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Saint Jean Chrysostome
Commentaire de la lettre aux Romains (2)

.COMMENTAIRE SUR L'ÉPÎTRE AUX ROMAINS
Tome X p. 189 - 433

HOMÉLIE XV. OR, NOUS SAVONS QUE TOUT COOPÈRE AU BIEN POUR CEUX QUI AIMENT DIEU. (VIII, 28, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE.) *

HOMÉLIE XVI. JE DIS LA VÉRITÉ DANS LE CHRIST, JE NE MENS PAS, MA CONSCIENCE ME RENDANT TÉMOIGNAGE PAR L'ESPRIT-SAINT. (IX, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.) *

HOMÉLIE XVII. ASSURÉMENT, MES FRÈRES, LA VOLONTÉ DE MON COEUR ET MES SUPPLICATIONS A DIEU ONT POUR OBJET LEUR SALUT. (X, 1, JUSQU'À 13.) *

HOMÉLIE XVIII. COMMENT DONC INVOQUERONT-ILS CELUI EN QUI ILS N'ONT POINT CRU? COMMENT CROIRONT-ILS EN CELUI QU'ILS N'ONT PAS ENTENDU? ET COMMENT *

ENTENDRONT-ILS SI PERSONNE NE LES PRÊCHE ? ET COMMENT PRÊCHERA-T-ON SI ON N'EST PAS ENVOYÉ? COMME IL EST ÉCRIT. (X, 14, 15, JUSQU'A XI, 6.) *

HOMÉLIE XIX. QU'EST-IL DONC ARRIVÉ? CE QUE CHERCHAIT ISRAEL, IL NE L'A POINT TROUVÉ; MAIS CEUX QUI ONT ÉTÉ CHOISIS L'ONT TROUVÉ; LES AUTRES ONT ÉTÉ AVEUGLÉS. (XI, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.) *

HOMÉLIE XX. JE VOUS CONJURE DONC, MES FRÈRES, PAR LA MISÉRICORDE DE DIEU, D'OFFRIR VOS CORPS EN HOSTIE VIVANTE, SAINTE, AGRÉABLE A DIEU, POUR QUE VOTRE CULTE SOIT RAISONNABLE. (XII, 1, JUSQU'A 3.) *

HOMÉLIE XXI. CAR, COMME DANS UN SEUL CORPS NOUS AVONS PLUSIEURS MEMBRES, ET QUE TOUS *

CES MEMBRES N'ONT PAS LA MÊME FONCTION ; DE MÊME, QUOIQUE NOUS SOYONS PLUSIEURS, NOUS NE SOMMES NÉANMOINS QU'UN SEUL CORPS EN JÉSUS-CHRIST, ÉTANT TOUS RÉCIPROQUEMENT MEMBRES LES UNS DES AUTRES (XII, 4, 5, JUSQU'A 13.) *

HOMÉLIE XXII. BÉNISSEZ CEUX QUI VOUS PERSÉCUTENT ; BÉNISSEZ-LES, ET NE FAITES POINT D'IMPRÉCATION CONTRE EUX. (XII, 14, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.) *

HOMÉLIE XXIII. QUE TOUTE PERSONNE SOIT SOUMISE AUX PUISSANCES SUPÉRIEURES. (XIII, 1, JUSQU'À 11.) *

HOMÉLIE XXIV. SACHANT DE PLUS, QUE LE TEMPS PRESSE, ET QUE C'EST L'HEURE DE NOUS RÉVEILLER DE NOTRE ASSOUPISSEMENT. (XIII, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE.) *

HOMÉLIE XXV. CELUI QUI EST ENCORE FAIBLE DANS LA FOI, RECEVEZ-LE AVEC CHARITÉ SANS CONTESTER AVEC LUI. CAR L'UN CROIT QU'IL LUI EST PERMIS DE MANGER DE TOUTES CHOSES; ET L'AUTRE, AU CONTRAIRE, QUI EST FAIBLE DANS LA FOI, NE MANGE QUE DES LÉGUMES. (XIV, 1, JUSQU'À 13.) *

HOMÉLIE XXVI. JE SAIS ET JE SUIS PERSUADÉ, DANS LE SEIGNEUR *

JÉSUS, QUE RIEN N'EST IMPUR DE SOI-MÊME, ET QU'IL N'EST IMPUR QU'A CELUI QUI LE CROIT IMPUR. (XIV, 14, JUSQU'A 24.) *

HOMÉLIE XXVII. A CELUI QUI EST TOUT-PUISSANT, POUR VOUS AFFERMIR DANS LA FOI DE L'ÉVANGILE ET DE LA DOCTRINE DE JÉSUS-CHRIST, QUE JE PRÉCHE *

SUIVANT LA RÉVÉLATION DU MYSTÈRE QUI, ÉTANT DEMEURÉ CACHÉ DANS TOUS LES SIÈCLES PASSÉS, A ÉTÉ DÉCOUVERT MAINTENANT PAR LES ORACLES DES PROPHÈTES, SELON L'ORDRE DE DIEU ÉTERNEL, POUR OPÉRER L'OBÉISSANCE A LA FOI, ET EST VENU A LA CONNAISSANCE DE TOUTES LES NATIONS; A DIEU QUI EST LE SEUL SAGE, GLOIRE, PAR JÉSUS-CHRIST, DANS LES SIÈCLES DES SIÈCLES. AINSI SOIT-IL. (XIV, 24, 25, 26, POUR SAINT JEAN CHRYSOSTOME, ET 25, 26, 27, DU CHAP. XVI DE LA VULGATE.) *

HOMÉLIE XXVIII. CAR JE VOUS DÉCLARE QUE JÉSUS-CHRIST A ÉTÉ LE MINISTRE DE L'ÉVANGILE, A L'ÉGARD DES JUIFS CIRCONCIS, AFIN QUE DIEU FUT RECONNU POUR VÉRITABLE, PAR L'ACCOMPLISSEMENT DES PROMESSES FAITES A LEURS PÈRES. (XV, 8, JUSQU'A 13.) *

HOMÉLIE XXIX. POUR MOI, MES FRÈRES, JE SUIS PERSUADÉ QUE VOUS ÊTES PLEINS DE CHARITÉ, QUE VOUS ETES REMPLIS DE TOUTES CONNAISSANCES, ET QU'AINSI VOUS POUVEZ VOUS INSTRUIRE LES UNS LES AUTRES. (XV, 14, JUSQU'A 24.) *

HOMELIE XXX. MAINTENANT JE M'EN VAIS A JÉRUSALEM POUR SERVIR AUX SAINTS QUELQUES AUMÔNES, CAR LA MACÉDOINE ET L'ACHAÏE ONT RÉSOLU AFFECTUEUSEMENT DE FAIRE QUELQUE PART DE LEURS BIENS A CEUX D'ENTRE LES SAINTS DE JÉRUSALEM QUI SONT PAUVRES. ILS L'ONT RÉSOLU AFFECTUEUSEMENT, ET, EN EFFET, ILS LEUR SONT REDEVABLES. (XV, 25, 26, 27, JUSQU'A XVI, 4.) *

HOMÉLIE XXXI. SALUEZ MON CHER ÉPÉNÉTE, QUI A ÉTÉ LES PRÉMICES DE L'ASIE, POUR JÉSUS-CHRIST. (XVI, 5, JUSQU'À 16.) *

HOMÉLIE XXXII. JE VOUS EXHORTE, MES FRÈRES, A PRENDRE GARDE A CEUX QUI CAUSENT LES DISSENSIONS ET LES SCANDALES, CONTRE LA DOCTRINE QUE VOUS AVEZ APPRISE, ET DE VOUS DÉTOURNER D'EUX. CAR DE TELLES GENS NE SERVENT POINT NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, MAIS LEUR VENTRE ; ET, PAR DES PAROLES DOUCES ET FLATTEUSES, ILS SÉDUISENT LES AMES SIMPLES. (XVI, 17, 18, JUSQU'À LA FIN DE L'ÉPÎTRE. ) *
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XV. OR, NOUS SAVONS QUE TOUT COOPÈRE AU BIEN POUR CEUX QUI AIMENT DIEU. (VIII, 28, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE.)
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Analyse.

1. Tout, sans aucune exception, et les afflictions même de la vie , et le retard même de la vocation, contribue au bien de ceux qui aiment Dieu et qui sont appelés à être saints ?

2. Si Dieu est pour nous qu'est-ce que les hommes pourront contre nous ? — Et que nous refusera Dieu qui nous a donné son Fils ?

3. Comment saint Paul, après avoir énuméré les preuves d'amour que Dieu nous a données, se laisse aller à ce mouvement sublime : qui donc nous séparera de la charité de Jésus-Christ ? — Que l'élection est un signe de vertu.

4. Que nous pouvons mourir tous les jours et gagner autant de couronnes.

5. Amour de l'apôtre saint Paul pour Notre-Seigneur Jésus-Christ.

6. L'orateur condamne l'amour des choses de la terre, il fait parler Notre-Seigneur qui nous exhorte à la pratique de l'aumône.

1. Il me semble que tout ce passage est destiné à ceux qui sont dans les dangers ; et non-seulement ce passage, mais encore ceux qu'on a lus un peu plus haut. En effet cette phrase : " Les souffrances du temps présent n'ont point de proportion avec la gloire future qui sera révélée " ; et celle-ci : " Toutes les créatures gémissent " ; puis : " C'est en espérance que nous avons été sauvés " ; et encore : " Nous attendons par la patience "; et enfin : " Nous ne savons ce que nous devons demander, dans la prière a : tous ces textes, dis-je, semblent aller à la même adresse. Paul leur apprend en effet que ce n'est point ce qu'ils jugent utile qui l'est réellement et qu'ils doivent toujours choisir, mais bien ce que l'Esprit leur inspire. Car beaucoup de choses qui leur paraissent avantageuses, leur sont quelque fois très-nuisibles. Le repos , par exemple , l'éloignement du danger, la sécurité de la vie, leur semblaient des avantages. Et comment s'étonner qu'ils jugeassent ainsi , quand le bienheureux Paul lui-même partageait cette opinion ? Et cependant il apprit plus tard que la situation contraire est celle qui procure les vrais avantages, et dès qu'il le sut, il s'y attacha. Ainsi, lui qui avait trois fois prié le Seigneur de le délivrer des périls, lui ayant entendu dire : " Ma grâce te suffit ; car ma puissance se montre tout entière dans la faiblesse ", triomphait de joie plus tard quand il était persécuté, injurié, accablé de maux intolérables. " Je me complais " , disait-il , " dans les persécutions, dans les outrages, dans les nécessités ". (II Cor. XII, 9, 10.) C'est pour cela qu'il disait: " Nous ne savons ce que nous devons demander dans la prière ", et il les exhortait tous à s'en remettre là-dessus à l'Esprit. Car l'Esprit-Saint a grand soin de nous, et c'est le bon plaisir de Dieu.

A ces continuelles exhortations, il ajoute ce que nous venons de dire : un raisonnement propre à leur rendre le courage. " Nous savons ", dit-il, " que tout coopère au bien pour ceux qui aiment Dieu". Or, ce mot : " Tout " renferme aussi les choses pénibles. Que ce soit l'affliction qui survienne, ou la pauvreté, ou la prison, ou la faim, ou la mort, ou toute autre chose, Dieu peut tourner tout cela en sens contraire, puisque son infinie puissance sait nous alléger et changer en moyen de salut tout ce qui nous semble pénible. Aussi l'apôtre ne dit-il ,point : l'adversité n'atteint pas ceux qui aiment Dieu, mais : " Coopère au bien " ; c'est-à-dire, Dieu fait tourner les périls à la gloire de ceux à qui on tend des embûches ; ce qui est bien plus que d'écarter le danger, ou d'en délivrer quand il (310) survient. C'est ce qu'il a fait dans la fournaise de Babylone. Il n'a pas empêché qu'on y jetât les trois saints, et quand ils y furent, il n'éteignit point la flamme ; mais il la laissa brûler pour les rendre par là même plus glorieux. A l'occasion des apôtres, il a fait constamment d'autres prodiges du même genre. S'il suffit à l'homme d'être sage pour savoir tourner en sens contraire la nature des choses, paraître au sein de la pauvreté plus a l'aise que les riches, et tirer de la gloire du mépris même dont ils sont l'objet; à bien plus forte raison Dieu peut-il en faire autant, et beaucoup plus encore, à l'égard de ceux qui l'aiment. Une seule chose est nécessaire : l'aimer sincèrement, et tout le reste vient à la suite. Et de même que les choses qui semblent nuisibles sont profitables à ceux qui l'aiment ; ainsi , celles qui sont utiles deviennent nuisibles à ceux qui ne l'aiment pas. Les miracles, la pureté des dogmes, la sagesse de la doctrine ont fait tort aux Juifs; à cause des miracles, ils appelaient le Christ démoniaque, à cause de sa doctrine ils le traitaient d'impie ; ils essayaient même de le faire mourir à raison de ses prodiges. D'autre part, le larron crucifié , percé de clous, accablé d'injures , souffrant des douleurs sans nombre; non-seulement n'en éprouva aucun dommage, mais en tira le plus grand profit. — Voyez-vous comme tout coopère au bien pour ceux qui aiment Dieu ?

Après avoir établi que c'est là un grand bien, un avantage qui surpasse de beaucoup la nature humaine, comme cela semblait incroyable à un grand nombre, il le confirme par le passé, en disant: "Pour ceux qui, selon son décret, sont appelés ". Considérez qu'il parle ainsi en présupposant la vocation. Pourquoi Dieu n'a-t-il pas dès l'abord appelé tous les hommes, ou pourquoi n'a-t-il pas appelé Paul avec les autres apôtres, puisque ce délai semblait désavantageux? Et pourtant l'événement a prouvé que ce délai était utile. Il parle ici de décret, pour ne pas tout attribuer à la vocation, parce que les Gentils et les Juifs auraient pu le contre-dire. Si en effet la vocation avait suffi, pourquoi tous n'étaient-ils pas sauvés?Voilà pourquoi il dit que ce n'est pas la vocation seule, mais le décret, qui a opéré le salut des élus : car la vocation n'imposait aucune nécessité, ne faisait point de violence. Tous donc étaient appelés, mais tous n'ont pas obéi. " Car ceux qu'il a connus par sa prescience, il les a aussi prédestinés à être cou" formes à l'image de son Fils ". Voyez-vous ce comble d'honneur? Ce que le Fils unique était par nature, ceux-ci le deviennent par grâce. Et cependant il ne se contente pas de dire " Conforme " ; il y ajoute encore autre chose : " Afin qu'il fût lui-même le premier né (29) ". Et il ne se borne encore pas là, car il ajoute : " Entre beaucoup de frères ", voulant en tout montrer le lien de parenté. Mais comprenez bien que tout ceci s'entend de l'Incarnation; car, selon la divinité, le Christ est Fils unique.

2.Voyez-vous que de grâces il nous a accordées? Ne doutez donc point de l'avenir; car l'apôtre nous fait assez voir la Providence quand il nous parle de préfiguration. En effet, les hommes changent d'opinion d'après les événements; mais les pensées de Dieu et ses dispositions à notre égard sont anciennes. L'apôtre. dit donc : " Et ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés ". Il les a justifiés par la régénération du baptême. " Et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés (30) ". Il les a glorifiés par la grâce, par l'adoption. " Que dirons-nous donc après cela? " C'est comme s'il disait : Ne me parlez donc plus de périls, ni d'embûches dressées de toutes parts. Si quelques-uns doutent encore de l'avenir, au moins ne peuvent-ils nier les bienfaits déjà accordés, par exemple l'amour de Dieu pour nous, la justification, la gloire. Or il a accordé tout cela par des moyens qui semblaient fâcheux ; ce que vous regardiez comme un opprobre, la croix; la flagellation, les chaînes, c'est ce qui a restauré l'univers entier. Comme donc c'est par ses souffrances, en apparence si tristes, qu'il a procuré la liberté et le salut à tout le genre humain ; ainsi en agit-il avec vos propres souffrances, en les faisant tourner à votre gloire et à votre honneur. " Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous (31) ? "

Et qui n'est pas contre nous? dira-t-on. Nous axons contre nous le monde entier, les tyrans, les peuples, nos parents, nos concitoyens; et pourtant tous ces ennemis sont si loin de nous nuire qu'ils nous tressent malgré eux des couronnes, qu'ils nous procurent des biens infinis : la sagesse de Dieu tournant leurs embûches à notre gloire et à notre salut. Voyez-vous comme personne n'est contre nous? Ce qui a augmenté la gloire de Job (311) c'est que le démon s'est armé contre lui. Le démon a en effet tout mis en oeuvre pour lui nuire : ses amis, sa femme, ses plaies, ses serviteurs; et rien de cela ne lui a fait de mal. Ce n'était pas encore beaucoup pour lui , bien que cela eût déjà une grande importance; mais ce qui était bien plus, c'est que tout a tourné à son profit. Car comme Dieu était pour lui, tout ce qui semblait être contre lui, lui est devenu avantageux. Ainsi en a-t-il été pour les apôtres. En effet les Juifs, les gentils, les faux frères, les princes, les peuples, la faim, la pauvreté, mille autres choses encore étaient contre eux, et pourtant rien n'était contre eux. C’est même 1à ce qui les a rendus glorieux , illustres et louables devant Dieu et devant l'es hommes. Pensez donc quelle grande parole Paul a prononcée en faveur des fidèles , de ceux qui sont vraiment crucifiés , parole que ne sauraient s'appliquer ceux mêmes qui sont ceints du diadème. En effet, contre un prince les barbares prennent les armes, les ennemis font irruption, les gardes du corps tendent des embûches, les sujets se révoltent souvent, mille autres dangers se présentent; mais contre le fidèle , attentif à observer exactement les lois de Dieu, l'homme ni le démon ne peuvent rien. En lui enlevant ses richesses , vous lui préparez une récompense ; en disant du mal de lui , vous le rendez par là même plus glorieux devant Dieu ; en le réduisant à la faim , vous augmentez sa gloire et sa récompense ; en le livrant à la mort, ce qui semble être le pire, vous lui tressez la couronne du martyre. Qu'y a-t-il donc de comparable à cette vie où rien ne peut nuire ; où ceux mêmes qui tendent des piéges ne sont pas moins utiles que des bienfaiteurs? Aussi Paul dit-il : " Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? "

Ensuite, non content de ce qu'il vient de dire, il rappelle encore le plus grand signe de l'amour de Dieu pour nous, celui qu'il ne perd jamais de vue : l'immolation du Fils. Non-seulement, nous dit-il, Dieu les a justifiés, glorifiés , rendus conformes à l'image de son Fils; mais il n'a pas même épargné ce Fils pour vous. Aussi ajoute-t-il-: " Lui qui n'a pas épargné même son propre Fils, mais qui l'a livré pour nous tous , comment ne nous aurait-il pas donné toutes choses avec lui (32) ? " L'apôtre emploie ici des expressions énergiques et brûlantes , pour faire comprendre l'amour divin. Comment donc Dieu nous abandonnerait-il, lui qui n'a pas ménagé son propre Fils, mais l'a livré pour nous tous? Et songez quelle bonté c'est de ne pas ménager son propre Fils, mais de le livrer, et de le livrer pour tous, pour des êtres sans valeur, pour des ingrats, des ennemis, des blasphémateurs: " Comment ne nous aurait-il pas donné toutes choses avec lui ? " L'apôtre veut dire : S'il nous a donné son Fils, non pas simplement donné, mais donné pour être immolé, comment mettrez-vous le reste en doute, quand vous avez reçu le Maître lui-même? Comment douterez-vous de la propriété , quand vous avez le propriétaire? Comment celui qui a donné le plus à des ennemis, refusera-t-il le moins à des amis? " Qui accusera les élus de Dieu?... (33) ".

3. Ici Paul s'adresse à ceux qui disaient que la foi ne sert à rien , et qui ne croyaient pas à un changement soudain. Et voyez comme il leur ferme promptement la bouche en parlant de la dignité de celui qui a élu. Il ne dit pas Qui accusera les serviteurs de Dieu, ni : Les fidèles de Dieu, mais : " Les élus de Dieu " car l'élection est un signe de vertu. Si, en effet, quand un dompteur de chevaux choisit les poulains propres à la course , personne ne peut l'en blâmer à moins d'encourir le ridicule : à bien plus forte raison, quand Dieu choisit les âmes, serait-on ridicule de lui en faire un reproche. "C'est Dieu qui les justifie; qui est celui qui les condamnerait? " Il ne dit pas : C'est Dieu qui remet les péchés; mais, ce qui est beaucoup plus : " C'est Dieu qui les justifie ". Quand le suffrage du juge, et d'un tel juge, proclame quelqu'un juste; quelle sera la peine de l'accusateur? Donc il ne faut pas craindre les épreuves, car Dieu est pour nous, et il l'a assez prouvé par les faits; ni les niaiseries judaïques, car Dieu nous a Choisis et justifiés, et justifiés , chose étonnante ! par la mort de son Fils. Qui donc nous condamnera quand Dieu nous couronne, quand. le Christ a été immolé pour nous, et non-seulement a été immolé, mais intercède encore en notre faveur ? " C'est le Christ Jésus ", nous dit-il, " qui est mort pour eux, qui de plus est ressuscité des morts, est à la droite du Père et qui même intercède pour nous (34) ".

Bien qu'en possession de sa dignité propre, il n'a point cessé de s'occuper de nous, mais (312) il intercède en notre faveur, et nous conserve toujours la même affection. Car il ne s'est pas contenté d'être mis à mort; pour nous donner une plus grande preuve de son amour, il n'a pas seulement payé de sa personne, il en engage encore un autre à agir dans le même but. C'est là uniquement ce que Paul entend par le mot intercéder; employant une expression plus humaine, plus humble , pour désigner cet amour. Si on ne le prenait pas dans ce sens, le terme: " N'a pas épargné", entraînerait beaucoup d'absurdité. Et la preuve que c'est là ce qu'il veut dire , c'est qu'après avoir d'abord dit: " Est à la droite ",. il ajoute : " Il intercède pour nous " ; montrant par là tout à la fois que lé Fils est égal au Père, et que son intercession n'est point un indice d'infériorité , mais uniquement une preuve de son amour. Car comment celui qui est la vie et la source de tous les biens, qui a la même puissance que le Père, qui ressuscite les morts, qui vivifie, et qui fait tout le reste, comment, dis-je, aurait-il besoin d'intercéder pour nous être utile? Comment celui qui, par sa propre puissance, a sauvé, de la condamnation ceux qui étaient désespérés et condamnés, qui les a faits justes et enfants de Dieu, qui les a conduits aux suprêmes honneurs, qui a réalisé ce qu'on n'eût jamais osé espérer ; comment, après avoir accompli tout cela et avoir fait asseoir notre nature sur le trône royal, aurait-il eu besoin de prier pour des oeuvres plus faciles?

Voyez-vous comme il est démontré de toutes manières que Paul ne parle ici d'intercession que pour faire comprendre l'ardeur, la vivacité de l'amour du Christ pour nous ? En effet, il est dit aussi que le Père exhorte les hommes à se réconcilier avec lui. " Nous faisons donc les fonctions d'ambassadeurs pour le Christ, Dieu exhortant par notre bouche ". (Il Cor. V, 20.) Et pourtant quand- Dieu nous exhorte, quand des hommes font les fonctions d'ambassadeurs pour le Christ vis-à-vis d'autres hommes, nous ne voyons rien là qui soit indigne de la majesté divine; tout ce que nous en pouvons conclure , c'est l'étendue de l'amour de Dieu. Faisons de même ici. Si donc l'Esprit demande avec des gémissements inénarrables, si le Christ est mort, s'il intercède pour nous, si le Père n'a point ménagé pour vous son propre Fils, s'il vous a élu et justifié, que craignez-vous encore? Quand vous êtes l'objet d'un tel amour, d'une telle Providence, pourquoi tremblez-vous? Aussi, après avoir montré cette Providence , l'apôtre continue en toute liberté , et ne se contente plus de dire : Donc vous devez aussi l'aimer; mais, comme saisi d'enthousiasme à l'aspect de cette bonté infinie, il s'écrie : " Qui nous séparera de l'amour du Christ? " Il ne dit pas : De Dieu; tant il lui est indifférent de nommer le Christ ou Dieu. " Est-ce la tribulation? Est-ce l'angoisse? Est-ce la persécution? Est-ce la faim? Est-ce la nudité? " Est-ce le péril? Est-ce le glaive (35) ? "

Voyez la prudence de Paul : Il ne parle point des piéges où nous tombons tous les jours, de l'amour des richesses, de la passion de la gloire, de la tyrannie de la colère ; mais de choses bien plus tyranniques, qui font violence à. la nature elle-même, qui ébranlent souvent malgré nous la fermeté du caractère, à savoir les tribulations et les angoisses. Bien que l'on puisse compter toutes ses expressions , néanmoins chacune d'elle renferme des milliers d'épreuves; ainsi quand il parle d'affliction, il entend la prison, les chaînes, la calomnie, l'exil, toutes les misères; d'un mot il parcourt un vaste océan de périls, d'une seule expression il indique tout ce qu'il y a de pénible pour l'homme. Et cependant il brave tout cela. Aussi procède-t-il par interrogation, comme si la contradiction était impossible, puisque rien ne peut séparer de l'objet de son amour celui qui est aimé à ce point et qui jouit du soin d'une telle Providence.

4. Ensuite, pour que ces épreuves ne soient pas considérées comme un signe de délaissement , il cite le prophète qui les a prédites longtemps d'avance en ces termes : " A cause de vous nous sommes mis à mort tout le jour, on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie (36) ", c'est-à-dire Nous sommes exposés à subir des mauvais traitements de la part de tout le monde, néanmoins contre tant et de si grands périls, contre tant de nouvelles et sanglantes cruautés, une consolation nous suffit : la raison même de ces combats. Non-seulement elle nous suffit, mais elle dépassé de beaucoup nos besoins. Car, ce n'est pas pour les hommes ni pour rien de terrestre que nous souffrons tout cela, mais pour le Roi de l'univers. Et ce n'est point là la seule couronne que Dieu réserve à (313) ses élus, mais il leur en prépare une autre multiple et variée. Car comme, en qualité d'hommes, ils ne sauraient souffrir mille morts, il leur montre que la récompense n'en sera pas moindre pour autant: Bien que ce soit une loi de notre nature que nous ne mourions qu'une fois, Dieu cependant nous donne la faculté de mourir tous les jours, si nous le voulons. D'où il suit clairement que nous aurons, à l'heure du départ, autant de couronnes que nous aurons vécu de jours, et même beaucoup plus : car on peut mourir une fois, deux fois, bien des fois par jour. Et celui qui est prêt à cela, reçoit toujours la récompense entière.

C'est à quoi font allusion ces mots du prophète : " Tout le jour ". Aussi l'apôtre invoque-t-il son témoignage , pour mieux exciter leur ardeur. Si en effet, leur dit-il, ceux qui vivaient sous l'Ancien Testament, qui n'avaient pour prix de leurs travaux que la terre et ce qui passe avec la vie, ont pu ainsi dédaigner la vie présente, les épreuves, les périls

comment serions-nous excusables de tomber dans le relâchement, de ne pas même atteindre à leur mesure, quand on nous a promis le royaume du ciel et des biens ineffables? L'apôtre n'exprime pas cette pensée , mais, l'abandonnant à la conscience de ses auditeurs, il se contente du témoignage du prophète, il leur montre que leurs corps sont une victime, et qu'ils ne doivent point s'en troubler, ni s'en effrayer, puisque Dieu l'a ainsi réglé. Il les anime encore d'une autre manière. Pour qu'on ne dise pas qu'il fait là simplement de la spéculation avant l'expérience des faits, il ajoute : " On nous regarde comme des brebis de tuerie ", indiquant par là que les apôtres mouraient tous les jours. Voyez-vous sa force et sa modestie ? Comme , dit-il, les brebis qu'on égorge n'opposent aucune résistance, ainsi en est-il de nous. Mais comme la faiblesse de l'esprit humain redoutait encore, même après tant et de si grandes choses, la multitude des épreuves, voyez comme il relève l'auditeur, comme il le rend haut et fier, en disant : " Mais en tout cela nous triomphons par celui qui nous a aimés (37) ".

Ce qu'il y a d'étonnant, ce n'est pas seulement que nous triomphions, mais que nous triomphions par les piéges même qu'on nous tend. Et non-seulement nous triomphons, mais nous faisons plus que triompher, c'est-àdire que nous remportons la victoire avec une extrême facilité, sans fatigues et sans peines. Et. ce n'est pas en souffrant réellement, mais par la simple disposition à souffrir, que nous dressons des trophées contre nos ennemis. Et cela est juste : car c'est Dieu qui combat avec nous. Ne faites donc aucune difficulté de croire que, flagellés, nous sommes vainqueurs de ceux qui nous flagellent; que, proscrits, nous dominons ceux qui nous proscrivent; que, mourants, nous supplantons ceux qui vivent. Une fois supposé la puissance de Dieu et son amour pour nous, rien ne s'oppose à ce que ces choses étonnantes, incroyables, aient lieu, et que, le triomphe soit éclatant. Et ils ne remportaient pas une simple victoire, mais une victoire miraculeuse, en sorte que leurs ennemis comprissent qu'ils faisaient la guerre non plus à des hommes, mais à la puissance invincible. Voyez-vous les Juifs les tenir au milieu d'eux, puis hésiter et dire : " Que ferons-nous à ces hommes? " (Act. IV, 16.) Et voilà la merveille : c'est que, les retenant, les regardant comme coupables, les jetant dans les fers, les frappant, ils étaient dans l'embarras et dans l'incertitude, et se trouvaient vaincus par ceux mêmes par qui ils espéraient vaincre. Ni le tyran, ni les bourreaux, ni les légions infernales, ni le démon lui-même ne purent triompher d'eux; la défaite fut complète; on vit tourner à leur profit les moyens mêmes qu'on employait contre eux. Aussi l'apôtre dit-il : " Nous sommes plus que vainqueurs ". C'était la nouvelle loi de la guerre, de vaincre par les contraires, de n'être jamais défait et d'aller au combat comme si on était assuré du succès. " Car je suis certain que ni mort, ni vie, ni anges, ni principautés, ni puissances, ni choses présentes, ni choses futures, ni ce qu'il y a de plus haut, ni ce qu'il y a de plus bas, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus (38, 39) ".

5. Voilà de grandes paroles, mais nous ne les comprenons pas, parce que nous ne savons pas aimer ainsi. Cependant bien qu'elles soient grandes, pour montrer que son amour n'est rien en comparaison de l'amour de Dieu pour lui, il n'en parle qu'en second lieu, de peur de paraître se vanter. Voici ce qu'il veut dire A quoi bon parler du présent, et des maux (314)

attachés à cette vie? Quand même on parlerait de choses à venir et de puissances, de choses comme la mort et la vie, de puissances comme les anges et les archanges, de tout ce qu'il y a de plus élevé dans la création: tout cela me paraîtrait petit, en comparaison de l'amour du Christ. Quand on me menacerait d'une mort éternelle, quand on me promettrait une vie sans terme pour me séparer du Christ, je n'accepterais pas. A quoi bon me parler de tel ou tel roi terrestre, de tel ou tel consul? Quand vous me parleriez des anges et de toutes les puissances célestes, de tout ce qui est, de tout ce qui sera, de tout ce qui est sur la terre ou dans les cieux, de tout ce qui est sous la terre ou au-dessus des cieux, tout me semblerait peu de chose en comparaison de cet amour. Et comme si cela ne suffisait pas encore à exprimer son amour, il y ajoute autre chose, en disant : " Ni aucune autre créature ", c'est-à-dire : aucune autre création aussi grande que celle que nous voyons, aussi grande qu'on puisse l'imaginer, rien ne me détachera de cet amour.

S'il parle ainsi, ce n'est pas que quelque ange ou quelque autre puissance ait essayé de lui enlever cet amour, à Dieu ne plaise ! mais il emploie ces hyperboles pour montrer l'amour qu'il porte au Christ. Car il n'aime pas le Christ à cause de ses dons, mais, les dons à cause du Christ; c'est lui seul qu'il a en vue, et il ne craint qu'une chose : perdre cet amour. Le perdre serait pouf' lui plus terrible qui l'enfer, comme y persévérer lui est plus cher qu'un empire. Comment donc., quand Paul n'estime pas même-les choses du ciel en comparaison de l'amour du Christ, comment serions-nous excusables de mettre de la boue et de l’argile au-dessus du Christ? Paul est prêt, sil le faut, à tomber en enfer et à être privé du ciel plutôt que de perdre l'amour du Christ; et nous ne méprisons pas même la vie présente ! Sommes-nous seulement dignes de délier les cordons de ses souliers, nous qui sommes à une telle distance de cette âme magnanime? A cause du Christ il dédaigne même le royaume du ciel, et nous, nous méprisons le Christ et estimons beaucoup ses dons.

Et plût au ciel que nous estimassions ses dons ! mais ce n'est pas même cela: le royaume du ciel est devant nous, et nous le laissons pour courir chaque jour après des ombres et des songes. Pourtant Dieu qui est bon et miséricordieux fait comme un père tendre qui, voyant son fils dégoûté de vivre toujours avec lui, invente d'autres moyens de le retenir. En effet comme son amour n'est pas pour nous un lien assez puissant, il met en couvre beaucoup d'autres moyens pour nous rattacher à lui. Mais cela ne nous retient pas encore, et nous courons à des jeux d'enfants. Il n'en était pas ainsi de Paul; comme un fils bien né, généreux et plein de piété filiale, il ne recherche que la compagnie de son père, et se soucie bien moins du reste; que dis-je? il est plus qu'un fils; car il n'unit pas dans son estime son père et ses dons; mais quand il voit son père, il dédaigne tout le reste, et aimerait mieux être puni et flagellé en restant avec lui, que de vivre dans les délices loin de lui.

6. Tremblons donc, nous qui ne méprisons pas même les richesses pour Dieu, bien plus, qui ne les méprisons pas pour nous-mêmes. Paul seul souffrait tout pour. le Christ, non en vue 'du royaume, non en vue de l'honneur, mais par pure affection pour lui. Et nous, ni le Christ, ni les biens du Christ, ne sauraient nous détacher des choses terrestres ; mais comme les serpents, comme les vipères, comme les pourceaux ou d'autres animaux de ce genre, nous nous traînons dans la fange. En quoi, en effet, différons-nous de ces animaux, nous qui, après tant et de si beaux exemples, avons encore les yeux fixés sur la terre et ne supportons pas même de les diriger un instant vers le Ciel? Et pourtant Dieu nous a donné son Fils; et vous, vous 'ne donnez pas même un morceau de pain à celui qui a été livré et immolé pour vous ! Pour vous, le Père n'a pas même ménagé son Fils, son Fils légitime; et vous, vous le dédaignez, ce Fils, quand il meurt de faim, quand vous ne dépenseriez que ce qui vient de lui et que vous le dépenseriez pour vous. Qu'y a-t-il de pire qu'une telle iniquité? Il a été livré pour vous, il a été immolé pour vous, il erre çà et là dévoré par la faim; vous donneriez de ce qu'il vous a donné lui-même, et vous le donneriez pour votre profit, et vous ne donnez cependant rien ! Ceux qui, malgré tant de motifs propres à les toucher, persévèrent dans cette inhumanité diabolique ne sont-ils pas plus insensibles que les pierres?

Il ne s'est pas contenté de la mort et de la (315) croix; mais il a voulu être pauvre, étranger, errant, nu, prisonnier, malade, afin de vous attirer à lui. Si vous ne me rendez rien, nous dit-il, pour tout ce que j'ai souffert pour vous, ayez pitié de ma pauvreté ; et si la pauvreté ne vous touche pas, que ce soit au moins la maladie, la captivité; et si rien de tout cela ne vous inspire un sentiment de bonté, faites attention au peu que je demande. Je ne demande rien de coûteux; mais dû pain, tin abri, une parole de consolation. Que si votre dureté persiste, eh bien ! songez au royaume céleste, aux récompenses que je vous ai promises, et devenez meilleur. Vous ne tenez. encore aucun compte de cela? Cédez au moins à la nature, et en voyant cet homme nu, songez à la nudité que j'ai supportée pour vous sur la croix. Si cette nudité-là ne vous émeut pas, souvenez-vous de celle que je subis maintenant dans la personne des pauvres. J'ai été alors dans le besoin à cause de vous, j'y suis encore aujourd'hui à cause de vous, afin que, pour l'une ou l'autre de ces raisons, vous nie fassiez quelque aumône; j'ai jeûné à cause de vous, j'ai encore faim à cause de vous; j'ai eu soif sur la croix, j'ai encore soif dans la personne des pauvres, afin que par tous ces motifs je puisse vous attirer à moi et vous rendre humain dans votre propre intérêt. Et p6ur les services sans nombre que je vous ai rendus, je vous demande un retour, non comme dette, mais comme grâce, et, pour le peu que je demande, je vous couronne, je vous donne un royaume. Je ne vous dis pas.: Délivrez-moi de. la pauvreté, ni : Donnez-moi la richesse, bien que j'aie été pauvre pour vous; je vous demande simplement du pain, un vêtement, un faible soulagement à ma faim. Et si je suis en prison, je ne vous oblige pas à briser mes chaînes ni à me tirer delà; je vous demande seulement de jeter un regard sur un homme enchaîné à cause de vous, et cette grâce me suffit, et pour ce simple fait je vous donne le ciel. Pourtant je vous ai délivré d'une captivité bien plus dure; mais je suis content, si vous venez me voir comme prisonnier. Je pourrais vous couronner sans cela; mais je veux être votre débiteur, afin que vous ayez quelque confiance à saisir la couronne. Voilà pourquoi, pouvant me nourrir moi-même, je vais mendier de tous côté s, je me tiens à votre porte et vous tends la main. C'est de vous que je désire recevoir ma nourriture; car je vous aime beaucoup; je désire m'asseoir à votre table, comme c'est le propre des amis, et j'en suis fier; en présence du monde entier, je proclame vos louanges, et, devant l'auditoire attentif, je montre celui qui m'a nourri.

Pourtant, nous autres hommes, quand quelqu'un nous nourrit, nous en rougissons, nous le tenons dans l'ombre ; mais lui, parce qu'il nous aime beaucoup, proclame le fait, même quand nous gardons le silence, le relève par de grands éloges et ne rougit point de dire que nous l'avons vêtu quand il était nu et nourri quand il avait faim. Pensons donc à tout cela, et ne nous en tenons pas aux éloges, mais accomplissons tout ce qui a été dit. A quoi bon ces applaudissements et ce bruit? Je ne vous demande qu'une chose: la démonstration parles faits, l'obéissance par les oeuvres; voilà mon éloge, voilà votre profit, voilà qui brillera plus qu'un diadème à mes yeux. Donc, au sortir d'ici, tressez cette couronne pour vous et pour moi par les mains des pauvres, afin de vivre tous ensemble ici-bas, dans une douce espérance, et d'obtenir des biens sans nombre, lors du départ pour l'autre vie. Puissions-nous tous avoir ce bonheur, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire, l'empire, l'honneur appartiennent au Père en même temps qu'au Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XVI. JE DIS LA VÉRITÉ DANS LE CHRIST, JE NE MENS PAS, MA CONSCIENCE ME RENDANT TÉMOIGNAGE PAR L'ESPRIT-SAINT. (IX, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.)
316

Analyse.

1. Nouvelle et plus grande preuve encore de l'amour que saint Paul avait pour Jésus-Christ. — Comment il désirait d'être anathème pour ses frères ou plutôt pour Jésus-Christ lui-même.

2. C'était par ce désir de faire cesser les blasphèmes des Juifs contre Dieu, et par conséquent par amour pour Dieu que saint Paul souhaitait d'être anathème.

3. Les Juifs reprochaient à Dieu de ne pas accomplir les promesses faites à leurs pères; saint Paul leur répond que les promesses de Dieu se sont au contraire parfaitement accomplies.

4. Ce ne sont pas ceux qui descendent d'Abraham selon la chair, qui sont ses enfants et lis enfants de Dieu, mais ceux qui naissent en vertu de la promesse.

5. Pourquoi Dieu a-t-il fait aux Juifs des promesses quand il prévoyait qu'ils se rendraient indignes d'en recevoir l'accomplissement? — Saint Paul répond à cette objection non pas en expliquant ce mystère, mais en proposant à son tour des questions dont ses adversaires ne peuvent donner la solution.

6. Dieu seul connaît ceux qui sont dignes, lui seul choisit et connaît les motifs de son élection. 7. Qu'il ne faut pas demander de comptes à Dieu.

8. Que Dieu ne détruit pas le libre arbitre.

9. Mystère de la vocation des Gentils conforme à la gloire de Dieu et prédit par les prophètes.

10. C'est parce que les Juifs avaient l'attention tournée vous les prescriptions de Moisa, qu'ils se sont heurtés contre la pierre, parce qu'ils se sont obstinés à chercher leur salut dans leur loi, au lieu de le demander à la foi en Jésus-Christ.

1. N'avez-vous pas trouvé magnifique, au-dessus de la nature, ce que je vous ai dit, dans la dernière instruction, sur l'amour de Paul envers le Christ ? C'est en effet quelque chose de grand en soi et qui surpasse toute expression ; et cependant ce qu'il dit aujourd'hui le dépasse encore autant que ce que nous disions hier est au-dessus de nos pensées. Je ne croyais pas qu'on pût rien dire de plus, et néanmoins ce qu'on vient de lire aujourd'hui m'a semblé bien plus éclatant que tout le reste; et l'apôtre, en ayant la conscience, l'a déclaré dès le. début, comme devant aborder un sujet plus élevé et exciter l'incrédulité chez un grand nombre. Il commence donc par attester ce qu'il va dire; c'est l'usage ordinaire de ceux qui ont à communiquer des choses incroyables pour la multitude, et dont ils sont eux-mêmes pleinement convaincus. " Je dis la vérité et je ne mens pas; et ma conscience me rend témoignage, qu'il y a une grande tristesse en moi et une douleur continuelle dans mon coeur. Car je désirais ardemment d'être moi-même anathème à l'égard du Christ ". (1-3.)

Que dites-vous, Paul? Ce Christ que vous aimez, dont ni le ciel, ni l'enfer, ni les choses visibles, ni les choses invisibles, ni tant d'autres choses, ne pourraient vous séparer, vous voudriez être anathème à son égard? Qu'est-il donc arrivé?. Etes-vous changé? Avez-vous perdu cet amour? Non, répond-il , ne craignez rien; je l'ai plutôt augmenté. Comment donc désirez-vous être anathème , et demandez- vous un éloignement, une séparation après laquelle il n'y en a plus de possible? Parce que je l'aime ardemment, dit-il. Comment? de quelle manière? dites-le moi; car cela ressemble fort à une énigme. Mais d'abord, s'il vous plaît, apprenons ce que c'est que l'anathème, puis nous l'interrogerons là-dessus, et nous comprendrons ce mystérieux, ce prodigieux amour.

Qu'est-ce donc que l'anathème? Ecoutons-le dire : " Si quelqu'un n'aime pas le Seigneur (317) Jésus-Christ, qu'il soit anathème ! " (I Cor. XVI, 22), c'est-à-dire qu'il soit séparé de tous, étranger à tous. Car comme personne n'oserait porter la main sur un objet consacré à Dieu, ni même s'en approcher de trop près; ainsi l'apôtre retranchant, repoussant au loin celui qui est séparé de l'Eglise, lui donne ce nom d'anathème par antithèse, et ordonne que chacun s'en écarte et le fuie avec horreur. Personne n'osait, par respect, s'approcher d'un objet consacré ; par un sentiment contraire, tout le monde s'éloignait de celui qui était retranché de l'Eglise. En sorte qu'il n'y avait bien qu'une seule et même séparation pour l'un et l'autre cas, mais le genre n'était pas le même; l'un était le contraire de l'autre. Dans le premier cas, on respectait un objet parce qu'il était consacré â Dieu ; dans le second, on s'éloignait d'un homme séparé de Dieu et retranché de l'Eglise. Voilà donc ce que Paul entend quand il dit : " Je désirais ardemment être anathème à l'égard du Christ ". Il ne dit pas simplement : Je voulais, mais en termes plus énergiques : "Je désirais ardemment ".

Que si vous vous troublez de ces expressions comme trop faibles, considérez la chose en elle-même : Voyez non-seulement ce désir d'être séparé, mais la raison même de ce désir, et vous comprendrez l'excès de cet amour. En effet, il a circoncis Timothée; néanmoins nous ne nous occupons pas de l'acte, mais de son intention et du motif qui l'animait, et nous ne faisons que l'en admirer davantage.

Non-seulement il a circoncis, mais il s'est rasé et il a sacrifié ; pour cela nous ne l'avons certes pas appelé Juif ; c'est par là même, au contraire, que nous avons vu qu'il s'éloignait davantage du Judaïsme, qu'il était sincère et véritable disciple du Christ. Si donc en le voyant circoncire et sacrifier,nous ne le condamnons point comme judaïsant, si nous le glorifions au contraire pour s'être par là même séparé du Judaïsme ; ainsi en le voyant désirer ardemment d'être anathème, ne vous troublez pas, mais exaltez-le davantage quand vous saurez la raison de son désir. Si en effet nous ne remontons pas aux causes, nous appellerons Elie homicide, et Abraham non-seulement homicide, mais homicide de son fils ; nous accuserons Phinéès et Pierre de meurtres ; et ce n'est pas seulement à l'égard des saints, mais à l'égard de Dieu même, qu'on sera entraîné à beaucoup d'absurdités, faute d'observer cette règle. Pour éviter cet inconvénient, dans tous les cas de ce genre, rapprochons d'abord la cause, l'instruction, le temps ét toutes les circonstances propres à justifier l'action, puis examinons la question. Et c'est précisément ce que nous devons faire ici pour cette âme bienheureuse. Quelle est donc la cause ? Jésus lui-même, l'objet aimé. Or, Paul ne dit pas que ce soit pour luit : je désirerais ardemment, dit-il, être anathème pour mes frères. C'est là un effet de son humilité ; il ne veut pas avoir l'air de faire pour le Christ la grande chose qu'il exprime, aussi dit-il : " Qui sont mes proches ", afin de dissimuler la grandeur de la chose ; mais, pour vous convaincre que c'est le Christ qu'il a en vue, écoutez la suite. Après avoir dit: " Qui sont mes proches", il ajoute : "Auxquels appartient l'adoption; la gloire, l'alliance, la loi, le culte et les promesses ; dont les pères sont ceux de qui est sorti, selon la chair, le Christ même, qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans tous les siècles. Amen (4, 5) ".

2. Mais quoi ? direz-vous, s'il désirait être anathème afin que d'autres eussent la foi, il devait aussi faire le même voeu pour les gentils; et s'il ne prie que pour les Juifs, c'est une preuve qu'il n'agit pas par amour pour le Christ, mais en vertu du lien de parenté. Je réponds que s'il n'eût prié que pour les gentils, on n'aurait pas si bien reconnu que c'était Jésus-Christ qu'il avait en vue ; mais en priant pour les Juifs seuls, il fait voir qu'il n'a absolument en vue que la gloire du Christ. Je sais que vous verrez, là, un paradoxe ; cependant, si vous restez calmes, je vais essayer de vous le démontrer. Ce n'est pas sans raison qu'il a parlé ainsi : car comme, tous les Juifs accusaient Dieu en disant : qu'ayant eu l'honneur d'être appelés fils de Dieu, ayant reçu la loi, ayant connu Dieu avant tout le monde, ayant joui d'une si grande gloire, ayant servi Dieu en face de tout l'univers, ayant reçu les promesses, étant les pères des mêmes tribus, et (ce qui était bien plus encore ) étant les ancêtres du Christ (comme l'apôtre le dit : " De qui est sorti selon la chair, le Christ même ",) que malgré tout cela, ils avaient été rejetés, déshonorés, et qu'à leur place ou avait substitué des gentils qui n'avaient jamais connu Dieu comme, dis-je, ils tenaient ce langage et qu'ils (318) blasphémaient contre Dieu, Paul qui entendait tout cela, qui s'en trouvait blessé et pleurait sur l'outrage fait à la gloire de Dieu, désirait ardemment être anathème, si cela eût été possible, pour les sauver, pour faire cesser les blasphèmes et empêcher que Dieu ne parût avoir trompé les descendants de ceux à qui il avait promis les dons.

Et pour vous faire comprendre que c'est là ce qui l'afflige et que son désir est bien qu'on ne croie pas Dieu infidèle à la promesse faite à Abraham en ces termes : " Je te donnerai cette terre, à toi et à ta race " (Gen. XII, 7) ; à ce qu'il vient de dire, il ajoute : " Non que la parole de Dieu soit restée sans effet " montrant par là qu'il se résigne à souffrir tout cela à cause de la parole de Dieu , c'est-à-dire pour la promesse faite à Abraham. Car comme Moïse semblait intercéder pour les Juifs, et en réalité, n'avait en vue que la gloire de Dieu : " Déposez ", disait-il, "votre colère, pour qu'on ne dise pas que leur Dieu les a fait sortir pour les détruire dans le désert, parce qu'il ne pouvait pas les sauver " (Deut. IX, 28); ainsi fait Paul. Je voudrais, dit-il, être anathème, pour qu'on ne dise pas que la parole de Dieu est restée sans effet, que ses promesses étaient menteuses, que ce qu'il a dit ne s'est pas accompli. Il ne parle donc pas pour les Gentils (car la promesse n'était pas pour eux, et ils n'avaient point servi Dieu.: aussi Dieu n'était-il point blasphémé à cause d'eux); mais il formait ce voeu en faveur des Juifs, qui avaient reçu la promesse et auxquels il était lié par des noeuds plus étroits. Voyez-vous donc que s'il eût désiré être anathème pour les Gentils, il eût moins évidemment cherché la gloire du Christ; tandis qu'en désirant l'être pour les Juifs, il fait parfaitement voir que c'est pour le Christ qu'il forme ce voeu.

Aussi dit-il : " Auxquels appartiennent l'adoption, la gloire, le culte et la promesse ". En effet, dit-il, ils ont reçu la loi qui parle du Christ; ils ont reçu les promesses, qui toutes se rapportent à lui; lui-même en est sorti, aussi bien que les pères qui ont reçu les promesses ; et pourtant tout le contraire est arrivé, et ils ont perdu tous leurs biens. Voilà pourquoi, ajoute-t-il, je suis affligé, et s'il était possible d'être séparé de la compagnie du Christ, d'être privé, non pas de son amour (loin de là, puisqu'il faisait tout pour l'amour), mais de la jouissance du ciel, mais de la gloire, j'y consentirais pour que Dieu ne fût plus blasphémé , pour ne plus entendre dire que c'est une comédie, qu'autres ont été les promesses, autres les événements; qu'il est né des uns et qu'il a sauvé les autres; qu'il avait fait des promesses aux ancêtres des Juifs, puis qu'il a abandonné leurs enfants et appelé à la possession des biens des hommes qui ne l'avaient, jamais connu ; que cependant les Juifs se fatiguaient à méditer la loi et à lire les prophéties, tandis que les païens, ramenés hier de leurs autels et de leurs idoles, leur ont été préférés, que ce n'est point là une Providence. Afin donc, dit-il, que tout cela ne se répète plus de mon Maître, bien que cela soit injuste, je renoncerais volontiers au royaume du ciel, à cette gloire ineffable, je supporterais tous les maux, et je regarderais comme une très-grande compensation de toutes mes peines de ne plus entendre ainsi blasphémer mon bien-aimé. Si vous ne comprenez pas encore la pensée de l'apôtre, songez que souvent bien des pères en font autant pour leurs enfants, se résignant à se séparer d'eux pour les voir glorieux, et préférant cette gloire même à leur compagnie. Mais comme nous sommes à une grande distance de cet amour, nous ne pouvons pas même comprendre ce qui s'en dit.

Il en est qui sont si peu dignes d'entendre le langage de Paul, et qui sont si loin de son ardent amour, qu'ils s'imaginent que ses paroles s'appliquent à la mort temporelle. De ceux-là je dirai qu'ils ne connaissent pas plus Paul que les aveugles la lumière du soleil, et bien moins encore. Comment celui qui mourait tous les jours, qui courait des périls. sans nombre, qui s'écriait : " Qui nous séparera de l'amour du Christ? Est-ce la tribulation? Est-ce l'angoisse? Est-ce la faim? Est-ce la persécution? " (Rom. VIII, 35) ; qui, non content de cela, montait au-dessus du ciel et du ciel des cieux, au-dessus des anges et des archanges; qui parcourait toutes les sphères célestes, et embrassait le présent et l'avenir, le visible et l'invisible, la tristesse et la foie et tout ce qui s'y rattache; qui n'oubliait rien de ce qui existe, n'esp était point satisfait, et supposait encore une autre création qq -n'existe pas, pour tout sacrifier à son amour pour Jésus-Christ ; comment, dis-je, après tout cela, viendra-t-il parler de la mort (319) temporelle comme de quelque chose d'important? 3. Non, non, ce n'est pas cela; une telle pensée vient de vers de terre rampant dans le fumier. Si c'était là ce qu'il a voulu dire, comment aurait-il désiré d'être anathème à l'égard du Christ? Car cette mort l'eût réuni plus tôt à la compagnie du Christ et mis en possession de la gloire éternelle. Il en est d'autres qui osent encore avancer des choses plus ridicules. Ce n'est pas de mourir qu'il souhaitait, disent-ils, mais d'être la possession , le bien propre du Christ. Et quel homme si vil, si déchu, qui n'en souhaite autant? Comment aurait-il pu l'être pour ses proches? Laissons donc de côté ces fables et ces niaiseries (car elles ne valent pas la peine d'être réfutées, pas plus que les puérilités que bégayent les enfants) ; revenons au discours de l'apôtre, pour nous délecter dans cet océan d'amour, y nager au large et en toute liberté ; pour contempler cette flamme immense, car tout ce qu'on en peut dire est au-dessous du sujet. En effet, cet amour est plus vaste qu'aucun océan, plus violent que quelque flamme que ce soit, et aucun langage ne saurait l'exprimer dignement; celui-là seul l'a connu qui l'a si bien éprouvé.

Répétons donc encore ces paroles : " Car je désirais ardemment d'être moi-même anathème". Qu'est-ce que cela veut dire : " Moi-même? " Moi qui suis le docteur universel, qui ai obtenu des succès sans nombre,, qui attends mille couronnes, qui ai aimé le Christ jusqu'à préférer son amour à tout le reste, qui brûle pour lui chaque jour, et mets cet amour au-dessus de tout. Car il n'avait pas seulement à coeur d'être aimé du Christ, mais de l'aimer ardemment ; et c'était là son principal souci. Aussi n'avait-il point d'autre vue, et supportait-il tout facilement; en toutes choses il ne visait qu'à ce point : assouvir ce bel amour. Voilà quels sont ses voeux ; mais comme cela ne devait pas être, comme il ne. devait pas être anathème, il s'efforce de repousser les reproches, de reproduire les objections qui courent de bouche en bouche et de les réfuter. Mais avant d'entreprendre cette justification, il en pose d'abord les fondements. En effet, quand il dit: " Auxquels appartiennent l'adoption, la gloire, la loi, le culte et les promesses " , il n'entend pas autre chose, sinon que Dieu voulait les sauver (c'est ce que Dieu lui-même a prouvé par tout ce qu'il a fait autrefois, par l'origine du Christ né d'eux, et par les promesses faites à leurs pères) ; mais eux, par leur ingratitude propre , on a rejeté les bienfaits. Voilà pourquoi Paul établit des faits, qui prouvent uniquement la bonté de Dieu, mais ne font point leur éloge : en effet, l'adoption était un don gratuit , aussi bien que la gloire, les promesses et la loi. En pensant à tout cela,.et considérant quel immense intérêt Dieu et son Fils attachaient à leur salut, il pousse un grand cri et dit : " Qui est béni dans les siècles, Amen " ; rendant ainsi grâces de tout au Fils unique de Dieu. Qu'importe, nous dit-il, que les autres blasphèment? Nous qui connaissons ses secrets, sa sagesse infinie, sa grande providence, nous savons parfaitement qu'il mérite d'être glorifié, et non blasphémé.

Non content du témoignage de sa conscience, il essaye encore du raisonnement, et les attaque en termes énergiques, mais non avant d'avoir détruit leur soupçon. Pour ne pas avoir l'air de parler à des ennemis, il dit plus bas : " Mes frères, le désir de mon coeur et mes supplications à Dieu ont pour objet leur salut " (Rom. X, 1); et ici même, entre autres choses qu'il dit contre eux, il prend soin d'éviter de paraître agir par un sentiment hostile ; c'est pourquoi il ne dédaigne pas de les appeler ses proches et ses frères. Car bien que, dans tout ce qu'il dit, il n'ait en vue que le Christ, cependant il cherche à se concilier leur esprit, il prépare la voie à ce qu'il va dire, éloigne de lui tout soupçon à l'occasion des reproches qu'il doit leur adresser, et enfin il aborde la question controversée dans la foule.

Beaucoup, en effet , comme je l'ai déjà dit, demandaient pourquoi ceux qui avaient reçu la promesse étaient déchus, et comment ceux qui n'en avaient jamais ouï parler, étaient sauvés avant eux. Pour détruire cette difficulté, il donne la solution avant l'objection. De peur qu'on ne dise : Quoi ! vous vous inquiétez plus de la gloire de Dieu que Dieu lui-même ! Ou encore : A-t-il besoin de votre aide pour que sa parole ne reste pas sans effet? Pour prévenir ces questions, il dit : Si j'ai affirmé cela, " Ce n'est pas que la parole de Dieu soit restée sans effet", mais j'ai voulu montrer mon amour pour le Christ même. Après tout ce qui s'est passé, nous ne sommes pas embarrassés de justifier Dieu, et de montrer que sa promesse est restée debout. Dieu a dit à Abraham : " Je te donnerai cette terre , (320) pour toi et pour ta race " (Gen. XII, 7) ; et encore : " En ta race seront bénies toutes les nations (Ib. 3) " ; voyons maintenant, ajoute l'apôtre, quelle est cette race : car tous ceux qui sont sortis d'Abraham ne sont pas de sa race; c'est pourquoi il dit : " Mais tous ceux qui descendent d'Israël ne sont pas israélites; ni ceux qui appartiennent à la race d'Abraham ne sont pas tous ses enfants... (7) ".

4. Or, quand vous saurez quelle est la race d'Abraham, vous verrez que c'est à elle qu'a été faite la promesse, et que cette promesse n'est point tombée à vide. Dites-moi donc quelle est cette race ? Ce n'est pas moi qui me charge de répondre, mais l'Ancien Testament lui-même, qui nous dit : " En Isaac sera ta postérité ". (Gen. XXI, 12.) Qu'est-ce que cela veut dire : " En Isaac ? " Interprétez : " C'est-à-dire, ce ne sont pas les enfants selon la chair, qui sont enfants de Dieu; mais ce sont les enfants de la promesse qui sont comptés dans la postérité (18) ". Et voyez la prudence de Paul et sa haute sagesse ! Dans son explication il ne dit pas : Ce ne sont point les enfants de la chair qui sont enfants d'Abraham, mais : " Enfants de Dieu " ; rattachant ainsi le passé au présent, et montrant qu'Isaac n'était pas simplement l'enfant d'Abraham. Voici donc ce qu'il veut dire : Ceux qui sont engendrés à la manière d'Isaac, ceux-là sont les enfants de Dieu et la postérité d'Abraham. Aussi Dieu a-t-il dit : " En Isaac sera ta postérité ", pour nous apprendre que ceux qui sont engendrés à la manière d'Isaac , sont principalement la postérité d'Abraham. Comment donc Isaac a-t-il été engendré? Non selon la loi de nature, non selon la puissance de la chair, mais en vertu de la promesse. Qu'est-ce à dire : en vertu de la promesse? " En ce temps, je viendrai à toi, et Sara aura un Fils ".

C'est donc la promesse et la parole de Dieu qui a formé et engendré Isaac. Qu'importe qu'il y ait eu les entrailles et le sein d'une femme? Ce n'est pas la vertu des entrailles, mais celle de la promesse qui a enfanté Isaac. Ainsi sommes-nous aussi enfantés par la parole de Dieu : car, dans la piscine des eaux, ce sont les paroles de Dieu qui nous engendrent et nous forment : nous sommes engendrés, quand on nous baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Cette génération n'est point l'effet de la nature , mais de la promesse de Dieu. En effet, comme Dieu a accompli la génération d'Isaac, après l'avoir annoncée d'avance ; ainsi a-t-il réalisé la nôtre, après l'avoir fait prédire longtemps d'avance par tous les prophètes. Voyez-vous quelle grande chose Dieu a révélée, et avec quelle facilité il a accompli la magnifique promesse qu'il avait faite ? Si les Juifs objectent que ces paroles : " En Isaac sera ta postérité", signifient que tous ceux qui sont nés d'Isaac sont cette postérité, il faudrait alors y comprendre les Iduméens et tous ceux qui sont nés d'Esaü; car leur père Esaü était fils d'Isaac. Or, non-seulement on ne les compte point pour enfants de celui-ci, mais on les considère comme tout-à-fait étrangers. Voyez-vous que ce ne sont pas les enfants de la chair qui sont enfants de Dieu, et que déjà autrefois, dans l'ordre même de la nature, était figurée la régénération par le baptême? Si vous me parlez de sein maternel, moi je vous parlerai de l'eau. Mais comme ici tout est l'oeuvre de l'Esprit, ainsi là tout était l'effet de la promesse car le sein maternel était plus glacé que l'eau à cause de la stérilité et de la vieillesse. Comprenons donc bien notre noblesse et montrons-nous en dignes par notre conduite; car il n'y a rien, là, de charnel ni de terrestre. Ne le soyons donc point nous-mêmes. Ce n'est point le sommeil, ni la volonté de la chair, ni l'union charnelle, ni l'aiguillon de la passion, mais la bonté de Dieu qui a tout fait. Et comme là, dans un âge qui ôtait tout espoir, de même ici, dans la vétusté du péché, est tout-à-coup survenu l'homme nouveau, et nous sommes tous devenus enfants de Dieu et descendants d'Abraham. " Et non-seulement elle, mais aussi Rebecca " qui eut deux fils à la fois d'Isaac, notre père ". La question était importante; aussi emploie-t-il beaucoup de raisonnements, et cherche-t-il par tous les moyens à résoudre la difficulté. Si c'était chose inouïe, étrange, qu'après tant de promesses, les Juifs fussent privés des résultats, il est bien plus extraordinaire que noirs prenions possession de leurs biens, nous qui n'avions rien de pareil à attendre. C'est comme si le fils d'un roi, à qui la succession au trône aurait été promise, se voyait rejeté parmi les hommes obscurs, tandis que l'empire qui lui était dû passerait aux mains d'un condamné, d'un homme rempli de vices et sorti de prison. Que pourriez-vous dire à cela? demande Paul. Que le fils était indigne? Mais (321) ce criminel l'est aussi, et beaucoup plus. Il fallait donc qu'ils fussent ou punis ou honorés tous les deux. C'est quelque chose de ce genre, de plus étonnant même, qui a eu lieu à l'occasion des Gentils et des Juifs. Que tous étaient indignes, l'apôtre l'a fait voir plus haut, en disant : " Car tous ont péché et ont besoin de la gloire de Dieu " (Rom. III, 23) ; mais l'étrange c'est que, tous étant indignes, les Gentils seuls soient sauvés. Après tout cela, on peut encore faire une objection et dire : Si Dieu ne devait pas accomplir ses promesses, pourquoi les a-t-il faites? Les hommes, ignorant l'avenir, sujets à beaucoup de déceptions, peuvent promettre à des sujets indignes; mais pourquoi Dieu, qui connaît le présent et l'avenir, et qui savait parfaitement qu'on se rendrait indigne de ses promesses et qu'on n'en recueillerait point les fruits, pourquoi les a-t-il faites?

5. Comment Paul résout-il cette objection ? En faisant voir quel est l'Israël, à qui les promesses ont été faites. Une fois cette explication donnée, il devient évident que les promesses ont été toutes accomplies. C'est ce qu'il déclare quand il dit : " Tous ceux qui descendent d'Israël ne sont pas Israélites ". C'est pourquoi il ne donne pas le nom de Jacob, mais celui d'Israël, qui était le symbole de la vertu du juste, nom qui lui avait été donné d'en-haut, et était la preuve que Dieu lui était apparu. Et cependant, direz-vous, tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu. Si tous ont péché, comment les uns sont-ils sauvés et les autres perdus? Parce que tous n'ont pas voulu venir. En ce qui regarde Dieu, tous ont été sauvés, puisque tous ont été appelés. Cependant ce n'est point là ce que dit l'apôtre; mais il résout la difficulté par d'autres exemples; comme plus haut il introduit une autre question, et détruit une très-grave objection par une autre objection.

En effet, quand il s'agissait de savoir comment, le Christ étant justifié, tous les hommes ont obtenu la même justification, il produit le fait d'Adam, en disant : " Si par le péché d'un seul, la mort a régné, à plus forte raison ceux qui reçoivent l'abondance de la grâce, régneront-ils dans la vie ". (Rom. V, 10.). Il ne résout point la difficulté en ce qui regarde Adam, mais il répond et il se place à son propre point de vue, et montre qu'il est bien plus raisonnable que le Christ, qui est mort pour eux, exerce sur eux librement son empire. En effet beaucoup pensent qu'il n'est guère juste que tous soient punis pour le péché d'un seul; mais que tous soient justifiés par le mérite d'un seul, voilà qui est bien plus conforme à la raison et bien plus digne de Dieu. Cependant Paul ne résout pas la première question; car plus elle est obscure, mieux le Juif est réduit au silence; son embarras se reporte sur le, fait d'Adam, et l'autre point qui regarde le Christ en devient plus clair. De même ici, l'apôtre tire sa solution d'autres objections : car c'est aux Juifs qu'il a affaire. Il ne rend donc point raison des exemples qu'il produit; il n'y est point obligé, puisqu'il combat les Juifs; mais il s'en sert pour faire ressortir l'évidence de ce qu'il affirme. Pourquoi vous étonner, leur dit-il, que, parmi les Juifs, les uns soient sauvés et que les autres ne le soient pas? Vous pouvez en voir autant chez les anciens patriarches. Pourquoi Isaac seul porte-t-il le nom de descendant, bien qu'Abraham fût aussi père d'Ismaël et de beaucoup d'autres enfants? Est-ce parce qu'Ismaël était né d'une servante ? Mais qu'est-ce que cela fait par rapport au père? Du reste je ne discute pas là-dessus; qu'on chasse Ismaël à cause de sa mère, soit; mais que dirons-nous de ceux qui sont nés de Cétura? n'étaient-ils pas libres et nés de femme libre ? Pourquoi n'ont-ils point partagé les privilèges d'Isaac? Mais pourquoi parler de ceux-là? Rébecca fut la seule femme d’Isaac; elle eut deux fils, et les eut de lui; et cependant ces deux enfants, engendrés du même- père, de la même mère, d'une même couche, ayant le même père, la même mère, et, de plus, jumeaux, n'eurent point le même sort. Ici, on ne peut pas, comme pour Ismaël, objecter que la mère était servante ; ni que l'un est né d'une mère et l'autre d'une autre, comme pour Sara et Cétura, puisqu'ils sont sortis du même sein, à la même heure. C'est pourquoi Paul, comme passant à un exemple plus évident, dit : " Non-seulement " cela est arrivé pour Isaac, " mais aussi Rébecca qui eut deux fils à la fois d'Isaac, notre père. Car avant qu'ils fussent nés ou qu'ils eussent fait ni aucun bien ni aucun mal, afin que le décret de Dieu demeurât ferme selon son élection, non à cause de leurs oeuvres, mais par la volonté de celui qui appelle, il lui fut dit : L'aîné servira sous le plus jeune, selon qu'il est écrit : J'ai aimé Jacob, et j'ai haï " Esaü (10-13) ".

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Pourquoi donc l'un était-il aimé et l'autre haï? Pourquoi l'un servait-il et l'autre commandait-il? Etait-ce parce que l'un était méchant et l'autre bon ? Mais, avant qu'ils fussent nés, l'un était honoré et l'autre condamné ; avant qu'ils fussent nés, Dieu avait dit: " L'aîné servira sous le plus jeune ". Pourquoi Dieu a-t-il dit cela ? Parée qu'il n'a pas besoin, comme l'homme, d'attendre les faits pour savoir qui sera bon ou méchant, mais qu'il le sait d'avance. Et c'est là ce qui est arrivé pour les Juifs, d'une manière plus étonnante encore. A quoi bon en effet parler d'Esaü et de Jacob, dont l'un était méchant et 1'autre,bon ? Le péché était commun à tous les Israélites car tous avaient adoré le veau d'or. Et pourtant les uns obtiennent grâce, les autres non. " Car ", dit le Seigneur, " j'aurai pitié de qui j'aurai pitié, et je ferai miséricorde à qui je ferai miséricorde (15) ". On en voit autant pour les punitions. Par exemple, que direz-vous de Pharaon, qui fut puni, et si sévèrement puni? Qu'il était cruel et indocile? Etait-il donc le seul? N'y en avait-il point d'autres? Comment donc a-t-il été si sévèrement puni? Et pourquoi Dieu a-t-il appelé à la place des Juifs un peuple qui n'était pas un peuple, et encore, n'a-t-il point accordé à tous le même honneur? Il est écrit : " Quand ils seraient aussi nombreux que les grains de sable de la mer, ce sont leurs restes qui seront sauvés ". (Id. X, 22.) Et pourquoi les restes seulement? Voyez-vous comme il fait surgir les difficultés du sujet? Et il a raison ; ne vous pressez pas de donner une solution, quand vous pouvez jeter votre adversaire dans l'embarras. S'il est lui-même convaincu d'être aussi incapable de répondre, pourquoi vous exposeriez-vous à des dangers inutiles ? Pourquoi l'enhardiriez-vous, en assumant sur vous tout le poids de la question?

6. Dites-moi en effet, ô Juif! qui avez tant de questions embarrassantes, et n'en pouvez résoudre aucune, comment pouvez-vous nous faire des difficultés à l'occasion de la vocation des Gentils? Cependant je puis vous donner, moi, la raison légitime pour laquelle les Gentils ont été appelés et pour laquelle vous êtes déchus. Quelle est cette raison? Parce qu'ils sont nés de la foi et vous, pour ainsi dire, des oeuvres de la loi. Ces discussions vous trahissent donc de toute manière. " Car ignorant la justice de Dieu, et cherchant à établir leur propre justice, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu ". (Rom. X, 8.) C'est ainsi, pour tout dire en un mot, que cette âme bienheureuse, donne la solution de tout le passage; et pour le faire mieux voir, examinons chaque point en détail, sans perdre de vue que le but du bienheureux est de démontrer par tout ce qu'il à dit que Dieu seul connaît ceux qui sont dignes; qu'aucun homme n'en est capable, et que celui qui semble le plus éclairé sur ce point se trompe souvent dans ses jugements. Celui qui pénètre lés pensées les plus secrètes, sait parfaitement qui sont ceux qui méritent la couronne et ceux qui sont dignes du châtiment et du supplice. Aussi souvent en a-t-il condamné sur preuves qui passaient pour justes aux yeux des hommes, et en a-t-il couronné qui étaient réputés méchants , après avoir démontré qu'ils ne litaient point; décidant, non d'après l'opinion de ses serviteurs, mais d'après son juste et impartial jugement, et n'attendant point le résultat des oeuvres pour distinguer le méchant et celui qui ne l'est pas: Mais pour ne pas obscurcir la question,, revenons aux paroles de l'apôtre.

" Non-seulement elle, mais aussi Rébecca, " qui eut deux fils à la fois ". Je pourrais, dit-il, parler aussi des fils de Cétura, mais je les passe sous silence; et pour triompher pleinement, je mets en scène deux fils nés d'un même père et d'une même mère. En effet, tous les deux étaient enfants de Rébecca et d'Isaac, le fils légitime, le juste éprouvé, l'homme honoré entre tous, dont Dieu a dit : " C'est en Isaac que sera ta postérité " ; celui qui est devenu le père de nous tous. Or, s'il était notre père, nécessairement ses enfants devaient aussi être nos pères; et cependant ils ne l'ont pas été. Voyez-vous comme le fait n'a pas seulement eu lieu pour Abraham, mais aussi pour son fils, et comment toujours la foi et la vertu éclatent et restent le caractère de la vraie parenté? Par là nous apprenons que les enfants d'Abraham ne portent pas ce nom seulement pour être nés de lui, mais encore parce qu'ils se sont rendus dignes de la vertu de leur père. Si en effet la génération eût suffi, Esaü aurait dû partager le sort de Jacob, car lui aussi, était sorti d'un sein desséché, et sa mère était stérile. Mais une autre condition encore était exigée, la bonne conduite, et ceci n'est pas sans dessein, mais a pour but le règlement de notre vie. L'apôtre ne dit pas : L'un (323) a été préféré, parce qu'il était bon et que l'autre était méchant; autrement on lui aurait aussitôt objecté : Quoi ! les gentils étaient-ils bons et les circoncis ne l'étaient-ils point? C'était la vérité ; cependant il ne le dit point encore, de peur de trop déplaire; mais il rejette tout sur la prescience de Dieu , que l'homme le plus insensé n'oserait contester. " Car ", dit-il, " avant qu'ils fussent nés ou qu'ils eussent fait ni aucun bien ni aucun mal, il lui, fut dit : L'aîné servira sous le plus jeune ".

C'était là l'effet de la prescience, de choisir dès la naissance; afin, dit l'apôtre, qu'on vît clairement que l'élection a été faite par décret et par prescience; dès le premier jour, Dieu a su et déclaré que l'un serait bon et que l'autre ne le serait pas. Ne me dites donc point, continue-t-il, que vous avez lu la loi et les prophètes, et que, depuis tant de temps,, vous êtes les serviteurs de Dieu. Celui qui sait éprouver l'âme, sait quel est celui qui mérite d'être sauvé. Laissez donc l'élection à l'Incompréhensible; car lui seul sait récompenser avec justice. Combien, à en juger par les oeuvres apparentes, eussent semblé préférables à Matthieu? Mais celui qui connaît les secrets, qui sait apprécier les dispositions de l'âme, découvrit la perle enfouie dans- la boue; et, laissant là les autres, et admirant la beauté de celui-ci, il le choisit et aidant du secours de sa grâce sa généreuse volonté, il fit voir en, lui un juste éprouvé. En effet si, dans les arts futiles ou en toute autre matière, ceux qui sont capables de juger, ne règlent pas leurs choix sur l'opinion des ignorants, mais d'après leurs propres connaissances, souvent méprisent ce que ceux-là estiment et estiment ce que ceux-là méprisent; comme les dompteurs de chevaux, par exemple, en agissent ainsi avec les chevaux; et aussi les experts en fait de pierres précieuses ou tout autre ouvrier dans ce qui concerne son métier à plus forte raison Dieu, qui est bon, qui est la sagesse infinie, qui seul sait tout parfaitement, ne cédera point à l'opinion des hommes, mais décidera en tout d'après sa propre sagesse, toujours exacte , toujours infaillible. Voilà pourquoi il a choisi un publicain, un larron, une prostituée, et dédaigné et rejeté des prêtres, des anciens et des magistrats.

7. On en peut voir autant à l'égard des martyrs. Un grand nombre de ceux qui étaient descendus au dernier degré de l'abjection, ont été couronnés à l'heure des combats; et d'autres, au contraire, que l'on tenait en grande estime, ont été supplantés et sont tombés. N'en demandez donc point compte au Créateur et ne dites pas : Pourquoi l'un est-il couronné et l'autre puni? Dieu sait tout faire avec justice; c'est pourquoi il disait : " J'ai aimé Jacob et j'ai haï Esaü ". Le résultat vous a fait voir qu'il agissait en toute justice; mais lui voyait tout clairement avant le résultat. Dieu ne cherche pas seulement la démonstration par les oeuvres, mais aussi la générosité de la volonté et le sentiment de la reconnaissance. Celui qui les a, peut tomber par l'effet des circonstances, mais il se relèvera bientôt; et quand il persévérerait dans le mal, Dieu qui sait tout, ne le dédaignera pas et le ramènera promptement à lui; tandis que celui qui est gâté en lui-même, semblât-il faire quelque chose de bien, périra, parce qu'il le fait avec une intention mauvaise. Ainsi David coupable de meurtre et d'adultère, s'est bientôt lavé de ces crimes, parce qu'il les avait commis par l'entraînement des circonstances et sans préméditation ; tandis que le Pharisien, qui n'est ni adultère ni meurtrier, mais qui se glorifie du bien qu'il a fait, en perd tout le fruit par sa mauvaise volonté.

Que dirons-nous donc? Y a-t-il en Dieu de a l'injustice? Nullement (14) ". Par conséquent il n'y en a ni à notre égard, ni à l'égard des Juifs. Puis l'apôtre ajoute quelque chose de plus obscur : " Car Dieu dit à Moïse : J'aurai pitié de qui j'ai pitié et je ferai miséricorde à qui je fais miséricorde ". Puis il fortifie l'objection en la coupant par le milieu et en la résolvant, puis en soulevant une autre difficulté. Or, pour éclaircit sa pensée, il faut nécessairement l'expliquer. Dieu, dit-il, l'a déclaré avant l'enfantement : " L'aîné servira sous le plus jeune ". Quoi donc? Dieu est-il injuste ? nullement. Ecoutez la suite : dans l'exemple précédent la vertu et le vice faisaient la différence : mais dans celui-ci le péché est commun à tous les Juifs, à savoir la fabrication du veau d'or, et pourtant les uns ont été punis et les autres ne l'ont pas été; voilà pourquoi Dieu dit : " J'aurai pitié de qui j'ai pitié et je ferai miséricorde à qui je fais miséricorde ". (Exode, XXXIII, 18.) Ce n'est point à vous, ô Moïse, de savoir ceux qui sont dignes de pitié; laissez-moi ce soin. Or, si cette connaissance n'appartenait point à Moïse, (324) beaucoup moins nous appartient-elle. Voilà pourquoi Paul ne se contente pas de citer simplement ces paroles, mais rappelle celui à qui elles ont été adressées : " Dieu dit à Moïse " ; pour faire rougir son contradicteur par la dignité du personnage. Après avoir donné la solution des difficultés, il coupe au court, en produisant une autre objection en ces termes: " Cela ne dépend donc ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. Car l'Écriture dit à Pharaon : Voilà pourquoi je t'ai suscité : c'est pour faire éclater en toi ma puissance, et pour que mon nom soit annoncé par toute la terre (16,17)".

Comme là, nous dit l'apôtre, les uns furent sauvés et les autres punis; de même ici Pharaon était réservé pour le but qu'on vient de dire. Puis il ramène encore l'objection : " Donc il a pitié de qui il veut et il endurcit qui il veut. Certainement vous me direz : De quoi se plaint-il encore? Car qui résiste à sa volonté (18, 19)? " Voyez-vous comme il s'efforce de toutes manières de faire ressortir la difficulté? Et il n'en donne pas d'abord là solution, et cela fort à propos; mais il ferme d'abord la bouche à celui qui fait la question, en disant : " O homme, qui es-tu pour contester avec Dieu? "

Son but en ceci est de réprimer sa curiosité déplacée et excessive, de lui mettre le frein, de lui apprendre ce que c'est que Dieu, ce que c'est que l'homme, que la Providence est incompréhensible, qu'elle surpasse l'intelligence humaine et qu'il faut que tout lui obéisse; afin qu'après en avoir convaincu l'auditeur, et avoir contenu et calmé son esprit, il amène la solution sans difficulté et fasse accepter sa parole. Il ne dit pas que ces questions sont insolubles. Que dit-il donc? qu'il est injuste de les soulever; qu'il faut se soumettre à la parole de Dieu, ne point la scruter avec curiosité, quand même nous n'en comprendrions pas la raison. Voilà pourquoi il dit : " Qui es-tu, pour contester avec Dieu? " Voyez-vous comme il comprime, comme il abat l'orgueil? " Qui es-tu? " Partages-tu la puissance? Es-tu juge avec Dieu? En comparaison de lui, tu ne peux pas être quelque chose, ni ceci ni cela, mais rien. Cette expression : " Qui es-tu? " est bien plus humiliante que celle-ci : tu n'es rien. D'ailleurs par la forme interrogative il montre une plus grande indignation. Il ne dit pas non plus : Qui es-tu pour répondre à Dieu? mais : " Pour contester ", c'est-à-dire pour contredire, pour tenir tête. Car dire : Il fallait ceci, ou il ne fallait pas cela, est le propre d'un contradicteur. Voyez-vous comme il épouvante, comme il frappe de terreur, et dispose ses auditeurs à trembler plutôt qu'à soulever des questions ou à scruter trop curieusement? C'est là le talent d'un excellent maître, de ne pas toujours céder au désir de ses disciples, mais de les amener à sa propre manière de voir, d'arracher d'abord les épines, puis de jeter sa semence, et de ne pas répondre immédiatement aux questions qu'on propose. " Le vase dit-il au potier : Pourquoi m'as-tu fait ainsi? N'a-t-il pas le pouvoir, le potier, de faire de la même massé d'argile un vase d'honneur et un autre d'ignominie? (20, 21) ".

8. Il ne dit point ceci pour supprimer le libre arbitre, mais pour montrer jusqu'à quel point il faut obéir à Dieu. En fait de comptes à demander a Dieu, il faut être dans la disposition du vase d'argile. Non-seulement il ne faut pas contredire; pas soulever de questions, mais pas même dire un mot, pas même avoir une pensée, et ressembler à cet objet inanimé, qui obéit aux mains du potier et se laisse porter où il lui plaît. C'est uniquement pour cela, c'est-à-dire pour nous apprendre à obéir et à nous taire, et non pour nous tracer une règle de conduite partout applicable, que l'apôtre a choisi cet exemple. C'est du. reste une observation générale : qu'il ne faut pas tout prendre dans un exemple, mais choisir ce qu'il y a d'utile, ce qui forme proprement le but, et laisser le reste. Ainsi quand l'Écriture dit : " Il s'est couché et a dormi comme un lion " {Nom. XXIV, 9); nous ne voyons là que l'idée d'une force indomptable, le côté terrible, et non le caractère sauvage ou toute autre face de la nature du lion. Dans cet autre passage : " J'irai au devant d'eux comme une ourse qui hésite " (Os. XIII, 9); nous ne devons voir que l'idée de vengeance; et dans ces expressions " Notre Dieu est un feu dévorant " (Deut. IV, 24.), il ne faut chercher que la pensée d'un supplice qui consume. De même ici faut-il interpréter les idées d'argile, de potier et de vase.

Et quand l'apôtre ajoute : " N'a-t-il pas le pouvoir, le potier, de faire de la même masse d'argile un vase d'honneur et un vase (325) d'ignominie? " Gardez-vous d'entendre cela d'un travail d'ouvrier ni d'une nécessité imposés à la volonté, mais du pouvoir de la Providence et de ses différentes manières d'agir. Et si nous ne l'entendions pas ainsi, il s'en suivrait plus d'une absurdité. En effet, si cela voulait dire que la volonté est forcée, Dieu serait l'auteur du bien et du mal, et. l'homme ne pourrait jamais être coupable : en quoi Paul se contredirait, lui qui partout attribue du mérite à la bonne volonté. L'apôtre n'a donc point d'autre but ici que de convaincre l'auditeur qu'il faut en tout céder à Dieu, et ne jamais lui demander compte de rien. De même, nous dit-il, que 1e potier fait de la même masse ce qu'il lui plaît, sans que personne y trouve à redire : ainsi ne jugez point témérairement ne scrutez point, quand, dans la même race d'hommes, Dieu punit les uns et honore les autres ; mais adorez simplement et imitez l'argile; et comme l'argile obéit à la main du potier, ainsi soumettez-vous à la volonté de Celui qui règle tout cela. Car il ne fait rien au hasard, rien sans but, bien que vous ne pénétriez pas les secrets de sa sagesse. Vous permettez au potier de faire des vases différents avec la même masse et vous ne l'en blâmez point; et vous demandez compte à Dieu de ses punitions et de ses récompenses vous ne lui permettez pas de discerner qui est digne ou indigne, et parce que la niasse est composée d'une même substance, vous voulez que les volontés soient toutes les mêmes ? Quelle folie que celle-là ! Or, dans le vase à potier, l'honneur ou l'ignominie ne sont pas le résultat de la masser mais de l'usage auquel le vase est employé; ainsi en est-il en fait de volontés. Du, reste, comme je l'ai dit, le seul point à saisir dans cet exemple est celui-ci qu'il ne faut pas disputer avec Dieu, mais tout abandonner à son incompréhensible sagesse. D'ailleurs il faut que les exemples dépassent le but que l'on se propose et pour lequel on les produit, afin de frapper davantage l'auditeur; car s'il en était autrement, s'ils n'étaient pas hyperboliques, ils ne pourraient pas frapper le contradicteur et le couvrir de confusion. C'est donc par une habile exagération que Paul a réfuté une objection déplacée; après quoi il aborde la solution. Quelle est cette solution ?

" Que si Dieu voulant manifester sa colère et signaler sa puissance, a supporté avec une patience extrême les vases de colère propres à être détruits ; afin de manifester les richesses de sa gloire sur les vases de miséricorde qu'il a préparés pour la gloire, en nous qu'il a de plus appelés, non-seulement d'entre les Juifs, mais aussi d'entre les gentils (22-24"). Voici ce que cela veut dire : Pharaon était un vase de colère, c'est-à-dire un homme qui excitait la colère de Dieu par sa dureté personnelle; car après avoir été l'objet d'une longue patience, il n'en était pas devenu meilleur et était resté incorrigible, voilà pourquoi Paul l'appelle non-seulement vase de colère mais propre à être détruit, c'est-à-dire préparé pour la destruction, par lui-même, cependant, et de sa faute. Car Dieu n'avait rien négligé de ce qui pouvait le corriger, . et lui n'avait rien , négligé de ce qui pouvait le perdre et lui ôter tout espoir de pardon. Bien que Dieu sût cela, il déploya néanmoins une grande patience à son égard, dans le désir de l'amener à pénitence ; en effet sans ce désir, il n'eût pas montré tant de longanimité. Mais comme Pharaon ne voulut point user de cette patience pour venir à résipiscence, qu'il se prépara lui-même à être un vase de colère, Dieu se servit de lui pour l'instruction des autres, pour les rendre plus vigilants par le châtiment qu'il lui infligea; et faire ainsi éclater sa puissance. Que Dieu n'aime point à manifester ainsi sa puissance, mais qu'il préfère la signaler par des bienfaits, par des actes de libéralité, c'est ce que Paul a fait voir plus haut de toutes les manières. Car si Paul lui-même n'aime pas à être puissant de cette façon ; " Non pas ", dit-il quelque,part, " pour que nous paraissions nous-mêmes approuvés, mais que vous fassiez-vous, ce qui est bon " (II Cor. XIII, 7) ; à bien plus forte raison Dieu. Mais Dieu ayant montré une grande patience pour amener Pharaon au repentir, et Pharaon ne s'étant point converti, Dieu le supporte encore longtemps, pour faire éclater tout à la fois sa bonté et sa puissance, puisque ce prince ne voulait pas profiter de tant de longanimité. De même donc que Dieu a prouvé sa puissance en punissant un incorrigible ; ainsi a-t-il fait voir sa bonté en prenant pitié de ceux qui avaient grandement péché, mais qui s'étaient repentis.

9. L'apôtre ne dit pas : La bonté, mais " La gloire ", pour montrer que c'est là qu'éclate principalement la gloire de Dieu et que Dieu y tient plus qu'à tout le reste. Mais quand il dit: " Qu'il a préparés pour la gloire ", il n'entend (326) point tout attribuer à Dieu; car, si cela était, rien n'empêcherait que tous fussent sauvés; mais il veut encore une fois indiquer la prescience, et effacer la distance entre les Juifs et les gentils. Il tire aussi de là un moyen de défense qui n'est pas sans valeur. En effet, ce n'est pas seulement chez les Juifs, mais aussi chez les gentils que les uns sont perdus et les autres sauvés. Aussi ne dit-il pas : Tous les gentils, mais: " D'entre les gentils " ; ni Tous les Juifs, mais : " D'entre les Juifs ". Comme donc Pharaon est devenu vase de colère par sa propre iniquité ; ainsi les autres sont devenus des vases de miséricorde par leurs bonnes dispositions. Si le principal appartient à Dieu , nous avons cependant aussi fourni quelque petite chose. Voilà pourquoi Paul ne dit pas: Des vases de mérites, ni: Des vases de confiance; mais: " Des vases de miséricorde ", pour montrer que tout doit être rapporté à Dieu. Quant à ces mots : " Cela ne dépend ni de celui qui vent, ni de celui qui court ", bien qu'ils soient là en forme d'objection, ils ne nous causeraient aucun embarras, même quand Paul les aurait dits pour son propre compte. En disant : " Cela ne dépend ni de celui qui veut ni de celui qui court ", il ne détruit point la liberté ; mais il indique que tout ne dépend pas d'elle et qu'elle a besoin de la grâce d'en-haut. il faut en effet vouloir et courir , mais ne point compter sur ses propres efforts, et seulement sur la bonté de Dieu: ce qu'il exprime ailleurs en ces termes : " Non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu avec moi ". (I Cor. XV, 10. Il a aussi raison de dire : " Qu'il a préparés pour la gloire ". Car, comme on leur faisait un crime d'avoir été sauvés par la grâce, et qu'on croyait par là les couvrir de honte, il combat victorieusement cette opinion. En effet, si Dieu en a retiré de la gloire, à bien plus forte raison eux-mêmes par qui Dieu a été glorifié.

Et voyez la reconnaissance de Paul et sa grande sagesse ! Il pouvait ne pas choisir Pharaon comme exemple de punition, mais ceux des Juifs qui avaient été punis, et par là se mieux faire comprendre, en montrant que chez les mêmes ancêtres, pour les mêmes péchés, les uns ont été détruits et les autres ont obtenu miséricorde; il aurait ainsi prouvé qu'il n'y a pas lieu de s'étonner si quelques gentils se sauvent, quand des Juifs périssent.

Mais pour ne pas les blesser, il fait voir la punition chez un étranger, pour se dispenser de les appeler vases de colère, et il leur montre dans leur propre nation ceux qui ont obtenu miséricorde. Pourtant il justifie Dieu suffisamment, puisque connaissant parfaitement Pharaon et le voyant se faire lui-même vase de colère, Dieu a cependant fait tout ce qui était en lui, usé de tolérance, de longue patience, non-seulement de longue, mais de grande patience, tandis qu'il n'en a point agi de même à l'égard des Juifs. Pourquoi donc les uns ont-ils été des vases de colère, et les autres des vases de miséricorde? A cause de leur propre volonté. Mais Dieu étant infiniment bon, s'est montré tel à l'égard des uns et des autres. Il n'a pas eu seulement pitié de ceux qui ont été sauvés, mais, autant qu'il était en lui, de Pharaon lui-même; car il a déployé la même patience avec les uns et les autres; que si ce prince n'a pas été sauvé, la faute en est à sa volonté; car, de la part de Dieu, il n'a rien eu de moins que ceux qui ont été sauvés.

Après avoir ainsi résolu la question par des faits, et pour s'appuyer encore sur d'autres preuves, Paul cite le témoignage des prophètes qui ont exprimé cela d'avance. En,effet Osée, dit-il, a écrit depuis longtemps : " J'appellerai celui qui n'est pas mon peuple, mon peuple; celle qui n'est pas bien-aimée, bien-aimée (25) ". Pour qu'on ne lui dise pas: Vous nous trompez en parlant ainsi, il appelle en témoignage Osée, qui s'écrie: " J'appellerai celui qui n'est pas mon peuple, mon peuple ". Quel est donc ce peuple qui n'est pas son peuple? Les gentils, évidemment. Qui est celle-là qui n'est pas bien-aimée? Les gentils encore. Et pourtant il les appelle " Mon peuple, bien-aimée", et déclare qu'ils seront fils de Dieu " Car ils seront appelés enfants du Dieu vivant (26) ". Si on objecte que ces textes doivent s'appliquer aux Juifs qui auront cru, l'argument subsiste encore. Car s'il s'est opéré un tel changement chez les ingrats qui ont abusé de tant de bienfaits, chez les rebelles, chez ceux qui ont, perdu le titre de peuple de Dieu, qui empêche que ceux qui sont étrangers, non après avoir été adoptés, mais dès le commencement, soient appelés, répondent à l'appel et jouissent des mêmes avantages? Après avoir cité Osée, il ne s'en tient pas là, mais il invoque encore le témoignage d'Isaïe qui parle tout à (327) fait dans le même sens: Et " Isaïe ", nous dit-il, " s'écrie à l'égard d'Israël ", c'est-à-dire déclare en toute confiance et sans crainte d'être démenti. Pourquoi donc nous accusez-vous, quand ces prophètes élèvent la voix d'avance plus haut que le son de la trompette? Or que crie Isaïe? " Le nombre des enfants d'Israël fût-il comme le sable de la mer, il n'y aura qu'un reste de sauvé (27) ".

Voyez-vous qu'Isaïe non plus ne dit pas que tous seront sauvés, mais seulement ceux qui seront dignes de l'être? Je n'ai point égard à la multitude, je n'a point de respect pour une race si répandue; je ne sauve que ceux qui s'en seront rendus dignes. Il ne parle pas seulement du sable de la mer, mais il leur rappelle l'ancienne promesse, dont-ils se sont montrés indignes. Pourquoi vous troubler comme si les promesses étaient sans effet, quand tous les prophètes déclarent que tous, ne seront pas sauvés? Ensuite il explique comment le salut aura lieu. Voyez-vous l'exactitude du prophète, et la prudence de l'apôtre, quel témoignage il produit et avec quel à-propos? Non-seulement il nous montre que quelques-uns seront sauvés et non tous, mais encore il nous fait voir comment ils le seront. Comment donc seront-ils sauvés? Et comment Dieu les jugera-t-il dignes de ce bienfait? " Or ", nous dit l'apôtre, citant toujours le prophète, " Le Seigneur accomplira cette parole et l'abrégera avec équité; oui, le Seigneur abrégera cette parole sur la terre ". Voici ce qu'il veut dire : Il n'y a pas besoin des circuits, des travaux, des fatigues imposées par les prescriptions de la loi; le salut s'opérera par une voie très-abrégée. Telle est la foi; elle sauve en peu de mots. " Si vous confessez de bouche le Seigneur Jésus, et si en votre coeur vous croyez que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, vous serez sauvé ". (Rom. X, 9.)

10. Comprenez-vous le sens de ces mots : " Le Seigneur abrégera cette parole sur la terre? " Et l'étonnant, c'est que ce peu de paroles a non-seulement procuré le salut, mais apporté la justification. " Et comme Isaïe l'avait dit d'avance : Si le Seigneur des armées ne nous avait réservé un rejeton, nous serions devenus comme Sodome et semblables à Gomorrhe (29) ".Ici, il indique autre chose, à,savoir que le petit nombre qui est sauvé ne l'est point par lui-même. Ceux-là aussi auraient été perdus et auraient subi le sort de Sodome, c'est-à-dire une destruction complète. En effet ceux de Sodome ont tous radicalement péri, ils n'ont pas laissé le moindre rejeton; et les autres auraient éprouvé leur sort, si Dieu n'avait usé d'une grande bonté et ne les eût sauvés par la foi. C'est aussi ce qui est arrivé pour la captivité de Babylone ; ceux qui ont été emmenés et qui ont péri, formaient l'immense majorité ; bien peu ont été sauvés.

" Que dirons-nous donc ", continue l'apôtre. " Que les gentils qui ne cherchaient point la justice ont embrassé la justice, mais la justice qui vient de la foi ; et qu'Israël, au contraire, en suivant la loi de justice, n'est point parvenu à la justice (30, 31) ": Ici la solution est parfaitement claire. Après avoir montré, par les faits mêmes, que " tous ceux qui descendent d'Israël, ne sont pas Israélites "; après l'avoir aussi démontré par les pères de Jacob et d'Esaü, puis par les prophètes, il fortifie l'objection et lui donne une vigoureuse solution par Osée et Isaïe. En effet, il y a deux points dans la question : les Gentils ont embrassé la justice, et ils l'ont embrassée sans l'avoir cherchée, c'est-à-dire sans effort de leur part. D'un autre côté, en ce qui concerne les Juifs, il y avait deux difficultés Israël n'est point parvenu à la loi de justice, et il n'y est point parvenu bien qu'il la cherchât. Aussi l'apôtre emploie-t-il ici des expressions plus énergiques; car il ne dit pas : Ont obtenu la justice, mais': " Ont embrassé ". Et c'est là l'étrange, l'extraordinaire : que celui qui cherchait ne soit pas parvenu et que celui qui ne cherchait pas ait embrassé. En disant "Qui suivait ", il leur fait une concession; mais plus tard il leur porte un coup mortel. Comme il a une victorieuse solution à donner, il ne craint pas de fortifier l'objection. C'est pourquoi il ne parle pas de la foi ni de la justice qui en dérive, mais il leur montre que même avant la foi, même dans leur propre domaine , ils étaient déjà vaincus et condamnés. Oui, dit-il, oui, ô Juif, tu n'as pas même rencontré la justice de la loi, car tu l'as violée, cette loi, et tu as encouru la malédiction ; et ceux-là, qui ne sont point venus par la loi, mais par une autre voie, ont trouvé une justice bien plus grande, celle de la foi : ce qu'il avait déjà exprimé plus haut, eu disant : " Car si Abraham a été justifié par les oeuvres, il a de quoi se glorifier, mais non devant Dieu " (Rom. II, 4) ; indiquant par (328) là que la justice par la foi l'emporte sur l'autre.

Je disais donc plus haut qu'il y avait deux difficultés; maintenant voilà trois questions les gentils ont trouvé la justice, ils l'ont trouvée sans la chercher, ils l'ont trouvée plus grande que celle de la loi. Dans le sens contraire, les mêmes difficultés se reproduisent pour les Juifs : Israël n'a pas trouvé, il n'a pas trouvé bien qu'il cherchât, il n'a pas même trouvé la moindre de ces justices. Après avoir ainsi jeté l'auditeur dans l'embarras, il donne enfin une solution abrégée, et rend raison de tout ce qu'il a dit. Quelle est cette raison ? " Parce que ce n'est point par la foi, mais comme par les oeuvres (32) ".

Voilà la solution la plus claire de tout le passage; s'il l'eût donnée dès le début, elle n'eût point été si facilement acceptée; mais comme il la présente après beaucoup d'hésitations, de doutes, de preuves et de démonstrations, qu'il a usé de mille correctifs, il l'a rendue bien plus intelligible et plus acceptable. Voilà, dit-il; la cause de leur perte : " Parce qu'ils ont voulu être justifiés, non par la foi, mais comme par les œuvres de la loi". Il ne dit point : Par les oeuvres, mais " Comme par les œuvres de la loi " , pour montrer qu'ils n'ont pas même eu cette espèce de justice. " Car ils se sont heurtés contre la pierre de l'achoppement, comme il est écrit : " Voici que je mets en Sion une pierre d'achoppement et une pierre de scandale; et quiconque croit en lui ne sera point confondu (33) ".

Voyez-vous comme la confiance et le don universel sont les fruits de la foi ? Car ces paroles ne s'appliquent pas seulement aux Juifs, mais à tout le genre humain. Tout homme, dit l'apôtre, citant toujours Isaïe, fût-il Juif, Grec, Scythe, Thrace, ou tout ce que l'on voudra, s'il croit, jouira d'une grande sécurité. Ce qu'il y a d'étonnant dans le prophète, c'est qu'il ne dit pas seulement qu'on croira, mais aussi qu'on refusera de croire ; car c'est là le sens de ce mot : se heurter. De même donc que plus haut, il a indiqué que les uns seraient perdus et les autres sauvés, en disant : " Le nombre des enfants d'Israël fût-il comme le sable de la mer, il n'y aura qu'un reste de sauvé ", et encore : " Si le Seigneur des armées ne nous avait réservé un rejeton, nous serions devenus comme Sodome, et semblables à Gomorrhe ", puis : " Il a appelé, non-seulement d'entre les Juifs, mais aussi d'entre les Gentils " : De même, ici, il parle de ceux qui croiront et de ceux qui se heurteront; or, on ne se heurte que parce qu'on ne fait pas attention et qu'on a l'esprit à autre chose. C'est donc parce que les Juifs avaient l'attention tournée vers la loi, qu'ils se sont heurtés contre la pierre. Il parle de pierre d'achoppement et de pierre de scandale, à raison de la volonté et de la fin de ceux qui n'ont pas cru.

Tout ce que nous venons de dire est-il clair, ou a-t-il encore besoin de beaucoup d'explications? Il me semble, à moi, que. tout cela est aisé à comprendre pour ceux qui ont fait attention; et s'il en est qui n'aient pas compris, ils peuvent venir en particulier interroger et s'instruire. J'ai prolongé ces explications pour ne pas être obligé d'interrompre le discours et de nuire, par là, à sa clarté. C'est pourquoi je termine ici, sans traiter aucun point de morale comme c'est mon habitude, ne voulant pas affaiblir en vous le souvenir de ce que j'ai dit. Il est donc temps de conclure et de rendre gloire à Dieu, le maître de tout. Rendons-la lui, moi en finissant de parler, vous en cessant d'écouter, parce que l'empire, la force et la gloire sont à lui, dans les siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XVII. ASSURÉMENT, MES FRÈRES, LA VOLONTÉ DE MON COEUR ET MES SUPPLICATIONS A DIEU ONT POUR OBJET LEUR SALUT. (X, 1, JUSQU'À 13.)
329

Analyse.

1. Oui, les Juifs (je fais des veaux et des prières pour qu'ils puissent se sauver) sont eux-mêmes , avec leur zèle, dépourvus de sagesse; la cause de leur réprobation, parce qu'ils veulent faire valoir leur justice propre, et qu'ils refusent de se soumettre à l'ordre établi par Dieu pour conduire l'homme à la justice.—L'ordre que Dieu a établi consiste dans la foi en Jésus-Christ, qui est le terme et la tin de la loi.

2. Qu'il y a beaucoup de mérite dans la foi. — Bien qu'ils soient déjà accomplis, les faits qui sont l'objet de la foi sont si grands, qu'ils exigent encore la foi pour être crus. — Cependant la foi n'est pas difficile, car si l'incarnation et la résurrection sont difficiles à croire par elles-mêmes, la difficulté disparaît quand on fait réflexion que c'est Dieu qui agit.

3. Les Juifs qui repoussent la foi n'ont donc plus aucune excuse. — Quiconque croira en Jésus-Christ et professera ce qu'il croit, sera sauvé, sans distinction de Juif ni de Gentil, car Dieu est assez riche pour les sauver tous.

4.5. Contre la vaine gloire. — Combien cette passion est tyrannique et impérieuse. — Des maux qu'elle fait souffrir dès cette vie à ceux qui en sont possédés.

1. Il va les blâmer plus vivement qu'il ne l'a fait jusqu'ici; voilà pourquoi il leur ôte tout motif de le soupçonner d'inimitié, et prend de grandes précautions. Ne vous blessez pas de mes paroles ni de mes reproches, leur dit-il; car ils ne proviennent pas d'une pensée hostile. En effet il est impossible au même homme de désirer leur salut, non-seulement de le désirer, mais de le demander avec instance, et en même temps de les haïr et d'avoir pour eux de l'aversion. Volonté, ici, signifie ardent désir. Et voyez comme sa prière part du coeur ! Ce qu'il désire, ce qu'il demande avec instance, ce n'est pas seulement qu'ils soient délivrés du châtiment, mais qu'ils soient sauvés. Et ce n'est pas en cela seulement, mais dans ce qui va suivre, qu'il manifeste la bienveillance qu'il leur porte; car il insiste, autant que possible, sur ce qui peut s'excuser, il s'efforce d'en tirer une ombre de défense en leur faveur, et il n'y réussit pas, vaincu par la nature même des choses. " Car ", dit-il, " je leur rends ce témoignage qu'ils ont du zèle pour Dieu, mais non selon la science (2) ". II y a donc là matière à excuse, et non à reproche. Si, en effet, ils ne sont pas séparés pour des motifs humains, mais par zèle, ils sont plus dignes de pitié que de châtiment. Mais voyez avec quelle sagesse il ménage les termes, et démontre que leur obstination est déplacée ! " Parce que, ignorant la justice de Dieu ". Encore une expression indulgente; mais ce qui suit renferme un vif reproche et ôte toute excuse. " Et cherchant ", ajoute-t-il, " à établir la leur, ils ne sont pas soumis à la justice de Dieu (3) ".

L'apôtre dit cela pour faire voir qu'ils se sont égarés par esprit de contention et de domination plutôt que par ignorance, et qu'ils ne sont pas même parvenus à établir la justice légale : car c'est là ce qu'il veut dire par ces mots : " Cherchant à établir ". Il ne l'exprime pas clairement; il ne dit point qu'ils ont perdu l'une et l'autre justices, mais il l'insinue avec la prudence et la sagesse qui lui sont propres. Si, en effet, ils cherchent encore à établir la justice selon la loi, il est clair qu'ils ne l'ont pas établie. S'ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu, ils ont aussi perdu la justice selon la loi. Or il appelle celle-ci leur justice propre, ou parce que la loi n'a plus de force, ou parce qu'elle exige des travaux et des(330) fatigues ; et il appelle justice de Dieu celle qui vient de la foi, parce qu'elle est entièrement l'oeuvre de la grâce d'en-haut, qu'elle n'est point le fruit du travail, mais un don de Dieu. Mais ceux qui résistent toujours au Saint-Esprit, en s'obstinant à être justifiés par la loi, ne sont point parvenus à la foi; or, ne venant point à la foi, ne recevant pas la justice qui en provient, et ne pouvant être justifiés par la loi, ils sont complètement déchus. " Car la fin de la loi est le Christ, pour justifier tout croyant (4) ". Voyez la prudence de Paul ! Il avait parlé d'une double justice, de celle de la loi et de celle de la foi. Ceux d'entre les Juifs qui avaient cru et embrassé la justice de la foi, pouvaient craindre comme étant encore néophytes, d'être condamnables, s'ils étaient munis d'une de ces deux justices et dépourvus de l'autre. De plus ils pouvaient encore se promettre d'accomplir la justice de la loi, et dire : Si nous ne l'avons pas accomplie jusqu'ici, nous l'accomplirons certainement à l'avenir. Pour prévenir ces pensées , Paul montre qu'il n'y a qu'une justice, que l'une est absorbée dans l'autre, que celui qui choisit celle de la foi, accomplit aussi celle de la loi, et qu'en rejetant celle-là, on déchoit aussi de celle-ci.

En effet, si le Christ est la fin de la loi, celui qui n'a pas le Christ n'a pas la loi, même quand il paraîtrait l'avoir ; mais celui qui a le Christ a tout, quand même il n'accomplirait pas la loi. La fin de la médecine , c'est la santé. Celui qui peut la rendre est bon médecin, quand même il n'exercerait pas l'art de la médecine; et celui qui ne ,sait pas guérir, n'est pas médecin , parût-il d'ailleurs en exercer l'art: ainsi en est-il pour la loi et la foi; celui qui a celle-ci, a la fin de celle-là; mais celui qui n'a pas la foi, est privé de l'une et de l'autre. En effet, que voulait la loi? Rendre l'homme juste; mais elle ne le pouvait pas, car personne ne l'a accomplie. Justifier l'homme : tel était le but de la loi, tout tendait là : fêtes, commandements, sacrifices, et le reste. Or le Christ a bien mieux atteint ce but par la foi. Ne craignez donc point, dit l'apôtre , d'être transgresseur de la loi, après avoir embrassé la foi ; vous la transgressez quand, à cause d'elle, vous ne croyez pas au Christ; et, au contraire, si vous croyez au Christ, vous accomplissez la loi au-delà même de ce qu'elle exige ; car vous recevez une justice beaucoup plus grande. Mais comme ceci était une assertion, l'apôtre la confirme par l'Ecriture. "Aussi ", dit-il, " Moïse écrit que la justice qui vient de la loi... (5) ". Voici ce qu'il veut dire : Moïse nous indique ce que c'est que la justice qui vient de la: loi et- en quoi elle consiste. Quelle est-elle donc, et en quoi consiste-t-elle ? Dans l'accomplissement des commandements. " Celui qui les accomplira ", est-il dit, " vivra en eux ": On ne peut être justifié dans la loi qu'en les accomplissant tous; or personne ne l'a pu.

2. Cette justice est,donc tombée. Parlez-nous de l'autre, ô Paul ! de celle qui vient de la grâce. Quelle est-elle, et en quoi consiste-t-elle ? Ecoutez la description exacte qu'il en fait. Après avoir convaincu la première d'impuissance, il en vient enfin à celle-ci. " Mais pour la justice qui vient de la foi, elle parlé ainsi : Ne dis point en ton cœur : Qui montera an ciel? c'est-à-dire, pour en faire descendre le Christ : ou, qui descendra dans l'abîme? c'est-à-dire, pour rappeler le Christ d'entre les morts. Mais que dit l'Ecriture : " Près de toi est la parole, dans ta bouche et dans ton coeur ; c'est la parole de foi que nous annonçons. Parce que si tu confesses de bouche le Seigneur Jésus, et si en ton cœur tu crois que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, tu seras sauvé (6-8) ". Pour que les Juifs ne disent pas : Comment ceux qui n'ont pas trouvé la moindre des deux justices, ont-ils trouvé la plus grande? Il donne un argument irréfutable : c'est que celle-ci est une voie plus facile que celle-là. La justice de la loi exige l'accomplissement de toutes les prescriptions: " Quand tu auras tout accompli, c'est alors que tu vivras ". Mais la justice qui vient de la foi ne dit pas cela. Que dit-elle donc? " Si tu confesses de bouche le Seigneur Jésus et si en ton cœur tu crois que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, tu seras sauvé". Ensuite, pour ne pas la rendre méprisable en la montrant si facile et si simple, voyez comme il s'étend sur ce chapitre. Il n'en vient pas immédiatement à ce que nous avons dit : que dit-il donc? " Mais pour la justice qui vient de la foi, elle parle ainsi : Ne dis point en ton cœur : Qui montera au ciel ? c'est-à-dire, pour en faire descendre le Christ; ou, qui descendra dans l'abîme? c'est-à-dire pour rappeler le Christ d'entre les morts ".

331

En effet, comme la vertu pratique a pour obstacles la lâcheté et la mollesse, ennemie du travail, et que l'âme a besoin d'une grande vigilance pour ne pas succomber; ainsi, quand il s'agit de croire, les raisonnements viennent jeter le trouble et le désordre dans l'esprit d'un grand nombre, et il faut une volonté énergique pour les écarter. C'est pourquoi il les produit lui-même, ces raisonnements, et fait encore ici ce qu'il a fait à l'occasion d'Abraham. En effet, après avoir prouvé qu'Abraham a été justifié par la foi, pour ne pas laisser croire que le patriarche a été récompensé sans raison et au hasard, comme si sa foi eût été chose sans valeur, il relève la qualité même de cette foi, en disant : " Qui ayant espéré contre l'espérance même , a cru qu'il deviendrait le père d'un grand nombre de nations, et sa foi ne faiblit point; il ne considéra ni son corps éteint, ni l'impuissance de Sara ; il n'hésita point en défiance de la promesse de Dieu; mais il se fortifia par la foi, rendant gloire à Dieu, a pleinement assuré que tout ce qu'il a promis, il est puissant pour le faire ". (Rom. IV, 18, 99, 20, 21.) Et il a prouvé qu'il faut de la force et une âme élevée, qui espère contre l'espérance et ne se heurte point contre les choses visibles. Ici il en fait autant, et montre qu'il faut un esprit sage, une âme grande et capable de s'élever jusqu'au ciel. Il ne dit pas simplement : Ne dis point, mais : " Ne dis point en ton coeur ", c'est-à-dire, ne t'avise pas d'hésiter et de dire en toi-même : Comment cela se peut-il? Voyez-vous comme c'est là surtout le propre de la foi de laisser toutes les conséquences terrestres pour s'attacher à ce qui est au-dessus de la nature, de rejeter tous les vains raisonnements pour tout attendre de la puissance de Dieu ?

Cependant les Juifs ne se contentaient pas de dire cela, ils prétendaient qu'on ne peut pas être justifié par la foi. Mais Paul, pour établir le contraire, cite un fait accompli, afin de démontrer que: ce fait était tellement élevé que même, depuis qu'il est accompli, il exige encore de la foi, et de -prouver par là que la foi mérite récompense. Il emploie pour cela les paroles de l'Ancien Testament, toujours pour écarter de lui l'accusation d'innovation et d'hostilité contre la loi. Car ce qu'il dit ici de la foi, Moïse le leur avait dit de la loi, pour leur montrer que Dieu leur avait fait une grande grâce. Vous ne pouvez, leur dit-il, objecter qu'il faut monter au ciel ou traverser l'étendue de la mer pour recevoir les commandements ; ces commandements si grands, si sublimes, Dieu nous les a rendus faciles. Que signifient ces mots : " Près de toi " est la parole ? " c'est-à-dire, elle est facile : car ton salut est dans ton esprit et sur ta langue. Il n'est pas nécessaire de faire une longue route, de traverser la mer ou de passer les montagnes, pour être sauvé; si vous ne voulez pas franchir le seuil de votre maison, vous pouvez rester assis chez vous et vous sauver : car le principe du salut est dans votre bouche et dans votre coeur.

Ensuite Paul, pour faciliter encore la foi, dit: " Dieu l'a ressuscité d'entre les morts ". Considérez la dignité de celui qui agit, et vous ne verrez plus de difficulté dans les choses. La résurrection prouve donc clairement que le Christ est le Seigneur : ce que Paul avait dit au commencement de son épître : " Qui a été désigné Fils de Dieu par la résurrection d'entre les morts ". Or que la résurrection soit facile, la puissance de celui qui l'opère, le démontre aux plus incrédules. Donc puisque la justice de la foi est plus grande, qu'elle est facile, aisée à embrasser, et qu'on ne peut d'ailleurs être justifié autrement, n'est-ce pas un excès d'obstination de laisser ce qui est facile pour s'attacher à l'impossible? Car ils ne sauraient dire qu'ils rejettent la justice de la foi à cause de ses difficultés.

3. Voyez-vous comme Paul leur ôte tout motif d'excuse? Comment, en effet, seraient-ils pardonnables de laisser ce qui est facile pour s'attacher à ce qui est difficile, de négliger ce qui procure le salut pour embrasser ce qui ne peut sauver? Ce ne peut être autre chose que l'effet d'un esprit de, contention et en révolte contre Dieu. Car la loi est pénible et la grâce facile; malgré des efforts infinis, la loi ne sauve pas; la grâce procure sa justice propre et celle de la loi. Comment donc les excuser de repousser la grâce pour s'attacher inutilement et sans résultat à la loi. Puis , comme il a avancé une chose importante, il l'appuie sur le témoignage de l'Ecriture. " En effet, l'Ecriture dit: Quiconque croit en lui, ne sera point confondu. Car il n'y a point de distinction de Juif et. de Grec; parce que c'est le même Seigneur de tous, riche pour tous ceux qui l'invoquent. Car quiconque (332) invoquera le nom du Seigneur, sera sauvé (11-13) ". Le voyez-vous produire des témoignages en faveur de la foi et de la confession ? En effet, ces mots : " Quiconque croit", désignent la foi; et ceux-ci : " Quiconque invoquera ", se rapportent à la confession. Ensuite, pour indiquer que la foi est commune à tous, et pour réprimer leur orgueil, il rappelle brièvement ce qu'il a longuement expliqué plus haut, à savoir qu'il n'y a point de différence entre le Juif et l'incirconcis. "Car ", dit-il, " il n'y a point de distinction de Juif et de Grec ". Et ce qu'il avait dit du Père; en en donnant la preuve, il le répète ici du Fils. En effet, comme il avait dit plus haut dans sa démonstration : " Dieu est-il le Dieu des Juifs seulement? Ne l'est-il pas aussi des Gentils? Oui certes, des Gentils aussi, puisqu'il n'y a qu'un seul Dieu" ; de même il dit ici : " Parce que c'est le même Seigneur de tous, riche pour tous ceux qui l'invoquent ". Voyez-vous comme il nous montre le désir ardent que Dieu a de notre salut, puisqu'il le regarde comme sa richesse propre; en sorte qu'ils ne doivent ni désespérer, ni se regarder comme exclus du pardon , pourvu qu'ils veuillent se repentir? En effet, celui qui regarde notre salut comme sa propre richesse, ne cessera pas d'être riche, puisque cette richesse consiste précisément à répandre ces dons sur tous. Et comme ce qui les troublait le plus, c'était, après avoir occupé le premier rang sur la terre, de descendre de ce trône de gloire, en vertu de la foi, et de n'avoir rien de plus que les autres, souvent il leur cite les prophètes qui célèbrent cette égalité d'honneur. " Quiconque croit en lui ", dit-il, " ne sera point confondu " ; et encore : " Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé ".Toujours : " Quiconque", afin qu'ils ne puissent rien objecter.

Mais il n'y a rien de pire que la vaine gloire; c'est là, c'est là surtout ce qui les a perdus. C'est pourquoi le Christ leur disait : " Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez la gloire l'un de l'autre, et ne cherchez point la gloire qui vient de Dieu seul ? " (Jean, V, 44.) Outre la ruine, cette passion entraîne encore un immense ridicule, et, même avant le châtiment à venir, elle nous jette ici-bas dans une multitude de maux. Pour vous en convaincre, laissons un moment de côté le ciel dont elle nous exclut, l'enfer où elle nous précipite, et examinons, si vous le voulez, la question au point de vue terrestre. Qu'y a-t-il de plus coûteux ? Qu'y a-t-il de plus honteux et de plus difficile ? Que cette maladie soit coûteuse, on le voit par les dépenses inutiles et stériles qui se font pour les théâtres, les hippodromes et autres largesses déplacées, par la construction de maisons splendides et magnifiques, et tant d'autres prodigalités superflues qu'il n'est pas possible d'énumérer. Il est évident pour tout le monde qu'un malade aussi dépensier, aussi ami du luxe, doit nécessairement être voleur et ambitieux. Pour nourrir le monstre, il jette la main sur le bien d'autrui. Que dis-je, sur le bien? Ce feu ne dévore pas seulement les biens, mais aussi les âmes; il ne tue pas seulement pour le temps, mais aussi pour l'éternité. La vaine gloire est la mère de l'enfer; c'est elle qui allume cette flamme violente et crée te ver empoisonneur. Ne la voit-on pas étendre son empire jusque chez les morts ? Et y a-t-il quelque chose de pire? Toutes les autres passions s'éteignent à la mort; celle-là exerce encore des violences même après la mort, et s'efforce de montrer sa nature jusque dans un cadavre. Quand des mourants ordonnent qu'on leur dresse des tombeaux magnifiques où toute leur fortune doit s'absorber, quand ils veillent à ce qu'on déploie à leurs funérailles un luxe extravagant, tandis que pendant leur vie ils répondent par des injures aux pauvres qui leur demandent une obole ou un morceau de pain , pour fournir après leur mort une curée abondante aux vers du sépulcre : est-il besoin de chercher d'autres traits pour peindre cette tyrannique maladie ? C'est d'elle que naissent les amours illicites : car ce n'est pas la beauté de la figure, ni la jouissance de l'union charnelle qui en entraîne un grand nombre dans l'adultère, mais le désir de pouvoir dire : J'ai séduit une telle.

4. A quoi bon passer en revue les autres maux qui pullulent de cette racine? J'aimerais mieux être l'esclave de mille barbares que de la vaine gloire : car les barbares n'exigent pas de leurs prisonniers ce qu'elle exige de ses sujets. Sois, dit-elle, l'esclave de tous, qu'ils soient au-dessus ou au-dessous de toi; méprise ton âme, néglige la vertu, ris de la liberté, sacrifie ton salut; si tu fais quelque bien , que ce ne soit pas pour plaire à Dieu, mais par ostentation, afin d'en perdre la (333) récompense; que tu fasses l'aumône ou que tu jeûnes, portes-en la peine, mais aie soin d'en perdre le profit. Quoi de plus cruel que ces ordres ? De là vient la jalousie, de là l'orgueil, de là l'avarice, mère de tous les maux. Car ces essaims de domestiques, ces satellites étrangers, les parasites, les flatteurs, les chars revêtus d'argent, et tant d'autres choses encore plus ridicules ne sont pas pour le plaisir ou pour le besoin , mais uniquement pour la vaine gloire. Soit, direz-vous; il est évident pour tout le monde que cette passion est mauvaise; mais ce qu'il faut nous dire, c'est le moyen de l'éviter. Le meilleur moyen, c'est de vous bien convaincre que c'est une maladie terrible; ce sera un excellent commencement de conversion; car dès que le malade est convaincu de sa maladie, il s'empresse de chercher un médecin. Si vous cherchez un autre moyen d'échapper, tenez sans cesse vos yeux vers Dieu et contentez-vous de sa gloire. Si le mal vous chatouille encore et vous porte à vous vanter de vos mérites devant vos frères, songez qu'il n'y a là aucun profit, étouffez ce désir coupable et dites à votre âme : Tu as mis tarit de temps à enfanter tes bonnes actions, et tu n'a pas eu la force de les tenir sous le voile du silence, mais tu les a divulguées; quel avantage en as-tu retiré? Aucun: pas autre chose qu'une perte complète, que la perte de ce que tu avais si laborieusement recueilli.

Songez de plus que le suffrage et l'opinion populaire sont viciés, non-seulement viciés , mais bientôt flétris. On peut vous admirer une heure; puis, le moment passé, on oublie tout; on vous a enlevé la couronne que Dieu vous préparait et on vous retire celle que l'ou vous offrait. Si celle-là nous fût restée, t'eût été chose misérable de l'échanger contre l'autre ; mais comme elle nous a échappé , comment nous excuserons-nous d'avoir sacrifié celle qui ne passe pas à celle qui passe , d'avoir perdu tant d'avantages pour obtenir les éloges de quelques hommes? Et quand le nombre des approbateurs serait considérable, on n'en serait pas moins malheureux; on le serait même d'autant plus qu'ils seraient plus nombreux. Si ce que je dis vous étonne , écoutez le témoignage du Christ : " Malheur à vous, quand tous les hommes diront du bien de vous ". (Luc, VI, 26.) Et c'est juste. Si, dans tous les arts, il faut s'en rapporter au jugement des artistes eux-mêmes, comment, en fait de vertu, s'en rapporter à la foule, et non avant tout à celui qui sait tout, et qui peut vous applaudir et vous couronner? Ecrivons donc sur nos murs, sur nos portes, dans nos coeurs, et répétons-nous souvent à nous-mêmes cette parole : Malheur à nous , quand tous les hommes disent du bien de nous ! Car ceux-là mêmes qui vous louent, vous accusent de vaine gloire, d'ambition , d'amour de la -renommée. Il n'en est pas ainsi de Dieu ; s'il vous voit épris de sa gloire. il vous approuve, il vous admire, il fait votre éloge. Et l'homme, au contraire, vous faisant son esclave, de libre que vous étiez, vous donnant d'un seul mot une louange menteuse, vous enlève votre vraie récompense et vous met à ses ordres, au-dessous de l'esclave qu'on achète. En effet, celui-ci n'obéit que sur l'ordre de son maître ; et vous, vous obéissez sans ordre. Car vous n'attendez pas qu'on vous commande ; dès que vous savez comment plaire aux autres, vous faites tout, bien qu'on ne vous ordonne rien. Quel enfer ne méritons-nous pas, nous qui faisons plaisir à des méchants, qui leur obéissons sans qu'ils nous commandent, et quine montrons point la même docilité à l'égard de Dieu, quoique chaque jour il nous donne des ordres et nous adresse des exhortations.

Du reste, si vous aimez la gloire et la louange, fuyez celles qui viennent des hommes, et vous obtiendrez la gloire; détournez-vous de la renommée, et vous recevrez mille louanges et de Dieu et des hommes. Car nous avons coutume de ne glorifier personne autant que celui qui méprise la gloire, de ne louer, de n'admirer personne autant que celui qui dédaigne d'être admiré et loué. Or, si nous agissons ainsi, à bien plus forte raison le Dieu de l'univers. Or, s'il vous glorifie et vous loue, n'êtes-vous pas le plus heureux des hommes? Autant il y a de distance entre la gloire et le déshonneur, autant il y a de différence entre la gloire d'en-haut et la gloire humaine; que dis-je? La différence est bien plus grande, elle est infinie. Car si la gloire humaine, prise en elle-même et sans comparaison avec d'autre , est déjà honteuse et hideuse à voir, combien paraîtra-t-elle plus laide encore, comparée à celle d'en-haut? Les esclaves de la vaine gloire sont comparables à une prostituée qui se livre à tout venant; ils sont même plus ignobles (334) qu'elle. En effet, quelquefois les femmes perdues dédaignent certains de leurs amants ; mais vous, vous vous prostituez à tout le monde, aux esclaves fugitifs, aux voleurs, aux coupeurs de bourse. Car ce sont ces gens et d'autres du même genre qui composent les théâtres où on vous loue; des êtres qui sont, chacun en particulier, l'objet de vos mépris , vous les préférez à votre propre salut, quand ils sont réunis, et vous vous ravalez bien au-dessous d'eux.

5. Et comment ne seriez-vous pas plus ignobles qu'eux, vous qui avez besoin de leurs éloges, et qui n'êtes pas satisfait si vous ne recevez de la gloire des autres? Outre ce que nous avons dit, vous ne songez donc pas qu'étant ainsi en évidence et exposé à tous les regards, vous aurez des milliers d'accusateurs quand vous commettrez une faute ; tandis qu'étant inconnu , vous seriez au moins en sécurité? Oui, dites-vous, mais aussi quand je fais le bien, j’ai des milliers d'admirateurs. Eh ! c'est là le danger que la maladie de vaine gloire vous nuise, non-seulement quand vous faites le mal, mais aussi quand vous faites le bien; dans le premier cas, en scandalisant une foule de personnes, dans le second, en vous privant de votre récompense. Dans l'ordre social, c'est une chose déplorable et ignominieuse que d'aimer la gloire; mais quand vous portez cette maladie dans l'ordre spirituel, quel pardon pouvez-vous espérer, vous qui ne voulez pas même rendre à Dieu l'honneur que vous recevez dé vos serviteurs ? En effet, le serviteur a l'oeil fixé sur les yeux de son maître, le mercenaire sur celui de qui il attend son salaire, le disciple sur celui qui lui fait la leçon; et vous, au contraire, laissant de côté Dieu , le maître qui vous a pris à gage, vous avez l'œil fixé sur vos compagnons de service, bien que vous sachiez que Dieu se souviendra de vos bonnes actions après cette vie, tandis que l'homme ne s'en occupe que dans le temps; et quand vous avez des spectateurs assis dans le ciel , vous en cherchez sur la terre.

Un athlète désire être couronné là où il a combattu; et vous qui combattez en haut, vous voulez être couronné en bas. Y a-t-il une folie pire que celle-là ? Maintenant examinons, s'il vous plaît, les couronnes : l'une est formée par l'orgueil, l'autre par la jalousie, celle-ci par la fausseté et l'adulation, celle-là par l'argent , une autre par l'esprit de servilité. Comme les enfants dans leurs jeux se mettent réciproquement des couronnes d'herbe sèche; puis rient, par derrière, de celui qui est ainsi couronné sans s'en apercevoir ; ainsi ceux qui vous louent, vous mettent une couronne d'herbe sèche, puis se moquent de vous entre eux; et plût au ciel que ce ne fût que de l'herbe sèche, mais cette couronne est extrêmement nuisible et détruit tous nos mérites. Considérez donc son peu de valeur et évitez la perte qu'elle entraîne. A combien pensez-vous que se montent vos approbateurs? A cent, à deux cents, à trois cents, à quatre cents? Mettons plus encore, et si vous le voulez, dix fois , vingt fois autant; qu'ils soient deux mille, quatre mille; que dix mille même, si cela vous plaît, fassent retentir des applaudissements à votre honneur; ils ne ressembleront qu'à une troupe de geais qui crient; bien plus, si vous songez au théâtre des anges, ils vous paraîtront plus vils que des vers de terre, et leurs applaudissements plus faibles que des toiles d'araignées, que de la fumée, que des songes.

Ecoutez comment Paul, qui l'avait si bien compris, les repousse, bien loin de les rechercher: "Pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie , si ce n'est dans la croix du à Christ ! " (Gal. VI, 14.) Et vous aussi , cherchez cette gloire, pour ne pas irriter le Maître. Car ce n'est pas seulement vous, mais Dieu aussi que vous outragez par cette conduite. Si vous étiez peintre, que vous eussiez un élève et que cet élève, dédaignant de vous montrer son tableau, allât simplement l'exposer aux regards des observateurs, vous en seriez indigné. Or si c'est là une injure entre serviteurs, à bien plus forte raison envers le Maître. Si vous voulez apprendre un autre moyen de mépriser la vaine gloire, élevez-vous en esprit, riez du monde visible, augmentez en vous l'amour de la vraie gloire. Emplissez-vous de sagesse spirituelle , dites à votre âme comme Paul : " Ne sais-tu pas que nous jugerons les anges? " Et après l'avoir ainsi relevée, grondez-la et dites-lui : Toi qui dois juger les anges, tu veux être jugée par des hommes impurs, être applaudie des danseurs, des comédiens, des gladiateurs, des cochers? Car voilà la célébrité qu'on poursuit.

Mais vous, prenez un vol qui vous élève au-dessus de ces clameurs, imitez Jean, (335) l'habitant du désert, voyez comme il méprise la foule; comme l'aspect des flatteurs ne l'émeut pas; comme, en voyant tous les habitants de la Palestine l'entourer saisis d'admiration et d'étonnement, il ne s'enorgueillissait point de tant d'honneurs, comme, au contraire, il s'élevait contre eux, et traitant ce peuple comme un enfant, il les réprimandait en disant : " Serpents, race de vipère ". (Matth. III, 7.) Cependant c'était à cause de lui qu'ils accouraient, c'était pour voir cette tête sacrée qu'ils abandonnaient les villes; mais rien de tout cela ne l'amollissait : tant il était ennemi de la gloire et exempt d'orgueil.

Ainsi encore Etienne voyant ce même peuple, non plus l'entourant de respect, mais saisi de fureur et grinçant les dents, s'élevait au-dessus de cette tempête et disait : " Hommes à tête dure et aux coeurs incirconcis ". (Act. VII.) Ainsi Elie, en présence de deux armées, du roi et de tout le peuple, disait : " Jusqu'à quand boiterez-vous des deux côtés? " (III Rois, XVIII, 21.) Mais nous , nous flattons tout le monde, nous nous mettons au service de tout le monde, afin d'acheter l'honneur au prix de notre servilité. Voilà pourquoi tout est sens dessus dessous, nous perdons la grâce, le christianisme est trahi, et on néglige tout pour acquérir l'estime de la foule. Chassons donc ce vice, et nous saurons alors ce que c'est que la liberté, le port, le calme. Car l'ami de la vaine gloire ressemble aux gens battus de la tempête; toujours il tremble, toujours il craint, ayant mille maîtres à servir; tandis que celui qui est exempt de cette tyrannie, ressemble à ceux qui sont au port et jouissent d'une sécurité parfaite. Tout autre est la situation de celui-là; plus il est connu, plus il a de maîtres, obligé qu'il est de les servir tous. Comment donc nous débarrasserons-nous de ce terrible esclavage ? En aimant l'autre gloire, la véritable gloire. Car comme ceux qui aiment les corps sont détachés d'une figure moins belle par une figure plus belle; ainsi, par son éclat, la gloire céleste pourra détacher les amants de la gloire terrestre. Contemplons-la donc, apprenons à la bien connaître, afin que, saisis d'admiration pour sa beauté, nous ayons horreur de la difformité de l'autre, et que nous goûtions en elle une grande et perpétuelle volupté. Puissions-nous tous l'obtenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui la gloire , l'empire, l'honneur appartiennent au Père et en même temps au Saint-Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XVIII. COMMENT DONC INVOQUERONT-ILS CELUI EN QUI ILS N'ONT POINT CRU? COMMENT CROIRONT-ILS EN CELUI QU'ILS N'ONT PAS ENTENDU? ET COMMENT ENTENDRONT-ILS SI PERSONNE NE LES PRÊCHE ? ET COMMENT PRÊCHERA-T-ON SI ON N'EST PAS ENVOYÉ? COMME IL EST ÉCRIT. (X, 14, 15, JUSQU'A XI, 6.)
336

Analyse.

1. Comment saint Paul continue à résoudre toutes les difficultés que les Juifs soulevaient contre la foi en Jésus-Christ. — Le salut dépend de l'invocation du nom du Seigneur Jésus; l'invocation dépend de la foi ; la foi, de l'audition ; l'audition, de la prédication ; et la prédication, de la mission : or, les apôtres ont reçu cette mission. — Il ne faut pas vouloir ne s'en rapporter qu'aux miracles, ta foi vient de l'audition de la parole de Dieu.

2. Les Juifs ne peuvent dire qu'ils n'ont pas entendu la prédication, puisqu'elle a éclaté dans tout l'univers; ni qu'ils ne l'ont pas comprise, puisque les prophéties d'Isaïe et de Moise touchant la vocation et la conversion des Gentils, ont dû leur ouvrir les yeux. — Ce qui aggrave encore la faute des Juifs, c'est que Dieu n'a pas cessé de les appeler et qu'ils se sont obstinés dans une incrédulité et une contradiction également prédites par les prophètes.

3. Les expressions : Je me suis montré, j'ai été trouvé, marquent l'action de la grâce, sans exclure le mérite de ceux qui ont su voir et trouver.— Cependant Dieu n'a pas rejeté absolument son peuple.

4. Celui dont Dieu a prévu qu'il croirait en Jésus-Christ , il ne l'a point rejeté. — Il en est de lui comme de ceux qui demeurèrent fidèles au temps d'Elie. — Quoique la promesse regarde tout le peuple, il n'y a cependant de sauvés que ceux qui en sont dignes, et que ceux que Dieu s'est réservés selon l'élection de sa grâce.

5-7. De la reconnaissance des grâces de Dieu. — En quoi consiste la véritable action de grâces. — De l'excellence d'une âme chrétienne.

1. Encore une fois, il leur ôte tout espoir de pardon. Après avoir dit : " Je leur rends ce témoignage qu'ils ont du zèle pour Dieu, mais non selon la science "; et encore : " Ignorant la justice de Dieu, ils ne se sont pas soumis ", il montre qu'ils doivent être punis de Dieu pour cette ignorance. Il ne le dit cependant pas aussi expressément; mais il le prouve en procédant par interrogation, et en tissant tout ce passage d'objections et de réponses, pour rendre sa proposition plus évidente. Examinez un peu. " Autrefois ", dit-il, " le prophète a dit : Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé ". Mais quelqu'un objectera peut-être : Comment invoqueront-ils celui en qui ils n'ont point cru? Après quoi, une question de sa part, après l'objection : Et pourquoi n'ont-ils pas cru? Puis une objection encore : Car on pourrait évidemment dire : Comment croiront-ils sans avoir entendu? Or, répond-il, ils ont entendu. Puis encore une autre objection : Et comment ont-ils pu entendre, si personne ne les prêchait? Ensuite la solution : Or, beaucoup ont prêché et ont été envoyés pour cela. Et comment voit-on que ces prédicateurs ont été envoyés ?Alors Paul invoque le témoignage du prophète qui dit: " Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix, qui annoncent le bonheur ! (Is. LII, 7.) Voyez-vous comme il désigne les prédicateurs par le genre même de la prédication? Ils ne prêchaient pas autre chose que le bonheur ineffable et la paix qui s'était faite entre Dieu et les hommes. Ainsi, dit-il, en ne croyant pas, ce n'est pas à notre parole que vous êtes incrédules, mais à celle d'Isaïe, qui a annoncé, depuis bien des années, que nous serions envoyés, que nous prêcherions et que nous dirions ce que nous avons dit. Si donc le salut dépend de l'invocation; l'invocation, de la foi; la foi, de l'audition; l'audition, de la prédication, et la prédication, de la mission; les apôtres ont reçu la mission et ils ont prêché, et (337) le prophète s'en allait avec eux, pour les montrer, les proclamer et dire : Voilà ceux que j'ai annoncés dès les anciens temps, ceux dont j'ai chanté les pieds à cause de l'objet de leur prédication. Il est donc clair que s'ils n'ont pas cru, c'est de leur faute : car Dieu a tout fait de son côté.

" Mais tous n'ont pas obéi à l'Evangile. Car Isaïe dit : Seigneur, qui a cru à ce qu'il a ouï de nous? Donc la foi vient par l'audition et l'addition par la parole de Dieu " (16, 17.) On faisait une autre objection en disant : Si ceux-là étaient les envoyés, et les envoyés de Dieu, comment n'ont-ils pas persuadé tout le monde? Or, voyez la prudence de Paul, et comme il démontre que ce qui causait le trouble des incrédules était précisément ce qui devait l'empêcher. Qu'est-ce qui vous scandalise? ô Juif, leur dit-il. Vous vous étonnez de ce que tous n'ont pas cru à l'Evangile, après un témoignage d'une telle nature, d'une telle autorité, après la démonstration par les faits? C'est précisément ce fait que tous n'ont pas obéi, qui, joint aux autres preuves, doit vous faire ajouter foi à ce que nous disons Car le prophète l'avait prédit dès les temps anciens. Voyez- cette admirable sagesse , comme il démontre plus qu'on ne s'y attendait, plus qu'on n'en pouvait réfuter. Qu'objectez-vous? leur dit-il. Que tous n'ont pas obéi à l'Evangile? Mais Isaïe l'avait annoncé d'avance ; il avait non seulement annoncé cela, mais beaucoup plus encore. En effet, vous objectez que tous n'ont pas obéi à l'Evangile; or, Isaïe en a prédit davantage. Que dit-il donc? " Seigneur, qui a cru à ce qu'il a ouï de nous? "

Ensuite, après avoir détruit cette cause de trouble en citant le témoignage du prophète, Paul revient à son premier sujet. En effet, après avoir dit qu'il faut pour se sauver invoquer le nom de Jésus-Christ, que, pour l'invoquer, il faut croire, que pour croire, il faut entendre, que pour entendre, il faut des prédicateurs à qui on prête l'oreille ; que pour prêcher il faut être envoyé, et avoir démontré que des prédicateurs ont été envoyés et que la prédication a eu lieu; sur le point de présenter une autre objection, il prend occasion de l'autre témoignage du prophète, qui lui a servi à résoudre l'objection qu'il vient dé rapporter, et il rattache et entrelace ainsi la seconde objection à la première. En effet, comme il a cité cette parole du prophète : " Seigneur, qui a cru à ce qu'il a ouï de nous ? " Saisissant à propos ce témoignage, il dit : " La foi vient donc par l'audition ". Il ne se contente pas de dire cela; mais comme en tout temps les Juifs demandaient continuellement des miracles, et voulaient tous les jours voir ressusciter des morts, il leur dit que le prophète a annoncé que la foi doit nous venir par l'audition. Voilà pourquoi il commence par là et dit : " La foi vient donc par l'audition ". Ensuite, comme ce point paraissait de peu d'importance, voyez comme il le relève : Je ne prétends pas simplement, dit-il, qu'il faut écouter, ni qu'il faut écouter des paroles humaines et y croire, mais je parle d'une audition de grande importance : L'audition de la parole de Dieu. Car les apôtres ne parlaient pas d'eux-mêmes, mais ils annonçaient ce qu'ils avaient appris de Dieu : ce qui est le plus grand des miracles. Car il faut également croire et obéir à Dieu, soit qu'il parle, soit qu'il fasse des prodiges. Car les oeuvres et les miracles sont les fruits de sa parole, puisque c'est ainsi que le ciel et la terre ont été créés.

2. Après avoir démontré qu'il faut croire aux prophètes qui annoncent toujours la parole de Dieu et qu'il ne faut rien demander de plus que l'audition, il produit l'objection dont j'ai parlé et dit : " Cependant, je le de" mande : est-ce qu'ils n'ont pas entendu? " — Mais, dira-t-on, si les prédicateurs ont été envoyés, et s'ils ont prêché ce qu'ils avaient reçu l'ordre de prêcher, et qu'on n'ait point entendu ? — Voici la solution complète de l'objection. " Certes, leur voix a retenti par toute la terre , et leurs paroles jusqu'aux extrémités du monde (18) ". Que dites-vous? demande-t-il. lis n'ont pas entendu? Le monde entier et les extrémités de la terre out entendu et vous chez qui les prédicateurs ont passé si longtemps, de la race desquels ils étaient, vous n'avez pas entendu? Est-ce possible? Si les extrémités de la terre ont entendu, à plus forte raison vous.

Puis vient une autre objection. " Je demande encore : Est-ce qu'Israël n'a point connu (19)?... " Et que direz-vous s'ils ont entendu et qu'ils n'aient point compris ce qu'on disait ni su que les prédicateurs étaient envoyés de Dieu ? Cette ignorance ne les excuse t-elle pas? Nullement. Car Isaïe a caractérisé les prédicateurs en disant : " Qu'ils (338) sont beaux les pieds de ceux qui annoncent la paix ! " Et, avant lui, le législateur lui-même en avait parlé. Aussi Paul ajoute-t-il " Moïse le premier a dit : Je vous rendrai jaloux d'un peuple qui n'en est pas un; je vous mettrai en colère contre une nation insensée ". (Deut. XXXII, 21.) Ainsi il fallait reconnaître les prédicateurs, non-seulement parce qu'on n'ajoutait pas foi à leur parole , non-seulement parce qu'ils prêchaient la paix, non-seulement parce qu'ils annonçaient le bonheur et que leur parole se répandait dans le monde entier, mais encore parce que les Juifs voyaient les nations, jusqu'alors inférieures à eux, plus honorées qu'eux. En effet, les gentils admettaient tout à coup une philosophie dont ni eux ni leurs pères n'avaient ouï parler : ce qui était un insigne honneur, ce qui les irritait, provoquait leur jalousie et rappelait la parole de Moïse : " Je vous rendrai jaloux d'un peuple qui n'en est pas un ". Et ce n'était pas seulement un si grand honneur qui excitait leur jalousie, mais encore de voir que le peuple appelé à jouir de ces biens avait été si misérable jusque-là qu'il ne méritait même pas d'être regardé comme un peuple. " Je vous rendrai jaloux d'un peuple qui n'en est pas un, je vous mettrai en colère contre une nation insensée ". En effet, qu'y avait-il de plus insensé que les gentils? Quoi de plus méprisable? Voyez comme Dieu leur donnait de toutes façons des indices et des signes évidents de ces temps, de manière à ouvrir les yeux des aveugles. Car tout cela ne s'est pas passé dans un lieu obscur, mais sur toutes les terres et les mers, mais dans le monde entier; ils ont vu jouir de bienfaits sans nombre ceux-là même qu'ils méprisaient auparavant. Il fallait donc reconnaître que c'était là le peuple dont Moïse parlait : " Je vous rendrai jaloux d'un peuple qui n'en est pas un , je vous mettrai en colère contre une nation insensée ".

Mais Moïse était-il le seul qui l'eût dit? Non : Isaïe l'avait répété après lui. Aussi Paul dit-il : " Moïse le premier " pour montrer qu'il en viendra un second qui dira les mêmes choses plus ouvertement et plus clairement. Comme donc il avait dit plus haut : " Isaïe s'écrie " , il dit ici : " Isaïe ne craint pas de dire... (20) ". Voici la pensée de l'apôtre : Le prophète dit hautement et résolument, il n'a point voulu laisser d'ombre, il a osé mettre les choses à nu devant nos yeux; il a mieux aimé s'exposer au danger en parlant clairement, que de pourvoir à sa propre sûreté en laissant un prétexte à votre ingratitude, quoique le propre de la prophétie né soit pas de parler si clairement. Cependant pour vous fermer absolument la bouche, il a tout prédit avec clarté, avec précision. Tout ! dites-, vous : mais quoi, enfin? Votre déchéance et l'initiation des gentils, quand il disait : "J'ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas, je me suis montré à ceux qui ne me demandaient pas ". (Is. LXV, 1.) Quels étaient donc ceux qui ne le cherchaient pas? quels étaient ceux qui ne le demandaient pas? Évidemment ce n'étaient pas les Juifs, mais bien les nations qui ne l'avaient pas connu. Ainsi comme Moïse les avait caractérisées, en disant : " Un peuple qui n'en est pas un ", et encore : " Une nation insensée " ; de même ici le prophète les désigne par le même indice, à savoir leur extrême ignorance. Et c'était là le plus grave reproche à l'adresse des Juifs : que ceux qui ne cherchaient pas avaient trouvé, tandis qu'eux s'étaient perdus en cherchant.

Et à Israël il dit : " Tout le jour j'ai tendu les mains à ce peuple incrédule et contredisant ". Voyez comme la difficulté, comme le doute proposé par un grand nombre, est démontré avoir sa solution, dès les temps anciens, dans les paroles des prophètes? Quelle était cette difficulté? Vous avez entendu Paul dire plus haut : " Que dirons-nous donc ? Que

les gentils qui ne cherchaient point la justice ont embrassé la justice ; et qu'Israël, au contraire , en recherchant la justice , n'est point parvenu à la loi de justice ". C'est aussi ce que dit Isaïe ; car ces paroles : " J'ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas, je me suis montré à ceux qui ne me demandaient pas ", ont le même sens que celle-ci : " Les gentils, qui ne cherchaient point la justice, ont embrassé la justice ". Ensuite, pour nous montrer que la conversion des gentils n'est pas seulement l'effet de la grâce, mais aussi de leur bonne volonté, écoutez ce qu'il ajoute : " Et à Israël il dit : " Tout le jour j'ai tendu les mains à ce peuple incrédule et contredisant " ; désignant ici par le mot jour tout le temps passé, et par ces expressions : " J'ai tendu les mains ", la vocation, l'attrait et les invitations. Ensuite, pour (339) indiquer tout le crime des Juifs, il dit: " A ce peuple incrédule et contredisant ".

3. Voyez-vous quelle grave accusation? Ils n'ont point obéi à l'appel de Dieu, mais ils l'ont contredit non pas une fois, ni deux, ni trois, mais tant qu'ils ont vu Dieu le faire; et d'autres qui ne connaissaient point -e Dieu ont pu se l'attirer. Paul ne dit pas qu'ils ont pu se l'attirer, mais pour ne pas donner d'orgueil aux gentils, et montrer que la grâce divine a tout fait, il dit : " Je me suis montré ", et : " J'ai été trouvé ". Donc, direz-vous, les gentils sont donc sans mérite ? Erreur; ils ont su saisir ce qu'ils ont trouvé , reconnaître ce qui s'est montré , voilà leur part. Et pour que les Juifs ne disent pas Pourquoi ne s'est-il pas montré à nous? Dieu leur répond par quelque chose de plus : non-seulement je me suis montré , mais j'ai attendu, les mains tendues, exhortant, déployant la sollicitude d'un père aimant, d'gne mère tendre. Voyez quelle solution claire et nette Paul a donné à toutes les difficultés proposées plus haut, en montrant aux Juifs que leur perte est le résultat de leur volonté et qu'ils sont absolument indignes de pardon. En effet, bien qu'ils eussent entendu et compris ce qui leur avait été dit, ils ne voulurent point se rendre. Bien plus : non-seulement Dieu avait eu soin de leur faire tout entendre et tout comprendre; mais il y avait ajouté ce qui était le plus propre à les exciter, à attirer des hommes amis de la contention et de la contradiction. Qu'était-ce donc? Il les avait piqués au vif, il avait éveillé leur jalousie. Vous connaissez la force de cette passion, la vertu de la jalousie pour terminer toute discussion et relever les défaillances. Et à quoi bon parler des hommes, quand nous en voyons l'effet même chez les animaux et chez les enfants de l'âge le plus tendre? En effet, souvent le petit enfant ne cède pas aux invitations de son père et montre de l'obstination; mais quand il en voit caresser un autre, il revient, sans être invité, au sein paternel, et la jalousie produit ce que n'avait pu faire une simple exhortation. Ainsi Dieu a agi. Non-seulement il a exhorté, tendu les mains; mais il a aussi éveillé en eux le sentiment de la jalousie, en appelant des peuples qui leur étaient bien inférieurs (ce qui est le plus sûr moyen de rendre jaloux), en les appelant, dis-je, non à jouir de leurs avantages, mais chose plus grave et plus irritante, à posséder des biens beaucoup plus considérables et plus nécessaires, et tels que les Juifs eux-mêmes n'eussent jamais osé les rêver. Et pourtant ils ne se sont pas rendus. Comment donc seraient-ils excusables d'avoir montré une telle obstination ? C'est impossible. Toutefois Paul ne dit pas cela expressément; mais il laisse à la conscience de ses auditeurs le soin de tirer cette conséquence de tout ce qu'il vient de dire, et il continue à donner la preuve avec sa sagesse accoutumée.

En effet, comme précédemment, il a présenté des objections sur la loi et sur le peuple, objections renfermant l'accusation la plus grave; et qu'ensuite dans la solution destinée à réfuter cette accusation, il a fait toutes les concessions qu'il a voulu et que le sujet comportait, de peur que son langage ne parût blessant ; ainsi fait-il encore ici, en écrivant

" Je dis donc : Est-ce que Dieu a rejeté son peuple, qu'il a connu dans sa prescience? " Loin de là (XI, 1) ". Il a l'air d'un homme embarrassé; comme s'il prenait son début dans ce qu'il vient de dire, il pose une question effrayante; puis il la détruit et dispose par là â accepter ce qui va suivre, et prouve encore ici ce qu'il avait pour but de démontrer dans tout ce qui précède. Qu'est-ce donc ? Que la promesse subsiste, malgré le petit nombre de ceux qui sont sauvés. C'est pourquoi il ne dit pas simplement " Son peuple ", mais il ajoute " Qu'il a connu dans sa prescience ". Ensuite il donne la preuve que Dieu n'avait point rejeté son peuple. " Car ", dit-il, " moi-même je suis israélite, de la race d'Abraham, de la tribu de Benjamin ". Moi, le docteur, moi le prédicateur. Et comme cela semblait contredire ce qui a été dit plus haut, à savoir : " Qui a cru à ce qu'il a ouï de nous? " et encore: "Tous les jours j'ai tendu les mains à ce peuple incrédule et contredisant "; et aussi: " Je vous rendrai jaloux d'un peuple qui n'en est pas un " : il ne se contente pas de nier et de dire : "Loin de là "; mais il y revient une seconde fois en disant: " Dieu n'a pas rejeté son peuple (2) ". Mais direz-vous, c'est là une affirmation et non une preuve. Voyez donc la première preuve et celle qui suit. La première, c'est qu'il était juif; or, si Dieu eût rejeté son peuple, ce n'est pas chez lui qu'il aurait choisi l'homme à qui confier toute la prédication, les intérêts du monde entier, tous les mystères, toute l'administration. Voilà (340) d'abord une preuve; la seconde est dans ces mots: " Son peuple qu'il a connu dans sa prescience ", c'est-à-dire qu'il connaissait parfaitement comme propre à recevoir la foi et comme devant la recevoir. Car trois mille, cinq mille et une foule d'autres avaient cru.

4. Et pour qu'on ne dise pas : Etes-vous donc le peuple? Parce que vous avez été appelé, le peuple l'a-t-il été ? il ajoute : " Il n'a pas repoussé son peuple qu'il a connu par sa prescience. " C'est comme s'il disait : Il y en a avec moi trois mille, cinq mille, dix mille. Quoi donc? c'est à trois mille, à cinq mille, à dix mille que se réduit cette race qui devait égaler en nombre les astres du ciel et les grains de sables de la mer? Et vous nous trompez, vous vous jouez de nous, jusqu'à vous donner pour tout un peuple, vous et quelques autres avec vous? Et vous nous avez nourris de vaines espérances en nous disant que la promesse s'accomplirait, tandis que tous périssent et qu'un petit nombre seulement sont sauvés? C'est là de la jactance et de l'orgueil, et nous ne pouvons supporter ces sophismes. Pour prévenir ce langage, voyez comme il amène la solution dans ce qui va suivre, sans poser l'objection, mais en la résolvant d'avance par un argument tiré de l'histoire ancienne. Quelle est donc cette solution? " Ne savez-vous pas", leur dit-il " ce que l'Ecriture dit d'Elie, comment il interpelle Dieu contre Israël en disant : Seigneur, ils ont tué vos prophètes, ils ont démoli vos autels; et moi, je suis resté seul, et ils recherchent mon âme. Mais que lui dit la réponse divine? Je me suis réservé sept mille hommes qui n'ont point fléchi le genou devant Baal. De même donc, en ce temps aussi, un reste a été sauvé selon l'élection de la grâce (3-5)".

Ce qui veut dire : Dieu n'a point rejeté son peuple; car s'il l'eût rejeté, il n'aurait reçu personne; et s'il en a reçu quelques-uns, c'est qu'il ne l'a point rejeté. Mais, dira-t-on, s'il ne l'avait point rejeté, il aurait reçu tout le monde. Point du tout, car si, dans le temps d'Elfe, il n'y en eut que sept mille de sauvés, on ne peut nier qu'aujourd’hui un grand nombre croient. Si vous ignorez ce nombre, cela n'est pas étonnant , puisque Elie, cet homme si grand, si distingué, ne le savait pas lui-même : mais Dieu réglait, ses affaires, à l'insu même du prophète. Et voyez la prudence de Paul; comme, en prouvant sa proposition, il aggrave implicitement l'accusation contre les Juifs. Car il ne cite ce témoignage que pour faire éclater leur ingratitude et montrer qu'elle date de loin. Si ce n'eût été là son but et qu'il eût seulement voulu prouver que le peuple se réduisait à un petit nombre, il se serait contenté de dire que, au temps d'Elie, sept mille hommes étaient réservés; tandis qu'au contraire il cite le passage en entier. Partout en effet il s'attache à leur démontrer qu'ils n'ont rien fait de nouveau à l'égard du Christ et des apôtres, mais qu'ils se sont conformés à leurs habitudes et à leurs traditions. Et pour qu'ils ne disent pas : nous avons fait mourir le Christ comme séducteur et les apôtres comme imposteurs, il produit le témoignage qui dit : " Seigneur, ils ont tué vos prophètes, ils ont démoli vos autels ".

Mais pour ne pas les blesser, il donne à cette citation un autre motif : car ce n'est pas une accusation qu'il à principalement en vue, mais il semble se proposer autre chose, et il leur ôte ainsi toute excuse même d'après l'histoire du passé. Et voyez comme l'accusation prend du poids d'après l'autorité du personnage ! En effet ce n'est ni Paul, ni Pierre, ni Jacques, ni Jean, qui les accusent ; mais l'homme qu'ils admiraient le plus, le chef des prophètes, l'ami de Dieu, celui qui brûlait de zèle pour eux jusqu'à endurer la faim, celui qui n'est pas encore mort aujourd'hui. Que dit-il donc? " Seigneur, ils ont tué vos prophètes, ils ont démoli vos autels; et moi, je suis resté seul, et ils me cherchent pour m'ôter la vie ". Quoi de plus cruel, de plus barbare que cette conduite? Au lieu de prier pour leurs crimes passés, ils voulaient encore mettre à mort Elie : ce qui les rendaient absolument indignes de pardon. Car ce n'était pas sous l'empire de la faim, mais au milieu de l'abondance, quand l'opprobre d'Israël était levé, les démons confondus, la puissance de Dieu manifestée, le roi humilié, qu'ils osaient méditer de tels crimes, passant du meurtre au meurtre, et mettant à mort leurs maîtres, ceux qui s'attachaient à corriger leurs moeurs.

Qu'avaient-ils à dire ? Ceux-là étaient-ils aussi des séducteurs? Ne savaient-ils pas d'où ils étaient? — Mais ils vous attristaient, dites-vous? — Oui, mais ils vous disaient des choses utiles. Et ces autels ? Vous avaient-ils aussi contristés ? Vous avaient-ils irrités ? Voyez (341) quelles preuves d'obstination, d'insolence, ils ont toujours données ! Voilà pourquoi Paul dit ailleurs, en écrivant aux Thessaloniciens " Vous avez souffert, vous aussi, ce qu'elles " (les Eglises de Dieu) " ont souffert elles-mêmes des Juifs qui ont tué même le Seigneur et leurs propres prophètes, qui nous ont persécutés, qui ne plaisent point à Dieu et qui sont ennemis de tous les hommes ". (I Thess. II, 14, 15.) C'est ce qu'Elie leur dit ici, en leur reprochant d'avoir démoli les autels et tué les prophètes. Mais que lui répond l'oracle divin? "Je me suis réservé sept mille hommes qui " n'ont point fléchi le genou devant Baal ". Mais, direz-vous, quel rapport cela a-t-il avec le présent ? Un très-grand. Car cela prouve que Dieu ne sauve que ceux qui en sont dignes, bien que la promesse s'adresse à tout le peuple. Déjà Isaïe l'avait indiqué en disant : " Le nombre d'Israël fût-il comme le sable de la mer, il n'y aura qu'un reste de sauvé ", et encore : " Si le Seigneur des armées ne nous avait réservé un rejeton, nous serions devenus comme Sodome ". (Rom. IX, 27-29.) C'est sur ces textes que Paul appuie ses preuves; puis il ajoute : " De même donc, en ce temps aussi, un reste a été sauvé, selon l'élection de la grâce ".

5. Voyez comme chaque expression a sa valeur propre, et montre la grâce de Dieu et la bonne volonté de ceux qui sont sauvés. En effet, en disant : " L'élection ", il indique leur mérite, et en ajoutant : " De la grâce ", il fait voir le don de Dieu. " Mais si c'est par la grâce, ce n'est donc point par les oeuvres ; autrement la grâce ne serait plus grâce (6)". Or si c'est par les oeuvres ce n'est plus une grâce, autrement l'oeuvre ne serait plus une oeuvre. Après avoir dit cela, il revient encore sur l'obstination des Juifs, la combat et leur ôte par là toute excuse. Vous ne pouvez pas, leur dit-il, objecter que, si les prophètes vous appelaient, si Dieu vous exhortait, si les faits mêmes élevaient la voix, alors que la jalousie aurait suffi, à elle seule, à vous attirer : objecter, dis-je, que les commandements étaient difficiles, que vous ne pouviez pas avancer parce qu'on exigeait de vous des actes, des efforts pénibles : non, vous ne pouvez pas employer ce prétexte. Comment Dieu aurait-il pu exiger de vous ce qui eût atténué l'effet de sa grâce? En disant cela, il veut leur montrer que Dieu désirait vivement leur salut. En effet

non-seulement leur salut eût été facile, mais Dieu en eût retiré une très-grande gloire, en faisant ainsi éclater sa bonté. Pourquoi donc craigniez-vous d'avancer, quand on n'exigeait point de vous les oeuvres? Pourquoi vous soulever et discuter, quand la grâce vous est offerte, et. parler de loi au hasard et sans fruit? Cela ne vous sauvera pas, et vous perdrez le don. En rejetant obstinément cette voie de salut, vous détruisez la grâce de Dieu. Et pour qu'on ne trouve pas ce langage étrange, il affirme que les sept mille dont il a parlé, ont été sauvés par la grâce. En effet, en disant que, dans ce temps aussi; un reste a été sauvé selon l'élection de la grâce, il indique que ces sept mille ont été sauvés par la grâce. Et il ne dit pas cela seulement; car par ces expressions : " Je me suis réservé ", Dieu fait entendre que c'est à lui qu'appartient en cela le rôle principal.

Mais, dira-t-on, si on est sauvé par la grâce, pourquoi ne le sommes-nous pas tous? Parce que vous ne le voulez pas : car la grâce, toute grâce qu'elle est, sauve ceux qui veulent être sauvés, et non ceux qui ne veulent pas l'être, ceux qui la repoussent, et sont continuellement en guerre et en opposition avec elle. Le voyez-vous s'attacher sans cesse à prouver : " Que la parole de Dieu n'est pas restée sans effet " (Rom. IX, 6), et faisant voir que la promesse s'est réalisée pour ceux qui en étaient dignes, et qu'ils ont pu, quoiqu'en petit nombre, former le peuple de Dieu? Du 'reste, au commencement de son épître, il exprime cette vérité avec plus de force, quand il dit : " Car qu'importe, si quelques-uns n'ont pas cru ? " (Rom. III, 3), et, ne s'en tenant pas là, il ajoutait : " Dieu est véritable, mais tout homme est menteur ". Maintenant il donne une autre preuve de cette vérité, montre la force de la grâce, et affirme encore que les uns sont sauvés et les autres perdus.

Rendons donc grâces d'être du nombre des sauvés, et de l'avoir été par le don de Dieu, puisque nous ne pouvions pas l'être par nos oeuvres. Et ne soyons pas seulement reconnaissants en paroles , mais en actions et en pratique. Car la véritable reconnaissance c'est de faire ce qui doit procurer de la gloire à Dieu, c'est de fuir les maux dont nous avons été délivrés. Si après avoir injurié un roi , nous étions récompensés au lieu d'être punis, et que nous l'insultassions de nouveau ; (342) convaincus par là d'une ingratitude extrême, nous serions justement punis du dernier supplice, bien plus sévèrement que nous ne l'eussions été la première fois. En effet, le premier outrage aurait moins fait voir notre ingratitude que le second, infligé après le pardon, après l'honneur reçu. Fuyons donc les maux dont nous avons été délivrés, ne soyons pas reconnaissants seulement en paroles, et qu'on ne dise pas de nous : " Ce peuple m'honore des lèvres, mais par le coeur, il est loin de moi ". (Ps. XXIX,13.) Comment ne serait-il pas absurde que, pendant que les cieux racontent la gloire de Dieu, vous, pour qui ont été faits ces cieux qui glorifient Dieu , vous fissiez blasphémer par votre conduite celui qui vous a créés? Aussi ce n'est pas seulement le blasphémateur qui sera puni, mais vous subirez aussi le châtiment. Car ce ne sont pas les cieux qui élèvent la voix pour glorifier Dieu, mais ils y excitent les hommes par leur aspect, et voilà pourquoi on dit qu'ils racontent la gloire de Dieu. Ainsi ceux qui mènent une vie édifiante, glorifient Dieu, même en gardant le silence, parce qu'ils le font glorifier par d'autres. Car le ciel n'excite pas autant l'admiration qu'une vie pure. Aussi quand nous parlons aux gentils, ce n'est pas le ciel que nous leur montrons, mais ces hommes qui étaient pires que des animaux et que Dieu a faits les émules des anges. C'est en leur parlant de ce changement que nous leur fermons la bouche.

6. Car l'homme vaut mieux que le ciel, et il peut donner à son âme une beauté, que le ciel n'a point. Depuis longtemps on voyait le ciel, et cet aspect n'a guère converti; Paul n'a prêché que peu de temps et il a attiré à lui le monde entier. C'est qu'il possédait une âme qui n'était point inférieure au ciel et capable de tout attirer à elle. Notre âme n'est pas même digne de la terre, et la sienne était comparable aux cieux. En effet, le ciel reste dans ses limites propres, et observe des lois fixes; mais l'âme de Paul surpassait en hauteur tous les cieux et vivait familièrement avec le Christ même ; et sa beauté était telle que Dieu lui-même la proclamait. Les anges admirèrent les astres au moment de leur création; mais Dieu lui-même admira Paul, en disant : " Il est pour moi un vase d'élection ". (Act. IX, 15.) Souvent les nues voilent le ciel; jamais la tentation n'obscurcit l'âme de Paul; mais au milieu des tempêtes il paraissait plus brillant que les feux du midi et ne perdait rien de l'éclat qu'il avait avant l'orage. Car le soleil qui brillait en lui lançait des rayons que toutes les tentations réunies ne pouvaient obscurcir, qui en devenaient au contraire plus resplendissants. Aussi Dieu lui disait-il : " Ma grâce te suffit : car ma puissance se fait mieux sentir dans la faiblesse ". (II Cor. XII, 9.)

Imitons-le donc, et ni ce ciel visible, ni le soleil, ni le monde entier ne seront rien en comparaison de nous, si nous le voulons; car ils ont été faits pour nous, et non pas nous pour eux. Montrons que nous sommes dignes qu'ils aient été faits pour nous. Si nous nous en montrons indignes, comment serons-nous dignes du royaume? Et si ceux qui vivent pour blasphémer Dieu sont indignes de voir le soleil, ceux qui blasphèment sont également indignes de jouir des créatures qui glorifient Dieu, comme un fils qui outrage son père ne mérite pas d'être servi par des domestiques fidèles. C'est pourquoi les couvres de Dieu seront revêtues d'une grande gloire, tandis que nous subirons le châtiment et la vengeance. Combien donc il serait misérable que des créatures formées pour nous, fussent conformes à la liberté de la gloire des enfants de Dieu ; et que nous, devenus enfants de Dieu, nous fussions, par notre extrême lâcheté, perdus et précipités en enfer : nous pour qui ces créatures jouiront d'une si grande félicité !

Pour que cela n'arrive pas, que ceux qui ont l'âme pure, la conservent en cet état; qu'ils augmentent même son éclat; mais que ceux qui ont l'âme souillée, ne désespèrent pas pour autant : car il est écrit : " Quand vos péchés seraient couleur de pourpre, je les rendrai blancs comme la neige; et quand ils seraient comme du safran, je les rendrai blancs comme la laine ". (Isaïe, I, 18.) Or, quand Dieu promet, n'hésitez pas, mais faites tout ce qu'il faut pour mériter l'exécution de ses promesses. Vous avez commis une multitude d'iniquités? qu'importe ?Vous n'êtes pas encore tombé en enfer, où personne ne se confesse plus; votre rôle n'est pas encore terminé, vous êtes encore dans l'arène, et vous pouvez, par une lutte énergique, réparer toutes vos défaites. Vous n'êtes pas encore descendu où est le mauvais riche, pour vous entendre dire : " Entre vous et nous il y a un abîme " (Luc, XVI, 26) ; l'époux n'est pas encore arrivé, pour qu'on craigne de vous donner (343) de l'huile ; vous pouvez encore en acheter et en verser dans votre lampe. Personne ne vous dit encore : " De peur qu'il n'y en ait pas assez pour nous et pour vous " (Matth. XXV, 9) ; mais le nombre des vendeurs est grand, ceux qui sont nus, ceux qui ont faim, les malades, les prisonniers. Nourrissez les uns, revêtez les autres, visitez ceux qui sont sur. le lit de douleur, et l'huile vous viendra en surabondance. Le jour des comptes n'est pas encore venu. Usez du temps comme il faut; remettez les dettes, dites à celui qui doit cent mesures d'huile : " Prenez votre obligation et écrivez cinquante ". (Luc XVI, 6.) Faites-en autant pour l'argent, pour les paroles, pour tout, à l'exemple de cet économe ; excitez-vous à tenir cette conduite et exhortez y vos proches. Car vous pouvez encore dire tout cela; vous n'êtes pas encore dans la nécessité de recourir à un intercesseur; vous pouvez user de ces conseils et les donner aux autres ; mais quand vous serez sorti de ce monde, vous ne pourrez plus faire ni l'un ni l'autre. Vous qui avez eu de si longs termes, et qui n'avez été utile ni à vous-même ni aux autres, quelle grâce aurez-vous à attendre, quand vous serez aux mains de votre juge?

Faisant donc ces réflexions, travaillons avec ardeur à notre salut, et ne laissons point échapper les occasions que le temps présent nous offre. On peut, oui, on peut jusqu'au dernier souffle se réconcilier avec Dieu; on le peut encore même par son testament, non pas cependant autant que pendant sa vie, mais enfin on le peut. Et comment cela? En inscrivant le Christ parmi vos héritiers, en lui attribuant une part de votre succession. Vous ne l'avez pas nourri pendant. que vous viviez? Au moment du départ, quand vous n'êtes plus en état de jouir, donnez-lui une partie de votre fortune; il est bon, il ne sera point trop sévère avec vous. Sans doute il eût été plus généreux et plus méritoire de le nourrir pendant votre vie; mais si vous ne l'avez pas fait, usez au moins de ce second moyen : donnez-le pour cohéritier à vos enfants. . Et si vous hésitez encore, songez que le Père vous a fait cohéritier de son Fils, et dépouillez votre inhumanité. Quelle excuse aurez-vous, si vous refusez de faire entrer en partage avec vos enfants celui qui vous a donné part à son ciel, et qui a été immolé pour vous? D'autre part, tout ce qu'il a fait, il l'a fait par grâce, et non en acquit de dette, tandis qu'après tant de bienfaits vous êtes devenu son débiteur. Et néanmoins, les choses étant ce qu'elles sont, il vous récompense comme s'il avait reçu un don et non comme ayant recouvré une créance, bien que tout ce qu'il réclame soit à lui.

7. Donnez-lui donc un argent qui désormais vous est inutile, dont vous n'êtes plus le maître, et il vous donnera un royaume dont vous jouirez à perpétuité, et, avec ce royaume, encore tous les biens d'ici-bas. S'il est héritier avec vos enfants, il allégera leur situation d'orphelins, il les garantira de l'injustice, écartera d'eux les embûches, fermera la bouche aux calomniateurs; et s'ils ne peuvent eux-mêmes pourvoir à l'exécution du testament, il s'en chargera et ne permettra pas qu'on en viole les dispositions, et s'il le permet, il n'en sera que plus empressé à les remplir lui-même avec plus de générosité, dès qu'une fois il y aura été inscrit. Constituez-le donc héritier; car c'est vers lui que vous devez aller : c'est lui qui doit porter le jugement sur tout ce que vous aurez fait ici-bas. Mais il y a des hommes tellement misérables, tellement aveugles, que, quoique sans enfants, ils refusent de prendre ce parti et aiment mieux distribuer leur fortune à des parasites et à des flatteurs, à un tel ou un tel, qu'au Christ même qui leur a fait tant de bien. Peut-il y avoir quelque chose de plus déraisonnable? En comparant ces gens-là à des ânes, à des pierres, on n'exprimerait pas encore suffisamment leur stupidité, leur insensibilité; il est impossible de trouver une image qui peigne leur folie et leur déraison. Comment seraient-ils pardonnables de n'avoir pas nourri le Christ pendant leur vie, quand, sur le point d'aller à lui, ils ne veulent pas même lui laisser une petite partie d'une fortune dont ils ne sont plus les maîtres; quand ils sont à son égard dans des dispositions tellement malveillantes, tellement hostiles, qu'ils ne lui donnaient aucune part de leurs biens désormais inutiles pour eux?

Ne voyez-vous pas combien d'hommes ne sont pas même jugés dignes de mourir ainsi, mais sont enlevés par une mort subite? Mais Dieu vous a laissé la faculté de pourvoir à vos intérêts, de disposer de votre fortune et de mettre ordre à tout dans votre maison. Quelle sera donc votre excuse, si malgré la grâce qu'il vous accorde, vous abusez des bienfaits et adoptez une conduite diamétralement opposée (344) à celle de vos pères dans la foi? Car ils vendaient, de leur vivant, tout ce qu'ils possédaient et en apportaient le prix aux pieds des apôtres; et vous, vous ne donnez pas même en mourant la moindre portion de votre bien aux indigents. Certes il serait bien meilleur, bien plus rassurant, de soulager les pauvres pendant sa vie; mais si vous ne le voulez pas, faites au moins, en mourant, quelque acte de générosité. Ce n'est pas là une preuve de grand amour pour le Christ : c'est de l'amour pourtant. Vous ne seriez pas sans doute au premier rang parmi les agneaux; mais ce n'est pas peu de chose d'être avec eux, et non à gauche, au milieu des boucs. Si vous ne faites pas cela , quel salut pouvez-vous espérer, quand la crainte de la mort, l'inutilité de votre fortune, l'intérêt de vos enfants, l'espoir d'obtenir vous-même une grande indulgence dans l'autre vie, n'ont pu vous inspirer des sentiments d'humanité?

C'est pourquoi je vous exhorte à donner, pendant que vous vivez, la plus grande partie de votre bien aux pauvres. S'il en est qui aient l'âme assez étroite pour s'y refuser, qu'ils deviennent au moins humains par nécessité. Pendant votre vie, vous vous attachiez à votre fortune comme si vous eussiez été immortel mais maintenant que vous savez que vous êtes mortel, renoncez à vos desseins, et disposez de vos biens comme un homme qui doit mourir, ou plutôt comme un homme qui doit jouir d'une vie immortelle. Bien que ce que je vais vous dire soit désagréable et même enrayant, il faut cependant que je vous le dise : Comptez le Seigneur parmi vos esclave. Vous affranchissez des esclaves? Affranchissez le Christ de la faim, du besoin, de la prison, de la nudité. Ces mots vous font frissonner? Ce sera bien plus terrible, si vous ne le faites pas. Ce langage vous frappe aujourd'hui de stupeur; mais quand vous serez sorti de ce monde, quand vous entendrez des choses bien autrement terribles, quand vous verrez des supplices que rien ne peut adoucir, que direz-vous? A qui recourrez-vous? Quel aide, quel défenseur invoquerez-vous? Sera-ce Abraham? Il ne vous écoutera pas. Sera-ce les vierges sages? Elles ne vous donneront point d'huile. Sera-ce votre père, votre aïeul? Mais aucun d'eux, quelque saint qu'il soit, n'aura le pouvoir de faire révoquer cette sentence. Par toutes ces considérations, priez, suppliez, rendez-vous propice Celui qui peut seul effacer votre cédule et éteindre les flammes; dès ce moment nourrissez-le, revêtez-le sans relâche; afin de sortir de ce monde avec de bonnes espérances et de jouir dans le ciel des biens éternels. Puissions-nous tous les obtenir par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

HOMÉLIE XIX. QU'EST-IL DONC ARRIVÉ? CE QUE CHERCHAIT ISRAEL, IL NE L'A POINT TROUVÉ; MAIS CEUX QUI ONT ÉTÉ CHOISIS L'ONT TROUVÉ; LES AUTRES ONT ÉTÉ AVEUGLÉS. (XI, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.)
345

Analyse.

1. Réprobation de la masse de la nation juive.

2. Cause de cette réprobation. — Que leur déchéance n'est pas irréparable.

3. L’Evangile devait être et a été annoncé premièrement aux Juifs, mais les juifs ayant refusé de le recevoir, les Gentils sont venus les premiers, pour donner de l'émulation aux Juifs.

4. Que si la déchéance des Juifs a été si utile au monde, de quelle utilité ne sera pas le retour de celte nation qui à la consommation des siècles, rentrera tout entière dans le sein de l'E;lise ?

5. Les Juifs peuvent recouvrer la position qu'ils ont perdue, ils ne doivent donc pas désespérer ; les Gentils pourraient perdre celle qu'ils ont acquise, qu'ils ne soient donc pas trop présomptueux.

6. Les Juifs entrerons toua un jour dans te sein de l'Eglise.

7. Primitivement les Juifs durent leur vocation. à l'incrédulité des nations, de même aujoud'hui les nations doivent leur vocation à l'incrédulité des Juifs. — Cri sublime que pousse saint Paul à la vue des merveilles de la providence de Dieu.

8. Quelles sont les vraies richesses. — Ni la vertu ni le vice des parents n'ont aucune suite pour les enfants, si ceux-ci le veulent. Eloge de l'aumône.

1. Il a affirmé que Dieu n'avait point rejeté son peuple, et pour le prouver, ils eu recours aux prophètes; et après avoir démontré par leur témoignage que la plus grande partie d'Israël a péri, ne voulant pas les accuser encore de lui-même, les blesser par son langage et paraître animé envers eux de dispositions hostiles, il revient à David et à Isaïe, en disant

" Selon qu'il est écrit : Dieu leur a donné un " esprit de torpeur (8) ". Mais il nous faut reprendre les choses de plus haut. Après avoir parlé d'Elie, et montré ce que c'est que la grâce, il ajoute : " Qu'est-il donc arrivé? Ce que, cherchait Israël, il ne l'a point trouvé. C'est autant une accusation qu'une interrogation. Le Juif, nous dit-il, est en contradiction avec lui-même, en cherchant la justice et en ne voulant pas la recevoir. Puis. par l'exemple de ceux qui l'ont reçue, il leur ôte toute excuse et démontre leur ingratitude, en disant : " Mais " ceux qui ont été choisis l'ont trouvé ". Et ceux-là les condamneront. C'est aussi ce que disait le Christ : " Si je chasse les démons par Béelzébub, vos fils, par qui les chassent-ils? " C'est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges ". (Luc, XI, 19.) Pour que personne ne s'en prenne à la nature des choses, et qu'on n'accuse que leur volonté, il fait voir qui sont ceux qui ont trouvé. Aussi parle-t-il en termes énergiques pour signaler la grâce d'en-haut et le zèle de ceux-ci. Car ce n'est pas pour détruire le libre arbitre qu'il affirme qu'ils ont trouvé; mais pour indiquer la grandeur du bienfait, et faire voir que la grâce y a eu la part principale, mais non pas tout. Nous avons aussi l'habitude de dire : Un tel a rencontré, un tel a trouvé, quand il s'agit d'un gain considérable. En effet, ce n'est pas aux efforts de l'homme, mais à la grâce de Dieu que le principal appartient.

" Les autres ont été aveuglés ". Voyez comme il ne craint pas de dire en son propre nom que les autres ont été rejetés. Il l'avait déjà dit, mais en produisant l'accusation des prophètes; ici il le déclare lui-même. Cependant il ne se contente pas de son jugement personnel, et il invoque encore une fois le prophète Isaïe. En effet, après avoir dit: " Ont été aveuglés ", il ajoute : " Selon qu'il est écrit: Dieu leur a donné un esprit de torpeur ". Et (346)

d'où est venu cet aveuglement? Il en a dit les causes plus haut et a tout fait retomber sur leur tête, en montrant que leur obstination déplacée leur a attiré ce malheur. Il le répète encore ici. Car après avoir dit : " Des yeux pour ne pas voir et des oreilles pour, ne pas entendre ", il n'accuse plus que leur esprit de contention. En effet, ayant des yeux pour voir les miracles, et des oreilles pour entendre la merveilleuse doctrine, ils n'ont pu en faire l'usage convenable. Par ce mot: " A donné ", n'entendez pas une action directe, mais la permission. Par l'expression : " Torpeur ", Paul veut dire une disposition de l'âme pour le mal, laquelle n'est pas susceptible de guérison ni de, changement. David a dit ailleurs : " Afin que ma gloire soit un hymne a votre honneur et que je ne tombe pas dans la torpeur " (Ps. XXIX), c'est-à-dire : pour que je ne change pas. Car de même que celui qui est fixé dans la piété, ne change pas aisément; ainsi celui qui est fixé dans le mal, ne change pas non plus avec facilité : car être fixé n'est pas autre chose que d'être attaché et comme cloué. C'est donc pour indiquer leur volonté incorrigible, difficile à changer, qu'il emploie cette expression : " Esprit de torpeur ".

Ensuite pour prouver que leur incrédulité sera punie du dernier supplice, il ramène encore le prophète qui fait les mêmes menaces, mais menaces qui ont eu leur exécution. " Que leur table ", dit David, " devienne pour eux lacet, piège et scandale (9) ". C'est-à-dire que la volupté , que tous les biens changent et disparaissent , et qu'ils deviennent -eux-mêmes faciles à vaincre pour tous. Et pour montrer que ces maux sont la punition de leurs péchés, il ajoute : " Et rétribution. Que leurs yeux s'obscurcissent pour qu'ils ne voient point, et faites que leur dos soit toujours courbé (10) ". Tout cela a-t-il encore besoin d'interprétation ? N'est-ce pas clair pour les moins intelligents? Mais avant toutes nos paroles, l'événement même a prouvé la vérité de ce que nous venons de dire. Quand en effet sont-ils devenus si faciles à vaincre ? Quand donc ont-ils été si aisément pris? Quand Dieu leur a-t-il fait courber le dos? Quand ont-ils subi un tel esclavage? Et le pire c'est que ces malheurs sont irréparables ; ce à quoi le prophète fait aussi allusion. Car il ne dit pas simplement : " Faites que leur dos soit courbé ", mais : " Toujours courbé ". Et si vous disputez sur le résultat final, ô Juif, que le passé vous éclaire sur le présent. Vous êtes descendu en Egypte; mais après deux cents ans, Dieu s'est empressé de vous délivrer de cet esclavage , malgré votre impiété et votre horrible fornication; vous avez été tiré de l'Egypte, et vous avez adoré le veau d'or, vous avez immolé vos fils à Béelphégor; vous avez profané le temple; vous avez commis toute espèce de crimes; vous avez méconnu la nature elle-même; vous avez rempli de vos sacrifices impies les montagnes, les vallées, les collines, les fontaines, les fleuves, les jardins; vous avez tué les prophètes, vous avez démoli les autels, vous avez porté au plus haut degré le vice et l'impiété; et cependant après vous avoir livré aux Babyloniens pendant soixante-dix ans, ii vous a rendu votre première liberté, le temple, la patrie, et même l'antique forme de la prophétie; et les prophètes sont revenus et aussi la grâce de l'Esprit. Bien plus vous n'avez pas même été délaissé pendant le temps de la captivité mais vous avez vu, là, Daniel et Ezéchiel, Jérémie en Egypte, et Moïse dans le désert.

2. Et, après tout cela, vous êtes retourné à votre première malice , vous avez été saisi de vertige, vous avez adopté les lois des gentils sous l'impie Antiochus; puis, livrés pendant un peu plus de trois ans à ce même Antiochus, vous avez remporté sous les Macchabées de glorieuses victoires. Maintenant plus rien de semblable, mais tout le contraire : et ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que la malice a cessé et que la punition s'est aggravée et qu'il n'y a plus d'espérance de changement. Voilà, non pas soixante-dix, ni cent, ni deux cents, mais bien plus de trois cents ans passés, et il n'y a pas une lueur d'espoir, et cela quand vous ne commettez plus l'idolâtrie ni les autres crimes dont vous vous souilliez autrefois.

Quelle en est donc la cause? La vérité a succédé à la figure, la grâce a exclu la loi ; ce que le prophète avait prédit autrefois en disant : " Et faites que leur dos soit toujours courbé ". Voyez-vous l'exactitude de la prophétie, comme elle a annoncé d'avance l'incrédulité, signalé l'esprit de contention, désigné le jugement qui devait suivre, et prédit une punition sans terme? Comme beaucoup de Juifs des plus grossiers ne croyaient point à l'avenir et voulaient en juger d'après le (347) présent, le Christ leur a donné, à ces deux points de vue, une preuve de sa puissance, en exaltant, d'une part, au-dessus des cieux ceux des gentils qui avaient cru, et de l'autre, en réduisant à la dernière désolation et en livrant à des malheurs irréparables ceux des Juifs qui n'avaient pas voulu croire.

Après cette vive attaque, à l'occasion de leur incrédulité et des maux qu'ils souffraient et devaient encore souffrir, Paul mêle quelque consolation à ses paroles, et leur écrit : " Je "dis donc : Ont-ils trébuché de telle sorte " qu'ils soient tombés? Point du tout (11) ". Après leur avoir montré qu'ils sont accablés de maux sans nombre, il songe enfin à les consoler. Et voyez sa prudence ! Il accuse au nom des prophètes, mais il console en son propre nom. Personne, dit-il, ne peut nier qu'ils aient grandement péché; mais voyons si leur chute est telle qu'elle soit irréparable et qu'il n'y ait pas moyen d'y remédier. Or il n'en est pas ainsi. Voyez-vous comme il frappe encore sur eux, et comment, tout en leur faisant espérer une consolation , il les tient sous le poids des péchés qu'ils ont commis et dont tout le monde convient? Mais voyons, nous aussi, quelle est la consolation qu'il leur réserve. Quelle est-elle donc? Quand la plénitude des nations sera entrée, dit-il, alors tout Israël sera sauvé, au temps du second avènement et de la consommation. Il ne dit cependant pas cela immédiatement : après les avoir attaqués vigoureusement, avoir entassé accusations sur accusations, invoqué prophètes sur prophètes, fait retentir les cris d'Isaïe, d'Elie , de David , de Moïse , d'Osée, une fois, deux fois, bien des fois : pour ne pas les jeter dans le désespoir, pour ne pas leur fermer la voie du retour, de peur aussi que les gentils qui avaient cru n'en conçussent de l'orgueil, et ne souffrissent par là même préjudice en leur foi, il en vient enfin à les consoler et leur dit : " Mais par leur péché le salut est venu aux gentils ".

Il ne nous suffit pas d'entendre ces paroles; nous devons connaître l'intention et le but dé celui qui les prononce , 'savoir à quelle fin il tend : ce que je demande toujours de votre charité. Si , en effet, nous étudions ce texte dans cet' esprit, nous verrons qu'il ne renferme aucune difficulté. Or, le but que Paul se propose maintenant, c'est de détruire l'orgueil que ses paroles auraient pu inspirer aux gentils; en apprenant à être modestes, ils devaient être plus solides dans leur foi , et les Juifs, sauvés du désespoir, venir à là grâce avec plus de confiance. Ayant donc -cette intention présente à la pensée, écoulons maintenant ce que renferme ce passage. Que dit donc l'apôtre? Comment prouve-t-il que la chute n'est pas irréparable , qu'ils ne sont point rejetés à jamais? Il le prouve par les gentils eux-mêmes, en disant : " Par leur pé" ché, le salut est venu aux gentils, qui devaient ainsi leur donner de l'émulation ". Et ce n'est pas seulement Paul qui parle ainsi, mais c'est aussi le sens des paraboles de l'Evangile. En effet le roi qui avait préparé la noce de son fils, voyant que ceux qui étaient invités ne voulaient pas venir, envoya chercher ceux qui étaient dans les carrefours. Et celui qui avait planté une vigne, voyant son fils tué par l'es vignerons, la confia à d'autres. En dehors des paraboles , le Christ disait encore : " Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël ". (Matth. XV, 24.) Il a même dit quelque chose de plus à la syro-phénicienne qui lui faisait instance : " Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens ". (Ib. XXVI.) Et Paul disait aux Juifs qui se soulevaient : " C'était à vous qu'il fallait d'abord annoncer la parole de Dieu; mais puisque vous vous jugez indignes, voilà que nous nous tournons vers les gentils ".

3. Tout démontre que l'ordre des choses exigeait que les Juifs vinssent les premiers et les gentils après eux; mais comme les Juifs ne voulurent pas croire, l'ordre fut renversé, et leur incrédulité et leur chute ont fait passer les gentils les premiers. Voilà pourquoi l'apôtre dit : " Par leur péché, le salut est venu aux gentils, qui devaient ainsi leur donner à de l'émulation ". Que s'il placé en premier lieu ce qui ne doit venir qu'au second rang, ne vous en étonnez pas ; il veut consoler leurs âmes affligées. Or, voici ce qu'il veut dire Jésus est venu chez les Juifs; ils ne l'ont point reçu malgré ses nombreux prodiges; mais ils l'ont crucifié; alors il a attiré à lui les nations, pour faire ressortir, par l'honneur qu'il leur accordait, l'insensibilité des Juifs et les déterminer à venir, en excitant leur jalousie contre les gentils. Il fallait en effet qu'ils reçussent la foi les premiers, et nous ensuite; c'est pourquoi Paul disait : " Car il " (l’Evangile) " est (348) la vertu de Dieu pour sauver tout croyant, le Juif d'abord, et puis le Grec " (Rom. I, 16) ; mais comme ils ont résisté, nous qui étions les seconds, nous sommes devenus les premiers. Voyez-vous quel honneur il sait tirer de là pour eux; d'abord en disant que nous n'avons été appelés que parce qu'ils ont refusé: ensuite en affirmant que nous n'avons pas été appelés seulement pour être sauvés, mais afin qu'excités à l'émulation par notre salut, ils en devinssent meilleurs. Quoi donc? direz-vous : Sans les Juifs , n'eussions-nous été ni appelés, ni sauvés? Certainement nous ne l'aurions pas été avant eux, mais dans l'ordre convenable. Aussi quand le Christ parlait à ses disciples, il ne leur disait pas : Allez vers les brebis perdues de la maison d'Israël; mais plutôt : " Allez "; indiquant par là qu'ils ne devaient aller chez les nations qu'après s'être adressés aux Juifs. Et, à son tour, Paul ne dit pas : il fallait vous annoncer la parole , mais : " C'était d'abord à vous qu'il fallait annoncer ", pour montrer que nous ne devions venir qu'en second lieu. Tout cela s'est fait, tout cela s'est dit pour qu'ils n'eussent pas l'impudence de prétexter qu'ils avaient été dédaignés et qu'à cause de cela ils n'avaient pas cru. Aussi le Christ, qui prévoyait tout, est-il d'abord venu chez eux.

" Que si leur péché est la richesse du monde, et leur diminution, la richesse des gentils, combien plus encore leur plénitude (12)?" Ici il parle en leur faveur. Car, fussent-ils tombés dix mille fois, les nations n'eussent pas été sauvées, si elles n'avaient reçu la foi; comme les Juifs eux-mêmes n'eussent point péri, s'ils n'avaient été incrédules et obstinés. Mais, comme je l'ai dit, il les console dans leur chute, et met tout en oeuvre pour leur faire espérer leur salut, s'ils veulent se convertir. En effet, dit-il, si, quand ils sont tombés, tant d'autres ont été sauvés, si, quand ils ont été rejetés, tant d'autres ont été appelés songez à ce que ce sera quand ils se convertiront. Et il ne dit pas: Combien leur conversion, ni Combien plus leur changement, ni : Combien plus leur correction ; mais : " Combien plus leur plénitude? " C'est-à-dire quand ils entreront tous. Or il dit cela pour indiquer qu'alors la grâce sera plus abondante, ainsi que le don de Dieu, et qu'on aura à peu près tout.

" Car je le dis à vous, gentils: Tant que je serai apôtre des gentils, j'honorerai mon ministère : m'efforçant d'exciter l'émulation de ceux de mon sang et d'en sauver quelques-uns ". Encore une fois il cherche à se soustraire à d'injustes soupçons; d'un côté il semble; attaquer les gentils et prévenir leur orgueil, et de l'autre, il blesse légèrement les Juifs, et use de détours en cherchant à les soulager et à les consoler d'une si grande ruine, et n'en trouve aucun moyen dans la nature même des choses. En effet, ce qu'il vient de dire les accuse encore plus haut, puisque d'autres, qui leur étaient bien inférieurs, ont profité de tous les biens qui leur étaient préparés. C'est pourquoi il passe des Juifs aux gentils et insère un mot sur ceux-ci, pour leuf faire voir qu'en tout ce qu'il dit, son intention est de leur apprendre à être humbles. Je vous loue, leur dit-il, pour deux raisons : la première c'est que j'y suis obligé, vu que votre administration m'a été confiée; la seconde, c'est afin d'en sauver d'autres par vous. Et il ne dit pas : Mes frères, mes proches, mais : " Ceux de mon sang ". Ensuite : " Et de sauver ", non pas tous, mais " Quelques-uns d'eux " : tant ils étaient durs. Mais tout en leur adressant ce reproche, il fait voir que la situation des gentils est brillante; et s'ils sont les uns. pour les autres une occasion de salut, ce n'est pas parle même moyen: car c'est par leur incrédulité que les Juifs procurent des avantages aux gentils, et c'est par leur foi que les gentils deviennent utiles aux Juifs, d'où il ressort que la condition des gentils est égale et même supérieure.

4. En effet, que pouvez-vous dire, ô Juif? Ceci peut-être : Si nous n'avions pas été rejetés, vous n'auriez pas été appelés immédiatement? Mais le gentil vous répond: Si je n'avais pas été sauvé, vous ne vous seriez pas piqué d'émulation. Et si voulez savoir en quoi je l'emporte sur vous, c'est que je vous sauve parce que j'ai cru ; tandis que c'est parce que vous êtes tombé que nous sommes passés au premier rang. Puis sentant qu'il les a blessés, Paul revient à son premier sujet et dit : " Car si leur perte est la réconciliation du monde, que sera leur rappel, sinon une résurrection (15)? " Mais ceci les condamne encore, puisque les autres ont profité de leurs fautes et qu'ils n'ont pas su eux-mêmes tirer parti des bonnes actions des autres. Que s'il leur attribue ce qui est le résultat de la nécessité, ne (349) vous en étonnez pas ; il donne souvent cette forme à son langage pour contenir les uns et exciter les autres, comme je l'ai déjà dit bien des fois. Et, comme je l'ai dit encore, les Juifs eussent-ils été mille fois rejetés, les gentils n'auraient pas été sauvés s'ils n'avaient reçu la foi. Mais l'apôtre soutient le côté faible et vient en aide à ceux qui sont dans la peine. Mais voyez jusqu'à quel point il condescend en faveur des Juifs, comme il les console par ses paroles. " Car ", dit-il , " si leur perte est la réconciliation du monde ". Qu'est-ce que cela fait aux Juifs, dira-t-on? " Que sera leur rappel, sinon la résurrection ? " Mais, s'ils n'avaient pas été rappelés, ceci ne serait rien encore pour eux. Voici ce que l'apôtre veut dire : Si Dieu, irrité contre les Juifs, a fait à d'autres tant et de si grands dons, que ne leur accordera-t-il pas quand il sera réconcilié avec eux? Mais comme ce n'est pas à cause de leur rappel qu'a lieu la résurrection des morts, de même ce n'est pas à cause d'eux que nous est venu le salut; ils ont été rejetés à cause de leur folie, et nous avons été sauvés par la foi et la grâce d'en-haut. Or, rien de cela ne peut leur être utile, s'ils ne montrent une foi suffisante.

Du reste, selon son habitude, l'apôtre passe à un autre éloge, éloge apparent seulement et non réel : imitant en cela les bons médecins qui donnent aux malades toutes les consolations que comporte la nature de la maladie. Que dit-il donc ? " Que si les prémices sont saintes, la masse l'est aussi, et si la racine est sainte, les rameaux aussi (16) "; appelant ici prémices et racine Abraham, Isaac, Jacob, les prophètes, les patriarches, tous les hommes illustres de l'Ancien Testament, et rameaux, ceux de leurs descendants qui ont cru. Puis comme on lui objectait qu'un grand nombre n'avaient pas cru, voyez comme il coupe court à l'objection en disant: " Si donc quelques-uns des rameaux ont été rompus... 17) ". Pourtant vous disiez plus haut que le plus grand nombre avaient péri, que bien peu avaient été sauvés; comment donc, en parlant ici de ceux qui ont péri, dites-vous : " Quelques-uns ", ce qui désigne clairement un petit nombre? Je ne suis point, répond-il, en contradiction avec moi-même ; mais j'ai hâte de guérir et de relever ceux qui souffrent. Voyez-vous comme dans tout le passage percent ses efforts et son désir de les consoler ?

Autrement, on y trouverait bien des contradictions. Mais considérez sa sagesse, comment, tout en paraissant plaider en leur faveur et à chercher à les consoler, il les accuse implicitement et leur démontre, par leur racine, par leurs prémices, qu'ils n'ont aucun moyen de se justifier? Songez à la malice des rameaux, qui, sortis d'une racine douce, n'ont pas su être doux comme elle: et à la méchanceté de la masse, que les prémices mêmes n'ont pas la vertu de changer.

" Si donc quelques-uns des rameaux ont été rompus ". Et c'est le plus grand nombre qui ont été rompus, mais, comme je l'ai dit, son but est de les consoler. C'est pourquoi il ne parle pas de sa seule autorité, ruais d'après les patriarches, et, faisant ainsi un reproche implicite, il montre qu'ils sont déchus de la race d'Abraham ; car c'était là ce qu'il tenait à leur dire : qu'ils n'ont plus rien de commun avec lui. En effet, si la racine est sainte et qu'ils ne soient pas saints, ils sont donc loin de la racine: Puis, en paraissant consoler les Juifs, il accuse encore une fois les gentils. Après avoir dit : " Si donc quelques-uns des rameaux ont été rompus", il ajoute : " Et si toi, qui n'étais qu'un olivier sauvage, tu as été enté ". Plus le gentil était méprisable, plus le Juif souffrait de le voir jouir de son propre bonheur . et le gentil à son tour est moins humilié de sa bassesse qu'honoré du changement qui s'est opéré en lui. Et voyez la sagesse de Paul ! Il ne dit pas : Qui as été planté, mais : " Qui as été enté " ; pour blesser encore ici le Juif, en lui faisant voir que c'est sur son tronc que le gentil est placé, tandis qu'il est lui-même gisant à terre. Aussi ne s'en tient-il pas là, ne se borne-t-il pas à dire : " Tu as été enté ", quoique ce mot renferme tout; mais il insiste sur le bonheur du gentil et proclame sa gloire en disant : " Et participant de la racine et de la graine de l'olivier ". Il semble, il est vrai, présenter le gentil comme une adjonction ; mais il prouve aussi qu'il n'en éprouve aucun dommage et qu'il a eu tout ce qu'a eu le rameau sorti de la racine. Et de peur qu'en entendant ces mots. "Tu as été enté ", vous ne vous imaginiez que le gentil , comparé au rameau naturel, lui est inférieur, voyez comme Paul le place au même rang, en disant . " Tu as été fait participant de la racine et de la graisse d'olivier "; c'est-à-dire, tu partages la même noblesse, la (350) même nature. Ensuite en avertissant sévèrement le gentil et en disant : " Ne te glorifie point aux dépens des rameaux ", il semble consoler le Juif, et néanmoins fait voir sa bassesse et l'excès de son ignominie. Aussi ne dit-il pas . Ne te glorifie pas, mais : " Mais ne te glorifie pas aux dépens ", ne te glorifie pas de manière à les briser entièrement : car tu occupes leur place, tu jouis de leurs avantages.

5. Voyez-vous comme, tout en gourmandant les gentils, il pique vivement les Juifs ? " Que si tu te glorifies ", dit-il, " sache que tu ne portes point la racine, mais que c'est la racine qui te porte (18) ". Et qu'est-ce que cela fait aux rameaux qui ont été retranchés ? Rien. Comme je l'ai déjà dit, tout en paraissant apporter aux Juifs une faible consolation et attaquer les gentils , il porte à ceux-là un coup mortel. Car en disant : " Ne te glorifies pas ", et : " Que si tu te glorifies, sache que tu ne portes pas la racine ", il fait voir au Juif qu'on pouvait se glorifier du passé, bien qu'on ne le dût pas : il l'excite, il l'anime à embrasser sa foi, il joue le rôle dé défenseur, en lui montrant la perte qu'il a subie et comment d'autres ont recueilli ses avantages. " Tu diras sans doute, les rameaux ont été brisés " pour que je fusse enté (19) ". Sous forme d'objection, il établit le contraire de ce qui précède, et fait voir que ce qu'il vient de dire tout à l'heure n'avait pas d'autre but que d'attirer les Juifs. 'Ce n'est plus par leur péché que le salut est venu aux gentils, leur péché m'est plus la richesse du monde. Nous n'avons plus été sauvés parce qu'ils sont tombés ; c'est tout le contraire qui a lieu. Il indique que les gentils ont eu la part principale dans cette action de la Providence, bien que ses paroles précédentes semblent présenter un autre sens ; il enchaîne tout ce passage sous forme d'objection, pour écarter tout soupçon d'hostilité de sa part et se faire accepter de l'auditeur.

" Fort bien ". Il approuve ce qui vient d'être dit: puis il excite l'épouvante en disant " C'est à cause de leur incrédulité qu'ils ont été rompus. Pour toi, tu as été enté par la foi ". Voici encore un éloge des gentils et une accusation contre les Juifs. Mais de nouveau il réprime l'orgueil des gentils, en ajoutant . " Ne cherche pas à t'élever; mais crains (20) ". Car ceci n'est point chose naturelle, mais affaire de foi et d'incrédulité. Encore une fois, il a l'air de fermer la bouche au gentil et d'apprendre au Juif qu'il ne faut faire aucune attention à la parenté naturelle ; c'est pourquoi il ajoute : " Ne cherche pas à t'élever ". Il ne dit pas : Sois humble, mais " Crains " : Car l'orgueil produit le mépris et la lâcheté. Puis voulant peindre leur infortune avec de vives couleurs, pour ne pas leur être trop odieux, il a l'air de gourmander les gentils et dit : " Car si Dieu n'a pas épargné les rameaux naturels " ; il n'ajoute pas : Il ne t'épargnera pas, mais : " Il pourra bien ne pas t'épargner toi-même (21) ". Il ôte aussi à sa parole ce qu'elle avait de désagréable, en même temps qu'il excite la vigilance du fidèle, attire les Juifs et contient les gentils.

"Vois donc la bonté et la sévérité de Dieu; sa sévérité envers ceux qui sont tombés, et sa bonté envers toi, si toutefois tes demeures ferme dans cette bonté ; autrement tu seras aussi retranché (22) ". Il ne dit pas : Vois tes bonnes oeuvres, vois tes travaux, mais Vois la bonté de Dieu ; indiquant par la que tout est l'oeuvre de la grâce d'en-haut et leur inspirant des sentiments de terreur. Car c'est parce que tu as sujet de te glorifier, que tu dois trembler. Crains, précisément parce que Dieu s'est montré bon envers toi : car ces biens-là né sont pas immuables, si tu te relâches, pas plus que les maux pour les Juifs, s'ils se convertissent. Et toi aussi, dit-il, tu seras retranché, si tu ne persévères pas dans la joie.

" Mais eux-mêmes, s'ils ne demeurent point dans l'incrédulité, seront entés (23) ". Car Dieu ne les a pas retranchés, mais ils se sont brisés eux-mêmes et sont tombés. Et il a raison de dire : " Se sont brisés "; car jamais Dieu ne les a ainsi rejetés, bien qu'ils aient grandement et souvent péché. Voyez-vous quelle est la puissance du libre arbitre? Quel est le pouvoir de la volonté? Car rien n'est immuable, ni ton bonheur ni leur malheur. Voyez-vous comme il relève celui qui désespère et abat celui qui a trop de confiance? Toi qui entends parler de sévérité, ne désespère point; toi qui entends parler de bonté, ne t'enfle point. Il t'a retranché avec- sévérité, afin que tu désires revenir; il t'a montré de la bonté, afin que tu persévères. Il ne dit pas Dans la foi, mais : " Dans cette bonté ", c'est-à-dire, si tu te conduis d'une manière digne de la bonté de Dieu : Car la foi ne suffit pas. (351) Voyez-vous comme il ne permet pas que le Juif reste à terre, ni que le gentil s'enorgueillisse, et comme il pique le premier d'émulation, en indiquant par ce qu'il vient de dire que le Juif pourrait reprendre la place du gentil , comme le gentil a d'abord pris la place du Juif? II épouvante les gentils par l'exemple des Juifs, afin qu'ils ne se glorifient pas aux dépens de ceux-ci; et il encourage les Juifs par l'exemple des faveurs faites aux gentils. Et toi aussi, dit-il au gentil , tu seras retranché, si tu te relâches : car le Juif l'a été; et le Juif sera enté, s'il montre du zèle : car tu as été enté toi-même. Il s'adresse uniquement aux gentils, suivant sa prudente habitude de fortifier les faibles en gourmandant les forts. Il en fait autant à la fin de son épître, quand il s'agit ces observances relatives à la nourriture. Et il se fonde, non-seulement sur l'avenir, mais aussi sur le passé : ce qui fait plus d'impression sur l'auditeur. Et comme il doit présenter une série de raisonnements irréfutables, il commence sa démonstration par la puissance de Dieu. En effet, quoique les Juifs aient été retranchés et rejetés, cependant ne désespérez pas : " Car Dieu est puissant pour les enter de nouveau ", lui qui peut faire au-delà de toute espérance.

6. Que si vous faites attention à la suite des faits et des raisonnements, vous trouverez chez vous-même une preuve de la plus grande force. " En effet ", dit-il, " si tu as été coupé de l'olivier sauvage, ta tige naturelle, et enté contre ta nature sur l'olivier franc, à combien plus forte raison ceux qui sont les rameaux naturels seront-ils entés sur leur propre olivier (24) ? " Si la foi a pu ce qui est contraire à la nature, à bien plus forte raison pourra-t-elle ce qui est conforme à la nature. Si celui qui a été retranché de la race de ses pères naturels, en devient, contre sa nature, enfant d'Abraham ; à bien plus forte raison pourras-tu rentrer dans ta famille propre. Chez le gentil le mal est naturel, car il est, de sa nature , olivier sauvage ; et le bien est contre nature, puisque c'est contre sa nature qu'il a été enté sur Abraham. Chez toi, au contraire, le bien est naturel ; et si tu veux revenir, tu ne seras pas, comme le gentil, enté sur une racine étrangère, mais sur ta racine propre. Quelle serait donc ton excuse, de ne pouvoir selon la nature ce que le gentil a pu contre la nature, et de renoncer à tes avantages? Ensuite, après avoir dit : " Contre nature ", et : " Tu as été enté ", pour qu'on ne croie pas que le Juif a quelque chose de plus, il met lui-même le correctif, en disant que le Juif aussi est enté. " A combien plus forte raison ceux qui sont les rameaux naturels seront-ils entés sur leur propre olivier? " Et encore : " Dieu est assez puissant pour les enter de nouveau ". Plus haut il avait dit qu'ils seraient entés, s'ils ne demeuraient pas dans l'incrédulité. Et si vous l'entendez sans cesse dire : " Contre la nature et selon la nature ", ne vous imaginez pas qu'il parle de la nature immuable; ces expressions signifient simplement chez lui ce qui convient, ce qui résulte, et ce qui ne convient pas. Car le bien et le mal ne sont pas le produit de la nature, mais de la volonté et du libre arbitre. Et voyez comme il évite tout ce qui peut blesser ! Après avoir dit : Tu seras aussi retranché, si tu ne demeures pas ferme dans la foi, et les Juifs seront entés de nouveau, s'ils ne demeurent point dans l'incrédulité : quittant ce langage sévère, il en prend un plus doux, et finit par inspirer aux Juifs de grandes espérances, s'ils montrent de la bonne volonté. C'est pourquoi il ajoute : " Car je neveux pas, mes frères, que vous ignoriez ce mystère, afin que vous ne soyez pas sages à vos propres yeux (26) ".

Ici "mystère" veut dire chose inconnue, cachée, renfermant tout à la fois quelque chose de prodigieux et d'incroyable : Comme quand il dit ailleurs : " Voici que je vais vous dire un mystère : Nous ne mourrons pas tous, mais nous serons tous changés ". (I Cor. XV, 5.) (1) Quel est donc ce mystère? " Qu'une partie d'Israël est tombée dans l'aveuglement ". Ici encore, il frappe sur les Juifs, en paraissant donner une leçon aux gentils. II veut dire ce qu'il a déjà établi plus haut, que l'incrédulité n'a pas été universelle, mais partielle ; comme quand il dit ailleurs : " Que si l'un de vous m'a contristé, il ne m'a contristé qu'en partie, pour ne pas vous charger tous ". Et encore : " Après que j'aurai un peu joui de vous ". (Rom. XV, 24.) De même il répète ici ce qu'il a dit plus haut : " Dieu n'a point rejeté son peuple, qu'il a connu dans sa prescience " ; et encore :

1 Le texte de la Vulgate est tout différent. — Voir tome IX, page 594.

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" Quoi donc ! Ont-ils trébuché de telle sorte " qu'ils soient tombés? Point du tout ". C'est ce qu'il dit encore ici : Toute la race des gentils n'a pas été attirée, mais beaucoup ont déjà cru et croiront encore. Puis comme il annonce une chose importante, il la prouve par le témoignage du prophète. Quand à. ce qui regarde l'aveuglement, il ne produit pas de témoignage , puisque c'est un fait évident pour tous : mais pour prouver qu'ils croiront et qu'ils seront sauvés , il cite une seconde fois Isaïe qui s'écrie : " Il viendra de Sion, celui qui doit délivrer et qui doit bannir l'impiété de Jacob (26) ". Ensuite, après avoir indiqué le signe de la délivrance, pour que personne ne revienne au passé et ne s'y rattache, il ajoute : " Et ce sera là mon alliance avec eux quand j'aurai effacé leurs péchés " (27) "; non pas quand ils seront circoncis, ni quand ils auront sacrifié, ni quand ils auront rempli les autres prescriptions légales, mais quand ils auront reçu la rémission de leurs péchés. Si donc cette promesse a été faite, si elle n'est bras encore accomplie sur eux, s'ils n'ont pas encore obtenu la rémission par le baptême, certainement cela aura lieu. Aussi ajoute-t-il : " Parce que les dons et la vocation de Dieu sont sans repentir (29) ". Ce n'est pas seulement par ce motif qu'il les console, mais aussi par le souvenir du passé; et il pose comme principe ce qui n'était que conséquence, en disant : " Il est vrai que, selon l'Evangile, ils sont ennemis à cause de vous; mais, selon l'élection, ils sont très-aimés à cause de leurs pères (28) ". De peur que le gentil ne s'enfle et ne dise : Je suis debout, ne me parlez pas de ce qui a pu être, mais de ce qui est : Il le comprime encore par ce motif, en disant : " Selon l'Evangile ils sont ennemis à cause de vous ". En effet, par ce que vous avez été appelés, ils sont devenus plus obstinés.

7. Pourtant Dieu n'a pas renoncé à vous appeler, mais il attend que tous les gentils qui doivent croire, soient entrés, et alors les Juifs viendront aussi. Ensuite il leur fait encore une autre concession, en disant : " Mais, " selon l'élection, ils sont très-aimés à cause " de leurs pères ". Qu'eu-ce que cela veut dire? Ennemis, ils rencontrent le supplice; bien-aimés à cause de leurs pères, la vertu de leurs ancêtres leur est inutile, à moins qu'ils ne croient. Cependant, comme je l'ai dit, il ne cesse de les consoler en paroles, afin de les attirer. C'est pourquoi, appuyant d'une autre preuve qu'il a affirmé plus haut, il dit : " Comme donc autrefois vous-mêmes n'avez pas cru à Dieu, et que maintenant vous avez obtenu miséricorde, à cause de leur incrédulité; ainsi eux maintenant n'ont pas cru, pour que miséricorde vous fût faite. Car Dieu a renfermé tous les hommes (1) dans l'incrédulité, pour faire miséricorde à tous (30-32) ".

Ici il fait voir que les gentils ont été appelés les premiers. Mais que, sur leur refus, les Juifs ont été élus; et que, dans le sens inverse, les Juifs n'ayant pas voulu croire, les nations ont été de nouveau introduites. Mais il ne s'en tient pas là et ne se borne pas uniquement à proclamer leur expulsion ; il leur laisse aussi espérer un retour de miséricorde. Voyez combien il accorde aux gentils ! Autant qu'il accordait en premier lieu aux Juifs. Quand vous, gentils, leur dit-il, vous avez été indociles, les Juifs sont venus; puis, quand ils ont été indociles à leur tour, vous êtes revenus à leur place. Cependant ils ne sont pas perdus à jamais. " Car Dieu a renfermé tous les hommes dans l'incrédulité ", c'est-à-dire, a convaincu, les a fait paraître incrédules, non pour qu'ils demeurent tels, mais pour sauver les uns par émulation à l'égard des autres, ceux-ci par ceux-là et ceux-là par ceux-ci. Examinez un peu : Vous, gentils, vous avez cessé de croire et les Juifs ont été sauvés; puis les Juifs ont cessé de croire, et vous avez été sauvés à votre tour; vous n'avez cependant pas été sauvés de manière à sortir encore une fois, comme les Juifs, mais pour persévérer et les attirer par l'émulation.

" O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont incompréhensibles (33) ! " Ici, après avoir fait un retour sur les premiers temps, contemplant l'action de la Providence divine depuis la création du monde jusqu'au moment présent, et considérant la variété de ses voies, il est frappé de stupeur et pousse une exclamation, pour attester à l'auditeur que tout ce qu'il a dit s'accomplira certainement. S'il en eût dû être autrement, il n'aurait pas été saisi d'étonnement, il n'eût pas poussé cette exclamation. Que la profondeur existe,

1 Dans la Vulgate : tout, omnia.

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il le sait; quelle elle est, il ne le sait pas; car c'est le cri de l'étonnement et non d'une parfaite connaissance. Ravi d'admiration et frappé de stupeur à la vue de la bonté de Dieu, il la proclame, autant qu'il le peut, par deux expressions énergiques : la richesse et la profondeur; et il reste saisi d'étonnement que Dieu ait voulu et pu ces choses, et qu'il ait tramé les contraires par les contraires. " Que ses jugements sont incompréhensibles! " Non-seulement on ne peut les comprendre, mais pas même les scruter. " Et ses voies impénétrables ! " c'est-à-dire les desseins de sa Providence, car non-seulement on ne peut pas les connaître, mais pas même s'en enquérir. Je n'ai pas pu, dit-il, découvrir tout; mais seulement une faible partie : car Dieu seul connaît parfaitement ses oeuvres. Aussi ajoute-t-il: " Car qui a connu la pensée du Seigneur? Ou qui a été son conseiller? Ou qui, le premier, lui a donné, et sera rétribué? (34-35) " Voici ce qu'il veut dire : Dieu si sage n'emprunte point sa sagesse à un autre, mais est lui-même la source des biens; tout ce qu'il a fait pour nous, tout ce qu'il nous a accordé, il nous l'adonné de sa propre abondance sans l'emprunter à personne ; il ne doit point de retour comme ayant reçu de quelqu'un, mais il est lui-même toujours le premier auteur de ses bienfaits.

Or c'est là surtout le propre de la richesse ; de surabonder et de n'avoir besoin de personne. Voilà pourquoi Paul ajoute : " Puisque c'est de lui, et par lui, et en lui que sont toutes choses ". C'est lui qui a inventé, c'est lui qui a fait, c'est lui qui conserve : car il est riche et n'a pas besoin de recevoir; car il est sage et n'a pas besoin de conseiller. Que dis-je, de conseiller? Personne ne peut rien savoir de lui , si ce n'est lui , le seul riche, et le seul sage. Il faut être en effet bien riche, pour procurer aux gentils une telle abondance de biens; et il faut être bien sage pour donner aux Juifs, comme maîtres, les gentils qui leur sont si inférieurs Ensuite, après le mouvement de son admiration, l'apôtre exprime un sentiment de reconnaissance, en disant : " A lui la gloire dans les siècles ! Amen" . Quand il. a énoncé quelque chose de grand et de mystérieux. Son admiration se termine par la louange. Il en fait autant quand il parle du Fils; ainsi, plus haut, après avoir exprimé son admiration, il ajoute comme ici . " De qui est sorti, selon la chair, le Christ même, qui est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans tous les siècles. Amen. "

Imitons-le, nous aussi , et glorifions Dieu partout par la régularité de notre vie ; instruits par l'exemple des Juifs, ne nous reposons point sur les vertus de nos ancêtres. Car il n'y a point, non, il n'y a point d'autre parenté chez les chrétiens que l'union par l'Esprit. C'est ainsi que le scythe devient fils d'Abraham , et que le fils d'Abraham lui est plus étranger que le scythe. Ne nous confions donc point sur les mérites de nos pères; fussiez-vous né d'un homme admirable, ne pensez pas que ce soit assez pour être sauvé, honoré, glorifié, si vous n'êtes pas son fils par vos moeurs; comme, si vous avez pour père un homme vicieux, ne croyez pas que ce soit pour vous un motif de condamnation et de honte, pourvu que vous teniez une bonne conduite. En effet qu'y avait-il de moins honorable que les gentils? Et cependant ils sont devenus subitement par la foi les enfants des saints qui étaient membres de la famille plus que les Juifs? Et cependant, par leur incrédulité, ils lui sont devenus étrangers. En effet la parenté qui nous lie tous est fondée sur la nature et sur la nécessité ; car nous sommes tous nés d'Adam, et tous au même degré, par rapport à Adam, à Noé, ou à la terre, notre mère commune; mais la parenté qui mérite les couronnes est celle qui nous distingue des méchants. ici tous ne sont pas parents, mais seulement ceux qui tiennent la même conduite; nous ne donnons pas le nom de frères à ceux qui sont sortis du même sein que nous, mais à ceux qui montrent le même zèle.

C'est en ce sens que le Christ dit enfants de Dieu, enfants du diable, enfants de l'incrédulité, de l'enfer, de la perdition. C'est ainsi que Timothée était fils de Paul par ses vertus et s'appelait son enfant légitime, tandis que nous ne savons pas même le nom du fils de la sueur de l'apôtre ; cependant celui-ci lui appartenait selon la nature ; mais cela n'y faisait rien : le plus rapproché de lui était celui-là même que la nature et la patrie (il était citoyen de Lystres) avaient jeté à une plus grande distance de lui. Soyons donc, nous aussi, enfants des saints; bien plus encore, soyons enfants de Dieu. Que nous puissions le devenir, la preuve en est dans ce que dit le Christ : " Soyez donc parfaits, comme votre Père, qui est dans les cieux ".

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(Matth. V, 48.) Voilà pourquoi nous lui donnons le nom de Père quand nous prions; nous remettant ainsi en mémoire, non-seulement la grâce, mais encore la vertu, afin de ne faire rien d'indigne d'une si noble origine. Et comment, direz-vous , peut-on être fils de Dieu ? En vous débarrassant de vos passions, en vous montrant bon à l'égard de ceux qui vous injurient et vous font tort; car c'est ainsi que fait votre Père à l'égard de ceux qui le blasphèment. C'est pourquoi , bien qu'il ait dit ailleurs beaucoup d'autres choses, le Christ n'a dit nulle part : Afin que vous soyez semblables à votre Père; et c'est seulement quand il dit : " Priez pour ceux qui vous persécutent, faites du bien à ceux qui vous haïssent ", qu'il ajoute cette récompense. Car rien ne nous rapproche de Dieu, rien ne nous rend semblables, à lui, comme cette bonne oeuvre. Aussi quand Paul dit . " Soyez les imitateurs de Dieu " (Eph. V, 1), c'est dans ce sens qu'il parle.

Sans doute nous avons besoin de toutes les vertus, mais surtout de bonté et de douceur, car il en faut beaucoup à notre égard. En effet, nous commettons bien des fautes tous les jours; aussi avons-nous grand besoin de miséricorde. Or le plus et le moins ne se mesurent pas sur la quantité du don, mais sur les ressources de ceux qui donnent. Que le riche ne s'enorgueillisse donc pas, et que le pauvre ne se décourage pas, parce qu'il donne peu car souvent il donne plus que le riche. Il ne faut donc pas se tourmenter à raison de sa pauvreté, car elle rend l'aumône plus facile. En effet celui qui possède beaucoup est dominé par l'orgueil et l'ambition ; tandis que celui qui n'a que peu , est exempt de cette double tyrannie, et trouve par là même plus d'occasions de faire le bien. Ainsi il ira sans peine en prison, et visitera les malades, il donnera un verre d'eau froide; tandis que le riche, fier de sa fortune, ne se prêtera à aucune de ces démarches. Ne vous découragez donc pas à cause de votre pauvreté; elle nous rend plus facile le commerce avec le ciel , ne possédassiez-vous rien, si vous avez une âme compatissante , vous en recevrez encore la récompense. Voilà pourquoi Paul veut qu'on pleure avec ceux qui pleurent, et qu'on soit comme prisonnier avec les prisonniers. Non-seulement ceux qui pleurent, mais encore ceux qui éprouvent d'autres infortunes, sont consolés quand beaucoup de personnes leur compatissent; il est même des cas où la parole n'a pas moins de puissance que l'argent pour rendre le courage à celui qui souffre. C'est même pour cela que Dieu ordonne qu'on fasse l'aumône aux indigents, non pas seulement pour soulager leur pauvreté, mais pour nous apprendre à compatir aux maux du prochain.

C'est aussi pourquoi l'avare est odieux, non-seulement par ce qu'il méprise le pauvre, mais parce qu'il se rend lui-même dur et inhumain; comme celui qui méprise l'argent en faveur des pauvres est aimable, parce qu'il est miséricordieux et humain. Quand le Christ appelle heureux ceux qui sont miséricordieux, il n'entend pas seulement parler de ceux qui donnent de l'argent, mais aussi de ceux qui en ont la bonne volonté. Ayons donc cette disposition à la pitié, et tous les biens nous viendront à la suite. En effet celui qui est doué d'un coeur humain et compatissant donne de l'argent s'il en a ; il pleure et gémit avec celui qu'il voit dans l'affliction ; il prête appui à celui qui est victime de l'injustice; et s'il voit quelqu'un exposé aux outrages, il lui tend la main. Possédant au dedans de lui-même le trésor des biens , une âme bonne et compatissante, il en verse l'abondance sur ses frères et il recevra toutes les récompenses que Dieu tient en réserve. Et nous aussi, pour les obtenir, faisons-nous avant tout une âme pleine de mansuétude. C'est ainsi que nous ferons beaucoup de bonnes oeuvres ici-bas et que nous jouirons des récompenses à venir. Puissions-nous tous avoir ce bonheur par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent , au Père et au Saint-Esprit la gloire, l'honneur, la force, maintenant et toujours, dans les siècles- des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XX. JE VOUS CONJURE DONC, MES FRÈRES, PAR LA MISÉRICORDE DE DIEU, D'OFFRIR VOS CORPS EN HOSTIE VIVANTE, SAINTE, AGRÉABLE A DIEU, POUR QUE VOTRE CULTE SOIT RAISONNABLE. (XII, 1, JUSQU'A 3.)
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Analyse.

1. offrir à Dieu son corps comme une hostie vivante et de quelle manière.

2. Ne pas se conformer à ce siècle dont la figure ne fait que passer. — Se transformer par le renouvellement de l'Esprit. — En quoi consiste ce renouvellement , saint Chrysostome fait remarquer que saint Paul ne dit pas transfigurez-vous; mais transformez-vous, indiquant ainsi que la vertu n'est pas seulement une figure qui passe, mais une forme vraie qui demeure.

3. Partout l'apôtre parle un langage humble et bienveillant, s'effaçant toujours pour laisser paraître le Maître souverain, rappelant les bienfaits de Dieu plutôt que ses lois et ses prescriptions. — Que l'humilité est la source de tous les biens.

4. Contre la vaine gloire. — Que l'orgueil est une véritable folie.

1. Après avoir beaucoup parlé de la libéralité de Dieu, montré son ineffable Providence, sa bonté infinie, que personne ne peut sonder, il la met de nouveau en avant pour déterminer ceux qui ont reçu tant de dons et tant de bienfaits à s'en rendre dignes par leur conduite. Si grand, si élevé qu'il soit, il veut bien condescendre à la suppléer, et cela, non à son profit personnel, mais en vue de leurs propres avantages. Et comment vous étonner qu'il descende à des prières, quand il parle des miséricordes de Dieu? Puisque, dit-il, les miséricordes de Dieu ont été pour vous la source d'une multitude de biens, respectez-les, recourez-y humblement: car elles-mêmes prient pour que vous ne fassiez rien qui soit indigne d'elles. C'est donc, ajoute-t-il, par elles que je vous supplie, par elles qui vous ont sauvés; comme si , pour faire honte à quelqu'un qui aurait reçu de grands bienfaits, on lui amenait en qualité de suppliant, ce bienfaiteur lui-même. Mais que demandez-vous, dites-moi? " Que vous offriez vos corps en hostie vivante , sainte, agréable à Dieu, pour que votre culte soit raisonnable ". Après qu'il a dit " Hostie ", pour qu'on ne s'imagine pas qu'il s'agisse d'immoler le corps, il ajoute : " Vivante ". Puis pour distinguer cette hostie de l'hostie judaïque , il dit " Sainte, agréable à Dieu , pour que votre culte soit raisonnable " ; car celle des Juifs était matérielle et peu agréable à Dieu. "Car", disait le Seigneur, " qui a demandé ces victimes de vos mains? " (Is. I, 42.) Et souvent ailleurs Dieu semble repousser les victimes de ce genre. Mais il ne demandait point encore celle-ci, ou plutôt il la demandait, même quand les autres lui étaient offertes. C'est pourquoi il est écrit : " Je serai honoré par un sacrifice de louange ". (Ps. XLIX.) Et encore : " Je célébrerai le nom de mon Dieu par un cantique, qui sera plus agréable à Dieu que le sacrifice d'un veau, dont les cornes et les ongles commencent à paraître". (Ps. LXIII.) Ailleurs encore Dieu rejette ce genre d'hosties en disant : " Est-ce que je mange la chair des taureaux? Est-ce que je bois le sang des boucs? " Et il ajoute : " Offrez à Dieu un sacrifice de louange et acquittez les voeux que vous avez faits au Très-Haut ", (Ps. XLIX.) C'est aussi ce que Paul demande ici : " Offrez vos corps en hostie vivante ".

Mais comment, direz-vous, le corps peut-il être une hostie? Que votre oeil ne se fixe sur rien de mauvais, et il devient une hostie; que votre langue ne profère rien de coupable , et elle devient une offrande; que votre main ne fasse rien contre la loi , et elle devient un holocauste. Ou plutôt cela ne suffit pas, mais il faut y ajouter la pratique des bonnes (356) oeuvres, afin que la main fasse l'aumône, que la bouche rende bénédictions pour malédictions, que l'oreille s'applique avec assiduité à entendre la parole de Dieu. Car l'hostie ne doit rien avoir d'immonde, elle forme les prémices de tout le reste. Offrons donc à Dieu les prémices de nos mains, de nos pieds, de notre bouche et de tout le reste; cette hostie plaira à Dieu, autant que celle des Juifs était impure à ses yeux. " Car ", est-il écrit, " leurs hosties sont pour eux le pain de l'affliction ". (Os. IX, 4.) Il n'en est pas ainsi de la nôtre. L'hostie judaïque présentait un corps mort; la nôtre rend vivant ce qui est immolé. Car c'est en mortifiant nos membres que nous pouvons vivre ; c'est la nouvelle loi du sacrifice ; c'est pourquoi l'espèce de feu qu'on y emploie paraît extraordinaire Il n'y a plus besoin die bois ni de matière inflammable; notre feu consume de lui-même , il ne dévore pas la victime; il la fait vivre. C'était le genre de sacrifice que Dieu demandait autrefois ; aussi le prophète disait-il : " Le sacrifice qui plaît à Dieu, c'est un coeur contrit ". (Ps. L.) C'était aussi celui qu'offraient les trois enfants dans la fournaise : " Il n'y a ni prince, ni prophète, ni lieu propres à demander et à obtenir miséricorde; mais recevez de nous un coeur contrit et un esprit humilié ". (Dan. III, 38, 39.)

Et voyez quelle exactitude dans chacun des termes de Paul! Il ne dit pas : Faites de vos corps une hostie, mais : " Offrez ", comme s'il, disait : Vous n'avez plus rien de commun avec vos corps; vous les avez livrés à un autre. Ceux qui livrent des chevaux de bataille, n'ont plus rien de commun avec eux. Vous avez livré vos membres pour la guerre qui se fait au démon, pour cette lutte terrible; ne les retirez donc plus pour vos usages personnels. Par là, Paul nous enseigne encore une autre chose c'est que, si on veut les offrir, il faut les offrir éprouvés. Car ce n'est pas à un homme que nous les offrons, mais à Dieu, le Roi de l'univers; ni pour un simple combat, mais pour être montés par Dieu même. En effet, Dieu ne dédaigne pas d'avoir nos membres pour monture, il le désire même vivement; ce que ne voudrait pas un roi, serviteur comme nous, le Maître des anges s'y résout volontiers. Mais puisque vous devez les lui présenter, et qu'ils sont une hostie, enlevez-en toute tache; car s'ils en gardent, ils ne sont plus une hostie. Ainsi l'oeil qui s'est fixé sur une prostituée, ne peut plus être immolé; on ne peut plus offrir une main souillée par le vol ou l'avarice, des pieds qui boitent et montent au théâtre, un ventre esclave du plaisir et qui allume la flamme des passions et des voluptés, un coeur livré à la colère ou aux amours impudiques, un langage qui profère des paroles honteuses.

2. Il faut donc veiller soigneusement à ce que notre corps soit sans tache. Car si l'on exigeait de ceux qui offraient les anciennes hosties les précautions les plus minutieuses, et 'ils ne pouvaient offrir aucune victime qui eût les oreilles coupées, la queue mutilée, qui fût atteinte de gale ou de dartre; à bien plus forte raison nous qui n'offrons pas des animaux stupides, mais nos propres personnes, devons-nous être attentifs, et nous présenter parfaitement purs, pour pouvoir dire aussi comme Paul : " Car, pour ce qui me regarde, on a déjà fait des libations sur moi, et le temps de ma dissolution approche ". (II Tim. IV, 6.) Il était en effet plus pur que quelque hostie que ce fût; voilà pourquoi il se donnait à lui-même le nom de libation. Or, il en sera ainsi de nous, si nous détruisons le vieil homme, si nous mortifions nos membres terrestres, si nous crucifions le monde en nous. Pour cela nous n'avons besoin ni de glaive, ni d'autel, ni de feu; ou plutôt il noua les faut, mais non faits de main d'homme. Tout nous viendra d'en-haut, le feu et l'épée; et l'autel, ce sera l'étendue du firmament. Si, quand Elie offrait une hostie visible, une flamme descendue du ciel consuma tout, l'eau, le bois, les pierres mêmes; à bien plus forte raison vous en arrivera-t-il autant. Si vous avez encore quelque chose de mou et de charnel, mais que vous présentiez l'hostie avec un coeur droit, le feu de l'Esprit descendra, consumera tout cela et achèvera le sacrifice. Mais qu'est-ce qu'un culte raisonnable? Le ministère spirituel,, une vie selon le Christ. De même que celui qui exerce une fonction dans la maison du Seigneur et y sacrifie, quel qu'il soit d'ailleurs, se contient et prend une attitude plus grave; ainsi devons-nous être toute notre vie, nous qui servons Dieu et lui offrons des sacrifices. Et c'est ce qui arrivera si vous lui immolez chaque jour des victimes; si, en qualité de prêtre, vous lui présentez l'offrande de votre corps et de la vertu de votre âme : par exemple, si vous lui offrez la chasteté, l'aumône; la douceur, la patience à supporter le mal. Par là vous offrirez un (357) culte raisonnable, c'est-à-dire qui n'aura rien de matériel, rien de grossier, rien de sensible. Après avoir relevé, par ces expressions, l'esprit de l'auditeur, avoir montré que chacun exerce le sacerdoce par sa propre chair, par sa conduite, il indique ensuite la manière de tout faire en règle. Quelle est cette,manière? " Ne " vous conformez point à ce siècle ", dit-il, "mais transformez-vous par le renouvellement de votre esprit (2) ". Car la figure de ce siècle est basse, vile, passagère; elle n'a rien d'élevé, rien de durable, rien de droit : c'est un renversement complet de toutes choses. Si donc vous voulez marcher droit, ne vous conformez pas à la figure de la vie présente; car rien n'y est permanent, rien n'y est solide. Voilà pourquoi il l'appelle figure; expression qu'il répète ailleurs, quand il dit : " Car la figure de ce monde passe ". (I Cor. VII, 31.) En effet, elle n'a rien de stable, ni de fixe; tout y est passager; voilà pourquoi il dit: " A ce siècle ", pour en indiquer le peu de solidité, le défaut de consistance. Parlez-vous de richesses, de gloire, de beauté de corps, de plaisir, de tout ce qui paraît grand : ce n'est là qu'une figure, un mensonge, une apparence, un masque; et non une substance solide. Ne vous y conformez donc pas, dit l'apôtre, mais transformez-vous dans le renouvellement de l'esprit. Il ne dit pas : Transfigurez-vous, mais : " Transformez-vous ", pour montrer que le monde est une figure, et que la vertu n'en est pas une; mais une forme vraie, possédant une beauté naturelle, et n'ayant pas besoin d'apprêts artificiels ni de figures qui paraissent et disparaissent aussitôt : car tout cela est déjà détruit avant de paraître. Si donc vous rejetez la figure, vous aurez bientôt la forme vraie.

En effet, il n'y a rien de plus faible que le vice, rien qui vieillisse si promptement. Mais comme l'homme est exposé à pécher chaque jour, l'apôtre console son auditeur, en disant Renouvelez-vous vous-même chaque jour. Faites sur vous-même ce que nous faisons continuellement pour nos maisons, en réparant les ravages faits par le temps. Vous avez péché aujourd'hui? vous avez fait vieillir votre âme? Ne désespérez pas, ne vous laissez pas abattre, mais renouvelez-la par le repentir, par les larmes, par la confession, par la pratique du bien; et, en cela, ne vous relâchez jamais. Mais comment le pourrons-nous, dites-vous? " Si vous choisissez les meilleures choses, si vous reconnaissez, combien la volonté de Dieu est bonne, agréable et parfaite ". Ou il veut dire : Renouvelez-vous pour apprendre ce qui est utile à connaître la volonté de Dieu; ou bien : Vous pouvez vous renouveler si vous apprenez ce qui est utile et quelle est la volonté de Dieu. En effet, si vous connaissez cette volonté et si vous apprenez à distinguer la nature dés choses, vous avez trouvé le chemin de toutes les vertus. Mais, dira-t-on, qui est-ce qui ignore les choses utiles et la volonté de Dieu? Ceux qui ne soupirent qu'après l'es biens de ce monde; ceux qui regardent la richesse comme digne d'envie; ceux qui méprisent la pauvreté; ceux qui poursuivent les charges; ceux qui ambitionnent la gloire extérieure; ceux qui se croient grands, parce qu'ils bâtissent des maisons magnifiques, qu'ils se procurent de somptueux tombeaux, qu'ils ont des troupeaux d'esclaves et qu'ils sont entourés d'une multitude d'eunuques. Ceux-là ignorent ce qui leur est utile, ne connaissent point la volonté de Dieu : deux choses qui n'en font qu'une.

3. Dieu, en effet, veut ce qui nous est utile; et ce qui nous est utile, c'est ce que Dieu veut. Or, que veut Dieu? Que nous vivions dans la pauvreté, dans l'humilité, dans le mépris de la gloire, dans la tempérance, et non dans les délices; dans l'affliction, et non dans le repos; dans le deuil, et non dans la dissipation et dans la joie; enfin dans la pratique de toutes les vertus qu'il nous a commandées. Mais là plupart les repoussent comme des choses odieuses, tant ils sont éloignés de les considérer comme utiles et comme expression de la volonté de Dieu! Voilà pourquoi ils ne peuvent,. pas même de loin, aborder les travaux qu'exige la vertu. Comment ceux qui ne savent pas même ce que c'est que la vertu; qui, au lieu de l'admirer, admirent le vice; qui préfèrent une prostituée à une femme chaste; comment, dis-je, ceux-là peuvent-ils se détacher du temps présent? Il nous faut donc, avant tout, une connaissance exacte et distincte des choses; louer la vertu, même quand nous ne la pratiquons pas; condamner le vice, même quand nous ne l'évitons pas; afin de conserver un jugement impartial et sain. C'est ainsi que plus tard nous pourrons marcher et entreprendre enfin les bonnes oeuvres. C'est pour cela que Paul veut qu'on se renouvelle: " Afin de connaître quelle est la volonté de Dieu ".

358

Il me semble ici s'adresser encore aux Juifs qui restaient attachés à la loi. Sans doute l'ancienne institution était la volonté de Dieu, mais d'une manière transitoire, et comme concession faite à leur faiblesse; tandis que la nouvelle était parfaite et agréable en tout point. Et quand il l'appelle culte raisonnable, c'est par opposition à l'autre.

" Car je dis, en vertu de la grâce qui m'a été donnée, à tous ceux qui sont parmi vous, de ne paraître sages plus qu'il ne faut, mais de l'être avec modération, et selon la mesure de la foi que Dieu a départie à chacun (3) ". Plus haut il disait : " Je vous conjure par la miséricorde de Dieu " ; ici il dit: " En vertu de la grâce ". Voyez l'humilité, la modestie de l'apôtre ! Nulle part il ne prétend qu'on doive ajouter foi à sa parole, quand il donne des avis et des conseils aussi importants; mais tantôt il s'appuie sur la miséricorde de Dieu, tantôt sur la grâce. Ce n'est point ma parole que j'annonce, leur dit-il, mais celle de Dieu. Et il ne dit point : Je dis en vertu de la sagesse de Dieu, ni : Je dis en vertu de la loi de Dieu, mais : " En vertu de la grâce " ; rappelant sans cesse le souvenir des bienfaits reçus, pour les rendre plus reconnaissants et leur faire comprendre qu'ils doivent obéir à ce qu'on leur dit. " A tous ceux qui sont parmi vous ". Non-seulement à un tel et à un tel, mais au prince et au sujet, à l'homme libre et à l'esclave, à l'ignorant et au savant, à la femme et à l'homme, au jeune homme et au vieillard car la loi est pour tous, puisqu'elle vient du Maître. C'est ainsi qu'il ôte à son langage ce qu'il pourrait avoir de pénible, en proposant ses enseignements à tout le monde, même aux innocents, afin que les coupables acceptent ses reproches et se corrigent plus facilement.

Mais, de grâce, Paul, que dites-vous? " De ne pas être sages plus qu'il ne faut ". A l'exemple de son Maître, il présente l'humilité comme la source des biens. De même que le Christ sur la montagne, avant de commencer son instruction morale, en pose le fondement, en débutant par ces mots : " Heureux les pauvres d'esprit " (Matth. V, 3) ; ainsi Paul, en passant du dogme à la morale, établit le principe général de la vertu, en demandant de nous une merveilleuse hostie; et sur le point d'entrer dans les détails, il part de l'humilité comme du point capital, en disant : " De ne pas être sages plus qu'il ne faut ", car c'est la volonté de Dieu, " Mais de l'être avec modération ". Ce qui veut dire : nous avons reçu la prudence pour en user sobrement, et non pour la mettre au service de l'orgueil. Il ne dit pas : d'être humbles, mais : " D'être sages " ; et ici la sagesse, peur lui, n'est pas la vertu opposée à la débauche, ni l'exemption de l'impureté, mais la vigilance et la bonne santé de l'âme: laquelle s'appelle sagesse parce qu'elle maintient l'esprit sain. Pour montrer donc que sans la modération on ne peut être sage, c'est-à-dire ferme et sain, mais qu'on extravague et qu'on est insensé, plus insensé même que le fou furieux, il donne à l'humilité le nom de sagesse. " Et selon la mesure de la foi que Dieu a départie à chacun ". Comme la concession des grâces inspirait de l'orgueil à beaucoup, soit chez les Romains, soit chez les Corinthiens, voyez comme il met à nu la cause de la maladie et la détruit peu à peu? En effet, après avoir dit qu'il faut être sage avec sobriété, il ajoute : " Selon la mesure de foi que Dieu a départie à chacun ", donnant ici à la grâce le nom de foi. Puis, par ces mots " A départie ", il console celui qui a moins reçu et contient celui qui a reçu davantage. Car si c'est Dieu qui a départi, et non point votre mérite, de quoi vous enorgueillissez-vous ?

4. Si on prétend que ce n'est pas à la foi que l'apôtre donne le nom de grâce, cela prouverait encore mieux qu'il veut humilier les orgueilleux. Car si la foi, par laquelle on fait les miracles, est le principe du don, et que le don vienne de Dieu, de quoi êtes-vous fier? Si le Christ n'était pas venu, s'il ne s'était pas incarné, la foi n'eût pas exercé un tel empire. Ainsi donc c'est de là que découlent tous les biens. Or si c'est Dieu qui donne, il sait comment il distribue; car il a créé tous les hommes et il en prend également soin. Aussi bien que le don, la quantité du don provient de sa bonté. Celui qui a fait preuve de sa bonté dans l'ensemble, c'est-à-dire en accordant les dons, ne faillira pas dans la mesure. S'il avait voulu vous témoigner son mépris, il ne vous eût point accordé le principe de ces dons; et s'il veut vous sauver et vous honorer (c'est pour cela qu'il est venu et qu'il vous a distribué tant de biens) pourquoi vous agiter et vous troubler, pourquoi tourner votre sagesse en folie, jusqu'à vous ravaler au-dessous même de celui qui est naturellement fou? Etre fou (359) naturellement, n'est pas un crime; mais devenir fou au moyen de la sagesse, c'est s'ôter tout espoir de pardon, c'est s'exposer à de plus grands châtiments. Tels sont ceux qui s'enorgueillissent de la sagesse et tombent ainsi dans une extrême folie.

Car rien ne rend insensé comme l'orgueil. Aussi le prophète donnait-il ce nom à un roi barbare, en disant : " Mais l'insensé dira des choses insensées ". (Isaïe, XXXII, 6.) Or, pour connaître sa folie à son propre langage, écoutez ce qu'il dit : " J'établirai mon trône au-dessus des astres du ciel, et je serai semblable au Très-Haut ". (Id. XIV, 14.) " Je placerai dans ma main le monde comme un nid, et je l'enlèverai comme des oeufs abandonnés". (Id. X, 4.) Y a-t-il rien de plus insensé que ce langage ? Et voilà la honte que s'attirent toutes les paroles de jactance. Si je produisais ici toutes celles de l'orgueilleux , il vous serait impossible de discerner si elles sont d'un orgueilleux ou d'un fou : tant il est vrai que ces deux défauts n'en font qu'un ! Un autre barbare dit: "Je suis un Dieu et non un homme " ; un autre encore : " Dieu pourra-t-il vous sauver et vous arracher de mes mains ? " (Dan. III, 15.) Et l'Égyptien : " Je ne connais point le Seigneur, et je ne laisserai point partir Israël ". (Ex. V, 2.) Le prophète parle aussi d'un insensé de ce genre, qui dit en son coeur " Il n'y a point de Dieu ". (Ps. XIII.) Et Caïn : " Est-ce que je suis le gardien de mon frère? " (Gen. IV, 9.) Pouvez-vous distinguer si ce sont des orgueilleux ou des fous qui parlent? L'orgueil, perdant toute mesure et toute intelligence (d'où lui vient le nom de démence(1) ) fait les insensés et les présomptueux. Si la crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse, ne pas connaître le Seigneur est le commencement de la folie. Donc si la sagesse consiste à connaître Dieu, la folie à ne pas le connaître, et si ce défaut de connaissance provient de l'orgueil, (en effet, ne pas connaître Dieu est le commencement de l'orgueil), donc, dis-je, l'orgueil est une extrême folie.

Tel était Nabal, devenu insensé par orgueil, non vis-à-vis de Dieu, mais à l'égard de l'homme, et qui finit par mourir de peur. Car, quand on a perdu la mesure de l'intelligence, l'âme s'affaiblit et on devient tout à la fois lâche et audacieux. En effet, de même que le

1 aponoia signifie orgueil et démence

corps est sujet à toutes les maladies, dès qu'une fois il a perdu son tempérament normal; ainsi l'âme, quand elle a perdit sa grandeur propre et l'humilité, affaiblie dans sa constitution, devient timide en même temps qu'audacieuse et insensée, et finit par s'ignorer elle-même. Or, comment celui qui ne se connaît pas lui-même, connaîtra-t-il ce qui est au-dessus de lui? Comme le frénétique, n'ayant plus conscience de lui-même, ne voit pas ce qui est devant ses pieds ; ou comme l'oeil aveuglé plonge tous les membres dans l'obscurité ainsi arrive-t-il dans l'orgueil. Voilà pourquoi les orgueilleux sont plus à plaindre que les fous furieux, que ceux qui sont naturellement insensés. Comme eux ils sont ridicules, comme eux ils sont désagréables ils extravaguent comme eux, mais ils n'excitent point la même compassion ; comme eux ils ont perdu le sens, mais ils ne rencontrent pas la même indulgence; on se contente de les haïr; ayant les défauts des furieux et des insensés, ils ne sont point excusés comme eux; on rit, non-seulement de leurs paroles, mais de leurs façons. Pourquoi, dites-moi; levez-vous la tête? Pourquoi marchez-vous sur la pointe des pieds? Pourquoi froncez-vous les sourcils? Pourquoi renflez-vous votre poitrine? Vous ne pouvez pas faire blanc ou noir un de vos cheveux, et vous marchez en l'air, comme si vous étiez le maître du monde. Peut-être voudriez-vous avoir des ailes pour ne plus toucher terre; peut-être voudriez-vous être une merveille? Eh! n'en êtes-vous déjà pas, une, vous qui êtes homme et essayez de voler? ou plutôt vous qui volez en désir, et qui vous gonflez en tout sens?

Quel nom vous donnerai-je, pour détruire en vous cet orgueil ? Si je vous appelle cendre, poussière, fumée, tourbillon de poussière, j'ai exprimé votre peu de valeur, mais je n'ai pas encore trouvé l'image exacte que je voudrais; car je voudrais peindre tout à la fois la bouffissure et le vide. Quelle image trouverai-je donc qui convienne aux orgueilleux? Ils me paraissent ressembler à de l'étoupe brûlée. En effet, l'étoupe semble s'enfler quand elle est brûlée, elle prend un volume extraordinaire, mais au moindre contact de la main, elle s'affaisse entièrement et ne vaut pas même de la cendre. Telles sont les âmes, des orgueilleux; leur enflure est vide; le premier choc peut les abaisser et les réduire à rien. Car l'orgueilleux (360) est nécessairement un homme très-faible; sa hauteur n'a rien de solide ; semblable aux bulles d'eau qui crèvent si aisément, il est facilement détruit. Si vous ne me croyez pas, amenez-moi un homme plein d'audace et d'orgueil, et vous le verrez, au premier accident, lâche et sans courage. De même que le menu bois prend vite feu et est aussitôt réduit en cendre, tandis que le bois solide ne s'allume pas aussi facilement, mais conserve longtemps sa flamme ; ainsi les âmes fermes, solides, ne s'enflamment ni ne s'éteignent aisément, tandis que les orgueilleux font l'un et l'autre dans le même moment.

Convaincus de ces vérités, pratiquons donc l'humilité. Rien n'égale sa force; elle est plus ferme que le rocher, plus dure que le diamant; elle est pour nous un rempart plus sûr que les tours, que les villes, que les murailles ; elle est au-dessus de toutes les ruses du démon; tandis que l'orgueil nous livre au premier venu ; crève, comme je l'ai dit, plus facilement qu'une bulle d'eau ; se déchire plus vite qu'une toile d'araignée et s'évapore plus promptement que la fumée. Afin donc d'être établis sur la pierre ferme, renonçons à l'orgueil , embrassons l'humilité. C'est ainsi que nous trouverons le repos dans la vie présente, et que nous jouirons de tous les biens dans le siècle à venir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui la gloire, la force, l'honneur appartiennent au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. l'abbé DEVOILLE.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXI. CAR, COMME DANS UN SEUL CORPS NOUS AVONS PLUSIEURS MEMBRES, ET QUE TOUS CES MEMBRES N'ONT PAS LA MÊME FONCTION ; DE MÊME, QUOIQUE NOUS SOYONS PLUSIEURS, NOUS NE SOMMES NÉANMOINS QU'UN SEUL CORPS EN JÉSUS-CHRIST, ÉTANT TOUS RÉCIPROQUEMENT MEMBRES LES UNS DES AUTRES (XII, 4, 5, JUSQU'A 13.)
Analyse.

1. De l'union des membres de l'Eglise. — De la diversité des dons, tous accordés par Dieu, différents de nature, mais tous également considérables.

2. De la sincérité de la charité.

3. De l'horreur du mal. — De la patience et de la persévérance dans la prière.

4. De l'hospitalité. — De la douceur de Jésus envers Juda.

5. Admirable développement sur la compassion envers les pauvres.

1. Il reprend la comparaison qui lui a déjà servi, auprès des Corinthiens, à combattre le même vice. En effet, grande est la force de ce remède, et cette comparaison est d'une éloquence énergique pour corriger notre arrogance. D'où vous vient la haute idée que vous avez de vous-même? ou bien, pourquoi un autre se méprise-t-il? ne formons-nous pas tous un seul et même corps, aussi bien les grands que les petits? Si nous n'avons tous qu'une même tête, si nous sommes les membres les uns des autres, d'où vous vient cette (361) arrogance qui vous sépare? pourquoi rougissez-vous de votre frère? S'il est votre membre, vous êtes le sien : ce qui constitue une grande égalité d'honneur. L'apôtre emploie deux arguments de nature à rabaisser les arrogants d'une part, nous sommes les membres les uns des autres, et ce n'est pas seulement le plus petit qui est membre du plus grand, mais 1e plus grand aussi est 'membre du plus petit; d'autre part, nous ne sommes tous qu'un seul corps. Disons mieux, l'apôtre a employé trois arguments : car il montre que tous ont reçu un seul et même don. Loin de vous donc d'avoir de vous-même une haute idée : en effet, c'est de Dieu que tout vous est venu ; et vous n'avez fait que recevoir, ce n'est pas vous qui avez rien trouvé. Aussi, en traitant des dons et des grâces, l'apôtre ne dit pas. Celui-ci a reçu un don plus grand, celui-là un doit moindre; mais que dit-il? Chacun son don différent. En effet, il dit : " Ayant des dons ", non pas, plus ou moins considérables, mais " différents ". ( I Cor. VII, 7.) En effet, qu'importe qu'on ne vous ait pas confié les mêmes biens, si le corps est le même? De plus, il commence par un don, et il termine en désignant une vertu. En effet, après avoir parlé de l'esprit de prophétie, du ministère, de privilèges semblables, il termine par l'aumône, par le soin et la protection qu'on déploie pour les autres. Il était vraisemblable que certains fidèles fussent doués de, vertus, sans avoir le don de prophétie; pour les consoler, l'apôtre montre que le premier don est de beaucoup plus considérable, ce qu'il fait également dans la lettre aux Corinthiens, et d'autant plus considérable, qu'il est accompagné de récompense, tandis que le don de prophétie n'est pas accompagné de récompense, étant un pur don, une pure grâce. Aussi dit-il : " Or, comme nous avons tous des dons différents, selon la grâce qui nous a été donnée, que celui qui a reçu le don de prophétie, en use selon la règle de la foi (6) ". Il les a suffisamment consolés, il fait plus maintenant; il veut les exciter, les stimuler, en leur montrant qu'ils fournissent eux-mêmes les occasions qui leur valent des dons plus ou moins considérables. Or il prétend que le don vient de Dieu ; ainsi, quand il dit : " Selon que Dieu a mesuré à chacun la foi " ; et encore : " Selon la grâce qui nous a été donnée ", ces paroles sont pour rabaisser les orgueilleux. Et maintenant, s'il leur dit que les commencements sont en leur pouvoir, c'est pour exciter les indolents, ce qu'il fait aussi dans l'épître aux Corinthiens, où il se propose ce double but. En effet, lorsqu'il dit : " Recherchez les grâces " (I Cor. XII, 31), il leur montre qu'ils sont eux-mêmes la cause de la diversité des dons ; et au contraire, lorsqu'il dit : " C'est un seul et même Esprit qui opère toutes ces choses, distribuant, à chacun ces dons, selon qu'il lui plaît " (Ibid. 11), ce qu'il veut prouver, c'est que l'orgueil ne convient pas à ceux qui les ont reçus : il se fait des armes de tout pour les guérir de leur mal; c'est encore ce qu'il fait ici. Et maintenant, pour relever ceux qui sont tombés, il dit : " Que celui qui a reçu le don de prophétie, en use selon la règle de la foi ". En effet, quoique ce soit une grâce, toutefois elle ne se répand pas au hasard; ceux qui la reçoivent, en déterminent la mesure; la grâce coule dans les âmes selon la capacité que lui présente la foi.

" Que celui qui a reçu le ministère, s'attache au ministère (7) ". Il parle ici d'une manière générale; l'apostolat est un ministère, toute bonne oeuvre spirituelle est un ministère. L'administration domestique et particulière est aussi appelée de ce nom, mais l'apôtre l'emploie ici d'une manière générale. " Que celui qui a reçu le don d'enseigner, s'applique à enseigner ".Voyez l'indifférence avec laquelle il indique une petite fonction d'abord, une grande ensuite : c'est encore une leçon, toujours sur le même sujet, ne pas s'enfler, ne pas s'enorgueillir. — " Que celui qui a reçu " le don d'exhorter, exhorte les autres (8) ". L'exhortation est aussi un mode d'enseignement. " Si vous avez quelque exhortation ", dit-il, " à faire au peuple, parlez-lui ". (Act. XIII, 15.) Ensuite, pour montrer qu'il y a peu d'utilité dans la vertu , si on ne la pratique pas comme il convient, il ajoute : " Que celui " qui fait l'aumône, la fasse avec simplicité ". Car il ne suffit pas de donner, mais il faut le faire avec libéralité. Car pour l'apôtre, simplicité signifie toujours libéralité. En effet, les vierges avaient de l'huile, mais, pour n'en avoir pas eu en quantité suffisante, elles perdirent tout. " Que celui qui conduit, le fasse avec vigilance ". Car, il ne suffit pas d'être à la tête, si l'on n'est vigilant et plein de zèle. " Que celui qui exerce la miséricorde, le fasse avec joie ". Car la miséricorde ne suffit pas, (362) il y faut joindre la générosité de l'âme qui exerce la miséricorde sans chagrin; ce n'est pas assez dire, sans chagrin, mais avec une joie qui éclate et qui brille : ce n'est pas la même chose que l'absence du chagrin et la joie. Ce conseil, il l'a aussi donné avec beaucoup de soin dans ce qu'il écrit aux Corinthiens; pour les exciter à la libéralité, il leur disait : " Celui qui sème peu, moissonnera peu; celui qui sème avec abondance, moissonnera aussi avec abondance " (II Cor. IX, 6, 7); et il ajoutait, pour diriger l'âme : " Donner, non avec tristesse, ni comme par force ". Car il faut à la miséricorde ces deux caractères, et qu'elle soit abondante, et qu'elle se fasse avec plaisir. Pourquoi vos gémissements en faisant l'aumône? Pourquoi la peine que vous cause la miséricorde, pourquoi perdre le fruit de votre bonne action? Si vous trouvez la miséricorde pénible, vous n'êtes pas miséricordieux, mais dur et sans humanité. Si c'est vous que vous plaignez, comment pourrez-vous soulager le malheureux qui est dans la douleur? Ce qu'il faut désirer c'est que l'infortune ne conçoive aucun mauvais soupçon, même alors que votre don est fait avec joie. Rien en effet ne semble aussi honteux à l'homme que de recevoir, à moins que la joie manifeste de celui qui donne ne. pré vienne tout soupçon; si vous ne montrez pas que vous recevez plus que vous ne donnez, vous accablerez plus que vous ne soulagerez celui à qui votre don s'adresse. Voilà pourquoi l'apôtre dit : " Que celui qui exerce la miséricorde, le fasse avec joie ".

2. Quel roi monte sur le trône avec un visage morne ? quel pécheur recevant la rémission de ses péchés, demeure dans l'abattement? Ne faites donc pas attention à votre dépense, mais à ce qui vous ménage cette dépense, au revenu. Si le semeur se réjouit, quelque incertaine que soit la moisson qu'il sème, à bien plus forte raison celui qui ensemence le ciel. Soyez joyeux, et si peu que vous donniez vous donnerez beaucoup; de même, soyez triste et donnez beaucoup, de ce beaucoup vous aurez fait peu de chose. La veuve avec ses deux oboles fit plus que d'autres qui avaient peut-être donné des talents: tant son coeur était généreux. Mais comment, direz-vous, le pauvre réduit à là dernière indigence, peut-il tout dépenser avec joie? Interrogez la veuve, et vous verrez que l'étroitesse du coeur vient de la volonté qui l'anime et non de la pauvreté, et qu'il en est de même pour la vertu, contraire : le pauvre peut avoir le coeur grand, le riche peut l'avoir petit. Voilà pourquoi l'apôtre demande dans l'aumône, la simplicité; dans la miséricorde, la joie; dans la conduite de ses frères, le zèle. Car il ne veut pas que nous nous contentions de soulager les pauvres de notre argent, il veut que nous les servions de nos paroles, de nos actions, de nos personnes, de tout ce que nous avons encore outre tout cela, sans rien excepter. Après avoir parlé de l'assistance la plus importante, de celle qui s'exerce par l'enseignement, de celle qui s'exerce par l'exhortation, (car c'est là la plus nécessaire, d'autant plus qu'elle donne à l'âme sa nourriture), l'apôtre arrive à l'assistance avec de l'argent et par tous les autres moyens.

Ensuite, pour éclairer la pratique de toutes ces vertus, il en montre la mère, qui est la charité. Car il dit : " Que votre charité soit sincère (9) ". Si vous avez cette sincérité, vous ne sentirez pas la dépense, la fatigue du corps, l'ennui de parler; vous supporterez les sueurs, les peines du ministère; vous accorderez tout généreusement, quelle que soit la nature du secours qu'il faille porter, soit de votre personne, soit de votre argent, soit par vos paroles, soit par tout autre moyen, à votre prochain. Et maintenant, de même que l'aumône ne suffit pas à l'apôtre, sans la simplicité; ni l'assistance sans le zèle; ni la miséricorde, sans la joie, de même il ne lui suffit pas de la charité; il veut qu'elle soit sincère, car c'est en cela que consiste la charité; et, si elle se présente , tout le reste l'accompagne. En effet le miséricordieux l'est avec joie , car c'est à lui-même qu'il fait miséricorde; celui qui conduit les autres, les conduit avec vigilance, car c'est lui-même qu'il conduit; et celui qui fait l'aumône , la fait avec libéralité, car c'est à lui-même qu'il donne. Ensuite, comme il y a, même pour mal faire, des amitiés comme celles des libertins ou de ceux qui s'accordent dans les commerces d'argent et dans les rapines, ou de ceux qui s'enivrent ensemble dans les festins; l'apôtre, pour préserver les fidèles de ces souillures, dit : " Abhorrant le mal ". Il ne dit pas: Vous détournant du mal, mais : Haïssant, et, plus que haïssant; l'apôtre dit . Haïssant d'une haine violente, " Abhorrant ". C'est là le sens (363) fréquent de la préposition grecque, d'où vient ab et qui marque l'abstention , la séparation, l'éloignement, l'horreur, l'affranchissement. Souvent , sans faire le mal, on sent le désir de mal faire; l'apôtre chasse ce désir par ce mot " Abhorrant ". Car il veut purifier jusqu'à la pensée, nous inspirer l'aversion profonde pour le mal, la haine qui le combat. N'allez pas croire , s'écrie-t-il , parce que je vous ai dit : " Aimez-vous les uns les autres ", que vous deviez pousser cette affection jusqu'à vous entendre les uns avec les autres pour faire le mal. C'est tout le contraire que je vous recommande. Vous devez être étrangers non-seulement à l'action, mais à la disposition mauvaise, et non-seulement y être étrangers, mais vous en détourner avec horreur et la détester. Et cette recommandation ne suffit pas encore à l'apôtre, ii y joint la pratique de la vertu, en disant : " Vous attachant fortement au bien ". Il ne se contente pas de dire, faisant le bien, mais le faisant avec amour; car c'est là le sens du précepte exprimé par le verbe qu'il emploie. C'est ainsi que le Seigneur, en unissant l'homme à la femme, a dit : " L'homme s'attachera fortement à sa femme". (Gen. II, 24.)

L'apôtre donne ensuite les raisons de. l'affection qui doit être réciproque entre nous. " Que chacun ait pour son prochain la tendresse fraternelle (10) ". Vous êtes frères, dit-il, sortis des mêmes entrailles, il est donc juste que vous vous aimiez les uns les autres. C'est ce que disait Moïse, à ceux qui disputaient en Egypte. Vous êtes frères, pourquoi vous faites-vous du mal les uns aux autres? (Exode, II, 13.) En parlant de la conduite avec les étrangers, l'apôtre dit : " S'il est possible, autant qu'il dépend de vous, vivez en paix avec tous les hommes "; mais en parlant des fidèles entre eux : " Que chacun ait pour son prochain ", dit-il, " la tendresse fraternelle". Ce qu'il veut, par ces paroles, c'est qu'il n'y ait entre les étrangers et nous, ni querelles, ni haines, ni aversion ; c'est que l'affection règne entre nous, et, plus que la simple affection, la tendresse. Car non-seulement, dit-il, la charité doit être sincère, mais intense, chaleureuse, ardente. Car qu'importe que votre affection soit exempte de perfidie, si elle n'a aucune chaleur? Voilà pourquoi l'apôtre dit : " Que chacun ait pour son prochain la tendresse ", ce qui veut dire, une affection chaleureuse. N'attendez pas que le commencement de l'affection vienne d'un autre, soyez le premier à prendre votre élan, à commencer, car c'est ainsi que vous recueillerez la récompense de l'amitié de cet autre frère.

3. Ayant donc donné la raison de l'affection mutuelle qui doit nous unir les uns aux autres, il dit aussi ce qui rend l'amitié solide. " Prévenez-vous les uns les autres par des témoignages d'honneur ". Car c'est là ce qui engendre et conserve la charité. Rien ne la provoque plus que le désir de surpasser le prochain par des déférences et des marques d'estime. Et ce n'est pas seulement l'amitié, mais la considération qui grandit par ce moyen. Car les biens dont nous avons déjà parlé naissent de la charité, la charité naît de l'estime, de même que par réciprocité l'estime naît de la charité. Ce n'est pas tout; l'apôtre ne veut pas que nous nous contentions de nous honorer, il veut quelque chose de plus : " Ne soyez point lâches dans l'intérêt que vous portez (11) ". C'est cet intérêt qui engendre l'affection, quand nous l'unissons aux témoignages d'honneur et de déférence; car rien ne provoque l'amitié autant que l'honneur que l'on rend à celui que l'on assiste. Il ne suffit pas d'aimer, il faut encore joindre à l'affection la sollicitude : ou plutôt, la sollicitude vient de ce que l'on aime, et l'amour est réchauffé par la sollicitude, et les deux se provoquent réciproquement. Beaucoup de personnes se contentent d'aimer en idée, et ne tendent pas la main. Voilà pourquoi l'apôtre rassemble de toutes parts tout ce qui édifie la charité.

Et comment ne serons-nous point lâches dans l'intérêt que nous portons? "Ayez la ferveur de l'Esprit ". Voyez-vous l'apôtre demandant en toute chose, l'intensité et l'abondance? Il n'a pas dit seulement : donnez; mais avec libéralité ; il n'a pas dit seulement : conduisez; mais il a ajouté : avec vigilance; ni exercez la miséricorde; mais il a dit: avec joie; ni : honorez vos frères, mais il y joint : prenez du souci pour eux; il ne se contente pas de dire : aimez; mais: sincèrement; ni : abstenez-vous du mal; mais : détestez le mal; ni : attachez-vous au bien ; mais : attachez-vous fortement; ni : ayez de l'affection; mais : une affection pleine de tendresse; ni prenez intérêt; mais: ne soyez point lâches dans votre intérêt; ni : avec l'Esprit; mais : la ferveur de l'Esprit, (364) c'est-à-dire, soyez ardents et pleins de vigilance. Car si vous possédez toutes ces vertus, vous attirerez l'Esprit; s'il demeure en vous, il vous inspirera le zèle pour ces vertus, et l'Esprit et la charité vous rendront toutes choses faciles, vous serez embrasé des deux côtés à la fois. Ne voyez-vous pas comme il est impossible d'arrêter les taureaux qui ont le feu sur le corps? Et vous aussi, le démon ne pourra pas vous dompter quand vous brûlerez d'une double flamme. — " Souvenez-vous que c'est le Seigneur que vous servez". Car, par toutes ces vertus, c'est Dieu que vous pouvez servir. En effet, tout ce que vous faites pour votre frère, s'élève jusqu'au Seigneur, et c'est le Seigneur lui-même, comme s'il était lui-même votre obligé, qui vous récompensera. Voyez-vous jusqu'où l'apôtre conduit la pensée de celui opère ces bonnes œuvres?

Ensuite, pour montrer comment s'allume la flamme de l'Esprit, il dit : " Réjouissez-vous dans l'espérance, soyez patients dans les maux, persévérants dans la prière (12) ". Car ce sont là tous les foyers de cette flamme. En effet, après avoir réclamé la dépense d'argent, les fatigues du corps, la conduite vigilante, la sollicitude, l'enseignement, et les autres labeurs, l'apôtre fait bien de répandre sur l'athlète l'huile de la charité, de l'esprit, de l'espérance. Car il n'est rien qui rende l'âme de l'homme aussi virile et prompte à tout qu'une bonne espérance. Ensuite, avant les biens qu'on espère, il accorde une autre récompense. C'est en effet l'espérance des biens à venir qui lui fait dire: " Soyez patients dans les maux ". Avant de goûter ces biens que réserve l'avenir, vous recueillerez des maux présents, un grand fruit, la constance et une vertu éprouvée. L'apôtre indique encore un autre secours : " Persévérants dans la prière ". Ainsi l'amour rend la vertu facile, l'Esprit vient en aide, l'espérance allège le travail, l'affliction donne la constance qui supporte tout avec une généreuse fermeté, et vous avez, outre ces secours, une autre arme, et c'est la plus puissante, la prière et l'assistance qu'obtiennent les humbles supplications : que trouvera-t-on désormais dé pénible dans les préceptes? Rien. Voyez-vous comme l'apôtre a pris soin de fortifier son athlète de toutes les manières, et comme il a réussi à rendre les préceptes tout à fait légers?

Considérez maintenant comme il s'y prend pour recommander l'aumône, non pas simplement l'aumône, mais celle qui se fait aux saints. Il a dit plus haut: " Que celui qui exerce la miséricorde, le fasse avec joie "; il a ouvert la main de la charité pour tous. Mais ici, il s'agit des fidèles, voilà pourquoi il ajoute : " Vous associant aux nécessités des " saints (13) ". Il ne dit pas : Fournissez à leurs nécessités, mais : Associez-vous à leurs nécessités, pour montrer que l'on reçoit plus qu'on ne donne, qu'il y a là un marché, car c'est une association. Vous apportez votre argent, mais ils vous communiquent leur crédit auprès de Dieu. " Prompts à exercer l'hospitalité ". Il ne dit pas : Opérant l'hospitalité, mais littéralement: Poursuivant l'hospitalité ; il nous enseigne que nous ne devons pas attendre que ceux qui ont besoin de nous viennent nous trouver; c'est nous qui devons courir après eux et les poursuivre. Ce que fit Loth, ce que fit Abraham : Abraham passait le jour à cette chasse généreuse, et à la vue de l'étranger, il s'élançait, il courait à sa rencontre, se prosternait devant lui en s'abaissant jusqu'à terre, et il lui disait : " Seigneur, si j'ai trouvé grâce devant vos yeux, ne passez pas la maison de votre serviteur. (Gen. XVIII, 3.) Nous ne faisons pas de même, nous, à la vue d'un étranger ou d'un pauvre, nous fronçons les sourcils, nous ne le croyons même pas digne de notre entretien, et si des milliers de supplications sont parvenues à nous attendrir, nous ordonnons à nos serviteurs de donner un peu d'argent, et nous pensons avoir accompli le devoir dans sa perfection. Il n'en était pas de même d'Abraham; c'était lui qui prenait la figure d'un suppliant et d'un serviteur, sans savoir pourtant quels hôtes il allait recevoir.

4. Nous, au contraire, qui savons parfaitement que c'est le Christ que nous recevons, nous ne trouvons pas dans cette pensée une raison de nous adoucir. Abraham engage, supplie, se prosterne ; nous insultons ceux qui viennent à nous; Abraham remplit le devoir de l'hospitalité faisant tout de sa personne et avec sa femme; nous ne faisons pas notre devoir, nous, même par le moyen de nos serviteurs. Si vous vouliez contempler la table qu'il dressait, vous y verriez la générosité pleine de déférence; non le luxe de la richesse, mais la richesse d'une belle âme. Qu'il y avait de riches alors ! Mais aucun d'eux (365) ne faisait rien de semblable. Qu'il y avait de veuves en Israël ! Mais aucune d'elles ne donna l'hospitalité à Elie. Qu'il y avait encore de riches au temps d'Elisée ! Mais la Sunamite seule cueillit le fruit de l'hospitalité, comme le fit Abraham, en son temps, par l'abondance et l'ardeur (le son âme généreuse. Et ce qui rend surtout Abraham admirable,c'est que sans savoir quels étaient ses hôtes, il exerçait les devoirs de l'hospitalité. Cessez donc, à votre tour, de montrer une curiosité inquiète, puisque c'est le Christ que vous recevez. Si vous voulez toujours vous enquérir curieusement au sujet du nouveau venu, il vous arrivera souvent de négliger un homme estimable, et vous perdrez votre récompense. Or, celui qui reçoit même un homme vil et misérable, n'est pas blâmé pour cela; au contraire, il reçoit également sa récompense. " Celui qui reçoit un prophète en qualité de prophète, recevra la récompense du prophète ". (Matth. X, 41.) Au contraire, celui qui, par une inquiétude intempestive, aura négligé un homme remarquable par sa vertu, sera puni. Gardez-vous donc de vous enquérir curieusement de la vie, et des actions : c'est le comble de la maladresse d'aller, pour un morceau de pain, scruter curieusement toute une vie. Car, est-ce que cet homme, quand ce serait un meurtrier, un brigand, tout ce que vous voudrez, ne vous paraît pas mériter un morceau de pain, un peu d'argent ? Mais le Seigneur votre Dieu fait même lever son soleil pour lui; et vous, vous ne le jugez pas digne de la nourriture d'un jour ?

Je veux ajouter ici encore une autre réflexion qui va beaucoup plus loin: quand vous auriez la preuve que cet homme est souillé de crimes sans nombre, même alors vous seriez inexcusable de lui refuser la nourriture d'un jour. Car vous êtes le serviteur de celui qui dit: " Vous ne savez pas à quel esprit vous appartenez ". (Luc, IX, 55.) Vous êtes le serviteur de celui qui prenait soin de ses ennemis quand ils lui lançaient des pierres, ou plutôt. de celui qui s'est laissé mettre pour eux en croix. Ne me dites pas que cet homme en a tué un autre, car quand même il devrait vous tuer, vous ne devez pas abandonner celui qui a faim. Vous êtes le disciple de celui qui, suspendu à la croix, voulait le salut de ses bourreaux; qui disait, sur la croix même : " Mon Père, pardonnez-leur, parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font ". (Luc, XXIII, 34.) Vous êtes le serviteur de celui qui guérit l'homme par qui il avait été frappé ; qui, sur la croix même, couronna son insulteur. A cette clémence, quelle clémence pourrait se comparer? En effet, les voleurs crucifiés à ses côtés l'avaient d'abord injurié tous les deux; cependant il ouvrit le paradis à l'un d'eux. Il verse des larmes sur ceux qui vont le mettre à mort; il se trouble, il est bouleversé à la vue du traître, non parce que lui-même va être crucifié, mais parce que ce traître va se perdre. Ce qui troublait le Christ, c'est qu'il prévoyait, et la pendaison du traître, et, après la pendaison , le châtiment éternel. Quoiqu'il connût son crime, jusqu'au dernier moment il supporta le misérable, il ne le repoussa pas, il embrassa le traître. Votre Seigneur embrasse, votre Seigneur touche de ses lèvres celui qui va aussitôt répandre son sang précieux, et vous, vous ne croirez pas que le pauvre mérite même un morceau de pain ? Et vous ne respecterez pas la loi établie par le Christ? Ses exemples nous montrent que ce ne sont pas les pauvres seulement que nous devons accueillir, mais même ceux qui nous traînent à la mort. Ne me dites donc pas qu'un tel a commis des crimes, mais méditez ce qu'a fait le Christ, cherchant, si près de la croix, à purifier par son baiser le traître qui allait le livrer. Et voyez ce que ses paroles ont d'incisif : " Judas ", lui dit-il, " vous trahissez le Fils de l'homme par un baiser ! " (Luc, XXII, 48.) Quelle dureté n'aurait pas attendrie, fléchie une telle parole? Quel monstre, quel diamant y aurait résisté ? Ce misérable y fut insensible. Ne me dites donc pas : Un tel a tué un tel, voilà pourquoi je me détourne de lui. Quand cet homme devrait plonger son épée dans votre poitrine, sa main dans votre gorge, baisez-lui la main, puisque le Christ baisa la bouche qui causa son supplice et sa mort.

5. Vous aussi, cessez donc de haïr celui qui veut vous perdre ; pleurez sur lui, ayez pitié de lui : ce malheureux mérite toute notre pitié et nos larmes. Nous sommes les serviteurs de celui qui baisa le traître par qui il fut livré (je ne me lasserai pas de le répéter), de celui qui adressa à ce misérable des paroles plus douces que le baiser même. Il ne lui dit pas :

O infâme, ô scélérat, traître, est-ce donc là le retour dont tu nous paies pour de si grands bienfaits? Mais que lui dit-il ? " Judas ", il (366) l'appelle de son propre nom, ce qui marquait plus de compassion, de désir de le ramener que de colère. Et il ne lui dit pas : Tu trahis ton Maître, ton Seigneur, ton bienfaiteur , mais : " Le Fils de l'homme ". Quand même ce ne serait ni ton Maître, ni ton Seigneur, celui qui était si doux, si sincère avec toi, jusqu'à te donner un baiser au moment même de ta trahison, quand ce baiser était précisément la marque de ta trahison, est-ce celui-là que tu trahis ? Soyez béni, Seigneur, pour cet exemple d'humilité, de patience admirable que vous nous avez donné. Oui, dira-t-on, tel s'est montré le Seigneur envers Judas; mais, envers ceux qui s'élancèrent sur lui avec des bâtons et des épées, il ne s'est pas montré de même. Eh ! quoi de plus doux que les paroles qu'il leur adressa ? Il pouvait les exterminer tous à la fois : il n'en fait rien; mais il leur dit, de manière à les toucher Pourquoi êtes-vous venus ici, comme si j'étais un voleur, pour me prendre avec des épées et des bâtons ? Il les avait renversés ; ils demeuraient comme privés de sentiment ; il se livra lui-même volontairement; il supporta la vue des fers dont ses mains sacrées étaient entourées , et cela , quand il pouvait tout ébranler, tout jeter par terre.

Et vous, après de tels exemples, vous êtes durs envers le pauvre. Fût-il même, ce pauvre, souillé de mille forfaits, son indigence et la faim qui le presse, devraient, si vous n'étiez tout à fait endurcis, fléchir vos coeurs. Au contraire, vous êtes là, debout, hérissé comme une bête fauve, comme le lion en colère : il faut dire pourtant que les lions n'ont jamais goûté des cadavres; mais vous, à,la vue du malheureux accablé de tant de maux, gisant à vos pieds, vous vous jetez sur lui, vos injures lui déchirent le corps, à la tourmente vous ajoutez la tourmente ; le malheureux qui cherche un refuge dans le port, vous le poussez contre l'écueil , et vous opérez un naufrage plus sinistre que les naufrages dans les mers. Et comment direz-vous à Dieu : Ayez pitié de moi? Vous demandez le pardon de vos péchés, vous qui insultez, non pas le pécheur, mais celui qui a faim; qui voulez le punir des tortures qu'il est forcé de souffrir, et qui, par votre cruauté, surpassez les bêtes féroces? C'est parce que la faim les presse, que ces monstres se saisissent de la nourriture qui leur est propre; mais vous, rien ne vous presse ni ne vous contraint, et vous dévorez votre frère, vous le mordez, vous le déchirez, sinon avec les dents, au moins avec des discours plus cruels que des morsures. Comment pourrez-vous recevoir l'oblation sainte, après avoir teint votre langue du sang humain? Donner le baiser de paix d'une bouche qui ne sait que faire la guerre aux pauvres? Comment pouvez-vous jouir de la nourriture sensible, quand vous amassez envous un tel. poison? Vous ne redressez pas le pauvre ; qui vous force à le broyer sous vos pieds? Vous ne relevez pas le malheureux abattu : qui vous force à le rabaisser plus encore ! Vous ne consolez pas sa tristesse : pourquoi la rendre plus amère ? Vous rie lui donnez pas d'argent; pourquoi vos injures vont-elles l'outrager? Ne savez-vous pas quels châtiments redoutables attendent ceux qui refusent de nourrir les pauvres ? A quels supplices ils sont condamnés? " Allez au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges ". (Matth. XXV, 41.) Si le refus de les nourrir appelle une pareille condamnation, quels supplices subiront ceux qui, non-seulement refusent de les nourrir, mais vont jusqu'à les outrager ? Quelle torture, quelle gêne ! Gardons-nous donc de nous préparer de si affreux malheurs, il en est temps encore; corrigeons ce vice, cette maladie; mettons un frein à notre langue; qu'il ne nous suffise pas de ne pas outrager, sachons encore consoler les pauvres, et par nos paroles, et par nos actions, afin de nous ménager par avance une grande miséricorde, et d'obtenir les biens qui nous sont annoncés ; puissions-nous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté, etc.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXII. BÉNISSEZ CEUX QUI VOUS PERSÉCUTENT ; BÉNISSEZ-LES, ET NE FAITES POINT D'IMPRÉCATION CONTRE EUX. (XII, 14, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.)
Analyse.

1. Bénir ses persécuteurs. — Avantages de la persécution, et surtout de la patience dans les injures.

2. Contre l'orgueil, la rancune; la haine avide de vengeance.

3. S'en remettre à Dieu du soin de punir les méchants. — Vaincre le mal par le bien.

4. Exhortation chaleureuse à la patience contre les injures.

1. Après leur avoir enseigné les dispositions dans lesquelles ils doivent être à l'égard les uns des autres, après avoir cimenté avec soin l'union entre les membres de l'Eglise, il les range en bataille devant les ennemis du dehors, et leur discipline est devenue plus facile. Car de même que celui qui ne sait pas bien administrer les gens de sa maison, sera plus embarrassé dans sa conduite avec les étrangers, de même celui qui a su mettre le bon ordre dans son intérieur, arrangera sans peine sa manière de vivre avec les gens du dehors. Voilà pourquoi l'apôtre, marchant en avant, ajoute aux conseils qu'il a précédemment donnés; cette exhortation nouvelle : " Bénissez ceux qui vous persécutent ". Il ne dit pas Oubliez les injures, ne vous vengez pas; il exige une vertu bien plus haute : l'oubli des injures est le propre d'un philosophe, mais ce que demande l'apôtre n'appartient qu'aux anges. Et après avoir dit: " Bénissez ", il ajoute : " Et ne faites point d'imprécation ", de peur qu'après avoir béni nous ne maudissions, et afin que nous bénissions sans maudire. Car ceux qui nous persécutent, nous procurent des récompenses. Et maintenant, si vous êtes vigilant, vous gagnerez, outre la récompense de la de la persécution, une autre récompense encore. Votre persécuteur vous procure la première, c'est vous qui vous attirez la seconde, en bénissant, et en montrant ainsi le plus grand signe de l'amour envers le Christ. En effet, de même que maudire son persécuteur, c'est prouver qu'on ressent peu de joie à souffrir la persécution pour le Christ, de même bénir son ennemi , c'est faire preuve d'un grand amour. Gardez-vous donc de l'injurier, afin de vous ménager. à vous-même un plus grand salaire, et de lui prouver, à lui, que votre conduite est l'effet de la vertu, et non de la nécessité, que la persécution est pour vous une pompe et une fête, et non un malheur, un sujet de découragement. Voilà pourquoi le Christ disait : " Réjouissez-vous lorsqu'on dira toute espèce de mal contre vous en mentant". (Matth. V,11.) Voilà pourquoi les apôtres aussi se réjouissaient non-seulement d'avoir été injuriés, mais battus de verges. Outre tous les fruits que nous avons énumérés, il en est encore un qui n'est pas à dédaigner, c'est que par là vous frappez d'étonnement vos adversaires, vous leur faites la leçon par vos oeuvres, vous leur montrez que vous suivez la route qui mène à une autre vie. S'ils vous voient vous réjouir, s'ils voient que les souffrances vous donnent des ailes, à la lumière de vos oeuvres ils reconnaîtront que vous avez d'autres espérances, plus grandes que la vie présente; si, au contraire, vous gémissez, vous vous lamentez, comment voulez-vous qu'ils apprennent que vous attendez une autre vie? Ce n'est pas tout, vous produirez encore un autre bien : Si l'on voit que les outrages, loin de vous causer de la douleur, ne provoquent (368) que vos bénédictions, on cessera de vous persécuter. Voyez donc que de biens naissent de cette conduite : récompense plus grande; persécution moindre; le persécuteur cessera de vous tourmenter, Dieu sera glorifié, et votre sagesse aura été pour l`homme égaré un enseignement pieux. Voilà pourquoi ce ne sont pas seulement ceux qui nous outragent, mais aussi ceux qui nous persécutent, ceux qui nous nuisent par des actions à qui l'apôtre nous commande de rendre le bien pour le mal.

Il ne se contente pas de nous commander de les bénir, mais il va plus loin encore et nous exhorte à leur faire du bien par nos oeuvres. " Soyez dans la joie avec ceux qui sont dans la joie, et pleurez avec ceux qui pleurent (15) ". Comme on peut prononcer des paroles de bénédiction, et s'abstenir d'imprécations, sans que l'amour inspire notre conduite, l'apôtre veut voir en nous l'ardente charité. Voilà pourquoi il ajoute un conseil qui dépasse celui de bénir, le conseil de partager lés chagrins, les souffrances de ceux que nous voyons dans l'affliction. Soit, dira-t-on; l'apôtre a eu raison de nous prescrire de nous affliger avec ceux qui gémissent; mais l'autre prescription à quoi bon? où est la difficulté? — Je réponds qu'il faut en effet plus de sagesse pour se réjouir avec ceux qui se réjouissent que pour se lamenter avec ceux qui se lamentent. La seule nature suffit pour provoquer la sympathie des douleurs, nul n'a le coeur dur comme la pierre, pour ne pas verser de larmes sur les infortunés; mais ce qui demande toute la générosité d'une grande âme, c'est non-seulement de ne pas porter envie à celui qui prospère, mais encore de s'associer à sa joie. Voilà pourquoi l'apôtre a mis cette action la première. Rien ne concilie l'affection autant que cette communauté de sentiments dans la joie et dans la douleur. Gardez-vous donc, quand vous êtes sans afflictions, de rester également sans compassion; quand votre prochain est dans la douleur, vous devez prendre votre part d'une tristesse qui doit être commune. Entrez donc avec ceux qui souffrent en communauté de larmes, afin de rendre leur affliction plus légère; entrez en communauté de joie avec les heureux, afin que le bonheur prenne racine dans le monde, afin de cimenter la charité, et ce sera moins à votre prochain qu'à vous-même que profitera votre conduite; vos larmes vous rendent miséricordieux, cette joie que vous partagez vous délivre de la basse envie. Je voudrais maintenant vous faire remarquer combien Paul est peu exigeant: il ne dit pas : faites cesser le malheur du prochain; souvent vous pourriez répondre : C'est impossible; il vous demande un service plus facile à rendre, et qui dépend de vous. Si vous ne pouvez pas supprimer le malheur, pleurez, et vous repoussez la plus grande partie des chagrins qui l'escortent; quoique vous ne puissiez pas rendre la prospérité plus grande, réjouissez-vous, et vous y ajoutez un appoint considérable. Voilà pourquoi l'apôtre ne se borne pas à dire qu'il ne faut pas porter envie; voilà pourquoi il ordonne, ce qui est bien plus édifiant, de se conjouir, car il y a bien plus de mérite qu'à se montrer exempt d'envie.

2. " Tenez-vous toujours unis dans les mêmes sentiments , n'aspirez point à ce qui est élevé, mais accommodez-vous à ceux qui sont humbles (16) ". Il revient, pour y insister, sur l'humilité, qui lui a inspiré les premiers mouvements de son discours. Il est vraisemblable que les fidèles de Rome étaient fort orgueilleux, et à cause du grand nom de leur ville, et par une foule d'autres causes. C'est ce qui fait que l'apôtre ne cesse pas de s'attaquer à cette maladie et de rabattre l'enflure. Rien ne contribue tant à déchirer le corps de l'Eglise que l'insolente vanité. Mais que signifie : " Tenez-vous unis dans les mêmes sentiments? " Un pauvre vient-il chez vous? Accommodez-vous à sa condition par vos sentiments; ne vous enorgueillissez pas de votre richesse; il n'y a pas de distinction de riche et de pauvre dans le Christ. Gardez-vous donc de l'enveloppe extérieure, recevez le pauvre en considération de la foi qu'il porte en lui ; si vous voyez quelqu'un pleurer, ne le jugez pas indigne de vos consolations; si vous voyez un homme dans la prospérité, ne rougissez pas de prendre votre part de son allégresse et de sa joie; les sentiments que vous éprouvez pour vous-même, éprouvez-les pour lui. L'apôtre dit, en effet : " Tenez-vous unis dans les mêmes sentiments". Exemple: Vous avez, de vous, une grande idée? Avez, du prochain .aussi, une grande idée. Vous le trouvez bas et petit? prononcez sur vous-même le même jugement., et supprimez toute inégalité. Mais le moyen ? Rejetez l'orgueil insensé. Voilà pourquoi l'apôtre ajoute : " N'aspirez point à ce qui est élevé, mais (369) accommodez-vous à ceux qui sont humbles ", c'est-à-dire: Descendez jusqu'à l'humilité du pauvre, allez avec lui, souffrez qu'il vous accompagne. Et qu'il ne vous suffise pas de vous abaisser, par les sentiments, jusqu'à lui, faites plus, secourez-le, tendez-lui la main, sans avoir recours à un intermédiaire; faites par vous-même, comme le père qui a souci de son enfant, comme la tête qui ne se sépare pas du corps; c'est une pensée que l'apôtre exprime ailleurs : " Comme si vous étiez vous-mêmes enchaînés avec eux ". (Hébr. XIII, 3.) Maintenant, par ceux qui sont humbles , l'apôtre n'entend pas seulement les humbles d'esprit , mais ceux qui sont vils et méprisables.

" Ne soyez point sages à vos propres yeux"; c'est-à-dire ne pensez pas vous suffire à vous-mêmes. L'Ecriture, ailleurs , dit encore : " Malheur à vous qui êtes sages selon vous et qui êtes prudents à vos propres yeux ". (Isa. V. 21.) L'apôtre entreprend donc encore une fois de saper l'orgueil , de rabattre l'enflure, de corriger l'arrogance. Il n'est pas de principe de séparation, de déchirement dans le corps de l'Eglise aussi tristement, puissant que la pensée qu'on se suffit à soi-même voilà pourquoi Dieu a voulu que nous eussions besoin les uns des autres. Tout sage que vous êtes, vous aurez besoin d'un autre, et s'il vous arrive de penser que vous n'en avez pas besoin, vous êtes tout à fait dépourvu et d'intelligence et de sens. L'homme ainsi disposé se privera de tout secours ; dans les péchés qu'il pourra commettre, il ne rencontrera ni la correction ni le pardon ; il ne fera qu'irriter Dieu par son arrogance et accumuler ses péchés. Car on peut voir, on voit souvent même le sage ignorer ce qu'il faut faire, et celui qui a moins d'intelligence, trouver la conduite à tenir; c'est ce qu'on voit dans Moïse et son beau-père; dans Saül et son serviteur, dans Isaac et Rébecca. Ne pensez donc pas qu'il soit humiliant pour vous d'avoir besoin d'un autre : c'est, au contraire, ce qui vous élève, vous fortifie, rehausse votre éclat, fait votre plus grande sûreté.

" Ne rendez à personne le mal pour le mal (17) ". Si vous reprochez à un autre de vouloir vous faire du mal, pourquoi vous exposer vous-même à cette accusation ? S'il a mal fait, pourquoi ne craignez-vous pas de l'imiter? Maintenant voyez que l'apôtre ne fait ici aucune distinction, c'est une loi absolue qu'il établit. Il ne dit pas : Ne rendez pas le mal au fidèle ; mais : " Ne rendez à personne le mal pour le mal ", ni au gentil, ni au scélérat, à personne, à qui que ce soit. — " Ayez soin de faire le bien , devant tous les hommes; vivez en paix, si cela se peut, autant qu'il est en vous, avec toutes sortes de a personnes (18) ". C'est-à-dire : " Que votre lumière luise devant les hommes ". (Matth. V, 16.) Non pas pour vivre en vue de la vaine gloire, mais de manière à ne pas donner prise à nos ennemis. Ce qui fait que l'apôtre dit ailleurs aussi : " Ne donnez pas occasion de scandale ni aux Juifs, ni aux Gentils, ni à l'Eglise de Dieu ". (I Cor. X, 32.) Ce précepte est expliqué à propos par ces paroles : " Si cela se peut, autant qu'il est en vous ". Car il est des circonstances où c'est impossible, par exemple, lorsqu'il est question de religion, lorsqu'il s'agit de défendre des opprimés. Et qu'y a-t-il d'étonnant qu'entre les hommes la paix ne soit pas toujours possible , lorsque l'apôtre reconnaît, entre le mari et la femme, la rupture possible : " Si la partie infidèle se sépare, qu'elle se sépare? " (I Cor. VII, 15.) Ce que dit l'apôtre revient à ceci : Faites ce qui dépend de vous et ne fournissez de sujet de querelles et de discordes à personne, ni au Juif, ni au Grec; mais si vous voyez la religion attaquée, ne sacrifiez pas la vérité à la concorde, mais luttez généreusement jusqu'à la mort, et, même en cette circonstance, ne portez pas la guerre dans votre âme, ne concevez pas d'aversion ni de haine, combattez par vos oeuvres seules, car c'est là ce que veut dire : " Autant qu'il est en vous, vivez en paix avec toutes sortes de personnes ". Et si votre adversaire ne conserve pas la paix, n'allez pas remplir votre âme de tempêtes, mais d'intention, comme je l'ai dit; restez l'ami de celui que vous combattez, et ne trahissez en aucun lieu la vérité. " Ne vous vengez point vous-mêmes, mes bien-aimés, mais donnez lieu à la colère, car il est écrit : C'est à moi que la vengeance est réservée, et c'est moi qui la ferai, dit le Seigneur (19) ". A quelle colère? à celle de Dieu. Ce que l'opprimé désire surtout, c'est de jouir de la vengeance; Dieu satisfait abondamment la victime; si vous ne vous vengez pas vous-même, vous aurez Dieu pour vengeur. Laissez-lui donc ce soin, dit l'apôtre : (370) voilà ce que signifie cette expression : " Donnez lieu à la colère ".

3. Ensuite, pour plus grande consolation, il ajoute le témoignage de l'Écriture, et, après avoir ainsi rétabli l'âme ébranlée, il lui demande une sagesse encore plus haute : " Si votre ennemi a faim, donnez-lui à manger; s'il a soif, donnez-lui à boire; car, agissant de la sorte, vous amasserez des charbons de feu sur sa tête (20). Ne vous laissez point vaincre par le mal, mais travaillez à vaincre le mal par le bien (21) ". Que dis-je, s'écrie-t-il, qu'il faut vivre en paix? Ce n'est pas assez, je veux qu'on réponde à l'ennemi par des bienfaits. " Donnez-lui à manger et donnez-lui à boire ", dit-il. Ensuite, comme ce qu'il demande est oeuvre pénible et difficile, il ajoute : " Car, agissant de la sorte, vous amasserez des charbons de feu sur sa tête ".. Ces paroles, c'est pour intimider l'ennemi d'une part, d'autre part pour rendre l'opprimé plus ardent au bien , par l'espérance de la rémunération. Car celui qui a subi l'injustice n'est pas aussi préoccupé des biens qu'il a perdus que de la vengeance à exercer contre celui qui lui a fait du tort. Rien n'est si doux que de voir la vengeance exercée contre un .ennemi. L'apôtre commence donc à donner à l'opprimé ce qu'il désire, et ensuite, quand la haine a jeté son venin, il élève l'âme à de plus hautes pensées : " Ne vous laissez point vaincre par le mal ". L'apôtre sait bien, en effet, que l'ennemi, fût-il une bête féroce, ne restera pas ennemi , après avoir reçu à manger; et si infirme, si étroite que soit l'âme de l'opprimé, après avoir donné à manger, donné à boire, il ne ressentira plus le désir de la vengeance. Aussi , parfaitement assuré du résultat final , l'apôtre ne se borne pas à une simple menace, il s'étend sur la vengeance. Il ne dit pas : Vous vous vengerez; mais : " Vous amasserez des charbons de feu sur sa tête ". Ensuite il s'adresse d'une voix retentissante aux opprimés: " Ne vous laissez point vaincre par le mal, mais travaillez à vaincre le mal par le bien "; c'est-à-dire que l'apôtre insinue doucement qu'il faut dépouiller l'esprit de haine; car la rancune c'est une défaite où l'on est vaincu par le mal. Ce n'est pas par là qu'il a commencé, ce n'était pas à propos; mais quand il a fait le vide dans le coeur, quand la colère l'a évacué, alors il ajoute : " Travaillez à vaincre le mal par le bien ".

Voilà en quoi consiste la victoire. En effet, la plus grande victoire pour l'athlète, ce n'est pas quand il s'expose lui-même à recevoir les coups, mais lorsque, se tenant bien droit, il force son adversaire à répandre dans l'air toute sa force. Car, de cette manière, il échappera à tous les coups et il paralysera toute l'énergie de l'autre. Et c'est ce qui a lieu pour les injures. Quand vous y répondez par des injures, vous êtes vaincu, non par un homme, ruais, ce qui est plus honteux, par la passion servile , par la colère qui vous agite; au contraire, si vous gardez le silence, vous avez remporté la victoire, vous vous êtes élevé sans peine un trophée, vous aurez des foules empressées à vous donner des couronnes, à condamner l'outrage qu'on vous, a fait.

Celui qui répond aux outrages ne paraît y répondre que parce qu'il a senti la morsure, et celui qui sent la morsure, donne à penser qu'il reconnaît là justesse des discours injurieux; riez-en, et, par votre rire, vous vous mettrez en dehors de tout soupçon. Si vous tenez à une démonstration qui vous fasse voir clairement la portée de ces paroles, demandez à votre ennemi lui-même, ce qui le fait le plus souffrir; est-ce lorsqu'échauffé par la colère vous lui répondez des injures? est-ce lorsque ces injures ne font que provoquer votre rire? il- vous dira que c'est quand vous prenez ce dernier parti. L'ennemi ne se réjouit pas tant de vous voir lui épargner une réplique outra géante, qu'il ne se sent piqué au vif par son impuissance à vous émouvoir. Ne voyez-vous pas les furieux, insensibles à la grêle des coups, s'élancer, plus violents que des sangliers, pour faire des blessures au prochain, ne viser qu'à cela, n'avoir de souci que celui-là, sans s'inquiéter des blessures qui peuvent les atteindre ? Donc , lorsque , sur toute chose vous privez votre ennemi de' ce qu'il désire avant tout, c'en est fait, vous l'avez avili, vous l'avez rendu méprisable, c'est moins qu'un enfant, bien loin d'être un homme; vous avez conquis le titre de sage, vous avez infligé à votre ennemi la réputation d'un être brutal et méchant. Pratiquons cette conduite quand on nous frappe; si nous sentons le désir de rendre des coups, gardons-nous de les rendre. Voulez-vous porter à votre ennemi un coup mortel? Présentez-lui votre autre joue, vous le percerez ainsi de mille blessures. Ceux qui vous applaudissent, ceux qui vous admirent, lui ((371) sont plus à charge que s'ils lui jetaient des pierres; et, prévenant leur jugement, la conscience du coupable le .condamnera, lui infligera les châtiments les plus terribles, vous le verrez, comme s'il subissait ce que la honte a de plus accablant, se retirer confondu. Que si vous recherchez la gloire auprès du grand nombre, cette gloire aussi, vous la verrez grandir. Nous sommes toujours émus en faveur de ceux que nous voyons maltraités ; mais c'est surtout quand ils ne répondent pas par des coups à ceux qui les frappent, c'est quand ils se lèvent eux-mêmes que notre émotion cesse d'être une simple pitié pour devenir de l'admiration.

4. Aussi je me surprends à gémir quand je pense que nous pourrions posséder -les biens présents, si nous faisions notre devoir, si nous obéissions à la loi du Christ, et obtenir les biens futurs, et que nous perdons à la fois tous ces biens par notre désobéissance, par la vanité de notre sagesse. C'est dans notre intérêt que le Seigneur a institué toutes ces lois, et nous a montré en quoi réside la gloire, en quoi la honte. Si ses préceptes avaient dû rendre ses disciples ridicules, il ne les aurait pas donnés ; mais ce qui leur donne un éclat incomparable, c'est de ne pas répondre aux injures, quand on les injurie, c'est de ne pas faire du mal quand on leur fait du mal, et voilà pourquoi le Christ a donné ces préceptes. S'il en est ainsi, il sera bien plus glorieux encore de répondre par des bénédictions aux malédictions, par des éloges aux insultes, par des bienfaits aux trames perfides. Et voilà pourquoi le Christ a donné aussi ce commandement. Il ménage ses disciples, il connaît parfaitement ce qui est petit et ce qui est grand. Si donc il ménage et connaît, pourquoi disputez-vous avec lui, pour suivre une route différente? Vaincre par des actions mauvaises, c'est obéir aux lois du démon : c'est ainsi que triomphent, dans les jeux à lui consacrés, tous les athlètes qui s'y montrent. Mais dans le stade ouvert par le Christ, ce n'est pas ainsi que se gagnent les couronnes; c'est tout le contraire : c'est à celui qu'on frappe que revient la couronne, et non à celui qui frappe, telle est la loi. Le stade du Christ a tous ses règlements au rebours des autres ; ce n'est pas seulement la victoire, mais le mode de victoire qui offre un sujet d'admiration. Ce qui s'appelle défaite ailleurs, prend ici le nom de victoire : telle est la puissance de notre Dieu , tel est le stade du ciel, tel est le théâtre des anges.

Je vois bien que vous êtes touchés, et que l'émotion vous rend plus flexibles que la cire, mais, quand vous vous serez retirés, vous ne retiendrez plus rien. Aussi je m'afflige que nous ne pratiquions pas ce que l'on nous enseigne, et cela, quand il y aurait pour nous les plus grands profits. Car si nous pratiquions la douceur, nous serions invincibles : personne; ni petit, ni grand, ne nous pourrait faire le moindre mal. Supposez qu'une personne vous poursuive de mauvaises paroles, elle ne vous fait à vous aucun mal, c'est à ,elle-même qu'elle se fait le plus grand dommage. Supposez qu'on vous fasse une injustice, c'est l'auteur de l'injustice qui en est la première victime. Ne voyez-vous pas; dans les tribunaux, que ceux que l'injustice a frappés sont tout rayonnants de confiance, parlant en toute liberté, tandis que les coupables baissent la tête, couverts de honte et remplis de crainte? Et que parlé-je d'accusation et d'injustice? Quand même votre ennemi aiguiserait le glaive contre vous, plongerait sa main dans votre gorge, ce n'est pas à vous qu'il ferait le moindre mal, c'est lui seul qu'il égorgerait. Témoin à l'appui de mon discours le premier qui fut ainsi exterminé par la main d'un frère. Celui-là, en effet, s'en est allé dans le port de l'éternelle tranquillité, ayant acquis une gloire immortelle : le meurtrier a vécu d'une vie plus affreuse que toutes les morts, gémissant , tremblant , promenant partout avec lui l'accusation de son crime. Ne recherchons pas cet exemple, mais l'autre. Celui qui est victime du mal ne garde pas en soi le mal; ce n'est pas lui qui a produit le mal, il l'a reçu venant d'ailleurs, il l'a changé en bien par sa patience; au contraire, celui qui a mal fait conserve intérieurement la plaie de la méchanceté ! N'est-il pas vrai que Joseph était dans une prison, et la courtisane qui avait voulu sa perte demeurait dans une maison splendide et somptueuse? Lequel des deux voudriez-vous être ? Et ne vous préoccupez pas encore de la rémunération, examinez les actions en elles-mêmes : Si vous réfléchissez ainsi, vous préférerez de beaucoup la prison avec Joseph à ce palais qui renferme la courtisane. Pénétrez dans l'une et dans l'autre de ces deux âmes; vous verrez l'une au large, et (372) dans une entière confiance, l'autre, celle de l'Egyptienne, à l'étroit et dans la honte, l'abaissement, le trouble et le découragement; cependant on pouvait croire qu'elle triomphait; mais non, ce n'était pas là un triomphe. Pénétrés de ces vérités, préparons-nous à supporter les mauvais traitements, afin d'être affranchis des maux réels, et d'obtenir les biens à venir ; puissions- nous les acquérir tous tant que nous sommes, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et la force, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXIII. QUE TOUTE PERSONNE SOIT SOUMISE AUX PUISSANCES SUPÉRIEURES. (XIII, 1, JUSQU'À 11.)
Analyse.

1. De la soumission aux puissances. — 2. Raisons et avantages de cette soumission.

3. Les princes ne sont à craindre que pour les méchants ; ils sont favorables aux bons. — Services rendus par les puissances. Il faut les honorer, les craindre.

4 et 5. De la charité. — Comment Dieu nous aime; comment nous devons aimer Dieu.

1. C'est un sujet qu'il développe encore dans d'autres lettres; comme il veut que les serviteurs soient soumis à leurs maîtres, de même il veut que les sujets obéissent aux princes. Or son but est de montrer que le Christ n'est pas venu renverser les gouvernements établis au milieu des hommes, que ses lois ne vont qu'à les améliorer, qu'à enseigner à ne pas entreprendre des guerres inutiles et sans aucun avantage. Il doit suffire des hostilités qui se font contre nous à cause de la vérité, et nous ne devons pas y ajouter des épreuves inutiles et sans aucun avantage. Or voyez comme la suite des idées l'amène naturellement à ce sujet. Après avoir demandé aux fidèles cette grande sagesse par laquelle ou s'accommode à ses amis, à ses ennemis, par laquelle on entre en communion de sentiments avec ceux qui sont dans la prospérité, avec ceux qui souffrent, par laquelle on est utile aux indigents et à tous les hommes, après avoir planté les germes d'une société angélique, purgé les coeurs en y exterminant la colère et rabattant l'orgueil, ce n'est qu'après avoir, par toutes ces réflexions, adouci les âmes, qu'il commence les exhortations nouvelles sur le sujet d'aujourd'hui. En effet, s'il convient de répondre aux injures par un traitement contraire, à bien plus forte raison convient-il d'obtempérer à nos bienfaiteurs. Mais, pour cette réflexion, l'apôtre ne la place qu'à la fin de son exhortation; jusque-là il ne propose pas cette vérité, ce qu'il montre c'est le devoir de l'obéissance. Pour montrer que ce devoir s'impose à tous, aux prêtres mêmes et aux moines, et non aux séculiers seulement, il commence par déclarer : " Que toute personne soit soumise aux puissances supérieures "; apôtre, évangéliste, prophète, qui que ce soit encore, n'importe : en effet, cette soumission n'est en rien opposée à la piété. Et l'apôtre ne se borne pas à dire: obéisse, mais " soit soumise ". La première raison de cette loi, est appropriée à la foi des chrétiens c'est Dieu qui l'a voulu. " Car il n'y a point de (373) puissance ", dit l'apôtre, " qui ne vienne de Dieu ".

Que dites vous? Tout prince a été ordonné prince par Dieu? Ce n'est pas là ce que je dis, répond l'apôtre; car je ne parle pas des princes individuellement, je ne m'occupe que de l'institution en elle-même. Qu'il y ait des principautés, que les uns commandent, que les autres soient commandés, que toutes choses ne soient pas livrées au hasard, à la débandade, que les peuples ne soient pas comme les flots, emportés de côté et d'autre, c'est là ce que j'appelle une oeuvre de la sagesse de Dieu. Aussi l'apôtre ne dit pas : car il n'y a pas de prince qui ne vienne de Dieu, mais c'est de l'institution elle-même qu'il parle, et il dit : " Qu'il n'y a point de puissance qui ne vienne de Dieu, et les puissances qui existent ont été ordonnées par Dieu". De même quand le Sage dit : " C'est par le Seigneur que la femme est appropriée à l'homme" (Proverbes, XIX, 14), il affirme que le mariage est institué par Dieu, et non pas que c'est Dieu lui-même qui marie tel homme à telle femme; car nous voyons souvent de mauvais mariages, qui ne sont pas conformes à la loi du mariage, et nous ne devons pas les attribuer à Dieu. Il ne dit pas autre chose que ce que le Christ a dit lui-même : " Celui qui créa les hommes, dès le commencement, les créa mâle et femelle; et il dit: Pour cette raison, l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme ". (Matth. XIX, 4,5; Gen. II, 24.) Comme l'égalité est souvent une cause de guerre, Dieu a établi un grand nombre de suprématies et de positions subordonnées, comme les rapports de l'homme et de la femme, du fils et du père, du vieillard et du jeune homme, de l'esclave et de l'homme libre, du prince et du sujet, du maître et du disciple. Et qu'y a-t-il d'étonnant qu'il en soit ainsi parmi les hommes, puisque dans le corps même, Dieu a établi le même ordre? En effet, il n'en a pas fait toutes les parties également considérables, il a voulu que telle fût moindre, telle, plus importante que telle eût le commandement des autres membres, que telle autre n'eût qu'à obéir. Même loi chez les animaux, tels que les abeilles, les grues, les troupeaux de brebis sauvages. Et la mer, à son tour, n'est pas privée de ce bienfait de l'ordre; là aussi grand nombre de familles de poissons se rangent, combattent sous un commandement qui les unit, et peuvent ainsi accomplir de longues pérégrinations. Car où il n'y a pas de commande ment, il n'y a que malheurs et confusion. Aussi, après avoir dit d'où vient l'autorité, l'apôtre ajoute: " Celui donc qui résiste à la puissance, résiste à l'ordre de Dieu (2) ".

Voyez jusqu'où l'apôtre fait monter la question , par quel moyen il inspire la crainte, comment il établit que l'obéissance est une dette. En effet, les fidèles auraient pu dire vous nous avilissez, vous nous rendez méprisables, ceux qui doivent posséder le royaume des cieux, vous les soumettez à des princes; l'apôtre montre que ce n'est pas à des princes mais à Dieu qu'il les soumet, car c'est à Dieu qu'obéit celui qui se soumet aux puissances. Mais il ne présente pas sa pensée de cette manière. il ne dit pas que c'est à Dieu qu'obéit celui qui reçoit les ordres des princes; il prend l'exemple du contraire; afin d'inspirer la crainte, afin de rendre l'obéissance plus stricte, il dit que celui qui rejette les ordres du prince, fait la guerre à Dieu qui a institué l'autorité. Et c'est une vérité que l'apôtre prend soin d'enseigner partout, à savoir que notre obéissance n'est pas une faveur que nous faisons aux princes, mais une dette que nous leur payons. Car en agissant ainsi, l'apôtre attirait à la religion les princes infidèles,et il attachait les fidèles à l'obéissance. On répétait alors partout que les apôtres étaient des séditieux, des instruments de révolutions, n'agissant, ne parlant que pour arriver au renversement de toutes les lois. Montrez le précepte que notre commun Seigneur impose à tous ceux qui le servent, vous fermerez la bouché de ceux qui accusaient les apôtres d'être des fauteurs de nouveautés, et vous aurez plus de liberté pour prêcher la vérité et ses dogmes.

2. Donc ne rougissez pas , dit l'apôtre, de cette soumission. Car c'est Dieu qui a institué les puissances, et sa vengeance est terrible contre ceux qui les méprisent. Ce n'est pas une réparation telle quelle qu'il exigera de celui qui aura désobéi , ce sera la plus redoutable des expiations, et quoique vous puissiez dire, rien ne vous en affranchira; vous subirez, de la part des hommes, les supplices les plus rigoureux, nul ne vous couvrira de sa protection, et vous ne ferez qu'allumer contre vous la colère de Dieu. Toutes ces vérités, l'apôtre les fait entendre, par ces paroles : "Et ceux qui y résistent, s'attireront eux-mêmes (374) leur condamnation ". Il continue, et une fois la crainte inspirée, il raisonne pour montrer l'utilité des puissances : " Car les princes ne sont point à craindre , lorsqu'on ne fait que de bonnes actions, mais lorsqu'on en fait de mauvaises (3) ". Après un rude coup, après avoir fortement frappé les esprits , il se relâche de sa sévérité , comme un médecin adroit qui emploie de doux remèdes , il console, il dit : De quoi avez-vous peur? Pourquoi frissonner? Est-ce que l'autorité a des rigueurs pour celui qui fait le bien? Celui qui pratique la vertu a-t-il lieu de la craindre? Voilà pourquoi l'apôtre ajoute : " Voulez-vous ne point craindre les puissances ? Faites bien, et elles vous en loueront ". Voyez-vous comme l'apôtre, pour attacher l'homme à celui qui commande, lui montre le prince même prêt à le louer? Voyez-vous comme il fait sortir la colère du coeur ? " Car le prince est le ministre de Dieu, pour vous favoriser dans le bien (4) ".

Il est si loin d'être à craindre, dit l'apôtre, qu'au contraire il vous loue; il est si loin de vous faire obstacle, qu'au contraire il vous favorise. Donc, puisque vous trouvez en lui la louange et le secours, pourquoi ne pas vous soumettre ? Il vous rend la vertu plus facile , il châtie les méchants, il fait du bien aux bons et les honore, il coopère à la volonté de Dieu; de là vient que l'apôtre l'a nommé le ministre de Dieu. Voyez : je vous conseille la sagesse, et lui vous donne les mêmes avis par le moyen des lois; mes exhortations vous disent qu'il est défendu de s'enrichir par la rapine, par la violence, et lui siège pour juger ces fautes. Il travaille avec nous, il vient à notre secours, c'est Dieu qui lui a confié cette mission. Il est donc, à double titre, digne de nos respects, et parce qu'il a été envoyé par Dieu, et envoyé pour une telle mission. " Si vous faites mal , vous avez raison de craindre "; ce n'est pas la puissance qui est à craindre , mais notre perversité. " Car ce n'est pas en vain qu'il porte l'épée ". Voyez-vous l'apôtre armant le prince, comme on équipe un soldat, et le rendant redoutable aux pécheurs? " Car il est le ministre de Dieu , pour exécuter sa vengeance, en punissant celui qui fait de mauvaises actions ". L'apôtre ne veut pas que le châtiment, la vengeance , l'épée vous fassent reculer d'épouvante, et il répète que le prince remplit la loi de Dieu. — Mais si le prince lui-même l'ignore? Le prince n'en est pas moins institué par Dieu. Si donc, soit qu'il châtie, soit qu'il honore , il est le ministre de Dieu , défendant la vertu , exterminant le crime, c'est-à-dire, exécutant la volonté de Dieu, pourquoi disputer contre celui qui vous procure de si grands biens, et vous aplanit les voies? Un grand nombre ont commencé par pratiquer la vertu par la crainte des princes; ensuite, c'est la crainte de Dieu qui les y a attachés. Car les esprits épais ne sont pas aussi sensibles aux biens à venir qu'aux biens présents. Celui donc qui gouverne tant d'âmes par la crainte, et par les récompenses, et qui les prédispose à recevoir la doctrine, celui-là, on a raison de l'appeler ministre de Dieu. " Il est donc nécessaire de nous y soumettre, non-seulement par la crainte du châtiment, mais aussi par un devoir de conscience (5) ".

Que veut dire : ",Non-seulement par la crainte du châtiment? " Non-seulement, dit l'apôtre , vous vous élevez contre Dieu en refusant de vous soumettre; non-seulement vous vous attirez de grands maux, et de la part de Dieu et de la part des hommes, mis encore vous oubliez que le prince est pour vous la source des plus grands biens, puisqu'il vous assure la paix et fait régner l'ordre dans l'État. Ces puissances sont pour les Etats des sources inépuisables de bienfaits, et, si vous les supprimez, tout s'en ira; plus de villes , plus de bourgs, plus de maisons, plus dé place publique; il ne subsistera plus rien, ce sera un bouleversement universel, les plus forts dévorant les plus faibles. De telle sorte que, dans le cas même où aucun châtiment ne frapperait la désobéissance , vous devriez encore votre soumission , par conscience, pour ne pas paraître ingrat envers votre bienfaiteur. " C'est pour cette raison ", dit-il, " que vous payez le tribut aux princes, parce qu'ils sont les ministres de Dieu, toujours appliqués aux fonctions de leur ministère (6) ". L'apôtre n'entre pas dans le détail des bienfaits dont les Etats sont redevables aux puissances, tels que le bon ordre, la paix, les autres services, tout ce qui concerne l'armée, les diverses fonctions publiques, il résume tout dans un mot. Que vous recevez des bienfaits du prince, dit l'apôtre, vous le témoignez vous-même en lui payant un tribut. Voyez la sagesse , l'intelligence du bienheureux Paul ! Il montre dans ce qui paraissait un pesant fardeau, des exactions mêmes, un (375) témoignage rendu à l'autorité qui pourvoit au bien de tous. Car enfin, dit l'apôtre, pourquoi lui payons-nous des tributs? N'est-ce pas parce qu'il pourvoit à nos besoins? N'est-ce pas pour récompenser le chef de toute sa sollicitude? Evidemment nous ne paierions aucun tribut, si nous ne savions pas tout d'abord que nous profitons d'un tel gouvernement; ce qui fait que, dès l'origine, il a été décrété par tous que ceux qui nous commandent , seraient nourris par nous, c'est que négligeant leurs propres affaires , ils ne s'occupent que des affaires publiques, et qu'ils consacrent tous leurs loisirs à conserver nos intérêts.

3. Après les considérations extérieures, il reprend ses premières réflexions : en effet, c'est de cette manière qu'il lui était plus facile de persuader le fidèle : il montre de nouveau que c'est là ce qui plaît à Dieu , et il conclut en disant : " Parce qu'ils sont les ministres de Dieu ". Il montre ensuite le travail qu'ils entreprennent, la peine qu'ils se donnent : " Toujours appliqués aux fonctions de leur ministère ". Voilà leur vie, voilà leur passion, faire en sorte que vous jouissiez de la paix. Par cette raison , dans une autre épître encore, il ne se contente pas d'ordonner qu'on leur soit soumis, il prescrit encore de prier pour eux, et; à ce propos, il montre l'utilité qui en résulte pour tous : " Afin que nous menions une vie paisible et tranquille ". (I Tim. II, 1, 2.) En effet, nous ne retirons pas un mince avantage , pour la vie présente , de ces princes qui mettent des armées en branle, repoussent les ennemis du dehors , répriment dans les villes les séditieux et tranchent tous les différends. Ne me dites donc pas que souvent tel prince abuse de ce pouvoir, ne considérez que le bien de l'institution, et vous y trouverez une preuve de la parfaite sagesse de Celui qui l'a établie dès le principe. " Rendez donc à chacun ce qui lui est dû ; le tribut, à qui vous devez le tribut; les impôts, à qui vous devez les impôts; la crainte, à qui vous devez de la crainte; l'honneur, à qui vous devez de l'honneur. Acquittez-vous envers tous de tout ce que vous leur devez , ne demeurant redevables que de l'amour qu'on se doit toujours les uns pour les autres (7, 8) ".

Il insiste encore et toujours sur les mêmes devoirs; ce n'est pas de l'argent seulement que l'apôtre réclame pour les princes, mais de l'honneur et de la crainte. Et, comment, lorsqu'il dit plus haut: "Voulez-vous ne point " craindre les puissances? Faites bien v, dit-il ici : " Rendez ce que vous devez, la crainte? " C'est qu'il veut parler de la crainte respectueuse et non de l'effroi qui vient d'une mauvaise conscience, et qu'il a indiqué plus haut. Et il ne dit pas: Donnez, mais, " Rendez " et il ajoute : " Ce que vous devez " : en effet, ce n'est pas là une faveur de votre part, c'est une dette, et si vous ne la payez pas , vous serez puni de votre ingratitude. Et gardez-vous de croire que ce devoir vous rabaisse, que votre dignité particulière subisse une atteinte d'avoir à vous lever, à vous découvrir devant le prince. Si ce précepte a été donné quand les princes étaient païens, à bien plus forte raison doit-il être pratiqué aujourd'hui qu'ils sont fidèles. Que si vous me répondez que des grâces plus relevées vous ont été accordées, sachez que votre heure n'est pas encore venue; vous êtes encore étranger et voyageur. Viendra le temps où votre splendeur éclipsera tout; en ce moment, votre vie est cachée avec le Christ dans le sein de Dieu. Quand le Christ apparaîtra , vous aussi alors vous apparaîtrez avec lui dans sa gloire. Ne cherchez donc pas, dès cette vie qui s'écoule, votre rétribution, et, s'il faut vous tenir avec crainte en la présence du prince, ne voyez rien dans ce devoir qui soit indigne de votre noblesse. Car c'est la volonté de Dieu , afin que le prince institué par lui, possède la force qui convient au prince. Car lorsque celui à qui sa conscience ne reproche rien de mal, se tiendra avec crainte devant le souverain juge, à bien plus forte raison tremblera celui qui commet des actions mauvaises. Quant à vous, vous y gagnerez un éclat plus brillant; ce n'est pas l'honneur par vous rendu qui peut vous avilir, mais l'honneur par vous refusé; et le prince ne fera que vous admirer davantage, et fût-il infidèle, il en prendra occasion de glorifier le Seigneur.

" Acquittez-vous envers tous de tout ce que vous leur devez, ne demeurant redevables que de l'amour qu'on se doit toujours les uns aux autres ". Nouveau retour de l'apôtre à la mer de tous les biens, à la maîtresse qui inspire toutes ses paroles, à la cause de toutes les vertus, et la charité, elle aussi, est une dette , non temporaire comme un tribut , comme un impôt, mais à payer continuellement. Cette dette, l'apôtre ne veut pas qu'elle (376) soit jamais payée; ou plutôt il veut qu'on la paye toujours, sans qu'on soit jamais quitte, sans qu'on cesse de la devoir. Telle est la nature de cette dette, on donne toujours, on doit toujours. Après avoir dit comment il faut aimer, il montre l'avantage de la charité par ces paroles : " Car celui qui aime le prochain accomplit la loi ". Ne regardez donc pas comme une faveur ce qui est une dette; vous devez l'amour à votre frère, à cause de la parenté spirituelle, et ce n'est pas là la seule cause; considérez de plus, que nous sommes membrés les uns des autres ; si cet amour nous manque, tout est déchiré. Donc, aimez votre frère. Si vous retirez de cet amour l'immense avantage d'accomplir la loi tout entière, vous devez l'amour à votre frère, en retour du bienfait que vous recevez de lui. " Parce que ces commandements de Dieu . Vous ne commettrez point d'adultère; vous ne tuerez point; vous ne déroberez point; vous ne porterez point de faux témoignage, et s'il y a quelque autre commandement semblable , tous sont compris en abrégé dans cette parole : Vous aimerez le prochain comme vous-même (9) ". — (Matth. XXII, 39.) L'apôtre ne dit pas: Sont accomplis, mais: " Sont compris en abrégé " , c'est-à-dire que cette parole renferme dans une brièveté concise l'ensemble complet des commandements. Car le principe et la fin de la vertu, c'est l'amour; voilà la racine, voilà le fondement, voilà le faîte. Si donc c'est le principe et le parfait accomplissement, où rien trouver qui l'égale?

4. Mais ce n'est pas simplement l'amour que le précepte demande, c'est l'intensité de l'amour. Il n'est pas dit seulement: Aimez votre prochain, mais " comme vous-même ". Aussi le Christ disait-il que ce précepte contient la loi et les prophètes. Et voyez, après avoir établi deux sortes d'amour, jusqu'où il élève l'amour du prochain. Après avoir dit : " Voici le premier commandement : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu ", il continue : " Voici le second " , et il n'oublie pas d'ajouter : " Semblable au premier, et ton prochain comme toi même ". Où rien trouver qui égale cette bonté du Sauveur? Malgré l'immense distance qui nous sépare de lui, il range l'amour que les hommes doivent aux hommes tout près de l'amour. qui lui est dû à lui-même, il déclare que ces deux amours sont semblables. Les mesures qu'il assigne des deux côtés sont presque égales ; pour le premier amour, il disait : " De tout ton coeur, et de toute ton âme " ; pour l'amour du prochain, " comme toi-même ". Maintenant Paul enseigne que, sans l'amour du prochain on ne recueille pas une grande utilité de l'amour de Dieu. De même que nous, quand nous avons de l'amour pour quelqu'un, nous disons : si vous l'aimez, c'est moi que vous aimerez, ainsi faisait le Christ, quand il disait : " Semblable au premier " ; quand il disait à Pierre : " Si vous m'aimez, paissez mes agneaux ". (Jean, XXI, 16.)

" L'amour qu'on a pour le prochain, ne souffre point qu'on lui fasse du mal; aussi l'amour est l'accomplissement de la loi (10) ". Voyez les deux mérites de l'amour: il empêche de faire le mal, (car, dit l'apôtre : " Il ne souffre point qu'on lui fasse du mal "), et il " opère le bien : " Aussi l'amour est l'accomplissement de la loi ", dit-il; non-seulement c'est l'abrégé de la doctrine des bonnes oeuvres, mais il en rend la pratique facile. L'amour ne nous apprend pas seulement ce que nous devons savoir, (ce qui est l'office de la loi), mais il nous donne pour l'exécution un puissant secours qui ne nous aide pas seulement à pratiquer une partie des préceptes, mais parfait en nous la vertu tout entière. Aimons-nous donc les uns les autres, puisque c'est là le moyen d'aimer ce Dieu qui nous a tant aimés. Chez les hommes, si vous aimez une personne qui est aimée d'une autre, cette autre personne s'en offense. Dieu, au contraire, veut que vous partagiez votre amour entre lui et vos frères, et Dieu déteste celui qui ne fait pas ce partage. C'est que l'amour humain est rempli de jalousie et de haines envieuses, tandis que l'amour divin est au-dessus de toutes ces passions. Voilà pourquoi Dieu demande que nous partagions son amour. Aimez, dit-il, avec moi, et je vous en aimerai davantage. Voyez-vous l'ardent amour que ces paroles respirent? Si vous aimez ceux que j'aime, je croirai alors à la sincérité de votre amour pour moi. En effet, il désire vivement notre salut, et il y a longtemps qu'il nous l'a fait savoir. Quand il créa l'homme, que dit-il.? écoutez : " Faisons l'homme à notre image " (Gen. I, 26); et encore : " Faisons lui une aide, il n'est pas bon que l'homme soit seul ". (Gen. II, 18.) Et, lorsqu'après la prévarication il le réprimanda, voyez avec quelle mansuétude il lui parle! Il (377) ne lui dit pas : Misérable, infâme, après tant de bienfaits reçus, c'est au démon que tu t'es abandonné, tu as quitté ton bienfaiteur pour t'attacher au démon pervers. Que lui dit-il, au contraire ? " D'où avez-vous su que vous étiez nu, sinon de ce que vous avez mangé du fruit de l'arbre dont je vous avais défendu de manger? " (Gen. III, 11.) On. dirait un père qui a défendu à son fils de toucher un glaive; le fils a désobéi, s'est blessé ; le père lui dit : D'où vient que tu es blessé? Cela vient de ce que tu ne m'as pas écouté. Entendez-vous cette manière de parler, qui marque plutôt l'ami que le Seigneur? je dis l'ami méprisé, qui pourtant ne cesse pas d'aimer.

Sachons donc l'imiter; et quand nous adressons des reproches, gardons aussi cette mansuétude. Les reproches qu'il fait à la femme sont empreints de la même douceur. Ou plutôt ce ne sont pas des reproches, c'est un avertissement, c'est une exhortation pour ramener au devoir, ce sont des précautions pour l'avenir. Voilà pourquoi il n'a rien à dire au serpent : c'était lui qui était l'artisan de ces malheurs, et le serpent ne pouvait rejeter la faute sur aucun autre. Aussi le Seigneur lui infligea-t-il un châtiment terrible.. Et il ne s'en tint pas là; il enveloppa la terre dans la malédiction. S'il chassa l'homme du paradis, et le condamna au travail, c'est pour cette raison surtout qu'il convient d'adorer et d'admirer. Les délices du paradis avaient provoqué le relâchement; le Seigneur retranche le plaisir, il élève la douleur comme un mur destiné à préserver de l'indolence, afin que l'homme retourne à son amour. Et maintenant comment a-t-il traité Caïn ? Ne lui a-t-il pas montré la même mansuétude? Outragé par lui, Dieu ne l'outrage pas en retour, mais il l'exhorte, il. lui dit : " Pourquoi cet abattement sur votre visage? " (Gen. IV, 6.) Son action pourtant n'admettait nulle excuse. Mais ce n'est pas une telle réprimande que Dieu lui adresse; que lui dit-il? " Vous avez péché? Restez-en là, n'ajoutez pas un nouveau crime à celui que vous avez commis : il se tournera vers vous, et vous lui commanderez " ; il lui parle de son frère. Car, dit-il, si vous craignez qu'à cause de son sacrifice qui m'a plu, je ne vous enlève votre droit d'aînesse, rassurez-vous, je vous donne autorité sur lui ; amendez-vous, aimez celui qui ne vous a fait aucun tort; car je prends un soin égal de vous deux. Mon plus grand plaisir, c'est qu'il n'y ait entre vous aucun dissentiment. Comme une mère qui aime ses enfants, Dieu fait et dispose tout pour prévenir leur division.

5. Mais je veux un exemple pour éclaircir mon discours. Représentez-vous Rebecca , troublée, cherchant de toutes parts un moyen de sauver son plus jeune fils des mauvais desseins de l'aîné. Elle aimait Jacob, mais elle n'avait pas d'aversion pour Esaü. D'où vient qu'elle disait : " Que je ne perde pas mes deux fils en un seul. jour ". (Gen. XXVII, 45.) C'est avec la même affection que Dieu disait alors : " Vous avez péché? Restez-en là : il se tournera vers vous " (Gen. IV, 7) ; le Seigneur voulait ainsi prévenir le fratricide, établir la paix entre les deux frères. Maintenant, même après que Caïn eut commis le meurtre, même alors, Dieu ne cesse pas de le couvrir de sa providence , c'est encore avec douceur qu'il parle à celui qui vient de tuer son frère. " Où est Abel, votre frère ? " Question faite pour amener un aveu. L'autre continue la résistance avec un surcroît d'impudence effrontée. Même alors, Dieu ne s'éloigne pas de lui ; au contraire, les paroles du Seigneur sont celles d'un ami outragé, méprisé. " La voix du sang de votre frère crie vers moi ". Et c'est encore ici, avec l'homicide, la terre qui subit la colère de Dieu, c'est elle qu'il maudit : " Maudite soit la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir le sang de votre frère ". Dieu fait ce que font les hommes qui déplorent des malheurs, ce que faisait David, après la mort de Saül. Il maudissait les montagnes qui avaient bu son sang : " Montagnes de Gelboé, que la rosée et la pluie ne tombent jamais sur vous, parce que c'est là qu'ont été jetés et les boucliers des vaillants ". (II Rois, I, 21.) On dirait que Dieu aussi fait entendre un chant funèbre. La voix du sang de votre frère crie vers moi : "Vous serez donc maintenant maudit sur la terre, qui a ouvert sa bouche, pour recevoir le sang de votre frère répandu par votre main ".

Il parlait ainsi pour apaiser les bouillons de sa colère, pour le porter à aimer son frère au moins après sa mort. Tu as éteint sa vie, lui dit-il, et tu n'éteins pas encore ta haine? Voyez ce que fait Dieu? Il aimait ces deux frères, parce qu'il les avait créés. Eh quoi? Laissera-t-il le meurtrier impuni ? Mais ce serait le rendre pire qu'il n'est. Il le punira donc ? Mais (378) Dieu est le plus tendre des pères. Voyez donc comment il s'y prend, pour punir et montrer en même temps son amour; ou plutôt il ne punit pas, il se borne à redresser. Le Seigneur, en effet, ne le tue pas, il l'assujettit à trembler, pour se purifier de son crime, pour revenir ainsi à l'amour de Dieu, pour se réconcilier avec son frère mort, car Dieu ne voulait pas que le meurtrier quittant la vie fût encore l'ennemi de celui qui était mort. Voilà comment font ceux qui aiment, quand on ne répond pas à leurs bienfaits par de l'amour; ils deviennent alors malgré eux, violents, menaçants; ils ne le sont pas de gaieté de coeur, mais (amour les y porte parce qu'ils veulent attirer à eux ceux qui les méprisent. Quelle que soit la contrainte qui se mêle à une telle affection, ceux qui aiment beaucoup y trouvent cependant une consolation; c'est ainsi que le châtiment même vient de l'affection. Ceux qui se soucient peu d'être haïs, ne tiennent pas non plus à punir. Voyez Paul, de son côté, disant aux Corinthiens : " Quel est celui qui peut me réjouir, si ce n'est celui qui s'attriste à cause de moi? " (II Cor. II, 2.) Ainsi c'est quand il menace du châtiment qu'il montre son amour. De même c'est parce que l'Egyptienne avait pour Joseph un violent amour, qu'elle le livra à la peine. Mais celle-ci ne voulait que le mal, parce que son amour était impudique ; Dieu, au contraire, ne veut que le bien, car son amour est digne de lui. Voilà pourquoi il ne dédaigne pas de s'abaisser aux lourdes expressions de la parole humaine, et de se donner la qualification de jaloux : " Je suis ", dit-il " un Dieu jaloux " ; c'est pour vous apprendre l'intensité de son amour. (Exode, XX, 5.)

Aimons-le donc comme il veut être aimé; Dieu attache un grand prix à notre amour. Si nous nous détournons de lui, il reste, il nous provoque; et si nous refusons de nous retourner vers lui, il nous punit, parce qu'il nous aime, et non parce qu'il veut se venger. Voyez donc ce qu'il dit dans Ezéchiel, à la ville qu'il aimait, et qui lui répondait par des mépris " Je susciterai contre vous ceux que vous aimiez, et je vous livrerai entre leurs mains, et ils vous lapideront, et ils vous égorgeront, et mon zèle pour vous vous sera retiré, et je me reposerai et je ne m'occuperai plus de "vous ". (Ezéch. XXIII, 22.) Que dirait de plus un amant passionné, méprisé par celle qu'il aime, et ensuite embrasé de nouveau de son amour? Il n'est rien que Dieu ne fasse pour être aimé de nous; il n'a pas même épargné son Fils. Mais nous sommes intraitables et cruels. Devenons enfin sensibles, aimons Dieu comme il faut l'aimer, faisons-nous une volupté de la vertu. Avec une femme qu'on aime on ne sent rien des douleurs qui attristent la vie chaque jour; avec cet amour divin, ce pur amour, songez quels sont les délices et les plaisirs. Voilà, oui, voilà le royaume des cieux, voilà les vraies jouissances, voilà la volupté, voilà la sérénité, la joie, la béatitude. Mais quoi que je dise, je ne dirai rien qui soit digne d'un tel sujet, l'expérience seule peut révéler ce qu'est en soi un tel bien. Aussi le prophète disait-il : " Mettez vos délices dans le Seigneur; et goûtez. et voyez combien le Seigneur est doux". (Ps. XXXVI, 4, et XXXIII, 9.) Obéissons donc, et plongeons-nous dans les délices du divin amour. Car, par ce moyen, même d'ici-bas nous verrons peut - être le royaume des cieux, et nous commencerons à vivre de la vie des anges; quoique séjournant sur la terre, nous n'aurons rien à envier aux habitants du ciel, et, après notre départ, nous nous tiendrons rayonnant dé splendeur devant le tribunal du Christ, et nous jouirons d'une gloire ineffable ; puissions-nous tous l'obtenir par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

HOMÉLIE XXIV. SACHANT DE PLUS, QUE LE TEMPS PRESSE, ET QUE C'EST L'HEURE DE NOUS RÉVEILLER DE NOTRE ASSOUPISSEMENT. (XIII, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE.)
379

Analyse.

1. De la nécessité de se réveiller, parce que le jour approche.

2. Sur les œuvres de ténèbres et sur les armes de lumière. — Se revêtir de Jésus-Christ. —. Contre les débauches, l'ivresse, l'impudicité.

3. Contre ceux qui se croient éveillés et qui dorment ; le démon, voleur de nuit, perçant les murs, égorgeant ceux qui sont couchés, dévastant toute la maison.

4. Des festins : contre les orgies, tableaux divers ; qu'est-ce que se revêtir de Jésus-Christ ?

1. Après leur avoir donné tous les préceptes convenables, il les excite à la pratique du, bien par la considération de l'urgence. Le jugement, dit-il, est à nos portes; c'est ainsi qu'il écrivait aux Corinthiens : " Le temps est court " (I Cor. VII, 29), et aux Hébreux : " Encore un peu de temps, et celui qui doit venir, viendra et ne tardera pas ". (Hébr. X, 37.) Mais, dans ces lettres, il ranimait les fidèles au milieu de leurs épreuves; ses paroles avaient pour but de rafraîchir les combattants inondés de sueur, de les consoler des persécutions qu'ils subissaient coup sur coup; ici, au contraire, l'apôtre réveille des endormis; car voilà la double utilité que nous pouvons retirer de ses réflexions. Mais que signifie ce qu'il dit : " Que c'est l'heure de nous réveiller de notre assoupissement? " Cela veut dire, la résurrection approche; le jugement redoutable approche; le jour approche qui sera comme un four embrasé, il faut enfin secouer notre engourdissement. " Puisque nous sommes plus proches de notre salut que lorsque nous avons reçu la foi ". Voyez-vous comme il leur montre déjà la résurrection? Le temps marche, dit-il, la vie présente se consume, la vie à venir se rapproche de nous. Si donc vous êtes prêt, si vous avez accompli toutes les prescriptions, voici le jour du salut; si vous n'en avez rien fait, il n'en est pas de même. Mais, jusqu'à ce moment, ce ne sont pas les pensées tristes, mais les pensées riantes qui lui fournissent ses exhortations; et, par ce moyen, il les affranchit de tout regret des choses présentes. Ensuite, comme il était à croire qu'ils avaient été plus ardents au commencement, quand leur ferveur était dans toute sa force; qu'à la longue leur zèle s'était refroidi, l'apôtre leur dit que c'est une disposition toute contraire qu'ils doivent faire paraître; qu'ils ne doivent pas se relâcher au fur et à mesure que le temps avance, mais bien plutôt montrer plus d'ardeur que jamais. C'est en effet quand le roi est sur le point d'arriver qu'il convient de faire de plus grands préparatifs; c'est quand l'heure des prix approche, qu'il convient de s'animer le plus aux combats; ainsi font les coureurs; c'est vers la fin de la course, ail moment de recevoir les prix, qu'ils s'animent le plus. Voilà pourquoi l'apôtre dit : " Puisque nous sommes plus proches de notre salut que lorsque nous avons reçu la foi. La nuit est déjà fort avancée, et le jour s'approche (12) ".

Donc si la nuit s'en va, si le jour approche, faisons désormais les oeuvres du jour, non celtes de la nuit. C'est la conduite que nous tenons dans la vie ordinaire; quand nous voyons venir le point du jour qui hâte le départ de la nuit, quand nous entendons chanter l'hirondelle, chacun de nous réveille son voisin, quoique la nuit n'ait pas encore disparu; quand elle a tout à fait cédé la place au (380) jour, alors nous nous excitons tous, les uns les autres, en répétant : Il est jour, et nous entreprenons toutes les oeuvres qui se font le jour, nous passons nos vêtements, nous secouons nos songes, nous chassons le sommeil, pour que le jour nous trouve préparés, nous voulons avant que les rayons du soleil aient brillé, être sur pied et à l'ouvrage. Ce que nous faisons dans ces circonstances, faisons-le ici : rejetons nos visions, débarrassons-nous des songes dé la vie présente, secouons l'assoupissement profond; en guise de vêtements, revêtons-nous de vertu, c'est tout ce que veulent dire ces paroles : " Quittons donc les œuvres de ténèbres, et revêtons-nous des armes de lumière ". Car c'est à la mêlée, à la bataille que le jour nous appelle. Mais ne vous troublez pas à ces mots d'armes et de mêlée. Les armes matérielles sont pesantes et pénibles à porter, nos armes à nous sont désirables et dignes d'envie, ce sont des armes de lumière; elles vous rendent plus éclatant que le soleil, elles vous font resplendir au loin d'une éblouissante clarté; elles sont pour vous un solide rempart: car ce sont des armes, et elles vous font rayonner, parce que ce sont des armes de lumière. Quoi donc? Ne faut-il pas combattre? Sans doute il faut combattre, c'est une nécessité; mais il n'y a ni fatigue ni peine à supporter; car notre guerre à nous c'est une danse, c'est une fête. Telles sont nos armes, telle est la puissance de Celui qui commande nos légions. Beau comme l'époux qui sort de la chambre nuptiale, tel est celui qui se munit de ces armes; car c'est tout ensemble un soldat, un époux. Maintenant, quand l'apôtre dit que " le jour approche ", il n'entend pas dire seulement qu'il va, venir, mais qu'il reluit déjà; en effet, il ajoute : " Marchons avec honnêteté comme on marche pendant le jour (13) ". Car il fait jour déjà. Le motif qui ordinairement a le plus de puissance auprès du grand ,nombre, lui sert ici à entraîner les fidèles, la bienséance : attendu qu'ils sont fort jaloux de bonne renommée. L'apôtre ne dit pas : Marchez, mais : " Marchons ", afin de mieux faire accepter d'exhortation et d'adoucir la réprimande. " Point de débauches, d'ivresses ". Il ne défend pas de boire, mais de dépasser la mesure; il ne proscrit pas l'usage, mais l'abus du vin; c'est avec la même modération de langage qu'il continue. " Point d'impudicités, de dissolutions ". Il ne supprime pas le commerce avec les femmes, mais la fornication. " Point de querelles, ni d'envie ". Il veut éteindre les foyers où s'allument les passions mauvaises, étouffer la concupiscence et la colère. Il ne suffit pas à l'apôtre de combattre ces passions en elles-mêmes, il en tarit les sources.

2. Rien n'embrase la concupiscence, rien n'enflamme la colère comme le vin et l'ivresse. Aussi, est-ce après " Point de débauches, d'ivresses ", qu'il dit: " Point d'impudicités, de dissolutions, point de querelles ni d'envie ". Et il ne s'arrête pas là; mais, quand il nous a débarrassés de nos mauvais vêtements, écoutez de quelle parure il nous embellit par ces paroles : " Mais revêtez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ (14) ". II ne parle plus d'oeuvres à faire, mais il s'exprime d'une manière plus propre à encourager. Quand il s'agissait du vice, il parlait d'oeuvres; mais maintenant qu'il s'agit de la vertu, il ne parle plus d'oeuvres, mais d'armes, afin de montrer par cette expression que la vertu orne en même temps qu'elle protégé celui qui la possède. Et l'apôtre ne s'arrête pas là; il élève beaucoup plus haut son discours, il conçoit une image d'une redoutable grandeur; c'est le Seigneur même qu'il nous donne pour vêtement, le Roi des rois. Celui qui en est revêtu possède la vertu parfaite dans son intégrité. Ces paroles : " Revêtez-vous ", nous prescrivent de nous en envelopper complètement. C'est la même pensée que l'apôtre exprime ailleurs : " Si Jésus-Christ est en vous " (Rom. VIII, 10); et encore : " Que dans l'homme intérieur habite le Christ ". (Ephés. III, 16, 17.) Ce qu'il veut en effet, c'est que notre âme soit son domicile, c'est que le Christ soit pour nous comme un vêtement, c'est qu'il soit tout pour nous, et au dedans, et au dehors. Car le Christ est notre plénitude: " La plénitude de celui qui remplit tout en tous " (Ephés. I, 23); il est la voie, il est l'homme, il est l'époux : " Car je vous ai fiancés à cet unique époux, comme une vierge pure ". (II Cor. XI, 2.) Il est la racine, le breuvage, la nourriture, la vie : " Et je vis ", dit Paul lui-même ailleurs, " ou plutôt, ce n'est plus moi qui vis, mais Jésus-Christ qui vit en moi ". (Gal. II, 20) II est l'apôtre, le pontife suprême, le docteur, le père, le frère, le cohéritier, le compagnon du sépulcre et de la croix : " Car nous avons été ensevelis " nous-mêmes, dit encore l'apôtre, " et nous avons été entés en lui, par la (381) ressemblance de sa mort ". (Rom. VI, 4, 5.) Il est aussi un suppléant : " Nous faisons donc la fonction d'ambassadeurs pour Jésus-Christ ". (II Cor. V, 20.) Il est encore notre avocat auprès du Père, car " Il intercède pour nous ". (Rom. VIII , 34.) Il est et l'habitation et l'habitant. Celui-là " demeure en moi et moi en lui ". (Jean, VI, 57.) C'est, en outre, un ami : " Car vous êtes mes amis ". (Jean, XV , 14.) C'est le fondement, la pierre de l'angle; quant à nous, nous sommes ses membres, le champ qu'il cultive, l'édifice qu'il construit, sa vigne, les ouvriers qui y travaillent avec lui. Que ne veut-il pas être pour nous? quel moyen ne prend-il pas pour nous appliquer, nous attacher à lui? ce qui est la preuve de son ardent amour. Cédez-lui donc, en secouant votre sommeil ; revêtez-vous de lui, et, vous en étant revêtu, donnez-lui votre chair à façonner à son gré. C'est ce que l'apôtre a fait entendre par ces paroles : " Et ne cherchez pas à contenter votre sensualité ".

De même qu'il ne défend pas de boire, mais de s'enivrer ; ni de se marier, mais de s'adonner au libertinage ; de même il ne réprouve pas les soins qu'on prend du corps, mais seulement la concupiscence, il ne veut pas que nous franchissions les limites de la nécessité. La preuve qu'il ne proscrit pas les soins pour le corps, c'est ce qu'il écrit à Timothée : " Usez d'un peu de vin, à cause de votre estomac et de vos fréquentes maladies ". (I Tim. V, 23.) Oui, soignez votre corps, mais pour la santé, non pour la luxure. Il n'y aurait pas d'ailleurs prévoyance et soin pour le corps si vous ne faisiez qu'allumer en lui une flamme ardente ; que d'en faire une fournaise insupportable. Voulez-vous bien comprendre ce que c'est que soigner le corps; pour la concupiscence? Voulez-vous qu'on ne vous voie jamais préoccupés de tels soins? Regardez ceux qui s'abandonnent à l'ivresse, à la gourmandise, qui recherchent le luxe des vêtements, la délicatesse, la mollesse, les dissolutions, et vous comprendrez les paroles de l'apôtre. Tous ces débauchés recherchent, non la santé, mais la luxure , ce qui attise le feu des passions. Mais vous, qui avez revêtu le Christ, qui avez rejeté toutes ces souillures, ne recherchez, pour le corps, que la santé ; prenez soin de votre corps uniquement dans cette vue ; rien au delà ; employez toute votre ardeur pour les biens spirituels. C'est ainsi que vous pourrez secouer ce sommeil, toutes ces concupiscences ne pèseront pas sur vous. Qu'est-ce que la vie présente? un sommeil, et les affaires qui s'y rapportent, ne diffèrent en rien des songes. Et, de même que ceux qui dorment, font entendre des paroles insensées, et la plupart du temps n'ont que des visions malsaines , de même, en est-il de nous, ou plutôt notre condition est bien pire. Car celui qui commet, en songe, des actions coupables, ou prononce des paroles honteuses, une fois délivré du sommeil, l'est aussi de la honte, et n'a pas d'expiation à subir; ici, au contraire, et la honte, et le châtiment subsistent pour l'éternité. Autre différence encore : ceux qui sont riches en songe, une fois le jour arrivé; comprennent le néant de leurs richesses; ici, au contraire, c'est ce que l'on comprend même avant que le jour arrive ; avant notre départ d'ici bas, ces songes sont déjà loin. Secouons donc ce sommeil funeste. Car si ce jour nous surprend dormant encore, ce qui nous saisira, c'est une mort immortelle ; et avant que ce jour arrive, nous serons la proie facile de tous nos ennemis, et des hommes. et des démons; s'ils veulent notre mort, nul ne les empêchera de nous frapper. Si le grand nombre était éveillé; le danger ne serait pas si grand ; mais à peine un ou deux tiennent leur flambeau allumé, les autres dorment comme au sein de la nuit la plus profonde, voilà pourquoi nous ne pouvons trop veiller nous-mêmes, prendre trop de précautions, si nous voulons éviter d'insupportables malheurs.

3. Ne croirait-on pas que nous sommes à présent en pleine lumière? Ne croyons-nous pas être tous bien éveillés et sur nos gardes? Et pourtant (mes paroles vont provoquer peut-être votre rire, je parlerai toutefois) nous dormons tous, nous ronflons dans une nuit profonde tous tant que nous sommes. Si nos yeux pouvaient voir les substances incorporelles, je vous montrerais comment pendant que la plupart de nous ronflent, le démon perce les murs, égorge les malheureux couchés, dévalise l'intérieur de la maison, comme un malfaiteur que rien ne gêne dans l'obscurité épaisse. Mais si nos yeux ne peuvent saisir l'insensible, servons-nous de la parole pour le décrire, représentons-nous parla pensée combien sont appesantis par les passions coupables, combien sont tenus dans les chaînes d'un lourd assoupissement, combien éteignent la, (382) lumière de l'esprit. Aussi voient-ils une chose pour une autre, entendent-ils une chose pour une autre, et aucune des paroles prononcées ici ne frappe leur attention. Si je mens, si vous êtes éveillé, alors dites-moi ce qui s'est passé ici aujourd'hui, si tout ce que vous avez entendu n'a pas été pour vous comme un songe. Oh ! je sais bien que quelques-uns réclameront ; ce que je dis ne s'adresse pas à tous; mais vous, à qui mes paroles s'adressent, vous qui n'avez rien gagné à venir ici, répondez-moi, quel est le prophète, quel est l'apôtre qui s'est entretenu aujourd'hui avec nous, et de quoi? Vous ne sauriez répondre : le plus grand nombre des paroles prononcées ici, l'ont été pour vous comme dans un songe, vous n'avez rien entendu réellement. Ce que je dis s'adresse aussi aux femmes ; elles dorment, elles aussi, d'un profond sommeil, et plût au ciel que ce fût un sommeil ! Car celui qui dort, ne dit rien, soit en mal, soit en bien; mais celui qui veille comme vous veillez, lance beaucoup de paroles qui retomberont sur sa tête, supputant ses usures, roulant des pensées de gros intérêts, n'ayant dans sa tête qu'un négoce de scélératesse et d'effronterie, remplissant son âme des épines qu'il y plante, y étouffant la bonne semence jusque dans la racine. Relevez-vous; toutes ces épines, extirpez-les ; secouez votre ivresse; car de cette ivresse, vient votre sommeil. Quand je parle d'ivresse, je ne dis pas seulement l'ivresse du vin, mais celle qu'excitent en vous les soucis de la vie présente, et à cette ivresse j'ajoute celle que te vin provoque. Mon discours ne s'adresse pas aux riches seulement, mais aux pauvres, et surtout à ceux qui chargent les tables pour des repas d'amis. Il n'y a là ni plaisir, ni récréation, mais supplice et châtiment; le plaisir ne consiste pas à dire des paroles honteuses , mais à faire entendre des discours honnêtes, le plaisir consiste à se rassasier, non pas à se crever les entrailles. Si vous prenez cela pour de la volupté, montrez-la moi le soir, votre volupté. Je ne veux pas encore vous parler des conséquences funestes de ces débauches, je ne vous entretiens quant à présent que de la brièveté de cette volupté sitôt altérée; à peine le repas terminé, la joie a déjà disparu. Si je rappelais les vomissements, les pesanteurs de tête , les maladies impossibles à compter, l'âme prisonnière, captive, que pourriez-vous me répondre? Est-ce parce que nous sommes pauvres, que nous devons nous couvrir de honte?

Ce que j'en dis, ce n'est pas pour empêcher les réunions, les festins, mais pour prévenir une conduite honteuse; et puis je voudrais que les plaisirs fussent vraiment des plaisirs, et non un supplice, un châtiment, de l'ivresse, des indigestions. Apprenons aux gentils que les Chrétiens savent goûter les plaisirs, mais les plaisirs honnêtes. Car c'est l'Ecriture qui dit : " Réjouissez-vous dans le Seigneur avec tremblement ". (Ps. II , 11.) Comment se réjouir? En récitant des hymnes, en priant, en faisant entendre des psaumes, au lieu de tous ces chants ignobles. Voulez-vous que le Christ prenne place à votre table, que sa bénédiction se répande sur tous vos convives? Priez, faites entendre des chants spirituels, appelez les pauvres à partager le repas, faites y régner le bon ordre et la tempérance; voulez-vous convertir en église la salle du festin? Au lieu de vociférations indécentes et d'applaudissements, et de trépignements, faites entendre les hymnes en l'honneur du souverain maître de toutes choses. Ne me dites pas : Qu'une autre coutume a prévalu ; corrigez ce qui est mauvais. " Soit que vous mangiez ", dit ailleurs l'apôtre, " soit que vous buviez, quoi que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu ". (I Cor. X, 31.) De vos impurs festins viennent les mauvais désirs, les impuretés, le mépris pour les épouses, les courtisanes en honneur; de là, la ruine des familles, des maux innombrables; tout est bouleversé; abandonnant la source pure, vous courez au cloaque immonde. Car que le corps de la courtisane ne soit qu'un cloaque immonde, je ne le demande à nul autre qu'à vous, qui vous vautrez dans ces immondices. Est-ce que vous ne rougissez pas, est-ce que vous ne vous regardez pas comme impur, quand vous avez péché? Aussi , je vous en conjure , fuyez la fornication et la mère de la fornication , l'ivresse. Pourquoi jetez-vous la semence où il n'y a pas d'espoir de moisson ? Je me trompe, quand vous moissonneriez, le fruit vous couvrirait de honte. Quand il en naîtrait un enfant, ce serait une honte pour vous, et cet enfant vous doit son malheur à vous qui l'avez fait bâtard et déshonoré par sa naissance. Et quand vous lui laisseriez des monceaux d'or, méprisé dans la famille, méprisé dans la cité, méprisé devant les tribunaux, ce ne sera (383) jamais que le fils de la courtisane, le fils de la femme esclave; et vous êtes méprisé à votre tour, soit vivant, soit mort; vous n'êtes plus de ce monde, mais ce monde garde le monument de votre déshonneur. Pourquoi donc jetez-vous ainsi la honte à pleines mains?

4. Pourquoi jeter la semence dans une terre qui ne tient qu'à corrompre son fruit? Où tant de germes sont voués à la stérilité? Où le meurtre a lieu avant la naissance? Car par vous la courtisane n'est pas seulement la courtisane, vous en faites de plus une homicide. Voyez-vous la filiation? Après l'ivresse, la fornication ; après la fornication, l'adultère; après. l'adultère , le meurtre? ou plutôt un 'crime, plus détestable encore que le meurtre; je ne sais quel terme employer. En effet, on ne tue pas ce qui est né, on empêche de naître. Pourquoi outragez-vous le don de Dieu? Pourquoi violez-vous les lois de la nature? Pourquoi une oeuvre maudite vous attire-t-elle, comme si c'était une bénédiction? Pourquoi faites-vous que les hommes trouvent la mort là où ils devraient trouver la vie? La femme qui vous a été accordée pour vous donner des enfants, vous en faites un instrument de meurtre ? Pour être toujours belle aux yeux de ses amants, toujours un objet de désir, pour extorquer plus d'argent, cette femme ne recule devant rien, et par là, c'est sur votre tête qu'elle amasse un ardent brasier, car si ces attentats sont commis par elle, c'est vous aussi qui en êtes cause. De là encore les idolâtries. Car que de femmes, pour se faire aimer de vous, ont recours aux enchantements, aux libations, aux breuvages, à mille autres machinations ! Eh bien ! en dépit de cet excès d'infamie, malgré ces meurtres, malgré ces idolâtries, le grand nombre regarde encore ces passions comme une chose indifférente, même ceux qui ont des épouses, et c'est de là que découlent les plus grands maux. Car tous ces poisons ne s'attaquent plus aux flancs de la courtisane , mais à l'épouse outragée, machinations sans nombre, appels aux démons, évocations des morts, guerres de chaque jour, combats sans trêve ni merci, querelles sans fin et sans relâche. Aussi Paul, après avoir dit : " Point d'impudicités, de dissolutions ", ajoute-t-il : " Point de querelles, ni d'envies ", parce qu'il sait bien que les désordres de ce genre enfantent les bouleversements des familles, les outrages faits aux enfants légitimes, des malheurs qu'on ne peut compter.

Donc, pour éviter tous ces maux, revêtons-nous du Christ, ne le quittons jamais : se revêtir du Christ, c'est ne jamais en être séparé, c'est le manifester en nous de tous côtés par la sainteté , par la douceur de nos moeurs. Cette expression, nous l'employons en parlant des amis : Il ne le quitte non plus que son habit, disons-nous (1), pour marquer un commerce inséparable. En effet, on parait selon ce qu'on a revêtu. Donc il faut que le Christ paraisse de tous côtés en nous. Et comment paraîtra-t-il ? Si vous faites les actions du Christ. " Le Fils de l'Homme ", dit le Sauveur, " n'a pas où reposer sa tête ".(Luc, IX, 58.) Imitez-le. Quand il lui fallait prendre sa nourriture, il mangeait du pain d'orge; quand il voyageait, il n'avait ni chevaux ni attelages, mais il marchait à pied au point de souffrir de la fatigue ; le sommeil nécessaire, il le prenait sur la proue d'une barque qui lui servait d'oreiller; le repos dont on avait besoin, il disait de le prendre sur l'herbe. Ses vêtements étaient grossiers, et souvent il était seul, ne menant personne à sa suite. Ce n'est pas tout; l'exemple qu'il a donné sur la croix et au milieu des outrages, méditez-le, imitez-le ; vous vous serez revêtu du Christ, si vous prenez soin de votre chair, non pour la concupiscence; car il n'y a là aucun vrai plaisir. Les désirs déréglés engendrent d'autres désirs plus tyranniques encore , et vous ne serez jamais rassasié, vous ne ferez que vous préparer une grande torture. De même que celui qui a toujours soif, eût-il à sa disposition mille sources, n'en retire aucun profit, parce qu'il lui est impossible d'éteindre en lui le mal qui le brûle, de même en est-il pour celui qui est toujours en proie à la concupiscence. Si, au contraire, vous savez vous contenir dans les limites du nécessaire., vous ne serez jamais saisi d'une telle fièvre, toutes ces impuretés s'enfuiront loin dé vous, les ivresses comme les passions lascives. Donc, mangez dans la mesure qui convient pour chasser la faim, habillez-vous comme il faut pour couvrir votre corps, ne cherchez pas dans vos vêtements une parure pour votre chair, de peur de perdre ce que vous voulez embellir; vous ne faites ainsi que rendre la chair plus faible,

1. Il en est coiffé.

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que compromettre une santé que la mollesse énerve. Pour qu'elle soit l'heureux véhicule de votre âme, pour que le pilote tienne ferme le gouvernail, pour que le soldat manie facilement ses armes, sachez bien disposer toutes choses. Ce n'est pas la richesse, c'est le petit nombre des besoins, qui met l'homme hors d'atteinte. Le riche, même quand ii n'éprouve aucune perte, a peur d'en éprouver; le pauvre, même quand il subit l'injustice, est mieux disposé que ceux qu'on n'a pas lésés, et grâce à son esprit, il ressent mieux l'allégresse et la joie. Donc ne cherchons pas à nous préserver des outrages, mais à rendre impossibles les outrages que l'on voudrait nous faire. Or nous n'y réussirons qu'à la condition de nous contenir dans les limites du nécessaire, sans rien désirer par de là. C'est ainsi qu'il nous sera donné de goûter même ici-bas les plaisirs, et d'obtenir les biens futurs, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours , et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXV. CELUI QUI EST ENCORE FAIBLE DANS LA FOI, RECEVEZ-LE AVEC CHARITÉ SANS CONTESTER AVEC LUI. CAR L'UN CROIT QU'IL LUI EST PERMIS DE MANGER DE TOUTES CHOSES; ET L'AUTRE, AU CONTRAIRE, QUI EST FAIBLE DANS LA FOI, NE MANGE QUE DES LÉGUMES. (XIV, 1, JUSQU'À 13.)
Analyse.

1-3. Des chrétiens judaïsants; conduite à tenir avec eux. — Des effets de la réprimande indirecte; exemple donné par saint Paul. — Ne pas prendre les intérêts de Dieu plus qu'il ne fait lui-même. — De la diversité de conduite chez ceux qui veulent tous également plaire au Seigneur. — Ne point se juger les uns les autres.

4-6. Eviter, sur toute chose, d'être un sujet de scandale. — Pourquoi Dieu, dans ce monde, punit les uns et non les autres. — De l'enfer ; qu'il existe.

1. Je sais que le grand nombre trouvent ce passage difficile. Aussi est-il nécessaire d'exposer d'abord tout ce qui fait le sujet de ce texte, tout ce que l'apôtre s'est proposé, par ces paroles, de corriger et de redresser. Que veut-il donc corriger? On comptait, parmi les fidèles, un grand nombre de Juifs qui, retenus par l'ancienne loi, même après avoir reçu l'Évangile, gardaient encore les observances relatives aux aliments, parce qu'ils n'osaient pas rompre entièrement avec la loi. En outre, pour ne pouvoir pas être convaincus de ne s'abstenir que de la viande du porc, ils s'abstenaient de toute espèce de viandes, ne mangeaient que des légumes, afin qu'on pût croire qu'ils pratiquaient un jeûne plutôt qu'une observance légale. D'autres, au contraire, plus avancés, ne pratiquaient aucune abstinence, et attaquaient, outrageaient, querellaient, tourmentaient ceux qu'ils voyaient s'abstenir des viandes, et ils leur rendaient la vie insupportable. Le bienheureux Paul eut donc peur que, pour vouloir corriger un petit travers, on n'arrivât à tout bouleverser, et que ceux qu'on prétendait amener à l'indifférence en fait d'aliments ne finissent par abandonner la foi , que, par un zèle inconsidéré qui cherche à tout corriger avant le temps, on ne portât (385) un préjudice mortel aux nouveaux croyants; ces reproches continuels pouvaient les rejeter loin de la confession du Christ, de telle sorte qu'ils seraient demeurés doublement incorrigibles. Voyez la prudence de Paul , voyez comme il fait éclater ici la sagesse qui lui est ordinaire, dans ce qu'il dit à propos des deux classes de fidèles: Il n'ose pais dire à ceux qui reprennent les autres : Vous faites mal ; il ne veut pas que les Juifs s'obstinent dans leurs observances; il ne dit pas non plus, vous faites bien, pour ne pas les exciter encore davantage, mais il compose une réprimande pleine de mesure : il semble d'abord reprendre les forts; mais, en parlant ensuite aux faibles, il retire ce qu'il avait dit contre les premiers. En effet, la réprimande la moins incommode est celle qui se pratique de telle sorte qu'en adressant la parole à une personne, c'en est une autre que l'on attaque. Car, de cette manière, il n'y a rien d'irritant pour celui que l'on blâme, et le remède de la correction s'administre sans qu'on l'aperçoive.

Voyez donc avec quelle intelligence, quel à propos l'apôtre se conduit dans cette circonstance. En effet, c'est après avoir dit : " N'ayez pas soin de la chair pour satisfaire ses mauvais désirs ", qu'il aborde cet autre sujet, parce qu'il ne veut pas avoir l'air de plaider pour ceux qui blâmaient les Juifs, et voulaient que l'on mangeât de toute espèce d'aliments. Les plus faibles sont toujours ceux qui réclament le plus de soins. Aussi s'adressant bien vite aux plus forts, il leur dit : " Celui qui est encore faible dans la foi ". Voyez-vous le coup déjà porté à celui qui avait égard à la différence des viandes? Dire de quelqu'un qu'il est " Encore faible ", c'est montrer qu'il est malade. Second coup ensuite : " Recevez-le avec charité. C'est montrer de nouveau qu'il a besoin de beaucoup de soins, et c'est une preuve que la maladie est grave. " Sans vous amuser à contester avec lui ". Le troisième coup vient d'être porté. Ces paroles montrent en effet que le chrétien judaïsant pèche assez pour que ceux qui ne partagent pas sa faute, qui restent pourtant unis d'amitié avec lui, et s'inquiètent de sa guérison, soient séparés d'opinion avec lui. Voyez-vous comme l'apôtre, tout en paraissant n'avoir affaire qu'aux uns, adresse aux autres une réprimande détournée qui n'a rien de pénible? L'apôtre les compare ensuite, louant les uns, faisant le procès aux autres. En effet, il ajoute : " Car l'un croit qu'il lui est permis de manger de toutes choses ", celui-là croit, et l'apôtre l'exalte à cause de sa foi ; " Et l'autre, au contraire, qui est faible dans la foi, ne mange que des légumes "; celui-ci, l'apôtre le blâme, puisqu'il parle de sa faiblesse. Ensuite, après avoir donné à propos un coup sensible, l'apôtre apporte au blessé la consolation : " Que celui qui mange de tout, ne méprise point celui qui n'ose manger de tout (3) ".

L'apôtre ne dit pas : Laisse libre; il ne dit pas: Se garde d'accuser; il ne dit pas :Renonce à corriger; mais : Ne blâme pas, ne tourne pas en dérision; et le bienheureux Paul montre par là que ces chrétiens judaïsants pratiquent des observances ridicules. Ce n'est pas du même ton que l'apôtre parle du vrai fidèle : " Que celui qui ne mange pas de tout, ne juge pas celui qui mange de tout ". De même que les plus avancés se moquaient des autres qu'ils appelaient des hommes de peu de foi, des chrétiens suspects et bâtards, continuant à judaïser; de même ces derniers jugeaient leurs accusateurs, auxquels ils reprochaient d'enfreindre la loi, d'être adonnés à leur ventre, ce qui était vrai pour un bon nombre de gentils. Voilà pourquoi l'apôtre a ajouté : " Puisque Dieu l'a pris à son service ". Il ne parle pas ainsi du chrétien judaïsant : il pouvait sembler juste de mépriser la gourmandise de celui qui mangeait de tout; de juger, de condamner le peu de foi de celui qui ne mangeait pas de tout. Mais l'apôtre a brouillé les rôles en montrant que non-seulement le plus faible ne mérite pas d'être méprisé, maisqu'il peut concevoir certains mépris. Toutefois, dit l'apôtre, ai-je la pensée de condamner celui mange de tout? Nullement. De là ce qu'il a ajouté : " Dieu l'a pris à son service". Pourquoi donc lui reprochez-vous d'enfreindre la loi ? " Puisque Dieu l'a pris à sors service " ; c'est-à-dire lui a communiqué sa grâce ineffable, et l'a absous de toute accusation. L'apôtre se retourne ensuite vers le plus fort : " Qui êtes-vous, pour juger le serviteur d'autrui? " D'où il est manifeste que les forts jugeaient leurs frères, et ne se bornaient pas à mépriser les moins avancés. " S'il demeure ferme ou s'il tombe, cela regarde son maître".

2. Encore un autre coup frappé par l'apôtre. (386) Son indignation semble s'attaquer au fort; en réalité, c'est à l'autre qu'il s'adresse. Quand il dit: " Mais il demeurera ferme ", l'apôtre le montre chancelant, ayant besoin qu'on s'occupe de lui, qu'on en prenne beaucoup de soin, un soin tel que c'est Dieu lui-même que l'apôtre appelle pour le guérir : " Parce que Dieu est tout-puissant pour l'affermir ". C'est le langage que nous tenons quand les malades sont à peu près désespérés. Pour prévenir le désespoir, ce malade, il l'appelle serviteur : " Qui êtes-vous, pour juger le serviteur d'autrui ? " Et il y a encore là une réprimande détournée. Ce n'est pas parce que sa conduite ne mérite point d'être jugée que je vous défends de le juger, mais parce qu'il est le serviteur d'autrui; ce qui veut dire qu'il n'est pas le vôtre, mais celui de Dieu. Ensuite vient encore une consolation : l'apôtre ne dit pas : Il tombe; mais que dit-il? " S'il demeure ferme ou s'il tombe ". Soit l'un, soit l'autre de ces deux états, dans les deux cas, c'est l'affaire du Seigneur; car c'est lui qui souffre le dommage quand le serviteur tombe, et, quand il tient ferme, le gain est pour le Seigneur. Sans doute, si nous ne considérons pas le but de Paul, qui veut prévenir des accusations intempestives, ces paroles sont réprouvées par le zèle que les chrétiens doivent montrer les uns pour les autres. Mais je ne veux pas me lasser de le redire, il faut considérer la pensée qui les dicte, le sujet que traite l'apôtre, les fautes qu'il tient à corriger. Il ne pouvait réprimander plus fortement ce zèle indiscret. Dieu, dit-il, qui éprouve le dommage, Dieu souffre sans réclamer; quel zèle intempestif, quel excès d'inquiétude ne montrez-vous donc pas, en tourmentant, en troublant celui qui ne fait pas comme vous? " Celui-ci distingue les jours, celui-là juge que tous les jours sont égaux (5) ".

Ici, l'apôtre me semble indiquer doucement, à mots couverts, le temps du jeûne. Ils est à croire que ceux qui jeûnaient s'obstinaient à juger la conduite de ceux qui ne jeûnaient pas; on peut croire encore que quelques-uns pratiquaient certaines observances, certaines abstinences à des jours marqués, qu'ils cessaient à d'autres jours marqués : de là ces paroles : " Que chacun agisse selon qu'il est pleinement persuadé dans son esprit". Pour dissiper les scrupules de ceux qui observaient les jours, il leur dit que la chose est indifférente; et, pour couper court aux accusations qui leur sont intentées, il montre qu'il ne faut pas tant s'obstiner à les inquiéter. Il est bien entendu que, s'il ne fallait pas tant les inquiéter, ce n'est. pas eu égard à la chose en elle même, mais à cause des circonstances de temps, parce qu'ils étaient des convertis de fraîche date. Car, en écrivant aux Colossiens, l'apôtre met un grand zèle à formuler la défense : " Prenez garde que personne ne vous surprenne par la philosophie et par des raisonnements vains et trompeurs, selon une doctrine toute humaine, ou selon des observances qui étaient les éléments du monde et non selon Jésus-Christ ". (Col. II, 8.) Et encore : " Que personne donc ne vous condamne pour le manger et pour le boire; que nul ne vous ravisse le prix de votre course ". (Ib. 16, 18.) En écrivant aux Galates, il a grand soin d'exiger d'eux la perfection de la sagesse sur ce point. Mais ici, ce n'est pas la même sévérité, parce que la foi était jeune encore. Donc gardons-nous d'appliquer à tout le : " Que chacun agisse selon qu'il est pleinement persuadé dans son esprit ". Quand il s'agit des dogmes, entendez ce que dit l'apôtre : " Si quelqu'un vous annonce un Evangile différent de celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème ". (Gal. I, 9.) Et encore : " J'appréhende qu'ainsi que " le serpent séduisit Eve, vos esprits aussi ne " se corrompent " . (II Cor. XI, 3.) Et il écrivait aux Philippiens : " Gardez-vous des chiens, gardez-vous des mauvais ouvriers, gardez-vous des faux circoncis ". (Philipp. III, 2.) Mais, en s'adressant aux Romains, comme le temps n'était pas encore arrivé d'établir la perfection de la vie chrétienne, il se borne à dire : " Que chacun agisse selon qu'il est pleinement persuadé dans son esprit". Car il s'agissait du jeûne, et ce que l'apôtre voulait, c'était réprimer l'arrogance des uns, dissiper les scrupules timorés des autres.

" Celui qui distingue les jours, les distingue pour plaire au Seigneur, et celui qui ne distingue pas les jours, agit ainsi pour plaire au Seigneur; celui qui mange de tout, mange de tout pour plaire au Seigneur, car il en rend grâces à Dieu ; et celui qui ne mange pas de tout, c'est pour plaire au Seigneur qu'il ne mange pas de tout, et il rend aussi grâces à Dieu (6) ". Ce sont encore les mêmes idées qu'il exprime. Or voici ce qu'il veut dire: (387) Il ne s'agit pas ici d'actions capitales : ce qu'il faut savoir, en effet, c'est si l'un aussi bien que l'autre se conduisent en vue de Dieu, si, des deux côtés, on finit par rendre des actions de grâces à Dieu. Eh bien ! l'un comme l'autre ils bénissent Dieu. Donc, puisque des deux côtés on bénit Dieu, il n'y a pas grande différence. Quant à vous, remarquez comment, ici encore, il frappe, d'une manière détournée, le chrétien qui judaïse. En effet, si l'important est de bénir Dieu, il est bien évident que c'est celui qui mange de tout qui bénit de Dieu, et non celui qui ne mange pas de tout. Comment pourrait-il le bénir en restant toujours attaché à la loi ancienne? C'est la pensée qu'exprime l'apôtre dans sa lettre aux Galates : " Vous qui voulez être justifiés par la loi , vous êtes déchus de la grâce ". (Gal. V, 4.) Dans cette lettre aux Romains, il se contente de l'indiquer à mots couverts, le temps n'était pas venu de parler ouvertement. En attendant, il tolère ; mais bientôt il énonce plus clairement sa pensée. Il ajoute en effet : " Car aucun de nous ne vit pour soi-même, et aucun de nous ne meurt pour soi-même. Soit que nous vivions, c'est pour le Seigneur que nous vivons; soit que nous mourions, c'est pour le Seigneur que nous mourons (7, 8) ". Ces paroles marquent plus expressément sa pensée. Car comment celui qui vit pour la loi peut-il vivre pour le Christ? Mais en même temps que l'apôtre établit cette vérité, les mêmes paroles lui servent à retenir ceux qui étaient trop pressés ale les corriger , elles recommandent la patience, elles montrent que Dieu ne peut pas mépriser les chrétiens encore judaïsants, mais qu'il se chargera lui-même de les corriger quand le temps sera venu.

3. Que signifient donc ces paroles : " Aucun de nous ne vit pour soi-même? " Nous ne sommes pas libres : nous avons un Seigneur qui veut notre vie, et non notre mort; qui prend, à notre mort, à notre vie, plus d'intérêt que nous. Car il montre par là qu'il prend de nous plus de soin que nous rien prenons nous-mêmes, qu'il regarde notre vie comme un trésor pour lui, et comme une perte notre mort. Car ce n'est pas seulement pour nous que nous mourons, mais aussi pour notre Maître, s'il nous arrive de mourir. La mort, ici, c'est la mort selon la foi. Il suffit, certes, pour prouver que Dieu s'inquiète de nous, de dire que c'est pour lui que nous vivons, que c'est pour lui que nous mourons. Toutefois, l'apôtre ne se contente pas de ces paroles ; il ajoute : " Soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous appartenons au Seigneur ". Et, en passant de cette mort à la mort naturelle, afin de ne pas trop assombrir son discours, il donne une autre preuve, un signe éclatant de la providence de Dieu. Quel est ce signe? " Car c'est pour cela même que Jésus-Christ est mort et qu'il est ressuscité, afin d'avoir un empire souverain sur les morts et sur les vivants (9) " .

Soyez donc persuadés par là qu'il s'inquiète toujours de notre salut et de notre perfectionnement. Car si sa providence n'était pas à un si haut degré occupée de nous, quelle nécessité y avait-il pour lui à s'incarner parmi nous? Eh quoi ! son zèle à faire de nous ses membres l'a porté jusqu'à prendre la forme d'un esclave, jusqu'à mourir, et, après de telles preuves, il nous mépriserait ! Non, non; il ne voudrait pas perdre ce qui lui a coûté si cher. " Car", dit l'apôtre, " c'est pour cela même qu'il est mort ": C'est comme si l'on disait : Tel homme ne peut pas ne pas s'inquiéter de son esclave, car il se soucie fort de sa bourse. Et encore ne tenons-nous pas à notre argent autant que son amour l'attache à notre salut. Ce n'est pas de l'argent, c'est son propre sang qu'il a versé pour nous, et il ne pourrait pas abandonner ceux pour qui il a payé un si grand prix. Voyez maintenant comme l'apôtre nous montre la puissance ineffable du Seigneur : " Car c'est pour cela même ", dit-il, " que Jésus-Christ est mort, et qu'il est ressuscité, afin d'avoir un empire souverain sur les morts et sur les vivants " ; et plus haut : " Soit que nous vivions, soit que nous mourions, nous appartenons au Seigneur ". Voyez-vous l'étendue de la domination? Voyez-vous la force invincible? Voyez-vous la Providence à qui rien n'échappe? Ne me parlez pas, dit-il, des vivants seuls, sa providence s'étend aussi aux morts. Mais si elle s'étend aux morts, il est bien évident qu'elle embrasse aussi les vivants; car le Seigneur n'a rien négligé de ce qui relève de cette souveraineté, et il s'est attribué la plus grande part de juridiction sur les hommes, et plus que de tout le reste, sans rien excepter, c'est de noua qu'il prend soin. Un homme achète un esclave à prix d'argent et s'attache à celui qui est devenu son esclave (388) à lui; c'est au prix de sa mort que Dieu nous a rachetés, et, après avoir tant dépensé, tant travaillé pour faire de nous sa propriété; il n'est pas possible qu’il ne fasse aucun cas de notre salut. Toutes ces réflexions de l'apôtre, c'est pour toucher le chrétien judaïsant, c'est pour l'empêcher d'oublier la grandeur du bienfait, c'est pour lui rappeler qu'il était mort et qu'il a recouvré la vie, qu'il n'a retiré de la loi aucun avantage, et qu'il ne peut, sans un excès d'ingratitude, abandonner celui dont il a tant reçu, pour retourner à la loi. Après l'avoir ainsi fortement averti, l'apôtre continue sur un ton plus doux : " Vous donc, pourquoi condamnez-vous votre frère? Et vous, pourquoi méprisez-vous le vôtre (10)? " Il semble parler des uns et des autres en les mettant au même rang; pourtant ses paroles laissent voir entre eux une grande différence. D'abord le titre de frère qu'il emploie, met un terme à la querelle ; pour en finir, il rappelle ensuite le jour terrible du jugement. Après avoir dit : " Et vous, pourquoi méprisez-vous le vôtre? " il ajoute : " Car nous paraîtrons tous devant le tribunal de Jésus-Christ ". En parlant ainsi , il a l'air de faire des reproches aux plus avancés dans la foi, mais c'est au judaïsant qu'il porte un coup, car non-seulement il lui rappelle pour le toucher le bienfait reçu, mais il lui inspire l'épouvante par la considération du châtiment à venir. " Car nous paraîtrons tous devant le tribunal de Jésus-Christ. Car il a été écrit ", dit l'apôtre " Je jure par moi-même, dit le Seigneur, que tout genou fléchira devant moi, et que toute langue confessera que c'est moi qui suis Dieu. Ainsi chacun de nous rendra compte à Dieu de soi-même (11, 12) ". Voyez-vous comme il frappe sur le chrétien judaïsant, tout en ayant l'air de ne s'attaquer qu'aux autres? Ses paroles, en effet, reviennent à ceci : De quoi vous occupez-vous? Est-ce vous qu'on punira pour eux? Il ne parle pas expressément de cette manière, mais c'est là ce qu'il fait entendre avec plus de ménagement en disant : " Car nous paraîtrons tous devant le tribunal de Jésus-Christ. Ainsi chacun de nous rendra compte à Dieu de soi-même ". Et il invoque le témoignage du prophète constatant la sujétion à Jésus-Christ de tous les hommes sans exception, la sujétion de tous les hommes de l'Ancien Testament et de tous ceux qui ont reçu l'existence quels qu'ils soient. Et il ne dit pas simplement : Chacun adorera, mais : " Toute langue confessera ", c'est-à-dire, qu'on aura des comptes à rendre de ses actions.

4. Tremblez à l'aspect du Maître de toutes les créatures siégeant sur son tribunal, et ne partagez pas, ne déchirez pas l'Église en rejetant la grâce pour retourner à la loi. La loi a pour origine le même auteur que la grâce. Et que parlé-je de la loi ?. C'est lui qui a fait les hommes et sous la loi, et avant la loi. Et ce n'est pas la loi qui vous redemandera des comptes, mais le Christ, qui en fera rendre et à vous et à toute la race des hommes. Voyez-vous comme l'apôtre a dissipé la crainte de la loi? Ensuite, ne voulant pas avoir l'air de s'être spécialement proposé d'inspirer l'épouvante, aimant mieux paraître, au contraire, avoir été conduit à cette réflexion par la suite naturelle des idées, il reprend son raisonnement : " Ne nous jugeons donc plus les uns les autres; mais jugez plutôt que vous ne devez pas donner à votre frère une occasion " de chute et de scandale (15) ". Ces exhortations s'adressent également aux uns et aux autres, elles conviennent également aux deux partis, à ceux qui s'offensent des observances concernant les aliments et aux moins avancés qui s'irritent de la vivacité des réprimandes.

Quant à vous, ne considérez que les châtiments qui nous seront infligés si, sans aucun motif, nous scandalisons quelqu'un. En effet, si la réprimande intempestive, au sujet d'une action non permise, est défendue par l'apôtre, afin que nous ne soyons pas pour notre frère un sujet de scandale, si nous le scandalisons sans avoir en vue sa correction, quel châtiment ne subirons-nous pas? En effet, si c'est une faute que de ne pas sauver son frère, ce que prouve la parabole du talent enfoui, que sera-ce si on lui devient une occasion de chute? - Mais si le scandale vient de l'infirmité même de celui qui se scandalise ? — Eh bien ! c'est précisément pour cette raison que vous méritez tous les châtiments. Si votre frère était fort, il n'aurait pas besoin de tant de soins; c'est parce qu'il est faible qu'il faut l'entourer d'une grande sollicitude. Sachons donc la lui montrer, et, par tous les moyens, soutenons-le. Car nous n'aurons pas à rendre compte seulement de nos fautes particulières, mais de celles qu'auront commises les autres, scandalisés par nous. En ce qui concerne (389) nous-mêmes, les comptes seront sévères; si nous y ajoutons encore ces autres comptes, par quel moyen pourrons-nous nous sauver? Gardons-nous de croire que si nous trouvons des compagnons de nos fautes, ce sera pour nous une excuse; au contraire, ce sera pour nous un surcroît de châtiments; Je serpent a été plus châtié que la femme; la femme, plus que l'homme; Achab avait ravi la vigne, Jézabel a été plus sévèrement punie, parce que c'était elle qui avait ourdi cette trame perfide et scandalisé le roi.

Il en sera de même pour vous, quand vous aurez causé la perte des autres, vous subirez des châtiments plus rigoureux que ceux dont vous aurez provoqué la chute. Car ce n'est pas tant le péché qui perd, que le scandale qui précipite les autres dans les péchés. Aussi l'apôtre dit-il : " Non-seulement ceux qui les font, mais aussi ceux qui approuvent ceux qui les font ". (Rom. I, 32.) Aussi, quand nous voyons des pécheurs , non-seulement gardons-nous de les précipiter dans le gouffre, mais sachons encore les retirer de l'abîme d'iniquité ; ne nous exposons pas à porter nous-mêmes les peines de la perdition d'autrui ; rappelons-nous sans cesse le tribunal terrible, le fleuve de feu, les liens qu'il est impossible de briser, les ténèbres où il n'y a plus une étincelle de lumière, le grincement de dents, le ver empoisonneur. Mais, direz-vous, Dieu est bon. Ainsi nous ne faisons en réalité que des phrases, et ce riche n'est pas . châtié de ses froids mépris pour Lazare? et ces vierges folles ne sont pas chassées de la chambre de l'époux? et ceux qui ont refusé de nourrir Jésus-Christ, ne s'en vont pas dans le feu préparé pour le démon et pour ses anges? et celui qui était revêtu de vêtements souillés ne sera pas, pieds et poings liés, livré à la mort? et celui qui a exigé les cent deniers, n'a pas été livré aux bourreaux? et il n'y a pas de vérité dans cette parole prononcée contre les adultères : " Leur ver rie mourra " point, leur feu ne s'éteindra point? " (Marc, IX, 43.) Ce ne sont là que des paroles de menaces? — Oui, direz-vous. Et comment, je vous en prie, osez-vous proférer un tel blasphème; décider ainsi par vous-même? Je puis, moi, et par ce qu'a dit le Christ, et par ce qu'il a fait, vous démontrer le contraire. Si vous ne croyez pas aux châtiments à venir, croyez du moins aux faits accomplis ; les faits accomplis, les faits qui ont paru dans leur réalité, sont plus que des menaces et des phrases. Qui donc a englouti toute la terre, du temps de Noé, qui donc a opéré ce sinistre naufrage et toute la destruction de notre race? Qui donc ensuite a envoyé ces foudres et ces incendies sur la terre de. Sodome? Qui donc a noyé toute l'armée d'Egypte dans la mer ? qui donc a fait périr six cent mille Israélites dans le désert? qui donc a brûlé la faction d'Abiron (Ps. CV , 17 ) ? qui donc a commandé à la terre d'ouvrir l'abîme qui a dévoré Coré , Dathan et ses complices? qui donc, en un instant, sous David, a exterminé soixante-dix milliers d'hommes (II Rois, XXIV, 15)? Dirai-je tous ceux qui ont été frappés un à un? Caïn livré à un supplice sans fin ? Charmen lapidé avec toute sa race (Jos. vit, 24) ? celui qui avait ramassé du bois le jour du sabbat, également lapidé (Nombr. XV, 36)? ces quarante-deux enfants, sous Elisée, dévorés par les bêtes féroces, et que leur jeune âge n'a pas sauvés des rigueurs du châtiment? (IV Rois, II, 24.)

5. Si, même après la grâce, vous tenez à voir de pareils exemples, considérez tout ce qu'ont souffert les Juifs, comment les femmes ont mangé leurs propres enfants; les unes, les faisant cuire; les autres usant d'autres moyens. Voyez-les livrés à une famine insupportable, à des guerres terribles et multiples, dépassant, par l'excès des douleurs, toutes les anciennes tragédies. Et c'est le Christ qui a envoyé ces malheurs; entendez la prédiction qu'il en fait d'abord en paraboles, puis ensuite en termes clairs et exprès. Prédiction en paraboles : " Ceux qu’ils n'ont pas voulu m'avoir pour roi, qu'on les amène ici, et qu'on les tue en ma,présence ". (Luc, XIX, 27.) La parabole de la vigne , la parabole des noces., même sens. Prédiction maintenant parfaitement claire , en termes exprès : ainsi cette menace : " Ils passeront par le fil de l'épée; ils seront. emmenés captifs dans toutes les nations; les nations sur la terre seront dans la consternation, la mer faisant un bruit effroyable par l'agitation de ses flots, et les hommes sècheront de frayeur ". (Luc, XXI, 24, 25, 26.) Et encore : " Car l'affliction de ce temps-là sera si grande, qu'il n'y en a point eu de pareille depuis le commencement du monde ". (Matth. XXIV, 21.) Quant à Ananie et à Saphire pour le vol de quelques pièces (390) d'argent, quel châtiment n'ont-ils pas subi, vous le savez tous ". (Act. V, 1.) Ne voyez-vous pas tous le: jours des calamités publiques? Ne sont-ce pas là des réalités? Ne voyez-vous pas même encore maintenant des malheureux que la faim consume? Ne voyez-vous pas des lèpres, d'autres maladies encore? Des vies qu'afflige une indigence perpétuelle? Et ceux qui souffrent mille maux insupportables?

Comment serait-il juste que les uns fussent frappés, que les autres ne fussent pas frappés? Si Dieu n'est pas injuste, et il est certain que Dieu n'est pas injuste , il est absolument nécessaire que vous soyez puni de vos péchés; si son amour pour les hommes lui défend de les punir, selon vous, tels et tels ne devaient donc pas être punis. C'est donc pour confondre cette fausse espérance des pécheurs que Dieu punit dès ici-bas tant de monde. C'est afin que si vous ne croyez pas aux menaces, vous croyiez au moins aux supplices réellement infligés; il y a une autre raison encore : comme les anciennes vengeances nous inspirent moins de terreur, Dieu les renouvelle de siècle en siècle pour réveiller les lâches. Mais pourquoi, dira-t-on, ne pas châtier ici-bas tous les hommes? C'est pour donner aux autres le temps du repentir. Pourquoi n'attend-il pas l'autre vie pour les, punir tous ? C'est afin qu'on ne doute pas,de sa providence. Que de brigands ont été pris, et combien sont partis d'ici-bas, sans avoir été punis? Où est donc la bonté de Dieu, où est la justice de son jugement? Car à présent, c’est moi qui ai le droit de vous interroger. Si personne absolument n'avait été puni, vous pourriez vous prévaloir de cette observation ; mais s'il est vrai que les uns sont punis, que les autres ne le sont pas, même pour des péchés plus graves, peut-il être raisonnable que les mêmes fautes n'entraînent pas les mêmes expiations? Peut-on soutenir que ceux qui ont été punis ne l'ont pas été injustement? Pourquoi donc tous ne sont-ils pas châtiés ici-bas? Ecoutez la justification que vous fait entendre le Christ , à ce sujet.

Quelques hommes ayant été tués par la chute d'une tour, certaines personnes ne savaient. que penser, Jésus leur dit : " Pensez-vous que ce fussent les plus grands pécheurs? Non, je vous en assure ; mais si vous ne faites pas pénitence, vous tous, vous périrez semblablement " (Luc, XIII, 3) ; exhortation pour nous à ne pas prendre confiance lorsque les autres étant punis, nous qui sommes de si grands coupables, nous ne subissons pas de punition. Car, si nous ne changeons pas, nous serons punis sans aucun doute. — Et pourquoi, dira-t-on, une punition éternelle pour si peu de temps qu'ici-bas nous avons péché? — Et pourquoi l'homme qui a mis si peu de temps ici-bas à commettre un meurtre, et qui n'en a commis qu'un , est-il condamné pour toujours à la peine des mines? — Mais Dieu n'agit pas de même, répond-on. Comment donc se fait-il qu'il -ait retenu, pendant trente-huit ans, le paralytique sous le coup d'un châtiment si rigoureux? La preuve qu'il le punissait de ses péchés , écoutez , le Christ l'a donnée lui-même : " Vous voyez que vous êtes guéri, ne péchez plus à l'avenir, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pis ". (Jean, V, 14.),Toutefois, direz-vous, le châtiment a eu un terme. Mais, dans l'autre monde, les choses ne se passeront pas de même : châtiment sans fin; écoutez le Christ : " Leur ver ne mourra point, leur feu ne s'éteindra point ". (Marc, IX, 44.) Et encore: " Ils iront, ceux-ci dans la vie éternelle, ceux-là dans l'éternel supplice ". (Matth. XXV, 46.) Si la vie est éternelle, le supplice aussi est éternel. Voyez les menaces qu'il a faites aux Juifs? N'ont-elles pas eu leur effet? N'ont-elles été que vaines paroles ? " Il n'en restera pas pierre sur pierre ". (Matth. XXIV, 2.) En est-il resté? Et encore, quand le Christ a dit : " L'affliction de ce temps-là sera si grande qu'il n'y en a pas eu de pareille ? " (Ibid. V, 21.) L'événement a-t-il eu lieu? Lisez l'histoire de Josèphe, et vous pourrez à peine respirer, rien qu'au récit de ce qu'ils ont souffert pour leurs fautes. Ce que j'en dis, ce n'est pas pour vous affliger, c'est pour vous rendre plus fermes dans votre marche; je ne veux pas par d'inutiles caresses vous conduire à d'affreux malheurs. Car enfin, je vous le demande, ne méritez-vous pas un châtiment si vous péchez? Ne vous a-t-il pas tout prédit? Ne vous a-t-il pas menacé? Ne vous a-t-il pas inspiré des craintes? N'a-t-il pas tout fait pour votre salut à vous? Ne vous a-t-il pas donné l'eau qui régénère, ne vous a-t-il pas remis tout ce que vous aviez fait auparavant? Après cette rémission, après cette ablution, ne vous a-t-il pas encore donné, à vous pécheur, le secours de la pénitence? Ne vous a-t-il pas encore, même après tous ces dons , (391) rendu facile la voie de la rémission des péchés ?

6. Ecoutez donc ce qu'il a commandé : Si vous pardonnez à votre prochain, je vous pardonne moi aussi, dit-il. (Matth. VI, 14.) Où est la difficulté? " Assistez l'orphelin, faites justice à la veuve , et venez , et soutenez votre cause contre moi ", dit-il; " et quand vos péchés seraient comme l'écarlate , je vous rendrai blanc comme neige ". (Isaïe, I, 17, 18.) Qu'y a-t-il de pénible là dedans ? " Dites vous-même vos péchés, afin que vous soyez justifié ". (Ib. XLIII, 26.) Où est la difficulté? " Rachetez vos péchés par des aumônes". (Dan. IV, 24.) Faut-il verser beaucoup de sueur pour cela? Le publicain dit : " Ayez pitié de moi qui suis un pécheur " (Luc, XVIII, 13), et il descendit purifié. Faut-il tant se fatiguer pour imiter le publicain ? Mais en dépit de si grands exemples, vous ne voulez pas encore croire à la punition , au châtiment ? Vous ne croyez donc pas que le démon même soit châtié ! "Allez ", dit-il, " au feu préparé pour le démon et pour ses anges ". (Matth. XXV, 41.) S'il n'y avait pas de géhenne, il ne serait pas puni; s'il est puni, évidemment nous aussi, qui faisons ses oeuvres, nous devons être punis; car nous aussi nous avons désobéi, quoique nous n'ayons pas désobéi -de la même manière. Comment donc osez-vous tenir un pareil langage ? Quand vous dites : Dieu est bon, et il ne punira pas, il en résulte que s'il punit, à vous entendre, il n'a plus de bonté. Ne voyez-vous pas quels discours le démon seul vous inspire ? Eh quoi ! les moines qui ont pris pour eux les montagnes, qui exercent la piété sous mille formes, seront-ils frustrés de leur couronne ? Car enfin, si les méchants ne sont pas châtiés, si toute rétribution est supprimée, on pourra bien dire aussi qu'il n'y a pas de couronnes pour les bons. Nullement, me répondez-vous, car ce qui est digne de Dieu, c'est qu'il y existe un paradis et point d'enfer. Donc et le fornicateur, et l'adultère, et celui qui a commis un nombre considérable d'actions mauvaises, jouiront des mêmes biens que ceux qui ont pratiqué la chasteté, la sainteté ; Néron se tiendra à côté de Paul, ou plutôt ce sera le démon qui sera en compagnie de l'apôtre. Car s'il n'y a pas d'enfer, et qu'il y ait une résurrection , les méchants jouiront des mêmes biens que les justes. Où est l'homme assez en démence pour le soutenir? Ou plutôt quel démon tiendrait ce langage? Les démons confessent qu'il y a un enfer: de là vient qu'ils s'écriaient : " Etes-vous venu ici pour nous torturer avant le temps? " (Matth. VIII, 29.)

Comment n'êtes-vous pas saisi de crainte et d'horreur ? Les démons confessent, et vous niez? Et comment ne voyez-vous pas quel est l'auteur de ces opinions perverses ? Celui qui, au commencement, a trompé l'homme, qui, en lui présentant l'espoir de biens plus considérables, lui a fait perdre ceux qu'il avait dans ses mains, le démon, c'est lui qui lui suggère maintenant encore de pareils discours, de pareilles pensées ; et s'il tient à persuader à quelques-uns qu'il n'y a pas d'enfer, c'est précisément pour les précipiter dans l'enfer; et au contraire, Dieu menace de l'enfer, et a préparé l'enfer, afin que vous viviez de manière à ne pas tomber dans l'enfer. Mais voyons, raisonnons : si, quoique l'enfer existe, le diable vous persuade du contraire, comment se fait-il que les démons l'aient avoué cet enfer qui n'existe pas, ces démons qui tiennent avant tout à ce que nous n'en soupçonnions pas l'existence, afin que la sécurité entretenant notre nonchalance, nous tombions avec eux dans ce feu éternel? Mais comment donc, me dira-t-on, l'ont-ils avoué? En subissant la contrainte exercée sur eux.

Il faut donc méditer toutes ces réflexions, et renoncer à se tromper soi-même et à tromper les autres en répétant de funestes discours. Ceux qui les tiennent seront punis de prononcer des paroles qui tournent en dérision des choses terribles, qui détournent du salut un grand nombre de personnes disposées à faire leur salut. Des barbares, des Ninivites ont donné un meilleur exemple. C'étaient, en toutes choses, des ignorants; mais quand on leur dit que leur ville allait être bouleversée, non-seulement ils crurent, mais ils poussèrent des gémissements, et ils se couvrirent de sacs, et ils furent dans la consternation, et ils ne cessèrent de donner tous ces signes de douleur que quand ils eurent apaisé la colère de Dieu. Et vous, qui savez tant de choses, vous tournez en dérision la parole de Dieu ? Il vous arrivera donc le contraire de ce qui est arrivé aux Ninivites. De même que, pour avoir reçu les menaces de Dieu avec crainte, ils n'ont pas subi le supplice, de même, vous, pour avoir méprisé la menace, vous éprouverez le châtiment. Aujourd'hui vous traitez notre parole (392) de chimère, il n'en sera pas de même quand l'expérience sera là pour vous persuader. Eh ! ne voyez-vous pas, même sur cette terre, ce que Dieu a fait ? Comment il n'a pas admis les deux larrons au même partage; ne voyez-vous pas qu'il a introduit l'un dans son royaume, qu'il a rejeté l'autre dans l'enfer? Et que parlé-je du larron et du meurtrier? Il n'a pas épargné son apôtre devenu traître; il voyait bien qu'il allait se pendre, qu'il allait s'étrangler, il le voyait crevé par le milieu du corps [car : " Il a crevé par le milieu du ventre, et toutes ses entrailles se sont répandues] " (Act. I, 48); le Christ voyait toute cette tragédie d'avance, et il a laissé le misérable à son sort, afin de vous apprendre par un spectacle présent à croire à toutes les vérités de l'avenir.

Gardez-vous donc de vous tromper vous-mêmes en obéissant au démon ; car ce sont ses inspirations que vous écoutez. Si des juges, des maîtres, des précepteurs, quoique barbares, honorent les bons et punissent les méchants, comment serait-il conforme à la nature de Dieu de faire le contraire, et de décerner le même traitement au bon et à celui qui ne l'est pas? Et d'où viendra la délivrance qui nous affranchira de la perversité? Aujourd'hui, dans l'attente des supplices, au milieu de tant de terreurs inspirées par les juges, par les lois, les méchants ne renoncent pas encore au crime; quand ils en seront venus à n'avoir plus de crainte, non-seulement parce qu'ils croiront ne pouvoir pas tomber dans l'enfer, mais encore parce qu'ils espéreront d'entrer dans le royaume des cieux, quel terme mettront-ils à leur perversité? Est-ce de la bonté, je vous en prie, d'encourager le mal, d'établir un prix pour la corruption , d'admettre au même traitement le sage et le déréglé, le fidèle et l'impie, Paul et le démon? Jusqu'à quand nous repaîtrons-nous de frivolités? Je vous en conjure, guérissez-vous de ce délire, rentrez en vous-mêmes, persuadez-vous qu'il faut craindre, qu'il faut trembler, afin d'être affranchis de l'enfer, afin d'obtenir, après cette vie passée dans la sagesse, les biens de l'autre vie, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. PORTELETTE.
 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXVI. JE SAIS ET JE SUIS PERSUADÉ, DANS LE SEIGNEUR JÉSUS, QUE RIEN N'EST IMPUR DE SOI-MÊME, ET QU'IL N'EST IMPUR QU'A CELUI QUI LE CROIT IMPUR. (XIV, 14, JUSQU'A 24.)
393

Analyse.

1 et 2. II n'y a rien d'impur dans la nourriture; toute l'impureté consiste à en faire usage lorsqu'on croit que la nourriture est impure. — Eviter de faire , de cette question, nu sujet de scandale. — Avant tout, la paix, la joie, la concorde dans le Seigneur. — Il vaut mieux même s'abstenir des aliments purs, que de forcer le prochain à manger des aliments qu'il a tort de regarder comme impurs.

3 et 4. Laisser Dieu agir. — Jamais la vraie religion n'a été plus facile à découvrir. — Eloge de la piété d'Abraham, en dépit des profondes ténèbres de son temps. — Tous connaîtront Dieu, depuis le plus petit jusqu'au plus grand. — De la conduite que les chrétiens doivent tenir pour amener, par l'exemple de leur vie, les païens à la religion.

1. Après avoir réprimandé d'abord celui qui jugeait son frère, et l'avoir ainsi détourné de l'habitude d'adresser au prochain des paroles amères, il prononce sur le dogme, et instruit paisiblement le moins avancé; et il montre, dans l'accomplissement de cette tâche, une grande douceur. Il ne parle point de punition, ni de rien de pareil ; mais il écarte seulement toute espèce de crainte en cette affaire, afin que l'on écoute plus facilement ses paroles. Il dit donc : " Je sais, et je suis persuadé ". Ensuite, pour qu'un de ceux qui ne croyaient pas encore, ne lui dise pas : Et que nous importe que vous soyez persuadé? Vous n'avez pas assez d'autorité pour vous opposer à, une loi si digne de nos respects, à des oracles appointés d'en-haut ;l'apôtre ajoute: "Dans le Seigneur " : C'est-à-dire, c'est d'en-haut que me vient ce que je sais, c'est du Seigneur que je tiens ma persuasion; n'y voyez pas l'opinion d'un homme. Eh bien donc, de quoi êtes-vous persuadé, et que savez-vous ? Parlez. " Que rien n'est impur de soi-même ". Par le fait de la nature, dit-il, rien n'est souillé ; ce qui produit la souillure, c'est l'intention de celui qui use des choses; c'est pour celui-là seul qu'il y a souillure, et non pour tous. " Rien n'est impur ", dit l'apôtre, " qu'à celui qui le croit impur ". Pourquoi donc ne pas corriger son frère, pour qu'il ne croie pas la chose impure? Pourquoi ne pas détourner de la croyance qui lui est habituelle, pourquoi ne pas user d'autorité afin qu'il ne rende pas, par sa manière de penser, la chose impure? Je crains, dit l'apôtre, de l'affliger : aussi ajoute-t-il : " Mais si, en mangeant de quelque chose, vous attristez votre frère, dès lors vous ne vous conduisez plus par la charité (15) ".

Voyez-vous comme l'apôtre se concilie les coeurs? Il montre au chrétien faible qu'il a pour lui tant de considération que, pour ne pas l'affliger, il n'ose pas même lui prescrire ce qui est cependant très-nécessaire, qu'il aime mieux l'attirer par une condescendance pleine de charité. Et, après avoir écarté de lui la crainte, il ne lui fait pas violence, mais il le laisse entièrement maître de sa conduite. Car l'avantage de faire renoncer à un genre de nourriture, ne vaut pas l'inconvénient d'attrister son frère. Voyez-vous jusqu'où il porte le zèle de la charité ? L'apôtre sait bien que la charité peut tout redresser. Voilà pourquoi il réclame, ici, une plus grande vertu des fidèles. Non-seulement, dit-il, vous ne devez pas user de contrainte à l'égard de ceux qui sont faibles, mais s'il faut même user de condescendance, vous ne devez pas hésiter. Voilà pourquoi il ajoute ces paroles . " Ne faites pas périr par (394) votre manger celui pour qui Jésus-Christ est mort ". N'estimez-vous pas assez votre frère, pour acheter, même au prix de l'abstinence, le salut de son âme? Comment ! le Christ n'a refusé pour lui, ni d'être esclave, ni de mourir; et vous ne mépriserez pas assez la nourriture pour sauver votre prochain ? Le Christ ne devait pas conquérir tous les hommes, par son sacrifice, il ne l'en a pas moins accompli ; mourant pour tous, il a fait tout ce qui était de lui. Et vous, quand vous savez qu'à propos de cette nourriture vous jetez votre frère dans des maux terribles, vous disputez encore; celui que le Christ juge d'un si grand prix, vous le méprisez à ce point; celui que le Christ a aimé paraît vil à vos yeux ? Et ce n'est pas seulement pour les infirmes que le Christ est mort, mais pour ses ennemis ; et vous, dans l'intérêt des infirmes, vous ne pourrez pas pratiquer l'abstinence? Le Christ a fait le plus grand sacrifice, et vous ne ferez pas le plus petit? Et cependant il est le Seigneur, et vous, vous êtes un frère. Assurément ces paroles suffisaient pour couper court au mal; car elles montrent quelle est la petitesse d'une âme qui, après avoir reçu de Dieu de grands bienfaits, ne le paye pas du moindre retour.

" Que votre bien donc ne soit point blasphémé. Car le royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire ni dans le manger (16, 47) ". Le bien, c'est ici, ou la foi, ou l'espérance des récompenses à venir, ou la parfaite piété. Non-seulement, dit l'apôtre, vous ne rendez aucun service à votre frère, mais vous exposez et l'Evangile même, et la grâce de Dieu, et le don du ciel aux mauvais discours des hommes. Vos combats, vos disputes, les ennuis que vous causez, les scissions que vous provoquez dans l'Eglise, vos outrages à votre frère, votre haine contre lui, excitent les mauvais discours du dehors : de sorte que non-seulement, par là, vous ne corrigez rien, mais vous produisez un effet tout contraire. Votre bien c'est la charité, c'est l'amour fraternel, c'est l'union, c'est la concorde, c'est la paix, la vie douce et clémente. Ensuite, nouvelle raison pour mettre un terme aux scrupules timorés de l'un, à l'esprit disputeur de l'autre, il dit : " Car le royaume de Dieu ne consiste pas dans le boire ni dans le manger". Est-ce que c'est par là que nous pouvons être justifiés? C'est ce qu'il dit ailleurs encore: " Si nous mangeons, nous n'en aurons rien davantage devant Dieu, et si nous ne mangeons pas, nous n'en aurons rien de moins ". (I Cor. VIII, 8.) Il n'y a pas de preuve à faire ici, une simple assertion suffit. Ce que dit l'apôtre revient à ceci : croyez-vous que c'est le manger qui vous donne le royaume du ciel? Aussi l'apôtre, se moquant de l'importance qu'ils attachent aux aliments, ne dit pas seulement que ce royaume ne consiste pas dans le manger, il dit, en même temps, ni dans le boire. Quels sont donc les titres qui nous donnent l'entrée au ciel. La justice, la paix, la joie, la pratique de la vertu, la concorde fraternelle, que contrarient de pareilles contestations; la joie de l'harmonie que ruinent de semblables reproches. Ces réflexions, l'apôtre le adressait, non pas à un seul des deux partis, ais à l'un et à l'autre à la fois, parce qu'il y a ait opportunité de les faire entendre aux uns et aux autres.

2. Ensuite, après avoir parlé de paix et de joie (comme on peut trouver la paix et la joie même en faisant le mal), l'apôtre, après avoir dit: " Mais dans la justice, dans la paix et dans la joie ", ajoute: " Que donne le Saint-Esprit ". Ainsi, celui qui cause la perte de son frère, trouble la paix et la joie, et il lui fait plus de tort que le malfaiteur qui ravirait de l'argent. Et ce qu'il y a de plus détestable, c'est qu'un autre a sauvé celui à qui vous faites tant de mal, et que vous perdez. Maintenant, comme ces pratiques, à savoir le genre des aliments, et cette apparence de vie parfaite ne conduisent pas dans le royaume de Dieu, et ne font que conduire à tous les désordres, comment ne pas mépriser des choses sans valeur, pour s'assurer des plus considérables? Ensuite , comme c'était la vaine gloire qui inspirait secrètement ces reproches adressés aux chrétiens judaïsants, l'apôtre ajoute : " Celui qui sert Jésus-Christ en cette manière, est agréable à Dieu et approuvé des hommes (18) ". On n'admirera pas autant votre perfection de vie, que votre paix et votre concorde. Ce sont là, en effet, des biens dont tous pourront jouir, mais votre perfection de vie ne sert à personne. "Appliquons-nous donc à rechercher ce qui peut entretenir la paix parmi nous, et observons tout ce qui peut nous édifier les uns les autres (19) ". La première partie de ce conseil regarde le faible qui ne doit pas troubler la paix; la seconde concerne le plus (395) fort, qui ne doit pas mépriser son frère. Toutefois l'apôtre en fait un conseil qui s'adresse à tous, quand il dit : " Les uns les autres "; il montre par là que, sans la paix, l'édification n'est pas facile.

"Que le manger ne soit pas cause que vous détruisiez l'ouvrage de Dieu (20) " ; ce qui veut dire, le salut de votre frère, réflexion qui doit inspirer de la crainte, en montrant que celui qui réprimande agit au rebours de- ce qu'il désire. En effet, non-seulement, dit 'apôtre, vous n'édifiez pas ce que vous croyez édifier, mais vous détruisez , non l'édifice d'un homme, mais l'édifice de Dieu, et cela sans une grande raison, en ne poursuivant qu'un but chétif; "Que le manger ne soit pas cause ", dit-il. Ensuite, pour empêcher que ces concessions n'affermissent le plus faible dans ses erreurs, l'apôtre se retourne vers lui, et lui fait la leçon : " Ce n'est pas que toutes les viandes ne soient. pures, mais un homme fait mal d'en manger, lorsqu'il le fait par le scandale, c'est-à-dire avec une conscience mauvaise. Ainsi quand vous auriez contraint votre frère, et que, de force, il aurait mangé, il n'y aurait là aucun profit; ce n'est pas la nourriture qui souille, mais l’intention de celui qui mange. Si donc vous ne corrigez pas cette intention, tous vos efforts sont vains , et vous n'avez fait que nuire; car il y a bien de la différence entre croire simplement qu'une viande est impure, ou d'en manger lorsqu'on la croit telle. Lors donc que vous violentez cette âme faible, vous péchez doublement : vous augmentez son préjugé en le combattant, vous l'obligez de manger d'une chose qu'elle croit impure. Par conséquent, tant que vous n'avez pas opéré la persuasion, n'exercez pas de contrainte. " Et il vaut mieux ne point manger de chairs, et ne point boire de vin, ni rien faire de ce qui est, à votre frère, une occasion de chute et de scandale, ou qui le blesse, parce qu'il est faible (21.) ".

Voilà donc maintenant l'apôtre plus exigeant; il ne lui suffit pas qu'on s'abstienne de la contrainte, il veut encore que l'on ait de la condescendance pour le chrétien judaïsant. Car lui-même en a souvent donné l'exemple, comme quand il circoncit son disciple, quand il se rasa les cheveux, quand il fit les oblations légales. Il n'eu fait pas ici, néanmoins, une règle expresse, il se contente de parler sous forme de sentence, il ne veut pas tomber dans l'inconvénient d'encourager la nonchalance des moins avancés. Que dit-il? " Et il vaut mieux ne point manger de chairs ". Et que dis-je, de chairs? Quand ce serait du vin, quand ce serait tout ce que vous voudrez qui serait une occasion de scandale, abstenez-vous; rien ne peut entrer en comparaison avec le salut de votre frère. Et c'est ce que le Christ nous fait assez voir, lui qui est descendu du ciel, et qui a tout souffert pour nous. Il y a un reproche sensible pour les plus forts dans ces trois mots .: " Une occasion de chute et de scandale, ou qui le blesse, parce qu'il est faible ". Ne m'objectez pas, dit l'apôtre, que vôtre frère agit sans raison, mais que vous pouvez le corriger. Sa faiblesse est une raison suffisante pour que vous lui veniez en aide, d'autant plus qu'il n'en résulte pour vous aucun tort. Car cotre condescendance ne sera point une hypocrisie, mais une indulgence édifiante et sage. Si vous usez de contrainte à son égard, il vous résiste, il vous condamne, et il s'opiniâtre dans son préjugé et dans son scrupule; si, au contraire, il vous trouve indulgent , il se prend d'affection pour vous; votre enseignement ne lui paraît pas suspect, et il vous met à même de répandre insensiblement en lui les semences de la vérité. Mais du moment qu'il aura conçu de la haine contre vous, vous aurez fermé vous-même tout accès dans son âme à vos paroles. Donc n'usez pas contre lui de contrainte, mais vous-même abstenez-vous, à cause de lui ; non pas parce que vous regardez les aliments comme impurs, mais parce que vous seriez pour lui un sujet de scandale; par ce moyen vous accroîtrez son affection pour vous. Voilà dans quelle pensée Paul a dit: "Il vaut mieux ne point manger de chairs"; ce n'est pas que la nourriture soit Impure, mais c'est que votre frère serait scandalisé et blessé. " Avez-vous une foi éclairée? Contentez-vous de l'avoir dans le coeur (22)". Ici l'apôtre me semble faire doucement allusion à la vanité des fidèles plus avancés. Voici ce qu'il entend dire : Voulez-vous me montrer votre perfection dans la sagesse? ne me la montrez pas, qu'il vous suffise de votre conscience.

3. Quant à la foi dont parle ici l'apôtre, ce n'est pas la foi relative aux dogmes, mais celle qui est en rapport direct avec la question dont il s'agit. De la foi proprement dite, l'apôtre est le premier à dire : " Il faut confesser sa foi par ses paroles, pour être sauvé " (396) (Rom. X, 10); et ailleurs il est écrit : " Celui qui m'aura nié devant les hommes, je le renierai moi aussi ". (Luc, IX, 26.) Renier sa foi, c'est se perdre; quant à la foi qui nous occupe ici, ce qui est funeste, c'est de la confesser à contre-temps. " Heureux celui que sa conscience ne condamne point en ce qu'il veut faire ". Ici l'apôtre s'attaque encore au plus faible, et il lui montre que la seule conscience suffit à l'autre. Quand même on ne vous verrait pas, vous vous suffisez à vous-même, pour votre félicité. En effet, après avoir dit qu'on doit se contenter d'avoir la foi dans le coeur, Paul, qui ne veut pas que ce tribunal de la conscience paraisse peu respectable, dit que vous devez le mettre au-dessus de toute la terre. Quand tous les hommes vous accuseraient, si vous ne vous condamnez pas vous-mêmes, si votre conscience ne vous fait pas de reproches, vous êtes heureux. L'apôtre ne parle pas ici de tous les hommes absolument. Il en est un grand nombre qui ne se condamnent pas, et qui commettent des fautes très-graves; ce sont là les plus malheureux de tous les hommes; mais la pensée de Paul ne dépasse pas les bornes du sujet tout particulier qu'il traite ici.

" Mais celui qui, étant en doute s'il peut manger d'une viande, ne laisse pas d'en manger, est condamné (23) ". Encore une réflexion pour que l'on traite avec ménagement les moins avancés. Quel avantage en effet qu'ils mangent sans être sûrs de pouvoir le faire, et qu'ils se condamnent eux-mêmes? Celui que j'estime, moi, c'est celui qui mange de tout, à la condition qu'il n'éprouve aucune hésitation à le faire. Voyez coin me il les invite non-seulement à manger, mais à manger en toute pureté de conscience. Ensuite il dit pourquoi tel est condamné, " Parce qu'il n'agit pas selon sa foi " ; ce n'est pas parce que la nourriture est impure, mais parce qu'on n'agit pas selon sa foi : celui qui a mangé, ne croyait pas que la nourriture était pure, c'est quoiqu'il la crût impure qu'il y a goûté. Par ces paroles, l'apôtre montre aux plus avancés toute l'étendue du mal qu'ils font, en ayant recours à la violence, et non à la persuasion, pour faire goûter à des viandes que l'on croit impures ; il veut, par ces réflexions, faire cesser les reproches adressés aux chrétiens judaïsants. " Or, tout ce qui ne se fait point selon la foi, est péché ". Voilà un homme qui n'a pas la certitude, dit l'apôtre, il n'a pas la foi que la chair est pure, comment ne ferait-il pas un péché ? Toutes ces paroles ne s'appliquent, dans la pensée de Paul, qu'au sujet en question, et non à tous les sujets. Et considérez combien l'apôtre s'occupe d'éviter les occasions de scandale. Plus haut, il disait : " Si en mangeant de quelque chose vous attristez votre frère, dès lors vous ne vous conduisez plus par la charité ". Il ne faut pas chagriner son frère; à bien plus forte. raison convient-il de n'être pas pour lui un sujet de scandale. Et encore : " Que le manger ne soit pas cause que vous détruisiez l'ouvrage de Dieu". C'est un crime, c'est un sacrilège de détruire l'église matérielle ; à bien plus forte raison, le temple spirituel, car l'homme est plus auguste, plus précieux qu'un édifice de pierre. Ce n'est pas pour les murailles que le Christ est mort, mais pour ces temples dont je parle.

Soyons donc circonspects, mes frères, et ne donnons à personne la moindre prise contre nous. La vie présente est un stade, il faut savoir regarder de tous les côtés à la fois, et ne pensons pas qu'il suffise d'ignorer pour être excusé. Il y a, n'en doutez pas, il y a un châtiment pour l'ignorance, quand l'ignorance est impardonnable. Les Juifs étaient dans l'ignorance, mais leur ignorance ne méritait pas le pardon ; les Grecs étaient aussi dans l'ignorance, mais ils ne peuvent invoquer d'excuse. Quand vous ignorez ce qu'il vous est impossible de connaître, vous êtes excusables ; mais quand ce que vous ne savez pas est facile à connaître, quand vous pouvez l'apprendre, vous devez vous attendre à la plus rigoureuse des réparations. D'ailleurs, si nous ne nous enfonçons pas à plaisir dans nos ténèbres, si nous faisons tout ce qui dépend de nous pour nous en retirer, Dieu, pour nous aider à en sortir, nous tendra la main ; c'est ce que Paul disait aux Philippiens : " Si en quelque point vous pensez autrement, Dieu vous découvrira ce que vous devez croire ". (Phil. III, 15.) Mais quand nous ne voulons pas faire même ce qui ne dépend que de nous, nous ne devons pas nous attendre à son secours : c'est ce qui est arrivé aux Juifs. " C'est pourquoi je " leur parle en paraboles ", dit le Christ, " parce qu'en voyant ils ne voient point ". (Matth. XIII, 13.) Comment se faisait-il qu'en voyant ils ne vissent point? Ils voyaient les démons chassés, et ils disaient : " Il est (397) possédé du démon " ; ils voyaient les morts ressuscités, et ils ne l'adoraient pas, au contraire, ils s'efforçaient de le tuer. Corneille ne se montrait pas ainsi. II faisait avec soin tout ce qui dépendait de lui, et voilà pourquoi Dieu fit le reste. Ne dites donc pas : Comment Dieu a-t-il pu abandonner, un tel, cet homme plein de sincérité, d'honnêteté, tel païen ? D'abord, en fait de sincérité, les hommes ne peuvent pas porter de jugement; le jugement n'appartient qu'à celui qui a fait les coeurs : ensuite on peut encore dire que bien souvent tel homme n'a montré ni aucun souci, ni aucun zèle pour la vérité. — Et comment le pouvait-il, direz-vous, avec sa simplicité et sa bonne foi ? En vérité considérez-le donc, je vous en prie, cet homme simple et sincère, examinez-le en ce qui concerne les affaires du siècle, vous verrez qu'il y a montré une très-grande application s'il en eût montré autant pour les choses spirituelles, Dieu ne l'aurait pas négligé; car la vérité est plus claire que le soleil. En quelque pays qu'on soit, le salut est facile, avec un- peu d'attention , pour peu qu'on attache de l'importance à cette affaire. Est-ce que cette histoire de notre salut n'a pas dépassé la Palestine? est-elle renfermée dans ce petit coin de la terre? N'avez-vous pas entendu cette voix du prophète : " Tous me connaîtront, depuis le plus petit jusqu'au plus grand ". (Jér. XXXI, 34.) Ne voyez-vous pas l'accomplissement de la vérité ? Quel pardon peuvent-ils donc espérer, ceux qui voient la vraie croyance propagée, et qui ne se meuvent pas, qui ne s'inquiètent pas, qui ne font rien pour s'instruire ?

4. Mais prétendez-vous, dit-on , exiger cet empressement d'un paysan, d'un barbare? Oui, et non-seulement d'un paysan, d'un barbare, mais encore de l'homme le plus enfoncé de tous dans la barbarie. Car enfin, je vous le demande, comment se fait-il que dans la vie ordinaire il sache repousser une injure, résister à la violence, user de tous les moyens pour se préserver de la moindre atteinte, et qu'au contraire, dans les choses spirituelles, il ne montre pas la même prudence? Quand il s'agit d'adorer une pierre qu'il prend pour un Dieu, de célébrer des fêtes, il dépense son argent et manifeste beaucoup de scrupule, il ne se montre jamais négligent par simplicité; ce n'est que quand il faut reconnaître quel est le vrai Dieu, que vous venez me parler de sincérité, de simplicité ! Non, non, la vérité n'est pas là, votre simplicité n'est qu'un engourdissement coupable. Car enfin où est la simplicité, la rusticité, où la trouvons-nous? chez les contemporains d'Abraham , ou chez les nôtres? Elle fut, n'en doutons pas, chez les hommes des anciens temps. Et à quelle époque a-t-il été plus facile de trouver la religion sainte, aujourd'hui ou autrefois? De nos jours, évidemment. De nos jours, chez tous les hommes, le nom de Dieu a été proclamé, la voix des prophètes a retenti, les événements se sont accomplis, les païens ont été confondus; dans les anciens temps, la plus grande partie de la race humaine, sans doctrine, était sous la domination du péché; ni loi, ni enseignement, ni prophète, ni miracles, ni préceptes, ni foule plus instruite, ni secours pour l'esprit; obscurité profonde, nuit sans lune, nuit d'hiver, où toutes choses gisaient dans l'engourdissement. Et pourtant cet homme admirable, ce patriarche généreux, en dépit de tant d'obstacles, reconnut Dieu, pratiqua la vertu, remplit un grand nombre d'hommes du zèle qui l'animait, et fit tout cela sans rien connaître de la sagesse du dehors. Où l'aurait-il trouvée, les lettres n'existant pas encore? Qu'importe? Comme il fit tout ce qui dépendait de lui, Dieu, de son côté, fit le reste. Vous ne pouvez pas dire qu'Abraham hérita de la piété de ses pères : il était idolâtre. Eh bien, quoique sorti de tels ancêtres, quoique barbare, élevé au milieu de barbares, sans maître pour lui apprendre la religion, il connut Dieu, et chez tous ses petits enfants, qui ont pu jouir de la loi et des prophètes , son nom est entouré d'une gloire, d'une vénération que rien ne saurait exprimer. L'explication de cette histoire? C'est que les affaires de la vie du siècle l'inquiétaient peu, c'est qu'il était entièrement adonné aux choses spirituelles. Et Melchisédech? N'était-ce pas un homme des mêmes temps, et sa gloire ne lui a-t-elle pas mérité le titre de prêtre du Seigneur ? C'est qu'il est impossible, absolument impossible que celui dont l'esprit est vigilant soit négligé de Dieu. Ne vous troublez pas à mes paroles; mais tous parfaitement convaincus que tout dépend de la bonne volonté, regardons, considérons bien où nous en sommes, afin de devenir meilleurs. Ne demandons pas à Dieu des comptes, ne cherchons pas à savoir pourquoi il a négligé un tel, appelé, au contraire, un tel. Ce serait (398) faire comme un serviteur en faute qui perdrait le temps à censurer l'administration de son maître. Malheureux, infortuné, au lieu de t'inquiéter de tes propres comptes, des moyens d'apaiser ton maître, tu t'avises de demander des comptes à celui à qui tu en dois rendre ! tu négliges ce qui doit te faire punir un jour !

Que dirai-je donc au païen, me demande-t-on? Précisément ce qui vient d'être dit. Et considérez non-seulement ce que vous pouvez dire au païen, mais la manière de le corriger. Quand l'examen qu'il fait de votre vie, est pour lui une occasion de scandale, pensez alors à ce que vous lui direz. Vous ne payerez pas pour lui-même, s'il est scandalisé; toutefois si votre manière de vivre le blesse, vous courez les plus affreux dangers. Il vous entend disserter sur le royaume de Dieu, et il vous voit épris des choses présentes ; il vous voit craindre l'enfer, et en même temps redouter les malheurs d'ici-bas; voilà ce qui doit vous donner des inquiétudes. Le païen vous accuse, et vous dit : Si vous aspirez au royaume du ciel, pourquoi ne méprisez -vous pas les choses présentes? Si vous êtes dans l'attente du redoutable tribunal, pourquoi ne méprisez-vous pas les malheurs présents? Si vous espérez l'immortalité, pourquoi ne vous moquez-vous pas de la mort? A de tels discours, méditez votre défense. On vous voit trembler pour une perte d'argent, vous qui attendez le bonheur du ciel; pour une obole de profit, la joie vous inonde; vous trahissez votre âme pour un peu d'argent, voilà ce qui doit vous donner des inquiétudes; car voilà, voilà ce qui scandalise le païen. Donc, si vous avez souci de votre salut, préparez votre défense à cette occasion, votre défense, non par des paroles, mais par vos actions. Jamais la question dont nous parlions tout à l'heure n'a été pour personne un sujet de blasphémer Dieu, mais une mauvaise conduite provoque des milliers de blasphèmes.

Corrigez-vous donc de ces désordres. Le païen, d'ailleurs, ne manquera pas de vous dire encore : et comment pais-je savoir que Dieu n'a commandé que ce qu'il est possible de pratiquer? Vous êtes chrétien de père en fils, élevé dans cette bonne religion, et pourtant vous ne faites rien de digne de cette religion. Que lui répondrez-vous? Il faudra vous borner pour toute réponse à lui dire : Je vous montrerai d'autres personnes qui pratiquent les vertus chrétiennes, à savoir les moines des déserts. Ne rougissez-vous pas, vous qui vous confessez chrétien, de vous en remettre aux autres parce que vous ne pouvez pas montrer en.vous-même la pratique des devoirs d'un chrétien ? Le païen vous répondra sur-le-champ : Quelle est donc la nécessité de se transporter sur les montagnes et dans les déserts ? Si la sagesse n'est pas possible au milieu des villes, vous attaquez gravement cette religion qui fait un devoir de sortir des cités pour courir aux déserts. Montrez-moi un homme ayant femme et enfants, une maison à lui, et pratiquant la vertu chrétienne. Eh bien ! que répondrons-nous? n'y a-t-il pas là à baisser la tête et rougir ? Le Christ, en effet, n'a pas commandé d'aller vivre au désert, mais qu'a-t-il dit? " Que votre lumière brille devant les hommes " (Matth. V, 16) ; il ne dit pas Devant les montagnes, ni les déserts ou les lieux inaccessibles. Ce que je dis maintenant, ce n'est pas pour dénigrer ceux qui ont occupé les montagnes, mais pour déplorer le malheur de ceux qui habitent les villes, et qui en ont banni la vertu. C'est pourquoi, je vous en conjure, rappelons cette sagesse qui est sur les montagnes, faisons-la rentrer dans nos murs, afin que les cités deviennent réellement des cités : voilà la manière de corriger le païen, voilà la manière d'éviter mille scandales. Voulez-vous à la fois, et le délivrer de tout scandale, et vous assurer à vous-même le bonheur de jouir d'innombrables récompenses? Corrigez votre propre vie, rendez-vous de tous les côtés, resplendissant. " Afin que les hommes voient vos bonnes oeuvres, et qu'ils glorifient votre père qui est dans les cieux ". C'est ainsi que nous pourrons jouir de cette gloire, nous aussi, gloire éclatante, ineffable ; puissions-nous tous l'obtenir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

HOMÉLIE XXVII. A CELUI QUI EST TOUT-PUISSANT, POUR VOUS AFFERMIR DANS LA FOI DE L'ÉVANGILE ET DE LA DOCTRINE DE JÉSUS-CHRIST, QUE JE PRÉCHE SUIVANT LA RÉVÉLATION DU MYSTÈRE QUI, ÉTANT DEMEURÉ CACHÉ DANS TOUS LES SIÈCLES PASSÉS, A ÉTÉ DÉCOUVERT MAINTENANT PAR LES ORACLES DES PROPHÈTES, SELON L'ORDRE DE DIEU ÉTERNEL, POUR OPÉRER L'OBÉISSANCE A LA FOI, ET EST VENU A LA CONNAISSANCE DE TOUTES LES NATIONS; A DIEU QUI EST LE SEUL SAGE, GLOIRE, PAR JÉSUS-CHRIST, DANS LES SIÈCLES DES SIÈCLES. AINSI SOIT-IL. (XIV, 24, 25, 26, POUR SAINT JEAN CHRYSOSTOME, ET 25, 26, 27, DU CHAP. XVI DE LA VULGATE.)
399

Analyse.

1 et 2. De la puissance et de la sagesse de Dieu, dans la manifestation de l'Evangile. — Supporter les faiblesses, rechercher la satisfaction et l'édification du prochain. — Jésus-Christ, divin modèle d'abnégation et de parfait détachement.

3 et 4. Fruit précieux de la concorde. — Il faut aimer ses ennemis mêmes. — Rien de plus honteux que la haine implacable. Chaleureuse exhortation à la concorde et à la paix.

1. C'est l'habitude de Paul de toujours terminer ses exhortations par des prières et des paroles à la gloire de Dieu. L'apôtre comprenait bien toute l'efficacité de cette pratique que son amour pour Dieu, que la piété lui avait rendue familière. En effet, il convient à celui qui aime ses enfants, au maître, au docteur qui aime Dieu, de ne pas réduire son enseignement à de simples discours, mais d'attirer aussi, par des prières sur ses disciples, le secours qui vient de Dieu. C'est ce que Paul fait en ce moment. Voici la suite des pensées : A celui qui est tout puissant pour vous affermir, gloire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. L'apôtre, ici encore, s'attache aux faibles, c'est à eux que son discours s'adresse. Quand il réprimandait, sa réprimande était pour tout le monde; mais maintenant qu'il prie, c'est pour les faibles qu'il supplie le Seigneur. Il dit : " Pour vous affermir ", non sans ajouter, en quoi : " Dans la foi de l'Evangile ". Ce qui montre qu'ils n'étaient pas encore bien assurés; ils étaient debout, mais chancelants. Ensuite, pour donner de l'autorité à son discours, il ajoute : " Et de la doctrine de Jésus-Christ ", ce qui veut dire que Jésus-Christ a prêché lui-même. Or, si c'est lui qui l'a prêchée, cette doctrine n'est pas la nôtre, nous vous donnons les lois de Dieu. Il considère ensuite cette doctrine, il montre que c'est un grand bienfait, que c'est le présent d'un Dieu qui nous comble d'honneur. Ce qui résulte d'abord de la personne même qui nous a annoncé cette doctrine, ensuite des vérités annoncées, des vérités de l'Evangile. Ajoutez à cela ce fait, que personne ne les a connues avant nous. C'est là ce que l'apôtre a insinué par ces paroles : " Suivant la révélation du mystère " : Assurément c'est une preuve d'amitié singulière de nous avoir communiqué des mystères que personne n'a connus avant nous. " Qui étant demeuré caché dans tous les siècles passés, a été découvert maintenant ". Autrefois, ce mystère a été déterminé d'avance, mais c'est maintenant qu'il a éclaté. Comment a-t-il éclaté? " Par les oracles des prophètes ". Ici encore, il rassure l'infirme. Que craignez-vous? De manquer à la loi? Mais la loi ne veut pas autre chose; mais c'est ce que la loi dès les anciens temps a prédit.

Que si vous recherchez, de plus, pourquoi le mystère s'est révélé maintenant, vous êtes un imprudent de poursuivre de vos (400) investigations curieuses les mystères de Dieu, et de lui demander des comptes. Ce n'est pas une vaine curiosité qui convient ici, mais l'affection, l'amour. Voilà pourquoi l'apôtre ferme la bouche aux curieux et dit : " Selon l'ordre du Dieu éternel, pour opérer l'obéissance à la foi ". La foi réclame l'obéissance, et non une activité inquiète; quand Dieu commande, il faut obéir, et non se livrer à une vaine curiosité. Ensuite l'apôtre trouve encore d'autres raisons pour raffermir la confiance des fidèles " Le mystère est venu à la connaissance de toutes les nations ". Vous n'êtes pas le seul qui ayez cette croyance, c'est la foi de la terre tout entière; ce n'est pas un homme, c'est Dieu qui l'a enseignée. De là ces paroles : " Par Jésus-Christ ". Et non-seulement le mystère a été découvert, mais la connaissance en a été affermie, et tout cela est l'ouvrage de Jésus-Christ. De sorte que toute cette suite doit se lire ainsi : " A celui qui est tout puissant pour vous affermir par Jésus-Christ ". Car, comme je l'ai dit, c'est à Jésus-Christ que l'apôtre attribue et la révélation et la connaissance bien établie du mystère; ou plutôt, non-seulement ces deux bienfaits, mais aussi la glorification du Père. De là ces paroles : " A lui, gloire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il ". Il le glorifie encore à cause de ce qu'il y a d'incompréhensible dans ces mystères , et cet incompréhensible le jette dans la stupeur. Même aujourd'hui, après la révélation, la pensée ne saurait les comprendre ; il faut la foi; les saisir autrement, c'est impossible.

L'apôtre a bien raison de dire, en parlant de Dieu : " Qui est le seul sage ". Considérez les nations amenées à la religion ; les mélanges des infidèles avec les hommes qui furent les anciens justes; le salut de ceux qui étaient désespérés; les pécheurs, indignes de la terre, introduits dans le ciel, ceux qui étaient déchus de la vie présente, appelés à l'ineffable immortalité; les victimes, foulées aux pieds par les démons, devenues des anges, ayant tous les droits des anges, le paradis ouvert, tous les anciens malheurs effacés, et cela eu un temps si court, et par des moyens si faciles et si rapides, vous comprendrez alors la sagesse divine ; ce que ne connaissaient ni les anges, ni les archanges, les gentils l'ont appris en un instant par le moyeu de Jésus. Ainsi quand il faudrait admirer sa sagesse, le glorifier, vous vous attardez dans des réflexions sans portée, vous restez encore assis dans l'ombre, ce qui certes n'est pas glorifier le Christ. Celui qui n'a pas en lui de confiance, et que la foi n'a pas touché, celui-là ne rend pas témoignage à la grandeur de ses oeuvres. Mais Paul, à leur place, glorifie, le Seigneur, et les incite à montrez le même zèle que lui. Donc quand vous l'entendez dire : à Dieu, " qui est le seul sage ", n'allez pas croire qu'il y ait là rien qui rabaisse le Fils. Si tous les faits qui manifestent la. sagesse de Dieu se sont accomplis par le Christ; si, sans lui, rien n'a été accompli, évidemment leur sagesse est égale. Pourquoi donc l'apôtre a-t-il dit : " Le seul? " C'est par opposition avec toute la nature créée. Donc, après avoir rendu gloire à Dieu, il reprend son discours, et, s'adressant aux plus forts, il dit : " Nous devons donc, nous qui sommes plus forts " (XV, 1); nous devons, ce n'est pas une faveur que nous faisons; eh bien, que devons-nous ? " Supporter les faiblesses des infirmes ".

2. Voyez-vous comme il les élève par ces paroles flatteuses, où non-seulement il les appelle des forts, mais en outre il les met au même rang que lui? Et il fait plus encore, il les prend par l'idée de l'utilité, sans rien leur dire de pénible. Vous êtes forts, leur dit-il, et si vous usez de condescendance vous ne vous faites aucun tort; mais l'infirme court les plus grands dangers s'il n'est soutenu. Maintenant, il ne dit pas les infirmes, mais " les faiblesses des infirmes ", afin d'exciter la compassion des fidèles. C'est ainsi qu'ailleurs il dit : " Vous qui êtes spirituels , fortifiez celui qui... " (Gal. VI, 1.) Vous êtes devenus forts? Payez de retour le Dieu qui vous a rendus tels; or, vous vous acquitterez envers lui, si vous aidez le malade à se relever. Nous aussi, nous étions faibles, mais la grâce nous a rendus forts. Et maintenant, cette conduite, il ne faut pas la tenir seulement quand il s'agit des faiblesses de la foi, mais encore quand il s'agit de toute autre faiblesse. Par exemple, un homme est sujet à la colère, ou il est porté à proférer des paroles violentes, il a quelque autre défaut, supportez-le. Mais comment? écoutez la suite. Après avoir dit : " Nous devons supporter ", il ajoute : " Et non pas chercher notre propre satisfaction. Que chacun de vous tâche de satisfaire son prochain dans ce qui est bon, et qui peut l'édifier (401) (2) ". C'est-à-dire : Vous êtes fort? Faites sentir votre force à l'infirme; faites qu'il sache par expérience quelle est votre vigueur, pensez à le satisfaire. Et il ne dit pas seulement à le satisfaire, mais :" Dans ce qui est bon "; et il ne se borne pas à dire : Dans ce qui est bon ; le parfait aurait pu répondre : Voyez, je l'attire vers ce qui est bon ; mais l'apôtre ajoute : " Et qui peut l'édifier ". Si donc vous avez en partage la richesse, en partage la force, ce n'est pas pour votre satisfaction à vous, mais pour satisfaire le pauvre et celui qui est dans le besoin; c'est ainsi que vous jouirez de la véritable gloire, et que vous serez d'une très-grande utilité. La gloire terrestre est prompte à s'envoler; la gloire spirituelle subsiste, si vous ne vous proposez que l'édification. Voilà pourquoi l'apôtre réclame de tous ce zèle pour le prochain : il ne dit pas seulement, que tel ou tel, mais : " Que chacun de vous ".

Ensuite, comme il a donné un précepte d'une grande portée, comme il a prescrit de se relâcher de sa perfection propre afin de corriger les faiblesses du prochain, il fait encore intervenir le Christ. " Puisque Jésus-Christ n'a pas cherché à se satisfaire lui-même (3) ". C'est ce que l'apôtre ne manque jamais de faire. Quand il parle de l'aumône, il montre le Christ, en disant : " Vous connaissez la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui, étant riche, s'est rendu pauvre pour nous " (II Cor. VIII, 9); pour persuader la charité, c'est encore du Christ qu'il s'appuie, disant : " Comme le Christ nous a aimés " (Ephés. V, 25); et quand il conseille de supporter la honte et d'affronter les dangers, il a encore recours au Christ, disant : " Qui, au lieu de la vie heureuse, dont il pouvait jouir, a souffert la croix et méprisé la honte". (Hébr. XII, 2.) De même ici , l'apôtre propose Jésus-Christ pour modèle en le priant de supporter les faiblesses des autres, et il cite un oracle es prophètes : " Selon qu'il a été écrit : Les injures qu'on vous a faites sont retombées sur moi ". Mais maintenant, que signifient ces paroles : " N'a pas cherché à se satisfaire lui-même? " Il pouvait ne pas supporter les opprobres, il pouvait ne pas souffrir ce qu'il a enduré, s'il n'eût voulu considérer que son intérêt. Mais il ne l'a pas voulu ; ne considérant que nous, il n'a plus pensé à lui-même. Et pourquoi l'apôtre n'a-t-il pas dit : Il s'est renoncé lui-même ? C'est qu'il ne voulait pas montrer uniquement le Dieu fait homme, mais rappeler qu'il a été outragé, couvert d'infamie aux yeux de la foule, qu'il a passé pour un être plein de faiblesses. On lui disait : " Si tu es le Fils de a Dieu, descends de la croix "; et encore : " Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même ". (Matth. XXVII, 40 et 42.) L'apôtre rappelle donc ici une preuve qui est considérable dans le sujet qu'il traite, et il prouve beaucoup plus qu'il n'a promis. Car ce n'est pas seulement le Christ qu'il montre couvert d'opprobres, mais le Père en outre; car il dit : " Les injures qu'on vous a faites, sont retombées sur moi "; c'est-à-dire, il n'y a rien là de nouveau, rien d'étrange. Ceux qui, sous l'ancienne loi, outrageaient Dieu, ont aussi dans leur fureur outragé son Fils. Or, toutes ces choses ont été écrites afin que nous sachions ce que nous devons imiter.

L'apôtre fortifie ensuite les fidèles contre les tentations qu'ils auront à souffrir, il dit: " Car " tout ce qui est écrit, a été écrit pour notre " instruction, afin que nous ayons espérance " par la patience et par la consolation que les " Ecritures nous donnent (4) ", c'est-à-dire, afin que nous ne fassions pas de chute. En effet, les combats sont de mille espèces, au dedans, au dehors, et l'apôtre veut que, fortifiés, consolés par les Ecritures, nous montrions notre patience; que la persévérance dans la patience soit pour nous la persévérance dans la foi. Elles s'engendrent l'une l'autre, l'espérance produit la patience, la patience produit l'espérance, et toutes deux naissent des Ecritures. L'apôtre convertit encore ici ses exhortations en prières : " Que le Dieu de patience et de consolation vous fasse la grâce d'être toujours unis de sentiment les uns avec les autres, selon l'esprit de Jésus-Christ (5) ". Après avoir dit ses pensées à lui, l'apôtre a tenu à les appuyer des exemples de Jésus-Christ, et du témoignage des Ecritures, pour montrer que c'est d'après les Ecritures qu'il recommande la patience. " Que le Dieu de patience et de consolation vous fasse la grâce d'être toujours unis de sentiment les uns avec les autres, selon l'esprit de Jésus-Christ ". Car c'est le propre de la charité d'avoir pour les autres les mêmes sentiments que pour soi-même.

3. Ensuite, pour montrer que ce n'est pas un amour quelconque qu'il recommande , il (402) ajoute : " Selon l'esprit de Jésus-Christ ". C'est l'habitude constante de Paul; il y a en effet un autre amour que celui-là. Et quel est le fruit de la concorde? " Afin que vous puissiez, d'un même coeur et d'une même bouche, glorifier Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ (6) ". Il ne dit pas seulement: " D'une même bouche ", c'est la communion des âmes qu'il prescrit. Voyez-vous comme il cimente encore l'union du corps entier de l'Eglise, et comme il conclut encore en glorifiant Dieu? C'est la raison qu'il emploie de préférence pour exciter à la concorde et à l'harmonie. Il reprend ensuite la même exhortation, en disant " C'est pourquoi unissez-vous les uns aux autres, pour vous soutenir mutuellement, comme Jésus-Christ vous a unis avec lui pour la gloire de Dieu (7) ". Encore le modèle d'en-haut, et l'avantage ineffable; car il n'est rien qui glorifie Dieu autant que cette communion de sentiments qui fait notre force. Aussi quel que soit le ressentiment personnel que vous éprouviez contre votre frère, considérez que, si vous apaisez votre colère, vous glorifiez le Seigneur; faites-le; et, si ce n'est pas pour votre frère, du moins. pour Dieu, réconciliez-vous; ou plutôt que ce soit pour Dieu principalement que vous pardonniez. Car le Christ ne fait que répéter sans cesse ce commandement, et il disait à son Père: "Ce qui fera connaître à tous que c'est vous qui m'avez envoyé, c'est qu'ils soient un. ". (Jean, XVII, 21.)

Rendons-nous donc à ce désir de Je Christ, unissons-nous étroitement les uns aux autres. Car ici l'apôtre ne s'adresse pas seulement aux faibles, il exhorte tous les hommes. Si l'on veut se séparer de vous, ne vous séparez pas, ne faites pas entendre cette, froide parole : qui m'aime, je l'aime; si mon oeil droit ne m'aimait pas, je l'arracherais : ce sont là des paroles de Satan, dignes des publicains, et qui respirent les haines des païens. Vous êtes appelés à une vie plus haute, vous êtes inscrits au ciel, vous êtes soumis à des lois plus nobles. Ne tenez donc pas de pareils discours. Celui qui ne veut, pas vous aimer, entourez-le d'une affection plus vive, pour l'attirer à vous; c'est un de vos membres; quand un de nos membres vient à être séparé du reste de notre corps, nous faisons tout pour l'y réunir, nous l'entourons alors de plus de soins et d'attention. Plus grande sera votre récompense si vous attirez à vous celui qui ne veut pas vous aimer. Si le Seigneur nous prescrit d'inviter à notre table ceux qui né peuvent pas nous rendre la pareille, et cela, afin que notre récompense soit augmentée, à bien plus forte raison faut-il se conduire de même en amitié. Car celui que vous aimez, et qui vous aime,.vous a payé ce qui vous est dû, tandis que celui que vous aimez et qui ne vous aime pas, a substitué en sa place Dieu pour débiteur auprès de vous; et en outre, celui qui vous aime, n'a pas besoin de toute votre sollicitude; au contraire, celui qui ne vous aime pas, c'est celui-là qui a besoin de votre secours. Que ce qui doit vous rendre plus vigilants, ne vous rende pas plus négligents, ne dites pas . voilà un malade, donc je ne m'en occupe pas; car c'est la froideur de sa charité qui le rend malade : au contraire, attachez-vous à réchauffer cette charité refroidie. Mais, m'objecterez-vous, si je ne parviens pas à la réchauffer? Persévérez, faites toujours ce qui dépend de vous. Mais s'il ne fait que se détourner de moi davantage? Il vous assure alors une plus grande récompense, il sert d'autant plus à montrer que vous êtes un imitateur du Christ. Si l'affection mutuelle est la marque distinctive des disciples : " C'est en cela que tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres " (Jean, XIII, 35), jugez de l'affection portée à celui qui vous hait. Votre Seigneur répondait à,ceux qui le haïssaient, en les aimant, en leur adressant ses exhortations; plus ils étaient faibles, plus il prenait soin d'eux; il disait d'une voix retentissante : " Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin du médecin, mais ceux qui sont malades " (Matth. IX , 12); et ceux qu'il admettait à sa table, c'étaient des publicains et des pécheurs; et plus les Juifs avaient d'outrages pour lui, et plus il avait d'égards pour eux, plus il leur prodiguait ses soins; on ne peut dire jusqu'à quel point son zèle pour eux croissait de plus en plus.

Faites comme le Seigneur. Cette vertu n'est pas de peu d'importance, sans elle, un martyr même ne peut être agréable à Dieu, comme le dit Paul. (I Cor. XIII, 3.) Gardez-vous donc, de dire : On me liait, voilà pourquoi je n'aime pas; voilà pourquoi, au contraire, vous devez surtout montrer de l'amour. D'ailleurs il est impossible que celui qui aime devienne si facilement un objet de haine; une bête sauvage (403) répond à l'affection qu'on lui porte par de l'affection; c'est ce que font, dit le Seigneur, les païens et les publicains. (Matth V, 46, 47.) S'il est naturel d'aimer ceux par qui l'on est aimé, le moyen de ne pas aimer ceux qui répondent à la haine par de l'amour? Pratiquez donc cette charité; ne vous lassez pas de redire: Plus vous me haïrez; plus je vous aimerai; voilà une parole qui apaise toutes les querelles, qui attendrit tous les coeurs. Cette maladie de la haine c'est ou une inflammation, ou un refroidissement; dans les deux cas la douce chaleur de la charité opère la guérison. Ne voyez-vous pas comme ces honteux amants supportent les soufflets, les mépris, les outrages, tout ce que leur font endurer ces misérables courtisanes? Qui pourrait éteindre cet amour? les affronts? Nullement, ils ne font que le raviver : qu'importe que ces malheureuses, outre que ce sont des prostituées, appartiennent à une race obscure et vile; qu'importe que leurs victimes puissent souvent citer de glorieux ancêtres, et soient illustres à d'autres titres, rien n'y fait, l'indignité même du traitement qu'ils subissent ne les rebute pas, ne les éloigne pas de la femme qu'ils aiment.

4. Ne rougirons-nous pas quand Satan, quand les démons inspirent des amours d'une telle force, de ne pouvoir montrer la même énergie dans un amour, selon le coeur de Dieu? ne comprenez-vous pas que c'est là, pour frapper le démon, Parme la plus redoutable? ne voyez-vous pas quelle est l'insistance de ce démon pervers pour attirer à lui l'objet de votre haine, et que c'est un de vos membres dont il veut s'enrichir? et vous, vous n'y faites pas attention, et vous abandonnez le prix du combat? Le prix du combat, c'est votre frère, placé au milieu du champ de bataille; soyez vainqueur; à vous la couronne; cédez à votre négligence, et la couronne est perdue, et vous vous retirez honteusement. Cessez donc de faire entendre ce cri satanique : Si mon frère me hait, je ne veux même plus le voir. Rien de plus honteux; laissez dire la foule qui trouve là une marque de grandeur d'âme; rien de plus bas, de plus insensé, de plus cruel. Et ce qui m'afflige plus que tout, c'est la confusion que fait le grand nombre, prenant le mal pour de la vertu; l'humeur dédaigneuse et méprisante pour de la générosité, de (honnêteté. Voilà par où le démon nous prend surtout dans ses filets: nous faisons une bonne renommée à la perversité, ce qui la rend si difficile à détruire. Je n'entends que des gens qui se glorifient de n'avoir. aucun commerce avec leurs ennemis : eh bien, votre Seigneur met sa gloire précisément dans le contraire. Que de fois les hommes l'ont conspué ! que de fois ils se sont détournés de lui ! Mais lui ne se lasse pas de courir à eux.

Ne dites donc plus : Je ne peux avoir aucun commerce avec ceux qui me détestent; dites au contraire : Je ne puis rejeter ceux qui me rejettent. Voilà le langage d'un disciple du Christ; l'autre langage est celui du démon; l'un donne une gloire éclatante; l'autre, la honte et le ridicule. Voilà pourquoi nous admirons Moïse; quand le Seigneur lui dit : " Laissez-moi faire, dans ma colère je les exterminerai " ; Moïse ne put se résoudre à détester ceux qui s'étaient si souvent détournés de lui, et il répondit à Dieu: "Je vous conjure de leur pardonner leurs péchés; si vous ne le faites pas, effacez-moi de votre livre que vous avez écrit ". (Exode, XXXII, 10, 31, 32.) C'est que Moïse était l'ami et l'imitateur de Dieu. Ne nous glorifions donc pas de ce dont nous avons lieu de rougir; ne répétons pas avec complaisance ces banalités grossières: je sais rendre haine pour haine; si nous entendons ce langage, tournons celui qui le tient, en ridicule, et fermons-lui la bouche parce qu'il se glorifie dé ce qui doit exciter la honte. Que dites-vous; répondez-moi? Vous détestez un fidèle que le Christ n'a pas détesté quand il était encore infidèle? Et que dis-je, que le Christ n'a pas détesté? Le Christ l'a aimé, cet homme, cet ennemi, ce misérable, il l'a aimé jusqu'à mourir pour lui. Cet homme, entendez-vous, cet homme ainsi fait, le Christ l'a aimé de cet amour; et vous, aujourd'hui, dites-moi, quand cet homme a recouvré sa beauté, vous le détestez, un membre du Christ, une partie du corps du Seigneur? Ne comprenez-vous pas ce que vous dites? ne sentez-vous pas jusqu'où va votre audace? Cet homme a pour tête le Christ, le Christ est sa table, son vêtement, sa vie, sa lumière, son fiancé; il est tout pour lui, et vous osez dire . Je le déteste ! et non-seulement lui, mais une infinité d'autres avec lui? Arrête, ô homme ! apaise ton délire, reconnais ton frère, reconnais la démence de tes paroles, paroles d'un insensé en fureur; habitue-toi à dire tout le contraire; dût-il mille fois me rejeter, me repousser, je (404) ne le quitte pas. C'est ainsi que vous saurez conquérir votre frère, que vous vivrez pour la gloire de Dieu, que vous aurez votre part des biens de la vie à venir; et puissiez-vous tous les obtenir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXVIII. CAR JE VOUS DÉCLARE QUE JÉSUS-CHRIST A ÉTÉ LE MINISTRE DE L'ÉVANGILE, A L'ÉGARD DES JUIFS CIRCONCIS, AFIN QUE DIEU FUT RECONNU POUR VÉRITABLE, PAR L'ACCOMPLISSEMENT DES PROMESSES FAITES A LEURS PÈRES. (XV, 8, JUSQU'A 13.)
Analyse.

1 et 2. Condescendance et charité mutuelle. — Jésus-Christ promis aux Juifs et annoncé par grâce aux gentils. — Le Christ subi la circoncision pour abolir la circoncision.

2 et 3. Des moyens d'attirer en soi le Saint-Esprit. — Les bonnes oeuvres, et les psaumes. — Nombreuses citations des psaumes. — Le livre des psaumes est le trésor de l'Église.

1. Il parle encore de la sollicitude du Christ, insistant sur le même sujet, pour montrer tout ce que le Christ a fait dans notre intérêt, sans penser au sien. En même temps, l'apôtre démontre que ce sont les gentils qui sont les plus redevables à Dieu. Or, s'ils sont les plus redevables, il est juste qu'ils supportent les faiblesses des Juifs. Après avoir vivement réprimandé les faibles, pour que cette réprimande ne donne pas de l'orgueil aux forts, pour réprimer leur arrogance, il montre les biens accordés aux Juifs, en vertu des promesses faites à leurs pères; quant aux gentils, ils ne doivent ces biens qu'à la miséricorde, qu'à la bonté de Dieu ; de là ces paroles : " Et quant aux gentils, ils doivent glorifier Dieu a à cause de sa miséricorde ". Voulez-vous mieux comprendre toute la pensée de l'apôtre? Ecoutez encore une fois le texte, pour bien saisir ce que signifie : " Afin que Dieu fût reconnu pour véritable, Jésus-Christ a été le ministre de l'Évangile à l'égard des Juifs circoncis ", afin d'accomplir les promesses faites à leurs pères. Que veut dire ce texte ? Une promesse avait été faite à Abraham : "Je vous donnerai ce pays, à vous et à votre postérité " ; et : " Toutes les nations de la terre seront bénies dans celui qui sortira de vous ". (Gen. XII, 7; XXII, 18.) Mais ensuite toute la postérité d'Abraham tomba sous le coup du châtiment. La violation de la loi leur attira la colère de Dieu, et ils furent déchus de cette promesse faite à leurs ancêtres. Toutefois, à son avènement, le Fils de Dieu, coopérant avec son Père, fit en sorte que ces promesses fussent accomplies et eussent leur effet. Après avoir donné pleine et entière satisfaction à la loi, subi la circoncision, et par ce moyen, et par sa croix, levé les malédictions qu'avait attirées l'infraction de la loi, il rie laissa pas tomber la promesse. Donc ces paroles : " Le ministre de l'Évangile à l'égard des Juifs circoncis ", expriment ce fait que le Fils de Dieu, à soit avènement, ayant accompli toute la loi, avant été circoncis, étant devenu de la race d'Abraham , a effacé la (405) malédiction, apaisé la colère de Dieu, a rendu capables désormais de recevoir les effets de la promesse ceux qui devaient les recevoir après avoir été affranchis de leurs offenses. L'apôtre ne veut pas que les judaïsants puissent dire : Comment se fait-il que le Christ ait été circoncis, ait observé toute la loi? Il tourne cette objection contre ceux qui la font. Ce n'est pas, dit l'apôtre, pour affermir la loi, c'est pour en finir avec la loi, que le Christ s'est soumis à la circoncision ; c'est pour vous arracher à la malédiction qui pesait sur vous, c'est pour vous affranchir tout à fait de la domination de cette loi. C'est parce que vous l'aviez transgressée, qu'il a voulu l'accomplir tout entière; ce n'est pas pour vous la faire accomplir vous-mêmes, c'est, au contraire, pour assurer l’accomplissement des promesses faites à vos pères, et dont vous étiez déchus, votre infraction à la loi vous ayant rendus indignes de cet héritage; d'où il résulte que, vous aussi, vous avez été sauvés par grâce, car vous étiez rejetés. Donc cessez de faire des divisions, des disputes, de vous tenir si mal à propos attachés à la loi qui vous aurait fait déchoir de la promesse , si le Christ n'avait pas, pour vous, tant souffert. Ces souffrances, le Christ les a endurées, non que vous eussiez mérité d'être sauvés, mais pour faire reconnaître la véracité de Dieu.

Maintenant, l'apôtre ne veut pas que ces réflexions donnent de l'orgueil aux gentils.: " Quant aux gentils ils doivent glorifier Dieu de sa miséricorde (9)". Ce qui veut dire Les Juifs ont reçu, quoiqu'ils fussent indignes, les effets de la promesse; mais vous, vous n'aviez pas même reçu de promesse, et c'est un pur effet de la bonté de Dieu qui vous a sauvés. Sans doute les Juifs n'auraient rien eu de plus que les autres, quelle que fût la promesse, si le Christ n'était venu sur la terre : toutefois l'apôtre veut modérer l'orgueil des gentils; il ne veut pas qu'ils s'élèvent contre les faibles, c'est pourquoi il rappelle les promesses : pour les gentils, il leur dit que c est à la seule miséricorde qu'ils doivent leur salut; de là, pour eux, une raison plus forte de glorifier Dieu. Or, la gloire de Dieu, c'est l'union qui nous rassemble, qui fait que nous le célébrons tous d'un seul et même coeur, que nous soutenons le faible, que nous ne méprisons pas le membre brisé, séparé de nous. L'apôtre montre ensuite les témoignages qui prouvent que les Juifs fidèles doivent s'unir aux fidèles d'entre les gentils : " Selon qu'il est écrit : "C'est pour cela que je vous louerai, Seigneur, parmi les nations, et que je chanterai un cantique à la gloire de votre nom. (Ps. XVII, 49.) Et l'Ecriture d!t encore : Réjouissez-vous,. nations , avec son peuple; et ailleurs : Nations, louez le Seigneur; peuples, glorifiez-le tous. (10, 11 ; Ps. CXVI, 1.) Et " Il sortira de la tige de Jessé un rejeton, qui s'élèvera pour régner sur les nations, et les nations espéreront en lui ". (12; Is. XI, 10).) Tous ces témoignages, l'apôtre les produit , pour montrer qu'il faut s'unir et glorifier Dieu, et en même temps pour rabaisser le Juif et l'empêcher de s'élever contre le gentil, appelé par tous les prophètes ; et l'apôtre, du même coup, exhorte le gentil à une foi modeste, en lui montrant qu'il doit à Dieu une plus grande reconnaissance.

2. Vient ensuite encore une prière : " Que le Dieu d'espérance vous comble de joie et de paix, dans votre foi, afin que votre espérance abonde par la vertu du Saint-Esprit (13) " ; c'est-à-dire, afin que vous soyez affranchis de vos discordes, et que les tentations ne vous abattent jamais; vous en triompherez, si l'espérance abonde en vous. Voilà la cause de tous les biens. Voilà ce qui nous viendra du Saint-Esprit, non sans condition de la part du Saint-Esprit, mais à la condition que nous ferons tout ce qui dépend de nous; voilà pourquoi l'apôtre dit aussi : " Dans votre foi ": voulez-vous être remplis de joie, montrez votre foi, montrez votre espérance. L'apôtre ne dit pas : afin que vous espériez, mais : " Afin que votre espérance abonde " : c'est-à-dire, de manière que vous trouviez, non-seulement la consolation de vos maux, mais la joie que procure l'abondance de la foi et de l'espérance. Car c'est par là que vous attirerez l'Esprit sur vous; c'est par là qu'avec son assistance, vous conserverez tous les biens. De même que la nourriture soutient notre vie, et que c'est la vie qui distribue la nourriture, de même si nous avons les bonnes couvres, nous aurons l'Esprit; et si nous avons l'Esprit, nous aurons les bonnes oeuvres : et de même, l'inverse est également vrai, si nous n'avons pas les couvres, l'Esprit nous échappe aussi. Que nous perdions l'appui de l'Esprit, aussitôt nous clochons dans les oeuvres : une fois en effet que l'Esprit se retire, l'impur arrive. Saül en est un exemple (406) évident. Qu'importe que l'esprit immonde ne nous suffoque pas comme ce roi? Il nous étreint d'une autre manière, par les oeuvres mauvaises. Nous avons donc besoin de la harpe de David pour chanter à notre âme les divins cantiques, et la gloire de Dieu et la gloire des bonnes oeuvres. Car si nous nous bornons à louer Dieu, à entendre des chants, si nos oeuvres les démentent, si nous faisons ce que faisait Saül, le remède se changera pour nous en damnation, et notre folie deviendra plus monstrueuse. Avant que nous ayons entendu les cantiques, le démon maudit tremble, il a peur de nous voir nous corriger; mais, si malgré ce qu'entendent nos oreilles, nous demeurons les mêmes, sa crainte se dissipe alors.

Chantons donc le cantique des oeuvres, afin de chasser loin de nous le péché, plus affreux encore que le démon. Le démon en effet ne nous prive pas nécessairement du royaume des cieux, et même parfois il sert les intérêts de celui qui veille; le péché nous bannit tout à fait du ciel. Car le péché est un démon volontaire, un délire spontané; aussi ne rencontre-t-il ni miséricorde, ni pardon. Chantons donc dans ces dispositions, et tout ce que chante l'Ecriture, et ce que chante le bienheureux David; que la bouche fasse entendre les psaumes et que l'esprit s'instruise. Il n'y a pas là un secours à dédaigner; une fois que nous aurons appris à notre langue à chanter, notre âme rougira, pendant que celle-ci chante, de céder à des pensées contraires. Et ce n'est pas là le seul fruit que nous recueillerons, mais nous recueillerons grand nombre de connaissances qui nous seront utiles. Car David vous entretient et des choses présentes et des choses à venir, et des créatures visibles, et de la création invisible. Voulez-vous savoir si le ciel demeure tel qu'il est., ou subit des changements? sa réponse est claire : " Les cieux vieilliront tous comme un vêtement; vous les roulerez comme un habit dont on se couvre", ô Dieu, " et ils seront changés ". (Ps. CI, 27.) Voulez-vous connaître la forme du ciel : " Etendant le ciel comme une tente ". (Ps. CIII, 2.) Et si vous tenez à en savoir un peu plus sur la voûte extérieure , David vous dira encore : " Vous qui couvrez d'eau sa partie la plus élevée ". (Ps. CIII, 3.) Et le chantre sacré ne s'arrête pas là, mais il vous parle encore et de la largeur et de la hauteur, dont il vous montre l'égalité : " Autant l'orient est éloigné du couchant, autant il a éloigné de nous nos iniquités Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant a-t-il affermi, sa miséricorde sur ceux qui le "craignent ". (Ps. CII, 12, 11.) Si vous voulez scruter les fondements de la terre, il ne vous les tiendra pas cachés, vous l'entendrez chanter et vous dire : " Car c'est lui qui l'a fondée sur les mers ". (Ps. XXIII, 2.) Désirez-vous apprendre la cause des tremblements de terre, il ne vous laissera aucune incertitude : " Lui qui regarde la terre et la fait trembler ". (Ps. CIII, 32.) Vous cherchez à quoi sert la nuit, vous l'allez apprendre de lui : " C'est durant la nuit que toutes les bêtes de la forêt se répondent sur la terre ". (Ps. CIII, 20.) Et les montagnes, à quoi bon? il vous répond " Les hautes montagnes servent de retraite aux cerfs ". Et les rochers? " Et les rochers aux hérissons, et aux lièvres ". Pourquoi les arbres stériles? apprenez-le : " Les petits oiseaux y feront leurs nids ". (Ps. CIII, 18, 17.) Pourquoi les sources dans les déserts? " Sur leurs bords habiteront les oiseaux du ciel, et les bêtes des champs ". (Ibid. XII, 11.) Et pour quel usage; le vin? Non-seulement pour boire, car l'eau suffisait, mais pour y trouver le contentement et la joie : " Le vin réjouit le coeur de l'homme ". (Ibid. 15.) Vous saurez ainsi quelle mesure vous devez garder.

D'où vient, aux oiseaux du ciel, aux bêtes des champs, leur nourriture? Ecoutez la réponse : " Toutes les créatures attendent de vous que vous leur donniez leur nourriture, lorsque le temps en est venu ". (Ibid. 27.) Si vous dites : A quoi bon les bêtes de somme? il vous répond qu'elles sont pour votre usage. " Qui produit le foin pour les bêtes de somme, et l'herbe pour les esclaves de l'homme ? " (Ibid. 14.) Quel besoin avez-vous de la lune? Ecoutez le psalmiste : " Il a fait la lune pour les temps ". (Ibid. 19.) Et que Dieu a tout fait, toutes les choses, soit visibles, soit invisibles, c'est ce qu'il enseigne avec clarté, en disant : " Il a parlé, et toutes choses ont été faites ; il a commandé, et toutes choses ont été créées ". (Ps. XXXII, 9.) Quant à ce que la mort même sera détruite, c'est ce que le psalmiste vous apprend, en disant : " Dieu rachètera et délivrera mon âme de la puissance de l'enfer, lorsqu'il m'aura pris en sa protection ". (Ps. XLVIII, 16.) D'où nous vient notre corps? Le psalmiste le dit aussi . " Il (407) s'est souvenu que nous ne sommes que poussière". (Ps. CII, 14.) Où retourne-t-il? " Il rentrera dans sa poussière ". (Ps. CIII, 29.) En vue de quoi toutes ces choses? Pour vous. " Vous l'avez couronné de gloire et d'honneur, et vous l'avez établi sur les ouvrages de vos mains ": (Ps. VIII, 6.) Avons-nous quelque chose de commun, nous autres hommes, avec les anges? C'est ce que le psalmiste dit encore, de cette manière: " Vous ne l'avez qu'un peu abaissé au-dessous des anges ". (Ibid. 5.) Sur l'amour de Dieu : " De même qu'un père a une tendre compassion pour ses fils, le Seigneur a une tendre compassion pour ceux qui le craignent". (Ps. CII, 13.) Sur la vie qui nous attend après celle-ci, sur le tranquille repos qui sera la fin des choses : " Rentre ", dit-il, " ô mon âme, dans ton repos ". (Ps. CXIV, 7.) Pourquoi le ciel est-il si grand ? Le psalmiste répondra aussi : " Les cieux racontent la gloire de Dieu ". (Ps. XVIII, 2.) Dans quel but le jour et la nuit? Ce n'est pas seulement pour que le jour brille et que la nuit nous procure le repos, c'est aussi pour nous instruire : " Il n'y a point de langue, ni de différent langage, au milieu de qui leur voix ne soit entendue ". (Ibid. 4.) Comment la mer entoure-t-elle la terre? " L'abîme l'environne comme un vêtement " (Ps. CIII, 6) ; c'est là ce que dit le texte, hébreu.

3. Suivant le même principe, vous pourrez de même apprendre tout le reste, sur le Christ, sur la résurrection, sur la vie à venir, sur le repos final, sur le grand châtiment, sur tout ce qui concerne les moeurs, sur les dogmes; et vous trouverez dans ce livre des Psaumes des richesses incalculables. Si vous tombez dans des tentations, vous en retirerez une consolation tout à fait efficace; si vous commettez des péchés, vous y rencontrerez un nombre infini de remèdes pour votre âme; s'il vous arrive d'essuyer la tempête de la pauvreté, de l'affliction, vous apercevrez une foule de ports à l'horizon; et si vous êtes un homme juste vous en recueillerez de quoi vous affermir; et si vous êtes un pécheur, de quoi vous consoler. Vous pratiquez la justice, et vous souffrez des malheurs, écoutez la voix qui vous dit : " A cause de. vous nous sommes tous les jours livrés à la mort, nous avons été regardés comme des brebis destinées à la boucherie ". (Ps. XLIII, 22.) — " Tous ces maux sont venus fondre sur nous, et nous ne vous avons point oublié (Ib.17)". Si vos bonnes oeuvres vous donnent, de vous-mêmes, de hautes pensées, écoutez la voix qui vous dit " N'entrez point en jugement avec votre serviteur, parce que nul homme vivant ne sera trouvé juste devant vous " (Ps. CXLII, 9) ; voilà qui tout de suite vous rendra humble. Si vous êtes pécheur, et si vous désespérez de vous-même, vous l'entendrez souvent chanter: "Si vous entendez aujourd'hui sa voix, gardez-vous bien d'endurcir vos coeurs, comme il arriva au temps du murmure qui excita ma colère " (Ps. XCIV, 8, 9); voilà qui vous relèvera aussitôt. Si vous portez un diadème sur la tête, si l'orgueil vous tient, vous apprendrez que : " Ce n'est point dans sa grande puissance qu'un roi trouve son salut, et le géant ne se sauvera point par sa force extraordinaire " (Ps. XXXII, 16), et vous pourrez vous contenir. Si vous êtes riche et glorieux, vous l'entendrez encore chanter : " Malheur à ceux qui se confient dans leur force, et qui se glorifient dans l'abondance de leurs richesses " (Ps. XLVIII, 7); et encore " Le jour de l'homme passe comme l'herbe; il est comme la fleur des champs qui passe vite " (Ps. CII, 15); et " Sa gloire ne descendra pas en même temps que lui, derrière lui " (Ps. XLVIII, 18) ; alors vous jugerez qu'il n'y a rien de grand sur la terre. Car tout ce qu'il y a de plus éclatant, la gloire, la puissance, étant si méprisable, que pouvez-vous encore estimer sur la terre? Si vous êtes dans le chagrin, écoutez le Psalmiste : " Pourquoi, mon âme, êtes-vous triste, et pourquoi me remplissez-vous de trouble? Espérez en Dieu, parce que le dois encore le louer ". (Ps. XLI, 12.) Voyez-vous certains hommes qui ne méritent pas leur gloire? Dites alors : " Gardez-vous de porter envie aux méchants, et ne soyez point jaloux de ceux qui commettent l'iniquité , car ils sécheront aussi vite que le foin, et se faneront comme les herbes et les légumes ". (Ps. XXXVI, 1, 2.) Voyez-vous des justes et des injustes qui sont frappés? Ecoutez, ce n'est pas pour la même cause : " Il y a un grand nombre de fouets pour le pécheur ". (Ps. XXXl, 10.) S'il est question des justes, le Psalmiste ne dit pas, des fouets, mais : " Il y a un grand nombre d'afflictions pour les justes , et le Seigneur les délivrera de toutes ces peines " (Ps. XXXIII, 20); et encore : " La mort des pécheurs (408) est détestable "; et : " C'est une chose précieuse devant le Seigneur que la mort de ses saints ". (Ps. CXV, 15.)

Lisez sans cesse ce livre, voilà comment vous vous instruirez; chacune de ces paroles contient un océan, un abîme sans fond de pensées. Mais nous ne faisons que les traverser en courant; si vous vouliez fixer votre attention star ses paroles, vous y trouveriez de riches trésors. Elles peuvent réprimer les oeuvres coupables. En condamnant l'envie, la douleur, l'abattement hors de propos, en recommandant de regarder comme rien : richesses, tribulations, pauvreté, vie même, elles vous affranchissent de toutes les passions. Pour tous ces bienfaits, rendons grâces à Dieu et mettons la main sur ce trésor : " Pour posséder l'espérance, par la patience et la consolation des Ecritures ", pour jouir des biens à venir ; puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ , à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire , la puissance , l'honneur, maintenant et toujours , et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

HOMÉLIE XXIX. POUR MOI, MES FRÈRES, JE SUIS PERSUADÉ QUE VOUS ÊTES PLEINS DE CHARITÉ, QUE VOUS ETES REMPLIS DE TOUTES CONNAISSANCES, ET QU'AINSI VOUS POUVEZ VOUS INSTRUIRE LES UNS LES AUTRES. (XV, 14, JUSQU'A 24.)
Analyse.

1. De l'édification des fidèles les uns par les autres ; de l'instruction qu'ils peuvent se donner mutuellement. — Des grands ménagements que prend saint Paul, en réprimandant les fidèles.

2. Du sacerdoce, de l'oblation ; comment l'oblation peut-elle devenir agréable à Dieu? - Attention de saint Paul à ne pas prêcher où d'autres apôtres l'avaient devancé.

3. Raisons qui ont retardé son voyage à Rome. — Amour paternel de l'apôtre polir les fidèles.

4 et 5. De la bonté chez les pasteurs. — Exemples tirés des Ecritures. — De l'obéissance due aux conducteurs des peuples.

1. Il avait dit : " Tant que je serai l'apôtre des gentils, je glorifierai mon ministère "; il avait dit : " Vous devez craindre que Dieu ne vous épargne pas non plus " (Rom. XI, 13, 21); il avait dit : " Ne soyez point sages à vos propres yeux " (Ibid. XII, 16); il avait encore dit: "Vous donc, pourquoi condamnez-vous votre frère ? " et: " Qui êtes-vous pour " oser condamner le serviteur d'autrui ? " (Ibid. XIV, 10, 4) et il avait fait entendre bien d'autres paroles semblables. Donc il ne pense plus qu'à adoucir la rudesse qu'il a souvent montrée, et ce qu'il a dit en commençant il le reprend pour finir. En commençant, il avait dit : " Je rends grâces à mon Dieu pour vous tous, de ce qu'on parle de votre foi dans tout le monde" (Ibid. I, 8); ici : " Je suis persuadé que vous êtes pleins de charité, et qu'ainsi vous pouvez vous instruire les uns les autres ", et ce compliment dit plus que l'autre. Il n'y a pas : J'ai appris, mais : " Je suis persuadé ", ce qui veut dire, je n'ai pas besoin d'apprendre de la bouche d'un autre; mais : " Pour moi, je suis persuadé ", moi qui réprimande, moi qui accuse, " Que vous êtes pleins de charité ". Cet éloge répond à (409) l'observation qu'il vient de leur faire, c'est comme s'il leur disait: Ce n'est pas parce que je vous regarde comme dépourvus de douceur, comme capables de haïr vos frères, que je vous ai exhortés à les soutenir, à ne pas laisser périr l'ouvrage de Dieu : je sais parfaitement que vous êtes pleins de charité. L'apôtre me semble marquer ici par ce mot la vertu en général. Et l'apôtre ne dit pas : Vous êtes pourvus de, mais : " Vous êtes pleins de charité ". La même force d'expressions se remarque dans ce qui suit: " Vous êtes remplis de toutes sortes " de connaissances ". Et en effet, que serait-il résulté de leur amour s'ils n'avaient pas su la manière de se conduire avec ceux qu'ils aimaient? Aussi Paul a-t-il ajouté : " De toutes sortes de connaissances, et qu'ainsi vous pouvez vous instruire les uns les autres "; non-seulement être des disciples, mais des docteurs.

" Néanmoins je vous ai écrit ceci avec un peu de liberté (15) ". Voyez l'humilité de Paul, voyez sa prudence; il a d'abord un discours profondément incisif ; ensuite , après avoir fait l'opération salutaire qu'il se proposait, il a recours à tous les adoucissants. Indépendamment de tout ce qu'il a dit, il suffisait d'avouer qu'il avait parlé avec une certaine liberté, cette confession devait adoucir l'esprit des fidèles. C'est la conduite que tient l'apôtre en écrivant aux Hébreux : " Nous avons une meilleure opinion de vous et de votre salut, mes chers frères, quoique nous parlions de cette sorte " (Hébr. VI , 9); même langage aux Corinthiens : " Je vous loue , mes frères , de ce que vous vous souvenez de moi en toutes choses, et que vous gardez les traditions et les règles que je vous ai données ". (I Cor. XI, 9.) Il écrivait aux Galates : " J'ai la confiance que vous n'aurez point d'autres sentiments que les miens ". (Gal. V, 10.) Partout, dans ses lettres, vous verrez la répétition fréquente de cette pensée , mais mille part plus fréquente qu'ici. Car les Romains étaient les plus relevés dans l'estime des peuples, et il était nécessaire de réprimer leur orgueil, non-seulement en leur parlant avec fermeté , mais aussi en les caressant. L'apôtre arrive à son but par des moyens différents. Voilà pourquoi il dit dans ce passage : " Je vous ai écrit ceci avec liberté "; remarquez, cette expression ne lui aurait pas. suffi; il dit " avec un peu de liberté ", c'est-à-dire, avec une liberté douce. Et il ne s'arrête pas là; mais que dit-il? " Comme pour vous faire ressouvenir ". Il ne dit pas: Pour vous apprendre; il ire dit pas non plus: Vous rappelant, mais : " Vous faisant ressouvenir ", c'est-à-dire, vous rappelant tout doucement. Voyez-vous comme la fin de la lettre et le commencement se répondent? De même qu'il disait, en commençant: "On parle de votre foi dans tout le monde ", de même à la fin de la lettre : " Votre obéissance est connue de tous ". Et comme il disait au début . " J'ai grand désir de vous voir, pour vous faire part de quelque grâce spirituelle, afin de vous fortifier " (Rom. I, 8, 11) ; c'est-à-dire, pour notre mutuelle consolation ; de même ici, " comme pour vous faire ressouvenir ", dit-il. Il descend de temps à autre de la chaire du maître, et il leur parle comme à des frères, à des amis , à des égaux; il entend fort bien ce qui est le premier talent d'un maître , et qui consiste à varier son discours pour l'utilité des auditeurs.

Voyez donc comme, après avoir dit; " Je vous ai écrit ceci ", non avec liberté, mais avec un peu de liberté ", et, " comme pour vous faire ressouvenir ", il ne s'en tient pas encore à cette modestie de louange, mais il ajoute avec plus d'humilité encore: " Selon la grâce que Dieu m'a donnée " : c'est aussi ce qu'il disait, en commençant : " Je suis débiteur ". Ce qui veut dire : je n'ai pas ravi cet honneur pour me l'arroger, je ne m'en suis pas emparé moi-même, c'est Dieu qui m'a donné cet ordre, et en cela il m'a fait une grâce dont je n'étais pas digne. Donc ne vous irritez pas; ce n'est pas moi qui m'élève contre vous, c'est Dieu qui commande. Et, de même qu'il dit au commencement, Dieu " que je sers dans l'Évangile de son Fils " ; de même ici après avoir dit: " Selon la grâce que Dieu m'a donnée ", il ajoute : " d'être le ministre de Jésus-Christ parmi les gentils, en exerçant la sacrificature de l'Évangile de Dieu (16) ". Après un grand nombre de preuves à l'appui de ses réflexions précédentes, il passe à un sujet plus grave, il ne parle plus du culte seule. ment, comme au début, mais de la liturgie et du saint ministère : mon sacerdoce à moi, c'est la proclamation, c'est la prédication de l'Évangile, voilà le sacrifice que j'offre. Jamais on n'a fait un reproche au prêtre de prendre soin que son offrande soit pure. Voilà ce que disait Paul, pour donner des ailes à leurs (410) pensées, pour leur montrer qu'ils étaient eux-mêmes l'offrande, et pour se justifier en se fondant sur l'ordre qu'il avait reçu d'en-haut. Mon glaive, à moi, dit-il, c'est l'Evangile, c'est la parole de la prédication ; et ce qui me fait agir, ce n'est pas un désir de gloire, un amour de briller, mais je veux, écoutez la suite : "Que " l'oblation des gentils lui soit agréable, étant " sanctifiée par le Saint-Esprit ". C'est-à-dire, il faut que les âmes des disciples soient agréables à Dieu. Car ce n'est pas tant pour me faire honneur que Dieu m'a appelé à ce ministère, que pour assurer votre salut.

2. Or, comment l'oblation pourra-t-elle devenir agréable? Par l'Esprit-Saint. C'est qu'en effet la foi ne suffit pas, il faut de plus la vie spirituelle , si nous voulons conserver l'Esprit-Saint, une fois que nous l'aurons reçu. Car ni le bois, ni le feu, ni l'autel, ni le glaive ne sont rien, c'est l'Esprit qui est toutes choses en nous. Aussi je fais tout, pour empêcher ce feu de s'éteindre : c'est là la mission qui m'a été donnée. Pourquoi donc vous adressez-vous à ceux qui n'ont pas besoin d'être instruits? C'est précisément pour cela, dit-il; je n'instruis pas, je ne fais qu'avertir : comme le prêtre allume le feu , ainsi je réveille votre ardeur. Et voyez, il ne dit pas : afin que votre oblation, mais : " afin que l'oblation des gentils lui soit agréable". — "Des gentils ", cela veut dire , le monde habité, la terre, toutes les mers; c'est pour rabaisser leur orgueil; on ne doit pas dédaigner le maître, qui veut faire entendre sa voix aux extrémités de la terre. C'est encore ce qu'il disait au commencement : " Je suis redevable aux Grecs et aux barbares, aux savants et aux simples. Je mets donc ma gloire en Jésus-Christ, pour le service de Dieu ". Après s'être fort humilié , il se relève, il reprend sa fierté, et cela même dans leur intérêt, afin de ne pas paraître un objet de mépris. Mais tout en paraissant s'élever, il n'oublie pas son caractère propre , il dit : " Je mets donc ma gloire ". Je me glorifie, dit-il, non de moi-même, non de l'ardeur qui est en moi, mais de la grâce de Dieu.

" Car je n'oserais vous parler de ce que Jésus Christ a fait pour moi , pour amener les gentils à l'obéissance de la foi, par la parole et par les oeuvres (18) ; par la vertu des miracles et des prodiges , et par la puissance du Saint-Esprit (19) ". Vous ne m'objecterez pas, dit l'apôtre, que la vanité inspire mes paroles; je ne vous parle que des marques de mon sacerdoce, et je ne suis pas en peine pour vous fournir les signes de la mission qui m'est conférée ; ce ne sont pas des robes traînantes, ni une mitre ou une tiare, ni une parure pour le front, mais des signes beaucoup plus redoutables, des miracles. Et l'on ne peut pas dire non -plus que j'ai reçu une mission, mais que je n'ai rien fait : je me trompe , ce n'est pas moi qui ai fait quelque chose, mais le Christ. Voilà pourquoi je me glorifie en lui, non pour des oeuvres vulgaires, mais pour des oeuvres spirituelles. Car c'est là ce que signifie: "pour le service de Dieu ". Ce qui prouve que j'ai exécuté ma mission , et que mes paroles ne sont pas de la jactance, ce sont les miracles accomplis et la soumission des nations. " Car je n'oserais vous parler de ce que Jésus-Christ a fait par moi, pour amener les gentils à l'obéissance de la foi, par la parole et par les oeuvres; par la vertu des miracles et des prodiges, et par la puissance du Saint-Esprit ". Voyez ses efforts, son insistance pour montrer que tout est l'oeuvre de Dieu, que lui, Paul, n'y est pour rien. Soit que je dise, soit que je fasse, soit que j'opère des miracles, c'est Dieu qui fait tout, l'auteur de tout, c'est l'Esprit-Saint. Ces paroles ont pour but de montrer aussi la vertu de l'Esprit. Comprenez-vous combien ce sacrifice, cette oblation, ces marques sont bien plus admirables, redoutables que ce qui avait paru anciennement ? Quand l'apôtre dit: " Par la parole " et par les oeuvres , par la vertu des miracles "et des prodiges ", il entend par là, la doctrine, la sagesse du royaume de Dieu , l'établissement d'une vie et d'une conduite toute nouvelle, les morts ressuscités, les démons chassés, les aveugles guéris, les boiteux se mettant à marcher, tous les autres prodiges accomplis en nous par le Saint-Esprit.

Mais ceci n'est encore qu'une assertion dont voici la preuve: le grand nombre des disciples. Voilà pourquoi il ajoute : de sorte que, " depuis Jérusalem, en faisant le tour, jusqu'en Illyrie, j'ai tout rempli de l'Evangile du Christ ". Il fait donc l'énumération, et des villes , et des contrées, et des nations, et des peuples, non-seulement de ceux qui obéissent aux Romains, mais encore des tribus soumises aux barbares. Ne vous bornez donc pas, dit-il, à la Phénicie, à la Syrie, à la Cilicie, à la Cappadoce, considérez encore tous les pays plus (411) éloignés, ceux des Sarrasins, des Perses, des Arméniens, de tous les autres barbares. Voilà pourquoi il dit: " En faisant le tour". Ne vous contentez pas de suivre tout droit le chemin battu, mais parcourez, par la pensée, toute l'Asie méridionale. De même qu'une courte expression lui suffit pour résumer une infinité de miracles, " Par la vertu des miracles et des prodiges ", de même, pour embrasser une foule innombrable de villes, de nations, de peuples, de contrées, c'est assez pour lui , de ces mots : " En faisant le tour " ; l'apôtre n'avait aucun orgueil; son discours n'avait pour but que de les empêcher d'avoir trop bonne opinion d'eux-mêmes. Il commence sa lettre en leur disant : " Pour faire quelque fruit parmi vous, comme parmi les autres nations" (Rom. I , 13) ; maintenant dans le passage qui nous occupe, il établit la nécessité où il est d'accomplir son sacerdoce. Comme il avait parlé avec une certaine rudesse, il tenait à leur bien montrer son pouvoir. Voilà pourquoi, dans le commencement de la lettre , il s'est borné à dire: " Comme parmi les autres nations "; mais ici il développe, il insiste, afin de réprimer par tous les moyens leur orgueil. Et il ne dit pas seulement: De sorte que j'ai prêché l'Évangile, mais: "J'ai tout rempli de l'Évangile du Christ. Et je me suis tellement acquitté de ce ministère , que j'ai eu soin de ne pas prêcher l'Évangile dans les lieux où Jésus-Christ avait déjà été prêché (20) ".

3. Autre excès d'attention , maintenant ; non-seulement tant de peuples évangélisés et convertis, mais il a eu soin de ne pas se rendre au milieu des peuples qui avaient déjà reçu la doctrine. 11 est si éloigné de la prétention d'aller se jeter au milieu des disciples des autres, si éloigné de toute poursuite d'une vaine gloire, qu'il n'a de souci que pour instruire ceux qui n'ont encore rien appris. Il ne dit pas : Les lieux où il y avait des fidèles, mais: " Les lieux où Jésus-Christ avait déjà été prêché " ; il y a dans cette expression, une preuve de circonspection poussée plus loin. Et pourquoi tant de précautions? " Pour ne point bâtir sur le fondement d'autrui ". Ce qu'il dit, pour montrer combien il recherche peu la vaine gloire, et il leur fait entendre par là que s'il s'applique à les instruire, que s'il leur écrit, ce n'est pas pour faire parler de lui , ce n'est pas pour s'attirer leur considération, mais parce qu'il doit remplir son ministère , s'acquitter de son sacerdoce, parce qu’il désire leur salut. Quant à ce qu'il dit de " Ne point bâtir sur le fondement d'autrui ", sur un fondement étranger, il n'a point en vue la personne des autres apôtres, ni la nature de leur prédication , mais la considération de la récompense. En effet , les prédications étaient toujours les mêmes, mais ce n'étaient pas les mêmes personnes qui avaient mérité la récompense ; la récompense due au labeur des autres, ce n'était pas à lui à la recevoir.

L'apôtre parle ensuite de l'accomplissement de la prophétie: " Comme il a été écrit: " Ceux à qui il n'avait point été annoncé, verront sa lumière ; et ceux qui n'avaient point encore entendu parler de lui, auront l'intelligence de la doctrine (21) ". Le voyez-vous accourir où il y a plus de labeurs à supporter, de sueurs à répandre? " C'est ce qui m'a souvent empêché d'aller vers vous (2?) " ; réflexion, vous le voyez, qui rappelle, pour finir, le commencement de sa lettre. Il disait en commençant: " J'avais souvent proposé de vous aller voir,mais j'en ai été empêché jusqu'à cette heure " (Rom. I, 13); il donne ici la raison qui l'a empêché, et il ne se contente pas de la donner une fois, mais il la répète à plusieurs reprises. De même qu'il disait plus haut : " J'avais souvent proposé de vous aller voir ", de même ici : " C'est ce qui m'a souvent empêché d'aller vers vous". La vivacité de son désir se révèle par ces efforts tentés plus d'une fois. " Mais n'ayant plus maintenant aucun sujet de demeurer dans ce pays-ci... (23) ". Voyez-vous comme il montre bien que ce n'est pas pour se faire, valoir auprès d'eux qu'il leur écrit, et qu'il veut les aller trouver? " Et désirant, depuis plusieurs années de vous aller voir, lorsque je ferai le voyage d'Espagne, j'espère vous voir en passant, afin que vous me conduisiez en ce pays-là, lorsque j'aurai un peu joui de votre présence (24) ". Il aurait eu l'air de les mépriser, s'il leur eût dit : c'est parce que je n'ai rien à faire que je me rends auprès de vous; voilà pourquoi il reprend le langage de l'affection : " Et désirant, depuis plusieurs années, de vous aller voir". Si j'ai désiré d'aller auprès de vous, ce n'est pas seulement pour occuper mon loisir, mais voilà longtemps que je ressens ce désir, c'est un enfantement de mon coeur, et mon coeur veut être délivré.

412

Maintenant, il ne veut pas, en leur parlant ainsi, exciter leur orgueil; voyez comme il les rappelle à la modestie : " Lorsque je ferai le voyage d'Espagne, j'espère vous voir en passant ". Ces paroles ont pour objet de les empêcher de s'enorgueillir; il veut leur montrer de l'affection, mais il ne veut pas enfler leur vanité. Voilà pourquoi il exprime sans cesse la même pensée, avec tout ce qui peut, de part et d'autre, confirmer la charité, ruiner l'orgueil. Voilà pourquoi il fait un second effort afin de prévenir cette pensée qu'il ne les verra qu'en passant, il leur dit: " Afin que vous me conduisiez " ; ce qui signifie : je veux que vous voyiez par vous-mêmes, que je ne vous méprise pas, que c'est la nécessité qui m'entraîne loin de vous. Toutefois ces paroles mêmes pouvaient leur causer quelque tristesse, il adoucit son discours, il ajoute : " Lorsque j'aurai un peu joui de votre présence ". L'expression : " En passant ", montre assez qu'il ne tient pas à se faire valoir auprès d'eux; mais : " Lorsque j'aurai un peu joui ", montre le prix qu'il attache à leur affection ; ces paroles prouvent qu'il ne les aime pas d'un amour vulgaire, mais vif et passionné. Voilà pourquoi il ne dit pas seulement : " Joui ", mais " un peu joui ". Je ne pourrais jamais jouir assez de manière à me rassasier de votre présence. Voyez-vous comme il prouve son affection ? Quelque pressé qu'il soit, il ne les quittera pas avant d'avoir pu jouir de leur présence. La vivacité de son affection pour eux éclate dans la chaleur de ses expressions. Il ne dit pas: Lorsque je vous aurai vus, mais : " Lorsque j'aurai joui " ; il se sert des mêmes paroles que les pères. Et, au commencement de la lettre, il disait: " Pour faire quelque fruit "; ici, il se propose de jouir de leur présence; deux manières de parler qui rendent ce qui l'attire auprès d'eux. La première est, pour eux, un grand éloge, puisque l'apôtre espérait des fruits de leur docilité; la seconde marque l'affection que Paul ressent personnellement pour les fidèles de Rome. Il écrivait aux Corinthiens : " Afin que vous me conduisiez où je pourrai aller (I Cor. XVI, 6); en toute circonstance, il montre à ses disciples une affection sans égale. C'est toujours de cette manière qu'il commence ses lettres, et il les termine par l'expression du même sentiment.

4. Comme un bon père chérit son fils unique, son enfant à lui, c'est ainsi que Paul chérissait tous les fidèles : Aussi disait-il " Qui est malade sans que je sois malade avec lui? Qui est scandalisé sans que je brûle? " (II Cor. XI, 29.) Ce doit être la, dans celui qui enseigne, la première de toutes les vertus. Voilà pourquoi le Christ disait à Pierre : " Si vous m'aimez, paissez mes brebis ". (Jean, XXI, 17.) Qui aime le Christ, aime aussi son troupeau. Ce qui valut à Moïse d'être mis à la tête des Juifs, c'est la bouté qu'il montra pour eux; ce qui éleva David à la royauté, ce fut d'abord l'amour qu'il montra pour le peuple. Jeune encore, il s'affligeait de ses douleurs, au point d'exposer sa vie, lorsqu'il abattit ce géant barbare. Quoiqu'il ait dit: " Que donnera-t-on a celui qui tuera cet étranger? " (I Rois, XVII, 26), ce qu'il demandait, ce n'était pas la récompense, mais la confiance qui s'en reposerait sur lui , qui le chargerait du combat. Aussi, après la victoire, retourné près du roi, il ne dit pas un mot du salaire. Samuel aussi était plein d'amour pour le peuple, et il disait : " Dieu me garde de commettre ce péché, que je cesse jamais de prier pour vous le Seigneur " ; (I Rois, XII, 23.) C'est ainsi que se montra le bienheureux Paul; ou plutôt il surpassait de beaucoup tous les autres par l'ardeur de son amour pour ceux qu'il gouvernait. Aussi les sentiments qu'il inspira pour lui à ses disciples, furent tels qu'il disait d'eux : " S'il eût été, possible, vous vous seriez arraché les yeux, pour me les donner ". (Gal. IV, 15.) Voilà pourquoi Dieu adresse aux pasteurs des Juifs, des accusations plus sévères qu'à tous les autres, il leur dit : " O pasteurs d'Israël, est-ce que les pasteurs se paissent eux- mêmes? Est-ce qu'ils ne paissent pas leurs brebis ? " Ces pasteurs faisaient tout le contraire. "Vous mangez le lait ", dit-il, " et vous vous couvrez de la laine ; ce qu'il y a de plus gras, vous l'égorgez, et vous ne paissez pas les brebis ". (Ezéch. XXXIV, 2, 3.)

Et le Christ formulant la règle du bon pasteur: " Le bon pasteur ", disait-il, " donne sa vie pour ses brebis ". (Jean, X, 11.) C'est ce que David montra en beaucoup de circonstances, et surtout lorsque la colère du ciel, colère terrible, menaçait tout le peuple; les voyant tous périr, il disait : " C'est moi qui ai péché; c'est moi qui suis coupable; qu'ont fait ceux-ci qui ne sont que des brebis? " (413) (II Rois, XXIV, 17.) Aussi, dans le choix des châtiments suspendus alors sur les têtes, il ne demanda pas la famine, l'épée des ennemis, mais la mort envoyée par Dieu; il s'attendait à voir ainsi les autres en sûreté, tandis que lui serait frappé le premier de tous. Cette prévision ne se réalisant pas, il pleure, il s'écrie : " Que votre main se tourne contre moi ", et si cela ne suffit pas, " et contre la maison de mon père ". Car " c'est moi, dit-il, moi, le pasteur, qui ai péché ". C'est comme s'il disait: Quand même ceux-ci auraient péché, c'est moi qui suis responsable, pour ne les avoir pas redressés; mais puisque c'est moi qui ai commis le péché, c'est moi qui dois être puni. Pour exagérer sa faute, il prend le nom de pasteur. Voilà comment il apaisa la colère divine, voilà comment il fit révoquer la sentence : tant est grand le pouvoir de la confession : " Le juste s'accuse lui-même le premier (Prov. XVIII, 17) ; voilà jusqu'où s'étend la sollicitude , l'affection compatissante d'un pasteur excellent. Ses entrailles étaient déchirées, quand il voyait tomber ceux en qui il croyait voir mourir ses propres enfants; voilà pourquoi il demandait que la colère se déchargeât sur sa tête. Dès le commencement de l'extermination, il aurait montré le même coeur, s'il n'avait pas espéré que le fléau viendrait jusqu'à lui. Quand il se vit épargné , quand il vit que le désastre ravageait son peuple, alors il n'y tint plus, il se sentit plus dévoré par la douleur que par la perte d'Ambon son premier-né. En effet, il ne demanda pas pour lui la mort en ce moment, mais maintenant, il veut succomber avant les autres. Voilà ce que doit être le chef, il doit montrer plus d'affliction pour les malheurs des autres que pour ses propres souffrances. Ce qu'il ressentit à l'égard de son fils, c'est pour vous apprendre que ce fils ne lui était pas plus cher que le peuple qui lui était soumis. C'était un libertin, un parricide; cependant David s'écriait : " Qui me donnera de mourir pour toi ? " (II Rois, XVIII, 33.) Que dites-vous, ô bienheureux, ô vous, de tous les hommes le plus clément ? Ce fils a voulu vous tuer, il vous a réduit aux dernières extrémités, et c'est parce qu'il n'est plus, et c'est quand vous triomphez, que vous appelez la mort? Oui, répond-il; ce n'est pas pour moi que mon armée a vaincu, je soutiens de plus violents combats qu'auparavant, mes entrailles n'ont jamais été plus déchirées. Autrefois les chefs avaient à coeur les intérêts de ceux qui leur étaient confiés.

5. Le bienheureux Abraham pourvoyait aux intérêts, même de ceux dont il n'était pas chargé, et, dans cette sollicitude, il allait jusqu'à s'exposer à de graves dangers. Il ne s'inquiéta pas seulement des affaires de son neveu, mais, en faveur du peuple de Sodome, il ne cessa de poursuivre les Perses jusqu'à ce qu'il eût arraché d'entre leurs mains ceux qu'ils emmenaient captifs. Il pouvait bien cependant, après avoir retrouvé le fils de son frère, se retirer du pays : ce qu'il ne fit pas, car sa sollicitude pour tous était égale, et la suite de ses actions l'a bien prouvé. Eu effet, quand vint le moment où ce n'étaient plus des armées barbares qui envahissaient le pays, quand la colère divine s'apprêta à détruire de fond en comble les villes coupables, quand le temps des batailles rangées et des combats fit place à la nécessité de la supplication et de la prière, on vit alors Abraham aussi inquiet que si lui-même eût été sur le point de périr. C'est pourquoi, une fois, deux fois, trois fois, plus souvent encore, il supplia le Seigneur, il eut recours à l'humilité, il confessa son néant, il dit : " Je ne suis que poudre et que cendre " (Gen. XVIII, 27) ; et parce qu'il savait que ces hommes se livraient d'eux-mêmes à la colère de Dieu, c'est par la considération des autres qu'il fit effort pour les sauver. Voilà pourquoi Dieu disait : " Pourrais-je cacher à mon serviteur Abraham, ce que je dois faire? " pour noms apprendre combien le juste a d'amour pour les hommes. Et Abraham n'eût- pas cessé de prier, si Dieu n'eût cessé de parler. Or, il semble qu'Abraham ne prie que pour les justes, mais, en réalité, tous ses efforts étaient pour ces coupables. C'est que les âmes des saints sont toutes remplies de douceur et d'amour, d'amour pour ceux qui leur sont proches, d'amour pour les étrangers, et c'est jusque sur les animaux qu'ils étendent cet amour. Aussi un sage disait-il : " Le juste se met en peine de la vie des bêtes qui sont à lui ". (Prov. XII, 10.) S'il s'inquiète des animaux, à bien plus forte raison prend-il soin des hommes.

Mais puisque j'ai fait mention des animaux, considérons les pasteurs de brebis de la Cappadoce, que de fatigues ne supportent-ils pas en veillant sur ces animaux? Souvent, ensevelis sous la neige, ils y restent trois jours de (414) suite. On dit que ceux de l'Afrique ne supportent pas moins de rudes épreuves, parcourant des mois entiers ce triste désert, rempli des monstres les plus sinistres. Si tel est le zèle qu'on montre pour des êtres sans raison, quelle excuse pourrions-nous avoir, nous à qui des âmes raisonnables ont été confiées, de dormir d'un. si profond sommeil? devrions-nous seulement respirer? devrions-nous prendre le moindre repos? ne devrions-nous pas, au. contraire, courir de tous les côtés, nous exposer à mille morts pour de semblables brebis? Pouvez-vous ignorer le prix de ce troupeau? n'est-ce pas pour lui que votre Seigneur a enduré tant et tant de souffrances et a fini par répandre son propre sang? mais vous, vous cherchez du repos? eh ! que pourrait-on concevoir de plus indigne que de pareils pasteurs? Ne savez-vous pas qu'autour de ces brebis rôdent des loups bien plus terribles, bien plus cruels que les loups vulgaires? ne considérez-vous pas toutes les vertus de l'âme, toutes les qualités nécessaires à qui se charge d'un tel gouvernement? Les hommes qui sont à la tête des peuples, à qui sont commis des intérêts vulgaires, ajoutent au travail des jours les nuits passées sans sommeil; et nous, qui luttons pour conquérir le ciel, nous passons le jour même à dormir! et qui donc saura nous soustraire au juste châtiment d'une pareille conduite? quand nous devrions nous briser le corps, quand nous devrions mille fois mourir, ne serait-il pas de toute justice à nous de courir comme pour une fête?

Ecoutez mes paroles, non-seulement vous, ô pasteurs, mais vous aussi, ô brebis; les uns, pour devenir plus zélés, plus habiles à embraser les coeurs de bonne volonté, les autres pour devenir plus dociles dans l'obéissance parfaite. C'était là ce que prescrivait Paul : " Obéissez à vos conducteurs, et soyez soumis à leur autorité, car ce sont eux qui veillent pour vos âmes, comme devant en rendre compte ". (Hébr. XIII, 17.) Ce mot "veillent" exprime des milliers de fatigues, de soucis, de dangers. Le bon pasteur, tel que le Christ le demande, rivalise avec tous les martyrs. Un martyr. ne meurt qu'une fois, mais le pasteur, s'il est du moins ce qu'il doit être, meurt mille fois pour son troupeau; il n'est pas de jour où la mort ne puisse le frapper. Eh bien donc, vous qui savez ces choses, qui reconnaissez les fatigues qu'il se donne, coopérez avec lui, par vos prières, par votre zèle, par votre ardeur, par votre, affection, afin que nous soyons votre glorification, et que vous deveniez la nôtre. Si Notre-Seigneur a confié son troupeau à ce chef des apôtres qui avait pour lui plus d'amour que tous les autres ensemble, si d'abord le Christ a demandé à Pierre : " M'aimez-vous? " (Jean, XXI,15), c'est pour vous faire comprendre que la sollicitude apostolique est regardée par lui comme le meilleur signe de l'amour qu'on lui porte, car c'est ce qui demande une âme virile. Et maintenant j'ai parlé de ceux qui sont, par excellence, des pasteurs, je n'ai parlé ni de moi, ni de ceux qui nous ressemblent, mais des pasteurs comme Paul, ou Pierre, ou Moïse. Qu'ils soient donc nos modèles à nous qui exerçons ou qui subissons l'autorité; car le simple fidèle lui-même est comme le pasteur de sa maison, de ses amis, de ses serviteurs, de sa femme, de ses enfants : et, si nous entendons de cette manière l'administration des intérêts qui nous sont confiés, nous obtiendrons tous les biens : puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire, l'empire, l'honneur, appartiennent au Père comme au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

HOMELIE XXX. MAINTENANT JE M'EN VAIS A JÉRUSALEM POUR SERVIR AUX SAINTS QUELQUES AUMÔNES, CAR LA MACÉDOINE ET L'ACHAÏE ONT RÉSOLU AFFECTUEUSEMENT DE FAIRE QUELQUE PART DE LEURS BIENS A CEUX D'ENTRE LES SAINTS DE JÉRUSALEM QUI SONT PAUVRES. ILS L'ONT RÉSOLU AFFECTUEUSEMENT, ET, EN EFFET, ILS LEUR SONT REDEVABLES. (XV, 25, 26, 27, JUSQU'A XVI, 4.)
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Analyse.

1-3. Sur les aumônes que saint Paul allait porter à Jérusalem. — S'il en parle aux Romains, c'est pour les exhorter, avec ménagement, à la charité. — Le mot bénédiction, synonyme d'aumône.- Des saints personnages particulièrement recommandables à cette époque par leur' charité ; de la diaconesse Phébé, de Priscilla et d'Aquilas, faiseurs de tentes, chez qui saint Paul avait logé et travaillé de ses mains.

4. Èloge de Priscilla. — De la lecture des épîtres de saint Paul, et des autres livres de l'Ecriture. — Contre le faste, l'orgueil, l'attachement aux richesses.

1. Il a dit, plus haut: " N'ayant plus maintenant aucun sujet de demeurer davantage dans ce pays-ci, et désirant, depuis plusieurs années, de vous aller voir ", et cependant il ne peut pas encore se rendre auprès d'eux ; pour éviter d'avoir l'air de s'être joué d'eux, il leur dit la cause de son retard, et de là ces mots : " Je m'en vais à Jérusalem ". On pourrait croire qu'il ne fait qu'expliquer son retard, mais il a encore un autre but, c'est de les disposer à l'aumône, c'est d'exciter leur charité. Si son zèle ne l'eût pas porté à les exciter à cette vertu, il lui suffisait de leur dire: "Je m'en vais à Jérusalem "; il fait plus, il leur dit maintenant la cause de son voyage " Je m'en vais", dit-il, " pour servir aux saints quelques aumônes ". Et il insiste, et il raisonne : " Ils leur sont redevables ", dit-il, et encore : " Car, si les gentils ont participé aux richesses spirituelles des Juifs, ils doivent aussi faire part de leurs biens temporels ". C'est pour apprendre aux Romains à imiter ceux de la Macédoine et de l'Achaïe. Aussi ne peut-on trop admirer cette habileté de l'apôtre, dans sa minière de conseiller; il se faisait .bien mieux écouter que s'il leur eût donné un conseil direct. Les Romains auraient pu regarder comme un outrage qu'on se fût servi de Corinthiens et de Macédoniens, comme de modèles à leur adresse. L'apôtre ne fait aucune difficulté d'écrire aux Corinthiens : " Il faut que je vous fasse savoir la grâce que Dieu a faite aux Eglises de la Macédoine " (II Cor. VIII, 1); d'exciter les Macédoniens, par l'exemple des Corinthiens : " Votre zèle en a excité plusieurs autres ". (Ibid. IX, 2.) Les Galates lui servent aussi de terme de comparaison : " Ce que j'ai ordonné aux Eglises de Galatie, faites-le de votre côté " (I Cor. XVI, 1) ; mais, quand il s'adresse aux Romains, ce n'est pas du tout le même style; l'apôtre a beaucoup plus de ménagements. En ce qui concerne la prédication, même manière de procéder, comme lorsqu'il lui arrive de dire : " Est-ce de vous que la parole de Dieu est sortie? ou n'est-elle venue qu'à vous seuls? " (Ibid. XIV, 36.) C'est que rien n'a autant de force que le zèle de l'émulation. Voilà pourquoi il y revient souvent; ailleurs encore il dit: " C'est ce que j'ordonne dans toutes les Eglises " ; et encore : " C'est ce que j'enseigne dans toute Eglise ". (Ibid. VII, 17; IV, 17.) Aux Colossiens, il disait: " L'Evangile de Dieu fructifie et grandit dans le monde entier ". (Coloss. I, 6.) C'est toujours le même système qu'il suit en ce moment, à propos de l'aumône.

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Et considérez la grandeur des expressions qu'il emploie; il ne dit. pas : Je m'en vais, emportant des aumônes, mais: " Pour servir aux saints quelques aumônes". Si Paul se faisait serviteur de l'aumône, considérez la grandeur de cette vertu, voyez le maître, le docteur de toutes les nations, qui veut bien transporter des aumônes, qui, au moment d'aller à Rome, quel que soit son désir de voir les Romains, fait passer ce service avant son plaisir. " Car la Macédoine et l'Achaïe ont résolu affectueusement " , c'est-à-dire, ont trouvé bon, ont éprouvé le désir " de faire quelque part..... " Il ne dit pas de faire quelque aumône, mais " de faire quelque part..... " Ce " quelque " n'est pas mis là sans intention; l'apôtre ne veut pas avoir l'air de les censurer. Et il ne dit pas simplement : Aux pauvres; mais : " A ceux d'entre les saints qui sont pauvres " ; deux titres de recommandation, la vertu et la pauvreté. Maintenant, ce n'est pas encore assez, il ajoute : " Ils leur sont redevables ". Ensuite, Paul fait voir comment redevables. " Car, si les gentils ont participé ", dit-il, " aux richesses spirituelles des Juifs , ils doivent aussi, dans les biens temporels leur servir leur part ". Voilà ce qu'il veut dire C'est pour les Juifs que le Christ est venu, c'est aux Juifs que toutes les promesses ont été faites, c'est d'eux qu'est sorti le Christ; aussi disait-il : " C'est des Juifs que vient le salut " (Jean, IV, 22), c'est d'eux que sortent les apôtres , c'est d'eux que sortent les prophètes , c'est d'eux que sortent tous les biens. La terre a donc partagé avec eux toutes ces richesses. Donc, si vous avez participé aux biens les plus considérables, dit-il, si vous avez pris votre part des festins préparés pour eux, selon la parabole de l'Evangile, vous devez aussi leur communiquer les biens temporels, et leur réserver aussi une part de ces biens. Et il ne dit pas leur faire leur part, mais " leur servir "; il en fait des diacres, il en fait des tributaires s'acquittant envers des rois. Et il ne dit pas Dans vos biens temporels, comme il a dit dans leurs richesses spirituelles; car les richesses spirituelles appartenaient réellement aux Juifs, tandis que les biens temporels n'appartiennent pas seulement aux gentils; la possession en est commune à tous : en effet l'ordre de Dieu c'est que les richesses soient pour tous, et non-seulement pour ceux qui les tiennent en leur pouvoir.

" Lors donc que je me serai acquitté de ce devoir, et que je leur aurai consigné ce fruit (28) ", c'est-à-dire, que je l'aurai déposé comme on verse une somme dans les coffres du souverain, comme on met une somme à l'abri des coups de main, dans un lieu sûr; et il ne dit pas : L'aumône, mais, voyez, encore : " Ce fruit ", afin de montrer le profit que font par là ceux qui le donnent : " Je passerai par chez vous pour aller en Espagne". S'il parle ici de l'Espagne, c'est pour montrer l'empressement de son zèle ardent pour les Espagnols. " Or je sais que mon arrivée auprès de vous sera accompagnée d'une abondante bénédiction de l'Evangile de Jésus-Christ ". Qu'est-ce à dire " d'une abondante bénédiction? (29) ". Ou il parle d'argent versé en aumônes, ou il n'entend parler simplement que de toutes les bonnes oeuvres. L'habitude de l'apôtre est d'exprimer souvent l'aumône par le mot de bénédiction; exemple que ce soit un don " de la bénédiction, et non de l'avarice ". (II Cor. IX, 5.) C'était anciennement le terme usité pour dire l'aumône. Mais comme il ajoute : " De l'Evangile ", nous croyons qu'il n'entend pas ici parler uniquement d'argent, mais, en même temps, de tous les autres biens, comme s'il disait : Je sais qu'en arrivant je vous verrai riches de tous les biens, parés de toutes les vertus, dignes de louanges sans nombre selon l'Evangile. Et c'est une admirable manière de conseiller que de débuter avec eux par des éloges anticipés. Ne voulant pas user à leur égard d'une exhortation directe, il a recours à ce moyeu insinuant pour les avertir : " Je vous conjure donc, par Notre Seigneur Jésus-Christ, et par la charité du Saint-Esprit (30) ".

2. Ici maintenant, il met en avant le Christ et le Saint-Esprit, sans faire aucune mention du Père. Ce que je vous fais observer, afin que quand vous le verrez nommer le Père et le Fils, ou le Père seulement, vous ne vous imaginiez pas qu'il exclut ni le Fils, ni l'Esprit. Et il ne dit pas : Par le Saint-Esprit, mais : " Par la charité du Saint-Esprit ". Car de même que le Christ, de même que le Père a aimé le monde, ainsi fait le Saint-Esprit. Mais de quoi nous conjurez-vous, répondez? "De combattre avec moi par les prières que vous ferez à Dieu pour moi, afin que je sois délivré des incrédules qui sont en Judée (31) ". Il avait donc, il faut le croire, une grande lutte à (417) soutenir; voilà pourquoi il a recours à leurs prières. Et il ne dit pas. Afin que je me mesure avec les incrédules, mais : " Afin que je sois délivré "; c'est conforme au précepte du Christ : " Priez, pour ne pas entrer en tentation ". (Matth. XX, 41.) Ces paroles avaient pour but rte montrer que des loups cruels, que des êtres qui ressemblaient plus à des bêtes féroces qu'à des hommes, voulaient se jeter sur lui. Paul avait encore une autre pensée; il veut prouver que c'est avec raison qu'il s'est fait de cette manière le serviteur des saints, si le nombre des incrédules était si grand que des prières fussent nécessaires pour l'en délivrer. Au milieu de tant d'ennemis, les saints étaient exposés à mourir de faim ; de là, la nécessité de leur procurer des vivres venant d'ailleurs. " Et que les saints de Jérusalem reçoivent favorablement mon service et mes soins " ; c'est-à-dire, et que mon sacrifice soit bien accueilli , que mes dons leur soient agréables. Voyez-vous comme il relève maintenant la dignité de ceux qui reçoivent, puisqu'il réclame les prières d'un si grand peuple, pour que ses dons soient reçus? Il montre en outre, par ces paroles, une autre pensée, à savoir que l'aumône toute seule ne suffit pas. Quand ou ne donne due parce que l'on y est forcé, quand on donne ce qui est mal acquis, quand on se propose une vaine gloire, le fruit est perdu.

" Et que je sois plein de joie, quand j'irai auprès de vous, si c'est la volonté de Dieu (32) ". De même qu'il disait eu commençant : " Que je trouve enfin quelque voie favorable, si c'est la volonté de Dieu, pour aller vers vous " (Rom. I, 10); de même ici, c'est sous la même volonté qu'il s'abrite, et il dit : Je me hâte , je prie pour être délivré des dangers de Jérusalem, afin de vous voir au plus vite, et de vous voir remplis de joie, sans y trouver aucun motif d'affliction. " Et que je goûte le repos avec vous ". Voyez encore ici quelle modestie il montre. Il ne dit pas : Et que je vous instruise, que je vous donne des règles de vie, mais: " Et que je goûte le repos avec vous ". Or c'était un athlète infatigable ; comment donc peut il dire : " Que je goûte le repos? " Il fait entendre des paroles qui leur soient agréables, qui relèvent leurs courages, qui les associent à ses couronnes, qui les montrent, eux aussi, prenant leur part des combats et des sueurs. Ensuite, selon son habitude, il joint la prière à l'exhortation, il dit : " Que le Dieu de paix soit avec vous tous ". Amen. " Je vous recommande notre soeur Phébé, diaconesse de l'Eglise de Cenchrée". (XVI,1.) Voyez quel honneur il lui fait; il la nomme avant tous les autres, et il l'appelle sueur; ce n'est pas un honneur vulgaire, que d'être appelée soeur de Paul. Et il joint encore à ce titre une dignité; il l'appelle diaconesse. "Afin que vous là receviez dans le Seigneur, comme il est digne de recevoir les saints (2) ". Ce qui veut dire : afin qu'en considération du Seigneur, elle soit honorée auprès de vous. En effet, celui qui reçoit, en considération du Seigneur, supposé même qu'il ne reçoive pas un personnage considérable , le reçoit avec empressement; or, quand il arrive que c'est une sainte, considérez de quels soins il convient de l'entourer. Voilà pourquoi l'apôtre ajoute " Comme il est digne de recevoir les saints ", comme le devoir commande d'accueillir de telles personnes. Or, vous devez l'honorer pour deux raisons, et à cause du Seigneur, et parce que c'est une sainte. " Et que vous l'assistiez dans toutes les choses où elle pourrait avoir besoin de vous ". Voyez-vous comme il tient à ne pas être importun? Il ne dit pas : Et que vous la mettiez à son aise, mais : Et que vous fassiez ce qui dépend de vous, et que vous lui tendiez la main, et cela, dans les circonstances où elle pourrait avoir besoin de vous, non pas absolument dans tous ses embarras, mais seulement lorsque votre aide lui serait nécessaire; or elle n'aura besoin de vous qu'autant que vous pourrez l'obliger. Ensuite vient un éloge incomparable : " Car elle en a assisté elle-même plusieurs, et moi en particulier ". Comprenez-vous la prudence de l'apôtre? Pour commencer, des éloges; ensuite, au milieu, l'exhortation; ensuite, de nouveaux éloges; il enferme, des deux côtés, les services auxquels a droit cette bienheureuse femme dans les louanges qu’il fait d'elle. Comment refuser le nom rte bienheureuse à celle femme qui a mérité de la part de Paul un si beau témoignage, qui a été à même d'assister celui qui a instruit la terre? Car voilà ce qui a mis le comble à sa gloire; aussi l'apôtre n'énonce-t-il ce litre qu'en dernier lieu : " Et moi, en particulier". Qu'est-ce à dire : " Et moi en particulier?" Moi, le héraut des nations, moi qui ai souffert tant d'épreuves, moi qui suffis à tant de milliers d'hommes. Imitons donc cette sainte, (418) imitons-la, hommes et femmes, et imitons, après elle, cette autre sainte que nous allons voir avec sou mari. Quel est ce couple? " Saluez ", dit-il, " de ma part, Priscilla et Aquilas, qui ont travaillé avec moi, en Jésus-Christ (3) ". Luc aussi témoigne de leur vertu, par ces paroles : " Paul demeura au" près d'eux, parce que leur métier était de faire des tentes "; c'est dans le chapitre où Luc montre cette sainte femme retirant chez elle Apollon et l'instruisant de la voie du Seigneur. (Act. XVIII, 2, 3.)

3. Voilà de grands titres, mais Paul leur en décerne de bien plus grands encore. Car que dit-il? D'abord, ils ont, dit-il, travaillé avec lui; ses fatigues inouïes , ses dangers , l'apôtre montre qu'ils les ont partagés. Ensuite il ajoute : " Qui ont exposé leur tête, pour me sauver la vie (4) ". Voyez-vous les martyrs prêts à tout? Evidemment, sous Néron, les fidèles couraient mille dangers, il avait donné l'ordre d'expulser de Rome tous les Juifs. "Et à qui je ne suis pas le seul qui soit obligé, mais encore toutes les Eglises des gentils ". Il fait entendre ici l'hospitalité reçue avec des secours en argent, et il les exalte parce qu'ils lui auraient donné tout leur sang, tout ce qu'ils avaient. Voyez-vous ces femmes généreuses, dont le sexe n'embarrasse nullement l'essor qui les transporte à la plus haute vertu? Et il n'y a là rien de surprenant : " Car, en Jésus-Christ, il n'y a ni homme ni femme ". (Gal. III, 28.) Et maintenant, ce que Paul a dit de Phébé, il le dit également de celle-ci : ses paroles, à propos de la première, étaient: Elle en a assisté plusieurs, et moi, " en particulier " ; à propos de la seconde, écoutez : " A qui je ne suis pas le seul qui soit obligé, mais encore toutes les Eglises des gentils ". Et pour ne pas paraître faire entendre une flatterie, il produit d'autres témoins qui sont bien plus considérables en nombre que ces femmes. "Saluez aussi l'Eglise qui est dans leur maison ".

C'étaient de si saintes personnes, qu'elles faisaient, de leur maison , une Eglise, et parce qu'elles rendaient fidèles tous ceux qui la fréquentaient, et parce qu'elles l'ouvraient à tous les étrangers. L'apôtre ne prodigue pas aux demeures particulières le nom d'Eglises, il veut que la piété, il veut que la crainte de Dieu y soit profonde, enracinée. Voilà pourquoi il disait aussi aux Corinthiens , " Saluez Aquilas et Priscilla, avec l'Eglise qui est dans leur maison " (I Cor. XVI, 19); et, dans la lettre où il recommande Onésime : " Paul à Philémon et à notre bien-aimée Appie, et à l'Eglise qui est dans votre maison ". (Philém. I, 1, 2.) On peut être marié, et montrer de grandes vertus. Voyez, ces personnes étaient mariées, leurs vertus les faisaient briller, quoique leur profession fût peu brillante, ce n'étaient que des faiseurs de tentes; leur vertu relève l'humilité de leur condition, et les a rendus plus éclatants que le soleil ; ni leur profession, ni le joug du mariage ne leur a porté de préjudice, ils ont montré cette charité que Jésus-Christ a réclamée de nous : " Personne en effet ", dit-il, " ne peut avoir un plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ses amis ". (Jean, XV, 13.) Ce qui est le caractère distinctif du disciple, ils l'ont glorieusement montré; ils ont pris la croix et ont suivi la route. Ceux qui ont fait cela pour Paul ont bien plus encore montré leur courage pour Jésus-Christ.

Ecoutez ces paroles, riches et pauvres. Si les ouvriers qui vivent de leurs mains, qui ont à conduire un atelier, ont montré une générosité si large, qu'ils, ont été utiles à un grand nombre d'Eglises, quelle pourrait être l'excuse des riches qui méprisent les pauvres? Ces fidèles n'ont pas même épargné leur sang dans leur désir de se rendre agréables à Dieu; et vous, vous épargnez des biens sans valeur qui souvent vous font négliger votre âme. Mais, peut-être, ils se sont ainsi conduits envers le maître, mais, envers les disciples, ils n'agissaient pas de même? Il est impossible de tenir un pareil discours : les Eglises des gentils, dit l'apôtre, leur rendent des actions de grâces. Sans doute, c'étaient des Juifs ; pourtant leur foi était si sincère qu'ils se mettaient avec un zèle ardent au service des gentils. Tel doit être l'exemple des femmes : " Ni frisures, ni or, ni habits somptueux " (I Tim. II, 9); qu'elles se parent de semblables vertus.

Quelle reine, répondez-moi, a jamais brillé d'un si vif éclat, a mérité un si bel éloge que cette femme d'un faiseur de tentes? Elle est dans toutes les bouches, non-seulement pour dix ou vingt ans, mais jusqu'à l'avènement du Christ, et tous les discours qui la glorifient lui font une parure plus belle qu'un diadème impérial. Quelle gloire supérieure , quelle gloire égale à la gloire d'avoir assisté Paul, d'avoir, en s'exposant aux périls, sauvé le (419) maître de la terre? Réfléchissez, voyez de combien de reines les noms sont passés sous silence; mais partout on célèbre l'épouse de l'artisan; tous les lieux que le soleil éclaire entendent l'éloge de cette femme : les Perses, les Scythes, les Thraces, les peuples qui habitent aux extrémités du monde, célèbrent la vertu de cette femme, et là proclament bienheureuse. Quelles richesses, combien de diadèmes et de manteaux de pourpre ne jetteriez-vous pas volontiers sous vos pieds pour attacher à votre nom un pareil témoignage ? Et impossible de dire qu'ils ont tenu cette conduite alors, au milieu des dangers, qu'ils ont été généreux parce qu'ils étaient riches , mais qu'ils étaient indifférents à la prédication ; c'est précisément à cause de leur zèle pour l'Evangile que l'apôtre dit : Ils ont coopéré, ils ont travaillé avec moi. Et Paul ne craint pas de dire qu'une femme a travaillé à son oeuvre; Paul, ce vase d'élection va jusqu'à se glorifier de son assistance ; il ne regarde pas le sexe, c'est la volonté généreuse qu'il couronne. Quelle parure égalerait cette parure? Parlez-moi maintenant de vos richesses fragiles, fugitives, de votre beauté, de vos ornements, de votre gloire frivole! Apprenez-donc que la beauté d'une femme, ce n'est pas son corps qui la lui donne, c'est l'âme qui s'embellit d'une beauté impérissable, qu'on ne dépose pas dans un coffre, qui s'épanouit pour toujours dans le ciel.

4. Voyez les labeurs qu'ils acceptent pour la prédication , la couronne qu'ils conquièrent parle martyre, leur générosité quant à l'argent, leur charité à l'égard de Paul , leur amour pour le Christ; comparez, femme chrétienne, cette conduite à la vôtre, à votre -passion pour l'argent, à votre émulation pour les femmes perdues, à cette idolâtrie d'une chair qui n'est qu'un peu d'herbe ; vous verrez mieux alors quels étaient ces personnages, et qui vous êtes. Ou plutôt, ne vous contentez pas de comparaisons, imitez cette femme, jetez bas cette charge d'herbes sans valeur (c'est ainsi qu'il faut appeler votre magnificence dans vos ajustements), revêtez-vous des parures du ciel, et apprenez ce qui a fait Priscilla ce qu'elle était, ainsi que son mari. Donc, qui les a faits ce qu'ils ont été? L'hospitalité de deux ans qu'ils ont donnée à Paul ; cette durée de deux ans, quel travail n'a-t-elle pas opéré dans leur âme? Mais, dira-t-on, que puis-je faire moi qui n'ai pas ce même Paul? Il ne tient qu'à vous de le posséder mieux encore; ce n'est pas la vue de Paul qui les a ainsi façonnés, ce sont ses discours. Il ne tient qu'à vous d'entendre et Paul, et Pierre, et Jean, et tout le choeur des prophètes, sans qu'aucun y manque, avec les apôtres, de vous en faire une société qui ne vous quitte jamais. Prenez les livres de ces bienheureux, conversez toujours avec leurs écrits, ils pourront vous édifier à la ressemblance de cette femme du faiseur de tentes. Mais à quoi bon vous parler de Paul? Si vous voulez, vous posséderez le Maître lui-même, le Maître de Paul; par la langue de Paul, c'est lui-même qui conversera avec vous. Et vous avez encore un autre moyen de le recevoir, c'est de recevoir les saints, c'est de mettre vos soins au service de ceux qui croient en lui ; c'est ainsi que, même après leur départ, vous posséderez des souvenirs de piété. Car il suffit d'une table où le saint a mangé, d'une chaise où il s'est assis, d'un lit où il a couché, pour toucher le coeur de celui qui l'a reçu, même après le départ de l'homme saint.

Vous faites-vous bien l'idée de ce qui touchait le coeur de l'antique Sunamite, entrant dans cette chambre d'en-haut, où logeait Elisée, à la vue de la table, à la vue du lit où dormait cet illustre saint? Quels sentiments de piété ne retirait-elle pas d'un pareil spectacle? Non, elle n'y aurait pas jeté le corps de son fils sans vie, s'il en eût été autrement, si elle n'en eût recueilli une grande utilité. Si nous-mêmes, lorsque nous pénétrons, après un si long espace de temps, dans les lieux ou Paul séjournait, où il était chargé de fers, où il s'asseyait et discourait, nous nous sentons transportés, comme sur des ailes, perdant de vue ces lieux mêmes vers la mémoire de ces jours si glorieux , représentez-vous les faits encore récents, quelle émotion ne devaient pas éprouver les pieux fidèles qui lui donnaient l'hospitalité? Donc, sous l'empire de ces pensées, recevons les saints, afin que notre demeure devienne resplendissante, que toutes les épines en disparaissent, que notre maison soit un port de salut; recevons-les, et lavons leurs pieds. Tu n'es pas, qui que tu sois, ô femme, tu n'es pas supérieure à Sara, ni de plus haute naissance, ni plus riche, quand tu serais une reine. Elle avait trois cent dix-huit serviteurs, Sara, dans un temps où deux domestiques faisaient dire d'un homme : il est (420) riche. Et à quoi bon vous parler de ces trois cent dix-huit serviteurs? La terre entière appartenait à sa race, en vertu des promesses, elle avait pour époux, l'ami de Dieu, elle avait Dieu lui-même pour protecteur, honneur qui surpasse toutes les royautés. Eh bien ! à ce faîte resplendissant de gloire, elle-même mélangeait la farine; rendait de ses propres mains tous les autres services, et. envers les hôtes assis à sa table, elle remplissait l'office d'une servante. Tu n'es pas, ô homme, de meilleure noblesse qu'Abraham, qui faisait les fonctions des serviteurs, après ses glorieux trophées, après ses victoires, après avoir reçu tant d'honneurs du roi d'Egypte, après avoir, chassé devant lui les rois de Perse, après avoir dressé les trophées de ses faits d'armes éclatants. Et ne considérez pas l'aspect mi>érable des saints qui sont portés vers vous, des mendiants, des malheureux en haillons, pour la plupart ; rappelez-vous la parole qui vous dit : " Autant de fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits, c'est à moi-même que vous l'avez fait " ; et : " Ne méprisez aucun de ces petits, parce que leurs anges voient sans cesse la face de notre Père qui est dans les cieux " (Matth, XXV, 40, et XVIII, 10) ; recevez-les avec joie. ; leurs saluts de paix vous apportent des biens en foule.

En même temps que vous méditez sur Sara, voyez aussi Rébecca; elle puisait de l'eau, elle donnait à boire, elle invitait l'étranger à entrer dans sa demeure, elle foulait tout orgueil à ses pieds; aussi a-t-elle reçu les grandes récompenses de son hospitalité. Il ne tient qu'à vous d'en recevoir de plus grandes encore. Car ce n'est pas seulement un fils que Dieu vous donnera pour récompense, mais le ciel, et tous les biens qu'il renferme, et plus de géhenne à redouter, plus de péchés à expier ! Il est grand, n'en doutez pas, il est d'une grandeur incomparable, le fruit de l'hospitalité.

C'est ainsi que Jéthro; tout barbare qu'il était, eut pour gendre celui qui commandait à la mer avec tant d'autorité ; ses filles, dans leurs filets, prirent cette proie si digne d'être enviée. Réfléchis, ô femme, à ces vieilles histoires, médite sur lés vertus viriles des femmes d'autrefois, et foule donc aux pieds le faste présent, et les parures, et la toilette, et toutes les dorures, avec tous tes parfums; loin de toi la nonchalance, la lâche délicatesse, le calcul dans les allures du corps et dans la démarche, toutes ces préoccupations de la chair, applique-les à ton âme, et allume dans ton âme le désir du ciel. Une fois brûlante de cet amour, tu reconnaîtras ce qui n'est que boue et fumier, tu tourneras en dérision ce que tu admires maintenant; il n'est pas possible qu'une femme embellie des perfections spirituelles recherche ce qui ne mérite que les rires du mépris. Rejetant donc, ô femme, loin de toi, ce qui ne charme que les femmes des places publiques, ce qui fait la joie des sauteuses et des joueuses de flûte, fais ta vie de l'hospitalité, des services à rendre aux saints, de la componction du coeur, de l'assiduité dans les prières. Voilà ce qui vaut mieux que des vêtements d'or, voilà ce qui est plus digne de nos respects que des pierreries et que des colliers; voilà ce qui fait la considération auprès des hommes, et ce qui assure de la part de Dieu, une magnifique récompense. Voilà la parure de l'Eglise, l'autre est pour les théâtres; voilà ce qui convient au ciel; l'autre est bonne pour des chevaux et pour des mulets; cette autre, on la met jusque sur des corps morts, la parure dont je parle, elle brille, mais seulement dans l'âme juste, de tout l'éclat du Christ qui réside en elle. Sachons donc mettre la main sur cette parure, afin d'être partout, nous aussi, célébrés et glorieux, afin d'être agréables à Jésus-Christ, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXXI. SALUEZ MON CHER ÉPÉNÉTE, QUI A ÉTÉ LES PRÉMICES DE L'ASIE, POUR JÉSUS-CHRIST. (XVI, 5, JUSQU'À 16.)
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Analyse.

1.3. De l'utilité de l'étude des noms propres dans l'Ecriture Sainte. — Sur Epénéte , Marie et les saintes femmes des temps apostoliques; Andronigne et Junie, parents de saint Paul et captifs avec lui; Amplias, Urbain, Slachys, Apelle, la famille d'Aristobule, Hérodion, la maison de Narcisse, Tryphène et Tryphose, Perside, Rufus et sa mère, et autres saints personnages, hommes et femmes; détails divers.

4 et 5. Réflexions sur la considération dont saint Paul était entouré. — De l'inégalité des rangs dans le ciel. — De l'inégalité dans les mérites des hommes dont parle l'Ecriture. — De l'inégalité des châtiments. — Dans quel lieu et la géhenne. — Il est bien moins important de le savoir que d'éviter d'y tomber. — Contre l'indifférence à ce sujet. — Pourquoi résister à la bonté du Dieu qui veut notre salut ?

1. Un grand nombre, même des personnes jalouses de bien faire, passeront, j'imagine, cette partie de l'épître, comme inutile, et sans grand intérêt; c'est précisément ce qu'elles font, je pense, de la généalogie qui se trouve dans l'Evangile; en effet, comme il n'y a là qu'un catalogue de noms propres, elles ne croient pas y trouver grand profit. Cependant ceux qui cherchent l'or, en ramassent minutieusement les plus petites parcelles , et les personnes dont je parle négligent des lingots d'un or si précieux. Il suffira de ces quelques paroles pour prévenir cette indifférence, et les corriger. La grande utilité que présente ici l'épître, est manifeste par ce que nous avons dit plus haut; ces divers saluts ont déjà élevé vos âmes; et, aujourd'hui encore, nous allons essayer d'extraire l'or de ce passage. Des noms qui ne sont rien en apparence, renferment quelquefois un trésor. Si vous comprenez pourquoi Abraham a reçu ce nom , et, de même pour Sara, pour Israël, pour Samuel, vous apprendrez, du même coup, un grand nombre de faits de l'histoire. Ces circonstances de temps et de lieu vous fourniront aussi leurs enseignements. Avec de la bonne volonté, on trouve là des moyens de s'enrichir; le négligent ne tire aucun profit même des leçons les plus claires. Ainsi le goal d'Adam est tout un enseignement de haute sagesse, et il en faut dire autant, du nom de son fils, du nom de sa femme, et de beaucoup d'autres. En effet, les noms sont des monuments d'une grande éloquence; ils témoignent des bienfaits de Dieu et de la reconnaissance des femmes; elles conçoivent par la grâce de Dieu répandue sur elles, et ensuite elles donnent, elles donnaient ainsi autrefois des noms à leurs enfants.

Mais à quoi bort discourir en ce moment sur des noms, lorsque nous négligeons tant et de si précieuses pensées, lorsque tant de personnes ne connaissent même pas les noms des livres saints? Toutefois, ce n'est pas pour nous une raison d'abandonner cette étude : " Vous " deviez ", dit la parabole, " mettre votre argent entre les mains des banquiers". (Matth. XXV, 27.) .Aussi, quand personne ne devrait nous entendre, voulons-nous faire notre devoir, montrer qu'il n'y a rien d'inutile, rien de livré au hasard dans les Ecritures. Si les détails où il entre n'avaient pas leur utilité, l'apôtre ne les aurait pas ajoutés à sa lettre, Paul n'aurait pas écrit ce qu'il a écrit. Mais il y a des hommes tellement engourdis, lâches, indignes du ciel, que ce ne sont pas seulement des noms, mais des livres tout entiers qu'ils regardent comme superflus, ainsi le Lévitique, le livre de Josué et plusieurs autres. C'est ainsi (422) que l'Ancien Testament a été rejeté par un grand nombre d'insensés, et, s'avançant plus encore dans cette voie détestable, des hommes en délire ont été jusqu'à mutiler, en grande partie, le Nouveau Testament. Mais ce sont des malheureux adonnés à l'ivresse, vivant dans la chair; nous n'avons pas à en tenir compte ; s'il est des amis de la vraie sagesse, des âmes amoureuses des choses spirituelles, écoutez ; ce qui semble le moins relevé dans l'Ecriture n'y est pas jeté au hasard et sans utilité, les plus vieux récits ont une importance considérable. " Toutes ces choses sont des figures", dit l'Apôtre, " et elles ont été écrites pour notre instruction ". (I Cor. X,11.) Aussi disait-il à Timothée : " Appliquez-vous à la lecture, et à l'instruction " (I Tim. IV, 13), pour le porter à la lecture de l'Ancien Testament, parce qu'il voyait d'ailleurs en lui, un homme que l'Esprit vivifiait, qui ressuscitait les morts. Appliquons-nous donc à notre sujet. " Saluez mon cher Epénète ". On peut voir ici, la diversité des éloges que Paul fait de chacun. Ce n'est pas un mince éloge, au contraire, c'est le plus glorieux, c'est celui qui montre le mieux la vertu d'un fidèle que d'être aimé de ce Paul, qui n'aimait pas par entraînement, mais par choix. Autre éloge maintenant : " Qui a été les prémices de l'Achaïe ". Paul entend par là qu'avant tous les autres Epénète s'est élancé dans la voie nouvelle , acceptant la foi, ce qui n'est pas un mince éloge, ou il veut dire que sa piété surpasse celle de tous les autres. Aussi, après avoir dit: " Qui a été les prémices de l'Achaïe ", Paul ne s'arrête-t-il pas là; mais pour empêcher qu'on ne soupçonnât une gloire selon le monde, il ajoute : " Pour Jésus-Christ ". En effet si, dans le gouvernement des Etats, celui qui entreprend te premier une grande affaire, a pour lui le mérite, la gloire, à bien plus forte raison en est-il de même en ce qui concerne les affaires du Seigneur. On peut croire qu'Epénète était d'une basse naissance, et Paul marque de lui, ce qui constitue vraiment la naissance, la prééminence, et c'est par là qu'il le décore. Et ce n'est pas de Corinthe seulement, mais de la province tout entière qu'il le nomme les prémices, il a été comme la porte, le vestibule par où les autres sont entrés. La récompense des hommes qui lui ressemblent, n'est pas à dédaigner ; un pareil homme récoltera un fruit précieux, même des vertus des autres, juste récompense du grand service par lui rendu aux premiers jours.

" Saluez Marie, qui a beaucoup travaillé a pour vous (6) ". Qu'est-ce à dire? Encore une femme couronnée, célébrée, encore un motif de confusion pour nous, qui nous nommons des hommes. Je me trompe, ne nous contentons pas de rougir; rougissons, et soyons fiers; soyons fiers d'avoir auprès de nous de telles femmes; rougissons d'être si loin de les égaler, nous, qui nous nommons des hommes. Mais, du moment que nous aurons compris d'où leur vient cet éclat de beauté, nous aussi nous ne serons pas longtemps à les dépasser. D'où leur vient donc l'éclat dont elles brillent? Ecoutez, hommes et femmes; les bracelets, les colliers, les eunuques, les servantes, les vêtements d'or n'y sont pour rien ; elles ne doivent rien, ces femmes, qu'aux sueurs qu'elles ont répandues pour la vérité. "Qui a ", dit-il, " beaucoup travaillé pour nous "; non-seulement pour elle, pour perfectionner sa propre vertu, ce que font beaucoup de femmes, jeûnant, couchant sur la dure, mais, de plus, travaillant pour les autres , courant par le monde comme les apôtres, comme les évangélistes. Mais alors d'où vient que Paul dit " Je ne permets point à la femme d'enseigner? " (I Tim. II, 12.) Il ne veut pas qu'elle préside au milieu des docteurs, il ne veut pas qu'elle monte en chaire, mais il ne lui interdit pas d'enseigner. Autrement, comment aurait-il dit à la femme dont le mari est infidèle: " Que sais-tu, ô femme, si tu ne sauveras pas ton mari ? ". (I Cor. VII , 16.) Comment lui aurait-il permis de former l'esprit de ses enfants? comment aurait-il dit : " Elle se sauvera néanmoins par les enfants qu'elle aura mis au monde, s'ils persévèrent dans la foi, dans la charité , dans la sainteté de la sagesse? " (I Tim. II, 15.) Comment Priscille a-t-elle instruit Apollon? (Act. XVIII, 26.) L'apôtre n'a donc pas voulu supprimer les entretiens secrets , les conversations particulières utiles, niais les discours publics, les harangues, sur un théâtre , l'enseignement qui ne sied qu'aux maîtres et aux docteurs. Et quand le mari est fidèle, solide dans la foi, capable d'instruire sa femme , de lui communiquer la sagesse , il ne lui interdit pas , à lui non plus, d'instruire sa femme et de la redresser. Remarquez d'ailleurs que Paul n'a pas dit : Qui a beaucoup enseigné, mais: " Qui a beaucoup (423) travaillé "; ces paroles montrent que Marie, outre ses bonnes paroles, rendait une foule d'autres services , par les dangers qu'elle courait, par ses secours en argent, par ses voyages.

2. C'est qu'il y avait, à cette époque, des femmes, des lions, plus ardentes encore , qui prenaient, avec les apôtres, leur part des fatigues de la prédication; pour ce motif, elles voyageaient avec eux, et elles leur rendaient toute espèce de services. Le Christ aussi était suivi de femmes qui pourvoyaient à ses besoins, par leurs ressources, et qui étaient au service du Maître. " Saluez Andronique et Junte, mes parents (7) ". Ces paroles aussi paraissent un éloge , mais ce qui suit l'est bien plus encore. Qu'ajoute-t-il donc? " Qui ont été compagnons de mes liens "; voilà la plus insigne des couronnes, la gloire qu'on ne peut trop célébrer.

Mais où donc Paul a-t-il été prisonnier, de manière à pouvoir dire: " Qui ont été compagnons dé mes liens? " Il n'avait pas été prisonnier, mais il avait souffert des traitements bien plus rigoureux que dans les prisons, non-seulement loin de sa patrie et de sa famille, mais luttant contre la faim, contre une mort qui le menaçait toujours, contre d'autres périls innombrables. Il n'y a d'affreux pour le prisonnier que d'être loin des siens, et souvent esclave, au lieu de vivre en liberté ; mais les épreuves tombaient comme les eaux du ciel sur ce bienheureux Paul, entraîné, violemment promené. en lotit lieu, fouetté , mis aux fers, lapidé, englouti dans les flots, assailli de milliers d'ennemis. Les prisonniers, une fois qu'on les a emmenés, n'ont plus à redouter la haine; ceux qui les ont saisis, pourvoient à leurs besoins : mais Paul était sans relâche tourmenté par tous les ennemis qui l'environs traient de toutes parts; de toutes parts il voyait les lances dirigées contre lui, les épées aiguisées, partout des combats tout prêts, des batailles. Donc il faut croire que ces saints personnages avaient partagé ses périls , et voilà pourquoi l'apôtre les appelle compagnons de ses liens ; c'est ainsi qu'il dit , dans un autre passage : " Aristarque, compagnon de mes liens ". (Col. IV, 10.) Autre éloge maintenant : " Qui sont considérables entre les apôtres ". Or c'était certes déjà une assez grande gloire que d'être au rang des apôtres; mais être; parmi eux, considérables, essayez de comprendre tout ce qu'il y a là de glorieux ! Considérables , par leurs oeuvres , par leurs vertus. Ah ! quelle ne dut pas être la sagesse de cette femme, si elle fut jugée digne d'être mise au rang des apôtres ! Et Paul ne s'arrête pas encore là, il ajoute encore un autre titre : " Et qui ont été avant moi en Jésus-Christ ". C'était, en effet, là encore un éloge insigne, d'avoir pris son élan le premier, d'être arrivé avant les autres. Voyez cette âme sainte , comme elle est pure de toute vaine gloire ! Ce Paul qui a conquis une gloire si éclatante, et quelle espèce de gloire ! il met les autres au-dessus de lui-même, il ne veut pas qu'on ignore qu'il n'est venu qu'après eux, il ne rougit pas de cette confession. Et à quoi bon admirer ici sa confession, lorsqu'on le voit flétrir sans hésiter sa vie première, se donner les noms de blasphémateur, de persécuteur du Christ? Donc, dans l'impossibilité où il se trouve de produire des titres qui leur donnent d'ailleurs la supériorité sur lui , il s'en prend à ce fait qu'il est venu après eux, il y voit un moyen de leur composer un éloge, et il dit : " Et qui ont été avant moi , en Jésus-Christ. Saluez mon cher Amplias (8) ".

Encore un personnage pour qui l'affection de Paul est un éloge ; car l'affection de Paul , toute en Dieu, suppose des vertus sans nombre. S'il est glorieux d'être aimé d'un roi, quel titre que d'être aimé de Paul ! Assurément ce n'est pas sans avoir prouvé une grande vertu, qu'Amplias s'est concilié un tel attachement. L'apôtre n'hésite pas non-seulement à priver de son amour, mais à frapper d'anathème ceux dont la vie est mauvaise; c'est ainsi qu'il s'écrie : " Si quelqu'un n'aime point Notre-Seigneur Jésus-Christ, qu'il soit anathème " (I Cor. XVI, 12); et encore : " Si quelqu'un vous annonce un évangile différent de celui que vous avez reçu , qu'il soit anathème ". (Gal. I, 8.) — " Saluez Urbain, qui a travaillé avec moi , en Jésus-Christ (9) ". Cet éloge est plus éloquent que l'éloge qui précède, le dernier, en effet, comprend l'autre. " Et mon cher Stachys ", encore la même couronne. " Saluez Apelle, éprouvé en Jésus-Christ (10) ". Eloge que rien n'égale ; voilà un homme irréprochable, ne laissant aucune prise à la réprimande, en ce qui concerne le service de Dieu. " Eprouvé en Jésus-Christ ", c'est tout dire, c'est toute la vertu, en résumé. Et pourquoi l'apôtre ne dit-il nulle part, mon (424) seigneur un tel, mon maître? C'est que les éloges qu'il donne sont bien autrement expressifs; ces termes qu'il n'emploie pas, n'expriment que la considération; les paroles de l'apôtre rendent témoignage de la vertu. Et, dans ces pensées, Paul ne prodigue pas indifféremment ses marques d'honneur, il a soin de mêler un grand nombre de personnes , d'un rang inférieur, aux personnages élevés et puissants. En les nommant, en les saluant tous ensemble, et cela dans la même épître, il les associe tous également à l'honneur qu'il leur fait; d'on autre côté en décernant à chacun les éloges qu'il mérite spécialement, il nous montre la vertu propre de chacun d'eux ; de cette manière il n'excite pas l'envie qui résulterait de l'honneur fait aux uns, refusé aux autres, et en même temps il n'autorise pas le relâchement des moeurs, et il évite la confusion qui s'ensuivrait, s'il eût décerné à tous des éloges qui ne seraient pas tous mérités.

3. Voyez donc maintenant comment il arrive aux femmes d'une admirable vertu. Après avoir dit, en continuant: " Saluez la famille d'Aristobule, et Hérodion, mon cousin , et ceux de la famille de Narcisse (11) ", (peut-être n'y trouvait-on pas tout ce qu'on voyait dans les précédents, aussi Paul ne donne-t-il pas les noms propres de tous ceux de la famille, tout en leur rendant l'hommage qui leur est dû, à savoir qu'ils sont fidèles ; car c'est là ce que veut dire, ce qu'il ajoute: " Qui sont dans le Seigneur) " ; eh bien ! maintenant, c'est aux femmes qu'il arrive : " Saluez Tryphène et Tryphose, qui travaillent dans le Seigneur (12) ". Il a déjà dit, à propos de Marie, qu'elle a beaucoup travaillé pour nous; il dit maintenant, de celles-ci, qu'elles travaillent encore. Ce n'est pas un mince éloge que de savoir s'occuper tout à fait, et non-seulement s'occuper, mais travailler, se fatiguer. Quant à Perside, c'est sa chère Perside qu'il l'appelle, montrant par là qu'elle est supérieure aux autres. " Saluez ", dit-il, " ma chère Perside", et il témoigne de ses labeurs considérables en disant: " Qui a beaucoup travaillé dans le Seigneur". C'est ainsi qu'il s'entend à les nommer individuellement selon leurs mérites, il veut ranimer leurs courages, en leur payant tout ce qu'il leur doit, en publiant, même leur moindre titre de distinction; il provoque, en même temps, un zèle plus ardent de la part des autres, il les invite à mériter les éloges : qu'il distribue. " Saluez Rufus, l'élu du Seigneur, et sa mère, qui est aussi la mienne (13) ". Ici, rien ne manque, c'est la plénitude de tous les biens; avec un tel fils, avec une telle mère, la maison est remplie de bénédictions , racine et fruit conformes. L'apôtre n'aurait. pas dit à la légère : " Sa mère, qui est aussi la mienne ", s'il ne voulait pas rendre témoignage de la grande vertu de cette femme. " Saluez Asyncrite, Phlégon, Hermas, Patrobe, Hermes, et nos frères qui sont avec eux (14) ". Ici , ne faites pas la remarque qu'il en parle sans ajouter à leurs noms des paroles d'éloges; mais remarquez plutôt, qu'il ne dédaigne pas de nommer, même les moins importants de tous; ou plutôt il leur décerne un grand éloge, en les appelant du nom de frères, comme les saints qui viennent ensuite : " Saluez ", dit-il, " Philologue, et Julie, et Nérée, et sa sueur, et Olympiade, et tous les saints qui sont avec eux (13) ". C'était là la marque de la plus grande dignité, l'honneur d'une grandeur inexprimable.

Ensuite, pour prévenir toute jalousie querelleuse qui proviendrait de ce qu'il parle des uns, d'âne manière, des autres, d'une manière différente ; de ce qu'il y en a qu'il nomme, tandis qu'il ne distingue pas les autres, de ce qu'il fait plus d'éloges des uns, moins d'éloges des autres, il se met à les confondre tous ensemble dans l'égalité de la charité , il les rapproche par le saint baiser : " Saluez-vous, les uns les autres, par un saint baiser (16) " ; baiser pacifique, qui lui sert à bannir toute pensée qui les troublerait; il ne laisse ainsi aucune prise aux sentiments de rivalité; il s'arrange de telle sorte que le plus grand ne méprise pas te plus petit, que le petit ne soit pas envieux du plus grand, que l'orgueil et la jalousie disparaissent, sous ce baiser qui égale et adoucit tout. Aussi ne leur conseille-t-il pas seulement de se saluer, mais il leur envoie de même le salut de toutes les Eglises. " Recevez ", dit-il , " le salut ", non pas de tel ou tel en particulier, mais le salut commun, de tous, " de toutes les Eglises de Jésus-Christ ". Comprenez-vous quels fruits qui ne sont pas à dédaigner, nous avons recueillis de ces salutations? Que de trésors nous aurions négligés, si nous n'avions pas étudié cette partie de la lettre avec toute la sagacité dont nous sommes capables? Qu'un homme habile, et pénétré de l'Esprit, s'y (425) applique, la pénètre avec plus de profondeur, il y trouvera bien d'autres perles encore. Mais quelques personnes nous avant souvent demandé pourquoi l'apôtre adresse tant de salutations dans cette lettre, ce qu'il ne fait dans aucune autre, nous répondrons que c'est par la raison qu'il n'avait pas encore vu les Romains. Fort bien, dira-t-on, mais il n'avait pas encore vu les Colossiens, et cependant il ne leur écrit rien de pareil. C'est que les Romains avaient plus de célébrité que les autres peuples, c'est que, des autres villes, on se transportait à Rome, comme dans une ville plus sûre et qui était une résidence impériale. Donc les fidèles étant dans une ville étrangère, comme il était important qu'ils y trouvassent toute espèce de sûreté, comme quelques-uns d'entre eux étaient personnellement connus de Paul, que certains d'entre eux avaient rendu en son nom de nombreux et signalés services, il était naturel que l'apôtre les recommandât dans sa lettre. C'est qu'en effet la gloire de Paul était éclatante alors, et à ce point que ses lettres seules étaient des titres sérieux de recommandation : non-seulement on avait pour lui de la vénération, mais on le craignait. Autrement, il n'aurait pas dit : " Car elle en a assisté elle-même plusieurs, et moi en particulier " ; ni : " J'aurais voulu moi-même être anathème ". (Rom. IX, 3.) Il écrivait à Philémon : " Quoique je sois Paul, vieux, et de plus, maintenant prisonnier pour Jésus-Christ " (Philém. 9) ; et aux Galates : " Je vous dis, moi, Paul " ; et: " Vous m'avez reçu comme Jésus-Christ ". (Gal. V, 2, et IX, 94.) II écrivait aux Corinthiens : " Il y en a, parmi vous, qui s'enflent de présomption, comme si je ne devais plus vous aller voir " ; et encore : " J'ai proposé ces choses sous mon nom, et sous celui d'Apollon, afin de vous " apprendre à ne pas avoir de vous d'autres sentiments que ceux que je viens de marquer ". (I Cor. IV, 18 et 6.)

Il ressort de toutes ces paroles, que sa gloire éclatait partout. Donc voulant procurer aux fidèles et sûreté et considération, il les salue individuellement avec les éloges convenables. L'un, il l'appelle, mon cher; l'autre, mon parent; un autre est à la fuis son ami et son parent; un autre est le compagnon de ses liens ; un autre, il le traite de fidèle éprouvé dans le Seigneur; un autre, d'élu du Seigneur. Il y a une femme qu'il a nommée en marquant sa dignité; car ce n'est pas au hasard qu'il dit de Phébé : " La diaconesse " ; si l'expression eût été indifférente, il l'eût appliquée à Triphène et à Perside; mais il dit, de l'une, qu'elle a le titre de diaconesse; d'une autre, qu'elle travaille avec lui, et qu'elle l'assiste; celle-ci, il l'appelle sa mère; celle-là, il la glorifie ,Four les fatigues qu'elle a supportées; pour les hommes, ou il cite la famille à laquelle ils appartiennent, ou il leur donne le nom de frères, le nom de saints, ou il se borne à dire leur nom propre; il en est qu'il appelle prémices, il en est qu'il honore, parce qu'ils ont embrassé la foi les premiers; les plus distingués sont Priscilla et Aquilas. C'est que, si tous ces saints personnages étaient des fidèles, ils ne l'étaient pas tous également, ils n'avaient pas des titres égaux aux récompenses. Voilà, pourquoi l'apôtre, jaloux de les animer tous d'un zèle toujours plus ardent, ne cache aucun des titres qui donnent des droits à un juste éloge. Si les plus méritants ne devaient pas être plus récompensés, on verrait le relâchement chez le grand nombre.

4. Voilà pourquoi il n'y aura pas égalité d'honneur dans le royaume de Dieu ; voilà pourquoi il n'y a pas égalité entre tous les disciples; trois, parmi eux, avaient la prééminence sur tous les autres, et, entre ces trois, il y avait encore une grande inégalité. C'est que Dieu apprécie tout avec l'exactitude la plus rigoureuse, jusque dans les rangs les plus reculés. " L'étoile ", dit l'apôtre, " diffère de l'étoile, en éclat ". (I Cor. XV, 4l.) Sans doute, les apôtres t'étaient tous, et tous devaient siéger sur douze trônes, et tous avaient quitté ce qui leur appartenait, et tous s'étaient attachés à Jésus-Christ; cependant le Christ en choisit trois parmi eux. Et ce n'est pas tout; parmi ceux-là, il en est dont il constata l'excellence qui les distinguait, qui les rendait supérieurs ; car il dit: " Pour ce qui est d'être assis à ma droite ou à ma gauche, ce n'est point à moi à vous le donner, mais ce sera pour ceux à qui il a été préparé " (Marc, X, 40) ; et il met Pierre au-dessus d'eux, par ces paroles : " M'aimez-vous plus que ne font ceux-ci ? " (Jean, XXI, 15.) Et Jean était chéri par-dessus tous. Il sera tenu de toutes choses un compte exact, et si faible que soit votre supériorité sur votre prochain, si mince, si insignifiante qu'elle vous semble , elle n'échappera pas au jugement de Dieu. L'histoire (426) des anciens jours le démontre. Loth était juste, mais non autant qu'Abraham ; Ezéchias aussi, mais non autant que David; et de même, pour tous les prophètes, mais ils ne l'étaient pas comme Jean.

Où sont-ils, quand la justice de Dieu est si exacte, ceux qui ne veulent pas qu'il existe une géhenne? S'il est vrai que tous les justes ne doivent pas jouir des mêmes récompenses, si faible que soit la supériorité des uns sur les autres (car l'étoile, dit l'apôtre, diffère de l'étoile, en éclat), comment les pécheurs jouiront-ils des mêmes biens que les justes? Un homme ne donnerait pas les mains à cette confusion, et Dieu la ferait? Voulez-vous que je vous montre, à propos des pécheurs qui ont paru dans le monde, par les faits accomplis, la diversité des traitements, l'exactitude rigoureuse de la justice? Voyez : Adam a péché; Eve aussi a péché ; tous les deux ont enfreint la loi, mais il n'y a pas eu d'égalité dans leurs péchés ; et, par conséquent, il n'y a pas eu d'égalité dans leurs châtiments. La différence a été si grande que Paul a pu dire : " Adam n'a point été séduit, mais la femme ayant été séduite, est tombée dans la désobéissance ". (I Tim. II, 14.) Assurément ils ont été tous les deux égarés par le fait d'une seule et même séduction, toutefois l'exactitude du jugement de Dieu a fait voir toute cette différence que Paul a exprimée. Autre exemple : le châtiment de Caïn; après lui, Lamech fut aussi un meurtrier, et cependant il n'a pas eu le sort de Caïn; pourtant il y avait bien,d'une part, un meurtre, et d'autre part, un meurtre; et Lamech était de beaucoup plus coupable, puisque l'exemple n'avait pas servi à l'amender; mais, comme il n'avait ni méprisé les avertissements, ni tué son frère, ni attendu qu'on l'accusât, ni répondu avec impudence aux questions de Dieu, comme il avait prévenu toute accusation , pour se dénoncer lui-même, pour se condamner, il obtint son pardon; la conduite tout opposée de Caïn lui attira son châtiment. Voyez avec quelle exactitude rigoureuse Dieu pèse les actions. De là encore la diversité des vengeances; dans le déluge et dans l'incendie de Sodome, la diversité des châtiments contre les Israélites, dans la captivité de Babylone, et sous la domination d'Antiochus; preuve de l'exactitude des jugements de Dieu sur nous. D'une part, servitude de soixante-dix ans; d'autre part, servitude de quatre cents ans; ils mangèrent leurs enfants, ils furent enveloppés dans mille autres innombrables calamités, qui ne suffirent pas cependant à les affranchir envers Dieu , ni ce peuple, ni ceux qui furent brûlés vifs à Sodome. Car, dit le Seigneur : " Au jour du jugement Sodome et Gomorrhe seront traités moins rigoureusement que cette ville ". (Matth. X, 15.) Si Dieu ne prenait aucun souci ni de nos fautes, ni de nos bonnes oeuvres, il y aurait peut-être quelque raison de dire que le châtiment n'existe pas; mais quand on le voit, d'un soin si jaloux, prévenir nos péchés, tout faire et de si grandes choses pour nous porter aux bonnes oeuvres, il est manifeste qu'il punit les pécheurs et qu'il couronne ceux qui font le bien. Mais voyez donc un peu jusqu'où va la contradiction dans les jugements des hommes. Ils accusent tant de preuves qu'il donne de sa patience ; ou répète que Dieu ne frit pas attention à la foule des pervers, des fornicateurs, des hommes de violence qu'il laisse impunis; et maintenant, Dieu fait-il des menaces, les mêmes voix s'emportent en accusations amères, acharnées. Cependant, si vous détestez les forfaits, vous devriez approuver, glorifier l'expiation. Mais, ô délire, ô raison à rebours, et digne des ânes ! O coeur ami du péché, ami de la volupté, ô pensée qui n'a de regards que pour la corruption ! Oui, c'est l'amour de la volupté qui engendre toutes ces opinions, et cela est si vrai qu'il suffirait à ceux qui tiennent ces discours, d'embrasser la vertu, pour être bien vite persuadés de la réalité de la géhenne, pour n'en pas douter.

Mais où donc , dira-t-on , en quel lieu se trouvera-t-elle, cette géhenne? Que vous importe? La question c'est : il y a une géhenne, et la question n'est pas : où est-elle, dans quel lieu. Quelques-uns content qu'elle sera dans la vallée de Josaphat; des indications de lieux ont été données au sujet d'une guerre des temps passés; on les applique bon gré mal gré à la géhenne. Mais dans quel lieu , réplique-t-on, sera-t-elle? En dehors, je ne sais où; en dehors, j'imagine, de tout cet univers. De même que les cachots et les mines des rois sont loin de tous les regards, de même, c'est en dehors de cette terre habitée que sera la géhenne.

5. Donc ne nous occupons pas de chercher oui elle est, mais comment nous pourrons l'éviter : Si Dieu ne punit pas ici-bas tous les coupables, ce n'est pas une raison pour refuser de croire aux choses à venir; Dieu nous aime et il est patient. Voilà pourquoi il menace, et ne précipite pas tout de suite dans le lieu des tourments : " Je ne veux point ", dit-il, " la mort du pécheur". (Ezéch. XVIII, 32.) Mais s'il n'y a pas de mort pour le pécheur, ces paroles sont inutiles. Je sais bien que rien n'est plus désagréable, pour vous, que de pareils discours; mais, pour moi, il n'est rien de plus doux. Et plût au ciel que nous eussions l'habitude, quand nous dînons, quand nous soupons, quand nous sommes aux bains, et partout, de nous entretenir de l'enfer ! car nous cesserions de nous affliger des maux que nous redoutons ici-bas, et de nous tant réjouir des biens présents. Car enfin de quel mai prétendez-vous me parler? De la pauvreté, de la maladie, de la captivité, de la mutilation de nos corps? Mais tous ces maux ne sont que risibles, comparés à l'autre châtiment. Et quand vous me parleriez de ceux que la faim torture sans cesse, et de ceux qui, dès l'enfance, sont privés de leurs membres, et des mendiants , ils vivent dans les délices, si on les compare à ceux qui subissent d'autres tortures. Ne nous lassons donc pas de ces réflexions; on ne tombe pas dans l'enfer, quand on a toujours la pensée de l'enfer. N'entendez-vous pas la voix de Paul? " Qui souffriront l'éternelle justice, confondus par la face du Seigneur ". (II Thess. I, 9.) N'entendez-vous pas dire ce qu'est devenu Néron , que Paul appelle un mystère de l'Antechrist ? " Car le mystère d'iniquité se forme ", dit-il, " dès à présent ". (Ibid. II, 7.) Eh quoi donc? Il n'y aura aucun châtiment pour Néron? aucun pour l'Antechrist, aucun pour le démon? Donc il y aura toujours l'Antechrist, et toujours le démon : car ils ne se départiront pas de leur perversité, sils ne subissent pas de châtiment.

Eh bien ! oui, dira-t-on : Il y a un châtiment, il y a un enfer, ce sont des vérités manifestes, mais les infidèles. seuls y tomberont. Pourquoi, je vous prie? Parce que les fidèles, direz-vous, ont reconnu leur Maître et Seigneur. Que signifie cette raison? Si leur vie est impure , ils subiront , par cette raison même, de plus sévères châtiments: " Tous ceux qui ont péché sans la foi, périront aussi sans la loi ; et tous ceux qui ont péché sous la loi, seront jugés par la loi " (Rom. 11,12); et: "Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître , ne l'aura pis accomplie, sera frappé de mille coups ". (Luc, XII, 47.) Si nous ne devons rendre aucun compte de notre vie, si ces paroles ont été dites au hasard, le démon ne subira pas de châtiment ; car il connaît le vrai Dieu, il est même mieux instruit, sur ce point, que beaucoup d'hommes : et tous les anges de l'enfer connaissent Dieu aussi, et ils frémissent à cause de lui , et ils le proclament leur juge. Donc s'il n'est exigé aucun compte de la vie qu'on a menée, des actions perverses, voilà que les démons seront sauvés, eux aussi. Non, non ; ne vous abusez pas, mes bien-aimés. S'il n'y a pas de géhenne, comment les apôtres jugeront-ils les douze tribus d'Israël ? Comment Paul dit-il : " Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges? Avec combien plus de raison jugeons-nous les choses de ce monde? " (I Cor. VI, 3.) Comment le Christ a-t-il pu dire : " Les Ninivites s'élèveront au jour du jugement, et condamneront cette race? " et: "Au jour du jugement, Sodome sera traitée moins rigoureusement? " ( Matth. XII, 41, et XI, 24.) Qu'avez-vous donc à plaisanter où il y a si peu matière à plaisanterie? Pourquoi vous trompez.; vous vous-mêmes; pourquoi, ô homme, cherches-tu à en imposer à ton âme? Pourquoi cette lutte contre la bonté de Dieu? S'il a fait un enfer, s'il menace de nous y précipiter, c'est pour nous empêcher d'y tomber, c'est pour que la crainte nous rende meilleurs. De sorte que celui qui ne veut pas qu'on en parle, ne fait pas autre chose, sans le savoir, qu'entretenir l'erreur qui nous y pousse et nous y précipite. Gardez-vous donc de paralyser les mains de ceux qui se fatiguent pour la vertu, n'encouragez pas la nonchalance des endormis. Si la plus grande partie des hommes venait à être persuadée qu'il n'y a pas d'enfer, quand les verrait-on renoncer à la corruption? Et où donc se montrerait la justice? Je ne dis pas pour faire la distinction des pécheurs et des justes, mais pour séparer les pécheurs des pécheurs. Pourquoi tel a-t-il été puni ici-bas, pourquoi tel autre n'a-t-il pas été puni, quoiqu'il ait commis les mêmes péchés, ou des péchés beaucoup plus graves? Comprenez bien que, s'il n'y a pas d'enfer, il est impossible de répondre aux accusations contre Dieu.

Aussi, je vous en conjure, mettez un terme (428) à des discours qui ne méritent que la dérision, fermons la bouche à nos contradicteurs. Oui, des plu.: petits péchés, comme des plus petites vertus le compte sera produit avec exactitude. Nous aurons à expier des regards impudiques, des paroles inutiles, des rires, des querelles, des mouvements de colère, la honteuse ivresse ; et nous recevrons aussi notre récompense pour nos bonnes actions, pour un verre d'eau froide, pour une bonne parole, pour un simple gémissement. Ecoutez le prophète : " Mettez le signe sur le visage de " ceux qui gémissent, et qui sont dans l'affliction ". (Ezéch. IX, 4.) Comment donc osez-vous dire que le Dieu qui tient un compte si exact de tout ce qui nous regarde, n'a pas réfléchi, a parlé au hasard, en nous menaçant de la géhenne? N'allez pas, je vous en conjure, sur de si vaines espérances, vous perdre vous-mêmes, et, avec vous, ceux qui ont foi en vos discours. Si vous vous déliez de nos paroles, interrogez avec soin les Juifs, les Grecs, tous les hérétiques sans exception, et tous, d'une seule voix, vous répondront : Il y aura un jugement et une rétribution. Les hommes ne vous suffisent-ils pas? Interrogez les démons eux-mêmes, et vous entendrez leurs cris : " Pourquoi venez-vous ici nous tourmenter avant le temps? " (Matth. VIII, 29.) Rassemblez toutes ces preuves, et décidez-vous à renoncer aux vains propos, afin de ne pas faire l'expérience qui prouve la réalité de l'enfer; retirez de ces preuves la sagesse qui vous permettra d'échapper à ces tourments, et d'obtenir les biens de la vie future, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE XXXII. JE VOUS EXHORTE, MES FRÈRES, A PRENDRE GARDE A CEUX QUI CAUSENT LES DISSENSIONS ET LES SCANDALES, CONTRE LA DOCTRINE QUE VOUS AVEZ APPRISE, ET DE VOUS DÉTOURNER D'EUX. CAR DE TELLES GENS NE SERVENT POINT NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, MAIS LEUR VENTRE ; ET, PAR DES PAROLES DOUCES ET FLATTEUSES, ILS SÉDUISENT LES AMES SIMPLES. (XVI, 17, 18, JUSQU'À LA FIN DE L'ÉPÎTRE. )
Analyse.

1 et 2. Il faut fuir ceux qui causent des divisions et des scandales. — Douceur de Paul dans ses exhortations. — Douceur funeste des hommes sensuels qui égarent les fidèles par leurs flatteries. — Dans les paroles de saint Paul, la prière et les prophéties s'unissent aux exhortations. — II ne faut ni la prière sans les couvres, ai tes couvres sans la prière. —Saluts envoyés par divers personnages de la compagnie de saint Paul.

3 et 4. Eloge éloquent de saint Paul. — Rome glorifiée parce qu'elle possède les tombeaux de saint Pierre et de saint Paul. — Qui me donnera d'embrasser le corps de Paul? — Je voudrais voir la poussière de ses mains qui furent chargées de chaînes et imposaient l'Esprit! — Saint Paul, vainqueur des démons et des sages de la terre. — Et cependant ce n'était qu'un homme comme nous.

1. Encore une exhortation , et une prière après l'exhortation. En effet, après avoir dit de prendre garde à ceux qui causent les dissensions, et de ne pas les écouter, il ajoute : " Que le Dieu de paix brise bientôt Satan sous vos pieds "; et : " Que la grâce de Notre-Seigneur soit avec vous (20) ". Voyez quelle douceur dans cette exhortation ; il ne (429) conseille pas, il supplie Dieu, et ses paroles sont remplies d'égards pour les fidèles; il les appelle d'abord ses frères, et ensuite il adresse pour eux au ciel ses supplications. " Je vous exhorte ", dit-il, " mes frères ". Ensuite, pour exciter leurs inquiétudes, il leur montre la ruse des ennemis qui les menacent. Comme la perfidie se cache, il l'indique par ces paroles : " Je vous exhorte à prendre garde ", c'est-à-dire, à scruter avec un soin rigoureux, à bien vous rendre compte, à vous renseigner exactement. A quel sujet, je vous prie? Au sujet de ces hommes, " Qui causent les dissensions et les scandales contre la doctrine que vous avez apprise ". C'est que rien ne bouleverse plus l'Église que les divisions : ce sont là les armes du démon, c'est là ce qui met tout sens dessus dessous. Tant que le corps reste uni, impossible à lui d'y pénétrer, mais la division produit le scandale. Maintenant, d'où vient la division? des doctrines contraires à l'enseignement des apôtres. Et ces doctrines, d'où viennent-elles? de la sensualité asservie au ventre, et des autres passions. " Car de telles gens ", dit-il, " ne servent point Notre-Seigneur, mais leur a ventre ". De telle sorte qu'on ne verrait ni scandales, ni division, si l'on ne concevait pas des doctrines contraires à l'enseignement apostolique; ce que montrent ici ces paroles : " Contre la doctrine ". Et Paul ne dit pas Que nous vous avons enseignée, mais : " Que " vous avez apprise ", il les prévient, il leur montre qu'ils ont été persuadés, qu'ils l'ont entendue, qu'ils l'uni acceptée ! Or, maintenant que ferons-nous à ceux qui mutilent de tels enseignements ? L'apôtre ne dit pas Marchez coutre eux, combattez, mais : " Et de vous détourner d'eux ". En effet, si leur conduite était un effet de l'ignorance ou de l'erreur, il faudrait les redresser; mais ils savent ce qu'ils fout, écartez-vous.

Ailleurs encore, il tient le même langage "Retirez-vous ", dit-il, " loin de tout frère, qui va et vient, d'une manière déréglée ". (II Thess. III, 6.) Au sujet de l'ouvrier en cuivre, il exhorte Timothée en ces termes " Gardez-vous de lui ". (II Tim. IV, 15.) Ensuite il tourne en dérision les fauteurs de ces désordres, it explique leur conduite, pourquoi ils suscitent la division : " Car de telles gens ", dit-il, " ne servent point Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais leur ventre ". C'est ce qu'il écrivait aux Philippiens : " Qui font leur Dieu de leur ventre ". (Philipp. III, 19.) Il me parait ici vouloir désigner les Juifs, qu'il accuse surtout ordinairement d'être asservis à leur ventre. En effet, il écrit à Tite, à leur sujet : " Mauvaises bêtes, qui n'ont d'énergie que pour leur ventre ". (Tit. I, 12.) Et le Christ, les accusant pour la même raison , disait : " Vous dévorez les maisons des veuves ". (Matth. XXIII, 14.) Les prophètes dirigent contre eux les mêmes accusations : " Il s'est engraissé ", dit le texte, " il s'est rempli d'embonpoint, et il s'est révolté, le bien-aimé ". De là les exhortations de Moïse : " Après avoir mangé, après avoir bu, après vous être rempli, souvenez-vous du Seigneur votre Dieu ". (Deutér. XXXII, 15 et VI, 12, 13.) Dans l'Évangile, on les entend dire au Christ : " Quel signe nous montrez-vous? " (Jean, II, 18.) Et alors, oubliant tous les miracles qu'ils ont vus, ils ne se souviennent que de la manne; partout ils se montrent possédés de ce vice. Comment ne pas rougir de reconnaître pour ses maîtres des hommes esclaves de leur ventre, quand on est le frère du Christ? Voilà, d'une part, la cause, l'occasion de ces désordres; quant à la manière dont cette dépravation se propage, c'est encore une autre maladie; il faut, d'autre part, reconnaître la flatterie. " Par des paroles douces et flatteuses ils séduisent les âmes simples ". C'est avec raison que l'apôtre dit : " Par des paroles douces et flatteuses ", car leur flatterie ne va pas plus loin que les paroles, leur pensée n'a rien qui respire la douceur, elle est pleine de ruse. Et la lettre ne dit pas. Ils vous séduisent, mais: " Ils séduisent les âmes simples ".

Paul ne s'arrête pas là; pour ne pas offenser ceux à qui il s'adresse, il ajoute : " Votre obéissance est parvenue à la connaissance " de tous (t9) ". Ce qu'il dit, c'est pour les empêcher de se déshonorer, il les prévient par ses éloges, il les retient par le grand nombre des témoins qui les regardent. Je ne suis pas le seul, en effet, qui rende de vous ce témoignage, le monde entier en fait autant. Et il ne dit pas : Votre sagesse, mais : " Votre obéissance ", c'est-à-dire, votre foi, ce qui est un témoignage de la douceur de leur esprit. " Je m'en réjouis pour vous ". Il n'y a pas là un éloge à dédaigner. vient ensuite, après la louange, un avertissement. Il ne veut pas, en les mettant hors d'accusation, vu leur (430) ignorance, autoriser leur relâchement; de là ce qu'il leur fait entendre par ces paroles : " Mais je désire que vous soyez sages dans le bien, et simples dans le mal ". Voyez-vous maintenant comme il les attaque, quoiqu'il le fasse sans qu'on puisse lui répondre? Il veut faire entendre que quelques uns parmi eux se sont laissé séduire. " Que le Dieu de paix brise bientôt Satan sous vos pieds (20) ". Après avoir parlé de ceux qui causent les dissensions et les scandales, il les entretient du Dieu de paix pour leur donner la confiance de se voir délivrer des hommes dangereux. Car celui qui aime la paix, fera disparaître ce qui peut la troubler. Et il ne dit pas : Que Dieu soumette ; l'expression est plus énergique: que Dieu " Brise ", et non-seulement ces pervers, mais leur chef, l'auteur de tous ces désordres, " Satan ". Et non-seulement brise, mais : " Sous vos pieds "; c'est vous qui remporterez la victoire, c'est vous que rendra illustres un glorieux trophée. Autre consolation encore, prise du temps : " Bientôt ". Et il y a là tout ensemble urge prière et une prophétie. " Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec vous ". C'est l'arme la plus puissante, le mur indestructible, la tour inébranlable ; c'est pour raviver leur ardeur qu'il rappelle la grâce à leurs pensées. Si vous avez été délivrés des maux les plus redoutables, et cela uniquement par la grâce, à bien-plus fore raison vous sauvera-t-elle de ceux (lui le sont moins, parce que vous serez devenus les amis de Dieu , parce que vous aurez contribué de tout ce qui dépend de vous.

2. Voyez-vous comme il ne veut ni de la prière sans les oeuvres, ni des oeuvres sans la prière? Ce n'est qu'après avoir rendu témoignage de leur obéissance qu'il prie pour eux, montrant par là le double besoin que nous avons, et d'agir par nous-mêmes, et d'être assistés de Dieu, si nous devons assurer notre salut à force de soins. Nous n'avons pas eu, autrefois seulement, besoin de la grâce, si forts que nous soyons, quelques preuves que nous ayons données, maintenant encore ce secours nous est nécessaire. " Recevez-le salut " de Timothée, compagnon de mes travaux (2l) ". Voyez-vous encore les éloges accoutumés? "Comme aussi de Lucius, de Jason et de Sosipatre, mes parents? " Luc fait mention de ce Jason, et nous donne une haute idée de son courage, en le montrant traîné, au milieu des cris du peuple, devant les magistrats de la ville ". (Act. XVII, 5-9.) Il est à croire que les autres étaient aussi des personnages remarquables; car l'apôtre ne les nommerait pas pour la seule raison de la parenté, si leur piété ne les rendait semblables à lui-même. " Je vous salue, moi, Tertius qui ai écrit cette lettre (22) ". Voilà encore un titre qui a bien son prix, être le secrétaire de Paul mais il ne l'a pas dit pour se louer, mais pour se concilier vivement leur affection par son ministère. " Recevez aussi le salut de Caïus, mon hôte, et l'hôte de toute l'Eglise (23) ".

Voyez quelle couronne il tresse en son honneur, lorsqu'il constate cette hospitalité si large, qui réunit toute l'Eglise dans sa maison ! Hôte, en effet, ici, veut dire, qui donne l'hospitalité. Maintenant, quand on vous dit qu'il donnait l'hospitalité à Paul, ce n'est 'pas cette hospitalité seulement qui mérite d'être célébrée par vous, mais la régularité d'une vie parfaite ; si ce saint personnage n'avait pas été digne de recevoir Paul, certes l'apôtre n'aurait pas séjourné chez lui. Car celui dont le zèle ardent voulait dépasser la rigidité d'un grand nombre de préceptes du Christ, n'aurait pas, à coup sûr, enfreint la loi qui ordonne de s'enquérir avec le plus grand soin des hôtes qui vous reçoivent, et de ne demeurer que chez des personnes recommandées par leur vertu. " Recevez le salut d'Eraste, trésorier de la ville, et de notre frère Quartus ". Ce n'est pas sans raison qu'il ajoute: " Trésorier de la ville "; il écrivait aux Philippiens: " Ceux de la maison de César vous saluent " (Philipp. IV, 22), pour montrer que la prédication touchait de grands personnages; de même ici, il a son but quand il mentionne la charge importante d'Eraste, il montre que celui qui prête son attention à la parole, ne trouve d'obstacles ni dans sa fortune, ni dans les soucis de l'autorité, ni dans rien de ce qui y ressemble. " Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec vous tous. Amen (24) ". Comprenez-vous quel doit être le point de départ et le point d'arrivée pour toutes choses? Ce qui a fuit la première base de sa lettre, lui sert à en faire le couronnement; les mêmes expressions sont une invocation à cette mère de tous les biens désirés par lui pour eux, et en même temps elles rappellent tout ce qu'il y a en lui d'active bonté. Car ce qui distingue un maître (431) généreux, ce n'est pas seulement la parole, c'est, avant tout, la prière qu'il fait pour l'utilité de ceux qui s'instruisent auprès de lui. Aussi le livre des Actes dit-il : " Pour nous, nous nous appliquerons surtout à la prière, et à la dispensation de la parole ". (Act. VI, 4.)

Qui donc priera aussi pour nous, puisque Paul est parti? Ce sont les imitateurs d e Paul que je vois ici; montrons-nous seulement dignes d'un tel patronage, afin que tout ne se borne pas, pour nous, à entendre ici la voix de Paul, mais qu'après notre départ d'ici, nous soyons jugés dignes de voir là-haut l'athlète de Jésus-Christ : je me trompe, si nous l'écoutons icibas, là-haut, il n'en faut pas douter, nous le verrons ; quand même nous ne serions pas tout près de lui, nous le verrons, il n'en faut pas douter, resplendissant, près du trône royal, où les Chérubins font entendre leurs hymnes de gloire, où planent les Séraphins. Là, nous verrons Paul avec Pierre, nous verrons, dans le choeur des saints, le chef et le prince, et là nous jouirons du vrai et pur amour. Car si Paul sur la terre a tant aimé les hommes qu'au lieu de voir rompre ses liens, de vivre auprès du Christ, il a préféré de rester parmi nous; bien autrement brûlant sera l'amour qu'il nous montrera dans le ciel. Je veux vous dire pourquoi j'aime Rome, quoiqu'il y ait tant de raisons pour la célébrer, quoiqu'on puisse exalter sa grandeur, son origine antique, sa beauté, sa population si nombreuse, sa puissance, ses richesses, sa gloire dans les combats; mais je veux tout oublier, et je dis que Rome est bien heureuse, parce que c'est à elle qu'écrivait Paul vivant, parce que Paul avait tant d'amour pour elle, parce que Paul fut présent et fit entendre ses discours au sein de ses murailles, parce que c'est dans Rome qu'il termina sa carrière. Oui, voilà pourquoi c'est une illustre cité, et cette gloire efface toutes ses autres gloires; Rome, c'est un corps de grande taille et vigoureux, qui a deux yeux étincelants, les corps de ces deux saints. Moins resplendissant est le ciel illuminé des rayons du soleil, que Rome avec ces deux flambeaux qui rayonnent sur tous les points de l'univers. C'est de Rome que Paul sera ravi au ciel, c'est de Rome que Pierre prendra son essor. Concevez, frissonnez en concevant le spectacle réservé aux regards de Rome; Paul tout à coup se relève de cet illustre tombeau, il s'enlève avec Pierre, ils vont à la rencontre du Seigneur; quelle rose le Christ reçoit de la part de Rome, quelles couronnes ceignent le front de la ville sainte, quelles ceintures d'or l'embellissent, quelles sources elle épanche ! Voilà pourquoi je l'admire ; ni ses trésors, ni les colonnes de ses palais ne m'occupent, non plus que tout son faste, c'est elle qui les possède ces deux colonnes de l'Eglise.

3. Qui me donnera donc d'embrasser le corps du glorieux Paul, de demeurer attaché à son tombeau, de voir les cendres de ce corps qui suppléait dans sa chair à ce qui manquait aux souffrances de Jésus-Christ, qui portait les stigmates du Sauveur, qui répandait partout la prédication ? la poussière de ce corps qui rendait l'Evangile partout présent ; la poussière de cette bouche qui faisait parler le Christ ; dont l'éloquence brillait plus que l'éclair; dont la voix tombait, plus terrible que le tonnerre, sur les démons ; de cette bouche qui prononçait cette grande et bienheureuse parole : " J'eusse désiré être anathème pour mes frères " (Rom. IX, 3) ; par qui l'apôtre parlait aux rois en face et sans rien craindre; par qui nous avons appris à connaître Paul, par qui nous avons connu le Maître de Paul? Non, le tonnerre n'est pas pour nous aussi formidable que l'était cette voix pour les démons. S'ils frissonnaient à l'aspect de ses vêtements, à bien plus forte raison, au bruit de sa voix. Cette voix les emmenait captifs, cette voix purifiait la terre, cette voix guérissait les maladies, exterminait la malignité , ramenait la vérité, proclamait le Christ qui l'inspirait, qu'elle accompagnait en tout lieu ; on entendait les Chérubins eux-mêmes, lorsqu'on entendait la voix de Paul. Le Christ qui réside en ces vertus, résidait de même dans sa langue. Car elle s'était rendue digne de recevoir le Christ, cette langue qui ne parlait que pour dire les vérités chères au Christ, et dont les accents s'élevaient comme le vol des Séraphins. Car quoi de plus élevé que ces paroles : " Je suis assuré que ni les anges, ni les principautés, ni les puissances, ni les choses présentes, ni les futures, ni tout ce qu'il y a de plus haut, ni tout ce qu'il y a de plus profond, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu en Jésus-Christ? " (Rom. VIII, 38.) Ne sont-ce pas là des paroles qui ont des ailes, qui ont des yeux? Aussi disait-il de Satan : " Nous (432) n'ignorons pas ses desseins " (II Cor. II, 11); aussi les démons le fuyaient-ils, non-seulement au bruit de sa voix, mais d'aussi loin qu'ils apercevaient ses vêtements.

Je voudrais voir la poussière de cette bouche dont s’est servi le Christ pour publier de grands mystères, des mystères plus grands que ceux qu'il révéla par lui-même; comme le Christ a fait de plus grandes œuvres par ses disciples que par lui-même, ainsi a-t-il fait entendre de plus grandes choses; je voudrais la voir la poussière de cette bouche dont l'Esprit s'est servi pour communiquer à la terre ces admirables oracles. Quel bien n'a-t-elle pas opéré cette bouche ? Elle exterminait les démons, elle effaçait les péchés, elle réduisait les tyrans au silence, elle enchaînait les langues des philosophes, elle faisait à Dieu l'oblation du monde, elle inspirait la sagesse aux barbares, elle réglait toutes choses sur la terre ; les choses mêmes du ciel, elle les disposait à son gré, liant ceux qu'elle voulait, ou déliant, dans l'autre vie, selon la puissance qui lui avait été donnée. Non, ce n'est pas de cette bouche seulement, mais de ce grand cœur aussi que je voudrais voir la poussière; on dirait, la vérité, en appelant ce coeur, le cœur de toute la race humaine, la source inépuisable des biens, le principe et l'élément de notre vie. Car c'était l'esprit de vie qui s'en épanchait sur toutes choses , qui, de là, se communiquait aux membres du Christ; ce n'était pas le jeu des artères qui le distribuait, mais l’impulsion d'une volonté généreuse. Ce cœur était si large qu'il renfermait des cités tout entières, des peuples, des nations; car, dit-il : " Mon cœur s'est dilaté ". (II Cor. VI, 11). Cependant, ce coeur si large, s'est resserré, bien souvent contracté par cet amour même qui le dilatait : "C'était dans une grande affliction ", dit-il, " avec un serrement de cœur que je vous écrivais alors ". (Ibid. II, 4.) Je voudrais voir la cendre de ce cœur embrasé d'amour pour chacun des malheureux qui se perdent; de ce coeur qui ressentait, pour les enfants avortés, toutes les douleurs d'un enfantement nouveau ; de ce cœur qui voit Dieu, car, dit l'Ecriture :" Les coeurs purs verront Dieu " (Matth. V, 8); de ce cœur devenu victime : " C'est une victime pour Dieu, qu'un esprit contrit " (Ps. L, 15); de ce cœur plus élevé que le plus haut des cieux, plus large que la terre, plus resplendissant que les rayons du soleil, plus ardent que le feu, plus solide que le diamant, de ce cœur qui versait des eaux vives : Car, dit l'Ecriture : " De son cœur jailliront des fleuves d'eau vive " (Jean, VII, 38); de ce cœur d'où jaillissait une source qui n'arrosait pas seulement la face de la terre, mais les âmes ; d'où ne sortaient pas des fleuves seulement, mais aussi des larmes coulant jour et nuit; de ce cœur où palpitait la vie nouvelle, non la vie que nous menons : " Et je vis, ou plutôt ce n'est plus moi qui vis, mais c'est Jésus" Christ ", dit il, " qui vit en moi " (Gal. II, 20); oui, le cœur de ce grand Paul, table du Saint-Esprit et livre de la grâce, ce cœur qui tremblait pour les péchés des autres ; en effet, " J'appréhende ", dit-il, " que je n'aie peut-être travaillé en vain pour vous ". (Gal. IV, 11.) " Qu'ainsi que le serpent séduisit Eve. Qu'arrivant vers vous, je ne vous trouve pas tels que je voudrais " (II Cor. XI, 3; XII, 20). Maintenant, pour lui-même, ce cœur éprouvait la crainte et la confiance: Je crains, dit-il, " qu'ayant prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même " ( I Cor. IX, .27); et: " Je suis assuré que ni les anges, ni les principautés ne pourront nous séparer ". (Rom. VIII, 38.) Je voudrais le voir ce cœur qui mérita d'aimer Jésus-Christ plus que nul antre ne l'aima jamais; qui méprisait la mort et la géhenne; qui se fondait dans les larmes répandues sur ses frères. " Que faites-vous ", disait-il, " de pleurer ainsi et de broyer mon coeur? " (Act. XXI, 13), ce cœur si patient, et qui trouvait le temps si long quand il craignait les défaillances des Thessaloniciens.

4. Je voudrais voir la poussière de ces mains chargées de fers, dont l'imposition donnait l'Esprit; de ces mains qui écrivaient ces lettres " Voyez quelle lettre je vous ai écrite de ma propre main " (Gal. VI, 11); et encore : " J'écris cette salutation de ma main, moi Paul " (I Cor. XVI, 21); la poussière de ces mains dont le seul aspect a précipité la vipère dans le feu. Je voudrais voir la poussière de ces yeux frappés d'une cécité bienfaisante, dont les regards embrassèrent ensuite le salut du monde, de ces yeux qui ont eu la gloire de contempler le corps du Christ, de ces yeux qui voyaient les choses de la terre et étui ne les voyaient pas, qui apercevaient ce qu'on ne peut apercevoir, qui ne connaissaient pas le sommeil, qui veillaient au milieu des nuits, qui défiaient les poisons dont nous infectent (433) nos yeux. Je voudrais voir la poussière de ces pieds qui ont parcouru la terre, sans ressentir la fatigue, qu'on a liés contre le bois de la prison, quand il secoua et fit trembler les murailles; la poussière de ces pieds qui franchissaient et les lieux habités et les déserts, de ces pieds toujours en voyage. Mais à quoi bon ces détails ajoutés l'un à l'autre ? Je voudrais voir la tombe où reposent les armes de la justice, les armes de la lumière, les membres maintenant vivants, et qui étaient morts lorsque l'homme était plein de vie, qui tous ne vivaient que dans le Christ , et qui étaient, comme lui, crucifiés pour le monde; membres du Christ, revêtus du Christ, temple de l'Esprit, demeure sainte, où tout était cimenté par l'Esprit, cloué, rivé par la crainte de Dieu, empreint des stigmates de Jésus-Christ. C'est ce corps qui sert de rempart à la ville éternelle, plus invincible, plus inexpugnable que tous les forts, que tous les retranchements.

N'oublions pas le corps de Pierre ; Pierre vivant reçut les hommages de Paul : " Je retournai ", dit -il , " pour visiter Pierre ". (Gal. I, 18.) Et la grâce de Dieu permit, qu'avant de repartir, Paul demeurât avec lui. Je voudrais voir le lion de l'Esprit-Saint. Comme un lion ardent fondant sur des troupeaux de renards, ainsi s'élançait Paul sur les phalanges des démons et des philosophes, c'était la foudre qui exterminait les troupes de Satan. Et le maudit ne cherchait pas à lutter contre lui en bataille rangée, il en avait peur, il tremblait rien qu'à voir son ombre, rien qu'au bruit de sa voix, et s'enfuyait au loin. Voilà donc comment l'apôtre lui livra le fornicateur, pour le lui arracher; voilà pourquoi il fit de même pour,d'autres pécheurs, afin d'apprendre aux hommes à détester le blasphème. Voyez, considérez de quelle manière il mène au combat ceux qu'il commande, quelle est son adresse à les animer, à les fortifier. Tantôt il dit aux Ephésiens : " Nous avons à combattre non contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances " ; et il montre ensuite le prix réservé dans le ciel : " Car nous ne combattons pas pour les choses de la terre ", dit-il, " mais pour le ciel, et pour tout ce qui est renfermé dans le ciel ". (Ephés. VI, 12; Hébr. XII, 4.) Tantôt il dit à d'autres : " Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges; avec combien plus de raison jugeons-nous les choses de ce monde? " (I Cor. VI, 3.)

Méditons donc ces pensées, et tenons-nous fièrement debout. Paul était un homme de la même nature que nous, par tous les autres côtés, semblable à nous, mais parce qu'il a montré la perfection de son amour pour le Christ, il s'est élevé au-dessus du ciel, et il a mérité de se tenir avec les anges. Nous n'avons donc nous aussi qu'à vouloir un peu nous relever, allumer en nous la même flamme, et nous pourrons rivaliser avec le glorieux saint. Si ce désir était impossible à satisfaire, il ne nous aurait pas crié : " Soyez mes imitateurs comme je le suis de Jésus-Christ ". (I Cor. IV, 16, et XI, 1.) Ne nous bornons donc pas à le contempler dans la stupeur de l'admiration; mais imitons-le, afin de mériter, à notre départ d'ici-bas, le bonheur de le voir, et de participer à la gloire ineffable : puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. C. PORTELETTE.

FIN DES HOMÉLIES SUR L'ÉPÎTRE AUX ROMAINS.
 

 

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