutes sortes de baptisés, les pécheurs aussi bien que les justes ; car, avant d’être achevés, l’édifice doit subir, l’inspection du maître qui, éprouvant les pierres employées, écartera celles qui ne sont pas de bon aloi pour les livrer à l’ange de la pénitence. Et celui-ci, selon ce qu’elles seront devenus aptes ou non à la construction, reste chargé de les utiliser ou de les rejeter définitivement. De telle sorte qu’à la fin de l’Eglise ne comprend plus que des saints et forme un corps, pareil à un monolithe brillant, dont les membres n’ont qu’une pensée, qu’un sentiment, qu’une foi, qu’une charité. Cf. P. Batiffol, L’Eglise naissante, 2e édit., Paris, 1909, p. 222-224.

 4° Le baptême et la vie chrétienne.
― Nature, nécessité, effets du baptême, obligations qu’il impose, autant de points signalés par Hermas. C’est au baptême par immersion qu’il est fait allusion : " On descend mort dans l’eau (baptismale), et on en remonte vivant. " Sim., IX, 16, 4, p. 532. Ce sacrement assure la rémission de tous les péchés antérieurs. Mand., IV, 3, 1, p. 395. Il imprime un sceau tellement nécessaire pour faire partie de l’Eglise que les justes de l’Ancien Testament n’ont pu prendre place dans la construction de la tour et en former les trois premières assises qu’après l’avoir reçu. Et comme c’était la seule chose qui manquait à leur justice, c’est aux apôtres qu’ils ont été redevables d’en connaître l’existence et la nécessité comme aussi d’en recevoir l’impression. Sim., IX, 16, 3-7, p. 532. Cette opinion singulière d’une mission posthume des apôtres auprès des justes de l’Ancien Testament en vue de leur prêcher et de leur conférer le baptême, a bien été partagée par Clément d’Alexandrie, Strom., II, 9 ; VI, 6 ; P. G., t. VIII, col. 980 ; IX, col.263-269, mais elle est restée sans autre écho parmi les Pères. Voir t. II, col. 212. Or, " celui qui a reçu le pardon de ses péchés (dans le baptême) ne doit plus pécher, mais persister dans la pureté (baptismale), " έν άγνεία χατοιείν. Mand., IV, 3, 2, p. 398. Il est pleinement justifié, et cette justification confère une sainteté positive, faisant de l’âme la demeure même du Saint-Esprit. " Conservez votre chair pure et sans tache, afin que l’Esprit, qui réside en elle, lui rende témoignage et que votre chair soit justifiée. Gardez-vous de laisser monter dans votre cœur la pensée que votre chair est périssable et d’en abuser par vos souillures (comme faisaient certains gnostiques), car, en souillant votre chair, vous souillez aussi le Saint-Esprit, et si vous outragez le Saint-Esprit, vous ne vivrez pas. " Sim., VI, 7, 1-2, p. 464. Tel était le magnifique idéal proposé au baptisé.
 La foi, cela va sans dire, et aussi la crainte de Dieu sont recommandées au chrétien par le Pasteur, mais tout particulièrement la continence. " Quiconque l’observe (cette continence) sera heureux dans cette vie, et aura la vie éternelle pour héritage. " Vis., III, 8,
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4, p. 368. Il ne faudrait pas croire que ce soit là un écho de la doctrine outrée des encratites. Car être continent, aux yeux du Pasteur, c’est s’abstenir de tout mal et faire le bien ; et les maux dont il faut s’abstenir sont l’adultère et la fornication, l’ivrognerie, l’orgueil, le mensonge, le blasphème, l’hypocrisie, le vol, le dol, le faux témoignage, l’avarice, la concupiscence mauvaise et tout ce qui lui ressemble. Mand., VIII, 2-6, p. 412. Etre continent, c’est aussi pratiquer la foi, la crainte de Dieu, la charité, la concorde, la justice, la vérité, la patience, et c’est secourir les veuves, les orphelins et les pauvres, exercer l’hospitalité. Mand., VIII, 9-10, p. 412. Tout autant de devoirs qui incombent à la vie ordinaire du chrétien, où il n’est nullement question de l’ascétisme encratite, mais qui montrent bien qu’à la foi on doit joindre les œuvres. Nous avons déjà dit comment le Pasteur entendait le jeûne.
 Dans l’état de justification, tel qu’il est constitué par le baptême, l’homme peut acquérir des mérites, observer les commandements, suivre même les conseils et pratiquer les vertus héroïques dignes d’une récompense spéciale. Ceci n’est autre que l’affirmation du dogme catholique relatif aux œuvres surérogatoires. Pour avoir procédé à l’arrachement des mauvaises herbes, opération qui ne lui avait été pas prescrite, le serviteur a été adopté comme cohéritier du Fils de Dieu. " Observez les commandements du Seigneur, et vous plairez à Dieu, et vous serez inscrit au nombre de ceux qui observent ses commandements. Mais si vous faites quelque bien qui dépasse les commandements de Dieu, vous vous acquerrez à vous-mêmes une gloire suréminente et vous jouirez auprès de Dieu d’un crédit plus grand que vous ne pouvez l’espérer. " Sim., V, 3, 1-3, p. 454.
 Il est vrai que l’observation des commandements paraît très difficile à Hermas, Mand., XII, 3, 4, p. 432. Elle n’est pourtant pas impossible, observe le Pasteur : il suffit de se persuader qu’elle est possible pour en rendre l’accomplissement aisé, Mand., XII, 3, 4-5, p. 432. En tout cas elle est obligatoire, car " si tu ne les observes pas, dit le Pasteur à Hermas, Mand., XII, 3, 6, p. 432, il n’y aura de salut ni pour toi, ni pour tes enfants, ni pour ta maison, " c’est-à-dire pour personne. Mais il y a le diable, remarque Hermas, Mand., XII, 5, 1 ; et le Pasteur de répondre : On n’a qu’à lui résister, car s’il peut lutter, il ne peut vaincre ; l’ange de la pénitence est là pour soutenir les efforts du chrétien tenté.

 5° La pénitence et le salut.
― Comment conserver intact le sceau baptismal, pratiquer la chastetι de la vérité, άγνότης τής άληθείας, et atteindre cet idιal de perfection, quand la fragilité humaine est si grande ? Il faut tenir compte d’une chute toujours possible, trop souvent réelle. Le chrétien qui succombe doit-il désespérer de son salut ? Ici deux solutions se présentaient, radicalement opposées l’une à l’autre ; celle des gnostiques relâchés et des rigoristes outrés. Les premiers tenaient pour indifférente toute faute commise après le baptême ; mais c’était là " une doctrine étrangère, un enseignement d’hypocrites, " de nature à pervertir les serviteurs de Dieu, surtout les pécheurs, en ne leur laissant pas faire pénitence et en les rassurant par des propos insensés. Sim., VIII, 6, 5, p. 490. Par réaction contre ce cynique relâchement, d’autres prêchaient un rigorisme outré et cherchaient à imposer un ascétisme complet. Comme on peut le voir dans les Acta Thomæ, Bonnet, Acta Thomæ, Leipzig, 1883, p. 11-13, 55-73, et dans d’autres pièces apocryphes, tels que les Actus Petri cum Simone, Lipsius, Acta Petri, Leipzig, 1891, p. 85-87, 228-234, et l’Evangile selon les Egyptiens, Nestle, Novi Testamenti supplementum, Leipzig, 1896, , p. 72, l’idéal d’une pureté intégrale, d’une continence absolue, devait être la règle
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à suivre. L’auteur de la IIe Clementis, 7, 8, 9, 13, 15, Funk, Opera Patrum apostol., Tubingue, 1881, t. I, P. 152, 154, 158, 160, 162, préconise cet ascétisme. La solution d’Hermas est plus humaine ; elle est opposée à ceux qui soutenaient déjà comme devaient le faire les montanistes, l’impossibilité pour le chrétien failli de reconquérir l’innocence baptismale et d’obtenir après le baptême le pardon de ses péchés.
 " Dieu est plein de longanimité, et il veut que l’appel adressée par son Fils ne soit pas frustré. " Sim., VIII, 11, 1, p. 469. " Il connaît l’infirmité de l’homme et l’astuce du diable, et il a pitié de sa créature. " Mand., IV, 3, 4-5, p. 398. Lui seul assure la guérison du pécheur. Mand., IV, 1, 11, p. 396. Comment ? Par la μετάνοια. A la volontι divine de sauver les baptisés, à la miséricorde de Dieu prête à pardonner et à guérir, doit correspondre de la part du coupable un acte, ou mieux une conduite morale qui accepte ce moyen et s’y soumette. Or, il ne s’agit ici ni du sacrement de pénitence, dont Hermas ne parle pas, ni du processus canoniquement institué pour la réconciliation officielle des pécheurs, tel qu’il ne tarda pas à fonctionner, mais d’un exercice de la vertu de pénitence, comportant beaucoup plus que ce que signifie le mot latin de pænitentia, à savoir, un changement de l’âme, une réforme intérieure, un renouvellement moral, une transformation des idées, des sentiments et des mœurs, en un mot, une vraie conversion, car telle est la force du mot grec μετάνοια. Et cela comprend, avec le regret du passι et le ferme propos pour l’avenir, c’est-à-dire avec la contrition, l’expiation pénible du péché, c’est-à-dire la satisfaction. " La μετάνοια est une grande prudence ; car celui qui l’accomplit comprend qu’il a péché, se repent de son acte, ne fait plus le mal, s’applique à faire le bien, humilie et tourmente son âme parce qu’il a péché. " Mand., IV, 2, 2, p. 396.
 Cette μετάνοια s’applique à tous les péchés sans distinction, même à ceux qui, pour un temps assez court, vont être regardés comme des cas réservés, l’apostasie, l’adultère et l’homicide. Hermas ne parle pas, il est vrai, de l’homicide, mais il signale les adultères et les blasphémateurs. L’épouse adultère dit-il, Mand., IV, 1, 7, p. 394, doit être reçue par son époux, si elle a fait pénitence de son péché. Quant aux apostats, ceux-là peuvent bénéficier de la μετάνοια qui ont reniι de bouche et non de cœur. Sim., IX, 26, 5, p. 546.
 Mais cette μετάνοια, si elle s’ιtend à tous les péchés, ne convient pas indistinctement à tous les pécheurs : elle ne sert qu’aux chrétiens anciens, et non à ceux qui viennent d’être baptisés ou le seront dans la suite. Ceux-ci ont bien la rémission de leurs péchés (par le baptême), mais ils n’ont pas la μετάνοια. Mand., IV, 3, 3, p. 398. Cette restriction arbitraire accuse bien rigorisme de l’époque, mais elle n’est pas seule, car il est spécifié que celui qui a profité de la μετάνοια ne peut y recourir une seule fois ; μίαν μετάνοιαν έχει. Mand., IV, 3, 6, p. 398. Si donc il retombe dans le péché, il n’y a pas à compter sur le secours efficace d’une seconde μετάνοια, et il le vivra difficilement : άσύμφορόν έστι τώ άνθρώπω τώ τοιούτω δυσχολως γάρ ζήσεται. Ibid. C’est ainsi que, pendant quelques temps, l’Eglise introduira dans le régime pénitentiel une restriction de ce genre en n’accordant qu’une seule fois au chrétien pécheur le bienfait de la pénitence canonique.
Ces deux points établis, le Pasteur énumère par trois fois les pécheurs qui peuvent recourir efficacement à la μετάνοια. Une premiθre fois, au sujet de la tour bâtie sur les eaux. il n’y a ici de définitivement rejetés de la construction, c’est-à-dire de l’Eglise, et privés de salut, que les fils d’iniquité : ils ont exaspéré le Seigneur, Vis., II, 6, 1, p. 362. Parmi les pierres non encore utilisées, les unes gisent près de la tour, les autres sont
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brisées et rejetées au loin. Les premières ne sont que momentanément délaissées parce qu’elles sont encore impropres à la construction. Il en est de noires : ce sont ceux qui ont connu la vérité, mais n’y ont point persévéré. Il en est de fendues : ce sont ceux qui n’ont pas gardés la paix vis-à-vis les uns des autres. Il en est d’ébréchées : ce sont ceux qui ne possèdent pas la justice intégrale. Il en est de rondes et blanches : ce sont les croyants asservis à la fortune, qui, au moment de l’épreuve, ont renié le Seigneur en vue de conserver leurs richesses ; et tel fut le cas d’Hermas. Mais toutes ces pierres pourront, après une appropriation nécessaire, faire partie de la tour : les pécheurs qu’elles figurent pourront, après avoir fait pénitence, prendre rang dans cette société de saints qu’est l’Eglise. Parmi les pierres brisées et rejetées au loin, les unes roulent hors du chemin : ce sont ceux qui ont eu la foi, mais qui, par le doute, ont perdu la voie. D’autres sont tombées dans le feu : ce sont ceux qui se sont éloignés sans songer à se repentir. D’autres enfin sont tombées près de l’eau, mais sans pouvoir y entrer : ce sont ceux qui ont entendu la parole (de vérité) et ont voulu recevoir le baptême, mais n’ont pas osé le demander afin de pouvoir se livrer à leurs mauvais désirs. Les pécheurs de cette triple catégorie pourront-ils recourir à la μετάνοια et prendre place dans la tour ? A cette question prιcise d’Hermas le Pasteur répond : " Ils ont la μετάνοια, mais ils ne peuvent point prendre place dans cette tour ; ils seront dans un lieu bien inférieur, mais après avoir été châtiés. Ils seront transférés pour avoir eu part à la parole du juste. Et il leur arrivera d’être transférés de leurs tourments, s’ils ont au cœur le repentir de leurs iniquités, sinon ils ne seront pas sauvés à cause de la dureté de leur cœur. " Vis., III, 7, 5-6, p. 366. Autrement dit, ces pécheurs n’ont pas encore la justice requise pour faire partie de la société des saints, mais ils sont en voie de purification par la pénitence, et ils restent assurés de leur salut.
 Une seconde fois, dans la Similitude du saule, tous les chrétiens reçoivent une branche de saule qu’ils devront représenter ; l’état de cette branche servira à distinguer ceux qui ont mérité le salut. Or, sur treize catégories de chrétiens, trois représentent les justes et dix les pécheurs. Ceux-ci sont livrés à l’ange de la pénitence : mais tous ne font pas également pénitence d’une manière utile à leur salut. Dieu a prévu ceux qui en profiteraient et ceux qui feraient semblant d’y recourir. Sim., VIII, 6, 2, p. 488. Or une seule de ces dix catégories de pécheurs est rejetée, celles des apostats et des traîtres : ceux-là sont morts définitivement à Dieu. Pourquoi ? Parce que, parmi eux, " aucun ne s’est repenti, bien qu’ils aient entendu ce que je t’ai prescrit de leur prêcher (relativement à la μετάνοια), dit le Pasteur à Hermas ; la vie n’est plus en eux. " Sim., VIII, 6, 4, p. 490. Toutes les autres seront sauvées : " Tous ceux qui se seront soumis à la μετάνοια de tout leur cœur et se seront purifiés de leurs iniquités sans en ajouter de nouvelles, auront le remède de leurs péchés et vivront à Dieu ; et tous ceux qui ajouteront à leurs péchés et marcheront selon les désirs du siècle se condamneront à la mort, " θανάτω έαυτούς χαταχρίνουσιν. Sim., VIII, 11, 3, p. 498.
 Une dernières fois enfin, au sujet de la tour bâtie sur le roc, il y a d’abord les quatre premières assises définitivement scellées qui représentent les patriarches, les prophètes et les justes de l’Ancien Testament ainsi que les apôtres et les prédicateurs de l’Evangile. Il y a ensuite des pierres de toute sorte, dont quelques-unes sont écartées et d’autres provisoirement employées jusqu’à l’inspection du maître de la tour, qui ne retiendra que les bonnes et confiera les autres à l’ange de la pénitence. La tour reste inachevée pour permettre aux pécheurs de ses préparer par la μετάνοια ΰ leur réin-
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tégration dans l’édifice. Les pierres sont extraites de douze montagnes, qui représentent le monde entier. Comme plus haut, une seule catégorie, celle des apostats, des blasphémateurs et de ceux qui ont livré les serviteurs de Dieu, est irrémédiablement condamnée : ce sont des endurcis : τούτοις όέ μετάνοια ούχ έοτι, θάνατος όέ έοτι. Sim., IX, 19, 1, p. 536. Cinq autres, celle de ceux qui ont conservé la simplicité, l’innocence et la paix, celle des apôtres et des didascales qui ont prêché comme il convenait la parole de Dieu, celle des évêques et des hospitaliers, celle des martyrs, et celle de ceux qui ont gardé la simplicité des enfants, sont assurés de faire partie de cette tour. Pour les six qui restent, la μετάνοια est la condition imposιe. Plein de confiance, Hermas s’écrie : Spero quia omnes, qui antea peccaverunt, libenter acturi sunt pænitentiam, vitam recuperantes. Et le Pasteur de répondre : Quicumque mandata efficiunt, habebunt vitam. . . Quicumque vero mandata non servant, fugiunt a sua vita, morti se tradunt, et unusquisque eorum reus fit sanguinis sui. Sim., IX, 2, 3-4, p. 560.
 Somme toute, parmi les anciens baptisés, tout pécheur peut obtenir le pardon et la guérison de ses péchés, à la condition de recourir sérieusement à la μετάνοια.
 Cette μετάνοια comporte, chez le pιcheur, le repentir sincère du péché, le ferme propos pour l’avenir, et une purification laborieuse. Dieu donne alors la guérison, ϊασις. Mais de la part de Dieu, cette μετάνοια constitue une grβce ; et le bon usage qu’en fait le pécheur en est une autre. Dieu, en effet, accorde la μετάνοια ΰ ceux qu’il voit disposés à purifier leur âme et à le servir de tout leur cœur, tandis qu’il la refuse à ceux dont il prévoit la duplicité, la malice, l’hypocrisie. Sim., VIII, 6, 2, p. 488. C’est pour avoir reçu l’Esprit de Dieu que les uns en profitent, et c’est par leur faute que les autres la rendent inutile. Le Pasteur dit à Hermas : " Tu vois combien ont fait pénitence et ont été sauvés ; c’est afin que tu comprennes combien grande et digne d’être glorifiée est la miséricorde du Seigneur, lui qui a rempli de son esprit ceux qui ont été dignes de la μετάνοια.. » Sim., VIII, 6, 1, p. 488. Mais le Seigneur ne se contente pas de leur donner cet esprit, il les assiste encore dans l’accomplissement de leur acte, Sim., V, 3, 4, p. 454 ; il écoute favorablement leur prière. Sim., V, 4, 4, p. 456.
 Voilà déjà en germe les éléments satisfactoires du régime pénitentiel futur. L’Eglise doit être une société de saints. Elle croit possible la conservation intacte de la pureté baptismale, mais elle sait aussi combien est grande la fragilité humaine. Au pécheur, elle offre après le baptême un moyen de salut. Et de même qu’elle règle l’initiation et administre le baptême, elle entend régler l’administration de la pénitence et intervenir à la fin de l’épreuve satisfactoires par un acte juridique pour réconcilier officiellement le pécheur converti. Mais dans ce développement de la discipline pénitentielle, les distinctions arbitraires du Pasteur disparaîtront, et son rigorisme fera place de plus en plus à un régime de bénignité et d’indulgence. Cf. Rauschen, L’Eucharistie et la pénitence durant les six premiers siècles, trad. franç., Paris, 1910, p. 139 sq. ; A. Lelong, Le Pasteur d’Hermas, p. IV-VI, LX-LXXV ; A. d’Alès, L’édit de Calliste, Paris, 1914, p. 52-113.

 6° Le mariage.
― Relativement au mariage chrιtien, l’indissolubilité du lien conjugal, même dans le cas d’adultère, est nettement affirmée, et la question des secondes noces résolue dans un sens nullement prohibitif. Voici, en effet, les cas de conscience proposés par Hermas et résolus par le Pasteur. ― 1. L’ιpoux pèche-t-il s’il vit avec sa femme coupable d’adultère ? Non, s’il ignore sa faute ; oui, s’il vient à la connaître, car alors il se rendrait complice de son péché. ― 2. Que
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doit-il faire dans le cas où sa femme persévère dans le péché ? Il doit la quitter et rester seul, car s’il contractait un nouveau mariage, il commettrait lui-même un adultère. Mand., IV, 1, 4-6, p. 392-394. ― 3. Si l’ιpouse adultère, après avoir été renvoyée, a fait pénitence, non pas souvent mais une fois, μή έπί πολό δέ τοίς γάρ δούλοις τού θεού μετάνοια έστιν μία, l’époux doit la reprendre, sans quoi il commettrait une faute grave. Mand., IV, 1, 7-8, p. 394. ― 4. Mκmes solutions pour la femme, quand c’est l’époux qui tombe dans l’adultère. Ibid. ― 5. Si l’un des deux ιpoux vient à mourir, le survivant pèche-t-il en se remariant ? Non, mais il acquerrait plus d’honneur et de gloire auprès de Dieu, en restant dans le veuvage. Mand., IV, 4, 1-2, p. 378-400.
 7° Les subintroductæ. ― Sans la Similitude IX, 10, 6, p. 518, Hermas reçoit du Pasteur l’ordre de rester près de la tour pour attendre l’arrivée du maître ; il est confié à la garde des vierges. Mais la nuit approchant, il voudrait se retirer ; et les vierges de lui dire : μεθ ήμών χοιμηθήοη ώς άδελφός, χαί ούχ ώς άνήρ. Sim., IX, 11, 3, p. 520. Elles affirment qu’elles l’aiment, et l’une d’elles l’embrasse. Est-ce une allusion à la coutume des femmes vivant avec les clercs sous le nom de sorores, subintroductæ, άδελφαί, άγαπηταί, σνείσαχτοι ? Hefele l’a cru, Opera Patrum apost., 4e édit., Tubingue, 1855, p. XCVI ; mais ni Gaâb, Der Hirt des Hermas, Bâle, 1866, p. 56-59, ni Zahn, Der Hirt des Hermas, Gotha, 1868, p. 179-181, ne sont de cet avis. Harnack trouve suspect l’emploi de ces termes χοιμηθήοη, άγαπώμεν, χαταφιλείν, sans regarder comme vraisemblable l’introduction de cette coutume avant le IIIe siècle. Funk, à son tour, Opera Patrum apost., p. 518-519, note , sans nier que le Pasteur y fasse allusion, estime que l’usage des subintroductæ s’est introduit au IIe siècle, et il appuie son opinion sur le langage tenu par Tertullien, De jejuniis, 17 ; De virginibus velandis, 14, et par saint Cyprien, De habitu virginum, 19 ; Epist. IV, 2. Il se peut fort bien, quoiqu’on n’en puisse pas donner une preuve positive, que le langage du Pasteur ait favorisé cette coutume, qui ne devait pas tarder à montrer qu’elle renfermait de choquant et de dangereux pour les mœurs et à provoquer, dès la fin du IIIe siècle et au commencement du IVe, son interdiction catégorique. Cf. concile d’Ancyre, c. 19 ; concile de Nicée, c. 3, dans Lauchert, Die Kanones der wichtigsten altchr. Concilien, Leipzig, 1896, p. 34, 38. Pour le concile d’Elvire, c. 27, voir t. IV, col. 2388.

 I. EDITIONS. ― Lefèvre d’Etaples, Liber trium virorum et trium spiritualium virginum, Paris, 1513 ; Cotelier, Patres ævi apostolici, Paris, 1672 ; Leclerc, Patres ævi apostolici, Anvers, 1698 ; Galland, Bibliotheca veterum Patrum, Venise, 1763-1767 ; Migne, P. G., t. II ; Hefele, Opera Patrum apost., 4e édit., Tubingue, 1855 ; Tischendorf, Hermæ Pastor græce, Leipzig, 1856 ; Anger et Dindorf, Hermæ Pastor græce, Leipzig, 1856 ; Dressel, Patrum apost. opera, Leipzig, 1857 ; Hilgenfeld a publié la version latine dite Vulgate, Hermæ Pastor, Leipzig, 1873 ; 2e édit. à part, et le texte grec dans Novum testamentum extra canonem receptum, Leipzig, 1866 ; Hermæ Pastor græce, Leipzig, 1881 ; 3e édit., 1887, Hollenberg, Pastor Hermæ, Berlin, 1868 ; Gebhardt, Harnack et Zahn, Patrum opera apost., Leipzig, 1877 ; 2e édit., 1894 ; Funk, Opera Patrum apost., Tubingue, 1881 ; 2e édit., 1901 ; A. Lelong, Le Pasteur d’Hermas, Paris, 1912 (texte grec, trad. française et introd.) ; Ant. d’Abbadie a publié une traduction latine de la version éthiopienne d’Hermas, Hermæ Pastor, dans les Abhandlungen für die Kunde des Morgenlandes, 1860, t. II.
 II. TRAVAUX. ― Outre les prolégomènes et les notes qui accompagnent la plupart des éditions , on peut consulter ; Weinrich, Disquisitio in doctrinam moralem ab Herma in Pastore propositam, 1804 ; Jachmann, Der Hirt des Hermas, Kœnigsberg, 1835 ; Gaâb, Der Hirt des Hermas¸ Bâle, 1866 ; Zahn, Der Hirt des Hermas, Gotha, 1868 ; Freppel, Les
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G. BAREILLE.
 

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