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Saint Ignace d'Antioche

évêque d’Antioche, martyr.
l'article en word comporte les expressions grecques
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I. Vie. II. Lettres. III. Doctrine.
 
 

I. VIE.

Ce qu’on sait de sa vie.

1. Son nom. Faute de documents, on ignore presque tout de la vie de saint Ignace d’Antioche. Ses lettres, du moins, donnent une haute idée de sa grandeur morale et de sa vivante personnalité ; et son martyre glorieux a rendu impérissable son souvenir. Ainsi qu’il l’a inscrit en tête de ses lettres, il s’appelait ???????? ? ??? ????????. C’?tait l’usage, chez les Romains, de porter parfois un double cognomen, l’un pour l’état civil et légal, l’autre pour l’usage familier, unis entre eux par la formule qui et, équivalent latin de ? ???. C’est ainsi que l’?vêque d’Antioche avait deux noms : l’un d’origine latine, l’autre d’origine grecque ; le premier lui venant de sa famille, le second pris vraisemblablement par lui à son baptême ; l’un et l’autre devenus dans la suite l’objet d’explications ingénieuses, mais dont quelques-unes tiennent plus à la légende qu’à l’histoire. Ignatius, de ignis, feu sert bien à caractériser l’homme enflammé et tout embrasé d’amour pour le Christ que fût cet évêque syrien. Quant à Théophore, ce nom est susceptible d’une double signification d’après l’accentuation grecque du mot. Au sens passif, ????????, il signifie celui qui est port? par Dieu ; au sens actif, ????????, celui qui porte Dieu. Saint Ignace justifierait le nom de Th?ophore au sens passif parce que, d’après le témoignage d’Anastase le Bibliothécaire, cité par Pearson, Vindiciæ Ignatianæ, part. II, c. XII, P. G., t. V, col. 404, il aurait été l’enfant que Jésus prit entre ses bras et donna comme un exemple d’humilité à ses apôtres. C’est l’interprétation acceptée par Siméon Métaphraste et transmise par lui à la postérité, ibid., col. 405, mais qui est complètement arbitraire, car saint Jean Chrysostome, bon témoin des traditions de l’Eglise d’Antioche, assure que saint Ignace n’a jamais vu le Sauveur. In sanct. mart. Ignatium, 5, P. G., t. XLIX, col. 594. Ce nom se justifierait mieux au sens actif, mais nullement pour la raison qu’en donne saint Vincent de Beauvais, à savoir que, le cœur d’Ignace ayant été coupé en morceaux après sa mort, chacun de ses morceaux portait en caractère d’or les lettres qui composent le nom de Jésus-Christ. " Ce qui n’étant nullement recevable, observe Tillemont, Mémoires pour servi à l’hist. eccl. des six premiers siècles, Paris, 1701-1709, t. II, p. 191, ni par soi-même, ni par ceux qui en sont auteurs, est de plus tout à fait contraire à ce que nous savons, qu’il ne resta rien de son corps que les os les plus gros et les plus durs. "

2. Sa jeunesse jusqu’à l’épiscopat. On ne sait rien de positif, ni sur son origine, ni sur sa naissance, ni sur son éducation. On le croit pourtant, non sans raison, syrien d’origine. Il serait né vers l’an 35. Mais qu’il ait été cet enfant dont parle l’Evangile et que le Sauveur proposa comme exemple aux apôtres, ni lui, ni saint Polycarpe, son contemporain, ni saint Irénée, ni aucun écrivain parmi les anciens n’a fait la

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moindre allusion à un tel fait. A-t-il été esclave, comme pourrait le faire supposer ce mot de sa lettre aux Romains : ??????? ?????????, ??? ?? ????? ??? ?????? ? L’antith?se ne permet pas de conclure que ?????? soit pris ici au sens propre ; il sert plutôt à amener l’idée d’affranchissement moral qui vient à la suite : " Si je souffre, je deviendrai l’affranchi du Christ. " N’a-t-il pas été plutôt, un peu comme saint Paul, arraché aux désordres de la vie païenne et amené au Christ par une secousse violente de la grâce ? C’est l’hypothèse émise par Lightfoot, Saint Ignatius, Londres, 1885, t. I, p. 28, 392 ; t. II, P. 229 sq., et qui expliquerait le ton d’humilité et de repentir de ses lettres, le désir ardent du martyre dont elles témoignent. Un ancien persécuteur converti et devenu chef d’une Eglise ne s’exprimerait pas autrement. Il faut renoncer à voir en lui un disciple de saint Jean. Sans doute, dans sa révision de la Chronique d’Eusèbe, saint Jérôme l’avait rangé avec Papias et saint Polycarpe parmi les disciples de saint Jean, mais c’est une erreur qu’il a réparée dans son De viris illustribus. Du reste, Ignace lui-même nous apprend qu’avant d’être venu à Smyrne, il n’avait pas vu saint Polycarpe. Ad Polyc., I, 1, Funk, Patres apostolici, 2e édit., Tubingue, 1901, t. I, p. 288. Fut-il du moins disciple des apôtres ? Ceci semble plus plausible ; car, pendant son enfance ou sa jeunesse, il a pu voir et entendre, à Antioche, saint Pierre et saint Paul. Il touche ainsi au temps des apôtres.

3. Son épiscopat. D’après Origène, In Luc., homil. VI, P. G., t. XIII, col. 1814. Ignace fut le second évêque d’Antioche ; d’après Eusèbe, H. E., III, 22 ? P. G., t. XX, col. 256, c’est vers 69 qu’il aurait remplacé Evodius, le successeur immédiat de saint Pierre. Sur ce point, saint Jérôme reproduit Eusèbe. De vir. illustr., 16, P. L., t. XXIII, col. 633. Mais, d’autre part, saint Jean Chrysostome, dans son panégyrique de saint Ignace, donne clairement à entendre qu’il remplaça immédiatement saint Pierre, puisqu’il lui fait un honneur d’avoir été choisi par le prince des apôtres et d’avoir reçu de lui l’imposition des mains. Loc. cit. Théodoret, Epist., LXXXIX, CXLV, P. G., t. LXXXIII, col. 1284, 1384 est tout aussi catégorique. D’autre part, encore, d’après les Constitutions apostoliques, VII, 46, P. G., t. I, col. 1052, saint Pierre aurait sacré Evodius, tandis que saint Paul aurait imposé les mains à Ignace, d’où l’on a cru pouvoir inférer qu’Antioche compta simultanément deux évêques, l’un pour les judéo-chrétiens, l’autre pour les convertis du paganisme, et qu’à la mort d’Evodius, saint Ignace resta seul. Mais c’est là un renseignement suspect et une hypothèse invraisemblable, quoi qu’en aient pu penser Baronius, Halloix et Tillemont et, au siècle dernier, les partisans du pétrinisme et du paulinisme. Lightfoot, loc. cit., ne s’en embarrasse pas, et avec raison, car ‘il n’y voit qu’une preuve en faveur du titre d’homme apostolique, qui convient à saint Ignace.

Pendant son épiscopat sévit la persécution de Domitien. Dans quelle mesure s’appliqua-t-elle à l’Eglise d’Antioche ? Sans donner le moindre détail précis, l’auteur des Actes du martyre de saint Ignace, le Martyrium Colbertinum, dans Funk, op. cit., t. II, p. 276, affirme simplement que le saint évêque sauva son troupeau par sa vertu et son activité apostolique, satisfait du calme momentané, mais attristé de n’avoir point reçu la couronne du martyre. De son administration épiscopale, il ne reste qu’un souvenir, relatif à la liturgie, mais de date assez récente. Socrate raconte, en effet, H. E., VI, 8, P. G., t. LXVII, col. 692, qu’Ignace introduisit dans son église l’usage du chant alterné des psaumes et que de là cet usage était passé à d’autres églises. Il n’y a rien d’impossible à cela, d’au-

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tant que le chant alterné se pratiquait déjà dans les synagogues ; et la lettre de Pline à Trajan, en 112, nous apprend qu’il se pratiquait aussi parmi les chrétiens de Bithynie. Epist., X, 97. Il est vrai que Théodore de Mopsueste, qui vivait au IVe siècle, affirme que Flavien et Diodore furent les premiers à emprunter aux syriens l’usage du chant alterné et à l’imposer aux fidèles d’Antioche ; cité par Nicétas, Thesaurus orthodoxæ fidei, V, 30, P. G., t. CXXXIX, col. 1390. C’est à peu près ce que répète Théodoret, quand il dit que Flavien et Diodore, sous l’empereur Constance, prirent l’initiative de faire chanter les psaumes à Antioche par deux cœurs qui se répondaient. H. E., II, 19, P. G., t. LXXXII, col. 1060. Théodore de Mopsueste étant contemporain du fait qu’il rapporte, et Théodoret étant bien au courant de l’histoire d’Antioche, il est à croire que Socrate a commis une erreur, à moins de supposer qu’il attribue à une tentative d’Ignace le succès qui couronna en réalité les efforts de Flavien et de Diodore ; mais, dans ce cas, Théodore de Mopsueste et Théodoret auraient eu le tort de passer sous silence l’intervention de saint Ignace et de faire de Flavien et de Diodore les introducteurs du chant alterné à Antioche.

Son voyage comme prisonnier. 1. Sa condamnation à Antioche. D’après l’auteur du Martyrium Colbertinum, ce serait Trajan qui, passant à Antioche, en janvier 107, lors de son expédition contre les Parthes, aurait condamné l’évêque de la ville. Cette expédition d’Orient n’ayant eu lieu que quelques années après, Trajan n’a pu condamner Ignace en 107. Ni Eusèbe, ni Chrysostome ne parlent d’une condamnation impériale. Au reste, si l’empereur s’était prononcé en personne, Ignace aurait pu se dispenser d’écrire aux chrétiens de Rome pour les conjurer de ne pas intervenir en sa faveur, car aucun magistrat romain n’aurait pu commuer ou annuler une telle sentence, tandis que, s’il n’a été condamné que par le légat de Syrie, il avait tout lieu de craindre le succès d’une intervention auprès de l’empereur. La date de 107 est à retenir ; c’est celle où Eusèbe, dans sa Chronique, place le commencement de la persécution de Trajan et y rattache le martyre de saint Ignace. Les notes chronologiques données par les Actes, observe Allard, Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, Paris, 1892, p. 184, sont d’une précision trop grande pour n’avoir pas été empruntées à une source ancienne. La condamnation du saint à Antioche y est rapportée à la neuvième année de Trajan, ce qui était la manière accoutumée de dater dans la partie orientale de l’empire, tandis que son supplice à Rome est dit avoir eu lieu le 20 décembre, Sura et Sénécion étant consuls, ce qui est la formule romaine bien connue. Et cette date correspond bien à celle qu’indique Eusèbe, puisque la neuvième année de Trajan expire à fin janvier 107.C’est donc au mois de janvier 107 que fut condamné Ignace. Dans quelles circonstances et pour quels motifs ? Nous l’ignorons. Peut-être à la suite d’une dénonciation écrite ou de quelque mouvement populaire. N’étant pas citoyen romain, mais étant le premier personnage de l’Eglise d’Antioche, le légat le désigne pour être conduit à Rome et livré aux bêtes dans l’amphithéâtre Flavien.

2. Son itinéraire d’Antioche à Rome. Confié à une troupe de soldats, Ignace s’embarqua à Séleucie pour l’un des ports de la Cilicie ou de la Pamphilie, et se rendit de là par terre à Smyrne. Or la route qui traversait l’Asie Mineure, de l’est à l’ouest, bifurquait d’un côté vers le nord, où elle traversait, après Laodicée et Hiérapolis, une crête de montagnes, d’où elle descendait pour passer par Philadelphie et Sardes avant d’aboutir à Smyrne ; d’un autre côté, vers l’ouest, le long de la vallée du Méandre, traversant

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Tralles et Magnésie avant de remonter vers le Nord, par Ephèse, jusqu’à Smyrne. C’est la première qu’a suivie Ignace ; car, dans sa lettre aux Philadelphiens, il fait clairement allusion à son passage au milieu d’eux. Il a vu, dit-il, leur évêque, s’est entretenu avec lui ; il n’a trouvé chez eux aucune division, et il leur a recommandé de vive voix l’obéissance à l’évêque et au presbyterium. Dans sa lettre aux Ephésiens, il dit s’être entretenu avec les hérétiques de Philadelphie. D’autre part, il est certain qu’il n’est passé ni par Tralles, ni par Magnésie, ni par Ephèse, comme cela a été indiqué par une erreur d’impression, t. IV, col. 1488 ; car il dit ne connaître les communautés de ces villes que par les délégués qu’elles lui avaient envoyés.

Arrivé à Smyrne, il y séjourna quelques temps. Il y reçut le meilleur accueil de la part de l’évêque, saint Polycarpe, et de la communauté. Or, pendant qu’il était ainsi conduit au martyre, le bruit de son passage s’était répandu. On lui députa de tous côtés des messagers pour le saluer. Et c’est ainsi qu’arrivèrent, d’Ephèse, l’évêque Onésime, le diacre Burrhus et trois autres délégués ; de Magnésie, l’évêque Damas, les prêtres Bassius et Apollonius et le diacre Zotion ; de Tralles enfin, l’évêque Polybe. Bien qu’il eût à se plaindre de ses dix gardiens, qu’il nomme des léopards, qui sont d’autant plus désagréables qu’on leur fait plus de bien, il peut s’entretenir avec ses serviteurs. Ni la perspective du supplice, ni la longueur et les fatigues de la route, ni les mauvais traitements de ses gardiens n’avaient pu altérer sa sérénité. Il pensait à sa ville d’Antioche, qu’il avait dû quitter, il attendait anxieusement de ses nouvelles, il lui envoyait des consolations et des conseils, et il faisait prier pour elle. Mais en même temps il s’entretenait avec ses serviteurs, s’intéressant à leurs communautés ; et quand fut venu le moment de la séparation, s’oubliant lui-même, il leur confia une lettre pour leurs communautés d’Ephèse, de Magnésie et de Tralles, où il marque sa reconnaissance et où il donne des conseils appropriés en vue de leur faire conserver la foi et éviter l’hérésie menaçante. Il écrivit une quatrième lettre, celle-ci aux Romains, d’un caractère exceptionnel et d’une incomparable beauté, où il n’est question que de son désir du martyre. Elle est datée du 24 août.

De Smyrne, il fut conduit à Troas, accompagné de Burrhus, le diacre d’Ephèse, qui lui servit de secrétaire. Là vinrent le rejoindre Philon, diacre de Cilicie, et Rhaius Agathopus, diacre de Syrie ; ceux-ci lui apportaient l’heureuse nouvelle de la fin de la persécution à Antioche. On devine sa joie. De Troas, avant de quitter l’Asie, il écrivit à ceux qu’il avait vus en route, à l’église de Philadelphie, à celle Smyrne et à son évêque Polycarpe. Il n’y oublie pas de joindre à ses remerciements les conseils qu’il juge utiles ou nécessaires, mais il demande à ses correspondants d’envoyer à son Eglise d’Antioche des félicitations et des encouragements. Le temps lui fait défaut pour dicter d’autres lettres.

De Troas, il franchit le détroit pour aborder à Néapolis, d’où il arrive à Philippes, où il est très bien accueilli par les chrétiens. Mais il n’était plus prisonnier : Zozime et Rufus, joints sur la route au convoi qui l’emmenait, partageaient ses chaînes. Il pria les Philippiens d’écrire à ses fidèles d’Antioche. Et les Philippiens s’empressèrent de lui obéir ; écrivant à saint Polycarpe, ils le prièrent de faire parvenir à Antioche leur lettre et d’y joindre celle qu’il avait reçue lui-même d’Ignace, tout en lui demandant copie des lettres d’Ignace qu’il avait dans les mains.

A partir de Philippes, saint Ignace dut suivre la voie Egnatienne, à travers la Macédoine et l’Illyrie grecque, jusqu’à Dyrrachium. De là aborda-t-il à Brindisi pour gagner directement Rome à pied par la

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voie Appienne ? C’est de toute vraisemblance. Mais les Actes, lui faisant contourner l’Italie, parlent d’une vaine tentative de débarquement à Pouzzoles, et, nous le montrent prenant terre dans le port de Rome, aux bouches du Tibre, accueilli par des chrétiens, qui étaient venus à sa rencontre.

Son martyre. 1. Le désir qu’il en avait. Cet évêque si humble, si sensible aux témoignages de respect qu’on lui rendait, si attentif aux besoins spirituels des Eglises, si manifestement préoccupé des dangers qui menaçaient la foi et pouvant rompre l’unité, si attaché à sa communauté d’Antioche, n’aspirait qu’à l’honneur de verser son sang pour le Christ, estimant que c’était là le moyen par excellence de ne faire qu’un avec son mactre. Déjà, pendant son voyage, il s’était fait, contre certains docètes, un argument irrésistible des chaînes qu’il portait et du martyre vers lequel il marchait. Mais sa pensée éclate, véhémente, en traits de feu, sous une forme littéraire quelque peu déconcertante, dont les défauts disparaissent devant la grandeur et la beauté du fond, dans la lettre qu’il écrivit aux Romains. " La foi la plus vive, l’ardente soif de la mort, a dit Renan, Les Evangiles, p. 489, n’ont jamais inspiré d’accents aussi passionnés ; l’enthousiasme du martyre, qui durant deux cents ans fut l’esprit du christianisme, a reçu de l’auteur de ce morceau extraordinaire son expression la plus exaltée. " La lettre serait à citer toute entière. Extrayons-en seulement quelques passages. " A force de prières, écrit Ignace, j’ai obtenu de voir vos saints visages ; j’ai même obtenu plus que je ne demandais, car c’est en qualité de prisonnier de Jésus-Christ que j’espère aller vous saluer, si toutefois Dieu me fait la grâce de rester tel jusqu’au bout. . . C’est votre charité que je crains. Vous n’avez, vous, rien à perdre, moi, c’est Dieu que je perds, si vous réussissez à me sauver. . . Laissez-moi immoler, pendant que l’autel est prêt. Réunis tous en chœur par la charité, vous chanterez : Dieu a daigné envoyer d’Orient en Occident l’évêque de Syrie ! Il est bon de se coucher du monde en Dieu pour se lever en lui. " Ignace redoute tant l’intervention des Romains en sa faveur qu’il donne à sa prière des accents pathétiques : " J’écris aux Eglises ; je mande à tous que je veux mourir pour Dieu, si vous ne m’en empêchez. Je vous conjure de ne pas me montrer une tendresse intempestive. Laissez-moi être la nourriture des bêtes, par lesquelles il me sera donné de jouir de Dieu. Je suis le forment de Dieu : il faut que je sois moulu par la dent des bêtes pour que je sois trouvé pur pain du Christ. Caressez-le plutôt, afin qu’elles soient mon tombeau, qu’elles ne laissent rien subsister de mon corps, et que mes funérailles ne soient à charge de personne. " Il espère trouver les bêtes bien disposées ; il se déclare prêt à les caresser pour qu’elles le dévorent sur le champ. " Si elles y mettent du mauvais vouloir, je les forcerai. " En même temps il s’excuse : " Pardonnez-moi : je sais ce qui m’est préférable. Maintenant, je commence à être un vrai disciple. " Et comme saint Paul, il lance ce défi : " Nulle chose visible ou invisible ne m’empêchera de jouir de Jésus-Christ. Feu et croix, troupes de bêtes, dislocation des os, mutilation des membres, brûlement de tout le corps, que tous les supplices du démon tombent sur moi, pourvu que je jouisse de Jésus-Christ. " En conséquence, que les Romains lui fassent grâce, qu’ils lui laissent recevoir la pure lumière et imiter la passion de Dieu. " Et si, lorsque je serai avec vous, je vous supplie, ne me croyez pas : croyez plutôt à ce que je vous écris aujourd’hui. Je vous écris vivant, et désirant mourir. "

2. Sa mort. En voyant les chrétiens de Rome, Ignace dut éprouver une grande joie, car ils ne lui

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apportaient pas la nouvelle de sa grâce ou de la commutation de sa peine. Il était au comble de ses vœux. " On calcula probablement, dit Allard, op. cit., p. 200, le voyage d’Ignace de manière à le faire arriver à Rome avant la fin des fêtes qui célébraient, avec une pompe inouïe jusqu’à ce jour, le triomphe du vainqueur des Daces. Si la guerre dacique se termina en 106, ces fêtes, qui durèrent vingt-trois jours, durent remplir l’année 107. Dix mille gladiateurs y périrent pour l’amusement du peuple romain ; onze mille bêtes féroces y furent tuées. Mais, avant de les tuer, on leur jeta sans doute, selon l’usage, quelques condamnés. C’est ainsi que, le 18 décembre, moururent deux compagnons d’Ignace, Zozime et Rufus. Deux jours après vint enfin le tour de l’évêque d’Antioche. Le 20 décembre, il obtint la grâce si ardemment désirée ; moulu par la dent des bêtes, il devint le froment de Dieu. C’était pendant les venationes par lesquelles on solennisait les saturnales. "

3. Ses reliques. Saint Ignace eut la mort qu’il avait tant souhaitée : les bêtes déchirèrent son corps, broyèrent ses os, dévorèrent ses chairs. Ce qui en resta, notent les Actes, Martyrium Colbertinum, VI, 5, dans Funk, op. cit., t. II, p. 284, c’est-à-dire les parties les plus dures, fut pieusement recueilli et transporté à Antioche comme le plus inestimable des trésors. On déposa ces reliques dans un sanctuaire hors de la porte de Daphné, où elles étaient encore du temps de saint Jérôme. De viris illustr., 16, P. L., t. XXIII, col. 633. L’Eglise d’Antioche célébra longtemps le natalis de son évêque martyr le 17 octobre. C’est à pareil jour que saint Jean Chrysostome, ne doutant ni de la mort de saint Ignace à Rome, ni de la translation et de la présence de ses reliques à Antioche, prononça le panégyrique du saint. Il y disait, entre autres choses : " Rome fut arrosée de son sang ; vous avez recueilli ses dépouilles. Vous avez eu l’avantage de le posséder comme évêques, ils ont recueilli son dernier soupir ; ils ont été les témoins de son combat, de sa victoire et de son triomphe ; vous l’avez toujours au milieu de vous. Vous aviez envoyé un évêque, on vous a rendu un martyr. " In sanct. mart. Ignatium, 5, P. G., t. XLIX, col. 594.

4. Sa fête. Les reliques de saint Ignace ne devaient pas toujours rester hors de la porte de Daphné, car, sous Théodose le Jeune, lors de l’embellissement de la ville, on n’oublia pas l’évêque martyr, l’une des gloires d’Antioche. Par ordre de l’empereur, ses restes furent transportés en pompe dans le temple de la Fortune, sur lequel planaît le génie de la cité, une statue de bronze doré, chef-d’œuvre d’Eutychidès, l’élève de Lysippe. Et ce temple ne s’appela plus que la basilique de saint Ignace. L’évêque martyr avait pris la place du génie tutélaire. Evagre, H. E., I, 16, P. G., t. LXXXVI, col. 2465. Cf. Lightfoot, St. Ignatius, t. I, p. 47-49. Désormais, en Orient, on célébra sa fête le 20 décembre, qui dut être la date de cette translation. L’Eglise latine la célèbre le 1er février.

II. LETTRES. 1° Leur nombre d’après les témoignages primitifs. 1. Le témoignage de saint Polycarpe. Nous avons dit que saint Ignace avait écrit quatre lettres de Smyrne : une aux Ephésiens, une aux Magnésiens, une aux Tralliens et une aux Romains, trois autres, de Troas : une aux Philadelphiens, une aux Smyrniens et une à Polycarpe. Quelques jours après le passage de saint Ignace à Philippes, les Philippiens prièrent saint Polycarpe de leur communiquer les lettres de l’évêque d’Antioche qu’il possédait. La réponse de Polycarpe à cette demande est d’une importance capitale dans la question ignacienne, car c’est le témoignage d’un témoin oculaire en faveur des lettres de saint Ignace. C’est même pour cela que les uns rejettent sa réponse comme apocryphe, et que

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d’autres la déclarent interpolée ; or, elle n’est ni l’une ni l’autre. Voir POLYCARPE. Sur la requête des fidèles de Philippes, Polycarpe leur envoie les lettres d’Ignace qu’il a reçues et celles qu’il possède, les assurant qu’ils en retireront un grand profit : ???????? ???? ??????? ??? ????. ?? ?? ?????? ?????????? ?????????. Ad. Philip., XIII, 2, dans Funk, op. cit., t. I, p. 312. C’était donc une collection de lettres : combien en tout ? Six, a prétendu Usher, qui rejetait à tort la lettre à saint Polycarpe ; six, a dit Zahn, qui croyait que la lettre aux Romains n’en faisait par partie ; sept, avait déjà affirmé Pearson ; sept, prétend à son tour Lightfoot, qui réfute l’opinion de Zahn. St. Ignatius, t. I, p. 409-414. A priori, dit-il, il y a une forte présomption que la lettre aux Romains faisait partie du recueil de saint Polycarpe ; car cette lettre avait été écrite à Smyrne même ; c’était celle qui devait le plus l’intéresser, car elle faisait prévoir le martyre, et Polycarpe tenait à savoir comment ce martyre s’était consommé. Du reste sa personne aux Philippiens porte quelques traits de ressemblance avec l’épître aux Romains. De plus l’Eglise de Smyrne, dans son récit de la mort de saint Polycarpe, trahit une connaissance de cette lettre aux Romains et lui fait même quelques emprunts. Et enfin, comme nous allons le voir, saint Irénée, disciple de saint Polycarpe, l’a citée ; il en avait donc eu connaissance, du temps de sa jeunesse, auprès de son maître, à Smyrne même.

Outre cette épître aux Romains, Polycarpe possédait celle qu’il avait reçue lui-même et qu’Ignace avait adressée à l’Eglise de Smyrne ; il possédait aussi la copie de celles qu’Ignace avait adressées, sous ses yeux, aux Eglise d’Ephèse, de Magnésie et de Tralles. quant à l’épître aux Philadelphiens, nul doute qu’il n’eût eu connaissance de sone existence par le messager qui la portait de Troas à Philadelphie et qui dut passer par Smyrne ; nul doute aussi qu’il n’en eût obtenu communication.

Sans nommer Ignace, saint Irénée cite de sa lettre aux Romains ce passage caractéristique : Je suis le froment de Dieu. Cont. hær., V, 28, P. G., t. VII, col. 1200 ; texte grec dans Eusèbe, H. E., III, 36, P. G., t. XX, col. 292. Peu après, Origène emprunte nommément à saint Ignace ces mots de la même épître : Meus autem amor crucifix est, In Cant. Cant., prolog., et ces autres de l’épître aux Ephésiens : ????? ??? ??????? ??? ?????? ?????? ? ???????? ??????. In Luc., homil. VI, P. G., t. XIII, col. 70, 1804. Sans doute, ni Irénée, ni Origène ne font allusion à un recueil de lettres de saint Ignace et n’en signalent pas le nombre ; mais Eusèbe va être d’une précision qui e laisse rien à désirer.

2. Le témoignage d’Eusèbe. Dès le commencement du IVe siècle, l’évêque de Césarée a soin de marquer que saint Ignace a écrit aux fidèles pour les fortifier dans la foi, pour les exhorter à éviter les erreurs qui commençaient à se répandre et à garder les traditions des apôtres. Mais outre le but de ces lettres, il note l’endroit d’où elles sont écrites et nomme les Eglises et les destinataires auxquels elles sont envoyées. C’est exactement, dans le même ordre chronologique, la même liste donnée ci-dessus. Enfin il cite deux assez longs passages de l’épître aux Romains et de l’épître aux Smyrniens. H. E., III, 36, P. G., t. XX, col. 282 sq. Ce témoignage est très important. Saint Jérôme s’en est fait l’écho fidèle, sauf à préciser que ce passage de l’épître aux Smyrniens : Ecce palpate et videte quia non sum dæmonium incorporate, dont Eusèbe ignorait la source, est un emprunt à l’apocryphe qui porte le titre d’Evangile selon les Hébreux. De vir. illust., 16, P. L., t. XXIII, col. 634. Dans un autre endroit, In Matth., I, P. L., t. XXVI, col. 24, parmi les raisons pour lesquelles le Verbe incarné a voulu naître d’une

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vierge mariée, il rapporte celle-ci : Martyr Ignatius etiam quartam addidit causam, cur a despondata conceptus sit ; ut partus, inquiens, ejus celaretur diabolo, dum eum putat non de virgine sed de uxore generatum. Mais ce n’est là qu’une réminiscence du passage cité par Origène ; car rien ne prouve que saint Jérôme ait lu les lettres de saint Ignace.

Par contre, Théodoret les a lues : il cite six passages de l’épître aux Smyrniens, trois de l’épître aux Ephésiens, et un de l’épître aux Tralliens. Dial., I, II, III, P. G., t. LXXXII, col. 81-84, 169, 284. Possédait-il le recueil des sept, dont avait parlé Eusèbe ? C’est ce qu’il n’a pas dit.

2°. Leur nombre s’accroît dans la suite. On conçoit qu’étant donné le grand intérêt qu’offraient les lettres de saint Ignace, on ait pris soin de bonne heure d’en faire des copies et d’en donner des traductions. En fait, elles ont été reproduites en grec et traduites, soit en latin, soit en syriaque, soit en arménien, tantôt intégralement et tantôt en partie. Mais bientôt, pour des motifs d’ordre doctrinal, les sept, connues d’Eusèbe, ont subi des interpolations, qui, en ont amplifié le texte ; puis la collection s’est accrue de lettres nouvelles, complètement apocryphes ; si bien qu’au fur et à mesure de la découverte et de la publication des différentes collections, la question s’est posée de l’authenticité et de l’intégrité des lettres de saint Ignace ; et cette question a été débattue d’autant plus âprement qu’elle a mis aux prises les épiscopaliens et les presbytériens, les catholiques et les protestants. sans vouloir en faire le récit détaillé, il suffira d’indiquer la position prise par les uns et par les autres, et de noter les résultats acquis au point de vue de la critique.

1. Quatre lettres inconnues de l’antiquité. Pendant le moyen âge a circulé une correspondance, comprenant quatre lettres, ou plutôt quatre billets de quelques lignes à peine : la première, d’Ignace à l’apôtre saint Jean pour lui exprimer le grand désir qu’il aurait de voir la sainte Vierge, tant sont grandes les vertus qu’il entend vanter à son sujet ; la seconde, du même au même, pour lui faire part de son projet d’aller à Jérusalem contempler la Vierge et Jacques, le frère du Seigneur ; la troisième, d’Ignace à Marie, pour lui demander un mot de réconfort et de consolation ; et la quatrième, de Marie à Ignace, pour lui dire de s’en tenir à l’enseignement de saint Jean et lui annoncer sa visite prochaine. Dans P. G., t. V, col. 941-946, et Funk, Op. cit., t. II, p. 214-217. Manifestement l’auteur de ces lettres a eu pour but de contribuer à l’honneur de la sainte Vierge et n’a pu les écrire qu’après le VIIe siècle, à l’époque où le culte de Marie se développa de plus en plus. Chose curieuse, il a réussi, malgré sa supercherie, à être accepté et lu. Sa correspondance fut très répandue et fut même parfois la seule à faire connaître saint Ignace. Sa mention par le pseudo-Dexter n’est pas faite pour la recommander. Connue dès le XIIe siècle, et passant au XIIIe, sous Innocent IV, pour une traduction du grec, elle fût éditée pour la première fois, en 1495, à la fin du livre intitulé : Vita et processus sancti Thomæ Cantuarensis martyris super libertate ecclesiastica. Cf. Funk, op. cit., t. II, p. XLI-XLIII. Elle est complètement apocryphe. Cf. Lightfoot, St. Ignatius, t. I, p. 223-226.

2. La collection longue. Un recueil de lettres plus considérable, et moins indigne de saint Ignace, quoique ne contenant pas son œuvre dans toute son intégrité, fut celui que publia Lefèvre d’Etaples, à la fin du XVe siècle, sous ce titre : Ignatii undecim epistolæ, Paris, 1498. C’était une version latine comprenant d’abord toutes ses lettres, dont nous avons parlé, puis les quatre suivantes : une aux Tarsiens, une aux Philippiens, une aux Antiochiens et une autre

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à Héron, diacre d’Antioche. Le texte grec n’en fut publié que plus tard par valentin Hartung, dit Paceus, Dillingen, 1557. Ce texte comprenait en plus une lettre d’Ignace à Marie de Cassoboles. C’est ce qu’on est convenu d’appeler la recension longue, à raison de l’étendu de ses lettres.

On ne soupçonna pas tout d’abord qu’elle fut apocryphe. En effet, Ignace avait été cité par les anciens et c’était là le seul Ignace connu. Les épîtres citées jadis portaient la même adresse, et les citations, bien que non littérales, se rapprochaient suffisamment du texte publié. Il n’y avait donc, semblait-il, qu’à tenir le tout pour authentique. Et pourtant ce tout était suspect. Les citations faites par les Pères, telles que celles d’Eusèbe et de Théodoret, différaient beaucoup trop du texte. De plus, en dehors des lettres signalées par Eusèbe, aucune autre ne se trouvait citée. Enfin la connaissance de plus en plus approfondie de l’ancienne histoire ecclésiastique allait faire découvrir dans cette collection bien des anachronismes choquants.

Mais à côté de ces difficultés et de ces soupçons soulevés par la critique, il y en eut d’autres inspirés par des motifs religieux et ecclésiastiques. Tel passage, favorable à la suprématie de l’Eglise romaine, offusquait les protestants ; tels autres, favorables à l’épiscopat, déplaisaient aux presbytériens. Les catholiques, pour la plupart, acceptaient l’authenticité et l’intégrité de la recension. Petau, du moins, soutint qu’elle était interpolée. Parmi les protestants, quelques-uns, tels que Scultet, en 1598, et plus tard Saumaise, la soupçonnèrent aussi d’interpolation. Védel, professeur à Genève, en donna une édition en 1623, où il eut soin de mettre en tête les lettres qu’il jugeait authentiques, mais interpolées, à savoir les lettres signalées par Eusèbe, et relégua les autres dans un appendice, comme apocryphes. Mais il n’avait pas le moyen de prouver et de souligner les interpolations des premières. C’est la découverte d’Usher, l’archevêque anglican d’Armagh, en Irlande, qui allait le fournir et préparer ainsi la solution de la question ignacienne, en permettant en outre de condamner définitivement, comme apocryphes, les lettres additionnelles, dont Eusèbe n’avait pas fait mention.

3. La collection moyenne. Usher avait remarqué les citations de saint Ignace, faites aux XIIIe et XIVe siècles par des auteurs anglais, différaient du texte de la collection longue et concordaient avec celles qu’on trouve dans les anciens Pères. Il y avait donc interpolation. Son soupçon devint certitude quand il eut découvert une version latine des lettres de saint Ignace, dont le texte répondait exactement aux citations d’Eusèbe et de Théodoret. Plus de doute, pensa-t-il, cette version donnait le texte authentique des lettres énumérées par Eusèbe. Il n’eut qu’un tort, celui d’écarter, parce qu’il la croyait apocryphe, la lettre à Polycarpe, et il publia sa découverte. Polycarpi et Ignatii epistolæ, Oxford, 1644. Son opinion fut bientôt corroborée par le texte grec de cette version latine qu’Isaac Voss avait trouvé et qu’il publia, Epistolæ genuinæ sancti Ignatii martyris, Amsterdam, 1646. Il n’y manquait que l’épître aux Romains, découverte bientôt après par Ruinart dans les Martyrium Colbertinum, et publiée par lui dans ses Acta martyrum sincera, Paris, 1689. C’est ce qu’on est convenu d’appeler la collection moyenne, parce qu’elle est de moindre étendue que la précédente et beaucoup plus longue que celle de la version syriaque dont il sera question cette loin. De cette collection moyenne il existe une version arménienne, publiée pour la première fois à Constantinople, en 1783, des fragments dans une version syriaque, publiés par Cureton, Corpus Ignatianum, Londres, 1849, p. 197 sq.

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et un fragment important dans une version copte, publié pour la première fois par Lightfoot, St. Ignatius, t. II, p. 859-864.

La découverte d’Usher était de nature à trancher le débat sur la question d’authenticité et d’intégrité des lettres de saint Ignace, car les objections soulevées contre la collection longue ne pouvaient plus tenir. Mais comme la collection moyenne contenait encore des passages non moins favorables à l’épiscopat, les protestants français et anglais continuèrent à rejeter en bloc toutes les lettres de saint Ignace, tant celle de la collection moyenne que celles de la collection longue. Tels Saumaise, Adparatus ad libros de primatu papæ, Leyde, 1645 ; Blondel, Apologia pro sententia Hieronymi de episcopis et presbyteris, Amsterdam, 1646 ; et surtout Daillé, De scriptis quæ sub Dyonisii Areopagitæ et Ignatii Antiocheni nominibus circumferuntur libri duo, Genève, 1666, dont l’œuvre touffue et confuse suscita la magistrale riposte de Pearson, évêque de anglican de Chester, Vindiciæ Ignatianæ, Cambridge, 1672. Dans son ensemble et comparée à l’attaque de Daillé, c’était de la part de Pearson, dit Lightfoot, St. Ignatius, t. I, p. 320, la réplique de la lumière aux ténèbres. Dès lors la discussion pouvait être considérée comme close. Elle continua pourtant encore, mais avec moins d’âpreté ; Cureton a dressé la liste de ceux qui y prirent part, dans l’appendice de ses Vindiciæ Ignatianæ, Londres, 1846. Un résultat, du moins, passait pour définitivement acquis, celui de la condamnation de toutes les lettres non signalées par Eusèbe.

4. La collection brève. Celle-ci, ainsi nommée par ce qu’elle ne contient que trois lettres beaucoup plus courtes que les lettres correspondantes de la collection moyenne, est uniquement représentée par une version syriaque dans deux manuscrits du désert de Nitrie, apportés à Londres et déposés au British Museum. Cureton la publia, non sans prétendre qu’elle était la seule authentique. Ancient syriac version of the epistles of St. Ignatius to St. Polycarp, the Ephesians and the Romans, Londres, 1845. Ce fut le point de départ d’une nouvelle controverse, où toute la question ignacienne fut de nouveau agitée. Car si Cureton avait raison, il fallait abandonner ce qu’on croyait acquis par la critique et les travaux d’Usher et de Pearson ; il fallait de plus ne retenir, comme authentiques, que trois lettres sur les sept signalées par Eusèbe, à savoir celles de la version syriaque, à l’exclusion des lettres correspondantes de la collection moyenne. Mais avait-il raison ? Wordsworth ne le crut pas. Dans l’English review, n. 8, juillet 1845, p. 348, il soutînt que la version syriaque n’était qu’un abrégé, dû à un eutychien, qui, au lieu de détruire la valeur du texte grec d’Ignace tenu jusqu’alors pour authentique, pourrait servir à le confirmer. Cureton releva le gant dans ses Vindiciæ Ignatianæ, Londres, 1846, puis, ayant trouvé un troisième manuscrit, également au British Museum, il publia son Corpus Ignatianum, Londres, 1849, qui contient la collection complète des épîtres de saint Ignace, authentique, interpolées et apocryphes, avec les nombreux passages cités par les écrivains ecclésiastiques, depuis le Xe siècle, en syriaque, en grec et en latin. Une traduction anglaise du texte syriaque et beaucoup de notes accompagnent le texte.

La mêlée devint aussitôt générale. Du côté de Cureton se rangèrent Bunsen, Die drei ächten und die drei unächten Briefe des Ignatius von Antiochien, Hambourg, 1847 ; Ignatius von Antiochien und seine Zeit, Hambourg, 1847 ; Ritschl, Entstehung der altkatholischen Kirche, 1850 ; Weiss, dans le Repertorium de Reuter, 1852, p. 169 ; Lipsius, Ueber die Aechtheit der syrischen Recension der ignatianischen

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Briefe, dans Zeitschrift für die historische Theologie, 1856, t. I, p. 3 sq. ; Ueber der Verhältniss des Textes der drei syrischen Briefe des Ignatios zu den übrigen Recensionen für die Kunde der Morgenlandes, 1859, t. I, p. 1 sq. ; Pressensé, Les trois premiers siècles, Paris, 1858 ; Ewald, Geschichte des Volkes Israel, Gœttingue, 1859, t. VII, p. 281 sq. ; Milman, History of christianity, 1863, t. II, p. 102 ; Böhringer, Kirchengeschichte in Biographien, 1864, t. I, p. 16 sq.

Mais les opposants ne manquèrent pas, tant du côté protestant que du côté catholique. Dès 1847, dans la troisième édition de ses Patres apostolici, Hefele soutint que la version syriaque n’était qu’un abrégé fait par un moine syrien pour son usage personnel, comme l’indique le caractère même des manuscrits, qui ne renferment que des extraits. D’autres critiques s’inscrivent en faux contre l’opinion de Cureton ; Denzinger, par exemple, Ueber die Aechtheit des bisherigen Textes der ignatianischen Briefe, Wurzbourg, 1849 ; et Uhlhorn, Zeitschrift für die historische Theologie, 1851.Baur, pour sauvegarder les théories de l’école de Tubingue sur le canon des Ecritures et l’histoire de la primitive Eglise, rejeta la recension nouvelle. Die ignatianischen der Briefe und ihre neuester Kritiker, ein Streitschrift gegen Hernn Bunsen, Tubingue, 1848 ; de même Hilgenfeld, Die apostolischen Väter, 1853, p. 274-279. En outre Petermann, S. Ignatii epistolæ, Leipzig, 1849, par la publication de la version arménienne, et Marx, Maletemata Ignatiana, Hale, 1861n contribuèrent à prouver la priorité de la recension moyenne. Zahn surtout, Ignatius von Antiochien, Gotha, 1873, ruine l’opinion de Cureton et porta le dernier coup à l’authenticité de la version syriaque. Et Lightfoot, dans un examen détaillé de cette version, au double point de vue de l’évidence interne et externe, a définitivement clos le débat. St. Ignatius, t. I, p. 273-314. Personne, dit Funk, op. cit., t. I, p. LXII, ne défend plus l’Ignace syriaque.

3° La question d’authenticité et d’intégrité. 1. Les lettres apocryphes. Sur les treize lettres publiées sous le nom de saint Ignace, six sont suspectes du fait seul qu’elles n’ont pas été signalées par Eusèbe. Lightfoot, St. Ignatius, t. I, P. 234-235, a fait ressortir leur caractère apocryphe. Ce sont : une lettre de Marie de Cassoboles à Ignace, la réponse d’Ignace à Marie, et quatre autres lettres d’Ignace aux Antiochiens, à Héron, diacre d’Antioche, aux Tarsiens et aux Philippiens. Au point de vue de la critique interne, elles offrent avec les sept lettres d’Ignace de la collection longue une telle ressemblance qu’on est en droit de conclure qu’elles sont d’une seule et même main : le faussaire qui a fabriqué ces six lettres additionnelles a également interpolé les sept autres. On trouve, en effet, dans les unes et dans les autres, le même emploi des textes scripturaires et des exemples tirés de la Bible, le même ensemble doctrinal et les mêmes termes théologiques, les mêmes emprunts littéraires, le même style. Les lettres, censées écrites de Philippes aux fidèles de Tarse et d’Antioche, s’attachent bien à démontrer la divinité de Jésus-Christ et la réalité de son incarnation, mais le faussaire se trahit quand il parle des fonctions de sous-diacre, de lecteur, de chantre, de portier, d’exorciste, dont l’apparition parmi les membres du clergé inférieur est de date postérieure à l’époque de saint Ignace. Celle qui est censée écrite d’Italie aux Philippiens reporte à une date encore plus éloignée de saint Ignace, car c’est une thèse pour prouver qu’il n’y a pas trois Pères, trois Fils, trois Saints-Esprits, et que ces trois personnes ne se sont pas incarnées. D’autre part, le faussaire, pour ne pas éveiller de soupçon, les a glissés, deux par deux,

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dans les sept de la collection longue, mettant en tête la lettre de Marie à Ignace et la réponse d’Ignace à Marie. Viennent ensuite : les lettres aux Tralliens, aux Magnésiens, aux Tarsiens, aux Philippiens, aux Philadelphiens, aux Smyrniens, à Polycarpe, aux Antiochiens, à Héron, aux Ephésiens, aux Romains. Sans doute, ces six lettres se trouvent aussi dans la collection moyenne, mais disposées d’une manière différente et singulièrement significative ; elles n’y forment qu’un seul groupe, ajoutées comme un appendice avant les Actes où se lit la lettre aux Romains. Même groupement et même rejet en appendice dans la version arménienne, avec cette différence qu’ici, les Actes ne paraissant pas, la lettre aux Romains reprend sa place avant le groupe des six lettres additionnelles. Cette disposition est révélatrice. Le possesseur des lettres de saint Ignace de la collection moyenne, trouvant une liste plus longue que la sienne, a voulu enrichir son recueil. Sans comparer le texte de ces lettres avec celui des lettres correspondantes de la collection longue, ce qui lui aurait permis de découvrir la différence et d’en constater l’interpolation, il s’est contenté de copier les six qu’il n’avait pas, mais en les mettant tous ensemble à la suite, sauf à rejeter à la fin les Actes qui contenaient l’épître aux Romains. L’auteur de la version arménienne a fait de même, sans avoir à séparer la lettre aux Romains du groupe de celles de saint Ignace, parce que sa collection ne possédait pas les Actes. Ces six lettres additionnelles sont donc apocryphes ; la faussaire qui les a composés est en même temps l’interpolateur des sept autres.

2. Les lettres interpolées. Ce sont les sept lettres de saint Ignace de la collection longue. Cette collection n’a été citée au plus tôt qu’à la fin du VIe siècle par Anastase d’Antioche et Etienne Gobar. Voir les textes dans Lightfoot, St. Ignatius, t. I, p. 195-196. Mais avant de supplanter la collection moyenne, dont se servaient les écrivains monophysites, un assez long intervalle de temps a dû s’écouler. D’autre part, la version arménienne, qui est du Ve siècle, d’après Somal, Quadro delle opere di vari autore anticamente tradoite in Armeno, Venise, 1855, et Petermann, S. Ignatii epistolæ, Leipzig, 1849, contenait déjà les six lettres additionnelles de la recension longue. Cette recension existait existait donc antérieurement, au plus tard à la fin du IVe siècle. Son examen interne donne des indications suffisantes pour ne pas remonter plus haut que la seconde moitié du IVe siècle ; telles sont celles qui concernent la hiérarchie, les jeûnes, les noms de lieux et de personnes, les emprunts littéraires et la doctrine. A propos de la hiérarchie, par exemple, il est question des sous-diacres, des lecteurs, des chantres, des portiers, des ????????, fossoyeurs, des exorcistes et des confesseurs, fonctions du clerg? inférieur qui n’étaient pas toutes nouvelles vers 360, mais qui constituent un anachronisme pour l’époque de saint Ignace. A propos du jeûne, il y est question de celui du carême, et l’on y combat ceux qui célébraient la Pâque en même temps que les juifs ; or la question des quartodécimans n’a été soulevée qu’à la fin du IIe siècle, longtemps après saint Ignace. L’auteur de l’interpolation est au courant de la littérature ecclésiastique du IVe siècle. Ainsi l’endroit où il fait d’Ebion, un hérétique, Ad. Philad., VI, 3, dans Funk, op. cit., t. II, p. 134, est un emprunt à Eusèbe, H. E., III, 27, P. G., t. XX, col. 273 ; le passage relatif au Logos, Ad Magn., VIII, 2, dans Funk, op. cit., t. II, p. 86, rappelle Eusèbe, Eccl. theol., II, 8, 9, P. G., t. XXIV, col. 913-920 ; cf. Ad Magn., VI, et Cont. Marc., II, 1-4, d’Eusèbe ; la remarque sur la descente du Christ aux enfers, d’où il ramena une multitude, est un emprunt à la Doctrina Addæi, conforme à la citation

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d’Eusèbe, H. E., I, 13, P. G., t. XX, col. 128 ; l’expression ?? ?????????? ???? ????????????, Ad. Trall., VI, 2, dans Funk, op. cit., t. II, p. 64, est de saint Basile, Epist., CCXL, P. G., t. XXXII, col. 897. L’auteur connaît semblablement les controverses théologiques de la même époque, l’arianisme, le semi-arianisme, l’apollinarisme, sans la moindre allusion aux erreurs de Nestorius et d’Eutychès ; mais il n’est pas aisé de découvrir, au point de vue doctrinal, sa propre pensée. Parfois il corrige certaines expressions du vrai Ignace dans un sens nettement orthodoxe ; c’est ainsi, par exemple, qu’à la place de Sang de Dieu, Ad Ephes., I, 1, dans Funk, op. cit., t. I, p. 214, il met sang du Christ, Ad Ephes., I, 1, Funk, t. II, p. 182 ; et là où Ignace avait écrit : " Notre Dieu Jésus-Christ a été porté dans le sein de Marie ", Ad Ephes., XVIII, 2, Funk, t. I, p. 226, il met : " Le Fils de Dieu qui est né avant tous les siècles. " Ad Ephes., XVIII, 2, dans Funk, op. cit., t. II, p. 202. Parfois aussi il semble pencher en faveur tantôt de l’arianisme, tantôt de l’apollinarisme. Leclerc, Patres apost., Amsterdam, 1724, t. II, p. 506 sq., et Grabe, Spicilegium, Oxford, 1698-1692, t. II, p. 225, ont vu en lui un arien ; de même Zahn, qui a proposé de l’identifier avec Acace de Césarée. Ignatius von Antiochien, Gotha, 1873, p. 132 sq. Pour Funk, Theol. Quartalschrift, t. LXII, p. 355 sq., ce fut plutôt un apollinariste. Mais quelle qu’ait été son erreur doctrinale, il n’en est pas moins l’auteur des six lettres additionnelles et l’interpolateur des sept autres.

3. Les lettres authentiques. Après une controverse qui a duré plus de deux siècles, c’est l’opinion d’Usher, de Voss, de Pearson et de tant d’autres qui doit prévaloir. Pour tout esprit impartial, l’authenticité des sept lettres de la collection moyenne ne saurait être mise en doute. Outre qu’elle a pour elle des témoignages qui remontent au IIe siècle, ceux de saint Polycarpe, de saint Irénée, puis, plus tard, ceux d’Origène, d’Eusèbe et de Théodoret, elle échappe à tous les arguments tirés de l’examen interne qu’on a fait valoir contre elle. Ces arguments sont nombreux, mais aucun ne tient. Il suffira de rappeler les principaux.

a) Ceux qui sont relatifs à la condamnation et à la mort de saint Ignace. Il n’est pas vraisemblable, dit-on, que Trajan, l’auteur du rescrit à Pline, ait condamné lui-même l’évêque d’Antioche à être livré aux bêtes dans l’amphithéâtre romain. De telles condamnations n’eurent lieu que sous Marc-Aurèle, et on n’envoya jamais les condamnés à Rome. Mais les lettres ne font allusion ni à un jugement ou à une condamnation par Trajan, ni à une persécution générale ; elles laissent plutôt entendre que la sentence a été portée par le légat de Syrie et montrent que la paix régnait en Asie, ailleurs qu’à Antioche, puisque, pendant son voyage, Ignace a pu conférer librement avec les communautés chrétiennes et leurs chefs. Et s’il est vrai que, sous Marc-Aurèle, les chrétiens de Lyon ne furent pas envoyés à Rome pour y subir le martyre, on a des exemples qu’au IIe siècle Rome reçut, des provinces, quelques condamnés aux bêtes, comme en témoigne le Digeste, XLVIII, XIX. Cette loi défend seulement un abus, elle interdit d’envoyer à Rome des condamnés aux bêtes, à moins qu’ils n’en fussent dignes, auquel cas il fallait recourir à l’empereur : sed si ejus roboris vel artificii sint ut digne populo romano exhiberi possint, principem consulere debet.

b) Invraisemblance de ce qui est dit dans l’itinéraire. Ce transfert d’un prisonnier condamné aux bêtes ressemble plutôt, dit-on encore, à une arche triomphale et suppose en tout cas une bien grande liberté. Mais on oublie que sait Paul, quelques

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années plus tôt, a pu librement prêcher, et que très souvent des chrétiens ont pu, à prix d’argent, s’entretenir avec des martyrs et recevoir de ceux-ci quelques billets. On oublie également le De morte Peregrini de Lucien. Ce satirique, qui vécut au IIe siècle, a tenu pour digne de foi ce qu’on racontait du martyre d’Ignace, ou, s’il n’a pas connu les lettres de l’évêque d’Antioche, il a fait un tableau de la vie et de la mort de son héros, qui rappelle singulièrement les divers traits du voyage et de la mort d’Ignace. Voir les rapprochements nombreux, et, semblent-ils décisifs, relevés par Funk, Opera Patr. apost., Tubingue, 1881, t. I, p. L-LI, et par Lightfoot, St. Ignatius, t. I, p. 137-141.

c) Certaines lettres ne s’expliquent pas. Pourquoi écrire à telle Eglise plutôt qu’à telle autre ? Pourquoi, notamment, à celle d’Ephèse, de Magnésie et de Tralles, dont il a reçu les légats, et auxquels il pouvait si facilement confier de vive voix ce qu’il voulait faire entendre à leurs communautés ? Mais autre chose est d’écrire directement à une Eglise, autre chose de lui faire parler par des tiers. En remerciant les fidèles d’Ephèse, de Magnésie et de Tralles de la consolation qu’ils lui avaient procurée de l’envoi de leurs représentants, Ignace profita de l’occasion pour les mettre en garde contre les hérétiques qui faisaient alors de la propagande en Asie. Quant aux Smyrniens et aux Philadelphiens, qu’il a vus à son passage, il a un motif de plus de leur écrire, celui de les prier d’envoyer à Antioche un délégué pour lui faire part de la joie qu’il a éprouvée à recevoir le diacre Agathopus et à apprendre l’heureux retour de la paix. Les lettres à Polycarpe et aux Romains se justifient sans peine par elles-mêmes. Tandis que Renan, Les Evangiles et la première génération chrétienne, Paris, 1877, p. X-XXXV, ne reconnaissait comme authentique que la seule lettre d’Ignace aux Romains, D. Völter, Die Lösung des Ignatianischen Frage, dans Theologisch Tijdschrift, 1886, p. 114-136 ; Ignatius-Peregrinus, ibid., 1887, p. 272-280 ; Die Ignatianischen Briefe auf ihren Ursprung untersucht, Tubingue, 1892, soutint que cette lettre était un faux de la fin du IIIe siècle et que les six autres épîtres ignaciennes étaient l’œuvre de Peregrinus, le Protée de Lucien de Samosate ; ce ne fut que plus tard, 160-170, quand leur auteur fut eut passé à la secte des cyniques, qu’elles furent attribuées à saint Ignace. Edouard Bruston admet l’authenticité des six lettres aux Eglises d’Asie Mineure, mais prétendit que celle qui était adressée aux Romains avait été fabriquée par un anonyme à la fin du IIe siècle. Ignace d’Antioche, ses épîtres, sa vie, sa théologie, Montauban, 1893. A. Stall, Ignatianische Untersuchungen, I. Die Authentie der Sieben Ignatiusbriefe, Greisswald, 1899, démontra que cette épître ne différait pas tellement des autres qu’elle dût être attribuée à un autre auteur et qu’elle avait réellement été écrite par saint Ignace. Otto Pfleiderer, Urchristentum, seine Schriften und Lehren, Berlin, 1887, était l’adversaire de l’authenticité des lettres ignaciennes ; mais il changea complètement d’avis dans la 2e édition de cet ouvrage, 1902, t. II, p. 226-256.

d) Certains traits ne seraient pas dignes d’un Père apostolique. Tels passages témoigneraient, dit-on de quelque orgueil, d’autres d’une humilité affectée, d’autres encore d’une ardeur exagérée pour le martyre. Fussent-ils vrais, ces reproches ne prouveraient rien contre l’authenticité des lettres. Or, ils ne sont pas fondés.

Sans doute Ignace avoue qu’il pourrait écrire des choses célestes, mais il s’en abstient dans la crainte que cela ne dépassât la portée d’esprit de ses correspondants. Si c’est là de l’orgueil, la phrase qui suit immédiatement est pour avouer qu’il a beau porter

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des chaînes, être à même de comprendre ce qui regarde les anges, les choses visibles et invisibles, il n’en est pas pour autant un disciple. Ad. Trall., V. Car, pour lui, l’idéal du disciple, c’est l’imitation de son Maître jusqu’à la mort et par une mort semblable à la sienne ; disciple complet et parfait, il le sera quand sa vie sera couronnée par le martyre. Ad Rom., IV, 2 ; Ad Polyc., VII, 1. En attendant, il ne l’est pas encore. Ad. Ephes., I, 2 ; Ad Rom., V, 3.Il ne se prend pas pour un personnage capable d’enseigner les autres. Ad Ephes., III, 1. Il se garde bien de se mettre au même niveau que les apôtres. Ad Trall., III, 3 ; Ad Rom., IV, 3. Il se dit le plus petit de ses correspondants, Ad. Magn., XI ; le plus infime et le dernier de ses frères de Syrie, Ad Ephes., XXI, 2 ; Ad Trall., XIII, 1 ; Ad Rom., IX, 2 ; indigne de compter parmi les chrétiens d’Antioche. Ad Magn., XIV ; Ad Trall., XIII, 1. Et comme saint Paul, il se déclare un avorton. Ad Rom., IX, 2. Autant de formules, d’une sincérité réelle, où il est difficile de voir une affectation d’humilité.

Saint Ignace, il est vrai, a désiré le martyre, mais sans en faire naître la cause, sans en provoquer la sentence. Une fois condamné, il s’est réjoui de l’honneur qui allait lui échoir, et, loin de se soustraire à la mort, il n’a eu qu’une crainte, celle de quelque intervention indiscrète qui pourrait l’empêcher d’en bénéficier. Qu’on traite cela de fanatisme ou d’excès de zèle, on ne doit pas s’étonner quand on se rappelle combien d’autres, à l’époque des persécutions, s’offrirent volontairement au martyre. Ignace était condamné, en route, pour le lieu de son supplice, il lui tardait d’en finir. Les circonstances expliquent son langage. Il fait allusion à ses chaînes, Ad Magn., I ; Ad Philad., V ; il parle de son prochain martyre, Ad Ephes., I, III ; Ad Smyrn., IV, X, XI, mais d’une façon incidente. Ce n’est pas que dans l’épître aux Romains qu’il laisse éclater l’ardeur de ses sentiments, non sans manifester la peur que la crainte des tourments ne lui enlève la palme du martyre. Ad Rom., VII, 1. Et ce serait une erreur de croire qu’il attribue moins de force à la volonté qui fait accepter le martyre qu’au martyre lui-même. Il ignore s’il est digne de souffrir, Ad Trall., IV, mais il demande des prières pour en être digne et conquérir ainsi Dieu, regardant comme une grâce et un don de la miséricorde divine la réalisation de ses désirs. Ad Rom., I, 2 ; IX, 2. Cf. Zahn, Ignatius von Antiochien, p. 400-424 ; Funk, Opera Patr. apost., t. I, p. LXIX, Lightfoot, St. Ignatius, t. I, p. 391-394.

e) Prétendu anachronisme au sujet des hérésies combattues par les lettres. L’une des raisons alléguées pour prouver que les lettres de la recension moyenne ne sont pas authentiques, c’est que l’hérésie qu’elles combattent accuse un âge postérieur, puisqu’il y est fait allusion au gnosticisme de Valentin. Cette raison est sans valeur : l’hérésie attaquée n’est pas celle des gnostiques du second tiers ou de la fin du IIe siècle, mais celle de la fin de l’âge apostolique, telles que l’ont combattue saint Paul et saint Jean ; il n’y a donc pas d’anachronisme.

En effet, sans nommer personne, saint Ignace, par les allusions qu’il fait, les expressions dont il se sert, les quelques caractéristiques qu’il donne, désigne une erreur mâtinée de judaïsme et de gnosticisme, à la fois judaïsant et docète. D’une part, il vise des judaïsants. Il avertit, par exemple, les Magnésiens, de ne pas se laisser séduire par des fables antiques, qui ne servent à rien ; de ne pas judaïser, car vivre à la manière juive serait avouer qu’on n’a pas reçu la grâce. Les prophètes ont vécu selon le Christ, et des juifs ont délaissé le sabbat pour célébrer désormais le jour du Seigneur le dimanche. Il faut vivre selon le christianisme et rejeter le vieux et mauvais levain pour le levain nou-

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veau, qui est le Christ, car il est absurde de confesser le Christ et de judaïser. Ad Magn., VIII-X. Il met en garde les Philadelphiens contre ceux qui proposent le judaïsme. Mieux vaut, leur écrit-il, entendre le christianisme de la part d’un incirconcis que le judaïsme de la part d’un incirconcis. Ad Philad., VI, 1. Il leur rappelle le conflit qu’il eut chez eux avec ceux qui refusent d’accepter dans l’Evangile ce qu’ils ne trouvent pas dans l’Ancien Testament ; il proclame la supériorité du Grand-Prêtre de la loi nouvelle sur les prêtres de l’ancienne loi ; c’est à ce Pontife suprême qu’a été confié le Saint des saints, qu’ont été livrés les secrets de Dieu ; il est la porte du Père par laquelle entrent Abraham, Isaac, Jacob, les prophètes, les apôtres, l’Eglise. L’Evangile est la perfection de la vie éternelle. Ad Philad., IX.

D’autre part, saint Ignace s’en prend au docétisme, qui subsistait un fantôme à l’humanité du Christ, ne voyant dans son origine et sa naissance humaines, dans son baptême, sa passion, sa mort, sa résurrection, que de pures apparences. C’est pourquoi il ne cesse d’affirmer la réalité de tous ces évènements, répétant que le Christ est vraiment né, vraiment mort, vraiment ressuscité. Ad Trall., XI ; Ad Smyrn., I-III. Il insiste sur le fait qu’après sa résurrection, le Christ a invité ses disciples à le toucher, à le palper, pour bien se convaincre qu’il n’était pas un fantôme. Ad Smyrn., III. Ces docètes niaient donc la chair et le sang du Christ, ses souffrances, et regardaient sa croix comme une pierre d’achoppement. Ad Ephes., XVIII ; Ad Magn., IX ; Ad Philad., III ; Ad Smyrn., I, V, VI. Les vrais croyants, au contraire, sont ceux qui confessent la réalité de l’humanité du Christ, qui cherchent un refuge dans sa chair, qui se réjouissent de sa passion, qui s’appuient sur sa croix. Ad Magn., XI ; Ad Trall., II, VIII ; Ad Smyrn., I. Les êtres spirituels eux-mêmes, tels que les anges, ne peuvent être sauvés, à moins de croire au sang du Christ. Ad Smyrn., VI. Si le Christ n’est qu’une apparence, vide de réalité, tout n’est alors qu’une apparence, et la souffrance des martyrs, et les hérétiques eux-mêmes. Ad Trall., X, Ad Smyrn., II, IV.

De prime abord, on portrait croire qu’il s’agit là de deux hérésies distinctes ; mais la manière dont saint Ignace parle, sans distinction, du judaïsme et du docétisme, comme d’une plantation qui n’est pas celle du Père, Ad Trall., XI, 1 ; Ad Philad., III, 1 ; comme d’une plante étrangère et d’une mauvaise herbe, Ad Trall., VI ; Ad Philad., III, 1 ; comme d’une doctrine hétérodoxe, Ad Magn., VIII ; Ad Smyrn., VI, laisse entendre qu’il n’a vue qu’une seule et même erreur. C’est déjà une présomption qui devient une réalité quand on examine de plus près son langage.

Après avoir attaqué les judaïsants, dans sa lettre aux Magnésiens, saint Ignace ajoute qu’il a écrit ces choses, non qu’il sache que quelques-uns d’entre eux sont animés d’un tel esprit, mais parce qu’il désire les voir précautionnés contre l’hameçon d’une vaine doctrine et qu’ils soient pleinement certains de la naissance, de la passion et de la résurrection de Jésus-Christ. Ad Magn., XI. C’est donc que ces faux docteurs du judaïsme professaient en même temps le docétisme. Pareillement, dans sa lettre aux Philadelphiens, il met ses lecteurs en garde contre ceux qui professent le judaïsme, il leur rappelle la discussion qu’il eut chez eux avec ces faux docteurs qui en appelaient au témoignage de l’Ecriture : Mes archives à moi sont Jésus-Christ, sa croix, sa mort, sa résurrection. . . Ce qui fait la prééminence de l’Evangile, c’est l’avènement de notre Sauveur, sa passion et sa résurrection. " Nouvelle preuve que ces faux docteurs étaient des judéo-gnostiques ou des docètes judaïsants. Sur le docétisme combattu par saint

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Ignace, voir t. IV, col. 1488-1490. Cf. Uhlhorn, Zeitschrift für hist. Theologie, 1851, p. 283 sq. ; Lipsius, Ueber die Aechtheit der syrischen Recension, dans Zeitschrift für hist. Theologie, 1856, p. 31 sq. ; Zahn, Ignatius von Antiochien, p. 356s sq. ; Lightfoot, St. Ignatius, t. I, p. 359 sq.

L’anachronisme qu’on a voulu voir dans une allusion d’un passage de l’épître aux Magnésiens, Ad Magn., VIII, 2, au gnosticisme de Valentin n’existe pas, pour la bonne raison, comme on le verra plus bas, que cette allusion elle-même inexistante. Les lettres de la collection moyenne ne portent pas la moindre trace d’une allusion quelconque aux controverses gnostiques, à la discussion de la Pâque et à l’agitation montaniste, qui ont eu lieu dans le courant du IIe siècle ; elles sont bien du temps et de la main de saint Ignace ; leur authenticité ne saurait plus être mise en doute.

f) Ces lettres, étant un plaidoyer en faveur de l’épiscopat, sont postérieures à saint Ignace. Cette objection ne tient pas plus que les précédentes. saint Ignace, en effet, ne plaide pas en faveur de l’épiscopat contre toute autre forme de gouvernement ecclésiastique ; il ne laisse pas soupçonner qu’il y ait le moindre conflit entre puissances rivales ; il constate ce qui est. Lui-même se dit évêque de Syrie, Ad Rom., II ; et, quand il parle d’Antioche, privée de sa présence, il écrit qu’elle n’a d’autre pasteur que Dieu, d’autre évêque que Jésus-Christ. Ad Rom., IX. Il nomme les évêques d’Ephèse, de Magnésie et de Tralles ; il fait allusion à l’évêque de Philadelphie ; il parle souvent de Polycarpe, évêque de Smyrne, et il lui écrit ; il laisse entendre qu’en dehors de la Syrie et de l’Asie, l’épiscopat fonctionne, quand il affirme que " les évêques établis à travers la terre sont dans les conseils de Jésus-Christ. " Ad Ephes., III, 2. Bref, à ses yeux, l’épiscopat n’est pas une fonction nouvelle, mais une instituions établie et reconnue, dont il a soin de signaler la double caractéristique. C’est un épiscopat unitaire : " Ayez soin de n’avoir qu’une seule eucharistie ; une seule chair de Notre Seigneur Jésus-Christ et un seul calice de son sang pour l’union, un seul autel, comme il n’y a qu’un seul évêque avec le presbytérat et les diacres. " Ad Philad., IV. C’est un épiscopat monarchique : " Tous attachez-vous à l’évêque, comme Jésus-Christ au Père, et au presbytérat comme aux apôtres. Obéissez aux diacres comme à l’ordre de Dieu. que personne, sans l’évêque, n’exerce aucune fonction ecclésiastique. Légitime est l’eucharistie célébrée par l’évêque ou par celui que l’évêque autorise. Que partout où paraît l’évêque, là soit la foule (des fidèles), comme partout où est le Christ, Jésus, là, est l’Eglise catholique. Il n’est pas permis, sans l’évêque, ni de baptiser ni de faire l’agape. Mais tout ce que l’évêque approuve est agréé de Dieu. " Ad Smyrn., VIII. Ce sont des faits : l’évêque est unique, l’évêque possède tous les pouvoirs, l’évêque peut se faire remplacer ; mais, sans lui, sans son autorisation, rien ne peut se faire de ce qui concerne l’église. Il est entouré d’un clergé, d’un collège de prêtres et de diacres ; les membres du presbytérat lui sont unis comme les cordes à la lyre. Ad Ephes., IV. Ce qui le rend digne d’honneur et d’obéissance, c’est qu’il est l’envoyé, le représentant de Dieu, Ad Ephes., VI, le remplaçant, l’administrateur, le familier, le ministre de Dieu. Ad Polyc., VI. Ainsi entouré de son presbytérat et de ses diacres, l’évêque est le centre de l’ordre, la garantie et la sauvegarde de l’unité dans l’Eglise. C’est pourquoi, en face des hérésies qui s’agitent et des schismes qui menacent, saint Ignace recommande si fortement l’union écrite avec l’évêque, l’obéissance absolue à l’évêque. " Quiconque est de Dieu et de Jésus-Christ est avec l’évêque. " Ad Philad., III, 2. " Ceux qui sont soumis à l’évêque,

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comme à Jésus-Christ, vivent selon Jésus-Christ. " Ad Trall., II, 1. Ceux-là font vraiment partie de l’Eglise, tandis que celui qui agit sans l’évêque n’a pas la conscience pure. Ad Trall., VII. Se cacher de l’évêque, c’est se mettre au service du diable. Ad Smyrn., IX. Saint Ignace, on le voit, ne se préoccupe guère de promouvoir l’épiscopat, qui serait en voie de formation, et d’étendre ses attributions, mais il signale dans cette institution en exercice le moyen efficace de couper court à toutes les tentatives de l’hérésie et du schisme. Il tient ainsi le langage qui convient au début du IIe siècle. Voir EVEQUES. ORIGINE DE L’EPISCOPAT, t. V, col. 1656-1701.

III. DOCTRINES. " Les lettres de saint Ignace. " les dernières leçons, les derniers conseils de l’évêque forment, dit Bardenhewer, Les Pères de l’Eglise, trad. franç., Paris, 1898, t. I, p. 104, un des monuments les plus considérables de la littérature chrétienne primitive. On y sent déborder à flots l’amour de Jésus-Christ et de son Eglise, et au feu de cet amour le zèle pastoral s’embraser ; en bien des pages on dirait un écho de certaines Epîtres de l’apôtre des nations. Le style y est partout d’une étrange vivacité, style extraordinaire, inimitable ; la phrase y est surchargée de pensées, pleine de sous-entendus, incorrecte, souvent obscure ; l’élan du génie et la puissance des sentiments, que gênent les règles ordinaires du discours, en font éclater le moule trop étroit. Du point de vue de l’histoire des dogmes, les lettres du martyr d’Antioche, écrites en quelque sorte au seuil du christianisme, offrent une singulière importance : dès la première heure, elles proclament entre autres, sans conteste, la constitution de l’Eglise catholique, la primauté de l’Eglise romaine et la prééminence de l’évêque dans chaque Eglise particulière. " Là ne se borne pas leur intérêt ; outre la contribution qu’elles apportent à l’histoire de l’hérésie et des origines de l’épiscopat, elles renferment quelques traits relatifs à l’Ecriture, au dogme, à la morale, d’autant plus précieux à relever qu’ils viennent incidemment sous la plume de saint Ignace et qu’ils impliquent d’importantes données passées sous silence.

1° Sur l’Ecriture sainte. Pour désigner l’Ecriture et les livres inspirés qui la composent, Ignace n’a à son service qu’une terminologie encore imprécise. Il n’emploie ni le terme ??????, ni celui de ?????? ou de ????? ???????. Mais ces livres, dont il ne dit le titre, ni le nombre, constituent, ? ses yeux, des archives, ??????, Ad Philad., VIII, 2, où l’on peut puiser des arguments d’autorité qui s’imposent dans l’enseignement chrétien. C’est à eux qu’il en appelle pour fermer la bouche à ses contradicteurs de Philadelphie : ???????? ??? ?????? ??? ?????????. C’est ? eux qu’il emprunte par deux fois un texte avec la formule qui marque une citation scripturaire : ?????????. Ad Ephes., V ; Ad Magn., XII.

Il ne dit pas " la Loi et l’Evangile " ou " les prophètes et l’apôtre ", mais il fait allusion d’une manière équivalente à la collection des livres qui composent l’Ancien et le Nouveau Testament, quand il parle des prophètes et de l’Evangile : ?????? ????????. . . ????????? ??? ????????? ????????? ?? ?? ?????????. Ad Smyrn., VII, 2. Il semble distinguer deux parties dans l’Ancien Testament : les prophéties et la Loi. " Ni les prophéties, ni la Loi de Moïse, ni même l’Evangile n’ont pu convaincre " les faux docteurs. Ad Smyrn., V, 1. Distingue-t-il aussi deux parties dans le Nouveau, les Epîtres et les Evangiles, quand il joint les apôtres à l’Evangile ? C’est ce qui ne paraît pas nettement établi. il écrit sans doute : " Me réfugiant dans l’Evangile, comme dans la chair de Jésus, et dans les apôtres comme dans le presbytérium de l’Eglise, " ????????? ?? ????????? ?? ????? ?????, ??? ???? ?????????? ?? ????-

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????????????????. Ad Philad., V, 1. Et l’on croit bien saisir sa pensée, quand il ajoute immédiatement après qu’il faut " aimer les prophètes parce que, eux aussi, ont annoncé l’Evangile, ont espéré dans le Christ, l’ont attendu et ont été sauvés par leur foi en lui. " Ad Philad., V, 2. Or, au moment où il s’exprime ainsi, les apôtres sont morts et ils n’en constituent pas moins, selon son expression, le presbytérium de l’Eglise. Comment donc remplissent-ils les fonctions du presbytérium relatives à l’enseignement, à la détection morale et à la discipline, s’ils n’ont point laissé par écrit des livres contenant leur prédication, leur doctrine, leurs préceptes ? Quels sont ces livres ? A tout du moins, les Evangiles ; ceci n’exclut pas les Epîtres et autres livres du Nouveau-Testament, mais la manière de s’exprimer de saint Ignace est trop indécise pour permettre d’affirmer qu’il a voulu désigner les Epîtres en même temps que les Evangiles. Quoi qu’il en soit, ses lettres portent des traces indéniables de la connaissance qu’il avait de presque tous les livres qui composent le Nouveau Testament. Lightfoot, St. Ignatius, t. II, p. 1167-1109, en signale plus d’une centaine, dont dix-sept accusent une ressemblance si étroite avec le texte sacré que l’on peut les considérer comme comme des citations textuelles ; quant aux autres, beaucoup plus libres, elles sont, dans certaines de leurs expressions ou dans leur sens, un écho ou une réminiscence soit des Evangiles, soit des Epîtres.

2° Sur le dogme. 1. La Trinité. Par trois fois, saint Ignace nomme les trois personnes de la Trinité : une fois dans l’ordre même de la formule baptismale, quand il écrit aux Ephésiens : " Vous êtes des pierres du temple du Père, préparées pour l’édifice de Dieu le Père, élevées en l’air par le levier de Jésus-Christ, qui est la croix, et mues par le Saint-Esprit. " Ad Ephes., IX, 1. Pierres et temple sont les deux métaphores suggérées par Eph., II, 20-22 et I Pierre, II, 5. Dans deux autres passages il place le Fils avant le Père et le Saint-Esprit, comme l’avait déjà fait saint Paul. II Cor., XIII, 13. " Efforcez-vous, écrit-il aux Magnésiens, de vous raffermir dans la doctrine du Seigneur et des apôtres, afin que tout ce que vous ferez vous réussisse ?? ??? ??? ????? ??? ?? ????????. ” Ad Magn., XIII, 1. Et il ajoute aussitôt : " Soyez soumis à l’évêque comme les apôtres au Christ, au Père et à l’Esprit. " Ibid., XIII, 2. " Cette manière de s’exprimer, remarque Ceillier, Hist. génér. des auteurs sacrés et ecclés., Paris, 1858-1857, t. I, p. 386, peut encore servir à montrer l’antiquité et l’authenticité de ses lettres ; car si elles eussent été composées après que l’on eut réglé la doxologie, l’auteur n’aurait pas renversé l’ordre. "

2. La christologie. a) Divinité de Jésus-Christ. ? ???? ???? ?????? ???????. C’est en ces termes qu’? plusieurs reprises saint Ignace désigne Jésus-Christ. Ad Ephes., XVIII, 2 ; Ad Rom., titre, III, 3 ; VI, 3 ; Ad Polyc., VIII, 3. Il le déclare au-dessus et en dehors du temps, ?????????? ???????, autrement dit éternel, Ad Polyc., III, 2 ; étant dans le Père, ?? ????? ??, Ad Rom., III, 3 ; étant auprès du Père avant les siècles, ?? ??? ?????? ???? ???????, Ad Magn., VI, 1 ; image du Père, ????? ??? ??????, Ad Trall., III, 1 ; Fils et Verbe du Dieu unique, qui s’est manifesté par lui ; ??? ???? ?????, ? ??????? ?????? ??? ????? ???????, ??? ???? ?????, ?? ????? ????? ?????, Ad Magn., VIII, 2 ; toujours uni à son Père et ne faisant rien sans lui ; ???? ??? ?????? ????? ????????, ???????? ??. Ad Magn., VII, 1. Ce dernier trait rappelle le texte de saint Jean. Jean, VIII, 28.

b) Incarnation et rédemption. Celui qui était avant les siècles auprès du Père a paru à la fin, Ad Magn., VI, 1 ; ??? (J?sus-Christ) ??’ ???? ?????? ??????????, ??? ??? ??? ????, ??? ?????????. Ad Magn., VII, 2. Ce texte, qui est à rapprocher de Jean, I, 1 ; XIII, 3 ;

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XVI, 28, marque d’abord, non point la génération éternelle du Fils, mais sa mission sur la terre ou son incarnation, puis son éternelle et absolue union avec le Père, et enfin son retour dans le ciel par son ascension. Pour venir accomplir sa mission, le Fils de Dieu s’est incarné dans le sein de Marie, pour naître de la race de David, par l’opération du Saint-Esprit : ?????? ? ??????? ?????????? ??? ?????? ???’ ?????????? ???? ?? ????????? ??? ?????, ????????? ?? ?????. Ad Ephes., XVIII, 2. Il appartient dès lors à la famille de David selon la chair et est à la fois fils de l’homme et fils de Dieu : ?????????? ?? ??? ??????, ??? ?? ????? ?????? ?? ???? ????? ?? ?????? ?????, ?? ??? ???????? ??? ??? ????. Ad Ephes., XX, 2. Sa naissance, son baptême, sa vie, sa passion, sa mort, sa résurrection sont des réalités, et non de simples apparences, ?? ?????? ????????, ?????? ?? ??? ?????, ?????? ??????? ??? ??????? ???????, ?????? ????????? ??? ????????, ?? ??? ?????? ?????? ??? ??????. Ad Trall., IX, 1, 2. Saint Ignace insiste sur ce point capital contre l’erreur docète ; parlant du Christ, il le dit ??????????? ?????? ?? ????????, ????????????? ??? ???????, ?????? ??? ??????? ??????? ??? ?????? ????????? ??????????? ???? ???? ?? ?????. Ad Smyrn., I, 1, 2. ?????? ?????? ?? ??? ?????? ????????? ??????, ??? ????? ??????? ????? ????????, ?? ?????? ????? ??????????. Ad Smyrn., II. Le Verbe incarné a ainsi deux natures dans l’unité de personne. ??? ?????? ?????, ??????? ?? ??? ???????????, ???????? ??? ?????????, ?? ????? ????????? ????, ?? ?????? ??? ??????, ??? ?? ?????? ??? ?? ????, ?????? ???????, ??? ???? ??????, ?????? ??????? ? ?????? ????. Ad Ephes., VII, 2. Et c’est l’unité de personne qui permet à saint Ignace de parler du sang de Dieu pour dire le sang du Christ : ?? ????? ????. Ad Ephes., I, 1.

Les souffrances et la mort réelles du Christ ont eu pour but de sauver le genre humain. C’est pour nous qu’il a été crucifié : ??????????? ???? ????. Ad Smyrn., I, 2 ; qu’il est mort : ??’ ???? ??????????, Ad Trall., II, 1 ; c’est pour nos péchés qu’il a souffert, Ad Smyrn., VII, 1 ; c’est pour nous et pour notre salut qu’il a tant souffert : ????? ?????? ??’ ????, ??? ???????. Ad Smyrn., II, 1. C’est par le sang de Dieu que nous avons été rappelés à la vie : ??????????????? ?? ?????? ????. Ad Ephes., I, 1. Et saint Ignace félicite les Smyrnéens d’avoir été fixés dans la charité par le sang du Christ, ?? ????? ?? ?????? ???????. Ad Smyrn., I. Comment pourrons-nous vivre sans le Christ ? Ad Magn., IX, 2. Sans lui nous ne possédons pas la vraie vie : ?? ????? ?? ???????? ??? ??? ??????. Ad Trall., IX, 2. Car il est notre vie véritable : ?? ???????? ???? ???. Ad Smyrn., IV, 1. Saint Ignace a donc raison d’appeler Jésus-Christ notre Sauveur : ????? ????, Ad Ephes., I, 1 ; Ad Magn., titre ; Ad Philad., IX, 2 ; Ad Smyrn., VII, 1, et de voir sa croix notre salut et notre vie éternelle : ??????? ? ????? ???? ??????? ??? ??? ??????. Ad Ephes., XVIII, 1.

Saint Ignace fait simplement allusion à la descente du Christ aux enfers, quand il dit, à propos des prophètes qui attendaient Jésus-Christ comme leur docteur, que Jésus vint à eux et les ressuscita. Ad Magn., IX, 2. Cf. I Pierre, III, 19 ; IV, 6. Par deux fois, Ad Trall., IX, 2 ; Ad Smyrn., VII, 1, il affirme que Dieu ressuscita le Christ ; cf. Act. II, 24 ; III, 15 ; IV, 10 ; I Pierre, I, 21 ; dans un autre endroit, Ad Smyrn., II, il dit que le Christ s’est ressuscité lui-même : ??? ?????? ????????? ??????. Et pour montrer la r?alité de sa résurrection, il rappelle, comme nous l’avons indiqué, qu’il se fît palper et toucher par ses disciples, qu’il mangea et but avec eux. Ad Smyrn., III, 2, 3.

Saint Ignace témoigne aussi en faveur de la conception virginale de Jésus. Marie a conçu par l’opération du Saint-Esprit. Ad Ephes., XVIII, 2. Le Verbe

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incarné est vraiment né d’une vierge : ??????????? ?????? ?? ????????. Ad Smyrn., I, 1. La virginité de Marie est au nombre des mystères qui ont échappé à la connaissance du démon : ?????? ??? ??????? ??? ?????? ?????? ? ???????? ??????, ??? ? ??????? ?????, ??? ? ??????? ??? ??????. Ad Ephes., XIX, 1.

c) A propos du ?????. Dans le texte de la recension moyenne, on lisait que Dieu s’est manifesté par Jésus-Christ, son Fils, ?? ????? ????? ????? ??????, ??? ??? ????? ????????. Ad Magn., VIII, 2. Ce passage fut pour Saumaise, Blondel et Daillé l’une des objections contre l’authenticité des lettres de saint Ignace, parce qu’ils y voyaient une allusion au système gnostique de Valentin. Petau l’avait interprété de manière à lui conserver un sens orthodoxe : le Verbe éternel ne provient pas du silence à la manière de toute parole ou de tout langage qui, n’étant pas éternel, sort du silence ou rompt le silence. C’est ainsi que l’avait compris l’interpolateur qui, au lieu de ??? ??? ????? ????????, ?crivit : ?? ?????, ???’ ???????? ?? ??? ???? ?????? ???????? ??????, ???’ ????????? ?????? ????? ??????. Dans Funk, Opera Patr. apost., t. II, p. 86. Tout en approuvant cette interprétation de Petau, Pearson eut raison de soutenir que la ????, dont parle saint Ignace, n’est nullement une invention de Valentin, Vindic. Ignat., II, V, P. G., t. V, col. 307-321, et que d’ailleurs, dans le système de ce gnostique, ce n’est pas le ?????, mais le ????, qui ?mane de la ????. La d?couverte des Philosophoumena est venue lui donner raison. C’est Simon le Magicien qui, le premier, a donné une place importante à la ???? dans son syst?me, Philosoph., VI, 18, édit. Cruice, Paris, 1860, p. 261. Au reste, le contexte aurait dû montrer que l’argument de saint Ignace, visant des docètes judaïsants, il ne pouvait s’agir de Valentin, qui fut l’opposé d’un judaïsant.

Mais objection et réponse ont perdu leur raison d’être depuis que ce texte a dû être corrigé par la suppression des deux mots ?????? ???, conformément à la version arménienne et à la citation littérale de ce passage par Sévère d’Antioche. Dans Lightfoot, St. Ignatius, t. I, p. 173. C’est ce qu’a très bien démontré Lightfoot, op. cit., t. II, p. 126-128, et ce qu’ont admis Zahn et Funk dans leurs éditions des Pères apostoliques. Ainsi amendé, le texte offre un tout autre sens : Jésus-Christ, Fils de Dieu, est le Verbe de Dieu procédant du silence. Qu’est-ce à dire ? Sévère d’Antioche y a vu la génération éternelle du Verbe. Cf. Cureton, Corpus Ignat., p. 213, 245. D’après le contexte, il s’agit plutôt de l’incarnation. C’est par le Fils, dont saint Ignace a affirmé de la manière la plus explicite la préexistence dans le Père, Ad Magn., VI, 1, et l’éternité, Ad Polyc., III, 2, que le Père s’est manifesté : ????????? ??????. Et c’est ce Fils qui est le verbe de Dieu succ?dant au silence pour s’entretenir avec les hommes ; son incarnation est l’une des plus grandes manifestations de Dieu. Ce passage, ainsi rétabli et compris, s’accorde en outre avec cet autre où, parlant des trois grands mystères de la prédication, à savoir de la virginité de Marie, de son enfaitement et de la mort du Christ, saint Ignace dit qu’ils ont été accomplis dans le silence de Dieu : ????? ?? ?????? ???? ???????. Ad Ephes., XIX, 1. Mais on n’a pas le droit d’en conclure que, dans la pensée de saint Ignace, le Fils de Dieu n’est ????? qu’au moment de son incarnation.

Saint Ignace a pu sans inconvénient se servir du mot ???? ainsi que de celui de ??????? qu’il emploie dans la suscription de ses lettres aux Ephésiens et aux Tralliens, à une époque où ces termes n’avaient pas encore la vogue et le sens hétérodoxe qu’ils eurent plus tard dans la terminologie gnostique. Il était trop soucieux de la pureté de la foi et de l’ortho-

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doxie de ceux auxquels il écrivait pour employer des termes ou des expressions qui, déjà exploités par des hérétiques connus, auraient pu les induire en erreur. Il en usait donc librement parce qu’ils étaient sans danger.

d) A propos de ???????? et de ?????????. Saint Ignace dit de J?sus-Christ qu’il est à la fois ???????? ??? ?????????. Ad Ephes., VII, 2. Telle est du moins l’orthographe donnée par les manuscrits grecs et reproduite par les premiers éditeurs, Voss, Usher, Cotelier. Telle quelle, elle se justifie, malgré l’impropriété du second terme. Ces deux mots marquent une relation ontologique et signifient proprement engendré et non-engendré ; appliqués au Verbe incarné, ils veulent dire que le Christ est engendré quant à la nature humaine, qu’il a prise dans le sein de Marie par l’opération du Saint-Esprit, et non-engendré quant à sa nature divine, qu’il possédait préalablement puisqu’il était de toute éternité avec le Père. Une telle manière de dire fait abstraction de la génération éternelle du Verbe. On trouve, après saint Ignace, des expressions semblables ou équivalentes dans les Philosophoumena, IX, 10, édit. Cruice, Paris, 1860, p. 433, et dans Tertullien, De carne Christi, V, P. L., t. II, col. 761. Le manuscrit de la version latine porte genitus et ingenitus, conformément à cette orthographe. Mais, d’autre part, les auteurs des versions syriaque et arménienne, traduisant la pensée plutôt que les expressions de saint Ignace, ont écrit factus et non factus, ce qui exigerait ???????? ? ???????? et ?????????. Mais les derniers ?diteurs des Pères apostoliques, Zahn, Funk et Lightfoot, ont maintenu avec raison ???????? et ?????????.

Il est évident, en effet, que Théodoret, quand il cite ce passage de saint Ignace, n’aurait pas écrit ???????? ?? ?????????, dans Lightfoot, St. Ignatius, t. I, p. 163, s’il avait sous les yeux l’expression parfaitement orthodoxe de ???????? ??? ?????????. De m?me l’interpolateur des lettres ne l’aurait pas remplacée par cette phrase : ? ????? ???????? ???? ? ?????????, et par cette autre : ??? ?? ?????????? ????? ??? ????????. Et saint Athanase, dans sa d?fense du consubstantiel, disait aux ariens : Vous rejetez l’????????? parce qu’il a ?té condamné par le concile d’Antioche contre Paul de Samostase ; mais les Pères d’Antioche avaient la même foi que les Pères de Nicée, et s’ils ont rejeté ce terme, c’est dans le sens que lui donnait Paul de Samostase, car il l’entendait d’une manière erronée, prétendant que, si le Fils est consubstantiel au Père, il s’ensuivrait que la substance divine est partagée ; tout autre est le sens donné à ce mot par le concile de Nicée. Tel autre terme, par exemple, celui de ????????, n’est pas plus de l’Ecriture que celui de ?????????, et a ?té pris semblablement dans le sens de non-engendré et dans celui de non-créé, ????????. Or le Fils ne peut pas ?tre dit ????????? dans le premier sens, mais il peut l’?tre dans le second. Et saint Athanase cite alors précisément saint Ignace, qui s’est servi de ce terme dans le second sens. De synodis, 46, 47, P. G., t. XXVI, col. 776-777. Saint Athanase lisait donc dans saint Ignace ???????? ??? ?????????.

Le concile de Nicée avait proclamé avait proclamé le Fils ?????????? ?? ????????? et choisi le mot ????????? pour exprimer la christologie orthodoxe. Dans la suite, les ariens, voulant discr?diter l’ ?????????, abus?rent des termes ???????? et ????????? ; sans nier la propri?té de ces termes, respectivement appliqués au Fils et au Père, les écrivains orthodoxes du IVe siècle eurent quelque répugnance à s’en servir. Tel saint Epiphane : ??

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??? ???? (c’est-?-dire les ariens) ???? ????????? ?????????? ??? ?????? ???? ?? ??????? ????? ?? ???????, ?? ??????????? ?? ??? ???? ??????, ???’ ? ??? ?? ???????? ??????????? ??? ???? ??????? ??? ?????? ???? ????????. Hær., LXIV, 8, P. G., t. XLI, col. 1084. ??? ?? ?????? ????????? ???????????????? ????????? ??????? ??? ????????, ??????? ??????, ?????? ?????????????? ?? ??? ?????? ????? ?? ?????? ???? ???????? ??????? ?? ??????? ?? ???????, ???? ????? ?? ????????? ??????? ?? ????????. Hær., LXXIII, 19, P. G., t. XLII, col. 437. Mais quand la controverse arienne eut cessé, il n’y eut plus d’inconvénient, pour exprimer la doctrine catholique, à dire que le Fils de Dieu est ???????? et ? appliquer au Père le mot ?????????. C’est qui permettra ? saint Jean Damascène d’écrire : ??? ??? ??????? ??? ?? ????????, ??? ??? ???? ? ??????????, ?? ???????? ? ?? ?? ????????? ????????, ?? ?? ?????????, ??? ??? ??? ? ??????????, ????? ?? ?? ????????, et de conclure : ????? ? ????? ?????????, ????? ? ???? ????????. De fide orthodoxa, I, 8, P. G., t. XCIV, col. 817. Du temps de saint Ignace, la langue théologique était loin d’avoir cette précision, et l’évêque martyr a pu employer, au sujet du Fils, le mot ????????? dans le sens de non-cr?é ou non-fait, sans blesser l’orthodoxie, comme le montra plus tard saint Athanase. Cf. Lightfoot, St. Ignatius, t. I, p. 90-94.

3. L’eucharistie. Saint Ignace est un bon témoin de l’eucharistie. " Celui, dit-il, qui n’est pas à l’intérieur du ???????????? (c’est-?-dire l’intérieur du sanctuaire où s’accomplissent les mystères sacrés), est privé du pain de Dieu. " Ad Ephes., V, 2. Quel est ce pain de Dieu ? C’est le pain qui est rompu dans le sacrifice chrétien ; l’expression ????? ???????, Ad Ephes., XX, 2, rappelle celle du livre des Actes, II, 46 ; XX, 7, 11, et de saint Paul, I Cor., X, 16. Plus explicitement encore, ce pain est la chair de Jésus-Christ : ????? ????, ? ????? ???? ????? ???????. Ad Rom., VII, 3. C’est ce que saint Ignace appelle d’un mot qui restera dans la langue chrétienne, l’eucharistie. Ce pain est un, cette eucharistie est une, il n’y en a pas deux : " Appliquez-vous à avoir une unique eucharistie, car une est la chair de notre Seigneur Jésus-Christ, un le calice, comme un est son sang. " Ad Philad., IV. Ce pain, un ??? ?????, cette eucharistie unique, ??? ??????????, c’est le pain rompu, c’est l’eucharistie consacrée par l’évêque ou par celui auquel l’évêque l’a permis, la seule légitime et valide. Ad Smyrn., VIII, 1. Et cette eucharistie contient le corps et le sang du Christ. En effet, les docètes " s’abstiennent de l’eucharistie et de la prière, parce qu’ils ne reconnaissent point que l’eucharistie est la chair de notre Sauveur Jésus-Christ, cette chair qui a souffert pour nos péchés : ??? ?? ?? ????????? ??? ??????????? ????? ????? ??? ??????? ???? ????? ??????, ??? ???? ??? ???????? ???? ????????. Ad Smyrn., VII, 1. Comme ce n’est pas le pain qui a souffert, le pain, matière de l’eucharistie, contient donc le Christ qui a souffert. par là saint Ignace témoigne en faveur du dogme de la présence réelle. Il écrit aux Romains : " Je ne me délecte pas d’un aliment corruptible ni des saveurs de cette vie. Je veux le pain de Dieu, qui est la chair de Jésus-Christ, né de la race de David, je veux boire son sang, qui est d’une charité incorruptible. " Ad Rom., VII, 3. Il connaît et il signale les effets de ce pain de Dieu, qui est la chair du Sauveur, quand il dit que c’est le remède de l’immortalité, l’antidote contre la mort : ???????? ?????????, ????????? ?? ?????????. Ad Ephes., XX, 2. Aussi voit-il un grand danger, pour les docètes, à s’abstenir de ce remède, de cet antidote, à repousser ce don de Dieu, et ce danger, c’est la mort. Il leur serait utile d’y recourir pour ressusciter. ?? ??? ??????????? ?? ????? ??? ???? ?????????????. ????????? ?? ?????? ??????, ??? ??? ?????????.

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Ad Smyrn., VII, 1. Le verbe, ??????, ici, a, d’apr?s le contexte, la même signification que les deux mots ?????? ?????, qui se trouvent quelques lignes plus bas. Et faire l’agape ne signifierait pas autre chose que célébrer les rites eucharistiques. Quand saint Ignace écrit qu’il n’est pas permis sans l’évêque, ni de baptiser, ni de faire l’agape, Ad Smyrn., VIII, 2, c’est comme s’il disait que, sans l’évêque, il n’est permis de conférer ni le sacrement de baptême ni de consacrer l’eucharistie. C’étaient là deux actes importants de la fonction épiscopale. Sur la question de savoir si, au temps de saint Ignace, l’agape faisait partie des rites eucharistiques, voir AGAPE, t. I, col. 551-552.

4. L’Eglise. Saint Ignace considère l’Eglise en général comme une vaste assemblée de croyants et de pratiquants, dont l’unité se fonde sur la foi, se cimente par la charité mutuelle et se consomme dans le Christ ; comme un chœur harmonieux et symphonique, dans lequel tous les fidèles accordent leur voix pour chanter par le Christ des louanges au Père. Ad Ephes., IV ; comme un corps, ?? ??? ?????? ??? ????????? ?????, Ad Smyrn., I, 1, dont le Christ est la tête et dont les fidèles sont les membres : ???? ????? ???? ?????. Ad Trall., XI, 2. Le président de cette assemblée, le chef de ce chœur, la tête de ce corps, pour chaque communauté particulière, n’est autre que l’évêque, assisté du presbytérat et des diacres. C’est autour de l’évêque qu’il faut se ranger, à lui qu’il faut s’unir dans une obéissance complète, sans rien tenter en dehors de lui. Tous doivent être unis, n’avoir qu’une seule prière, qu’une seule espérance dans la charité, comme dans un seul temple de Dieu et autour d’un seul autel, ??? ??? ????? ??????. Ad Magn., VII. C’est cette union étroite que saint Ignace souhaite aux Eglises particulières. Ad Magn., I, 2. Etre avec l’évêque, c’est donc faire partie de l’Eglise, être avec Jésus-Christ, avec Dieu, et par suite, n’être pas avec l’évêque, comme les dissidents et les faux-docteurs, c’est se mettre hors de l’Eglise hors du Christ et de Dieu.

Mais ce n’est là qu’une Eglise locale, une partie de cette Eglise universelle, répandue dans le monde entier, que saint Ignace appelle pour la première fois, dans la littérature chrétienne, l’Eglise catholique : ???? ?? ???? ? ?????????, ???? ?? ?????? ????, ????? ???? ?? ? ??????? ??????, ???? ? ???????? ????????. Ad Smyrn., VIII, 2. Le mot ???????? est pris ici dans son sens étymologique, comme l’indique le contexte, il n’a pas encore le sens très particulier qui lui sera donné plus tard, dès la fin du IIe siècle, pour caractériser la véritable Eglise du Christ par opposition aux divers groupements hérétiques ou schismatiques. Là où est donc le Christ, là est l’Eglise catholique ; le Christ est l’évêque de tous, ?????? ?????????, Ad Magn., III, 1, le chef invisible de toute l’Eglise, comme l’évêque est le chef de chaque Eglise locale. Comment donc le Christ a-t-il organisé son Eglise pour faire l’unité et maintenir l’union entre les diverses Eglises particulières qui devaient la composer ? C’est ce que saint Ignace n’a pas dit, et c’est ce qu’il a pu se dispenser de dire, n’écrivant aux Eglises d’Ephèse, de Magnésie, de Tralles, de Philadelphie et de Smyrne que pour les mettre en garde contre les tentatives locales d’hérésie et de schisme et pour indiquer le moyen de sauvegarder la foi par l’union étroite avec leur clergé. Il appartenait pourtant à une Eglise de fondation apostolique, il était le second successeur de saint Pierre sur le siège d’Antioche, il ne cessait de penser à cette Eglise de Syrie et de faire prier pour elle, mais il ne parle jamais de sa prééminence. Tout autre, au contraire, est son langage relativement à l’Eglise romaine. Celle-ci, dit-il, préside ???? ?????????? ?? ????

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?????? ‘???????. Ad Rom., titre. Le verbe ??????????, employ? ici comme sans complément direct, signifie simplement présider, abstraction faite de la place ou de la société sur lesquelles s’exerce cette présidence ; ?? ???? n’est ici qu’un compl?ment circonstanciel de lieu, servant à indiquer, non l’endroit sur lequel l’Eglise romaine exerce sa présidence, mais celui où elle l’exerce ; quant à ?????? ‘???????, c’est le compl?ment déterminatif de ?????. De telle sorte que le sens de la phrase est celui-ci : le lieu où l’Eglise romaine préside, c’est la région des Romains. Il s’agit donc d’une prééminence de l’Eglise romaine dont saint Ignace ne dit pas l’étendue. Mais deux lignes plus bas, il emploie le même verbe, et cette fois avec un complément direct : ?????????? ??? ??????. Que signifie ????? ici ? Au sens ordinaire du mot, il signifie charit?. Il s’agirait donc de la présidence de la charité, et saint Ignace aurait voulu marquer par là la prééminence de l’Eglise romaine dans les œuvres de miséricorde et de charité. Et tel est le sens adopté par Pearson, Rothe et Zahn. Mais, observe Funk, Opera Part. apost., t. I, p. 213, partout où le verbe ?????????? s’emploie avec un compl?ment direct , il est suivi d’un nom indiquant un lieu ou une société ; ??????, sous la plume de saint Ignace serait ici le synonyme de ???????? ; c’est de ce mot justement qu’il se sert en plusieurs endroits, Ad Trall., XIII,1 ; Ad Rom., IX, 3 ; Ad Philad., XI, 2 ; Ad Smyrn., XII, 1, pour désigner des Eglises particulières ; pourquoi donc ce même terme ne signifierait-il pas ici l’Eglise universelle ? En conséquence Funk a traduit : universo caritatis cætui præsidens.

3° Sur la morale. 1. La vie chrétienne. Il convient non seulement d’être appelé chrétien, mais de l’être, écrivait saint Ignace. Ad Magn., IV. Pour l’être réellement, il faut vivre selon le christianisme, ???? ????????????? ???. Ad Magn., X, 1. Et vivre selon le christianisme, ce n’est pas vivre selon l’homme, mais selon le Christ : ?? ???? ???????? ??????, ???? ???? ?????? ??????. Ad Trall., II, 1. Et vivre selon le Christ, ce n’est pas seulement obéir à ses préceptes, suivre ses conseils, c’est imiter ses exemples, être vis-à-vis de lui ce qu’il a été vis-à-vis de son Père : ??????? ????? ??????, ?? ????? ??? ?????? ?????, Ad Philad., VII, 2 ; c’est s’unir à lui, à sa chair et à son esprit, ?????? ?????? ??? ????????? ????? ??????, Ad Magn., I, ne faire qu’un avec lui et son Père. Ibid. Cela implique l’union la plus étroite dans la foi et la charité. Ad Magn., I. La foi et la charité sont le commencement et la fin de la vie : ???? ??? ??????, ????? ?? ?????. Ad Ephes., XIV, 1.

Il faut s’aimer les uns les autres dans le Christ. Ad Magn., VI, 2. Il faut se montrer frères envers les autres par la bénignité, doux quand ils se fâchent, humbles, opposant la prière à leurs blasphèmes ; sans cesse il faut prier pour eux, car il leur reste l’espoir de la pénitence pour revenir à Dieu. Ad Ephes., X, 1-2. Si la prière d’un ou deux chrétiens a tant de force, combien plus celle qui est faite avec l’évêque et toute l’Eglise. Ad Ephes., V, 2. Il convient donc de se réunir aussi fréquemment que possible pour remplir ce devoir, pour rendre grâces à Dieu et le louer. Ad Ephes., XIII, 1. Il faut aussi garder la chair comme le temple de Dieu. Ad Philad., VII, 2. Rien n’échappe au Seigneur, nos secrets lui sont connus : ????? ??? ??????? ?? ???????? ???? ????????????, ??? ???? ????? ???? ??? ????? ?? ???? ???? ????. Ad Ephes., XV, 3. Le chrétien qui agit de la sorte, avec la conviction qu’il est le temple de Dieu peut être rassuré : ses œuvres, mêmes matérielles, ont une valeur spirituelle parce qu’elles sont accomplies dans le Christ. " Tout ce que vous faites selon la chair, écrivait saint Ignace aux Ephésiens, est spirituel, parce que vous faites tout en Jésus-

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Christ. " Ad Ephes., VIII, 2. Le bien réalisé est le signe qu’on appartient au Christ : " Dieu connaîtra au bien que vous faites que vous êtes membres de son Fils. " Ad Ephes., IV, 2 ; Ad Trall., XI, 2. Cf. H. de Genouillac, Etude d’histoire religieuse sur le christianisme en Asie Mineure au commencement du IIe siècle. L’Eglise au regard de saint Ignace d’Antioche (thèse), Paris, 1907, p. 94-121.

2. La vie domestique et sociale. Ceux qui veulent s’unir par le mariage doivent le faire de l’avais de l’évêque, pour que leur union soit selon le Seigneur et non selon la concupiscence. L’épouse doit aimer son époux et le mari doit aimer sa femme, comme le Seigneur son Eglise. Ad Polyc., V. Les veuves ne doivent pas être négligées : leur soin incombe à l’évêque. Ad Polyc., IV, 1. Les esclaves, hommes ou femmes, ne doivent pas être méprisés ; saint Ignace ne leur interdit pas l’émancipation, mais il ne veut pas qu’ils la demandent et l’obtiennent aux frais de la communauté ; il ne veut pas davantage qu’ils ne s’enorgueillissent de leur condition, mais plutôt qu’ils y voient un moyen de mieux servir la gloire de Dieu et d’obtenir de Dieu une liberté meilleure. Ad Polyc., IV, 3. Point de métier ou de commerce mauvais, ?????????? ?????. Ad Polyc., V, 1. Il en est qui, à raison du danger moral qu’ils offrent, ne sauraient convenir à un chrétien ; l’évêque doit en avertir les fidèles dans ses homélies. Ibid.

3. Les vierges. Saint Ignace loue la virginité ; mais elle comme peut inspirer à ceux qui s’y vouent quelque sentiment d’orgueil et les exposer ainsi au danger de se perdre moralement, il la veut protégée par humilité : " Si quelqu’un peut conserver la chasteté pour honorer la chair du Seigneur, qu’il soit humble, car s’il vient à s’en glorifier, il se perd. "Ad Polyc., V, 2. il salue en particulier les vierges de Smyrne, celles qu’on appelle veuves, ??? ????????? ??? ????????? ?????. Ad Smyrn., XIII, 1. Mais qu’entend-il par là ? Son langage, difficile à saisir, a donné lieu à des interprétations diverses. L’ordre des veuves, institué par les apôtres et réglementé par saint Paul, I Tim., V, 3-16, était-il, à Smyrne, entièrement composé de vierges ? Cela paraît assez invraisemblable, car, au commencement du IIIe siècle, Tertullien regardait comme une anomalie choquante l’introduction d’une vierge dans l’ordre des veuves, ces deux noms de vierge et de veuve, données à la même personne, ne se conciliant pas entre eux : utrumque se negans, et virginem quæ viduæ dputatur, et viduam, quæ virgo dicatur. De virg. vel., IX, P. L., t. II, col. 902. S’agirait-il là des diaconesses, comme l’ont pensé Bingham, Cotelier, Hefele, Probst et Dœllinger ? Mais la question est de savoir si, au début, les diaconesses et les veuves étaient une seule et même personne. Saint Paul, en tout cas, ne les confond pas et en a parlé séparément, I Tim., II, 11 ; V, 3-16 ; et rien ne prouve qu’au commencement du IIe siècle, les diaconesses fussent choisies parmi les vierges. Ou bien saint Ignace se serait-il contenté de saluer à titre exceptionnel, parmi les veuves, les femmes qui, ne s’étant jamais mariées, s’étaient consacrées à la virginité ? C’est l’interprétation qui a plu davantage à Zahn, Ignatii et Polycarpi epistulæ, p. 95, et à Funk, Opera Patr. apost., t. I, p. 244. Mais Lightfoot croit, St. Ignatius, t. II, p. 322-324, qu’il s’agit en réalité des veuves, auxquelles saint Ignace a voulu donner le nom de vierges, et il cite à l’appui de son opinion ce passage de Renan : " Cette position si difficile de la veuve sans enfants, le christianisme l’éleva, la rendit sainte. La veuve redevint presque l’égale de la vierge. " Les apôtres, p. 124. Quelle que soit l’interprétation qu’on préfère, il n’en reste pas moins qu’en-dehors des veuves il y avait, du temps de saint Ignace, des vierges consacrées à Dieu.

4. Les faux docteurs. Aux yeux de saint Ignace,

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ceux qui cherchent à introduire l’hérésie ou à susciter des schismes, et qu’il qualifie de faux docteurs, d’empoisonneurs publics, sont dans un état de péché et de mort spirituelle. Ad Smyrn., VII, 1. En se séparant de l’évêque, ils seront mis en dehors de l’Eglise, ils n’auront pas de part à l’héritage céleste du royaume de Dieu. Ad Philad., III, 3. Celui qui corrompt la foi de Dieu par une fausse doctrine est mort, dit-il, il ira au feu éternel, et de même celui qui l’écoute : ??? ?? ??? ?? ???????? ???????, ?????? ??? ? ?????? ?????. Ad Ephes., XVI, 2. Ad Ephes., XVI, 2. Cependant la conversion de ces pécheurs reste possible, bien qu’elle soit difficile. Ad Smyrn., IV, 1. Ils doivent recourir à la pénitence ; car ceux qui, ramenés par la pénitence, auront fait retour à l’unité de l’Eglise, ceux-là seront de Dieu et vivront selon Jésus-Christ. Ad Philad., III, 2. Dieu, en effet, pardonne à tous ceux qui font pénitence, s’ils se convertissent pour s’unir à Dieu et restent en communion avec l’évêque. Ad Philad., VIII, 1. Et de même qu’il a demandé une prière incessante pour la conversion des gentils, Ad Ephes., X, 1, de même saint Ignace désire qu’on prie pour l’heureux retour de tous ces égarés. Ad Smyrn., IV, 1.

I. SOURCES. Avant tout, les lettres de saint Ignace, et subsidiairement, dans la mesure où ils peuvent être utilisés, les Actes du martyre. Or, ces derniers nous sont parvenus sous cinq formes différentes : 1. les Actes qu’on peut appeler antiochiens, parce qu’ils concentrent tout l’intérêt du récit à Antioche ; en grec, d’après un manuscrit de la bibliothèque de Colbert, découvert et publié par Ruinart, Acta martyrum sincera, Paris, 1869 ; la lettre aux Romains y est insérée ; dans une version latine, traduction littérale de ce texte grec, découverte et publiée par Usher en 1644 ; et dans une version syriaque, publiée par Cureton dans son Corpus Ignatianum, Londres, 1849 ; on désigne ces actes sous le nom de Martyrium Colbertinum ; 2. les Actes qu’on peut appeler romains parce qu’ils concentrent tout l’intérêt du récit à Rome ; le texte grec en a été découvert dans un manuscrit du Vatican et publié par Dressel, Patres apostolici, Leipzig, 1857 ; on en possède une version copte et on les désigne sous le nom de Martyrium Vaticanum. Le Martyrium Colbertinum et le Martyrium Vaticanum sont indépendants l’un de l’autre.

D’après le Martyrium Colbertinum, Ignace, disciple de saint Jean, sauva son Eglise pendant la persécution de Domitien ; la neuvième année de Trajan, pendant que l’empereur, de passage à Antioche, préparait sont expédition contre les Parthes, il fut arrêté et condamné à subir le martyre à Rome. Voyage par mer de Séleucie à Smyrne, près de saint Polycarpe, son ancien condisciple. saint Ignace écrit de Smyrne aux Eglises qui lui ont envoyé des députés ; il écrit aussi aux Romains une lettre, dont le texte est inséré intégralement. De Smyrne à Troas, puis à Néapolis par la mer. De là, par Philippes, à travers la Macédoine et l’Epire, à Epidamne, où l’on s’embarque de nouveau. on contourne l’Italie et, ne pouvant débarquer à Pouzzoles à cause du vent, on arrive au port des Romains. Reçu par des chrétiens accourus de Rome, Ignace les conjure de ne rien faire pour lui. Et comme c’est la fin des spectacles, il est exposé aux bêtes qui ne laissèrent que les os les plus durs. Ceux-ci, pieusement recueillis, furent transportés à Antioche comme un trésor sans prix. Cela est arrivé le 13 des calendes de janvier, sous le consulat de Sura et de Sénécion. Les rédacteurs de ces Actes, qui se donnent pour des témoins oculaires, sont en contradiction avec les Lettres sur l’itinéraire de Séleucie à Smyrne et sur le titre de condisciple de saint Polycarpe donné à saint Ignace ; ils sont également en contradiction avec l’histoire de Trajan, parce que la neuvième année de son règne ne fut pas celle de son expédition contre les Parthes. Pour le reste, on peut leur faire crédit.

D’après le Martyrium Vaticanum Ignace, second successeur des apôtres, est envoyé de Syrie à Rome, la neuvième année de Trajan, à travers l’Asie, la Thrace, Abordant à Reggio, il est conduit à Rome, où il comparaît devant l’empereur et le sénat. Trajan lui offre, s’il consent à sacrifier, de le faire grand-prêtre de Jupiter. Sur le refus d’Ignace, l’interrogatoire se poursuit. Malgré les menaces et les tourments, Ignace fait le procès des faux dieux. Condamné.

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après plusieurs séances, il est exposé aux bêtes dans l’amphithéâtre Flavien. Deux lions sont lâchés. Aussitôt Ignace se met à haranguer les spectateurs : Je suis le pain de Dieu, dit-il, et il meurt, tué mais non dévoré par les fauves, afin que ses reliques fussent une protection pour Rome, où Pierre et Paul étaient morts. Trajan, étonné de tant de courage, reçoit à ce moment une lettre de Pline et abandonne le corps du martyr aux chrétiens. La mémoire de ce saint se célèbre le 20 décembre. Ce n’est là qu’un récit romanesque, dont on ne peut utiliser que ce qui s’accorde avec le Martyrium Colbertinum, à savoir le martyre d’Ignace à Rome, la neuvième année du règne de Trajan, et la date de la fête.

3. Les Actes en latin, publiés en partie par Usher dans son Appendix Ignatiana, en 1647, et intégralement par les bollandistes dans les Acta sanctorum, à la date du 1er février. 4. Les Actes arméniens, publiés d’abord par Aucher, à Venise, en 1810-1814, et ensuite par Petermann, S. Ignatii epistolæ, Leipzig, 1849. 5. Les Actes de Siméon Métaphraste. Ces trois dernières espèces d’Actes ne sont qu’une combinaison plus ou moins heureuse des éléments contenus dans le Martyrium Colbertinum et le Martyrium Vaticanum. Cf. Zahn, Ignatius von Antiochien, Gotha, 1873, p. 2-56 : Ignatii et Polycarpi epistulæ, Leipzig, 1876, p. LV-LVI ; Funk, Opera Patrum apostolicorum, Tubingue, t. II, p. 363-472.

II. EDITIONS. Lefèvre d’Etaples, Ignatii undecim epistolæ, Paris, 1498 ; Valentin Hartung, dit Paceus, Beati inter sanctos Christi defunctos hieromartyris Ignatii opuscula, Dillingen, 1557 ; Vedel, Ignatii epistulæ, Genève, 1623 ; Usher, Polycarpi et Ignatii epistolæ, Oxford, 1644 ; Voss, Epistolæ genuinæ sancti Ignatii, Amsterdam, 1646 ; Aldrich, S. martyris Ignatii Ant. episc. epistolæ septem genuinæ, Oxford, 1708 ; Smith, S. Ignatii epistolæ genuinæ, Oxford, 1709 ; Cotelier, Patr. apostol., édit. Leclerc, Amsterdam, 1724 ; Jacobson, S. Clementis Romani, S. Ignatii, S. Polycarpi, etc., Oxford, 1838, 1840, 1847, 1863 ; Hefele, Patrum apostolicorum opera, Tubingue, 1839n 1842, 1847, 1855 ; Petermann, S. Ignatii epistolæ, Leipzig, 1849 ; Dressel, Patrum apostolicorum opera, Leipzig, 1857 ; Cureton, Corpus Ignatianum, Londres, 1849. Les meilleures éditions sont celles de Zahn, Ignatii et Polycarpi epistulæ, Leipzig, 1876 ; de Funk, Opera Patrum apostolicorum, Tubingue, 1881 ; 2e édit., 1901 ; et de Lightfoot, St. Ignatius, Londres, 1885 ; 2e édit., 1889-1890 ; A. Hilgenfeld, Ignatii Antiocheni et Polycarpi Smyrnæni episcopi epistulæ et martyria, Berlin, 1902 ; G. Rauschen, Florilegium patristicum, Bonn, 1904, fasc. 1 ; A. Lelong, Les Pères apostoliques. III. Ignace d’Antioche et Polycarpe de Smyrne, Paris, 1910 (texte grec et version française). Le t. V de la P. G., de Migne contient : 1° Præfatio in epistolas sancti Ignatii, de Le Nourry, col. 31-34 ; 2° Judicium de epistolis sancti Ignatii, de Cotelier, col. 33-36 ; 3° Vindiciæ Ignatianæ, de Pearson, col. 57-472 ; 4° Dissertatio de epistolis sancti Ignatii, de Le Nourry, col. 471-566 ; 5° Proæmia ad epistolas sancti Ignatii , de Galland, col. 565-584 ; 6° De doctrina sancti Ignatii, de Lumper, col. 585-600 ; 7° De textus recepti Epistolarum sancti Ignatii integritate disquisitio critica, de Denzinger, col. 601-624 ; 8° la préface et le texte de la 3° édition des Patrum apostolicorum opera, Tubingue, 1847, col. 625-728 ; 9° le texte des Lettres interpolées des Patres apostolici, Amsterdam, 1724, de Cotelier, col. 729-872 ; 10° les Epistolæ supposititiæ, col. 873-942.

III. TRAVAUX. Outres les études qui accompagnent les éditions citées, il faut signaler : Saumaise, Apparatus ad libros de primatu papæ, 1645 ; Blondel, Apologia pro sententia Hieronymi de episcopis et presbyteris, Amsterdam, 1646 ; et Daillé, De scriptis quæ sub Dyonisii Areopagitæ et Ignatii Antiocheni nominibus circumferuntur, Genève, 1666, qui attaquèrent les lettres de saint Ignace et multiplièrent les objections ; Pearson, qui répondit à Daillé, Vindiciæ Ignatianæ, Cambridge, 1672 ; Dupin, Nouvelle bibliothèque des auteurs ecclésiastiques, 3e édit., Paris, 1693, t. I, p. 38-50 ; Tillemont, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles, 2e édit., Paris, 1701, t. II, p. 190-212, 576-583 ; Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, Paris, 1858-1863, t. I, p. 362-388 ; Mœhler, Patrologie, 1840 ; Permaneder, Patrologia specialis, 1843 ; Dusperdieck, Quæ de Ignatianarum epistolarum authentia durorumque textuum ratione et dignitate hucusque prolatæ sunt sententiæ enarrantur et dijudicantur, Gœttingue, 1843 ; Cureton, The ancient syriac version of the Epistles of St. Ignatius to St. Polycarp, the Ephesians and the Romans,

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Londres, 1845 ; Vindiciæ Ignatianæ, Londres, 1846 ; Bunsen, Die drei ächten und die drei unächten Briefe des Ignatius von Antiochien, Hambourg, 1847 ; Ignatius von Antiochien und seine Zeit, Hambourg, 1847 ; Denzinger, Ueber die Aechtheit des bisherigen Textes der ignatianischen Briefe, Wurzbourg, 1849 ; Baur, Die ignatianischen Briefe, Tubingue, 1848 ; Ritschl, Die Entstehung der altkatholischen Kirche, Bonn, 1850 ; Hilgenfeld, Die apostolischen Väter, Halle, 1853 ; Merx, Melotomata Ignatiana, Halle, 1861 ; Nirschl, Die Theologie des h. Ignatianus von Antiochien, Mayence, 1868 ; Das Todesjahr des Ignatius une die drei orientalischen Feldzüge der Kaiser Trajan, Passau, 1869 ; Die Briefe des h. Ignatius, 1870 ; Zahn, Ignatius von Antiochien, Gotha, 1873 ; Dreher, S. Ignatii, episcopi Antiocheni, de Christo Deo doctrina, Sigmaringen, 1877 ; Harnack, Die Zeit des Ignatius, Leipzig, 1878 ; Sprintzl, Theologie der apostolischen Väter, Vienne, 1880 ; L. Duchesne, Les origines chrétiennes (lith.), Paris, 1880, p. 68-74 ; Funk, Die Echtheit der ignatianischen Briefe, Tubingue, 1883 ; Allard, Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, Paris, 1892, p. 183-201 ; J. Réville, Etudes sur les origines de l’épiscopat, part. I, Paris, 1894 ; E. von Goltz, Ignatius von Antiochien als Christ und Theologe, dans texte und Untersuchungen, Leipzig, 1894, t. XII, fasc. 3 ; E. Bruston, Ignace d’Antioche, ses épîtres, sa vie, sa théologie, Montauban, 1897 ; A. Stahl, Ignatianische Untersuchungen. I. Die Authentie des sieben Ignatius Briefe, Greisswald, 1899 ; Patristiche Untersuchungen. . . II. Ignatius von Antiochien, Leipzig, 1901 ; Iungmann, Institutiones Patrologiæ, Inspruck, 1890, t. I, p. 145-159 ; Bardenhewer, Les Pères de l’Eglisei, trad. franç., Paris, 1899, t. I, p. 99-117 ; Geschichte des altkirchliche Literatur, Fribourg-en-Brisgau, 1902, t. I, p. 119-146 ; Batiffol, La littérature grecque, Paris, 1897, p. 13-17 ; A. Ehrhard, Die altchristliche Literatur une ihre Erforschung vom 1880-1884, Fribourg-en-Brisgau, 1884, p. 52-58 ; vom 1884-1900, ibid., 1900, p. 90-100 ; H. de Genouillac, Etude d’histoire religieuse sur le christianisme au commencement du IIe siècle. L’Eglise au regard de saint Ignace d’Antioche (thèse), Paris, 1907 ; M. Rackel, Die Christologie des h. Ignatius von Antiochien, précédée d’une étude sur l’authenticité des lettres où les attaques de Völter sont réfutées, Fribourg-en-Brisgau, 1914 ; Kirchenlexicon, 2e édit., t. VI, col. 581-590 ; Smith et Wace, Dictionary of christian biography, t. III, p. 209-222 ; U. Chevalier, Répertoire. Bibliographie, t. I, col. 2241-2244 ; Realencyklopädie für protestantische Theologie und Kirche, Leipzig, Leipzig, 1901, t. IX, p. 49-55 J. Tixeront, Saint Ignace d’Antioche, dans Mélanges de patrologie et d’histoire des dogmes, Paris, 1921, t. IX, p. 1-19.

Sur saint Ignace et l’Eglise romaine, P. von Hönbroeck, Die Ueberschreift des ignatianischen Römerbriefe, dans Zeitschrift für katholische Theologie, 1889, t. XIII, p. 576-579 ; A. Harnack, Das Zeugnis des Ignatius über das Anschen der römischen Gemeinde, dans Sitzunsberichte der K. preuss. Akademie der Wissenschaften, Berlin, 1896, p. 111-131 ; J. Chapman, Saint Ignace d’Antioche et l’Eglise romaine, dans la Revue bénédictine, 1896, t. XIII, p. 385-400 ; F. X. Funk dans Kirchengeschichtlichen Abhandlungen und Untersuchungen, Paderborn, 1897, t. I, p. 1-23.

G. BAREILLE.


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