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COMMENTAIRE SUR L'ÉPÎTRE AUX ROMAINS
Tome X p. 189 - 433
PROLOGUE POUR LES HOMÉLIES SUR L'EPITRE AUX ROMAINS. *
HOMÉLIE I. PAUL, SERVITEUR DE JÉSUS-CHRIST, APPELÉ A L'APOSTOLAT, CHOISI POUR L'ÉVANGILE DE DIEU, QU'IL AVAIT PROMIS AUPARAVANT PAR DES PROPHÈTES DANS LES SAINTES *
ÉCRITURES. (CHAP. 1, VERS. JUSQU'A 7.) *
HOMÉLIE II. PREMIÈREMENT, JE RENDS GRACES A MON DIEU PAR JÉSUS-CHRIST, POUR VOUS TOUS, DE CE QUE VOTRE FOI EST ANNONCÉE DANS TOUT L'UNIVERS. ( 8 JUSQU'A 17.) *
HOMÉLIE III. PUISQU'ON Y DÉCOUVRE LA JUSTICE DE DIEU ÉCLATANT DU CIEL CONTRE TOUTE L'IMPIÉTÉ, ET L'INJUSTICE DE CES HOMMES QUI RETIENNENT LA VÉRITÉ DANS L'INJUSTICE. (18 JUSQU'A 25.) *
HOMÉLIE IV. C'EST POURQUOI DIEU LES A LIVRÉS A DES PASSIONS D'IGNOMINIE. CAR LEURS FEMMES ONT CHANGÉ L'USAGE NATUREL EN UN AUTRE QUI EST CONTRE NATURE. ET PAREILLEMENT LES HOMMES, L'USAGE NATUREL DE LA FEMME, ABANDONNÉ, ONT BRÛLÉ DE DÉSIRS L'UN POUR L'AUTRE. (26, 27.) *
HOMÉLIE V. ET COMME ILS N'ONT PAS MONTRÉ QU'ILS AVAIENT LA CONNAISSANCE DE DIEU, DIEU LES A LIVRÉS A UM SENS RÉPROUVÉ, DE,SORTE QU'ILS ONT FAIT LES *
CHOSES QUI NE CONVIENNENT PAS. ( I, 28, JUSQU'À II, 16.) *
HOMÉLIE VI. MAIS TOI QUI PORTES LE NOM DE JUIF, QUI TE REPOSES SUR LA LOI ET TE GLORIFIES EN DIEU, QUI CONNAIS SA VOLONTÉ, ET QUI, INSTRUIT PAR LA LOI, SAIS DISCERNER CE QUI EST LE PLUS UTILE. (II, 17, 18, JUSQU'À III, 8.) *
HOMÉLIE VII. QUOI DONC? SOMMES-NOUS AU-DESSUS D'EUX? NULLEMENT. CAR NOUS AVONS CONVAINCU LES JUIFS ET LES GRECS D'ÉTRE TOUS SOUS LE PÉCHÉ. SELON QU'IL EST ÉCRIT : PAS UN SEUL N'EST JUSTE; IL N'Y A PERSONNE QUI COMPRENNE, IL N'Y A PERSONNE QUI CHERCHE DIEU. TOUS ONT DÉCLINÉ, TOUS SONT DEVENUS INUTILES ; IL N'EN EST PAS UN QUI FASSE LE BIEN, IL N'EN EST PAS *
MÊME UN SEUL. LEUR BOUCHE EST UN SÉPULCRE OUVERT, LEUR LANGUE UN INSTRUMENT DE FRAUDE; UN VENIN D'ASPIC EST SOUS LEURS LÈVRES; LEUR BOUCHE EST REMPLIE DE MALÉDICTION ET D'ARMERTUME; LEURS PIEDS SONT VITES POUR RÉPANDRE LE SANG; LA DESTRUCTION ET LE MALHEUR SONT DANS LEURS VOIES, ET LA VOIE DE LA PAIX, ILS NE L'ONT PAS CONNUE; LA CRAINTE DE DIEU N'EST PAS DEVANT LEURS YEUX (III, 9-18, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE.) *
HOMÉLIE VIII. QUEL AVANTAGE DIRONS-NOUS DONC QU'ABRAHAM, NOTRE PÈRE , A EU SELON LA CHAIR? CERTES, SI ABRAHAM A ÉTÉ JUSTIFIÉ PAR LES OEUVRES, IL A DE QUOI SE GLORIFIER, MAIS NON DEVANT DIEU. (IV, JUSQU'À 22.) *
HOMÉLIE IX. OR, CE N'EST PAS POUR LUI SEUL QU'IL A ÉTÉ ÉCRIT QUE *
CELA LUI FUT IMPUTÉ A JUSTICE, MAIS POUR NOUS AUSSI, A QUI IL SERA IMPUTÉ, SI NOUS CROYONS EN CELUI QUI A RESSUSCITÉ D'ENTRE LES MORTS JÉSUS-CHRIST NOTRE-SEIGNEUR. (IV, 23, 24, JUSQU'A V, 11.) *
HOMELIE X. C'EST POURQUOI, COMME LE PÉCHÉ EST ENTRÉ DANS LE MONDE PAR UN SEUL HOMME, ET LA MORT PAR LE PÉCHÉ, AINSI LA *
MORT A PASSÉ DANS TOUS LES HOMMES PAR CELUI EN QUI TOUS ONT PÉCHÉ. (V, 12, JUSQU'A VI, 4.) *
HOMÉLIE XI. SI, EN EFFET, NOUS AVONS ÉTÉ ENTÉS EN LA *
RESSEMBLANCE DE SA MORT, NOUS LE SERONS AUSSI EN CELLE DE SA RÉSURRECTION. (VI, 5, JUSQU'A 18.) *
HOMÉLIE XII. JE PARLE HUMAINEMENT, A CAUSE DE LA FAIBLESSE DE VOTRE CHAIR; COMME DONC VOUS AVEZ FAIT SERVIR VOS MEMBRES A L'IMPURETÉ ET A L'INIQUITÉ POUR L'INIQUITÉ ; AINSI MAINTENANT FAITES SERVIR VOS MEMBRES A LA JUSTICE POUR VOTRE SANCTIFICATION. (VI, 19, JUSQU'À VII, 13.) *
HOMÉLIE XIII. AH NOUS SAVONS QUE LA LOI EST SPIRITUELLE, ET MOI JE SUIS CHARNEL, VENDU COMME ESCLAVE AU PÉCHÉ. (VII, 14, JUSQU'À VIII, 11.) *
HOMÉLIE XIV. AINSI, MES FRÈRES, NOUS NE SOMMES POINT REDEVABLES
A LA CHAIR. CAR SI C'EST SELON LA CHAIR QUE VOUS VIVEZ, VOUS MOURREZ; MAIS
SI, PAR L'ESPRIT, VOUS MORTIFIEZ LES DEUVRES DE LA CHAIR, VOUS VIVREZ.
(VIII, 12, 13, JUSQu'A 27.) *
PROLOGUE POUR LES HOMÉLIES SUR L'EPITRE AUX ROMAINS.
(Voir, pour l'avertissement, tome 1, page 247.)
1. En entendant lire fréquemment les épîtres du bienheureux Paul, deux fois et souvent même trois et quatre fois la semaine, quand nous célébrons la mémoire des saints martyrs, d'une part je jouis de cette trompette spirituelle, je suis transporté et enflammé d'ardeur aux sons de cette voix si chère; il me semble qu'il, est là, que je le vois parler; d'autre part, je souffre et je m'attriste en songeant que non-seulement tous ne connaissent pas ce grand homme comme ils devraient le connaître, mais que quelques-uns mêmes ignorent jusqu'au nombre de ses épîtres; et cela, non par incapacité, mais parce qu'ils ne veulent pas entretenir commerce avec ce .bienheureux. Car, nous-même, ce n'est point à la pénétration de notre esprit que nous devons ce que nous en savons, si tant est que nous en sachions quelque chose, mais à l'étude assidue que nous en faisons et ,à l'extrême affection que nous lui portons. En effet, ceux qui aiment connaissent mieux que les autres l'objet aimé, parce qu'ils en ont souci; comme le Bienheureux l'indique lui-même quand il écrit aux Philippiens : ".Et il est juste que j'aie ce sentiment pour; vous tous, parce que je sens que, soit dans mes liens, soit dans la défense et l’affermissement de l'Évangile, je vous porte dans mon coeur ". (Phil.I, 7.) Vous n'avez donc besoin que de vous appliquer sérieusement à 1a lecture; car la parole du Christ est vraie : " Cherchez et vous trouverez, frappez et l'on vous ouvrira ". (Matth. VII, 7.) Mais comme la plupart des membres de cette assemblée ont des enfants à nourrir, une femme à soigner, une maison à entretenir, et par là même ne pourraient s'adonner entièrement à ce travail; au moins attachez-vous à profiter de ce que d'autres ont recueilli, et mettez-y autant d'empressement qu'à amasser de l'argent. Que si nous sommes honteux de vous demander si peu, qu'il vous plaise au moins de nous l'accorder.
En effet, l'ignorance des Écritures est la source de maux innombrables. De là l'affreuse peste des hérésies, delà le relâchement de la conduite, de là les travaux stériles. Car de même que des aveugles ne sauraient marcher droit, ainsi ceux qui ne jouissent pas de la lumière des (188) divines Ecritures, sont condamnés à pécher et à s'égarer souvent, puisqu'ils marchent au milieu des plus éparses ténèbres. Pour éviter ce malheur, ouvrons les yeux à l'éclat des paroles de l'Apôtre ; car la langue de Paul surpasse le soleil en splendeur, et son enseignement brille pardessus tous les autres. Parce qu'il a plus travaillé que les autres, il s'est attiré de grandes grâces du Saint-Esprit, et je le prouverais, non-seulement par ses épîtres, mais encore par ses actes. En effet, s'il s'agissait de parler, chacun lui cédait la place ; aussi les infidèles le prenaient-ils pour Mercure (Act. XIV, 11), parce que son éloquence était sans rivale. Mais avant d'aborder cette épître, il est nécessaire d'assigner l'époque où elle fut écrite. Elle n'a point précédé toutes les autres, comme beaucoup le pensent; mais elle est la première de celles qui ont été envoyées de Rome, et postérieure à plusieurs des autres, si, ce n'est à toutes : car les deux aux Corinthiens lui sont antérieures. Cela est démontré par les paroles qu'on lit vers la fin: " Maintenant je vais à Jérusalem pour servir les saints. Car la Macédoine et l'Achaïe ont trouvé bon " de faire quelques collectes en faveur des pauvres, des saints qui sont à Jérusalem ". (Rom. XV, 25, 26.) Il écrit encore aux Corinthiens : " Que si la chose mérite que j'y aille, ils viendront avec moi " (I Cor. XVI, 4), en parlant de ceux qui devaient porter cet argent. D'où il résulte clairement que quand il écrivait aux Corinthiens, son voyage était encore incertain; tandis qu'il était certain et arrêté, quand il écrivait aux Romains. Or ce point, une fois établi, il est évident que la lettre aux Romains a été écrite après celle aux Corinthiens.
L'épître aux Thessaloniciens me paraît également avoir précédé celle aux Corinthiens. Car c'est après avoir écrit à ceux-là et parlé de l'aumône en ces termes : " Quant à la charité fraternelle, nous n'avons pas besoin de vous en écrite, puisque vous avez appris de Dieu à vous aimer les uns les autres, et c'est aussi ce que vous faites à l'égard de tous les frères " (I Thess. IV, 9, 10) , qu'il écrit ensuite à ceux-ci, comme le prouvent ces paroles : " Car je connais votre bon vouloir, pour lequel je me glorifie de vous près des Macédoniens, leur disant que l'Achaïe est préparée dès l'année passée, et que votre zèle a provoqué celui du plus grand nombre ". (II Cor. IX, 2.) Ce qui prouve qu'il avait d'abord traité ce sujet avec eux. Mais si cette épître aux Romains est postérieure à celle-là, elle est antérieure à toutes celles que l'Apôtre a écrites de Rome ; car il n'était pas encore venu à Rome quand il l'écrivit, comme il l'indique lui-même, en disant : " Car je désire vous voir pour vous communiquer quelque chose de la grâce spirituelle ". (Rom. I, 11.) Or, c'est de Rome qu'ira écrit aux Philippiens, aussi leur dit-il : " Tous les saints vous saluent, principalement ceux qui sont de la maison de César ". (Philip. IV, 22.) C'est aussi delà qu'ira écrit aux Hébreux, puisqu'il leur dit : " Les frères d'Italie vous saluent tous ". (Héb. XIII, 24.) C'est également de Rome, quand il était dans les fers, qu'il envoie sa lettre à Timothée, et celle-ci me semble la dernière de toutes, comme on le voit par la fin : " Car pour moi je suis comme une victime qui a déjà reçu l'aspersion pour être immolée, et le temps de ma délivrance approche ". (II Tim. IV, 6.) Or, personne n'ignore que c'est là qu'il a fini sa vie. L'épître à Philémon est aussi parmi les dernières; car il l'a écrite dans son extrême vieillesse, ainsi qu'on le voit par ces mots : " Comme le vieux Paul, maintenant prisonnier de Jésus-Christ ". (Philém. IX.) Or, elle a précédé celle aux Colossiens, ainsi qu'on le voit à la fin de celle-ci, où il dit : " Tychique, que j'ai envoyé avec Onésime, mon serviteur fidèle et bien-aimé, vous racontera tout ". (Col. IV, 7.) Or, cet Onésime, est celui en faveur de qui il a écrit (189) sa lettre à Philémon. Que c'était celui-là, et non quelque autre du même nom , on le voit par cet Archippe dont il invoque l'appui près de Philémon , pour obtenir ce qu'il demande pour Onésime, et dont il excite le zèle en ces termes, dans son épître aux Colossiens : " Dites à Archippe : Voyez le ministère que vous avez reçu dans le Seigneur, afin de le remplir ". (Ib. 17.) Il nie semble aussi que l'épître aux Galates est encore antérieure à celle aux Romains. Que si elles ont un autre ordre dans la Bible, il ne faut pas s'en étonner: car quoique les douze prophètes ne se soient point succédé immédiatement dans l'ordre des temps, qu'ils aient même été séparés par de grands intervalles, ils se trouvent cependant dans la Bible à la suite les uns des autres. En effet, Aggée, Zacharie, et d'autres encore, ont prophétisé après Ezéchiel et Daniel; beaucoup ont prophétisé après Jonas, Sophonias et tous les autres, et pourtant ils sont rattachés à tous ceux-là malgré la distance des temps.
2. Que personne ne croie en ceci notre peine inutile, et ne regarde cette question comme oiseuse et de pure curiosité : la date de chaque épître a un grand, intérêt pour le but que nous nous proposons. Car, quand je vois Paul écrire aux, Romains et aux Colossiens sur les mêmes objets, mais non de la même manière : à ceux-là avec une grande condescendance, comme quand il leur dit : " Accueillez celui, qui est faible dans la foi , sans disputer sur les opinions car l'un croit qu'il peut manger de tout, et l'autre qui est faible ne mange que des légumes " (Rom. XIV,1, 2); et aux Colossiens, sur le thème sujet, mais avec plus de liberté : " Si donc vous êtes morts avec le Christ aux éléments de ce monde , pourquoi vous laissez-vous imposer des lois comme si vous viviez dans ce premier état du monde? Ne mangez pas, vous dit-on, ne goûtez pas, ne touchez pas. Toutes choses qui périssent par l'usage qu'on en fait, ne sont point en honneur, mais pour le rassasiement de la chair " (Col. II, 20,23); quand je vois, dis-je, cette différence, je n'en trouve pas d'autre raison que la diversité même des temps. En effet, au commencement il fallait user de condescendance; dans la suite, cela n'était plus nécessaire. On le voit encore souvent agir de même dans d'autres circonstances. Telle est la conduite que tiennent un médecin et un maître : ni médecin ne traite de la même façon ceux qui commencent à être malades et ceux qui entrent en convalescence; ni le maître n'en use de la même manière avec les petits enfants et ceux qui demandent un enseignement plus avancé. Ainsi Paul écrit sur un ton différent aux uns et aux autres selon le sujet et l'occasion (et il le fait voir en disant aux Corinthiens : " Quant aux choses dont vous m'avez écrit " (I Cor. VII, 1) ; et en déclarant la même chose aux Galates dès le début et tout le long de sa. lettre).
Mais aux Romains, pour quel motif et à quelle occasion leur a-t-il écrit? On le voit leur rendre témoignage qu'ils sont abondamment pourvus en, vertu et en tout genre de connaissance, au point d'être capables de corriger les autres. Pourquoi donc leur a-t-il écrit? Il le dit lui-même : " A cause de la grâce que Dieu m'à donnée pour être le ministre de Jésus-Christ ". (Rom. XV, 15, 16.) C'est ce qui lui fait dire dès le commencement : " Je suis redevable, et (autant qu'il est en moi), je suis prêt à vous évangéliser, vous aussi qui êtes à Rome ". (Ib. I, 14, 15.) Et ce qu'il dit d'eux, par exemple, qu'ils sont capables de corriger les autres , ou autres choses semblables, il le dit surtout par minière d'éloge et d'exhortation; néanmoins il était besoin de les corriger aussi par lettres. Comme il n'était point encore venu à Rome, il emploie un double moyen pour les mettre en règle : l'utilité de ses lettres et l'attente de son arrivée.
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Car telle était cette sainte âme; elle embrassait l'univers
entier, elle portait tout le monde avec elle, estimant comme la plus précieuse
parenté celle qui est selon Dieu; il les aimait tous comme s'il
les eût enfantés; bien plus, jamais amour paternel n'égala
le sien. Telle est en effet la grâce de l'Esprit; elle fait sentir
des douleurs plus vives que celles de l'enfantement charnel, et manifeste
un amour .bien plus ardent. On peut le remarquer surtout dans l'âme
de Paul : la charité semble lui donner des ailes, il est continuellement
en mouvement, il ne s'arrête, il ne se fixe nulle part. Ayant appris
que le Christ avait dit : " Pierre; m'aimes-tu ? Pais mes brebis " (Jean,
XXI, 15), et avait fixé là le terme extrême de l'amour,.
il a donné de cet amour des preuves prodigieuses. Imitons donc son
zèle : Si nous ne pouvons convertir l'univers, des villes, des nations
entières, qu'au moins chacun règle sa maison, sa femme, ses
enfants, ses amis, ses voisins. Et que l'on ne dise pas : Je suis sans
expérience et sans instruction.. Personne n' était plus ignorant
que Pierre, ni plus expérimenté que Paul. C'est lui-même
qui l'avoue, et sans rougir " A la vérité, je suis inhabile
pour là parole, mais non pour la science ". (II Cor. XI, 6.) Et
pourtant cet ignorant et cet inhabile ont vaincu des milliers de philosophes,
ont fermé la bouche à une foule de rhéteurs, uniquement.
en vertu de leur zèle et de la grâce de Dieu. Quelle excuse
aurons-nous donc, nous qui ne pouvons pas même suffire à vingt
personnes, qui ne sommes pas même utiles aux membres de notre famille
? Ce sont là d'inutiles objections et de vains prétextes
: ce n'est pas le défaut de science ou d'habileté qui empêché
d'instruire, mais la paresse et le sommeil de l'indifférence. Secouons
donc ce sommeil, exerçons tout notre zèle sur les membres
de notre maison, afin qu'après les avoir solidement établis
dans la crainte de Dieu, nous jouissions ici-bas d'un repos parfait et
que nous méritions les biens innombrables de l'autre vie, par la
grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par
qui et en qui la gloire soit rendue au Père et en même temps
au Saint-Esprit; maintenant et toujours, et dans les siècles des
siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE I. PAUL, SERVITEUR DE JÉSUS-CHRIST, APPELÉ
A L'APOSTOLAT, CHOISI POUR L'ÉVANGILE DE DIEU, QU'IL AVAIT PROMIS
AUPARAVANT PAR DES PROPHÈTES DANS LES SAINTES ÉCRITURES.
(CHAP. 1, VERS. JUSQU'A 7.)
Analyse.
1. Explication très-intéressante et très-profonde des mots : Paul, serviteur, Jésus-Christ, appelé, apôtre, choisi, Evangile de Dieu.
2. L'Evangile que quelques-uns considèrent comme une nouveauté, a été annoncé et figuré longtemps d'avance, de sorte qu'il est plus ancien que les Gentils. — Saint Paul parle de deux générations de Jésus-Christ en commençant parla génération selon la chair, pourquoi?.. Cinq preuves de la divinité de Jésus-Christ indiquées en passant par l'Apôtre.
3. Pour faire obéir à la foi... C'est de for et non de raisonnement que les chrétiens ont besoin. — Toutes les nations. — L'Evangile doit être prêché à toutes les nations de la terre, sinon par Paul et les autres apôtres ses contemporains, du moins par ceux qui leur succéderont dans l'apostolat. — Les Romains, quoique maîtres du monde, n'ont devant l'Evangile aucun privilège.
4. Que la sanctification vient de la charité.- Que les dignités qui s'achètent à prix d'argent ne sont pas proprement des dignités.
1. Moïse a composé cinq, livres et n'y a écrit son nom nulle part, non plus que ceux qui ont raconté ce qui s'est passé après lui; il en est de même de Matthieu, de Jean , de Marc et de Luc; mais le bienheureux Paul place toujours le sien en tête de ses lettres. Pourquoi cela ? Parce que ces autres auteurs écrivaient pour des personnes présentes et qu'il leur était inutile de se nommer eux-mêmes ; tandis que Paul, écrivant au loin et sous forme de lettres, devait nécessairement mettre son nom. S'il ne le fait pas dans son Epître aux Hébreux, c'est à dessein et par prudence. Car comme il leur était odieux et qu'il craignait,qu'en entendant son nom ils ne se refusassent tout d'abord à l'écouter , il le supprime afin de les attirer. Mais si les prophètes et Salomon . ont écrit leurs noms, je vous laisse le soin de chercher pourquoi les uns l'ont fait et les autres non ; car ce n'est point à moi de tout vous apprendre, mais à vous de travailler et de chercher, pour ne pas devenir trop paresseux.
" Paul, serviteur de Jésus-Christ. " Pourquoi Dieu a-t-il changé son nom, en l'appelant Paul au lieu de Saul? Pour qu'en cela il ne fût point inférieur aux autres apôtres, mais qu'il jouît (192) du même privilège que le chef des disciples et fût plus intimement uni à la famille. Et ce n'est pas sans raison qu'il se nomme serviteur du Christ, car il y a bien des espèces de servitude: l'une découle de la création, comme il est dit: "Toutes choses vous servent " (Ps. CXVIII) ; et ailleurs: " Mon serviteur Nabuchodonosor (Jérémie, XXV, 9) : tout ouvrage étant au service de l'ouvrier ; une autre dérive de la foi , dont Paul dit : " Mais grâces soient rendues à Dieu de ce qu'avant été esclaves du péché , vous avez obéi du fond du coeur à ce modèle de doctrine sur lequel vous avez été formés, et de ce qu'affranchis du péché, vous êtes devenus esclaves de la justice ". (Rom. VI,17, 18) ; une autre encore tirée de la conduite, de laquelle on lit: " Moïse mon serviteur est mort " (Job, 1, 2) ; car bien que tous les Juifs fussent serviteurs de Dieu: Moïse l'était par excellence, à raison de sa conduite. Mais comme Paul était serviteur de Di, u dans tous les sens, il s'en glorifie comme d'une très-haute dignité par ces mots : "Serviteur de Jésus-Christ ". Il prononce les noms de l'incarnation , en remontant de bas en haut; car le nom de Jésus fut apporté du ciel par un ange, le jour où le Sauveur prit naissance dans le sein d'une vierge; et le mot Christ vient dé l'onction, qui appartient à la chair. Et de quelle huile, direz-vous, le Christ a-t-il été oint? D'aucune, mais bien de l'Esprit ; or l'Ecriture a coutume d'appeler Christs ceux qui ont reçu cette onction. Car le principal, dans,l'onction, c'est l'Esprit ; l'huile n'est que l'accessoire: Mais où appelle-t-on Christs ceux qui n'ont pas été oints avec l'huile ? Dans le passage où il est dit : " Ne touchez point à mes Christs, et ne maltraitez point mes prophètes". (Ps. CIV.) Car là il n'était pas question d'onction par l'huile.
" Appelé à l'apostolat ". Partout il se donne le titre d'appelé, pour témoigner sa reconnaissance et faire voir que s'il a trouvé, ce n'est point pour avoir cherché; mais parce qu'il a été appelé et qu'il a obéi. C'est aussi le nom qu'il donne aux fidèles appelés ainsi. Mais les fidèles ont été simplement appelés à la foi ; tandis qu'à lui on a confié autre chose, l'apostolat ; fonction pleine de biens sans nombre qui l'emporte sur toute les grâces et les renferme toutes. Et qu'est-il besoin de dire autre chose, sinon que ce gué le Christ a fait lui-même sur la terre, il a chargé les apôtres de le faire après son départ? C'est ce que Paul
nous crie lui-même, quand il exalte en ces termes la dignité des apôtres : " Nous faisons les fonctions d'ambassadeurs pour le Christ, Dieu exhortant par notre bouche " (II Cor. V, 20), c'est-à-dire, nous remplaçons le Christ.
" Choisi pour l'Evangile de Dieu ". Du même que, dans une maison, chacun est destiné à un. emploi différent, ainsi lés divers ministères sont distribués dans l'Eglise. Ici il me semble moins désigner son lot particulier , qu'insinuer qu'il y a été appelé depuis longtemps, et d'en-haut. C'est ainsi que Jérémie affirme que Dieu a dit, en parlant de lui : " Avant que tu sortisses du sein de ta mère , je t'ai sanctifié et établi prophète parmi les " nations ". (Jér. I, 5.) Comme Paul écrivait à un peuple fier et orgueilleux, il veut prouver que l'élection vient de Dieu : c'est Dieu qui a appelé, c'est Dieu quia choisi. Son but est de rendre sa lettre digne de foi et de la faire agréer. " Pour l'Evangile de Dieu ". Matthieu et Marc ne sont donc pas les seuls évangélistes, pas plus qu'il n'est, lui-même le seul apôtre ; bien que ce nom lui soit donné par excellence, comme à ceux-là celui d'évangéliste. Il l'appelle Évangile, non-seulement à cause des biens déjà accordés, mais à cause des biens à venir. Et comment dit-il qu'il apporte la bonne nouvelle de Dieu ? Voici en effet ses paroles : " Choisi pour l'Evarngile de Dieu ". Or le Père était connu avant les Evangiles. Mais s'il était connu, ce n'était que des Juifs , et pas de tous encore, comme il l'aurait fallu: car ils ne le connaissaient point comme Père, et s'en formaient beaucoup d'idées indignes de lui : aussi le Christ disait-il : " Les vrais adorateurs viendront ; ce sont de tels adorateurs que le Père cherche ". (Jean, IV, 23.) Enfin il s'est manifesté au monde entier avec le Fils : comme le Christ lui-même l'avait prédit, en disant : " Afin qu'ils vous connaissent, vous seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ ". (Id. XVII, 3.) Il l'appelle Evangile de Dieu, pour exciter dès l'abord l'attention de l'auditeur. Car il ne vient pas apporter de tristes nouvelles, des injures, des accusations , des reproches, comme le prophète; mais annoncer de bonnes nouvelles, les bonnes nouvelles de Dieu, des trésors infinis de biens permanents et immuables. — " Qu'il avait promis auparavant par des prophètes dans les saintes Ecritures ". Car il est écrit: " Le Seigneur mettra la parole dans la bouche (193) de ceux qui évangélisent avec beaucoup de force ". (Ps. LXVII.) Et encore: " Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui, évangélisent la paix ! " (Is. LII, 7.)
2. Voyez-vous comme le nom et le mode de l'Evangile sont clairement énoncés dans l'Ancien Testament ? Car, dit-il, nous n'évangélisons pas seulement en paroles, mais en action ; vu que ce n'est point une oeuvre humaine, mais divine, mystérieuse, et élevée au-dessus de toute la nature. Et comme on traitait la chose de nouveauté, il démontre qu'elle est plus ancienne que les Grecs et déjà décrite d'avance par les prophètes. Que si elle n'a pas été donnée dès le commencement, la faute en est à ceux qui n'ont pas voulu la recevoir; car ceux qui l'ont voulu, ont entendu. " Abraham votre père ", dit le Christ, " a tressailli pour voir mon jour ; il 'a vu et il s'en est réjoui ". (Jean, VIII, 56.) Comment donc le Sauveur dit-il ailleurs: "Beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l'ont pas vu? " (Matth. XIII, 17.) C'est-à-dire, voir comme vous voyez et entendez, la chair même, les signes visibles. Mais considérez combien de temps à l'avance cela avait été prédit : car quand Dieu prépare de grandes choses, il les annonce longtemps d'avance, afin de disposer nos oreilles à les accueillir quand elles arriveront. — " Dans les Saintes Ecritures ". Les prophètes ne parlaient pas seulement, mais ils écrivaient ce qu'ils disaient; non-seulement ils l'écrivaient, mais ils le représentaient en figures, comme Abraham conduisant Isaac, Moïse élevant le serpent, ou étendant les mains contre Amalec, ou immolant l'agneau de la Pâque.
" Touchant son Fils qui lui est né de David " selon la chair (3) ". Que faites-vous , Paul ? Après avoir élevé nos esprits, nous avoir fait pressentir des choses sublimes et mystérieuses, avoir parlé d'Evangile et d'Evangile de Dieu, introduit le choeur des prophètes et avoir démontré que tous ont prédit longtemps d'avance ces événements futurs ; après tout cela, dis-je, comment nous ramenez-vous à David ? De grâce, quel est l'homme dont vous parlez, et à qui vous donnez pour père le fils de Jessé ? Comment cela répond-il à ce que vous venez de dire ? — Cela y répond parfaitement; car, nous dit-il, il ne s'agit pas ici d'un pur mortel. Aussi ajoute-t-il : " Selon la chair ", insinuant par là qu'il a aussi une génération selon l'Esprit.
Et pourquoi a-t-il commencé par là, et non par le côté le plus élevé ? Parce que Matthieu, Luc et Marc l'ont fait aussi. Car celui qui veut conduire au ciel, doit nécessairement commencer par ce qu'il y a de plus bas pour élever à ce qu'il y a de plus haut : c'est l'ordre suivi par le Verbe incarné. On l'a d'abord vu comme homme sur la terre, puis on a compris le Dieu. Ainsi la manière dont le Maître a réglé son enseignement, est celle que le disciple adopte pour tracer la voie qui conduit au ciel. Il parlera donc d'abord de la génération selon la chair, non parce qu'elle est la première , mais parce qu'il veut élever l'esprit de son auditeur de celle-là à l'autre.
" Qui a été prédestiné Fils de Dieu en puissance selon l'Esprit de sanctification, par la résurrection de Jésus-Christ d'entre les morts (4) ". La complication des termes rend ici le sens obscur; aussi devons-nous distinguer. Que dit-il donc ? Nous prêchons Celui qui est né de David : voilà qui est clair. Mais qu'est-ce qui montre que celui-là est aussi le Fils de Dieu qui s'est incarné ? La première preuve est tirée des prophètes; c'est pourquoi il " dit: Qu'il avait promis auparavant par ses prophètes dans les saintes Ecritures ". Ce genre de démonstration n'est pas sans valeur. La seconde ressort du mode de génération exprimée par ces mots : " De la race de David selon la chair ", car cette naissance a été une dérogation à la loi de la nature. La troisième se tire des miracles qu'il a opérés, donnant ainsi une preuve de sa grande puissance, ainsi que l'indique ce mot : " En puissance ". La quatrième est tirée de l'Esprit-Saint qu'il a donné à ceux qui croient en lui, et par lequel il les fait tous saints ; ce que veulent dire ces paroles : " Selon l'Esprit de sanctification " car Dieu seul pouvait faire de tels dons. La cinquième est la résurrection du Seigneur : Car le Christ est le premier et le seul qui soit ressuscité par sa propre vertu : signe que le Sauveur lui-même donne comme le plus propre à fermer la bouche aux plus impudents. " Détruisez ce temple "; leur dit-il, " et je le relèverai en trois jours " (Jean, II, 19) ; " Quand vous aurez élevé le Fils de l'homme, c'est alors que vous connaîtrez ce que je suis ". (Id. VIII, 28.) Et encore : " Cette génération demande un miracle ; et il ne lui en sera point donné d'autre que celui de Jonas ". (Matth. XII, 39.) Que veut donc dire (194) " Prédestiné? " Montré, déclaré, jugé, confessé par le suffrage de tous, par les prophètes, par sa naissance inouïe selon la chair, par la puissance des miracles, par l'Esprit en qui il a donné la sanctification, par la résurrection qui a brisé la puissance de la mort.
" Par qui nous avons reçu la grâce et l'apostolat pour faire obéir à la foi (6) ". Voyez la reconnaissance du serviteur : il ne s'attribue rien, mais renvoie tout au Maître. Or le Seigneur lui-même a donné cet Esprit. Aussi disait-il : " J'ai encore bien des choses à vous dire, mais vous ne les pouvez porter à présent. Mais quand cet Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité ". (Jean, XVI, 12.) Et encore : " Séparez-moi Paul et Barnabé ". (Act. XIII, 2.) Et Paul nous dit dans l'Epître aux Corinthiens : " A l'un est donné par l'Esprit la parole de sagesse, à un autre la parole de science ". (I Cor. XII, 8) Et encore: " Lui-même distribue tout comme il veut ". (I Cor. XII, 11.) Prêchant aux Milésiens, il leur dit : " Dans lequel l'Esprit-Saint vous a établis pasteurs et évêques ". Voyez-vous comme il attribue au Fils ce qui est à l'Esprit, et à l'Esprit ce qui est au Fils? " La grâce et l'apostolat " ; c'est-à-dire, ce n'est pas nous qui avons mérité d'être apôtres. Ce n'est point par nos travaux et nos peines que nous avons obtenu cette dignité ; mais nous avons reçu la grâce, et ce ministère est un don d'en-haut. " Pour faire obéir à la foi ".
3. Ce n'était donc point là l'œuvre des apôtres, mais de la grâce qui les prévenait. Les voyages et la prédication étaient bien leur fait, mais la persuasion venait de Dieu qui agissait mieux; comme saint Luc nous le dit: " Il a ouvert leur coeur " ; et encore : " Ceux à qui il avait été donné d'entendre la parole de Dieu. — Pour faire obéir ". Il ne dit point: Pour chercher, pour démontrer; mais " Pour faire obéir ". Ce qui signifie : Nous n'avons pas été envoyés pour faire des raisonnements, mais pour rendre ce que nous avons reçu. Car quand le Maître prononce quelque chose, les auditeurs n'ont point à scruter et à s'enquérir curieusement, mais seulement à accepter. Les apôtres ont été envoyés pour dire ce qu'ils avaient entendu, et non pour y rien ajouter du leur; et nous, nous n'avons qu'à croire. Et quoi croire? " A son nom " (Act. III, 6) ; non pour nous livrer à des recherches curieuses sur sa substance, mais pour croire à son nom : car c'est ce nom qui opérait les miracles : comme il est écrit : " Au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche ". (Ib.) Ici il faut la foi, et nous ne pouvons rien comprendre par le raisonnement.
" Toutes les nations parmi lesquelles vous avez été, vous aussi, appelés par Jésus-Christ". Quoi donc ? Paul a-t-il prêché à toutes les nations ? On voit clairement par ce qu'il écrit aux Romains, qu'il est allé de Jérusalem en Illyrie, et de là aux extrémités de la terre. Mais quand il ne serait pas allé partout, sa parole n'en serait pas moins vraie : car il ne parle pas seulement de lui, mais des douze apôtres et de tous ceux qui ont évangélisé après eux. D'ailleurs quand vous prouveriez qu'il parle de lui seul, vous ne pourriez encore le contredire, si vous tenez compte de son ardeur, et si vous considérez qu'il ne cessé de prêcher par toute la terre même après sa mort. Voyez comme il exalte la grâce de l'Evangile, et fait voir qu'il est grand et bien au-dessus de la première, car l'ancien ordre de choses ne regardait qu'un seul peuple, tandis que le nouveau a conquis la terre et la mer ! Voyez encore comme l'âme de Paul est éloignée de toute flatterie ! Il parle aux Romains qui se trouvaient comme placés à la tête de l'univers entier, et pourtant il ne leur accorde pas plus qu'aux autres nations ; bien qu'ils régnassent sur les autres, il ne leur attribue rien de plus dans l'ordre spirituel : nous vous prêchons, leur dit-il, comme à toutes les autres nations; il les met au rang des Scythes et des Thraces; sinon, il eût été inutile de dire : " Parmi lesquelles vous avez été, vous aussi ". Il fait cela pour détruire leur orgueil, corriger leur vanité, et leur apprendre qu'ils ne sont point au-dessus des autres. Aussi ajoute-t-il: " Parmi lesquelles vous avez été, vous aussi, appelés par Jésus-Christ (6) ". C'est-à-dire, avec lesquelles vous avez été. Il ne dit point : a appelé les autres avec vous, mais vous a appelés avec les autres. Car, si dans le Christ Jésus il n'y a ni esclave ni libre, à plus forte raison ni roi ni particulier : aussi avez-vous été appelés et vous n'êtes point venus de vous-mêmes.
" A tous ceux qui sont à Rome, aux bien-aimés de Dieu, appelés saints, grâce à vous et paix de la part de Dieu notre Père et de Notre-Seigneur Jésus-Christ ". Voyez comme il répète continuellement le mot d'appelé : " Appelé à l'apostolat; parmi lesquelles vous (195) êtes, vous aussi, appelés; à tous ceux qui sont à Rome, aux appelés". Et ce n'est point ici une superfluité, mais il veut leur rappeler le bienfait. Car comme vraisemblablement il y avait, parmi les croyants, des chefs et des consuls, ainsi que des pauvres et de simples particuliers, il efface toute distinction de dignités, en leur donnant le même nom. Que si dans les choses les plus nécessaires, dans l'ordre spirituel, tout est communaux esclaves et aux hommes libres; l'amour de Dieu, la vocation, l'Evangile, l'adoption, la grâce, la paix, la sanctification et tout le reste : comment ne serait-il pas souverainement déraisonnable d'établir des distinctions temporelles entre ceux que Dieu a réunis et rendus égaux dans des choses plus importantes? Aussi, détruisant dès le début cette funeste maladie, le bienheureux les introduit-il tous dans la source de tous les biens, l'humilité. C'était le moyen de rendre meilleurs les serviteurs, en leur apprenant que leur condition ne leur faisait aucun tort, puisqu'ils possédaient la vraie liberté; cela inspirait aussi la modération aux maîtres, en leur faisant voir que la liberté ne sert à rien, si elle n'est précédée par la foi. Et ce qui vous prouve que Paul n'agit point ici au hasard et sans discernement, mais qu'il sait parfaitement faire la distinction vraie, c'est qu'à ces mots : " A tous ceux qui sont à Rome ", il ajoute ceux-ci : " Aux bien-aimés de Dieu ". Excellente distinction en effet et qui nous apprend d'où vient la sanctification.
D'où vient donc la sanctification? de l’amour, Après avoir dit : Aux bien-aimés", il ajoute : " appelés saints " , indiquant que là est la source de tous les biens : or, ce nom de saints, il le donne à tous les fidèles. " Grâce à vous et paix ". O salutation pleine de bénédictions sans nombre C'est celle que le Christ a ordonné à ses apôtres de prononcer d'abord quand ils entrent dans les maisons. C'est pourquoi Paul débute ainsi partout, c'est-à-dire en souhaitant grâce et paix. Car ce n'est pas à une guerre médiocre, mais à une guerre variée, universelle, prolongée que le Christ a mis fin, non par nos travaux, mais par sa grâce. Donc, puisque l'amour nous a donné la grâce, et la grâce la paix, Paul en employant ces mots par forme de salut, demande que ces biens soient durables et permanents, pour empêcher la guerre de se rallumer; et il prie l'Auteur de ces dons de les consolider, en disant: " Grâce à vous et paix par Dieu, notre Père et par Notre-Seigneur Jésus-Christ ". Ici le mot " par " est commun au Père et au Fils et a le même sens que " de la part de ". Il n'a pas dit: Grâce à vous et paix de la part de Dieu le Père, par l'intermédiaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ; mais : " Par le Père et par Notre-Seigneur Jésus-Christ ".
O ciel ! que l'amour de Dieu est puissant ! Des ennemis, des hommes
déshonorés sont devenus tout à coup des saints et
des fils ! car, en nommant Dieu le Père, il indique qu'il y a des
enfants, et en parlant d'enfants, il révèle le trésor
de tous les biens. Persévérons donc dans une conduite digne
d'un si grand bienfait, et conservons la paix et la sainteté. Les
autres dignités sont passagères; elles s'évanouissent
avec la vie présente et s'achètent à prix d'argent;
aussi pourrait-on dire qu'elles ne sont point des dignités, mais
des noms de dignités, puisqu'elles ne consistent que dans l'éclat
des vêtements et dans les adulations des courtisans. Mais le don
de la sanctification et de l'adoption venant de Dieu, ne disparaît
point à la mort; c'est même alors qu'il nous fait briller
et il nous accompagne jusqu'à la vie éternelle. Car celui
qui conserve l'adoption et la sanctification avec fidélité,
est beaucoup plus éclatant et plus heureux que celui qui porte le
diadème et revêt la pourpre; il possède ici-bas une
tranquillité parfaite, entretient les meilleures espérances,
n'a aucun sujet d'agitation ni de trouble, mais jouit d'un bonheur perpétuel.
Car ce n'est point l'étendue du commandement, ni l'abondance des
richesses, ni l'orgueil du pouvoir, ni la vigueur du corps, ni le luxe
de la table, ni l'éclat des vêtements, ni rien de mortel,
qui donne la joie et la sérénité; mais les couvres
spirituelles bien faites et une bonne conscience. Celui qui a la conscience
pure, fût-il couvert de haillons et en lutte avec la faim, est plus
joyeux que ceux qui nagent dans les délices; de même que celui
qui a une conscience coupable, possédât-il toutes les richesses,
est le plus malheureux des hommes. C'est pourquoi Paul, vivant toujours
dans la faim et dans la nudité, flagellé tous les jours,
était plus heureux et plus content que les rois d'alors; tandis
qu'Achab, assis sur le trône, plongé dans les délices,
mais coupable d'un crime, gémissait, était inquiet, avait
les traits abattus et avant et après son péché. Si
donc nous voulons être (196) heureux, avant tout fuyons le vice,
et recherchons la vertu : convaincus qu'il n'y a pas d'autre moyen de parvenir
au bonheur, fussions-nous même assis sur le trône. Aussi Paul
disait-il : " Les fruits de l'Esprit sont la charité, la joie, la
paix ". (Gal. V, 22.) Entretenons donc ces fruits en nous, afin de posséder
la joie ici-bas, et d'obtenir le royaume éternel, par la grâce
et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire
est au Père en même temps qu'au Saint-Esprit, maintenant et
toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE II. PREMIÈREMENT, JE RENDS GRACES A MON DIEU PAR
JÉSUS-CHRIST, POUR VOUS TOUS, DE CE QUE VOTRE FOI EST ANNONCÉE
DANS TOUT L'UNIVERS. ( 8 JUSQU'A 17.)
Analyse.
1. Comment l'on doit rendre grâces à Dieu.
2. L'Apôtre exprime aux Romains les sentiments de tendresse qui l'animent envers eux. — Le culte évangélique, culte spirituel opposé à celui des païens et supérieur à celui des Juifs.
2. Ménagements pleins de délicatesse auxquels l'Apôtre a recours pour ne blesser personne. — Le secours de la grâce ne doit pas empêcher la volonté d'agir.
4. La foi déjà prêchée par tout l'univers.
5. Modestie de saint Paul.
6. Ne pas rougir de l'Evangile. — Le juste vit de foi. — Ne pas demander compte à Dieu de ses commandements.
1. Début bien digne de cette âme bienheureuse, et propre à nous apprendre à tous à offrir à Dieu les prémices de nos paroles et de nos bonnes oeuvres, à lui rendre grâces non-seulement pour nos succès, mais pour ceux des autres : ce qui est le moyen de purifier l'âme de l'envie et de la jalousie, et ce qui attire particulièrement la bienveillance de Dieu aux coeurs reconnaissants. Aussi dit-il encore ailleurs : " Béni le Dieu et Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ , qui nous a bénis de toute bénédiction spirituelle ". (Gal. I, 3.)
La reconnaissance est un devoir non-seulement pour les riches, pour ceux qui jouissent de la santé , pour ceux qui vivent dans la prospérité, mais encore pour les pauvres , pour les malades, pour ceux que l'adversité afflige. En effet rien d'étonnant à ce que nous rendions grâces à Dieu quand le vent favorable enfle nos voiles; mais le remercier quand la tempête soulève les flots, quand le vaisseau est ballotté et menacé de périr, c'est là une grande preuve de patience et de reconnaissance. C'est pour cela que Job fut couronné, qu'il ferma la bouche insolente de Satan, et fit voir clairement que sa reconnaissance au sein de la prospérité n'avait point la fortune pour mobile, mais bien un grand amour de Dieu. Et voyez de quoi Paul est reconnaissant: non pas de biens terrestres et périssables, comme seraient l'autorité, la puissance, la gloire (car tout cela est sans valeur), mais des biens réels, de la foi, de la liberté. Voyez aussi avec quelle affection il rend grâces ! Il ne dit pas: à Dieu, mais " à mon Dieu", suivant en cela l'usage des prophètes qui s'approprient Dieu, le bien commun. Et peut-on s'en (197) étonner dans les prophètes? Dieu lui-même en agit ainsi souvent à l'égard de ses serviteurs, en s'appelant particulièrement le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob.
" De ce que votre foi est annoncée dans tout l'univers ". Quoi ! le monde entier avait ouï parler de la foi des Romains? Oui, d'après lui; et il n'y a rien d'invraisemblable; car ce n'était point une ville obscure, mais placée comme sur un faîte et visible partout. Considérez ici la puissance de la prédication, comment en peu de temps, par le moyen de publicains et de pêcheurs elle -a envahi la reine même des cités, comment des Syriens sont devenus les maîtres et les guides des Romains. Il leur rend ici un double témoignage : c'est qu'ils ont cru, et qu'ils ont cru avec pleine liberté, au point que le bruit s'en était répandu dans le monde entier. " Car ", leur dit-il, "votre foi est annoncée dans tout l'univers". La foi, et non des disputes de mots, des questions, des raisonnements. Et pourtant la doctrine trouvait là de nombreux obstacles. Car, en possession depuis quelque temps de l'empire du monde, ils avaient une haute opinion d'eux-mêmes et passaient leur vie au sein des richesses et des plaisirs; et ceux qui leur apportaient la prédication étaient des Juifs, des descendants des Juifs, de cette race odieuse et exécrée de tous; et ils ordonnaient d'adorer le Crucifié, un homme élevé dans la Judée; et, avec cet enseignement, ces maîtres prescrivaient une vie austère à des hommes livrés aux voluptés et épris des biens d'ici-bas. Et ces prédicateurs étaient pauvres, ignorants, sans naissance. Mais rien de cela n'a empêché le cours de la parole; telle était la puissance du Crucifié, qu'il la répandait partout.
" Est annoncée ", dit Paul, " dans l'univers entier ". Il ne dit pas: est manifestée , mais " est annoncée ", comme si tout le monde parlait d'eux. En attestant le même fait aux Thessaloniciens, il y ajoute autre chose : car après avoir dit : " Par où la parole de Dieu s'est répandue ", il ajoute : " En sorte que nous n'avons pas besoin d'en rien dire ". (I Thess. 1, 3.) En effet les disciples avaient pris rang parmi les maîtres, ils instruisaient avec liberté et attiraient tout le monde à eux. Car la prédication ne s'arrêtait nulle part et s'étendait à l'univers entier avec plus de violence que le feu. Ici il se contente de dire qu' " elle est annoncée ", et il a raison de dire qu' " elle est annoncée " ; par là il fait comprendre qu'il n'y a rien à ajouter à ce qui a été dit, rien à en retrancher : car c'est le devoir d'un messager de répéter simplement ce qu'on lui a dit. C'est pour cela que le prêtre est appelé messager, parce qu'il ne parle point en son nom, mais au nom de celui qui l'envoie. Pourtant Pierre a aussi prêché là. Mais Paul qui brûlait du feu de cette charité qui, comme il dit, n'est point envieuse, regardait ce que faisait Pierre comme s'il l'eût fait lui-même. " Car le Dieu que je sers en mon esprit, dans l'Evangile de son Fils, m'est témoin que je me souviens sans cesse de vous (9) ".
2. Ces paroles sortent des entrailles d'un apôtre, elles démontrent une sollicitude paternelle. Que veut-il donc dire, et pour quelle raison appelle-t-il Dieu en témoignage ? Il s'agissait de son affection. Comme il ne les avait pas encore vus, il invoque pour témoin, non un homme, mais Celui qui pénètre les coeurs. Après leur avoir dit: Je vous aime, et leur en avoir donné pour signe ses prières continuelles et le désir d'aller les voir, comme il n'y avait rien là de manifeste, il recourt à un témoin digne de foi. Quelqu'un de nous peut-il se vanter de se souvenir de l'Eglise dans laquelle il est, lorsqu'il prie dans sa maison? Je ne le pense pas. Et Paul priait Dieu non-seulement pour une ville, mais pour tout l'univers, et cela, non pas une fois, deux fois ni trois fois, mais toujours. Si porter quelqu'un continuellement dans ses souvenirs est une preuve de grand attachement ; pensez quelle affection, quel amour il faut pour prier et prier continuellement. Quand il dit: " Que je sers en mon esprit, dans l'Evangile de son Fils ", il montre tout à la fois et la grâce de Dieu et sa propre humilité : la grâce de Dieu, qui lui a confié une mission aussi importante, et son humilité en ce qu'il n'attribue rien à son zèle, mais rapporte tout à l'action du Saint-Esprit. En ajoutant ce mot " Evangile ", il indique l'espèce de son ministère. Car il y a plus d'une sorte, de ministère et aussi de culte. Carde même que, chez les rois, tous, quoique subordonnés à un souverain unique, ne remplissent cependant point les mêmes fonctions, mais que l'un a mission de commander aux armées, l'autre d'administrer les villes, un troisième de veiller à la garde des trésors; ainsi, dans l'ordre spirituel, l'un sert et honore Dieu par sa foi et sa conduite (198) régulière, l'autre est chargé de donner l'hospitalité aux étrangers, un troisième du soin des pauvres: comme on le voit au temps des apôtres même, où Etienne servait Dieu dans le soin des veuves, un autre par l'enseignement de la parole. Paul, par exemple, servait par la prédication de l'Evangile, c'était son genre de ministère, celui qui lui avait été confié, c'est pourquoi il ne se contente pas d'invoquer Dieu comme témoin, mais il parle de la mission qu'il a reçue, faisant voir que , chargé d'une si haute fonction, il ne voudrait point appeler en témoignage d'un mensonge celui qui la lui a confiée. De plus, il veut aussi leur faire comprendre son amour et la nécessité où il est de se préoccuper d'eux. De peur qu'ils ne disent : Qui êtes-vous, pourquoi vous dites-vous en souci de cette grande et royale cité? Il leur prouve que ce souci est nécessaire, puisque c'est là le genre de service qui lai est assigné, la prédication de l'Evangile. En effet, celui qui est chargé de cette mission doit nécessairement avoir toujours dans l'esprit ceux qui doivent recevoir la parole.
Il indique encore autre chose par ces mots " En mon esprit " : à savoir que ce culte est bien au-dessus de celui des Grecs et de celui des Juifs : car le culte des Grecs était faux et charnel, celui des Juifs vrai, mais charnel aussi; tandis que celui de l'Eglise, opposé à celui des gentils, était bien au-dessus de celui des Juifs. En effet, il ne s'exerce plus par l'immolation des brebis, des veaux, par la fumée et la graisse des victimes, mais par l'âme spirituelle, selon la parole du Christ " Dieu est esprit, et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en vérité ". (Jean, IV, 24.) — " Dans l'Evangile de son Fils ". Plus haut il disait l'Evangile du Père, ici il dit l'Evangile du Fils: tant c'est chose indifférente de nommer le Père ou le Fils. Car il a appris de cette voix bienheureuse que ce qui est au Père appartient au Fils et que ce qui est au Fils appartient au Père. " Car ", dit le Christ, " tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce qui est à vous est à moi ". (Jean, XVII,10.)
" Que je fais sans cesse mémoire de vous dans mes prières ". C'est là le véritable amour. Il semble ne dire qu'une chose et il en dit quatre : qu'il se souvient d'eux, qu'il s'en souvient sans cesse, et dans ses prières et pour des objets importants. " Demandant que, par la volonté de Dieu, quelque heureuse voie me soit ouverte pour aller vers vous. Car je désire vous voir (10,11) ". Voyez-vous comme il désire ardemment les voir, et comment, ne voulant rien faire que sous le bon plaisir de Dieu, son amour est mêlé de crainte? Il les aimait en effet, il était pressé d'aller à eux; mais, bien qu'il les aimât, il ne voulait les voir que quand il plairait à Dieu. Voilà le véritable amour. Il n'en est pas ainsi de nous qui nous écartons dans les deux sens des lois de la charité; car, ou nous n'aimons personne, ou quand nous aimons, ce n'est point selon la volonté de Dieu; double transgression de la loi divine. Si nos paroles sont blessantes, votre conduite l'est davantage.
3. Mais, direz-vous, comment aimons-nous contre la volonté de Dieu? — Quand nous dédaignons le Christ mourant de faim et que nous donnons à nos amis et à nos proches au-delà du nécessaire. A quoi bon, du reste, en dire davantage? Chacun n'a qu'à examiner sa conscience pour se trouver coupable là-dessus en plus d'un point. Il n'en était pas ainsi de notre bienheureux; il savait aimer, et aimer comme il faut, et surpasser tout le monde en charité, sans dépasser en rien les bornes de la charité. Et voyez comme il porte ces deux sentiments au plus haut degré : la crainte de Dieu et l'amour des Romains. En effet, prier sans cesse, et ne point se désister d'un voeu qui n'est pas rempli, c'est une preuve d'ardente affection ; mais ne tenir à l'objet de ses désirs que sous le bon plaisir de Dieu, c'est la marque d'une grande piété. Ailleurs même après avoir prié trois fois le Seigneur sans obtenir, en présence même du résultat contraire, il rend de grandes actions de grâces de n'avoir point été exaucé (II Cor. XII, 8) : tant il avait Dieu en vue en toutes choses ! Ici, il obtint, il est vrai, mais tardivement et non quand il demandait, et il ne s'en affligea point. Je dis cela pour que nous ne nous attristions pas, quand nous ne sommes point exaucés ou que nous ne le sommes que tard. Nous ne sommes pas meilleurs que Paul qui rendit grâces dans les deux cas et eut raison de le faire. Comme il s'était livré une bonne fois à la main qui gouverne tout, avec autant de docilité que l'argile à la main du potier, il allait partout où Dieu le conduisait.
Après avoir exprimé son désir de les voir, il en donne la raison. Quelle est-elle? " Pour (199) vous communiquer quelque chose de la grâce spirituelle, afin de vous fortifier ". Ce n'était pas sans motif qu'il voulait aller là, comme font tant de gens qui entreprennent des voyages inutiles et sans profit, mais pour des affaires nécessaires et pressantes; ce qu'il n'exprime pas clairement, mais par énigmes. Car il ne dit point : Pour vous instruire, pour vous prêcher, pour vous donner ce qui vous manque ; mais " pour vous communiquer quelque chose ", indiquant qu'il ne donne rien de lui-même, mais fait part de ce qu'il a reçu. Et encore parle-t-il ici avec modestie : " Quelque chose "; peu de chose, veut-il dire, et en proportion avec ma mesure. Et qu'est-ce donc que ce peu que vous allez leur communiquer? — Quelque chose " pour vous fortifier ", répond-il.
C'est donc un effet de la grâce, de ne pas chanceler, de se tenir ferme. Et quand on vous parle de grâce, gardez-vous de croire que ce soit à l'exclusion du mérite de la volonté ; car si Paul tient ce langage, ce n'est pas qu'il ne tienne aucun compte de la volonté, mais c'est pour détruire l'enflure de l'orgueil. Ne vous découragez donc point, parce qu'il appelle cela grâce. Dans l'excès de sa reconnaissance, il donne le nom de grâces à toutes les bonnes actions, parce qu'en toutes, le secours d'en-haut nous est bien nécessaire. Après avoir dit " Pour vous fortifier ", il leur insinue qu'ils ont grand besoin d'être corrigés. Car voici ce qu'il veut dire : Depuis longtemps je désirais et souhaitais de vous voir, dans le seul but de vous fortifier, de vous affermir et de vous consolider dans la crainte de Dieu, afin que vous ne soyez pas toujours chancelants. Il ne s'exprime pourtant pas ainsi, car il les aurait blessés; il se contente d'insinuer sa pensée doucement et sous une autre forme, en se servant de ces mots . " Pour vous fortifier ". Ensuite, comme ce langage était très-pénible, voyez comme il l'adoucit par la suite. En effet de peur qu'ils ne disent : Quoi donc ! est-ce que nous chancelons? est-ce que nous sommes ballottés ? avons-nous besoin de votre parole pour être fermes? Il prévient l'objection en ces termes : " C'est-à-dire, pour me consoler avec vous par cette foi, qui est tout ensemble votre foi et la mienne ". Comme s'il disait Ne supposez point que je vous ai dit cela par manière de reproche; ce n'était point là mon intention : qu'ai je donc voulu vous dire? Vous avez beaucoup souffert de la part de vos persécuteurs, j'ai donc désiré vous voir pour vous consoler, et non-seulement pour vous consoler, mais encore pour recevoir moi-même de la consolation.
4. Voyez la sagesse de ce maître ! " Pour vous fortifier ", dit-il. Il sentait que son langage était désagréable et pénible pour ses disciples, et il ajoute : " Pour vous consoler ". Quoique ces expressions soient plus douces que les premières, elles contiennent cependant encore quelque chose de désagréable. Aussi leur ôte-t-il encore ce caractère, en mitigeant absolument son langage, de manière à le rendre tout à fait acceptable. Car il ne dit pas simplement: Pour vous consoler, mais : " Pour me consoler avec vous ", et non content de cela, il apporte encore un nouvel adoucissement en disant : " Par cette foi qui est tout ensemble votre foi et la mienne ". O ciel ! quelle humilité ! Il laisse entendre qu'ils n'ont pas seulement besoin de lui, mais qu'il a aussi besoin d'eux : il place les disciples au rang de maître, et abdique tout privilège pour être l'égal de tous. Le profit, leur dit-il, nous sera commun : j'ai besoin de votre consolation, et vous de la mienne. Et comment cela? " Par " cette foi, qui est tout ensemble votre foi et la " mienne ". Car comme en allumant beaucoup de lampes, on produit une grande clarté, ainsi en est-il parmi les fidèles. En effet, quand nous sommes séparés les uns des autres, nous avons moins de courage ; mais quand nous nous voyons mutuellement, et que nous gommes rapprochés comme les membres d'un même corps, nous sommes singulièrement consolés. Toutefois , ne comparez point ce temps-là au temps présent où, par la grâce de Dieu, les fidèles sont nombreux dans les bourgades, dans les villes, et même dans les déserts, où l'impiété se trouve refoulée; mais reportez-vous à cette époque et songez combien il était doux au maître de voir ses disciples, et aux frères de voir des frères venus d'autres cités. Eclaircissons cela par un exemple.
Si par hasard (et que le ciel nous en garde !) nous nous trouvions transportés chez les Perses, chez les Scythes ou d'autres barbares, et dispersés par deux ou trois, dans leurs villes, imaginez quelle consolation nous éprouverions à voir tout à coup arriver d'autres endroits quelques-uns des nôtres. Ne voyez-vous (200) pas les prisonniers se lever et s'élancer par l'effet de la joie, quand ils reçoivent la visite d'un ami? Et ne vous étonnez pas que je compare ces temps-là à la captivité et à la prison; car les fidèles souffraient encore bien davantage, dispersés qu'ils étaient, repoussés, en proie aux horreurs de la faim et de la guerre, craignant la mort tous les jours, obligés de se défier de leurs amis, de leurs parents, de leurs proches, étrangers au milieu du monde, et plus malheureux même que des exilés. Voilà pourquoi Paul dit : " Pour vous fortifier et me consoler avec vous, par notre foi commune ". Non pas qu'il ait besoin de leur secours, loin de là; comment en aurait-il besoin, lui, la colonne de l'Eglise, lui plus solide que le fer et la pierre, lui, le diamant spirituel, lui, qui suffit à d'innombrables cités ? Mais pour ne pas les blesser, pour adoucir la correction, il leur dit que leur consolation lui est nécessaire. Du reste on ne se tromperait pas en disant qu'il y avait un sujet de consolation et de joie dans la foi et les progrès des fidèles, et que Paul en avait besoin. — Mais, pouvait-on lui dire, si vous désirez si vivement recevoir et donner cette consolation, qui vous empêche d'aller là ?
Pour répondre à cette objection, il ajoute " Aussi je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, que je me suis souvent proposé d'aller vers vous, mais j'en ai été empêché jusqu'à " présent (13) ". Voyez là une preuve de sa parfaite obéissance et de sa profonde gratitude. Il dit bien qu'il a été empêché, mais il ne dit pas par quoi. Il ne discute point les ordres du Maître, il se contente d'y obéir. Il y avait cependant lieu de demander pourquoi Dieu privait si longtemps d'un pareil docteur une ville si illustre, si grande, et sur laquelle le monde entier avait les yeux fixés. En effet, en s'emparant d'une capitale on se rend maître de tout l'empire; mais la laisser pour s'attaquer aux lieux qui en dépendent, c'est négliger le point essentiel. Cependant Paul ne se livre point à ces inutiles recherches ; il obéit à un ordre de la Providence, sans le comprendre, nous faisant voir par là sa modération et nous apprenant à ne jamais demander à Dieu raison des événements, quand bien même beaucoup en paraîtraient troublés. Car c'est au maître à commander, et aux serviteurs à obéir. Voilà pourquoi Paul dit qu'il a été empêché, sans dire pour quelle raison. Je n'en sais rien, leur dit-il, ne me demandez pas quel est le dessein, quelle est la volonté de Dieu. Ce n'est point au vase à dire au potier : " Pourquoi m'as-tu fait ainsi ?" (Rom. IX, 20.) Pourquoi, je vous le demande, voudriez-vous savoir cela? Ne savez-vous pas que Dieu a soin de tout, qu'il est sage, qu'il ne fait rien sans raison et au hasard? qu'il vous aime plus que vos parents? que son amour pour vous surpasse celui d'un père, sa tendresse celle d'une mère ? Ne demandez donc rien de plus, n'allez pas plus loin; en voilà assez pour votre consolation; puisque alors tout était en règle à Rome. Si vous ignorez comment, ne vous en inquiétez point. C'est là surtout le propre de la foi, d'accepter la conduite de la Providence sans en connaître les raisons.
5. Après avoir ainsi atteint le but que son zèle se proposait, (et quel était-il, sinon de leur montrer que s'il n'allait pas les voir, ce n'était point par mépris, mais parce qu'il en était empêché?) après s'être justifié du reproche de négligence, et leur avoir prouvé qu'il n'est pas moins désireux de les voir qu'ils ne le sont eux-mêmes, il donne encore d'autres preuves de son amour. Pour avoir été empêché, leur dit-il, je n'ai point cessé mes efforts; toujours j'essayais, toujours les obstacles survenaient, et je ne me désistais point; sans m'opposer à la volonté de Dieu, je restais fidèle à l'amour. En se proposant toujours, en ne se désistant jamais, il prouvait sa charité; en rencontrant des obstacles et en s'y soumettant, il prouvait son extrême amour pour Dieu. " Pour obtenir " quelque fruit parmi vous ". Bien qu'il ait donné plus haut le motif de son désir, motif bien digne de lui, il y revient cependant encore ici, pour dissiper entièrement leur soupçon. Car comme leur ville était remarquable, sans rivale pour la beauté sur terre et sur mer, et que beaucoup d'étrangers s'y rendaient uniquement pour la voir, de peur qu'on ne lui supposât quelque motif de ce genre, qu'on ne soupçonnât que Paul désirait faire connaissance avec eux pour s'en glorifier, il rappelle constamment la raison de son désir. Plus haut il a dit : " Je désirais vous voir pour vous communiquer quelque chose de la grâce spirituelle " ; ici il dit plus clairement : " Pour obtenir quelque fruit parmi vous, comme parmi les autres nations ". Il met au même rang ceux qui commandent et ceux qui obéissent; après des milliers de trophées (201) et de victoires, malgré la gloire de tant de consuls, il les place avec les barbares, et avec raison; car où règne la noblesse de la foi, il n'y a plus ni barbare, ni grec, ni étranger, ni citoyen, mais tous sont élevés à la même dignité.
Voyez encore ici sa modestie. Il ne dit pas Pour vous instruire, pour vous catéchiser. Que dit-il donc? " Pour obtenir quelque fruit ", non pas des fruits simplement, mais " quelque fruit " , restreignant en quelque sorte son rôle, comme plus haut quand il disait: " Pour vous communiquer quelque chose ". Puis, comme je l'ai déjà dit, il comprime leur orgueil, en ajoutant : " Comme parmi les autres nations " ; c'est-à-dire, je n'en serai pas moins zélé pour les autres, parce que vous êtes puissants et que vous l'emportez sur eux; ce ne sont pas des puissants mais des fidèles que nous cherchons.
Où sont maintenant ces sages si réputés chez les Grecs, ces philosophes à longue barbe, portant manteau et si pleins d'eux-mêmes? Un fabricant de tentes a converti la Grèce et toutes les contrées barbares. Et ce Platon, si vanté, si célébré chez eux, après s'être rendu trois fois en Sicile, avec un grand fracas de mots, malgré la haute estime qu'on avait de lui, n'a pas même triomphé d'un tyran; bien plus, il a si mal réussi qu'il a perdu sa liberté. Et ce fabricant de tentes a parcouru, non-seulement la Sicile, non-seulement l'Italie, mais le monde entier; et tout en prêchant il a- continué son métier, cousu des peaux, présidé à son atelier; et les personnages consulaires ne s'en sont point scandalisés, ce qui était juste. Car ce ne sont point les métiers ni les occupations, mais bien le mensonge et les doctrines controuvées qui rendent ordinairement les maîtres méprisables. Voilà pourquoi même les Athéniens se moquent des uns, tandis que l'autre attire l'attention des barbares, des simples et des ignorants. Car la doctrine est pour tous; elle ne connaît ni distinction de dignité, ni prééminence nationale, ni rien de semblable; elle n'a besoin que de foi et non de raisonnements. Ce qu'il faut donc surtout admirer en elle, ce n'est pas qu'elle soit utile et salutaire, mais facile, très-aisée et accessible à tout le monde : ce qui est proprement l'œuvre de la Providence de Dieu, mettant ses biens à la portée de tous. Car ce qu'il a fait pour le soleil, pour la lune, la terre, la mer et les autres parties de la nature, n'en distribuant rien de plus aux riches et aux sages, rien de moins aux pauvres, mais donnant à tous la part égale; il l'a fait aussi pour la prédication, et d'une manière plus marquée encore parce que c'est une chose plus nécessaire. Aussi Paul répète-t-il souvent: " A toutes les nations ". Ensuite, pour leur faire voir qu'il ne leur accorde aucune faveur, mais qu'il accomplit l'ordre du Maître, et pour les rappeler à la reconnaissance due à celui qui est le Dieu de tous, il ajoute : " Je suis redevable aux Grecs et aux barbares, aux sages et aux simples " ; expression qu'il employait déjà en écrivant aux Corinthiens. Par là, il rapporte tout à Dieu. " Ainsi, autant qu'il est en moi, je suis prêt à vous évangéliser, vous aussi qui êtes à Rome (15) ".
6. O âme généreuse ! qui accepte une mission si pleine de périls, un voyage d'outremer, des tentations, des embûches, des séditions, (car en prêchant dans une si grande ville t dominée par l'impiété, il fallait s'attendre à d'innombrables épreuves : aussi y a-t-il fini sa vie, décapité par le tyran qui y régnait alors). Et cependant la prévision de tant de maux n'a nullement ralenti son zèle; il est pressé , il souffre les douleurs de l'enfantement, il est plein d'ardeur. Aussi leur dit-il : " Autant qu'il est en moi, le suis prêt à vous évangéliser, vous aussi qui êtes à Rome. Car je ne rougis point de l'Evangile... (16) ". Que dites-vous, Paul? Quand il faudrait dire : Je me félicite, je me glorifie, je suis fier, vous ne le dites pas; vous vous contentez de cette expression bien plus faible : " Je ne rougis point " , dont nous n'avons pas coutume de nous servir dans des cas aussi glorieux. Que dit-il donc? Pourquoi tient-il ce langage, bien qu'il se glorifie de l'Evangile plus que de la possession du ciel? ;Car il écrit aux Galates : " Pour moi , à Dieu ne plaise que je me glorifie, si. ce n'est dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ ". (Gal. VI, 14.)
Pourquoi ne dit-il pas ici : Je me glorifie, mais " Je ne rougis pas? " Les Romains étaient fort épris des choses de ce monde à cause de leurs richesses, de leur puissance, de leurs victoires, de leurs souverains qu'ils estimaient à l'égal des dieux, à qui même ils en donnaient le nom, jusque-là qu'ils les honoraient par des temples, des autels et des sacrifices. Comme c'était à des hommes ainsi enflés d'eux-mêmes que Paul devait prêcher Jésus, (202) celui qui était réputé le fils d'un artisan, qui avait été élevé en Judée dans la maison d'une humble femme, qui n'avait point de gardes, point de fortune, qui était mort comme un criminel entre des voleurs, et avait souffert beaucoup d'autres ignominies, et que vraisemblablement ils en rougiraient, eux qui ne savaient encore rien des grands mystères voilà pourquoi il se sert de ce terme : " Je ne " rougis pas ", leur apprenant en même temps à ne point rougir eux-mêmes: bien convaincu que s'ils en venaient là, ils ne tarderaient pas à aller plus loin et à se glorifier aussi. Si donc jamais vous entendez quelqu'un vous dire : Tu adores le Crucifié? N'en rougissez pas, ne baissez pas les yeux, mais soyez-en glorieux et fier, et recevez le reproche, 1'œil serein et le front haut. Et s'il vous répète encore : Tu adores le Crucifié? Répondez-lui : Oui, et non un adultère, ni un parricide, ni un meurtrier de ses enfants, (car tels sont tous les dieux des païens) ; mais celui qui par sa croix a fermé la bouche aux démons et détruit leurs innombrables artifices. Car la croix est l'oeuvre d'un ineffable amour pour nous, la preuve d'une immense tendresse. De plus, comme ils se vantaient de leur éloquence, et s'enorgueillissaient de la sagesse profane : pour moi, leur dit Paul, ayant dit un éternel adieu à tous les raisonnements, je viens prêcher la croix, et n'en rougis point. " Parce qu'il est la vertu de Dieu pour sauver ". Parce qu'il est aussi la vertu de Dieu pour punir (en effet, quand Dieu punissait les Egyptiens, il disait Voilà l'effet de ma grande puissance), et encore la vertu pour détruire, (car il est écrit " Craignez celui qui peut précipiter l'âme et le corps dans l'enfer "). (Matth. X, 28.) C'est pourquoi Paul dit : Ce que j'apporte n'est point pour la punition ni pour le supplice, mais pour le salut.
Quoi donc? L'Evangile n'annonçait-il pas aussi tout cela, l'enfer, les ténèbres extérieures, le ver empoisonneur? Nous ne connaissons ces vérités que par l'Evangile. Pourquoi donc dit-il : " La vertu de Dieu pour sauver? " Mais écoutez ce qui suit : " Pour sauver tout croyant, le Juif d'abord, et puis le Grec " ; non pas tout le monde, mais seulement ceux qui croient. Fussiez-vous Grec, coupable de toute espèce de crimes, Scythe, Barbare, un monstre sauvage, chargé d'un poids de mille iniquités; dès l'instant que vous acceptez la doctrine de la croix et que vous êtes baptisé, tout est effacé. Mais pourquoi dit-il: " Le Juif d'abord et puis le Grec? " D'où vient cette différence? Il a pourtant dit souvent que la circoncision et l'incirconcision ne servent de rien ; pourquoi donc distingue-t-il ici et place-t-il le Juif avant le Grec? Oui, pourquoi cela? Car enfin pour être le premier, on ne reçoit pas une plus grande abondance de grâce : le même don est fait à l'un et à l'autre : le rang n'est ici qu'une simple affaire de préséance. L'avantage ne consiste donc pas dans une justice plus parfaite, mais dans l'honneur de la recevoir le premier. Lorsqu'on initie les catéchumènes à la lumière spirituelle, ils vont tous au baptême, mais non à la même heure : l'un est le premier, l'autre le second ; cependant le premier ne reçoit pas plus que le second, ni celui-ci que le suivant; tous jouissent du même avantage. Ainsi ce mot de premier est seulement un terme honorifique et n'implique point une grâce plus abondante. Ensuite après avoir dit " Pour sauver ", il relève encore le don, en faisant voir qu'il ne se borne pas au temps présent, mais s'étend au-delà: ce qu'il exprime par ces mots : " La justice de Dieu, en effet, y est révélée par la foi et pour la foi, ainsi qu'il est écrit : Le juste vivra de la foi (17) ". Donc celui qui est devenu juste ne vivra pas seulement dans le siècle présent, mais aussi dans le siècle à venir.
Ce n'est pas tout : l'apôtre fait encore allusion à autre chose, à l'éclat et à la splendeur de cette autre vie. Et comme on peut être sauvé avec déshonneur, (ainsi qu'il arrive à ceux que la clémence royale exempte du châtiment), pour qu'on ne soupçonne rien de pareil, il ajoute : " Et la justice ", non pas la vôtre, mais celle de Dieu : laissant entrevoir l'abondance de cette justice et. la facilité avec laquelle elle s'obtient, car ce n'est point par vos sueurs ni par vos travaux que vous l'obtenez, mais par un don d'en-haut, sans y rien apporter de votre côté que de croire. Puis , comme il semblait incroyable qu'un adultère, un libertin, un profanateur de tombeaux, un magicien, non-seulement fussent tout à coup exempts de punition , mais encore devinssent justes, et justes de la justice d'en-haut, il prouve sa proposition par l'Ancien Testament. Et d'abord il ouvre en peu de mots, à qui sait voir, le vaste océan de (203) l'histoire. Après avoir dit : " Par la foi et pour la foi ", il renvoie son auditeur aux traits de Providence consignés dans l'Ancien Testament, qu'il a exposés avec beaucoup de sagesse dans son Epître aux Hébreux, et démontre que déjà alors les justes et les pécheurs étaient justifiés; c'est pourquoi il cite l'exemple de Rahab et d'Abraham. Ensuite, après cette simple indication, (car il est pressé de courir à un autre sujet), il prouve sa thèse par les prophètes, en produisant le témoignage d'Habacuc, qui s'écrie et dit que celui qui doit vivre ne peut vivre que par la foi. Car " le juste ", dit-il en parlant de la vie à venir, "vivra de la foi ". En effet, puisque les dons de Dieu surpassent toute intelligence, la foi nous est évidemment nécessaire. Par conséquent l'incrédule, le dédaigneux et l'orgueilleux n'aboutiront à rien.
Que les hérétiques écoutent la voix de l'Esprit. Car telle est la nature des raisonnements c'est une sorte de labyrinthe, d'énigme, qui n'a point d'issue, ne permet point à la raison de s'établir sur la pierre, et prend son origine dans l'orgueil. Rougissant de se soumettre à la foi et de paraître ignorer les choses du ciel, ils se perdent dans le brouillard de mille pensées. Ensuite, ô mortel infortuné, misérable et digne d'une extrême pitié ! si l'on te demande comment le ciel et la terre ont été faits; que dis-je, le ciel et la terre? comment tu as été engendré, comment tu as été nourri, comment tu as grandi, tu ne rougis pas de ton ignorance; mais si on parle du Fils unique, tu te jettes dans un abîme de perdition, par honte, parce que tu crois indigne de toi de ne pas tout savoir? Ce qui est indigne, c'est de discuter et de raisonner hors de propos. Mais pourquoi parler de dogmes? Nous ne pouvons même échapper aux misères de la vie présente que par la foi. Car c'est par elle qu'ont brillé tous ces hommes illustres, Abraham, Isaac, Jacob; par elle la prostituée a été sauvée et dans l'Ancien et dans le Nouveau Testament. " C'est par la foi ", est-il écrit, " que Rahab, femme de mauvaise vie, ne périt point avec les incrédules, ayant reçu pacifiquement les espions ". (Héb. XI, 31.) Elle ne s'est point dit : Comment ces prisonniers, ces fuyards, ces émigrants, ces vagabonds, triompheront-ils de nous qui avons une ville, des remparts et des tours? Si elle se fût tenu ce langage, elle se serait perdue avec les autres, comme avaient fait les ancêtres des espions qui étaient sauvés ce jour-là. Car voyant des hommes de haute taille, ils désespérèrent et périrent sans combat, sans coup férir. Voyez-vous quel abîme c'est que l'impiété, et quel rempart c'est que la foi? L'une a détruit d'innombrables multitudes, et l'autre a non-seulement sauvé une femme de mauvaise vie, mais en a fait la protectrice d'un grand peuple.
Instruits de ces choses et de beaucoup d'autres, ne demandons jamais
compte à Dieu des événements, mais acceptons tout
ce qu'il ordonne, et ne raisonnons jamais, ne discutons jamais, quand même
ses ordres sembleraient absurdes à la sagesse humaine. Qu'y a-t-il,
dites-moi, de plus absurde en apparence que de commander à un père
d'immoler son fils unique? Et pourtant le juste qui recevait cet ordre,
ne le discuta point, mais l'accepta et le remplit, par égard pour
celui qui l'avait donné. Un autre qui avait reçu de Dieu
l'ordre de frapper un prophète, trouva le commandement absurde et
fut frappé de mort pour ne l'avoir point accompli, tandis que celui
qui l'exécuta fut agréé de Dieu. Et Saül, pour
avoir épargné des hommes contre l'ordre de Dieu, perdit la
couronne et souffrit des douleurs insupportables. On pourrait citer bien
d'autres exemples qui nous apprendraient qu'il ne faut jamais demander
à Dieu raison de ses ordres, mais y céder et obéir.
Que s'il est dangereux de discuter ce que Dieu commande, et si le dernier
supplice en est la punition, comment s'excuseront un jour ceux qui essaient
de scruter des mystères beaucoup plus profonds, beaucoup plus terribles,
par exemple, comment et par quel procédé Dieu engendre son
Fils, quelle est sa substance? Convaincus de ces vérités,
accueillons avec la meilleure volonté possible la foi, source de
tous les biens, afin que, naviguant comme en un port tranquille, nous conservions
les saines croyances, et que, réglant notre vie en toute sécurité,
nous obtenions les biens éternels, par la grâce et la bonté
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui appartiennent au Père
la gloire, la puissance, l'honneur et l'adoration, en même temps
qu'au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE III. PUISQU'ON Y DÉCOUVRE LA JUSTICE DE DIEU ÉCLATANT
DU CIEL CONTRE TOUTE L'IMPIÉTÉ, ET L'INJUSTICE DE CES HOMMES
QUI RETIENNENT LA VÉRITÉ DANS L'INJUSTICE. (18 JUSQU'A 25.)
204
Analyse.
1. La colère de Dieu se montre dès cette vie même pour châtier les péchés soit des particuliers, soit des peuples, mais au dernier jour cette colère éclatera plus manifestement, et d'une manière plus terrible.
2. Les philosophes, instruits par le spectacle de la création, ont connu le Dieu créateur.
3. Les philosophes ont rendu aux idoles ce qu'ils devaient rendre à Dieu.
4. Dieu, pour les punir, les â laissés s'enfoncer dans les vices les plus abominables.
1. Voyez la prudence de Paul; comment, après avoir traité des questions agréables, il passe ensuite à des sujets plus terribles. Après avoir dit que l'Evangile est le principe du salut et de la vie, qu'il est la vertu de Dieu, qu'il a opéré le salut et la justice, il énonce ensuite des vérités capables d'épouvanter ceux qui ne le pratiquent point. Et comme la plupart des hommes sont plutôt poussés à la vertu par la crainte du mal, qu'ils n'y sont attirés par la promesse du bien, l'apôtre emploie ici l'un et l'autre motifs. C'est pourquoi Dieu a non-seulement promis le royaume, mais aussi menacé de l'enfer; et les prophètes en usaient de même avec les Juifs, entremêlant toujours dans leurs discours la crainte des maux et la promesse des biens. Paul varie ainsi son sujet, mais non au hasard; il commence par les choses agréables, puis passe aux choses tristes, en montrant que les premières sont l'effet de la volonté divine et les autres le résultat de la malice humaine. Le prophète avait procédé de cette façon : " Si vous le voulez et que vous m'écoutiez, vous mangerez les biens de la terre; si vous refusez et que vous ne m'écoutiez pas, le glaive vous dévorera". (Is. XIX, 20.) Paul débute ici de la même manière. Voyez en effet. Le Christ, dit-il, est venu apporter le pardon , la justice, la vie ; et non sans peine, mais par la croix; et le plus étonnant n'est pas qu'il ait fait de tels dons, mais qu'il ait souffert de tels supplices. Si donc vous méprisez ces dons, un triste sort vous est réservé. Et voyez comme il élève le ton. " Puisqu'on y découvre ", dit-il, " la colère de Dieu éclatant du ciel ". Et comment le voit-on? Si c'est un fidèle qui fait cette question, nous lui répondrons par les paroles mêmes du Christ; si c'est un infidèle ou un grec, Paul va lui fermer la bouche par ce qui suit, où il traite des jugements de Dieu, et tire de leur conduite un argument irréfragable : chose on ne peut plus étonnante, puisqu'il prétend apporter en preuves de la vérité ce qu'en disent et font tous les jours les adversaires mêmes de la vérité. Mais nous verrons cela plus tard ; en attendant attachons-nous à notre sujet.
" Puisqu'on y découvre la colère de Dieu a éclatant du ciel". Mais, dira-t-on, cela arrive souvent même dès cette vie, parla faim, par la peste, par la guerre: car en général comme en particulier, tous sont punis. Qu'y a-t-il donc là d'extraordinaire ? C'est que le supplice futur sera plus grand , qu'il sera commun et n'aura pas le même but; car ici-bas, ils sert à corriger, là il ne servira qu'à punir. C'est ce que Paul indique ailleurs par ces mots. " Nous sommes repris maintenant, afin que nous ne soyons pas condamnés avec ce monde". (I. Cor. XI, 32. ) Ici-bas même, beaucoup pensent que ces accidents proviennent de la (205) malice des hommes et non de la colère divine; mais là-bas, la vengeance de Dieu se manifestera clairement, lorsque, assis en qualité de juge, sur son redoutable tribunal, il ordonnera de traîner ceux-ci dans les fournaises, ceux-là dans les ténèbres extérieures, d'autres à d'autres supplices inévitables et intolérables tout à la fois. Et pourquoi l'apôtre ne dit-il pas ouvertement que le Fils de Dieu viendra entouré d'une multitude d'anges , faire rendre compte à chacun, mais, " qu'on y découvre la colère de Dieu? " C'est que ses auditeurs étaient encore néophytes; voilà pourquoi il les attire d'abord par des raisons admises chez eux sans difficulté. D'ailleurs il me semble s'adresser aussi aux Grecs, et c'est ce qui explique son début; puis il arrive enfin à parler du jugement du Christ.
" Contre l'impiété et la justice de ces hommes qui retiennent la vérité dans l'injustice". Ici il indique que l'impiété a bien des voies et que la vérité n'en a qu'une : car l'erreur est variée, multiforme et pleine de confusion, tandis que la vérité est une. Après avoir parlé des dogmes, il parle de la conduite et mentionne l'injustice des hommes. Les injustices en effet, sont bien diverses : celle-ci a rapport à l'argent, quand quelqu'un vole son prochain; celle-là aux femmes, quand on quitte la sienne pour abuser de celle d'un autre. C'est ce que Paul appelle une fraude, quand il dit : " Que personne n'opprime et ne trompe en cela son frère " (I Thess. IV, 6) ; d'autres, tout en respectant la femme et l'argent du prochain, nuisent à sa réputation, ce qui est encore une injustice : " Car une bonne renommée est préférable à de grandes richesses ". (Prov. XXII, 1.) Quelques-uns disent que Paul traite encore ici la question dogmatique: rien n'empêche d'admettre qu'il s'agit de l'un et de l'autre. Quant au sens de ces paroles : " Retienne la vérité dans l'injustice ", vous l'apprendrez par la suite. " Car ils ont connu ce qui se peut découvrir de Dieu (19) ". Mais ils ont attribué cette gloire au bois et à la pierre.
2. De même que celui qui a la garde des trésors du roi et commission de les dépenser pour sa gloire, est puni comme coupable de lèse-majesté, s'il les distribue à des voleurs, à des prostituées et à des magiciens, de manière à les faire briller aux dépens du souverain; ainsi en est-il de ceux qui ayant connu Dieu et sa gloire, ont prostitué cette gloire aux idoles, ont retenu la vérité dans l'injustice, outrageant leurs propres connaissances, autant qu'il était en eux, par l'abus qu'ils en faisaient. Comprenez-vous maintenant, ou faut-il vous expliquer cela plus clairement? Peut-être faudrait-il aller plus loin. Quel est donc le sens de ces paroles ? Dieu s'est fait connaître aux hommes dès le commencement; mais les Gentils appliquant cette connaissance à du bois, à de la pierre, ont outragé la vérité, autant qu'il était en eux; car la vérité est immuable, et sa gloire ne saurait changer. Mais comment savons-nous, ô Paul, que Dieu s'est révélé à eux? " Parce que", nous répond-il, " ils ont connu ce qui se peut découvrir de Dieu ". Mais c'est là une affirmation, et non une preuve; démontrez-moi, faites-moi voir que la connaissance de Dieu leur a été donnée et qu'ils l'ont volontairement négligée. Comment donc était-elle manifeste? Leur avait-il parlé d'en-haut? Nullement : mais il avait fait ce qui devait les attirer mieux qu'une voix : il avait créé l’univers, de manière à ce que le savant et l'ignorant, le scythe et le barbare, devinant la beauté de Dieu parle seul aspect des choses visibles, pussent remonter jusqu'à lui. Voilà pourquoi Paul dit : " En effet, ses perfections invisibles sont rendues compréhensibles depuis la création du monde, par les choses qui ont été faites... (20) " ; ce que le prophète disait déjà : " Les cieux racontent la gloire de Dieu ".
Que disent alors les Grecs? Nous vous avons ignoré. Eh ! n'avez-vous pas entendu le ciel parler par son seul aspect; cette magnifique harmonie de l'ensemble, plus éclatante qu'un son de trompette ? Ne voyez-vous pas cette régularité constante de la nuit et du jour? cette ordonnance fixe, invariable, de l'hiver, du printemps et des autres saisons? la docilité de la mer au milieu du trouble et des tempêtes? tout l'ensemble soumis aux lois de l'ordre, et, par sa beauté et par sa grandeur, proclamant l'ouvrier? Résumant cela et bien d'autres choses encore, Paul dit : " Car ses perfections invisibles, rendues compréhensibles depuis la création du monde par les choses qui ont été faites, sont devenues visibles, aussi bien que sa puissance éternelle et sa divinité, de sorte qu'ils sont inexcusables ". Ce n'était point dans ce but que Dieu avait fait ces choses, bien que le résultat ait (205) eu lieu. Ce n'était pas pour les rendre inexcusables qu'il avait créé de tels enseignements; mais pour qu'ils le connussent, et, par leur ingratitude, ils se sont ôté toute excuse. Et pour faire voir comment ils sont inexcusables, l'apôtre ajoute : " Parce que ayant connu Dieu, ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu, ou ne lui ont point rendu grâces... (21) ".
Voilà un premier crime , et il est énorme. Un second, c'est qu'ils ont adoré les idoles, comme Jérémie les en accusait en disant " Ce peuple a commis deux iniquités ; ils m'ont abandonné, moi la source d'eau vive, et ils se sont creusé des citernes percées ". (Jér. II, 13.) Ensuite pour preuve que, connaissant Dieu, ils n'ont point usé de cette connaissance comme ils le devaient, Paul donne ce signe qu'ils ont reconnu des dieux; ce qui lui fait dire : " Parce qu'ayant connu Dieu , ils ne l'ont point glorifié comme Dieu ". Et il donne la raison de cette immense folie. Quelle est-elle ? Ils ont tout remis aux raisonnements. Il ne dit pas cela aussi simplement, mais avec beaucoup plus de force : " Mais ils se sont perdus dans leurs pensées, et leur cœur insensé a été obscurci ". Car de même que celui qui s'engage dans un chemin inconnu, ou se met en mer par une nuit obscure, périt bientôt, bien loin d'atteindre son but : ainsi ces hommes, en essayant de suivre la voie qui mène au ciel, en s'ôtant la lumière pour lui substituer leurs propres raisonnements, en cherchant dans les corps celui qui n'a pas de corps , dans les figures celui qui n'a pas de figure , ont fait le plus misérable naufrage. Outre cela, Paul donne encore une autre raison de leur erreur, quand il dit : " En disant qu'ils étaient sages, ils sont devenus fous (22) ". Ayant une haute idée d'eux-mêmes, et dédaignant de suivre la voie que Dieu leur avait tracée, ils se sont noyés dans leurs folles pensées. Ensuite dépeignant ce naufrage et faisant voir combien il était triste et inexcusable, il ajoute : " Et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une image représentant un homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles (23) ".
3. Voilà le premier chef d'accusation, ils n'ont pas trouvé Dieu; le second, ils en ont eu de grandes et évidentes occasions ; le troisième, ils se sont dits sages; le quatrième, non-seulement ils n'ont pas trouvé Dieu, mais ils ont prostitué leur culte aux démons, à la
pierre et au bois. Il combat aussi cet orgueil dans,son épître aux Corinthiens, mais non de la même manière qu'ici. Là il les condamne par la croix, en disant : " Car ce qui est folie en Dieu est plus sage que les hommes " (I Cor. I, 25) ; ici, sans établir de comparaison, il raille cette sagesse en elle-même, démontrant qu'elle est une folie et une preuve d'orgueil. Et pour vous bien faire comprendre qu'ils avaient la connaissance de Dieu et qu'ils l'ont trahi, il se sert de cette expression : " Ils ont changé ". Or celui qui change a quelque chose à donner en place. Ils voulaient trouver davantage et dépasser les bornes fixées; par là ils ont perdu ce qu'ils avaient, car ils étaient avides de nouveauté. Tels ont été les Grecs en tout. Voilà pourquoi ils né s'accordaient point entre eux; Aristote combattit Platon, puis les Stoïciens déblatérèrent contre lui, et d'autres guerres se déclarèrent; en sorte qu'ils sont moins admirables pour leur sagesse que dignes d'aversion et de haine pour la folie qui en est résultée. Car ils n'eussent point éprouvé un tel sort, s'ils n'avaient tout confié à leurs propres raisonnements, à leurs argumentations et à leurs sophismes. Ensuite, poursuivant ses accusations, Paul se raille de toutes leurs idolâtries. C'est surtout l'échange qui est ridicule ; avoir échangé Dieu contre de tels objets, c'est absolument inexcusable. Voyez en effet contre quoi ils ont échangé et à quels êtres ils ont conféré la gloire. Il a fallu imaginer que tel être était Dieu, maître de toutes choses, créateur capable de pourvoir et d'administrer: car c'est là la gloire de Dieu. Et à qui l'ont-ils attribuée, cette gloire? Non à des hommes, mais à une image représentant un homme corruptible.
Et ils ne s'en sont pas tenus là, mais ils sont descendus jusqu'à des animaux stupides, voire même aux images de ces animaux. Et voyez la sagesse de Paul : comme il pose les deux extrêmes, Dieu, l'être suprême et les reptiles les plus vils, et non-seulement les reptiles, mais leurs images, pour mieux faire ressortir leur folie. Car la notion qu'il fallait avoir de l'Etre incomparablement le plus grand, ils l'ont appliquée à ce qu'il y a incomparablement de plus vil. Eh ! qu'est-ce que cela fait aux philosophes, direz-vous? Ce sont eux surtout que cela regarde. Car ils ont pour maîtres les Egyptiens, inventeurs de ces choses : Platon, qui passe pour le plus digne d'entre eux, (207) s'en glorifie, et son maître lui-même honore les idoles, lui qui ordonne de sacrifier un coq à Esculape. Là on voit des images d'animaux et de reptiles, et parmi elles Apollon et Bacchus qui partagent le même culte. Quelques-uns de ces philosophes ont introduit dans le ciel des taureaux, des scorpions, des dragons et d'autres êtres non moins ridicules : car partout le démon s'est efforcé de rabaisser les hommes devant des images de reptiles, et de soumettre aux plus stupides des animaux ceux que Dieu voulait élever au-dessus du ciel. Et ce n'est pas en cela seulement, mais encore sur d'autres points , que vous verrez leur chef encourir les reproches dont nous venons de parler. Car quand il réunit les poètes et affirme qu'il faut admettre ce qu'ils disent de la divinité, il ne produit qu'un amas de niaiseries, il veut néanmoins qu'on croie comme vraies toutes ces absurdités.
" C'est pourquoi Dieu les a livrés aux désirs de leurs coeurs, à l'impureté, en sorte qu'ils ont déshonoré leurs propres corps en eux-mêmes (24) ". Paul fait voir par là que l'impiété est le principe de la violation des lois. Ici " livrer " veut dire laisser aller. Car de même qu'un général d'armée en se retirant au fort de la mêlée, livre ses soldats, non pas précisément en les poussant vers l'ennemi, mais en les privant de son secours; ainsi Dieu, après avoir fait tout ce qu'il devait faire, a abandonné ceux qui refusaient ses dons et s'éloignaient de lui les premiers. Et voyez pour enseignement il avait créé le monde, il avait donné à l'homme l'intelligence et une âme capable de comprendre le devoir. Les hommes de ce temps-là n'ont point usé de ces dons pour leur salut, mais les ont détournés à une fin toute contraire. Que fallait-il donc faire? user de force et de violence? Mais ce n'est plus faire des hommes vertueux. Il n'y avait donc plus qu'à laisser faire, et c'est le parti que Dieu a pris, afin que, ayant connu par expérience les objets de leurs désirs, ils se dérobassent à la honte. En effet, si le fils d'un roi, méprisant son père, aime mieux vivre parmi des brigands, des assassins ou des voleurs sacrilèges; et préfère leur compagnie au séjour de la maison paternelle, le père l'abandonne jusqu'à ce que l'expérience lui ait fait sentir l'excès de sa folie.
4. Mais pourquoi l'apôtre ne mentionne-t-il pas d'autres péchés, comme par exemple l'homicide, l'avarice, et ne parle-t-il que de l'impureté? Il me semble faire ici allusion à ceux qui l'écoutaient alors, et à ceux à qui s'adressaient sa lettre. " A l'impureté, en sorte qu'ils ont déshonoré leurs propres corps en eux" mêmes ". Voyez la force de ces expressions. Ils n'ont pas eu besoin, dit-il, que d'autres les déshonorassent; ils se sont traités eux-mêmes comme les eussent traités des ennemis. Puis remontant encore à la cause, il ajoute : " Eux qui ont transformé la vérité de Dieu en mensonge, adoré et servi la créature plutôt que le Créateur (25) ". Il parle en particulier de ce qu'il y avait de plus ridicule, et en général de ce qui semblait plus sérieux, mais par l'un et par l'autre il montre que le culte de la créature était le propre des Grecs. Et voyez comme il explique sa pensée. Il ne dit pas simplement : ils ont adoré la créature, mais il ajoute : " Au lieu du créateur " ; faisant ressortir par là la gravité du crime et leur ôtant par ce rapprochement tout espoir de pardon.
" Qui est béni dans les siècles. Ainsi soit-il ". Mais Dieu n'en a point souffert, ajoute-t-il; car il est béni dans les siècles. Il montre ici que si Dieu les a abandonnés, ce n'est point pour se venger, puisqu'il n'a éprouvé aucun dommage. S'ils lui ont fait injure, leur injure ne l'a point atteint; sa gloire n'en a point été diminuée, mais il demeure toujours béni. Car si souvent un philosophe ne souffre point des injures qu'on lui adresse, à bien plus forte raison Dieu, nature indestructible et immuable, gloire invariable et immortelle. Et c'est en cela que les hommes ressemblent à Dieu, quand ils ne souffrent point des outrages, des injures, des coups, des railleries dont on les poursuit. Et comment cela se peut-il, direz-vous? Cela est possible, très-possible : c'est en ne s'affligeant point de ces accidents. Et comment, dites-vous encore, ne pas s'en affliger? Eh ! comment peut-on s'en affliger au contraire? Dites-moi : si votre petit enfant vous injuriait, prendriez-vous ses injures pour des injures? Vous en affligeriez-vous? Pas le moins du monde; autrement, ne seriez-vous pas ridicule au dernier point? Soyons dans les mêmes dispositions à l'égard du prochain, et nous n'éprouverons rien de fâcheux, (ceux qui injurient ont moins de raison que des enfants) ; ne cherchons point à éviter les injures, supportons courageusement celles qu'on nous adresse, car (208) c'est là le véritable honneur. Pourquoi? parce que vous êtes le maître de souffrir l'injure, et un autre est maître de vous l'infliger. Ne voyez-vous pas le diamant renvoyer les coups dont on le frappe? mais, direz-vous, c'est sa nature. Vous pouvez par volonté devenir ce qu'il est par nature. Quoi, n'avez-vous pas vu les trois enfants rester sains et saufs dans la fournaise ? Daniel ne rien souffrir dans la fosse aux lions? Cela peut se reproduire encore aujourd'hui, car nous avons encore des lions, la colère, la concupiscence, armés de dents terribles et prêts à déchirer leurs victimes. Soyez donc semblable à Daniel , et ne souffrez point que les passions portent la dent sur votre âme. Mais, direz-vous, la grâce faisait tout chez Daniel. C'est vrai, mais soit parce que sa volonté la dirigeait. En sorte que si nous voulons lui ressembler, la grâce est encore là pour nous aider; et quoique tourmentées par la faim les bêtes féroces ne vous toucheront pas. Si elles ont respecté le corps d'un esclave, comment ne s'apaiseraient-elles pas à la vue des membres du Christ? (Car, en qualité de fidèles, nous sommes les membres du Christ). Si donc elles ne s'apaisent pas, la faute en est à ceux qui deviennent leur proie. Il en est, en effet, beaucoup qui fournissent une abondante pâture à un lion, en entretenant des femmes perdues, en commettant l'adultère, en se vengeant de leurs ennemis; en sorte qu'ils sont déjà déchirés avant de toucher le sol. Cela n'arriva point à Daniel, et ne nous arrivera point non plus si nous le voulons; nous serons même encore plus favorisés que lui.
En effet les lions se sont contentés de ne point lui nuire; mais
nos ennemis nous seront utiles, si nous veillons sur nous. Ainsi Paul sortit
glorieux des injustices et des embûches qu'on lui tendait; ainsi
Job accablé de coups, Jérémie jeté dans une
fosse pleine de boue, Noé au milieu du déluge, ainsi Abel
attiré dans un piége, ainsi Moïse parmi les Juifs altérés
de sang, ainsi Elisée, ainsi, dis-je, tous ces grands hommes ont
gagné leur brillante couronne, non au sein du repos et du plaisir,
mais parmi les afflictions et les épreuves. Aussi le Christ connaissant
ce principe de gloire, disait-il à ses disciples : " Dans le a monde
vous aurez des tribulations; mais ayez confiance: j'ai vaincu le monde
". (Jean, XVI, 33.) Quoi donc? direz-vous, un grand nombre n'ont-ils pas
succombé à l'adversité? Oui, mais par leur lâcheté,
et non par la nature même des épreuves. Que celui donc qui
nous fait tirer profit de la tentation en sorte que nous puissions y résister,
nous assiste tous et nous tende la main afin que, glorieusement proclamés,
nous obtenions les couronnes éternelles, par la grâce et la
bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec qui appartiennent
au Père et au Saint-Esprit la gloire, l'honneur, la force, maintenant
et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE IV. C'EST POURQUOI DIEU LES A LIVRÉS A DES PASSIONS
D'IGNOMINIE. CAR LEURS FEMMES ONT CHANGÉ L'USAGE NATUREL EN UN AUTRE
QUI EST CONTRE NATURE. ET PAREILLEMENT LES HOMMES, L'USAGE NATUREL DE LA
FEMME, ABANDONNÉ, ONT BRÛLÉ DE DÉSIRS L'UN POUR
L'AUTRE. (26, 27.)
209
Analyse.
1. Parce que les païens ont abandonné Dieu pour les idoles, Dieu à son tour les a abandonnés, et leur sagesse humaine ne les a pas empêchés de tomber dans les désordres les plus abominables. — Des oeuvres sataniques sont la conséquence nécessaire de croyances sataniques. —.Malheur à l'homme qui oublie et abandonne Dieu !
2. Le vice contre nature devenu, en vertu d'une loi de Solon, un privilège des hommes libres chez les Athéniens ! — Que les livres des philosophes sont pleins de cette peste:
3 et 4. Quel enfer serait. assez dévorant pour de telles abominations. — A ceux qui ne croient pas à l'enfer, l'orateur cite l'embrasement de Sodome, image et preuve permanente de l'enfer. — Ne point perdre la crainte de Dieu. — Vanité des grands du monde.
1. Toutes les passions sont ignominieuses, mais surtout la sodomie : car l'âme souffre plus, est plus déshonorée par les péchés que le corps par Les infirmités. Et voyez comment l'apôtre ici, comme à propos des dogmes; leur ôte tout espoir de pardon, en disant d'abord des femmes : " Elles ont changé l'usage naturel". Personne, dit-il , ne peut prétendre ici. que, privées de l'usage naturel du mariage, elles ont passé à l'autre; ni que ne pouvant satisfaire leur désir, elles soient tombées dans ce désordre contre nature : car échanger suppose que l'on possède, ainsi qu'il le disait déjà en parlant des croyances : " Ils ont transformé la vérité de Dieu en mensonge ". .Il en dit autant des hommes, mais d'une autre manière : " L'usage naturel de la femme étant abandonné ".A ceux-ci comme à celles-là, il ne laisse aucun moyen de défense; il les accuse, non-seulement d'avoir eu le moyen de jouir et de l'avoir abandonné pour un autre, mais d'avoir abandonné celui qui était naturel pour recourir à celui qui est contre,nature. Or ce qui est contre nature est plus pénible et plus désagréable; car le vrai plaisir est conforme à la nature; mais quand Dieu se retire, tout se renverse sens dessus dessous. Ainsi non-seulement leur croyance était diabolique, mais aussi leur conduite.
Quand Paul, raisonnait sur les croyances, il mettait en scène le monde et l'âme humaine, en disant qu'à l'aide de l'intelligence donnée par Dieu, les hommes auraient pu, par l'aspect des choses visibles, remonter jusqu'au Créateur; mais que, ne l'ayant pas voulu, ils étaient restés sans excuse. Ici, au lieu du monde visible, il invoque le plaisir naturel , dont ils pouvaient jouir avec plus de liberté et de satisfaction, en se soustrayant à l'ignominie ; niais ils ne l'ont pas voulu ; et déshonorant la nature elle-même, ils se sont rendus inexcusables; et pour comble d'horreur, les femmes elles-mêmes recherchaient ces commerces, elles qui devaient avoir plus de pudeur que l'homme. Ici encore il faut admirer la prudence de Paul : Comment se trouvant entre deux points opposés , il les traite tous les deux avec une parfaite mesure. Il voulait tout à la fois parler chastement et faire impression sur l'auditeur : deux choses inconciliables et dont l'une nuit à l'autre. Car si votre langage est chaste , vous ne frapperez point ceux qui vous écoutent; et si vous voulez être violent, vous serez obligé de parler en termes (210) nus et sans voile. Mais cette âme prudente et sainte a su résoudre le problème, en aggravant l'accusation au nom de la nature, et en se servant de cette même nature, comme d'un voile pour sauver la décence de son langage. Après avoir d'abord parlé des femmes, il en vient aux hommes, et dit : " Et pareillement les hommes, l'usage naturel de la femme abandonnée " : ce qui est l'indice d'une extrême dépravation, parce que les deux sexes sont corrompus, et que celui qui est établi comme le maître de la femme, et celle qui a été créée comme aide de l'homme, se traitent mutuellement comme dès ennemis. Et voyez comme les expressions de l'apôtre sont énergiques ! Il ne dit pas qu'ils se sont aimés, désirés mutuellement; mais : " Ils ont brûlé de désirs l'un pour l'autre ". Remarquez-vous que tout vient de l'excès de la passion, qui ne peut plus se contenir dans les bornes de la nature? Car tout ce qui transgresse les lois de Dieu, porte à l'excès,- et ne se tient point dans les limites prescrites. Car comme on voit souvent des hommes ayant perdu le goût des aliments, manger de la terre et de petites pierres, et d'autres brûlés par la soif, être avides d'une eau boueuse; ainsi ils brûlaient d'un amour contraire à la loi. Et si vous demandez : D'où venait cet excès de la passion? De ce que Dieu les avait abandonnés. Et pourquoi Dieu les avait-il abandonnés ? A cause de l'iniquité de ceux qui l'avaient abandonné les premiers. " L'homme commettant l'infamie avec l'homme ".
2. Pour avoir entendu ce mot : " Ils ont brûlé de désirs ", n'allez pas vous imaginer, dit l'apôtre, que la maladie se bornait à la seule concupiscence : car le plus souvent cette concupiscence empruntait son feu de leur lâcheté. Aussi ne dit-il point entraînés ou préoccupés; expressions qu'il emploie ailleurs. Que dit-il donc? " Commettant ". Ils ont mis le péché à effet, et non-seulement à effet, mais avec ardeur. Il ne dit pas le désir, mais proprement " l'infamie " ; car ils ont outragé la nature et foulé les lois aux pieds. Et voyez un peu la confusion qui s'ensuit des deux côtés. Tout est bouleversé et mis sens dessus dessous, ils sont devenus ennemis d'eux-mêmes et entre eux, en allumant une guerre terrible , multipliée, variée, plus cruelle qu'aucune guerre civile. En effet, ils lui ont donné quatre formes aussi vaines que contraires aux lois : car elle n'était pas seulement double ou triple, mais quadruple. Examinez un peu : l'homme et la femme de deux ne devaient faire qu'un : " Ils seront les deux en une seule chair ", est-il écrit. (Gen. II, 24.) Le désir de l'union conjugale produisait en effet, et réunissait les deux sexes. Le démon, en détruisant ce désir et lui en substituant un autre, a brisé le rapport d'un sexe à l'autre, a fait deux de ce qui n'était qu'un, contrairement à la loi de Dieu qui avait dit: " Ils seront les deux en une seule chair", tandis que lui partage une seule chair en. deux. Voilà une première guerre. .
Ensuite il a armé ces deux parties contre elles-mêmes et entre elles : car les femmes n'outrageaient pas seulement les hommes , mais aussi les femmes; et les hommes à leur tour, non contents de se faire la guerre, la faisaient aussi au sexe féminin, comme dans un combat de nuit. Voyez vous une seconde et une troisième guerre, et même une quatrième et une cinquième ? Il y en a encore une autre outre ce que nous. avons dit, ils outrageaient encore les lois de la nature elle-même. Car le démon s'apercevant que le désir portait surtout un. sexe vers l'autre, s'est attaché à briser ce lien ; en sorte que le genre humain tendait à sa destruction, non-seulement par le défaut de génération, mais aussi par suite de la division et de la guerre qui régnaient entre les sexes.
" Et recevant ainsi en eux-mêmes la récompense qui était due à leur égarement ". Voyez comme il revient encore à la source du mal, l'impiété dogmatique, et fait voir que d'elle dérivaient ces désordres. Comme en parlant de l'enfer et de ses supplices, il ne paraissait point digne de foi aux impies et à ceux qui avaient adopté ce genre de conduite, qu'il leur semblait même ridicule , il leur prouve que la volupté renferme, en elle-même son châtiment. S'ils ne le sentent pas, s'ils jouissent même , ne vous en étonnez pas : les furieux, les frénétiques, tout en se blessant et en se maltraitant misérablement, tout en excitant la pitié chez les autres, rient et sont heureux de ce qu'ils font. Nous ne les disons pas pour cela exempts du châtiment; nous les disons au contraire d'autant plus punis qu'ils ignorent leur état. Car ce ne sont pas les malades, mais ceux qui se portent bien qu'il faut consulter; d'ailleurs c'était anciennement chez (211) eux une loi, un ordre de leur législateur que la friction sèche (1) et la pédérastie fussent interdites aux esclaves; ces privilèges, ou plutôt ces turpitudes, étaient réservées aux hommes libres. Cependant ils ne voyaient point là d'infamie; c'étaient une chose honnête, mais trop relevée pour un esclave et digne seulement d'un homme libre : telle était l'opinion des Athéniens, le plus sage des peuples, et de leur illustre Solon. Et l'on retrouverait cette maladie dans beaucoup de livres de philosophes. Nous ne disons cependant pas pour cela que ce fût une loi pour tous, mais que ceux qui la subissaient, étaient misérables et dignes d'une grande pitié. Car ils éprouvaient ce qu'éprouvent les prostituées , et pire encore. En effet, chez celles-ci, le commerce est illégitime, mais non contre nature ; tandis que là il est tout à la fois illégitime et contre nature.
Et quand il n'y aurait pas d'enfer, ni aucune menace de supplice, le mal lui-même serait pire que- tout supplice. En parlant du plaisir qu'ils éprouvent, vous indiquez une aggravation de châtiment. Si je voyais un homme courir nu, tout couvert de boue, et se pavanant au lieu de rougir, bien loin de partager sa satisfaction, je le plaindrais, d'autant plus qu'il ne. sentirait pas l'indécence de sa conduite. Pour mieux faire ressortir cette ignominie, souffrez que je donne un autre exemple. Si on condamnait une jeune fille à admettre de stupides animaux dans son lit virginal, à avoir commerce avec eux , et qu'elle y trouvât du plaisir, ne serait-elle pas d'autant 'plus à plaindre que l'absence de la honte rendrait sa maladie incurable? Cela est évident pour tout le monde. Or si le mal serait grand ici , il ne l'est pas moins. là : car il est plus triste d'être outragé par ses semblables que par des étrangers. J'affirme que ces hommes sont plus coupables que des homicides. Car il vaut mieux mourir que de vivre dans un tel opprobre. L'homicide ne fait que séparer l'âme du corps, tandis que celui-ci perd le corps et l’âme. Ce crime dépasse tous ceux que vous pouvez nommer; et si ceux qui souffrent de tels outrages en sentaient la gravité, ils aimeraient mieux mourir mille fois que de les subir.
3. En vérité il n'y a rien, non rien de plus déraisonnable ni de plus affreux. Si en parlant
1 La friction sèche était prise par les athlètes au sortir du bain.
de la fornication Paul disait : " Tout péché , quel qu'il soit, que fait l'homme, est hors de son corps; mais celui qui commet la fornication pèche contre son propre corps " (I Cor. VI, 18) ; que dirons-nous de ce désordre qui l'emporte sur la fornication plus qu'on ne saurait l'exprimer? Car je ne dirai pas seulement que vous êtes devenu femme; mais j'ajouterai que vous avez cessé d'être homme, que vous avez perdu votre nature sans prendre l'autre, que vous les avez trahies toutes les deux, et que vous méritez d'être chassé , lapidé par les hommes et par les femmes, puisque vous avez déshonoré l'un et l'autre sexe. Et pour vous faire bien comprendre l'énormité de votre crime : Si quelqu'un vous proposait de vous changer d'homme en chien, ne le fuiriez-vous pas comme un malfaiteur? Et voilà que vous vous êtes vous-même changé, non pas en chien, mais en un animal bien plus vil : car un chien est utile, tandis que l'infâme n'est bon à rien. Dites-moi , je vous prie, si quelqu'un menaçait de faire enfanter les hommes, ne serions-nous pas enflammés de colère? Mais ceux qui poussent la rage jusque-là, s'infligent un bien plus grave outrage : car ce n'est pas la même chose d'être changé en femme, ou de devenir femme tout en restant homme, ou plutôt de n'être ni l'un ni l'autre. Pour vous convaincre mieux encore de l'énormité de ce crime, demandez pourquoi les législateurs punissent ceux qui font des eunuques, et vous apprendrez que leur seule raison est que c'est là un amoindrissement de la nature. Or cette dernière injure est moins grave que l'autre; car les eunuques, même après la castration, sont encore utiles; tandis que rien n'est plus inutile que l'homme changé en prostituée ; puisque non-seulement son âme, mais aussi son corps est plein d'ignominie et ne mérite que l'expulsion.
Combien faudrait-il d'enfers pour eux? Si ce mot d'enfer vous fait rire, si vous y êtes incrédule, rappelez-vous le feu qui consuma Sodome; car nous avons vu, oui, nous avons vu en ce monde une image de l'enfer. Car comme beaucoup devaient être incrédules à ce qui suivra la résurrection, en entendant parler d'un feu qui même ici-bas ne pouvait s'éteindre, ils sont revenus à la sainte. doctrine, Dieu leur en donnant une preuve actuelle. Tel est en effet le résultat du feu et de l'incendie de Sodome; ceux-là le savent qui (212) ont été sur les lieux et ont vu de leurs yeux les suites de la colère céleste et les traces de la foudre. Considérez l'énormité de ce crime, qui a rendu nécessaire une image anticipée de l'enfer. Comme beaucoup méprisaient les avertissements, Dieu a voulu donner, sous une forme nouvelle, une figure de la géhenne. Et au fait cette pluie était extraordinaire , parce que le crime était contre nature, et elle a inondé la terre parce que la passion avait envahi les âmes. Voilà pourquoi la pluie était extraordinaire : car non-seulement elle ne féconda point la terre pour la production des fruits , mais elle la rendit incapable de recevoir les. semences. Tel était le commerce charnel des Sodomites, qu'il frappait même ce grand corps de stérilité. Qu'y a-t-il de plus abominable que l'homme métamorphosé en prostituée? Qu'y a-t-il de plias infâme? O fureur ! O délire ! Comment cette passion s'est-elle répandue, elle qui a traité la nature humaine en ennemie, elle Plus cruelle même qu'un ennemi, d'autant que l'âme l'emporte sur le corps ? O êtres plus déraisonnables que les brutes, plus impudents que les chiens ! Car nulle part chez les animaux on ne voit de telles unions; là, la nature reconnaît ses limites; mais vous, en déshonorant ainsi votre espèce, vous la placez au-dessous de celle des brutes. Encore une fois, quelle est la source de ces maux? La volupté, l'oubli de Dieu; car dès qu'on a perdu la crainte de Dieu, tous les biens s'envolent à la fin.
4. Pour éviter ces maux, ayons toujours devant les yeux la crainte de Dieu. Car rien, rien n'est funeste à l'homme comme d'abandonner cette ancre ; rien ne lui est salutaire comme d'avoir toujours les yeux de ce côté-là. Si la présence d'un homme nous retient sur la pente du péché ; si, souvent par égard pour le plus humble domestique, nous nous abstenons d'une action déplacée, pensez quelle sécurité nous puiserions dans le souvenir continuel de la présence de Dieu. Jamais alors le démon ne nous attaquerait, persuadé de l'inutilité de ses efforts; mais s'il nous voit errant au dehors, courant çà et là sans frein, profitant de nos avances, il pourra nous jeter hors du bercail. Si nous nous écartons des commandements de Dieu, il nous arrivera ce qui arrive sur les places publiques aux serviteurs négligents qui, oubliant leurs commissions principales, celles mêmes pour lesquelles on les a envoyés, s'accrochent sans but et au hasard aux premiers venus et perdent leur temps.
Nous restons debout à admirer les richesses, la beauté du corps et d'autres choses qui ne nous concernent en rien. Semblables à ces serviteurs qui s'amusent à voir les tours de passe-passe de quelques mendiants, et au retour expient leur retard par les plus durs traitements. Beaucoup quittent la voie ouverte devant eux pour suivre ceux qui s'abandonnent à ces désordres. Ne les imitons point car nous sommes envoyés pour des oeuvres pressantes; et si nous les négligeons pour rester bouche béante devant des objets inutiles, nous perdrons notre temps et nous serons punis du dernier supplice. Que si vous voulez exercer votre attention, vous avez de quoi admirer, de quoi rester toujours en contemplation et ce ne seront plus des sujets ridicules, mais merveilleux et tout à fait estimables; tandis que celui qui admire des objets ridicules, devient lui-même ridicule et plus que le baladin même. Hâtez-vous d'échapper à ce malheur.
Car enfin pourquoi, dites-le-moi, êtes-vous en admiration, en
extase devant la richesse? Qu'y voyez-vous de si merveilleux, de si digne
de captiver vos regards ? Dès chevaux aux harnais dorés;
des domestiques, les uns étrangers, les autres eunuques; de splendides
vêtements par-dessous une âme amollie, un front altier, des
mouvements, du bruit? Qu'y a-t-il d'admirable là dedans ? Quelle
différence voyez-vous- entre ces riches et les mendiants qui dansent
ou sifflent sur les places publiques? Car eux aussi, dans une extrême
indigence de toute vertu, ces riches dansent d'une manière encore
plus ridicule, courent çà et là, tantôt à
des tables somptueuses, tantôt au logis de femmes perdues, tantôt
vers la foule de leurs flatteurs et de leurs parasites. S'ils portent de
l'or, ils n'en sont que plus misérables d'attacher tant 'd'intérêt
à ce qui ne les regarde pas. Ne vous arrêtez pas aux vêtements,
mais pénétrez jusqu'à leur âme, et voyez les
mille blessures dont elle souffre, les haillons qui la couvrent, sa solitude,
son délaissement. A quoi lui sert la folie du dehors? Il vaut bien
mieux être pauvre avec la vertu que roi. avec le vice. Le pauvre
jouit au dedans de toutes les délices de l'âme, sa richesse
intérieure lui fait oublier sa pauvreté (213) extérieure;
tandis que le roi, vivant au sein de voluptés qui lui sont étrangères,
est puni dans ce qui le touche de près, dans son âme, dans
ses pensées, dans sa conscience, qui l'accompagneront au-delà
de cette vie. Persuadés de ces vérités , dépouillons
donc ces riches vêtements dorés, embrassons la vertu et les
joies qu'elle procure. Par là nous goûterons de grands plaisirs
en ce monde et en l'autre, et nous obtiendrons les biens promis par la
grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en
qui appartiennent , au Père et au Saint-Esprit la gloire, l'honneur,
la force, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.
HOMÉLIE V. ET COMME ILS N'ONT PAS MONTRÉ QU'ILS AVAIENT
LA CONNAISSANCE DE DIEU, DIEU LES A LIVRÉS A UM SENS RÉPROUVÉ,
DE,SORTE QU'ILS ONT FAIT LES CHOSES QUI NE CONVIENNENT PAS. ( I, 28, JUSQU'À
II, 16.)
Analyse.
1 Autres péchés qui sont la conséquence de l'oubli de Dieu. — Ceux qui les commettent sont inexcusables, et Dieu les punira.
2. Malheur à l'homme qui abuse de la longanimité de Dieu.
3. Dieu rendra à chacun selon ses oeuvres : aux bons, la récompense, la gloire et la vie éternelle ; aux méchants, à ceux qui auront acquiescé, consenti au mal, le supplice éternel.
4. Dieu ne fait pas acception des personnes. — Tous les hommes seront jugés, les Gentils suivant la loi naturelle, et les Juifs suivant-leur propre loi.
5. Ce qui justifie devant Dieu, ce n'est pas d'entendre la loi, c'est de la pratiquer.
6 et 7. Crainte du jugement dernier : avoir plus d'horreur du péché que de l'enfer. — Quel est l'amour de Dieu pour les hommes. — Ingratitude des hommes.
1. Pour ne pas avoir l'air de faire allusion aux Romains; après avoir longtemps insisté sur le crime contre nature, il passe à d'autres espèces de péchés, et s'adresse à d'autres personnages. Et comme toujours, en s'adressant aux fidèles pour leur parler du péché, et les exhorter à le fuir, il met en scène les païens, disant : " Non dans la passion de la convoitise comme les autres nations qui ignorent Dieu " (I Thess. IV, 5) ; et encore : " Afin que vous ne vous attristiez pas comme font les autres qui n'ont point d'espérance " (Ib. 13); de même ici il expose les crimes de ces philosophes et leur ôte toute espèce d'excuse : car ces crimes sont les fruits audacieux de la réflexion et non de l'ignorance. Aussi ne dit-il pas : Et comme ils n'ont pas connu, mais " Et comme ils n'ont pas montré qu'ils avaient " la connaissance de Dieu n : attribuant le péché plutôt à un jugement perverti et à l'esprit d'opposition qu'à l'entraînement, et montrant que ce n'est pas de la chair, comme le disent certains hérétiques, mais de l'âme que naissent les désordres d'une coupable concupiscence, et que là est la source de tous les maux. Car dès que l'âme est réprouvée, le cocher étant corrompu, tout est renversé, tout est sens dessus dessous.
" Remplis de toute iniquité, malice, ava" rite, méchanceté... (29) ". Voyez tout à la fois: " Remplis", dit-il, et: " De toute ". Après avoir nommé la malice en général, il en (214) désigne les espèces en particulier et avec hyperbole. " Pleins d'envie, de meurtre ". Car l'un naît de l'autre, comme on l'a vu pour Abel et pour Joseph. Puis, après avoir ajouté : " De l'esprit de contention, de fraude, de malignité, délateurs, détracteurs, haïs de Dieu, " insolents... (30) ", et avoir rangé parmi les crimes des choses qui passent pour indifférentes aux yeux d'un grand nombre, il aggrave encore son accusation et porte, pour ainsi dire, le mal au faîte en disant : " Arrogants ". En effet, l'orgueil dans le péché est plus grave que le péché lui-même; c'est pourquoi il fait ce reproche aux Corinthiens : " Et " vous êtes gonfles d'orgueil? " (I Cor. V, 2.) En effet, si l'homme qui s'enorgueillit d'une bonne action, en perd tout le mérite, quel ne sera pas le châtiment de celui qui s'enorgueillit dans le péché? Car la résipiscence lui devient impossible. Il continue : " Inventeurs de nouveaux crimes " ; faisant voir que non contents des maux qui existaient, ils en inventaient d'autres : preuve qu'ils agissaient avec préméditation et par calcul, et non par surprise et par entraînement. Après avoir détaillé les genres de malice et montré que là encore ils résistaient à la nature " Désobéissants à " leurs parents ", dit-il, il attaque le mal même à sa racine, en les appelant " Sans " affection, sans fidélité ". Le Christ avait aussi assigné cette origine au vice, en disant " Et parce que l'iniquité aura abondé, la charité d'un grand nombre se refroidira ". (Matth. XXIV, 12.) C'est ce que Paul dit ici, en les appelant : " Dissolus, sans affection, sans fidélité, sans miséricorde... (31) ", et montrant qu'ils ont trahi les dons mêmes de la nature. Car nous avons un penchant naturel les uns pour les autres, lequel se retrouve même chez les animaux. " Tout animal aime son semblable et l'homme aime son prochain ". (Ecclé. XIII, 19.) Mais ils ont été plus sauvages que les animaux.
Par là l'apôtre nous fait comprendre la maladie que de fausses croyances ont introduite dans le monde, et nous montre clairement que ce double mal est le fruit de la négligence des malades. Du reste il les déclare encore inexcusables ici, comme il l'a déjà fait à propos des croyances: ce qui lui fait dire : " Qui, ayant connu la justice de Dieu, n'ont pas compris que ceux qui font ces choses sont dignes de mort, et non-seulement ceux qui les font, mais. quiconque aussi approuve ceux qui les font... (32) ". Il pose ici deux objections et les détruit victorieusement. Pourquoi, leur dit-il, objecter que vous ne saviez pas ce qu'il fallait faire? Quand cela serait, vous seriez encore coupables d'avoir abandonné le Dieu qui vous l'aurait fait connaître. Mais maintenant nous vous prouvons de plus d'une manière que vous lé saviez et que vous péchiez volontairement. Vous étiez, dites-vous, entraînés par la passion. Pourquoi alors coopérer au mal et l'approuver ? " Non seulement ceux qui les font, mais quiconque approuve aussi ceux qui les font ". Après avoir d'abord établi pour la détruire la supposition la plus grave, celle où le pardon ne peut s'admettre, (car celui qui approuve le péché est bien plus coupable que celui qui le commet) : après avoir, dis-je, d'abord établi ce point, il l'attaque encore plus vivement dans ce qui suit : " C'est pourquoi, ô homme, qui que tu sois, tu es inexcusable de juger. " Car en jugeant autrui, tu te condamnes toi-même (II, 1) ". Il parle ici comme à des princes : car Rome était alors chargée du gouvernement de l'univers. Il débute donc ainsi : Qui que vous soyez, vous vous ôtez tout moyen de défense : car en condamnant l'adultère, quand vous êtes vous-même adultère, bien que personne ne vous juge et ne vous condamne, vous avez porté contre vous la sentence dont vous frappez le coupable. " Nous savons, en effet, que Dieu juge selon la vérité ceux qui font ces choses (2) ". Pour que personne ne dise . J'ai cependant échappé, il les épouvante en disant qu'il n'en est pas devant Dieu comme devant les hommes. Ici l'un est puni, et l'autre, aussi coupable, échappe au châtiment ; là, il n'en est pas de même; ce juge connaît la justice, nous dit l'apôtre; il n'ajoute pas comment il la connaît : ce serait inutile. Il démontre donc ces deux points touchant l'impiété : Que l'impie faisait le mal quoiqu'il connût Dieu, et qu'il connaissait Dieu par la création. Mais comme cela n'était pas évident pour tout le monde, il en a donné la raison: ici il l'omet comme étant chose convenue. Toutefois quand il dit:." Quiconque juge ", il ne parlé pas seulement aux princes, mais aux particuliers et aux sujets.
2. Car tous les hommes, bien qu'ils ne soient pas sur le trône et n'aient à leur disposition ni (215) bourreaux ni potence, jugent cependant les coupables, dans leurs entretiens, dans les assemblées, dans leur propre conscience; et personne n'oserait dire qu'un adultère ne mérite pas de châtiment. Mais, dira-t-on, on condamne les autres et non soi-même. Et c'est contre cela que l'apôtre s'élève avec violence : " Penses-tu donc, ô homme qui juges ceux qui font ces choses et qui les fais toi-même, que tu échapperas au jugement de Dieu (3)? " Après avoir montré le grand crime de la terre et dans la croyance et dans les actes; prouvé que quand ils étaient sages et que la nature les guidait en quelque sorte par la main, ils ont non-seulement abandonné Dieu, mais adoré des images de reptiles, méprisé la vertu, embrassé le vice librement malgré la résistance de la nature, et même agi contre la nature; après cela, dis-je, il s'attache à démontrer que ceux qui font ces choses seront punis: Déjà il a mentionné le supplice en parlant du crime, quand il disait : " Recevant ainsi en eux-mêmes la récompense qui était due à leur égarement " ; mais comme ils ne sentent point cette peine, il en signale une autre qu'ils redoutaient extrêmement. Et déjà il l'avait clairement indiquée; car c'était là le sens de ces paroles ; " Dieu juge selon la vérité ". Toutefois il le répète ici plus au long, en disant : " Penses-tu, ô homme qui juges ceux qui font ces choses et qui les fais toi-même, que tu échapperas au jugement de Dieu? ". Tu échappes à ton propre jugement, échapperas-tu à celui de Dieu? qui voudrait le dire? Or tu t'es jugé toi-même. Mais puisque l'autorité de ce tribunal est si grande, et que tu n'as pas su t'épargner toi-même, à combien plus forte raison Dieu, qui, est infaillible; qui est la souveraine justice, ne t'épargnera-t-il pas. Quoi ! tu t'es condamné toi-même, et Dieu t'approuvera, te louera? Peut-on le dire raisonnablement? Vous êtes certainement digne d'un plus grand châtiment que celui que vous avez condamné. Car ce n'est pas la même chose de pécher simplement, ou de punir le coupable et de tomber dans son péché. Voyez-vous comme la culpabilité s'aggrave? Si vous punissez un. pécheur moins coupable que vous au moment même de vous déshonorer, comment Dieu qui ne peut se déshonorer, ne vous jugera-t-il pas, ni vous condamnera-t-il plus sévèrement, vous qui commettez une faute plus grande et êtes déjà condamné par votre propre conscience? Si vous me dites : Je sais que je mérite d'être puni; et qu'ensuite la patience , divine vous porte à ne tenir aucun compte de votre état, que le délai de la punition vous inspire une fausse confiance : c'est là une juste raison de craindre et de trembler. Ce n'est point pour vous exempter du supplice que Dieu le diffère, mais pour le rendre plus terrible, si vous restez incorrigible. Que le Ciel vous en préserve ! aussi l'apôtre ajoute-t-il : " Est-ce que tu méprises les richesses de sa bonté, de sa patience et de sa longanimté? Ignores-tu que la bonté de Dieu t'invite à la pénitence (4)? "
Après avoir loué la longanimité de Dieu, et montré le très-grand profit qu'on en peut tirer (c'était une manière d'attirer les pécheurs au repentir), il augmente leur terreur. Car comme elle est un principe de salut pour ceux qui en usent convenablement, ainsi elle prépare un châtiment plus terrible .à ceux qui la méprisent. C'est une opinion vulgaire que Dieu, étant bon et patient, ne punit pas; mais dire cela c'est annoncer un plus grand supplice. Si Dieu montre de la bonté, c'est pour que vous votes débarrassiez de vos péchés et non pour que vous en augmentiez le nombre; sinon, la vengeance sera plus terrible. C'est surtout parce que Dieu est patient qu'il ne faut plus pécher, et ne pas faire de sa bonté un motif d'ingratitude. Bien qu'il soit patient, il punit à la fin. Comment le voyons-nous? Par ce. qui va suivre. Si en effet le mal est grand et que les coupables n'aient pas été punis, nécessairement ils le seront. Car si les hommes tiennent compte de cela, comment Dieu ne le tiendrait-il pas? Aussi est-ce de là que l'apôtre prend occasion de parler du jugement. Après avoir montré que beaucoup ont encouru le châtiment à moins qu'ils n'aient fait pénitence, et qu'ils ne le subissent cependant point en ce monde, il établit qu'un jugement, et un jugement très-sévère, aura certainement lieu, et dit : " Cependant, par la dureté de ton coeur impénitent, tu t'amasses un trésor de colère (5) ".
Quoi de plus dur en effet que celui qui ne se laisse ni toucher par la douceur, ni fléchir par la crainte? Après avoir parlé de la bonté de Dieu, l'apôtre en vient au châtiment qui sera intolérable pour celui que de tels moyens n'ont pas converti. Et voyez quelle énergie dans ses expressions : " Tu t'amasses un trésor de (216) colère ! " Trésor certainement tenu en réserve, par la faute du coupable, et non par celle du juge. " Tu t'amasses un trésor ", toi, et non Dieu. Car il a fait tout ce qu'il fallait faire, il t'a donné la connaissance du bien et du mal, il s'est montré patient, il t'a invité à la pénitence, il t'a menacé d'un avenir terrible, il a employé tous les moyens pour t'amener à résipiscence; si tu t'obstines à résister " tu t'amasses un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation et du juste jugement de Dieu ". Et pour que ce mot de colère n'éveille pas en vous l'idée de la passion, il a soin d'ajouter : " Du juste jugement de Dieu ". Et il a raison de dire : " De la manifestation " ; car la révélation aura lieu quand chacun sera traité selon ses mérites. Ici-bas souvent un grand nombre commettent des, injustices ou tendent des piéges contre les lois de l'équité; là il n'en sera pas ainsi. " Qui rendra à chacun selon ses oeuvres; à ceux qui par leur persévérance dans les bonnes oeuvres, etc. (6,7) ".
3. Après s'être montré terrible et sévère, en parlant du jugement et des peines futures, contre toute attente, au lieu d'insister sur le supplice, il revient tout à coup à un sujet plus doux, à la récompense des bons, et dit : " A ceux qui par la persévérance dans les bonnes oeuvres cherchent la gloire, l'honneur, et l'immortalité; la vie éternelle ". Ici il relève ceux qui avaient failli dans les tentations et leur montre qu'il ne faut pas se fier à la foi seule; car, devant ce tribunal, les actions aussi sont examinées. Et voyez comment, en parlant de l'avenir, il ne peut expliquer clairement en quoi consistent ces biens, mais parle de gloire et d'honneur. En effet, comme ces biens surpassent tous les biens terrestres, il ne trouve rien qui puisse en donner l'image; mais il leur applique comme il peut le nom des choses qui brillent le plus à nos yeux, la gloire, l'honneur, la vie : car voilà surtout ce que les hommes recherchent. Mais tels ne sont pas les biens du ciel, qui l'emportent d'autant plus sur ceux-ci qu'ils sont incorruptibles et immortels.
Voyez-vous comme, en parlant d'incorruptibilité, il nous ouvre la porte pour traiter de la résurrection du corps? Car cette incorruptibilité concerne ce corps de corruption. Et comme ce n'était pas assez, il y ajoute la gloire et l'honneur. Car tous nous ressusciterons incorruptibles, mais non tous pour la gloire-: les uns pour le supplice, les autres pour la gloire. " Mais ", continue-t-il, " à ceux qui ont l'esprit de contention (8) " ; il refuse de nouveau le pardon à ceux qui vivent dans le vice, et montre qu'ils y sont tombés par un certain esprit de contention et par lâcheté. " Qui ne se rendent pas à la vérité, mais qui acquiescent à l’iniquité ". Autre accusation. Quelle sera en effet l'excuse de celui qui fuit la lumière et préfère les ténèbres? Il ne dit pas : qui sont contraints par violence ou par tyrannie, mais " qui acquiescent à l'iniquité " ; pour vous apprendre que la chute est volontaire, et non l'effet de la nécessité. " Tribulation et angoisse à l'âme de tout homme qui fait le mal (9) "; c'est-à-dire qu'on soit riche, consul, roi, le jugement n'en tiendra aucun compte; là les dignités ne tiendront point de place.
Après avoir décrit l'excès de la maladie, en avoir signalé la source, à savoir la lâcheté de ceux qui en sont atteints; puis indiqué le terme, qui est la perdition, et la facilité de s'en guérir, il fait retomber principalement sur le Juif le poids du châtiment. " Du Juif d'abord, puis du Grec ". Car celui qui a en la plus grande part à la doctrine, doit, s'il prévarique, avoir aussi la plus grande part au châtiment. Ainsi plus nous sommes éclairés ou puissants, plus nos fautes seront punies. En effet si vous êtes riche, on exigera de vous plus d'aumônes que d'un pauvre; si vous êtes plus intelligent, plus de soumission; si vous êtes revêtu de la puissance, des oeuvres plus éclatantes; en tout et partout, vous devez produire selon vos forces et votre capacité.
" Mais. gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien, au Juif d'abord, puis au Grec (10) ". De quel Juif, de quels grecs parle-t-il ici ? De ceux qui ont existé avant le Christ; car il ne parle point encore du temps de grâce, mais des temps qui ont précédé, faisant disparaître d'avance et de loin la différence entre le Grec et le Juif, afin que la chose ne paraisse plus nouvelle ni pénible, quand il s'agira du temps de grâce. En effet si dans les âges antérieurs, quand la grâce n'avait point encore brillé d'un tel éclat, quand la nation juive était honorable , illustre et glorieuse entre toutes, si déjà il n'y avait pas de différence, qu'aura-t-on à dire après qu'une si grande grâce se sera manifestée? Aussi met-il le plus grand intérêt à prouver ce point.. Et l'auditeur (217) informé qu'il en était déjà ainsi dans les temps précédents, sera beaucoup plus disposé à l'admettre. pour l'époque de la foi. Or il appelle ici Grecs, non les idolâtres, mais ceux qui honoraient Dieu, qui obéissaient à la loi naturelle, ceux qui placés en dehors du judaïsme, observaient tout ce qui porte à la piété : tels que Melchisédech, Job, les Ninivites, Corneille. Déjà il commence à,saper par la base la différence entre la circoncision et l'incirconcision, et attaque de loin cette distinction, de manière à n'exciter aucun soupçon et paraître y être amené forcément par une autre raison; ce qui est le propre de la prudence apostolique. Car s'il eût avancé qu'il en était ainsi au temps de grâce, son langage eût paru fort suspect; mais en entrant dans ce sujet à la suite d'autres raisonnements, à l'occasion du vice et de la corruption qui régnaient autrefois dans le monde, il n'éveillait aucun soupçon contre son enseignement.
4. Voici la preuve que c'était là son intention et qu'il disposait son discours dans ce but. S'il n'avait pas voulu prouver ce point, il lui suffisait de dire : " Par ta dureté et ton coeur impénitent tu t'amasses un trésor de colère pour le jour de la colère ", puis de couper court sur ce sujet, comme étant épuisé. Mais comme il n'avait pas seulement en vue de traiter du jugement dernier, mais de montrer que le Juif n'avait rien de plus que le Grec; pour que le Juif ne s'enorgueillisse pas, il va plus loin et procède par ordre. Voyez : il a épouvanté l'auditeur, il a fait retentir le terrible jugement, il a dit quel mal c'est de vivre dans le vice; il a démontré que personne ne pèche par ignorance ni ne restera impuni, et que, pour être différée, la punition n'en viendra pas moins; maintenant il veut prouver que la doctrine de la toi n'était pas chose absolument indispensable; que la peine et la récompense dépendent des oeuvres, et non de la circoncision ou de l'incirconcision. Donc après avoir dit que le Grec sera certainement puni, et avoir posé ce principe comme avoué, et prouvé par là même qu'il sera aussi récompensé, il démontre que la loi et la circoncision étaient choses superflues.
Ici il combat surtout les Juifs. Cap comme les Juifs étaient trop enclins à discuter, d'abord par orgueil et parce qu'ils ne voulaient point être comptés parmi les gentils, ensuite parce qu'ils se moquaient de ceux qui disaient que la foi efface tous les péchés : L'apôtre attaque d'abord les Grecs, dont il s'agissait en ce moment, afin d'attaquer ensuite les Juifs librement et sans exciter de soupçon; puis quand il en vient à parler du jugement, il fait voir que non-seulement la loi ne sera d'aucune utilité au Juif, mais qu'elle lui sera à charge, et il en a déjà la preuve plus haut. En effet si le Grec est inexcusable de ne s'être pas corrigé sur l'invitation de la nature et de la raison, à plus forte raison le Juif qui a reçu en outre l'enseignement de la loi. Après lui avoir donc fait accepter ce raisonnement pour ce qui regarde les péchés des autres, il le force à l'admettre aussi pour ce qui concerne les siens. Et pour mieux faire agréer son langage, il l'adoucit en disant : " Gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien, au Juif d'abord, puis au Grec ". Ici-bas en effet, quelques biens que l'on possède, ils sont accompagnés dé beaucoup de troubles, fût un riche, puissant ou roi ; si l'on .n'est point en guerre avec d'autres, on y est au moins avec soi-même, avec ses propres pensées; mais dans l'autre vie, rien de pareil; tout est tranquille, exempt de trouble, rempli de la véritable paix.
Après avoir donc prouvé plus haut que ceux qui n'ont pas la loi jouiront des mêmes avantages, il continue son raisonnement en disant " Car Dieu ne fait point acception des personnes (11) ". Quand il dit que le Juif et le Grec seront punis pour avoir péché, il n'a pas besoin de recourir au raisonnement; mais pour établir que le Grec sera récompensé, il lui faut une preuve. Cela semblait en effet quelque chose d'étonnant, de paradoxal, de dire que celui qui n'avait ni la loi ni les prophètes, serait récompensé pour ses bonnes actions. Aussi, comme je l'ai déjà dit, habitue-t-il d'abord, leurs oreilles à entendre parler des temps qui ont précédé la grâce, afin de les amener plus facilement à sa pensée, à l'aide de la foi. Ici surtout il n'est plus suspect puisqu'il ne parle plus. d'après lui-même. Donc, après avoir dit : " Gloire, honneur et paix à quiconque fait le bien, au Juif d'abord, puis au Grec ", il ajoute : " Car Dieu ne fait point acception des personnes ".
O ciel ! quelle surabondance d'arguments ! Il prouve d'abord par l'absurde que si la chose n'était pas ainsi, elle ne serait pas selon Dieu, puisqu'il y aurait acception, de personnes; ce qui ne peut convenir à Dieu. Il ne dit pas : (218) S'il n'en était ainsi, Dieu ferait acception de personnes, mais, avec plus de dignité : " Dieu ne fait point acception des personnes ", c'est-à-dire, Dieu ne regarde point à la. qualité des personnes, mais à la différence des choses. Il montre ensuite qu'entre le Juif et le Grec il n'y a de différence que dans la personne, et non dans la chose. Par conséquent il fallait dire : Ce n'est pas parce que l'un est Juif et l'autre Grec que le premier est honoré et le second méprisé; mais les oeuvres seules déterminent la différence. Cependant ce n'est pas ainsi qu'il parle; il eût irrité le Juif; mais il fait quelque chose de plus en abattant et comprimant leur orgueil, pour leur faire admettre sa proposition. Et comment cela? La suite va nous le dire.
" Car quiconque a péché sans la loi, périra sans la loi ; et quiconque a péché sous la loi, sera jugé par la loi ". Ici, comme je le disais plus haut, non-seulement il établit l'égalité entre le Juif et le Grec, mais il démontre que la concession de la loi aggrave beaucoup la condition du Juif, car le Grec est jugé sans la loi, et ce mot, " Sans la loi " indique une circonstance plutôt atténuante qu'aggravante , c'est-à-dire, n'a pas la loi pour l'accuser. Car c'est là le sens de cette expression, " Sans la loi " ; c'est-à-dire, il 'sera condamné en dehors de l'accusation légale, d'après les seules données de la nature. Mais le Juif sera jugé d'après la Loi : C'est-à-dire sur la double accusation de la nature et de la Loi; et il sera puni d'autant plus sévèrement qu'il aura été l'objet de plus de soins.
5. Voyez-vous comme il fait sentir aux Juifs un plus grand besoin de recourir à la grâce? Car comme ils prétendaient être justifiés par la Loi seule et n'avoir pas besoin de la grâce, il leur prouve qu'ils en ont plus besoin que les Grecs, puisqu'ils doivent être punis plus sévèrement. Ensuite il fait un autre raisonnement pour appuyer ce qu'il vient de dire : " Car ce ne sont pas ceux. qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu (13) ". Il a raison de dire " Devant Dieu " ; car ils peuvent paraître honorables devant les hommes, et beaucoup se vanter, tandis que devant Dieu c'est tout le contraire. " Mais ce sont les observateurs de la loi qui seront justifiés ". Voyez-vous avec quelle vigueur il retourne son raisonnement dans le sens opposé? Si vous demandez, dit-il, à être sauvé par la loi, le Grec sera sauvé avant vous, lui qui paraît avoir, observé ce qui est écrit. Et comment., direz-vous, a-t-il pu observer sans avoir entendu? Cela est possible, répond l'apôtre, et même plus encore, car non-seulement on peut accomplir sans avoir entendu, mais on peut avoir entendu et ne pas accomplir; ce qu'il exprime dans la suite plus clairement. et plus énergiquement, en disant : " Toi qui instruis les autres, tu ne t'instruis pas toi-même ? " En attendant il prouve ici son premier point : " En effet lorsque les gentils, qui n'ont pas la loi, font naturellement ce qui est selon la loi; n'ayant pas la loi, ils sont à eux-mêmes la loi (14) ".
Je ne rejette pas la loi, dit-il, mais par elle je justifie les gentils. Voyez-vous comment, en minant par la base la gloire du Judaïsme, il évite de donner prise à une accusation de mépris pour la loi, puisqu'il l'exalte au contraire, -la glorifie, et prouve ainsi toute sa. thèse? Quand il dit " :Naturellement ", il entend à l'aide des raisonnements naturels. Il leur fait voir qu'il y en a d'autres,. meilleurs qu'eux, et, qui plus est, meilleurs. précisément parce qu'ils n'ont pas reçu et ne possèdent point la loi, dont les Juifs semblent se prévaloir. Et voilà, ajoute-t-il, en quoi ils sont admirables; c'est qu'ils n'ont pas eu besoin de loi et qu'ils ont néanmoins observé la loi, gravant dans leurs âmes, non des paroles, mais des oeuvres. Car il dit : " Montrant l'oeuvre de la loi écrite dans leurs oeuvres, leur conscience leur rendant témoignage, et leurs pensées s'accusant et se défendant l'une l'autre, au jour où Dieu jugera par. Jésus-Christ, selon mon Evangile, ce qu'il y a de caché dans les hommes (15, 16) ".
Voyez-vous comme il rappelle encore ce jour et le rend en quelque sorte présent, jetant le trouble dans leur âme, et leur montrant que ceux-là seront surtout honorés qui auront fait sans la loi, les oeuvres de la loi ? Il est juste de dire maintenant, ce qu'il y a de plus admirable dans la prudence de l'apôtre. Après avoir donné la preuve que le Grec l'emporte sur le Juif, il omet ce point dans le résumé et la conclusion de ses raisonnements, pour ne pas exaspérer les Juifs. Afin de rendre ma pensée plus claire, je rapporterai ses paroles mêmes. Car après avoir dit : " Ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi qui seront justifiés, mais ceux qui l'observent ", il devait logiquement dire : (219) " En effet, lorsque les gentils qui n'ont pas la loi font naturellement ce qui est selon la loi ", ils valent mieux que ceux qui ont reçu l'enseignement de la loi. Il ne le dit pourtant pas; mais il s'arrête à l'éloge des Grecs, et ne pousse pas plus loin la comparaison, afin de faire accepter son langage aux Juifs. Il ne dit donc point cela; mais que dit-il? " En effet lorsque les gentils qui n'ont pas la loi font naturellement ce qui est selon la loi ; n'ayant pas la loi, ils sont à eux-mêmes la loi; montrant ainsi l'oeuvre de la loi écrite dans leurs coeurs, leur conscience leur rendant témoignage ".
Ainsi la conscience et la raison tiennent lieu de la loi. Par là il fait voir encore que Dieu a donné à l'homme des forces suffisantes pour embrasser la vertu et fuir le vice. Et ne vous étonnez point s'il le prouve une fois, deux fois, bien des fois. Ce point était capital pour lui, à cause de ceux qui- disaient : Pourquoi le Christ est-il venu si tard? Où était donc autrefois cette grande Providence? Après avoir réfuté cette objection en passant, il montre que dans les anciens temps, même avant la concession de la loi, la nature humaine était l'objet de tous les soins de la Providence. Car " ce qui est connu de Dieu était manifeste en eux " ; ils savaient ce qui était bien, ce.. qui était mal, par quoi ils jugeaient les autres, et c'est ce qu'il leur reprochait en disant " En jugeant autrui, tu te condamnes toi-même ".
Quant aux Juifs, outre ce que nous avons dit, la raison et la conscience, ils avaient la loi. Mais pourquoi ces expressions : " S'accusant ou se défendant? " S'ils ont la loi écrite dans leurs coeurs et qu'ils en fassent voir les oeuvres, comment la raison peut-elle les accuser? Mais ce n'est pas seulement à cela que s'applique le mot " Accusant ", mais à la nature entière. Ici-bas nos raisonnements sont là, tantôt pour nous accuser, tantôt pour nous défendre, et devant cet autre tribunal, l'homme n'a pas besoin d'autre accusateur. Ensuite, pour augmenter la crainte, il ne dit pas : les péchés des hommes, mais : " Ce qu'il y a de caché dans les hommes ". Après avoir dit: " Penses-tu donc, ô homme qui juges ceux qui font ces choses et qui les fais toi-même, que tu échapperas au jugement de Dieu? " Pour que vous ne subissiez point la sentence que vous portez vous-même, et que vous compreniez que celle de Dieu est bien plus juste que la vôtre, il ajoute : " Ce qu'il y a de caché dans les hommes ", et encore : " Par Jésus-Christ, selon mon Evangile ". En effet, les hommes ne jugent que les apparences. Or, plus haut il ne parlait que du Père, mais après les avoir abattus par la crainte, il parle maintenant du Christ, non d'une manière simple, mais après avoir fait mention du Père ; et par là il relève la dignité de sa prédication. La prédication, dit-il, annonce ce que la nature avait déjà fait voir d'avance.
6. Voyez-vous avec quelle prudence il les attire et les attache au Christ et à l'Evangile et leur démontre que notre destinée ne se borne pas à la vie présente , mais qu'elle s'étend au delà? C'est ce qu'il avait déjà indiqué plus haut, en disant : " Tu t'amasses un trésor de colère pour le jour de la colère ", et tout à l'heure "encore : " Dieu juge ce qu'il y a de caché dans les hommes ". Que chacun donc descende dans sa conscience, recherche ses fautes et s'en demande à lui-même un compte sévère, afin de n'être pas condamné avec le monde. Car ce jugement sera terrible; ce tribunal, effrayant; ce compte, plein de terreur; là couleront des torrents de feu. " Là où un frère ne rachètera pas, un homme rachètera-t-il? " (Ps. XIV.) Rappelez-vous ce qui est dit dans l'Evangile : les anges volant çà et là, la salle des noces fermée, les flammes qui ne s'éteignent pas, les puissances qui entraînent dans la fournaise. Songez que si l'un de nous voyait son crime secret révélé dans cette église seulement, il aimerait mieux mourir et voir la terre s'entr'ouvrir sous ses pieds que d'avoir tant de témoins de sa faute. Qu'éprouverons-nous donc, quand tout sera manifesté à la face du. monde entier, sur ce théâtre éclatant, resplendissant de lumière, sous les regards de tous, connus et inconnus? O malheur ! de quoi donc suis-je forcé de vous épouvanter? de l'opinion des hommes, quand vous devriez craindre Dieu et son redoutable arrêt ? que deviendrons-nous, dites-moi donc, quand, enchaînés, grinçant les dents, nous serons entraînés dans les ténèbres extérieures ? Et, ce qui est plus terrible encore, que ferons-nous, quand nous serons face à face avec Dieu?
Pour quiconque a du sentiment et de la raison, c'est déjà un enfer que d'être privé de la vue de Dieu; mais comme ce motif ne fait (220) pas d'impression sur l'homme, Dieu le menace du feu. Ce n'est pas le châtiment, mais la faute qui devrait nous causer de la douleur. Ecoutez Paul gémissant et pleurant des péchés dont il ne devait pas être puni : " Je ne suis pas digne d'être appelé apôtre, parce que j'ai persécuté l'Eglise ". (I Cor. XV, 9.) Ecoutez David qui, bien que dispensé du châtiment, appelle sur lui la vengeance parce qu'il croit avoir offensé Dieu : " Que votre main s'appesantisse sur moi et sur la maison de mon a père ". (II Rois, XXIV, 17.) Car il est plus malheureux d'offenser Dieu que d'en être puni. Mais maintenant nous sommes si misérables, que, sans la crainte de l'enfer, nous ferions à peine quelque chose de bien. Aussi, à part toute autre raison, nous mériterions déjà l'enfer pour l'avoir craint plutôt que le Christ. Il n'en était pas ainsi du bienheureux Paul; c'était chez lui tout le contraire. Mais parce que nos dispositions sont différentes, nous sommes condamnés à l'enfer. Si nous aimions le Christ comme nous devrions l'aimer, nous saurions, qu'offenser son amour est un malheur plus horrible que l'enfer même; mais comme nous ne l'aimons pas, nous ne comprenons pas l'étendue de ce supplice. Et voilà ce qui fait le principal sujet de mes gémissements et de mes larmes.
Pourtant que n'a pas fait Dieu, pour s'attirer notre amour? Quel moyen n'a-t-il pas employé? Qu'a-t-il négligé? Et nous l'avons offensé, lui qui ne nous avait point fait de mal, qui nous avait même combles de bienfaits ; quand il nous appelait et nous invitait de toutes manières, nous nous sommes détournés; il rie s'est point vengé pourtant, mais il est accouru, il a cherché à nous retenir, et nous nous sommes dégagés de ses mains pour courir au démon ; il ne s'est point découragé encore, il nous a envoyés des milliers de prophètes; de messagers, de patriarches pour nous rappeler; et non-seulement nous ne les avons point accueillis, mais nous les avons injuriés. Malgré tout cela, il ne nous a point rejetés; comme ces amants passionnés dont les mépris ne sauraient éteindre l'affection, il s'en allait çà et là, s'adressant à tous : au ciel, à la terre, à Jérémie, à Michée, non pour nous accuser, mais pour se justifier; et par l'entremise des prophètes, il allait lui-même à ceux qui se détournaient, prêt à leur rendre compte, les priant d'entrer en pourparlers avec lui, et invitant à des entretiens ceux qui lui fermaient absolument l'oreille. " Mon peuple ", lui disait-il, " que t'ai-je fait? En quoi t'ai-je contristé ? réponds-moi ". (Mich. VI, 3.) Après tout cela, nous avons tué les prophètes, nous les avons lapidés, nous leur avons fait tous les maux possibles. Comment s'en est-il vengé? Il ne nous a plus envoyé de prophètes, ni d'anges, ni de patriarches, mais son propre Fils; son Fils est venu et a été mis à mort; son amour, loin de s'éteindre , s'en est enflammé davantage; même après la mort de son Fils, il persiste à nous inviter et ne néglige rien pour nous ramener à lui. Et Paul s'écrie: " Nous faisons les fonctions d'ambassadeurs pour le Christ, Dieu exhortant par notre bouche. Réconciliez-vous avec Dieu ". (II Cor. V, 20.)
7. Mais rien de tout cela ne nous a réconciliés. Et il ne nous abandonne pas encore; il insiste,'nous menace de l'enfer, nous promet son royaume, afin de nous attirer; mais nous restons toujours insensibles. Qu'y a-t-il de pire que cette dureté? Si un homme en avait autant fait, ne nous serions-nous pas mis cent fois à son service ? O lâcheté ! O ingratitude ! Nous vivons toujours dans le péché et dans le crime; et si nous faisons quelque peu de bien, à l'exemple des serviteurs ingrats, nous l'examinons scrupuleusement, nous exigeons rigoureusement la récompense, s'il en mérite une. Et pourtant la récompense sera plus grande, si vous agissez sans espoir de récompense : car en parler, en tenir un compte exact, est le propre d'un mercenaire plutôt que d'un serviteur reconnaissant. Il faut tout faire pour le Christ, et non pour la récompense; car c'est pour s'attirer notre amour, qu'il nous a menacés de l'enfer, qu'il nous a promis son royaume. Aimons-le donc, comme il faut l'aimer : car c'est là la grande récompense, le royaume, le plaisir, la volupté, la gloire, l'honneur, c'est là cette félicité infinie que la langue ne peut exprimer ni l'esprit comprendre. Mais je ne sais comment j'ai été entraîné à dire ces choses, à exhorter des hommes qui ne dédaignent ni le pouvoir, ni la gloire présente, à les mépriser cependant pour l'amour du Christ; quoique, du reste, ces grands et généreux personnages aient porté l'amour jusque-là. Ecoutez comme Pierre brûle de charité pour lui et le préfère à son âme, à sa vie, à tout; et après qu'il l'eut renié, il pleura, non à cause du châtiment, mais (221) parce qu'il avait renié son bien-aimé: tourment plus cruel que les plus durs supplices. Et tout cela se passait avant la grâce du Saint-Esprit; souvent il insistait et disait : " Où " allez-vous ? " Et auparavant : " A qui irons-nous? " Et encore : " Je vous suivrai partout où vous irez ". (Jean, XIII, 36, et VI, 69; Matth. VIII, 19.) Car le Christ était tout pour eux; ils ne préféraient ni le ciel ni le royaume des cieux à leur bien-aimé. Vous êtes tout pour moi, lui disaient-ils.
Et pourquoi s'étonner que Pierre fût dans ces sentiments? Ecoutez ce que le prophète avait dit : Qu'y a-t-il pour moi dans le ciel? " et que désiré-je de vous sur la terre? " (Ps. LXXII.) C'est-à-dire, de tout ce qui est en haut, de tout ce qui est en bas, je ne désire rien que vous. Voilà l'amour, voilà l'affection, si nous aimons ainsi, le présent ni l'avenir ne seront rien pour nous au prix de cet attachement, et nous obtiendrons le royaume dans les délices de son amour. Et comment cela, direz-vous? En réfléchissant combien de fois nous l'avons outragé après tant de bienfaits, sans qu'il cessât de nous exhorter; combien de fois nous l'avons négligé, tandis que lui ne nous néglige point, lui, mais qu'il accourt, qu'il nous invite et nous attire à lui. Ces pensées et d'autres semblables pourront allumer en nous cet amour. Si celui qui aime ainsi était un homme de basse condition, et que l'objet de cet amour fui un roi ; ce roi ne serait-il pas enchanté d'une si grande affection ? Certainement il le serait.
Mais quand c'est le contraire qui a lieu ; quand la beauté, la
gloire, les richesses de celui qui nous aime sont ineffables, et que nous
sommes absolument sans valeur, comment ne mériterions-nous pas mille
châtiments, nous, êtres vils et abjects, si, étant aimé
à l'excès par un être si grand, si admirable, nous
répudiions son amour? Il n'a besoin de rien de ce qui nous appartient,
et il ne laisse pas de nous aimer; nous avons le plus grand besoin de ses
dons, et nous ne répondons point à son amour, nous lui préférons
la richesse, l'amitié des hommes, le repos, les aides du corps,
le pouvoir et la gloire, tandis qu'il nous estime au-dessus de tout. Il
avait un Fils, légitime et unique; il l'a sacrifié pour nous;
et nous lui préférons mille choses ! Ne méritons-nous
pas l'enfer et le supplice, fût-il deux fois, trois fois, mille fois
plus grand? Qu'aurons-nous à dire, quand nous préférons
les ordres de Satan aux lois du Christ, quand nous sacrifions notre salut,
quand nous préférons les œuvres du vice à celui qui
a tout souffert pour nous? Quel pardon espérer pour une telle conduite?
Comment là justifier? C'est impossible. Tenons-nous donc fermes
pour ne pas courir au précipice; venons à résipiscence;
réfléchissons à tout cela et rendons-lui gloire par
nos oeuvres (car il ne suffit pas de le glorifier en paroles), afin de
jouir de sa gloire. Puissions-nous l'obtenir par la grâce et la bonté
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui,la gloire, la force, l'honneur
appartiennent au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours,
et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE VI. MAIS TOI QUI PORTES LE NOM DE JUIF, QUI TE REPOSES
SUR LA LOI ET TE GLORIFIES EN DIEU, QUI CONNAIS SA VOLONTÉ, ET QUI,
INSTRUIT PAR LA LOI, SAIS DISCERNER CE QUI EST LE PLUS UTILE. (II, 17,
18, JUSQU'À III, 8.)
Analyse
1 et 2. La simple connaissance extérieure de la loi sans l'application à s'y conformer, ne servira de rien au Juif, et il en est de même de la circoncision.
3. Ce n'est qu'à l'homme vertueux qu'elle donne un avantage particulier.
4. Objection : quel avantage reste-t-il donc au Juif ? — Réponse.
5. Autre objection : Mais si nos prévarications ont servi à faire paraître la justice de Dieu, Dieu n'est-il pas injuste de faire tomber sur nous sa colère ? — Réponse.
6. C'est par la pureté de leur vie que les chrétiens convertiront les infidèles. — Que l'avarice est une véritable idolâtrie.
1. Après avoir dit que rien ne manque au Gentil pour se sauver, s'il observe la loi , et avoir établi son admirable comparaison, il expose les avantages des Juifs et ce qui leur inspirait de l'orgueil par rapport aux Grecs. Et d'abord leur nom, qui était très-respectable, comme l'est maintenant celui du christianisme, et qui à lui seul formait une grande différence : aussi commence-t-il par là. Et voyez comme il montre le néant de cet avantage. Il ne dit pas : Toi qui es Juif, mais, " toi qui portes le nom de Juif et te glorifies en Dieu ", c'est-à-dire, comme objet de son amour et son privilégié entre tous les hommes. Il me semble ici les railler légèrement de leur orgueil et de leur grande vanité, en ce qu'ils ne profitaient point du don pour leur salut, mais en abusaient pour s'élever au-dessus des autres et les mépriser. " Et qui connaît la volonté de Dieu et discerne ce qui est le plus utile ". Sans les oeuvres, c'est là un défaut. Et pourtant cela semblait un avantage : Aussi fait-il soigneusement là distinction. Il ne dit pas : qui fais, mais, " Qui connais et discernes ", sans pratiquer, sans agir. " Tu te flattes d'être le guide des aveugles ". Ici encore il ne dit pas : Qui es le guide des aveugles, mais . " Qui te flattes ", qui te vantes de l'être : car la présomption des Juifs était grande. Aussi emploie-t-il à peu près les expressions dont les Juifs se servaient eux-mêmes dans leur jactance. Voyez dans les Evangiles ce qu'ils disent: " Tu es né tout entier dans le péché et tu nous enseignes ? ". (Jean, IX, 34.). Et ils se montraient fiers à l'égard de tout le monde. C'est ce que Paul continue à leur reprocher, en élevant les Gentils et en les abaissant eux-mêmes, afin de mieux les atteindre et de donner plus de poids à son accusation.
Aussi va-t-il encore plus loin en variant ses expressions. " Tu te flattes d'être le guide des aveugles, la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, le docteur des ignorants, le maître des enfants , ayant la règle de la science et de la vérité dans la loi ". Il ne dit pas : Dans la conscience, dans les actions, dans les bonnes oeuvres, mais : " Dans la loi". Et après avoir dit cela, il fait ce qu'il a fait pour les Gentils. En effet, comme il a dit plus haut . " En jugeant autrui, tu te condamnes toi-même ", de même il dit ici : " Toi donc qui instruis les autres, tu ne t'instruis pas toi-même ? " Mais là il a été plus sévère, ici il est plus doux. Il ne dit point : Et pour cela tu mérites un plus grand châtiment, parce que tu n'uses convenablement d'aucun des grands biens qui t'ont été confiés; mais (223) il procède par interrogation pour les faire rougir et dit : " Toi donc qui instruis les autres, tu ne t'instruis pas toi-même? " D'autre part voyez encore la prudence de Paul ! Il rappelle ceux des privilèges des Juifs qui n'étaient point le résultat de leur zèle, mais des dons d'en-haut, et fait voir que non-seulement ils sont inutiles à ceux qui les négligent, mais qu'ils entraînent une aggravation dans le châtiment. Car ce n'est point â cause de leurs mérites qu'ils sont appelés Juifs , qu'ils ont reçu la loi, et tous, les autres bienfaits énumérés plus haut ; mais c'est un effet de la grâce divine. Dès l'abord il avait dit qu'il né sert à rien d'avoir écouté la loi, si on ne la pratique : " Ce ne sont que ceux qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu ".
Maintenant allant beaucoup plus loin, il fait voir que non-seulement l'audition, mais (ce qui est bien plus que l'auditions) l'enseignement même de la loi ne sert de rien au maître, s'il ne pratique ce qu'il enseigne; que non-seulement cet enseignement ne servira à rien, mais attirera un plus grand châtiment. Et il choisit à propos ses expressions, il ne dit pas : " Tu as reçu-la loi, mais : " Tu te reposes sur la loi ", car le Juif n'était point obligé de courir çà et là et de chercher ce qu1l avait à faire, il trouvait sans peine dans la loi le chemin qui conduit à la vertu. Si les Gentils ont le raisonnement naturel, par où ils l'emportent sur les Juifs; puisqu'ils accomplissent tout sans avoir entendu aucun précepte positif, il n'en est pas moins vrai que ceux-ci ont. plus de facilité. Si vous dites . Je n'écoute pas seulement, mais j'enseigne, vous ne faites qu'ajouter une raison de plus pour être puni. Et comme leur orgueil s'en gonflait, il leur montre qu'il n'en sont que ridicules. En effet, quand il dit : " Guide des aveugles, docteur des ignorants, maître des enfants ", il fait allusion à leur orgueil, car ils abusaient étrangement de leurs prosélytes (c'était le nom qu'ils leur donnaient).
2. Aussi parle-t-il sous toutes les formes de ce qui' semblait leurs gloires; parce qu'il sait que ce sont autant de motifs de plus pour l'accusation. " Ayant la règle de la science et de la vérité dans la loi ". C'est comme si quelqu'un ayant l'image du roi n'en reproduisait aucun trait, tandis que ceux à qui elle n'aurait point été confiée la copieraient- fidèlement, Après avoir rappelé les avantages qu'ils ont reçu de Dieu, il mentionne les vices que leur reprochaient les prophètes : " Toi qui instruis les autres, tu ne t'instruis pas toi-même? toi qui prêches de ne point dérober, tu dérobes? toi qui dis qu'il ne faut pas être adultère, tu es adultère? toi qui as en horreur les idoles, tu commets le sacrilège? " Il était sévèrement défendu de toucher à rien de ce qui appartenait aux idoles, comme étant abominable ; mais, dit l'apôtre , la tyrannie de l'avarice vous a fait fouler cette loi aux pieds. Ensuite il réserve pour la fin le reproche le plus grave, disant: " Toi qui te glorifies dans la loi, tu déshonores Dieu par la violation de la loi ? "
Il y a ici deux reproches, ou plutôt trois ils déshonorent, ils déshonorent par ce qui leur a été accordé à titre d’honneur, ils déshonorent celui qui les a honorés : ce qui est le comble de l'ingratitude. Et pour ne pas avoir l'air de faire ces reproches dé son chef, il cite le prophète qui les accuse ici en abrégé, sommairement et comme en gros, mais plus tard en détail; ici encore Isaïe, puis ensuite David, après qu'il aura produit plusieurs réfutations. Pour preuve, leur dit-il, que ce n'est pas moi qui vous accuse, écoutez Isaïe : " A cause de vous le nom de Dieu est blasphémé parmi les nations ". (Isaïe, LII, 5.) Voici encore deux autres accusations. Non-seulement, dit-il, ils outragent Dieu, mais ils le font encore outrager par les autres. A quoi vous sert donc d'instruire , si vous ne vous instruisez pas vous-mêmes? Plus haut il s'était contenté de dire cela, maintenant il le tourne dans le sens contraire; car non-seulement vous ne vous instruisez point vous-mêmes, mais vous n'apprenez pas aux autres ce qu'ils doivent faire, chose bien pire encore, non-seulement vous ne leur apprenez pas la loi, mais vous leur enseignez tout le contraire, à blasphémer Dieu, ce qui est l'opposé de la loi.
Mais, direz -vous, la circoncision est une grande chose. J'en conviens, pourvu cependant qu'elle soit accompagnée dé la circoncision intérieure. Et voyez la prudence de Paul, avec quel à propos il amène la question de la circoncision. Il n'a point commencé par là, parce qu'on en avait une haute idée; mais après leur avoir prouvé qu'ils ont péché en matière plus grave et qu'ils ont fait blasphémer Dieu ; assuré que l'auditeur les condamne et leur ayant ôté leur privilège , il (224) parle de la circoncision, dans la confiance que personne n'osera plus la soutenir, et il dit " A la vérité la circoncision est utile si tu observes la loi ". Il avait pourtant un autre moyen de la rejeter ; il pouvait dire : Qu'est-ce que la circoncision? Est-elle un mérite pour celui qui l'a reçue? est-elle une preuve de bonne volonté? On la donne avant l'âge de raison ; ceux qui étaient dans le désert, sont restés longtemps incirconcis ; on voit d'ailleurs en plus d'un endroit qu'elle n'est pas très-nécessaire. Ce n'est cependant point par ce côté qu'il la rejette, mais par où il fallait surtout l'attaquer, par Abraham. C'était là le plus beau triomphe, de la montrer méprisable là où elle leur paraissait respectable. Il aurait pu dire que les prophètes ont souvent appelé les Juifs incirconcis, mais c'étaient là la faute de ceux qui la recevaient et non celle de la circoncision elle-même. La question était de prouver qu'elle était sans. vertu dans une vie parfaite, et c'est ce qu'il va faire. Jusqu'ici il n'a point parlé du patriarche, mais après avoir d'abord déconsidéré la circoncision par d'autres motifs, il porte plus tard son attention sur Abraham, à l'occasion de la foi , et dit : " Quand la foi a-t-elle été imputée à Abraham ? Dans la circoncision, ou avant la circoncision ? " (Rom. IV, 10.)
Tant que la circoncision combat le païen et l'incirconcis, il ne veut pas tenir ce langage, pour ne pas blesser trop vivement; mais quand elle est opposée à la foi, alors il l'attaque résolument. En attendant, la lutte est contre l'incirconcision; c'est pourquoi il est moins vif et dit : " A la vérité la circoncision est utile, si tu observes la loi; mais si tu la violes, la circoncision devient incirconcision (18, 25) ". Il suppose ici deux circoncisions et deux incirconcisions, comme il y a deux lois. Car il y a la loi naturelle et la loi civile, et un intermédiaire entre elles, la loi dans les ,œuvres. Et voyez comme il indique et met en avant ces trois lois. " En effet. ", dit-il, "quand les Gentils qui n'ont pas la loi " : De quelle loi s'agit-il.? de la loi écrite. " Font naturellement ce qui est selon la loi ". Selon quelle loi? selon la loi par. les oeuvres. " N'ayant pas la loi ". Laquelle? la loi écrite. " Ils sont à eux-mêmes la loi ". Comment cela? en suivant la loi naturelle. "Montrant ainsi l'œuvre de la loi " : De quelle loi ? de la loi par les couvres. La loi écrite est extérieure, la loi naturelle est intérieure; mais la troisième est dans les actes. Ainsi l'une est exprimée par l'Ecriture, l'autre par la nature, et la troisième par les couvres. C'est cette dernière qui est nécessaire, puisque c'est pour elle qu'existent les deux autres, la loi écrite et la loi naturelle; et sans elle, celles-ci sont inutiles et même très-nuisibles. Et c'est ce que l'apôtre indique en parlant de la loi naturelle : " En jugeant autrui, tu te condamnes toi-même " ; puis de la loi écrite : " Toi qui prêches de ne point dérober, tu dérobes ? " De même il y a deux incirconcisions, l'une de la nature et l'autre des couvres; et deux circoncisions : l'une dans la chair et l'autre dans la volonté. Par exemple, quelqu'un est circoncis le huitième jour, voilà la circoncision de la chair; quelqu'un accomplit toutes les prescriptions légales, voilà la circoncision ,du cœur, celle que Paul demande surtout, aussi bien que la loi elle-même.
3. Voyez donc comme après l'avoir d'abord admise en parole, il la supprime en effet. Il ne dit point : la circoncision est superflue, inutile, stérile; que dit-il donc? "A la vérité la circoncision est utile si tu observes la loi ". Il l'avait admise, en disant : J'en conviens, je ne dis pas le contraire, la circoncision est bonne; mais quand ? quand elle est jointe à l'observation de la loi. " Mais si tu la violes, ta circoncision devient incirconcision ". Il ne dit pas : Elle est inutile, pour ne pas avoir l'air de la déshonorer; mais en en dépouillant le Juif, il l'attaque par le fait. L'injure alors ne s'adresse plus à la circoncision, mais à celui qui l'a perdue par sa lâcheté. Paul agit dans cette circonstance comme les juges qui privent d'abord de leurs honneurs et punissent ensuite les hommes constitués en dignités, lorsqu'ils sont convaincus de quelques grands méfaits. Car après avoir dit : " Si tu la violes ", il ajoute : " La circoncision devient incirconcision " ; et après avoir déclaré le Juif incirconcis, il n'hésite plus à le condamner. " Si donc l'incirconcis garde les préceptes de la loi , son incirconcision ne devient-elle pas circoncision (26) ? "
Voyez ce qu'il fait : il ne dit point que l'incirconcision l'emporte sur la circoncision : 'ce langage eût vivement déplu à ses auditeurs mais il dit que l'incirconcision devient circoncision. Ensuite il demande ce que c'est que la circoncision, ce que c'est que l'incirconcision; (225) il répond que la circoncision ce sont les bonnes oeuvres, l'incirconcision, les mauvaises ; et comme il a d'abord fait passer à la circoncision l'incirconcis qui fait le bien, et à l’incirconcision le circoncis qui vit dans le mal; il donne ainsi naturellement la victoire à l'incirconcis. Il ne dit cependant pas : à l'incirconcis, mais il exprimé la chose même, en disant: " Son incirconcision ne devient-elle pas circoncision? " Il ne dit pas ; est imputée, mais " devient ", ce qui est plus expressif; de même que plus haut il n'a pas dit : La circoncision est imputée à incirconcision, mais " devient" incirconcision . " Et celui qui est naturellement circoncis condamnera ". Voyez-vous qu'il reconnaît deux incirconcisions, l'une de la nature et l'autre de la volonté? Ici cependant il parle de celle de 1à nature, mais il ne s'en tient pas, là, car il ajoute : "Celui qui accomplit la loi te condamnera, toi qui , avec la lettre et la circoncision, es prévaricateur de la loi (27) ". Voyez la délicatesse de sa prudence. Il ne dit pas que 1'incirconcision naturelle, jugera la circoncision, mais il l'amène sur le point même où elle est victorieuse. Puis quand il y a défaite; ce n'est pas la circoncision elle-même qu'il déclare vaincue, mais le Juif circoncis, évitant les expressions qui pourraient blesser son auditeur. Et il ne dit pas : toi qui as la loi et la circoncision, mais en termes plus doux : " Toi qui, par la lettre et la circoncision, es prévaricateur de la lettre ", c'est-à-dire cette incirconcision venge la circoncision, car celle-ci a été outragée; elle vient au secours de,la loi, car la loi a été violée; et il dresse ainsi un glorieux trophée. C'est en effet un- éclatant triomphe que de faire juger le Juif non par le Juif, mais par l'incirconcis, comme il a été dit : " Les Ninivites se lèveront et condamneront cette génération " (Matth. XII, 41). Il ne déshonore donc point la loi qu'il respecte beaucoup au contraire, mais le transgresseur de la loi.
Ensuite, après avoir démontré tout cela , il définit hardiment ce que c'est que le Juif : et fait voir que ce n'est point le Juif, mais. celui quine l'est pas; que ce n'est pas la circoncision, mais l'incirconcis, qu'il repousse. Il semble prendre en mains la cause de la circoncision, mais en jugeant d'après le fait, il la déprécie. Non-seulement il démontre qu'il n'y a pas de différence entre le Juif et l'incirconcis, mais que celui-ci l'emporte, s'il veille attentivement sur lui-même, et qu'il est le vrai Juif; c'est pourquoi il ajoute : " Car le Juif n'est pas celui qui le paraît au dehors, ni la circoncision celle qui se voit à l'extérieur sur la chair ". Ici il s'adresse à ceux qui font tout pour l'apparence. " Mais le Juif est celui qui l'est intérieurement , et la circoncision est celle du coeur, faite en esprit et non selon la lettre... (28, 29) ".
4. Par ces paroles il exclut tout ce qui est corporel. La circoncision, les sabbats, les sacrifices , les purifications étaient extérieurs toutes choses qu'il a en vue , quand il dit : " Car le Juif n'est pas celui qui le paraît au dehors". Mais comme la circoncision avait une grande importance, au point que. le sabbat même lui cédait la place, c'est avec raison qu'il s'étend davantage sur elle. En disant " Celle du coeur ", il ouvre la voie aux institutions de l'Eglise et prépare à la foi : car c'est celle qui est dans le coeur et dans l'esprit que Dieu approuve. Et pourquoi n'a-t-il pas démontré que le gentil qui fait le bien n'est pas au-dessous du Juif qui fait le bien, mais seulement que le gentil qui fait le bien l'emporte sur le Juif prévaricateur? Pour rendre sa victoire incontestable. Car, ce point une fois admis, la circoncision de la chair est nécessairement mise de côté, et la nécessité des oeuvres devient évidente. En effet si le Grec se sauve sans cela, et si le Juif se perd avec cela, c'en est fait du judaïsme. Or pour Paul le gentil n'est point l'idolâtre, mais l'homme pieux, vertueux , non assujetti aux observances légales. " Qu'est-ce, donc que le Juif a de plus ? " (III, 1.)
Après qu'il a tout rejeté, la connaissance de la loi, l'enseignement, le nom de Juif, la circoncision , et tout le reste , en disant : " Le Juif n'est pas celui qui le paraît au dehors , mais celui qui l'est intérieurement ", il voit se dresser une objection et il se met en devoir de lui faire face. Quelle est-elle? Si tout cela, dira-t-on, ne sert à rien, pourquoi la nation a-t-elle été appelée et la circoncision a-t-elle été donnée? Que fait Paul, et comment la réfute-t-il? Comme il a réfuté les autres. Car comme plus haut il ne fait point l'éloge des Juif,, ne vante point leurs mérites , mais seulement les bienfaits de Dieu, puisque le nom de Juif, la connaissance de la volonté divine , l'appréciation des choses utiles, n'étaient point (225) l'effet de leur volonté, mais un don de la grâce ce que le prophète leur reprochait déjà quand il disait : " il n'a point traité ainsi toutes les nations, et ne leur a point manifesté ses jugements " (Ps. CXLVII); et Moïse: "Demandez si rien de semblable s'est jamais passé, si une nation a jamais entendu, sans mourir, la voix du Dieu vivant sortir du milieu des flammes " (Deut. V, 26) ; ce que Paul, dis-je, a déjà fait alors, il le fait encore ici. En effet, comme quand il parlait de la circoncision , il ne disait pas qu'elle était inutile sans les oeuvres, mais qu'elle était utile, avec les oeuvres, rendant ainsi la même idée en termes plus doux; et encore comme après avoir dit: " Si tu violes la loi ", il n'a pas ajouté; ta circoncision ne te sert à rien, mais : " Ta circoncision devient une incirconcision "; puis plus bas : " L'incirconcis ne jugera pas la circoncision, mais te jugera toi, prévaricateur de la loi "; ménageant ainsi la loi, et accusant les hommes : de même fait-il encore ici.
Car s'étant posé à lui-même l'objection, en disant : " Qu'est-ce donc que le Juif a de plus? " Il ne répond pas ; Rien, mais il effleure le sujet et détruit par la suite l'objection en démontrant que cette prééminence même a été pour eux une source de châtiments. Comment cela? Je vais vous le dire, après avoir reproduit l'objection : " Qu'est-ce donc que le Juif a de plus, et à quoi sert la circoncision? Beaucoup de toute manière. Premièrement, parce que c'est aux Juifs que les oracles de Dieu ont été confiés... (2) ". Le voyez-vous, comme je vous l'ai déjà dit, rappelant les bienfaits de Dieu sans faire aucune mention de leurs mérites. Qu'est-ce à dire : " Ont été confiés? " Parce qu'on leur avait confié la loi , parce que Dieu les avait estimés au point de les rendre dépositaires de ses oracles. Je sais que quelques-uns appliquent ces mots: " Ont été confiés " aux oracles mêmes et non aux Juifs, ce qui voudrait dire la loi a été confiée : mais la suite ne permet pas cette interprétation. D'abord Paul parle ici par manière d'accusation, et montre aux Juifs qu'ils ont reçu de Dieu de grands bienfaits et se sont montrés extrêmement ingrats. D'ailleurs ce qui suit en donne la preuve, puisqu'il ajoute : " Car qu'importe si quelques-uns d'entre eux n'ont pas cru ? " S'ils n'ont pas cru, dira-t-on, comment les oracles leur ont-ils été confiés ? Que veut donc; dire l'apôtre? Que Dieu leur a confié sa parole, mais non qu'ils y ont cru : autrement quel sens aurait la suite? Car il ajoute : " Qu'importe si quelques-uns d'entre eux n'ont pas cru? " Ce qui vient après prouve encore le même sens : " Leur infidélité rendra-t-elle vaine la fidélité de Dieu? Non , sans doute (3) ". Il affirme donc que ce qui leur a été confié est un don de Dieu. Voyez encore ici sa prudence. Il ne leur adresse toujours pas de reproche de lui-même, mais sous forme d'objection, comme s'il disait: Peut-être direz-vous : A quoi bon cette circoncision? Car ils n'en ont point usé convenablement; la loi leur a été confiée et ils n'y ont pas cru. Cependant l'accusateur n'est pas violent : c'est en paraissant chercher à justifier Dieu , qu'il fait tomber sur eux tout le reproche. Pourquoi, dit-il, objectez-vous qu'ils n'ont pas cru? Qu'importe à Dieu? L'ingratitude de ceux qui ont reçu ses bienfaits détruit-elle ces bienfaits? Fait-elle que d'honneur ne soit pas un honneur? Car c'est le sens de ces mots : " Leur infidélité rendra-t-elle vaine la fidélité de Dieu? Non sans doute ". C'est comme si on disait : J'ai accordé un honneur à un tel; s'il ne, l'a point accepté, on ne saurait m'en faire un reproche ; cela ne détruit point ma bienveillance, mais prouve son insensibilité. Et Paul ne se contente pas e cela, il dit beaucoup plus, à savoir que non-seulement l'incrédulité des Juifs n'est point un motif de reproche envers Dieu, mais qu'elle fait mieux ressortir sa bonté et d'honneur qu'il leur a fait, puisqu'il a honoré un peuple qui devait le déshonorer.
5. Voyez-vous comme il transforme en sujets d'accusation les choses mêmes dont ils se glorifiaient. En effet Dieu les a tellement honorés, que la .prévision même de l'avenir n'a point empêché sa bienveillance, et ils se sont servis pour l'outrager de l'honneur même qu'il leur accordait. D'après ces mots: " Qu'importe, si quelques-uns n'ont pas cru? " Il paraît que tous -ont été incrédules. Pour ne pas emprunter le langage de l'histoire et paraître leur ennemi par la violence du reproche, il prend la forme du raisonnement et du syllogisme pour exprimer la réalité des faits,, disant : " Dieu est vrai et tout homme est menteur (4) ". C'est-à-dire . Je ne nie pas que quelques-uns aient été incrédules; mais supposez., si vous le voulez, que tous l'ont été;. faisant ainsi une concession en passant, (227) pour ne pas paraître blessant ni suspect. Mais cela même, ajoute-t-il, justifie Dieu. Qu'est-ce à dire, justifie? Si l'on établissait un jugement et une enquête sur les bienfaits que Dieu a accordés aux Juifs et sur le retour dont ils l'ont payé, la victoire serait à Dieu et il apparaîtrait juste en tout. Après avoir démontré cela par tout ce qu'il vient de dire, il invoque le témoignage du prophète qui dit: " Afin que vous soyez reconnu fidèle dans vos paroles et victorieux quand on vous juge ". (Ps. 50.) Il a fait pour eux tout ce qui était en lui et ils n'en sont pas devenus meilleurs. L'apôtre présente ensuite une autre objection qui naît du sujet : " Que. si notre iniquité relève la justice de Dieu, que dirons-nous? Dieu n'est-il pas injuste d'envoyer sa colère? (Je parle humainement.) Point du tout... (5,6) ": Il réfute l'absurde par l'absurde.
Mais comme ceci est obscur, il est nécessaire de l'éclaircir. Que dit-il donc ? Dieu a honoré les Juifs, et les Juifs l'ont déshonoré. Cela lui donne la victoire et fait voir combien il a été bon d'honorer un tel peuple. Mais, dira-t-on, si en l'outrageant et en le déshonorant , nous lui avons assuré la victoire et fait éclater sa justice. Pourquoi sommes-nous punis, nous qui lui avons prouvé le triomphe par nos propres injures? Comment l'apôtre répond-il? Je l'ai déjà dit: Par une autre absurdité : Si, dit-il, tu as été la cause de sa victoire et que tu sois néanmoins puni, c'est une injustice; mais s'il n'est pas injuste et que tu sois puni, c'est que tu n'es pas la cause de sa victoire. Et voyez cette prudence apostolique ! Après avoir dit: " Dieu n'est-il pas injuste d'envoyer sa colère? " Il ajoute : " Je parle, humainement ", c'est-à-dire pour employer le raisonnement humain: car le juste jugement de Dieu surpasse de beaucoup ce qui nous paraît juste, et renferme d'autres motifs mystérieux. Et comme ce langage était obscur, il répète encore la même chose: " Car si par mon infidélité, la vérité de Dieu a éclaté davantage pour sa gloire, pourquoi suis-je encore jugé comme pécheur?... (7) ".
C'est-à-dire : Si par vos désobéissances vous avez fait ressortir la bienveillance , la justice et la bonté de Dieu, non-seulement vous ne méritez pas d'être puni, mais vous avez droit à une récompense. Or s'il en est ainsi, voici l'absurdité qui en découlera, absurdité qui a cours chez un grand nombre : à savoir, que le bien naît du mal et que le mal est la source du bien , en sorte qu'il faudrait nécessairement de deux choses l'une : ou qu'en punissant, Dieu se montrât injuste, ou qu'en ne punissant pas, il triomphât par le fait de nos iniquités: deux conséquences souverainement absurdes. En le démontrant, Paul attribue aux Grecs l'invention de ces croyances, et pense que pour réfuter de telles assertions il suffit d'en nommer les auteurs. Car alors ils disaient pour se moquer de nous : Que nous faisons le mal pour que le bien en résulte. Ce que Paul établit clairement par ces paroles : " Et ne ferons-nous pas le mal pour qu'il en arrive du bien, conformément au blasphème qu'on nous impute, et à ce que quelques-uns nous font dire? La condamnation de ceux-là est juste... (8) ". En effet, comme il avait dit : " Où le péché a abondé, la grâce a surabondé ". (Rom. V, 20) , ils le tournaient en dérision et donnant à sa parole un autre sens, ils prétendaient qu'il faut s'attacher au mal pour en faire sortir le bien. Ce n'était point là ce que Paul entendait; et pour corriger cette fausse interprétation , il dit.: " Quoi donc? Demeurerons-nous dans le péché pour que la grâce abonde ? A Dieu ne plaise ! " (Rom. VI,1, 2.) Car j'ai parlé des temps passés, dit-il, et non dans le but de faire admettre et pratiquer cette doctrine. Et pour écarter tout soupçon là-dessus, il déclare la chose impossible. " Car ", dit-il, " comment nous qui sommes morts au péché, vivrions-nous encore dans le péché? "
6. Il attaque donc volontiers les Grecs, parce que leur vie était horriblement corrompue; quant aux Juifs, si leur conduite semblait négligée, ils avaient de puissantes garanties, la loi, la circoncision, leur commerce familier avec Dieu, le titre de docteurs universels. Aussi Paul les dépouille-t-il de ces privilèges, leur démontre-t-il qu'ils n'en seront que plus punis pour les avoir possédés, et c'est par là qu'il conclut ici son discours. En effet, s'ils ne sont pas punis pour avoir fait ce qu'ils ont fait, il faut nécessairement admettre cette parole blasphématoire : " Faisons le mal pour qu'il en arrive du bien ". Or, si c'est là une impiété, si ceux qui la profèrent seront punis (et c'est ce qu'il a établi en disant : " La condamnation de ceux- là est juste "), il est évident qu'ils seront punis. Mais si ceux qui tiennent ce langage méritent (228) un châtiment, à bien plus forte raison ceux qui le mettent en pratique; et s'ils méritent un châtiment, c'est qu'ils ont péché. Car ce n'est pas un homme qui punit, un homme dont le jugement pourrait être suspect; mais Dieu qui agit toujours avec justice. Or, s'ils sont justement punis, c'est que les reproches qu'ils nous adressaient en plaisantant étaient injustes ; car Dieu a tout fait et fait encore tout pour rendre éclatantes et droites nos institutions. Ne nous relâchons donc pas; et par là nous pourrons arracher les Grecs à leur erreur.
Mais si nous sommes sages en paroles et déréglés dans notre conduite, de quel oeil les verrons-nous? Quel langage leur tiendrons-nous sur les dogmes? Ils diront à chacun de nous : Toi qui ne fais pas le moindre bien, comment oses-tu prêcher la perfection ? Toi qui ne sais pas encore que l'avarice est un mal, que viens-tu raisonner sur les choses célestes? Mais tu sais que c'est un mal? Tu n'en es que plus coupable alors, puisque tu ne pèches pas par ignorance. Mais pourquoi parler des Gentils? Nos propres lois nous ôtent le droit d'élever la voix, quand notre conduite est déréglée. " Car, " il est écrit : " Dieu a dit au pécheur : Pourquoi parles-tu de ma loi? " (Ps. XLIX.) Les Juifs avaient été emmenés en captivité, et quand les Perses les suppliaient et les pressaient de chanter leurs divins cantiques, ils répondaient : " Comment chanterons-nous les cantiques du Seigneur sur la terre étrangère?" (Ps. CXXXVI.) Que s'il n'était pas convenable de chanter les cantiques du Seigneur sur une terre étrangère, combien cela est-il moins permis à une âme étrangère? Or, telle est l'âme sans pitié. Car si la loi commandait le silence à des captifs, devenus esclaves des hommes sur une terre étrangère; à combien plus forte raison doivent se taire les esclaves du péché, assujettis à une autre règle de vie? Pourtant ces Juifs avaient leurs instruments : " Nous avons ", disaient-ils, " suspendu nos instruments aux branches des saules (16) ", et il ne leur était point permis de s'en servir. Donc, bien que nous ayons une bouche et une langue, qui sont les instruments de la parole, nous ne devons point nous en servir, tant que nous sommes esclaves du péché, le plus impérieux des maîtres étrangers.
En. effet, dites-moi un peu, vous qui êtes voleur et avare, que pouvez-vous dire au Grec? Renonce à l'idolâtrie? Apprends à connaître Dieu? Ne cherche point l'or et l'argent? Mais ne se mettra-t-il pas à rire et à vous dire Commence par t'appliquer ce langage ? Car qu'un gentil ou un chrétien soit idolâtre, ce n'est pas la même chose. Comment pourrons-nous détourner un païen de cette idolâtrie, quand nous y sommes livrés nous-mêmes? Nous sommes plus près de nous que le prochain. Comment persuaderons-nous les autres, si nous ne nous persuadons pas nous-mêmes? Si celui qui ne sait pas gouverner sa maison, ne sera point chargé de gouverner l'Eglise, celui qui ne sait pas régler son âme, pourra-t-il corriger celle des autres ? Ne me dites pas que vous ne vous prosternez point devant une statue d'or; mais prouvez-moi que vous ne faites pas ce que l'or vous commande. Car il y a bien des espèces d'idolâtrie : l'un sert Mammon comme son maître, l'autre son ventre, un troisième quelque passion plus coupable encore. Mais vous ne leur immolez point de boeufs à la manière des gentils ? Vous faites bien pire : vous leur sacrifiez votre âme. Mais vous ne fléchissez pas le genou, vous n'adorez pas? Sans doute, mais vous faites avec bien plus de docilité tout ce que vous commandent votre . ventre, l'or ou toute autre passion tyrannique; et c'est en cela même que les Grecs sont abominables, parce qu'ils ont divinisé les passions : l'amour sous le nom de Vénus, la colère sous celui de Mars, l'ivrognerie sous celui de Bacchus.
Si vous ne leur taillez point de statues comme eux, vous ne vous inclinez
pas avec moins d'ardeur devant ces mêmes passions, faisant ainsi,
des membres du Christ, des membres de prostituée et vous plongeant
encore dans d'autres iniquités. C'est pourquoi je vous exhorte ,à
comprendre l'excès de cette démence et à fuir l'idolâtrie,
puisque c'est le nom que Paul donne à l'avarice (Col. III, 5). Et
ce n'est pas seulement la cupidité qui s'attache à l'orgueil
qu'il faut fuir, mais aussi celle qui a pour objet le désir impur,
les vêtements, la table, ou toute autre chose. Car nous serons bien
plus sévèrement punis, si nous n'obéissons pas aux
lois du Christ. En effet, il est écrit : " Le serviteur qui a connu
la volonté de son maître, et ne l'a pas exécutée,
recevra un grand nombre de coups ". (Luc, XII, 47.) Afin donc d'éviter
ce châtiment et d'être utiles (229) à nous-mêmes
et aux autres, chassons de notre âme tous les vices et embrassons
la vertu. Par là nous obtiendrons les biens futurs. Puissions-nous
tous y parvenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur
Jésus-Christ avec qui la gloire, l'honneur, la force appartiennent
an Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles
des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE VII. QUOI DONC? SOMMES-NOUS AU-DESSUS D'EUX? NULLEMENT.
CAR NOUS AVONS CONVAINCU LES JUIFS ET LES GRECS D'ÉTRE TOUS SOUS
LE PÉCHÉ. SELON QU'IL EST ÉCRIT : PAS UN SEUL N'EST
JUSTE; IL N'Y A PERSONNE QUI COMPRENNE, IL N'Y A PERSONNE QUI CHERCHE DIEU.
TOUS ONT DÉCLINÉ, TOUS SONT DEVENUS INUTILES ; IL N'EN EST
PAS UN QUI FASSE LE BIEN, IL N'EN EST PAS MÊME UN SEUL. LEUR BOUCHE
EST UN SÉPULCRE OUVERT, LEUR LANGUE UN INSTRUMENT DE FRAUDE; UN
VENIN D'ASPIC EST SOUS LEURS LÈVRES; LEUR BOUCHE EST REMPLIE DE
MALÉDICTION ET D'ARMERTUME; LEURS PIEDS SONT VITES POUR RÉPANDRE
LE SANG; LA DESTRUCTION ET LE MALHEUR SONT DANS LEURS VOIES, ET LA VOIE
DE LA PAIX, ILS NE L'ONT PAS CONNUE; LA CRAINTE DE DIEU N'EST PAS DEVANT
LEURS YEUX (III, 9-18, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE.)
Analyse.
1. Tous les hommes ont péché et ont besoin de la grâce de Dieu.
2. La justice de Dieu s'est manifestée sans la loi et par la foi dans tous ceux qui ont cru.
3. Ne rejetons pas cette justice, nous y trouverons deux avantages : le premier , qu'un si grand bien nous coûte fort peu, puisque nous n'avons qu'à croire ; le second , que c'est un bien que Dieu nous offre à tous dans sa munificence. — Les Juifs ne peuvent plus se glorifier d'aucun avantage sur les autres nations.
4. L'homme est justifié sans les oeuvres de la loi mosaïque, il est raisonnable qu'il en soit ainsi, car Dieu n'est pas seulement le Dieu des Juifs, mais le Dieu de tous les hommes. — La foi néanmoins ne détruit pas la loi, au contraire, elle la complète. — La loi a préparé la voie à la foi, et la foi a rempli le but de la loi.
5-8. Mais puisque nous savons qu'outre la foi qui nous justifie, nous avons encore besoin d'une bonne vie, rendons-nous dignes d'un don si précieux en conservant entre nous une charité naturelle. — Eviter l'envie, fléau de l'Eglise. — Faire l'aumône.
1. Il a accusé les Gentils, il a accusé les Juifs; il était naturel qu'il parlât ensuite de la justice par la foi. En effet, si la loi dé nature n'a servi à rien, si la loi écrite n'a, pas servi davantage, si toutes les deux ont tourné au détriment de ceux qui n'ont point su en user et sont devenues pour eux la cause de plus grands châtiments : le salut par la grâce était donc nécessaire. Parlez-en donc, Paul, et faites-le nous voir. Mais il n'ose pas encore, se défiant de la violence des Juifs; il en revient alors à les accuser, et en premier lieu introduit pour accusateur David, qui expose longuement ce qu'Isaïe, a exprimé en peu, de
mots. Par là il leur met un frein puissant qui les empêchera de regimber; en sorte que, déjà contenus vigoureusement par les accusations des prophètes, pas un de ses auditeurs ne puisse se soustraire à ce qu'il va dire sur la foi. Le prophète pose d'abord trois points extrêmement graves: tous ont fait le mal; ils l'ont fait d'une manière absolue, sans mélange de bien, ,ils l'ont fait de toute l'étendue de leur pouvoir. Et pour qu'ils ne disent pas : Que nous importe, si cela s'adresse à d'autres? Il ajoute : " Or, nous savons que tout ce que la loi dit, elle le dit à ceux qui sont sous la loi... (19) ". C'est pourquoi après Isaïe, qui, (230) de l'avis de tous, s'adressait à eux, il introduit David pour leur montrer que l'un se rattache à l'autre. Quelle nécessité, leur dit-il, à ce que le prophète en accusât d'autres que vous, lui qui avait été envoyé pour vous corriger? Car la loi n'avait été donnée qu'à vous. Mais pourquoi Paul ne dit-il pas : Nous savons que tout ce que le prophète dit; mais : " Que tout ce que la loi dit? " Parce qu'il a l'usage de donner à tout l'Ancien Testament le nom de loi. En effet il dit ailleurs: " N'entendez-vous pas la loi? Abraham eut deux fils ". (Sal. IV, 21, 22.) De même ici il appelle les Psaumes la loi, en disant : " Nous savons que tout ce que la loi dit, elle le dit à ceux qui sont sous la loi ".
Ensuite il montre que cela n'a pas été dit simplement en manière de reproche, mais afin que la loi préparât les voies à la foi. Tel est l'accord entre l'Ancien et le Nouveau Testament que les " reproches et les louanges avaient certainement pour but d'ouvrir aux auditeurs, d'une manière éclatante, la porte de la foi. En effet, comme la principale cause de la perte des Juifs a été la haute idée qu'ils avaient d'eux-mêmes (ce que l'apôtre leur reproche plus bas en ces termes : " Ignorant la justice de Dieu et cherchant à établir la leur, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu) ". (Rom. X, 3.) La loi et les prophètes combattaient d'avance leur présomption, comprimaient leur orgueil, afin que, réfléchissant sur leurs fautes, dépouillant toute arrogance, et se voyant exposés aux derniers périls, ils courussent avec grand empressement à celui qui leur offrait la rémission de leurs péchés et accueillissent la grâce par la foi. C'est à quoi Paul fait allusion ici, quand il dit : " Nous savons que tout ce que la loi dit, elle le dit à ceux qui sont sous la loi, en sorte que toute bouche soit fermée et que tout le monde soit jugé digne des vengeances de Dieu ".
Ici il fait voir qu'ils n'ont point cette solide gloire que procurent les bonnes œuvres, et qu'ils sont seulement fiers et insolents en paroles. Aussi emploie-t-il ce mot propre : " En sorte que toute bouche soit fermée ". Signalant par là leur imprudente et intolérable jactance, et indiquant en même temps que leur langue est enfin refrénée; car elle avait la violence d'un torrent, mais le prophète lui a mis le frein. Et. par ces mots : " En sorte que toute bouche soit fermée ", il ne veut pas dire qu'ils ont péché exprès pour qu'on leur fermât la bouche ; mais il veut seulement les convaincre de péché, afin qu'ils n'ignorent pas qu'ils sont pécheurs. " Et que tout le monde soit jugé digne des vengeances de Dieu ". Il ne dit pas, tout Juif, mais toute la nature ". D'un côté, ces expressions : " En sorte que toute bouche soit fermée ", est une allusion aux Juifs, mais une allusion voilée, pour ne pas paraître trop rude; de l'autre, celles-ci : " Et que tout le monde soit jugé digne des vengeances de Dieu ", s'adressant tout à la fois aux Juifs et aux Gentils. Et ce n'est pas là un faible moyen de rabattre leur orgueil, que de leur montrer que sur ce point ils n'ont rien de plus que les gentils, et qu'ils sont livrés à la même perdition à l'égard du salut, car on appelle proprement upodixos; celui qui étant accusé ne peut se défendre lui-même, mais a besoin des secours d'autrui, comme nous étions nous-mêmes après avoir perdu tous les moyens de salut : " Car par la loi on " a la connaissance du péché ". De nouveau il revient à la loi, mais avec ménagement; car ce n'est point elle qu'il accuse, mais la lâcheté des Juifs; et comme il va parler de 1a foi, il tient à prouver ici que la loi était très-affaiblie. Si vous vous glorifiez de la loi, leur dit-il, elle vous couvre de honte : car elle accuse vos péchés. Cependant, il ne parle pas si rudement, mais avec plus d'indulgence : " Car par la loi on a la connaissance du péché (20) ". Donc, le châtiment en sera plus grand, mais pour les Juifs. La loi a eu pour effet de vous faire connaître le péché; c'était à vous à l'éviter; pour ne l'avoir pas fait, vous vous êtes attiré une punition plus sévère, en sorte que le secours même que vous offrait la loi est devenu pour vous l'origine d'un châtiment plus dur.
2. Après avoir ainsi augmenté leurs craintes il revient à parler de la grâce, pour leur inspirer un vif désir de la rémission de leurs péchés, et il dit : " Tandis que maintenant, dans la loi, la justice de Dieu a été manifestée (21) ". Il énonce là une grande chose et qui a bien besoin d'être prouvée. Si en effet ceux qui vivaient sous la loi non-seulement n'ont point échappé au châtiment, mais se le sont attiré plus sévère, comment pourra-t-on, en dehors de la loi, non-seulement éviter la punition, mais même être justifié? Voilà (231) les deux points principaux qu'il établit : être justifié et obtenir tous ces biens sans la loi. Aussi ne dit-il pas simplement la justice, mais " La justice de Dieu", relevant, par la dignité du personnage, la grandeur du don et la certitude de l'accomplissement de la promesse, puisque tout est possible à Dieu. Il ne dit point non plus : a été donnée mais : " A été manifestée ", pour échapper au reproche d'innovation; car la manifestation est comme la révélation d'une chose ancienne et cachée. Et non-seulement ici, mais plus bas encore, il montrera que ce n'est point là une nouveauté. En effet, après ce mot : " A été manifestée ", il ajoute : " Etant confirmée par le témoignage de la loi et des prophètes ".
Ne vous troublez pas, leur dit-il, parce qu'elle est donnée maintenant, comme si c'était une chose nouvelle et inouïe ; car elle a déjà été prédite autrefois par la loi et par les prophètes. Il s'est déjà servi de cette preuve pour d'autres sujets ; il s'en servira encore. Plus haut il a produit ce texte d'Habacuc : " Le juste vit de foi ". (Rom. I, 17.) Puis il a parlé d'Abraham et de David, à propos d'autres questions. Ces personnages jouissaient d'une grande autorité chez les Juifs; car l'un était patriarche et prophète, et l'autre roi et prophète, et c'était à eux qu'avaient été faites les promesses relatives à ce sujet. Aussi Matthieu, au début de son Evangile, les mentionne-t-il d'abord tous les deux, et donne ensuite les générations par ordre. En effet, après avoir dit : " Livre de la généalogie de Jésus-Christ ", il ne fait point suivre le nom d'Abraham, de ceux d'Isaac et de Jacob; mais il nomme David avec Abraham , et même, chose étonnante ! avant Abraham, puisqu'il dit : " Fils de David, fils d'Abraham " ; après quoi il énumère Isaac, Jacob et tous leurs descendants. C'est aussi pour cela que l'apôtre les cite souvent et dit ici : " La justice de Dieu étant confirmée par le témoignage de la loi et des prophètes ". Et pour qu'on ne dise pas : Comment serons-nous sauvés, nous qui ne contribuons en rien à ce dont il s'agit? il montre que ce que nous y apportons n'est pas peu de chose, à savoir la foi. Aussi après avoir dit : " La justice de Dieu ", il ajoute : " Par la foi, pour tous ceux et sur tous ceux qui croient... (22) ".
Ici encore le Juif se trouble, en voyant qu'il n'a rien de plus que les autres et qu'il est compris dans le dénombrement de toute la terre. Pour y obvier, l'apôtre le comprime par la crainte, en ajoutant : " Car il n'y a point de distinction, parce que tous ont péché (23) ". Ne me dites pas qu'un tel est Grec, qu'un tel est Scythe, qu'un tel est Thrace ; car tous sont de même condition. Si vous avec reçu la loi, vous n'y avez appris qu'une chose : à connaître le péché, et non à le fuir. Ensuite, pour qu'on n'objecte point : Si nous avons péché, ce n'est pas comme eux, il continue : " Et sont privés de la gloire de Dieu ". Ainsi, bien que tu n'aies point commis les mêmes péchés que les autres, tu es également privé de la gloire : car tu es de ceux qui ont péché; or celui qui a péché ne compte point parmi les glorifiés, mais parmi ceux qui sont couverts de confusion. Pourtant ne crains pas : Si je dis cela, ce n'est pas pour te jeter dans le désespoir, mais pour te faire comprendre la bonté du Maître. Aussi ajoute-t-il : " Etant justifiés gratuitement par la grâce, par la rédemption qui est dans le Christ Jésus, que Dieu a établi propitiation par la foi en son sang pour montrer sa justice (24, 25) ".
Voyez que de preuves à l'appui de sa proposition ! D'abord la dignité de la personne; ce n'est point l'oeuvre d'un homme qui serait sujet à défaillir, mais celle de Dieu qui peut tout: " C'est la justice de Dieu ", dit-il. En second lieu la loi et les prophètes. Ne t'effraies donc point de ce mot : " Sans la loi ", car la loi y consent. En troisième lieu, les sacrifices de l'Ancien Testament; ce qui lui fait dire : " En son sang " , leur rappelant par là les brebis et les veaux qu'on immolait. Si le sang des animaux, leur dit-il, purifiait du péché, à bien plus forte raison celui-ci. Il ne dit pas simplement délivrance, mais " Rédemption ", afin que nous ne retournions jamais à l'ancienne servitude ; et pour cela il l'appelle " Propitiation " , afin de montrer que si la figure avait déjà tant de puissance, la réalité en aura bien davantage. Et pour prouver encore qu'il n'y a là rien de nouveau, rien de récent, il dit : " A établi ". Après avoir par ces expressions : " Dieu a établi ", indiqué que c'est l'oeuvre du Père, il montre quelle est aussi celle du Fils; le Père a proposé, mais le Christ a tout opéré dans son sang " Pour montrer sa justice". Qu'est-ce que cela veut dire : " Montrer sa justice? " Comme la richesse se prouve non-seulement par ce qu'on (232) est riche soi-même, mais parce qu'on enrichit les autres; comme la vie se manifeste non-seulement en ce que l'on vit soit-même, mais en ressuscitant les morts ; de, même la puissance se démontre non-seulement parce que l'on peut soi-même, mais parce que l'on rend la force aux faibles. Ainsi la justice se fait voir non-seulement en ce que l'on est juste soi-même, mais en ce que l'on rend justes immédiatement des hommes consommés dans l'iniquité. Du reste, Paul interprète lui-même le mot " montrer ", quand il ajoute : " Afin qu'il soit juste lui-même et qu'il justifie celui qui a la foi en Jésus (26) ".
3. Soyez sans défiance; c'est de la foi non des oeuvres que procède la justice. Ne fuyez point la justice de Dieu; elle a un double avantage : elle coûte peu et elle est offerte à à tout le monde. Ne soyez point honteux, ne rougissez pas : car si Dieu montre ici son action, si, pour ainsi dire, il s'en félicite et s'en vante, pourquoi seriez-vous honteux, pourquoi rougiriez-vous de ce, dont Dieu se glorifie? Après avoir donc relevé son auditeur en lui disant que ce qui s'est fait est la manifestation de la justice de Dieu, il presse d'autre part le lâche, le timide, d'approcher, en disant : " Par la rémission ou l'anéantissement des péchés précédents ". Voyez-vous comme il leur rappelle souvent leurs fautes? Plus haut, il a dit : " Car par la loi, on a la connaissance du péché ", puis : " Tous ont péché "; et ici son langage est plus énergique.: En effet il ne dit pas : par les, péchés, mais : " Par l'anéantissement ", c'est-à-dire par la mortification, la destruction. Car il n'y avait plus d'espoir de guérison ; comme un corps paralysé, l'âme morte avait besoin d'une main supérieure. Et ce qui est plus grave, et qu'il donne comme une circonstance aggravante, c'est que la rémission a eu lieu dans la tolérance de Dieu. Vous ne pouvez pas, leur dit-il, nier que vous ayez rencontré une grande patience et une grande bonté. Ces mots : " En ce temps ", indiquent précisément cette patience et cette bonté. C'est, leur dit-il, quand nous étions désespérés, quand le moment de la sentence était venu, quand le mal était augmenté et que la mesure des péchés était comble, c'est alors que Dieu a fait éclater sa puissance pour nous apprendre à quel point la justice surabonde en lui. Si la chose eût eu lieu au commencement, elle eût paru moins étonnante, moins prodigieuse que maintenant, où tous les remèdes ont été démontrés impuissants.
" Où est donc le sujet de la gloire? Il est exclu ", dit-il. " Par quelle loi? Des oeuvres? Non, mais par la loi de la foi (27} ". Paul fait de grands efforts pour montrer que la foi a une vertu què la loi n'eût pu même imaginer. Après avoir dit que Dieu justifie l'homme par la foi, il prend encore la loi à partie. Il ne dit pas : Où sont les bonnes actions des Juifs? Où Sont leurs oeuvres de justice? mais : " Où est donc le sujet de gloire? " Leur démontrant de toute manière qu'ils ne font que se vanter comme s'ils avaient plus que les autres, mais qu'ils ne produisent aucune oeuvre. Et après avoir dit,: " Où est donc le sujet de la gloire ? " il ne répond pas : il a disparu, il est; détruit, mais : " Il est exclu ", ce qui marque surtout l'inopportunité; une chose qui a fait son temps. Car de même que quand l'heure du jugement arrive, il n'est plus temps de se repentir, ainsi, l'arrêt une fois prononcé , tout étant sur le point de périr, et celui qui devait guérir tous les maux par la grâce étant arrivé, ils ne pouvaient plus prétexter qu'ils se corrigeraient par le moyen de la loi. S'ils l'avaient pu, ils auraient dû le faire avant la venue du Christ; mais celui qui sauve par la loi étant arrivé, le temps des combats était passé; et comme tout était convaincu d'impuissance, il procure le salut par la grâce.
Il est venu maintenant pour qu'on ne dise pas comme, on l'aurait dit s'if était venu dès le commencement, qu'on aurait pu se sauver au moyen de la loi par ses propres efforts et ses propres mérites. Pour ôter ce prétexte à ces bouches impudentes, il a tardé longtemps, de manière à sauver par sa grâce, quand il a été démontré clairement et de toutes les manières que les hommes ne pouvaient se suffire à eux-mêmes. Aussi après avoir dit plus haut: " Pour montrer sa justice."., il a ajouté : " En ce temps " , s'il en est qui disent le contraire, ils ressemblent à un grand criminel qui, n'ayant pu se justifier devant le tribunal, aurait été condamné et sur le point de subir son supplice, et qui après avoir été gracié par la bonté du roi, devenu libre, se vanterait impudemment de n'être pas coupable. Il fallait démontrer son innocence, avant d'être gracié; plus tard, il n'est plus temps de se glorifier. C'est le cas des Juifs. Comme ils s'étaient (233) perdus eux-mêmes, le Christ est venu pour réprimer leur insolence. Celui, qui se dit : " Le maître des enfants ", qui se glorifie dans sa loi, qui s'appelle " Le docteur des ignorants " et qui a aussi besoin qu'eux de maître et de Sauveur, celui-là n'a pas de raison de se glorifier. Car si déjà auparavant la circoncision était devenue incirconcision, à plus forte raison maintenant : les deux époques la rejettent. Après avoir dit: " Est exclus ", il dit comment. Et comment? " Par quelle loi? Des oeuvres? Non, mais par la loi de la foi ".
4. Voilà qu'il appelle la foi une loi, adoptant volontiers ces dénominations, pour écarter toute apparence de nouveauté. Or, quelle est la loi de la foi? Le salut par la grâce Ici il fait voir la puissance de Dieu, qui non-seulement a sauvé, mais justifié, mais procuré des motifs de gloire, et cela sans les oeuvres et en ne demandant que la foi. L'apôtre parle ainsi pour inspirer la modestie au Juif croyant, et contenir, et attirer celui qui ne croit pas. En effet celui qui est sauvé, s'il est tenté de se glorifier de la loi, apprendra qu'elle lui ferme la bouche, qu'elle l'accuse, qu'elle était un obstacle à son salut, qu'elle lui ôtait out sujet dé gloire; et celui qui ne croit pas, devenu humble par les mêmes motifs, pourra arriver à la foi. Voyez-vous comme la foi est puissante? comme elle détache du passé, en ne souffrant pas qu'on s'en glorifie ?
" Nous reconnaissons donc que l'homme est a justifié par la foi, sans les oeuvres de la loi (18) ". Après avoir montré que ceux qui croient s'ont supérieurs aux Juifs, il parle de la foi avec une grande liberté et calme le trouble qui semblait en résulter. En effet deux choses troublaient ici les Juifs : l'une que ceux qui n'avaient pu, être sauvés par les oeuvres, le fussent sans les oeuvres; l'autre que les incirconcis jouissent à juste titre des mêmes avantages que ceux qui avaient si longtemps vécu sous la loi : et ce dernier point les révoltait bien plus que l'autre. C'est pourquoi Paul, après avoir prouvé le premier, passe au second, qui troublait tellement les Juifs que, même après avoir reçu la foi, ils en firent une matière de reproche à Pierre, à l'occasion de Corneille et de ce qui le concernait lui-même. Que dit-il donc? " Nous reconnaissons que l'homme est justifié par la foi, sans les oeuvres de la loi ". Il ne dit pas le Juif, l'homme qui était sous la loi, mais " L'homme ", en terme générique, étendant ainsi son langage, et ouvrant au monde entier les portes du salut.
Puis, à ce propos, il résout une objection qui n'avait pas encore été posée Car comme il était vraisemblable que les Juifs, entendant dire que tout homme est justifié par la foi, en seraient blessés et scandalisés, il ajoute : "Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement? " Comme s'il disait: Pourquoi trouves-tu absurde que tout homme soit sauvé? Dieu est-il partial? Par là il leur fait sentir qu'en voulant faire tort aux gentils, c'est la gloire de Dieu même qu'ils attaquent, puisqu'ils ne veulent pas qu'il soit le Dieu de tous. Or s'il est le Dieu de tous, il pourvoit à tous; et s'il pourvoit à tous, il les sauve tous également par la foi. C'est ce qui lui fait dire : " Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement? Ne l'est-il pas aussi des Gentils?
Oui, certes, des Gentils aussi (29) ", Car il n'est pas Dieu en partie, comme les divinités fabuleuses des grecs, mais le Dieu universel et unique. C'est pourquoi, Paul ajoute : " Puisqu'il n'y a qu'un seul Dieu " : c'est-à-dire un seul Maître des uns et des autres.
Que si vous me parlez de l'ancien ordre des choses, je vous dirai que, même alors, la Providence était pour tout le monde, quoique d'une autre manière : en effet la loi écrite vous avait été donnée, à eux la loi naturelle; et ils n'étaient pas moins bien partagés que vous. Ils pouvaient même l'emporter, s'ils l'eussent voulu. C'est à quoi il fait allusion quand il ajoute " Qui justifiera les circoncis par la foi et les incirconcis parla foi (30) ", leur rappelant ainsi ce qu'il leur a dit plus haut sur la circoncision et sur l'incirconcision, quand il leur a prouvé qu'entre ces deux choses il n'y avait point de différence. Or s'il n'y avait point de différence alors, à plus forte raison maintenant; et pour le prouver plus clairement, il fait voir, que l'un et l'autre ont besoin de la foi. " Nous détruisons donc la loi par la foi? Loin de là : au contraire, nous établissons la loi ". Voyez-vous cette prudence habile et vraiment admirable? Par le fait même de cette expression : " Nous établissons ", il indique que la loi n'existe plus, qu'elle est détruite.
Voyez aussi quel puissant génie que celui de Paul, et avec quelle facilité il prouve ce qu'il veut ! Il démontre ici non-seulement que la foi ne ruine pas la loi, mais qu'elle lui vient en aide au contraire, de même que la loi a préparé (234) les voies à la foi. Car comme la loi rendait d'avance témoignage à la foi (il a dit plus haut : " Etant confirmée par le témoignage de la loi et des prophètes) " : ainsi la foi a raffermi la loi chancelante. Et comment, direz-vous, l'a-t-elle raffermie? Quel était le but de la loi, et à quoi tendaient toutes ses prescriptions? A rendre l'homme juste. Or, elle ne l'a pas pu : " Car ", dit l'apôtre, " Tous ont péché ". Or la foi est venue et l'a pu; puisqu'en croyant on devient juste. Donc elle a réalisé l'intention de la loi et atteint le but que celle-ci se proposait en tout. Elle ne l'a donc pas abrogée, mais complétée. Paul démontre ici trois choses : qu'on peut être justifié sans la loi, que la loi n'a pas pu justifier et que la foi n'est point en opposition avec la loi. Comme ce qui troublait le plus les Juifs était que la foi parût contraire à la loi, il prouve plus que le Juif ne demande, à savoir que la foi, loin de contrarier la loi, est son auxiliaire et sa coopératrice; ce que le Juif désirait surtout entendre.
5. Mais puisque après cette grâce par laquelle nous avons été justifiés, il est nécessaire de bien vivre, montrons un zèle digne d'un si grand don, et nous le montrerons si nous cultivons avec soin la charité, source de tous les biens. Or; la charité ne consiste pas simplement en paroles ni en salutations, mais en assistance et en oeuvres. Comme soulager la pauvreté, secourir les malades, délivrer du danger, tendre la main à ceux qui sont dans l'embarras, pleurer avec ceux qui pleurent, se réjouir avec ceux qui se réjouissent : car ceci est encore l'effet de la charité; bien qu'il semble que ce soit peu de chose de se réjouir avec ceux qui se réjouissent, c'est cependant quelque chose de grand et qui demande de la philosophie. Vous trouverez bien des gens capables de supporter des épreuves amères, et qui ici se montreront faibles; beaucoup pleureront avec ceux qui pleurent, et ne sauront pas se réjouir avec ceux qui se réjouissent, s'attristeront même de la joie des autres : ce qui est proprement l'effet de la jalousie et de l'envie. Ce n'est donc pas un petit mérite de se réjouir avec un frère qui se réjouit; il est même plus grand que l'autre. Plus grand non-seulement que celui de pleurer avec ceux qui pleurent, mais même que de tendre la main à celui qui est dans le péril.
Beaucoup en effet partageront le danger avec ceux qui y sont, qui souffriront de la prospérité d'autrui : tant l'envie est tyrannique ! Pourtant l'un exige de la peine et de la fatigue, tandis que l'autre est un simple effet de la volonté et du bon désir. Mais beaucoup supportent ce qui est plus pénible et faiblissent devant ce qui est plus facile, sèchent même de dépit et se consument lorsqu'ils en voient d'autres s'attirer la considération publique et servir l'Eglise par la prédication ou autrement. Y a-t-il quelque chose de pire? Ici ce n'est pas seulement à un frère, mais à la volonté de Dieu qu'on s'en prend. Songez-y bien et guérissez-vous de cette maladie, sinon par égard pour le prochain, au moins pour vous délivrer de maux sans nombre. Pourquoi introduire la guerre dans votre esprit? Pourquoi remplir votre âme de trouble? Pourquoi soulever des tempêtes? Pourquoi tout bouleverser de fond en comble? Comment, avec de telles dispositions, obtenir le pardon de vos péchés? Car si Dieu ne remet point les péchés à ceux qui ne pardonnent pas les offenses qu'on leur a faites, comment vous les remettra-t-il à vous qui cherchez à nuire à ceux qui ne vous ont point fait de mal ? En effet, c'est là le comble de la méchanceté : de tels hommes combattent contre l'Eglise avec le démon. Peut-être font-ils bien pis encore : car il est possible de se garantir du démon, tandis qu'eux, prenant le masque de l'amitié, mettent en secret le feu au bûcher, se jettent les premiers dans la fournaise et sont atteints d'une maladie qui non-seulement ne saurait être prise en pitié, mais ne peut exciter que le mépris.
Car pourquoi, je vous prie, êtes-vous pâle, tremblant, saisi de crainte? quel malheur vous est donc arrivé? Votre frère est devenu illustre, éclatant, glorieux? Il fallait mettre une couronne, vous réjouir, et rendre grâces à Dieu de ce qu'un membre de la famille avait acquis tant de lustre et de célébrité; et vous vous affligez de ce que Dieu est glorifié! Voyez-vous où tend cette guerre? Mais, dites-vous, ce n'est pas de la gloire de Dieu, mais de celle d'un frère que je m'afflige. Mais, par ce frère, la gloire remonte à Dieu; c'est donc à Dieu que vous déclarez la guerre. Ce n'est point 1à, dites-vous encore, ce qui me fait de la peine seulement c'est par moi que je voudrais voir Dieu glorifié. Alors réjouissez-vous du bonheur de votre frère, et Dieu sera glorifié par vous, et tous diront : Béni soit le Maître qui a (235) de tels serviteurs, exempts de tout sentiment d'envie et jouissant mutuellement de leur bonheur. Et que parlé-je d'un frère? Quand même celui par qui Dieu se glorifie serait votre ennemi, vous devriez, à cause de cela même, vous en faire un ami : et, au contraire, d'un ami vous vous faites un ennemi, parce que Dieu tire sa gloire de ses bonnes actions. Si quelqu'un guérissait votre corps d'une maladie, cet homme fût-il votre ennemi, prendrait dès lors le premier rang parmi vos amis; et si quelqu'un embellit le corps du Christ, c'est-à-dire l'Eglise, d'ami qu'il était vous vous en faites un ennemi? Et de quelle autre manière pourriez-vous déclarer la guerre, au Christ? C'est pourquoi, tout homme entaché de ce vice, fît-il d'ailleurs des miracles, fût-il vierge, jeûnât-il, couchât-il sur la dure, et par là égalât-il la vertu des anges, est le plus scélérat des hommes, est plus criminel que l'adultère, que le fornicateur, que le voleur, que le violateur des tombeaux.
6. Et pour que personne ne m'accuse d'exagération, je vous poserai volontiers une question. Si quelqu'un prenant une torche et un hoyau, venait brûler ce temple et miner cet autel; chacun de ceux qui sont ici ne le lapiderait-il pas comme sacrilège et criminel ? Quel pardon méritera donc celui qui porte une flamme bien plus dévorante, l'envie veux-je dire, une flamme qui ne consume pas un édifice de pierre, un autel d'or, mais qui renverse et détruit quelque chose de bien plus précieux que des murailles et qu'un autel, l'édification, fruit de l'enseignement des maîtres? Et qu'on ne me dise pas que les efforts de l'envieux sont souvent sans résultat. On doit juger d'après l'intention, et bien que Saül n'ait pas tué David, il n'en est pas moins homicide. Vous ne pensez donc pas, dites-moi, que quand vous combattez contre le pasteur, vous tendez des piéges aux brebis : à ces brebis pour lesquelles le Christ a versé son sang, pour lesquelles il nous ordonne de tout faire et de tout souffrir? Vous ne vous rappelez donc pas que votre maître a cherché votre gloire et non la sienne, tandis que vous ne cherchez point la sienne, mais la vôtre? Et pourtant vous trouveriez la vôtre en cherchant la sienne ; et en cherchant la vôtre avant la sienne, vous ne la trouverez point.
Quel sera donc le remède à ce mal? Prions tous ensemble, prions tous d'une voix pour
ces malheureux, comme pour des énergumènes. Ils sont même plus à plaindre que des énergumènes, parce que leur mal est volontaire. Il faut, pour le guérir, des prières, beaucoup de supplications. Si celui qui n'aime pas son frère, ne peut. acquérir aucun mérite, donnât-il tout ce qu'il possède, souffrit-il le martyre; songez quel sera le -châtiment de celui qui déclare la guerre à un homme qui ne lui a point fait de mal. Il est pire que les païens. Car si, en aimant ceux qui nous aiment, nous ne faisons rien de plus que les païens, où placer, je vous le demande, celui qui porte envie à ses amis? La jalousie est même pire que la guerre. En effet, dès que le motif de la guerre a cessé, celui qui la faisait, dépose ses sentiments d'hostilité; mais l'envieux ne devient jamais ami. Le premier fait une guerre ouverte, le second une guerre cachée; celui-là a souvent de justes motifs, celui-ci n'en a pas d'autre que sa fureur et sa volonté diabolique. A quoi comparer une telle âme? A quelle vipère? à quel aspic? à quel ver? à quelle mouche venimeuse ? Rien de plus scélérat, rien de plus méchant qu'elle. Voilà ce qui détruit les Eglises, voilà la source des hérésies; voilà ce qui arma la main d'un frère, le détermina à se baigner dans le sang du juste, viola les lois de la nature, ouvrit la porte à la mort, consomma la malédiction première, fit perdre de vue à cet infortuné sa propre naissance, le souvenir de ses parents et de tout le reste, et poussa sa fureur et sa folie au point qu'il ne cédât pas même à la voix de Dieu qui lui disait: " Son recours sera en toi et tu le domineras (1) ". (Gen. IV, 7.) Pourtant Dieu lui remettait son péché et lui soumettait son frère ; mais cette maladie est si difficile à guérir, que, malgré l'application de mille remèdes, elle jette encore son venin.
De quoi donc souffres-tu, ô le plus misérable des hommes ? De ce que Dieu est honoré ? Mais c'est une disposition satanique. De ce que ton frère est. considéré? Mais tu peux le dépasser. Que si tu veux l'emporter sur lui, ne le tue pas, ne le fais pas disparaître; laisse-le vivre, pour avoir un motif d'émulation et triompher d'un être vivant; par là la couronne sera brillante un jour; mais en lui donnant la mort aujourd'hui, tu te prépares une sentence pire
1 C'est ainsi que saint Chrysostome entend ce passage ; voir la XVIIIe homélie sur la Genèse.
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que si tu avais été vaincu. Mais la jalousie ne voit rien de cela. Comment peux-tu aimer la gloire au milieu d'une si grande solitude ? Car ils étaient seuls alors sur la terre. Mais cela même n'a pu le retenir; rejetant tout de son âme, il s'est rangé avec le démon et s'est mis en devoir de combattre : car c'était le démon qui commandait à Caïn. Ce n'était pas assez pour lui que l'homme fût devenu mortel, il voulait un genre de mort plus tragique, et il a persuadé à Caïn de tuer son frère. Insatiable de nos maux, il était impatient, il avait hâte de voir la sentence exécutée. Comme si quelqu'un tenant son ennemi dans les chaînes et voyant l'arrêt porté contre lui, était pressé de le voir égorgé, dans l'intérieur de la prison, avant la sortie de la ville, avant même le moment fixé; tel était le démon. Ayant appris que l'homme devait retourner en terre , il brûlait de voir, quelque chose de plus : le fils mourant avant le père, un frère meurtrier de son frère, une mort prématurée et violente.
7. Voyez-vous à combien de choses s'est prêtée l'envie ? Comme elle a assouvi l'insatiable avidité du démon, comme elle lui a servi un festin tel qu'il le désirait? Pourquoi donc cette maladie? Car à moins d'être débarrassés de cette faiblesse, il est, impossible d'échapper au feu qui a été préparé pour le démon. Or, nous nous ,en. débarrasserons en songeant combien le Christ nous a aimés et nous a recommandé de nous aimer les uns les autres. Comment nous a-t-il aimés? Il a donné son précieux sang pour nous qui étions ses ennemis et lui avions fait les plus grandes injures. Faites-en autant à l'égard de votre frère : car le Christ lui-même nous a dit : " Je vous donne un commandement nouveau : c'est que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés ". (Jean, XIII, 34.) Bien plus, la mesure ne se borne pas là : car il a fait cela pour ses ennemis. Vous ne voulez pas verser votre sang, pour votre frère? Mais pourquoi verser le sien, diamétralement à l'opposé du précepte? Pourtant le Christ n'était point obligé de faire ce qu'il a fait, et vous, en le faisant, vous n'accomplissiez qu'un devoir. Celui à qui on avait remis dix mille talents,et qui exigeait cent deniers, n'a pas été puni seulement pour cette exigeante, mais parce que le bienfait ne l'avait pas rendu meilleur, parce qu'il n'avait point suivi l'exemple du maître, en remettant, lui aussi, sa dette, car c'était une dette contractée par un serviteur, si dette il y avait. En effet, tout ce que nous faisons est fait en acquit. de dettes. Aussi le Christ a-t-il dit " Quand vous aurez fait tout ce qui vous est commandé, dites: Nous sommes des serviteurs inutiles; nous avons fait ce que nous devions faire ". (Luc XVII, 10.) Donc en donnant des preuves de charité, en distribuant de l'argent aux pauvres, nous acquittons une dette, non-seulement parce que Dieu nous a le premier fait du bien, mais parce que, quand nous donnons, nous ne donnons que ce qui vient de lui. Pourquoi donc vous priver de ce qu'il veut que vous possédiez? Car c'est pour que vous conserviez ces biens qu'il vous or; donne de les distribuer à d'autres, tant que vous les possédez seul, ils ne sont point à vous vous n'en êtes vraiment propriétaire que quand vous les donnez à d'autres.
Est-il rien qui égale l'amour de Jésus-Christ. Il a versé son sang pour dés ennemis, et nous refusons de donner de l'argent pour notre bienfaiteur, le sang qu'il a verse était le sien, et l'argent que nous refusons n'est pas le nôtre: il a donné avant nous, nous refusons après lui, il a agi pour notre salut, nous n'agissons pas même dans notre propre intérêt car, lui, il ne profite en aucune façon de notre charité et c'est à nous qu'en revient tout l'avantage. Si donc nous recevons l'ordre de donner ces biens, c'est afin de ne pas les perdre nous-mêmes. Dieu agit avec nous comme on agirait avec un petit enfant en lui donnant une pièce d'argent, avec recommandation de la garder soigneusement ou de la confier à un domestique pour qu'elle ne soit pas volée. Donnez vos biens aux pauvres, nous dit-il, de peur que quelqu'un ne vous les enlève, un calomniateur, le diable, un voleur, et en dernier lieu, la mort. Tant que vous les conservez, ils ne sont pas sûrs; si vous me les donnez dans la personne des pauvres, je vous les garderai tous soigneusement et vous les rendrai avec usure en temps convenable,. Ce n'est pas pour Vous en priver que je les reçois, mais pour les augmenter, pour les conserver plus soigneusement, et vous les réserver pour le temps où il n'y aura plus personne qui veuille prêter ni se laisser toucher de compassion.
Y aurait-il une dureté plus grande que la nôtre, si, après de telles promesses, nous refusions de lui prêter? Voilà pourquoi nous nous en allons vers lui, délaissés, nus et pauvres, (237) n'ayant plus ce qu'on nous avait confié parce que nous ne l'avons pas remis au meilleur des gardiens. Voilà ce qui nous attirera le dernier châtiment. Que pourrons-nous répondre, quand on nous accusera de nous être perdus nous-mêmes ? Quelle excuse présenterons-nous ? Quelle justification ? Pourquoi n'avoir pas donné? Vous n'êtes pas sûr de recouvrer? Est-ce raisonnable? Celui qui donne à qui n'a rien donné, ne peut-il pas à plus forte raison rendre à qui lui a donné?
Mais vous jouissez de la vue de votre argent. Raison de plus pour le donner, afin d'en jouir davantage, là où personne , ne pourra plus vous l'enlever tandis qu'en le gardant maintenant, vous êtes exposé à mille dangers. Le démon, semblable à un chien, s'élance contre les riches, comme s'il voulait arracher un gâteau de la main d'un enfant. Donnons donc au Père. Quand le démon verra cela, il prendra aussitôt la fuite : et dès qu'il sera retiré, le Père vous donnera tout en sécurité, puisque le démon ne peut plus mettre le trouble dans le siècle à venir. Les riches sont absolument comme les petits enfants incommodés par les chiens : tout le monde aboie autour d'eux, les déchire, les tiraille, et non-seulement les hommes, mais encore les passions ignobles, la gourmandise, l'ivrognerie, la flatterie, tous les genres de débauche. Quand nous voulons prêtera intérêt, nous recherchons soigneusement ceux qui donneront le plus et se montreront reconnaissants. Ici nous faisons tout le contraire : nous laissons de côté Dieu qui est plein de reconnaissance, qui ne donne pas seulement le douze, mais le cent pour cent, pour recourir à des gens qui ne nous rendront pas même le capital.
8. Que nous rendra en effet notre ventre, quand il aura consommé la plus grande partie de nos biens? Du fumier, de l'ordure. Que nous rendra la vaine gloire ? De l'envie et de la jalousie. Que nous rendra la parcimonie? Le souci et l'inquiétude: Que nous rendra la débauche ? L'enfer et le ver empoisonneur. Car voilà les débiteurs des riches et voilà les intérêts qu'ils rendront pour le capital : les maux présents et les maux à venir. Est-ce à eux que nous prêterons, je vous le demande, au prix d'un tel châtiment? Et nous ne confierons rien au Christ qui nous offre le ciel, la vie immortelle, des biens ineffables? Quelle sera notre excuse ? Pourquoi ne donnez-vous pas à celui qui rendra tout et avec usure? C'est peut-être parce qu'il ne rendra que dans longtemps? Mais il rend déjà en cette vie; car il ne ment pas celui qui a dit : " Cherchez le royaume de Dieu , et toutes ces choses vous seront données par surcroît ". (Matth. VII, 33.) Voyez-vous cet excès de libéralité? Les biens à venir vous sont réservés, nous dit-il , et ne diminueront point; et je vous donne encore ceux d'ici-bas par addition et par surcroît, de plus ce long délai augmente la somme de vos richesses : car l'intérêt se multiplie. Nous voyons les prêteurs d'argent se conduire ainsi ils préfèrent ceux qui empruntent à long terme. En effet celui gui rembourse immédiatement, intercepte le cours de l'intérêt tandis que celui qui conserve longtemps le capital, grossit le profit.
Ainsi à l'égard des hommes nous supportons les délais, nous prenons même à tache de les prolonger; et avec Dieu nous sommes pusillanimes jusqu'à être insouciants, jusqu'à tergiverser? Et pourtant, comme je l'ai dit, il nous rend déjà ici-bas, puis nous réserve encore, dans l'autre vie, le tout et quelque chose de plus, pour la raison que j'ai donnée. En effet, la grandeur et la beauté, du don surpasse de beaucoup cette pauvre vie terrestre. Car il n'est pas possible de recevoir, dans un corps corruptible et mortel , les couronnes que rien ne saurait flétrir, ni de posséder ce repos immuable, imperturbable, dans la vie présente si pleine de trouble, de tumulte, et sujette à tant de changements. Si un débiteur s'engageait à vous rembourser sur la terre étrangère, là où vous n'auriez point de domestique ni aucun moyen de transport pour votre pays , vous le prieriez instamment de vous payer à votre retour chez vous, et non sur la terre étrangère ; et vous voudriez recevoir ici les biens spirituels, des trésors infinis? Quelle est donc votre folie? Si on vous paye ici-bas, ce ne sera qu'en choses corruptibles; mais si vous attendez le temps convenable, vous recevrez des biens incorruptibles et sans mélange. Ici-bas vous recevrez du plomb, et là, de l'or éprouvé. De plus Dieu ne vous prive pas des biens présents. Car à la promesse des biens à venir, il en a ajouté une autre, en disant : Quiconque aime les choses célestes, recevra le centuple en ce monde et possédera la vie éternelle. (Matth. XIX, 29.)
Si donc nous ne recevons pas le centuple , (238) la faute en est à nous qui ne prêtons pas à celui qui peut nous le donner; car tous ceux qui lui prêtent, si peu que ce soit, le reçoivent. Dites-moi un peu , qu'est-ce que Pierre avait donné de si grand ? N'était-ce pas seulement un filet brisé , une ligne, un hameçon? Et pourtant Dieu lui a ouvert les maisons du monde entier, lui a aplani la terre et la mer, en sorte que tous l'appelaient chez eux; bien plus , on vendait tout ce qu'on avait et on en déposait le prix, non pas en ses mains (on ne l'eût osé) mais à ses pieds : tant on avait de générosité et de respect pour lui ! Mais c'était Pierre, direz-vous. Qu'importe, ô homme? Ce n'est pas seulement à Pierre que le Christ a fait ces promesses; il n'a pas dit : Toi seul, Pierre, recevras le centuple, mais : " Quiconque aura quitté sa maison ou ses frères, recevra le centuple ". Car il n'y a point chez lui d'acception de personne, mais différence de mérites.
Mais, direz-vous, j'ai une multitude d'enfants , et je désire les laisser riches. Pourquoi donc les appauvrissez-vous ? En leur laissant tout, vous confiez votre fortune à une garde peu sûre; mais si vous leur donnez Dieu pour cohéritier et pour tuteur, vous leur laissez d'immenses trésors. De même que quand .nous nous vengeons, Dieu ne prend pas notre causé en main, tandis que si nous nous abandonnons à lui, notre attente est dépassée; ainsi , en fait de richesses, si nous nous livrons à l'inquiétude, sa Providence se retire de nous; et si nous nous abandonnons à lui sans réserve, il mettra en parfaite sécurité et nos biens et nos enfants. Et qu'est-ce que cette conduite a d'étonnant en Dieu, quand nous la voyons même chez les hommes? Si, à l'heure de la mort, vous ne donnez aucun de vos proches pour tuteur à vos enfants , celui qui serait le mieux disposé à demander cette charge en est retenu par la crainte et par la honte; mais si vous vous déchargez sur lui de ce souci, il s'estimera très-honoré et répondra dignement à votre confiance.
9. Si donc vous voulez laisser de grandes richesses à vos enfants , laissez-leur la Providence de Dieu. Lui qui a créé votre âme, qui a formé votre corps, qui vous a donné la vie sans vous, quand il vous verra déployer une si grande libéralité, et lui confier vos biens et vos enfants, pourrait-il ne pas leur ouvrir tous ses trésors? Si Elie, pour avoir été nourri d'un peu de farine, et voyant qu'une femme le préférait à ses enfants, fit voir des aires et des pressoirs dans la chaumière d'une veuve, songez quelle sera pour vous la générosité du maître d'Elie ! Ne nous inquiétons pas de laisser nos enfants riches, mais vertueux. Car s'ils mettent leur confiance dans les richesses, ils négligeront tout le reste, ne s'étudiant qu'à cacher des moeurs corrompues à l'abri de l'opulence; mais s'ils se voient privés de cette consolation, ils mettront tous leurs soins à demander à la vertu une compensation à la pauvreté. Ne' leur laissez donc pas la richesse, afin de leur laisser la vertu. Car ce serait le comble de la déraison de ne rien laisser à leur disposition pendant notre vie, et de procurer à leur jeunesse après notre mort les moyens de vivre dans la licence. Du moins, pendant que nous vivons, nous pouvons leur faire rendre des comptes, réprimer leurs excès, et leur mettre le frein; mais si, après notre mort, avec l'abandon où nous les laissons, et malgré leur jeunesse, nous leur fournissons les . ressources de la richesse , nous poussons ces infortunés sur la voie de nombreux précipices; nous jetons le feu sur le feu, nous versons l'huile dans une fournaise embrasée.
Donc, si vous voulez leur laisser une fortune assurée, faites que Dieu soit leur débiteur et confiez-lui leurs créances. Si ce sont eux qui touchent votre argent, ils ne sauront à qui le donner, ils tomberont souvent entre les mains des calomniateurs et des ingrats; mais si par précaution vous le prêtez à Dieu, le trésor demeurera en sûreté et le remboursement se fera sans aucune difficulté. Car Dieu nous est reconnaissant, même quand il nous paye sa dette; il voit de meilleur oeil ceux qui lui prêtent que ceux qui ne lui prêtent pas, et plus il doit, plus il aime. Si donc vous voulez l'avoir toujours pour ami, prêtez-lui beaucoup. Un prêteur à moins dé plaisir à avoir des débiteurs, que le Christ n'en a à avoir des créanciers ; il fuit ceux à qui il ne doit rien et court à ceux à qui il doit. Faisons donc tout au monde pour le constituer notre débiteur voici le moment favorable pour lui prêter, puisqu'il est dans le besoin. Si vous ne lui donnez pas maintenant, il n'aura pas besoin de vous après cette vie. C'est ici qu'il a soif, c'est ici qu'il a faim : il a soif de votre salut; c'est pour cela qu'il mendie, qu'il est nu et (239) errant, dans le but de vous procurer la vie éternelle.
Ne le dédaignez donc pas : il ne demande pas à être
nourri, mais à nourrir; à être vêtu, mais à
vêtir, à vous préparer un manteau d'or, un vêtement
royal. Ne voyez-vous pas les médecins les plus dévoués,
quand ils font prendre un bain aux malades , le prendre eux-mêmes,
bien qu'ils n'en aient pas besoin? Ainsi le Christ fait tout pour vous
qui souffrez. Voilà pourquoi il n'exige rien de vous par force,
afin de vous rendre davantage , pour vous apprendre que, s'il demande,
ce n'est pas pour ses besoins, mais pour. les vôtres. Voilà
pourquoi, il vient à vous en haillons et vous tend la main ; si
vous lui donnez une obole, il ne se détourne pas; si vous le méprisez,
il ne s'éloigne pas, mais se rapproche encore; car il désire,
il désire, vivement notre salut. Méprisons donc les richesses
pour n'être point méprisés par le Christ; méprisons
les richesses, pour les posséder elles-mêmes. Car si nous
les conservons ici-bas , nous les perdrons entièrement, et pour
cette vie et pour l'autre; mais si nous les distribuons généreusement,
nous jouirons clans les deux vies d'une grande abondance. Que celui donc
qui veut devenir riche, s'appauvrisse pour s'enrichir; qu'il dépense
pour amasser; qu'il disperse pour recueillir. Que si cette doctrine vous
semble nouvelle et étrange, voyez l'homme qui sème , et dites-vous
à vous-même que le seul moyen qu'il ait de multiplier son
grain est de disperser celui qu'il a , de répandre ce qui est sous
sa main. Semons donc, nous aussi, et cultivons le champ du ciel, afin de
nous procurer une moisson abondante et d'obtenir les biens éternels.
par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ
avec qui la- gloire, l'empire, l'honneur, appartiennent au Père
et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles
des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE VIII. QUEL AVANTAGE DIRONS-NOUS DONC QU'ABRAHAM, NOTRE
PÈRE , A EU SELON LA CHAIR? CERTES, SI ABRAHAM A ÉTÉ
JUSTIFIÉ PAR LES OEUVRES, IL A DE QUOI SE GLORIFIER, MAIS NON DEVANT
DIEU. (IV, JUSQU'À 22.)
Analyse.
1 et 2. La doctrine de la justification par la foi peut être prouvée même par l'Ancien Testament : en effet, Abraham et David ne furent pas justifiés en vertu des seules oeuvres de la loi, mais à cause de leur foi.
3. C'est à raison de cette foi qu'Abraham avait, même avant qu'il fût circoncis, qu'il est devenu le père des croyants circoncis et incirconcis.
4. C'est la foi qui lui a valu, ainsi qu'à ses descendants, d'être l'héritier des promesses divines. 5. Etonnante foi d'Abraham.
6-8. Bonheur de l'homme qui peut en quelque chose procurer la gloire de Dieu. — Que l'incrédulité est une marque de bassesse. — Procurer la gloire de Dieu est notre souverain bien ; le faire blasphémer est le pire mal. — C'est dans les biens de ce monde que le démon s'embusque pour nous tendre des piéges. — Un sûr moyen de faire fuir cet ennemi c'est d'invoquer le nom de Jésus. — C'est surtout parle manque de foi que nous différons des grands saints. — Dieu parle par la bouche d'un chrétien fidèle. — L'Orateur déplore éloquemment les divisions qu'il voit parmi les chrétiens. — Que nous devons pleurer le mal que se font nos ennemis et non celui qu'ils nous font. — Relever celui qui tombe.
1. Après avoir dit que le monde était coupable devant Dieu, parce que tous avaient péché et qu'on ne peut être sauvé que par la foi, il s'attache ensuite à démontrer que le salut par la foi n'a rien de déshonorant , qu'il est très-glorieux au contraire, et plus grand (240) que par les oeuvres. Comme le salut accompagné de déshonneur pourrait être un sujet de tristesse , il veut en éloigner jusqu'au soupçon: ce qu'il avait d'ailleurs déjà insinué quand il l'appelait, non-seulement salut, mais justice: " La justice de Dieu ", disait-il; " y est en effet révélée ", Car celui qui est sauvé de la sorte, est assuré de son salut en qualité de juste. Il l'appelle non-seulement justice, mais manifestation de Dieu : car Dieu se manifeste dans les choses glorieuses , éclatantes, magnifiques. Du reste, la preuve est dans ce qu'il vient de dire et il continue par forme d'interrogation, comme il a coutume de faire pour plus de clarté, et pour montrer qu'il parle avec assurance. C'est ce qu'il a déjà fait plus haut en disant : " Qu'est-ce donc que le Juif a de plus?" Et encore : " Qu'avons-nous de plus? " Puis : " Où est le sujet de ta gloire? Il est exclu "; enfin ici : " Quel avantage dirons-nous qu'Abraham, notre père a eu ? " Comme les Juifs ne cessaient de répéter à tout propos que le patriarche et l'ami de Dieu avait reçu le, premier la circoncision , il veut leur prouver qu'Abraham lui-même a été justifié par la foi; argument victorieux et triomphant. En effet que celui Oui n'a pas les oeuvres soit justifié par la foi , cela n'a rien d'invraisemblable; mais que celui qui a excellé dans les oevres ne soit pas justifié par elles, mais seulement par la foi , voilà ce qui est étonnant et ce qui montré la puissance de la foi. Aussi laissant de côté tous les autres, s'attache-t-il à celui-ci. Il l'appelle " Père selon la chair ". Pour exclure les Juifs d'une autre, parenté plus haute et pour faire espérer aux gentils de devenir ses enfants selon la foi, il dit ; " Car si Abraham a été justifié par les oeuvres ; il a de quoi se glorifier ".
Après avoir donc affirmé que Dieu justifie la circoncision par la foi, aussi bien que l'incirconcision, et l'avoir suffisamment prouvé dans ce qui précède, au moyen d'Abraham ; il pousse sa démonstration plus loin qu'il ne l'avait promis, met la foi aux prises avec les oeuvres et concentre toute la bataille sur le juste lui-même, et non sans raison. Voilà pourquoi il l'entoure de respect, en l'appelant père, et leur imposant la nécessité de l'imiter en tout: Ne me parlez pas d'un Juif, leur dit-ils ne me nommez ni un tel, ni un tel; moi, je remonte au sommet au point où la circoncision a pris naissance : " Si Abraham a été justifié par les oeuvres, il a de quoi se glorifier, mais non devant Dieu ". Ces paroles sont obscures; et il est besoin de les éclaircir. Il y a deux manières de se glorifier : ou par les oeuvres ou par la foi. En disant : " S'il a été justifié par les oeuvres, il a de quoi se " glorifier, mais non devant Dieu ", il indique qu'Abraham attrait pu aussi se glorifier de la foi, et à bien plus juste titre. C'est ici surtout que Paul montre sa force, en ce qu'il retourne, le sujet en sens contraire, et fait, voir que lés avantages attachés au salut par les oeuvres, à savoir le droit de se glorifier et d'agir avec sécurité, le salut par la foi les revendique à bien plus forte raison. En effet, celui qui se glorifie dans les oeuvres, peut présenter ses travaux personnels; mais celui qui se glorifie de croire à Dieu, a de meilleurs motifs de se féliciter; puisque c'est le Seigneur qu'il honore et qu'il glorifie. Apprenant par la foi en Dieu ce que ne lui enseignait pas la nature visible, il fait , preuve d'un véritable amour pour lui et a proclamé solennellement sa puissance. Or c'est là le propre d'une âme très-généreuse, d'une intelligence sage et d'un esprit élevé: Ne pas tuer, ne pas voler, c'est chose vulgaire; mais croire que Dieu peut l'impossible, est le fait d'une âme magnanime et parfaitement disposée à son égard ; et là est le cachet du véritable amour. Sans doute. celui qui accomplit les commandements honore Dieu; mais celui qui a la sagesse de la foi l’honore beaucoup plus ; le premier, lui obéit, mais le second a de lui une idée convenable et lui prouve , mieux que par les oeuvres qu'il l'honore et l'admire.. Dans le premier cas on se glorifie du bien que l'on a fait, dans le second on glorifie, Dieu lui-même, à qui alors tout appartient; car on se glorifie de concevoir de lui de hautes idées, ce qui tourne entièrement à sa gloire. Voilà pourquoi Paul dit qu'Abraham se glorifiait, devant Dieu, et pour une autre raison encore,. outre celle-là. En effet le croyant ne se glorifie pas seulement d'aimer Dieu véritablement, mais aussi d'en être grandement aimé et honoré. Car comme en concevant de lui des idées sublimes, il lui donne une preuve, d'amour, puisque c'est ainsi que l'amour se prouve; de même Dieu l'aime à son tour, quoique mille fois coupable; et non content de le dispenser du châtiment, il le fait encore juste. Le croyant peut donc se glorifier, comme étant l'objet d'un grand amour: " En (241) effet, que dit l'Ecriture? Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice. Or, à celui qui travaille, le salaire n'est point imputé comme une grâce, mais comme une dette (3 ; 4) ". Mais c'est quelque chose de plus grand, direz-vous. Nullement : car l'imputation est faite au croyant, ce qui n'aurait. pas lieu, s'il y mettait quelque chose du sien.
2. Ainsi celui-ci aussi a Dieu pour débiteur, et débiteur non de choses vulgaires, mais de choses grandes et sublimes. En effet, après avoir montré la hauteur de cette intelligence, cette pensée toute spirituelle, Paul ne dit pas simplement : " A celui qui croit, mais à celui " qui croit en celui qui justifie le pécheur (5) ". A celui-là, la foi est imputée à justice. Songez en effet quelle grande chose c'est de croire, d'être pleinement convaincu que Dieu peut immédiatement, non-seulement dispenser du châtiment celui qui a vécu dans l'impiété , mais encore le rendre juste et digne des honneurs immortels. Ne vous imaginez donc pas que celui-ci soit inférieur à l'autre, puisqu'à cet autre l'imputation ne se fait pas selon la grâce. Car c'est précisément là ce qui fait surtout la gloire du croyant, de recevoir une telle grâce, de montrer une si grande foi. Et voyez combien la récompense est plus grande ! A celui-là on donne un salaire, à celui-ci, la justice; or, la justice est bien au-dessus d'un salaire, car elle renferme une multitude de salaires.
Après avoir démontré cela par Abraham, Paul produit ensuite le témoignage de David à l'appui de ce qu'il vient de dire. Que dit donc David, et qui appelle-t-il heureux? Celui qui se glorifie de ses oeuvres, ou celui qui a reçu la grâce et obtenu la rémission et le don ? Or, en nommant le bonheur, j'exprime le comble de tous les biens. De même que la justice est plus que le salaire, ainsi la béatitude est plus que la justice. Après avoir montré l'excellence de la justice, non-seulement parce qu'Abraham l'a reçue, niais à l'aide du raisonnement : " Il a ", a-t-il dit, " de quoi se glorifier, mais " non devant Dieu) " ; Paul emploie un autre genre de preuve pour la relever encore, et produit le témoignage de David, lequel déclare heureux celui,qui a été ainsi justifié : " Bienheureux ceux dont les iniquités ont été remises ". (Ps.- 31.) Cependant il semble apporter là, un témoignage peu convenable ; car le prophète ne dit pas : Heureux ceux dont la foi est imputée à justice, mais il fait cela à bon escient, et non par ignorance, pour augmenter encore la force de l'argument. En effet, si celui dont les iniquités ont été remises par la grâce est heureux, à bien plus forte raison celui qui est justifié et qui a prouvé sa foi. Or là où il y a béatitude, tout opprobre disparaît et la gloire est grande ; car la béatitude est le surcroît de la récompense et de la gloire. C'est pourquoi Paul ne recourt point à l'Ecriture pour établir l'avantage du premier, il se contente de dire . " A celui qui travaille, le salaire n'est point imputé comme une grâce " ; mais pour prouver la prééminence du croyant, il emploie la parole écrite, comme l'a dit David : " Bienheureux ceux dont les iniquités sont " remises et dont les péchés sont couverts (7) ". Mais pourquoi, dira-t-on, affirmez-vous que la rémission ne s'accorde pas comme une dette, mais par grâce ? Eh ! c'est précisément pour cela que le croyant est déclaré heureux. Paul ne l'eût pas béatifié, s'il ne l'avait vu en possession d'une grande gloire. Il ne dit pas la rémission est pour la circoncision, mais que dit-il? " Or cette béatitude ", (ce qui est bien plus) " est-elle pour la circoncision ou pour l'incirconcision (9) ? " Il s'agit désormais de savoir à qui ce grand don appartient, si c'est aux circoncis ou aux incirconcis. Et voyez la force de l'argument ! Paul fait voir que non-seulement ce don n'a point d'aversion pour l'in circoncision ; mais comme David qui proclame cette béatitude était circoncis et parlait à des circoncis, voyez comme Paul s'empresse d'appliquer ses paroles aux incirconcis ? Car après avoir rattaché cette béatitude à la justice et montré que les deux ne font qu'un, il .demande comment Abraham a été justifié; si la béatitude appartient au juste et qu'Abraham ait été justifié, voyons comment il l'a été, si c'est- comme incirconcis ou comme circoncis. C'est, nous dit-il, comme incirconcis. " Comment donc lui a-t-elle été imputée? Est-ce dans la circoncision ou dans l'incirconcision ? Ce n'est point dans la circoncision , mais dans l'incirconcision. Car nous disons que la foi a été imputée à justice à Abraham (10) ".
Plus haut il parlait d'après l'Ecriture, (il nous disait en effet : " Que dit l'Ecriture ? Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice) " ; ici il invoque le jugement de ceux qui parlent, et montre que la justification (242) a eu lieu dans l'incirconcision. Puis il résout une autre objection qui s'élève : Si Abraham, dit-on, a été justifié quand il était incirconcis, pourquoi la circoncision a-t-elle été établie ? " Il a reçu ", répond-t-il, " la marque de la circoncision) comme sceau de la justice par " la foi, qu'il avait déjà quand il était encore " incirconcis (11) ". Voyez-vous comme il fait voir que les Juifs sont en quelque sorte des parasites? qu'ils ont été adjoints aux incirconcis ? Car si Abraham, encore incirconcis, a été justifié et couronné, s'il a reçu la circoncision plus tard et que les Juifs ne soient venus qu'après lui, il est donc d'abord le père des incirconcis qui se rattachent à lui par la foi, puis des circoncis; car il est la tête d'une double génération. Voyez-vous briller la foi? Tant qu'elle ne vient pas, le patriarche n'est point justifié. Voyez-vous que l'incirconcision n'est point un obstacle ? Il était incirconcis et n'en a pas moins été justifié. Donc la circoncision est postérieure à la foi.
3. Et pourquoi vous étonner que la circoncision soit postérieure à la foi, quand l'incirconcision elle-même l'est? Non-seulement la circoncision est postérieure à la loi, mais elle lui est très-inférieure, aussi inférieure que le signe l'est à la chose signifiée, comme par exemple le drapeau au soldat. Et pourquoi, dira-t-on, Abraham avait-il besoin de signe? Il n'en avait lui-même pas besoin. Pourquoi donc l'a-t-il reçu? Afin de devenir le père commun des croyants incirconcis et circoncis, mais point uniquement de ces derniers; aussi Paul ajoute-t-il : " Non-seulement des circoncis ". Si donc il est le père des incirconcis, ce n'est pas parce qu'il est incirconcis, bien qu'il ait été justifié dans l'incirconcision, mais parce que les incirconcis ont imité sa foi. A bien plus forte raison n'est-il point le père des circoncis à cause de la circoncision, à moins que la foi ne vienne s'y ajouter. Il a reçu la circoncision, dit Paul, afin d'être le père des uns et des autres, et pour que les incirconcis ne repoussent point les circoncis. Voyez-vous comme il a été d'abord le père des incirconcis? Que si la circoncision est respectable parce qu'elle proclame la foi, le privilège de l'incirconcision n'est pas mince d'avoir la première reçu la foi. Vous pourrez donc avoir Abraham pour père, si vous marchez sur les traces de la foi, et que vous ne disputiez pas et n'apportiez point de trouble en introduisant la loi. De quelle foi, s'il vous plaît, parlez-vous? " De celle qui est dans l'incirconcision (12) ".
De nouveau encore il réprime l'orgueil des Juifs, en leur rappelant le temps de la justice. Et il a raison de dire : " Sur les traces ", afin que vous croyiez, comme Abraham, -à la résurrection des morts. Car celui-ci a montré sa foi là-dessus; en sorte que si vous rejetez l'incirconcision, vous pouvez être certain que la circoncision ne vous sera d'aucun profit. Si vous ne,suivez pas les traces de la foi, fussiez-vous mille fois circoncis, vous n'êtes point un descendant d'Abraham; car il a reçu la circoncision , afin que vous ne fussiez point exclus par l'incirconcis. N'exigez donc point la circoncision de l'incirconcis ; car elle vous a été utile, mais non à lui. Pourtant, dit-on, c'était un signe de justice. Oui, mais à cause de vous, bien que ce ne soit plus maintenant; mais alors vous aviez besoin de signes corporels, qui sont inutiles aujourd'hui. Mais, direz-vous, même par la foi ne pouvait-on pas connaître la vertu de l'âme d'Abraham ? On le pouvait; mais vous aviez besoin de cette addition. Comme vous n'imitiez point sa vertu, que vous ne pouviez pas la voir, on vous a donné la circoncision sensible pour qu'à l'aide de ce signe corporel vous fussiez peu à peu amené à la. sagesse de l'âme et qu'après l'avoir accueillie avec un grand empressement confine une très-haute dignité, vous apprissiez à imiter et à respecter votre père. Et ce n'était pas seulement la circoncision que Dieu instituait dans ce but, mais toutes les autres prescriptions, telles que les sacrifices, les sabbats et les fêtes. Pour vous convaincre que c'est à cause de vous qu'Abraham a reçu la circoncision, écoutez la suite : Après avoir dit qu'il reçut le signe et la marque, Paul en donne la raison, en disant : " Pour être le père de la circoncision ", chez ceux qui la reçoivent spirituellement; en sorte que si vous n'avez qu'elle, elle ne vous est d'aucune utilité. Car elle est seulement un signe, quand on voit en vous ce dont elle est le signe, à savoir la foi ; en sorte que si vous n'avez pas la foi, le signe ne peut plus être un signe. Signe de quoi, marque de quoi, quand la chose signifiée n'existe pas? C'est comme si vous nous montriez une bourse portant un cachet, mais ne contenant rien ; en sorte que la circoncision est ridicule, quand la foi intérieure manque. En effet, si elle est le signe (243) de la justice et que vous n'ayez pas la justice, vous n'avez pas même le signe. Car vous avez reçu le signe pour chercher la chose dont vous avez le signe; en sorte que si vous cherchez la chose signifiée sans le signe, le signe ne vous est pas nécessaire. Non-seulement la circoncision annonce la justice, mais la justice des incirconcis. La circoncision n'annonce donc pas autre chose que l'inutilité de la circoncision.
" Et si ceux qui ont reçu la loi sont héritiers, la foi devient vaine, et la promesse est " abolie (14) ". Il a montré que la foi est nécessaire, qu'elle est antérieure à la circoncision, qu'elle est plus puissante que la loi , qu'elle affermit la loi. En effet si tous ont péché, elle est nécessaire ; si Abraham encore incirconcis a été justifié, elle est antérieure à la circoncision ; si par la loi on a la connaissance du péché, et si elle a été manifestée dans la loi, elle est plus puissante que la loi ; si elle a reçu le témoignage de la loi et qu'elle l'affermisse, elle n'est point son ennemie, mais son amie et son auxiliaire dans le combat. Il prouve d'autre part qu'il n'était pas possible d'obtenir l'héritage par là loi ; après avoir comparé la foi à la circoncision et remporté la victoire, il revient encore à la comparaison en disant : " Et si ceux qui ont reçu la loi sont héritiers, la foi devient vaine ". Et pour qu'on ne dise pas qu'il est possible d'avoir la foi et d'observer la loi, il montre que cela est impossible. Car celui qui tient à la loi comme à un moyen de salut méconnaît la puissance de la foi. Voilà pourquoi il dit : " La foi devient vaine ", c'est-à-dire, il n'y a plus besoin du salut par la foi, puisqu'elle ne peut plus faire preuve de sa vertu, et la promesse est réduite à néant. En effet, le Juif aurait pu dire : Qu'ai-je besoin de la foi? Donc s'il en était ainsi, tout ce qui regarde la promesse disparaîtrait avec la foi.
4. Voyez comme il démontre qu'ils ont eu tous et depuis le commencement, le patriarche pour adversaire. En effet, après avoir montré que la justice partage le sort de la foi, il prouve qu'il en est de même de la promesse. Et de peur que le Juif ne dise : Que m'importe qu'Abraham ait été justifié par la foi? Paul répond : Même ce qui te touche le plus, la promesse de l'héritage, ne peut être réalisé sans elle. Et c'était ce qui, les effrayait le plus. Quelle promesse, direz-vous? La promesse d'hériter du monde entier, et de voir toutes les nations bénies en sa personne. Puis Paul explique comment cette promesse a été abolie " Attendu que la loi opère la colère : car là où il n'y pas de loi, il n'y a pas de prévarication (15) ".
Si donc elle opère la colère et rend sujet à la prévarication, il est clair qu'elle rend aussi sujet à là malédiction. Or, ceux qui sont sujets à là malédiction, au châtiment et à la prévarication ne sont pas dignes de l'héritage ; ils ne méritent que le supplice et l'expulsion. Qu'arrive-t-il alors? La foi vient, attirée par la grâce, de manière à ce que la promesse soit accomplie. Car où est la grâce, là est le pardon; là où est le pardon, il n'y a plus de châtiment;,tt dire que le châtiment a disparu et que la justice est venue par la foi, rien n'empêche qu'on hérite de la promesse de la foi. " Aussi ", dit-il, " c'est à la foi qu'est attachée la promesse, afin qu'elle soit gratuite et assurée à toute la postérité d'Abraham, non-seulement à celle qui a reçu la loi, mais encore à celle qui suit la foi d'Abraham, qui est le père de nous tous (16) ". Voyez-vous que non-seulement la foi affermit la loi, mais qu'elle ne laisse pas la promesse de Dieu tomber à vide ; tandis qu'au contraire la loi, observée au-delà de son terme, annule la foi, et empêche l'accomplissement de la promesse ?
Par tout cela il fait voir non-seulement que la foi n'est pas superflue, mais qu'elle est tellement nécessaire que sans elle on ne peut se sauver, d'un côté la loi opère la colère, car tous l'ont transgressée ; de l'autre la foi rend dès l'abord la colère impossible. " Là où il n'y a pas de loi ", nous dit-il, " il n'y a point " de prévarication ". Voyez-vous comme non-seulement elle efface le péché, mais l'empêche même de naître? Aussi dit- il : " Gratuite ". Pourquoi? Ce n'est pas pour nous faire rougir, mais : " Afin qu'elle soit assurée à toute la postérité d'Abraham ". Il établit ici deux avantages : les dons sont assurés et ils le sont à toute la postérité; comprenant les Gentils sous ces expressions, et indiquant que les Juifs seront exclus, s'ils disputent contre la foi. Car la foi est plus solide que la loi ; elle ne nous fait point de tort (ne le contestez pas), elle vous sauve même des périls où la loi vous expose. Après avoir dit : " A toute la postérité ", il détermine quelle espèce de (244) postérité. " A celle qui suit la foi", dit-il: établissant la parenté avec les nations, et montrant que ceux-là ne peuvent avoir de rapport avec Abraham, qui n'ont pas la même foi que lui. Voilà un troisième effet de la foi : elle a resserré les liens de parenté avec le juste et l'a fait père d'une famille plus nombreuse. Aussi Paul ne dit-il pas simplement Abraham, mais " Abraham, le père de nous, les croyants ". Puis donnant un sceau à ce témoignage, il ajoute : " Comme il est écrit : Je t'ai établi père d'une multitude de nations (17) ".
Voyez-vous que tout est réglé depuis longtemps ? Mais, direz-vous, n'est-il pas ici question des Ismaélites, des Amalécites, des Agarépiens? Il montrera clairement plus bas que ce n'est point de ceux-là qu'il s'agit. En attendant il passe à une autre preuve, en déterminant le mode de cette parenté et la prouvant avec beaucoup d'habileté. Que dit-il donc? " Devant Dieu à qui il. a cru ", c'est-à-dire Comme Dieu n'est point le Dieu de quelques-uns, mais le Dieu de tous, ainsi en est-il d'Abraham. Et encore : Comme Dieu n'est point père selon la nature, ,mais par le lien de la foi, ainsi en est-il d'Abraham : car c'est l’obéissance qui l'a fait le père de nous tous. Et comme ,les Juifs ne tenaient aucun compte de cette parenté, pour s'attacher à l'autre plus grossière, il montre que la première est plus importante, en les faisant remonter à Dieu. De plus il déclare qu'Abraham a reçu en elle la récompense de sa foi; sans quoi, fût-il le père de tous les habitants de, la terre, ce mot " devant ", n'aurait plus de sens et le don de Dieu serait amoindri : car " devant " veut dire de la même manière. Qu'y aurait-il d'étonnant, je vous le demande, à ce qu'il fût le père de ceux de sa race? C'est là le propre de tous les hommes. Le merveilleux est qu'il ait reçu, par le don de Dieu, ceux que la nature ne lui avait pas donnés.
5. Si donc vous. croyez que le patriarche a été honoré, croyez qu'il est le père de tous. Après avoir dit Devant Dieu à qui il a " cru ", il ajoute : " Qui vivifie les morts et appelle les choses qui ne sont pas, comme celles qui sont ", proclamant déjà la doctrine de la résurrection; ce qui lui était utile pour le but qu'il se proposait. Car s'il est possible à Dieu de vivifier les morts, d'appeler les choses qui ne sont pas comme celles qui sont, il peut aussi donner pour fils à Abraham ceux qui ne sont pas nés de lui. Aussi l’apôtre ne dit-il pas : Qui produit les choses qui ne sont pas comme celles qui sont, mais " qui " appelle ", pour mieux indiquer un pouvoir à qui tout est facile. En effet, comme il nous est facile d'appeler des choses qui sont, ainsi il est facile, et bien plus facile encore, à Dieu de produire les choses qui ne sont pas. Après avoir rappelé le grand, l'ineffable don de Dieu et parlé de sa puissance, il montre que la foi d'Abraham était digne de ce don, pour,qu'on ne croie pas qu'il a été honoré sans raison. Après avoir éveillé l'attention de l'auditeur, de peur qu'il ne se trouble et que le Juif ne soulève une difficulté et ne dise : Comment ceux qui ne sont pas fils peuvent-ils devenir fils? Il revient au patriarche et dit : " Qui ayant espéré contre l'espérance a cru qu'il deviendrait le père d'un grand nombre de nations, selon ce qui lui fut dit : Ainsi sera, ta postérité (18) ".
Comment a-t-il cru à l'espérance contre l'espérance? Il a cru à l'espérance de Dieu contre l'espérance de l'homme. Paul fait voir la grandeur de la chose et ne permet pas qu'on mette sa parole en doute : Ce qui paraît contradictoire est concilié par la foi. S'il eût parlé des descendants d'Ismaël, ce langage serait inutile ; car c'étaient des enfants selon la nature et non selon la foi. Mais il introduit aussi Isaac : car ce n'était pas pour ces nations qu'Abraham avait cru, mais pour l'enfant qui devait naître d'une femme stérile. Si donc c'est une récompense d'être père d'un grand nombre de nations, cela s'entend évidemment des nations pour lesquelles il a cru. Et pour vous convaincre que c'est bien d'elles qu'il est question, écoutez la suite : " Et sa foi ne faiblit point, et il ne considère ni son corps éteint, puisqu'il avait déjà environ cent ans, ni l'impuissance de Sara (19) ".
Voyez-vous comme il fait ressortir les obstacles, et aussi la grandeur d'âme du juste qui les surmonte tous? " Contre l'espérance ", nous dit-il, en parlant de la promesse. Voilà le premier obstacle : car le patriarche n'avait point sous les yeux l'exemple d'un autre Abraham qui eût eu ainsi un fils. Ceux qui sont venus après lui ont fixé les yeux sur lui; niais lui n'a pu les fixer sur personne, si ce n'est sur Dieu seul; aussi nous dit-on : " Contre l'espérance ". Ensuite, un corps éteint, second obstacle; puis l'impuissance (245) de Sara, troisième et quatrième obstacle. — " Il n'hésita point en défiance de la promesse de Dieu (20) ". Dieu ne lui donna point de preuve, point de signe, mais de simples paroles, des promesses qui ne s'accordaient point avec la nature. Et pourtant " Il n'hésita " pas ", nous dit l'apôtre. Il ne dit pas : Il ne refusa pas de croire, ruais " Il n'hésita pas ", c'est-à-dire, il ne douta pas, il ne chancela pas, malgré tant d'obstacles. Nous apprenons par là que quand Dieu nous promettrait mille choses impossibles, si celui qui les entendrait refusait d'y croire, cette faiblesse serait un effet de sa folie et non un résultat de la nature des choses. " Mais il se fortifia par la " foi ". Voyez la sagesse de Paul ! Comme il était question de ceux qui font les oeuvres et de ceux qui traient, il montre que les derniers font plus que les premiers; qu'ils ont besoin d'une plus grande grâce et de beaucoup de force et que leurs travaux ne sont pas des travaux vulgaires. En effet, on cherchait à déprécier la foi par la raison qu'elle n'avait point de travaux à supporter. Repoussant cette assertion , il fait voir que non-seulement celui qui pratique la chasteté ou quelqu'autre vertu de ce genre, a besoin de force; mais qu'il en faut une plus grande encore à celui qui a fait preuve de foi. Car comme le premier a besoin de vigueur pour repousser les suggestions de l'impureté, ainsi le second doit avoir une âme forte pour écarter les raisonnements de l'incrédulité. Comment donc Abraham est-il devenu fort? Par la foi, nous dit Paul, et non en s'abandonnant aux raisonnements; autrement il eût falli. Et comment a-t-il pratiqué la foi ? " En rendant gloire à Dieu, pleinement assuré que tout ce qu'il a promis, il est puissant pour le faire (21) "
Donc s'abstenir de toute recherche curieuse c'est glorifier Dieu, et s'y livrer c'est se rendre coupable. Si nous ne glorifions pas Dieu quand nous discutons et scrutons minutieusement des choses d'un ordre inférieur, nous le glorifions encore bien moins en sondant avec curiosité la génération du Maître; c'est une injure que nous expierons par les derniers supplices. Car si nous ne devons pas même chercher la forme propre de la résurrection, beaucoup moins nous est-il permis de scruter ces profonds et terribles mystères. L'apôtre ne dit pas simplement croyant, mais " pleinement assuré ". Telle est la foi : beaucoup plus claire, plus persuasive que la démonstration par les raisonnements : car aucun raisonnement ne saurait plus l'ébranler. Celui que le raisonnement a convaincu, peut changer d'opinion; mais celui que la foi a affermi, ferme ensuite l'oreille aux arguments qui pourraient la détruire. Après avoir dit qu'Abraham fut justifié par la foi, Paul fait voir que, par cette même foi, il a rendu gloire à Dieu : ce qui est le propre d'une vie vertueuse ; car il est écrit
" Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ". (Matth. V, 16.) Voilà qui parait être le résultat de la foi. Mais comme les couvres demandent de la force, aussi en demande la foi. Ici souvent le corps partage lui-même le travail, là l'âme seule suffit. En sorte que la difficulté est plus grande, parce que l'âme n'a pas toujours le corps pour auxiliaire.
6. Voyez-vous comme il démontre que tout ce qui tient aux oeuvres, comme par exemple se glorifier devant Dieu, avoir besoin de force et de travail, rendre gloire à Dieu, existe à un bien plus haut degré dans la foi? En disant que Dieu peut faire ce qu'il a promis, il rue semble prédire l'avenir : car ce ne sont pas seulement des biens présents, mais des biens futurs, que Dieu a promis : ceux-ci sont le type de ceux-là. Ainsi l'incrédulité est le propre d'une âme faible, étroite et misérable. Donc quand certains hommes nous font un crime de notre foi, en retour reprochons-leur leur incrédulité, les traitant de misérables, de pusillanimes, d'insensés, de faibles, qui n'ont rien de plus que les ânes. Car comme la foi est le signe d'une âme grande et sublime, ainsi l'incrédulité est le propre d'une âme tout à fait déraisonnable, très-vile et rabaissée au rang des animaux stupides.
Laissant donc de tels hommes de côté, imitons le patriarche, et glorifions Dieu, comme il l'a glorifié lui-même. Qu'est-ce que cela veut dire : Il a rendu gloire à Dieu? Il a pensé à sa justice, à sa puissance infinie; et ayant conçu de lui une idée juste, il a été pleinement assuré de l'exécution des promesses. Glorifions donc Dieu, nous aussi, par la foi et par les oeuvres, afin d'obtenir pour récompense d'être glorifiés par lui : car il a dit : Je glorifierai ceux qui me glorifient. Du reste, quand même il n'y aurait pas de récompense, ce serait déjà une gloire d'être jugé digne de glorifier Dieu. (246) Si en effet ceux qui célèbrent les louanges des rois, s'en estiment honorés, n'en recueillissent-ils d'ailleurs aucun autre avantage; songez quelle gloire ce serait pour nous que notre Maître fût glorifié en nous, et aussi de quel châtiment nous serions dignes, si nous étions cause qu'il fût blasphémé? Toutefois c'est pour notre propre avantage qu'il veut être glorifié par nous, puisqu'il n'en a lui-même aucun besoin. Car quelle est, pensez-vous, la distance entre Dieu et l'homme? Est-ce la même qu'entre l’homme et le ver de terre? Mais dire cela, ce n'est rien dire; cette distance ne saurait s'exprimer. Voudriez-vous donc être glorifié, célébré, par des vers de terre? Non, sans doute. Eh bien ! si, malgré votre passion pour .la gloire, vous n'y tenez pas; comment Dieu, qui est exempt de cette passion et si élevé au-dessus de vous, aurait-il besoin de la gloire que vous pouvez lui rendre? Et pourtant, bien qu'il n'en ait pas besoin, il déclare la désirer à cause de vous. S'il a daigné se faire esclave pour vous, pourquoi vous étonner de tout ce qu'il a pu faire encore dans le même but? Il ne regarde comme indigne de lui rien de ce qui peut contribuer à notre salut.
Pénétrés de ces vérités, évitons tout péché qui pourrait le faire blasphémer. " Fuyez le péché ", est-il écrit, " comme vous fuiriez à la vue d'un serpent ". Si vous en approchez, il vous mordra; car ce n'est pas lui qui vient à nous, mais nous qui allons à lui. Dieu l'a ainsi réglé pour que le démon n'établisse point son empire tyrannique : autrement personne ne pourrait lui résister. Voilà pourquoi il l'a repoussé à l'écart comme un voleur et un tyran ; et à moins qu'il ne trouve quelqu'un seul et sans défense dans ses propres retraites, il n'ose pas attaquer; à moins qu'il ne nous voie traverser le désert, il craint d'approcher or, le désert pour lui n'est pas autre chose que le péché. Nous avons donc besoin du bouclier de la foi, du casque du salut, du glaive de l'esprit; non-seulement pour nous garantir, mais encore pour lui trancher la tête, s'il veut s'élancer contre nous : nous avons besoin de prier continuellement, afin de le fouler sous nos pieds. Car il est impudent et détestable ; et quoiqu'il combatte d'en bas, il remporte cependant la victoire. La raison en est que nous ne nous mettons pas en peine de nous tenir au-dessus de ses coups; car il ne saurait s'élever bien haut; mais il se traîne à terre. Aussi le serpent est-il sa figure. Si Dieu lui a assigné cet état dès le commencement, à plus forte raison maintenant.
Mais si vous ne savez pas ce que c'est que de combattre d'en bas, j'essayerai de, vous expliquer cette manière de faire la guerre. Qu'estce donc que combattre d'en bas? C'est lutter à l'aide des objets inférieurs, la volupté, la richesse , toutes les choses mondaines. Voilà pourquoi si le démon voit quelqu'un voler vers le ciel, il ne pourra d'abord s'élancer à sa poursuite; en second lieu, s'il l'essayait, il retomberait bien vite : car il n'a pas de pieds, ne craignez rien; il n'a pas d'ailes, n'ayez pas peur; il rampe à terre et dans les choses terrestres. N'ayez donc rien de commun avec la terre et vous n'aurez pas besoin de combattre. Car il ne connaît pas la lutte corps à corps; il trompe souvent par l'appât des richesses. Si vous coupez les épines, comme le serpent, il se cache dans les épines, il fuira au plus vite comme un lâche, et si vous savez employer contre lui les divins enchantements, il sera bientôt blessé. Car nous avons, oui, nous avons des enchantements spirituels: le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et la vertu de la croix. Non-seulement ces enchantements débusquent le dragon de ses retraites et le précipitent dans le feu, niais encore ils guérissent les blessures.
7. Que si beaucoup de ceux qui ont prononcé ce nom n'ont pas été guéris, cela ne vient pas de son impuissance, mais de leur peu de foi ; car les uns se pressaient autour de Jésus et le poussaient, sans y rien gagner; et l'hémorroïsse, sans toucher son corps, par le seul contact de ses vêtements, fut guérie d'un flux de sang invétéré. Ce nom est terrible aux démons, aux passions et aux maladies. Faisons-nous en donc un ornement et un rempart. C'est ainsi que Paul est devenu grand, bien qu'il fût de même nature que nous; mais la foi le transforma, et telle était sa puissance que ses vêtements mêmes avaient une grande vertu. Quelle sera donc notre excuse, si l'ombre, si les vêtements des apôtres chassaient les maladies et que nos prières ne puissent réprimer nos passions? Et quelle en est la cause? La grande différence des dispositions de l'âme, puisque tout ce qui tient à la nature est égal et commun entre lui et nous : car Paul a été engendré et nourri de la même manière que nous, il a habité la terre,, il a respiré l'air (247) comme nous; mais du reste il était bien plus grand, bien meilleur que nous en zèle, en foi, en charité.
Imitons-le donc, faisons en sorte que le Christ parle par notre bouche;. car il le souhaite plus vivement que nous et c'est pour cela qu'il nous a donné cet organe, qu'il ne veut pas voir inutile et oisif, mais qu'il désire avoir sans cesse en mains. Pourquoi donc ne le tenez-vous pas toujours à la disposition de l'artiste? Pourquoi en relâchez-vous les cordes et les amollissez-vous par la volupté, de manière à rendre la lyre entière inutile pour lui, quand il faudrait tendre ces cordes, les rendre sonores et les resserrer par le sel spirituel? Si le Christ la voyait d'accord, .en cet état, lui-même en toucherait dans notre âme. Et alors, vous verriez danser les anges, les archanges et les chérubins. Soyons donc dignes de ces mains sans tache; invitions-le à venir jouer dans notre coeur; il n'a même pas besoin d'être invité : rendez-le. digne de ce contact; et lui-même accourra le premier. S'il, vient au-devant des retardataires (il faisait. déjà l'éloge de Paul avant sa conversion), que ne fera-t-il pas quand il verra un instrument préparé? Et si le Christ fait entendre des sons, l'Esprit arrivera infailliblement, et nous serons au-dessus du ciel, puisque nous n'aurons plus seulement l'impression glu soleil et de la lune sur notre corps, mais que le maître du soleil, de la lune et des anges habitera et agira en nous.
.Je dis cela, non pour que nous ressuscitions. les morts, ni que nous guérissions les lépreux; mais pour que nous montrions un signe bien au-dessus de tous les autres, la charité. Car partout où -est ce bien, le Fils vient immédiatement avec le Père et la grâce de l'Esprit descend, En effet il est écrit : " Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d'eux ". (Matth. XVIII, 22.) C'est une preuve de grande affection et d'un vif. amour, quand des deux côtés les amants sont ensemble. Mais, direz-vous, qui est' assez malheureux pour ne pas désirer d'avoir le Christ au milieu de soi? Nous-mêmes, qui sommes en guerre les uns, avec les autres. Peut-être quelqu'un rira-t-il de moi, et dira-t-il : Que dites-vous là? Vous nous voyez tous réunis dans le même lieu, dans l'enceinte de la même église, formant en parfait accord le même bercail, sans aucune contradiction, acclamant ensemble le. même pasteur, écoutant ensemble ce qui se dit, priant ensemble : et vous venez parler de guerre et de discorde? Oui, et je ne suis pas foi, et je ne déraisonne pas. Je vois en effet ce que je vois, et je sais que nous sommes dans le même bercail et sous le même pasteur. Et c'est ce qui fait surtout couler mes larmes: qu'ayant tant de raisons de nous unir, nous soyons cependant divisés. Quelle division voyez-vous donc ici, me direz-vous? Ici, aucune; mais dès que le sermon sera fini, un tel accusera un tel; l'un insultera publiquement, l'autre sera jaloux, ou avare, ou voleur, un autre usera de violence, un autre se livrera à de coupables amours, un autre combinera mille fraudes. Et si toutes nos âmes pouvaient être mises à nu, vous verriez tout cela en détail et vous reconnaîtriez que je ne suis pas fou.
8. Ne voyez-vous pas dans les armées, en temps de paix, les soldats déposer les armes , et passer ainsi sans défense et sans précaution, dans le camp ennemi ? Mais dès qu'ils se sont munis de leurs armes, ce sont des gardes, des postes avancés, des nuits sans sommeil, des feux continuels : toutes choses qui n'indiquent plus la paix; mais la guerre. Voilà précisément ce qu'on peut voir chez nous, nous nous observons et nous nous craignons les uns les autres, nous parlons à l'oreille du voisin, puis, si un tiers survient, nous nous taisons, nous supprimons le sujet de la conversation : ce qui n'est pas une preuve de confiance, mais bien d'une extrême défiance. Mais, direz-vous, nous cherchons seulement à nous garantir, et non à faire tort. Voilà encore ce qui me fait gémir : que, vivant parmi des frères, nous ayons besoin de nous tenir en garde pour ne point éprouver d'injustice, d'allumer tant de feux, d'avoir tant de sentinelles et de postes "dansés. Et la cause de tout cela c'est l'habitude du mensonge et de la fraude, le défaut de charité, une guerre implacable. Aussi trouve-t-on une foule de personnes qui ont plus de confiance dans les païens que dans les chrétiens. Pourtant quel sujet de honte, de larmes, de gémissements ! Eh ! comment faire, direz-vous? un tel est d'un mauvais caractère et de relation difficile. Mais où est votre sagesse? Où sont lés lois apostoliques, qui nous ordonnent de porter les fardeaux les uns des autres ? Si vous ne pouvez vivre en paix avec votre frère, comment vivrez-vous avec un étranger? Si vous ne savez pas manier votre propre (248) membre , comment pourrez-vous en attirer d'autres et vous les adapter ?
Que faire, dites-vous? Oh ! en voyant dans notre camp tant de guerres plus désastreuses que des guerres étrangères, j'ai bien de la peine à empêcher mes yeux de verser des torrents de larmes, à l'exemple de ce prophète, qui s'écriait, en présence d'une irruption d'étrangers : " Je souffre des entrailles ". (Jér. IV, 19.) Et moi à l'aspect de ces soldats rangés sous le même général, puis se tournant les uns contre les autres, se mordant, se déchirant les membres, les uns pour de l'argent, les autres pour de la gloire, ceux-là se raillant et se tournant en ridicule sans motif et sans but, se portant mille blessures; en voyant ces morts plus maltraités que ceux qui tombent sur les champs de bataille, en voyant le titre de chrétiens réduit à une pure dénomination, je ne saurais trouver de lamentations en proportion du sujet.
Respectez donc, respectez cette table, à laquelle nous participons tous, le Christ-immolé pour nous, la victime que l'on. nous y sert. Des brigands assis au même banquet, cessent d'être brigands pour leurs convives; la table transforme leurs moeurs et rend plus doux que des brebis, des hommes plus féroces que les bêtes sauvages; et nous qui participons à un tel festin, qui prenons ensemble une telle nourriture, nous nous armons les uns contre les autres, quand nous devrions nous armer contre le démon, notre ennemi commun ! Voilà pourquoi nous nous affaiblissons, tandis . qu'il se fortifie tous les jours. Nous ne nous défendons point les uns les autres contre lui, mais nous combattons avec lui contre nos frères, et nous le prenons pour général dans ces expéditions, au lieu de tourner tous nos armes contre lui seul. Nous le laissons de côté, et nous dirigeons nos traits contre nos frères. Quels traits? Ceux de la langue et de la bouche. Ce ne sont pas seulement les traits et les flèches qui font des blessures; la langue en fait de plus terribles. Mais, direz-vous, comment mettre fin à cette guerre? En pensant que quand vous parlez contre votre frère, vous jetez de la boue, par la bouche; en pensant que vous calomniez un membre du Christ; que vous dévorez votre propre chair; que vous vous rendez plus redoutable que l'effrayant, l'inflexible tribunal; que le trait ne tue pas celui qui le reçoit, mais celui qui le décoche. — Mais, dites-vous, on m'a fait tort, on m'a maltraité. — Gémissez et ne dites point de mal; déplorez, non le tort qu'on vous a fait, mais la perte de votre ennemi, comme votre Maître a pleuré Judas, non parce qu'il a été lui-même crucifié, mais parce que Judas l'avait trahi. On vous a accablé d'injures et d'outrages? Priez le Seigneur de faire éclater sans retard sa miséricorde sur le coupable. Il est votre frère, il a été enfanté comme vous; c'est votre membre, il a été convié à la même table. Mais, dites-vous, il redouble ses injures. Votre récompense en sera plus grande et plus abondante. Il est d'autant plus juste que vous lui pardonniez, qu'il a reçu un coup mortel, puisque le démon l'a blessé.
9. Ne vous blessez donc point vous-même, ne vous perdez pas avec lui. Tant que vous êtes debout, vous pouvez le sauver; mais si vous vous tuez avec lui en lui rendant injure pour injure, qui vous remettra sur pied tous les deux? Est-ce lui, qui est blessé ? Mais il ne le peut; il est à terre. Est-ce vous, qui êtes tombé avec lui? Eh ! comment? Vous qui ne pouvez vous tendre la main à vous-même, la tendrez-vous à un autre? Tenez-vous donc généreusement debout, présentez votre bouclier, et, par votre patience,retirez du combat votre frère mort. La colère l'a blessé? N'ajoutez pas blessure à blessure, mais arrachez plutôt le trait. Si nous noua traitons ainsi mutuellement, nous serons bientôt tous en bonne santé; mais si nous nous armons les uns contre les autres, il n'y aura plus besoin du démon pour nous perdre. Toute guerre est désastreuse, mais surtout la guerre civile. Et celle dont je parle l'emporte d'autant sur la guerre civile, que nos. liens de gouvernement, ou plutôt de parenté sont plus étroits.
Jadis Caïn tua Abel, et versa le sang fraternel; mais le meurtre dont nous parlons l'emporte sur celui-là en injustice, et parce que la proximité est plus grande, et parce que le genre de mort est plus terrible.. Car Caïn ne perça qu'un corps, et vous aiguisez votre glaive contre une âme. Mais vous avez souffert le premier? Souffrir ce n'est pas recevoir le mal, mais le faire. Examinez un peu : Caïn a tué, Abel a été tué : où est le mort? Est-ce celui qui criait après sa mort, selon ce qui est écrit " La voix du sang de ton frère, crie vers moi" ; (Gen. IV, 20.) ou celui qui, vivant, tremblait et craignait? Celui-ci sans contredit était plus malheureux que quelque mort que ce soit. (249) Voyez-vous que le meilleur est encore de souffrir l'injustice, quand elle devrait aller jusqu'au meurtre ? Apprenez que le pire est de la commettre, quand même on serait assez fort pour donner la mort. Caïn a frappé et abattu son frère, mais Abel a été couronné et Caïn a été puni; Abel a été tué et immolé contre toute justice, mais, en mourant il accusait son frère,-il le tuait, il s'en emparait; et Caïn vivant gardait le silence, rougissait, était surpris en flagrant délit, et atteignait un résultat opposé à celui qu'il avait envié. En effet, il tuait son frère parce qu'il le voyait aimé ; et il se proposait de le priver de cet amour; et au contraire, il n'a fait que l'augmenter, puisque Dieu s'attachait davantage à la victime, jusqu'à dire : " Où est ton frère Abel ? " ( Ib. 9.) Bien loin d'avoir éteint l'amour par la jalousie , tu n'as fait que l'enflammer; loin de diminuer son honneur par le meurtre, tu n'as fait que l'augmenter. Dieu l'avait d'abord fait ton inférieur; mais puisque tu lui as donné la mort, du fond de son tombeau il se vengera contre toi : tant est grand l'amour que je lui porte. Quel est donc le condamné, de celui qui a puni, ou de celui qui a été puni? De celui que Dieu honore jusqu'à ce point, ou de celui qui est livré à un supplice nouveau? Tu ne l'as pas craint vivant, dis-tu; crains-le donc mort; tu n'as pas frémi en lui enfonçant le glaive, après avoir versé son sang, tu seras sous le poids d'une terreur continuelle; vivant, il était. ton serviteur et tu n'as pu le supporter : mort, il est devenu pour toi un maître redoutable. Pensons à cela, mes bien-aimés, et fuyons l'envie , éteignons la malice , aimons-nous mutuellement, afin de recueillir les fruits de la charité dans cette vie et dans l'autre, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et la force, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE IX. OR, CE N'EST PAS POUR LUI SEUL QU'IL A ÉTÉ
ÉCRIT QUE CELA LUI FUT IMPUTÉ A JUSTICE, MAIS POUR NOUS AUSSI,
A QUI IL SERA IMPUTÉ, SI NOUS CROYONS EN CELUI QUI A RESSUSCITÉ
D'ENTRE LES MORTS JÉSUS-CHRIST NOTRE-SEIGNEUR. (IV, 23, 24, JUSQU'A
V, 11.)
Analyse.
1. Justifiés par la foi, ayons désormais la pais avec Dieu par la sainteté de notre vie.
2. Glorifions-nous non-seulement dans l'espérance des biens qui nous sont promis, parce que les promesses divines ne sont pas trompeuses, mais glorifions-nous même des maux apparents de la vie présente.
3. Qn'est-ce que Dieu nous peut refuser après qu'il nous a donné son Fils unique et le Saint-Esprit ?
4. Aimer Dieu. — Peines et afflictions de la vie utiles à l'âme, et avantageuses pour le salut. — Avis pour bien supporter une affliction. — Bénir Dieu dans les maux. — Avis pour les malades.
1. Après avoir beaucoup parlé et dit de grandes choses d'Abraham, de sa foi, de sa justice, de l'honneur que Dieu lui a fait, de peur que l'auditeur ne dise. Qu'est-ce que cela nous fait? C'est lui qui a été justifié; il nous rapproche du patriarche. Telle est la vertu des paroles spirituelles. Le Gentil, le nouveau-venu , celui qui n'a rien fait, non-seulement l'apôtre a affirmé qu'il n'est point au-dessous du Juif fidèle, mais pas même au-dessous du (250) patriarche; bien plus, chose étonnante ! il le place fort au-dessus. Telle est , en effet, notre noblesse, que ia foi d'Abraham est devenue la figure de la nôtre. Paul ne dit pas: Si cela lui a été imputé à justice, il est probable qu'il nous sera aussi imputé; il ne s'appuie pas sur un raisonnement humain; mais il parle d'après l'autorité des lois divines et réduit tout à une sentence de l'Ecriture. Pourquoi, nous dit-il, cela est-il écrit, sinon pour nous apprendre que nous avons été justifiés de la même manière? Car nous croyons au même Dieu, pour les mêmes objets , quoique non dans les mêmes personnes. Mais en parlant de notre foi, il parle aussi de l'immense bonté de Dieu, qu'il nous remet sans cesse sous les yeux, en rappelant le souvenir de la croix : ce qu'il fait ici en ces termes : " Qui a été livré pour nos péchés, et qui est ressuscité pour notre justification ".
Voyez comment après avoir marqué la cause de la mort du Sauveur, il en tire une démonstration de sa résurrection. Pourquoi, dit-il, Jésus a-t-il été crucifié ? Ce n'est pas peur ses péchés, comme sa résurrection le prouvé. Car s'il eût été pécheur, comment serait-il ressuscité? Sa résurrection prouve donc clairement qu'il n'était point pécheur. Mais s'il ne l'était point, comment a-t-il raté crucifié? Pour d'autres. Si c'est pour d'autres, il est nécessairement ressuscité. Et pour que vous ne disiez pas : Comment, nous qui sommes si coupables, pouvons-nous être justifiés? Paul nous montre celui qui a effacé tous les péchés; afin de prouver ce qu'il avance et par la foi d'Abraham, en vertu de laquelle il a été justifié ; et par la passion du Sauveur, qui nous a délivrés de nos péchés. Après avoir donc parlé de sa mort, il parle aussi de sa résurrection. Il n'est pas mort pour nous laisser exposés au châtiment et condamnés, mais pour nous faire du bien; c'est pour nous rendre justes qu'il est mort et ressuscité.
" Etant donc justifiés par la foi, ayons la paix avec Dieu par. Notre-Seigneur Jésus-Christ (1) ". Que veulent dire ces mots : " Ayons la paix? " C'est-à-dire, selon quelques-uns, ne causons point de discordes, en cherchant à introduire la loi. Quant à moi, je pense qu'il s'agit ici de notre conduite. Après avoir beaucoup parlé de la foi et de la justice par les oeuvres, il traite cette autre question ; et de peur qu'on ne s'autorise de ce qu'il a dit : pour se négliger, il ajoute : " Ayons la paix ", c'est-à-dire ne péchons plus, ne revenons pas au passé ; car ce serait lutter contre Dieu. Et comment, direz-vous, est-il possible de ne plus pécher? Et d'abord comment tout ceci a-t-il été possible? Si, coupables de tant de péchés, nous en avons été délivrés par le Christ, à bien plus forte raison pouvons-nous, avec son aide, persévérer dans l'état où nous sommes. Ce n'est pas la même chose d'obtenir une paix qu'on n'avait pas, ou de la garder quand on l'a reçue : car il est plus difficile d'acquérir que de conserver ; et cependant le plus difficile est devenu facile et s'est réalisé. Donc le plus facile nous viendra aisément, si nous nous attachons à celui qui a accompli pour nous le plus difficile. Mais ici Paul ne semble pas seulement indiquer que la chose est facile; mais aussi qu'elle est raisonnable. Si en effet le Christ nous a réconciliés quand nous étions vaincus, il est juste de nous maintenir dans cet état de réconciliation et de lui témoigner par là notre reconnaissance, pour qu'il ne paraisse pas n'avoir réconcilié avec son père que des méchants et des ingrats. " Par lui ", nous dit l'apôtre, " nous avons eu accès par la foi". Si donc il nous a ramenés quand nous étions loin, à, bien plus forte raison nous retiendrait-il depuis que nous sommes près.
2. Considérez un peu, je vous prie, comme Paul met partout en opposition, et ce que Dieu fait de son côté, et ce que nous faisons du nôtre. Ce que Dieu a fait est varié, multiple, divers : car il est mort, il nous a délivrés, il nous a amenés, il nous a accordé une grâce ineffable; et nous, nous n'avons apporté que 1a foi. Aussi l'apôtre dit-il : " Par la foi en cette grâce en laquelle nous sommes établis ". Quelle grâce, je vous demande? Celle d'être jugés dignes de la connaissance de Dieu, d'être délivrés de l’erreur, de connaître la vérité, d'obtenir tous les biens par le baptême; il nous a donné accès, afin de nous communiquer tous ces dons; non pas seulement pour que nous soyons délivrés de nos péchés, mais aussi pour que nous jouissions de mille honneurs. Et il ne s'est pas borné à cela; il nous a encore promis d'autres biens, des biens ineffables, qui surpassent notre intelligence et notre raison. C'est pourquoi Paul parle des uns et des autres. En effet, par ce mot : " Grâce ", il désigne les biens présents que nous avons reçus, et par ceux-ci : " Nous nous (251) glorifions dans l'espérance de la gloire de Dieu ", il nous découvre tous les biens. à venir. Il dit avec raison : " En laquelle nous sommes établis ". Car telle est la grâce de Dieu ;.elle n'a pas de fin, elle n; a pas de terme, mais elle croît toujours : ce qui n'est point le propre des choses humaines. Par exemple , quelqu'un est en possession d'une dignité , d'un honneur, d'un pouvoir; il ne les conserve pas toujours, mais il en déchoit promptement, car s'ils ne lui sont pas enlevés par un homme, du moins la mort l'en dépouillera complètement. Il n'en est pas ainsi du don de Dieu : ni l'homme, ni le temps, ni les évènements, ni le démon même, ni la mort ne peuvent nous en priver; c'est quand nous mourons, que nous sommes le plus assurés de les posséder, et nos jouissances ne font que s'accroître de plus en plus. Si donc vous n'avez pas de foi aux biens à venir, croyez-y du moins d'après les biens présents et d'après ce que vous avez déjà reçu. C'est ce qui fait dire à Paul : " Et nous nous glorifions dans l'espérance de la gloire de Dieu ", afin que vous sachiez dans quelle disposition doit être l'âme du fidèle. Car il faut être pleinement assuré, non-seulement des biens accordés, mais encore des biens futurs, comme s'ils étaient déjà donnés. On se glorifie des biens qu'on a reçus; mais, nous dit-il, puisque l'espérance des biens à venir est aussi ferme, aussi certaine, que la possession même de ceux que l'on a reçus, il faut donc également s'en glorifier; et pour cela il leur donne le nom de gloire. Si en effet ils contribuent à la gloire de Dieu, ils arriveront certainement, sinon à cause de nous, du moins à cause de lui: Mais à quoi bon, répond-il, dire que les biens à venir méritent qu'on s'en glorifie ? Nous pouvons nous glorifier même des maux présents et en être tiers; aussi ajoute-t-il : " Mais outre cela, nous nous glorifions encore dans les tribulations (3) ". Songez quels seront les biens futurs, puisque nous nous glorifions même de ce qui paraît un mal. Tel est le don de Dieu; il n'y a rien en lui de désagréable.
Dans l'ordre des choses humaines, les combats entraînent des peines, des douleurs, dés misères; seules les couronnes et les récompenses procurent de la joie; ici, il n'en est pas de,même, car la lutte est aussi agréable que le prix. Comme alors les épreuves étaient nombreuses, que le royaume n'existait qu'en espérance ; que les maux étaient présents, les biens en expectative, et que cela brisait le courage des plus faibles ; l'apôtre leur distribue des encouragements avant l'heure des couronnes, en leur disant qu'il faut se glorifier dans les tribulations. Il ne dit même pas : Il faut se glorifier, mais : " Nous nous glorifions", en les encourageant par son propre exemple. Et comme, il pouvait paraître étrange, incroyable, qu'on dût se glorifier dans la faim, dans les chaînes, dans les tourments. dans les injures et les opprobres, il en donne la preuve; et ce qu'il y a de plus fort, c'est qu'il affirme qu'on doit s'en glorifier, non-seulement en vue de l'avenir, mais même dans le présent; parce que les tribulations sont par elles-mêmes un bien. Pourquoi ? Parce qu'elles exercent à la patience. C'est pourquoi , après avoir dit : " Nous nous réjouissons dans les tribulations ", il en donne la raison en ces termes : " Sachant que la tribulation produit la patience ". Voyez encore une fois la ténacité de Paul, et comme il retourne le sujet en sens contraire. Comme les tribulations décourageaient des biens à venir et jetaient dans le désespoir, il leur dit qu'elles doivent par elles-mêmes inspirer du courage et qu'il ne faut point désespérer de l'avenir. " Car la tribulation produit la patience; la patience, l'épreuve; et l'épreuve, l'espérance. Or l'espérance ne confond point (4, 5) ". Non-seulement les tribulations ne détruisent point ces espérances, mais elles-en sont le fondement. Même avant les biens à venir, la tribulation produit un très-grand fruit, la patience, et elle éprouve celui qui est tenté. D'ailleurs elle contribue aussi aux biens futurs ; car elle fortifie en nous l'espérance. Rien en effet ne dispose à bien espérer comme une bonne conscience.
3. C'est pourquoi personne de ceux qui ont bien vécu, 'ne doute de l'avenir, tandis que beaucoup de ceux qui négligent de bien vivre, tourmentés par une mauvaise conscience, voudraient qu'il n'y eût ni jugement, ni punition. Quoi donc ? nos biens sont-ils en espérances ? Oui ; mais non en espérances humaines, qui sont souvent frustrées; qui confondent souvent, soit parce que celui sur qui on les fondait meurt , soit parce qu'il change de sentiment. Il n'en est pas ainsi des nôtres ; elles sont fermes, elles sont immuables. Celui qui a promis vit toujours; et nous, qui devons jouir de ces biens, nous (252) ressusciterons après notre mort; rien, absolument rien ne pourra nous confondre, comme si nous eussions nourri un vain et futile espoir. Après nous avoir ainsi délivrés de toute incertitude, l'apôtre ne s'en tient pas là, mais il revient encore aux biens à venir, sachant que les faibles s'attachent aux biens présents et ne se contentent pas des autres. Or il appuie la foi aux biens à venir sur la considération des bienfaits déjà reçus, de peur qu'on ne dise : Et si Dieu ne voulait rien donner? Nous savons tous qu'il est puissant, immuable, vivant; mais comment connaissons-nous sa volonté? Par ce qui existe déjà. Qu'est-ce donc ? L'amour qu'il nous a témoigné.
Qu'a-t-il fait? direz-vous. Il a donné le Saint-Esprit. Aussi après avoir dit : " L'espérance ne confond point ", il en donne la preuve en disant : " Parce que la charité de. Dieu est répandue en nos coeurs ". Et il ne dit pas : a été donnée, mais : " A été répandue en nos " coeurs ", pour en faire voir l'abondance, car il nous a donné ce qu'il y a de plus grand non pas le ciel, la terre et la mer, mais quelque chose de plus précieux que tout cela :.il nous a transformés d'hommes en anges et faits enfants de Dieu et frères de Jésus-Christ. Et qu'est-ce que ce don? L'Esprit-Saint. Or, s'il ne nous réservait pas de glorieuses couronnes après le combat, il ne nous aurait pas fait de. si grands dons avant le combat; et ce qui démontre l'ardeur de son amour, c'est qu'il ne nous a pas accordé ces honneurs peu à peu, et avec mesure, mais qu'il nous a ouvert sans réserve la source des biens, et cela même avant la lutte. En sorte que, ne fussiez-vous pas très-digne, vous ne devez point désespérer, puisque vous avez un puissant avocat, l'amour du juge. Voilà pourquoi Paul après avoir dit : " L'espérance ne confond point " , rapporte tout à l'amour de Dieu, et non à nos mérites. Puis après avoir parlé du don de l'Esprit, il revient encore à la croix et dit : " En effet, le Christ, lorsque nous étions encore infirmes, est mort, au temps marqué, pour des impies. Certes à peine quelqu'un mourrait-il pour un juste; peut-être cependant que quelqu'un aurait le courage de mourir pour un homme de bien. Ainsi Dieu témoigne son amour pour nous (6-8) ". C'est-à-dire : si personne peut-être ne voudrait mourir pour un homme vertueux, comprenez l'amour de votre Maître, qui a été crucifié, non pour des hommes vertueux, mais pour des pécheurs et des ennemis, ce que Paul dit ensuite : " En ce que, dans le temps où nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous. Maintenant donc, justifiés par son sang, nous serons à plus forte raison délivrés par lui de la colère. Car si lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils; à plus forte raison, réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie (9, 10) ". .
Tout cela a l'air d'une répétition et n'en est cependant pas une pour quiconque examine attentivement. Voyez un peu : il veut les confirmer dans la foi aux biens futurs: et d'abord il les confond par la croyance du juste Abraham, en disant " qu'il était pleinement assuré que ce que Dieu a promis, il est puissant pour le faire " ; ensuite il prouve sa proposition par la grâce qui a été donnée, puis par les tribulations, qui sont propres à nous faire espérer; puis par l'Esprit que nous avons reçu, et enfin par la mort du Christ et notre méchanceté première. Tout cela, comme je l'ai déjà dit, semble,n'être qu'une seule et même chose, et pourtant on y en trouve deux, trois et bien davantage : d'abord que le Christ est mort; secondement, qu'il est mort pour des impies; troisièmement, qu'il nous a délivrés, sauvés, justifiés, qu'il nous a rendus immortels, qu'il nous a faits enfants de Dieu et héritiers. Ce n'est pas seulement sa mort qui doit nous fortifier, dit Paul, mais encore le don qui nous a été fait par sa mort. Fût-il simplement mort pour nous tels que nous sommes, t'eût déjà été une très-grande preuve d'amour; mais qu'en mourant, il nous ait encore fait des dons, et des dons si grands, et quand nous étions pécheurs : voilà ce qui surpasse toute idée, et amène à la. foi l'homme le plus insensible. Car personne ne nous sauvera que celui qui nous a aimés, nous pécheurs, jusqu'à se livrer lui-même. Voyez-vous combien ce passage fournit de preuves pour établir la foi aux biens futurs? Avant cela, il y avait deux obstacles à notre salut : nous étions pécheurs et nous devions être sauvés par la mort du Maître: ce qui semblait incroyable avant ,d'exister, et exigeait, pour se réaliser, un grand amour; mats maintenant que cela est fait, le reste est plus facile car nous sommes devenus amis, et la mort n'est. plus nécessaire. Et Celui qui a épargné des ennemis jusqu'au point de ne pas (253) épargner son Fils, ne protégerait pas des amis, quand il n'est plus nécessaire que son Fils se livre? Si l'on ne sauve pas quelqu'un, c'est qu'ors ne le veut pas, ou souvent encore parce qu'on ne le peut pas, quand même on le voudrait. Or, ni Puis ni l'autre ne peut,se dire de Dieu; qu'il, l'ait voulu, cela est clair puisqu'il a donné son Fils; qu'il le puisse, il l'a fait voir en justifiant des pécheurs. Qu'est-ce qui nous empêche donc de jouir des biens à venir? Rien. Et pour que vous ne soyez pas couvert de confusion et de honte en entendant ces mots de pécheurs, d'ennemis, d'infirmes et d'impies, écoutez ce que dit l'apôtre : " Mais outre cela, nous nous glorifions en Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui maintenant nous avons reçu la réconciliation (11) ".
Qu'est-ce que signifie outre cela? " Non-seulement, dit-il, nous avons été sauvés, mais nous nous glorifions de ce dont on voudrait nous faire un sujet de honte. En effet que nous ayons été sauvés quand nous vivions ainsi dans une telle malice, c'est la preuve d'une grande charité de la part de celui qui nous a sauvés. Et ce n'est point par des anges ou des archanges, mais par son Fils unique qu'il a opéré notre salut. Ainsi il nous a sauvés; il nous a sauvés quand nous étions pécheurs, il nous a sauvés par son Fils unique, et non-seulement par son Fils, mais par le sang même de ce Fils : voilà de quoi nous tresser mille couronnes de gloire. Car rien ne procure autant de gloire et n'excite autant la confiance que. d'être aimé de Dieu et de le payer de retour. Voilà ce qui fait la splendeur des anges, des principautés et des puissances; voilà ce qui l'emporte sur la royauté. Aussi Paul met-il cela au-dessus du pouvoir royal; c'est ce qui me fait proclamer bienheureux les purs esprits, parce qu'ils aiment Dieu et qu'ils lui obéissent en tout. Voilà pourquoi le prophète les admirait en disant : " Puissants en vertu, exécutant sa parole " (Ps. CII); voilà pourquoi Isaïe exaltait les séraphins et indiquait leur grande vertu. en ce qu'ils étaient,rapprochés de cette gloire : ce qui était le signe d'un très-grand amour.
4. Imitons donc, rions aussi, les puissances célestes, et efforçons-nous, non-seulement de nous tenir près, du trône, mais de loger en nous Celui qui est assis sur le trône. Il a aimé ceux-mêmes qui le haïssaient et il continue à les aimer : car " Il fait lever le soleil sur les méchants et sur les bons et pleuvoir sur les justes et les injustes ". (Matth. V, 45.) Rendez-lui donc amour punir amour; car il vous aime. Mais s'il nous aime, direz-vous, comment sa fait-il qu'il nous menace de l'enfer, du châtiment et de la vengeance? Précisément parce qu'il vous aime : pour couper en vous la racine du vice, pour refréner par la crainte vôtre penchant au mal, il met tout en oeuvre, il ne néglige rien; par les biens comme par les maux, il cherche à retenir votre inclination vers les choses de la terre, à vous ramener à lui, et- vous arracher à toute espèce de péché, qui est un mal pire que l'enfer. Que si vous riez de ce qu'on vous dit, .si vous aimez mille fois mieux vivre dans le vice que d'être affligé un seul jour, il n'y a rien d'étonnant : c'est la preuve d'une âme basse, un signe d'ivresse et de maladie incurable.
Quand les petits enfants voient le médecin prêt à employer le feu et le fer, ils s'enfuient en poussant des cris de terreur et en se déchirant eux-mêmes; ils aiment mieux périr de consomption que de subir une douleur momentanée pour jouir ensuite d'une bonne santé. Mais ceux qui sont intelligents savent que la maladie est pire qu'une opération, et une vie coupable plus triste que la punition car l'un, c'est le remède suivi de la bonne santé, et l'autre c'est la `mort et la souffrance prolongée. Or il est de toute évidence que la santé est préférable à la maladie; ce n'est pas quand le brigand reçoit le coup mortel qu'il est juste de verser sur lui des larmes, mais quand il perce lui-même les murs et devient meurtrier. Si en, effet l'âme vaut mieux que le corps, comme elle vaut mieux réellement, sa perte est plus digne de pleurs et de gémissements; et si elle ne la sent pas, elle n'en mérite que mieux les larmes. fi faut donc plaindre ceux qui sont brûlés de l'amour impur, bien plus que ceux que la fièvre travaille, et les ivrognes plus que ceux que l'on applique à la torture. Mais, dira-t-on, pourquoi préférons-nous l'un à l'autre? Parce que, comme dit le proverbe, la plupart des hommes préfèrent le pire et le choisissent, au détriment du meilleur. C'est ce qui se voit en fait de nourriture, de conduite, de rivalité, de plaisir, de femmes, de maisons, d'esclaves, de champs, et dans tout le reste. Lequel, je vous le demande, est le plus doux d'avoir commerce avec un homme (254) ou avec une femme, avec une femme ou avec une mule? Et pourtant nous en voyons beaucoup négliger le commerce des femmes pour Celai des brutes, ou déshonorer le corps d'un homme : quoique les jouissances conformes aux lois de la nature soient plus agréables.
Pourtant le nombre est grand de ceux qui poursuivent comme pleines d'attraits des jouissances ridicules, désagréables, pénibles. Mais, dira-t-on, ils y trouvent du charme. Et c'est là précisément leur malheur, de croire agréable ce qui ne l'est point du tout. Par là ils se persuadent que le châtiment est pire que le péché; et c'est tout le contraire. Car si le châtiment était un mal pour les pécheurs, Dieu n'eût point ajouté mal à mal, et n'aurait pas voulu les rendre pires; lui qui fait tout pour éteindre le vice, ne l'aurait pas augmenté. Ce n'est donc pas le châtiment qui est un mal pour le coupable , mais la faute sans la punition, comme la maladie sang le remède. Car rien n'est mauvais comme une passion déplacée : et quand je dis déplacée, j'entends parler de la passion de la volupté, de celle de la vaine gloire, du pouvoir, en un mot de tout ce qui dépasse le besoin. Un homme de ce genre, qui mène une vie molle et relâchée, semble le plus heureux des mortels et il en est le plus malheureux, introduisant dans son âme des maîtresses incommodes et tyranniques. Voilà pourquoi Dieu nous a. rendu cette vie pénible, afin de nous arracher à cet esclavage et de nous conduire à la liberté pure; voilà pourquoi il nous menace du châtiment et associe les travaux à notre existence, afin de contenir notre mollesse.
Ainsi quand les Juifs étaient assujettis à travailler l'argile, à façonner la brique, ils étaient raisonnables et recouraient souvent à Dieu; mais dès qu'ils furent en liberté, ils murmurèrent, ils excitèrent le courroux du Maître et s'attirèrent. des maux sans nombre. Mais, objecte-t-on, que direz-vous de ceux que l'affliction a pervertis? que c'est là l'effet de leur faiblesse, et non de l'adversité. Si quelqu'un a un estomac faible qu'un remède amer trouble, tandis qu'il- devrait le purger, ce n'est point le remède que nous accusons, mais la faiblesse de l'organe. Autant-en dirons-nous de l'infirmité de l'âme. Celui en effet qui est perverti par l'affliction, le serait encore bien plutôt par la prospérité : s'il tombe quand il est retenu par une chaîne (car l'affliction est une chaîne), à plus forte raison tomberait-il s'il était libre; s'il est culbuté quoique lié fortement, bien plutôt le serait-il s'il était desserré. — Et comment, direz-vous, pourrais-je ne pas être renversé par l'affliction? En songeant que, bon gré malgré, il faudra que vous la supportiez; que si c'est avec reconnaissance, vous en retirerez de très grands profits; si c'est avec répugnance, avec désespoir et en blasphémant, non-seulement vous n'allégerez pas le fardeau du malheur, mais vous augmenterez la force de la tempête.
Dans ces pensées, acceptons de bon coeur ce qui' est l'effet de la nécessité. Par exemple quelqu'un a perdu un enfant légitime, un autre toute sa fortune ; s'il considère qu'il n'était pas possible d'éviter le coup, qu'il y a quelque profit à tirer d'un malheur irréparable, en le supportant généreusement, en renvoyant au Maître des actions de grâces au lieu de blasphèmes, il arrivera que la volonté se fera un mérite d'un mal arrivé contre son gré. Voyez-vous votre fils enlevé par une mort prématurée? Dites: " Le Seigneur me l'avait donné, le Seigneur me l'a ôté ". (Job. I, 21.) Voyez-vous votre fortune disparaître? Dites : " Je suis sorti nu du sein de ma mère, je m'en retournerai nu ". (Ibid.) Voyez-vous les méchants prospérer, les justes tomber dans l'adversité et subir mille afflictions, sans que vous puissiez en connaître la cause? Dites: "Je suis devenu comme une bête de charge devant vous, et pourtant je suis toujours avec vous ". (Ps. LXXII.) Si vous m'en demandez la raison, je vous dirai de vous figurer comme présent le jour où Dieu doit juger l'univers, et tous vos doutes se dissiperont : car chacun alors sera traité selon ses mérites, comme Lazare et le mauvais riche. Souvenez-vous des apôtres déchirés de coups de fouet, chassés, accablés de. mauvais traitements, ils se réjouissaient d'avoir été jugés dignes de souffrir injure pour le nom du Christ. Si vous êtes malades, souffrez avec patience, rendez grâces à Dieu, et vous recevrez la même récompense qu'eux.
Mais comment pourrez-vous rendre grâces au Maître , au sein
de la maladie et des souffrances? Si vous l'aimez véritablement.
Si les trois enfants dans la fournaise, si d'autres au milieu des chaînes
ou de maux sans nombre, ne cessaient pas de rendre grâces à
Dieu, à plus forte raison ceux qui sont affligés de maladies
ou d'infirmités pénibles peuvent-ils le (255) faire. Car
il n'est rien, non rien, dont l'amour ne triomphe; et quand c'est l'amour
de Dieu, il l'emporte sur tous les autres, et ni le feu, ni le fer, ni
la maladie, ni la pauvreté, ni l'infirmité, ni la mort, ni
rien de semblable ne paraît pénible à celui qui le
possède; il rit de tout, il prend son vol vers le ciel, et n'éprouve
pas d'autres sentiments que ceux qui y habitent, ne voit pas autre chose
qu'eux : non pas le ciel, ni la terre , ni la mer, mais l’iniquement la
beauté de cette gloire; les misères de la vie présente
ne sauraient l'abattre, ni ses biens et ses plaisirs l'enorgueillir et
l'enfler. Aimons donc cet amour (car rien ne l'égale) et pour le
présent et pour l'avenir ; mais surtout, pour lui-même; nous
serons ainsi délivrés des châtiments de cette vie et
de l'autre , et nous obtiendrons le royaume. Du reste , être délivré
de l'enfer et en possession du royaume , c'est peu de chose en comparaison
de ce que je vais dire : " Aimer le Christ et en être aimé
est bien au-dessus de tout cela. Si en effet l'amour mutuel chez les hommes
mêmes est la plus grande des voluptés, quand il s'agit de
Dieu, quelle parole, quelle pensée pourrait exprimer le bonheur
de l'âme ? Il n'y a que l'expérience qui le puisse. Afin donc
de connaître par expérience cette joie spirituelle , cette
vie heureuse, ce trésor inépuisable de biens, quittons tout,
attachons-nous à cet amour, et pour notre propre bonheur et pour
la gloire du Dieu qui en est l'objet; car la gloire et l'empire sont à
lui , comme au Fils unique et au Saint-Esprit, maintenant et toujours,
et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMELIE X. C'EST POURQUOI, COMME LE PÉCHÉ EST ENTRÉ
DANS LE MONDE PAR UN SEUL HOMME, ET LA MORT PAR LE PÉCHÉ,
AINSI LA MORT A PASSÉ DANS TOUS LES HOMMES PAR CELUI EN QUI TOUS
ONT PÉCHÉ. (V, 12, JUSQU'A VI, 4.)
Analyse.
1. Par Adam, le péché et la mort entrèrent dans le monde; par Jésus-Christ; nous obtenons le pardon de nos péchés et la félicité éternelle.
2. Avec le péché originel la grâce efface encore tous les autres. — La justice est la racine de la vie..
3 et 4. La loi de Moise ne pouvait remédier à la ruine qui était une suite du péché d'Adam ; bien plus, depuis cette loi le péché régna avec encore plus de force; mais par Jésus-Christ, le règne de la grâce est devenu plus étendu et plus fort que celui du péché.
5 et 6. Etat d'une âme qui se néglige et qui retourne après sa conversion,à sa première vie. — Bonté et charité de Dieu envers ceux qui se convertissent. — Artifices du démon pour perdre les âmes.
1. Comme les bons médecins s'attachent toujours à trouver la racine des maladies et remontent à fa source même du mal, ainsi fait le bienheureux Paul. Après avoir dit que nous sommes justifiés et l'avoir prouvé par le patriarche, par l'Esprit, par la mort du Christ (car il ne serait pas mort, si ce n'eût été pour nous justifier), il confirme encore ces preuves par des démonstrations prises à une autre source ; et prenant le sujet en sens contraire, c'est-à-dire au point de vue de la mort et du péché, il se demande comment et par où la mort est entrée et comment elle a établi sols empire. Comment donc la mort est-elle entrée, et comment a-t-elle établi son empire? Par le péché d'un seul homme. Mais que (256) veulent dire ces mots: " En qui tous ont péché? " Adam étant tombé, ceux mêmes qui n'avaient pas mangé du fruit de l'arbre sont tous devenus mortels à cause de lui. " Car le péché a été dans le monde jusqu'à la loi; mais le péché n'était pas imputé, lorsque la loi n'existait pas (13) ".
Par ces expressions : " Jusqu'à la, loi " , quelques-uns pensent que l'apôtre désigne le temps qui a précédé la promulgation de la loi : soit l'époque d'Abel , de Noé , d'Abraham , jusqu'à la naissance de Moïse. Quel était donc alors le péché? Quelques-uns pensent qu'il s'agit ici du péché commis dans le paradis . car alors, dit-on, il n'était pas encore développé. , mais son fruit apparaissait seulement dans sa fleur, et c'est lui qui a introduit la mort, laquelle exerçait sur tous, son empire tyrannique. Pourquoi donc l'apôtre ajoute-t-il : " Mais le péché n'était pas imputé , lorsque la loi n'existait pas?" D'après l'objection des Juifs (dit-il), ceux qui partagent notre sentiment prétendent que l'apôtre a voulu dire : S'il n'y avait pas de péché avant la loi, comment la mort a-t-elle frappé ceux qui vivaient avant la loi ? Mais ce que je vais dire me semble plus raisonnable, et plus conforme à la pensée de l'apôtre. Qu'est-ce donc? Après avoir dit que le péché a été dans le monde jusqu'à la loi, il me semble dire que, la loi une fois donnée, le péché né de la transgression , a établi son empire et l'a conservé tant que la loi a existé: car, selon lui , le péché ne pourrait subsister, si la loi n'était plus. Mais, dira-t-on , si c'est le péché né de la transgression qui a engendré la mort, pourquoi ceux qui vivaient avant la loi sont-ils tous morts? Si la mort a sa racine dans le péché, si le péché n'est pas imputé quand il n'y a pas de foi, comment la mort a-t-elle établi son empire? Evidemment parce que ce n'est pas le péché né de la transgression de la loi , mais celui de la désobéissance d'Adam, qui a tout perdu. Et quelle en est la preuve? C'est que tous ceux qui ont vécu avant la loi sont morts. " Mais la mort ", nous dit-il, " a régné depuis Adam jusqu'à Moïse, même sur ceux qui n'avaient point péché". Comment a-t-elle régné? " Par une prévarication semblable à celle d'Adam qui est la figure de celui qui doit venir (14) ".
Voilà pourquoi Adam est le type du Christ. Comment cela, direz-vous? Parce que, comme Adam, en mangeant du fruit défendu, est devenu la cause de la mort de ses descendants, bien qu'ils n'eussent point goûté du fruit de l'arbre ; ainsi le Christ est devenu pour ses fils, même prévaricateurs, l'auteur de la justice qu'il nous a procurée à tous par sa croix. C’est pourquoi Paul insiste partout et toujours sur ce point et le ramène sans cesse sous les yeux, en disant : " Comme le péché est entré dans le monde par un seul homme " ; et encore : " Beaucoup sont morts par le péché d'un seul homme " ; puis : " Il n'en est pas de la grâce comme du péché " ; puis : " Le jugement de condamnation vient d'un seul "; et encore: " Car si par le péché d'un seul la mort a régné par un seul ". Et : "Ainsi donc, comme par le péché d'un seul "; puis derechef : " De même que par la désobéissance d'un seul homme beaucoup ont été constitués pécheurs ". Il ne perd point de vue ce seul homme; afin que quand le Juif vous dira : Comment, le Christ seul ayant mérité, le monde entier est-il sauvé ? vous puissiez lui répondre : Comment, Adam seul ayant désobéi, le monde entier a-t-il été condamné?
Quoique du reste le péché ne soit point l'égal de la grâce, ni la mort de la vie, ni le démon de Dieu, mais qu'il y ait entre eux une distance infinie; quand donc c'est de la nature des choses, et de la puissance de celui qui entreprend, et de la convenance (car il convient mieux à Dieu de sauver que de punir); quand c'est de tout cela, dis-je , que le triomphe et la victoire prennent naissance : quelle raison, dites-moi, quand il dit : " Mais il n'en est. pas de la grâce comme du péché. Car si par le péché d'un seul beaucoup sont morts, bien plus abondamment la grâce et le don de Dieu, par la grâce d'un seul homme , Jésus-Christ, se sont répandus sur un grand nombre (15) ". C'est-à-dire : Si le péché , et le péché d'un seul homme, a au tant de pouvoir; comment la grâce, et la grâce de Dieu, et non-seulement du Père, mais aussi du Fils, ne serait-elle pas de beaucoup plus puissante? Car cela est bien plus raisonnable. En effet, que l'on soit puni pour un autre, cela ne semble pas juste; mais que l'on soit sauvé par un autre, c'est bien plus convenable et bien plus raisonnable. Or si l'un a eu lieu, à plus forte raison l'autre.
2. C'est ainsi que Paul prouve que c'est convenable et raisonnable, et, cela prouvé, il (257) n'y a plus de difficulté à l'admettre. Il s'attache ensuite à prouver que cela, était nécessaire : Comment cela? " Il n'en est pas ", dit-il, " du don comme du péché : car le jugement de condamnation vient d'un seul ; tandis que la grâce de la justification délivré d'un grand nombre de péchés (16) ". Qu'est-ce que cela signifie? Qu'un seul péché a pu amener la mort et la condamnation; tandis que la grâce a effacé non-seulement ce péché , mais tous ceux qui ont été commis dans la suite. Et pour que, les mots " comme " et " tandis que" ne semblent pas établir une parité entre les biens et les maux, et que vous ne pensez pas, en entendant parler d'Adam, que, son péché seul a été effacé, il dit que beaucoup de péchés ont- été remis. Quelle eu est la. preuve? C'est qu'après les innombrables péchés commis à la suite de celui du paradis, tout a abouti à la justification. Or, partout où est la justice , la vie et les biens infinis se trouvent nécessairement, comme partout où est le péché, la est la mort.
En effet la justice est plus que la vie; puisqu'elle est la racine de la vie. Mais que beaucoup de biens aient été procurés, et que, outre le péché d'Adam, tous les autres aient été effacés, l'apôtre le prouve en disant : " La grâce de la justification délivre d'un grand nombre de péchés ". D'où suit cette conséquence nécessaire, que la mort a été radicalement détruite. Mais comme il a affirmé que la justice est plus que la vie, il faut encore qu'il le prouve. D'abord il a dit : Si le péché d'un seul nous a donné la mort à tous, à bien plus forte oraison la grâce d'un seul pourra-t-elle nous sauver; ensuite il a fait voir que la grâce n'a pas seulement effacé le péché d'Adam , mais encore tous les autres : que non-seulement les péchés ont été effacés , mais que la justice a été donnée; que non-seulement le Christ a fait autant de bien qu'Adam avait fait de mal, mais qu'il. en a fait beaucoup plus. Après de telles affirmations, il a besoin ici l'une preuve plus forte. Comment la donne-t-il? " Si par le péché d'un seul "; dit-il, "la mort a régné par un seul, à plus forte raison a ceux qui reçoivent l'abondance de la grâce et du don de la justice régneront dans la vie par un seul , Jésus-Christ (l7) ".
Ce qui veut dire : Qu'est-ce qui a armé la mort contre le monde entier ? La faute commise par un seul homme en mangeant du fruit défendu. Si donc la mort a acquis une telle puissance par suite d'une seule faute, lorsqu'on en voit quelques-uns recevoir une grâce et une justice bien plus grande que ce péché, comment pourront-ils encore être sujets à la mort? Voilà pourquoi il ne dit pas ici : La grâce, mais " L'abondance de la grâce " car nous n'avons pas seulement reçu la mesure de grâce nécessaire pour l'abolition du péché , mais beaucoup plus. En effet nous avons été délivrés du châtiment, nous avons dépouillé toute matière, nous avons été régénérés d'en-haut , nous sommes ressuscités après avoir enseveli le vieil homme, nous avons été rachetés et sanctifiés, nous avons été amenés à l'adoption et justifiés , nous sommes devenus les frères du Fils unique , nous avons été établis ses cohéritiers , les membres de son corps, nous lui avons été unis comme le corps l'est à la tête. Tout cela forme ce que Paul appelle l'abondance de la grâce : indiquant que nous n'avons pas seulement reçu le remède capable de guérir notre blessure; mais aussi la santé, la beauté, l'honneur, la gloire, des dignités bien au-dessus de notre nature. Et chacune. de ces choses suffisait par elle-même à détruire la mort; mais quand toutes sont réunies, on n'aperçoit pas même la trace, pas même l'ombre de la mort, qui a complètement disparu. Si quelqu'un jetait en prison un homme qui lui devrait dix oboles, et, avec lui et à cause de lui, sa femme, ses enfants et ses domestiques;. puis qu'un autre survint et payât non-seulement les dix oboles, mais y ajoutât en pardon dix mille talents d'or, conduisit ensuite le prisonnier dans un palais, le plaçât sur un trône élevé, le fit participer aux honneurs suprêmes et l'environnât d'éclat : celui qui aurait prêté les dix oboles n'oserait plus y penser. Ainsi en est-il de nous. Le Christ a payé beaucoup plus que nous ne devions ; c'est un immense océan vis-à-vis d'une goutte d'eau.
Ne doutez donc plus, ô homme, à l'aspect de tant de trésors, et ne demandez plus comment l'étincelle de la mort et du péché s'est éteinte au milieu de cette mer de grâces. C'est à. cela que Paul faisait allusion quand il disait : "Ceux qui ont reçu l'abondance de la grâce et de la justice, régneront dans la vie " ; et après l'avoir clairement démontré, il revient à son premier raisonnement et le comme par répétition en disant que : si d'une part (258) tous ont été punis pour le péché d'un seul, de l'autre, tous ont pu être aussi justifiés par un seul. C'est pourquoi il ajoute.: " Comme c'est donc par le péché d'un seul que tous les hommes sont tombés dans la condamnation, ainsi c'est par la justice d'un seul que tous les hommes reçoivent la justification de la vie ". Et il insiste encore là-dessus en ces termes : " Car de même que par la désobéissance d'un seul. homme beaucoup ont été constitués pécheurs, de même aussi par l'obéissance d'un seul, beaucoup sont constitués justes(19, 19) ". Ces paroles semblent soulever une question assez grave; mais avec un peu d'attention, on la résoudra sans peine. Quelle est donc cette question? C'est que l'apôtre affirme que beaucoup sont devenus pécheurs par la désobéissance d'un seul. Qu'un homme ayant péché et étant devenu mortel , ses descendants le. soient aussi, il n'y a rien là d'invraisemblable : mais qu'on détienne pécheur par la désobéissance d'un autre, est-ce logique? Il semble que personne ne peut être puni que pour une faute personnelle.
3. Que signifie donc ici ce mot " pécheurs? " c'est-à-dire, ce me semble, sujets au :châtiment et condamnés à mort. Qu'après la mort d'Adam nous soyons tous devenus mortels, l'apôtre l'a prouvé clairement et de plus d'une façon; mais la question est de savoir pourquoi il en est ainsi. Il ne le dit pas encore, parce que le sujet actuel ne le comporte pas : il combat ici le Juif qui élève des doutes et se moque de la justice obtenue par un seul. C'est pourquoi, après avoir montré que le châtiment s'est, transmis d'un seul homme. à tous, il n'en donne point encore la raison : car il n'aime pas les paroles inutiles et ne s'attache qu'au nécessaire. La loi de la discussion ne l'obligeait pas plus que le Juif à résoudre cette difficulté; aussi la laisse-t-il. sans solution que si quelqu'un de vous désire Dette solution, nous lui répondrons que bien loin de souffrir de la mort et de la condamnation, nous gagnons beaucoup, si nous sommes sages, à être devenus mortels : d'abord de ne pas pécher dans un corps immortel; secondement, de trouver là mille motifs d’être sages. — En effet, la mort toujours présenté, toujours attendue, nous engage à être modérés, à être chastes, à nous contenir, à nous dégager de tous les vices. En outre, elle nous procure d'autres biens en grand nombre et plus considérables que ceux-là. Delà, en effet, les couronnes des martyrs, les palmes des apôtres ; par là Abel fut justifié et aussi Abraham après avoir immolé son fils; par là Jean fut tué pour le christ; par là les trois enfants et Daniel triomphèrent. Si nous le voulons , non-seulement la mort, mais pas même le démon ne pourra nous nuire: Outre cela il faut encore dire que l'immortalité nous attend; qu'après quelque temps d'épreuve, nous jouirons, en sécurité. des biens à venir ; qu'exercés dans cette vie, comme à une école, par la maladie, l'affliction, la tentation, là pauvreté et fout ce qui semble être un mal, nous deviendrons aptes a posséder ces biens futurs.
" Mais la loi est survenue pour que le péché abondât (20)". Après avoir montré que le inonde à été condamné à cause d'Adam, puis sauvé et délivré de la condamnation par le Christ, il s'occupe très-à-propos de la loi et réfute l'opinion qu'ils en avaient. Non-seulement, leur dit-il, elle n'a servi à rien, non-seulement elle n'a été d'aucun secours, mais en survivant elle n'a fait qu'augmenter la maladie. —Le mot " Pour que " ne désigne point ici là cause, mais le résultat. Car elle n'a point été donnée pour augmenter le péché, mais pour le diminuer,et le détruire; cependant le contraire est arrivé, non par la nature même de la loi, mais parla lâcheté de ceux qui l'ont reçue. Pourquoi ne dit-il pas: La loi a été donnée, mais " La loi est survenue? " Pour indiquer que son utilité n'était que momentanée, et non majeure ni de première importance; ce qu'il exprime déjà, mais d'une autre manière, dans son épître aux Galates : "Car avant que la foi vînt, nous étions sous la garde de la loi, réservés pour cette foi qui devait être révélée ". (Gal. III, 23.) Ainsi ce n'était point pour elle-même, mais pour un autre, que la loi gardait le troupeau. En effet . comme les Juifs étaient grossiers,. dissolus, attachés aux seuls dons qu'ils recevaient, la loi leur a été donnée pour les convaincre de leurs péchés, pour leur faire voir clairement en quel état,ils se trouvaient, pour renforcer l'accusation et resserrer encore leur lien. Toutefois ne craignez pas : ce n'est pas pour aggraver le châtiment que ceci a lieu, mais pour mieux faire apparaître la grâce. Aussi l'apôtre ajoute-t-il : " Où, le péché abonde; la grâce a surabondé". Il ne dit pas: A abondé, mais : " A surabondé ". Car non-seulement (259) elle nous a délivrés du châtiment, mais elle nous a procuré la rémission des péchés et la vie, et tant d'autres avantages dont nous avons souvent parlé ; absolument comme si quelqu'un, non content de débarrasser un fiévreux de sa maladie, le rétablissait encore dans la fleur de l'âge, de la force et dès honneurs, ou comme si quelqu'un, non-seulement donnait à manger à un affamé; mais encore le comblait de richesse : et l'élevait au pouvoir suprême. Et comment, direz-vous, le péché a-t-il abondé? La loi renfermait des préceptes sans nombre; et comme il les ont tous violés , le péché a abondé. Voyez-vous quelle distance sépare la grâce de la loi? Celle-ci fut une aggravation de condamnation; celle-là est une surabondance de dons.
4. Après avoir parlé de l'ineffable amour de Dieu pour nous, il cherche le principe et la racine de la mort et de la vie. Quelle est la racine de la mort? Le péché. C'est pour cela qu'il dit: " Afin que, comme le péché à régné par la mort,. ainsi la grâce règne par la justice pour la vie éternelle par Jésus-Christ Notre-Seigneur (21) ". Il parle ainsi pour faire voir que le péché exerçait en quelque sorte le rôle de souverain , et que la,mort se tenait à ses ordres comme un soldat armé de par lui. Or, si le péché, armé la mort, il est clair que la justice qui efface le péché et qui est produite par la grâce, non-seulement désarme la mort, mais la détruit; et anéantit son empire, en ce que le sien est plus grand, elle qui a été introduite, non par un homme ni par le démon, mais par Dieu et par la grâce, qui dirige notre vie vers une fin meilleure et des biens infinis, et qui enfin, pour dire davantage encore; n'aura pas. de terme. La mort nous avait chassés de la vie présente : la grâce survenant ne nous l'a point rendue, mais nous en a donné une immortelle et éternelle, et le Christ est l'auteur. Ne doutez donc pas de la vie, puisque vous avez la justice: car la justice est plus grande que la vie, puisqu'elle en est la mère.
" Que dirons -nous donc? Demeurerons-nous dans le péché pour que la grâce abonde? A Dieu ne plaise. (VI,12.) Il revient ici à un sujet moral, sans dessein prémédité, pour lie pas paraître à charge et fatigant à un grand nombre, mais comme à une conséquence du dogme. S'il varie ainsi ses sujets pour les ménager, pour ne pas les irriter; (c'était ce qui lui faisait dire : " Cependant j'ai écrit ceci avec quelque hardiesse " (Rom. XV, 15), c'est qu'il leur eût semblé bien plus dur saris cette précaution. Après leur avoir donc fait voir la puissance de la grâce en ce qu'elle remet de grands péchés, il semblait avoir fourni aux insensés un motif pour pécher. En effet, ils auraient pu se dire : Si la gravité de nos péchés fait paraître la grâce plus grande, continuons à pécher afin que sa puissance éclate encore mieux. Pour empêcher qu'on ne parle ou qu'on ne pense ainsi, voyez comme il détruit l'objection , d'abord par .cette négation : " A Dieu ne plaise ! " expression qui s'applique ordinairement aux choses évidemment absurdes; ensuite en faisant un raisonnement auquel il n'a rien à répondre. Quel est-il? " Nous qui sommes morts au péché, comment y vivons-nous encore? " Que signifient ces mots : " Nous sommes morts.? " Ou que nous avions reçu notre arrêt, autant que, cela dépendait du péché; ou que, croyants et éclairés, nous sommes morts pour lui : ce dernier sens paraît préférable, comme la suite le fait voir. Et qu'est-ce que c'est qu'être mort au péché? C'est ne lui obéir en rien désormais, c'est ce que le baptême a, fait une fois : il nous a fait mourir au péché ; mais il faut que notre zèle nous maintienne toujours dans cet état, en sorte que, quand le péché nous commanderait mille choses nous n'en exécuterions aucune, mais que nous demeurions immobiles comme un mort.
Du reste, ailleurs il dit que c'est le péché qui est mort, mais son but est alors de prouver que la vertu est facile ; ici, afin d'éveiller l'auditeur, c'est lui qu'il veut faire mourir. Puis comme ses paroles étaient obscures, il les explique avec. plus de vivacité. " Ignorez-vous, mes frères ", leur dit-il, " que nous qui avons été baptisés dans le Christ, nous avons été baptisés en sa mort? Car nous avons été ensevelis avec lui par le baptême pour mourir (3, 4) ". Qu'est-ce que cela veut dire : " Nous avons été baptisés en sa mort?" Pour mourir comme il est mort lui-même: car le baptême est une croix. Ainsi ce que la croix et le sépulcre ont été pour le. Christ, le baptême l'est pour nous; quoique d'une manière différente; car le Christ est mort et a été enseveli dans sa chair, et nous devons être l'un et l'autre pour le péché, aussi. Paul ne dit-il point . " Entés," sur sa mort, mais " En la (260) ressemblance de sa mort (5) ". En effet il y a mort ici et là, quoique sur des sujets différents : pour le Christ, mort dans sa chair; pour nous morts au péché; mais celle-ci vraie comme celle là; néanmoins nous devons donner quelque chose de notre côté: aussi ajoute-t-il : "Afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous aussi nous marchions dans une nouveauté de vie".
Ici, en parlant d'une vie régulière, il insinue le dogme de la résurrection. Comment cela? Vous croyez, dit-il, que le Christ est mort et ressuscité ; croyez donc aussi pour ce qui vous regarde : car il doit y avoir entre Jésus-Christ et vous une entière ressemblance aussi bien dans la résurrection et dans la vie, que dans la croix et dans la sépulture. Si vous avez participé à la mort et à la sépulture, à bien plus forte raison aurez-vous part à la résurrection et à la vie : la question principale, celle du péché, étant résolue, il n'y a plus de doutes à élever sur la question secondaire, celle de la destruction de la mort. Mais Paul abandonne cela pour le moment aux réflexions et à la conscience de ses auditeurs ; pour lui, en présence de la résurrection future, il en demande de nous une autre : une nouvelle vie en ce monde, par le changement de nos mœurs. Quand l'impudique devient chaste, l'avare généreux, le violent pacifique : alors il y a résurrection, prélude de la résurrection future. Et comment y a-t-il résurrection ? En ce que le péché est mort, la justice ressuscitée, l'ancienne vie anéantie, la nouvelle vie, la vie des anges, en vigueur. Sous cette expression de vie nouvelle, il y a bien des changements , bien des conversions à chercher.
5. Pour moi je fonds en larmes et j'éclate. en gémissements, quand je. pense à la sagesse que Paul exige de nous, et à la lâcheté à laquelle nous nous abandonnons, revenant au vieil homme après, le baptême, retournant du côté de l’Egypte, nous rappelant les oignons après avoir mangé la manne. Dix jours, vingt jours après le baptême, nous voilà changés, nous revenons au passé. Ce n'est pas pendant un nombre de jours limités, même, pendant la vie et entière, que Paul exige de nous la régularité, et nous revenons à nos vomissements; après avoir été rajeunis par la grâce, nous redevenons vieillards par l'effet du péché. Car l'amour des richesses, le joug des passions déréglées, en un mot toute espèce de péché vieillit ordinairement celui qui le commet; or de l'âge avancé, de la, vieillesse à la mort, il n'y a qu'un pas. Car, aucun corps miné par le temps, non, aucun, ne saurait offrir l'image d'une âme corrompue, accablée par la multitude de ses péchés. Du reste elle est amenée au dernier degré de l'idiotisme, ne disant plus que des choses insignifiantes, à la manière des vieillards et des personnes en délire; sujette à la pituite, à la stupidité, à l'oubli, à la chassie, odieuse aux hommes, facile à vaincre pour le démon : tel est l'état de l'âme des pécheurs. Il en est tout autrement des âmes des justes.
Pleines de jeunesse et de vigueur, elles sont toujours à la fleur de l'âge, prêtes, au combat et à la lutte; tandis que celles des pécheurs tombent au premier choc et périssent. C'est ce que déclare le prophète, quand il dit : " Comme la poussière que le vent soulève de la surface de la terre ". (Ps. I.) Ainsi ils sont mobiles et livrés aux insultés du, premier venu, ceux qui vivent dans. le péché. Cardeur vue n'est pas saine, ils n'entendent pas clair, ils ne parlent, pas distinctement, il sanglotent et bavent beaucoup. Et plût au ciel qu'ils ne fissent que rejeter de la salive et point d'inconvenances ! mais ils profèrent des paroles plus puantes que la boue ; et, ce qu'il y a de pire, ils ne peuvent pas même en rejeter l'écume ; mais, chose horrible ! ils la reçoivent dans leurs mains, la pétrissent de nouveau quand elle est épaissie et dure. Peut-être ce tableau excite-t-il votre dégoût ; que serait-ce donc de la réalité ! Si tout cela est désagréable. dans le corps, à bien plus forte raison dans l'âme.
Tel était ce jeune homme qui avait dépensé tout son bien, et était descendu si bas dans le vice, qu'il était plus faible qu'un homme malade ou en délire. Mais, dès qu'il le voulut, il redevint jeune, par le seul fait de sa volonté et de son changement. Sitôt qu'il eut dit " Je retournerai chez mon père " (Luc. XV, 13), ce mot fut pour lui la source de tous les biens; ou plutôt ce ne fut pas ce mot seulement, mais aussi l'acte qui l'accompagna. En effet il ne se contenta pas de dire : " Je retournerai ", et de rester en place: niais il dit: " Je retournerai ", et il retourna, et il fit la route tout entière. Agissons de même ; fussions-nous sur la terre (261) étrangère, revenons à la maison paternelle et ne nous rebutons pas de la longueur du chemin. Si nous le voulons,. le retour sera facile et très prompt; seulement sortons de la terre d'exil, de la terre étrangère; or, cette terre c'est le péché, qui nous emmène loin de la maison de notre père; quittons donc le péché, pour rentrer vite ad domicile paternel. Car notre père est plein de tendresse, et si nous sommés changés, il ne nous aimera pas moins que ceux qui sont restés sages, il nous aimera même davantage ; puisque le père de l'Enfant prodigue lui fit plus d’honneur qu'à son aîné, et éprouva une joie plus vive pour l'avoir recouvré.
Mais comment retourner, direz-vous? Commencez seulement, et tout sera fait ; arrêtez-vous dans le vice, n'allez pas plus loin, et vous aurez tout recouvré. Comme, chez les malades, c'est commencer à mieux. aller que de ne pas aller plus mal, ainsi en est-il, dans le vice; n'allez i)as plus loin et votre malice aura son terme. Si vous faites' cela pendant deux jours, le troisième vous aurez plus de facilité à vous abstenir du mal; puis, à ces trois jours, vous en ajouterez dix, puis vingt, puis cent, puis toute votre vie. Car plus vous, avancerez, plus vous trouverez le chemin facile, et parvenu au faîte, vous jouirez d'une grande abondance de biens: Lorsque le prodigue revint, ce fut un concert de flûtes et de lyres, il y eut des choeurs, des danses et des fêtes ; celui qui avait le droit de demander compte à son fils de sa folle prodigalité et d'une si longue absence, n'en fit rien, le regarda même d'aussi bon oeil que s'il se fût bien conduit; non seulement ne lui fit aucun reproche en paroles, mais ne souffrit pas même qu'il rappelât le passé; l'embrassa, le combla de caresses, tua le veau gras, le revêtit de la robe et de toute sorte d'ornements.
Nous qui avons ces exemples sous les yeux, prenons donc courage et ne désespérons pas. Car Dieu n'a pas autant de plaisir a être appelé Maître que Père, ni à avoir un serviteur qu'à avoir un fils; il aime mieux l'un que l'autre. Pour cela il atout fait, il n'a point épargné son ils unique, afin que nous recevions l'adoption et que nous l'aimions, non-seulement comme un maître, mais comme un Père. Et s'il obtient cela de nous, il en est comme glorieux et fier, il s'en vante à tout le inonde, lui qui n'a nul besoin de ce qui nous appartient.
C'est ce qu'il faisait à l'égard d'Abraham , répétant partout : " Moi, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob " ; c'était aux serviteurs à s'en féliciter; et c'est le Maître lui-même qui s'en glorifie. C'est pour cela qu'il dit à Pierre : " M'aimes-tu plus que ceux-ci ? " (Jean, XXI, 17) ; indiquant par là qu'il n'est rien qu'il désire davantage de notre part. Pour cela aussi, il ordonne à Abraham d'immoler son, fils, pour faire voir à tout le monde qu,'il est grandement aimé du patriarche. Or, le désir d'être vivement aimé provient lui-même d'un vif amour. Pour cela encore il disait à ses apôtres : " Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi; n'est pas digne de moi ". (Matth. X, 37.)
6. C'est pour cela qu'il exige que ce que noirs avons de plus cher; notre âme, ne tienne .que le second rang après son amour, parce qu'il veut être souverainement aimé de nous. Quand nous n'aimons pas vivement quelqu'un, nous ne nous soucions pas beaucoup de son amitié, fût-il d'ailleurs grand et glorieux ; ruais quand nous aimons. véritablement, vivement, ne fût-ce qu'un homme de basse condition; de peu de valeur, nous tenons à grand honneur d'être payés de retour. C'est pourquoi le Christ donnait le nom de gloire, non-seulement à: l'amour que nous lui portons mais aux opprobres qu'il a soufferts à cause de nous. Or, l'amour seul leur donnait ce caractère; tandis que ce que nous souffrons pour lui mérite d'être appelé glorieux, et l'est réellement; non-seulement à cause de l'amour qui l'inspire, mais à cause de la grandeur, et de la dignité de celui que nous aimons.
Pour lui, courons donc aux périls comme à de magnifiques couronnes , et ne regardons point comme choses pénibles et désagréables; la pauvreté, la maladie, les injures,. la calomnie, dès que nous les supportons à cause de lui. Si nous sommes sages, nous tirerons de tout cela de très-grands profits ; et si nous ne le sommes pas, nous ne recueillerons aucun avantage de la situation contraire. Examinez un peu : quelqu'un vous injurie et vous fait la guerre? Il vous oblige par là à vous tenir sur vos gardes, et vous donne l'occasion de ressembler à Dieu. Si vous aimez l'homme qui vous tend des pièges, vous serez semblable à celui " qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons ". (Matth. V, 45.) Un autre vous enlève votre fortune ? Si vous le (262) supportez avec courage, vous recevrez la même récompense que ceux qui ont tout donné aux pauvres. " Car ", nous dit Paul; " vous avez supporté avec joie l'enlèvement de vos biens, sachant que vous avez une richesse meilleure et permanente ". (Heb. X, 34.)
Quelqu'un a mal parlé de vous et vous a déshonoré? Que cela soit vrai, que cela soit faux, si vous supportez. l'injure avec douceur, on vous a tressé une magnifique couronne. D'une part, le calomniateur nous procure une grande récompense. [" Réjouissez-vous ", est-il écrit, " et tressaillez de joie, quand on a dit faussement toute sorte de mal de vous, parce que votre récompense est grande dans les cieux] " (Matth. V, 12) ; de l'autre, celui qui dit la vérité nous est aussi très-utile, pourvu, que nous la supportions avec patience. En effet, le pharisien était dans le vrai en parlant mal du publicain, et pourtant, du publicain il a fait un juste. Qu'est-il besoin d'entrer dans plus de détails? On. peut tout apprendre là-dessus, en étudiant attentivement l'histoire de Job. C'est ce qui fait dire à Paul : " Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? " (Rom. VIII, 31.} Comme, avec du zèle, nous tirons parti de ceux mêmes qui nous affligent; ainsi, par, notre lâcheté, nous ne profitons pas de ceux qui veulent nous être utiles. En quoi, je vous prie, a servi à Judas la compagnie du Christ? En quoi la loi a-t-elle été utile aux Juifs? A Adam, le paradis? Moïse, à ceux qui étaient dans le désert?
C'est pourquoi, laissant de côté tout le reste nous ne
devons nous attacher qu'à une chose; à bien régler
notre vie; et alors, le démon lui-même ne pourra bous vaincre;
il nous deviendra au contraire très-utile, en nous obligeant à
veiller sur nous. C'était en dépeignant sa cruauté,
que Paul réveillait les Ephésiens. Mais nous, nous dormons,
nous ronflons, quoiqu'en présence d'un si méchant ennemi.
Si nous savions qu'un serpent est caché près de notre lit,
nous mettrions tout en oeuvre pour le tuer; le démon est caché
dans nos âmes, et nous ne croyons pas nous en trouver mal, et nous
succombons. La raison en est que nous ne le voyons pas des yeux du corps;
et pourtant ce devrait être un motif de plus pour veiller et nous
tenir sur nos gardes. il est facile en effet de se précautionner
contre un ennemi visible; mais nous échappons difficilement à
l'ennemi invisible, à moins que nous ne soyons armés de toutes
pièces, surtout parce qu'il n'attaque jamais directement, (autrement
il serait bientôt pris), et qu'il ingère souvent son cruel
poison sous le masque de l'amitié. Ainsi il détermina la
femme de Job à donner son pernicieux conseil, sous l'apparence d'une
vive affection; ainsi, en s'adressant à Adam, il feint de vouloir
lui être utile et de prendre à coeur ses intérêts
: " Vos yeux s'ouvriront du jour où vous aurez mangé du fruit
de cet arbre ". (Gen. III, 5.) Ainsi, sous prétexte de piété,
il persuada à Jephté d'immoler sa fille, d'offrir un sacrifice
criminel. Voyez-vous ces piéges? Voyez-vous des aises de guerre
? Tenez-vous donc en garde, revêtez-vous de pied en cap des armes
spirituelles, étudiez soigneusement ses machines de guerre, afin
qu'il né puisse vos surprendre et que vous puissiez facilement le
déjouer. C'est ainsi que Paul, savant dans cet art, a su le vaincre.
Aussi disait-il : " Car nous n'ignorons pas ses desseins ". (II Cor. II,
11.) Tâchons donc, nous aussi, de connaître et d'éviter
ses embûches, afin qu'après en avoir triomphé, nous
soyons proclamés vainqueurs dans ce monde et dans l'autre, et que
nous obtenions les biens immortels par la grâce et la bonté
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire, l'empire, l’honneur,
appartiennent au Père comme au Saint-Esprit, maintenant et toujours,
et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XI. SI, EN EFFET, NOUS AVONS ÉTÉ ENTÉS
EN LA RESSEMBLANCE DE SA MORT, NOUS LE SERONS AUSSI EN CELLE DE SA RÉSURRECTION.
(VI, 5, JUSQU'A 18.)
Analyse.
1. Quoique par Jésus-Christ la grâce ait pris un empire d'autant plus grand que le péché était plus puissant, il ne s'ensuit pas que celui qui a été justifié par la vraie foi, doive continuer de pécher; loin de là, la justification par la foi implique une vie sainte.
2. C'est ce que signifie le baptisme, qui est une figure de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ, et qui ainsi nous engage à nous défaire du péché, et à commencer une vie nouvelle et sainte. Jésus-Christ est venu redresser la volonté et non changer la nature.
3. Le corps est comme une arme dans la main de la volonté qui peut en faire un usage bon on mauvais.
4. Et cette vie de sainteté doit être durable, parce que Jésus-Christ vit désormais d'une vie immortelle, et elle peut l'être, parce que le péché ne domine plus sur nous, attendu que nous ne sommes plus sous la loi pure, mais que nous sommes devenus participants aux trésors de grâces de Jésus-Christ.
5. Qu'il y a divers genres, de mort.
6. Le pécheur ne comprend pas sa misère. — Contre la superfluité des ameublements.
1. Je l'ai déjà dit plus haut et je le répète encore aujourd'hui : l'apôtre fait souvent des digressions dans la morale , non cependant comme dans ses autres épîtres; qu'il divise en deux parties : l'une destinée aux dogmes ; et l'autre à la direction des moeurs. Ici il ne procède point de même; mais il passe alternativement de l'un à l'autre genre, afin de faire accepter facilement ses paroles. Il déclare donc qu'il y a deux espèces de mort : lune opérée par le Christ dans le baptême, et l'autre qui doit être le résultat de nos propres efforts. En effet, que nos anciens péchés aient été ensevelis, c'est là le don de Dieu ; mais qu'après le baptême nous restions morts au péché, ce doit être l'œuvre , de notre zèle, quoique nous y voyions encore en très-grande partie le secours divin, non-seulement le baptême a la vertu d'effacer les péchés passés, mais il nous prémunit encore contre les péchés à venir. Comme donc vous avez apporté la foi pour effacer les premiers, ainsi montrez dans la suite un changement de volonté, afin de ne pas vous souiller de nouveau. Ce sont ces conseils et. d'autres semblables que l'apôtre donne, en disant : " Si, en effet, nous avons été entés en la ressemblance de sa mort, nous le serons aussi en celle de sa résurrection ". Voyez-vous comme il relève son auditeur, en l'amenant tout d'abord à son maître et en s'efforçant de faire voir entre eux, beaucoup de traits de ressemblance? C'est pour cela qu'il ne dit point : En sa mort, de peur qu'on ne le contredise : " Mais en la ressemblance de sa mort " ; car,notre substance n'est pas morte, mais bien l'homme né du péché, c'est-à-dire le vice. Il ne dit point non plus: Si nous avons participé à la ressemblance de sa mort; que dit-il donc? " Si en effet nous avons été entés ", indiquant par ce mot " Entés ", les fruits que cette mort a produits en nous. Car comme le corps du Christ enseveli en terre a produit pour fruit le salut du monde, ainsi le notre enseveli dans le baptême a produit pour fruit la justice , la sanctification, l'adoption, des biens sans nombre, et produira en dernier lieu le don de la résurrection.
Mais comme nous avons été ensevelis dans l'eau et lui dans. la terre, nous par rapport au péché, et lui par rapport à son corps, l'apôtre ne dit pas : Entés en sa mort; mais
" Entés en la ressemblance de sa mort " : car (264) il y a mort ici et là, mais non dans le même sens. Si donc, nous dit-il, nous avons été entés en sa mort, nous le serons aussi en sa résurrection; il parle ici de sa résurrection future. Plus haut, quand il parlait de la mort et qu'il disait : " Ignorez-vous, mes frères, que nous tous qui avons été baptisés dans le Christ, nous avons été baptisés en sa mort? " il ne s'est point expliqué clairement sur la résurrection, mais seulement sur le genre de conduite à tenir après le baptême, prescrivant de marcher dans une vie nouvelle ; c'est pourquoi reprenant ici le même sujet, il nous annonce enfin la résurrection future. Et pour vous convaincre que c'est bien de cette résurrection qu'il s'agit, et non de celle par le baptême, après avoir dit: " Si en effet nous avons été entés en la ressemblance de sa mort ", il n'ajoute point: Nous le serons en la ressemblance de sa résurrection, mais bien : " En sa résurrection " ; de peur que vous ne disiez " Comment ressusciterons-nous comme lui, si nous ne sommes pas morts comme lui ? Quand il a parlé de la mort, il n'a pas dit: Entés en sa mort, mais : " En la ressemblance de sa mort" ; puis quand il parle de la résurrection, il ne dit pas : En la ressemblance. de sa résurrection : mais, nous le serons en sa résurrection même. Il ne dit pas non plus : Nous avons été, mais : " Nous serons ", indiquant encore une fois par cette expression qu'il s'agit de la résurrection future, de celle qui n'a pas encore eu lieu. Et voulant rendre sa parole digne de foi; il parle ici de la résurrection qui précède la dernière, afin de vous faire croire à celle-ci par celle-là. Car après avoir dit que nous serons . entés en sa résurrection, il ajoute : " Sachant bien que notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché soit, détruit", indiquant en même temps la résurrection future et sa cause,
il ne dit pas : A été crucifié, mais : " A été crucifié avec lui ", rapprochant ainsi le baptême de la croix. Aussi disait-il plus haut : " Nous avons été entés en la ressemblance de sa mort, afin que le corps du péché soit détruit ", appliquant cette expression, non à notre corps, mais à toute espèce de vice. En effet comme il donne le nom de vieil homme à toute espèce de vice (Cor. III, 9), ainsi appelle-t-il corps du vieil homme cet ensemble de malice formé des diverses formes du péché. Et pour que vous ne preniez point ceci pour une conjecture , écoutez Paul s'expliquant lui-même dans ce qui suit. Car après avoir dit " Afin que le corps du péché soit détruit ", il ajoute : " Et que désormais nous ne soyons plus esclaves du péché ". Je veux que l'homme soit mort au péché, non en ce sens qu'il cesse de vivre et meure réellement, mais en ce sens qu'il ne pèche plus, Et allant plus loin, il dit encore plus clairement : " Attendu que celui qui est mort, est justifié du péché (6; 7) ". Et il dit de tout homme : Que comme celui qui est mort, cesse enfin de pécher puisqu'il est étendu sans vie, ainsi en doit-il être de celui qui sort du baptême, parce que, étant mort là une fois; il doit rester mort au péché boute sa vie.
2. Si donc vous êtes mort dans le baptême, restez mort : car quiconque est mort, ne peut plus pécher; et si vous péchez encore, vous gâtez le don de Dieu. Après avoir exigé de nous une si; grande sagesse, il nous montre aussitôt la couronne; en, disant : " Si donc nous sommes morts avec le Christ ". Avant le dernier couronnement, c'est déjà une très-belle couronné d-'étre en communauté avec le maître. Et pourtant, nous dit-il, je vous propose une autre récompense, laquelle? La vie éternelle : " Nous croyons que nous vivrons aussi avec lui ". Et quelle en est la preuve? " Sachant bien que le Christ, ressuscité des morts, ne meurt plus" . Voyez encore la ténacité de Paul et comme il prouve ceci par les contraires ! Comme il était probable que ces doctrines de croix et de mort jetteraient le trouble chez quelques-uns, il démontre que c'est là même ,qu'il faut puiser des motifs de confiance. N'allez pas vous imaginer, leur dit-il, que parce qu'il est mort une fois, le Christ soit mortel; c'est pour cela même qu'il reste immortel ; car sa mort est devenue la mort de la mort : c'est parce qu'il est mort qu'il ne .meurt plus; puisque, par cette mort: " Il est mort pour le péché (8-10) ". Qu'est-ce que cela veut dire : " Pour le péché? " Cela veut dire que, n'ayant pas commis le péché, il est mort pour les nôtres. Il est mort pour détruire le péché, pour briser ses nerfs et toute sa puissance.
Voyez vous comme il les épouvante? Car si le Christ e meurt pas une seconde fuis, il n'y pas de second baptême; et s'il n'y a pas de second baptême, ne vous laissez plus aller au péché. Il dit tout cela pour combattre cette (265) erreur. " Faisons le mal pour qu'il en arrive du bien " ; et encore : " Nous persévérerons dans le péché pour que la grâce abonde ". Son but ici est donc de détruire radicalement cette opinion. " S'il vit ", dit-il, " il vit pour Dieu " : c'est-à-dire, il est indissolublement uni à la vie, en sorte que la mort ne peut plus exercer sur lui son empire. Car si, quoique innocent, il est mort une première fois pour les péchés d'autrui, à bien plus forte raison ne mourra-t-il plus, puisqu'il a détruit le péché. C'est ce que dit encore l'apôtre dans son épître aux Hébreux : " Car il a paru une seule fois à. la consommation des siècles, pour détruire le péché , en se faisant lui-même victime. Et comme il est décrété que tous les hommes doivent mourir une fois, le Christ offert une fois pour effacer les péchés d'un grand nombre , apparaîtra une seconde fois, sans avoir plus rien du péché, aux yeux de ceux qui l'attendent pour leur salut ". (Héb. IX, 26-28.) Il montre tout à la fois la valeur d'une vie selon Dieu, et, la puissance du péché : la valeur d'une vie selon Dieu, en ce qu'elle n'est plus sujette à la mort; la puissance du péché, puisque, s'il a pu faire mourir celui qui était innocent, comment ne perdrait-il pas les coupables? Ensuite, comme. il a parlé de la vie du Christ, de peur qu'on ne dise ; Que nous importe ce qu'on dit la? Il ajoute : " Ainsi pour vous, estimez que vous êtes morts au péché, mais vivants à Dieu dans le Christ Jésus Notre-Seigneur". Il a raison de dire : "Estimez", parce qu'il n'est pas encore possible de rendre ce qu'il vient de dire, visible aux yeux. Et qu'estimerons-nous, demande-t-il? Que " Nous sommes morts au péché, mais vivants à Dieu dans le Christ Jésus Notre-Seigneur". En effet celui qui vit de la sorte, possédera toutes les vertus; ayant Jésus pour auxiliaire dans le combat : c'est le sens de ces mots " dans le Christ ". Si en effet le Christ nous a ressuscités quand nous étions morts, à plus forte raison pourra-t-il nous conserver en vie.
" Que le péché donc ne règne point dans a votre corps mortel, en. sorte que vous obéissiez à ses convoitises (11, 12) ". Il ne dit pas : Que la chair ne vive pas, qu'elle n'agisse pas; mais : "Que le péché ne règne pas "; car le Christ n'est pas venu détruire la nature, mais régler la volonté. Ensuite pour montrer que ce n'est point nécessairement ni par force , mais volontairement, que nous sommes esclaves du péché, il ne dit pas : Que le péché ne vous tyrannise point, ce qui emporterait l'idée de la violence, ruais " qu'il ne règne " point ". En effet il est absurde d'avoir le péché pour roi , quand on est destiné au royaume du ciel , de préférer l'esclavage du péché, quand on est appelé à régner avec le Christ; c'est comme si un roi, jetant bas son diadème, se faisait l'esclave d'une femme furieuse , mendiante et couverte de haillons. Ensuite comme il est difficile de vaincre le péché, voyez comme il s'efforce de faire disparaître cette difficulté et d'adoucir la peine , en disant : " Dans votre corps mortel ". Ce mot indique en effet que les combats sont passagers et auront bientôt leur fin ; et en même temps, il nous rappelle les maux passés, et la racine de la mort : car c'est par le péché que le corps est devenu mortel dès le commencement. Mais il est possible de ne point pécher, même quand on a un corps mortel. Voyez-vous comme la grâce du Christ est puissante? Adam , avec un corps qui n'était pas encore mortel, a failli ; et vous qui avez reçu un corps mortel, vous pouvez, être couronné. Mais comment, direz-vous, le péché règne-t-il? Ce n'est point par sa propre vertu, mais par l'effet de votre lâcheté. Aussi, après avoir dit: " Qu'il ne règne point ", Paul nous fait-il voir en quoi consiste cette royauté, quand il ajoute "En sorte que vous obéissiez à ses convoitises". Car ce n'est point un honneur de tout céder au corps librement; c'est au contraire le dernier degré de l'esclavage et du déshonneur. En effet, quand il fait ce qu'il veut, il perd toute liberté; lorsqu'on le contient, il conserve sa dignité propre : " N'abandonnez point vos membres au péché, comme des instruments d'iniquité , mais comme des instruments de justice (13) ".
3. Le corps est donc mitoyen entre le vice et la vertu, comme les armes elles-mêmes; il peut faire les oeuvres de l'un ou de l'autre, au gré de celui qui l'emploie. C'est ainsi que le soldat qui combat pour la patrie et le voleur qui attaque les habitants d'une maison, usent des mêmes armes : ce n'est pas la faute des armes elles-mêmes, mais de ceux qui en font un mauvais usage. C'est ce qu'on voit aussi dans la chair, qui devient ceci ou cela, selon la volonté de l'âme, et non par sa propre nature. Si vous considérez avec trop de curiosité (266) une beauté étrangère, votre oeil devient un instrument d'iniquité, non par une opération qui lui soit propre (car l'oeil est fait pour voir, et non pour voir diane manière criminelle) , mais par la malice de la pensée qui lui commande; si vous le retenez au contraire, il devient un instrument de justice. Ainsi en est-il de la langue, ainsi des mains et de tous les autres organes. C'est avec raison que l'apôtre appelle le péché, injustice ; car celui qui pèche est injuste envers lui-même ou envers le prochain , et. plus encore envers lui-même qu'envers le prochain. Puis nous ramenant du vice à la vertu, il nous dit : " Mais offrez-vous à Dieu , comme devenus vivants, de morts que vous étiez ". Voyez comme il emploie les termes simples pour exhorter, nommant là, le péché, ici Dieu. Après avoir montré la distance qui sépare ces deux souverains, il déclare indigne de tout pardon le soldat qui abandonne Dieu et désire être assujetti à l'empire du péché. Non content de cette preuve, il en donne encore une autre dans les paroles suivantes : " Comme devenus vivants, de morts que vous étiez ". Par là il fait voir le. tort causé par le péché et la grandeur du don de Dieu. Songez, leur dit-il, à ce que vous étiez et à ce que volts êtes devenus. Qu'étiez-vous? Morts, irrémédiablement perdus : car personne ne pouvait vous venir en aide. Et de morts que vous étiez, qu'êtes-vous devenus? Vivants d'une vie immortelle. Et par qui? Par Dieu qui peut tout. Il est donc juste que vous vous mettiez à ses ordres avec toute l'ardeur qu'on peut attendre de morts redevenus vivants. " Et vos membres à Dieu comme des instruments de justice ". Le corps n'est donc pas mauvais, puisqu'il peut devenir un instrument de justice. Il emploie le mot d'instrument (d'arme) pour indiquer qu'il s'agit d'une guerre terrible. Aussi avons-nous besoin d'une forte armure, d'une volonté généreuse parfaitement au courant de ce genre de combat, et surtout d'un chef. Or le chef est là , toujours prêt à nous seconder, à l'abri lui-même de toute atteinte ; et il nous a préparé des armes puissantes; mais il est besoin d'une volonté qui sache les manier convenablement, obéir au chef et combattre pour la patrie.
Après nous avoir exhorté à de si grandes choses, nous avoir parlé d'armes, de combat et de guerre, voyez comme il encourage encore le soldat et excite son ardeur, en disant : " Car le péché ne vous dominera plus, parce " que vous n'êtes. plus sous la loi, mais sous la grâce (14) ". Or, si le péché ne doit plus nous dominer, pourquoi donc nous faire tant de recommandation et nous dire : " Que le péché ne règne plus dans votre corps mortel"; et encore : " N'abandonnez point vos membres au péché comme des instruments d'iniquité? " Que signifie ce qu'il vient de dire? Ici il. répand pour ainsi dire sa parole comme une semence; il l'expliquera plus tard et l'appuiera de preuves nombreuses. Que dit-il donc? Avant la venue du Christ, notre corps tombait facilement sous le joug du péché. A la suite de la mort, un essaim de passions s'y était introduit; en sorte qu'il était peu apte à entrer dans la carrière de la vertu. L'Esprit n'était point encore là pour lui prêter secours, ni le baptême pour le mortifier; mais comme un cheval impatient du frein, il courait et s'égarait souvent; bien que la loi indiquât ce qu'il fallait faire et ce qu'il fallait éviter, elle n'aidait guère qu'en paroles ceux qui soutenaient la lutte. Mais depuis que le Christ a paru , le combat est devenu plus facile? Toutefois le secours étant plus abondant, les luttes proposées sont plus importantes. Aussi le Christ nous dit-il : " Si votre justice n'est plus abondante que celle des Scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux ". (Matth. V, 20.) Mais l'apôtre s'explique là-dessus plus clairement dans la suite; en attendant il y fait ici allusion en peu de mots, en montrant que le péché ne saurait nous vaincre , à moins que nous ne nous abandonnions entièrement nous-mêmes. Car nous ne sommes plus seulement sous l'empire de la loi, mais sous celui de la grâce , laquelle .remet le passé et fortifie pour l'avenir. La loi ne promettait la couronne qu'après le travail; la grâce couronne d'abord, puis mène au combat: Ici l'apôtre ne me semble pas faire allusion à la vie entière du fidèle, mais seulement établir la différence entre le baptême et la loi; ce qu'il exprime ailleurs en ces termes : " Or la lettre tue , tandis que l'Esprit vivifie ". (II Cor. III , 6.) Car la loi prouve la prévarication, mais la grâce l'efface. La loi donne lieu au péché en le condamnant, la grâce en le pardonnant, le détruit; en sorte que vous êtes doublement dégagé de ce joug tyrannique, en ce que vous n'êtes plus assujetti à la loi et que vous jouissez de la grâce.
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4. Après avoir ainsi fait respirer son auditeur, Paul le fortifie encore, en tirant un avertissement, d'une objection, dans les termes suivants : " Quoi donc? Pécherons-nous parce que nous ne sommes pas sous la loi, mais sous la grâce? A Dieu ne plaise ! " Il commencé par une négation, à raison de l'absurdité de la chose ; puis il en vient à une exhortation et montre que le combat est très-facile, en disant : " Ne savez-vous pas que , lorsque vous vous rendez esclaves de quelqu'un pour lui obéir, vous êtes esclaves de celui à qui vous obéissez , soit du péché pour la mort , soit de l'obéissance pour la justice (15,16)? " Je ne parle pas encore de l'enfer, leur dit-il , ni de ses affreux supplices; mais de la honte qui vous couvre quand vous êtes esclaves, et esclaves volontaires, et esclaves. du péché, et sans espoir d'une autre récompense que de mourir une seconde fois. Car si avant. le baptême, le péché avait produit la mort corporelle; si la blessure a exigé un tel .remède que le Maître de toutes choses a dû descendre pour mourir, et guérir ainsi le mal : quels effets le péché ne produira-t-il pas en vous , si, après un tel bienfait, après que vous avez recouvré la liberté, vous vous abandonnez de nouveau et volontairement à sa domination? Ne vous précipitez donc pas dans un tel abîme, ne vous livrez pas vous-mêmes. Dans les combats, souvent les soldats sont livrés malgré eux; mais ici personne ne vous vaincra, si vous ne passez vous-mêmes à l'ennemi. Après les. avoir fait rougir par un sentiment de décence, il les épouvante par les résultats du combat, qu'if met en face l'un de l'autre, la justice et la mort; non pas ,la mort ordinaire, mais une autre mort bien plus terrible. Car si le Christ ne meurt plus, qui rachètera de cette mort? Personne. Il faudra donc de toute nécessité subir le supplice ; et ce ne sera, plus, comme. ici, la mort sensible, qui sépare l'âme du corps et donne à celui-ci le repos : " Or le dernier ennemi détruit sera la mort ". (I Cor. XV, 26.) D'où il suit que le châtiment sera immortel, mais non pour ceux qui auront écouté la voix de Dieu : car pour eux la récompense sera la justice et tous les biens qui en dérivent.
" Mais grâces. soient rendues à Dieu de ce qu'ayant été esclaves du péché , vous avez obéi du fond du coeur à ce modèle de doctrine sur lequel vous avez été formés (17) ". Après les avoir fait rougir de leur ancien esclavage, puis effrayés et exhortés par l'aspect des récompenses, il les relève de nouveau par le souvenir des bienfaits qu'ils ont reçus. Par là il leur .fait voir qu'ils ont été délivrés de grands maux, mais non par leurs propres efforts , et que désormais ils rencontreront moins de difficultés. Comme un homme qui , ayant arraché un captif aux mains d'un cruel tyran, l'exhorterait à n'y plus retomber, et lui rappellerait son horrible esclavage ; ainsi Paul, tout en rendant grâces à Dieu , leur dépeint avec énergie les maux passés. Il n'était, leur dit-il, au pouvoir d'aucun être humain de nous délivrer de tous ces maux; mais grâces soient rendues au Dieu qui l'a voulu et qui l'a pu ! Il a raison de dire : " Votes avez obéi du fond du coeur "; car vous n'y étiez pas forcés , on ne vous a point fait violence , mais vous, avez rompu avec le mal librement, de bonne volonté. Il y a ici tout à la fois un éloge et un avertissement. En effet, puisque vous êtes venus spontanément, sans avoir subi aucune contrainte, quelle serait votre excuse , si vous retourniez à votre ancien état? Et pour vous faire comprendre que le résultat n'est point seulement dû à leurs bonnes dispositions, mais qu'il est entièrement l'oeuvre de la grâce, après avoir dit: " Vous avez obéi du fond du coeur ", il ajoute : " A ce modèle de doctrine sur lequel vous avez été formés ". L'obéissance du fond du coeur indique le libre arbitre; mais ce mot " être formés n insinue l'idée du secours de Dieu. Quelle est la marque de la doctrine ? Une vie réglée et parfaite.
" Ainsi affranchis du péché, vous êtes devenus esclaves de la justice (18) ". Il indique ici doux bienfaits de Dieu : il nous a délivrés du péché et soumis à la, justice; ce qui est préférable à toute espèce- de liberté. Dieu a fait ce que ferait celui qui, adoptant un enfant orphelin, emmené par des barbares sur la terre étrangère, non-seulement le délivrerait de la captivité, mais se constituerait son père et son tuteur et l'élèverait au faîte des honneurs. Voilà ce qui nous est arrivé. Car non-seulement Dieu nous a affranchis des maux passés; mais il nous a initiés à la vie des anges; il nous a tracé une excellente règle de conduite, en nous confiant à la garde assurée de la justice, en faisant disparaître les maux d'autrefois, en faisant mourir le vieil homme, en nous menant comme par la main à une vie (268) immortelle. Continuons donc à vivre die cette vie; car beaucoup semblent respirer et se mouvoir, qui sont dans un état plus misérable que les morts.
5. Il y a en effet différentes espèces île morts l'une est la mort du corps, selon laquelle Abraham était mort, et ne l'était point.: car il est écrit: " Dieu n'est point le Dieu des morts, mais des vivants " (Matth. XXII, 32); l'autre est la mort de l'âme, à. laquelle le Christ fait allusion quand il dit : " Laissez les morts ensevelir leurs morts". (id. VIII, 22.) Il y en a une troisième qu'il faut louer, et qui est le fruit de la sagesse; celle dont Paul a dit : " Faites mourir vos membres qui sont sur la terre ". (Coloss. III, 5.) Une autre encore, principe de celle-ci, s'opère dans le baptême : " Notre vieil homme ", dit l'apôtre, " à été crucifié ".(Rom. VI, 6.) Instruits de tout cela, fuyons donc l'espèce de mort par laquelle on meurt, quoique en vie; et ne craignons point celle qui est commune à tout le inonde. Mais choisissons et embrassons les deux autres, dont l'une, donnée par Dieu, est le comble, du bonheur, et dont l'autre, produit de notre volonté et de la grâce de Dieu, est digne de tout éloge. L'une d'elles a été déclarée heureuse par David en ces termes : " Heureux ceux dont les iniquités sont effacées " (Ps. XXXI, 11); l'autre est l'objet de l'admiration de Paul, qui écrit aux Galates : " Ceux qui sont au Christ ont crucifié leur chair ". (Gal. V, 24.) Quant aux deux autres, l'une d'elles a été proclamée méprisable par le Christ, qui a dit : " Ne craignez point ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l'âme " (Matth. X, 28); et l'autre effrayante : " Mais craignez celui qui peut précipiter l'âme et le corps dans l'enfer ". (Ibid.) Evitons donc celle-ci, et choisissons celle qui est déclarée heureuse et admirable, pour éviter encore et craindre chacune des deux autres.
Il n'y a aucun profit pour nous à voir le soleil, à manger et à boire, si-nous n'avons pas la vie des bonnes œuvres. De grâce, de quoi sert à un roi d'être revêtu de la pourpre, de parier des armes, s'il n'a point de sujets, et si le premier venu peut impunément l'insulter et l'injurier? De même il n'y a aucun avantage pour le chrétien à avoir reçu la foi et le bienfait du baptême, s'il est soumis à toutes les passions; au contraire l'injure deviendra plus. sensible et la honte plus grande. Comme ce roi orné du diadème et de la. pourpre, non-seulement ne retire aucune gloire personnelle de l'éclat de son manteau, mais fait rejaillir sur lui son propre déshonneur; ainsi le fidèle qui mène une vie déréglée, ne retire aucun honneur de sa foi, mais n'en devient que plus méprisable. " Car ", dit l'apôtre, " tous ceux a qui ont péché sans la loi, périront sans la loi; et tous ceux qui ont péché sous la loi, seront jugés par la loi ". (Rom. II, 12.) Il disait encore, en écrivant aux Hébreux : " Celui qui a violé la loi de Moïse meurt sans aucune miséricorde sur la déposition de deux ou trois. témoins. Combien donc pensez-vous que mérite de plus affreux supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu? " (Hébr. X, 28, 29.) Et c'est très-juste : car, nous dit le Christ, par le baptême je t'avais soumis toutes les passions. Qu'est-il donc arrivé, pour que tu aies profané un si grand don, et sois devenu tout autre que tu ne devais être? J'ai détruit, j'ai enseveli, comme des vers, tes premières prévarications : pourquoi en as-tu engendré d'autres? Et encore les péchés sont pires que les vers : car ceux-ci ne nuisent qu'au corps, et ceux-là nuisent à l'âme, en exhalent une odeur plus fétide. Mais nous ne la sentons pas : voilà pourquoi nous ne-nous empressons pas de la faire disparaître. L'homme ivre ne connaît pas non plus la puanteur du vin corrompu : mais celui qui n'est pas ivre la connaît parfaitement. Ainsi en est-il des péchés : L’homme sage couinait très-bien cette boue; cette tache; mais celui qui s'est livré au vice, assoupi par une sorte d'ivresse, ne sait pas même qu'il, est malade.
Et c'est là ce qu'il y a de plus terrible dans le vice, c'est qu'il ne permet pas à ceux qui y sont tombés de voir la profondeur de leur mal; ils sont couchés dans la boue, et croient . respirer l'odeur des parfums; aussi ne peuvent-ils point sortir de leur état, et pendant qu'ils fourmillent de vers, ils en sont fiers comme s'ils étaient ornés de pierres précieuses. Voilà pourquoi ils ne veulent point les tuer, mais ils les nourrissent; ils en augmentent le nombre, jusqu'à ce que ceux-ci les fassent passer aux vers du siècle à venir. Car les uns ne sont que les courtiers des autres, non-seulement les courtiers, mais les pères des vers gui ne doivent pas mourir. Car il est écrit : " Leur ver ne meurt pas ". (Marc, IX, 24.) Ce sont eux qui allument la géhenne qui ne doit (269) plus s'éteindre: Pour que cela n'arrive pas, détruisons la source du mal, éteignons la fournaise, et extirpons entièrement la racine de l'iniquité. Si vous coupez un mauvais arbre par le sommet, vous n'avez rien gagné, puisque la racine reste en terre, et qu'elle peut repousser des rejets. Quelle est donc la racine des maux? Apprenez-le du bon agriculteur, de celui qui est si expert dans ces matières, qui cultive la vigne spirituelle, qui est le laboureur du monde entier. Quelle est donc, selon lui, la racine de tous les maux? L'ambition des richesses. " La racine de tous les maux ", nous dit-il, " est la cupidité ". ( I Tim. VI, 10.) De là les combats, les inimitiés et les guerres; de là les contestations, les injures, les soupçons, les outrages; de là les meurtres, les larcins, les vols sacrilèges; par là, non-seulement les villes et les contrées, mais, les routes, les lieux habités ou inhabités, les montagnes, les vallées, les collines, en nu mot toute la terre regorge de sang et de carnage. La mer même n'échappe point à ce fléau; sur elle aussi, il exerce en plein sa fureur, les pirates l'assiégeant, pour ainsi dire, de toutes parts et s'étudiant à trouver toujours de nouveaux modes de brigandage. Par elle, les lois, de la nature sont renversées, les relations de parenté ébranlées, les droits de ta chair même violés.
6. En effet ce n'est pas seulement contre les vivants, mais aussi contre les morts, que cette passion tyrannique arme des mains criminelles; la mort elle-même n'est point respectée on brisé les tombeaux; d'odieux scélérats s'en prennent aux cadavres, et le sépulcre n'est point un abri. contre leurs embûches. Tous les maux que vous rencontrerez dans les maisons, sur les places publiques, dans les tribunaux, dans les, assemblées délibérantes, dans les palais, en quelque lieu que ce soit, vous vous apercevrez qu'ils ont pris là leur origine. C'est ce vine, c'est lui, qui a tout rempli de sang et de meurtres, c'est lui qui a allumé les flammes de l'enfer, c'est lui qui a rendu la situation des villes aussi triste, pire peut-être que celle des déserts. Il. est en effet plus facile de se garantir des voleurs de grands chemins, parce qu'ils n'attaquent pas toujours mais leurs imitateurs du milieu des villes sont d'autant plus à craindre qu'il est plus difficile de se tenir en garde contre eux et qu'ils osent faire ouvertement ce que les autres ne font qu'en secret. Se faisant un point d'appui des lois mêmes qui sont portées contre eux, ils ont rempli les villes de meurtres et de crimes. N'est-ce pas un meurtre, dites-moi, et quelque chose de pire qu'un meurtre, de livrer un pauvre aux horreurs de la faire, de le jeter en prison, et de lui infliger, outre la faim, mille tortures et mille mauvais traitements? Et bien que vous ne fassiez pas cela vous-même, dès que vous êtes cause que cela se fait, vous en êtes plutôt l'auteur que ceux qui vous servent d'instruments. En effet l'homicide enfonce le glaive, il est vrai, mais ne cause qu'une douleur passagère et ne pousse pas plus loin sa cruauté; et vous, en changeant pour vos victimes la lumière en ténèbres par vos calomnies, par vos injures, par vos embûches, en les mettant dans le cas de se souhaiter mille fois la mort, songez combien de morts vous leur faites souffrir au lieu d'une !
Et ce qu'il y a de plus grave en tout cela c'est que vous volez, vous dépouillez, sans y être poussé par la pauvreté, ni forcé par la faim, mais pour couvrir d'or le frein de votre cheval, le toit de votre maison, les chapitaux de vos colonnes. — Plonger dans un abîme de malheur un frère, un homme qui participe avec nous aux saints mystères, et est honoré jusqu'à ce point par votre Maître, et cela pour orner des pierres, un pavé, le corps d'animaux stupides qui ne sentent pas même l'honneur qu'on leur fait : quel enfer ne mérite pas un tel crime? On entoure un chien de soins et d'égards; et pour ce chien, ou pour-ce que nous venons de dire, on réduit un homme, que dis-je? le Christ lui-même, aux extrémités de la faim ! Qu'y a-t-il de pire qu'un tel renversement? Qu'y a-t-il de plus affreux qu'une telle iniquité? Quels torrents de feu suffiront à punir une telle âme? Un homme fait à l'image de Dieu, est devenu méconnaissable par votre inhumanité; mais la tête des mules qui portent votre femme est chargée d'or, aussi bien que les cuirs et les bois qui forment la charpente de votre toit; s'il s'agit d'orner un siège, un escabeau, on y emploie l'or et l'argent; mais le membre du Christ, celui pour qui il est descendu du ciel et a versé son précieux sang, est privé de la nourriture nécessaire par le fait de votre ambition. Vos lits resplendissent partout de l'éclat de l'argent, et les corps des saints n'ont pas les vêtements nécessaires; le Christ est pour vous le plus méprisable des êtres, au-dessous de vos serviteurs, de vos (270) mulets, d'un lit, d'un siège, d'un escabeau. Je passe sous silence des meubles plus vils encore, et vous les laisse à penser. Mais si cela vous fait frissonner, abstenez-vous de le faire, et mes paroles ne tomberont point sur vous; abstenez-vous, renoncez à cette folie : car il y a, dans cette passion, une folie évidente.
La rejetant donc, élevons, quoique tard, nos yeux vers le ciel, rappelons-nous le jour, qui approche : songeons au terrible tribunal, au compte sévère, au jugement impartial ; pensons que Dieu, qui voit tout cela, ne lance point sa foudre, quoique cette conduite mérite encore un plus grand châtiment. Il ne le fait cependant pas, il ne jette point contre nous les flots de la mer, il n'entr'ouvre pas la terre parle milieu, il. n'éteint pas le soleil, il ne précipite point en bas le ciel avec ses astres, en un mot il ne fait pas tout disparaître; mais il laisse chaque chose en son ordre, et permet que toute la création soit à notre service. En pensant à cela, redoutons l'étendue même de cette bonté; revenons à notre noblesse propre car, maintenant, nous ne valons pas mieux que les brutes, nous sommes même bien au-dessous d'elles : en effet elles aiment les animaux de leur espèce, et la communauté de nature suffit à créer en elles un attachement réciproque.
Et vous, qui outre la communauté de nature, avez mille raisons de vous unir étroitement à vos propres membres : l'honneur d'être doué de raison, le lien d'une même religion, la participation à des biens sans nombre, vous êtes plus cruels que les bêtes sauvages, quand vous mettez le plus grand soin à des choses inutiles , dédaignez les temples de Dieu en proie à la faim et à la nudité, et souvent même les précipitez dans un abîme, de maux. Si vous agissez par amour de la gloire, encore devriez-vous bien plutôt soigner un frère qu'un cheval. Plus celui à qui vos bienfaits s'adressent est grand, plus sera brillante la couronne que ces bienfaits mêmes vous tresseront; tandis qu'en tenant une conduite toute contraire, vous vous attirez, sans vous en apercevoir, des milliers d'accusateurs. Qui ne dira pas de mal de vous? Qui ne vous accusera pas d'extrême barbarie et d'inhumanité, en vous voyant mépriser l'espèce humaine, préférer à des hommes des animaux, puis une maison, puis des meubles? N'avez-vous pas entendu les apôtres dire que ceux qui reçurent la parole les premiers vendaient leurs maisons et leurs champs, pour nourrir leurs frères? Et vous, vous volez des maisons et des champs, pour orner un cheval, du bois, des peaux, des murs, un pavé !
Et ce qu'il y a de plus grave , c'est que ce ne sont pas seulement des hommes, mais,des femmes , qui sont en proie à cette folie , qui poussent les hommes à ces futilités, et les forcent à dépenser pour tout plutôt que pour les choses nécessaires ; et si on leur en fait un reproche , elles s'excusent d'une manière tout à fait blâmable. On fait l'un et l'autre, dit-on. Quoi ! vous n'avez pas honte. de dire cela? de mettre le Christ, mourant de faim, au, des chevaux, des mulets, des lits, des escabeaux? et pas même à ce niveau, puisque vous faites à ces objets la plus grande part, tandis que vous lui en réservez à peine une petite? Ne savez-vous pas que tout. est à lui, et vous , et ce qui vous appartient? Ne savez-vous pas qu'il a formé votre corps, qu'il vous a donné une âme, et arrangé pour vous le monde entier? Et vous ne le payez pas du moindre retour ! Si-vous avez lotie une petite maison , vous exigez sévèrement le prix convenu; et quand vous jouissez. de. la création entière; quand vous habitez un si vaste univers, vous refusez de payer à Dieu le moindre prix, vous vous livrez, vous et tout ce qui vous appartient, à la vaine gloire : car la vaine gloire est la source d'où tout cela dérive. Un cheval n'en est ni meilleur ni plus vigoureux pour être paré de ces ornements; on en peut dire autant de celui qui le monte, quelque fois même il en est moins honoré. Car beaucoup de gens perdent de vue le cavalier pour fixer leurs yeux sur les harnais du cheval, sur les domestiques qui vont en avant et en arrière et écartent la foule ; quant au maître, ils le prennent en aversion et s'en détournent comme d'un ennemi commun.
Il n'en est pas ainsi quand vous prenez soin d'orner votre âme ; alors les hommes, les anges, le Maître même des anges, vous, tressent tous ensemble une couronne. Donc, si vous aimez la gloire, cessez de faire ce que vous faites; embellissez votre âme, et non votre maison, afin de devenir illustre et glorieux; car il n'y a rien de plus misérable que vous, si, ayant l'âme nue et désolée, vous vous glorifiez de la beauté de votre maison. Que si mes paroles vous déplaisent, écoutez-ce qu'a (271) fait certain païen, et que là sagesse profane vous couvre de honte. On raconte qu'un de ces philosophes entrant dans une magnifique demeure, où l'or brillait de tout côté, toute resplendissante de l'éclat des marbres et de la beauté des colonnes, et voyant le parquet couvert partout de somptueux tapis, cracha sur le visage du maître de la maison, et répondit, au reproche qu'on lui en faisait, que n'ayant pas trouvé à le. faire ailleurs, il s'était vu dans la nécessité de jeter cet affront à la face du propriétaire (1). Voyez-vous combien est ridicule celui qui ne s'attache qu'à orner l'extérieur, et comme il est méprisable aux yeux des hommes de sens ? Et ce n'est que juste. Si quelqu'un, laissant votre femme couverte de haillons, habillait magnifiquement vos servantes, vous ne le supporteriez pas patiemment, vous en seriez outré de colère et regarderiez cela comme le plus grand des affronts. Faites à votre âme l'application de ce raisonnement. Quand vous embellissez des murs, des pavés, des meubles ou d'autres objets de ce genre, et que vous ne faites point d'abondantes aumônes, que vous né pratiquez point la vraie sagesse, vous ne faites pas autre
1. Il s'agit d'Aristippe. Voyez Diogène Laërce, via d'Aristippe.
chose que ce que nous venons de dire, vous faites même bien pis.
Car entre une maîtresse et une servante, il n'y a pas de différence
; mais, entre l'âme et la chair, il y en a une très-grande,
et une bien plus grande encore entre l'âme et. une maison, entre
l'âme ét tin lit ou un escabeau. Comment donc seriez-vous
excusable Ae revêtir d'argent tous es objets, et de laisser votre
âme couverte de haillons, malpropre, mourant de faim, percée
de blessures, déchirée par des chiens sans nom, bre, puis
4e vous croire après cela, fort honoré de ces embellissements
extérieurs? C'est certainement là le comble de la folie,
d'être un objet de dérision, d'injure et d'opprobre, d'encourir
les derniers châtiments, et de se complaire encore dans ces futilités.
C'est pourquoi,. je vous en prie, réfléchissons à
tout cela, redevenons sages quoique bien tard, rentrons en nous-mêmes
, et reportons sur notre âme ces ornements extérieurs. Par
là ils ne pourront plus se flétrir, ils nous rendront semblables
aux anges et nous procureront les biens immuables. Puissions-nous tous
avoir ce bonheur, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, à qui la gloire appartient dans les siècles
des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XII. JE PARLE HUMAINEMENT, A CAUSE DE LA FAIBLESSE DE
VOTRE CHAIR; COMME DONC VOUS AVEZ FAIT SERVIR VOS MEMBRES A L'IMPURETÉ
ET A L'INIQUITÉ POUR L'INIQUITÉ ; AINSI MAINTENANT FAITES
SERVIR VOS MEMBRES A LA JUSTICE POUR VOTRE SANCTIFICATION. (VI, 19, JUSQU'À
VII, 13.)
272
Analyse.
1. La conduite et le genre de vie exigé des chrétiens pour recueillir les fruits de la grâce et en jouir, ne dépasse pas les forces de l'humanité : humanum dico. — Saint Paul ne leur demandé que de se soumettre à la justice comme avant leur conversion ils étaient soumis au péché.
2. Afin de demeurer fidèle à la justice, il ne faut que considérer la fin du péché et la fin de la sanctification. — La loi de Moïse n'a plus d'empire sur les chrétiens, pas plus que le mari défunt n'en conserve sur sa. femme,
3. L'Apôtre insiste sur cette abrogation de la loi mosaïque, point capital de son enseignement dans cette épure, mais il use de toutes sortes de précautions pour ne pas blesser les Juifs. — Nous sommes morts à la lettre de la loi ancienne, et nous devons servir Dieu dans un nouvel esprit.
4 et 5. La loi de grâce exige une plus hanté perfection que la loi ancienne. — Pour être devenue inutile, la loi mosaïque n'est cependant pas en soi quelque chose de mauvais: — La malice humaine est seule coupable des péchés dont la loi a été l'occasion.
6. C'est bien la loi de Moïse que saint Paul a en vue dans tout ceci, et nullement la loi naturelle ni la défense faite au premier homme dans le paradis.
7-9: Que la volupté a pour fin la mort, et la vertu la vie. — Qu'il ne faut point négliger les péchés, ni dire qu'ils sont légers. — De la patience dans les calomnies et dans les affronts.
1. Comme il a exigé une conduite parfaitement régulière, ordonné qu'on soit mort au monde et à la malice, qu'on reste inébranlable aux attaques du péché ; et qu'il a semblé dire quelque chose de grand, de difficile, quelque chose qui dépasse la nature humaine; pour montrer qu'il ne demande rien d'extraordinaire, pas même ce que devrait donner celui qui a reçu tant de bienfaits, qu'il n'exige que quelque chose de modéré et de facile, il a recours à l'argument des contraires et dit : " Je parle humainement ", c'est-à-dire, d'après le raisonnement humain, d'après l'usage ordinaire : car c'est l'idée de modération qu'il attache à ce mot " Humainement " ; comme il dit ailleurs : " Il ne vous survient que des tentations qui tiennent à l'humanité " (I Cor. X, 13), c'est-à-dire, modérées et faibles. " Comme donc vous avez fait servir vos membres à l'impureté et à l'iniquité pour l'iniquité; ainsi maintenant faites servir vos membres à la justice pour votre sanctification ". Bien que la distance qui sépare les deux. maîtres soit immense, cependant je demande la même mesure dans leur service. Certainement il faudrait apporter beaucoup plus, et d'autant plus que ce nouveau service est plus grand et meilleur que l'autre; pourtant, à cause de votre faiblesse, je n'exige pas davantage. Il ne dit point: De votre volonté, ni de votre ardeur, mais " de votre chair ", pour rendre sa parole moins onéreuse. L'un de ces services était l'impureté, l'autre est la sanctification;: l'un était l'iniquité, l'autre est la justice. Et quel est l'homme assez malheureux, assez Misérable, pour ne pas apporter au service du Christ autant de zèle qu'il en a mis,au service du péché et du démon? Ecoutez donc ce qui suit, et vous verrez clairement que nous n'y en apportons pas même un peu. Car comme cette parole dite simplement semblait n'être pas croyable ni admissible, et que personne ne supportait d'entendre dire qu'il ne servait pas (273) le Christ aussi bien qu'il avait servile démon, Paul démontre son assertion et la rend croyable par ce qu'il dit ensuite, en rappelant ce genre d'esclavage, et comment ils l'ont subi : " Car ", leur dit-il, " lorsque vous étiez esclaves du péché, vous étiez libres à l'égard de la justice (20) ".
C'est-à-dire, quand vous viviez dans la malice, dans l’impiété, dans des maux extrêmes, vous montriez. une telle docilité que vous ne faisiez absolument rien de bien : car c'est ce que signifient ces mots : " Vous étiez libres à l'égard de la justice " ; c'est-à-dire : vous ne lui étiez point soumis, vous lui étiez totalement étrangers. Vous ne partagiez point votre service entre la justice et le péché, mais vous vous livriez entièrement au mal. Donc maintenant que vous êtes passés à la justice, donnez-vous tout entiers à la vertu, ne faites absolument plus de mal, afin que la mesure soit égale de part et d'autre. Or non-seulement il y a une grande différence entre les deux maîtres; mais il y en- a aussi une grande entre les deux services : ce que l'apôtre démontre jusqu'à l'évidence, en faisant voir en quoi ils obéissaient alors, et en quoi ils obéissent maintenant. il ne parle point encore du. dommage qui en est résulté; il ne mentionne que la honte. "Quel fruit avez-vous donc tiré alors des choses dont vous rougissez maintenant (21) ? "
Tel était cet esclavage que son seul souvenir fait encore monter la honte au front. Or, si le souvenir fait rougir, à plus forte raison la pratique. Vous avez donc obtenu un double avantage; vous êtes affranchis de la honte et vous savez en quel état vous étiez ; tout comme vous éprouviez alors un double dommage vous commettiez des actions honteuses et (chose pire encore) vous ne saviez pas même en rougir; ainsi vous restiez dans l'esclavage. Après avoir prouvé surabondamment, par la honte même qui leur en revient, le dommage que leur a causé leur conduite passée, il en vient au fond même de la question. Quel est-il? " Car leur fin, c'était la mort ". Comme la honte ne paraît pas être un poids insupportable, il aborde le côté terrible, la mort, veux-je dire; quoique ce qu'il a dit plus haut, eût dû suffire. Songez à quel point le mal était porté; puisque, affranchis du châtiment, ils ne l'étaient point de la honte. Quelle récompense, leur dit-il, attendez-vous donc d'une conduite dont le seul souvenir, même quand vous êtes délivrés du châtiment, vous couvre encore de confusion et de honte, bien que vous soyez établis dans urne telle abondance de grâces? Il n'en est pas ainsi du service du Dieu. " Mais maintenant, affranchis du péché et faits esclaves de Dieu , vous en avez pour fruit la sanctification, et pour fin la vie éternelle ". Le fruit de votre premier état est la honte, même après la délivrance ; le fruit du second est la sanctification ; or, où est la sanctification, là règne une grande liberté. La fin de l'un est la mort; celle de l'autre, la vie éternelle.
2. Voyez-vous comme il montre les biens déjà accordés et les biens à espérer? Par ceux-là il confirme ceux-ci ; par la sanctification, la vie. Et pour que vous ne disiez pas que tout est en espérance , il vous fait voir que vous avez déjà recueilli des fruits : d'abord d'être délivrés de ta malice et de tant d'autres maux dont le seul souvenir vous cause encore de la honte; secondement d'être devenus esclaves de la justice; troisièmement de jouir de la sanctification ; quatrièmement de posséder la vie, non pas une vie passagère, mais éternelle. Les choses étant ainsi, leur dit-il, fournissez au moins un service égal au premier. Bien que le maître soit infiniment supérieur, malgré la différence qui sépare les deux services et leurs résultats, je ne vous en demande cependant pas davantage. Puis comme il leur a parlé d'armes et de roi, il insiste sur la métaphore, en disant : " Car la solde du péché c'est la mort, mais la grâce de Dieu est la vie éternelle, dans le Christ Jésus Notre-Seigneur (23) ". Après avoir dit la solde du péché, il sort de cet ordre d'idées pour parler du bien. En effet, il ne dit pas : La récompense de vos bonnes oeuvres , mais : " La grâce de Dieu ", pour leur faire voir qu'ils n'ont point été délivrés par eux-mêmes, ni en acquit de dettes, ni pour récompense ou pour salaire de leurs travaux, mais que tout cela a été l'effet de la grâce. Ainsi ce qui fait l'excellence du don, ce n'est pas seulement que Dieu les ait délivrés, les ait fait passer à une situation meilleure, mais c'est que cela ait eu lieu sans aucune peine, sans aucun mérite de leur part; c'est que non-seulement il les ait délivrés et leur ait accordé des avantages bien plus considérables, mais qu'il les ait accordés par son Fils. Il introduit toutes ces considérations parce qu'il a parlé de la grâce, et qu'il se propose (274) de détruire la loi. De peur que ces deux points ne leur fussent une occasion de se négliger, il y a intercalé tout ce qu'il avait à dire de la vie régulière, excitant sans cesse l'auditeur à la pratique de la vertu. Après avoir appelé la mort solde du péché, il les effraie de nouveau et les fortifie contre l'avenir. Car par là même qu'il leur rappelle le passé, il les porte à la reconnaissance et les rend plus forts contre tes événements qui peuvent survenir. Après avoir traité ce point de morale, il revient ensuite à la question dogmatique, en disant : " Ignorez-vous, mes frères (je parle à ceux qui connaissent la loi), que la loi ne domine sur l'homme que pour autant de temps qu'elle vit? " (VII, 1.)
Après leur avoir dit que nous sommes morts au péché, il leur fait voir ici que non-seulement ils ne sont plus sous l'empire du péché, mais pas même sous celui de la loi. Or si la loi ne les domine plias, à bien plus forte raison le péché. Mais adoucissant le torr, il rend cela sensible par un exemple tiré de l'ordre des choses humaines. Il semble bien ne dire qu'une chose, mais il. donne deux preuves à l'appui : l'une, qu'après la mort de l'époux, la femme n'est plus soumise à son :autorité et' que rien ne l'empêche de passer à un autre; l'autre, qu'ici, non-seulement l'époux est mort, mais aussi la femme; en sorte qu'il y a une double liberté. Si en effet, après la mort du mari, la femme est affranchie de sa domination , à bien plus forte raison en est-elle affranchie si elle meurt elle-même. Car si l'une des deux suppositions lui rend la liberté, à bien plus, forte raison les deux réunies. Sur le point d'aborder cette démonstration , il commence par un éloge adressé à ses auditeurs en disant : " Ignorez-vous, mes frères? je parle à ceux qui connaissent la foi...", c'est-à-dire, je parle d'une chose évidente, reconnue par tout le monde, et à des gens qui connaissent tout cela parfaitement. Ignorez-vous " Que la loi domine sur l'homme pendant le temps qu'elle vit? " Il ne dit pas : Sur le mari, ni sur la femme, mais: " Sur l'homme ", expression qui renferme les deux sexes. " Car celui qui est mort ", dit-il, " est justifié du péché ". Donc la loi est faite pour les vivants, et non pour les morts. Voyez-vous comme il fait voir que la liberté est double? Après avoir fait allusion à cela. dès le début, il en vient à la preuve tirée de la femme, et dit : " Car la femme qui est soumise à un mari, le mari vivant, est liée par la loi ; mais si son mari meurt, elle est affranchie de la loi du mari. Donc son mari vivant, elle sera appelée adultère, si elle s'unit à un autre homme; mais si son mari meurt, elle est affranchie de la loi du mari, de sorte qu'elle n'est point adultère , si elle s'unit à un autre homme (2, 3) ":
Il revient souvent et avec jan soin particulier à cette comparaison, parce qu'il a grande confiance dans son argumentation. Il compare la loi au mari, et les sujets de la loi à la femme. Mais sa conclusion n'est point en rapport avec sa proposition : car il eût été logique de dire :Donc, mes frères, la loi ne dominera plus sur vous, car elle est morte. Il ne dit pas cela seulement, il le fait entendre dans sa proposition; mais enfin dans sa déduction, pour ne pas être trop désagréable, il introduit la comparaison de la femme-morte, en disant : " Ainsi, mes frères, vous aussi, vous êtes morts à la loi ", Puisque l'un et l'autre événement procuraient la même liberté, qu'est-ce qui empêchait de faire à la loi une concession qui ne nuisait pas à la preuve? " Car la femme qui est soumise à un mari; le mari vivant; est, liée par la loi ". Où sont maintenant ceux qui calomnient la foi? qu'ils apprennent comment Paul, forcé d'en parler, ne lui ôte point sa dignité, mais parle magnifiquement de son autorité, puisque tant qu'elle a vécu, le Juif était lié, et qu'on appelait adultère ceux qui la transgressaient ou l'abandonnaient; et si Paul l'abandonne lui-même depuis qu'elle est morte, il n'y a rien d'étonnant, puisque chez les hommes une telle conduite n'est point blâmée. " Mais si son mari meurt, elle est affranchie de la loi du mari ".
3. Voyez-vous comme il montre par cet exemple que la loi est morte? Mais il ne le dit point dans sa conclusion. " Donc, son mari vivant, elle sera appelée adultère ". Voyez comme il persiste à accuser ceux qui transgressaient la loi , quand -elle était vivante. Mais comme il l'a déclarée abrogée, il peut en toute sécurité et sans aucun préjudice lui rendre foi et hommage. " Car ", dit-il, " son mari vivant, la femme sera appelée adultère, si elle s'unit à un autre homme " .
" Ainsi, mes frères, vous aussi... (4) ". La conséquence, était : La loi étant morte, vous ne serez plus accusé d'adultère , si vous vous (275) unissez à un autre homme. Mais il ne dit pas cela. Que dit-il donc? " Vous êtes morts à la loi ". Si vous êtes morts, vous n'êtes plus sous le pouvoir de la loi. Si, après la mort de son mari, une femme n'est plus sous la loi, à bien plus forte raison en est-elle affranchie quand elle est morte elle-même. Voyez-vous la sagesse de Paul, comment il prouve que la loi elle-même veut qu'on l'abandonne et qu'on s'unisse à un autre homme ? Elle n'empêche pas, leur dit-il, de s'unir à un autre homme, quand le premier est mort. Comment l'empêcherait-elle, puisqu'elle autorisait un acte de divorce, même du vivant du mari? Mais l'apôtre ne dit pas cela; t'eût été un reproche à l'adresse des femmes . car si le divorce était permis, il n'était pourtant pas innocent. Quand Paul a triomphé par des arguments tirés de la nécessité ou de l'évidence, il n'eu cherche point de superflus; car ce n'est point un parleur obstiné. L'étonnant en ceci est que la loi elle-même nous absout du péché quand nous la quittons, en sorte qu'elle-même exige que nous appartenions au Christ. Car elle est morte, et nous aussi; double raison pour que son autorité soit détruite: Non content de cela, Paul en donne la cause : ce n'est pas sans motif qu'il a parlé de mort; il met en scène la croix qui a opéré tout cela, et par là il nous rend responsables. Il ne se contente, pas de dire : Vous avez été délivrés; mais il ajoute : " Par la mort du Seigneur. Vous êtes morts à la loi ", dit-il, " par le corps du Christ ". Et ce n'est pas seulement pour ce motif qu'il. les exhorte, mais, encore à raison de. l'excellence de ce second époux; c'est pourquoi il ajoute : " Pour être à un autre qui est ressuscité d'entre les morts ". Ensuite pour qu'on ne dise pas : Quoi ! et si nous ne voulons pas nous unir à un autre homme? la loi sans doute ne traite point d'adultère la veuve qui passe à de secondes noces, mais elle ne l'oblige point à le faire; de peur, dis-je, qu'on ne :fasse cette objection, il montre que nous sommes obligés de le vouloir d'après les bienfaits que nous avons reçus, ce qu'il exprime ailleurs plus clairement,. quand il dit : " Vous n'êtes plus à vous-mêmes ". (I Cor. VI, 19.) Et encore : " Vous avez été achetés à prix " (Ib. 20); puis : " Un seul est mort pour nous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux, mais pour celui qui est mort pour eux ". (II Cor. V, 15.) Mais déjà ici il l'insinue en disant
" Par le corps ". Ensuite il leur propose de plus hautes espérances, dans le but de les encourager : " Afin que nous portions des fruits pour Dieu ". Car alors, leur dit-il, vous portiez des fruits pour la mort, et maintenant c'est pour Dieu.
" Car lorsque nous étions dans la chair, les passions du péché qui étaient occasionnées par la loi agissaient dans nos membres, en sorte qu'elles faisaient produire des fruits pour la mort (5) ". Voyez-vous le peu de profit du premier mari, c'est-à-dire de la loi? II ne dit pas : Quand nous étions sous la loi, craignant toujours de donner prise aux hérétiques, mais : " Lorsque nous étions dans la chair ", c'est-à-dire, dans les oeuvres mauvaises, dans la vie charnelle. Il ne dit pas que ci-devant ils étaient dans la chair, et que maintenant ils sont tout spirituels. En tenant le langage qu'il tient, il n'accuse point la loi d'être la cause des péchés, mais il ne l'exempte point de tout. reproche : il joue le rôle d'un accusateur sévère, en mettant les fautes à découvert : en effet celui qui multiplie ses ordres à quelqu'un qui ne veut pas obéir, multiplie par là même les chutes. Aussi ne dit-il point : Les passions des péchés qui se sont commis sous la loi, mais : " Occasionnées par la loi ", et il n'ajoute point : Se sont commis, mais simplement: " Par la loi," c'est-à-dire, manifestés, déclarés par la loi. Ensuite peur ne pas accuser la chair, il ne dit pas : Que les membres commettaient, mais : " Qui agissaient dans nos membres " ; montrant d'autre part que le principe du mal était dans l'action de la volonté, et non dans les opérations des membres. Car l'âme ici jouait le rôle d'artiste, et la chair celui de lyre, qui rend les sons que l'artiste lui fait rendre. Si donc la chair rendait un son discordant, ce n'est pas à elle, mais à l'âme qu'il faut s'en prendre.
" Maintenant ", dit-il, " nous sommes affranchis de la loi... (6) ". Voyez-vous comme il ménage ici et la chair et la loi? Il ne dit pas : La loi est détruite, ni : La chair est détruite , mais : " Nous sommes affranchis ", Et comment sommes-nous affranchis.? En ce que le vieil homme, esclave du péché, est mort et enseveli; et c'est le sens de ces mots : " Morts à la loi dans laquelle nous étions retenus " ; comme s'il disait : Le lien par lequel nous étions retenus, est mort, est brisé, en sorte que ce qui nous retenait, à (276) savoir 1e péché, ne nous retiens, plus désormais. Toutefois ne vous laissez pas tomber, ne vous relâchez pas: vous avez été affranchis pour reprendre du service, quoique d'une manière différente : " Afin que nous servions dans la nouveauté de l'esprit, et non dans la vétusté de la lettre ". Que dit-il là? Il est nécessaire de l'expliquer dès ce moment, pour que nous ne nous troublions pas quand nous tomberons sur ce passage. Lorsque Adam eut péché, nous dit l'apôtre , son corps devint mortel et passible, il subit bien des pertes dans sa nature, le cheval devint plus lourd et difficile à manier; mais quand le Christ. est venu, il l'a rendu plus, léger par le baptême en lui donnant les ailes de l'esprit.
4. La carrière n'est donc plus la même pour nous que pour ceux qui vivaient autrefois, parce que la course n'était pas alors aussi facile. Aussi le Christ ne se contente-t-il plus d'exiger de nous, comme des anciens, que nous ne commettions pas le meurtre, mais que nous ne nous laissions point aller à la colère; il ne nous ordonne pas seulement d'éviter l'adultère, mais même de nous abstenir d'un regard impudique; il ne veut pas seulement qu'on ne se parjure point, mais il défend même de jurer; il ordonne d'aimer ses ennemis comme ses amis; pour tout enfin, il a étendu le stade devant nous; et si nous n'obéissons pas, il nous, menace de l'enfer, nous faisant voir par là que ce n'est point ici une affaire de surérogation qui dépende de la bonne volonté des combattants; comme par exemple la virginité et le détachement absolu, mais qu'il s'agit d'obligations absolument indispensables. En effet elles sont du nombre des choses nécessaires et urgentes, et celui qui ne les accomplit pas, sera puni du dernier supplice. Aussi le Christ disait-il : "Si votre justice n'est plus abondante que celle des Scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux ". (Matth. V, 20.) Or celui qui n'entre pas dans ce royaume, :tombera certainement dans l'enfer. C'est pourquoi Paul disait : " Le péché ne domine plus sur vous; car vous n'êtes plus sous la loi, mais sous la grâce " ; et ici encore : " Afin que nous servions dans la nouveauté de l'esprit, et non dans la vétusté de la loi ". La lettre , c'est-à-dire la loi ancienne, ne condamne plus, mais l'esprit aide. Voilà pourquoi si quelqu'un pratiquait la virginité chez les anciens, cela passait pour un prodige; maintenant c'est chose commune dans tout l'univers; alors, ceux qui méprisaient la mort étaient en très-petit nombre ; aujourd'hui le nombre des martyrs est infini dans les villages comme dans les villes, et non-seulement parmi les hommes, mais aussi parmi les femmes.
Après avoir dit cela, il réfute une objection qui se présentait de nouveau, et se sert de la solution pour prouver sa thèse. Aussi ne donne-t-il pas d'abord cette solution, mais il l'amène sous forme de contradiction ; afin que, devenue nécessaire, elle lui fournisse l'occasion de dire ce qu'il veut dire et rendre l'accusation moins pénible. Après avoir dit
" Dans la nouveauté de l'esprit et non dans la vétusté de la lettre ", il ajoute : " Que dirons-nous donc? La loi est-elle péché? Point du tout ". Il avait d'abord dit : " Les passions des péchés qui étaient occasionnées par la loi agissaient dans nos membres " ; et encore : " Le péché ne vous dominera plus; car vous n'êtes pas sous la loi , mais sous la grâce"; puis: " Où il n'y a pas de loi, il n'y a pas de. transgression" ; et encore : " La loi est survenue pour que le péché abondât", et enfin : " La loi opère la colère ". Comme dore tout cela semblait condamner la loi, pour écarter ce soupçon, il pose l'objection et dit : " Quoi donc? La loi est-elle péché ? Point du tout ". Avant d'en venir à la preuve, il nie, pour se concilier l'auditeur et guérir la blessure qu'il lui a faite. Après l'avoir écouté, et étant bien assuré de ses dispositions, il cherche avec lui à résoudre ce qu'il peut y avoir de douteux, sans provoquer aucun soupçon contrer lui; aussi fait-il tout d'abord l'objection.
Il ne dit donc pas : Que dirai-je? Mais : " Que dirons-nous? " Comme s'il y avait là un sénat, une consultation, comme si toute l'Eglise était assemblée , et aussi comme si l'objection ne venait pas de lui, mais résultait de l'enchaînement du discours et de la vérité des faits. Que la lettre tue, dit-il, personne ne le niera; que l'esprit vivifie, cela n'est pas moins évident, pas moins incontestable. Or, si c'est là chose convenue, que dirons-nous de la loi ? Qu'elle est péché ? Point du tout. Résolvez donc l'objection. Voyez-vous comme il met l'adversaire de son côté, et somme, prenant l'autorité de docteur, il arrive à la (277) solution ? Quelle est donc cette solution? Certainement, dit-il, elle n'est point péché. — " Car je ne connaîtrais pas la concupiscence sans la loi ". Voyez cette grande sagesse. Il établit par objection ce que la loi n'est pas, afin que l'objection étant détruite, et cela pour faire plaisir au Juif, il le détermine à admettre un point moins important. Quel est ce point moins important? Celui-ci : " Je ne connaîtrais point le péché sans la loi. Je ne connaîtrais pas la concupiscence ", dit-il; " si la loi n'eût dit: Tu ne convoiteras pas". Voyez-vous comme il dit peu à peu, non-seulement que la loi accusait. le péché, mais qu'elle le préparait insensiblement? Du reste, il démontre que ce n'était point par sa faute, mais à cause de l'ingratitude des Juifs. Il avait aussi en vue de fermer la bouche aux Manichéens qui accusaient la loi. Car après avoir dit: " Je ne connaîtrais pas le péché saris la loi, et je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la loi a n'eût dit: Tu ne convoiteras pas ", il ajoute : " Prenant occasion du commandement, le péché a opéré en moi toute concupiscence (7, 8) ".
5. Voyez-vous comme il dégage la loi de tout reproche? " Prenant occasion ", dit-il, " le péché ", et non la loi a augmenté la concupiscence, et le contraire de ce que voulait la loi est arrivé : ce qui était l'effet de sa faiblesse et non de sa malice. Car quand nous désirons quelque chose et que nous rencontrons un obstacle, la flamme du désir s'accroît; mais ce n'était point la faute de la loi : car elle empêchait que vous ne fussiez entraîné, mais le péché, c'est-à-dire; votre lâcheté et votre mauvaise volonté ont tourné; le bien en mal. Il ne faut point accuser le médecin, mais le malade qui ne sait point user du remède. Dieu n'a point donné la loi pour allumer la concupiscence, mais pour l'éteindre, et le contraire est arrivé; mais c'est nous, et non pas lui, qu'il faut en accuser. En effet, si quelqu'un refusait de donner à un fiévreux la boisson froide qu'il désire mal à propos, et augmentait ainsi sa funeste ardeur, on ne pourrait raisonnablement l'en blâmer; car le devoir du médecin est de défendre et celui du malade de s'abstenir. Et que dire si le péché a pris occasion de la loi? Beaucoup de gens multiplient leurs iniquités à l'occasion de bons commandements; puisque le démon à perdu Judas, en lui inspirant l'amour des richesses et lui faisant voler l'argent des pauvres; non par la faute de la bourse qui lui était confiée, mais par l'effet de sa mauvaise volonté. Et Eve en engageant Adam à manger du fruit de l'arbre, l'a chassé du paradis; mais l'arbre n'en fut point la cause, bien qu'il en ait été l'occasion.
Si Paul parle de la loi avec quelque vivacité, ne vous en étonnez pas; il insiste toujours sur le point le plus urgent, sans donner prise à ceux qui ont une opinion différente, mais s'attachant soigneusement à éclaircir la question présente. Ne pesez donc point ses paroles trop .minutieusement; mais rappelez-vous le motif qui le fait parler; songez à la manie des Juifs et à leur constante obstination à discuter, qu'il s'efforce de détruire. Il semble ici jeter feu et flamme contré la loi, non pour la calomnier, mais pour triompher de leur pertinacité. Si, en effet, il faut faire un crime à la loi de ce qu'elle a été l'occasion du péché, on en pourra dire autant du Nouveau Testament. Il renferme un grand nombre de lois sur beaucoup de sujets, et sur des sujets plus importants; et pourtant on verra le même résultat que sous l'ancienne loi, non-seulement en ce qui regarde la concupiscence, mais pour tous les vices. " Si je n'étais pas venu ", dit Jésus-Christ, " et que je ne leur eusse point parlé, ils n'auraient point de péché ". (Jean, XV, 22.) Donc le péché a pris de là occasion, et, par suite, le châtiment est devenu plus grand. Paul parlant de la grâce, dit encore " Combien donc pensez-vous que mérite de plus affreux supplices, ce lui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu ? " (Héb. X; 29.) Donc un,plus sévère châtiment a pris de là occasion, à raison d'un plus grand bienfait. Et il déclare les Gentils inexcusables, parce que, honorés du don de la raison, témoins de la beauté de la création et pouvant par là être attirés au Créateur, ils n'ont point usé, convenablement de la sagesse de Dieu. Voyez comment partout les méchants prennent occasion des meilleures choses pour s'exposer à de plus grands supplices. Certes, nous n'accuserons pas pour cela les bienfaits- de Dieu, nous les en admirerons au contraire davantage ; mais nous incriminerons la volonté de ceux qui tournent le bien en mal. Agissons eu ami avec la loi. Cela est facile; mais voici la difficulté : Comment Paul a-t-il dit : " Je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la loi n'eût dit : Tu ne convoiteras point ? "
278
Si l'homme ne connaissait. point la concupiscence avant d'avoir reçu la loi, pourquoi le déluge? Pourquoi l'incendie de Sodome ? Qu'entend-il donc? L'accroissement de la concupiscence. Aussi ne dit-il pas : A opéré en moi la concupiscence, mais : " Toute concupiscence ", indiquant par là sa violence. Alors, dira-t-on, quelle a été l'utilité de la loi, si elle a augmenté la concupiscence? Le profit a été nul , mais la perte a été grande , non de la faute de la loi, mais à cause de la lâcheté de ceux qui l'ont reçue. C'est le péché qui a fait cela par la loi; mais celle-ci s'y opposait, loin d'y consentir. Le péché est donc devenu le plus fort, et de beaucoup; mais encore une fois, ce n'est point la loi, mais l'ingratitude des Juifs, qu'il faut accuser. " Car sans la loi le péché était mort ", c'est-à-dire, n'était pas si connu. Ceux qui ont vécu avant la loi, savaient déjà qu'ils péchaient; mais ceux qui ont vécu après la loi le savaient bien plus exactement. Ainsi étaient-ils plus coupables. Ce n'est pas la même chose d'être simplement accusé par la nature, ou d'être accusé, par la nature et par la loi qui précise tout.
" Et moi je vivais autrefois sans la loi... (9) ". Quand, dites-moi ? Avant Moïse. Voyez comme il s'attache à prouver que la loi, et parce qu'elle a fait, et par ce qu'elle n'a pas fait, était à charge à la nature humaine. Quand je vivais sans la loi, dit-il, je n'étais pas ainsi condamné. " Mais quand est venu le commandement , le péché a revécu : et moi je suis a mort (10) ". Ceci semble une accusation contre la loi; mais, si on y regarde de près, on verra que c'en est l'éloge. Car la loi n'a pas produit le péché non existant, mais a seulement révélé son existence; et c'est là son éloge, puisqu'avant elle, on péchait sans s'en apercevoir, tandis qu'avec elle, à défaut- d'autre. avantage, on avait au moins celui de savoir exactement qu'on péchait : ce qui. ne contribuait pas peu à corriger du vice. Que si les Juifs ne se corrigeaient pas, ce n'était point l'affaire de la loi, qui ne négligeait rien pour cela; tout le reproche en retombe sur leur mauvaise volonté, dépravée au-delà de tout ce qu'on pouvait attendre.
6. Il était en. effet contraire à la raison que ce qui devait être utile, devînt nuisible. Aussi Paul disait-il: " Et il s'est trouvé que le commandement qui devait me donner la vie a causé ma mort ".Il ne dit pas : Est devenu la mort, ni : A engendré la mort; mais : " Il s'est trouvé ", interprétant ainsi ce qu'il y avait de nouveau, d'étrange dans cette absurdité, et faisant tout retomber sur leur tête. Si en effet, dit-il, vous considérez le but du commandement, il conduisait à la vie et avait été donné pour cela ; et si la mort en est résultée, c'est la faute de celui qui a reçu le commandement, et non du commandement lui-même, qui conduisait à la vie. Il exprime cela plus clairement encore par ce qu'il dit ensuite : " Ainsi le péché, prenant occasion du commandement, m'a séduit et par lui m'a tué (11) ". Voyez-vous comme partout il poursuit le péché, et justifie la loi de toute accusation? Aussi ajoute-t-il : " Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon (12)".
Du reste, si vous le voulez, produisons l'opinion de ceux qui altèrent ces interprétations, et nous rendrons encore plus clair ce que nous avons dit. Il en est donc qui prétendent qu'il ne s'agit a)oint ici de la loi de Moïse, mais de la loi naturelle, selon les uns; des commandements donnés dans le paradis terrestre, selon les autres. Or, partout Paul a en vue d'abroger la loi mosaïque, et ne parle jamais contre les deux autres, et avec raison : car c'était par crainte, par terreur de celle-là, que les Juifs combattaient la grâce. Quant au précepte donné dans le paradis, on ne voit pas que Paul ni aucun autre lui ait jamais donné le nom de loi. Pour prouver cela plus clairement par ses propres paroles, reprenons-les, en remontant un peu plus. haut. Après leur avoir parlé en détail de la manière de se conduire, il ajoutait : " Ignorez-vous, mes frères, que la loi domine sur, l'homme tant qu'elle vit? Ainsi, vous aussi, vous êtes morts à la loi ". Donc, s'il parle ici de la loi naturelle, il arriverait que nous, ne l'aurions pas , et, dans ce cas, nous serions plus stupides que les brutes. Mais il n'en est pas, il n'en est certainement pas ainsi. Quant au commandement donné dans le paradis, il n'y a pas lieu à discuter là-dessus; ce serait peine perdue que de prouver ce dont tout le monde convient. Comment Paul dit-il donc : " Je n'aurais pas connu le péché sans la loi? " Il n'entend pas parler ici d'une ignorance absolue ; il veut seulement dire que par la loi, la connaissance était plus exacte.. Et s'il s'agissait ici de la loi naturelle, quel sens raisonnable aurait ce qui suit : " Et moi je vivais autrefois sans loi? " Il ne parait pas (279) que ni Adam ni qui 'que ce soit ait jamais vécu sans la loi naturelle; car en même temps qu'il formait l'homme, Dieu lui donnait cette loi et en faisait la compagne prudente de tout le genre humain. De plus, nulle part on ne voit Paul donner à-la loi naturelle le nom de commandement; or; il déclare la loi de Moïse et le commandement justes et:saints-; et il appelle,la loi, spirituelle: Mais la loi naturelle ne nous a pas été donnée par l'Esprit ; car les barbares, les gentils, tous les hommes la possèdent. D'où il suit évidemment qu'ici et là, et partout, c'est de la loi mosaïque qu'il parle. Aussi l'appelle-t-il sainte, en disant : " Ainsi la loi est sainte, et le commandement est saint, reste et bon ". Car bien que les Juifs aient été impurs, injustes et avares, après avoir recula loi, cela ne détruit point sa vertu, pas plus que leur incrédulité ne détruit la foi de Dieu. Tout cela démontre donc clairement que Paul parle ici de la loi mosaïque.
" Ce qui est bon ", dit-il, " est donc devenu a pour moi la mort? Loin de là : mais le péché, pour paraître péché... (13);"; c'est-à-dire, pour qu'on voie quel mal c'est que le péché, une volonté sans énergie, le penchant au mal, une conduite et une intention perverties car là est la cause de tous les maux. Ici il use d'exagération pour faire ressortir l'excellence de la grâce du Christ, et nous apprendre de quel mal elle a délivré le genre humain : mal que les remèdes, des médecins ne faisaient qu'aggraver:et qui grandissait par les obstacles mêmes qu'on lui opposait. Aussi ajoute-t-il : " De sorte qu'il est devenu par le commandement une source extrêmement abondante de péché ". Voyez vous comme il poursuit le péché à outrance ? Et par les accusations mêmes qu'il dresse contre. lui, il fait mieux éclater la vertu de la grâce. Car ce n'est pas petite chose d'avoir montré quel mal c'est que le péché, d'avoir découvert et mis à nu son venin : ce que fait Paul, quand il dit : " De sorte qu'il est devenu par le commandement une source extrêmement abondante de péché " ; c'est-à-dire, de sorte que l'on voie quel mal c'est que le péché, combien il est pernicieux; et tel a été l'effet du commandement. Par là même, il fait voir la supériorité de la grâce sur la loi; supériorité, mais non opposition. Ne considérez donc point que ceux qui ont reçu la loi en sont devenus pires mais considérez que la loi s'efforçait de couper le mal pansa racine, bien loin de favoriser son accroissement. Si elle ne l'a pas pu, rendez au moins hommage à sa bonne volonté ; mais surtout adorez la vertu du Christ, de ce qu'elle a radicalement détruit et extirpé un mal si varié dans ses formes, si difficile à vaincre. Quand donc vous entendez parler du péché, ne vous figurez pas une puissance subsistant par elle-même ; mais une mauvaise action, qui a soli commencement et sa fin, qui n'existait point avant d'être produite, et qui peut s'effacer quand elle a cessé d'être. Voilà pourquoi la loi a été donnée ; car le but de la loi n'est pas de détruire la nature, mais de corriger les actes d'une volonté perverse.
7. Les législateurs païens eux-mêmes le savaient aussi bien que tous les hommes. En effet, ils se contentent de réprimer le mal produit par la faiblesse de la volonté, et ne. se promettent point de déraciner- ce qui est inhérent à la nature : car cela n'est pas possible. Comme je vous l'ai souvent dit dans d'autres entretiens, la nature reste immuable. Laissant donc de côté toutes ces discussions, rattachons-nous à la question morale : aussi bien est-ce là le point principal dans ces controverses: Si nous repoussons le vice et pratiquons la vertu, nous prouverons clairement quelle vice n'est point dans la nature, et nous pourrons réduire au silence, non-seulement par notre langage, mais encore par notre conduite, ceux qui recherchent l'origine du mal, puisque, étant de même nature qu'eux, nous nous montrerons exempts de leur malice. Ne considérons pas que la vertu est laborieuse, mais que nous pouvons la pratiquer; et si nous y mettons de la bonne volonté, elle nous deviendra très facile. Si vous me. parlez du plaisir attaché au vice, dites-moi aussi quelle en sera la fin ; il conduit a la mort, comme la vertu. mène à la vie. Ou, si vous voulez encore, examinons-les l’un et l'autre avant leur terme; nous verrons que le vice entraîné avec lui bien des douleurs, et la vertu bien des joies. Qu'y a-t-il, dites-moi, de plus douloureux qu'une mauvaise conscience ?.Qu’y-a-t-il de plus doux que l'espérance du bonheur? Rien, non rien ne nous afflige, rien ne cous accable comme l'attente des maux; rien ne nous élève, rien ne nous donne des ailes comme une bonne conscience. Nous pouvons le voir par ce qui se passe au milieu de nous. Ceux qui sont enfermés en prison en attendant leur condamnation, (280) quelque bien nourris qu'ils puissent être, sont plus malheureux que les mendiants qui errent dans les carrefours, mais qui n'ont rien à se reprocher : car l'attente du mal empêche de goûter le plaisir du moment.
Et à quoi bon parler de prisonniers? Les ouvriers qui gagnent péniblement leur subsistance quotidienne,. sont beaucoup plus heureux que ceux qui vivent libres et au sein de la richesse , mais avec une mauvaise conscience chargée. Voilà pourquoi nous regardons comme les plus malheureux des hommes, les gladiateurs que nous voyons dans les cabarets livrés aux vapeurs de l'ivresse et aux plaisirs de la table, parce que l'attente de la mort produit sine sensation beaucoup plus vive que celle de ces plaisirs. Que si cette vie-là leur paraît douce, souvenez-vous de ce que je vous répète si souvent : il n'y a rien d'étonnant à ce que celui qui vit dans le vice n'en fuie pas l'amertume et la douleur. En effet, une situation détestable peut paraître aimable à ceux qui s'y trouvent; mais c'est précisément pour cela que, loin de les appeler heureux, nous les appelons malheureux; parce qu'ils ne comprennent pas même leur malheur. Que direz-vous des adultères qui, pour un modique plaisir, se soumettent à un honteux esclavage, à des dépenses d'argent, à des craintes, continuelles, à une vie aussi misérable; plus misérable même que celle de Caïn; redoutant le présent, et s'épouvantant de l'avenir, se défiant de leurs amis et de leurs ennemis, de ceux, qui savent et de ceux qui ne savent pas ? Mène dans leur sommeil, ils ne peuvent se débarrasser de leurs angoisses; leur conscience coupable leur forge des songes terribles,et les remplit de frayeur. Il n'en est pas ainsi, de l'homme chaste; il passe la vie présenté dans la tranquillité et la liberté. Comparez maintenant à une volupté passagère cette mer de. terreurs, aux courts sacrifices de la continence cette paix perpétuelle, et vous verrez que cette dernière condition est plus douce que l'autre.
Et celui qui veut voler, qui veut s'emparer de l'argent d'autrui, ne supporte-t-il pas, dites-moi, des peines sans,nombre ; rôdant çà et là, flattant les esclaves, les hommes libres, les portiers; craignant, menaçant, usant d'insolence, se privant de sommeil, tremblant, en proie à l'inquiétude, se défiant de tout? Il n'en est pas de même de celui qui méprise les richesses; il nage au sein de la joie, il passe ses jours dans la confiance et la sécurité. En parcourant ainsi toute l'échelle des vices, vous. rencontrerez partout de grands troubles, beaucoup d'écueils. Mais l'essentiel est que, si dans la vertu tout est d'abord pénible, le charme vient ensuite, de manière à alléger la peine ; tandis que dans le vice c'est tout le contraire : après le plaisir, viennent les douleurs et les châtiments, en sorte que le plaisir lui-même. disparaît. Car, de même que celui qui attend la couronne, ne sent plus les peines présentes ; ainsi celui qui attend les supplices après le plaisir, ne saurait goûter une joie pure, parce que la crainte trouble tout. Bien plus, à y regarder de près, on verrait que dans le vice, en dehors même du châtiment redouté, la tentative seule renferme déjà sa douleur.
8. Examinons encore, si vous le voulez, ce qu'il en est des voleurs ou de ceux qui s'enrichissent de toutes manières; laissons de côté les craintes, les périls, la terreur, l'angoisse, le souci et autres choses semblables; supposons qu'un homme. est riche tranquillement, qu'il est assuré de conserver ses biens, ce qui est impossible, mais, supposons-le : quelle joie cet homme goûtera-t-il ? Celle de posséder beaucoup? Mais il n'y a pas là de quoi le rendre heureux : car tant qu'il convoitera davantage, son tourment ne fera qu'augmenter. C'est quand le désir cesse, qu'il procure du plaisir; en effet, si nous avons soif, c'est en buvant à notre gré que nous, éprouvons de la satisfaction; mais si notre soif persiste, quand nous épuiserions toutes les sources, quand nous boirions tous les fleuves, notre malaise n'en serait que plus grand. De même, possédassiez-vous le monde entier, si vous convoitez encore, plus vous acquerrez, plus vous serez tourmenté. Ne vous imaginez donc pas qu'une grande fortune puisse vous procurer quelque joie; vous n'en trouverez qu'en renonçant à vous enrichir; mais si vous continuez à convoiter les richesses,. vos tourments n'auront point de fin. Car cette passion est insatiable plus vous avancerez, plus vous verrez le ternie se reculer. N'est-ce pas là une chose inexplicable, une folie, le comble de la démence? Fuyons donc ce premier de tous les vices; garantissons-nous du moindre contact avec lui, et s'il y en a eu, reculons dès l'abord; comme l'auteur des Proverbes engage à le faire à l'égard de la courtisane : " Eloignez-vous , point de retard, n'approchez pas de la porte (281) de sa maison ". (Prov. V, 8.) Je vous en dirai autant de l'amour des richesses. Car si vous entrez peu à peu dans cet océan de folies, vous aurez de la peine à en sortir; plongé comme en un gouffre, malgré des efforts réitérés, vous vous en tirerez difficilement; et, ce qu'il . y a de plus triste; une fois englouti dans les abîmes de cette convoitise, vous vous perdrez avec tous vos biens.: Ainsi donc; je vous en prie, veillons sur nous dès le commencement, fuyons le mal le plus léger : car ce sont les petites fautes qui .engendrent les grandes. En effet, celui qui, à chaque péché, à coutume de dire : Il n'en arrivera rien, perdra tout insensiblement. Voilà ce qui a introduit le mal, voilà ce qui a ouvert les portes au larron, voilà ce qui a abattu les remparts de -la ville, parce qu'on disait : Il n'en arrivera rien. De même dans le corps, c'est en négligeant les petites maladies qu'on augmente les grandes: Si Esaü n'eût pas vendu son droit d'aînesse, il n'aurait pas été indigne des bénédictions; et s'il ne s'était pas rendu indigne des bénédictions, il n'eût pas conçu le désir d'aller tuer son frère; si Caïn n'avait pas ambitionné le premier rang et qu'il eût tout remis à la volonté de Dieu, il ne fût pas tombé. au second rang ; et une fois descendu au second rang, s'il s'était montré docile aux remontrances, il n'eût point commis le meurtre ; et si après l'avoir commis, il fût entré dans des sentiments de pénitence comme Dieu l'y invitait, et n'eût point répondu avec insolence, il n'eût point subi tous les maux qui lui sont venus à la suite.
Or, si ceux qui ont vécu avant la loi sont tombés peu à peu, par lâcheté, au dernier degré du vice; songez quel sera notre sort, à nous, qui sommes appelés à de plus grands combats, si nous. ne veillons pas sévèrement sur nous-mêmes , si nous ne nous hâtons d'éteindre. les premières étincelles du mal avant qu'elles aient mis le feu au bûcher. Par exemple : Vous vous, parjurez fréquemment? Ne vous contentez pas de vous en corriger, mais cessez même de jurer, et le reste vous sera facile. Il est en effet beaucoup plus difficile de jurer sans se parjurer, que de ne pas jurer du tout. Vous avez l'habitude d'injurier, d'insulter, de frapper même? Faites-vous une loi de ne jamais vous fâcher, de ne jamais crier, et le fruit périra avec la racine. Vous êtes libertin et porté à la luxure?. Faites-vous une loi de ne pas jeter les yeux sur une femme, bien loin de monter au théâtre, de ne pas porter des regards curieux sur des beautés étrangères, quand vous êtes dans les rues. Il est beaucoup plus facile de ne point regarder du tout une belle, femme que de la considérer; de la convoiter et de calmer ensuite le trouble qui en résulte. Les luttes sont ,en effet plus faciles au début; bien. plus, nous n'avons pas même besoin de lutter, si nous n'ouvrons pas la porte à l'ennemi, si nous ne recevons pas les semences du mal. Aussi le Christ punit-il celui qui jette sur une femme un regard impudique, afin de nous épargner une plus grande difficulté : nous ordonnant de chasser l'ennemi de la maison, avant qu'il soit devenu fort et pendant qu'il est possible de l'expulser. Quelle nécessité y a-t-il en effet à se livrer à des opérations inutiles et à en venir aux mains avec des adversaires, quand on peut triompher sans combat et gagner la palme avant la lutte? Il est moins coûteux de s'abstenir de voir de belles femmes, que de se contenir quand on les a vues; dans le premier cas, la peine n'est pas grande, dans le second, ce sont des luttes fatigantes et pénibles.
9. Puis donc que la peine est moins grande, ou plutôt qu'il n'y a ni fatigue ni peine, mais un plus grand profit, pourquoi nous précipiter volontairement dans un abîme de maux? Car non-seulement celui qui s'abstient de voir une femme, résiste plus facilement à la passion, mais il en devient même plus pur; tandis que celui qui fixe -sur elle ses regards, échappe plus difficilement et non sans quelque blessure, si tant est qu'il échappe. En effet, celui qui ne voit pas une belle ligure, n'éprouve point la passion qu'elle peut inspirer; mais celui qui a désiré la voir, qui a accueilli d'abord cette pensée, qui a contracté mille souillures, songe seulement après cela à repousser la passion, si même il la repousse. C'est pour nous garantir de tels dangers que le Christ nous défend. non-seulement le meurtre , mais la colère; non-seulement l’adultère; ruais un regard impudique; non-seulement le parjure , mais même le serment. Et ce n'est même pas là qu'il fixe la borne de la vertu : car, après tous ces commandements, il va plus loin. Après avoir défendu le meurtre, interdit la colère, il-nous ordonne d'être' prêts à souffrir les mauvais traitements; non-seulement d'en supporter autant qu'il plaira à notre ennemi de nous en (282) infliger, mais d'aller plus loin encore, jusqu'à dépasser par notre sagesse les excès même de sa fureur. En effet, il n'a pas dit : Si votre ennemi vous frappe sur la joue droite, supportez-le généreusement et avec calme ; mais il ordonne de lui tendre encore l'autre joue ; "Présentez-lui encore l'autre ", nous dit-il. (Matth. V, 39.) En effet, c'est là une éclatante . victoire de donner à son ennemi plus qu'il ne demande, de dépasser par longanimité les bornes mêmes de sa mauvaise volonté. C'est ainsi que vous apaiserez sa fureur, que le second sacrifice vous récompensera du premier et que vous éteindrez la colère chez lui.
Voyez-vous que nous sommes toujours les maîtres de ne point souffrir du mal: avantage que n'ont point ceux qui nous le font? Et non-seulement nous pouvons ne pas souffrir du mal, mais il nous est même donné d'en tirer profit: et c'est ce qu'il y a de plus admirable, que non-seulement nous ne souffrions pas des injustices que l'on commet contre nous, mais que nous en tirions avantage, si nous veillons sur nous. Examinez un peu : Quelqu'un vous injurie? Vous pouvez transformer ses injures en éloges. En lui rendant la pareille, vous augmenteriez votre honte : en lui rendant des bénédictions pour ses malédictions, vous verrez tout le monde vous décerner la couronne et vous proclamer vainqueur. Voyez-vous comment nous pouvons, si nous le voulons, tirer profit d'une injustice? Il en est de même de l'argent, il en est de même des coups et de tous les accidents qui peuvent nous survenir. Si nous employons à l'égard de nos ennemis des procédés contraires aux leurs, nous nous tresserons une double couronne, et par le mal qu'ils nous font et par le bien que nous leur rendons. Quand donc on vient vous dire : Un tel vous a injurié et ne cesse de dire du mal de vous à tout le monde, faites son éloge à celui qui vous parle ; c'est ainsi que vous le punirez, si vous avez intention de vous venger. Les auditeurs vous loueront; quelque dénués de sens qu'ils puissent être, et ils regarderont celui qui vous injurie: comme plus méchant qu'une bête fauve, puisqu'il vous fait du mal sans en avoir reçu de vous, tandis que vous lui faites du bien en retour de ses injures. Par là aussi vous pourrez réduire toutes ses paroles à rien. En effet, si celui qu'on attaque en manifeste de la douleur, c'est une preuve qu'il a conscience du mal qu'on lui reproche; si au contraire il en rit, il détruit jusqu'au moindre soupçon chez ceux qui en sont témoins.
Voyez donc que de profits vous recueillez par là ! D'abord vous
vous exemptez vous-même de troublé et d'émotion; ensuite
(et c'est bien l'avantage qu'il faut placer au premier rang), si vous êtes
coupable de péchés, vous les expiez, comme le publicain qui
supporta avec patience les reproches du pharisien. De plus; vous exercez
ainsi votre âme à la sagesse, vous obtiendrez mille louanges
de tout le monde, et vous effacerez jusqu'au soupçon que ces paroles
injurieuses auraient pu produire contre vous. Que si vous désirez
une vengeance, elle viendra surabondamment, puisque Dieu punira votre ennemi
de ce qu'il aura dit, et que, même avant ce châtiment, votre
sagesse lui portera déjà un coup mortel. Car rien ne blesse
aussi vivement ceux qui nous injurient que de nous voir rire des injures
qu'ils nous adressent. Mais autant nous recueillerons de fruits de notre
sagesse, autant nous souffrirons de notre pusillanimité. En effet,
nous nous déshonorons nous-mêmes, nous paraissons mériter
les reproches qu'on nous fait; nous remplissons notre âme de trouble,
nous réjouissons notre ennemi, nous irritons Dieu, et nous ajoutons
un nouveau péché à ceux qui nous souillent déjà.
Pensons à tout cela, fuyons l'abîme de la rancune et recourons
au port de la patience , afin d'y trouver le repos pour nos âmes,
comme le Christ nous l'a dit, et d'obtenir les biens futurs par la grâce
et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire,
la force, l'honneur appartiennent au Père en même temps qu'au
Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XIII. AH NOUS SAVONS QUE LA LOI EST SPIRITUELLE, ET MOI
JE SUIS CHARNEL, VENDU COMME ESCLAVE AU PÉCHÉ. (VII, 14,
JUSQU'À VIII, 11.)
283
Analyse.
1. La loi est spirituelle et elle a l'approbation de notre raison.
2. Mais la convoitise qui est en nous obscurcit notre raison et ébranle notre bonne volonté.
3. Il en résulte une lutte intérieure entre ce que saint Paul appelle la chair et l'esprit. — Ce n'est pas que la chair soit mauvaise par sa nature et qu'elle soit la cause du mal, non, elle n'en est que l'occasion. — Qui nous délivrera de cette concupiscence dont la victoire fait notre malheur ? Ce sera Jésus-Christ.
4. L'homme qui a parc à la vraie foi en Jésus-Christ est soustrait par l'esprit de Jésus-Christ au péché et à la condamnation. — Il a la vie de l'esprit. — C'est ainsi que Jésus-Christ a fait ce que la loi de Moïse n'avait pu faire.
5. Il n'y a donc lias antagonisme entre Moïse et Jésus-Christ, puisque la loi de Jésus-Christ, ou la loi de grâce est venue en aide à la loi de Moïse. — Moïse avait enseigné à discerner le bien du mal, Jésus-Christ a donné le moyen de faire le bleu. — Enseigner était chose facile, donner la force de pratiquer, voilà ce qui est digne d'admiration. — Comment Jésus-Christ a rendu notre chair victorieuse du péché. — Cette victoire de Jésus-Christ a procuré à ceux qui n'obéissent pas à la convoitise charnelle la justification qui est le but de la loi.
6. Ne perdons pas ce trésor, et pour cela ne vivons plus selon la chair, mais selon l'Esprit. — Le sens charnel a pour conséquence et pour effet la mort, la mortification de la chair par l'Esprit produit la vie.
7. Comment la grâce de l'Esprit a tout renouvelé.
8. Effets de la présence de Jésus-Christ et du Saint-Esprit dans l'âme. — Le Saint-Esprit, source de la résurrection.
9-11. Avantages de la mortification. — Contre les excès du vin et contre l'avarice.
1. Après avoir dit que le mal a été grand, que le péché est devenu plus puissant à l'occasion de la loi, que le contraire de ce que la loi avait en vue est arrivé, et avoir jeté l'auditeur dans un grand embarras, il donne enfin la raison de toutes ces choses, mais sans avoir d'abord dégagé la loi de tout soupçon injuste. De peur qu'en entendant dire que le péché a pris occasion de la loi, que la présence du commandement l'a fait revivre, que c'est par son entremise qu'il a trompé et donné la mort; de peur, dis-je, qu'en entendant dire cela, quelqu'un ne s'imaginât due la loi était responsable de tous ces maux, il l'a d'abord justifiée surabondamment, et l'a non-seulement purgée de toute accusation, mais encore comblée d'éloges. Et il ne parle pas comme faisant ici une concession personnelle, mais comme exprimant le sentiment de t'out le monde. " Nous savons ", dit-il, " que la loi est spirituelle "; comme s'il disait : C'est chose convenue, évidente, qu'elle est spirituelle; tant il, s'en faut qu'elle soit la cause du péché et responsable des maux survenus. Et voyez comment, non content de la laver de tout reproche , il fait d'elle le plus grand éloge. En effet, en l'appelant spirituelle, il fait voir qu'elle enseignait la vertu et combattait le vice : car être spirituel, c'est éloigner de tolus les péchés : ce que la loi faisait réellement, en effrayant, en avertissant, en punissant, en corrigeant, en donnant tous les conseils qui conduisent à la vertu. Pourquoi donc, demande-t-il, le péché a-t-il existé, puisque le maître était si merveilleux ? Par la lâcheté des disciples. Aussi ajoute-t-il : " Et moi je suis charnel " , par où il désigne l'homme qui a vécu sous la loi et avant la loi.
" Vendu comme esclave au péché ". Avec la mort, dit-il , les passions sont arrivées en foule. Le corps, une fois devenu mortel,.a nécessairement subi la concupiscence, la colère, la tristesse et toutes les autres affections; et il fallait beaucoup de sagesse pour les empêcher de déborder et de plonger la raison dans l'abîme du, péché. Car elles n'étaient point (284) elles-mêmes le péché, mais elles le produisaient si on ne jetait pas le frein à leur intempérance. Ainsi , par exemple, pour en citer une en particulier, la concupiscence n'est pas un péché ; mais quand elle ne garde pas la mesure, qu'elle ne se contient pas dans les lois du mariage, qu'elle convoite même des femmes étrangères, alors elle devient l'adultère, non précisément par sa nature de concupiscence, mais par l'abus et le défaut de mesure. Et voyez la sagesse de Paul. Après avoir fait l'éloge de la loi, il remonte aussitôt aux temps anciens, afin de montrer où en était notre race avant et après avoir reçu la loi, et faire comprendre que la grâce était absolument nécessaire : ce qu'il a soin de démontrer partout. Car en disant: " Vendu au péché comme esclave ", il n'entend pas seulement parler de ceux qui ont vécu sous la loi , mais de ceux qui ont vécu avant la loi et dès le commencement. Ensuite il indique comment il a été vendu et livré.
" Aussi ce que je fais, je ne le comprends pas (15) ". Qu'est-ce à dire: " Je ne le comprends pas? " C'est-à-dire: Je l'ignore. Et quand donc cela est-il arrivé? Car personne n'a jamais péché par ignorance. Voyez-vous que si nous ne choisissons pas les expressions avec les précautions convenables, et si nous ne faisons pas attention au but de l'apôtre, une foule d'absurdités vont s'ensuivre? Si en effet les hommes péchaient par ignorance , ils ne méritaient aucun châtiment. De même que plus haut il disait : " Sans la loi , le péché est mort ", non pour faire entendre qu'on péchait sans le savoir, mais pour indiquer qu'on le savait imparfaitement ; ce qui occasionnait des punitions, quoique moins sévères; et de même qu'il a dit encore : " Je ne connaîtrais pas la concupiscence " , désignant ici non une ignorance absolue, mais le défaut d'une parfaite connaissance : de même enfin qu'il a dit : " A opéré en moi toute concupiscence ", non pour rendre le commandement responsable de la concupiscence, mats pour faire voir que le. péché a augmenté la concupiscence à l'occasion du commandement : ainsi il n'entend point exprimer une ignorance complète par ces mots : " Ce que je fais, je ne le comprends pas ". Autrement, comment se complairait-il dans la loi de Dieu selon l'homme intérieur? Que signifient donc ces paroles : " Je ne le comprends pas? " C'est-à-dire: Je suis dans les ténèbres, je suis entraîné, je souffre violence, je suis supplanté sans savoir comment. Nous avons nous-mêmes l'habitude de dire : Je ne sais comment un tel est venu et m'a entraîné; par quoi nous n'entendons pas prétexter d'ignorance, mais indiquer que nous avons été en quelque façon trompés, circonvenus, pris au piège.
" Car ce que je veux, je ne le fais pas: mais ce que je hais, je le fais ". Comment donc ne savez-vous pas ce que vous. faites? Si vous voulez le bien et haïssez le mal, c'est la preuve d'une parfaite connaissance. Par où l'on voit clairement que, par ces expressions: " Ce que je ne veux pas ", il ne prétend point supprimer le libre arbitre ni introduire l'idée d'une nécessité quelconque. Car si nous ne péchons pas librement, mais par forcé, les châtiments qui ont été infligés autrefois n'auraient plus de raison d'être. Mais comme par ces expressions : "Je ne le comprends pas", il n'entend point parler d'une ignorance absolue; et qu'il faut les interpréter dans le sens que nous avons dit; ainsi, en ajoutant ces mots : " Ce que je ne veux pas ", il n'exprime pas l'idée de la nécessité, mais veut seulement dire qu'il n'approuve pas ce qu'il a fait. Et si ce n'était pas là le sens de ces expressions : " Ce que je ne veux pas, je le fais ", comment n'aurait-il pas. ajouté : Mais ce que je suis forcé de faire, je le fais? Car c'est là l'opposé de la volonté et de la faculté d'agir. Mais ce n'est point ce qu'il dit; au lieu de cela, il emploie ces expressions : " Ce que je hais ", pour nous apprendre qu'en disant: " Ce que je ne veux pas " , il ne détruit point la liberté. Que signifient donc ces mots : " Ce que je ne veux pas? " C'est-à-dire, ce que je ne loue pas, ce que je n'approuve pas, ce que je n'aime pas ; et par antithèse il ajoute : " Mais ce que je hais, je le fais. Or, si je fais ce que je ne veux pas, j'acquiesce à la loi comme bonne (16) ".
2. Voyez-vous que l'âme n'est point perverse, mais qu'elle conserve dans l'action sa noblesse originelle? Si elle commet le mal, c'est en le haïssant : ce qui forme le plus bel éloge de la loi naturelle et de la loi écrite. La preuve, dit-il, que la loi est bonne, c'est que je m'accuse moi-même de ne l'avoir pas écoutée, et que je hais le mal que j'ai fait. Or, si la loi était la cause du péché, comment celui qui se complaît en elle, haïrait-il ce qu'elle aurait (285) commandé? Car " J'acquiesce à la loi, comme étant bonne. Maintenant ce n'est plus moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi. Car je sais que le bien n'habite pas en a moi, c'est-à-dire dans ma chair (17, 18) ". C'est sur ce texte qu'insistent ceux qui calomnient la chair et nient qu'elle soit l'ouvrage de Dieu. Que dirons-nous donc? Ce que nous disions hier à propos de la loi; qu'ici, comme là, Paul attribue tout au péché. En effet il ne dit point : C'est la chair qui fait cela, mais il dit au contraire : " Maintenant ce n'est plus a moi qui fais cela, mais le péché qui habite en moi ". Que s'il dit que le bien n'habite " pas dans la chair, ce n'est point encore une accusation contre elle : car de ce que le bien n'habite pas en elle, ce n'est pas une preuve qu'elle ne soit pas bonne. Nous convenons que la chair est inférieure à l'âme, qu'elle est plus défectueuse, sans cependant être son ennemie, ni son adversaire, ni mauvaise en elle-même; mais nous disons qu'elle est soumise à l'âme comme la lyre au musicien, comme le navire au pilote : instruments qui ne sont point ennemis de ceux qui les dirigent ou les manient, mais s'accordent parfaitement avec eux, sans être leurs égaux en dignité. Comme donc en disant que l'art n'est pas dans la lyre ni dans le vaisseau, mais dans le pilote et dans le musicien, on ne calomnie pas ces instruments , on indique seulement la distance qui les sépare de ceux qui les emploient; ainsi Paul en disant : " Le bien n'habite pas dans ma chair ", ne calomnie pas le corps, mais marque la supériorité de l'âme sur lui, car c'est à l'âme que sont confiées les fonctions de pilote et de musicien; et c'est ce que Paul veut exprimer, en lui attribuant l’autorité. Partageant l'homme en deux parties, l'âme et le corps, il dit que la chair est dénuée de raison, privée d'intelligence, qu'elle doit âtre conduite et ne saurait conduire ; tandis que l'âme plus sage, pouvant discerner ce qu'il faut faire et ce qu'il faut éviter, ne peut cependant modérer le cheval à son gré : reproche qui ne s'adresse pas seulement au corps, mais aussi à l'âme, qui sachant ce qu'il faut faire, n'exécute cependant pas ce qu'elle approuve.
" En effet, le vouloir réside en moi ", nous dit-il, " mais pour ce qui est d'accomplir le bien, je ne l'y trouve pas ". Ici encore en disant ; " Je ne l'y trouve pas ", il n'entend pas parler de l'ignorance ou du doute, mais du tort causé par le péché et des piéges qu'il tend ; ce qu'il exprime plus clairement en ajoutant: " Ainsi le bien que je veux, je ne le fais point; mais le mal que je ne veux pas , je le fais. Si donc je fais ce que je ne veux pas, ce n'est pas moi qui le fais , mais le péché qui habite en moi (19, 20) ". Voyez-vous comment, justifiant la substance de l'âme et celle du corps, il rejette tout sur la mauvaise action ? En effet, s'il ne veut pas le mal, l'âme n'est pas coupable ; s'il ne le fait pas, le corps est exempt de faute : tout est l'effet de la mauvaise volonté. Car il faut distinguer avec soin l'âme , le corps et la volonté : ces deux premiers sont les oeuvres de Dieu, et l'autre est un mouvement qui part de nous et tend où nous le dirigeons. La faculté de vouloir est naturelle et vient de Dieu ; mais telle ou telle volonté vient de nous et est l'oeuvre de notre choix.
" Je trouve donc, quand je veux faire le bien, cette loi, que le mal réside en moi ". Ces paroles sont obscures : quel en est le sens? J'approuve la loi dans ma conscience , nous dit-il; je la trouve d'accord avec moi quand je veux faire le bien, elle fortifie ma volonté; et comme je me. complais en elle , aussi agrée telle mon intention. Voyez-vous comme il démontre que la distinction du bien et du mal nous a été donnée dès le principe, que la loi de Moïse l'approuve et en est approuvée? En effet, plus haut il n'a pas dit: J'apprends de la loi , mais : " J'acquiesce à la loi "; il n'a pas dit : La loi m'instruit, mais : " Je me complais en elle ". Qu'est-ce que cela : " Je me complais? " Je conviens qu'elle est bonne, puisqu’elle est d'accord avec moi quand je veux faire le bien. Ainsi vouloir le bien et ne pas vouloir le mal date du commencement; mais la loi survenant a accusé davantage chez les méchants et approuvé davantage chez les bons. Le voyez-vous attester partout l'extension et l'augmentation de la loi, mais rien de plus? Car bien que la loi m'approuve, que je me complaise en elle et que je veuille le bien, le mal est. pourtant là et son action n'est pas détruite. Ainsi la loi ne vient en aide à celui qui se propose de faire le bien,qu'autant qu'il veut ce qu'elle veut. Mais comme il n'avait dit cela qu'obscurément, il l'explique ensuite et l'exprime, plus clairement, en faisant voir comment le mal est présent et comment la loi (286) aide celui qui veut faire le bien. " Je me complais ", dit-il, " dans la loi de Dieu, selon l'homme intérieur ", c'est-à-dire : Je connaissais déjà le bien auparavant, mais je l'approuve quand je le trouve dans la loi écrite. " Mais je vois dans mes membres une autre loi , qui combat la loi de mon esprit (22, 23) ".
3. Sous le nom de loi qui combat, il désigne ici le péché, fion par honneur, mais à cause de la facilité avec laquelle on lui obéit. Car comme on donne à Mammon le nom de Seigneur, au ventre celui de Dieu, non qu'ils aient une dignité Propre , mais à raison de la soumission de leurs esclaves : ainsi l'apôtre appelle le péché loi , parce que ses partisans lui obéissent servilement et craignent de le quitter, comme ceux qui ont reçu la loi craignent de la perdre. Or le péché, dit Paul , est opposé à la loi naturelle; car c'est là ce que signifient ces mots: " La loi de mon esprit ". Puis il parle d'armée et de combat, et reporte le poids de la lutte sur la loi naturelle. En effet, la loi de Moïse a été donnée par surcroît. Et pourtant toutes les deux, l'une en enseignant , l'autre en approuvant ce qu'il fallait faire, n'ont pas obtenu grand succès dans la bataille : tant est grande la violence du péché, à qui reste le triomphe et la victoire ! C'est ce que Paul déclare, et en constatant la défaite, il dit : " Mais je vois dans moi une autre loi qui combat la loi de mon esprit et me captive "; il ne dit pas simplement : Qui remporte la victoire , mais : " Qui me captive " sous la loi du péché ". Il ne dit pas : Sous l'impulsion de la chair, ni : Sous la nature de la chair; mais : " Sous la loi du péché ", c'est-à-dire sous la tyrannie, sous la puissance.
Comment dit-il donc. " Laquelle est dans mes membres? " Et qu'est-ce que cela? Il n'en résulte pas que les membres soient péché, il les distingué au contraire du péché : car autre chose est le contenu, autre chose le contenant. De même donc que le commandement n'est pas mauvais, parce que le péché en a pris occasion ; ainsi en est-il de la nature de la chair, quoique le péché nous attaque par elle; autrement l'âme aussi serait mauvaise, et à bien plus forte raison, puisque c'est à elle qu'appartient l'autorité pour agir. Mais cela n'est pas, cela n'est pas du tout. Si un tyran ou un voleur s'emparait d'une magnifique maison et d'un palais royal, ce n'est point à la maison qu'en reviendrait le blâme, mais l'accusation retomberait tout entière sur les auteurs d'une telle surprise. Mais les ennemis de la vérité, outre leur impiété, tombent ici dans une grande folie sans s'en apercevoir. En effet, ils n'accusent pas seulement la chair, mais ils calomnient la loi; et pourtant si la chair est mauvaise, la loi est bonne, car elle est opposée à la chair et la combat; et si la loi est mauvaise, la chair est bonne; car, selon eux, elle lutte et combat contre la loi. Or, si ces deux choses sont opposées, comment les attribuent-ils toutes les deux au démon ? Voyez-vous comme la folie se mêle ici à l'impiété? Elle n'est point la doctrine de l'Eglise : elle ne condamne que le péché ; mais elle affirme que les deux lois données par Dieu, la loi naturelle et la loi mosaïque, sont les ennemies du péché et non de la chair; que la chair n'est point péché, mais oeuvre de Dieu , apte à la pratique de la vertu, si nous veillons sur nous.
" Malheureux homme que je suis ! qui me a délivrera de ce corps de mort (21) ? " Voyez-vous jusqu'où va la tyrannie du péché, puisqu'il triomphe même de l'âme qui se complaît dans la loi.? Personne, nous dit Paul, ne peut affirmer que le péché me domine parce que je hais et repousse la loi , car je me complais en elle, j'y acquiesce; j'y cherche mon refuge ; et pourtant elle ne peut sauver celui qui recourt à elle, tandis que le Christ a sauvé même celui qui s'éloignait de lui. Voyez-vous quelle est la supériorité de la grâce? Ce n'est cependant pas ainsi que parlait l'apôtre mais gémissant et versant d'abondantes larmes, comme s'il était privé de tout secours, il nous fait voir, par son inquiétude même, la puissance du Christ, et s'écrie : " Malheureux homme que je suis ! qui me délivrera de ce corps de mort ? " La loi ne l'a pas pu, la conscience n'y a pas suffi ; et pourtant j'approuvais le bien, et non-seulement je l'approuvais, mais, je luttais contre le mal. Car en disant : " Qui combat ", il indique qu'il résistait lui-même. Où est donc l'espérance du salut ?
" Je rends grâces à Dieu ", dit-il, " par Notre-Seigneur Jésus-Christ (25) ". Voyez-vous comme il fait voir que la présence de la grâce est nécessaire et que les bienfaits sont communs au Père et au Fils? Si, en effet, il rend grâces au Père, c'est le Fils même qui en est la (287) cause. Et quand vous l'entendez dire: " Qui me délivrera de ce corps de mort ? " ne vous imaginez pas qu'il accuse la chair. Car il ne dit pas : Ce corps de péché, mais : " Ce corps de mort ", c'est-à-dire, ce corps mortel, sujet à la mort, mais qui n'a pas engendré la mort : ce qui est un indice, non de la malice de la chair, mais du dommage qu'elle a souffert. De même que si quelqu'un était pris par les barbares, on dirait de lui qu'il leur appartient, non parée qu`i[ serait lui-même barbare; mais parce qu'il serait en leur pouvoir; ainsi le corps est dit corps de mort, non parce qu'il a causé la mort, mais parce qu'il est sous sa domination. C'est pourquoi Paul ne demande pas à être délivré du corps, mais du corps mortel : insinuant ce que j'ai répété bien des fois, que le corps est très-accessible au péché, précisément parce qu'il est passible.
4. Mais, direz-vous, puisque avant la grâce la tyrannie du péché était si grande, pourquoi les pécheurs étaient-ils punis ? Parce qu'on ne leur commandait que ce qu'ils pouvaient faire sous l'empire même du péché. En effet, Dieu n'exigeait pas d'eux une grande perfection ; il leur permettait l’usage des richesses, ne leur défendait pas d'avoir plusieurs femmes, tolérait la colère dans les limites de la justice, la jouissance des plaisirs modérés; sa condescendance allait jusqu'au point que la loi écrite était moins exigeante que la loi naturelle. En effet, la loi naturelle voulait qu'un homme n'eût jamais qu'une femme, ce que le Christ rappelle quand il dit : " Celui qui les créa au commencement, les fit mâle et femelle ". (Matth. XIX, 4.) Mais la loi de Moïse n'exigeait pas même qu'on renvoyât une première femme pour en prendre une seconde ; elle ne défendait point de les garder toutes les deux. Outre cela, nous voyons les anciens , instruits par la loi naturelle, faire encore, en d'autres points, beaucoup plus que ceux qui ont vécu sous la toi. On n'a donc pas eu de tort envers ceux-ci, puisque leur législation était si modérée. Donc s'ils n'ont pas pu vaincre, la faute en est à leur lâcheté. C'est pourquoi Paul rend grâces de ce que le Christ, laissant de côté toute enquête minutieuse , non-seulement n'a pas demandé compte des péchés passés, mais nous a rendus capables de courir dans une voie plus parfaite. Ce qui lui fait dire : " Je rends grâces à Dieu par Jésus-Christ ". Sans parler du salut, bienfait dont tout le monde convient, il passe de la question qu'il vient de traiter à une autre plus élevée, à savoir : que non-seulement nous sommés délivrés de nos péchés passés, mais que nous en sommes garantis pour l'avenir.
" Il n'y a donc pas maintenant de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ, qui ne marchent pas selon la chair ".(VIII, 1.) Il n'a dit cela qu'après avoir rappelé le premier état de choses. En effet, après avoir d'abord dit ; " Ainsi j'obéis moi-même par l'esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché ", il ajoute : " Il n'y a donc pas de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ ". Puis, comme on pouvait objecter que beaucoup pèchent même après le baptême, il se hâte d'aborder ce point. Et il ne dit pas simplement : " A ceux qui sont en. " Jésus-Christ " ; mais : " A ceux qui ne marchent pas selon la chair ", indiquant par là que tout le mal .qui se fait est l'effet de notre lâcheté; car il est possible maintenant de ne pas marcher selon la chair, mais alors c'était difficile. Il donne encore une autre preuve dans ce qui suit, quand il dit: " Car la loi de l'esprit de vie qui est dans le Christ Jésus m'a délivré... (2) " : donnant ici à l'esprit le nom de loi de l'Esprit: Comme il a appelé le péché loi de péché, ainsi il appelle l'esprit loi de l'Esprit. Or, il a aussi donné ce nom à la loi de Moïse, en disant : " Nous savons en effet que la loi est spirituelle ". Où est donc la différence? Elle est grande, elle est immense: l'une était spirituelle , et l'autre est la loi de l'Esprit. Et en quoi consiste cette différence? C'est que la première a été simplement donnée par l'Esprit, et que la seconde donne abondamment l'Esprit à ceux qui la reçoivent. Aussi l'appelle-t-il loi de vie, par opposition non à la loi mosaïque, mais à la loi du péché. En effet. quand il dit : " M'a délivré de la loi du péché et de la mort ", il n'entend point parler de la loi de Moïse, vu que nulle part il ne l'a appelée loi de péché ; et comment pourrait-il lui donner ce nom, puisqu'il l'a déclarée juste, sainte, destructive du péché ? Celle qu'il désigne est donc celle qui combat la loi de l'Esprit. C'est la grâce de l'Esprit qui a mis fin à cette guerre terrible, en tuant le péché,en nous rendant le combat facile, en nous couronnant d'abord, et en nous provoquant à la lutte par des secours abondants.
Et ce qu'il fait toujours, eu passant du Fils (288) à l'Esprit, de l'Esprit au Fils et au Père, et en attribuant tout ce que nous avons à la Trinité, il le fait encore ici. Car, après avoir dit : " Qui me délivrera de ce corps de mort ? " il a montré que c'est-le Père. par le Fils , puis l'Esprit-Saint avec le Fils: " Car ",dit-il, "la loi de l'Esprit de vie qui est dans le Christ Jésus, m'a affranchi "; puis le Père et le Fils: " Car ", dit-il encore, " ce qui était impossible à la loi, parce qu'elle était affaiblie par la chair, Dieu, envoyant son Fils dans une chair semblable à celle du péché, a condamné le péché dans la chair à cause du péché même (3) ". Une fois encore, il semble accuser la loi ; mais, si on y fait attention, il en fait un grand éloge, en montrant qu'elle est d'accord avec le Christ et impose les mêmes .commandements. Il ne dit pas : Ce qui était mauvais dans la loi, mais : " Ce qui était impossible sous la, loi " ; et encore : ".Parce qu'elle était affaiblie ", mais non : Parce qu'elle faisait le mal, ni. Parce qu'elle tendait des pièges. Encore ce n'est pas même à elle qu'il impute sa faiblesse, mais à la chair , disant : " Parce qu'elle était affaiblie par la chair " ; et par chair ici il n'entend point la substance même et le sujet, mais le sens trop charnel; ainsi il justifie de toute accusation et le corps et la loi ; non-seulement par ce qu'il vient de dire, mais encore par ce qui suit.
5. En effet, si la loi était contraire, comment le Christ serait-il venu à son aide, aurait-il complété sa justification, lui aurait-il tendu la main, en condamnant le péché dans la chair? C'était tout ce qui restait à faire, puisque depuis longtemps la loi condamnait le péché dans l'âme. Quoi donc ? La loi a-t-elle fait le principal, et le Fils unique de Dieu l'accessoire? Nullement. Ce principal, Dieu l'avait fait avant tout, en donnant la loi naturelle, et en y ajoutant la loi écrite ; mais, du reste, il eût été inutile, si l'accessoire n'était venu s'y joindre. Car à quoi sert de connaître ses devoirs, si on ne les remplit pas? A rien,; la condamnation n'en est que plus forte. Celui donc qui a sauvé l'âme est précisément celui qui a refréné la chair. Enseigner est facile ; mais montrer le chemin par où tout devient facile; voilà le merveilleux. C'est pour cela que le Fils unique est venu, et il ne s'en est pas allé avant de nous avoir dégagés de cette difficulté. Et ce qu'il y a de plus grand encore, c'est la manière dont il a remporté la victoire ; car il n'a pas pris d'autre chair que celle que les maux accablaient ; comme si quelqu'un voyant une femme de vile condition, une vagabonde, maltraitée sur une place publique, se déclarait son fils, étant lui-même fils du roi, afin de l'arracher ainsi aux mains de ceux qui l'outragent. C'est ce que le Christ a fait, se déclarant fils de l'homme, prêtant secours à la chair, et condamnant te péché. Et le péché n'osa plus frapper la chair, ou plutôt il l'a frappée du coup de la mort; mais par là même, a été condamné et détruit, non la chair qui avait reçu le coup, mais le péché qui l'a donné: chose prodigieuse entre toutes. Car si la victoire n'eût pas été remportée dans la chair, ce serait moins étonnant, puisque la loi en faisait autant; mais la merveille c'est que le trophée ait été élevé avec la chair, et que celle qui avait reçu du péché d'innombrables blessures, ait elle-même remporté contre le péché une éclatante victoire.
Et voyez que de choses incroyables la première, c'est que le péché n'a pas vaincu la chair; la seconde, c'est qu'il a été vaincu. et vaincu par la chair; car ce n'est pas la même chose de n'être pas vaincu ou de vaincre celui dont on a toujours été vaincu. La troisième, c'est que non-seulement la chair a vaincu, mais qu'elle a, infligé un châtiment ; car, n'ayant; pas péché, le Christ n'a pas été vaincu; et en mourant il a vaincu et condamné le péché, en lui rendant terrible la chair qui lui avait , paru jusque-là méprisable. Il a donc ainsi détruit sa puissance et aussi la mort qui était venue à sa suite. En effet, tant que le péché avait rencontré des coupables, il avait eu le droit de leur donner la mort; mais ayant trouvé un corps innocent et l'ayant aussi livré à la mort, il a été condamné comme coupable d'injustice. Voyez-vous combien de victoires? La chair n'a pas été vaincue par le péché; elle l'a elle-même vaincu et condamné, et non simplement condamné, mais condamné comme coupable d'injustice: En effet, elle l'a d'abord convaincu d'injustice, puis elle l'a condamné, non-seulement par. sa force et par sa puissance, mais encore en vertu du droit. C'est ce que l'apôtre entend, en disant du péché : " Il a condamné le péché dans la chair", comme s'il disait : Il l’a convaincu d'une extrême injustice et l'a ensuite condamné. Voyez-vous que le péché est partout condamné, mais non la chair ; que la chair même est couronnée et (289) qu'elle prononce la sentence contre le péché? Que si l'apôtre nous dit que Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable,'n'allez pas vous imaginer que la chair de Jésus-Christ ait été autre que .la nôtre : comme il avait parlé de chair de péché, il a dû se servir de cette expression : " Semblable ". Car le, Christ n'a pas une chair coupable; il l'a eue semblable à notre chair coupable, de même nature qu'elle, mais impeccable. D'où il résulte clairement que la nature de la chair n'est pas mauvaise. Le Christ n'a point pris une autre chair que la chair primitive, .il n'en a point changé la Substance pour la rendre capable de combattre le péché; mais la laissant subsister dans sa nature propre, il lui a fait remporter la victoire contre le péché, et, après cette victoire, il l'a ressuscitée et rendue immortelle.
Mais, direz-vous, que m'importe que tout cela se soit passé date la chair du Christ?Cela vous importe beaucoup; car l'apôtre ajoute " Afin que la justification de la loi s'accomplît en nous, qui ne marchons point selon la chair (14) ". Qu'est-ce à dire, "La justification? " Le terme, le but, le succès. Car que demandait la loi, que prescrivait-elle? D'être sans péché. Or le Christ nous a obtenu cette faveur; résister et vaincre, ç'a été son affaire; profiter de sa victoire, voilà la nôtre. Désormais donc nous ne pécherons plus; non, nous ne pécherons plus, à moins d'être absolument dénués de force et de courage. Aussi l'apôtre ajoute-t-il : " Nous qui ne marchons pas selon la chair ". Et de peur qu'en entendant dire que le Christ vous a délivré des assauts du péché, que la justification de la loi est accomplie en vous, que le péché a été condamné dans la chair, vous ne détruisiez toute l'économie de l'œuvre, l'apôtre, après avoir dit : " Il n'y a donc pas de condamnation ", a ajouté : "Pour ceux qui ne marchent pas selon la chair ". Et ici, tout en disant : " Afin que la justification de la loi s'accomplisse en nous", il répète la même chose et dit même beaucoup plus. Car, après ces mots:. " Qui ne marchons point selon la chair ", il ajouté : " Mais selon l'Esprit " ; nous montrant par là qu'il faut non-seulement s'abstenir du mal, mais aussi faire le bien. En effet, c'est au Christ de vous donner la couronne, mais c'est à vous de la conserver. Ce qui était le but de la loi, à savoir d'être exempt de la malédiction, le Christ vous l'a accordé.
6 . Ne perdez donc pas un si grand bienfait; mais conservez toujours ce précieux trésor. L'apôtre nous fait voir ici que le baptême ne suffit pas pour, le salut, si nous ne menons ensuite une vie digne d'un si grand don. Ce langage plaidé encore en faveur de la loi. Car dès que nous croyons au Christ, il faut tout faire, tout mettre en oeuvre, pour que la justification qu'il a accomplie, persévère en nous et ne soit pas perdue. " En effet, ceux qui sont selon la chair goûtent les choses de la chair; mais ceux qui sont selon l'esprit, ont le sentiment des choses de l'esprit. Or, la prudence de la chair est mort; mais la prudence de l'esprit, est vie et paix. Parce que la sagesse de la chair est ennemie de Dieu; car elle n'est point soumise à la loi de Dieu, et elle ne le peut (5-7) ". Ceci encore n’est point une calomnie contre la chair. Car, tant qu'elle garde son rang, il ne se fait rien de déplacé; mais quand nous lui permettons tout; quand, dépassant ses limites, elle se révolte contre l'âme alors elle perd tout, elle gâte tout, non par l'effet de sa propre nature, mais par son intempérance et le désordre qui en est la suite. " Mais ceux qui sont selon l'esprit, ont le sentiment des choses de l'esprit. Or, la prudence de la chair est mort ". Il ne dit pas : La nature de la chair; ni : La substance du corps; mais : " La prudence ",qui peut se corriger et se détruire. Et s'il parle ainsi, ce n'est pas qu'il attribue à la chair une pensée propre : à Dieu ne plaise ! mais il veut désigner l'instinct de l'âme le plus grossier et lui donne le nom de la partie la plus imparfaite, comme souvent il appelle chair l'homme tout entier quoique doué d'une âme.
" Mais la prudence. de l'esprit ". Ici il revient à l'âme spirituelle, comme plus bas, quand il dit : "Mais celui qui scrute les coeurs sait ce que désire l'esprit ", et il fait voir que beaucoup de biens en résultent pour le présent, et pour l'avenir. En effet: la prudence spirituelle produit beaucoup plus de biens que la prudence charnelle ne cause de maux; c'est ce .que Paul. indique en disant : " Vie et paix " ; l'un, par opposition à ce qu'il a dit : " La prudence de la chair est mort " ; l'autre, par opposition à ce qui suit, puisqu'après avoir dit : " Paix " , il ajoute: " Parce que la prudence de la chair est ennemie de Dieu ", ce qui est encore. pire que la mort. Puis, pour prouver qu'il y a mort et inimitié de Dieu, il ajoute : (290) " Car elle n'est point soumise à la loi de Dieu et ne peut l'être ". Toutefois ne vous troublez pas en entendant dire " Qu'elle ne le peut " ; c'est une difficulté qui se résout aisément. Par prudence de la chair il entend ici la pensée terrestre, la pensée grossière, qui soupire après les jouissances de la vie et les mauvaises actions : celle-là, il déclare qu'elle ne peut être soumise à Dieu. Quelle espérance de salut reste-t-il donc, si le méchant ne peut devenir bon? Ce. n'est point là ce qu'il dit autrement, comment Paul le serait-il devenu? Et le larron? Et Manassès? Et les Ninivites? Comment David s'est-il relevé après sa chute? Comment Pierre, après avoir renié son Maître, est-il rentré en lui-même? Comment le fornicateur a-t-il été reçu dans le troupeau du Christ? Comment les Galates, qui avaient perdu la grâce, ont-ils recouvré leur première noblesse? Paul ne dit donc pas que le méchant ne peut devenir bon, mais qu'en restant méchant il ne peut être soumis à Dieu; une fois changé, il lui est facile de devenir bon et d'être soumis. Il ne dit pas en effet que l'homme ne peut pas être soumis à Dieu, mais qu'une mauvaise action ne saurait être bonne; comme s'il disait : La fornication ne peut être. la chasteté, ni le vice la vertu. Le Christ dit aussi dans l'Evangile : " Un arbre mauvais ne peut produire de bons fruits " (Matth. VII, 18); n'empêchant point le passage du vice à la vertu, mais déclarant que celui qui persévère dans le mal ne peut produire dé bons fruits. En effet, il ne dit pas : Un arbre mauvais ne peut devenir bon; mais seulement: En demeurant mauvais il ne peut produire de bons fruits. Du reste, qu'un changement soit possible, il le fait voir ici par cette autre parabole, où il parle de la zizanie devenue froment.
Aussi défend-il de l'arracher : " De peur ", dit-il, " que vous n'arrachiez aussi le froment avec elle " (Matth. XIII, 29); c'est-à-dire, le froment qui en doit sortir. Paul appelle la malice, prudence de la chair; et prudence de l'esprit; la grâce qui a été donnée et l'énergie qui -e manifeste par la bonne volonté; il ne parle nullement de nature et de substance, mais de vertu et de vice. Ce gtie vous n'avez pas pu sous la loi, nous dit-il, vous le pouvez maintenant : marcher droit et sans trébucher, pourvu que vous obteniez le secours de l'Esprit. Car il ne suffit pas de ne pas marcher selon la chair, mais il faut marcher selon l'esprit; puisqu'il ne suffit pas pour le salut d'éviter le mal, mais qu'il faut encore faire le bien. Or il en sera ainsi, si nous livrons notre âme à l'Esprit, et si nous persuadons à la chair de rester à sa place. Par là nous la rendrons spirituelle; comme, parla lâcheté, nous rendrons notre âme charnelle.
7. Or, comme le don n'est pas imposé par la nature, mais qu'il est le produit de la libre volonté, il dépend de vous de choisir l'un ou l'autre. Tout ce qui vient de lui est parfait; car le péché ne combat plus la loi de notre esprit, il ne la captive plus comme auparavant; c'est est fait, tout est détruit, les passions craintives et tremblantes redoutent la grâce de l'Esprit. Mais si vous éteignez la lumière, si vous jetez le clicher en bas de son siége, si vous chassez le pilote, ne vous en prenez qu'à vous de la tempête. De ce que la vertu est maintenant plus facile, de ce que la sagesse est plus solidement appuyée, apprenez quelle était la situation de l'homme sous l'empire de la. loi, et quelle elle est maintenant, depuis que la grâce a brillé. Ce qu'on ne croyait alors possible pour personne, comme la virginité, le mépris de la mort, et tant d'autres sentiments généreux, se pratique aujourd'hui par toute la terre. Ce n'est pas seulement chez nous, mais chez les Scythes, chez les Thraces. chez les Indiens, chez les Perses, chez beaucoup d'autres peuples barbares, que les choeurs de vierges, les troupes de martyrs, les communautés de moines sont plus nombreux que les unions conjugales; que les jeûnes y sont rigoureux, le détachement parfait : ce qu'aucun de ceux qui vivaient sous la loi, excepté un ou deux, n'eût osé imaginer même en songe. En voyant donc la réalité des faits plus éclatants que le son de la trompette, ne vous laissez point aller à la mollesse, ne trahissez pas une si grande grâce. Quand on a reçu la foi, il n'est plus possible de se sauver avec le relâchement. Si le combat est facile, c'est, pour que vous luttiez et remportiez la victoire; et non pour que vous vous endormiez, pour que votre lâcheté s'autorise de la grandeur même du bienfait, et que vous vous replongiez dans l'ancien bourbier.
Aussi l'apôtre ajoute-t-il : " Mais ceux qui sont dans là chair ne peuvent plaire à Dieu (8) ". Quoi donc? direz-vous; nous tuerons notre corps pour plaire à Dieu? Vous voulez (291) que nous sortions de notre chair, que nous nous suicidions, pour nous conduire à la vertu? Voyez-vous que d'absurdités s'ensuivraient, si nous prenions les expressions à la lettre? Ici, par chair, l'apôtre n'entend pas le corps, ni la substance du corps, mais la vie charnelle et mondaine, livrée complètement à la volupté et à la débauche et qui transforme en chair l'homme tout entier. Car, de même que ceux à qui l'esprit donne des ailes, rendent leur corps spirituel; ainsi ceux qui repoussent l'esprit et sont esclaves de leur ventre et de la volupté, transforment leur âme en chair, non pas en changeant sa substance, mais en détruisant sa noblesse. Souvent cette métaphore est employée même dans l'Ancien Testament, où le nom de chair désigne une vie grossière, fangeuse, plongée dans des voluptés coupables. Dieu dit à Noé : " Mon esprit ne demeurera pas dans ces hommes, parce qu'ils sont chair ". (Gen. VI, 3.) Pourtant Noé aussi était revêtu de chair; mais là n'était point le crime, puisque c'est dans la nature ; le mal, c'était d'avoir embrassé la vie charnelle.
Aussi Paul dit-il : " Ceux qui vivent dans la chair ne peuvent plaire à Dieu " , et il ajoute : " Pour vous, vous n'êtes point dans la chair, mais dans l'esprit... (9) " ; entendant ici non simplement la chair, mais la chair entraînée, tyrannisée par les passions. Mais, dira-t-on , pourquoi ne s'est-il pas exprimé ainsi et n'a-t-il pas fait1a différence? Pour élever l'auditeur, et faire voir que celui qui vit bien n'est, pour ainsi parler, plus dans son corps. En effet, puisqu'il est évident pour tout le monde que celui qui est dans le péché. n'est pas spirituel, l'apôtre établit quelque chose de plus, à savoir que l'homme spirituel non-seulement n'est pas dans le péché, mais pas même dans la chair, et par là même est devenu un ange, s'élevant vers le ciel et portant, simplement une enveloppe de chair. Que si vous accusez là chair, parce que Paul donne son nom à la 'vie charnelle, vous accuserez aussi le monde, parce que souvent on désigne le vice sous son nom, comme quand le Christ dit à ses disciples : " Vous n'êtes point de ce monde " (Jean, XV, 19); et encore, à ses frères : " Le monde ne peut pas vous haïr; pour moi il me hait ". (Id. VII, 7.) Et il faudra dire aussi que l'âme est étrangère à Dieu, parce que Paul a appelé animaux ceux qui vivent dans l'égarement. Non, non, il n'en est pas ainsi. Ce n'est pas simplement aux expressions qu'il faut s'en tenir, mais à l'intention de celui qui parle; il faut saisir exactement la différence des termes. Il y a des choses bonnes, des choses mauvaises et des choses indifférentes ; au nombre de ces dernières sont l'âme et le corps, qui peuvent devenir bons ou mauvais; mais l'esprit est toujours bon et ne peut jamais cesser de l'être. D'un autre côté , la prudence de la chair, c'est-à-dire, une action mauvaise, est toujours mauvaise : car elle n'est point soumise à la loi de Dieu. Si donc vous livrez votre âme et votre corps au bien, vous partagerez le sort du`bien , si vous les livrez au mal, vous aurez part à sa ruine, non par la nature de l'âme et de la chair, mais à raison de votre propre volonté qui était libre de choisir l'un ou l'autre. Qu'il en est ainsi, et que Paul n'a point calomnié la chair, nous en aurons une, preuve plus sensible, en reprenant le texte : " Pour vous, vous n'êtes point dans la chair, mais dans l'esprit ".
8. Quoi donc ! Ils n'étaient point dans la chair? Ils marchaient sans corps? Est-ce possible ? Voyez-vous que l'apôtre fait ici allusion à la vie charnelle? Et pourquoi n'a-t-il pas dit: Vous n'êtes pas dans le péché ? Pour vous apprendre que le Christ a non-seulement détruit la tyrannie du péché, mais aussi rendu l'âme plus légère et plus spirituelle, non en changeant sa nature, mais plutôt en lui donnant des ailes. Comme le fer, au milieu du feu, devient feu, tout en gardant sa nature propre; ainsi la chair des fidèles et de ceux qui ont l'esprit, prend l'énergie même de l'esprit et devient toute spirituelle, étant entièrement crucifiée et s'élevant comme l'âme, sur des ailes. Tel était le corps de celui qui tenait ce langage. Aussi prenait-il en pitié toutes les voluptés et toutes les délices; il mettait son bonheur dans la faim, dans la flagellation, dans la captivité, et n'en ressentait aucune souffrance. C'était ce qu'il entendait quand il disait : " Nos courtes et légères tribulations ". (II Cor. IV, 17.) Il avait si bien maté sa chair qu'elle allait du même pas que l'esprit. " Si toutefois l'Esprit de Dieu habite en vous ". Souvent ce terme de " Si toutefois ", n'est pas chez lui une expression de doute, mais de foi ferme, et signifie " Puisque "; comme quand il dit : " Si toutefois il est juste devant Dieu qu'il rende l'affliction à ceux qui vous (292) affligent " (II Thess. I, 6); et. encore: " Vous avez tant souffert en vain, si toutefois c'est en vain ". (Gal. VI, 4.) " Or, si quelqu'un n'a pas l'esprit du Christ, celui-là n'est point à lui". Il ne dit pas : Si vous n'avez pas, mais transporte sur d'autres une supposition pénible.
" Mais si le Christ est en vous... (10) ". De nouveau il suppose que le Christ est en eux. Ce qui pouvait attrister, il l'a dit brièvement et au milieu de son discours; mais ce qui réjouit, il l'a dit avant et après et dans beaucoup de paroles, ale manière à tenir le reste dans l'ombre. Non qu'il confonde le Christ avec l'esprit : bien loin de là; mais il montre que celui qui a l'esprit, non-seulement est dit appartenir au Christ, mais le possède lui-même. Car il n'est pas possible que le Christ ne soit pas là où est l'esprit. En effet, là où est une,seule personne de là Trinité, se trouve la Trinité tout entière, vu qu'elle est indivisible en elle-même et forme une unité parfaite: Et qu'arrivera-t-il, si le Christ est en vous ? " Le corps, il est vrai, est mort à cause du péché ; mais l'esprit est vie par la justice ". Voyez-vous combien de maux résultent de l'absence du Saint-Esprit : la mort, la haine de Dieu, l'impossibilité d'obéir à ses lois, ne point appartenir au Christ comme on le doit, ne pas le posséder au dedans de soi? Voyez au contraire que de biens découlent de la présence de l'esprit : appartenir au Christ, le posséder lui-même, être l'égal des anges, c'est-à-dire, avoir mortifié sa chair, vivre de la vie immortelle , posséder un gage de la résurrection, courir sans obstacle dans la voie de la vertu. Il ne dit pas que le corps cesse de pécher, mais qu'il est mort, pour indiquer une plus grande facilité à 'courir. Et on . est enfin couronné sans combats et sans, peines. Voilà pourquoi il ajoute : " Au péché ", pour vous apprendre que le Christ a détruit une fois la malice, mais non tir nature du corps. Si en effet le corps était détruit, beaucoup de choses qui peuvent être utiles à l'âme, disparaîtraient. Ce n'est point là ce que dit l'apôtre, mais bien que le corps vivant et subsistant doit être mort. Car c'est là le signe que nous possédons le Fils, que l'Esprit habite en nous, lorsque nos corps ne diffèrent point, quant à leur action propre, de ceux qui sont couchés dans le cercueil. Cependant ne vous épouvantez pas en entendant parler de mortification : car vous avez une vie qu'aucune mort ne peut atteindre. Telle est la vie de l'esprit; elle ne cède plus à la mord mais elle l'absorbe et la consume, et rend immortel tout ce qui la reçoit. Aussi après avoir dit que le corps est mort, il n'ajoute pas : L'esprit est vivant, mais : " Est vie ", pour montrer qu'il peut aussi procurer la vie à d'autres.
Puis, serrant de près l'auditeur, il dit quel est le principe dé. la vie et quelle en est la preuve : c'est la justice. En effet, une fois le péché détruit, la mort disparaît; et la. mort disparaissant, la vie est indestructible. "Que si l’esprit de celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité le Seigneur, vivifiera aussi vos " corps mortels, par son esprit qui habite en vous (11) ". Il revient encore à la résurrection, percé que cette espérance tenait surtout l'auditeur en haleine et l'affermissait par la pensée de ce qui est arrivé au Christ. Ne vous effrayez- pas, leur dit-il, d'être revêtu d'un corps mortel ; ayez l'esprit, et ce corps ressuscitera certainement. Quoi donc ! Est-ce que les corps qui n'ont pas l'esprit ne ressusciteront pas? Comment donc tous les hommes doivent-ils paraître devant le tribunal du Christ? Comment croire alors à tout ce qu'on dit de l'enfer ? Si ceux qui n'ont pas l'esprit ne ressusciteront pas, il n'y aura point d'enfer. Que signifient donc ces paroles? Tous ressusciteront mais non pas tous pour la vie.; les uns pour le châtiment, les autres pour la vie. Aussi l'apôtre ne dit-il pas: Ressuscitera, mais : " Vivifiera " : ce qui est plus que de ressusciter et n'est réservé qu'aux justes. Puis, pour donner. la raison d'un si grand honneur, il ajoute : " Par son esprit qui habite en vous ". En sorte que si, étant sur la terre, vous repoussez la grâce de l'esprit, que vous ne la possédiez pas saine et sauve au moment du départ, vous serez perdre sans ressource, quoique vous ressuscitiez. De même que si le Christ voit briller en vous son esprit, il ne souffrira pas que vous soyez livré au supplice; ainsi, s'il le voit éteint, il ne permettra pas que vous entriez, dans la chambre nuptiale, non plus que les vierges folles. Ne laissez donc pas vivre votre corps maintenant, afin qu'il vive alors; faites-le mourir, pour qu'il ne meure pas; s'il continue à vivre, il ne vivra pas; s'il meurt, il vivra. Il en sera ainsi dans la résurrection universelle; il faut (293) d'abord que le corps meure et soit enseveli, puis qu'il devienne immortel. C'est aussi ce qui a eu lieu dans le baptême : le corps y a d'abord été crucifié et enseveli, puis il est ressuscité. Ainsi en a-t-il été du corps du Seigneur : il a été crucifié, puis enseveli, et il est ressuscité.
9. Faisons-en autant : mortifions sans cesse notre corps dans nos actions. Je ne parle pas ici de sa substance, à Dieu ne plaise ! mais de ses penchants aux actions coupables. Ne rien supporter d'humain en soi, n'être point l'esclave des voluptés; là, et là seulement est la vie. Du reste celui qui se soumet à leur joug, ne peut même plus vivre, à raison des chagrins, des craintes, des périls, des maux sans nombre qu'elles engendrent. Dans l'attente de la mort; il meurt de peur, avant de mourir; dans la prévision de la maladie, des injures, de la pauvreté, de quelque autre malheur inopiné, il dépérit, il se consume. Qu'y a-t-il de plus misérable qu'une telle vie ? Il n'en est pas ainsi de celui qui vit par l'esprit; il est au-dessus de la crainte, du chagrin, des périls, de toute espèce de revers, non parce qu'il ne les éprouve pas, mais, ce qui est bien mieux, parce qu'il méprise leurs assauts. Mais comment cela peut-il être ? Si l'esprit habite toujours en nous. Car l'apôtre n'entend pas parler d'un passage, rapide, mais d'un séjour perpétuel. Aussi ne dit-il pas : Qui a habité, mais : " Qui habite ", pour indiquer une demeure permanente. Ainsi celui qui est mort à cette vie est donc le plus rivant. C'est pourquoi Paul dit : " L'esprit est vie par la justice ".
Pour rendre cela plus sensible, supposons deux hommes, dont l'un est livré aux folles dépenses, aux plaisirs, aux séductions de la vie; et l'autre y est mort, et voyons quel est celui qui vit le plus. Que de ces deux hommes, l'un très-riche, illustre, nourrissant des parasites et des flatteurs , passe toutes ses journées dans les jeux et la débauche ; que l'autre, en proie à la faim, aux privations, à toutes les nécessités de la vie, soit sage, ne prenne que le soir la nourriture strictement nécessaire, ou même, si vous le voulez, passe deux et trois jours sans manger : lequel des deux nous semble le plus vivre? Je sais que le plus grand nombre répondront que c'est le premier, celui qui danse et dissipe son bien; mais nous, nous pensons que c'est celui qui garde les bornes de la modération. Mais puisqu'il y a ici matière à débat et à discussion, entrons chez l'un et l'autre , au moment précis où le riche vous semble surtout vivre, dans l'instant même où il se livre aux plaisirs; entrons, dis-je, et voyons où ils en sont tous les deux : car c'est par les faits qu'on juge d'un vivant et d'un mort. Nous trouverons donc l'un au milieu des livres, ou vaquant à la prière et au jeûne, ou appliqué à quelque autre oeuvre nécessaire, veillant dans la sobriété, et conversant avec Dieu; et nous verrons l'autre plongé dans l'ivresse, et dans un état semblable à celui d'un mort; et si nous attendons jusqu'au soir, nous verrons la mort l'envahir encore davantage, jusqu'à ce que le sommeil lui succède; tandis que le premier passera la nuit dans la sobriété et les veilles. Lequel donc appellerons-nous vivant; de celui qui est étendu insensible, et objet de dérision pour tout le monde , ou de celui qui est. plein de vigueur et s'entretient avec Dieu?
Si vous vous approchez de l'un et que vous soyez obligé de lui parler, il ne vous répondra pas plus que s'il était mort; si vous allez trouver l'autre, soit de jour, soit de nuit, vous verrez un ange plutôt qu'un homme, appliqué aux choses du ciel. Voyez-vous donc que l'un est le plus vivant des vivants, et que l'autre est dans un état plus pitoyable que les morts? Que si on le voit agir, il prend un objet pour un autre, il ressemble aux insensés, il est même plus misérable qu'eux. Si en effet quelqu'un insulte ceux-ci, nous avons tous pitié d'eux et nous blâmons l'auteur de l'outrage; si au contraire nous voyons quelqu'un injurier celui-là, non-seulement nous n'éprouvons aucun sentiment de compassion, mais nous le condamnons pour être en pareil état. Est-ce là vivre, dites-moi ? Cette vie n'est-elle pas pire que, mille morts? Voyez-vous que non-seulement l'homme livré aux plaisirs est mort, ruais qu'il est dans un état pire que la mort, qu'il est plus misérable que le possédé du démon? Car celui-ci excite la pitié, et lui l'aversion ; l'un rencontre l'indulgence , et l'autre est puni de sa maladie. Et s'il est ridicule extérieurement, quand il laisse tomber une bave puante, et exhale une fétide odeur de vin, songez à l'état malheureux de son âme, ensevelie dans son corps comme dans un sépulcre. C'est absolument comme si on commandait à une servante barbare, laide, immonde, d'insulter et d'outrager en toute liberté une jeune fille parée, chaste, libre, de noble (294) origine et belle : Voilà l'image de l'ivresse.
10. Quel homme sensé ne préférerait mille fois la mort à un suit jour ainsi passé? Si le lendemain, au sortir d'une telle orgie, il semble être sage, il ne jouit pas encore des avantages de la tempérance, parce qu'il a devant les yeux le nuage soulevé par la tempête de l'ivresse. Accordons cependant qu'il est vraiment sain, quel profit en retire-t-il ? Sa sobriété ne sert qu'à lui mettre ses accusateurs sous les yeux. Dans sa honteuse situation il gagnait au moins de ne pas s'apercevoir qu'on se moquait de lui ; mais le lendemain , il n'a plus cette consolation, quand il s'aperçoit que ses domestiques murmurent, que sa femme est couverte de confusion, que ses amis le blâment, que ses ennemis le tournent en dérision. Quoi de. plus misérable qu'une telle vie : être pendant le jour un objet de mépris, et retomber, le soir, dans les mêmes turpitudes? Quoi encore ? Voulez-vous que -nous mettions en scène les avares? C'est encore une autre ivresse, plus grave même que la première ; or si c'est une ivresse, c'est aussi une mort pire, puisque c'est une pire ivresse.
Il n'est pas en effet aussi terrible d'être ivre de vin, qu'ivre de cupidité ; car, là, la punition se borne à la souffrance, et tout se termine à l'insensibilité et à la ruine de celui qui s'enivre ; mais ici le mal passe à des milliers d'âmes et allume des guerres de tout genre. Comparons-les donc l'un à l'autre, et voyons en quoi l'avare se rapproche de l'ivrogne, en quoi il le surpasse, et faisons aujourd'hui la part de chacun d'eux. Ne les mettons plus en comparaison avec ce bienheureux qui vit de l'Esprit, niais mettons-les en l'ace l'un de faut tre et examinons-les. Mettons au milieu une table, ensanglantée de mille meurtres. Qu'ont-ils donc de commun et en quoi se ressemblent-ils? Dans la nature même de leur maladie, l'apparence de l'ivresse diffère, puisque l'une est le produit du vin,. et l'autre celui des richesses ; mais la maladie est la même : car tous les deux sont tourmentés d'un désir désordonné. Plus celui qui est ivre de vin avale dé coupes, plus il désire en boire; plus celui -qui est avide de richesses en amasse, plus il attise le feu de la cupidité et augmente sa soif. En ce point ils se ressemblent; mais, sous un autre rapport, l'avare va plus loin. Comment cela ? C'est que l'ivrogne souffre selon les lois de la nature : car le vin étant chaud et augmentant ainsi la sécheresse naturelle, procure la suif à ceux qui le boivent; mais l'avare, pourquoi désire-t-il avoir plus? Pourquoi, puisque plus il est riche, plus il est pauvre? En vérité c'est un mal étrange, et qui tient de l'énigme. Mais voyons-les, s'il vous plaît, après l'ivresse; ou plutôt, on ne peut jamais, voir l'avare après l'ivresse, puis qu'il est toujours ivre.
Prenons-les donc dans l'ivresse même, examinons lequel des deux est le plus ridicule, et faisons exactement leur portrait. Nous verrons l'homme ivre de vin déraisonner sur le soir, ouvrir les yeux et ne voir personne, aller çà et là sang but et au hasard, heurter les passants, vomir, se déchirer et se déshabiller honteusement; et si sa femme est là, ou sa fille, ou sa servante, ou toute autre personne, on rira de lui à gorge déployée. Produisons maintenant l'avare. Ici, ce qui se passe n'est pas seulement visible, mais excite l'horreur, la plus vive indignation, et mérite mille fois la foudre; voyons pourtant le côté ridicule. Aussi bien que l'autre, celui-ci méconnaît tout le monde, amis et ennemis; il ouvre aussi les yeux et ne voit pas ; et comme le premier ne voit partout que du vin , lui ne voit partout que de l'argent. Sée vomissements sont bien. plus pénibles. Ce n'est point de la. nourriture qu'il rejette; mais des paroles d'injure, d'outrage, de guerre, de mort, qui attirent sur sa tête la foudre du ciel; comme le corps. de l'ivrogne est livide et chancelant, ainsi est l'âme de l'avare.. Bien plus, son corps même n'est point exempt de la maladie, il dépérit même davantage : car le souci, la colère, l'insomnie, le minent plus que le vin ne le ferait et le rongent en peu de temps. L'ivrogne peut du moins être sobre pendant la nuit; mais l'avare est continuellement ivre, le jour et la nuit, qu'il veille ou qu'il dorme, subissant un châtiment plus grand que le prisonnier, que le malheureux condamné aux mines, ou tout autre plus misérable encore.
11. Est-ce donc là une vie, dites-moi? N'est-ce pas plutôt la mort, et .même quelque chose de plus pitoyable que quelle mort que ce soit? Du moins la mort donne le repos au corps, le soustrait au ridicule, à l'indécence, au péché; mais ces ivresses précipitent dans tous ces maux, bouchent les oreilles, crèvent les yeux, environnent l'esprit de ténèbres. Car l'avare ne peut entendre parler, ni parler lui-même (295) que d'intérêts et d'intérêts d'intérêts, de profits odieux, de gains ignobles et vils; aboyant comme un chien contre tout le monde ; haïssant et repoussant tout le monde, faisant sans raison la guerre à tout le monde, ennemi du pauvre, jaloux du riche, désagréable à tous. S'il a une femme, des enfants, des amis, il les regarde comme plus ennemis que des ennemis naturels, s'il n'a pas la liberté de gagner à tout prix, Quoi de pire qu'une pareille folie? Quoi de plus misérable, puisque, n'ayant qu'un corps, ne servant qu'un ventre, il se crée à lui-même des rochers, des écueils cachés, des précipices, des fossés, des abîmes sans nombre? Si on vous appelle aux charges publiques, vous vous enfuyez, de peur de la dépense ; mais en sacrifiant à Mammon, vous vous imposez un service bien plus pénible, et non-seulement plus coûteux, mais encore plus dangereux; car vous ne livrez pas seulement à ce tyran cruel de l'argent, des fatigues de corps, des tourments et des peines d'esprit, mais encore votre corps lui-même, pour tirer, misérable que vous êtes, quelque profit de ce barbare esclavage. Ne voyez-vous pas tous les jours ceux qu'on porte au tombeau ; comme ils s'en vont nus, dépouillés de tout, ne pouvant rien emporter de chez eux, mais abandonnant aux vers le linceul même qui les enveloppe? Contemplez-les chaque jour, et peut-être votre maladie se guérira-t-elle, à moins que l'aspect de somptueuses funérailles n'augmente encore votre folie, car c'est un mal bien grave, c'est une maladie terrible. Voilà pourquoi à chaque réunion nous eu parlons, pourquoi nous en, rebattons si souvent vos oreilles, afin d'obtenir quelque chose à force d'instances.
Du reste ne contestez pas : ce n'est pas seulement au jour du jugement, mais déjà ici-bas que ce mal, si varié dans ses formes, attire de grands châtiments. Car, lorsque je parlerais des prisonniers condamnés à perpétuité, de l'homme cloué sur sa couche par une longue maladie, de celui qui lutte avec la faim, ou de tout autre infortuné, je ne nommerais personne qui souffre autant que les avares. Quoi de plus affreux en effet que de haïr tout le monde, et d'en être haï, de ne vivre en paix avec personne, de n'être jamais rassasié ; d'avoir toujours soif, de lutter continuellement avec la faim, et une faim plus terrible que la faim ordinaire, d'être accablé de soucis quotidiens, de n'être jamais dans son bon sens, d'être toujours dans l'agitation et dans le trouble? Or les avares subissent ces tourments et bien d'autres encore; car, même quand ils gagnent, serait-ce la fortune de tout le monde, ils n'en éprouvent aucune satisfaction, à cause du désir de gagner davantage ; et s'ils font une perte, ne serait-ce que d'une obole, ils s'estiment les plus malheureux des hommes , et s'imaginent avoir perdu la vie. Quelles paroles pourraient décrire ces souffrances? Or, s'il en est ainsi dès ce monde , songez aux maux qui doivent suivre , à la perte du royaume; aux supplices de l'enfer, aux chaînes éternelles, aux ténèbres extérieures, au ver empoisonneur, au grincement de dents, aux tourments, aux angoisses, aux fleuves de feu, aux fournaises qui ne s'éteignent jamais; et recueillant tout cela et le comparant aux plaisirs que procurent les richesses, détruisez radicalement cette maladie, afin que, possédant la vraie richesse et délivré de cette affreuse pauvreté, vous obteniez les biens présents et à venir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui, gloire soit rendue au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XIV. AINSI, MES FRÈRES, NOUS NE SOMMES POINT REDEVABLES
A LA CHAIR. CAR SI C'EST SELON LA CHAIR QUE VOUS VIVEZ, VOUS MOURREZ; MAIS
SI, PAR L'ESPRIT, VOUS MORTIFIEZ LES DEUVRES DE LA CHAIR, VOUS VIVREZ.
(VIII, 12, 13, JUSQu'A 27.)
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Analyse.
1. Il faut mortifier la chair, mais seulement dans ses inclinations mauvaises, et non dans ses fonctions utiles.
2. L'Esprit de Dieu doit tout conduire en nous, l'âme et le corps, c'est à cette condition que nous devenons enfants de Dieu, non simplement comme les Juifs, mais d'une manière plus haute.
3. Commencement de la prière des catéchumènes. — Dieu a envoyé dans nos coeurs l'Esprit de son Fils, et c'est lui qui nous fait dire à Dieu : Notre Père. — Nous sommes donc les fils de Dieu, et non-seulement ses fils, mais ses héritiers, et non-seulement ses héritiers, mais les cohéritiers de Jésus-Christ.
4. Cet héritage de la gloire future est tel que les peines de cette vie présente sont sans proportion avec lui.
5. Cette gloire sera telle encore que toute la création soupire après elle de concert avec l'homme. — Car la création faite pour l'homme sera elle-même transformée et délivrée de l'asservissement à la corruption.
6. Nous avons déjà reçu les prémices de cette gloire, les prémices de l'Esprit, comment le reste pourrait-il nous manquer? — Vivons donc en espérance, attendons dans la patience. — L'espérance a pour objet, non ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas encore.
7. A la patience qui est notre fait se joint le don de l'Esprit-Saint qui nous excite à l'espérance, et par elle adoucit nos peines. Ce n'est pas seulement dans les moments difficiles que la grâce nous assiste, c'est encore dans les circonstances ordinaires de la vie, par exemple elle nous apprend ce qu'il est utile que mous demandions à Dieu. — Explication de cette parole un peu obscure : Mais l'Esprit lui-même prie pour nous par des gémissements inénarrables.
8. Bonté de Dieu envers les hommes, démontrée par celle dont il a usé envers les Juifs.
9-11. Longue et pathétique exhortation à la pratique de l'aumône.
1. Après avoir montré combien est grande la récompense de la vie spirituelle, qu'elle fait habiter le Christ en nous, qu'elle vivifie les corps morts, qu'elle donne des ailes pour s'élever vers le ciel, qu'elle rend plus facile le chemin de la vertu, il en déduit nécessairement un avertissement, et dit : Donc nous ne devons pas vivre selon la chair. Ce n'est cependant point ainsi qu'il s'exprime : son langage est plus vif et plus ferme : bous sommes redevables à l'Esprit ; car c'est là évidemment le sens de ces mots : " Nous ne sommes point redevables à la chair ". C'est ce qu'il démontre partout, en faisant voir que les dons de Dieu n'étaient point dus, mais sont de purs effets de la grâce ; et que ce que nous avons fait ensuite n'est point libéralité, mais simple dette. Car c'est là ce qu'il entend, quand il dit " Vous avez été achetés chèrement; ne vous faites point esclaves des hommes " .(I Cor. VII, 23); et: " Vous n'êtes plus à vous-mêmes ". (1 Cor. vi, 19.). Ailleurs il s'exprime encore là-dessus en ces termes : " Parce que si un seul est mort pour tous, donc lotis sont morts ; " et le Christ est mort pour tous, afin que ceux qui vivent ne vivent plus pour eux ". (II Cor. V, 14, 15.) Ici il rend la même pensée par ces expressions : " Nous sommes redevables ". Après avoir dit : " Nous ne sommes point redevables à la chair ", de peur que vous ne l'entendiez de la Rature même de la chair, il ne se fait point là-dessus, et ajoute : " Pour vivre selon la chair ". Au fait nous devons à la chair bien des choses : la nourriture, l'entretien, le repos, les remèdes dans ses maladies, le vêtement et mille autres soins encore. De peur donc que vous ne vous imaginiez que son intention est de supprimer ces devoirs, quand il dit : " Nous ne sommes point redevables à la chair ", il interprète lui-même sa pensée en disant : " Pour vivre selon la chair ". Je retranche, nous dit-il, tous les (297) soins qui conduisent au péché, mais je veux tout ce qui est nécessaire à l'entretien : et c'est ce qu'il exprime plus bas. En effet, après avoir dit qu'il ne faut point avoir souci de la chair, il ne s'en tient pas là, mais il ajoute : " Pour les passions ", ce qui signifie encore ici Qu'on lui donne des soins, nous les lui devons : mais ne vivons pas selon la chair, c'est-à-dire, ne lui abandonnons pas l'empire sur notre vie. C'est à elle de suivre , et non de commander ; elle ne doit point régler notre vie, mais recevoir les lois de l'Esprit.
Après avoir fixé ce point, et prouvé que nous sommes redevables à l'Esprit, voulant montrer de quels bienfaits, il ne mentionne pas (et c'est ici surtout qu'il faut admirer sa prudence), il ne mentionnera, dis-je, les biens passés, mais les biens à venir. Pourtant les premiers en valaient bien la peine ; néanmoins il n'en dit rien, il né rappelle point ces ineffables bienfaits, et ne parle que de l'avenir. C'est que d'ordinaire un bienfait passé fait moins d'impression sur la foule qu'un bien à venir et qu'un bien en expectative. Après avoir ainsi complété sa pensée, il lés attriste d'abord et les effraie, en leur rappelant les maux qu'engendre .la vie selon la chair : " Car si c'est selon la chair que vous vivez, vous mourrez ", faisant allusion. à la mort éternelle, au châtiment et au supplice de l'enfer. Et même à y regarder de près, l'homme qui vit selon la chair est mort déjà dès cette vie, comme nous vous l'avons démontré dans le discours précédent. " Mais si, par l'esprit, vous mortifiez les oeuvres de la chair, vous vivrez ". Voyez-vous qu'il ne parle pas de la nature du corps, mais des oeuvres de la chair? En effet, il ne dit pas: Si par l'esprit vous mortifiez la nature du corps, vous vivrez; niais " Les oeuvres " ; non pas même toutes les oeuvres, mais les mauvaises, comme la suite le fait voir : Si vous faites cela, dit-il, vous vivrez. Et comment cela pourrait-il se faire, s'il s'agissait de tous les actes ? Car voir, entendre, marcher, sont des actions du corps, et si nous devions les mortifier, nous éteindrions en bous la vie jusqu'à nous rendre coupables d'homicide. Quelles sont donc les actions qu'il nous dit de mortifier ? Celles qui nous portent au mal, celles qui tendent au vice et qui ne peuvent se mortifier que par l'Esprit. Mortifier les autres ce serait vous suicider, ce qui n'est point permis ; mais celles-ci seulement doivent être mortifiées par l'Esprit : quand l'Esprit est là, tous les flots sont apaisés, les passions sont comprimées , plus rien. ne se révolte en nous. Voyez-vous, ainsi que je le disais tout à l'heure, comme il nous excite par l'espoir des biens à venir, et montre que nous ne sommes pas seulement redevables pour les bienfaits passés ? La rémission des fautes passées, nous dit-il, n'est pas le seul bienfait de l'Esprit , mais il nous assure encore la possession des biens futurs et nous rend dignes. de la vie éternelle. Il y ajoute encore une autre récompense , en disant : " Car tous ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu, ceux-là sont fils de Dieu. (4) ".
2. Cette nouvelle couronne est bien plus précieuse que la première. Aussi ne dit-il pas simplement : Ceux qui vivent par l'Esprit de Dieu, mais : " Ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu ", indiquant ainsi que cet Esprit veut être le maître de notre vie, le pilote de la nacelle, le conducteur du char à deux chevaux. Car ce n'est pas seulement le corps, mais aussi l'âme que l'apôtre assujettit à ses rênes. Il ne veut point que l'âme agisse de sa propre autorité,, mais il soumet ses facultés à la puissance de l'Esprit. Et de peur que, se fiant à la grâce du baptême, on ne se néglige dans sa conduite, il affirme que, si étant baptisé, vous ne vous laissez point. conduire par l'Esprit, vous perdez la dignité dont vous étiez honoré et le privilège de l'adoption. Aussi ne dit-il point : Ceux qui ont reçu l'Esprit, mais : " Ceux qui sont conduits par l'Esprit ". C'est-à-dire, ceux qui sont ainsi gouvernés pendant toute leur vie, ceux-là sont fils de Dieu. Puis, comme cette dignité avait été accordée aux Juifs, (car il est écrit : " J'ai dit : Vous êtes des dieux et tous fils du Très-Haut." (Ps. LXXI); et encore : " J'ai engendré des fils et je les ai élevés " (Ps. II); et encore: " Israël mon premier-né " (Ecc. IV, 22); et dans Paul lui-même : " Auxquels appartient l'adoption " (Rom. IX, 4); il démontre quelle grande différence, il y a entre ces deux honneurs. Si les noms sont les mêmes, nous dit-il, il n'en est pas ainsi des choses. Et il en donne la démonstration, en établissant une comparaison entre les justes, entre les dons eux-mêmes, et en parlant de l'avenir; et d'abord il rappelle ce qu'on leur avait donné.. Qu'était-ce donc? L'esprit de servitude; c'est pourquoi il ajoute : "Aussi vous n'avez point reçu de nouveau (298) " l'esprit de servitude qui inspire la crainte ". Puis, sans parler de ce qui est opposé à l'esprit de servitude, c'est-à-dire de l'esprit de liberté, il exprime quelque chose de bien préférable : " L'Esprit d'adoption " , qui donnait aussi la liberté : " Mais vous avez reçu l'esprit d'adoption des fils ". Voilà qui est évident; mais qu'est-ce que l'esprit de servitude? Ceci n'est pas aussi clair. Il est donc nécessaire de l'expliquer: car ce n'est pas seulement une obscurité, mais une grande difficulté.
En effet, le peuple juif n'avait point reçu l'Esprit; que veut donc dire l'apôtre? Il donne ce nom à la lettre parce qu'elle était spirituelle, comme il l'a donné à la loi, à l’eau qui sortit du rocher, à la manne. Il a dit en effet : " Ils ont tous mangé la même nourriture spirituelle et ils ont bu le même breuvage spirituel ". (I Cor. X, 3, 4.) Il en a dit autant de la pierre : " Car ils buvaient de la pierre spirituelle qui les suivait". (Ibid.) Comme tout cela était au-dessus de la nature, il-lui dormait le nom de spirituel, mais non parce que Ceux qui y participaient avaient reçu l'Esprit. Et comment la lettre était-elle une lettre de servitude? Passez en revue toutes leurs institutions, et vous le verrez clairement. Le châtiment leur venait immédiatement, la récompense ne se faisait point attendre; réglée dans sa mesure et comparable au salaire quotidien d'un domestique; de tous côtés ils avaient devant les yeux des sujets de crainte, des purifications corporelles, une modération qui ne s'étendait qu'aux actes.
Chez nous il n'en est pas de même: car l'esprit et la conscience doivent être purs. En effet le Christ ne nous dit pas : Tu ne tueras point, mais : Tu ne te mettras point en colère; il ne dit pas : Tu ne commettras point l'adultère, mais : Tu ne jetteras point de regard impudique; afin que la vertu et les bonnes oeuvres ne soient plus le résultat de la crainte, mais les fruits de notre amour pour lui. Il ne nous promet plus une terre où coulent des ruisseaux de miel et de lait, mais que. nous serons les cohéritiers de son Fils unique : pour nous détacher entièrement des biens présents, il nous en promet qui seront vraiment dignes d'enfants de Dieu, où il n'y aura plus rien de sensible ni de corporel, mais où tout sera spirituel. En sorte que si les Juifs avaient le nom de fils, ils étaient pourtant esclaves; tandis que, devenus libres, nous avons reçu l'adoption et nous attendons le ciel; à eux, Dieu parlait par d'autres; à nous, il parle par lui-même; ils n'agissaient que par un motif de crainte, tandis que les spirituels agissent par le désir et par l'amour-, comme ils le font assez voir en dépassant les préceptes. Les Juifs, comme des mercenaires et des ingrats, ne cessaient jamais de murmurer; les spirituels ne cherchent que le bon plaisir du Père; les Juifs, une fois les bienfaits reçus, blasphémaient; nous, nous rendons grâces même au sein des périls. S'il s'agit de la punition des pécheurs, la différence est grande encore. Nous ne nous convertissons point comme eux, par crainte d'être lapidés, brûlés, mutilés par les prêtres; il suffit que nous soyons exclus de la table paternelle et condamnés à une absence d'un. nombre de jours déterminés. Chez les Juifs, l'adoption était un titre purement honorifique; chez nous les effets suivent, la purification parle baptême, le don de l'Esprit, tous les autres biens en abondance. Il y aurait bien d'autres choses à dire pour montrer la noblesse de notre condition et la bassesse de la leur; l'apôtre se contente de les indiquer par ces mots d'esprit, de crainte, d'adoption ; puis il passe à une autre preuve, pour démontrer que nous avons l'esprit d'adoption. Quelle est cette preuve? " Dans lequel nous crions : Abba, le Père (15) ".
3. Or, ce que cela vaut, les initiés le savent, eux qui reçoivent l'ordre de prononcer ce mot pour la première fois dans la prière mystique. Mais quoi ! direz-vous, est-ce que les Juifs ne donnaient pas aussi à Dieu le noie de Père? N'entendez-vous pas Moïse dire : " Tu as abandonné le Dieu qui t'a engendré? " (Deut. XXXII, 18.) N'entendez-vous pas Malachie dire en forme de reproche : " Un seul Dieu nous a créés, nous n'avons tous qu'un Père? " (Mal. II, 10.) Malgré ces textes et bien d'autres encore , nous ne voyons nulle part que les Juifs appelassent Dieu leur père et l'invoquassent sous ce nom. Et nous tous, prêtres et simples fidèles, princes et sujets, nous avons ordre de prier ainsi. Ce mot, nous l'avons prononcé pour la première fois après l'enfantement merveilleux , après cette naissance étonnante et extraordinaire. D'ailleurs, si les Juifs appelaient ainsi Dieu, ce n'était point par une inspiration propre; tandis que ceux qui vivent sous la loi de grâce, le font par le mouvement et l'action de l'esprit. Car, comme il y a un , esprit de sagesse, par lequel les insensés (299) deviennent sages, ainsi que l'enseignement le fait voir; un esprit de force, par lequel les faibles ressuscitaient les morts et chassaient les démons; un esprit de grâce de guérisons, un esprit de prophétie , un esprit de langues ainsi il y a un esprit d'adoption. Et comme nous reconnaissons l'esprit de prophétie, lorsque celui qui le possède prédit l'avenir, non par son inspiration personnelle, mais par le mouvement de la grâce; ainsi reconnaissons-nous l'esprit d'adoption quand celui qui l'a reçu donne à Dieu le nom de Père, mû en cela par l'Esprit. Et voulant montrer que c'est bien d'enfants légitimes qu'il s'agit, l'apôtre emploie la langue hébraïque. En effet, il ne dit pas seulement : " Père ", mais : " Abba , le père " : expression que les enfants légitimes emploient à l'égard de leur père.
Quand il a ainsi donné la différence d'après les institutions, la grâce accordée, la liberté, il produit encore une autre preuve de l'excellence de cette adoption. Qu’elle est cette preuve?
" L'Esprit lui-même rend témoignage à notre esprit, que nous sommet enfants de Dieu (16) ". Je ne m'appuie pas seulement sui ce mot, dit-il, mais sur la raison même de ce mot; je dis tout cela sous l'inspiration même de l'Esprit. C'est ce qu'il explique ailleurs plus clairement en disant : " Dieu a envoyé dans vos coeurs l'Esprit de son Fils, criant : Abba, le Père ". (Gal. IV, 6.) Qu'est-ce. que cela veut dire : " Rend témoignage à notre esprit? " c'est-à-dire : Le Paraclet rend témoignage au don qui nous a été fait. Ce n'est pas seulement la voix du don, mais aussi celle du Paraclet qui nous a fait le don; car c'est lui-même qui par sa grâce nous a appris à parler ainsi. Or, quand l'Esprit rend témoignage, quel moyen de douter? Si c'était un homme, un ange, un archange, ou quelque autre puissance de ce genre, qui nous fît cette promesse, on aurait peut-être raison de se défier; mais quand c'est la puissance suprême, celle qui nous a fait le don, qui nous rend témoignage par la prière même qu'elle nous ordonne de lui adresser, comment élever un doute sur notre dignité ? Si. un roi élisait quelqu'un et proclamait devant tout le monde l’honneur qu'il lui fait, aucun de ses sujets n'oserait le contredire.
" Mais si nous sommes enfants, nous, sommes aussi héritiers (17) ". Voyez-vous comme il augmente le don peu à peu? Car, comme on peut être enfant sans être héritier, (en effet tous les enfants ne sont pas héritiers), il a soin d'ajouter que nous sommes aussi héritiers. Or les Juifs, outre qu'ils n'ont point joui d'une telle adoption, ont été exclus de l'héritage. " Car il fera mourir misérablement ces misérables, et il donnera sa vigne à d'autres vignerons ". (Matth. XXI, 41.) Auparavant le Christ avait déjà dit : " Beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident et auront place avec Abraham ; tandis que les enfants du royaume seront jetés dehors ". (Id. VIII, 41, 12.) Mais Paul ne s'arrête pas là; il dit encore quelque chose de plus, savoir que nous sommes " Héritiers de Dieu " ; c'est pourquoi il ajoute : " Nous sommes aussi héritiers de Dieu " ; et non simplement héritiers, mais, ce qui est plus encore : " Cohéritiers du Christ ". Voyez-vous comme il s'efforce de nous amener jusqu'auprès du Seigneur? Comme tous les enfants ne sont pas héritiers, il montre que nous sommes tout à la fois enfants et héritiers. Puis, comme. tous les héritiers n'héritent lias de grands biens, il fait voir que les héritiers de Dieu possèdent cet avantage. Enfin, comme on peut être héritier de Dieu, et cependant n'être pas cohéritier du Fils unique, il déclare que cet honneur nous appartient encore. Et voyez sa sagesse quand il traite un sujet triste, qu'il parle du châtiment réservé à ceux qui vivent selon la chair, et dit, par exemple, qu'ils mourront, il est bref; mais quand il aborde une question plus agréable, il s'étend, il devient prolixe, il entre dans le détail des récompenses et mentionne des dons aussi grands que variés. Si c'est une grâce ineffable d'être enfant, pensez ce que c'est que d'être héritier. Et si c'est une grande chose d'être héritier, c'est beaucoup plus encore d'être cohéritier. Puis, pour montrer que ce n'est pas seulement un don de la grâce, et pour rendre croyable ce qu'il vient de dire, il ajoute : " Pourvu que nous souffrions avec lui, afin d'être glorifiés avec lui ". C'est-à-dire, si nous avons partagé les tristesses, à bien plus forte raison aurons-nous part aux joies. Comment, en effet, celui qui nous a comblés de bienfaits quand nous n'avions rien mérité, ne nous en accorderait-il pas encore bien davantage, quand il nous aura vus travailler et tant souffrir ?
4. Après avoir donc montré qu'il y a ici rétribution et récompense, pour rendre croyable ce qu'il a dit et dissiper tous les doutes, il fait (300) voir que cette rétribution a cependant le caractère de la grâce; d'une part, son but est de faire accepter ce qu'il. avance par ceux mêmes qui hésitent, et empêcher de rougir ceux qui ont reçu le don, comme s'ils étaient toujours sauvés gratuitement; de l'autre, il veut nous apprendre que Dieu rétribue toujours le travail bien au-delà du mérite: Aussi, d'un côté il a dit : " Pourvu que nous souffrions avec lui, afin d'être glorifiés avec lui "; et de l'autre, il ajoute : " Les souffrances du temps présent n'ont point de proportion avec la gloire future qui sera révélée en nous (18) ". Plus haut il demandait de l'homme spirituel la réforme de ses moeurs, en disant : Vous ne devez pas vivre selon la chair; par exemple, il faut que celui qui est sujet à la concupiscence, à la colère, à l'amour des richesses, à la vaine gloire, triomphe de ces passions; ici, après lui avoir rappelé le don tout entier, le passé et le futur; l'avoir exalté par l'espérance; l'avoir placé près du Christ, et déclaré cohéritier du Fils unique, il l'exhorte à prendre courage et l'appelle enfin aux dangers. Eu effet, ce n'est pas la même chose de surmonter nos passions ou de supporter les épreuves extérieures, la flagellation, la faim, l’exil, la prison, les chaînés, le supplice, car tout ceci demande une âme plus généreuse et plus ardente.
Et voyez comme il contient et exalte tout à la fois l'esprit des combattants ! Après avoir: montré que la rétribution sera plus grande que le travail, il exhorte plus vivement, mais ne souffre pas qu'on s'enorgueillisse, puisque les peines sont bien au-dessous des récompenses. Il a même dit ailleurs : " Car les tribulations si courtes et si légères de la vie présente produisent en nous le poids éternel d'une gloire sublime et incomparable ". (II Cor. IV, 17.) Là il parlait à des hommes plut sages; ici, il ne veut pas que les tribulations soient légères, mais il console par l'espoir de la récompense future, en disant: " Pour moi, j'estime que les souffrances du temps présent n'ont point de proportion... " Il n'ajoute pas : Du repos futur, mais ce qui est beaucoup plus : " De la gloire future ". En effet, là où il y a repos, il n'y a pas nécessairement gloire ; mais là où il y a gloire, il y a certainement repos. Ensuite, tout en disant gloire future, il indique qu'elle est déjà présente, puisqu'il ne dit pas : De la gloire qui sera, mais : De la gloire future qui sera révélée en nous, c'est-à-dire qui existe déjà, quoique cachée; ce qu'il exprime ailleurs plus clairement, quand il dit "Notre vie est cachée avec le Christ en Dieu ". (Col. III, 3. ) Comptez donc sur cette gloire; car elle est déjà prête, elle attend votre travail. Que si le délai vous attriste, faites-vous-en, au contraire, un sujet de joie : c'est parce qu'elle est grande,. ineffable, bien au-dessus de l'état présent, qu'on vous la tient en réserve pour l'autre vie. Car ce n'est pas sans raison que Paul dit: " Les souffrances du temps présent "; c'est pour noirs faire voir que la gloire les surpasse, non-seulement en qualité, mais aussi en quantité. En effet nos souffrances, quelles qu'elles puissent être, se terminent avec la vie présente ; mais les biens futurs s'étendent aux siècles infinis. Et comme il ne peut tout expliquer, tout dire en détail, il résume tout sous le nom de la gloire, la chose qui nous paraît la plus désirable : on la regarde en effet comme le sommaire, comme le comble de tous les biens.
Relevant encore son auditeur d'une autre manière, il parle pompeusement de la -création, voulant établir deux points par ce qu'il va dire : le mépris des biens présents, le désir des biens à venir, et un troisième encore qui l'emporte sur les deux premiers : il veut prouver combien Dieu a à coeur les intérêts du genre humain, et en quel honneur il tient notre nature. Ensuite, au moyen de ce seul dogme, il détruit, comme des toiles d'araignée, comme de purs jeux d'enfants, tous les systèmes que les philosophes ont forgés sur ce monde. Mais pour mieux éclaircir ceci, écoutons-le parler : " Aussi la créature attend d'une vive attente la manifestation du Fils de Dieu. Car elle est assujettie à la vanité, non point volontairement, mais à cause de celui qui l'y a assujettie dans l'espérance (19, 20) ". C'est-à-dire : la créature éprouve de vives souffrances, dans l'attente des biens dont nous avons parlé ; .car le terme grec dont se sert l'apôtre (1) signifie une attente impatiente. Et pour rendre la figure plus vive, il personnifie le monde entier : comme faisaient aussi les prophètes, qui nous représentent les fleuves battant des mains, les rochers bondissant et les montagnes tressaillant d'allégresse , non pour nous faire croire que ce soient des êtres animés, ou capables de penser, mais pour
1 Apokaredokia.
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nous faire comprendre l'excellence des biens, comme si les êtres inanimés eux-mêmes en sentaient le prix.
5. Ils en font souvent autant dans les sujets tristes, nous dépeignant la vigne versant des larmes, le vin; les montagnes, les lambris du temple poussant des gémissements, afin de nous faire comprendre l'excès des maux. A leur exemple , l'apôtre personnifie ici la création, et nous dit qu'elle gémit , qu'elle enfante; non qu'il ait entendu quelques gémissements sortir de la terre ou du ciel, mais pour nous indiquer l'étendue des biens à venir et nous faire soupirer après le terme des maux qui nous enchaînent. " Car la créature est assujettie à la vanité , non point volontairement ; mais à cause de celui qui l'y a assujettie ". Qu'est-ce que cela signifie : " La créature est assujettie à la vanité? " C'est-à-dire : Elle est devenue corruptible. Pour qui et pourquoi ? A cause de vous, ô homme ! Dès que votre corps est devenu mortel et passible, la terre a été maudite et a produit des épines et des chardons. Or, que le ciel aussi , vieillissant comme la terre, doive subir une transformation en un état meilleur, écoutez-en la preuve tirée du ;prophète : " Au commencement , Seigneur, vous avez fondé la a terre, et les cieux sont les oeuvres de vos a mains. Ils périront , mais vous subsisterez ; ils vieilliront tops comme un vêtement ; vous les replierez comme un manteau et ils seront changés ".(Ps. CI, 26.) Isaïe disait aussi dans le même sens : " Regardez le ciel en haut et la terre en bas; le ciel a la solidité de la fumée , la terre vieillira comme un manteau, et ceux qui l'habitent périront a comme eux ". (Is. LI, 6.) Voyez-vous comment la créature est assujettie à la vanité, et comment elle est. délivrée de la corruption? En effet le prophète dit : " Vous les replierez comme un manteau et ils seront changés ", et Isaïe : " Ceux qui l'habitent , périront comme eux ". Mais il ne veut point parler d'une destruction complète ; car les habitants de la terre , c'est-à-dire les hommes., ne subiront point une telle destruction , mais une .destruction temporelle , et par laquelle ils passeront à l'incorruptibilité , aussi bien que la création. Le prophète désigne en effet tous les êtres créés en disant : " Comme eux " ; et c'est aussi ce que Paul dit plus bas. En attendant , il parle de cette servitude , montre pourquoi elle est telle et déclare que nous en sommes cause. Quoi donc ? Est-ce pour un autre que la création a subi ce dommage? Nullement : car elle a été faite pour moi. Comment donc, si elle a été faite pour moi, a-t-elle été traitée injustement en souffrant pour mon amendement? D'ailleurs il ne faut parler ni de juste ni d'injuste, à propos d'êtres inanimés et insensibles.
Mais Paul, après l'avoir personnifiée , ne donne aucune des raisons que je viens de dire; c'est d'une autre façon qu'il se hâte de consoler L'auditeur. Et comment? Que dites-vous là? reprend-il. Elle a été maltraitée à cause de vous, et elle est devenue corruptible ? Mais on né lui a fait aucun tort; car par vous elle redeviendra incorruptible; c'est ce qu'indiquent ces expressions : " Dans l'espérance ". Et quand il dit: "Elle est assujettie, non point volontairement ", il n'entend pas qu'elle soit capable de volonté; il veut seulement vous apprendre que tout est le fruit de la providence du Christ, et non l'oeuvre de la nature elle-même. Dites-moi : de quelle espérance parle-t-il ? " Parce que la créature elle-même sera aussi affranchie ". Qu'est-ce que cela veut dire : " Elle-même aussi ? " Ce ne sera pas vous seulement qui jouirez de ces biens; mais ce qui vous est inférieur, ce qui n'est point doué de raison ni de sentiment, les partagera aussi avec vous.
" Sera aussi affranchie de la servitude de la corruption" : c'est-à-dire ne sera plus corruptible, mais participera à la beauté de votre corps. Car, comme elle est devenue corruptible , dès que vous l'avez été vous-même ; ainsi, dès que vous serez incorruptible, elle vous accompagnera , elle vous suivra : c'est ce que l'apôtre indique par ces mots : " Pour passer à la liberté de la gloire des enfants de Dieu (21) ". C'est-à-dire, à cause de la liberté. Il en est de la création , nous dit-il, comme d'une nourrice qui , ayant élevé le fils d'un roi, jouit de ses biens, quand il est parvenu au trône paternel. Voyez-vous partout l'homme au premier rang, et tout se faisant à cause de lui ? Voyez-vous comme Paul console celui qui combat, et fait voir l'infinie bonté de Dieu? Pourquoi, nous dit-il, nous affliger des épreuves ? Vous souffrez pour vous, et la nature souffre à cause de vous. Il ne console pas seulement, mais il montre que ce qu'il a dit est digne de foi. Car si la (303) créature, faite uniquement pour vous, espère, à bien plus forte raison devez-vous espérer, vous par qui elle doit jouir de ces biens. Ainsi, chez les hommes, quand un fils doit paraître revêtu de quelque dignité, le père donne à ses serviteurs des vêtements plus dignes, en l'honneur même de son fils : comme Dieu revêtira la nature d'incorruptibilité pour la faire passer à la liberté de la gloire de ses enfants. " Car nous savons que toutes les créatures gémissent et sont dans le travail de l'enfantement, jusqu'à cette heure (22) ".
6. Voyez-vous comme il fait rougir l'auditeur? Par là il semblé lui dire: Ne soyez pas au-dessous de la nature, ne vous attachez pas aux choses présentes. Non-seulement il ne faut pas s'y attacher, mais il faut gémir de ce que le départ est retardé. Car si la nature le. fait, à bien plus forte raison devez-vous le faire, vous qui êtes doué de raison. Mais ce n'était point là un motif suffisant pour faire rougir : c'est pourquoi il ajoute : " Et non-seulement elles, mais aussi nous-mêmes qui avons les prémices de l'Esprit; oui, nous-mêmes nous gémissons au dedans de nous (23) " ; c'est-à-dire, nous qui avons déjà goûté les biens à venir. Un homme fût-il dur comme la pierre, les dons qu'il a reçus sont bien propres à exciter son ardeur, à le détacher du présent, à le faire voler au-devant des biens à venir, et cela pour deux motifs : et parce qu'il a déjà reçu de si grands bienfaits, et parce que les prémices sont si nombreuses et si considérables. Si en effet ces prémices sont déjà telles que, par elles, on soit délivré du péché, en possession de la justice et de la sanctification, que ceux de ce temps-là aient pu chasser les démons, ressusciter les morts par leur ombre et leurs vêtements; songez à ce que sera le don dans son entier. Et si la nature, quoique privée d'intelligence et. de raison, quoique ne sachant rien de tout cela, gémit cependant; à bien plus forte raison nous-mêmes devons-nous gémir. Ensuite pour ne point donner prise aux hérétiques et n'avoir pas t'air de calomnier 1e présent, il dit : " Nous gémissons ", non parce que nous accusons le présent, mais parce que nous soupirons pour de plus grands biens; car c'est ce que signifient ces mots : " Attendant l'adoption ".
Que dites-vous donc, Paul, je vous prie? vous ne cessez de redire et de crier que déjà nous sommes devenus fils de Dieu, et maintenant vous ne nous offrez plus cet avantage qu'en espérance, et vous écrivez qu'il faut l'attendre? Pour corriger donc son expression, il ajoute : " La rédemption de notre corps ", c'est-à-dire, la gloire complète. Maintenant nous sommes encore dans l'obscurité, en attendant notre dernier soupir : car beaucoup , qui étaient des enfants, sont devenus des chiens et des captifs. Si nous mourons dans cette douce espérance, alors le don sera immuable, plus évident, plus grand, et n'aura plus à craindre de changement de la part de la mort et du péché. Alors le bienfait sera solide, quand notre corps sera délivré de la mort et de ses mille souffrances. Car ce sera la rédemption, et non un simple affranchissement; en sorte que nous ne pourrons plus retourner à notre ancien esclavage. Et pour que vous ne doutiez pas, quand vous entendez tant parler de gloire sans bien comprendre, il vous découvre l'avenir en partie, en transformant votre corps et avec lui toute la nature : ce qu'il exprime ailleurs plus clairement, en disant: " Qui réformera le corps de notre humilité en le conformant à son corps glorieux". (Phil. III, 21.) En un autre endroit il écrit encore : " Et quand ce corps mortel aura revêtu l'immortalité, alors sera accomplie cette parole qui est écrite : La mort a été absorbée dans sa victoire ". (I Cor. XV, 54.) Et pour montrer que l'état des choses présentes disparaîtra avec la corruption du corps, il écrit encore ailleurs: " Car la figure de ce monde passe ". (I Cor VII, 31.)
" Car ", dit-il , " c'est en espérance que nous avons été sauvés (24) ". Comme il a beaucoup insisté sur. la promesse des biens à venir, et qu'il semblait avoir attristé l'auditeur, encore trop faible, en lui montrant les biens seulement en espérance ; après avoir prouvé qu'ils sont bien plus évidents que les biens présents et visibles; après avoir disserté sur les dons déjà reçus et montré que nous avons aussi reçu les prémices des autres : de peur que nous ne cherchions qu'ici-bas , que nous ne soyons infidèles à la noblesse provenant de la foi, il dit : " Car c'est en espérance que nous sommes sauvés ". Il ne faut pas tout chercher ici-bas , mais aussi espérer. C'est, là le seul don que nous ayons fait à Dieu : la foi à l'avenir qu'il nous promet , et nous n'avons été sauvés que par cette voie-là : si nous perdons cette voie, nous perdons aussi (303) toute notre offrande. Je vous le demande , nous dit l'apôtre, n'étiez-vous pas sujet à teille maux? N'étiez-vous pas désespéré? N'étiez-vous pas sous le poids de la sentence? Tous les efforts qu'on faisait pour vous sauver n'étaient-ils pas impuissants? Qu'est-ce qui vous a donc sauvé ? L'espoir en Dieu seulement, la foi à ses promesses et à ses dons ; vous n'avez rien apporté de plus. Or, si cette foi vous a sauvé, gardez-la donc maintenant. Car si elle vous a déjà procuré de si grands biens, évidemment ses promesses d'avenir ne vous failliront pas. Après volis avoir recueilli quand vous étiez mort, perdu , prisonnier, ennemi, et vous avoir fait ami , fils , libre , juste, cohéritier; après vous avoir accordé des avantages que personne n'eût jamais osé espérer : comment, après une telle libéralité, une telle bienveillance, ne vous assisterait-elle pas dans la suite? Ne me dites donc pas encore des espérances, encore l'attente, encore la fui. Car c'est par là que vous avez été sauvé, et c'est la seule dot que vous ayez apportée à l'Epoux. Tenez-y donc et conservez-la; si vous demandez tout à la vie présente , vous perdez votre mérite, le principe de votre gloire.
C'est pourquoi l'apôtre ajoute : " Or, l'espérance qui se voit n'est pas de l'espérance; car ce que quelqu'un voit, comment l'espérerait-il? Et si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l'attendons par la patience... (25) ". C'est-à-dire : Si vous cherchez tout ici- bas , qu'avez-vous besoin d'espérer? Qu'est-ce donc que l'espérance? La confiance dans l'avenir. Qu'est-ce que Dieu vous demande donc de si coûteux, lui qui vous a donné tous les biens de son fond? Il ne vous demande qu'une seule chose, l'espérance, afin que vous puissiez ainsi contribuer en quelque chose à votre salut; et c'est à cela que Paul fait allusion, quand il ajoute : " Et si nous espérons ce que notas ne voyons pas encore, nous l'attendons par la patience ". En effet, Dieu récompense celui qui espère, comme un homme qui travaille, qui est malheureux et accablé de misère : car le mot de patience est synonyme de fatigue et de courage à souffrir. Cependant il accorde cette consolation à celui qui espère, pour soulager son âme pliant sous le fardeau.
7. Ensuite pour montrer que, dans ces légères tribulations nous avons un puissant secours, Paul ajoute : " De même l'esprit aussi aide nos faiblesses ". A vous la patience; à l'esprit, d'exciter eu vous l'espérance et par elle d'alléger vos travaux. Puis, pour vous faire comprendre que la grâce ne vous assiste pas seulement dans les travaux et dans les dangers, mais qu'elle agit avec vous, même dans les opérations les plus faciles et qu'en tout elle vous prête son aide, il ajoute : " Car nous ne savons ce que nous devons demander dans la prière ". Et il dit cela, soit pour montrer la providence de l'Esprit à notre égard, soit pour leur apprendre à ne pas croire nécessairement utile tout ce qui paraît tel à la raison humaine."En effet, comme il était probable que, flagellés, chassés, maltraités de mille manières, ils chercheraient le repos et croiraient utile de demander, cette grâce à Dieu, il leur dit : ne vous figurez pas que tout ce qui vous semble utile, le soit réellement. Car, en cela encore "nous avons besoin du secours de Dieu : tant l'homme est faible, tant il est néant par lui-même ! Voilà pourquoi il disait : " Nous ne savons ce que nous de vous demander dans la prière ".
Et pour que le disciple ne rougisse plus désormais de son ignorance, il fait voir que les maîtres se trouvent dans le même cas. En effet, il ne dit point : " Vous ne savez pas " ; mais : " Nous ne savons pas ". Il indique d'ailleurs qu'il ne parle pas ainsi par modestie. Car sans cesse il demandait dans ses prières de voir Rome, et néanmoins sa prière était sans résultat ; il priait aussi souvent à l'occasion de l'aiguillon qui lui avait été donné dans sa chair, c'est-à-dire à raison des dangers. qu'il courait, et il n'était nullement exaucé non plus que, dans l'Ancien Testament, Moïse demandant à voir la Palestine, Jérémie priant pour les Juifs et Abraham pour les habitants de Sodome.
" Mais l'Esprit lui-même demande pour nous par des gémissements inénarrables ". Cette parole est obscure, parce que beaucoup des prodiges de ce temps-là, ont cessé aujourd'hui. Il est donc nécessaire de vous exposer quel était alors l'état des choses, et par là tout s'éclaircira. Quelle était donc alors la situation ? Dieu accordait des dons différents à ceux qui étaient baptisés, et ces dons s'appelaient. esprits. " Les esprits des prophètes ", nous dit-il, "sont soumis aux prophètes ". L'un avait le don de prophétie et prédisait l'avenir, l'autre, le don (304) de sagesse et enseignait la foule; celui-ci, le don des guérisons , et guérissait les malades ; celui-là, le don des vertus et ressuscitait les morts ; un autre, celui des langues, et parlait différents dialectes. En outre il y avait le don de prière, qu'on appelait aussi esprit ; et celui qui l'avait priait pour tout le peuple. Car, comme dans l'ignorance où nous sommes de beaucoup de choses utiles, nous en demandons qui ne le sont point, le don de prière venait en l'un d'eux, et celui-ci, se tenant debout, demandait ce qui était avantageux pour toute .1 'Enlise et instruisait les autres à en faire autant. Or ici l'apôtre appelle esprit ce don même, et l'âme qui, l'avant. reçu, priait Dieu et gémissait. Celui qui avait été honoré de cette grâce, debout dans des sentiments de vive componction, se prosternant ensuite devant Dieu avec de grands gémissements intérieurs, demandait des choses utiles à tous. Nous en avons encore une figure dans le diacre qui prie pour le peuple. Et c'est ce que Paul entend quand il dit : " L'Esprit lui-même demande pour nous par des gémissements inénarrables. Mais celui qui scrute les coeurs.... (26, 27) ".
Voyez-vous qu'il ne s'agit pas ici du Paraclet, mais du coeur inspiré par. l'Esprit-Saint? Autrement il aurait fallu dire :Celui qui scrute l'Esprit. Et pour vous faire comprendre qu'il parle de l'homme spirituel et de celui qui a le don de prière, il ajoute : " Celui qui scrute les coeurs sait ce que désire l'Esprit ", c'est-à-dire, ce que désire l'homme spirituel. " Qui demande selon Dieu pour les saints ". Non pas, nous dit Paul, qu'il apprenne à Dieu quelque chose que Dieu ignore; mais c'est pour nous apprendre à demander à Dieu ce qui est conforme à sa volonté : car c'est là le sens de ces mots : " Selon Dieu ". En sorte que cela avait lieu pour la consolation des assistants et pour enseigner la perfection : en effet, celui qui distribuait ces dons et ces biens sans nombre, c'était le Paraclet. Or, nous dit Paul, " tous ces dons, c'est le seul et même Esprit qui les opère " (I Cor, XII, 11.). Et tout cela a pour but de nous instruire et de nous prouver combien l'Esprit nous aime, puisqu'il porte jusque-là la condescendance. Aussi celui qui priait était-il exaucé, parce qu'il priait selon Dieu. Voyez-vous par combien de preuves l'apôtre démontre l'amour de Dieu pour eux et l'honneur qu'il leur fait ?
8. En effet, qu'est-ce que Dieu n'a pas fait pour nous? Il a fait le monde corruptible à cause de nous, puis incorruptible encore à cause de nous ; pour nous il a permis que tes prophètes fussent maltraités ; pour nous il les a envoyés en captivité, lassé jeter dans la fournaise, subir des maux sans nombre. Pour nous il a fait les prophètes, pour nous il a fait les apôtres; pour nous il a livré son Fils unique; pour nous il punit le démon ; il nous a fait asseoir à sa droite ; pour nous il a été couvert d'opprobre : car il est écrit : " Les injures de ceux qui vous injuriaient sont retombées sur moi ". (Ps. LXVIII.) Et quand, après tant de bienfaits, nous nous éloignons de lui, il ne nous abandonne pas; il nous rappelle, il nous procure des intercesseurs , afin de pouvoir nous rendre sa grâce : comme on le voit par l'exemple de Moïse, à qui il disait : " Laisse-moi agir et je les détruirai " (Ex. XXXII, 10), afin de l'exciter à prier pour les coupables ; et c'est ce qu'il fait, encore aujourd'hui. C'est pour cela qu'il a accordé le .don de la prière ; non pas qu'il ait besoin de supplications, mais de peur que, une fois sauvés, nous ne retombions dans un état pire: C'est pour cela que souvent il se déclare réconcilié avec les pécheurs à causé de David, à cause d'un tel ou d'un tel, dans l'intention de donner un modèle d'intercession; bien que sa bonté éclaterait davantage s'il déposait sa colère de lui-même et non par l'entremise d'un tel et d'un tel. Mais il ne l'a pas voulu, de peur que ce. mode de réconciliation ne servît de prétexte à notre lâcheté. Voilà pourquoi il disait à Jérémie : " Ne prie point pour ce peuple, car je ne t'exaucerai pas " (Jér. XI, 14) ; non. pour l'empêcher de prier, (il désire vivement notre salut), mais pour les épouvanter : ce que le prophète savait bien, car il ne cessait pas de prier. Et pour preuve que Dieu ne voulait point l'empêcher de prier, mais seulement le faire rougir, écoutez ce qu'il dit : " Ne vois-tu pas ce qu'ils font? " Et s'il dit, en parlant de Jérusalem : " Quand même tu te laverais avec du nitre et amoncellerais l'herbe sur toi, tu es souillée devant mes yeux " (Ib. XI, 22), ce n'est point pour la jeter dans le désespoir , mais pour l'exciter au repentir.
En effet, comme il frappa les Ninivites d'une plus grande épouvante et les amena à la pénitence en lançant contre eux un arrêt qui n'exceptait personne et ne laissait aucune (305) espérance; de même fait-il ici, pour tirer les Juifs de leur sommeil et entourer le prophète d'une plus grande considération, afin qu'ils lui prêtent au moins l'oreille. Mais comme leur maladie était incurable, que tant de désastres éprouvés ne les avaient pas rendus sages, il les engagea d'abord à rester où ils étaient ; ils ne le voulurent point et passèrent en Egypte ; il y consentit, en leur demandant seulement de ne point participer à l'impiété de ce peuple. Ils ne l'écoutèrent point encore ; alors il leur envoya le prophète , pour les sauver d'une ruine totale. Et comme le prophète les appelait en vain, Dieu lui-même les suit pour les corriger, pour les empêcher de descendre plus bas dans la voie du vice, ainsi que fait un père tendre qui conduit et accompagne partout un fils accablé par l'infortune. Pour cela il envoie non-seulement Jérémie en Egypte, mais aussi Ezéchiel à Babylone. Et les deux prophètes ne résistèrent point. Voyant que leur maître aimait tendrement son peuple, ils l'aimaient aussi, pareils à un serviteur reconnaissant qui prend pitié d'un enfant indocile, parce qu'il voit le père affligé et abattu.
Et que n'ont-ils pas souffert pour eux ? On les sciait, on les chassait, on les injuriait, on les lapidait, on leur faisait subir mille mauvais traitements ; et après tout cela, ils revenaient encore. Samüel ne cessa point de pleurer Saül, malgré les graves injures et les tourments insupportables que ce prince lui avait infligés; niais il avait tout oublié. Jérémie a écrit ses lamentations pour le peuple Juif ; et quand le général des Perses lui permettait d'habiter en sécurité et en toute liberté où il lui plairait, il préféra partager l'infortune, de son peuple et supporter les misères de l'exil. Ainsi Moïse quitta le palais et la vie qu'il y menait , pour courir partager le malheur des Hébreux. Ainsi Daniel jeûna vingt-six jours, s'infligeant cette rude abstinence pour apaiser Dieu irrité contre son peuple; et les trois enfants, au milieu de la fournaise embrasée, priaient aussi dans le même but. Ils ne s'affligeaient point pour eux-mêmes, puisqu'ils restaient sains et saufs ; mais comme ils se croyaient là plus en liberté, ils intercédaient pour leur peuple. Aussi disaient-ils : " Puissions-nous être agréés dans un coeur contrit et un esprit d'humilité ". (Dan. III, 39.) Pour eux Josué déchira ses vêtements ; pour eux Ezéchiel pleurait et se lamentait, en les voyant mis en pièces; et Jérémie (1) disait: " Laissez-moi, je pleurerai amèrement ". (Is. XXII, 4.) Et auparavant, n'osant demander pardon de leurs crimes, il demandait quel serait le terme, en s'écriant : " Jusqu'à quand, Seigneur ? " (Id.VI, 11.) Car toute la race des saints est remplie de charité. Voilà pourquoi Paul disait: " Revêtez-vous, comme élus de Dieu, et saints, d'entrailles de miséricorde, de bonté, d'humilité ". (Col. III, 12.)
9. Voyez-vous l'exactitude du terme, et comme il veut que nous soyons toujours miséricordieux? Il ne dit pas simplement : Ayez pitié, mais: " Revêtez-vous ", afin que la miséricorde soit toujours avec nous, comme un manteau. Il ne dit pas non plus simplement De miséricorde, mais : " D'entrailles de miséricorde ", afin que nous imitions l'amour naturel. Mais nous faisons le contraire : Si quelqu'un s'approche pour nous demander une obole, nous l'injurions, nous lui disons des sottises, nous le traitons d'imposteur. Vous ne craignez pas, ô homme, vous ne rougissez pas de traiter quelqu'un d'imposteur, à propos d'un morceau de pain? Et quand il le serait, il faudrait encore en avoir pitié, puisque c'est la faim qui le pousse à jouer ce rôle. Cela même accuse notre dureté. Comme nous ne savons pas donner facilement, les mendiants sont forcés d'inventer mille moyens pour tromper notre inhumanité et amollir notre dureté. Du reste, s'il vous demandait de l'argent ou de l'or, vous auriez peut-être quelque raison de le suspecter; mais quand il ne s'adresse à vous que pour avoir la nourriture qui lui est nécessaire, pourquoi philosopher hors de propos, discuter inutilement, et lui lancer les reproches d'oisiveté et de paresse? S'il faut adresser ces reproches, c'est à nous, et non à d'autres. Quand donc vous vous approchez de Dieu pour lui demander pardon de vos péchés, souvenez-vous de ces paroles et vous comprendrez que vous méritez plutôt de les entendre de la part de Dieu, que le pauvre de votre part. Cependant jamais Dieu ne vous les a adressées; jamais, par exemple, il ne vous a dit : Retire-toi, car tu es un imposteur, toi qui viens souvent à l'église, y apprends nos lois, et, une fois sorti, préfère l'or, la passion, l'amitié, tout en un mot, à mes commandements ; qui es humble dans la prière, puis, quand elle est achevée, te montres
1. Le texte est d'1sâie.
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audacieux, cruel, inhumain; va-t-en et cesse de me prier. Nous méritons ces reproches et bien d'autres encore; et pourtant jamais Dieu ne nous a rien dit de semblable; il est. patient, au contraire, il fait tout de son côté et nous accorde plus que nous ne demandons.
Songeant à cela, soulageons les besoins des pauvres, et ne nous inquiétons pas trop de savoir s'ils nous mentent. Car nous avons besoin d'être sauvés avec indulgence, avec bonté, avec une grande pitié. Et si l'on entre en un compte sévère avec nous, il n'y a pas moyen, non, il n'y a pas moyen d'être sauvés; nous devrons tous être punis, tous être perdus. Ne soyons donc point juges impitoyables des autres, de peur d'être nous-mêmes examinés sévèrement: car nous avons. tous des péchés qui ne méritent point de pardon. Ayons surtout pitié de ceux qui en sont indignes, afin de nous attirer aussi une pareille indulgence; et néanmoins, quoi que nous fassions, jamais nous ne pourrons montrer autant de bienveillance qu'il nous en faut de la part du bon Dieu. Quelle absurdité, quand on est si indigent, d'être si sévère à l'égard de ses compagnons de pauvreté, et de tout faire contre eux ! Jamais vous ne prouverez que cet homme est aussi indigne de vos bienfaits que vous l'êtes de ceux de Dieu. Celui qui est exigeant à l'égard de son père sera traité par Dieu bien plus rigoureusement. Ne crions donc pas contre nous; donnons, même à l'insolent, même au paresseux. Car, nous aussi, nous péchons souvent, et même toujours, par lâcheté, et Dieu ne nous en punit pas immédiatement; mais il nous donne le temps de nous repentir, il nous nourrit chaque jour,. il nous élève, nous instruit, ne nous refuse. rien, afin que nous imitions ainsi sa miséricorde.
Dépouillons donc notre dureté, rejetons notre cruauté, et, en cela, nous nous rendrons service plus qu'aux autres. Aux pauvres, en effet, nous donnons de l'argent, du pain, des vêtements; mais nous nous préparons une gloire immense, une gloire qu'il n'est pas possible d'exprimer. Car, reprenant des corps incorruptibles , nous serons glorifiés avec le Christ et nous régnerons avec lui; par là nous voyons ce que ce sera , ou plutôt nous ne le comprendrons jamais clairement ici-bas; néanmoins je ferai mots possible pour vous en donner une faible idée , d'après les biens mêmes de cette vie présente. Dites-moi : Si quelqu'un vous promettait, à vous vieux et pauvre, de vous rajeunir tout à coup, de vous ramener à la fleur de l'âge, de vous donner une force et une beauté sans égales, puis de vous faire régner sur le monde entier pendant mille ans, au sein de la paix la plus profonde que ne feriez-vous pas, que ne souffririez-vous pas, pour la réalisation d'une telle promesse? Et voilà que le Christ vous promet, non pas cela, mais beaucoup plus. Car la distance entre la vieillesse et la jeunesse, entre l'empire et la pauvreté, est loin d'égaler celle qui sépare la corruptibilité et l'incorruptibilité, la gloire présente de la gloire future: c'est la différence des songes à la réalité.
10. Jusqu'ici, je n'ai encore rien dit : car il n'est pas possible d'exprimer en paroles l'immense distance qu'il y a entre les choses à venir et les choses présentes; et quant à ce qui regarde la durée, il est absolument impossible de la concevoir.. Comment en effet comparer à la vie présente une vie sans fin? Il y a autant de différence entre cette paix et celle-ci qu'il y en a entre la paix et la guerre ; autant de différence entre la corruptibilité et l'incorruptibilité qu'entre urne motte de terre et une perle précieuse; ou plutôt; personne ne peut expliquer cette différence. Si je compare la beauté de ces corps à l'éclat du rayon de lumière ou au plus brillant éclair, je n'ai rien dit qui approche de cette splendeur.
Est-il des richesses, est-il des corps et même des âmes qu'on ne doive sacrifier pour de tels avantages? Si maintenant quelqu'un vous introduisait dans un palais, vous procurait un entretien avec le roi en présence de tout le monde, et l'honneur de vous asseoir à sa table, vous vous estimeriez le plus heureux des hommes; et quand il s'agit de monter au ciel, d'habiter chez le Roi de l'univers, de le disputer en éclat aux anges et de jouir d'une gloire ineffable, vous hésitez à sacrifier des richesses; quand, fallût-il même sacrifier votre vie, vous devriez tressaillir de joie, être transporté de bonheur et avoir des ailes! Pour obtenir une charge, qui vous devient une occasion de vol (car je ne saurais appeler cela un gain ), vous prodiguez vos biens, vous empruntez l'argent d'autrui, vous n'hésitez pas même, au besoin, à donner en gage votre femme et vos enfants; et quand vous avez devant les yeux le royaume du ciel, un empire où personne ne peut prendre. votre place; quand (307) Dieu vous invite à entrer en possession, non pas d'un coin de terre, mais du ciel entier, vous balancez, vous reculez; vous ambitionnez de l'argent, sans vous dire à vous-même : Si les parties du ciel que nous découvrons sont déjà si belles et si agréables, que doit-ce être des régions supérieures et du ciel des cieux?
Mais puisqu'il n'est pas possible de les voir des yeux du corps, montez-y par la pensée, et debout sur le ciel visible, contemplez le ciel supérieur, cette hauteur immense, cette lumière éblouissante, ces multitudes d'anges, ces innombrables légions d'archanges, et. les autres puissances incorporelles. Puis, redescendant de ces hauteurs, reprenez l'image des choses d'ici-bas, figurez-vous un roi terrestre, c'est-à-dire, des hommes chamarrés d'or, des attelages de mules blanches caparaçonnées d'or, des chars incrustés de pierres précieuses; des tapis blancs comme neige, des lames .s'agitant sur les chars, des dragons figurés sur des manteaux de soie, des boucliers dorés, des baudriers couverts de pierres précieuses se rattachant du centre au pourtour, des chevaux ornés d'or, des freins d'or. Mais dès que le roi paraît, nous ne voyons plus rien de tout cela; lui seul attire nos regards, avec son manteau de pourpre, son diadème, son siége, ses agrafes, ses chaussures, la distinction de ses traits.
Après vous être exactement représenté tout ce tableau, remontez ensuite par là pensée vers la sphère supérieure, reportez-vous à ce jour terrible, où le Christ apparaîtra. Vous ne verrez point alors d'attelages de mules, ni de chars dorés, ni de dragons, ni. de boucliers mais des choses pleines d'épouvante et qui causeront un tel effroi que les puissances incorporelles elles-mêmes en seront frappées de stupeur. " Car ", est-il écrit, " les vertus des cieux seront ébranlées ". (Matth. XXIV, 29.) Alors, en effet, le ciel entier sera à découvert, les portes de ce temple s'ouvriront, le Fils unique de Dieu descendra, accompagné, non pas de vingt ou de cent satellites, mais dé milliers et de millions d'anges, d'archanges; de chérubins, de séraphins et d'autres puissances : tout sera saisi de craint; et de tremblement, quand la terre se brisera, quand tous les hommes qui auront existé depuis Adam jusqu'à ce jour, sortiront du tombeau et seront enlevés ; quand le Christ paraîtra environné d'une telle gloire que la lune, le soleil ? toute lumière disparaîtront dans sa splendeur. Quelle langue pourrait dire cette félicité, cet éclat, cette gloire ?
O mon âme ! je sens naître mes larmes et mes soupirs, quand je songe quels biens nous perdons, de quel bonheur nous nous privons; et nous nous en privons (je parle ici pour moi), si nous ne faisons quelque chose de grand et de merveilleux. Que personne ne vienne ici me parler de l'enfer; la perte d'une telle gloire est plias terrible que tous les enfers, la privation de ce bonheur est pire que mille et mille supplices, Et pourtant nous soupirons encore après les choses du temps, et nous ne songeons pas à la malice. du démon, qui nous enlève de grandes choses pour de petites; qui nous donne de la boue pour nous prendre de l'or, que dis-je de l’or? le ciel même; qui nous montre l'ombre pour nous séparer de la réalité, et joue notre imagination par des songes (car la richesse de ce monde n'est qu'un songe), pour nous faire paraître nus et dépouillés, quand le jour viendra.
74: En songeant à tout cela, évitons ses piéges, quoiqu'il soit peut-être bien tard, et reportons-nous vers l'avenir. Il ne nous est pas possible de dire que nous ignorons la condition des choses- présentes, quand chaque jour la voix des événements, plus éclatante que le soli de la, trompette, nous en proclame la vanité, le ridicule,. fa honte, les périls, les abîmes. Comment nous excuserons-nous d'avoir poursuivi avec tant d'ardeur des objets dangereux ou honteux, au détriment de biens sûrs, qui pouvaient nous procurer la gloire et l'éclat, et de nous être entièrement livrés à la tyrannie des richesses? Car cet esclavage est la pire des tyrannies; ceux-là le savent, qui ont mérité d'en être délivrés. Et pour connaître, vous aussi, cette belle liberté, brisez vos liens, arrachai-vous au filet; qu'il n'y ait pas d'or chez-vous , mais qu'un trésor plus précieux que toutes les richesses, la miséricorde et la bonté, en tienne place. Voilà ce qui nous permettra de paraître avec confiance devant. Dieu, tandis que l'or nous couvre de honte et rendre démon audacieux contre nous. Pourquoi donner des armes à votre ennemi, et le rendre plus fort? Armez votre droite contre lui, reportez sur votre âme toute la richesse de votre maison, mettez toute votre fortune dans votre intérieur; que le ciel garde votre or; au lieu de votre coffre-fort ou de (308) votre domicile; portons en nous-mêmes toute notre fortune, car nous valons beaucoup mieux que des murs, et nous sommes plus respectables que des parquets.
Pourquoi donc nous négliger nous-mêmes, épuiser notre sollicitude sur de tels objets, que nous ne pourrons point emporter avec nous, que nous perdons souvent même dès ce monde, quand nous avons la faculté de nous enrichir de manière à être opulents, non-seulement en ce monde, mais encore en l'autre? En effet, celui qui porte dans son âme ses terres, ses maisons, son or, se montre avec sa fortune partout où il paraît. Comment cela? direz-vous; c'est bien facile. Si, en effet, vous transportez tout cela dans le ciel, par les mains des pauvres, vous le faites aussi tout passer dans votre âme, en sorte que quand la mort arrivera , personne ne pourra vous en dépouiller , et que vous emporterez votre richesse dans l'autre vie. Tel était le trésor de Tubithe ; voilà pourquoi ce ne sont point une maison, des murs, des pierres, des colonnes qui l'ont rendue célèbre; mais les vêtements donnés aux veuves, les larmes répandues, la mort qui s'est enfuie, la vie qui est revenue. Amassons-nous donc de semblables trésors , bâtissons-nous de telles demeures. Ainsi Dieu travaillera avec nous , et nous avec lui. En effet, il a tiré les pauvres du néant; et vous, vous n'aurez point laissé ses créatures périr de faim et de misère, vous les aurez soignées, restaurées, vous aurez soutenu le. temple de Dieu: y a-t-il une oeuvre aussi utile, aussi glorieuse? Si vous n'avez pas encore compris quel ornement Dieu vous a ménagé, en vous confiant le soulagement des pauvres, faites cette réflexion : Si Dieu vous avait donné le pouvoir de soutenir le ciel prêt à tomber, ne regarderiez-vous pas cela comme un honneur bien au-dessus de vous? Or, l'honneur qu'il vous, accorde ici est bien plus grand. Il vous confie le soin de relever un ouvrage bien plus précieux que le ciel : car Dieu ne voit rien qui égale l'homme. En effet, c'est pour l'homme qu'il a fait le ciel, la terre et la mer et il a plus de plaisir à habiter en lui que dans le ciel.
Et cependant, nous qui savons cela, nous n'avons ni soins ni attentions pour les temples de Dieu ; mais, les laissant dans l'abandon , nous nous construisons de vastes et splendides demeures. Voilà pourquoi nous sommes dénués de tout bien , plus pauvres que les plus pauvres, parce que nous ornons des maisons que nous ne pouvons pas emporter avec nous, et que nous négligeons celles qui nous suivraient dans l'autre vie. Car les corps des pauvres ressusciteront après avoir été réduits en poussière ; et alors Dieu, l'auteur de ces commandements, les fera paraître, louera ceux qui en auront eu soin, et les comblera d'éloges pour avoir soutenu de toutes manières ceux qui allaient succomber à la faim, à la nudité, au froid. Et cependant, malgré la perspective de ces éloges, nous hésitons encore, et nous reculons devant ces glorieuses sollicitudes. Et le Christ ne sait où loger; il erre çà et là, étranger, nu, mourant de faim; et vous construisez des maisons de campagne, des bains, des promenades, des lits sans nombre, au hasard et sans but, et tandis que vous ornez des appartements pour des corbeaux et des vautours, vous n'avez pas un coin de toit pour le Christ.
Qu'y a-t-il de pire qu'une pareille folie? Qu'y a-t-il de plus coupable
qu'une telle démence? car c'est bien là l'excès de
la démence, et tout ce qu'on en pourrait dire serait au-dessous
du sujet. Cependant, si nous le voulons, nous pouvons encore chasser cette
maladie, quelque affreuse qu'elle soit; il est non-seulement possible,
mais facile, non-seulement facile, mais beaucoup plus facile de la guérir
que les maladies du corps; d'autant que le médecin est plus habile.
Attirons-le donc à nous, prions-le de mettre la main à l'oeuvre,
et fournissons ce qui est en notre pouvoir : la bonne volonté et
le zèle. Il n'a pas besoin d'autre, chose; qu'il trouve en nous
ces dispositions, et il se chargera du reste. Donnons donc ce que nous
avons, afin de jouir d'une parfaite santé et d'obtenir les biens
à venir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, avec qui gloire soit au Père et aussi au Saint-Esprit,
maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.
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