.COMMENTAIRE SUR L'ÉPÎTRE AUX ÉPHÉSIENS.
Tome X p. 435 - 570
COMMENTAIRE SUR L'ÉPÎTRE AUX ÉPHÉSIENS. *
HOMÉLIE XIII. JE VOUS DIS DONC, ET JE VOUS CONJURE PAR LE SEIGNEUR, DE NE PLUS MARCHER COMME LES GENTILS QUI MARCHENT DANS LA VANITÉ DE LEURS PENSÉES, QUI ONT L'INTELLIGENCE OBSCURCIE DE TÉNÈBRES, ENTIÈREMENT ÉLOIGNÉS DE LA VIE DE DIEU, PAR L'IGNORANCE QUI EST EN EUX, A CAUSE DE L'AVEUGLEMENT DE LEUR COEUR, QUI, AYANT PERDU TOUT ESPOIR, SE *
SONT LIVRÉS A L'IMPUDICITÉ, A TOUTES SORTES DE DISSOLUTIONS, A L'AVARICE. (IV, 17-19, JUSQU'A 24.) *
HOMÉLIE XIV. C'EST POURQUOI, QUITTANT LE MENSONGE, QUE CHACUN DISE LA VÉRITÉ AVEC SON PROCHAIN, PARCE QUE NOUS SOMMES MEMBRES LES UNS DES AUTRES. IRRITEZ-VOUS ET NE PÉCHEZ POINT ; QUE LE SOLEIL NE SE COUCHE POINT SUR VOTRE COLÈRE. NE DONNEZ POINT LIEU AU DIABLE. (IV, 25-27, JUSQU'A 30.) *
HOMÉLIE XV. QUE TOUTE AMERTUME, TOUTE COLÈRE, TOUT EMPORTEMENT, TOUTE CLAMEUR ET TOUTE DIFFAMATION SOIENT BANNIS DU MILIEU DE VOUS AVEC TOUTE MALICE. (IV, 31.) *
HOMÉLIE XVI. QUI TOUTE AMERTUME, TOUTE COLÈRE, TOUT EMPORTEMENT, TOUTE CLAMEUR, ET TOUTE DIFFAMATION SOIENT BANNIS *
DU MILIEU DE VOUS AVEC TOUTE MALICE. MAIS SOYEZ BONS LES UNS ENVERS LES AUTRES, MISÉRICORDIEUX, VOUS FAISANT GRACE MUTUELLEMENT, COMME DIEU LUI-MÊME VOUS A FAIT GRÂCE. (IV, 31, 32.) *
HOMÉLIE XVII. MAIS SOYEZ BONS LES UNS ENVERS LES AUTRES, MISÉRICORDIEUX, VOUS PARDONNANT MUTUELLEMENT, *
COMME DIEU LUI-MÊME VOUS A PARDONNÉ EN JÉSUS-CHRIST. SOYEZ DONC LES IMITATEURS DE DIEU, COMME ENFANTS BIEN-AIMÉS ; ET MARCHEZ DANS L'AMOUR COMME LE CHRIST NOUS A AIMÉS ET S'EST LIVRÉ LUI-MÊME POUR NOUS EN OBLATION A DIEU ET EN HOSTIE DE SUAVE ODEUR. (IV, 32 ; V, 1, 2, JUSQU'A 4.) *
HOMÉLIE XVIII. CAR SACHEZ COMPRENDRE QU'AUCUN FORNICATEUR, OU IMPUDIQUE, OU AVARE, CE QUI EST UNE IDOLATRIE, N'A D'HÉRITAGE DANS LE ROYAUME DU CHRIST ET DE DIEU. QUE PERSONNE NE VOUS SÉDUISE PAR DE VAINS DISCOURS : CAR C'EST POUR CES CHOSES QUE VIENT LA COLÈRE DE DIEU SUR LES FILS DE LA DÉFIANCE. (V, 5, 6-14.) *
HOMÉLIE XIX. AYEZ DONC SOIN, MES FRÈRES, DE MARCHER AVEC CIRCONSPECTION, NON COMME DES INSENSÉS, MAIS COMME DES HOMMES SAGES, RACHETANT LE TEMPS, PARCE QUE LES JOURS SONT MAUVAIS. NE SOYEZDONC PAS IMPUDENTS, MAIS COMPRENEZ QU’ELLE EST LA VOLONTÉ DE DIEU. (V, 15-21.) *
HOMÉLIE XX. FEMMES, SOYEZ SOUMISES A VOS MARIS COMME AU SEIGNEUR; PARCE QUE L'HOMME EST *
LE CHEF DE LA FEMME, COMME LE CHRIST EST LE CHEF DE L'ÉGLISE, ET IL EST AUSSI LE SAUVEUR DE SON CORPS. COMME DONC L'ÉGLISE EST SOUMISE AU CHRIST, AINSI LE SOIENT EN TOUTES CHOSES LES FEMMES A LEURS MARIS. (V, 22-24, JUSQU'À LA FIN DU CHAP.) *
HOMÉLIE XXI. ENFANTS, OBÉISSEZ A VOS PARENTS DANS LE SEIGNEUR ; CAR CELA EST JUSTE. HONORE TON PÈRE ET TA MÉRE (C'EST LE PREMIER COMMANDEMENT FAIT AVEC UNE PROMESSE), AFIN QUE BIEN T'ARRIVE, ET QUE TU VIVES *
LONGTEMPS SUR LA TERRE. (VI, 1-3, 4.) *
HOMÉLIE XXII. SERVITEURS, OBÉISSEZ A VOS MAITRES SELON LA CHAIR, AVEC CRAINTE ET TREMBLEMENT, DANS LA SIMPLICITÉ *
DE VOTRE CŒUR, COMME AU CHRIST MÈNE, LES SERVANT NON A L'OEIL, COMME POUR PLAIRE AUX HOMMES, MAIS COMME DES SERVITEURS DU CHRIST, ACCOMPLISSANT DE CŒUR LA VOLONTÉ DE DIEU ; FAISANT VOTRE SERVICE DE BON GRÉ, COMME POUR LE SEIGNEUR, ET NON POUR LES HOMMES, SACHANT QUE CHACUN RECEVRA DU SEIGNEUR LA RÉCOMPENSE DE TOUT LE BIEN QU'IL AURA FAIT, QU'IL SOIT ESCLAVE OU LIBRE. (VI, 5-8, JUSQU'A 13.) *
HOMÉLIE XXIII. SOYEZ DONC FERMES, CEIGNANT VOS REINS DE LA VÉRITÉ. (VI, 14.) *
HOMÉLIE XXIV. SOYEZ DONC FERMES, CEIGNANT VOS REINS DE LA VÉRITÉ, ET REVÊTANT LA CUIRASSE DE LA JUSTICE, ET CHAUSSANT VOS PIEDS POUR VOUS PRÉPARERA L'ÉVANGILE DE LA PAIX; PRENANT SURTOUT LE BOUCLIER DE LA FOI, DANS LEQUEL VOUS PUISSIEZ ÉTEINDRE TOUS LES TRAITS ENFLAMMÉS DU MALIN. PRENEZAUSSI LE CASQUE DU SALUT, ET LE GLAIVE DE L'ESPRIT, QUI EST *
LA PAROLE DE DIEU. (VI, 14-17, JUSQU'A LA FIN.) *
HOMÉLIE XIII. JE VOUS DIS DONC, ET JE VOUS CONJURE PAR LE SEIGNEUR,
DE NE PLUS MARCHER COMME LES GENTILS QUI MARCHENT DANS LA VANITÉ
DE LEURS PENSÉES, QUI ONT L'INTELLIGENCE OBSCURCIE DE TÉNÈBRES,
ENTIÈREMENT ÉLOIGNÉS DE LA VIE DE DIEU, PAR L'IGNORANCE
QUI EST EN EUX, A CAUSE DE L'AVEUGLEMENT DE LEUR COEUR, QUI, AYANT PERDU
TOUT ESPOIR, SE SONT LIVRÉS A L'IMPUDICITÉ, A TOUTES SORTES
DE DISSOLUTIONS, A L'AVARICE. (IV, 17-19, JUSQU'A 24.)
Analyse.
1 et 2. De l'aveuglement volontaire. — Le vieil homme et l'homme nouveau.
3 et 4. Les moines et les religieuses au temps de saint Jean Chrysostome. — Règles moins rigoureuses è l'usage des faibles. — Vertus des femmes, proposées en exemple aux hommes.
1. Cela ne s'adresse point seulement aux Ephésiens ; c'est encore à vous que ce langage est tenu, non par nous, mais par Paul lui-même, ou plutôt, ni par nous, ni par Paul, mais par la grâce de l'Esprit. Soyez donc dans les dispositions qui conviennent pour écouter une pareille voix. Et d'abord, écoutez ce qu'elle vous dit : " Je vous dis donc, et je vous conjure par le Seigneur, de ne plus marcher comme les gentils, qui marchent dans la vanité de leurs pensées, qui ont l'intelligence obscurcie de ténèbres , entièrement éloignés de la vie de Dieu, par l'ignorance qui est en eux, à cause de l'aveuglement de leur cœur ". Mais si c'est ignorance, aveuglement, que leur reprochez-vous? Quiconque ignore ne doit point être puni, ni réprimandé, mais instruit des choses qu'il ignore. Mais considérez comment aussitôt il leur enlève cette excuse : " Qui, ayant perdu tout espoir, se sont livrés à l'impudicité, à toutes sortes de dissolutions, à l'avarice. Pour vous, ce n'est pas ainsi que vous avez été instruits touchant le Christ ". Il montre ici que leur aveuglement provient de leur conduite ; et que leur conduite est un fruit de leur propre négligence et de leur apathie. " Qui, ayant perdu tout espoir, se sont livrés ". Ainsi donc, quand vous entendrez dire que Dieu les a livrés au sens réprouvé (Rom. I, 23 ) , souvenez-vous de cette parole, qu'ils se sont livrés eux-mêmes. S'ils se sont livrés eux-mêmes, comment Dieu les a-t-il livrés ? Ou si c'est Dieu, comment eux-mêmes se sont-ils livrés? (505) Vous voyez cette apparente contradiction ? Mais " Dieu les a livrés ", signifie ici : Dieu les a laissés aller. Voyez-vous qu'en l'absence d'une vie pure, de pareilles doctrines prennent facilement naissance ? " Quiconque fait le mal ", est-il écrit, " hait la lumière, et ne vient pas à la lumière ". (Jean, III, 20.)
Comment concevoir qu'un pervers , un homme prostitué à toutes les femmes, à l'image de ces pourceaux qui se vautrent dans les bourbiers, qu'un avare, qu'un homme sans souci de la tempérance, puisse adopter un genre de vie comme le nôtre ? Voilà les occupations dont ils font métier, dit l'apôtre. De là leur aveuglement, de là le crépuscule répandu sur leur esprit. La plus brillante lumière pâlit, quand on a les yeux faibles; or, les yeux s'affaiblissent, soit par suite d'un afflux d'humeurs malignes, soit par l'abondance trop grande du liquide qu'ils recèlent. C'est la même chose ici : quand le flux des choses mondaines vient à submerger notre intelligence, elle se trouve dans. l'obscurité ; et comme si nous étions au fond de l'eau, nous devenons hors d'état de voir le soleil, à cause de la barrière que l'eau dont nous sommes couverts oppose à nos regards. C'est ainsi que s'aveuglent également les yeux de notre raison, quand nulle crainte n'ébranle notre âme. " La crainte de Dieu n'est pas devant ses yeux ", est-il écrit; et encore : " L'insensé a dit dans son coeur : il n'y a pas de Dieu ". (Ps. XIII, 3,1.) Cet aveuglement provient d'une seule cause, l'apathie : voilà ce qui obstrue nos organes. Quand- une humeur vient à se concentrer et à se condenser dans un endroit, le membre devient insensible et comme mort; brûlez-le, coupez-le, faites ce que vous voudrez, il ne sent plus rien. De même, une fois que les hommes dont je parle se sont abandonnés à la débauche, employez le discours pour les guérir, à la façon du fer ou du feu, rien ne les touche, rien ne pénètre jusqu'à eux; le membre est paralysé; si vous ne guérissez pas cette insensibilité, si vous n'attendez pas que le membre soit sain, vous perdez votre peine. " A l'avarice ". C'est ici particulièrement qu'il leur ôte toute excuse. Il ne tiendrait qu'à eux, s'ils le voulaient, d'éviter l'avarice, l'incontinence, la gourmandise, les voluptés; ils pourraient ne toucher à l'argent, au plaisir, au luxe, qu'avec modération ; mais une fois qu'ils ont abusé, tout est perdu. " A toutes sortes de dissolutions ". Voyez-vous comment par là il leur ôte tout recours? Il montre qu'ils n'ont point péché par accident, mais par coutume, et, pour ainsi dire, par métier : " A toutes sortes de dissolutions ".
Par dissolutions, entendez l'adultère, la fornication, la sodomie, l'envie, tous les genres d'intempérance et de débauche. " Pour vous, ce n'est pas ainsi que vous avez été instruits touchant le Christ, si toutefois vous l'avez écouté, et si vous avez appris de lui, selon la vérité de sa doctrine (20, 21) ". Ces mots : " Si toutefois vous l'avez écouté ", ne marquent point ici un doute, mais une affirmation expresse ; c'est ainsi qu'on lit ailleurs " Si pourtant il est juste devant Dieu, qu'il rende l'affliction à ceux qui vous affligent ". (II Thess. I, 6.) En d'autres termes : Ce n'est pas ainsi que vous avez été instruits touchant le Christ. " Si toutefois vous l'avez écouté, et si vous avez appris de lui, selon la vérité de sa doctrine, à dépouiller, par rapport à votre première vie, le vieil homme (22) ". Ainsi, c'est encore être instruit touchant le Christ, que de bien vivre. Celui qui vit mal, méconnaît Dieu, et il est méconnu de lui. Ecoutez plutôt ce que dit ailleurs le même Paul : " Ils confessent qu'ils connaissent Dieu, et ils le nient par leurs oeuvres ". (Tit. I,16.) " Selon la vérité de sa doctrine, à dépouiller, par rapport à votre première vie, le vieil homme ". En d'autres termes : Ce ne sont pas là vos conventions. Parmi nous, ce n'est pas la vanité qui règne, mais la vérité; si les dogmes sont vrais, la vie ne l'est pas moins. C'est le péché et le mensonge; qui sont vanité; quant à la bonne conduite, c'est vérité ; car la fin en est sublime : la débauche, au contraire, aboutit au néant. " Qui se corrompt par les désirs de son erreur ". Si ses désirs sont corrompus, il l'est également lui-même.
2. Comment donc ses désirs sont-ils corrompus ? Tout se dissout par la mort : écoutez le prophète qui nous dit : " En ce jour périront " toutes ses pensées ". (Ps. CXIV, 4.) Et ce n'est pas seulement par la mort, c'est de mille autres manières: par exemple, la beauté s'enfuit devant la maladie et la vieillesse, elle meurt, elle se flétrit. La force du corps succombe aux mêmes atteintes : la mollesse elle-même ne goûte plus les mêmes plaisirs, la vieillesse venue. C'est ce que nous fait voir l'histoire de (506) Bérzellaï, qui vous est certainement connue (II Rois, XIX.) Ou enfin, c'est la passion elle-même qui détruit celui qu'elle dévore. Le vieil homme est comparable à la laine qui vient des bêtes et périt par les bêtes. On peut être victime, et beaucoup l'ont été de l'avarice, des plaisirs, et dupe de la passion. Car à vrai dire, ce n'est point volupté, mais amertume et illusion, leurre et comédie : l'extérieur a bonne apparence, mais au fond, on ne trouve que misère, détresse, dégoûts, pénurie complète : ôtez le masque, mettez le visage à nu : la déception vous apparaîtra. Car il y a déception, quand une chose semble différente de ce qu'elle est réellement. Ainsi naît l'erreur.
Paul nous décrit quatre hommes : je vais vous les montrer si vous le voulez. D'abord, en voici deux, dans ces paroles: " Ayant dépouillé le vieil homme, renouvelez-vous dans l'esprit de votre âme, et revêtez-vous de l'homme nouveau ". Il fait mention de deux autres dans l'épître aux Romains : " Mais je vois dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit , et me captive sous la loi du péché, laquelle est dans mes membres ". (Rom. VII, 23.) Ceux-ci ont du rapport avec les autres, l'homme intérieur avec l'homme nouveau, l'homme extérieur avec le vieil homme : Néanmoins il y en a trois qui ont succombé. Mais que dis-je? Ils sont trois encore aujourd'hui, le nouveau, l'ancien, et l'homme essentiel ou naturel. — " Renouvelez-vous dans l'esprit de votre âme (23) ". Pour qu'on n'aille pas croire qu'après avoir nommé l'ancien homme et le nouveau, il en introduit ici un troisième, considérez comment il parle : " Renouvelez-vous ". Il y a renouvellement, quand ce qui était vieux rajeunit, en vertu d'une transformation. De sorte que le sujet reste le même, et que le changement n'intéresse que les accidents. Car il en est de ceci comme du corps qui reste le même, en dépit des changements qui peuvent survenir dans ses phénomènes. Mais comment doit s'opérer ce renouvellement? " Dans l'esprit de votre âme ". Quiconque gardera en soi quelque chose d'ancien n'arrivera à rien : car l'esprit répugne à tout ce qui est ancien, " L'esprit de votre âme ", c'est-à-dire : l'esprit qui est dans votre âme. " Et revêtez-vous de l’homme nouveau (24) ". Voyez-vous que le personnage reste le même, et qu'il se dépouille seulement d'un habit pour en revêtir un autre ? " De l'homme nouveau, qui a été créé selon Dieu dans la justice et la sainteté de la vérité ". Pourquoi appelle-t-il homme la vertu, et homme encore le vice ? Parce que sans opération l'homme ne serait pas manifesté. En sorte que cela contribue non moins que la nature à manifester l'homme, soit bon, soit mauvais. Mais s'il est facile de se dépouiller d'un vêtement, il en est de même pour le vice et la vertu. L'homme jeune est fort : de même soyons forts, nous aussi, pour la pratique du bien. L'homme jeune n'a point de rides : n'en ayons pas davantage. L'homme jeune marche droit, et résiste aux atteintes de la maladie : résistons-y pareillement. " Qui a été créé ". Voyez comment il appelle ici création la réalisation de la vertu, son passage du néant à l'être. Mais quoi ! cette autre création n'est-elle pas selon Dieu ? Nullement, mais selon le diable: c'est le diable qui est l'auteur du péché. Comment cela? Parce que l'homme n'a pas été créé seulement avec de lit terre et de l'eau, mais encore dans la justice et la sainteté de la vérité. Qu'est-ce à dire? c'est-à-dire que Dieu l'a créé fils du premier coup : car ce titre remonte au baptême: voilà notre essence... Remarquez ces mots : " Dans la justice et la sainteté de la vérité ". Il y avait autrefois de la justice et de la sainteté chez les Juifs ; mais ce n'était pas une sainteté , une justice de vérité ; c'étaient de simples images. La pureté du corps, en effet, n'était qu'une figure de la pureté, et n'en était point la réalité ; de même la justice existait, non en réalité, mais en figure. " Dans la sainteté et la justice de la vérité ". Peut-être aussi a-t-il ici en vue le mensonge de ces infidèles, qui se font passer faussement pour justes.
Par justice, entendez la vertu en général. Le Christ a dit : " Si votre justice n'abonde pas plus que celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux ". (Matth. V, 20.) Il est encore écrit: " Celui qui est sans reproche est appelé juste". (I Jean, III, 9.) De même, dans les jugements, nous appelons juste celui qui a été offensé et n'a point rendu la pareille. Si donc au terrible jugement nous pouvons paraître justes les uns à l'égard des autres, nous pourrons obtenir quelque miséricorde. Car à l'égard de Dieu, la chose est impossible, quelle qu'ait pu être notre conduite: l'avantage de la justice (507) est, en effet, toujours de son côté, comme dit le prophète : " Et tu triompheras dans les jugements ". (Psaume, L, 6.) Mais si nous n'avons pas enfreint la justice à l'égard de notre prochain, si nous pouvons montrer que nous avons subi l'iniquité, alors nous serons justifiés. Mais puisque nous sommes déjà vêtus, pourquoi nous dire encore: " Revêtez-vous?" C'est qu'il parle maintenant de la conduite et des actions. Notre premier vêtement nous est venu du baptême : celui-ci, nous le devrons à nos œuvres, non plus selon les désirs de l'erreur, mais selon Dieu. — Mais la sainteté en quoi consiste-t-elle ? Dans la pureté, dans l'acquittement de notre dette. Nous employons une expression tirée de là pour désigner les derniers devoirs rendus aux morts : c'est comme si nous disions : Je ne leur dois plus rien, ils n'ont plus rien à réclamer de moi. Nous nous servons encore de termes de ce genre pour dire: " J'ai payé mon tribut, je suis quitte (1) "
3. C'est donc à nous qu'il appartient de ne pas quitter ce vêtement de justice que le prophète appelle encore vêtement de salut, afin de nous rendre semblables à Dieu, qui, lui aussi, est vêtu de justice. Tel doit être notre vêtement. Quant à cette expression revêtir, elle revient à celle-ci : Ne jamais quitter. Ecoutez plutôt le langage du prophète : " Il a revêtu la malédiction comme un vêtement, et elle viendra à lui"; et encore: " Celui qui se revêt de lumière comme d'un manteau ". (Ps. CVIII, 18 et CIII, 2.) Nous employons de même cette expression en parlant des hommes; nous disons : " Un tel s'est revêtu d'un tel ". Ainsi donc ce n'est pas un jour, ni deux, ni trois, c'est toujours que nous devons rester dans la vertu, sans jamais nous dépouiller de ce vêtement. En effet, il y a moins d'indécence pour l'homme à avoir le corps nu, qu'à se montrer dépouillé de vertu. Dans le premier cas, son indécence n'a pour témoins que les compagnons de son esclavage; dans le second les témoins sont le Maître et les anges. Ne seriez-vous pas choqué, dites-moi, si vous voyiez un homme paraître tout nu sur la place publique? Que dirons-nous donc de vous, qui courez sans le vêtement dont je parle? Ne voyez-vous
1. Ce passage ne peut être rendu qu'approximativement en français, vu l'impossibilité de trouver parmi les dérivés de notre mot saint, des équivalents propres à exprimer toutes tes idées.
pas en quel état circulent ces mendiants que nous appelons " Lotages ", et quelle pitié ils nous inspirent? Néanmoins ils sont sans excuse : nous ne pardonnons point à des gens qui ont perdu leurs habits en jouant aux dés. Comment donc Dieu pourrait-il nous pardonner, si nous perdons le vêtement de la vertu? Dès que le diable voit un homme dépouillé de vertu, aussitôt il lui noircit le visage, le souille, le meurtrit, et le soumet à toutes sortes de violences. Dépouillons-nous des richesses pour n'être point dépouillés dé la justice : les richesses ne font que gâter ce vêtement : elles sont comme un manteau d'épines; plus nous porterons sur nous de ces épines, plus notre nudité augmentera. L'incontinence nous dépouille aussi de notre vêtement : car c'est un feu, un feu qui le consume. L'argent est une teigne : comme la teigne, il ronge tout et n'épargne pas même les étoffes précieuses. Jetons donc bas toutes ces choses, afin que nous devenions justes, afin que nous revêtions l'homme nouveau. Ne conservons rien d'ancien, rien d'apparent, rien de corruptible. La vertu n'est pas si difficile à acquérir ni à pratiquer.
Considérez ceux qui vivent sur les montagnes : ils quittent maison, femmes, enfants, affaires : isolés du monde, revêtus d'un cilice, couverts de cendres, le cou emprisonné, ils s'enferment dans un humble réduit, et, non contents de cela, ils s'épuisent de jeûnes prolongés. Si je vous prescrivais d'en faire autant, ne vous enfuiriez-vous pas tous au loin? Ne déclareriez-vous pas mes exigences intolérables? Je ne réclame rien de pareil : je me borne à souhaiter, sans imposer rien. Prenez des bains, soignez votre corps, allez sur la place publique, gardez votre maison, vos serviteurs, buvez et mangez; mais bannissez impitoyablement la cupidité. Voilà l'origine du péché : tout excès devient péché : ainsi la cupidité n'est pas autre chose. Voyez plutôt quand la colère outrepasse ses justes bornes, alors elle déborde en injures, elle s'emporte à toutes les iniquités . de même pour l'amour sensuel, pour l'amour des richesses, de la gloire, que sais-je encore? Et ne venez pas me dire que les hommes dont je parle ont pu ce qui vous est impossible : beaucoup étaient plus malades que vous, plus riches, plus voluptueux, qui ont embrassé cette sévère et rigoureuse règle de vie.
508
Que dis-je, des hommes? des vierges parvenues à peine à la vingtième année, qui n'étaient jamais sorties de l'ombre de la maison où elles vivaient, au milieu des parfums et des suaves odeurs, couchées sur des lits moelleux, des filles délicates, gâtées encore par mille recherches, sans autre occupation que la toilette, le luxe, et les raffinement., du bien-être, incapables de se servir elles-mêmes, et entourées pour cet usage d'une foule de suivantes, des filles revêtues d'habits trop moelleux même pour leur mollesse, de souples et fines étoffes de lin, des filles qui ne cessaient de respirer l'odeur des roses et mille autres aussi délicieuses : les voilà qui tout à coup, embrasées de l'amour du Christ, se dépouillent de tout ce faste, de toute cette indolence, oublient le luxe et les plaisirs de leur âge, et pareilles à des athlètes généreux, renoncent à toutes ces douceurs pour se jeter au milieu des combats. Peut-être accuserez-vous mes paroles d'invraisemblance : mais je ne dis que la vérité. Je sais, oui, je sais que des filles délicates en sont venues à ce point d'austérité, de revêtir leur nudité des plus durs cilices, de laisser sans chaussures leurs pieds délicats, de dormir sur un lit de feuillage : que dis-je? elles passent à veiller la plus grande partie des nuits. Loin de penser aux parfums ou à mille autres de leurs frivolités passées, elles vont jusqu'à négliger cette tête, jadis objet de tant de soins, et se bornent à rattacher leurs cheveux au hasard, afin d'éviter l'indécence. Elles ne font qu'un repas le soir; et à ce repas elles ne mangent ni légumes ni pain , mais seulement de la farine, des fèves, des pois chiches, des olives et des figues; elles ne cessent de filer, et s'imposent des tâches bien plus rudes que ne sont celles des servantes. Elles se sont prescrit de soigner les femmes malades; elles portent leurs lits; elles leur lavent les pieds; beaucoup vont jusqu'à faire la cuisine: tant est puissante la flamme du Christ; tant le zèle peut prévaloir sur la nature. D'ailleurs je n'exige de vous rien de pareil, puisque vous voulez vous laisser dépasser par des femmes.
4. Faites du moins ce qui n'a rien de pénible : maîtrisez vos mains et le dérèglement de vos regards. Que voyez-vous là de difficile ou de malaisé? Pratiquez la justice, ne faites tort à personne, que vous soyez riche ou pauvre, marchand ou mercenaire : car l'injustice peut pénétrer jusque chez les pauvres. Ne voyez-vous pas combien de batailles ils livrent, combien de bouleversements ils provoquent? Mariez-vous, ayez des enfants : Paul écrivait aussi pour les gens mariés, et leur adressait aussi ses instructions. La lutte dont je vous ai parlé est une lutte sublime; le rocher est trop haut, la cime trop voisine du ciel; vous ne pouvez monter jusque-là : visez donc plus bas. Vous ne pouvez renoncer aux richesses au moins, ne dépouillez pas autrui, ne commettez pas l'injustice. Vous ne pouvez pas jeûner : au moins, ne vous plongez pas dans la mollesse. Vous ne pouvez pas dormir sur un lit de feuillage? Que l'argent, du moins, n'enrichisse pas votre couche; ayez un lit, des couvertures qui ne soient point faites pour la montre, mais pour le repos : point de lits d'ivoire, point d'ostentation. Pourquoi charger votre radeau de tant de marchandises? Si vous savez vous modérer, vous ne,craindrez rien, ni l'envie, ni les voleurs, ni les rapines. Vous êtes moins riches d'argent que de soucis; moins bien pourvus de trésors que d'angoisses et de dangers : " Ceux qui veulent être riches, introduisent chez eux les tentations et les convoitises funestes ". (I Tim. VI, 9.) Voilà à quoi s'exposent ceux qui veulent posséder beaucoup de biens. Je ne vous dis pas: Donnez vos soins aux malades : du moins chargez de cela votre serviteur.
Voyez-vous que mes recommandations n'ont rien de bien rigoureux? Songez plutôt à ces filles délicates qui nous devancent de si loin. Ah ! rougissons de voir que dans les choses du monde, comme la guerre et la lutte, nous sommes si loin de céder l'avantage à leur sexe; et qu'au contraire elle nous surpassent dans les combats spirituels, nous préviennent quand il s'agit de ravir la palme, et s'élèvent, dans leur vol sublime, aussi haut que l'aigle, tandis que nous, pareils à des corbeaux, nous ne pouvons nous élever au-dessus de la fumée d'ici-bas: oui, à des corbeaux, ou à des chiens gloutons, nous qui ne rêvons que de table et de cuisine. Rappelez-vous les femmes de l'ancien temps : car il y en eut de grandes, d'admirables, comme Sara, Rébecca, Rachel, Débora, Anne; le temps du Christ aussi en a vu de pareilles; néanmoins elles ne surpassaient pas les hommes et n'occupaient que le second rang. Aujourd'hui c'est tout le contraire : des femmes nous surpassent, nous éclipsent. Quelle dérision ! quelle ignominie! Nous (509) occupons la place de la tête, et nous nous laissons surpasser par le corps? Si nous avons été investis de l'autorité sur les femmes, ce n'est pas seulement pour les gouverner, c'est encore pour les gouverner selon la vertu. Car c'est par la supériorité de vertu que celui qui domine doit principalement dominer : s'il reste inférieur par ce côté, il cesse d'être le maître.
Voyez-vous quels miraculeux effets a produits la venue du Christ? comment
elle a levé la malédiction? Les vierges sont plus nombreuses
parmi les femmes, la chasteté est moins rare chez elles ainsi que
la fidélité au veuvage; les femmes sont moins promptes à
proférer des paroles grossières. Pourquoi donc en proférez-vous,
dites-moi? Car ne venez pas me parler des femmes perdues. Ce sexe aime
la parure, c'est son défaut. Mais en ce point encore les hommes
les dépassent, eux qui se parent de leurs femmes comme d'objets
de luxe. Je ne pense pas qu'une femme soit aussi fière des ajustements
qu'elle porte que son mari l'est lui-même; la femme n'est pas si
fière de sa ceinture dorée, que son mari n'est fier de la
voir portée par sa femme. Les vrais coupables, c'est donc nous-mêmes,
qui soufflons sur cette étincelle, qui attisons cette flamme. D'ailleurs,
la faute ne saurait être imputée aussi sévèrement
à la femme qu'à l'homme. Vous avez été chargé
de la conduire ; en tout, vous réclamez le premier rang; montrez
donc par votre exemple que vous ne tenez nullement à ce faste. La
parure sied mieux à la femme qu'à l'homme. Si donc vous ne
l'évitez pas, comment l'évitera-t-elle ? Les femmes ont de
la vanité, mais ce défaut leur est commun avec les hommes;
elles sont sujettes à la colère, et nous pareillement. Mais
leurs qualités leur appartiennent, au contraire, en propre : je
veux dire la chasteté, la ferveur, la religion, l'amour du Christ.
Pourquoi donc, dira-t-on, ont-elles été exclues de la chaire
de prédication? C'est encore une preuve de la grande distance qui
existe entre elles et nous, et de la grandeur des femmes de ce temps. Quand
Paul, Pierre, et maint autre saint prêchait , fallait-il , dites
- moi, qu'une femme envahît cette fonction? Mais aujourd'hui nous
sommes arrivés à un point de corruption tel, qu'il y a lieu
de s'enquérir pourquoi les femmes n'enseignent pas, quand nous sommes
devenus aussi faibles qu'elles. Si je parle ainsi, ce n'est point pour
leur inspirer de l'orgueil, mais pour nous instruire, nous avertir nous-mêmes,
et nous engager à ressaisir l'autorité qui nous appartient,
non à titre de domination, mais à titre de gouvernement,
de direction et de supériorité morale. Le corps ne sera dans
l'état où il doit être, que lorsque l'autorité
appartiendra au meilleur. Puissions-nous tous, hommes et femmes, vivre
selon la volonté de Dieu, afin d'obtenir tous, au jour redoutable
du jugement, la miséricorde du Seigneur, et d'entrer en possession
des biens qui nous sont promis en Jésus-Christ Notre-Seigneur.
HOMÉLIE XIV. C'EST POURQUOI, QUITTANT LE MENSONGE, QUE CHACUN
DISE LA VÉRITÉ AVEC SON PROCHAIN, PARCE QUE NOUS SOMMES MEMBRES
LES UNS DES AUTRES. IRRITEZ-VOUS ET NE PÉCHEZ POINT ; QUE LE SOLEIL
NE SE COUCHE POINT SUR VOTRE COLÈRE. NE DONNEZ POINT LIEU AU DIABLE.
(IV, 25-27, JUSQU'A 30.)
Analyse.
1. Contre le mensonge.
2. Nécessité de l'union.
3 et 4. Contre les mauvaises paroles.
1. Après avoir parlé du vieil homme en général, voici qu'il le décrit en détail. L'enseignement le plus facile à comprendre est celui qui procède ainsi. Que dit-il donc? " C'est pourquoi, quittant le mensonge". Quel mensonge? les idoles? Nullement : elles sont bien, elles-mêmes, un mensonge : mais il ne s'agit pas d'elles ici ; car les Ephésiens n'avaient rien de commun avec elles : il s'agit du mensonge dans leurs relations mutuelles, de l'astuce, de la fourberie. " Que chacun dise la vérité avec son prochain ". Puis vient ceci, qui est plus persuasif : " Parce que nous sommes membres les uns des autres : en conséquence, que personne ne trompe son prochain " : c'est ainsi qu'on lit çà et là chez le psalmiste : " Des lèvres perfides sont dans son coeur, et dans son cœur il a dit le mal ". (Ps. XI, 43.) Il n'est rien, non rien, d'aussi propre à engendrer la haine que la tromperie et l'astuce. Voyez comme partout l'Ecriture se sert, pour nous faire rentrer en nous-mêmes, d'exemples empruntés au corps. Que l'œil ne trompe pas le pied ; ni le pied, l'oeil. Supposez une fosse profonde, recouverte par en haut de chaume que recouvre lui-même une couche de terre : les yeux à qui ce piège offrira l'apparence d'un terrain solide ne recourront-ils pas au pied pour s'assurer s'il n'y a par dessous que du vide, ou bien un sol ferme et résistant; le pied, alors, mentira-t-il, déclarera-t-il autre chose que la vérité? Ou bien encore, si l'œil vient à apercevoir un serpent ou une bêle féroce, trompera-t-il le pied? ne se hâtera-t-il pas de l'avertir, de telle sorte que le pied, instruit du péril, suspende sa marche ? Ou encore, quand le discernement n'est plus l'affaire de l'œil ni du pied, mais uniquement de l'odorat, quand il s'agit, par exemple, de reconnaître si un breuvage est, ou non, un poison, l'odorat en impose-t-il à la bouche? Nullement. Pourquoi? parce qu'il se perdrait lui-même : voilà pourquoi il communique son impression. Et la langue? Est-ce qu'elle trompe l'estomac? ne rejette-t-elle point ce qui est amer? ne laisse-t-elle point passer ce qui est doux? Considérez cet échange de services et de bons offices; considérez cette sollicitude, cet empressement de sincérité. C'est ainsi que nous devons éviter le mensonge, si nous sommes membres les uns des autres. C'est un gage d'amitié, c'est tout le contraire de la haine. Et si l'on veut me tromper ? direz-vous. Ecoutez la vérité : si l'on voulait vous tromper, on ne serait plus un de vos membres. II est dit : Ne mentez pas à vos membres.
" Irritez-vous, et ne péchez point ". Considérez sa sagesse. Il nous enseigne à éviter le péché, et, d'autre part, il n'abandonne point les indociles : il ne renonce point à ses entrailles spirituelles. C'est ainsi qu'un médecin indique ait malade tout ce qu'il doit faire, et ne le néglige point, lors même qu'il résiste, (511) recommence, au contraire, à mettre en œuvre auprès de lui la persuasion afin de le guérir... Celui qui s'éloignerait dans ce cas, montrerait qu'il ne recherche que la gloire, et qu'un pareil mépris l'humilie : mais l'autre s'inquiétant seulement de la santé du malade, ne vise qu'à une chose, à son rétablissement. Ainsi fait Paul. Il dit : Ne mentez point : que si à la suite d'un mensonge, il s'est produit de la colère, il s'empresse d'apporter remède à ce nouveau mal. Que dit-il, en effet? Irritez-vous, et ne péchez point. C'est une bonne chose que de ne point s'irriter : si cependant on se laisse emporter à cette passion, que ce ne soit pas, du moins, jusqu'à cet excès : " Que le soleil ", dit-il, " ne se couche point sur votre colère ". Vous voulez vous rassasier de colère : une heure, deux, trois, vous suffisent : que le soleil en disparaissant ne vous laisse point en état d'inimitié. Il s'est levé par un effet de bonté : qu'il- ne s'éloigne pas après avoir lui sur des indignes. Si c'est le Seigneur qui l'a envoyé dans sa bonté infinie, s'il vous a pardonné vos tintes et que vous ne les remettiez pas à votre prochain, voyez quel crime sera le vôtre. Autre chose : Saint Paul a eu peur de la nuit : il a craint que, trouvant dans la solitude l'offensé, encore dévoré de colère, elle n'attise l'incendie. Tant que le jour est là pour vous distraire par mille objets, vous pouvez vous rassasier de courroux : mais quand le soir va venir, réconciliez-vous, éteignez le naissant incendie. Car si vous vous laissez surprendre par la nuit, le jour suivant ne suffira pas lui-même à éteindre les colères amoncelées pendant la nuit : quand bien même vous vous seriez déchargé d'une partie de votre fardeau, si vous en conservez quelque chose, ce qui reste suffit pour rendre la flamme plus ardente à la faveur de la nuit. Quand le soleil n'a pas réussi à éclaircir, à dissiper par son ardeur, pendant le jour, les nuages et les brouillards amassés durant la nuit, ce qu'il en reste, bientôt augmenté d'autres, devient l'origine d'une tempête nocturne. " Ne donnez point lieu au diable ". Ainsi se faire mutuellement la guerre, c'est donner lieu au diable. Car alors, au lieu de nous unir et de nous serrer pour lui tenir tête, nous renonçons à lui faire la guerre pour nous exciter les uns contre les autres. Car le diable n'est nulle part à sa place comme au milieu des discordes.
2. De là naissent d'innombrables maux. Tant que les pierres demeurent unies et ne laissent point de vide entre elles, le mur est inébranlable : mais il suffit d'un trou de l'épaisseur d'une aiguille, d'une fente où puisse passer un cheveu, pour tout détruire et tout ruiner. Il en est de même pour le diable. Tant que nous restons bien unis, bien serrés, aucune de ses armes ne trouve passage : mais pour peu qu'une mince ouverture se montre, il se précipite par là comme un torrent. En toute chose, il n'a besoin que d'un commencement; et la difficulté pour lui est de le trouver; mais ce point une fois obtenu, il s'est bientôt mis au large. Dès lors les oreilles sont ouvertes à la calomnie ; les menteurs trouvent crédit car c'est la haine qui juge, et elle se soucie peu de la vérité. Et si, entre amis, les accusations fondées sont elles-mêmes réputées fausses, là où règne l'inimitié, le mensonge même est censé vérité : c'est un esprit tout autre, un tout autre jugement; à l'impartialité succède la prévention. De même qu'il suffit d'un morceau de plomb jeté dans une balance pour l'entraîner, de même ici il suffit de la haine, poids bien plus lourd que le plomb. Je vous en conjure donc : faisons tous nos efforts pour étouffer nos ressentiments avant le coucher du soleil. Si vous n'avez pas su les vaincre le premier jour ou le jour suivant, souvent ils durent une année entière l'inimitié croît alors d'elle-même et s:1ns nul secours étranger. Elle nous fait interpréter faussement les paroles, les gestes, les plus simples démarches; par là, elle nous aigrit, nous rend farouches et pires que des insensés; un nom même lui coûte à dire ou à entendre, elle ne sait plus que vociférer des injures. Comment donc faire pour dompter notre colère, pour éteindre notre rancune? Il faut songer à nos propres péchés, au compte que nous devons à Dieu; songer que la vengeance dirigée contre notre ennemi retombe sur nous-mêmes; songez que nous faisons plaisir au diable, à notre véritable ennemi, en persécutant pour lui un de nos membres. Vous voulez être rancunier et vindicatif : soyez-le donc, mais contre le diable, et non contre un de vos membres. Si Dieu nous a armés de colère, ce n'est pas pour que nous nous frappions nous-mêmes de cette épée, c'est pour que nous la plongions dans la poitrine du diable. Là vous pouvez, si vous le voulez, (512) l'enfoncer jusqu'à la garde, et plus haut que la garde, et ne jamais la retirer, que dis-je? redoubler avec un autre glaive. C'est ce qui arrivera, si nous nous faisons grâce à nous-mêmes, si nous vivons en paix les uns avec les autres. Fi des richesses, fi de la gloire et de la renommée ! mes membres sont à mes yeux plus précieux que tout le reste. — Disons-nous cela à nous-mêmes : N'allons pas nous attaquer à notre propre substance, pour acquérir des richesses, pour obtenir de la gloire.
" Que celui qui dérobait ne dérobe plus (23) ". Voyez-vous les membres du vieil homme? Mensonge, rancune, rapine. Pourquoi ne dit-il pas : " Que le voleur soit puni, mis à la question, à la torture ", mais : " Qu'il ne dérobe plus, mais plutôt qu'il s'occupe en travaillant de ses mains à ce qui est bon, pour avoir de quoi donner à qui souffre du besoin? " Où sont ceux qui s'appellent Cathares (1), ces hommes souillés qui osent se parer d'un tel nom? On peut, oui, l'on peut se décharger de ses iniquités, à condition qu'on ne se borne pas à ne plus pécher, mais qu'on s'applique encore à quelque bonne oeuvre. Voyez-vous comment il faut se purifier de ses fautes? Ces hommes ont volé : c'est pécher; ils n'ont pas volé : ce n'est pas là se décharger de ses péchés. Que faut-il pour cela? Travailler, et donner aux autres : c'est par là qu'ils peuvent s'acquitter. Il ne nous est pas prescrit seulement de travailler, mais de travailler de manière à nous fatiguer, et à faire du bien aux autres : le voleur aussi fait un métier, mais un mauvais métier.
" Qu'aucun discours mauvais ne sorte de votre bouche (29) ". Qu'est-ce qu'un discours mauvais? Ce qui est nommé ailleurs : Discours inutile, à savoir dénigrement, propos obscènes, bouffonneries, sottises. Voyez comment Paul extirpe les racines de la colère : le mensonge, le vol, les conversations déplacées ! Quant à cette expression : "Qu'il ne dérobe " plus ", elle est mise là moins par indulgence pour les coupables, que pour adoucir les victimes, et les engager à se contenter de n'avoir pas à craindre une récidive. Il a raison de parler aussi des paroles. Car nous ne répondons pas seulement de nos actions, mais encore de nos propos. " Mais seulement ceux qui peuvent être bons pour édifier la foi , et
1 Ou les Purs : autre nom des Novatiens.
donner la grâce à ceux qui les écoutent ". En d'autres termes : dites seulement ce qui peut édifier le prochain, et rien de superflu.
3. En effet, si Dieu vous a donné une bouche et une langue, c'est pour lui rendre grâces, c'est pour édifier le prochain : si donc vous ne pouvez que ruiner l'édifice, il vaut mieux vous taire et ne jamais parler. Si les mains d'un maçon n'étaient propres qu'à détruire et non à bâtir, elles mériteraient d'être coupées. Le Psalmiste le dit : " Le Seigneur exterminera toutes les lèvres perfides". (Ps. XI, 4.) Voilà l'origine de tous les maux, la bouche: ou plutôt ce n'est pas la bouche, mais l'abus qu'on en fait quelquefois. De là les injures, les invectives, les blasphèmes, les excitations à la volupté, les meurtres, les adultères, les vols, enfin tous les crimes. Les meurtres? direz-vous; et comment cela? L'injure produit la colère; la colère, les coups; les coups, l'homicide. Et les adultères? Une telle vous aime, elle a dit du bien de vous; votre sévérité se relâche; et, à votre tour, la convoitise s'allume chez vous. De là ces mots de Paul : " Mais seulement ceux qui peuvent être bons ". Il y a tant d'espèces de paroles, qu'il est bien forcé de désigner vaguement celles qu'il nous recommande de proférer, et le genre d'entretien qu'il nous prescrit. Comment le désigne-t-il? En disant : " Pour édifier ". Ou bien il parle ainsi, afin que celui qui vous écoute vous sache gré. Par exemple, votre frère a commis un adultère: ne divulguez pas sa faute. Ne lui parlez pas non plus avec hauteur : loin de lui être utile, ce serait lui nuire, en provoquant son ressentiment. Mais vous lui rendrez un grand service, si vous lui indiquez la conduite à tenir; si vous lui enseignez à veiller sur sa langue, à ne médire de personne, vous l'aurez instruit et obligé grandement : si vous l'entretenez de la componction, de la piété, de l'aumône, tout cela est bon pour adoucir son âme, et il vous en saura gré. Au contraire, si vous lui tenez des propos bouffons ou obscènes, vous ne faites qu'envenimer son mal; si vous lui faites l'éloge du vice, vous le perdez, vous le tuez. Voilà ce qu'on peut dire : ou bien Paul a parlé ainsi pour nous rendre aimables: car les bonnes paroles sont comme un parfum : elles charment tous ceux qui y ont part. De là cette parole : " Votre nom est un parfum répandu ". (Cant. I, 2.) Paul veut que nous exhalions cette bonne odeur. Voyez-vous (513) comment il revient ici encore sur un précepte qui lui est familier, en prescrivant à chacun d'édifier son prochain selon son pouvoir? Si vous donnez ce conseil aux autres, avant tout, donnez-le à vous-même.
" Et ne contristez point l'Esprit-Saint ". Nouveau et plus grand sujet de crainte et d'effroi. Paul en parlé aussi dans son épître aux Thessaloniciens, lorsqu'il dit (I Thessal. IV, 8) "Celui qui dédaigne, ne dédaigne pas un " homme, mais Dieu ". C'est la même chose ici. Si vous proférez une parole outrageante, si vous frappez votre frère, ce n'est pas lui que vous frappez; c'est l'Esprit que vous contristez. Suit la mention d'un bienfait qui rend le reproche plus sévère : " Et ne contristez point l'Esprit-Saint, dont vous avez reçu le sceau pour le jour de la rédemption ". Voilà celui qui a fait de nous un troupeau royal, celui qui nous a séparés de tout le passé, qui nous a tirés du milieu de ceux qui sont sous le coup de la colère divine : et vous le contristez? Voyez quelle menace dans ces paroles : " Celui qui dédaigne, ne dédaigne pas un homme, mais Dieu "; et quelle persuasion dans celles-ci : " Ne contristez pas l'Esprit-Saint, dont vous avez reçu le sceau ". Ce sceau doit rester sur votre bouche; ne brisez pas le cachet. Une bouche spirituelle ne profère point de semblables paroles. Ne dites pas : Ce n'est rien que d'avoir dit une obscénité, que d'avoir injurié quelqu'un, C'est justement parce que ce n'est rien à vos yeux, que c'est un grand mal. On est prompt à négliger ce qu'on regarde comme rien : or, ce qu'on néglige s'accroît, et en s'accroissant devient incurable. — Vous avez une bouche spirituelle? Songez à la première parole que vous avez prononcée, et voyez quelle est la dignité de votre bouche. Vous nommez Dieu votre Père, et voici que vous injuriez votre frère? Demandez-vous à. quel titre vous donnez à Dieu ce nom de: Père. Qui vous en donne le droit? La nature? Vous ne sauriez le prétendre. La vertu? Pas davantage. Quoi donc? Une bonté, une charité, une miséricorde infinie. Au moment donc où vous appelez Dieu votre Père, ne vous dites pas seulement qu'un langage injurieux ne sied pas à la noblesse d'une telle origine, mais encore que cette noblesse, vous la devez à la bonté. Ne la déshonorez donc point, en usant de dureté avec vos frères, vous que la bonté a favorisés. Vous appelez Dieu votre Père, et vous lancez l'outrage? Cela n'est point d'un fils de Dieu... Le propre d'un fils de Dieu, c'est de pardonner à ses ennemis, de prier pour qui le crucifie, de verser son sang pour qui le hait. Ce qui sied à un fils de Dieu, c'est de prendre pour, frères et pour héritiers ceux qui le haïssent, ceux qui le payent d'ingratitude, ceux qui le volent, l'outragent ou conspirent contre lui, et non d'injurier comme des esclaves ceux qui sont devenus ses frères.
4. Rappelez-vous les paroles que votre bouche a proférées; de quels aliments se nourrit-elle, quel est le festin qui l'attire, le mets qui calme sa faim? Vous croyez ne faire aucun mal en accusant votre frère? Comment donc le nommez-vous votre frère? Et s'il qe l'est pas, comment dites-vous : "Notre Père "; car ce mot " Notre " atteste qu'il s'agit de plusieurs personnes. Songez auprès de qui vous vous trouvez au temps des mystères : avec les chérubins, avec les séraphins. Les séraphins ne disent point d'injures : leur bouche ne remplit qu'une seule fonction : glorifier, louer Dieu. Comment donc pouvez-vous dire avec eux : " Saint, saint, saint", après avoir abusé de votre bouche pour l'injure? Dites-moi, supposez un vase royal, toujours plein d'aliments royaux, et mis en réserve pour cet usage; qu'ensuite un des serviteurs s'en serve pour y déposer des immondices : osera-t-il ensuite replacer avec les autres vases mis en réserve celui qu'il aura profané de la sorte? Nullement. Eh bien ! voilà la médisance, voilà l'insulte.
" Notre Père ". Eh bien ! est-ce tout ? Ecoutez la suite: " Qui êtes aux cieux ". A peine avez-vous dit : " Notre Père qui êtes aux " cieux " : cette parole vous a relevés, vous a donné des ailes, vous a fait voir que vous avez un Père dans les cieux. Que vos actions, vos discours, ne soient plus de la terre. Vous voilà établis là-haut, agrégés au choeur céleste, pourquoi redescendre volontairement? Vous êtes debout auprès du trône royal, et vous injuriez, et vous ne craignez pas que le roi ne s'en trouve offensé. Si pourtant un de nos serviteurs, en notre présence, s'avise de frapper ou d'injurier, même justement, son compagnon, nous le réprimandons aussi, nous trouvant nous-mêmes offensés: et vous qui êtes debout avec les chérubins auprès du trône royal, vous insultez votre frère? Vous voyez ces vases sacrés? n'ont-ils pas toujours le même usage? (514) Qui oserait les faire servir à autre chose ? Vous, vous êtes plus sacrés, bien plus sacrés que ces vases : pourquoi donc vous souiller, vous avilir? Vous êtes dans les cieux, et vous injuriez? Vous vivez avec les anges, et vous injuriez? Vous avez été jugés dignes du baiser du Seigneur, et vous injuriez ? Dieu a donné à votre bouche une magnifique parure : des hymnes angéliques, une nourriture plus qu'angélique, le baiser de ses propres lèvres, ses propres embrassements, et vous injuriez? Ne faites pas cela, je vous en conjure. C'est la source de grands maux, c'est un objet d'aversion pour une âme chrétienne.
Nos paroles ne vous persuadent pas, ne vous font pas rentrer en vous-mêmes?
Il faut donc vous effrayer : écoutez ce que dit le Christ : " Celui
qui aura dit à son frère, fou, sera soumis à la géhenne
du feu ". Si une simple étourderie a pour conséquence la
géhenne, quel tourment n'encourra pas l'insolence? Habituons notre
bouche à la retenue : la retenue nous attire de grands bénéfices,
l'emportement de grands dommages : et il n'est pas ici besoin de dépense.
Fermons la porte, tirons le verrou; soyons pénétrés
de componction, si jamais une parole violente s'est échappée
de nos lèvres ; prions Dieu, prions l'offensé; ne croyons
pas en cela nous abaisser : c'est nous que nous avons frappés, et
non pas autrui. Comme remède, usons de la prière et de la
réconciliation avec l'offensé. Si nous veillons ainsi sur
nos paroles, à plus forte raison devrons-nous régler pareillement
nos actions. Entendons-nous nos amis ou quelque autre personne médire
du prochain, ou l'insulter, demandons-leur compte et raison de leurs paroles.
En résumé convainquons-nous que c'est pécher : car
il nous sera alors aisé de nous corriger. Puisse le Dieu veiller
sur votre esprit, sur votre langue, et les protéger par l'inexpugnable
rempart de sa crainte, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui
gloire au Père et au Saint-Esprit.
HOMÉLIE XV. QUE TOUTE AMERTUME, TOUTE COLÈRE, TOUT EMPORTEMENT,
TOUTE CLAMEUR ET TOUTE DIFFAMATION SOIENT BANNIS DU MILIEU DE VOUS AVEC
TOUTE MALICE. (IV, 31.)
Analyse.
1 et 2. Contre l'amertume. — Faiblesse des méchants. — Qu'il faut éviter les clameurs comme attisant la colère et pouvant l'allumer.
3 et 4. Réprimandes sévères aux femmes qui maltraitaient leurs servantes : détails intéressants sur ce sujet. — Exhortation à la douceur.
1. Jamais les abeilles ne se résigneraient à entrer dans une ruche malpropre : aussi les éleveurs habiles ont-ils recours à des fumigations, à des odeurs, à des parfums, à, des vins embaumés, pour purifier, pour nettoyer l'abri où doivent venir se fixer les essaims à leur sortie : autrement la mauvaise odeur les en chasserait : il en est de même pour l'Esprit-Saint. Notre âme est un vase, une ruche, susceptible de recevoir les essaims des grâces spirituelles : mais si elle renferme du fiel, de l'amertume, du ressentiment, les essaims (515) s'envolent. Voilà pourquoi notre saint et sage cultivateur a bien soin de nettoyer notre ruche, sans avoir besoin de serpe, ni de tout autre instrument de fer : il nous invite à recevoir l'essaim spirituel, et pour le rassembler en nous, il nous purifie par la prière, le travail, et autres moyens. Voyez comment il nettoie notre coeur : il en a banni le mensonge, il en a banni la colère,. Après cela, il nous indique un moyen de déraciner plus efficacement le mal : c'est d'avoir l'âme sans amertume. Quand notre bile est peu abondante, la rupture même de son réservoir n'occasionne que peu de désordres. Mais devient-elle plus abondante et plus âcre , alors le réceptacle qui la contenait devient insuffisant; comme si un feu rongeur le consumait, il ne peut plus conserver son dépôt, le maintenir dans les bornes prescrites ; cédant enfin à l'insupportable âcreté qui le mine, il s'ouvre et laisse échapper son contenu dans tout le corps qui en est bientôt infecté. De même une bête farouche et cruelle peut parcourir une ville sans danger pour les habitants, quels que puissent être et sa rage et ses cris, tant qu'elle reste emprisonnée dans sa cage : mais si, dans un accès de fureur, elle réussit à briser les barreaux qui la retiennent et à s'échapper, elle remplit toute la cité de tumulte et de confusion, et fait fuir tout le monde. Il en est ainsi du fiel : tant qu'il reste dans les limites qui lui sont assignées, il ne nous fait pas grand mal; mais vient-il à rompre la membrane qui l'enferme, et à se délivrer du seul obstacle qui l'empêchait de se répandre dans tout notre être, alors, quelque faible qu'en soit la quantité, la force propre à ce venin communique à tous nos organes sa malignité, Bientôt, rencontrant le sang, son voisin et presque son semblable, il en aigrit l'ardeur, et transforme ainsi, grâce à l'analogie qui lui permet de s'y confondre, en nouveaux fiels tous les liquides environnants : ensuite, muni de ce renfort, il marche à l'attaque des autres parties du corps; et après avoir ainsi tout corrompu à son image, il ôte au malade la parole et le souffle avec la vie. Mais où veux-je en venir avec cette longue description?
Je veux que cette peinture des effets de l'amertume matérielle nous fasse comprendre ce qu'a de pernicieux l'amertume morale, comment sa première influence consiste à infecter complètement l'âme où elle prend naissance, à la bouleverser de fond en comble ; et que nous apprenions par là à craindre d'en faire l'expérience. Si l'une irrite le corps entier, l'autre enflamme toutes nos pensées, et finit par précipiter dans l'enfer celui qui en est atteint. Si donc nous voulons éviter ce fléau, bien instruits désormais, si nous voulons brider cette bête féroce, ou plutôt l'exterminer, croyons-en Paul qui nous dit : " Toute amertume", non pas : soit nettoyée, mais " soit bannie du milieu de vous ". Qu'ai-je besoin de peines et de précautions? Pourquoi garder cette bête quand je peux la chasser de mon âme, l'exiler, la déporter au-delà de mes frontières ? Croyons-en donc Paul qui nous dit : " Que toute amertume soit bannie d'au milieu de vous ". Mais, hélas ! quelle perversité est la nôtre ! quand nous ne devrions rien négliger pour,cela, il y a des gens assez fous pour triompher de cet état, pour s'y complaire, s'en faire honneur; et les autres lui portent envie... Un tel a du fiel, dit-on ; c'est un scorpion, un serpent, une vipère ; on le juge redoutable... Pourquoi craindre ce fiel, mon ami ? Il peut me nuire, dit-on, me faire du mal; je ne sais point de quoi est capable la méchanceté de cet homme : je crains que trouvant en moi un homme simple, mal prémuni contre ses artifices, il ne me fasse tomber dans ses piéges, et ne me prenne dans les filets qu'il a tendus pour m'envelopper. Il y a de quoi rire. Comment donc? Oui, c'est ainsi que parlent les enfants, prompts à s'alarmer de ce qui n'a rien de terrible. Il n'est rien qui mérite le dédain et la risée comme un homme qui a du fiel, comme un méchant. Car il n'y a rien d'impuissant comme l'amertume : elle ne fait que des sots et des insensés.
2. Ne voyez-vous pas que la méchanceté est chose aveugle? n'avez-vous pas entendu parler de l'homme qui tombe dans la fosse creusée par lui pour le prochain? Mais comment ne pas craindre une âme agitée de telles passions? Si vous entendez que les hommes qui ont du fiel doivent inspirer la même crainte que les fous, les démoniaques, les insensés, qui tous agissent également au hasard, j'en tombe d'accord avec vous : mais si vous voyez en eux d'habiles gens, c'est ce que je ne puis admettre. En effet, rien n'est aussi indispensable pour la conduite des affaires, que l'intelligence : et l'intelligence ne connaît pas d'obstacle aussi (516) grand que la méchanceté, le vice et la fourberie. Considérez le corps des bilieux : voyez comme il est laid, comme toute fraîcheur y est flétrie; comme il est faible, grêle, inhabile à toutes choses. Il en est de même des âmes bilieuses. La jaunisse de l'âme, c'est proprement la méchanceté. Non, non, la méchanceté n'a pas de force. Voulez-vous que je vous rende la chose sensible par de nouveaux exemples, celui d'un fourbe et celui d'un homme simple et sans artifice?
Absalon était un fourbe; il gagnait tout le monde à son parti. Voyez jusqu'où était portée son astuce. Il allait disant : Est-ce que vous avez un juge? afin de se concilier chacun... David , au contraire , était sans artifice. Eh bien ! voyez comment ils finirent tous deux; considérez le prodigieux délire d'Absalon. Uniquement préoccupé de faire du mal à son père, dans tout le reste il était aveugle. Mais il n'en était pas ainsi de David. Car " Celui qui marche avec simplicité marche avec confiance ". (Prov. X, 9.) Entendez : celui qui ne prend point de peine superflue, qui ne machine aucune entreprise criminelle. Croyons-en donc saint Paul, ayons pitié des hommes qui ont du fiel, pleurons sur leur sort, et faisons tous nos efforts pour extirper la méchanceté de leur âme. Quand nous avons de la bile (cette humeur est d'ailleurs utile en soi, et indispensable à la vie de l'homme; j'entends la bile naturelle), quand nous avons, dis-je, un excès de bile, nous faisons tous nos efforts pour l'évacuer, malgré les services que nous rend cette humeur : dès lors n'est-il pas absurde de ne prendre aucune peine pour évacuer la bile qui est dans notre âme, bile qui n'est pas seulement inutile, mais pernicieuse? " Que celui qui veut être sage parmi vous, devienne fou, afin de devenir sage ". (I Cor. III, 18.) Ecoutez maintenant les paroles de saint Luc : " lis prenaient leur nourriture en allégresse et simplicité de coeur, louant " Dieu, et ils trouvaient grâce aux yeux de " tout le peuple ". (Actes II, 43, 47.) Encore aujourd'hui, ne voyons-nous pas les hommes simples et droits universellement honorés? Personne ne leur porte envie , quand ils prospèrent, personne n'insulte à leurs infortunes : tous s'associent à leurs joies, à leurs peines. Au contraire, qu'un méchant vienne à prospérer, on dirait qu'il vient d'arriver un malheur, tout le monde gémit . qu'il éprouve un contre-temps, c'est fête pour tout le monde.
Plaignons donc ces hommes : ils trouvent tous et partout les mêmes ennemis autour d'eux. Jacob était sans malice : néanmoins il triompha de l'astucieux Esaü. " La sagesse n'entrera pas dans une âme artificieuse ". (Sag. 1, 4.) — " Que toute amertume soit bannie du milieu de vous" : qu'il n'en subsiste aucun vestige. Car il suffirait de remuer ce reste, cette étincelle, pour mettre en feu toute votre âme. Sachons donc nous représenter ce qu'est au juste l'amertume: figurons-nous un homme hypocrite., astucieux, toujours prêt au mal, soupçonneux. En voilà assez pour causer des colères et des ressentiments sans fin. Car il est impossible qu'une pareille âme demeure en repos : l'amertume est un principe de courroux et de fureur. Un tel homme est emporté, toujours renfermé en lui-même, sombre, et ne connaît pas le repos. Comme je le disais, ces gens sont les premiers à récolter le fruit de leur malignité. " Toute clameur ". Qu'est-ce à dire? Est-ce qu'il nous est défendu même de crier? Oui, la douceur doit se l'interdire. La clameur porte la colère, comme un cheval son écuyer : arrêtez le cheval, et vous avez raison du cavalier ... Je dis cela surtout pour les femmes, toujours prêtes à pousser des cris et des clameurs. Le cri n'est utile que pour proclamer, pour enseigner: partout ailleurs il est déplacé, même dans la prière. Voulez-vous une preuve d'expérience? Ne criez jamais, et jamais vous ne vous emporterez : voilà un moyen pour vous corriger de la colère. S'il est impossible qu'on s'irrite, quand on ne crie pas, il est impossible aussi de ne pas s'irriter, quand on crie. Ne venez donc point me parler de tempéraments indomptables, rancuniers, tout fiel et tout bile : nous vous enseignons maintenant à en finir d'un coup avec cette passion.
3. Il n'est donc pas médiocrement important pour l'éducation de l'âme de s'abstenir de tout cri, de toute clameur. En vous interdisant les cris, vous coupez les ailes à la colère, vous réprimez l'enflure de votre coeur. Car autant il est impossible de lutter sans élever les mains, autant il est impossible d'être pris dans le filet, quand on ne crie pas. Liez les mains d'un athlète, et ordonnez-lui de disputer le prix du ceste : il ne pourra le faire. Il en est de même pour le courroux. Le cri a jusqu'au (517) pouvoir de le faire naître; et c'est par là surtout que les femmes tombent dans ces emportements. Viennent-elles à gronder leurs servantes, toute la maison retentit de leurs clameurs : souvent leur habitation est construite sur la rue, et alors tous les passants entendent et leurs vociférations et les lamentations de da servante. Quoi de plus indécent ?Aussitôt toutes les curieuses s'empressent, et se demandent: que se passe-t-il donc là-bas? On répond : C'est une telle qui frappe sort esclave. N'est-ce pas le comble de l'effronterie? Quoi donc ! est-il défendu de frapper? Je ne dis pas cela il le faut, mais seulement de temps à autre et avec modération : et non pour des griefs personnels, comme je ne cesse de le répéter, ni pour quelque manquement, dans le service, mais seulement quand la servante nuit à sa propre âme : frappez-la pour ce motif, tout le monde vous approuvera, nui n'y trouvera à redire : mais s'il ne s'agit que de vous, alors tout le inonde vous accusera de cruauté, de barbarie. Mais ce qui dépasse toutes les infamies, c'est qu'il y ait des femmes assez dures, assez féroces, pour fouetter avec une telle force que la journée ne suffise pas pour guérir les meurtrissures. Elles déshabillent ces jeunes filles, et souvent, en présence de leurs maris conviés à ce spectacle, les attachent sur un lit. Quoi donc ! la pensée de l'enfer ne te vient pas à l'esprit pendant ce temps-là? Tu mets à nu cette jeune enfant, tu la livres dans cet état aux regards de ton mari, et tu ne crains pas qu'il te condamne? Au contraire, tu te plais à l'exciter en menaçant d'enchaîner la pauvre malheureuse, en l'accablant de mille injures, en l'appelant sorcière, fugitive, prostituée, car la colère ne te permet pas de respecter ta propre bouche et tu ne songes qu'à te venger, même en te déshonorant.
Puis, comme un tyran, tu présides au supplice entourée de tous tes esclaves, et ton stupide mari, debout à tes côtés, remplit les fonctions de licteur. De telles scènes devraient-elles se passer chez des chrétiens? Mais, dis-tu, c'est une mauvaise race, insolente, effrontée, incorrigible. Je le sais : néanmoins on peut la réformer et la corriger par des moyens plus efficaces et moins honteux. En disant de sales mots, toi, femme libre, tu flétris moins ta servante que toi-même. Ensuite, s'il faut aller au bain, les meurtrissures qui sont sur son dos, témoignent à tous les yeux de ta barbarie. Mais, répliques-tu, ces gens-là sont intolérables dès qu'on est indulgent. Je le sais aussi : emploie donc, pour les changer, non la crainte et les coups, mais la douceur et les bienfaits. Cette jeune fille est ta soeur, si elle est chrétienne. Songe que tu es la maîtresse et qu'elle te sert. Si elle est adonnée au vin, écarte d'elle les occasions d'ivresse, appelle ton mari, use d'exhortations. Ne vois-tu pas qu'il est honteux de battre une femme? Les législateurs les plus sévères à l'égard des hommes, ceux qui ont institué la torture et le supplice du feu, sont rarement allés jusqu'au gibet pour ce qui regarde les femmes, et même ils ne souffrent pas qu'on les soufflette dans la colère. On a tant d'égards pour ce sexe, que la nécessité même ne les fait point condamner au gibet, surtout lorsqu'elles sont enceintes. C'est qu'il est honteux à un homme de frapper une femme . à plus forte raison une personne du même sexe ne le pourrait-elle sans honte. Ce sont ces excès qui rendent les femmes odieuses à leurs maris.
Mais elle se conduit mal. Marie-la, ôte-lui les occasions de pécher, corrige l'exubérance de sa nature. Mais elle vole. Garde-la, surveille-la. O exagération ! je serai la gardienne de mon esclave ! O folie ! Pourquoi ne le serais-tu pas? N'a-t-elle pas la même âme que toi? N'a-t-elle pas reçu de Dieu les mêmes grâces? N'est-elle pas admise à la même table? N'a-t-elle pas la même noblesse d'origine? Mais elle est médisante, querelleuse, bavarde, ivrogne. Que de femmes libres le sont aussi ! Dieu ordonne à leurs maris de les supporter avec leurs vices et leurs fautes; pourvu que la femme ne soit pas adultère, a-t-il dit, résigne-toi. Fût-elle ivrogne, médisante, bavarde, jalouse, orgueilleuse, prodigue, c'est la compagne de ta vie. Tu es forcé de la diriger : c'est pour cela que tu es son chef. Corrige-la donc, fais ton devoir. — Quand bien même elle ne voudrait pas s'amender, quand bien même elle volerait, sois fidèle à -ta mission : ne la punis point si sévèrement : si elle est bavarde, ferme-lui la bouche. Voilà la vraie, la parfaite sagesse. Et maintenant, des femmes en viennent à ce degré de cruauté et de folie, qu'elles découvrent la tête de leurs servantes et les traînent par les cheveux.
Pourquoi rougissez-vous toutes ? Ceci ne s'adresse pas à toutes, mais seulement à celles qui se portent à de pareilles horreurs... Que la femme ne soit jamais découverte, dit Paul : (518) et vous dépouillez complètement cette fille de son voile ? Voyez-vous quel outrage vous vous faites à vous-même? Si elle paraissait à vos yeux avec cette tête nue, vous ;vous tiendriez pour offensée. C'est vous maintenant qui la découvrez ainsi, et vous ne voyez là aucun mal? Mais on dira : Et si elle ne se corrige pas? Châtiez-la au moyen de la verge et des coups. Combien n'avez-vous pas vous-même de défauts dont vous ne vous corrigez pas? Ce n'est pas dans l'intérêt des servantes que je parle ainsi, mais dans celui des femmes libres comme vous, afin qu'elles renoncent à ces pratiques indécentes et honteuses, et qu'elles cessent de se nuire à elles-mêmes. Si vous faites votre apprentissage chez vous sur la personne de votre servante, si vous êtes bonne et douce pour elle, à plus forte raison serez-vous telle à l'égard de votre mari. Car si vous vous abstenez de toute violence, quand vous pourriez vous y laisser aller, à plus forte raison vous en abstiendrez-vous, lorsque quelqu'un vous contiendra. Ainsi, rien n'est plus propre à vous concilier l'affection de vos maris qu'une conduite patiente vis-à-vis de vos esclaves. " Avec la mesure qui vous sert pour mesurer, il vous sera mesuré à vous-mêmes ". (Matth. VII, 2.) Mettez un frein à votre langue. Si vous vous êtes exercée à supporter patiemment la mauvaise humeur d'une servante, vous entendrez sans colère jusqu'aux injures de votre égale : or, si vous êtes sans colère, vous avez atteint la cime de la sagesse.
On voit aussi des femmes qui vont jusqu'à jurer : rien de plus honteux qu'un pareil emportement. Mais quoi, dira-t-on, si elle se farde? Empêchez-la de le faire, je vous approuve : mais empêchez-la d'abord en vous abstenant vous-même, et moins par la crainte que par l'exemple : en tout, soyez son modèle. " Que toute diffamation soit bannie du milieu de vous ". Voyez-vous les progrès du mal? L'amertume a engendré le ressentiment; le ressentiment, la colère; la colère, les clameurs; les clameurs, la diffamation, autrement dit, les invectives; maintenant la diffamation engendre les coups ; les coups, les blessures; les blessures, la mort. Mais Paul n'a voulu faire mention d'aucune de ces choses : il s'est borné à dire : " Soit bannie du milieu de vous, avec toute malice ". Qu'est-ce à dire, " Avec toute malice ? " C'est que
toute malice aboutit là. Il y a des gens qui, pareils à des chiens sournois, n'aboient pas, ne témoignent pas de colère contre ceux qui les approchent : ils les flattent au contraire, se montrent caressants, puis, quand ils les voient sans défiance, les mordent: ceux-là sont plus dangereux que ceux qui manifestent ouvertement leur inimitié. C'est parce qu'il est des hommes qui sont chiens en ce point, qui sans crier, sans montrer de colère, de dépit, sans proférer de menaces, trament sourdement la trahison, machinent mille noirs complots, et se vengent, que Paul a fait aussi allusion à eux. " Soit bannie du milieu de vous, avec toute malice ". Ne soyez pas clément en paroles, vindicatif en actions. Si j'ai maltraité la langue, si je lui ai interdit les clameurs, c'est pour qu'elle n'attise pas l'incendie. Que si vous n'avez pas besoin de crier pour agir de la sorte, si vous nourrissez dans votre âme la flamme et le brasier, que gagnerez-vous à vous taire? Ne savez-vous pas que les incendies les plus dangereux sont ceux qui, alimentés à l'intérieur, échappent aux regards des personnes du dehors? Les blessures les plus graves, celles qui se dérobent à la vue; les fièvres les plus malignes, celles qui dévorent les parties intérieures? De même la colère la plus funeste est celle qui ronge l'âme sourdement. Mais Paul nous dit: Qu'elle soit bannie avec toute malice grande ou petite.
Croyons en sa parole, chassons du milieu de nous toute amertume, toute
malice, afin de ne pas contrister l'Esprit-Saint. Extirpons l'amertume,
déracinons-la : rien de bon, rien de pur ne peut sortir d'une âme
où elle règne : ce ne sont ;ne malheur, larmes, gémissements,
lamentations. Ne voyez-vous pas comme nous fuyons les bêtes qui poussent
des cris, par exemple, le lion, l'ours, mais non pas la brebis : car sa
douce voix ne saurait être comparée à un cri. Parmi
les instruments de musique, les plus bruyants comme les tambours, les trompettes,
sont les moins agréables : tout au contraire, ceux qui rendent un
son faible, comme la flûte et la cithare, plaisent à notre
oreille. Arrangeons donc notre âme de manière à ne
point crier: ainsi nous pourrons triompher de la colère; et la colère
ôtée, nous serons les premiers à jouir du calme, et
nous voguerons vers le port paisible : auquel puissions-nous tous (519)
arriver par Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui gloire, puissance,
honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans
les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XVI. QUI TOUTE AMERTUME, TOUTE COLÈRE, TOUT EMPORTEMENT,
TOUTE CLAMEUR, ET TOUTE DIFFAMATION SOIENT BANNIS DU MILIEU DE VOUS AVEC
TOUTE MALICE. MAIS SOYEZ BONS LES UNS ENVERS LES AUTRES, MISÉRICORDIEUX,
VOUS FAISANT GRACE MUTUELLEMENT, COMME DIEU LUI-MÊME VOUS A FAIT
GRÂCE. (IV, 31, 32.)
Analyse.
1 et 2. Qu'il ne suffit pas d'éviter le mal pour être sauvé.
3. Du pardon des injures.
1. Il ne suffit pas d'être exempt de vices, pour arriver au royaume des cieux, il faut encore s'appliquer avec ardeur à la pratique de la vertu. On échappe à la géhenne en s'abstenant du vice : mais on n'obtient pas le royaume si l'on n'a été vertueux. Ne savez-vous pas qu'il en est de même dans les jugements du monde, lorsqu'on examine les actions en présence de toute la ville assemblée? C'était autrefois un usage de décerner une couronne d'or, non pas à celui qui n'avait fait aucun mal à ses concitoyens (car cela n'est qu'un titre à n'être point puni), mais à celui qui leur avait rendu de grands services. Telle était la route qui menait à cet honneur. Mais je ne sais comment j'ai presque omis ce qu'il importait surtout de vous dire. Je reviens sur le premier des points que j'ai distingués, en ajoutant une légère correction. Quand je vous disais qu'il suffit pour échapper à l'enfer d'avoir évité le péché, je me suis rappelé, tout en parlant, une menace terrible dirigée non pas contre ceux qui auront commis telle ou telle faute, mais contre ceux qui auront négligé les bonnes oeuvres. Quelle est cette menace? Au jour terrible marqué pour le jugement, le Juge assis à son tribunal, place les brebis à droite, les boucs à gauche, et dit aux brebis : " Venez, les bénis de mon Père, héritez du royaume qui vous est préparé depuis la fondation du monde : car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger ". (Matth. XXV, 34, 35.) Cela se conçoit : car tant de charité devait avoir sa récompense; mais comment expliquer que ceux qui n'ont pas fait part de leurs biens aux indigents, ne soient pas punis simplement par la privation de récompense, mais encore envoyés au feu, de l'enfer? D'abord cela s'explique aussi facilement que le reste. Par là nous sommes instruits que si ceux qui auront fait le bien doivent jouir des biens célestes, ceux à qui l'on ne pourra reprocher aucun mal, et qui auront seulement négligé les bonnes oeuvres, seront précipités dans le feu de la géhenne avec les coupables.
Ensuite, on pourrait dire aussi que l'absence de bonnes oeuvres constitue un vice : car c'est le fait de la nonchalance, et la paresse est une espèce de vice : que dis-je? c'en est le principe et la racine maudite : car la paresse enseigne tous les vices. Abstenons-nous donc des sottes questions comme celle-ci, par exemple: Celui qui n'aura fait ni bien ni mal, quel séjour occupera-t-il? Ne pas avoir fait de bien, c'est (520) avoir fait du mal. Dites-moi : si vous aviez un serviteur qui ne fût ni voleur, ni insolent, ni enclin à répondre, d'ailleurs exempt d'ivrognerie et de tout vice du même genre, mais qui restât tout le jour sans rien faire, et n'accomplit aucun des devoirs de son service, est-ce que vous ne le fouetteriez pas? est-ce que vous ne le mettriez pas à la torture? Je le ferais, me répondra-t-on. Et pourtant quel mal vous aurait-il fait? Le mal, le voilà justement. Mais si vous le voulez, prenons un autre exemple. Supposez un cultivateur qui ne fasse point de mal à nos propriétés, qui s'abstienne de toute rapine, de toute entreprise injuste, qui seulement se lie les mains et reste tranquille à la maison, sans s'occuper ni de semer, ni de creuser des sillons, ni d'atteler des boeufs, ni rie soigner les vignes, ni de travailler d'aucune façon à la terre. Est-ce que nous ne le châtierons pas? Cependant il n'a pas fait de mal, nous n'avons rien à lui reprocher : mais n'avoir rien fait, c'est là son tort : et l'opinion commune le déclare coupable, pour n'avoir pas accompli sa tâche.
Dites-moi, en effet : si chaque manoeuvre, chaque artisan, se contentait de ne faire aucun tort, ni aux gens d'une autre profession, ni à ses confrères, et vivait d'ailleurs dans l’oisiveté, ne serait- ce pas notre perte, notre ruine à tous? Voulez-vous maintenant que nous considérions le corps? La main aura beau ne pas frapper la tête, ne pas couper la langue, ne pas crever l'oeil, s'abstenir, en un mot, de tous sévices de ce genre : si elle demeure oisive, et qu'elle ne rende pas au corps les services qu'elle lui doit, ne faudra-t-il pas la couper plutôt que de promener avec soi un membre dont l'inaction sera funeste au corps tout entier? Et la bouche? c'est en vain qu'elle ne mangera pas la main, ne mordra pas la poitrine : si elle manque à sa tâche, ne vaut-il pas mieux qu'elle soit fermée? En conséquence, s'il est vrai également des serviteurs, des artisans et du corps, qu'on peut se mettre en faute non-seulement en faisant le mal, mais encore en négligeant de faire le bien, à plus forte raison est-ce vrai pour le corps du Christ.
2. Aussi le bienheureux Paul nous prêche-t-il la vertu tout en nous détournant du vice. Qu'importe, en effet, dites-moi, que toutes les épines soient extirpées, si l'on ne sème pas le bon grain? Notre labeur aboutira au même résultat fâcheux, si nous nous arrêtons à moitié chemin. Voilà pourquoi Paul, dans sa vive sollicitude pour nous, ne se borne pas à nous recommander l'extirpation des vices, mais nous invite aussitôt à nous occuper de planter le bien. En effet, après avoir dit : " Que toute amertume, toute colère, tout emportement, toute clameur et toute diffamation soient bannis du milieu de vous, avec toute malice ", il ajoute : " Mais soyez bons les uns envers les autres, miséricordieux, vous faisant grâce ". Voilà les dispositions, les sentiments requis. Et il ne suffit pas d'être sorti du premier état pour arriver au second : il faut un nouveau mouvement, un élan non moins grand que pour fuir le mal, si l'on veut entrer en possession de ces mérites. De même un corps noir peut perdre cette qualité, sans devenir blanc du premier coup. Mais plutôt laissons là les exemples physiques, et prenons-en de moraux. Celui qui n'est pas ennemi n'est pas ami pour cela : il est dans un état intermédiaire qui n'est ni la haine ni l'amitié c'est celui où sont la plupart des hommes relativement à nous. Parce qu'on ne pleure pas, ce n'est pas à dire que l'on rie : on est dans un état mixte. De même ici : n'être pas méchant, ce n'est pas forcément être bon : on peut n'être pas courroucé, sans être nécessairement miséricordieux : il faut un nouvel effort pour conquérir ce nouveau titre.
Et considérez comment, fidèle aux règles d'une bonne agriculture, saint Paul nettoie et travaille la terre que lui a confiée le Cultivateur. Il a arraché les mauvaises herbes; il nous exhorte maintenant à veiller sur les bons plants. " Soyez bons ", dit-il. Car si, après l'extirpation des ronces, on laisse la terre sans culture, une végétation inutile s'y élèvera de nouveau. Il faut donc prévenir cette inaction, cette oisiveté de la terre en y faisant des plantations et des semailles. Paul extirpe la colère, il plante la bonté; il arrache l'amertume, il sème la miséricorde; il retranche la méchanceté et la diffamation, il plante le pardon : car c'est ce que signifie : " Vous faisant grâce mutuellement ". Soyez prompts à pardonner, nous dit-il. C'est là un bienfait qui vaut mieux qu'un cadeau d'argent. Celui qui remet une dette à son débiteur, fait sans doute une action rare et admirable : mais c'est un bienfait qui intéresse le corps seul, quoiqu'il soit rémunéré par des avantages spirituels et selon l'âme. (521) Mais celui qui pardonne des offenses, rend service à la fois à son âme, et à celle de l'homme à qui il pardonne: car ce n'est pas seulement lui-même, c'est encore le coupable qu'il améliore de celte façon. C'est moins en cherchant à nous venger de nos persécuteurs qu'en leur pardonnant, que nous chagrinons leur âme tant nous leur causons alors de remords et de honte. Autrement nous ne rendons service ni à eux ni à nous-mêmes : tout au contraire, c'est à notre dommage comme au leur, que nous recherchons le talion à la façon des princes des Juifs, et que nous attisons ainsi le courroux de nos ennemis. Mais si nous répondons par la douceur à l'injustice, nous apaisons toute leur colère, et nous établissons dans leur âme un tribunal qui juge en notre faveur et les condamne plus sévèrement que nous ne ferions nous-mêmes. Alors ils prononcent contre eux-mêmes un arrêt rigoureux; et ils cherchent tous les moyens de payer notre patience avec usure, sachant que s'ils se bornent à rendre exactement la pareille, l'initiative prise par nous et l'exemple que nous leur aurons donné nous assurera l'avantage. Ils voudront, en conséquence, outrepasser la juste mesure, afin de compenser par la supériorité du bienfait l'infériorité qui vient de ce que nous les avons devancés, et de racheter par un surcroît de bonté, l'inégalité que le temps met entre eux et celui qu'ils ont offensé les premiers.
En effet, quand on est reconnaissant, on éprouve moins de peine à être maltraité, qu'à se voir obligé par ceux envers qui l'on a eu des torts. Car c'est une faute, et même une honte, un ridicule, que de ne pas répondre à un bienfait. Pour ce qui est, au contraire, de ne pas se venger d'une offense, on n'a pas assez d'éloges, d'applaudissements, de bénédictions pour une telle conduite. De là le vif chagrin dont je parle. Si donc vous voulez user de représailles, ayez recours à ce moyen : rendez le bien pour le mal, afin de changer votre ennemi en débiteur, et de remporter une éclatante victoire. On vous a fait du mal? Faites du bien : c'est ainsi qu'il faut vous venger. Si vous vous y preniez autrement, tout le monde vous blâmerait aussi bien que votre ennemi au contraire, si vous montrez de,la patience, on vous applaudira, on vous admirera, et on condamnera l'offenseur.
3. Quel spectacle pour un ennemi, que de voir son ennemi devenu l'objet d'une admiration, d'un enthousiasme unanimes? Quoi de plus cruel que de se voir lui-même injurié sous les yeux de son ennemi? Si vous vous vengez, on vous condamnera sans doute; et vous serez votre seul vengeur ; si vous pardonnez, tout le monde se chargera de votre vengeance : et voir tant de personnes prendre en main la vengeance de son ennemi, c'est un supplice pire que tous les châtiments. Si vous ouvrez la bouche , les autres se tairont ; si vous vous taisez, ce n'est pas une bouche, mais mille que vous déchaînez contre l'offenseur, et votre vengeance n'en est que plus terrible. Si vous l'attaquez en paroles, plus d'un vous en fera un crime, et attribuera vos paroles à la passion; mais la vengeance s'exécute sans donner lieu à aucun soupçon, quand l'accusateur n'est pas un offensé.
Quand des gens qui n'ont à se plaindre de rien sont touchés de votre mansuétude, au point de s'intéresser à votre injure et d'y compatir , comme si elle les atteignait, aucun soupçon ne peut tomber sur une vengeance de cette espèce. Et si personne ne prend votre défense? dira-t-on. Les hommes ne sont pas de pierre ; il est impossible que la vue d'une telle sagesse n'excite pas leur admiration ; et quand bien même ils ne se chargeraient pas de votre vengeance sur-le-champ, une fois ou l'autre, quand l'occasion se présentera, ils n'y manqueront point, ils poursuivront le coupable de leurs reproches et de leurs sarcasmes. Que si vous n'avez pas d'autres admirateurs, vous en aurez un du moins, en votre ennemi, qu'il l'avoue ou non. Le sentiment du bien reste incorruptible et inflexible en nous, fussions-nous plongés dans un abîme de perversité. Pourquoi, selon vous, Notre-Seigneur Jésus-Christ dit-il : " Si quelqu'un vous donne un soufflet sur la joue droite, présentez-lui l'autre joue ". (Matth. V, 39.) N'est-ce point parce que, plus on montre de patience, plus on rend service et à soi-même et à l'agresseur ? Voilà pourquoi il nous est prescrit de tendre l'autre joue, afin d'assouvir la rage des furieux. — Quelle bête féroce ne rentrerait aussitôt en elle-même? Les chiens, dit-on, éprouvent ce sentiment : si la personne contre qui ils aboient, sur laquelle ils s'élancent, se jette à la renverse sans essayer de se défendre, leur colère s'apaise aussitôt. Or, si ces animaux respectent ceux qui s'abandonnent à leur (522) discrétion, à plus forte raison doit-il en être ainsi de l'espèce humaine, qui est douée de la raison.
Mais il ne faut pas négliger un petit fait qui s'est offert précédemment
à notre mémoire, et que nous avons produit en témoignage.
De quoi s'agit-il ? Nous disions que les Juifs et leurs princes étaient
accusés de rechercher le talion ; cependant la loi les y autorisait
: " Oeil " pour oeil, dent pour dent". (Lév. XXIV, 10.) Mais cette
loi n'avait pas pour but de les exciter à se crever mutuellement
les yeux, mais bien de les contenir par la crainte, de les empêcher
de faire du mal à autrui, ou d'être eux-mêmes maltraités.
Si l'Ecriture dit: " Oeil pour oeil ", c'est pour lier les mains à
votre ennemi, ce n'est pas pour armer les Nôtres; ce n'est pas seulement
pour protéger vos yeux, c'est encore avec l'intention de préserver
ceux de cet homme. Mais ce que je cherchais, c'est pourquoi cette vengeance
permise exposait aux reproches ceux qui en faisaient usage. Qu'est-ce que
cela veut dire ? C'est du ressentiment qu'il s'agit ici. La loi autorise
l'offensé à rendre sur-le-champ la pareille, afin d'empêcher,
comme je l'ai dit, les provocations. Quant au ressentiment, il est interdit;
car ce n'est plus le propre de la colère ni d'un courroux bouillant,
mais d'une froide méchanceté; tandis que Dieu pardonne à
ceux que la provocation a pu jeter hors d'eux-mêmes et pousser aux
représailles... De là : " Oeil pour oeil", et dans un autre
endroit : " Les voies des rancuniers mènent à la mort ".
(Prov. XII, 29.) Mais si à une époque où il était
permis d'arracher oeil pour oeil, le ressentiment était puni si
sévèrement, que sera-ce aujourd'hui, qu'il nous est ordonné
de nous offrir spontanément aux injures. Fuyons donc la rancune,
triomphons de la colère, afin de mériter la miséricorde
divine. " Avec la mesure dont vous vous servez pour mesurer, il vous sera
mesuré à vous-mêmes; et d'après le jugement
selon lequel vous aurez jugé, vous serez jugés ". Montrons-nous
donc charitables et miséricordieux envers nos compagnons de servitude,
afin d'échapper aux piéges qui nous sont tendus en ce monde,
et d'obtenir, au jour du jugement, le pardon de Dieu, par la grâce
et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui, gloire
soit rendue au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours,
et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XVII. MAIS SOYEZ BONS LES UNS ENVERS LES AUTRES, MISÉRICORDIEUX,
VOUS PARDONNANT MUTUELLEMENT, COMME DIEU LUI-MÊME VOUS A PARDONNÉ
EN JÉSUS-CHRIST. SOYEZ DONC LES IMITATEURS DE DIEU, COMME ENFANTS
BIEN-AIMÉS ; ET MARCHEZ DANS L'AMOUR COMME LE CHRIST NOUS A AIMÉS
ET S'EST LIVRÉ LUI-MÊME POUR NOUS EN OBLATION A DIEU ET EN
HOSTIE DE SUAVE ODEUR. (IV, 32 ; V, 1, 2, JUSQU'A 4.)
Analyse.
1. De l'imitation de Jésus-Christ.
2. De la plaisanterie.
3. Abus de la plaisanterie au temps de saint Jean Chrysostome.
1. Les faits passés ont plus de pouvoir que les choses futures; ils inspirent plus d'admiration et de confiance. Voilà pourquoi Paul appuie son exhortation sur les événements accomplis; c'est que, grâce au Christ, ils sont les plus propres à persuader. Dire : remets, et il te sera remis; si Nous ne remettez pas, il ne vous sera pas remis : ce langage a une grande force quand il s'adresse à des philosophes, à des hommes qui croient à l'autre vie. Mais Paul, pour nous faire rentrer en nous-mêmes, ne s'en tient pas là : il emprunte au passé de nouveaux arguments. On a vu le moyen d'échapper aux supplices : voici maintenant celui d'être récompensé. Imitez le Christ, nous dit Paul. Imiter Dieu, c'est un motif suffisant pour nous exhorter à la vertu; c'est une raison qui surpasse celle-ci : " Il fait lever le soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes ". (Matth. V, 45.) Paul ne nous dit pas seulement d'imiter; il nous dit encore d'avoir les uns pour les autres ce coeur de père, auquel nous devons tant le bienfaits : car le mot coeur signifie ici charité, miséricorde. Comme il .n'est pas possible à des hommes de vivre ensemble sans se causer quelque ennui, voici un nouveau remède, se faire grâce mutuellement : " Vous faisant grâce mutuellement ". D'ailleurs il n'y a point parité : car si vous faites grâce à un homme, il vous rendra la pareille, tandis que Dieu ne l'a pas reçue de vous. De plus, vous avez affaire à un compagnon de servitude, tandis que Dieu a obligé son serviteur, son ennemi, celui qui le haïssait. " Comme Dieu lui-même vous a fait grâce en Jésus-Christ ". Encore une allusion sublime voici le sens. Ce n'est pas une simple grâce qu'il nous a faite, une grâce sans péril; pour cela il a mis son Fils en danger. Pour vous pardonner, il a immolé son Fils; et vous, à qui le pardon souvent ne coûte ni danger ni dépense, vous ne pardonnez pas.
" Soyez donc les imitateurs de Dieu, comme enfants bien-aimés ; et marchez dans l'amour, comme le Christ nous a aimés et s'est livré lui-même pour nous, en oblation à Dieu, et en hostie de suave odeur ". Afin que vous n'alliez pas attribuer cela à la nécessité, écoutez comment il a soin de préciser en disant : " Il s'est livré lui-même ". C'est comme s'il disait : Tu étais l'ennemi du Seigneur, et le Seigneur t'a aimé : aime en lui ton ami; ou plutôt tu ne pourras jamais lui rendre assez d'amour; aime-le, du moins, de tout ton pouvoir. Ah ! quelle parole fortunée ! En vain vous parleriez du royaume, ou de quoi que ce soit, vous n'atteindrez jamais si haut. C'est imiter Dieu, c'est lui ressembler, que de pardonner à un ennemi. Ce sont les offenses, (524) encore plus que les dettes, qui doivent être remises. Car en remettant une dette, vous n'imitez pas Dieu, et vous l'imitez en remettant une offense. D'ailleurs comment pourrez-vous dire : Je suis pauvre, je ne puis remettre, si vous ne remettez pas les choses mêmes que vous pouvez remettre, et si vous considérez cela comme un sacrifice, au lieu d'y voir une richesse, un profit, un bénéfice? "Soyez donc les imitateurs de Dieu ". Voici maintenant un autre motif encore plus noble : " Comme enfants bien-aimés ". Ce qui vous oblige à l'imiter, ce ne sont pas seulement ces bienfaits, c'est encore que vous êtes ses enfants. " Comme enfants bien-aimés ". S'il parle ainsi, c'est que tous les fils n'imitent point leurs pères, mais ceux-là seulement qui sont bien-aimés.
" Marchez dans l'amour ". Voilà le principe de tout : avec l'amour, plus de colère, de fureur, de clameurs, de diffamation; tout- disparaît. Voilà pourquoi il place en dernier lieu la chose essentielle. Pourquoi êtes-vous devenu enfant ? Parce qu'il vous a été pardonné... Pardonnez à votre prochain pour le même motif qui vous a valu à vous-même votre pardon. Dites-moi, supposez que vous soyez captif, réservé à mille tourments, et que quelqu'un vous introduise tout à coup dans la résidence du roi; ou plutôt, prenons un autre exemple. Supposez que vous ayez la fièvre, que vous soyez à l'agonie, et que quelqu'un vous rende la santé au moyen d'un remède; n'auriez-vous pas pour cette personne, et pour le nom même du remède, une vénération particulière? Si les lieux et les temps où nous avons reçu quelque service nous deviennent aussi précieux que la vie, à plus forte raison doit-il en être ainsi pour les choses mêmes qui nous ont rendu service. Aimez la charité : car c'est par elle que vous avez été sauvés, par elle que vous êtes devenus fils; s'il vous est donné, à votre tour, de sauver autrui, n'userez-vous pas du même remède, et ne prêcherez-vous pas à tous le précepte : Remettez, afin qu'il vous soit remis? C'est le fait d'une âme reconnaissante, noble et généreuse qu'une pareille exhortation. " Comme le Christ nous a aimés ". Vous pardonnez à vous amis; lui, il a pardonné à ses ennemis; combien est plus admirable la conduite du Seigneur ! Comment donc observer le précepte renfermé dans ce mot: " Comme?" N'est-il pas manifeste que ce sera en faisant du bien à nos ennemis? " Et s'est livré lui-même pour nous, en oblation à Dieu, et en hostie de suave odeur ". Voyez-vous combien , c'est une offrande agréable et parfumée, que de souffrir pour ses ennemis? Si vous mourez, vous serez une hostie ; c'est ainsi qu'on imite Dieu. " Que la fornication et toute impureté, ou l'avarice , ne soient pas même nommées parmi vous, comme il convient à des saints ".
Il a parlé de la colère, cette passion cruelle il arrive à un mal moindre. La preuve que la concupiscence est un mal moindre en effet, elle se trouve dans la loi de Moïse, laquelle dit d'abord : " Tu ne tueras point ", ace qui est dirigé contre la colère, et passe ensuite à ceci, qui regarde la concupiscence: " Tu ne commettras point l'adultère ". En effet, si l'amertume, les clameurs, si la méchanceté, si la diffamation, et les autres choses de ce genre procèdent de la colère : c'est la concupiscence qui engendre la fornication, l'impureté, l'avarice ; c'est un même instinct qui nous fait aimer les richesses et la chair. Et de même qu'il a interdit le cri, comme étant le véhicule de la colère, de même ici il, défend les propos légers ou obscènes, véhicule de la fornication. " Point de turpitudes, de folles paroles, de bouffonneries, ce qui ne convient point ; mais plutôt des actions de grâces ". Point de paroles, point d'actions galantes ou libertines, et vous éteindrez la flamme. " Qu'elles ne soient pas même nommées parmi vous "; en d'autres termes : qu'elles soient complètement exclues. Il dit de même, en écrivant aux Corinthiens : " Il n'est bruit que de fornication parmi vous ". (I Cor. V, 1.) II veut dire : Soyez tous purs; car les discours acheminent aux actions. Ensuite, pour ne point paraître un censeur trop rigoureux, qui proscrit la gaieté même, il ajoute aussitôt la raison en ces termes : " Ce qui ne convient pas; mais plutôt des actions de grâces ".
2. A quoi servent les propos joyeux? A faire rire un moment. Dites-moi : est-ce qu'un cordonnier s'avisera de faire quelque chose qui ne concerne point son métier? Achètera-t-il des instruments pour cet usage ? Nullement ce qui ne nous sert point est nul à nos yeux. Point de paroles inutiles, car nous tombons de là dans les propos coupables... Ce monde n'est point fait pour la joie, mais pour le deuil, les tribulations, les gémissements ; et vous (525) faites le bel esprit? Voit-on un athlète, au milieu du stade, oublier son adversaire et la lutte, pour dire des bons mots? Le diable est là, il rôde autour de vous en rugissant, pour vous emporter; il met tout en oeuvre et en mouvement pour vous perdre, il complote de vous jeter à bas du nid, il grince des dents, rugit, souffle le feu contre votre salut ; et vous restez là tranquille à plaisanter, à dire des folies, des indécences; vous êtes donc bien sûr de la victoire. Nous perdons notre temps, mes chers frères. Voulez-vous savoir comment vivent les saints? Ecoutez Paul, qui vous dit Durant trois arts, nuit et jour, je n'ai pas cessé avec des larmes, d'admonester chacun de vous. (Act. XX, 31.) Que s'il se. donnait tant de peine pour les Milésiens et les Ephésiens, si au lieu de plaisanter il ne cessait de les admonester avec larmes, que dira-t-on des autres? Ecoutez encore ce qu'il dit aux Corinthiens : " Je vous ai écrit dans l'affliction et l'angoisse du coeur, avec beaucoup de larmes ". (II Cor. II, 4.) Et encore : " Qui est faible, sans que je sois faible? Qui est scandalisé, sans que je brûle? " (Ib. XI, 29.)
Ecoutez encore comment il parle ailleurs et se dépeint aspirant, pour ainsi dire, chaque jour, à sortir du monde : " Car nous qui sommes dans la tente, nous gémissons ". (Ib. V, 4.) Et vous, vous riez; vous badinez ? C'est le temps de combattre, et vos occupations sont celles des danseurs? Ne voyez-vous pas les visages de vos ennemis, comme ils sont menaçants, refrognés, comme ils froncent le sourcil d'un air formidable. Considérez une armée qui va combattre : les visages sont sévères; les coeurs, en éveil, bondissent et palpitent; l'esprit est attentif, inquiet, frémissant : partout règnent l'ordre, la discipline, le silence : je ne dirai pas qu'on ne profère point de paroles obscènes; personne ne dit rien. Si les combattants qui n'ont affaire qu'à des ennemis charnels, gardent un si profond silence, quand ils pourraient parler sans péril, vous qui avez à combattre, à soutenir le fort de la guerre, sur le terrain des paroles, vous ne songez pas à vous fortifier de ce côté ? Ignorez-vous que c'est par là surtout qu'on essaiera de nous surprendre ? Vous badinez, vous vous amusez, vous dites des bons mots, vous faites rire, et vous ne voyez pas de mal à cela? Combien de parjures, de malheurs, d'obscénités, sont nés de la plaisanterie ! Mais ce n'est pas là ce qu'on nomme bons mots, direz-vous. Eh quoi ! ne voyez-vous pas que Paul bannit toute facétie? C'est aujourd'hui un temps de guerre, de combat, de veille, de précaution, d'armement, de lutte : le rire n'a point de place ici ; car il est du monde.
Ecoutez ce que dit le Christ : " Le monde se réjouira, mais vous, vous serez affligés ". (Jean, XVI, 20.) Le Christ a été crucifié pour vos fautes, et vous riez? Il a été souffleté, il a subi mille tourments pour vous arracher au malheur et à la tempête : et vous prenez vos aises? N'est-ce pas- là plutôt l'irriter? Mais puisque quelques personnes regardent cela comme une chose indifférente, et que d'ailleurs il est difficile de s'en défendre, parlons-en un peu, et montrons-en tout le danger. En effet, ce mépris des choses indifférentes vient d'une inspiration du diable. D'abord, si la chose était réellement indifférente, elle ne serait pas à mépriser pour cela, à cause des grands maux qu'elle engendre ou dont elle facilite les progrès, à cause de la fornication qui en est souvent le résultat; mais vous allez voir qu'elle n'est pas indifférente. Considérons quelle en est l'origine, ou plutôt représentons-nous le saint tel qu'il doit être, doux, calme, triste,, gémissant, affligé. Donc le diseur de bons mots n'est pas saint : que dis-je? fût-il païen , il est un objet de mépris : pareille licence n'est accordée qu'aux histrions. Qui dit obscénité, dit plaisanterie. Qui dit rire indécent, dit plaisanterie. Ecoutez la parole du prophète : " Servez Dieu en crainte, et exprimez-lui votre allégresse avec tremblement ". (Ps. II, 1l.) La plaisanterie énerve l'âme, la rend molle et nonchalante : souvent elle enfante l'invective, et allume des guerres.
3. Mais quoi ! ne comptez-vous point parmi les hommes ? Abjurez donc les occupations de l'enfance. Vous ne souffrez pas que votre serviteur laisse échapper sur la place une parole inconvenante; et vous, qui prétendez être serviteur de Dieu, vous y proférez des facéties? Il faut s'estimer heureux de n'être pas surpris quand on est de sang-froid : mais comment échapper quand on s'abandonne ? On s'enferrera soi-même, et les artifices du diable, ses attaques deviendront superflues. Voulez-vous encore une preuve? Considérez ce que c'est qu'un homme plaisant : on appelle ainsi un homme léger, mobile, dont l'esprit souple revêt toutes les formes ; nous voilà bien loin (526) des serviteurs de la pierre (1). Rien ne tourne, ne change aussi vite ; tout chez lui est d'emprunt, gestes, paroles, rire, démarche; il faut qu'il s'applique à imaginer des quolibets c'est dans son rôle. Une pareille comédie ne sied guère à un chrétien. L'homme plaisant ne peut manquer de s'attirer gratuitement beaucoup de haines, en tournant en ridicule, à tout propos, des personnes présentes ou des absents qui en sont informés. Si c'est là un noble emploi, pourquoi l'abandonne-t-on aux mimes? Vous voilà mime, et vous ne rougissez pas? Pourquoi ne permettez-vous point la même chose aux filles de bonne maison? n'est-ce pas que vous y voyez une occupation indigne de la réserve et de la pudeur. De grands maux font leur séjour dans l'âme de l'homme plaisant, le relâchement, le vide plus d'harmonie , plus de solidité , plus de crainte, plus de religion.
Si vous avez une langue, ce n'est pas pour railler autrui, c'est pour rendre grâces à Dieu. Regardez ceux qu'on appelle farceurs, saltimbanques: voilà les hommes plaisants. Bannissez de vos âmes, je vous en supplie, ce funeste divertissement : c'est l'occupation des parasites, des mimes, des danseurs, des prostituées : non pas d'une âme libre, non pas d'une âme noble, non pas des serviteurs. Tout ce qu'il y a de vil, de déshonoré, possède ce talent. Beaucoup même y voient un mérite : ce qui est désolant. Ainsi que la concupiscence mène insensiblement à la fornication : ainsi la plaisanterie passe pour une grâce, mais rien n'est plus éloigné de la grâce. Ecoutez ce que dit l'Ecriture : " L'éclair devance le tonnerre, et la grâce précédera l'homme réservé ". (Ecclé. XXXII, 14.) Or, rien de moins réservé que l'homme plaisant. Ce n'est donc pas de grâce, c'est de malheur que sa bouche est pleine. Bannissons ce divertissement de nos tables. On voit des hommes qui vont jusqu'à dresser les pauvres à cet emploi. O dépravation ! ils changent en bouffons les affligés. On n'a pas pénétré aujourd'hui le fléau dont je parle. Il s'est glissé jusque dans l’Eglise ; il a profané jusqu'aux Ecritures. En dirai-je
1 Jésus-Christ.
davantage, afin de montrer l'excès du mal? J'ai honte : je parlerai néanmoins : car je veux vous faire mesurer les ravages du mal, afin de me justifier du reproche de m'arrêter à des minuties dans mes entretiens avec vous, afin de guérir votre égarement à tout le moins par ce remède extrême. Et n'allez pas croire que j'invente : je redirai ce que j'ai entendu.
Quelqu'un se trouvait chez une personne très-fière de son savoir : je vais exciter le rire, je le sais; je parlerai néanmoins. La table servie, notre homme dit : " Servez, enfants, de peur que le ventre ne se fâche ". Il en est d'autres qui disent : " Malheur à toi, Mammon , et à celui qui ne te possède pas ! " Et tant d'autres sottises inventées par le bel esprit, par exemple : " N'est-ce pas le moment de la génération? " Je dis cela pour vous montrer le scandale de cette honteuse manière d'agir : de telles paroles dénotent une âme sans religion. Est-ce trop du tonnerre pour punir de tels écarts? Et ce n'est qu'un échantillon des propos ténus par ces hommes. Ainsi donc, je vous en conjure, ne laissons à cette mode aucun asile parmi nous; parlons comme il nous sied : que nos bouches fidèles n'empruntent jamais le langage des bouches avilies et déshonorées. " Quel partage entre la justice et l'iniquité? Quelle communauté entre la lumière et les ténèbres? " (II Cor. VI, 14.) Il faut s'estimer heureux si l'on réussit, en se corrigeant de tous ces honteux écarts, à obtenir les biens promis : que serait-ce donc si nous nous, chargions d'un pareil fardeau, et corrompions ainsi la pureté de notre coeur? Un plaisant devient bien vite un médisant or, un médisant accumule sur sa tête bien d'autres maux encore. Sachons donc refréner ces deux instincts de notre âme, je veux dire la concupiscence et la colère; sachons les soumettre au joug de l'intelligence, comme des chevaux dociles, et leur donner pour guide la raison, si nous voulons obtenir la palme qui nous est proposée là-haut; puisse-t-elle nous être décernée à tous en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XVIII. CAR SACHEZ COMPRENDRE QU'AUCUN FORNICATEUR, OU
IMPUDIQUE, OU AVARE, CE QUI EST UNE IDOLATRIE, N'A D'HÉRITAGE DANS
LE ROYAUME DU CHRIST ET DE DIEU. QUE PERSONNE NE VOUS SÉDUISE PAR
DE VAINS DISCOURS : CAR C'EST POUR CES CHOSES QUE VIENT LA COLÈRE
DE DIEU SUR LES FILS DE LA DÉFIANCE. (V, 5, 6-14.)
Analyse.
1 et 2. Contre la méthode des interprétations larges appliquée à l'Ecriture.
3 et 4. Que l'avarice est proprement une idolâtrie. — Comparaison avec les objets du culte et les sacrifices chez les païens. — origine de l'idolâtrie. — Histoire de la concupiscence. — Conseil d'instituer pour héritier Jésus-Christ. — Que les fidèles doivent se reprendre mutuellement.
1. Il y avait déjà, paraît-il, au temps de nos pères, des hommes qui paralysaient les mains du peuple, qui réalisaient la parole d'Ezéchiel, ou plutôt faisaient oeuvre de faux prophètes, qui, pour une poignée d'orge, dénigraient Dieu devant son peuple, comme le font encore, à ce que je crois, certains hommes d'aujourd'hui: Nous arrive-t-il de dire que celui qui aura appelé son frère fou ira dans l'enfer : vraiment, disent les uns, celui qui aura appelé son frère fou ira en enfer? Non, répond-on. Venons-nous à dire que l'avare est idolâtre, ils dénigrent encore cette parole, en la taxant d'exagération : et de la même manière, ils font bon marché de tous les préceptes. C'est à ces hommes que saint Paul fait allusion dans ce passage de son épître aux Ephésiens, lorsqu'il dit : " Car sachez comprendre qu'aucun fornicateur, ou impudique, ou avare, ce qui est une idolâtrie , n'a d'héritage dans le royaume du Christ et de Dieu " ; et qu'il ajoute : " Que personne ne vous séduise par de vains discours ". Les vains discours dont il parle sont ceux qui plaisent sur le moment, et que les faits démentent : car c'est en cela que consiste la séduction. " Car c'est pour ces choses que vient la colère de Dieu sur les " fils de la défiance ". Pour ces choses, c'est-à-dire, la fornication, l'avarice, l'impudicité, ou pour ces vices et en même temps pour la séduction, puisqu'il y a des séducteurs. En disant " Fils de la défiance " : il désigne les incrédules déclarés, ceux qui ne croient pas en lui.
" N'ayez donc point de commerce avec eux. Car autrefois vous étiez ténèbres , mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur (7, 8) ". Voyez quelle sagesse dans ses exhortations : d'abord il a fait intervenir le Christ pour prêcher l'amour mutuel, et le respect de la justice : il a recours maintenant aux supplices de l'enfer. " Car autrefois vous étiez ténèbres, mais maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur ". Il dit de même, dans l'épître aux Romains : " Quel fruit avez-vous donc tiré alors des choses dont vous rougissez maintenant (VI, 21) "?.. Et il leur rappelle leur ancienne perversité. Cela revient à dire : Songez à ce que vous étiez jadis, à ce que vous êtes devenus, ne retournez pas à vos anciens vices, ne manquez pas de respect à la grâce de Dieu. " Vous étiez autrefois ténèbres, " mais maintenant vous êtes lumière dans le " Seigneur " : ce n'est pas votre vertu, c'est la grâce de Dieu qui a opéré ce changement; en d'autres termes : Autrefois vous méritiez le sort commun, mais il n'en est plus ainsi. "Marchez donc comme des enfants de lumière ". Qu'est-ce à dire : " Enfants de lumière ? " La suite le montre : " Car le fruit (528) de l'Esprit consiste en toute bonté, justice et vérité; examinant ce qui est agréable à Dieu (9, 10) ".
" En toute bonté ". Ceci s'adresse aux violents, aux emportés. " Justice " ; ceci regarde les avares. " Vérité "; voilà pour les faux plaisirs. Evitez les pratiques dont j'ai parlé, veut-il dire, et suivez une conduite tout opposée. " En toute ". Autrement dit, il faut en toute chose produire des fruits spirituels. " Examinant ce qui est agréable à Dieu ". Donc les pratiques dont il a été question ne conviennent qu'à des esprits puérils, sans maturité. " Ne vous associez point aux oeuvres infructueuses des ténèbres, mais plutôt réprouvez-les; car ce qu'ils font en secret est ,honteux même à dire. Or tout ce qui est répréhensible se découvre par la lumière (II, 13) ". Il a dit : " Vous êtes lumière ". Or, la lumière découvre les choses accomplies dans les ténèbres. Ainsi donc, "si vous êtes vertueux et irréprochables, les méchants ne pourront rester cachés. De même que la lumière d'une lampe se projette sur toutes les personnes présentes et empêche les voleurs d'entrer : de même, si votre lumière brille, les méchants seront confondus. Il faut donc confondre les coupables. Mais alors, pourquoi est-il écrit : " Ne jugez point, afin que vous ne soyez pas jugés ? " (Matth. VII, 1.) Paul ne dit pas condamner, mais confondre, c'est-à-dire corriger. Quant au précepte " Ne jugez point ", il concerne les petits péchés. Voyez ce qui suit : " Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l'oeil de ton frère, et ne remarques-tu pas la poutre qui est dans ton oeil ? " Voici le sens de ces paroles: Ainsi qu'une plaie, tant qu'elle reste invisible et cachée, et exerce ses ravages à l'intérieur, n'est l'objet d'aucun soin, de même le péché, tant qu'il demeure ignoré, se commet hardiment à la faveur de cette espèce de ténèbres; mais quand il est découvrit, la lumière paraît: la lumière n'est pas le péché ( comment cela se pourrait-il ?) , mais le pécheur. En effet, quand il s'est vu dénoncé, réprimandé, qu'il s'est repenti, qu'il a obtenu rémission, est-ce que ses ténèbres ne sont pas dissipées par vos soins? N'avez-vous pas guéri sa blessure ? N'avez-vous pas converti en production sa stérilité? Voilà ce que veut dire Paul, ou encore : Votre vie, se passant au grand jour, est lumière ; car nul ne cache sa vie, quand elle est irréprochable : cacher une chose , c'est vouloir l'ensevelir dans les ténèbres. " De là ces paroles : Réveille-toi , toi qui dors, lève-toi du milieu des morts, et le Christ répandra sur toi sa lumière (14) ". Ces expressions: Mort et endormi, désignent le pécheur : car il sent mauvais comme les morts ; il est impuissant comme l'homme endormi : comme lui, il ne voit rien, il rêve, il fait des songes. Les uns lisent : " Tu toucheras le Christ " ; les autres : " Le Christ répandra sur toi sa lumière ". C'est plutôt ceci: Renoncez au péché, et vous pourrez voir le Christ : " Car celui qui fait le mal, hait la lumière, et ne va pas vers la lumière ". (Jean, III, 20.) Donc, celui qui ne fait pas le mal, va vers elle.
2. Mais Paul ne dit pas cela seulement pour les incrédules : beaucoup de croyants ne sont pas moins attachés à leurs vices que les incrédules ; quelques-uns mêmes , beaucoup plus. A eux aussi, il est donc nécessaire de leur dire: " Eveille-toi, toi qui, dors: lève-toi du milieu des morts, et le Christ répandra sur toi sa lumière ". A eux aussi s'applique la parole : " Dieu n'est point le Dieu des morts, mais des vivants ". (Matthieu, XXII, 32.) Vivons donc, s'il n'est pas le Dieu des morts. — Mais il y a des gens qui voient une hyperbole dans ce passage : " Avare, ce qui est une idolâtrie ". Ce n'est pas une hyperbole, mais l'expression de la vérité. Comment? de quelle façon? Parce que l'avare s'éloigne de Dieu, tout comme l'idolâtre. Et pour vous convaincre que ce ne sont point ici des paroles en l'air, rappelez-vous cette sentence du Christ "Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon ". (Matth. VI, 24.) Servir Mammon, c'est renoncer au service de Dieu : ceux qui renient son autorité pour se faire les esclaves d'un métal inanimé, sont manifestement idolâtres. Mais je n'ai pas façonné d'idole, diront-ils, je n'ai pas érigé d'autel, sacrifié de victimes, répandu de vin en forme de libations: loin de là, je suis venu à l'Eglise, j'ai élevé les mains vers le Fils unique de Dieu ; je participe aux sacrements, je , m'associe aux prières, je remplis pour ma part tous les devoirs du chrétien. Comment donc peut-on dire que j'adore les idoles? Et voilà justement ce qu'il y a de plus étonnant : c'est que connaissant par expérience et pour y avoir goûté la bonté divine, instruit de la charité du Seigneur, vous ayez quitté ce maître charitable pour un cruel (529) tyran, et que, tout en feignant de rester son serviteur, vous vous soyez, en réalité, soumis au joug pesant et intolérable de l'avarice. Jusqu'ici vous ne m'avez rien dit de vos bonnes oeuvres, vous ne m'avez parlé, que des présents du Seigneur. Dites-moi, je vous en prie, à quoi reconnaissons-nous quelqu'un pour soldat ? Est-ce en le voyant faire partie du cortége du roi, recevoir de lui sa subsistance et compter parmi ses gens; ou bien, en le voyant faire preuve d'un vrai zèle pour sa personne ? Que si, tout en feignant de lui rester attaché, il travaille en réalité pour l'ennemi, c'est, à nos yeux, une plus mauvaise action que de déserter ouvertement le service du monarque pour passer dans le camp ennemi.
Et vous, vous manquez de respect à Dieu tout comme un idolâtre, non pas seulement par vos paroles à vous, mais par celles de vos innombrables victimes: cependant; an prétend que ce n'est pas de l'idolâtrie. Quand les païens disent: Ce chrétien qui est avare, ce chrétien-là n'offense pas seulement Dieu par ses actions, mais encore par les paroles que sa conduite inspire fréquemment à ses victimes; que si elles se taisent, il ne faut en faire honneur qu'à leur piété. Les faits ne confirment-ils pas ce que je vous dis ? Qu'est-ce, en effet, qu'un idolâtre, sinon un homme qui a coutume d'adorer ses passions; au lieu de les dominer? Par exemple, quand nous accusons les païens d'adorer des idoles : Non, répondent-ils, nous adorons Vénus, nous adorons Mars. Et quand nous demandons : Qu'est-ce que cette Vénus? les plus graves d'entre eux répondent : La volupté. Et Mars? La colère. Eh bien ! vous, vous adorez Mammon ; et qu'est-ce que Mammon ? L'avarice. Et vous l'adorez? Nous ne l'adorons pas, répondez-vous. Comment? Est-ce à dire que vous ne vous prosternez point? Mais vous lui rendez de bien autres hommages par vos actions et vos démarches : c'est là une adoration bien plus réelle. Voulez-vous en être sûrs? Demandez-vous quels sont les plus zélés adorateurs de Dieu, ceux qui se bornent à prendre part aux prières, ou ceux qui font sa volonté ? Il est clair que ce sont ces derniers. Il en est de même pour Mammon : ceux qui font sa volonté sont ses plus zélés adorateurs.
D'ailleurs, les païens qui adorent les passions, peuvent être eux-mêmes exempts de passions; on peut trouver des serviteurs de Mars qui sachent réprimer en eux la colère il n'en est pas de même pour vous, la passion vous subjugue. Vous ne lui sacrifiez pas de brebis ? Non, mais vous lui immolez des hommes, des âmes raisonnables; vous faites mourir les uns de faim, vous poussez les autres à blasphémer. Nulle frénésie ne saurait atteindre à une pareille immolation. Qui jamais a vu sacrifier des âmes? L'autel de l'avarice est abominable. Approchez de ceux des idoles : vous les trouverez imprégnés du sang des chevraux et des boeufs. Venez à l'autel de l'avarice, vous sentirez une forte odeur de sang humain. On n'y brûle pas des ailes d'oiseaux; il n'en sort ni vapeur ni fumée : ce sont des êtres humains qui y périssent. Les uns, en effet, se précipitent dans des gouffres; d'autres se pendent, d'autres se coupent la gorge. Voyez-vous quelles inhumaines et barbares immolations? C'est peu encore : il faut à l'autel de l'avarice, outre le corps, l'âme de l'homme. Car il est aussi pour l'âme un genre d'immolation approprié à sa nature ; il y a. une mort de l'âme, comme une mort du corps. " L'âme qui pèche, mourra ", est-il écrit. (Ézéchiel, I, 8, 4.) La mort de l'âme n'est point comparable à celle du corps , elle est autrement affreuse. L'une, en séparant l'âme du corps, délivre celui-ci de beaucoup de tracas et de fatigues, et envoie l'autre dans un séjour de lumière; à la longue, lé corps lui-même, dissous et réduit en poussière, se recompose pour une existence impérissable, et rejoint l'âme qui l'a quitté.
3. Voilà pour la mort corporelle. Celle de l'âme est faite pour exciter l'horreur et le frisson. Ce n'est pas, comme celle du corps, une dissolution suivie d'un passage dans un autre séjour : rattachée à un corps impérissable, l'âme est précipitée dans le feu inextinguible. Telle est la mort de l'âme. S'il y a une mort de l'âme, il y a aussi une immolation de l'âme. En quoi consiste l'immolation du corps ? A être frappé de mort, et soustrait à l'opération de l'âme. Et l'immolation de l'âme? c'est encore une mort qui en résulte. De même que le corps périt, quand l'âme le sèvre de son opération: ainsi l'âme périt, quand elle reste privée de l’opération de l'Esprit-Saint. Telles sont surtout les immolations qui ont lieu sur l'autel de l'avarice: il ne lui suffit pas d'être arrosé du sang des hommes ; il faut, pour étancher sa soif, que l'âme aussi soit sacrifiée; il faut qu'il reçoive deux âmes en offrande, (530) celle du sacrificateur et celle de la victime. Car le sacrificateur est le premier sacrifié ; il est mort au moment où il tue; et sous les coups de ce mort tombe un vivant : car les blasphèmes que celui-ci profère, ses invectives, ses récriminations, n'est-ce point pour une âme autant de plaies incurables? Voyez-vous que ce n'était pas une hyperbole?
Voulez-vous encore une autre preuve pour vous convaincre que l'avarice est bien une idolâtrie, et quelque chose de pire que l'idolâtrie? Les idolâtres adorent les créatures de Dieu : " Ils vénérèrent et servirent la créature plus que le Créateur ". (Rom. I, 25.) Vous, vous adorez votre propre créature. Car ce n'est pas Dieu qui a créé l'avarice : c'est votre cupidité insatiable qui l'a imaginée. Et voyez quelle folie, quelle dérision ! Ceux qui adorent les idoles, respectent ce qu'ils adorent; si quelqu'un en médit, les injurie, ils prennent leur défense; mais vous, je ne sais quelle ivresse vous pousse à adorer une, chose, qui, loin d'être à l'abri du reproche, est pleine d'impiété. Vous êtes donc pires que les idolâtres : car vous ne pouvez prétendre pour votre justification que l'objet de votre culte n'est pas mauvais. Sans doute ils sont inexcusables : mais vous l'êtes encore bien davantage, vous qui ne cessez d'accuser l'avarice, de vous déchaîner contre ses adorateurs , ses serviteurs, ses fidèles. Si vous le voulez, nous examinerons ensemble l'origine de l'idolâtrie. Un sage raconte qu'un homme riche, désolé de la mort prématurée de son fils, et inconsolable dans sa douleur, fit faire, pour soulager son deuil, une image de celui qu'il avait perdu; et qu'à force de contempler ce portrait inanimé, il s'imaginait voir revivre son enfant dans cette figure. Des complaisants, qui se faisaient un Dieu de leur ventre, honorant cette image pour flatter le père, poussèrent cette pratique jusqu'à l'idolâtrie. L'idolâtrie eut donc pour principes la faiblesse d'âme, une habitude déraisonnable, et l'avidité.
Il n'en est pas ainsi de l'avarice : elle provient aussi de la faiblesse, mais d'une faiblesse pire;-il ne s'agit point ici d'un fils perdu, d'un deuil à consoler, de flatteries décevantes. De quoi donc? Je vais vous le dire. Caïn frustra Dieu, gardant pour lui-même ce qui était dû au Seigneur, il lui offrit ce qu'il devait conserver, et le mal commença au préjudice de Dieu. En effet, si nous lui appartenons nous-mêmes, à plus forte raison faut-il en dire autant des prémices de nos biens. La concupiscence se porta ensuite sur les femmes : " Ils virent les femmes des hommes, et ils tombèrent dans la concupiscence " (Gen. VI, 2); après quoi, elle se tourna vers les richesses. En effet, vouloir l'emporter sur autrui dans la possession des biens charnels , cela n'a pas d'autre principe que le refroidissement de la charité; la cupidité n'a pas d'autre source que l'orgueil, la haine des hommes et le mépris. Ne voyez-vous pas combien la terre est grande? comment l'air et le ciel occupent bien plus d'espace qu'il ne serait nécessaire? C'est pour éteindre en vous la cupidité, que Dieu a donné tant d'extension à des choses créées : néanmoins, vous persistez dans vos rapines; on vous dit que l'avarice est une idolâtrie, et vous ne frissonnez pas? Voulez-vous devenir maître de la terré entière ? Mais l'héritage du ciel ne vous est-il pas promis, à condition que vous vous priverez?
4. Dites-moi, si l'on vous donnait la faculté de tout posséder, refuseriez-vous? Eh bien ! il ne tient qu'à vous maintenant, si vous le voulez. On voit des gens qui gémissent, quand il faut faire l'abandon de leur fortune, et qui préféreraient l'avoir mangée, plutôt que de la voir passer entre les mains d'autrui. Je ne puis vous guérir de cette faiblesse, car c'en est une : mais, tout au moins, par votre testament, instituez le Christ pour votre héritier. Vous auriez dû lui donner de votre vivant, t'eût été la marque d'une volonté droite: du moins que la nécessité vous rende généreux. Si le Christ nous a prescrit de donner aux pauvres, c'est pour que nous vivions en sages, pour que nous apprenions à mépriser les richesses, à dédaigner les choses terrestres. Ce n'est plus mépriser les richesses que d'en faire l'abandon à tel ou tel quand on meurt et qu'on cesse d'en être maître; ce n'est point par libéralité que vous donnez alors, mais par nécessité : le bienfaiteur, c'est la mort, et non pas vous. Une telle conduite n'est pas celle de l'affection, mais celle de la haine. Mais, tout au moins, cédez à cette extrémité, corrigez-vous à cette heure suprême. Comptez vos usurpations, vos rapines, et rendez le tout au quadruple; c'est ainsi que vous vous justifierez devant Dieu. Mais il en est qui poussent la démence et l'aveuglement au point de ne pas comprendre, même alors, quel est leur devoir : ils agissent (531) en tout comme s'ils se proposaient de rendre le jugement de Dieu plus sévère à leur égard. Voilà pourquoi notre bienheureux dit : " Marchez comme des enfants de lumière ". Or, c'est l'avare surtout qui vit dans les ténèbres, qui répand une nuit épaisse sur tout le monde. Et encore: " Ne vous associez point aux oeuvres infructueuses des ténèbres, mais plutôt réprouvez-les ; car ce qu'ils font en secret est honteux même à dire. Or tout ce qui est répréhensible se découvre par la lumière ".
Ecoutez, je vous prie, vous tous qui craignez de vous exposer gratuitement à la haine ! Cet homme dépouille son prochain, et vous ne le confondez pas, de peur de vous attirer sa haine? Mais ce n'est pas là s'exposer gratuitement à la haine : c'est justement que vous reprendriez le coupable, et vous craignez d'en être haï? Reprenez votre frère, encourez l'inimitié du prochain, pour l'amour du Christ, pour l'amour du prochain lui-même : arrêtez-le dans sa course vers l'abîme. Le faire asseoir à notre table, le combler de bonnes paroles, de salutations, de plaisirs, ce n'est pas l'amitié. Voilà les dons que nous devons faire à nos amis, pour dérober leur âme à la colère de Dieu : quand nous les voyons plongés dans la fournaise de l'iniquité, relevons-les. Mais il est incorrigible , dira-t-on. Eh bien ! vous, faites ce qui est en votre pouvoir, et vous voilà justifié devant Dieu. Ne cachez- pas le talent: si la parole, si une langue, une bouche vous ont été données, c'est pour que vous corrigiez le prochain. Les brutes seules ne songent pas au prochain, ne s'occupent que d'elles-mêmes : mais vous, qui nommez Dieu votre père, et frère votre prochain, quand vous voyez ce frère commettre péché sur péché, vous faites passer avant son intérêt le désir de lui complaire? N'en faites rien, de grâce. Rien ne prouve mieux l'amitié , que de ne pas laisser faillir ses frères. Vous les voyez haïr? réconciliez-les. Vous les voyez commettre l'injustice? arrêtez-les. Vous les voyez opprimés? défendez-les : ce n'est pas à eux, c'est à vous-même que vous rendez service. Si nous sommes amis , c'est pour nous entraider. Les paroles d'un ami ne seront pas reçues comme celles du premier venu : un inconnu, on s'en défiera peut-être, et d'un prédicateur pareillement; mais non d'un ami.
" Car ce qu'ils font en secret est honteux même à dire.
Or, tout ce qui est répréhensible se découvre par
la lumière ". Que veut-il dire ici? Il veut dire que parmi les péchés,
les uns sont secrets, les autres publics; mais il en sera autrement dans
l'état dont il parle car il n'y a personne qui n'ait conscience
de ses péchés. Voilà pourquoi il dit: " Or tout ce
qui est répréhensible se découvre par la lumière
". Mais quoi ! dira-t-on , est-ce que ceci ne regarde point également
l'idolâtrie? Non, c'est de la conduite et des péchés
qu'il est question. " Car tout ce qui se découvre est lumière
". Je vous en conjure donc, n'hésitez point à reprendre,
et ne vous fâchez pas quand on vous reprend. Car tout ce qui s'accomplit
dans l'ombre se fait avec plus de sécurité: or, la présence
de beaucoup de témoins produit l'effet de la lumière. Faisons
donc tous nos efforts pour écarter les causes de mort qui menacent
nos frères, pour dissiper les ténèbres, pour faire
luire ici-bas le soleil de la justice. S'il y a beaucoup de flambeaux,
le chemin de la vertu nous sera plus aisé; et ceux qui sont dans
les ténèbres seront plus facilement surpris, grâce
à cette lumière qui dissipera l'obscurité. Sinon,
il est à craindre que nous ne soyons nous-mêmes plongés
dans la nuit, le voile épais des ténèbres et des péchés
venant à triompher de la lumière et à en chasser la
clarté. Croyons donc qu'en obligeant aujourd'hui nous nous rendons
service à nous-mêmes; et ainsi nous louerons dans toute notre
conduite le Dieu de bonté, par la grâce et la charité
de son fils unique, avec qui gloire, puissance, honneur au Père
et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles
des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XIX. AYEZ DONC SOIN, MES FRÈRES, DE MARCHER AVEC
CIRCONSPECTION, NON COMME DES INSENSÉS, MAIS COMME DES HOMMES SAGES,
RACHETANT LE TEMPS, PARCE QUE LES JOURS SONT MAUVAIS. NE SOYEZDONC PAS
IMPUDENTS, MAIS COMPRENEZ QU’ELLE EST LA VOLONTÉ DE DIEU. (V, 15-21.)
532
Analyse.
1 et 2. Qu'il faut rendre grâces en toute occurrence.
3. Preuves de la Providence.
4 et 5. De la curiosité indiscrète. — De l'incompréhensibilité divine. — De la servitude mutuelle.
1. Ici encore il extirpe la racine d'amertume, il retranche le principe de la colère. Que dit-il, en effet? " Ayez donc soin de marcher avec circonspection ". Il savait que son Maître, en envoyant ses disciples comme des brebis au milieu des loups, leur recommandait encore d'être comme des colombes : " Et vous serez simples comme des colombes ". (Matth. X, 16.) Etant au milieu dés loups, et ayant ordre de ne pas se venger et de souffrir, ils avaient, par conséquent, besoin de cette exhortation. La première comparaison pouvait suffire, à la vérité, pour les rendre patients : mesurez ce que la seconde ajoute à la force du précepte. Et voyez comment Paul s'attache à prémunir ses auditeurs en leur disant : " Ayez " soin de marcher avec circonspection ". Des cités entières étaient en guerre avec eux; cette guerre avait pénétré jusque dans les maisons; la division régnait entre le père et le fils, la fille et la mère. Pourquoi? Quelle était l'origine de ces divisions? C'est qu'on avait entendu dire au Christ : " Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n'est pas digne de moi ". (Matth. X, 16, 37.) Paul ne voulait pas qu'on crût qu'il existait des guerres et des combats sans but : car si les chrétiens, de leur côté, étaient devenus agresseurs, ç'aurait été le signal de grandes colères. Voilà pourquoi il dit : " Ayez donc soin de marcher avec circonspection ". En d'autres termes : La prédication mise à part, ne donnez pas d'autre sujet, d'autre motif de haine contre volts. Que personne n'ait autre chose à vous imputer : soyez respectueux et soumis dans toutes les choses qui n'intéressent pas la prédication, qui ne gênent point la piété : " Rendez à tous ce qui leur est dû: à qui le tribut, le tribut; à qui l'impôt, l'impôt ". (Rom. XIII, 7.) Car les incrédules rentreront en eux-mêmes, quand ils nous verront irréprochables dans le reste. " Non comme des insensés, mais comme des hommes sages, rachetant le temps ". Il ne dit pas cela pour nous conseiller d'être souples et de prendre toutes les formes. Voici ce qu'il veut dire : Le temps n'est pas à vous; vous n'êtes en ce monde que des étrangers, des voyageurs de passage : ne cherchez pas les honneurs, ne cherchez pas la gloire, ne cherchez pas la puissance, ne cherchez pas la vengeance; subissez tout, et par ce moyen rachetez le temps ; ne craignez pas de payer, payez tout ce que l'on exigera... Il y a ici quelque obscurité : tâchons de l'éclaircir au moyen d'un exemple : Supposez qu'un homme possède une maison magnifique et que des gens y pénètrent pour le tuer; qu'alors pour se sauver il donne une forte somme à ces scélérats : nous dirons qu'il se rachète... Eh bien ! vous aussi vous êtes possesseur d'une superbe maison, vous avez la vraie foi : on vous poursuit pour vous dépouiller : donnez (533) tout ce qu'on vous demandera, gardez seulement le principal, à savoir la foi. " Parce que les jours sont mauvais ".
Qu'est-ce que des jours mauvais? Il s'agit ici d'une manière d'être particulière du jour. Demandez-vous ce qui est mauvais dans chacune des choses qui nous touchent, et vous saurez ce que c'est que des jours mauvais. Qu'est-ce que le mal du corps? la maladie. Le mal de l'âme? la malignité. Le mal de l'eau? l'amertume.. Le mal pour chaque chose, est une imperfection qui affecte sa nature. Si donc il y a des jours mauvais, le mal doit être dans le jour lui-même, dans les heures, dans la lumière. C'est ainsi que le Christ a dit: " A chaque jour suffit son mal ". (Matth. VI, 34.) Ce texte nous aidera à comprendre l'autre. Qu'est-ce que ces mauvais jours dont Paul nous parle? que ce temps mauvais? Il n'a pas en vue ces oeuvres de Dieu prises dans leur essence, mais les événements qui s'y passent nous disons de même: J'ai passé une pénible, une mauvaise journée: mais comment a-t-elle pu être pénible, sinon par les événements qui l'ont signalée? Ces événements sont en partie heureux, comme venant de Dieu; en partie mauvais, comme venant de la perversité humaine. Les hommes sont donc les auteurs. de ce qui arrive de mauvais dans le temps, et de là certaines époques sont appelées mauvaises expression qui est aussi en usage parmi nous. " Ne soyez donc pas imprudents, mais comprenez quelle est la volonté de Dieu, et ne vous enivrez pas de vin, qui renferme la licence (18) " .
En effet, l'excès de vin nous rend irritables, effrontés, prompts à faillir et à nous emporter. C'est pour la joie que le vin nous a été donné, et non pour l'ivresse : mais aujourd'hui on paraît une femme, on est ridicule, quand on ne s'enivre pas. Quel espoir de salut reste-t-il désormais? C'est un ridicule, dites-moi, de ne pas s'enivrer? mais n'est-ce pas l'ivresse, au contraire, qui devrait être le plus grand des ridicules? Tout le monde, sans doute, doit la fuir : personne autant que le soldat qui vit au milieu des glaives et des massacres; personne autant que le soldat qui est en butte à bien d'autres excitations, celles de la liberté, du pouvoir, des dangers et des combats au milieu desquels sa vie se passe. Voulez-vous apprendre dans quelles circonstances le vin est une bonne chose? Ecoutez ce que dit l'Ecriture : " Donnez le vin à ceux qui sont dans la peine, et l'ivresse à ceux qui sont dans la douleur". (Prov. XXXI, 6.) Rien de mieux: car le vin sait adoucir les afflictions et dissiper les nuages de la tristesse. " Le vin réjouit le coeur de l'homme ". (Psaume, CIII,15.) Comment donc le vin produit-il l'ivresse? car la même cause ne peut produire des effets contraires. La cause de l'ivresse n'est pas le vin, mais l'abus du vin. Le vin ne nous a pas été donné pour une autre fin que la santé du corps: or l'abus y est un obstacle. Ecoutez encore ce que le même saint écrit à Timothée : " Use d'un peu de vin à cause de ton estomac et de tes fréquentes infirmités ". (I Tim. V, 23.)
2. Si Dieu a établi dans nos corps un juste équilibre, et les a mis en état de se contenter de peu, c'est pour nous enseigner dès ce monde qu'il nous a faits aptes à une autre vie. Cette vie, il voulait nous l'octroyer tout d'abord mais, comme nous nous en sommes rendus indignes, il a remis ce présent à une autre époque . d'ici là, il ne nous permet pas l'abus : une mesure de vin et un pain suffisent à l'appétit d'un homme... Il a voulu que le dominateur des animaux eût des besoins, à proportion, moins nombreux, et un corps plus faible, afin de nous faire voir que nous sommes en marche vers une autre vie. " Ne vous enivrez pas de vin, qui renferme la licence ". L'ivresse, loin de conserver, détruit, non-seulement le corps, mais l'âme. " Mais soyez remplis de l'Esprit-Saint; vous entretenant entre vous de psaumes, d'hymnes et de cantiques spirituels, chantant et psalmodiant du fond de vos coeurs à la gloire du Seigneur; rendant grâces toujours et pour toutes choses, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à Dieu et Père; soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ (19-21) ". Voulez-vous vous réjouir, nous dit-il? Voulez-vous passer la journée ? Je vous donne une boisson spirituelle : car l'ivresse nous ôte jusqu'aux inflexions distinctes de la voix, elle nous fait bégayer, elle trouble nos yeux et tout le reste. Apprenez à louer Dieu, et vous verrez combien cette occupation a de charmes ceux qui le louent sont remplis de l'Esprit-Saint, comme sont remplis de l'esprit impur, ceux qui chantent des chansons sataniques. Qu'est-ce à dire : " Du fond de vos coeurs à la " gloire du Seigneur ? " C'est-à-dire, avec attention. Car, si l'attention fait défaut, on (534) chante au hasard, on ne profère que des mots, tandis que le coeur s'égare ailleurs : " Rendant grâces toujours et pour toutes choses, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à Dieu et Père, soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ ". En d'autres termes Faites parvenir à Dieu vos demandes avec des actions de grâces : car rien ne contente Dieu comme la reconnaissance. Or, nous ne pouvons mieux lui témoigner notre reconnaissance, qu'en arrachant notre âme aux vices dont il a été question plus haut, en la purifiant par les moyens indiqués. " Mais soyez remplis de l'Esprit-Saint ". Cela dépend-il de nous? Oui, quand nous avons chassé de notre âme le mensonge, l'amertume, la fornication, l'impureté, l'avarice, quand nous sommes devenus bons, miséricordieux, cléments les uns pour les autres, quand nous évitons les plaisanteries indécentes, quand enfin nous nous sommes rendus dignes de recevoir le Saint-Esprit, qu'est-ce qui l'empêche encore d'accourir, de voler vers nous ? Non-seulement il accourra, mais encore il remplira notre coeur. Or, avec le secours intérieur d'une pareille lumière, la vérité ne nous sera plus pénible, elle nous deviendra aisée et facile.
" Rendant grâces toujours et pour toutes choses ". Quoi donc ! faut-il rendre grâces pour tout ce qui nous arrive? Oui : fût-ce la maladie, fût-ce la misère. En effet, si dans l'Ancien Testament nous trouvons ce conseil d'un sage : " Tout ce qui vous arrivera, recevez-le de bonne grâce, et soyez patients dans les vicissitudes de votre humiliation " (Ecclés. II, 14), à plus forte raison faut-il se conduire ainsi sous le régime de la nouvelle loi. Quand bien même la raison des faits vous échappe, rendez grâces : voilà les vraies actions de grâces. Que vous rendiez grâces après un bienfait, dans la félicité, dans le bonheur, au milieu des prospérités, il n'y a rien là de grand ni de merveilleux : ce qu'on vous demande, c'est de rendre grâces dans les épreuves, dans les tribulations. Votre première parole doit être : Je vous rends grâces, Seigneur. Et pourquoi parler des afflictions d'ici-bas? Il faut remercier Dieu de l'enfer, des supplices, des châtiments de l'autre vie. Car c'est un bien pour nous tous que préoccupe cette pensée : La crainte est comme un frein mis à nos coeurs. Ce n'est donc pas seulement pour les bienfaits évidents, c'est encore pour ceux qui ne sont pas apparents et que nous recevons malgré nous, que nous devons rendre grâces en effet, Dieu nous oblige souvent malgré nous et à notre insu. Si vous en doutez, je vais vous rendre la chose claire. Veuillez réfléchir à ceci : Est-ce que les abominables et incrédules païens n'attribuent pas tout au soleil et à ses idoles? Eh bien ! est-ce que Dieu n'est pas aussi leur bienfaiteur, à eux ? N'est-ce pas à leur providence qu'ils doivent la vie, la santé, leurs enfants, que sais-je encore? Et ceux qu'on appelle Marcionites ? Et les Manichéens? Ne le blasphèment-ils pas également? Et pourtant, Dieu ne les comble-t-il pas de biens chaque jour? Mais s'il fait du bien à ces hommes qui ne le connaissent pas, à plus forte raison nous en fait-il, à nous. Car à quoi s'occupe la divinité, sinon à faire du bien à l'espèce humaine, et par châtiments et par indulgences?
Ce n'est donc pas seulement dans les prospérités que nous devons rendre grâces : le devoir serait trop facile à remplir. Le diable la sait : voilà pourquoi il disait : " Est-ce gratuitement que Job craint Dieu ? n'avez-vous pas abrité d'un rempart ce qui est en lui et ce qui est hors de lui ? Mais enlevez-lui tous ses biens, et vous verrez s'il vous bénira en face ". (Job, I, 9, 10.) Mais le scélérat n'y gagna rien. Dieu soit loué, et puisse-t-il en être de même quand il s'agira de nous ! C'est dans la pauvreté, dans la maladie, dans la persécution, que nos actions de grâces doivent être le plus vives. Je ne parle point d'actions de grâces en paroles, et proférées du bout des lèvres, mais d'actions de grâces réelles, effectives, sorties du fond du coeur. C'est du fond de l'âme que nous devons remercier; car Dieu nous aime d'un amour plus que paternel: et autant il y a de distance entre la méchanceté et la bonté, autant il en existe entre l'amour de Dieu pour nous et celui que nous portent nos parents.
3. Et ce n'est pas moi qui parle ainsi, c'est celui même qui nous aime, le Christ. Ecoutez plutôt : " Quel est d'entre vous l'homme qui, si son fils lui demande du pain, lui présentera une pierre? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui (535) demandent?" (Matth, VII, 9-11.) Ecoutez encore cet autre passage : " Est-ce que la femme a oubliera d'avoir pitié des rejetons de son sein? Mais, quand bien même la femme oublierait ces choses, je ne vous oublierai pas, dit le Seigneur ". (Isaïe, XLIX, 45.) Si Dieu ne vous aimait pas, pourquoi vous aurait-il créé? Est-ce qu'il y était contraint? Est-ce qu'il a besoin de nous, de notre ministère? Est-ce que nous pouvons quelque chose pour lui? Ecoutez le prophète qui vous dit : " J'ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Seigneur, parce que vous n'avez pas besoin de mes biens ". (Psaume, XV, 2.) Mais les ingrats, les insensés, nous disent : La bonté de Dieu n'exigerait-elle pas que tous fussent égaux?
Dis-moi , homme ingrat, qu'est-ce qui te paraît démentir la bonté de Dieu, et de quelle égalité parles-tu ? Un tel, répond-il, est estropié de naissance, un autre est fou et possédé ; un autre, parvenu à l'extrême vieillesse, se trouve avoir passé toute sa vie dans la pauvreté, un autre dans les infirmités les plus cruelles : tout cela est-il l'oeuvre d'une providence? L'un est sourd, l'autre *muet ; un troisième pauvre; un quatrième , qui n'est qu'un scélérat tout chargé de crimes, jouit de l'opulence, entretient des prostituées et des parasites, possède une magnifique demeure, mène une vie que rien ne trouble. On rassemble beaucoup d'autres exemples de ce genre, et l'on en forme un long réquisitoire contre la Providence divine. Quoi donc ? la Providence n'est pour rien là dedans? Que leur répondre? Si nous avions affaire à des païens, convaincus néanmoins que le monde obéit à une direction, nous pourrions rétorquer leur objection, et leur dire : Ah ! la Providence n'y est pour rien : et pourquoi donc adorez-vous des dieux? pourquoi vous prosternez-vous devant des démons et des héros : car s'il y a une providence, il y a quelqu'un qui préside à tout. Mais si nous avons devant nous dés hommes, soit chrétiens, soit païens, dont lés croyances soient ébranlées et chancelantes, que leur dire? Eh quoi ! dirons-nous ; le hasard aurait-il pu enfanter tant de .biens ? cette lumière quotidienne, cet ordre qui règne parmi les êtres, cette marche régulière des astres, ce retour périodique des nuits et des jours , cette harmonie de nature dans les plantes, les animaux, les hommes? Qui donc est-ce, dites-moi, qui régit tout cela? S'il n'y avait pas de chef, si le hasard avait tout formé, qui aurait arrondi par-dessus la terre et les eaux cette belle et grande voûte du ciel ? Qui ferait revenir les saisons propres à la production des fruits? qui aurait mis tant de vigueur dans les graines et dans les plantes? Ce qui vient du hasard a nécessairement les caractères du désordre; ce qui est bien ordonné est l'ouvrage de l'art.
En effet, dites-moi, quel est, sous nos yeux, le produit du hasard où ne dominent pas le désordre et la confusion? Et non-seulement du hasard, mais de toute main malhabile? Par exemple, soient données des poutres, des pierres et de la chaux : que maintenant un homme inexpérimenté dans l'art de bâtir essaie d'en former un édifice : est-ce qu'il ne va pas tout perdre, tout gâter? Ou bien encore, supposez un esquif sans pilote, muni d'ailleurs de tout ce que peut avoir un esquif, sauf un pilote : notez bien qu'il s'agit d'un navire complètement équipé :pourra-t-il naviguer? Et cette immense terre suspendue au-dessus des flots, si une force ne la retenait, pourrait-elle, je vous le demande, tenir bon si longtemps? Est-ce admissible? Y a-t-il assez de moqueries pour une pareille hypothèse? Si maintenant la terre porte en outre le ciel, voilà un nouveau fardeau : si au contraire le ciel est porté par l'eau, une autre question surgit. Mais tout est l'oeuvre de la Providence. En effet, ce qui repose sur l'eau, ne doit pas être convexe, mais concave. Pourquoi? parce que les corps concaves plongent complètement ; par exemple les vaisseaux : au contraire , les corps convexes demeurent tout entiers en l'air , et ne baignent que par leurs extrémités. Il est donc besoin d'un corps solide, dur et résistant , pour supporter le fardeau. Est-ce l'air, maintenant, qui porte le ciel? Mais l'air est un corps encore bien plus mou et moins dense que l'eau, incapable de rien supporter, à plus forte raison une masse aussi énorme. Enfin, si nous voulions épuiser ce sujet de la Providence, l'embrasser dans son ensemble et dans ses détails, l'éternité ne nous suffirait pas. Je vais maintenant demander à celui qui s'occupe de ces recherches : ces choses proviennent-elles, oui ou non, d'une providence ? S'il répond négativement, alors je lui ferai cette autre question : D'où proviennent-elles donc? Il ne saura que répondre. A plus forte raison doit-on (536) s'abstenir de toute vaine curiosité de ce genre au sujet des choses humaines. Pourquoi? Parce que l'homme est supérieur à tout le reste, et que les choses dont j'ai parlé sont faites pour lui, et non pas lui pour elles.
4. Si donc vous ne savez pas comprendre combien est sage et habile la Providence, comment pourrez - vous pénétrer ses desseins ? Dites-moi pourquoi elle a fait l'homme si petit, et l'a placé si bas au-dessous du ciel, au point qu'il peut douter des phénomènes qui s'y passent? Pour quelle raison les régions du Nord et celles du Midi sont-elles inhabitables ? Dites-moi pourquoi les nuits sont plus longues en hiver et plus courtes en été? D'où, viennent les froids rigoureux, les chaleurs excessives, pourquoi nous avons un corps périssable? Je vous ferai mille autres questions pareilles, et, si vous le voulez, je ne cesserai de vous interroger et de vous embarrasser. Ainsi ce qui distingue particulièrement la Providence, c'est ce qu'il y a d'ineffable dans ses desseins. Car sans doute quelqu'un se serait avisé d'attribuer à un homme la création de l'univers, si ces obstacles n'arrêtaient pas notre intelligence. Mais un tel est pauvre, dira-t-on, et la pauvreté est un mal. Et la maladie? et la cécité? Tout cela n'est rien, mon cher auditeur ; il n'y a qu'un mal, le péché : et c'est la seule chose que nous devions examiner. Mais nous omettons de rechercher les principes des maux réels, pour nous jeter dans de vaines spéculations. Pourquoi nul de vous ne se demande-t-il jamais pourquoi il a péché; s'il était en lui de pécher ou de ne pas pécher ? Qu'ai-je besoin de longs discours? Je n'ai qu'à regarder en moi-même : ai-je maîtrisé enfin mon emportement? ai-je dompté ma colère, ou par honte, ou par respect humain? Quand j'aurai trouvé ce que je cherche, alors je saurai que le péché dépend de moi.
De cela nul ne s'inquiète, nul ne s'occupe, et, comme dit le livre de Job : " L'homme au hasard nage dans ses discours ". (Job, XI, 12.) Que vous importe la cécité de l'un, la pauvreté de l'autre? Ce n'est pas cela que Dieu vous a prescrit de considérer, mais bien votre conduite , à vous. Si vous doutez que le monde soit dirigé par une puissance, vous êtes le plus insensé des hommes : si, au contraire, vous êtes convaincu de ce point, pourquoi doutez-vous qu'il faille plaire à Dieu? " Rendant grâces toujours et pour toutes choses à Dieu ". Entrez chez un médecin, et vous le verrez, dès qu'on lui présente un blessé, le traiter par le fer et le feu. Je ne dis pas cela pour vous : mais entrez chez un artisan : vous ne demandez pas compte de ce qui se fait dans son atelier, bien que vous n'y compreniez rien, et que beaucoup de choses vous étonnent ; comme, par exemple, quand vous voyez tourner un morceau de bois et en changer la forme. Mais plutôt je mettrai sous vos yeux un art plus facile, comme celui des peintres : vous ne saurez que penser. Dites-moi, en effet, l'artiste ne paraît-il pas perdre son temps? A quoi bon ces lignes et ces contours? mais attendez qu'il applique les couleurs : alors vous trouverez cet art merveilleux, sans être plus éclairé pour cela.
Mais pourquoi parler des artisans, des peintres, nos compagnons de servitude? Dites-moi comment l'abeille fait ses rayons, et alors vous me parlerez de Dieu. Tâchez de comprendre l'industrie des fourmis, de l'araignée, de l'hirondelle, et vous pourrez alors me parler de Dieu. Si vous êtes savant, instruisez-moi : mais vous ne le pourriez pas. Ne cesseras-tu donc pas, mon cher auditeur, de perdre ton temps à des choses inutiles? Car ce sont là vraiment des inutilités; ne cesseras-tu pas de t'abandonner à une vaine curiosité? Ici, la vraie science, c'est l'ignorance, attendu que les plus habiles sont ceux qui font profession de ne rien savoir, et les plus fous ceux qui s'occupent de pareilles recherches. Ainsi une profession de savoir n'atteste pas toujours la science : quelquefois aussi elle est une marque de déraison. Dites-moi, en effet : si de deux hommes l'un se piquait de mesurer le volume, d'air qui s'étend dé la terre au ciel au moyen de câbles tendus, et que l'autre se moquât d'une telle prétention et confessât sa propre ignorance, de qui ririons-nous, dites-moi? de celui qui prétendrait savoir ou de l'ignorant : du premier assurément. L'ignorant serait donc le plus sage des deux. Et si l'un se vantait de pouvoir dire combien il y a de mesures d'eau dans la mer, que l'antre au contraire, avouât son ignorance, ne serait-ce pas encore la même chose? Assurément. Pour. quoi ? Parce que la prétendue science du premier ne serait qu'une ignorance renforcée. Celui qui avoue ne pas savoir, sait en réalité quelque chose. Quoi donc? Que de tels calculs sont impossibles à l'homme : et ce n'est pas (537) peu de chose. Au contraire, celui qui prétend savoir est ignorant, entre tous, de ce qu'il croit savoir, et c'est cela même qui le rend ridicule.
Hélas ! combien nous recevons de leçons propres à brider cette curiosité intempestive et immodérée! et pourtant nous ne les écoutons pas; nous nous enquérons de la vie les uns des autres, de la raison pour laquelle un tel est aveugle, tel autre pauvre. Voilà des propos qui nous mènent tout droit à d'autres questions aussi absurdes, par exemple, pourquoi une telle est femme : pourquoi nous ne sommes pas tous du sexe masculin, pourquoi il y a des ânes, des boeufs, des chiens, des loups ; pourquoi des pierres, pourquoi du bois : on n'en finirait pas. C'est pour cela que Dieu a prescrit à notre savoir des bornes qu'il a mises dans la nature même. Et considérez quel excès de curiosité : nous pouvons contempler sans péril l'immense intervalle qui sépare le ciel de la terre ; mais si nous montons au sommet d'une tour et que nous nous penchions un peu pour regarder à nos pieds, un vertige s'empare de nous aussitôt. Dites-moi la raison de ceci : mais vous ne sauriez la trouver Pourquoi l'œil porte-t-il plus loin que nos autres organes et embrasse-t-il un plus vaste horizon?
5. Et l'on peut dire la même chose de l'ouïe. La voix d'un homme ne saurait remplir l'espace que son oeil mesure, qui transmet le bruit à son oreille. Pourquoi nos membres ne jouissent-ils pas d'égales prérogatives? Pourquoi n'ont-ils pas un seul usage, une seule place : Paul aussi a scruté ce mystère, ou plutôt il ne l'a pas scruté, il était trop sage pour cela ; mais arrivé à ce point, il se borne à dire " Il a placé chaque chose selon qu'il a voulu " : la volonté de Dieu, voilà pour lui la clé de l'énigme. Renonçons donc, nous aussi, à ce genre de recherches, et bornons-nous à rendre grâces à Dieu en toute occurrence, selon l'avis qu'il nous donne. Telle est la conduite d'un bon serviteur, d'un homme sage et intelligent : l'autre conduite est celle d'un bavard, d'un oisif, d'un curieux. Considérez comme, parmi les serviteurs, les plus mauvais, ceux qui ne sont bons à rien, sont bavards, badauds, occupés des affaires, des secrets de leurs maîtres : tandis que ceux qui sont intelligents et honnêtes ne songent qu'à une chose, à faire leur service. Qui parle tant ne fait rien ; qui fait beaucoup ne parle pas hors de propos. Voilà pourquoi Paul écrivait au sujet des veuves : " Non-seulement oisives, mais encore causeuses et curieuses ". (I Timoth. V, 13.)
Dites-moi, quelle est la distance la plus grande, celle qui sépare des enfants les hommes de notre âge, ou celle qui sépare Dieu des hommes? Des moucherons à nous, et de nous à Dieu, quel est le plus grand intervalle? Il est clair que c'est le dernier. Pourquoi donc vous creuser ainsi l'esprit? " Rendez grâces pour toutes choses ". Mais, dira-t-on, si un païen m'interroge, que lui répondrai-je? Il voudra savoir de moi s'il y a une Providence; car, pour son compte , il le nie. Intervertis donc les rôles, interroge-le à ton tour. Eh bien ! il n'admet pas qu'il y ait une Providence. Qu'il y en a une, c'est ce qui résulte évidemment de ce qui a été dit : mais il résulte en même temps de notre impuissance à nous en rendre compte, qu'elle est incompréhensible. Si,, dans la conduite même des hommes, beaucoup de procédés demeurent obscurs pour nous, et que nous nous rendions néanmoins, quelque étranges qu'ils nous paraissent, à combien plus forte raison la même chose doit-elle être vraie de Dieu ! Mais en Dieu il n'y arien de déraisonnable, rien qui paraisse tel aux fidèles. Remercions-le donc de toutes choses, glorifions-le en toute occurrence. " Soumis les uns aux autres dans la crainte de Dieu "... Si vous vous soumettez à cause d'un magistrat, ou pour de l'argent, ou par respect, à plus forte raison devez-vous le faire par crainte de Dieu. Qu'il y ait échange de servitude, de soumission; de la sorte, il n'y aura plus de servitude... Que personne n'ait rang d'esclave; personne, rang d'homme libre; il vaut mieux être à la fois maîtres et esclaves, et se servir mutuellement; et un pareil esclavage est préférable à la liberté dans d'autres conditions. En voici la preuve :
Supposez qu'une personne ait cent serviteurs dont aucun ne fasse son
office; mettez d'un autre côté cent amis qui se servent mutuellement.
Quels seront les plus heureux, les plus joyeux, les plus contents? Ici
point de colère, point de querelles, point de courroux, rien de
pareil : là, crainte et abjection; contrainte d'une part, liberté
de l'autre. Les uns servent parce qu'on les y force, les autres pour se
rendre mutuellement la pareille. Telle est (538) la volonté de Dieu:
voilà pourquoi il a lavé les pieds des disciples. Que dis-je?
si vous voulez y bien regarder, entre les maîtres mêmes il
y a échange de servitude. Qu'importe que l'orgueil masque cet échange?
Quand cet homme vous prête le ministère de ses bras, et que
vous, vous le nourrissez, le chaussez, l'habillez, c'est encore une espèce
de servitude; car, à supposer que vous vous refusiez mutuellement
votre ministère, cette personne est libre, et aucune loi ne le contraindra
de vous rendre service, si vous ne le nourrissez pas. Faut-il donc s'étonner
qu'il en soit ainsi pour les esclaves, quand il en est de même pour
les hommes libres? " Soumis " dans la crainte du Christ ". Où est
le mérite, puisque nous sommes rémunérés? Mais
un tel ne veut pas se soumettre. Vous, du moins, soumettez-vous: il ne
suffit pas d'obéir, il faut vous soumettre; il faut regarder chacun
comme votre maître : c'est le moyen de vous assujettir promptement
tout le monde par le plus fort, des esclavages. Car vous les conquerrez
bien plus sûrement, si vous payez fidèlement votre dette,
sans qu'ils s'acquittent de leur côté. Voilà ce que
veut dire: " Soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ". Ainsi
nous triompherons de toutes les passions, nous servirons Dieu, nous ferons
régner parmi nous une constante charité; et ensuite nous
pourrons être jugés dignes des bontés divines, par
la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit,
maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XX. FEMMES, SOYEZ SOUMISES A VOS MARIS COMME AU SEIGNEUR;
PARCE QUE L'HOMME EST LE CHEF DE LA FEMME, COMME LE CHRIST EST LE CHEF
DE L'ÉGLISE, ET IL EST AUSSI LE SAUVEUR DE SON CORPS. COMME DONC
L'ÉGLISE EST SOUMISE AU CHRIST, AINSI LE SOIENT EN TOUTES CHOSES
LES FEMMES A LEURS MARIS. (V, 22-24, JUSQU'À LA FIN DU CHAP.)
Analyse.
1. Institution du mariage : son but.
2. Le Christ, modèle des époux.
3 et 4. L'amour, devoir du mari : la crainte, devoir de la femme.
5-9. Moyens d'entretenir la concorde entre époux. — Du désintéressement. — De l'éducation de la femme par le mari. — Que le mari assure son empire en témoignant de la tendresse à sa femme.
1. Un sage, en énumérant diverses béatitudes, comprend dans le nombre le sort de " La femme qui s'accorde avec son mari ". (Ecclés. XXV, 2.) Ailleurs encore il met au rang des félicités la concorde parfaite de la femme et du mari. Dès l'origine, Dieu a montré pour l'union conjugale une sollicitude particulière : il désigne l'homme et la femme comme ne faisant qu'un, par ces mots : " Il les fit mâle et femelle "; de même ailleurs " Il n'y a ni homme ni femme ". (Galat. III, 28.) En effet, il y a moins de rapport d'homme à homme qu'il n'y en a entre un homme et une femme associés par une union légitime. Voilà pourquoi, encore, un bienheureux voulant exprimer une extrême affection, et le chagrin que lui causait la mort d'un de ses amis les plus intimes, au lieu d'employer les (539) mots de père, de mère, d'enfant, de frère, d'ami, dit: " Ton affection est tombée sur moi comme l'amour des femmes ". (I Rois, I, 26.) C'est qu'il n'est pas, non, il n'est pas de sentiment plus impérieux que celui-là. Il y a d'autres affections vives : mais cette passion réunit la durée à la vivacité. Au fond de notre nature est un amour caché qui, par un secret instinct, opère cette union des sexes. C'est pour cela que, à l'origine, de l'homme est sortie la femme, et que, depuis, homme et femme procèdent de l'homme et de la femme. Voyez-vous cette association parfaite , cet entrelacement, par où Dieu a pourvu à ce qu'aucune essence étrangère ne pénétrât dans la nôtre ? Et voyez combien de soins il a pris. Il a permis que l'homme épousât sa propre soeur, ou plutôt sa fille, ou plutôt encore sa propre chair. Pour consommer entre eux une union parfaite, il a pris les choses à l'origine, comme lorsqu'il s'agit de bâtir. Il n'a pas fait la femme d'une autre substance, afin que l'homme ne vît pas en elle une étrangère; et il n'a pas borné l'institution du mariage à ce premier couple, de peur que l'homme ne s'enfermât dans la solitude et ne vécût séparé de ses semblables. Et de même que les plantes les plus belles sont celles qui, s'élevant d'une souche unique, se développent en une quantité de rameaux, et s'il y avait beaucoup de racines, l'arbre n'aurait plus rien de remarquable; de même, Dieu voulut que du seul Adam sortît toute notre espèce, nous contraignant par là de rester unis et associés. Et afin de resserrer davantage nos liens, il n'a plus voulu que l'on épousât sa soeur ni sa fille : car alors notre affection aurait été concentrée sur un objet unique, et ç'eût été parmi nous une autre cause de désunion. De là ces paroles : " Celui qui les a faits au commencement, les a faits mâle et femelle ".
C'est l'origine de grands maux, de grands biens aussi, pour les familles, pour les cités. En effet, la société humaine n'a pas de lien aussi fort que l'amour entre l'homme et la femme : c'est aussi la cause de bien des batailles et de bien des damnations. Ce n'est pas sans raison ni sans motif que Paul attache à cette union une si grande importance, et dit: " Femmes, soyez soumises à vos maris comme au Seigneur ". Pourquoi ? Parce que si les époux sont unis, les enfants sont bien élevés; les serviteurs, obéissants : voisins, amis, parents, profitent de la bonne odeur que répand ce ménage. S'ils sont désunis, tout est dans le désordre et la confusion : ainsi que tout est dans l'ordre quand les chefs vivent en paix, et que leurs dissensions provoquent une perturbation générale. D'où ces paroles : " Femmes, soyez soumises à vos maris comme au Seigneur ". Mais quoi ! d'où vient donc qu'il est écrit ailleurs : Si quelqu'un ne renonce pas à sa femme, à son mari, il ne peut me suivre? S'il faut être soumis comme au Seigneur, comment peut-il être dit qu'il faut renoncer pour le Seigneur? Oui, il faut être soumis : mais le mot " Comme " n'indique point nécessairement parité. Ou Paul veut dire : Comme sachant que vous servez le Seigneur; c'est ce qu'il indique ailleurs en disant que si l'on ne fait pas une chose pour son mari, il faut la faire pour le Seigneur; ou bien encore : Quand vous cédez à votre mari, croyez que vous lui obéissez comme servante du Seigneur. En effet, si " Celui qui résiste à la puissance extérieure et civile, résiste à l'ordre de Dieu " (Rom. XIII, 2), à plus forte raison est-ce vrai de l'épouse insoumise. C'est ainsi que Dieu a statué dès l'origine. Représentons-nous donc le mari comme tenant le rang de chef; la femme, comme occupant la place du corps. Ensuite il a recours au raisonnement : " Parce que l'homme est le chef de la femme, comme le Christ est le chef de l'Eglise, et il est aussi le sauveur de son corps. Comme donc l'Eglise est soumise au Christ, ainsi le soient en toutes choses les femmes à leurs maris ". Après avoir dit : " L'homme est le chef de la femme, comme le Christ est le chef de l'Eglise, et il est aussi le sauveur ", il ajoute : " De son corps ". Car la tête est le salut du corps. Voilà le précepte de l'amour et celui de la protection établis pour l'homme et pour la femme : Paul assigne à chacun sa place, à l'un l'autorité et la protection; à l'autre, la soumission.
2. " Comme donc l'Eglise est soumise au Christ " : l'Eglise , hommes et femmes ; " Ainsi le soient les femmes à leurs maris ", comme à Dieu. " Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Eglise (25) ". Vous avez entendu quelle complète soumission il prescrit : vous avez approuvé et admiré Paul comme un homme supérieur et spirituel, pour avoir resserré ainsi notre société. (540) Ecoutez maintenant, hommes, ce qu'il exige de vous; il recourt encore au même exemple " Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l'Eglise ". Vous avez vu jusqu'où doit aller l'obéissance : écoutez maintenant jusqu'où doit aller la tendresse. Tu veux que ta femme t'obéisse, comme l'Eglise au Christ? Veille donc sur elle comme le Christ sur l'Eglise : Fallût-il donner ta vie pour elle, être déchiré mille fois, tout souffrir, tout endurer, ne recule devant rien : quand tu aurais fait tout cela, tu n'aurais encore rien fait de comparable à ce qu'a fait le Christ... Car avant de te dévouer pour ta femme, tu es uni à elle : tandis que le Christ s'est immolé pour ceux qui le haïssaient et l'avaient en aversion. Fais donc pour ta femme ce qu'il a fait pour ce peuple qui le haïssait, l'abhorrait, le méprisait, l'insultait ; sans menaces, sans injures, sans terreur , par l'unique instrument de son infinie sollicitude, il a amené son Eglise à ses pieds. De même, quand bien même ta femme ne te témoignerait que dédain, mépris, insolence, il ne tient qu'à toi de la ramener à tes pieds à force de bonté, d'amour, de tendresse. Car il n'y a pas d'attache plus forte, principalement entre homme et femme. Par la crainte on peut lier les mains à un serviteur, et encore ne tardera-t-il pas à s'échapper : mais la compagne de ta vie, la mère de tes enfants, la source de tout ton bonheur, ce n'est point par la crainte , par les menaces qu'il faut l'enchaîner , mais par l'amour et l'affection. Qu'est-ce qu'un ménage où la femme tremble devant le mari? Quelle joie y a-t-il pour l'époux, quand il vit avec son épouse comme avec une esclave, et non comme avec une femme libre? Quand bien même vous auriez souffert quelque chose pour elle, ne le lui reprochez pas : suivez en cela même l'exemple du Christ...
" Il s'est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant (26) ". Elle était donc impure, laide, vile, repoussante. Quelque femme que vous épousiez, elle ne ressemblera jamais à ce qu'était l'Eglise quand le Christ l'épousa ; il n'y aura. jamais entre vous la distance qui séparait le Christ de l'Eglise : néanmoins le Christ ne prit point en horreur, en aversion cette effrayante laideur. Voulez-vous savoir jusqu'où allait cette difformité? Ecoutez Paul qui vous dit : " Vous étiez autrefois ténèbres ". (Ephés. V, 8.) Vous voyez si elle était noire: quoi de plus noir que les ténèbres? Voyez maintenant son impudence : " Vivant dans la méchanceté et l'envie ". (Tit. III, 3.) Et encore son impureté : " Indociles, insensés ". Que dis-je? Elle était folle, elle blasphémait : néanmoins le Christ s'est livré pour cette épouse difforme comme si elle avait été la plus belle, la plus chérie, la plus admirable des femmes. C'est ce qui faisait dire à Paul étonné: " Certes, à peine quelqu'un mourrait-il pour un juste ". (Rom. V, 7.) Et encore : " Si, lorsque nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous ". (Ibid. 8, 9.) Le mariage accompli, il la pare, il la lave, il ne répugne pas à de pareils soins. " Afin de la sanctifier, en la purifiant parle baptême d'eau, par la parole ; pour la faire paraître devant lui une église glorieuse, n'ayant ni tache, ni ride , ni rien de semblable, mais pour qu'elle soit sainte et immaculée (27) ". Par le baptême, il lave son, impureté. " Par la parole ", ajoute-t-il : quelle parole? Au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit. Et il ne se borne pas à la parer, il la rend glorieuse : " N'ayant ni tache, ni ride, ni rien de semblable". Recherchons donc, nous aussi, cette beauté, et nous pourrons en devenir les créateurs. Ne demandez pas à votre femme ce qui n'est point son fait. Ne voyez-vous pas que l'Eglise doit tout au Seigneur : c'est par lui qu'elle est devenue glorieuse, par lui qu'elle a été faite immaculée. Que la laideur de votre femme ne soit pas pour vous un motif d'aversion. Ecoutez plutôt l'Ecriture : " Petite est l'abeille parmi les êtres ailés, et son miel surpasse toutes les douceurs ". (Eccl. XI, 3.) Votre femme est un ouvrage de Dieu ; lui manquer, c'est manquer à son auteur : l'injure n'est pas pour elle.
Ne la louez pas de sa beauté : louer, haïr, aimer pour ce motif, tout cela part d'une âme déréglée. Recherchez la beauté de l'âme imitez l'époux de l'Eglise. La beauté physique est une source intarissable d'orgueil et de vanité : elle provoque la jalousie, les soupçons outrageants. Mais elle a des attraits ? Oui, pour un mois ou deux, pour un an tout au plus: après quoi c'est fini, et l'admiration s'émousse par l'habitude, tandis que les maux engendrés par la beauté subsistent, je veux dire, l'orgueil, la vanité, la hauteur. Mais il n'en est pas de même pour les attraits d'un autre genre : l'amour légitime qu'ils inspirent (541) subsiste dans sa vivacité, comme attaché à la beauté de l'âme, et non à celle du corps.
3. Qu'y a-t-il de comparable au ciel, dites-moi, de comparable aux astres ? Quelque corps que vous me citiez, il a moins de blancheur : vous ne me montrerez pas d'yeux qui aient un pareil éclat. Quand ces objets parurent, les anges furent saisis d'admiration; cette admiration, nous l'éprouvons aussi maintenant, mais non pas comme à l'origine. Tel est l'effet de l'habitude : elle émousse l'admiration : à plus forte raison, quand il s'agit d'une femme. De plus., survient-il une maladie, voilà tout le charme envolé. Cherchons dans une femme la bonté, la modération, la douceur : tels sont les signes de la vraie beauté; quant aux attraits du corps, ne nous en inquiétons pas, et ne cherchons pas querelle à notre femme à propos de choses qui ne dépendent point d'elle: lui chercher querelle, ce, serait de l'impudence; mais de plus n'éprouvons ni peine ni chagrin à ce propos. Combien d'hommes unis à de belles femmes ont péri misérablement ! Combien, dans d'autres conditions , ont poussé jusqu'à l'extrême vieillesse une vie constamment heureuse ! Nettoyons les taches de l'âme, effaçons les rides intérieures, guérissons les imperfections morales. C'est ce genre de beauté que Dieu recherche : rendons notre femme belle au gré de Dieu, et non pas au nôtre... Soyons indifférents à la fortune, à la noblesse mondaine, ne nous soucions que de la noblesse de l'âme: Que nul ne compte sur sa femme pour l'enrichir : ce sont là des richesses honteuses et mal acquises; ne songez point à la fortune en vous mariant. Il est écrit : " Ceux qui veulent s'enrichir tombent dans la tentation, dans les convoitises insensées et funestes, dans les piéges, la perte et la ruine". ( I Tim. VI, 9.) Ne demandez donc point une grande fortune, et vous trouverez tout le reste facilement. Qui est-ce, dites-moi, qui laissera l'essentiel pour s'occuper de choses d'un moindre intérêt? Hélas ! combien de fois cela nous arrive ! Avons-nous un fils ? nous ne nous occupons pas d'en faire un honnête homme; mais de lui procurer un riche mariage: nous ne tenons pas à le bien élever, mais à le bien pourvoir; si nous faisons un métier, nous ne songeons point à le faire honnêtement , mais à le rendre lucratif; l'argent est tout : et si la corruption est partout, la faute en est à cette passion qui nous possède. " Les maris doivent aimer leurs femmes comme leur propre corps (28) ". Qu'est-ce à dire? Paul recourt ici à une image plus forte, à un exemple plus frappant : et non-seulement plus frappant, mais encore plus rapproché de nous, plus sensible, et équivalent à une nouvelle preuve. Le premier argument était moins pressant, on pouvait y répondre : c'est le Christ, c'est un Dieu qui s'est livré lui-même. Paul recourt alors à une autre méthode, en disant : " Ils doivent ainsi ", Ce n'est plus une grâce, c'est une dette. Après avoir dit : " Leurs corps ", il ajoute : " Car personne n'a jamais haï sa chair; mais il la nourrit et la soigne (29) " : en d'autres termes, s'en occupe avec une grande sollicitude. Et comment est-ce sa chair? Ecoutez plutôt " C'est maintenant l'os de mes os, et la chair a de ma chair ". (Gen. 11, 23.) Et bien plus " Ils seront dans une seule chair ". (Eph. v, 31.) " Comme le Christ a aimé l'Eglise ". Il revient à son premier exemple. " Parce que nous sommes les membres de son corps, formés de sa chair et de. ses os (30) ". Comment cela? C'est qu'il participé de la même matière que nous, comme la chair d'Eve, de la chair :d'Adam. C'est à bon droit qu'il nomme les os et là chair : car c'est ce qu'il y a d'essentiel en nous : les os sont comme le fondement, et la chair comme le reste de l'édifice.
Pour Adam et Eve la chose est claire, mais elle ne l'est pas autant pour le Christ et l'Eglise. — Paul veut dire que l'union doit être la même ici. Qu'est-ce à dire : " De sa chair? " C'est-à-dire, légitimement issus de lui : Et comment sommes-nous ainsi membres du Christ? Parce que nous avons été faits selon lui. Et pourquoi " De sa chair? " Vous le savez, vous qui participez à nos mystères : car voilà ce qui nous régénère. Et comment? Ecoutez encore notre saint : " Parce que les enfants ont part à la chair et au sang, semblablement il a participé, lui aussi, des mêmes choses ". Mais ici c'est lui qui s'est associé à nous, ce n'est pas nous qui nous associons à lui : comment donc pouvons-nous être de sa chair et de son sang? Quelques-uns parlent du sang et de l'eau : tuais non : ce qu'il veut montrer, c'est que, comme le Christ a été engendré saris commerce par l'opération du Saint-Esprit, ainsi nous sommes, nous, engendrés dans le baptême. Voyez que d'exemples, (542) pour nous convaincre de cette génération. O démence des hérétiques ! Ils tombent d'accord de la véritable génération, par l'eau, d'une chose déjà engendrée : et ils n'admettent pas que nous soyons le corps du Christ. Mais, si nous ne le sommes pas, comment accorder avec le reste ces paroles : " De sa chair et de ses os? " Réfléchissez : Adam a été formé, le Christ a été enfanté : du flanc d'Adam est sorti le trépas; du flanc du Christ est issue la. vie dans le paradis a germé la mort; sur la croix a été consommée la destruction de la mort.
4. Ainsi, de même que le Fils de Dieu participe de notre nature, nous participons, nous, de sa substance : et de même qu'il nous a en lui, nous l'avons en nous. " A cause de cela, l'homme laissera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme ; et ils seront deux dans une seule chair (31) ". Troisième argument : il montre que l'on quitte ses parents, les auteurs de ses jours, pour s'attacher à sa femme : et dès lors le père, la mère et l'enfant forment une chair unique résultant de l'union conjugale : car c'est la combinaison des semences qui produit l'enfant : de sorte que tous trois ne forment qu'une chair. De même, nous devenons une seule chair avec le Christ par la participation : et cela, encore bien plus effectivement que l'enfant. Pourquoi? Parce qu'il en a été ainsi dès l'origine. Ne venez pas me dire que votre femme est comme ceci ou comme cela. Ne voyons-nous pas que dans la chair aussi nous sommes sujets à beaucoup d'imperfections? L'un est boiteux, l'autre pied bot, un autre perclu des mains, un autre faible dans quelque autre membre : néanmoins, il ne se plaint pas de ce membre imparfait, il ne. le retranche pas : souvent même il le préfère à tout autre : rien de plus naturel, il est le sien. — Paul veut donc que nous ayons pour notre femme autant d'affection que chacun en a pour soi-même : non comme participant de la même nature; notre rapport légitime avec notre femme est plus étroit : il consiste en ce que nous ne formons plus deux corps, mais un seul, dont l'un forme la tête, l'autre le corps. — Et comment dit-il ailleurs que " Dieu est la tête du Christ? " —Oui, de même que nous formons un seul corps, de même le Christ et le Père ne font qu'un. Il en résulte que le Père aussi est notre tête. Paul allègue deux exemples, celui du corps et celui du Christ : de là ce qu'il ajoute : " Ce mystère est grand : je le dis dans le Christ et dans l'Eglise (32) ". Qu'entend-il par là? Il appelle ce mystère grand parce que le bienheureux Moïse, ou plutôt Dieu avait fait allusion à quelque chose de grand et de merveilleux. Il ajoute : " Je le dis dans le Christ ", parce que le Christ aussi a quitté son Père pour descendre, pour venir vers l'épouse, et former un seul esprit : " Car celui qui s'unit au Seigneur est un seul esprit avec lui ". (I Cor. VI, 17.) C'est fort à propos qu'il dit : " Ce mystère est grand " ; cela revient à dire : D'ailleurs l'allégorie ne détruit pas le précepte d'amour.
" Que chacun de vous donc aime sa femme comme lui-même; mais que la femme craigne son mari (33) ". Oui, c'est un mystère, un grand mystère, qu'on oublie son père, l'auteur de ses jours, celui par qui on a été élevé, celle par qui on a été enfanté dans la souffrance, ceux a qui l'on doit tant, et à qui l'on est attaché par un commerce journalier, pour s'unir à une femme que l'on n'a jamais vue, avec laquelle on n'a rien de commun, et de la préférer à tout. Oui, c'est bien un mystère. Et cela ne cause aucune peine aux parents c'est le contraire qui leur en cause : il faut qu'ils se mettent en frais, en dépense, et néanmoins ils se réjouissent. Oui, c'est un grand mystère, qui enveloppe une sagesse ineffable. Dès longtemps Moïse l'avait prophétisé : et voici que Paul, à son tour, s'écrie : " Dans le Christ et dans l'Eglise ". D'ailleurs, cela n'est pas dit seulement en vue du Christ, mais encore en vue de la femme, afin que le mari en ait soin comme de sa propre chair, comme le Christ a soin de l'Eglise. " Mais que la femme craigne son mari ". Ce n'est pas seulement la tendresse qu'il recommande: il veut encore " Que la femme craigne son mari ". La femme est une puissance subordonnée. Qu'elle ne réclame donc point l'égalité : elle est au-dessous du chef. Et que d'autre part le mari ne méprise point en elle sa sujette : elle est le corps ; et si le chef vient à mépriser le corps, il se perd lui-même. Qu'il fasse donc de la tendresse un contre-poids à l'obéissance. Que tous deux soient, en effet, comme le chef et le corps; celui-ci prêtant à l'autre, pour son service, les mains, les pieds, tous les autres membres : celui-là veillant sur le précédent, et concentrant en soi tout le sentiment. Rien de supérieur à une pareille union. Mais comment, dira-t-on, y aurait-il affection, s'il y a (543) crainte? Rien, au contraire, n'est plus propre à l'entretenir. La femme craint, mais elle aime; elle craint son mari, en l'aimant, comme son chef; elle l'aime comme un membre de son corps, attendu que la tête fait partie du corps entier. Si Dieu a donné l'autorité à l'un, prescrit à l'autre la soumission, c'est afin_ de faire régner la paix. C'est en vain qu'on chercherait la paix, là où règne l'égalité, soit que la famille reste sans maître, ou que tous y soient maîtres ; il y faut un pouvoir unique. Du moins cela est vrai des hommes charnels : car entre hommes spirituels, la paix régnera toujours. On a vu cinq mille âmes réunies, sans que personne réclamât aucun bien comme sa propriété, ni sortît de la dépendance commune : grande preuve de sagesse et de crainte de Dieu. Ainsi Paul a dit en quoi, consiste la tendresse, mais non en quoi consiste la crainte.
5. Et voyez comme il s'étend sur l'amour, et en rappelant l'exemple du Christ, et en insistant sur l'identité de chair, en disant : " A cause de cela, l'homme laissera son père et sa mère"; sur la crainte, plus de détails. Pourquoi? Parce que, ce qu'il veut voir régner surtout, c'est la tendresse. Qu'elle existe, tout le reste s'ensuit : en son absence, tout fait défaut. Celui qui aime sa femme, la trouvât-il médiocrement docile, saura tout supporter : pareillement, la concorde sera la chose du monde la plus difficile, si la liaison n'est pas resserrée par l'instinct impérieux de l'amour: quant à la crainte, elle ne saurait jamais produire un tel effet. Voilà pourquoi il insiste davantage sur ce point, qui est capital. Et en réalité l'avantage est pour la femme, à qui pourtant la crainte est ordonnée : l'obligation la plus essentielle est celle de l'homme qui doit aimer. Et si ma femme ne me craint pas? dira-t-on. Aimez-la, payez votre contingent... Peu importe que les autres ne nous secondent pas : il faut obéir de nôtre côté. Par exemple, il est écrit : " Soumis les uns aux autres dans la crainte du Christ ". Mais si les autres ne pratiquent pas cette soumission? Eh bien ! obéissez, vous, à la loi de Dieu. Il en est de même ici : La femme doit craindre, ne fût-elle pas aimée , afin qu'aucun obstacle ne vienne d'elle : et l'homme doit aimer sa femme, n'en fût-il pas craint, afin de ne pas se mettre lui-même en -faute : car chacun a son devoir particulier. Voilà le mariage selon le Christ, le mariage spirituel, la génération spirituelle, qui ne procède pas du sang, que n'accompagne point la douleur. De ce genre fut la génération d'Isaac : écoutez plutôt ce que dit l'Ecriture : " Et les pertes de Sara avaient cessé ". (Gen. XVIII, 11.) Voilà le mariage qui ne procède ni de la. passion ni du corps, le mariage tout spirituel que contracte une âme jointe à Dieu par des liens ineffables que lui seul connaît. De là ces paroles : " Celui qui est uni au Seigneur est un seul esprit avec lui ". (I Cor. VI, 17.)
Voyez-vous comme Paul s'applique à unir chair à chair, esprit à esprit? Où sont les hérétiques ? Si le mariage était blâmé, l'Ecriture n'emploierait point ces noms d'épouse et d'époux: elle ne dirait point en forme d'exhortation : " L'homme laissera son père et sa mère"; elle n'ajouterait point : " Je le dis dans le Christ et dans l'Eglise ". En effet, c'est de l'Eglise que parle le psalmiste, en disant : " Ecoute, ma fille, vois, penche ton oreille oublie ton peuple et la maison de ton père et le roi désirera ta beauté ". De là ces paroles du Christ : " J'ai quitté mon père, et je suis venu ". Mais ces mots par lesquels il annonce qu'il a quitté son Père, ne doivent pas vous représenter un déplacement pareil à ceux des hommes. On lit ailleurs qu'il est sorti, pour indiquer, non une véritable sortie, mais l'incarnation : c'est ainsi que doit être ici entendue cette expression , qu'il a quitté son Père. Pourquoi maintenant Paul n'a-t-il pas dit également de la femme . Elle s'attachera à son mari? Pourquoi? Parce qu'il parle de l'amour, et qu'il s'adresse à l'homme. Quant à elle, il lui parle de la crainte, et lui dit " L'homme est le chef de la femme ", et de plus: " Comme le Christ est le chef de l'Eglise " ; à l'homme, il parle de l'amour, il remet le sort de sa femme entre ses mains, il l'entretient du devoir d'aimer, afin de resserrer les liens de son attachement. Comment serait-il excusable, celui qui, après avoir quitté son père pour sa femme, délaisserait ensuite sa femme elle-même? Ne voyez-vous pas de quel honneur Dieu a voulu faire jouir votre épouse, puisqu'il vous détache de votre père, pour vous enchaîner à elle? Mais, dira-t-on , si je remplis mes devoirs, et que de son côté elle n'en fasse pas autant? " Si l'infidèle se sépare, qu'il se sépare , car notre frère ou notre soeur n'est plus asservie en ce cas ".
Mais quand vous entendez dire . La crainte, c'est la crainte qui convient à une femme libre : n'exigez pas une crainte servile. Votre femme est votre corps : lui manquer, c'est vous insulter vous-même, c'est profaner votre corps: De quelle crainte s'agit-il? De la crainte qui prévient les contradictions, les révoltes, l'ambition du premier rang : c'est entre ces limites que la crainte doit se tenir. Si vous aimez comme il vous est prescrit, vous la renforcerez : ou plutôt, ce n'est plus par la crainte que vous agirez : car la tendresse elle-même a son efficacité. Ce sexe est un peu faible ; il a besoin de beaucoup d'aide, de beaucoup de condescendance. Mais que vont dire ceux qui convolent en secondes noces? Je ne dis pas cela pour les condamner : A Dieu ne plaise ! puisque l'apôtre les absout: je condescends au contraire à leur faiblesse. Pourvoyez à tous les besoins de votre femme, ne négligez rien pour ses intérêts, n'épargnez pas votre peine : c'est un devoir impérieux. Paul, ici, ne juge pas à propos d'invoquer des exemples mondains, comme il fait souvent. Celui du Christ est assez grand, assez frappant pour lui suffire surtout en ce qui concerne la soumission. " Il laissera son père et sa mère ". Voilà qui est emprunté au monde. Mais il ne dit pas Et habitera avec elle, il dit : " S'attachera à elle", marquant par là une complète union, une vive tendresse. Et il ne s'en tient pas là par ce qu'il ajoute, il représente la soumission sous de telles couleurs, que les deux ne paraissent plus qu'un. Il ne dit pas: En esprit; il ne dit pas : En âme. C'est chose évidente, et possible à chacun; il dit : De telle façon qu'ils ne forment qu'une chair.
6. La femme est elle-même une puissance investie d'autorité et d'égalité en beaucoup de choses; néanmoins, l'homme a toujours une supériorité. Voilà la principale sauvegarde du ménage. Car si l'homme a reçu le rôle du Christ, ce n'est pas seulement pour aimer, mais encore pour instruire : " Afin qu'elle soit sainte et immaculée " ; tandis que ces mots : " Chair ", " Il s'attachera ", regardent l'obligation d'aimer. En effet, si vous savez rendre votre femme sainte et immaculée, tout le reste s'ensuit. Cherchez les choses de Dieu, et les choses humaines vous viendront d'elles-mêmes. Faites l'éducation de votre femme; c'est par là que l'union s'établit dans le ménage. Ecoutez plutôt ce que dit Paul : " Si elles veulent savoir quelque chose, qu'elles interrogent à la maison leurs propres maris ". (I Cor. XIV, 35.) Si nous administrons ainsi nos maisons, nous nous rendrons aptes à diriger aussi l'Eglise : car le ménage est une petite Eglise. C'est par là que maris et femmes peuvent surpasser tout le monde en vertu. Songez à Abraham, à Sara, à Isaac, à leurs trois cent dix-huit serviteurs; rappelez-vous quelle union' quelle piété régnaient dans toute leur maison. Sara sut remplir le précepte de l'apôtre, et craindre son mari; c'est elle-même qui dit: " Il ne m'est pas arrivé jusqu'ici, et monseigneur est vieux". (Gen. XVIII, 12.) Quant à Abraham, il l'aimait au point de céder à toutes ses prières. Leur fils était vertueux, leurs serviteurs eux-mêmes, dignes d'admiration; eux, qui ne craignirent point de partager les périls de leur maître, qui s'y associèrent sans hésitation, sans vaine excuse : que dis-je, l'un d'eux, le principal, était si accompli, qu'Abraham lui confia le soin de marier son fils unique, et le fit voyager à l'étranger. Quand un général a fortement organisé son armée, aucun ennemi n'ose l'attaquer : il en est de même ici; lorsque femme, enfants, serviteurs, concourent au même but, une parfaite concorde règne dans le ménage ; au contraire, s'il n'en est pas ainsi, un mauvais serviteur suffit souvent pour tout ruiner, tout perdre ; et ce désastre général est l'oeuvre d'un seul homme. Veillons donc avec grand soin sur nos femmes, nos enfants, nos serviteurs, bien convaincus que nous faciliterons par là l'exercice de notre autorité, et que nos comptes en deviendront plus légers, plus faciles à rendre, que nous pourrons dire : " Me voici avec les enfants que Dieu m'a donnés ". (Isaïe, VIII, 18.) Si l'homme est accompli, si le chef est irréprochable, le reste du corps résistera à toutes les atteintes.
Ainsi donc, Paul nous instruit à merveille des obligations de la femme et de celles du mari : à la femme, il prescrit de craindre son mari, comme son chef; à l'homme, d'aimer sa femme, parce qu'elle est sa femme. — Mais comment arriver là? dira-t-on. — Paul a dit quel est le devoir : les moyens d'accomplir ce devoir, je vais vous les indiquer. Il faut mépriser les richesses, ne songer qu'à une chose, la vertu, et avoir la crainte de Dieu devant les yeux. — Ici s'applique tout aussi bien ce qui est dit au sujet des serviteurs : " Ce que (545) chacun leur aura fait de mal ou de bien, il le recevra du Seigneur. S'il faut aimer sa femme, c'est moins en vue d'elle-même, qu'en vue du Christ. C'est ce que l'apôtre indique par ces mots : " Comme au Seigneur ". Que votre conduite soit donc en tout celle d'un homme qui obéit au Seigneur et fait tout en vue de lui : Voilà le moyen de gagner le coeur, de persuader, d'empêcher toute querellé et toute discorde. Que la femme n'ajoute foi à aucune dénonciation contre son mari. Que le mari ne croie pas inconsidérément et à la légère ce qu'on lui dit contre sa femme ; que celle-ci ne, scrute pas avec curiosité les allées et venues de son mari, qui, de son côté, ne doit donner matière à aucun soupçon. Dis-moi, crois-tu qu'en te livrant tout le jour à tes amis, et ne paraissant que le soir auprès de ta femme; tu pourras contenter son affection, écarter de son esprit la défiance? Si elle se plaint, ne t'en fâche pas; car ses plaintes prouvent sa tendresse, non son exigence : ce sont les cris d'un amour ardent qui craint qu'on ne lui ait ravi son bonheur, le premier de ses biens ; qu'on ne lui ait enlevé son chef, qu'on n'ait attenté à ses droits.
Ces craintes pusillanimes peuvent aussi avoir une autre raison ; il ne faut pas montrer une affection excessive pour ses serviteurs, pour les femmes en ce qui concerne le mari, pour les hommes en ce qui concerne la femme ; car c'est souvent un motif de défiance. Veuillez vous représenter la conduite des justes. Sara, elle-même , invitait le patriarche à prendre Agar; Sara l'en pressait, personne ne pouvait vaincre la résistance d'Abraham ; bien que parvenu à l'extrême vieillesse sans avoir d'enfants, il aimait mieux ne devenir jamais père que de chagriner sa femme. Néanmoins , quand tout fut accompli, que dit Sara? " Que Dieu juge entre moi et toi ". Est-ce que, si Abraham avait été un homme comme un autre, il ne se serait pas mis en colère? Est-ce qu'il n'aurait pas levé la main en disant, ou à peu près : Que dis-tu ? Je ne voulais pas avoir commerce avec cette femme : c'est toi qui l'as voulu, et voici que tu me fais des reproches? Mais il ne dit rien de pareil; il dit seulement : " Voici cette servante entre tes mains, fais-en ce que tu jugeras à propos ". Il livra la compagne de sa couche, pour ne pas affliger Sara. Et pourtant il n'est pas d'union qui crée un lien aussi fort. En effet, s'il suffit d'une réunion à table pour réconcilier des brigands mêmes avec leurs ennemis (le Psalmiste dit " Toi qui goûtais avec moi les douceurs du repas "), à plus forte raison l'union de deux personnes en une seule épair (car c'est ce qui arrive pour celles dont la couche est commune), est-elle propre à faire naître l'affection. Aucune de ces considérations, néanmoins, ne triompha du juste : il céda à sa femme, montrant ainsi qu'il n'était pour rien dans ce qui s'était passé ; et, qui plus est,- il renvoya Agar, enceinte. Qui n'aurait pitié d'une femme enceinte de ses oeuvres? Néanmoins, le juste ne faiblit pas ; car il faisait passer avant tout l'amour qu'il portait à sa femme.
7. Sachons l'imiter. Que l'un des époux, s'il est plus riche, ne reproche pas à l'autre sa pauvreté. L'amour de l'argent perd tout. Que la femme ne dise pas à son mari : Homme timide et lâche, esprit paresseux et somnolent, tel autre à côté de toi, malgré la bassesse de sa naissance et de sa position, à force de périls bravés et de voyages entrepris, est parvenu à ramasser de grandes richesses ; sa femme, couverte d'or, parcourt la ville dans un beau char attelé de mules blanches, traînant après elle une troupe d'esclaves et d'eunuques; et toi, tu n'es qu'un poltron, et ta vie est complètement inutile. Non, qu'une femme n'aille pas tenir ce langage, ni un langage pareil; car elle est le corps, non pour commander au chef, mais pour lui céder et lui obéir. Et comment donc, dira-t-on, supportera-t-elle la pauvreté? Où trouvera-t-elle des consolations? Qu'elle se représente celles qui sont plus pauvres qu'elle; qu'elle compte combien de filles nobles, loin de rien recevoir de leurs maris, les ont enrichis et se sont ruinés; qu'elle songe aux périls qui accompagnent la richesse : et une vie libre d'affaires lui paraîtra le bonheur même. Mais à tout prendre, si elle aime son mari, elle ne lui dira rien de pareil ; elle aimera mieux l'avoir auprès d'elle , pauvre comme il est, que de posséder dix mille talents d'or, au prix des soucis, des inquiétudes, que les voyages causent toujours aux femmes. D'autre part, que le mari, importuné de ces reproches, ne se prévale pas de son autorité pour en venir aux injures et aux coups : qu'il exhorte, qu'il conseille, qu'il raisonne avec elle comme avec un esprit plus faible que le sien, que jamais il ne lève la main ; cela répugne à une âme libre : pas même d'injures (548) ni d'invectives, qu'il corrige sa femme, comme un être inférieur à lui-même en raison. Comment y parvenir? Si l'on sait en quoi consiste la vraie richesse, si l'on est initié à la philosophie céleste, on se gardera de pareils reproches... Que, le mari enseigne à sa femme que la pauvreté n'est pas un mal; qu'il le lui enseigne, non-seulement par ses paroles, mais encore par sa conduite; qu'il lui inspire le mépris de la vaine gloire, et la femme ne dira, ne désirera rien de semblable. Que, l'entourant d'un pieux respect dès le premier soir qu'elle a mis le pied chez lui; il lui enseigne la tempérance, la modestie, la douceur, à mener toujours une vie honnête , à ne pas aimer l'argent, à pratiquer la philosophie chrétienne, à ne pas charger d'or ses oreilles, son visage, son cou, à ne pas thésauriser en secret, à préférer une simplicité élégante aux vêtements somptueux et dorés, au luxe insolent. Loin de toi cet étalage théâtral ! Orne ta maison avec décence et bon goût, et qu'on y respire, en entrant, au lieu de parfums, la modération et la sagesse. Deux avantages, ou plutôt trois résulteront de là : d'abord la jeune femme ne sera pas affligée, la noce finie, de voir renvoyer à ceux qui les ont fournis vêtements, objets d'or, vases d'argent : en second lieu, l'époux n'aura pas à veiller à ce que ces objets ne se perdent point et soient tenus sous bonne garde. Le troisième avantage, et le plus essentiel, c'est que par là même il montrera ses sentiments, le peu de prix qu'il attache à tout cela, le soin qu'il prendra d'interdire tout ce qui y ressemble, ainsi que les danses, les chants licencieux.
Je ne me dissimule pas que je me rends peut-être ridicule aux yeux de quelques-uns en légiférant de la sorte. mais si vous suivez mes conseils, avec le temps, quand vous en aurez profité, vous en saurez le prix : vous ne rirez plus, ou plutôt vous rirez de la mode actuelle; vous verrez que des pratiques pareilles ne sauraient convenir qu'à des enfants sans raison ou à des hommes ivres: qu'au contraire, la conduite que je vous trace est celle de la décence , de la sagesse et du christianisme... Qu'est-ce donc que je prescris? De bannir du mariage toute chanson licencieuse, satanique, tout refrain indécent, toute affluence de jeunes débauchés : voilà le moyen d'inspirer la pudeur à votre femme. Elle se dira aussitôt : Quel. homme est mon mari ! il est philosophe, il compte pour rien la vie présente, il m'a épousée pour avoir des enfants, pour les élever, pour que sa maison soit gardée. Mais ces pensées déplaisent à une jeune femme : oui, le premier, le second jour : plus tard, c'est différent : elle trouvera un grand bonheur à jouir d'une sécurité parfaite. En effet, un homme qui ne supporte ni le son de la flûte, ni la vue des danses, ni la licence des chansons, et cela, au jour de son mariage, celui-là ne consentira jamais, certes, à rien faire, à rien dire de honteux. Ensuite, après avoir pris soin d'écarter du mariage tout cet appareil, commencez l'éducation de votre femme : laissez-lui longtemps ses craintes pudiques, ne les chassez pas d'un coup. Car la jeune fille la plus hardie reste un temps silencieuse, par réserve à l'égard de son mari, et par ignorance. Respectez donc d'abord cette réserve; n'imitez pas l'empressement déréglé de certains hommes; sachez attendre longtemps vous vous en trouverez bien... Pendant ce temps elle ne vous fera pas de reproches; elle ne trouvera pas à redire à vos décisions.
8. Profitez, pour lui tracer des règles de conduite, du temps où la honte, semblable à un frein, l'empêche de se plaindre, de réclamer car elle n'aura pas plutôt son franc-parler, qu'elle sera libre de tout bouleverser. Quel temps pourrait être mieux choisi pour l'éducation d'une femme, que celui où elle rougit encore devant son mari, et n'a pas cessé de le craindre? Usez de l'occasion pour lui tracer son devoir, et de toute manière, de bon gré ou à contre-coeur, elle vous obéira. Mais comment ne pas lui enlever cette pudeur? En vous en montrant pénétré comme elle, en lui parlant brièvement, avec retenue et gravité alors vous pourrez lui parler de sagesse; elle vous écoutera : inspirez-lui cette précieuse disposition, la pudeur. Si vous le voulez, je vous dirai en manière d'exemple, de quelle façon vous devez vous entretenir avec elle. Car, si Paul n'a pas craint de dire : " Ne vous frustrez pas mutuellement " (I Cor. VII, 5), s'il a tenu le langage d'un paranymphe, parlons mieux, d'une âme spirituelle.: à plus forte raison ne refuserons-nous pas, nous, de tenir ce langage. Que faut-il donc dire à votre femme? Dites-lui avec la grâce la plus parfaite : Chère petite fille, je t'ai choisie pour la compagne de ma vie, j'ai associé mon existence à la tienne, dans les choses les plus (547) importantes et les plus nécessaires d'ici-bas l'éducation des enfants et le gouvernement de la famille. Qu'est-ce donc que je te demande ? Mais non : avant tout, entretenez-la de votre amour : car rien n'est plus propre à disposer celui qui nous écoute à agréer nos paroles, que la conviction qu'elles nous sont inspirées par une vive tendresse. Comment donc montrer votre tendresse? En disant : Je pouvais épouser une femme plus riche, d'une naissance plus illustre; je ne l'ai pas voulu, j'ai aimé tes vertus, ta douceur, ta pudeur; ta modestie. Puis, arrivez aux discours de morale, dépréciez la richesse en prenant un certain détour. Car si vous vous étendiez sans précaution sur ce sujet, vous seriez importun : si vous saisissez une occasion, vous arriverez à vos fins. Votre discours semblera alors une apologie; vous ne paraîtrez plus un homme dur, farouche, à vues étroites : et même, en vous entendant la prendre elle-même pour point de départ, votre femme sera charmée. Vous lui direz donc (puisqu'il faut revenir sur ce que j'ai dit) que, pouvant épouser une femme riche, vous ne l'avez pas voulu. Pourquoi? ce n'est point par caprice, ni sans raison, direz-vous : c'est parce que je savais que la fortune n'est pas un bien, mais une chose méprisable, et qui échoit souvent aux voleurs, aux courtisanes, aux profanateurs de tombeaux.
Aussi ai-je tout dédaigné pour ne voir que les qualités de ton âme, que j'estime au-dessus de tous les trésors; car une fille sage, de sentiments élevés, et pieuse , vaut le monde entier. Voilà pourquoi je me suis attaché à toi ; voilà pourquoi je t'aime et te préfère à ma propre vie, car la vie présente n'est rien; mais je t'adresse mes prières, mes recommandations, et je fais tout pour qu'il nous soit donné, après avoir passé la vie actuelle dans un mutuel amour, d'être encore réunis et heureux dans la vie future. Tout ce qui est d'ici-bas est court et fragile : mais si nous avons su nous rendre dignes de la bonté de Dieu, au sortir de ce monde, nous serons éternellement avec Jésus-Christ, éternellement l'un avec l'autre, au sein d'une félicité parfaite. Ton affection me plaît par-dessus tout, et rien ne me serait aussi pénible que d'avoir en quoi que ce soit une autre pensée que là tienne. Quand il me faudrait tout perdre , devenir plus pauvre qu'Irus, encourir les plus extrêmes périls, tout souffrir, rien ne me coûtera, rien ne m'effraie pourvu que je possède ton amour, et je souhaiterai des enfants quand tu auras de la tendresse pour moi.
En outre, il faudra conformer votre conduite à ces paroles. Mêlez à cela les paroles apostoliques, dites : Ainsi Dieu veut que notre affection mutuelle soit resserrée. " A cause de cela, dit l'Ecriture, l'homme laissera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme " . Loin de nous toute occasion de querelles : fi des richesses, des troupes d'esclaves, des honneurs du monde ! Voici pour moi le bien suprême. Quelles richesses, quels trésors auraient la même valeur, aux yeux d'une femme, que de telles paroles? Ne crains point que ton amour n'inspire de l'orgueil à ta femme: n'hésite pas à le lui avouer. Une de ces courtisanes qui s'abandonnent tantôt à l'un, tantôt à l'autre, pourrait se prévaloir de ces paroles tendres pour opprimer ses amants; mais une femme bien née, une fille de bonne maison, loin de se laisser enorgueillir par un tel langage, n'en sera au contraire que plus soumise. Montre-lui que tu attaches un grand prix à sa société, et que tu aimes mieux, à cause d'elle, être à la maison , que sur la place : préfère-la à tous tes amis, aux enfants mêmes que tu as d'elle, et que tu dois aimer pour elle. Si elle fait quelque chose de bien , il faut la louer, la féliciter ; si elle fait quelque sottise comme s'en permettent les jeunes femmes, avertis-la, rappelle-lui ses devoirs. Ne laisse pas échapper une seule occasion de t'élever contre la richesse et le luxe, de faire valoir la parure qui consiste dans la décence et la pudeur, de donner en un mot tous les conseils opportuns.
9. Faites vos prières en commun : allez chacun de votre côté à l'église : et qu'au retour le mari demande compte à sa femme, la femme à son mari de ce qui a été dit et lu... Eprouvez-vous quelque gêne ? Cite l'exemple de ces saints, comme Paul et Pierre, dont la gloire surpasse celle de tous les riches et de tous les monarques, et rappelle comment ils ont vécu en proie à la soif, à la faim : enseigne qu'il n'y a rien à craindre en ce monde, si ce n'est d'offenser Dieu. Un pareil mariage ne sera guère inférieur à la vie monastique; de tels époux auront peu de chose à envier aux. célibataires. Veux-tu donner un repas, un festin ? Au lieu d'inviter quelque libertin sans vergogne, va (548) chercher un saint pauvre en état de bénir votre maison, d'y apporter, en entrant, la bénédiction de Dieu, et invite-le. Faut-il ajouter encore quelque chose? qu'aucun de vous, mes bien-aimés, n'ambitionne de se marier avec une femme plus riche que lui : mieux vaudrait la choisir plus pauvre. Une femme riche vous apportera moins de jouissances par sa fortune que d'ennui par ses exigences, ses prétentions , ses grandes dépenses, ses paroles hautaines et méprisantes. Elle dira peut-être Je n'use rien qui soit à toi, je m'habille à mes dépens et sur les revenus qui me viennent de ma famille. Que dis-tu là? Tu t'habilles à tes dépens? quelle folie! Ton corps ne t'appartient plus : et tu t'appropries les biens ! Une fois mariés, l'homme et la femme ne font plus qu'un, et vous auriez non pas une fortune commune , mais deux fortunes distinctes ! O fatal amour de l'argent ! Vous n'êtes qu'un même être, une même vie, et vous parlez encore du tien et du mien ! Parole exécrable et criminelle, inventée par l'enfer ! Dieu nous a rendu communes des choses plus nécessaires que les richesses; il n'est pas permis de dire : La lumière est à moi ; le soleil est à moi; l'eau est à moi ; les biens les plus importants nous sont communs; l'argent seul ne le serait pas entre deux époux ! Périsse mille fois l'argent, ou plutôt, non : mais périsse cet attachement à l'argent, qui ne sait pas en user, et qui l'estime au-dessus de tout !
Apprends ces choses-là, avec le reste, à ta femme : mais
avec une grande bonté. L'exhortation à la vertu a par elle-même
quelque chose de trop sévère, surtout si elle s'adresse à
une jeune personne délicate et timide. Quand donc tu t'entretiendras
avec elle de notre philosophie, mets-y beaucoup de grâces, et cherche
principalement à arracher de son âme le tien et le mien. Si
elle dit : Ceci est à moi, réponds aussitôt : que réclames-tu
comme étant à toi ? Je l'ignore: car, pour moi, je n'ai rien
en propre; et ce. n'est pas telle ou telle chose, c'est tout ce qui t'appartient.
Passe-lui donc cette parole. Ne vois-tu pas comme on fait avec les petits
enfants? Quand un enfant. nous a pris un objet de la main, et veut en avoir
encore un autre, nous les lui abandonnons tous les deux, et nous disons
. Oui, cela est à toi, et cela aussi. Faisons de même pour
la femme, car c'est une âme d'enfant. Si elle dit : Ceci est à
moi, dis-lui : Oui, tout est à toi, et moi aussi, tout le premier,
je suis à toi. Et ce ne sera pas flatterie, mais sagesse. Ainsi,
tu pourras tour à tour apaiser sa fougue, et guérir son abattement.
Il y a flatterie , quand on s'abaisse dans une intention coupable : ici
au contraire, il n'y a qu'une grande sagesse. Dis donc à ta femme
: Et moi aussi, je suis à toi, ma chère fille ; c'est le
précepte que m'adresse Paul en disant : " Le mari n'est pas maître
de son propre corps, mais c'est l'épouse ". (I Cor. VII, 4.) Si
je ne suis plus maître de mon corps, s'il t'appartient, à
plus forte raison en est-il ainsi de l'argent. Par un tel langage vous
la calmez, vous éteignez son courroux , vous faites honte au diable
: enchaînée par ces paroles, votre femme devient plus soumise
qu'une esclave achetée à prix d'argent. Apprenez-lui donc
par vos discours à ne plus employer ces mots de Tien et de Mien.
Jamais ne l'appelez par son nom tout court: flattez-la, marquez-lui des
égards, une affection profonde. Honorez-la, et elle ne désirera
pas d'autres hommages : la gloire extérieure aura peu de prix à
ses yeux, si vous 1a glorifiez vous-même. Mettez-la au-dessus de
tout en toute chose, en beauté, en intelligence ; et vantez-la.
Par là vous l'amènerez à ne faire aucune attention
aux étrangers, à dédaigner tout ce qui n'est pas vous-même.
Enseignez-lui la crainte de Dieu : tout le reste s'ensuivra en abondance,
et les prospérités rempliront votre demeure. Si nous cherchons
les biens éternels , les biens périssables ne nous feront
pas défaut : " Cherchez d'abord le royaume de Dieu, et toutes ces
choses vous seront données par surcroît". (Matth. VI, 33.)
Que devront être les enfants issus de parents aussi vertueux ; les
esclaves attachés au service de tels maîtres; enfin, tout
ce qui les approche ! Toutes ces personnes ne seront-elles pas, elles aussi,
comblées de prospérités de tout genre? En général,
les serviteurs se modèlent sur leurs maîtres, affectent leurs
passions, aiment ce qu'ils leur ont appris à aimer, parlent comme
eux, vivent comme eux. Si nous travaillons à nous modeler ainsi
nous-mêmes, les yeux fixés sur les Ecritures, elles nous donneront
les leçons les plus instructives : par là, nous pourrons
plaire au Seigneur, passer vertueusement toute la vie présente,
et obtenir enfin les biens promis à ceux qui aiment Dieu desquels
puissions-nous tous être jugés dignes, par la grâce
et la bonté de (549) Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui
gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant
et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XXI. ENFANTS, OBÉISSEZ A VOS PARENTS DANS LE SEIGNEUR
; CAR CELA EST JUSTE. HONORE TON PÈRE ET TA MÉRE (C'EST LE
PREMIER COMMANDEMENT FAIT AVEC UNE PROMESSE), AFIN QUE BIEN T'ARRIVE, ET
QUE TU VIVES LONGTEMPS SUR LA TERRE. (VI, 1-3, 4.)
Analyse.
1 et 2. De l'obéissance et du respect filial.
3. De l'éducation.— Danger des études profanes quand on n'y allie point celle des saintes Ecritures.
4. Réfutation de l'objection tirée de ce que l'enfant est destiné à vivre dans le monde. — Exemples divers : le saint solitaire Julien. — Que les parents peuvent être responsables de l'indocilité de leurs enfants.
1. Celui qui façonne une statue, donne la première place à la tête; puis vient le cou; enfin les pieds. Saint Paul ne procède pas autrement dans ce discours. Il a parlé de l'homme, il a parlé de la femme, puissance subordonnée : il passe au troisième degré de la hiérarchie, les enfants. Car si la femme a pour maître le mari, les enfants sont soumis à la fois au mari et à la femme. Considérez donc ce que dit l'apôtre : " Enfants, obéissez à vos parents dans le Seigneur. C'est le premier commandement fait avec une pro" messe ". Il ne parle plus ici du Christ ni des choses d'en-haut : car il s'adresse à des esprits faibles encore ; par la même raison, il ne prolonge pas son exhortation : il sait que les enfants sont incapables de suivre un long discours. De même, il ne dit rien du royaume de Dieu : car, à cet âge, on n'est pas apte à entendre ce langage. Il se borne à la promesse la plus flatteuse pour une âme enfantine, celle d'une longue vie. En effet, si l'on venait à s'enquérir de la raison pour laquelle il a passé le royaume de Dieu sous silence, et s'est borné à répéter le précepte contenu dans la loi, nous répondrions que c'est à cause de l'âge de ceux à qui il s'adresse, et parce que, à supposer que le père et la mère soient dans des dispositions conformes à la loi qu'il leur donne, la soumission des enfants ne sera pas bien difficile à obtenir. Car, partout où la base est solide, le début heureux, le reste marche aisément et régulièrement. Le difficile, c'est de jeter les bases, de poser les fondements. " Enfants, obéissez à vos parents dans le Seigneur ", c'est-à-dire, selon le Seigneur; ou encore C'est Dieu qui vous l'ordonne. Mais s'ils ordonnent des actions criminelles? D'abord il n'arrive jamais qu'un père , fût-il criminel lui-même, donne des ordres semblables; de plus, Paul a prévenu cette objection en disant : " Dans le Seigneur ", c'est-à-dire, dans les choses qui n'offensent pas Dieu; en sorte que, si le père est païen ou hérétique, il ne faut plus lui obéir : car l'obéissance ne serait plus selon le Seigneur.
Mais comment Paul peut-il dire : " C'est le premier commandement". Le premier commandement, n'est-ce pas : Tu ne commettras point l'adultère, tu ne tueras point? En disant : " Le premier ", Paul ne pensé point au rang de ce précepte, mais à la promesse qu'il (550) renferme. Les précédents ne proposent aucune récompense, attendu qu'ils ne regardent que des fautes à éviter; mais une récompense est attachée à celui-ci, comme prescrivant de bonnes oeuvres. Et voyez quel merveilleux fondement assigné à la vertu, que le respect des parents ! Rien de plus naturel. Quand le législateur nous a détournés des mauvaises actions , il commence par nous acheminer aux bonnes, par ce précepte du respect filial, attendu qu'après Dieu c'est à nos parents que nous devons la vie. C'est donc à bon droit qu'ils recueilleront les prémices de nos vertus: les autres hommes ne doivent venir qu'après. Quiconque manque à ce premier devoir, ne saura jamais se bien conduire vis-à-vis des étrangers. Après avoir ainsi indiqué aux enfants leurs obligations, Paul arrive aux parents, et dit : " Et vous, pères, ne provoquez point vos enfants à la colère, mais élevez-les dans la discipline et la correction du Seigneur (4) ".
Il ne dit pas : Aimez-les : cette prescription serait superflue; la nature parle assez haut, quelle que soit d'ailleurs la volonté. Que dit-il donc? " Ne provoquez point vos enfants à la colère ", comme font tant d'hommes qui déshéritent les leurs, les renient, les oppriment, les traitent enfin en esclaves, et non en hommes libres. De là ce précepte : " Ne provoquez point vos enfants à la colère ". Ensuite, ce qui est l'essentiel, il montre à quelles conditions ils seront obéissants, faisant tout dépendre de leurs chefs , de leurs maîtres. Tout à l'heure il montrait que la soumission de la femme est l'oeuvre du mari ; et c'est même pour cela qu'il s'adresse surtout au mari, l'exhortant à se concilier sa femme par l'empire de la tendresse. De même ici il ramène tout encore au même principe, en disant : " Mais élevez-les dans la discipline et dans la correction du Seigneur ". Voyez-vous comme les biens charnels viennent s'ajouter aux biens spirituels une fois acquis? Vous voulez rendre votre fils obéissant? Commencez par l'élever dans la discipline et la correction du Seigneur : ne croyez pas inutile de lui faire entendre les saintes Ecritures ; car voici tout d'abord l'enseignement qu'il en recevra : " Honore ton père et ta mère ". Vous ne ferez donc qu'agir dans votre intérêt. Ne dites pas : C'est bon pour des moines ; est-ce que j'en veux faire un moine ? Il n'est pas nécessaire qu'il devienne moine. Pourquoi craindre ce qui est si profitable? Faites-en un chrétien. C'est surtout aux mondains qu'il importe de se pénétrer de ces leçons, surtout aux enfants : car l'étourderie est grande à cet âge, et cette étourderie est renforcée encore par l'influence des écrits profanes; lorsqu'ils y voient ceux que les païens vénèrent comme des héros, esclaves de leurs passions ou tremblants devant la mort; par exemple, un Achille repentant, mourant pour sa concubine (1); tel autre qui s'enivre; que sais-je encore? Ce n'est donc pas trop des remèdes dont je parle.
2. N'est-il pas absurde, quand nous avons soin d'envoyer nos enfants à l'école, de les mettre en apprentissage, quand nous ne négligeons rien pour cela, de ne pas les élever dans la discipline et la correction du Seigneur? Aussi sommes-nous les premiers à recueillir les fruits de cette éducation, et nous avons des fils présomptueux, intempérants, indociles, grossiers. Croyez-moi, procédons autrement, et, suivant l'avis de l'apôtre, instruisons-les dans la science du Seigneur. Donnons-leur l'exemple, et que, dès l'âge le plus tendre, ils lisent, ils étudient les divines Ecritures. Hélas ! à force de vous répéter cela, je vous parais radoter. N'importe, je ne cesserai d'accomplir mon œuvre. Pour quelle raison, dites-moi, n'imitez-vous pas les anciens ? Vous surtout, femmes,'imitez les femmes admirables de ce temps. Vous avez mis au jour un enfant? Suivez l'exemple d'Anne : Voyez ce qu'elle fit tout d'abord : elle le conduisit au temple. Qui , de vous ne préférerait pas mille fois à une domination exercée sur le monde entier le bonheur d'avoir en son fils un second Samuel? Et comment faire, dira-t-on, pour le rendre tel ? Pourquoi serait-ce impossible? Le seul obstacle, c'est que vous ne le voulez pas, que vous ne le remettez pas en des mains capables d'en faire un autre Samuel. Et qui le pourrait ? direz-vous. Dieu : c'est à Dieu qu'Anne confia son fils. Car Héli lui-même n'était pas des plus aptes à cette éducation, puisqu'il ne put pas la donner à ses propres fils; mais ce qu'il n'avait pu faire, la foi d'une femme, son zèle, l'opéra. C'était son premier, son unique enfant, elle ignorait si elle en aurait
1 Ce qu'il y a d'obscur ou d'inexact dans ces allusions peut pro. venir d'une altération de texte, tout aussi bien que d'une ignorance réelle ou feinte.
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d'autres. Pourtant, elle ne dit pas: J'attendrai que mon fils ait grandi, afin qu'il voie le monde; je le laisserai jouir des années de son enfance. Anne écarta toutes ces pensées, et ne songea qu'à une chose, à consacrer tout d'abord à Dieu cette offrande spirituelle.
Hommes, rougissons de trouver chez une femme tant de sagesse : elle offre son fils à Dieu, et le laisse dans le temple. Si son mariage lui valut tant de gloire, c'est qu'elle avait commencé par chercher les biens spirituels, c'est qu'elle avait offert ses prémices : voilà pourquoi son sein devint fécond, et lui donna d'autres enfants encore : voilà pourquoi elle vit Samuel illustre dans le monde même. Car si les hommes reconnaissent les hommages qu'on leur rend, ne doit-il pas en être ainsi de Dieu, à plus forte raison, lui qui fait du bien même à ceux qui le négligent? Jusques à quand serons-nous chair? jusques à quand vivrons-nous penchés vers la terre ? Faisons tout passer après les soins que nous devons à nos enfants, après l'éducation qu'il faut leur donner dans la discipline et la correction du Seigneur. Si nous leur apprenons tout d'abord la vraie sagesse, ce sera pour eux une fortune, une gloire qui effaceront les plus brillantes. Vous leur rendrez un moindre service en leur enseignant un métier ou les sciences profanes, qui les mettront en état de s'enrichir, qu'en leur enseignant l'art de mépriser les richesses. Si vous voulez qu'ils soient riches , prenez-vous-y de cette manière. Car le riche n'est pas celui qui a beaucoup de besoins et beaucoup de ressources, mais celui qui n'a besoin de rien. Voilà ce que vous devez enseigner à votre fils : nul trésor n'égale celui-là.
Ne visez pas à ce qu'il se signale dans les études profanes, mais occupez-vous de lui apprendre à mépriser la gloire du inonde vous le rendrez ainsi capable de s'illustrer. Riche ou pauvre, tout le monde peut en faire autant : ce n'est pas affaire d'école ni de doctrine, mais oeuvre de la divine parole. Ne visez pas à-ce que votre fils vive longuement ici-bas, mais à ce que là-haut- il vive éternellement. Assurez-lui les grands biens, sans vous inquiéter des petits. Ecoutez Paul qui vous dit : " Elevez-les dans la discipline et la correction du Seigneur ". Ne vous inquiétez pas d'en faire un orateur, mais faites-en un sage. On peut, sans inconvénient, n'être pas un orateur mais si l'on n'est pas un sage, à quoi bon toute la rhétorique du monde ? On a besoin de bonnes moeurs, et non de beau langage; de vertu, non d'éloquence; d'oeuvres, non de paroles. Voilà ce qui procure le royaume, voilà ce qui assure la possession des biens véritables. Au lieu d'aiguiser votre langue, purifiez votre âme. Ce n'est pas que je proscrive absolument ce genre d'études, mais il ne faut pas qu'on s'y adonne exclusivement. Ne vous figurez pas que les moines seuls aient besoin des leçons des Ecritures : il n'est rien qui soit plus nécessaire aux enfants qui vont entrer dans le monde. Si un vaisseau bien équipé, un bon pilote, des matelots sont utiles non à celui qui ne s'éloigne pas du port, mais à celui qui est toujours en mer: il en est de;même à l'égard du moine et du mondain. L'un est, pour ainsi dire, dans un port tranquille; il vit exempt des soucis de la vie, à l'abri de toutes les tempêtes. L'autre est constamment en mer, il passe son, existence au milieu des flots, en lutte avec les vagues : il faut qu'il soit prémuni quand bien même il n'aurait pas besoin de défense, ne fût-ce que pour fermer la bouche à autrui.
3. Ainsi donc, plus on sera haut placé dans ce monde, plus on aura besoin de cette éducation. Né dans le palais des rois, on s'y verra entouré de païens, de philosophes, hommes enflés de gloire mondaine, comme dans un lieu rempli d'hydropiques. Tels sont les cours : on n'y trouve qu'orgueil et vanité; qui n'a pas ces vices, s'efforce de les acquérir. Représentez-vous votre fils entrant dans ce séjour, muni, comme un excellent médecin, de tous les instruments propres à guérir la fièvre générale, s'approchant de chacun, s'entretenant avec lui, et guérissant sa maladie au moyen du contre-poison des Ecritures, et du langage de la vraie sagesse. Car, en ce qui regarde le moine, à qui parlera-t-il? Aux murs, aux toits? au désert, aux forêts? aux oiseaux, aux arbres? Une telle éducation n'est donc pas absolument indispensable au solitaire : néanmoins il tâche de se la donner, non pour la communiquer aux autres, mais dans son propre intérêt. Ce sont donc les gens du monde qui en ont particulièrement besoin : en effet, ce sont eux qui sont le plus exposés au péché. De plus, si vous voulez le savoir, dans le monde même, une telle science sera très-avantageuse à votre enfant. Car tous le respecteront après l'avoir entendu parler de la sorte, lorsqu'ils le (552) verront traverser le feu sans se brûler, et rester insensible à l'ambition : alors cette autorité qu'il ne désire point viendra le trouver, et le roi aura une grande déférence pour lui. Un homme pareil ne peut échapper aux regards. Parmi des gens en santé, l'homme sain peut demeurer caché aux yeux; mais qu'il soit entouré de malades, la renommée ne peut manquer de porter son nom jusqu'aux oreilles du roi, qui chargera cet homme rare d'un vaste gouvernement.
Instruits de ces vérités, élevez vos enfants dans la discipline et la correction du Seigneur. Mais un tel est pauvre? Eh bien ! qu'il reste pauvre : il ne sera pas inférieur pour cela aux habitants des palais : on l'admirera, sans qu'il soit le convive des rois, et bientôt il parviendra à cette dignité que le libre arbitre confère, et non l'élection. Si des hommes qui ne valent pas trois oboles, des cyniques, professant une philosophie qui ne vaut pas davantage (je parle de la philosophie des païens), ou plutôt en affichant le nom, font rentrer bien des gens en eux-mêmes , avec leur grossier manteau, et leur chevelure inculte, que sera-ce du philosophe véritable? Si une vaine apparence, si une ombre de philosophie possède un tel pouvoir, qu'adviendra-t-il, du moment que nous aurons embrassé la vraie, la pure philosophie? Ne serons-nous pas les objets du respect général? Ne nous confiera-t-on pas avec pleine sécurité biens, femmes, enfants? Mais il n'y a pas, non, il n'y a pas aujourd'hui de philosophe pareil : c'est donc en vain que nous chercherions quelque part un exemple. Il en est parmi les moines, il n'en est pas dans le monde. Qu'il y en a parmi les solitaires, j'en pourrais produire de nombreuses preuves : je me bornerai à vous en fournir une.
Vous connaissez sans doute, ou de vue, ou, tout au moins, par ouï-dire, l'homme dont je veux parler : l'admirable Julien. C'était un paysan, de basse naissance, de basse condition; absolument étranger aux études profanes, mais tout rempli de la philosophie véritable. Quand il entrait dans les villes, ce qui arrivait rarement, l'affluence était plus grande que s'il se fût agi d'un rhéteur, d'un sophiste, de quelque personnage que ce fût. Mais que dis-je? son nom même n'est-il pas encore aujourd'hui plus glorieux que celui du plus illustre monarque? Eh bien ! si l'on voit de pareilles choses dans ce monde, dans ce monde où le Seigneur ne nous a promis aucun bien, où il nous a proclamés étrangers, songeons quelles sont aux cieux les récompenses réservées à de pareils hommes. S'ils obtiennent tant d'honneurs dans un séjour qu'ils ne font que traverser, de quelle gloire ne jouiront-ils pas dans leur patrie? S'ils rencontrent tant de vénération aux lieux où la tribulation leur est promise, quel repos ne goûteront-ils pas là où les vrais honneurs leur sont promis? Vous voulez maintenant que je vous cite des mondains? Mais, à l'heure qu'il est, les exemples nous font défaut : non qu'il manque absolument de mondains vivant honnêtement; mais aucun n'a atteint le faîte de la sagesse. Je vous renverrai donc aux exemples donnés par les saints de l'ancien temps. Combien d'hommes ayant femmes et enfants ont égalé ceux que je vous cite ! Mais il n'en est plus ainsi " à cause de la détresse présente ", comme dit notre saint. Qui voulez-vous donc que je vous nomme? Noé, ou Abraham ? le fils du premier, ou celui du second? ou encore Joseph? Ou bien voulez-vous que je passe aux prophètes? à Moïse? à Isaïe?
4. Si vous le trouvez bon, nous nous porterons du côté d'Abraham, que l'on nous cite toujours entre tous. N'avait-il pas une femme? N'avait-il pas des enfants? Je ne fais que vous renvoyer ce que vous nous dites à nous-mêmes, Il avait une femme, mais ce n'est pas en cela qu'il était admirable : il était riche, mais ce n'est pas pour cela qu'il plut à Dieu; il eut des enfants, mais ce n'est pas comme père qu'il a mérité le nom de bienheureux; il avait trois cent dix-huit esclaves, mais ce n'est pas pour cette raison qu'on l'admirait. Pour quelle raison, alors? Pour son hospitalité, son dédain des richesses, sa modération. Quel est en effet, dites-moi, le propre d'un sage? n'est-ce pas de mépriser l'argent et la gloire? de s'élever au-dessus de l'envie, de toutes les passions? Eh bien ! faisons comparaître Abraham au milieu de nous, examinons-le, et montrons quel philosophe c'était. D'abord il comptait pour rien sa patrie : " Sors de ton pays, et de ta famille", lui fut-il ordonné; et aussitôt il s'en alla. Il n'était pas attaché à sa maison, ni par habitude, ni autrement : sans quoi il ne l'eût pas quittée. Plus que personne il faisait bon marché de la gloire et des richesses; vainqueur dans une guerre, pressé de recueillir les dépouilles de l'ennemi, il dédaigna de le faire. (553) Son fils, de même, ne dut pas sa gloire à ses ,richesses, mais à son hospitalité; à ses enfants, Mais à son obéissance; à sa femme, mais à la stérilité de sa femme. Ils comptaient pour rien la vie présente, ne thésaurisaient point, dédaignaient tout. Dites-moi, quelles sont les plus précieuses des plantes? ne sont-ce pas celles qui tirent leur force d'elles-mêmes, qui ne redoutent ni la pluie, ni la grêle, ni les vents, ni aucune intempérie de ce genre, et qui, debout , bravent tous ces assauts, sans avoir besoin de rempart ni d'échalas? Voilà le sage, voilà la richesse dont je parle : le sage ne possède rien, et possède tout : il a tout, et n'a rien. Un mur est une chose extérieure, une haie n'est pas un rempart naturel, mais une défense d'emprunt. Mais, dites-moi, qu'est-ce qu'un corps vigoureux? n'est-ce pas celui qui jouit d'une santé parfaite, qui peut résister et à la faim, et à la réplétion, et à la chaleur, et au froid? ou bien celui qui est exposé à toutes ces influences, et a besoin de cuisiniers, de Tisserands; de chasseurs, de médecins, pour se maintenir en santé? Le riche, le vrai sage, c'est l'homme qui sait se passer de toutes ces choses. Voilà pourquoi notre saint a dit : " Elevez-les dans la discipline et la correction a du Seigneur ". Ne vous environnez donc point de remparts : la gloire, la richesse, les voilà... Que l'échalas vienne à tomber, ce qui ne manque pas, la plante reste nue et sans défense; et ces précautions passées, loin de lui rendre aucun service, lui ont été, au contraire, nuisibles. Car ce sont précisément ces remparts qui, en l'empêchant de s'accoutumer à braver les assauts des vents, sont cause qu'elle succombe maintenant.
Ainsi donc la richesse nous est plus nuisible que profitable, en ce
qu'elle nous empêche de nous exercer à braver les vicissitudes
de la vie. Mettons donc nos enfants en état de résister à
tout, de ne pas se laisser déconcerter par les accidents; élevons-les
dans la discipline et la correction du Seigneur: nous en serons amplement
récompensés. Si l'on voit combler d'honneurs les hommes qui
font la statue des rois ou peignent leur image : nous, qui parons en nous-mêmes
l'image de Dieu, ne jouirons-nous pas de mille biens, si nous atteignons
à la ressemblance? Cette ressemblance, c'est la vertu, à
laquelle nous parviendrons si nous enseignons à nos enfants à
être hommes de bien, exempts de colère et de ressentiment;
comme Dieu lui-même, bienfaisants, charitables, indifférents
aux biens du monde. Appliquons-nous de toutes nos forces à les façonner
ainsi que nous-mêmes, à les régler sur le devoir songeons,
en effet, avec quelle assurance nous pourrons alors comparaître au
tribunal du Christ. Si celui qui a des enfants indociles est indigne de
l'épiscopat, à bien plus forte raison l'est-il du céleste
royaume. Eh quoi ! dira-t-on : si notre femme, si nos enfants sont insoumis,.
nous aurons à en rendre compte? Oui, si nous n'avons pas fait scrupuleusement
tout ce qui était en nous; car il ne suffit pas pour notre salut
que nous ayons été vertueux nous-mêmes. Si celui qui
n'avait pas placé l'unique talent fut puni par cela même,
il est clair qu'il ne suffit pas pour notre salut que nous ayons été
vertueux de notre côté. Occupons-nous donc de nos femmes,
veillons avec le plus grand soin sur nos enfants, sur nos serviteurs, sur
nous-mêmes, et dans nos efforts pour régler notre conduite
et la leur, prions Dieu afin qu'il nous vienne en aide. S'il nous voit
occupés, empressés à cette oeuvre, il nous secondera
: s'il nous trouve indifférents, il ne nous tendra pas la main.
Car Dieu ne nous porte pas secours quand nous dormons : il ne nous assiste
que lorsque nous faisons effort nous-mêmes. On n'aide pas une personne
qui se repose. Mais c'est au bon Dieu qu'appartient le pouvoir d'assurer
le succès de notre oeuvre, afin que nous soyons tous jugés
dignes d'obtenir les biens promis, par la grâce et la bonté
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur
au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les
siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XXII. SERVITEURS, OBÉISSEZ A VOS MAITRES SELON
LA CHAIR, AVEC CRAINTE ET TREMBLEMENT, DANS LA SIMPLICITÉ DE VOTRE
CŒUR, COMME AU CHRIST MÈNE, LES SERVANT NON A L'OEIL, COMME POUR
PLAIRE AUX HOMMES, MAIS COMME DES SERVITEURS DU CHRIST, ACCOMPLISSANT DE
CŒUR LA VOLONTÉ DE DIEU ; FAISANT VOTRE SERVICE DE BON GRÉ,
COMME POUR LE SEIGNEUR, ET NON POUR LES HOMMES, SACHANT QUE CHACUN RECEVRA
DU SEIGNEUR LA RÉCOMPENSE DE TOUT LE BIEN QU'IL AURA FAIT, QU'IL
SOIT ESCLAVE OU LIBRE. (VI, 5-8, JUSQU'A 13.)
ANALYSE.
1-3. De la servitude. — Devoirs des serviteurs. — Origine de la servitude.
4-5. De la lutte contre le diable.
1. Ainsi donc ce n'est pas seulement le mari, la femme, les enfants, ce sont encore les serviteurs dont les vertus importent à l'harmonie et à la bonne direction du ménage. Aussi le bienheureux Paul n'a-t-il eu garde de négliger cette partie : s'il n'y arrive qu'en dernier lieu, il ne fait que suivre l'ordre de la hiérarchie. Son discours aux serviteurs est long, et non plus sommaire, comme son exhortation aux enfants; il est aussi d'un ordre beaucoup plus élevé : car ce n'est pas ici-bas, mais dans la vie future que Paul leur promet leur bonheur : " Sachant ", dit-il, " que chacun recevra du Seigneur la récompense de tout le bien qu'il aura fait". C'est la sagesse même qu'il enseigne à ces hommes inférieurs, à la vérité, aux enfants en ce qui regarde la condition , mais supérieurs en intelligence. " Serviteurs, obéissez à vos maîtres selon la chair ". Tout d'abord il relève l'âme affligée, tout d'abord il la console. Ne gémis pas, dit-il, de te voir au-dessous de la femme et des enfants : ta servitude est purement nominale : la domination à laquelle tu es soumis est une domination selon la chair, éphémère, de courte durée, comme tout ce qui est charnel. " Avec crainte et tremblement ". Voyez-vous la différence entre la crainte qu'il requiert chez la femme, et celle qu'il exige des serviteurs? Pour ce qui est des femmes, il se borne à dire : " Que la femme craigne son mari "; mais ici il insiste : " Avec crainte et tremblement ". — " Dans la simplicité de votre coeur, comme au Christ-même ". Toujours la même expression. Qu'est-ce à dire, ô bienheureux Paul? C'est notre frère, il a été comblé des mêmes biens, il fait partie du même corps que nous; ou plutôt, il est le frère, non de son maître, mais du Fils même de Dieu ; il a sa part de tous les bienfaits et vous dites : " Obéissez à vos maîtres selon la chair avec crainte et tremblement?" C'est justement pour cela que je le dis, répondra-t-il. Si je prescris aux hommes libres de se soumettre les uns aux autres en vue de la crainte de Dieu ("Soumis les uns aux autres dans la crainte de Dieu ", dit-il plus haut) ; si je prescris à la femme de craindre son mari, bien qu'elle soit son égale en - dignité; à plus forte raison dois-je imposer la même obligation au serviteur. Ce n'est pas là une humiliation, c'est au contraire la première des noblesses, celle qui consiste à savoir s'abaisser, à rester fidèle à la modération, à céder au prochain. On a vu même des hommes libres servir leurs égaux avec crainte et tremblement. " Dans la simplicité de votre coeur". Fort bien : car on peut servir avec crainte et (555) tremblement, non par bienveillance, mais pour se soumettre à la nécessité. Beaucoup, quand ils le peuvent sans se trahir, font du tort à leurs maîtres.
C'est ce genre de fraude que Paul prévient en disant : " Dans la simplicité de votre coeur, comme au Seigneur; les servant non à l'oeil a comme pour plaire aux hommes, mais comme des serviteurs du Christ, accomplissant de coeur la volonté de Dieu, faisant votre service de bon gré, comme pour le Seigneur et non pour les hommes ". Voyez combien de mots il lui a fallu pour inspirer ces bons sentiments : " De bon gré, de coeur ". En ce qui regarde la crainte et le tremblement, on trouve bon nombre de serviteurs qui n'en manquent pas vis-à-vis de leurs maîtres : les menaces du maître suffisent pour amener ce résultat. Mais Paul dit en outre Montre que tu sers en serviteur, non d'un homme, mais du Christ; fais que le mérite soit le tien, et non celui de la nécessité. C'est ainsi qu'il est recommandé à celui qui est maltraité, de se conduire ensuite de manière que cette épreuve tourne à son profit et à l'honneur de sa volonté. En effet; comme celui qui donne un soufflet n'est pas incité à cela par la volonté de celui qu'il outrage , mais par sa propre méchanceté, il nous est conseillé de tendre l'autre joue, afin de montrer que nous n'avons pas reçu l'offense à contre-coeur. Car celui qui ajoute volontairement à son affront, s'approprie ce qui n'était pas d'abord son ouvrage, en tendant l'autre joue, non content d'endurer le premier soufflet. La patience pourra, à la rigueur, être attribuée à la crainte : mais ceci ne pourra l'être qu'à une admirable sagesse ; et par là on fera voir que c'est aussi par sagesse qu'on a patienté. En ce qui concerne les esclaves, eux aussi doivent faire voir que leur résignation à la servitude est volontaire et non inspirée par une pure complaisance. Un complaisant n'est pas serviteur du Christ; un serviteur du Christ ne songe pas à plaire aux hommes. Quel serviteur de Dieu pourrait s'inquiéter de cela? Qui, s'en inquiétant , pourrait être serviteur de Dieu ? " De coeur, servant de bon gré ". Remarquez ces paroles : car on peut servir même en simplicité de coeur, et ne pas manquer à ses devoirs, sans pour cela faire tout son possible : on peut se borner à remplir strictement ses obligations : voilà pourquoi Paul demande qu'on serve de bon coeur, non par nécessité, volontairement, et non parce qu'on y est contraint. Si vous servez ainsi de bon gré, avec zèle, de coeur, à cause du Christ, vous n'êtes plus en servitude : cette servitude-là n'est autre que celle de Paul, qui s'écrie quelque part, tout libre qu'il était : " Nous ne nous prêchons pas nous-mêmes, mais Jésus-Christ Notre-Seigneur ; nous déclarant nous-mêmes vos serviteurs par Jésus ".
2. Voyez comme il vous relève de l'humiliation attachée à la servitude. Celui à qui l'on prend ses biens, s'il ajoute encore par des présents à ce qu'on lui a pris, ne passe plus pour la victime d'un vol, mais pour un homme généreux ; on cesse de le plaindre pour l'admirer : et son bienfait fait plus de honte au voleur, que n'a pu lui en faire, à lui, le larcin dont il a été dupe. De même pour le serviteur : s'il prodigue son activité, il fera voir sa grandeur d'âme ; et en montrant qu'il n'a pas senti sa perte, il fera rentrer en lui-même le détenteur de son bien. Servons donc nos maîtres en vue du Christ. " Sachant que chacun recevra du Seigneur la récompense de tout le bien qu'il aura fait, qu'il soit esclave ou libre ". Comme il était vraisemblable que beaucoup de maîtres, en qualité d'infidèles, ne seraient point touchés ni reconnaissants de la soumission de leurs esclaves, voyez comme il console ceux-ci et les empêche de douter de la rémunération, de désespérer de la récompense. De même que les obligés qui ne rémunèrent point leurs bienfaiteurs, les rendent créanciers de Dieu : ainsi les maîtres ne récompensent jamais mieux vos services que s'ils les laissent sans récompense : car alors c'est Dieu qui devient débiteur.
" Et vous, maîtres, faites de même envers eux {9) ". Qu'est-ce à dire : De même ? C'est-à-dire , servez les avec zèle. Il est vrai qu'il n'emploie pas le mot, " Servir " , mais par cette expression, " De même ", il indique la même chose : le maître est lui-même un serviteur. Et que ce ne soit point par respect humain, mais avec crainte et tremblement, entendez, vis-à-vis de Dieu, redoutant qu'il ne vous reproche un jour votre dureté envers vos serviteurs. " Leur épargnant les menaces ". Ne soyez pas durs, veut-il dire, ni inhumains : " Sachant que le même Seigneur, le leur et le vôtre est dans le ciel ". Ah ! quelle idée cela (556) suggère ! quelle crainte cela réveille ! En d'autres termes, il vous sera mesuré avec la mesure dont vous vous serez servi vous-même. Craignez de vous entendre dire : " Mauvais serviteur, je t'ai remis toute cette dette ". — " Et qu'il n'y a pas chez lui acception de personnes " . C'est comme s'il disait : N'allez pas croire qu'il vous pardonne ce que vous aurez fait à votre esclave, à cause de cette qualité d'esclave. Car si les lois du monde, si les lois humaines mettent une différence entre la classe des hommes libres et celle des esclaves, la loi du Maître commun ignore ces distinctions, bienfaisante qu'elle est pour tous également, et assurant à tous part égale.
Que si l'on demande maintenant d'où vient la servitude, et comment elle s'est introduite dans la société humaine (questions fort goûtées de certaines personnes, et qui piquent vivement leur curiosité), je vous dirai : c'est l'avarice, la cupidité insatiable, ce sont les passions basses qui ont engendré la servitude. Noé n'avait pas de serviteur, ni Abel, ni Seth, ni les patriarches suivants. — L'origine de ce fait est un péché, l'irrévérence à l’égard des parents. Ecoutez, enfants, comme quoi vous méritez de devenir esclaves, dès que vous êtes fils ingrats. Vous perdez alors tous tes privilèges de votre naissance : car on cesse d'être fils, du moment où l'on manque à son père. Mais si l'on cesse, dans ce cas, d'être fils, comment restera-t-il fils, celui qui offense notre Père véritable? Il perd les droits de sa naissance, il est coupable envers la nature. Ensuite la guerre et les combats ont fait des prisonniers. Mais Abraham avait des serviteurs? dira-t-on. Oui, mais il ne les traitait pas en serviteurs. Voyez comme Paul fait tout dépendre du chef : la femme, il faut qu'il l'aime ; les enfants, il faut qu'il les élève dans la discipline et la correction du Seigneur; les serviteurs: " Sachant que le même Seigneur, le leur et le vôtre " est dans le ciel ". Soyez donc bons et cléments, comme étant vous-mêmes des serviteurs. Maintenant, si vous le permettez , je vous répéterai au sujet des serviteurs, ce que j'ai dit précédemment des enfants : enseignez-leur la piété, et le reste ne manquera pas de venir à la suite.
Mais aujourd'hui, si l'on va au théâtre ou au bain, on traîne après soi tous ses serviteurs ; si l'on va à l'Eglise, il n'en est pas de même ; on ne les force pas de venir ici, d'écouter la parole. Et comment l'esclave écouterait-il, quand le maître lui-même a l'esprit tourné ailleurs? Vous venez d'acheter un esclave ? prescrivez-lui d'abord ce que Dieu même commande, la douceur envers ses compagnons de servitude, le zèle pour la vertu. Chaque maison est une cité : chacun est roi dans sa maison. Qu'il en est ainsi de la maison des riches qui ont domaines, intendants, gérants sur gérants, c'est chose manifeste : mais je prétends que la maison du pauvre est elle-même une cité. Là aussi, il y a plusieurs autorités : par exemple, le mari a pouvoir sur la femme, la femme sur les serviteurs, les serviteurs sur leurs femmes; les femmes et les maris sur leurs enfants. Ne vous semble-t-il pas qu'il est comme un roi, cet homme qui compte toute une hiérarchie de magistrats sous ses ordres, et n'a-t-il pas plus besoin que personne de savoir administrer et gouverner? Celui qui tonnait à fond cet art, sait aussi choisir des magistrats capables, et il ne manquera pas de faire de bons choix. Or, il y a dans la maison, comme un autre roi sans diadème, la femme; et celui qui saura choisir ce roi, n'aura pas de peine à bien gouverner tout le reste. " Du reste, mes frères, fortifiez-vous dans le Seigneur (10) ". Il parle toujours ainsi, quand son discours approche de la fin.
3. N'avais-je pas raison de vous dire tout d'abord que la maison de chacun est une armée au complet? Voyez plutôt; chaque officier mis à son rang, voici maintenant que Paul arme les troupes, et les mène au combat. Si personne n'empiète sur le commandement d'autrui, si chacun reste à sa place, tout sera pour le mieux. " Fortifiez-vous dans le Seigneur, et dans la puissance de sa vertu "; c'est-à-dire dans l'espoir en lui, grâce à son assistance. Après toutes ces prescriptions: ne craignez point, ajoute Paul, mettez votre espérance dans le Seigneur, et il vous rendra tout aisé. " Et revêtez-vous de l'armure de Dieu, afin de pouvoir tenir contre les embûches du diable (11) ". Il ne dit pas : Contre les attaques, contre les assauts, mais : " Contre les embûches ". C'est que cet ennemi ne nous fait pas une guerre ouverte, mais une guerre de surprises. Qu'est-ce à dire? C'est-à-dire qu'il nous trompe, qu'il nous prend au piège, soit des paroles, soit des manœuvres, soit des feintes comme à la lutte. Par exemple, ce n'est jamais ouvertement qu'il nous (557) propose de pécher: il ne prononce pas le nom d'idolâtrie, il déguise la chose autrement, la dore, la masque par de belles paroles. Ainsi Paul anime les soldats, leur inspire le sang-froid, en nous persuadant que nous avons affaire à un adversaire habile, à un ennemi qui ne procède point par guerre ouverte, mais par surprise. Et tout d'abord il rappelle à ses disciples la nature et le nombre de leurs ennemis, afin d'exciter leur courage. S'il décrit ces ruses, s'il inspire le sang-froid aux soldats placés sous ses ordres, ce n'est pas pour les décourager, mais au contraire pour les enflammer d'ardeur. S'il se bornait à faire ressortir la puissance de l'ennemi , il pourrait provoquer le découragement : mais comme il a soin, avant et après, de montrer la possibilité de la victoire, il ne fait par là qu'exciter davantage le zèle. Car plus nous rendrons sensible aux yeux des nôtres la puissance de l'ennemi, plus nous animerons leur courage.
"Parce que nous n'avons point à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice au sujet des biens célestes (12) ". Après nous avoir excités par la description du combat qui nous attend ; il nous enflamme par la peinture des récompenses promises à la victoire. En effet, après avoir dit que les ennemis sont redoutables, il ajoute qu'ils essaient de nous ravir un bien inestimable. Lequel ? C'est des récompenses célestes qu'il s'agit, non d'argent, ni de gloire : nos ennemis veulent nous asservir: de là une haine irréconciliable entre nous. Plus vive est l'ardeur guerrière, plus vive est la lutte, quand on combat pour de grands objets. En effet, par ces mots : " Au sujet des biens célestes ", entendez : Pour les biens célestes; non que nos adversaires se proposent de les conquérir, mais ils veulent nous en priver. C'est comme si l'on disait, en parlant d'un contrat : Contrat passé " au sujet" de telle chose. Voyez combien la puissance de l'adversaire nous anime, nous rend vigilants : nous savons qu'il s'agit pour nous d'un grand trésor que la victoire peut nous assurer, : c'est du ciel que l'ennemi travaille à nous chasser. Quels sont maintenant ces princes, ces puissances, ces dominateurs de ce monde de ténèbres? Quelles ténèbres? celles de la nuit? Nullement, mais celles du vice... Nous étions ténèbres autrefois, dit l'Ecriture, pour désigner la perversité qui règne en ce monde : car là se borne son empire; elle n'a point accès au ciel, ni dans la vie future.
S'il appelle nos ennemis : " Maîtres du monde", ce n'est pas comme régnant sur le monde, mais comme auteurs du mal qui s'y commet. L'Ecriture désigne habituellement par"Monde " les mauvaises actions . par exemple le Christ dit : " Vous n'êtes pas de ce monde, comme moi je ne suis pas du monde ". Est-ce à dire qu'ils n'étaient pas du monde? qu'ils n'étaient pas revêtus de chair? qu'ils n'habitaient pas le monde? Et ailleurs : " Le monde me hait, mais vous, il ne peut vous haïr". (Jean, XVII, 14, et VII, 7.) Ici encore il désigne les mauvaises actions. Ou bien, par monde, il entend ici les méchants, particulièrement soumis au pouvoir des démons... " Contre les princes et les puissances, contre les esprits de malice, au sujet des biens célestes ". Il dit: Princes et puissances, par analogie avec les trônes, les dominations, les princes, les puissances d'en-haut. " A cause de cela, revêtez-vous de l'armure de Dieu, afin que vous puissiez, en jour mauvais, résister, et rester vainqueurs de tout (13) ". — " Jour mauvais ", c'est-à-dire la vie présenté; il appelle ce temps mauvais, à cause du mal qui s'y fait. Il veut dire Soyez toujours en armes. " Et rester vainqueurs de tout "; c'est-à-dire, vainqueurs des passions, des appétits déréglés, de tout ce qui nous tourmente... Il ne dit pas seulement vaincre, mais : " Rester vainqueurs " : il ne suffit pas de triompher, il faut rester debout après le triomphe, et ne pas retomber comme il est arrivé souvent en pareil cas. " Rester vainqueurs de tout ", et non d'une chose, sans l'être du reste : car après la victoire il faut encore tenir bon. Ce qu'on a abattu peut revivre, et se relever si nous ne restons pas fermes. L'ennemi est à terre, tant que nous sommes debout: tant que nous restons à notre poste, il ne se relève pas. " Revêtons l'armure de Dieu ".
4. Voyez-vous comme il nous rassure? En effet, s'il est possible d'abattre l'adversaire et de tenir bon, pourquoi se dérober au combat? Tiens bon après avoir renversé l'ennemi, et te voilà victorieux. Et ne vous étonnez pas de le voir s'étendre si longuement sur la puissance des ennemis : cette énumération n'est pas faite pour inspirer la crainte ou la pusillanimité, mais plutôt pour réveiller la (558) nonchalance. " Afin que vous puissiez, en jour mauvais, résister". C'est maintenant au temps qu'il a recours pour nous rassurer... C'est l'affaire d'un moment, dit-il: ainsi il faut tenir bon; ne cédez pas à la fatigue après le carnage. Si la guerre est déclarée, si telles sont les phalanges ennemies, si ce sont des êtres incorporels que ces princes, ces maîtres du monde, ces esprits de malice, comment, dites-moi, vous abandonnez-vous à la mollesse, au relâchement? comment, désarmés, pourrons-nous vaincre? que chacun se répète cela chaque jour, dès que la colère ou la concupiscence le domineront, dès qu'il soupirera après les douceurs d'une existence frivole. Ecoutez saint Paul : " Nous n'avons point à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances... Guerre plus terrible, lutte plus acharnée que les combats visibles. Songez depuis combien de temps votre ennemi lutte, dans quel but il combat, et tenez-vous sur vos gardes plus que jamais. Oui, dira-t-on : mais il faudrait bien que le diable n'existât pas tout le monde serait sauvé. Ainsi parlent quelques âmes faibles en quête d'excuses. Vous devriez remercier Dieu, mon ami, d'être à même de triompher, si vous le voulez, d'un pareil adversaire : et loin de là, vous vous plaignez, vous parlez comme un soldat lâche et fainéant. Il ne tient qu'à vous de connaître les endroits faibles; regardez partout, fortifiez-vous. Ce n'est pas seulement contre le diable, c'est encore contre ses puissances que vous avez à combattre. Et comment lutter contre les ténèbres? dira-t-on. En devenant lumière. Comment résister aux esprits de malice? En devenant bons. Car la bonté s'oppose à la malice, et la lumière chasse les ténèbres: si nous sommes ténèbres nous-mêmes, nous serons pris infailliblement. Comment donc assurerons-nous notre triomphe? En devenant, par la force de notre libre arbitre, ce qu'ils sont naturellement,je veux dire exempts de sang et de chair : c'est ainsi que nous les vaincrons.
Comme probablement ceux à qui il écrivait comptaient beaucoup de persécuteurs, il leur dit : N'allez pas croire que ce sont ces hommes qui vous font la guerre. Les démons qui opèrent en eux, voilà nos ennemis, voilà ceux que nous avons à combattre. Par là, il produit deux effets: d'abord de les rendre plus ardents au combat, puis d'exciter leur colère contre l'ennemi. Et pourquoi avons-nous à combattre des ennemis pareils? Parce que nous avons de notre côté un auxiliaire invincible, la grâce de l'Esprit, et que nous avons été instruits dans l'art de combattre non les hommes, mais les démons. Mais si nous le voulons, nous n'aurons pas même besoin de lutter : il n'y a lutte que quand nous le voulons; car telle est la vertu de celui qui habite en nous, qu'il a pu dire : " Je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions, et sur toute la puissance de l'ennemi ". (Luc, X,19.) II nous a donné toute liberté de lutter ou de ne pas lutter. Mais notre nonchalance est cause que nous avons à lutter. Car en ce qui concerne Paul, il n'avait pas à lutter, c'est lui-même qui nous l'apprend. " Qui nous séparera de l'amour de Jésus-Christ? la tribulation, ou la détresse, ou la faim, ou la persécution, ou la nudité, ou le péril, ou le glaive? " (Rom. VIII, 35.) Ailleurs il dit : " Dieu écrasera Satan sous vos pieds promptement ". (Rom. XVI, 20.) Il avait le diable sous ses ordres; de là ces paroles : " Je te prescris au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de sortir d'elle". (Actes, XVI, 18.) Ce langage n'est pas celui d'un homme qui lutte. Car celui qui lutte n'est pas, encore vainqueur, celui qui est vainqueur ne lutte plus. Il l'a dompté, asservi. Pierre ne luttait pas non plus contre le diable : il faisait mieux que lutter. Des fidèles, des catéchumènes n'avaient pas de peine, non plus, à en triompher. Aussi saint Paul dit-il : " Car nous " n'ignorons pas ses pensées ". (II Cor. II, 11.) C'est pourquoi il lui fut si supérieur en puissance. Il dit encore : " Il n'est pas étonnant que ses ministres se transfigurent comme des ministres de justice ". (Ibid. XI, 15.) Ainsi il connaissait tous ses stratagèmes; rien ne pouvait le surprendre. " Déjà s'accomplit, dit-il encore, le mystère d'iniquité ". Mais c'est contre nous-mêmes qu'il faut lutter. En effet, écoutez ces autres paroles: " Je suis convaincu que ni anges, ni princes, ni puissances, ni vertus, ni choses présentes, ni choses futures, ne pourront nous séparer de l'amour du Christ ". Il ne dit pas simplement : " Du Christ ", mais bien : " De l'amour du Christ ". Car bien des gens passent pour être unis au Christ, qui ne l'aiment point. Non-seulement, dit-il, tu ne me persuaderas as, tu ne me persuaderas pas même de l'aimer moins. Mais si les puissances d'en-haut n'avaient pas ce (559) pouvoir, qui donc aurait pu l'ébranler? Il ne dit pas qu'elles l'entreprennent, il parle par supposition : voilà pourquoi il lit : " Je suis convaincu ". Il ne luttait pas, néanmoins il redoutait les piéges du malin. Ecoutez plutôt : " Je crains que, comme le serpent séduisit Eve par son astuce, ainsi vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité qui est dans le Christ". (II Corinth. XI, 3.) Oui, dira-t-on : mais,,de plus, il emploie le même langage en parlant dé lui-même : " Je crains qu'après avoir prêché aux autres je ne sois moi-même réprouvé ". Comment donc êtes-vous convaincu que personne ne vous séparera?
5. Voyez-vous que ce langage est celui de l'humilité, de la retenue? Déjà, en effet, il habitait le ciel : " Ma conscience ne me reproche rien " (I Cor. IV, 4), disait-il; et encore : " J'ai terminé ma carrière ". (Il Tim. IV, 7.) Ce n'est donc pas en cela que le diable l'entravait, mais en ce qui regardait ses disciples. Pourquoi? Parce que la domination du diable avait un complice dans leur propre libre arbitre. Sur ce terrain le diable était quelquefois vainqueur . mais plutôt ce n'est pas de Paul qu'il était vainqueur, c'est de l'apathie des tièdes. En effet, si Paul n'avait pas fait son devoir, par nonchalance où par toute autre raison, c'est lui qui aurait été vaincu : mais s'il ne négligeait tien et que seulement ses disciples fussent indociles , alors le diable triomphait non de Paul , mais de l'indocilité de ses disciples : ce n'est pas du médecin que la maladie avait raison , mais de la désobéissance du malade. Car, dès que le médecin a pourvu à tout, si le malade bouleverse tous ses arrangements ; c'est lui qui est le vaincu , et non pas le médecin. Ainsi le diable n'a jamais triomphé de Paul. D'ailleurs nous devons nous tenir heureux même de pouvoir lutter. A la vérité, tel n'est pas le souhait qu'il forme pour les Romains : il leur dit : " Il écrasera Satan sous vos pieds promptement ". (Rom. XVI, 20.) Quant aux Ephésiens, c'est le voeu qu'il exprime en leur faveur : " A celui qui est puissant pour tout a faire bien au-delà de ce que nous demandons ou concevons. ". (Eph. III , 20.) Celui qui lutte est encore en danger : d'ailleurs il doit se trouver heureux, s'il ne tombe pas. C'est quand nous aurons quitté ce monde, que nous jouirons du triomphe. Soit, par exemple, une passion mauvaise : la repousser loin de soi, l'éteindre, voilà qui est admirable mais si c'est une chose impossible, du moins luttons, résistons sans relâche : si nous sortons (lu monde, luttant encore, nous sommes vainqueurs. Car il n'en est pas de même ici que dans l'arène : là, si vous ne renversez pas votre adversaire, vous n'êtes pas vainqueur : ici, vous êtes vainqueur, si vous n'êtes pas renversé; si vous n'êtes pas jeté à bas, vous avez terrassé l'ennemi. Cela se conçoit deux athlètes aux prises luttent également pour la victoire ; et si l'un est renversé , l'autre est couronné. Il n'en est pas de même ici : le diable n'a en vue que notre défaite. Si donc je déjoue son projet, je triomphe : il ne vise pas à me renverser, mais à m'entraîner dans sa chute. Il est déjà vaincu , lui : car il a reçu le coup, il est perdu. Quant à sa victoire, elle ne consiste pas à gagner une couronne, mais à causer ma perte : de sorte que pour être victorieux il me suffit de rester debout sans le jeter à bas. Maintenant, la victoire sera éclatante , si , comme Paul , je le foule aux pieds tout à mon aise, comptant pour rien les choses présentes. Imitons ce saint: appliquons-nous à triompher du diable, et à ne lui donner aucune prise.
La richesse, l'argent, la vanité lui donnent prise : souvent elles le relèvent, souvent elles redoublent son impétuosité. Mais qu'est-il besoin de lutte et de combat? Celui qui lutte est dans l'incertitude du résultat : il ignore s'il ne sera pas vaincu et pris lui-même; mais celui qui foule aux pieds est assuré de la victoire. Foulons donc aux pieds la puissance du diable, foulons aux pieds les péchés, j'entends toutes les passions mondaines, colère, concupiscence, orgueil et le reste : afin que parvenus là-haut, nous ne soyons pas convaincus d'avoir laissé sans usage le pouvoir que Dieu nous a octroyé. Car c'est ainsi que nous obtiendrons les biens futurs. Mais si nous nous montrons indignes de cette prérogative, comment de plus grandes pourraient-elles nous être conférées? Si nous n'avons pas su fouler aux pieds l'ange rebelle , le déshonoré, le méprisé, comment notre Père nous mettrait-il en possession du patrimoine? Si nous n'avons pas su triompher d'un être placé si bas, quel titre aurons-nous à. entrer dans la maison paternelle? Dites-moi : Si vous aviez un fils, et que ce fils négligeât ceux de vos serviteurs (560) qui font leur devoir, pour se lier avec ceux qui font votre tourment, qui sont exclus de la maison paternelle, qui ne songent qu'à jouer aux dés, et qu'il se conduisît ainsi jusqu'au bout , ne le déshériteriez-vous pas? Vous le feriez sans nul doute. Eh bien ! nous aussi, si nous négligeons les anges agréables à Dieu et préposés à notre direction pour vivre avec le diable, nous ne pouvons manquer d'être déshérités.
Puisse-t-il ne nous arriver rien de pareil ! Puissions-nous, après
avoir engagé la lutte avec lui et être demeurés vainqueurs
avec l'assistance d'en-haut, hériter du royaume des cieux. Si quelqu'un
de vous a un ennemi, si on lui a fait tort, s'il est emporté, qu'il
ramasse toute cette colère, tout ce mécontentement pour le
déverser sur la tête du diable. Voilà un noble courroux,
une colère utile, un louable ressentiment ! Si la rancune est un
mal quand elle provient d'une cause mondaine, ici elle est un mérite.
Si donc vous avez des défauts et que vous ne puissiez vous en débarrasser
autrement qu'avec vos membres, il faut les faire servir à cet usage.
On vous a frappé? Gardez-en rancune au diable, et ne vous réconciliez
jamais avec lui. Mais il ne vous a pas frappé? N'importe : gardez-lui
rancune, parce qu'il a offensé votre Maître, parce qu'il l'a
outragé , parce qu'il persécute vos frères et leur
fait la guerre... Soyez toujours plein de haine, d'amertume, de fiel :
par là vous le rendrez humble , facile à braver, facile à
vaincre. — Si nous nous déchaînons contre lui, il nous ménagera
; si nous sommes indulgents, il sera féroce : n'allons pas le traiter
comme nous devons traiter nos frères. C'est un adversaire, un ennemi
acharné de notre vie, de notre salut et du sien. S'il ne s'aime
pas lui-même, comment nous aimerait-il ? Tenez-lui donc tête,
et harcelons-le, avec l'assistance toute puissante de Notre-Seigneur Jésus-Christ
qui saura bien nous garantir de ses piéges et nous admettre au partage
des biens futur,, : desquels puissions-nous tous être investis, par
la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit,
maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XXIII. SOYEZ DONC FERMES, CEIGNANT VOS REINS DE LA VÉRITÉ.
(VI, 14.)
Analyse.
1. De la ceinture de vérité.
2 et 3. Réfutation de quelques erreurs manichéennes, marcionites, ariennes. — De la pâque, sous l'ancienne et la nouvelle Loi.
1. Quand Paul a ainsi rangé son armée et réveillé son zèle (car il fallait à la fois 1à mettre en bon ordre et l'enflammer de courroux), quand il l'a rassurée (ce qui n'était pas moins nécessaire), il s'occupe de l'armer. — C'eût été un soin superflu, si d'abord la discipline n'y avait régné, si l'âme du soldat n'avait été remplie d'une ardeur belliqueuse... Car il faut être armé intérieurement , avant de l'être au dehors. S'il en est ainsi des soldats proprement dits, à plus forte raison doit-il en être de même des soldats spirituels : ou plutôt, les défenses extérieures sont inutiles à ceux-ci, l'armure intérieure leur suffit. Paul donc a (561) réveillé, enflammé leur courage, leur a rendu l'assurance, les a mis en bon ordre: maintenant il les arme:. mais voyez comme il s'y prend. " Soyez donc fermes ", dit-il. C'est le premier principe de l'art militaire: beaucoup de choses en dépendent. Aussi revient-il souvent sur ce point. Il dit ailleurs: " Debout, veillez " ; et encore: " Tenez-vous fermes ainsi dans le Seigneur " (I Cor. XVI, 13) ; et encore : " Celui qui croit se bien tenir, qu'il prenne garde de ne pas tomber " (Phip. IV, 1) ; et enfin : " Pour que vous puissiez, étant venus à bout de toutes choses, rester debout ". (I Cor. X, 12.) Il n'a donc pas en vue seulement une certaine attitude; mais la fermeté dans cette attitude : quiconque est versé dans l'art de la guerre sait combien il est important. de savoir se bien tenir. Si le maître qui instruit des athlètes leur recommande ce point avant tout autre, à plus forte raison est-ce une chose importante dans les combats et dans l'art militaire. Se tenir droit, c'est rester bien d'aplomb, sans s'appuyer sur personne; c'est dans cette attitude qu'on discerne ce qui est réellement droit. Ceux qui sont vraiment droits se tiennent fermes : ceux qui ne se tiennent pas fermes, ne sauraient être droits: leur posture est nonchalante, abandonnée. Le voluptueux ne se tient pas droit ; il penche d'un côté, ainsi que le libertin, l'avare. Quiconque sait se tenir debout, est comme établi sur un fondement solide : et la lutte sera désormais sans difficultés pour lui. " Soyez donc fermes, ceignant vos reins de vérité ". Il ne parle pas ici d'une ceinture matérielle : tout, dans ce passage, se rapporte à l'ordre spirituel.
Et considérez comment il procède. Il commence par mettre la ceinture au soldat. Qu'est-ce que cela veut dire? Il le voit abandonné au relâchement des passions, et ses pensées traînant à terre; an moyen de la ceinture, il relève son vêtement, afin qu'il n'en soit pas embarrassé dans sa marche, et qu'il puisse courir sans être gêné. " Seyez donc fermes; ceignant a vos reins de vérité,". Il nomme ici les reins qui sont, pour ainsi dire, la base du corps, comme la carène est celle du vaisseau : c'est le fondement ; tout est bâti dessus, à ce que disent les médecins. C'est donc notre âme qu'il rend alerte, en ceignant nos reins : car ce mot est pris ici au sens figuré. Et si les reins sont à .la fois la base de ce qui est au dessous et de ce qui est au dessus , il faut dire la même chose de ces autres reins dont parle l'apôtre. Souvent, quand on est las, on pose ses mains à, cette place. comme sur un support solide, et l'on se soutient de la sorte ; et, à la guerre, la ceinture est destinée à maintenir, à consolider cette base dé notre corps. Voilà pourquoi encore on se ceint pour courir: la ceinture consolide l'assiette sur laquelle nous reposons... Faisons-donc ainsi pour notre âme, nous dit Paul : et quoi que nous fassions, nous serons fermes, ce qui est nécessaire aux soldats particulièrement. Oui, dira-t-on, mais on se ceint les reins avec une lanière de cuir. Quelle. sera donc notre ceinture à nous? Ce sera ce qui préside à nos pensées, je veux dire la vérité.
Ceignant nos reins de vérité ". Ainsi donc n'aimons aucun mensonge, conformons-nous dans toutes nos démarches à la vérité, ne nous trompons pas mutuellement : s'il s'agit de gloire, cherchons la vérité; en fait de conduite, encore la vérité. Si nous savons nous entourer de ce rempart, nous ceindre de vérité, nous n'avons personne à craindre. Celui qui . cherche la doctrine de vérité né tombera pas à terre. Car ce qui n'est fias vrai procède de la terré : la preuve en est la servitude où vivent, à l'égard de,leurs passions, tous- les infidèles, qui se laissent conduire parleurs propres pensées. En conséquence, si nous sommés sages, nous ne désirerons point nous instruire dans les écrits, des païens. Ne voyez-vous pas comme ces hommes sont lâches et indolents, incapables de comprendre au sujet de Dieu une idée uti peu sévère, un peu relevée? C'est qu'ils ne sont pas ceints de vérité. C'est pour cela qu'il n'y a pas de force dans leurs reins, ces réservoirs de la génération, ce fondement, solide des pensées. Aussi, rien de plus faible qu'eux.
2. Voyez-vous maintenant comment les Manichéens ne reculent devant aucune affirmation dans leur confiance en leurs propres lumières? Dieu. dit-on , n'aurait pu créer le monde sans matière. Qu'est-ce qui le prouve ? Des arguments puisés ici-bas, sur la terre, en nous-mêmes. En effet, dit-on , l'homme ne peut rien faire qu'à cette condition. Et Marcion, voyez-vous comment il parle : Dieu ne pouvait conserver sa pureté en se revêtant de chair. Qu'est ce qui le prouve? C'est que les hommes ne le peuvent pas, répond-il : or, cela même est une fausseté. Valentin aussi rampe (562) sur la terre, en parle le langage : de même Paul de Samosate et Arius. Que prétend celui-ci? Que Dieu ne pouvait engendrer en restant impassible. Qu'est-ce qui t'autorise à tenir ce langage, ô Arius? Ce qui se passe ici-bas. Voyez-vous comme les pensées de tous ces hommes sont basses, rampantes, inspirées de la terre? Voilà pour les dogmes. En ce qui regarde la vie maintenant, les fornicateurs, les avares, les amants de la gloire, que sais-je encore? portent également une robe qui traîne à terre : ils n'ont pas cette solidité 'de reins qui permet, de se reposer quand on est las : dès qu'ils sont fatigués, au lieu d'appuyer les mains sur leurs reins pour se raffermir, ils succombent à la lassitude. C'est le contraire pour celui qui est ceint de vérité; d'abord, il ne se lassera jamais : en second lieu, même s'il se lasse, il trouvera dans la vérité même un point d'appui pour se reposer. Dites-moi, en effet : est-ce la pauvreté qui le fatiguera? nullement. Car il se repose sur la vraie richesse, et par la pauvreté il connaîtra la pauvreté véritable. La servitude le fatiguera-t-elle davantage? Nullement : car il connaît la vraie. servitude. Sera-ce la maladie? Pus davantage: " Ceignez vos reins, dit le Christ, et ayez dans vos mains les lampes allumées " (Luc, XII, 35); de sorte qu'ils jouissent de la lumière inextinguible. Les Israélites reçurent le même ordre à la sortie d'Egypte, et ils étaient ceints en mangeant la pâque.
Et pourquoi, dira-t-on, mangèrent-ils ainsi? Voulez-vous en savoir la raison historique ou la raison anagogique? Je vous les dirai l'une et l'autre : retenez-les : car je ne me propose pas seulement de vous expliquer l'énigme, je veux encore que mes paroles profitent à votre conduite. " Ils étaient ceints, dit l'Ecriture, le bâton à la main , les chaussures aux pieds, et c'est ainsi qu'ils mangeaient la pâque ". (Exod. XII, 11.) Mystère redoutable,. profond, sublime. Que s'il était tel en figure, à plus forte raison l'est-il en vérité. Ils sortent d'Egypte: ils mangent la pâque. Voyez, leur costume est un habit de voyage , des chaussures, le bâton à la main, manger debout : tout cela n'a pas d'autre sens. Voulez-vous que je commence par l'histoire ou par l’anagogie ? Par l'histoire, cela vaut mieux. Que signifie donc l'histoire ?
Les Juifs étaient ingrats, ils ne cessaient d'oublier les bienfaits de Dieu. Voulant donc leur rendre la mémoire en dépit d'eux-mêmes, il institue ce rite pour le banquet de la pâque. Pourquoi ? Afin qu'obligés chaque année d'observer cette loi, ils se souvinssent nécessairement du Dieu qui les avait délivrés. Ce n'est donc pas seulement par un anniversaire que Dieu a voulu perpétuer le souvenir de ses bienfaits, mais encore par le costume prescrit aux convives. Car s'ils sont chaussés et ceints pour manger, c'est afin qu'ils puissent répondre, si on les interroge : Nous étions prêts pour le départ; nous allions quitter l'Egypte pour la Terre promise. Voilà l'histoire: voici maintenant la vérité. Nous aussi nous mangeons une pâque , laquelle est le Christ " Notre pâque , le Christ a été immolé " (I Corinth. V, 7.) Ainsi donc nous mangeons une pâque, nous aussi, et une pâque bien supérieure à celle dont parlait la Loi. Donc nous devons aussi être chaussés, et ceints pour manger. Pourquoi ? afin que nous soyons prêts, nous aussi pour le départ, pour la sortie d'ici-bas. Ce n'est pas à l'Egypte qu'il faut songer quand on manne cette pâque, c'est au ciel, à la Jérusalem d'en-haut. Si vous êtes ceint et chaussé pour manger, c'est afin que vous sachiez qu'au moment où vous commencez à manger la pâque, vous êtes destiné à une émigration, à un voyage. Deux choses sont indiquées par là. : la. première, c'est qu'il faut sortir d'Egypte; la seconde; c'est que ceux qui restent, y sont désormais comme eau pays étrangers : " Notre cité est dans les cieux, est-il écrit". (Philipp. III, 20). C'est que nous devons toujours être préparés, de sorte que, si l'on nous appelle, nous ne cherchions pas à gagner du temps, et que nous disions : " Notre coeur est prêt ". (Ps. CVII, 2.) Mais si Paul pouvait dire cela , lui à qui sa conscience ne reprochait rien, moi qui ai besoin de bien du temps pour me repentir, je ne saurais le dire. Néanmoins, la preuve qu'il est d'une âme vigilante de rester ceinte, elle se trouve dans les paroles de Dieu à un juste fameux: " Non, mais ceins tes reins comme un homme : je t'interrogerai; toi, réponds-moi ". (Job. XXXVIII, 3.)
Il dit la même chose à tous les saints, la même chose à Moïse : et lui-même se montre ceint dans Ezéchiel. Que dis-je? les anges mêmes nous apparaissent ceints comme étant des soldats... Quand on est ceint, on se tient ferme ; et ceux qui sont fermes se ceignent. (563) Ceignons-nous donc: car, nous aussi, nous devons faire un voyage, et la route est hérissée d'obstacles. — Quand nous traversons cette plaine, le diable accourt aussitôt; il ne néglige aucun moyen , aucune ruse , pour surprendre, pour exterminer ceux qui sont sortis d'Egypte, ceux qui out, traversé la mer Rouge, ceux qui viennent d'échapper à la fois aux démons et au déchaînement de mille fléaux. Mais, si nous sommes sages, nous avons, nous aussi, une colombe de feu dans la grâce de l'Esprit . le même foyer nous donne la lumière et l'ombre. Nous avons une manne, ou plutôt , quelque chose de bien plus précieux que la manne : ce n'est pas de l'eau, c'est une boisson spirituelle qui jaillit pour nous du rocher. Nous avons de même un camp, dans ce nouveau désert que nous habitons. Car c'est vraiment un désert que la terre ; l'absence de vertu en fait une solitude bien plus affreuse que l'autre. Pourquoi. cette autre était-elle un objet de crainte? n'est-ce point parce qu'elle renfermait des scorpions et des vipères? " L'homme n'y avait point passé ". Mais plus stérile encore est la nature humaine.
3. Combien de scorpions, de vipères, de serpents dans notre désert? Combien de reptiles venimeux dans cette feule que nous traversons ! Mais ne craignons rien : notre guide, dans cette sortie, ce n'est pas Moïse, mais Jésus. Comment donc échapperons-nous aux maux qui accablèrent les Juifs? En agissant autrement. Ils murmuraient, ils étaient ingrats. Gardons-nous des mêmes écarts. D'où vint leur chute à tous? Ils comptèrent pour rien la terre désirée. Comment, ils la comptèrent pour rien ? Ils l'appréciaient pourtant. Oui, mais ils faiblirent, ils ne voulurent pas souffrir ce qu'il fallait endurer pour l'obtenir. N'allons donc pas, nous, compter pour rien le ciel : car cela s'appelle compter pour rien. Nous aussi, nous avons reçu un échantillon des fruits du ciel, non pas une grappe de raisin portée par deux hommes, mais des arrhes de l'Esprit, cette discipline céleste que nous ont révélée Paul, tout le choeur des apôtres, tant de merveilleux laboureurs. Ce n'est pas Chaleb, fils de Jéphoné, ce n'est pas Jésus, fils de Navé, qui nous a apporté ces fruits : c'est Jésus, le fils du Père des miséricordes, le Fils du vrai Dieu, qui nous a apporté toutes les vertus et tous les fruits, j'entends toutes les hymnes, de là-haut. Car ce que disent les chérubins dans les cieux, il nous a prescrit de le dire ici-bas : " Saint, saint, saint ". Il a introduit parmi nous la vie angélique. Les anges ne se marient pas : il a pris ici-bas le même mérite. Ils ne sont pas épris des richesses ni d'aucune chose de ce genre : il a implanté parmi nous le même désintéressement. Ils ne meurent pas : il nous a octroyé la même faveur; car la mort n'est plus une mort, mais un sommeil. Ecoutez plutôt ce qu'il nous dit lui-même : " Notre ami Lazare est endormi ". (Jean, XI, 11.) Voyez-vous les fruits de la Jérusalem d'en-haut? Et ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que la guerre n'est pas encore terminée, c'est que tout cela nous est donné avant que nous soyons dans la Terre promise. Les Israélites avaient encore à lutter jusque dans la Terre de promesse : ou plutôt, non ils ne luttaient pas, car il leur suffisait de vouloir obéir à Dieu, pour prendre toutes les villes sans siège et sans combat : c'est ainsi du moins qu'ils prirent Jéricho : on les aurait crus à une fête plutôt qu'à la guerre. Mais notas, une fois entrés dans la Terre promise, c'est-à-dire dans le ciel, nous n'avons plus de guerre à soutenir : nous ne combattons que dans le désert, entendez, dans la vie présente. " Car celui qui est entré dans son repos, lui aussi s'est reposé de ses oeuvres , comme Dieu des siennes ". (Hébr. IV, 10.) " Ne nous lassons donc pas de faire le bien". (Galat. VI, 9.) Car nous moissonnerons, la saison venue, si nous ne nous fatiguons pas. Voyez-vous comment Dieu nous guide ainsi que les Juifs? Au sujet de la manne du désert, il est écrit : " Celui qui eut beaucoup n'eut pas davantage ; et celui qui eut peu n'eut pas moins ". Et à nous aussi, il nous est recommandé de ne pas thésauriser sur la terre.
Que si nous thésaurisons, ce n'est plus, comme au temps de la
manne, le ver d'ici-bas que nous avons à redouter, mais lever éternel
de l'éternel enfer. Faisons donc tout ce qu'il faut pour ne pas
lui préparer d'aliment: car il est écrit : " Celui qui eut
beaucoup n'eut pas " davantage ". Cela se vérifie pour nous tous
les jours. Notre estomac, à tous, n'a qu'une capacité déterminée
; passer cette mesure, c'est folie. Dès lors Dieu enseignait aux
Juifs ce qu'il devait nous apprendre plus tard par ces paroles : " A chaque
jour suffit son mal ". Préservons-nous donc de la cupidité,
de (564) l'ingratitude; ne nous inquiétons point d'habiter des maisons
superbes: car nous sommes des voyageurs, et non des habitants stationnaires.
Si donc on est bien persuadé que la vie est un voyage, une expédition
militaire, que nous vivons ici dans ce que les soldats appellent une tranchée,
on se souciera peu de constructions magnifiques. Qui s'aviserait, dites-moi,
quelle que puisse être son opulence, d'élever sur une tranchée
de superbes bâtiments? Personne : ce serait encourir la risée,
bâtir pour l'ennemi, travailler à l'attirer : ainsi nous ne
ferons rien de semblable, si nous,sommes sages. Une campagne, une tranchée,
voilà la vie actuelle. Je vous en conjure donc, ayons bien soin
de ne pas thésauriser ici-bas : car si le voleur vient, notre fuite
sera plus prompte. " Veillez, parce que vous ne savez pas à quelle
heure vient le voleur " : le voleur, c'est-à-dire la mort. En conséquence,
avant qu'il ne vienne, envoyons tout dans notre patrie. Et portons ici-bas
une ceinture qui nous permette de triompher de nos ennemis : puissions-nous,
vainqueurs, au jour des couronnes, être jugés dignes de la
gloire immortelle, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, avec qui gloire au Père et au Saint-Esprit,
maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XXIV. SOYEZ DONC FERMES, CEIGNANT VOS REINS DE LA VÉRITÉ,
ET REVÊTANT LA CUIRASSE DE LA JUSTICE, ET CHAUSSANT VOS PIEDS POUR
VOUS PRÉPARERA L'ÉVANGILE DE LA PAIX; PRENANT SURTOUT LE
BOUCLIER DE LA FOI, DANS LEQUEL VOUS PUISSIEZ ÉTEINDRE TOUS LES
TRAITS ENFLAMMÉS DU MALIN. PRENEZAUSSI LE CASQUE DU SALUT, ET LE
GLAIVE DE L'ESPRIT, QUI EST LA PAROLE DE DIEU. (VI, 14-17, JUSQU'A LA FIN.)
ANALYSE .
1-3. De la lutte contre le démon. — De la prière.
4 et 5. Exemple d'Anne. — De la corruption de l'âme.
1. " Ceignant vos reins de la vérité ". Qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie, nous l'avons dit dans notre précédent entretien, qu'il faut nous tenir dispos et en état de courir sans obstacle. " Et revêtant la cuirasse de la justice ". La justice est comme une cuirasse elle est invulnérable. Par justice, il faut entendre ici la vie vertueuse, en général. L'homme ainsi muni, nul ne pourra le terrasser: Si on le blesse souvent, le diable lui-même ne saurait le mettre en pièces. Cela revient à dire : La justice dans te coeur. C'est de ces hommes que parle le Christ, en disant: " Bienheureux ceux qui sont affamés et altérés de la justice, parce qu'ils seront rassasiés ". (Matth. V, 6.) L'homme qui a la justice dans le coeur est fort comme une cuirasse. Il ne se laissera jamais aller à la colère. " Et chaussant vos pieds pour vous préparer à l'Evangile de paix ". Il y a ici quelque obscurité. Qu'est-ce que cela signifie? Voilà une glorieuse chaussure, qui nous prépare à l'Evangile. Ou il veut dire qu'ils doivent être prêts pour l'Evangile, user de leurs pieds pour cela, lui préparer, lui frayer la voie : ou bien qu'il faut nous préparer à la sortie. Dès lors, la préparation à (565) l'Evangile, n'est pas autre chose qu'une vie irréprochable. Comme dit le prophète: " Votre oreille a entendu la préparation de leur coeur ". (Ps. X, 19.) " A l'Évangile de paix ", dit-il. En voici la raison. Il a parlé de guerre et de combats: il montre maintenant que c'est aux démons qu'il faut faire la guerre: car l'Évangile est un Evangile de paix. Cette guerre-là met fin à une autre guerre, la guerre contre Dieu : quand nous combattons le diable, nous sommes en paix avec Dieu. Ne craignez donc rien, mon cher auditeur; voici l'Évangile: la victoire est assurée. " Prenant surtout le bouclier de la " foi ". Par foi il entend ici, non la doctrine, car il ne l'aurait pas mise au second rang, mais la grâce, par laquelle se font les signes. Et c'est à bon droit qu'il nomme la foi un bouclier : car, si un bouclier forme une sorte de rempart autour du corps tout entier, la même chose est vraie de la foi; tout lui cède : " Dans lequel vous puissiez éteindre tous les traits enflammés du malin ". En effet, rien. ne peut briser ce bouclier. Écoutez ce que le Christ dit à ses disciples : " Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : Passe d'ici là, et elle y passerait ". (Matth. XVII, 19.) Mais comment faire pour avoir la foi? Il faut accomplir ces prescriptions. Par ces mots: Traits du malin, il entend les tentations, les passions déréglées. C'est à propos qu'il ajoute : " Enflammés". Car telles sont les passions. Si la foi a pu commander aux démons, à plus forte raison peut-elle se faire obéir des passions. " Prenez aussi le casque du salut " : entendez : " Pour votre salut ". Il les revêt d'une armure, comme s'il les menait au combat. " Et le glaive de l'Esprit qui est la parole de Dieu ". Ceci doit être entendu soit de l'Esprit, soit du glaive de l'Esprit, glaive au moyen duquel on peut tout fendre, tout couper, et décapiter le dragon.
" Priant en esprit en tout temps, par toute sorte de prières et de supplications, et dans le même esprit, veillant en toute instance et supplication pour tous les saints; et pour moi, afin que, lorsque j'ouvrirai la bouche, des paroles me soient données pour annoncer avec assurance le mystère de l'Évangile, dont j'exerce la légation dans les chaînes, et qu'ainsi j'ose en parler comme je dois (18-20) ". Si là parole de Dieu peut tout, il en est de même de celui qui a le don de l'Esprit. " Car la parole de Dieu est vivante, efficace, et plus pénétrante que tout glaive à deux tranchants ". (Hébr. IV, 12.) Voyez la sagesse de ce saint. Il les a armés avec le plus grand soin ; maintenant il montre comment ils doivent invoquer le roi , pour qu'il leur tende la main : " Priant en esprit, en tout temps, par toutes sortes de prières et de supplications ". On peut, en effet, marmotter des prières, et ne pas prier en esprit. " Et dans le même esprit veillant ". C'est-à-dire, restant sages : tel doit être l'homme armé, l'homme debout auprès du roi : vigilant, de sang-froid. " En toute instance et supplication pour tous les saints, et pour moi, afin que, lorsque j'ouvrirai la bouche, des paroles me soient données ". Que dis-tu, ô bienheureux Paul? tu as besoin des disciples? Il a bien soin de dire : " Quand j'ouvrirai la bouche ". Il ne méditait donc pas ses paroles : Le Christ l'a dit : " Lorsque l'on vous livrera, ne pensez ni comment ni ce que vous devrez dire; il vous sera donné en effet à l'heure même ce que vous devrez dire ". (Matth. X, 19.) Ainsi Paul faisait tout par foi, tout par grâce. " Pour annoncer avec assurance le mystère de l'Évangile ". En d'autres termes, afin que je plaidé ma cause comme il faut. Tu es dans les fers, et tu as besoin d'autrui? Oui, répond-il. Car Pierre aussi était chargé de chaînes; et néanmoins on priait pour lui sans relâche. " Dont j'exerce la légation dans les chaînes, et qu'ainsi j'ose en parler comme je dois " : c'est-à-dire, afin que je réponde avec assurance, courage, intelligence. " Et pour que vous sachiez les circonstances où je me trouve, et ce que je fais, Tychique, notre frère et fidèle ministre du Seigneur, vous apprendra toutes choses (21) ".
2. Après avoir fait mention de sa captivité, il s'en remet à Tychique du soin d'en dire davantage de sa part. Pour ce qui était des dogmes et de l'exhortation , il s'expliquait dans son épître : mais il laissait au porteur de sa lettre tout ce qui était pur message. Voilà pourquoi il ajoute : " Pour que vous sachiez ce qui nous concerne ". Par là il fait voir et son affection pour eux, et leur affection pour lui. " Lequel j'ai envoyé vers vous exprès pour que vous sachiez ce qui nous concerne, qu'il console vos coeurs (22) ". Ceci est motivé par ce qui précède : " Vous étant revêtus et ceints ", ce qui indique une prière continuelle et ininterrompue. Écoutez plutôt le (566) prophète : " Qu'il soit pour lui comme un manteau dont il se revêt, comme une ceinture dont il est ceint perpétuellement ". (Ps. CVIII, 19.) Et le prophète dit de Dieu même qu'il porte une cuirasse de justice, nous avertissant par là que c'est toujours et non pour un moment que nous devons être munis de la sorte : toujours il faut combattre. Et un autre dit ailleurs : " Le juste est confiant comme un lion ". (Prov. XXVIII, 1.) En effet, un homme ainsi cuirassé ne saurait avoir peur d'une armée ; il s'élance au milieu des ennemis. Isaïe dit aussi : " Beaux sont les pieds de ceux qui annoncent la paix ". (Isaïe, LII, 7.) Qui n'accourrait, qui ne s'empresserait de contribuer à cette oeuvre, d'annoncer aux hommes la paix, la paix de Dieu, une paix qui ne coûte aux hommes aucune peine, qui est l'oeuvre de Dieu seul? Ce que c'est maintenant que la préparation de l'Evangile,.Jean va nous l'apprendre : " Préparez la voie du Seigneur, " rendez droits ses chemins ". Mais en disant cela, il a en vue le baptême : or, après le baptême il faut encore une autre préparation c'est à celle-là que l'apôtre songe en disant " Pour vous préparer à l'Evangile de paix "; conseil indirect d'éviter tout ce qui nous rendrait indigne de la paix. Les pieds étant pris souvent comme image de la vie, il répète souvent, pour ce motif, dans ses exhortations " Songez à bien marcher ", c'est-à-dire à vous bien conduire.
Sachons donc rendre notre vie digne de l'Evangile, et, durant toute notre existence, rester irréprochables dans notre conduite et nos actions. La paix a été annoncée, frayez la voie à cette bonne nouvelle ; car si vous redevenez ennemis, plus de préparation à la paix. Soyez prêts, ne différez pas le moment de la paix... Restez ce que vous êtes devenus: prêts à la paix et à la foi. La foi est un bouclier, qui arrête au passage les atteintes de l'ennemi, et préserve nos armes. Si donc la foi reste droite et la vie également, les armes demeurent intactes. En bien d'autres endroits, il revient sur ce sujet de la foi, mais principalement dans son épître aux Hébreux; et aussi sur le sujet de l'espérance. Croyez, dit-il, aux biens futurs, et tout cela sera hors d'atteinte. Si dans les dangers, dans les épreuves, vous vous faites un rempart de l'espérance et de la foi, vos armes n'éprouveront aucun choc funeste. " Celui qui s'approche de Dieu doit croire qu'il est, et qu'il récompensera ceux qui le cherchent ". La foi est un bouclier qui abrite ceux qui croient avec simplicité; si au contraire, on y mêle des raisonnements, des discussions, de vaines recherches, ce n'est plus un bouclier, mais un embarras. La foi doit être telle qu'elle nous couvre, qu'elle nous protège entièrement... Qu'elle ne soit donc pas courte de manière à laisser sans défense ou les pieds ou quelque autre partie : le bouclier doit avoir les dimensions du corps. " Enflammés ". Nombreuses sont les pensées qui consument notre âme , nombreux les doutes, nombreuses les hésitations : mais la foi, en réalité, apaise tout cela. Le diable nous décoche bien des traits propres à enflammer notre âme, et à la jeter dans le doute, comme lorsque quelques-uns demandent: Y a-t-il une résurrection? y a-t-il un jugement? y a-t-il une rétribution? Mais si vous avez le bouclier de la foi, vous éteindrez les traits du diable. Une passion déréglée a pénétré en vous, le feu des mauvaises pensées vous consume entièrement? Couvrez-vous de la croyance aux biens futurs; et rien ne paraîtra, tout sera anéanti. "Tous les traits " : non pas une partie seulement. Ecoutez ce que nous dit Paul : "J'estime que les souffrances du temps présent ne sont pas proportionnées à la gloire qui doit être révélée en nous ". (Rom. VIII, 18.)
Voyez-vous combien de traits ont éteints les justes d'autrefois? Ou n'était-ce pas à vos yeux un trait enflammé que la douleur qui consuma le coeur du patriarche au moment d'offrir son fils... Et ce n'est pas le seul juste qui ait éteint tous les traits du diable. Si donc les mauvaises pensées nous font la guerre, couvrons-nous de ce bouclier; armons-nous. en contre les passions déréglées : dans la souffrance et la peine, servons-nous-en comme d'un appui. C'est un rempart pour notre armure toute entière : sans cela, elle serait bientôt percée. " En tout prenant le bouclier de la foi ". Qu'est-ce à dire, " En tout? " c'est-à-dire, en vérité, en justice, en préparation de l'Evangile. En d'autres termes, toutes ces choses en ont besoin. C'est pourquoi il ajoute : " Prenez aussi le casque du salut"; en d'autres termes, par là vous pourrez vivre désormais en sûreté, et échapper à tous les périls. De même que le casque qui enveloppe exactement la tête de tous côtés, la préserve de tout accident : de même la foi tient lieu de (567) bouclier, de casque de salut. Si nous éteignons les traits du diable, bientôt nous recevrons en. nous les pensées salutaires qui préserveront de toute atteinte notre faculté souveraine. Les pensées contraires une fois éteintes, bientôt les pensées salutaires, les pensées d'espérance naîtront en nous, et se fixeront dans notre raison comme un casque sur notre tête.
3. C'est peu : nous recevrons encore le glaive de l'Esprit, en sorte que non-seulement nous serons à l'abri des traits lancés contre nous, mais que nous pourrons encore frapper le diable lui-même. Si l'âme ne désespère point d'elle-même , si elle ne reçoit pas les traits enflammés, elle résistera énergiquement à l'ennemi , elle brisera sa cuirasse avec ce même glaive au moyen duquel Paul la brisa et asservit les pensées de celui qui en était revêtu : On mutilera, on décapitera le dragon. " Qui est la parole de Dieu ". En disant: Parole de Dieu, il entend ses ordres ou ses préceptes. Quand les apôtres faisaient des miracles, ils s'autorisaient toujours du nom de Jésus-Christ. Et nous aussi, en toutes choses, songeons seulement à nous conformer aux ordres de Dieu si nous le faisons, nous tuerons, nous exterminerons par là le dragon, le serpent aux replis tortueux. Veuillez considérer ici la sagesse de Paul. Après avoir dit: " Vous pourrez éteindre les traits enflammés du diable", afin de ne pas enfler d'orgueil ceux à qui il s'adresse, il leur montre qu'ils ont, pour cela, le plus grand besoin du secours de Dieu. Que dit-il, en effet? " Par toute sorte de prières et " de supplications ". C'est comme s'il disait Cela sera, et vous réussirez à tout en priant ; mais ne priez jamais pour vous seul, et ainsi vous aurez Dieu propice. " Par toute sorte de prières et de supplications, et dans le même esprit veillant en toute instance et supplication pour tous les saints ". Ne distinguez point entre les moments de la journée : écoutez ce qu'il vous prescrit : Priez u En tout " temps ", ou sans cesse. N'avez-vous pas entendu parler de cette veuve qui triompha à force d'assiduité ? N'avez-vous pas entendu parler de cet ami qui fléchit Dieu par sa persévérance nocturne? N'avez-vous pas entendu parler de cette Syro-Phénicienne qui gagna Dieu par la fréquence de ses visites ? Tous réussirent par l'assiduité. " Priant en esprit en tout temps ". En d'autres termes : Cherchons ce qui est selon Dieu, rien de mondain, rien qui regarde cette vie. Il ne faut donc pas seulement que la prière soit assidue, il faut encore qu'elle soit vigilante : " Et dans le même esprit veillant ". Peut-être veut-il parler des veilles , peut-être de l'état d'une âme vigilante : j'accepte les deux interprétations. Elle veillait, cette Chananéenne, quand, repoussée par le Seigneur qui refusait de lui répondre et la traitait de chienne, elle lui dit : " Il est vrai, Seigneur; mais les chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres " (Matth. XV, 20) ; et elle ne s'éloigna pas, avant d'être exaucée. Vous savez comment criait cette veuve, et comment elle persista, jusqu'à ce qu'elle eût fléchi un magistrat sans crainte de Dieu ni de l'opinion des hommes. Vous savez comment persévéra cet ami qui priait jusqu'à une heure avancée de la nuit, jusqu'à ce qu'il eût fléchi son ami par son assiduité et obtenu le réveil désiré. Voilà ce qui s'appelle veiller.
Voulez-vous savoir en quoi consiste la vigilance de l'âme ? Approchez - vous d'Anne , écoutez ses paroles: " Adonaï, Eloï Sabaoth". (I Rois, I, 11.) Ou plutôt écoutez ce qui précéda ses paroles. Tous, est-il écrit, se levèrent de table : mais-elle, alors, ne songea point au sommeil ni au repos. Ainsi, même à table, elle restait légère, elle ne se chargeait point d'aliments : autrement, elle n'aurait pas versé tant de larmes. Si nous, même à jet în, nous avons peine à prier aussi bien, ou plutôt, si nous ne prions jamais de la sorte, à plus forte raison n'aurait-elle pas prié ainsi en sortant de table, si même à table elle n'avait été comme une personne à jeun. Hommes, rougissons à la vue de cette femme; rougissons, nous qui ne pouvons, sans bailler, prier pour obtenir le royaume, en la voyant pleurer tandis qu'elle prie pour avoir un enfant... " Et elle s'arrêta devant le Seigneur ", ajoute l'Ecriture : Et que dit-elle? " Adonaï Seigneur, Eloï Sabaoth " ; ce qui se traduit par ces mots Seigneur Dieu des armées. Ses larmes, précédaient ses paroles : c'est là-dessus qu'elle comptait pour fléchir Dieu. Où il y a des larmes, il y a nécessairement affliction : où il y a affliction, il y a sagesse et ferveur. " Si vous exaucez en l'entendant, dit-elle, la prière de votre servante, et que vous me donniez un fils, je le donnerai en offrande au Seigneur pour toujours ". Elle ne dit pas, une année ou deux , comme nous : elle ne dit pas : Si (568) vous me donnez un enfant, je vous ferai une offrande d'argent. Elle dit : Ce don que vous m'aurez fait, je vous le rends tout entier: à vous, ce premier-né; à vous, cet enfant de ma prière. Vraie fille d'Abraham ! Abraham donna ce qui lui avait été demandé : Anne prévient la demande, et donne. Et voyez eu ceci encore paraître sa piété. " Sa voix n'était pas entendue, dit l'Ecriture, et ses lèvres ne remuaient point ". Ainsi s'approche de Dieu celui qui veut être exaucé : on ne le voit point s'abandonner, bailler, s'endormir, se gratter, paraître ennuyé. Est-ce que Dieu ne pouvait pas donner sans cette prière? Est-ce qu'il ne connaissait pas déjà auparavant le désir de cette femme? Mais s'il avait prévenu la sollicitation d'Anne, le zèle de celte-ci n'aurait pas éclaté, sa vertu n'aurait point paru dans tout son jour, elle n'aurait pas été récompensée si magnifiquement. De sorte que ce délai n'est point une marque d'avarice ni de jalousie, mais de sollicitude.
4. Quand donc vous trouverez dans l'Ecriture " Qu'il avait fermé son sein ; et que sa rivale la persécutait ",songez que Dieu voulait par là montrer la sagesse d'Anne. Voyez plutôt, son mari lui était attaché, il lui disait : " Ne suis-je pas bon pour toi plus que dix enfants ? Et sa rivale la persécutait " ; elle l'injuriait , l'insultait. Et jamais Anne ne répondit aux mauvais procédés de cette femme , jamais elle ne proféra d'imprécation contre elle, jamais elle ne dit : Ma rivale m'outrage, venge-moi. Cette rivale avait des enfants . mais elle avait, elle, pour compensation l'amour de son mari. C'est par là qu'il la consolait, disant: " Ne suis-je pas bon pour toi plus que dix enfants? " Mais considérons encore la sagesse d'Anne. "Et Héli crut qu'elle était ivre ". Voyez maintenant sa réponse : " Ne croyez pas que votre servante soit comme une fille de Bélial ; car il n'y a que l'excès de ma douleur et de mon affliction qui m'ait fait parler jusqu'à cette heure ".Voilà qui marque véritablement un coeur contrit : ne pas s'irriter ou s'offenser des injures, se justifier seulement. Rien n'affermit un coeur dans la sagesse, comme. l'affliction; rien n'est doux comme la douleur selon Dieu. " Il n'y a que l'excès de ma douleur et de mon affliction qui m'ait fait parler jusqu'à cette heure ". Imitons-la, tous tant que nous sommes. Ecoutez , vous toutes qui êtes stériles, vous toutes qui désirez des enfants, écoutez, hommes et femmes. Car souvent les hommes se joignent à ces supplications. Ecoutez ce que dit l'Ecriture : " Et Isaac priait au sujet de Rébecca , sa femme , parce qu'elle était stérile ". (Gen. XXV, 21.) Grand est le pouvoir de la prière.
" En toute instance et supplication pour a tous les saints, et pour moi ". Il se nomme en dernier lieu. Que fais-tu , bienheureux Paul? Tu te places au dernier rang? Oui, dit-il : " Afin que , lorsque j'ouvrirai la bouche, des paroles me soient données pour annoncer avec assurance le mystère de l'Evangile , dont j'exerce la légation dans les chaînes ". Auprès de qui exerces-tu cette légation ? Auprès des hommes. O bonté de Dieu ! Il a envoyé du ciel des ambassadeurs en son nom, au nom de la paix : et les hommes les ont pris et enchaînés , sang même observer cette loi du droit des gens ; que la personne d'un ambassadeur est inviolable: Néanmoins j'exerce ma légation dans les chaînes. La captivité m'empêche de parler librement : mais votre prière m'ouvrira la bouche, afin que je puisse dire avec assurance ce que je dois dire : en d'autres tenues, afin que je dise tout ce que j'ai été chargé de dire. " Et pour que vous sachiez les circonstances où je me trouve , et ce que je fais, Tychique, notre frère, et fidèle ministre du Seigneur, vous apprendra toutes choses ". S'il est fidèle , il ne mentira pas , il ne dira que la vérité. "Lequel j'ai envoyé vers nous exprès pour que vous sachiez ce qui nous concerne, et qu'il console vos coeurs ". Ah ! quel amour ! Il veut dire : afin que ceux qui voudraient vous effrayer ne le puissent pas : les Ephésiens devaient être en effet dans les angoisses : cela résulte de ces mots : " Afin qu'il console vos coeurs ": Afin qu'il vous empêche de tomber dans le découragement. " Paix à nos frères et charité avec la foi, par Dieu le Père et par le Seigneur Jésus-Christ". Il leur souhaite la paix et la charité avec la foi. Sage précaution : car il ne veut pas que leur charité soit sans discernement, qu'ils se mêlent aux infidèles. Voilà ce qu'il veut dire ou bien il s'exprime ainsi pour qu'ils aient foi, pour qu'ils aient bonne espérance au sujet des biens futurs. La paix vis-à-vis de Dieu est en même temps la charité. En effet, s'il y a paix, il y aura charité; s'il y a charité, il y (569) aura paix. " Avec la foi ". La charité n'est bonne à rien, sans la foi : ou plutôt, sans la foi, la charité est impossible. " Et que la grâce a soit avec tous ceux qui aiment Notre-Seigneur Jésus-Christ dans l'incorruptibilité. Ainsi soit-il ". Ici il distingue et met à part ces deux choses, la paix et la grâce. " Dans l'incorruptibilité. Ainsi soit-il ". Qu'est-ce à dire, " Dans l'incorruptibilité? " Cela signifie ou avec sagesse, ou encore pour les choses incorruptibles : et non pour l'argent et la gloire. " Dans ", c'est; par. " Par incorruptibilité " , c'est-à-dire par vertu. Car tout péché est une corruption : et si l'on emploie ce mot en parlant d'une vierge séduite, on peut aussi l'appliquer à l'âme. C'est pour cela que Paul a dit : " Que vos pensées ne soient jamais corrompues ", et ailleurs : " L'incorruptibilité dans la doctrine ".
5. Qu'est-ce, en effet, dites-moi , que la corruption du corps? N'est-ce pas une dissolution générale qui en atteint jusqu'à la charpente? La même chose arrive pour l'âme, une fois que le péché s'y est introduit. La beauté de l'âme , c'est la chasteté , la justice ; la santé de l'âme, c'est le courage , la sagesse. La laideur est le partage du débauché, de l'avare , de celui qui fait le mal : le pusillanime , le lâche, sont des infirmes, des malades. On voit donc clairement par là que les péchés engendrent la corruption, puisqu'ils nous rendent laids, infirmes, et ébranlent notre santé. Si nous employons justement le même mot en parlant d'une vierge séduite, ce n'est pas seulement en vue de l'atteinte qu'a reçue sa personne , c'est encore en vue de la faute commise : car il né s'agit que d'une union charnelle : et si ce fait constituait une corruption, il faudrait voir une corruption dans le mariage. Ce n'est donc pas le rapprochement des sexes qui fait la corruption, mais bien le péché : car, en péchant, la tille s'est déshonorée. Considérons encore les choses par un autre côté : Pour une maison, la corruption , la perte, qu'est-ce autre chose que la ruine? En toutes choses la corruption consiste dans le passage à un état pire qui se substitue à l'état précédent et n'en laisse subsister aucune trace. Ecoutez plutôt ce que dit l'Ecriture : " Toute chair a corrompu sa voie " (Gen. VI, 12); et ailleurs: ".Dans une corruption insupportable " ; et encore : " Des hommes d'un esprit corrompu ".. (II Tim. III, 8.) Notre corps est périssable, mais notre âme est immortelle de sa nature. N'allons donc pas la corrompre, elle aussi. La mort du corps est l'effet de l'ancien péché : mais les péchés commis après le baptême ont le pouvoir de gâter l'âme elle-même, et de la mettre à la merci du ver immortel, qui né la toucherait point, si elle n'était tombée en corruption. Le ver ne s'attaque point au diamant : quand bien même il y toucherait, ce serait en pure perte. Gardez-vous donc de corrompre votre âme : car la corruption produit l'infection. Ecoutez plutôt le prophète : " Mes plaies ont été remplies d'infection et de pourriture, à cause de ma folie ". (Ps. XXXVII, 6.) Or une de ces corruptions revêtira l'incorruptibilité, l'autre, non (car l'incorruptibilité ne sera que l'incorruptibilité d'une corruption). Il y a donc une corruption incorruptible , c'est-à-dire sans fin, il y a une mort immortelle; ce qui serait le cas, si le corps demeurait immortel. Si donc, quand nous quittons la terre, nous portons en nous la corruption , cette corruption sera incorruptible et sans fin. En effet, brûler et n'être point consumé , être dévoré éternellement par un ver, c'est une corruption incorruptible. Une chose analogue arriva pour le bienheureux Job : il était en corruption et ne périssait pas : quand il se grattait, il sortait de la poussière avec du pus de son corps, et cela pendant longtemps. C'est un supplice analogue que l'âme endurera alors , assaillie et rongée par les vers, non pendant deux années, ni trois, ni dix, ni cent , ni dix mille , mais durant un temps infini. " Leur ver ne périra point, est-il écrit ". (Marc, IX, 45.)
Craignons, redoutons ces paroles, je vous en conjure, afin de ne pas les voir se réaliser pour notre malheur. C'est une corruption que l'avarice, une corruption pire que toute autre, qui conduit à l'idolâtrie. Fuyons la corruption, visons à l'incorruptibilité. Vous. avez fait tort à un tel? Ce tort est passager, mais l'avarice demeure; la corruption devient un principe d'incorruptibilité; la jouissance passe, mais le péché reste incorruptible. C'est un terrible malheur que de ne pas se purifier complètement dans la vie présente : c'est une grande infortune que de partir pour l'autre vie tout chargé de péchés. " Dans l'enfer, qui vous confessera? " (Ps. VI, 6.) Au jour du jugement, il n'est plus temps de se repentir. Quels (570) gémissements n'a point poussés le mauvais riche? mais ce fut en vain. Que ne disent pas ceux qui n'ont pas nourri Jésus-Christ? Néanmoins ils sont précipités dans le feu éternel. Que ne disent point alors ceux qui ont commis l'iniquité? "Seigneur, n'avons-nous point prophétisé en votre nom? n'avons-nous pas en votre nom chassé les démons? " Néanmoins ils ne sont pas reconnus. Toutes ces choses sont alors inutiles, si l'on n'a point fait ici-bas ce qu'il fallait faire. Craignons donc d'avoir à dire alors : " Seigneur, quand vous avons-nous vu affamé, et ne vous avons-nous pas, nourri,? " Nourrissons-le maintenant, non pas un joui?, ni deux, ni trois; car il est écrit : " Que la miséricorde et la vérité ne vous abandonnent point ". L'Ecriture ne dit pas : Agissez ainsi une fois ou deux . car les vierges aussi: avaient eu de l'huile, mais elles
ne surent pas la conserver. Ainsi donc nous avons besoin de beaucoup d'huile, et il faut que nous soyons comme un olivier fertile dans la maison de Dieu. Que chacun de nous songe aux péchés dont il est chargé, et les compense par des charités, ou plutôt fasse bien plus que les compenser, afin que non-seulement nos péchés soient effacés, mais que de plus nos bonnes couvres nous soient imputées à justification. Car si nos bonnes actions ne sont pas assez nombreuses pour nous décharger, d'une part, de nos fautes, et de l'autre, offrir un excédant qui nous soit compté à justification, personne ne nous préservera du supplice: auquel puissions-nous tous échapper par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur, au Père et. au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. X…
FIN DE L’ÉPÎTRE AUX ÉPHÉSIENS (1).
1 Les difficultés que Savilius et les récents éditeurs d'Oxford ont rencontrées dans la constitution du texte souvent si difficile et si défiguré de ce commentaire, nous les avons éprouvées, nous aussi, et à plus forte raison, en le traduisant Nous ne nous flattons nullement d'avoir éclairci partout ce que l'état actuel du texte rend incompréhensible en plusieurs endroits, indépendamment de la difficulté de la matière : et nous sommes forcé, en finissant ce pénible travail, de répéter, pour notre compte, l'aveu de Savilius, dont les derniers éditeurs disent dans leur préface (page 3) : Neque tamenposuit, ut ipse fatetur, in libro tam mendoso, quod voluit, praestore. (Sancti Joannis Chrysostomi Interpretatio omnium Epistolarum Paulinarum, tom. IV; Oxonii, apud J. H. Parker). La traduction latine d'Hervet à laquelle nous avons souvent recouru, est d'ailleurs très-éloignée de la perfection : mais la perfection, en pareil cas, c'est l'impossible.
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