1822-1823-1824
A 17 ans, dès sa conversion. Pauline Marie Jaricot s’astreint
à une vie d’austérité et de sacrifices. D’emblée,
elle revêt l’humble tenue vestimentaire des ouvrières en soirée.
Et dans un élan mystique, elle rédige l’Amour Infinie
dans la Divine Eucharistie.
Ce livre, reste pour nous, lecteurs, son testament spirituel :
« Au Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.
Qui suis-je, Seigneur, pour entreprendre de parler du sacrement de votre amour ? Autant de fois je l’ai déjà essayé, autant de fois, éblouie par l’éclat de vos merveilles, je suis demeurée muette sans pouvoir rien exprimer. Serai-je plus forte aujourd’hui ? Me tairai-je pour avoir trop à dire ? J’ose espérer que vous serez le feu de mes expressions, l’intelligence de mon esprit, l’amour de mon cœur, le soutien de ma faiblesse, et qu’alors je pourrai fidèlement accomplir vos desseins.
O Marie ! trône de la sagesse, c’est entre vos bras et à l’ombre de votre protection que je vais fixer le Soleil de justice ; je remets ma main dans la vôtre, conduisez-la au gré de l’Esprit de vérité.
Et vous, ange, fidèle gardien de mes jours, dont la charité s’intéresse à mes moindres actions, daignez rester à côté de moi pour soutenir ma faiblesse, afin que la grandeur du travail n’abatte jamais mon courage.
Eglise sainte, ô ma tendre mère ! si j’ose parler
du trésor le plus précieux que vous ayez reçu de votre
céleste Epoux, c’est dans les sentiments de la plus de la plus parfaite
soumission à tout ce que vous enseignez par la voix des pasteurs
légitimes : c’est à la lueur du divin flambeau que vous portez
devant nous, que j’entre dans le sanctuaire du divin amour persuadée
que les plus vifs instruments, entre les mains de Dieu ; ce sont les plus
propres à manifester sa sagesse.
II
O Cœur adorable de Jésus ! vous êtes le principe de la divine Eucharistie, comme l’Eucharistie est elle-même le principe des autres sacrements. De la même manière que vous fûtes le siège de la vie temporelle de Jésus, ainsi vous êtes la source de son existence sacramentelle. Avant que le sang précieux qui nous a rachetés, fût répandu, il recevait en vous la chaleur et le mouvement ; et depuis qu’il coulé sur la croix, c’est par vous qu’il coule sur nos âmes, pour les purifier, pour les fortifier et les conserver dans la vie de la grâce. Je dis que c’est par vous que le sang de Jésus-Christ est répandu sur nos âmes, parce qu’il n’appartenait qu’à vous seul de concevoir un dessein d’amour assez généreux pour associer des hommes faibles et mortels à votre divin sacerdoce. Parviendrai-je à me faire comprendre ? Par les mérites de votre incarnation et de votre sacrifice sanglant sur le Calvaire, vous avez réconcilié le Ciel avec la terre ; mais votre prodigieux anéantissement dans ces deux adorables mystères, quoique suffisant pour racheter mille mondes, ne suffisait pas pour établir dans votre Eglise le sacerdoce de la nouvelle alliance. L’orgueil de l’homme est si démesuré et outrage tellement la Divinité, que pour rendre ce même homme capable d’offrir votre auguste sacrifice, vous vous êtes vu forcé de vous anéantir jusqu’au-dessous de la nature humaine, en vous cachant sous les apparences du pain et du vin pour devenir vous-même et nous communiquez votre divinité. Dès lors vos heureux apôtres, en recevant la divine Eucharistie de vos propres mains dans la dernière cène, se trouvent si prodigieusement ennoblis, qu’il ne répugne plus à votre sainteté de leur transmettre votre puissance et de les revêtir de votre sacerdoce, pour renouveler le miracle de la transsubstantiation, faire descendre sur l’autel le Saint des saints, offrir et perpétuer le sacrifice du salut jusqu’à la consommation des siècles, et par ce moyen rendre intarissable la source des mérites et des grâces du Sauveur, et enfin tenir le réservoir de son précieux sang toujours rempli.
C’est dans ce sens que l’Eucharistie, unique source du sacerdoce, est le principe des autres sacrements, et que vous, ô Cœur adorable ! par ce sacrement, vous avez trouvé le moyen d’unir l’homme si intimement à vous, que, ne faisant plus qu’un avec nous, votre cœur devient le principe de notre vie spirituelle, en sorte que pour m’exprimer comme je le sens, vous créez, en celui qui vous reçoit dignement, un homme spirituel, composé d’un corps spirituel et d’une âme divine. Son âme imparfaite, sanctifiée par votre adorable présence, devient comme le corps spirituel de l’homme, et votre âme devient elle-même l’âme et la vie de cet être renouvelé et comme absorbé en vous. Par la suite de cette merveilleuse union, vous réformez aussi le corps matériel de cette heureuse créature ; votre cœur devient comme le mobile de son cœur, votre sang comme l’activité de son sang, et votre chair devient comme en sa chair : il vit en vous et vous vivez en lui, tellement, Seigneur, qu’il me parait étonnant que l’homme ne meure pas aussi corporellement, dès qu’il est assez malheureux que de séparer de vous par le péché mortel. Et pourquoi ne perd-il pas alors la vie corporelle ? Qui peut encore le soutenir et l’empêcher de succomber ? O Jésus ! il me semble le comprendre. C’est que l’amour que vous lui portez n’est pas tout concentré dans votre adorable sacrement. Je vois Jésus-Christ, crucifié comme une fontaine de vie placée sur le sommet de la montagne de Sion, d’où jaillissent des sources de grâces et de salut. Ces eaux vivifiantes tombent dans un immense réservoir, qui est l’Eucharistie ; mais très surabondantes, elles dépassent les bords et se précipitent le long de la montagne sainte que le pécheur veut quitter. Elles arrosent la terre qu’il foule aux pieds, elles l’accompagnent partout comme malgré lui ; et tandis qu’il s’efforce de s’éloigner, elles le poursuivent comme pour l’entraîner dans un deuxième réservoir qui entoure la montagne, qui communique au premier par des canaux souterrains et qui représente le sacrement de Pénitence. C’est dans ce bain de réconciliation que la grâce sollicite le pécheur de se précipiter, afin que, purifié de ses iniquités et de ses ingratitudes, il puisse remonter vers la source primitive qu’il a volontairement abandonnée. Et pourquoi, préférez-vous d’être tranquille dans votre malheur, que d’être poursuivi dans votre péché ? Pourquoi vous irritez-vous de ce que la grâce intolérante ne vous laisse pas la cruelle liberté de vous perdre sans crainte comme sans remords ? Ah ! vous ignorez donc que si vos pieds n’étaient baignés dans les eaux du tabernacle, vous mourriez aussitôt après votre péché, comme un poisson qui perd son élément ; parce que ne pouvant plus glorifier la miséricorde de Dieu, vous iriez incessamment dans l’enfer pour manifester sa justice ?
Quelle faiblesse dans mes paroles ! Aidez-moi, Seigneur, à faire comprendre aux pécheurs qui osent vous résister, que rien n’égale leur aveuglement. Quand ils vous ont délaissé, vous êtes loin de les délaisser vous-même ; votre grâce les poursuit jour et nuit pour les solliciter de revenir à vous. Mais trop souvent presque toujours plus votre grâce les poursuit, plus ils s’irritent contre elle. Résolus de placer leurs affections sur la terre, il repoussent tout ce qui tend à mettre un frein à leurs désirs déréglés. Rien ne les chagrine autant que la voix qui leur crie : Vous n’avez point ici-bas de cité fixe et permanente ; le temps vous entraîne malgré vous dans une autre vie qui ne finira jamais.
De là, leurs interminables déclamations contre la prétendue intolérance de votre Religion et de vos ministres, lesquelles plaintes absurdes ne sont après tout, que des reproches dirigés contre votre grâce miséricordieuse, qui ne leur laisse pas un instant de repos et veut à toute force pénétrer dans leur cœur. Hélas, que deviendraient-ils, si vous les preniez au mot, si le sang que vous avez répandu pour eux cessait un seul instant d’intercéder en leur faveur ? Tels que l’ange rebelle, ils seraient de suite frappés d’une malédiction éternelle. C’est faute d’avoir eu cette ressource de salut, que Lucifer et les compagnons de sa révolte furent précipités dès l’instant que leur crime fut consommé. Comme il n’y avait pour eux aucune rédemption, l’exécution des arrêts de la justice divine ne pouvait souffrir aucun délai.
Ainsi, pécheurs ingrats, seriez-vous traités vous-même, si vos pieds ne trempaient dans les eaux salutaires qui sortent du tabernacle, c’est-à-dire, dans le sang de Jésus-Christ. Séparés de Dieu, incapables de retourner à lui, vous seriez de suite et invinciblement entraînés dans l’abîme par votre propre poids, comme une pierre lancée dans les airs retombe par la force qui l’attire vers le centre de la terre ; vous perdriez l’existence temporelle qui désormais, deviendrait inutile et à votre salut et à la manifestation des perfections divines. Comme une plante se fane et dessèche quand elle est séparée de sa racine, si elle n’est mise dans l’eau, ainsi périrait le pécheur, si le ruisseau de la grâce était tari sous ses pas. Comment donc, ô aveugles mortels ! le délire de vos égarements peut-il aller jusqu’au point de vouloir oublier Jésus-Christ et de désirer d’en être oubliés, puisque sans lui vous ne pourriez pas rester un seul instant dans la voie qui se trouve entre les deux éternités : puisque sans lui vous seriez arrachés de force aux criminelles et fugitives jouissances que vous préférez au bonheur du ciel ; puisque sans lui vous seriez incessamment exterminés de dessus la surface de la terre et précipités en corps et en âme, avec la rapidité de l’éclair, dans l’étang de feu et de soufre, disons la vérité toute entière : puisque vous n’êtes conservés ici-bas et n’existez que dans le sang de Jésus-Christ.
Voilà ce que nous ne méditons pas assez, et ce que
la plupart n’ont peut-être jamais compris. Ce Dieu, victime sur le
Calvaire et sur l’autel, n’est pas seulement le Sauveur, le réparateur,
mais encore le conservateur du genre humain. Son précieux sang devient
un élément, hors duquel nous ne pouvons plus exister sur
la terre. Si l’immensité de son amour et de sa générosité
nous montre l’étendue de nos obligations envers lui, elle provoque
également une indignation sans bornes contre les ingrats qui sont
assez ignorants, assez abrutis pour vivre dans l’oubli de ses bienfaits.
III
Ministres de Jésus-Christ, recevez l’hommage de mon très
profond respect : vous êtes choisis entre tous les hommes pour opérer
les prodiges de l’amour infini. Que ne puis-je éclater en actions
de grâces à la vue de vos ineffables grandeurs ! Vous êtes
véritablement rois et prêtres, puisque vous disposez des couronnes
du ciel en notre faveur, par le pouvoir que vous en a donné l’adorable
Victime qui s’offre tous les jours entre vos mains. Vous êtes véritablement
nos pères et mères, puisque notre vie repose dans votre sein,
et que nous trouvons en votre charité pour nous le lait le plus
délicieux, je me prosterne et m’abaisse profondément devant
votre sacerdoce. Je vois mon Sauveur en vous et je vous vois dans mon Sauveur.
Oui, Seigneur, vous seul pouvez faire germer votre sacerdoce dans des hommes
faibles et mortels, et rendre leur voix féconde, pour vous reproduire
sur nos autels. Ainsi donc, prêtres du Très-Haut, si nous
vous devons la présence de Jésus-Christ parmi nous, vous
devez à sa présence en vous tout ce que vous êtes.
Or, puisque vos pouvoirs sortent du tabernacle et ne sont autre chose que
la puissance même du Dieu qui y réside, où pouvez-vous
recourir dans vos anxiétés, dans vos sollicitudes, dans vos
doutes, dans vos langueurs, si ce n’est au tabernacle ? C’est en lui et
en lui seul que repose la réussite de vos travaux ; c’est là
que vous devez plaider et votre propre cause, et celle des peuples confiés
à vos soins, et jamais ailleurs que là vous ne trouverez
le feu sacré, les célestes ardeurs, les forces, les lumières
et toutes les grâces qui vous sont nécessaires pour remplir
dignement les divines fonctions de votre redoutable ministère.
IV
O Jésus ! Dieu tout amour, à quel excès nous
avez-vous aimés ! Non content d’avoir institué la divine
Eucharistie pour que le Corps et le Sang de la Victime infinie devinssent
la nourriture spirituelle de nos âmes et le gage de notre résurrection
glorieuse, vous avez encore voulu qu’elle perpétuât la mémoire
et les mérites de votre mort. C’est par l’immolation de votre cœur,
dont il sortit du sang et de l’eau, sur la croix, après la consommation
de votre sacrifice sanglant, que vous donnâtes naissance au sacrifice
sanglant, que vous donnâtes naissance au sacrifice adorable de la
messe, sacrifice qui s’offre mille fois par jour et dans mille endroits
différents, dans les cités, dans les campagnes, dans les
camps des armées, dans les hospices des malheureux, dans les prisons
de la justice humaine, sur terre et sur mer, dans toutes les contrées
de l’univers, partout où il y a des hommes qui veulent en profiter
; sacrifice le plus saint, le plus auguste, le seul qui soit digne de Dieu,
et qui néanmoins est commencé et consommé dans un
très court espace de temps, pour le plus grand bien des prêtres
et des fidèles dont il est comme la propriété. Ah
! du moins, si tous en profitaient. O Jésus ! pourquoi nos yeux
ne deviennent-ils pas des fontaines de larmes ? Vous êtes insulté
jusque sur vos autels comme vous le fûtes sur le Calvaire. Les Juifs
vous disaient en secouant la tête : « Qu’il descende de la
croix et nous croirons en lui » ; ainsi les impies, en entrant dans
vos temples, semblent vous dire par leur maintien fier et dédaigneux
: Nous ne vous adorerons pas, si vous êtes un Dieu puissant, répondez
à nos injures, prenez vous-même votre défense… Mais,
ô Dieu de clémence ! vous gardez toujours le silence, et vous
ne répondez à l’impie que par la continuation de vos bienfaits.
Tant et de si grands outrages ne sauraient suspendre votre adorable sacrifice.
Vous vous immolez entre les mains de votre ministre, vous vous donnez en
nourriture à vos fidèles, vous vous laissez renfermer dans
vos tabernacles, comme si vous ne voyiez assister à vos redoutables
mystères que des âmes pures et de parfaits adorateurs. O Victime
de propitiation ! c’est en vous que viennent d’atteindre les foudres de
la justice éternelle : vous êtes la digue des torrents de
la colère céleste et la chaîne des vents de sa
fureur. Ah ! si le profanateur, si l’insolent pécheur était
écrasé à l’instant même qu’il vient vous présenter
son cartel, comment votre sacrifice perpétuel pourrait-il être
la continuation et la représentation de celui du Calvaire ? Ne faut-il
pas que le règne de votre miséricorde précède
celui de votre justice, et n’aurez-vous pas l’éternité toute
entière pour punir les malheureux qui n’auront pas su profiter des
tendres avances de votre bonté ?
V
O Jésus ! Victime de votre amour sur nos autels, je voudrais parler de votre charité sans bornes, de votre incompréhensible patience, de votre profonde humilité, de votre parfaite obéissance, de vos prodigieux anéantissements ; mais comment la plus faible et la plus imparfaite de vos créatures aurait elle la témérité de s’enfoncer dans cet océan de merveilles sans fond et sans rivages ? Suis-je donc condamnée à rester muette dans mon admiration ? Ne m’auriez-vous conduite dans le jardin du divin amour, que pour me causer la douleur de ne pouvoir rien y cueillir ? Je suis semblable à un enfant qui, placé dans un parterre émaillé de mille fleurs, tombe à chaque pas et se trouve embarrassé pour faire un bouquet. Oui, Seigneur, les traits aimables qui décèlent votre tendresse pour nous sont si multipliés, que je ne sais lesquels choisir pour y rendre hommage. Que ferai-je donc ? je balbutierai ; aussi bien est-il permis de le faire quand il s’agit d’exprimer ce qui surpasse toutes les intelligences créées, quand il s’agit, dis-je, de dépeindre ce qui transporte d’admiration les anges et les saints qui entourent le trône de la Divinité, et qui, dans les élans de leur amour et de leur reconnaissance, ne peuvent manifester leurs ravissements que par des Amen et des Alleluia éternels.
C’est sur Jésus caché, sur Jésus prisonnier
de son amour, sur Jésus obéissant à ses ministres,
que j’arrête d’abord mes regards attendris. Les sens sont interdits,
la raison s’étonne, quand la foi s’écrie : Mortels, prosternez-vous,
adorez Jésus-Christ sous les voiles eucharistiques. Il se présente
à vous sous la forme du pain, parce qu’il est votre vie ; il se
présente à vous sous la force du vin, parce qu’il est votre
force. Mais, qu’ils sont nobles et touchants les motifs pour lesquels il
se cache sous ces dehors obscurs ! S’il éblouissait, par sa majesté,
les yeux de ses ministres, il pourrait les arrêter dans leurs fonctions
; en charmant leurs oreilles, il ralentirait leurs pas ; en donnant des
signes extérieurs de sa puissance, il les ferait trembler. Il aime
mieux s’abandonner entre leurs mains, sans restrictions, sans résistance,
sans aucune réserve. Telle est la loi que lui impose son amour.
Soit donc que ses ministres le pressent dans le tabernacle pour le donner
aux fidèles, pour l’exposer à leurs adorations, pour le porter
aux malades, pour bénir le peuple ; soit qu qu’ils le renferment
dans ces mêmes tabernacles, il est toujours disposé à
faire leur volonté. Tous les jours, depuis le lever du soleil, jusqu’à
l’aurore suivante, Jésus est prêt à leur obéir.
Qu’ils le portent ostensiblement, ou qu’ils jugent à propos de le
cacher dans leur sein, c’est à leur décision que Jésus-Christ
s’en rapporte. O prêtres ! qui pourra raconter vos privilèges
? L’Agneau est immolé pour tous ; mais vous seuls êtes chargés
de faire tous ses honneurs et d’inviter les convives au céleste
banquet.
VI
Jésus-Christ est venu établir son règne dans les âmes ; rien d’éclatant n’annonce sa présence. Son triomphe, c’est de vaincre les sens de l’homme par la conquête de son cœur, et non de vaincre son cœur en éblouissant ses sens. Aussi reste-t-il toujours caché pour ces derniers de la manière la plus impénétrable. Si ses ministres le portent aux malades, il n’est presque jamais environné que de gens simples et obscurs aux yeux du monde. Les mains du prêtre sont le char de triomphe sur lequel il parcourt les rues des cités, et pendant que les rois de la terre annoncent leur présence par de brillants cavaliers, par des timbales, des clairons et des foudres guerrières, Jésus-Christ, le Roi des rois, caché sous les voiles de l’amour, n’annonce sa présence que par le plus humble des instruments ; Il semble que ce soit trop peu, pour remplir ses desseins, de se cacher sous les voiles eucharistiques ; il veut que tout ce qui sert à sa charité, serve aussi d’épreuve à notre foi et d’occasion à son abaissement.
Chez les malades, une pauvreté plus grande encore l’environne. Un meuble destiné à l’usage le plus ordinaire des gens de la maison voilà le trône sur lequel repose Notre-Seigneur. Souvent, des enfants étourdis et légers s’y appuient et font vaciller le Saint-Sacrement. Plus souvent ceux qui soignent le malade passent et repassent devant le Sauveur sans paraître se souvenir de sa présence. C’est ainsi que vous vous plaisez à tromper nos sens, ô divin Jésus ! afin que notre cœur établisse sur leurs ruines son empire, et vous offre un hommage pur, libre, ardent et durable. C’est à notre cœur que vous parlez par votre patience à supporter la dissipation de ceux qui vous entourent, par votre douceur pour celui que vous venez visiter, par votre silence dans les outrages que vous ne recevez que trop souvent, et par votre profonde humilité. Oui, tout en vous dit : Jésus est amour. Mais qui doit mieux sentir ces mots pleins de charmes : Jésus est amour, que le malade lui-même ?
Dans quel instant vous présentez-vous à lui ? Quand il est en proie aux plus vives douleurs, découragé par la faiblesse qui l’accable, effrayé par la mort qui s’approche. C’est dans ce triste et fatal moment que vous daignez l’honorer de votre visite et de votre présence. Son cœur a toujours été l’objet de vos recherches ; c’est avant d’en arrêter les mouvements pour jamais, que vous venez lui demander le dernier hommage qu’il puisse vous en faire. O mon fils ! semblez-vous lui dire, maintenant que le monde vous a fait ses adieux ; maintenant que vos sens engourdis sont incapables de maîtriser votre cœur, ne voudriez-vous pas me le donner ? Vos refus pendant votre vie m’ont attristé sans me faire perdre espoir ; je me suis tu au milieu de vos amusements frivoles, parce que la dissipation vous empêchait de m’entendre ; mais aujourd’hui que les illusions ont fait place aux terreurs de la mort, aujourd’hui, mon fils, donnez-moi votre cœur, donnez-le moi avec confiance. Repentez-vous de me connaître si tard ; offrez-vous en sacrifice d’expiation à ma justice ; jetez-vous dans le sein de ma miséricorde, je n’exige rien de plus après la confession de vos infidélités, et pour gage de ma parfaite réconciliation avec vous, je vous donne mon Corps, pour imprimer dans le vôtre le principe de la résurrection glorieuse ; mon Sang, pour vous marquer du sceau des élus ; mon âme, pour accompagner la vôtre jusqu’au pied du tribunal éternel ; ma divinité, pour vous juger dans les intérêts de la miséricorde, avant que ma justice réclame ses droits sur vous. Aujourd’hui,mon fils,je veux épuiser les derniers trésors de ma grâce en votre faveur, en vous appliquant de plus par l’Extrême-Onction tous les mérites de l’agonie, et des angoisses cruelles que j’ai endurées pour votre amour au jardin des Olives, afin que tous vos sens trouvent dans la faiblesse où les miens furent réduits, les forces nécessaires pour servir votre cœur dans vos derniers moments contre les tentations du démon, les horreurs du trépas, les dernières souffrances de la séparation, et qu’ainsi votre âme soit de plus en plus purifiée pour comparaître au tribunal de Dieu.
VII
C’est ainsi que vous nous aimez, ô Jésus-Christ ! notre dernier soupir peut nous ouvrir le ciel, lorsque par une vie d’iniquités nous avons mille fois mérité l’enfer. Avec quelle tendresse ne visitez-vous pas aussi dans leurs derniers moments les âmes fidèles qui ont vécu pour vous aimer ! Il semble que vous ne vous en rapportez point aux soins des personnes chéries qui les entourent. Vous venez vous-même pour être leur garde, leur médecin, leur consolation.
Tel qu’une tendre mère qui prend entre ses bras son fils chéri pour le soulager, le délasser par ses caresses, se gêne, se rapetisse en quelque sorte, afin de procurer à son enfant une position plus douce et plus commode ; ainsi notre très doux Jésus offre-t-il à ses chers et fidèles enfants une position plus douce et plus commode ; ainsi notre très doux Jésus offre-t-il à ses chers et fidèles enfants, son cœur pour les reposer ; non content de les prendre entre ses bras, de les réjouir par ses caresses, il vient lui-même s’associer à leurs peines en mettant son cœur dans leur cœur accablé, son âme dans leur âme, son corps glorieux dans leur chair souffrante. Il s’attache non seulement au chevet de leur lit, mais il leur donne tous les mérites de sa passion, pour utiliser toutes leurs souffrances ; et tandis qu’il fortifie leur âme en faisant couler sur elle le sang dont il fut inondé pendant son agonie, il leur donne le courage d’accepter avec lui le calice de la mort qu’il accepta pour eux alors ; en sorte que la passion, l’agonie et la mort du Sauveur se continuent et se consomment, pour ainsi dire, en eux, pour achever l’ouvrage de leur salut.
Ce Christ à été offert à Pauline par le Saint Curé d’Ars, en hommage de son amitié et de son admiration pour les œuvres qu’elle avait réalisées, durant sa vie.
Plus particulièrement en 1819, pour les Missions, l’œuvre de la Propagation de la Foi, et plus tard, le Rosaire Vivant.
Elle obtint le soutien du Pape, et par décret du 25 février
1963, Rome proclama l’Héroïcité des vertus de Pauline
et la déclara « Vénérable », ce qui signifie
que l’Eglise s’est engagée à la Béatifier !
VIII
Ministres de Jésus-Christ, permettez que je vous félicite
encore. C’est vous qui êtes les organes de Jésus auprès
des âmes qu’il vient ainsi visiter. Vous êtes chargés
de leur faire connaître la grandeur de ses dons et de son amour.
Mais, s’il garde le silence pour vous laisser parler aux pauvres malades
en son nom, il entend tout ce que vous leur dites, et il juge vos paroles
sur toute la force de son amour pour eux. Cette occasion se présente
bien souvent, il est vrai, et peut-être seriez-vous tentés
de vous habituer à ce qui fera éternellement le sujet de
l’admiration des anges et des saints ; mais souffrez que je vous dise que
chaque trait de la charité de Jésus-Christ devient une nouvelle
matière au feu divin qui doit embraser votre cœur. Ah ! Votre Sauveur
n’est-il pas disposé à l’enflammer toujours de nouveau ?
Et si vous vous refroidissez, parce que son amour est trop généreux,
n’est-ce pas parce que vous négligez de lui parler cœur à
cœur ? Chaque fois que votre Dieu vous prend pour les organes et les instruments
de sa bonté envers ceux qui souffrent, chaque fois que vous avez
le bonheur de faire route avec lui, n’est-il pas dans la disposition de
vous instruire, comme il instruisait ses apôtres pendant le cours
de sa mission sur la terre ? Et si vous restez froids et même troublés
pendant que la lumière, la paix du monde est entre vos mains, n’est-ce
pas encore parce que vous négligez de vous abaisser devant celui
qui s’abaisse devant vous, d’adorer en esprit et en vérité
celui qui vous aime, de prier avec simplicité et confiance celui
qui désire tout vous accorder ? S’il était donné à
un ministre du roi d’être dans la familiarité du monarque,
comme vous dans celle de Jésus-Christ ? pensez-vous qu’il n’en profiterait
pas ?
IX
O Jésus ! avons-nous jamais compris que votre immolation perpétuelle sur nos autels devient la source, non seulement de toutes les grâces qui découlent directement du sacrement de votre amour, mais encore de celles que nous recevons par les autres sacrements ? Que signifie votre croix placée sur le tabernacle, sinon que vous avez trouvé le moyen de rendre vos plaies toujours vives pour faire incessamment couler sur nous votre précieux sang ? Et comment vos plaies peuvent-elles être toujours ouvertes, comment votre sang adorable peut-il toujours ruisseler ? Nous savons que, depuis que vous êtes entré dans votre gloire, après la résurrection, vous êtes devenu impassible, immortel, incapable de souffrir et de mourir une seconde fois. O Dieu, qui vous a donc rendu une victime toujours immolée et toujours renaissante ? Par quels moyens, sans instrument de mort, votre passion peut-elle se perpétuer jusqu’à la consommation des siècles ? Ah, c’est là précisément le grand mystère qui s’opère sur nos autels, la plus grande des merveilles cachées dans la divine Eucharistie, la plus magnifique invention de l’amour infini.
C’est le sacrifice de Jésus-Christ sur l’autel, qui rouvre continuellement les plaies qu’il a reçues dans tout le cours de sa passion. Qu’est-il en effet ce sacrifice, sinon la continuation et la représentation de celui de la croix ? Pourquoi Jésus-Christ tous les jours immolé, est-il continuellement présent dans nos temples, sinon pour nous appliquer les mérites de ses travaux, de ses souffrances et de sa mort ? L’Eucharistie est donc véritablement la source de tous les autres sacrements, puisque c’est de là, comme d’une fontaine divine, que découle à perpétuité, jusqu’à la consommation des siècles, le sang de Jésus-Christ, puisque c’est là que la Victime infinie est toujours immolée pour nous.
De son tabernacle, Jésus-Christ fait couler sur les enfants, par le Baptême, sur les prêtres, par les saints ordres, le sang adorable qui sortit de son auguste front pendant son couronnement d’épines. C’est ainsi qu’il rend aux enfants d’Adam le droit à la couronne éternelle, et qu’il fait passer sur la tête des successeurs des apôtres, la couronne du sacerdoce.
De son tabernacle, Jésus-Christ fait couler sur les époux, par le sacrement de Mariage, le sang précieux qu’il répandit dans sa cruelle flagellation, afin que par les mérites de ce supplice qu’il souffrit pour une fin particulière, ils obtiennent la grâce de vivre saintement dans le mariage.
De son tabernacle, le Sauveur répand par l’absolution, sur les pauvres pécheurs placés à droite et à gauche, dans les tribunaux de la pénitence, le sang qu’il versa par les pieds et les mains sur la croix, afin que comme leurs pieds et leurs mains ont été les instruments les plus ordinaires des péchés qu’ils ont commis, les mérites de son crucifiement effacent leurs iniquités par le ministère du prêtre, et leur rouvrent les portes du ciel.
De son tabernacle, Jésus-Christ, le souverain consolateur, fait couler sur les malades, par l’Extrême-Onction, le sang qu’il répandit au jardin des Olives, afin que, comme leur cœur a été le principe de leurs péchés, ils soient purifiés par les tristesses mortelles du cœur adorable de Jésus-Christ.
Enfin, de son tabernacle, le Fils de Dieu revêt ceux qui
ont le bonheur de recevoir le Saint-Esprit dans la Confirmation, de tous
les mérites de sa résurrection Et de sa glorieuse ascension,
en sorte qu’en recevant l’amour du Père et du Fils, ces âmes
reçoivent en elles la perfection du corps glorieux de Jésus-Christ,
son immortalité, son incorruptibilité, son impassabilité,
son agilité ; c’est-à-dire que la mort dans le péché
leur paraît alors plus à craindre que mille morts temporelles,
et que par cette disposition constante, cette affreuse mort ne peut plus
les atteindre. La corruption du siècle les laisse inébranlables
dans la vertu, les obstacles ne leur ferment plus la porte du salut. La
hauteur du ciel, la grandeur de Dieu, la sainteté de Jésus-Christ
notre modèle, loin de les intimider, leur donnent des ailes pour
accomplir fidèlement la volonté de Dieu qui, par avance,
leur fait sentir au milieu même des plus rudes épreuves, un
avant-goût des joies du paradis.
X
Et c’est vous, prêtres du Très-Haut, qui êtes
les canaux par lesquels les grâces, les mérites du sang de
Jésus-Christ se répandent dans nos cœurs. Votre sacerdoce
est ce fleuve de lait et de miel qui arrose les prairies de Sion. Mais
si votre ministère nous est si doux et si précieux, pourrait-il
devenir amer et stérile pour vous-mêmes ? L’abeille qui recueille
le suc des fleurs, pour nous procurer une nourriture délicieuse,
et qui, par son travail, fournit la cire pour nous éclairer, n’est-elle
pas la première à profiter des fruits de son activité,
et à chercher dans sa ruche un asile contre l’intempérie
des saison ? O mes pères ! Serait-il indigne de vous de faire attention
à cette comparaison ? Trouvant dans le jardin des Olives, dans le
Prétoire, sur le Calvaire, dans toute la passion du Sauveur, le
suc le plus pur de l’amour infini, ne commenceriez-vous pas par vous
en rassasier vous-mêmes, avant d’en nourrir nos âmes ? Et dans
la foi que vous nous prêchez, comment ne trouveriez-vous pas les
premiers une arme invincible pour repousser toutes les attaques de l’ennemi
? Permettez que je vous le dise, c’est en vain que vous chercheriez des
lumières dans vos lumières, et des conseils dans la science
des hommes. Qui peut vous donner des décisions dans les troubles
qui vous agitent si souvent, et dont vous ne pouvez-vous rendre compte
à vous-mêmes ? Qui peut animer votre zèle, lorsque
des craintes trop bien fondées sur les dispositions des âmes
que vous dirigez, viennent abattre votre courage, et vous laissent incertains
sur la manière de les conduire au salut ? Qui peut, dis-je, vous
rassurer, lorsque la corruption du siècle, vos propres combats,
le peu de fruit que rapportent vos paroles combats, le peu de fruit que
rapportent vos paroles, vous excitent à pleurer sur votre premier
pas dans le sanctuaire ? Enfin, qui consulterez-vous dans toutes les peines
attachées à votre ministère, sinon Jésus lui-même
que vous avez le bonheur d’approcher si familièrement ; Jésus,
ce bon maître, ce céleste ami, qui veut bien se tenir honoré
de votre confiance, et se plaint de ce que vous ne vous adressez pas assez
souvent à lui ? Où trouverez-vous un meilleur conseiller,
un plus aimable con consolateur ? Lui seul peut vous diriger dans la direction
des âmes, et insensibles. Combien de fois, à votre prière,
ne confondra-t-il pas l’audace des corrupteurs, pour préserver l’innocence
de la contagion presqu’universelle ! Qui sait même, si, par rapport
à vous, il ne sauverait pas les peuples ? Ah ! n’en doutez pas,
si vous connaissiez bien votre pouvoir sur le cœur de Jésus, votre
tristesse se changerait en joie, et vous béniriez tous les jours
votre élection au sacerdoce, vous goûteriez dans le service
de votre bon Maître un ample dédommagement de la stérilité
apparente de vos travaux. Mais pour jouir des consolations de Jésus-Christ,
il faut les lui demander. Réveillez-vous donc, voici l’Epoux qui
vous attend ; déjà il a fait toutes les avances, il exige
que vous y répondiez, en lui apportant votre cœur, votre esprit,
vos vœux. Il vous a tout donné, en se donnant lui-même à
vous ; n’importe, il est encore des biens qu’il vous destine et qui vous
sont particuliers pour arriver au salut ; présentez-vous au trône
de son amour, et il vous les accordera. Imitez Moïse dans toutes vos
anxiétés ; allez frapper à la porte du tabernacle.
XI
O amour infini renfermé dans la divine Eucharistie ! L’ingratitude
des hommes vous sert comme d’occasion pour mieux faire éclater votre
véhémence. Tel qu’un feu qui s’allume et s’accroît
par l’orage qui semblerait devoir l’éteindre, l’amour de Jésus
paraît devenir plus ardent, plus impétueux, plus ingénieux
à faire des sacrifices, à mesure que nous devenons plus indifférents
envers lui. Tandis que vous êtes caché dans le secret de votre
tabernacle, ô Dieu d’amour ! l’orgueilleux vous y délaisse,
parce que rien en vous ne flatte sa vanité ; vous êtes un
roi accessible aux pauvres, aux ignorants, et même à de simples
enfants ; vous ne sauriez donc être le roi de son cœur. L’ambitieux
vous y délaisse, parce qu’il ne connaît que les grandeurs
terrestres, et que vous lui offrez une place cachée dans votre cœur,
une grandeur inconnue dans le monde, un trésor qui ne saurait contenter
son amour pour le luxe et le faste. Les savants du siècle vous y
délaissent, parce qu’avides de brillantes découvertes qui
puissent les faire admirer et leur procurer de la célébrité
ici-bas, ils se soucient fort peu de la science du salut. Les riches vous
y délaissent, parce que leurs yeux, habitués à l’éclat
de l’or, de la soie et des pierreries, ne peuvent se reposer sur un Dieu
pauvre, anéanti, caché sous les plus humbles apparences.
Les guerriers vous y délaissent, parce qu’avides de gloire, ils
dédaignent les armes spirituelles que vous leur offrez pour vaincre
leurs ennemis cachés et triompher de leurs passions : la conquête
de votre céleste royaume ne leur parait pas une entreprise assez
glorieuse. Les négociants vous délaissent, parce qu’ils sont
altérés de la soif de l’or et que vous voulez leur faire
acheter le ciel par des œuvres de charité. Les habitants de la campagne
vous y délaissent, parce que, plus empressés de recueillir
les fruits de la terre que de recevoir vos célestes dons, ils dédaignent
de vous offrir leurs travaux, et de venir se reposer dans votre cœur. Les
jeunes gens vous y délaissent, parce que liés par mille affections
profanes, ils n’ont pas le courage de les rompre pour s’attacher à
vous : vos amabilités ne sauraient tenter leur cœur. Les vieillards
vous y délaissent, parce que, plus accablés sous le poids
des chaînes qui les attachent à leurs mauvaises habitudes,
que sous le fardeau des ans, ils aiment mieux perdre le peu de temps qui
leur reste, à s’occuper des souvenirs de leur jeunesse déréglée,
que de se préparer à l’éternité qui va les
engloutir. Enfin, si je parcours tous les âges, et tous les états
de la société, je trouve partout des ingrats qui vous délaissent,
et ne puis m’empêcher de m’écrier : Où sont donc les
élus, s’ils ne se trouvent que dans les adorateurs de votre auguste
sacrement ? Ah ! qu’il y en a peu dans chaque condition ! Il n’est donc
que vous, vous seul, Seigneur, qui pensiez au bonheur des humains ! A mesure
que l’homme s’éloigne de vous, vous paraissez vous rapprocher davantage
de lui. A mesure que notre foi s’affaiblit, la Sainte Eglise, toujours
dirigée par le Saint-Esprit, expose de plus en plus Jésus-Christ
aux adorations des fidèles ; elle multiplie les bénédictions
du Saint-Sacrement ; elle rend les sanctuaires de nos temples plus accessibles
; elle parait se dépouiller de sa sévérité,
pour mettre notre Sauveur à la portée de tous ceux qui désirent
arriver au pied du trône de sa miséricorde.
XII
Autrefois le sanctuaire était fermé par un voile, ou par une séparation qui dérobait presqu’entièrement à la vue des fidèles la célébration des saints mystères ; aujourd’hui il est entièrement à découvert. Les laïques peuvent prendre place jusqu’au pied de l’autel, et dans quelques églises le sanctuaire est si rapproché de la nef, qu’on pourrait dire en quelque sorte qu’il n’existe point de séparation.
Autrefois la moindre fonction dans l’église était considérée comme une insigne faveur que les hommes les plus recommandables se trouvaient trop heureux d’obtenir ; aujourd’hui le service des temples du Seigneur, la décoration du sanctuaire, l’entretien des autels, sont confiés à des domestiques, à de pauvres malheureux, et quelquefois même à des enfants. O Dieu ! n’y a-t-il pas de quoi transporter de reconnaissance les cœurs les plus insensibles, s’ils avaient la foi ? Quoi ! tandis que les grands de la terre ne sont servis qu’avec respect et magnificence, vous souffrez qu’un enfant étourdi mette la nappe du céleste festin ! Tandis que des hommes de distinction se trouvent trop honorés de servir leur monarque dans les fonctions les plus abjectes en elles-mêmes, vous permettez à des valets, même à des malheureux sans foi et sans amour pour vous, de s’approcher de votre auguste tabernacle ! O profond anéantissement de mon Dieu !
Autrefois les portes des églises ne s’ouvraient et ne se fermaient que par des lévites revêtus des ordres mineurs ; maintenant les clefs de la maison de Dieu sont confiées à des hommes obscurs, souvent à des ignorants qui connaissent à peine le mystère de l’Eucharistie. Aussi voit-on cette fonction remplie avec si peu de foi, avec tant d’indifférence, surtout dans les campagnes, que l’on serait en droit de demander si ce n’est pas plutôt à des geôliers qu’à des adorateurs de Jésus-Christ que l’on confie la garde du trésor des anges ; Et moi-même, misérable, je vous ai plusieurs fois renfermé dans votre temple, ô adorable prisonnier de votre amour ! j’ai emporté avec moi les clefs du trésor des anges et des saints ; j’ai pu l’ouvrir à mon gré pour y puiser la force, l’espérance, l’amour, les consolations, tous les biens nécessaires à mon bonheur ! O Dieu ! Que pouvais-je vous offrir en action de grâce de la faveur inestimable que vous me faisiez, en me permettant de converser seul à seul avec vous dans le secret de votre tabernacle ! Je n’avais que mon cœur, et vous me faisiez sentir que vous soupiriez pour les cœurs de tous les hommes, et pour celui de chacun d’eux en particulier ; je n’avais que ma volonté, et je sentais que vous n’aviez captivé la vôtre dans l’Eucharistie que pour amener à votre loi, par un choix libre et déterminé, toutes les volontés des mortels.
Hélas ! le sacrifice de mon pauvre cœur pouvait-il être
une compensation de tant de cœurs ingrats qui refusent de vous aimer et
de se donner à vous ? Encore, si alors mon cœur eut été
digne de vous être offert ! Mon amour, désespéré
de son impuissance pour votre gloire, cherchait vainement hors de vous
un être capable de vous faire réparation d’honneur je comprenais
qu’il était réservé à vous seul de vous faire
connaître aux hommes. Toutefois, Seigneur, quoique je ne sois que
de la boue, vous dédaigniez me faire sentir que cette argile, arrosée
de votre précieux sang, pouvait devenir un instrument entre vos
mains, et que personne mieux que moi, sous le rapport de la misère,
ne convenait à des desseins.
XIII
En entrant dans certaines églises de campagne, où
l’avarice des habitants et l’affaiblissement de leur foi sont écrits
sur tout ce qui sert au culte Jésus-Christ, on se sent porté
à lui demander pourquoi il demeure dans des pays où il est
si indignement traité ; on serait même tenté de le
conjurer, au nom de sa gloire outragée et de son amour méprisé,
de quitter des lieux si indignes de lui ; mais que l’on est différemment
affecté lorsque, laissant de côté de viles apparences,
on pénètre dans ce nouveau secret de l’amour infini ! La
piété en est tellement attendrie, qu’elle ne peut qu’admirer,
adorer et se taire : en réfléchissant, elle ne tarde pas
à comprendre que d’une part, Jésus-Christ, par sa soumission,
la patience et ses abaissements, rend plus de gloire à son Père,
que les hommes ne sauraient en ravir à lui-même par toutes
les marques de la plus noir ingratitude ; et que de l’autre, il contente
son cœur infiniment aimant, en prodiguant aux mortels tout bien qu’il peut
leur faire, sans le concours de leur volonté. Il semble que son
amour veuille se dédommager de leur indifférence, par la
multiplicité de ses sacrifices. Aussi, rien ne rebute ce Dieu généreux
pour habiter avec nous : ni la poussière dans laquelle son tabernacle
est comme enseveli, ni les lambeaux qui couvrent ses autels, ni la malpropreté
et la négligence qui règnent dans tout ce qui sert au saint
sacrifice, ni la solitude et le délaissement où il est réduit
dans une multitude de temples, surtout dans les églises de campagne.
Mais si la solitude et la pauvreté qui règnent dans les sanctuaires
de Jésus-Christ, sont capables de scandaliser et de troubler les
fidèles d’une foi superficielle et chancelante, combien, à
plus forte raison, sont-ils tentés de révoquer en doute la
présence réelle de Notre Seigneur dans la sainte Eucharistie,
quand ils voient eux-mêmes ou entendent raconter les horribles forfaits
qui se commettent si fréquemment contre cet adorable sacrement :
les autels souillés, la porte des tabernacles arrachée, les
saintes hosties jetées au vent, le Saint des saints foulé
aux pieds, d’autres impiétés et sacrilèges encore
plus exécrables ! C’est alors que les hommes faibles et remplis
de préjugés de l’orgueil s’écrient : Non, non, Jésus-Christ
n’est pas là ; un Dieu ne se laisserait pas traiter d’une manière
si outrageante. O vous qui êtes révoltés par des scènes
ou par récits si horribles si vos sentiments se bornaient à
une vive et sainte indignation, rien ne serait plus juste, plus raisonnable.
Mais avoir la lâcheté de chanceler dans la foi, pour des raisons
si frivoles, c’est ce qui vous convaincs que vous ne comprenez rien dans
les mystères de Dieu. Réfléchissez, et vous verrez
que ces épouvantables profanations dont vous êtes si justement
révoltés, loin d’infirmer votre foi, vous prouvent au contraire,
d’une manière frappante et irrésistible les grandeurs de
Dieu. Comment donc ? C’est que Jésus-Christ, la victime infinie,
a librement et volontairement consenti à souffrir non seulement
tout ce que la malice des hommes a fait, mais encore tout ce qu’elle est
capable d’inventer de plus atroce et de plus infernal. Plus la gloire de
Dieu est outragée par les abominations des aveugles mortels, plus
la divine Victime s’abaisse et s’anéantit pour réparer l’injure
faite à la souveraine Majesté. Tel est le grand secret de
la médiation de Jésus-Christ sur le Calvaire, et plus encore
dans le sacrifice perpétuel de nos autels. Ainsi, plus je vois Jésus
abaissé, plus Dieu me paraît grand. Par les humiliations et
les anéantissements de Jésus-Christ, les perfections divines
sont manifestées d’une manière incomparablement plus merveilleuse
que par toutes les magnificences du paradis. Noble et superbe vérité
qui est faite pour transporter d’admiration tous ceux qui ont une âme
capable de sentir et de raisonner. Ce n’est pas tout : une autre vérité
se présente, qui n’est pas moins digne de nos méditations.
Si Notre Seigneur Jésus-Christ, par ses anéantissements,
venge la gloire de son Père céleste, ne doit-il pas aussi
venger son propre honneur ? Ah ! connaissons mieux ce Dieu généreux
: quand il ne peut nous gagner par les dons spirituels dont il nous comble
dans son adorable sacrement, il essaie de nous gagner par des bienfaits
temporels. C’est pourquoi il a fait établir dans son Eglise des
solennités durant lesquelles ses ministres ont ordre de porter le
saint Sacrement en triomphe devant nos habitations, comme pour marquer
nos maisons du sang de la Victime infinie, afin de nous préserver
de la visite de l’ange exterminateur, dont l’arrivée est si souvent
provoquée par nos crimes. Tels autrefois les Israélites furent
préservés de cette fatale visite, par le sang de l’agneau
pascal, de cette fatale visite, par le sang de l’agneau pascal, figure
de celui de Jésus-Christ. Par la même raison, ce Dieu de bonté,
caché sous les voiles d’un sacrement auguste, durant ces processions
solennelles, parcourt, non seulement nos cités, mais encore les
bourgs, les hameaux des campagnes, les chemins qui séparent les
jardins, les champs, les prairies, pour bénir, par sa divine présence,
et les hommes et toutes les productions de la nature qui servent à
nous conserver la vie et la santé. Oh ! n’oublions jamais que si
la terre n’était toute couverte des bénédictions de
Jésus-Christ, elle ne pourrait plus rien produire pour notre subsistance.
Si les sillons des champs n’étaient arrosés que des sueurs
de l’homme pécheur, ils seraient par là même maudits
et frappés de stérilité. Si, au contraire, ils produisent
encore des fruits, s’ils ne laissent pas d’être encore féconds
en toutes sortes de productions, c’est qu’ils reçoivent les divines
influences du Soleil de justice, c’est-à-dire, du Sauveur qui habite
dans nos tabernacles, et sans la médiation duquel nous serions tous
perdus sans ressource et dans ce monde et dans l’autre. Reconnaissez donc
que Jésus-Christ est véritablement la fécondité
des campagnes, la prospérité des cités, la forces
des armées, le salut des royaumes. Si nous avions la foi, nous verrions
à chaque pas l’empreinte de son sang précieux ; mais par
un prodige inconcevable d’aveuglement, les hommes jouissent des biens innombrables
que Jésus-Christ leur procure dans l’ordre temporel, sans devenir
plus reconnaissants envers lui ; ils ne daignent pas même lui en
demander la continuation : que dis-je, ils ne se doutent pas que c’est
à lui qu’ils les doivent, et dans leurs entreprises ils ont toujours
affaire partout, excepté vers celui qui peut seul en assurer le
succès. Combien nous sommes ingrats envers ce bon Maître !
Combien aussi nous sommes ingrats envers ses ministres ! Avons-nous jamais
bien compris qu’ils sont doublement nos pères et mères ?
En faisant descendre sur l’autel Notre Seigneur Jésus-Christ, ils
nous procurent et la vie de l’âme et la vie du corps. Souvent, on
estime peu un pauvre curé de campagne ; c’est pourtant dans le sein
de ce seul homme que repose le salut de tout ce qui respire autour de lui
; et toutes les fois qu’il offre l’auguste sacrifice, ou qu’il porte le
Saint des Saints, soit dans les processions, soit dans la visite des malades,
il sème les bénédictions et répand la fertilité
dans tous les lieux d’alentour.
XIV
O Jésus ! bonté infinie, que votre amour est généreux et constant ! qu’il est différent de l’amitié des créatures ! Semblable à un feu d’artifice, qui éclate avec bruit, s’élance avec orgueil, éblouit les spectateurs et s’évanouit en ne laissant après lui qu’une épaisse fumée, l’amitié des hommes s’annonce par des paroles flatteuses qu’accompagnent toujours les plus séduisantes promesses. Un ami est bien aise d’apprendre à tous ceux qui veulent l’entendre, les sacrifices qu’il a faits pour son ami ; il veut recueillir des éloges pour paiement de ses bienfaits, et bientôt tout ce beau feu, tout cet étalage de sentiments s’évanouit et ne laisse que des regrets, de l’indifférence, des reproches, une épaisse fumée après lui. Votre amour, au contraire, mille fois plus ardents, plus sincère, plus généreux que nous ne pourrons jamais le concevoir, garde le plus profond silence au milieu de nous, ne s’exprime que par mille prodiges de bonté, toujours anciens et toujours nouveaux.
O hommes ! apprenez à connaître l’ami divin qui est descendu du ciel pour vous sauver. Que n’a-t-il pas fait pour vous ! Suivez Jésus-Christ depuis sa naissance dans l’étable de Bethléem, jusqu’à son dernier soupir sur le Calvaire ; considérez-le dans sa crèche, dans la maison de Nazareth, dans le cours de ses prédications évangéliques, dans le jardin des Olives, devant les tribunaux de Jérusalem, sur la montagne du sacrifice, et puis répondez ; un ami qui ne serait pas Dieu, pourrait-il aimer de cette manière ? Ces preuves d’amour sont-elles assez authentiques ? Oui, sans doute, assez pour nous, mais pas assez pour lui. Il ne lui suffit pas de marquer tous ses vestiges par ses larmes, par ses sueurs, par son sang ; il ne lui suffit pas d’expirer au milieu des tourments et de l’ignominie ; la croix elle-même n’est point à ses yeux un signe d’amour assez éclatant : après sa mort la lance du soldat ouvre la blessure qui donne entrée dans son cœur ; et de cette fontaine sacrée sortent le sang et l’eau du sacrifice perpétuel, pour en inonder tout l’univers, et pour les faire couler sur nous par les canaux des sacrements, jusqu’à la consommation des siècles. Alors et seulement alors Jésus-Christ aura fini de nous prouver son amour. Ce n’était donc pas assez pour lui, d’avoir écrit sur le Calvaire en caractère de sang : O hommes ! je vous aime ; il a écrit les mêmes paroles en caractères de sang dans tous les lieux de l’univers où l’on offre le sacrifice perpétuel : cela ne suffisait pas encore ; il les a écrites en caractères de sang dans nos propres cœurs, en se donnant à nous dans la sainte communion. Pouvait-il nous poursuivre d’une manière plus tendre ? Quelle issue nous reste-t-il pour échapper à son amour ? Voilà ce qu’il a fait et voilà ce qu’il a fait encore, et il se tait ! Oui, mortels, Jésus vous a tout donné, excepté le pouvoir de l’empêcher de vous faire du bien tant que vous vivrez : et pour lequel de ses bienfaits l’outragez-vous ? Pourquoi abandonnez-vous votre plus fidèle ami ? Est-ce parce qu’il vous a trop aimés ? Ingrats, quelle que soit votre malice, sachez que vous ne changerez point son cœur ; vous aurez beau vous obstiner à traîner les chaînes honteuses qui vous accablent, et que vous ne voulez pas qu’il rompe ; vous aurez beau dédaigner les grâces infinies de sa médiation ; tant que vous serez dans le siècle de la miséricorde, il s’intéressera toujours à vous de la manière la plus généreuse et la plus sensible ; mais content de savoir lui-même jusqu’à quel excès il vous aime, il ne vous parlera jamais de son amour, et ne vous le reprochera que par de nouveaux bienfaits.
XV
O vous qui vous dites chrétiens ! méritez-vous ce titre, si tous les mépris que Jésus-Christ reçoit en échange de l’amour qu’il vous manifeste dans son adorable sacrement, n’excitent pas votre sensibilité et votre zèle pour son culte ? Est-ce parce que ce Dieu généreux consent à demeurer dans les plus sombres et les plus tristes réduits, au milieu des trophées d’une hideuse pauvreté, que vous devez y consentir vous-mêmes ? Malheureux que nous sommes ! où est donc notre foi, à nous qui, sans nous mettre en peine d’y remédier, savons que Jésus-Christ est logé dans des églises dont le toit, consumé par le temps, laisse filtrer la pluie jusque dans le sanctuaire, dont les ornements ressemblent plus aux tristes haillons d’un malheureux qu’à des vêtements sacerdotaux ; dont les vases sacrés, qui renferment les saintes hosties, ou servent à la célébration du mystère de la divine Eucharistie, seraient repoussés avec dédain s’ils paraissaient sur la table d’un grand de la terre ? oui, je le redis encore, où est notre foi ? Ah ! grand Dieu ! n’y eût-il qu’une seule église dans un état si déplorable, la seule pensée que Jésus-Christ ne dédaigne pas d’y demeurer, devrait émouvoir le cœur de tous ses adorateurs, et leur inspirer les sentiments du plus tendre et du plus généreux dévouement. Toutefois, nous savons que dans notre patrie même, dans le lieu qui nous a vus naître, dans la ville, dans la campagne que nous habitons, il existe des temples si misérables, qu’ils ressemblent plus à la chaumière d’un pauvre berger qu’à la maison de Dieu ; nous le savons, nous avons ce triste spectacle sous les yeux ; c’est souvent dans des églises si pauvres que nous assistons habituellement à l’auguste sacrifice, et que nous allons nous asseoir au banquet sacré, et nous sommes assez lâches pour souffrir que Jésus Christ soit si indignement traité ! nous craignons de faire des sacrifices pour réparer sa demeure et contribuer à la décence de son culte ! Non, rien pour Jésus-Christ, rien pour la gloire de son temple et de ses autels ; tandis que nous ne craignons pas de faire des dépenses excessives pour décorer nos propres habitations, afin que notre corps soit commodément et agréablement logé ; tandis que nous consacrons des sommes considérables pour parer ce même corps, qui est la maison de boue de notre âme ! Juste Ciel ! comment peut-on, sans rougir, relever l’éclat d’une beauté méprisable et passagère, tandis que la beauté éternelle, la beauté infinie, la seule beauté qui existe, est ensevelie dans le plus monstrueux oubli ! Comment oser se montrer en public pour attirer les regards, tandis que le Soleil de justice est éclipsé, non seulement sous les voiles d’un sacrement auguste, mais, dans ce sacrement même, sous les nuages de la pauvreté et du mépris ! Ah ! que n’est il donné aux anges gardiens des contrées dont nous parlons, que n’est-il donné aux chérubins qui environnent le trône eucharistique de Jésus-Christ, d’apparaître dans les promenades où le monde étale tout son luxe, tout son faste et toutes ses pompes, dans les maisons des grands et des riches, si magnifiquement meublées, dans les lieux qui cachent les trésors, où l’on entasse or sur or, argent sur argent ! ne briseraient-ils pas les cœurs des chrétiens, de honte et de confusion, comme autrefois Moïse brisa les tables de la loi, à la vue des Israélites qui adoraient le veau d’or ? Oui, sans doute, ô mon Jésus, si vos anges pouvaient franchir les barrières du silence, que vous opposez à leur zèle, ils feraient retentir tous les échos de l’univers des justes reproches que nous méritons tous à votre égard ; ils arracheraient avec indignation les couronnes et les ornements dont mon sexe se pare, et les porteraient dans vos temples ; ils dépouilleraient nos habitations de tout ce qu’ils y trouveraient de plus précieux et le feraient servir à la décoration de vos sanctuaires ; ils feraient dessaisir, malgré eux, les thésauriseurs de leur or et de leur argent, pour fournir à l’entretien de votre culte extérieur. Mais que di-je ? et où me laissé-je emporter par le sentiment qui me maîtrise ? Non, tout cela ne vous rendrait pas l’hommage dont vous êtes si jaloux, parce que tout cela détruirait notre franc arbitre. Vous ne vous tenez honoré que de ce que nous vous offrons par un choix libre et volontaire. O cœurs durs et ingrats que nous sommes ! nous ne comprenons pas que le culte extérieur que Jésus-Christ exige, est plus pour nous que pour lui-même, que c’est par un bienfait de son amour, pour se conformer à notre faiblesse, qu’il inspire aux chrétiens fidèles le zèle de sa maison. Notre âme, enveloppée ici-bas dans un corps matériel, a besoin du ministère des sens pour se soutenir dans la piété ; il faut que les sens soient ses serviteurs et ses esclaves, pour l’aider à gravir la montagne de Sion. La magnificence des temples du Seigneur est très utile et même absolument nécessaire pour soutenir la plupart des hommes dans la foi ; et c’est uniquement pour notre bonheur, que la bonté infinie a voulu que le culte extérieur fut le résultat de la foi, pour que la foi pus se soutenir par ce même culte extérieur. Ce n’est donc pas la pauvreté qui environne le Sauveur dans quelques églises, ce n’est pas ce triste dénuement, qui l’offense, lui dont ciel est le trône, et la terre le marchepied ; mais bien le peu de foi et la monstrueuse indifférence de ceux qui le laissent dans cette pauvreté. Les temples matériels sont l’habitation des hommes avec Dieu ; c’est pour les hommes qu’il désirent les voir ornés : mais les temples spirituels, c’est-à-dire, nos cœurs sont l’habitation de Dieu avec les hommes. Il veut en triompher seul, pour lui seul : il est jaloux d’y recevoir tout l’encens de notre amour, parce qu’il est le seul Dieu. Jésus ne peut souffrir que nos sens veuillent régner avec son cœur sur nos cœurs, lui qui a tant fait pour réduire les sens en servitude, depuis son incarnation jusqu’à son sacrifice sur le Calvaire, lequel sacrifice de la croix est continué et représenté par le sacrifice de nos autels, dans lequel les sens ne sont pas moins interdits et confondus que sur le Calvaire. Ainsi donc, Jésus-Christ veut que nos sens soient agréablement frappés dans les temples matériels, afin qu’il nous soit plus aisé d’élever notre esprit aux choses célestes ; mais il exige de rigueur qu’ils n’entrent pour rien dans le culte intérieur que nous lui rendons dans le temple spirituel de nos cœurs, parce qu’il ne doit y avoir de la place que pour lui, et qu’il veut y régner seul et en remplir toute l’immensité.
Oui, le Dieu des vertus veut que nous soyons honorablement et
commodément avec lui dans ses temples. Quant à sa majesté
infinie, Elle se contente d’habiter dans nos pauvres cœurs : que nos cœurs
soient purs et empressés de l’aimer, c’est toute la magnificence
qu’elle exige pour elle-même.
XVI
Cependant on peut dire, notre siècle est le règne des sens ; les progrès de ses lumières tendent uniquement à les flatter. Notre cœur ne sait plus rien découvrir, plus rien comprendre des choses de Dieu, à moins que les sens ne soient prévenus avant tout. Ainsi, votre parole, ô mon Sauveur ! n’a plus de charmes, si elle n’est annoncée avec éloquence et un agréable son de voix : vos louanges ne touchent qu’autant qu’elles s’élèvent sur les ailes d’une douce harmonie, et qu’elles retentissent par des chants mélodieux : votre amour n’est presque plus senti ni goûté que dans les bienfaits extérieurs de votre puissance, et encore bien rarement. O bel astre ! s’écriera-t-on, lorsque le soleil, précédé d’une brillante aurore, s’élève sur l’horizon, ou lorsque à la fin de sa montagnes, qui peut méconnaître ton Auteur ? A la vue d’une prairie émaillée de fleurs, d’une riche campagne nuancée par mille couleurs diverses, on s’écriera parfois : O terre ! qui peut oublier la main créatrice qui t’a si magnifiquement ornée ? A la vue de l’Océan, quelques spectateurs admireront la puissance de celui qui a prescrit des bornes à ses vagues en fureur. A la vue du firmament, au milieu d’une belle nuit, un petit nombre de cœurs sensibles éprouveront un sentiment passager d’admiration : voûte céleste, brillantes étoiles, vous ravissez mes regards ; qui peut nier l’existence de l’Architecte éternel qui a fait tout ces beaux ouvrages ?
D’autres fois, placés dans un superbe point de vue, ils
paraîtront attendris aimable horizon, mon âme ne peut suffire
aux transports que tu lui inspires. Aveugles mortels, ou plutôt,
hommes stupides ! et moi je vous dirai : De quoi vous serviront pour la
vie éternelle la contemplation des créatures et la connaissance
d’une main créatrice, si vous ne rectifiez vos mœurs et ne résistez
à vos passions ? Et comment pourriez-vous y résister ? comment
travaillerez-vous y résister ? comment travaillerez-vous avec succès
à votre salut, si vous ne comprenez pas que les astres, la terre,
la mer, les fleuves, en un mot, toutes les créatures, sont la figure,
ou de Notre Seigneur Jésus-Christ ? Pourquoi vous en tenez-vous
à ce qui frappe vos sens, pour rendre à Dieu un hommage purement
extérieur, sans réfléchir que les beautés de
la création ne sont étalées à vos yeux, que
pour vous montrer, d’une manière sensible, que celui qui en est
l’auteur est seul aimable, et mérite seul votre amour ? Qu’importe
que la Divinité entre dans l’appartement de vos sens, qui n’est
que le vestibule extérieur, si elle n’entre pas dans votre cœur,
qui est le temple intérieur, le temple spirituel, le seul où
elle puisse être adorée en esprit et en vérité
? Pourquoi vous arrêtez-vous aux objets de comparaison, sans en chercher
la signification ? Ne voyez-vous pas que le soleil qui échauffe
la terre et lui fait produire mille fruits excellents, quelqu’admirable
qu’il soit, n’est qu’une faible et obscure image du soleil de justice,
de Jésus-Christ qui, du fond de ses augustes tabernacles, éclaire,
féconde et vivifie l’héritage de son Eglise, et y fait germer
mille et mille vertus ? que la terre émaillée de fleurs,
et si agréablement variée dans sa surface, ne vous montre
que faiblement la multitude et la diversité des grâces divines,
dont l’Eucharistie est la source intarissable ? que l’Océan n’est
qu’une légère figure de l’immense bonté du cœur de
Jésus-Christ, victime de son amour sur nos autels, abîmé
dans un océan de miséricorde et de charité ? brûlant
jour et nuit dans une mer de flammes, sans jamais se consumer ? que les
planètes recevant la lumière du soleil, représentent
l’Eglise enseignante, qui reçoit du Soleil de justice, c’est-à-dire,
de Jésus-Christ présent dans le sacrement de l’amour, toute
sa force, toute sa beauté, toutes ses lumières, et qui brille
par sa doctrine au milieu des ténèbres du monde moral, pour
diriger les pas des voyageurs vers la céleste cité ? que
l’horizon, qui semble vous faire apercevoir le ciel touchant la terre,
vous dit d’une manière sublime, qu’un Dieu s’est rapproché
de vous, non en apparence, mais en réalité ; et que ce Dieu
généreux, c’est toujours Jésus-Christ dans la divine
Eucharistie, où non content d’être le compagnon de notre exil,
le confident de nos peines, dans cette profonde vallée de larmes,
il daigne se donner à nous pour habiter dans la maison de notre
âme et ne faire qu’un avec nous ? Pourquoi ne savez-vous pas toutes
ces choses ? parce qu’en scrutant les ouvrages du Créateur, vous
ne tendez pas à lui par l’amour ; vous bornez votre hommage à
une admiration stérile, et ne vous mettez pas en peine de la perfection
de votre âme. Si vous saviez aimer, le magnifique spectacle de la
nature vous rappellerait, à chaque pas, à chaque instant,
l’amour immense que Jésus-Christ vous témoigne dans son adorable
sacrement. Insensés, de quoi vous servira-t-il d’avoir étudié
le mouvement de la terre et le cours des astres, si vous n’avez pas compris
que l’amour de Jésus est aussi nécessaire à la vie
de votre âme, que l’air que vous respirez est nécessaire à
la vie de votre corps ; que la divine Eucharistie est aussi essentielle
à votre salut, que le pain est essentiel à votre existence
sur la terre ? Et quand vous considérez les ouvrages de la création
d’une manière si vague et si froide, quel avantage, quel fruit retirez-vous
de vos recherches et de vos observations, sinon de voir votre orgueil confondu
et puni par la nécessité d’avouer votre complète ignorance
? Vous échouez devant un grain de sable, une fleur ; dis-je ? devant
un vil insecte, dont vous étudiez l’existence sans la comprendre
! Vous ne saviez pas expliquer la plus petite chose dans ce vaste univers,
tandis que vous pourriez, avec un cœur humble, vous rapprocher du Créateur
de tant de merveilles, et pénétrer, autant que votre cœur
pourrait y suffire, les secrets ineffables de son amour. Au lieu donc de
ne consulter que vos sens bornés, appesantis, incapables de rien
vous enseigner de solide et appesantis, incapables de rien vous enseigner
de solide et d’approfondi ; au lieu, dis-je, de consumer inutilement votre
temps à vouloir, avec leurs secours, comprendre les créatures
de Dieu, ne vous serait-il pas infiniment plus avantageux de cultiver votre
âme intelligente, immortelle, capable de le connaître et de
l’aimer lui-même ? Oui, de connaître et d’aimer Dieu lui-même,
d’aimer et de connaître et de l’aimer lui-même, d’aimer et
de connaître Dieu par Jésus-Christ dans le sacrement de l’amour
: voilà la seule chose qui soit véritablement à notre
portée, parce que c’est la seule fin pour laquelle nous avons reçu
l’existence. Un langage si simple sera-t-il compris par les sages du siècle
? la raison d’en douter c’est que l’orgueil de l’homme est arrivé
à un tel degré d’élévation, et Jésus,
à proportion, en est venu à un tel degré d’abaissement,
que bientôt il leur sera comme impossible de l’adorer comme Dieu.
Si déjà ils sont éloignés de lui autant que
le soleil est éloigné des profondeurs de l’Océan,
que sera-ce si leur orgueil va toujours en croissant, et comment pourront-ils
se rapprocher du Dieu Sauveur ? Comment reconnaîtrons-ils la vérité
à travers de si noirs et de si épais nuages ? S’il a fallu
tant de prodiges pour dissiper les ténèbres de l’idolâtrie,
n’en faudra-t-il aucun pour dissiper la nuit de l’apostasie et de l’incrédulité
moderne ?
XVII
Malheur, et mille fois malheur à nous, qui vivons sous le règne des sens, si nous ne nous hâtons de les réduire en servitude, en rendant à notre cœur tout l’empire qu’il a perdu sur eux ! Trompés par leur insatiable avidité, nous prendrons pour des inclinations nobles et vertueuses, ce qui ne sera que l’impulsion de leur orgueil, ou le prestige de leur séduction. De la contemplation des êtres muets et insensibles de la nature, nous passerons à l’amour de nous-mêmes, et de l’amour de nous-mêmes à l’amour déréglé des êtres sensibles ; nous n’aimerons plus que les créatures ; le Créateur sera oublié ; le feu sacré s’éteindra sur l’autel des parfums, et nos cœurs ne brûleront plus que de la flamme impure et grossière des amours de la terre. Exige-t-on une preuve des funestes effets que produit l’empire des sens, sous lesquels nous vivons aujourd’hui ? Des hommes apostoliques apparaissent dans une cité, dans une contrée, où la parole de Dieu n’a pas été annoncée avec éclat depuis longtemps : bientôt les temples se remplissent d’une foule immense de chrétiens, toutes les enceintes destinées au culte divin deviennent trop étroites ; les voûtes sacrées retentissent incessamment, et du chant des cantiques, et de la voix éloquente des apôtres missionnaires ; l’enthousiasme religieux est à comble ; les tribunaux de la pénitence sont encombrés d’une foule de pécheurs qui se frappent la poitrine ; bientôt après la table de Jésus Christ est garnie d’une manière qui paraît miraculeuse ; on proclame les conversions les plus éclatantes, les plus multipliées ; de brillantes relations circulent de toutes parts, et réjouissent les cœurs vertueux ; la plantation de la croix surtout, offre toujours le spectacle le plus merveilleux. Ensuite qu’arrive-t-il ? Hélas ! c’est aux habitants des villes et des campagnes qui ont été le théâtre de ces scènes apostoliques, à répondre. A peine les envoyés du Ciel ont disparu, que l’on voit aussi disparaître la plupart des conversions opérés par leur divin ministère ; et pourquoi ? Ce sont les sens qui ont entraîné les cœurs, et rien de plus. La voix éloquente des prédicateurs, l’harmonie des chants sacrés, la pompe des cérémonies, l’immensité des auditoires, voilà ce qui a frappé. Dès que tout cela n’est plus, les sens ne rencontrant plus que les objets des passions humaines, reçoivent une impression toute opposée, et les cœurs, maîtrisés par eux, continuent à suivre leur impulsion, et retournent à l’amour des choses profanes qu’ils avaient promis de mépriser et de fouler aux pieds. Qu’on se représente un homme qui parle fortement dans une antichambre ; sa voix retentit aux oreilles de ceux qui sont dans l’intérieur du salon, quoiqu’il n’y entre pas lui-même. Image naturelle de l’effet que les missions ont opéré sur un grand nombre de pécheurs. Jésus-Christ est entré dans le vestibule extérieur des sens, où réside l’homme charnel ; de là, sa voix touchante a pénétré dans l’appartement intérieur de l’âme, où réside l’homme spirituel ; mais lui-même en a trouvé les portes fermées ; parce que l’entraînement des pécheurs ne provenait que du mouvement imprimé dans leur sens, et non de la retable componction de leur cœur. En deux mots, ce n’est pas le cœur qui a triomphé des sens, ce sont les sens qui ont subjugué le cœur. Est-il surprenant que les salutaires impressions aient disparu avec l’appareil extérieur ? Qui fera comprendre à notre siècle que ce n’est pas à l’homme charnel, mais à l’homme spirituel à tenir le sceptre ? Qu’importe qu’on laisse entrer Jésus-Christ dans l’antichambre, si on lui ferme l’entrée du salon ?
Mais ne pourrait-on pas abuser de l’exemple que je viens de citer, pour juger que l’appareil extérieur que les hommes apostoliques emploient dans les missions ; n’est pas selon l’Esprit de Dieu ? Loin de moi une si détestable intention. Il est de mon devoir d’écarter toute méprise de ce genre.
Honneur au zèle, aux talents, aux vertus des missionnaires
de nos jours. Les relations de leurs travaux m’ont trop souvent fait verser
des larmes d’attendrissement pour que je puisse leur refuser un juste tribut
d’admiration. Je comprends et j’ai toujours compris que les moyens sensibles
qu’ils mettent en usage pour rendre leurs prédications plus pénétrantes
et plus efficaces leur sont inspirés par le Dieu des miséricordes.
C’est Jésus-Christ qui leur commande de prendre les hommes comme
ils sont, et de se servir du ministère des sens pour rendre plus
tranchant le glaive de la divine parole. C’est Jésus-Christ qui
ordonne que, dans un siècle où les sens exercent un empire
si tyrannique, les apôtres se fassent un devoir sacré de présenter
aux pécheurs toutes les amorces capables de les attirer. C’est Jésus-Christ
qui daigne se déguiser sous un appareil imposant et flatteur, pour
ne pas être repoussé du premier abord et pour pénétrer
dans les cœurs par la porte des sens. Oui, c’est l’Esprit de Jésus-Christ
qui inspire aux missionnaires de mettre dans leurs prédications
et dans leurs cérémonies autant de pompe et de majesté,
que les lieux et les circonstances le permettent. Mais très malheureusement
ces mêmes sens, à l’enchantement desquels on est obligé
de recourir, trahissent la grâce de Jésus-Christ, et après
lui avoir servi d’auxiliaires pour l’introduire dans le cœur du pécheur,
ils se révoltent contre elle et finissent par la chasser pour régner
à sa place. Tels seraient des domestiques infidèles, qui
auraient la perfidie de cabaler secrètement contre leur maître,
qui le dépouilleraient de ses biens sans qu’il s’en aperçut,
et qui, enrichis à ses dépends, parviendraient même
à le chasser de sa maison tout en faisant semblant de lui être
affectionnés. En deux mots, les sens sont aujourd’hui la seule puissance
qui fasse marcher les hommes qui sont pieux ou impies, selon que les sens
leur commandent de faire le bien ou le mal. Une comparaison tirée
des livres saints mettra cette vérité dans tout son jour,
Les Israélites aux pieds du mont Sinaï effrayé de la
voix du Seigneur, le conjurent de ne pas leur parler lui-même, mais
de leur manifester ses volontés par le ministère de Moïse.
Insigne maladresse de leur part : s’ils eussent écouté le
Seigneur lui-même, la loi de Dieu se serait profondément gravée
dans leur cœur ; mais ne voulant entendre que Moïse, leur cœur resta
endurci, et ils ne s’éloignèrent de la montagne que pour
aller fabriquer le veau d’or. Ainsi les hommes de nos jours, effrayés
de l’austérité apparente de la Religion, ne veulent pas l’entendre
elle-même ils exigent qu’elle se présente sous une forme qui
plaise aux sens. De là les effets peu durables des missions et des
prédications les plus admirables. La divine semence tombe sur le
grand chemin, sur un terrain sec et pierreux, au milieu des épines
; le vent de la vanité et de la dissipation, l’esprit de légèreté
et de frivolité, l’amour de ce qui brille, les affections déréglées
et terrestres emportent tout et l’empire des sens détruit celui
de la grâce. Tel est le malheur de notre siècle, malheur qui
mérite d’être pleuré avec des larmes de sang. Ce n’est
donc pas la faute de Moïse si, tout de suite après la publication
de la loi, les Israélites adorent le veau d’or ; mais la faute des
Israélites eux-mêmes, qui ne voulaient écouter que
lui. Ce n’est donc point la faute des missionnaires, si leurs travaux ne
sont pas toujours couronnés d’un succès durables, mais la
faute des pécheurs qui ne se laissent diriger que par le sens Ce
n’est point la faute de Jésus-Christ, si les hommes se damnent,
mais la faute des hommes qui abusent des moyens de salut qu’il leur prodigue
de mille et mille manières ; ce n’est point la grâce qui est
faible et impuissante, mais c’est le cœur humain qui est librement et volontairement
sourd à sa voix, et n’écoute que celle des passions, et ne
veut obéir qu’à l’autorité des sens et à l’entraînement
des biens et des plaisirs corruptibles de la terre.
XVIII
O Dieu ! dans quel déplorable état nous a réduits le règne des sens ! Dans la primitive Eglise, comme ce n’étaient pas les sens qui commandaient au cœur, mais le cœur qui commandait aux sens, les fidèles étaient accoutumés à donner les preuves du dévouement le plus héroïque : c’était en quelque sorte un jeu pour eux de mépriser la férocité des tyrans et d’affronter les plus cruels supplices ; ils marchaient à la mort comme à un festin. Aujourd’hui, pour vaincre la fidélité et la constance des chrétiens, pour les entraîner dans le péché, il ne faut que l’appât d’un plaisir passager, les attraits d’une beauté corruptible, une misérable flatterie, un vil intérêt, la chose du monde la plus méprisable, pour peu qu’elle qu’elle soit séduisante à l’extérieur. Malheureux siècle des sens ! tes enfants ont oublié Jésus pauvre et crucifié, Jésus couronné d’épines, expirant dans les supplices ; Jésus immolé et toujours offert en sacrifice dans le sacrement de l’amour : ils l’ont oublié pour se livrer au faste, au luxe le plus effréné ; toute leur conduite annonce qu’ils ont le désir d’anéantir l’ouvrage d’un Dieu fait homme. Oui, mon Jésus ! tandis que vous êtes né dans l’obscurité d’une étable, pour nous apprendre à fouler aux pieds toutes les vanités périssables, notre siècle ne travaille qu’à enfanter mille victimes au démon de l’orgueil, au démon de l’avarice, et à un troisième démon dont le nom seul fait horreur. Ces trois exécrables passions sont devenues les seules divinité de la plupart des hommes de nos jours. Tandis que vous avez vécu trente ans dans l’humble maison de Nazareth, sous la forme d’un esclave, occupé des travaux les plus serviles, ignoré de l’univers entier, pour nous apprendre à sanctifier les peines de notre état, pour nous inspirer l’amour du travail, pour ennoblir la pauvreté, les hommes de notre siècle, au contraire, avilissent la pauvreté, et lui font sont procès par leur insolence et leur vanité, tirent l’innocence de son obscurité pour la parer de tout l’éclat du vice ; délivrent les malheureux de la dépendance de leur misère pour les charger de chaînes et les associer à leurs désordres, et changent la nécessité du travail au besoin irrésistible de jouir des biens et des plaisirs d’ici-bas. Tandis que Jésus, victime de son amour, est caché sous les plus humbles apparences, anéanti, dépouillé, en quelque sorte de toutes les prérogatives de la divinité, le luxe fait des progrès indicibles, et confond toutes les classes de la société, sous prétexte de faire fleurir les états et de procurer l’existence à un plus grand nombre d’ouvriers. Depuis quand donc, ô hommes aveugles et incrédules ! vit-on les états refleurir sur les ruines de la religion ? Où est donc la nécessité de fouler aux pieds l’Evangile, pour favoriser la classe des hommes qui vivent de leur travail ? Quelle expérience vous a donc appris que l’esprit de mondanité, que le faste et le luxe sont des sources de prospérité pour les empires, et que les plus heureux ? Ah ! s’il est vrai que, dans la situation actuelle de la société, la vanité soit devenue nécessaire à la prospérité de notre patrie, que sans elle la plupart des hommes n’auraient plus d’occupation ; si, dis-je, le luxe est devenu un mal inévitable, l’Evangile à la main, la croix de Jésus-Christ sur le cœur, les yeux élevés vers le ciel, nous ne devons pas hésiter un seul instant de sacrifier les misérables avantages d’une vie périssable, à l’espérance d’une bienheureuse immortalité ; puisqu’il est de foi que, pour arriver à l’éternelle félicité, il faut nécessairement marcher sur les traces du Dieu sauveur qui condamne la vanité d’une manière terrible, tant par ses paroles que par ses exemples.
En vain nous oserions nous flatter d’être encore dans la
voie du salut, si nous avions le malheur de rester si manifestement en
contradiction avec Jésus-Christ. Je le redis encore, les portes
du ciel ne s’ouvriront jamais pour les enfants de la vanité. Toutefois
je suis loin d’admettre la supposition que je viens de faire, savoir, que
le luxe soit nécessaire au bonheur des états. Je vois au
contraire que la chute des empires se prépare dans la mollesse,
et que nous avons tout à craindre pour notre patrie, si l’on ne
porte remède aux ravages de l’orgueil humain. Oui, sans doute ;
mais qui peut apporter remède à un mal déjà
si invétéré et si profondément enraciné
? Qui ?… Nous-mêmes, nous tous tant que nous sommes. Ce n’est pas
l’affaire des puissances de la terre ; c’est la nôtre, elle nous
regarde personnellement. Revenons aux maximes de l’Evangile, revenons à
Jésus-Christ, et le luxe insolent, le luxe effréné,
si injurieux à la pauvreté de la plupart de nos frères,
sera bien vite aboli par le fait, sans qu’il soit nécessaire de
faire des lois répressives.
XIX
Que nos sens soient donc vaincus par le cœur, et que notre cœur
soit à son tour vaincu par l’amour infini de Jésus-Christ
! Sans cela, impossible à nous de comprendre le mystère d’un
Dieu crucifié ; ses humiliations, ses plaies, sa couronne d’épines,
sa croix, ses anéantissements dans la divine Eucharistie ne flattent
pas nos sens ; c’est assez pour nous rendre insensibles à son amour.
C’est donc pour vaincre notre cœur comme malgré nous, que ce Dieu
généreux dans ces derniers temps, nous montre le sien vaincu
par sa charité pour nous. Il veut que son cœur soit exposé
à notre vénération, afin de réveiller notre
sensibilité, et afin de confondre notre ingratitude par le souvenir
de ses bienfaits. C’est donc principalement pour aider notre cœur à
triompher des sens, et à briser les chaînes honteuses qui
le retiennent dans un si funeste esclavage, que la dévotion au Sacré-Cœur
de Jésus est établie. Le génie de l’impiété
l’a compris, et c’est pour cela qu’il n’a cessé de manifester sa
rage contre cette pieuse institution. Mais les fidèles ne devraient-ils
pas le comprendre encore mieux et montrer plus d’empressement et de constance
pour faire réparation d’honneur à Jésus-Christ, dans
la crainte que, si cette dernière tentative de sa bonté ne
réussit pas pour nous ramener sincèrement à lui, il
ne soit réduit à nous prouver, d’une manière terrible,
que l’amour infini, à force d’être outragé, finit par
se changer en indignation ? Hâtons-nous de reconnaître enfin
que le divin Cœur de Jésus, adoré sur nos autels, est le
seul signe de salut. Adressons-nous à lui avec une tendre confiance,
et par l’ardeur de nos vœux et de nos amendes honorables, faisons violence
à sa miséricorde, pour en obtenir le miracle de la délivrance
; un miracle victorieux de toute la rage de l’enfer, de toutes les passions
déchaînées, et de la décrépitude de toutes
les lois humaines. Conjurons le Sauveur de se montrer à son Eglise
; entourons ses tabernacles, pour lui parler de notre triste situation,
et ne doutons pas que celui qui change le pain en son corps et le vin en
son sang, à la seule parole du prêtre, n’aura pas de peine
à faire un prodige en notre faveur qui n’équivaudra jamais,
quel qu’il soit, à la grandeur de celui-là.
XX
Cessons de nous faire illusion : les dangers sont grands ; les impies se sont ligués par les plus horribles moyens. L’iniquité a fait un pacte avec l’iniquité pour détrôner Jésus-Christ ; c’est à lui-même qu’on en veut. L’enfer a étendu son empire, le moment va venir ; que dis-je ? le moment est arrivé où les impies ne dissimulent plus leurs desseins. Déjà, ils font des sacrifices immenses pour venir à bout de leurs coupables complots. Les fatigues, les dangers, l’effusion de leur propre sang, l’opprobre et la honte de leur parti, rien ne les fera départir de leurs résolutions. Ils poursuivront Notre Seigneur jusqu’à ce que le Seigneur les poursuive à son tour et les force à le reconnaître pour leur libérateur, ou à gémir sous les coups rigoureux de sa justice. Oui, impies, eussiez-vous les plus nombreuses et les plus vaillantes armées, eussiez-vous à vous seuls tout l’or et tout l’argent de l’univers, fussiez-vous ducs et pairs, grands dignitaires, généraux et même empereurs, un souffle de la bouche de ce même Jésus-Christ que vous prétendez vaincre, suffira pour vous renverser dans la poussière. Moquez-vous, si vous le voulez, de ma foi et de ma simplicité, pour moi je prends les avances et je me ris de vos entreprises, de vos raisonnements et de toute votre puissance. Non, quelque faible que je sois, je ne vous crains pas, j’espère en Jésus-Christ, il est le roi de mon cœur, il vous vaincra, je n’en doute pas.
Ce langage que j’ose tenir à l’impie, paraîtrait
présomptueux à ceux qui sont accoutumés à juger
d’après les apparences. Hâtez-vous, Seigneur, de me justifier
vous-même, il est temps de vous lever et de juger votre cause. Il
faut…, oui, il faut que vous pressiez les impies de s’avancer, malgré
leur prudence, dans les filets cachés à leur aveugle fureur
: il le faut, parce que nous vous voyons tous les jours horriblement outragé,
sans qu’aucun de vos adorateurs se croie compétent pour défendre
vos droits. La crainte, la stupeur et plus encore l’indifférence,
ont paralysé le petit nombre de sujets qui vous sont restés
fidèles. Chacun rejette sur un autre l’obligation de se déclarer
contre vos ennemis et contre les perfides qui vous trahissent. Les simples
fidèles se reposent sur leurs pasteurs ; les pasteurs, sur les chefs
du royaume les chefs du royaume, sur leur roi ; les rois, sur la force
de leurs armées, et personne ne veut se dévouer soi-même
pour votre gloire. En attendant, vous êtes abandonné de tout
l’univers, et on a l’air de dire : Que Jésus-Christ se défende
lui-même. Hé bien, puisque vos amis n’osent vous offrir
leurs bras, ni se mettre en avant pour attaquer de front vos ennemis et
réprimer leur insolence ; puisque les craintes et les considérations
humaines les empêchent de marcher courageusement à ce combat
spirituel, puisqu’ils s’obstinent à se croire incompétents
eux-mêmes, montrez, Seigneur, que vous n’avez besoin de personne.
O Dieu caché ! interrompez enfin votre trop long silence : ô
Roi de gloire ! Faites éclater votre puissance : ô prêtre
éternel ! faites-nous voir la preuve que vous n’êtes point
interdit de vos pouvoirs : ô Verbe éternel ! ô cause
première ! donnez aux chrétiens de toutes les conditions
une leçon dont ils ont grand besoin, savoir, que ce n’est pas dans
les causes secondes, mais dans vous seul qu’ils doivent placer leur espérance.
Ne souffrez plus qu’ils parlent sans cesse des puissances de la terre,
sans jamais faire mention de vous : ne souffrez plus qu’ils jouissent de
la paix, tandis qu’on vous fait une guerre cruelle ; ne souffrez plus qu’ils
disent : Tout va bien, tandis que vous êtes considéré
comme le dernier chez votre peuple, tandis que vous êtes si indignement
oublié par les chrétiens, et si atrocement insulté
par les méchants.
XXI
Tout va bien.. !!! O mon Jésus ! est-il possible d’entendre un pareil langage ! Devrait-il importer beaucoup à votre peuple que le commerce des villes fût florissant, que les sciences et les arts fussent encouragés, que l’état extérieur de la société parût prospère sous le rapport des avantages temporels, lorsque votre religion dépérit à vue d’œil, lorsque les hommes s’endurcissent dans leur malice, lorsqu’ils perdent entièrement de vue leurs destinées immortelles, lorsque la terre est peuplée d’apostats, lorsque chaque jour enfante de nouveaux crimes et de nouvelles impiétés, lorsque l’Église, notre tendre mère, gémit sur la perte de ses enfants, qui l’abandonnent lâchement les uns après les autres, et qui, loin d’être sensibles à ses larmes, se réjouissent de ses douleurs, et ne seraient pas fâchés de la voir succomber sous le poids de ses souffrances ?
Tour va bien… !! Ah ! malheur à moi si je partageais cette
lâche manière de sentir et de raisonner ; si, au milieu des
prétendues prospérités de la terre et des chimères
de la vanité, la voix de l’aimable Rachel ne retentit incessamment
à mes oreilles ; si la perte de ses enfants ne me cause une plus
vive douleur que ne m’en causerait la perte du plus beau royaume de l’univers
; si la vue de Jésus-Christ oublié, méconnu et persécuté
par son peuple ne troublait mon repos et ne me plongeait dans une tristesse
irrémédiable ! Malheur à moi si je cesse de soupirer
après la gloire de l’Église ma très tendre mère,
avec une plus vive ardeur, que l’enfant au berceau ne soupire après
le sein qui le nourrit ; si tout ce qui tend à ternir l’éclat
de sa beauté, à désoler sa tendresse, à déchirer
son cœur, à lui ravir ses glorieux privilèges, à la
plonger dans de nouvelles alarmes, ne causait à mon âme une
souffrance plus aiguë que celle que j’éprouverais dans mon
corps par la piqûre de scorpion !
XXII
O vous qui avez été tirés du monde, comme Moïse le fut des eaux du Nil, pour conduire et gouverner le peuple de Dieu ! on vous entend dire aussi : Tout va bien, et ce peuple ingrat a oublié son roi, il a renversé l’autel de Jésus Christ dans son cœur, et après l’en avoir chassé, il s’est fait lui-même des dieux pour les adorer. Vous dites : Tout va bien, et votre peuple prostitue à des idoles de chair, dême des dieux pour les adorer. Vous dites : Tout va bien, et votre peuple prostitue à des idoles de chair, d’or et d’argent, à de brillants fantômes de plaisir, d’ambition, d’orgueil, de volupté, tout l’encens de son amour. Vous dites : « Tout va bien, et c’est à ces dieux de la terre que votre peuple sacrifie sa santé, son repos, sa jeunesse, son honneur, ses travaux, ses pensées, ses désirs, ses projets, sa vie entière, sa conscience, sa religion, son âme, son salut, son éternité ! O conducteurs de la barque ! permettez que je vous dise ce que les apôtres disaient à Jésus-Christ lui-même : réveillez-vous ; nous périssons. Le torrent des scandales, semblable à une mer horriblement agitée, est entré dans le temple, il a inondé la nef, il a franchi les barrières du sanctuaire ; il menace, en se retirant, d’entraîner dans son sein tous ceux qui ne se réfugieront pas sur le marchepied de l’autel, qui représente l’amour de Jésus-Christ. Ce n’est que là, où se rassemblent les aigles royales, que nous trouverons le salut, autour de la Victime infinie immolée sur nos autels.
O prêtres du Dieu vivant ! n’imitez pas les apôtres, qui dormaient tandis que Judas veillait.
Ah ! Que ne puis-je, au prix de mon sang, vous empêcher
de sommeiller en présence du serpent qui n’est rien moins que vaincu,
et qui n’attend qu’une occasion favorable pour immoler de nouvelles victimes
à sa fureur ! Je consentirais volontiers à être battue,
moulue comme le froment, à être dévorée comme
un morceau de pain, par les plus cruels tourments, si à ce prix
je pouvais vous préserver d’une si dangereuse illusion, réveiller
votre sollicitude pour la cause de Jésus-Christ, vous faire vivement
sentir les obligations que vous impose en ce moment son amour. Mais que
dis-je, Seigneur ? Je ne suis pas digne de mourir pour vos ministres ;
il n’appartient qu’à vous d’être leur victime. Ah ! du moins,
réveillez-les vous-même, faites-leur entendre vos plaintes,
appelez-les pour être témoins de vos délaissements
sur nos autels et des angoisses de votre cœur si cruellement déchiré
par la malice des impies, et si profondément affligé par
l’indifférence de vos enfants. Faites connaître à vos
ministres le péril qui nous environne, afin qu’ils abandonnent les
rêveries de la politique humaine, pour se rattacher aux seules ressources
de la foi.
XXIII
Mais pourquoi, Seigneur, lorsque je veux vous prier pour ceux qui vous sont le plus chers, paraissez-vous vous arrêter et presser en même temps mon élan vers vous ? Je ne puis vous quitter, quand je vous parle de vos ministres ; il me semble que votre couronne d’épines s’entrelace autour de mon cœur, et que votre Cœur adorable me repousse et m’appelle tout à la fois. Vous gardez un silence qui m’atterre et me navre de douleur ; semblable à un homme qui, dévoré par de violents chagrins aucune consolation, lors même qu’il désire avec la plus vive ardeur d’être consolé. Vous voulez que je sonde en quelque sorte la profondeur de la plaie de votre Cœur, et si je vous conjure d’y remédier, je sens comme un mouvement de révolte qui s’oppose à ma prière et à l’ardeur de mes désirs. Mon Dieu ! les douleurs de votre âme, au jardin des Olives, se sont-elles renouvelées ? votre passion va-t-elle recommencer ? Hélas ! je ne le vois, je ne le comprends que trop clairement. Vous êtes condamné à la mort pour la très grande majorité des hommes de nos jours, et bien plus sévèrement que vous ne fûtes autrefois condamné par Pilate lui-même. Pilate du moins reconnaissait votre innocence, tandis que les hommes de nos jours, vous jugent véritablement coupable, parce que votre loi leur déplaît souverainement, et qu’ils ont juré de l’exterminer, ou du moins de la défigurer à quelque prix que ce soit. C’est contre vous et contre vous seul que sont dirigés tous les complots des méchants ; ils sont résolus de ne se reposer que quand tous vos vrais adorateurs seront devenus des sectaires. De temps en temps, il est vrai, on a l’air de faire des lois en votre faveur ; mais, pleines de faiblesse et de lâcheté, elles ne servent la plupart qu’à entraver votre culte, à lier, à garrotter vos ministres.
[Bien après son décès, les lyonnais lui sont manifesté leur reconnaissance, à voir : par une fresque sculptée sur la partie gauche de l’entrée principale de la Basilique de Fourvière, où Pauline est représentée tendant un chapelet à ses « auxiliatrices ».]
Mais il est une plaie cachée qui vous est encore plus amère
; un voile épais me dérobe le secret de votre cœur.
Mon cœur est déchiré, et je vous suis partout, pour partager
votre peine, sans presque oser vous parler autrement que par ma douleur.
Je suis comme un faible enfant qui reçoit, sans les définir,
certaines confidences de son père : si je vous demande des explications,
il semble que, me considérant comme trop faible pour les entendre,
vous vous contentez de considérer mes larmes et de me montrer toute
la véhémence de votre chagrin. Ah ! je le sens, il s’agit
de vos ministres, plus chers mille fois à votre cœur que l’épouse
la plus chérie ne l’est à son époux. Rien ne console
un amour blessé ; il ne peut se résoudre à punir,
mais il ne saurait être dédommagé par aucune espèce
de compensation. D’ailleurs, qu’est-ce qu’une misérable créature
comme moi, et que pourrais-je vous offrir ?
XXIV
O mes pères ! j’ose vous en conjurer, venez au tabernacle
pour y entendre les tendres plaintes je Jésus-Christ ; vous y apprendrez
qu’il est votre plus fidèle ami, et que son cœur désire ardemment
que vous alliez à lui avec un aimable abandon, avec une entière
et parfaite confiance, et non avec ce respect froid et craintif qui ne
considère que la sévérité de ses jugements,
sans s’arrêter aux preuves de son amour. Ah ! vous l’entendrez, sans
doute, vous dire amoureusement que tous les trésors de sa bonté
sont pour vous, qu’il n’attend qu’un signe de votre volonté pour
les ouvrir, que vous devez vous adresser directement à lui, pour
éprouver sur-le-champ l’effet de vos demandes. Sans doute qu’un
doux reproche vous fera connaître votre pouvoir sur son cœur, vous
à qui il obéit sans délai, sans restriction : vous
comprendrez que s’abandonnant lui-même entre vos mains, il ne vous
résistera pas si vous le priez pour le salut du peuple, pour le
triomphe de la justice, pour la délivrance de l’Église. Voyez
si nos âmes vous sont encore chères, et prenez nos intérêts
sans rien craindre. C’est dans votre sein que repose la vie sacramentelle
du Sauveur ; n’est-ce pas assez pour espérer tout de vous, si vous
avez confiance en votre Maître ? C’est dans votre sein, comme dans
le cœur de Jésus-Christ lui-même, que nous venons nous réfugier,
pour que vous preniez votre défense contre fureur des impies. Les
craignez-vous, vous qui êtes les maîtres de votre souverain
Maître ? leurs sarcasmes, leurs discours insensés, leur puissance
éphémère, tous les échafaudages de leur orgueil,
pourraient-ils vous intimider, quand le Vainqueur des vainqueurs est à
votre tête, quand Jésus-Christ, le Dieu tout-puissant, qui
à votre voix descend tous les jours sur l’autel, vous promet de
combattre avec vous ? O rois ! votre seule présence renverserait
l’armée des Philistins, si vous aviez la confiance que mérite
de votre part le Roi des rois. Considérez donc ce que vous êtes,
ce que sont les impies, ce que sont les chrétiens, ce qu’est l’Église,
ce qu’est la société, ce que nous allons tous devenir, si
Jésus-Christ ne se montre pas. Reconnaissez vos torts envers le
Sauveur, de qui vous avez tout à attendre, à qui vous ne
demandez presque rien. Cessez, cessez de vous appuyez sur des bras de chair,
d’espérer dans les hommes, quelques qu’ils soient, quelle que soit
leur puissance, quels que soient leurs talents, pour ne plus espérer
que dans le Dieu qui a sauvé le monde et qui seul peut le sauver
encore. Hâtez-vous de frapper à la porte du tabernacle, pour
dire à Jésus-Christ de se lever et de se rendre justice à
lui-même. O prêtres ! ne retardez plus la délivrance
du peuple de Dieu, la consolation de l’Église, en priant dans le
sens de la politique des hommes : ne forcez plus Jésus-Christ, qui
ne sait pas vous résister, à retarder le grand coup de sa
miséricordieuse justice. De quoi sert-il de toujours lui dire :
Seigneur, donnez-vous de bons magistrats, de bons députés,
de bons ministres ? Dites, dites plutôt : Seigneur, venez vous-même
à notre secours, vous seul êtes le Sauveur, il n’en est point
d’autre que vous. C’est avec une croix, avec ce qu’il avait de plus vil
dans l’univers, que vous terrassâtes autrefois toutes les puissances
de la terre et de l’enfer réunies. Vous faut-il de plus grands instruments
aujourd’hui ? Faites seulement un signe, et toute la terre tremblera, et
tous les impies incorrigibles mordront la poussière, et tous les
enfants de Dieu se réjouiront. Jusqu’à quand, ô grand
Roi ! souffrirez-vous que les ennemis de votre saint nom insultent à
la piété de vos fidèles adorateurs, et demandent insolemment
: où est donc leur Dieu ?
XXV
O mes pères, mes pères ! pardonnez à une
misérable créature qui ose vous parler avec tant de confiance
et d’abandon. Ne l’attribuez qu’au vif intérêt que je prends
à la cause de Jésus-Christ et à la vôtre. Plutôt
souffrir mille morts que de m’écarter de la piété
filiale dont mon cœur est rempli pour vous ; c’est à vos pieds,
comme votre sacerdoce m’y invite, c’est en reconnaissant vos droits sur
moi, que je vous conjure de vous ressouvenir de votre puissance et des
droits de Jésus-Christ sur vous. Il sait jusqu’à quel point
je vous honore. À votre vue mon cœur tressaille, mon corps s’incline,
mon esprit ressent une nouvelle impression de foi. J’adore Jésus-Christ
dans votre sacerdoce ; tout mon être est pénétré
de la vive reconnaissance envers le Sauveur qui, par vous, se rend visible
à mes regards ? Je sens que le sacrifice de ma patrie, de tout ce
que je possède, de ma vie, de tout ce que j’ai de plus cher, ne
me coûterait rien, si votre propre avantage l’exigeait. Ne suspectez
pas mon profond respect, ma parfaite soumission, mon obéissance
sans bornes à vous tous, prêtres de ma mère, la très
sainte Église catholique, apostolique et romaine ; parce que j’ai
osé épancher mon cœur en votre présence. Je suis la
dernière brebis de votre troupeau ; mais je ne crains pas d’être
jamais confondue, si j’ai la confiance d’ajouter que vous ne trouverez
pas une seule de vos brebis, plus dévouée que moi aux pasteurs
légitimes.
XXVI
O amour infini ! fixé sur nos autels, soyez à jamais mon espérance, ma consolation, ma force et tout mon bonheur. Que ne puis-je rendre un digne hommage à votre bonté ! Du moins je ferai ce que ma faiblesse me permet, et je déclarerai hautement que je ne me suis jamais présentée devant vous sans recevoir quelque bienfait particulier. Le feu de votre tabernacle a toujours consumé mes passions les plus violentes, dévoré les plus chères victimes de mon pauvre cœur. Votre lumière vive et pure m’a découvert ma misère dans vos dons, mon impuissance dans la réussite de ce que vous me faisiez entreprendre, ma bassesse dans vos faveurs les plus signalées. Vos douces leçons ont toujours eu pour but d’abattre mon orgueil, sans me décourager. D’une main, vous terrassez ce terrible ennemi de mon âme, et de l’autre vous daigniez me relever moi-même par l’assurance de votre amour.
C’est au pied de vos saints tabernacles que mon cœur desséché
par les plus rudes épreuves, a constamment trouvé les forces
nécessaires pour en supporter la rigueur ; c’est là que mes
combats se sont changés en victoires, ma faiblesse en courage, mes
tiédeurs en ferveur, mes incertitudes en lumières, ma tristesse
en joie, mes obstacles en succès, mes désirs en volonté,
mes antipathies, mes jalousies, mes ressentiments contre le prochain en
ardente charité. Tout ce que je sais, je l’ai appris à vos
pieds, Seigneur ; recevez donc l’hommage de tout ce que je suis, de tout
ce que j’ai, de tout ce que je pourrai jamais penser, dire et faire de
bien ; recevez en particulier l’hommage de ce petit ouvrage, que je crois
être le vôtre ; bénissez-le, bénissez tous ceux
qui le liront dans un esprit de piété, afin qu’ils comprennent
que vous êtes l’amour infini et le seul sauveur de l’Église
et de la société. »
FIN
Avec le bienveillant accord des arrières petites nièces
De Pauline, Madame Eynard et Sœur Marie Monique
Achevé d’imprimer
Le 13 mai 2001
En la fête de l’apparition de Notre-Dame à Fatima
Tous droits réservés
Imprimerie Saint Joseph – Lyon
Dépôt Légal 2ème trimestre 2001
2-911 243-14-5
CONFÉRENCE DU CARDINAL TOMKO SUR LE THÈME DE L'ACTUALITÉ DU MESSAGE DE PAULINE JARICOT ET SUR LE SENS DE LA MISSION AUJOURD'HUI
Samedi 18 septembre 1999
Le XVIIIème siècle décline et les derniers soubresauts de la Révolution traversent la société civile et l'Eglise de l'époque.
Le monde connu de l'Europe vit les résidus de l'ère des Etats absolutistes avec la France, l'Espagne, l'Angleterre, toutes lancées dans la conquête de territoires.
Dans cette conjoncture de concurrence, de défis politiques et stratégiques, le Saint-Siège s'engage davantage vers l'art d'une diplomatie indépendante, afin de préserver le droit et la paix avec les puissances du moment, dans l'intention d'assurer l'œuvre d'évangélisation. En France, le gallicanisme et l'excommunication de Napoléon exacerbent les luttes au sein du Clergé et des fidèles. Le Cardinal Fesch, Archevêque de Lyon et oncle de Napoléon cède à la compromission du sang pour prendre le parti de son neveu.
En 1800, Pie VII est élu Pape. Les relations avec Rome sont tendues et les activités de Propaganda Fide (l'organisme chargé de l'œuvre d'évangélisation) sont bloquées. Il devient impossible d'aller vers les pays de mission. Un laïcat catholique prend forme. Il affirme sa foi d'un côté, par le rejet du gallicanisme, de l'autre par des œuvres de charité, en particulier, envers les nouveaux pauvres nés des ruines de l'Empire napoléonien, et enfin par un engagement missionnaire dynamique empreint d'une grande audace.
Dans ce contexte émerge la figure d'une jeune fille, Pauline Jaricot, dont les pas vont ouvrir des perspectives missionnaires insoupçonnées pour l'Eglise universelle.
1. Bref profil biographique
Pauline Jaricot, la dernière des sept enfants d'une famille de marchands de soie, est née à Lyon, le 22 juillet 1799, durant une période difficile pour l'Eglise en France. Le clergé est divisé: d'un côté les prêtres «assermentés» de tendance gallicane et de l'autre les prêtres «réfractaires» fidèles à Rome. Evidemment le pouvoir politique appuie la première tendance qui a son homme fort en la personne du Card. Fesch, Archevêque de Lyon, oncle de Napoléon Bonaparte; cette Eglise avec le clergé «assermenté» et «officiel» détient aussi les registres de baptêmes. Mais la famille Jaricot est amie des prêtres «réfractaires» et Pauline est baptisée à la maison.
Très vivante, la petite fille mène une vie insouciante dans un milieu très croyant et aisé, «vivante de sa propre vie», comme elle l'écrit joyeusement. Une chute d'un tabouret fort haut, sur lequel elle était montée, lui cause un choc au système nerveux. La mort de sa mère, puis un sermon de l'abbé Würtz la mènent à l'âge de 17 ans, à une conversion résolue.
Avec la même passion, elle se lance à aimer Dieu dans les créatures et le Christ dans les pauvres et les incurables de l'hôpital.
Elle organise parmi les ouvrières le groupe des «Réparatrices» (mon bataillon sacré, comme elle l'appelle) et suit les catéchèses bibliques que donne, au personnel hospitalier, le jeune aumônier, Clément Villecourt, futur Cardinal.
La Mission entre dans son projet spirituel à travers ses rêves de devenir missionnaire en Chine, rêves partagés avec son frère Philéas, et repris plus tard quand lui-même se joint à la «Congrégation des jeunes gens et messieurs». Cette association, quasi secrète de piété et d'action, recueille des subsides pour les Missions Etrangères de Paris, en faveur des missions en Extrême-Orient. Pauline soutient son frère, au Séminaire Saint-Sulpice, par une correspondance suivie. Mais, ne pouvant aller en Asie, elle cherche sous quelle autre forme aider les missions. Elle reçoit un appel pour aider la mission en Louisiane où se trouve une colonie française, des prêtres et des évêques missionnaires. Pauline découvre que la mission n'est pas seulement en Asie, que la mission de l'Eglise est universelle. Comme elle le confessera «toute la terre m'a paru fécondée par la présence de ce divin Sauveur dans le Très Saint-Sacrement. De cela résulte la correspondance avec mon frère, alors au Séminaire Saint-Sulpice à Paris, pour l'encourager dans sa vocation... De cette correspondance avec mon frère et de cette disposition personnelle, est venue la Propagation de la Foi».
Déjà en 1818, Pauline a commencé à recueillir un «sou» par semaine, moins d'un franc aujourd'hui, auprès des 200 ouvrières de l'usine de son beau-frère. Ensuite elle lance une nouvelle méthode basée sur le système décimal: chaque personne, associée à l'œuvre de la Propagation de la Foi, doit trouver dix autres personnes qui, à leur tour, en trouvent chacune dix autres, formant ainsi des «centaines» d'animatrices et de bienfaitrices, et même des «milliers» jusqu'à l'infini. Les «dizaines», les «centaines» et les «milliers» recueillent respectivement la collecte hebdomadaire de dix, de cent, de mille personnes associées. Un plan d'une extrême facilité et simplicité, efficace aussi, nourri d'une spiritualité eucharistique, se répand en peu de temps depuis Lyon vers les autres régions. En 1822, Pauline laisse tranquillement en d'autres mains la direction de la «Propagation de la Foi». La source de l'œuvre apparaît clairement dans «L'Amour infini dans la divine Eucharistie», qu'elle écrit à 23 ans.
Dans l'année du Jubilé 1825, Pauline fait naître une autre œuvre providentielle, celle du «Rosaire vivant», en appliquant la même méthode que la précédente à la récitation associée de cette prière mariale, mais en remplaçant le nombre de dix associés par celui de quinze (les mystères du Rosaire sont au nombre de quinze). Il faut trouver 15 personnes et confier à chacune d'elles chaque mois le soin de réciter tous les jours une dizaine de chapelet en méditant sur le mystère correspondant de la vie de Jésus. Ce mystère, tiré au sort, change chaque mois. En outre, chaque personne associée cherchera 5 autres membres qui, à leur tour, chercheront à multiplier les adhérents. La communion de cœurs priant et méditant chaque jour la vie complète de Jésus, crée une force spirituelle immense dans l'Eglise. Le Rosaire vivant s'est étendu comme un incendie en France, au Canada, en Amérique latine, en Asie et dans le monde entier, même dans mon pays et il résiste encore en beaucoup d'endroits (NDRL: Le Cardinal Tomko est de nationalité slovaque).
Tandis que ces deux initiatives concrètes obtiennent un certain succès et une vaste diffusion, la troisième initiative de Pauline est créée dans un but social, pour aider les ouvriers. C'est d'abord une banque avec des prêts sans intérêts, puis une entreprise industrielle qui échoue à cause de quelques intrus. Cette faillite devient la croix de l'ultime période de sa vie. Elle s'éteint en 1862, après avoir perdu tout son patrimoine.
Concentrons-nous sur l'œuvre de la «Propagation de la Foi» qui a eu son expansion d'abord en France, où elle a été accompagnée par l'œuvre de la Sainte-Enfance, fondée par l'Evêque de Forbin-Janson et de l'œuvre de Saint-Pierre Apôtre, pour le clergé autochtone, promue par Jeanne Bigard et sa mère. Leur importance pour l'activité missionnaire de l'Eglise entière, est reconnue par le Saint-Siège, lorsque le Pape Pie XI leur confère en 1922 le statut d'organisations pontificales, et transfère le siège central à Rome sous l'unique titre d'«oeuvres pontificales missionnaires» tout en conservant leur charisme spécifique.
A ces trois œuvres, s'ajoute la quatrième: «L'Union Missionnaire du Clergé» fondée en 1916 par le P. Paolo Manna, comme mouvement pour les prêtres, les religieux et les séminaristes, c'est-à-dire les animateurs les plus qualifiés de l'esprit missionnaire. Les oeuvres pontificales missionnaires ont désormais une place institutionnelle dans l'Eglise universelle et sont présentes dans tous les continents, dans 200 pays environ. Les Directeurs nationaux respectifs se réunissent chaque année à Rome pour s'enrichir pastoralement et distribuer les subsides recueillis dans l'Eglise entière, spécialement au cours de la Journée mondiale missionnaire du mois d'octobre.
2. Actualité de l'œuvre et du message de Pauline Jaricot En ce qui concerne l'aspect missionnaire de l'œuvre de Pauline Jarricot, il s'agit certainement d'une œuvre de coopération approuvée, ratifiée et même assumée par l'Eglise universelle en tant qu'«intuition, initiative et méthode» (Paul VI, 1972) soutenue et privilégiée par le Saint-Siège. Il s'agit donc d'une œuvre charismatique qui a fait preuve d'efficacité. L'actualité de l'œuvre et de son message pour notre temps, 200 ans après la naissance de Pauline et 180 ans environ après sa fondation est la question que l'on se pose aujourd'hui.
1) La personnalité même de Pauline Jaricot exerce aujourd'hui comme hier une certaine fascination. Jeune femme laïque de 23 ans à peine, elle lance une œuvre de coopération missionnaire, simple et efficace, sous une forme ouverte à tous. Son dynamisme communicatif suscite l'engagement d'un grand nombre de personnes laïques. Elle est certainement une figure attirante. Ne pouvant pas aller en mission, elle crée un organisme actif qui croît et se multiplie auprès d'autres laïcs qui ne peuvent pas non plus partir mais qui, par l'obole constante de la veuve de l'Evangile et par le soutien spirituel, aident efficacement la précieuse mission évangélisatrice de l'Eglise. Pauline, profondément spirituelle et amie de nombreuses religieuses reste toujours dans la ligne de la vocation du laïcat, non d'un laïcat passif mais entreprenant, actif et non égocentrique, mais coopérant, en y impliquant d'autres laïcs. En cela, elle correspond à l'idéal de la femme laïque tracé surtout par Pie XI et Jean-Paul II.
2) Un autre aspect d'actualité est le caractère universel que l'œuvre de Pauline Jaricot a reçu de sa Fondatrice et qui est valable encore aujourd'hui. L'universalité visible dans sa croissance et son expansion: «La semence modestement jetée en terre par Marie Pauline est devenue un grand arbre, l'œuvre de la Propagation de la foi. Dans le sillage de Marie Pauline Jaricot, toute l'Eglise est invitée à cet engagement concret» (Paul VI).
Lorsque le frère de Pauline, Philéas, s'engage pour recueillir les subsides en faveur des missionnaires français en Chine, elle lui écrit avec décision: «Ma vocation n'est point de donner tellement à une œuvre que j'oublie le reste...; aller là où est le plus grand besoin... une plus grande consolation pour la sainte Eglise». C'est pourquoi elle a voulu créer une collecte pour toute l'Eglise en faveur de toutes les missions.
Cette précieuse intuition universaliste de Pauline M. Jaricot s'est révélée providentielle pour les missions surtout aujourd'hui. Pie XI lui même a institué une collecte lors de la Journée missionnaire mondiale. Elle se fait dans toutes les églises catholiques lors de la Journée missionnaire mondiale. Elle se fait dans toutes les églises catholiques l'avant dernier dimanche d'octobre. Les évêques doivent transmettre la collecte tout entière au «Fonds général de solidarité» à Rome, pour qu'elle soit distribuée entièrement pour les besoins essentiels des jeunes Eglises et des missions. De même, dans cette activité, les oeuvres pontificales missionnaires donnent une aide précieuse non seulement par l'œuvre d'animation mais aussi en assurant une égale distribution à travers leur organe central qui est l'Assemblée plénière des 115 directeurs nationaux. Chaque directeur représente l'Eglise de son pays ou des pays voisins et en pré- sente à l'Assemblée les nécessités vitales et les projets relatifs. Sous le regard de tous, sont ainsi attribués les subsides pour chaque projet. Mais avant cet- te distribution collégiale et solidaire, un subside ordinaire annuel d'un montant de 35.000 dollars est envoyé à chaque circonscription missionnaire. Les circonscriptions de la compétence de la Congrégation pour l'Evangélisation des Peuples (diocèse, vicariat apostolique...) sont actuellement au nombre de 1.042 et constituent désormais 37% des circonscriptions de l'Eglise catholique. Leur développement montre le progrès de l'activité et de la maturité missionnaires mais aussi l'augmentation des subsides nécessaires. Dans les 15 dernières années le nombre de ces institutions fondamentales de l'Eglise a augmenté de plus de 160 ce qui signifie une croissance de 18%. Le subside représente le minimum vital pour leur subsistance.
Mais les besoins de la mission sont immenses. Il s'agit en grande partie des pays du Tiers Monde dans lesquels les fidèles peuvent donner peu ou rien pour soutenir les nécessités ecclésiales. Tout est à créer et à construire: églises, chapelles, séminaires, écoles, dispensaires, centres catéchistiques et pastoraux, léproseries... et l'activité évangélisatrice et apostolique est à soutenir. Le personnel de ces Eglises, dont la Congrégation pour l'Evangélisation des Peuples est responsable, est composé de 51.000 prêtres, 125.000 religieuses, plus de 400.000 catéchistes. Tous ont besoin de subsides. La formation des séminaristes, la construction et l'entretien des séminaires (grands et petits) exigent chaque année plus de 40.000.000 de dollars (environ 250.000.000 FF). L'augmentation du nombre des vocations est plutôt consolante, mais par contre exige toujours davantage de la solidarité de toute l'Eglise.
Grâce à Dieu, il existe des organismes et des institutions qui aident l'activité missionnaire particulière. Certains se limitent seulement à aider les œuvres sociales ou sanitaires, d'autres envoient des véhicules, d'autres encore ne travaillent que dans certains territoires. Beaucoup d'instituts religieux exerçant leur activité dans les missions ont leurs bienfaiteurs. Quelques paroisses, des diocèses et des associations soutiennent leurs compatriotes missionnaires, ou bien font des jumelages avec les jeunes Eglises. Certaines Conférences épiscopales ont des fonds spéciaux pour les missions. Ces initiatives sont toutes valables et utiles dans la mesure où elles n'oublient pas l'absolue nécessité de la vision globale, de l'universalité, des besoins de la mission et du rôle principal du Fonds général de solidarité des oeuvres pontificales missionnaires. Nous ne devons pas obliger les évêques des jeunes Eglises à voyager pendant plusieurs mois de l'année dans les différentes parties du monde, en abandonnant leurs devoirs pastoraux de leurs diocèses, pour recueillir les fonds nécessaires auprès des différents organismes, des conférences, des évêques et des amis, et finalement pour expérimenter une fois de plus que ceux qui sont pauvres de relations demeurent les plus pauvres parmi les pauvres.
Voici la valeur de cette simple intuition de Pauline Jaricot pour la mission aujourd'hui.
3) Nous ne pouvons pas omettre un aspect fondamental du message laissé par Pauline Marie et qui est encore essentiel aujourd'hui pour la mission: les œuvres missionnaires bien que parfaites ne peuvent pas survivre si elles ne sont pas enracinées dans la spiritualité.
Mais il est également vrai que la figure de Pauline nous est très proche et son message répond aux besoins de notre temps dans le domaine de la mission, de la coopération spirituelle et matérielle à la mission mais aussi dans le domaine de la nouvelle évangélisation. Elle peut être un modèle pour une femme jeune, dynamique, active mais aussi pour une contemplative; un exemple d'ouverture à l'œcuménisme (il faut rappeler son intérêt pour le Mouvement d'Oxford et le mouvement de prière en faveur de «nos frères séparés»), d'ouverture également à l'activité sociale en faveur des ouvriers et des pauvres et, naturellement, au monde non chrétien. Il faut la faire connaître encore davantage.
Dans une période difficile, la France a donné à l'Eglise, à la mission: Pauline Marie Jaricot, Mgr Forbin-Janson et Jeanne Bigard, avec leurs œuvres charismatiques de coopération missionnaire qui résistent depuis deux siècles environ. La France a su offrir aux continents des milliers de missionnaires. Si cette France a été appelée «pays de mission», elle ne peut pas laisser éteindre ce «feu sacré» mais doit rester «pays en mission». L'Amérique latine malgré la pauvreté de vocations laisse une ouverture missionnaire à l'enseigne du programme «donar desde su pobreza» (donner de sa pauvreté). L'Afrique elle-même organise des pôles de rayonnement missionnaire. Pourquoi la France devrait-elle perdre l'élan missionnaire qui lui est propre? «La foi s'affermit lorsqu'on la donne. La mission renouvelle l'Eglise, renforce l'identité chrétienne, donne un regain d'enthousiasme et des motivations nouvelles» (RM 2), ce sont des paroles de Jean-Paul II, bien appropriées à la France.
En effet, si l'Eglise de France vit aujourd'hui l'épreuve du manque de vocations, de la désaffection d'une bonne partie de la jeunesse et d'une certaine fatigue de ses communautés chrétiennes, coopérer à la mission universelle de l'Eglise sera pour elle une source de renouveau et de dynamisme. Plus on se montre généreux, plus le Seigneur nous comble de grâces; selon la parole de saint Paul: «Il ne s'agit point, pour soulager les autres, de vous réduire à la gêne; ce qu'il faut, c'est l'égalité. Dans le cas présent, votre superflu pourvoit à leur dénuement, pour que leur superflu pourvoit aussi à votre dénuement. Ainsi se fera l'égalité» (2 Co 8, 13-14). L'avenir de l'Eglise en France passe certainement par une ouverture toujours plus grande et généreuse à la «coopération missionnaire». Paul Claudel met sur les lèvres de l'aveugle une question qui doit nous interpeller fortement: «Vous qui voyez, que faites-vous de votre lumière?» Nous qui avons reçu gratuitement la lumière de la foi, que faisons-nous de cette foi? Eglise de France, qu'as-tu fait de ta mission? La figure et l'œuvre de Pauline Marie Jaricot sont un modèle de réponse simple, décisive et actuelle.
http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cevang/documents/rc_con_cevang_doc_19990918_tomko-jaricot_fr.html