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     Saint Irénée, évêque de Lyon.
I. Vie. II. Œuvres. III. Doctrine. IV. Place dans l’histoire de la théologie.

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     I. VIE. ― 1° Les origines. ― Tout ce que nous savons des origines de saint Irénée, c’est que tout jeune, παϊς ών, lettre à Florinus, dans Eusèbe, H. E., l. V, c. XX, P. G., t. XX, col. 485, έν τή πρώτη ήμών ήλικία, Cont. hær., l. III, c. III, n. 4, P. G., t. VII, col. 852, il vit saint Polycarpe vieillard et recueillit ses paroles. Polycarpe mourut en 155 ; d’autre part, le sens élastique donné par Irénée au mot enfant, le souvenir très vif qu’il a conservé des discours de Polycarpe et l’assurance d’avoir pénétré dans sa pensée, dont témoigne la lettre à Florinus, ce qui ne saurait être le fait d’un petit enfant, s’ajoutant à ceci qu’Irénée a pu connaître Polycarpe quelques années avant la mort du vieil évêque, enfin, l’affirmation d’Irénée que l’Apocalypse n’est pas beaucoup antérieure à son temps, Cont. hær., l. V, c. XXX, n. 3, col. 1207, tout cela invite à ne pas reculer trop avant vers le milieu du IIe siècle la date de sa naissance. Peut-être pourrait-on la fixer aux environs de 130-135. Eusèbe, H. E., l. V, c. V, P. G., t. XX, col. 444, faisant écho à la lettre à Florinus, dit qu’Irénée entendit Polycarpe κατά τήν νέαν ήλικίαν. Saint Jérôme, Epist., LXXV, P. L., t. XXII, col. 687, l’appelle vir apostolicorum temporum, et saint Basile, Liber de Spiritu Sancto, c. XXIX, n. 72, P. G., t. XXXII, col. 201, « voisin des apôtres », expressions, qui, même prises dans un sens large, ne permettent guère de dépasser le premier tiers du IIe siècle. Mais Irénée en fut ni disciple de saint Jean, ni l’évêque (l’ange) de Thyatire de l’Apocalypse, II, 18, comme l’ont supposé quelques anciens écrivains lyonnais. Cf. Massuet, Dissertationes, P. G., t. VII, col. 175, 178. Et c’est à tort que Dodwell, Dissertationes in Irenæum, III, § 10-12, p. 237-242, a voulu conclure qu’il naquit en 97 ou 98, du passage de la lette à Florinus où Irénée dit qu’il a vu Florinus, dans l’Asie Mineure, « brillant pas son emploi à la cour » et cherchant à acquérir l’estime de Polycarpe. Irénée naquit probablement dans cette Asie Mineure qui fut le théâtre de sa rencontre avec Polycarpe. Son nom, la langue dans laquelle il écrivit, sa culture trahissent une origine grecque. L’hypothèse d’une origine sémitique et syrienne est sans fondement solide.

     Irénée en Occident avant l’épiscopat. ― Nous ignorons l’époque où Irénée vint en Occident. les Asiates étaient nombreux à Rome et à Lyon. Irénée arriva-t-il directement à Lyon de l’Asie, ou passa-t-il par Rome et y séjourna-t-il quelques temps ? La certitude manque là-dessus. Grégoire de Tours, Hist. franç., l. I, c. XXVII, P. L., t. LXXI, col. 174, dit, sans plus, qu’il fut envoyé à Lyon par Polycarpe. Un texte plus récent, l’appendice des actes de saint Polycarpe dans le manuscrit de Moscou (XIIIe siècle), dans H. Hemmer et P. Lejay, Les Pères apostoliques, Paris, 1910, t. III, p. 158avance qu’Irénée, « à l’époque du martyre de l’évêque Polycarpe, était à Rome, où il instruisit [col.2394 fin / col.2395 début] beaucoup d’âmes. » La manière dont Irénée parle du séjour de Polycarpe à Rome dans sa lettre au pape Victor conservée par Eusèbe, H. E., l. V, c. XXIV, P. G., t. XX, col. 508 ; cf. Cont. hær., l. III, c. III, n. 4, col. 853, bien qu’elle ne suppose pas nécessairement un témoin oculaire, s’explique mieux s’il s’est trouvé lui-même à Rome. Et sa dépendance de saint Justin, sur laquelle nous aurons à revenir, n’exige pas qu’il ait connu Justin personnellement, mais apparaîtrait toute naturelle s’il avait été à Rome au moment où Justin y enseignait. A plus forte raison faudrait-il admettre qu’il a vécu Rome s’il était établi qu’il eut pour disciples directs saint Hippolyte et Caius de Rome, ainsi qu’on l’a prétendu ; mais nous verrons que rien n’est moins sûr.

     Irénée se montre en pleine lumière, en 177, à Lyon. A cette date, il est prêtre. Vraisemblablement il a été promu au sacerdoce par saint Pothin : Pothini episcopi, qui Lugdunensem in Gallia regebat ecclesiam, presbyter, dit saint Jérôme, De viris illustribus, c. XXXV, P. L., t. XXIII, col. 649. Les « martyrs » de Lyon, en partie originaires de l’Asie comme Irénée, instruits de l’agitation produite par le montanisme naissant, écrivirent aux frères d’Asie et de Phrygie, parmi lesquels le mouvement montaniste s’était d’abord dessiné et, en même temps, au pape Eleuthère, afin de ramener la paix dans les communautés atteintes. Ils chargèrent Irénée de porter leur lettre à Rome. « Nous vous supplions, mandaient-ils au pape, de le considérer comme un homme tout à fait zélé pour le testament de Jésus-Christ. » Eusèbe, H. E., l. V, c. IV, P. G., t. XX, col. 440. Irénée s’acquitta-t-il de cette mission ? Saint Jérôme l’affirme, loc. cit. ; il n’y a pas de bonnes raisons d’en douter, et cette absence pourrait expliquer qu’Irénée n’ait pas péri dans la persécution. Rien n’autorise à soutenir, avec Valois, dans ses notes sur Eusèbe, P. G., t. XX, col. 439-440, que la mort de Pothin empêcha ce voyage, l’Eglise de Lyon n’ayant pas voulu se priver des lumières d’Irénée dans ces circonstances critiques, pas plus qu’à supposer avec F. Feuardent, De vita Irenæi, en tête de son édition de saint Irénée, Cologne, 1625, p. (III), et P. Halloix, De vita S. Irenæi, dans ses Ecclesiæ orientalis scriptorum vitæ et documenta, Douai, 1636, t. II, 437, qu’il porta également les lettres aux chrétiens d’Asie et de Phrygie, ou du vivant de Pothin (Feuardent), ou après sa mort (Halloix). Saint Jérôme ajoute qu’Irénée, prêtre de Pothin qui gouvernait alors l’Eglise de Lyon, envoyé par les « martyrs » de Lyon à Rome, ob quasdam Ecclesiæ quæstiones, honorificas super nomine suo ad Eleutherum episcopum perfert litteras. Postea, jam Pothino prope nonagenario ob Christum martyrio coronato, in locum ejus substituitur. P. Quesnel, Dissertationes in S. Leonis Magni opera, V, c. XIII, n. 12, P. L., t. LV, col. 477-480, et Massuet, Dissert., P. G., t. VII, col. 183-185, croient que saint Irénée alla à Rome, non seulement pour porter la lettre relative au montanisme, mais encore pour y recevoir l’ordination épiscopale du pape Eleuthère, et que c’est dans cette vue que les « martyrs » de Lyon parlaient si avantageusement de lui au pape et lui demandaient « de le préférer à tous », έχειν σε αύτόν έν παραθέσει. D’un mot, Tillemont, Mémoires, t. III, p. 619, a montré le côté faible de l’hypothèse de Quesnel et de Massuet : si les Lyonnais avaient sollicité du pape l’ordination épiscopale d’Irénée, « ils auraient assurément témoigné plus clairement cette pensée, et, s’ils l’avaient fait, Eusèbe n’aurait pas manqué de le remarquer. Car, pour le mot έχειν έν παραθέσει, je ne vois pas qu’il puisse signifier autre chose en cet endroit que habere commendatum, comme le traduit M. Valois. » En outre, le postea de saint Jérôme signifie manifestement qu’Irénée partit pour Rome avec les [col.2395 fin / col.2396 début] lettres qu’on lui avait confiées pour le pape, et qu’ensuite, Pothin ayant subi le martyre, il fut nommé à sa place, c’est-à-dire après son retour de Rome, que Pothin ait été martyrisé après ce retour ou, choses plus probable, pendant l’absence. L’argument mis en avant par Quesnel et Massuet, à savoir qu’il n’y avait alors, dans les Gaules, point d’autre évêque que celui de Lyon, et qu’il fallait recourir à Rome pour le sacre d’Irénée, ne porte pas. Ce n’est pas le lieu de traiter la question ardue de l’organisation chrétienne des Gaules dans le dernier quart du IIe siècle. Qu’il suffise de rappeler que, d’après une première opinion, à laquelle A. Harnack, Die Mission und Ausbreitung des Christentums in der ersten drei Jahrhunderten, Leipzig, 1902, P. 319-322, il y eut plusieurs évêchés ; s’il en fut ainsi, le sacre de l’évêque de Lyon n’eut rien de difficile. D’après une seconde opinion, les chrétiens épars depuis le Rhin jusqu’aux Pyrénées formaient une communauté unique, avaient un seul centre et ne reconnaissaient qu’un évêque, celui de Lyon. Cf. L. Duchesne, Les fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule, 2e édit., Paris, 1907, t. I, p. 40-46. Mais, alors même qu’il serait établi que Lyon fut le seul siège épiscopal des Gaules, le texte de saint Jérôme aurait le sens que nous avons indiqué ; tout ce qu’on aurait le droit d’ajouter, c’est qu’il ne nous apprend pas comment Irénée reçut la consécration épiscopale.

     L’épiscopat. ― De l’épiscopat d’Irénée, en dehors de la composition de ses écrits, nous ne connaissons bien que son rôle dans la controverse de la Pâque. Tandis que les Asiates célébraient la Pâque le 14 nisan, les autres Eglises, Rome en tête, la renvoyaient au dimanche suivant. Déjà, en 154, la question avait été discutée entre le pape Anicet et le maître d’Irénée, saint Polycarpe ; ils ne purent s’entendre, mais, malgré cette divergence de vues, la paix subsista entre eux. Le débat reprit sous le pontificat de Victor, vers 190. Le pape jugea l’heure d’en finir en excommuniant les Asiates. Irénée s’interposa. Tout en estimant, pour son compte, que la Pâque devait être célébrée le dimanche, il demanda au pape, conformément aux exemples d’Anicet et de ses autres prédécesseurs, de ne pas rompre la communion avec les Eglises d’Asie fidèles à la tradition qu’elles avaient reçue. La crise s’apaisa, le pape s’adoucit et les Asiates adoptèrent ultérieurement l’usage de Rome. Cf. Eusèbe, H. E., l. V, c. XXIII-XXV, P. G., t. XX, col. 489-510 ; le pseudo-Anatole d’Alexandrie, Canon paschalis, c. X, P. G., t. X, col. 217.

     Dans son récit de cette affaire, Eusèbe, citant les lettres des évêques qui prescrivirent à leurs diocésains de fêter la Pâque le dimanche, mentionne, c. XXIV, col. 497, la lettre qu’Irénée écrivit « au nom des frères qu’il présidait, ήγεϊτο, en Gaule, » c. XXIII, col. 493, la lettre « des Eglises de la Gaule que dirigeait Irénée, καί τών κατά Γαλλίαν δέ παροικιώνάς Είρηναϊος έπεσκόπει. » Cf. le pseudo-Anatole : Quæ ab Irenæo, tunc Galliæ partis præsule, rectissime pacata est. » Qu’Irénée ait exercé une véritable primauté sur d’autres évêques de la Gaule ou qu’il ait été à la tête de l’unique Eglise épiscopale, il fut le chef du catholicisme gaulois. Même dans la première opinion, il n’y pas à faire état de deux conciles, l’un (199), de douze évêques, contre Marcion, l’autre (197, ou après 199), de treize évêques, au sujet de la Pâque, qui auraient été présidés par Irénée. Cf. J. B. Martin, Conciles et bullaire du diocèse de Lyon, Lyon, 1905, p. 3.

     Sur l’action épiscopale d’Irénée à Lyon nous avons un texte tardif, de Grégoire de Tours, Hist. Franc., l. I, c. XXVIII, P. L., t. LXXI, col. 174 : Beatissimus vero Irenæus. . . admirabili virtute enituit, qui, in modici temporis spatio, prædicatione sua maxime in integro civitatem reddidit christianam. Ce chapitre ne figurait [col.2396 fin / col.2397 début] pas dans la première rédaction. Cf. Grégoire de Tours, Histoire des Francs, texte des manuscrits de Corbie et de Bruxelles, publié par H. Omont et G. Collon, 2e édit., par R. Poupardin, Paris, 1913, p. VI, 20. Les Actes des saints Félix, prêtre, Fortunat et Achilée, diacres, fondateurs de l’Eglise de Valence, Acta sanctorum, 3e édit., Paris, 1866, avril, t. III, p. 99-101, et ceux des saints Ferréol, prêtre, et Ferrucion, diacre, fondateurs de celle de Besançon, Acta sanctorum, 3e édit., Paris, 1867, juin, t. IV, p. 6-7, donnent ces saints pour des disciples et envoyés d’Irénée. Quoi qu’il en soit de l’exactitude historique des détails que présentent ces documents, qui ne sont pas de tout repos, nihil tamen est, dit Massuet, Dissert., II, a. 1, n. 18, P. G., t. VII, col. 191, quod de missione sanctorum illorum dubitationem movere queat, cum maxime consentientem habeamus earum ecclesiarum traditionem. Plus énigmatique, prêtre de Lyon, qui aurait été aussi disciple d’Irénée. Cf. Acta sanctorum, 3e édit., Paris, 1863, janvier, t. II, p. 616. Les saints Félix, Fortunat et Achilée, que le pseudo-Flavius Dexter, Chronicon, an. 255, P. L., t. XXXI, col. 379-380, dit envoyés par Irénée à Valence de Portugal, in Lusitania urbe Vectonium Valentia, et que d’autres disent envoyés à Valence d’Espagne, cf. la note de l’éditeur, col. 380-381, ne sont évidemment qu’une réplique des trois saints de Valence de France. Cf. T. Raynaud, Hagiologium lugdunense, 2e édit., Lyon, 1662, p. 64.

     Le martyre. ― Il n’y a pas à s’arrêter au dire de Jean Fisher, évêque de Rochester, De veritate corporis et sanguinis Christi in eucharistia, l. IV, c. XXI, Cologne, 1527, fol. 108 a, qu’Irénée sævientibus arrianis (sic) oculum alterum amisit paratus etiam pro fide Christi mortem subire quantumvis molestam. Mais des textes plus graves qualifient Irénée de martyr. Sans parler des martyrologes historiques du IXe siècle et de leur dérivés, ni certains texte se rattachant au martyrologe hiéronymien, tel celui que donne Massuet, Dissert., II, a. 1, n. 30, P. G., t. VII, col. 205, ni des Actes du saint, cf. trois rédactions de ces Actes dans les Acta sanctorum, 3e édit., Paris, 1868, juin, t. VII, p. 699-701, qui ne sont pas antérieurs au VIIe siècle et que Ruinart a exclus de son recueil, cf. ses Acta martyrum, Ratisbonne, 1859, p. 118, nous avons trois témoignages intéressants. L’un est de Grégoire de Tours, Hist. Franc., l. I, c. XXVII, P. L., t. LXXI, col. 175, et Miraculorum, l. I, De gloria martyrum, c. I, P. L., t. LXXI, col. 752 ; un autre du pseudo-Justin, Responsiones ad orthodoxes, CXV, P. G., t. VI, col. 1364 (du IVe ou du Ve siècle) ; le troisième de saint Jérôme, Comment. in Isaiam, l. XVII, c. LXIV, P. L., t. XXIV, col. 623. En dépit de ces textes, divers historiens, entre autres Dodwell, Dissertationes in Irenæum, III, § 21-23, Oxford, 1689, p. 259-267, et B. Aubé, Les chrétiens dans l’empire romain de la fin des Antonins au milieu du IIIesiècle, Paris, 1881, p. 97-105, ont rejeté le martyre d’Irénée. Ils arguent du silence de Tertullien, de saint Hippolyte, de saint Epiphane, surtout d’Eusèbe si attentif à recueillir les noms des martyrs illustres. Ils notent que les meilleurs manuscrits du Martyrologium hieronymianum, édit. J. B. de Rossi et L. Duchesne, Acta sanctorum, Bruxelles, 1894, novembris t. II a, p. (83), portent seulement : Herenei episcopi, cum aliis. Cf. L. Duchesne, dans le Bulletin critique, Paris, 1886, t. VII, p. 329 ; les Analecta bollandiana, Bruxelles, t. XIII, p. 167. Et ils écartent les témoignages de Grégoire de Tours, de saint Jérôme, du pseudo-Justin. Celui de Grégoire, disent-ils, est ruiné par une erreur grossière : il brouille si bine l’ordre chronologique que, après avoir distingué le massacre de 177 de celui où succomba Irénée, il place après la mort d’Irénée celle de quarante-huit des martyrs de 177. Saint Jérôme ne souffle mot du martyre d’Irénée dans le De viris [col.2397 fin / col.2398 début] illustribus, où il consacre une notice ; l’appellation de « martyr » se trouve dans ses commentaires sur Isaïe, où il ne mentionne Irénée qu’en passant, et il y a des chances pour que les mots et martyr, ajoutés en marge par un lecteur, aient glissé de là dans le texte. Cf. G. Cave, Scriptorum ecclesiasticorum historia litteraria, Bâle, 1741, t. I, p. 67. Le pseudo-Justin a écrit trop tard pour inspirer confiance. Si impressionnants qu’ils soient, ces arguments ne forcent pas la conviction. Le pseudo-Justin, qu’il ait écrit au IVe ou au Ve siècle, s’il ne fournit pas une preuve décisive, n’est pas négligeable. Saint Jérôme ne dit pas dans le De viris illustribus, qu’Irénée ait été martyr ; il ne le dit pas non plus de saint Clément et de saint Hippolyte. Mais ce qu’il n’a pas fait pour ces derniers dans cet ouvrage, il l’a fait ailleurs, pour saint Clément, à travers une citation de Rufin, Apologia adversus libros Rufini, l. II, c. XVII, P. L., t. XXIII, col. 439, et, pour saint Hippolyte, dans le commentaire sur saint Matthieu, prol., P. L., t. XXVI, col. 20, postérieur et dans une lettre au pape Damase, Epist. XXXVI, P. L., t. XXII, col. 460, antérieure au De viris illustribus. Pourquoi n’aurait-il pu omettre la mention du martyre d’Irénée dans le De viris illustribus et l’inscrire dans le commentaire sur Isaïe, qui lui est postérieur d’une vingtaine d’années ? Dans l’Adversus Helvidium, c. XVII, P. L., t. XXIII, col. 201, Jérôme allègue Ignatium, Polycarpum, Irenæum, Justinum martyrem. Qu’est-ce à dire ? Que seul, des quatre, Justin a été martyr ? Jérôme sait bien que non, et, dans le De viris illustribus, c. XVI, XVII, col. 635, il parle du martyre d’Ignace et de Polycarpe. L’argument e silentio demande, pour être probant, des conditions qui ne se réalisent pas dans le cas présent. De même en ce qui regarde Eusèbe. Son silence est difficile à expliquer ; mais ne se tait-il pas sur le martyre de saint Hippolyte, qu’il nomme à plusieurs reprises ? Le martyrologe hiéronymien n’omet pas seulement pour Irénée, mais encore pour un certain nombre de martyrs indiscutables, l’indication du martyre. Cf. L. Lévêque, Le martyre de saint Irénée, dans La science catholique, Paris, 1892-1893, t. VII, p. 799-800. Enfin, la phrase qui place après celle d’Irénée la mort de quarante-huit victimes de la persécution de 177 suffit-elle à vicier à fond le témoignage de saint Grégoire de Tours ? Elle prouve seulement que Grégoire, qui avait sous les yeux, d’une part, la révélation des événements de 177, et, d’autre part, un récit de la mort d’Irénée, a interverti maladroitement l’ordre des faits. Encore pourrait-on se demander si l’anachronisme ne serait pas dû plutôt à la maladresse d’un copiste, car Grégoire fournit le moyen de corriger l’erreur en donnant ailleurs à sa vraie place la liste des compagnons de martyre de Pothin. Cf. Miraculorum, l. I, De gloria martyrum, c. XLIX-L, col. 751-752. Bref, conclut P. Allard, Histoire des persécutions pendant la première moitié du IIIesiècle, Paris, 1886, p. 156-157, « si tous les doutes ne sont pas levés relativement au martyre d’Irénée, cependant on a de fortes chances d’y croire. » D’après P. Allard également, p. 157, selon toute apparence, ce martyre est du temps du séjour de Sévère en Gaule, en 208. La donnée du fragment syriaque publié par Harvey, dans son édition d’Irénée, Cambridge, 1857, t. II, p. 454, d’après laquelle, il aurait été tué par les hérétiques, mérite peu de confiance. Peut-être a-t-elle son origine dans une erreur de copiste qui, là où il y avait : « Irénée, qui tua, c’est-à-dire vainquit, détruisit les hérétiques, » aurait écrit : « qui fut tué par les hérétiques. » Cf. A. Harnack, Geschichte der altchristlichen Litteratur bis Eusebius, Leipzig, 1897, t. II a, p. 322, n. 2.

      TRAVAUX D’ENSEMBLE. ― Il y a toujours lieu de consulter sur Irénée les ouvrages très généraux sur l’histoire ancienne de l’Eglise et l’ancienne littérature chrétienne et sur- [col.2398 fin / col.2399 début] tout : Tillemont, Mémoires. . . etc., Paris, 1695, t. III, p. 77-99, 619-629 ; Ellies du Pin, Nouvelle bibliothèque des auteurs ecclésiastiques, 3e édit, Paris, 1698, t. I, p. 160-178 ; Fabricius-Harles, Bibliotheca græca, t. VII, p. 75-87, t. X, p. 713-714 ; Oudin, Commentarius, Leipzig, 1722, t. I, p. 266-203 ; R. Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés, Paris, 1730, t. II, p. 135-196 ; J. J. Ampère, Histoire littéraire de la France avant le XIIesiècle, Paris, 1839, t. I, p. 166-191 ; A. Harnack, Geschichte der altchristlichen Litteratur bis Eusebius, t. I, p. 263-288 ; t. II, a, p. 320 sq., 517 sq. ; O. Bardenhewer, Patrologie, 3e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1912, p. 96 sq., et Geschichte der altkirchlichen Literatur, 2e édit., Fribourg, 1913t. I, p. 399-430.

      Voir aussi les articles des diverses encyclopédies : A dictionary of christian biography, 1882, t. III, p. 253-279, (art. de Lipsius) ; Kirchenlexicon, 2e édit., 1889, t. VI, p. 867-872, (Strebeo) ; Realencyklopädie, 3e édit., 1901, t. IX, p. 401-411 (très remarquable article de Zahn).

      Parmi les ouvrages spéciaux consacrés à Irénée, citons : P. Halloix, De vita S. Irenæi, dans Ecclesiæ orientalis scriptorum vitæ, Douai, 1636, t. II, p. 402-694 ; H. Dodwell, Dissertationes in Irenæum, Oxford, 1689 ; J. E. Grabe, Prolegomena de vita el scriptis Irenæi, en tête de son édition, Oxford, 1702, reproduits dans P. G., t. VII, col. 1351-1364 ; Dom Massuet, Dissertationes præviæ in Irenæi libros, en tête de son édition, ibid., col. 23-282 ; S. Deyling, S. Irenæus, evangelicæ veritatis confessor ac testis a R. Massueti pravis explicationibus vindicatus, Leipzig, 1717, 2e édit., 1721 ; J.-B. Prilezky, Acta et scripta S. Irenæi, Kaschau, 1765 ; J. Beaven, An account on the life and writings of S. Irenæus, Londres, 1841 ; C. Graul, Die christliche Kirche an der Schwelle des irenäischen Zeitalters, Leipzig, 1870 ; Mgr Freppel, S. Irénée, Paris, 1861 ; H. Ziegler, Irenäus der Bischof von Lyon, Berlin, 1871 ; R. A. Lipsius, Die Zeit des Irenäus von Lyon, dans l’Historische Zeitschrift, Munich, 1872, t. XXVIII, p. 241-295 ; A. Gouilloud, S. Irénée et son temps, Lyon, 1876 ; J. Quarry, S. Irenæus and early christianity, dans la British quaterly review, Londres, 1879, t. LXX, p. 96-311 ; A. Dufourcq, L’avenir du christianisme, t. III, Le Christianisme primitif : S. Paul, S. Jean, S. Irénée, Paris, 1909 ; S. Irénée (collect. Les saints), Paris, 1904 ; S. Irénée (collect. La pensée chrétienne), Paris, 1905 ; F. R. Montgomery Hitchcock, Irenaeus of Lugdunum, a study of his teaching, Cambridge, 1914.

      BIOGRAPHIE. ― Outre ces ouvrages consulter : D. Papenbroeck (Papebrochius), dans les Acta sanctorum, Anvers, 1709, junii, t. V, p. 3335-342 ; C. Janning, dans les Acta sanctorum, Anvers, 1715, junii, t. VI, p. 263-272 ; L. Leimbach, Wann ist Irenäus geboren ? dans la Zeitschrift für die gesamte lutherische Theologie und Kirche, 1873, t. XIV, p. 614-629 ; B. Aubé, Mes chrétiens dans l’empire romain de la fin des Antonins au milieu du IIIesiècle, Paris, 1881, p. 97-105 ; P. Allard, Histoire des persécutions pendant la première moitié du IIIesiècle, Paris, 1886, p. 150-157 ; T. Zahn, Zur Biographie des Polykarpus und die Irenäus, dans ses Forschungen zur Geschichte des neutestamentlichen Kanons und altkirchlichen Literatur, Erlangen, 1891, t. IV, p. 247-283 ; Apostel und Apostelschüler in der ProvinzAsien, op. cit., 1900, t. VI, p. 27-40, 53-94 ; A. Harnack, Geschichte der altchristlichen Literatur bis Eusebius, Leipzig, 1897, t. II a, p. 320-358 ; C. Narbey, Supplément aux Acta sanctorum pour des Vies de saints de l’époque mérovingienne, Paris, 1899, p. 350-372 ; L. Lévêque, Le martyre de S. Irénée, dans La science catholique, Paris, 1892-1893, t. VII, p. 791-801 ; P. Corssen, Zur Chronologie des Irenäus, dans la Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde des Urchristentums, Giessen, 1903, t. IV, p. 155-156 ; P. de Labriolle, La crise montaniste, Paris, 1913, p. 230-244. ― Sur l’organisation des Eglises des Gaules et la primauté d’Irénée : I. D. Koelerus, Dissertatio illustrans testimonium S. Irenæi de Germanis christianis in sæculo II post Christum natum, Göttingue, 1742 ; O. Hirschfeld, Zur Geschichte des Christentums in Lugdunum vor Konstantin, dans les Sitzungsberichte der k. preussischen Akademie der Wissenschaften zu Berlin, 1895, p. 381-409 ; L. Duchesne, Les fastes épiscopaux de l’ancienne Gaule, 2e édit., Paris, 1907, t. I, p. 40-46, cf. J. Turmel, dans la Revue du clergé français, Paris, 1907, t. LI, p. 490-493 ; C. F. Bellet, Les origines des Eglises de France et les fastes épiscopaux, 2e édit., Paris, 1898, p. 47-113 ; A. Harnack, Die Mission und Ausbreitung der Christentums in den ersten drei Jahrhunderten, Leipzig, 1902, p. 319-332 ; E. Vacandard, L’indistinction des Eglises de Lyon et de Vienne au temps de la persécution de Marc-Aurèle (177), [col.2399 fin / col.2400 début] dans le Bulletin d’ancienne littérature et d’archéologie chrétiennes, Paris, 1912, t. II, p. 128-131.
 


      II. ŒUVRES.

Œuvres authentiques. ― 1. Le traité contre les hérésies. a) titre. ― Le titre inscrit par Irénée, cf. l. I, c. XXII, n. 2 ; l. II, præf., n. 1, l. IV, præf., n. 1, l. V, præf., col. 670, 709, 973, 1119, nous a été conservé en grec par Eusèbe, H. E., l. V, c. VII, n. 1, P. G., t. XX, col. 445 : Έλεγχος καί άνατροπή τής ψευδωνύμου γνώσεως. Le vieux traducteur arménien de la Démonstration de la prédication apostolique, c. XCIC, P. O., t. XII, p. 730, et quelques modernes, par exemple Feuardent, dans la Commonitio préliminaire de son édition d’Irénée, Cologne, 1625, p. (14), ont traduit Έλεγχος par Critique ou Reprehensio. L’ancienne traduction latine du traité porte à meilleur droit, col. 709, 973 : « Manifestation, » De detectione et eversione falsæ cognitionis ; c’est le sens qui résulte du but de l’auteur et de la division de l’ouvrage. Ce titre est parfois cité sous des formes abrégées ou équivalentes : Πρός τάς αίρέσεις, dans Eusèbe, H. E., l. II, c. XIII, P. G., t. XX, col. 168, et saint Basile, Liber de Spiritu Sancto, c. XXIX, n. 72, P. G., XXXII, col. 201 ; Καθ΄αίρέσεων, dans saint Maxime le Confesseur, Scholia in lib. B Dionysii De eccles. hier., c. VII ; in lib. De div. nomin., c. IX, P. G., t. IV, col. 176, 377 ; Adversus hæreses, dans saint Jérôme, De viris illustribus, c. XXIV, P. L., t. XXIII, col. 649 ; Contra hæreticos, dans l’auteur d’un prologue du traité (Florus de Lyon ?) publié par J.-B. Pitra, Spicilegium Solesmense, Paris, 1852, t. I, p. 8 ; έν τοϊς κατά Ούαλεντίνου, dans la Doctrina Patrum de incarnatione Verbi, publiée par F. Diekamp Munster, 1907, p. 265, etc. Photius, Bibliotheca, cod. CXX, P. G., t. CIII, col. 401, juxtapose le titre complet et le titre abrégé : Contre les hérésies. Les éditeurs ont employé, les uns le titre Adversus hæreses, les autres Contra hæreses. Nous nous en tenons à ce dernier titre adopté par Massuet. ― b) Authenticité. ― L’authenticité est certaine, et il a fallu un véritable prurit de négation pour amener J. S. Sembler, Dissert. I, dans son édition de Tertullien, Halle, 1776, t. V, à s’inscrire en faux contre l’attribution de cet ouvrage à Irénée. G. F. Walch, Commentatio de αύθεντία librorum Irenæi Adversus hæreses, P. G., t. VII, col. 381-404, n’a pas eu de peine à démontrer contre lui que l’authenticité s’appuie sur des arguments tels que, si on ne les tenait pas pour probants, vereor sane ne nulla sit veteris historiæ omnis fides, nullum pretium, col. 398. Cf. plus brièvement, Freppel, Saint Irénée, 2e édit., Paris, 1870, p. 196-198. ― c) Objet. ― Le titre indique l’objet du livre. Le gnosticisme était venu d’Orient en Italie et en Gaule. Le gnosticisme de Valentin, modifié par Ptolémée et ses disciples, « la fleur de l’école valentinienne, » l. I, præf., n. 2 ; cf. c. XII, n. 1, col. 441, 569, et par le magicien Marc, l. I, c. XIII, n. 1, 7, col. 577, 592, ravageait la Vallée du Rhône. Cf. A. Steyert, Nouvelle histoire de Lyon, Lyon, 1895, t. I, p. 418, sur des amulettes gnostiques trouvées à Lyon. Or, « les gnostiques ne montraient pas leur erreur pour ne pas se découvrir et ne pas être pris. » Irénée résolut de les faire connaître, persuadé que « c’était déjà les vaincre que de révéler leurs doctrines. » L. I, c. XXXI, n. 3 (tenir compte de la conjecture de Feuardent, édit. de 1625, Cologne, p. 140, qu’il faut dire : detectio autem eorum au lieu de delectatio) ; cf. c. XV, n. 6, col. 705, 627. Mais, en même temps, il ne laissa pas de prouver que ces doctrines étaient contraires à la vérité, ut simus non tantum ostendentes sed et vulnerantes undique bestiam. L. I, c. XXXI, n. 4, col. 706. ― d) Division. ― Des cinq livres, le Ier est consacré à l’exposition du gnosticisme. Irénée s’occupe de Valentin et des disciples, surtout de Ptolémée et de Marc ; puis il remonte à Simon le magicien, « de qui dérivent toutes les hérésies, » [col.2400 fin / col.2401 début] c. XXIII, n. 2, col. 671, et lui rattache les diverses sectes gnostiques. Dans les livres suivants il réfute le gnosticisme, d’abord, l. II, par la raison, ex ratione, l. V, præf., col. 1119, ensuite par l’Ecriture, ex Scripturis, ex Scripturis dominicis, divinis, l. IV, præf. ; l. III, c. XXXV, n. 4, col. 842, 843 ; en premier lieu, l. III, par la doctrine des apôtres, apostolorum doctrina, l. V, præf., col. 1119 ; en second lieu, l. IV, par les paroles du Seigneur, per Domini sermones, l. III, c. XXV, n. 7, col. 972, par quoi il entend l’Ancien et le Nouveau Testament, « car les écrits de Moïse et des autres prophètes sont les paroles du Christ, » l. IV, c. II, n. 3, col. 977 ; enfin, l. V, par d’autres paroles du Christ et des apôtres, ex reliquis doctrinæ Domini nostri et ex apostolicis epistolis, l. V, præf., col. 1119, surtout de saint Paul ; cf. l. IV, c. XLI, n. 4, col. 1117. ― e) Date. ― L’ouvrage fut publié en quatre fois : d’abord les l. I-II, puis successivement les l. III, IV, V. Il s’est allongé au-delà des prévisions de l’auteur. Irénée croit, quand il va entreprendre le l. II, qu’il ne sera pas besoin de longs discours pour réfuter la doctrine exposée, l. I, c. XXXI, n. 4, col. 706 ; mais il constate déjà que enarratio in longum pergit, et, à mesure qu’il avancera, les développements prendront une ampleur imprévue. Vers la fin du l. II, c. XXXI, n. 1, col. 824, il annonce « les livres suivants », et, malgré le souci de ne pas faire trop long, l. III, c. III, n. 2, col. 848, « pour n’avoir pas l’air de fuir la preuve scripturaire annoncée, » l. II, c. XXXV, n. 4, col. 842, « pour que rien ne manque de ce que l’on attend de lui, » l. III, præf., col. 843, il publie un IIIe livre, puis un IVe, l. IV, præf., n. 1, col. 973, puis un Ve, l. V, præf., col. 1119, tous de vaste dimension, Le l. III fut écrit du vivant du pape Eleuthère (175-189). Cf. c. III, n. 3, col. 851. Irénée y cite la version de Théodotion, c. XXI, n. 1, col. 946. Si Théodotion avait publié sa traduction de l’Ecriture, en 184, comme l’ont cru Massuet, Dissert., II, a. 2, n. 47, P. G., t. VII, col. 222-223, et d’autres savants, nous aurions là le terminus a quo de la composition du l. III, le terminus ad quem étant fourni par l’année de la mort Eleuthère. Mais, en réalité, la date de Théodotion est inconnue. Reste donc qu’Irénée a écrit le l. III du temps du pape Eleuthère. Contrairement à ce que di T. Zahn, Realencyklopädie, t. IX, p. 404, le Contra hæreses fait allusion à un état de persécution de l’Eglise : tota die (Rom. VII, 36) pro omni hoc tempore dictum est in quo persecutionem patimur et ut oves occidimur, lisons-nous, l. II, c. XXII, n. 2, col. 782. Ce langage est impressionné par la persécution de Marc-Aurèle et ne convient pas au temps de Commode, à partir de 181, en faveur des chrétiens : hi qui in regali aula sunt fideles nonne ex eis quæ Cesaris sunt habent utensilia ? Le IIe livre semble donc antérieur, le IVe paraît postérieur à 181, et l’œuvre totale gravite autour de 180. ― f) Destinataire. ― Irénée envoie son écrit à un personnage qui lui est « très cher, » l. I, præf., n. 2 ; c. IX, n. 1, col. 441, 537, etc. ; qui depuis longtemps cherche à étudier la doctrine valentinienne ; qui a demandé, « commandé » (ce second mot est synonyme du premier) à Irénée de la lui faire connaître, l. III, præf., l. IV, præf., n. 1 ; l. V, præf., col. 843, 973, 1119, et qui, dit Irénée, l. I, præf., n. 3, col. 444-445, « plus habile que lui, montrera avec force à ceux qui l’entourent ce qui lui aura été indique faiblement, rivalisant avec Irénée au service des frères, selon la grâce qui lui a été donnée par le Seigneur. » Cf. encore, l. I, c. XXXI, n. 4 ; l. III, præf., l. IV, præf., n. 1 ; l. V, præf. col. 706, 843, 973, 1119-1120. Irénée écrit en grec : « Tu n’attendras pas, dit-il, l. I, præf., n. 3, col. 444, l’art du style de nous qui vivons parmi les Celtes et qui, [col.2401 fin / col.2402 début] la plupart du temps, employons un langage barbare, » (sans doute le latin, plutôt que le celtique). Le destinataire du traité n’habite donc pas vraisemblablement dans la Gaule, mais dans un pays où le grec est en usage, où sévit le valentinianisme, probablement en probablement en Egypte ou dans l’Asie Mineure. A-t-il été évêque ? L’auteur du prologue publié, sous le nom de Florus de Lyon, par J.-B. Pitra, Spicilegium Solesmense, Paris, 1852, t. I, p. 8, lui en donne le titre. Toutefois, le Quemadmodum postulasti a nobis obedientius præcepto tuo, quoniam et in administratione sermonis positi sumus, l. V, præf., col. 1119, n’indiquerait-il pas une différence de fonction entre Irénée chargé du ministère de la parole et celui qui lui a demandé d’écrire, et n’inviterait-il pas à voir dans ce dernier un prêtre de marque ou même un laïque influent ? A mentionner, pour mémoire, le pseudo-Flavius Dexter imaginant, Chronic., an. 185, P. L., t. XXXI, col. 531-532 que le destinataire de l’ouvrage d’Irénée fut Turibius, évêque de Tolède. ― g) Traduction latine. ― Qu’en est-il du texte grec de l’ouvrage, qui aurait été vu à la bibliothèque de Venise, ou à la Vaticane ? La question a été agitée. Si ce n’est à Venise et à la Vaticane, le texte grec exista au XVIe siècle, dans un monastère de Pathmos et, au XVIIe, dans un monastère de l’Athos. Cf. A. Harnack, Geschichte der altchristlichen Litteratur bis Eusebius, Leipzig, 1893 t. I, p. 264-265, et voir, à la bibliographie, les travaux de Zahn et de P. Meyer. D’aucun de ces manuscrits, on a retrouvé les traces, et le texte grec est perdu, sauf ce qui en a été conservé par les citations, dont quelques-unes sont importantes, qu’en a faites l’antiquité chrétienne. Mais nous en possédons une traduction latine, très complète, très littérale (à signaler pourtant quelques brèves gloses du traducteur, par exemple, l. II, c. XXI, n. 2, col. 780 ; cf. la note 62) d’une latinité fruste, et certainement antérieure à saint Augustin, qui la cite fort exactement. Contra Julianum, l. I, c. II, n. 5, P. L., t. XLIV, col. 644. Cf. Cont. hær., l. IV, c. II, n. 7, l. V, c. XIX, n. 1, col. 979, 1175-1176. Elle n’est pas d’Irénée lui-même comme l’a supposé, avec plusieurs, Feuardent, dans la Commonitio qui est en tête de son édition d’Irénée, Cologne, 1625, p. (14), car elle contient des contresens qu’Irénée ne pouvait commettre. elle ne saurait être non plus de Tertullien dont elle ne reproduit ni le vocabulaire, ni la syntaxe. Cf. Massuet, Dissert., II, a. 2, n. 53, P. G., t. VII, col. 233-234. Elle est d’autre part, en relation évidente avec l’Adversus valentinianos de Tertullien. Cf. A. d’Alès, La date de la version latine de saint Irénée, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1916, t. VI, p. 133-135. Pour expliquer ces rapports, deux hypothèses ont été émises. La première, proposée par Dodwell, Dissertationes in Irenæum, V, § 6, et reprise par H. Jordan, Das Alter und die Herkunft der lateinischen Uebersetzungdes Hauptwerkes des Irenäus, dans les Theologische Studien dédiées à T. Zahn, Leipzig, 1908, p. 133-192, veut que le traducteur d’Irénée ait reproduit la traduction faite par Tertullien de plusieurs passages d’Irénée ; sa traduction serait du IVe siècle. La deuxième, défendue par Grabe, Prolegomena, I, § 2, n. 3 = P. G., t. VII, col. 1356, Massuet, loc. cit., et, de nos jours, par F. R. Montgomery Hitchcock, Irenaeus of Lugdunum, Cambridge, 1914, p. 44, 344-347, et A. d’Alès, loc. cit., p. 136, estime que Tertullien a utilisé la version latine, laquelle se trouve reportée vers l’an 200. L’invraisemblance qu’un traducteur du IVe siècle soit allé emprunter à Tertullien des bribes de traduction et des archaïsmes d’expression, l’abondance de ces archaïsmes dans tout le cours de l’ouvrage, explicable seulement par l’enfance du latin ecclésiastique, font que la seconde hypothèse confine à la certitude. Sur quel- [col.2402 fin / col.2403 début] quels particularités littéraires et grammaticales de ce latin, cf. Hitchcock, op. cit., p. 349-353. Cette traduction a été conservée dans de nombreux manuscrits ; dix-neuf sont connus, la plupart incomplets des des derniers chapitres, l. V, c. XXXII-XXXVI, où Irénée patronne le millénarisme. Grabe, Prolegomena, I, § 2, n. 6 = P. G., t. VII, col. 1358, a prétendu à tort que nous n’avons pas la finale du traité. Cf. Massuet, Dissert., II, a. 2, n. 54, P. G., t. VII, col. 235. De ce que nous lisons dans Agobard, De judaicis superstitionibus, c. IX, P. L., t. CIV, col. 85, une citation du Contra hæreses différente du texte de l’antique traduction latine, G. Mercati, D’alcuni nuovi sussidi per la critica del testo di San Cipriano, Rome, 1899, p. 100-108, avait d’abord cru pouvoir conclure à la l’existence d’une seconde version latine ; mais, plus tard, Note di letteratura biblica e cristiana antica, Rome, 1901, p. 241-243, il reconnut que la citation d’Agobard provient non d’une traduction intégrale du traité contre les hérésies, mais de la traduction, par Rufin, d’un des fragments d’Irénée insérés par Eusèbe dans son Histoire Ecclésiastique. Le grand ouvrage d’Irénée fut également traduit en arménien. Nous possédons les l. IV-V de cette version. Nous avons aussi des fragments syriaques ; probablement ce ne sont pas des restes d’une traduction incomplète.

      2. La Démonstration de la prédication apostolique, dont l’existence était connue par Eusèbe, H. E., l. IV, c. XXVI, P. G., t. XX, col. 509, était, jusqu’à ces derniers temps, considéré comme perdue. Une traduction arménienne en a été découverte en décembre 1904, dans un manuscrit de l’Eglise de la Mère de Dieu, à Erivan (Arménie russe), par Karapet Ter-Mekerttschian, alors vicaire du catholicos, et publiée, à Leipzig, en 1907, avec une traduction allemande de K. Ter-Mekerttschian et d’Erdwand Ter-Minassiantz et des notes d’A. Harnack, Des heil. Irenäus Schrift zum Erweise der apostolischen Verkündigung. Le manuscrit est de la seconde moitié du XIIIe siècle. La traduction est antérieure et, sinon du Ve, du moins du VIIe ou du VIIIe siècle. Elle est très littérale. On ne sait si elle a été faite directement sur l’original grec ou sur un intermédiaire syriaque. La Démonstration est postérieure au livre III du Contra hæreses, qu’elle cite. Cf. c. XCIX, P. O., t. XII, p. 730. Il n’est pas impossible que le passage sur les rois qui « haïssent maintenant (le Christ) et persécutent son nom, » c. XLVIII, p. 696, fasse allusion à la persécution de Sévère, commencée en fait en 198 et officiellement en 202. La Démonstration de la prédication apostolique était-elle intitulée : Είς έπίδειξιν τοϋ άποστολικοϋ κηρύγματος, comme semble le dire Eusèbe, ou Έπίδειξιν τοϋ άποστολικοϋ κηρύγματος, comme l’indiquerait la traduction arménienne, ou Λόγος είς έπίδειξιν τοϋ άποστολικοϋ κηρύγματος, comme le suggère Harnack ? Rien de sûr là-dessus. Le destinataire est un Marcien, qu’on a d’autant moins de raisons valables d’identifier avec l’auteur des Actes de Polycarpe, c. XX, dans H. Hemmer et P. Lejay, Les Pères apostoliques, Paris, 1910, t. III, p. 155, que ce dernier s’appelait très probablement Marcion, non Marcien. Le but d’Irénée est d’exposer « en abrégé la prédication de la vérité » et de fournir « les preuves des dogmes divins, » afin que Marcien s’affermisse lui-même dans ses convictions et puisse instruire les autres et « confondre tous ceux qui sont dans l’erreur. » C. I, p. 659. A la différence du traité contre les hérésies, la Démonstration n’est donc pas directement un livre de polémique. A. Harnack, Des heil. Irenäus Schrift zum Erweise der apostolischen Verkündigung, p. 65, y a vu une œuvre de catéchèse ; P. Drews, Der literarische Character der neuentdeckten Schrift des Irenäus zum Erweise. . ., dans la Zeitschrift, für die neutestamentliche Wissenschaft, Giessen, 1907, [col.2403 fin / col.2404 début] t. VIII, p ; 226-233, a repris et développé cette idée, signalant dans cet écrit un ancêtre du De catechizandis rudibus de saint Augustin. Pour U. Mannucci, la didascalia della Chiesa primitiva, dans la Rivista storico-critica delle scienze teologiche, Rome, 1907, t. III, p. 134-140, c’est une sorte de catéchèse supérieure, le schéma d’une didascalie transmise fidèlement à travers les générations chrétiennes et fixée partiellement dans les écrits des Pères. O. Bardenhewer, Gesch. der altkirchlichen Lit., t. I, p. 410-411, se refuse à y voir une simple catéchèse ; ce serait plutôt une apologie. Cf. S. Weber, Sancti Irenæi episcopi Lugdunensis Demonstratio apostolicæ prædicationis, Fribourg-en-Brisgau, 1917, p. 13-22. La qualification la meilleure a été donnée par J. Lebreton, Le nouveau traité de saint Irénée, dans la Revue de l’Institut catholique de Paris, Paris, 1907, t. XII, p. 131 : « Ce n’est point une discussion savante, comme l’Adversus hæreses ; c’est un exposé populaire de la foi chrétienne et des preuves. » Sans apporter des révélations sensationnelles sur la théologie d’Irénée, la Démonstration est un témoin précieux de la doctrine et de la théologie du IIe siècle, remarquable par un sens du christianisme simple, sûr et profond, d’un accent très pur. Quelques traits complètent ou corrigent le Contra hæreses.

      3. Les autres écrits d’Irénée sont perdus. Il reste des fragments de plusieurs, dont a) trois contre Florinus. C’était un prêtre de Rome qui, avec Irénée enfant, avait été l’un des auditeurs de saint Polycarpe. Florina enseigna que Dieu est l’auteur du mal ; Irénée le combattit dans une lettre Περί μοναρχίας ou Περί τοϋ μή εϊναι τόν θεόν ποιη τήν κακών, Sur la monarchie ou que Dieu n’est pas l’auteur du mal. Puis, Florinus étant tombé dans le valentinianisme, Irénée écrivit le Περί όγδοάδος, Sur l’ogdoade, Eusèbe, H. E., l. V, c. XX, P. G., t. XX, col. 484. Irénée demanda par lettre, la déposition de Florinus au pape Victor. On a dépensé beaucoup d’encre en pure perte pour identifier Florinus avec Tertullien. Voir la bibliographie. ― b) Florinus fut le chef d’une petite Eglise schismatique de Rome, en compagnie d’un certain Blastus. Irénée adressa à Blastus une lettre Sur le schisme, Περί σχίσματος, cf. Eusèbe, H. E., l. V, c. XV, XX, P. G., t. XX, col. 464, 484, dont nous avons un fragment dans une traduction syriaque. ― c) Dans la question de la Pâque écrivit une lettre au pape Victor, une autre aux fidèles, d’autres à plusieurs évêques. Cf. Eusèbe, H. E., l. V, c. XXIII, XXIV, P. G., t. XX, col. 493, 500, 508. Le pseudo-Justin, Responsiones ad orthodoxos, CXV, P. G., t. VI, col. 1364, cite un traité d’Irénée sur la Pâque, Περί τοϋ Πάσχα λόγος, qui pourrait bien être une de ces lettres. ― d) Eusèbe a connu de lui un « court mais nécessaire » traité Περί έπιστήμης, De la science, adressé aux Grecs, H. E., l. V, c. XXVI, P. G., t. XX, col. 509, dont la perte est bien regrettable. Il semble que saint Jérôme De viris illustribus, c. XXXV, P. L., t. XXIII, col. 649, l’ait dédoublé de la sorte : Scripsit. . . contra gentes volumen breve, et de disciplina aliud. e) Eusèbe mentionne aussi, loc. cit., un livre de Discours ou Traités variés, βιβλίον τι διαλέξεων διαφόρων, qui parait avoir été un recueil d’homélies, et dont nous possédons des fragments. ― f) Irénée avait annoncé, Cont. hær., l. I, c. XXVII, n. 4 ; l. III, c. XII, n. 12, col. 689, 906, un traité comme Marcion. A lire Eusèbe, H. E., l. IV, c. XXV, P. G., t. XX, col. 389, on croirait d’abord que ce dessein fut exécuté. Mais, dans ce passage, Eusèbe fait une confusion ou allusion aux chapitre du Contra hæreses contre cet hérétique ; on s’en rend compte quand on le voit plus loin, l. V, c. XXII, col. 452, s’expliquer sur le projet d’Irénée.

      Œuvres douteuses et apocryphes. ― 1. Maxime le Confesseur, Ex quæstionibus a Theodoro monacho [col.2404 fin / col.2405 début] illi propositis, P. G., t. XCI, col. 276, cite un fragment d’un traité d’Irénée Sur la foi, Περί πίοτεως, adressé à Démétrius, diacre de Vienne, dont il indique l’incipit : « Toi qui cherches Dieu, écoute David qui dit. » D’autres fragments de ce traité ont été publiés. L’attribution à Irénée peut être légitime, et il n’y a pas lieu, en particulier, de lui enlever ce traité pour le donner à Méliton. Cf. T. Zahn, Realencyklopädie, t. IX, p. 405. Mais, en l’absence d’une attestation plus ancienne, la paternité d’Irénée reste douteuse. ― 2 Œcuménius, Comment. in Epist. I S. Petri, c. III, P. G., t. CXIX, col. 536-537, donne un fragment d’un écrit où Irénée parlait des martyrs de Lyon Sanctus et Blandine. Ce fragment appartenait sans doute à la partie de la lettre lyonnaise sur les martyrs de 177 qui n’a pas été reproduite par Eusèbe. Que saint Irénée ait été l’auteur de de cette lettre, c’est ce que beaucoup ont admis au moins comme probable. Les preuves positives manquent ; à l’appui de cette hypothèse il y a non seulement ceci « qu’on ne connaît personne qui fût plus digne que lui et plus en état » d’écrire cette admirable lettre, ainsi que l’a remarqué Tillemont, Mémoires, t. III, p. 2, mais encore une ressemblance d’esprit et d’idées entre l’auteur de la lettre et Irénée. Cf. E. Renan, Marc-Aurèle, p. 339-340, note. Sur les futiles attaques de l’américain J. W. Thompson contre la valeur de cette lettre, voir à la bibliographie. ― 3. Théodoret, Hæretic. fabul. compendium, l. I, c. XXIII, P. G., t. LXXXIII, col. 372, dit que les prêtres romains Florinus et Blastus ayant passé au valentinianisme, Irénée, qui déplorait cette perte, écrivit contre Valentin. S’agit-il là d’un écrit spécial contre Valentin, ou d’un des écrits adressés à Florinus et Blastus ? Cette dernière hypothèse est plus vraisemblable. ― 4. Quand saint Jérôme De viris illustribus, c. IX, P. L., t. XXIII, col. 625, dit que saint Irénée, comme saint Justin, a « interprété » l’Apocalypse, entend-il par là un commentaire spécial de l’Apocalypse ? Ce n’est pas un probable, car, plus loin, c. XXIII, XXXV, col. 641, 649, dans ses notices sur Justin et Irénée, où il donne la liste de leurs œuvres, il n’est pas question de ce commentaire. Sans doute il fait allusion aux explications de l’Apocalypse qui se trouvent au l. V du Contra hæreses, à moins qu’il n’ait voulu dire tout simplement, ainsi que l’a supposé l’éditeur de saint Jérôme, P. L., t. XXIII, col. 625, que Justin et Irénée ont appelé « Apocalypse » la vision de saint Jean. Sûrement Irénée n’est pas l’auteur du commentaire sur l’Apocalypse qui lui est attribué dans le Voyage littéraire de deux religieux bénédictins (E. Martène et U. Durand), Paris, 1717, t. II, p. 260. ― 5. Le Περί τής άγίας Τρίαδος, mentionné comme l’œuvre d’Irénée par un manuscrit des Sacra parallela attribués à saint Jean Damascène, Geschichte der altchristlichen Litteratur bis Eusebius, t. I, p. 264, n’a pas été composé par lui. ― 6. Les scholies d’Irénée, qui se trouvent dans un manuscrit de Moscou, du XIe siècle, cf. A. Harnack, op. cit., t. I, p. 264, ne sont vraisemblablement pas authentiques. ― 7. Le Περί τοϋ παντός, que quelques-uns, au rapport de Photius, Bibliotheca, cod. XLVIII, P. G., t. CIII, col. 85, attribuaient à Irénée, n’est pas de lui, mais de saint Hippolyte. Cf. A. d’Alès, La théologie de saint Hippolyte, Paris, 1906, p. IV, XXIX, XXXIII, L. ― 8. Sous le nom d’Irénée ont été publiés en grec, en syriaque, en arménien, un certain nombre de fragments d’un Περί τοϋ μή εϊναι άγέννητον τήν ύλην, de commentaires sur l’Ecriture, de traités théologiques. L’authenticité de la plupart de ces morceaux n’est rien moins que sûre. Cf. A. Harnack, Geschichte der altchristlichen Litteratur bis Eusebius, t. I, p. 264, 281-288, t. II a, p. 518-522. Leur importance, en général, n’est pas grande. Parmi les plus importants seraient les trois textes christologiques (le 1er [col.2405 fin / col.2406 début] avec une traduction latine d’E. Renan) publiés par J.-B. Pitra, Spicilegium Solesmense, Paris, 1852, t. I, p. 3-7, et les sept fragments également christologiques récemment publiés par Karapet Ter-Mekerttschian, évêque d’Azerbijan, d’après un manuscrit du monastère de Saint-Etienne à Darashambi (Arménie russe), P. O., t. XII, p. 732-744. Le 1er reproduit tel quel le 1er fragment édité par Pitra. Le 2e, très court, est tiré avec des différences verbales, de Dem., c. XXXI, p. 683-684. Le 5e se présente comme extrait « du discours sur l’incarnation du Rédempteur, » p. 735 ; le 6e comme tiré « du discours : Ceux qui. . ., » p. 736 ; le 7e comme venant du « discours contre Colarbus et ses adhérents, qui déclarent que le Christ, par l’imperfection et les défauts assumés par lui, a subi la tristesse et la crainte, » p. 741-744. Il y a là les réminiscences du Contra hæreses ; mais la rédaction est postérieure au concile de Nicée et, sans doute, du temps des grands débats sur le monophysisme. les expressions suivantes sont significatives : « Dieu de Dieu, Fils du père, » Pitra, p. 4, et P. O., p. 733 : « le Verbe de Dieu toujours consubstantiel a été fait chair, » P. O., p. 744. L’utilisation d’un passage de la Démonstration montre comment on s’y est pris. Là où saint Irénée disait, P. O., p. 683 : « Il (le Verbe incarné) a uni l’homme à Dieu et opéré la communauté de société entre Dieu et l’homme, car il nous serait impossible autrement de participer à l’immortalité si. . ., » le nouveau texte porte, p. 733 : « Il unit la nature divine et la nature humaine, car il nous serait impossible autrement de participer à l’immortalité si. . . » D’autre part, les 1er et 3e textes du Spicilegium Solesmense, p. 3-4, 6-7, se lisent dans Timotheus Ælurus, des Patriarchen von Alexandrien Widerlegung der auf der Synode zu Chalcedon festgsetzen Lehre, texte arménien publié par Karapet Ter-Mekerttschian et Erwand Ter-Minassiantz, Leipzig, 1908, p. 256-258. Cf. F. Cavallera, Le dossier patristique de Timothée Ælure, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, Paris, 1909, p. 355. Il est probable que tous ces textes se rattachent à l’entreprise monophysite de falsification patristique sur laquelle Anastase le Sinaïte, Viæ dux, c. X, P. G., t. LXXXIX, col. 184-185, ouvre un jour éclatant. ― 9. En 1715, après les avoir communiqués à S. Maffei, qui les avait publiés dès 1713, dans le Giornale de’ letterari d’Italia, un professeur protestant de Tubingue, C. M. Pfaff, édita, sous le nom de saint Irénée, d’après, disait-il, des manuscrits des Chaînes des Pères de la bibliothèque de Turin, quatre fragments assez courts, mais non sans importance, surtout le 2e qui concerne l’épiclèse eucharistique, et le 4e qui se rapporte au salut universel, P. G., t. VII, col. 1255, 1256-1257. L’authenticité de ces fragments fut combattue par Maffei et le conventuel Maia Leoni ; Pfaff la défendit énergiquement. L’opinion leur fût plutôt favorable. Cf. par exemple, dom. R. Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, Paris, 1730, t. II, p. 178. Quelques-uns hésitèrent ; ce qui les décida à se tenir sur la réserve, c’est que les manuscrits allégués par Pfaff restèrent introuvables. Puis, d’autres, tel A. Harnack, Geschichte der altchristlichen Litteratur bis Eusebius, t. I, p. 760 ; cf. P. Batiffol, La littérature grecque, 2e édit., Paris, 1898, p. 105, jugèrent que ces fragments ne semblent pas d’Irénée, dont ils portent le nom, mais peuvent être du IIe siècle et sont dans la même nuance doctrinale qu’Irénée. F. X. Funk, Kirchengeschichtliche Abhandlungen und Untersuchungen, Paderborn, 1897, t. II, p. 198-208, approfondit la question et crut pouvoir conclure que l’authenticité du 1er fragment est probable, celle du 3e douteuse, que le 4e ne soulève aucune objection et que le 2e fragment est du Ve siècle. Enfin, une étude retentissante de A. Harnack, Die Pfaffschen Irenäusfragmente als Fälschungen Pfaffs [col.2406 fin / col.2407 début] nachgewiesen, Leipzig, 1900, a démontré que les fragments sont d’un faussaire, que ce faussaire est Pfaff lui-même, et que la tendance théologique des quatre fragments en question est piétiste et anti-orthodoxe, c’est-à-dire conforme à la position religieuse de Pfaff.

      I. EDITIONS. ― 1° Le Contra hæreses. ― 1. Texte grec. ― L’original est perdu. Nous en possédons des fragments. Une partie considérable du l. I (præf., c. I-XXI, et quelques autres passages) a été conservé dans le Panarium de saint Epiphane. D’autres fragments des cinq livres nous sont connus par saint Hippolyte, Eusèbe (et Nicéphore Calliste), saint Athanase, saint basile, Théodoret, saint Anastase le Sinaïte, André de Césarée, Procope de Gaza, saint maxime le Confesseur, saint Jean Damascène et les Sacra parallela qui lui sont attribués, Nicétas Serronius, Arétas, Œcuménius et les Chaînes des Pères. Presque tous ces textes grecs sont reproduits dans l’édition de Massuet, sauf, bien entendu, ceux qui ont été fournis par les Philosophoumena de saint Hippolyte publiés longtemps après Massuet (1851) ; ils sont donnés dans les éditions Harvey et Mannucci. De nouveaux fragments ont été publiés par A. Papadopoulos-Kerameus, Άνάλεκτα ίεροσολμιτικής σταχυολογίας Saint-Pétersbourg, 1891, t. I, p. 387-389 ; J. Hausleiter, dans la Zeitschrift für Kirchengeschichte, Gotha, 1894, t. XIV, p. 69-73 ; C. Diobouniotis et A. Harnack, Die Scholienkommentar des Origines zur Apokalypse Johannis nebst einem Stück aus Irenäus (Texte und Untersuchungen), t. XXXVIII, 3), Leipzig, 1911, p. 41-44. ― 2. Traduction latine. ― L’édition princeps a été publiée à Bâle, chez Froben, par Erasme, 1526 ; nouvelles éditions, 15281534, et, après, la mort d’Erasme (1536), 1545, 1548, 1554, 1560, 1563, 1567. Autres éditions par le protestant N. Desgaillards (Gallasius), Genève, 1570 ; le pasteur J. J. Grynée, Bâle, 1571 ; le cordelier F. Feuardent, 1575-1576, 1596 (édition améliorée), 1625, 1639, 1675, 1677, Cologne et Paris ; le protestant J. E. Grabe, Oxford, 1702 ; le bénédictin R. Massuet (très belle édition), Paris, 1710 ; Venise, 1734 ; Paris, 1857, P. G., t. VII, D. A. B. Caillaut, Tatiani assyrii et sancti Hippolyti et episcopi et martyris opera, Paris, 1842, t. I, p.217-552 ; t. II, p. 1-58 (édition partielle) ; A. Stieren, Leipzig, 1853 ; W. Harvey, Cambridge, 1857 ; U. Mannucci, dans la Bibliotheca sanctorum Patrum et scriptorum ecclesiasticorum. Series II. Scriptores græci antenicæni, t. III, Rome, 1907 ; cf. E. B(uonaiuti), dans la Rivista storico-critica delle scienze teologiche, Rome, 1907-1908, t. III, p. 482-483 ; t. IV, p. 65-66. Feuardent, le premier, publia les cinq dernies chapitres, absents de la plupart des manuscrits à cause de leur millénarisme ; il montra aisément leur authenticité. Cf. son édition de Cologne, 1625, p. 494-495. Les chapitres conservés par saint Epiphane avaient paru dans la traduction du Panarium par J. Hagenbut (Cornarius), Bâle, 1543, et cette traduction passa dans l’édition de Grynée. J. de Billy, (Billius), abbé de Saint-Michel en l’Herm (Vendée), publia une nouvelle traduction, Interpretatio latina XVIII (XXI) priorum libri I S. Irenæi adversus hæreses capitum, Paris, 1575, qui fut reproduite par Feuardent et par Massuet. Enfin, dans son édition d’Epiphane, Paris, 1622, P. G., t. XLI, D. Petau, donna une quatrième traduction de ces chapitres. ― 3. Traductions syriaques et arméniennes. ― Nous avons des fragments syriaques et arméniens du Contra hæreses, dans l’édition Harvey, t. II, p. 431-453, et dans J.-B. Pitra, Spicilegium Solesmense, Paris, 1852, t. I, p. 1-2 ; Analecta sacra, Paris, 1882, t. II, p. 18-26 ; 1884, t. IV, (édité par P. Martin), p. 17-25, 33, 292-299, 304 ; H. Jordan, Armenische Irenäus-Fragmente, dans Texte und Untersuchungen, 1913, t. XXXVI, fasc. 3. Nous possédons depuis peu les l. IV-V en entier dans une traduction arménienne, du VIIe ou du VIIIe siècle, publiée, d’après le même manuscrit qui a livré la Démonstration de la prédication apostolique, par Erwand Ter-Minassiantz, Irenäus gegen die Häretiker, Buch IV und V in armenischer Version (Texte und Untersuchungen, t. XXXV, 2), Leipzig, 1910. ― 4. Traductions modernes. ― Il existe une traduction française médiocre par l’abbé de Genoude (A. E. Genou), dans Les Pères de l’Eglise, Paris, 1837, et une bonne traduction partielle par A. Dufourcq, Saint Irénée (collection La pensée chrétienne), Paris, 1905 ; une traduction allemande d’E. Klebba, dans la Bibliothek der Kirchenväter, Kempten, 1912. Cf. P. de L(abriolle), dans le Bulletin d’ancienne littérature et d’archéologie chrétiennes, Paris, 1912, t. II, p. 315-316. ― 2° La Démonstration de la prédication apostolique. ― Elle a été publiée, pour [col.2407 fin / col.2408 début] la première fois, par Karapet Ter-Mekerttschian et Erwand Ter-Minassiantz, Des heiligen Irenäus Schrift zum Erweise der apostolischen Verkündigung (Texte und Untersuchungen, t. XXX, 1), Leipzig, 1907 ; 2e édit. améliorée, 1908 ; nouvelle édit., par K. Ter-Mekerttschian et Wilson, dans la Patrologia orientalis, (P. O.), Paris, 1919, t. XII, fasc. 5, p. 659-731. Traductions allemandes par les éditeurs des deux premières éditions, à la suite du texte arménien, et par S. Weber, à la suite de la traduction par E. Klebba, du Contra hæreses, dans la Bibliothek der Kirchenväter, Kempten, 1912, t. II. Traduction latine par S. Weber, S Irenæi episcopi Lugdunensis Demonstratio apostolicæ prædicationis, Fribourg-en-Brisgau, 1917. Traduction française par J. Barthoulot, avec une introduction par J. Tixeront, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1916, t. VI, p. 361-432, reproduite dans la Patrologia orientalis, t. XII, p. 747-802. Traduction anglaise par Wilson, avec la collaboration du prince Max de Saxe, P. O., t. XII, p. 659-731. Sur une traduction russe, cf. P. O., t. XII, p. 655. ― 3° Œuvres dont nous n’avons que des fragments. ― Eusèbe nous a conservé des fragments de deux écrits adressés à Florinus, H. E., l. V, c. XX, et de la lettre au pape Victor sur la Pâque, c. XXIV, P. G., t. XX, col. 484-485, 501-508. Voir les autres fragments grecs, authentiques ou douteux, dans P. G., t. VII, col. 1231-1248, 1257-1264, 2017-2018 ; les fragments syriaques et arméniens, dans l’édition Harvey, t. II, p. 454-469 ; J.-B. Pitra, Analecta sacra, t. II, p. 200-201 ; t. IV, p. 26-35, 299-305 ; P. O., t. XII, p. 732-744 (avec la traduction française de Bayan pour les trois premiers fragments et de Maxudian pour les autres) ; K. Ter-Mekerttschian et E. Ter-Minassiantz, Timotheus Ælurus, des Patriarchen von Alexandrien Widerlegung der auf der Synode zu Chalcedon festgsetzen Lehre, Leipzig, 1908, p. 256-258. Un fragment copte dans P. de Lagarde, Catenæ in Evangelia ægyptiacæ quæ supersunt, Gœttingue, 1886, p. 220. La lettre sur les martyrs de Lyon, qu’Eusèbe avait inséré intégralement dans son Recueil d’anciens Actes des martyrs, perdu, figure, par très larges extraits, dans H. E., l. V, c. I-IV, col. 408-440. ― 4° Les fragments de Pfaff. ― Publiés, d’abord par S. Maffei, Giornale de’ letterati d’Italia, Venise, 1713, t. XVI, p. 226-228 ; puis, par C. M. Pfaff, S. Irenæi fragmenta anecdota, La Haye, 1715 ; reproduits dans les éditions d’Irénée, notamment, P. G., col. 1248-1257.

      II. TRAVAUX. ― 1° Le Contra hæreses. ― 1. Questions générales. ― H. Dodwell, Dissertationes in Irenæum, p. 286-389 ; C. G. Walch, De αύθεντία librorum Irenæi adversus hæreses commentatio, dans les Novi commentarii societatis reglæ scientiarum Gottigensis, Gœttingue, 1775, t. V b, p. 3-36 = P. G., t. VII, col. 381-404 ; A. Stieren, De Irenæi adversus hæreses operis fontibus, indole, doctrina et dignitate commentatio historico-critica, Gœttingue, 1836. ― 2. Texte grec. ― H. O. Duysing, Disputatio de textu Irenæi græco, Marbourg, 1747 ; T. Zahn, Der griechische Irenäus und der ganze Hegesippus im XVCI Jahrhundert, dans la Zeitschrift für Kirchengeschichte, Gotha, t. 1890, t. XI, p. 155-158 ; H. Lietzmann, Der Ienaer Irenäuspapyrus, dans les nachrichten von der k. Gesselschaft der Wissenschaften zu Göttingen, Philo.-hist. Klasse, Gœttingue, 1912, p. 291-320. ― 3. Traduction latine. ― H. Dodwell, Dissertationes in Irenæum, V, De latino interprete, ejus ætate capitumque partitione, Oxford, 1689, p. 390-412 ; H. O. Duysing, Disputatio de versione Irenæi latina, Marbourg, 1745 ; A. Stieren, De codice Vossiano seu Burelliano quo continentur Irenæi libri V adversus hæreses, Leipzig, 1847 ; les Prolegomena de son édition d’Irénée = P. G., t. VII, col. 405-414 ; J.-B. Pitra, Analecta sacra, Paris, 1882, t. II, p. 188-193, 211, 217 ; F. Loofs, Die Handschriften der lateinischen Uebersetzung des Irenäus und ihre Kapitelteilung, dans les Kirchengeschichtliche Studien, offertes à H. Reuter, Leipzig, 1888, p. 1-93, tirage à part, Leipzig, 1890 ; W. Sanday, The mss. of Irenaeus, dans The journal of philology, Londres, 1888, t. XVII, p. 81-94 ; H. Jordan, Das Alter und die Herkunft der lateinischen Uebersetzung des Hauptwerkes des Irenäus, dans les Theologische Studien offertes à T. Zahn, Leipzig, 1908, p. 133-192 ; G. Mercati, D’alcuni nuovi sussidit per la critica del testo di S. Cipriano, Rome, 1899, p. 100-108 ; Note di letteratura biblica e cristiana antica, Rome, 1901, p. 241-243 ; L. H. Turner, Mercati on Cyprian [col.2408 fin / col.2409 début] and Irenaeus, dans The journal of theological studies, Cambridge, 1901, t. II, p. 143-148 ; A. D’Alès, La date de la version latine de S. Irénée, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1916, t. VI, p. 133-137. ― 4. Traduction arménienne. ―F. C. Conybeare, The age of the old armenian version of Irenaeus, dans le Festschrift pour le centenaire des Mékhitaristes, Vienne, 1911, p. 193-202 ; K. Kastner, Das IV und V Buch heil. Irenäus Adversus hæreses, dans Theologie und Glaube, Paderborn, 1911, t. III, p. 758-759. ― 2° La Démonstration de la prédication apostolique. ― A. Harnack, Nachwort und Anmerkungen, à la suite de l’édition princeps de la Démonstration, Leipzig, 1907, p. 53-66 ; A. Degert, Une œuvre inédite de S. Irénée, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, Paris, 1907, p. 57-76 ; J. Lebreton, Le nouveau traité de S. Irénée sur la Démonstration de la prédication apostolique, dans la Revue de l’Institut catholique de Paris, Paris, 1907, t. XII, p. 127-142 ; M. Jacquin, dans la Revue des sciences philosophiques et théologiques, Kain, 1907, t. I, p. 373-375 ; H. Koch, Zur neuentdeckten Schrift der Irenäus, dans la Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der Urchristentums, Giessen, 1907, t. VIII, p. 68-69 ; P. Drews, Der literalische Charakter der neuentdeckten Schrift der Irenäus, ibid., p. 226-233 ; (E. van Laak), Inforno all’ opera di S. Ireneo testè scoperia, dans la Civilià cattolica, Rome, 1907, t. III, p. 580-589 ; J. Rendel Harris, Irenaeus on the apostolical Preaching, dans The expositor, mars 1907, p. 246-258 ; F. Conybeare, The newly recovered treatrise of Irenaeus, dans The expositor, Londres, juillet, 1907, p. 35-44 ; N. Sagarda, Novo-otrytoe proizvedenie Sv. Ireneia Liousgako (Un traité de S. Irénée de Lyon récemment découvert), Saint-Pétersbourg, 1907, t. I, p. 476-491, 664-691, 853-881 ; F. R. Montgomery Hitchcock, the apostolic Preaching of Irenaeus, dans The journal of theological studies, Cambridge, 1908, t. IX, p. 284-289 ; S. Weber, Zum armenischen Text der Έπίδειξις des heil. Irenäus, dans la Theologische Quartalschrift, Tubingue, 1909, t. XCI, p. 559-573 ; L. T. Wieten, Irenäus geschrift Ten bewijze der apostoliche prediking, Utrecht, 1909 ; P. N. Akinian, La doctrina prædicationis apostolicæ de S. Irénée est-elle traduite du latin en arménien ? dans l’Handes Amsorya, Monatschrift für armenische Philologie, Vienne, 1911, t. XXV, p. 305-310 ; E. Ter-Minassiantz, Zu des Irenäus Erweis der apostolischen Verkündigung, dans la Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der Urchristentums, Giessen, 1913, t. XIV, p. 258-262 ; J. Tixeront, Introduction à la traduction française, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1916, t. VI, p. 361-367 = P. O., t. XII, p. 749-755. ― 3° Œuvres dont nous n’avons que des fragments. ― Sur Florinus, voir t. VI, col.52-53, et, en plus des travaux qui y sont indiqués : K. Kastner, Irenäus von Lyon und der römische Presbyter Florinus, dans Der Katholik, Mayence, 1910, t. II, p. 40-54, 88-105 ; P. de L(abriolle), dans le Bulletin d’ancienne littérature et d’archéologie chrétiennes, Paris, 1913, t. III, p. 157-158, 169. Sur la lettre du pape Victor relative à la Pâque, cf. T. Zahn, Sendschreiben des Irenäus an Viktor von Rom, dans ses Forschungen zur Geschichte des neutestamentliches Kanons und altkirchlichen Literatur, Erlangen, 1900, t. VI, p. 31-35. Sur l’Archæus sous le nom de qui parut un fragment de la lettre à Victor dans une traduction arabe et dans une autre éthiopienne, cf. H. Jordan, Wer war Archäus ? dans la Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde des Urchristentums, Giessen, 1912, t. XIII, p. 157-160. Sur l’authenticité de la lettre des martyrs de Lyon : J. W. Thompson, The alleged persecution of the christians at Lyon in 177, dans The american journal of theology, 1912, t. XVI, p. 359-384 ; The alleged persecution of the christians at Lyon in 177. A reply to certain criticism, ibid., 1913, t. XVII, p. 249-258 ; P. Allard, Une nouvelle théorie sur le martyre des chrétiens de Lyon en 177, dans la Revue des questions historiques, Paris, 1913, t. XCIII, p. 53-67 ; Encore la lettre sur les martyrs lyonnais de 177, ibid., 1914, t. XCV, p. 83-89 ; A. Harnack, dans la Theologische Literaturzeitung, Leipzig, 1913, col. 74-79 ; P. de Labriolle, A propos de la lettre des chrétiens de Lyon en 177. Une difficulté résolue, dans le Bulletin d’ancienne littérature et d’archéologie chrétiennes, Paris, 1914, t. IV, p. 140-141. Ont été attribués faussement à Irénée des fragments de saint Hippolyte, voit t. VI, col.2498 ; cf. Bonwetsch, Drei georgisch erhaltene Schriften von Hippolytus, Leipzig, 1904, p. XIII-XIV, 49-50, 94-95 ; de S. Grégoire de Nazianze, cf. J. Viteau, Note sur un fragment grec attribué à saint Irénée, dans la Revue de philologie, Paris, 1910, t. XXXIV, p. 146-148 ; de S. Grégoire de [col.2409 fin / col.2410 début] de Nysse, cf. H. Jordan, Theologisches Literaturblatt, Bonn, 1911, p. 288. ― 4° Les fragments de Pfaff. ― S. Maffei, dans le Giornale de’ letterari d’Italia, Venise, 1713-1716, t. XVI, p. 229 ; t. XXVI, p. 51 ; C. M. Pfaff, S. Irenæi fragmenta anecdota quæ. . . duabus dissertationibus de oblatione et consecratione eucharistiæ illustravit, La Haye, 1715 ; nouvelles éditions à Tubingue, 1718, Leyde, 1743 ; F. X. Funk, Die Pfaffschen Irenäusfragmente, dans ses Kirchengeschichtliche Abhandlungen und Untersuchungen, Paderborn, 1897, t. II, p. 198-208 ; cf. D. Lenain, dans la Revue d’histoire et de littérature religieuses, Paris, 1900, t. V , p. 560-561 ; A. Harnack, Die Pfaffschen Irenäusfragmente als Fälschungen Pfaffs nachgewiesen, Leipzig, 1900 ; H. Achelis, dans le Theologische Literaturzeitung, Leipzig, 1901, col. 267 sq. ; P. Batiffol, Le cas de Pfaff d’après des pièces nouvelles, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, Paris, 1901, p. 189-200, cf. Akten des 5 internationalen Kongress katholischer gelehrten zu München (1900), Munich, 1901, p. 265 ; E. Preuschen, dans la Realencyclopädie, 3e édit., Leipzig, 1904, t. XV ; p. 234-235.


      III. DOCTRINE.

― I. SYNTHESE DOCTRINALE D’IRENEE. ― De tous les anciens écrivains ecclésiastiques, Irénée est le seul qui ait écrit une dogmatique relativement complète. La plupart des œuvres de l’antiquité chrétienne sont nées des circonstances, selon les besoins de la polémique, en vue d’un résultat partiel. Deux fois Irénée a tracé une somme de la doctrine catholique. Dans la Démonstration il l’a fait directement, mais d’une façon brève, c. I, P. O., t. XII, p. 659. Le Contra hæreses est directement l’exposition et la réfutation du gnosticisme ; mais, parce que le gnosticisme avait dénaturé tout l’enseignement chrétien, Irénée ne vint à défendre contre lui tout cet enseignement. Il nous avertit que c’est « du corps entier de la vérité » qu’il s’agit. L. I, c. IX, n. 4 ; l. II, c. XVII, n. 1, P. G., t. VI, col. 548, 802.

      A coup sûr, cet ensemble il ne l’expose selon un plan rigoureux ni dans le Contra hæreses, où le caractère polémique de l’œuvre explique cette absence d’un développement méthodique, ni dans la Démonstration, où l’on s’attendrait davantage à le rencontrer. La pensée irénéenne se plaît aux méandres les plus imprévus. Avec un peu d’attention, parmi les détours sans fin, on arrive à la suivre. Quæcumque. . . dixerint omnes hæretici in ultimum ad hoc deveniunt ut blasphement fabricatorem, et contradicant saluti plasmatis Dei quod quidem est caro, propter quam omnem dispositionem fecisse Filium Dei multis modis ostendimus, dit-il l. V, præf., n. 4, col. 975. Négation d’un seul Dieu créateur, négation du Verbe incarné et rédempteur, négation du salut de l’homme dans sa chair, à cela se ramène le gnosticisme. Toute la doctrine de vérité se réduit, au contraire, à admettre qu’il y a un seul Dieu créateur, un seul Christ, Fils de Dieu, incarné pour nous racheter, et le salut de l’homme, total corps et âme, qui vient du Christ et qu’on reçoit par le Saint-Esprit : integrum corpus operis Filii Dei ostendens, semper eumdem Deum sciens, et semper eumdem Verbum Dei cognoscens etiamsi nunc nobis manifestatus est ; et semper eumdem Spiritum Dei cognoscens, et etiamsi in novissimis temporibus nove effusus est in nos, et a conditione mundi usque ad finem in ipsum humanum genus, ex quo in credunt Deo et sequuntur Verbum ejus percipiunt eam quæ est ab eo salutem. L. IV, c. XXXIII, n. 15 ; cf. c. VI, n. 7 ; l. V, c. XX, n. 1, col. 1093, 990, 1177. C’est le cadre de ce qu’on nomme maintenant la théologie spéciale. Irénée nous offre également une partie importante de la théologie fondamentale. A l’encontre des gnostiques, qui appuient leurs doctrines fausses et changeantes sur l’Ecriture, puis, se sentant battus sur le terrain de l’Ecriture, en appellent à la tradition, et finissent par rejeter la tradition et se déclarer supérieurs à elle, l. III, c. II, col. 846-847, Irénée, dans chacun des cinq [col.2410 fin / col.2411 début] livres du Contra hæreses, même dans le l. I, qu’il donne pour un simple exposé des doctrines gnostiques, l. I, c. XXXI, n. 4 ; l. II, præf., col. 706, 707-709, même dans le l. II, qui est une réfutation du gnosticisme par la raison, l. II, c. XI, n. 2 ; c. XXV, n. 1 ; l. V, præf., col. 737, 798, 1119, établit que la règle de foi nécessaire, sûre et inébranlable, est dans l’Ecriture et dans la tradition, l’une et l’autre possédées et garanties par l’Eglise, c’est-à-dire, en langage moderne, que la règle de foi immédiate est le magistère de l’Eglise, et que l’Ecriture et la tradition sont les règles de foi éloignées principales, la raison étant la règle de foi éloignée, subsidiaire. Avec celles du magistère de l’Eglise, il aborde les diverses questions qui se posent au sujet de celle-ci. Mêmes indications dans la Démonstration en ce qui regarde la théologie tant fondamentale, c. XCVIII, que spéciale, c. VI, XCIX, p. 730, 644, 730-31. Voici donc les grandes lignes de sa synthèse doctrinale. I Théologie fondamentale. 1° Règle de foi immédiate : l’Eglise, Cont. hær., l. I, c. X ; l. II, c. IX ; l. III ; c ; III-IV ; l. IV, c. XXVI, XXXI-XXXIII ; l. V, c. XX ; Dem., c. XCVIII. ― 2. Règles de foi éloignées. 1. Principales. a) L’Ecriture, Cont. hær., l. I, c. III, XVII, XX, XXVII, XXVIII ; l. III-IV ; Dem., c. XCVIII. b) La tradition, Cont. hær., l. I, c. X, n. 2 ; l. II, c. IX ; L. III, c. I-IV ; L. V, c. XXXI, n. 1 ; c. XXXII, n. 1 ; l. V, c. XX, n. 1. ― 2. Subsidiaire : la raison, Cont. hær., l. II en particulier, c. XI, n. 2. ― II. Théologie spéciale. 1° Le Dieu unique et créateur, l. II, I, XXVIII, XXX-XXXI, XXXV ; l. III, c. V, XVXXV, n. 1 ; l. IV, c. I-VI, IX, XIV-XVII, XIX-XX, XXIX-XXXII, XXXIV-XXXVI ; L. V, c. IV ; Dem., c. IV-XXX. 2° Le Verbe incarné et rédempteur, l. II, c. XX-XXIII, XXXII ; l. III, c. XVI, XXII ; l. IV, c. VI-XIII, XVII-XVIII, XX-XXVI, XXXIII, XXXIV ; l. V, c. I-II, VII, XVI-XIX, XXI, XXIII-XXIV, XXXI, XXXIII ; Dem., c. XXX, XXXVII, XL-XCVI. ― 3° L’Esprit-Saint sanctificateur et le salut de l’homme, l. II, c. XIX, XXXIII-XXXIV ; l. III, c. XXIII, XXV, XXXIII, n. 15 ; l. IV, c. VII-VIII, XXI-XXII, XXVII-XXVIII, XXXVII-XLI, l. V, c. I-XVIII, XXV-XXVI ; Dem., c. V-VII, XXXVII-XXXIX, XCVIII-C.

      Sur l’ensemble de la doctrine, voir, en plus des travaux d’ensemble sur saint Irénée indiqués plus haut, J. Schwane, Dogmengeschichte, Munster, 1862, t. I, trad. française par P. Bélet, Paris, 1886, p. 121-135, 283-299, 442-454, 658-676 ; The witness of St. Irenaeus to catholic doctrine, dans la Dublin review, Dublin, 1876, t. XXVII, p. 117-155 ; F. Bonifas, Histoire des dogmes de l’Eglise chrétienne, publiée par C. Bois, Paris, 1886, t. I, p. 161-163 ; cf. l’index alphabétique, p. 380 ; A. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 3e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1894, 1897, t. I, p. 507-583 ; cf. le Sachregistrer, t. III, p. 827 ; A. Dorner, Grundriss der Dogmengeschichte, Berlin, 1899, p. 66-71 ; V. Courdaveaux, Saint Irénée, dans la Revue de l’histoire des religions, Paris, 1890-1891, t. VII, p. 97-117, 241-256, 304-315 ; J. Tixeront, Histoire des dogmes, Paris, 1905, t. I, p. 247-262 ; F. Loofs, Leitfaden für seine Vorlesungen über Dogmengeschichte, 4e édit., Halle, 1906, p. 139-151 ; R. Seeberg, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 2e édit. ; Leipzig, 1908, t. I, p. 285-382 ; P. Beuzart, Essai sur la théologie d’Irénée, Paris, 1908, cf. U. Mannucci, dans la Rivista storico-critica delle scienze teologiche, Rome, 1909, t. V, p. 613-614 ; P. Galtier, L’évêque docteur ; saint Irénée de Lyon, dans les Etudes, Paris, 1913, t. CXXXVI, p. 5-28, 211-223 ; les ouvrages qui traitent de l’histoire des dogmes.

      II. LA REGLE DE FOI ET L’EGLISE. ― 1° La règle de foi. ― « L’affaire de notre salut dépend de la foi ; » il faut donc avoir « une règle de foi inaltérable, » « règle de notre salut. » Dem., c. III, XCVIII, p. 662, 730. L’expression « règle de foi » ne se retrouve pas dans le Contra hæreses. L’expression « règle de vérité » y est fréquente. Quel en est le sens ? Irénée oppose la « règle de vérité » à la « règle » ou aux « règles. Or, il entend par là leurs doctrines, instables, infirmes, vaines, [col.2411 fin / col.2412 début] fausses, blasphématoires. L. II, præf., n. 2, c. XIX, n. 8 ; c. XXXV, n. 1 ; l. III, c. XI, n. 3 ; c. XVI, n. 1, 5 ; l. IV, præf., n. 2, 3 ; c. XXXV, n. 2, col. 709, 775, 837, 882, 920, 924, 973, 974, 1087. Le synonyme est γνώμη, sententia, l. I, c. XI, n. 1 ; c. XXXI, n. 3 ; l. III, c. XI, n. 3, à quoi s’oppose sententia apostolorum, l. IV, præf., n. 3, col. 560, 705, 882, 974. Un autre synonyme, c’est argumentatio, ύπόθεσις, l. I, c. VIII, n. 1 ; c. IX, n. 2, 3, 4 ; c. X, n. 3 ; c. XX, n. 3 ; col. 520, 540, 541, 544, 545, 553, 556, 656. Cf. l. IV, præf., n. 2, col. 973-974 : regulas sive argumenta ipsorum. . ., regulam ipsorum. . ., doctrinam eorum. . ., omnibus qui sunt malæ sententiæ. Par contraste, la règle de vérité, c’est la doctrine chrétienne, ferme et véritable.

      Cette « règle immobile de vérité a été reçue au baptême. » L. I, c. IX, n. 4, col. 545. La Démonstration nous livrerait-elle le canon baptismal connu d’Irénée, quand elle dit, c. III, p. 662, que la foi « tout d’abord nous oblige à nous rappeler que nous avons reçu le baptême pour la rémission des péchés, au nom de Dieu le Père, et au nom de Jésus-Christ, le Fils de Dieu, qui s’est incarné, est mort et est ressuscité et, dans l’Esprit Saint de Dieu ? » Peut-être. Cf. APOTRES (Symbole des), t. I, col. 1670, la formule de saint Cyrille de Jérusalem. Quoi qu’il en soit, la règle de vérité n’est pas seulement le canon baptismal. Irénée dit, l. I, c. IX, n. 4, col. 545-548, que, quand les gnostiques cousent bout à bout des passages épars dans l’Ecriture et les détournent dans leur sens naturel pour les tirer à eux, celui qui garde immobile la règle de vérité reçue au baptême reconnaît les mots, les phrases, les paraboles scripturaires, mais n’y reconnaît pas l’enseignement impie des gnostiques, et, remettant chaque texte à sa place et l’accommodant aux corps de la vérité, προσαρμόσας τώ τής άληθείας σωματείω, découvre la fiction et montre son inconsistance. Cela suppose plus que la connaissance du canon baptismal. Ailleurs manifestement la « règle de vérité » est la foi chrétienne, la foi véritable, l. I, c. XXII, n. 1 ; c. XXVII, n. 2 ; l. III, c. II, n. 1 ; c. XI, n. 1 ; c. XII, n. 6, l’ensemble des vérités de foi, la vérité tout court, l. II, c. XXVIII, n. 1 ; cf. c. XXV, n. 1 ; l. III, c. IV, n. 1, col. 669, 803, 847, 880, 898, 804, 798, 855. Et cette vérité, c’est celle qui est enseignée par l’Eglise, l. I, c. IX, n. 5, col. 549 ; c’est la foi que l’Eglise, répandue par toute la terre, a reçue des apôtres et de leurs disciples, l. I, c. X, n. 1 ; l. IV, c. XXVI, n. 2-6, col. 549, 1053-1056 ; c’est la tradition des apôtres, l. III, c. III, n. 1, 3, col. 848, 849, la foi qui a été livrée par les apôtres, qui vient des apôtres, l. II, c. IX, n. 1 ; l. III, præf. ; c. III, n. 3 ; c. V, n. 1, l. V, præf. ; c. XX, n. 1, col. 734, 843, 850, 857, 1119, 1177 ; Dem., c. III, XCVIII, p. 662, 730 ; c’est la tradition de la vérité, Cont. hær., l. III, c. III, n. 3, 4, col. 851, 852 ; c’est la tradition apostolique de l’Eglise, l. III, c. III, n. 3, col. 850 ; c’est l’enseignement, la proclamation de l’Eglise, l. III, c. XII, n. 13 ; l. V, præf., c. XX, n. 1, col. 916, 1119, 1177 ; c’est « la prédication de la vérité. . . Les prophètes l’ont annoncée, le Christ l’a établie, les apôtres l’ont transmise, partout l’Eglise l’offre à ses enfants. » Dem., c. XCVIII, p. 730 ; Cont. hæres., l. II, c. XXX, n. 9, si bien qu’être hors de l’Eglise, c’est être hors de la vérité, l. IV, c. XXIII, n. 7, col. 1076.

      Des principaux points de cette règle de la vérité Irénée a fait, à plusieurs reprises, l. I, c. X, n. 1 ; l. III, c. IV, n. 2, col. 549-552, 855-856 ; Dem., c. V-VI, p. 663-664, un exposé global qui ressemble passablement au symbole des apôtres. La question des origines de la formule romaine du symbole des apôtres et de ses rapports avec saint Irénée a été débattue, durant ces dernières années, sans aboutir, semble-t-il, à des conclusions fermes. Cf. t. I, col. 1669-1670 ; A. Harnack, article Apostolisches Symbolum, dans la Realencyklopädie, 3e édit., Leipzig, 1896, t. I, p. 751-752 ; E. Va- [col.2412 fin / col.2413 début] candard, Les origines du symbole des apôtres, dans ses Etudes de critique et d’histoire religieuse, Paris, 1905, t. I, p. 39-40, etc. Certaines expressions d’Irénée se rapprochent, plus que celles de ses prédécesseurs, du symbole romain. Par contre, d’autres, et plus caractéristiques, se rapprochent du texte oriental du symbole. La variété de ces exposés prouve qu’Irénée ne se rattache pas à reproduire tel quel un symbole ayant cours dans son milieu. En plus de ces exposés d’ensemble, Irénée a des exposés moins complets, moins méthodiques : l. I, c. XXII, n. 1 ; l. III, c. I, n. 2 ; c. III, n. 2 ; c. III, n. 3 ; c. XVI, n. 6 ; l. IV, c. XXXIII, n. 15 ; l. V, c ; XX, n. 1 ; col. 669-670, 845-846, 850, 925, 1083, 1177. Sous des divergences le fond est le même, et le cadre est toujours fourni par le canon baptismal. La chose apparaît plus nettement encore dans Dem., c. VI, p. 664. « Voici l’enseignement méthodique de notre foi. . . Dieu le Père. . ., créateur de tout, c’est le premier article de notre foi. Quant au second article, le voici : c’est le Verbe de Dieu, le Fils de Dieu, Jésus-Christ, Notre-Seigneur, qui. . . Quant au troisième article, c’est le Saint-Esprit, qui. . . » Cf. c. XCIX-C, p. 730-731. G. Voisin, dans la Revue d’histoire ecclésiastique, Louvain, 1901, t. II, p. 96, a justement maintenu contre Kattenbusch, Das apostolische Symbol, Leipzig, 1897-1900, t. II, que la formule trinitaire du baptême est le cadre du symbole ; saint Irénée, dans le Contra hæreses, menait à cette conclusion, et les textes de la Démonstration la confirment. Du reste, Irénée va par delà les formules du symbole des apôtres, F. R.M. Hitchcock, Irenaeus of Lugdunum, Cambridge, 1914, p. 340-341, a tiré du Contra hæreses un Credo très riche, qui çà et là et une anticipation du symbole de Nicée.

      Aurions-nous, dans l’œuvre d’Irénée, l’écho d’une catéchèse ancienne, superposée au symbole, qui se serait transmise, par l’enseignement officiel, oralement et fixée en partie dans la littérature patristique ? On l’a pensé, dès avant la publication de la Démonstration. Voir t. I, col. 1670 ; t. II, col. 1877-1881. La Démonstration a paru appuyer cette hypothèse. U. Mannucci, La didascalia della Chiesa primitiva, dans la Rivista storico-critica delle scienze teologiche, Rome 1907, t. III, p. 137-139, a émis la supposition que cette catéchèse ou didascalie aurait compris « une large application de passages de l’Ancien Testament aux articles du Symbole » et constituerait la trame de la Démonstration. Mais l’existence même de cette catéchèse traditionnelle n’est pas sûre. En tout cas, la Démonstration n’est ni une simple catéchèse ni un exposé intégral de ce qui aurait été l’objet de la catéchèse : le thème de ce que l’on prêchait aux fidèles « comprenait certainement, sur les sacrements et la liturgie, sur la morale et la vie chrétienne surtout, des instructions qui, pour ne pas être complètement omises ici, n’y sont touchées qu’en passant. » J. Tixeront, P. O., t. XII, p. 752. Le passage du Contra hæreses, l. I, c. X, n. 3, col. 553-558, où Mannucci, p. 136, a signalé ingénieusement l’idée et comme le canevas de la Démonstration est, en toute hypothèse, d’extrême importance. Irénée dit que l’Eglise, répandue partout, a partout la même et unique règle de foi, et donc que celui qui peut en parler longuement n’y ajoute pas et que celui qui saurait moins en parler n’y retranche rien, car le plus ou le moins de connaissance en cette manière ne consiste pas à changer ce qui est foi, mais uniquement à creuser le sens des vérités de la foi et à exposer les desseins et la conduite de Dieu envers le genre humain. Et Irénée énumère quinze questions parmi celles qui peuvent se poser aux doctes, questions, comme l’a bien vu Mannucci, qu’il développe, à peu près dans le même ordre, au cours de cette Démonstration de la prédication apostolique, qui est destinée, y lisons-nous, c. I, p. 659, non seulement à présenter l’ensemble du [col.2413 fin / col.2414 début] corps de la vérité, mais encore à « fournir les preuves des dogmes divins. » En d’autres termes, la foi du théologien est la même que celle du simple fidèle, car « celle qui est l’Eglise universelle a une seule et même foi dans tout le monde. » Cont. hær., l. I, c. X, n. 3, col. 560.

      S. Baümer, Das apostolische Glaubensbekenntniss, seine Geschichte und sein Inhalt, Mayence, 1893 ; C. Blume, Das apostolische Glaubensbekenntniss, Fribourg-en-Brisgau, 1893 ; T. Zahn, Das apostolische Symbolum. Eine Skizze seiner Geschichte und eine Prüfung seines Inhaltes, Leipzig 1893 ; A. Harnack, article Apostolisches Symbolum, dans la Realencyklopädie, 3e édit., Leipzig, 1896, t. I, p. 741-755 ; Materialien zur Geschichte und Erklärung des alten römischen Symbols aus der christlichen Literatur der zwei ersten Jahrhunderten, en appendice à A. Hahn, Bibliothek der Symbole und Glaubensregel der apostolisch-katholischen Kirche, 3e édit., Breslau, 1897, p. 364-390. A. Burn, An introduction to the Credo and to the Te Deum, Londres, 1899, P. 41-44 ; J. Kunze, Glaubensregel, Heilige Schrift und Taufbekentniss. Untersuchungen über die dogmatische Autorität, ihr Werden und ihre Geschichte, vornehmlich in der alten Kirche, Leipzig, 1899 ; F. Kattenbusch, Das apostolische Symbol, Leipzig, 1897-1900, t. II, p. 25-53. Das σωματεϊον τής άληθείας bei Irenäus, dans la Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft, Giessens, 1909, t. X, p. 331 ; T. Barnes, A study on the marcosian heresy, dans The journal of theological studies, Cambridge, 1906, p. 304-411 ; F. R. M. Hitchcock, Creeds of SS. Irenaeus and Patrik, dans l’Hermathena, Londres, 1907, t. XXI, p. 168-182 ; U. Mannucci, La didascalia della Chiesa primitiva. A proposito di un’ opera recentemente scoperia di S. Ireneo, dans la Rivista storico-critica delle scienze teologiche, Rome, 1907, t. III, p. 134-140 ; A. Becker, Όκανών τής άληθείας, Regula veritatis eller Sandhedens Regel et Bitrag til Belysning of dette Udtryks Forekomst og Betydning hos Irenaeos, Copenhague, 1910.

      L’Ecriture. ― Les gnostiques, simulateurs des catholiques, dit Irénée, simulantes nostrum tractarum, l.III, c. X, n. 2, col. 918, se servent de l’Ecriture, mais abusivement. Ils rejettent des parties de l’Ecriture et ils donnent comme étant de l’Ecriture des écrits qui n’en sont pas. Valentin et son école ont un Evangile qui ne s’accorde point avec celui des apôtres et qu’ils appellent « l’Evangile de vérité. » L. III, c. XI, n. 9, col. 891. Les marcosiens apportent une multitude d’Ecritures bâtardes et apocryphes, qu’ils ont fabriquées eux-mêmes. L. I, c. XX, n. 1, col. 653. Voir t. I, col. 1489-1500 ; cf. E. Jacquier, Le Nouveau Testament dans l’Eglise chrétienne, Paris, 1911, t. I, p. 29-32. Un de leurs récits sur Jésus enfant est probablement puisé dans l’Evangile de Thomas. Cf. A. Loisy, Histoire du canon du Nouveau Testament, Paris, 1891, p. 68. Marcion rejette en bloc l’Ancien Testament, et, sans exclure positivement les écrits du Nouveau Testament, opère parmi eux un triage, ne gardant que ce qu’il croit pouvoir accommoder à ses doctrines ; sa Bible comprend deux parties : l’Evangile, qui n’est qu’une édition mutilée de saint Luc, et le « livre apostolique, » édition abrégée et incomplète de saint Paul. L. I, c. XXVII, n. 2, 4 ; l. III, c. XI, n. 7, 9 ; c. XII, n. 12 ; c. XIII, n. 1 ; c. XIV, n. 3-4, col. 688-689, 884, 890, 906, 910, 916. Voir t. V, col. 1634-1635. Les ébionites ne gardent que saint Matthieu ou plutôt l’Evangile aux Hébreux et récusent saint Paul. L. I, c. XXVI, n. 2 ; l. III, c. XI, n. 7, col. 686-687, 884. Voir t. IV, col. 1991-1992 ; t. V, col. 1633. Quant à ceux qui, « séparant Jésus du Christ, et, disant que le Christ est resté impassible pendant que Jésus était passible, préfèrent l’Evangile selon Marc, » l. III, c. XI, n. 7, col. 884, il n’est pas sûr que ce soit des cérinthiens, comme on l’a supposé, et ils demeurent énigmatiques. Au contraire, le passage sur ceux qui « n’admettent pas cette forme d’Evangile », dite « selon saint Jean », l. III, c. XI, n. 9, col. 890-891, a été éclairci. Cf. P Labriolle, La crise montaniste, Paris, 1913, p. 231-238. Il n’y est question [col.2414 fin / col.2415 début] ni des ophites, mis en avant par R. A. Lipsius, Die Quellen der ältesten Ketzergeschichte, Leipzig, 1875, p. 214, note 1, ni des montanistes mais des aloges. Voir t. I, col. 899-901. Sur ce que, d’après Irénée, les ophites admettaient des Ecritures, cf. A. Loisy, Histoire du canon du Nouveau Testament, Paris, 1891, p. 77-78. Les caïnites se réclamaient d’un Evangile de Judas, l. I, c. XXXI, n. 1, col. 704. Voir t. II, col. 1308. En second lieu, les gnostiques altèrent le sens des Ecritures qu’ils gardent ; ils les « calomnient » et les « diffament », l. I, c. IX, n. 1, 3, col. 537, 543. Ils prennent des textes de l’Ancien et du Nouveau Testament, et en particulier les paraboles et les prophéties, et les adaptent à leurs fictions. L. I, c. I, n. 3 ; c. III ; c. VIII, n. 1, col. 449-451, 465-478, 521. Ou bien ils assemblent des textes épars et leur prêtent, par l’assemblage, un sens qu’ils n’ont pas. Cf., pour les valentiniens, l. I, c. VIII, col. 519-538 ; pour les marcosiens, l. I, c. XVI, n. 1, c. XX, n. 2-3, col. 628-629, 653-658. Ou encore ces derniers jonglent avec les nombres qui sont mentionnés dans l’Ecriture et en tirent leurs rêveries doctrinales. L. I, c. XVIII, col. 641-650. Cf. encore, sur les carpocratiens, l. I, c. XXV, n. 4, col. 682-684 ; sur les barbéliotes, l. I, c. XXIX, n. 4, col. 694 ; sur les ophites, l. I, c. XXX, n. 6-14, col. 697-703 ; sur les cérinthiens et les ébionites, l. I, c. XXVI, n. 1-2, col. 686-687. Voir t. II, col. 384, 1801, 2155. Certains gnostiques opposent les divers noms que l’Ecriture donne à Dieu et en concluent l’existence de vertus diverses ou de plusieurs dieux, à moins qu’Irénée se borne à prévenir cette objection comme possible : si autem quidam. . . opponant. L. II, c. XXXV, n. 3, col. 838. Il y a plus fort encore. Quand ils sont embarrassés par les Ecritures, les gnostiques en deviennent les accusateurs : elles se trompent, elles sont sans autorité, leur enseignement n’est pas uniforme, les apôtres auraient mêlé aux paroles du Seigneur des idées légalistes. L. III, c. II, n. 1-2, col. 846-847. Jésus aurait eu un enseignement ésotérique, au dire des carpocratiens, l. I, c. XXV, n. 5, col. 685. Le Seigneur et les apôtres, d’après les « très vains sophistes » que sont les gnostiques, auraient enseignés non pas conformément à la vérité, mais conformément à la capacité des auditeurs. L. III, c. V, n. 1, col. 858. Saint Paul, selon quelques-uns, aurait seul connu la vérité complète, et cette vérité aurait été connue seulement en partie de son disciple Luc, l. III, c. XIII, n. 1 ; c. XIV, n. 3, col. 910-911, 915. Enfin, le Seigneur aurait parlé tantôt au nom du démiurge, tantôt au nom du Dieu suprême, tantôt au nom des éons intermédiaires, et ce seraient les gnostiques qui connaîtraient certainement, exactement, sincèrement, le mystère caché, l. III, c. II, n. 2, col. 847.

      1. Le canon des Ecritures. ― Contre ces errements gnostiques Irénée défend, d’abord, les véritables Ecritures. Ni il n’a le mot « canon des Ecritures » ni il trace le canon de l’Ancien et du Nouveau Testament. Mais cette liste nous pouvons l’extraire de ses œuvres ; il y cite de nombreux passages de presque tous les livres saints. Pour l’Ancien Testament, il accepte le récit légendaire du IVe livre d’Esdras, voir t. II, col.1569-1570, tout comme l’authenticité de la lettre d’Aristée sur la traduction des Septante, faite, d’après lui, sous Ptolémée fils de Lagus, et qui aurait embrassé toute l’Ecriture et non pas seulement le Pentateuque. L. III, c. XXI, n. 2, col. 947-948. Il cite tous les livres, sauf Judith, Esther, Les Paralipomènes, l’Ecclésiaste, le Cantique des cantiques, l’Ecclésiastique, Job, Tobie, Abdias, Nahum, Sophonie, Aggée et les Machabées ; encore mentionne-t-il Tobie, Nahum, Sophonie et Aggée, de manière à montrer qu’on les classait parmi les « prophètes ». L. I, c. XXX, n. 11, col. 701. Il ne met pas de distinctions entre les deutérocanoniques [col.2415 fin / col.2416 début] et les protocanoniques, et cite la Sagesse, l’histoire de Susanne et celle de Bel et du dragon, et Baruch sous le nom de Jérémie. L. IV, c. XXVI, n. 3 ; c. XXXVIII, n. 3 ; l. V, c. V, n. 2 ; c. XXXV, n. 1, col. 1054, 1108, 1135, 1209 ; Dem., c. XCVII, p. 729. Important surtout est son témoignage sur les écrits du Nouveau Testament. Dans le Contra hæreses il le cite plus d’un millier de fois. Voir les chiffres, légèrement différents, à cause de l’incertitude de plusieurs emprunts, donnés par F. R. M. Hitchcock, Irenaeus of Lugdunum, p. 221, et par E. Jacquier, Le Nouveau Testament dans l’Eglise chrétienne, Paris, 1911-1913, t. I, p. 181-182 ; t. II, p. 309. Cf., pour les citations de la Démonstration de la prédication apostolique, P. O., t. XII, p. 802, et, pour la lettre des Eglises de Lyon et de Vienne, E. Jacquier, op. cit., t. I, p. 178. Irénée atteste l’existence des quatre Evangiles, ou plutôt de l’Evangile unique à quatre faces, du « tétramorphe, » et déclare qu’il n’y en a pas davantage, l. III, c. I, n. 1 ; c. XI, n. 8-11, col. 844-845, 855-891. Ce n’est pas le moment d’insister sur sur son témoignage capital pour l’attribution à saint Jean diu IVe Evangile. Voir JEAN (Evangile selon saint Jean). Quoi qu’il en ait dit, le passage sur l’Evangile de saint Marc, l. III, c. II, n. 1, col. 845, met la composition de cet Evangile après la mort des apôtres Pierre et Paul. Cf. la note de Massuet et M. J. Lagrange, Evangile selon saint Marc, Paris, 1911, p. XXII-XXIII, XXX-XXXI. A côté des Evangiles, Irénée place « la doctrine des apôtres, » « les lettres des apôtres, » surtout de saint Paul, l. IV, c. XLI, n. 4 ; l. V, præf., col. 1117-1119. Peut-être apostolus, qui s’applique d’ordinaire à la collection des Epîtres pauliniennes, a-t-il parfois un sens plus ample et signifie-t-il, par opposition à Dominus, qui désigne l’Evangile, toute la seconde partie du Nouveau Testament. Cf. E. Jacquier, op. cit., t. I, p. 185. Sûrement cette seconde partie est bien connue de lui. Il en cite tous les livres, à l’exception de la lettre de Paul à Philémon, de celle de Jude, de la IIIe de saint Jean ; un emprunt à la IIe lettre de Pierre et deux emprunts à celle de Jacques sont douteux. L’Epître aux Hébreux, mais peu littéralement, dix fois sans être nommé. Eusèbe, H. E., l. V, c. XXXI, P. G., t. XX, col. 510, nous apprend qu’Irénée la mentionnait et l’utilisait, ainsi que la Sagesse, dans le livre perdu des Discours ou Traités variés ; au dire de Photius, Bibliotheca, cod. CCXXXII, P. G., t. CIII, col. 1104, il niait que l’Epître fût de saint Paul. En ce qui regarde les Actes des apôtres et l’Apocalypse, Irénée, le premier, désigne Luc, disciple de Paul et auteur du IIIe Evangile, pour auteur des Actes, l. III, c. XIV, n. 1, col. 913-914, et Jean, disciple du Seigneur, pour auteur de l’Apocalypse, l. V, c. XXVI, n. 1, col. 1192. Ajoutons qu’il cite, entre la Genèse et Malachie, sous cette forme : « l’Ecriture dit, » le Pasteur d’Hermas, ainsi que beaucoup le firent jusqu'à la fin du IVe siècle, l. IV, c. XX, n. 2, col. 1032, Dem., c. IV, p. 662-663, il l’utilise sans en avertir. Cf. A. Lelong, Le Pasteur d’Hermas, dans H. Hemmer et P. Lejay, Les Pères apostoliques, Paris, 1912, t. IV, p. LXXXIX-XCII. Quant à la lettre de saint Clément aux Corinthiens, qui fut, elle aussi, parfois considérée comme une « Ecriture sainte, » il ne semble pas qu’Irénée l’ait tenue pour telle, en dépit de l’Ex ipsa scriptura du traducteur, l. III, c. III, n. 3, col. 849-850. « Irénée dit, en cet endroit, que l’Eglise romaine écrivit aux Corinthiens ίκανωτάτην γραφήν, ce que l’ancien interprète latin traduit par : potentissimas litteras. Quelques lignes plus loin, Irénée renvoyait à la même Epître ; mais cette fois l’interprète a traduit γραφήν par scriptura : ex ipsa scriptura qui velint discere possunt. Cela ne prouve pas que l’Eglise de Lyon ait regardé alors cette Epître comme Ecriture divine. » A. Loisy, Histoire du canon du Nouveau Testament, [col.2416 fin / col.2417 début] Paris, 1891, p. 107, n. 4. Qu’Irénée n’ait pas connu les écrits des deux Testaments à l’état de dispersion, mais recueillis ensemble, c’est ce qu’on pourrait conclure des passages où il distingue quatre groupes d’écrits, d’un côté les évangéliques et les apostoliques, Nouveau testament, et, de l’autre, la loi les prophètes, Ancien Testament. Cf. l. I, c. III, n. 6 ; l. II, c. XXX, n. 9 ; c. XXXV, n. 4, col. 477, 822-823, 841, etc. « La mise de face de l’un avec l’autre prouve que le premier était dans le même état que le second, c’est-à-dire réuni en collection. » E. Jacquier, op. cit., t. I, p. 84.

      2. Le texte et les citations des Ecritures. ― Il n’est pas possible de connaître avec certitude le texte scripturaire d’Irénée ; les citations que nous avons en grec ont pu être modifiées par ceux qui nous ont conservé des fragments de son œuvre et les traducteurs latin du traité Contre les hérésies et arménien de la Démonstration de la prédication apostolique ont pu ne pas suivre de près l’original ou se conformer au texte des versions latines ou arméniennes de leur temps. Pour l’Ancien Testament Irénée suit également les Septante ; parfois il se rapproche davantage de l’original hébreu. Il connaît et cite, pour leur reprocher leur traduction d’Is., VII, 14, les versions de Théodotion et d’Aquila, l. III, c. XXI, n. 1, col. 946. Pour le Nouveau Testament, il semble supposer que les textes autographes ne subsistent pas, au moins en entier : dans sa discussion sur le chiffre 666, Apoc., XII, 18, désignant le nom de la bête, il oppose à des copies, altérées ut fieri solet, les copies anciennes et exactes, in omnibus antiquis et probatissimis et veteribus scripturis, l. V, c. XXX, n. 1, col. 1203-1204, non les textes autographes. Autant qu’on peut en juger, les citations du Nouveau Testament qu’on relève dans ses œuvres représentent un texte du type dit occidental, non influencé par le Diatessaron grec de Tatien. Cf. E. Jacquier, Le nouveau testament dans l’Eglise chrétienne, t. II, p. 297, 303, 345, 362-363, 519, 526. Le vieux traducteur latin d’Irénée est indépendant de tout texte latin connu. On ne sait si les nombreuses citations néotestamentaires ont été traduites directement sur le grec ou empruntées d’une version latine. Elles ont des rapports avec le texte du Vercellensis, et on a remarqué leur affinité plus grande avec la version latine africaine qu’avec l’européenne. « Faut-il conclure que la version africaine était prépondérante même en Gaule. . ., ou plutôt que le traité de saint Irénée a été traduit en Afrique et que le traducteur a conformé son texte néotestamentaire à celui qui était courant en Afrique ? » E. Jacquier, op. cit., t. II, p. 332 ; cf. 131, 151. Irénée allègue deux agrapha, l. V, c. XXXIII, n. 3-4 (d’après Papias), c. XXXVI, n. 2 (inspiré de Matth., XXV, 15). Cf. E. Jacquier, Les sentences du Seigneur extracanoniques (les Agrapha), dans la Revue biblique, IIe série, Paris, 1918, p. 129-131. Il ne se sert pas des apocryphes, sauf peut-être du livre d’Hénoch, l. IV, c. XVI, n. 2, col. 1016 ; cf. la note de Massuet.

      Comme tous les anciens, Irénée cite parfois de mémoire. Par là s’expliquent des transpositions, des combinaisons de texte, des changements de construction, l’usage de mots équivalents, des variantes dans les citations successives d’un même texte. Ces variantes, quand il s’agit des citations latines, peuvent être le fait du traducteur. Voici quelques-unes de ses citations intéressantes à divers points de vue. De deux citations données comme de Jérémie, Dem., c. XLIII, p. 692, l’une est, en réalité, du psaume CIX, 3, l’autre n’a pu être identifiée. Irénée prête à Jérémie deux longs passages de Baruch, Dem., c. XCII, p. 729 ; Cont. hær., l. V, c. XXXV, n. 1, col. 1219. Il a jusqu’à six fois, et presque toujours avec des variantes, dues peut-être au traducteur, deux fois sous le nom de Jérémie, Dem., c. LXXVIII, p. 717 ; Cont. hær., l. IV, c. XXII, n. 1, [col.2417fin / col.2418 début] col. 1046, une fois sous le nom d’Isaïe, l. III, c. XX, n. 4, col. 945, trois fois avec une attribution imprécise aux prophètes, l. IV, c. XXXIII, n. 2, 12 ; l. V, c. XXXI, n. 1, col. 1072, 1081, 1208-1209, un texte apocryphe sur la descente du Christ aux enfers, voir t. IV, col.579, qui est de ceux que saint Justin, Dialogus cum Tryphone judæo, c. LXXII, P. G., t. VI, col. 645, déclarait disparus de l’Ecriture par la fraude des Juifs. Cf. Justin, Dialogue avec Tryphon, édit. G. Archambault, Paris, 1909, t. I, p. 349-350, note. Il applique au fils de Marie, l. III, c. XXIII, n. 7 ; l. IV, c. XL, n. 3 ; l. V, c. XXI, n. 1, col. 964, 1114, 1179, le Conteret caput tuum de Gen., III, 15. Il transporte quatre fois, Dem., c. XX, XXI, p. 673-674 ; Cont. hær., l. IV, c. XXXI, n. 1, col. 1068, à Cham la malédiction de Canaan, qui se lit Gen., IX, 25-27. Un mot écrit « dans les douze prophètes, » cité dans la Démonstration, c. LXXVII, a été identifié, P. O., t. XII, p. 717, avec Os., X, 6, texte des Septante. Irénée, parlant de la généalogie du Christ, dit que Matth., I, 18, ne dit pas : Jesu vero generatio sic erat, mais : Christi autem generatio sic erat, l. III, c. XVI, n. 2, col. 921, en quoi il s’accorde avec la Vulgate, non avec nos manuscrits grecs. Il connaît et utilise, comme parties intégrantes du texte, les généalogies et les récits de l’enfance qui sont propres à saint Luc, l. III, c. IX, n. 2 ; c. X, n. 1-5 ; c. XXII, n. 3, col. 870-871, 872-878, 958, et aussi la finale de Marc, l. III, c. X, n. 6, col. 879. Sur la manière dont il cite Marc, I, 1, cf. E. Jacquier, Le Nouveau Testament dans l’Eglise chrétienne, t. II, p. 363. Il cite, l. III, c. XVII, n. 1, col. 929, Matth., XXVIII, 19, sur la formule trinitaire du baptême. Dans un même chapitre, l. IV, c. VI, n. 1, 3, 7, col. 986, 988, 980, il cite de trois manières le verset sur la connaissance que le Fils a du Père, Matth., XI, 27 ; Luc, X, 22, dit que ce verset se lisait aussi dans Marc (qui ne l’a plus aujourd’hui, si tant est qu’il l’ait jamais eu) et combat le texte qu’alléguaient les gnostiques, n. 1, col. 986-987. Cf. J. Lebreton, Les origines du dogme de la Trinité, Paris, 1910, t. I, p. 474-475. Il parle de la sueur de sang, l. III, c. XII, n. 2, col. 957 ; voir t. I, col. 617, 618. Il cite Jean, I, 3-4, 12-13, 14, 18, autrement que la Vulgate, l. I, c. VIII, n. 5 ; l. III, c. XI, n. 1 ; c. XVI, n. 2 ; c. XIX, n. 2, col. 533-537, 880, 921-922, 940. Il rapporte ainsi le décret du concile de Jérusalem, Act., XV, 29 : Ut abstineatis ab idolothytis, et sanguine, et fornicatione, et quæcumque, non vultis fieri vobis aliis ne faciatis, a quibus, custodientes, vos ipsos bene agetis, ambulantes in Spiritu Sancto, l. III, c. XII, n. 14, col. 908-909. L. III, c. IX, n. 1 ; c. XII, n. 15, col. 868-910, Irénée a manifestement sous les yeux un codex, qu’il feuillette pour en extraire les textes qui prouvent qu’il n’y a qu’un seul Dieu et un seul Seigneur, Fils de Dieu. Or, dans son manuscrit, les Evangiles sont disposés dans l’ordre suivant : Matthieu, c. IX, n. 1-3 ; Luc, c. X, n. 1-5 ; Marc, c. X, n. 6 ; Jean c. XI, n. 1-6. Cet ordre est encore marqué, l. III, c. XI, n. 7 ; l. IV, c. VI, n. 1, col. 884, 986. Le livre des Actes, dont sont cités des versets appartenant aux quatorze premiers chapitres, l. III, c. XII, n. 1-15, col. 892-910, suit immédiatement le quatrième Evangile. Enfin, au c. XIV, n. 1, col. 913-914, Irénée mentionne ou analyse, de la seconde partie de ce livre de saint Luc, tous les passages que les modernes appellent les Wirstücke. Il fait commencer le premier Wirstück à Act., XVI, 8. Il n’en résulte pas que Luc, ait été témoin oculaire de tous les événements qui suivent dans sont récit, car, au n. 2, col. 914-915, Irénée rapporte le discours que saint Paul avait prononcé à Milet comme un fait que Luc avait appris des autres. Les Epîtres homonymes n’étaient sans doute pas séparés dans son texte. Cont. hær., l. I, c. VIII, n. 2, col. 523-524, la traduction latine a : in prima ad Corinthios, mais le grec a simplement : έν τή πρός Κορινθίους. Il ya des [col.2418 fin / col.2419 début] chances pour que l’insecunda ad Corinthios, qui se lit plus loin, l. III, c. VII, n. 1, col. 864, soit également du traducteur. Ce qui invite à le croire, c’est que, l. III, c. XIII, n. 5, 8, col. 925, 927, les expressions : Johannes. . . in epistola sua, Johannes in prædicta epistola, et rursus in epistola, rursus in epistola clamat (cette fois nous avons l’original : έν τή έπιστολή φησί), désignent, la seconde fois, la IIe lettre de saint Jean, et les trois autres fois la Ire lettre. C’est donc que les Epîtres homonymes n’étaient pas distinguées. Dans Gal., III, 5, Irénée, l. III, c. XII, n. 3, col. 912, supprime la négation : neque ad horam cessimus, admise par Marcion et les principaux manuscrits et réclamée par le contexte. Cf. A. d’Alès, La théologie de Tertullien, Paris, 1905, p. 240-241. Cf., sur quelques autres citations, F. R. M. Hitchcock, Irenaeus of Lugdunum, p. 353-357.

      3. L’interprétation des Ecritures. ― Si, dans les choses humaines, tout ne nous est pas connu, il n’est pas connu que les Ecritures, toutes spirituelles, nous échappent en partie. Il faut se contenter de ce que nous atteignons, et, pour le reste, s’en remettre à Dieu et pour ce monde et pour le monde futur, en telle sorte que Dieu enseigne toujours et que l’homme apprenne toujours ce qui est de Dieu, l. II, c. XXVIII, n. 3, col. 805-806. Un esprit sain, ferme, religieux et ami de la vérité, que Dieu a livrée au pouvoir des hommes et soumise à notre science, est celui qui profitera. Il ne faut pas expliquer l’obscur par l’obscur, mais par ce qui est clair. Et donc les paraboles, qui sont susceptibles de sens divers, ne doivent pas être adaptées à des choses douteuses au gré des rêveries de chacun, sinon il n’y a pas de règle de vérité possible, mais autant de prétendues vérités contradictoires que de fabricateurs de dogmes, et l’homme cherchant toujours, ne trouvera jamais, eo quod ipsam inventionis abjecerit disciplinam, l. II, c. X, n. 1 ; c. XXVII, col. 735, 802-804, l. II, c. X, n. 1 ; c. XXVIII, col. 735, 802-804. Mieux vaut l’ignorance aimante que des prétentions scientifiques impies, l. II, c. XXVI, n. 1, col. 800. Pour connaître Dieu, il n’y a pas à jongler avec les nombres, les syllabes et les lettres, mentionnés par l’Ecriture, car on peut leur faire dire tout ce qu’on veut, mais à rapporter les nombres et tout ce qui a été fait à la doctrine de vérité, non enim regula ex numeris sed numeri ex regula nec Deus ex factis sed ea quæ facta sunt ex Deo, l. II, c. XXV, n. 1, col. 798 ; cf. c. XX-XXVI, col. 776-802. Défense encore de combiner des textes épars et disparates et de les détourner de sens naturel ; respect du sens naturel et attachement au texte, l. I, c. IX, col. 537-550. Tenir compte des procédés de style, par exemple, des hyperbates dont saint Paul use fréquemment propter velocitatem sermonum suorum et propter impetum qui in ipso est Spiritus, l. III, c. VII, n. 1-2, col. 864-865. Tenir compte aussi de la ponctuation. Ibid. En un mot, « avoir pour règle la vérité même. » L. II, c. XXVIII, n. 1, col. 804.

      Tout cela est sagesse. Ce n’est pas que, dans le détail, Irénée se soit trompé plus d’une fois. Précisément dans le chapitre où il demande de tenir compte des procédés de style, Irénée voit une hyperbate là où elle n’existe pas. Cf. A. d’Alès, La théologie de Tertullien, p. 247 ; J. Turmel, Histoire de la théologie positive depuis l’origine jusqu’au concile de Trente, Paris, 1904, p. 16. Çà et là, son exégèse peut sembler aventureuse, par exemple, quand, d’accord avec tant d’autres, il voit des anges dans les « fils de Dieu » de Gen., VI, 2. Nous retrouverons le texte sur l’âge du Christ, l. II, c. XXII, n. 3-6, col. 782-786, où il conclut bien, de saint Jean, que le ministère public a duré plus d’une année, mais mal que le Christ mourut vers cinquante ans. Mais pour ce dernier point il invoque la tradition des presbytres d’Asie. Ne pourrait-on pas surtout lui reprocher de tomber dans des travers qu’il condamne [col.2419 fin / col.2420 début] chez les gnostiques, abuser de l’allégorisme, d’accorder trop d’importance aux nombres, de subtiliser à l’excès ? La critique ne serait pas tout à fait injuste, à condition toutefois de s’appuyer sur le sens véritable du texte irénéen. Quand J. Pédézert, Le témoignage des Pères, Paris, 1892, p. 213, dit qu’Irénée semble avoir pour le nombre cinq « une préférence fondée sur l’Ecriture, » et cite, en preuve, l. II, c. XXIV, n. 4, col. 794, il ne s’est pas aperçu qu’Irénée affirme seulement que l’usage des nombres par les gnostiques n’est pas justifié, et que tout autre nombre dont ils ne se servent pas, par exemple, cinq, si on admettait leurs procédés d’exégèse, paraîtrait avoir une grande valeur d’après l’Ecriture, et alia quoque multa millia hujusmodi et in hoc numero et in quo quis voluerit sive ex Scriptura sive ex subjacentibus naturæ operibus colligere potest, col. 795. Mais ailleurs, par exemple, l. V, c. XXIX, n. 2, col. 1202-1203, il attribue aux nombres une valeur de signification fantaisiste. Et un peu partout, partant de cette idée très juste que l’Ancien Testament est la figure du Nouveau, que « le Christ est le trésor caché dans les Ecritures, que signifiaient les types et les paraboles, » il en fait ― lui et d’autres Pères ― une application inconsistante et tout au plus valable contre les gnostiques comme argument ad hominem. Où il excède encore, c’est quand, sous le couvert d’un presbytre et sous le prétexte que rien n’est inutile dans l’Ecriture et que, là où elle raconte sans blâme des choses inexcusables, nous ne devons pas devenir accusateurs, sed typum quærece, il excuse Lot et ses filles, Gen, XIX, 31-38, en ce que per verba earum significatibur neminem esse alterum qui possit filiorum generationem majori et minori synagogæ præstare quam Patrem nostrum, l. IV, c. XXXI, n. 2, col. 1069. Nous verrons tout à l’heure que cet allégorisme intempérant a été influencé, sinon produit, par la notion défectueuse qu’avait Irénée de l’inspiration de l’Ancien Testament. Les gnostiques n’avaient pas à s’en plaindre, car il était conforme à leurs principes. Et Irénée avait autre chose que ces allégories ténues. Son procédé le plus habituel de démonstration fut aussi simple qu’efficace. Il consista à rapporter les textes de l’Ancien Testament cités par les auteurs inspirés, ainsi que les endroits où Notre-Seigneur avait invoqué l’autorité des Ecritures et à montrer aux gnostiques, opposant le Dieu de l’Ancien Testament et celui du Nouveau, que le Sauveur lui-même et les apôtres identifiaient le Dieu créateur avec le Dieu rédempteur, et qu’ainsi le dualisme gnostique, qui se réclamait de l’Ecriture, était condamné par elle.

      Ajouterons-nous que les protestants allégueraient à faux saint Irénée pour soutenir que l’Ecriture se suffit, qu’elle est parfaitement claire ? Il en est qui l’ont prétendu, tel P. du Moulin, Le bouclier de la foy catholique, Sedan, 1621 ; cf. J. Jaubert de Barrault, Bouclier de la foy catholique, Paris, 1626, t. I, p. 177-179 ; tels encore Grabe, cf. P. G., t. VII, col. 255-256, et plus récemment, des auteurs attardés l’ont répété, tel F. Bonifas, Histoire des dogmes de l’Eglise chrétienne, publiée par C. Bois, Paris, 1886, t. I, p. 227, qui appelle Irénée « le représentant le plus fidèle du principe protestant. » Cont. hær., l. II, c. XXVII, n. 2, col. 803, ne signifie pas, ainsi que le paraphrase F. Bonifas, p. 226 : « Le sens des Ecritures est facilement intelligible pour tout esprit droit et simple. S’il est des passages obscurs, ils s’expliquent par d’autres plus clairs, de telle sorte que l’Ecriture s’explique par l’Ecriture, et n’a besoin, pour être interprétée, d’aucun secours étranger. » Irénée n’affirme pas que toutes les Ecritures ont cette clarté ― il affirme plusieurs fois le contraire, notamment au chapitre suivant, c. XXVIII, col. 804-812 ― mais qu’elles enseignent avec cette clarté que le Dieu unique a fait toutes choses par son Verbe. F. Bonifas, p. 227, cite de la [col.2420 fin / col.2421 début] sorte un second texte d’Irénée, l. III, c. IV, n. 1, col. 855 : « S’il y a quelque question secondaire, modica quæstio, que l’Ecriture ne puisse résoudre, il faut s’en rapporter à la tradition des plus anciennes Eglises apostoliques. Mais, sur les grandes questions de la foi et du salut, il n’y a pas d’incertitude possible : la Bible est claire et la tradition la confirme. » Voilà une traduction bien large et bien tendancieuse ! Irénée dit que les apôtres « ont déposé dans l’Eglise la plénitude de la vérité, qu’en dehors d’elle tous sont des voleurs et des brigands, qu’il faut donc éviter ceux-ci, aimer extrêmement celle-là et saisir la tradition de la vérité, et que si quelque petite question provoque une querelle, il n’y a qu’à recourir aux Eglises les plus antiques et, sur la question débattue, prendre les certitudes qu’elles ont. Pourquoi ? Parce que les apôtres y ont vécu et leur ont livré ce qui est certain. S’ils ne nous avaient pas laissé des textes écrits, n’aurait-il pas fallu suivre l’ordre de la tradition qu’ils ont communiqué à ceux auxquels ils confiaient les Eglises ? » Dans ce remarquable passage de l’Ecriture, loin d’être au premier plan, n’intervient que d’une façon incidente. L’idée exposée par Irénée, c’est que toute la vérité est dans l’Eglise ; que, sur les grandes questions de la foi et du salut, l’enseignement de l’Eglise et la tradition de la vérité ne font pas de doute, mais que, des doutes pouvant s’élever sur des questions moins importantes, pour les trancher on a le recours aux Eglises d’origine apostolique ; que, à la rigueur, les apôtres auraient pu ne pas écrire, mais que dans tous les cas il est nécessaire et il suffit de suivre l’ordre de tradition, à preuve « les nations barbares devenues chrétiennes, qui n’ont pas les Ecritures, mais qui gardent diligemment la vieille tradition, et, sans livres, ont la foi et plaisent à Dieu. » Cf. l. IV, c. XXVI, n. 5, col. 1056. Sommes-nous à distance du principe protestant !

      4. L’Ecriture et la règle de foi. ― Irénée professe l’inspiration des Ecritures. Il a deux fois le mot « inspiration, » pour caractériser les Septante et celle d’Esdras ; Dieu, dit-il, inspira, ένέπνευσεν, à celui-ci de recueillir les écrits des prophètes et de la Loi, et ceux-là traduisirent les Ecritures par l’inspiration de Dieu, κατ΄ έπίπνοιαν τοϋ θεοϋ, l. III, c. XXI, n. 2, col. 948, 949. Aussi Dieu fut-il glorifié et les Ecritures ― non pas seulement la traduction des Septante, mais les écrits qu’ils traduisirent, ― furent-elles « crues vraiment divines. » Que les livres de l’Ancien Testament aient été tenus pour divinement inspirés par Irénée, comme par tous ses contemporains, cela ne fait pas de doute. Quant à sa notion de l’inspiration de l’Ancien Testament, nulle part elle n’est formulée d’une manière complète et précise. Autant qu’on peut la dégager de l’ensemble des textes, il semble que, pour lui, l’écrivain sacré de l’Ancien Testament, aussi bien que celui de Pentateuque et des livres sapientiaux ou historiques que celui des livres prophétiques proprement dits, est un « prophète ». De là vient que, s’il distingue la Loi et les prophètes dans l’Ancien Testament, par l’opposition à l’Evangile et aux écrits des apôtres dans le Nouveau, plus souvent il englobe tous les écrivains de l’Ancien Testament sous l’appellation de prophètes, et il se plaît à la trilogie : prophetæ, Dominus, apostoli, l. I, c. VI, n. 6 ; c. VIII, n. 1 ; l. II, c. II, n. 6 ; c. XXXV, n. 4 ; l. V, præf., col. 477, 520, 716, 841, 1119 ; Dem., c. XCVIII, p. 730, etc. La conséquence, c’est que l’écrivain de l’Ancien Testament est l’organe de Dieu dans ses écrits de la même manière qu’il l’est dans les discours prophétiques, et il n’y a pas de distinction entre l’inspiration et la révélation. C’est dire que le rôle de la personnalité humaine du prophète est tout à fait secondaire ; qu’il n’y a pas à se préoccuper de la limitation donnée à ses paroles par le milieu qu’elles traversent et les circonstances des temps et de lieu où elles [col.2421 fin / col.2422 début] furent écrites ; que Dieu parlait non pas tant aux contemporains du prophète qu’à tous les hommes, et, ne particulier, aux chrétiens à qui la croix a livré la clé du mystère ; que nous avons dans les prophètes tout ce qu’il y a dans l’Evangile écrit par les apôtres, toute l’action, toute la doctrine, toute la passion du Christ, annoncées d’avance : legite diligentius id quod ab apostolis est Evangelium nobis datum et legite diligentius prophetas, et invenietis universam actionem, et omnem doctrinam et omnem passionem Domini nostri prædictam in ipsis, l. IV, c. XXXIV, n. 1, col. 1083. Cela explique avec quelle assurance Irénée allégorise, « avec quelle facilité il trouve dans l’Ancien Testament des textes se rapportant au Père, au Fils et au Saint-Esprit, où à la condition du Fils avant et après l’Incarnation. » W. S. Reilly, L’inspiration de l’Ancien Testament chez saint Irénée, dans la Revue biblique, 1917, p. 499 sq. Evidemment, avec de tels principes, Irénée sera un guide peu sûr quand il s’agit de déterminer le sens historique exact de l’Ancien Testament. L’allégorie érige à ce point en système aura de la valeur comme argument ad hominem ; mais c’est tout.

      Il en va tout autrement du Nouveau Testament. Ici nous avons la distinction entre la révélation et l’inspiration. L’inspiration accordée à l’écrivain sacré n’est pas accompagnée de révélation. Elle n’en vient pas moins de Dieu, et l’autorité des écrits du Nouveau Testament est identique à celle des écrits de l’Ancien, étant divine. Dans saint Irénée, les mots « Ancien Testament » et « Nouveau Testament » désignent directement les deux révélations, les deux alliances : duo testamenta dicit, vetus quidem, quod ante fuerat, legisdatio ; novum autem, quæ secundum Evangelium est, conversatio, l. V, c. IX, n. 1, col. 996. Pour désigner les deux parties de la Bible, tantôt il oppose la Loi et les prophètes aux Evangiles et aux écrits des apôtres ou les prophètes au Seigneur et aux apôtres ; tantôt il oppose simplement les prophètes aux apôtres, l. III, c. XXIV, n.1, col. 966. Quelle que soit l’appellation employée, elle se rapporte clairement à un corps d’écrits apostoliques placés au même rang que le corps des anciens livres juifs inspirés. Les uns et les autres sont compris sous le nom commun d’ « Ecriture » ou « Ecritures ». Introduits de la même façon : « Il est écrit », « selon qu’il est écrit », « l’Ecriture dit », ils ont la même force probante : omnes clamant Scripturæ, l. II, c. IX, n. 1 ; cf. c. XXX, n. 7, col. 738, 818. Cf. c. XXVII, n. 2, col. 803 : universæ Scripturæ et propheciæ et Evangelia ; c. XXVIII, n. 7, col. 810 : Dominus manifeste docuit et reliquæ demonstrant Scripturæ, etc. Ils sont également parfaits, Scripturæ quidem perfectæ sunt, quippe a Verbo Dei et Spiritu ejus dictæ, l. II, c. XXVIII, n. 2col. 805.3 Ils sont également la parole du Saint-Esprit, unus enim et idem Spiritus Dei, qui in prophetis quidem præconavit. . ., ipse et in apostolis nuntiavit, l. III, c. XXI, n. 4, col. 950. Les apôtres ont d’abord prêché l’Evangile de vive voix, postea vero, per Dei voluntatem, in Scripturis nobis tradiderunt, l. III, c. I, n.1, col. 844. Le Verbe nous a donné l’Evangile tétramorphe ένί δέ Πνεύματι συνεχόμενον ; le Christ réside, έγηαθέζεται, dans les Evangiles, l. III, c. c. XI, n. 8, col. 885, 887. En eux pas de fausseté ni d’ésotérisme, ni de la part du Christ, qui ne ment pas, ni de la part des apôtres et de saint Paul, qui ont reçu du Saint-Esprit la connaissance parfaite et qui ne sont pas menteurs, l. III, c. I, n. 1 ; c. V, n. 1 ; c. XIV, n. 2-4 ; c. XV, n. 1, col. 844, 857-858, 914-918. D’un mot, toutes les Ecritures sont divines, l. II, c. XXVIII, n. 1, col. 802 (le mot « divines », absent de la traduction, est présent dans l’original grec), les écrits du Nouveau Testament comme ceux de l’Ancien, c. XXXV, n. 4, col. 842. Voir INSPIRATION DE LA SAINTE ECRITURE, col.2080 sq. [col.2422 fin / col.2423 début]

      Divines, les Ecritures sont la règle de la foi. Les gnostiques, qui enseignent une doctrine non contenue dans l’Ecriture, se réclament έξ  άγράφων, ou faisant, selon la formule consacrée, des tissus, des ficelles, avec des grains de sable, appliquent l’Ecriture à leurs imaginations, afin que celles-ci ne paraissent pas sans témoignage, l. I, c. VIII, n. 1 ; cf. X, n. 1, col. 520-523, 735. Mais l’Ecriture est contre eux. C’est elle qui faut croire, « non les gnostiques, qui ne disent rien de sain et délirent avec une instabilité continuelle. » L. II, c. XXIX, n. 6, col. 818. Et Irénée consacre les l. III-V à recueillir contre eux le témoignage des Ecritures, « fondement et colonne de notre foi. » L. IV, c. I, n. 1, col. 844.

      E. A. Fromann, Interpretationes Novi Testamenti ex Irenæo, Cobourg, 1766 ; J. G. Taust, Summa probabilitatum hypothesis sancti Irenæi de numero Apocalypsis 666 argumento adstruitur, Halle, 1769 ; H. Ziegler, Des Irenäus Lehre von der Autorität der Schrift, der Tradition und der Kirche, Berlin, 1868 ; T. Zahn, Die Tiersymbole der Evangelisten, dans ses Forschungen zur Geschichte des neutestamentlichen Kanons und altkirchlichen Literatur, Erlangen, 1883, t. II, p. 257-275 ; Geschichte des neutestamentlichen Kanons, t. I, Das neue Testament vor Origenes, Leipzig, 1888-1889 ; art. Kanon der Neuen Testaments, dans la Realencyklopädie, 3e édit., Leipzig, 1901, t. IX, p. 768-796 ; J. Werner, Der Paulinismus der Irenäus. Eine kirchen und dogmengeschichtliche Untersuchungen über das Verhältniss des Irenäus zu der paulinischein Briefsammlung und Theologie (texte und Untersuchungen, t. VI, 2), Leipzig, 1891 ; A. Loisy, Histoire du canon du Nouveau Testament, Paris, 1891, p. 64-81, 102-107, 124 ; Le quatrième Evangile, Paris, 1903, p. 7-14, 24-24 ; A. Camerlynck, Saint Irénée et le canon du Nouveau Testament, Louvain, 1896 ; J. Labourt, De la valeur du témoignage de saint Irénée dans la question johannine, dans la Revue biblique, Paris, 1898, t. VII, p. 59-73 = Compte-rendu du IVe congrès scientifique international des catholiques tenu à Fribourg (Suisse), Paris, 1898, t. II, p. 118-131 ; J. Belser, Zur Datierung der Evangelien, dans Theologische Quartalschrift, Tubingue, 1898 ; H. von Soden, Die Schriften des Neuen Testaments in ihrer ältesten erreichbaren Textgestalt, Berlin, 1902-1910, t. I, p. 1615-1620 ; J. Turmel, Histoire de la théologie positive depuis l’origine jusqu’au concile de Trente, Paris, 1904, p. 497 (table analytique) ; J. Leipoldt, Geschichte des neutestamentlichen Kanons, Leipzig, 1907, t. I ; M. Lepin, L’origine du quatrième Evangile, Paris, 1907, p. 77-82, 96-99, 116-118, 155-164, 190-192, 223-228 ; U. Mannucci, Ein unbeachtetes Irenäusfragment, dans Theologie und Glaube, Paderborn, 1909, t. I, p. 291 ; J. Denk, Das « unbeachtetes Irenäusfragment » Mannucci’s und Itala, dans Theologie und Glaube, Paderborn, 1909, t. I, p. 648-649 ; E. Jacquier, Le Nouveau Testament dans l’Eglise chrétienne, Paris, 1911-1913, t. I, p. 148-162, 178-179 ; t. II, passim, (utilise le travail de W. Sanday sur les citations du Nouveau Testament par Irénée, dont la partie imprimée lui a été communiquée par l’auteur, cf. p. 297) ; ce Novum Testamentum S. Irenæi, dont la publication a été retardée par la divergence de vue sur la date de la traduction latine du Contra hæreses, est annoncée par H. Turner, The study of the New Testament, 1883 and 1920, Oxford, 1920 ; cf. Revue biblique, 1921, p. 409 ; W. S. Reilly, L’inspiration de l’Ancien Testament chez saint Irénée, dans la Revue biblique, Paris, 1917, p. 489-507 ; J. Chapman, St. Irenaeus on the dates of the Gospels, dans the journal of theological studies, Cambridge, 1905, t. VI, p. 563-569 ; A. Harnack, Neue Untersuchungen zur Apostelgeschichte, Leipzig, 1911, p. 90-92 ; Die Entstehung des Neuen Testaments und die wichtigsten Folgen der neuen Schöpfung, Leipzig, 1911, p. 45, 64 ; J. Hoh, Die Lehre des heil. Irenäus über das neue Testament, Munster, 1919, W. S. Reilly, Le canon du Nouveau Testament et le critère de la canonicité, dans la Revue biblique, Paris, 1921, p. 195-205 (à contrôler et à rectifier) ; E. Mangenot, Le témoignage de S. Irénée sur saint Luc et le livre des Actes des apôtres et son auteur, dans la Revue des sciences religieuses, Paris, 1921, t. I, p. 97-117.

           La tradition. ― Les gnostiques ajoutent la tradition à l’Ecriture, ou en appellent de l’Ecriture à la tradition orale, tradition demeurée secrète et qui serait en leur possession, tradition dont ils font un Evangile, tradition arbitraire et fantasque, variant [col.2423 fin / col.2424 début] sans fin, l. I, c. VIII, n. 1 ; c. XXI, n. 1, 5 ; c. XXVIII, n. 1 ; l. III, c. II, n. 1 ; c. XI, n. 9 ; l. IV, c. XXXV, n. 4, col. 520, 657, 668, 690, 846, 891, 1089. Irénée, lui aussi, se réclame de la tradition ; il n’a pas inventé l’argument de tradition, « mais il en a déterminé le principe, défini l’emploi et expliqué la valeur. » A. Dufourcq, Saint Irénée (collection Les saints), 2e édit., Paris, 1904, p. 113. La tradition dérive des apôtres, répète-t-il souvent, ab apostolis traditionem, l. V, c. XX, n. 1, col. 1177. L’Ecriture n’est pas toujours claire ; la tradition l’interprète. L’Ecriture ne dit pas tout, la tradition supplée à son silence. L’enseignement oral est antérieur aux textes écrits ; ceux qui nous ont transmis l’Evangile l’ont prêché, « et c’est plus tard que, par la volonté de Dieu, ils l’ont confié à l’écriture. » S’ils n’avaient pas écrit, nous ne serions pas absolument déshérités pour cela ; il suffirait de suivre l’ordre de la tradition qu’ils laissaient à ceux qu’ils préposaient aux Eglises. « De fait, c’est la règle que suivent beaucoup de nations barbares qui croient au Christ, ayant la doctrine du salut écrite dans leurs cœurs par le Saint-Esprit, sans papier ni encre, et gardant fidèlement l’ancienne tradition. » La tradition orale peut donc remplacer l’Ecriture là où elle manque, la compléter là où elle est insuffisante, se substituer à elle auprès des illettrés. Cont. hær., l. III, c. I, n. 1 ; c. IV, n. 1-2, col. 844, 855-856. P. Beuzart, Essai sur la théologie d’Irénée, Paris, 1908, p. 143-145. En d’autres termes, la tradition est une règle de foi distincte et, comme on le dira longtemps après Irénée, un lieu théologique distinct de l’Ecriture. Irénée ne traite pas ex professo la question de la manière dont la tradition est représentée et maintenue. On ne sera point surpris qu’il mentionne à peine les Pères ; mais il met en avant les presbytres, disciples des apôtres, nous l’ont transmise, » dit-il Dem., c. III, p. 662. Cf. la lettre à Florinus, dans Eusèbe, H. E., l. V, c. XX, P. G., t. XX, col. 485, et ce que nous dirons des presbytres en nous occupant des sources d’Irénée. Surtout il demande la tradition à la succession apostolique, il l’aperçoit dans l’Eglise. Traditionem itaque apostolorum, in toto mundo manifestam, in omni Ecclesia adest respicere omnibus qui vera velint videre, et habemus annumerare eos qui ab apostolis instituti sunt episcopi et successores eorum usque ad nos. Cont. hær., l. III, c. III, n. 1, col. 848. L’Eglise détient la pensée et l’enseignement apostolique ; aux yeux d’Irénée, nous le verrons, le magistère de l’Eglise est la règle de foi immédiate et suprême.

      H. Dodwell, Dissertationes in Irenæum, p. 1-218 ; H. Ziegler, cf. la bibliographie de l’Ecriture ; M. Winkler, Der Traditionsbegriff des Urchristentums bis Tertullian, Munich, 1897 ; J. Kunze, cf. La bibliographie de la règle de foi.

      La raison. ― Irénée, qui a très bien saisi que le gnosticisme est une combinaison de christianisme et l’hellénisme, dénonce, dans les philosophies païennes, l’origine partielle de la gnose, l. II, c. XVI, n. 1-6, col. 749-754. Il semble éprouver quelque embarras devant le problème des rapports de la philosophie avec la foi. Cf. A. Dufourcq, op. cit., p. 119-120. Du moins, ni il n’anathématise les philosophes comme l’a fait Tertullien, ni il ne s’applique à intégrer la philosophie dans la foi, comme firent saint Justin et Clément d’Alexandrie. Il ne se sert guère de la philosophie pour construire, mais il y recourt pour démolir les théories de ses adversaires. Il ne montre pas directement les harmonies qui existent entre le dogme catholique et la raison, si ce n’est çà et là, d’un mot, par exemple, quand il dit, à propos de la création, l. II, c. XV, n. 3, col. 758 : quam quidem (consonationem) nos de conditione enuntiantes, aptabilia dicimus. . . huic rhythmizationi. En revanche, [col.2424 fin / col.2425 début] Il multiplie les formules qui taxent de déraison les « très vains sophistes » du gnosticisme, l. II, c. XVII, n. 10 ; l. III, c. V, n. 1, col. 766, 858 : irrationabile est, l. II, c. XXIII, n. 6, col. 785 : irrationabile esset impium. . . ; impium est similiter et demens, l. II, c. VIII, n. 3, col. 733 ; perquam irrationale est, l. II, c. X, n ? 1, col. 734 ; mutis animalibus irrationabiliores, l. II, c. VI, n. 3, col.725 ; ridiculum vero apparebit, ibid. ; digna irrisione et vere ridicula. . ., et incredibile et fatuum et impossibile et inconstans, l. II, c. X, n. 3, 4, col. 736 ; irrationabile est et omnino rusticanum ; l. II, c. XXIV, n. 3, col. 7793 ; in vanum laborans et delirus et irrationabilis. . ., insanus et stupidus tanquam fulmine percussus, l. II, c. XXVI, n. 3, col. 802 ; irrationabiliter inflati, l. II, c. XXVIII, n. 6, col. 808 ; impudorate audent dicere, l. II, c. XII, n. 3, col. 739 ; vanissimum est quod dicunt, l. II, c. XIX, n. 4, col. 772 ; feroces et horribiles et irrationabiles, l. II, c. XXXI, n. 1, col. 824, etc. Puisqu’il s’agit de vérités religieuses, il les combattra principalement sur le terrain de la foi, et il renversera par l’Ecriture leurs fausses interprétations scripturaires : telle sera la tâche des livres III-V. Mais, au préalable, parce que les gnostiques sont des ergoteurs et des sophistes, bene hæc arbitrati sumus, dit-il, primo interrogare cos e contrario de suis dogmatibus, et quod non est verisimile ipsorum ostendere, et temeritatem ipsorum excidere. . ., ut. . ., propter hoc quod non possint ad ea quæ interrogantur ratione respondere, dissolutam suam videntes argumentationem, aut, revertentes ad veritatem, et semetipsos humiliantes et cessantes a multifaria sua phantasia, placantes Deum de his quæ adversus cum blasphemaverunt, salventur, aut, si perseveraverint in ea quæ præoccupavit animum ipsorum vana gloria, argumentationem suam immutent, l. II, c. XI, n. 2, col. 737. Et Irénée consacre à cette discussion tout le livre II, qu’il résumera de la sorte, l. V, præf., col. 1119 : eversis quoque his qui irreligiosas adinvenerunt sententias, aliquid quidem ex propria uniuscujusque illorum doctrina quam in suis conscriptis reliquerunt, aliquid autem ex ratione universis ostensionibus procedente. La place qu’il accorde à la raison est donc assez considérable ; mais elle ne vient qu’en seconde ligne, à titre subsidiaire, et le rôle qu’il lui attribue consiste surtout à établir ce que l’erreur a d’invraisemblable et d’absurde.

      L’Eglise. ― Finalement les gnostiques rejettent et l’Ecriture et la tradition, evenit itaque neque Scripturis jam neque traditioni consentire eos, l. III, c. II, n. 2, col. 847. L’Ecriture et la tradition, c’est eux-mêmes, eux qui sont supérieurs aux presbytres et aux apôtres, et même au Seigneur, lequel n’a pas toujours parlé parfaitement, tandis qu’eux ils connaissent le mystère sacré indubitate et intaminate et sincere. Et, ramenant tout à leur sens propre, se livrant à des spéculations déraisonnables, toujours en quête de nouveautés, chacun se faisant à soi-même sa doctrine, ils vont cherchant, cherchant toujours, sans trouver jamais. « L’inconstance des doctrines est le lot des gnostiques : sophistes à jamais condamnés à toutes les variations, roulés par les flots de leurs erreurs, sans pierre où fonder leur édifice, rien que du sable mouvant, cf. l. III, c. XXIV, n. 2, col. 967. Irénée esquisse déjà l’histoire des variations. » P. Batiffol, L’Eglise naissante et le catholicisme, 3e édit., Paris, 1909, p. 255.

      Dans ces conditions, les gnostiques n’ont que faire de l’Eglise. Ils blessent son enseignement, præconium Ecclesiæ lædunt, l. I, c. XXVII, n. 4, col. 689. Ils se séparent d’elle, absistunt ab Ecclesia, l. I, c. XVI, n. 3 ; cf. c. XXVIII, n. 1, col. 633, 690. Ils méprisent, sauf à tenter de les séduire, ceux qui « sont d’Eglise, » et les appellent « gens du commun, communes ecclesiasticos, grossiers, psychiques, ne comprenant rien à la vérité, » pendant qu’eux sont les « pneumatiques, parfaits et [col.2425 fin / col.2426 début] semence d’élection. » L. I, c. VI, n. 2, 4 ; l. III, c. XV, n. 2, col. 506, 508, 918. Ils discréditent l’Eglise, l. I, c. XXV, n. 3, col. 682. Ils faussent sa notion. Dans l’école de Valentin, elle devient un éon, le dernier terme de l’ogdoade, invisible, comme toute l’ogdoade, qui est dans le plérôme, et dont l’Eglise visible est l’image, l. I, c. I, n. 1 ; c. V, n. 6 ; c. VIII, n. 4 ; c. IX, n. 2 ; c. XI, n. 1 ; l. II, c. XII, n. 5 ; c. XIII, n. 10, col. 448-449, 501, 513-518, 540, 561-564, 740, 748-749. Voir l. I, c. XII, n. 3, col. 573-576, une variante introduite par ceux des disciples de Valentin qui prudentiores putantur. Pour les ophites, l’union du Père et du Fils et du Christ (fils du Père et du Fils) est la vrai et sainte Eglise, l. I, c. XXX, n. 2, col. 695. Pour les disciples de Marc enfin, l’éon Eglise est l’archétype de la Vierge mère de Jésus par l’opération de la virtus Altissimi qui est l’éon Homme conjoint à l’éon Eglise dans le plérôme, l. I, c. XV, n. 3 ; cf. c. XIV, n. 5 ; c. XV, n. 1 ; c. XVII, n. 1, col. 620-621, 604, 613, 637. Vraie notion de l’Eglise, rôle de son magistère, nécessité de lui appartenir, autant de points que le gnosticisme méconnaît et que l’évêque de Lyon expose fortement. L’ecclésiologie est une des maîtresses pièces de la théologie irénéenne.

      1. Les notes de l’Eglise. ― La théorie des notes de l’Eglise a été formulée plus tard ; les éléments de cette théorie existent chez Irénée.

      a) La sainteté. ― Elle est tellement caractéristique de l’Eglise véritable que les gnostiques appellent sainte leur pseudo-Eglise, l. I, c. XXX, n. 2, col. 695. Les prêtres doivent être saints, l. IV, c. XXVI, n. 4, col. 1055. La vraie Eglise a l’amour « plus précieux que la science, plus glorieux que la prophétie, plus excellent que tous les autres charismes. » L. IV, c. XXIII, n. 8, col. 1077-1078. Du reste, ces autres charismes elle les possède également, l. II, c. XXXI, n. 2 ; l. V, c. VI, n. 1, col. 824-825, 1137. A cause de son amour pour Dieu, seule l’Eglise chrétienne a des martyrs, l. IV, c. XXXIII, n. 9, col. 1078. Seule elle a les miracles. Les gnostiques se livrent à des incantations magiques et peuvent, par là, illusionner ; ils accomplissent des prestiges, mais non in virtute Dei, neque in veritate, neque ut benefici, l. II, c. XXXI, n. 2, col. 824. Cf., sur le gnostique Marc, l. I, c. XIII, col. 577-52 ; sur Simon le magicien, c. XXIII, n. 1, 4, col. 670, 672-673 ; sur Basilide, c. XXIV, n. 5, col. 678 ; sur Carpocrate, c. XXV, n. 3, col. 681-682. Les miracles de l’Eglise sont réels, utiles, compatissant, gratuits, l. II, c. XXXI, n. 3, col. 825. Les gnostiques, soi-disant pneumatiques et non susceptibles de souillure, s’autorisent tous les crimes, ― au moins théoriquement, car Irénée refuse de croire, quand il traite des carpocratiens, l. I, c. XXV, n. 5, col. 684, qu’ils commettent tous ces méfaits, ― ils déclarent que la retenue ne s’impose qu’aux psychiques, l. I, c. VI, n. 3 ; c. XIII, XXIII, n. 2, 4 ; c. XXV, n. 3, 5 ; c. XXVI, n. 3 ; c. XXVIII, n. 3 ; c. XXVIII, n. 1-2, c. XXXI, n. 1, col.508-509, 577-592, 672, 682, 685, 687, 689, 691, 704. Les enfants de l’Eglise craignent de pécher non seulement en actes, mais encore en pensées et en paroles, l. I, c. VI, n. 4, col. 509.

      b) L’unité. ― L’Eglise est une dans sa foi et son organisation. A la différence des gnostiques, « qui n’ont jamais pu présenter un corps de doctrines uniformes et harmoniques, » des gnostiques « débris épars sans lien d’unité, qui n’ont jamais les mêmes sentiments sur une même chose, » l’Eglise professe partout et toujours la même foi, comme si, « dispersée dans le monde, elle habitait une maison unique. » Elle n’a « qu’un cœur, qu’une âme, qu’une voix, qu’une bouche. Le soleil est le même pour l’univers entier ; ainsi de la prédication de la vérité. » L. I, c. X, n. 2 ; l. III, c. XXIV, n. 2 ; l. V, c. V, n. 2, col. 552-553, 967, 1178. L’Eglise est un corps organique ; elle a le caractère du corps du Christ ! Malheur aux schismatiques, qui n’ont pas l’amour de Dieu et qui, considérant leur utilité plutôt [col.2426 fin / col.2427 début] que l’unité de l’Eglise, lacèrent et, pour autant qu’il dépend d’eux, tuent le grand et glorieux corps du Christ, l. IV, c. XXXIII, n. 7-8, col. 1076-1077. Les hérétiques aveugles, qui laissent la parole de l’Eglise et s’abandonnent à des doctrines changeantes et contradictoires, font fausse route. Il faut les fuir, et se réfugier auprès de l’Eglise, paradis terrestre, l. V, c. XX, n. 2, col. 1178 ; Dem., c. II, p. 661.

      c) La catholicité. ― Irénée n’a pas l’expression « Eglise catholique, » employée dans les Actes de saint Polycarpe. H. Hemmer et P. Lejay, Les Pères apostoliques, Paris, 1910, t. III, p. 128, 138, 150, 154, cf. p. LXXI, LXXIII. Καθολικός appartient à la langue d’Irénée, mais n’a point passé dans la traduction latine sous la forme catholicus. Le traducteur rend τέσσαρα καθολικά πνεύματα par quatuor principales spiritus, et τέσσαρες έδόθησαν καθολικαι διοθήκαι par quatuor data sunt testamenta, l. III, c. XI, n. 8, col. 885, 889. Il est possible que communes ecclesiasticos, l. III, c. XV, n. 2, col. 918, corresponde au grec (perdu) καθολικούς έκκλησιαστικούς. Cf. A. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 3e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1894, t. I, p. 371, note. L’idée de l’Eglise catholique apparaît fortement, l. I, c. X, n. 1, col. 549, et presque le mot : Ή μέν γάρ Έκκλησία καίπερ καθ΄ όλης τής οίκουμένης. L’Eglise a la double catholicité de temps et d’espace. Elle a existé déjà dans l’Ancien Testament. C’est la vigne du genre humain, que Dieu planta d’abord per plasmationem Adæ et electionem patrum ; c’est la semence d’Abraham, L. IV, c. VIII, n. 1 ; c. XXXVI, n. 2 ; l. V, c. XXXIV, n. 1, col. 993, 1091, 1215. Disséminée dans le monde, sur toute la terre, elle parle des langues diverses, mais a une seule et même foi, une seule et même tradition, l. I, c. X, n. 2-3 ; l. II, c. IX, n. 1 ; c. XXXI, n.2 ; l. III, c. III, n. 1 ; c. XI, n. 8 ; c. XV n.1, col. 552-553, 560, 734, 825, 848, 885, 918. Cette doctrine est pour tous. Elle n’est pas cachée à certains, à la différence de ce qui se produit dans le gnosticisme, l. IV, c. XXXIII, n. 9 ; c. XXXVI, n. 2 ; l. V, præf., c. XX, n. 1, col. 1078, 1091, 1119, 1177 ; Dem., c. XCVIII, p. 730. Voir t. II, col.2001.

      d) L’apostolicité. ― L’Eglise est apostolique. Les apôtres sont le support à douze colonnes, firmamentum duodecastylum, de l’Eglise, l. IV, c. XXI, n. 3, col. 1045. D’eux elle a reçu la foi qu’elle garde avec soin et distribue à ses enfants, l. I, c. X, n. 1 ; l. III, præf. ; c. III, n. 3 ; l. V, præf., col. 549, 843, 849, 850, 1119. Sa doctrine est la doctrine des apôtres, l. IV, c. XXVI, n. 4 ; c. XXXII, n. 1 ; c. XXXIII, n. 8, col. 1055, 1071, 1077. A elle il faut demander la vérité, car les apôtres la lui ont livrée, l. III, c. III, n. 4 ; c. IV, n. 1, col. 852, 855. Tradition de la vérité, traditio ab apostolis, l. II, c. IX, n. 1 ; l. III, c. II, n. 2 ; c. III, n. 1, 2, 3, 4 ; c. V, n.1 ; l. V, c. XX, n. 1, col. 734, 847, 848, 850, 851, 852, 857, 1177 ; traditio apostolorum, l. III, c. III, n. 1, 3, 4, col. 848, 855 ; apostolica Ecclesiæ traditio, l. III, c. III, n. 3, col. 850, ancienne tradition des apôtres, l. III, c. IV, n. 2, col. 856 ; enseignement de l’Eglise que les Apôtres ont livré, l. V, præf., col. 1119, autant de synonymes. En même temps que de l’enseignement oral des apôtres, l’Eglise est la gardienne des Ecritures, cette tradition écrite. Il faut lire l’Ecriture, apud eos qui qui in Ecclesia sunt presbyteri, apud quos est apostolica doctrina, l. IV, c. XXXII, n. 1, col. 1071. On doit fuir les hérétiques, se réfugier auprès de l’Eglise, y être nourri des Ecritures du Seigneur. « En recherchant la pensée d’Irénée sur la tradition, observe P. Beuzart, Essai sur la théologie d’Irénée, Paris, 1908, p. 44, nous voyons poindre très nettement la doctrine catholique qu’en définitive c’est l’Eglise qui garantit l’Ecriture sainte. Au premier abord, l’Ecriture sainte paraît reposer sur elle-même : elle est inspirée, possède l’autorité et la majesté divines, que peut-on demander de plus ? [col.2427 fin / col.2428 début] En y regardant de plus près, on s’aperçoit que l’origine et l’inspiration divine de l’Ecriture sainte sont affirmées par l’Eglise, de sorte qu’elle repose sur l’Eglise. » C’est l’Eglise qui, par l’organe des successeurs des apôtres, nous transmet les Ecritures et nous livre leur véritable sens, l. IV, c. XXXIII, n. 8, col. 1077.

      2. La hiérarchie ecclésiastique. ― La tradition des apôtres est venue par leurs successeurs, par leurs disciples immédiats, puis par les disciples de leurs disciples. Ces disciples peuvent n’être pas des chefs ecclésiastiques ; c’est le cas de tel ou tel de ces presbytres dont Irénée invoque le témoignage. Cf. l. II, c. XXII, n. 5 ; l. IV, c. XXVII, n. 1 ; l. V, c. XXX, n. 1, col. 785, 1056, 1203. Mais il n’y a pas seulement, pour transmettre l’enseignement des apôtres, des individualités isolées, malgré tout faillibles ; il y a la succession épiscopale dans l’Eglise, il y a l’Eglise infaillible par l’assistance du Saint-Esprit, l. III, c. III, n. 1, col. 848 : traditionem itaque apostolorum in toto mundo manifestatam in omni Ecclesia adest respicere omnibus qui vera velint videre, et habemus annumerare eos qui ab apostolis instituti sunt episcopi et successores eorum usque ad nos. . ., suum ipsorum locum magisterii tradentes. Cf. l. III, c. IV, n. 1 ; l. IV, c. XXXVI, n. 5, col. 855, 1056. C’est là-dessus qu’Irénée insiste.

      Il emploie, pour désigner les successeurs des apôtres, les mots έπίσκοπος, l. III, c. III, n. 3, 4 ; c. IV, n. 3 ; l. IV, c. XXVI, n. 2-5 ; c. XXXIII, n. 8 ; l. V, c. XX, n. 1, col. 849, 851, 852, 857, 1053-1054, 1055, 1077, et πρεσβύτερος, l. III, c. II, n. 2 ; l. IV, c. XXVI, n. 2, 5 ; c. XXXII, n. 1 ; l. V, c. XX, n. 2, col. 847, 1053, 1055, 1071, 1077, et lettres à Florinus et au pape Victor, dans Eusèbe, H. E., l. V, c. XX, XXIV, P. G., t. XX, col. 486, 506. Chez lui, la distinction du sens entre ces deux termes n’est pas encore faite. Nous lisons, l. IV, c. XXVI, n. 2, col. 1053-1054 : Quapropter iis qui in Ecclesia sunt presbyteris obaudire oportet, his qui successionem habent ab apostolis, sicut ostendimus, qui nunc episcopatus successione charisma veritatis certum. . . acceperunt. Cf. L. V, c. XX, n. 1, 2, col. 1177. Dans la lettre à Victor, il appelle πρεσβύτεροι les évêques de Rome qu’il appelle έπίσκοποι, l. III, c. III, n. 3 ; c. IV, n. 3, col. 849, 851, 857, et, dans la lettre à Florinus, il range parmi les πρεσβύτεροι Polycarpe, nommé έπίσκοπος, Cont. hær., l. III, c. III, n. 4, col. 852. Έπίσκοπος et πρεσβύτερος sont donc interchangeables. Cf. C. de Smedt, L’organisation des églises chrétiennes jusqu’au milieu du IIIesiècle, dans le Compte rendu du congrès scientifique international des catholiques tenu à Paris (1888), Paris, 1889, t. II, p. 334.

      Mais, si la distinction de l’épiscopat et du presbytérat ne ressort point l’emploi de ces noms, elle résulte de toute l’argumentation d’Irénée. Ce ne sont pas tous les prêtres qui sont dépositaires, au même titre, de la tradition apostolique, mais ceux qui, dans les Eglises, sont les successeurs des apôtres, ce sont les chefs ; ce sont, à Rome, les papes dont Irénée dresse la liste, l. III, c. III, n. 3, col. 8449-851, et, dans les plus anciennes Eglises, ceux dont il pourrait donner la liste, ce qu’il ne fait pas pour ne pas être trop long, n. 2, col. 848, se bornant, après avoir établi celle de Rome, à mentionner celles de Smyrne et d’Ephèse, n. 4, col. 852-853. Irénée détache ceux qui commandent dans les Eglises, l. I, c. X, n. 2 ; l. IV, c. XXVI, col. 553, 1055-1056. Par opposition aux successeurs authentiques des apôtres, il signale et stigmatise ceux qui absistunt a principale successione, l. IV, c. XXVI, n. 2 ; cf. n.3, col. 1054. La traduction latine rend τούς πρεσβύτερος τής Έκκλησίας, Act., XX, 17, par convocatis episcopis et presbyteris qui erant ab Epheso et a reliquis proximis civitatibus ; ici la distinction même des noms se dessine, l. III, c. XIV, n. 2, col. 914. Nous avons déjà rencontré le texte, l. IV, c. XXXIII, [col.2429 fin / col.2430 début] n. 8, col. 1077, où apparaissent le caractère d’ensemble organisé de l’Eglise et le rôle, dans cette organisation, de l’épiscopat : agnitio vera est apostolorum doctrina, et antiquus Ecclesiæ status, in universo mundo, et character corporis Christi secundum successiones episcoporum, quibus illi eam, quæ in unoquoque loco est, Ecclesiam tradiderunt. Cf. l. III, c. IV, n. 2 ; l. V, c. XX, n. 1, col. 855, 1177. Est-il besoin d’ajouter que la distinction entre évêques et prêtres s’affirme dans la vie d’Irénée, comme dans ses écrits ? Nous lisons que « le bienheureux Pothin administre l’épiscopat de l’Eglise de Lyon, » qu’Irénée est alors prêtre, lettre des Eglises de Lyon et de Vienne, dans Eusèbe, H. E., l. V, c. I, IV, P. G., t. XX, col. 420, 440, et, dit Eusèbe, « Irénée succède à Pothin dans l’épiscopat, » c. V, col. 444.

      A plus forte raison Irénée ne confond pas le clergé et les simples fidèles. Massuet, Dissert., III, a. 7, n. 100-101, col. 354-356 ; cf. col. 995, dut réfuter, sur ce point, la thèse tendancieuse de Grabe. P. Beuzart, Essai sur la théologie d’Irénée, p. 158, et F. R. M. Hitchcock, Irenaeus of Lugdunum, p. 261-262, sans aller aussi loin que Grabe, ont vu dans les textes d’Irénée un acheminement vers la thèse protestante. C’est une erreur. Certes, l’idée que tous les fidèles exercent, dans un certain sens, le sacerdoce n’est pas étrangère à Irénée, comme elle est familière au Nouveau Testament et à l’Eglise de tous les siècles. Cf., pour les temps anciens, P. de Labriolle, Tertullien était-il prêtre ? dans le Bulletin d’ancienne littérature et d’archéologie chrétiennes, Paris, 1913, t. III, p. 167-168. Mais, quand Irénée la formule de la sorte, l. IV, c. VIII, n. 3, col. 995 : Πάς βασιλεύς δίκαιος (omnes enim justi dans la traduction) ίερατικήν έχει τάξιν, ce texte n’a « qu’une valeur mystique, où n’est impliquée aucune revendication proprement juridique, dit P. de Labriolle, p. 175-176. Irénée, soucieux de défendre contre Marcion la continuité entre l’Evangile et la Loi, veut simplement démontrer à l’hérésiarque, à propos de Luc, VI, 3-4, que, dans la pensée du Christ, tout fidèle doit savoir s’affranchir des contraintes littérales et agir selon l’esprit des préceptes divins, usant ainsi de la liberté que la Loi reconnaissait en certains cas aux prêtres. » Sous l’ancienne Loi tous n’étaient pas prêtres au sens strict du mot, à commencer par David, qui est dit pourtant sacerdos scitus apud Deum et qui mangea les pains de proposition, chose permise aux prêtres seuls. Il y a plus. « A la même page où il parle des offrandes que font à Dieu tous les justes, Irénée affirme le sacerdoce éminent des apôtres, isolés par le choix du Christ pour le ministère de l’autel, et fait ressentir le prolongement de ce ministère dans une lignée sacerdotale : Sacerdotes autem sunt omnes Domini apostoli, qui neque agros neque domos hæreditant hic, sed semper altari et Deo serviunt. » A. d’Alès, Recherches de science religieuse, Paris, 1916, t. VI, p. 127. Il n’y a pas d’avantage à objecter le texte, l. V, c. VI, n. 1, col. 1137, sur les charismes reçus en dehors de la hiérarchie. Irénée précise que, là où sont les charismes, il faut apprendre la vérité apud quos est ea quæ an apostolis Ecclesiæ successio, l. IV, c. XXVI, n. 5, col. 1056, et, quelques lignes auparavant, n. 3, 4, col. 1054, 1055, après avoir invité à s’éloigner des mauvais prêtres qui et principalis concessionis (lire consessionis) tumore elati sunt in absconsis agunt mala, il a demandé qu’on adhère à ceux qui gardent la doctrine des apôtres, cum presbyterii ordine, sermonem sanum et conversationem sine offensa præstant. Sur les mots ordo et consessus (ou consessio) désignant, le premier, le clergé et, le second, « la préséance spéciale départie au clergé dans les réunions des fidèles », cf. P. de Labriolle, loc. cit., p. 167-168, note. Enfin, c’est à tort que P. Beuzart allègue les pages, l. IV, c. XXXIII, col. 1072-1073, sur l’attitude du « disciple [col.2429 fin / col.2430 début] spirituel, » dont rien ne permet de supposer que ce ne soit pas un fidèle quelconque et qui, cependant, « juge, examine et décide en toute souveraineté. » Deux textes encadrent ce portrait du « disciple spirituel » qui prouvent l’existence de la hiérarchie. L. IV, c. XXXII, n. 1, col. 1071, nous trouvons : Omnis sermo ei constabit si et Scripturas diligenter legerit apud eos qui in Ecclesia sunt presbyteri, apud quos est apostolica doctrina. Et c. XXXIII, n. 8, col. 1077 : Agnitio vera est apostolorum doctrina et antiquus Ecclesiæ status, in universo mundo, et character corporis Christi secundum successiones episcoporum. La haute importance qu’Irénée accorde à l’Ancien Testament, où les prêtres étaient distincts du peuple, et sa conviction que le judaïsme était l’image de l’Eglise, tout ce que nous avons vu sur le rôle qu’il assigne à l’épiscopat et au presbytérat, et tels autres textes, par exemple, celui sur l’Evangile tétramorphe, l. III, c. XI, n. 8, col. 886, où il dit que le deuxième animal, semblable à un veau, signifie sacrificatem et sacerdotem ordinationem, ne laissent pas de doute sur la pensée de l’évêque de Lyon : il reconnaît la hiérarchie ecclésiastique.

      3. La primauté de l’Eglise romaine. a) Etat de la question. ― Voici d’abord, le texte d’Irénée sur la primauté de l’Eglise romaine. Il vient de dire, l. III, c. III, n. 1, col. 848, que la tradition des apôtres est visible dans toute l’Eglise et qu’on peut énumérer ceux qui ont été institués évêques par les apôtres et par leurs successeurs. Il poursuit, n. 2, col. 848-849 : Sed, quoniam valde longum est, in hoc tali volumine, omnium Ecclesiarum enumerare successiones, maximæ et antiquissimæ, et omnibus cognitæ a gloriosissimis duobus apostolis Petro et Paulo Romæ fundatæ et constitutæ Ecclesiæ, eam quam habet ab apostolis traditionem et annutiantam hominibus fidem, per successiones apostolorum pervenentiem usque ad nos indicantes, confundimus omnes eos qui quoquo modo, vel per sibi placentia, vel vanam gloriam, vel per cæcitatem et malam sententiam, præterquam quod oportet colligunt. Ad hanc enim Ecclesiam, propter potiorem principalitem, necesse est omnem convenire Ecclesiam, hoc est eos qui sunt undique fideles, in qua semper ab his qui sunt undique conservata est ea quæ est ab apostolis traditio.

      Nous n’avons pas l’original grec. Le texte du traducteur est assuré, sauf quatre expressions. Antiquissimæ ne signifie pas « la plus ancienne. » Irénée lui-même rappelle, l. III, c. XII, n. 5, col. 897, que l’Eglise de Jérusalem fut celle où toute l’Eglise commença, métropole, en ce sens, des citoyens du Nouveau Testament. Massuet, Dissert., III, a. 4, n.31, P. G., t. VII, col. 278, pense que le grec devait être άχαιοτάτης, mal traduit par antiquissimæ au lieu de præcipuæ ac principis. Peut-être serait-il préférable de garder antiquissimæ, en traduisant, avec Bossuet, Sermon sur l’unité de l’Eglise, IIe point, dans Œuvres, édit. F. Lachat, Paris, 1863, t. XI, p. 610, par « très ancienne ». Sur la foi du Claromontanus, qui porte pontiorem, corrigé par une main ancienne en potiorem, Massuet, col. 849, n., a lu potiorem principalitem, potentiorem principalitem que portent les autres manuscrits, ; c’est cette dernière lecture qui doit être maintenue. Eos manque dans le manuscrit d’Arundel U. Mannucci, dans la Rivista storico-critica delle scienze teologiche, Rome, 1908, t. IV, p. 613, avait émis l’hypothèse que le second qui sunt undique est une répétition du premier, due à une inadvertance de copiste. Dom. G. Morin, Une erreur de copiste dans le texte d’Irénée sur l’Eglise romaine, dans la Revue bénédictine, Maredsous, 1908, t. XXV, p. 515-520, a développé une supposition identique. « Tout porte à croire, conclut-il, que le second sunt undique est une répétition maladroite de celui qui se lit une ligne auparavant. Il est possible, probable même, que ces deux mots en ont remplacé d’autres [col.2430 fin / col.2431 début] désignant d’une façon quelconque les chefs d’Eglise, ceux dont l’action vigilante assurera la conservation de la tradition apostolique au sein de la communauté romaine. » Ces mots, d’après un prêtre français de Saint-Pétersbourg, sui suggéra cette hypothèse à Dom. G. Morin, pourraient être : qui ibi præferunt. M. Dörholt, Theologische Revue, Munster, 1909, col. 94-95, a signalé avec sympathie cette hypothèse ; mais, voyant dans les mots ab his la traduction littérale du grec άπό τούτων, il leur a donné le sens de deinceps, posta abhinc : dès lors, nul besoin d’ajouter d’autres mots pour remplacer le second sunt undique. M. d’Herbigny, Revue bénédictine, Maredsous, 1910, t. XXVII, p. 103-108, a regardé comme vraisemblable que la traduction primitive portait ab his qui sunt undecim, devenus ab his qui sunt undique par l’incurie d’un copiste. Toute une série d’hypothèses et de corrections ont été proposées encore. Cf. U. Mannucci, dans la Rivista storico-critica delle scienze teologiche, Rome, 1909-1910, t. V, p. 609, t. Vi, p. 619-620. Des critiques se sont rangés à l’opinion telle quelle de Dom. G. Morin. Cf. P. Batiffol, L’Eglise naissante et le catholicisme, 3e édit., Paris, 1909, p. 251. F. X. Roiron, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1917, t. VII, p. 41-42, note, la rejette, ainsi que celle de M. d’Herbigny.

      La phrase capitale : Ad hanc enim. . . est susceptible de sens divers très intelligemment étudiés dans un article posthume (inachevé) de F. X. Roiron, Sur l’interprétation d’un passage de saint Irénée, Contra hæreses, III, III, 2, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1917, t. VII, p. 36-51. Principalitas peut désigner la suprématie impériale de Rome ou la prééminence de l’Eglise romaine ; celle-ci, à son tour, peut être une primauté purement honorifique ou une primauté de juridiction. Necesse est peut indiquer une nécessité logique ; si, de part et d’autre, on a reçu et gardé une tradition unique, il faudra bien que l’on soit d’accord, ― ou physique, matérielle : il ne s’agirait pas de ce que l’on a le devoir de faire, mais de ce que la force des choses impose, ― ou morale. Convenire s’offre au double sens de rendez-vous ou d’accord. In qua peut se rapporter à omnem Ecclesiam (l’Eglise de Rome), et, dans ce dernier cas, plusieurs sens sont possibles. Agençant entre elles ces diverses acceptions, F. X., Roiron a abouti à ce résultat que, défalcation faite de celles qui sont contradictoires, on obtient 116 combinaisons, dont cinq principalement sont, à première vue, défendable et ont été défendues. Cf. p. 38-39, note.

      b) Histoire de l’interprétation du texte. ― L’importance du texte d’Irénée apparaît au cours de la controverse protestante. Dans son édition d’Irénée, Cologne, 1625, (1re édition en 1575), p. 234-236 = P. G., t. VII, col. 1605-1609, Feuardent le commente. Bellarmin, De romano pontifice, l ; II, c. XV, dans le De controversiis christianæ fidei, Paris, 1620, t. I, (1re édition en 1586), col. 641, cite ce texte capital, et invite à noter les expressions significatives, nam Irenæus probat posse nos confundere omnes hæreticos ex doctrina Romanæ Ecclesiæ, quia necesse est ad hanc Ecclesiam omnes convenire et ab ipsa tanquam a capite et fonte pendese (ces derniers mots amplifient le sens d’Irénée). Cf. J. Gretser, Defensio Bellarmini, Ingolstadt, 1609, t. I, p. 676-677 ; Baronius, Annal. ecclesiast., an. 180, n. 5 ; cf. an. 179, n. 54, Rome, 1588, t. II, p. 168, 167, renvoie au même texte J. Coccius, l’enregistre dans son Thesaurus catholicus in quo controversiæ fidei. . . . explicantur, Cologne, 1610, t. I, p. 826. De plus en plus le texte d’Irénée pénètre dans la circulation théologique. Les protestants, gênés par lui, tâchent de s’en débarrasser. Cf. F. du Jon (Junius Biturigis = né à Bourges), [col.2431 fin / col.2432 début] Animadversiones ad R. Bellarmini Societatis Jesus ut vocant controversiam III, l. II, c. XV, dans ses Opera theologica, Genève, 1607, t. II, col. 729 ; P. du Moulin, Le bouclier de la foy, Charenton, 1617, édit. de Sedan, 1621, p. 433 ; D. Chamier (Chamierus), le « grand Chamier », De œcumenio pontifice, c. XXII, n. 12 sq., dans Panstratiæ catholicæ libri XIII, Genève, 1626 ; cf. Chamierus contractus sive Panstratiæ catholicæ D. Chamieri, epitome, Genève, 1642, p. 551 ; Cl. de Saumaise (Salmasius), De primatu papæ, c. V, Leyde, 1645, p. 65, plus proche des catholiques. Sur les traces de Chamier, l’éditeur protestant d’Irénée, J. E. Grabe recourut à une interprétation réservée à un brillant destin : le texte d’Irénée vise l’affluence des gens envoyés à toute l’Eglise à Rome pour y traiter la cause des chrétiens auprès des empereurs, lesquels avaient le pouvoir suprême. Massuet, Dissert., III, a. 4, n. 33-35, P. G., t. VII, col. 280-283, montra ce que cette explication a de factice et d’impossible, et, n. 31, col. 278-279, expliqua de la sorte le passage d’Irénée : l’Eglise romaine est 1° la plus grande de toutes ; 2° celle qui est à la tête de toutes ; 3° qui est connue de tous ; 4° qui a été fondée par les apôtres Pierre et Paul ; 5° avec laquelle il est nécessaire que s’accordent les fidèles du monde entier, à cause de son autorité souveraine, car, bien que les autres, dans leurs limites, exercent la principauté sur les fidèles qui leur sont soumis, bien plus excellente est la principauté de l’Eglise romaine, utpote quæ principatus ac primatus jure omnibus dominetur, omnibus præsit omnesques ibi subditos habeat ; 6° dans cette Eglise a toujours été conservée, par ceux qui sont de partout, la tradition apostolique en ce sens que, les fidèles de l’univers entier étant tenus d’adhérer à sa doctrine, la tradition apostolique confiée à cette Eglise a pu s’y conserver beaucoup plus sûrement et facilement que dans les autres Eglises considérées séparément, dont la juridiction avait des limites plus restreintes.

      Avec des nuances, tantôt atténuées, tantôt renforcées, les interprétations de Massuet et de Grabe se sont partagé les esprits jusque vers la fin du XIXe siècle. Bossuet, Sermon sur l’unité de l’Eglise, IIe point, Œuvres, t. XI, p. 610 traduisit : « C’est avec cette Eglise que toutes les Eglises et tous le fidèles, qui sont par toute la terre, doivent s’accorder, à cause de de sa principale et excellent principauté, et. . . c’est en elle que ces mêmes fidèles répandus par toute la terre ont conservé la tradition qui vient des apôtres. » Cf. sa Defensio declarationis cleri gallicani, part. III, l. X, c. VI, XIV, dans ses Œuvres, Paris, 1879, t. XXII, p. 269, 289 ; P. de Marca, De concordia sacerdotii et imperii, l. I, c. II, n. 6 ; 2e édit., Paris, 1669, p. 8 ; dom. R. Cellier, Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, Paris, 1730, t. II, p. 156. Si les gallicans ont admis que le texte d’Irénée prouve la primauté de l’Eglise romaine, les ultramontains, allant au-delà, l’ont employé pour établir l’infaillibilité du pape, alors que Bossuet, Defensio, p. 290, affirmait concludi causas fidei ad eam sedem referandas non autem propterea infallibili judicio finiendas. Saint Alphonse de Liguori prouve par ce texte l’infaillibilité du pape, dans sa Dissertatio de R. pontificis auctoritate, parue en 1748. Il le cite exactement, § 2, De auctoritate pontificis supra concilium, dans sa Theologia moralis, édit. L. Gaudé, Rome, 1905, t. I, p. 113, en réponse à l’objection tirée de Matth., XVIII, 17 ; mais là où il traite ex professo de l’infaillibilité, § 1, De infallibilitate papæ, p. 96, ne prenant pas garde que les mots qu’il allègue sont non pas ceux d’Irénée, mais la glose de Bellarmin, il fait dire à saint Irénée : Omnes a Romana Ecclesia necesse est ut pendeant tanquam a fonte et capite. Les frères Ballerini, De vi ac ratione primatus R. pontificum, Vérone, 1766, reproduit dans Migne, [col.2432 fin / col.2433 début] Theologiæ cursus complicius, Paris, 1839, t. III, s’appuie fréquemment sur le texte d’Irénée, col. 1014-1019, 1135, 1138-1139, 1144-1145, 1146, 1155, 1157, 1161-1162, 1165, 1171, 1172, 1181, 1182, 1228, 1237-1239, 1242, 1245. Cf. Maur Capellari (Grégoire XVI), Triomphe du saint-siège et de l’Eglise, c. XII, n. 1, paru en 1799, trad. Jammes dans Migne, Démonstrations évangéliques, Paris, 1843, t. XVI, col. 942 ; J. De Maistre, Du pape, l. I, c. VI, 8e édit., Lyon, 1845, p. 47 : il forge bravement le mot grec perdu par principalitem, disant qu’Irénée « en appelait déjà à la chaire de saint Pierre comme à la règle de foi et confessait cette principauté régissante, ήγμονία, devenue si célèbre dans l’Eglise, » Freppel, Saint Irénée, 2e édit., Paris, 1870, p. 429, 432-437, 441, etc. Du côté des protestants, mentionnons J. L. Mosheim, Institutiones historiæ antiquioris, II sæc., § 21, Helmstadt, 1738 ; cf. Berger, Dictionnaire de théologie, Toulouse, 1819, t. IV, p. 349-351 ; A. Neander, Allgemeine Geschichte der christlichen Religion und Kirche, Gotha, 1856, t. I, p. 111-112 ; C. Graul, Die christliche Kirche an der Schwelle des irenäischen Zeitalters, Leipzig, 1860, p. 138, etc.

      Le concile de Vatican donna au texte un regain d’actualité. Infaillibilistes et anti-infaillibilistes le discutèrent. Les premiers en élargirent parfois la signification véritable ; les autres s’obstinèrent à l’amoindrir. Saint Alphonse de Liguori fut accusé de l’avoir falsifié. La publication, par le rédemptoriste Jules Jacques, sous le titre : Du pape et du concile, Tournay, 1870, de la Dissertatio de R. pontificis auctoritate, traduite et complétée par des extraits des autres ouvrages du saint, fournit un aliment à la discussion. On objecta que Liguori attribuait à Irénée le passage où Bellarmin conclut du texte d’Irénée qu’il est nécessaire que tous dépendent de l’Eglise romaine ainsi que de la source et de la tête ; à quoi, pour corser l’accusation de fraude, on ajouta que le texte d’Irénée est mutilé dans le bréviaire romain, qui supprime les derniers mots, limitatifs de sa portée. Le bréviaire, Officium S. Irenæi, lect. VI, arrête sa citation à : eos qui sunt undique fideles. Grâce à la suppression de ce qui suit, « il faut en appeler à l’Eglise de Rome non pas seulement comme le veut Irénée, pour établir la vraie tradition, mais pour tout, » dit J. Pédézert, Le témoignage des Pères, Paris, 1892, p. 43-44, écho des anti-infaillibilistes, notamment du P. Gratry, Mgr l’évêque d’Orléans et Mgr l’archevêque de Malines, IIelettre, Paris, 1870, p. 35-47. Or, les derniers mots ne limitent pas le sens du texte, et jamais l’Eglise n’a prétendu qu’on doive recourir à Rome « pour tout ». Quant à saint Alphonse, nous savons que, s’il a pris la glose de Bellarmin pour la lettre même du texte d’Irénée, une seconde fois il a reproduit avec exactitude le texte du Contra hæreses. Mais ce n’est pas tout ; Dœllinger, Der Münchener Hirtenbrief vom 5. januar 1871, dans l’Allgemeine Zeitung, n. 22, 1871, reproduit dans ses Kleinere Schriften publiés par F. H. Reusch, Stuttgart, 1890, p. 427-428, 432-433, prétendit que le texte d’Irénée, « l’Achille du parti, » « le seul témoignage des premiers siècles qui, au premier coup d’œil et détaché du contexte, se laisse employer au service du nouveau dogme, » loin d’être favorable à l’infaillibilité pontificale, lui serait contraire, « la tradition apostolique n’y apparaissant pas conservée à Rome par les évêques, mais par les fidèles venus de tout l’univers et conduits par leurs affaires à la capitale, qui était le grand emporium et le centre du monde connu. » Ce retour à l’interprétation surannée de Grabe, s’il était impuissant à sauver une cause perdue, indiquait du moins l’importance exceptionnelle du témoignage d’Irénée. Dans son De Ecclesia Christi, 2e édit., Paris, 1878 (1re édition en 1873), p. 118, note, L. F. Brugère [col.2433 fin / col.2434 début] caractérisa cette importance avec force en disant que les 21 in-fol. de la Bibliotheca pontificia maxima de Rocaberti, in hac S. Irenæi phrasi implicite continentur et ab ea logice quoad substantiam fluunt. La phrase d’Irénée eut la plus haute des consécrations. Le concile du Vatican, sess. IV, c. II, affirma la perpétuité de la primauté dans les successeurs de Pierre, et déclara que, pour ce motif, ad Romanam Ecclesiam, propter potentiorem principalitem, necesse semper fuit omnem convenire Ecclesiam, hoc est eos qui sunt undique fideles, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1824.

      L’agitation tomba peu à peu et, avec le progrès des études historiques, l’interprétation du texte d’Irénée entra dans une phase nouvelle. L’initiative vint de A. Harnack qui, sur ce point comme sur plusieurs autres, a montré que la position historique du protestantisme ne tenait pas. Le mémoire qu’il publia sous ce titre : Das Zeugniss des Irenäus über das Ansehen der römischen Kirche, dans les Sitzungsberichte der kön. preussischen Akademie der Wissenschaften, Berlin, 1893, p. 939-955, a fait date. Cf. son excursus : Katholisch und romisch, dans le Lehrbuch der Dogmengeschichte, 3e édit. Fribourg-en-Brisgau, 1894, t. I, p. 446, note. Toute une série d’études, de catholiques et de protestants, ont paru depuis lors. L’unanimité n’existe pas sur toute la ligne ; mais dès à présent, si l’on néglige des essais retardataires ou aventureux comme celui de L. Salvatorelli, La « principalitas » della Chiesa romana in Ireneo ed in Cipriano, Rome, 1910, certains résultats sont acquis, et l’on conteste de moins en moins que l’évêque de Lyon affirme la primauté de l’Eglise romaine.

      c) Critique. ― En premier lieu, convenire, c’est bien « s’accorder avec » et non « se rendre à ». La traduction : « Chaque Eglise doit venir à l’Eglise romaine » n’est pas supportable, » dit A. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, t. I, p. 446, note. Les efforts de F. X. Funk, Der Primat der römischen Kirche nach Ignatius und Irenäus, dans ses Kirchengeschichtliche Abhandlungen und Untersuchungen, Paderborn, 1897, t. I, p. 19, pour la légitimer sont vains. Ce qui décide Funk à rejeter la traduction « s’accorder avec », qui serait de tout point la plus satisfaisante, c’est la difficulté que présente, dans ce cas, la finale : in qua semper. . . ; nous verrons que cette difficulté n’est pas insurmontable. Les chrétiens venus à Rome pour affaires religieuses étaient en trop petit nombre pour vérifier le omnem Ecclesiam hoc est eos qui sunt undique fideles ; quant à ceux qui venaient pour leurs affaires temporelles, ils sont en dehors de la question. Ce qu’Irénée dit, l. III, c. III, n. 3, col. 849-850, immédiatement après notre texte, de saint Clément et de sa lettre aux Corinthiens est manifestement un exemple du rôle constant attribué en général à l’Eglise romaine : or, les Corinthiens ne sont pas venus à Rome, mais l’Eglise romaine, reparans fidem eorum et annuntians quam in recenti ab apostolis acceperat traditionem, a maintenu l’accord de leur croyance avec la sienne. Trois expressions parallèles, et qui s’expliquent mutuellement, se lisent dans Irénée. D’abord, oportet conjugere ad Ecclesiam, et il s’agit de l’Eglise qui embrasse le monde entier, circumiens mundum universum, quippe firmam habens ab apostolis traditionem, l. V, c. XX, n. 1, 2, col. 1177, 1178. Puis, l. III, c. IV, n. 1, col. 855 : Non oportet adhuc quærere apud alios veritatem quam facile est ab Ecclesia sumere, et la suite : Et, si de aliqua modica quæstione disceptatio esset, nonne oporteret in antiquissimas recurrere Ecclesias, in quibus apostoli conversati sunt ? Ou plus simplement ― et c’est notre texte ― il n’y a qu’à se réfugier auprès de l’Eglise romaine, qu’à chercher auprès d’elle la vérité, qu’à recourir à elle, omnem convenire Ecclesiam. [col.2434 fin / col.2435 début]

     En outre, il est désormais admis que la potentior principalitas ne vise pas l’autorité civile, mais le principat, l’autorité de l’Eglise romaine. Convenire marque l’unanimité de la foi, qui doit se réaliser dans tout le monde à cause de cette autorité. La cause ne peut être que du même ordre que son effet, spirituelle comme lui. Cette autorité est « principale ». Toutes les Eglises apostoliques ont la principalitas. Cf. l. IV, c. XXVI, n. 2, col. 1053-1054 : Obaudire oportet his qui successionem habent ab apostolis. . . qui absistunt a principali successione. . . Ce qui distingue l’Eglise romaine, c’est que sa principalitas est potentior. Pourrit-on préciser la nature de cette principalitas ? Le mot grec le permettrait sans doute, mais nous ne le connaissons pas. Il est impossible de savoir si c’était αύθεντία, cf. Harnack, op. cit., t. I, p. 446 ; P. Batiffol, L’Eglise naissante et le catholicisme, p. 252 ; ou πρωτεία, comme l. IV, c. XXXVIII, n. 3, col. 1108 ; ou ήγεμονία, comme l. III, c. XI, n. 8, col. 886 (ces deux derniers mots sont rejetés par P. Batiffol, op. cit., p. 252) ; ou άρχή, cf. F. R. M. Hitchcock, Irenaeus of Lugdunum, p. 252-253. Le mot principalitas figure aussi dans les passages de la traduction latine. Il y désigne le plérôme gnostique, l. I, c. XXVI, n. 1 ; c. XXXI, n. 1 ; l. IV, c. XXXV, n. 2, 4, col. 686, 704, 1087, 1089 ; ou les « quatre esprits principaux, » c’est-à-dire les quatre vents, l. III, c. XI, n. 8, col. 885 ; ou, l. IV, c. XXXVI, n. 1, col. 1090, « l’autorité principale » du Fils qui, venant du Père, s’exprimait de la sorte : Ego autem dico vobis ; tandis que les serviteurs disent serviliter, au nom du Seigneur : Hæc dicit Dominus » ; ou l’antériorité chronologique, l. V, c. XIV, n. 1, 2, col. 1161, 1162. Les trois premières acceptions impliquent une excellence qui, pour n’être pas sur le même plan que celle de la principauté de l’Eglise de Rome, n’en invite pas moins à concevoir une grande idée de cette dernière. La quatrième acception ne convient pas à l’Eglise de Rome : la priorité chronologique et le prestige qui en résultent appartiennent à l’Eglise de Jérusalem, qu’Irénée nomme, l. III, c. XII, n. 5, col. 897 : « l’Eglise de laquelle toute Eglise a eu son commencement, la métropole des citoyens du Testament Nouveau. » Le sens de ces paroles, inexactement rendu par F. R. M. Hitchcock, op. cit., p. 252, et par L. Salvatorelli, op. cit., n’est pas douteux. Elles ont une valeur purement historique : « relatives aux origines du christianisme et visant le rôle de Jérusalem avant que la foi fût prêchée à Rome, elles constatent dans le passé un fait, sans y fonder pour l’avenir aucun droit ; ce serait le cas de parler de prestige et de dignité, » non d’autre chose. C’est de toute autre chose qu’il est question pour l’Eglise de Rome. Le contexte implique « une primauté effective, pas seulement de prestige et de dignité, puisque saint Irénée en fait le ressort du gouvernement ecclésiastique, » A. d’Alès, dans les Recherches de science religieuse, Pairs, 1916, t. VI, p. 127, puisqu’elle oblige tous les fidèles du monde entier à conformer leur croyance à celle de l’Eglise romaine, que seule l’Eglise romaine jouit de cette prérogative. En effet, ôtez cette primauté effective ; il n’est pas plus nécessaire de se mettre d’accord avec l’Eglise de Rome qu’avec celles de Smyrne et d’Ephèse, par exemple, dont saint Irénée parle immédiatement après. Or, lui qui a puisé la foi dans l’Eglise de Smyrne, auprès des disciples de saint Jean, dit que les fidèles du monde entier, y compris conséquemment ceux d’Ephèse et de Smyrne, doivent nécessairement convenir dans la foi avec l’Eglise de Rome. C’est donc que la primauté de l’Eglise de Rome renferme le pouvoir de garantir dans son intégrité la tradition apostolique. Cf. Freppel, Saint Irénée, p. 434, 438-439. Un raisonnement esquissé par J. Chapman, Le témoignage de saint Irénée en faveur de la primauté romaine, dans la Revue bénédictine, Maredsous, 1895, [col.2435 fin / col.2436 début] t. XII, p. 56, achève de trancher la question de la nature de la suprématie romaine. Irénée veut « faire admettre aux gnostiques, sans autre vérification, que la foi romaine est identique en fait aux traditions de toutes les autres Eglises, que tout désaccord entre eux et la foi romaine équivaudra donc à un désaccord avec l’Eglise universelle. . . Il faut donc que la nécessité de l’accord entre Rome et les autres Eglises soient une nécessité rigoureuse et, pour cela, il faut que la raison de cette nécessité ne soit pas une bienséance, mais une autorité. » F. X. Roiron, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1917, t. VII, p. 48-49.

     La troisième expression discutée est l’in qua de la phrase finale. Communément on l’a rapporté à l’Eglise romaine, ad hanc Ecclesiam. A. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, t. I, p. 446, note : L. Duchesne, Autonomies ecclésiastiques. Eglises séparées, 2e édit., Paris, 1905, p. 119 ; F. X. Funk, Kirchengeschichtliche Abhandlungen und Untersuchungen, t. I, p. 19 ; P. Batiffol, L’Eglise naissante et le catholicisme, p. 251, etc., pensent au contraire, que in qua se rapporte aux autres Eglises, omnem Ecclesiam. Dès lors, on pourrait traduire de la sorte : « Avec cette Eglise (romaine), à cause de son autorité principale, il est nécessaire que s’accorde toute Eglise (c’est-à-dire les fidèles qui sont de partout), dans laquelle a toujours été conservé, par ces fidèles qui sont de partout, la tradition apostolique. » Et l’argument d’Irénée serait celui-ci. La tradition apostolique est visible dans toute l’Eglise, in omni Ecclesia. On la connaîtrait en consultant les listes des évêques qui se sont succédé dans les différentes Eglises, in ecclesiis, à partir des apôtres, et en recueillant leurs enseignements. Mais, parce qu’il serait trop long d’énumérer les successions épiscopales de toutes les Eglises, omnium Ecclesiarum, il suffira de citer une Eglise, celle de Rome, qui a une prééminence telle que nécessairement l’Eglise entière, omnem Ecclesiam, s’accorde avec elle, que savoir ce qu’elle croit, c’est savoir ce que croit l’Eglise entière dans laquelle a été conservée la tradition apostolique. L’argument est parfaitement conduit, et la phrase, un peu chargée, comme il arrive souvent à la phrase irénéenne, est grammaticalement irréprochable. Que si l’on réfère in qua à l’Eglise romaine on traduira : « Il est nécessaire que toute l’Eglise (c’est-à-dire les fidèles qui sont de partout) s’accorde avec cette Eglise (romaine) grâce à qui a toujours a été conservée, par les fidèles qui sont de partout, la tradition apostolique. » Ce que signifie que « les fidèles de tous pays ont toujours conservé la tradition des apôtres dans l’Eglise de Rome, comme dans l’Eglise centrale, qui en a la garde et le dépôt ; absolument comme l’on dirait : C’est dans la royauté, dans la pouvoir central, que la France a conservé pendant des siècles ce qui a fait son unité et sa force. » Freppel, Saint Irénée, p. 441. Ce sens est acceptable, un peu tiré toutefois et moins naturel grammaticalement, le relatif s’y rapportant non au substantif le plus proche, mais à un antécédent lointain. Encore convient-il d’observer que ce ne serait pas le seul exemple d’une reprise en un relatif d’un mot déjà lointain qui porte l’idée maîtresse. Cf. F. X Roiron, dans les Recherches de science religieuse, t. VII, p. 42, note. Et, si in qua désigne l’Eglise romaine, la phrase qui vient après, n. 3, col. 849, et où l’Eglise tout court est l’Eglise romaine, n’est-elle pas meilleure grammaticalement que si in qua concerne les autres Eglises : Fundantes igitur et instruentes beati apostoli Ecclesiam, Lino episcopatum administrandæ Ecclesiæ tradiderunt ? Bref, les deux traductions sont plausibles. La première paraît préférable.

     Selon qu’on adopte l’une ou l’autre, le sens de necesse est varie. Dans le premier cas, la nécessité est logique : il ne peut pas se faire que les autres Eglises, où est [col.436 fin / col.2437 début] conservée la tradition apostolique, ne s’accordent pas avec l’Eglise romaine. Dans le second cas, la nécessité est morale ; les autres Eglises ont le devoir de s’accorder avec l’Eglise de Rome ?

     Pouvons-nous avancer plus loin ? La primauté de l’Eglise de Rome est effective. Est-elle souveraine ? Irénée ne le dit pas explicitement ; il oriente vers cette conclusion. S’il est nécessaire que toutes les Eglises particulières s’accordent avec celle de Rome à cause de sa primauté, c’est que la croyance de Rome est la règle suprême de la foi universelle. Indiquer la foi qu’elle annonce aux hommes, c’est confondre tous les fauteurs d’hérésie ou de schisme, omnes eos quo quoquo modo. . . præterquam oportet colligunt, n. 2, col. 849 ; cf. l. IV, c. XXVI, n. 2, col. 1054. Et si une Eglise fondée par les apôtres entrait en conflit avec Rome ? L’hypothèse est étrangère à la perspective irénéenne ; chez lui aucune allusion à la possibilité d’un désaccord doctrinal de ce genre. Mais, si le cas se présentait ― en fait il s’est produit dans l’histoire ― Irénée sûrement n’hésiterait pas à donner la préférence à Rome ; l’accord qu’il conçoit ne consiste point en ce que Rome aille vers les autres Eglises, mais que les autres Eglises aillent vers Rome. C’est Rome qui aurait le dernier mot. Cf. G. Semeria, Dogma, gerarchia e culto nella Chiesa primitiva, Rome, 1902, p. 304.

     Enfin, quand il parle du principat spécial de l’Eglise romaine, Irénée entend qu’il réside dans le pape, son chef. C’est de la succession épiscopale, qui va des apôtres à nous, eos qui ab apostolis instituti sunt episcopi et successores eorum usque ad nos, col. 848, que dépend la transmission de la tradition apostolique. Aussi, à défaut des autres listes qu’il serait trop long de dresser, Irénée doit-il la liste des chefs de l’Eglise qui a cette autorité principale et qui a été fondée par les apôtres Pierre et Paul. Il n’y a pas à s’arrêter ici à son témoignage sur la venue de saint Pierre à Rome, ni à montrer que la place qu’il fait à saint Paul n’est pas au détriment de la primauté de saint Pierre, quoi qu’en ait dit, après tant d’autres, J. Vrai, (C. de Meissas), Ephémérides de la papauté, Paris, 1904, p. 160, 213, 343. Voir PAPE. Relevons seulement qu’il souligne que, par les successeurs des apôtres Pierre et Paul, la foi prêchée par les apôtres est parvenue jusqu’à nous, eam quam habet ab apostolis traditionem et annuntiatam hominibus fidem per successionem episcoporum pervenentiem usque ad nos, n. 2, col. 848. Et, quand il a terminé ce catalogue des évêques de Rome, depuis Lin jusqu’à Eleuthère, Irénée conclut, n. 3, col. 851 : « C’est de cet ordre et par cette succession qu’est arrivée jusqu’à nous la tradition des apôtres et l’enseignement de la vérité. Et est plenissima hæc ostensio unam et eamdem vivificatricem fidem esse quæ in Ecclesia ab apostolis usque nunc sit conservata et tradita en veritate. » N’est-ce pas dire équivalemment que le pape est le gardien suprême de la foi véritable ?

     En résumé, la supériorité que saint Irénée proclame n’est point due à l’importance civile de Rome ni à l’importance de l’Eglise romaine en tant qu’elle résulte de l’importance de la ville de Rome ; c’est une supériorité de l’Eglise romaine due à un caractère intrinsèque. Ce n’est pas seulement une prééminence commune aux Eglises apostoliques en raison de leur origine, qui serait potentior dans l’Eglise de Rome, une prééminence honorifique qui la rendrait prima inter pares. Ce n’est pas même seulement une supériorité de primauté indéterminée, et nous n’avons pas une affirmation seulement implicite de la primauté juridique de l’Eglise de Rome. Mais nous avons une affirmation explicite, affirmation qui, parce qu’Irénée traite une question d’ordre doctrinal, porte uniquement sur la primauté juridique envisagée au point de vue doctrinal. Cf. Flamion, Rapports sur les travaux du séminaire historique [col.2437 fin / col.2438 début] (1898-1899), dans l’Annuaire de l’Université catholique de Louvain, Louvain, 1900, p. 384-389 Saint Irénée affirme, en termes clairs, une primauté effective. De son texte il est légitime de conclure qu’elle est souveraine et qu’elle réside dans le pape.

     d) La conduite d’Irénée envers le pape. ― On a cru saisir, dans la conduite d’Irénée lors de la controverse pascale, la preuve que pratiquement il n’aurait pas la primauté du pontife romain et l’indice que le texte du Contra hæreses n’attribuerait pas à l’évêque de Rome une autorité souveraine. Cf., entre autres, J.-J. Ampère, Histoire littéraire de la France sous Charlemagne et durant les Xeet XIesiècles, 2e édit., Paris, 1868, t. I, p. 177 ; C. Graul, Die christliche Kirche an der Schwelle des irenäischen Zeitalters, Leipzig, 1860, p. 138 ; Jean Vrai, Ephémérides de la papauté, p. 88. Il faut avoir bien lu distraitement les textes pour attribuer à l’évêque de Lyon une pareille indépendance. Sans doute, le pape Victor ayant entrepris de séparer les Asiates de la communion catholique à cause de leur attachement à l’usage de célébrer la Pâque le 14 nisan, Irénée lui écrivit une lettre où il lui remontrait que l’observance de la Pâque dominicale n’était pas un de ces articles pour lesquels on doive repousser quelqu’un ; il écrivit dans le même sens aux évêques. Cf. Eusèbe, H. E., l. V, c. XXIV, P. G., t. XX, col. 500-508. Pure question d’opportunité. Sur le fond du débat, lui, Irénée, disciple de Polycarpe, attaché par ses origines au rite oriental, il se rangea au parti du pape, et, dans les mêmes lettres aux évêques qui réclamaient contre l’opportunité de la sentence de Victor, il ne songea pas à protester contre le pouvoir du pape de prononcer l’excommunication, mais demanda qu’on célébrât la Pâque comme Victor le souhaitait. Eusèbe, col. 500. N’était-ce pas reconnaître la primauté du pape, et « comment veut-on que nous parlions si l’on nous interdit de désigner par le nom de chef de l’Eglise le dépositaire d’une pareille autorité ? » L. Duchesne, Autonomies ecclésiastiques. Eglises séparées, 2e édit., Paris, 1905, p. 144. Cf. M. Capellari (Grégoire XVI), Triomphe du Saint-Siège et de l’Eglise, c. XIX, n.5, trad. Jammes, dans Migne, Démonstrations évangéliques, Paris, 1843, t. XVI, col. 991-992. La conduite d’Irénée ne contredit pas ses paroles.

     4. L’infaillibilité de l’Eglise et de la règle de la foi. ― Puisqu’il est nécessaire que toutes les Eglises se conforment à l’enseignement de l’Eglise de Rome, il faut que l’Eglise de Rome soit infaillible sinon toute les Eglises pourraient se trouver dans l’obligation d’embrasser l’erreur. L’indéfectibilité de l’Eglise, implicitement contenue dans le necesse est omnem convenire Ecclesiam, est énoncée ailleurs d’une façon plus directe. Irénée compare l’Eglise à la femme de Lot changée en statue de sel, laquelle, d’après la tradition juive, retrouvait ses membres à mesure qu’on les coupait ; de même, l’Eglise, sel de la terre, dum sæpe auferuntur membra, integra perseverat statua salis, quod est firmamentum fidei, firmans et præmittens filios ad Patrem ipsorum, l. IV, c. XXXI, n. 3 ; cf. XXXII, n. 9, col. 1070, 1078. La route de ceux qui sont d’Eglise est sûre, quippe firmam habens ab apostolis traditionem. . . Et Ecclesiæ quidem prædicatio vera et firma, apud quam una et eadem salutis via in universo mundo ostenditur, l. V, c. XX, n. 1, col. 1177 ; cf. Dem., c. XXVI, p. 680. C’est qu’elle est « l’Eglise de Dieu. » L. I, c. VI, n. 3 ; c. XIII, n. 5, col. 508, 588. La foi que nous tenons de l’Eglise échappe à toutes les vicissitudes, à tous les changements, car « elle vient du Saint-Esprit qui la rajeunit sans cesse, comme un dépôt du plus grand prix conservé dans un vase précieux qui rajeunit le vase lui-même. » L. III, c. XXIV, n. 1, col. 966. « Cette fois est un don de Dieu, continue Irénée, comme le fut le souffle donné à Adam pour vivifier tous ses [col.2438 fin / col.2439 début] membres. En elle (P. Batiffol, L’Eglise naissante et le catholicisme, p. 247, n. 4, propose de lire in ea, en entendu de l’Eglise, au lieu de in eo que porte le texte de Massuet et qui se rapporte à hoc enim Ecclesiæ creditum est Dei munus) a été déposée la communication du Christ, c’est-à-dire l’Esprit-Saint, arrhes de l’incorruptibilité, confirmation de notre foi, échelle de notre ascension à Dieu. Car dans l’Eglise Dieu a établi. . . toute l’opération de l’Esprit. Ubi enim Ecclesia ibi et Spiritus Dei, et ubi Spiritus Dei illic Ecclesia et omnis gratia ; Spiritus et autem veritas. » Ce n’est pas tout à fait la définition du concile du Vatican ; c’en est la préparation. L’Eglise possède le charisme de la vérité, charisma veritatis certum, l. IV, c. XXVI, n. 2, col. 1053. Cf. H. Böhmer, Zu den Zeugnisse des Irenäus von dem Ansehen der römischen Kirche, dans la Zeitschrift für neutestamentliche Wissenschaft, Giessen, 1906, t. VII, p. 193-201 ; U. Mannucci, dans la Rivista storico-critica delle scienze teologiche, Rome, 1907, t. III, p. 699-700. Le mot veritatis et fidei nunquam deficientis charisma se lit dans le concile du Vatican, const. Pastor æternus, sess. IV, c. III. Cf. Denzinger-Bannvart, Enchiridion, n. 1837.

           Tout cela étant, l’Eglise est le critère suprême de la vérité, la règle de foi ultime. Pas de règle de la vérité possible chez les hérétiques qui suivent leurs pensées propres, leurs opinions particulières et aboutissent, de la sorte, à une incroyable diversité de doctrines, l. III, c. XII, n. 6, col. 898. « La prédication de la vérité, la règle de notre salut, la voie qui mène à la vie, les prophètes l’ont annoncée, le Christ l’a établie, les apôtres l’ont transmise, partout l’Eglise l’offre à ses enfants. » Dem., c. XCVIII, p. 730. « Là donc où ont été placés les charismes du Seigneur c’est là qu’il faut apprendre la vérité, chez ceux qui ont dans l’Eglise la succession apostolique. . . Ils gardent notre foi au Dieu unique, créateur de toutes choses ; ils augmentent notre amour pour le Fils de Dieu, qui pour nous a disposé de si merveilleuses choses ; ils nous exposent les Ecritures sans péril d’erreur, sans blasphémer Dieu, sans insulter les patriarches, sans mépriser les prophètes. » Cont. hær., l. IV, c. XXVI, n. 5, col. 1056. Non oportet adhuc quærere apud alios veritatem quam facile est ab Ecclesia sumere, cum apostoli, quasi in depositorium dives, plenissime in eam contulerint omnia quæ sint veritatis, uti omnis quicumque velit sumat ex ea potum vitæ, l. III, c. IV, n. 1, col. 855.

     5. Nécessité d’appartenir à l’Eglise. ― Elle découle de tout ce qui précède, notamment de l’Ubi Spiritus Dei illic Ecclesia et omnis gratia, Spiritus autem veritas.

     Etre hors de l’Eglise, c’est être hors de la vérité, omnes eos qui sunt extra veritatem, id est qui sunt extra Ecclesiam, l. IV, c. XXXIII, n. 7, col. 1076. Quotquot autem absistunt ab Ecclesia. . ., vere a semetipsis sunt damnati, l. I, c. XVI, n. 3, col. 633. Et l. IV, c. XXVI, n. 2, col. 1054 : Omnes autem hi deciderunt a veritate. Et hæretici quidem. . ., a celesti igne comburentur, quemadmodum Nadab et Abiud. Qui vero exsurgunt (contra) veritatem et alteros adhortantur adversus Ecclesiam Dei remanem apud inferos, voragine terræ absorpti, quemadmodum qui circa Core, Dathan et Abiron. Qui autem scindunt et separant unitatem Ecclesiæ eamdem quam Jeroboam pœnam percipiunt a Deo. Cf. l. III, c. IV, n. 1 ; l. V, c. XX, col. 855, 1177-1178. Hors de l’Eglise, pas de salut. Elle est la seule mère légitime des fidèles, l. III, c. XXIV, n. 1, col. 966 : Cujus (Spiritus) non sunt participes omnes qui non currunt ad Ecclesiam, sed semetipsos fraudant a vita per sententiam malam et operationem pessimam. . . Quapropter qui non participant eum, neque a mamillis matris nutriuntur in vitam, neque participiunt de corpore Christi procedentem nitidissimum fontem. Cf., sur [col.2439 fin / col.2440 début] l’Ecclesia mater, A. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, t. I, p. 373, note ; J. Lebreton, Mater Ecclesia, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1911, t. II, p. 572-573 ; P. de L(abriolle), Le style de la lettre des chrétiens de Lyon, dans le Bulletin d’ancienne littérature et d’archéologie chrétiennes, Paris, 1913, t. III, p. 199 ; P. Galtier, La Vierge qui nous régénère, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1914, t. V, p. 138 ; H. Leclercq, dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, Paris, 1921, t. IV, col. 2230-2238. Elle est le paradis du monde présent, le paradis dans lequel on fructifie, hors duquel on n’est bon que pour le feu, l. V, c. XX, n. 2 ; cf. c. X, n. 1, col. 1178, 1147-1148.

     6. L’Eglise et l’Etat. ― Une théorie complète des rapports entre l’Eglise et l’Etat n’entrait pas dans le sujet d’Irénée. Il en esquisse pourtant quelque chose. Lui, contemporain de la persécution de Marc-Aurèle, li parla de l’autorité impériale en des termes qui, pour n’avoir pas la chaleur de ceux des apologistes du IIIe siècle, n’en témoignent pas moins d’un respect et d’un loyalisme impeccable. « L’empereur notre maître, » dit-il, l. II, c. VI, n. 2, col. 725. Le pouvoir vient de Dieu, non du démon, l. IV, c. XXXVI, n. 6 ; l. V, c. XXIV, n. 1, col. 1096-1097, 1186-1187 ; cf. Bossuet, Defensio declarationis cleri gallicani, part. I, l. I, sect. I, c. X ; sect. II, c. III, Œuvres, édit. Lachat, Paris, 1879, p. 161, 190-191. L’autorité civile a des droits et des devoirs. « Les magistrats qui suivent la justice ne seront pas punis pour ce qu’ils auront prescrit de juste et de légitime ; mais tout ce qu’ils auront fait d’injuste, d’inique, d’impie, contre la loi, à la manière des tyrans, les perdra, le juste jugement de Dieu parvenant également à tous et ne manquant jamais. » L. V, c. XXIV, n. 2, col. 1187. « L’homme, éloigné de Dieu, est devenu furieux ; comme il ne connaissait pas la crainte de divine, Dieu lui a imposé la crainte humaine, afin que, soumis aux hommes, contraint par leurs lois, il atteignit quelque justice et quelque modération envers les autres. Le royaume terrestre a donc été constitué pour l’utilité des gentils, par Dieu (non par le diable, qui nunquam omnino quietus est, imo qui nec ipsas quidem gentes vult in tranquillo agere), en telle sorte que, craignant l’autorité, les hommes ne se mangent pas entre eux, vice piscium, mais par la vigueur des lois repoussent la multiple injustice des gentils. Et, en cela, ceux qui exigent de nous les tributs sont, d’après le mot de saint Paul, Rom., XIII, 6, les ministres de Dieu et le servent. » L. V, c. XXIV, n. 1, col. 1187. Irénée assimile les princes à des agents de police ; « un peu plus il dirait que les princes sont faits pour les seuls païens, comme chez nous les agents de police servent seulement à maintenir les coquins en respect. » Etait-ce là, au fond, l’idée de saint Irénée, connexe avec son millénarisme qui lui aurait fait regarder l’empire « comme une construction provisoire destinée à s’écrouler bientôt pour laisser la place au règne du Christ et des élus ? » P. Allard, Histoire des persécutions pendant la première moitié du IIIesiècle, Paris, 1886, p. 152. Peut-être. En tout cas, la phrase suivante, n. 3, col. 1187-1188 : Cujus jussu homines nascuntur hujus jussu et reges constituuntur apti his qui illo tempore ab ipsis regnantur, formule heureusement la thèse de l’origine divine du pouvoir. Jamais Irénée n’a, à la différence d’autres partisans du millénarisme, une parole de colère ou de résistance contre l’autorité impériale. Et même il vante, dans un chapitre fort curieux, l. IV, c. XXX, n. 3, col. 1066, les bienfaits de la civilisation romaine : « par les romains, le monde a la paix et nous pouvons sans crainte voyager par terre et par mer partout où nous voulons. » Voir les textes d’Irénée dans E. Preuschen, Analecta. Kürzere Texte zur Geschichte der alten Kirche und des Kanons, [col.2440 fin / col.2441 début] t. I, Staat und Christentum bis auf Konstantin. Kalendrien, 2e édit. Tubingue, 1909.

     La notion de l’Eglise. ― G. R. van Hoëvell, De Irenæi dogmate de unitate Ecclesiæ cum Pauli notione comparata, Groningue, 1836 ; A. Ritschl, Die Entstehung der altkatholischen Kirche, 2e édit., 1875, Bonn, t. I, p. 312 sq. ; Hagemann, Die römische Kirche in der ersten drei Jahrhunderten, Fribourg-en-Brisgau, 1864, p. 598-627 ; H. Ziegler, cf. la bibliographie des travaux d’ensemble et celle de l’Ecriture ; Rambouillet, Saint Irénée et l’infaillibilité, Paris, 1870 ; J. Cozza-Lucci, S. Ireneo, Studi sull’ autorità del R. pontefice, Rome, 1870 ; K. Hackenschmidt, Die Anfänge des Katholischen Kirchenbegriffs, 1874, t. I, p. 83 ; R. Seeberg, Der Begriff der christlichen Kirche, 1885, t. I, p. 16 ; J. Werner, cf. la bibliographie de l’Ecriture ; H. Monnier, La notion de l’apostolat des origines à Irénée, Paris, 1903 ; J. Turmel, Histoire de la théologie positive du concile de Trente au concile du Vatican, Paris, 1906, p. 15-16, 24, 29, 40, 115, 116, 118, 126, 224, 226 ; P. Batiffol, Le gnosticisme, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, Paris, 1907, p. 167-175 ; L’Eglise naissante et le catholicisme, c IV, Le catholicisme de saint Irénée, 3e édit., Paris, 1909, P. 195-276 ; N. Bonwetsch, Der Schriftbeweis für die Kirche aus den Heiden als das wahre Israel bis auf Hippolyt, Leipzig, 1908. ― 2° Le texte sur la primauté de l’Eglise romaine. ― Freppel, Saint Irénée et la primauté du pape, Rome, 1870 ; G. Schneemann, S. Irenæi de Ecclesiæ romanæ principatu testimonium commentatum et defensum, Fribourg-en-Brisgau, 1870 ; Acta et decreta concil. recent., Fribourg-en-Brisgau, 1873, t. IV, p. V-XXXIV ; anonyme, Das Zeugniss des Irenäus für den Primat und die normgebende Lehrautorität der römischen Kirche, dans les Historischpolitische Blätter für das katholische Deutschland, Munich, 1874, t. LXXIII, p. 253-266, 333-360 ; H. Das Zeugniss des heil. Ienäus für den Primat des römischen Bischofs, ibid., 1884, t. XCIV, p. 875-896 ; A. Harnack, Das Zeugniss des Irenäus über das Ansehen der römischen Kirche, dans les Sitzungsberichte der kön. preussischen Akademie den Wissenschaften, Berlin, 1893, p. 939-955 ; J. Chapman, Le témoignage de S. Irénée en faveur de la primauté romaine, dans la Revue bénédictine, Maredsous, 1895, t. XII, p. 49-64 ; F. X. Funk, Der Primat der römischen Kirche nach Ignatius und Irenäus, dans ses Kirchengeschichtliche Abhandlungen und Untersuchungen, Paderborn, 1897, t. I, p. 12-13 ; Flamion, Rapport sur les travaux du séminaire historique (1898-1899), dans l’Annuaire de l’Université catholique de Louvain, Louvain, 1900, p. 384-389 ; G. Semeria, Dogma, gerarchia e culto nella Chiesa primitiva, Rome, 1902, p. 297-304 ; L. Duchesne, Autonomies ecclésiastiques. Eglises séparées, 2e édit., 1905, Paris, p. 118-121 ; cf. p. 141-145 ; H. Böhmer, Zu dem Zeugnisse des Irenäus, von dem Ansehen der römischen Kirche, dans la Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der Urchristentums, Giessen, 1906, t. VII, p. 193-201 ; (Sinthern), Il testimonio di S. Ireneo sulla Chiesa romana e sull’ autorità del R. pontefice, dans la Civiltà cattolica, Rome, 1908, t. II, p. 291-306 ; t. III, p. 33-47 ; J. Turmel, Histoire du dogme de la papauté des origines à la fin du IVesiècle, Paris, 1908, p. 39-44 ; cf. p. 73-79 ; G. Morin, Une erreur de copiste dans le texte d’Irénée sur l’Eglise romaine, dans la Revue bénédictine, Maredsous, 1908, t. XXV, p. 515-520 ; C. A. Kneller, Der heil. Irenäus und die römische Kirche, dans les Stimmen aus Maria-Laach, Fribourg-en-Brisgau, 1909, t. LXXVI, p. 402-421 ; Dörholt, dans la Theologische Revue, Munster, 1909, col. 94-95 ; Peters et Mausbach, ibid., col. 126 ; Goussen, ibid., col. 190 ; Dörholt, ibid., 1910, col. 255-256 (sur l’hypothèse de G. Morin) ; J. Stiglmayr, Irenäus Adv. Hær., III, III, 2, immer noch crux interpretum, dans Der Katholik, Mayence, 1909, t. XL, p. 401-405 ; Gutberlet, ibid., 1910, t. XLI, p. 237-238 ; M. D’Herbigny, Sur le second « Qui sunt undique » dans Irénée, III, III, 2, dans la Revue bénédictine, Maredsous, 1910, t. XXVII, p. 103-108 ; L. Salvatorelli, La principalità della Chiesa romana in Ireneo ed in Cipriano, Rome, 1910 ; B. Walkley, The testimony of S. Irenaeus in favour of the roman primacy, dans The irish theological Quarterly, Dublin, 1913, t. VIII, p. 284-299 ; F. X. Roiron, Sur l’interprétation d’un passage de S. Irénée, Cont ; hær., III, III, 2, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1917, t. VII, p. 36-51 ; G. Esser, Das Irenäuszeugniss für den Primat der römischen Kirche, dans Der Katholik, Mayence, 1917 ; L. Saltet, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, Paris, 1920, p. 180-186. ― 3° La liste des papes et des anciennes listes épiscopales des grands sièges. ― A. Harnack, Geschichte der altchristlichen Littera-[col.2441 fin / col.2442 début] tur bis Eusebius, Leipzig, 1897, t. II a, p. 70-260 ; A. Michiels, L’origine de l’épiscopat, Louvain, 1900, p. 306-336 ; J. Flamion, Les anciennes listes épiscopales des quatre grands sièges, dans la Revue d’histoire ecclésiastique, Louvain, 1900-1901, t. I, p. 645-678 ; t. II, p. 209-238, 503-528 ; J. Chapman, La chronologie des premières listes épiscopales de Rome, dans la Revue bénédictine, Maredsous, 1901-1902, t. XVIII, p. 399-417 ; t. XIX, p. 13-37, 145-170 ; H. Böhmer, Zur altrömischen Bischofsliste, dans la Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft une die Kunde des Urchristentums, Giessen, 1906, t. VII, p. 333-389. Voir t. V, col.1675-1676.

     III. LE DIEU UNIQUE ET CREATEUR. ― 1° Dieu un. ― Voir t. IV, col.1036-1039, 1054.

     Dieu trine. ― 1. Etat de la question. ― La doctrine trinitaire d’Irénée a été souvent présentée comme en désaccord plus ou moins accentué avec l’orthodoxie catholique. Cf., par exemple, les centuriateurs de Magdebourg, Ecclesiastica historia, cent. II, c. X, Bâle, 1559, t. II, col. 227 ; parmi les modernes, V. Courdaveaux, Saint Irénée, dans la Revue de l’histoire des religions, Paris, 1890, t. XXI, p. 172 ; J. Pédézert, Le témoignage des Pères, Paris, 1892, p. 234-235 ; A. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 3e édit., Fribourg-en-Brisgau, t. I, p. 539-542 ; Des heil. Irenäus Schrift zum Erweise der apostolischen Verkündigung, Leipzig, 1917, p. 61, etc. On a dit qu’Irénée fait le Fils inférieur au Père et le Saint-Esprit au Fils ; qu’il professe une sorte de modalisme ; que la personnalité du Verbe et surtout celle du Saint-Esprit sont atténuées ou même disparaissent. Voir encore, t. V, col.697 sur Nösgen, Geschichte der Lehre von Heiligen Geiste, Gutersloh, 1899 ; A. Dupin, La Trinité et la théologie des hypostases dans les trois premiers siècles, dans la Revue d’histoire et de littérature religieuses, Paris, 1906, t. XI, p. 355.

     Une étude attentive et complète des textes conduit à des conclusions toutes autres. Irénée nomme fréquemment la Trinité, sans en excepter le Saint-Esprit, quoi que prétendent les centuriateurs de Magdebourg. Comme tous les Pères grecs, il met au premier plan les trois personnes et non l’unité divine, à la différence des Pères latins qui insistent sur l’unité divine et moins sur les personnes. A coup sûr, dans une matière où l’esprit humain ne pourra jamais que balbutier, il n’évite pas les balbutiements. Quelques expressions, fautes d’avoir eu leur sens défini, comme il le fut plus tard, sont quelque peu flottantes et seraient tenues aujourd’hui pour incorrectes. D. Petau, De Trinitate, præf., c. I, n. 12, dans ses Dogmata theologica, édit. J.-B. Fourniais, Paris, 1865, t. II, p. 259, l’avait classé entre les Pères anténicéens qui, in in omnibus re consentientes, loquendi dumtaxat modo dissident ab usitata præscriptione. Et L. Duchesne, Les témoins anténicéens du dogme de la Trinité, dans la Revue des sciences ecclésiastiques, Amiens, 1882, t. XLVI, p. 512 ; cf. p. 523-524, le place parmi ceux qui, tout en ne présentant pas toutes les précisions et tous les développements qui vinrent dans la suite, ont une notion saine du dogme de la Trinité. F. Bonifas lui-même, Histoire des dogmes, Paris, 1886, t. I, p. 289-290, 293-294, 299, s’il n’évite pas toute équivoque, estime que dans Irénée « le fait otologique de la Trinité est déjà implicitement affirmé. » Nous constaterons que c’est exact : la doctrine trinitaire d’Irénée est remarquable, plus complète et satisfaisant que chez ses prédécesseurs.

     2. L’existence des trois personnes. ― Le mot trinitas se trouve une fois, Cont. hær., l. II, c. XV, n. 1, col. 758, à propos des éons du gnosticisme, non pour désigner la Trinité chrétienne. Mais ces trois personnes occupent une grande place dans la théologie d’Irénée. Le point de départ est évidemment la formule du baptême. Cf. l. I, c. IX, n. 4 ; c. X, n. 1, col. 545, 549 ; Dem., c. III, VII, C, p. 662, 664, 731 ; K. Passaglia, De ratione divinæ [col.2442 fin / col.2443 début] Trinitatis cuiusmodi in christianis symbolis vetustisque eorumdem commentariis exhibetur, c. XXII, dans ses Commentarii theologici, Rome, 1850, p. 38-40, (2e pagination). Les trois articles principaux de notre baptême : Dieu le Père, le Verbe de Dieu, le Saint-Esprit, se développent dans cette règle de foi dont Irénée trace la formule avec des variantes qui n’altèrent pas l’identité du fond, l. I, c. X, n. 1 ; XXII, n. 1 ; l. IV, c. VI, n. 7 ; c. IX, n. 9 ; c. XXXIII, n. 15 ; l. V, c. XX, n. 1, col. 549-552, 669, 990, 997-998, 1083, 1177 ; surtout Dem., où, coup sur coup, il la donne d’abord sous sa forme baptismale, c. III, puis, sous deux formes plus complètes, c. V-VI, et, enfin, la reprend au moment de clore sa démonstration, c. C, p. 662, 663-664, 731. Nous avons vu qu’elle sert de cadre au Contra hæreses. Il ramène constamment l’attention sur les trois personnes divines. Cf. l. III, c. VI, n. 1, 4 ; c. XVII, n. 3 ; c. XVIII, n. n. 3 ; l. l. IV, c. I, n. 1 ; c. XX, n. 1, 3, 5 ; c. XXXIII, n. n. 7 ; c. XXXVIII, n. 3 ; l. V, c. VIII, n. 3 ; c. XVIII, n. 2 ; c. XXXVI, n.2 (finale du traité), col. 860, 863, 930, 934, 975, 1032, 1033, 1035, 1077, 1108, 1143-1144, 1173, 1223. Il voit la Trinité dans le Faciamus hominem de la Genèse, I, 26. Cf. l. IV, præf., n. 4, c. XX, n. 1 ; l. V, c. I, n. 3 ; c. XV, n. 4, col. 975, 1032, 1123, 1166 ; J. Lebreton, Les origines du dogme de la Trinité, Paris, 1910, p. 441-442, note. Pour lui, les trois personnes divines sont figurées par les espions que Josué envoya et grâce à qui fut sauvée Rahab qui les avait reçus. L’Ecriture n’en mentionne que deux, Jos., II, 1 ; Irénée, par inadvertance ou parce qu’il avait en mains un texte différent du nôtre, dit qu’ils étaient trois, l. IV, c. XX, n. 12, col. 1043. Le mot Dominus, qui se lit deux fois, Gen., XIX, 24, lui paraît signifier la première fois le Père et la seconde fois le Fils, l. III, c. VI, n. 1, col. 860.

     3. Le vie des personnes divines ad intra. ― Irénée marque la distinction et la consubstantialité des personnes divines.

     Quand il nomme « Dieu » tout court, il désigne le Père, conformément au langage de l’Ecriture et de l’ancienne littérature chrétienne. Il écrit donc : Qui et solus est Deus et Pater, l. III, c. XXV, n. 7 ; cf. l. I, c. X, n. 1 ; l. III, c. VI, n. 4-5 ; col. 972, 550, 863 ; Dem., c. III, p. 662, etc. Le Verbe de Dieu ou Fils de Dieu, car Irénée emploie indistinctement ces noms, cf. l. II, c. XXVIII, n. 6 ; c. XXX, n. 9 ; l. III, c. XVIII, n. 1 ; l. IV, c. VI, n. 3 ; c. XX, n. 3 ; col. 809, 823, 932, 987, 1033 ; Dem., c. VII, p. 664-665, etc., est appelé encore Verbe du Père, fils unique de Dieu, l. I, c. IX, n. 3, col. 541 ; cf. 543. L’Ecriture qui ne nomme « Dieu » tout court, definitive et absolute, que celui qui est vraiment Dieu ― ne nommant pas « dieux » tout court, in totum, ceux qui ne sont pas vraiment dieux, sed cum aliquo additamento et significatione per quam ostenduntur non esse dii ― l’appelle Dieu et Seigneur, et n’appelle Dieu et Seigneur que le Dieu et Seigneur de tous et son Fils Jésus-Christ, notre Seigneur, l. III, c. VI ; cf. c. IX, n. 1 ; c. XVI ; c. XIX ; l. V, c. I, n. 1, col. 860-864, 868, 919-929, 938-941, 975. Sur l’argument qu’il tire de Rom., IX, 5, cf. J. Lebreton, Les origines du dogme de la Trinité, p. 317-318, note. Mais, de même que « Dieu » est dit principalement du Père, « Seigneur » est dit ordinairement du Fils. Quant au Saint-Esprit, parce que l’Ecriture ne l’appelle pas Dieu, mais n’appelle Dieu que le Père et son Verbe, et, dans un sens large, ceux qui reçoivent l’esprit d’adoption, l. IV, c. I, n. 1, col. 975, Irénée ne l’appelle pas Dieu, mais Esprit de Dieu, Esprit du Père, Esprit du Fils, l. II, c. XXVIII, n. 2 ; l. IV, c. XXXIII, n. 7, 15, col. 805, 1077, 1083, etc. Cette manière de parler fut adoptée par quelques-uns des Pères qui défendirent le plus fortement la divinité du Saint-Esprit. Mais, une fois, Irénée comme s’il oubliait ses affirmations sur [col.2443 fin / col.2444 début] l’application exclusive du nom de « Dieu » au Père et au Fils, citant Is., LVII, 16, dit que le prophète met proprement en Dieu l’Esprit, τό Ππνεύμα ίδίως έπί τοϋ Θεοϋ τάξας, que, dans les derniers temps, il a répandu, par l’adoption des fils sur le genre humain, l’Esprit sempiternel, l’Esprit qui vivifie, l. V, c. XII, n. 2, col. 1152, 1153. Ailleurs il dit que « le sang que le Christ a reçu dans son incarnation ne vient pas de l’homme, mais de Dieu qui l’a formé, » Dem., c. LVII, disant d’autre part à trois reprises, c. XL, LI, LIX, p. 704, 689, 698, 705, que le corps du Christ a été conçu par l’opération du Saint-Esprit.

     Le Verbe est engendré par le Père. Comment ? Nul ne le sait. Prolationem istum, sive generationem, sive nuncupationem, sive adaptertionem, aut quolibet quis nomine vocaverit generationem ejus inenarrabilem existem, nemo novit. Irénée repousse, avec l’émission des gnostiques, les explications qui assimilent la production du Verbe à celle de la parole humaine. Ceux qui essayent de raconter l’inénarrable, non sunt sui compotes, et ils sont tournés en dérision, quasi ipsi obstetricaverint, l. II, XXVIII, n. 6, col. 809 ; cf. Dem., c. LXX, p. 713. Cette génération est éternelle : semper autem coexistens Filius Patri, l. II, c. XXX, n. 9, col. 823 ; cf. Dem., c. XXX, LIII, p. 683, 699. Non enim infectus est, o homo, neque semper existebas Deo sicut proprium ejus Verbum, l. II, c. XXV, n. 3 ; cf. l. III, c. XVIII, n. 1 ; l. IV, c. XIV, n. 1 ; c. XX, n. 3, col. 799, 932, 1010, 1033. Irénée traduit Gen., I, 1 : « Le Fils était au commencement, Dieu créa ensuite le ciel et la terre. » Dem., c. XLIII, p. 692. Le Verbe est consubstantiel au Père. Le mot όμοούσιος, employé plusieurs fois par Irénée dans l’exposé des théories gnostiques, l. I, c. V, n. 5 ; c. XI, n. 3 ; l. II, c. XVII, n. 2, 6, 7 (l’original grec manque pour ces trois derniers textes, qui portent, dans la traduction : ejusdem substantiæ) n’est pas appliqué au Verbe ; mais tout ce qui est dit de la divinité du Verbe en inclut l’idée. Citons seulement deux merveilleux textes. Cont. hær., l. IV, c. IV, n. 2, col. 982 : Et bene qui dixit ipsum immensum Patrem in Filio mensuratum, mensura enim Patris Filius, quoniam capit eum ; sur quoi Petau, De Trinitate, præf., c. III, n. 2, t. II, p. 267 : Tanta est horum verbotum majestas et dignitas ut, ad commendandam Patris et Filii omni ex parte absolutam æqualitatem, instar sint amplissimi voluminis. Nam, si immensus est Pater et infinitus, et hunc tamen capit ac metitur Filius, adæquari hunc cum illo necesse est. Et celui-ci : Dem., c. XLVII, p. 695 : « Le Père est Seigneur, et le Fils est Seigneur. Le Père est Dieu, et le Fils est Dieu, car celui qui est né de Dieu est Dieu. Ainsi donc, si nous considérons son être et sa puissance, nous devons confesser un seul Dieu. » Le Père et le Verbe sont l’un dans l’autre jusqu'à l’identité de substance ; Irénée affirme cette existence mutuelle des divines personnes, surtout du Père et du Verbe, l’une dans l’autre, la περιχώρησις de saint Jean Damascène, la circumincession des scolastiques. Voici quelques textes, l. III, c. VI, n. 2, col. 861 : Per Filium itaque qui est in Patre et habet in se Patrem, l. IV, c. XIV, n. 1, col. 1010 : Ante omnem conditionem glorificabat Verbum Patrem suum manens in eo, l. IV, c. XX, n. 3, col. 1033 : Verbum, id est Filius, semper cum Patre erat. . . Spiritus erat apud eum ante omnem constitutionem. Voir FILS DE DIEU, t. V, col.2424-2426.

     Après cela, il est aisé de comprendre des expressions d’apparence subordinatienne, telles que : Filium, qui dominum accepit a Patre suo omnis conditionis (conditio = création), l. III, c. VI, n. 1, col. 860 ; cf. Dem., c. XLI, p. 690 ; Pater conditionem simul et Verbum suum portans et Verbum portatum a Patre, l. V, c. XVIII, n. 2, col. 1173 ; Pater major me est, l. II, c. XXVIII, n. 8, col. 811 (Jean, XIV, 28) ; Ipse Filius Dei ipsum judicii diem et horam concessit scire solum Patrem, l. II, [col.2444 fin / col.2445 début] c. XXVIII, n. 6, col. 808 (Marc, XIII, 32) ; le Verbe et le Saint-Esprit sont dits ministres du Père qui commande dans la création, l. IV, c. VII, n. 4, col. 993, etc. Cf. Ginoulhiac, Histoire du dogme catholique pendant les trois premiers siècles de l’Eglise, 2e édit., Paris, 1866, t. II, p. 270-291. Telle ou telle formule d’Irénée a pu être perfectionné ultérieurement ; mais, en somme, quand il ne se borne à répéter les expressions des Evangiles et de saint Paul, le contexte montre qu’il pense conformément à l’orthodoxie catholique. Le subordinatianisme qu’il admet, c’est ou le subordinatianisme qui est réel s’il s’ait du Verbe incarné considéré en tant qu’homme, du Christ « qui, étant le Verbe du Père, était auprès du Père, et qui s’est fait homme et a subi la condition de l’humaine naissance, » Dem., c. LII, p. 699, ou un subordinatianisme nominal qui est inévitable dès que l’on envisage le Père comme source de la Trinité, et qui, tenant à l’indigence de nos pauvres mots incapables d’exprimer l’ineffable, est légitime pourvu qu’il n’entraîne pas l’infériorité de l’une ou l’autre personne et laisse intacte la parfaite possession par chacune d’elles de la nature divine.

     Au Saint-Esprit pareillement Irénée attribue la personnalité et la consubstantialité divines. Voir t. V, col. 702-704. Ici la terminologie irénéenne pourrait prêter à des confusions qu’il importe d’éviter. Alors que la plupart des Pères ont identifié la Sagesse des Livres sapientiaux avec le Verbe, Irénée, après Théophile d’Antioche, Ad Autolycum, l. I, c. VII, P. G., t. VI, col. 1036, l’identifie non avec la deuxième, mais avec la troisième personne de la Trinité. En soi la chose est explicable, car toute la Trinité n’est pas affirmée dans les textes sapientiaux : « seule la sagesse se distingue de Dieu, et encore n’a-t-elle point tout le relief d’une personnalité vivante ; l’Esprit ne s’en distingue pas plus que le Logos. » J. Lebreton, Les origines du dogme de la Trinité, p. 118. Quand il appelle le Saint-Esprit Sagesse, l. II, c. XXX, n. 9 ; l. IV, c. VIII, n. 4 ; c. XX, n. 1, 3, col. 822, 993, 1032, 1033 ; Dem., c. X, p. 667, Irénée, loin d’entendre que le Verbe et le Saint-Esprit soient une personne unique, marque nettement leur distinction : Verbum, id est Filius, semper cum Patre erat. . . Et Sapientia, quæ est Spiritus, erat apud eum ante omnem constitutionem. La confusion pourrait provenir encore de ce qu’il arrive à Irénée d’appeler le Fils de Dieu Esprit, l. III, c. X, n. 2, col. 874-875, disant que et salus et Salvator et salutare vere et dicitur et est. . . ; est enim Salvator quidem quoniam Filius et Verbum Dei, salutare autem quoniam Spiritus, « spiritus enim, inquit, faciei nostræ Christus Dominus, » salus autem quoniam caro. Cf. Dem., c. LXXI, p. 713. Irénée est influencé par la traduction défectueuse du verset des Lamentations, IV, 20, qu’il cite. D’autres qu’Irénée ont appelé Esprit le Fils de Dieu incarné. Cf. L. Tonetti, L’anima di Cristo nella teologia del Nuovo Testamento e dei Padri, I, Anima, spirito e divinità, dans la Rivista storico-critica delle scienze teologiche, Rome, 1909, t. V, p. 102-103. Quoi qu’il faille penser de la correction théologique de leur langage, en ce qui regarde Irénée, tout se réduit à une indécision fâcheuse de terminologie ; le fond de son enseignement n’en est pas atteint, et la distinction entre le Verbe et l’Esprit-Saint éclate tout le long de son œuvre. C’est à tort également qu’on a conclu la négation de la personnalité du Saint-Esprit et de la formule : In Christ nomine subauditur qui unxit, et ipse qui unctus est, et ipsa unctio in qua unctus est. Et unxit quidem Pater, unctus est vero Filius et Spiritu, qui est unctio, l. III, c. XVIII, n. 3 ; cf. c. IX, n. 3, col. 871-872, 934 ; Dem., c. XLVIII, LII, p. 695-696, 700. Bien des Pères dont l’orthodoxie est sûre ont employé cette formule. Ailleurs, l. III, c. VI, n. 2, col. 860-861, Irénée lui-même s’exprime de la sorte : Utrosque enim Dei appelatione [col.2445 fin / col.2446 début] signavit Spiritus, et eum qui ungitur Filium, et eum qui ungit, id est Patrem. Le Saint-Esprit est donc distinct du Père et du Fils. Cf. l. IV, c. XXIII, n. 15, col. 1083 : Ex quo (Spiritus Dei) qui credunt Deo et sequuntur Verbum ejus percipiunt eam quæ est ab eo salutem ; Dem., c. LIII, p. 700 ; « il (le Christ) a été oint par Dieu et par l’Esprit de son Père. »

     Irénée ne traite pas ex professo des processions divines. Elles sont insinuées ou sous-entendues dans les textes qui nomment, d’abord, le Père incréé, inengendré, non fait, infectum, Dem., c. V, VI, p. 663-664 ; Cont. hær., l. III, c. VIII, n. 3, col. 868 ; puis le Verbe, son Fils, Fils unique, engendré, non fait, coéternel, l. I, c. IX, n. 2-3 ; l. II, c. XXV, n. 3 ; L. III, c. XVI, n. 9, col. 540-541, 799, 929, etc. ; enfin le Saint-Esprit, Esprit unique, également coéternel. Cet ordre est invariable, et jamais le Saint-Esprit n’est dit engendré : unus Deus Pater, unum Verbum Filius, et unus Spiritus, l. IV, c. VI, n. 7, col. 990. Un passage difficile de Dem., c. XXVI, pourrait peut-être s’entendre du Saint-Esprit, « doigt de Dieu, » qui « procède du Père. »  Cf. la traduction allemande de K. Ter-Mekerttschian et E. Ter-Minassiantz, Des heil. Irenäus Schrift zum Erweise der apostolischen Verkündigung, Leipzig, 1907, p. 15, et la traduction anglaise de Wilson, P. O., t. XII, p. 679-680. Le traducteur français, J. Barthoulot, ibid., p. 769, note, pense que cette traduction n’est pas justifiée par le contexte, et traduit obscurément : « Par le doigt de Dieu il faut entendre ce qui est étendu par le Père dans le Saint-Esprit. » Un texte, Cont. hær., l. IV, c. VII, n. 4, col. 993, où il est dit que Dieu n’avait pas besoin, pour créer, du ministère des anges, car il avait copiosum et inenarrabile ministerium, ministrat enim ei ad omnia sua progenies et figuratio sua, id est Filius et Spiritus Sanctus, devait se lire très probablement : et figuratio eius, et signifierait que le Verbe est le Fils du Père et le Saint-Esprit l’image du Fils. Cf. Massuet, note à ce texte, et Dissert., III, a. 5, n. 59, col. 308. On a rapporté aux processions divines les textes sur l’onction que le Père fait du Fils dans le Saint-Esprit ; Irénée les entend du Fils de Dieu incarné, Filius Dei filius hominis factus, col. 934, et, col. 871 ; Secundum id quod Verbum Dei homo erat. . ., ungebatur ad evangelizandum.

     4. Les œuvres de la Trinité « ad extra » et les missions divines. ― « Dieu a tout fait par lui-même c’est-à-dire par le Verbe et sa Sagesse (le Saint-Esprit). » L. II, c. XXX, n. 9, col. 822. Cette phrase exprime énergiquement l’unité de nature dans la trinité des personnes, « le Verbe et le Saint-Esprit sont ce qu’est le Père même ; et cependant les personnes ne sont pas confondues, puisque l’une agit par les autres. » T. de Régnon, Etudes de théologie positive sur la sainte Trinité, t. I, p. 350. Dieu a tout fait par le Verbe qui est sa main par le Verbe et le Saint-Esprit qui sont ses mains, l. I, c. XXII, n. 1 ; l. II, c. XXX, n. 9 ; l. III, c. XXII, n. 1 ; l. IV, præf., n. 4 ; c. XX, n. 1, 4 ; c. XXXII, n. 1 ; l. V, c. I, n. 3 ; c. VI, n.1 ; c. XV, n. 2 ; c. XVI, n. 1 ; c. XXVIII, n. 4, col. 669, 822, 956, 975, 1032, 1034, 1070-1071, 1123, 1137, 1165, 1167, 1200. T. de Régnon, op. cit., t. I, p. 350-353, a mis en lumière cette théorie de la création, commune à Irénée et à beaucoup de Pères grecs. « Il semble que le rôle du Père soit de commander, dans ce sens qu’il est la source d’où part l’ébranlement créateur. Quant aux deux personnes procédantes, elles obéissent, dans ce sens qu’elles exécutent, qu’elles effectuent, qu’elles accomplissent ; car elles sont les deux mains du Père. Mais, de plus, il semble que l’on distingue le rôle de chacune de ses mains, et que, dans l’exécution de l’ordre paternel, chaque personne conserve le caractère de sa procession distincte. » Le Fils est, par sa génération l’expansion du Père ; il est celui par qui le Père a établi toutes choses, « l’ar- [col.2446 fin / col.2447 début] tiste de toutes choses. » L. III, c. XI, n. 8, col. 885. Quant à l’Esprit, « fin » de la Trinité, il finit tout, il perfectionne toutes les œuvres du Créateur. « Dans la création de l’homme, dit saint Irénée, l. IV, c. XXXVIII, n. 3, col. 1108, le Père se complaît et ordonne, le Fils opère et fabrique, l’Esprit nourrit et accroît, et l’homme doucement progresse et monte vers la perfection, c’est-à-dire devient proche de l’Eternel. » Et, Dem., c. V, p. 663 : « Un seul Dieu, le Père, incréé, invisible, créateur de tout. . . Ce Dieu est intelligent, et c’est pourquoi il a fait les créatures par le Verbe. Et Dieu est esprit ; aussi est-ce par l’Esprit qu’il a embelli toutes choses. . . C’est le Verbe qui pose la base, c’est-à-dire qui travaille pour donner à l’être sa substance et le gratifie de l’existence, et c’est l’Esprit qui procure à ces différentes formes leur force et leur beauté. » Ou, plus brièvement, l. III, c. XXIV, n. 2, col. 967 : Verbo suo confirmans et Sapientia (l’Esprit-Saint) compingens omnia hic est qui est solus Deus verus. Parce qu’il est le terme, le Saint-Esprit est le principe de repos, de stabilité, de perfection. « Aussi n’est-ce pas διά Πνεύματος, poursuit T. de Régnon, p. 352, mais έν Πνεύματι, qu’a lieu toute perfection physique, c’est-à-dire toute beauté, et plus spé clament toute perfection morale, c’est-à-dire toute sainteté. » De là les formules des Pères grecs sur le Père faisant tout et donnant tout par le Verbe dans l’Esprit. De là ce magnifique passage d’Irénée, l. V, c. XVIII, n. 2, col. 1173 : Pater enim conditionem simul et Verbum portans et Verbum portatum a Patre præstat Spiritum omnibus, quemadmodum vult Pater, quibusdam quidem secundum conditionem, quod est factum, quibusdam autem secundum adoptionem, quod ex est Deo, quod est generatio. Et sic unus Deus Pater ostenditur, qui est super omnia, et per omnia, et in omnibus. Super omnia quidem Pater, et ipse est caput Christi ; per omnia autem Verbum, et ipse est caput Ecclesiæ ; in omnibus autem nobis Spiritus, et ipse est aqua viva quam præstat Dominus in se recte credentibus et diligentibus se.

     Dieu s’inclinant vers la créature, il y a cette marche : Du Père au Fils, et du Fils au Saint-Esprit. C’est l’ordre des missions divines : le Père envoie le Fils, l. IV, c. XXXVI, n. 1, 2, 5, col. 1091, 1091, 1092, 1094, et le Fils envoie le Saint-Esprit, don du Père, l. III, c. XVII, n. 2, col. 930 : Quod Dominus accipiens munus a Patre, ipse quoque his donavit qui ex ipso participantur, in universam terram mittens Spiritum Sanctum. Inversement, pour remonter de nous à Dieu, par l’appropriation du Salut, nous allons de l’Esprit au Fils et du Fils au Père, Spiritu quidem præparante hominem in Filio (in Filius d’après certains manuscrits) Dei Filio autem adducente ad Patrem, Patre autem incorruptelam donante in æternam vitam, l. IV, c. XIX, n. 5 ; cf. n. 6 ; l. V, c. XXXVI, n. 2 (finale du traité), col. 1035, 1036, 1223. Les deux ordres, descendant et ascendant, sont décrits Dem., c. VII, p. 664-665 : « Quand nous sommes régénérés par le baptême, qui nous est donné, au nom des ces trois personnes, nous sommes enrichis, dans cette seconde naissance, des biens qui sont en Dieu le Père, par le moyen de son Fils, avec le Saint-Esprit. Car ceux qui sont baptisés reçoivent l’Esprit de Dieu, qui les donne au Verbe, c’est-à-dire au Fils ; et le Fils les prend et les offre à son Père, et le Père leur communique l’incorruptibilité. »

     Le rôle du Verbe n’est pas toujours bien distingué de celui de l’Esprit-Saint, ou plutôt il y a forcément rencontre et communauté de rôles, puisque, selon le point de vue où l’on se place, « le Verbe sert de lien à l’Esprit » ou c’est « l’Esprit qui montre le Verbe. » Dem., c. V, p. 663. Par exemple, de même que tantôt il dit que Dieu a tout créé par le Verbe et l’Esprit-Saint, tantôt par le Verbe, l. I, c. XXII, n. 1 ; l. II, c. II, n. 4 ; l. III, c. VIII, n. 3, col. 669, 714, 867-868, etc., [col.2447 fin / col.2448 début] tantôt tout par le Saint-Esprit, l. IV, c. XXXI, n. 2, col. 1070, etc., de même, d’une part, Irénée dit que les Ecritures ont été dites par le Verbe et l’Esprit-Saint, l. II, c. XXVIII, n. 2, col. 805, et, d’autre part, il dit tantôt que les prophètes ont reçu du Verbe le charisme prophétique, l. IV, c. XX, n. 4 ; cf. n. 12 ; c. VI, n.6, col. 1034, 1041, 989, tantôt, et plus souvent, que l’Esprit a parlé par les prophètes, l. I, c. X, n. 1 ; l. III, c. VI, n. 5 ; c. XI, n. 8 ; c. XXI, n. 4, col. 549, 864, 888, 950, etc. Parfois les deux points de vue alternent dans le même chapitre, l. IV, c. XX, n. 4, col. 1034, nous lisons : Verbum. . . homo in hominibus factus est ut finem conjungeret principio, id est hominem Deo ; et propterea prophetæ, ab eodem Verbo propheticum accipientes charisma, prædicaverunt. . . uti, complexus homo Spiritum Dei, in gloriam cedat Patris ; c’est l’ordre descendant. Et voici l’ordre ascendant, n. 5, col. 1035 : Deus visus quidem tunc per Spiritum prophetiæ (lire probablement, avec plusieurs manuscrits, prophetice), visus autem et per Filium adoptive, videbitur autem et in regno cælorum paternaliter. Voir tout le chapitre ; cf. Dem., c. VI-XLIX, p. 664, 697, 698.

     Dans cette œuvre de descente de Dieu vers l’homme et d’élévation de l’homme vers Dieu, le rôle principal du Verbe est d’être le révélateur du Père. Irénée a été frappé par le texte de Matth., XI, 27, et de Luc, X, 22, sur la parfaite réciprocité de connaissance entre le Père et le Fils, l. IV, c. VI-VII, col. 986-993. Il en déduit la divinité du Fils et sa communauté de nature avec le Père. A. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 3e édit., Fribourg-en-Brisgau, t. I, p. 539-540 ; cf. Des heil. Irenäus Schrift zum Erweise der apostolischen Verkündigung, Leipzig, 1907, p. 61, qualifie de modalisme la doctrine de la manifestation du Père par le Fils : l’existence du Fils en tant que Fils serait conditionnée par la volonté du Père de se révéler, et le Fils ne serait Fils que dans la sphère de la rédemption, au point de vue de l’homme. Or, nous l’avons vu, Filius et Verbum sont entièrement synonymes. « Pour Dieu, le Fils était au commencement, avant la création du monde. » Dem., c. XLIII ; cf. XXX, p. 692, 683. Et, c. X, p. 667 : « Dieu est glorifié par son Verbe, qui est son Fils éternel ; « Cont. hær., l. II, c. XXX, n. 9, col. 823 : Semper autem coexistens Filius Patri, olim et ab initio semper revelat Patrem, et angelis, et archangelis et potestatibus et virtutibus, et omnibus quibus vult revelare Deus. Don le Fils a toujours coexisté au Père, il a été Fils toujours, et, dès la création, il a été celui qui a révélé le Père aux anges, et à tous ceux que le Père a voulus. Quand Irénée dit que le Père est l’invisible du Fils et le Fils le visible du Père, invisibile etenim Filii Pater, visibile autem Patris Filius ; que agnitio Patris est Filii manifestatio ; que agnitio Patris Filius, l. IV, c. VI, n. 6, 3, 7, col. 989, 988, 990, il n’entend pas que le Fils n’a été tel qu’à partir du moment où il a manifesté le Père, mais que, coexistant éternellement avec le Père, à partir du moment où il y a eu des créatures, anges ou hommes, capables de connaître Dieu, c’est lui qui l’a révélé, que Pater. . . per eum revelatur et manifestatur omnibus quibus revelatur, l. II, c. XXX, n. 9, col. 823, que le Père ne se manifeste que par le Fils.

     Le Fils n’a pas attendu de s’incarner pour manifester le Père ; dès le commencement, ab initio assistens Filius suo plasmati, il l’a révélé à sa créature, quibus vult et quando vult et quemadmodum vult Pater, l. IV, c. VI, n. 7, col. 980. En premier lieu, aux anges, col. 823 ; ensuite aux hommes : omnes qui ab initio cognitum habuerunt Deum. . . revelationem acceperunt ab ipso Filio, c. VII, n. 2, col. 891. Irénée met sur le compte du Fils, selon une opinion courante à cette époque, les théophanies de l’Ancien Testament : à Adam, à Abraham, à Moïse, aux trois enfants, l. III, [col.2448 fin / col.2449 début] c. XI, n. 9 ; l. IV, c. VII ; c. XX, n. 9, 11, col. 888-889, 990-992, 1038-1040 ; Dem., c. XII, XXIV, XLIV-XLVI, p. 668, 677-678, 692-695. Aucune trace, chez lui, d’une révélation naturelle par les philosophes pour les gentils comme par la loi mosaïque pour les juifs. Tout au plus ces affirmations générales que le Fils du Père glorifie le Père aux yeux du genre humain et dispensator paternæ gratiæ factus est ad utilitatem hominum, l. IV, c. XX, n. 7, col. 1037 ; que multis modi componens humanum genus ad consonantiam salutis. . ., per omnes illos transiens Verbum, sine invidia utilitatem pæstabat eis qui subjecti sibi erant, omni conditioni congruentem et aptam legem conscribens, l. IV, c. XIV, n. 2, col. 1011. Pour couronner le tout, le Verbe a révélé le Père par son incarnation, où il a donné davantage, plus autem non quod alterius Patris agnitionem ostendit. . ., sed quia majorem donationem paternæ gratiæ per suum adventum effudit in humanum genus, l. IV, c. XXVI, n. 4, col. 1093-1094.

     Le rôle principal du Saint-Esprit est de sanctifier. Irénée le montre comme sanctificateur dans ses rapports avec le Christ, avec l’Eglise, avec les fidèles.

     Du Christ, par les prophètes, le Saint-Esprit a annoncé la venue et la vie entière, l. I, c. X, n. 1 ; l. III, c. XXI, n. 4 ; l. IV, c. XI, n. 1, col. 549, 590, 1001. « Le Verbe de Dieu. . ., par qui tout a été fait, celui qui a parlé avec Moïse, celui-là est venu en Judée, a été divinement conçu par l’opération du Saint-Esprit et est né de la Vierge Marie. » Dem., c. XL ; cf. c. LI, LVII, LIX, p. 689, 698, 704, 705. Dans le Contra hæreses, une première fois, l. III, c. XVI, n. 2, col. 921, Irénée applique clairement au Saint-Esprit le texte de Matth., I, 18 : inventa est in utero habens de Spiritu Sancto. Entendait-il, une deuxième fois, l. V, c. I, n. 3, col. 1122, avec plusieurs anciens Pères, le Fils par le Spiritus Sanctus de Luc, I, 35, et par le superveniet in te l’incarnation ? J. Lebreton, Les origines du dogme de la Trinité, p. 252, l’a pensé. A étudier le contexte, on se prend à hésiter. Après avoir dit, n. 1, col. 1121, que le Christ a répandu Spiritum Patris in adunitionem et communionem Dei et hominis ― c’est l’union de Dieu et de l’homme par la grâce ― il dit maintenant, n. 3, col. 1122-1123 : Vani autem et ebionæi, unitionem Dei et hominis per fidem non recipientes in suam animam, sed in veteri generationis perseverantes fermento, neque intelligere volentes quoniam Spiritus Sanctus advenit in Mariam et virtus Altissimi obumbravit eam. L’Esprit-Saint, dans les deux cas, est la même personne, distincte du Fils. La suite le prouve encore : de ces ébionites, qui rejettent l’incarnation et la génération nouvelle qui en résulte pour nous, Irénée dit qu’ils ne voient pas que, quemadmodum, ab initio plasmationis nostræ in Adam ea quæ fuit a Deo aspiratio vitæ, unita plasmati, animavit hominem, et animal rationale ostendit, sic in fine Verbum Patris et Spiritus Dei, adunitus antiquæ substantiæ plasmationis Adæ, viventem et perfectum effecit hominem, capientem perfectum Patrem. Verbum Patris et Spiritus Dei : toujours le Verbe et l’Esprit distincts. Un dernier trait marque cette distinction : Non enim effugit aliquando Adam manus Dei, ad quas Pater loquens dicit : Faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram. Et propter hoc in fine, non ex voluntate carnis neque ex voluntate viri, sed ex placito Patris, manus ejus vivum perfeccerunt hominem, uti fiat Adam secundum imaginem et similitudinem Dei. Nous savons que « les mains » du Père, ce sont le Verbe et l’Esprit-Saint. Comme dans tout le contexte, le Spiritus Sanctus superveniet in te se rapporte donc à la personne du Saint-Esprit, non au Fils. Mais ailleurs, Dem., c. LXXI ; cf. LXIX, p. 713, 905, Irénée appelle le Christ « Esprit de Dieu », et, sans doute par allusion à l’obumbravit tibi de Luc, I, 35, il dit que « par ombre [col.2449 fin / col.2450 début] on doit entendre son corps, car, comme l’ombre vient du corps, ainsi le corps est venu de son Esprit. » Selon qu’il avait promis par les prophètes, le Saint-Esprit est descendu sur le Christ, à son baptême, secundum id quod Verbum Dei homo erat, afin qu’il allât prêcher l’Evangile, ut de abundantia unctionis ejus nos percipientes salvaremur, l. III, c. IX, n.3 ; c. XVII, n. 1, col. 870-871, 929. Le Saint-Esprit l’a ressuscité, l. III, c. XVI, n. 3, 9, col. 922, 928.

     Les textes sur le rôle du Saint-Esprit à l’égard de l’Eglise ont été utilisés plus haut : il l’assiste, la protège, lui garde une jeunesse toujours renouvelée, lui assure une doctrine indéfectible et toutes les grâces. Ubi enim Ecclesia ibi et Spiritus Dei, et ubi Spiritus Dei illic Ecclesia et omnis gratia, l. III, c. XXIV, n. 1, col. 966.

     Ce qu’il est pour l’Eglise entière, il l’est pour ses membres : l’Esprit vivificateur, l. V, c. IX, n. 1 ; c. XII, n. 2, col. 1144, 1153. Dès le commencement, dès Adam, a conditione mundi usque ad finem, il est celui ex quo qui credunt Deo et sequuntur Verbum ejus percipiunt eam quæ est ab eo salutem, l. IV, c. XXXIII, n. 15, col. 1083. C’est lui qui, dans tous les temps, « a conduit les justes dans la voie de la justice ; c’est lui qui, dans la plénitude des temps, a été répandu d’une manière nouvelle sur l’Humanité. » Dem., c. VI ; cf. c. LXXXIX, p. 664, 723. Il est descendu sur le Fils de Dieu fait fils de l’homme, cum ipso assuescens habitare in genere humano, et requiescere in hominibus, et habitare in plasmate Dei, voluntatem Patris operans in ipsis et renovans eos a vetustate in novitatem Christi, l. III, c. XVII, n. 1, col. 929. Il s’est répandu extérieurement sur les apôtres et l’Eglise naissante, de cette effusion se continue les charismes, l. I, c. XIII, n. 4 ; l. II, c. XXXII, n. 4 ; l. III, c. XI, n. 9 ; c. XII ; l. V, c. VI, n. 1, col. 585, 829, 891, 892-910, 1137. Il y a de plus une effusion intérieure dans les âmes, temples du Saint-Esprit, l. V, c. VI, n. 2 ; c. VIII, n. 1-2, col. 1138-1139, 1141-1142, etc. « Le Dieu de tous accordera la vie éternelle, par la résurrection des morts, et cela en vue des mérites de celui qui est mort et ressuscité, Jésus-Christ, » à ceux que les apôtres ont instruits à garder leur corps sauf pour la résurrection et à conserver leur âme sans souillure. « Mais, pour que les croyants se gardent tels, il faut que l’Esprit-Saint reste étroitement uni en eux. Donné par Dieu au baptême, l’Esprit-Saint demeure e celui qui le reçoit aussi longtemps que ce dernier vit dans la vérité et la sainteté, dans la justice et la patience. Car c’est par la vertu de cet Esprit que les croyants ressusciteront quand le corps sera de nouveau uni à l’âme et entrera dans le royaume de Dieu. » Dem., c. XLI-XLII, p. 690, 961 ; cf. Cont. hær., l. V, c. XII, n. 2 ; c. XIII, n. 4, col. 1141, 1159.

     Et ainsi, à travers toutes les différences entre le concept grec et la théorie latine des opérations divines ad extra, Irénée aboutit, comme les Pères latins et les scolastiques, à approprier, tout en les déclarant communes aux trois personnes, les œuvres de la puissance au Père, celle de la science au Fils, celles de l’amour au Saint-Esprit. Le Père est créateur par le Verbe et le Saint-Esprit, ses deux « mains » : voilà pour la puissance. Voici pour la science : le Fils est le révélateur, celui qui sait ; mais le Père et l’Esprit possèdent également et donnent la lumière et le savoir, l. III, c. XXXIV, n. 2 ; l. IV, c. XI, n. 1 ; c. XXXIII, n. 7 ; c. XXXV, n. 2, col. 967, 1001, 1077, 1087-1088. Et si le salut, œuvre de l’amour divin, est donné par le Saint-Esprit, le Père est bonus, et misericors et patiens, et salvat quos oportet, l. III, c. XXV, n. 3, col. 969 ; le Père per Verbum, per quod Deus perfecit conditionem, in hoc et salutem his qui in conditione sunt præstitit hominibus, l. III, c. XI, n. 1, col. 880 ; cf. Dem., c. LIII, p. 699, sur l’incarnation « œuvre du Père » etc., et les trois [col.2450 fin / col.2451 début] personnes divines interviennent dans le salut de l’homme.

     Disquisitio de sententia Irenæi de Spiritus Sancti divinitate, Gœttingue, 1738 ; Ginoulhiac, Histoire du dogme catholique pendant les trois premiers siècles de l’Eglise, 2e édit., Paris, 1866, t. I, p. 321-324 ; t. II, p. 50-51, 122-132 ; t. III, p. 311-313, 418-420, et passim ; F. Cabrol, La doctrine de S. Irénée et la critique de M. Courdaveaux, dans La science catholique, Paris, 1890-1891, t. VII, p. 241-251 ; Nösgen, Geschichte der Lehre vom Heiligen Geiste, Gutersloh, 1899 ; T. De Régnon, Etudes de théologie positive sur la sainte Trinité, Paris, 1892, t. I ; G. Legeay, L’ange et les théophanies dans l’Ecriture sainte d’après la doctrine des Pères, dans la Revue thomiste, Paris, 1903, t. XI, p. 57-58 ; H. Couget, La sainte Trinité et les doctrines antitrinitaires, Paris, 1905 ; G. Krüger, Das Dogma von der Dreieiningkeit und Gottmenscheit in seiner geschichtlichen Entwicklung, Tubingue, 1905 ; F. R. Montgomery Hitchcock, The apostolic preaching of Irenaeus and its light on the doctrine of the Trinity, dans l’Hermathena, Londres, 1907, t. XIV, p. 307-337 ; J. Lebreton , Les origines du dogme de la Trinité, Paris, 1910 ; H. Barclay Swete, The Holy Spirit in the ancient church. A study of christian teaching in the age of the Fathers, Londres, 1912 ; les ouvrages indiqués à l’art. ESPRIT-SAINT, t. V, col. 753, 754-755.

     La création. ― Voir CREATION, t. III, col.2061-2064, 2110, 2112, 2118, 2119, 2125, 2140, 2153, 2166 ; CONSERVATION, t. III, col.1188.

     Les anges. ― Voir ANGEOLOGIE, t. I, col.1195, 1208, 1213, 1219-1220, et DEMON, t. IV, col.342, 345-346. ― La Démonstration de la prédication apostolique apporte un complément à l’angéologie irénéenne. Comme il est dit, t. I, col. 1208, Irénée, Cont. hær., l. II, c. XXX, n. 6, col. 818, compte sept ordres d’anges ; sa liste, qui ne mentionne pas les chérubins et les séraphins, résulte de la combinaison d’Eph., I, 21, et de Col., I, 16. Dans la Démonstration, on croirait d’abord qu’il revient au septénaire angélique, car il déclare, c. IX, p. 666-667, que « le monde se compose de sept cieux, où habitent les vertus, et les anges et les archanges, qui remplissent les fonctions du culte envers Dieu, » et il énumère les sept formes du culte, symbolisées par le chandelier à sept branches. Mais il ajoute bien vite, c. X, p. 667, que « Dieu est glorifié par son Verbe et par l’Esprit-Saint » et que « ces deux ont à leur service une armée (d’esprit angéliques) appelée les chérubins et les séraphins, qui glorifient Dieu par leur chant perpétuel. » Nous arrivons ainsi, pour la première fois, à dresser la liste des neuf ordres angéliques.

     L’homme. ― 1. La terminologie d’Irénée. ― Irénée n’a pas un traité systématique sur la création de l’homme, sur la distinction de l’ordre naturel et de l’ordre surnaturel et l’élévation de l’homme à ce dernier, sur la chute de l’homme. Il prend l’homme tel qu’il fut, en fait, créé par Dieu, et, parce que l’homme ne resta pas longtemps sans déchoir, il traite de son état surnaturel moins de façon directe qu’en exposant que le Christ, « récapitulateur universel, » rendit au genre humain ce qu’Adam lui avait fait perdre. Il y a à tenir compte de ces particularités pour reconstituer l’anthropologie de l’évêque de Lyon. Les incertitudes du vocabulaire accroissent la difficulté. Par exemple, les termes « mort » et « vie » sont employés tantôt dans le sens de vie et de mort naturelles, tantôt dans celui de vie surnaturelle, ou vie de la grâce, et de mort surnaturelle, par le péché mortel, tantôt dans celui de vie et de mort éternelles, du corps et de l’âme, tantôt, quand il s’agit de la mort venue par Adam et de la vie donnée par le Christ, dans un sens qui englobe un peu tout cela. Cf. l. III, c. XXIII, n. 1, 6-7 ; l. IV, c. XXXVIII, n. 4 ; l. V, c. I, n. 3 ; c. XII, n. 2-3 ; c. XIII, n. 1 ; c. XV, n. 1 ; c. XXIII ; c. XXVII, n. 2, col. 960, 964-965, 1109, 1122-1123, 1153-1154, 1156-1157, 1163-1164, 1184-1186, 1196 ; cf. Dem., c. XXXI, p. 683-684. D’autres fois le sens est plus difficile encore à préciser. [col.2451 fin / col.2452 début]

      Le mot « nature », chez Irénée, pas plus que chez les anciens Pères, n’a le sens d’ordre naturel par opposition à l’ordre surnaturel. Il désigne couramment la condition de créature, irraisonnable ou raisonnable, l’origine, la naissance. L. IV, c. V, n. 3, col. 893 : Frumentum quidem et paleæ, inanimalia et irrationabilia existentia, naturaliter talia facta sunt ; telle est leur condition. L. IV, c. XXXVIII, n. 4, col. 1108 : Irrationabiles igitur omni modo qui. . . suæ naturæ infirmitatem ascribunt Deo ; la condition de l’homme, c’est d’être imparfait, mortel, libre, capable de péché, ni naturaliter bonus, l. IV, c. XXVII, n. 2, col. 1100, ni naturaliter similis Deo, l. III, c. XX, n. 1, col. 943. L. V, c. XLI, n. 2, col. 1115 : Secundum naturam quæ est secundum conditionem, ut ita dicam, omnes filii Dei sumus, propter quod a Deo omnes facti sumus ; ici la nature, c’est l’origine. Cf. l. V, c. I, n. 1, col. 1121. Mais, sans opposer expressément la « nature » et la « grâce », Irénée s’achemine vers cette opposition. L. II, c. XXIX, n. 1, col. 812-813, natura a pour synonyme substantia, et s’oppose à justitia et fides, qui sauvent seules. Cf. l. IV, c. XXXVIII, n. 4 ; l. V, c. VIII, n. 2, col. 1109, 42.11. Ailleurs, l. II, c. XXXIV, n. 3, col. 836, natura s’oppose même à gratia, non pas, à vrai dire, à la grâce sanctifiante, mais un don gratuit de Dieu : non enim ex nobis neque ex nostra natura vita est, sed secundum gratiam Dei datur. Et comme la vie, don de la grâce de Dieu, ce n’est pas seulement la vie terrestre, ni seulement la vie immortelle, mais la vie impérissable des sauvés, Patre omnium donante et in sæculum sæculi perseverantam his qui salvi fiunt ; cf. l. IV, c. II, n. 3 ; c. X, col. 1127, 1147-1149, etc., nous abordons à l’ordre surnaturel. Du reste, gratia, au sens de grâce actuelle et même e de grâce sanctifiante, n’est pas inconnu à Irénée. Comment P. Beuzart, Essai sur la théologie d’Irénée, p. 104, a-t-il pu prétendre que « le terme grâce, gratia, χάρις, ne se trouve pas dans son ouvrage ? » La grâce y est souvent nommée, l. I, c. VI, n. 4 (χάρις) ; l. III, c. XVI, n. 9 ; c. XVII, n. 3 ; c. XIX, n. 1 ; c. XX, n. 3 ; c. XXI, n.3 ; c. XXIII, n. 8 ; c. XXIV, n. 1 ; l. IV, c. IX, n. 2, 3, col. 509, 928, 930, 939, 944, 949, 965, 966, 997, 998, etc.

      Une formule fréquente et à signification variable, c’est ad imaginem et similitudinem Dei. Tantôt les deux mots sont rigoureusement synonymes, par exemple, Dem., c. X, p. 667 : « Il imprima sa propre ressemblance à sa créature, afin que l’on vît bien qu’elle est à l’image de Dieu ; » cf. c. XXII, p. 676 ; ou bien l’un des deux termes seulement est employé, en sorte que la synonymie paraît supposée ou est possible ; pour imago seul, cf. l. III, c. XVII, n. 3 ; l. IV, c. XX, n. 1 ; l. V, c. XIII, n. 4, col. 930, 1032, 1155, et, pour similitudo seul, l. IV, præf., n. 4 ; l. V, c. I, n. 1 ; c. V, n. 1, col. 975, 1121, 1137 ; Dem., c. V, p. 663. Tantôt « l’image » et « la ressemblance » conviennent à l’homme naturel, raisonnable et libre : homo rationabilis, et secundum hoc similis Deo, liber in arbitrio factus, l. IV, c. IV, n. 3, col. 983 ; cf. c. XXXVII, n. 4, col. 1102 (il n’y est question que de la ressemblance) ; l. III, c. XXII, n. 1, col. 956 (il y est question des deux). Tantôt, ainsi que plusieurs Pères, Irénée oppose imago à similitudo, et entend par imago la nature et ses biens, par similitudo la surnature, l’homme surnaturel. L. V, c. VI, n. 1, col. 1138 : si defuerit animæ Spiritus, animalis est vere qui est talis. . ., imaginem quidem habens in plasmate, similitudinem vero non assumens per Spiritum. Cf. c. XVI, n. 2, col. 1168. Tantôt, sans allusion à l’ordre naturel, la formule se réfère aux biens surnaturels accordés à Adam et perdus en lui, à la nouvelle génération qui procure la vie surnaturelle alors que la génération d’Adam entraînait l’héritage de la mort : Filius Dei. . . incarnatus est. . . ut quod perdideramus in Adam, id est secundum imaginem et similitudinem [col. 2452 fin / col. 2453 début] esse Dei, hoc in Christo Jesu reciperemus, l. III, c. XVIII, n. 1 ; cf. c. XXIII, n. 1 ; L. IV, c. XX, n. 1 ; l. V, c. I, n. 3 ; c. II, n. 1 ;c. VI, n. 1 ; c. X, n. 1 ; c. XVI, n.1 ; c. XXI, n. 2 ; XXVIII, n. 4, col. 932, 956, 1032, 1123, 1124, 1137, 1148, 1167, 1180, 1200. Tantôt il s’agit non de la grâce, mais de sa consommation céleste, la gloire : Si igitur nunc, pignus habentes, clamamus : Abba, Pater, quid fiet quando resurgentes facie ad faciem videbimus eum ? . . Quid faciet universa Spiritus gratia, quæ hominibus dabitur a Domino ? Similes nos ei efficiet. . , efficiet enim, hominem secundum imaginem et similitudinem Dei, l. V, c. VIII, n.1 ; c. XXXVI, n. 3, col. 1124, 1224 (dernière phrase du traité). Tantôt enfin divers sens se présentent coup sur coup, en sorte que le lecteur inattentif serait exposé à les confondre. Massuet, Dissert., III, a. 9, n. 119, P. G., t. VII, col. 376, a vu la similitude d’ordre naturel, placée in cognoscendi vi et libere quidvis eligendi facultate, dans un passage où nous lisons en effet : Liberæ sententiæ ab initio est homo et liberæ sententiæ est Deus cui (des manuscrits ont cujus) ad similitudinem factus est, l. IV, c. XXXVI, n. 4, col. 1102. Mais voici que là-dessus, la liberté pouvant amener le péché et l’ayant amené dans les anges et les hommes, n. 6, col. 1103, Irénée répond à cette question : Dieu n’aurait-il pu créer l’homme parfait dès l’origine, c’est-à-dire à l’abri du péché, confirmé en grâce ? C. XXXVIII, n. 1, col. 1105. Dieu pouvait, dit-il, accorder à l’homme cette perfection originelle ; tout lui est possible. Mais l’homme ne pouvait les recevoir, infans enim fuit. Tout ce qui est créé est imparfait et dans un état d’enfance. Dieu nous a donc traités comme des enfants, et propter hoc coinfantiatum est homini Verbum Dei cum esset perfectus, n. 2, col. 1107. Il faut que l’homme aliquando maturus fiat. . ., ad videndum capiendum Deum, c. XXVIII, n. 7, col. 1104, et que, pour cela, d’abord il existe, puis qu’il croisse et se fortifie, et corroboratum multiplicari, et multiplicarum convalescere, convalescentem vero glorificari, et glorificatum videre suum Dominum, tout cela par l’action de Dieu par qui factus et plasmatus homo secundum imaginem et similitudinem constituitur infecti Dei, c. XXXVIII, n. 3, col. 1108. Evidemment c’est la ressemblance dans l’ordre surnaturel, en attendant la ressemblance meilleure dans la gloire, similes esse factori Deo, quand aura disparu cette différence entre Dieu infectus et l’homme factus, donc imparfait et sujet à déchoir, qui « est maintenant la loi du genre humain. » Alors on aura dépassé la ressemblance avec Dieu qui consiste à être libre, similes sibi suæ potestatis homines fecit ; le mortel sera vaincu et absorbé par l’immortel, le corruptible par l’incorruptible, oportuerat primo naturam apparere, post deinde vici et absorb(er)i mortale ab immortalitate et corruptibile ab incorruptibilitate, et fieri hominem secundum imaginem et similitudinem Dei, agnitione accepta boni et mali, n. 4, col. 1109. L’homme a eu une connaissance expérimentale du mal et du bien, il a été soumis à l’épreuve, oportet enim primo quidem ordinem hominis custodire, tunc deinde participari gloriæ Dei. . . Præsta autem ei cor tuum molle et tractabile, et custodi figuram qua te figuravit artifex, habens in temetipso humorem ne induratus amittas vestigia digitorum ejus. Custodiens autem compaginationem, ascendes ad perfectum, c. XXXIX, n. 2, col. 1110.

      Ici ― et c’est un dernier terme qu’il importe de bien étendre ― l’homme parfait, c’est l’homme confirmé dans la grâce par la possession du ciel, n’ayant plus à courir le risque glorieux, mais redoutable, du libre arbitre. Plus souvent l’homme parfait, c’est l’homme surnaturel, le chrétien en état de grâce, qu’Irénée définit : un composé de corps, d’âme et du Saint-Esprit. Secundum participationem Spiritus existentes spirituales. . . Cum autem Spiritus hic, com- [col.2453 fin / col.2454 début] mistus animæ, unitur plasmati, propter effusionem Spiritus, spiritualis et perfectus homo factus est. . . Neque enim plasmatio carnis ipsa secundum se homo perfectus est, sed corpus hominis er pars hominis ; neque enim et anima ipsa secundum se homo, sed anima hominis et pars hominis ; neque spiritus homo (spiritus, c’est-à-dire la participation de l’Esprit-Saint, la grâce), spiritus enim et non homo vocatur ; commistio autem et unitio horum omnium perfectum hominem, efficit, l. V, c. VI, n. 1, col. 1138 ; cf. c. I, n. 3, col. 1123. Cet homme parfait peut être celui qui a reçu le don des langues et les divers charismes, col. 1137. Ces privilèges ne sont pas nécessaires. L’homme parfait, c’est celui que le Verbe totum sanum et integrum redintegravit, perfectum eum sibi præparans ad resurrectionem, l. V, c. XII, n. 6, col. 1155-1156 ; celui que Dieu rend conforme et consequens suo puero ; celui qui est le temple du Saint-Esprit, qui et Spiritum in se perseverantem habuerint Dei, et animas et corpora sine querela servaverint ; Dei, id est illam quæ ad Deum est, fidem servantes et eam quæ ad proximum est justitiam custodientes, c. VI, n. 1, col. 1137, 1138. L’homme parfait, c’est tout chrétien en état de grâce.

      2. La création de l’homme. ― L’homme est « un animal raisonnable, » l. V, c. I, n. 3, col. 1123, un mélange de corps et d’âme, homo est temperatio animæ et carnis, qui ad Dei similitudinem formatus est, l. IV, præf., n. 4, col. 975 ; cf. Dem., c. II, p. 660. Dieu créa le corps du premier homme « de ses propres mains, en prenant de la terre la plus menue et la plus pure, « de la terre vierge, » c’est-à-dire non encore arrosée par la pluie et non travaillée. Dem., c. XI, XXII, p. 667, 684. Cont. hær., l. III, c. XXI, n. 10 ; l. V, c. XIV, n. 2, col. 954, 955, 1162. La création de la première femme est racontée comme dans la Genèse, avec ce détail que, « pour l’accomplissement de son chef-d’œuvre, Dieu voulut qu’Adam tomba dans le sommeil, qui auparavant n’existait pas au Paradis. » Dem., c. XIII, p. 669. Sur l’âme de l’homme, voir AME, t. I, col.983-986. L’homme « fut créé libre et maître de ses actes, et fut destiné par ce même Dieu à commander tout ce qui serait sur la terre, » car « Dieu fit l’homme maître de la terre et de tout ce qu’elle renferme ; » toute la création était pour lui. Dem., c. XI, XII, p. 667, 668 ; Cont. hær., l. IV, c. V, n. 1 ; c. VII, n. 4, col. 983, 992.

      3. L’élévation de l’homme à l’état surnaturel. ― Des gnostiques valentiniens, et Valentin lui-même, distinguèrent trois catégories d’hommes : les spirituels ou pneumatiques, les psychiques, enfin les terrestres ou hyliques ou choïques ; les spirituels destinés au salut, les psychiques susceptibles de salut ou de perdition, les terrestres voués à la ruine, l. I, c. VII, n. 5 ; c. VI, n. 1 ; l. IV, c. XXXVII, n. 5, col. 517-520, 504-505, 1103 ; cf. E. de Faye, Gnostiques et gnosticisme. Etude critique des documents du gnosticisme chrétien aux IIeet IIIesiècles, Paris, 1913, p. 45-48, 67-76. C’était le trichotomisme platonicien transporté de l’homme individu à l’homme espèce ou humanité. Irénée rejette cette distinction entre pneumatiques, psychiques et hyliques. Voir AME, t. I, col.983. Tous les hommes ont la même nature. Tous peuvent se sauver ou se perdre. Mais l’homme, composé de corps et d’âme, peut être plus que corps et âme : il peut être spirituel ou pneumatique, c’est-à-dire divin. En termes modernes, la vie naturelle par la vie surnaturelle. « Notre substance, c’est-à-dire l’union de l’âme et du corps, en recevant l’Esprit de Dieu, constitue l’homme spirituel. » L. V, c. VIII, n. 2, col. 1142. Le πνεϋμα n’est pas une partie de la nature humaine ; c’est la grâce de l’Esprit-Saint, qui déifie l’homme. L’homme qui ne fait pas la volonté de Dieu ne l’a pas en lui. « L’homme parfait est composé de chair, d’âme et de l’esprit, de l’esprit qui sanctifie et informe, de la chair [col.2454 fin / col.2455 début] qui est unie et formée, de l’âme qui est entre les deux. » L. V, c. IX, n. 1, col. 1144. Irénée ne parle pas de tous les hommes, mais de l’homme parfait, de celui qui est en état de grâce. la preuve, c’est qu’il ajoute aussitôt : « L’âme suit quelquefois l’esprit et est élevé par lui : quelquefois elle suit la chair et devient esclave des passions sensibles. Or, tous ceux qui n’ont pas le principe qui sauve et informe, et qui n’ont pas l’unité, sont et s’appellent justement chair et sang, car en eux ils n’ont pas l’Esprit de Dieu. Le Seigneur a dit qu’ils sont morts, car ils n’ont pas l’esprit qui vivifie l’homme. » Voir la suite du chapitre, n. 2-4, col. 1144-1147. Une preuve encore, entre plusieurs autres, est ce qu’il écrit de la résurrection générale, l. II, c. XXXIII, n. 5, col. 834 : « Tous ceux qui ont été désignés pour la vie (éternelle) reprendront leurs corps propre, leur âme propre, leur esprit propre, dans lesquels ils ont plu à Dieu, tandis que ceux qui méritent le châtiment iront le recevoir en leur âme propre, en leur corps propre, dans cette âme et dans ce corps qu’ils ont détournés de la grâce de Dieu, » in quibus abstiterunt a Dei bonitate, d’après la traduction άπό τής τοϋ Θεοϋ χάριτος porte l’original. Cf. A. Dufourcq, Saint Irénée (collection Les saints), p. 163-164.

      Adam fut élevé à cet état surnaturel. Vérité capitale, ainsi que celle de la déchéance de cet état, qu’Irénée développe surtout de façon indirecte en traitant de la récapitulation de par le Christ, qui restitua au genre humain ce qui avait été perdu en Adam, mais qu’il indique aussi directement avec une netteté suffisante. Il le fait, en particulier, quand il s’inspire du Faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram sans le citer, quand il le cite et le commente. L’étude des passages d’Irénée relatifs à ce verset de la Genèse nous a démontré que si, une fois, il y trouve la simple ressemblance avec Dieu par la possession de la liberté et l’usage de la raison, il y aperçoit d’habitude ou, dans l’imago, la ressemblance par les biens naturels, et, dans la similitudo, la ressemblance par les biens surnaturels, ou, dans l’une et l’autre, l’image et la ressemblance divines par la grâce. Il ramène l’image et ressemblance divines, quand il parle du « Fils de Dieu, existant toujours auprès de son Père, qui s’est incarné et, fait homme, a récapitulé en lui la longue suite des hommes, et, résumant en lui l’humanité, nous a donné le salut, afin que nous recouvrions dans le Christ Jésus ce que nous avions perdu en Adam, à savoir d’être à l’image et à la ressemblance de Dieu. » L. III, c. XVIII, n. 1, col. 932. Les formules analogues se pressent sous la plume d’Irénée. Le Christ nous a rendu l’adoption surnaturelle d’enfants de Dieu, l. II, c. XI, n. 1 ; l. III, c. XIX, n. 1 ; c. XX, n. 2 ; l. IV, c. I, n. 1 ; l. V, c. XII, n. 2, col. 737, 939, 943, 975, 1152, non la simple filiation naturelle, qu’Irénée déclare commune à tous de par la création, secundum naturam quæ est secundum conditionem, ut ita dicam, omnes filii Dei sumus, propter quod a Deo omnes facti sumus, l. IV, c. XLI, n. 2-3 ; l. V, c. XVIII, n. 2, col. 1115-1117, 1173 ; Dem., c. III, col. 662. Il a été « médiateur entre Dieu et les hommes, étant avec tous deux chez lui, afin de rétablir entre eux l’amitié et la concorde, afin de placer l’homme près de Dieu, afin de connaître Dieu à l’homme. Comment aurions-nous pu participer à l’adoption filiale, si le Fils ne nous avait pas donné communion avec lui ? . . . Et c’est pourquoi il a traversé tous les âges rendant à chacun la communion avec Dieu. » L. III, c. XVIII, n. 7, col. 937. Par le Christ nous sommes redevenus fils adoptifs de Dieu, ses amis, l. III, c. XIX, n. 1 ; c. XX, n. 2 ; l. IV, c. XIII, n. 4 ; c. XL, col. 939, 943, 1009-1010, 1112-1114. Nous sommes parfaitement unis à Dieu, l. IV, c. XX, n. 4 ; l. V, c. I, n. 1, col. 1034, 1121 ; Dem., c. VI, XXXI, XL, p. 664, 683, 689. Nos corps sont les temples de Dieu, du Christ, de l’Esprit-Saint, [col.2455 fin /col.2456 début] « des temples purs qui charment l’Esprit de Dieu, comme l’épouse charme l’époux. » L. III, c. XVII, n. 3 ; l. V, c. VI, n. 2 ; c. VIII, n. 1 ; c. IX, n. 3 ; c. XII, n. 2 ; c. XIII, n. 4, col. 930, 1138-1139, 1141, 1145, 1153, 1159. Par le Christ, « notre lot permanent et continuel est de participer à la vie divine et de nous élever au-dessus des choses terrestres. » Dem., c. III, p. 662.

      Avec le don proprement surnaturel, la grâce, Adam reçut des biens préternaturels. Irénée fournit sur ce point, à défaut d’une thèse rigoureuse comme on la rencontre chez les théologiens modernes, d’utiles indications. Il n’attribue pas à Adam la science parfaite, ou presque parfaite, que lui ont prêté des théologiens. Adam, enseigne-t-il, fut créé enfant, Cont. hær., l. III, c. XXII, n. 4, l. IV, c. XXXVIII, n. 1, col. 959, 1105 ; Dem., c. XII, p. 668, ce qu’l entend surtout d’une enfance spirituelle, Adam n’étant pas confirmé en grâce, voir ADAM, t. I, col.370, mais aussi d’une certaine enfance intellectuelle et physique : « L’homme était un enfant ; il n’avait pas encore le parfait usage de ses facultés, » lisons-nous, Dem., c. XII, p. 668, et, Cont. hær., col. 959 : Paulo ante facti, non intellectum habebant filiorum generationis, oportebat enim illos primo adolescere, dehinc sic multiplicari. Mais si, tandis que les animaux « étaient dans toute leur force, le aître, c’est-à-dire l’homme, était encore petit. . ., pour qu’il pût vivre et croître dans la joie et le bien être Dieu lui avait préparé » le paradis terrestre. « Le Verbe de Dieu s’y rendait tous les jours, s’y promenant, s’entretenant avec l’homme des choses de l’avenir, et s’appliquant avant tout à lui faire comprendre qu’il habiterait et s’entretiendrait avec lui, et qu’il demeurerait avec les hommes pour leur enseigner la justice. » Dem., p. 668. Adam et Eve furent créés exempt de la concupiscence. « Ils étaient nus et ils ne rougissaient, car ils étaient innocents et n’avaient que des pensées pures comme celles des enfants. Rien n’entrait dans leur esprit et leur intelligence qui pût faire naître dans l’âme des désirs mauvais et des mouvements honteux. C’est qu’alors ils gardaient l’intégrité de leur nature, car ce qui leur avait été insufflé au moment de leur création était un souffle de vie. Or, tant que ce souffle conservait son intensité et sa force, il mettait leur pensée et leur esprit à l’abri du mal. » Dem., c. XIV, p. 669. Ce passage laisse entendre qu’Adam et Eve, s’ils étaient restés fidèles, auraient gardé l’immunité de la concupiscence. Le Contra hæreses, au contraire, semble supposer que l’exemption de la concupiscence tint à la condition d’enfants où ils furent créés et que la fougue de la concupiscence aurait coïncidé avec la perte de l’indolem et puerilem sensum. Cf. l. III, c. XXII, n. 4 ; c. XXIII, n. 5, col. 959, 963. Encore est-il possible que, s’attachant à décrire l’homme historique, Irénée songe à dire ce qui fut, non ce qui se serait produit si Adam et Eve n’avaient pas désobéi. L’immunité de la douleur concédée à nos premiers parents est affirmée d’un mot, l. V, c. XV, n. 2, col. 1165 : propter inobedientiæ peccatum subsecuti sunt languores hominibus. Cf. l. III, c. XXIII, n. 3, col. 962 ; Dem., c. XVII, p. 671. Enfin, Adam et Eve étaient immunisés contre la mort. « Dieu traça quelques limites à Adam, afin que, s’il gardait les commandements divins, il pût rester toujours dans l’état où il était, c’est-à-dire immortel, tandis que, s’il n’y restait pas fidèle, il devint sujet à la mort. » Dem., c. XV, p. 670. Irénée nomme presque toujours à la suite « l’incorruptibilité » et « l’immortalité » sans les distinguer explicitement. Mais cette distinction se dégage de ses textes. « Il ne les sépare pas plus que le péché et la mort ; entre elles comme entre ceux-ci, existe un rapport de cause à effet. De même que le péché engendre la mort, l’incorruptibilité engendre l’immortalité. » J. Chaine, Le Christ rédemp- [col.2456 fin / col.2457 début] teur d’après saint Irénée, Le Puy, 1919, p. 81. L’incorruptibilité s’oppose aux sources du péché, passions ou concupiscence, à tout ce qui mène à la corruption, ainsi que l’étymologie l’indique. Elle n’est pas naturelle à l’homme, nec unquam de Deo contrarium sensum accipiat homo, propriam naturaliter arbitrans eam quæ circa se esset incorruptelam et, non tenens veritatem, inani supercilio jactaretur, quasi naturaliter similis esset Deo. L’immortalité ne lui est pas davantage naturelle. Dieu a permis la chute, afin que l’homme, experimento discens unde liberatus est, semper gratus existat Domino, munus incorruptelæ consecutus ab eo. . ., cognoscat autem semetipsum, quoniam mortalis est, et infirmus est, l. III, c. XX, n. 1, col. 942-943. Cf. l. IV, c. XXXIX, n. 2 ; l. V, c. III, n. 1, col. 1110, 1129 : homo. . . natura mortalis. Cette fois, le mot même de bien non naturel, de don divin, et non pas seulement la réalité, entre dans la description de l’état primitif d’Adam et d’Eve.

      4. La chute ou le péché originel en Adam. ― Ce n’est pas sans raison que le premier homme fut soumis à une épreuve. « Une loi fut donnée par Dieu pour lui apprendre qu’il a un maître, le Seigneur de toutes choses. » Dem., c. XV, p. 668. Il ne fallait pas qu’Adam oubliât sa condition de créature. Puis, du choix de son libre arbitre devait résulter le mérite : à lui d’user bien de sa liberté, uti et bonitas ostendatur et justitia perficiatur. . ., et tandem aliquando maturus fiat homo, in tanti maturescens, ad videndum et capiendum Deum. En outre, le bonheur qui a du prix n’est pas celui qu’on a gagné ? L. IV, c. XXXVII, n. 7, 6, col. 1104, 1103. L’homme « désobéit à Dieu et fut égaré par l’ange. Celui-ci, à la vue des nombreuses faveurs que l’homme avait reçues de Dieu, lui porta envie et en fut jaloux ; il causa la ruine de l’homme et le rendit pécheur en le faisant consentir à violer le commandement de Dieu. . . Or, Dieu maudit le serpent, qui avait servi de suppôt au diable, et cette malédiction atteignit la bête elle-même, ainsi que l’ange ou Satan, qui s’était caché et blotti en elle. » Dem., c. XVI, p. 670-671. Cont. hær., l. III, c. XXIII, n. 8 ; l. IV, c. XL, n. 3, col. 965, 1113. Irénée parle aussi de cette jalousie du démon et y voit le principe et la matière de son apostasie. Il y admet la réalité du serpent, instrument de la tentation, l. III, c. XXIII, n. 3, col. 962. Saint Anastase le Sinaïte, Anagogicarum contemplationum in Hexaemeron, l. X, P. G., t. LXXXIX, col. 1013-1014, cite, comme écrit par Irénée contre les ophites, un texte notable à l’appui de cette thèse que le récit de la Genèse sur le serpent ne doit pas être entendu historiquement, mais spirituellement. Massuet a découvert l’original grec de ce fragment. Cf. P. G., t. VII, col. 1236-1237. Les doutes qu’on avait sur son authenticité, cf. A. Harnack, Geschichte der altchristlichen Literatur bis Eusebius, Leipzig, 1893, t. I, p. 276, se trouvent confirmés par le caractère historique qu’Irénée donne à ce récit dans la Démonstration. Sur ce qu’il dit du serpent dans le système des ophites, l. I, c. XXX, n. 5, 8-9, 15, col. 697, 699-700, 704, cf. E. de Faye, Gnostiques et gnosticisme, Paris, 1913, p. 337-348.

      Le châtiment suivit la désobéissance. Dieu chassa Adam et Eve du paradis. Ils « tombèrent dans de nombreuses afflictions de doute et de souffrance, passant en ce monde dans la douleur, les travaux et les gémissements. » Dem., c. XVII, p. 671 ; cf. Cont. hær., l. III, c. XXXIII, n. 3 ; l. V, c. XV, n. 2 ; c. XVII, n. 2 ; c. XXIV, n. 2, col. 962, 1165, 1170, 1187. La concupiscence fut déchaînée, l. III, c. XXIII, n. 5, col. 963. La mort fit son entrée sur la terre ; la mort de l’âme, c’est-à-dire la perte du Saint-Esprit, de l’image et de la ressemblance de Dieu, de l’immortalité bienheureuse, et la mort corporelle. En s’éloignant de Dieu, homo in tantum efferavit ut etiam consanguineum hostem sibi [col.2457 fin / col.2458 début] putaret. Le meurtre d’Abel par Caïn fut le premier épisode de ces luttes homicides, l. V, c. XXIV, n. 2 ; cf. l. III, c. XXIII, n. 4, col. 1187, 962 ; Dem., c. XVII, p. 671-672. Et, selon la menace divine, Gen., II, 17, Adam mourut le jour de sa désobéissance, ce qu’Irénée entend de diverses façons, l. V, c. XXIII, n. 2, col. 1185-1186 : ce jour-là il devint débiteur de la mort ; deuxièmement, créé un vendredi, pécheur un vendredi, il mourut un vendredi ; troisièmement, Adam mourut avant l’âge de mille ans, or « mille ans sont devant Dieu comme un jour ; » enfin, la durée du monde, circonscrite entre son soir et son matin, est celle d’un jour, conditionis dies unus, et Adam est mort avant la fin du monde. Vaincu par le démon, l’homme devenait son captif, l. III, c. XXIII, n. 2 ; l. V, c. I, n. 1 ; c. XXI, n. 1, col. 961, 1121, 1179 ; Dem., c. LXXXIII, p. 719.

      5. Le péché original dans l’humanité. ― La doctrine du péché originel est affirmée très fortement par l’ensemble des textes sur la recapitulatio par le Christ, la restitutio in pristinum du genre humain. Elle l’est aussi par des textes directs. D’une manière générale, nos omnes ex ipso (Adam), et, quoniam sumus ex ipso, propterea quoque ipsius hæreditavimus appellationem, l. III, c. XXIII, n. 2, col. 961. De lui nous avons hérité une certaine ignorance de Dieu, l. V, c.XII, n. 4, col. 1155 ; la concupiscence, l. V, c. X, n. 1-2 ; c. XII, n. 3-4, col. 1148-1149, 1154-1155 ; la douleur ; l. III, c. XXIII, n. 3 ; l. V, c. XV, n. 2 ; c. XVII, n. 2 ; c. XXIV, n. 2, col. 962, 1165, 1170, 1187 ; la mort, Dem., c. XXXI, p. 683 : « Par notre première père Adam nous étions tous enveloppés et enchaînés dans la mort à cause de sa désobéissance. . . Parce que la mort avait établi son empire sur le corps, il était juste et nécessaire qu’une fois abattu par le corps, l’homme fût désormais à l’abri de ses coups. Or, le Verbe s’est fait chair, afin que, par le moyen de cette chair, grâce à laquelle il avait dompté, enchaîné et subjugué le péché, ce péché une fois vaincu ne fût plus en nous. »

      Le legs d’Adam, ce n’était donc pas seulement la privation des biens préternaturels, ce n’était pas uniquement la mort du corps ; c’était encore la mort de l’âme, la privation du don naturel de la grâce. « Nous étions dans les liens du péché, devant naître coupables et sujets à la mort. » Dem., c. XXXVII, p. 687. L’incarnation a eu lieu, uti, quemadmodum per priorem generationem mortem hæreditavimus, sic per generationem hanc (la génération nouvelle par le Christ) hæreditaremus vitam, l. V, c. I, n. 3, col. 1122-1123 ; uti, quemadmodum per hominem victum descendit in mortem genus nostrum, sic iterum per hominem victorem ascendamus in vitam, c. XXI, n. 1, col. 1179 ; ut quod perdideramus in Adam, id est secundum imaginem et similitudinem esse Dei, hoc in Christo Jesu reciperemus, l. III, c. XVIII, n. 1, col. 932. Les formules abondent qui disent que, par le fait d’Adam, nous naissons pécheurs. Voici deux textes allégués par saint Augustin, Contra Julianum l. I, c. III, P. L., t. XLIV, col. 644, et par Bossuet, Défense de la tradition et des saints Pères, part. II, l. VIII, c. XXI-XXII, Œuvres, édit. Lachat, Paris, 1862, t. IV, p. 307-309. Le premier, par allusion au serpent d’airain, parle de « la plaie de l’ancien serpent » guérie par Jésus-Christ qui, « donne la vie aux morts. » L. IV, c. II, n. 7, col. 979. « Voudra-t-on dire, remarque Bossuet, p. 307, que le Fils de Dieu, lorsqu’il donne la vie aux morts, ne guérit que la mort du corps ? N’est-ce pas à l’âme qu’il donne la vie ? C’était donc à la vie de l’âme que cette plaie de l’ancien serpent portait le coup. » Quant au deuxième texte, l. V, c. XIX, n. 1, col. 1175 : Quemadmodum astrictum est morti genus humanum per virginem (Eve), salvatur per virginem (Marie), Bossuet dit, p. 308 : « Chicanera-t-on en disant que ce lieu nous astreignait à la [col.2458 fin / col.2459 début] peine et non à la coulpe, et que l’obéissance de Marie n’a fait qu’ôter les mauvais effets de la désobéissance d’Eve ? Mais, s’il ne s’agissait que des effets, et que le péché d’Eve ne fut pas le nôtre, pourquoi ce Père avait-il appelé, un peu au-dessus, la désobéissance d’Eve « notre désobéissance, » que Marie a guérie en obéissant ? » Et Bossuet renvoie au l. V, c. XVII, où nous lisons, n. 1, col. 1169 : Cujus et præceptum transgredientes, inimici facti sumus ejus. Et propter hoc, in novissimis temporibus, in amicitiam restituit nos Dominus per suam incarnationem, mediator Dei et hominus factus, propitians quidem pro nobis Patrem in quem peccaveramus, et nostram inobedientiam consolatus. De ce même chapitre Bossuet, p. 380, cite encore cette phrase, n. 3, col. 1170 : uti, quemadmodum per lignum facti sumus debitores Deo, per lignum accipiamus nostri debiti remissionem, ainsi que ce mot du l. III, c. XXII, n. 4, sur le Christ : initium viventium factus quoniam Adam initium morientium factus est, et il fait observer que « toute la suite du discours et l’esprit même de la comparaison entre Jésus-Christ et Adam, tant inculquée par ce saint martyr (Irénée) après saint Paul, fait voir que, comme ne ce sont pas les fruits de la justice, mais la justice elle-même, que nous possédons en Jésus-Christ, ce ne sont pas aussi seulement les peines du péché, mais le péché même, dont nous héritons en Adam. » L. II, c. XXII, n. 4, col. 784, Irénée dit que le Christ omnes venit per semetipsum salvare, omnes, inquam, qui per eum renascuntur in Deum infantes, et parvulos, et pueros, et juevenes, et seniores. Ideo per omnem venit ætatem, et, infantibus infans factus, sanctifans infantes. Sauver les enfants ! « De quoi, argumente, p. 307-308, sinon du péché par la grâce du baptême ? Voilà donc un véritable péché, qui ne peut être remis aux enfants qu’en leur donnant le sacrement de renaissance, qu’on ne peut donner et qu’on ne donne jamais qu’en rémission des péchés. » Cf. l. III, c. XVIII, n. 7 ; l. IV, c. XXII, n. 1 ; l. V, c. XII, n. 3 ; c. XIV, n. 1 ; c. XVI, n. 3 : Deum, quem in primo quidem Adam offendimus, non facientes ejus præceptum, in secundo autem Adam reconciliati sumus, obedientes usque ad mortem facti, neque enim alteri cuidam eramus debitores sed illi cujus et præceptum transgressi fueramus ab initio ; l. V, c. XXXIV, n. 2, col. 937-938, 1046, 1154, 1161, 1168, 1216. Quand on a lu ces textes, on se demande comment P. Beuzart Essai sur la théologie d’Irénée, p. 110, a pu écrire : « Nous ne rencontrons pas chez lui l’idée d’hérédité, de transmission du péché par la filiation, de péché d’origine. » Et l’on reconnaît qu’ils incluent non pas seulement une chute en général, un rejaillissement quelconque de la faute d’Adam sur le genre humain, non pas seulement des pénalités auxquelles tous les hommes sont soumis à cause du péché d’Adam et d’Eve, mais encore l’existence d’un péché originel proprement dit. « Nous avons offensé Dieu dans le premier Adam, » « nous avons transgressé son précepte, » « nous avons péché contre le Père, » la désobéissance d’Adam est « notre désobéissance, » par suite de « l’antique désobéissance » nous étions « dans les liens du péché, devant naître coupables et sujets à la mort : » ces expressions vont au-delà de la transmission de la postérité d’Adam et des peines encourues par notre premier père. Sur ce point, J. Turmel, Le dogme du péché originel dans saint Augustin, dans la Revue d’histoire et de littérature religieuses, Paris, 1901, t. VI, p. 425-426, manque d’exactitude.

      Très explicite en ce qui regarde l’existence du péché originel, Irénée ne s’attache pas à préciser sa nature. Dans l’ensemble il professe un certain optimisme et, selon la ligne des Pères grecs, il insiste plus sur la liberté de l’homme que sur la nécessité de la grâce. [col.2459 fin / col.2460 début] Il n’est pas frappé, au même degré que saint Augustin, par l’emprise de la concupiscence ; suivant saint Paul sur le fait de notre solidarité avec Adam, il s’inspire rarement des textes de l’apôtre sur le caractère tragique de la lutte entre la chair et l’esprit qui se passe en nous. Il atténue, plutôt qu’il ne l’aggrave, la culpabilité d’Adam. Adam « n’avait pas encore le parfait usage de ses facultés ; aussi fut-il facile trompé par le séducteur. » Dem., c. XII, p. 668. Le péché commis, Adam se cacha, non point pour fuir Dieu, mais qu’il se jugeait indigne de paraître devant lui, et se vêtit de feuilles de figuier, non d’autres feuilles quæ minus corpus ejus vexare potuissent, par esprit de pénitence. Aussi Dieu maudit-il non pas lui mais la terre et le serpent. Irénée s’indigne contre Tatien et tous ceux qui refusent d’admettre le salut d’Adam, semper seipsos excludentes a vita in eo quod non credant inventam ovem quæ perierat. Car necesse fuit Dominum ad perditam ovem venientem, et tantæ dispositionis recapitulationem facientem et suum plasma requirentem, illum ipsum hominem salvare qui factus fuerat secundum imaginem et similitudinem ejus, id est Adam. . ., uti non vinceretur Deus neque infirmaretur ars ejus . Voir l. II, c. XXIII, col. 960-965.Quant à la postérité d’Adam, Irénée n’est pas de ceux qui supposent qu’elle a été blessée dans sa nature en tant que telle. La descendance d’Adam fidèle aurait-elle hérité des privilèges du premier père ? Oui, d’après Irénée, en ce qui concerne la grâce et l’immortalité, et même, semble-t-il, l’exemption de la douleur. Mais, muni de ces privilèges, chacun aurait eu à les conserver par le bon usage de la liberté ; l’abus aurait entraîné leur perte. De par sa nature d’être créé, l’homme ne pouvait pas naître parfait et confirmé en grâce, l. IV, c. XXXVIII, n. 1, col. 1105. En fait, Adam n’a pas été fidèle ; nous héritons de sa désobéissance, et nous naissons privés de la grâce, débiteurs de la mort, condamnés à souffrir, sujets à la concupiscence, mais libres toujours, et, parce que libres, potentes retinere et operari bonum et potentes rursum amittere id et non facere, l. IV, c. XXXVII, n. 2, col. 1100. Ainsi le péché n’est pas seulement héréditaire, mais individuel, pas seulement une conséquence de l’acte d’Adam, mais un acte qui nous est propre, et le devoir nous incombe de faire le bien et d’éviter le mal, de faire certaines choses quasi bona et egregia, de nous abstenir de certaines autres, non solum operibus sed etiam his cogitationibus quæ ad opera ducunt quasi malis et novicis et nequam, l. II, c. XXXII, col. 826-827. La liberté n’a pas subi de dommages par suite du péché originel. Il est faux qu’on ait le droit de « taxer de pélagianisme avant la lettre » la doctrine d’Irénée avec P. Beuzart, Essai sur la théologie d’Irénée, p. 64 ; nous verrons que la nécessité de la grâce n’est pas méconnue par lui. Il est vrai qu’il se prononce fortement en faveur de la liberté. C’est un trait qui lui est commun avec les Pères grecs, et qui s’explique par la nécessité de maintenir le libre arbitre contre la prédestination fataliste des gnostiques. La liberté de l’homme était restée intacte, dira-t-on que sa nature est amoindrie du fait de la captivité sous l’empire du démon où il est tombé dans la personne d’Adam ? On a cru pouvoir le conclure de ces mots : Non erat possible eum hominem qui simul victus fuerat et elisus per inobedientiam replasmare et obtinere bravium victoriæ, l. III, c. XVIII, n. 2, col. 932 ; cf. J. Chaine, Le Christ rédempteur d’après saint Irénée, Le Puy, 1919, p. 57. Mais cet homme vaincu, c’est dans l’ordre surnaturel qu’il ne peut vaincre, c’est l’immortalité, dont il est déchu par sa désobéissance, l. III, c. XX, n. 2, col. 943, qu’il ne peut conquérir par ses propres forces ; il ne s’agit point là d’une atteinte portée à la nature. Ce qu’il ne pouvait par lui-même il le peut par le Christ. Le Christ est [col.2460 fin / col.2461 début] venu, adversus inimicum nostrum bellum provocans et elidens eum qui, in initio, in Adam captivos duxerat nos, et il a refaçonné l’homme surnaturel, destruens adversarium nostrum et perficiens hominem secundum imaginem et similitudinem Dei, l. V, c. XXI, n. 1, 2, col. 1179, 1180. Qu’est-ce donc, au juste, que cette captivité diabolique ? Le péché : quoniam enim in initio homini suasit transgredi præceptum Factoris, ideo eum habuit in sua potestat, potestas autem ejus est transgressio, et apostasia, et his colligavit hominem. Qu’est-ce que la délivrance de cette captivité ? La délivrance du péché, le salut : qui ante captivus ductus fuerat homo extractus est a possessoris potestate, secundum misericordiam Dei Patris, qui miseratus est plasmati suo, et dedit salutem ei, per Verbum, id est Christum, redintegrans, ut experimento discat homo quoniam non a semetipso sed donatione Dei accipit incorruptelam, n. 3, col. 1182.

      E. Girard, Exposé critique des opinions d’Irénée sur le péché, Strasbourg, 1861 ; E. Klebba, Die Anthropologie des heil. Irenäus, Leipzig, 1894 ; cf. H. Koch, dans la Theologische Quartalschrift, Tubingue, 1896, t. LXXVIII, p. 325-327.

      IV. LE VERBE INCARNE ET REDEMPTEUR. ― 1° Le Verbe incarné. ― En combattant les gnostiques, Irénée a réfuté d’avance toutes les hérésies christologiques des premiers siècles. Les gnostiques se classent en deux catégories. Les uns niaient la divinité du Christ et voyaient en lui un homme, supérieur au reste des hommes, mais uniquement homme, né de Joseph et de Marie : c’était le cas de Carpocrate, l. I, c. XXV, n. 1 ; de Cérinthe, l. I, c. XXVI, n. 1 ; des ébionites, l. I, c. XXVI, n. 2 ; l. III, c. XXI, n. 1 ; l. IV, c. XXXIII, n. 4 ; l. V, c. I, n. 3, col. 608, 686, 946, 1074-1075, 1122-1123. Les autres refusaient au Christ une humanité véritable. Distinguant de l’homme-Jésus le Christ non divin, intermédiaire entre Dieu et les hommes, ils admettaient non sans variété dans la manière d’entendre cette théorie, que le Christ s’était uni à jésus, pour un certain temps, dans de certaines circonstances, en vue de l’œuvre rédemptrice, mais sans jamais être l’un de nous, vraiment homme et passible ; ou bien, convaincus que le Sauveur n’avait pu s’unir même accidentellement à la matière mauvaise, ils enseignaient que le Christ, souffrant seulement en apparence, n’eut qu’un apparence de corps, ou tout au plus un corps de matière céleste, et qu’ainsi il a pu traverser Marie, mais non point naître d’elle. Cf. l. I, c. VII, n. 2 ; l. III, c. XVI, n. 1 ; l. IV, c. XXXIII, n. 3, col. 513-516, 920, 1073-1074 (Valentin et son école) ; l. I, c. XV, n. 3, col. 620-621 (Marc) ; c. XXIV, n. 2, col. 674 (Saturnil) ; n. 4, col. 677 (Basilide) ; c. XXVII, n. 2 ; l. IV, c. XXXIII, n. 2, col. 688, 1073 (Marcion) ; l. I, c. XXX, n. 12-13, col. 702 (les ophites) ; E. de Faye, Gnostiques et gnosticisme, Paris, 1913, p. 41, 44-45, 60-66, 86-87, 91-92, 108-109, 111-112, 139-146, 161-163, 243-244, 323, 438-443. Contre eux Irénée démontre que le Christ est vraiment Dieu et homme.

      1. La nature humaine. ― Que le Christ soit homme, c’est un des principaux articles de la foi. « L’Eglise a reçu des apôtres et de leurs disciples la foi que voici : elle croit en un seul Dieu, Père tout-puissant. . ., et en un seul Jésus-Christ, Fils de Dieu, qui s’est fit chair pour notre salut. » L. I, c. X, n. 1, col. 549 ; cf. Dem., c. VI, p. 664. Irénée prouve cette vérité par le Nouveau Testament, l. III, c. XVI-XXII, col. 919-960, et passim : necesse habemus universam apostolorum de Domino nostro Jesu Christo sententiam adhibere et ostendere, l. III, c. XVI, n. 1, col. 920. Il la prouve par l’Ancien Testament ; les prophètes ont annoncé dans tous leurs détails les actes de l’humanité du Christ : legite diligentius id quod ab apostolis est Evangelium nobis datum et legite diligentius prophetas, et [col.2461 fin / col.2462 début] invenietis universam actionem, et omnem doctrinam et omnem passionem Domini nostri prædictam in ipsis, l. IV, c. XXXIV, n. 1, col. 1083 ; cf. c. X, col. 999-1001 ; Dem., c. L-LXXXVI, p. 698-721. Il la prouve en établissant que l’incarnation est une condition nécessaire de la rédemption, l. III, c. XVIII, n. 7 ; c. XIX, n. 1 ; l. V, c. XIV, n. 2-3, col. 937-940, 1161-1163. Nous retrouvons cet argument et nous en dirons la valeur quand nous traiterons de la nécessité de l’incarnation et de la rédemption d’après Irénée. Une tendance commune à tous les gnostiques était le besoin de rédemption ; on s’explique qu’Irénée ait considéré l’incarnation du Verbe comme un postulat de l’œuvre rédemptrice. Il la prouve par le dogme de la résurrection : « si donc il n’est pas né, il n’est pas mort non plus, et, s’il n’est pas mort, il n’est pas non plus ressuscité des morts, et, s’il n’est pas ressuscité des morts, il n’a pas triomphé de la mort et n’en a pas détruit l’empire, et, s’il n’a pas triomphé de la mort, comment pourrons-nous nous élever jusqu’à la vie, nous qui, dès le commencement, sommes tombés sous les coups de la mort ? Or, ceux qui n’admettent pas le salut de l’homme, qui ne croient pas que Dieu doive les ressusciter d’entre les morts, ceux-là méprisent aussi la naissance de Notre-Seigneur. » Dem., c. XXXIX, p. 688-689. Enfin, pour prouver l’existence de la nature humaine du Christ, Irénée part du dogme de l’eucharistie : si le Christ ne s’est pas fait homme, le calice de l’eucharistie n’est pas son sang et le pain que nous rompons n’est pas son corps, l. IV, c. XVIII, n. 4-5 ; c. XXXIII, n. 2 ; l. IV, c. I, n. 2 ; c. II, n. 2, col. 11026-1029, 1075, 1122, 1124-1125. Voir EUCHARISTIE, t. V, col.1129.

      Pas de distinction entre le Christ et Jésus. Il n’y a qu’un Christ Jésus, homme véritable, l. III, c. XVII, n. 6 ; c. XVIIIO, col. 925-926, 932-938. Vrai homme, il eut un corps, comme le nôtre, un corps passible ; et une âme semblable à notre âme. Il eut un vrai corps, né d’une femme comme le nôtre, né de Marie, quæ ex hominibus habebat genus, quæ et ipsa erat homo, l. III, c. XIX, n. 3, col. 941, de la race juive, de la famille d’Abraham, de la tribu de Juda, de la maison de David ; sa généalogie est connue, il est né à Bethléem, il a été enfant, dans les langes, il a grandi et passé par tous les âges, il a fui en Egypte, il a subi la condition humaine, parlant, dormant, ayant faim et soif, mangeant et buvant, l. II, c. XXII, n. 4 ; l. III, c. XVI, n. 2-4 ; c. XVIII, n. 3, 7 ; c. XIX, n. 2 ; c. XX, n. 4 ; c. XXI, n. 3-5 ; c. XXII ; l. IV, c. IV, n. 1 ; c. VI, n. 7 ; c. IX, n. 2 ; c. XXXI, n. 2 ; c. XXIII, n. 2, 11 ; l. V, c. I, n. 2 ; c. XXI, n. 1-2, col. 784, 921-924, 933, 937, 940-941, 945, 949-952, 955-960, 981, 990, 998, 1069, 1073, 1080, 1122, 1179-1181 ; Dem., c. XXX, XXXV-XL, XLV, LIII, LVII-LXVI, p. 683, 686-689, 694, 699-700, 703-709. Son corps était passible : il a été las, il a pleuré, il a souffert, il a sué le sang, il a été crucifié sous Ponce-Pilate, il est mort sur la croix, de son côté ouvert ont jailli l’eau et le sang, il a été enseveli, l. I, c. IX, n. 3 ; c. X, n. 1, 3 ; c. XX, n. 2 ; l. II, c. XX ; c. XXXII, n. 4 ; l. III, c. XII, n. 9 ; c. XVI, n. 5-9 ; c. XVIII ; c. XIX, n. 2-3 ; c. XX, n. 4 ; c. XXII, n. 2 ; l. IV, c. II, n. 4 ; c. VII, n. 2 ; c. IX, n. 2 ; c. XX, n. 8 ; c. XXIII, n. 2 ; c. XXIV ; c. XXV, n. 1-2 ; c. XXXIII, n. 1-2, 12 ; l. V, c. VII, n. 1 ; c. XVI, n. 2 ; c. XVIII, n. 1 ; c. XXXI, n. 1-2, col. 541, 549, 553, 653, 776-779, 829, 902, 924-929, 932-938, 940-941, 945, 957, 978, 991, 998, 1038, 1048-1051, 1072-1073, 1081, 1139, 1168, 1172 ;, 1208-1209 ; Dem., c. III, XXV, XXXIX, XLI, XLVIII, LXI-LXXXII, XCV, XCVII, p. 622, 678, 688, 690, 696, 706-719, 726-728. Le Christ eut une âme humaine sensible et raisonnable ; puisque « l’homme est composé de corps et d’âme, » l. IV, præf., n. 4, col. 975, nous saurions, même s’il ne le disait pas, qu’Irénée attribue une âme au Christ. Mais il le dit expressément, l. III, c. XXII, n. 1, col. 956 : Nos autem quoniam corpus su- [col.2462 fin / col.2463 début] mus de terra acceptum, et anima accipiens a Deo spiritum, omnis quicumque confitebitur ; hoc itaque factum est Verbum Dei, suum plasma in semetipsum recapitulans, et propter hoc filium hominis se confitetur. Cf. l. I, c. XV, n. 1 ; l. II, c. XXXII, n. 1, 3, col. 680, 826, 828. P. Beuzart, Essai sur la théologie d’Irénée, prétend, p. 100, qu’ « Irénée ne se rend pas très bien compte de la nécessité d’une âme humaine, de là une tendance au docétisme qui demeure toute logique et bien inconsciente, » et, p. 98, que « lui qui prend soin d’ajouter l’esprit, πνεϋμα, aux deux composants de l’homme naturel, corps et âme ou esprit, ne parle point de l’âme, anima, ou ψυχή, de la personne du Christ. » Nous avons constaté qu’Irénée est très hostile à tout docétisme et parle de l’âme du Christ, anima. Le mot ψυχή se lit dans deux fragments grecs du Contra hæreses : dans l’un, l. V, c. I, n. 1, col. 1121, il dit que le Christ « a donné son âme, ψυχή, pour nos âmes, ψυχών ; » dans l’autre, l. III, c. XXII, n. 2, col. 957, il cite Matth., XXVI, 38 : « Mon âme, ψυχή, est triste. » Il a cette formule saisissante, l. V, c. XIV, n. 3, col. 1162 : Si quis igitur secundum hoc alteram dicit Domini carnem a nostra carne quoniam ille quidem non peccavit, neque inventus est dolus in anima ejus, nos autem peccatores, recte dicit. S’il n’a point péché, le Christ a connu la tentation, l. III, c. XIX, n. 3 ; l. V, c. XXI, n. 2, col. 941, 1180-1181. Et même, d’après Irénée, si étroite est la similitude, sauf le péché, entre le Christ et nous, entre l’âme du Christ et la nôtre, que le Christ, dans sa nature humaine, n’a pas été exempt d’ignorance ; Irénée, l. II, c. XXVI, n. 6-8, col. 808-811, entend au pied de la lettre Marc, XIII, 32, sur l’ignorance du jour du jugement. Cf. J. Lebreton, Les origines du dogme de la Trinité, p. 449. Notons enfin, avec D. L. Tonetti, L’anima di Cristo nella teologia del Nuevo Testamento e dei Padri, III, Verbum caro factum est, dans la Rivista storico-critica delle scienze teologiche, Rome, 1910, t. VI, p. 262, que l’existence parfaite de l’âme, être spirituel, raisonnable doué de volonté, est très évidente dans la doctrine de la descente ad inferos ; nous trouverons cette doctrine chez Irénée.

      Ne quittons pas ce sujet sans nous arrêter à la chronologie du Christ. Irénée met sa naissance vers la 41e année d’Auguste, l. III, c. XXI, n. 3, col. 949, qu’il compte sans doute à partir de la mort de César (donc la 44e année = 14 de l’ère chrétienne !). Plus loin, l. IV, c. VI, n. 2, col. 987, il le fait naître a temporibus Tiberii (date sensiblement concordante), mais place encore sous Tibère son ministère, l. IV, c. XXII, n. 2, col. 1047. On connaît aussi l’opinion d’Irénée sur l’âge du Christ à sa mort, L. II, c. XXXII, col. 781-786. A l’encontre des gnostiques, suivant qui le Christ ne prêcha que pendant une année après son baptême et subit la Passion le douzième mois, Irénée dit que l’Evangile de saint Jean commémore trois célébrations de la Pâque par le Seigneur après son baptême et, de la sorte, renverse l’opinion gnostique, l. I, c. III, n. 2 ; l. II, c. XX, n. 1 ; c. XXII, n. 3, col. 472, 777-778, 782-783. Irénée dit encore que le Christ fut baptisé à trente ans, l. II, c. XXII, n. 4, col. 783. On s’attendrait à cette conclusion qu’il mourut trois ans après son baptême. Eh bine ! pas du tout. Distinguant cinq âges dans la vie humaine : infantes, et parvulos, et pueros, et juevenes, et seniores, et précisant que triginta annorum ætas prima indolis est juvenis et extenditur usque ad quadragesimum annum. . . , a quadragesimo autem et quinquagesimo anno declinat jam in ætatem seniorem, il avance que cet âge senior était celui qu’avait le Seigneur quand il enseignait, quam habens Dominus noster docebat, n. 4, 5, col. 784, 785. Il suppose donc que le Christ n’enseigna pas tout de suite après son baptême, mais qu’il continua sa vie cachée jusqu’à ce qu’il eut atteint l’âge parfait [col.2463 fin / col.2464 début] du maître. Tel serait le sens de ces mots, n. 4, col. 783 784 : Triginta quidem annorum existens (le commencement d l’âge du juvenis) cum veniret ad baptismum, deinde, magistri ætatem perfectam habens, venit Hierusalem. . . : magister ergo existens, magistri quoque habebat ætatem. . ., senior in senioribus ut sit perfectus magister in omnibus. Cf. Massuet, Dissert., III, a. 7, n. 72, col. 321-322. A l’appui de cette opinion que le Christ enseigna entre 40 et 50 ans, Irénée cite l’Evangile de saint Jean et tous les presbytres réunis en Asie, auprès de Jean, disciple du Seigneur, qui attestent id ipsum tradidisse eis Joannem, n. 5, col. 785. Nous nous expliquerons sur la portée de ce témoignage des presbytres, lorsque nous examinerons les sources d’Irénée. Quant à l’Evangile, Irénée vise le Quinquaginta annos nondum habes, Jean, VIII, 57 : dicitur ei qui jam quadraginta annos excessit, quinquagesimum autem nondum ettigit, non tantum multum a quinquagesimo anno absistat, n. 6, col. 785. Evidemment l’erreur sur l’âge du Christ vient de ce qu’on a donné à ce verset une interprétation stricte. Cette erreur a influé sur une autre erreur d’Irénée, d’après laquelle Ponce-Pilate aurait été procurateur de l’empereur Claude, Dem., c. LXXIV, p. 715 ; cf. A. Harnack, Des heil. Irenäus Schrift zum Erweise der apostolischen Verkündigung, Leipzig, 1907, p. 62-63. Ajouterons-nous qu’A. Pagi, Critica historico-chronologica in universos Annales ecclesiasticos Baronii, Anvers, 11705, t. I, p. 24, a émis, d’une façon purement gratuite, l’hypothèse que le passage d’Irénée sur l’âge du Christ n’est pas authentique ? A. Dufourcq, Saint Irénée (collection Les saints), 2e édition, Paris, 1904, p. 130, a élargi le sens de ce passage, quand il écrit d’Irénée a prolongé le ministère du Christ « jusque vers cinquante ou soixante ans. » Il fait également dire, p. 131, à Irénée que le Christ ressuscité passa dix-huit mois avec ses disciples avant de monter au ciel ; c’est là une opinion gnostique rapportée, non approuvée, par l’auteur du Contra hæreses, l. I, c. III, n. 2, col. 469. Cf. J. Chapman, dans The journal of theological studies, 1908, t. IX, p. 42-61 ; J. Hoh, Die Lehre des heil. Irenäus über das Neue Testament, Munster, 1919, p. 160-166.

      2. La nature divine. ― « Voici l’enseignement méthodique de notre fois. . . Quant au second article, le voici : c’est le Verbe de Dieu, le Fils de Dieu, Jésus-Christ Notre-Seigneur. . ., par lequel tout a été fait et qui, dans la plénitude des temps, pour récapituler et contenir toutes choses, s’est fait homme, né des hommes, s’est rendu visible et palpable, afin de détruire la mort et de montrer la vie, et de rétablir l’union entre Dieu et l’homme. » Dem., c. VI, p. 664. Toute la christologie et toute la sotériologie sont dans ces lignes, en particulier l’affirmation de l’existence de la nature divine et de la nature humaine du Christ. Dire que Jésus-Christ, c’est le Verbe de Dieu fait homme, c’est dire, puisque le Verbe est Dieu, consubstantiel au Père, que la nature divine, tout comme la nature humaine, appartient au Christ. Voyons comment Irénée présente cette vérité.

      « Il faut croire qu’il y a un Fils de Dieu, et qu’il existe non pas seulement au moment où il va paraître dans le monde, mais même avant la création du monde. . .Celui qui, au commencement, était le Verbe auprès du Père, celui par qui tout a été fait, c’est bien le même qui est son Fils. » Dem., c. XLIII, p. 691-692. Préexistant à son avènement terrestre préexistant au monde, il est celui par qui le monde a été créé, et il a tout pouvoir sur la création, l. III, c. VI, n. 1 ; l. IV, c. XX, n. 2, col. 860, 1033. Il est le « seul Jésus-Christ, fils de Dieu, incarné pour notre salut, » dont les prophètes ont annoncé la naissance, la vie et la mort, la résurrection, l’ascension et le second avènement, dans la gloire du Père, comme juge suprême du monde, [col.2464 fin / col.2465 début] l. I, c. X, n. 1, col. 549-552 ; cf. l. III, c. V, n. 3 ; c. XVI, n. 2, 3 ; c. XIX, n. 2 ; c. XXI, n. 1, 3 ; l. IV, c. IX, n. 2 ; c. X-XI, XXIII-XXIV, XXVI, n. 1 ; c. XXXIII, col. 859-921, 922, 940-941, 946, 949, 998, 999-1003, 1047-1050, 1052-1053, 1078, 1086 ; Dem., c. XXV, XXVIII, XXX, XXXV, XL, surtout XLIV-LXXXVI, où l’argument se déroule avec ampleur et s’achève de la sorte : « Si les prophètes ont annoncé d’avance que le Fils de Dieu se manifesterait sur la terre, en quel lieu du monde, de quelle manière et dans quelles conditions il apparaîtrait ici-bas, si le Seigneur a vérifié toutes ses prophéties en sa personne, notre foi en lui repose sur un fondement inébranlable, » c. XCVII, XCVIII, p. 679, 682, 683, 686, 689, 692-721, 728, 730. Lui qui a été prophétisé, il a parlé par les prophètes. Cont. hær., l. III, c. XVII, n. 1 ; l. IV, c. XX, n. 4, col. 929, 1034 : Dem., c. V, XXIV, p. 664, 685. Il a conduit toute l’histoire d’Israël par ses théophanies (voir les textes plus haut). Dans tout le passé antérieur à son existence terrestre, il a été l’unique révélateur du Père et celui par qui seul les justes étaient sauvés, l. IV, c. V-VII, XI, XXII, n. 2, col. 983-993, 1001-1003, 1047.

      Quand il s’est fait homme, il est né d’une Vierge, Marie, conçu non d’un homme, Joseph, mais par l’opération du Saint-Esprit, l. I, c ; X, n. 1 ; l. III, c. XVI, n. 2 ; c. XVIII, n. 3 ; c. XIX, n. 1-3 ; c. XX, n. 3 ; c. XXI-XXII ; l. IV, c. XXIII, n. 1 ; c. XXXIII, n. 4 ; l. V, c. I, n. 3 ; c. XIX, n. 2 ; c. XXI, n. 1, col. 549, 921, 933, 938, 941, 944, 946-960, 1048, 1075, 1080, 1122-1123, 1176, 1179 ; Dem., c. XXXII, XXXV-XXXVII, XXXIX-XL, LI, LIII, LIV, LVII, LVIXLXIII, p. 684, 686-687, 688-689, 698, 700-701, 703, 704, 705, 708. Il a été reconnu Dieu par Jean-Baptiste, les anges, les mages, Siméon, Dem., c. XLI, LVIII, p. 690, 704 ; Cont. hær., l. III, c. XVI, n. 4, col. 923. Il a été appelé Fils de Dieu par les Ecritures, il s’est appelé Fils de Dieu lui-même, l. III, c. VI, n. 1-2 ; c. IX-XI, n. 1-6 ; c. XII, XVI-XIX, col. 860-861, 919-941. Irénée n’a pas creusé cette notion de « Fils de Dieu » comme l’a fait l’exégèse récente : il n’a pas classé les textes, dégagé toutes les nuances de leur contenu, montré que tantôt la divinité y est sous-entendue et implicite, tantôt expressément affirmée. Mais il a su mettre à profit quelques-uns des textes les plus probants. Il note soigneusement que le Christ est le Fils par excellence, ipsum solum esse Filium Dei, l. II, c. XXXII, n. 4, col. 828 ; cf. l. IV, c. XXXVI, n. 1, col. 1090-1091, sur la parabole des vignerons : A quo igitur missus est Filius ad eos colonos, qui interfecerunt eum, ab hoc et servi ; sed Filius quidem, quasi a Patre veniens, principali auctoritate dicebat : Ego autem dico vobis ; servi autem quasi a Domino serviliter, et propter hoc dicebant : Hæc dicit Dominus. Il relève la grande nouveauté de la venue du Christ et de son affirmation qu’il est le Fils de Dieu, l. IV, c. XXXIV, n. 1, col. 1083 : Si autem subit vos hujusmodi sensus ut dicatis : Quid igitur Dominus attulit veniens ? cognoscite quoniam omnem novitatem attulit, semetipsum afferens qui fuerat annuntiatus. Il professe que le Fils est Dieu, comme son Père, et identique au Verbe. Le Christ a exercé « la vraie et souveraine justice. » Il est, à la fois, « le tout premier-né au conseil du Père, le Verbe parfait, gouvernant tout et réglant tout par lui-même sur la terre, » et « le premier-né de la Vierge, homme juste, saint, adorateur de Dieu, bon, agréable à Dieu, parfait en tout. » Dem., c. LX, XXXIX, p. 706, 689. Il remettait les péchés, Cont. hær., l. V, c. XVII, n. 1, col. 1169. Il faisait des miracles et le soleil s’est miraculeusement obscurci à sa mort. Cont. hær., l. II, c. XXXI, n. 2 ; l. IV, c. XXVII, n. 2 ; c. XXXIII, n. 12 ; l. V, c. XVII, n. 2, col. 824-825, 1058, 1081, 1169-1170. Dem., c. LXVII, p. 709-710. Il est descendu aux enfers, Cont. hær., l. III, c. XX, n. 4 ; l. IV, c. XXII, n. 1 ; c. XXVII, n. 2 ; c. XXXIII, n. 1 ; l. V, c. XXXI, n. 1-2, col. 945, 1046- [col.2465 fin / col.2466 début] 1047, 1058, 1072, 1081, 12108-1209. Dem., c. LXXVIII, p. 717. Voir ici t. IV, col. 579-580, 603. Il est ressuscité, in carne, corporaliter, d’entre les morts, le troisième jour, l. I, c. X, n. 1 ; l. II, c. XXXII, n. 3 ; l. III, c. XVI, n. 3, 5, 6, 9 ; c. XVIII, n. 3 ; c. XIX, n. 3 ; l. IV, c. II, n. 4 ; c. IX, n. 2 ; c. XXVI, n. 1 ; c. XXXII, n. 2 ; c. XXXIII, n. 13 ; l. V, c. VIII, n. 1 ; c. XXXI, col. 549, 822, 922, 924, 925, 928, 929, 933, 934, 941, 978, 997, 1053, 1073, 1082, 1139, 1208-1210 ; Dem., c. III, XXXVIII-XXXIX, LXXII-LXXIII, LXXVI, LXXXIII, p. 662, 687-689, 707-708, 714-715, 716, 719. Il a donné à ses disciples le pouvoir de régénérer les âmes, l. III, c. XVII, n. 1, col. 929. Il est monté au ciel, l. I, c. X, n.1 (in carne in cælos ascensionem) ; l. II, c. XXXII, n. 3 ; l. III, c. XVI, n. 8 (carnalem assumptionem), 9 ; c. XVIII, n. 3 ; c. XIX, n. 3 ; l. IV, c. XXXII, n. 3 ; l. V, c. XXXI, n. 1, 2, col. 549-550, 828, 927, 928, 934, 941, 1082, 1092, 1210 ; Dem., c. XLI, LXXXIII, LXXXVIII, p. 690, 719, 722. Il est assis à la droite du Père, l. III, c. XVI, n. 3, 9, col. 923, 929 ; Dem., c. LXXXV, p. 720. Il a envoyé le Saint-Esprit aux apôtres, et il l’envoie à toute la terre, Cont. hær., l. III, c. XVII, n. 2-3, col. 929-930 ; Dem., c. XLI, p. 690. Il est la résurrection, lui, le premier-né des morts, il est la paix et le rafraîchissement des morts, le prince de la vie de Dieu, Cont. hær., l. II, c. XXII, n. 4 ; l. III, c. XVI, n. 4 ; c. XIX, n. 3 ; l. IV, c. V, n. 2 ; c. XX, n. 2 ; c. XXIV, n. 1 ; l. V, c. XXXI, n. 2, col. 784, 923, 941, 985, 1033, 1049, 1209 ; Dem., c. XXXVIII-XXXIX, p. 687-690. Son nom triomphe des démons, des esprits mauvais et de toutes les forces rebelles, Dem., XCVI-XCVII, p. 728, et procure les charismes, Cont. hær., l. II, c. XXXII, n. 4, col. 829. Il donne la vie éternelle ; le salut vient de lui, l. IV, c. X, n. 1 ; c. XXII, n. 2, col. 1000, 1048 ; Dem., c. LI, p. 698. Il a la primauté en toutes choses au ciel et sur la terre, Cont. hær., l. III, c. XVI, n. 3, 6 ; l. IV, c. XX, n. 2, col. 922, 926, 1033 ; Dem., c. XL, XLVIII, p. 689, 696. Il est le maître de l’heure, l. III, c. XVI, n. 7, col. 926. Il est la lumière du monde, l. III, c. XVI, n. 4, col. 925. Sa présence remplit le monde, il a changé le monde, il est le roi de l’univers, le Seigneur de tous, le roi de tous les sauvés, le roi de tous, le roi éternel, Dem., XXXIV, XLI, XLIX, LI, LII, LVI, LVIII, LXI, LXVI, XCV, p. 677, 690, 697, 698-699, 701-702, 704, 706-707, 709, 726 ; Cont. hær., l. III, c. XXI, n. 9, col. 954. Il est l’Etre, Dem., c. XCV, p. 726. Il est exalté au-dessus de tout, Dem., c. LXXXVIII, p. 722. Il reviendra, dans la gloire, juger le genre humain, vivants et morts, Cont. hær., l. I, c. X, n. 1 ; l. III, c. XVI, n. 6, 8 ; c. XIX, n. 2 ; l. IV, c. XX, n. 2 ; c. XXII, n. 2 ; c. XXX, n. 1, col. 549, 925, 928, 1033, 1047, 1078 ; Dem., c. XLI, LXII, LXXXV, p. 690, 708, 720. Son règne n’aura pas de fin, Cont. hær., l. IV, c. XX, n. 11, col. 1040 ; Dem., c. XXXVI, LXIV, p. 687, 708. Pourrait-on marquer avec plus de force la nature divine du Christ ?

      3. L’union hypostatique. ― Irénée n’a pas la formule « union hypostatique », mais il en expose la réalité mystérieuse. Voir HYPOSTASE, col.374 ; HYPOSTATIQUE (UNION), col.451-452, non seulement à l’encontre de ce qui sera le monophysisme, mais aussi de manière à battre en brèche les futures affirmations de Nestorius, que, dans certains milieux, on se complaît à rattacher à Irénée. Cf. P. Galtier, L’évêque docteur : Saint Irénée de Lyon, dans les Etudes, Paris, 1913, t. CXXVI, p. 213-214.

      Irénée emploie le mot « incarnation » σάρκωσις, l. I, c. IX, n. 3 ; c. X, n. 1 ; L. III, c. XVII, n. 4 ; c. XVIII, n. 3 ; c. XIX, n. 1 ; l. V, c. V, n. 1 ; c. XVII, n. 1, col. 541, 549, 931, 933, 939, 1121, 1169 (l. III, c. XXI, n. 8, col. 953, il parle de la verge de Moïse incarnata) ; Dem., c. IX, XXXII, LIII, XCVIII, p. 666, 684, 699, 728. Il dit que le Verbe, le Verbe de Dieu, s’est incarné, est chair, est né dans la chair, s’est fait chair, est venu dans la chair, Cont. hær., l. III, c. IX, n. 1c. XVIII, n. 7 ; c. XIX, [col.2466 fin / col.2467 début] n. 9 ; l. IV, c. XX, n. 2-4 ; c. XXXIII, n. 1 ; l. V, c. XIV, n. 1, col. 869, 937, 940, 1033, 10341080, 1161 ; Dem., c. LIII, XCIV, p. 699, 725-726. Ou encore que Dieu s’est fait homme, Cont. hær., l. III, c. XXI, n. 1, col. 946 ; que le Fils de Dieu s’est fait ce que nous sommes, quod et nos, l. IV, c. XXXIII, n. 1, col ; 1080 ; qu’il s’est fait homme, l. IV, c. XX, n. 8, col. 1038 ; qu’il s’est fait fils de l’homme, l. III, c. XVI, n. 3, 8 ; l. IV, c. XXXIII, n. 11, col. 926, 929, 1080 ; Dem., c. XXXVI, XCII, p. 687, 725 ; qu’il est fils du Très-Haut et de David, Cont. hær., l. III, c. XVI, n. 3, col. 923 ; que le Fils de Dieu, qui est le Verbe du Père, s’est fait fils de l’homme, L. III, c. XVIII, n. 6 ; c. XVIII, n. 7 ; c. XIX, n. 1 ; c. XX, n. 2 ; l. V, c. XIV, n. 2 ; c. XVI, n. 2 ; c. XVII, n. 3, col. 926, 938, 939, 944, 1162, 1167, 1170 ; Dem., c. VI, LXVI, p. 664, 709 ; qu’il s’est fait homme parmi les hommes, Cont. hær., l. IV, c. XX, n. 4, col. 1034 ; qu’il s’est fait la substance de l’homme, l. V, c. II, n. 2, col. 1125. Ou bien que Dieu s’est répandu, effudit semetipsum, l. V, c. II, n. 1, col. 1124 ; qu’il y a eu avènement du Seigneur selon l’homme, l. IV, c. XX, n. 11, col. 1093 ; avènement du Fils de Dieu selon l’homme, l. IV, c. XXVI, n. 1, col. 1053 (lire : ή κατ΄άνθρωπον (non : ούρανόν) παρουσία τοϋ Υίοϋ τοϋ Θεοϋ) ; avènement du Verbe du Père comme homme, Dem., c. LIII, p. 699, 700 ; avènement visible de Notre-Seigneur, c. XCVII, p. 728 ; avènement du Fils de Dieu et économie de son incarnation, c. XCIX, p. 730, 731. Le mot « économie », οίκονομία, est familier à Irénée et, en général, aux Pères grecs ; il désigne la grâce de l’Incarnation et l’ensemble du plan divin pour le salut des hommes par le Verbe incarné. La traduction latine le rend par dispositio. Cf. Dem., c. VI, XLVII, p. 664, 695 ; Cont. hær., l. I, c. X, n. 1, 3 ; l. III, c. XVI, n. 6, 8, c. XVII, n. 1, 4, col. 549, 556, 925, 926, 929, 931, etc. Une particularité de cette traduction extrêmement curieuse au point de vue de la langue, c’est qu’habituellement elle met au masculin les mots qui se rapportent au Verbe incarné. Cf., par exemple, l. III, c. XVI, n. 2, col. 921 : Quoniam Joannes unum et eumdem novit Verbum Dei, et hunc esse Unigenitum, et hunc incarnatum esse pro salute nostra Jesum Christum Dominum nostrum sufficienter. . . demonstravimus. Il a même n. 7, col. 926 : Dominus noster. . ., cum sit ipse, et Unigenitus Patris, et Christus qui prædictus est, et Verbum Dei incarnatus. La raison de cette anomalie est sans doute qu’il calque le relatif du mot Verbum sur le grec, où il est masculin ; cf., par exemple, l. III, c. XXI, n. 1, col. 939, où Verbo Dei qui incarnatus est traduit τώ σαρκωθέντι Λόγω τοϋ Θεοϋ. parfois le relatif du mot Verbum s’accorde en genre avec lui, par exemple, l. V, c. XVIII, n. 1, col. 1172 : Ipsum Verbum Dei incarnatum suspensum est super lignum.

      Cette dernière phrase, comme toutes celles qui précèdent, et bien d’autres, contient l’idée de l’union hypostatique. Celui qui est le Verbe de Dieu, consubstantiel au père éternel, celui-là, dans le temps, sans cesser d’être le Verbe de Dieu, s’est fait homme, a grandi, mangé parlé, souffert et a été cloué à une croix. L’union de l’élément divin et de l’élément humain dans le personnage unique du Verbe est affirmée sans ambages. Aux gnostiques distinguant Jésus, le Christ, le Sauveur, le Verbe ou Logos, le Fils unique ou Monogène, le principe, l. I, c. IX, n. 2 ; l. IV, præf., n. 3, col. 539, 974, Irénée dit, l. I, c ; IX, n. 2, col. 539, qu’ils dénaturent la pensée de saint Jean unum Deum exponente et unum Unigenitum Christum Jesum annuntiante, per quem omnia facta esse dicit, hunc Verbum Dei, hunc Unigenitum, hunc factorem omnium, hunc lumen verum illuminans omnem hominem, hunc mundi fabricatorem, hunc in sua venisse, hunc eumdem car- [col.2467 fin / col.2468 début] nem factum, et inhabitasse in nobis. Et il conclut sa réfutation des gnostiques, n. 3, col. 543 : Unus et idem ostenditur Logos, et Monogenes, et Zoe, et Phos, et Soter, et Christus Filius Dei, et hic idem incarnatus pro nobis. Plus loin, l. IV, c. VI, n. 7, col. 990 : Unus et idem, omnia subjiciente ei patre, et ab omnibus accipiens testimonium, quoniam vere homo, et quoniam vere Deus. Et l. III, c. XVI, col. 919-929, notamment le passage déjà cité, n. 2, col. 921 : Joannes unum et eumdem novit verbum Dei. . ., et hunc incarnatum esse. . . demonstravimus ; et, n. 7, col. 926 : Dominus noster, unus quidem et idem existens, dives autem et multus, diviti enim et multæ voluntati Patris et deservit, cum sit ipse Salvator. . ., et Dominus. . ., et Deus. . ., et Unigenitus Patris, et Christus qui prædictus est, et Verbum Dei incarnatus, cum advenisset plenitudo temporis in quo filium hominis fieri oportebat Filium Dei. Cf., entre beaucoup de beaux textes, l. III, c. XVIII, n. 6-7 ; c. XIX, n. 2-3 ; c. XXI, n. 4 (la prophétie d’Isaïe), col. 936-938, 940-941, 950-951, et tous ceux déjà mentionnés, où l’on voit que « sa sotériologie détermine sa christologie, » qu’ « il veut sauvegarder avant tout la possibilité et la réalité du salut ; or, le salut n’est possible et réel qu’avec un Christ qui appartienne à la fois à la divinité et à l’humanité. » P. Beuzart, Essai sur la théologie d’Irénée, p. 85 ; cf. p. 85-94. Une citation de Dem., c. LXII, p. 707-708 ; suffira : « Tous ces témoignages de l’Ecriture établissent donc que le Christ qui, selon la chair, doit être de la race de David, sera le Fils de Dieu, qu’après être mort il ressuscitera, qu’avec la forme et l’aspect d’un homme il sera cependant le Dieu tout-puissant, qu’il jugera lui-même tout l’univers. » Cf. c. XXX, XXXIX, XLVIII, LII, LXXI, LXXXIV, XCII, p. 683, 689, 696, 699, 713, 720, 725.

      L’idée qu’exprimera plus tard la formule de l’unité de personne dans la dualité des natures, est ainsi rendue, l. III, c. XVI, n. 6, col. 925 : hujus verbum unigenitus, qui semper humano generi adest, unitus et consparsus suo plasmati secundum placitum Patris, et caro factum.Consparsus aurait été, dans le grec, πεφυρμένος, c’est-à-dire commistus, id est intime unitus, d’après la conjecture de Grabe, acceptée par Massuet, l. III, c. XIX, n. 1, col. 939, la traduction latine porte : Propter hoc enim Verbum Dei homo et qui Filius Dei est filius hominis factus est, commistus Verbo Dei et adoptionem percipiens, fiat filius Dei, ce qui n’offre guère de sens à moins de lire : factus est ut homo, commistus Verbo Dei et adoptionem percipiens, fiat filius Dei. Théodoret cite ce passage autrement, Eranistes, Dialogus I, Immutabilis, P. G., t. LXXXIII, col. 85-86, et donne le texte grec : Propterea enim Verbum Dei est homo ut homo, Verbum capiens (χωρήσας) adoptionemque consecutus, filius Dei efficiatur. Il y a des chances pour que Théodoret ne cite pas de mémoire ni d’après un manuscrit interpolé, mais fournisse le vrai texte d’Irénée ; la supposition contraire de Massuet, P. G., t. VII, col. 939-940, semble arbitraire et inutile et l’expression : homo capiens Deum ou Verbum est dans le style irénéen. Cf. l. II, c. XIII, n. 5 ; l. III, c. XVI, n. 3 ; l. IV, c. XX, n. 2, 5 ; c. XXXVIII, n. 1 ; l. V, c. I, n. 3, col. 745, 922, 1033, 1035, 1107, 1123. Du reste, qu’il faille lire : commistus Verbo Dei ou : ut homo commistus Verbo Dei ou : ut homo Verbum capiens, il ne s’agit pas de l’union hypostatique des deux natures dans le Verbe incarné, mais de l’union du chrétien avec Dieu et de sa filiation divine ; Erasme, dans son Argumentum du IIIe livre, Bâle, 1534, p. 136 = P. G., t. VII, col. 1328, a donc été inexact en disant que, dans ce passage, Irénée dicit Christum juxta humanam naturam adoptatum. De même, les mots commistio et communio Dei et hominis, l. IV, c. XX, n. 4, col. 1034, ont été indûment appliqués à l’union du Verbe et de l’humanité dans le Christ : ils visent l’union de Dieu et de [col.2468 fin / col.2469 début] l’homme opéré par le Christ. Mais un passage qui se rapporte bien à l’union hypostatique est celui, l. IV, c. XXXIII, n. 1, col. 1080, où Irénée dit que les prophètes, annonçant la naissance d’Emmanuel d’une Vierge manifestaient τήν ένωσιν τοϋ Λόγου τοϋ Θεοϋ πρός τό πλάσμα αύτοϋ. Cf. Théodoret, Eranistes, Dialogus II, Inconfusus, P. G., t. LXXXIII, col. 172. Le même mot, l. III, c. XVIII, n. 7, col. 937 : Hærere itaque fecit et adunivit, ήνωσεν, hominem Deo, s’entend de l’union de l’homme à Dieu par la grâce. Bref, Irénée ne nous donne pas la formule de l’union hypostatique ; mais il nous en donne la doctrine.

      Irénée est étranger au kénotisme que G. Thomasius, Christi Person und Werk, 2e édit., Erlangen, 1857, et d’autres théologiens protestants ont cru découvrir dans saint Paul et les anciens Pères. Il dit, l. III, c. XIX, n. 3, col. 941, que le Christ fut homme pour être tenté, Verbe pour être glorifié, requiescente (ήσυχάζοντος) quidem Verbo ut posset tentari, et inhortorari, et crucifigi et mori. Si le Verbe « se repose », ce n’est pas qu’en devenant vrai homme il ait cessé d’être ce qu’il était ou qu’il ait abdiqué de façon temporaire ses attributs divins ; c’est qu’il a pris une nature humaine véritable, donc capable de souffrance et de tentation, invisibilis visibilis factus, et incomprehensibilis factus comprehensibilis, et impassibilis passibilis, et Verbum homo, l. III, c. XVI, n. 6, col. 925-926.C’est qu’il s’accommode à notre faiblesse et cache sa gloire que nous ne saurions supporter, l. IV, c. XXVIII, n. 1-2, col. 1105-1107. Cf. Loofs, art. Kenosis, dans la Realencyklopädie, 3e édit., Leipzig, 1901, t. X, p. 252.

     Le Verbe rédempteur. ― Les gnostiques ont formé un rêve de rédemption. Ils avaient l’idée « qu’il y a dans le cosmos, notamment chez certains hommes, un principe divin. Cette étincelle divine est comme une étrangère ici-bas. Elle est égarée dans un monde ténèbres. Le problème est de savoir comment elle remonter aux régions supérieures d’où elle est venue. La rédemption consistera dans le retour à Dieu, » retour non pas seulement individuel mais aussi cosmique. E. de Faye, Gnostiques et gnosticisme, p. 433-434 ; cf. p. 45-46, 62, 67-68, 106, 139-146, 163-164, 217-218, 239-240. Irénée relève la théorie rédemptrice du gnosticisme, l. I, c. VI, n. 1-2 ; c. XIII, n. 6 ; c. XXI, col. 504-508, 588-589, 657-669. A la conception du gnosticisme il oppose la conception orthodoxe. Il y a donc à tenir compte de ses préoccupations de combat et du contraste qu’il vise à faire éclater entre le rédempteur des orthodoxes et celui des hérétiques pour comprendre la sotériologie d’Irénée. Cf. P. Galtier, La rédemption et les droits du démon dans saint Irénée, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1911, t. II, p. 5 sq. ; J. Rivière, La doctrine de saint Irénée sur le rôle de du démon dans la rédemption, dans le Bulletin d’ancienne littérature et d’archéologie chrétiennes, Paris, 1911, t. I, p. 178, 188. Mais la pensée de l’évêque de Lyon déborde cette polémique. Nulle part peut-être elle n’est si riche et si originale que dans cette question. Pour la saisir toute entière, voyons comment il envisage la rédemption du côté du Christ, du côté de l’homme, du côté de Dieu, du côté du démon.

     1. Du côté du Christ. ― La théologie de la rédemption s’est développée selon deux directions maîtresses. Les uns, surtout quelques Pères grecs, s’inspirant particulièrement de saint Jean, laissent la mort du christ au second plan, insistent sur le mystère de l’Incarnation et expliquent par la vertu du contact du Verbe divin avec la nature humaine la résurrection du genre humain ; sur ce fondement s’élève la théorie dite physique ou mystique de la rédemption. D’autres, surtout parmi les Latins, s’inspirant davantage de saint Paul, mettent l’accent plutôt sur la mort rédemptrice et sur le grand effort d’amour par lequel le Fils de Dieu s’est [col.2469 fin / col.2470 début] livré pour nous et s’est acquis d’infinis mérites qu’il déverse sur le genre humain ; d’où la théorie dite morale ou réaliste de la rédemption. Ces appellations ne sont pas également heureuses. Peut-être serait-il préférable de ne garder que l’épithète « mystique » pour la première, et « réaliste » pour la seconde théories. Les deux tendances coexistent dans Irénée. C’est à tort qu’A. Ritschl, Die Lehre von der Rechtfertigung und Versöhnung, 3e édit., Bonn, 1889, t. I, p. 7, a prétendu qu’Irénée, d’accord avec ses prédécesseurs, ne voit dans le Christ que son rôle de docteur et l’exemple qu’il donne. Parmi ceux qui ont adhéré aux idées de Ritschl, P. Beuzart, Essai sur la théologie d’Irénée, p. 93, 102, 104, 148, opposant l’incarnation à la rédemption, comme si la première n’était pas pour la seconde, dit qu’Irénée emploie pas souvent les mots redemptio et redimere et qu’ils sont loin de sa pensée, qu’il « n’attache pas indissolublement à la personne de Jésus-Christ la notion de salut ou de rédemption. »

     a) La théorie mystique de la rédemption. ― Pour quoi le Verbe de Dieu s’est-il incarné ? Les réponses d’Irénée se ramènent à quatre formules. ― a. Il s’est incarné pour nous, pour l’homme, pour les hommes, l. I, c. IX, n. 3 ; l. III, c. XVII, n. 4 ; c. XIX, n. 1 ; l. IV, c. XXII, n. 2, col. 541, 544, 931, 939, 1047 ; Dem., c. XXI, p. 683. ― b. Il s’est incarné pour nous unir à Dieu, factus est quod sumus nos uti nos perficeret esse quod est ipse, l. V, præf., col. 1120 ; ad hoc ut et homo fieret filius Dei, l. III, c. X, n. 2, col. 873 ; ut et homo fieret particeps Dei, l. IV, c. XXVIII, n. 1, col. 1062 ; quomodo homo transiet in Deum si non Deus in hominem ? L. IV, c. XXXIII, n. 4, col. 1074 ; ut adoptionem percipiamus, l. III, c. XVI, n. 3 ; c. XVIII, n. 7 ; c. XIX, n. 1, col. 932, etc. ; ut quod perdideramus in Adam, id est secundum imaginem et similitudinem esse Dei, hoc in Christo Jesu reciperemus, l. III, c. XVIII, n. 1, col. 932, etc. ; Dem., c. XXII, XCVII, p. 676, 729 ; pour offrir à son Père eum hominem qui fuerat inventus, primitias resurrectionis hominis in semetipso faciens, l. III, c. XIX, n. 3, col. 941 ; in adunitionem et communionem Dei et hominis, l. V, c. I, n. 1, col. 1121 ; ut nos colliget in sinum Patris, l. V, c. II, n. 1, col. 1124 ; nobis donans eam quæ est ad factorem nostrum conversationem et subjectionem, l. V, c. XVII, n. 1, col. 1169 ; ut finem conjungeret principio, id est hominem Deo, l. IV, c. XX, n. 2, col. 1033 ; omnibus restituens eam quæ est ad Deum communionem, l. III, c. XVIII, n. 7, col. 937 ; Dem., c. VI, XXXI, XL, XCVII, p. 664, 683, 689, 729 ; pour enlever à l’homme son ignorance et lui donner la connaissance de ce qui est de Dieu, l. III, c. XVI, n. 4 ; l. IV, c. VI, n. 5-7 ; c. VII-IX ; l. V, c. I, n. 1, col. 923, 989-998, 1119-1121 ; ut assuesceret hominem percipere Deum et assuesceret Deum habitare in homine, l. III, c. XX, n. 2, col. 944 ; hominibus quidem ostendeus Deum, Deo autem exhibens hominem, l. IV, c. XX, n. 7, col. 1037 ; pour nous rendre l’amitié de Dieu, oportunerat enim mediatorem Dei et hominum, per suam ad utrosque domesticitatem, in amicitiam et concordiam utrosque reducere, et facere ut et Deus assumeret hominem et homo se dederet Deo, l. III, c. XVIII, n. 7, col. 937 ; pour nous réconcilier avec Dieu, l. V, c. XIV, n. 3, col. 1162-1163 ; ut pretiosus homo fiat Patri, l. V, c. XVI, n. 2, col. 1167 ; pour notre ascension quæ est ad Dominum, l. III, c. XIX, n. 1, col. 939 ; pour nous donner la vie, nous montrer la vie, la vie éternelle, l’incorruptibilité, l’immortalité, l. III, c. XIX, n. 1 ; c. XXIII, n. 1, 7 ; l. IV, c. X, n. 2 ; c. XX, n. 2, 5 ; l. V, c. I, n. 1, col. 938, 939, 960, 964-965, 1001, 1033, 1035, 1121 ; Dem., c. XXXI, XL, p. 683, 689 ; nous donner l’héritage, l. IV, c. XXI, n. 3 ; c. XXII, n. 1 ; c. XXVI, n. 1, col. 1046, 1053 ; pour nous donner la vision béatifique, l. IV, c. XX, n. 4-11, col. 1034-1041 ; pour que, apponens semetipsum caput Ecclesiæ, uni- [col.2470 fin / col.2471 début] versa attrahat ad semetipsum apto in tempore, l. III, c. XVI, n. 6 ; cf. c. XIX, n. 3, col. 926, 941. Donc le Verbe incarné est médiateur : in amicitiam restituit nos Dominus per suam incarnationem mediator Dei et hominum factus, l. V, c. XVII, n. 1, col. 1069. Cf. l. III, c. XVII, n. 7, col. 937, cité plus haut. ― c. Il s’est incarné pour notre salut, pour notre rachat. Pour notre salut, l. I, c. IX, n. 3 ; c. X, n. 1 ; l. III, c ; XVI, n. 2, col. 541, 549, 921 ; pour nous sauver, pour nous sauver tous, l. II, c. XXII, n. 4, col. 784 ; Dem., c. XXXVIII, p. 687 ; pour le salut des hommes, de l’humanité, l. III, c. XVIII, n. 7 ; l. IV, c. XXXIII, n. 1 ; l. V, c. XVII, n. 2, col. 938, 1072, 1170 ; Dem., c. XCIX, p. 730 ; quia per semetipsos non habebant salvari, l. III, c. XX, n. 3, col. 944 ; pour apporter le salut aux justes détenus dans les limbes, l. IV, c. XXXIII, n. 1, col. 1072. Pour notre rachat, pour ramener au bercail la brebis perdue, l. III, c. XIX, n. 3 ; c. XXX, n. 1, 8 ; cf. l. I, c. VIII, n. 4, col. 941, 960, 965, 529, etc. ; Dem., c. XXXIII, p. 684 ; pour donner l’eau de la vie éternelle à la Samaritaine prévaricatrice, l. III, c. XVII, n. 2, col. 930 ; pour la guérison du blessé de Jéricho, l. III, c. XXXIII, n. 3, col. 930 ; pour nous purifier, l. IV, c. XXII, n. 1 ; c. XXVII, n. 1, col. 1046, 1057 ; pour détruire le péché et la mort et, par son obéissance, donner la rémission des péchés et le salut et réparer la désobéissance qui nous valut la mort, l. III, c ; XVIII, n. 7 ; c. XX, n. 2 ; c. XXI, n. 10 ; c. XXII, n. 4 ; c. XXI, n. 6, col. 937-938, 944, 954, 959, 964, etc. ; Dem., c. VI, XXXI, XXXIV, XXXVII, p. 664, 683, 685, 687 ; pour mettre fin à notre exil, l. III, c. XXIII, n. 6, col. 964 ; pour triompher du démon, arracher l’homme à son pouvoir, à la captivité dans laquelle il gémissait, l. III, c. XVIII, n. 7 ; c. XXIII, n. 1, 2 ; l. IV, c. IV, n. 1 ; c. XXII, n. 1 ; l. V, c. XXI, col. 938, 960-961, 981, 1046, 1179-1182 ; Dem., c. XXXI, p. 684 ; pour le salut de la chair, qui avait péri en Adam, l. I, c. X, n. 1 ; l. III, c. XVI, n. 6 ; l. IV, præf., n. 4 ; l. V, c. XIV, n. 1, col. 549, 925, 975, 1161. Ainsi le Verbe incarné est sauveur, rédempteur. Le mot « Sauveur » est fréquent : qui et salus et Salvator vere et dicitur et est, l. III, c. X, n. 2 ; cf. c. XVI, n. 7 ; c. XVII, n. 4, c. XVIII, n. 4, col. 874-875, 926, 929, 935, etc. Irénéen dit que les valentiniens donnaient à l’éon Horus le nom de « rédempteur. » L. I, c. II, n. 4 ; c. III, n. 1, col. 460, 465. Il applique au Verbe incarné les mots redimere et redemptio, mais toujours unis à l’idée de la passion et de la mort. ― d. le Verbe s’est incarné pour « récapituler toutes choses », έπί τό άνακεφαλαιώσασθαι τά πάντα. C’est le mot de saint Paul, Eph., I, 10 qu’Irénée cite encore en exposant l’erreur gnostique, c. III, n. 4, col. 476, et, pour son propre compte, l. V, c. XX, n. 2, col. 1178. Il trouve également ce mot dans un texte de saint Justin qui ne nous est connu que par le Contra hæreses, l. IV, c. VI, n. 2, col. 987. On a dit qu’ « il en fait l’axe de sa sotériologie ». A. d’Alès, La doctrine de la récapitulation en saint Irénée, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1916, t. VI, p. 185. Ce mot, comme il arrive si souvent dans la terminologie d’Irénée, est complexe, et de signification variable. C’est, d’abord « répéter » s’il s’agit des termes, par exemple, l. V, c. XXXIII, n. 4, col. 1214, ou « reproduire » s’il s’agit des choses, par exemple, l. IV, c. XL, n. 3 ; l. V, c. XXI, n. 2, col. 1114, 1179. C’est, en outre, « résumer » par exemple, l. V, c. XXV, n. 1 ; c. XXIX, n. 2, col. 1189, 1201 ; en ce sens le gnosticisme est « la récapitulation de toutes les hérésies. » L. IV, præf., n. 2, col. 973. C’est aussi « reproduire » non plus en répétant, ou en résumant, mais en restaurant, en rendant à une chose ce qu’elle a perdu. Appliqué à l’œuvre du Christ, ce mot la désigne parfois toute entière d’une façon générale, par exemple, l. IV, c. XX, n. 8, col. 1038 ; ejus recapitulationis dispositiones, l’économie de l’œuvre du Christ. Parfois il la présente sous l’un ou [col.2471 fin / col.2472 début] l’autre aspect : le Christ récapitule l’humanité en ce sens qu’il la reproduit, qu’il la résume, par exemple, l. V, c. XIV, n. 1, 2, col. 1161-1162 ; ou bien il la récapitule en ce sens qu’il ramène l’humanité à son premier état et la restaure, par exemple, l. III, c. XVIII, n. 7 ; l. V, c. XXI, n. 1, col. 938, 1179 ; Dem., c. XXXII, XXXIII, XXXVII, p. 684, 685, 687. Les principaux synonymes, dans ce dernier sens, sont reformare, l. IV, c. XXIV, n. 1, col. 1049 ; suscipere, c. XXXIII, n. 4, col. 1075 ; restaurare, l. V, c. II, n. 1, col. 1124 ; reconciliare, c. XIV, n. 3, col. 1162, redintegrare, c. XXI, n. 3, col. 1182. Parfois les acceptations diverses se mêlent et se fondent si intimement que l’on perdrait son temps à vouloir les dissocier, par exemple, l. III, c. XVIII, n. 1, col. 932 : Quando incarnatus est, et homo factus, longam hominum expositionem in seipso recapitulavit in compendio nobis præstans ut quod perdideramus in Adam, id est secundum imaginem similitudinem esse Dei, hoc in Christo Jesu reciperemus. En définitive, le mot de « récapitulation » désigne ce travail de reconstitution et de restauration de l’humanité selon le plan primitif de Dieu, dont le Verbe incarné est lui-même l’exemplaire parfait, avant de devenir le principe et l’instrument d’un semblable travail accompli par Dieu dans les individus. A. d’Alès, loc. cit., p. 189. Une doctrine, moins propre à saint Irénée que celle de la récapitulation, et qui lui est connexe, est celle du Christ, nouvel Adam, chef de l’humanité selon Dieu, restaurant en lui cette parfaite sujétion de la chair à l’esprit que comportait le plan primitif du créateur, restituant à l’homme cette ressemblance avec Dieu que le péché du premier Adam nous avait fait perdre. Cf. l ; III, c. XVI, n. 6 ; c. XVIII, n. 7 ; c. XIX, n. 1 ; c. XXI, n. 10 ; c. XXII, n. 1-3 ; l. IV, c. VI, n. 2 ; c. XX, n. 4 ; c. XXXIII, n. 4 ; c. XL, n. 3 ; l. V, c. I, n. 2-3 ; c. XVI, n. 3 ; c. XVII, n. 1-3 ; c. XX, n. 2, col. 925-926, 937-938, 939-940, 954-955, 956-958, 987, 1034, 1074-1075, 1113-1114, 1122-1123, 1168, 1169-1170, 1178, etc. ; Dem., c. XXXI-XXXIII, p. 683-685. Le Christ est venu pour nous unir à Dieu, pour nous sauver, pour nous racheter : autant d’autres aspects de la doctrine de la récapitulation. « Médiateur de Dieu et des hommes, étant de la maison des deux, il les ramène tous deux à l’amitié et à la concorde, pour qu’il puisse présenter l’homme à Dieu et Dieu à l’homme. » L. III, c. XVIII, n. 7, col. 937. Verbe fait homme, il récapitule tout en lui, Verbum homo, universa in semetipsum recapitulans, uti, sicut in supercælestibus, et spiritualibus, et invisibilibus princeps est Verbum Dei, sic et in visibilibus et corporalibus principatum habeat, in semetipsum primatum assumens et apponens semetipsum caput Ecclesiæ, universa attrahat ad semetipsum apto in tempore, l. III, c. XVI, n. 6, col. 926. Sauveur, il se fait ce qui avait péri : homme, nunc autem quod fuit qui perierat homo hoc salutare factum est Verbum, per semetipsum eam quæ esset ad eum (le Père) communionem et exquisitionem salutis ejus efficiens. Quod autem perierat sanguinem et carnem habebat. . . Habuit et ergo et ipse carnem et sanguinem, non alteram, quamdam sed illam principalem Patris plasmationem in se recapitulans, exquirens id quod perierat, l. V, c. XIV, n. 2, col. 1162. Cf. c. I, n. 2, col. 1122.

     b) La théorie réaliste de la rédemption. ― Jusqu’ici il n’a pas été question de la passion du Christ et de sa mort sur la croix. Sans doute elles sont à l’arrière-plan de la pensée d’Irénée alors qu’il ne parle que de l’incarnation et de la vie ; le salut et la rédemption ne résultent-ils pas de la vie totale, couronnée par les douleurs de la semaine sanglante ? Mais Irénée ne se borne pas à les sous-entendre. Il les nomme à chaque instant, et non point à part de l’incarnation, comme si les souffrances du Christ étaient chose adventice, purement occasionnelle, qu’on pût détacher de l’incarnation sans altérer son économie, mais en même [col.2472 fin / col.2473 début] temps que l’incarnation, de manière à laisser comprendre que celle-ci est pour celle-là. « Le Fils de Dieu, dit-il, Dem., c. LXXXVI, p. 721, est venu pour subir la passion. » Incarnatus et passus sont à peu près synonymes dans des passages tels que les suivants, l. I, c. IX, n. 3, col. 542 : Jesus, qui passus est pro nobis, qui inhabitavit in nobis, idem ipse est Verbum Dei ; si enim alius ex æonibus pro nostra salute caro factus est, æstimandum erat de altero dixisse apostolum, si autem Verbum Patris qui descendit ipse est et qui ascendit, ab uno Deo unigenitus Filius, secundum Patris placitum incarnatus pro hominibus. . . Et l. III, c. XVIII, n. 3, col. 933 : Paulus alterum Christum nescit nisi hunc solum est qui et passus est, et resurrexit, qui et natus est, quem et hominem dixit. Cum enim dixisset : « Si autem Christus annuntiatur quoniam a mortuis resurrexit, » intulit rationem redens incarnationis ejus : « Quoniam per hominem mors et per hominem resurrectio mortuorum. »

     Aussi bien Irénée a-t-il recours, pour donner la raison d’être des souffrances du Christ, aux mêmes quatre formules par lesquelles il donne la raison d’être de l’incarnation du Verbe. ― a. Il a souffert pour nous, il a versé son sang, il est mort pour nous, l. I, c. IX, n. 3 ; l. III, c. XVI, n. 9 ; c. XX, n. 4, col. 541, 928, 945. ― b. Il a souffert, il est mort pour nous unir à Dieu : passus est ut eos qui erraverunt a Patre ad agnitionem et juxta eum adduceret, l. II, c. XX, n. 3, col. 777-778 ; per passionem nos reconciliavit Deo, l. III, c. XVI, n. 9, col. 929 ; « le Fils de Dieu est venu pour subir la passion, il nous a réconciliés avec Dieu et rendus capables de lui plaire. » Dem., c. LXXXVI, p. 721. ― c. Il a souffert, il est mort pour notre salut, pour notre rachat. Pour notre salut, c. LXXII, p. 714 ; il nous a sauvés par son sang, par sa mort volontaire, LVII, LXIX, LXXXVIII, p. 703-704, 712, 722 ; nobis autem Dominus passus agnitionem Patris conferens, salutem donavit, Cont. hær., l. II, c. XX, n. 3, col. 778 ; dispensationem consummans salutis nostræ, l. III, c. XVIII, n. 2, col. 932 ; il a enduré toutes ses souffrances pour descendre vers les justes détenus dans les limbes, uti erigeret, ad salvandum illos, l. IV, c. XXXIII, n. 12, col. 1081 ; cf. Dem., c. LXXXVIII, p. 717 : « La cause de la mort est indiquée ; sa descente aux enfers était le salut des trépassés. » Nous avons vu qu’il a dit exactement la même chose d’un motif de son avènement en ce monde par l’incarnation. Pour notre rachat, « pour abolir la mort et nous ressusciter un jour, » Dem., LXXXVI, p. 721 ; afin, ayant pris un corps semblable à celui de notre premier père, « de le sacrifier dansa sa lutte en faveur de nos premiers parents, et de triompher ainsi en Adam de celui qui, en Adam nous avait mortellement frappés, » Dem., c. XXXI, p. 683 ; afin de nous apprendre à souffrir, lui qui a souffert, lutté, vaincu, erat enim homo pro patribus certans et per obedientiam inobedientiam persolvens, alligavit enim fortem, et solvit infirmos, et salutem donavit plasmati suo, destruens peccatum , Cont. hær., l. III, c. XVIII, n. 6, col. 936-937 ; afin de nous racheter par son sang, Christum passum et ipsum esse Filium Dei, qui pro nobis mortuus est et sanguine suo redemit nos, l. III, c. XVI, n. 9, col. 928 ; cf. l. III, c. XII, n. 7 ; l. IV, c. XX, n. 2, 12 ; c. XXV, n. 2 ; l. V, c. I, n. 1, 2 ; c. II, n. 1, 2 ; c. XIV, n. 3, col. 900, 1033, 1043, 1051, 1121-1122, 1124-1125, 1163 ; afin de terminer notre exil, l. IV, c. VIII, n. 2, col. 994. ― d. Il a souffert, il est mort « pour récapituler toutes choses. » L. I, c. X, n. 1, col. 549. Et l. V, c. XIV, n. 1, col. 1161 : Recapitulationem effusionis sanguinis ab initio omnium justorum et prophetarum in semetipsum futuram indicans, et exquisitionem sanguinis ipsorum per semetipsum ; non autem exquireretur hoc nisi et salvari haberet, nec in semetipsum recapitulatus esset hæc Dominus nisi et ipse caro et sanguis secundum principalem plasmatio- [col.2473 fin / col.2474 début] nem factus fuisset, salvans in semetipso in fine illud quod perierat in principio in Adam. Et, un peu plus loin, n. 4, col. 1163 : Memor igitur, dilectissime, quoniam carne Domini nostri redemptus es et sanguine ejus redhibitus, et tenens caput ex quo universum corpus Ecclesiæ compaginatum augescit, hoc est carnalem adventum Filii Dei. . . Dans ce texte les deux théories, mystique et réaliste, sont associées : le Verbe de Dieu est venu nous sauver par son incarnation ; c’est tout spécialement par l’effusion de son sang qu’il opère notre rédemption.

     c) Le sacrifice de la croix. ― Nous sauvant et nous rachetant par sa venue en ce monde, le Christ l’a fait tout particulièrement par ses souffrances et son sang répandu ; nous sauvant et nous rachetant par sa passion il l’a fait surtout par son obéissance jusqu’à la mort de la croix, par l’effusion de son sang sur la croix, par le sacrifice de la croix. D’admirables textes s’offrent à nous. Prenons, d’abord, la Démonstration de la prédication apostolique, c. XXXIV, p. 685-686 : « Par l’obéissance qu’il a pratiquée jusqu’à la mort en étant attaché sur le bois, il a expié l’antique désobéissance occasionnée par le bois. . . Par le Verbe de Dieu tout est sous l’influence de l’économie rédemptrice, et le Fils de Dieu a été crucifié pour tout, ayant tracé ce signe de la croix sur toutes choses. » Et, c. XLV, p. 693 : « C’est par la croix que ceux qui croient en lui montent au ciel. » Cf. c. XLVI, LVI, p. 695, 702. De même Cont. hær., l. IV, c. VII, n. 7, col. 979 : Non aliter salvari homines ab antiqua serpentis plaga nisi credant in eum qui, secundum similitudinem carnis peccati, in loco martyrit exaltatur a terra, et omnia trahit ad se, et vivificat mortuos. Et, l. V, c. XVI, n. 3, col. 1163 : Dissolvens enim eam quæ ab initio in ligno facta fuerat hominis inobedientiam, per eam quæ in tigno fuerat obedientiam sonans. Cf. l. III, c. XVIII, n. 5 ; l. IV, c. X, n. 2 ; c. XXVIII, n. 3 ; l. V, c. XVII, n. 4, col. 935-936, 1001, 1063, 1171-1172. Ailleurs, l. IV, c. XXVI, n. 1, col. 1053, du trésor de la parabole, qui a été caché dans un champ, Jésus-Christ, il dit que cruce Christi revelatus est, et explanatus, et ditans sensus hominum, et ostendens sapientiam Dei, et eas quæ sunt erga hominem dispositiones ejus manifestans, et Christi regnum præformans, et hereditatem sanctæ Hierusalem præevangelizans, et prænuntians quoniam in tantum homo diligens Deum proficiet ut etiam videat Deum. Nous ne citons pas le fragment sur la vraie gnose, laquelle est « la science de la croix, » P. G., t. VII, col. 1247-1254 ; c’est le premier des fragments pseudo-irénéens publiés par Pfaff. Sur la difficile question de l’obéissance du Christ dans la mort et sur la conception irénéenne de l’attitude du Christ, cf. P. Galtier, « Obéissant jusqu’à la mort, » dans la Revue d’ascétique et de mystique, Toulouse, 1920, t. I, p. 125, 133-149.

     Le salut vient de la croix. La mort sur la croix est un sacrifice. Le Christ offre le sacrifice, il est prêtre ; le Christ s’offre en sacrifice, il est victime. Il est prêtre : Jean, disciple du Seigneur, in Apocalypsi sacerdotalem et gloriosum regni ejus videns adventum, a vu, dans une première vision, I, 13, similem Filio hominis indutum poderem (ou podere), et, dans une seconde, V, 6, in medio presbyterorum agnum stantem quasi occisum, l. IV, c. XIX, n. 11, col. 1040, 1041. Il est prêtre encore parce que suum sacerdotis operam perficiens, propitians pro hominibus Deum, et emundans leprosos, infirmos curans, et ipse moriens uti exsiliatus homo exiret de condemnatione et reverteretur intrepide ad suam hæreditatem, l. IV, c. VIII, n. 2, col. 994. Il est donc juste que, ayant la même foi qu’Abraham, portant la croix, à la ressemblance des bois qui devaient servir au sacrifice d’Isaac ; nous suivions le Christ ; en Abraham l’homme avait préappris et s’était accoutumé à suivre le Verbe Dieu, car Abraham, suivant, selon sa foi, le [col.2474 fin / col.2475 début] précepte du Verbe de Dieu, livra promptement son fils unique et aimé en sacrifice à Dieu, ut et Deus beneplacitum habeat, pro universo semine ejus, dilectum est unigenitum Filium suum præstare sacrificium in nostram redemptionem, l. V, c. V, n. 4, col. 986.

     Concluons. Dieu et homme, le Christ est médiateur, sauveur, rédempteur, récapitulateur, par sa vie, par ses souffrances. Il est tout cela excellemment, prêtre et victime, par le sacrifice de la croix.

     2. Du côté de l’homme. ― Par le péché originel l’homme avait contracté une dette envers Dieu. Le Christ en fournit le paiement ; c’est sa sanctification. Le mot manque dans Irénée, et il y manque aussi les développements de la théologie ultérieure sur l’expiation du péché et la substitution pénale du Christ innocent à l’homme pécheur. Mais Irénée a l’idée, et pose les prémisses d’une conclusion que d’autre tireront. L’homme était incapable de se sauver par ses propres moyens ; « il n’était pas possible que celui qui était tombé sous le péché opérât son salut. » L. III, c. XVIII, n. 2, col. 932. C’est la première prémisse. La seconde est tirée de la souffrance et de la mort que le Christ a endurées pour nous. Il a été l’homme de douleur annoncé par Isaïe, LII-LIII, « bafoué, tourmenté et à la fin mis à mort, » mais, comme l’avait ajouté le prophète, nous avons été guéris par ses plaies : « il est évident que cela lui est arrivé par la volonté des son Père pour notre salut. Il est allé volontairement à la mort. » Dem., c. LXVIII-LXIX, p. 710-712. Et Cont. hær., l. V, c. I, n. 1, col. 1121 : Quoniam Verbum potens et homo verus, sanguine suo rationabiliter redimens nos, redemptionem semetipsum dedit pro his qui in captivitatem ducti sunt. « De ces deux prémisses, la conclusion logique, dit fort bien J. Chaine, Le Christ rédempteur d’après saint Irénée, Le Puy, 1919, p. 87-88, étant donnée notre solidarité avec le Sauveur, est que jésus a pris notre place et a offert à Dieu pour nous la véritable expiation. Mais saint Irénée ne pousse pas si loin son raisonnement ; il se contente de dire que jésus a souffert et est mort pour nous, à notre profit. Si on met cette vérité en regard de l’insuffisance de l’homme à opérer son salut, on a les deux éléments de la substitution ; mais Irénée ne les relie pas entre eux et ne montre pas comment le Christ expie à notre place. » Il est plus explicite sur la réparation du péché. Le péché consiste dans un déni d’obéissance à Dieu ; la réparation doit consister dans une parfaite obéissance. Irénée revient indéfiniment sur la satisfaction que le Christ offre à son Père par la soumission à sa volonté. Il le montre obéissant au désert, triomphant trois fois du tentateur, et soluta est ea quæ fuerat in Adam præcepti Dei prævaricatio per præceptum legis quod servavit Filius hominis, non transgrediens præceptum Dei, l. V, c. XXVI, n. 2, col. 1181. Cf., sur le sens juridique du mot prævaricatio, H. E. Oxenham, Histoire du dogme de la rédemption, trad. J. Bruneau, Paris, 1909, p. 143, n. 3. Surtout le Christ a obéi sur la croix, dissolvens enim eam quæ ab initio in ligno facta fuerat hominis inobedientiam, obediens factus est usque ad mortem, mortem autem crucis, eam, quæ in ligno facta fuerat inobedientiam, per eam quæ in ligno fuerat obedientiam sanans, l. V, c. XVI, n. 3, col. 1168. Et, parce que nous avons hérité du péché d’Adam, parce que nous sommes solidaires avec lui, avec celle d’Adam il répare toute désobéissance : per obedientiam inobedientiam persolvens. . ., salutem donavit plasmati suo, destruens peccatum ; mediator Dei et hominum factus, propitians quidem pro nobis Patrem in quem peccaveramus, et nostram inobedientiam per suam obedientiam consolatus, L.III, c. XVIII, n. 6 ; l. V, c. XVII, n. 1, col. 937, 1169.

     L’homme pécheur, en même temps qu’il avait contracté une dette envers Dieu, avait perdu les biens, [col.2475 fin / col.2476 début] surnaturels. Le Christ les lui restitue, c’est le mérite. « A ceux qui croient, qui aiment le Seigneur et qui vivent dans la sainteté, la justice et la patience, le Dieu de tous accordera la vie éternelle par la résurrection des morts, et cela en vue des mérites de celui qui est mort et ressuscité, Jésus-Christ, auquel il a donné la royauté universelle et le pouvoir de juger les vivants et les morts. » Dem., c. XLI, p. 690-691. Et Cont. hær., l. III, c. XVIII, n. 1, col. 932 : Verbum. . . unitum suo plasmati, passibilem hominens factum. . ., ut quod perdideramus in Adam, id est secundum imaginem et similitudinem esse Dei, hoc in Christo Jesu reciperemus. Ici nous pourrions reprendre les textes dans lesquels Irénée montre que, par suite de notre union avec Dieu dans le Christ, la chair est sauvée, l’incorruptibilité et l’immortalité nous sont rendues, l’homme reconquiert la ressemblance divine, redevient fils adoptif de Dieu.

     Enfin, en péchant, l’homme était tombé, jusqu’à un certain point, au pouvoir du démon et réduit en captivité. Le Christ nous libère ; c’est la rédemption. Le mot « rédemption » ou « rachat » n’est pas pris par Irénée au sens strict d’une rançon à payer à une tierce personne ; nous verrons qu’il n’y a pas à strictement parler, de rançon payée à Satan, et donc, « si l’on voulait pousser la métaphore jusqu’au bout c’est à Dieu lui-même que serait acquitté le prix de notre rachat, car c’est Dieu que l’œuvre rédemptrice apaise et rend propice, mais rien ne permet d’affirmer que la métaphore soit poussée si loin, » pas plus chez Irénée que dans saint Paul. Cf. F. Prat, La théologie de saint Paul, Paris, 1912, t. II, p. 280. En style biblique, « racheter », c’est « délivrer », « sauver ». De même dans l’ancienne littérature patristique. « A une époque où régnait partout l’esclavage, dit J. Rivière, Le dogme de la rédemption. Etude théologique, Paris, 1914, p. 193, il était assez naturel de se représenter sous cette forme le malheur de l’humanité et, par conséquent, considérer la délivrance des âmes sous l’image d’un rachat. Voir plus loin, col.2479. Ainsi les expressions « satisfaction », « mérite », « rédemption », sont à peu près synonymes. Ce sont trois métaphores qui expriment l’un ou l’autre des aspects de l’œuvre du Christ. Distinguée de la satisfaction e du mérite, la rédemption désigne la libération de l’homme captif du démon, c’est-à-dire, ainsi que nous l’avons vu, la délivrance du péché : parce que le démon in initio homini suasit transgredi præceptum Factoris, ideo eum habuit in sua potestate ; potestas autem ejus est transgressio, et apostasia, et his colligavit hominem, l. V, c. XXI, n. 3, col. 1182. Cf. P. Galtier, Les droits du démon et la mort du Christ, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1912, t. III, p. 347-349. Tout ce chapitre XXI, qui commence n. 1, col. 1179, par : Omnia ergo recapitulans recapitulatus est, montre bien ces trois aspects de l’œuvre de salut accomplie par l’effusion du sang du Christ. Ils y apparaissent dans une série de textes forts remarquables, par exemple, n. 2, col. 1180, 1181 : Præceptum ejus perfecti Dominus, factus ex muliere, et destruens adversarium nostrum (rédemption), et perficiens hominem secundum imaginem et similitudinem Dei (mérite) . . . ; et solute est ea, quæ fuerat in Adam, præcepti Dei prævaricatio, per præceptum legis quod servavit Filius hominis non transgrediens præceptum Dei (satisfaction). A neuf reprises, n. 2, 3, col. 1179-1182, Irénée souligne l’obéissance du Christ rédempteur au précepte du Père. Arrêtons-nous à ce point de vue, qui complète toute l’explication possible du mystère.

     3. Du côté de Dieu. ― Deux attributs divins expliquent la Passion rédemptrice : ce sont la bonté et la sagesse de Dieu.

     a) La bonté de Dieu. ― Irénée met en relief la bonté divine. Il n’y a pas de Dieu où il n’y a pas de bonté, [col.2476 fin / col.2477 début] dit-il, l. III, c. XXV, n. 3, col. 698, Deus non est cui bonitas desit. « Un Dieu bon, des êtres libres, c’est à quoi se ramène pour lui le problème de l’évolution morale et religieuse du monde. L’histoire en est l’histoire des bienveillances divines pour la créature. » P. Galtier, L’évêque docteur : saint Irénée de Lyon, dans les Etudes, Paris, 1913, t. CXXXVI, p. 21. Où la bonté de Dieu, son amour, sa miséricorde, sa bénignité, sa patience, sa longanimité, sa magnanimité ― autant de mots à peu près synonymes ― éclatent surtout, c’est dans la chute et le relèvement de l’homme. Cf. l. III, c. XX, n. 1, 2 ; c. XXIII, n. 6, 7 ; l. IV, c. XXXVII-XXXIX ; l. V, c. XXI, n. 3 ; c. XXII, n. 2, col. 942-944, 964-965, 1056-1064, 1181-1182, 1183-1184, et parmi de nombreux textes, l. III, c. XVIII, notamment, n. 5, 6, col. 936, 937 : Longanimitas, et patientia, et misericordia et bonitas Christi ostenditur, ut et ipse pateretur, et ipse excusaret eos qui se male tractassent. . . Vere magister Dominus noster, et bonus vere Filius Dei, et patiens Verbum Dei Patris filius hominis factus. . . Est enim piissimus et misericors Dominus et amans humanum genus ; l. V, præf., col. 1120 : Qui, propter immensam suam dilectionem factus est quod sumus nos, uti nos perficeret esse quod est ipse. Parce qu’il aime le genre humain, il prend en main sa cause contre celui qui se l’était asservi ; le Verbe se fait chair pour procurer à l’homme sa revanche contre le démon, l. III, c. XVIII, n. 2 ; c. XX, n. 1, col. 932, 942. « Le Christ a restauré sa créature selon la première institution de l’homme, à l’image et à la ressemblance de Dieu, non pas en ravissant perfidement le bien d’autrui, mais en reprenant son bien en toute justice et bonté ; justice à l’égard de l’apostasie, dont il nous racheta par son sang ; bonté à l’égard de nous-mêmes, qu’il racheta. Nous ne lui avions rien donné, il n’attend non plus rien de nous, comme s’il éprouvait quelque besoin ; c’est nous qui avons besoin de lui être unis. C’est pourquoi il s’est prodigué afin de nous réunir dans le sein du Père. » L. V, c. II, n. 1, col. 1124. C’est bien l’amour de Dieu qui, par son Verbe achemine l’homme jusqu’à lui, secundum dilectionem ejus, hæc est enim quæ nos per Verbum ejus perducit ad Deum, l. IV, c. XX, n. 1, col. 1032.

     Tant de bonté divine doit aboutir à la gloire de Dieu. Non que Dieu ait besoin de nous ; il n’en a aucunement besoin. Mais l’homme a besoin de Dieu, et Dieu veut que l’homme se sauve, étant soumis à Dieu reconnaissant et aimant envers lui, en le glorifiant. Cf. l. IV, c. II, surtout n. 2, col. 1002 : Exceptorium enim bonitatis, et organum clarificationis ejus, homo gratus et qui se fecit ; et le beau c. IV, surtout n. 1, col. 1010 : Servitus erga Deum Deo quidem nihil præstat, nec opus est Deo humano obsequio. . ., est enim dives, perfectus, et sine indigentia. Propter hoc autem exquirit Deus ab hominibus servitutem ut, quoniam est bonus et misericors, benefaciat eis qui perseverant in servitute ejus. In quantum enim Deus nullius indigens, in tantus homo eget Dei communione. Hæc enim gloria hominis perseverare ac permanere in servitute ejus. Ces quelques mots résument l’histoire du monde dans l’Ancien Testament, c. XIV-XVII, n. 4, col. 1010-1023, surtout dans le Nouveau, où Dieu et l’homme sont glorifiés par le Christ, quod est autem aliud nomen quod in gentibus glorificatur, quam quod est Domini nostri, per quem glorificatur Pater et glorificatur homo ? C. XVII, n. 6, col. 1024 : où nous offrons le sacrifice du corps et du sang du Christ, pur et agréable à Dieu, non quod indigeat a nobis sacrificium, sed quoniam is qui offert glorificatur ipse in eo quod offert si acceptetur munus ejus, per munus enim erga regem et honos et affectio ostenditur. . . Offerimus enim ei, non quasi indigenti, sed gratias agentes dominationi (des manuscrits portent donationi) ejus, et sanctificantes creaturam. . ., qui enim nullius indigens[col.2477 fin / col.2478 début] es t Deus in se assumit bonas operationes nostras, ad hoc ut præstet nobis retributionem bonorum suorum, c. XVIII, n. 1, 6, col. 1024, 1029. Dieu magnanime a préparé, dès le commencement, le salut de l’homme par le Verbe, ut, insperabilem homo a Deo percipiens salutem, resurgat a mortuis, et clarificet Deum. . ., et semper permaneat glorificans Deum, et sine intermissione gratias referens pro ea salute quam consecutus est ab eo. Le résultat de la magnanimité divine doit être que l’homme, experimento discens une liberatus est, semper gratus existat Domino, munus incorruptelæ consecutus ab eo, ut plus diligeret eum, cui enim plus dimittitur plus diligit. . . Gloria enim hominis Deus : operationes (lire operationis) vero Dei, et omnis sapientiæ Deus et virtutis receptaculum homo. Quemadmodum medicus in his qui ægrotant probatur, sic et Deus in hominibus probatur. . . Et l’homme manens in dilectione ejus, et subjectione, et gratiarum actione, majorem ab eo gloriam percipiet, provectus accipiens dum consimilis fiat ejus qui pro eo mortuus est, l. III, c. XX, n. 1, 2, col. 942-944. Il faut lire en entier ce chapitre. Rarement on a exposé en aussi bons termes ce qui est sans doute l’explication la meilleure du mystère : la rédemption est l’œuvre de l’amour de Dieu qui a voulu conquérir l’amour de l’homme, et, par là, elle prépare la béatitude de l’homme et procure la gloire de Dieu.

     b) La sagesse de Dieu. ― La justice et la bonté interviennent dans l’œuvre rédemptrice. Pro nobis igitur omnia hæc sustinuit Dominus. . ., uti et bonitas ostendatur et justitia perficiatur, l. IV, c. XXXVII, n. 7 ; cf. l. V, c. II, n. 1, col. 1104, 1124. Ici, et dans les passages parallèles, Irénée entend la justice dans un sens large, non dans un sens juridique quelconque : est juste ce qui conforme à l’ordre, à la nature de l’homme, ce qui est convenable, ce qui est en harmonie avec la relation rationabile. Là-dessus nous avons un texte capital, l. III, c. XXXIII, n. 1-2, col. 961-962, où Irénée dit que « toute l’économie du salut de l’homme s’accomplit le bon plaisir du Père, en telle sorte que Dieu ne fût pas vaincu et que son art ne fût pas en défaut. Si l’homme, que Dieu avait fait pour la vie, avait été totalement jeté à la mort, Dieu aurait été vaincu et le serpent aurait triomphé de la volonté divine. Mais Dieu est invaincu et magnanime. C’est pourquoi, par le nouvel Adam, il enchaîna le démon et vivifia l’homme qui était mort. » Cela étant, il n’était pas raisonnable, nimis irrationabile est, de libérer les fils d’Adam nés dans la captivité et non Adam lui-même. Dans ce cas, l’ennemi ne semblerait pas pleinement vaincu. Ce ne serait pas agir justement, non tamen juste faciet. Or neque infirmus est Deus neque injustus, qui opitulatus est homini et in suam libertatem restauravit eum. Cette justice n’est pas une justice rigoureuse ; en rigueur de droit le libérateur ne doit rien à ceux qu’il libère. Mais le rôle de libérateur veut qu’il fasse grandement les choses, il se doit à lui-même de ne pas s’arrêter à mi-chemin. Qu’Adam soit sauvé, c’est don « juste » et « raisonnable, » cf. encore, l. IV, c. XXXVII, n. 7 ; l. IV, c. I, n.1, 3 ; c. XVIII, n. 3, col. 1104, 1121, 1123, 1174 ; P. Galtier, La rédemption et les droits du démon dans saint Irénée, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1911, t. II, p. 15-22 ; J. Rivière, La doctrine de saint Irénée sur le rôle du démon dans la rédemption, dans le Bulletin d’ancienne littérature et d’archéologie chrétiennes, Paris, 1911, t. I, p. 173-174, 193, 196-197 ; A. d’Alès, la doctrine de la rédemption en saint Irénée, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1916, t. VI, p. 204-206. Sur le sens du mot « justice, » cf. J. Wirtz, Die Lehre von der Apolytrosis, Trèves, 1906, p. 104-105 ; H. E. Oxenham, Histoire du dogme de la rédemption, trad. J. Bruneau, Paris, 1909, p. 99-101 ; P. Galtier, loc. cit., p. 3- [col.2478 fin / col.2479 début] 15, 22-24 ; J. rivière, loc. cit., p. 173, 176-178, 197-198, 200 ; A. d’Alès, loc. cit., p. 206-210. En somme, avec des nuances que le contexte permet de déterminer, « ce terme, conclut J. Rivière, p. 200, n’a jamais, dans la langue et l’esprit de saint Irénée, que le sens moral de sagesse. »

     4. Du côté du démon. ― Irénée passe communément pour être le père de la théorie des droits du démon. Quand on lit, par exemple, l. V, c. I, n. 1, col. 1121, que Dieu non deficiens in sua justitia JUSTE etiam adversus ipsam conversus est apostasiam (le démon), ea quæ sunt sua redimens ab ea, et encore c. XXI, n. 1, col. 1179 : neque enim JUSTE victus fuisset inicimus nisi ex muliere homo esset qui vivit eum, on peut se demander si, dans l’œuvre de la rédemption, Irénée n’accorde pas au démon des droits en stricte justice, ou, tout au moins s’il ne le présente pas comme traité par Dieu selon les règles d’une justice au sens large du mot, d’une haute convenance, qui n’existait pas seulement du côté de Dieu et de l’homme, mais aussi du côté du démon lui-même.

     a) Le démon a-t-il des droits en justice stricte ? ― On a prétendu qu’Irénée les lui reconnaît. D’aucuns lui prêtent l’idée d’une entente préalable et bénévole entre le Christ et les démons. Développée jadis par M. Münscher et réfutée aisément par le vieil ouvrage de K. Bähr, Die Lehre der Kirche vom Tode Jesus in der ersten drei Jahrhunderten, Sulzbach, 1832, p. 65-66, cette hypothèse a été reprise de nos jours par A. Sabatier, La doctrine de l’expiation et son évolution historique, Paris, 1903, p. 47-49. D’après lui, Irénée imagine entre Dieu et le démon un contrat d’échange, « lui offrant titre de rançon l’âme de son Fils en échange des âmes humaines. . . » Le diable se laissa prendre au piège, il accepta le marché, il relâcha les hommes pour recevoir à leur place l’âme du Fils de Dieu. Mais il ne fut pas assez fort pour la retenir. Le Fils de Dieu sortit de l’enfer après en avoir brisé les portes. Le contrat n’en restait pas moins valable. Ce n’est pas la faute de Dieu. Le grand dupeur s’était dupé lui-même. ― Sans aller aussi loin, bon nombre de critiques prêtent à Irénée la théorie de la rançon que l’on retrouve chez des écrivains postérieurs : la mort du Christ serait comme une rançon payée à Satan pour l’humanité captive, de sorte que Satan put se convaincre que la justice n’avait pas été violée à son endroit. Telle est l’opinion de quelques catholiques, entre autres, H. E. Oxenham, Histoire du dogme de la rédemption, p. 142-143. Voir DESCENTE DE JESUS AUX ENFERSE, t. III, col.603. Elle est commune chez les protestants. Voir REDEMPTION.

     Cette théorie suppose au démon des droits en stricte justice. Or Irénée a grand soin de dire que, de même que, en la personne du premier Adam, le genre humain avait offensé Dieu, par la mort du second Adam, il s’acquitta à l’égard de Dieu : « Nous n’avions contracté de dette qu’envers celui-là même dont nous avions transgressé le précepte à l’origine. » L. V, c. XVI, n. 3, col. 1168. C’est dire nettement que le démon n’a pas de droit proprement dit. Quant à la construction théologique d’A. Sabatier, c’est un pur roman qui a bien moins encore de fondement dans les textes. Il reste néanmoins que, dans son œuvre de rachat, le Christ use non de contrainte, mais de persuasion, à la différence de l’apostasie (c’est-à-dire Satan). Non cum vi, quemadmodum illa (apostasia) initio dominabatur nostri, ea quæ non erant sua insatiabiliter rapiens, sed secundum suadelam, quemadmodum decebat Deum suadentem, et non vim afferentem, accipere quæ vellet, l. V, c. I, n. 1, col. 1121. Mais qui est celui que le Christ entend persuader ? Est-ce l’apostasie (la puissance satanique) elle-même ? L’idée serait déraisonnable ; que pourrait-on lui per- [col.2479 fin / col.2480 début] suader ? Mais il s’agit des hommes victimes de la puissance apostate, et qui sont accessible à la persuasion.

     b) Le démon a-t-il des droits au sens large du mot ? ― Dans Le dogme de la rédemption. Essai d’étude historique, Paris, 1905, J. Rivière, étudiant « la question des droits du démon, » montra, p. 373-386, que la doctrine des droits du démon ne fut ni exclusive chez un seul des Pères de l’Eglise ni prédominante chez ceux-là même qui l’ont le plus complètement adoptée. Irénée, le premier, aurait accordé au démon « une sorte de droit sur les hommes, exposé le principe que le démon devait être traité selon les règles de la justice, et tiré les deux principales conséquences : qu’il devait être vaincu par un homme, et, d’une certaine façon, dédommagé de ses droits, » et ainsi Irénée ne serait pas tombé dans l’erreur grossière qui prétend que le sang du Christ fut donné au démon comme prix de notre rachat, mais « il était difficile d’en côtoyer plus dangereusement les bords, » p. 376, 377 ; cf. 381, 386. P. Galtier, La rédemption et les droits du démon dans saint Irénée, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1911, t. II, p. 1-24, reprit cette question. « Saint Irénée, dit-il, p. 24, proclame la justice de l’œuvre du Christ. Mais, à l’endroit du démon, cette justice n’est qu’objective et négative : » en arrachant les hommes à sa tyrannie, il ne lui a point fait de tort, car il met fin seulement à l’injuste détention d’un bien usurpé. « Qu’on ne parle donc pas ici de ménagement, de dédommagement ou de persuasion. Du Christ au démon saint Irénée ne conçoit pas d’autres rapports que ceux du maître à l’esclave contraint d’avouer son larcin. L’idée d’un arrangement ou d’une entente quelconque est aux antipodes de sa pensée. » Continuant à tenir l’idée de justice purement négative ne suffit pas à rendre compte des expressions d’Irénée ; J. Rivière exposa que la justice dont parle Irénée, « ne signifie pas une sorte de contrat ou de transaction quelconque entre le Christ et Satan, mais un des aspects de la loi providentielle qui préside à toute l’économie de notre salut » et signifie tout simplement « sagesse », « haute convenance ». La doctrine de saint Irénée sur le rôle du démon dans la rédemption, dans le Bulletin d’ancienne littérature et d’archéologie chrétiennes, Paris, 1911, t. I, p. 199-200 ; Le démon dans la théologie rédemptrice de saint Irénée, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1913, t. IV, p. 269-270. Voir aussi Le dogme de la rédemption. Etude théologique, Paris, 1914, p. 91-19. De son côté, P. Galtier dans l’article cité plus haut interprète la justice dont parle Irénée dans le sens de « suprême convenance. » Que « justice » soit synonyme de « convenance, » convenance par rapport à Dieu, qui sans cela serait vaincu par le démon, convenance par rapport à l’homme, qui prend de la sorte sur le démon une noble revanche, telle est la conclusion commune aux deux théologiens et le gain assuré de la controverse. Mais que signifie cette justice à l’égard du démon, dont parle très clairement Irénée ? Pour J. Rivière, Bulletin d’ancienne littérature et d’archéologie chrétiennes, t. I, p. 196-199 ; cf. Recherches de science religieuse, t. IV, p. 267-269, Irénée envisage une convenance positive par rapport au démon en ce que que Dieu voulut tenir compte de lui dans toute l’économie du plan rédempteur ; en ce que le Christ, en consentant pour nous une rédemption onéreuse à laquelle il n’était pas tenu, voulut opposer sa générosité à la perfidie de Satan, peut-être même en ce que la mort est comme une province de l’empire de Satan ; « dès lors, souffrir la mort corporelle n’est-ce pas tomber, au moins matériellement, en la puissance du démon ? Voilà pourquoi Jésus, en acceptant de mourir, se soumettait jusqu’à un certain point au prince de la mort. » [col.2480 fin / col.2481 début] Cette dernière conclusion paraît inacceptable à P. Galtier. Loin d’admettre que l’acception spontanée d’une rédemption onéreuse constitue, aux yeux d’Irénée, d’une façon quelconque, même purement matérielle et passive, une soumission à l’empire de Satan. Il pense que « la théorie rédemptrice qu’on attribue au grand docteur de Lyon aurait froissé son sens du Christ. » Recherches de science religieuse, t. IV, p. 71.

     La question est délicate pour qui la considère dans son ensemble. Il semble bien, d’une part que toute la justice observée par Dieu dans la défaite de Satan soit une justice qui s’exerce contre lui. D’autre part, Irénée concevait comme on l’a dit que le Rédempteur en faisant rendre gorge au voleur « y avait mis des formes », A. d’Alès, Recherches de science religieuse, 1916, p. 209-210. En tout cas il ne saurait être question de droits stricts du démon. Il faut reconnaître néanmoins que les formules embarrassées d’Irénée où entre le mot « justice » ont pu, mal comprises, influer sur la théorie des droits du démon, élaborée dans la suite par certains Pères.

     La nécessité de l’incarnation et de la rédemption. ― 1. La nécessité de l’incarnation. ― Le Verbe se serait-il incarné si Adam n’avait point péché ? Irénée ne traite pas directement ce sujet. Mais des trois classes auxquelles les théologiens ramènent les motifs de l’incarnation : glorification de Dieu, bien de l’homme, victoire sur Satan, les deux premières, remarque H. E. Oxenham, Histoire du dogme de la rédemption, trad. J. Bruneau, Paris, 1909, p. 108, ne perdraient rien, ou à peu près, de leur valeur, même si Adam n’avait pas désobéi ; le bien de l’homme, en particulier, serait toujours procuré par l’exemple et la doctrine du Christ et, sinon la rédemption du genre humain, du moins la sanctification et la rédemption de l’homme individuel. Or, Irénée sur la nécessite du Verbe incarné comme docteur, sanctificateur et déificateur des hommes, l. V, c. I, n 1, col. 1120,1121 : Non enim aliter, nos discere poteramus quæ sunt Dei nisi magister noster Verbum existens homo factus fuisset. . . Neque rursus nos aliter discere poteramus nisi, magistrum nostrum videntes et per auditum nostrum vocem ejus percipientes, uti imitatores, quidem operum factores autem sermonum ejus facti, communionem habeamus cum ipso, l. III, c. XX, n. 2, col. 944 : Capere Patrem Donans Verbum Dei quod habitavit in homine, et filius hominus factus est ut assuesceret hominem percipere Deum habitare in homine, secundum placitum Patris, l. IV, c. XXXVIII, n. 1-3, col. 1105-1107 : Quasi infantibus ille qui erat panis perfectus, Patris lac nobis semetipsum præstavit, quod erat secundum hominem ejus adventus. . . Et propter hoc coinfantiatum est homini Verbum Dei, cum esset perfectus, non propter se, sed propter hominis infantiam, sic capax effectus quemadmodum homo illum capeer potuit, l. IV, c. XX, n. 4, col. 1034 : Homo factus est ut finem conjungeret principio, id est hominem Deo. Dans le même ordre d’idées se présentent les textes sur le primat du Christ, surtout, l. III, c. XXII, n 3, col. 958. Il affirme que le Sauveur précède, par ordre de dignité, ceux qui lui devront le salut, et en tire cette conséquence : loin d’être conditionné par le fait de la chute, le décret de l’incarnation commande toute l’économie actuelle de la Providence. Ayant voulu le Sauveur, Dieu décida de lui donner des hommes à sauver ; avant même d’être le type d’une humanité régénérée, le Christ est le prototype de d’une humanité parfaite selon Dieu. « Ici, dit A. d’Alès, La doctrine de la récapitulation en saint Irénée, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1916, t. VI, p. 191, nous reconnaissons les futures positions de l’école scotiste. » [col.2481 fin / col.2482 début]

     Mais, ailleurs, Irénée dit expressément que, si la chair n’avait pas eu besoin de salut, le Verbe ne se fût pas incarné : si enim non haberet caro salvari, nequaquam Verbum Dei factum esset, l. V, c. XIV, n. 1, col. 1161. Voir le chapitre entier. Et il est à noter que, même dans les passages les plus favorables à l’opinion scotiste, intervient d’ordinaire la question de salut tout de même que l’œuvre de la rédemption ne sépare pas celle de l’incarnation. Faut-il en conclure à un certain flottement de pensées dans une question mystérieuse et qui, du reste, n’était pas abordée ex professo ? Peut-être. peut-être aussi pourrait-on supposer qu’Irénée distingue dans les conseils divins plusieurs plans et plusieurs ordres, à savoir, dit A. d’Alès, loc. cit., p. 192, « d’abord un ordre idéal ou d’intention première selon lequel le type du Verbe incarné, présent à la pensée divine domine la conception de l’humanité possible, et puis un ordre réel ou d’exécution selon le décret efficace de l’incarnation est subordonné à la prévision du péché. Et l’on expliquerait, par la superstition de ces deux plans de perspective divine, qu’en préludant, par l’ensemble de ses déclarations, à l’enseignement de saint Thomas, saint Irénée ait pu exceptionnellement parler comme Duns Scot. »

     2. La nécessité de la rédemption. ― Irénée expose que l’homme ne pouvait, de lui-même, parvenir à l’adoption divine et, mortel et corruptible être uni à l’immortalité et à l’incorruptibilité, et que le Verbe s’est fait homme pour lui donner l’incorruptibilité et l’adoption de Fils de Dieu, l. III, c. XIX, n. 1, col. 939-940. Cela pourrait convenir à l’élévation de l’homme à l’état surnature aussi bien qu’à la reprise de l’état surnaturel perdu. C’est de la réintégration dans l’état surnaturel seule qu’il parle quand il dit que l’homme déchu ne pouvait, livré à ses propres ressources, se sauver et retrouver ce qu’il avait perdu en Adam, et que le Verbe s’est incarné pour suppléer à notre insuffisance, l. III, c. XVIII, n. 1, col. 932. L’homme était incapable de remonter, de lui-même, à l’état surnaturel. Irénée ne se demande pas si Dieu aurait eu moyens pour le relever ; il se borne à constater que Dieu l’a relevé par l’incarnation du Verbe.

     Mais voici une autre question : le relèvement de l’homme était-il nécessaire ? Irénée ne l’a guère abordée, de façon directe, pour l’ensemble de l’humanité, si ce n’est d’un mot en passant, Dem., c. XXXIV, p. 685 : « Par le Verbe de Dieu, tout est sous l’influence de l’économie rédemptrice, et le Fils de Dieu a été crucifié pour tout, ayant tracé ce signe de croix sur toutes choses. Car il était juste et nécessaire que celui qui s’est rendu visible amenât toutes les choses visibles à participer à sa croix. » Mais il pose directement la question à propos d’Adam, et les motifs pour lesquels il revendique le salut d’Adam « semblent bien avoir une portée générale, » selon la remarque de J. Rivière, Bulletin d’ancienne littérature et d’archéologie chrétiennes, Paris, 1911, t. I, p. 173. or il n’hésite pas à employer le mot de nécessité, tant dans la Démonstration, c. XXXIII, p. 685 : « il était juste et nécessaire qu’Adam fût restauré dans le Christ, » que dans le Contra hæreses, l. III, c. XXIII, n. 1, col. 960 : Necesse fuit Dominum, ad perditam ovem venientem et tantæ dispositionis recapitulationem facientem. . ., illum ipsum hominem salvare qui factus fuerat secundum imaginem et similitudinem ejus, id est Adam. . ., quoniam et omnis dispositio salutis, quæ circa hominem fuit, secundum placitum fiebat Patris uti non vinceretur Deus neque infirmaretur ars ejus. Si enim qui factus fuerat a Deo homo ut viveret hic, amittens vitam læsus a serpente. . ., jam non reverteretur ad vitam. . ., victus esset Deus et superasset serpentis nequitia voluntatem Dei. Ce passage est à rapprocher de celui qui se lit un [col.2482 fin / col.2483 début] pu plus bas, n. 2, col. 961 : Cum salvetur homo, oportet salvari eum qui prior formatus est homo. Quoniam nimis irrationabile est illum quidem qui vehementer ab inimico læsus est. . . dicere non eripi ab eo qui vicerit inimicum, ereptos vero filios ejus. . . Neque enim infirmus est Deus, neque injustus, qui opitulatus est homini et in suam libertatem restauravit eum. « Les termes positifs qui traduisent la logique divine, dit J. Rivière, p. 173-174, s’éclairent par les termes négatifs destinés à la faire ressortir par contraste : necesse fuit = oportet, quoniam nimis irrationabile est = non juste. Et cette question de vocabulaire peut avoir son importance pour l’intégration des textes semblables. Il suffit de retenir ici qu’aucune de ces formules ne désigne une nécessité proprement dite et que l’idée de présomption rationnelle, de haute convenance, épuise parfaitement le contenu des plus vigoureuses. » Dans l’économie providentielle de la rédemption, dispositio salutis quæ circa hominem fuit, l’explication ultime est celle du bon plaisir de Dieu, secundum placitum fiebat Patris ; cf. encore l. III, c. XX, n. 2 ; l. IV, c. XX, n. 4, col. 944, 1034. Et Dieu agit, en même temps que par amour, conformément à sa sagesse : le mot « nécessaire » est un nouveau synonyme des mots « juste » et « raisonnable » et désigne les dispositions de la sagesse divine. Notons, toutefois, que s’il n’enseigne pas la nécessité stricte de la rédemption, Irénée a des expressions qui, pour peu qu’on les presse, impliquent, plus que les convenances, les exigences de la sagesse de Dieu. Quand il assigne à la rédemption ce motif : uti non vinceretur Deus neque infirmaretur ars ejus, il est tout proche d’engager l’honneur de Dieu aussi fortement que saint Anselme le fera plus tard, Cur Deus homo, l. I, c. XI-XIII, P. L., t. CLVIII, col. 376-379 ; cf. J. Rivière, Le dogme de la rédemption. Essai d’étude historique, p. 295 ; Bulletin d’ancienne littérature et archéologie chrétiennes, Paris, 1911, t. I, p. 174 ; et il n’y aurait pas beaucoup à faire pour aboutir à la nécessité de l’incarnation rédemptrice préconisée par Anselme. Voir Dictionnaire de Théologie, art. ANSELME, du P. Bainvel, t ; I, col. 1346.

     La christologique et la sotériologie. ― F. C. Baur, Die christliche Lehre von der Versöhnung in ihrer geschichtlichen Entwickelung, Tubingue, 1838 ; L. Dunker, Des heil. Irenäus Christologie und anthropologischen Grundlehren dargestellt, Gœttingue, 1843 ; I. A. Dorner, Entwickelungsgeschichte der Lehre von der Person Christ von den ältesten Zeiten, 3e édit., Berlin, 1853-1856 ; A. Chantre, Exposition des opinions de d’Irénée, Tertullien, Clément d’Alexandrie et Origène sur l’œuvre rédemptrice de Jésus-Christ, Genève, 1860 ; T. Zahn, Marcellus von Ancyra. Ein Betrag zur Geschichte der Theologie, Gotha, 1867, p. 235-244 ; G. Molwitz, De άνακεφαλαιώσεως in Irenæi theologia potestate, Dresde, 1874 ; A. Ritschl, Die Lehre von der Rechtfertigung und Versöhnung, 3e édit., Bonn, 1888-1889 ; B. Dorlhölt, Die Lehre von der Genugtuung Christ, Paderborn, 1891 ; H. E. Oxenham, The catholic doctrine of the atonement, 4e édit., Londres, 1895, trad. J. Bruneau, sous ce titre : Histoire du dogme de la rédemption. Essai historique et apologétique, Paris, 1909 ; A. Sabatier, La doctrine de l’expiation et son évolution historique, Paris, 1903 ; J. Rivière, Le dogme de la rédemption. Essai d’étude historique, Paris, 1909 ; Le dogme de la rédemption. Etude théologique, Paris, 1914 ; F. Stoll, Die Lehre des heil. Irenäus von des Erlösung und Heiligung, dans Der Katholik, Mayence, 1905, t. XXXI, p. 46-71, 87-109, 181-201, 264-289 ; F. F. Schubert, Das Zeugnis des Irenäus über die öffentliche Tätigkeit, Jesu, dans la Biblische Zeitschrift, Fribourg-en-Brisgau, 1906, t. IV, p. 39-48 ; K. Staab, Die Lehre von der stellvertrtenden Genugtuung Christi, Paderborn, 1908 ; J. Laminne, La rédemption. Etude dogmatique, Bruxelles, 1911 ; A. d’Alès, La doctrine de la récapitulation en saint Irénée, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1916, t. VI, p. 185-211 ; H. Rashdall, The idea of the atonement in christian theology, Londres, 1919 ; cf. J. Rivière, dans la Revue du clergé français, Paris, 1920, t. CII, p. 203-206 ; J. Chaine, Le Christ rédempteur d’après saint Irénée, Le Puy, 1919 ; P. Galtier, « Obéissant jusqu’à la mort », dans la Revue d’ascétique et de mystique, Toulouse, 1920, t. I, p. 133-149. ― 2° La question des droits du démon. ― J. Rivière, Le dogme de la rédemption. Essai d’étude historique, p. 375-377 ; La doctrine de saint Irénée sur le rôle du démon dans la rédemption, dans la Bulletin d’ancienne littérature et d’archéologie chrétiennes, Paris, 1911, t. I, p. 169-200 ; Le démon dans la théologie rédemptrice de saint Irénée, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1913, t. IV, p. 57-60, 263-270 ; P. Galtier, La rédemption et les droits du démon dans saint Irénée, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1911, t ; II, p. 1-24 ; Les droits du démon et la mort du Christ, ibid., 1912, t. III, p. 345-355 ; La mort du Christ et la justice envers le démon, ibid., 1914, p. 60-73, 263-270, en notes.

     La Vierge Marie. ― 1. Mère de Dieu. ― Contre le docétisme gnostique, Irénée défend la maternité de Marie la naissance véritable de Jésus. Il tire ses preuves de l’Ecriture, l. III, c. XXII, n. 1-2 ; l. IV, c. XXXIII, n. 2, col. 955-956, 1073 ; de l’économie de la rédemption qui ne serait pas réelle si Jésus n’était né de Marie réellement, l. III, c. XVIII, n. 7 ; c. XXI, n. 10 ; c. XXII, n. 1 ; l. V, c. I, n. 2, col. 937, 955-956, 1122 ; Dem., c. XXXIII, XXXVIII, XXXIX, p. 684-685, 688-689 ; de la foi traditionnelle de l’Eglise, Cont. hær., l. I, c. X, n. 1 ; l. III, c. IV, n. 2 ; l. IV, c. IX, n. 2, col. 549, 856, 998. L’expression « maternité divine » ne se lit pas dans Irénée mais bien l’affirmation que ces mots enveloppent. Il établit souvent et longuement que l’enfant né de la Vierge est Dieu, ce qui revient à dire que la Vierge est Mère de Dieu. Cf. E. Neubert, Marie dans l’Eglise anténicéenne, Paris, 1908, p. 125. Le mot θεοτόκος, absent de l’œuvre irénéenne, y a des équivalents. Des expressions telles que : « Le Fils de Dieu est né de la Vierge, » « le Christ né de la Vierge est Emmanuel, » « il n’y a qu’un seul et même Jésus-Christ Notre Seigneur, celui qui est né de Marie », l. III, c. XVI, n. 2-3, col. 921, 922, sont « non seulement, par rapport à l’union hypostatique, dit E. Neubert, op. cit., p. 130, mais même par rapport à la maternité divine, tout aussi compréhensives que l’expression « Mère de Dieu. » Ailleurs, l. V, c. XIX, n. 1, col. 1175, saint Irénée écrit : L’ange annonça à Marie qu’elle porterait Dieu, ut portaret Deum, expression qui est manifestement synonyme, pour la question qui nous occupe, de celle d’ « enfanter Dieu, » θεοτόκος, Deipara. » Irénée démontre que la maternité divine s’harmonise avec la mission du Sauveur, et, dit J.-B. Terrien, La mère de Dieu et la mère des hommes d’après les Pères et la théologie, Paris (1900), t. I, p. 72 ; cf. p. 68, 69, 73, 80, il est « celui des Pères qui a peut être le plus fortement exposé ces hautes harmonies. »

     La virginité perpétuelle de Marie est pareillement admise par Irénée. Saint Jérôme, De perpetua virginitate B. Mariæ, c. XVIII, P. L., t. XXIII, col. 201, alléguait, contre Helvidius son autorité et celle d’Ignace, de Polycarpe, de Justin et de beaucoup d’autres hommes apostoliques et éloquents. Nous avons eu l’occasion d’indiquer les textes d’Irénée sur la conception virginale. L’enfantement virginal est affirmé dans le commentaire de l’oracle de l’Emmanuel, Is. VII, 14. Cf. Cont. hær., l. III, c. XXI, n. 4-6, col. 950-953 ; Dem., c. LIII, LIV, p. 699-701. G. Herzog, La sainte Vierge dans l’Histoire, dans la Revue d’histoire et de littérature religieuses, Paris, 1907, t. XII, p. 484, note, prétend qu’Irénée soumit la naissance du Christ à la loi commune, et s’appuie sur le passage suivant : Filius Dei filius hominis purus pure puram aperiens vulvam, l. IV, c. XXXIII, n. 11, col. 1080, reproduit dans le VIIe fragment publié par Karapet Ter-Mekerttschian, P. O., t. XII, p. 744. Or, remarque A. d’Alès, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, Paris, 1916, t. III, col. 201, « ces mots purus pure puram forment un bloc homogène, et malaisé à disjoindre. Surnaturel est l’enfant, d’après la pensée incontestable d’Irénée ; [col.2484 fin / col.2485 début] surnaturelle sa conception dans le sein virginal ; donc surnaturel aussi, sauf preuve évidente du contraire, le mode d’enfantement. Le sens très clair des adjectifs purus, puram, dicte l’interprétation de l’adverbe qu’ils encadrent. » Non seulement la « preuve évidente du contraire » n’existe pas ; mais encore le commentaire du verset d’Isaïe sur l’enfantement virginal et la place qu’Irénée assigne à la naissance du Christ ex virgine entre l’incarnation du Verbe et la passion, la résurrection d’entre les morts et l’ascension corporelle. Cont. hær., l. I, c. X, n. 1, col. 549, ce qui indique que ce sont là, pour lui, événements de même ordre, également surnaturels, tout confirme pure désigne la virginité de Marie in partu. Sans doute il y a les mots aperiens vulvam, qui, pris tels qu’ils sonnent et isolément du reste, feraient croire que la naissance du Christ a subi la loi commune. mais il faut se rappeler que les Pères, du IVe au VIe siècle, habitués à confesser très nettement la virginité in partu, sur laquelle on ne discutait plus entre catholiques, employaient sans aucun embarras la même expression, consacrée par la citation de Luc, II, 23 ; ils rattachaient à la loi de l’Exode, XIII, 2, 12, rappelée par saint Luc, la présentation au temple de Marie, exempte dans leur pensée, du rite purificatoire imposé aux mêmes israélites, mais qui voulut s’y soumettre. Pourquoi Irénée ne serait-il point dans le même cas ? Aurait-il tant appuyé sur la pureté transcendante de cet enfantement, purus pure puram, pour lui attribuer, tout de suite après, la souillure légale commune ? « A tout le moins, dit A. d’Alès, Dictionnaire apologétique de la foi catholique, t. III, col. 202, une accumulation de mots si extraordinaire nous avertit qu’il y a là une question réservée, que le texte présente une nuance délicate, et qu’a y vouloir appliquer une exégèse brutale, nous le fausserons infailliblement. Ou l’adverbe pure ne signifie absolument rien, ou Irénée a voulu faire entendre que cette naissance ne ressemble pas à toutes les naissances. » Un mot seulement sur la sainteté de Marie. Massuet n’a pas eu de peine à démontrer, Dissert., III, a. 6, n. 69, col. 319, contre Grabe, qu’Irénée ne taxe pas Marie d’imperfection quand il écrit à propos du miracle de Cana, l. III, c. XVI, n. 7, col. 926 : Properante Maria ad admirabile vini signum et ante tempus volente participare compendii poculo, Dominus, repellens ejus intempestivam festinationem dixit. . . Le sens est que la demande de Marie était prématurée : ne sachant pas l’heure marquée par le miracle, elle la croyait venue, et intempestivam festinationem répète l’idée contenue dans les mots : properante. . . ante tempus.

     2. Marie mère des hommes. ― Trois textes ou groupes de textes mettent en relief le rôle de Marie. D’abord s’offre à nous un parallèle entre marie et Eve. Voir EVE, t. V, col.1652 ; IMMACULEE CONCEPTION, t. II, col.859-861. De même que le Christ est le nouvel Adam qui récapitule en lui l’humanité toute entière et répare l’œuvre du premier Adam, Marie est l’Eve nouvelle, associée à la rédemption. Sa virginité s’accorde à la mission du second Adam. « Comme le premier-né Adam a tiré sa substance d’une terre nouvelle et encore vierge, car Dieu n’y avait pas encore versé la pluie et l’homme ne l’avait pas encore travaillée, ainsi, en naissant de Marie qui était encore vierge, le Verbe, qui allait récapituler en lui Adam, a justement choisi la naissance d’Adam. » L. III, c. XXI, n. 10 ; cf. c. XVIII, n. 7, col. 954-955, 938 ; Dem., c. XXXII, p. 684. Ce n’est pas tout. Marie a une part directe à l’œuvre rédemptrice. il n’est pas exact, ainsi que l’avait prétendu Pusey, An Eirenicon, in a letter to the author of « The christian year », Oxford, 1865, p. 165-166, qu’Irénée et les anciens Pères « parlent de la sainte Vierge comme de l’instrument de notre [col.2485 fin / col.2486 début] salut en ce qu’elle donna naissance au rédempteur » et uniquement en cela. Newman, dans sa lettre à Pusey à l’occasion de l’Eirenicon de ce dernier, nouvelle édition de la traduction parue sous ce titre : Du culte de la sainte Vierge dans l’Eglise catholique, Paris, 1908, p. 54-56, montre que pour Irénée ― et aussi pour Justin et Tertullien ― Marie ne fut pas un simple instrument physique de la rédemption, mais coopéra positivement à notre salut. Voici quelques passages caractéristiques, l. III, c. XXII, n. 4, col. 959 : « Comme Eve, ayant Adam pour époux, mais vierge encore, fut, par sa désobéissance, pour elle-même et pour tout le genre humain, une cause de mort, inobediens facta, et sibi et universo humano generi causa facta et mortis, ainsi Marie, ayant un époux prédestiné et cependant vierge, fut, par son obéissance, pour elle-même et tout le genre humain, une cause de salut, obediens facta, et sibi et universo humano generi causa facta et salutis. » Et, col. 959-960 : « Le Seigneur est devenu le principe de ceux qui vivent, comme dam était devenu le principe de ceux qui meurent. Ainsi le nœud de la désobéissance d’Eve a été défait par l’obéissance de Marie, car ce que la vierge Eve avait lié par son incrédulité la vierge Marie l’a délié par sa foi, quod enim alligavit virgo Eva per incredulitatem hoc virgo Maria solvit per fidem. » L. V, c. XIX, n. 1, col. 1175-1176 : « De même que le genre humain a été lié à la mort par une vierge (Eve), c’est par une vierge qu’il est sauvé. Ainsi les plateaux sont en équilibre : la désobéissance virginale est contrebalancée par l’obéissance virginale ; le péché du premier-né est réparé par le premier-né ; la prudence du serpent est vaincue par la simplicité de la colombe, et les liens sont défaits qui nous enchaînaient à mort. » Massuet lit la première phrase, d’après le Claromontanus et d’autres manuscrits : Quemadmodum astrictum est morti genus humanum per virginem, salvatur per Virginem. Certains manuscrits portent : solvatur au lieu de salvatur, et c’est ainsi que le lisait saint Augustin, Contra Julianum, l. I, c. III, P. L., t. XLIV, col. 644. Le sens est le même. Cf. encore Dem., c. XXXIII, p. 684-685.

     Dans ce dernier passage, Cont. hær., col. 1175 ; Dem., p. 685, un mot se détache qui mérite qu’on s’y arrête un instant : Et si ea (Eve) inobedierat Deo, sed hæc (Marie) suosa est obedire Deo, uti virginis Evæ virgo Maria fieret advocata. Massuet, Dissert., III, a. 6, n. 65-68, col. 316-319, a vu, dans ce mot advocata, le pouvoir d’intercession de Marie au ciel. C’est vraisemblablement à tort. Advocatus emporte, dans Irénée, soit l’idée de consoler, l. III, c. IX, n. 3, col. 871, soit, plus souvent, celle de venir au secours, l. III, c. XVIII, n. 7 ; c. XXIII, n. 8 ; l. IV, c. XXXIV, n. 4, col. 937, 965, 1085. Cette dernière signification est la véritable : Marie est venue au secours d’Eve en réparant ce que la première femme avait détruit. Cf. E. Neubert, Marie dans l’Eglise anténicéenne, p. 263-264. Que si l’original était « paraclet » au lieu d’ « avocate » comme l’ont supposé Grabe et plusieurs critiques, « on devrait se rappeler, fait observer Newman, op. cit., p. 56, quand on nous accuse de d’attribuer à la sainte Vierge les titres et le rôle de son Fils, que saint Irénée lui attribue le propre rôle et le nom même du Saint-Esprit. » Cf. O. Bardenhewer, Geschichte der altkirchlichen Literatur, 2e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1913, t. I, p. 428.

     Irénée, enfin, ne redoute pas de parler de notre régénération par la mère du Christ, l. IV, c. XXXIII, n. 4, col. 1074-1075 : datam quæ est ex Virgine per fidem, regenerationem ; n. 11, col. 1080 : purus pure puram aperiens vulvam, eam quæ regenerat homines in Deum, quam ipse puram fecit ; Dem., c. XXXIII, p. 684. Cf. P. Galtier, L’évêque docteur : saint Irénée [col.2486 fin / col.2487 début] de Lyon, dans les Etudes, Paris, 1913, t. CXXXVI, p. 215 ; La Vierge qui nous régénère, t. V, p. 136-145. A l’encontre de Massuet, col. 1074, note, pour qui c’est l’Eglise qui, dans les deux phrases du Contra hæreses, est désignée comme la Vierge qui nous régénère, P. Galtier tient, Recherches, p. 136-139, que cette Vierge est la mère du Christ. Le passage parallèle de la Démonstration met hors de doute cette interprétation. Qu’elle soit en parfait accord avec l’enseignement de saint Irénée sur la manière dont s’est accomplie notre restauration dans le Christ, c’est ce que P. Galtier prouve clairement. Si l’œuvre de notre régénération s’est consommée dans la mort et la résurrection du Christ, elle a été commencée à l’heure même de sa conception virginale. « Dans le Christ qui naît de Marie, c’est toute l’humanité qui renaît à la vie ; par suite de la solidarité établie entre le Christ et les hommes, sa conception et sa naissance à lui, c’est déjà leur régénération à eux, » et donc la mère qui l’enfante les régénère. En acceptant de devenir la mère du nouvel Adam, « Marie a engendré à la vie tous ceux qui la recouvrent en lui et avec lui. » P. 141, 143. Cf., entre autres textes, l. III, c. XIX, n. 1 ; l. IV, c. XXXIII, n.4 ; l. V, c. I, n. 3, col. 938-939, 1074-1075, 1122-1123. « Toute cette théologie mariale complète heureusement la doctrine du Verbe incarné et rédempteur. » « Saint Irénée, dit A. d’Alès, Dictionnaire apologétique, t. III, col. 160, l’emporte sur ses contemporains et ouvre à la pensée chrétienne des voies fécondes ; il est vraiment, en même temps que le premier théologien de la rédemption, le premier théologien de la Vierge mère. »

     J. H. Newman, Certain difficulties felt by Anglicans in catholic teachings considered in a letter to the Rev. E. B. Pusey on occasion of his Eirenicon of 1864, nouv. édit., Londres, 1900, trad. par G. du Pré de Saint-Maur, sous ce titre : Du culte de la sainte Vierge dans l’Eglise catholique, Paris, 1866 ; nouv. édition de la traduction revue et corrigée par un bénédictin (dom H. Cottineau), Paris, 1908, p. 48-59, 212-214 ; A. Riguet, Les principales dates de la vie de saint Irénée. Sa théologie mariale, dans les Annales de philosophie chrétienne, Paris, 1905, VIe série, t. VI, p. 111-125 ; A. d’Alès, Pour l’honneur de Notre-Dame, dans les Etudes, Paris, 1908, t. CXIV, p. 462-464 ; Dictionnaire apologétique de la foi catholique, Paris, 1917, t. III, col. 159-160, 201-202 ; E. Neubert, Marie dans l’Eglise anténicéenne, Paris, 1908, p. 19-24, 91-94, 124-130, 172-173, 215, 241-247, 263-267. Voir, en outre, les ouvrages indiqués à la bibliographie de Neubert, p. XIV-XV.

     V. LE SALUT. ― 1° Les moyens de salut. ― 1. La grâce. a) Nécessité de la grâce. ― Le salut des hommes a été voulu de Dieu, l. IV, c. XIV, n. 2, col. 1011. Détruit par le péché, il a été rendu par le Christ rédempteur, quia per semetipsos non habebant salvari, l. III, c. XX, n. 3, col. 944 ; cf. Dem., c. XCVII, p. 728. Il nous est conféré par le Saint-Esprit, et par sa grâce, qui s’épanouira en gloire, Cont. hær., l. V, c. VIII, n. 1 ; c. IX, n. 3 ; col. 1141-1142, 1145. Cf. L. Atzberger, Geschichte der christlichen Eschatologie innerhalb der vornicänischen Zeit, Fribourg-en-Brisgau, 1896, p. 231-233.

     Irénée affirme la nécessité de la grâce, implicitement et explicitement, dans tout ce qu’il dit de l’œuvre rédemptrice et du verbe incarné, hominis antiquam plasmationem in se recapitulans, ut occideret ejusdem peccatum, evacueret autem mortem et vivificaret hominem, l. III, c. XVIII, n. 7, col. 938 ; cf. le contexte, et c. XX, n. 2, 3, col. 943-944 : quoniam non a nobis sed a Dei adjumento habuimus salvari, qu’il conclut de Rom., VII, 24-25. Comment en serait-il autrement ? La vie de Dieu ne peut être donnée à l’homme que par Dieu. « C’est Dieu, dit-il, l. V, c. II, n. 3, col. 1127-1128, qui donne gratuitement à l’homme mortel l’immor- [col.2487 fin / col.2488 début] talité, à l’homme corruptible l’incorruptibilité ; aussi ne devons-nous pas croire que c’est de nous-mêmes que nous avons la vie, poussés par un mouvement d’orgueil, d’hostilité ou d’ingratitude : l’expérience nous apprend que c’est la grandeur de Dieu, et non notre nature, qui nous donne la persévérance éternelle. Loin de priver Dieu de la gloire qui lui appartient ou d’ignorer notre nature, sachons donc voir et quelle est la puissance de Dieu et quels bienfaits l’homme reçoit. ne nous trompons pas sur la vraie nature de ce qui est, ni en ce qui concerne l’homme ni en ce qui concerne Dieu. » A cette idée reviennent les nombreux textes sur cette différence caractéristique entre Dieu et l’homme : Dieu n’a besoin de rien ni de personne et l’homme a besoin de Dieu dans l’ordre du salut et en toutes choses. Cf. A. Dufourcq, Saint Irénée (collection Les saints), 2e édit., Paris, 1904, p. 140. Autant qu’il est nécessaire, le don divin qui procure le salut est gratuit, l. II, c. XXXIV, n. 3, col. 836 : Patre omnium donante et in sæculum sæculi perseverantiam his qui salvi fiunt ; non enim ex nobis neque ex nostra natura vita est, sed secundum gratiam Dei datur ; l. IV, c. XXXVI, n. 6, col. 1096 : Gratuito quidem donat in quos oportet, secundum autem meritum dignissime distribuit adversus ingratos et non sententies benignitatem ejus, justissimus retributor ; c. XXXVIII, n. 3, col. 1108 : Deo gratuito donante eis sempiternam perseverationem ; l. V, c. II, n. 3, col. 1127 : Corruptibili incorruptelam gratuito donat. Irénée distingue, quoique les mots de « grâce sanctifiante » et de « grâce actuelle » lui manquent, la grâce qui nous conforme à l’image et à la ressemblance divines, la grâce qui « donne la vie » divine, grâce habituelle ou sanctifiante, de celle, grâce actuelle, qui fait produire, des « fruits de vie. » Cf. l. III, c. XVII, n. 2-3, col. 929-931. Aussi implore-t-il la grâce de Dieu, pour résoudre les difficultés qu’opposent les gnostiques, l. I, præf., n. 2 ; l. II, c. XXVIII, n. 3 ; l. III, c. VI, n. 4, col. 444, 806, 862-863. Sur les dons du Saint-Esprit, voir t. IV, col.1756.

     b) Les charismes. ― Avec la grâce qui vivifie et rend capable d’accomplir les œuvres de salut, il y a les charismes, les gratiæ gratis datæ des théologiens. Ils étaient communs aux origines de l’Eglise ; Irénée rapporte qu’ils n’étaient pas inconnus de son temps. Cf. l. I, c. XIII, n. 4 ; l. II, c. XXXII, n. 4 ; l. III, c. XI, n. 9 ; c. XXIV, n. 1 ; l. IV, c. XXVI, n. 5 ; c. XXXVII, n. 2 ; l. V, c. VI, n.1, col. 525, 829, 891, 966, 1056, 1101, 1137. On sait la grande place des charismes dans le système montaniste, et l’on connaît, l’intervention des martyrs lyonnais dans la crise montaniste. Sur ce fait, les divergences d’appréciations ont été profondes. Plusieurs critiques ont admis une approbation formelle du montanisme par les Eglises des Gaules. D’autres croient à une désapprobation expresse. D’autres enfin adoptent un moyen terme : approbation mitigée ou critique adoucie. Cf., sur les tenants de ces diverses opinions, P. de Labriolle, La crise montaniste, Paris, 1913, p. 221, n. 3. Les premiers arguent du choix du négociateur chargé de porter au pape Eleuthère les lettres des martyrs. Irénée, disent-ils, était l’ami des solutions bénignes, et le Contra hæreses témoigne de ménagements extrêmes à l’égard du montanisme et même de certaines affinités doctrinales avec lui. P. de Labriolle, op. cit., l. II, c. I, a repris l’examen de la question, et conclu, p. 243, que les martyrs de Lyon désapprouvèrent très nettement le mouvement montaniste, « mais sans colère, sans appel aux sévérités de la hiérarchie, » dans un esprit de pacification. Eusèbe qualifie leur consultation de « pieuse et très orthodoxe, » et il n’aurait pas décerné un tel brevet à une décision donnant gain de cause aux partisans du « réveil » cataphrygien, lui qui le jugeait d’essence [col.2488 fin / col.2489 début] démoniaque. » Quant au jugement d’Irénée, P. de Labriolle étudie, p. 231-240 ; cf. Les sources de l’histoires du montanisme, Fribourg, Paris, 1913, p. 6-8, (texte et traduction), le texte capital du l. III, c. XI, n. 9, col. 890-891. Ce texte controversé lui paraît exiger une correction, qui, « paléographiquement, n’a rien de choquant » et que la structure de la phrase, le parallélisme des deux exemples cités, la suit du raisonnement, l’esprit général du morceau, imposent d’une façon évidente. Là où les éditions portent : infelices vero qui pseudo prophetæ quidem esse volunt, propheticam vero gratiam repellunt ab Ecclesia, le texte véritable serait : qui pseudoprophetas esse nolunt. Il ne saurait être question, dans ce passage, quoi qu’on en ait dit, des montanistes, qui ne rejettent pas l’Evangile de saint Jean, et, loin d’exclure la grâce prophétique, l’exaltaient outre mesure, ni des ophites, dont les doctrines exposées ailleurs par Irénée ne cadrent pas avec celles qui sont indiquées ici. Irénée viserait les aloges ; contre eux il se poserait en champion du charisme prophétique, et le sens de son admonestation serait que ce n’est pas une raison, parce qu’il y a de faux prophètes, pour récuser toute prophétie, de même que ce n’est pas une raison, parce qu’il y a des hypocrites, pour récuser les lois de la confraternité chrétienne. Cf. Dem., XCIX-C, col. 730-731. L’argumentation de P. de Labriolle est impressionnante. En tout cas, rien dans ce chapitre, ne trahit une sympathie spéciale à l’endroit du prophétisme montaniste ; rien, à plus forte raison, ne laisse découvrir une adhésion implicite. Et volontiers en dirait-on autant du Contra hæreses tout entier. un adepte du montanisme n’aurait pas excité les catholiques contre les faux prophètes, l. IV, c. XXXIII, n. 6, col. 1076, en un temps où les catholiques dénonçaient le mensonge de la prophétie montaniste. Il n’aurait pas stigmatisé les schismatiques, l. IV, c. XXXIII, n. 7, col. 1076, alors que l’attitude de l’Eglise tendait à acculer les montanistes au schisme. Il n’aurait ni expliqué le rôle du Paraclet sans nommer celui en qui on volait que le Paraclet se fût incarné, l. III, c. XVII, n. 2-3, col. 930, ni cité avec honneur le Pasteur d’Hermas, l. IV, c. XX, n. 2, col. 1032, suspect aux montanistes à cause de certaines de ses indulgences. Aussi Tertullien, énumérant ceux qui, avant lui, ont combattu l’hérésie gnostique, Adversus valentinianos, c. V, P. L., t. II, col. 548-549, mentionne-t-il le montaniste Proculus, Proculus noster, et, immédiatement avant, Irénée omnium doctrinarum curiosissimus explorator, sans insinuer qu’il le considère comme sien. Cf. P. de Labriolle, op. cit., p. 241-242.

     c) Universalité de la grâce. ― Le salut est pour tous ; Dieu est « le Dieu de tous. » Dem., c. VIII, p. 665. Le Christ est venu pour sauver tous les hommes : omnes enim venit per semetipsum salvare. . , ideo per omnem venit ætatem. . ., princeps vitæ, prior omnium et præcedens omnes. Cont. hær., l. II, c. XXII, n. 4, col. 784. « Comme il est, lui, le Verbe du Dieu tout-puissant, dont la présence invisible est répandue en nous et remplit le monde entier, il continue encore (son influence dans le monde) dans toute sa longueur, sa largeur, sa hauteur et sa profondeur ; car par le verbe de Dieu tout est sous l’influence de l’économie rédemptrice, et le Fils de Dieu a été crucifié pour tout, ayant tracé ce signe de croix sur toutes choses. . . C’est lui qui illumine les hauteurs, c’est-à-dire les cieux, c’est lui qui pénètre les profondeurs des lieux inférieurs, lui qui parcourt la longue étendue de l’Orient à Occident, lui qui atteint l’immense espace du nord au midi, appelant à la connaissance de son Père les hommes dispersés en tous lieux. » Dem., c. XXXIV, p. 685-686. Sur la vague idée d’un autre continent, dans Irénée, l. II, c. XXVIII, n. 2, col. 805, cf. L. Capé- [col. 2489 fin / col.2490 début] ran, Le problème du salut des infidèles. Essai historique, Paris, 1912, p. 219, note.

     Que le salut ait été possible toujours, ab initio, par le Christ, par le Saint-Esprit, c’est ce qu’Irénée affirme avec insistance : non enim propter eos solos qui, temporibus Tiberii Cæsaris, crediderunt et venit Christus, nec propter eos solos qui nunc sunt homines providentiam fecit Pater, sed propter omnes omnino homines qui ab initio, propter virtutem suam, in sua generatione et timuerunt et dilexerunt Deum, et juste et pie conversati sunt erga proximos et concupierunt videre Christum et audire vocem ejus, l. IV, c. XXII, n. 2, col. 1047 ; cf. c. V, n. 5 ; c. VI-VII ; c. XII, n. 5 ; c. XIV, n. 2-3 ; c. XVI, n. 1-2 ; c. XX, n. 7 ; c. XXII ; c. XXV, n. 1, 3 ; c. XXVII, n. 2 ; c. XXXIII, n. 1, 7, 15 ; c. XXIV, n. 1 ; l. V, c. XV, n. 4 ; c. XVI ; c. XXVIII, n. 4, col. 986-993, 1006, 1011-1012, 1016-1017, 1037, 1046-1047, 1050, 1052, 1058-1059, 1072, 1077, 1083-1084, 1166, 1168, 1200 ; Dem., c. XLV-XLVI, p. 694-695, 702. En montrant les rapports qui unissent les deux Testaments, l’Ancien et le Nouveau, ces deux versants de l’histoire, « saint Irénée, dit A. Dufourcq, Saint Irénée (collection Les saints), 2e édit., Paris, 1904, p. 106, cf. p. 106-110, résout le problème capital dont l’obscurité tourmente la conscience chrétienne ; et la double solution qu’il propose, à la suite de saint Paul, est celle dont nous vivons encore. » Il enseigne, d’abord, que l’Ancien Testament est une ample prophétie, annonçant d’avance l’œuvre du Christ, ensuite que l’Ecriture est l’histoire du relèvement progressif de l’humanité. « Il n’y a qu’un salut, dit-il, l. IV, c. IX, n. 3, col. 998, comme il n’y a qu’un seul Dieu ; mais nombreux sont les préceptes qui forment l’homme et nombreux les degrés qui le font monter jusqu'à Dieu. »Dans cette histoire Irénée distingue, l. III, c. XI, n. 8, col. 889-890, par parallélisme avec les quatre Evangiles, une quadruple « disposition » ou économie divine, quatre testaments, d’Adam, de Noé, de Moïse, du Christ. A Adam, Dieu ordonne la loi naturelle, formulée dans le décalogue. Irénée ne parle guère du testament de Noé. Ce qu’il a de plus explicite se lit, Dem., c. XXII, p. 675-676. Sa caractéristique est, avec l’engagement de Dieu de ne plus détruire par un déluge ce qui naîtrait, la permission de se nourrir de la viande interdite jusqu’au déluge. N’était qu’il a voulu que l’Evangile tétramorphe ait eu sa correspondance dans « une disposition tétramorphe du Seigneur, » col. 890, il n’aurait sans doute pas distingué les testaments d’Adam et de Noé. Au point de vue du salut, il les confond, l. IV, c. XVI, n. 2 ; cf. c. XXXVI, n. 4, col. 1016-1017, 1093, mettant sur la même ligne omnis multitudo eorum qui ante Abraham fuerunt justi et eorum patriarcharum qui ante Moysem fuerunt, col. 1017. Et il ne compte que trois temps, l. IV, c. XXXVI, n. 2, col. 1091 : celui de la plasmatio Adæ et de l’electio Patrum ; celui de la législation romaine mosaïque, qu’il appelle « le milieu des temps, » Dem., c. VIII, p. 665 ; Cont. hær., l. III, c. XXIV, n. 1 ; l. IV, c. XXV, n. 1, col. 966, 1051 ; celui du Christ, qu’il nomme, avec l’Ecriture, les anciens auteurs ecclésiastiques et le gnostiques, « la plénitude des temps, » « la fin, » « les derniers temps. » Cont. hær., l. I, c. VIII, n. 2 ; c. X, n. 3 ; l. IV , c. XXII, n. 1 ; c. XXV, n. 1 ; c. XXXIII, n. 15 ; l. V, c. XV, n. 4, col. 524, 557, 1046, 1051, 1083, 1166, etc. ; Dem., c. XXII, XXX, LXXXIX, p. 676, 683, 723. La législation mosaïque aggrave, pour les juifs qui ont oublié Dieu et se sont révoltés contre lui, la loi naturelle. Cont. hær., l. IV, c. XV-XVI, col. 1012-1019 ; Dem., c. VIII, XXVI, XXVIII, p. 665, 680, 682. Quant aux gentils, non soumis à la loi mosaïque, on pourrait croire qu’Irénée considère leur salut comme impossible, à lire Dem., c. LXXXIX, p. 723 : « Avant la vocation des gentils, c’était un désert aride ; le Verbe n’avait pas encore passé parmi eux ; l’Esprit- [col.2490 fin / col.2491 début] Saint ne les avait pas encore abreuvés. » Mais ce texte contredit ce qui se lit un peu partout ailleurs : que Jésus-Christ n’est pas mort seulement pour ses contemporains et ceux, sans exception, qui dès le commencement, par son secours, craignirent et aimèrent Dieu, pratiquèrent la justice et la bonté envers le prochain, désirèrent voir le Christ et entendre sa voix, » que « le même Dieu dirigea les patriarches en ses desseins et justifia les circoncis et les incirconcis. » Cont. hær., l. IV, c. XXII, n. 2 ; cf. c. XIV, n. 2, col. 1047, 1011 ; Dem., c. LVI, p. 702 ; cf. L. Capéran, Le problème du salut des infidèles. Essai historique, Paris, 1912, p. 69-70, 512. Pour les mêmes raisons il semble conforme à l’esprit d’Irénée d’admettre le salut des infidèles de bonne foi après le Christ. Les païens qu’il écarte du salut sont ceux qui ne voulurent point voir la lumière de la lumière de la vérité, neque lumen veritatis videri voluerunt, sed sicut mures cæci absconditi in profundo sapientiæ, l. V, c. XXIX, n. 1, col. 1201. Il dit que Dieu « est le Dieu de tous » et que, pour les gentils comme pour les juifs et les croyants, il est « Providence, (Père) nourricier, roi et juge. » Dem., c. VIII, p. 665. Il parle des préceptes de la loi naturelle, per quæ homo justificatur, quæ etiam ante legisdationem custodiebant qui fide justificabantur et placebant Deo, Cont. hær., l. IV, c. XIII, n. 1, col. 1006-1007. N’est-ce pas, en germe, la thèse développée dans la suite par les théologiens, que l’observation de la loi naturelle, suffisante pour tous avant la loi mosaïque, est restée suffisante pour les infidèles après Moïse et après l’Evangile ? Le difficile est d’expliquer comment ces infidèles peuvent atteindre au minimum de foi indispensable au salut et, selon l’expression d’Irénée « désirer de voir le Christ et entendre sa voix. » L’accord n’est pas encore fait là-dessus entre théologiens. Il n’est donc pas étonnant que saint Irénée n’offre pas une solution définitive. Voir, plus loin, son opinion sur la descente du Christ aux enfers, en ce qui concerne les justes morts avant lui. Revenons aux croyants. Dans les derniers temps, le Christ est apparu. A la loi de de crainte a succédé la loi d’amour. Les serviteurs ont été des enfants. La vocation des gentils, annoncée par les prophètes, a eu finalement sa réalisation : « à ceux qui croient, qui aiment le Seigneur et qui vivent dans la sainteté, la justice et la patience, le Dieu de tous accordera la vie éternelle par la résurrection des morts, et cela en vue des mérites de celui qui est mort et ressuscité, Jésus-Christ. » Dem., c. XLI ; cf. LXXXVI-XCVII, p. 690, 720-729 ; Cont. hær., l. IV, c. IV, VIII-IX, XIII, col. 981-983, 993-999, 1006-101, etc. Ce que le Christ a apporté ce sont moins des vérités nouvelles ― Irénée minimise les nouveautés dogmatiques du Nouveau-Testament ― que de nouvelles richesses d’amour, de nouvelles effusions de grâces. Quid igitur Dominus attulit veniens ? Cognoscite quoniam omnem novitatem attulit, semetipsum afferens, qui fuerat annuntiatus. . . Semetipsum enim attulit, et ea quæ prædicta sunt bona, in quæ concupiscebant angeli intendere, donavit hominibus, l. IV, c. XXXIV, n. 1, col. 1083, 1084. Cf., entre autres textes, l. IV, c. XI, n. 3, 4 ; c. XXXVI, n. 4, col. 1002-1003, 1094 : majorem donationem paternæ gratiæ per suum adventum effudit in humanum genus. Plus de grâce, c’est plus de facilité pour le salut ; mais c’est aussi plus d’invitation à aimer, plus de responsabilité, une obligation morale plus impérieuse, et, pour les contempteurs de l’avènement du Christ, pour ceux qui meurent dans leur péché, une punition plus sévère, l. IV, c. XIII, n. 3 ; c. XXVII, n. 2-4 ; c. XXVIII ; c. XXXVI, n. 4, col. 1009, 1058-1063, 1093.

     De même que sa doctrine de la récapitulation a conduit saint Irénée  à considérer comme une vérité [col.2491 fin / col.2492 début] catholique le salut d’Adam, père du genre humain, l. I, c. XXVIII, n. 1 ; l. III, c. XXIII, col. 690, 960-965, de même qu’elle l’a jeté dans la chimère millénariste, elle devrait, en bonne logique, aboutir à la théorie du salut universel, toujours, dans ce dernier cas ainsi que les précédents, au nom de l’honneur de Dieu, qui se doit à lui-même de faire triompher ses desseins et de ne pas céder au mal. Mais, dit P. Beuzart, Essai sur la théologie d’Irénée, Paris, 1908, p. 110, « l’instinct ecclésiastique, la règle de foi, la tradition, l’évêque enfin, l’empêchent d’aboutir à la conclusion logique. » Irénée professe qu’il y a des damnés. Godts, De paucitate salvandorum, 3e édit., Bruxelles, 1899, le range même parmi les partisans du petit nombre des élus ; mais les textes qu’il allègue à l’appui de cette opinion ne sont pas probants. Voir ELUS (Nombre des), t. IV, col.2364, 2369. Et Irénée admet, l. II, c. XXVIII, n. 7, col. 809, que, si des créatures transgressent la loi de Dieu, quædam, imo plurima, perseveraverunt et perseverant in subjectione ejus.

     K. Passaglia, De partitione divinæ voluntatis in primam et secundam deque universali reparati ordinis amplitudine, c. CXVII-CXXI, dans ses Commentar. theologic., part. III, Rome, 1851, p. 276-294 ; J. Korber, Sanctus Irenæus de gratia sanctificante, Bamberg, 1866 ; L. Atzberger, Geschichte der christlichen Eschatologie innerhalb der vornicänischen Zeit, Fribourg-en-Brisgau, 1896, p. 231-236 ; L. Fonck, Irenäus über die Sprachengabe, dans la Zeitshchrift für die katholische Theologie, Inspruck, 1895, t. XIX, p. 377-380 ; P. de Labriolle, La crise montaniste, Paris, 1913, p. 207-244.

     2. Les conditions subjectives du salut. ― Sauvés par les mérites du Christ, nous ne le sommes pas sans des dispositions personnelles, qui se ramènent à deux : la foi et l’amour avec ses œuvres, « l’unité simple de la foi et de la charité. » Dem., c. LXXXVII ; cf. XLI, LXXXIX, XCV, p. 721, 693, 723, 726-727.

     a) La foi. a. Nécessité de la foi. ― Elle est explicitement indiquée à propos de la foi d’Abraham : fides enim, quæ est ad Deum altissimum, justificat hominem, l. IV, c. V, n. 4-5 ; c. XXVIII ; l. V, c. XXXII, n. 2, col. 985, 1061-1063, 1211, etc. ; Dem., prol. notamment, c. II, p. 660 : « L’homme étant un être vivant, composé d’une âme et d’un corps, il est juste et nécessaire de tenir compte de ces deux éléments. Et, comme de ces deux côtés peuvent provenir des chutes, on distingue la sainteté du corps, consistant dans la continence, qui réprime tous les appétits honteux et proscrit tous les actes mauvais, et la sainteté de l’âme, laquelle consiste dans l’intégrité de la foi en Dieu, sans y rien ajouter ni en rien retrancher ; » c. III, p. 662 : « Comme l’affaire de notre salut dépend de la foi, il est juste et nécessaire que nous mettions tous nos soins à la défendre ; » c. XXXV, XCIII, p. 686, 725, etc. Cf. ce qui a été dit, plus haut, de l’unité de l’Eglise et des hérétiques.

     b. La notion de foi. ― « Si nous reprenons la notion de la foi que nous a laissée la réformation, et qui se décompose en notitia, assensus et fiducia, dit P. Beuzart, Essai sur la théologie d’Irénée, Paris, 1908, p. 125, nous voyons que, chez Irénée, la foi ne comprend guère que les 2 premiers éléments et que c’est la notitia qui l’emporte. La foi est, avant tout, créance. » La foi est, en effet, avant tout, un assentiment à la vérité révélée par Dieu, annoncée par les prophètes, établie par le Christ, transmise par les apôtres et offerte par l’Eglise à ses enfants ; or « en toutes choses il est juste et nécessaire de croire à la parole de Dieu, car Dieu est véridique en tout. » Dem., c. III, XLIII, XCVIII, p. 662, 691, 730. La volonté a sa part dans l’acte de foi. Irénée l’affirme dans une formule qui, à première vue, semblerait pélagienne, l. IV, c. XXXIX, n. 2, col. 1110 : Si igitur tradideris ei (Dieu) quod est tuum, id est fidem in eum et subjectionem, recipies ejus artem [col.2492 fin / col.2493 début] et eris perfectum opus Dei. Le contexte immédiat et les pages qui précèdent montrent qu’Irénée entend par là seulement que la foi est libre. Cf. c. XXXVII, n. 3, col. 1101 : Deus adhortans nos ad subjectionem sibi et averiens ab incredulitate, non tamen de violentia cogens. Et, n. 5, col. 1102 : Et non tantum in operibus sed etiam in fide liberum et suæ potestatis arbitrium hominis servavit Dominus. Irénée n’a garde de méconnaître le rôle de la grâce dans la possession de la foi. La foi est un don de Dieu, Dei munus, l. III, c. XXIV, n. 1 ; cf. l. IV, c. XXIX, n. 1 ; c. XXXIX, n. 3, col. 966, 1063-1064, 1110-1111.

     c. Le progrès de la connaissance de la foi. ― La foi est assentiment et connaissance. Par suite de sa théorie sur l’inspiration des livres de l’Ancien Testament, Irénée avance que, non seulement la vie, mais encore la doctrine entière du Christ sont annoncées par les prophètes, l. IV, c. XXIV, n. 1, col. 1083. Souvent il parle d’Abraham et de sa foi, à cause de Jean, VIII, 56, et de Rom., IV, 3, cités ensemble, l. IV, c. V, n. 3, col. 985 ; il appelle Abraham patriarcha nostræ fidei et veut que una et eadem illius et nostra sit fides, c. XXI, n. 1, col. 1043, 1044. Non moins souvent il proclame que, dès le commencement, le salut ne fut possible que par le Verbe, qu’Abraham suivit le Verbe, que les apôtres le suivirent et que nous aussi, qui avons la même foi qu’Abraham et les apôtres, nous suivons le Seigneur ver quem ipse quoque, et omnes qui similiter ut ipse credidit credunt Deo, salvari incipirent, l. IV, c. V, n. 3-5, col. 985-986. Il semblerait, dès lors, qu’il n’y a pas à parler du progrès de la connaissance de la foi. Pourtant Irénée en parle. Le Christ est partout dans les Ecritures, inseminatus est ubique in Scripturis ejus Filius Dei, l. IV, c. X, n. 1, col. 1000 ; c’est un trésor déposé dans les Ecritures, mais caché, unde non poterat hoc quod secundum hominem est intelligi priusquam consummatio eorem quæ consummata sunt veniret, quæ est adventus Christi. La prophétie n’a un sens clair qu’après l’événement qui la réalise. Thesaurus est absconsus in agro, cruce vero Christi revelatus est, et explanatus, et ditans sensus hominum, et ostendes sapientiam Dei, et eas quæ sunt erga hominem dispositiones ejus manifestans, c. XXVI, n. 1, col. 1052-1053. Avec le Nouveau testament, l’objet de la foi s’est donc augmenté : in Novo Testamento quæ est ad Deum fides hominum aucta est, additamentum accipiens Filium Dei, c. XXVIII, n. 2 ; cf. c. XIII, n. 1 ; c. XXXIII, n. 14, col. 1061-1062, 1007, 1082. L’accroissement de la foi ne consisterait, en conséquence, qu’en deux points : croire que le Christ est venu, et atteindre la connaissance des vérités cachées dans l’Ancien Testament.

     Un texte d’Irénée, l. II, c. XXVIII, n. 3, col. 806, paraît entendre I Cor., XIII, 13, de la permanence, dans le ciel, de la foi et de l’espérance, ainsi que de la charité. Le contexte montre que la foi n’implique pas ici obscurité ni l’espérance absence de l’objet, mais seulement, dit Massuet, Dissert., III, a. 8, n. 107, col. 364, que altera firmus est rebus cognitis assensus, altera certa in Deum fiducia.

     b) L’amour et ses œuvres. a. Les œuvres. ― La foi justifie, non la foi seule, mais la foi et l’obéissance, la foi et les œuvres. Les gnostiques prétendaient que les bonnes œuvres, inutiles pour eux spirituels, étaient nécessaires pour les chrétiens orthodoxes qu’ils qualifiaient de psychique. Cf. l. I, c. VI, n. 4 ; c. XXV, n. 5, col. 512, 685. Et Simon le magicien aurait enseigné secundum ipsius gratiam salvari homines sed non secundum operas justas, c. XXIII, n. 3, col. 672. Cf. E. de Faye, Gnostiques et gnosticismes. Etude critique des documents du gnosticisme chrétien aux IIeet IIIe siècles, Paris, 1913, p. 10, 34, 106, 394-396, 409-410. Quoi qu’en ait dit le protestant Herman Hamelmann, De unanimi [col.2493 fin / col.2494 début] consensu Patrum de sola fide justificante, cité par F. Feuardent, P. G., t. VIII, col. 1599, dans saint Irénée « la connaissance, la foi et les œuvres sont étroitement unies. . . La foi et l’action sont également indispensables au salut. « P. Beuzart, Essai sur la théologie d’Irénée, p. 127. Citons l. IV, c. VI, n. 5, col. 989 : Credere ei (à Dieu) est facere ejus voluntatem, c. XXVIII, n. 3, col. 1063 : Quibus ergo est (le Christ) odor morti in mortem nisi his qui non credunt neque subjecti sunt Verbo Dei ? C. XXXIII, n. 15, col. 1083 : Qui credunt Deo et sequuntur Verbum ejus percipiunt eam quæ est ab eo salutem ; qui vero abscedunt ab eo, et contemnunt præcepta ejus, et per opera sua inhonorant eum qui se fecit. . ., justissimum adversus se coacervant judicium, c. XLI, col. 1116, 1117 : Apud Deum qui non obediunt ei, abdicati ab eo, desierunt filii ejus esse. . . Verum, quando credunt et subjecti esse Deo perseverant, et doctrinam ejus custodiunt, filii sunt Dei, Dem., c. II-III, p. 660, 662 : « C’est la foi qui mène à l’action. » Voir encore les textes sur le Christ, confirmant et étendant les prescriptions de la loi naturelle, l. IV, c. XIII ; c. XVI, n. 5 ; c. XVIII, n. 3 ; c. XXVIII, n. 2-3, col. 1006-1010, 1019, 1025-1026, 1062-1063. Toute la morale d’Irénée pourrait être étudiée à cette place. Voir, sur le Décalogue, t. IV, col.167, 169 ; sur les idolothytes, t. VII, col.679 ; sur le carême, t. II, col.1725 ; sur le jeûne, un passage obscur de la lettre à Florinus, P. G., t. VII, col. 1229 ; cf. 2018 ; sur divers reproches faits par Barbeyrac, Traité de la morale des Pères de l’Eglise, Amsterdam, 1728, à la morale d’Irénée, Bergier, Dictionnaire de théologie, Toulouse, 1819, t. IV, p. 352-353, 613-614. Sur l’interdiction de la prière à genoux le dimanche, dont il parlait, d’après le pseudo-Justin, Responsiones ad orthodoxos, c. XV, P. G., t. VI, col. 1364, dans son livre De la Pâque, cf. H. Dumaine, art. Dimanche, dans le Diction. d’archéologie chrétienne et de liturgie, Paris, 1920, t. IV, col. 959. D’autre part, Dem., c. XCVI, p. 728. « La Loi. . . n’a pas à commander de chômer un jour fixe à celui qui observe chaque jour le sabbat, » confirme ce que nous savions par ailleurs, cf. H. Dumaine, loc. cit., col. 943, à savoir que le chômage du dimanche n’était pas encore d’un usage général ; cf. Cont. hær., l. IV, c. XVI, n. 1, col. 1015-1016. Cf. encore Dumaine col. 925, sur les œuvres serviles prohibées le jour du sabbat. Sur l’esclavage, voir t. V, col.464.

     b. L’amour. ― Les œuvres, pas plus que la foi, ne doivent aller sans amour. Le grand commandement est d’aimer, Dem., c. XCV, p. 727 ; Cont. hær., l. IV, c. XVI, n. 3-5, col. 1017-1019. Le salut est pour les justes et præcepta ejus servantibus, et in dilectione ejus perseverantibus, quibusquam quidem ab initio, quibusdam autem ex pænitentia, l. I, c. X, n. 1, col. 551. Et Dem., c. III, p. 661 : « Tel ne sera pas notre sort (il vient de parler des hérétiques) si nous avons une règle de foi inaltérable, et si nous observons les commandements de Dieu, croyant en lui, le craignant parce qu’il est maître, l’aimant parce qu’il est père. » Le résumé de la Loi nouvelle, continuation et perfectionnement de la Loi ancienne, est le suivant, l. IV, c. XIII, n. 4, col. 1009 : assentire Deo, et sequi ejus Verbum, et super omnia diligere eum, et proximum sicut seipsum, homo autem homini proximus, et abstinere ab omni mala operatione. Cf. l. III, c. XX, n. 2 ; l. IV, c. VI, n. 2 ; c. XII, n. 2 ; c. XXVI, n. 1, 5 ; c. XXVIII, n. 2, 3 ; c. XXXIII, n. 7 ; c. XXXVII, n. 7 ; l. V, c. III, n. 1, col. 943, 987, 1004-1005, 1053, 1056, 1062, 1063, 1076, 1104, 1129, etc. ; Dem., c. LXXXVII, LXXXIX, p. 722, 723 : « C’est par la foi et l’amour envers le Fils de Dieu qu’il faut désormais vivre d’une vie nouvelle avec l’aide du Verbe. » Tout ce langage est d’un authentique disciple de saint Jean. Irénée qui estime tant la connaissance déclare, l. IV, c. XXXIII, n. 8, col. 1077-1078, que l’amour est [col.2494 fin / col.2495 début] meilleur, et c. XII, n. 2, col. 1005, que sans l’amour tout est vain et inutile, dilectionem vero perficere perfectum hominem, et eum qui diligit Deum esse perfectum et in hoc ævo et in futuro. Nunquam enim desinimus diligentes Deum ; sed, quanto plus eum intuiti fuerimus, tanto plus eum diligemus.

     L. Atzberger, Geschichte der christlichen Eschatologie innerhalb der vornicänischen Zeit, Fribourg-en-Brisgau, 1896, p. 224-231 ; V Ammunsen, The rule of truth in Irenaeus, dans The journal of theological studies, Cambridge, 1912, t. XIII, p. 574-580.

     3. Les sacrements. ― La doctrine des sacrements est relativement effacée dans la théologie d’Irénée. Il en dit assez pour montre qu’il « leur donne une grande importance » et qu’il admet « trois moyens d’appropriation du salut : le salut par la foi, le salut par les œuvres et le salut par le rite ? Ces trois moyens ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, n’opèrent que dans l’Eglise avec son concours. » P. Beuzart, Essai sur la théologie d’Irénée, p. 128, 124. La grâce sauve ceux qui ont les dispositions requises, et les sacrements communiquent la grâce. Quant au mot « sacrement, » on ne sera pas surpris qu’Irénée lui prête seulement le sens d’opération mystérieuse, l. II, c. XXXX, n. 7 ; l. IV, c. XXXV, n. 3, col. 820, 1088. E. Renan, Marc-Aurèle et la fin du monde antique, 3e édit., Paris, 1882, p. 144, a prétendu que les sacrements furent en grande partie la création des gnostiques. Irénée signale certains rites gnostiques qui ont des analogies avec le baptême, la confirmation l’eucharistie, l’extrême-onction, mais ne laisse pas supposer que les sacrements de l’Eglise en dépendent d’aucune façon.

     a) Le baptême. ― Irénée s’occupe du baptême surtout à l’occasion du baptême et de la rédemption des gnostiques, qui sont, à ses yeux, une invention de Satan ad negationem baptismatis, ejus quæ est in Deum regenerationis et universæ fidei destructionem, l. I, c. XI, n. 1, col. 658. T. Barnes, A study on the marcosian heresy, dans The journal of theological studies, Cambridge, 1906, p. 394-411, a vu dans la formule baptismale adoptée par les marcosiens et rapportée par Irénée, l. I, c. XXI, n. 3, col. 661, une contrefaçon de la formule catholique laquelle aurait eu, en conséquence, six membres, affirmant le Père, le Fils, le Saint-Esprit, une Eglise, la rémission des péchés, la communion des saints. U. Mannucci, Rivista storico-critica delle scienze teologiche, Rome, 1906, t. II, p. 706, a objecté que, dans la formule marcosienne, l’unité, la rédemption et la conception auraient été des concepts étroitement liés et se réfèrent tous au même sujet, είς ένωσιν καί άπολύτρωσιν καί κοινωνίαν τών δυνάμεων, tandis que, dans notre symbole, elles se réfèrent à des sujets différents, l’unité à l’Eglise, la rémission aux péchés et la communion aux saints. Nous avons dit, à propos de la règle de foi, que le canon baptismal connu d’Irénée pourrait bien avoir été conservé dans la Démonstration de la prédication apostolique, c. III, p. 662. Cf. Cont. hær., l. III, c. XVII, n. 1, col. 929. Irénée indique la matière, le sujet, les effets du baptême. La matière est l’eau. Cf. Dem., c. XLI, p. 690, et, sur la matière du baptême gnostique, Cont. hær., l. I, c. XXI, n. 3, 4, col. 661, 664. Les enfants peuvent recevoir le baptême ; Irénée le suppose, l. II, c. XXII, n. 4, col. 784 ; cf. l. V, c. XV, n. 3, col. 1166, quand il dit que le Christ est venu sauver tous les hommes, omnes, inquam, qui per eum renascuntur in Deum, infantes, et parvulos, et pueros et juvenes, et seniores. Or, c’est par le baptême se produit cette régénération. Donc le baptême est pour les enfants comme pour les adultes. Le baptême, en effet, régénère, remet les péchés, purifie le corps et l’âme fait l’homme enfant [col.2495 fin / col.2496 début] de Dieu, lui donne le Saint-Esprit, l. III, c. XVII, n. 1-2, col. 929-930 ; Dem., c. III, VII, XLII, p. 662, 664-665, 691. Cf. P. G., t. VII, col. 1248, le fragment XXXV. Les gnostiques admettaient l’efficacité régénératrice de leur baptême. Cf. l. I, c. XXI, n. 2, col. 658-659. Sur le baptême par le feu et le baptême pour les morts, voir t. II, col. 355-362.

     b) La confirmation. ― Voir CONFIRMATION, t. II, col.1028-1029 ; CHREME (Saint), t. II, col.2396, 2403.

     c) L’eucharistie. ― Voir EUCHARISTIE, t. V, col.1128-1130 ; EUCHARISTIQUES (Accidents), t. V, col.1370-1371 ; EPICLESE, t. V, col.233.

     d) La pénitence. ― La pénitence est nécessaire aux pécheurs. Irénée distingue deux catégories de sauvés : les uns n’ont jamais perdu la vie de la grâce, les autres l’ont recouvrée par la pénitence. Cf. l. I, c. X, n. 1 ; l. IV, c. XL, n. 1 ; l. V, c. XI, n. 1, col. 552, 1112, 1159. Quant à ceux qui persévèrent dans les opérations de la chair, dans l’apostasie, c’est-à-dire dans l’infidélité à Dieu, le feu éternel les attend. Cf. l. III, c. XIV, n. 4 ; c. XXIII, n. 3 ; l. V, c. XI, n. 1 ; c. XXVI, n. 2, col. 917, 962, 1150, 1194, 1195. Y a-t-il des péchés irrémissibles en droit ? On pourrait le croire si on les lisait superficiellement, l. IV, c. XXVIII, col. 1056-1061, les pages où Irénée rapporte les paroles d’un presbytre qu’il avait lui-même entendu des contemporains des apôtres. Ce presbytre disait que les péchés commis avant le Christ eurent leur guérison et leur rémission dans la mort du Christ, mais que propter eos vero qui nunc peccant Christus jam non morietur, sed veniet Filius in gloria Patris, exquirens ab actoribus et dispensatoribus suis pecuniam quam eis credidit, cum usuris, et quibus plurimum ab eis exiget ; non debemus ergo, inquit ille senior, superbi esse neque reprehendere veteres, sed ipsi timere, ne forte, post agnitionem Christi agentes aliquid quod non placeat Deo, remissionem ultra non habeamus delictorum , sed excludamur a regno ejus. Faut-il en conclure que certains péchés ne sont pas remis ? Non, car ce texte vise tous les péchés commis après la naissance du Christ, et Irénée enseigne qu’on arrive au salut par la pénitence, même après le péché d’apostasie que pourtant il accable des anathèmes de l’Ecriture, l. V, c. XXVI, . 2, col. 1195 : Post autem adventum Domini ex sermonibus Christi. . . discens manif este quoniam ignis æternus præparatus est ex sua voluntate abscedenti a Deo et omnibus qui sine pænitentia perseverant in apostasia . Quelle est donc l’idée de saint Irénée et du presbytre qu’il allègue ? Contre les marcionites qui discréditaient l’Ancien Testament, opposaient au Dieu de l’Ancien celui du Nouveau et ne parlaient que de la miséricorde du dernier, gardant le silence sur son jugement, cf. l. IV, c. XXVI, n. 5 ; c. XXVIII, n. 1, col. 1056, 1061, Irénée maintient qu’il n’y a qu’un Dieu auteur de l’un et de l’autre Testament et déclare, en se réclamant de l’autorité du presbytre, que nous ne devons pas infliger aux pécheurs de l’Ancien Testament un blâme plus sévère que celui qui se trouve dans l’Ecriture, laquelle raconte leurs fautes pour notre amendement, que les péchés, parce que nous avons plus de lumière et recevons plus d’amour, ont une malice plus grande et qu’un compte plus rigoureux en sera rendu sous le Nouveau Testament que sous l’Ancien, que maintenant, comme alors, l’injustice, l’idolâtrie, la fornication entraînent la perte des hommes, que le jugement de Dieu est encore plus à craindre. Le mot d’Irénée, à propos de la descente aux enfers, n. 2, col. 1058 : remissione peccatorum existente his qui credunt in eum, a une portée générale ; les mérites du Christ valent pour la remise de tous les péchés.

     Jusqu’ici aucune allusion au ministère de l’Eglise dans la rémission des péchés. Voici des textes qui se [col.2496 fin / col.2497 début] rapportent à la pénitence sacramentelle. Irénée raconte, l. III, c. III, n. 4 ; c. IV, n. 3, col. 852, 856-857, que Polycarpe, lors de son séjour à Rome, ramena à l’Eglise de nombreux hérétiques, et que Cerdon, étant revenu à l’Eglise, ébaucha à plusieurs reprises une exomologèse, ou pénitence, qui ne s’acheva jamais. Voir CONFESSION, t. II, col.860. Il parle, l. I, c. Vi, n. 3, col. 508, de femmes qui tombèrent dans le valentinianisme et, avec la foi, perdirent les mœurs, ainsi que beaucoup de le confessèrent dans leur exomologèse, après leur retour à l’Eglise de Dieu : il peut s’agir de péchés secrets avoués par ces femmes. Des femmes pareillement furent séduites par les marcosiens. Les unes, dit Irénée, l. I, c. XIII, n. 5, 7, col. 588, 592, avouaient leurs fautes cachées ; d’autres, qui n’avaient pas ce courage, « désespéraient de la vie de Dieu » et se retiraient de la communauté chrétienne ou adoptaient une attitude équivoque. Irénée ne mentionne pas le pardon accordé aux premières. On peut néanmoins conclure de tout ce qu’il dit, que ce pardon leur a été donné, au moins au moment de la mort, qu’elles ont été réconciliées avec Dieu et l’Eglise. Cf. J. Tixeront, Le sacrement de la pénitence dans l’antiquité chrétienne, Paris, 1914, p. 28. Ce dernier texte a trait à la pénitence publique, et sans doute.il faut en dire autant du texte relatif aux adeptes du valentinianisme, puisque c’est des mêmes faits qu’il parle ici et là. Irénée témoigne de l’existence « d’une pénitence publique à base de confession, » selon l’expression de P. Galtier, L’évêque docteur : saint Irénée de Lyon, dans les Etudes, Paris, 1913, t. CXXXVI, p. 211 ; mais on ne voit pas qu’il témoigne de la pratique de la confession secrète, quoi qu’en ait pensé Massuet, Dissert., III, a. 7, n. 75, col. 324.

     e) L’extrême-onction. ― Voir EXTREME-ONCTION, t. V, col.1932-1932.

     f) L’ordre. ― Nous avons vu ce qu’Irénée a de plus important sur ce point, en traitant de la hiérarchie ecclésiastique. Voir col.2428.

     g) Le mariage. ― Irénée défend la sainteté du mariage quand in condamne les débauches de certains gnostiques, l. I, c. VI, n. 4 ; c. XXVIII, col. 509-512, 690-691. Sur l’accusation d’avoir rabaissé le mariage, formulée par Barbeyrac, Traité de la morale des Pères de l’Eglise, Amsterdam, 1728, p. 22 et reprise par J. Pédézert, Le témoignage des Pères, Paris, 1892, p. 313, cf. Bergier, Dictionnaire de théologie, Toulouse, 1819, t. IV, p. 352-353. Qu’Irénée se soit affirmé défavorable à la réitération des noces, l. I, c. XVIII, n. 2, col. 691, c’est ce qu’on a dit et ce qui est loin d’être clair. Cf. P. de Labriolle, La crise montaniste, Paris, 1913, p. 240-241, n.

     Des sacramentaux il n’est guère question dans l’œuvre d’Irénée. A signaler ce qu’il a sur les exorcismes, l. II, c. VI, n. 2 ; c. XXXII, n. 4, col. 725, 829 ; cf. la note de Feuardent, col. 1535-1536 ; Dem., c. XCVI-XCVII, p. 728, cf. la note de J. Tixeront, p. 798.

     Les sept sacrements. ― F. Feuardent, D. Irenæi adversus Valentini et similium gnosticorum hæreses libri V, Cologne, 1625, p. 113-114 = P. G., t. VII, col. 1492-1493. ― 2. Le baptême.C. F. Wernsdorf, De Irenæi testimonio pro pædobaptismo, Leipzig, 17756 ; W. R. Powers, St. Irenaeus and infant baptism, dans l’Americam presbyterian review, New-York, 1867, t. XVI, p. 239 ; T. Barnes, A study on the marcosian heresy, dans The journal of theological studies, Cambridge, 1906, p. 394-411 ; H. Windisch, Taufe und Sünde im ältesten Christentum bis auf Origenes, Tubingue, 1909 ; cf. U. Mannucci, dans la Rivista storico-critica delle scienze teologiche, Rome, 1909, t. V, p. 632-635. ― 3. L’eucharistie. ― Voir EUCHARISTIE, t. V, col. 1130, 1182-1183, et, en outre, E. Aubertin, L’eucharistie de l’ancienne Eglise, Genève, 1633, p. 65-87 ; Thiersch, Die Lehre des Irenäus von der Eucharistie, dans la Zeitschrift für die gesamte lutherische Theologie und Kirche, 1841, p. 40 sq. ; J. W. F. Höfling, Die Lehre des Irenäus vom Opfer des christlichen Cultus, [col.2497 / col.2498 début] Erlangen, 1840 ; Die Lehre der ältesten Kirche vom Opfer im Leben und Cultus der Christen, Erlangen, 1851, p. 71-107 ; A. Ebrard, Das Dogma von heil. Abendmahl und seine Geschichte, Francfort-sur-le-Mein, 1845 ; K. F. A. Kahnis, Die Lehre von Abendmahl, Leipzig, 1851 ; L. J. Rückert, Das Abendmahl. Sein Wesen und seine Geschichte in der alten Kirche, Leipzig, 1856 ; L. Hopfenmüller, Sanctus Irenæus de eucharistia, Bamberg, 1867 ; cf. J. B. Kraus, dans Theologisches Literaturblattt, Bonn, 1868, t. III, p. 466-471 ; A. Vacant, La conception du sacrifice de la messe dans la tradition de l’Eglise latine, dans L’université catholique, Lyon, IIe série, 1894, t. XVI, p. 197-204 ; F. S. Renz, Die Geschichte des Messopfer-Begriffes, Freising, 1901, t. I, p. 209-219 ; J. Brinktrine, Der Messopferbegriff in den ersten zwei Jahrhunderten, Fribourg-en-Brisgau, 1908 ; F. Wieland, Der vorineräische Opferbegriff, Munich, 1909 ; D. Stone, A history of the doctrine of the holy eucharist, Londres, 1909, t. I. ― 4° La pénitence. ― Voir CONFESSION, t. III, col. 893-894, et, en outre, H. Koch, Die Sündenvergebung bei Irenäus, dans la Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der Urchristentums, Giessen, 1908, t. IX, p. 35-46 ; J. Stufler, Die Sündenvergebung bei Irenäus, dans la Zeitschrift für katholische Theologie, Inspruck, 1908, t. XXXI, p. 488-497 ; Z. Garcia, El perdόn de los pecados en la primitiva Iglesia, dans Razόn y fe, Madrid, 1909 ; A. d’Alès, La discipline pénitentielle au IIesiècle en dehors d’Hermas, dans les Recherches de science religieuse, Paris, 1913, t. IV, p. 207-211 ; L’édit de Calliste. Etude sur les origines de la pénitence chrétienne, Paris, 1914, p. 120-124.

     Les fins dernières. ― 1. En attendant le second avènement du Christ.a) L’immortalité de l’âme. ― L’âme est immortelle. Cf. l. II, c. XXXIII, n. 5 ; c. XXXIV ; l. V, c. IV, n. 1 ; c. VII, n. 1 ; c. XIII, n. 3, col. 834-837, 1133, 1140, 1158-1159. On a prétendu que d’après Irénée, elle ne l’est pas par sa nature, mais par la grâce de Dieu ; que les âmes des méchants seront finalement anéanties et que celles-là seules jouiront de la vie sans fin qui auront reçu le Saint-Esprit dans le baptême et auront persévéré dans la justice. Tel a été le sentiment de Dodwell, cf. Massuet, Dissert., III, a. 8, n. 104-106, col. 358-364 ; de Ellies du Pin, Nouvelle bibliothèque des auteurs ecclésiastiques, Paris, 1686, t. I, p. 121-123 ; cf. M. Petitdidier, Remarques sur la bibliothèque ecclésiastique de M. du Pin, Paris, 1691, p. 157, et Tillemont, Mémoires, Paris, 1695, t. III, p. 625-628 ; de M. Kirchner, Die Eschatologie des Irenäus, dans les Theologische Studien und Kritiken, Hambourg, 1863, p. 321, etc. C’est une erreur, due à un examen trop rapide des textes d’Irénée. Tillemont, op. cit., p. 626-627, a rétabli la véritable pensée d’Irénée. Il y a une double immortalité, observe-t-il, celle de l’être et celle du bonheur ; laquelle, « selon le langage de l’Ecriture, est la seule immortalité et la seule vie. » Dans le chapitre qu’on objecte, il est d’abord question de l’immortalité de l’être. L’intention d’Irénée est de réfuter les adversaires disant que les âmes qui ont commencé d’être doivent mourir avec le corps, l. II, c. XXIV, n. 2, col. 835. Il répond que la volonté de Dieu est maîtresse de toutes choses, que, différentes de Dieu immortel essentiellement et par lui-même, les âmes ne sont pas immortelles par elles-mêmes ; que les âmes et tous les êtres vivent et persévèrent ce que Dieu veut qu’ils vivent et persévèrent. Sur quoi il allègue le Ps. CXLVIII, 5-6 : Ipse mandavit et creata sunt, statuit ea in sæculum et in sæculum sæculi. « Il paraît assez par là avoir voulu attribuer l’immortalité à toutes les âmes : au moins jusque là il ne dit rien qui y soit contraire. » Puis, il passe de l’immortalité de l’être à l’immortalité bienheureuse, de salvando homine, n. 3, col. 836, et allègue le Ps. XX, 5 : Vitam petiit a te et tribuisti ei longitudinem dierum in sæculum sæculi, qu’il commente de la sorte : tanquam Patre omnium donante et in sæculum sæculi perseverantiam his qui salvi fiunt, non enim ex nobis neque ex nostra natura vita est sed secundum gratiam Dei datur ; ceux qui sont fidèles, ajoute-t-il, recevront cette immor- [col.2498 fin / col.2499 début] talité bienheureuse, mais ceux qui sont ingrats à leur créateur s’en privent par leur faute, ipse se privat in sæculum sæculi perseverantia. De l’immortalité bienheureuse il revient ensuite, n. 4, col. 837, à l’immortalité de l’être, et, bien loin d’y faire aucune exception, il s’exprime en des termes qui attribuent également l’immortalité à toutes les âmes aussi bien que l’être : Deo itaque vitam et perpetuam perseverantiam donante, capit et animas primum non existentes dehinc perseverare, cum eas Deus et esse et subistere voluerit, prinicipari enim debet in omnibus et dominari voluntas Dei. Cf. l. IV, c. XXXVIII, n. 3, col1107-1108. Ce qui pourrait subsister d’imprécision dans ce passage s’éclaire, d’une part, des textes où Irénée affirme tout court, que les âmes sont immortelles, et même immortelles par leur nature que Dieu vivifie, l. V, c. IV, n. 1, col. 1133, immortalia. . . quoniam vivificantur a Patre. . ., natura immortalia ; cf. Massuet, col. 359-360, sur l’abus que Dodwell a fait de ce texte, et, d’autre part, des textes sur l’éternité des peines de l’enfer. Bref, sur l’immortalité de l’âme, la doctrine d’Irénée se réduit aux points suivants. L’âme est naturellement immortelle, en ce sens que Dieu l’a dotée d’immortalité ; elle n’a point l’immortalité par sa nature, en ce sens qu’elle n’a point par elle-même le pouvoir de persévérer toujours dans son existence. Les élus auront, avec l’immortalité de l’être, l’immortalité de la béatitude. Les damnés n’auront pas l’immortalité du bonheur, mais garderont l’éternité de l’être. C’est ce que reconnut Ellies du Pin, à la suite des observations que lui valut son opinion sur l’anéantissement des âmes coupables ; dans la 3e édit. de la Nouvelle bibliothèque des auteurs ecclésiastiques, Paris, 1698, t. I, p. 173, il ne prête plus cette croyance à Irénée, et se contente d’écrire qu’Irénée « prouve que les âmes subsistent après la mort et qu’elles sont immortelles. »

     b) Le jugement particulier. ― Le mot ne se lit pas dans Irénée. Chez lui, le « jugement », c’est le jugement universel. Mais l’idée du jugement particulier n’est pas absente. L’homme, dit-il, a été créé libre pour se faire, en collaboration avec la grâce divine, l’artisan de son sort éternel. En attendant le jugement universel, le « juste jugement » de Dieu à a fin du monde, il passe sur cette terre et, après la mort, subit les conséquences de son libre choix. Merito omnes justum judicium incident Dei. . . Alii quidem laudantur et dignum percipiunt testimonium electionis bonæ et perseverantiæ, alii vero accusantur et dignum percipiunt damnum eo quod justum et bonum reprobaverint, l. IV, c. XXXVII, n. 1, 2, col. 1100. Irénée marque deux temps : celui du jugement universel, celui d’une « louange » ou d’une « accusation » qui le précédera et qui correspond au jugement particulier. Dans le récit du riche et de Lazare il note, l. II, c. XXXIV, n. 1, col. 835, manere in suo ordine unumquemque ipsorum : chacun a ce qui lui convient, Lazare les opulences de la table et le mauvais riche la punition, locum pænæ, ce qui démontre que l’âme a une immortalité individuelle et dignam habitationem unamquamque gentem percipere etiam ante judicium. Donc, dès avant le jugement universel, chacun recevra le juste châtiment ou la juste récompense de ses actes. Donc un jugement particulier sera intervenu.

     c) L’état des âmes des justes en attendant le second avènement du Christ. ― Le salut commence en ce monde, l. V, c. XXVIII, n. 1, col. 1197-1198. Son achèvement ne se réalise point ici-bas, ni tout de suite après la mort. Irénée enseigne que les âmes des justes ne seront admises à la béatitude qu’après le jugement dernier. La tentative de Bellarmin, De ecclesia triumphante, l. I, c. IV, dans le De controversiis christianæ fidei, Paris, 1620, t. II, p. 686 ; cf. J. de la Servière, La théologie de Bellarmin, Paris, 1908, p. 299, de mettre [col.2499 fin / col.2500 début] la doctrine d’Irénée d’accord avec les définitions ultérieures de l’Eglise a été malheureuse : prorsus infeliciter, dit Massuet, Dissert., III, a. 10, n. 121, col. 379, tam aperia siquidem Irenæi opinio est. . . ut eam ad receptam hodie in tota Ecclesia catholica sententiam revocare velle laterem crudum lavare sit. Cf. D. de Petau, De Deo Deique proprietatibus, l. VII, c. XIX, n. 1-5, dans ses Dogmata theologica, édit. J.-B. Fourniais, Paris, 1865, t. I, p. 617-619. Voir BENOIT XII, t. II, col. 672-676. Vain également l’essai de justification de F. Feuardent, P. G., t. VII, col. 1835-1836. C’est en réfutant le gnosticisme qu’Irénée a dévié, l. V, c. XXXI, col. 1208-1210. Les gnostiques méprisent la créature de Dieu et n’admettent pas le salut de la chair ; aussi disent-ils que, dès la mort, se supergredi cælos et demiurgum et ire ad Matrem vel ad eum, qui ab ipsis affingitur, Patrem. Ce n’est pas étonnant qu’ils ignorent « l’ordre de la résurrection », puisqu’ils réprouvent toute résurrection, et, autant qu’il dépend d’eux, la suppriment. Mais, de l’avis d’Irénée, ceux-là aussi ont hæreticos sensus qui méconnaissent l’ordre de la promotion à la béatitude et ignorent les degrés par lesquels on s’élève à la vision bienheureuse, et motus meditationis ad incorruptelam ignorant. Le Christ a gardé la loi des morts ; après avoir expiré sur la croix, il n’est pas allé de suite au ciel, mais il est descendu aux enfers, puis, ressuscité le troisième jour, il est resté avec les apôtres avant de monter au Père. De même les âmes de ses disciples, après la mort, vont dans un lieu invisible fixé par Dieu, et y séjournent dans l’attente de la résurrection ; lors de la résurrection, elles seront unies à leur corps, comme le Christ est ressuscité, et viendront en la présence de Dieu. Le disciple n’est pas au-dessus du Maître. Le délai que le Christ a consenti pour lui-même s’impose à nous. La « digne habitation » déterminée par Dieu pour les justes en attendant la résurrection n’est pas le paradis terrestre de l’Eglise, habités par les justes de la terre, l. V, c. X, n. 1 ; c. XX, n. 2, col. 1147, 1178, ni le paradis supramondial, mais un lieu inframondial, le « sein d’Abraham. » Ayant conclu de la parabole du pauvre et du mauvais riche l’immortalité de l’âme, l. II, c. XXXIV, n. 1, col. 835, Irénée dit que les âmes se souviennent, et propheticum quoque adesse Abrahæ, et dignam habitationem unamquamque gentem percipere etiam ante judicium. C’est supposer que le « sein d’Abraham » sera le séjour des justes d’après comme d’avant le Christ. L’état des justes qui attendent la résurrection semble susceptible de progrès. Le progrès est la loi de la vie présente et de la vie future. Ut semper quidem Deus doceat, homo autem semper discat quæ sunt a Deo, cette formule, l. II, c. XXVIII, n. 3, col. 806, et la suivante, l. IV, c. XXXVII, n. 7, col. 1104 : uti. . . tandem aliquando maturus fiat homo, in tanti maturescens ad videndum et capiendum Deum, s’appliquent à tout le déroulement de la vie humaine. Les motus meditationis ad incorruptelam et ce mystère de la résurrection des justes et du royaume, quod est principium incorruptelæ, per quod regnum qui digni fuerint paulatim assuescunt capere Deum, l. V, c. XXXI, n. 1 ; c. XXXII, n. 1, col. 1207-1210, paraissent désigner des ascensions d’âmes continuelles. Enfin, le salut est inamissible ; ce n’est pas encore la réalité de la vision béatifique, c’est le droit à l’obtenir. Irénée l’affirme indirectement par sa doctrine de la nécessité et de l’efficacité de la pénitence. Cf. L. Atzberger, Geschichte der christlichen Eschatologie innerhalb der vornicänischen Zeit, p. 245-246. Du délai de la vision béatifique sont exempts les martyrs que l’Eglise omni tempore præmittit ad Patrem, l. IV, c. XXIII, n. 9, cf. c. XXXI, n. 3, col. 1078, 1070 ; parmi eux les saints Innocents, l. III, c. XVI, n. 4, col. 924. En quoi consiste le bonheur ? Sur ce point Irénée ne donne pas de réponse ferme. [col.2500 fin / col.2501 début]

     L’opinion du délai de la béatitude admise, la descente du Christ aux enfers ne pouvait avoir pour effet la délivrance immédiate des âmes. Conformément au texte apocryphe de l’Ecriture qu’il cite six fois, Irénée lui donne comme but l’annonce de la rémission des péchés et du salut : evangelizare salutem quæ est ab eo ut salvaret eos ; evangelizantem et illis adventum suum, remissione peccatorum existente his qui credunt in eum, l. III, c. XX, n. 4 ; l. IV, c. XXVII, n. 2, col. 945, 1058 ; cf. l. IV, c. XXII, n. 1 ; c. XXXIII, n. 1, 12 ; l. V, c. XXXI, n. 1, col. 1046-1047, 1072, 1081, 1208-1209 ; Dem., c. LXXVIII, p. 717. La théorie est donc celle de l’évangélisation des justes de l’Ancien Testament. Voir DESCENTE DE JESUS AUX ENFERS, t. IV, col.597. Ces justes seraient-iles non seulement ceux qui avaient cru en lui de leur vivant, mais encore les infidèles qui avaient bien vécu et qui auraient cru en lui lors de la descente aux enfers ? On serait tenté de répondre affirmativement, à lire Dem., c. LVI, p. 702 : « Pour ceux qui sont morts avant l’avènement du Christ, il y a espoir qu’à leur résurrection, au jugement, ils arriveront au salut, ceux-là du moins qui, tout en craignant Dieu, sont morts dans la justice et ont reçu intérieurement l’Esprit de Dieu, comme les patriarches, les prophètes et les justes. Quant à ceux qui, après l’avènement du Christ, n’ont pas cru en lui. . . » Mais un texte parallèle du Cont. hær., l. IV, c. XXVII, n. 2, col. 1058, dont nous avons cité le commencement : evangelizantem et illis adventum suum remissione peccatorum existente his qui credunt in eum, exige a foi au Christ avant la descente aux enfers : crediderunt autem in eum omnes qui sperabant in eum, id est qui adventum ejus prænuntiaverunt, et dispositionibus ejus servierunt, justi et prophetæ et patriarchæ. Cf. F. Bonifas, Histoire des dogmes de l’Eglise chrétienne, Paris, 1886, t. I, p. 352.

     d) L’état des âmes des pécheurs en attendant le second avènement du Christ. ― Dieu a préparé aux bons et aux méchants un séjour convenable, aptas habitationes, dit Irénée, l. V, c. XXXIX, n. 4, col. 1111 ; aux ennemis de la lumière les ténèbres ; à ceux qui fuient Dieu, en qui sont tous les biens, la privation de tous les biens. Cf. l. V, c. XXVII, n. 2, col. 1196. En outre, il y aura une punition positive : le feu éternel. La privation des biens inaugurée, dès la vie présente, par le fait même que le pécheur fuit Dieu, sera consommée à la mort. Quant à la peine du feu, elle sera inévitable, fraudati autem omnibus erga Deum bonis consequenter in Dei justum judicium incident, col. 1111, mais, semble-t-il, lié au jugement universel, non immédiate. Voir DEMON D’APRES LES PERES, t. IV, col.345 ; ENFER D’APRES LES PERES, t. V, col.54, 93.

     2. A partir du second avènement du Christ. a) Le second avènement du Christ. ― Après le déluge de feu et l’anéantissement de l’Antéchrist le Christ reviendra dans la gloire, avec le même corps, qu’il eut à son premier avènement. Cf. l. III, c. IV, n. 2 ; c. XVI, n. 6, 8 ; c. XIX, n. 2 ; l. IV, c. XXXIII, n. 1, 11, 13 ; l. V, c. XXX, n. 4, col. 856, 925, 927, 941, 1073, 1079, 1082, 1207 ; FIN DU MONDE, t. V, col.2519. La fin ne sera pas immédiate, du moins si l’on accepte le texte de Massuet, l. V, c. XXVI, n. 1, col. 1192, sur les dix rois de l’Apocalypse, XVII, 12 : manifestum est itaque quoniam ex his tres interficit ille qui venturus est (l’Antéchrist), et reliqui subjicientur ei, et ipse octavus in eis ; une variante de deux manuscrits : et subjiciuntur, si elle représentait le texte variable, avancerait l’événement. En tout cas, la fin est relativement proche. Nunc autem, dit-il, l. IV, præf., n. 4, col. 975, quoniam novissima sunt tempora, extenditur malum in homines, non solum apostatas eos faciens, sed et blasphemos in plasmatorem instituit multis machinationibus, id est per omnes hæreticos qui prædicti sunt. L’expression novissima tempora, à celle seule, ne serait pas probante, puisqu’elle [col.2501 fin / col.2502 début] désigne tout le temps qui court depuis le Christ. mais la recrudescence du mal qui est signalée restreint sa signification à la période finale du monde. Ailleurs encore, l. I c. XIII, n. 1, col. 580, il voit, dans un des chefs de ces gnostiques qui blasphèment leur créateur, un vrai précurseur de l’Antéchrist. Créé en six jours, dit-il encore, l. V, c. XXVIII, n. 3 ; c. XXIX, n. 2, col. 1200, 1201, 1203, le monde doit durer six mille ans, et la bête qui vient, l’Antéchrist résume les six mille ans d’apostasie, d’injustice, de perversité, de fausse prophétie. Voir ANTECHRIST, t. I, col.1363. Irénée a bien interprété l’Apocalypse, XIII, 18, en disant que le nombre du nom de la Bête est 666, c. XXIX, n. 2 ; c. XXX, col. 1202, 1208. Cf. T. Calmes, L’Apocalypse devant la tradition et devant la critique, Paris, 1905, p. 14. Il constate que plusieurs noms s’adaptent à ce chiffre, mais renonce à déterminer le nom véritable, puisque saint jean l’a tu. « Si saint Jean avait voulu que la connaissance en fût donnée au temps présent, il s’en serait expliqué plus clairement. Il a indiqué le nombre du nom, afin que nous nous tenions en garde contre celui qui vient, sachant qui il est. Il a tu ce nom, parce que ce nom n’est pas digne d’être prononcé par l’Esprit-Saint. Car, s’il avait été prononcé par l’Esprit-Saint, peut-être tarderait-il beaucoup de venir, fortassis et in multum permaneret. » Le début de la lettre des Eglises de Lyon et de Vienne, dans Eusèbe, H. E., l. V, c. I, P. G., t. XX, col. 609, témoigne de la même persuasion que la venue de l’Antéchrist s’approche : « De toutes ses forces se jeta contre nous l’adversaire, préludant déjà à sa parousie, dans laquelle il ravagera le monde. »

     b) La résurrection de la chair. ― C’est, ici, une des thèses capitales d’Irénée contre l’erreur capitale du gnosticisme que la matière est essentiellement mauvaise et ne peut, par conséquent, être l’œuvre d’un Dieu bon, l. I, c. VI, n. 2 ; c. XXII, n. 1 ; c. XXVII, n. 3 ; l. V, c. I, n. 2, col. 505, 669-670, 689, 1122. Irénée établit fortement l’identité du Dieu de la révélation chrétienne et du créateur du monde sensible, et prouve que le monde des corps est du domaine du Verbe, « que la matière est susceptible de salut. » L. I, c. VI, n. 1 ; l. V, c. II, n. 2, 3 ; c. XX, n. 1, col. 505, 1124, 1126, 1177. Contre les hérésies nées et à naître, Irénée maintient « le salut de l’homme total, corps et âme, » col. 1177. La résurrection de la chair, don de Dieu, l. III, c. XX, n. 2, col. 943 est l’œuvre de la puissance et de la justice divines. Le corps, formé de la terre, « retourne à la terre, à l’instar d’une très bonne semence » qui germe par l’action de Dieu. Fragment conservé dans les Sacra parallela attribués à saint jean Damascène, P. G., t. VII, col. 1236 ; cf. Cont. hær., l. V, c. VII, n. 2, col. 1140-1141. Nos corps ressusciteront non ex sua substentia sed ex virtute, c. VI, n. 2, col. 1139, car « Dieu, meilleur que la nature, a le vouloir, le pouvoir et le parfaire. » L. II, c. XXIX, n. 2, col ; 813-814. Tirer l’homme de la terre était plus difficile que de le ressusciter. La puissance divine éclate à vivifier non seulement l’âme, qui de sa nature est immortelle mais aussi le corps naturellement mortel. La longévité donnée par Dieu aux patriarches, ce qu’il a fait pour Elie et Hénoch, Jonas et les trois enfants dans la fournaise, attestent qu’il peut ressusciter les corps, l. V, c. III-V, col. 1128-1136. Puis, n’est-il pas juste que le corps, qui a participé, avec l’âme, au mérite, ait sa part de la récompense ? Les attributs divins appellent la résurrection des corps, l. II, c. XXIX, n. 2, col. 813-814.

     Les Ecritures l’affirment : l’Ancien Testament, l. V, c. XV, n. 1, col. 1163-1164 ; cf. le fragment XXXVI, P. G., t. VII, col. 1248, et le Nouveau. Nous avons les paroles du Christ et ses actes. Les paroles : celles, par exemple, qu’il adresse aux sadducéens, l. IV, c. V, [col.2502 fin / col.2503 début] n. 2, col. 984-985. Irénée fait bonne justice de l’argument que les gnostiques tiraient de I Cor., XV, 50 : Caro et sanguinis regnum Dei hæreditare non possunt, l. V, c. IX-XII, col. 1144-1156 ; « la chair et le sang » doivent s’entendre de ceux qui pèchent en s’adonnant à des œuvres charnelles, et le sens est que les pécheurs n’entreront pas au ciel. Les actes du Christ : d’abord, les guérisons et les résurrections qu’il opère, c. XII, n. 5 ; c. XIII, n. 1, col. 1155-1157 ; elles laissent pressentir la résurrection générale. Ensuite, sa propre résurrection, qui garantit la nôtre c. VII, n. 1 ; cf. l. IV, c. II, n. 4, 7 ; c. V, n. 2, col. 1139-1140, 978, 979, 985. La preuve fondamentale est dans l’incarnation. Si le Verbe a pris notre chair, c’est pour la sauver, l. V, c. XIV, col. 1160-1163. Il a institué l’eucharistie ; nourris du corps et du sang du Christ, nos corps sont divinement immortels, l. IV, c. XVIII, n. 5 ; l. V, c. II, col. 1027-1029, 1123-1128. Enfin, l’Ecriture nous apprend que nous sommes les membres du Crist, lequel est notre tête ; comme la tête est ressuscitée, les membres ressusciteront, l. III, c. XIX, n. 3, col. 941. Nos corps sont les temples du Christ, les temples du Saint-Esprit, les temples de Dieu. Templum igitur Dei, in quo Spiritus inhabitat Patris et membra Christi non participare salutem sed in perditionem redigi dicere, quomodo on maximæ est blasphemiæ ? L. V, c. VI, n. 2, col. 1139 ; c. XIII, n. 4, col. 1159-1160.

     En quoi consistera la résurrection ? Il y aura identité personnelle. L’âme retrouvera son corps, le corps son âme, non enim aliud est quod moritur et aliud quod vivificatur, l. V, c. XII, n. 3, col. 1153 ; cf. l. II, c. XXXIII, n. 5 ; l. V, c. III, n. 2 ; c. XIII, n. 3 ; fragment, XII, col. 833-834, 1130, 1158-1159, 1235. La résurrection sera générale, ad. . . ressuscitandam omnem carnem, l. I, c. X, n. 1, col. 549 ; cf. c. XXII, n. 1 ; l. II, c. XXXIII, n. 5 ; l. III, c. XVI, n. 6, col. 669-670, 834, 925, etc. Mais elle ne sera pas simultanée. Les justes ressusciteront, en premier lieu, au début du royaume terrestre du Christ ; les méchants ressusciteront, à leur tour, à la fin du royaume, l. V, c. XXVI, n. 2 ; c. XXII, n. 2 ; c. XXXIII, n. 4 ; c. XXXIV, n. 1 ; c. XXXV, n. 1, 2, col. 1194, 1211, 12145, 1215, 1218, 1220 ; Dem., c. XLI, XLII, p. 690, 691.

     c) Le royaume terrestre du Christ. ― La résurrection des justes n’est pas le dernier stade de la fin des choses. Il faut qu’ils s’accoutument peu à peu à contenir Dieu, paulatim assuescunt capere Deum ; que, dans cette création renouvelée ramenée à l’état primitif, ipsam conditionem reintegratam ad pristinum, ils reçoivent la récompense des efforts et des peins dont la création fut le théâtre ; qu’ils aient l’héritage de la terre promise à Abraham et, en lui, à tous ceux qui seront ses fils par la foi, accipient autem eam in resurrectione justorum. Cont. hær., l. V, c. XXXII, col. 1210-1211. Le Christ a annoncé qu’il boira, avec ses disciples, du vin nouveau dans le royaume de son Père, Matth., XXVI, 29, ce qui indique et la résurrection de la chair et l’héritage de la terre, car on ne boit pas du vin au ciel, sans un corps propre, c. XXXIII, n. 1, col. 1212. Ceux qui ont tout laissé pour lui auront le centuple en ce siècle et la vie éternelle au siècle futur Matth., XIX, 12 : ils auront ce centuple « dans le temps du royaume, c’est-à-dire au septième jour, jour sanctifié où le Seigneur s’est reposé de toutes ses œuvres, vrai sabbat des justes pendant lequel ils ne se livreront à aucun travail terrestre, mais seront assis à une table préparée par Dieu même et servie de tous les mets les plus délicieux. » c. XXXIII, n. 2, col. 1212. Ce septième jour, vrai sabbat des justes, représente un millénaire d’années, comme aux six jours de la création correspondent les six mille ans de la la durée du monde actuel ; Papias, de qui saint Irénée se réclame, dit expressément que le règne temporel du Christ durera mille ans. Cf. Eusèbe, H. E., l. III, c. XXXIX, P. G., [col.2503 fin / col.2504 début] t. XX, col. 300. Irénée, en effet, allègue, c. XXXIII, n. 3, 4, col. 1213, 1214, l’autorité des « presbytres qui ont vu Jean, le disciple du Seigneur. » Partant de cette tradition, qu’il croit apostolique, il interprète dans le sens millénariste la prophétie d’Isaac bénissant Jacob, et de nombreux passages des prophètes qui se rapportent au Messie, c. XXXIII, 3-XXXV, col. 1213-1220. Il se refuse à entendre ces passages allégoriquement : nihil allegorizari potest, sed omnia firma, et vera, et substantiam habentia, col. 1220. Voici les principaux traits de la description du royaume. Irénée n’imagine pas un grossier paradis, tel que celui qui hanta l’esprit de plus d’un millénariste. Son rêve comporte toutefois des festins, col. 1212, 1217, et il admet, col. 1213, sur la foi de Papias, l’authenticité du discours du Seigneur annonçant des vignes, du forment, des arbres fruitiers merveilleux : « des vignes naîtront, dont chacune contiendra dix mille ceps et dans chaque cep il y aura dix mille bras, et dans chaque bras dix mille rejetons, et dans chaque rejeton dix mille grains, et chaque grain pressé donnera vingt-cinq mille muids de vin ; et quand un des saints saisira une des grappes, une autre criera : « Je suis meilleure, prends-moi, et bénis Dieu à mon sujet. » Les animaux, devenus herbivores et pacifiques, seront soumis à l’homme, col. 1214, 1215. Plus de douleur. Les justes seront rois, col. 1210, 1213, 1218. Ils croîtront en grâce et en force par la vision du Seigneur, et, par son secours, ils se prépareront à porter la gloire de Dieu le Père ; ils vivront dans la communion et la société des anges et des justes, en la ville de Jérusalem réédifiée à la ressemblance de la Jérusalem du ciel, col. 1218-1220.

     Certes voilà un millénarisme qui n’est pas timide. Mais la pensée d’Irénée a connu des fluctuations. L’exception en faveur des martyrs passant directement au Père après leur supplice posait, au point de vue du millénarisme, un problème ardu, car, dit L. Laguier, La résurrection de la chair dans saint Irénée, dans la Revue du clergé français, Paris, 1905, t. XLIII, p. 234, « si, comme les justes et avec eux, ils ressuscitent, vont-ils jouir en corps et en âme de la vision béatifique ou en faire sur terre un apprentissage qui serait superflu ? » Ce problème, Irénée avait évité de le résoudre. Puis, il avait donné, l. IV, c. XXXIII, n. 14 ; c. XXXIV, n. 4, col. 1082, 1086, pour des textes analogues à ceux qu’il cite en faveur du millénarisme une interprétation étrangère au millénarisme. En outre, là même où il prend parti ex professo pour le royaume terrestre de mille ans, il y a, non pas la « sourdine » à ses affirmations, que L. Laguier, op. cit., p. 235, a cru y découvrir ― Irénée dit nettement, c. XXXV, n. 1, 2, col. 1218, 1220 : si autem quidam tentaverint allegorizare hæc quæ ejusmodi sunt, neque de omnibus poterunt consonantes sibimetipsis inveniri, et convincentur. . . Et nihil allegorizari potest ― mais cet aveu que le millénarisme est rejeté par des chrétiens qui putantur recte credidisse, c. XXXI, n. 1, col. 1208. Cf. J.-B. Franzelin, Tractatus de divina traditione et Scriptura, Rome, 1870, p. 102. Irénée n’est pas de leur avis ; à l’en croire, ils ont des « sentiments hérétiques, » car nier cet état intermédiaire de résurrection, c’est fournir des armes aux gnostiques et dénaturer la résurrection de la chair. Telle est « la seconde raison qui, avec son respect pour l’autorité prétendue apostolique de Papias, l’a rendu millénaire, et cette raison est une erreur. » L. Lescœur, Le règne temporel de Jésus-Christ. Etude sur le millénarisme, Paris, 1868, p. 220. Or, ni cette erreur ni le millénarisme ne reparaissent dans la Démonstration de la prédication apostolique. Irénée y retrouve, c. LXI, p. 706-707, les textes qui lui avaient paru imposer le millénarisme. Cette fois il n’accorde pas même une mention à l’interprétation littérale ; il ne voit dans les [col.2504 fin / col. 2505 début] textes qu’une chose, qui est l’annonce du « changement qu’opère a foi de Jésus-Christ, Fils de Dieu, dans ceux qui croient en lui » et du pouvoir que le Christ ressuscité a exercé sur les gentils. Si l’eschatologie d’Irénée et, en particulier, son millénarisme sont en connexion avec le reste de sa théologie, le millénarisme et les parties défectueuses de l’eschatologie peuvent disparaître sans que la théologie soit compromise. Le millénarisme se présente contre les gnostiques, qui nient le retour du Christ, et résulte de la récapitulation, telle qu’Irénée l’a entendue. mais, de même qu’il a pu, parce qu’il maintenait la liberté de l’homme, abandonner la thèse du salut universel, autre conséquence de la récapitulation irénéenne, il a pu renoncer au millénium terrestre et s’en tenir au triomphe des desseins de Dieu et à la restauration des choses dans la vie future, qui suivront le retour du Christ à la consommation des siècles.

     d) Le jugement universel. ― Rien de très saillant. Les principaux textes sont : l. I, c. X, n. 1 ; l. II, c. XXII, n. 2 ; c. XXXVIII, n. 7 ; l. III, c. V, n. 3 ; c. XII, n. 7, 9 ; c. XXV, n. 2, 4 ; l. IV, c. IV, n. 3 ; c. VI, n. 5, 7 ; c. XV, n. 2 ; c. XXVII, n. 1, 4 ; c. XXXIII, n. 1, 3, 11, 13 ; c. XXXVI, n. 3-4 ; c. XXXVII, n. 1 ; c. XXXIX, n. 4 ; c. XL, n. 1-2 ; l. V, c. XXIV, n. 2 ; c. XXVI, n. 2 ; c. XXVII, n. 1 ; c. XXXII, n. 1 ; c. XXXV, n. 2, col. 549, 781-782, 810, 860, 901, 903, 968, 969, 983, 989-990, 1014, 1058, 1060, 1061, 1073, 1074, 1079, 1082, 1092-1093, 1099-1100, 1111-1113, 1187, 1194-1196, 1210, 1220 ; Dem., VII, LVI, LXXXV, p. 665, 702, 720. Sur l’incendie de la fin des temps, l. IV, c. XX, n. 11, col. 1041, voir FIN DU MONDE, t. V, col.2519. La date du jugement dernier est inconnue. Le juge sera le Dieu bon, notre créateur et Père, jugeant par le Christ, Seigneur et rédempteur. Tous les hommes, tous les actes des hommes seront jugés. Le but du jugement est que chacun reçoive son dû solennellement, publiquement, pour sa gloire ou sa confusion et pour l’exaltation du Christ.

     e) Les damnés. ― Voir DAM, t. IV, p. 13 ; ENFER D’APRES LES PERES, t. V, col.53-55 ; cf. 93, 102 ; FEU DE L’ENFER, t. V, col.2200. Irénée a trois mots pour désigner l’enfer : tartarus, inferi, gehenna, l. II, c. VI, n. 3 ; l. IV, c. XXVI, n. 2 ; l. V, c. XXXV, n. 2, col. 725, 1054, 1220.

     f) Les élus. ― Voir BEATITUDE, t. II, col.504 ; CIEL, t. II, col.2480 ; CORPS GLORIEUX, t. III, col.1894 ; GLOIRE CELESTE, t. VI, col.1397. Le monde sera détruit, non la substance ni la matière, mais la figure du monde, voir FIN DU MONDE, t. V, col.2507, et il y aura des cieux nouveaux et une terre nouvelle, à l’instar de l’homme renouvelé, et hæc semper perseverabunt sine fine, l. V, c. XXXVI, n. 1 ; cf. l. IV, c. III, n. 1, col. 1221-1222, 980. Les élus vivront sans fin, avec Dieu, dans ces nouveaux cieux et cette nouvelle terre. Voir Dieu, c’est vivre, c’est participer à sa gloire ; les élus verront Dieu, et la vision intuitive, naturellement impossible à l’homme, sera le lot des élus rendus capables de cette vision et trouvant en elle leur béatitude. Dieu s’est fait voir prophétiquement par l’Esprit, dans l’Ancien Testament, et, dans le Nouveau Testament, adoptivement par le Fils ; il sera vu dans le royaume des cieux paternellement et la vie éternelle résultera de ce qu’il sera vu. Homo a se non videt Deum. Ille autem volens videtur hominibus, quibus vult, et quando vult, et quemadmodum vult. Potens est enim in omnibus Deus : visus quidem tunc per Spiritum prophetiæ (ou prophetice), visus autem et per Filium adoptive, videbitur autem et in regno cælorum paternaliter, Spiritu quidem præparante hominem in Filio Dei (Massuet note que quelques manuscrits portent à tort : in Filium, le sens étant que, dans le Fils de Dieu incarné, qu’il lui a été permis de voir de ses yeux, ou par la vision du Fils incarné l’homme s’est préparé à voir le Père intuiti- [col.2505 fin / col.2506 début] tivement dans le royaume de cieux), Filio autem adducente ad Patrem, Patre autem incorruptelam donante in æternam vitam quæ, unicuique evenit ex eo quo videat Deum, l. IV, c. XX, n. 5 ; cf. n. 6-7 ; c. XXXVII, n. 7 ; c. XXXVIII, n. 3 ; l. V, c. XXXI, n. 2 , col. 1035-1037, 1104, 1108, 1209. Tous ne verront pas Dieu de la même manière ; la mesure de notre amour sera celle de notre gloire céleste, col. 1104. Il y a « beaucoup de demeures » auprès du Père ; selon qu’ils auront produit cent pour un, soixante ou trente pour un, quidam in cælum assumentur, alii in paradiso conversabuntur, alii in civitate inhabitabunt, l. V, c. XXXVI, n. 2, col. 1223 ; cf. n. 1, col. 1222, surtout dans le texte plus complet, et qui a des chances d’être le texte véritable, conservé pas Anastase le Sinaïte, Interrogationes et responsiones de diversis capitibus, q. LXXIV, P. G., t. LXXXIX, col. 701. Il y a donc trois séjours pour les élus : le ciel proprement dit, le paradis terrestre, la Jérusalem nouvelle. Le paradis terrestre, « d’où Adam a été chassé pour habiter ce monde, » et où auraient été transférés Hénoch et Elie, qui ne passèrent point par la mort, et saint Paul dans son ravissement, l. V, c. V, n. 1, col. 1134-1135. La Jérusalem nouvelle, figurée par « la première Jérusalem, dans laquelle les justes préméditaient l’incorporation et se préparaient au salut, » c. XXXV n. 2, col. 1220, qu’Irénée plaçait au centre du monde, l. I, c. X, n. 2, col. 553 (voir la note de Massuet). Le ciel proprement dit, que Dem., c. IX, p. 666-667, distribue en « sept cieux où habitent les vertus, et les anges, et les archanges, qui remplissent les fonctions du culte envers Dieu tout-puissant et auteur de toutes choses, » et qui correspondent aux caractères du messie d’après Isaïe, XI, 2. « Tout ce dont les cieux sont composés, ajoute-t-il, c. X, p. 667, doit rendre gloire à Dieu, le Père de tous. » N’est-ce pas indiquer que les élus feront dans le ciel, après le jugement, ce que font de tout temps les anges, « qui glorifient Dieu par leur chant perpétuel ? » La Jérusalem nouvelle, le paradis terrestre, et le proprement dit seront trois séjours distincts, et non pas seulement trois degrés de béatitude dans un séjour unique ; mais ce seront des séjours non séparés, semble-t-il, par la distance, et comme des provinces contigües de ce « royaume des cieux, » col. 1035, qui englobe tous les élus. Ce qui invite à le croire, c’est qu’Irénée accompagne, col. 1223, l’énumération des trois séjours de cette allusion au festin qui symbolise le royaume des cieux, Matth. XXII, 2-14 : Et hoc est trictinium, in quo recumbent ii qui epulantur vocati ad nuptias. Et il précise, col. 1222 (au moins dans le texte grec conservé par Anastase le Sinaïte, car la version latine porte : ubique autem Deus videbitur) que partout les élus verront le Sauveur, πανταχοϋ γάρ ό Σωτήρ όραθήσεται. Le Christ, à son ascension, est monté au ciel, où il séjourne à la droite du père, l. I, c. X, n. 1 ; l. III, c. XII, n. 3 ; c. XVI, n. 9, col. 549, 895, 929. Ni son humanité n’occupe des lieux différents, ni la béatitude ne peut se concevoir sans lui. Il faut donc que les trois séjours des élus, tout en ne se confondant pas, se continuent l’un l’autre et participent à l’irradiation du Christ. Tout cela Irénée ne le dit pas explicitement ; il le suppose. Les élus pourront-ils s’élever de la ville sainte au paradis terrestre, et de celui-ci au ciel ? L’évêque de Lyon ne s’explique point là-dessus. Mais il admet que la béatitude, loin d’être stationnaire, sera toujours en progrès, l. IV, c. XXVIII, n. 3, col. 1062 : hi semper percipiunt regnum et proficiunt. Cf. l. II, c. XXVIII, n. 3, col. 806 : quædam commendamus Deo, et non solum in hoc sæculo sed et in futuro, ut semper quidem discat quæ sunt a Deo. Le passage d’un séjour de félicité inférieure à un séjour de félicité supérieure serait assez bien dans la logique de cette croyance. [col.2506 fin / col.2507 début]

     Telle est l’eschatologie d’Irénée : un mélange d’idées intéressantes, d’affirmations qui contiennent la substance de l’enseignement de l’Eglise, et de théories contestables ou même franchement erronées. C’est la partie la plus faible de son œuvre. Le millénarisme et l’opinion aujourd’hui hérétique, du délai de la vision béatifique qu’il eut en commun avec un certain nombre de Pères, lui viennent surtout d’un excès de confiance aux dires, réels ou prétendus, de quelques presbytres. Ses vues sur le travail de préparation graduelle requis pour que l’homme soit rendu capable de voir Dieu ont contribué à le maintenir dans une fausse route. Tout ce qu’il y a de beau dans cette doctrine de la « maturation, » qui précède l’entrée au ciel et la vision de Dieu se retrouve, sans l’alliage qui la dépare en saint Irénée, dans le dogme du purgatoire. Irénée ne nomme pas le purgatoire ; le « lieu invisible » où les âmes des justes attendent le royaume terrestre du Christ, qui disposera lui-même à la vision de Dieu, n’est pas sans lui ressembler, et nombre de ses textes seraient suffisants à le fonder en raison théologique, celui-ci, par exemple, l. IV, c. XXXVII, n. 7, col. 1104 : uti. . .tandem aliquando maturus fiat homo, in tantis maturescens ad videndum et capiendum Deum.

     C. Büttinghausen, De Apocalypsi ex Irenæo L. V, c. XXX, Heidelberg, 1771 ; H. Corrodi, Kritische Geschichte des Chiliasmus, Francfort, 1781 ; J. N. Schneider, Die christliche Doctrin und ihr Verhältniss zur christlichen Glaubenslehre, Schaffouse, 1859 ; W. Möller, Geschichte der Kosmologie in der griechischen Kirche bis auf Origenes, Halle, 1860, p. 474-506 ; M. Kirchner, Die Eschatologie des Irenäus, dans les Theologische Studien und Kritiken, Hambourg, 1863, t. XXXVI, p. 315-358 ; L. Lescœur, Le règne temporel de Jésus-Christ. Etude sur le millénarisme, Paris, 1868, p. 214-221 ; W. Volck, Der Chiliasmus seiner neuesten Bekämpfung gegenüber. Eine historisch-exegetische Studie, Dorpat, 1869 ; A. Chiapelli, Le idee millenarie der cristiani nel loro svolgimento storico, Naples, 1888 ; W. Haller, Die Lehre von der Auferstehung des Fleisches bis auf Tertullian, dans la Zeitschrift für lutherische Theologie und Kirche, 1892, p. 325 sq. ; L. Atzberger, Geschichte der christlichen Theologie innerhalb der vornicänischen Zeit, Fribourg-en-Brisgau, 1896, p. 192-263 ; W. Wadstein, Die eschatologische Ideengruppe Antichrist, Weltsabbat, Weltende und Weltgericht in den Hauptmomenten ihrer christlichlich-mittelalterlichen Gesamtentwicklung, Leipzig, 1896 ; V. Ermoni, Les phases successives de l’erreur millénariste, dans la Revue des questions historiques, Paris, 1901, t. LXX, p. 353-388 ; J. Leblanc, Entre la mort et la parousie avant Origène, dans les Annales de philosophie chrétienne, Paris, 1904, IIe série, t. III, p. 386-403 ; L. Gry, Le millénarisme dans ses origines et son développement, Paris, 1904 ; L. Laguier, La résurrection de la chair dans saint Irénée, dans la Revue du clergé français, Paris, 1905, t. XLIII, p. 225-236 ; E. Buonaiuti, Il millenarismo d’Ireneo, dans la Rivista storico-critica delle scienze teologiche, Rome, 1906, t. II, p. 909-918 ; J. Hoh, Die Lehre des heil. Irenäus über das Neue Testament, Munster, 1919, p. 146-150.


     IV. LA PLACE DE SAINT IRENEE DANS L’HISTOIRE DE LA THEOLOGIE.

I. LES SOURCES. ― 1° Sources païennes. ― Irénée fut un grand liseur. Son livre est la Bible. Mais il n’est pas indifférent à la littérature profane. Tertullien, Adversus valentinianos, c. V,

P. L., t. II, col. 548, l’appelle « explorateur très curieux de toutes les doctrines. » Il cite volontiers les écrivains grecs, littérateurs et philosophe. Il a pu ne connaître tel ou tel d’entre eux qu’à travers un manuel. De plusieurs il a certainement une connaissance directe. C’est le cas d’Homère, qu’il allègue à plusieurs reprises en homme qui le connaît, ό δ΄ έμπειρος τής όμηρικής ύποθέσεως έπιγνώσεται ; pour montrer que les gnostiques altèrent l’Ecriture en cousant bout à bout des textes épars, il donne un centon de vers homériques choisis de manières à leur faire raconter l’envoi d’Hercule par Eurysthée à Cerbère, le chien infernal, l. I, c. IX, n. 4 ; c. XII, n. 2 ; l. II, c. V, n. 4 ; c. XIV, n. 2 ; c. XXII, n. 6 ; [col.2507 fin / col.2508 début] l. IV, c. XXXIII, n. 3, col. 544-545, 572, 724, 751, 786, 1074. C’est le cas encore de Platon ; il en parle pertinemment et avec chaleur ; sauf à contredire sa doctrine de la métempsycose, l. II, c. XIV, n. 3, 4 ; c. XXXIII, n. 2 ; l. III, c.XXV, n. 5, col. 751-752, 831-832, 969-970. En revanche, le mot sur Aristote, l. II, c. XIV, n. 5, col. 752, dont la philosophie subissait alors une éclipse contient un jugement par trop sommaire et trop injuste : « Aristote, dit-il aux gnostiques, vous a enseigné l’art de noyer toutes les questions dans un amas de subtilités de paroles oiseuses. » Les autres philosophes mentionnés sont Anaxagore, Anaximandre, Démocrite, Empédocle, Thalès, Pythagore et les pythagoriciens, Epicure, et, en général, les stoïciens et les cyniques, l. II, c. XIV, n. 2-6 ; c. XXXII, n. 2 ; l. III, c. XXIV, n. 2, col. 750-754, 828, 967. Parmi les poètes, Hésiode, Pindare, Antiphane, Ménandre, Sophocle, Stésichore, et, en général, les comiques et pœtæ et conscriptores, l. I, c. XXIII, n. 2 ; l. II, c. XIV, n. 1, 2, 4-5 ; c. XVIII, n. 5 ; c. XXI, n. 2 ; l. V, c. XII, n. 2, col. 672, 749-750, 752, 770, 780-781, 1157. En outre, une allusion à une fable d’Esope, l. II, c. XI, n. 1, col. 737, et aux ludicra d’Anaxilaüs, sans doute le médecin et magicien, l. I, c. XIII, n. 1, col. 580. Cf. la note de Massuet.

     Irénée est un chrétien de race grecque. Son hellénisme se marque moins par son attrait pour la spéculation abstraite ― encore pénètre-t-il intelligemment dans les spéculations abstruses des gnostiques ― qu’il ne se reconnaît « à son savoureux bon sens, à son amour du fait concret, du détail précis, à son horreur des songe-creux. » A. Dufourcq, Saint Irénée (collection Les saints), 2e édit., Paris, 1904, p. 66. Quant à préciser les limites dans lesquelles il s’inspire de l’hellénisme, ce n’est pas chose aisée. A. Dufourcq, op. cit., p. 68, note, pense qu’à la philosophie aristotélicienne « il ne doit peut-être que l’idée d’éducation progressive, dont il a, du reste, si heureusement tiré parti lorsqu’il a rattaché l’Ancien Testament au Nouveau, » et qu’à la philosophie de l’époque suivante il doit « peut-être l’idée qu’il se fait de la bonté de Dieu, les grandes lignes de son anthropologie, et le sentiment très vif qu’il a de la transcendance absolue de Dieu. » Mais tout cela il le trouvait, plus ou moins, dans l’Ecriture, et ce qu’il a pu en emprunter à la philosophie grecque a été transformé sous l’influence de sa foi.

     Sources juives. ― Irénée a quelque connaissance de l’hébreu. Cf. l. I, c. XXI, n. 3 ; l. II, c. XXIV, n. 2 ; c. XXXV, n. 3 ; l. V, c. XXI, n. 2, col. 661, 664, 788, 789, 791, 838-840, 1181 ; Dem., c. XLIII, LIII, p. 692, 700. Ce n’est pas assez pour rendre plausible l’hypothèse de W. Harvey, dans son édition d’Irénée, t. I, p. V, CLIII, que l’évêque de Lyon aurait une origine sémitique. Tout au plus pourrait-on en conclure, avec t. Zahn, Realencyklopädie, 3e édit., Leipzig, 1901, t. IX, p. 407, à la vraisemblance que, parmi les Asiates qui l’initièrent à la foi chrétienne, il y en eut qui étaient juifs de naissance. Lui-même dit, col. 788, que le nom de Jésus, dans la langue hébraïque, a deux lettres et demi, sicut periti eorum dicunt, ce qui le classe hors de la nationalité juive. Il tient compte du texte hébreu de la Bible ; Dem., c. XLIII, p. 692, il cite un texte probablement corrompu. Il connaît les versions des juifs Théodotion et Aquila, l. III, c. XXI, n. 1, col. 946. Il cite Josèphe. Fragment XXXIII, P. G., t. VII, col. 1245. Il utilise, à l’instar de saint Justin et de la plupart des exégètes de cette époque, les croyances haggadiques. Cont. hær., l. IV, c. XXXI, n. 3, col. 1070, sur la femme de Lot ; Dem., c. IX, sur le chandelier à sept branches et les sept cieux ; c. XVIII, sur les maléfices et recettes magiques que les « fils de Dieu » auraient appris aux « filles des hommes ; » c. XXIV, sur le rôle donné à [col.2508 fin / col.2509 début] Abraham. Cf. A. Harnack, Des heiligen Irenäus Schrift zum Erweise der apostolischen Verkündigung, Leipzig, 1907, p. 58 ; J. Lebreton, Le nouveau traité de saint Irénée sur la Démonstration de la prédication apostolique, dans la Revue de l’institut catholique de Paris, Paris, 1907, t. XII, p. 136-138. J. Lebreton note que l’exégèse d’Irénée, c. IX, XXIV, est apparentée à celle de Philon. Nous avons signalé, en traitant de la règle de foi, l’hypothèse d’U. Mannucci sur le caractère catéchétique de la Démonstration ; celui-ci a supposé, La didascalia della Chiesa primitiva, dans la Rivista storico-critica delle scienze teologiche, Rome, 1907, t. III, p. 139, que cette catéchèse ou didascalie primitive, dont la Démonstration ne serait qu’un développement, pourrait bien avoir son origine dans le judaïsme, « comme on y trouve désormais avec certitude celles des Deux voies par où commence la Διδαχή ; » dans l’attente du Messie, aurait été élaborée peu à peu une sorte de récapitulation de la tradition biblique, mise à profit plus tard par les chrétiens.

     Sources gnostiques. ― 1. Emprunts doctrinaux au gnosticisme. ― Le gnosticisme a-t-il exercé une action directe sur la pensée et sur la liturgie de l’Eglise, par exemple sur les rites eucharistique, comme l’a cru E. Buonaiuti, Lo gnosticismo. Storia di antiche lotte religiose, Rome, 1907, p. 264 ? Cf. P. Batiffol, Le gnosticisme, dans les Bulletin de littérature ecclésiastique, Paris, 1907, p. 174. La preuve n’est pas faite qu’il ait eu une influence sérieuse, surtout avant le IIIe siècle. Sur le « levain gnostique » qui imprégnait « toute la littérature chrétienne du IIIe siècle, » lire, avec des réserves, E. de Faye, Gnostiques et gnosticisme. Etude critique des documents du gnosticisme chrétien aux IIeet IIIesiècles, Paris, 1913, p. 471-494. Avant le IIIe siècle, et tout spécialement chez saint Irénée, certaines idées de ses docteurs ont pu être adaptées à l’exposition ou à la défense de la doctrine catholique. Encore ne faut-il pas soupçonner trop vite l’action du gnosticisme là où tout s’explique aisément par l’utilisation de l’Ecriture et de la tradition patristique. Quand Irénée montre, dans Jésus-Christ, le docteur céleste qui apporte enfin la connaissance, la gnose, à ses disciples, ou quand il désigne par le mot de connaissance, agnitio, la révélation du Christ et se réfère aux paroles d’un presbytre sur la connaissance du Christ, il ne dit rien dont on ne trouve l’équivalent dans l’Evangile et dans saint Paul ou dans saint Justin ; évoquer à ce sujet le gnosticisme et supposer, avec A. Dufourcq, Saint Irénée (collection Les saints), p. 124, qu’il a pu suivre les leçons d’un maître « quelque peu teinté de gnosticisme, » c’est se lancer en plein arbitraire. De même, quand il se rencontre, l. IV, c. XVI, n. 2 ; c. XXXVI, n. 4, col. 1016, 1093, avec Héracléon, P. G., t. VII, col. 1316, pour voir des anges dans les « fils de Dieu » de Gen., VI, 2, ou quand il développe, Dem., c. IX, p. 666, la conception de sept cieux chère aux valentiniens, cela n’atteste point une influence gnostique ; Irénée et les gnostiques ont pu s’inspirer directement ici de la littérature rabbinique, là de Josèphe, de Philon, de saint Justin. Cf. A. d’Alès, La théologie de Tertullien, Paris, 1905p. 156-157, note. J. Lebreton, dans la Revue de l’institut catholique de Paris, 1907, t. XII, p. 137. Les ressemblances notées par A. Dufourcq, Saint Irénée (collection La pensée chrétienne), Paris, 1905, p. 182, 192, 193, entre Irénée, l. IV, c. XII, n. 1, 4 ; c. XV, n. 2, col. 1004, 1005, 1013, et Ptolémée, dans sont épître à Flora, P. G., t. VII, col. 1284, ne sont pas très caractéristiques ; Irénée n’avait pas besoin d’emprunter au docteur gnostique ce que l’Evangile lui fournissait clairement. La phrase : « Celui qui est né de Dieu est de Dieu, » Dem., c. XLVII, p. 695, avait été énoncée par Ptolémée. Il est évident qu’Irénée avait pu faire de lui-même un [col.2509 / col.2510 début] raisonnement aussi simple. L’influence gnostique est possible, non établie.

     2. Emploi des sources gnostiques pour la connaissance du gnosticisme. ― Pour combattre utilement et convaincre les gnostiques, il était nécessaire de les connaître, adversus eos victoria est sententiæ eorum manifestatio, l. I, c. XXXI, n. 3, col. 705. Faute de cette connaissance, dit-il, l. IV, præf., n. 2, col. 973, « ceux qui ont été avant nous et meilleurs que nous n’ont pu suffisamment contredire suffisamment les valentiniens. » Irénée a conversé avec des hérétiques, il a lu leurs livres. Cf. l. I, præf., n. 2 ; c. XXV, n. 2 ; c. XXXVII, n. 4 ; l. V, præf., col. 441, 684-685, 689, 1119. Il ne nomme ni les livres qu’il a lus ni les gnostiques qu’il a interrogés. Particulièrement documenté sur l’école de Valentinien, il multiplie, dans sa notice, l. I, c. I-XII, les indications matérielles de ses diverses sources d’information. Le mot λέγουσι, revient à chaque instant, et il introduit les paragraphes par ces formules : λέγουσι, ένιοι μυθολογοϋσιν φάσκουσιν, etc. Deux de ces formules, mal comprises, ont entraînées dans l’erreur saint Epiphane, Panarium, hær. XXXII, c. III, P. G., c. XLI, col. 548 ; Théodoret, Hæreticarum fabularum compendium, l. I, c. V, P. G., t. LXXXIII, col. 352, et, à leur suite, une foule d’hérésiologues, par exemple, Massuet, Dissert., I, a. 2, n. 78-80, col. 103-105. Là où Irénée parle de alius qui clarus est magister ipsorum, selon la version latine, ils ont transformé en nom propre l’épithète έπιφανής, que rend le mot clarus, et ce docteur valentinien anonyme est devenu Epiphane, fils de Carpocrate. Non content de ces désignations générales, Irénée expose l’enseignement de Valentinien, c. XI, n. 1, col. 560 ; de Secundus, n. 2, col. 564 ; des disciples de Ptolémée, præf., n. 4 ; c. XII, n. 1, 3, col. 441, 569, 574 ; il reproduit peut-être un passage important de Ptolémée sur le prologue de saint Jean, à s’en rapporter aux mots : Et Ptolemæus quidem ita, c. VIII, n. 5, col. 538, qui manquent dans ce que nous possédons du texte grec. Plus d’un trait de l’exposé de la doctrine des marcosiens donne à croire qu’il s’inspire d’un document écrit. Il se pourrait même qu’il fournisse le titre de cet écrit : Le silence de Marc, sans doute une sorte de livre des révélations de Marc, quand il dit, c. XIV, n. 7, col. 608 ; cf. 609 : ώς φησιν ή Μάρκου Σιγή. Il connaît des écrits de Marcion et la Bible des marcionites, l. I, c. XXVII, n. 3 ; l. III, c. XII, n. 12, col. 689, 906, et, à peu près sûrement un écrit hérétique de Tatien, l. I, c. XXVIII, n. 1, col. 690-691. Il a eu entre les mains quelques-uns des livres des caïnites, c. CXXXI, n. 2, col. 704. la notice qu’il consacre aux barbéliotes, c. XXIX, col. 691-694, avait donné l’impression d’avoir été composée à l’aide d’un document, et cette impression a été confirmée par la découvert du document lui-même, L’Evangile de Marie. Cf. C. Schmidt, Ein vorirenäisches Originalwerk in koptischer Sprache, dans les Sitzungsberichte der k. preussischen Akademie der Wissenschaften, Berlin, 1896, p. 839 sq. (sera publié dans le t. II des Koptisch-gnosctiche Schriften). Enfin, les renseignements, c. XXX, col. 694-704, sur une secte non nommée, de séthiens ou d’ophites, d’après Théodoret, Hæreticarum fabularum compendium, l. I, c. XIV, P. G., t. LXXXIII, col. 364, et pour laquelle E. de Faye, Gnostiques et gnosticisme, p. 363, propose l’appellation d’ « adeptes de la Mère, » sont dus certainement à un ou plusieurs documents gnostiques. Cf. E. de Faye, p. 361.

     Que vaut la documentation d’Irénée et quelle est la portée de son témoignage sur les gnostiques ? La question a été longuement débattue au cours de ces dernières années. Un exposé exact et clair des opinions émises est l’Introduction à l’étude du gnosticisme au IIeet au IIIesiècles, par E. de Faye, dans la Revue de l’histoire des religions, Paris, 1912, t. XLV, p. 299-312, [col.2510 fin / col.2511 début] t. XLVI, p. 31-57, 145-172, 363-399. L’auteur a dégagé, p. 369-399, ce qui lui paraissait résulter de cette vaste enquête. il a repris ces conclusions dans Gnostiques et gnosticisme, Paris, 1913. Cet ouvrage remarquable, mais beaucoup trop favorable aux gnostiques, est loin de pécher par excès de bienveillance envers Irénée, et quelques-unes de ses critiques de détail ne portent pas ; le jugement d’ensemble est juste. Irénée, passionné, mais non haineux, d’une loyauté non suspecte, nous fait bien connaître les gnostiques ses contemporains, moins bien ceux des générations antérieures. les gnostiques qu’il a sous les yeux sont les disciples des disciples des grands fondateurs des sectes gnostiques. « Il est naturel que les défenseurs de l’Eglise soient surtout préoccupés des gnostiques qu’ils voient à l’œuvre. . ., qu’ils aient ce penchant de voir les ancêtres des sectes gnostiques à travers les épigones. Comment ne leur arriverait-il pas, sans même s’en douter, de confondre les temps, d’attribuer aux fondateurs les idées de leurs successeurs, de rajeunir de deux ou trois générations certaines doctrines que professaient des gnostiques de la fin du IIe siècle ? » P. 9-10 ; cf. p. 113-115, 314, 321. De la notice, importante entre toutes, l. I, c. I-XII, sur le valentinianisme, E. de Faye conclut l’examen, p. 85-117, par cette appréciation : « Telle qu’elle est, la notice d’Irénée est fort précieuse. On y trouve en partie la spéculation de Valentin, des échos de l’enseignement de Ptolémée et d’Héracléon, et enfin les élucubrations des valentiniens du temps d’Irénée. On peut dire que trois générations ont déposé leur alluvion dans cette notice. On y entrevoit soixante ans d’histoire. » Ce n’est pas peu de chose. Et en somme, Irénée a réalisé son programme, præf., n. 2, col. 441, qui était surtout de manifester la doctrine des valentiniens de l’école de Ptolémée, eorum qui sunt circa Ptolemæum. Sur les rapports entre la théologie de la lettre de Ptolémée à Flore, cf. A. Dufourcq, Saint Irénée (collection La pensée chrétienne), p. 82-84. la notice la plus complète, après celle du valentinianisme, est celle du marcosianisme, c. XIII-XXI ; riche, mais moins sûre en ce qui regarde Marc, elle mérite confiance en ce qu’elle nous apprend des disciples de l’hérésiarque. Cf. E. de Faye, p. 321. Les notices sur Marcion, les caïnites, les ophites ou « adeptes de la Mère, » les barbéliotes, sont puisés à de bonnes sources. Cf. E. de Faye, p. 124, 127, 350, 361, 374. Les notices sur les anciens gnostiques : Basilide, Carpocrate, Simon le magicien, Satornil, Cérinthe, Cerdon, n’offrent pas les mêmes garanties ; elles aident à bien connaître, sinon toujours ces hérétiques, du moins leurs successeurs. Cf. E. de Faye, p. 37, 395, 409, 411, 414. Relevons seulement, c. XXIII, n. 1, col ; 671, l’erreur provenant de Justin relative à la statue de Simon le magicien qui aurait été érigée à Rome. Sur une erreur attribuée à Irénée concernant l’existence du gnostique Colorbasus, voir COLORBASUS, t. III, col.378. Concluons : la connaissance qu’Irénée eut et l’usage qu’il fit des sources gnostiques rendent le Contra hæreses très utile pour l’étude du gnosticisme ; mais tout n’y est pas d’égale valeur ni sans lacunes.

     Sources chrétiennes. ― 1. L’Ecriture. ― D’abord et par-dessus tout, Irénée s’inspire de l’Ecriture. Saint Jean et saint Paul lui sont particulièrement familiers. « A vrai dire, on a l’impression, observe A. Dufourcq, Saint Irénée (collection Les saints), p. 185, note, que saint Irénée est plus près de saint Jean que de saint Paul, » ce qui n’est pas pour surprendre de la part d’un disciple de Polycarpe ; mais la doctrine paulinienne du second Adam s’associe étroitement, dans son œuvre, à la doctrine johannique du Verbe fait Chair et de la déification de l’homme par l’Esprit de [col.2511 fin / col.2512 début] Jésus et du Père et la place qu’il assigne à la double théorie, mystique et réaliste, de la rédemption, prouve qu’il dépend à la fois des deux apôtres. Il a fallu les entraînements de l’esprit de système pour amener J. Werner, Der Paulinismus des Irenäus, Leipzig, 1889, à soutenir que, malgré les ressemblances extérieures, malgré les formules et les citations pauliniennes, aucun lieu réel n’unit l’évêque de Lyon à saint Paul.

     2. En dehors de l’Ecriture.a) Ceux qu’il cite. ― Irénée cite saint Polycarpe, des presbytres, Papias, saint Clément, Hermas, saint Ignace, saint Justin, Tatien. ― a. Saint Polycarpe. Cont. hær., l. III, c. III, n. 4, col. 851-855 ; lettres à Florinus et au pape Victor, dans Eusèbe, H. E., l. V, c. XX, XXIV, P. G., t. XX, col. 484-485, 508, Irénée cite des paroles de Polycarpe et vante son épître aux Philippiens. Bien qu’il fût relativement jeune quand il le connut, il a gardé tout vivant l’enseignement de Polycarpe : « il me semble, dit-il à Florinus, encore l’entendre nous raconter de quelle manière il avait conversé avec Jean et avec les autres qui avaient vu le Seigneur, nous rapporter leurs paroles et tout ce qu’ils avaient appris touchant Jésus-Christ, ses miracles et sa doctrine. » Une pareille influence marque pour la vie. Cf., sur les suscitations de saint Paul par Polycarpe et par Irénée, F. R. M. Hitchcock, Irenaeus of Lugdunum, p. 24 ; sur Irénée et Polycarpe l’appendice des actes de Polycarpe dans le manuscrit de Moscou (XIIIe siècle), dans H. Hemmer et P. Lejay, op. cit., p. LXIX. ― b. Les presbytres. ― Un peu partout Irénée se réfère aux vénérables presbytres, qui avaient vécu avec les apôtres ou avec leurs disciples. Le mot grec est πρεσβύτερος, et, une fois, πρεσβύτης ; ce dernier mot saint Epiphane l’applique à Irénée, Panarium, hær. XXXI, c. 33 ; hær. XXXIV, c. 21, P. G., t. XLI, col. 538, 623. La vieille traduction latine a les mots : presbyter, senior, vetus homo, veteres. Parmi ces presbytres, il en est qu’Irénée a connus lui-même. C’est le cas très probablement, de « cet homme meilleur que nous, » « supérieur à nous, » dont il parle, l. I, præf., n. 2 ; c. XIII, n. 3 ; l. III, c. XVII, n. 4, col. 440, 584, 931-932, avec un accent qu’on n’a pas quand il s’agit d’un étranger, et dont on s’est demandé si ce ne serait pas saint Polycarpe ou saint Pothin. Cf. Tillemont, Mémoires, t. III, p. 89, note. C’est sûrement le cas du presbytre ― serait-ce le même ? ― qu’il a entendu, qui avait entendu les apôtres, et dont il invoque l’autorité sept fois de suite, l. IV, c. XXVIII, n. 1, 2 ; c. XXX, n. 1 ; c. XXXI, n. 1 ; c. XXXII, n. 1, col. 1059, 1058, 1059, 1064, 1068, 1070. Il en est qu’Irénée n’a peut-être pas connus personnellement. D’abord, ce mystérieux poète, πρεσβύτης, dans le grec, senior dans le latin, qui a écrit contre le gnostique Marc, l. I, c. XV, n. 5, col. 628, et ceux qu’Irénée caractérise simplement comme les transmetteurs de la vraie foi, l. III, c. XXIII, n. 3 ; l. IV, c. XXVIII, n. 1 ; l. V, c. XVII, n. 4, col. 961, 1061, 1171 ; lettre à Florinus, dans Eusèbe, P. G., t. XX, col. 485 ; Dem., c. III, LXI, p. 662, 706. Ensuite, le groupe des presbytres asiates, qui se trouvaient auprès de saint Jean, « qui le virent face à face, » et donc plusieurs virent d’autres apôtres, l. II, c. XXXII, n. 5 ; l. V, c. V, n. 1 ; c. XXXIIII, n. 3 ; c. XXXVI, n. 1, 2, col. 785, 1135, 1203, 1213, 1223. On a souvent dit qu’Irénée avait conversé avec eux. Rien ne le prouve. Il semble plutôt qu’Irénée ait eu en mains un recueil écrit de leurs témoignages, ainsi que l’indique la manière dont il les présente : « ils disent, » « ils attestent ». Cf. W. S. Reilly, Les presbytres asiates de saint Irénée, dans la Revue biblique, Paris, 1919, [col.2512 fin / col.2513 début] p. 216. Ce recueil fut sans doute les Exégèses des discours du Seigneur, de Papias, que nous savons avoir été un assemblage de traditions des presbytres au sujet des paroles du Christ. Irénée, en effet, après avoir cité le témoignage de ces presbytres, l. V, c. XXXIII, n. 3, col. 1213-1214, dit, n. 4, col. 1214 : « Tout cela aussi, Papias, auditeur de Jean et compagnon de Polycarpe, un homme des anciens temps, l’atteste l’ayant consigné par écrit au livre IV de son ouvrage, car il en a écrit cinq, ταϋτα δέ κα ίΠαπίας. . . έγγράφως έπιμαρυρτεϊ » N’est-ce pas laisser entendre qu’il connaît les dires des presbytres asiates à travers Papias, et n’est-il pas permis d’en conclure qu’il en est de même des autres passages où il se réclame de ces presbytres, tant avant (sur le chiffre de la bête) qu’après (sur les diverses demeures de la maison du Père) ce passage, col. 1203, 1222, 1223, cf. 1135, et, beaucoup plus haut (sur l’âge du Christ) ? ― c. Papias. ― On s’est trompé en faisant d’Irénée un disciple de Papias, au même titre que de Polycarpe. Deux textes de saint Jérôme ont donné lieu à cette méprise : celui du De viris illustribus, c. XXXV, P. L., t. XXIII, col. 649 : constat autem Polycarpi. . . hunc fuisse discipulum, et cet autre, Epist., LXXXV, P. L., t. XXII, col. 687 : Irenæus. . ., Papiæ, auditoris evangelistæ Joannis discipulus. Massuet, Dissert., II, a. 1, n. 3, col. 176, a inféré de ces textes de Jérôme qu’Irénée, après le martyre de Polycarpe, n’ayant pu fréquenter longuement l’école du saint vieillard, se rendit auprès de Papias, autre disciple de saint Jean, et se confia à sa discipline. En réalité, le passage d’Irénée, col. 1214, duquel dépendent et le mot de Jérôme et l’interprétation de Massuet, prouve uniquement qu’Irénée fut disciple de Papias dans un sens large : il fut un lecteur, non un auditeur de Papias. Irénée, le premier, s’était trompé sur le compte de Papias, quand il en avait fait un auditeur de saint Jean, confondant l’apôtre Jean avec Jean le presbytre. Eusèbe, H. E., l. III, c. XXXIX, P. G., t. XX, col. 296-297, fat observer qu’Irénée a mal lu Papias ; que, dans la préface de son ouvrage, Papias ne se dit pas l’auditeur des apôtres, mais de leurs disciples, ou, mieux, des disciples de leurs disciples. Que ce soit parce qu’il a lu Papias rapidement, qu’il le cite de mémoire, ou que, citant le livre IV des Exégèses, il n’ait pas un souvenir exact de la déclaration du préambule, impressionné qu’il est, sinon hypnotisé, par le grand nom des presbytres, quelle que soit l’explication de l’erreur d’Irénée, l’erreur n’est pas douteuse. Impossible quand il affirme que saint Polycarpe, qu’il a vu et entendu, a connu l’apôtre saint jean, elle s’est produite en ce qui regarde Papias, qu’il n’a ni vu ni entendu, à la suite d’une lecture insuffisamment attentive. Par là, disparaît cette véritable impossibilité qu’il y avait à prêter à l’apôtre saint Jean, parlant « de la part du Seigneur, » le millénarisme effréné qu’Irénée lui attribue, ainsi que la fausseté sur l’âge du Christ. Ce n’est pas de l’apôtre saint Jean, mais des auditeurs des presbytres auxquels s’était fié Papias, homme crédule et « très petit esprit, autant qu’on peut en juger par son ouvrage, » dit Eusèbe, que venaient ces imaginations. Irénée les accueillit parce qu’il les croyait de l’apôtre. ― d. Des anonymes distincts des presbytres. ― Il n’y a pas de raison qui oblige d’inscrire parmi les presbytres, avec A. Harnack, Geschichte der altchristlichen Literatur bis Eusebius, Leipzig, 1893t. I, p. 65, l’anonyme dont Irénée cite L. IV, c. IV, n. 2, col. 982, la belle parole sur le Fils mesure du Père immense : et bene qui dixit. . ., ni celui qu’il cite sous cette forme, c. XLI, n. 2, col. 1115 : quemadmodum et quidam ante nos dixit, pas plus que ceux qui ante nos fuerunt, et quidem multo nobis meliores, l. IV, præf., n. 2, col. 973, et qui ont combattu le valentinianisme avec une connaissance [col.2513 fin / col.2514 début] insuffisante de sa doctrine. Dem., c. LVIII, p. 704, suppose une tradition particulière sur l’étoile des mages : « elle pénétra dans la maison où se trouvait l’enfant enveloppé de langes et vint se reposer sur sa tête, pour montrer aux mages le Fils de Dieu, le Christ. » ― e. Saint Clément. ― Nous avons vu qu’Irénée cite la lettre aux Corinthiens en des termes qui ont paru, mais à tort, qu’il la considérait comme une partie de l’Ecriture. Serait-ce à Clément, I Cor., XII, n. 7, ou à Justin, Dialogus, c. CXI, P. G., t. II, col. 733, qu’Irénée emprunte, l. IV, c. XX, n. 12, col. 1043, l’idée de la cordelette rouge de Rahab, figure du sang rédempteur du Christ ? Plutôt à Justin, d’après le contexte ; mais Justin a dû utiliser saint Clément. La vision d’Ezéchiel est invoquée comme témoignage en faveur de la résurrection par Clément, I Cor., c. L, par Justin, Apol., I, c. LI, P. G., t. VI, col. 406, par Irénée, l. V, c. XV, n. 1, col. 1164 ; l’application était si naturelle qu’il n’y a pas à supposer qu’Irénée dépende ici de Justin ou de Clément. ― f. Hermas. ― Voir ce qui a été dit à propos du canon des Ecritures et, sur des ressemblances entre Hermas et Irénée, A. Harnack, Geschichte der altchristlichen Literatur, t. I, p. 52. Par ailleurs J. Lebreton, Le nouveau traité de saint Irénée, dans la Revue de l’Institut catholique de Paris, Paris, 1907, t. XII, p. 139, pense qu’on peut retrouver, dans l’archange, « chiliarque administrateur » et chef de la milice céleste, Dem., c. XI, p. 468, « l’ange très vénérable » du Pasteur, Vis., V, II ; Mand., V, I, 7. La conjecture est ingénieuse ; si elle était fondée, elle appuierait l’hypothèse qui identifie « l’ange vénérable, » « l’ange saint, » « l’ange illustre » du Pasteur avec saint Michel. ― g. Saint Ignace. ― Irénée cite, l. V, c. XXVIII, n. 4, col. 1200-1201, sous cette désignation : « comme l’a dit l’un des nôtres, » une phrase d’Ignace, Ad Rom., IV, 1. ― h. Saint Justin. ― Déjà Eusèbe avait noté, H. E., l. IV, c. XVIII, P. G., t. XX, col. 376, que les écrits de Justin furent tenus en si haute estime par les anciens qu’Irénée s’est parfois servi de son témoignage, ainsi que l’attestent deux passages où l’auteur du Contra hæreses introduit, par ces mots : καλώς Ίουστϊνος, l. IV, c. VI, n. 2 ; l. V, c. XXVI, n. 2, col. 987, 1194, des citations de deux traités perdus de Justin, l’une d’un traité contre Marcion, l’autre d’un écrit inconnu. Irénée dépend des Apologies et du Dialogue un peu partout dans le Contra hæreses. Cf. l’index des œuvres de Justin, édit. Otto, dans le Corpus apologetarum christianorum sæculi secundi, Iéna, 1877, t. II, p. 595-596, et aussi dans la Démonstration de la prédication apostolique, cf. J. Lebreton, Le nouveau traité de saint Irénée dans la Revue de l’Institut catholique de Paris, Paris, 1907, t. XII, p. 133-136. Il a vraisemblablement mis à profit le traité perdu de Justin contre les hérésies. Enfin, il a pu suivre les leçons de Justin à Rome. Quoi qu’il en soit de cette dernière considération purement hypothétique, il est manifeste qu’Irénée doit beaucoup à Justin. Il a en commun avec lui et sans doute il lui emprunte plusieurs particularités du texte scripturaire, notamment le texte apocryphe sur la descente du Christ aux enfers. Il relève grandement de lui dans sa preuve de la religion chrétienne par les prophéties de l’Ancien Testament qui occupe une bonne moitié de la Démonstration, et, en général, dans ses interprétations de l’Ecriture. Sa christologie, très supérieure à celle de Justin, n’est pas sans la rappeler. Peut-être est-il tributaire du traité perdu contre Marcion pour sa doctrine de la récapitulation ; du moins le fragment qu’il donne de ce livre, col. 987, parle de la venue du Fils de Dieu en terre pour récapituler en lui-même sa créature. L’eschatologie d’Irénée a des traits de famille avec celle de Justin, plus même qu’il ne faudrait : le délai de la vision béatifique et le millénarisme appa-[col.2514 fin / col.2515 début] raissent chez l’un et l’autre. Cf., sur d’autres ressemblances, F. R. M. Hitchcock, Irenaeus of Lugdunum, Cambridge, 1904, p. 27-30. Du reste, Irénée ne reproduit pas Justin de façon servile. Voir FILS DE DIEU, t. V, col.2426 ; cf. J. Lebreton, loc. cit., p. 134. ― i. Tatien. ― Si Tatien n’était qu’un chrétien ordinaire tombé dans le gnosticisme et dans l’encratisme, il suffirait de la mention que nous lui avons accordée parmi les sources gnostiques. Mais il a été d’abord un disciple de Justin, l. I, c. XXVIII, n. 1 ; cf. l. III, c. XXIII, n. 8, col. 690965, dévoyé après le martyre de son maître, et à l’âpreté des critiques d’Irénée, se concilierait assez bien avec l’hypothèse d’après laquelle il aurait été lui aussi disciple de Justin ; ce serait la protestation indigne de l’élève fidèle à la pensée du maître contre le renégat. Dans son Discours aux grecs, Tatien parle de l’âme en des termes qui l’ont fait passer pour un adepte du trichotomisme, et on a prêté ces mêmes idées trichotomistes à Justin et à Irénée. Voir AME, t. I, col.981, 984-985. Irénée présente quelques ressemblances, mais aussi des différences marquées, avec Tatien. Cf. J. Leblanc, Entre la mort et la parousie avant Origène, dans les Annales de philosophie chrétienne, Paris, 1904, IIIe série, t. III, p. 389-394.

     b) Ceux qu’il ne cite pas. ― Nous avons ici en vue quelques écrits qu’Irénée ne cite point, mais avec lesquels il offre des ressemblances. Ces ressemblances, parfois assez vagues, ne prouve pas qu’il les ait lus ; il peut se faire que les auteurs des ces écrits et Irénée aient puisé à une source commune, ou qu’ils se soient rencontrés dans l’interprétation d’un texte biblique. ― a. Le pseudo-Barnabé. ― Voir BARNABE (Epître dite de saint), t. II, col.416 ; cf. F. R. M. Hitchcock, Irenaeus of Lugdunum, p. 21-22. ― b. La Didachè. ― Les rapports signalés entre la Didachè et Irénée ne sont pas très caractéristiques. Sur l’usage fait par l’une et l’autre, Did., XIV, 3, et Cont. hær., l. IV, c. XVII, n. 5, col. 1023, de la prophétie de Malachie, I, 11, 14, cf. E. Jacquier, La doctrine des douze apôtres et ses enseignements, Lyon, 1891, p. 20-21. L’affinité signalée par E. Buonaiuti, Il millenarismo di Ireneo, dans la Rivista storico-critica delle scienze teologiche, Rome, 1906, t. II, p. 911, entre Did., IX, 4, et Cont. hær., l. V, c. II, n. 3, col. 1127, n’est pas telle qu’on soit autorisé à admettre une influence de la Didachè sur le Contra hæreses. c. La lettre à Diognète. ― A. Dorner, Die Lehre von der Person Christi, 2e édit., Stuttgart, 1845, t. I, p. 478, a cru voir dans cette lettre, c. VII, P. G., t. II, col. 1177, une source d’Irénée. Cf. A. Harnack, Geschichte der altchristlichen Literatur bis Eusebius, t. I, p. 758. ― d. Méliton de Sardes. ― Irénée relève-t-il de Méliton, cf., son texte dans Eusèbe, H. E., l. IV, c. XXVI, P. G., t. XX, col. 395, quand il dit, l. IV, c. XXXIV, n. 4, col. 1086, que le Christ est l’auteur véritable de la paix romaine ? A. Dufourcq, Saint Irénée (collection La pensée chrétienne), p. 199, n., pense que oui. ― e. Théophile d’Antioche. ― A. Dufourcq, Saint Irénée (collection Les saints), p. 65, avance également qu’Irénée a lu Théophile d’Antioche. C’est possible, mais non certain. Un indice en faveur de cette hypothèse, c’est que Théophile, avant lui, ainsi que nous l’avons noté, a identifié la sagesse de l’Ancien Testament avec le Saint-Esprit, non avec le verbe. ― f. Hégésippe. ― Faut-il, avec P. Batiffol, Anciennes littératures chrétiennes. La littérature grecque, 2e édit., Paris, 1898, p. 107, compter parmi les sources d’Irénée les Commentaires d’Hégésippe, ou dire, avec A. Dufourcq, Saint Irénée (collection Les saints), p. 78-79, qu’ils « ne lui ont été peut-être d’aucun secours ? Ils viennent à peine de paraître (vers 170-180) en Palestine ou en Syrie ; ils mentionnent sept sectes juives. . . dont Irénée ne souffle mot ; ils énumèrent sept sectes chrétiennes [col.2515 fin / col.2516 début] dans un ordre qu’Irénée semble ne pas connaître. » ― g. Un recueil de textes de l’Ancien Testament. ― On se souvient qu’U. Mannucci a admis l’existence d’un recueil de ce genre, mais en lui assignant une origine juive. J. R. Harris, avait, le premier, supposé le premier qu’il exista, aux premiers siècles, un recueil de preuve tirées de l’Ancien Testament, en usage dans la polémique antijuive. Cf. R Harris et W. Burch, Testimonies, Cambridge, 1920. La Démonstration de la prédication apostolique lui parut confirmer cette hypothèse. la similitude de documentation scripturaire, l’emploi des mêmes passages des prophéties messianiques dans Justin, Irénée, Hippolyte, etc., et même dans des écrivains ultérieur, tels Athanase, forme le principal étai de cette supposition. F. C. Burkitt, est venu, à son tour, qui a conjecturé hardiment que ce recueil primitif ne serait autre que le le livre perdu de Papias. Cf. Rivista storico-critica delle scienze teologiche, Rome, 1910, t. VI, p. 492-493. Sous la forme que lui ont donnée U. Mannucci et F. C. Burkitt, la supposition est peu vraisemblable. Elle l’est davantage, telle que l’a développée J. R. Harris. Jusqu’à preuve du contraire, pourtant, tout s’explique assez bien sans ce recueil, avec le seul Justin : dans le Dialogue avec Tryphon, celui-ci a comme imprimé sa forme classique à l’argument prophétique, et Irénée, Athanase, etc., n’auront qu’à s’inspirer de lui. Cf. M. J. Lagrange, Saint Justin, Pairs, 1914, p. 51.

     La question des sources d’Irénée se ramène donc aux données suivantes. Au point de départ, une et même deux influences décisives : celle de Polycarpe, disciple de saint Jean, et celle d’un presbytre, très probablement distinct de Polycarpe, qui avait entendu les apôtres. Ceux-ci ne l’ont sans doute pas initié à tous les détails du dogme ; mais ils l’ont marqué à leur empreinte, ils lui ont fait une âme capable de tous les enrichissements doctrinaux. On a souvent parlé d’une école asiatique, d’une évolution théologique propre à l’Asie Mineure, dont Irénée serait le représentant le plus connu. L’existence de cette école est un mythe, et, en tout cas, Irénée n’a, avec l’Asie, d’attaches constatables que celles que nous venons de dire. Les autres presbytres asiates n’ont pas été ses maîtres ; il les cite à travers Papias. Vraisemblablement il quitta l’Asie de bonne heure, vint à Rome avec Polycarpe, y séjourna ; il y suivit peut-être les leçons de Justin. Ce qui est sûr, c’est que Justin, que ce soit uniquement par ses écrits ou encore par son enseignement oral, a exercé sur lui une influence considérable, qui fut un peu en étendu ce que celles de Polycarpe et des presbytres avaient été en profondeur. La lutte avec le gnosticisme détermina l’orientation de ses idées théologiques. La Bible, lue, méditée, convertie en sang et nourriture, « lui fournit, selon le mot heureux d’A. Dufourcq, Saint Irénée (collection Les saints), p. 63, la substance et la forme de sa pensée. » Il procède surtout de saint Paul et, plus encore, de saint Jean. Les deux grands écrivains bibliques sont ses maîtres.

     Sources païennes. ― J. A. Fabricius, Bibliotheca græca, édit. J. C. Harles, Hambourg, 1801, t. VII, p. 83-85 ; P. G., t. VII, col. 2019-2220 (les renvois se réfèrent aux chapitres des éditions antérieures à celle de Massuet). ― 2. Sources gnostiques. ― R. A. Lipsius, Zur Quellenkritik des Epiphanios, Vienne, 1863 ; Die Quellen der ältesten Ketzergeschichte, Leipzig, 1875 ; A. Harnack, Zur Quellenkritik der Geschichte der Gnosticismus, Leipzig, 1873 ; Zur Quellenkritik der Geschichte der Gnosticismus, dans la Zeitschrift für die historische Theologie, Leipzig, 1874, t. XLIV, p. 143-226 ; Geschichte der altchristlichen Literatur bis Eusebius, Leipzig, 1893, t. I, p. 145 ; A. Hilgenfeld, Die Ketzergeschichte des Urchristentums, Leipzig, 1884 ; J. Kunze De historiæ gnosticismi fontibus novæ quæstiones criticæ, Leipzig, 1894, p. 1-40 ; W. Anz, Zur Frage nach dem Ursprung des Gnosti- [col.2516 fin / col.2517 début] cismus (texte und Untersuchungen, t. XV, fasc. 4), Leipzig, 1897 E. Buonaiuti, Lo gnosticismo. Storia d’antiche lotte religiose, Rome, 1907 ; W. Bousset, Hauptprobleme der Gnosis, Gœttingue, 1907 ; O. Dibelius, Studien zur Geschichte der valentinianer. I. Die Excerpta ex Theodoto und Irenäus, dans la Zeitschrift für die neutestamentliche Wissenschaft und die Kunde der Urchristentums, Giessen, 1908, t. IX, p. 230-247 ; E. de Faye, Introduction à l’étude du gnosticisme au IIeet au IIIesiècles, Paris, 1913, extrait de la Revue de l’histoire des religions, Paris, 1912, t. XLV, p. 299-312 ; t. XLVI, p. 31-57, 145-172, 366-399 ; Gnostiques et gnosticisme. Etude critique des documents du gnosticisme chrétien aux IIeet IIIesiècles, Paris, 1913. ― 3° Sources chrétiennes. ― Otto, édition de saint Justin, dans le Corpus apologetarum christianorum sæculi secundum, Iéna, 3e édit., 1877, t. II, p. 595-596. E. Preuschen, Antilegomena. Die Reste der ausserkanonischen Evangelien und urchstlichen Ueberlieferungen, Giessen, 1901, p. 54-71 ; M. Lepin, L’origine du quatrième Evangile, Paris, 1907, p. 52-54, 87-99, 132-143 ; G. Archambault, Dialogue avec Tryphon, introd., Paris, 1909, t. I, p. LXIII-LXIV ; W. S. Reilly, Les presbytres asiates de saint Irénée, dans la Revue biblique, Paris, 1919, IIe série, t. XVI, p. 217-219.

     II. L’INFLUENCE. ― Les anciens éditeurs des Pères recueillaient les principaux témoignages historiques qui les concernent. Ils rassemblèrent, d’abord, ce qui avait été dit à leur louange ; ainsi Feuardent groupa, en tête de son édition d’Irénée, vingt-six textes, vingt-six textes comme la contrepartie de vingt-six griefs articulés par les protestants. Pui, on se préoccupa de réunir non seulement les textes laudatifs, mais encore ceux qui renseignent sur leur personne et leurs œuvres ; ce fut le cas de Massuet. Enfin, A. Harnack, Geschichte der christlichen Literatur bis Eusebius, Leipzig, 1893, t. I, p. 266-287, sous la rubrique Zeugnisse, a fourni l’indication des témoignages indépendants sur l’histoire d’Irénée et des citations de ses œuvres faites jusqu’à la fin du moyen-âge. Pour apprécier l’influence de l’auteur du Contra hæreses, il y a lieu de coordonner et de compléter, selon l’ordre approximativement chronologique, ces renseignements divers, renvoyant d’un mot à Harnack pour ceux qu’il offre avec tant de soin.

     Jusqu’à la scolastique. ― 1. Lettres des martyrs de Lyon au pape Eleuthère, dans Eusèbe, H. E., l. V, c. IV, P. G., t. XX, col. 440. Ils lui recommandent Irénée, « zélateur du testament du Christ, » qu’ils ont chargé de porter au pape une lettre relative au montanisme. ― 2. Caius de Rome. ― On a parfois donné comme disciples d’Irénée le prêtre Caius et saint Hippolyte. Cf. Tillemont, Mémoires, t. III, p. 97, 174, 239. En ce qui regarde Caius, on s’appuie sur la finale des Actes de saint Polycarpe, d’après le manuscrit de Moscou (du XIIIe siècle), dans H. Hemmer et P. Lejay, Les Pères apostoliques, 1910, t. III, p. 158. Or cette finale se compose de deux parties : l’une est censée écrite par Isocrate (celui que Massuet, col. 423-424, nomme Socrate de Corinthe) ; l’autre a pour auteur le pseudo-Pionius, qui pourrait bien avoir écrit aussi la première. En tout cas, cette finale est sans valeur historique. Cf. A. Lelong dans H. Hemmer et P. Lejay, op. cit., p. LXXV. ― 3. Saint Hippolyte. ― Photius, Bibliotheca, cod. CXXI, P. G., t. CIII, col. 401, 404, dit qu’Hippolyte fut le disciple d’Irénée, et qu’il écrivit une Somme contre toutes les hérésies, les exposant et les réfutant, όμιλοϋντος Είρηναίου. Là-dessus on a admis à peu près universellement qu’Irénée fut le maître d’Hippolyte au sens propre du mot. R. A. Lipsius, Zur Quellenkritik des Epiphanios, Leipzig, 1875, p. 303-304, a pensé que, dans ce traité contre les hérésies, antérieur aux Philosophoumena et aujourd’hui perdu, Hippolyte se serait inspiré, non du Contra hæreses, mais de ses entretiens avec Irénée. E. de Faye, Introduction à l’étude du gnosticisme au IIeet au IIIesiècles, dans la Revue de l’histoire des religions, Paris, 1912, t. XLVI, p. 155, [col.2517 fin / col.2518 début] admet, à son tour que le langage de Photius semble supposer qu’Irénée « a groupé autour de lui des jeunes hommes ardents et doués et qu’il leur a dévoilé l’erreur gnostique. Parmi ces jeunes gens s’est trouvé Hippolyte. Il a recueilli la substance des entretiens d’Irénée, il a même pu en conserver des notes abondantes. . . Son traité représente l’enseignement primitif d’Irénée relatif au gnosticisme chrétien. » Trente ans environ plus tard, Hippolyte reprend le même sujet dans les Philosophoumena, en s’aidant cette fois, du Contra hæreses, paru dans l’intervalle. Cette exégèse du texte de Photius est loin d’être sûre. L’όμιλοϋντϊς, alors même qu’on lui donnerait le sens de « discourir, » de « s’entretenir de, » ne révélerait pas l’existence d’une école groupant des « jeunes hommes ardents et doués. » Mais ce sens ne s’impose pas. A. Harnack, Zur Quellenkritik der Geschichte des Gnosticismus, dans la Zeitschrift für die historische Theologie, Leipzig, 1874, t. XLIV, p. 174-177, est d’avis que, selon Photius, Hippolyte a composé son traité en se servant de l’ouvrage de son maître : il sous-entend αύταϊς avant όμιλοϋντος, ce qui donne : « Irénée s’occupant d’elles (les hérésies). » C’est admissible. Allons plus loin. « Photius remarque A ; Dufourcq, Saint Irénée (collection Les saints), p. 841, n. 1, dit simplement qu’Hippolyte a été disciple d’Irénée. Cela n’implique pas nécessairement qu’ils se soient connus. » Il a pu être disciple dans un sens large, c’est-à-dire tributaire de son enseignement. Allons plus loin encore. Photius entendrait-il strictement le μαθητής δέ Είρηναίου, son affirmation serait trop tardive pour s’imposer à nous, alors que, par ailleurs, rien ne nous autorise à croire qu’Hippolyte a entendu Irénée en Asie Mineure ou en Gaule, ou qu’Irénée a tenu une école à Rome. Qu’il ait été ou non son disciple, Hippolyte mentionne deux fois le « bienheureux prêtre Irénée, » dans les Philosophoumena, l. VI, c. XLII, LV, P. G., t. XVI, col. 3259, 3291, et lui fait d’importants emprunts. Cf. Harnack, Geschichte der altchristlichen Literatur bis Eusebius, t. I, p. 266. Il dépend d’Irénée dans son Traité du Christ et de l’Antéchrist et dans son commentaire Sur Daniel. Cf. F. Overbeck, Quæstionum hippolytearum specimen, Iéna, 1864, p. 70. Sur les rapports de sa théologie avec celle d’Irénée en matière d’Ecriture et de millénarisme, cf. A. D’Alès, La théologie de saint Hippolyte, Paris, 1906, p. 119, 175-210. ― 4. L’auteur du « Petit labyrinthe. » ― C’est probablement Hippolyte. Voir HIPPOLYTE (Saint), t. VI, col.2495. Il allègue les écrits d’Irénée qui affirment que le Christ est à la fois Dieu et homme. Eusèbe, H. E., l. V, c. XXVIII, col. 512. ― 5. Tertullien. ― Il se réfère, dans l’Adversus valentinianos, c. V, P. L., t. II, col. 548, à ses prédécesseurs, parmi lesquels Irénée, omnium doctrinarum curiosissimus explorator, et lui fait de larges emprunts. Cf. Harnack, p. 267 ; Tertullians Bibliothek christlicher Schriften, dans les Sitzungsberichte der k. preussischen Akademie der Wissenschaften, Berlin, 1914, p. 303-334. Nous avons vu qu’il utilise à peu près certainement l’ancienne version latine. Il s’inspire souvent d’Irénée dans le De præscriptione hæreticorum, cf. A. d’Alès, La théologie de Tertullien, Paris, 1905, p. 201-213, et un peu dans tous ses écrits, cf. A. d’Alès, p. 527(table analytique). ― 6. Clément d’Alexandrie. ― Mentionnons, pour mémoire, l’argument de J. S. Semier à l’appui de sa thèse saugrenue sur l’inauthenticité du Contra hæreses : il notait trois passages de Clément qui ressemblent à autant de passages du Contra hæreses et en concluait que les prétendus faussaires qui auraient publiés le Contra hæreses sous le nom d’Irénée, les auraient copiés dans Clément. Voir la réfutation de G. F. Walch, Commentatio de αύθεντία librorum Irenæi adversus hæreses, P. G., t. VII, col. 398- [col.2518 fin / col. 2519 début] 404. On trouverait aisément entre Irénée et Clément d’autres ressemblances. A propos, par exemple, du Verbe révélateur du Père, l. IV, c. VI, col. 986-990, A. Dufourcq, Saint Irénée (collection La pensée chrétienne), p. 212, note, écrit qu’Irénée « donne ici la main à Clément d’Alexandrie. » Les différences non plus ne manquent pas, et A. Dufourcq, Saint Irénée (collection Les saints), note, a pu se demander si Clément ne vise pas Irénée, Cont. hær ;, l. II, c. XXVIII, n. 2, col. 805, dans une critique, Stromat., l. VI, c. X, P. G., t. IX, col. 313. Dans un traité De la pâque perdu, Clément citait Irénée et Méliton, au rapport d’Eusèbe, H. E., l. VI, c. XIII, P. G., t. XX, col. 549. ― 7. Saint Cyprien. ― Un petit emprunt historique possible à Irénée qu’il ne nomme pas, et un mot sur l’incarnation peut-être inspiré de lui. ― 8. Origène. ― Comme Clément d’Alexandrie, mais « plus près d’Irénée que de Clément, » Origène, à la suite d’Irénée, fait une grande place à la tradition, attaque la fausse gnose et met la foi à la base de cette vraie gnose qu’il veut reconstruire. S’il s’écarte plus d’une fois, et pas toujours heureusement, d’Irénée, il offre avec lui des ressemblances intéressantes. Cf. A. Dufourcq, Saint Irénée (collection Les saints), p. 181-182 ; F. R. M. Hitchcock, Irenaeus of Lugdunum, p. 365 (index). ― 9. Saint Denys d’Alexandrie. ― Saint Jérôme, in Isaiam, l. XVIII, præf., P. L., t. XXIV, col. 627, dit que Denys composa elegantem librum contre le millénarisme d’Irénée. Dans le De viris illustribus, c. LXIX, P. L., t. XXIII, col. 679. Jérôme ne mentionne pas ce livre, mais seulement un écrit contre le millénarisme de Népos. Il est probable que ce fut là un seul et même ouvrage. ― 10. Arnobe l’ancien. ― Les ressemblances de son enseignement sur l’âme avec celui d’Irénée, et aussi de Justin s’expliquent-elles par la connaissance d’Irénée ? ― 11. Saint Victorin de la Pettau. ― Un emprunt, immédiat ou médiat, Scholia in Apocalypsi in beati Joannis, P. L., t. V, col. 339 ; texte un peu différent dans M. Férotin, Apringius de Béja. Son commentaire de l’Apocalypse, Paris, 1900, p. 50-51. ― 12. Saint Méthode d’Olympe. ― Cf. Harnack, p. 267 ; G. N. Bonwetsch, Die Theologie des Methodius von Olympus, Berlin. ― 13. Commodien. ― Voir COMMODIEN, t. III, col.418. ― 14. Eusèbe. ― Une brève notice dans la Chronique, et, dans l’Histoire universelle, de nombreuses mentions et citations, et l’éloge du caractère d’Irénée, « pacifique comme son nom, » l. V, c. XXIV, P. G., t. XX, col. 508, et de sa doctrine, l. III, c. XXIII ; l. IV, c. XXI, col. 257, 377. Cf. Harnack, p. 267-270. ― 15. Saint Alexandre d’Alexandrie. ― Cf. A. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 3e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1894, t. II, p. 192, 201, n. 2. ― 16. Saint Athanase. Cf. A. Dufourcq, Saint Irénée (collection Les saints), p. 183-184, sur le « second Irénée » que fut Athanase ; F. R. M. Hitchcock, Irenaeus of Lugdunum, p. 359 (index). Il est souhaitable qu’on étudie de près les rapports entre les doctrines théologiques des deux saints. L’étude J. Rendel Harris, Athanasius and the book of testimonies, dans The expositor, Londres, 1910, p. 530-537, discutable en ce qu’elle affirme l’existence d’un recueil de textes scripturaires contre les juifs, montre bien la ressemblance entre Athanase, Irénée et Justin, dans l’emploi de l’argument prophétique. ― 17. Marcel d’Ancyre. ― Cf. T. Zahn, Marcellus von Ancyra, Gotha, 1862, p. 234-245 ; F. Loofs, Die Trinitätslehre Marcel’s von Ancyra, dans les Sitzungsberichte der k. preussischen Akademie Der Wissenschaften, Berlin, 1902, t. I, p. 764 sq. ; A. Dufourcq, Saint Irénée (collection Les saints), p. 192. ― 18. Saint Basile. ― Deux citations d’Irénée « voisin des apôtres. » Cf. Harnack, Geschichte der altchristlichen Literatur bis Eusebius, t. I, p. 270. ― 19. Saint Cyrille de Jérusalem. [col.2519 fin / col.2520 début] ― Une citation de plusieurs emprunts. Cf. Harnack, p. 270. ― 20. Macarius Magnès. ― Lui attribue des miracles. Cf. Harnack, p. 271. ― 21. Le pseudo-Justin dans les Responsiones ad orthodoxos. ― Une citation du livre perdu sur la Pâque. Cf. Harnack, p. 273. ― 22. Les Actes de saint Ignace. ― Une citation, dans le texte du Vaticanus 865. Cf. Harnack, p. 288. ― 23. Philastre. ― Dépend selon toute vraisemblance du Contra hæreses, et peut-être de la lettre à Florinus. Cf. Harnack, p. 263. ― 24. Saint Epiphane. ― Citations et reproductions considérables du « bienheureux successeur des apôtres, » du « serviteur de Dieu, » du « très saint et très bienheureux » Irénée, du « très bon vieillard, comblé des dons du Saint-Esprit, orné des biens célestes, athlète fort, mais en avant par le Seigneur et comme oint pour le combat, muni de foi sincère et de science. » Panarium, hær., Hæres., XXIV, c. 8 ; XXXI, c. 8, 33 ; XXXIV, c. 2, 20 ; P. G., t. XLI, col. 316, 490, 538, 583, 623. Cf. Harnack, p. 271. ― 25. Apollinaire de Laodicée. ―Il a défendu le millénarisme. A-t-il défendu celui d’Irénée attaqué par Denys d’Alexandrie ? C’est le sens naturel du passage de saint Jérôme, In Isaiam, l. XVIII, præf., P. L., t. XXIV, col. 627. Si Jérôme entend parler là de l’écrit de Denys contre Népos, et s’il veut dire que Denys, tout en n’ayant pas inscrit le nom d’Irénée dans son titre, réfutait souvent ses opinions millénaristes, comme le pense l’éditeur, col. 628, note, c’est assez pour qu’Apollinaire figure dans la liste des témoignages irénéens. ― 26. Saint Jérôme. ―Il a, d’abord avec la traduction de la Chronique d’Eusèbe, P. L., t. XXVII, col ; 631-632, la précieuse notice du De viris illustribus, c. XXXV ; cf. c. IX, XVIII, P. L., t. XXIII, col. 649-652, 625-626, 637-638. En outres, diverses mentions et citations d’Irénée, « homme apostolique, » « homme des temps apostoliques. » In Is., l. XVII, c. LXIV ; Epist., LXXV, P. L., t. XXIV, col. 623 ; t. XXII, col. 687. Cf. Harnack, p. 271-273. ― 27. Saint Augustin. ― Deux citations d’Irénée sur le péché originel. Cf. Harnack, p. 273. Des emprunts probables ; par exemple, la magnifique formule : « Le Fils de Dieu s’est fait homme afin que l’homme devînt Fils de Dieu, » Serm., c. CLXVI, n. 4 ; c. CXCII, n. 1 ; c. CXCIV, n. 2, P. L., t. XXXVIII, col. 909, 1012, 1016, se lit plusieurs fois dans Irénée, Cont. hær., l. III, c. X, n. 2 ; l. V, præf., col ; 873, 1120, etc. ― 28. Le diacre Basile. ― Au concile d’Ephèse, il demanda qu’on défendît la foi des apôtres et des saints ; il nomma, ne première ligne, Irénée. Cf. Harnack, p. 273. ― 29. Théodoret. ― Citations et emprunts importants, dans l’Hæreticarum fabularum compendium, les Dialogues et une lettre. Il appelle Irénée « le très heureux Irénée, » « le successeur des apôtres, » « un homme apostolique, » « la lumière des Gaules, » « la lumière de l’Occident, » « l’admirable Irénée, » « une de ces fontaines spirituelles qui nous apportent les eaux et la doctrine du ciel. » Cf. Harnack, p. 273-274. 30. Timothée Ælure. ― Citation de trois textes, l’un authentique, les deux autres apocryphes. Cf. Cavallera, Le dossier patristique de Timothée Ælure, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, Paris, 1909, p. 355. ― 31. Saint Prosper d’Aquitaine. ― Reproduit la Chronique d’Eusèbe, dans Chronic.,P. L., t. LI, col. 564. De même saint Isidore, Chronic.,P. L., t. LXXXIII, col. 1044. ― 32. Gennade. ― Cf. Harnack, p. 272. ― 33. Saint Orens d’Auch. ― D’après F. R. M. Hitchcock, Irenaeus of Lugdunum, p. 348, n., son Commonitorium dépend d’Irénée. ― 34. L’école de Lérins. ― Hitchcock, ibid., affirme l’influence d’Irénée sur les écrits de Lérins, par exemple, sur les sermons d’Hilaire et d’Honorat. Sur Vincent de Lérins il a pu influer à travers le De præscriptione de Tertullien que Vincent utilise. ― 35. Saint Patrice. ― Cf. F. R. M. Hitchcock, Creeds of SS. Irenaeus and [col.2520 fin / col.2521 début] Patrick, dans l’Hermathena, Londres, 1907, t. XXXI, p. 166-182 ; Irenaeus of Lugdunum, p. 348, 358. ― 36. Procope de Gaza. ― Une citation. Cf. Harnack, p. 274. ― 37. André de Césarée. ― Voici un relevé des citations du « grand Irénée, » plus complet que celui de Harnack, p. 275 ; elles se trouvent dans le Commentarius in Apocalypsin, prol., c. II, III, X, XVIII, XXXVII, LIV, LXIV, P. G., t. CVI, col. 220, 228, 232, 256, 257, 274, 336, 337, 382, 420. Le passage non identifié, col. 382, et les deux passages similaires, col. 228, 232, peuvent maintenant s’identifier avec Dem., c. IX, p. 666-667. ― 38. Cosmas Indicopleustes. ― Une citation d’Irénée, « homme illustre et de vie éclatante, qui vécut peu après les apôtres. » Cf. Harnack, p. 274-275. ― 39. Saint Ephrem. ― Deux citations. Il annonce ainsi la reproduction d’une page d’Irénée, De virtute, c. VIII, dans les Opera omnia, trad. G. Vossius, Anvers, 1619, p. 247 : ad quos pulchre et magnifice quidam sanctorum enuntiavit. Cf. Harnack, p. 270, 925. ― 40. Léonce de Byzance. ― Le mentionne parmi les « Pères » et les « maitres, » après saint Ignace, Cf. Harnack, p. 276. ― 41. Etienne Gobar. ― Deux mentions conservées par Photius. Cf. Harnack, p. 275, 276. ― 42. Jean Malalas. ― Attribue, Chronographia, l. XI, P. G., t. XCVII, col. 408, à Irénée et à Jules l’africain, « très savants chronographes, » ce détail légendaire que l’apôtre saint Jean disparut et qu’on ne sait pas encore ce qu’il devint. ― 43. Grégoire de Tours. ― Deux passages, qui ont été cités, col. 2397 en traitant du martyre d’Irénée. Cf. Harnack, p. 274. ― 44. Martyrologiam hieronymianum, édit. J.-B. de Rossi et L. Duchesne, dans les Acta sanctorum, Bruxelles, 1894, novembre, t. II a, p. (83). ― 45. Saint Grégoire le Grand. ― A cherché en vain les œuvres d’Irénée. Cf. Harnack, p. 275. ― 46. Le moine Antiochius. ― Une citation. Cf. Harnack, p. 275. ― 47. Saint Maxime le Confesseur. ― Deux citations, l’une de la lettre à Victor, l’autre d’un écrit Sur la foi perdu, attribué à « Irénée, évêque de Lyon, disciple de saint Jean, apôtre et évangéliste. » Cf. Harnack, p. 275-276. F. R. M. Hitchcock Irenaeus of Lugdunum, p. 13, note par erreur maxime de Turin et se trompe sur la seconde citation. ― 48. Le pseudo-Anatole. ― Une mention. Cf. Harnack, p. 596. ― 49. Sébéos. ― Une mention. Cf. Harnack, t. II a, p. 324. ― 50. Saint Anastase le Sinaïte. ― Citations et emprunts. Cf. Harnack, t. I, p. 276-277. ― 51. La Doctrina Patrum de incarnatione Verbi. ― Ce florilège, de la fin du VIIe ou du commencement du VIIIe siècle, publié par F. Dickamp, Munster, 1907, contient, p. 265, une citation d’Irénée. ― 52. Le pseudo-Germain de Constantinople. ― Reproduit, en l’abrégeant, mais sans nommer Irénée, Rerum ecclesiasticarum contemplatio, P. G., t. XCVIII, col. 413, la page sur l’Evangile tétramorphe, qu’il a connue peut-être à travers Anastase le Sinaïte, Interrogationes et responsiones, q. CXLIV, P. G., t. LXXXIX, col. 797. Cf. Harnack, p. 284. ― 53. Les Actes de saint Irénée. ― Trois rédactions, dont la plus ancienne n’est pas antérieure au VIIe siècle. Acta sanctorum, 3e édit., Paris, 1868, junii, t. VII, p. 699-701. ― 54. Saint Jean Damascène. ― Une citation. Cf. Harnack, p. 277. ― 55. Les Sacra parallela. ― Dans ce florilège, il y a de nombreux textes d’Irénée, pris les uns dans le Contra hæreses, les autres dans des écrits perdus, quelques-uns inauthentiques ou d’une authenticité douteuse. Le l. III ne s’est pas conservé à part. Les manuscrits attribuent le l. I au « prêtre et moine Jean, » peut-être Jean Damascène (c’est le « prêtre et moine Jean » de Massuet, P. G., t. VII, col. 1111, note), le l. II au prêtre Léonce de Byzance, ou à Jean. CF. Harnack, p. 277-279, 288 ; K. Holl, Fragmente vornicänischer Kirchenväter aus den Sacra Parallela (Texte und Untersuchungen, [col.2521 fin / col.2522 début] t. XX, fasc. 2), Leipzig, 1899, p. 58-84 (n. 58-82, authentiques, 137-174, douteux ; 175-179, inauthentiques.) ― 56. Georges Syncelle. ― Une citation et un éloge, Chronogr., P. G., t. CVIII, col. 1198, 1199. ― 57. Le Chronicon paschale. ― Cf. Harnack, p. 279. ― 58. Jean de Dara. ― Une citation. Cf. Harnack, p. p. 280. ― 59. Saint Paschase Radbert. ― Deux citations, Expositio in Matthæum, l. IV, c. VI ; De parti Virginis, l. I, P. L., t. CXX, col. 307, 1376. La seconde citation : neque ut Spiritus Sanctus sementivum esse credatur carnis (dans l’incarnation du Verbe), ut Irenæus vult, n’est pas exacte. Elle doit se référer à un passage mal compris, Cont. hær., l. III, c. XXI, n. 5, col. 953. ― 60. Agobard. ― Une citation du « très antique et apostolique docteur, et martyr du Christ et évêque de l’Eglise de Lyon Irénée. » Nous en avons parlé, col.2403. Cf. Harnack, p. 279-280. ― 61. Le martyrologe du ms. latin 3879 de la Bibliothèque nationale de Paris. ― Composé à Lyon, au commencement du IXe siècle. Voir les notices d’Irénée, des saints de Valence Félix, Fortunat et Achilée, et des saints de Besançon Ferréol et Ferrucion, dans H. Quentin, Les martyrologes historiques du moyen-âge, Paris, 1908, p. 168, 175, 205 ; cf. p. 213, 219-220. ― 62. Le martyrologe du ms. 925 de la bibliothèque de l’Université de Bologne. ― De provenance lyonnaise, est un des accroissements du ms. latin 3879 de la Bibliothèque nationale de Paris qui ont abouti au martyrologe de Florus. Voir la notice sur Irénée dans J. Condamin et J.-B. Vanel ; Le martyrologe de la sainte Eglise de Lyon, Lyon, 1902, p. 58. Cf. H. Quentin, op. cit., p. 222-223, 231-233, 243-244. ― 63. Florus de Lyon. ― Cf., sur son martyrologe H. Quentin, op. cit., p. 222-408 ; la notice d’Irénée, p. 309 ; J.-B. Pitra, Spicilegium Solesmense, Paris, 1852, t. I, p. 8-9 ; cf. p. IX-X = P. G., t. VII, col. 431-432, a publié le prologue de la traduction du Contra hæreses dans le Codes Arundelianus 87 : c’est un résumé de l’ouvrage et un exposé des raisons qui ont décidé à le transcrire. Il pense, à la suite de Sirmond, que l’auteur anonyme du prologue est le diacre Florus. L’attribution reste problématique. ― 64. Le pseudo-Bède, dit Bède de Cologne. P. L., t. XCIV, col. 960. Cf. H. Quentin, op. cit., p. 4 , 468, n. ― 65. Saint Adon de Vienne. ― Brèves notices, Chronic., et Martyrol., P. L., t. CXXIII, col. 84, 924-925. La notice du martyrologe reproduit celle du martyrologe de Florus ; de même pour la notice des saints Félix, Fortunat et Achilée, et pour celle des saints Ferréol et Ferrucion, col. 251, 288, qui mentionnent Irénée. Cf. H. Quentin, op. cit., p. 482. ― 66. Usuard. ― Abrège, Martyrol., P. L., t. CXXIV, col. 203-204, la notice de Florus. Adon. Cf. Harnack, p. 281. ― 67. Méginhard de Fulda. ― Un mot contre le millénarisme d’Irénée, dans son De fide, varietate symbolii, ipso symbolo et pestibus hæresium, publié dans A. Hahn, Bibliothek der Symbole und Glaubensregeln, 3e édit., par L. Hahn, Breslau, 1897, p. 363. ― 68. Photius. ― Il parle d’Irénée dans ses lettres et dans le De sancti Spiritus mystagogia, et lui consacre une notice dans la Bibliotheca, cod. CXX, P. G., t. CIII, col. 401. Cf. Harnack, p. 280. Après avoir analysé le Contra hæreses, il dit que « plusieurs autres écrits variés et lettres de lui circulent, bien que, dans certains d’entre eux, l’exactitude de la vérité des dogmes ecclésiastiques soit altérée par des raisonnements illégitimes, εί καί έν τισιν αύτών ή τής κατά τά έκκλησιαστικά δόγματα άληθείας άκρίδεια νόθοις λογισμοϊς κιδδελεύεται. » Conformément à la traduction latine de Photius par le jésuite André Schott : ecclesiasticorum dogmatum certa veritas spuriis rationibus fucari videtur, Ellies du Pin, Nouvelle bibliothèque des auteurs ecclésiastiques, Paris, 1686, t. I, p. 199, avait entendu qu’Irénée affaiblit quelque fois les choses certaines en les fondant [col.2522 fin / col.2523 début] sur des raisons peu solides ; cf. 3e édit., Paris, 1698, t. I, p. 176. Tillemont, Mémoires, t. III p. 92, suivi par dom R. Cellier, Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques, Paris, 1730, t. II, p. 197, s’accorde mieux avec le texte grec en disant que, selon Photius il y a, dans quelques-uns des écrits Irénée, « quelques fautes contre l’exacte vérité de la doctrine de l’Eglise. » Où Tillemont paraît se tromper, c’est quand il ajoute : « Il peut avoir voulu marquer par là les opinions des millénaires. » Ce n’est pas probable : la critique de Photius ne porte pas sur le Contra hæreses si carrément millénariste, mais sur les autres écrits qui circulaient sous le nom d’Irénée. Photius aurait-il été trop difficile ? Ou bien Irénée aurait-il donné prise à ce jugement rigoureux par des affirmations qui ne nous sont point connues ? Ou encore, chose plus probable, Photius aurait-il visé des écrits publiés abusivement sous le nom d’Irénée ? Bossuet, Mémoire sur ce qui est à corriger dans la Nouvelle bibliothèque des auteurs ecclésiastiques de M. du Pin, dans ses œuvres, édit., Lachat, Paris, 1864, t. XX, , p.528, avança cette hypothèse, qu’Ellies du pin, 3e édit, p. 176, accepta comme plausible ; elle a pris quelque consistance maintenant que nous savons que les monophysites se couvrirent de l’autorité d’Irénée et lui prêtèrent des textes de leur fabrication. ― 69. Moïse bar Cepha. ― Une citation du Cont. hær., l. II, c. XXXIV, n. 1, est donnée par lui, dans son De anima, c. XXV, sous le nom d’Andronic ; évêque de Gugran. Cf. O. Braun, Moses bar Kepha und sein Buch von der Seete, Fribourg-en-Brisgau, 1891, p. 97 ; Harnack, p. 280. ― 70. Un manuscrit des Constitutions apostoliques. ― Cf. Harnack, p. 280. ― 71. Arétas de Césarée. ― Plusieurs citations du « grand Irénée, » dans son Commentarius in Apocalypsin, prol., c. II, X, XVIII, P. G., t. CVI, col. 493, 516, 569, 571, 600. Ce commentaire est une sorte de décalque de celui d’André de Césarée, et il se peut qu’Arétas n’ait connu qu’à travers lui les œuvres d’Irénée. Toutefois certains passages semblent attester une lecture directe des sources. Le plus notable est le commentaire de l’Apocalypse, IV, 5, col. 569 ; cf. André col. 256, où, non seulement Arétas allègue, à l’appui de son interprétation, Clément d’Alexandrie non cité par André, mais il où serre encore de plus près que lui le passage de la Démonstration de la prédication apostolique auxquels ils se réfèrent l’un et l’autre. Sur la Démonstration, qui n’était connue, que par un mot d’Eusèbe, nous aurions donc, sans parler de l’extrait qui se trouve dans les sept fragments publiés, P. O., t. XII, p. 733-734 ; cf. p. 683, les deux témoignages d’André et d’Arétas de Césarée. ― 72. Simon Métaphraste. ― 73. Le pseudo-Chrysostome. ― 74. Les Actes des saints Félix, Fortunat et Achilée, de Valence. ― 75. Les Actes des saints Ferréol et Ferrucion, de Besançon. ― 76. Les Actes de saint Timothée, d’Ephèse. ― 77. Les menées des Grecs. Pour ces six derniers numéros, cf. Harnack, p. 281. ― 78. Œcuménius. ― Cf. Harnack, p. 282. ― 79. Nicétas Serronius. Cf. Harnack, p. 279. ― 80. Les Chaînes des Pères. ― Nombreuses citations, d’une authenticité parfois douteuse. Cf. P. G., t. VII, col. 1239-1248, 1257-1264, 2017-2018 ; Harnack, p. 281-283, 839, 840, 841, et dans le supplément, p. 12 ; P. Batiffol, dans Dictionnaire de la Bible, Paris, 1899, t. II, col ; 486 (chaîne copte). Irénée y est appelé parfois « disciple des apôtres, » P. G., t. VII, col. 2017. ― 81. Le Parisinus 854. ― Trois fragments du traité, perdu, Sur la foi, attribué à saint Irénée. Cf. Harnack, p. 283-284. ― 82. Antoine Mélissa. ― Une citation, probablement à travers les Sacra parallela. Cf. P. G., t. VII, col. 996. ― 83. Traductions. ― Nous sommes mal renseignés sur les traductions des œuvres d’Irénée. Le Contra hæreses fut traduit en latin, en arménien et, fragmen- [col.2523 fin / col.2524 début] tairement au moins, en syriaque ; la Démonstration en arménien, peut-être en syriaque. Outre la version latine complète et la version arménienne des l. IV-V du Contra hæreses et la traduction arménienne de la Démonstration, nous avons des fragments, grecs et syriaques, des œuvres diverses, d’une authenticité parfois douteuse, quelques-unes d’origine hérétique, ainsi que nous l’avons vu en traitant des œuvres d’Irénée. Cf. Harnack, p. 284-288. Irénée y est appelé, çà et là, « disciple » ou « voisin des apôtres. » ― 84. Manuscrits. ― De la vieille version latine un manuscrit subsiste, le Claromontanus (maintenant Berolinensis), qui est du IXe siècle.

     Cette longue liste, quoique certainement incomplète, permet d’arrêter les grandes lignes de l’influence irénéenne. Elle s’affirme de façon manifeste sur les hérésiologues, surtout Hippolyte, Epiphane, Philastre et Théodoret. Dogmatiquement elle est est considérable sur les Pères grecs. Dons tous les débats trinitaires et christologiques, l’autorité d’Irénée est mise en avant, et les définitions de l’Eglise, tout de même que le développement de la théologie, sont dans le sens de sa doctrine. Clément a trouvé ou introduit ses œuvres à Alexandrie. Origène, selon toute vraisemblance, les a utilisés. Saint Alexandre, saint Athanase, saint Basile, saint Cyrille de Jérusalem, saint Epiphane s’inspirent de lui ou s’en réclament. Au concile d’Ephèse, les moines catholiques, dans leur requête contre Nestorius nomment Irénée et Grégoire le thaumaturge seuls entre les Pères qui composent la tradition. Un Marcel d’Ancyre, un Théodoret, d’une orthodoxie moins sûre, veulent dépendre d’Irénée. Les monophysites le tirent à eux et, au besoin, forgent des textes qu’ils lui attribuent. Les florilèges de patristiques et les chaînes de biblique lui font de nombreux emprunts. Tous voient en lui le disciple des apôtres ou le voisin des temps apostoliques, et il apparaît, selon le mot de Théodoret, comme la lumière des Gaules et de l’Occident, comme une de ces fontaines spirituelles qui apportent la lumière du ciel. Son millénarisme, qui suscite quelques réserves, n’amoindrit pas sensiblement son action doctrinale, et il faut descendre jusqu’à Photius pour rencontrer une critique, assez vague du reste, de ses enseignements. Irénée n’est pas connu seulement dans le rayon de la théologie grecque. Cet asiate qui, après avoir préalablement vécu à Rome, s’est établi « parmi les Celtes » et parle le plus souvent ce qu’il appelle « une langue barbare, » Cont. hær., l. I, præf., n. 3, col. 444, écrit, en grec, des œuvres qui sont traduites en latin, en arménien, en syriaque, et qui ont des lecteurs, de saint Patrice, en Irlande, à saint Ephrem, dans la lointaine Edesse. Disons, pourtant, que son influence est moindre dans la théologie latine que dans la grecque, malgré qu’il ait été, en quelque sorte, naturalisé latine et que la vieille traduction du traité contre les hérésies ait presque la valeur d’un original. A voir cette traduction utilisée par Tertullien, peut-être par saint Cyprien, sûrement par saint Augustin, on croirait qu’Irénée va s’emparer des esprits et présider à l’essor théologique. Il n’en fut rien. Augustin relégua dans la pénombre tous ses prédécesseurs. C’est lui qui fût le maître incontesté de la pensée occidentale. Irénée tomba dans un oubli relatif et assurément regrettable. A Lyon même, on n’avait pas ses œuvres. A la fin du Ve siècle, l’évêque Ethérius demanda au pape saint Grégoire le Grand de les lui procurer. On n’était pas plus riche à Rome ; Grégoire répondit que, malgré toutes les recherches, les Actes et les écrits d’Irénée étaient restés introuvables. Du temps d’Agobard, la situation n’est guère améliorée. Agobard cite une fois Irénée ; mais il n’a pas son texte, car il en donne un passage, non d’après l’antique version latine, mais d’après la traduction d’Eusèbe par [col.2524 fin / col.2525 début] Rufin. Le prologue, publié par J.-B. Pitra sous le nom de Florus, indique cinq causes qui ont poussé à transcrire le Contra hæreses : la première, c’est que perrarus est, Spicilegium Solesmense, t. I, p. 9. Ce prologue, s’il est vraiment de Florus ; deux citations, dont l’une inexacte, de Paschase Radbert ; la transcription, au IXe siècle, du Contra hæreses dans le Claromontanus, voilà avec quelques textes hagiographiques, les seuls indices de la persistance du souvenir et de l’action d’Irénée en Occident.

     Jusqu’à la Renaissance. ― Il est fort probable que saint Anselme n’a point lu Irénée. On a pu écrire, pourtant qu’ « il renouvelle la réponse d’Irénée à l’éternelle question que pose la raison à la foi : Cur Deux homo ? » A. Dufourcq, L’avenir du christianisme. I. Le passé chrétien, 3e édit., Paris, 1911, t. VI, p. 137. Ce qu’il dit de l’honneur de Dieu et d’une certaine nécessité de la rédemption qui en résulte rappelle, en l’accentuant, ce que dit Irénée, et plus clairement et plus fortement qu’Irénée, mais un peu tout de même comme lui, Anselme expose la satisfaction du Christ pour l’homme pécheur. Du reste, entre la sotériologie de l’un et de l’autre, s’il y a des ressemblances, les différences ne manquent pas. Cf. F. R. M. Hitchcock, Irenaeus of Lugdunum, p. 173-176. Le relief de l’idée de l’incarnation est plus atténué dans saint Anselme que dans saint Irénée. Il indique à peine ce qu’Irénée montre si bien, à sa voir que l’explication ultime de l’œuvre rédemptrice est dans l’amour de Dieu, qui a voulu se faire connaître de nous et conquérir notre amour à nous. Ni Anselme, ni les auteurs des grandes synthèses théologiques du moyen âge ne lui ont donné la place prépondérante qu’Irénée lui assigne, en vrai disciple de saint Jean.

     Le moyen âge ne connaît guère Irénée. Quelques mentions de lui existent, par exemple, dans la littérature syriaque, par Denys Bar Salibi, cf. Harnack, p. 280, et, parmi les Grecs, par Georges de Corcyre, Nicétas Acominat, Macaire Chrysocéphale, cf. Harnack, p. 274, 280, et Nicéphore Calliste. On peut se demander si un seul de ces écrivains a une connaissance directe des œuvres d’Irénée. Nicétas semble lui faire des emprunts à travers saint Epiphane, et Nicéphore Calliste, qui en parle longuement, Ecclesiastica historia, l. IV, c. XIII-XV, XXX, XXXIX ; cf. c. V, IX, XX, XXI, P. G., t. CXLV, col. 1005-1012, 1049-1052, 1065-1068, 988, 997, 1029, 1032, et lui emprunte, comme Nicétas, des notices sur les gnostiques, c. II-IV, XI, col. 980-985, 1001, le fait manifestement d’après Eusèbe. Des scolies lui sont attribuées dans un codex de Moscou, du XIe siècle. Cf. Harnack, p. 264. Parmi les latins, on a, en dehors des martyrologes dérivés d’Adon, en particulier de celui de Notker le Bègue P. L., t. CXXXI, col. 1111 ; cf. 1069, de maigres notices, inspirées surtout de saint Jérôme : celles, par exemple, de Fréculphe, Chronic., l. II, c. XXII, P. L., t. CVI, col. 1168 ; d’Honorius d’Autun, De scriptoribus ecclesiasticis, l. I, c. XXXVI, P. L., t. CLXXII, col. 201 ; de Jean de Trittenheim (Trithème), De scriptoribus ecclesiasticis, Paris, 1494, fol. 70 ; de La mer des histoires, Lyon, 1491, t. II, fol. 89a. Il n’y a pas une ligne dans les De scriptoribus ecclesiasticis de Sigebert de Gembloux et de l’anonyme de Melk ; et saint Antonin de Florence, pourtant si abondant, se borne à dire un mot de lui, d’après Hélinand, à l’occasion de Papias et du millénarisme, Histor., Ia pers, tit. VII, c. VI, n. 3, Lyon, 1517, fol. CLXIX a, Les ressemblances entre le texte d’Irénée sur la primauté de l’Eglise romaine et Hugues Eteriano, De hæresibus græcorum, l. III, c. XVI, P. L., t. CCII, col. 376-377, sont trop vagues pour autoriser la supposition de J. Langen, Geschichte der römischen Kirche bis zum Pontificate Leo’s I, Bonn, 1881, p. 173, que le passage d’Irénée a été exploité par Hugues. Toutefois ce n’est pas l’insou- [col.2525 fin / col.2526 début] ciance totale. On transcrit les œuvres d’Irénée. La traduction arménienne de la Démonstration et des livres IV-V du Contra hæreses nous est parvenue dans un manuscrit du XIIIe siècle, entre 1270 et 1289, et la plupart des manuscrits connus de l’antique traduction latine du Contra hæreses sont du moyen âge.

     Jusqu'à nos jours. ― 1. En Orient. ― Au XVIIe siècle, dans sa Réfutation de la Confession de Cyrille de Lucaris, Mélèce Syrigos cita des passages d’Irénée sur l’eucharistie. Mais son voit qu’il ne connaissait pas le texte original ; car, au lieu de le reproduire tel quel, il le retraduisit du latin au grec. Cf. P. G., t. VII, col. 429. Plus ou moins oublié dans l’Eglise grecque, Irénée a bénéficié du retour aux études théologiques et historiques, qui s’est dessiné au XIXe siècle. Pour ne parler que d’un ouvrage, qui compte parmi les plus importants de la théologie russe moderne, l’Introduction à la théologie orthodoxe et la Théologie dogmatique orthodoxe de Macaire (Michel Boulgakow), trad. franç., Paris, 1857, 1859-1860, fait une bonne place aux textes d’Irénée, « dont le témoignage est-il dit, Introduction, p. 420, atteste la croyance non seulement de l’Eglise de Lyon mais encore toutes celles d’Occident, et même de presque toutes les Eglises du monde. » Cf. p. 419, 505-506, 559 ; Théologie dogmatique, t. I, p. 45, 46, etc.

     2. En Occident. ― L’édition princeps du Contra hæreses parut, à Bâle, en 1526, par les soins d’Erasme, qui appelait l’auteur « mon » Irénée : cur enim non meum appellem, disait-il, dans la dédicace à l’évêque de Trente, édit. de 1534, Bâle, fol. 2a = P. G., t. VII, col. 1321, quem pene sepultum absterso, quantum licuit, situ, luci restituimus, indignum profecto qui perpetua oblivione obsolesceret ? Que l’éloge de ces écrits, spirant enim illius scripta priscum illum Evangelii vigorem, la recommandation que leur vaut leur antiquité, habes Irenæi commendationem ab antiquitate, et le souhait que de nouveaux Irénée surgissent, animés de son esprit de paix, utinam et, in his Ecclesiæ tumultibus. . ., exoriantur aliquot Irenæi qui spiritu evangelico mundum redigant in concordiam, aient couvert la critique de l’Eglise et des théologiens du temps, c’est possible et même probable. Cf. A. Humbert, Les origines de la théologie moderne. I. La renaissance de l’antiquité chrétienne Paris, 1911, p. 219-220. Quoi qu’il en soit, Irénée sortait définitivement de l’obscurité où il avait été enseveli. Les protestants, en principe, ne se rattachaient pas aux Pères. C’est ce qui explique les dures paroles de quelques-uns d’entre eux contre la doctrine d’Irénée. Cf. P. du Moulin, Le bouclier de la foy, Charenton, 1617 (dix éditions), parmi les calvinistes, et, parmi les luthériens, les centuriateurs de Magdebourg, Ecclesiastica historia, cent. II, Bâle, 1559, t. II, dans Feuardent, Antidota adversus proba et impias criminationes, en tête de son édition d’Irénée = P. G., t VII, col. 1341-1352. Mais cette sévérité s’atténua ou disparut chez la plupart des défenseurs du protestantisme. Dès 1570, Nicolas Desgallards (Gallasius), publia, sous l’inspiration de Théodore de Bèze, une édition d’Irénée, où, tout en avançant qu’on trouve, dans les écrits des anciens Pères, impuritatem nonnullam quam labantia jam illa tempora doctrinæ christianæ attulerunt, dédicace, P. G., t. VII, col. 1329, il n’affirmait pas moins l’utilité d’Irénée et s’efforça de le faire servir à la cause protestante. Le cordelier Feuardent, au contraire, dans les préliminaires et dans les notes de son édition d’Irénée (1575), le revendiqua, avec fougue et avec une critique en progrès sur celle de Grynée et de Desgallards, mais [col.2526 fin / col.2527 début] encore insuffisante, comme un champion de la foi orthodoxe. Deux savants réformés, H. Dodwell, dans ses Dissertationes in Irenæum, Oxford, 1689, et J. E. Grabe, dans son édition d’Irénée, qu’il prépara avec l’aide de Dodwell, Oxford, 1702, recommencèrent la tentative d’annexer Irénée au protestantisme. Massuet, qui rendait justice par ailleurs aux mérites de Grabe, ne craignit pas de dire, P. G., t. VII, col. 11-12 : Ecclesiæ anglicanæ, cui se adjunxit, dum studet impensius, potius illi cura fuisse videtur ut Irenæum etiam invitum et reluctantem anglicanæ sectæ adjungeret, quam ut opus castigatius daret et emendatius. L’édition de Massuet (1710) améliora le texte d’Irénée et donna un exposé de la doctrine exact dans l’ensemble, quoiqu’incomplet. Les catholiques furent armées pour la défense de leurs dogmes. Bossuet qui, plus que personne, utilisa Irénée, résumait ainsi leur pensée sur ce point : « Lisez-le comme un témoignage authentique de la foi de nos ancêtres, puisque c’est la foi du saint qui a conversé avec les disciples des apôtres, et qui a illustré le second siècle par sa doctrine et par son martyre : l’Eglise gallicane a eu l’avantage particulier de l’avoir pour évêque dans un de ses plus anciennes et principales Eglises, et ce nous doit être une singulière consolation de trouver dans ses écrits un monument domestique de notre foi. » IIeinstruction pastorale sur les promesses de l’Eglise, c. CCXIV ; cf. IIIesermon pour la fête de l’Annonciation, 1er point Œuvres, édit. Lachat, Paris, 1863, 1864, t. XVII, p. 232 ; t. XI, p. 167. En devenant plutôt historique après avoir été purement théologique, la polémique protestante avait également perdue son caractère d’universalité pour se restreindre de préférence aux deux questions de l’eucharistie et de l’Eglise. Irénée les éclairait l’une et l’autre. Dans L’eucharistie de l’ancienne Eglise, Genève, 1633, p. 65-87 (la 1re édition avait paru en 1626 sous ce titre : Conformité de la créance de l’Eglise et de saint Augustin sur le sacrement de l’eucharistie), un des livres les plus forts écrits par les protestants, le ministre E. Aubertin prétendit, à l’encontre du Traité du saint sacrement de l’eucharistie, du cardinal de Perron, Paris, 1622 ; 3e édit., p. 187-198confirmer par saint Irénée la thèse de la présence simplement figurative. Tous les controversistes protestants l’imitèrent. Du côté des catholiques, entre une multitude d’ouvrages, celui qui eut le plus valeur fut la Perpétuité de la foi de l’Eglise catholique sur l’eucharistie, Paris, 1669-1774, dû surtout à Nicole. Cf., en ce qui regarde Irénée, IIIe partie, l. I, c. II, édit. Migne, Paris, 1841, t. II, col. 678-690. Le débat sur l’Eglise a été résumé quand on a retracé l’histoire de l’interprétation du passage sur la primauté de l’Eglise romaine. Le Contra hæreses servit à établir la notion de l’Eglise, non seulement contre les protestants, mais encore contre les jansénistes et les gallicans. Le De vi ac ratione primatus R. pontificum, Vérone, 1766, des frères Ballerini, un des traités qui ont le plus contribué à mettre en lumière le rôle du pape, est tributaire, pour une bonne part, de l’évêque de Lyon. Au XIXe siècle la faveur accordée à l’étude des origines chrétiennes et à la théologie positive a ramené de plus en plus l’attention sur Irénée. La controverse gallicane a pris fin avec le concile du Vatican, qui introduisit, dans la constitution Pastor æternus, la phrase d’Irénée sur la principauté principale de l’Eglise romaine. Quant aux protestants de XIXe et du XXe siècles, il y eut des retardataires qui ont gardé, ou peu s’en faut, en tout ce qui touche l’auteur du Contra hæreses, les positions des ancêtres. D’autres les ont abandonnées partiellement, tout en continuant à dénoncer un certain désaccord, entre la doctrine d’Irénée et le développement dogmatique de l’Eglise catholique. A. Har- [col.2527 fin / col.2528 début] nack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 3e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1897, t. III, p. 775, a dit que Luther, plus éloigné, en bien des points, d’Irénée et d’Athanase que les théologiens du XIVe et du XVe siècles, est, à certains égards, plus près d’eux. Et J. Leitpoldt, Der neue armenische Irenäus, dans la Zeitschrift für Kirchengeschichte, Gotha, 1906, t. XXVII, p. 478-479, a opposé le catholicisme au christianisme primitif qu’il croyait retrouver dans la Démonstration de la prédication apostolique. Ou bien des protestants ont prêté à Irénée des théories qui lui ont sont étrangères ; qu’on se rappelle, par exemple, les affirmations d’A. Sabatier sur le contrat d’échange entre Dieu et le démon pour la rançon de l’homme pécheur. Ou encore ils ont reconnu ― et ceci est d’importance ― qu’en somme l’Eglise catholique continue Irénée ; mais ils ajoutent qu’Irénée n’est pas fidèle à l’Eglise primitive, que les traditions apostoliques se sont corrompues en passant par ses mains, qu’il s’est écarté des données pauliniennes et évangéliques, que « Rome est son but et non le Golgotha. » C’est la thèse de J. Werner, Der Paulinimus des Irenäus, Leipzig, 1889, et, avec des nuances, d’A. Harnack et de son école. Cf., en particulier, L’essence du christianisme, trad. nouvelle, Paris, p. 248-256. A tout prendre, les savants protestants rendent mieux justice à Irénée que leurs prédécesseurs. L’essai sur la théologie d’Irénée de P. Beuzart (1908) et l’Irenaeus of Lugdunum de F. R. M. Hitchcock (1914) ; cf ; ibid., l’introduction de H. B. Swete, tranchent heureusement sur le ton hostile ou chagrin qui était fréquent. L’aveu de l’accord d’Irénée avec Rome n’exclut pas toujours la sympathie. C’est dans une page pleine d’admiration que T. Zahn, Realencyklopädie, 3e édit., Leipzig, 1901, t. IX, p. 410, écrit qu’Irénée est chez lui à Rome, er ist in Rom wie in Ephesus zu Hause. Et, si A. Harnack avance inexactement, Des heil. Irenäus Schrift zum Erweise der apostolischen Verkündigung, Leipzig, 1907, p. 66, que, dans la Démonstration, « l’autorité de l4eglise et la tradition ne sont pas mises en scène, l’argument biblique suffit, » il a ces mots d’un accent ému : « Tous les traits principaux de la doctrine religieuse de l’Adversus hæreses se retrouvent ici : pour Irénée ils n’étaient pas seulement une théologie, mais la religion même, et cela à bon droit, de son point de vue. Chaque membre de la communauté devait les connaître et pouvoir défendre sa foi contre l’hérésie. Irénée vit vraiment avec toute son âme avec sa tête, avec son cœur, dans la foi de l’Eglise. . . Et c’est une grande impression qu’on ressent à cette lecture : c’est donc ainsi qu’à Lyon, à la fin du IIe siècle, le peuple chrétien était instruit et gouverné ! »

     III. LES RESULTATS IMMEDIATS. ― « Saint Irénée occupe une très grande place dans dans l’histoire : il a tué le gnosticisme, il a fondé la théologie chrétienne, » dit A. Dufourcq, Saint Irénée (collection Les saints), p. 169.

     Il a tué le gnosticisme. ― Non pas du coup, ni dans le sens rigoureux du mot. E. De Faye, Gnostiques et gnosticisme, Paris, 1913, p. 465, est allé trop loin en affirmant que « paganisme populaire, philosophie grecque, gnosticisme, christianisme sont encore, au IIIe siècle, sensiblement de force égale ; » mais il est vrai que le gnosticisme eut, au IIIe siècle, comme un sursaut de vie nouvelle, et que la propagande clandestine du gnosticisme remporta encore de beaux succès même au IVe siècle. Cf. E. de Faye, p. 460-461. D’autre part, on ne saisit point les preuves d’une action directe de l’œuvre d’Irénée sur les destinées du gnosticisme. Mais il est sûr que le gnosticisme subit alors une transformation, qui marqua sa banqueroute et prépara sa disparition complète, et de cette transformation complète, et de cette transformation de la chronologie invite à croire qu’Irénée fut la cause principale. Un des attraits du gnosticisme [col.2528 fin / col.2529 début] était le mystère. En exposant au grand jour les doctrines gnostiques, Irénée entamait leur prestige. Un autre élément de sa réussite, c’étaient la complication apparente du système et ses allures scientifiques. Au fond, cette espèce d’histoire de l’univers en proportions colossales, avec multiplication de mondes et multiplications d’êtres divins était moins extraordinaire qu’elle n’en avait l’air, et il ne faudrait pas que l’abondance des détails abusât sur le caractère simpliste de pareilles conceptions : « enseigner qu’il y a trois cent soixante-cinq cieux et trois cent soixante-cinq ordre d’anges, ce n’est pas imposer plus d’effort à l’intelligence que de lui enseigner qu’il n’y a qu’un ciel et qu’un Dieu. » Mais l’imagination trouvait à se repaître de ces fantasmagories, « en même temps l’on avait la flatteuse persuasion d’avoir dépassé le christianisme de la grande Eglise. » P. Rousselot et J. Huby, Christus, 2e édit., Paris, 1916, p. 1054-1055. En soufflant sur ces bulles de savon, Irénée les fit évanouir. Quant aux quelques idées originales qu’il y avait, sous ces travestissement mythologiques du christianisme, Irénée montra non seulement qu’elles ne résistaient pas à l’examen de la raison, mais encore qu’elles n’étaient plus du christianisme : le gnosticisme apparaissait tout au plus comme « une tentative d’intellectuels chrétiens, quelques-uns d’une exceptionnelle vigueur, affirmant leur droit de spéculer et de systématiser, de dogmatiser, au sens propre du mot, à la façon des écoles païennes de philosophie, » et, si l’on veut comme « la première grande tentative de sécularisation du christianisme. » P. Batiffol, Le gnosticisme, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, Paris, 1907, p. 167. Les trois points sur lesquels Irénée établit que porte l’erreur gnostique, en plus de la nécessité d’une règle de foi, invariable et sûre que fournit l’Eglise, à savoir l’unité de Dieu créateur du monde (d’où la réfutation du dualisme et du panthéisme), le christocentrisme (péché originel, christologie et sotériologie), le salut de tout l’homme, y compris, le corps, c’est le christianisme tout entier. Le gnosticisme a donc fait fausse route sur toute la ligne. La démonstration d’Irénée a été mortelle pour l’hérésie. Irénée écrivit vers 180, et c’est peu de temps après que fleurirent Héracléon, Apelle et le rénovateur de l’ophitisme. Nous savons, par ailleurs, que le Contra hæreses fut traduit en latin, en arménien, au moins fragmentairement, en syriaque, et cela très vite en ce qui concerne la version latine, qu’il parut livre par livre (sauf les livres I et II) : ce nous est une preuve de l’intérêt qu’il excitait, du retentissement qu’il eut, de l’influence qu’il exerça. L’Eglise prenait une offensive redoutable. Le gnosticisme se sentit atteint. De là, selon toute vraisemblance, l’effort d’Héracléon, d’Apelle, des ophites. Cf. A. Dufourcq, Saint Irénée (collection Les saints), p. 169-176 ; (collection La pensée chrétienne), p. 29-31 : il compare l’influence du Contra hæreses sur cette transformation à celle de l’Histoire des variations de Bossuet sur l’évolution du protestantisme. De là, peut-être, à partir du IIIe siècle, chez les gnostiques, cette « prédominance de l’idée sacramentelle, » cette initiation aux rites et aux mystères, qui avait prise sur la masse. Cf. E. de Faye, Gnostiques et gnosticisme, p. 456, 460. On atténua la doctrine gnostique, on imita la liturgie de l’Eglise. Le gnosticisme eut beau faire : il ne se releva pas de n’être pas du christianisme et de ce qu’on le savait. Le libertinage acheva sa déconsidération. Cf. E. de Faye, p. 458-459.

     La Manifestation et réfutation de la fausse gnose a réfuté d’avance toutes les hérésies en mettant à sa place l’autorité doctrinale de l’Eglise ; elle a atteint directement toutes les hérésies plus ou moins gnosticisantes. C’est le cas de certaines sectes du protestantisme, par exemple, les anabaptistes, de l’avis de Des- [col.2529 fin / col.2530 début] gallards, l’éditeur protestant d’Irénée, P. G., t. VII, col. 1131. Et même P. Batiffol, Le gnosticisme, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, Paris, 1907, p. 166-167, a cru pouvoir expliquer la complaisance des critiques protestants allemands pour le gnosticisme par cette raison que « le gnosticisme est bel et bien l’individualisme, le sectarisme, le libre examen, la libre critique, la libre spéculation, l’indépendance en face de la règle de foi, de tradition et du magistère ecclésiastique, ― d’un mot, le grand ancêtre du protestantisme. »

     Il a fondé la théologie chrétienne. ― D’abord, non pas en innovant, mais en se rattachant au passé, en le continuant, en l’enrichissant, en l’explicitant, surtout en fixant, d’une manière si forte, la règle de foi, qui assure tout. On trouve en lui une doctrine et une méthode. La leçon de méthode est, dit P. Galtier, L’évêque docteur : saint Irénée de Lyon, dans les Etudes, Paris, 1913, t. CXXXVI, p. 220, « que le mépris ou la haine des novateurs ne suffit pas à la défense de la foi. Il y faut la connaissance de leurs procédés et la pénétration de leurs systèmes. Mais, l’inconsistance de leurs pensées une fois mise au jour, il importe surtout d’y pouvoir opposer l’harmonieuse simplicité de la doctrine transmise. L’avoir apprise de ceux qui ont mission de l’enseigner, la posséder dans toute son intégrité, la scruter et la méditer sous le regarde de l’Eglise qui en a reçu le dépôt, permet de dépister et de juger tous les docteurs de nouveautés. La confiance au « charisme de vérité » qui rend l’Eglise indéfectible, voilà, en un mot, ce que prêchent la vie et les œuvres de saint Irénée, » et voila pour la méthode. Voici maintenant pour la doctrine. Le premier, et le seul, de tous les anciens, il a un exposé relativement complet du dogme catholique. Pour ne rien dire de ses écrits non connus et qu’on peut espérer de lire un jour, en particulier ce traité De la science, qu’Eusèbe qualifie de « court mais nécessaire, » H. E., l. V, c. XXVI, P. G., t. XX, col. 509, le Contra hæreses et la Démonstration de la prédication apostolique constituent une sorte de somme de théologie des origines chrétiennes. Ailleurs on glane ; là on moissonne à mains pleines. Et non seulement Irénée offre des anticipations de la dogmatique ultérieure, non seulement il aborde presque toutes les questions vitales ; mais encore il a eu le mérite de donner au Christ la place à laquelle il a droit. « La doctrine du Christ, dit P. Beuzart, Essai sur la théologie d’Irénée, Paris, 1908, p. 129 ; cf. p. 83-84, forme la pierre angulaire de toute construction théologique. Irénée l’a senti suffisamment pour traiter cette partie avec une grande ampleur. Ce point de son système est vraiment original, » et tout le reste en tire son explication, sa solidité et sa splendeur.

     IV. L’ECRIVAIN, L’HOMME, LE DOCTEUR. ― 1. L’écrivain. ― Irénée était sans prétentions littéraires. « Nous n’avons pas l’habitude d’écrire, dit-il, Cont. hær., l. I, præf., col. 444 ; nous n’avons pas étudié l’art du discours. . . Demeurant parmi les Celtes, obligé de parler le plus souvent une langue barbare, n’attendez pas de nous ni l’art de l’éloquence que nous n’avons pas appris, ni la force et les grâces du style que nous ignorons. Recevez avec charité ce que la charité nous a fait écrire sans ornement, dans un langage simple, mais conforme à la vérité. » En dépit de cette modestie d’auteur, plus ou moins sincère, saint Jérôme, Epist., LXXV, P. .L., t. XXII, col. 688, juge que le Contra hæreses fut écrit doctissimo et eloquentissimo sermone. Nous n’avons pas l’orignal grec, mais nous en possédons des fragments assez considérables pour constater que l’éloquence, au sens usuel du mot, et l’agrément du style ne sont pas le fait d’Irénée. Son langage est simple, comme il l’a annoncé, et quelque peu terne. Le plan est confus, l’ouvrage médiocrement [col.2530 fin / col.2531 début] composé. Il y a du désordre et des redites. Nous avons vu que l’auteur abus de l’allégorie dans l’interprétation de l’Ecriture. Mais ces défauts sont rachetés par des qualités réelles. N’insistons pas sur la lettre des martyrs lyonnais, sortie très probablement de la plume d’Irénée, et qu’E. Renan, Marc-Aurèle et la fin du monde antique, 3e édit., Paris, 1882, p. 339, 340, a appelé « admirable » et la « perle de la littérature chrétienne au IIe siècle. » Le Contra hæreses se distingue par la force dans l’expression et le raisonnement, et, dans le ton, par le calme, la mesure, la sobriété qui conviennent à une œuvre de controverse. « Chose singulière, dit Freppel, Saint Irénée, p. 477-478, cet homme de l’Orient conduit par la Providence au milieu de la Gaule du IIe siècle, a toutes les qualités de l’esprit occidental, et, si je ne craignais le paradoxe, j’ajouterais de l’esprit français : la clarté et la précision. » Assez souvent le style, d’ordinaire simple et uni, s’anime, se colore, sculpte dans un relief très net une pensée heureuse. Voici des exemples, qu’il serait facile de multiplier. Sur Dieu, l. III, c. XXV, n. 3, col. 968 : Deus non est cui bonitas desit ; l. IV, c. XIV, n. 1, col. 1010 : Initio, non quasi indigens Deus hominis, plasmavit Adam, sed ut haberet in quem collocaret sua beneficia. Sur le Christ et son œuvre, l. V, præf., col. 1120 : Propter immensam suam dilectionem factus est quod sumus nos uti nos perficeret esse quod est ipse ; l. IV, c. XX, n. 2, col. 1033 : Ut in carne Domini nostri occurat paterna lux, et a carne ejus rutila veniat in nos, et sic homo deveniat in incorruptelam circumdatus paterno lumine ; c. XXXIVV, n. 1, col. 1083 : Quid igitur Dominus attulit veniens ? Cognoscite quoniam omnem novitatem attulit, semetipsum afferens. Sur l’Eglise gardienne de la foi, l. III, c. XXIV, n. 1, col. 966 : Quam perceptam ab Ecclesia custodimus et quæ semper a Spiritu Dei, quasi in vase bono eximium quodam depositum juvenescens et juvenescere faciens ipsum vas in quo est. Sur la vérité et l’erreur, l. III, XV, n. 2, col. 918 : Suasorius enim et verisimilis est et exquirens fucos error ; sine fuco autem est veritas, et propter hoc pueris credita est. Sur notre préparation au ciel, L. V, c. VIII, n. 1, col. 1141 : Nunc autem partem aliquam a Spiritus ejus sumimus, ad perfectionem et præparationem incorruptelæ, paulatim assuescentes capere et portare Deum. Sur les progrès de la connaissance en ce monde et en l’autre, l. II, c. XXVIII, col. 606 : Ut semper quidem Deus doceat, homo autem semper discat quæ sunt a Deo.

     L’homme. ― L’homme ne se révèle-t-il pas dans ce langage ? Et ces beaux mots sur Dieu, le Christ, l’amour, la lumière, n’indiquent-ils pas un disciple de saint Jean ? Disciple de saint Jean il le fut, sinon au sens strict du mot, du moins par l’intermédiaire de saint Polycarpe. Il le fut par tout l’élan de l’âme. Sans doute il a, ainsi, du reste, que saint Jean, de rudes paroles contre les hérétiques. Cf. l. I, præf., n. 2 ; c. XXXI, n. 3 ; l. II, c. X, n. 1 ; c. XIV, n. 5 ; c. XVII, n. 9-10 ; c. XXVI, n. 1 ; c. XXXI, n. 2-3 ; l. III, c. II, n. 3 ; c. XV, n. 2 ; c. XXIV, n. 2 ; c. XXV, n. 6 ; l. IX, c. XIX, n. 1, 3 ; l. V, c. VIII, n. 2, col. 441, 705, 735, 752, 766, 800, 824-825, 847, 920, 931-932, 967, 970, 1030, 1031, 1142-1143. Mais il aime ceux qu’il reprend ; étranger, déclare-t-il, l. I, præf., n. 3, col. 444, aux délicatesses du style, il écrit avec amour et il demande que ce soit avec amour qu’on le lise. Parce qu’il les aime, il prie pour eux, l. III, c. XXVI, n. 7, col. 970-972 : « Nous prions Dieu, afin qu’ils ne demeurent pas dans cette fosse qu’ils se sont creusée, qu’ils se séparent de ce qu’ils nomment leur Mère, qu’ils sortent de l’Abîme, qu’ils laissent le Vide abandonnent l’Ombre, afin qu’ils naissent véritablement en se tournant vers l’Eglise de Dieu, qu’ils forment le Christ en eux et connaissant l’auteur et créateur de l’univers, le seul vrai Dieu et Seigneur de toutes choses. Voilà notre prière pour [col.2531 fin / col.2532 début] eux, car nous les aimons plus utilement pour leu salut qu’ils ne s’imaginent s’aimer eux-mêmes. Notre amour est véritable. . . C’est pourquoi par tous les moyens nous tenterons de leur tendre la main, et nous ne nous lasserons pas. » Quelle ferveur d’accent dans la supplication que, au cours d’un exposé sur le mystère de la Trinité, il adresse aux Trois, Père, Fils et Saint-Esprit, l. III, c. VI, n. 4, col. 862-863, pour les pécheurs de son ouvrage : Et ego igitur invoco te, Domine. . ., da omni legenti hanc scripturam agnoscere te, quia solus Deus es, et confirmari in te, et absistere ab omni hæretica et, quæ sine Deo, impia sententia ! Les menées grecques ont admirablement exprimé ce caractère aimant de l’évêque de Lyon : Έροτιά γάρ τώ πρός ούρανούς πόθώ, P. G., t. VII, col. 428. Auparavant Eusèbe, H. E., l. V, c. XXIV, P. G., t. XX, col. 508, et saint Jérôme, De viris illustribus, c. XXXV, P. L., t. XXIII, col. 649, avaient noté qu’il fut pacifique comme son nom. E. Renan, Marc-Aurèle et la fin du monde antique, 3e édit., Paris, 1882, p. 341-342, injuste pour les qualités d’esprit Irénée, n’hésite pas à lui reconnaître « une conscience morale des plus saines » et « le plus rare sens pratique. A une foi exaltée il unit une modération qui étonne à une rare simplicité il joint la science profonde de l’administration ecclésiastique, du gouvernement des âmes. . . Il a moins de talent que Tertullien ; mais combien il lui est supérieur pour la conduite et le cœur ! »

     Le docteur. ― P. Galtier, L’évêque docteur : saint Irénée de Lyon, dans les Etudes, Paris, 1913, t. CXXXVI, p. 220-223, présente Irénée « à la fois comme le plus ancien et le plus actuel des évêques docteurs, » et poursuit : « Ce n’est pas assez cependant, et nous eussions voulu dire aussi : « le docteur de l’Eglise. » L’Eglise de France lui donnait ce titre jadis. La messe qui lui est attribuée, le 4 juillet, pro aliquibus locis, dans le missel romain, met uniquement en relief son influence doctrinale. . . Les deux conditions, par conséquent, requises d’après Benoît XIV, pour recevoir le titre de docteur, cette liturgie les proclame vérifiées dans saint Irénée : l’éminence des doctrines égale chez lui la sainteté de la vie. » Et il appelle de ses vœux le jour où l’Eglise romaine insérera le nom d’Irénée au calendrier de l’Eglise universelle et ornera le front de l’évêque de Lyon de l’auréole des docteurs. On ne peut que le souhaiter et l’espérer avec lui. Pour l’heure, cependant, une difficulté existe. Ce qui la créé, ce n’est pas, semble-t-il, le fait des deux ou trois opinions erronées qui apparaissent dans le Contra hæreses, mais la solution proposée par Benoît XIV. P. Galtier a cité le De servorum Dei beatificatione et beatorum canonizatione, l. IV, part. II, c. XI, n. 13, Prato, 1841, t. IV, p. 511. Un peu plus loin, c. XII, n. 9, p. 518, Benoît XIV dit que saint Irénée, comme saint Ignace et saint Cyprien, tout en ayant ce qui est exigé pour les docteurs n’est pas honoré comme tel : statuendum esse videtur. . . sexto ss. Ignatium, Irenæum et Cyprianum, habentes requisita doctorum non coti tanquam doctores sed tanquam martyres, cum nunquam separetur officium doctoris ab officio confessoris. Remarquons l’expression : statuendum esse videtur ; Benoît XIV n’affirme pas carrément. Remarquons encore que, à l’appui de cette affirmation que l’office de docteur n’est jamais séparé de l’office de confesseur, il cite seulement l’autorité de C. Guyet, Heortologia sive de festis propriis locorum et ecclesiarum, l. II, c. VII, q. 21, qui est celle d’un simple liturgiste. Le sentiment de Benoît XIV paraît donc révisable. Il appartient à l’Eglise, si elle le juge utile, de se prononcer là-dessus.

     Quoi qu’il en soit, le rôle dogmatique d’Irénée fut de toute première importance. Un des savants protestants, qui ont le mieux connu l’ancienne littérature chrétienne, t. Zahn, l’a apprécié de la sorte, Realen- [col.2532 fin / col.2533 début] cyklopädie, 3e édit., Leipzig, 1901, t. IX, p. 410 : « Irénée est le premier écrivain de l’époque subapostolique à qui convienne le nom de théologien. S’il est vrai qu’une étude diligente des éléments et des monuments de la foi chrétienne, comme celle où se sont distingués Eusèbe et saint Jérôme, ne suffit pas à faire un théologien, mais qu’il y faut une vue synthétique, harmonieuse et complète, des rapports de Dieu et du monde, il n’y a qu’Origène et saint Augustin qui puissent être comparés à saint Irénée. Ni saint Athanase ni saint Cyrille n’approchent de ces trois génies et, pour ce qui est du dégagement de la théologie de toutes les influences étrangères, c’est saint Irénée qui les dépasse tous. » Cf. A. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 3e édit., Fribourg-en-Brisgau, t. I, p. 513. Et, parmi les catholiques, A. Dufourcq a intitulé le t. III de son grand ouvrage sur Le passé chrétien : Le Christianisme primitif. Saint Paul, saint Jean, saint Irénée. C’est bien cela. Quoique sur un autre plan que saint Jean et saint Paul, et quoique de moindre vigueur intellectuelle qu’un Clément d’Alexandrie ou un Origène, Irénée est, par la richesse de sa doctrine comme par l’orientation qu’il donne à la théologie, le grand nom de l’histoire du dogme entre saint Paul et saint Jean, d’une part, et de l’autre, saint Augustin.
 F. VERNET.
 

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