.COMMENTAIRE SUR L'ÉPÎTRE AUX ÉPHÉSIENS.
Tome X p. 435 - 570
COMMENTAIRE SUR L'ÉPÎTRE AUX ÉPHÉSIENS. *
INTRODUCTION AUX HOMÉLIES DE SAINT J. CHRYSOSTOME SUR L'ÉPÎTRE DE SAINT PAUL AUX ÉPHÉSIENS *
PAUL, APÔTRE DE JÉSUS-CHRIST PAR LA VOLONTÉ DE DIEU, AUX SAINTS QUI SONT A ÉPHÈSE ET AUX FIDÈLES EN JÉSUS-CHRIST. GRACE A VOUS ET PAIX PAR DIEU NOTRE PÈRE, PAR LE SEIGNEUR. (1) (CHAP. l, VERS. 1-10.) *
HOMÉLIE II. EN QUI NOUS AUSSI NOUS AVONS ÉTÉ APPELÉS PAR LE SORTI AYANT ÉTÉ PRÉDESTINÉS SELON LE DÉCRET DE CELUI QUI FAIT TOUTES CHOSES SUIVANT LE CONSEIL DE SA VOLONTÉ; AFIN QUE NOUS SOYONS A LA LOUANGE DE SA GLOIRE, NOUS QUI LES PREMIERS AVONS ESPÉRÉ EN JÉSUS-CHRIST; EN QUI VOUS AUSSI, APRÈS AVOIR ENTENDU LA PAROLE DE VÉRITÉ, L'ÉVANGILE DE VOTRE SALUT; EN QUI, AYANT CRU, VOUS AVEZ ÉTÉ MARQUÉS DU SCEAU DE L'ESPRIT DE LA PROMESSE, QUI EST L'ESPRIT-SAINT, QUI EST LE GAGE DE NOTRE *
HÉRITAGE POUR LE RACHAT DE SON ACQUISITION, POUR LA LOUANGE DE SA GLOIRE. (I, 11-14.) *
HOMÉLIE III. C'EST POURQUOI, MOI AUSSI, APPRENANT QUELLE EST VOTRE FOI DANS LE SEIGNEUR JÉSUS, ET VOTRE AMOUR POUR TOUS LES SAINTS, JE NE CESSE DE RENDRE GRACES POUR VOUS, FAISANT MÉMOIRE DE VOUS DANS MES PRIÈRES ; AFIN QUE LE DIEU DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST , LE *
PÈRE DE LA GLOIRE, VOUS DONNE L'ESPRIT DE SAGESSE ET DE RÉVÉLATION, POUR LE CONNAÎTRE ; QU'IL ÉCLAIRE LES YEUX DE VOTRE COEUR, POUR QUE VOUS SACHIEZ QUELLE EST L'ESPÉRANCE A LAQUELLE IL VOUS A APPELÉS, QUELLES SONT LES RICHESSES DE GLOIRE DE L'HÉRITAGE DESTINÉ AUX SAINTS ; ET QUELLE EST LA GRANDEUR SURÉMINENTE DE SA VERTU EN NOUS, QUI CROYONS, SELON L'OPÉRATION DE LA PUISSANCE DE SA VERTU , QU'IL A EXERCÉE DANS LE CHRIST, LE RESSUSCITANT D'ENTRE LES MORTS. (I , 45, 20, JUSQU'À LA FIN DU CHAP.) *
HOMÉLIE IV. ET VOUS, LORSQUE VOUS ÉTIEZ MORTS PAR VOS OFFENSES ET PAR VOS PÉCHÉS, DANS LESQUELS AUTREFOIS VOUS AVEZ MARCHÉ, SELON LA COUTUME DE CE MONDE, SELON LE PRINCE DES PUISSANCES DE L'AIR, DE L'ESPRIT QUI AGIT EFFICACEMENT A CETTE HEURE SUR LES FILS DE LA DÉFIANCE, PARMI LESQUELS NOUS TOUS AUSSI NOUS AVONS VÉCU, SELON NOS DÉSIRS CHARNELS, FAISANT LA VOLONTÉ DE LA CHAIR ET DE NOS PENSÉES; ET NOUS ÉTIONS PAR NATURE ENFANTS DE *
COLÈRE COMME TOUS LES AUTRES. (II, 1-3 JUSQU'À 10.) *
HOMÉLIE V. C'EST POURQUOI SOUVENEZ-VOUS QU'AUTREFOIS, VOUS GENTILS SELON LA CHAIR, VOUS ÉTIEZ APPELÉS INCIRCONCISION, A CAUSE DE LA CIRCONCISION FAITE DE MAIN L'HOMME DANS LA CHAIR; PARCE QUE VOUS ÉTIEZ EN CE TEMPS-LA SANS CHRIST , SÉPARÉS DE LA SOCIÉTÉ D'ISRAEL , ÉTRANGERS Aux ALLIANCES DE LA PROMESSSE, N'AYANT PAS D'ESPÉRANCE, ET SANS DIEU EN CE MONDE. (II, 11, 12 JUSQU'A 16.) *
HOMÉLIE VI. ET, VENANT, IL A ANNONCÉ LA PAIX, ET A VOUS QUI ÉTIEZ LOIN, ET A CEUX QUI ÉTAIENT PRÉS ; PARCE QUE C'EST PAR LUI QUE NOUS AVONS INTRODUCTION LES UNS ET LES AUTRES, DANS UN SEUL ESPRIT, AUPRÈS DU PÈRE. VOUS N'ÊTES DONC PLUS DES HÔTES ET DES ÉTRANGERS, MAIS DES CONCITOYENS DE SAINTS, ET DE LA MAISON DE DIEU, BATIS SUR LE FONDEMENT DES APÔTRES ET DES PROPHÈTES, LE CHRIST JÉSUS ÉTANT LUI-MÊME PIERRE ANGULAIRE ; SUR LEQUEL TOUT L'ÉDIFICE CONSTRUIT S'ÉLÈVE COMME UN TEMPLE SACRÉ DANS LE SEIGNEUR; SANS LEQUEL VOUS ÊTES BATIS VOUS-MÊMES POUR ÉTRE UNE DEMEURE DE DIEU PAR L'ESPRIT. (11, 17-22 JUSQU'A III, 8.) *
HOMÉLIE VII. A MOI, LE MOINDRE DES SAINTS, A ÉTÉ DONNÉE CETTE GRACE D'ANNONCER PARMI LES GENTILS LES RICHESSES INCOMPRÉHENSIBLES DU CHRIST, ET D'ÉCLAIRER TOUS LES HOMMES TOUCHANT LA DISPENSATION DU MYSTÈRE CACHÉ, DÈS L'ORIGINE DES SIÈCLES, EN DIEU QUI A CRÉÉ TOUTES CHOSES PAR JÉSUS-CHRIST ; AFIN QUE LES PRINCIPAUTÉS ET LES PUISSANCES, QUI SONT DANS *
LES CIEUX CONNUSSENT PAR L'ÉGLISE LA SAGESSE MULTIFORME DE DIEU, SELON LE DÉCRET ÉTERNEL QU'IL A ACCOMPLI DANS LE CHRIST JÉSUS NOTRE-SEIGNEUR. (III, 8-11 JUSQU'A LA FIN DU CHAP.) *
HOMÉLIE VIII. JE VOUS CONJURE DONC, MOI CHARGÉ DE LIENS POUR LE SEIGNEUR, DE MARCHER D'UNE MANIÈRE DIGNE DE LA VOCATION A LAQUELLE VOUS AVEZ ÉTÉ APPELÉS AVEC TOUTE HUMILITÉ ET TOUTE MANSUÉTUDE. (IV, 1) *
HOMÉLIE IX (1). JE VOUS CONJURE DONC, MOI, CHARGÉ DE LIENS POUR LE SEIGNEUR, DE MARCHER D'UNE MANIÈRE DIGNE DE LA VOCATION A LAQUELLE VOUS AVEZ ÉTÉ APPELÉS, AVEC TOUTE HUMILITÉ ET TOLITE MANSUÉTUDE, AVEC TOUTE PATIENCE, VOUS SUPPORTANT MUTUELLEMENT EN CHARITÉ; *
APPLIQUÉS A CONSERVER L'UNITÉ D'ESPRIT PAR LE LIEN DE LA PAIX. (IV, 1-3.) *
HOMÉLIE X. SOYEZ UN SEUL CORPS ET UN SEUL ESPRIT COMME VOUS AVEZ ÉTÉ APPELÉS A UNE SEULE ESPÉRAINCE DANS VOTRE VOCATION. (IV, 4.) *
HOMÉLIE XI. SOYEZ UN SEUL CORPS ET UN SEUL ESPRIT, COMME VOUS AVEZ ÉTÉ APPELÉS A UNE SEULE ESPÉRANCE DANS VOTRE VOCATION. IL Y A UN SEUL SEIGNEUR, UNE SEULE FOI, UN SEUL BAPTÊME, UN SEUL DIEU ET PÈRE DE TOUS, QUI EST AU-DESSUS DE TOUS, ET AU *
MILIEU DE TOUTES CHOSES, ET EN NOUS TOUS. OR, A CHACUN DE NOUS A ÉTÉ DONNÉE LA GRACE, SELON LA MESURE DU DON DE JÉSUS-CHRIST. (IV, 4-7, JUSQU'A 16.) *
HOMÉLIE XII. JE VOUS DIS DONC ET JE VOUS CONJURE PAR LE SEIGNEUR,
DE NE PLUS MARCHER COMME LES GENTILS QUI MARCHENT DANS LA VANITÉ
DE LEURS PENSÉES, QUI ONT L'INTELLIGENCE OBSCURCIE DE TÉNÈBRES.
(IV, 17.) *
INTRODUCTION AUX HOMÉLIES DE SAINT J. CHRYSOSTOME SUR L'ÉPÎTRE
DE SAINT PAUL AUX ÉPHÉSIENS
Parmi les plus distingués des écrits de notre Père
qui concernent saint Paul, il faut compter les Homélies sur l'épître
aux Ephésiens : tant à cause de l'abondance et de l'exactitude
du commentaire qu'à cause de l'importance des matières qui
y sont traitées.
En tête, se trouve un préambule concernant la ville d'Ephèse, illustrée précédemment par le séjour de saint Jean l'évangéliste et par celui de Timothée. Ephèse était renommée dans l'antiquité païenne pour le culte qu'elle rendait à Diane, et aussi pour ses écoles de philosophie, dont quelques-unes paraissent avoir subsisté encore au temps de saint Jean Chrysostome.
Ces Homélies ont-elles été prononcées à Antioche ou à Constantinople ? Tillemont penche pour Antioche : en effet, dans sa onzième Homélie, le saint Orateur s'élève avec chaleur contre les auteurs d'un schisme qui divisait alors son église : or, cela ne peut s'appliquer à l'église de Constantinople. Sans doute il est question ici du schisme Eustathieu, qui subsistait encore à Antioche : il sera bon d'en toucher, ici même, quelques mots.
Eustathe, évêque d'Antioche, homme d'une conduite et d'une orthodoxie irréprochables , et par là même en horreur aux Ariens, fut exilé, par leur influence, vers l'an 330, et remplacé par un évêque arien, auquel succédèrent plusieurs hérétiques de la même secte : les Eustathiens, de leur côté, continuant à pratiquer le culte séparément. Enfin, les Ariens nommèrent évêque, Mélèce, qu'ils croyaient de leur secte. Bientôt ils reconnurent qu'ils s'étaient trompés. Ils exilèrent alors cet évêque, et le remplacèrent par un arien, Euzoïus. Il y eut alors trois partis dans Antioche : celui d'Eustathe, celui de Mélèce, et celui des Ariens. Bientôt, malgré les réclamations d'Athanase et d'autres évêques, Paulin, du parti d'Eustathe, fut ordonné évêque: de sorte qu'Antioche compta dans son sein jusqu'à trois évêques, Mélèce, Paulin et Euzoïus. Par la suite les Ariens s'affaiblissent ; Mélèce et Paulin conservent seuls le titre d'évêques ; mais le schisme n'en continua pas moins au milieu de divisions et de querelles sans nombre. Voilà les désordres auxquels saint Jean Chrysostome fait évidemment allusion : et l'on ne peut douter qu'il n'ait en vue l'église d'Antioche.
Autre indice non moins significatif : il célèbre en plusieurs endroits les vertus des anachorètes retirés sur les montagnes. On ne trouve rien de pareil dans les Homélies prononcées à Constantinople. Loin de là, elles sont pleines de censures dirigées contre les vices des moines qui habitaient aux en virons de Constantinople, et contre leur oubli des anciennes maximes : sans compter que saint Jean Chrysostome n'indique nulle part, sauf erreur, que ces moines aient habité les montagnes. Ici, au contraire, son langage est tout différent : il suffira de rappeler la vingt-et-unième Homélie, et l'éloge (436) qu'il y fait d'un certain moine Julien, qualifié par lui d'admirable, et dont la sainteté paraît avoir été populaire dans la ville où parlait notre Orateur.
De plus, nous retrouvons ici les mêmes censures que dans beaucoup d'Homélies prononcées à Antioche, concernant certains vestiges subsistants d'idolâtrie : comme enchantements, croyance à la fatalité, à la métempsycose, négation de la Providence; anthropomorphisme; foi aux augures et aux présages.
Dans la vingtième Homélie, il s'élève avec force contre le faste et le luxe des habitants d'Antioche dont plusieurs misérables parvenus sortaient avec leurs femmes en grand équipage et entourés d'un imposant cortège. Il blâme aussi sévèrement ceux qui mêlent aux mariages des réjouissances indignes de chrétiens; comme des danses ou des chansons obscènes. Les femmes ne- sont pas davantage épargnées; leur conduite envers leurs servantes est l'objet de vives censures. Enfin, à côté du luxe, l'avarice est aussi traitée comme elle mérite de l'être..
Dans la huitième Homélie, qui est la plus longue de toutes, se trouve une mention intéressante du cachot et des chaînes de saint Paul, ainsi que des miracles opérés par les reliques de ce saint. Dans l'Homélie suivante il est question da martyre de saint Babylas, qui voulut être enseveli avec ses chaînes. Dans la dixième, on rencontre une allusion importante aux images qui se trouvaient alors dans les églises. Joignons à cela plusieurs discussions contre divers hérétiques, nommément, Marcion, Manès, Valentin, les Cathares, les Ariens; et nous aurons indiqué les principaux renseignements contenus, dans ces Homélies touchant l'histoire de l'Église. Les sommaires feront connaître les points de doctrine qui y sont traités.
PAUL, APÔTRE DE JÉSUS-CHRIST PAR LA VOLONTÉ DE DIEU,
AUX SAINTS QUI SONT A ÉPHÈSE ET AUX FIDÈLES EN JÉSUS-CHRIST.
GRACE A VOUS ET PAIX PAR DIEU NOTRE PÈRE, PAR LE SEIGNEUR. (1) (CHAP.
l, VERS. 1-10.)
1 et 2. Que la grâce et tes oeuvres sont pareillement nécessaires
pour le salut.
3 et 4. Que le Fils n'est point simplement le ministre du Père (2).
Analyse.
1. Voilà le mot " Par " employé en parlant du Père. Eh bien ! dirons-nous qu'il est inférieur ? Nullement. " Aux saints qui sont à Ephèse et aux fidèles en Jésus-Christ". Voici qu'il appelle saints des hommes qui ont enfants, femmes, serviteurs. Qu'il leur applique, en effet, ce nom, c'est ce qui résulte de la fin de l'épître, par exemple quand il dit: et Femmes, soyez soumises à vos maris " ; et encore : " Enfants , obéissez à vos pères " ; et aussi : " Serviteurs, obéissez à vos maîtres". Considérons quel relâchement est le nôtre, combien la vertu est devenue chose rare de nos jours, et combien alors elle était commune, puisque les mondains mêmes étaient appelés saints et fidèles. "Grâce à vous et paix par Dieu notre père, et par le Seigneur Jésus-Christ ". Il a dit "Grâce" et il a nommé Dieu " Père" c'est, en effet, le gage de la grâce dont il parle. Comment cela ? Ecoutez ce qu'il dit ailleurs " Parce que vous êtes fils, Dieu a envoyé dans vos coeurs l'Esprit de son Fils, criant : Abba, Père ! " (Gal. IV. 6.) " Et par le Seigneur Jésus-Christ ". C'est pour nous que le Christ est né, pour nous qu'il s'est fait voir en chair.
" Béni le Dieu et Père de Notre-Seigneur " Jésus-Christ (3) ". Oui, Père de l'Incarné ; ou si vous ne le voulez pas, Père , au moins,
1. Pour la traduction des textes de cette difficile Épître nous avons suivi presque partout l'excellente traduction de M. l'abbé Glaire (Paris; Jouby, 1861).
2. Saint Jean Chrysostome ouche nécessairement à une foule de points dans ce commentaire continu : nous nous bornerons pour celles de ces homélies qui n'offrent pas une véritable unité, à faire connaître dans le sommaire les plus intéressants des points traités par l'orateur, ou ceux sur lesquels il insiste particulièrement.
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du Dieu Verbe. " Qui nous a bénis de toute bénédiction spirituelle, des dons célestes dans le Christ ". Il fait allusion ici à la bénédiction judaïque, qui était bien une bénédiction, mais non une bénédiction spirituelle. Quels en étaient les termes, en effet ? " Que Dieu te bénisse; il bénira les fruits de tes entrailles ; il bénira ton entrée et ta sortie ". (Nombres, VI ; Deut. VII, 13.) Ici ce n'est pas la même chose : de quoi s'agit-il ? de toute bénédiction spirituelle. En effet, que vous manque-t-il encore ? Vous êtes désormais immortel , libre, fils, juste, frère, cohéritier; vous avez part à la royauté et aux hommages ; tout vous a été octroyé. " Comment, avec lui ", est-il écrit, " ne nous donnerait-il pas aussi toutes choses?" (Rom. VIII, 32.) Vos prémices sont adorées par des anges, des chérubins, des séraphins. Que vous manque-t-il encore ? " De toute bénédiction spirituelle ". Rien de charnel ici. S'il nous a ôté les choses de ce genre par ces paroles . " Vous aurez tribulation dans le monde " (Jean, XVI, 33), c'est parce qu'il nous a conviés à d'autres. Car ainsi que ceux qui possédaient les biens de la chair, étaient incapables d'entendre le langage de l'Esprit ; de même ceux qui possèdent les dons de l'Esprit, n'ont pu les recevoir avant de s'être détachés des choses charnelles. Qu'est-ce à dire : " Des dons célestes ?" Entendez qu'il ne s'agit pas de biens terrestres, comme chez les Juifs: " Vous mangerez les biens de la terre. Sur une terre où coulent le lait et le miel. Dieu bénira ta terre". (Is. I, 19; Exod. XXXIII, 3; Ps. LXXXIV , 13.) Ici , rien de pareil : mais quoi donc ? " Celui qui m'aime gardera mes commandements, et moi et le Père nous viendrons vers lui, et nous ferons notre demeure en lui. (Jean, XIV, 23.) Celui qui entend les paroles que je dis , et les accomplit, sera assimilé à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre ; et les vents ont soufflé, et les fleuves sont venus, et ils ont fondu sur cette maison ; et elle n'est pas tombée : car elle était fondée sur la pierre ". Qu'est-ce que cette pierre, sinon les choses célestes , qui sont supérieures à tous les changements? " Celui qui m'aura confessé devant les hommes, moi aussi, je le confesserai devant mon Père qui est dans les cieux ; mais celui qui me reniera je le renierai" ; et encore : " Bienheureux ceux dont le cur est pur, parce qu'ils verront Dieu " ; et encore: " Bienheureux les pauvres d'esprit, parce que le royaume des cieux leur appartient " ; et aussi : " Bienheureux vous êtes, vous qui avez été persécutés pour la justice, parce que votre salaire est grand dans les cieux ". Voyez-vous les cieux partout, la terre nulle part, pas plus que les choses terrestres ? Et ailleurs : " Pour nous, notre vie est dans les cieux : c'est de là aussi que nous attendons le Sauveur, notre Seigneur Jésus ". (Philip. III, 20.) Enfin : " Ne songeant pas aux choses de la terre, mais à celles du ciel ".
" En Jésus-Christ ". C'est par Jésus-Christ et non par Moïse que s'est opérée cette bénédiction. Ce n'est pas seulement la nature de la bénédiction qui fait notre supériorité, c'est encore le médiateur qui nous l'a procurée. C'est ainsi qu'on lit dans l'épître aux Hébreux : " Moïse, à la vérité, a été fidèle dans toute la maison de Dieu comme serviteur, pour rendre témoignage de tout ce qu'il devait dire; mais le Christ est comme fils dans sa maison; et cette maison, c'est nous".. (Héb. III, 5, 6.) " Comme il nous a élus en lui avant la fondation du monde, afin que nous fussions saints et sans tache en sa présence (4) ". Voici le sens de cette parole : " Il nous a élus par le " médiateur, par lequel il nous a bénis". C'est donc lui qui nous donnera toutes ces choses, lui qui est le juge, lui qui dira : " Venez, les bénis de mon père; possédez le royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde ". (Matth. XXV, 34.) Et encore : " Là où je suis, je veux que ceux-ci soient également ". (Jean, XVII, 24.)
2. De même, dans presque toutes ses épîtres, il s'attache à montrer qu'il n'y a pas d'innovation en ce qui nous touche, que tout cela provient d'un antique dessein, et non d'un repentir, que la Providence en avait statué et décidé ainsi : et c'est la marque d'une grande sollicitude. Qu'est-ce à dire: " A élus en lui? " Par sa foi en lui le Christ a opéré ce bienfait avant notre naissance ou plutôt avant la fondation du monde. Ce mot de fondation, qui suppose abaissement, est bien placé ici. En effet, la sublimité de Dieu est grande, ineffable, non par la distance, mais par la supériorité de nature; et l'intervalle est immense entre la créature et le créateur. Rougissez, hérétiques; en entendant ces mots. Mais pourquoi nous a-t-il élus? " Afin que nous fussions saints et (440) sans tache en sa présence ". Pour que ce mot " Élus " ne vous fasse pas croire que la foi suffit à elle seule, il ajoute à cela les uvres S'il nous a choisis, dit-il, c'est pour cela, c'est dans cette vue, que nous soyons saints et sans tache. II a élu aussi les Juifs autrefois. Comment? " Il a élu ", est-il écrit, " ce peuple "entre les nations ". (Dent. VII, 6, et XIV, 2.) Mais si les hommes, admis à choisir, choisissent ce qu'il y a de meilleur, à plus forte raison Dieu.
Avoir été élus, c'est à la fois une marque de la bonté de Dieu et de leur mérité à eux : car certainement il ne les a choisis qu'après les avoir éprouvés. Il nous a fait saints, mais il faut rester saints. Saint est celui qui a part à la foi; sans tache, celui dont la vie est irréprochable. Cependant la sainteté et l'innocence ne sont pas les seules choses requises : il faut encore se montrer saints et sans tache en sa présence. Il y a des hommes prétendus saints et sans tache, que les hommes jugent tels, ceux qui ressemblent à des sépulcres blanchis, ceux qui sont; pour ainsi dire, couverts de peaux de brebis. Ce ne sont pas ceux-là que Dieu cherche., mais ceux que définit le prophète, en disant : " Et selon la a pureté de mes mains ". Quelle pureté? Il s'agit de la sainteté qui est telle en présence de Dieu, de celle que l'il de Dieu voit. Il a dit les bonnes oeuvres; il revient maintenant à la grâce, en ajoutant : " Dans la charité , nous ayant prédestinés ". En effet, ce n'est pas là un effet des bonnes oeuvres ni de l'effort, mais de la charité; et pas seulement de la charité, mais encore de notre vertu. Si c'était un simple effet de la charité, il faudrait que tous fussent sauvés : si c'était, au contraire, un effet de notre seule vertu, la venue du Christ et toutes les circonstances de l'incarnation seraient choses inutiles. Mais ce n'est ni l'effet de la charité seule, ni celui de notre vertu seule, c'est un effet de ces deux choses réunies. Il nous a élus : mais celui qui élit sait ce qu'il élit. " Dans la charité, nous ayant prédestinés (5)". La vérité n'aurait sauvé personne, si la charité n'existait pas. Car, dites-moi, qu'est-ce que Paul aurait fait ou gagné, si Dieu ne l'avait appelé d'en-haut, et attiré à 1'ni par amour? D'ailleurs, la magnificence des rétributions ne s'explique que par la charité et non par notre vertu, à nous. Avoir été vertueux, avoir cru, être venu à Dieu, cela vient de celui qui nous a appelés et aussi de nous : mais récompenser si magnifiquement ceux qui sont venus à lui, que l'ennemi devienne aussitôt fils adoptif, c'est vraiment la marque d'une ineffable charité. "Dans la charité, nous ayant prédestinés à l'adoption par Jésus-Christ en lui ". Voyez-vous comment rien sans le Christ, rien sans le Père? L'un a prédestiné, l'autre a amené. Et il met cela pour exalter ce qui s'est passé, de même qu'il dit ailleurs : " Non-seulement cela , mais nous nous glorifions encore par Notre-Seigneur Jésus-Christ ". (Rom. V, 11.) Grands sont les présents, mais ce qui les rend plus grands encore, c'est qu'ils sont dus à la médiation du Christ Dieu n'a pas envoyé à ses serviteurs un de ses serviteurs, mais son Fils unique lui-même. " Selon le dessein de sa volonté ". C'est-à-dire, à cause de sa volonté bien arrêtée. Voilà son désir, si l'on peut ainsi parler : car partout le dessein est la volonté primitive. il y a, en effet, une autre volonté. La volonté première est que nous ne nous perdions pas en péchant; la volonté seconde est que ceux qui sont devenus méchants périssent : car ce n'est pas une nécessité qui les châtie, mais une volonté. On peut retrouver la même chose chez Paul lui-même, lorsqu'il dit, par exemple : " Je désire que tous les hommes soient comme moi-même " ; et ailleurs : " Je désire que les jeunes se marient., aient des enfants ". Par " Dessein ", il faut donc entendre la première volonté, la volonté forte, la volonté accompagnée de désirs, la persuasion : je n'hésite pas à me servir de cette expression vulgaire, afin de rendre la chose plus claire pour les simples; puisque, quand nous voulons marquer une volonté forte, nous employons ce terme : " Persuasion ". Le sens du texte, le voici : il désire vivement, fortement notre salut. Pourquoi donc nous aime-t-il à ce point, et quelle est la raison de cette tendresse? C'est sa bonté seule, car la grâce procède de la bonté. De là cette expression : " Nous ayant prédestinés à l'adoption " ; le voulant d'une volonté forte, afin de faire éclater la gloire de sa grâce. " Selon le dessein de sa volonté, pour la louange de la gloire de sa grâce dont il nous a gratifiés par son bien-aimé (6) " ; pour faire éclater la gloire de sa grâce, dont il nous a gratifiés par son bien-aimé.
3. Donc, si c'est pour cela qu'il nous a gratifiés, à savoir pour la louange de la gloire de (441) sa grâce, et pour montrer sa grâce, restons dans la grâce. " Pour la louange de sa gloire". Qu'est-ce à dire ? Pour qu'on le loue ? pour qu'on le glorifie ? nous, les anges, les archanges, toutes les créatures ? Et à quoi bon? A rien, car rien ne manque à Dieu. Pourquoi donc veut-il être loué et glorifié par nous? C'est afin que notre amour pour lui devienne plus ardent. Il ne désire rien de nous, si ce n'est notre salut; ni service, ni gloire, ni quoi que ce soit; en toutes choses, c'est notre salut seul qu'il a en vue. Celui qui loue et admire la grâce qui lui a été faite, celui-là deviendra plus fervent, plus zélé. " Dont il nous a gratifiés ", et non pas : Qu'il nous a octroyée; c'est-à-dire, que non-seulement il nous a déchargés de nos péchés, mais qu'il nous a encore rendus aimables. Supposez que, trouvant un lépreux affaibli par la maladie, la vieillesse, la misère, la faim, on en fasse aussitôt un charmant jeune homme , qui éclipse tout le monde par sa beauté, dont les joues brillent d'un vif incarnat, dont les regards effacent l'éclat des rayons du soleil; qu'on le ramène à la fleur de l'âge, qu'on le pare d'une robe de pourpre, d'un diadème et de tous les ornements royaux. Eh bien ! c'est ainsi que Dieu a embelli notre âme, qu'il l'a rendue charmante, séduisante, aimable. Elle est telle que les anges, les archanges, toutes les autres puissances aiment à la contempler, tant il nous a faits charmants et dignes de son amour. " Le roi ", est-il écrit, " désirera ta beauté ". (Ps. XLIV, 12.) Notre langage, autrefois funeste, est devenu plein de grâce. Nous n'admirons pas la richesse, les biens d'ici-bas, mais seulement les trésors d'en-haut , les choses du ciel. N'appelons-nous pas gracieux le jeune homme qui, aux avantagés du corps joint un grand charme de paroles? Tels sont les fidèles. Voyez comment parlent les initiés. Quoi de plus gracieux qu'une bouche qui profère des paroles sublimes, qui prend part, dans la pureté du coeur et des lèvres, à cet admirable banquet mystique, avec gloire, avec confiance? Quoi de plus gracieux que les paroles par lesquelles nous renonçons au diable, par lesquelles nous nous rangeons sous l'étendard du Christ? que cette confession qui précède le baptême, que celle qui la suit? Songeons combien nous sommes qui avons perdu la grâce du baptême, et gémissons afin de pouvoir la reconquérir.
" Par son bien-aimé, en qui nous avons la rédemption par son sang (7) ". Comment cela? Ce qu'il y a d'admirable, ce n'est pas seulement que Dieu ait donné son Fils, c'est encore qu'il l'ait donné de telle sorte que ce bien-aimé fût égorgé. Etrange excès : il donne le bien-aimé pour ceux qui étaient haïs. Voyez pour combien il nous compte. S'il a été jusqu'à nous donner son bien-aimé quand nous le haïssions et que nous étions ses ennemis, que ne fera-t-il pas, quand la grâce nous aura réconciliés avec lui ? " Et la rémission des péchés ". Il redescend du ciel sur la terre. Il a commencé par parler d'adoption, de sanctification, d'hommes sans tache, et voici qu'il arrive à nos infirmités; ce n'est pas à dire qu'il s'abaisse, ni qu'il passe du grand au petit, il remonte au contraire du petit au grand. Car il n'est rien d'aussi grand que l'effusion du sang de Dieu pour nous; l'adoption et les autres bienfaits n'égalent pas ce sacrifice de son propre fils. C'est une grande chose que d'être déchargé de ses péchés; mais que cela s'opère par le sang du Seigneur, voilà ce qui est grand surtout. La preuve que ceci surpasse de beaucoup tout le reste, elle est dans ce que Paul proclame ici même : " Selon les richesses de sa grâce qui a surabondé en nous (8) ". II y a d'autres richesses, mais les plus véritables sont celles-ci : " Qui a surabondé en nous ". C'est une richesse, et elle a surabondé, c'est-à-dire a été prodiguée à un degré ineffable. On ne saurait exprimer par des paroles ces choses que l'expérience nous a fait connaître. C'est bien une richesse, une richesse qui surabonde, une richesse non des hommes, mais de Dieu, de sorte qu'on ne saurait l'exprimer par aucune parole. Puis montrant comment Dieu nous a fait ce don avec surabondance, il ajoute : " En toute sagesse et toute intelligence, pour nous faire connaître le mystère de sa volonté (9) ", c'est-à-dire, pour nous rendre sages et intelligents de la vraie sagesse, de la vraie intelligence.
4. Quelle amitié ! il nous dit ses mystères. " De sa volonté ", dit-il; il nous révèle, pour ainsi dire, ce qui est dans son coeur. Voilà le grand mystère de sagesse et d'intelligence. Que pourriez-vous égaler à une pareille sagesse ? D'indignes créatures, il trouve moyen de les élever à la richesse. Quelle industrie pareille? L'ennemi, celui qui était haï, le voilà tout à coup porté là-haut. Et ce n'est pas (442) seulement cela, c'est le temps aussi, c'est l'instrument, à savoir la croix, qui marque la sagesse divine. Il serait trop long de montrer ici comment la sagesse éclate en cela, et par là nous fut inspirée. De là ce qui suit : " Selon le bienveillant dessein qu'il avait préconçu en lui-même". En d'autres termes, ce qu'il désirait, ce dont il brûlait, c'était de pouvoir nous révéler le mystère. Quel mystère? qu'il veut faire siéger l'homme là-haut. Or cela arriva : " Pour la dispensation de la plénitude des temps, pour restaurer dans le Christ tout ce qui est dans les cieux, et tout ce qui est sur la terre en lui-même (10) ". Les choses célestes étaient séparées des choses terrestres, elles n'avaient point le même chef. Au point de vue de la création il n'y avait qu'un seul Dieu : mais au point de vue du culte il n'en était pas encore de même, attendu la diffusion de l'erreur païenne, qui avait écarté les gentils de l'obéissance à Dieu. " Pour la dispensation et la plénitude des temps ". C'est ce qu'il veut faire entendre par " La plénitude des temps ". Remarquez la justesse des expressions : il a rapporté au Père l'origine, le projet, la volonté, le premier mouvement; à la médiation du Fils, l'accomplissement, la réalisation, mais nulle part il n'appelle ministre le Fils. " Il nous a élus ", dit-il, "en lui. Nous ayant prédestinés à l'adoption par Jésus-Christ pour lui et pour la louange et la gloire de sa grâce. En qui nous avons la rédemption par son sang. Laquelle il avait préconçue en lui pour la dispensation de la plénitude des temps, afin de restaurer tout " dans le Christ ". Et nulle part il n'appelle le Fils ministre. Que si ces mots " Dans " et " Par " indiquent un ministre, voyez la conséquence. Tout au commencement de son épître, il nous dit : " Par la volonté. du Père ". Le Père a voulu, le Fils a opéré. Mais il ne faut pas dire que parce que le Père a voulu, le Fils est exclu de l'opération; ni que, parce que le Fils a opéré, la volonté a été retirée au Père : tout est commun entre le Père et le Fils : " Tout ce qui est à moi est à toi, et tout ce qui est à toi est à moi (1) ". (Jean, XVII, 10.) La plénitude des temps, c'était sa venue.
2 Cette discussion est dirigée contre les Ariens et autres hérétiques.
Comme il avait tout fait au moyen des, anges, des prophètes de la loi, et que cela n'avait servi de rien , et qu'il était à craindre que l'homme ne fût né, n'eût été produit en vain, ou plutôt, pour son malheur, dans cette ruine générale, plus épouvantable que, celle du déluge, Dieu trouva cette dispensation au moyen de la grâce, pour que l'homme ne fût pas inutilement venu au monde. Voilà ce qu'il appelle " Plénitude des temps ", et " Sagesse ". Comment? Parce que c'est justement quand les hommes devaient périr, qu'ils furent sauvés. " Pour restaurer ". Qu'est-ce à dire, " Restaurer? " Cela signifie réunir. Mais hâtons-nous d'approcher de la vérité même. Chez nous et dans l'usage, le mot employé par Paul signifie abréger, résumer de longs développements (1). Ici, c'est la même chose : il a résumé, abrégé en lui tous les actes de sa Providence durant un long temps. Consommant la parole, et la résumant en justice, il a tout embrassé, et y a encore ajouté. Voilà le sens de cette expression : mais elle indique encore autre chose. Quoi donc? C'est que Dieu a imposé un même chef (2) à tous, anges et hommes, le Christ incarné : il a soumis anges et hommes au même Christ; il lui a soumis ceux-là, parce qu'il est le Dieu Verbe, ceux-ci, parce qu'il est le Verbe incarné. Ainsi qu'on peut dire en parlant d'une maison en partie solide, en partie délabrée : un tel a réparé sa, maison, c'est-à-dire l'a rendue plus solide, l'a assise sur un fondement plus ferme : de même ici Dieu a tout soumis à un même chef. Ainsi donc, comblé de tant de dons, d'honneurs, de bontés, ne faisons point honte à notre bienfaiteur, ne rendons pas tant de grâces inutiles, montrons une vie, une vertu, une conduite digne des anges : oui, je vous en prie, je vous en conjure, afin que toutes ces choses ne deviennent point des griefs ni des motifs de condamnation contre nous, mais nous procurent la jouissance des biens auxquels puissions-nous tous parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec qui au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
1 Nous n'avons pas de mot équivalent en français au grec anakephlaiosasthai que nous avons rendu par un mot emprunté aux traductions les plus autorisées de l'Evangile.
2 Kephale. Même observation que plus haut.
HOMÉLIE II. EN QUI NOUS AUSSI NOUS AVONS ÉTÉ APPELÉS
PAR LE SORTI AYANT ÉTÉ PRÉDESTINÉS SELON LE
DÉCRET DE CELUI QUI FAIT TOUTES CHOSES SUIVANT LE CONSEIL DE SA
VOLONTÉ; AFIN QUE NOUS SOYONS A LA LOUANGE DE SA GLOIRE, NOUS QUI
LES PREMIERS AVONS ESPÉRÉ EN JÉSUS-CHRIST; EN QUI
VOUS AUSSI, APRÈS AVOIR ENTENDU LA PAROLE DE VÉRITÉ,
L'ÉVANGILE DE VOTRE SALUT; EN QUI, AYANT CRU, VOUS AVEZ ÉTÉ
MARQUÉS DU SCEAU DE L'ESPRIT DE LA PROMESSE, QUI EST L'ESPRIT-SAINT,
QUI EST LE GAGE DE NOTRE HÉRITAGE POUR LE RACHAT DE SON ACQUISITION,
POUR LA LOUANGE DE SA GLOIRE. (I, 11-14.)
Analyse.
1 et 2. De la prédestination.
3 et 4. Que nous ne sommes jamais contraints de pécher.
1. Partout Paul s'est efforcé de montrer l'ineffable bonté de Dieu pour nous, autant qu'il lui a été possible. En effet, qu'il était impossible d'en tracer une parfaite image, c'est ce qu'il reconnaît lui-même en disant : " O profondeur du trésor et de la sagesse et de la science de Dieu ! que ses jugements sont "impénétrables, et ses voies impossibles à suivre! " Du moins il la fait éclater autant qu'il est possible. Que signifie donc ceci : " En qui nous aussi nous avons été appelés par le sort ". Il a dit plus haut : " Il nous a élus ". Il dit ici : Nous avons été appelés par le sort. Mais le sort est l'effet du hasard, non du choix ni du mérite : c'est chose aveugle et fortuite qui souvent laisse de côte les hommes vertueux pour mettre en lumière ceux qui ne valent rien. Aussi voyez comment il se reprend: " Ayant été prédestinés selon le décret de celui qui fait toutes choses ". C'est-à-dire: Ce n'est pas au hasard que nous avons été tirés au sort ni élus : car c'est Dieu qui nous a élus, et c'est Dieu qui nous a. tirés au sort. Il y a eu un dessein. C'est ainsi qu'il dit encore dans l'épître aux Romains : " A ceux qui sont appelés selon le dessein ". Ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés ; et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés. Après avoir commencé par dire : " A ceux qui sont appelés selon le dessein ", voulant montrer en même temps quelle est leur supériorité sur les autres, il parle de tirage au sort, afin de ne pas supprimer le libre arbitre. Il fait donc figurer ce qui caractérise plus particulièrement le bonheur. En effet, les faveurs du sort ne sont pas dues au mérite, mais, pour ainsi parler, à une simple rencontre. C'est comme s'il disait: Après un tirage au sort il nous a élus. En somme, après que nous avons été prédestinés par son libre arbitre, en d'autres termes, après qu'il nous eut élus pour lui-même, il nous a mis à part : par exemple, il nous voyait avant que le sort nous eût désignés. Car la prescience de Dieu est merveilleuse, et connaît toutes choses avant leur naissance.
Mais vous, considérez comment partout il s'applique à montrer que ce n'est pas par suite d'un repentir, mais dès l'origine, que les choses avaient été disposées de la sorte, de façon que vous n'avez en cela aucun désavantage à l'égard des Juifs, et par cette raison il fait tout pour cela. Comment donc le Christ lui-même dit-il : " Je n'ai pas été envoyé, sinon vers les brebis perdues de la maison d'Israël? " (Matth. XV, 24.) Et ailleurs il dit à ses disciples : " N'allez pas sur le chemin des nations, et n'entrez pas dans la ville des Samaritains ". (Matth. x, 5.) Et le même Paul dit encore : " Il était nécessaire que la parole de Dieu vous fût dite en premier lieu; mais (444) puisque vous l'avez repoussée et que vous ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, voici que nous nous tournons vers les gentils ". (Act. III, 46.) Si l'Écriture s'exprime ainsi, c'est pour qu'on ne croie pas que cela n'était pas dans les desseins de Dieu. " Selon le décret de celui qui fait toutes choses suivant le conseil de sa volonté ". C'est-à-dire qu'il n'a rien fait postérieurement, qu'il avait tout disposé dès l'origine. C'est ainsi qu'il conduit les choses à terme suivant le dessein de sa volonté. De sorte que s'il a appelé les gentils, ce n'est point parce que les Juifs ne l'écoutaient pas ; c'est sans y être forcé, sans y être poussé par ce motif. " Afin que nous soyons à la louange de sa gloire, nous qui les premiers avons espéré dans le Christ : en qui, vous aussi, ayant entendu la parole de vérité, l'Évangile de votre salut ". " En qui ", c'est-à-dire, par qui. Observez que partout le Christ est auteur de toutes choses et ne reçoit jamais le nom de ministre ni celui de serviteur. De même ailleurs, dans l'épître aux Hébreux, il dit: " Celui qui autrefois avait parlé à vos pères dans les prophètes, aux derniers jours vous a parlé dans le Fils " c'est-à-dire, par le Fils. " Le discours de vérité ", et non plus le discours d'image ou de figure.
" L'Évangile de votre salut". C'est avec raison qu'il emploie cette. expression, faisant allusion d'une part à la loi, de l'autre à la punition future. Tel est en effet le caractère de la bonne nouvelle qui empêche la perte de ceux qui méritaient de périr. " En qui ayant cru; vous avez été marqués du sceau dans l'Esprit de la promesse, qui est saint, qui est le gage de notre héritage ". Encore une marque d'infinie Providence que ce sceau : nous n'avons pas été seulement mis à part, désignés par le sort, mais encore scellés. Comme si quelqu'un lui avait révélé ceux qui devaient tomber au sort, Dieu les a mis à part pour la foi, les à scellés pour qu'ils fussent admis à l'héritage futur.
2. Voyez-vous comment, avec le progrès du temps, il les rend admirables ? Tant qu'ils étaient dans la prescience, ils n'étaient manifestes pour personne ; mais lorsqu'ils eurent été scellés, ils devinrent manifestes, non pas comme nous, toutefois : car ils seront manifestes, à part un petit nombre. Les Israélites aussi furent scellés, mais par la circoncision , comme les bêtes de somme et les brutes: nous aussi, nous avons été scellés, mais comme des fils, par l'Esprit. Qu'est-ce à dire : " l'Esprit de promesse ? " C'est-à-dire que nous l'avons reçu suivant une promesse. Car il y a deux promesses, l'une transmise par les prophètes, l'autre venant dit Fils. L'une, ai-je dit, transmise par les prophètes. Écoutez Joël : " Je répandrai de mon Esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles prophétiseront, et vos jeunes gens auront des visions, et vos vieillards, des songes ". Écoutez maintenant le Christ : " Et vous recevrez la vertu du Saint-Esprit venant vers vous, et vous serez témoins pour moi et dans Jérusalem, et dans toute la Judée et dans Samarie, et jusqu'aux confins de la terre ". (Actes, I, 8. ) Cependant il fallait, dira-t-on, qu'il fût cru comme Dieu. Mais il ne se fonde pas là-dessus, il parle comme s'il s'agissait d'un homme, ainsi que dans l'épître aux Hébreux : " Afin que par deux choses immuables, dans lesquelles il est impossible que Dieu trompe, nous ayons une forte consolation ".
De même ici il allègue les dons faits précédemment à l'appui de la promesse. De là aussi cette expression, Gage (ou arrhes) : car les arrhes sont une partie de la somme totale. Il a acheté notre salut, et il a commencé par nous donner des arrhes. Et pourquoi ne nous avoir pas donné sur-le-champ toute la somme? Parce que nous n'avions pas non plus livré le tout. Nous avons cru : c'est le commencement; et lui, il nous a donné des arrhes: quand nous aurons manifesté notre foi par des couvres, c'est alors qu'il complétera la somme. Ou plutôt il nous a donné une rétribution, son sang, et il nous en a promis encore une autre. De même que dans une guerre, les nations se donnent mutuellement des otages: ainsi Dieu a donné son Fils, comme un gage de trêve et de paix, et l'Esprit-Saint qui procède de lui car ceux qui participent véritablement à l'Esprit, savent qu'il est le gage de notre héritage.
Tel était Paul, qui dès lors avait goûté au festin d'en-haut. Aussi se hâtait-il, brûlait-il de quitter notre séjour, et gémissait-il : car il voyait avec d'autres yeux, ayant transporté là-haut toute sa pensée. Tu ne participes point aux choses : voilà pourquoi tu es exclu aussi des paroles. Si nous participions tous à l'Esprit, comme il le faudrait, nous verrions les (445) cieux et l'état des choses de là-haut. Maintenant, gage de quoi? De la rédemption, de l'acquisition : car c'est alors qu'il y a rédemption parfaite. Maintenant, nous errons au milieu du monde, les accidents humains fondent sur nous en foule, nous sommes avec des impies mais la rédemption parfaite, celle qui n'admet ni péchés, ni troubles humains, c'est alors que nous la trouverons. Maintenant nous tenons un gage : car, maintenant même, nous avons renoncé à ces choses; notre vie n'est pas sur la terre ; maintenant même nous sommes en dehors des choses d'ici-bas ; maintenant même nous ne sommes ici que des étrangers. " A la louange de sa gloire ". Il répète souvent cela. Pourquoi ? Parce que cela suffit pour inspirer la foi aux auditeurs. S'il faisait cela à cause de nous, il y aurait doute; mais s'il l'a fait pour lui-même et pour manifester sa bonté, c'est un motif dont Paul se sert comme d'un témoignage, pour prouver qu'il n'aurait pu advenir autrement. De même, quand il est question des Israélites, les expressions suivantes reviennent souvent "Faites-nous à cause de votre nom ". Dieu lui-même dit : " Je fais à cause de moi ". Et Moïse : " Faites-moi à cause de votre nom ", sinon pour un autre motif. Cela convainc les auditeurs, et les met en repos, en leur enseignant que Dieu ne peut manquer, à raison de sa propre bonté, de tenir ses promesses. Mais que ces paroles ne nous inspirent point le relâchement. Quand bien-même il agit pour lui, cela n'empêche pas qu'il n'exige de nous l'accomplissement de notre devoir. " Je glorifierai ", dit-il, " ceux qui me glorifient, et ceux qui me comptent pour rien seront comptés pour rien " : Apprenons par là qu'il exige de nous que nous fassions notre devoir., La louange de sa gloire, c'est de sauver ses ennemis, mais ceux-là qui, une fois réconciliés, restent ses amis : car s'ils reviennent à leur première hostilité, tout est perdu, il n'y a rien de fait.
3. En effet, il n'y a pas de second baptême, pas de seconde réconciliation ; il ne reste plus que la redoutable attente du jugement, que l'avidité du feu qui doit dévorer les ennemis. Si nous devions, tout en restant perpétuellement les ennemis de Dieu, obtenir son indulgence, nous ne cesserions pas de lui faire la guerre, de nous abandonner aux voluptés, de nous corrompre, de nous rendre incapable de voir le soleil de justice qui a lui. Voulez-vous recevoir le rayon qui dessillera vos yeux? Rendez-les beaux, sains, perçants. Dieu vous a fait voir le soleil de vérité. Si vous vous en détournez pour courir vous replonger dans les ténèbres, quelle sera votre excuse, votre justification ? Vous n'en aurez point : car vous aurez fait preuve d'une haine indicible. Quand vous ne connaissiez pas Dieu, vous étiez jusqu'à un certain point excusable de le haïr ; mais lorsque vous avez goûté à sa bonté, à son miel, si vous laissiez tout cela pour retourner à votre vomissement, vous donneriez les signes les plus manifestes de mépris et de dédain. Non, dira-t-on, je ne ferais que céder à la contrainte de la nature.: j'aime le Christ , mais la nature me fait violence. S'il y a violence et contrainte, vous aurez une excuse ; si la faute provient de négligence, vous n'en aurez pas.
Examinons donc ce point, si les péchés sont causés par une contrainte, une violence, ou par un excès de négligence et de relâchement. " Tu ne tueras point", est-il écrit. Où est ici la contrainte, la violence ? La violence, c'est de tuer. Qui de nous, en effet, voudrait plonger le glaive dans la gorge du prochain, et ensanglanter sa droite ? Personne. Voyez-vous que c'est tout au contraire dans le péché que résident la contrainte et la violence ? Dieu a mis la tendresse dans notre nature, de façon que nous nous aimions les uns les autres. Il est écrit : " Tout animal aime son semblable, et tout homme son prochain ". Voyez-vous que nous devons à la nature les germes de la vertu? C'est le vice qui est contre nature que s'il l'emporte en nous, c'est un signe d'extrême paresse de notre part. Prenons l'adultère : quelle est la contrainte qui y pousse? La tyrannie du désir, répondra-t-on. Comment cela, dites-moi ? Est-ce qu'il n'est pas possible d'user de sa femme et de vaincre cette tyrannie ? Mais je suis épris d'amour pour la femme du prochain. Ce n'est plus là de la contrainte : l'amour n'est pas du domaine de la contrainte. Ce n'est point par nécessité qu'on aime, mais par choix et par volonté. L'union des sexes, c'est peut-être une nécessité ; mais aimer celle-ci ou celle-là ce n'en est pas une. Ce n'est plus instinct sexuel, mais vanité, dérèglement, débauche. Où est la raison, dites-moi ? A posséder la femme qu'on a épousée, qu'on a prise pour en avoir des enfants, ou celle (446) qu'on ne connaît pas ? Ne savez-vous pas que l'affection est fille de l'habitude ? De sorte que la nature n'est ici pour rien. N'accusez point le désir: le désir a été donné pour le mariage, inspiré pour la procréation des enfants, non pour l'adultère, ni pour la séduction. Les lois elles-mêmes pardonnent les fautes que la nécessité a fait commettre : ou plutôt il n'y a pas de fautes commises par nécessité, toutes viennent de la dépravation. Dieu n'a pas organisé la nature de telle sorte que le péché fût nécessaire : autrement, le châtiment n'existerait pas. Car nous-mêmes, nous ne demandons pas compte des actions forcées, à plus forte raison Dieu qui est si bon et si charitable.
Voyons encore : voler, est-ce un fait de nécessité ? Oui, dira-t-on : car c'est la pauvreté qui y conduit. C'est plutôt à travailler que la pauvreté conduit, ce n'est pas à voler. La pauvreté a donc un effet tout contraire : car 1e vol est un fruit de la paresse : et la pauvreté ne rend pot nt paresseux, mais laborieux... Ainsi donc, voilà encore un péché imputable à la négligence... Ecoutez encore: lequel est le plus difficile, dites-moi, le plus désagréable, de passer les nuits à veiller et à courir, de percer des murs, de marcher dans l'obscurité, de tenir sa vie dans ses mains, d'être prêt au meurtre, de trembler, de mourir de peur, ou de s'appliquer durant le jour au travail, et de jouir du calme et de la sécurité ? Voilà ce qui est facile : et parce que c'est facile, un plus grand nombre de gens font ce métier, que l'autre.
4. Voyez-vous que la vertu est selon la nature, et le vice contre nature, tout comme la santé et la maladie? Mais mentir et se parjurer, cela peut-il être une nécessité? Aucunement : c'est volontairement et sans y être forcés que nous commettons ces fautes. On se défie de nous, dira-t-on. On se défie de nous, parce que nous le voulons bien; car nous pourrions inspirer plus de confiance par notre caractère, que nous ne faisons par nos serments. En effet, pour quelle raison, dites-moi, ne croyons-nous pas à certaines personnes en dépit de leurs serments, tandis que nous croyons à d'autres sans qu'elles jurent? Voyez-vous qu'il n'y a nul besoin de serments? Si un tel parle, je le crois, même sans serments; vous, vous avez beau jurer, je ne vous crois pas. Donc le serment est chose superflue et plutôt une marque de défiance que de foi. La facilité à jurer fait obstacle à la réputation de piété. Aussi celui qui jure souvent n'a nullement un besoin impérieux de jurer; et celui qui n'use pas de serment en a tout te profit. Dira-t-on maintenant que le serment est utile pour se faire croire? Aucunement : car nous voyons que ceux qui ne jurent pas sont justement ceux à qui l'on croit de préférence.
Autre chose : être insolent, est-ce un effet de force majeure? Oui, dira-t-on, car la colère nous jette hors de nous, nous enflamme, ne permet pas le repos à notre âme... L'insolence, mon cher auditeur, n'est pas un, effet de la colère, mais un effet de la petitesse d'âme. Si elle venait de la colère, tous les hommes irrités ne cesseraient pas de se montrer insolents. La colère nous a été donnée , non pour insulter le prochain , mais pour convertir les pécheurs, pour que nous nous réveillions, pour que nous ne tombions pas dans l'indolence. La colère est en nous comme un aiguillon, afin que nous grincions des dents contre le diable, afin que nous soyons violents contre lui, et non pour que nous nous fassions mutuellement la guerre. Nous avons des armes, non pour nous attaquer nous-mêmes, mais pour nous défendre contre l'ennemi. Vous êtes emporté? Montrez-vous tel contre vos péchés, frappez votre âme, flagellez votre conscience, soyez un juge irrité et impitoyable de vos propres péchés. Voilà l'avantage de la colère, voilà pourquoi Dieu nous l'a donnée.
Et l'usurpation, est-ce un effet de la nécessité? Nullement : quelle nécessité d'usurper, dites-moi? Qu'est-ce qui vous y force? La pauvreté, dira-t-on, et la crainte du besoin. C'est justement une raison pour ne pas usurper; car une richesse acquise ainsi est mal assurée. Mais vous ressemblez à un homme à qui l'on demanderait pourquoi il fonde sa maison sur le sable, et qui répondrait : C'est à cause du froid, à cause de la pluie. C'est justement pour cela qu'il ne fallait pas bâtir sur le sable, car la pluie et les vents ont bientôt renversé de pareilles fondations. Si donc vous voulez être riche, respectez le bien d'autrui. Si vous voulez laisser une fortune à vos enfants, faites fortune honnêtement, à supposer que cela soit possible; voilà la richesse qui dure et subsiste inébranlable ; toute autre est vite perdue et dissipée.
Vous voulez être riche, dites-moi, et vous (447) prenez le bien des autres? Cependant la richesse ne consiste pas en cela, mais à conserver ce qu'on a en propriété; pour celui qui a le bien d'autrui, ce ne saurait être un riche; autrement, ceux qui revendent de riches étoffes qu'ils ont achetées d'autrui, devraient être appelés les plus riches des hommes; ces choses sont à eux pour un temps; néanmoins nous ne les appelons pas riches. Pourquoi? Parce qu'ils n'ont en main que le bien d'autrui. A supposer que les étoffes soient à eux, ils n'en ont pas le prix; et quand bien même ils en auraient le prix, ce n'est pas là une richesse. Que si les choses qui s'échangent ne constituent pas une richesse, à cause de la promptitude avec laquelle nous nous en séparons, comment des biens usurpés feraient-ils un riche? Mais tu désires t'enrichir à tout prix (tu désires, car la nécessité n'y est pour rien) ; quel bien veux-tu donc avoir en plus grande abondance ? Est-ce une vie plus longue? Mais les hommes de cette espèce ne vivent pas longtemps. Souvent ils sont punis de leurs rapines et de leur convoitise par une fla prématurée qui les empêche de jouir longtemps de leurs acquisitions, et les conduit dans l'enfer, seul bien qu'ils aient gagné; souvent encore le luxe, les fatigues, les inquiétudes, leur causent des maladies qui les emportent.
Je voudrais savoir pourquoi la richesse excite l'ambition des hommes. Cependant si Dieu a prescrit des limites et des bornes à la nature, c'est pour que nous ne soyons nullement contraints de rechercher la richesse ; par exemple, il a voulu que nous eussions un vêtement ou deux pour nous couvrir; en avoir plus ne sert de rien pour cet usage. A quoi bon tant d'habillements qui ne servent qu'à nourrir les teignes? L'estomac de même n'a qu'une capacité bornée : le charger au-delà d'une certaine mesure est chose funeste à tout animal. A quoi bon tant de bétail, de bergeries, et tous ces massacres de viandes? Nous n'avons besoin que d'un toit pour nous abriter. A quoi bon les péristyles et les constructions dispendieuses? Pour loger les vautours et les corbeaux, vous dépouillez les pauvres. Quels tourments de l'enfer sont assez rigoureux pour une telle conduite? Combien de gens font bâtir dans des endroits qu'ils n'ont pas même vus des édifices tout resplendissants de colonnes et de marbres précieux (que ne vont-ils pas imaginer!) Et ils n'en jouissent pas, ni eux, ni personne : car l'isolement les retient; néanmoins ils continuent. Voyez-vous que l'amour du gain même n'est pour rien là dedans ? Tout cela a sa source dans la démence, la déraison, la vanité : fuyons ces vices, je vous en conjure, afin d'échapper aux autres maux, et d'obtenir les biens promis, à ceux qui l'aiment en Jésus-Christ Notre-Seigneur.
HOMÉLIE III. C'EST POURQUOI, MOI AUSSI, APPRENANT QUELLE EST
VOTRE FOI DANS LE SEIGNEUR JÉSUS, ET VOTRE AMOUR POUR TOUS LES SAINTS,
JE NE CESSE DE RENDRE GRACES POUR VOUS, FAISANT MÉMOIRE DE VOUS
DANS MES PRIÈRES ; AFIN QUE LE DIEU DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST
, LE PÈRE DE LA GLOIRE, VOUS DONNE L'ESPRIT DE SAGESSE ET DE RÉVÉLATION,
POUR LE CONNAÎTRE ; QU'IL ÉCLAIRE LES YEUX DE VOTRE COEUR,
POUR QUE VOUS SACHIEZ QUELLE EST L'ESPÉRANCE A LAQUELLE IL VOUS
A APPELÉS, QUELLES SONT LES RICHESSES DE GLOIRE DE L'HÉRITAGE
DESTINÉ AUX SAINTS ; ET QUELLE EST LA GRANDEUR SURÉMINENTE
DE SA VERTU EN NOUS, QUI CROYONS, SELON L'OPÉRATION DE LA PUISSANCE
DE SA VERTU , QU'IL A EXERCÉE DANS LE CHRIST, LE RESSUSCITANT D'ENTRE
LES MORTS. (I , 45, 20, JUSQU'À LA FIN DU CHAP.)
Analyse.
1 et 2. Le chef et le corps de l'Eglise. Que l'assistance de l'Esprit-Saint nous est nécessaire pour croire les mystères.
3-5. De la sainte Communion. Contre l'habitude de communier à jour fixe.
1. Il n'y a jamais rien eu de comparable au coeur des apôtres, rien de pareil à la charité, à la tendresse du bienheureux Paul qui priait pour dés villes et des nations entières. C'est à tous qu'il s'adresse en disant : " Je rends " grâces à Dieu pour vous, faisant mémoire " de vous dans mes prières ". Songez combien de personnes il avait dans l'esprit, desquelles il était difficile même de se souvenir : de combien de personnes il faisait mention dans ses prières, rendant grâces pour toutes à Dieu, comme s'il était lui-même le principal obligé. " C'est pourquoi ", dit-il : à savoir, à cause de l'avenir et des biens réservés à ceux qui ont la vraie foi et une bonne conduite. On doit sans doute remercier Dieu de tout ce qu'il a fait pour l'espèce humaine, et auparavant, et après; mais on doit lui rendre grâces aussi pour la foi de ceux qui croient. " Apprenant quelle est votre foi par le Christ, et votre amour pour tous les saints ". Partout il associe et réunit la foi et la charité, couple merveilleux. Ce ne sont pas seulement les fidèles de la contrée qu'il a en vue, mais tous. " Je ne cesse de rendre grâces pour vous, faisant mémoire de vous dans mes prières ". Pourquoi pries-tu, que demandes-tu? " Afin
que le Dieu de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père de la gloire, vous donne l'esprit de sagesse et,de révélation ". Il prie pour qu'ils apprennent ce qu'ils doivent apprendre, pourquoi ils ont été appelés, et comment ils ont été affranchis de leur premier état. Il compte trois choses auxquelles ils ont été appelés Pourquoi, trois? La considération des choses futures nous le révélera. Les biens que Dieu nous réserve, nous feront connaître son ineffable et suprême richesse : en nous rappelant ce que nous étions et comment nous sommes arrivés à croire, nous nous convaincrons de la puissance du Dieu qui a pu convertir des hommes éloignés de lui depuis si longtemps : " Car ce qui est faiblesse en Dieu est plus fort " que les hommes ". (I Cor. 1, 25.) Enfin par la même puissance avec laquelle il avait suscité le Christ, il nous a attirés à lui; et ce pouvoir n'est point borné à la résurrection : il s'étend beaucoup plus loin. " Et il l'a fait asseoir à sa droite dans les cieux, au-dessus de toute principauté, de toute puissance, de toute vertu, de toute domination, et de tout nom qui est nommé. Et il a mis toutes choses sous ses pieds, et il l'a établi chef sur toute l'Eglise, qui est son corps, et le complément (449) de celui qui se complète entièrement dans tous ses membres (21, 23) ".
Voilà de grands mystères, de redoutables secrets auxquels nous sommes associés. Pour les connaître, il faut participer à l'Esprit-Saint, et jouir de grâces abondantes. Voilà pourquoi Saint Paul dit dans sa prière : " Le Père de la gloire " : c'est-à-dire, celui qui nous a donné de grands biens. Car partout~ il désigne Dieu par un nom approprié à la chose dont il parle, par exemple lorsqu'il dit : " Le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation ". (II Cor. 1, 3.) Le prophète dit de même : " Le Seigneur, ma force et mon appui ". (Psaume, XVII, 2, 3.) " Le Père de la gloire ". Il ne peut représenter toutes ces choses par les noms qui leur conviennent, et partout il se sert du mot " Gloire ", qui désigne chez nous toute espèce d'illustration. Voilà, dit-il, le Père de la gloire et le Dieu du Christ. Qu'est-ce à dire? Le Fils est donc au-dessous de la gloire ? Personne, fût-il insensé, n'oserait le prétendre. " Qu'il vous donne ", c'est-à-dire, qu'il élève votre pensée et lui donne des ailes. Car il n'y a pas d'autre moyen d'être instruit sur ce sujet. " L'homme animal ne reçoit pas les choses de l'esprit : car elles sont folie pour " lui ". (I Cor. II, 14.)
Il est donc besoin d'une sagesse spirituelle pour comprendre les choses spirituelles, pour voir les choses cachées : c'est l'Esprit qui révèle tout, qui peut divulguer les mystères de Dieu. L'Esprit seul possède la connaissance des mystères de Dieu, lui qui sonde ses` plus profonds secrets; ce n'est pas à un ange, à un archange , à aucune autre puissance créée, qu'il appartient de nous donner, de nous procurer cette grâce. Que si c'est le propre de la révélation, il est superflu de s'ingénier à trouver des raisonnements. Celui qui sait, qui connaît Dieu,, n'aura plus de doute sur rien. Il ne dira pas.:"telle chose est possible, et telle autre impossible; ou- encore : Comment cela s'est-il fait? Si nous connaissons Dieu comme il faut le connaître; si nous avons reçu la connaissance de celui qui peut nous la donner, de,l'Esprit même, nous n'aurons plus de doutes sur aucun point. De là ces paroles : " Pour le connaître, qu'il éclaire les yeux de votre coeur ". Celui qui sait ce que c'est que, Dieu n'aura plus de doute au sujet des promesses, plus d'incrédulité au sujet des choses accomplies. Paul prie que l'Esprit de sagesse et de révélation leur soit donné : d'ailleurs, il se sert autant qu'il est possible de la confirmation fournie par le raisonnement et par les faits accomplis. Ayant à parler et de choses passées et. de choses à venir, il se sert des premières pour rendre croyables les autres. Par exemple : " Pour que vous sachiez", dit-il, " quelle est l'espérance à laquelle il vous a appelés ". C'est encore incertain, veut-il dire, mais non pour les fidèles. " Quelles sont les richesses de gloire de l'héritage destiné aux saints. " Ceci encore est, incertain. Mais qu'est-ce qui est donc certain ? Que nous avons cru qu'il a suscité le Christ par sa puissance : ressusciter un mort est moins étonnant que d'avoir mis cette persuasion dans les âmes. Et comment? J'essaierai de vous le faire voir. Ecoutez ! Le Christ dit au mort : Lazare, viens ici dehors; et aussitôt il obéit. Pierre dit à Tabitha : Lève-toi, et elle ne résista pas. Dieu dira la même chose au jour suprême, et tous se réveilleront si précipitamment que les vivants ne devanceront pas les morts, que dans un instant, dans un clin d'oeil, tout sera fait, tout sera réuni.
2. Mais pour ce qui est d'embrasser la foi, il n'en est pas de même. Que se passe-t-il donc? Ecoutez celte autre parole : " Combien de fois j'ai voulu réunir vos enfants, et vous ne l'avez pas voulu ! " (Luc, XIII, 43.) Voyez-vous que c'est plus difficile? Il part donc de là pour établir le tout. C'est qu'il était bien plus difficile de persuader le libre arbitre par des raisons humaines, que de créer la nature. La raison, c'est qu'il veut lui-même que nous devenions bons ainsi et de notre plein gré. Paul dit justement : Quelle est la grandeur suréminente de sa vertu en nous, qui croyons. Lorsqu'eurent été employés en pure perte les prophètes , les anges et les archanges, toute la création, tant visible qu'invisible, la création visible exposée aux regards des hommes, sans avoir pu les gagner. la création invisible qui est si multiple, alors Dieu décida l'Incarnation, montrant par là que l'intervention divine était nécessaire. " Les richesses de gloire ", c'est-à-dire, la gloire ineffable. Quel discours pourrait représenter la gloire à laquelle les saints participeront alors? Personne. La grâce est vraiment nécessaire pour que l'intelligence la connaisse, ou en aperçoive du moins quelque rayon. Précédemment déjà, on en savait quelque chose; mais Dieu voulait que cette (450) connaissance fût plus complète et plus distincte. Voyez-vous tout ce qu'il a fait? Il a ressuscité le Christ; c'est peu. Voyez encore : Il l'a fait asseoir à sa droite. Quel discours peut représenter cela? Celui qui était né de la terre, plus muet que le poisson; qui avait été le jouet des démons, il l'élève aussitôt dans les cieux. En effet, la grandeur de sa puissance est suréminente.
Et considérez où il l'a élevé? Dans les cieux, au-dessus de toute nature créée, par-delà toute puissance et toute principauté. " Encore au-dessus de toute principauté ". Vraiment il est besoin de l'Esprit, il est besoin d'une pensée sage pour le connaître; vraiment il est besoin d'une révélation. Songez quel intervalle il y a entre l'homme et la -nature de Dieu: De cette bassesse il l'a fait monter à ces honneurs; il ne s'est pas borné à lui faire franchir un, deux ou trois degrés. Mais quoi ! il ne dit pas seulement : " Au-dessus ", mais : " Encore au-dessus ". Car Dieu est plus haut que les puissances d'en-haut. C'est donc là qu'il a élevé celui qui sortait du milieu de nous. Du dernier degré , il l'a porté à la suprême puissance, après laquelle il n'y a plus de dignité. " De toute principauté ", dit-il, non de telle ou telle, mais de toutes. " De toute principauté, de toute puissance, de toute vertu, de toute domination et de tout nom qui est nommé ". Tout ce qui est clans le ciel est au-dessous de lui. Ceci est dit de celui qui fut ressuscité d'entre les morts : ce qui doit exciter la surprise. Du Dieu Verbe, aucunement. Ce que sont les moucherons à l'égard des hommes, toute la création l'est à l'égard de Dieu. Et que dis-je, les moucherons ? Si tous les hommes seront comptés comme de la salive, s'ils ont été comptés comme le plus petit des poids qu'on met dans la balance, ce sont les puissances invisibles qu'il faut assimiler à des moucherons. Paul n'a donc pas parlé ainsi du Dieu Verbe, mais de celui qui est sorti d'entre nous: chose vraiment grande et merveilleuse. Il l'a pris au dernier étage de la terre pour l'élever. Si toutes les nations sont comme une goutte, quelle fraction de goutte sera donc un seul homme? Néanmoins Dieu l'a élevé au-dessus de tous, non-seulement dans ce siècle, mais encore dans le siècle futur. Il y a donc des puissances qui portent des noms obscurs pour nous et inconnus.
" Et il a mis toutes choses sous ses pieds ". Il ne l'a pas seulement mis plus haut, afin qu'il jouît de la prééminence; il n'a pas procédé par comparaison, il a voulu qu'il les dominât comme le maître domine ses serviteurs. Ali ! Quelles choses redoutables ! Toute puissance créée est devenue servante de l'homme, à cause de l'incarnation du D;eu Verbe. On peut se figurer quelqu'un qui ait seulement des inférieurs, mais non des sujets. Ici il n'en est pas de même, tout a été mis soirs ses pieds; c'est-à-dire au plus bas degré au-dessous duquel il n'y a rien. " Sous ses pieds, et il l'a établi chef sur tout dans l'Église ". A quelle hauteur il porte maintenant l'Église ! Comme s'il la tirait au moyen d'une machine, il l'élève à la plus grande hauteur, et la fait asseoir sur ce trône sublime; car où est le chef, là est aussi, le corps, puisque la tête et le corps sont immédiatement unis. " Sur tout ". Ou bien cela signifie que le Christ est au-dessus de toutes choses, visibles ou invisibles; ou bien que par-dessus tous ses bienfaits il a donné son Fils pour chef. Ce n'est pas un ange, ce n'est pas un archange, ni une puissance plus élevée qu'il a envoyée ici-bas. Et ce n'est pas seulement en élevant ce qui sortait d'entre nous qu'il nous a honorés; c'est encore en faisant que toute l'espèce le suivît, s'attachât à lui, l'accompagnât : " Qui est son corps ".
Afin qu'en entendant ce mot chef, vous ne songiez pas seulement à la primauté, mais encore à la solidité et à l'union ; afin que cette expression ne vous représente pas seulement un dominateur, mais encore la tête d'un corps, il parle ensuite du " Complément de celui qui se complète entièrement dans tous ses membres ". Comme si ce qui précède ne suffisait pas pour montrer le rapport et la parenté, que dit-il? Que l'Église est le complément du Christ. En effet, le corps est le complément de la tête, et la tête le complément du corps. Voyez quel ordre exact suit Paul, et comment il n'épargne aucune parole pour exprimer la gloire de Dieu. " Complément " , dit-il, complément pareil à celui que fouge le corps par rapport à la tête. En effet, la réunion des membres forme le corps, et il n'en est pas qui ne lui soit nécessaire. Voyez comment il montre cette nécessité de tous les membres. Si nous n'étions pas nombreux , si l'un n'était pas a main, l'autre le pied, l'autre tel autre organe, le corps ne serait pas complet. Il faut donc que rien ne manque pour que son corps (451) à lui, soit complet. La tête a son complément, le corps est parlait, lorsque nous sommes réunis tt assemblés tous ensemble.
3. Voyez-vous les richesses de gloire de l'héritage? Voyez-vous la grandeur suréminente de la vertu de Dieu envers ceux qui croient? Voyez-vous l'espérance à laquelle vous êtes appelés? Respectons notre chef, songeons de quel chef trous sommes le corps, chef auquel tout est soumis. D'après cela, il faut que nous soyons meilleurs que les anges, et plus grands que les archanges, puisque nous sommes plus élevés qu'eux tous en dignité. " Dieu n'a pas pris les anges, mais il a pris la race d'Abraham ". (Hébr. II, 16.) Il n'a pris ni principauté, ni vertu, ni domination, ni aucune autre puissance : c'est notre nature qu'il a. prise et qu'il a établie là-haut. Et que dis-je, établie? Il, en a fait son vêtement, et il ne s'en est pas tenu là, il a tout mis sous ses pieds. Combien voulez-vous mettre de morts? Combien de vies? mille, des milliers? Vous n'arriverez pas au niveau. Il a fait les deux plus grandes choses qui se pussent faire; il est descendu lui-même au dernier degré d'abaissement, et il' a porté l'homme au comble de l'été ration. Paul a parlé en premier lieu de l'abaissement : il arrive maintenant à ce qui est plus sublime encore, au grand, au principal mystère. Cependant , quand bien même nous n'aurions rien reçu que le premier bienfait, il suffisait; et si nous étions jugés dignes d'un tel honneur, du moins l'immolation n'était pas nécessaire. Quel langage, quelle hyperbole pourrait donc égaler ces deux bienfaits réunis? C'est peu que la résurrection, quand je songe à cela. Ce n'est pas le Dieu Verbe qu'il a en vue lorsqu'il dit : Le Dieu de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Respectons cette étroite parenté, craignons que quelqu'un ne vienne à être retranché de ce corps, que quelqu'un ne soit rejeté , que quelqu'un ne se montre indigne. Si l'on avait ceint notre front d'un diadème, d'une couronne d'or, est-ce que nous ne ferions pas tous nos efforts pour nous montrer dignes de notre vaine parure de pierres précieuses ? Mais ce n'est pas un diadème qui ceint aujourd'hui notre front : c'est Jésus qui est devenu notre tête, notre chef, ce qui est bien autre chose, et nous n'en tenons nul compte. Ce chef, les anges, les archanges et toutes les puissances d'en-haut le vénèrent; mais nous, qui sommes son corps, ni ce motif ni l'autre ne nous le font vénérer? Et quel espoir de salut y aura-t il pour nous?
Songez au trône royal , songez à cet excès d'honneur : il ne tient qu'à nous que cela ne soit pour nous un plus grand sujet d'effroi que l'enfer même. S'il n'y avait pas d'enfer, ne serait-ce pas un affreux supplice, un affreux châtiment, que d'être reconnus indignes par notre méchanceté de la glorieuse prérogative dont nous avons été honorés. Songe auprès de qui siège ton chef; il n'en faut pas davantage : songe à la droite de qui il est assis. Eh quoi ! le chef plane au-dessus de toutes les principautés, les puissances et les vertus ; et le corps est foulé aux pieds par les démons ! A Dieu ne plaise ! Si cela arrivait, ce ne serait plus le corps désormais. Devant ton chef tremblent les serviteurs glorieux, et tu mets le corps sous les pieds de ceux qui ont offensé le maître ! Quel châtiment n'encours-tu point par là? Si quelqu'un mettait des fers et des entraves aux pieds d'un roi, ne s'exposerait-il pas au dernier supplice? Toi, tu jettes le corps tout entier aux bêtes féroces, et tu ne trembles pas ?
Mais puisqu'il est question du corps du Seigneur, parlons aussi de celui qui fut mis en croix, cloué, de la victime du sacrifice. Si tu es corps du Christ, porte la croix, car il l'a portée ; supporte les crachats , supporte les soufflets, supporte les clous ! Tel était ce corps. Ce corps était sans péché. " Il ne fit pas de péché ", est-il écrit, " et la ruse. ne fut pas trouvée dans sa bouche ". (Isaïe, LIII, 9.) Ses mains faisaient tout pour obliger ceux qui avaient besoin ; sa bouche ne proféra jamais aucune parole déplacée. On lui dit : " Tu as un démon " (Jean, VII, 28); et il ne répondit rien. Puisque nous parlons du corps , nous qui participons au corps, nous qui goûtons à ce sang, songeons que nous participons, que nous goûtons à celui qui ne diffère en rien de celui-là, à celui qui siège là-haut, qui est adoré par les anges, qui est auprès de l'incorruptible Vertu. Hélas! que de routes nous sont ouvertes pour le salut ! Il a fait de nous son corps, il nous a communiqué son corps, et rien de tout cela ne nous détourne du mal ! O ténèbres et abîme ! ô stupidité ! " Songez ", est-il écrit, " aux choses du ciel, où est le Christ assis à la droite de Dieu ". (Col. III, 1, 2.) Et après cela on trouve encore des (452) hommes qui songent à l'argent, d'autres qui se laissent séduire par les passions !
4. Ne voyez-vous pas que dans notre corps aussi, tout ce qui est inutile et hors de service est coupé, retranché ; avoir fait partie du corps, cela ne sert de rien au membre perclus, paralysé, gangrené, dont le mal peut se communiquer aux autres. Ne nous rassurons donc point par cette pensée que nous faisons partie du corps une fois pour toutes. Si un corps formé par la nature n'en est pas moins amputé, quelle terrible opération ne subira pas le corps formé par le libre arbitre, s'il ne reste pas en santé? Le corps, ouvrage de la nature, est paralysé quand il ne participe plus à la nourriture matérielle, quand les pores en sont obstrués; il est perclus, quand les vaisseaux ne font plus leur office. De même quand nous nous bouchons les oreilles, notre âme devient percluse ; quand nous cessons de participer à la nourriture spirituelle, quand certains vices attaquent notre tempérament à la manière d'humeurs corrompues, toutes ces causes engendrent la maladie funeste, une maladie qui produit la gangrène : désormais, le fer, le feu seront nécessaires, car le Christ ne consent pas à entrer dans la chambre nuptiale avec un corps pareil. Il a renvoyé, chassé celui qui était revêtu d'habits sordides, que ne fera-t-il pas a l'homme qui a souillé son corps? Quel traitement ne lui infligera-t-il pas?
Je vois beaucoup de personnes, qui participent étourdiment et sans réflexion au corps du Christ, plutôt par habitude et pour obéir à la loi, que par raison et par réflexion. Voient-elles arriver le temps du saint Carême ou celui de l'Epiphanie , en quelque état qu'elles se trouvent, elles prennent part aux sacrements. Cependant ce n'est pas l'époque de l'année qui fait, en cela, l'opportunité; car ni l'Epiphanie, ni le Carême ne rendent digne d'approcher des sacrements, mais seulement la pureté parfaite de l'âme. Quand vous Pavez, approchez en toujours; jamais, quand elle vous manque. Car il est écrit : " Toutes les fois que vous faites cela, vous annoncez la mort du Seigneur " ( I Cor. XI, 26) ; c'est-à-dire, vous faites une commémoration de votre salut, ale mon bienfait. Songez à la prudence dont usaient ceux qui prenaient part à l'ancien sacrifice. Que ne faisaient-ils pas ? lis ne manquaient jamais de se purifier. Mais vous, pour approcher du sacrifice devant lequel tremblent
les anges mêmes, vous obéissez au cours du temps? Et comment vous présenterez-vous au tribunal du Christ, vous qui avec des mains et des lèvres souillées, osez profaner son corps? Vous n'oseriez pas embrasser un roi, si vous aviez la bouche puante ; et vous osez embrasser le roi du ciel avec une âme puante ! Quel excès d'insolence !
Dites-moi : Voudriez-vous approcher du sacrifice avec des mains sales? Je ne le pense pas : vous aimeriez mieux vous abstenir que d'en approcher en cet état. Eh bien ! vous qui êtes circonspect à ce point dans les petites choses, vous en approchez, vous osez y toucher avec une âme souillée? Cependant la victime ne séjourne qu'un moment entre vos mains, et elle se résout tout entière dans votre âme. Voyez-vous ces vases si bien lavés, si brillants? eh bien ! il faut que nos âmes soient encore plus pures, encore plus immaculées et plus brillantes. Pourquoi ? Parce que c'est en vue de nous qu'on nettoie ainsi ces vases. Ils ne participent pas, eux, à leur contenu, ils ne le sentent pas; nous, c'est autre chose. Or, vous ne voudriez pas vous servir d'un vase malpropre, et vous apportez vous-même une âme malpropre : je vois là une singulière disparate. Aux autres époques, même quand vous êtes purs, vous n'approchez pas des sacrements, et à Pâques, fussiez-vous chargés d'un crime, vous vous en approchez? O habitude ! ô préjugé ! en vain le sacrifice est quotidien, en vain nous nous tenons auprès de l'autel, personne ne prend place au banquet. Si je parle ainsi, ce n'est pas pour que vous communiiez à la légère, mais pour que vous vous mettiez en état. Vous n'êtes pas digne du sacrifice de la communion? Alors vous n'êtes pas digne non plus de la prière. Vous entendez le héraut qui se tient debout et dit : " Vous tous, qui êtes en pénitence, retirez-vous ". Tous ceux qui ne communient pas sont en pénitence. Si vous êtes au nombre de ceux qui sont en pénitence, vous ne devez pas communier : car celui qui ne communie pas est au nombre de ceux qui sont en pénitence. Pourquoi donc dit-il : " Retirez-vous, vous qui ne pouvez pas prier", et vous, restez-vous- effrontément en place? Mais vous n'êtes pas de ce nombre ; vous êtes de ceux qui peuvent communier, et vous ne vous en inquiétez pas? Vous regardez cela comme rien ?
5. Songez-y, je vous en prie; voilà un banquet (453) royal : les anges le desservent, le monarque même y assiste, et vous restez là bouche béante? Vos vêtements sont souillés, et vous ne vous en inquiétez pas? Mais non : ils sont propres? Mettez-vous donc à table, et communiez. Il vient chaque jour visiter les convives, il parle à tous ; il dira donc à votre conscience: Amis, comment êtes-vous ici sans habit de noce? Il ne dit pas : Pourquoi avez-vous pris place à la table? C'est avant l'installation, avant l'entrée qu'il déclare qu'on est indigne. En effet, il ne dit pas : Pourquoi avez-vous pris place? mais bien : Pourquoi êtes-vous entré? Voilà ce qu'il dit maintenant même à nous tous qui nous tenons ici debout, sans pudeur et sans honte. En effet, quiconque ne participe pas aux sacrements, celui-là est un impudent, un effronté. Voilà,pourquoi on commence par exclure ceux qui sont en état de péché. Ainsi que, lorsque le maître prend place à table, il ne faut pas que les serviteurs qui l'ont offensé soient présents, et que l'on a soin de les écarter : de même ici, quand on offre le sacrifice, et que la victime est le Christ, l'Agneau du Seigneur, en entendant ces mots : " Prions tous en commun ", en voyant les vestibules s'ouvrir, vous devez croire que le ciel s'ouvre, et que les anges descendent de là-haut. Si donc aucune des personnes étrangères à nos mystères ne doit rester dans l'assistance, il en est de même des initiés qui sont souillés.
Dites-moi : supposez qu'une personne invitée à un festin se lave les mains, s'attable, soit toute prête à goûter aux mets, et que néanmoins elle n'y touche pas, ne sera-ce pas faire injure à celui qui l'a invitée? ne vaudrait-il pas mieux n'être pas venu? De même pour vous . cous êtes présent, vous avez chanté l'hymne : vous vous êtes mis au nombre de ceux qui sont dignes en ne vous retirant pas avec les indignes; comment êtes-vous resté, si vous ne prenez point part au banquet? Je suis indigne, dites-vous... Vous êtes donc indigne aussi de la communion des prières. En effet, ce n'est pas seulement le sacrifice, ce sont encore les cantiques qui font descendre de toutes parts le Saint-Esprit. Ne voyez-vous pas que nos serviteurs lavent la table avec une éponge, et nettoient la maison avant de mettre la table? Cela se fait par les prières, par la voix du diacre. Nous lavons l'église comme avec une éponge, afin qu'elle soit pure pour l'offrande, qu'il n'y 'ait ni tache ni souillure... Les yeux mêmes des indignes, leurs oreilles sont ici de trop. " Si une bête touche la montagne, elle sera lapidée ". (Exode, XIX, 13.) Ainsi les Juifs n'étaient pas même dignes de monter sur la montagne : du reste, ils s'approuvèrent ensuite, et virent la place où avait été Dieu. Eh bien ! quand tout sera fini, vous pourrez vous approcher et regarder : mais tant que Dieu est là, retirez-vous : cela né vous est pas plus permis qu'au catéchumène. Car il n'y a pas égalité entre celui qui n'a jamais touché aux sacrements, et celui qui, après les avoir reçus, les brave par des offenses, et se rend indigne de son privilège. de. pourrais ajouter d'autres considérations encore plus effrayantes : niais de crainte de charger votre mémoire, j'en reste là : ceux qui ne seront point corrigés par ce que j'ai dit, ne le seraient point par de plus longs développements. Si donc nous ne voulons pas rendre notre jugement plus rigoureux, je vous supplie, non de vous présenter, mais de vous rendre dignes du lieu où vous êtes et du sacrement.
Dites-moi : si un roi vous donnait cet ordre . impérieux: Si
quelqu'un fait telle chose, qu'il në paraisse pas à ma table
; est-ce que vous ne feriez pas tous vos efforts pour être admis?
Eh bien ! nous sommes conviés au ciel, à là table
du grand, du sublime monarque,et nous, hésitons, et nous tergiversons,
et nous ne nous hâtons point d'accourir? Et quel espoir de salut
nous reste-t-il? Nous ne, pouvons alléguer notre faiblesse , nous
ne pouvons mettre en cause la nature : la négligence , voilà
le seul principe de notre indignité. Nous avons dit ce que nous
avions à vous dire. Que celui qui produit la componction dans les
coeurs, qui donne l'esprit de componction, produise un pareil effet dans
vos âmes et y enfouisse profondément sa semence, afin que
vous conceviez de sa crainte, que vous enfantiez un esprit de salut, et
que vous approchiez avec confiance. " Tes fils ", est-il écrit,
" sont comme de jeunes pousses d'olivier autour de ta table ". (Ps. CXXVII,
3.) Ainsi donc, point de vieilles pensées; rien de farouche, d'aigre,
de sauvage. Car telles sont les jeunes pousses propres à donner
du fruit, ce fruit merveilleux de l'olivier; assez fortes pour que tous
soient autour de la table, et ne se réunissent pas ici étourdiment
ni à la légère, mais avec crainte et tremblement.
Ainsi vous verrez là-haut le (454) Christ lui-même avec confiance,
et vous serez jugés dignes du royaume céleste, auquel puissions-nous
tous parvenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur
Jésus-Christ avec qui gloire, puissance, honneur au Père
et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles
des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE IV. ET VOUS, LORSQUE VOUS ÉTIEZ MORTS PAR VOS
OFFENSES ET PAR VOS PÉCHÉS, DANS LESQUELS AUTREFOIS VOUS
AVEZ MARCHÉ, SELON LA COUTUME DE CE MONDE, SELON LE PRINCE DES PUISSANCES
DE L'AIR, DE L'ESPRIT QUI AGIT EFFICACEMENT A CETTE HEURE SUR LES FILS
DE LA DÉFIANCE, PARMI LESQUELS NOUS TOUS AUSSI NOUS AVONS VÉCU,
SELON NOS DÉSIRS CHARNELS, FAISANT LA VOLONTÉ DE LA CHAIR
ET DE NOS PENSÉES; ET NOUS ÉTIONS PAR NATURE ENFANTS DE COLÈRE
COMME TOUS LES AUTRES. (II, 1-3 JUSQU'À 10.)
Analyse.
1. La foi et les oeuvres.
2. Degrés dans les châtiments de l'autre vie.
3. Que l'idée de la bonté divine ne doit pas rassurer les pécheurs.
4. Que toute consolation sera bannie de l'enfer.
1. Il y a une mort corporelle: il y a aussi une mort de l'âme. La première ne nous met poi nt en faute, ni en danger : caf elle est le fait de la nature, non de la volonté. Elle résulte de la transgression (tu premier homme: après quoi elle a passé dans notre nature. D'ailleurs elle ne doit avoir qu'une courte durée. Quant à la mort spirituelle qui procède de la volonté, elle nous est imputable et n'aura point de fin. Considérez donc comment Paul qui a déjà établi cette vérité sublime, que ressusciter les morts est une moins grande tâche que de guérir la mort de Pâme, comment Paul, dis-je, y revient ici, comme sur une grande chose : " Et vous, lorsque vous étiez morts par vos offenses et par vos péchés, dans lesquels autrefois vous avez marché selon la coutume de ce monde, selon le prince des puissances de l'air, de l'Esprit qui agit efficacement à cette heure sur les fils de la défiance ". Voyez-vous la douceur de Paul, et comment partout il console son auditeur, et évite de l'accabler? Après avoir dit : Vous êtes arrivé au dernier degré de perversité (car c'est ce que veut dire " Etre morts ") : craignant de les trop accabler (car les hommes éprouvent de la honte à voir étaler leurs anciennes fautes, même effacées et sans danger désormais), il leur attribue un complice, afin que tout ne parût pas être leur ouvrage, et un puissant complice. Lequel donc? le diable. Il se comporte de même encore dans l'épître aux Corinthiens. (I Corinth. VI, 9 et suiv.) Car après avoir dit : " Ne vous laissez pas égarer : ni fornicateurs ni idolâtres " , (et le reste), n'entreront dans le royaume des cieux, il ajoute : C'est environ ce que vous étiez. Il ne dit pas seulement : " Vous étiez ", mais : "Vous étiez environ ", c'est-à-dire, à peu près (1).
1 Ce texte est généralement interprété d'une manière un peu différente.
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Ici les hérétiques nous,pressent : ils prétendent qu'il est ici question de Dieu, et clans l'intempérance effrénée de leur langage, ils appliquent à Dieu des expressions qui ne désignent que le diable. Comment leur fermer la bouche? Au moyen du texte même: Si Dieu est juste, comme vous le reconnaissez vous-même, et qu'il ait fait cela , ce n'est plus le fait d'un être juste,, ruais d'un être injuste et méchant : or Dieu ne saurait jamais être méchant. Pourquoi donc appeler le diable prince de ce siècle? Parce que presque toute, la nature humaine s'est donnée à lui, et que tous le servent librement et volontairement. Le Christ qui promet des biens innombrables n'obtient nulle attention. Le diable ne promet rien de pareil, il nous pousse en enfer: et tous lui cèdent. Son empire est sur ce siècle , il compte plus de sujets que Dieu, et bien plus dociles, sauf un petit nombre, par un effet de notre relâchement: "Selon la puissance de l'esprit de l'air ". C'est-à-dire qu'il habite sous le ciel quant aux esprits de l'air, ce sont les puissances incorporelles qui dépendent de lui. Maintenant, pour vous faire entendre que sa domination est une domination du siècle, c'est-à-dire bornée à la durée du siècle présent, voici ce que Paul dit à la fin de l'épître : " Nous n'avons point à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre les dominateurs de ce siècle de ténèbres". (VI, 12.) Pour que cette expression : " Dominateur du monde " ne vous fasse pas croire que le diable est incréé, il ajoute : " De ce siècle de ténèbres ". Et ailleurs par " Siècle mauvais " (Galat. II, 4), il désigne un temps bouleversé, sans parler dés créatures. Car il me paraît que devenu prince sous le ciel, il n'est pas déchu de son pouvoir même après la transgression.
" Qui agit efficacement à cette heure sur les fils de la défiance ". Voyez-vous que le démon ne se sert point de la violence ni de la tyrannie, mais de la persuasion pour nous gagner. Ce mot " Défiance " est employé ici pour faire entendre que la séduction et la persuasion sont mises seules en usage. Et Paul ne console pas seulement les fidèles en leur donnant un complice, mais encore en se rangeant lui-même parmi eux.. " Parmi lesquels nous tous aussi nous avons vécu ". " Tous " : on ne peut dire que quelqu'un fût excepté. " Selon nos désirs charnels, faisant la volonté de la chair et de nos pensées; et nous étions par nature enfants de colère comme tous les autres", C'est-à-dire :" N'ayant aucune pensée spirituelle ". Mais pour que l'on ne soupçonne pas ,qu'il s'exprime ainsi pour attaquer la chair et qu'on ne voie là une grande faute. voyez comme il se met sur ses gardes : " Faisant la volonté de la chair et de nos pensées " : il désigne par là les affections de la volupté. Nous avons irrité Dieu, dit-il, nous l'avons mis en colère; en d'autres termes Nous étions colère et rien autre chose. Car de même que l'enfant d'un homme est homme de sa nature, de même nous aussi; nous étions enfants de colère comme les autres. C'est-à-dire : Personne n'était libre, nous nous conduisions tous de manière à mériter la colère.
" Mais Dieu qui est riche en miséricorde (4)". Il ne dit pas seulement : " Miséricordieux " mais : " Riche en miséricorde ". Comme il dit ailleurs :" Dans l'abondance de votre miséricorde ", et encore : " Ayez pitié de moi selon votre grande miséricorde ". (Ps. LXVIII, 1.7, et L,1.) " Par le grand amour dont il nous a aimés". Il montre l'origine de cet amour. Car ce n'est pas l'amour que nous méritions, mais la colère et le dernier châtiment... C'est donc l'effet d'une miséricorde infinie. " Et lorsque nous étions morts par les péchés, il nous a vivifiés dans le Christ (5) ". Encore la médiation du Christ, et la chose est digne de foi. En effet, si nos prémices vivent, nous vivons aussi : il a vivifié et lui et nous.
2. Voyez-vous que tout cela est dit de Jésus-Christ comme homme? Voyez-vous la grandeur suréminente de sa vertu en nous qui croyons? Les morts, les fils de colère, il les a vivifiés. Voyez-vous l'espérance à laquelle nous sommes appelés? " Il nous a ressuscités et fait asseoir avec lui (6) ". Voyez-vous la gloire de l'héritage? Oui, dira-t-on : " Il nous a ressuscités " c'est clair; mais ceci : " Il nous a fait asseoir avec lui dans les cieux en Jésus-Christ ", comment l'établir? Comme : " Il nous a ressuscités ". Car personne n'est encore ressuscité, sinon que par la résurrection du chef, nous aussi sommes ressuscités : ainsi que Jacob ayant adoré, sa femme par là même aussi adora Joseph. C'est de la même manière que nous sommes assis : car le corps est assis lorsque la tête est assise. Voilà pourquoi Paul ajoute : En Jésus-Christ. Ou si ce n'est pas cela, s'il nous a ressuscités par le baptême, (456) comment donc nous a-t-il fait asseoir? C'est que " Si nous partageons les souffrances du Christ, nous partagerons aussi sa royauté ". (II Timoth. II, 12.) Si nous mourons, nous partagerons la vie. Il est vraiment besoin de l'Esprit et de la révélation pour sonder la profondeur de ces mystères.
Ensuite pour vous convaincre, il ajoute : " Pour manifester dans les siècles à venir les richesses abondantes de sa grâce, par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus (7) ". Car après avoir dit ce qui concerne le Christ, comme on pouvait demander : En quoi cela nous concerne-t-il, que le Christ soit ressuscité? il montre que cela nous concerne, en effet, puisque le Christ est uni à nous : outre qu'il fait voir ce qui nous touche en particulier, lorsqu'il dit : " Lorsque nous étions morts par nos offenses il nous a ressuscités et fait asseoir avec lui ". Ainsi donc, comme je le disais, ne conservez plus de doute, puisque vous avez pour preuves et les choses précédentes, et le chef, et la volonté que Dieu a eue de faire éclater sa bonté. En effet, comment la montrera-t-il, si cela ne se réalise point? Et il fera voir dans les âges futurs, quoi ? que c'étaient de grands biens, et les plus sûrs de tous. Car maintenant les incrédules considèrent ce qu'on leur en dit comme des sottises : mais alors tous seront instruits. Voulez-vous savoir encore comment il nous a fait asseoir avec lui ? Ecoutez le Christ qui dit à ses disciples : " Vous serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d'Israël "; et encore : " Mais d'être assis à ma droite et à ma gauche, il ne m'appartient pas de vous l'accorder à vous, mais à ceux à qui mon Père l'a préparé ". (Matth. XIX, 28 et XX, 23.) C'est donc préparé. Et Paul dit bien : " Par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus ". En effet, être assis à droite , est le signe d'une dignité qui surpasse toutes les autres, et au-dessus de laquelle il n'y a rien. Il dit donc que nous serons assis nous-mêmes. C'est vraiment une richesse suréminente, une suréminente grandeur de vertu, que de nous faire asseoir avec le Christ. Quand vous auriez des milliers de vies, ne les sacrifieriez-vous pas pour cela? S'il fallait entrer dans le feu, ne devriez-vous pas y courir?
Jésus lui-même dit encore: " Je veux, partout où je serai, que mes serviteurs y soient également ". (Jean, XII, 26.) Quand on devrait se frapper la poitrine chaque jour pour obtenir un pareil bonheur, ne faudrait-il, pas se hâter d'accepter? Songez où il nous a fait asseoir: " Au-dessus de toute principauté et de toute puissance". Et à côté de qui? A côté du Maître. Qui es-tu donc? Un mort, de sa nature enfant de colère. Et pour quelle bonne oeuvre?Aucune. En vérité, voici bien le moment de s'écrier : " O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu! " (Rom. XI, 33.)
" Car c'est la grâce qui vous a sauvés (8)". De peur que la grandeur des bienfaits ne vous enfle le coeur, voyez comme il vous rabaisse C'est la grâce qui vous a sauvés par la foi ". Ensuite, de peur de porter atteinte au libre arbitre, il fait mention de ce qui nous appartient. Mais aussitôt il revient sur ses pas et dit: " Et cela ne vient pas de vous ". Pas même la foi ne vient de nous : car si Dieu n'était pas venu, s'il ne nous avait pas appelés, comment aurions-nous pu croire? "Comment croiront-ils, s'ils n'entendent pas? " (Rom. X, 14.) De sorte que notre foi même ne vient pas de nous. " C'est un don de Dieu : ni des oeuvres (9) ".Est-ce que la foi suffirait pour sauver? Afin de ne sauver ni les vaniteux, ni les nonchalants, Dieu a requis une foi agissante. Il dit que la foi sauve, mais par Dieu ; car si la foi a sauvé, c'est que Dieu a voulu. En effet, comment, dites-moi, la foi sauverait-elle sans les couvres? Cela même est un don de Dieu, " Afin que nul ne se glorifie", afin de nous inspirer de la reconnaissance au sujet de la grâce. Quoi donc ! dira-t-on, est-ce que Dieu a prohibé la justification par les oeuvres? Nullement : mais Paul dit : " Personne n'a été justifié par ses oeuvres ", afin de montrer la grâce et la bonté de Dieu. Dieu n'a pas repoussé ceux qui ont les oeuvres; mais il a sauvé par la grâce ceux qui étaient abandonnés des oeuvres, afin que personne ne pût plus se glorifier.
3. Ensuite, de peur qu'en entendant dire que tout est l'effet de la foi et non des oeuvres, vous ne vous abandonniez à là nonchalance, voyez ce qu'il ajoute : " Car nous sommes son ouvrage, ayant été créés en Jésus-Christ pour les bonnes oeuvres que Dieu a préparées, afin que nous y marchions (10) ". Entendez bien ces paroles : il fait allusion ici à la régénération. En réalité, c'est une création nouvelle qui nous a fait passer du néant à l'être. (457) Nous sommes morts à ce que nous étions autrefois, je veux dire au vieil homme : ce que nous n'étions pas, nous le sommes devenus. C'est donc une création, et une création plus prédense que l'autre : car à la première, nous devons de vivre; à la seconde, de bien vivre : " Pour les bonnes uvres que Dieu a préparées, afin que nous y marchions n. Non afin que nous commencions, mais afin que nous y marchions : car nous avons besoin d'une vertu constante et soutenue jusqu'à notre fin. S'il nous fallait suivre une route conduisant à une capitale, et si, après avoir fait la plus grande partie du chemin, nous nous arrêtions lassés, au moment de toucher au but, il ne nous servirait de rien de nous être mis en marche : de même l'espérance à laquelle nous sommes appelés resterait inutile à ceux qui la possèdent, si nous ne marchions pas comme l'exige la dignité de celui qui nous a appelés.
Ainsi donc, appelés pour lès bonnes oeuvres, remplissons notre tâche avec persévérance. Car si nous avons été appelés , ce n'est pas pour en faire une, niais pour les faire toutes. De même qu'il y a en nous cinq sens, et que nous devons les employer tous à propos, nous devons agir de même à l'égard des vertus. Etre chaste et sans charité, être charitable et injuste, s'abstenir du bien d'autrui, mais ne pas faire l'aumône avec le sien, tout cela est inutile. Il ne suffit pas d'une seule vertu pour nous faire comparaître avec confiance au tribunal du Christ : il en faut beaucoup et de toute espèce, il nous les faut toutes. Ecoutez le Christ disant à ses disciples : " Allez et instruisez toutes les nations; enseignez-leur à garder tous mes commandements " ; et encore : " Celui qui violera l'un de ces moindres commandements, sera appelé très-petit dans le royaume des cieux " (Matth. XXVIII,19, et V, 19) ; c'est-à-dire, à la résurrection : Car cet homme-là n'entrera. pas dans le royaume l'Evangile appelle souvent royaume le temps même de la résurrection: ", Celui qui en violera un sera appelé très-petit "... Nous sommes donc tenus de les observer tous.
Et voyez comment, sans l'aumône, il est impossible d'entrer dans le royaume : Comment, ne nous manquât-il que ce seul titre, nous irons au feu: " Allez-vous-en, maudits ", est-il écrit, " au feu éternel préparé pour le diable et ses anges ". Pourquoi, pour quelle raison? Parce que j'ai eu faim, et que vous ne m'avez pas donné à manger: parce que j'ai eu soif et que vous ne m'avez pas donné à boire (Matth. XXV, 41.) Voyez-vous comment ce seul grief cause leur perte? Pour cette seule raison les vierges furent chassées de la chambre nuptiale, quoiqu'elles possédassent la chasteté; mais comme l'appui de l'aumône leur faisait défaut, elles n'entrèrent pas avec l'époux : " Recherchez la paix avec tous, et la sainteté sans laquelle nul ne verra le Seigneur". (Héb. XII, 14.) Songez donc que si, sans la chasteté, il est impossible de voir le Seigneur, ce n'est pas à dire qu'avec la chasteté on doive nécessairement le voir : car souvent il y a un autre empêchement. Quand nous ferions toutes les autres bonnes oeuvres, si nous n'aidons pas le prochain, nous n'entrerons pas pour cela dans le royaume. Qu'est-ce qui le prouve? L'exemple des serviteurs auxquels avaient été confiés les talents. Un homme dont la vertu était sans reproche, à qui il ne manquait rien d'ailleurs, fut rejeté justement, parce qu'il avait montré de la mollesse à faire fructifier l'argent.
Pour une simple injure on peut tomber dans l'enfer : Celui qui dit à son frère : " Fou " sera soumis à la géhenne du feu... Eût-on toutes lies vertus, si l'on est porté à l'injure, on n'entrera pas dans le royaume. Et qu'on n'aille pas accuser Dieu de cruauté parce qu'il en exclut ceux qui sont tombés dans cette faute: Parmi les hommes mêmes, l'homme qui a commis la plus légère prévarication, enfreint une seule dès lois, est banni des regards du monarque. Celui qui a porté une accusation calomnieuse, perd sa charge ; celui qui a été surpris en adultère, devient indigne ; il périt, quelles qu'aient pu être ses bonnes uvres ; s'il a commis un meurtre et qu'il soit dénoncé, cela suffit pour le perdre. Que si les lois des hommes sont protégées avec tant de sollicitude , à combien plus forte raison celles de Dieu ! Mais il est bon, direz-vous. Jusques à quand proférerons-nous cet absurde propos ? Je dis absurde, non que Dieu ne soit pas bon, mais parce que nous croyons que sa bonté peut nous être en cela utile a quelque chose, malgré tout ce que nous avons pu dire à mille reprises sur ce, sujet. Ecoutez ces mots de l'Ecriture : " Ne dites pas : Son infinie miséricorde pardonnera la multitude de mes péchés". (Ecclé. V, 6.) Il ne nous est pas défendu de dire : " Sa miséricorde est infinie " : à Dieu ne plaise ! (458) Ce n'est pas cela. qui nous est recommandé, bien au contraire : nous devons le dire et le répéter sans cesse, et Paul fait tous ses efforts pour cela. L'Ecriture a en vue ce qui sait: Ne vous confiez pas, dit-elle, à la bonté de Dieu pour pécher, et pour dire : " Sa miséricorde pardonnera la multitude de mes péchés".
4. En effet, si nous vous entretenons si souvent nous-mêmes de la bonté divine, ce n'est pas pour que nous y comptions au point de tout nous permettre, car alors cette bonté deviendrait le fléau de notre salut, c'est pour quo nous ne désespérions pas dans nos péchés, et que nous fassions pénitence. C'est au repentir que vous pousse la bonté de Dieu, et non à des fautes nouvelles. Si la bonté divine vous déprave, vous ne faites que la compromettre aux yeux des hommes: tant on rencontre de gens . qui accusent la longanimité de Dieu. Vous serez donc punis, si vous en usez autrement qu'il ne faut. Dieu est bon ? Oui, mais il est équitable dans ses jugements. Il pardonne les péchés ? Oui, mais il rend à chacun selon ses oeuvres. Il passe par-dessus les iniquités, il efface les fautes ? Oui, mais il les compté. Mais n'y a-t-il pas contradiction? Non, seulement il s'agit de distinguer les temps. Dieu efface les iniquités ici-bas par le baptême et la pénitence, il pèse là-haut nos actions avec le feu et les tortures. Mais, dira-t-on, si peu de péchés, si un seul suffit pour me faire rejeter et exclure du royaume, pourquoi ne pas m'abandonner à tous les vices? C'est le langage d'un serviteur ingrat : néanmoins nous ne le laisserons point sans réponse. Ne faites pas le mal, dans votre propre intérêt :car si nous (levons être tous également exclus du royaume, nous ne serons pas tous également punis dans la géhenne; il y aura des degrés dans le châtiment. Si vous et lui, vous avez bravé l'un et l'autre les commandements, vous serez exclus pareillement du royaume à quelque degré que vous vous soyez rendus coupables : mais si votre témérité n'a pas été égale, si elle a été plus grande chez l'un, moindre chez l'autre , cette différence se retrouvera dans les tourments de la géhenne.
Pourquoi donc, dira-t-on, ceux qui ne font pas l'aumône sont-ils menacés de s'en aller dans le feu, et non-seulement dans le feu , mais dans le feu préparé pour le diable et pour ses anges ? Pourquoi, pour quelle raison ? Parce que rien n'irrite Dieu, comme l'injustice commise envers des amis. En effet, s'il faut aimer ses ennemis, celui qui se détourne même de ceux qui l'aiment, et qui en cela se montre pire que les païens eux-mêmes, quel châtiment ne méritera-t-il point ? De sorte que c'est justement qu'un péché pareil envoie son auteur rejoindre le diable. Car il est écrit : Malheur à qui ne fait pas l'aumône ! S'il en était ainsi au temps de l'ancienne loi,.à plus forte raison en est-il de même dans celui du Nouveau Testament. Si à une époque où il était. permis de posséder de l'argent, d'en jouir, d'y veiller, la Providence tenait tellement à ce que les pauvres fussent assistés, à combien plus forte raison doit-il en être ainsi, depuis qu'il nous est- ordonné de renoncer à tout ! Que ne faisait-on point alors ! On payait des dîmes , et de doubles dîmes : on venait en aide aux orphelins, aux veuves, aux étrangers... Et l'on vient me dire avec admiration: Un tel donne la dîme. N'est-ce pas. un grand sujet de honte que ce qui n'excitait point d'admiration chez les Juifs, en cause, quand il s'agit de chrétiens? S'il y avait danger alors à ne pas acquitter la dîme, songez quel doit être aujourd'hui le péril. L'ivrognerie également, est exclue du. royaume. Mais quel est le langage de la multitude ? Eh bien ! dit-on, si un tel a le même sort que moi, ce ne sera pas pour moi une faible consolation. Que répondre à cela ? D'abord que votre châtiment ne sera pas le même, à tous deux et que d'ailleurs, il n'y a pas là de consolation. C'est une consolation que de souffrir en compagnie, quand les épreuves sont modérées : mais quand elles sont extrêmes et nous mettent hors de nous, la douleur ne nous permet plus de goûter cette consolation. Dites à celui qu'on torture et qu'on a fait monter sur le bûcher : Un tel endure le même supplice : cette consolation le trouvera insensible. Est-ce que tous les Israélites n'ont pas péri en même temps ? En quoi s'en trouvèrent-ils consolés ? et au contraire, ne fut-ce point pour eux un surcroît de douleur? Aussi disaient-ils: Nous sommes perdus, exterminés, anéantis. Où voyez-vous une consolation? C'est en vain que nous recourons pour nous consoler à ces suppositions. Il n'y a qu'une consolation : C'est de ne pas tomber au feu inextinguible : une fois qu'on y est, plus de consolation : partout les grincements de dents, les pleurs, le ver qui ne meurt point, le feu inextinguible. Sentirez-vous, je vous le demande, (459) aucun soulagement, au milieu d'une telle détresse et de pareilles angoisses ? Ah ! vous aurez sans doute alors tout votre sang-froid !
Je vous en prie et vous en conjure, ne nous faisons point à nous-mêmes
ces illusions, ne nous consolons point par de tels discours, mais faisons
les choses qui peuvent nous sauver. Il vous est offert d'aller vous asseoir
auprès du Christ, et voilà de quoi vous vous occupez ! Quand
bien même vous n'auriez pas commis d'autre péché, à
quel châtiment ne vous exposeriez-vous pas en proférant de
telles paroles, en vous montrant nonchalants, insensés et négligents,
au point de tenir ce langage quand une récompense pareille vous
est proposée ? Oh ! quels ne seront pas vos gémissements,
quand vous entendrez alors appeler au royaume et aux honneurs ceux qui
auront fait le bien ! quand vous verrez d'anciens esclaves, des hommes
de basse naissance, appelés à partager éternellement
le trône royal, pour prix de quelques épreuves endurées
ici-bas ! Ce spectacle ne sera-t-il pas pour vous pire que le supplice
? Si dans ce monde l'élévation de certains hommes vous semble
plus douloureux que le plus cruel châtiment, bien que vous n'ayez
rien à souffrir, si ce spectacle suffit pour vous torturer, vous
arracher des gémissements et des larmes, et vous faire trouver mille
morts douces en comparaison, quelle ne sera pas alors votre souffrance
? S'il n'y avait pas d'enfer, l'idée même du royaume ne serait-elle
pas suffisante pour faire votre supplice ? Et qu'il en sera ainsi, c'est
ce que l'expérience nous révèle assez. Cessons donc
de nous abuser nous-mêmes avec de telles paroles, veillons, songeons
à notre salut, pratiquons la vertu, et excitons-nous nous-mêmes
aux bonnes oeuvres, afin que nous soyons jugés dignes d'obtenir
cette gloire incomparable en Jésus-Christ Notre-Seigneur.
HOMÉLIE V. C'EST POURQUOI SOUVENEZ-VOUS QU'AUTREFOIS, VOUS GENTILS
SELON LA CHAIR, VOUS ÉTIEZ APPELÉS INCIRCONCISION, A CAUSE
DE LA CIRCONCISION FAITE DE MAIN L'HOMME DANS LA CHAIR; PARCE QUE VOUS
ÉTIEZ EN CE TEMPS-LA SANS CHRIST , SÉPARÉS DE LA SOCIÉTÉ
D'ISRAEL , ÉTRANGERS Aux ALLIANCES DE LA PROMESSSE, N'AYANT PAS
D'ESPÉRANCE, ET SANS DIEU EN CE MONDE. (II, 11, 12 JUSQU'A 16.)
Analyse.
1 et 2. De la vocation des gentils et de la constitution de l'Eglise.
3 et 4. Des rapports de l'âme et du corps.
1. Bien des choses montrent la bonté de Dieu à notre égard : la première, c'est de nous avoir sauvés par lui-même, et cela, de la manière qu'on sait; la seconde c'est l'état où nous nous trouvions quand il nous a sauvés; la troisième, c'est le degré auquel il nous a élevés. Toutes ces choses, par elles-mêmes, sont la meilleure preuve de sa bonté. Et Paul les aborde toutes dans l'épître que nous lisons. Il a dit que nous étions morts par nos fautes, enfants de colère quand Dieu nous sauva : il dit maintenant à quel niveau Dieu nous a (460) portés. " C'est pourquoi, souvenez-vous ", dit-il. C'est notre coutume à tous, lorsque nous avons été relevés d'un abaissement profond, ou promus encore plus haut , de perdre jusqu'au souvenir de notre état précédent, à mesure que nous nous habituons à notre gloire présente. De là ces mots : "C'est pourquoi souvenez-vous ". " C'est pourquoi ", entendez puisque nous avons été créés pour les bonnes oeuvres. Il n'en faut pas davantage pour nous persuader de pratiquer la vertu. " Souvenez-vous ". C'est assez de ce souvenir pour nous inspirer de la reconnaissance à l'égard de notre bienfaiteur. " Qu'autrefois vous, gentils ". Voyez comment il rabaisse les avantages des Juifs, et relève les gentils de leur infériorité, laquelle n'était qu'apparente : c'est sur la conduite et les moeurs qu'il s'appuie pour convaincre les uns et les autres.. " Vous étiez appelés incirconcision ". Le privilège était nominal, la supériorité charnelle : incirconcision, circoncision, peu importe. " A cause de la circoncision faite de main d'homme dans la chair; parce que vous étiez dans ce temps-là sans Christ, séparés de la société d'Israël, étrangers aux alliances de la promesse, n'ayant pas d'espérance, et sans Dieu en ce monde".
C'est vous, dit-il, que les Juifs appellent ainsi. Mais pourquoi donc, voulant montrer le bienfait par lequel ils ont été réunis à Israël, au lieu de rabaisser la dignité d'Israël, l'exalte-t-il au contraire en cela? Il l'exalte là où il est nécessaire, mais il la rabaisse dans les choses qui ne devinrent pas communes aux gentils. Car il dit plus loin : " Vous êtes concitoyens des saints, et de la maison de Dieu (19) ". Considérez comment il ne la rabaisse pas là. Mais ici il dit : Ces choses sont indifférentes. Ne croyez pas qu'il y ait une différence, parce que vous n'avez pas reçu la circoncision. Ce qui était dur, c'était d'être sans Christ, d'être séparés de la société d'Israël (et cette séparation ne provenait point de l'incirconcision) ; c'était d'être étrangers aux alliances de la promesse, de ne pas avoir l'espérance, d'être sans Dieu en ce monde : ces avantages étaient particuliers an peuple juif.
Il a parlé des choses du ciel : il parle aussi de celles de la terre, qui étaient un grand sujet de gloire pour les Juifs. De même le Christ, consolant ses disciples, après leur avoir dit : " Bienheureux ceux qui ont été persécutés à cause de. la justice, parce que le royaume des
cieux leur appartient ", ajoute cette considération d'un ordre inférieur : car c'est ainsi " qu'ils ont persécuté les prophètes qui ont existé avant vous ". (Matth. V, 10, 12.) A ne considérer que l'élévation, c'est moins important: mais si l'on regarde à la proximité de l'exemple et à la conviction, cet argument parait fort, persuasif et puissant. Ou sait donc ce qu'il faut entendre ici par " Société ". Paul ne dit pas : En dehors, mais : " Séparés de la société "; il ne dit pas : Indifférents, mais : Non participants, " Etrangers ". Les expressions sont très-fortes: elles indiquent une séparation complète. En effet, il y avait même des Israélites en dehors de la société d'Israël, mais à cause de leur négligence, comme exclus de l'alliance et non comme étrangers. Qu'étaient-ce maintenant que les alliances de la promesse? On se rappelle la promesse divine. "Je te donnerai cette terre à toi et à ta race ", et le reste. " N'ayant pas l'espérance, et sans Dieu ". Ils adoraient bien des dieux, mais c'étaient des dieux sans réalité: une idole n'est rien.
" Mais maintenant que vous êtes dans le Christ Jésus, vous qui étiez autrefois éloignés, vous avez été rapprochés par le sang de ce même Christ. Car c'est lui qui est notre paix, lui qui a des deux choses en a fait une seule détruisant dans sa chair le mur de séparation, leurs inimitiés (13,14) ". Voilà donc cette grande chose, dira-t-on ? C'est notre entrée dans la société des Juifs? Que dis-tu? Tout ce qui est au ciel et sur la terre a été restauré et tu viens maintenant nous parler des Israélites? Oui, dit Paul, car les premières choses ont besoin de la foi pour être admises; celles-ci se voient par les " faits eux-mêmes. Mais maintenant que vous êtes en Jésus-Christ, vous qui étiez autrefois éloignés, vous avez été rapprochés de la société ". " Eloignés, rapprochés": c'est le fait du seul libre arbitre. " Car c'est lui qui est notre paix, lui qui des deux choses en a fait une seule ".
2. Qu'est-ce à dire : " Des deux choses une seule?" Il ne veut pas dire qu'il nous ait conféré la même noblesse, mais bien qu'il nous a. promus avec ceux qui en étaient revêtus déjà, à une noblesse plus haute... D'ailleurs, le bienfait a été plus grand en ce qui nous touche. Les Juifs avaient reçu des promesses, ils étaient tout près: nous, rien ne nous avait été promis, et nous étions plus éloignés. C'est pourquoi il (461) dit: "Et les gentils, à glorifier Dieu pour sa miséricorde ".(Rom. XV, 19.) Dieu avait promis aux Israélites, mais ils se montrèrent indignes : à nous, il n'avait rien promis, nous étions même étrangers; nous n'avions rien de commun avec eux, et il nous a réunis, non pas en nous rapprochant des Juifs, mais en formant d'eux et de nous un seul corps. Je recourrai à un exemple : Supposons deux statues, l'une d'argent, l'autre de plomb; on les fond toutes deux; et deux statues d'or sortent du moule. C'est ainsi que Dieu a fait de deux choses une seule. Autre exemple : Soit un esclave et un fils adoptif, l'un et l'autre coupables d'offenses; l'un proclamé enfant par le héraut, l'autre fugitif et ne connaissant pas même son père. Qu'après cela tous deux deviennent héritiers et enfants légitimes. Les voilà portés à la même dignité : ils sont devenus une même chose, l'un venant de plus loin, l'autre de plus près, et promu seulement à la qualité de légitime qui lui manquait avant l'offense.
" Détruisant le mur de séparation ". Ce que c'est que ce mur de séparation, il l'explique en disant: "Leurs inimitiés dans sa chair ". " Abolissant par sa doctrine la loi des préceptes (15) ". Selon quelques-uns, le mur de séparation, c'est la loi : alors Paul aurait appelé la loi ainsi parce qu'elle ne permettait pas aux Juifs d'avoir des rapports avec les païens... Quant à moi, je ne le pense pas : je pense qu'il appelle ainsi la haine qui est comme une cloison mitoyenne qui nous sépare de Dieu, ainsi que le prophète dit : " Est-ce que vos péchés ne s'élèvent pas entre vous et moi? " Et c'est à bon droit ; car c'était bien une sorte de mur, en effet, que la haine qui séparait Dieu des Juifs et des païens. Tant que la loi subsista, cette haine, loin de diminuer, ne faisait que s'accroître. " La loi ", est-il écrit, " produit la colère ". (Rom. IV, 15.) Comme dans cet endroit, en disant : La loi produit la colère, il n'entend pas la loi absolument, mais la loi, quand nous la transgressons : de même ici il J'appelle mur de séparation , à cause de la haine produite par les infractions. La loi était une cloison; mais une cloison de sûreté, comme un rempart. Ecoutez encore ces paroles du prophète : " J'ai mis un rempart autour de lui ". (Isaïe, V, 2.) Et ailleurs : " Tu as détruit son rempart, et tous ceux qui passent sur la route la vendangent". (Ps. LXXIX, 13.)
C'est donc bien une cloison de sûreté. Ailleurs " Je renverserai son rempart, et il sera foulé aux pieds ". Et encore : " Il a donné la loi pour protection ". (Isaïe, V, 5, et VIII, 20.) Et enfin : " Faisant miséricorde et justice, le Seigneur a fait connaître ses jugements à Israël ". (Ps. CII, 6, 7.) Mais ce mur de séparation, au lieu de rester une défense; devint un obstacle qui les séparait de Dieu. Tel fut ce mur de séparation qui avait commencé par être un rempart. Comment fut détruit ce mur, Paul l'indique lorsqu'il ajoute : " La haine dans sa chair ". " Abolissant la loi des préceptes ". Comment? En y mettant son cachet, et en détruisant ainsi la haine. Mais ce n'est pas seulement par là qu'il fit cesser la haine, c'est encore par l'observation de la loi. Eh quoi ! acquittés de notre précédente infraction , nous voilà donc obligés de nouveau à l'observation ? C'eût été remettre les choses dans leur état; mais la loi même, il l'abolit : " Abolissant par sa doctrine la loi des préceptes ". O charité ! il nous a donné une loi, afin que nous l'observions; puis, comme nous ne l'avons pas observée, au lieu de nous punir, il a été jusqu'à abroger la loi : c'est comme si quelqu'un, après avoir confié un enfant à un gouverneur, le voyant refuser d'obéir, le délivrait de son gouverneur et l'emmenait. Quelle bonté dans ce bienfait ! Et que signifie : " Abolissant par sa doctrine? " Il montre ici la grande différence qui sépare le précepte des doctrines. Ou c'est de la foi qu'il parle, en employant ce mot doctrine : car c'est par la foi seule que la doctrine peut nous sauver; ou c'est du précepte évangélique ; par exemple, le Christ a dit : " Je vous le dis, ne vous irritez nullement ". Tout cela redent à dire : Si vous croyez que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, vous serez sauvés. Et encore : " Près de toi est la parole, dans ta bouche et dans ton coeur ". (Rom. X, 8.)
3. Ne dites pas : Qui montera dans le ciel, ou qui descendra dans l'abîme, ou qui l'a tiré du milieu des morts? Pour vie il a introduit la foi. Car afin de ne pas nous sauver au hasard, d'une part, il s'est soumis de lui-même au supplice, et de l'autre, il a exigé la foi par la doctrine. " Pour former des deux en lui-même un seul homme nouveau ". Voyez-vous comment le païen n'est pas devenu Juif, mais comment l'un et l'autre ont passé à un (462) troisième état? Si Jésus a aboli la loi, ce n'a pas été pour rendre le païen Juif, mais pour créer de tous deux le nouvel homme. Et c'est justement que partout il emploie cette expression : " Créer", il ne dit pas transformer, afin de montrer la puissance déployée dans cette opération, et que, si la création est une chose visible, cette autre création n'est pas moindre pour cela, et que nous ne devons pas plus nous y dérober qu'aux sujétions de la nature. " Pour former en lui-même ", c'est-à-dire par lui-même. Il n'a pas confié ce soin à un autre : c'est lui-même qui ayant fondu ensemble, de lui-même, ces deux métaux, a mis au jour un nouveau métal miraculeux, auquel il avait commencé par s'identifier lui-même,. Voilà ce que signifie : " En lui-même " ; c'est que lui-même, tout le premier, avait fourni le type et le modèle. D'un côté ayant pris le Juif, de l'autre le païen, et s'étant placé entre eux, il les a mêlés, en effaçant tout ce qui les distinguait, et les a refondus d'en-haut, au .moyen du feu et de l'eau, non plus de l'eau et de la terre, mais de l'eau et du feu. Il est devenu Juif circoncis, il est devenu anathème, il est devenu païen infidèle, et quelque chose de plus que les païens et les Juifs.
" Dans un seul homme nouveau ". "En faisant la paix ", en les mettant en paix avec Dieu et les uns avec les autres. S'ils étaient restés Juifs et païens, ils ne se seraient pas réconciliés; et si chacun d'eux n'avait pas dépouillé son état propre, comment auraient-ils passé à un état supérieur ? Le Juif ne s'unit au païen que du moment où il devient fidèle. Supposez en bas, deux appartements séparés, et en haut un seul grand et admirable; les habitants des deux premiers ne commenceront à se voir, qu'une fois réunis dans le troisième. " Faisant la paix ", surtout à l'égard de Dieu ; c'est ce qui résulte de la suite. Que dit-il, en effet? " Et pour réconcilier à Dieu par la croix, les deux réunis en un seul corps (16) ".
Il ne dit pas concilier, mais " Réconcilier ", pour montrer qu'auparavant la nature humaine se prêtait facilement à la conciliation, comme au temps des saints et avant la loi. " En un seul corps " (le sien) " à Dieu ". Comment? En subissant lui-même sur la croix le châtiment encouru. " Tuant en lui-même l'inimitié ". Rien de plus juste ni de plus solennel que ces expressions. Sa mort, veut dire Paul, a tué, meurtri, exterminé la haine ; cette mort qu'il n'a pas prescrite à un autre, dont il n'a pas été seulement l'auteur, mais encore la victime. Il ne dit pas : " Détruisant ", ni " Supprimant ", mais, ce qui est plus fort que tout : " Tuant", de sorte qu'elle ne pût se relever. Qu'est-ce donc qui la ressuscite? L'excès de notre perversité. Tant que nous restons dans le corps tin Christ, tant que nous demeurons unis, elle ne ressuscite pas, elle reste morte; ou plutôt, celle-là ne ressuscite jamais. Mais si nous en enfantons une autre, ce n'est plus la faute de celui qui a tué et anéanti la première ; c'est vous qui donnez le jour à une autre haine. Car la pensée de la chair est inimitié contre Dieu. Si nous n'avons point de pensées charnelles, il n'y aura pas de nouvelle haine engendrée, et la paix subsistera.
4. Songez combien il est affreux, quand Dieu a fait tant de choses pour procurer notre réconciliation, et qu'il l'a opérée, de revenir à l'inimitié. Cette inimitié-là, ce n'est plus le baptême, mais l'enfer qui l'attend, ce n'est plus la rémission, mais le jugement. Pensée de la chair, délice, mollesse; pensée de la chair, convoitise et tous les péchés. Pourquoi cette expression : Pensée de la chair? Cependant sans l'âme la chair ne peut rien. Paul ne dit pas cela pour accuser la chair; de même quand il dit : " L'homme animal ", il ne parle pas ainsi pour accuser l'âme, il veut faire entendre que l'âme pas plus que le corps ne sont suffisants par eux-mêmes, en l'absence de la grâce d'en-Haut, à rien faire de grand ni de généreux. Voilà pourquoi il appelle animales les choses que l'âme produit par elle-même; et charnels, les actes du corps livré à lui-même; non parce que ces actes sont naturels, mais parce que, faute de l'appui divin, ils se pervertissent. C'est une excellente chose que les yeux; mais, en l'absence de la lumière, ils causent des maux innombrables : il n'en faut. accuser que leur faiblesse, et non la nature. Si ces maux provenaient de la nature, jamais les yeux ne nous seraient bons à rien. Il n'y a pas de maux naturels. Qu'est-ce donc que les pensées charnelles ? Les péchés. Quand la chair prend le dessus sur celui qui la mène, elle engendre des maux innombrables. Car le mérite de la chair, c'est de rester soumise à l'âme ; son vice, c'est de dominer l'âme. Un cheval beau et agile ne peut déployer ses qualités sans un écuyer; de même la chair n'est bonne que lorsque nous savons réprimer ses (463) élans désordonnés. Mais un écuyer ne saurait pas davantage se signaler si l'art lui fait défaut; dans ce cas il est plus nuisible qu'utile. De toute manière donc, il faut veiller. L'esprit, ce principe vigilant, rend l'écuyer plus vigoureux : il embellit et le corps et l'âme. De même que l'âme embellit le corps qu'elle anime, et ne peut le déserter, lui retirer son action intérieure, sans le rendre repoussant, à la- manière d'un peintre qui confondrait toutes les couleurs; car alors chaque partie tombe promptement en dissolution et en pourriture : de même quand l'esprit a abandonné à eux-mêmes le corps et l'âme, ils font voir une laideur encore plus affreuse.
Ne vous déchaînez donc point contre le corps comme inférieur
à l'âme. Et je ne veux pas non plus accuser l'âme en
tant qu'impuissante sans le concours de l'esprit. Mais s'il faut le dire,
l'âme mérite plus de sévérité. En effet,
le corps est incapable sans l'âme, de faire aucun mal ; l'âme
au contraire, en fait beaucoup sans le concours du corps; elle en fait
encore beaucoup dans un corps paralysé et réduit à
l'immobilité, par exemple, par les sortilèges des magiciens,
des envieux, des sorciers. D'ailleurs, les débauches du corps ne
proviennent point des nécessités auxquelles il est soumis,
mais de la négligence de l'âme le corps exige de la nourriture,
et non des excès. Au moyen d'un frein solide, je peux arrêter
la course d'un cheval ; mais le corps ne saurait réprimer l'âme
dans ses écarts. Pourquoi donc parler des pensées de la chair?
Parce qu'alors la chair devient responsable. Elle pèche, quand elle
prend le dessus, quand elle dépouille l'esprit, et ôte à
l'âme le gouvernement. Le mérite du corps consiste donc à
céder à pâme ; car par lui-même il n'est ni bon
ni mauvais. Que pourrait faire le corps livré à lui-même?
C'est donc par son union, par sa soumission que le corps est bon : par
lui-même il n'est ni bon ni mauvais; mais il est capable de se porter
au bien ou au mal. Le corps a des appétits, mais ce n'est pas de
fornication ni d'adultère, c'est de commerce sexuel : le corps a
des appétits, non de débauche, mais de nourriture; non d'ivresse,
mais de boisson. Comment le corps n'aspire point à l'ivresse, vous
allez vous en convaincre : dès que vous dépassez la mesure
et ses forces, il cesse de résister. Tout le reste est le fait de
l'âme, par exemple, lorsqu'elle se plonge dans les plaisirs charnels,
lorsqu'elle s'appesantit. En effet, si le corps est beau, l'âme est
plus belle encore... Or, ainsi que l'or est plus précieux que le
plomb, et néanmoins exige du plomb pour la soudure; de même
l'âme a besoin du corps : ou si l'on veut, comme un enfant de bonne
famille a besoin d'un gouverneur. Et ne vous étonnez pas des exemples
que je cite. Quand nous parlons de choses puériles, ce n'est pas
l'âge que nous blâmons, mais les choses qui en ont le caractère
: de même pour le corps. Mais il est possible de quitter la chair,
si nous le voulons, comme aussi la terré, pour les cieux et pour
l'Esprit. Car être quelque part, cela s'entend moins du lieu que
de la disposition d'âme. Souvent nous disons de personnes présentes
en un lieu : Vous n'y étiez pas. Que dis-je? Souvent nous disons
: Vous n'êtes pas en vous-même, je ne suis pas en moi-même
; et cependant quoi de plus sensible que cette présence en soi-même?
Néanmoins nous employons ce terme : soyons donc en nous-mêmes,
dans les cieux, dans l'Esprit. Restons dans la paix et dans la grâce
de Dieu, afin que, débarrassés de toutes les choses charnelles,
nous puissions obtenir les biens promis en Jésus-Christ Notre-Seigneur,
avec qui gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit,
maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.
HOMÉLIE VI. ET, VENANT, IL A ANNONCÉ LA PAIX, ET A VOUS
QUI ÉTIEZ LOIN, ET A CEUX QUI ÉTAIENT PRÉS ; PARCE
QUE C'EST PAR LUI QUE NOUS AVONS INTRODUCTION LES UNS ET LES AUTRES, DANS
UN SEUL ESPRIT, AUPRÈS DU PÈRE. VOUS N'ÊTES DONC PLUS
DES HÔTES ET DES ÉTRANGERS, MAIS DES CONCITOYENS DE SAINTS,
ET DE LA MAISON DE DIEU, BATIS SUR LE FONDEMENT DES APÔTRES ET DES
PROPHÈTES, LE CHRIST JÉSUS ÉTANT LUI-MÊME PIERRE
ANGULAIRE ; SUR LEQUEL TOUT L'ÉDIFICE CONSTRUIT S'ÉLÈVE
COMME UN TEMPLE SACRÉ DANS LE SEIGNEUR; SANS LEQUEL VOUS ÊTES
BATIS VOUS-MÊMES POUR ÉTRE UNE DEMEURE DE DIEU PAR L'ESPRIT.
(11, 17-22 JUSQU'A III, 8.)
Analyse.
1-3. Eloge de saint Paul. Qualités requises pour l'apostolat.
4. Tableau des malheurs de l'Eglise et de l'empire au temps de saint Jean Chrysostome.
1. Il n'a pas eu recours, dit Paul, à l'intermédiaire d'un messager ni d'un interprète c'est lui-même qui nous a tout révélé par lui-même. Il rie nous a dépêché ni ange ni archange, attendu qu'il n'appartenait de guérir de si grands maux et d'annoncer ce qui était arrivé qu'à lui-même, descendant ici-bas. Le Maître a pris le rôle d'un ministre et presque d'un serviteur : il est venu, il a annoncé la paix : " A vous ", dit-il, " qui étiez loin et à ceux qui étaient près ". " Près ", ceci est pour les Juifs considérés par rapport à nous. " Loin ", par là il, fait allusion aux gentils, comme étrangers aux alliances. " Parce que c'est par lui que nous avons introduction les uns. et les autres, dans un seul Esprit, auprès du Père ". Il parle de la paix avec Dieu, de notre réconciliation. D'ailleurs Jésus dit lui-même : " Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix "; et encore : " Ayez confiance, j'ai vaincu le monde "; et aussi : " Tout ce que vous aurez demandé en mon nom, vous l'obtiendrez "; et enfin : " Parce que le Père vous aime ". Voilà des signes de la paix conclue avec les uns et les autres. Avec les premiers, comment? " Parce que c'est par lui que nous avons accès les uns et les autres dans un seul Esprit ". Non pas vous à un moindre degré, ni eux à un degré supérieur : la grâce a été uniforme. Il a détruit la colère par la mort, il nous a rendus aimables à Dieu par l'Esprit. Voilà encore le mot " Dans " pris dans le sens de " Par " c'est par lui et par l'Esprit qu'il nous a donné accès.
" Vous n'êtes donc plus des hôtes et des étrangers, mais des concitoyens, des saints". Voyez-vous ? ce n'est pas seulement dans la cité des Juifs, c'est dans celle de ces grands et saints personnages, les Abraham, les Moïse, les Elie que nous voilà enrôlés et publiquement admis? Car ceux qui parlent de la sorte; dit Paul, font voir qu'ils cherchent une patrie. " Vous n'êtes donc plus des hôtes et des étrangers ". Ceux qui ne doivent pas obtenir les biens célestes sont des étrangers : car le Fils est éternel. " Et de la maison de Dieu ". Ce que les Juifs avaient eu dès l'origine et gardé à travers tant d'épreuves, la grâce de Dieu vous l'a procuré. " Bâtis sur le fondement des apôtres et des prophètes ". Voilà l'espoir de la vocation. Voyez comment il mêle tout. Les païens, les Juifs, tes apôtres, les prophètes, le Christ; et tantôt il emploie l'image d'un corps, tantôt celle d'un édifice pour exprimer la cohésion. " Bâtis sur le fondement des apôtres (465) et des prophètes ". En d'autres termes, le fondement, 'ce sont les apôtres et les prophètes. Et en première ligne il place les apôtres, venus les derniers : sans doute pour indiquer que le fondement est formé des uns et des autres, que le tout forme un édifice unique reposant sur une base unique. Représentez-vous les païens avant pour base les patriarches. Ici l'expression est encore plus propre que celle de greffe qu'on trouve ailleurs, et qui est plus frappante.
Ensuite il poursuit : " Le Christ Jésus étant pierre angulaire ", montrant que c'est le Christ qui retient tout dans l'union. Car c'est la pierre angulaire qui retient assemblés et les murs et les fondations. " Sur lequel tout l'édifice construit s'élève ". Voyez comment le Christ relie le tout. Il montre Jésus tantôt rassemblant d'en-haut et retenant dans l'union toutes les parties de l'ensemble, tantôt supportant d'en-bas tout l'édifice, et lui servant de base. Cette parole : " Il a créé en lui pour former un seul homme nouveau ", fait voir aussi que la réunion des deux parois s'est opérée par son intermédiaire, et encore que la création a été faite en lui. " Premier-né de toute créature ", est-il écrit (Colos. I, 15) ; c'est-à-dire, qu'à lui seul il soutient tout. " Sur lequel tout l'édifice construit s'élève ". Nommez le toit, les murs, tout ce que vous voudrez : c'est lui qui supporte tout. Ailleurs il est nommé fondement : "Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui est posé, lequel est Jésus-Christ ". (I Cor. III, 11.) " Sur lequel tout l'édifice construit "... Ici il indique et montre une vie irréprochable , comme la condition indispensable, à défaut de laquelle on ne peut être posé là. " S'élève comme un temple sacré dans lequel vous êtes bâtis vous-mêmes ". Il répète souvent cela : " Dans le temple sacré pour être une demeure de Dieu dans l'Esprit ". A quoi bon cette construction ? A ce que Dieu habite en ce temple. Car chacun de vous est un temple, et vous tous pris ensemble, et il habite comme dans le corps du Christ, et il habite comme en un temple spirituel. Voilà pourquoi il ne dit pas " Accès ", mais " Introduction " : c'est que nous ne sommes pas venus de nous-mêmes : c'est lui qui nous a introduits; car il est écrit : " Personne ne vient vers le Père, sinon par moi "; et encore : " Je suis la voie, et la vérité et la vie ". " Un temple sacré dans lequel vous êtes bâtis vous-mêmes ".
2. Il revient à son premier exemple, et il les joint aux saints, ne permettant jamais qu'ils soient détachés du Christ. Ce saint édifice durera donc jusqu'à son avènement, et c'est pour cela que Paul a dit : " Comme un habile architecte j'ai posé te fondement ". Et encore au même endroit : " Personne ne peut poser un autre fondement que celui qui est posé, lequel est le Christ ". (I Cor. III, 10, 11.) Voyez-vous qu'il faut prendre les exemples non dans le sens absolu, mais dans le sens relatif au sujet en question? Il use d'exemples en cet endroit, comme lorsque le Christ dit que le Père est un laboureur, et que lui-même est une racine.
" C'est pour cela que moi, Paul, je suis le prisonnier du Christ Jésus, pour vous, gentils. (III, 1.) " Il a dit l'infinie sollicitude du Christ : il passe maintenant à la science, petite sans doute, nulle en comparaison de la première, mais suffisante elle-même à gagner les âmes. Voilà pourquoi moi-même, dit-il, je suis enchaîné. Car si mon Maître a été crucifié pour vous, à bien plus forte raison suis-je enchaîné. Non-seulement il a été lié, mais il permet encore que ses serviteurs le soient pour vous, les gentils. Voilà qui donne à penser : Non-seulement nous ne vous détestons point, mais nous sommes enchaînés à cause de vous, et moi j'ai obtenu cette grâce inestimable. " Car vous avez appris sans doute que Dieu m'a confié la dispensation de sa grâce en votre faveur (2) ". II fait allusion à la prédiction que Dieu avait faite à Damas touchant lui-même à Ananie : " Va, car cet homme m'est un vase d'élection pour porter mon nom devant les gentils et les rois ". Par " Dispensation de sa grâce ", il entend la révélation. C'est comme s'il disait: Ce ne sont pas les hommes qui m'ont instruit, Dieu a daigné me faite une révélation particulière à cause de vous. " Il m'a dit : Va, parce que je t'enverrai loin chez les gentils ". (Actes, XXII, 21.) C'est justement qu'il emploie ce mot de " Dispensation ". En effet, c'était une grande marque de providence que d'appeler d'en-haut celui que rien ne pouvait convaincre, de lui dire : " Saül, Saül, pourquoi me persécutes-tu ? " et de l'aveugler de cette lumière ineffable.
" Car vous avez appris sans doute que Dieu (466) m'a confié la dispensation de sa grâce en votre faveur, puisque, par révélation, il m'a fait connaître cè mystère, comme je vous l'ai écrit plus haut en peu de mots (3) ". Sans doute il les en avait informés par quelques personnes, ou il leur avait écrit peu de temps auparavant. Il montre ici que tout vient de Dieu, que nous n'avons contribué pour rien. En effet, dites-moi, ce grand, cet admirable Paul, qui avait étudié la loi, qui avait reçu une instruction si parfaite aux pieds de Gamaliel, n'est-ce point la grâce qui le sauva? C'est à bon droit qu'il nomme cela mystère : c'est bien un mystère que d"avoir élevé subitement les gentils à une noblesse supérieure à celle des Juifs. " Comme je, vous l'ai écrit plus haut en peu de mots ". " De sorte que, lisant, vous pouvez comprendre (4) ".Ah ! ainsi il n'écrivait pas tout, ni tout ce qu'il fallait écrire. Mais ici c'était la nature de la chose qui le voulait : ailleurs, c'était la perversité, comme chez les Hébreux, comme chez les Corinthiens. " De sorte que, lisant, " sous pouvez comprendre l'intelligence que " j'ai du mystère du Christ... ". Eu d'autres termes, comment j'ai compris ou que Jésus est assis à droite, ou de semblables paroles de Dieu. Ensuite, il fait valoir leur privilège; comment " Dieu n'a pas fait ainsi à toute nation "; et il poursuit en montrant, quel est ce peuple à qui Dieu a fait ainsi. " Mystère qui, dans les autres générations, n'a pas été découvert aux enfants des hommes, comme il est maintenant révélé par l'Esprit à ses saints apôtres et aux prophètes (5) ".
Qu'est-ce donc, dites-moi, que les prophètes ne savaient pas? Comment donc le Christ peut-il dire que Moïse et les prophètes avaient voulu parler de lui ; et encore: " Si vous aviez cru en Moïse, vous auriez cru en moi "; et ailleurs : " Scrutez les Ecritures, puisque vous pensez avoir en elles la vie éternelle, car ce sont elles qui rendent témoignage de " moi ". (Jean, V, 46, 99.) Il veut dire, ou que tous les hommes n'ont pas reçu cette révélation; car il ajoute : " Mystère qui, dans les autres générations, n'a pas été découvert aux enfants des hommes, comme il est maintenant révélé " ; ou que la chose n'a pas été révélée aussi clairement par. les faits, quelle est maintenant révélée à es saints apôtres et aux prophètes par l'Esprit. Voyez en effet : Pierre, s'il n'avait pas été averti par l'Esprit, ne serait point allé chez les gentils. Ecoutez en effet ses paroles : " Ainsi Dieu leur a donné l'Esprit-Saint comme à nous ", S'il dit : " Par l'Esprit ", c'est que Dieu a voulu qu'ils reçussent la grâce par l'Esprit. Les prophètes parlaient, mais ils ne se rendaient point de ces merveilles un compte précis; puisque les apôtres eux-mêmes ne les comprenaient pas parfaitement après en avoir été instruits : car cela dépassait de beaucoup la raison humaine et la commune espérance. " Que les gentils sont cohéritiers, membres d'un même corps et participant avec eux de la promesse (6) ".
3. Qu'est-ce à dire : " Cohéritiers , participant avec eux de la promesse, et membres d'un même corps? " Voilà la grande chose, cette réunion en un seul corps, ce complet rapprochement. On savait que les gentils seraient appelés; mais que ce devait être à ces conditions, on l'ignorait. De là cette expression : " Mystère de promesse ". Les Israélites avaient part, les gentils avaient part également à la promesse de Dieu. " Dans le Christ par l'Evangile ". En d'autres termes, par son envoi vers eux, et par leur conversion : car il ne dit pas seulement: " Dans le Christ ", mais ajoute : " Par l'Evangile ". Mais c'est peu Paul nous révèle quelque chose de plus grand; à savoir que cela était ignoré non-seulement des hommes, mais des anges, des archanges eux-mêmes, de toute puissance créée : c'était un mystère, et personne n'en avait eu la révélation. " Comprendre l'intelligence que j'ai ". Sans doute il fait allusion à ce qu'il leur a dit dans les actes, que s'il invite las gentils eux-mêmes, c'est en lui l'effet d'une certaine intelligence. Il veut parler de l'intelligence du mystère dont il a parlé, à savoir que Jésus créera en lui-même et formera un seul homme nouveau. Il a appris par révélation, ainsi que Pierre, qu'il ne faut pas avoir les gentils en abomination, et saint Pierre le déclare lorsqu il se justifie d'avoir été chez les gentils. " Dont j'ai été fait le ministre en vertu du don de la grâce de Dieu, qui m'a été donnée par l'opération de sa vertu (7) ". Il a dit qu'il est prisonnier, ce qui ne l'empêché pas ici de faire honneur de tout au Seigneur, en disant . " En, vertu du don de la grâce de Dieu " ; car c'est par la vertu de ce don que cet honneur lui a été fait. Mais le don ne suffisait pas, si la force ne (467) lui avait été communiquée en même temps. Car c'était vraiment le fait d'une grande force; et un zèle humain n'aurait pu y suffire. Paul apporta trois choses à la prédication : un zèle bouillant et intrépide, une âme prête à tout supporter, et enfin l'intelligence et la sagesse; car ce n'eût pas été assez du courage, d'une vie irréprochable, s'il n'avait reçu en outre la vertu de l'esprit. Voyez-en la preuve chez lui-même d'abord, ou plutôt, écoutez ce qu'il écrit : " Afin que notre ministère ne soit pas censuré " (II Corinth. VI, 3) ; et encore : " En effet, notre prédication a été exempte d'erreur, d'impureté, de paroles de flatterie, de prétexte d'avarice ". (I Thess. II, 3,5.) Voyez-vous qu'elle était irréprochable. Et ailleurs : " Ayant soin de faire le bien, non-seulement devant Dieu, mais encore devant les hommes ". (Rom, XII, 17.) Ensuite : " Chaque jour je meurs, oui, par la gloire que je reçois de vous en Jésus-Christ Notre-Seigneur ". (I Corinth. XV, 31.) Et encore : " Qui nous séparera de l'amour du Christ? La tribulation, la détresse ou la persécution ? " (Rom. VIII, 35.) Et ailleurs : " Par une grande patience dans les tribulations, dans les nécessités, dans les persécutions, dans les angoisses, sous les coups, dans les prisons ". (II Corinth. VI, 4, 5.) Puis sa conduite pleine de sagesse: " Je me suis fait Juif avec les Juifs, avec ceux qui sont sous la loi comme si j'eusse été sous la loi ". (I Corinth. IX, 20,21.) Il se rase et se soumet à mille pratiques. Mais ce qui passe avant tout, c'est qu'il agissait par la vertu de l'Esprit-Saint. " Car je n'oserai parler d'aucune des choses que le Christ n'a pas faites par moi ". (Rom. XV, 18.) Car en quoi avez-vous été inférieurs aux autres Eglises ? enfin : " Car je n'ai été inférieur en rien aux plus éminents apôtres, quoique je ne sois rien.". (II Corinth. XII, 13,11.) Sans cela la chose eût été impossible. Ce n'est point par des miracles qu'il convertit : les miracles n'y faisaient rien : Ce n'est pas, de cela qu'il croyait devoir se prévaloir, mais d'autres choses. Il faut être irrépréhensible, sage, hardi, persuasif. C'est par là qu'il réussit en général : et dès qu'il avait cela, les miracles devenaient superflus. Nous voyons du moins que, même avant d'avoir opéré aucun miracle, il avait fait mille choses de ce genre.
Et nous, sans avoir rien de tout cela, nous voulons réussir en tout. Or, ôtez l'une de ces choses, le reste devient inutile. Car à quoi bon être hardi, si l'on est sujet aux reproches dans sa conduite? " Si la lumière qui est en toi est ténèbres, les ténèbres elles-mêmes, que seront-elles? " Et que sert d'avoir une vie irréprochable, si l'on est paresseux et nonchalant? " Si quelqu'un ne porte pas sa croix, et ne marche pas à ma suite, il n'est pas digne de moi ". Et encore : " Si quelqu'un ne donne pas sa vie pour les brebis", et la suite. Et que sert de réunir ces deux conditions, si l'on manque d'adresse pour répondre à chacun comme il convient? Or, si les signes ne dépendent pas de nous, ces deux choses sont en notre pouvoir. Paul, tout en s'attribuant toutes ces qualités , en reportait néanmoins tout l'honneur à la grâce. C'est le fait d'un serviteur reconnaissant. Et nous ne connaîtrions pas même ses grandes actions, s'il n'eût été forcé de nous en instruire. Est-ce que nous sommes dignes, même de nous souvenir de Paul? Bien qu'il eût la grâce avec lui, il ne se tenait pas néanmoins pour content, et affrontait pour sa part mille dangers. Et nous, qui n'avons point le même crédit, sur quoi compter, dites-moi, ou pour garder ceux qui nous sont confiés, ou pour gagner ceux qui se tiennent encore à l'écart, nous, hommes adonnés à la mollesse, avides de repos à tout prix, incapables de résister, même en songe, à un péril, ou plutôt, incapables de le vouloir, nous, aussi éloignés de la sagesse de Paul que le ciel est éloigné de la terre? Si ceux qui sont sous notre direction restent si loin des hommes d'alors, c'est que les disciples d'alors valaient mieux que les docteurs d'aujourd'hui : ils étaient circonvenus de tous côtés par les peuples et les tyrans; la guerre les assiégeait de toutes parts : et rien ne pouvait les abattre ni les fléchir.
4. Ecoutez du moins ce que dit Paul aux Philippiens : " Puisqu'il vous a été donné touchant le Christ, non-seulement de croire en lui, mais aussi de souffrir pour lui ". Aux Thessaloniciens: "Vous êtes devenus imitateurs des Eglises de Dieu qui sont en Judée ". Aux Hébreux : "Vous avez supporté avec joie l'enlèvement de vos biens ". Aux Colossiens : " Car vous êtes morts, et votre vie est cachée avec Jésus en Dieu " : et il témoigne en même temps de beaucoup de périls courus par le même peuple. Aux Galates : " Vous avez souffert tant de maux sans motifs, si (468) toutefois c'est sans motif ". Et vous les voyez tous appliqués à faire le bien.. Voilà pourquoi la grâce agissait alors, pourquoi ils vivaient dans les bonnes oeuvres. Ecoutez encore ce qu'il écrit aux Corinthiens, auxquels il adresse mille reproches : ne leur rend-il pas également témoignage en disant : " Mais votre zèle, mais votre désir? " (II Cor. VII, 11.) Tous les témoignages qu'il leur rend à ce sujet, on ne trouverait plus aujourd'hui lieu de les appliquer, même aux maîtres : de sorte que tout a fui, tout est perdu. La raison en est dans le refroidissement de la charité, dans ce que les pécheurs ne sont plus châtiés (" Reprends les pécheurs devant tous ", écrit Paul à Timothée), dans la corruption des chefs : car, dès que la tête n'est point saine, comment le reste du corps demeurerait-il en bonne santé? Voyez l'étrange renversement ! Ceux à qui une vie pure pourrait donner plus de confiance, ont gagné le sommet des montagnes; ils se sont éloignés de la ville comme d'un pays ennemi, ils se sont arrachés à leur propre corps comme s'il leur était étranger. Au contraire , des hommes pervers, souillés de tous les vices, se sont jetés sur les Églises : les dignités sont devenues vénales. De là, des maux infinis. Personne ne réprime les abus, personne ne punit les coupables, mais on a mis un certain ordre dans le désir. Quelqu'un a-t-il péché, est-il accusé, il ne cherche pas à établir son innocence, mais à trouver des complices de son crime. Et pourtant il y a un enfer ! Croyez-moi, si Dieu n'avait réservé ses vengeances à la vie future, vous verriez tous les jours au milieu de nous des châtiments plus tragiques que toutes les calamités qui ont écrasé la nation juive. Que personne ne se fâche, je ne désigne personne. Si quelqu'un avait reçu le don de lire clairement dans la vie des autres, et qu'entré dans l'église, il eût à se prononcer sur ceux qui la remplissent en ce moment avec vous; que dis-je, en ce moment? sur tous ceux qui, le jour de Pâques, reçoivent le baptême, il y trouverait (les crimes plus grands que ceux des Juifs; des gens qui croient aux augures, aux charmes, aux sortilèges, qui emploient les maléfices, des fornicateurs, des adultères, des ivrognes, des médisants. Je passe sous silence les spoliateurs, de peur de blesser quelqu'un ici. Si l'homme dont je parle scrutait les coeurs de tous ceux qui approchent de nos autels dans le monde entier, quelles horreurs ne verrait-il pas? Et, pour ne parler que des chefs, il les trouverait avides de gain, trafiquant des charges publiques, jaloux; vaniteux, fourbes, esclaves de leur ventre ou de l'argent.
L'impiété étant si grande, quels châtiments n'avons-nous pas à redouter? Pour vous faire une idée de la terrible punition encourue par ces pécheurs , rappelez-vous l'Ancien Testament : un soldat vola une propriété sacrée, et tous périrent; vous savez l'histoire? Je parle de ce Charmi qui déroba l'anathème. Alors, dit le prophète : Leur pays fut rempli d'augures, comme celui des étrangers. (Isaïe, II, 6.) Maintenant les maux abondent, et mal ne s'en effraie. Tremblons : car Dieu confond les justes mêmes dans le châtiment des impies, comme il est arrivé pour Daniel, pour les trois enfants, pour des milliers d'autres, comme il arrive encore dans les guerres présentes. Car les uns se déchargent par là de tous leurs péchés, les autres en demeurent chargés. Pour tous ces motifs, veillons sur nous-mêmes. Ne voyez-vous pas la guerre multiplier ses ravages? N'entendez-vous pas le cri des malheurs publics? N'est-ce pas assez pour vous instruire? Des cités, des nations entières disparaissent du monde; des milliers d'hommes libres sont esclaves chez les barbares. Si ce n'est la crainte de l'enfer, que ces cruels fléaux, du moins, nous avertissent et nous corrigent. Sont-ce de pures menaces? ne sont-ce pas des faits réels? D'autres ont été gravement punis; nous le serons plus qu'eux, nous à qui leurs malheurs n'ont pas servi de leçon... Ce langage est importun, je le sais : mais il est utile, si l'on sait y faire attention... Nos discours ne sont pas faits pour plaire, mais pour faire rentrer l'âme en elle-même, et lui inspirer la sagesse. Car c'est ainsi qu'on obtient les biens éternels : auxquels puissions-nous tous parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui la gloire, l'empire, l'honneur appartiennent au Père et eu même temps au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE VII. A MOI, LE MOINDRE DES SAINTS, A ÉTÉ
DONNÉE CETTE GRACE D'ANNONCER PARMI LES GENTILS LES RICHESSES INCOMPRÉHENSIBLES
DU CHRIST, ET D'ÉCLAIRER TOUS LES HOMMES TOUCHANT LA DISPENSATION
DU MYSTÈRE CACHÉ, DÈS L'ORIGINE DES SIÈCLES,
EN DIEU QUI A CRÉÉ TOUTES CHOSES PAR JÉSUS-CHRIST
; AFIN QUE LES PRINCIPAUTÉS ET LES PUISSANCES, QUI SONT DANS LES
CIEUX CONNUSSENT PAR L'ÉGLISE LA SAGESSE MULTIFORME DE DIEU, SELON
LE DÉCRET ÉTERNEL QU'IL A ACCOMPLI DANS LE CHRIST JÉSUS
NOTRE-SEIGNEUR. (III, 8-11 JUSQU'A LA FIN DU CHAP.)
Analyse
1 et 2. De la charité.
3 et Du précepte : Aimez vus ennemis.
1. Quand on entre chez un médecin, ce n'est pas sans but, c'est pour apprendre à se soigner et à employer les remèdes... Et nous, de même, parvenus à cet endroit, il ne faut pas perdre notre temps, mais étudier l'admirable humilité de Paul. Écoutez en effet de quelles paroles il se sert pour montrer la grandeur de la grâce divine : " A moi, le moindre des saints, a été donnée cette grâce ". C'était déjà de l'humilité, que de gémir sur ses péchés précédents , bien qu'effacés, d'en faire mention, de se montrer modeste, comme lorsqu'il s'appelle blasphémateur, persécuteur, téméraire ; mais rien n'égale ceci. Voilà ce que j'étais d'abord, dit-il, et il s'appelle avorton. Mais, après tant de bonnes oeuvres, rester encore fidèle à la modestie, se proclamer inférieur à tous, c'est le fait d'une rare et extrême humilité. " A moi, le moindre des saints ". Il ne dit pas : Des apôtres; donc, "Saint " est une expression qui dit moins. Car il dit ailleurs : " Je ne suis pas digne d'être nommé apôtre ". (II Cor. XV, 9.) , Ici c'est à tous les saints qu'il se déclare inférieur : " A moi, le moindre des saints, a été donnée cette grâce". Laquelle? Celle d'annoncer parmi les gentils les richesses incompréhensibles du Christ, et d'éclairer tous les hommes touchant la dispensation du mystère caché, dès l'origine des siècles en Dieu, qui a créé toutes choses par Jésus-Christ, afin que les principautés et les puissances qui sont dans les cieux, connussent par l'Église, la sagesse multiforme de Dieu.
Soit; cela n'a pas été révélé aux hommes ; mais tu éclaires aussi les anges et les archanges, les principautés et les puissances? Oui, répond-il, car cela était caché en Dieu, dans le Dieu qui a tout créé par Jésus. Et tu oses tenir ce langage? Oui, dit-il. Mais par où la chose est-elle devenue manifeste pour les anges? Par l'Église. Et ii ne dit pas seulement : La sagesse fertile de Dieu, mais: " La sagesse multiforme ". Qu'est-ce à dire? Les anges n'étaient pas instruits? Nullement: si les principautés ne l'étaient pas, à bien plus forte raison les anges. Quoi donc? Les archanges eux-mêmes étaient dans l'ignorance? Oui, eux-mêmes; qu'est-ce qui aurait pu les instruire? Qui aurait été le révélateur? C'est quand nous avons été instruits, qu'eux-mêmes ils l'ont été. Écoutez les paroles de l'ange à Joseph : " Tu appelleras son nom Jésus : car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ". (Matth. I, 21.)
Il fut envoyé, lui, chez les gentils; et les autres , aux hommes de la circoncision. De sorte que la tâche la plus admirable et la plus merveilleuse, elle a été donnée à moi, dit-il, qui suis le moindre. Et c'était encore un effet de la grâce, que cette grande mission confiée à un petit, je veux dire le soin d'évangéliser (470) les gentils. En effet, celui à qui revint la plus grande tâche dans la prédication de l'Evangile, celui-là est grand par ce côté. " D'annoncer parmi les gentils les richesses incompréhensibles du Christ". Si ces richesses sont incompréhensibles, même après sa venue, à plus forte raison son essence. Si c'est encore un mystère, à bien plus forte raison en était-ce un avant la révélation. S'il emploie ce mot " Mystère ", c'est que les anges mêmes étaient dans l'ignorance, et que personne ne connaissait le secret. " Et d'éclairer tous les hommes touchant la dispensation du mystère caché, dès l'origine des siècles, en Dieu qui a créé toutes choses par Jésus-Christ ". Les anges savaient seulement " Que son peuple était devenu la portion du Seigneur ". (Deut. XXXII, 9.) Un ange dit encore : " Le chef des Perses m'a résisté ". (Dan. X , 13.) Ainsi, rien d'étonnant que cela leur fût inconnu également. S'ils ignoraient le retour de la captivité, à plus forte raison ces choses, qui sont l'Évangile même. Il est écrit : " Celui qui sauvera son peuple, Israël ". Rien des gentils; mais ce qui concerne ceux-ci, c'est l'Esprit qui le révèle. Ils savaient que les gentils avaient été appelés; mais que c'était au même partage, et pour s'asseoir sur le trône de Dieu; qui aurait pu s'y attendre? qui aurait pu y ajouter foi? " Caché en Dieu ". Il explique plus clairement ce conseil de la Providence dans l'épître aux Romains. " En Dieu qui a créé toutes choses par Jésus-Christ ". C'est à propos qu'il dit, en parlant de la création : " Par Jésus-Christ ". Celui qui a tout créé par lui, révèle par lui ce mystère : car, il n'a rien fait sans lui. " Sans lui ", est-il écrit, " rien n'est arrivé ". En nommant les principautés et les puissances, il a nommé, les supérieurs et les inférieurs. " Selon le décret éternel ". C'est maintenant qu'il est accompli ; mais il ne date pas d'aujourd'hui : il était rendu à l'avance. " Selon le décret éternel qu'il a accompli dans " le Christ Jésus Notre-Seigneur", c'est-à-dire, selon sa prescience des siècles, sa connaissance de l'avenir ; il savait les événements futurs, et il les régla ainsi : " Selon le décret éternel ", le décret concernant les choses qu'il a accomplies en Jésus-Christ, puisque tout se fait par Jésus-Christ. " En qui nous avons le crédit et l'accès, avec confiance par la foi en lui (12) " .
Ce n'est pas comme des prisonniers, veut-il dire, que nous avons été amenés, ni comme des graciés, ni comme des pécheurs. " Nous " avons le crédit avec confiance ". ou issu. rance. D'où vient cela? De la foi en lui. "Aussi je vous demande de ne point vous laisser abattre à cause de mes tribulations pour vous, car c'est votre gloire (13) ". Comment, pour eux? Comment, leur gloire? Parce que Dieu les a chéris au point de donner pour eux jusqu'à son Fils, et de faire souffrir ses serviteurs. C'est pour leur procurer tant de biens, que Paul était dans les fers. C'est donc une grande preuve de l'amour de Dieu pour eux. Dieu dit pareillement des prophètes : " Je les tuais avec une parole de ma bouche ". (Osée, VI, 5.) Mais comment les tribulations d'autrui pouvaient-elles les abattre? C'est qu'ils étaient émus, troublés. Paul écrit la même chose aux Thessaloniciens : " Afin que personne ne fût ébranlé dans ces tribulations ". (I Thessal. III, 3.) Car il ne suffit pas de ne point se plaindre ; il faut encore se réjouir. En effet, si cette prédiction doit vous consoler, nous vous prédisons que nous devons être en butte aux tribulations ici-bas. Pourquoi cela? Parce que le Maître l'a ordonné ainsi. C'est pour cela " que je fléchis les genoux devant le Père de Notre -Seigneur Jésus" Christ, de qui toute tribu tire son nom au ciel et sur la terre (14) ". Il montre la ferveur de la prière qu'il adresse pour eux. Il ne se borne pas à dire : " Je prie " ; il indique encore la componction qui a inspiré sa prière, par cette expression : " Fléchir les genoux " " De qui toute paternité... (1-5) ". Je ne parle plus , dit l'apôtre , seulement des anges, ni du peuple d'Israël, mais de toutes les tribus créées, soit célestes, soit terrestres. " Afin qu'il vous accorde, selon les richesses de sa gloire, que vous soyez puissamment fortifiés par son Esprit dans l'homme intérieur; que le Christ habite par la foi dans vos coeurs (16, 17) ". Voyez avec quel zèle insatiable il leur souhaite toutes sortes de biens, afin qu'ils ne s'égarent pas. Et comment ce voeu peut-il être réalisé? " Par le Saint-Esprit, dans l'homme intérieur, afin que le Christ habite par la foi dans vos coeurs ".Comment? " Afin qu'enracinés et fondés dans la charité, vous puissiez comprendre avec tous les saints, quelle est la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur, et connaître aussi la charité du (471) Christ qui surpasse toute science (18, 19) ".
2. La prière qu'il a faite en commençant, il la répète en cet endroit.. Que disait-il au commencement? " Afin que le Dieu de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père de la gloire, vous donne l'esprit de sagesse et de révélation " pour le connaître ; qu'il éclaire les yeux de a votre coeur, pour que vous sachiez quelle est l'espérance à laquelle il vous a appelés, quelles sont les richesses de gloire de lhéritage destiné aux saints; et quelle est la grandeur suréminente de sa vertu en nous, qui croyons, selon l'opération de la puissance de sa vertu ". Ici, il dit la même chose : " Afin que vous puissiez comprendre avec tous les saints, quelle est la largeur et la longueur, la hauteur et là profondeur " ; c'est-à-dire, être instruits exactement du mystère accompli en notre faveur; voilà ce qu'il appelle largeur et longueur, hauteur et profondeur : en d'autres termes, connaître la grandeur de la charité divine, et comment elle s'étend dans tous les sens : il emploie pour cela des images matérielles et appropriées à l'humanité ; il embrasse le haut, le bas, les côtés. C'est comme s'il disait : J'ai parlé, mais il n'appartient pas à ma langue, il n'appartient qu'à l'Esprit-Saint d'enseigner ces choses. " Puissamment fortifiés " ; à savoir contre les tentations, contre les égarements : de sorte qu'il n'y a pas d'autre moyen d'être fortifié que l'Esprit et les tentations. Si vous voulez savoir maintenant comment le Christ habite dans les coeurs, écoutez ses propres paroles : " Nous viendrons, moi et mon Père, et nous ferons séjour chez lui ". (Jean, XIV, 23.) Ce n'est point dans tous les coeurs qu'il habite, mais dans les coeurs fidèles, ceux qui sont enracinés dans son amour, et non égarés. " Pour que vous puissiez ". Donc beaucoup de forcé est nécessaire. Pour quel usage, c'est ce qu'il nous fait voir en ajoutant : " Comprendre avec tous les saints quelle est la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur , et connaître aussi la charité du Christ, qui surpasse toute science, afin que nous soyons remplis de toute la plénitude de Dieu ". Voici le sens de ces paroles Quoique la charité du Christ soit au-dessus de toute connaissance humaine, cependant vous connaîtrez, si vous avez le Christ en vous; et non-seulement vous gagnerez à cela cette connaissance, mais encore vous serez remplis de toute la plénitude de Dieu. Ou bien par plénitude de Dieu,, il entend connaître que. Dieu est adoré dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, ou bien il les exhorte à s'efforcer d'être rem. plis de toutes les vertus qui sont toutes réunies en Dieu.
" Mais à celui qui est puissant pour tout faire, bien au-delà de ce que nous demandons ou concevons, selon la vertu qui opère en nous (20) ". " Selon la vertu " est dit ici fort à propos; car c'est grâce à elle que nous pouvons obtenir ce que nous n'avions jamais espéré. Quant à ceci, que Dieu fait bien au-delà de ce que nous demandons et concevons, cela résulte clairement des propres paroles de Paul. Moi, je prie, dit-il; mais de lui-même, et indépendamment de ma prière il fera plus que nous ne pouvons demander, et non-seulement plus, ni au delà, mais " Bien au delà " ; ce mot indique la grandeur du présent. Et qu'est-ce qui prouve cela ? La vertu qui opère en nous. Jamais nous n'avons demandé ces choses, jamais nous ne les avons espérées. " A lui la gloire dans l'Église et dans le Christ Jésus, dans toutes les générations du siècle des siècles (21). Ainsi soit-il. " C'est bien à propos qu'il conclut ainsi son discours par une prière et une glorification. Car il fallait glorifier et bénir celui qui a tant fait pour nous. C'est donc encore une sorte d'hommage, que de glorifier Dieu à cause de ce qu'il a fait pour nous par Jésus-Christ. " A lui la gloire dans l'Eglise ". Ceci est encore très bien dit; car l'Église seule meure éternellement. Considérant donc cette perpétuité, il veut que nous glorifions Dieu jusqu'à la consommation; car cest ce qu'il indique en disant : " Dans toutes les générations du siècle". Qu'est-ce que les tribus? Il est nécessaire de le dire . Ici-bas, on entend par tribus les familles, mais comment dire la même chose au ciel, où il n'y a pas de génération ? Ou bien veut-il parler des associations célestes. De même on trouve dans l'Ecriture une certaine tribu " Amattarei ", d'où vient le nom de pères. Mais Paul ne demande pas tout à. Dieu : il demande aussi aux fidèles la foi et la charité, et non-seulement la charité, mais une charité enracinée et fondée, de sorte que. ni les vents ne puissent l'ébranler, ni aucune autre chose l'abattre.
3. Paul vient de dire que les afflictions sont. un sujet de gloire, les siennes; et à plus forte raison celles de ceux à qui il s'adresse. Les (472) tribulations ne sont donc pas une marque de délaissement: autrement, celui qui nous a comblés de ses bienfaits nous les aurait épargnés. Mais si, pour connaître la charité de Dieu, Paul a besoin de prière et du séjour intérieur de l'Esprit, qui pourra connaître par des raisonnements l'essence du Christ ? Eh quoi ! est-il si difficile de se convaincre que Dieu nous aime? Très-difficile, mon cher frère. Il y a des gens qui l'ignorent, et partent de là pour expliquer l'origine de maux innombrables déchaînés sur le monde; d'autres méconnaissent le degré de cet amour. Paul ne s'inquiète pas de déterminer ce degré : comment le pourrait-il? Il se borne à dire qu'il est grand et sublime de le connaître, et se fait fort de le prouver au moyen de la connaissance même dont nous avons été jugés dignes. Mais qu'y a-t-il au-dessus de ceci : être fortifiés ? C'est d'être fortifiés puissamment; de même qu'avoir le Christ est moins qu'avoir le Christ en soi. Je sollicite de grands bienfaits, dit Paul. Néanmoins Dieu saura bien dépasser mes vux ; non-seulement il nous inspirera l'amour, mais encore un amour brûlant. Appliquons-nous donc, mes chers frères, à apprendre l'amour de Dieu. C'est une grande chose, rien ne nous est aussi utile, rien ne nous inspire autant de componction : la crainte de l'enfer est moins propre à subjuguer nos âmes. Mais qu'est-ce qui nous donnera cette connaissance? Les paroles de l'Ecriture, et aussi les événements de chaque jour. Pourquoi ces choses sont-elles arrivées? Dieu en avait-il besoin ? Nullement- Partout c'est à la charité que l'Ecriture recourt pour tout expliquer. Et la charité n'éclate nulle part aussi visiblement que dans le bienfait aux hommes sans qu'ils l'aient mérité.
Imitons Dieu, nous aussi : faisons -du bien à nos ennemis, à ceux qui nous haïssent, allons à ceux qui se détournent de nous. Voilà ce qui nous rend semblables à Dieu. Vous aimez vos amis, dites-vous : quel avantage vous en revient-il ? Les païens en font autant. Qu'est-ce qui prouve la charité ? C'est d'aimer qui nous hait. Je veux vous donner un exemple : pardonnez-moi, si, n'en trouvant point dans les choses spirituelles, je le tire des choses mondaines. Voyez ceux qu'on appelle amants : tout ce que peuvent leur faire endurer les objets de leur amour, d'outrages, de perfidies, de dommages, ne les empêche pas de leur rester attachés, de brûler d'ardeur pour ,eux, de les aimer plus que leur âme, de passer les nuits devant leur porte. Si je recours à cet exemple, ce n'est pas pour vous inspirer l'amour de pareilles créatures, je veux dire des courtisanes, c'est afin que vous aimiez vos ennemis. Dites-moi, est-ce que ces femmes ne traitent pas ceux qui les aiment plus insolemment que ne feraient des ennemis? ne dissipent-elles pas leur fortune? ne défigurent-elles point leur visage? ne les traitent-elles point avec plus de dureté que des esclaves? Mais ils ne peuvent s'en détacher. Et pourtant, il n'est pas d'ennemi plus cruel qu'une courtisane n'est pour sou amant. Elle se joué de lui, elle l'outrage, elle ne cesse d'abuser de lui; et ses dédains sont proportionnés à l'amour qu'elle inspire. Quoi de plus féroce qu'une âme ainsi faite? Et pourtant on persiste à aimer. Mais peut-être trouverons-nous aussi chez les hommes spirituels des exemples d'une pareille tendresse : non parmi ceux d'aujourd'hui, car la ferveur s'est refroidie; mais parmi les grands et admirables personnages d'autrefois.
4. Le bienheureux Moïse surpassa ceux mêmes que l'amour possède. Comment et de quelle façon ? D'abord il quitta le palais du roi, le luxe qui y régnait, les égards, les hommages qui lui étaient prodigués pour aller vivre avec les Israélites. Tout autre non-seulement n'en eût pas fait autant, mais eût encore rougi, si quelqu'un l'eût convaincu d'appartenir à la même race que des esclaves, et des esclaves réputés impurs.. Loin de rougir de cette parenté, Moïse se voua de tout coeur à la, défense des Israélites, et se mit en péril pour eux. Comment cela? Voyant un homme maltraiter un d'entre eux, dit l'Ecriture, il prit la défense de celui-ci, et tua l'agresseur. Mais en cela il n'agissait pas encore dans l'intérêt de ses ennemis. Cette action est belle sans doute, mais ce qui suit la surpasse. Le lendemain, il vit la même chose se répéter: l'agresseur était celui dont il avait pris la défense : il l'engagea à cesser ses violences. L'autre lui répondit, sans rougir d'une telle ingratitude : " Qui t'a a établi chef et juge sur nous? " Qui n'eût été enflammé de courroux à cette réponse? Si dans la première occasion il n'avait fait que céder à la colère, à la fureur, cette fois encore, il eût frappé et tué le coupable. Car il n'eût pas été dénoncé par celui dont il prenait la défense. S'il parlait ainsi, c'était par respect pour les (473) liens du sang. Cet homme, quand on le provoquait, ne disait point : " Qui t'a établi a chef et juge sur nous? " ni rien de pareil. Et pourquoi n'avoir point tenu ce langage hier ? C'est ton injustice et ton inhumanité qui m'a fait ton juge et ton chef. Mais considérez maintenant qu'il ne manque pas de gens pour tenir ce langage à Dieu même. Sont-ils offensés, ils souhaitent qu'il se montre sévère, ils l'accusent d'un excès de patience : sont-ils offenseurs, c'est autre chose. Quoi de plus amer qu'un tel langage? Et pourtant, cela n'a point empêché Moïse de remplir sa mission auprès de ces ingrats, de ces oublieux. Et même alors, après des signes si manifestes, après les prodiges opérés par lui, ils essayèrent à plusieurs reprises de le lapider, et il fallut qu'il s'échappât de leurs mains ; ils ne cessaient de murmurer, et néanmoins il les chérissait si tendrement, qu'il disait à Dieu, à la suite de leur horrible péché : " Si vous leur remettez leur péché, remettez : sinon, effacez-moi aussi du livre que vous avez écrit ". J'aime mieux périr avec eux, disait-il , que d'être sauvé sans eux.
Passion véritable, véritable excès d'amour. Que dis-tu ? tu dédaignes le ciel? Oui, répondit, car j'aime les coupables. Tu demandes d'être effacé? Et comment faire, répond-il? J'aime. Et qu'arriva-t-il ensuite? Écoutez ce que l'Écriture dit dans un autre endroit : " Et Moïse fut maltraité à cause d'eux". Combien de fois ne l'avaient-ils pas outragé ? Combien de fois déposé, lui et son frère? Combien de fois n'avaient-ils pas tenté de retourner en Égypte? Et après tout cela il était encore tout passion, tout amour, tout prêt à souffrir pour eux. C'est ainsi qu'il faut aimer ses ennemis; en dépit des coups, des mauvais traitements, des difficultés, du délaissement, il faut travailler à leur salut. Et Paul, dites-moi, est-ce qu'il n'a pas demandé l'enfer pour en racheter le peuple? Mais c'est au Maître qu'il faut emprunter un exemple. En effet, il ne fait pas autrement lui-même en disant : " Il a fait a lever son soleil sur les méchants et les bons". (Matth. V, 45.) Il emprunte ses exemples au Père : c'est au Christ que nous devons emprunter les nôtres. Il vint vers les Juifs, j'entends selon l'Incarnation, il se fit serviteur pour eux, il s'abaissa, sortit de lui-même, prit la forme d'un esclave : et, descendu ici-bas, il ne voulut pas aller en personne visiter les gentils, et confia ce soin à ses disciples : non content de cela, il allait partout, guérissant toute maladie et toute infirmité.
Eh bien ! tandis que tous les autres étaient saisis d'étonnement , d'admiration , et disaient : " D'où lui viennent donc toutes ces choses " (Matth. XIII, 56), ceux qu'il comblait de biens disaient : Il a un démon ; il blasphème; il est fou; c'est un charlatan. Eh bien ! est-ce qu'il les repoussa ? Aucunement: il répondit à ces injures par des bienfaits plus grands; il s'en alla vers ceux qui devaient le crucifiera dans le seul but de les sauver. Et après le crucifiement, que dit-il? " Mon père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font ". Maltraité par eux, sur le point de l'être encore, jusqu'au dernier soupir il s'occupait d'eux, il priait pour eux. Et encore après le crucifiement que ne fit-il pas en leur faveur? N'envoya-t-il pas les apôtres ? Ne fit-il pas des prodiges ? N'employa-t-il pas tous les moyens? C'est ainsi qu'il faut aimer ses ennemis, ainsi que nous devons imiter le Christ. Paul agit de la sorte : assailli de pierres, en butte à mille mauvais traitements, il ne cessait de s'occuper de ses persécuteurs. Écoutez-le plutôt : " Ma bonne volonté et ma prière ont pour objet leur salut " ; et encore : " Je leur rends ce témoignage, qu'ils ont du zèle pour Dieu " ; et ailleurs . " Si toi, qui n'étais qu'un olivier sauvage, tu as été enté sur eux, à combien plus forte raison seront-ils entés sur leur propre olivier ". (Rom. X, 1, 2 ; XI, 17.) Combien de charité, de tendresse dans ces paroles ! On ne saurait, non, on ne saurait le dire. C'est ainsi qu'il faut aimer ses ennemis : ainsi l'on aune Dieu qui nous a prescrit cet amour, qui nous en a fait une loi : l'imiter, c'est aimer son ennemi. Songez que ce n'est pas à votre ennemi, mais à vous-même que vous faites du bien ; songez que ce n'est pas là aimer votre ennemi, mais obéir à Dieu. Instruits de ces vérités, pratiquons la charité mutuelle, afin qu'après avoir exactement rempli ce devoir, nous obtenions les biens qui nous sont promis en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles de siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE VIII. JE VOUS CONJURE DONC, MOI CHARGÉ DE LIENS
POUR LE SEIGNEUR, DE MARCHER D'UNE MANIÈRE DIGNE DE LA VOCATION
A LAQUELLE VOUS AVEZ ÉTÉ APPELÉS AVEC TOUTE HUMILITÉ
ET TOUTE MANSUÉTUDE. (IV, 1)
Analyse.
1-5. Eloge des chaînes. Captivité de saint Paul.
6-9. Exemples analogues empruntés à l'histoire de saint Pierre, à celle des trois jeunes gens de Babylone.
1. C'est une vertu chez les docteurs de ne rechercher ni les hommages ni les éloges de leurs subordonnés, mais uniquement le salut de ceux-ci, et de tout faire dans ce but : celui qui agirait autrement ne serait pas un docteur, mais un tyran. Car si Dieu vous a préposé à eux, ce n'est pas pour que vous obteniez plus de respect; mais pour que, négligeant ce qui vous concerne, vous ne songiez qu'à les édifier. Tel est l'office d'un docteur : et tel se montrait le bienheureux Paul, qui, exempt de tout orgueil, se considérait comme un homme vulgaire, pour ne pas dire comme le dernier des hommes. Voilà pourquoi il s'appelle leur serviteur , et parle ordinairement en suppliant. Ici même, voyez comment son langage, loin d'être impérieux ou despotique, est humble et modeste : " Je vous conjure donc, moi chargé de liens pour le Seigneur, de marcher d'une manière digne de la vocation à laquelle vous avez été appelés ". Pourquoi cette exhortation, dis-moi? Est-ce que tu désires quelque chose pour toi-même? Nullement, répond-il, je ne veux que sauver autrui. Cependant, quand on conjure, c'est généralement dans son propre intérêt. C'est justement que cela m'intéresse, répondra Paul voyez ce qu'il écrit ailleurs : " Maintenant nous vivons, si vous restez fermes dans le Seigneur ". Il ne cessait de souhaiter ardemment le salut de ses disciples. " Moi, chargé de liens pour le Seigneur ". Haute et sublime dignité, qui éclipse la royauté, le consulat et tous les autres honneurs.
De même il écrit à Philémon : Comme moi, le vieux Paul, qui de plus suis maintenant prisonnier de Jésus-Christ (9) ... C'est que rien n'est beau comme les chaînes portées pour Jésus-Christ, les chaînes qui ont étreint des mains si saintes. Etre enchaîné- pour Jésus-Christ, c'est plus glorieux que d'être apôtre, que d'être docteur, que d'être évangéliste. Qui aime Jésus-Christ, me comprend. Oui, il sait le prix des chaînes, celui qui brûle, qui est fou de l'amour du Seigneur, et il aimerait mieux être enchaîné pour Jésus-Christ que d'habiter les cieux. Plus resplendissantes que l'or, plus qu'aucun diadème; étaient les mains de Paul: ce bandeau couvert de pierreries qui ceint la tête des rois, ne leur donne pas tant de majesté que cette chaîne de fer subie pour Jésus-Christ. La prison de l'apôtre l'emportait en magnificence sur la demeure impériale; que dis-je? sur le ciel lui-même : car elle possédait en ce moment le prisonnier de Jésus-Christ. Et, si vous aimez Jésus-Christ, vous comprenez cette dignité, vous comprenez cette vertu, cette grâce accordée à la nature humaine de porter des chaînes pour Jésus-Christ. C'est peut-être plus glorieux que d'être assis à sa droite, plus auguste que d'occuper un des douze trônes qui entourent le sien. Et que dirai-je des choses humaines? Je rougirais de comparer à l'éclat de ces chaînes les (475) plus riches parures d'or. Quand on n'aurait d'ailleurs aucune rémunération à attendre, n'est-ce pas une récompense suffisante et très-grande, de souffrir beaucoup pour celui qu'on aime? Ils me comprennent sans effort, ceux dont le coeur est plein d'une affection profonde, sinon pour Dieu, au moins pour la créature. Ne leur est-il pas plus doux de s'immoler pour l'objet aimé que d'en recevoir les hommages? Mais il faut appartenir au choeur des saints apôtres pour avoir l'intelligence de cela. Entendez ce que raconte Saint Luc : " Ils sortaient du sanhédrin, pleins de joie, parce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir un affront pour le nom de Jésus-Christ ". (Actes, V, 41.) Que d'autres nous regardent comme ridicules, quand nous disons que c'est une gloire d'être outragé, une joie d'être couvert d'opprobre; ceux qui soupirent après Jésus-Christ regardent cela comme très-heureux. Si l'on me donnait à opter entre le ciel tout entier et la chaîne de saint Paul, je préférerais cette chaîne. J'aimerais mieux être en prison avec saint Paul, que d'être au ciel avec les anges. Si j'avais à me déterminer entre l'honneur de vivre au milieu des trônes et des puissances célestes, et celui d'être enchaîné avec saint Paul, je demanderais à être enchaîné, et j'aurais raison. Nul bonheur, en effet, ne vaut une telle captivité. Je poudrais être dans ces lieux où l'on garde encore, dit-on, ces fers qui ont pressé les mains de l'apôtre ; je voudrais les voir, et admirer ces hommes enflammés de l'amour du Christ; je voudrais voir ces chaînes que les démons redoutent, que les anges révèrent. Rien n'est doux comme de souffrir pour Jésus-Christ. Ce que j'envie, ce que j'admire dans saint Paul, c'est moins son ravissement au paradis que son cachot, moins les mystères qui lui furent révélés, que ses chaînes et ses souffrances. Et lui-même; il pensait ainsi; car il ne dit pas : Je vous prie, moi, à qui Dieu " A fait entendre des paroles que l'homme ne saurait redire ", mais: " Moi qui suis dans les chaînes pour le Seigneur ".
2. Que s'il ne redit pas la même chose dans toutes ses épîtres, c'est qu'il n'était pas toujours prisonnier. Oui, j'aime mieux souffrir pour Jésus-Christ, que d'être glorifié par Jésus-Christ. Souffrir pour Jésus-Christ, c'est un honneur immense, c'est une gloire qui surpasse tout. Si Jésus lui-même, devenu esclave pour moi, et dépouillé volontairement de sa gloire, ne se trouva jamais glorieux comme au jour où il fut crucifié pour moi, que ne dois-je pas souffrir moi-même? Ecoutez plutôt ses propres paroles : " Glorifiez-moi , mon Père ". Que dites-vous? On vous conduit à la croix avec des brigands et des voleurs sacrilèges; vous allez subir le supplice des scélérats, être en butte aux crachats, aux soufflets, et vous appelez cela de la gloire? Oui, répond-il : car je souffre pour ceux que j'aime, et c'est là que je mets ma gloire. Si Jésus, dans son amour pour des malheureux, des misérables, mettait sa gloire en cela, et non à siéger sur le trône paternel, s'il trouvait sa gloire, non clans la gloire même, mais dans les humiliations, et en faisait l'objet de sa préférence , à plus forte raison dois-je, moi, mettre là ma gloire. O heureuses chaînes ! Heureuses mains que ces chaînes ont décorées ! Les mains de saint Paul, quand elles guérissaient, en le touchant, le perclus de Listres, étaient moins digues de vénération que serrées et meurtries de fers. Si j'avais vécu au temps de l'apôtre, j'aurais aimé à les embrasser, à les approcher de mes yeux, à les couvrir de baisers, ces mains jugées dignes d'être enchaînées pour le Seigneur. Vous vous étonnez qu'une vipère attachée à la main de Saint Paul ne lui fit aucun mal? La bête venimeuse respectait les chaînes qui enveloppaient cette main : la mer aussi révérait en elle la captivité passée -de l'apôtre. Le pouvoir de ressusciter les morts me fût-il donné, je l'estimerais moins que celui de porter ces fers. Et maintenant, si j'étais affranchi des sollicitudes du saint ministère, si j'avais une santé plus valide, rien ne m'empêcherait d'entreprendre un long volage pour voir les chaînes de saint Paul, pour visiter la prison où il fut captif. Bien qu'en plusieurs endroits il y ait des monuments de ses grandes actions, je ne trouve rien de si aimable que les stigmates de ses souffrances; et, dans les saintes Ecritures, il me plaît moins quand il opère dès miracles que lorsqu'il est maltraité, battu de verges, emprisonné. Sans doute, ils sont merveilleux, ces suaires, ces tabliers qui font des prodiges après lavoir revêtu; mais voici qui est plus merveilleux encore. "Après l'avoir meurtri et l'avoir chargé de coups, ils le jetèrent dans un cachot ", et encore : " Enchaînés, ils louaient Dieu ", enfin : " Après l'avoir (476) lapidé, ils le traînaient hors de la ville, croyant qu'il était mort ". (Actes, chap. XVI.)
Voulez-vous savoir ce que c'est que de porter des fers pour Jésus-Christ? Ecoutez le Sauveur lui-même : " Vous êtes heureux ", dit-il. Et en quoi, Seigneur, sommes-nous heureux? Serait-ce de rappeler les morts à la vie? Non. Serait-ce de rendre la vue aux aveugles? Non. En quoi donc sommes-nous heureux ? " Quand les hommes vous persécutent, qu'ils vous chargent d'outrages, qu'ils vous calomnient à cause de moi ". Eh bien ! si des invectives suffisent pour nous rendre si heureux, que sera-ce des mauvais traitements? Ecoutez le même saint, qui nous dit ailleurs : " Désormais la couronne de justice m'attend ". (II Timoth. IV, 8.) Mais cette couronne ne brille pas autant que ces fers. Dieu me jugera digne de cette récompense, dit-il, et je m'inquiète peu du reste. Pour toute rétribution, il me suffit d'avoir souffert pour le Christ. Qu'il me donne le droit de dire : " Je consomme ce qui manque aux " tribulations du Christ dans ma chair ". (Coloss. I, 24.) C'est tout ce que je demande... Pierre aussi fut jugé digne de porter ces chaînes : il était enchaîné , est-il écrit, livré aux soldats, et il dormait. Il était si content, si peu chagrin, qu'il dormait. Il ne serait pas tombé dans un profond sommeil, s'il avait été en proie aux inquiétudes. Il dormait, bien qu'environné de soldats : un ange vint vers lui, et lui frappant le flanc, l'éveilla. Si maintenant l'on venait me dire : Lequel voudriez-vous être, de l'ange qui éveilla Pierre, ou de Pierre qu'il fit échapper? J'aimerais mieux être Pierre, en faveur de qui l'ange descendit... Poissé je jouir de pareilles chaînes ! Et pourquoi donc, dira-t-on, Pierre prie-t-il alors, comme un homme échappé à un grand malheur? Ne vous en étonnez point : il prie, parce qu'il craint la mort ; et s'il craignait la mort, c'est parce qu'il espérait trouver dans la vie de nouvelles occasions de souffrance. Ecoutez du moins ce que dit encore le bienheureux Paul lui-même : " Partir et être avec le Christ , cela est bien préférable; mais rester dans la chair est plus nécessaire à cause de vous ". (Philipp. I, 23, 24.) Il appelle même cela une grâce dans ce passage " Le Christ vous a fait la grâce, non-seulement de croire en lui, mais encore de souffrir pour lui ". Ceci est donc préférable à cela, comme venant de la grâce. Oui, c'est une grâce que de souffrir pour Jésus-Christ, une grâce plus haute que d'arrêter le soleil et la lune, de remuer le inonde. Je la préfère au pouvoir de vaincre et de chasser les démons. Ceux-ci sont moins vexés quand notre foi les chasse, que lorsqu'ils nous voient enchaînés pour Jésus-Christ. Ce qui fait le bonheur d'être enchaîné pour Jésus-Christ, c'est moins l'espérance de régner un jour avec lui que la pensée de souffrir pour lui.
3. Je proclame les chaînes heureuses, non parce qu'elles ouvrent le ciel, mais parce qu'elles sont portées pour le Maître élu ciel. Quel plaisir, quel honneur, quelle gloire de se dire qu'on est prisonnier pour Jésus-Christ! Ce sont là des choses dont je voudrais sans cesse parler. Je voudrais tenir cette chaîne, y être attaché, et, privé en réalité de cet avantage, je veux que du moins; par la pensée, par le désir, mon âme en soit enlacée. " Le cachot fut ébranlé ", est-il écrit, " quand Paul était enchaîné, et les chaînes de tous tombèrent". (Actes, XVI, 26.) Voyez-vous ces chaînes qui font tomber d'autres chaînes ? Car, ainsi que la mort du Seigneur tua la mort, ainsi les chaînes de Paul délivrèrent ceux qui étaient enchaînés, ébranlèrent la prison, en ouvrirent les portes : et cependant le propre des chaînes est de produire un effet tout contraire, de tenir-le prisonnier solidement attaché, et non de lui ouvrir un passage dans les murailles. Mais si la nature des chaînés n'est point telle en soi, telle est celle des chaînes portées pour le Christ. Le geôlier tomba aux pieds de Paul et de Silas. Ce n'est pas non plus un effet propre à toutes les chaînes, que de faire tomber aux pieds des prisonniers les auteurs de leur captivité, ruais tout au contraire de mettre les premiers à la disposition des seconds. Ici, c'est l'homme en liberté qui tombe aux pieds du captif; c'est celui qui avait rivé les fers, qui conjure le prisonnier de calmer son épouvante. N'est- ce donc pas toi, dis-moi, qui as formé ces noeuds? n'est-ce pas toi qui as jeté ces hommes au fond de ce cachot? qui as serré leurs pieds dans des entraves? D'où te vient ce tremblement? ce trouble , ces larmes ? Pourquoi tirer ton glaive? Jamais je n'ai enchaîné rien de pareil, répond-il : je ne savais pas quel était le pouvoir des prisonniers du Christ. Que dis-tu? Ils ont reçu la permission d'ouvrir les cieux, (477) et ils ne pourraient ouvrir un cachot? Ils ont délié ceux qui étaient. au pouvoir des démons, et les fers auraient eu raison d'eux-mêmes? Tu ne les connaissais pas : voilà ton excuse. Ce prisonnier, c'est Paul, que tous les anges ont en vénération; c'est Paul, dont les suaires et les tabliers ont mis les démons en fuite, chassé les maladies; et pourtant les chaînes du démon sont bien plus dures et bien plus difficiles à briser que le fer, car elles enchaînent l'âme, tandis que le fer ne lie que le corps. Comment donc celui qui délie les âmes, n'aurait-il pas eu la force de délier son corps? Comment celui qui brise les liens des dénions, n'aurait-il pas brisé des attaches de fer? Comment celui dont les vêtements, d'eux-mêmes, délivrent les captifs que j'ai dit, et éloigne d'eux les démons, comment ne se serait-il pas mis lui-même en liberté? S'il a été enchaîné, pour remettre ensuite les captifs en liberté, c'est pour que tu voies combien les serviteurs du Christ, dans les fers, ont plus de force que des hommes en liberté. S'il avait fait la même chose étant en liberté, la merveille serait moins grande : de sorte que ses chaînes témoignent non de sa faiblesse, mais de son pouvoir. En effet, rien n'est plus propre à faire éclater la puissance du saint, que de le voir triompher, dans les fers, de ceux qui n'en portent pas, que de le voir, dans les fers, délivrer en même temps que lui-même ses compagnons de captivité. A quoi bon ces murailles? à quoi bon l'avoir précipité dans la partie la plus reculée de la prison, puisqu'il a su ouvrir jusqu'à la partie extérieure? Mais pourquoi ce miracle s'opéra-t-il de nuit, et fut-il accompagné d'un tremblement de terre? Pardonnez-moi si je m'écarte un peu des paroles des apôtres pour m'arrêter avec complaisance sur leurs actions; laissez-moi m'enivrer de cette captivité de Paul, et souffrez que j'en parle encore. J'ai saisi la chaîne, personne ne me l'arrachera; me voilà mieux retenu par lamour que Paul lui-même par ses entraves. Cette chaîne-ci, personne ne la brise : car elle vient de l'amour du Christ; ni les anges, ni le royaume des cieux ne sauraient la rompre écoutez plutôt ce que dit Paul lui-même : " Ni les anges ni les principautés, ni les choses présentes ni les choses futures, ni la hauteur ni la profondeur, rien ne pourra nous séparer de l'amour de Jésus-Christ ". (Rom. VIII, 39.)
Pourquoi donc ce miracle advint-il au milieu de la nuit? et pourquoi ce tremblement de terre? Ecoutez le dessein de Dieu, et reste, confondus. Les chaînes de tous furent brisées, et les portes s'ouvrirent. Mais ce prodige arriva uniquement à cause du geôlier, non pour l'éblouir, mais pour le sauver. La preuve que les prisonniers ignoraient leur délivrance, elle résulte des paroles de Paul. En effet, il cria à haute voix : " Ne te fais aucun mal, car nous sommes tous ici ". (Actes XVI, 28.) Ils n'auraient pas été tous là, s'ils avaient vu les portes ouvertes, et leurs chaînes à leurs pieds. Des hommes habitués à percer les cloisons, à monter sur les toits et les corniches, et prêts à tout tenter en dépit de leurs chaînes, cane fois leurs chaînes tombées et tes portes ouvertes; n'auraient pu se résigner à rester dans la prison, surtout lorsque le geôlier était lui-même endormi. Mais s'ils n'étaient plus retenus par des chaînes de fer, ils l'étaient par celles du sommeil... Les choses avaient été ainsi disposées afin que le miracle pût avoir lieu sans causer aucun préjudice au gardien qui devait être sauvé; sans compter que tes prisonniers sont attaches la nuit avec un soin particulier. On peut donc les voir de nouveau très-solidement enchaînés et donnant. Si cela était arrivé de jour, le désordre eût été grand. Mais pourquoi donc la maison fut-elle ébranlée? Afin que le geôlier se réveillât pour voir ce qui se passait car il méritait seul d'être sauvé.
4. Veuillez considérer maintenant l'infinie bonté du Christ. Car il ne faut pas que la captivité de Paul nous fasse oublier la grâce du Sauveur; ou plutôt n'en est-elle pas, elle-même, une preuve. Quelques-uns trouvent mauvais que le geôlier ait été sauvé, et au lieu d'un sujet d'admirer la bonté divine, ne voient là qu'une occasion de critiques : il ne faut pas s'en étonner. Telle est l'humeur des faibles : ils s'en prennent à l'aliment même dont ils se nourrissent, au lieu de le, vanter, et proclament que le miel est amer. Les aveugles ne reçoivent que ténèbres du foyer qui devrait les éclairer : ce n'est point la faute de la nature, mais celle de leurs organes incapables d'user des choses comme il faudrait. Que disais-je donc? Au lieu d'admirer que Dieu ait relevé et rendu meilleur un homme tombé dans un abîme de méchanceté, ils disent : Et comment ne vit-il pas là une supercherie, un sortilège? Comment, plutôt, ne resserra-t-il (478) pas leur captivité, n'appela-t-il point au secours? Pour bien des raisons : d'abord il les avait entendus louer Dieu; et des enchanteurs n'auraient jamais chanté de tels hymnes. Il est écrit : " Il les entendit louer Dieu ". En second lieu, loin de s'enfuir, ils l'empêchèrent de se donner la mort : s'ils avaient agi dans leur intérêt, ils ne seraient pas restés dans le cachot, et auraient commencé par se tirer d'affaire eux-mêmes. Mais ils firent preuve d'une grande bonté : ils l'empêchèrent de se tuer, lui qui les avait chargés de fers : c'est comme s'ils lui avaient dit: Tu nous as mis en lieu sûr, en nous enfermant dans la partie la plus reculée du cachot; tu nous as durement enchaînés : c'est pour que tu sois affranchi toi-même de la plus rigoureuse des captivités. Chacun, en effet, est étreint dans les chaînes de ses propres péchés : chaînes maudites; celles-ci, au contraire, sont des chaînes de félicité,qu'il faut souhaiter de tous ses voeux... Que ces dernières brisent les autres, Dieu te l'a fait voir par un exemple sensible. As-tu vu tomber les chaînes de fer qui chargeaient tes prisonniers? Eh bien ! tu te verras toi-même déchargé d'autres chaînes pesantes. Ces chaînes, j'entends celles des prisonniers, non celles de Paul, représentent celles du péché. Ces prisonniers l'étaient doublement. Le geôlier était prisonnier lui-même. Les prisonniers étaient enchaînés dans leurs fers et dans leurs péchés; le geôlier était captif de ses seuls péchés. Paul délivra les premiers pour éclairer l'autre : car ces chaînes étaient visibles.
Jésus tint une conduite pareille, ou plutôt inverse. Il avait affaire à une double paralysie, celle des péchés et celle du corps. Que fit-il en cette occurrence? " Aie confiance, dit-il, mon enfant, tes péchés te sont remis ". (Matth. IX, 2.) Il commence par la vraie paralysie , avant d'arriver à l'autre... " Quelques-uns des scribes dirent en eux-mêmes : Celui-ci blasphème. Mais comme Jésus avait vu, leurs pensées, il dit : Pourquoi pensez-vous mal en vos coeurs? Lequel est le plus facile de dire : tes péchés te sont remis, ou de dire : Lève-toi et marche? Or, afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés : Lève toi, dit-il alors au paralytique, prends ton lit et retourne en ta maison ". (Matth. IX, 3-6.) Il prouvait ainsi la vérité impalpable par le fait sensible , il partait du corps pour arriver à l'âme. Et pourquoi agit-il ainsi? Afin d'accomplir la parole : " Mauvais serviteur, c'est par ta propre bouche que je te jugerai ". (Luc, XIX, 22.) Que disaient les scribes? Nul ne peut remettre les péchés, si ce n'est,Dieu seul : ni ange, ni archange, ni aucune autre puissance créée n'a cette faculté. Vous en êtes tombés d'accord. Que fallait-il donc dire? Si je montre que je remets les péchés, il est évident que je suis Dieu... Il ne dit pas cela:que dit-il donc? "Afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés : Lève-toi, dit-il alors au paralytique, prends ton lit, et retourne en ta maison ". C'est comme s'il disait : Quand j'aurai fait le plus difficile, il est clair qu'en ce qui regarde le plus facile il ne vous restera plus de refuge ni de prétexte à m'opposer. S'il commence par ce miracle impalpable, c'est parce que ses adversaires étaient en grand nombre. Après cela, il passa à un prodige sensible. Donc le geôlier pouvait croire sans faiblesse d'esprit : il avait vu les prisonniers : il ne les avait ni vus ni entendus faire ou dire rien de coupable; il n'avait été témoin d'aucun sortilège : ils louaient Dieu; il les avait vus déployer en toutes choses une bonté parfaite : car ils ne s'étaient pas vengés de lui, le pouvant. Ils auraient pu s'échapper et délivrer en même temps les prisonniers : ou tout au moins s'évader eux-mêmes. Ils n'en firent rien : de sorte qu'ils le pénétrèrent de respect, non-seulement par le miracle, mais encore par leur manière d'agir. Ecoutez plutôt Paul crier d'une voix, forte : " Ne te fais aucun mal; car nous sommes tous ici ". Voyez-vous cette simplicité, cette modestie, cette charité. Il ne dit pas : Cela est arrivé à cause de nous : il dit comme s'il était le premier venu des prisonniers: " Car nous sommes tous ici ". Cependant s'ils n'avaient pas pris les devants et profité du miracle pour s'évader, ils pouvaient au moins se taire, et délivrer tous les prisonniers : car s'ils avaient gardé le silence, au lieu de retenir le geôlier par un grand cri, cet homme se serait percé la gorge de son épée. Si Paul cria, c'est encore parce qu'on l'avait relégué au fond de la prison. C'est comme s'il avait dit : Tu as agi contre toi-même, en jetant au fond du cachot ceux qui devaient te sauver. Mais ils n'imitèrent pas sa. conduite à leur égard. S'il était mort, tous se seraient enfuis.
5. Vous le voyez : ils aimèrent mieux rester (479) captifs, que de laisser périr leur gardien. Aussi raisonna-t-il ainsi en lui-même : Si c'étaient des sorciers , ils n'auraient pas manqué de s'évader et de délivrer les autres : car sans doute il avait vu entrer dans le cachot bien des hommes de cette espèce. D'ailleurs il avait bien des fois eu des sorciers sous sa garde, jamais rien de pareil n'était arrivé. Il reste donc étonné. Un sorcier n'aurait pas ébranlé les fondations pour réveiller le geôlier, et rendre sa fuite à lui plus difficile. Mais considérons maintenant la foi de cet homme : " Ayant demandé de la lumière, il entra : et, tout tremblant, il tomba aux pieds de Paul et de Silas ; et, les faisant sortir, il demanda: Seigneurs, que faut-il que je fasse pour être sauvé ? " Il tenait du feu, une épée : et il dit : " Seigneur, que faut-il que je fasse pour être sauvé ? " Ils lui répondirent . " Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé, toi et ta maison ". (Actes, chap. XVI.) Ce ne sont pas des enchanteurs, pensa-t-il , qui pourraient m'enseigner cette doctrine : il n'est pas question ici du démon. Voyez-vous combien il méritait d'être sauvé? Témoin du prodige, délivré de sa frayeur, il n'oublie pas les choses importantes : dans un tel péril il se préoccupe du salut de son âme, il aborde les docteurs. comme il convenait de le faire; il tombe à leurs pieds : " Et ils lui annoncèrent la parole du Seigneur, à lui et à tous ceux qui étaient dans sa maison. Et lui, les prenant à cette même heure de la nuit, il lava leurs plaies, et il fut baptisé, lui et toute sa maison aussitôt après ". Voyez-vous la ferveur de cet homme ? Il ne diffère point, il ne dit pas : Attendons le jour, nous verrons, nous examinerons: pleins de ferveur, lui, toute sa maison courent au baptême.
Ce n'est pas comme de nos jours, où tant de personnes souffrent que leurs serviteurs, leurs femmes, leurs enfants, restent étrangers à nos mystères. Devenez, je vous en conjure, pareils à ce geôlier, je ne dis point par le rang, mais par la volonté. Et quelle est l'utilité du rang, quand, la volonté est impuissante ? Chose admirable ! Ce cruel, ce barbare, ce pervers, occupé sans cesse à faire le mal, devient tout à coup la bonté, la charité même. " Il lava leurs blessures". Considérez de nouveau la ferveur de Paul ; c'est dans les chaînes, c'est tout meurtri de coups, qu'il évangélisait. O bienheureuse chaîne ! quel enfantement fut le sien dans cette nuit! quelle progéniture elle mit au monde ! Voilà ceux dont on peut dire : " Ceux que j'ai engendrés, dans mes fers ". Voyez-vous comment il se vante de sen sort, afin qu'il en rejaillisse un peu d'éclat jusque sur ses enfants ? Voyez-vous quelle est cette gloire des chaînes, qui illustre non-seulement celui qui les porte, mais encore ceux qu'il engendre durant sa captivité ? Ceux que Paul a engendrés étant captifs ont un avantage sur les autres, je ne dis pas selon la grâce, qui est la même pour tous, ni selon la rémission qui est commune à tous, mais à cause de cet enseignement qui leur est donné tout d'abord afin qu'ils trouvent un sujet de joie et d'allégresse dans les contre-temps de ce genre. " Les prenant à cette même heure de la nuit, il lava leurs plaies, et il fut baptisé ". Voyez-en maintenant le fruit: sur-le-champ il reconnaît ce bienfait par des présents charnels : " Les ayant conduits chez lui, il leur servit aussitôt à manger ; et il se réjouit avec toute sa maison de ce qu'il avait cru en Dieu ". Que ne devait-il pas faire en effet, quand le ciel venait de lui être ouvert, en même temps que s'était ouvert le cachot. Il lave son maître, lui sert à manger, et se livre à l'allégresse. En pénétrant dans le cachot, la chaîne de Paul en avait fait une église, avait transformé tout le monde en un corps, celui du Christ, servi le banquet spirituel, et enfanté les fruits qui font la joie des anges. Avais-je tort de dire que celte maison était plus glorieuse que le ciel ? En effet, si le ciel se réjouit, ce fut grâce à cet événement terrestre. Que si c'est fête au ciel pour un seul pécheur repentant, si deux personnes réunies au nom du Christ ont le Christ même au milieu d'elles, à combien plus forte raison devait-il être ainsi de cette réunion où figuraient Silas, Paul, le geôlier et toute sa maison, avec une foi pareille. Voyez l'ardeur de cette foi. Mais cette prison m'en rappelle une autre. Laquelle donc ? Celle de Pierre. Mais là rien de pareil.
Pierre avait été mis sous la garde de quatre bandes de quatre soldats : il ne chantait, ni ne veillait ; il était endormi. Il n'avait pas été non plus flagellé : mais le péril était plus grand. Tout était accompli pour Paul et bilas; ils avaient été punis : Pierre n'avait pas encore subi sa peine. De sorte que s'il ne ressentait pas la douleur des coups, il était en proie aux tourments de l'attente. Mais voici un nouveau (480) prodige: " Un ange du Seigneur se présenta et une lumière brilla dans la prison; alors l'ange, frappant Pierre au côté, le réveilla, disant : Lève-toi promptement. Et les chaînes tombèrent de ses mains ". (Actes, chap. XII.) Afin que Pierre ne croie pas,n'avoir devant lui qu'une lueur, il le réveille. Personne ne voyait la lumière, excepté lui, et il croyait à une vision : ceux qui dorment ne s'aperçoivent pas des bienfaits de Dieu. "Alors l'ange lui dit : Ceins-toi, et mets ta chaussure à tes pieds. Et il fit ainsi. Et l'ange dit : " Prends ton vêtement autour de toi, et suis-moi. Et sortant , il le suivait, et il ne savait pas que ce qui se faisait par l'ange fût véritable, car il croyait avoir Une vision. Or, ayant passé la première et la seconde garde, ils vinrent à la porte de fer qui mène à la ville; elle s'ouvrit d'elle-même à eux. Et sortant , ils s'avancèrent dans la rue; et aussitôt l'ange le quitta ".
6. Pourquoi les choses ne se passèrent-elles pas ici comme pour Paul et Silas ? Parce qu'on devait relâcher ceux-ci ; voilà pourquoi Dieu ne voulut pas qu'ils fussent délivrés de leurs chaînes. Saint Pierre, au contraire, devait être conduit au supplice. Mais quoi , dira-t-on, n'aurait-il pas été plus merveilleux qu'il fût traîné au supplice, remis entre les mains du roi , et alors seulement arraché sain et sauf du milieu des périls? de cette façon les soldats aussi auraient échappé à la mort. C'est soulever une grande question. On dit que Dieu, pour sauver son serviteur, a frappé , exterminé d'autres personnes. Que répondre à cela? D'abord, que Dieu n'a frappé personne; et en second lieu , que si ces gens périrent, leur mort n'est imputable qu'à la barbarie de leur juge et non au plan de la Providence. Comment cela? Dieu avait arrangé les choses de telle sorte qu'Hérode, loin de perdre autrui , fût sauvé lui-même, comme le geôlier de Paul : mais il ne sut pas profiter de ce bienfait. " Quant il fit jour, est-il écrit, il n'y eut pas peu de trouble parmi les soldats, au sujet de ce que Pierre était devenu". Après? Hérode fait urne enquête, interroge les gardiens, les fait conduire au supplice. On pourrait l'excuser, s'il ne les avait point interrogés. Mais il les avait mandés, questionnés; il avait appris que Pierre était enchaîné, que la prison était bien fermée, que les gardes veillaient aux portes : il n'y avait ni cloison percée, ni porte ouverte, ni aucun autre indice de fraude.
Hérode, alors, aurait dû admirer la puissance de Dieu qui avait su arracher Pierre, du milieu des périls , et adorer ce Dieu puissant; loin de là, il fit emmener les soldats au supplice. Comment donc Dieu serait-il responsable en ceci? S'il avait fait percer une cloison, et qu'il eût sauvé Pierre par cette voie , l'évasion aurait pu être imputée à la négligence des soldats : mais s'il avait tout disposé pour qu'il fût démontré que la ruse humaine n'était pour rien dans l'affaire, et que la puissance divine avait seule opéré le prodige, pourquoi Hérode agit-il de la sorte? Si Pierre avait voulu fuir, il se serait enfui avec ses chaînes; s'il avait dû fuir tout alarmé , il n'aurait pas eu la présence d'esprit de prendre ses sandales. Si l'ange lui dit : Chausse tes sandales, c'est afin que l'on vît bien qu'il était parti non en fugitif, mais tout à son aise. Enchaîné entre deux soldats , il n'aurait pas eu le temps de rompre ses chaînes , et cela, quand il était dans l'endroit le plus retiré du cachot. C'est donc à l'iniquité du juge qu'il faut imputer le supplice des gardes. Sinon, pourquoi les Juifs ont-ils agi autrement? En effet cette captivité m'en rappelle encore une autre : la première avait Rome pour théâtre, la seconde Césarée, celle-ci Jérusalem. Les princes des prêtres et les pharisiens reçoivent de ceux qu'ils avaient envoyé chercher Pierre dans sa prison, la nouvelle suivante : Nous n'avons trouvé personne; les portes étaient fermées pourtant, et les gardes en sentinelle devant les portes. Pourquoi ne firent-ils pas alors périr les gardes, au lieu de se demander les uns aux autres dans leur incertitude : Qu'est-ce que cela peut être? Que si malgré la soif de sang qui les dévorait, ils n'imaginèrent rien de pareil, à plus forte raison devais-tu faire comme eux, toi qui ne songeais qu'à leur plaire. Aussi le châtiment d'Hérode ne se fit-il pas longtemps attendre.
Si vous accusez Dieu de ces exécutions, il faut l'accuser aussi des meurtres qui se commettent sur les routes , et de tant d'autres homicides, et de la mort des enfants tués à cause du Christ : car c'est, dites-vous, le Christ qui causa leur mort ; rirais c'est bien plutôt la fureur et la tyrannie du père d'Hérode. Direz-vous : Pourquoi Dieu ne les a-t-il pas arrachés des mains d'Hérode? Il pouvait (481) le faire. Mais cela n'eût servi de rien. Combien de fois le Christ n'est-il pas échappé des mains de ses ennemis? Et quel profit' en revint-il à ces ingrats? Dans l'histoire qui nous occupe, le profit que les fidèles ont retiré des événements est manifeste : le récit qui en a été fait, le témoignage rendu par les ennemis eux-mêmes, ont rendu les faits avérés. Si dans l'autre histoire, ce qui ferma la bouche aux Juifs, ce fut de venir sur le théâtre des événements , et d'en reconnaître la vérité , il en était de même ici. Pourquoi le geôlier ne fit-il rien de pareil? Cependant, ce qui était arrivé à Hérode n'était pas moins miraculeux. Voir les portes ouvertes, n'était pas une chose plus merveilleuse que d'apprendre une évasion consommée , portes closes. Et même dans le premier cas on pouvait croire à une illusion : tandis qu'ici un récit exact ne laissait nulle place à. un pareil soupçon. En conséquence, si cet homme avait été aussi méchant qu'Hérode , il aurait égorgé Paul, comme Hérode , les soldats. Mais il était meilleur. Quant à ceux qui demandent pourquoi Dieu a permis le meurtre des petits enfants , leur répondre, ce serait nous engager dans un discours plus long que celui que nous nous proposions de vous tenir en commençant...
7. Nous venons de rendre grâces aux chaînes de Paul, de montrer combien nous leur sommes redevables: arrêtons ici ce discours, après vous avoir exhortés non-seulement à ne pas gémir des épreuves que vous pouvez avoir à endurer pour le Christ, mais encore à vous en réjouir comme les apôtres, et à vous en glorifier, suivant le mot de Paul : " Je me glorifierai avec délices dans mes infirmités ". Voilà pourquoi il lui fut dit : " Ma grâce te suffit ". (II Cor. XII, 9.) Paul se glorifie de ses fers, et vous êtes fiers, vous, de vos richesses. Les apôtres se réjouissaient d'avoir été jugés dignes de la flagellation, et vous, vous recherchez le repos, la mollesse? Comment donc voulez-vous être récompensés comme eux, si vous suivez une voie tout opposée? " Et maintenant, dit Paul, lié par l'Esprit, je m'en vais à Jérusalem, ignorant ce qui doit m'y arriver; si ce n'est que, dans toutes les villes, l'Esprit-Saint m'atteste que des chaînes et des tribulations m'attendent à Jérusalem ". (Actes, XX, 22, 23.) Pourquoi donc y aller, si des chaînes et des tribulations t'attendent? C'est justement pour cela que j'y vais, répond-il, afin d'être enchaîné pour le Christ, afin de mourir pour lui. Car je suis prêt, non-seulement à porter des fers, mais encore à mourir pour le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Rien de plus fortuné qu'une âme pareille. Où trouve-t-elle sa gloire? Dans les chaînes, les tribulations, les liens, les stigmates... " Je porte dans ma bouche les stigmates du Seigneur Jésus-Christ ", dit-il, comme si c'était un glorieux trophée; et encore : " A cause d'Israël, je suis enveloppé de cette chaîne " ; et ailleurs: " Dont j'exerce la légation dans les chaînes ". Qu'est-ce à dire? tu ne rougis point? Tu n'as pas peur de ce monde que tu traverses en prisonnier? Tu ne crains pas que quelqu'un n'accuse ton Dieu de faiblesse? que cela n'empêche quelqu'un de venir à lui? Telles ne sont pas mes chaînes, répond-il elles brillent jusque dans les palais. " En sorte que mes liens sont devenus célèbres dans tout le prétoire; et que plusieurs de nos frères dans le Seigneur, encouragés par mes liens, ont beaucoup plus osé annoncer sans crainte la parole de Dieu". (Philipp. I, l3,14.) Voyez-vous le pouvoir des liens, supérieur à celui des résurrections : ils m'ont vu enchaîné, et n'en sont que plus confiants. Car où il y a des liens, il se passe nécessairement quelque grande chose; où il y a tribulation, il y a nécessairement salut, nécessairement repos, nécessairement oeuvres de grande vertu. C'est quand le diable regimbe, qu'il est frappé; c'est quand il enchaîne les serviteurs de Dieu, que la parole fait le plus de progrès. Et voyez comment partout la même chose arrive. Il est emprisonné, et dans sa prison, voilà ce qui l'occupe : " Dans mes fers ", écrit-il. Il est emprisonné à Rome, et convertit beaucoup de personnes : car il n'était pas le seul qui eût confiance : beaucoup d'autres étaient en sécurité grâce à lui. Il est emprisonné à Jérusalem ; chargé de chaînes, il harangue le roi, l'épouvante, effraye son juge qui, dans sa terreur, dit-il, le mit en liberté, et ne rougit pas d'être instruit au sujet de l'avenir par celui qu'il avait enchaîné... Enchaîné sur un vaisseau, il empêche un naufrage et réprime une tempête. Chargé de chaînes, il est assailli par une bête dangereuse qui ne réussit pas à lui faire aucun mal. Il est lié à Rome, et, tout lié qu'il est, il harangue le peuple, il convertit (489) des milliers de personnes; pour toute arme, n'ayant qu'une simple chaîne.
Mais on ne peut plus aujourd'hui se faire enchaîner. On. le peut d'unie autre manière, pour peu qu'on le veuille. Comment cela? Il suffit de commander à ses mains de ne point s'abandonner à la convoitise. C'est de cette chaîne qu'il faut nous lier nous-mêmes : (lue la crainte de Dieu nous tienne lieu de fers. Délions ceux qui sont enchaînés par la pauvreté, par la tribulation. Ouvrir les portes d'une prison, c'est moins méritoire que de mettre en liberté une âme captive; ôter à des prisonniers leurs liens, c'est moins que de délivrer ceux qui souffrent. Dans le premier cas, il n'y a point de récompense promise; dans le second, il y en a d'innombrables. Longue est la chaîne de Paul, car elle a pu nous envelopper tous; oui, longue, et plus magnifique que la première venue des chaînes d'or. Elle attire au ciel, comme au moyen d'une machine, ceux qui en sont enlacés; comme une chaîne d'or suspendue, elle nous élève jusque dans les cieux ; et ce qu'il y a de merveilleux , c'est qu'elle attire en haut ceux qu'elle enlace ici-bas. Cela répugne à la nature. Mais ne cherchez pas à retrouver l'ordre de la nature dans les événements que Dieu conduit : tout y surpasse l'ordre naturel. Apprenons à ne pas nous décourager, à ne pas nous irriter dans les tribulations. Voyez ce bienheureux : il avait été flagellé, et flagellé cruellement : " Leur ayant donné nombre de coups ", est-il écrit. Il avait été enchaîné, et enchaîné avec rigueur : car on l'avait jeté dans la partie la plus reculée du cachot, et mis sous bonne garde. Eh bien! au milieu de toutes ces épreuves, au fort de la nuit, quand les plus éveillés succombent au sommeil, comme au poids d'une chaîne plus lourde encore, ces hum mes chantaient, louaient le Seigneur. Quel bronze ne paraîtrait faible auprès d'âmes pareilles ! Ils songeaient aux trois enfants qui, eux aussi, chantaient dans le feu de la fournaise: peut-être se disaient-ils Jamais nous n'avons été soumis à une aussi rude épreuve. Mais sachons gré au discours de nous avoir amenés devant ces autres chaînes et cet autre cachot.
8. Que faire? Je voudrais me taire, et cela m'est impossible. Me voici en présence d'une autre captivité encore bien plus merveilleuse et plus étonnante. Veuillez m'écouter, comme si je commençais à. parler, et me prêter une attention toute fraîche. Je voudrais couper court et le sujet m'en empêche. Quoi qu'on vienne dire à un buveur, on ne lui persuadera pas de déposer la coupe qu'il porte à ses lèvres: et moi, à présent que j'ai saisi cette coupe miraculeuse des captivités souffertes pour le Christ, je ne puis m'arrêter, je ne puis me taire. Si Paul lui-même ne se tut point quand il était en prison, quand il faisait nuit, et pas même quand on le flagellait, irai-je me taire, moi, quand il est jour, que je suis tranquillement assis, que je parle tout à mon aise, au rebours de ces prisonniers, de ces flagellés, que la nuit même ne pouvait réduire au silence?
Les enfants ne se taisaient point dans le feu de la fournaise : et nous ne rougirions pas de nous taire? Considérons donc encore cette nouvelle captivité. Paul aussi était lié; mais dès le principe il avait été signifié qu'il n'était pas destiné au feu, mais à la prison. Car à quoi bon lier des hommes qui doivent être brûlés? Les trois enfants avaient les pieds et les mains liés, ainsi que Paul; leur bourreau n'avait pas moins de fureur. En effet, si l'autre fit jeter Paul au fond de la prison, celui-ci lit chauffer fortement la fournaise. Mais voyons ce qui suivit. Nos chrétiens louaient Dieu: leur prison fut ébranlée, et les portes s'ouvrirent. Les enfants louaient Dieu : les chaînes tombèrent de leurs pieds et de leurs mains ; leur prison s'ouvrit, les portes de la fournaise cédèrent car la rosée de l'Esprit y pénétrait. Mais je me sens déborder. Je ne sais par où commencer, par quoi continuer. Je vous prie donc de n'exiger de moi aucun ordre : tout ici se tient. Ceux qui étaient avec Paul et Silas furent déliés, bien qu'endormis. Ici, ce fut autre chose qui arriva: ceux qui avaient jeté les enfants dans la fournaise furent brûlés. Mais voici ce que je voulais dire. Le roi vit les enfants délivrés, et il tomba à leurs pieds; il les entendit chanter, il vit quatre personnes marcher, et il les appela. Ainsi que Paul n'avait pas voulu sortir, bien qu'il le pût, jusqu'à ce qu'il eût été mandé et mis en liberté par celui qui l'avait jeté en prison, les trois enfants ne sortirent pas non plus, avant qu'ils en eussent reçu l'ordre de celui qui les avait condamnés. Quel enseignement lirons-nous de la? De ne pas nous hâter dans les supplices, de ne pas nous presser dans les tribulations, et de n'y pas rester non plus, quand on nous en délivre. Le roi donc (483) tomba à genoux; il pouvait entrer dans l'endroit où étaient les saints ; mais il se tint à la porte : car il n'osait pénétrer dans l'intérieur du cachot brûlant qu'il leur avait préparé. Veuillez considérer maintenant ces paroles : " Seigneurs, dit le geôlier, que faut-il que je a fasse pour être sauvé? " Le roi parle avec moins d'humilité, mais non pas moins de douceur : " Sedrach, Misac, Abdénago, serviteurs du Dieu très-haut, sortez et venez ici ". (Dan. III, 93.) Quel honneur ! " Serviteurs du Dieu très-haut, sortez et venez ici ". Et comment pourraient-ils sortir, ô roi ? Tu les as enchaînés et jetés dans la fournaise, où ils sont depuis longtemps. Quand ils seraient de bronze, de métal, n'auraient-ils pas péri depuis qu'ils ont commencé à chanter leur hymne?
Mais c'est ce chant même qui les a sauvés. Le feu respecta leur ferveur, leur chant, leurs hymnes admirables. Quel nom leur donnes-tu? Je l'ai déjà dit : " Serviteurs du Dieu très-haut". Tout est possible aux serviteurs de Dieu. S'il y a des serviteurs de maîtres mortels qui partagent leur autorité et la gestion de leurs biens , à plus forte raison en est-il ainsi des serviteurs de Dieu. Le roi donne aux enfants le nom le plus doux : il savait les flatter par là. En effet, s'ils étaient entrés dans les flammes pour rester serviteurs de Dieu, aucune autre appellation ne pouvait leur être plus agréable; en les appelant des rois maîtres du monde, il ne les aurait pas tant réjouis qu'en leur disant : " Serviteurs du Dieu très-haut ". Faut-il vous en étonner? Ecrivant à cette grande cité qui était la maîtresse du monde, à cette grande cité si fière de sa gloire, Paul se désigne par le titre suivant, comme s'il eût équivalu à ceux de consul, de roi, de maître du monde, ou plutôt, parce qu'il les surpasse incomparablement : " Paul, serviteur de Jésus-Christ... " " Serviteurs du Dieu très-haut ". S'ils déploient tant de zèle pour être serviteurs, pensait-il, nous ne manquerons point de les gagner par là...
Observez, en conséquence, là piété des enfants. Ils ne s'irritent point, ne s'indignent point, ne répondent point : ils sortent. S'ils avaient considéré comme un supplice d'être précipités dans la fournaise, ils auraient pu avoir du ressentiment contre celui qui les y avait enfermés : mais rien de pareil ; on eût dit, à les voir, qu'ils sortaient du ciel. Et l'on aurait pu leur appliquer ce que le Prophète dit du soleil . " Comme un fiancé sortant de la chambre nuptiale " ; car leur sérénité était plus grande encore. Le soleil paraît pour répandre sur le monde la lumière sensible eux, ils y répandaient une autre lumière, la lumière immatérielle. Car aussitôt le roi envoya en leur faveur un ordre ainsi conçu : Je me suis complu dans les signes et dans les prodiges que Dieu a faits de manière à nous en révéler la grandeur et la puissance. Ils sortirent donc; et la lumière qu'ils répandaient, éclatante en ces lieux-mêmes, devint capable, grâce au message royal, de se propager au loin, et de dissiper partout les ténèbres. " Sortez et venez ici ". Il ne fit pas éteindre la fournaise : mais c'était encore un hommage qu'il leur rendait que de les croire capables, non-seulement de marcher à l'intérieur, mais encore de sortir malgré le feu.
9. Considérons maintenant, s'il vous plaît, les paroles du geôlier : " Seigneurs, que fauta il que je fasse pour être sauvé? " (Act. XVI, 30.) Quoi de plus agréable qu'une telle parole? Elle fait tressaillir de joie les anges eux-mêmes; afin de l'entendre , le Fils unique de Dieu alla jusqu'à se faire serviteur. C'est ce que disaient à Pierre ceux qui crurent au commencement " Que ferons-nous pour être sauvés ? " Et que répond-il ? " Croyez, et faites-vous baptiser ". (Ibid. II, 37, 38.) Paul aussi se serait volontiers jeté dans l'enfer pour entendre ce langage sortir de la bouche des Juifs, tarit il désirait les voir sauvés et dociles. Voyez pourtant : il se remet à eux de toutes choses, il ne les importune point. Mais passons à la suite. Le roi ne dit pas : Pour que je sois sauvé; mais l'enseignement qu'il avait reçu était plus convaincant que ne pouvait l'être aucun langage. car aussitôt il proclame la vérité. Il n'a pas besoin d'être catéchisé comme le geôlier ; il rend hommage à Dieu et confesse sa puissance : Je sais en vérité que votre Dieu est le Dieu des Dieux et le Seigneur des Seigneurs; qu'il a dépêché son ange et vous a tirés de la fournaise. Et la suite? Ce n'est pas un seul homme, un geôlier, c'est un grand nombre de personnes qui sont catéchisées par le message royal et par la vue des événements. Il était clair pour tous que le roi n'avait pas menti; il n'aurait pas voulu rendre un pareil témoignage à des captifs, ni s'abaisser lui-même; il n'aurait pas voulu donner une telle preuve de démence. Ainsi donc, si la vérité n'avait pas été (484) très-manifeste, il n'aurait rien écrit de pareil, surtout devant tant de témoins.
Voyez-vous quel est le pouvoir des chaînes? quelle est la puissance des louanges chantées dans la tribulation ? Les trois enfants ne se découragèrent pas, ne s'abandonnèrent pas au désespoir: jamais ils n'avaient déployé tant de zèle et de ferveur. lis avaient bien raison. Un point reste à éclaircir. Pourquoi dans la prison les prisonniers furent ils déliés, et dans la fournaise la flamme dévora-t-elle ceux qui l'avaient allumée? C'était le roi qui devait souffrir ce supplice : car ni ceux qui avaient enchaîné les enfants, ni ceux qui les avaient précipités dans la fournaise, n'étaient aussi coupables que celui qui avait donné l'ordre. Pourquoi donc périrent-ils? Ici il n'y a pas besoin d'un long examen. Ces hommes étaient des impies: Dieu voulut manifester le pouvoir de la flamme et rendre le prodige plus merveilleux; car si le feu dévora ceux qui étaient dehors, comment put-il épargner ceux qui étaient à l'intérieur? Ce fut afin de révéler la puissance de Dieu. Et qu'on ne s'étonne pas de me voir mettre le roi sur la même ligne que le geôlier; leur conduite fut la même l'un n'est pas au-dessus de l'autre, et tous deux ont été également favorisés. Mais ce que je disais, cest que les justes ne sont jamais plus fervents que dans les tribulations , que dans les chaînes. Souffrir pour le Christ, voilà qui surpasse toutes les consolations.
Voulez-vous que je vous entretienne encore d'une autre captivité?
Il faut quitter ces chaînes pour d'autres. Lesquelles choisissez-vous?
celles de Jérémie? celles de Joseph, celles de Jean.? Grâces
soient rendues aux chaînes de Paul! que de prisons elles ouvrent
à notre discours ! Voulez-vous celles de Jean? Il fut enchaîné,
lui aussi, pour le Christ et pour la loi de Dieu. Eh bien ! est-ce qu'il
restait oisif dans son cachot? Est ce que du fond de sa prison il n'envoyait
pas dire à ses disciples: Allez dire au Christ: " Es-tu celui qui
vient, ou en attendons-nous un autre? " (Matth. XI, 3.) Jusque dans les
fers, il s'occupait d'enseigner. Et Jérémie, n'a-t-il pas
prophétisé au sujet du Babylonien, là même fidèle
à sa mission? Et Joseph? Ne demeura-t-il pas enchaîné
treize ans? Néanmoins il n'oublia pas la vertu. Citons encore un
dernier, captif pour finir. Notre-Seigneur aussi fut enchaîné,
lui qui a délié la terre de ses fautes ; des noeuds serrèrent
ces mains fécondes en bienfaits... " L'ayant attaché ", est-il
écrit, " ils le menèrent devant Caïphe ". Il fut enchaîné,
cet auteur de tant de miracles. Pleins de ces pensées, ne perdons
jamais courage, et réjouissons-nous jusque dans les fers: que dis-je?
même en liberté, pensons comme si nous étions captifs.
Voyez-vous quel bien c'est que la captivité? En conséquence,
rendons grâces de tout à Dieu en Jésus-Christ Notre-Seigneur.
HOMÉLIE IX (1). JE VOUS CONJURE DONC, MOI, CHARGÉ DE LIENS
POUR LE SEIGNEUR, DE MARCHER D'UNE MANIÈRE DIGNE DE LA VOCATION
A LAQUELLE VOUS AVEZ ÉTÉ APPELÉS, AVEC TOUTE HUMILITÉ
ET TOLITE MANSUÉTUDE, AVEC TOUTE PATIENCE, VOUS SUPPORTANT MUTUELLEMENT
EN CHARITÉ; APPLIQUÉS A CONSERVER L'UNITÉ D'ESPRIT
PAR LE LIEN DE LA PAIX. (IV, 1-3.)
Analyse
1-3. Eloge des tribulations. De l'humilité.
4. De la charité.
1. On a vu le pouvoir de la chaîne de Paul pouvoir immense, supérieur en éclat aux miracles. Ce n'est donc pas sans raison qu'il en parle en cet endroit : il ne voit pas de meilleur moyen pour faire rentrer en eux-mêmes ceux à qui il s'adresse. Que dit-il donc? " Je vous conjure, moi, chargé de liens pour le Seigneur, de marcher d'une manière digne de la vocation à laquelle vous avez été appelés ". Comment cela? " Avec toute humilité et toute mansuétude, vous supportant mutuellement en charité ". Ce qui est beau, ce n'est pas d'être chargé de liens, c'est d'être chargé de liens pour le Christ. Voilà pourquoi il dit : " Chargé de liens pour le Seigneur, c'est-à-dire pour le Christ ". Rien n'égale un tel sort. Mais voilà que cette chaîne nous écarte de plus en plus de notre sujet, nous entraîne, sans que nous ayons la force de résister; mais nous nous laissons entraîner librement, volontairement; et plût à Dieu que toujours il nous fût permis de parler de la chaîne de Paul ! Mais n'allez pas vous endormir : une nouvelle question surgit. Paul, faisant son apologie, dit à Agrippa : " Plaise à Dieu qu'il ne s'en faillé ni peu ni beaucoup; que non-seulement vous, mais encore tous ceux qui m'écoutent, deveniez aujourd'hui tels que je suis moi-
1 L'édition d'Oxford (1862) nous a été utile pour la solution de plusieurs difficultés dans la traduction de cette homélie et des suivantes.
même, à l'exception de ces liens ! " (Act. XXVI, 29.) S'il parle ainsi, ce n'est pas qu'il regarde ses liens comme un juste objet d'effroi : à Dieu ne plaise ! En effet, s'il en jugeait ainsi, il ne se glorifierait point de ses chaînes, de ses captivités, de ses autres tribulations; il n'écrirait point : " Je me glorifierai avec délices dans mes infirmités ". (II Cor. XII, 9.) Mais encore? Ceci même est une preuve du cas qu'il faisait des chaînes. Ainsi que dans son épître aux Corinthiens, il disait : " Je vous ai donné du lait à boire, et non des aliments, car vous n'étiez pas encore en état " (I Cor. III, 2) ; de même ici il s'adresse à des gens incapables de comprendre la beauté, la magnificence, l'utilité des chaînes. Voilà pourquoi il dit : " A l'exception de ces liens ". Ce n'est pas ainsi qu'il parle aux Hébreux : loin de là, il les exhorte à se faire enchaîner avec ceux qui sont dans les fers. Aussi lui-même se complaisait-il dans ses liens; aussi se faisait-il enchaîner et conduire en prison avec les autres captifs. Grand est le pouvoir de la chaîne de Paul : c'est un spectacle qui vaut tous les autres, que de voir Paul enchaîné et tiré de sa prison. Le voir enchaîné et assis dans son cachot, n'est-ce pas une incomparable joie, un avantage inappréciable?
Vous voyez, n'est-ce pas? les monarques, les consuls, traînés sur des chars, tout couverts d'or, et comme eux, leurs satellites, avec des lances d'or, des boucliers d'or, des rênes (486) dorées, des chevaux enharnachés d'or. Combien le spectacle qui est sous nos yeux n'est-il pas plus attrayant! J'aimerais mieux avoir vu une fois Paul sortir du cachot, avec les prisonniers, que de voir mille fois ces grands personnages au milieu de leur cortège. Combien d'anges devaient le précéder dans cette glorieuse sortie? La preuve que je ne vous en impose pas, je l'emprunterai à une antique histoire. Elisée, le prophète (sans doute il ne vous est pas inconnu), à l'époque où le roi de Syrie était en guerre avec le roi d'Israël, révélait, sans sortir de chez lui, tout ce que le premier de ces princes méditait de concert avec ses confidents, et déjouait ainsi ses desseins, en divulguant ses secrets, et en empêchant les Juifs de tomber dans ses filets. Cela tourmentait le roi ; il était chagrin, et dans un grand embarras, ne pouvant deviner celui qui le trahissait et paralysait tous ses efforts. Comme il ne savait que penser, et cherchait l'origine de ces indiscrétions, un de ses gardes lui dit qu'il y avait, à Samarie, un prophète du nom d'Elisée, lequel, sans laisser au roi le temps de mûrir un projet, se hâtait de tout divulguer. L'autre pensa tenir son affaire mais voyez quelle était sa scélératesse ! Au lieu d'honorer cet homme, d'admirer ce pouvoir étrange qui le rendait capable de pénétrer de si loin, par la seule force de son esprit, tout ce qui se passait dans le conseil du roi; saisi de colère, et tout entier à sa fureur, il forme un corps de cavaliers et de fantassins, qu'il charge de lui amener le prophète. Elisée avait un disciple qui n'était point encore admis à prophétiser, parce qu'il ne paraissait point digne encore de prêter sa bouche à de telles révélations. Les soldats du roi parurent tout à coup devant lui, dans l'intention de le charger de liens, lui, ou plutôt le prophète. Voilà que nous retombons sur le sujet des chaînes. Que faire? C'est comme le tissu même de tout ce discours. Le disciple, en apercevant tant de soldats, accourt tout ému, tout tremblant, auprès de son maître, lui annonce le péril inévitable qu'il court, et ce qu'il regarde, lui, comme un grand malheur. Le prophète se mit à rire, en le voyant s'effrayer de si peu, et l'exhorta à la confiance. Mais l'autre, encore novice, ne se laissa pas convaincre ; toujours troublé de ce qu'il avait vu, il persistait à donner l'alarme. Que dit alors le prophète? " Seigneur, dit-il, ouvrez les yeux de ce petit enfant, et qu'il voie " (IV Rois, VI, 17) que nous avons plus d'alliés que ces hommes. Et aussitôt le disciple voit toute la montagne où le prophète habitait alors se couvrir de chars et de chevaux de feu. Ce n'était autre chose qu'une armée d'anges.
2. Que si Elisée, pour cela seul, fut secondé par une si nombreuse escorte d'anges, que dut-ce être pour Paul? De là encore ce mot du prophète David : " L'ange du Seigneur environnera ceux qui le craignent " ; et encore : " Ils te soulèveront dans leurs mains, de peur que ton pied ne vienne à heurter contre les pierres ". (Ps. XXXIII, 8, et XC, 12.) Que dis-je, les anges? Le Seigneur lui-même lui faisait cortège à sa sortie. Car s'il se montrait à Abraham, comment n'aurait-il pas été avec Paul ? Ecoutez plutôt sa promesse : " Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation du siècle ". (Matth. XXVIII, 20.) Puis, après lui avoir apparu, il lui dit : " Ne crains pas , mais parle, parce que je suis avec toi, et que personne ne t'attaquera pour te maltraiter ". (Act. XVIII, 9.) En songe, encore, il lui apparaît, et lui dit: " Aie confiance; car de même que tu as témoigné sur moi, à Jérusalem, il faut aussi que tu témoignes pareillement à Rome ". (Act. XXIII, 1l.) Toujours les saints sont dignes d'admiration et riches de grâces, mais jamais autant que lorsqu'ils sont en péril pour le Christ, lorsqu'ils sont prisonniers. De même qu'un brave soldat est toujours un spectacle agréable pour ceux qui le considèrent, mais principalement quand il est à son poste et combat à côté de son roi : de même, représentez -vous quelle était la grandeur de Paul, enseignant tout chargé de fers. Dirai-je la pensée qui me vient chemin faisant? Le bienheureux martyr Babylas fut chargé de liens, et cela pour le même motif que Jean, pour avoir repris un roi pécheur. En mourant, il recommanda qu'on l'ensevelît avec ses liens et que son cadavre demeurât enchaîné dans le tombeau : encore aujourd'hui, ses entraves reposent avec sa cendre. Tel était son amour pour les chaînes du Christ. " Son âme traversa le fer ", dit le prophète, en parlant de Joseph. (Ps. CIV, 18.) Que dis-je? des femmes mêmes ont porté ces chaînes; mais nous, l'on ne nous enchaîne pas. Je ne vous y pousse donc point, puisque le temps ne le comporte pas : mais si vous ne liez point vos mains, liez votre coeur. Il y a des chaînes (487) d'un autre genre; ceux qui ne portent point celles des martyrs peuvent en porter d'autres. Ecoutez ce que dit le Christ : " Liez ses mains et ses pieds ". (Matth. XXII, 13.) Renonçons donc à faire l'expérience des premières chaînes, et souhaitons seulement d'être tout chargé de celles-ci. De là ces mots : " Moi, chargé de liens pour le Seigneur, je vous conjure de marcher d'une manière digne de la vocation à laquelle vous avez été appelés ". Et encore : " Nous avons pour chef le Christ " Car le Christ nous a ressuscités et fait asseoir avec lui dans les cieux, bien que nous fassions ses ennemis et lui ayons fait mille maux. Grande et précieuse est cette vocation, non-seulement à cause de notre bassesse antérieure, mais encore à cause du rang où elle nous élève, et de la manière dont elle a eu lieu.
Mais comment marcherons-nous d'une manière digne ? Si nous marchons " en toute humilité ". Celui qui marche ainsi, marche dignement : voilà le principe de toute vertu.. Si tu es humble, et que tu songes à la manière dont a été, opéré ton salut, ce souvenir est pour toi une excitation à la vertu : tu ne songes plus à tirer vanité des chaînes, ni des choses mêmes que j'ai dites ; mais, instruit que tout vient de la grâce, tu sais rentrer en toi-même. Celui qui est humble, est capable de devenir un serviteur plein de reconnaissance et de gratitude... " Qu'as-tu, dit Paul, que tu n'aies " reçu ? " Et écoutez-le dire encore : " Plus qu'eux tous , j'ai travaillé, non pas, moi , toutefois, mais la grâce de Dieu qui est avec moi ". (I Cor. IV, 7, et XV, l0.) " Avec toute humilité ", non pas seulement en paroles, ni en actions seulement, mais tout à la fois dans les démarches et dans: les discours; et pas davantage, humble vis-à-vis de hun, confiant avec l'autre : sois humble avec tous, amis ou ennemis, petits ou grands : voilà l'humilité. Jusque dans les bonnes oeuvres, sois humble ; n'est-ce pas le Christ qui nous dit : " Bienheureux les pauvres d'esprit " (Matth. V, 3), et met cela en première ligne? Voilà pourquoi Paul écrit : " Avec toute humilité, toute mansuétude, toute patience ".. En effet, on peut être humble, et tout ensemble, prompt ou emporté; alors c'est en vain car souvent la colère nous fait lotit perdre. " Nous supportant, les uns les autres en charité ". Et comment supporter autrui, si l'on est emporté et prompt à l'injure? De quelle façon maintenant? " En charité ", ajoute Paul. Si vous ne supportez pas le prochain, comment Dieu vous supportera-t-il? Si vous ne savez pas supporter votre compagnon de servitude , comment le Maître pourra-t-il vous supporter? Où il y a charité, tout devient tolérable. " Appliqués à conserver l'unité d'es" prit par le lien de la paix ". Liez-vous donc les mains par la douceur. Encore ce beau nom, les liens ; nous lui avons dit adieu, et voici qu'il revient de lui-même. Ils sont beaux, les liens dont nous parlions : ceux-ci le sont de même, et les uns proviennent des autres. Unissez-vous à votre frère : une telle union fait tout supporter sans peine, grâce à la charité. Unissez-vous à lui, et lui à vous; ces deux choses sont entre vos mains : je fais mon ami de celui que je désire avoir pour ami. " Vous appliquant ". Il montre que ce n'est pas une chose toute simple, ni le fait du premier venu. " Vous appliquant à conserver l'unité d'esprit ".
3. Qu'est-ce que l'unité d'esprit? De même que dans le corps il y a un souffle qui maintient l'union du tout, et fait un corps avec des membres disparates, c'est la même chose ici. Si l'esprit nous a été donné, c'est afin d'unir ceux que séparait la différence d'origine ou d'habitudes: Vieillard et jeune homme, pauvre et, riche, enfant et adolescent, homme et femme, tous. enfin, deviennent un seul tout, quelque chose; de plus qu'un corps unique. Car cette harmonie spirituelle est plus parfaite que lautre, cette union est plus étroite encore. La fusion des âmes est d'autant plus complète, qu'elle n'admet ni division ni distinction de parties. Et comment se maintient-elle? " Par le lieu de la paix ". Elle ne saurait subsister dans l'inimitié, dans la discorde. " Là où il y a des querelles parmi vous ", est-il écrit, " des jalousies et des dissensions, n'êtes-vous pas charnels , et ne marchez-vous pas selon l'homme? " (I Cor. III, 3.) Ainsi que le feu, s'il a affaire à du bois sec, fait de tout un immense bûcher, tandis que l'humidité s'oppose à ses progrès et à cette réunion ; rien de froid ne -peut contribuer à l'unité dont je parle ; c'est. en général le propre de ce qui est lardent. Voilà d'où naît le feu de la charité : c'est par le lien de la paix que Paul veut nous unir tous. Si vous vouliez vous attacher. à une autre personne, vous ne (488) pourriez vous y prendre autrement, qu'en la rapprochant de vous ; si vous vouliez qu'un même lien vous unit, il faudrait commencer par vous l'attacher: c'est ainsi qu'il veut que nous soyons unis les uns aux autres; il ne nous demande pas seulement de vivre en paix, de nous aimer, mais de n'avoir pour tous qu'une seule âme. Noble lien ! servons-nous en pour nous unir et à Dieu et ara prochain. Il n'y a point de gêne, de tourment pour les bras qui en sont chargés; tout au contraire, on se sent alors en repos, au large, et plus content que ceux qui sont en liberté. Le fort, uni au faible, le soutient et empêche sa perte; uni avec le nonchalant, il le ranime. " Le frère, secouru par son frère, est comme une ville forte ". (Prov. XVIII, 19.) Cette chaîne-là, l'éloignement n'y est pas un obstacle, ni le ciel, ni la terre, ni la mort, ni quoi que ce soit; elle est plus forte que tout, elle triomphe de tous. Enfantée par une âme, elle est capable d'en embrasser mille. Ecoutez ce que dit Paul : " Vous n'êtes pas à l'étroit dans notre coeur ". (II Cor. VI, 12.) Elargissez-vous de même.
Maintenant, qu'est-ce qui peut rompre ce lien? L'amour des richesses, du pouvoir, de la gloire et autres choses pareilles : voilà ce qui le détend et le rompt. Comment donc faire, afin qu'il ne se brise point? Il faut éloigner ces passions, et écarter tout ce qui peut mettre obstacle à la charité ou l'altérer. N'est-ce pas le Christ qui dit : " Quand liniquité se sera multipliée, la charité du grand nombre se refroidira ". (Matth. XXIV, 12.) Rien n'est si contraire à la charité que le péché : je ne dis pas seulement à la charité envers Dieu, mais même à celle qui a pour objet le prochain. Comment donc la paix petit-elle régner entre des voleurs, dira-t-on? Quand ? dites-moi. C'est lorsqu'ils ne font pas leur métier de voleurs. En effet, si dans les partages qu'ils font entre eux, ils cessent d'observer les lois de la justice, et de rendre à chacun ce qui lui appartient, vous retrouvez aussitôt parmi eux la discorde et la guerre. Il n'y a donc pas de paix possible entre les méchants : au contraire, on la trouve partout où règnent la justice et la vertu: Voyons encore : La paix peut-elle régner entre amants qui sont rivaux ? Nullement. Quel exemple voulez-vous encore? Entre usurpateurs point de paix possible : s'ils n'étaient pas justes et modérés les uns à l'égard des autres, s'ils se faisaient tort mutuellement, leur race serait anéantie. Voyez deux bêtes féroces que la faim tourmente : s'il n'y a pas d'autre aliment offert à leur avidité, elles se dévorent mutuellement : il en serait de même pour les avares et les méchant.... Ainsi donc, pour que la paix règne, il faut que la vertu règne d'abord. Composons une cité, si vous le voulez, exclusivement d'hommes injustes, tous égaux en dignité: qu'il n'y ait point de juge pour punir l'iniquité, et que tous la commettent également : est-ce qu'une ville semblable pourrait subsister? Aucunement. Et entre adultères, la paix est-elle possible? Vous n'en trouverez pas deux qui soient unis. La désunion n'a donc pas d'autre cause que le refroidissement de la charité : et la cause du refroidissement de la charité, c'est la multiplication des fautes. Car le péché engendre l'amour-propre; il divise, il déchire le corps; il relâche, il brise le lien... La vertu, au contraire, là où elle se trouve, a des effets tout opposés: car l'homme vertueux est invincible, par exemple, à la cupidité. De sorte que mille pauvres peuvent vivre en paix, et que cela est impossible à deux hommes cupides.
4. En conséquence, si nous sommes vertueux, la charité ne périra point : car la charité engendre la vertu ; et la vertu, la charité. Comment cela , je vais le dire. L'homme vertueux ne fait point passer l'argent avant l'amitié; il n'est point enclin su ressentiment , il ne fait pas tort au prochain : il n'est point insolent, il est courageux dans l'adversité. Tout cela engendre la charité; et, d'autre part, celui qui aime prend toutes ces qualités. Ainsi ces deux choses se produisent mutuellement. Nous trouvons la preuve que la vertu donne naissance à la charité dans ce que dit l'Ecriture : " Quand l'iniquité se sera multipliée, la charité se refroidira ". Et en cet autre passage : " Celui qui aime le prochain a accompli la loi " (Rom. XIII, 8), nous avons la preuve que la vertu vient de la charité. De sorte qu'il suffit d'être une de ces deux choses : ou très-aimant et aimé, ou très-vertueux. En effet, celui en qui se trouve une de ces choses possède l'autre nécessairement : et, au contraire, celui qui ne sait pas aimer ne fera que le mal : celui qui fait le mal, est incapable d'aimer. Recherchons donc la charité : c'est un rempart qui nous préserve de tout mal; (489) unissons-nous, qu'il n'y ait nulle ruse, nulle dissimulation entre nous. On ne trouve rien de pareil, là où règne l'amitié. Un autre sage l'a dit: " Quand vous aurez tiré l'épée contre un ami, ne désespérez pas ; car il y a encore du retour. Quand vous aurez ouvert la bouche contre votre ami, ne vous découragez pas : car il y a encore une réconciliation possible, pourvu qu'il n'y ait ni injures, ni révélation de secret, ni coup porté en trahison ". (Ecclésiaste, XXII, 26, 27.) Voilà ce qui met en fuite l'amitié : la révélation d'un secret, dit le texte. Mais si nous sommes tous amis, il n'y a pas même besoin de secrets; si l'on n'a pas de secrets avec soi-même , s'il est impossible de se rien cacher, il doit en être ainsi avec les amis. Or, s'il n'y a pas de secrets, voilà un motif de rupture supprimé. Si nous avons des secrets, c'est faute de nous fier à tout le monde : c'est donc le refroidissement de la charité qui a fait les secrets. Pourquoi un secret? Veux-tu faire tort au prochain, ou l'empêcher de faire quelque profit, et te caches-tu de lui pour cette raison ? Mais il n'y a rien de pareil : et tu rougis? C'est donc un signe que tu manques de confiance.
S'il y a charité, il n'y aura donc pas de révélation de secret : il n'y aura pas davantage d'injures. Dites-moi, en effet, qui pourrait injurier son âme? On ne pourrait agir ainsi que pour lui être utile : c'est ainsi que nous faisons des reproches aux enfants, afin de les humilier. Et si le Christ autrefois éleva la voix contre certaines villes, en disant : " Malheur à toi, Chorazin, malheur à toi, Bethasaïda! " (Luc, X, 13), c'était afin de les tirer de l'opprobre. En effet, rien n'est plus capable de toucher un coeur, de le réveiller, de le ranimer. Abstenons-nous donc de reproches inutiles. Quoi donc ! irez-vous vous plaindre pour une somme d'argent? Nullement, si vous n'avez, à vous tous, qu'une fortune. On encore pour des fautes? pas même pour ce motif vous,corrigerez plutôt... Le texte ajoute : " Ni coup porté en trahison ". Quoi donc ! on se tuera soi-même? Qui frappera? Personne. Recherchons donc la charité. L'Ecriture ne dit pas simplement : Pratiquons, mais : Recherchons. Il faut beaucoup de zèle : la charité avait disparu, elle est prompte à la retraite. Il y a tant de choses en ce monde qui lui font la guerre. Si nous courons à sa poursuite, elle ne pourra nous échapper, nous l'attraperons sur-le-champ. La charité de Dieu a uni le ciel et la terre; la charité de Dieu a fait asseoir l'homme sur le trône royal; la charité de Dieu a montré Dieu sur la terre; la charité de Dieu a converti le maître en serviteur; la charité de Dieu a fait que le Bien-Aimé a été livré pour les ennemis, le Fils pour les rebelles, le Maître pour les serviteurs, Dieu pour les hommes, celui qui est libre pour les esclaves: et elle ne s'est pas arrêtée là; elle nous a encore conviés plus haut. Non-seulement elle nous a délivrés de nos maux, niais elle nous a fait des promesses encore bien plus magnifiques. Remercions Dieu de tous ces bienfaits, et mettons-nous à la poursuite de toutes les vertus: avant tout soyons exactement fidèles au précepte de la charité, afin d'être jugés dignes des biens qui nous sont promis, par la grâce et la bonté de Notre -Sei rieur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE X. SOYEZ UN SEUL CORPS ET UN SEUL ESPRIT COMME VOUS AVEZ
ÉTÉ APPELÉS A UNE SEULE ESPÉRAINCE DANS VOTRE
VOCATION. (IV, 4.)
Analyse.
1. Sur l'unité de l'Eglise.
2 et 3. Tableau pathétique de ses maux actuels : exhortation à la pénitence.
1. Lorsque le bienheureux Paul arrive à une exhortation d'importance majeure, cet homme si sage, si favorisé des dons de l'Esprit, prend son point de départ dans les cieux, fidèle en cela aux leçons données par te Seigneur. C'est ainsi qu'il dit dans un autre endroit : " Marchez dans l'amour comme le Christ nous a aimés et s'est livré lui-même pour nous " (Eph. V, 2); et ailleurs encore : " Ayez en. vous les sentiments qu'avait en lui le Christ Jésus, qui, étant dans la forme de Dieu, n'a pas cru que ce fût une usurpation de se faire égal à Dieu ". (Philip. II, 5, 6.) Il fait la même chose ici. Devant les grands exemples exposés à sa vue, son zèle, son ardeur redoublent. Que dit-il, pour nous exhorter à l'unité? " Soyez un seul corps et un seul esprit, comme vous avez été appelés à une seule espérance dans votre vocation. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême". Qu'est-ce que ce corps unique? Les fidèles du monde entier, ceux qui le sont devenus, ceux qui le deviendront. De même pour ceux qui ont été agréés, même avait la venue du Christ. Comment cela? parce qu'ils connaissaient, eux aussi, le Christ. En voici la preuve : " Abraham, votre père, a tressailli pour voir mon jour; il a vu et il s'est réjoui ". (Jean, VIII, 56.) Et encore : " Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez sans doute à moi aussi, parce que c'est de moi qu'il a écrit " (Ibid. V, 39); et les prophètes pareillement. Ils n'auraient pas écrit de lui, sans savoir ce qu'ils disaient : ils le connaissaient, partout ils l'adoraient. Ceux-ci donc aussi forment un seul corps. Le corps n'est point séparé de l'esprit, sans quoi ce ne serait pas un corps. Pareillement, nous avons coutume de dire en parlant des choses qui forment une unité, un enchaînement parfait : C'est un seul corps. C'est ainsi que dans l'union nous ne formons qu'un corps pour une tête. S'il n'y a qu'un corps, qu'une tète, le corps est composé de membres nobles et d'autres qui ne le sont pas. Ce n'est pas à dire que le meilleur essaie d'opprimer le moindre , ni que le moindre porte envie au meilleur. D'ailleurs tout ne contribue point pour une part égale, mais seulement à proportion de la nécessité. Et parce que tout est nécessaire et sert à divers usages, tout est égal en dignité. Néanmoins l'importance varie : ainsi la tête domine tout le corps, attendu qu'en elle est le siège de toutes les sensations et du gouvernement de l'âme : sans tête on ne peut vivre : au contraire bien des hommes ont vécu longtemps après qu'on leur avait coupé les pieds. Ce n'est donc pas seulement par sa position que la tête est supérieure, c'est encore par ses fonctions et son rôle.
Où veux-je en venir? Il y a dans l'Eglise bon nombre d'hommes qui s'élèvent en haut comme la tête, et contemplent les choses célestes comme les yeux de la tête, qu'un vaste intervalle sépare de la terre, qui n'ont rien de commun avec elle : d'autres jouent le rôle des pieds, de pieds saints toutefois, et foulent le sol. Ce qui est honteux pour les pieds, ce n'est (491) pas de fouler la terre, mais bien de courir au vice: " Ses pieds courent vers le vice " (Isaïe, LIX, 7), est-il écrit. C'est-à-dire : que les yeux ne dédaignent point les pieds, que les pieds ne soient pas jaloux des yeux. Autrement chacun compromettrait la beauté qui lui est propre, et mettrait obstacle à l'accomplissement de sa fonction particulière; et ce serait à bon droit : car vouloir nuire au prochain , c'est vouloir se nuire à soi-même. Si donc les pieds ne voulaient point porter la tête à l'endroit où elle doit se rendre, ils se nuiraient à eux-mêmes par leur paresse et leur fainéantise ; et si la tête refusait de s'occuper des pieds, elle serait la première atteinte.
Mais ces organes, dira-t-on, ne se font pas mutuellement la, guerre pour une bonne raison: la nature le veut ainsi. Maintenant, comment est-il possible qu'un homme ne fasse pas la guerre à un homme? Cela ne se voit pas d'hommes à anses, ni d'anges à archanges : les brutes, d'autre part, sont incapables de me traiter avec dédain. Mais la où la nature met des prérogatives égales, où le privilège est unique, et la répartition parfaite, comment n'y aurait-il pas de discorde? C'est justement pour cela que vous ne devez pas faire la guerre au prochain. Si tout est commun, si l'égalité est parfaite, d'où viendrait l'orgueil ? Nous participons de la même nature, corps et âme tout à la fois, nous respirons le même air, nous mangeons les mêmes aliments. Pourquoi nous ferions-nous la guerre ? Peut-être la pensée que nous pouvons, par la vertu, triompher des puissances incorporelles, est-elle propre à nous inspirer de l'orgueil? Non, ce n'est pas là de l'orgueil. Quant à moi, je brave, comme de juste, le démon, je le brave et le méprise. Considérez à quel point Paul méprisait le démon. Quand le démon parlait de lui en termes magnifiques, il lui ferma la bouche, incapable de tolérer même ses flatteries. La jeune fille qui avait. un esprit de python, disait : "Ces hommes sont des serviteurs du Dieu Très-Haut, qui vous annoncent la voie du salut ". Paul, par une réprimande sévère, ferme cette bouche impudente. (Actes, XVI, 17.) Ailleurs encore il écrit : " Dieu écrasera Satan sous vos pieds promptement ". La différence de nature y lit-elle quelque chose ?
2. Voyez-vous bien que la différence de nature est sans effet, que la volonté seule est efficace? Or, par la volonté, les démons sont inférieurs à tout. Mais un ange? dira-t-on, je ne saurais lui tenir tête : trop grande est la distance qui nous sépare. Eh bien ! vous ne devez pas plus tenir tête à un homme qu'à un ange. Ce qui distingue l'ange de vous, c'est sa nature, laquelle ne saurait créer ni un mérite, ni un sujet de reproche : entre homme et homme au contraire, il n'y a pas de différence de nature; toute différence vient de la volonté. Par conséquent, si vous ne vous révoltez pas contre les anges, à plus forte raison ne devez-vous pas vous révolter contre les hommes qui sont devenus anges en dépit de leur nature. Supposez, en effet, qu'il y ait un homme aussi vertueux que sont les anges, il sera à une plus grande distance au-dessus de vous que l'ange lui-même. Pour quelle raison? Parce que ce qui chez l'un est un simple don de la nature est chez l'autre une conquête du libre arbitre. De plus, l'ange est séparé de vous par les cieux, il habite le ciel; tandis que l'autre vit avec vous et fions donne un sujet d'émulation. Mais que dis-je? un tel homme est placé plus loin de vous que les anges eux-mêmes. Il est écrit en effet : " Notre séjour est dans les cieux ". (Philip. III, 20.) Maintenant, pour vous convaincre que la distance est plus grande, écoutez où le chef est assis : Sur le trône royal, dit l'Evangile. Donc un tel homme est séparé de nous par toute la distance qui nous sépare du trône royal. Mais la dignité à laquelle je le vois élevé n'est propre, direz-vous, qu'à exciter ma jalousie. Voilà ce qui a tout bouleversé, ce qui a enfanté mille troubles, non-seulement dans le monde, mais encore dans lEglise. Et comme des vents furieux déchaînés contre un port tranquille, y causent plus de désastres que tous les écueils et tous les passages difficiles : ainsi l'amour de la gloire n'a qu'à pénétrer quelque part pour tout confondre et tout bouleverser.
Vous avez vu plus d'une fois l'incendie dévorer de grands édifices : vous avez vu la fumée monter au ciel, et le feu tout embraser, tandis que chacun ne songe qu'à soi, au lieu de courir éteindre les flammes : souvent le désastre a pour spectatrice la ville tout entière, une foule de curieux qui ne s'inquiètent point de prêter main-forte, et n'ont d'autre occupation que de montrer du doigt à tous ceux qui surviennent le théâtre du fléau, les flammes qui s'échappent par les fenêtres, les poutres qui tombent , l'enceinte tout (492) entière arrachée de ses fondations et s'écroulant sur le sol. Un bon nombre, plus hardis, plus téméraires que les autres, ne craignent pas de s'approcher des bâtiments qui brûlent, non pour tendre la main aux habitants ou pour éteindre le feu, mais pour jouir du spectacle mieux à leur aise, pour être à portée de ne rien perdre des incidents qui échappent souvent aux curieux du dehors. Si par hasard il s'agit d'une maison grande et magnifique, on voit là un spectacle attendrissant, et qui arrache des larmes. Et c'est en effet un spectacle attendrissant que ces chapiteaux réduits en cendres, que ces colonnes brisées, les unes par l'action du feu, les autres par les mains de ceux qui les ont élevées, pour que l'incendie n'étende pas plus loin ses ravages. On voit alors ces statues qui naguère se dressaient avec tant de majesté, découvertes par la chute des lambris qui les protégeaient, et tristement exposées aux injures de l'air. Que dire des trésors renfermés dans la maison, des étoffes brochées d'or, des vases d'argent ? Les appartements où le maître pénétrait seul avec sa femme, le dépôt où était mis en réserve étoffes et,parfums, les écrins de pierres précieuses ; tant de serviteurs chargés d'offices différents ; tout ce que cette demeure contenait de richesses et d'habitants n'est plus qu'eau, feu, boue, poussière et poutres à demi brûlées.
Pourquoi rue suis-je étendu sur ce tableau? Ce n'est pas que j'aie voulu perdre mon temps à vous décrire un incendie: à quoi bon? Mais j'ai tâché de vous mettre sous les yeux, autant qu'il est en moi, les malheurs de l'Eglise. Pareils à un incendie véritable, ou à un carreau de foudre, ils atteignent le faîte même de l'Eglise, sans réveiller personne. La maison de nos pères est en feu : et nous dormons d'un sommeil profond, et nous ne nous apercevons de rien. Qui, en effet, n'a pas été atteint par ce feu? Quelle image est restée débout dans l'Eglise ? Car l'Eglise n'est pas autre chose qu'un palais bâti avec nos âmes. Mais ce palais n'est point également précieux dans toutes ses parties : parmi les pierres qui le constituent, il en est de belles et de brillantes, il en est de moins éclatantes et de moins précieuses, bien que supérieures encore à toute autre. Les uns, en bon nombre, jouent le rôle de l'or qui décore les lambris ; d'autres figurent les statues qui embellissent l'enceinte ; d'autres sont comparables à des colonnes. On peut, en effet, appeler de ce nom ces hommes dont le mérite ne gît pas seulement dans la constance, mais encore dans l'éclat que projette, pour ainsi dire, l'or de leurs chapiteaux. La foule enfin, est ce qui constitue toute cette vaste enceinte : elle est comme les pierres dont les murs sont formés.
3. Mais il vaut mieux passer à une image plus belle. Notre Eglise n'est pas faite de pierres ordinaires, mais d'or, d'argent, de pierres précieuses : et l'or y est disséminé partout. Mais ( ô larmes amères! ) la tyrannie de la vanité a consumé tout cela, comme une flamme dévorante, et rien n'a pu résister au fléau : nous restons là à regarder l'incendie, et nous ne sommes plus capables de l'éteindre. Et quand Lien même nous l'éteignons pour un instant, au bout de deux ou trois jours, une étincelle sortie de la cendre ruine tout, sans excepter ce qui avait été épargné jusque-là. La même chose se retrouve dans l'exemple que nous avons choisi : car ces accidents sont fréquents dans les incendies. L'origine du mal c'est que les colonnes mêmes de l'Eglise ont manqué par leurs fondements: ainsi ceux qui soutenaient le toit, et avaient assuré jusque-là la solidité de tout l'édifice, sont devenus la proie des flammes. Dès lors le feu a pu étendre rapidement ses ravages sur le reste des parois. Dans les incendies de maisons, la flamme une fois maîtresse des poutres, est plus forte contre les pierres ; et une fois les piliers abattus, jetés par terre, ce n'est plus une affaire que d'avoir raison de tout l'édifice... Quand les appuis, les soutiens des parties supérieures succombent, le reste les suit aussitôt et spontanément. Il en est de même aujourd'hui pour l'Eglise : le feu est partout. Nous recherchons les distinctions humaines, nous brûlons pour la gloire, et nous n'entendons pas Job qui nous dit :" Si, quand j'ai péché même involontairement, j'ai craint la multitude". (Job, XXXI, 34.) Voyez-vous cette âme vertueuse? Je n'ai pas rougi, nous dit Job, de déclarer devant la multitude mes péchés involontaires. Que s'il n'en rougissait pas, à plus forte raison devrions-nous faire comme lui. Car il est écrit : " Dis le premier tes iniquités, afin que tu sois justifié ". ( Isaïe, XLIII, 26.)
Terrible est désormais la violence du fléau, tout est bouleversé, anéanti. Nous avons abandonné le service de Dieu pour celui de la (493) gloire; nous ne pouvons plus réprimander nos subordonnés, atteints que nous sommes. de la même maladie : nous-mêmes, nous avons besoin de remèdes, nous que Dieu a chargés de guérir les autres. Quel espoir de salut reste-t-il encore, quand les médecins eux-mêmes ont besoin des soins d'autrui ? Ce ne sont pas ici de vaines plaintes, ni des paroles en l'air: mon but est que nous tous, hommes, femmes, enfants, nous répandions de la cendre sur nos têtes, revêtions le cilice, jeûnions sans relâche, et que nous priions Dieu de nous tendre la main et d'éteindre l'incendie. Car nous en avons bien besoin de cette main puissante, de cette main miraculeuse. De notre côté, il faut que notre pénitence surpasse celle des Ninivites... " Encore trois jours et Ninive sera détruite ". (Jon. III, 4.) Terrible annonce, formidable menace ! Quelle attente que de se voir ensevelis au bout de trois jours sous les ruines de sa patrie, et enveloppés tous dans le même châtiment. Si la mort de deux enfants arrivant à la fois dans une maison paraît un malheur intolérable, si de tous les maux de Job aucun ne lui parut plus insupportable que cette chute d'un toit qui lui ravit d'un même coup tous ses enfants : que devait-ce être de se représenter, non pas une famille ni deux enfants, mais un peuple de cent vingt mille âmes écrasé sous les ruines de sa ville ? Vous comprenez l'horreur d'un tel désastre : il n'y a pas si longtemps que nous avons entendu, non les menaces d'un prophète (nous ne sommes pas dignes d'entendre une voix si sainte), mais d'autres menaces qui nous venaient du ciel avec un bruit plus retentissant que le son de la trompette.
" Encore trois jours et Ninive sera détruite ". Epouvantable menace ! Mais rien de pareil aujourd'hui. Il n'est plus question de trois jours, ni de la prochaine destruction de Ninive voilà bien des jours que lEglise universelle est abattue et gît sur le sol : tous sont également en proie au mal, et les chefs mêmes n'en sont pas exempts ; et cette infirmité des. .membres les plus indispensables est ce qui redouble l'intensité du mal.
Ne vous étonnez donc point, si je vous demande de faire plus
que n'ont fait les Ninivites : ou plutôt, ce n'est pas seulement
le jeûne que je vous prescris, je vous indique encore le remède
qui a relevé cette ville au moment où elle succombait. Quel
est ce remède? " Le Seigneur vit que chacun s'était détourné
de ses voies d'iniquité, et il se repentit au sujet du mal qu'il
avait menacé de leur faire ". Suivons cet exemple les uns et les
autres; détournons-nous de l'avarice, de l'ambition, en priant Dieu
de nous tendre la main et de redresser les membres qui ont défailli.
Lé sujet de crainte n'est plus le même aujourd'hui. Alors
c'étaient des pierres, des poutres qui allaient tomber, des corps
qui allaient périr : il ne s'agit plus de cela, mais des âmes
menacées du feu vengeur de l'enfer. Prions, confessons-nous, remercions
Dieu pour les choses passées, prions-le pour l'avenir, afin que,
délivrés du monstre terrible déchaîné
parmi nous, il nous soit donné d'offrir nos actions de grâces
au Dieu de bonté, au Dieu Père, avec qui gloire, puissance,
honneur au Fils et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les
siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XI. SOYEZ UN SEUL CORPS ET UN SEUL ESPRIT, COMME VOUS
AVEZ ÉTÉ APPELÉS A UNE SEULE ESPÉRANCE DANS
VOTRE VOCATION. IL Y A UN SEUL SEIGNEUR, UNE SEULE FOI, UN SEUL BAPTÊME,
UN SEUL DIEU ET PÈRE DE TOUS, QUI EST AU-DESSUS DE TOUS, ET AU MILIEU
DE TOUTES CHOSES, ET EN NOUS TOUS. OR, A CHACUN DE NOUS A ÉTÉ
DONNÉE LA GRACE, SELON LA MESURE DU DON DE JÉSUS-CHRIST.
(IV, 4-7, JUSQU'A 16.)
Analyse.
1-3. Grâces communes à tous et grâces spéciales.
4-6. De l'humilité et de l'unité. Tableau d'un schisme. Que le schisme est aussi abominable que l'hérésie. Renseignements précieux pour l'histoire de l'Église et la biographie de saint Jean Chrysostome.
1. La charité que Paul exige de nous n'est point une charité vulgaire, mais une charité capable de nous unir, de nous attacher indissolublement les uns aux autres, et de mettre entre nous une harmonie comparable à celle qui existe entre les membres d'un même corps. Voilà quelle est cette charité féconde en grandes choses. De là cette expression : Un seul corps, pour marquer la sympathie, l'absence de toute jalousie mutuelle, la part prise par chacun au bonheur d'autrui. Après avoir indiqué par là toutes ces choses à la fois, il ajoute fort à propos : " Et un seul esprit ", marquant que de ce corps unique résultera un seul esprit, ou bien que le corps peut être un sans que l'esprit le soit : ce qui arrive par exemple, pour les amis des hérétiques. Ou encore il part de là pour ramener par la honte les fidèles à la concorde; c'est à peu près comme s'il disait Vous qui avez reçu un seul esprit, qui avez été abreuvés à la même source, vous ne devez point être en dissension. Ou bien enfla par esprit, il entend ici le zèle. Il ajoute: "Comme vous avez été appelés à une seule espérance dans votre vocation ". En d'autres termes Dieu vous a appelés tous aux mêmes conditions; il n'a donné à l'un aucun avantage sur l'autre; à tous il a octroyé l'immortalité, à tous la vie éternelle, à tous une gloire impérissable, à tous la fraternité, à tous l'héritage.
Il est devenu notre chef commun, il nous a tous ressuscités et fait asseoir avec lui. Vous donc qui participez si également aux biens spirituels, d'où vous vient votre orgueil? A l'un, de sa fortune, à l'autre de sa puissance? Quelle dérision ! Dites-moi, si l'empereur faisant choix de dix personnes, les revêtait toutes de la pourpre, les faisait asseoir sur son trône, et leur décernait à toutes les mêmes honneurs, qui d'entre elles oserait reprocher à telle autre l'infériorité de sa fortune ou de son nom? Aucune assurément. Et je n'ai pas tout dit : car la distance n'est pas si grande. Ainsi donc, égaux dans les cieux, nous serons distingués ici-bas ?
" Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ". Voilà l'espérance de la vocation. " Un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, et au milieu de toutes choses et en nous tous ". Est-ce que vous invoquez un plus grand Dieu, tel autre un Dieu plus petit? Est-ce que vous êtes sauvé par la fui , et cet autre par les oeuvres? Est-ce que le baptême vous a purifié, et lui a laissé sa souillure? Qu'osé-je dire ! " Il y a un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, et au milieu de toutes aloses, et en vous tous ". " Au-dessus de toutes closes ", c'est-à-dire, supérieur à tout. " Au milieu de toutes choses " pour les diriger, les (495) gouverner. " En vous tous " : Il habite chez tous. On a dit pourtant que ceci était propre au Fils ; si c'était l'effet d'un abaissement, Paul ne dirait point la même chose du Père. " Or, à chacun de nous a été donnée la grâce ". Comment se fait-il donc, dira-t-on, que les grâces soient diverses? Cette pensée ne cessait d'inspirer aux Ephésiens, comme aux Corinthiens et à beaucoup d'autres, soit l'orgueil, soit le découragement et l'envie. Voilà pourquoi il recourt partout à cet exemple du corps et ici même, sur le point de faire mention de la diversité des grâces. Il insiste en plus grand détail sur cette question dans son épître aux Corinthiens, parce que la maladie faisait chez eux plus de ravages que partout ailleurs. Ici il se borne à une allusion, et considérez comment il s'exprime. Il ne dit pas -. Selon la foi de chacun : ç'eût été jeter dans le désespoir ceux à qui les grandes prérogatives avaient été refusées. Il dit : " Selon la mesure du don de Jésus-Christ ". Les choses les plus importantes, veut-il dire, sont communes à tous : le baptême, le salut par la foi, le titre de fils par rapport à Dieu, la participation à l'Esprit. Si tel ou tel est mieux partagé que toi en quelque chose, ne te plains pas : car sa tâche aussi est plus grande. Celui qui avait reçu cinq talents, eut à rendre compte de cinq; celui qui en avait reçu deux, en rapporta deux seulement; et ne fut pas moins bien rétribué que l'autre. Aussi en cet endroit emploie-t-il justement cette raison pour consoler son auditeur. " Pour la perfection des saints, pour l'oeuvre du ministère, pour l'édification du corps du Christ ". De là encore cette parole du même : " Malheur à moi , si je n'évangélise pas ! " (I Cor. IX, 16.) Par exemple, quelqu'un a reçu le don d'apostolat. C'est donc à lui qu'il faut crier :Malheur à lui qui a reçu cette grâce : pour vous, vous êtes hors de danger. " Selon la mesure ". Qu'est-ce à dire : " Selon la mesure? " Entendez, non pas en proportion de notre mérite : autrement personne n'aurait obtenu ce qui lui a été donné. Nous ne possédons rien que par un don.
2. Mais pourquoi l'un a-t-il plus, l'autre moins? Cela n'y fait rien, répond Paul; la chose est indifferente - car chacun contribue à l'édification. .Paul fait voir par là que ce n'est point en vertu de son mérite que l'un a eu plus, l'autre moins; mais en considération des autres, et selon la répartition faite par Dieu même; car le même Paul dit dans un autre passage : " Dieu a placé dans le corps chacun des membres comme il l'a voulu ". (I Corinth. XII, 18.) Il ne donne point d'autre raison pour ne pas abattre la confiance de ses auditeurs. C'est pourquoi l'Ecriture dit : " Montant au ciel, il a conduit une captivité captive; il a donné des dons aux hommes (8)... " C'est comme s'il disait : Pourquoi t'enorgueillir? Tout te vient de Dieu. Le Prophète dit dans un psaume : " Tu as reçu des dons parmi les hommes ".(PS. LXVII, 19.) Paul dit: " Il a donné des dons aux hommes ". C'est la même chose. Interprétez pareillement ceci : " Mais qu'est-ce : Il est monté, sinon qu'il est descendu auparavant dans les parties inférieures de la terre? Celui qui est descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin qu'il remplît toutes choses (9, 10.) "
En entendant cela, ne vous figures point un déplacement. Il établit ici le même point que dans son épître aux Philippiens. Dans cette épître, il cite le Christ à l'appui d'une exhortation concernant l'humilité : il procède ici de la même manière, en disant : " Il est descendu dans les parties inférieures de la terre ". Autrement, c'est en vain qu'il dirait : " Ayant été obéissant jusqu'à la mort ". (Philip. II, 7, 8.) L'ascension suppose la descente. Par les parties inférieures de la terre, il faut entendre la mort : C'est une expression appropriée à l'opinion commune, et qui rappelle celle de Jacob : " Vous ferez descendre ma vieillesse avec douleur aux enfers ". (Gen. XLIV, 29.) De même on lit dans un psaume : " Je serai rendu semblable à ceux qui descendent dans la fosse " (Ps. I, 42, 7), c'est-à-dire aux morts. Pourquoi Paul traite-t-il ici ce sujet? et quelle captivité a-t-il en' vue? Celle du diable. Jésus-Christ a fait prisonnier le tyran, je veux dire le diable , et avec lui la mort, la malédiction , le péché. Voyez-vous ce butin, ces dépouilles? " Mais qu'est-ce : il est monté, sinon qu'il est descendu auparavant? " Ceci est pour les sectateurs de Paul de Samosate. " Celui qui est descendu est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin qu'il remplît toutes choses ". Il est descendu dans les parties inférieures de la terre, dans celles au-dessous desquelles il n'y a rien ; et il est monté au-dessus de tout, à un degré après lequel il n'y a (496) rien. Ceci regarde sa puissance et sa domination: car depuis longtemps tout était accompli. " Et c'est lui qui a fait les uns apôtres, les autres prophètes, d'autres évangélistes, d'autres pasteurs et docteurs pour la perfection des saints, pour l'oeuvre du ministère, pour l'édification du corps du Christ (11, 12) ". Il dit ailleurs : " C'est pourquoi Dieu l'a exalté ". C'est la même chose ici: " Celui qui est descendu est le même qui est monté ". Etre descendu dans les parties inférieures de la terre, cela ne l'a pas empêché de monter au-dessus des cieux. Ainsi, plus on a été abaissé, plus on est élevé. Plus on fait descendre l'eau, plus elle s'élève ; plus on. est éloigné pour lancer un trait, plus on est sûr de son coup : il en est de même pour l'humilité. Mais quand nous parlons d'ascension divine, nous songeons nécessairement à une descente : quand il s'agit d'un homme, cela n'est plus nécessaire... Paul fait voir ensuite la providence et la sagesse de Dieu en disant : " Celui qui a opéré de telles choses, qui a manifesté un si grand pouvoir, celui qui n'a pas refusé de descendre à cause de nous jusque dans les parties inférieures de la terre, celui-là ne, peut avoir distribué les grâces à la légère ". Ailleurs il attribue cet acte à l'Esprit : " Sur lequel l'Esprit-Saint vous a établis évêques pour gouverner l'Eglise du Seigneur ". Ici il nomme le Fils, ailleurs Dieu. Il dit encore : " C'est lui qui a donné à l'Eglise les uns pour apôtres, les autres pour prophètes ". Dans l'épître aux Corinthiens il dit : " J'ai planté, Apollo a arrosé : mais Dieu a donné la croissance (3, 6) ". Et encore : " Celui qui plante et celui qui arrose sont une seule chose : mais chacun recevra son propre salaire selon son propre travail ". De même ici... Qu'importe que vous donniez moins, si vous avez moins reçu? D'abord, " Les apôtres ". Rien ne leur manquait, à eux. Secondement, " Les prophètes" quelques-uns étaient en effet prophètes, sans être apôtres, comme Agabus. Troisièmement, " Les évangélistes ". Ceux qui évangélisaient sans voyager partout , comme Priscille et Aquila. Enfin, " Les pasteurs et les docteurs", ceux à qui tout le peuple est confié. Qu'est-ce à dire : Les pasteurs et les docteurs sont au-dessous des autres ? Oui, ceux qui voyagent et qui évangélisent, sont supérieurs à ceux qui sont sédentaires et occupés dans un seul endroit, comme Timothée et Tite...D'ailleurs, les éléments de cette hiérarchie ne se trouvent pas ici, mais dans une autre épître. " C'est lui qui les a donnés ". Ainsi, point d'objections. Ou bien encore Paul entend par évangélistes, ceux qui ont écrit l'Evangile. " Pour la perfection des saints, pour l'oeuvre du ministère , pour l'édification du corps du Christ ".
3. Voyez-vous notre dignité? Chacun édifie, chacun perfectionne, chacun sert. " Jusqu'à ce que nous parvenions tous à l'unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l'état d'un homme parfait, à la mesure de lâge de la plénitude du Christ (13) ". Par âge il entend ici la connaissance parfaite. Il en est des fidèles comme de l'homme fait dont l'esprit a de la consistance, tandis que celui des enfants voltige au hasard. " Dans l'unité de la foi ". En d'autres termes, jusqu'à ce que nous paraissions tous animés d'une seule foi. En cela consiste en effet l'unité de foi, que nous ne formions qu'un corps à nous tous , que nous nous reconnaissions tous comme unis ensemble. Jusque-là il faut travailler, si vous avez reçu le don d'édifier les autres. Prenez garde de vous jeter à bas vous-mêmes, en portant envie à autrui. Dieu vous a honoré du privilège , il vous a confié la charge de perfectionner autrui. Tel était aussi l'objet de l'apôtre, celui du prophète lorsqu'il prédisait l'avenir et prêchait, celui de l'évangéliste lorsqu'il évangélisait, celui du pasteur, celui du docteur : tous étaient investis de la même tâche. Ne venez pas m'alléguer la diversité des dons : tous n'avaient qu'une fonction. Car l'unité règne quand nous croyons tous la même chose : Il est clair que tel est le sens, de ces mots : " L'état d'un homme parfait ". Ailleurs il nous appelle petits enfants et parle d u temps où nous serons hommes faits: mais le sens est différent. En nous appelant petits enfants, il songe à la connaissance future en effet, après avoir dit : " Nous connaissons partiellement ", il ajoute : "Par énigmes " et le reste (I Cor. XIII, 9, 12.) Ici il songe à autre chose, à la facilité des chutes : de même qu'il dit ailleurs : " La nourriture solide des hommes faits ". (Héb. V, 14.) Voyez-vous en quel sens, dans ce passage encore, il nous traite d'hommes faits. Voyez maintenant quelle signification il attache à ce terme dans notre (497) passage, au moyen de ce qui suit : " Afin que nous ne soyons plus petits enfants (14) ". Voilà cette petite mesure que nous avons reçue : conservons-la avec grand soin, avec une persévérance inébranlable. " Plus " : ce mot marque que nous sommes depuis longtemps dans cet état. " Il se met lui-même au nombre de ceux qui ont besoin de la correction, il s'y soumet ". Il dit donc : S'il y a tant d'ouvriers, c'est pour que l'édifice ne soit pas ébranlé, ne vacille pas, pour que les pierres demeurent bien jointes : car c'est à elles que conviennent ces expressions qui marquent un ébranlement. " Afin que nous ne soyons plus comme de petits enfants qui chancellent et vacillent à tout vent de doctrine, par la méchanceté des hommes, par l'astuce qui entraîne dans le piège de l'erreur ". " Qui vacillent à tout vent de doctrine ", est une métaphore continuée qui montre bien à quel danger sont exposées les âmes désunies et séparées. Il désigne la méchanceté par une expression qui signifie action de jouer aux dés. Ainsi se comportent en effet les pervers à l'égard des simples : ils brouillent et bouleversent tout. Maintenant il passe à la conduite : " Mais afin que, pratiquant la vérité dans la charité, nous croissions en toutes choses dans celui qui est le chef, le Christ, en vertu duquel tout le corps uni et lié par toutes les jointures qui se prêtent un mutuel secours, d'après une opération proportionnée à chaque membre, reçoit son accroissement, pour être édifié dans la charité (15 , 46.) ".
Son langage est très-obscur, parce qu'il a voulu tout dire à la fois. En voici le sens. Le Christ ressemble à l'esprit qui, descendant du cerveau, ne communique pas à tous les nerfs une pareille aptitude à sentir, mais seulement une aptitude appropriée à la fonction de chaque membre, plus grande chez celui qui comporte un plus haut degré de sensibilité, moins grande chez celui qui en comporte un moindre : mais le principe, c'est toujours l'esprit. Les âmes sont comme les membres qui dépendent du Christ : sa providence dispense les grâces, et mesure l'accroissement de chaque membre proportionnellement à son rôle. Qu'est-ce à dire : " Par toutes les jointures qui se prêtent un mutuel secours. " C'est de la sensibilité qu'il s'agit ici. Cet esprit qui se répand de la tête dans tous les membres, opère ainsi dans chaque membre qu'il parcourt. C'est comme si l'on disait : Le corps qui reçoit ce secours croît à proportion de ses membres ; ou encore : Les membres participent à ce secours proportionnellement, et croissent dans cette mesure; ou encore : L'esprit libéralement répandu d'en-haut, et communiqué à tous les membres à proportion de leur capacité, croît dans cette même proportion. Mais pourquoi avoir ajouté " en charité?" C'est que autrement l'esprit dont il est question ne saurait descendre. Supposons une main détachée du corps : l'esprit qui vient du cerveau trouvant la route interceptée ne quitte point pour cela le corps afin de rejoindre la main : s'il ne la trouve pas à portée, il ne se communique point à elle... La même chose arrive pour nous, quand la charité ne nous unit point.
4. Dans tout ce qui précède, Paul a eu en vue l'humilité. Qu'importe-t-il que tel ou tel ait reçu davantage? Il a reçu le même esprit qui vient de la tête, esprit qui agit également, se communique également. " Uni et lié " : en d'autres termes , objet d'une vive sollicitude. Pour que le corps subsiste, il faut que la liaison entre les membres soit très-étroite : car la moindre déviation l'empêche de subsister. Il ne suffit donc pas d'être uni au corps, il faut encore demeurer à sa place : sans quoi l'union n'existe pas, et l'esprit n'arrive plus. Dans les luxations que causent certains accidents, le dérangement d'un seul os qui empiète sur le domaine d'un autre suffit pour endolorir tout le corps et quelquefois pour le tuer : d'autres fois, on juge cet os indigne d'être conservé; on l'enlève, on laisse vide la place qu'il occupait. Car l'usurpation est partout un mal. De même pour les éléments qu'ils viennent à rompre leur harmonie pour empiéter les uns sur les autres, tout l'univers en soutire. Voilà ce que signifie " Uni et lié ". Songez donc combien il importe que chacun reste dans son domaine et s'abstienne d'entreprendre sur le terrain d'autrui. Vous arrangez les membres : un autre de là-haut leur fournit ce dont ils ont besoin. Il en est de l'esprit comme du corps : il a également des organes susceptibles de recevoir ce qui lu: vient de là-haut. Le coeur, par exemple, est le réceptacle de l'air; le foie, du sang; la rate, de la bile, et ainsi de suite : néanmoins toutes ces choses ont leur principe dans le cerveau.
498
Dieu a fait de même, voulant honorer l'homme et veiller sur lui sans cesse : il a rattaché le principe à lui-même, mais il s'est donné des collaborateurs, entre lesquels il a réparti les fonctions. Par exemple, dans ce corps le vaisseau par excellence est l'apôtre qui reçoit tout de ses mains. De cette façon, comme par des artères et des veines (c'est la parole que j'ai en vue) il fait circuler en tous la vie éternelle. Le prophète prédit l'avenir, et Dieu le prépare. Le prophète assemble les os : Dieu y infuse la vie, " pour la perfection des saints, pour l'oeuvre du ministère ". La charité édifie, et fait que toutes les parties s'assemblent, se joignent, s'unissent. Ainsi donc, si nous voulons jouir de l'esprit qui vient de la tête, attachons-nous les uns aux autres. Il y a deux manières de se séparer du corps de l'Église : l'une consiste dans le refroidissement de la charité; l'autre dans une conduite qui nous rend indignes de faire partie de ce corps: des deux façons nous rompons avec l'assemblée des fidèles. S'il nous est prescrit même d'édifier les autres, qu'adviendra-t-il de ceux qui, au lieu d'édifier, donnent l'exemple de la désunion. Rien ne divise l'Église comme l'amour de la domination; rien n'irrite Dieu comme la division de l'Église. Aurions-nous pratiqué les oeuvres les plus parfaites, si nous déchirons l'unité, nous serons punis comme si nous avions déchiré le corps du Seigneur. Ce dernier meurtre a été commis au profit de l'univers, bien que cette intention fût étrangère à ses auteurs : l'autre ne saurait produire que des désastres.
Je parle, non-seulement à ceux qui sont constitués en dignité, mais encore à ceux qui sont placés sous leur direction. Un saint homme a dit un mot qui semble très-hardi, savoir : Que le martyre même n'efface pas un tel péché : quoi qu'il en soit, il l'a dit. Dis moi, en effet : Pourquoi souffres-tu le martyre? N'est-ce pas pour la gloire de Jésus-Christ? tu livres ta vie pour Jésus-Christ, et tu ravages l'Église, pour laquelle Jésus-Christ est mort. Écoutez plutôt ces mots de Paul : " Je ne suis pas digne d'être nommé apôtre, parce que j'ai persécuté l'Église de Dieu " (I Cor. XV, 9), parce que je la ravageais. Les attaques de nos ennemis nous font bien moins de mal que ces déchirements intestins: les unes ajoutent à la gloire de l'Église; les autres l'exposent aux moqueries de ses ennemis mêmes, heureux de la voir attaquée par ses propres enfants. Car à leurs yeux, c'est un signe manifeste de la fausseté de nos doctrines que les enfants, les nourrissons de l'Église, ceux qu'elle a pleinement initiés à ses mystères, changent tout à coup au point de prendre à son égard les sentiments de ses ennemis.
5. Voilà pour ceux qui se livrent sans discernement aux fauteurs de nos divisions. Si leurs doctrines sont opposées aux nôtres, c'est une raison de ne pas les fréquenter; s'ils pensent comme nous, raison de plus. Pourquoi? Parce que l'ambition est alors la cause du fléau. Ignorez-vous le supplice infligé à Coré, Dathon et Abiron, et non-seulement à eux, mais encore à leurs complices? Que dites-vous? leur foi est la nôtre, ils sont orthodoxes. Eh bien ! pourquoi alors ne sont-ils pas avec nous? " Il y a un seul Seigneur, une seule foi, " un seul baptême ". Si le bon droit est avec eux, nous sommes en tort; si nous avons raison, ils sont en faute. " De petits enfants qui chancellent et vacillent à tout vent". Pensez-vous qu'il suffise de dire : " Ils sont orthodoxes? " Et l'élection, pour quoi la comptez-vous? Quel est le fruit de tout le reste, si l'on n'est pas fidèle sur ce point? On doit défendre l'élection aussi bien que la foi. En effet, s'il est permis à chacun de remplir ses mains, comme disaient les anciens, et de se faire prêtres, que tous accourent : c'est en vain qu'a été érigé cet autel, en vain qu'a été formée l'Église, en vain que le nombre des prêtres a été fixé : détruisons, abolissons tout. A Dieu ne plaise ! dira-t-on. Cette conduite est la vôtre, et vous venez dire : A Dieu ne plaise ! La chose est faite, il n'est plus temps. Je vous le dis et vous le répète, non dans mon intérêt, mais dans celui de votre salut : s'il y a des indifférents, que leur conscience les juge; s'il y a quelqu'un que cela n'intéresse pas, nous y sommes intéressés, nous : " J'ai planté, Apollo a arrosé, mais c'est Dieu qui a donné l'accroissement". (I Cor. III, 6.),
De quel front endurerons-nous les sarcasmes des païens? S'ils nous cherchent querelle au sujet des hérésies, que ne diront-ils pas de ces autres divisions? S'ils ont les mêmes dogmes, s'ils croient les mêmes mystères, pourquoi un pasteur envahit-il l'Église de l'autre? Tout est donc vaine gloire dans le christianisme; on y trouve partout l'ambition, la fraude, l'astuce. Otez aux chrétiens leur (489) nombre qui est la cause de la corruption, et ils ne sont plus rien. Voulez-vous savoir ce que les païens disent de notre cité? comment ils diffament notre . complaisance? Le premier venu, disent-ils, n'a qu'à vouloir pour se faire écouter, et les partisans ne lui manquent jamais. O dérision ! ô ignominie ! Mais voici un autre sujet de risée et d'opprobre. Quelqu'un, par une faute grave, a-t-il mérité d'être puni, aussitôt grande rumeur, grandes alarmes Prenez garde, il va vous quitter et passer à vos rivaux. Eh ! qu'il y passe, qu'il se donne à eux. Fût-il sans reproche, dès qu'il médite la défection, qu'il l'exécute; sans doute, je le regrette je le déplore, j'en souffre, comme si l'on m'arrachait un de mes membres; mais cette douleur ne va pas jusqu'à m'inspirer, pour la fuir, des choses indignes.
Nous ne dominons pas sur votre foi, mes bien-aimés; nous ne commandons pas en maîtres. Chargés de la mission de vous instruire, nous ne pesons pas sur vous avec l'autorité des magistrats. Nous donnons des conseils, nous ne contraignons personne, et chacun reste libre de faire ou de ne pas faire ce qu'on lui dit. Nous ne serions coupables qu'en taisant ce qu'il nous est ordonné d'enseigner. Or, je ne veux pas qu'au jour du jugement vous puissiez dire . Personne ne nous a rien dit, rien expliqué; nous étions dans l'ignorance, nous ne croyions pas commettre un péché. Je dis donc et je répète que faire schisme dans l'Eglise, c'est un aussi grand péché que d'embrasser l'hérésie. Dises-moi: si le sujet d'un roi s'abstenait à la vérité, de se donner à un autre roi, mais prenait la pourpre de son maître entre ses mains, la fendait jusqu'en bas à partir de l'agrafe, et la déchirait en mille lambeaux, serait-il puni moins sévèrement que s'il était transfuge? Et s'il osait en, outre égorger le roi lui-même, et mettre tout son corps en pièces, quel châtiment serait à la hauteur d'un pareil attentat? Le roi, dont le meurtre lui aurait valu le plus terrible supplice, ne serait pourtant que son compagnon d'esclavage. Quel enfer ne serait donc pas trop doux pour celui qui égorge le Christ et dépèce son corps? Celui dont nous sommes menacés suffira-t-il? Non, sans doute, à beaucoup près. Apprenez cela, vous toutes qui êtes ici présentes, et rapportez-le à celles qui ne sont pas ici : car le mal vient en grande partie des femmes. Si quelqu'un de ces déserteurs croit se venger en agissant ainsi, il se trompe beaucoup. Si tu veux assouvir ta vengeance, voici un moyen que je t'offre : moyen je ne dis pas sans dommage pour toi (il n'en est pas de tel), mais moins pernicieux : donne-moi des soufflets, crache-moi au visage devant tout le monde, accable-moi de coups.
6. Quoi ! tu frémis à ces mots, et tu déchires le Seigneur sans frémir ! Tu mets en pièces le corps de ton maître, et tu n'es pas saisi d'horreur ! L'Eglise est notre maison paternelle; nous n'y sommes qu'un corps et qu'une âme. Si c'est à moi que tu en veux, que ta colère s'arrête à moi. Pourquoi t'en prendre à Jésus-Christ? Ou plutôt, pourquoi te meurtrir à regimber contre l'aiguillon? Il n'est jamais bon de se venger. Mais punir en quelqu'un les fautes d'autrui, c'est un bien autre crime. Est-ce nous qui t'avons offensé? Pourquoi sévir contre un innocent? C'est le comble de la frénésie. Je ne parle ni à la légère ni par ironie; j'exprime ce que je sens. Je voudrais que tous ceux qui ont contre moi de la rancune, et qui, par ressentiment, se font tort à eux-mêmes et passent dans l'autre camp, je voudrais qu'ils vinssent me frapper au visage, et, après m'avoir mis à nu, me déchirer à coups de fouet : que leurs reproches soient justes ou iniques, j'aimerais mieux les voir ainsi décharger sur moi leur colère, que persister dans leurs attentats. Qu'importe qu'un homme de rien subisse quelques outrages? Sous le poids de l'humiliation, je prierais Dieu pour vous, et il vous ferait grâce. Non que j'aie confiance en moi, mais parce que je suis persuadé que Dieu accueille favorablement celui qui, étant offensé, prie pour ceux qui l'ont offensé. " Si quelqu'un a péché contre un homme, est-il écrit, on priera pour lui ". (I Rois, II, 25.) Si mes prières étaient trop faibles, je m'adresserais à d'autres saints, et ils fléchiraient le Seigneur. Mais quand c'est à Dieu lui-même que remonte votre affront, à qui aurons-nous recours?
Voyez quel choquant contraste ! Parmi les membres de cette Eglise, il
en est qui n'approchent jamais des autels, ou une fois seulement par an,
et encore est-ce étourdiment et sans préparation : d'autres
sont, à la vérité, plus assidus, mais leur légèreté
est lu même, ils ne font que causer et s'occuper de bagatelles :
et ceux qui se montrent sérieux sont justement les auteurs du fléau.
Si c'est de ce côté que votre zèle se porte, il vaut
mieux que (500) vous preniez place parmi les indifférents; ou plutôt
il vaut mieux, et que ceux-ci se corrigent, et que vous vous corrigiez
vous-mêmes je ne parle point pour ceux qui sont ici, mais pour les
transfuges. C'est un véritable adultère. Si vous ne souffrez
pas que je parle ainsi de ces hommes, ne souffrez pas non plus qu'on parle
ainsi de moi. L'illégalité est d'un côté ou
de l'autre. Si vous pensez qu'elle est du nôtre, nous sommes prêts
à céder le pouvoir à qui vous voudrez, pourvu que
l'unité de l'Eglise soit assurée. Si nous avons été
légitimement institués, persuadez de quitter leurs sièges
à ceux qui les ont occupés contrairement à la loi.
Je parle ainsi, non pour imposer un commandement, mais pour vous prémunir
par de bons avis. Chacun de vous a l'âge de raison, et sera jugé
sur ses oeuvres. Ne pensez pas qu'il vous suffise de rejeter sur nous le
fardeau pour être déchargés vous-mêmes de toute
responsabilité : ce serait vous tromper cruellement. Sans doute
nous avons à rendre compte pour vos âmes, mais tout autant
que nous aurons négligé d'avertir, de supplier, de protester.
Ce devoir accompli, souffrez que je le dise; moi aussi : " Je suis pur
du sang de " tous, Dieu sauvera mon âme ". (Act. XX, 26, et Tim.
IV, 18.) Dites ce que vous voudrez, dites le vrai motif pour lequel vous
rompez avec nous, et je vous répondrai. Mais vous ne le direz pas.
Vous donc qui êtes fidèles, je vous en conjure, faites tous
vos efforts désormais et pour vous affermir vous-mêmes, et
pour ramener les transfuges, afin que, réunis et unanimes, nous
rendions grâces à Dieu, à qui gloire dans les siècles.
Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XII. JE VOUS DIS DONC ET JE VOUS CONJURE PAR LE SEIGNEUR,
DE NE PLUS MARCHER COMME LES GENTILS QUI MARCHENT DANS LA VANITÉ
DE LEURS PENSÉES, QUI ONT L'INTELLIGENCE OBSCURCIE DE TÉNÈBRES.
(IV, 17.)
Analyse.
1 et 2. Vanité des vanités : ce qu'il faut entendre par là.
3. Vanité du paganisme et de la philosophie paienne. Superstitions ridicules des païens.
1. Le maître, pour instruire pleinement ses disciples et les mettre dans la bonne voie , ne doit pas se borner à des conseils et à des leçons : il faut encore qu'il effraie ses auditeurs, qu'il les cite devant Dieu. Quand les paroles humaines sont insuffisantes, comme venant de simples compagnons d'esclavage, à toucher les âmes, il faut alors faire intervenir le Seigneur. Ainsi fait Paul. Il a parlé précédemment de l'humilité, de l'unité, du devoir d'éviter les discordes mutuelles. Ecoutez comment il parle maintenant : " Je vous dis donc et vous conjure par le Seigneur, de ne plus marcher comme les gentils ". Il ne dit pas: De ne plus marcher comme vous marchez : le reproche serait trop dur; il dit la même chose, en se servant d'un exemple étranger. C'est ce qu'il fait encore dans ce passage de son épître aux Thessaloniciens , où il dit : " Et non dans la passion de la convoitise, comme les autres nations ". (I Thess. IV, 5.) Votre religion vous distingue des gentils: mais (501) cela ne vient que de Dieu : moi, je vous demande ce qui dépend de vous, une conduite, une vie selon Dieu: cela, c'est votre affaire. Je prends Dieu à témoin de mes paroles : je ne vous ai rien caché, je vous ai dit comment vous devez vous conduire. " Dans la vanité de leur esprit ". En quoi consiste la vanité de l'esprit? Dans la vanité des occupations. Mais quelles sont les choses vaines, sinon toutes celles du monde, dont l'Ecclésiaste dit : " Vanité des vanités, tout est vanité ". (Ecclés. I, 2.) Mais on dira : si tout est vanité, d'où vient qu'il existe quelque chose? Si tout est l'ouvrage de Dieu, comment tout peut-il être vanité? On ne tarit point là-dessus. Mais écoute, mon cher auditeur : En disant vanité, le Sage n'entend pas parler des ouvrages de Dieu, à Dieu ne plaise! le ciel n'est point vanité, la terre non plus, loin de nous cette pensée : pas plus que le soleil, la lune et les astres, pas plus que notre corps : toutes ces choses sont . excellentes. Où est donc la vanité? Ecoutons les propres paroles de l'Eclésiaste : " Je me suis planté des vignes, je me suis fait des chanteurs et des chanteuses, je me suis fait des piscines d'eau, j'ai eu des bergeries et des étables, j'ai amassé de l'or et de l'argent; et j'ai vu que tout est vanité". (Ecclés. II, 5 et suivants.) Et encore : " Vanité des vanités, tout est vanité ". Ecoutez encore le Prophète : " Il thésaurise et ne sait pas pour qui il amassera ces choses ". (Ps. XXXVIII, 7.) Ainsi, vanité des vanités que les palais magnifiques, que l'abondance des richesses, que les troupeaux d'esclaves marchant fièrement sur la place publique, que l'orgueil et la jactance, que l'outrecuidance et la présomption. Toutes ces choses sont vaines; car elles ne sont pas l'ouvrage de Dieu, mais le notre. Mais pourquoi sont-elles vaines? Parce qu'elles n'ont pas une bonne fin.
Les richesses sont vaines, quand on les dépense en luxe; elles ne sont pas vaines, quand on les prodigue aux pauvres Quand on les dépense en luxé, voyons quelle en est la fin : de la graisse, des vents, des excréments, des migraines, le ramollissement, l'échauffement, la langueur du corps. Le voluptueux ressemble à un homme qui s'évertuerait à remplir un tonneau percé. On appelle encore vaine une chose qu'on a crue honorable et qui ne l'est point c'est le sens où l'on prend quelquefois le mot " vide " et le mot " frivole ", par exemple en parlant des espérances. Et en général on dit d'une chose qu'elle est vaine quand elle n'est bonne à rien. Voyons donc si les choses humaines n'ont pas ce caractère. " Mangeons et buvons : car nous mourrons demain ". (I Cor. XV, 32.) Quelle est donc la fin, dites-moi? Le trépas. Habillons-nous, parons-nous, quelle sera la tin? Le néant. Quelques-uns des païens ont touché à cela dans leur philosophie, mais sans succès : ils ont enseigné une vie de privations, mais sans viser par là à rien d'utile, et dans le seul intérêt de leur gloire et de leur vanité. Or qu'est-ce que la gloire humaine? Rien. Si ceux qui la donnent périssent, à plus forte raison en est-il ainsi de la gloire elle-même. Celui qui procure à autrui de la gloire, devrait commencer par s'en procurer à lui-même: sinon, comment pourrait-il en donner à autrui? Et pourtant nous recherchons les suffrages d'hommes vils, méprisables, déshonorés. Que peut être une gloire pareille?
2. Voyez-vous que tout est vanité des vanités? De là cette parole : " Dans la vanité de " leur esprit ". N'est-ce pas ainsi qu'il faut caractériser leur religion? Les objets de leur culte ne sont-ils pas des pierres et du bois? Dieu a fait le soleil comme un flambeau pour nous éclairer : qui est-ce qui se prosterne devant son flambeau? Le soleil nous fournit sa lumière : mais, en son absence, une lampe fait le même office : pourquoi donc n'adorez-vous pas votre lampe? Je le fais, diront-ils, j'adore le feu. O dérision ! et vous ne rougissez point d'un pareil sacrilège ! Considérez encore ceci: Pourquoi éteindre ce que vous adorez? Pourquoi l'anéantir? Pourquoi tuer votre Dieu? Pourquoi lui défendre d'envahir toute votre maison? Si le feu est Dieu, qu'il dévore votre corps, et ne posez pas sur votre Dieu le fond d'une marmite : introduisez-te plutôt dans la chambre où sont vos trésors, vos étoffes précieuses. Mais loin de là : qu'il vienne à se glisser chez vous par l'imprudence de quelqu'un, vous le chassez de toutes ses retraites, vous appelez tout le monde à votre secours; vous gémissez, vous pleurez comme s'il s'agissait d'une bête féroce, et vous traitez de calamité la venue de votre Dieu dans votre maison. Moi, j'ai un Dieu, et je fais tout mon possible pour le garder dans mon ceeur, et je mets ma béatitude non à recevoir sa visite dans ma maison, mais à l'attirer dans mon coeur. (502) Attirez donc, vous aussi, le feu dans votre coeur. Dérision, vanité que tout cela. Le feu est bon pour qu'on s'en serve et non pour qu'on l'adore; c'est un esclave, un serviteur, un ministre, et non pas un maître : il est fait pour moi, et non pas moi pour lui. Si vous adorez le feu, pourquoi rester étendu sur votre lit de parade, tandis que votre cuisinier a ordre de rester auprès de votre Dieu? Chargez-vous en personne de ces soins; faites-vous boulanger, ou forgeron, si vous aimez mieux. Ces arts sont les plus nobles de tous, puisque votre Dieu les visite. Pourquoi mépriser des industries qui vous rapprocheraient de votre Dieu et les confier dédaigneusement à des esclaves. Le feu est une excellente chose, car il est l'ouvrage d'un artiste excellent : mais il n'est pas Dieu : il est seulement l'oeuvre de Dieu. Ne voyez-vous pas combien il est indiscipliné? Une fois qu'il a pris à une maison, il ne s'arrête plus. Il détruit sans relâche tout ce qu'il trouve à sa portée; et, à défaut d'ouvriers ou de toute autre main pour réprimer ses fureurs, il ne connaît ni amis, ni ennemis: tout lui est bon. Voilà votre Dieu, et vous ne rougissez pas ! Ah ! elle est bien vraie, cette parole : " Dans la vanité de leur esprit ".
Mais le soleil, du moins, est un Dieu, dira-t-on. Pourquoi cela, et comment, dites-moi? Est-ce à cause de la vive lumière qu'il projette? Mais ne voyez-vous pas que les nuages en triomphent, que les lois de la nature l'asservissent, qu'il s'éclipse, que la lune et les nues amortissent son éclat? D'ailleurs les nuages lui sont inférieurs en puissance: néanmoins ils prévalent souvent sur lui, et c'est une marque de la sagesse divine. Dieu doit se suffire à lui-même : or le soleil a besoin de mille choses, ce qui n'est pas d'un Dieu. Pour luire il lui faut de l'air, un air subtil : car un air épais ne laisserait point passer les rayons : il lui faut de l'eau, et un obstacle qui l'empêche de tout consumer. Si les sources, les lacs, les fleuves et les mers ne formaient une certaine humidité par l'exhalaison de leurs vapeurs, rien ne saurait préserver l'univers d'une conflagration. Vous voyez donc, dira-t-on,que c'est un Dieu. O délire ! ô dérision! C'est un Dieu, attendu qu'il est capable de nuire ! C'est un Dieu parce qu'il n'a besoin d'aucun secours pour faire le mal, et de beaucoup de secours pour opérer le bien ! La nature divine n'admet point le mal dans son essence : les bienfaits, voilà ce qui la caractérise. Si donc ces choses répugnent entre elles, comment le soleil serait-il Dieu? ne voyez-vous pas que les plantes vénéneuses sont nuisibles d'elles-mêmes, et ont besoin de beaucoup de choses pour devenir des remèdes? C'est à cause de vous que le soleil est ce qu'il est, à savoir beau et infirme : beau, afin que vous reconnaissiez le Seigneur par son moyen; infirme, afin que vous ne le confondiez pas avec le Seigneur.
Mais, dira-t-on, il nourrit les plantes et les graines. A ce compte, le fumier aussi devrait être Dieu, car il nourrit également. Et pourquoi ne pas réputer telles aussi et la faux, et les mains du laboureur. Montrez-moi que le soleil nourrisse de lui-même et sans le secours de la terre, de l'eau; du labourage; qu'il suffise de répandre la semence pour que ses rayons fassent naître les épis. Que si ce n'est pas uniquement son oeuvre, mais encore celle des pluies, pourquoi ne pas faire pareillement de l'eau une divinité? Mais laissons ce point pour le présent. Pourquoi ne pas diviniser la terre? et le fumier? et le hoyau? Nous allons donc tout adorer ! Quelle sottise ! Et pourtant l'épi naîtrait plus aisément sans soleil, que sans terre et sans eau : de même pour les plantes et pour tout le reste. Si la terre n'existait point, rien de tout cela ne verrait le jour. Mettez de la terre dans un pot, comme font quelquefois les femmes et les enfants, et répandez là-dessus une épaisse couche de fumier; vous pourrez garder ce pot sous votre toit, des plantes, faibles à la vérité, pourront encore y pousser. La terre et le fumier jouent donc un plus grand rôle dans la végétation, et, par conséquent, seraient plus dignes d'adoration que le soleil. Celui-ci a besoin du ciel, besoin de l'air, besoin des eaux, comme d'un frein pour réprimer les ravages que sa force pourrait causer, et l'empêcher de déchaîner partout ses rayons comme des coursiers fougueux. Et dites-moi, ou est-il durant la nuit? Où émigre ce Dieu? La nature divine ne comporte point ces limites : elles sont le propre des corps. Mais on dira : il y a une force en lui, il se meut. Et cette force est un Dieu, dites-moi? Mais alors d'où vient qu'elle a besoin de quelque chose et ne peut contenir le feu des rayons? Je ne puis (lue répéter ce que j'ai dit. Qu'est-ce maintenant que celte force? Le pouvoir d'éclairer réside-t-il en elle, ou éclaire-t-elle par le moyen du soleil, sans (503) participer en rien de la lumière? Alors elle est inférieure au soleil. Jusques à quand nous perdrons-nous dans ce labyrinthe?
3. Mais l'eau? n'est-elle pas aussi une divinité? disent-ils. Quelle ridicule obstination ! Comment ne verrions-nous pas un Dieu dans ce qui nous sert à tant d'usages? Voilà ce qu'on dit, et l'on répète la même chose pour la terre. Quelle vérité dans ces paroles : " Dans la vanité de leur esprit, ayant l'intelligence obscurcie de ténèbres ". Mais voici qui s'applique à la conduite. Les païens sont fornicateurs et adultères. Rien de plus naturel. Se forgeant des dieux pareils, ils ont une vie conforme à leurs croyances, et s'ils peuvent échapper aux yeux des hommes, personne n'est désormais capable de les retenir. L'idée de la résurrection est impuissante ; ils la traitent de fable. De même pour l'enfer. Et contemplez cette aberration satanique. Quand on leur parle de dieux fornicateurs, ils ne voient pas là de fable, ils croient tout; et quand on leur parle du châtiment, ils répondent : Inventions de poètes, afin de renverser toutes les bases de la vie bienheureuse.
Mais les philosophes, dira-t-on, ont inventé de belles doctrines, supérieures à celles-là de tout point. Comment? Sont-ce ceux qui font jouer un rôle à la fatalité, excluent la Providence du monde, et attribuent tout, non à quelque dessein concerté, mais à une pure combinaison d'atomes? Sont-ce ceux qui nous proposent un Dieu corporel? Lesquels donc, dites-moi? Ceux qui supposent que les hommes ressemblent par l'âme aux chiens, et veulent nous faire croire que l'on a été précédemment chien, lion, poisson (1)? Quand aurez-vous fini de déraisonner, de penser dans les ténèbres? Tout prouve en effet qu'ils sont dans les ténèbres, leurs paroles, leurs actions, leurs doctrines, leurs démarches. Celui qui est dans les ténèbres ne voit rien de ce qui est sous ses yeux ; et souvent il prend une corde pour un serpent. S'il vient à s'accrocher à une palissade, il s'imagine qu'un homme ou un démon le retient : de là mille frayeurs, mille alarmes... Tels sont les objets de leur crainte
" Ils craindront où il n'y aura pas sujet de " crainte ". Au contraire, ce qui devrait les effrayer ne les effraie point. Il en est des païens comme de ces enfants qui approchent leurs
1 Les pythagoriciens.
mains du feu sans précaution, s'élancent témérairement des bras de leurs nourrices vers la lumière des lampes, et qui tremblent à la vue d'un homme revêtu d'un sac. De même ces païens, à qui un des leurs (2) a dit justement : Grecs, vous êtes toujours enfants; les païens, dis-je, craignent certaines choses qui ne sont point des péchés, comme la malpropreté, le deuil, le lit, l'attente, que sais-je encore ? Mais, quant aux péchés véritables, comme la sodomie, l'adultère, la fornication, ils n'en tiennent aucun compte. Ils se lavent quand ils ont touché un mort, mais non pas quand ils ont fait des oeuvres de mort. Ils se donnent beaucoup de peine pour l'argent, et suspendent toute affaire, s'ils viennent à entendre le chant d'un coq, tant ils ont l'esprit aveuglé. Mille terreurs assiègent leur âme ; par exemple : Un tel est le premier qui m'ait rencontré, au moment où je sortais de chez moi; nécessairement il va m'arriver malheur sur malheur. Mon coquin d'esclave, en me donnant mes chaussures, m'a présenté d'abord celle de droite : accidents fâcheux, injures. Moi-même, en sortant, j'ai avancé d'abord le pied gauche : présage de malheur. Voilà pour les mauvais présages de la maison; dehors, un mouvement de mon oeil droit m'annonce des larmes (2).
Les femmes tirent de même des pronostics des bruits que la navette et le peigne font rendre aux baguettes du métier; si le peigne, promené avec trop de force sur la trame cause un cliquetis de baguettes, c'est pour elles encore un signe ; et on en citerait mille autres aussi ridicules. Qu'un âne vienne à braire, un coq à chanter, quelqu'un à éternuer, qu'il arrive quelque chose d'imprévu , aussitôt , comme je le disais, ces captifs, ces aveugles entrent en défiance, et montrent plus de craintes serviles qu'un millier d'esclaves. Ne les imitons pas; sachons rire de tout cela, comme des hommes pour qui luit la lumière, comme des citoyens du ciel, qui n'ont rien de commun avec la terre, et ne craignons qu'une chose : pécher, offenser Dieu... Excepté cela, bravons tout avec le diable, auteur de ces chimères. En conséquence, rendons grâces à Dieu ; efforçons-nous et d'éviter nous-mêmes un pareil esclavage, et d'en arracher ceux de
1 Platon.
2 Le texte parait altéré ici.
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nos amis qui peuvent y être tombés, tirons-les de cette
affreuse, de cette ridicule captivité, rendons-les plus dispos pour
monter au ciel, ranimons leurs ailes engourdies, enseignons-leur la morale
et la doctrine de la sagesse. Rendons grâces à Dieu en toute
occurrence. Prions-le de ne pas nous déclarer indignes du présent
qui nous a été fait; et en outre, faisons de notre côté,
notre devoir, afin de ne pas enseigner seulement par nos discours, mais
encore par notre exemple. Par là, nous pourrons obtenir la félicité
sans mesure; à laquelle Unissions-nous tous parvenir, par la grâce
et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire,
puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours,
et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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