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Saint Jean Chrysostome
Commentaire sur les Psaumes

COMMENTAIRE SUR LES PSAUMES.
Tome V. p. 523-603 ; Tome VI p. 1-311

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMENTAIRE SUR LES PSAUMES. *

EXPLICATION SUR LE PSAUME III. PSAUME POUR DAVID LORSQU'IL FUYAIT DEVANT SON FILS ABSALON : " SEIGNEUR, POURQUOI MES PERSÉCUTEURS SE SONT-ILS MULTIPLIÉS ? *

EXPLICATION SUR LE PSAUME IV. " QUAND JE L’INVOQUAIS, IL M’A EXAUCÉ LE DIEU DE MA JUSTICE. " *

EXPLICATION SUR LE PSAUME V. POUR LA FIN, POUR L'HÉRITIÈRE. — PSAUME DE DAVID. *

EXPLICATION SUR LE PSAUME VI. " SEIGNEUR, NE ME REPRENEZ PAS DANS VOTRE COLÈRE ET NE ME CORRIGEZ PAS DANS VOTRE COURROUX. " *

EXPLICATION SUR LE PSAUME VII. PSAUME POUR DAVID QUI LE CHANTA AU SEIGNEUR, A CAUSE DES PAROLES DE CIIUS, FILS DE JÉMINI : " SEIGNEUR, MON DIEU, C'EST EN VOUS QUE J'AI MIS MON ESPÉRANCE : SAUVEZ-MOI DE TOUS CEUX QUI ME PERSÉCUTENT, ET DÉLIVREZ-MOI. " *

EXPLICATION DU PSAUME VIII. POUR LA FIN, POUR LES PRESSOIRS. — SUIVANT UN AUTRE : CHANT TRIOMPHAL AU SUJET DES PRESSOIRS. — SUIVANT UN AUTRE : A L'AUTEUR DE LA VICTOIRE, AU SUJET DE GETTHITIS. — DANS LE TEXTE HÉBREU : LAIIIANASSÉ, AL HAGETTHITH. *

" SEIGNEUR, NOTRE SEIGNEUR, QUE VOTRE NOM EST ADMIRABLE SUR TOUTE LA TERRE!" — SUIVANT UN AUTRE : QUELLE GRANDE CHOSE QUE VOTRE NOM ! *

EXPLICATION DU PSAUME IX. POUR LA FIN , POUR LES SECRETS DU FILS, PSAUME POUR DAVID. — SUIVANT UN AUTRE : HYMNE TRIOMPHAL POUR LA MORT DU FILS, CHANT POUR DAVID. — *

SUIVANT UN AUTRE : DE LA JEUNESSE DU FILS. *

"JE VOUS RENDRAI HOMMAGE, SEIGNEUR, DANS TOUT MON COEUR; JE RACONTERAI TOUTES VOS MERVEILLES. " *

EXPLICATION DU PSAUME X. POUR LA FIN, POUR DAVID. — SUIVANT UN AUTRE : CHANT DE VICTOIRE POUR DAVID. — SUIVANT UN AUTRE : POUR L'AUTEUR DE LA VICTOIRE. *

EXPLICATION DU PSAUME XI. POUR LA FIN, POUR L'OCTAVE. — D'APRÈS UN AUTRE : A L'AUTEUR DE LA VICTOIRE POUR L'OCTAVE. EN HÉBREU : ASEMINITH. " SAUVEZ-MOI, SEIGNEUR, PARCE QUE LE JUSTE A FAIT DÉFAUT, PARCE QUE LES VÉRITÉS ONT ÉTÉ ALTÉRÉES PAR LES FILS DES HOMMES." — SUIVANT UN AUTRE : " PARCE QUE LES FIDÈLES ONT DISPARU DU MILIEU DES FILS DES HOMMES. " *

EXPLICATION DU PSAUME XII. POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID. — D'APRÈS UN AUTRE CHANT DE VICTOIRE DE DAVID. — SUIVANT UN AUTRE : POUR UNE VICTOIRE : " JUSQUES A QUAND, SEIGNEUR, M'OUBLIEZ-VOUS CONIPLÉTEMENT ? JUSQUES A QUAND DÉTOURNEZ-VOUS VOTRE VISAGE DE MOI. " D'APRÈS UN AUTRE : " CACHEZ-VOUS? — JUSQUES A QUAND PLACERAI-JE DES PROJETS (OU RANGERAI-JE DES PENSÉES DANS *

MON AME, DES " CHAGRINS DANS MON COEUR NUIT ET JOUR ? AUTREMENT : " MES INQUIÉTUDES DANS MA PENSÉE CHAQUE JOUR? " *

EXPLICATION DU PSAUME XLI. " DE MÊME QUE LE CERF ASPIRE APRÈS LES SOURCES (2). " POURQUOI LES PSAUMES ONT ÉTÉ INTRODUITS ICI-BAS, ET POURQUOI ON ASSOCIE LE *

CHANT A LEURS PAROLES. — DE LA LONGANIMITÉ DE DIEU. *

EXPLICATION DU PSAUME XLIII. A L'AUTEUR DE LA VICTOIRE, POUR LES *

FILS DE CORÉ. — "NOTRE DIEU , NOUS AVONS ENTENDU DE NOS OREILLES , NOS PÈRES NOUS ONT FAIT CONNAITRE L'OEUVRE QUE TU AS OPÉRÉE EN LEURS JOURS, DANS DES JOURS ANCIENS. " — UN AUTRE INTERPRÈTE TRADUIT : " DANS LES JOURS D'AUPARAVANT " ; ET UN AUTRE : " DANS LES JOURS DU COMMENCEMENT. " *
 

 

 

 

EXPLICATION SUR LE PSAUME III. PSAUME POUR DAVID LORSQU'IL FUYAIT DEVANT SON FILS ABSALON : " SEIGNEUR, POURQUOI MES PERSÉCUTEURS SE SONT-ILS MULTIPLIÉS ?
ANALYSE. Que !es querelles domestiques, les révoltes de ceux qui nous doivent obéissance sont fréquemment la punition de nos péchés. Révolte et mort d'Absalon.

1. Les rois honorent par des statues commémoratives les généraux victorieux, les magistrats érigent des effigies et des colonnes en l'honneur des cochers, des athlètes couronné, avec une inscription qui proclame leur' triomphe comme pourrait le faire la voix d'un héraut. D'autres célèbrent dans des livres et des écrits les louanges,des vainqueurs, et s'efforcent de déployer dans ces éloges un talent qui les élève au-dessus de leurs héros. Historiens, peintres, ciseleurs, sculpteurs, peuples, magistrats, villes, contrées, s'entendent pour vanter les triomphateurs. Mais celui qui prend la fuite sans avoir combattu, celui-là n'a jamais trouvé personne pour reproduire ses traits comme le fait aujourd'hui David : Ecoutez plutôt : " Psaume pour David, lorsqu'il fuyait devant son fils Absalon. " Et quel fugitif a jamais mérité des éloges? Quel nom de fuyard a jamais figuré sur des inscriptions? Si l'on affiche les noms des fugitifs, c'est afin de les retrouver (1), et non pour leur faire honneur.

1. La traduction latine est inexacte ou tout au moins obscure. C'était un usage, dans l'antiquité, d'afficher les noms des esclaves fugitifs, comme on fart aujourd'hui pour les objets perdus, afin de les retrouver. On peut consulter à ce sujet une dissertation de Letronne, insérée à la fin de l'édition d'Aristophane, publiée par M. Didot, (III page 14) : Papyrus du Musée Royal, contenant l'annonce d'une récompense promise d qui découvrira et ramènera deux esclaves échappés.

Apprends donc, mon frère, la raison de ce titre, et que ton âme soit en repos. Que cette histoire devienne une leçon pour toi-même. Que la persécution du juste soit un sujet de raffermissement pour ton propre coeur. Apprends pour quel motif David était persécuté par Absalon, afin que, sur ce fondement, tu sois édifié dans la crainte de Dieu. En effet si, à défaut de base, il n'y a pas de construction solide, de même l'Ecriture est de nul secours à qui n‘en sait point découvrir le sens.

L'intention du bienheureux David, en composant ce psaume, était de réformer la vie humaine, et de lui enseigner à ne se permettre aucune infraction, aucun outrage aux lois de Dieu, afin que le pécheur évitât les écueils où il s'était heurté lui-même. David fuyait devant son fils, parce qu'il avait fui la pureté; il fuyait devant son fils, parce qu'il avait attenté aux droits d'une union légitime; il fuyait devant son fils, parce qu'il s'était dérobé à la loi de Dieu, qui dit : " Tu ne tueras pas, tu ne (524) commettras pas l'adultère. " Il avait introduit dans son domaine la brebis d'autrui, et en avait tué le pasteur : et voici que l'agneau de 1a maison menaçait son berger. Il s'était attaqué au ménage d'autrui, et de son propre ménage il voyait la guerre s'élever. Ce n'est point ici ma pensée, ce sont les paroles de Dieu : or, quand Dieu se fait interprète, il ne reste plus qu'à se taire. Si vous voulez vous convaincre que la révolte du fils de David contre son père eut pour cause le meurtre d'Urie, et le vol de sa femme, écoutez ces paroles de Dieu, adressées à David parla bouche du prophète Nathan " Je t'ai sacré roi sur Israël, et t'ai délivré de la main de Saül. Je t'ai mis entre les mains tous les biens de ton seigneur, la maison de Saül et de Juda ; et si cela te paraît peu de chose, j'y ajouterai. Pourquoi donc as-tu méprisé ma parole, jusqu'à commettre le mal devant mes yeux? Tu as frappé du glaive Urie Héthéen, tu lui as ôté sa femme, et l'a prise pour toi. Et désormais l'épée ne sortira jamais de ta maison. " (II Rois, XII, 7-11.) Tu as partagé du glaive la maison d'autrui, je forgerai une gloire contre toi dans ta maison. " Et je te susciterai des maux du sein de ta " demeure. " Entendez bien ceci: Du sein de ta propre demeure. Là où était la source du péché, c'est de là que partira le coup vengeur. Le serviteur fugitif qui s'est dérobé aux commandements de Dieu est condamné à fuir devant son fils : " Psaume pour David, lorsqu'il fuyait devant son fils Absalon. " Et le récit de la guerre est moins utile que l'indication des motifs qui l'avaient allumée, pour nous mettre en garde contre la chute par la vue du faux-pas de ce juste, et nous faire éviter pareille épreuve. Il ne manque pas d'hommes, encore aujourd'hui, qui ont la guerre chez eux : l'un est en butte aux attaques de sa femme, l'autre, aux entreprises d'un enfant ou d'un frère, un troisième, à l'oppression d'un serviteur; et chacun s'afflige, s'aigrit, lutte, attaque, résiste : mais personne ne songe à se dire que s'il n'avait pas semé des péchés, il n'aurait pas vu des épines et des ronces surgir dans sa maison; que si sa maison n'avait pas recelé des étincelles de péchés, elle ne serait point en flammes. En effet, que les malheurs domestiques sont les fruits des péchés, que Dieu suscite au pécheur des bourreaux dans sa famille, c'est ce qu'atteste la divine Ecriture, dans son incomparable autorité. Ta femme te fait la guerre, quand tu rentres, elle se précipite sur toi comme une bête féroce, sa langue est acérée comme un glaive? C'est une chose affligeante, sans doute, que ton alliée soit devenue ton ennemie : néanmois regarde en toi-même, scrute si jamais dans ta jeunesse, tu n'as manqué à tes devoirs envers une femme, et si ce n'est pas justement ce dommage que répare une autre femme, si ce n'est pas cette blessure faite à autrui que ta propre épouse est chargé de panser. L'opérateur peut l'ignorer lui-même ; mais le médecin, qui est Dieu, le sait bien. C'est lui qui s'est armé de cet instrument, comme d'un. fer, contre toi : et de même que le fer ignore la . besogne à laquelle on l'emploie, tandis que le médecin connaît les services que le fer doit rendre : ainsi, quand la femme qui frappe et l'homme qui est frappé ignoraient tous deux la raison du coup porté, Dieu du moins, en sa qualité de médecin, en connaît l'utilité. Or, qu'une méchante femme est une tribulation infligée au péché, c'est encore la sainte Ecriture qui l'atteste. Ecoutez ses paroles: " Une femme méchante sera donnée au pécheur:" amer antidote, destiné à expulser le résidu des péchés. Maintenant qu'on peut être en butte aux complots de ses enfants, en expiation de ses fautes, c'est ce que montre l'exemple de David, attaqué par son fils Absalon, ainsi que nous l'avons fait voir plus haut , à cause d'un commerce illicite. Que la guerre entre; frères peut aussi provenir des péchés, le livre des juges en est la preuve. En effet, lorsque ceux de la tribu de Benjamin eurent fait violence à la concubine du voyageur, et que celle-ci eut succombé à leurs excès, les onze autres tribus firent la guerre à celle-là; et lorsque les onze tribus eurent abandonné Dieu, et se furent abandonnées à la fornication de l'idolâtrie, elles furent vaincues toutes ensemble pare la douzième, si bien que parmi plusieurs défaites elles ne comptèrent qu'une victoire et frères combattirent contre frères, après que . Dieu, par suite de leurs péchés, eut ôté la cloison que le péché avait élevée entre eux. En effet, l'une des tribus ayant commis la fornication sur la personne d'une femme, et l'autre, étant tombée dans la fornication de l'idolâtrie, les uns et les autres furent exterminés par Dieu, ainsi qu'il est écrit : " Tu as exterminé tous ceux qui t'ont quitté pour la fornication. " (Ps. LXXII, 27.) En sorte que le (525) péché arma frères contre frères. Si tu as des frères qui te font la guerre, plutôt que de les accuser par tes plaintes, sonde ta propre conscience, et cherche quel est le péché qui t'a valu leur inimitié. Ce n'est pas que le péché soit toujours la cause dé ces haines paternelles Joseph eut ses frères pour ennemis, sans l'avoir aucunement mérité : et Job de même fut en butte aux perfidies de sa femme sans y avoir donné lieu par aucune faute : je dis seulement que la plupart d'entre nous s'attirent par leurs péchés l'inimitié des leurs. On voit même des amis changés en ennemis par l'effet du péché, de vieilles affections transformées en haine et en aversion, par la volonté de Dieu et pour des raisons à lui connues. C'est ainsi que dans le psaume cent quatrième il est écrit au sujet des Egyptiens : " Il changea leur coeur afin qu'ils prissent en haine son peuple. " (Ps. CIV, 25.) Dieu n'aurait point provoqué cette haine, si tout d'abord l'amitié avait été vertueuse. Ceux pour qui l'amitié est un principe de perte, ceux-là trouvent dans la haine une occasion de sagesse. Il y a plus : les êtres même qui vivent dans la servitude et la sujétion ont été souvent induits en révolte contre leurs maîtres par les péchés de ceux-ci. Voyez Adam avant son péché : les animaux sont ses serviteurs et ses subordonnés, des esclaves qu'il nomme à sa guise. Mais après que le péché l'eut défiguré, les animaux cessèrent de le reconnaître, et ses esclaves d'autrefois devinrent ses ennemis. Et de même que le chien du logis sert fidèlement la personne qui le nourrit, la craint, la respecte, et. pourtant, si elle vient à la voir barbouillée de suie, ou masquée d'un visage d'emprunt, fond sur elle comme sur un étranger, et veut la mettre en pièces ainsi tant qu'Adam conserva pure sa face faite à l'image de Dieu, il conserva l'obéissance et le respect des animaux : mais une fois que la désobéissance eut souillé son visage, ils ne reconnaissaient plus leur maître, et lui étaient hostiles comme à un étranger. On voit que la révolte des esclaves peut être aussi la punition des péchés du maître. C'était un juste que Daniel, et les lions reconnurent sa domination; ils le virent exempt de péché, ils le laissèrent aller exempt de punition. Un prophète avait commis le péché de mensonge : il rencontra un lion, qui lui ôta la vie. (III Rois, XIII, 24.) C'est qu'il était barbouillé de mensonge; le lion ne le reconnut pas. S'il avait aperçu un prophète pareil à Daniel, il lui aurait rendu hommage : il ne trouva qu'un faux prophète, et il lui courut sus, comme à un étranger. Le maître avait menti : son autorité fut reniée par son esclave. Mais pourquoi parler des malheurs domestiques, quand notre corps lui-même, notre corps, c'est-à-dire ce que nous avons de plus intime et de plus cher, nous fait quelquefois la guerre quand nous sommes en faute, et s'arme contre nous de fièvres, de maladies, d'infirmités; quand cet humble esclave flagelle aussi sa souveraine, l'âme, du moment qu'elle est pécheresse, non pas de son propre mouvement, mais en vertu d'un ordre qu'il doit exécuter? Témoin le Christ, disant au paralytique guéri : " Te voilà en santé, ne pèche plus, afin que rien de pire ne t'advienne. (Jean, V, 14.) " Bien convaincus par conséquent, mes frères, que les guerres domestiques, les dissensions entre parents, les révoltes d'esclaves, que les maladies du corps sont généralement des fruits du péché, fermons cette source de maux, le péché, et si les torrents des passions n'inondent point notre âme, les eaux de la pluie céleste y porteront assez de joie. Donc, lorsque David eut, pour ainsi dire, usurpé la femme d'autrui (n'est-ce pas en effet une royauté pour tout homme que la tendresse d'une épouse? un roi tient-il plus à la pourpre et au diadème, qu'un mari ne tient à sa femme ?), en punition de ce crime , le fils qu'il avait de sa femme, à lui, devint rebelle et usurpateur , et tenta d'arracher le trône à son père. Il avait pris par force, il fut dépossédé par force; il avait péché secrètement, il triompha de lui au grand jour; il s'était blessé dans l'ombre, il fut opéré sous les yeux de tous, par la volonté du Dieu qui lui avait dit : " Tu as agi en secret : moi, j'agirai au grand jour et à la face du soleil que voilà. " (II Rois, XII, 12.) Néanmoins l'attentat d'Absalon n'aboutit pas, comme de juste sans cela les fils dénaturés se seraient crus par cet exemple autorisés au parricide. Il avait fait l'office de bourreau; il subit le supplice des coupables; et comme les bêtes qu'on lâche dans les théâtres se jettent sur l'un et sont tuées par l'autre; ainsi Absalon qui avait attaqué David périt sous les coups de Joab, et demeura suspendu au haut d'un arbre, lui, soulevé contre son père; une plante arrêta ce rameau en guerre avec sa souche; un rejeton tint enchaîné ce rejeton détaché de l’amour (526) de sa tige; par la tête était retenu celui qui voulait prendre la tête de son père; comme un fruit, pendait à l'arbre l'assassin de celui qui avait enfoui le germe de son être; et son coeur servait de but aux flèches, en sorte qu'il fut victime à l'endroit même où il avait projeté d'être meurtrier.

Alors s'offrait aux yeux un spectacle étrange. Comme il était monté sur un mulet, sa chevelure demeura prise dans la chevelure de l'arbre (1); si bien qu'une chevelure retenait l'usurpateur par une autre chevelure, meurtrissant cet endroit même où il avait entrepris de placer le diadème paternel. On pouvait donc voir Absalon suspendu entre le ciel et la terre; le ciel se refusait à l'accueillir; en effet, s'il avait rejeté le premier rebelle dans la personne du diable, comment ce nouveau rebelle aurait-il pu y avoir accès? La terre le repoussait également, pour ne pas se laisser souiller par les pieds d'un parricide; car, si elle avait englouti Dathan coupable d'avoir parlé contre Moïse, si elle ouvrit la bouche pour dévorer celui qui avait ouvert la bouche pour médire, comment aurait-elle consenti à porter un homme qui courait attaquer son père. -Comme il était donc suspendu au haut de l'arbre, survint Joab, le généralissime, qui planta trois flèches dans le cœur de cet enfant sans coeur, frappant juste au réceptacle de son iniquité; et, faisant allusion à l'arbre où le rebelle était resté suspendu, David célébra sa mort dans ce beau chant funèbre : " J'ai vu l'impie extrêmement élevé, et qui égalait en hauteur les cèdres du Liban. J'ai passé: il n'était plus. " (Ps. XXXVI, 35.) " Psaume pour David, lorsqu'il fuyait

1 Il n'est pas à propos de faire remarquer ici qu'un bon nombre de ces métaphores étaient plus familières aux Grecs quelles ne le sont aux modernes, et particulièrement aux Français.

devant son fils Absalon. " Il fuyait, non comme un peureux, mais pour sauver les jours de son fils; car si, pour son compte, il l'épargnait en père, ses compagnons n'auraient pas fait grâce à un révolté. Voilà, pourquoi David, poursuivi par son fils, et en butte, par suite, aux injures de Séméi, persévéra pour sa part dans sa longanimité; mais comme beaucoup de gens s'en armaient contre lui, principalement les complices d'Absalon, et s'enhardissaient, le croyant abandonné de la Providence (David est seul maintenant, disaient-ils, privé de tout secours, Dieu s'est détourné de lui comme autrefois de Saül; jadis il a quitté Saül pour David, il abandonne maintenant David pour Absalon; soulevons-nous, attaquons-le, il n'a point de recours en Dieu), David, plus affligé de ces propos que des égarements de son fils, consulte le Seigneur : " Seigneur, pourquoi mes persécuteurs se sont-ils multipliés? " Je suis circonvenu par les tentations, débordé par le torrent de l'infortune, la pluie fatale est tombée, le fleuve de la guerre a fait irruption, le soufflé des mauvais esprits s'est déchaîné, il a ébranlé ma maison, afin d'emporter mon âme loin de vous; mais solidement établi sur la pierre de la foi , je ne tombe point, je me prosterne et vous demande: " Seigneur, pourquoi mes persécuteurs se sont-ils multipliés? " Celui qui vient de moi est contre moi; mais vous êtes, . vous, au-dessus de moi. Mes entrailles me font la guerre; mon peuple suit Absalon , mes soldats s'arment contre moi. Mes brebis sont devenues loups; mes agneaux, lions; mes petits moutons, chiens enragés; mes béliers, taureaux furieux; ce n'est pas pour moi que je m'afflige ; c'est leur perte, à eux, qui cause mes gémissements.
 

 

 

 

 

 

EXPLICATION SUR LE PSAUME IV. " QUAND JE L’INVOQUAIS, IL M’A EXAUCÉ LE DIEU DE MA JUSTICE. "
ANALYSE.

1. Nécessité des bonnes rouvres et tic la justice : définition de ce mot, pris dans son sens le plus large.

2. Suite du même développement. Avantages et facilité de la prière.

3. Condition d'une bonne prière. .bonté de Dieu, manifestée jusque dans les tribulations.

4. Que notre salut est toujours dû à la miséricorde. Ne rien demander qui soit contraire à la Loi.

5. Qu'est-ce que les fils des hommes? Pourquoi dire que leurs coeurs sont appesantis ?

6. Providence de Dieu manifestée par sa conduite à l'égard de ses serviteurs.

7. De la colère légitime.

8. Nécessité de l'examen de conscience et de la componction.

9. Nouvelle démonstration de la Providence : objection vulgaire.

10. Réfutation : que la paix est en l'homme; que la Providence se manifeste d'une manière nouvelle depuis Jésus-Christ.

11. Folie des païens : qu'est-ce que leur Jupiter ?

12. Malheur des méchants, tranquillité des justes ici-bas.

13. Danger des mauvaises fréquentations.

1. Si le Prophète s'exprime ainsi, ce n'est pas seulement pour nous faire savoir qu'il a été exaucé; c'est pour nous montrer comment nous pourrons nous-mêmes, en invoquant Dieu, être exaucés promptement, et obtenir l'objet de notre prière, avant qu'elle soit terminée. — En effet, David ne dit pas : après que je l'eus invoqué, il m'exauça, mais : " Lorsque " je l'invoquais. " — La raison en est que Dieu lui-même prend en quelque sorte cet engagement en disant à celui qui l'invoque: " Quand " tu parleras encore, je dirai: Aie voici. " Car ce n'est point, en général, l'abondance des paroles qui fléchit Dieu, c'est une âme pure, c'est une parure de bonnes actions. Voyez du moins comment il parle aux hommes qui, vivant dans l'iniquité, espèrent le désarmer à force de paroles: " Lorsque vous multiplierez vos prières, je ne vous écouterai point. Lorsque vous étendrez vos mains vers moi, je détournerai mes yeux de vous. " (Isaï. I, 15.) 11 faut donc avant toute chose que celui qui prie soit en crédit, et alors ce qu'il demande ne peut manquer de lui être accordé. Voilà pourquoi le Prophète ne dit pas simplement qu'il a été exaucé, mais bien que sa justice a été exaucée, indiquant par là son crédit auprès de Dieu, et comment ce crédit lui faisait l'escorte toutes les fois qu'il s'approchait du Seigneur. Et qu'on n'aille pas accuser ce langage de jactance. Ce n'est point pour se faire valoir qu'il parle ainsi, c'est pour donner une bonne leçon, un conseil d'une utilité générale et considérable. Il a été exaucé, pourrait-on dire, parce qu'il était David; je ne le serai pas, moi, parce que je ne suis qu'un misérable: mais le Prophète montre que Dieu n'a pas été aveugle en l'exauçant lui-même, et qu'il ne l'est pas davantage quand il repousse vos prières : que dans tous les cas ce sont les actions qu'il s'attache à bien considérer. Si vous avez les vôtres pour avocats, vous serez exaucé sans aucun doute. — Et si ces avocats vous font défaut, quand même vous seriez David, vous ne sauriez (528) fléchir Io Seigneur. De même que les avares ne tiennent aucun compte du rang, ni de rien de pareil, mais considèrent seulement ceux qui ont de l'argent, et se flattent de tout obtenir en s'adressant à eux : ainsi, attendu que Dieu chérit la justice, quiconque se présentera devant lui dans cette société ne s'en ira point les mains vides : et au contraire celui qui n'a point la justice pour compagne, et que souillent les vices contraires, celui-là aura beau prodiguer les invocations, il n'y gagnera rien, parce que les moyens de persuasion lui feront défaut. Ainsi donc, si tu veux réussir en quelque chose auprès de Dieu, il faut t'adjoindre cette alliée avant de te présenter. Mais la justice dont je parle n'est point une vertu particulière, c'est la vertu en général, la vertu complète. C'est de cette façon que Job était juste , lui qui possédait toutes les vertus humaines, et ne s'abstenait point d'un vice pour tomber dans un autre. C'est en ce sens que nous appelons juste une balance égale dans tous les cas, et soit qu'il faille peser de l'or ou du plomb, conservant cette propriété à l'égard de toutes matières. De même encore une mesure juste est celle qui demeure constamment égale. Job était un juste de la même façon, grâce à une égalité parfaite. Car ce n'est pas seulement en fait de richesses qu'il se montrait tel, mais bien en toutes choses : en rien, il ne dépassait la mesure; et l'on ne saurait dire que, fidèle pour ce qui concerne l'argent à cette règle d'égalité, il transgressât la mesure dans ses rapports avec le prochain, en homme arrogant et dédaigneux. En effet, il n'était pas moins soigneux d'éviter cette faute. C'est même ce qui lui faisait dire : " Si j'ai dédaigné d'entrer en jugement avec mon serviteur et avec ma servante, lorsqu'ils disputaient contre moi ou s'ils n'ont pas été comme j'ai été moi-même. " (Job, XXXI, 13.) Donc, c'est encore une très-grande iniquité que d'être vain et superbe.

2. En effet, de même que nous appelons cupide l'homme qui veut s'approprier le bien des autres, au lieu de se contenter de ce qu'il possède : nous nommons arrogant celui qui demande au prochain plus qu'il ne lui est dû, celui qui réserve pour lui seul tous les honneurs, et ne fait aucun cas des autres. Or l'unique principe d'une prétention pareille, c'est l'injustice. Vous allez vous en convaincre. Dieu a créé ton prochain comme toi, tous ses dons sont communs et également répartis entre vous. Comment donc peux-tu l'exclure et le frustrer de la dignité que Dieu lui a conférée, lui refuser le rang de ton associé, t'attribuer tout à toi-même, et l'appauvrir non-seulement d'argent, mais encore de considération? Dieu vous a octroyé même essence; il vous a décerné la même suprématie, vous a façonnés pour être égaux. En effet, la parole " Faisons l'homme " s'applique à toute l'espèce. Comment pouvez-vous donc déposséder cet homme de son patrimoine en le plongeant dans l'humiliation, en vous arrogeant à vous seul une commune propriété? Tel n'était point le saint prophète : aussi pouvait-il dire avec sécurité : " Il a exaucé ma justice. " De même Paul se,donne souvent en spectacle, non par ostentation ni par orgueil, mais pour servir de modèle aux autres : lorsqu'il dit, par exemple : " Je voudrais que tous les hommes vécussent ainsi que moi dans la continence. " (I Cor. VII, 7.) Ainsi David encore, lorsque les circonstances le demandent, ne craint pas, de proposer en exemple son courage, fruit de la grâce divine, en disant qu'il étouffait les, ours et les lions dans ses bras : non qu'il voulût lui-même se glorifier, à Dieu ne plaise, mais afin de s'attirer la confiance par ce moyen.

Mais, dira-t-on peut-être, si je possède la justice, à quoi bon la prière, puisque la justice suffit à tout, et que le dispensateur des biens connaît nos besoins? Je réponds que la , prière est très-propre à fortifier l'amour que nous avons pour Dieu, en ce qu'elle nous donne l'habitude de nous approcher de lui, et nous initie à la sagesse. En effet, si la fréquentation d'un homme éminent produit des fruits précieux, à plus forte raison peut-on dire la même chose d'un commerce assidu avec la Divinité. Mais nous ne connaissons pas assez les avantages de la prière, parce que nous n'y apportons pas assez d'attention, assez d'application à suivre les lois de Dieu. Devons-nous avoir une entrevue avec quelque personne d'un rang supérieur au nôtre, nous avons soin de composer préalablement comme il convient: notre attitude, notre démarche, notre costume, tout enfin ; et quand nous paraissons devant Dieu, c'est en bâillant, en nous grattant, en nous tournant à droite et à gauche, en nous laissant aller. Tandis que nos genoux reposent à terre, notre pensée se promène sur la place (529) publique. Mais si nous nous approchions de lieu avec la piété convenable, et dans l'attitude requise pour un pareil entretien, alors nous reconnaîtrions, même avant d'avoir obtenu l'objet de notre demande, quel fruit nous retirons de là. Un homme qui sait parler à Dieu comme il sied de lui parler n'est plus un homme, c'est un ange, tant son âme est délivrée des chaînes corporelles, tant sa pensée habite une région sublime; tant il s'élève au rang des habitants des cieux; tant il dédaigne les biens charnels : tant il s'approche du trône royal, fût-il pauvre, esclave, obscur, ignorant: Car ce qui plaît à Dieu, ce n'est point le charme du langage; ni l'harmonieux arrangement des paroles, c'est la beauté de l'âme; et si l'âme tient le langage qui lui agrée, le suppliant s'éloigne complètement exaucé. Voyez-vous combien c'est chose facile ? Quand il s'agit de supplier un homme, il faut être éloquent, savoir flatter tous ceux qui entourent le maître, recourir enfin à mille autres expédients pour être accueilli avec faveur. Ici, rien de pareil; il ne faut qu'un esprit attentif, et rien ne nous ferme plus l'accès de la Divinité: " C'est moi, c'est Dieu qui approche, le Seigneur n'est pas loin. " (Jér. XXIII, 23.) En sorte que s'il est éloigné, c'est par notre faute, par lui-même, il est toujours près de nous. Et que dis-je, que nous n'avons pas besoin d'éloquence? Souvent c'est la voix même qui ne nous est pas nécessaire. Parlez à Dieu au fond du coeur, invoquez-le comme il convient, il se hâtera encore de vous exaucer. C'est ainsi qu'il entendit Moïse, ainsi qu'il entendit Anne. Près de lui, point de soldat pour écarter les suppliants, point de satellite, qui leur fasse perdre l'occasion; personne pour dire, en ce moment il est impossible d'avoir audience, revenez plus tard. Dès que vous arrivez, il est là qui vous écoute, que ce soit l'heure du dîner, celle du souper, une heure quelconque de la nuit, sur la place, dans la rue, dans votre chambre, au tribunal où vous assistez le magistrat; invoquez-le, vous voilà exaucé sans obstacle, pourvu que vous l'invoquiez comme il faut. Vous ne sauriez dire: je crains d'approcher, de présenter ma requête mon ennemi est là; cette difficulté même est levée, il ne prête point l'oreille à votre ennemi, il n'interrompt point votre supplication, toujours, sans cesse, vous pouvez l'aborder, rien ne vous en empêche, car vous n'avez pas besoin de recourir à des portiers, à des intendants, à des procureurs; à dés gardes, à des courtisans ; quand vous l'abordez directement vous-même, c'est alors qu'il vous écoute le mieux, oui, dis-je, alors que vous n'aurez invoqué l'assistance de personne.

3. Ainsi donc, pour le fléchir, aucune entremise ne vaut notre sollicitation immédiate. Désirant notre amour, jaloux de nous inspirer; par tous les moyens, une ferme confiance en lui, il n'est jamais plus disposé à nous satisfaire, que lorsqu'il nous voit ne recourir qu'à nous-mêmes: C'est ce que montre l'exemple de la Chananéenne. Pierre et Jacques lui avaient parlé pour elle inutilement : elle persévérait, il exauça promptement sa prière. En effet, le court délai qu'il parut lui faire subir n'avait pas pour objet de la faire languir, mais de lui procurer une plus belle couronne, et dé s'assurer par un plus long usage la possession de son attachement. Appliquons-nous donc, nous aussi, à entrer en rapport avec Dieu : apprenons quelles sont les règles de ce commerce. — Il n'est pas besoin d'aller à l'école, de dépenser de l'argent, de payer des maîtres, des rhéteurs, des sophistes, de perdre beaucoup de temps à se pénétrer des préceptes de l'éloquence, il suffit de vouloir, et l'on est artiste consommé : sans compter que ce n'est pas seulement pour vous-mêmes, mais pour beaucoup d'autres encore, que vous pourrez parler devant ce tribunal. Et quel doit être l'objet de votre étude? C'est d'apprendre à prier.

S'approcher de Dieu avec un esprit attentif, un coeur contrit; des yeux inondés de. larmes; ne rien demander de terrestre, désirer exclusivement les biens de l'autre vie; solliciter les avantages spirituels , ne pas souhaiter de mal à ses ennemis, ne montrer du ressentiment contre personne , bannir de son âme toute passion, être pénétré de componction, s'humilier, s'exercer à une douceur parfaite , surveiller sa langue, ne prendre part à aucune action coupable, rester pur de toute complicité avec l'ennemi commun de l'univers, je veux dire le diable : voilà les conditions pour obtenir audience. Les lois humaines elles-mêmes punissent celui qui parle à un roi pour autrui, tout. en s'entendant avec les ennemis de ce monarque. Et vous pareillement, si vous voulez plaider et votre cause et celle d'autrui, songez avant tout à n'avoir rien de commun avec le commun ennemi du monde. A cette condition, vous serez juste; et (529) si vous êtes juste, vous serez exaucé, grâce à l'avocat qui défendra votre cause : " Lorsque j'étais dans la tribulation, vous m'avez mis au large. " Il ne dit pas : " Vous avez écarté les tribulations, " ni " Vous avez fait disparaître les tentations, " mais, vous m'avez laissé debout, et " vous m'avez mis au large. " — En effet, l'adresse et l'industrie de Dieu éclatent particulièrement en cela, non-seulement qu'il éloigne les tribulations, mais encore qu'il les rend très-faciles à supporter, lors même qu'elles persistent. — C'est une chose propre à montrer la puissance de Dieu, et à rendre plus forts ceux qui sont éprouvés, que cette consolation de se sentir au large accordée à l'âme en détresse, sans que la détresse pour cela cesse d'étreindre l'âme et de la guérir ainsi du relâchement et de la négligence. Et comment, dira-t-on, au sein de la détresse peut-on être mis au large? Voyez la fournaise des trois jeunes gens, voyez la fosse aux lions. Dieu n'éteignit pas la flamme afin de mettre les jeunes gens au large; il ne tua pas les lions pour rendre à Daniel la sécurité. Jusqu'au milieu de la fournaise et au plus fort de l'embrasement, jusqu'en présence des bêtes féroces, les justes se sentaient parfaitement à l'aise. Cette expression : mettre au large, convient encore dans une autre occurrence : c'est lorsque l'âme, grâce aux tentations qui l'assiégent, est guérie de ses passions et des maux nombreux auxquels elle est exposée : jamais elle n'est plus à l'aise que dans ce dernier cas. En effet, beaucoup d'hommes, au sein d'une prospérité durable, éprouvent des appétits coupables, funestes à leur âme, pour l'argent, la chair, ou autres indignes objets : mais dès qu'ils viennent à tomber dans l'affliction, les voilà délivrés de cette oppression . ils sont au large. Ainsi, les malades consumés de la fièvre, tant qu'ils s'abandonnent aux voluptés qui leur sont interdites, j'entends celles de la table, de la boisson et autres pareilles, se trouvent de plus en plus gênés : tandis que s'ils se résignent à se faire quelque violence, ils retrouvent leurs aises, et, débarrassés de ce qui les étouffait, jouissent désormais d'une santé parfaite : rien ne nous repose comme une affliction qui nous retire des soucis du monde. Considérez plutôt les Juifs : voyez ce qu'ils furent dans les tribulations, ce qu'ils furent dans la prospérité? N'est-ce pas le fait d'une âne en proie à la fièvre, au délire, à l'agitation que de dire : " Fais-nous des dieux qui marchent devant nous; car pour ce qui est de Moïse, cet homme qui nous a tirés de l'Egypte, nous ne savons ce qui lui est arrivé. " (Exod. XXXII,1.) Et au contraire, ne reconnaît-on pas des âmes éprises de la sagesse et reposées des passions mondaines, dans cette fervente prière par laquelle, au sein de leur affliction, ils attirèrent sur eux la faveur divine? Et le Prophète lui-même, alors qu'il vivait en paix, quelle oppression ne lui firent pas subir les cruelles étreintes de la passion? Au contraire, une fois dans l'affliction, vous savez comment il y trouva le soulagement. Le feu ne le brûlait plus, toute sa flamme était dès lors éteinte. Car rien ne cause tribulation pareille à celle que font éprouver à l'âme les assauts des passions : les unes l'attaquent par le dehors, les autres se soulèvent au dedans, ce qui ;est le comble de la tribulation. Et quand le monde nous persécuterait , si nous ne nous persécutons pas nous-mêmes, il n'y aura point de malheurs pour nous. Donc, il dépend de nous d'être dans l'affliction ou de n'y pas être.

4. C'est maintenant la voix d'un apôtre qui va vous révéler à quel point l'affliction nous met à l'aise; écoutez saint Paul nous déclarer lui-même quel est le fruit des tribulations

" La tribulation produit la patience; la patience, l'épreuve; et l'épreuve, l'espérance; or l'espérance ne confond point. " (Rome V, 3, 5.) Voyez-vous quel espace ouvert, voyez-vous quel port de contentement? " La tribulation, dit-il, produit la patience. " En effet, quoi de plus tranquille qu'un homme courageux, qui sait tout supporter sans peine? quoi de plus fort qu'un homme éprouvé? et quoi de comparable au plaisir qui résulte de là? Ce sont trois plaisirs qu'il nous promet à la suite des tribulations, la patience, l'épreuve, et l'espérance des biens à venir. C'est à quoi songeait le Prophète en disant : " Dans la détresse vous m'avez mis au large. " Il vient de dire : Dieu m'a exaucé : il dit maintenant de quelle façon. Ce n'est pas en l'enrichissant David ne désirait rien de pareil; ni en lui soumettant ses ennemis; ce n'est pas là non plus ce que demandait David : c'est en le soulageant au milieu de sa détresse. " Ayez pitié " de moi, et exaucez ma prière. " Qu'est-ce à dire? Tu parles plus haut de ta justice, ici ,de compassion et de miséricorde : comment ces (531) choses peuvent-elles s'accorder? Parfaitement, et la liaison est étroite. Quelle que puisse être multitude de nos bonnes oeuvres, c'est tou jours par un effet de miséricorde et de bonté que nous sommes entendus. Fussions-nous montés au faîte de la vertu, c'est toujours la pitié qui nous sauve. Ce passage nous fait voir qu'à la justice il faut nécessairement joindre un coeur contrit. Qu'un pécheur prie avec humilité, ce qui n'est qu'une partie de la vertu : il peut tout obtenir. Qu'un juste, au contraire, s'approche de Dieu avec présomption, il perd tous ses avantages. C'est ce que prouvent les deux exemples du publicain et du pharisien. Il faut donc apprendre à prier. Mais quelle est la méthode? Demandez-la au publicain, et ne rougissez pas de le prendre pour maître, lui ' qui la pratiqua assez bien pour tout, obtenir avec de simples paroles. Attendu que sa pensée était bien préparée, un mot suffit, un seul pour lui ouvrir le ciel. Mais en quoi consistait cette préparation ? Il s'humiliait, il se frappait la poitrine, il craignait de lever les yeux au ciel. Priez de même, et votre prière s'envolera plus légère que la plume. En effet, si un pécheur fut justifié par sa prière, songez combien grandirait un juste, qui saurait présenter une pareille requête. Voilà pourquoi, en ce passage, au lieu de se nommer lui-même, David parle de sa prière. Il dit : Ma prière, comme plus haut il disait : Ma justice : " Ayez pitié de moi, et exaucez ma prière. " Corneille aussi fut exaucé de la même façon, grâce au même avocat. " Tes prières et tes aumônes, est-il écrit, sont montées en présence de Dieu. " (Act. X, 4.) Parfaitement, les actions, les bonnes oeuvres sont entendues : quant aux prières, celles-là seulement sont écoutées qui sont conformes à la loi divine. Et quelles sont ces prières? Celles qui demandent à Dieu ce qu'il lui sied de donner, celles qui ne sollicitent pas de lui des faveurs contraires à ses lois.

Mais, dira-t-on, y a-t-il un homme assez téméraire pour prier Dieu d'agir contrairement à ses propres lois? Je réponds : Celui qui l'invoque contre ses ennemis, car ceci est contre la loi qu'il a établie. C'est lui-même qui a dit : " Remettez à vos débiteurs. " Et toi, tu sollicites contre tes ennemis l'assistance de Celui qui te prescrit le pardon ? Quoi de pire qu'une telle démence? Celui qui prie doit avoir la posture, les dispositions, les sentiments d'un suppliant ? Pourquoi donc t'affubler de cet autre masque, celui d'un accusateur? Comment pourras-tu obtenir le pardon de tes propres péchés, si tu appelles la vengeance de Dieu sur les prévarications d'autrui ? Il faut donc que la prière soit douce, paisible, sereine et tendre; telle est, en effet, celle d'une âme charitable qui ne souhaite pas de mal à ses ennemis; quant à l'autre prière, elle ressemble à une femme ivre et folle, sordide et furieuse. — Aussi le ciel lui reste-t-il fermé. C'est tout le contraire de la prière faite dans un esprit d'humanité : celle-ci retentit comme un son clair, pénétrant, mélodieux, harmonieux, mesuré, digne de l'ouïe des rois. — Aussi n'est-elle point exclue de la scène et s'en va-t-elle couronnée; sa lyre est d'or, l'or brille sur ses vêtements. Elle charme son juge, à la fois par son attitude, par ses regards, par sa voix, et personne ne la repousse du seuil de la voûte céleste. — Car elle ravit de joie toute l'assistance. — Telle est la prière digne des cieux : elle est pareille à la voix des anges, ne proférant que de douces paroles; quand on la présente en formant des vœux pour ses persécuteurs, pour d'injustes ennemis, alors les anges mêmes sont là, qui écoutent en silence ; et lorsqu'elle est terminée, ils ne cessent de la saluer d'applaudissements , d'éloges , d'acclamations. Offrons donc, nous aussi, pareille prière, et quoi qu'il arrive, nous serons exaucés. Et lorsque nous nous approchons de Dieu, ne croyons point avoir pour spectateur le public que vous voyez, mais un public rassemblé dans tout l'univers, et plutôt encore parmi les habitants de la cité d'en-haut, et au milieu le Roi lui-même, siégeant pour écouter notre prière. Déployons donc notre talent. Qu'il n'y ait pas un joueur de lyre ou de cithare aussi inquiet au moment d'entrer en scène, aussi agité dans sa crainte de chanter faux, que nous , lorsque nous nous préparons à paraître devant ce public d'anges, que l'archet de notre langue ne fasse entendre aucun son discordant; que tout soit harmonieux, cadencé, réglé par la sagesse : admis en présence de Dieu, suppliants, prosternés, faisons vibrer la corde au profit de nos ennemis : c'est le moyen d'être exaucés en ce qui nous regarde nous-mêmes.

5. Telle est la prière qui confond les démons, la prière qui nous met nous-mêmes en crédit, la prière qui confond le diable et le met en (532) fuite. Car le démon n'a pas autant peur de l'homme qui le chasse en exorcisant un autre homme, que de celui qui est maître de sa propre colère, vainqueur de son courroux; car cette passion même est un terrible démon, et, plus que les démoniaques, il faut plaindre ceux qui y sont en proie. En effet, les possédés ne tombent pas nécessairement dans l'enfer; tandis que la colère et la rancune nous font déchoir du royaume des cieux. Si nous réglons ainsi notre prière, nous pourrons, nous aussi, dire à Dieu en toute confiance : " Exaucez ma prière. " De cette manière, non-seulement nous nous rendrons service, nous nous perfectionnerons par notre prière, mais encore nous réjouirons l'oreille de Dieu en lui adressant une demande conforme à ses préceptes; ce qui le disposera à nous tout accorder. Voilà le moyen de reconnaître notre adoption, voilà ce qui montre le mieux le caractère qu'elle nous a conféré. " Soyez miséricordieux, n’est-il écrit, " comme votre Père qui est dans les cieux. " (Luc, VI, 36.) Et ailleurs : " Priez pour ceux qui vous persécutent, afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux. " (Matth. V, 44.) Que peut-on donc comparer à cette prière? Elle nous rend semblables non aux anges, ni aux archanges,, mais au Roi lui-même. Or, celui qui est devenu semblable au Roi dans la mesure du possible, songez quel crédit trouveront ses prières. " Fils des hommes, jusques à quand votre cœur sera-t-il appesanti? Pourquoi chérissez-vous la vanité, et cherchez-vous le mensonge? " A qui s'adressent ces paroles, sur qui tombe ce reproche, à qui est donné ce conseil? :Qui sont ces fils des hommes? Ce sont ceux qui vivent dans le péché, ceux qui sont enclins au vice. Eh quoi. donc? Nous-mêmes, ne sommes-nous pas fils des hommes? Oui, par la nature, mais par la grâce, c'est différent, nous sommes fils de Dieu. Si donc, nous conservons la ressemblance que nous donne avec lui la vertu, le présent qui nous a été fait demeurera intact; en effet, ceux que la grâce a rendus fils de Dieu, doivent montrer dans leur conduite le signe de leur naissance. Mais la preuve qu'il appelle fils des hommes les mondains; les hommes adonnés au vice, elle est dans cette parole : " Les fils de Dieu ayant vu les filles des hommes. " Eh bien ! dira-t-on, c’est justement le contraire de ce que vous avez dit ; nullement, il appelle fils de Dieu ceux qui d'abord, issus d'hommes vertueux, honorés du Seigneur, avaient ensuite dégénéré, s'étaient pervertis, étaient déchus de leur rang. C'est pour rendre plus terrible l’accusation portée contre eux, qu'il fait mention de leur dignité, montrant quel grief résulte de ce que ni leurs qualités ni leur naissance ne les avait préservés d'une pareille chute. Ailleurs, Dieu parle ainsi : " J'ai dit, vous êtes dieux et fils du Très-Haut tous tant que vous êtes. Mais vous mourrez comme des hommes. " (Ps. LXXXI, 67.) Considérez ici la sagesse du Prophète. Il vient de montrer la puissance de Dieu, son inépuisable industrie, sa bonté, sa charité, comment il met au large les affligés, comment il nous exauce dans sa miséricorde, après cela, réfléchissant aux vices répandus parmi les hommes, à la tyrannie de l'impiété, comme étouffé par la douleur, il se met à parler de ceux qui vivent dans l'iniquité, c'est à peu près comme s'il disait : Vous qui avez un Dieu pareil, si bon, si charitable, si puissant comment vous êtes-vous abandonnés à l'impiété? Et voyez quelle douceur, quelle sagesse tempère le courroux dans ce conseil. Que dit-il, en effet? "Fils des hommes, jusques à quand vos coeurs seront-ils appesantis? " Voilà le langage d'une sévérité contenue depuis longtemps. En effet, si l'on est répréhensible pour avoir eu les yeux fermés tout d'abord à la bonté divine, quelle excuse reste-t-il à celui que la vérité a trouvé aveugle si longtemps? Qu'est-ce à dire : vos coeurs appesantis? Cela signifie des coeurs grossiers; charnels, attachés à la terre, épris du vice, adonnés à l'iniquité, engourdis dans les voluptés; car tel est l'homme charnel. Et le Prophète en accusant leur vie, indique la source de leur impiété, en montrant que c'est cela surtout qui les empêche de s'élever jusqu'aux dogmes de la sublime sagesse. Car rien n'appesantit le cœur comme la concupiscence, comme l'affection pour les choses mondaines, comme l'attachement à la terre: On ne se tromperait point en appelant un cœur pareil cœur de boue; delà l'expression: " Coeur appesanti. " Et, suivant David, la cause du mal, c'est qu'une telle âme, bien loin de contenir au moyen des rênes le coursier qu'elle est chargée de conduire, se laisse, au contraire, entraîner par lui; c'est que, au lieu de donner. des ailes à la chair, de l'élever au-dessus du monde, et jusque. dans le ciel, elle se laisse elle-même précipiter à (533) terre sous le poids des infirmités qui la surchargent. Avec un cocher pareil, avec un tel pilote, quel espoir de salut reste-t-il? " Si la lumière qui est en toi est, obscurité, " est-il écrit, " qu'est-ce donc que l'obscurité ? " Quand le pilote est en état d'ivresse, quand sa contenance est plus désordonnée que les flots, que les vents, sur quoi compter pour sauver le navire ?

6. Comment donc alléger son âme? Par une vie exemplaire, indifférente à tous ces biens fragiles, par le soin de ne pas embarrasser sa marche d'entraves lourdes et alourdissantes. Parmi les corps, il en est qui tendent vers la terre, comme les pierres, le bois, et autres choses de ce genre; d'autres s'élèvent comme le feu, l'air et la plume légère. Si vous attachez à une chose légère quelqu'un de ces autres objets pesants, ni plume, ni air ne conservent leurs propriétés, attendu que la pesanteur faisant plus qu'équilibre, en triomphe et les détruit. De même, si l'on a les pieds alourdis par des humeurs ou quelque maladie, il ne sert de rien que le reste du corps soit léger. S'il en est ainsi des corps, à plus forte raison des coeurs. Prenons donc garde d'alourdir le nôtre, si nous ne voulons pas que, pareils aux esquifs surchargés de lest, ils ne soient engloutis. Cela dépend de nous. Car ce n'est point la nature qui les a faits pesants; le coeur, de sa nature, est chose légère et faite pour s'élever; c'est nous qui le rendons pesant, en dépit de la nature. De là le reproche du Prophète: si cette infirmité eût été naturelle, il n'en aurait pas fait un sujet de blâme. De même que la nature nous a créés pour marcher, et que néanmoins si nos jambes sont alourdies, la nature est contrariée et paralysée par cette entrave; la même chose arrive pour les pieds de. notre intelligence , je veux dire pour nos pensées. " Pourquoi chérissez-vous la vanité, et cherchez-vous le mensonge? " Il me semble qu'ici il a en vue à la fois l'idolâtrie et la vie des méchants. En effet, par vanité, il entend le vide, c'est-à-dire le nom sans la chose. C'est ainsi que les païens ont plusieurs dieux, de nom, et en fait, n'en ont aucun. De même pour le reste; la richesse est un nom, et rien de plus; la gloire, un nom, la puissance, un nom et rien qu'un nom. Quel est donc l'homme assez insensé pour s'attacher à des noms sans réalité, à des fantômes qu'il faudrait fuir? Car les joies, les prospérités de la vie, qu'est-ce autre chose? Tout cela n'est-il pas leurre et mensonge? Que vous nommiez la gloire, ou l'argent ou la puissance, tout est vanité. De là ces paroles de l’Ecclésiaste : " Vanité des vanités, tout est vanité. " (Ecclés. V, 2.) Aussi le Prophète gémit-il de :voir tant de déraison dans notre vie. Pareil à un homme qui voyant, quelqu'un fuir la lumière et chercher les ténèbres, lui dirait : Pourquoi fais-tu cette folie? de même le Prophète nous demande

" Pourquoi chérissez-vous la vanité, et cherchez-vous le mensonge? ( 4. ) Et reconnaissez que le Seigneur a couvert son Saint d'une gloire admirable. " Un autre interprète dit : " Mais reconnaissez. "

Voyez-vous la sagesse du Prophète ? D'où part-il pour les amener à la connaissance de Dieu? Son point de départ est des plus manifestes, sa méthode, des plus claires; il se propose lui-même en exemple.. Je suis serviteur du vrai Dieu, dit-il, apprenez donc par moi à connaître sa puissance, son pouvoir, sa sollicitude. En effet, c'est là un argument d'importance pour nous amener à la connaissance de Dieu. Le Prophète se fonde sur la considération des créatures, lorsque pour démontrer la divine Providence, il promène sa vue du soleil et du ciel, à l'air et à la terre, et part de l'ordre qui règne dans les choses visibles pour glorifier le Créateur, il tire aussi une preuve des serviteurs de Dieu et des événements accomplis par son bras, ce dont l'histoire d'Abraham fournit un exemple. " Nous savons, " lui disait-on, " que Dieu vous a envoyé pour régner sur nous. " (Gen. XXIII, 6.) Et comment le savez-vous ? Par ses victoires, ses trophées, ses guerres. La même chose arriva aussi pour les Juifs. Les prodiges accomplis en leur faveur ont rempli toute la terre d'épouvante. De là ces paroles de la prostituée de Jéricho : " la terreur de votre nom a fondu sur nous. " (Jos. II, 9.) Il y a donc un premier argument, celui que fournit la création; un second plus décisif, celui qu'offrent les serviteurs de Dieu ; et tel est l'enseignement que Dieu n'a cessé de répandre d'en-haut à chaque génération. Il instruisit les Egyptiens par Abraham, les Perses (1) par le même patriarche, les Ismaélites et bien d'autres par ses descendants, d'autres enfin, les Mésopotamiens , par Jacob. Ainsi vous venez de voir toute la terre instruite (ou

1 Ailleurs, saint Chrysostome appelle ainsi le peuple voisin d'Abraham quand ce patriarche habitait Gérare.

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du moins il ne tint qu'à elle de l'être) par les saints? Et même avant cela le déluge, la confusion des langues, avaient été propres à ouvrir les yeux des hommes. Car, afin que le temps ne fit pas tomber dans l'oubli ce dernier événement, l'endroit prit le nom de Babylone en souvenir de la confusion des langues : de telle manière que ce nom servît de guide pour remonter au principe des faits, et apprendre - à connaître la puissance de Dieu. Par là, les habitants de l'Occident eux-mêmes furent tous informés de tout parles propos des marchands égyptiens. D'ailleurs à l'origine , cette partie du monde n'était pas fort peuplée : les hommes étaient ramassés en grand nombre dans les contrées de l'Orient, c'est de là qu'Adam était sorti, c'est là que vécurent les races issues de Noé, même après Babel. Elles demeurèrent aux mêmes lieux et habitèrent surtout l'Orient. Ce qui n'empêcha point qu'à chaque génération, Dieu ne leur donnât de nouveaux instituteurs. Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Melchisédech. Voilà pourquoi notre prophète se sert des choses arrivées aux saints, pour ramener ceux qui vivent dans l'iniquité, en disant : " Reconnaissez que le Seigneur a couvert son saint d'une gloire admirable. " Qu'est-ce à dire? Cela signifie qu'il a rendu vénérable, glorieux, illustre, auguste, celui qui s'est consacré à lui. Apprenons donc, en considérant le serviteur et son histoire, quelle est la puissance du Maître. David ne se borne pas à dire : Il lui a fait du bien, il dit : " Il l'a couvert d'une gloire admirable, " faisant entendre qu'il se montra envers lui prodigieusement, miraculeusement prodigue. Ainsi arriva-t-il pour Abraham. Non-seulement il lui donna une épouse vierge, mais encore il le rendit digne d'admiration : et son bienfait ne consista point seulement à le préserver de tout mal, mais encore à le faire briller en Egypte d'un grand éclat. Une de ces faveurs, celle d'être affranchi de toute incommodité, Abraham la dut à sa justice : l'autre lui fut accordée pour le bien d'autrui, je parle de son retour miraculeux. La même chose arriva pour les trois jeunes gens, la même chose pour les lions, pour la baleine et Jonas; partout Dieu sauve miraculeusement non pas tous indistinctement, mais le juste.

7. Vous avez vu comment, outre la connaissance de Dieu, il nous prescrit encore une vie pure, nous enseignant par là à fonder l'espoir de notre salut non-seulement sûr la bonté de

Dieu, mais encore sur le mérite de nos propres actions? " Le Seigneur m'exaucera quand je crierai vers lui. " Il vient de dire que le Seigneur l'a rendu admirable : il ne s'en tient pas là et indique une nouvelle espèce de félicité. Laquelle donc ? C'est d'avoir Dieu constamment pour allié, pour auxiliaire, de trouver en lui un appui permanent. En effet ce n'est pas une, deux, trois fois, c'est constamment qu'il nous secourt, dit-il, c'est toutes les fois que , nous l'invoquons; et voyez ici encore cette promptitude. Il disait plus haut : " Quand je l'invoquais, il m'a exaucé, le Dieu de ma justice : " et de même ici: quand je crierai vers lui.

Mais dira-t-on, comment se fait-il que tant de gens ne soient pas exaucés? c'est qu'ils de-. mandent des choses qu'il ne leur serait pas avantageux d'obtenir. Alors, en effet, mieux vaut n'être pas entendu que de l'être. Par conséquent, même exaucés, ne nous hâtons pas de nous réjouir; même non exaucés, ne cessons pas de glorifier Dieu. Car, ou bien nous de. mandons des choses qui ne nous sont pas avantageuses : et dans ce cas, c'est un profit pour nous de ne pas les obtenir : ou bien nous demandons négligemment, et alors, en différant ses dons, Dieu nous invite à la persévérance, ce qui n'est pas un mince avantage: " Car si vous savez donner de bonnes choses à vos enfants " (Matth. VII, 11), à plus forts raison notre Dieu, qui sait donner, et quand il faut donner, et quoi donner. Paul même demanda sans obtenir, parce qu'il demandait une chose qui ne lui aurait pas été avantageuse : Moïse pareillement, et Dieu ne l'exauça pas non plus. Gardons-nous donc de renoncer, lorsque nous ne sommes pas entendus, dé nous décourager, de nous endormir : persévérons, au contraire, avec constance dans nos sollicitations. Car Dieu fait tout selon qu'il est utile. " Mettez-vous en colère, mais gardez vous de pécher : soyez touchés de componction dans vos lits, sur les choses que vous méditez au fond de vos coeurs. " (5.) Ce qui j'ai dit plus haut, je le répète en cet endroit: Voulant les amener à la connaissance de Dieu, il délivre leur âme de ses infirmités. Car il sait qu'une vie corrompue est un obstacle à la parfaite intelligence des dogmes sublimes. Paul fait allusion à la même chose en disant : " Je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes (535) charnels. " (I Cor. III, 1.) Et encore : " Comme de petits enfants en Jésus-Christ, je vous ai abreuvés de lait, mais je ne vous ai point donné à manger. " (Ib. V, 2.) Et ailleurs : " Là-dessus nous aurions beaucoup de choses à dire, et difficiles à expliquer, parce que vous êtes devenus peu capables de les entendre. " (Hébr. V, 11.) Isaïe de même : " Ce peuple me cherche, et désire connaître mes voies, comme un peuple qui aurait agi selon la justice, et qui n'aurait point abandonné le jugement de Dieu." (Isaïe, LVIII, 2.) Et Osée : " Semez pour vous dans la justice, allumez le flambeau de la doctrine. " (Osée, X, 12). Et le Christ enseignait ce qui suit : " Quiconque fait le mal hait la lumière, et il ne vient point à la lumière. " (Jean, III, 20.) Et ailleurs " Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez la gloire l'un de l'autre, et ne cherchez point la gloire qui vient de Dieu seul?" (Jean, V, 44.) Ailleurs encore : " Ses parents dirent cela parce qu'ils craignaient les Juifs et pour n'être pas chassés de la synagogue. " (Jean, IX, 22.) Enfin : " Beaucoup crurent en lui, et à cause des pharisiens ne le confessaient pas." (Jean, XII, 42.) Et partout on peut voir que la corruption des moeurs est un empêchement à la pleine connaissance des dogmes. Car, de même que la chassie en s'appliquant sur la pupille transparente de l'oeil obscurcit et trouble la vision, ainsi les pensées mauvaises aveuglent l'intelligence et la remplissent de ténèbres.

Aussi le Prophète, sachant cela, disait-il " Mettez-vous en colère, mais gardez-vous de pécher. " Il ne proscrit pas la colère : elle est bonne à quelque chose; il ne condamne point le courroux : le courroux est utile, quand il a pour objet les hommes injustes et les négligents : il n'interdit que la colère injuste, que le courroux déraisonnable. Et de même que Moïse, passant à la morale, donne ce précepte pour base à sa législation : " Tu ne tueras point " (Exod. XX, 13), ainsi fait le Prophète et il fait plus encore, attendu que les règles dé la piété lui étaient mieux connues. Moïse prohibe le meurtre : le Prophète remonte jusqu'au principe, à la source, à la racine du meurtre, la colère, pour la réprimer. Le Christ disait de même pour réprimer la colère : " Celui qui se met en colère sans raison contre son frère, sera soumis à la géhenne du feu. " (Matth. V, 22.) Partout vous retrouvez la même mesure. " Mettez-vous en colère, mais gardez-vous de pécher. Celui qui se met en colère sans raison : " en effet, il y a aussi de justes colères : la preuve, c'est que Paul lui-même s'est mis en colère contre Etyme, et Pierre contre Saphire, mais à vrai dire ce n'est point ici une colère comme une autre, c'est sagesse, c'est sollicitude, c'est prévoyance. Un père s'irrite contre son fils, mais c'est pour le bien de celui-ci. Celui qui se fâche sans raison, c'est celui qui se venge : au contraire, celui qui redresse les fautes d'autrui, celui-là est le plus charitable des hommes. Ainsi quand Dieu lui-même se met en colère, comme on dit, ce n'est point pour se venger, mais pour nous ramener au bien. Suivons cet exemple. Sévir de la sorte, c'est le fait de Dieu; sévir autrement, c'est le propre des hommes. Mais Dieu ne diffère pas de nous en ce point seulement, que sa colère est juste; de plus cette colère n'a rien chez lui d'une passion. Par conséquent, prenons garde, nous aussi de nous irriter sans raison. Car si la colère a été mise en nous, ce n'est pas pour que nous péchions, mais bien pour que nous empêchions les autres de commettre le péché : ce n'est pas pour qu'elle devienne chez nous une passion, une infirmité, mais pour qu'elle soit un remède aux passions.

8. Jugez donc quel est cet excès de perversité, quand le remède devient poison , quand ce qui devait guérir les plaies d'autrui devient entre nos mains une arme qui blesse. Supposez un homme qui, après avoir pris le fer en main pour amputer à autrui des membres gangrénés, se blesse lui-même étourdiment, et se meurtrisse tout le corps; ou un pilote qui se servirait du gouvernail pour submerger son esquif, au lieu de l'employer à réprimer la fureur désordonnée des vents. — Telle est la colère, instrument utile pour réveiller notre âme dans ses accès de torpeur, pour lui donner de la vigueur, pour nous rendre plus prompts à l’indignation méritée par l'injustice, pour susciter des vengeurs à l'iniquité. — Voilà pourquoi le Prophète dit : " Mettez-vous en colère et gardez-vous de pécher. " Recommandation qu'il ne ferait pas, si elle était inexécutable; car, dans ce cas, on ne prescrit rien. Après cette loi tout apostolique, ce précepte digne de l'Evangile, ces paroles conformes à celles du Christ, il nous donne cet autre avis : " Soyez touchés de componction dans vos lits (536) sur les choses que vous méditez au fond de votre coeur. " Qu'est-ce à dire : il y a ici, ce semble, quelque obscurité. Voici ce qu'il veut dire : Dans le temps qui suit le repas, lorsque vous vous éloignez pour vous coucher et vous livrer au sommeil, que la solitude, que l'absence de toute gêne vous procurent un profond repos, un calme parfait, éveillez le tribunal qui sommeille dans votre conscience, demandez-vous des comptes à vous-mêmes; faites comparaître dans ce moment de loisir tout ce que vous avez conçu dans la journée, de mauvais desseins, tramé d'artifices, tendu de piéges au prochain, accueilli de désirs pervers; mettez en face de votre conscience ces mauvaises pensées, et punissez, déchirez, torturez votre âme pécheresse. Voilà le sens de ce mot : " Soyez touchés de componction; " ou : Faites sentir l'aiguillon à vos secrètes pensées du jour, c'est-à-dire les mauvais desseins que vous avez conçus, châtiez-les, punissez-les dans vos lits à l'heure du repos; quand aucun ami ne vous dérangera, qu'aucun serviteur n'excitera votre courroux , que vous serez libre du tracas des affaires, alors faites le compte de vos actions de la journée. Et pourquoi ne point parler des paroles et des actions, mais uniquement des mauvaises pensées? Ce précepte suppose l'autre. — En effet, s'il faut réprimer les projets coupables afin ,qu'ils ne se réalisent point, à plus forte raison pour les actions et les paroles doit-on soumettre l'âme à la gêne. N'y manquez pas un seul jour, mon cher auditeur, ne vous endormez pas avant d'avoir repassé dans votre esprit vos fautes de la journée : et certainement vous serez moins prompt le lendemain à tomber dans les mêmes fautes; voyez ce que vous faites pour votre argent; vous ne laissez point passer deux jours sans compter avec votre serviteur, tant vous craignez la confusion qui résulte de l'oubli : faites de même chaque jour pour vos actions; le soir, appelez votre âme à rendre ses comptes, prononcez la condamnation contre votre coeur égaré, attachez-le à la croix, mettez-le à la torture, prescrivez-lui de ne pas recommencer. — Voyez-vous comment cette excellente médecine dispose à la fois de préservatifs et de remèdes ? Prescrire de ne pas retomber, c'est en effet, administrer pour ainsi dire, un préservatif ; tel est ce précepte : " Mettez-vous a en colère, et gardez-vous de pécher;" au contraire : " Soyez touchés de componction dans vos lits sur les choses que vous médita au fond de vos coeurs, " voilà un remède. — En effet, la médecine s'applique ici après la faute , à guérir le coupable par lui-même. Pratiquons donc cette médecine qui n'a rien de pénible. Et si ton âme ne peut supporter le souvenir de ses fautes, si la honte, la confusion l'en empêchent, dis-lui : Tu ne gagnes rien à ne pas te souvenir, tu y perds, au contraire; beaucoup. Car, faute de te rappeler à présent tes péchés, tu t'exposes à ce qu'ils soient un jour manifestés à tous les yeux. Au contraire; si tu les repasses maintenant dans ton esprit tu en seras promptement délivré, et tu n'y retomberas point si facilement. En effet, dans l'attente de ce jugement du soir , dans la crainte de retomber sous le coup du même arrêt, d'être encore flagellée et torturée, l'âme sera plus lente à pécher; et tel est l'avantage de cette pratique, qu'il nous suffira de nous adonner un mois durant, pour nous mettre dans l'état de vertu. N'allons donc point négliger un si beau bénéfice. Celui qui aura institué ce tribunal ici-bas, échappera aux durs jugements de là-haut. " Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions point jugés; et lorsque nous sommes jugés, c'est par le Seigneur que nous sommes repris, afin que nous ne soyons pas condamnés avec ce monde. " (I Cor. XI, 31, 32.) — Recourons donc à ce moyen, afin de n'être pas condamnés. " Offrez un sacrifice de justice, et espérez dans le Seigneur. " (Ib. 6.) Voyez-vous comme cet excellent conseil s'enchaîne bien au précédent et le complète? Après nous avoir touchés de componction, nous avoir rendus moins prompts à retomber dans nos péchés, avoir institué cet incorruptible tribunal, nous avoir demandé compte de nos actions, de suite le prophète nous amène à la pratique de la vertu. En effet, il ne suffit point de s'abstenir du mal, il faut joindre à cela la pratique du bien. Delà aussi ce conseil qu'il donne plus loin : " Détourne-toi du mal et fais le bien. " (Ps. XXXIII, 15.) — En effet , on n'est pas puni, uniquement pour faire le mal , on l'est encore pour ne pas pratiquer la vertu. Ceux qui n'ont pas nourri leur prochain quand il était affamé, ne l'ont pas désaltéré quand il avait soif, couvert quand il était nu, ceux-là n'ont ni pillé, ni pris, ni usurpé le bien d'autrui ; c'est pour n'avoir pas fait l'aumône qu'ils sont livrés à l'éternel châtiment, au supplice qui n'aura pas de fin. D'où nous voyons qu'on, ne se sauve point en s'abstenant du vice; à moins d'être en outre riche de vertus et de faire le bien.

9. Voilà pourquoi le Prophète, quand il nous a retirés du vice au moyen de la componction, qu'ils nous a rendus plus aptes à la pratique de la vertu, qu'il a vaincu la dureté de notre âme, qu'il l'a amollie par le même moyen, voilà pourquoi, dis-je, il se met a parler de la justice, en ces termes: " Offrez un sacrifice de justice, et espérez dans le Seigneur. " Qu'est-ce à dire : Offrez un sacrifice de justice ? Cherchez la justice, montrez de la justice : le plus beau présent que vous puissiez faire à Dieu,, le sacrifice agréable, l'offrande propre à fléchir la colère, ce n'est point un sacrifice de veaux ou de brebis, c'est une conduite conforme à l'équité. Vous voyez ici comme une esquisse tracée de main divine de la législation future de l'Eglise ; et les choses spirituelles recherchées dès lors à la place des choses charnelles. Ici d'ailleurs, comme je l'ai dit plus haut, il entend par justice, non pas une vertu particulière, mais, la vertu en général : c'est ainsi que nous appelons juste l'homme qui réunit en soi toutes les vertus. Ce sacrifice-là n'exige ni argent, ni couteau, ni autel, ni feu : il ne se résout pas en fumée, en graisse et en cendre, il consiste tout entier dans l'intention de celui qui l'offre. Ni la pauvreté n'y est un obstacle, ni la misère une entrave, pas plus que le lieu ou quoi que ce soit : en quelque lieu que vous vous trouviez, vous pouvez l'offrir et être vous-même le prêtre, l'autel, le couteau et la victime. Telle est la nature des choses invisibles et spirituelles : elles offrent bien plus de facilités, parce qu'elles ne nécessitent aucune pratique extérieure. " Et espérez dans le Seigneur." Un autre dit: " Et confiez-vous au Seigneur. " En effet, celui qui a mérité la faveur divine par une conduite équitable, celui-là y trouve un grand appui, un tout-puissant secours, une force irrésistible. Voyez-vous le fruit du sacrifice, qui vous attend à la porte? Voyez-vous ce trésor de biens qui sur-le-champ s'entasse entre vos mains? Qui pourrait encore inspirer de la crainte à celui qui a Dieu pour allié ? Mais ceci même n'est point une petite vertu, d'avoir confiance en lui, de se reposer sur lui. Avec la justice il nous demande donc cette autre vertu, la confiance, l'espoir en Dieu, la défiance et le détachement à l'égard des biens charnels, de telle sorte que nous fixions là-haut notre pensée. Car les choses de la vie présente ressemblent à des songes, à des ombres, et ont encore moins de consistance, ne faisant que paraître et s'envolant; après, avoir dans l’instant de leur présence, porté le trouble dans nos coeurs : au contraire, l'espoir en Dieu est immortel, invariable, constant, exempt de changement; il nous met dans une sécurité. parfaite, il rend invincible celui qui s'y livre sans réserve et avec là ferveur convenable. " Beaucoup disent : Qui nous fera voir les biens? La lumière de votre visage est empreinte sur nous, Seigneur. (Ibid. 7.) " Après avoir parfait son exhortation morale, nous avoir, acheminés à la connaissance de Dieu, avoir mis en oeuvre tous les moyens capables de redresser la raison de ceux qui sont égarés, en se. servant surtout de l'exemple des fidèles et de la sollicitude divine à leur égard, il donne place à une objection qu'il emprunte aux hommes faibles et grossiers : " Beaucoup disent : Qui nous fera voir les biens? " Ce n'est point le petit nombre, ce ne sont point les vrais sages, les fidèles éprouvés qui s'expriment ainsi : c'est la multitude, c'est cette foule confuse que sa démence ne quitte point. Quel est le sens de cette parole: " Qui nous fera voir les biens? " Il y a des gens qui disent, les uns pour calomnier la Providence divine, les autres parce qu'ils sont épris de la volupté, de la mollesse, de l'argent, de la gloire, de la puissance : Où sont les biens de Dieu? Me voici dans la misère, la maladie, l'infortune, en butte à des maux extrêmes, à la persécution, à la calomnie : tel autre, au contraire, vit dans la prospérité, les plaisirs, la puissance, la gloire, la richesse. Ces hommes ne recherchent que ces biens-là et négligent les biens véritables, je veux dire la sagesse et la vertu. Les autres, comme je le dis plus haut, partent de là pour accuser la Providence : Où est, disent-ils, la providence de Dieu, quand le monde offre le spectacle d'une telle confusion, quand la plupart des hommes vivent dans la misère, la pauvreté et l'excès des maux? Quelle est la preuve de sa sollicitude? On croit entendre des gens qui en plein. midi, par un beau ciel, demandent à voir le soleil, et contestent l'existence de la lumière. C'est à quoi songe le Prophète, quand il dit de manière à résoudre d'un mot tous ces doutes : La Lumière de votre visage est empreinte sur nous, (538) Seigneur : Il ne dit pas: Est visible, il ne dit pas Eclate, il dit : " Est empreinte, " faisant voir que, de même qu'une marque empreinte sur le front est visible à tous et ne saurait échapper à personne, de même qu'il est impossible de ne pas reconnaître un visage rayonnant et inondé de lumière, de même il est impossible de ne pas voir la providence de Dieu. En effet, autant est manifeste une lumière empreinte, c'est-à-dire, gravée, inscrite sur un visage : autant est sensible cette bienfaisante Providence. Car ce due David entend ici par lumière, c'est l'assistance, la sollicitude, le secours, la Providence. Après avoir avancé cette proposition, voici qu'il en donne la preuve. Quelle est cette preuve? " Vous avez mis la joie dans mon coeur. " Après avoir condamné l'irréflexion du vulgaire, il parle maintenant le langage des hommes sages et sensés pour démontrer la Providence divine " Vous avez mis la joie dans mon coeur, " dit-il : c'est-à-dire, vous m'avez enseigné la sagesse, le dédain des choses mondaines, la connaissance des biens véritables et permanents : vous avez relevé mon âme par de bonnes espérances, vous m'avez guidé vers la vie future; afin de me faire jouir des biens, vous m'avez encouragé par l'attente des biens. On ne peut mieux dire.

10. En effet, si l'homme qui doit entrer en possession d'un héritage, ou parvenir à une charge élevée, se sent heureux avant d'être appelé à en jouir et d'en avoir fait l'expérience, grâce au seul plaisir que ne cessent de lui causer l'attente et l'espoir : songez à ce que doit éprouver celui qui vit dans l'attente d'un immortel royaume, dans l'espérance de biens que l'œil n'a jamais vus, que n'a jamais ouïs l'oreille, que le coeur de l'homme n'a jamais connus. Voilà pourquoi il dit : " Tu as mis la joie dans mon coeur. " Car c'est la meilleure marque de providence, que d'avoir ainsi tout disposé dès l'origine. Que si les hommes grossiers, charnels et attachés à la terre, n'y font pas attention, la cause du désordre n'est point imputable à l'auteur de la promesse, mais à la folie de ceux qui l'ont reçue. Et le Prophète ne se borne point à dire : " Tu m'as donné la a joie, " il dit: " Tu as mis la joie dans mon a cœur. " Montrant que le bonheur ne consiste pas dans les choses du dehors, dans le nombre des esclaves, dans l'or, dans l'argent, dans les étoffes précieuses, dans une table somptueusement servie; dans la puissance, dans le luxe. Ce bonheur-là est pour les yeux, non pour le coeur. Beaucoup d'hommes qui possèdent toutes ces choses regardent la vie comme intolérable, et portent dans leur âme une fournaise de douleur ; mille soucis les consument; mille alarmes les assiègent. Quant à moi, dit le Prophète, ce n'est point là-dedans que je mets mon bonheur, mais dans mon coeur, dans ma pensée, choses invisibles, incorporelles et qui ne me représentent que des choses incorporelles. — Par conséquent, si le contentement que te procurent les choses présentes, te fournit une preuve de la Providence divine : à plus forte raison les biens futurs doivent t'en instruire, puisqu'ils sont supérieurs à ceux-là, plus solides, et inaliénables. Car si, parce que l'on jouit de la richesse et de la prospérité, on . est convaincu de la Providence divine : à plus forte raison les richesses du ciel doivent-elles produire en nous la même persuasion.

Mais,direz-vous : Pourquoi donc ces richesses. là ne sont-elles que des richesses en espérance, qui ne tombent point sous la vue ? Je réponds que pour nous, fidèles, ces biens en espérance ont une réalité plus manifeste que ceux d'ici-bas : telle est la certitude que donne la foi. Peut-être nous proposera-t-on cette autre difficulté : Pourquoi n'est-ce point ici-bas que nous recevons notre salaire ? A cela je répondrai qu'il y a un temps pour les combats et lés luttes, un autre pour les couronnes et la distribution des récompenses. Et ceci même est un trait de la sollicitude de Dieu qu'il ait confiné les peines et les fatigues dans les bornes étroites de cette vie périssable, et qu'au contraire il ait égalé la durée des couronnes et des récompenses à celle d'une éternité sur laquelle la vieillesse n'a pas de prises. De plus, comme les faibles étaient en grand nombre, il leur a donné en outre les biens sensibles d'icibas. C'est ainsi du moins qu'il gouverna le peuple juif. La richesse affluait chez eux, leur vie se prolongeait jusqu'à la vieillesse, la maladie les épargnait: extermination de leurs ennemis, paix profonde, trophées, victoires; belle et nombreuse postérité, tout conspirait à leur bonheur. Mais quand eut paru Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour nous appeler au ciel, nous inspirer le mépris des choses d'ici-bas et l'amour des biens célestes, pour nous arracher aux choses mondains : la valeur de , celles-ci a diminué, comme de juste : et les autres sont devenus la seule richesse vu l'état (539) de maturité auquel nous étions parvenus. Ainsi, tant que les enfants sont petits encore, leurs pères leur donnent des chaussures, des vêtements, des ornements d'or, des bracelets mais, une fois qu'ils sont devenus grands, au lieu de tout cela, ils reçoivent de leurs parents d'autres présents plus beaux : le talent de l'éloquence, un rang élevé dans l'Etat, le crédit à la cour du souverain, les charges, les magistratures, et sont dégoûtés par là des frivoles amusements de l'enfance. — Ainsi fit Dieu lui-même: il nous arracha aux futiles divertissements de l'enfance, pour nous promettre les trésors célestes. Ne te laisse donc pas éblouir par des biens périssables et fugitifs, ne t'occupe point de ces bagatelles. — Ce n'est pas, d'ailleurs, que Dieu te les ait absolument refusés. Enveloppés de chair, attachés à un corps, nous ne pouvions rester entièrement privés de ces choses: aussi Dieu nous en a-t-il pourvus largement. Voilà pourquoi le Prophète, après avoir touché à la Providence, en ce qu'elle a de plus élevé, et avoir dit: " Vous avez mis la joie dans mon coeur, " voilà pourquoi le Prophète ajoute : " L'abondance de leur froment, de leur vin, de leur huile, les a accrus et enrichis. " Par ces mots il fait allusion à un côté de cette même Providence, qui n'est pas à négliger, celui qui se manifeste jusque dans les choses visibles. — En effet, parler de froment, de vin, d'huile, de l'abondance de ces productions, c'est faire penser aux pluies, au savant arrangement des saisons, à la terre, à son travail intérieur, à sa fécondité, à l'atmosphère, au cours du soleil, aux révolutions de la lune, à la marche régulière des astres, à l'été, à l'hiver, à l'automne, au printemps, au labourage, aux instruments de culture, à une foule d'industries. Car si tout cela n'était point réuni, il ne serait pas possible aux fruits de. parvenir à maturité. Ainsi, en nommant le blé, le vin, l'huile, le Prophète donne au sage une occasion de s'élever de la partie au tout, et lui ouvre un vaste champ pour étudier la providence de Dieu révélée dans les choses sensibles.

11. Voilà pourquoi Paul aussi, faisant un discours public et traitant de la Providence, partait de là pour dire: " Dispersant les pluies et les saisons fécondes, en nous donnant la nourriture en abondance , et en remplissant nos coeurs de joie. " (Act. XIV, 16.) Le Prophète, dans sa concision, omet tout le reste : fruits, baies, espèces de plantes, de graines; d'herbes, prairies, fleurs, jardins., que sais-je encore? Il abrége, en nommant seulement les choses nécessaires à notre subsistance, et nous laissant les autres à deviner. Tous ces biens, ce n'est pas assez de dire que Dieu nous les donne : il nous les prodigue, et cela chaque année. Que si parfois il en devient ménager, en cela même il fait voir encore sa Providence ; il réveille la nonchalance des hommes, il les excite à solliciter ces biens de sa bonté. Viendra-t-on nous dire que ce n'est pas Dieu qui donne la pluie, mais les idoles? Nous demanderons alors, qu'est-ce qui le prouve? C'est que les poètes prétendent, dira-t-on, que c'est Jupiter qui fait la pluie. J'objecte que ces mêmes poètes ont dit aussi que ce Jupiter est un adultère, qu'il a débauché des enfants, meurtri son père, et commis d'autres crimes non moins énormes. Mais tout cela est faux, dira-t-on : eh bien ! il est faux également que la pluie vienne de Jupiter : car si vous admettez ceci, il faut admettre tout le reste : si vous rejetez le reste , rejetez pareillement ceci. En ce qui nous concerne, lorsque nous produisons des témoins de la puissance de Dieu, nous tenons pour vrai tout ce qu'ils disent de Dieu. Vous voilà donc forcés d'admettre les adultères de Jupiter, et toutes les autres actions qu'on lui attribue, et de vous convaincre par là que la nature divine ne comporte pas de pareilles imputations, qu'un être semblable ne saurait être dieu. Et dussiez-vous ne point l'admettre, la fable se dément de soi, le mensonge est confondu par lui-même, et toute autorité est enlevée aux poètes. Mais il est clair que cette autorité détruite, tout s'échappe de vos mains puisque ce sont les poètes qui ont inventé les noms donnés par eux aux fausses divinités, ainsi qu'un de vos philosophes en fait l'aveu. Mais peut-être sacrifierez-vous vos dieux pour recourir aux allégories : je vous demanderai alors: qu'est-ce que Jupiter? Vous me répondrez :.la substance ignée, la région supérieure à l'air, ce qu'on appelle éther, d'un mot qui signifie bouillonnement, combustion. Ce n'est donc point une essence raisonnable, intelligente, mais un être dépourvu de pensée. En effet, personne ne contestera sans doute que tout ce qui participe de la nature de l'air, ne possède ni la raison ni le raisonnement : le plus stupide des hommes sait ce qu'il en est. Voilà donc Jupiter et son essence réduits à néant. En effet, s'il est air, et que l'air soit ce (540) que nous avons dit, la fable est encore battue sur ce terrain. S'il est air, il ne peut être le père de personne, il n'a pu engendrer une essence telle que l'on représente le soleil, appelé aussi Apollon, et prétendu fils de Jupiter : en effet, le soleil est également dépourvu de raisonnement, de pensée, d'intelligence : il n'est lui-même qu'une créature physique, guidée dans son cours circulaire par la loi que Dieu lui a prescrite à l’origine. D'ailleurs la pluie ne tombe point de l'éther; mais des nuages où vient s'amasser l'eau, soit de la mer, soit des réservoirs qui sont au-dessus du ciel, comme parlent les prophètes. Que si vous révoquez en doute l'autorité des prophètes, nous vous produirons des marques incontestables et manifestes qui les montrent clairement inspirés de Dieu, et ne parlant jamais par eux-mêmes, mais toujours sous la dictée de cette grâce divine et céleste. En effet, tout ce qu'ils ont prédit est accompli, tout a trouvé sa réalisation, soit que l'on feuillette l'histoire ancienne ou celle des temps nouveaux. Ce que les prophètes ont dit des Juifs a reçu son plein accomplissement, et tous ont pu en vérifier la réalisation : de même pour ce qui concerne le Christ dans le Nouveau Testament : par là on voit clairement la divinité de l'une et l'autre Ecriture. Mais si l'Ecriture est divine, ce qu'elle dit de Dieu ne peut manquer d'être complètement vrai. N'allez donc point douter de la Providence divine, et admirez en ceci encore sa sollicitude, que les méchants mêlés aux bons ici-bas ne l'aient pas empêché d'accorder à tous la jouissance de la terre et du soleil, ainsi que le bienfait des pluies. Que s'il laisse quelques hommes dans la misère et la pauvreté, c'est afin d'améliorer leur âme et de leur inspirer des pensées plus sages. En effet vous savez, vous n'ignorez pas que la richesse n'est qu'un instrument de corruption pour ceux qui n'y prennent pas garde; tandis que la pauvreté est mère de la philosophie: et c'est ce que les faits établissent chaque jour. Combien de pauvres plus sages, plus intelligents : que les riches, et aussi plus sains de corps, grâce à leur pauvreté même qui amende tout à la fois leur chair et leur âme? " Pour moi , je dormirai là-dessus et je reposerai d'un profond sommeil. (9.) Parce que vous m'avez logé, Seigneur, à l'écart, près de l'espérance. " (10.) Encore une autre manifestation,, très-notable, de la Providence : la paix accordée à ceux qui sont voués à Dieu, "Car ceux qui chérissent votre loi sont en paix, et il n'y a pas de scandale pour eux." (Ps. CXVIII, 165.) En effet, rien ne donne plus habituellement la paix que la connaissance de Dieu, que la possession de la vertu, qui exile de notre coeur les passions avec les troubles qu'elles y fomentent, et ne permet pas à l'homme d'être en guerre avec lui-même : à ce point qu'à défaut de cette paix, quand bien même on trouverait au-dehors une paix profonde, quand on ne serait en butte à aucun ennemi, on est plus malheureux que ceux contre qui l'univers est conjuré.

12. En effet, ni les Scythes, ni les Thraces, ni les Sarmates, ni les Indiens, ni les Maures, ni aucune nation sauvage, ne font une guerre aussi acharnée que les mauvaises pensées qui font leur séjour dans l'âme, que les passions déréglées , l'amour des richesses, la soif du pouvoir, l'attachement aux choses mondaines; et cela se conçoit, car c'est du dehors que ces premiers ennemis nous attaquent, c'est au-dedans que les seconds nous font la guerre. Or, que les maux intérieurs sont plus désastreux et plus pernicieux que ceux qui viennent du dehors, c'est une observation que l'on peut faire constamment. Rien n'est plus funeste aux arbres que les vers engendrés dans leur substance, rien n'est plus fatal à la santé, à la force du corps, que les infirmités qui s'y développent intérieurement; les villes ont moins à souffrir de la guerre étrangère, que de leurs dissensions intestines; de même l'âme n'a pas tant à redouter les piéges qui lui sont tendus dans le monde que les maladies dont elle a fourni le germe elle-même. Mais quand un homme vivant dans la crainte de Dieu, s'attache avec constance à faire cesser cette guerre, à assoupir ses passions, à étouffer l'hydre des mauvaises pensées, à ne lui laisser aucune retraite, alors il est assuré de goûter une paix parfaite et profonde. Telle est la paix que nous devons à la venue du Christ; telle est la paix que Paul souhaitait aux fidèles, disant dans chaque épître : " Grâce à vous, et paix par Dieu notre père. " En effet, celui qui en jouit non-seulement n'a pas à craindre le barbare et l'ennemi, il n'a pas même lieu de redouter le diable, il se rit de toute la phalange des démons, il est le plus heureux des hommes, la pauvreté ne le gêne point; ni la maladie, ni, les infirmités ne l'incommodent; aucun des (541) accidents imprévus qui assaillent l'humanité ne le trouble, parce que son âme, en qui réside le pouvoir d'accommoder tout cela pour le mieux, reste forte et en bonne santé. Vous allez vous convaincre que c'est la vérité; prenez, par exemple, un envieux, en admettant que personne ne l'attaque, à quoi cela lui sert-il? Il est lui-même son propre ennemi, son âme aiguise contre elle-même des traits plus perçants qu'une épée; il se heurte à tout ce qu'il voit, chaque homme qu'il vient à rencontrer le blesse, ses regards ne s'arrêtent avec plaisir sur personne, il ne voit partout que des ennemis conjurés. Que lui revient-il donc de cette paix où le monde le laisse, quand lui-même, furieux, enragé, ennemi de toute la nature, porte en tous lieux cette guerre intestine, et souhaiterait d'être en butte à mille flèches, à mille traits, disons plus , à mille morts, plutôt que de voir un de ses semblables au sein des honneurs ou de la prospérité? Tel autre que possède la passion des richesses, ouvre la porte de son âme à mille guerres, mille combats, mille séditions, et, dans son trouble, dans ses alarmes, il ne peut respirer un instant. Tout autre est celui qui a su s'affranchir des passions : il vit dans un port paisible, parmi les douceurs de la philosophie, à l'abri de toute incommodité pareille. Voilà pourquoi le Prophète, favorisé de ce bienfait de la Providence, disait : " Pour moi, je dormirai là-dessus, et je reposerai d'un profond sommeil, " faisant voir par là que celui à qui cette paix est refusée n'a plus même l'accès de ce port du sommeil et de la nuit qui est ouvert à tous les hommes, et que l'entrée lui en est fermée. En effet, ces passions ruinent jusqu'au repos procuré par la nature, en opposant à la tyrannie du sommeil, une autre tyrannie plus forte qui en triomphe. Car les hommes envieux, jaloux, cupides, injustes, portant en tous lieux cette guerre et ses ennemis dans leur sein, ne peuvent se dérober au combat, dans quelque asile qu'ils se réfugient : même chez eux, même au lit, des nuées de traits, des agitations plus violentes que les flots, des combats sanglants, des cris, des gémissements, mille autres alarmes pires que celles que peut causer la présence des ennemis, ne cessent de les troubler. Il n'en est pas ainsi de notre juste. Content durant la veille, la nuit lui apporte un sommeil délicieux. Mais qu'est-ce à dire, " là-dessus? " Cela signifie recueilli, replié sur moi-même, sans me laisser distraire par mille inquiétudes, sans songer à tel ou tel; sans laisser mes pensées s'égarer sur la terre : en me contentant de réfléchir à mes affaires, à mes intérêts, aux choses qui importent le plus à un homme : " Parce que vous m'avez logé, Seigneur, à l'écart, près de l'espérance. " Il veut dire que son espérance, sa confiance en Dieu ont apaisé toutes ses passions. Tel est aussi le langage de Paul : " Car les tribulations si courtes et si légères de la vie présente produisent en nous le poids éternel d'une sublime et incomparable gloire: parce que nous ne considérons point les choses qui se voient, mais celles qui ne se voient pas. " En effet, il n'y a pas de chose si difficile qui ne devienne très-aisée, grâce à l'espérance de la glorification selon Dieu. Voilà pourquoi le Prophète dit : " Vous avez mis en moi l'espérance. A l'écart : " ce mot même renferme une grande instruction.

13. Qu'est-ce à dire : à l'écart? C'est-à-dire loin des méchants. J'ai trouvé cette paix en vous, veut-il dire, et je vis séparé des pervers. C'est très-bien fait : car si les corps ont souvent à souffrir du contact d'un air vicié : ainsi l'âme est gagnée souvent par la contagion des vices d'autrui . et si un oeil parfaitement sain peut contracter par les regards jetés sur un oeil malade la même maladie; si le galeux communique son mal aux gens bien portants; les mauvaises sociétés produisent souvent des effets analogues. Voilà pourquoi le Christ conseillait non-seulement de fuir les méchants , mais même de s'en séparer violemment, témoin ces paroles : " Si ton oeil droit te scandalise, arrache-le, et jette-le loin de toi. " (Matth. V, 29.) Ce n'est pas de l'œil qu'il veut parler: en effet, quel mal l'oeil peut-il faire tant que l'esprit reste sain? Il veut parler de ces amis intimes qui nous sont aussi nécessaires que nos yeux, et il nous prescrit, s'ils viennent à nous nuire de répudier tout commerce avec eux , pour garantir plus efficacement notre salut. De là encore ces paroles qui se trouvent plus loin chez le Prophète. " Je ne me suis pas assis avec les conseillers de vanité, et je n'entrerai pas avec les prévaricateurs. " (Psal. XXV, 4.) Jérémie aussi proclame heureux l'homme qui reste dans la solitude, et qui porte ce joug dès la jeunesse. (Thrèn. III , 27 , 28.) Les Proverbes, également, contiennent beaucoup de conseils à ce sujet, et invitent tout le monde, (542) non-seulement à éviter les mauvais conseillers, mais encore à rompre tout commerce avec eux, et à ne les point fréquenter. En effet si nous voyons souvent les choses corporelles dénaturées par l'effet d'un mauvais voisinage, à combien plus forte raison en doit-il être ainsi de la moralité ? Les couleurs et la santé sont naturelles à notre corps : néanmoins il arrive qu'elles nous sont ôtées par la prédominance d'une disposition contraire. —L'appétit est pareillement inné chez nous : néanmoins il nous arrive de le perdre souvent par la faute des maladies : et l'on pourrait multiplier les exemples de ce genre. Eh bien l si les choses physiques sont sujettes à ces ébranlements, à plus forte raison les choses morales qui sont bien plus promptes à changer dans un sens ou dans l'autre. N'allons donc pas croire que les mauvaises fréquentations n'offrent qu'un médiocre danger fuyons-les au contraire, par-dessus toutes choses, fût-ce la société de nos femmes ou celle de nos amis. C'est le péril auquel ont succombé ces grands hommes, Salomon et Samson : toute une nation, la nation juive, se perdit aussi de la sorte. Car les serpents sont moins dangereux que la perversité humaine. Le venin du serpent est visible : les hommes, au contraire, distillent goutte à goutte, sans bruit, mais chaque jour, leur poison , qui peu à peu détruit toute la vigueur de notre vertu. Aussi Dieu défend-il jusqu'aux regards déréglés : " Celui , dit-il , qui a jeté les yeux sur une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère dans son coeur. " (Matth. V, 28.) C'est pour indiquer combien la chute est facile et prompte. Mais vous-mêmes, avez-vous envie de vous établir dans une ville? Vous vous inquiétez du climat, vous voulez savoir s'il n'est pas insalubre, variable, sec à l'excès mais quand il s'agit de votre âme, peu vous importent les sociétés dont elle va se trouver entourée, et vous la livrez, sans examen, à la merci du premier venu? Et par quelle excuse, je vous le demande, justifier une pareille indifférence? Quelle est, selon vous, la cause, qui porte si haut la gloire et le renom des solitaires? N'est-ce point d'avoir fui les agitations de la place publique, de s'être sauvés loin de la fumée des affaires d'ici-bas? Sachez les limiter, et chercher la solitude au milieu même de la cité. Mais comment la trouver? En fuyant les méchants, en courant après les bons. C'est le moyen d'être mieux préservé que les solitaires eux-mêmes, parce que, tout en vous prémunissant contre ce qui pourrait vous nuire, vous aurez encore l'avantage des sociétés utiles. Fuir les méchants, rechercher les bons, ce sera pour vous double ressource afin de croître en vertu , et de mettre le vice en fuite. Conduisons-nous donc de manière à y parvenir, conformément à la parole du Psalmiste : " Parce que tu m'as logé, Seigneur, à l'écart près de l'espérance. " Je finirai ici mon discours, après vous avoir expliqué suffisamment, je pense, les difficultés, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui gloire et puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

EXPLICATION SUR LE PSAUME V. POUR LA FIN, POUR L'HÉRITIÈRE. — PSAUME DE DAVID.
ANALYSE.

1. Héritage de l'Eglise : pourquoi elle n'entrera en possession que dans l'autre vie.

2. Combien il est facile d'aimer son prochain. L'épouse et l'époux.

3. Réflexions diverses sur la prière.

4. Haine de Dieu contre les méchants. Sa miséricorde.

5. Explication des mots : Sépulcre ouvert.

6. Gloire et sécurité : réunies chez le seul juste.

1. Voyons d'abord quel est cet héritage, et s'il nous en revient une part; puis le temps où nous devons hériter. Il serait bien étrange, quand vous vous montrez si inquiets, si préoccupés, au premier bruit d'un legs pécuniaire fait en votre faveur, si empressés à fouiller des livres, à consigner des sommes, à recourir aux pièces, à en transcrire la teneur, à déployer toute votre activité , de montrer de la tiédeur et de la négligence aujourd'hui qu'il s'agit de l'ouverture d'un testament spirituel qui attend son exécution d'une succession qui n'est point de ce monde. Approchons-nous donc, ouvrons les registres, examinons le texte de près, et voyons à quelles conditions cet héritage nous est laissé, et quelle en est la nature. En effet, ce n'est pas un héritage pur et simple, il y a une clause. Quelle est cette clause? " Celui qui m'aime gardera mes préceptes " (Jean, XIV, 23); ou encore, " celui qui ne portera pas ma croix et ne marchera pas à ma suite" (Math. X, 33); la même chose se retrouve dans plusieurs endroits du Testament. Enquérons-nous maintenant du temps, où la succession doit nous échoir. Ce temps n'est pas le présent, mais l'avenir; ou plutôt, c'est à la fois le présent et l'avenir. " Cherchez le royaume de Dieu et toutes ces choses vous seront données par surcroît; " le legs entier est réservé pour un autre temps. Car, la vie présente étant fragile, et nos âmes encore dans l'enfance, Dieu fait comme les législateurs du monde; il attend que nous soyons mûrs, pour nous investir de notre patrimoine. C'est lorsque nous sommes arrivés à la maturité, à la plénitude de l'âge, et que nous avons quitté cette vie pour la vie éternelle qu'il nous met en main l'héritage promis. En attendant il a testé, il nous a laissé les pièces, il nous a dit ce qu'il fallait faire pour être mis en possession du legs, pour n'être pas évincés, déshérités. Va-t-on se préoccuper de ce que nous ne sommes pas encore en âge, et tenir pour suspecte la parole donnée ? Que l'on écoute alors le langage de Paul : " Quand j'étais petit enfant, comme un enfant je parlais, comme un enfant je pensais, comme un enfant je raisonnais; mais quand je suis devenu homme, je me suis dépouillé de ce qui était de l'enfant. " (I Cor. XIII, 11.) Voilà le présent et voilà l'avenir. —Ailleurs (544) encore : " Jusqu'à ce que nous soyons tous parvenus à la maturité, à la plénitude de l'âge." (Ephés. IV, 13.) C'est comme s'il disait : Dans la vie présente, la création qui nous environne est comme une nourrice qui nous donne son lait; mais quand le moment sera venu pour nous d'être introduits dans le palais du Seigneur, alors dépouillant ce vêtement périssable pour nous envelopper d'immortalité , nous serons admis à cet autre partage. Le même Testament menace aussi de laisser beaucoup d'hommes sans héritage, s'ils ne savent pas répondre aux conditions formulées. Mais voyons maintenant de quel legs il s'agit: De ce que " l'oeil n'a pas vu, l'oreille n'a pas ouï, " de " ce qui n'est pas entré dans le coeur de l'homme. " (I Cor. II, 9.) Comment donc aurions-nous pu dans cette vie avoir la disposition de choses dont la connaissance même surpasse notre esprit? Voilà pourquoi elles nous sont gardées comme un dépôt dans l'autre monde. Et voyez quel excès de sollicitude. Nos maux sont circonscrits dans les limites de l'existence actuelle, de telle façon qu'un temps borné en mesure la durée ; au contraire, les biens nous attendent au sein de la vie future, afin que notre rémunération se prolonge sans fin dans l'éternité. C'est ce partage immortel qui est appelé aussi royaume. En effet, cet avenir a beau surpasser notre raison; Dieu y fait allusion dans un langage approprié à notre faiblesse, tantôt le nommant royaume, ainsi que je l'ai dit plus haut, tantôt noces, tantôt magistrature, afin que ces noms qui rappellent des joies d'ici-bas, nous permettent de pressentir cette gloire éternelle , ce bonheur sans mélange, cette société du Christ, que rien ne saurait égaler. — Mais quelles sont les conditions de l'Eglise, ou plutôt de l'héritage? Elles n'ont rien d'onéreux: " Ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le leur aussi. " (Matth. VII, 12.) Vous voyez qu'il n'y a rien là d'exorbitant, rien que la nature n'ait commencé par prescrire elle-même ? Faites au prochain les traitements que vous désirez obtenir de lui. Tu veux être loué: Loue. Tu veux n'être pas dépossédé : Ne dépossède pas. Tu veux être honoré: Honore. Tu veux obtenir miséricorde : Sois miséricordieux. Tu veux être aimé : Aime. Tu veux qu'on ne médise pas de toi : Ne médis pas. Et remarquez la justesse de ce langage. On ne vous dit pas : Ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas qu'on vous fasse, mais : Faites ce que vous voulez qu'on vous fasse. Entre les deux routes qui mènent à la vertu, l'une, par l'abstention du vice, l'autre, par la pratique de la vertu, Jésus choisit la seconde, en nous indiquant en même temps la première. Il avait d'ailleurs fait allusion à celle-ci, en disant : Ce que tu hais, ne le fais pas à autrui; quant à la seconde, il nous la montre clairement par ces expressions : " Ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le-leur aussi. "

2. Il y a encore une autre condition. Quelle est-elle? C'est d'aimer son prochain comme soi-même. Et quoi de plus aisé ? Haïr, voilà ce qui est difficile et pénible; aimer, rien n'est plus facile et plus doux. S'il avait dit Hommes, aimez les bêtes sauvages, le précepte serait rigoureux; mai-3 il ordonne à des hommes d'aimer les hommes; une telle prescription, avec le puissant appui que lui prêtent l'identité d'essence, la communauté d'origine, la voix même de la nature, quel obstacle pourrait-elle rencontrer? Les lions, les loups obéissent à la même loi; car ils cèdent eux-mêmes à l'attrait de la nature. Comment pourrions-nous donc nous justifier, nous qui apprivoisons les lions et les logeons dans nos demeures, si nous ne savions pas nous concilier nos frères? Il ne manque pas de gens, vous le savez, qui sont sur la piste des vieillards, afin de capter leur héritage; de jeunes hommes, pleins de santé qui affrontent toutes les incommodités de la vieillesse, la goutte, la toux, et tant d'autres infirmités, dans leur assiduité à faire le siège d'une succession. Et pourtant, il ne s'agit là que d'argent et d'un espoir mal assuré; ici, au contraire, il s'agit du ciel, et d'abord de plaire à Dieu. Mais, qu'est-ce donc, que cette héritière dont le titre fait mention : . " Pour l'héritière. " C'est l'Eglise en sa plénitude, l'Eglise dont Paul a dit : " Je vous ai, fiancée à un époux unique, au Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure. " (II Cor. XI, 2.) Et Jean : " Celui qui a l'épouse, est l'époux. " (Jean, III, 29.) Mais, l'époux, après les premiers jours, perd la vivacité de son amour; le nôtre, au contraire, reste constamment fidèle à son affection, et ne fait que redoubler d'ardeur; aussi Jean emploie-t-il un mot qui désigne le commencement du mariage, époque où la tendresse est, dans toute sa force. Quant au nom d'épouse, (ou plutôt jeune épouse) il lui a été dicté (545) encore par un autre motif; il a voulu indiquer que nous devons tous ne former qu'un corps et qu'une âme selon la vertu et selon la charité, et aussi que nous devons, durant toute notre vie, imiter la jeune épouse qui ne songe dans toutes ses actions qu'à contenter son mari. Comme au jour de son mariage l'épouse assise dans la chambre nuptiale, se préoccupe seulement de plaire à son époux; ainsi nous-mêmes, en cette vie, songeons seulement à la satisfaction de l'époux, et restons fidèles à la conduite qui doit être celle d'une épouse. C'est encore à cette épouse que pense David, lorsqu'il dit : " La reine s'est tenue debout à votre droite , vêtue d'un manteau broché d'or, parée de franges d'or. " (Ps. XLIV, 11.) Voulez-vous voir maintenant ses chaussures. Ecoutez Paul, ce paranymphe, qui vous dit : " Chaussant vos pieds pour vous préparer à l'Evangile de la paix. " (Ephés. VI, 15.) Voulez-vous voir aussi sa ceinture et comment elle est faite de vérité? Le même Paul vous la montrera : " Ceignant vos reins en vérité. " (Ib. VI, 14.) Voulez-vous contempler sa beauté? La même bouche vous la révèlera : " N'ayant ni tache ni ride. " (Ibid. V, 27.) Ecoutez encore ce que dit à son sujet. l'Ecclésiaste : " Tu es toute belle, ma compagne, et il n'y a pas en toi de défaut. " (Cant. IV, 7.) Et ses pieds, maintenant. " Qu'ils sont beaux les pieds de ces hommes qui annoncent la paix, qui annoncent le bonheur. " (Rom. X, 15.) Et ce qu'il y a d'admirable, de merveilleux, c'est qu'après l'avoir parée de la sorte, il ne vient pas à elle dans tout l'éclat de sa gloire, de peur que tant de beauté ne l'éblouisse, ne lui trouble l'esprit; il vient enveloppé du même vêtement que son épouse, il participe comme elle de la chair et du sang, et au lieu de l'appeler à lui dans les cieux, il descend lui-même auprès d'elle; fidèle en cela même à la loi qui conduit l'époux auprès de l'épouse. C'est le précepte de Moïse : " L'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme. " Et Paul a dit de même : " Ceci est le grand mystère; je le dis à l'égard du Christ et de l'Eglise. " Etant donc entré dans son séjour, et l'ayant trouvée sale, souillée, nue, ensanglantée, il l'a lavée, ointe, nourrie, habillée d'un vêtement dont on ne saurait trouver le pareil; lui-même, il lui sert de manteau, et la prenant avec lui, il l'emmène là-haut. Voilà celle à qui est destiné l'héritage. Que dit donc à son sujet le Prophète? Beaucoup de choses; car il est son avocat, et la plupart des choses qui devaient lui arriver, il les a prédites et annoncées d'avance; par exemple, au sujet de l'époux, de la cérémonie nuptiale, et des biens réservés à l'épouse. Voilà pourquoi il parle d'elle ici même, et, en commençant, ainsi que ces .avocats de profession qui plaident devant les tribunaux, il dit quelle est la personne dont il plaide la cause : " Pour l'héritière. " Et que demande cette héritière ? écoutons : " Ecoutez mes paroles, Seigneur. " (2.) Elle appelle l'époux Seigneur, ce qui est le fait d'une épouse qui connaît ses devoirs. En effet, si c'est l'usage entre personnes de même condition, si la femme nomme son mari Seigneur, à plus forte raison est-ce le cas, lorsqu'il s'agit de l'Eglise et du Christ, de donner ce titre à celui qui le mérite par sa nature même. Ce n'est donc point seulement en qualité d'époux qu'elle le nomme Seigneur, c'est encore en qualité de Maître, et c'est à ce titre qu'elle le supplie de l'entendre. Car si un héritage lui est offert, il faut, pour qu'elle en jouisse, qu'elle accomplisse les conditions exigées; elle prie donc et conjure l'époux de devenir son allié, de l'aider à exécuter les clauses, afin qu'elle ne soit pas déshéritée. De là ces mots: Ecoutez mes paroles, Seigneur; et elle le dit avec confiance, ne demandant rien que lui-même ne désire donner; tandis que ceux qui ont à demander des choses indignes de celui à qui ils s'adressent, ne sont pas admis à présenter une pareille requête. Prier contre ses ennemis, contre ses persécuteurs, ce ne sont point là paroles d'homme, mais paroles du diable. En effet, si jurer procède du diable, " ce qu'on dit de plus vient du mal (Matth. V, 37), " est-il écrit, il en est évidemment de même des voeux que l'on forme contre ses ennemis. Par conséquent, si vous dites : " Ecoutez mes paroles, " que vos paroles annoncent un homme charitable, humain, et sans rapports avec le diable.

3. Comprenez mon cri. Par ce mot cri n'entendez point ici une élévation de la voix, mais une disposition de l'esprit. C'est ainsi que Dieu dit à Moïse alors silencieux : " Pourquoi cries-tu vers moi? " Il ne dit pas : pourquoi m'adresses-tu ta prière ? Mais : " Pourquoi cries-tu vers moi ? " parce que Moïse s'approchait de lui avec une grande ferveur. — Aussi pour vous faire entendre qu'en ce passage (546) également, il ne s'agit pas proprement de cri, mais d'une disposition intérieure, mais d'un redoublement de zèle, il ne dit pas: entends mon cri, il dit: comprends mon cri, pénètres-en le sens. Car, s'il emploie des paroles humaines, il les emploie de manière à bien exprimer ce qu'il veut dire. " Faites attention à la voix de ma supplication. " Ici encore, c'est de la voix intérieure qu'il s'agit. Anne aussi criait de la sorte. Et il ne dit pas simplement : Faites attention à la voix de ma prière : il dit, " de ma supplication. " En effet, celui qui prie doit revêtir l'extérieur et les sentiments d'un suppliant. Un suppliant ne parle point en accusateur et celui qui forme des voeux contre son ennemi est un accusateur plutôt qu'un suppliant. Vous voyez comment elle offre sa prière, après l'avoir rendue digne d'être entendue. — Faisons de même quand nous prions et que nous voulons être écoutés . faisons d'abord que ce soit une prière, et non une accusation, et présentons-la conformément aux règles données par le Prophète. " Mon roi et mon Dieu. " C'est l'expression perpétuelle du Prophète, ou plutôt, s'était le privilège d'Abraham, au dire de Paul : " Pour cette raison Dieu ne rougit au point d'être appelé leur Dieu. " (Héb. XI,16.) L'héritière emprunte cette expression, et se l'approprie heureusement dans son amour. Elle ne dit pas simplement roi, elle dit " mon roi et mon Dieu, " de façon à manifester sa tendresse. Ensuite elle expose les raisons, sur lesquelles elle se fonde pour être écoutée. Quelles sont ces raisons ? " Parce que je vous adresserai ma prière, Seigneur. " (4.) Mais dira-t-on, y a-t-il quelqu'un qui n'adresse pas à Dieu sa prière ? Je réponds que beaucoup de gens paraissent prier Dieu, qui n'agissent de la sorte que pour être vus des hommes. Il n'en est pas ainsi de notre héritière : elle étend les mains vers Dieu, sans s'inquiéter d'aucune considération humaine. " Le matin, vous en" tendrez ma voix. " Voyez-vous ce zèle, et la componction de cette âme ? Dès le commencement du jour, dit-elle, voilà mon occupation. — Ecoutez, vous tous qui attendez pour prier la fin de mille affaires. Telle n'est point sa conduite, à elle: c'est au point du jour qu'elle offre à Dieu les prémices de sa pensée. Il faut devancer le soleil pour vous rendre " grâces, et se mettre en votre présence avant le lever du jour. " (Sag. XVI, 28.)

Mais vous, s’il s'agissait d'un monarque, vous ne permettriez pas que votre inférieur le saluât avant vous : et maintenant, lorsque le soleil est en adoration , vous donnez, vous cédez votre rang à une créature matérielle, au lieu de prévenir toute cette nature créée pour vous et de rendre vos actions de grâces: tout en vous levant, vous vous lavez le visage et les mains, et vous laissez votre âme dans l'impureté ! Ne savez-vous pas que la prière est pour la purification de l'âme, ce qu'est l'eau pour celle du corps? Avant de nettoyer votre corps, nettoyez donc votre âme : le péché y a laissé bien des souillures : recourons à la prière pour nous en délivrer. Si nous avons eu soin de fortifier ainsi notre bouche, ce sera un fondement excellent pour notre conduite de la journée. " Le matin, je me présenterai devant vous,et je vous contemplerai. " (Ibid. 5.) Je me présenterai devant vous, non en me transportant ailleurs, mais par mes actions. L'homme qui est dans de telles dispositions est capable de s'approcher de Dieu. C'est de là que résulte l'éloignement ou la proximité: car Dieu est partout. "Je me présenterai devant vous et je vous contemplerai, parce que vous n'êtes pas un Dieu voulant l'iniquité. " Un autre interprète dit : " Et je considérerai que vous n'êtes pas un Dieu voulant l'iniquité. " — " Et le pervers n'habitera pas auprès de vous. " (Ibid.6.) En ce passage, il fait allusion aux idoles : parce que ces hommes les aimaient ainsi que toute iniquité et toute mauvaise action. " Et le pervers n'habitera pas auprès de vous, " il ne sera pas votre ami, votre voisin. " Et les prévaricateurs ne tiendront pas devant vos regards. " Il fait voir ici la haine de Dieu contre le mal, et enseigne à ceux qui s'approchent de lui à se mettre en état de paraître devant ses yeux. En effet, si l'on ne peut approcher d'un homme de bien, à moins d'avoir urne conduite semblable à la sienne, à plus forte raison le méchant ne saurait-il approcher de Dieu. En effet, que les méchants ne peuvent vivre dais le voisinage des hommes vertueux, c'est cg que prouve ta manière dont ils parlent du juste : " Sa vue même nous est importune. " (Sag. II, 15.) Ainsi Jean, du fond de la prison oui il était caché, gênait Hérodiade, qui était pourtant bien loin de lui : et après sa mort, il toua. mentait la conscience du tyran qui régnait alors. En conséquence, qu'aucun homme vertueux ne se trouve malheureux d'être en bâtie aux complots des méchants, car ce sont les (547) méchants, qui sont les malheureux. " Vous avez pris en haine tous ceux qui opèrent l'iniquité, vous exterminerez tous ceux qui profèrent le mensonge. Le Seigneur a en horreur l'homme de sang, l'homme perfide. " (Ibid. 7.) Ces choses sont dites non-seulement pour que nous les entendions, mais encore pour que nous apprenions, en les entendant sans cesse, à nous conformer à l'humeur de l'Epoux, et à nous approcher de lui. Sans cela, nous serons privés du secours d'en-haut : et c'est la pire chose qui nous puisse arriver.

4. " Vous avez pris en haine tous ceux qui opèrent l'iniquité. " Tous, c'est-à-dire, esclaves, hommes libres, monarques, enfin qui que ce soit. Car ce n'est point au rang, c'est à la vertu que Dieu distingue ses amis. Mais connue beaucoup d'hommes grossiers ne font nulle attention à cette haine, écoutez la menace de châtiment qui vient ensuite : " Vous exterminerez tous ceux qui profèrent le mensonge ; " ici, il s'adresse à ce qu'il y a de plus grossier chez les pécheurs. La punition, dit-il, ne sera point seulement la haine, châtiment déjà effroyable par lui-même, Dieu exterminera en outre tous ceux qui profèrent le mensonge. C'est déjà un supplice affreux et pire que l'enfer, que d'être haï de Dieu : mais celui-là il n'en parle qu'aux gens capables de comprendre : pour être entendu des hommes, grossiers, il ajoute celui que nous venons de voir. N'éprouvez donc point, mon cher auditeur, de trouble ni de doute, en voyant des menteurs, des voleurs, des avares vivre sans être inquiétés : le châtiment ne peut manquer de les atteindre. Car telle est la nature de Dieu il se détourne du vice, il ne cesse de le haïr et de l'avoir en horreur. Par ceux qui profèrent le mensonge, entendez ici ceux qui vivent dans la perversité, ceux qui sont à la poursuite des choses mensongères, ceux qu'enchantent les voluptés, la sensualité, l'avarice. Car l'écrivain sacré a coutume d'appeler mensonges toutes ces choses. " Le Seigneur a en horreur l'homme de sang, l'homme perfide. " Ici il a en vue l'homme sanguinaire, le traître, le fourbe, celui qui a une parole sur les lèvres et une pensée contraire dans l'esprit, celui qui porte un masque de douceur et qui agit en loup, la pire espèce qui soit au monde. En effet, on peut se mettre en garde contre un ennemi déclaré : mais celui qui dissimule sa scélératesse et qui ne la manifeste que par ses crimes, celui-là fait beaucoup de mal grâce au mystère dont il s'environne. Aussi le Christ nous recommande-t-il de nous tenir sur nos gardes . quand nous nous trouvons avec ces hommes " Ils viennent à vous sous des vêtements de brebis, mais au dedans ce sont des loups ravissants. " (Matth. VII, 15.) " Pour moi, dans l'abondance de votre miséricorde, j'entrerai en votre maison. " (Ps. V, 8.) En effet, l'Eglise s'étant recrutée parmi des hommes de cette espèce, païens, magiciens, homicides, sorciers, menteurs, fourbes, après avoir dit que Dieu hait ces vices et s'en détourne, l'héritière poursuit, afin de faire voir que si elle a été guérie et introduite dans le sanctuaire, ce n'est point grâce à sa propre justice ou à ses bonnes oeuvres, mais grâce à la bonté divine : " Pour moi, dans l'abondance de votre miséricorde, j'entrerai en votre maison. " De peur qu'on ne vienne lui dire : Et toi, qui as commis tant de fautes, comment donc as-tu été sauvée? elle fait connaître l'origine de son salut, laquelle est une infinie bonté, une ineffable charité. Mais il y a des gens qui se refusent à la miséricorde, des malades incurables, tels qu'étaient les Juifs : en effet, la grâce et la miséricorde, tout en demeurant miséricorde et grâce, ne sauvent que ceux qui consentent à leur salut et en sont reconnaissants, et non ceux qui résistent, ceux qui n'acceptent point le présent, comme firent les Juifs, au sujet desquels Paul a dit : " Ignorant la justice de Dieu, et cherchant à établir la leur, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu. " (Rom. X, 3.) Ensuite après avoir parlé des bienfaits de Dieu, elle parle de ses propres oeuvres : " Je m'inclinerai devant votre saint temple, remplie de votre crainte. " Quand vous m'aurez accordé votre grâce, et que j'aurai fait ce qui est en moi, je vous offrirai ce sacrifice, dit-elle : " Je m'inclinerai devant votre saint temple, remplie de votre crainte. " Non pas comme font en priant tant de personnes, qui se grattent, bâillent, s'endorment, mais avec crainte et tremblement. Car celui qui prie de la sorte secoue tous ses vices, s'achemine à toutes ces vertus, et se rend Dieu propice. " Seigneur, guidez-moi dans votre justice, à cause de mes ennemis. " (Ps. V, 9.) Elle a dit les louanges de Dieu, sa haine contre les méchants, sa bonté, sa sollicitude; elle a dit son salut, et comment elle a été sauvée; elle a dit qui elle a (548) fait entrer à sa suite, une fois sauvée; elle nous a détournés du vice, guidés vers la vertu; elle a fait luire de bonnes espérances aux yeux de ceux mêmes qui vivent dans l'iniquité, pourvu qu'ils veuillent se convertir, en leur montrant qu'ils peuvent obtenir miséricorde : elle passe maintenant à la demande suivante: "Seigneur, guidez-moi dans votre justice, " enseignant ainsi à l'auditeur, à commencer par offrir des hymnes à Dieu, et le remercier de ses bienfaits, avant de lui exprimer ses voeux, et de le remercier ensuite de ses nouveaux dons. Mais voyons ce qu'elle demande. Est-ce quelque bien mondain, fragile, périssable ? Est-ce de l'or qu'elle sollicite, de la gloire, de la puissance, le châtiment d'un ennemi? Rien de pareil. Et quoi donc ! " Seigneur, guidez-moi dans votre justice à cause de mes ennemis. " Voyez-vous comment elle ne demande rien de passager, et comment elle réclame l'assistance d'en-haut? En effet c'est dans cette voie que l'on a le plus besoin d'un tel appui. Par justice, elle entend ici la vertu en général. Et elle dit fort bien " Dans votre justice. " Car il y a aussi une justice humaine, celle des lois du monde mais c'est une justice infirme, qui n'a rien de parfait ni de consommé, et qui ne repose que sur des jugements humains. Pour moi, la justice que je réclame est celle qui procède de vous, celle qui mène au ciel, et je demande votre appui afin d'attirer sur moi cette justice.

5. " Guidez-moi ! " on ne saurait mieux dire. Car la vie présente est une voie où le bras d'en-haut nous est nécessaire pour nous conduire. Si nous avons besoin, lorsque nous voulons nous rendre dans une ville, d'une personne qui nous indique le chemin : à plus forte raison, quand il s'agit de faire le voyage du ciel, avons-nous besoin du secours d'en-haut, afin d'être éclairés, fortifiés, guidés tant sont nombreux les chemins de traverse qui peuvent nous égarer. Attachons-nous donc fortement à la main de Dieu. " A cause de mes ennemis. " Beaucoup d'ennemis se sont levés pour égarer mes pas, me dévoyer, me jeter dans un autre chemin. Protégez-moi contre ces complots, ces attaques, en me servant de guide : car votre alliance m'est nécessaire. Mais s'il appartient à Dieu de nous guider, il nous appartient, à nous, de mériter le secours de cette main, par notre propre diligence. Si vous êtes impur, cette main ne vous soutient pas; non plus que si vous êtes avare, ou souillé de quelque autre tache : " Rendez droite ma voie devant vos yeux. " C'est-à-dire, rendez-la moi claire, manifeste : faites que je marche droit. Un autre interprète dit : " Aplanissez devant moi ma route, " rendez-la unie, facile. " Parce que la vérité n'est pas dans leur bouche et que leur coeur est vain. " (Ibid. 10.) Ces bouches qu'elle accuse, ces coeurs où il n'y a rien de bon me paraissent être ceux des hommes qui vivent dans l'erreur, ou qui sont adonnés au vice. " Leur gosier est un sépulcre ouvert. " Ici elle fait allusion soit à leurs instincts sanguinaires, soit à la mauvaise odeur des doctrines de mort. On ne se tromperait pas non plus en appliquant cette expression : " Sépulcre ouvert, " à la bouche de ceux qui profèrent des paroles obscènes. En effet, c'est là une exhalaison bien pire que celles qui répugnent à notre odorat, parce qu'elle procède d'une âme corrompue : les hommes injustes et cupides ont aussi des bouches pareilles, eux dont la perversité ne produit rien que meurtres et rapines. Que votre bouche, à vous, ne soit donc pas un tombeau, mais un trésor : grande est, en effet, la différence de ces deux choses dont l'une détruit, l'autre garde le dépôt confié. Ayez, vous aussi, un trésor permanent de sagesse, au lieu d'un foyer d'infection. Mais elle ne se borne pas à dire " Sépulcre, " elle dit : " Sépulcre ouvert, " afin de rendre l'abomination plus sensible. Il faudrait cacher les paroles de ce genre : or ces hommes les étalent, de façon que leur infirmité en devient plus manifeste. Nous faisons le contraire pour les morts, nous les confions à la terre : ces hommes ne font pas ainsi pour leurs paroles : ils mettent au jour ce qu'ils devraient enfouir, étouffer au fond de leur coeur, sans craindre de choquer les yeux, ni d'exposer leurs misères à la vue de tous. Chassons-les loin de nous, je vous en conjure. Si nous ensevelissons les cadavres hors de l'enceinte des villes, à plus forte raison ceux qui profèrent des paroles de mort, ceux qui tiennent de pareils propos, et ne consentent pas même à les couvrir d'un voile, doivent-ils être relégués au loin : car c'est un fléau public que des bouches pareilles. " Ils se sont servis de leurs langues pour tromper. " Autre espèce de méchanceté. Il y a des gens qui cachent la ruse au fond de leur coeur, en ne prononçant que de douces paroles : d'autres sont assez (549) habiles pour voiler la méchanceté de leurs paroles mêmes, pour tramer des complots et des artifices. " Jugez-les, ô Dieu! qu'ils échouent dans leurs projets. " Voyez ici encore la charité de cette prière. Elle ne dit pas : " Punissez-les, " mais bien : " Jugez-les, " et mettez un terme à leurs mauvaises actions : déjouez leurs trames : dire cela, c'est prier pour eux-mêmes, c'est souhaiter qu'ils ne s'enfoncent pas plus avant dans le vice. " A cause de la multitude de leurs impiétés, repoussez-les parce qu'ils vous ont irrité, Seigneur ! " c'est-à-dire, je m'inquiète peu de ce qu'ils m'ont fait, je gémis seulement de leur conduite envers vous. C'est le fait d'une âme pleine de sagesse, que de ne pas se venger soi-même, et de poursuivre avec ardeur la vengeance des péchés commis contre Dieu. Beaucoup d'hommes font tout le contraire

ils se soucient peu des intérêts de Dieu, et mettent le plus grand acharnement à venger les leurs : ces saints faisaient tout autrement ils se montraient ardents à redresser les torts faits à Dieu, et se souciaient peu du mal fait à eux-mêmes.

" Et que tous ceux qui espèrent en vous se réjouissent. " Voyez le profit qu'on retire de la prière. Les méchants s'amenderont et se corrigeront de leurs vices : et les autres goûteront une joie vive, en voyant le changement de ces hommes, leur amélioration, et le profitable exemple qu'ils donnent à autrui. " Ils seront éternellement remplis de joie, et vous habiterez en eux. " Telle est, en effet, l'allégresse durable : toute autre est aussi passagère que le courant d'un fleuve; elle ne fait que paraître et s'écoule aussitôt : mais la joie selon Dieu est solide, durable, persistante, inébranlable ; aucun événement imprévu n'y peut rien retrancher : les obstacles mêmes ne font que l'accroître. Les apôtres étaient flagellés et ils se réjouissaient; Paul était persécuté, et il tressaillait d'allégresse; il allait mourir, et il invitait les autres à partager sa joie, disant : " Et si je suis immolé sur le sacrifice et l'oblation de votre foi, je m'en réjouis et m'en félicite avec vous tous. Mais vous-mêmes, réjouissez-vous-en, et vous en félicitez avec moi. " (Phil. II, 17, 18.) Dieu habite avec ceux qui se réjouissent de la sorte. Voilà pourquoi l'héritière dit : " Ils seront éternellement remplis de joie, et vous habiterez en eux. " Faisant allusion à la même chose, le Christ disait, de manière à indiquer que cette joie n'aurait pas de fin : " Je vous reverrai, et personne ne vous ravira votre joie. " (Jean, XVI, 22.) Et Paul dit encore : " Réjouissez-vous sans cesse, priez continuellement. " (I Thess. V, 16, 17.) " Et ceux qui aiment votre nom se glorifieront en vous. " C'est à ceux-là entre tous qu'il appartient de se glorifier, de se réjouir, d'être dans l'allégresse : car pour celui qui tire vanité des biens du monde, il ressemble tout à fait à ceux qui sont heureux en songe.

6. En effet, dites-moi, quelle est celle des choses humaines qui mérite qu'on s'en glorifie. La force du corps ? Mais ce n'est pas là une oeuvre du libre arbitre, il n'y a donc pas lieu de s'en vanter : d'ailleurs elle se flétrit et dépérit promptement : souvent même elle devient nuisible, faute d'un sage emploi, à celui qui la possède. Il faut dire la même chose de la beauté, de la richesse, de la puissance, du luxe et de tous les biens charnels. Mais se glorifier au sujet de Dieu, au sujet de l'amour qu'on lui porte, voilà la parure incomparable, voilà la splendeur qui efface l'éclat de mille diadèmes, celui qui se glorifie fût-il un prisonnier. Cette parure-là n'a rien à redouter de la maladie, de la vieillesse, des événements, des vicissitudes, de la mort elle-même : c'est même alors qu'elle brille de toute sa magnificence. " Parce que vous bénirez le juste. " (13.) Comme beaucoup de justes; comme les hommes vertueux, entre tous, sont maltraités et tournés en dérision dans le monde: afin que cela né devienne pas un sujet de scandale pour les esprits grossiers, voyez comment on leur vient en aide en disant : " Parce que vous bénirez le juste. " Qu'importe, en effet, le mépris des hommes et celui du monde entier, lorsque le Maître des anges nous célèbre et proclame notre nom? Au contraire, faute de cette bénédiction, les louanges de tous les habitants de la terre et de l'Océan ne sont d'aucune utilité. Par conséquent, le but auquel nous devons viser constamment, c'est que Dieu nous célèbre, c'est que Dieu nous couronne. Si nous y parvenons, nous dominerons toutes les têtes, fussions-nous pauvres, malades, plongés dans un abîme de maux. Le bienheureux job assis sur un fumier, couvert d'ulcères purulents, dévoré d'une innombrable vermine, en proie à d'incurables tourments, en butte aux insultes de ses serviteurs, de ses amis, de ses (550) ennemis, aux piéges de sa femme, précipité dans la misère, dans la faim, dans une infirmité sans remède, Job était le plus heureux des hommes. Comment cela? C'est que Dieu le bénissait, disant: Homme irréprochable, juste, sincère, pieux, exempt de tout vice. " Seigneur, vous nous avez couronné de votre bonne volonté comme d'une armure. " (Job, I, 1.) Le voilà qui recommence ses actions de grâces, qui offre à Dieu des hymnes de reconnaissance. Mais qu'est-ce qu'une armure de bonne volonté? C'est une armure excellente, une armure selon la volonté de Dieu, une armure magnifique. Voici le sens de ses paroles : Tu nous as protégé par la plus glorieuse alliance. Un autre interprète dit: "Vous le couronnerez, " et nous avertit qu'il est question du juste : que Dieu couronnera le juste, que sa faveur sera pour celui-ci comme une arme, une arme magnifique : ou encore que Dieu protégera le juste par la plus glorieuse alliance, et que ni cette gloire ne sera sans sécurité, ni cette sécurité sans gloire. En effet, quoi de plus fort à la fois et de plus beau que celui qui trouve un rempart dans le bras d'en-haut. Cette couronne est encore une couronne de miséricorde, comme nous l'apprend ailleurs le même David : " Celui qui te couronne en miséricorde et en compassion. " (Ps. CII, 4.) C'est une couronne de justice : " La couronne de justice m'est désormais réservée, " dit Paul. (II Tim. IV, 8.) C'est aussi une couronne de grâce, suivant un autre : " Une couronne de grâce te protégera. " (Prov. IV, 9.) C'est enfin une couronne de gloire, d'après Isaïe : " Ce sera la couronne d'espérance, tressée de gloire." (Isaïe, XXVIII, 5.) Cette couronne renferme tout, bonté, justice, grâce, gloire, beauté.

Car elle est le présent de Dieu, et elle offre en elle toutes ses grâces. C'est de plus une couronne d'immortalité, ainsi que Paul nous l'apprend. " Eux, pour recevoir une couronne impérissable; nous, pour en recevoir une incorruptible. " (I Cor. IX, 25.) Voici donc le sens de notre passage: Vous nous avez revêtu de gloire et de sécurité. Car tels sont les présents de Dieu : solides et pleins de beauté; telles sont ses couronnes. Parmi les hommes, rien de pareil; l'un possède la gloire, mais il ne saurait avoir la sécurité; l'autre vit dans la sécurité mais il manque de gloire : il est difficile que ces deux choses se rencontrent réunies ; et quand cela arrive, ce n'est pas pour longtemps. Par exemple, les grands de la terre sont illustres, glorieux, mais ils ne sont pas en sûreté, et la raison principale qui rend leur situation périlleuse, c'est l'éclat même de leur gloire. La foule des hommes sans nom est en sûreté, grâce à l'obscurité où elle vit : mais les honneurs lui manquent; et c'est justement parce qu'elle est en sûreté qu'elle reste sans honneurs. Il n'en est pas de même à l'égard de Dieu : là, les deux choses, gloire et sécurité, sont réunies dans toute leur plénitude. Ainsi donc, persuadés de la grandeur de ces biens , convaincus avant toute chose que plaire à Dieu est le bien suprême, que ce bien est à la fois pour nous protection, gloire, sécurité et mille avantages encore, parcourons avec patience la carrière qui s'ouvre devant nous et ne nous laissons pas décourager, ne jetons point bas nos armes. Ce genre de guerre, en effet, n'admet point un soldat désarmé : c'est quand le spectacle est fini, qu'on se débarrasse de son attirail : or, le spectacle est fini à l'heure où Pâme se sépare du corps. Par conséquent, tant que nous sommes ici-bas, il faut lutter, et chez nous, et sur la place publique, et à table, malades aussi bien qu'en bonne santé. En effet, c'est durant la maladie qu'un pareil combat est surtout de mise, alors que de toutes parts les souffrances viennent troubler notre âme, quand les douleurs l'assiégent , quand le diable, debout à notre chevet, nous excite à proférer des paroles d'amertume. C'est alors surtout qu'il faut se tenir sur ses gardes, opposer aux coups sa cuirasse, son bouclier, son casque et toute son armure, et ne point cesser de rendre grâces à Dieu. Voilà les traits dangereux pour le diable. Voilà ce qui porte les coups mortels au démon; et c'est alors que l'on conquiert les plus brillantes couronnes. Voyez le bienheureux Job (car rien ne nous empêche de recourir encore à cet exemple) :ce qui contribua le plus à sa gloire, à sa renommée, à son triomphe, c'est la constance inébranlable qu'il déploya dans la maladie, dans la pauvreté, dans la tentation , c'est l'intrépidité de son âme, ce sont les actions de grâces, c'est le sacrifice spirituel qu'il ne cessa d'offrir à Dieu. Car c'est un sacrifice qu'il offrait, en disant ces paroles : " Le Seigneur m'a donné, le Seigneur m'a ôté : ainsi qu'il a plu au Seigneur, il est arrivé. Que le nom du Seigneur soit béni dans les siècles ! " (Job, I , 21.) Et nous aussi faisons (551) de même : dans les tentations, dans les vicissitudes, au milieu des embûches, louons Dieu, bénissons-le sans cesse, et répétons ; Gloire à lui dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

 

 

 

 

EXPLICATION SUR LE PSAUME VI. " SEIGNEUR, NE ME REPRENEZ PAS DANS VOTRE COLÈRE ET NE ME CORRIGEZ PAS DANS VOTRE COURROUX. "
ANALYSE.

1. Que le langage de l'Ancien Testament s'explique en beaucoup d'endroits par la condescendance divine.

2. Que le péché est atténué ou aggravé par les circonstances : divers exemples.

3. Conditions nécessaires pour la guérison des maladies de l'âme.

4. Pénitence de David : exemple proposé aux fidèles.

5. Angoisses salutaires de la pénitence. — Fuite des mauvaises sociétés.

6. De la vigilance à réprimer les moindres atteintes du péché.

1. Quand vous entendez employer en parlant de Dieu, ces expressions " colère, courroux, " n'allez pas vous représenter quelque chose d'humain : ce langage est celui de la condescendance. La divinité est exempte de toute imperfection pareille: mais elle a recours à ces termes afin de frapper les esprits grossiers. Nous aussi, voulons-nous parler à des barbares, nous leur parlons dans leur langue; nous adressons-nous à un petit enfant, nous balbutions comme lui; quand bien même nous serions les plus grands savants de la terre, nous condescendons de la sorte à sa faiblesse. Et faut-il s'en étonner, quand nous allons jusqu'à feindre la colère et en simuler les signes devant le même enfant, pour le corriger? C'est ainsi que Dieu, afin de frapper les hommes grossiers, se sert des termes dont j'ai parlé. Ce qu'il a en vue n'est point de parler dignement de lui-même, mais de rendre service à ceux qui l'entendent. Il montre bien ailleurs qu'il est insensible à la colère en disant : " Est-ce moi, n'est-ce pas eux-mêmes qu'ils mettent en colère? " (Jér. VII, 19.) Mais comment vouliez-vous qu'il se fît entendre des Juifs ? pouvait-il leur dire qu'il ne s'irrite pas contre les méchants, ne les hait point, car la haine est une passion; qu'il ne voit pas les choses humaines, car voir est un acte corporel ? qu'il n'entend pas, car entendre aussi procède de la chair ? Mais t'eût été donner naissance à cette autre opinion détestable, que la Providence ne veille pas sur l'univers, en se refusant à laisser attribuer ces actes à Dieu, beaucoup des hommes d'alors en seraient venus, à méconnaître absolument la Divinité; et cette notion une fois obscurcie, tout était perdu : tandis que l'autre opinion pouvait facilement être amendée. Celui qui est persuadé de l'existence de Dieu, et s'en forme d'ailleurs une idée indigne et grossière, se convaincra,avec le temps, que l'essence divine répugne à une; pareille conception : mais celui qui croit que Dieu est sans providence, qu'il ne s'occupe point des créatures, ou même qu'il n'existe point, que gagnera-t-il à ce qu'on lui révèle la nature (552) impassible de la divinité? Aussi Dieu, après avoir commencé par tenir aux Juifs ce langage, après avoir déposé dans leur esprit la notion de son existence, réforme peu à peu leurs erreurs, et les amène progressivement à la doctrine qui est la nôtre, au langage sublime de la vérité, à la croyance qu'il est inaccessible aux passions. En effet, un autre prophète dit: " Il ne sentira ni la " faim, ni la fatigue." (Isaïe, XL, 28.) Et le même, qui avait parlé de la colère de Dieu, montre ailleurs, dans les termes suivants, que la divinité est impassible : " Est-ce moi, n'est-ce pas eux-mêmes qu'ils mettent en colère? " Un autre avait dit que Dieu est dans le temple; mais le même dit ailleurs : " Il n'y a pas en toi d'homme saint, et je n'entrerai pas dans la ville. " (Osée, XI, 9.) C'est-à-dire que Dieu n'est pas renfermé dans un lieu. Un autre passage indique aux hommes intelligents, sinon à tous les hommes, que l'être affranchi des passions impérieuses qui sont nécessaires à la vie, est, à plus forte raison, exempt des autres. C'est ce qu'on peut conclure de ces paroles : " Tu ne seras pas comme un homme endormi. " (Jér. XIV, 9.) Partout apparaît l'idée de l'impassibilité divine. Ici même, en entendant ce mot de courroux, n'allez point vous figurer une passion. Si les hommes adonnés à l'étude de la sagesse restent, dans une certaine mesure, insensibles à la colère, à plus forte raison en est-il ainsi de la substance impérissable, incorruptible, ineffable, incompréhensible. Les médecins, qui emploient le fer et le feu, n'agissent point ainsi par colère, mais en vue d'une guérison , ils ne sont point irrités contre leurs malades : ils en ont pitié, ils veulent porter remède à leurs maux. Le Psalmiste donc, en disant : " Ne me reprenez point dans votre colère, " veut dire : Ne me demandez point un compte sévère de mes fautes, ne punissez point mes prévarications. " Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis faible. " Ce cri nous convient à tous, quels que puissent être la multitude de nos bonnes couvres, le degré de notre justice. De là ces paroles qu'on rencontre plus loin chez le même: " Tout ce qui vit ne sera point justifié en votre présence. " (Ps. XIV, 2.) Et encore : " Si vous observez les iniquités, qui restera debout? " (Ps. CXXIX, 3.) Paul dit aussi: " Je n'ai conscience de rien, mais ce n'est point en cela que je suis justifié. " (I Cor. IV, 4) Et un autre : " Qui se vantera de posséder un coeur pur? qui prétendra être exempt de souillure?" (Prov. XX, 9.) Ainsi nous avons tous besoin de la miséricorde, mais nous ne la méritons pas tous également. En effet, tout en étant la miséricorde, elle ne se donne qu'à celui qui la mérite. Dieu le dit à Moïse: " J'aurai pitié de celui dont j'aurai pitié, je ferai miséricorde à celui à qui je ferai miséricorde. " (Exod. XXXIII, 19.) Ainsi celui qui aura mérité de quelque façon la miséricorde pourra dire : " Ayez pitié de moi; " mais celui qui se sera interdit à lui-même ce recours, aura beau tenir le même langage; car si la miséricorde devait être accordée à tous, il n'y aurait plus de châtiment pour personne. Mais la miséricorde elle-même nécessite un certain jugement préalable; elle se donne à celui qui la mérite, qui est en état d'en jouir.

2. Beaucoup du moins ont commis les mêmes fautes, qui n'ont pas été punis du même châtiment, parce qu'ils n'avaient pas les mêmes raisons à produire : si vous voulez, nous nous arrêterons à présent sur ce point. Tous les Juifs péchèrent, tous tombèrent dans l'idolâtrie; mais ils rie furent pas également punis: les uns furent frappés, les autres obtinrent leur pardon. En effet, ce n'est pas l'acte seul qui est considéré dans le péché, c'est encore l'intention, la circonstance, le motif, enfin ce qui a suivi la faute : s'il y a eu endurcissement ou repentir, tentation ou fraude et préméditation. Beaucoup de points sont à rechercher, en ce qui touche à la différence des conjonctures, à la législation régnante. Par exemple, on a péché sous l'ancienne loi, on pèche sous la nouvelle : mais la punition n'est pas la même dans les deux cas; elle est plus rigoureuse dans le second. C'est ce que Paul fait entendre par ces paroles: " Celui qui viole la loi de Moïse meurt sans aucune miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins. Combien donc pensez-vous que mérite de plus affreux supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, et tenu pour profane le sang de l'alliance? " (Héb. X, 28-29.) Par ces mots : " Combien pensez-vous que mérite de plus affreux supplices, " il indique un surcroît de rigueur. On a péché avant la loi, on a péché sans la loi. Les premiers de ces pécheurs sont moins sévèrement punis. Ce que l'Apôtre fait entendre, en disant : " Ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi. " (Rom. II, 12.) Qu'est-ce à dire ? C'est à dire qu'ils ont la nature pour accusatrice, et que les autres en ont une (553) seconde encore qui est la loi; que plus on a reçu d'instruction, plus on subira une peine rigoureuse. La même différence s'observe eu ce qui concerne les dignités : c'est ce que montre clairement le sacrifice. La victime était la même pour racheter le péché du peuple tout entier que pour expier celui du prêtre seul. On voit par là que, plus le rang est élevé, plus le châtiment est rigoureux. La femme du commun, qui s'était prostituée, périssait. La fille du prêtre était brûlée. Il y a encore une autre cause d'allégement ou d'aggravation: pour la peine de deux pécheurs, par exemple, l'un est châtié en ce monde, l'autre vit au sein des plaisirs. Celui-ci sera puni plus rigoureusement là-haut, celui-là avec plus de douceur, s'il n'est pas absolument déchargé de sa dette. Le Christ indique cela, lorsqu'il nous montre Abraham disant au riche : " Tu as reçu tes biens, celui-ci ses maux, et maintenant celui-ci est consolé, et toi, tu souffres. " (Luc, XVI, 25.) Cet homme, à cause de ses souffrances, avait été relevé de tout châtiment, d'autres ne le sont qu'en partie, et leur punition est seulement allégée. On trouvera de même que le degré d'intelligence met une différence entre les châtiments, si l'on fait attention à cette parole : " Le serviteur, qui sait la volonté de son maître et ne l'accomplit pas, recevra des coups nombreux; celui qui ne la connaît pas et ne l'accomplit pas, recevra peu. " (Id. XII, 47-48.) On relèverait bien d'autres raisons qui modifient le châtiment, la miséricorde, la charité. Prenons, par exemple, le premier homme. Eve pécha, Adam pécha, et leur faute fut pareille. Tous deux avaient mangé du fruit de l'arbre, mais ils ne furent point également punis. Caïn commit un meurtre, Lamech aussi; mais l'un obtint miséricorde, l'autre fut châtié. Quelqu'un avait ramassé du bois le jour du sabbat, il fut puni inexorablement. David avait été homicide, adultère, et il fut traité charitablement. Appliquons-nous à cette recherche, cela vaut mieux que de donner son attention aux propos frivoles de la place publique. Ici trouver n'est pas le seul avantage, chercher sans trouver est encore un profit. Car la difficulté même nous donnera de l'occupation, et réclamera tout notre temps.

Pourquoi donc (je reviens à notre sujet), lorsque tous les Juifs avaient contribué à l'érection du veau d'or, les uns furent-ils punis, les autres, non? C'est que les uns se repentirent et allèrent jusqu'à oublier la nature, lorsqu'ils égorgèrent leurs proches par piété; les autres persévérèrent dans le crime. Le péché était égal, ce qui le suivit ne fut point pareil des deux côtés. Et pourquoi la peine infligée à, Adam et Eve ne fut-elle point la même pour un même péché? Parce que ce n'était point la même chose d'être trompé par une femme ou par un serpent. Ecoutez comment Paul entend la tromperie : " Adam ne fut pas trompé; mais a sa femme trompée tomba dans le péché. " ( I Tim. II, 14.) Et pourquoi celui qui avait ramassé le bois n'obtint-il pas d'indulgence? Parce qu'il y avait une grande iniquité à transgresser le précepte dès le début, et qu'il fallait inspirer une vive crainte aux autres. La même chose arriva pour Saphire et pour Ananie. En conséquence, lorsqu'il nous arrive à nous-mêmes de pécher, examinons si nous sommes dignes de miséricorde, si nous avons fait quelque chose pour obtenir compassion, si nous nous sommes repentis, améliorés, corrigés. En effet, le salut accordé au repentir est un salut dû à la miséricorde. C'est par là que David lui-même demande à être sauvé, à force de larmes, de gémissements. " Je laverai," dit-il, " chaque nuit ma couche, je mouillerai mon lit de mes larmes. " (Ps. VI, 7.) Mes larmes, c'est-à-dire ma componction. " Mes os ont été troublés " (Ibid. 3), " et mon âme a été dans un grand trouble. " (Ibid. 4.) Il n'en vient pas tout de suite à son objet, il allègue la fragilité de sa nature en disant : " Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis faible. " Il parle ainsi, pour montrer que cela ne suffit pas; si cela suffisait, nous serions tous sauvés par là; car nous sommes tous des hommes.

3. Mais, à vrai dire, s'il faut presser le sens de ses paroles, ce n'est pas là peut-être ce qu'il veut exprimer. Il fait plutôt allusion à la faiblesse qui résulte des tentations, et il s'en fait justement un titre pour obtenir miséricorde et clémence. Du moins, il y fait allusion dans la suite en disant : " J'ai vieilli parmi tous mes ennemis. " (Ibid. 8.) En effet, la tribulation endurée avec gratitude, a le don d'attirer sur nous de grandes grâces et de nous rendre Dieu propice. Ce sont donc ces grâces qu'il me paraît avoir en vue, lorsqu'il dit : " Guérissez-moi, Seigneur, parce que mes os ont été troublés, et que mon âme a été dans un grand trouble. " Il ne dit pas: pardonnez-moi, ni faites-moi rémission, mais bien : " (554) Guérissez-moi. " Il demande que ses précédentes blessures soient cicatrisées. En disant " Mes os, " il désigne sa force en général; le trouble, c'est la peine, le châtiment, les coups portés: Guérissez-moi, Seigneur, parce que " mes os ont été troublés, et que mon âme a été dans un grand trouble. " On distingue ces trois choses quand il s'agit de guérir le corps, ou plutôt on en distingue quatre ou cinq; le médecin, son art; le malade, la maladie; la vertu des remèdes; de l'opposition de ces choses, résulte une espèce de combat; si le médecin, la médecine, les remèdes ont pour auxiliaire la volonté du malade, ils triomphent de la maladie. Si, au contraire, le malade refuse de les assister, il se livre lui-même à la maladie; quelquefois même il prend parti pour elle contre le médecin, les remèdes et la médecine, et alors il se tue. C'est la même chose dans le cas présent, ou plutôt, c'est quelque chose de bien plus extraordinaire. Souvent, dans les maladies que traitent les médecins, le malade se range du côté de la médecine et des remèdes, sans y rien gagner, parce que sa constitution est affaiblie, parce que l'art est devenu impuissant, parce que les remèdes ont perdu leur vertu sous l'influence de quelque conjoncture funeste. Il n'en est pas ainsi quand c'est Dieu qui est le médecin; pour peu que vous soyez avec lui, votre plaie est infailliblement guérie. Car ce n'est pas ici un art humain sujet à l'incertitude, mais une divine efficace, plus forte que les tempéraments, les maladies, les infirmités morales et toutes les imperfections. C'est pourquoi David s'adresse à Dieu comme à un médecin, et lui dit en gémissant : " Guérissez-moi, Seigneur, parce que mes os ont été troublés. " Quelques-uns prétendent qu'il a ici en vue le trouble produit par le péché. En effet, comme on voit des vents furieux, une fois déchaînés sur la mer, la bouleverser, porter à la surface le sable qui était au fond, et mettre en danger les navigateurs; ainsi notre âme se trouble quelquefois, notre corps est agité, la tempête ébranle tout notre être, le tumulte règne sur notre navire, les ténèbres l'enveloppent, tout quitte sa place, la confusion se met partout. C'est ce qui arrive surtout dans les passions dissolues; la même chose se passe encore dans la colère et dans les infortunes. Tout cela trouble notre âme et nos os, nos prunelles sortent de leur orbite, nos yeux même s’égarent; ainsi que les chevaux courent en désordre quand le cocher a perdu son sang-froid, ainsi quand la raison est aveuglée, tout se confond, tout s'égare, tout sort de sa propre vie. Mais, comment naît ce trouble? c'est ce qu'il est nécessaire maintenant d'expliquer.

Si c'est la fureur des vents qui soulève les flots, il n'en est pas ainsi dans notre âme; ici, la cause du désordre n'est point un hasard extérieur, mais notre propre nonchalance. C'est à nous qu'il appartient de le prévenir ou de le permettre. Par exemple, une fois la concupiscence éveillée, si vous évitez d'attiser la flamme, d'alimenter le foyer, la fournaise est vite éteinte. Or, vous l'éviterez, si vous détournez vos regards des visages séduisants, si vous ne leur permettez pas de s'attacher curieusement sur les belles formes, si vous fuyez les théâtres d'iniquité. Si vous savez sevrer la chair, préserver votre pensée de l'ivresse, la flamme ne s'élèvera point, la fournaise ne s'échauffera pas, vous ne stimulerez pas en vous la férocité de la brute, vous ne laisserez pas l'orage altérer la pureté de votre âme. Est-ce donc assez, dira-t-on, pour échapper à l'incendie du péché? Non, cela ne suffit point, il faut y joindre encore autre chose; des prières continuelles, de vertueuses fréquentations, un jeûne modéré, un régime frugal, des occupations régulières, avant toute chose, la crainte de Dieu, l'idée du jugement futur, des redoutables supplices, des récompenses promises. Par tous ces moyens, vous pouvez refréner la rage de la concupiscence, et calmer en vous la tempête. " Mais vous, Seigneur, jusques à quand? Tournez-vous vers moi, Seigneur, délivrez mon âme, sauvez-moi par l'effet de votre miséricorde. " (Ps. VI, 5.) Il répète constamment ce mot " Seigneur, " comme pour s'en faire un titre à la grâce et au pardon; et, en effet, voilà notre plus ferme espérance; elle réside dans la bonté ineffable de Dieu, dans son penchant naturel à l'indulgence. Quant à cette expression " Jusques à quand, " il ne faut pas l'imputer au découragement ni à l'amertume; elle ne marque que l'excès des souffrances d'un homme accablé sous le faix des épreuves.

4. " Tournez-vous vers moi, Seigneur, délivrez mon âme. " Ici il demande en même temps à Dieu de diriger vers lui ses regards et de défendre son âme. Les justes ne tiennent à rien autant qu'à se réconcilier avec Dieu, à se le rendre bienveillant, propice, à faire qu'il ne (555) se détourne pas d'eux. Après cela vient une seconde prière pour le salut de son âme. La plupart des hommes, surtout des hommes grossiers, ne songent qu'à une chose, à jouir ici-bas de la prospérité. Il n'en était pas ainsi de ces justes; ils songeaient surtout au salut de leur âme, lequel passait avant toute autre chose à leurs yeux. " Parce qu'il n'y a dans la mort personne qui se souvienne de vous; dans l'enfer, qui vous rendra témoignage? " (Ib. 6.) Voyez tout ce qu'il allègue pour être sauvé. " Je suis faible, " dit-il, " mes os ont été troublés; " si j'adresse au Seigneur une pareille requête, c'est qu'il n'y a dans la mort personne qui se souvienne de lui. Il n'entend point par là que le présent soit tout pour nous; à Dieu ne plaise ! Il connaît la promesse de la résurrection. Il veut dire qu'après le départ d'ici-bas, le repentir devient inutile. Le riche aussi confessait ses fautes et s'en repentait, mais en vain, parce qu'il n'était plus temps. Les vierges aussi auraient voulu recevoir de l'huile, mais personne ne leur en donna. David souhaite donc de pouvoir en ce monde expier ses péchés, afin de comparaître avec confiance au redoutable tribunal. Il fait voir ensuite que la bonté divine réclame le concours de nos œuvres, qu'en vain nous allèguerions notre faiblesse, notre trouble, la clémence de Dieu, ou ce dernier motif qu'il vient de faire valoir, si, de notre côté, nous n'avons pas fait tout notre possible, et voici comment il s'exprime aussitôt après: " Je me suis fatigué dans mes gémissements; j'arroserai chaque nuit ma couche; je mouillerai mon lit de mes larmes. " (Ib. 7.)

Ecoutez, hommes d'humble condition, quelle fut la pénitence de ce roi vêtu de la pourpre; écoutons et soyons pénétrés de componction. — C'est peu de souffrir, il se fatigue à force de gémissements; c'est peu de pleurer, il arrose sa couche, et non pas un, deux, trois jours, mais tous les jours sans exception ; et il ne parle pas seulement du passé, mais encore de l'avenir. — Gardez-vous donc de croire, qu'après l'avoir fait une fois, il se soit ensuite abandonné au relâchement; il ne cessa d'agir de la sorte sa vie durant. Ce n'est pas comme nous,qui après un repentir d'un jour (quand il a duré tout un jour), nous abandonnons à la gaité, au plaisir, au relâchement. David ne cessait de verser des larmes. Imitons cette assidue pénitence. Car si nous refusons de pleurer ici-bas, ailleurs il nous faudra pleurer et gémir; et ce sera chose inutile, tandis qu'en ce monde ce serait pour notre bien; là, ce sera pour notre honte, ici, ce serait avec honneur. Que c'est là une nécessité, c'est ce que le Christ nous révèle en ces termes: "Là seront les pleurs elles grincements de dents. " (Matth. VIII, 12.) Mais il n'en est pas ainsi de ceux qui pleurent ici-bas : ils trouveront d'abondantes consolations: "Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés. Malheur à vous, riches, parce que vous recevez votre consolation." Vous qui dormez sur des lits d'argent, écoutez quelle était la couche de ce roi : elle n'était point décorée d'or, ni incrustée de pierres précieuses, mais arrosée de larmes. Ses nuits n'étaient pas des nuits de repos, mais des nuits de gémissements et de lamentations. Distrait par mille soucis durant le jour, il consacrait à la pénitence le temps que tout le monde réserve pour le repos; et c'est alors qu'il gémissait tout à son aise. Il est toujours beau de pleurer, mais jamais autant que pendant la nuit , lorsque nul importun n'est là pour nous troubler dans ces étranges délices, et que nous pouvons nous en rassasier à notre gré et sans être dérangés. Ceux qui en ont fait l'épreuve savent ce que je dis, et quel bonheur procurent ces torrents de larmes. Voilà ce qui peut éteindre le feu inextinguible, et tarir le fleuve qui coule devant le tribunal. Voilà pourquoi Paul aussi pleura nuit et jour durant trois années, dans son zèle à porter remède aux maux d'autrui : mais nous, nos propres maux nous laissent indifférents; nous nous livrons à la gaîté, au plaisir, et, la nuit venue, nous tombons dans un profond sommeil. Ce sommeil-là est pareil à la mort : mais d'autres passent la nuit dans des veilles pires que la mort, tout occupés à ce moment de créances, d'intérêts, d'entreprises contre le prochain. Autrement font les sages: ils cultivent leurs âmes, les arrosent d'une pluie de larmes, qui fait fructifier en elles les germes de la vertu. Point de vice, point de débauche qui ait accès dans une couche baignée de larmes pareilles. Celui qui les répand regarde comme rien les choses de la terre : il fortifie son âme contre toute attaque, il rend sa pensée plus sereine que la lumière du jour. Et n'allez pas croire que je ne parle ici que pour des moines : mon exhortation s'adresse aux hommes du siècle, à eux principalement : car ce sont eux qui ont le plus besoin des remèdes de la pénitence, (556) L'homme qui gémit de la sorte se lèvera portant dans son âme la sérénité d'un port paisible, libre désormais de toute passion; c'est avec un bonheur sans mélange, avec une confiance parfaite qu'il se rendra alors à la maison de Dieu; c'est avec joie qu'il conversera avec son prochain ; car la colère sera loin de son coeur ; il ne sentira ni l'aiguillon de la concupiscence , ni celui de la cupidité ou de la jalousie , ni rien de semblable : Car les gémissements et les larmes de la nuit auront refoulé dans leurs tanières ces monstres furieux. " Le courroux a troublé mes yeux. " (Ps. VI, 8.) Voyez-vous la contrition de cette âme? Après avoir parlé de son repentir, il revient sur ses maux, sur le trouble de ses pensées, sur la crainte de la colère divine.

5. Il entend ici par oeil cette portion raisonnable et perspicace de l'âme, que trouble ordinairement en nous la conscience de nos fautes. Comme il ne cessait d'avoir ses fautes devant les yeux, il se représentait aussi la colère de Dieu, et vivait dans la crainte, les angoisses, le tremblement, et non comme tant d'autres, dans l'insensibilité. Un tel trouble engendre le calme; une telle crainte est un principe de sécurité. Quiconque éprouve ces angoisses échappe à tout orage; faute d'avoir l'âme en cet état, on sera exposé à toute la fureur des vagues. Et de même qu'une barque sans lest, livrée aux assauts des vents furieux, ne tarde pas à être engloutie : ainsi l'âme qui vit dans l'apathie doit s'attendre à d'innombrables maux. Aussi le bienheureux Paul, ayant en vue ce genre de douleur, disait-il : " Ceux qui, devenus insensibles, se sont livrés à l'impudicité, à toutes sortes de dissolutions, à l'avarice. " (Ephés. XIV, 19.) Ainsi qu'un pilote garantit la sécurité de tous les passagers, tant qu'il est lui-même inquiet sur leur sort, et leur cause, au contraire, de vives alarmes, s'il vient à perdre ce souci et à s'endormir; de même l'homme qui vit dans les angoisses, le trouble, le tremblement, met en repos sa propre pensée, tandis que celui qui s'abandonne au. sommeil de l'insouciance cause le naufrage de son esquif. " J'ai vieilli parmi tous mes ennemis. " Qu'est-ce à dire : " J'ai vieilli? " C'est-à-dire, j'ai perdu ma force sous leurs coups. Ce monde est un lieu de combats, mille ennemis désolent notre vie; et les fautes où nous tombons ne font que les rendre plus forts. Il faut donc travailler de toutes nos forces à leur échapper, et fuir toute réconciliation avec eux : c'est le plus sûr moyen de nous sauver. Paul fait allusion à cette phalange d'ennemis en disant : " Nous n'avons point à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres. " (Ibid. VI, 12.) Si telle est la phalange de nos ennemis, toujours et sans cesse, il faut être en armes et fuir les assauts du péché. Car il n'y a rien de si belliqueux par nature que le péché. Aussi Paul nous dit-il, pour nous exhorter à sortir de l'endurcissement : " Ne vous conformez point à ce siècle, mais transformez-vous par le renouvellement de votre esprit. " (Rom. XII, 2.) Ainsi, quand le péché vous aura fait vieillir, rajeunissez-vous par la pénitence. " Retirez-vous de moi, vous " tous, qui opérez l'iniquité, parce que le Seigneur a entendu la voix de mes gémissements. " (Ps. VI, 9.) " Le Seigneur a entendu ma demande, le Seigneur a accueilli ma prière. " (Ibid. 10.) Encore une méthode excellente pour arriver à la vertu : fuir les méchants. Le Christ nous le recommande si fortement, qu'il nous prescrit de nous séparer des amis qui sont pour nous comme des membres de notre corps, pour peu qu'ils nous scandalisent, et que leur société nous soit nuisible. " Si votre oeil vous scandalise, " dit-il, " arrachez-le. Si votre main vous scandalise, coupez-la et rejetez-la loin de vous. " (Matth. V, 29, 20.) Ce ne sont point les membres qu'il a en vue, à Dieu ne plaise ! mais ces amis intimes, dont il faut mépriser l'amitié, quand elle n'est pas utile, mais nuisible, à eux-mêmes et à nous. Fidèle à ce précepte, David, non content de ne pas rechercher les mauvaises sociétés, leur prescrivait encore de fuir loin de lui.

6. Voilà le fruit de la pénitence, voilà l'avantage des larmes. L'âme ainsi contrite est désormais détachée de toute passion. Suivons cet exemple: et eussions-nous pour ami un homme couronné du diadème, si cette amitié nous est funeste, sachons la fouler aux pieds. Car rien n'est plus méprisable qu'un homme, monarque ou autre, une fois qu'il vit dans l'iniquité tandis que, d'autre part, le dernier captif est supérieur à tous les rois, si la vertu habite en lui. " Parce que le Seigneur a entendu la voix de mes pleurs. " Il ne dit pas simplement: a entendu ma voix, mais bien : " a entendu la voix de mes pleurs. " Vous voyez comment lui-même il n'épargne rien de son côté, ni sa (557) voix, ni ses pleurs, par voix, entendant ici, non pas un cri, à proprement parler, mais une direction (le la pensée, et par pleurs, non-seulement ceux que les yeux répandent, mais encore ceux qui viennent de l'âme ! En effet, celui qui montre du repentir et qui est entendu de Dieu, n'a pas de peine non plus à consommer cette autre bonne oeuvre, la rupture de tout commerce avec les méchants.

" Que tous mes ennemis rougissent et rentrent en eux-mêmes. Qu'ils se détournent en arrière, et soient confondus sur-le-champ. " (11.) Voilà la plus utile des prières, rougir et revenir sur ses pas. Ceux qui courent au mal n'ont qu'à être pris de honte et à rebrousser chemin pour se corriger de leur perversité. Nous voyons un homme prêt à tomber dans un précipice ; nous l'arrêtons dans sa course, en lui criant : Où vas-tu, mon ami? Un abîme est devant toi. C'est ainsi que David presse les méchants de revenir sur leurs pas. Un cheval emporté, si l'on ne se hâte de le retenir, aura bientôt péri. De même encore, le venin des reptiles, finit par infecter tout le corps qu'ils ont blessé, si les médecins ne s'empressent d'en réprimer les progrès, et d'en arrêter ainsi les ravages. Faisons de même, nous aussi, et hâtons-nous de guérir nos infirmités, si nous ne voulons pas que le temps envenime le mal. Car la blessure du péché, pour peu qu'on la néglige gagne du terrain ; et la maladie ne se borne pas à une simple plaie, elle finit par engendrer la mort éternelle , tandis que si nous extirpons le mal dans son principe, nous ne serons pas exposés à le voir grandir. Songez-y bien : celui qui aura pris l'habitude de n'attaquer personne, ignorera la lutte ; s'il ignore la lutte, il saura aimer ; s'il sait aimer, il n'aura point d'ennemi; s'il n'a point d'ennemi, et ne montre que de la charité, il sera paré de toutes les vertus. — N'allons donc point négliger les débuts, si nous ne voulons que nos maux s'augmentent. Si Judas avait réprimé en lui la passion des richesses, il n'aurait pas été sacrilège ; s'il n'était point tombé dans ce crime, il n'aurait point été précipité au plus profond de l'abîme. — C'est pourquoi le Christ ne se borne point à réprimer la fornication ni l'adultère, il va jusqu'à défendre les regards déréglés; il arrache pour ainsi dire la racine même du mal , afin de rendre plus aisée la défaite du vice. — Il agit de même à l'égard des Juifs, b;en qu'avec des formes plus grossières, et comme sous le voile de l'allusion, parce qu'il avait affaire à des hommes charnels. Comment cela, de quelle façon? Il interdit l'accouplement des animaux d'espèces différentes. Il interdit de boire le sang des bêtes; il interdit de garder les gages après la chute du jour, et par là il réprima de grands crimes : d'une part, la sodomie, d'autre part, le meurtre, enfin la cruauté et la barbarie. Mais aujourd'hui la négligence , l'impudence sont au comble : aussi tout est bouleversé. Par conséquent, dès que vous recevez la plus faible atteinte, au lieu de considérer que c'est peu de chose, songez au résultat funeste qu'elle peut avoir, si vous en laissez les ravages s'étendre. Pour peu que nous voyions dans une maison quelques étoupes allumées, nous voilà dans le trouble et l'effroi : ce n'est pas ce commencement d'incendie qui nous épouvante, ce sont les suites qu'il pourrait avoir; voilà pourquoi nous courons éteindre ce foyer jusqu'à la dernière étincelle. Eh bien ! le vice est pour l'âme un fléau plus dévorant que ce feu. Songeons donc à l'arrêter dès sa naissance. Car pour peu que nous nous relâchions, il nous sera plus malaisé ensuite d'en triompher. C'est ainsi encore que sur un vaisseau, les nautoniers pour s'émouvoir n'attendent pas que la mer soulève ses vagues au-dessus de leurs têtes : ses menaces mêmes les alarment. — Ne voyons donc pas les plus petits de nos péchés avec indifférence; réprimons-les, au contraire, de toute notre force, afin d'échapper aux fautes plus graves, et d'obtenir les récompenses éternelles, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

EXPLICATION SUR LE PSAUME VII. PSAUME POUR DAVID QUI LE CHANTA AU SEIGNEUR, A CAUSE DES PAROLES DE CIIUS, FILS DE JÉMINI : " SEIGNEUR, MON DIEU, C'EST EN VOUS QUE J'AI MIS MON ESPÉRANCE : SAUVEZ-MOI DE TOUS CEUX QUI ME PERSÉCUTENT, ET DÉLIVREZ-MOI. "
ANALYSE.

1. Portrait de Chus et d'Achitophel.

2. Dévouement de Chus. Son entrevue avec Absalon.

3. Sens de l'expression filon Dieu et du mot Lion dans l'Ecriture. — De la prière.

4. Six conditions d'une bonne prière. — David outre-passe les exigences de l'Ancienne Loi.

5. Confiance fondée de David. — Qu'il n'est pas défendu d'avoir des ennemis, mais de mériter d'en avoir et de les hait.

6. Que le persécuteur est plus à plaindre que sa victime.

7. Conciliation avec d'autres textes de l'Ecriture.

8. Démonstration de la divine Providence.

9. Utilité du châtiment. — Du bonheur de quelques méchants.

10. Longanimité de Dieu.

11. Contre l'anthropomorphisme. — Bonté de Dieu révélée par ses menaces mêmes. 12. Continuation du môme sujet. — Utilité de l'exemple.

13. Remords et malheur des méchants.

14. Châtiment des méchants dans ce monde même.

15. Dureté d'Absalon, bonté de David : patience de Dieu.

16. Qu'il faut faire le bien pour l'amour de Dieu.

1. Il serait à souhaiter que vous fussiez tellement versés dans la connaissance des Ecritures et de leurs histoires, que nous n'eussions pas besoin de longs discours pour vous les enseigner. Mais comme beaucoup les ignorent, les uns à cause des affaires mondaines, dont ils s'occupent uniquement , les autres par pure insouciance, il est nécessaire de nous étendre un peu sur le sujet de ce psaume. Prêtez-moi donc une oreille attentive. Quel est ce sujet ! " Psaume pour David qui le chanta au Seigneur. " Un autre dit : " Psaume pour David touchant l'ignorance; " un autre: "Ignorance pour David, " et à la place de " Chus " il met " l’Ethiopien. " Mais cela ne vous éclaircit rien, parce que l'histoire vous est inconnue. Cependant, comme je ne suis pas ici seulement pour vous réprimander, mais encore pour vous instruire, je vais commencer ce récit. Qu'était-ce donc que ce Chus, fils de Jémini, et quelles étaient ces paroles sorties de sa bouche, à l'occasion desquelles David chanta cet hymne à Dieu ? C'est ce que nous allons voir, en reprenant les choses depuis le commencement.

David eut un fils du nom d'Absalon, jeune homme déréglé et corrompu : cet Absalon finit par se révolter contre son père; il le déposséda de son trône, de son palais, de sa patrie, sans avoir égard ni aux devoirs du sang, ni à ceux de la reconnaissance : il oublia tout en un mot, il était si barbare et si dénaturé, si pareil à une bête plutôt qu'à un homme, que, brisant tous les liens, il foula aux pieds les lois de la nature, et remplit tout de (559) désordre et de confusion. En effet, c'était tout bouleversera. la fois, prescriptions de la nature, respect de l'opinion, piété envers Dieu, charité, compassion, reconnaissance filiale, respect de la vieillesse. S'il ne voulait pas respecter en David son père, au moins devait-il l'honorer comme un vieillard. Si des cheveux blancs ne lui inspiraient pas de vénération, au moins aurait-il dû en montrer pour son bienfaiteur; et, à tout le moins, ménager un homme qui ne lui avait fait aucun mal. Mais la passion du pouvoir bannit de son coeur tout sentiment de retenue , et en fit une véritable bête féroce. Et voici que notre bienheureux, celui qui avait engendré, nourri ce fils ingrat, errait dans le désert comme un misérable vagabond, accablé de tous les maux qui pèsent sur un exilé, tandis que son fils jouissait en paix des biens paternels. Les choses en étaient à ce point, les armées obéissaient au rebelle, les villes reconnaissaient son usurpation; seul, un homme vertueux, un ami de David, nommé Chus, restait fidèle à son amitié dans ce changement de fortune; en le voyant errer sans fin dans le désert, il déchira sa tunique, se couvrit de cendres, poussa un amer et pitoyable gémissement; et, dans son impuissance, il consola du moins l'infortuné avec des larmes. Ce n'était point la fortune ni la puissance, mais bien la vertu qu'il aimait chez David : voilà pourquoi son amitié survécut même à la déchéance du roi. David, en le voyant agir de la sorte, lui dit : C'est déjà faire preuve d'attachement et d'une sincère affection pour nous ; mais cela ne peut nous servir de rien : il faut tenir conseil, et aviser aux moyens de nous délivrer des infortunes présentes, de nous soulager dans notre malheur.

Il dit et fait à Chus la proposition suivante Va-t-en auprès de mon fils, et, sous le masque d'un allié, confonds ses projets, préviens l'accomplissement du dessein d'Achitophel. Cet Achitophel régnait alors sur l'esprit de l'usurpateur; c'était un bon guerrier, un général habile à conduire une guerre, à décider les succès d'un combat : aussi inspirait-il plus de crainte à David que l'usurpateur lui-même, à cause de son intelligence et de son habileté. Chus, entendant cela, obéit, sans lâche hésitation, sans pensée pusillanime; il ne dit point Et si je suis pris ? Et si je suis démasqué ? Et si l'on découvre le secret de la comédie? C'est un habile homme qu'Achilophel : il pourra bien deviner cette ruse, me prendre sur le fait : et alors je périrai : voilà tout ce que nous y aurons gagné. Rien de pareil : il court au camp de l'usurpateur, après s'être reposé sur Dieu de toute chose, et s'élance au milieu des dangers.

Si j'ai insisté là-dessus, ce n'est pas seulement pour attirer des éloges à Chus, c'est encore pour vous faire comprendre toutes les épreuves que David eut à subir, c'est enfin pour mettre dans un plus grand jour tous les fruits que l'on peut retirer de cette histoire. Voyez en effet : le vulgaire ne cesse de demander pourquoi les justes sont persécutés tandis que les méchants demeurent en repos. C'est la même chose ici. Le juste était dans l’infortune; le pervers, le parricide, le rebelle en guerre avec la nature elle-même, vivait dans la prospérité, au sein d'un palais : mais il ne lui revint de cela aucun profit, comme à notre saint aucun dommage. L'un n'y gagna que de pires tribulations; l'autre en retira une gloire plus éclatante; comme on voit reluire, au sortir de la fournaise, l'or que l'épreuve a purifié.

2. Tirez donc de là cette première leçon, de ne point vous laisser étonner par les infortunes que vous voyez fondre sur les justes. Apprenez en second lieu, à ne pas changer avec la fortune, à respecter les lois de l'amitié; en troisième lieu, à braver les dangers pour la vertu; enfin, à ne pas désespérer dans les circonstances difficiles, à compter sur le secours de la divinité. — C'est ainsi que ce Chus dont je parle, ne réfléchit alors ni à l'armée de l'usurpateur, ni aux alarmes qu'il inspirait, ni à la multitude de ses cavaliers, ni aux innombrables phalanges de ses hoplites, ni aux villes dont il s'était déjà rendu maître, ni à l'abandon auquel était réduit David, à son isolement, à sa faiblesse : il ne vit qu'une chose, l’irrésistible secours de Dieu, sa protection : et comparant, à ce point de vue, les deux partis, il jugea l'un faible, et l'autre fort. En effet, Absalon agissait avec injustice, David au contraire, en se défendant, avait le bon droit pour lui. Il se rangea donc, non du coté du nombre, mais du côté on combattait la vertu; et ainsi il attira sui lui la bénédiction divine. Je dis cela, afin que nous-mêmes, nous ne négligions pas ceux qui ont la justice, pour eux; en voyant leur faiblesse; afin que d'autre part nous fuyions l'alliance des méchants, quel que puisse être leur pouvoir.

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En effet le vice, quand même il aurait pour lui toute la terre, est ce qu'il y a de plus faible au monde; la vertu, au contraire, même dénuée de tout appui, est ce qu'il y a de plus puissant: car elle a Dieu pour défenseur. Qui pourrait donc sauver celui qui a Dieu pour ennemi? Et qui pourrait perdre celui qui l'a pour auxiliaire? Pénétré de ces vérités, Chus s'en alla plein de confiance où David l'envoyait. Dès qu'il fut arrivé, voyant l'usurpateur approcher, il l'aborda. Absalon qui l'avait vu plus d'une fois, et qu'enivrait l'amour de la puissance, ne s'arrête point à l'examiner minutieusement; il le raille, il l'injurie : Va-t-en, lui dit-il, avec ton ami : il ne daigne pas même le nommer, dans l'excès de sa haine et de son animosité. Chus alors sans se troubler, sans se déconcerter, lui répond : Quand Dieu était avec lui, je lui étais attaché : maintenant que Dieu est avec toi, il en résulte que je dois te servir. Ce discours flatta et enorgueillit le tyran; et sans autre enquête (l'homme léger est crédule, ce fut le cas d'Absalon) il se livre à ses ennemis, en admettant sur-le-champ Chus au nombre de ses fidèles, en l'inscrivant au premier rang de ses amis. Mais Dieu conduisait tout: il était là, il dirigeait les événements. Après cela, on tint conseil au sujet de la guerre, divers avis furent ouverts sur la question de savoir s'il fallait attaquer incontinent, ou différer un peu. Achitophel, cet habile conseiller, s'avance, prend la parole et fait la proposition suivante. Il faut attaquer ton père maintenant qu'il est abattu et découragé. C'est en ne lui laissant pas le temps de respirer que nous pourrons nous en rendre maîtres : il ne s'attend à rien; si nous l'attaquons maintenant, nous n'aurons aucune peine à vaincre. Après avoir entendu cet avis, l'usurpateur appelle Chus, le faux transfuge et l'invite à parler à son tour : il n'était pas dans l'ordre des choses humaines qu'il accordât un pareil honneur, une pareille confiance à un homme qui venait à peine d'arriver, qu'il le consultât sur une affaire de cette importance; mais, ainsi que je l'ai dit plus haut, quand c'est Dieu qui commande, les choses les plus difficiles deviennent aisées. Chus est introduit : Absalon lui donne le droit de parler, et l'invite à faire connaître sa pensée. Que fait Chus alors? Jamais, dit-il, Achitophel ne s'est trompé. Voyez-vous son adresse? Il ne donne pas brusquement son avis, il 'y joint un éloge. Il commence par rendre hommage à la prudence ordinaire des conseils d'Achitophel, puis il accuse l'opinion que ce même conseiller vient d'énoncer en dernier lieu.

Voici comment il s'exprime: Je ne sais comment il s'est trompé cette fois; son idée ne me paraît pas bonne à suivre. Si nous attaquons à présent, ton père poussé à bout comme un ours dont on excite la fureur, et désespérant désormais de sa vie; combattra avec tout l'acharnement de la rage, ne songera point à ménager ses jours et fondra sur nous avec toute l'impétuosité dont il est capable. Au contraire, si nous prenons quelque répit, nous serons mieux préparés pour l'attaque, plus sûrs du succès, et nous n'éprouverons aucune peine, aucune difficulté à le prendre, pour ainsi dire, au piège, et à le ramener prisonnier. Absalon approuva cette opinion et la proclama préférable à l'autre. Mais si Chus avait parlé de la sorte, c'était pour donner à David le temps de se reposer un instant, de respirer, de rassembler des troupes. Aussi, lorsqu'il eut fait rejeter le conseil d'Achitophel, il envoya secrètement des émissaires rendre compte de tout à David, et lui apprendre que l'usurpateur s'était rangé à l'opinion de Chus qui assurait la victoire du roi. Telle fut, en effet, l'issue. Après avoir pris quelque repos, David fit ses préparatifs, livra bataille et remporta la victoire. Achitophel qui, dans sa prudence et son habileté, prévoyait ce résultat dès le jour même de la délibération et savait que cette résolution était la perte d'Absalon, incapable de supporter l'affront qu'il avait essuyé, alla se pendre et mit ainsi fin à ses jours.

3. C'est alors que David, instruit de tous ces événements, écrivit ce psaume, comme un hymne d'actions de grâces, par lequel il reportait à Dieu tout l'honneur d'avoir conduit ces événements. Aussi, dès le début, s'exprime-t-il à peu près ainsi : " Seigneur mon Dieu, c'est en vous que j'ai mis mon espérance, sauvez-moi. " En Dieu, non pas en Chus, non pas dans la sagesse humaine, non pas dans la prudence de cet ami, non pas dans sa propre intelligence, mais en vous, Seigneur. Suivons cet exemple, et s'il nous arrive quelque succès par le ministère des hommes, sachons en remercier Dieu, soit qu'il ait choisi d'autres. ou nous-mêmes pour instruments de sa grâce. Si nous agissions de la sorte, il n'y aurait plus pour nous ni difficulté ni peine. C'est ce que (561)

fait Saül, en disant, ou peu s'en faut : Ce n'est point sur les paroles de Chus que je fondais l'espoir de mon salut, mais bien sur votre appui. Et voyez quelle affection respire dans ses paroles, ici comme partout. D'ailleurs, il ne dit pas " Seigneur Dieu, " mais " Seigneur " mon Dieu; " et dans un autre endroit : " Dieu, mon Dieu, je m'éveille à vous. " (Ps. LII, 2.) En effet, s'il avait besoin de Dieu comme tout le monde, il éprouvait en outre un besoin particulier qui lui venait de la vivacité de son amour. Dieu lui-même ne se comporte pas autrement quand il parle des justes ; il est le Dieu de l'univers, mais cela ne l'empêche pas de se représenter d'ailleurs comme le Dieu des justes en particulier. " Je suis le Dieu d'Abra" ham, et le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob. " Considérez de plus ici la sagesse du Psalmiste. Après ces mots: "Seigneur mon Dieu, c'est en "vous que j'ai mis mon espérance, " il ne dit pas : châtiez mon ennemi, faites mourir celui qui me fait la guerre; il ne songe qu'à lui-même, et dit " Sauvez-moi, " en d'autres termes, ne me laissez pas en proie au malheur; " Sauvez-moi de tous ceux qui me persécu" tent, et délivrez-moi. " Vous le voyez, quelle que soit son infortune, il ne prononce pas le nom du parricide; fidèle à la nature jusque dans l'adversité, dans son ennemi voyant encore un fils, et n'oubliant pas, au milieu des périls, le fruit de ses entrailles. Tant il était bon père et attaché à ses enfants; ou plutôt, tant il était sage. Car c'est moins la voix du sang que la douceur de son âme qui lui inspirait cette conduite, et il songeait plus à l'armée qu'à l'usurpateur; de là ces mots : " Sauvez" moi de tous ceux qui me persécutent, et " délivrez-moi. " Voyez-vous comme il parle sans dureté de ses persécuteurs eux-mêmes? Il ne dit pas de tous ceux qui me l'ont la guerre, de ceux qui pillent mes biens, qui étalent leurs débauches dans mon palais, mais bien . " De " tous ceux qui me persécutent. De peur qu'en" fin il ne ravisse mon âme comme un lion, " lorsqu'il n'y a personne pour me racheter, " ni me sauver. " (3.) Cependant il avait levé des troupes, et avait beaucoup de gens avec lui; comment donc peut-il dire lorsqu'il n'y a personne pour me racheter ni me sauver? Parce qu'il compte pour rien un secours quelconque, fût-ce même celui du monde entier, si l'appui d'en-haut lui manque, et qu'au contraire, il ne se regarde pas comme abandonné, même dans l'isolement, si Dieu lui vient en aide. Voilà pourquoi il disait aussi : " Un roi n'est pas sauvé par sa grande puissance, et un géant ne sera pas sauvé grâce à sa force excessive. " (Ps. XXXII, 16.) Quelques-uns prennent notre passage dans un sens figuré, et prétendent que par ces mots Lion et Persécuteurs, il faut entendre le diable et les démons. Il s'est vu ravir son fils, il l'a vu dévorer : il demande maintenant à échapper lui-même à cette calamité : et il indique en même temps la raison qui a causé le malheur de l'infortuné. Quelle est cette raison ? Sa méchanceté, qui a éloigné de lui la protection divine. De là ces paroles : " Lorsqu'il n'y a personne pour me " racheter ni me sauver. " Au reste, l'Ecriture emploie ailleurs ce mot " lion " en parlant du diable, par exemple dans ce passage . " Votre " ennemi le diable rôde comme un lion rugis" sant, qui cherche quelqu'un à dévorer. " (I Pierre, v, 8.) Le même prophète dit encore ailleurs : " Et tu fouleras aux pieds lion et dra" gon. " (Ps. xc , 13.) En effet, cette bête-là prend diverses formes : mais si nous sommes sages, ce lion, ce dragon sera pour nous plus méprisable que la fange, il n'osera pas nous attaquer en face, ou, s'il l'ose, il sera foulé aux pieds. " Marchez, " est-il écrit, " sur les ser" pents et les scorpions. " (Luc, x, 19.) Il court partout avec fureur, comme un lion qu'il est mais s'il vient à s'attaquer à ceux qui ont avec eux le Christ, qui portent la croix sur le front, en qui brûle le feu de l'Esprit, et le flambeau inextinguible, il ne pourra soutenir leur vue, il tournera le dos et prendra la fuite, sans oser seulement regarder derrière lui. Et pour que vous compreniez bien que ce ne sont point ici de vaines phrases, veuillez considérer l'exemple de Paul. C'était un homme ainsi que nous néanmoins le lion en avait peur, au point de fuir jusqu'à ses vêtements, jusqu'à son ombre. Rien de plus naturel : il ne pouvait supporter l'odeur du Christ , laquelle s'en exhalait et montait à ses naseaux, il ne pouvait soutenir l'éclat du flambeau de la vertu.

" Seigneur, mon Dieu, si j'ai fait cela, si " l'iniquité est sur mes mains. " (4.) Un point qui est partout à observer, c'est qu'il ne faut pas se borner à prier, mais prier encore de manière à être entendu. La prière ne suffit point pour arriver au but qu'on se propose, si l'on ne sait pas l'offrir comme Dieu le trouve bon. Le pharisien pria et il n'y gagna rien : les (562) Juifs priaient, mais Dieu se détournait de leurs prières: c'est qu'ils ne priaient point comme il fallait prier. Aussi avons-nous reçu l'ordre d'offrir la prière la plus propre à nous faire exaucer. David fait voir la même chose dans sa prière précédente, où il ne se borne point à demander audience, mais fait de son côté tout son possible afin d'être entendu. Quelle était cette prière? " J'arroserai chaque nuit ma couche, je mouillerai mon lit de mes larmes; " et encore . " Je me suis fatigué dans mes gémissements; " et aussi: " Détournez-vous de moi, vous tous qui opérez l'iniquité; " et enfin : " Mes yeux ont été troublés de colère. "

4. Voilà, en effet, autant de moyens de se concilier la faveur divine: les lamentations, les larmes, les gémissements, la fuite des méchants , la crainte et le tremblement dans l'attente des jugements divins. Ailleurs encore il disait: " Dieu a entendu ma justice : dans l'affliction,vous m'avez mis au large. " Telles sont les conditions nécessaires pour être exaucé

la première est qu'on mérite de l'être; la seconde , que l'on prie selon les lois de Dieu; la troisième, qu'on prie continuellement; la quatrième, qu'on ne demande rien de mondain; la cinquième , qu'on cherche son véritable avantage; la sixième, qu'on fasse de son côté tout ce qui est possible. Rappelez-vous combien de personnes ont réussi par là à se faire exaucer Corneille, par sa vie; la Syro-phénicienne, par son assiduité à prier; Salomon, par la nature de sa prière, " attendu, " est-il écrit, " que tu ne m'as demandé ni des richesses, ni la mort de tes ennemis (III Rois, III, 11) ; " le publicain par son humilité; d'autres, par d'autres raisons. Si l'on se fait exaucer en s'y prenant de la sorte, lorsqu'on s'y prend autrement, on n'est point entendu, quelque juste qu'on puisse être. Qu'y a-t-il eu de plus juste que Paul? néanmoins quand il demanda de faux avantages il ne fut pas entendu. "Trois fois " dit-il, " j'ai invoqué le Seigneur à ce sujet, et il m'a répondu: Ma grâce te suffit. " (II Cor. XII, 8,9.) Et quoi de plus juste encore que Moïse? Néanmoins il ne fut pas exaucé davantage, le jour où Dieu lui dit: " Qu'il te suffise. " (Deut. III, 26.) Il demandait à entrer dans la Terre promise mais il n'y aurait pas trouvé son avantage , Dieu ne le permit pas. Un nouvel obstacle, à la réalisation de nos voeux, c'est la persévérance le péché. De là ces paroles de Dieu à Jérémie au sujet des Juifs: " Ne prie pas pour ce peuple. Ne vois-tu pas ce qu'ils font?" (Jér. VII, 16, 17.) Ils n'ont pas renoncé à l'impiété, et tu me présentes une requête en leur faveur? Je ne t'exaucerai pas. Quand nous demandons à Dieu le malheur de nos ennemis, non-seulement , nous n'en obtenons pas audience, mais encore nous excitons sa colère. C'est un remède que la prière. Faute de savoir comment il convient d'appliquer le remède , nous n'en retirons aucun soulagement.

Voyons donc ce que dit David en sa prière " Seigneur, mon Dieu, si j'ai fait cela. " Quoi, cela? Ce qu'on me fait, à moi: si je me suis révolté contre mon père, si j'ai commis un pareil forfait. Mais ici encore, il évite de désigner le coupable par son nom: il rougit, il a honte pour son fils. Ainsi qu'un homme de bonne maison qui surprend sa femme en adultère, ne va pas divulguer en propres termes la faute de cette épouse criminelle, de même David ne dit pas : Si je me suis révolté contre mon père, si j'ai été parricide, mais bien: "Si j'ai fait cela. " Mais que dis-je, cela? Quel mérite y a-t-il à ne pas être parricide, quand les bêtes féroces ignorent elles-mêmes ce crime? " S'il y a de l'iniquité sur mes mains. " Ce n'est point cette iniquité-là que j'ai en vue: je dis qu'on ne trouverait pas sur mes mains la trace d'une iniquité quelconque. Et s'il parle ainsi, ce n'est point par jactance , c'est parce qu'il se voit contraint de parler de ses bonnes oeuvres. Mais ceci est peu de chose encore auprès de ce qui va suivre. Voyons donc la suite: " Si j'ai rendu le mal à ceux qui m'en rendaient. " Prêtez une exacte attention. Cette phrase-ci n'est point la première venue. Il est beau de ne pas nuire mais c'est une bien plus grande chose, et propre à une âme élevée, que de ne pas nous venger de ceux qui nous font du mal. La loi, cependant, l'autorisait, en permettant d'arracher oeil pour oeil, dent pour dent: et on ne l'enfreignait pas en se comportant de la sorte.

Mais telle était la sagesse de David, que non content de ne pas enfreindre la loi, il en dépasse de beaucoup les exigences. Il ne se serait pas cru vertueux, s'il était resté dans les bornes exactes des prescriptions. Paul, autorisé à vivre de l'Evangile, n'en vivait pas néanmoins, et prêchait l'Evangile gratuitement : de même le bienheureux David, autorisé par la loi à se venger, n'usait pas de ce droit, et outre-passait la limite de ses devoirs. Pour nous, nous (563) sommes assujettis, non-seulement à ne pas nous venger de nos ennemis, mais encore à leur faire du bien. " Priez pour ceux qui vous persécutent, " est-il écrit : " faites du bien à ceux qui vous haïssent. " (Matth. V, 44.) Mais au temps de David, ce n'était pas un petit mérite que de s'interdire la vengeance : c'était dépasser de beaucoup la recommandation légale. De là ces paroles : " Si j'ai fait cela, s'il y a de l'iniquité sur mes mains; si j'ai rendu le mal à ceux qui m'en rendaient. " En ce qui concernait son fils, la voix du sang suffisait pour le retenir : mais a-t-il fait du mal, en a-t-il rendu à quelque autre? Quelle serait donc notre excuse, notre titre à l'indulgence, à nous qui venons après le Christ, si nous ne savions pas atteindre le niveau de ceux qui vivaient sous l'ancienne loi, et cela, quand nous sommes obligés de le dépasser de beaucoup ? " Si votre justice, " est-il écrit, "n'abonde pas plus que celle des Pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. " En effet, si les mêmes oeuvres ne produisent pas le même mérite sous la loi qu'avant la loi , il en est de même pour le temps de la grâce et pour celui de la loi, et la différence des temps influe sur la saleur des actions. Paul , voulant indiquer cette différence pour ce qui concerne, soit le vice, soit la vertu, fait voir par les paroles suivantes quelle supériorité il accorde aux uns, quels châtiments plus sévères il juge réservés aux autres " Lorsque les gentils qui n'ont pas la loi, font naturellement ce qui est selon la loi ; n'ayant pas la loi, ils sont à eux-mêmes la loi. " (Rom. II 14.)

5. Voyez-vous comment il vante et célèbre ceux qui font le bien sans y être obligés par la loi ? Considérez maintenant ce qu'il dit des supplices plus sévères réservés aux pécheurs qui vivent sous la grâce, qu'aux pécheurs vivant sous la loi. " Celui qui viole la loi de Moïse meurt sans aucune miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins. Combien donc pensez-vous que mérite de plus affreux supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, et tenu pour profane le sang de l'alliance. " (Hébr. XI, 28, 29.) Ailleurs voulant montrer que les pécheurs d'avant la loi méritent un châtiment moindre que ceux qui ont vécu sous le règne de la loi, il s'exprime ainsi : " Quiconque a péché sans la loi, périra sans la loi. " (Rom. 11, 12.) C'est-à-dire sera puni moins sévèrement, ayant pour accusatrice, non la loi, mais la seule nature : " Mais ceux qui ont péché sous la loi seront jugés par la loi ; " c'est-à-dire plus sévèrement, attendu qu'outre la nature, la loi aussi les accusera. " Que je succombe sous les coups de mes ennemis, frustré de mes espérances. (6) Que l'ennemi poursuive mon âme, et s'en empare, et foule aux pieds sur le sol ma vie, et ensevelisse ma gloire sous la poussière. " Voyez-vous la confiance de ce juste, et sa bonne conscience? S'il n'avait pas été bien sûr de lui, il n'aurait pas prononcé une telle malédiction.

Voici le sens de ses paroles : Si j'ai fait ou rendu le mal , puissé-je endurer telle et telle chose : et il prononce lui-même son arrêt; il ne veut pas être jugé équitablement, il réclame une punition disproportionnée à sa faute : la loi l'exempte du châtiment, lui-même s'y soumet. Et considérez quel est ce châtiment: "Que je succombe sous les coups de mes ennemis, frustré de mes espérances. Que l'ennemi poursuive mon âme, et s'en empare, et foule aux pieds sur le sol ma vie, et ensevelisse ma gloire sous la poussière." C'est-à-dire qu'il me fasse périr dans l'obscurité, dans l'oubli qu'avec ma vie, il ruine en même temps ma gloire. Qu'est-ce à dire " qu'il ensevelisse ma gloire sous la poussière? " qu'il m'humilie, qu'il me foule aux pieds : que je tombe à la merci de mes ennemis. Que peut-on imaginer de plus infâme qu'Absalon , qui persécutait son père, et un père si bon, si vertueux, lui dissolu, libertin, insolent? Mais quoi? Est-ce que David ne rendit pas le mal à ceux qui le lui rendaient ? Est-ce qu'il ne montra jamais de rancune? Nullement. Examinez l'histoire de Saül : là surtout vous verrez briller la vérité de cette parole. Cet homme après mille bienfaits, des trophées, des victoires, le persécutait, lui tendait des piéges, brûlait chaque jour de le faire périr, : David le tint en son pouvoir une fois, deux fois et plus, endormi, séparé de ses gardes, et comme enfermé dans une prison: beaucoup l'engageaient à l'égorger, à lui donner la mort: il l'épargna, dompta son courroux, et cela , bien qu'il n'ignorât point qu'en le laissant échapper, il se ménageait un ennemi acharné et irréconciliable. Néanmoins, ni le souvenir du passé, ni ses craintes pour l'avenir , ni rien de pareil , ne put le déterminer à ce meurtre; il resta sage , maître de son bras; il refréna sa colère, et préféra (564) courir des dangers, être en butte à des complots, être chassé de sa patrie, perdre la liberté plutôt que de se débarrasser par un meurtre d'un ennemi qui le poursuivait d'une haine sans motif, et brûlait de le récompenser de mille bienfaits par la mort.

La sagesse de son âme éclate encore dans bien d'autres traits pareils. De là tous ces maux qu'il se souhaite à lui-même; revenir sans avoir rien fait, être complètement vaincu par ses ennemis, mourir sans laisser un nom, mourir de la main de ses ennemis; choses pires que la mort; en effet, que n'avait-il point entrepris pour qu'on se souvînt de lui après sa mort? Voyez donc tous les malheurs qu'il appelle sur sa tête; inutilité de ses efforts, victoire de ses ennemis, pour lui-même la mort, une mort particulièrement affreuse, l'oubli de son nom, l'ignominie; il n'aurait pas prononcé de tels voeux contre lui-même, si le témoignage de sa conscience ne l'avait bien rassuré. S'il avait eu des ennemis, ce n'était point sa faute; il ne leur avait donné aucun sujet de haine contre lui. Quel prétexte avait son fils? Quel prétexte avait eu Saül ? N'avait-il pas corrigé avec le temps, ramené à lui et à la raison celui qui avait encouru sa vengeance? n'avait-il pas souvent laissé échapper de ses mains celui qui conspirait contre sa vie? N'examinez donc point s'il avait des ennemis, mais s'il se les était lui-même attirés. Le Christ même ne nous a pas défendu d'avoir des ennemis, car cela ne dépend point de nous; il nous a défendu seulement de les haïr. Ceci est en notre disposition, et cela nullement. Que si l'on nous poursuit d'une haine injuste, il ne faut point s'en prendre à nous, mais à ceux qui nous haïssent. C'est, en effet, la coutume des méchants de ressentir contre les bons des haines sans motif. Le Christ lui-même n'y a point échappé comme il le dit lui-même. " Ils m'ont pris en haine sans motif. " (Jean, XV, 25.) Les apôtres avaient les faux apôtres pour ennemis; les prophètes, les faux prophètes. Ce qui doit nous préoccuper, ce n'est point de ne pas avoir d'ennemis, c'est de ne pas mériter d'en avoir; c'est aussi de ne pas les haïr, de ne pas les prendre en aversion, quel que soit l'excès de leur haine; car l'inimitié consiste en ceci : à haïr, à prendre en aversion. Par conséquent, si l'on me hait sans que je haïsse, je n'ai point d'ennemi, bien que quelqu’un ait un ennemi en moi. Comment aurais-je pour ennemi l'homme pour qui je prie, l'homme que je voudrais obliger? De là ces mots de Paul : " S'il est possible, autant qu'il est en vous, vivant en paix avec tous les hommes." (Rom. XII, 18.)

6. Faisons donc ce qui est en nous, et cela suffira pour que nous méritions des éloges. Mais qu'est-ce qui est en nous? Prenons un exemple. Un tel vous hait, vous fait la guerre; aimez-le, faites-lui du bien. Il vous insulte, vous injurie? Bénissez-le, louez-le. Mais il persiste néanmoins dans sa haine. Eh bien ! il ne fait qu'ajouter à votre récompense. Car plus les méchants persistent dans la guerre qu'ils nous font en dépit de nos bons procédés, plus ils nous assurent une belle récompense, et plus ils enveniment leur propre maladie. En effet, l'homme implacable dans son inimitié, se dessèche, se consume, vit dans une agitation perpétuelle; au contraire, celui qui s'élève au-dessus de ces atteintes, domine l'orage, et se rend service à lui-même plus encore qu'à celui qui l'attaque, en essayant de le ramener, en s'abstenant de lui faire la guerre; car il se dispense même de combattre. Fuyons donc toute guerre avec autrui, et arrachons la racine de ces dissensions, la vaine gloire, la cupidité. En effet, c'est l'argent et la vanité qui causent toutes les haines. Que si nous savons nous mettre au-dessus de ces choses, nous serons pareillement au-dessus de la haine. On t'outrage, résigne-toi. L'outrage n'atteint que son auteur. On te frappe, ne résiste pas. Celui qui a donné le coup est celui qui l'a reçu; sa main seule t'a touché; mais lui, sa colère l'a meurtri; et il reste déshonoré aux yeux de tous. Que si cela te cause quelque peine, figure-toi qu'un homme dans un accès de démence ait déchiré ton vêtement; qui sera vraiment à plaindre, ou toi la victime, ou lui l'agresseur? Ce sera lui, sans aucun doute. Eh bien ! si, quand il s'agit d'un vêtement déchiré, l'agresseur est plus à plaindre que la victime, quand il s'agit d'un déchirement du coeur (car tel est l'effet produit par la colère), ne jugeras-tu point de même que celui qui a cédé à la colère est plus malheureux que toi, qui n'as subi aucun dommage. Ne va pas dire qu'il a déchiré ton vêtement; avant tout, il a déchiré son propre cœur. II n'y aurait pas de jaunisse, si la bile ne se répandait hors de la région qui lui est propre; de même, il n'y aurait pas de colère excessive, (565) si le coeur ne commençait par éclater. Supposez donc que vous avez devant vous un homme atteint de la jaunisse, quelque mal qu'il puisse vous faire, cela ne vous donnera jamais l'envie de contracter son mal. Faites donc de même pour la colère. N'imitez pas le méchant, ne rivalisez pas avec son vice; ayez pitié plutôt de cet homme qui ne sait pas réprimer la brille en son âme, de cet homme qui est la première victime de son acharnement. En effet, que ces gens-là se font tort à eux-mêmes, c'est ce que nous apprennent beaucoup de sages, qui, pour empêcher1es luttes de ce genre, ont recours aux conseils suivants : Epargne-toi ; c'est à toi que tu fais tort. Voilà le vice; sa seule victime est l'âme qui lui donne naissance; il la bouleverse de fond en comble. Gardons-nous donc, pour nous venger d'autrui, de nous égarer nous-mêmes loin du port. Qu'un homme sur le point de faire naufrage et d'être englouti, profère contre toi des insultes, tu ne t'en inquiéteras pas, tu ne quitteras pas pour cela le rivage où tu es tranquillement assis, afin de t'exposer au même trépas. Représentez-vous donc que l'homme qui vous insulte et vous injurie, est comme un malheureux qu'une trombe, qu'un orage engloutit, une fois qu'il s'est exposé à la tempête du courroux; tandis que vous, dans votre résignation, vous jouissez tranquillement sur la rive de la tranquillité du port. Que si, au contraire, vous vous laissez entraîner à une détestable émulation, c'est vous-mêmes, ce n'est pas lui que vous perdez.

7. Levez-vous, Seigneur, dans votre colère, et soyez exalté au milieu de vos ennemis. En parlant de la sorte, il indique que Dieu se lève encore autrement que pour manifester sa colère : c'est ce que montre, par exemple, cet autre passage : " Levez-vous, Seigneur, sauvez-moi, mon Dieu. " — D'ailleurs, que ce mot Levez-vous, ne représente à votre esprit rien de corporel. De même qu'en parlant de Dieu, Rester assis, n'est pas dit au sens physique, il en est ainsi de l'expression : " Levez-vous. Vous, " est-il écrit, " qui êtes assis pour l'éternité... " Qu'est-ce qu'il faut entendre par ce mot ? la fixité, la permanence, la stabilité de nature, la durée, ce qui résulte d'ailleurs de l'opposition des termes. Car immédiatement après les mots : " Vous qui êtes assis pour l'éternité," viennent les suivants: " Mais vous qui périssez pour l'éternité. " Ainsi ni " s'asseoir " ni " se lever " ne sont pris ici au sens physique : dans le premier cas, il s'agit de permanence ; dans le second de châtiment, d'extermination. — Quelquefois encore, Etre assis désigne la fonction de juge : par exemple dans ce passage: " Vous êtes assis sur un trône, vous qui jugez la justice. " (Ps. IX, 4.) Dé même Daniel : " Des sièges furent placés, et le tribunal s'assit." (Dan. VII, 9.) C'est encore un terme qui désigne la royauté: " Vôtre trône, ô Dieu, est pour les siècles des siècles: c'est un sceptre, de droiture que le sceptre de votre royauté. " (Ps. LIV, 7.) — D'où l'expression " assieds-toi à ma droite, " (Ps. CIX,1.) qui marque un partage d'honneurs. Mais que veut dire ceci : " Dans votre colère ? " Ceci encore doit être pris dans un sens convenable à la majesté divine. La colère, en Dieu, n'est point passion, c'est punition, châtiment. " Soyez exalté au milieu de vos ennemis. " Un autre dit: " Dans votre courroux contre vos ennemis. " Un autre : " Dans votre animosité contre vos persécuteurs. " Un autre : " Dans votre impatience contre ceux qui vous tiennent enchaîné. " Où nous lisons " au milieu de, " le texte hébreu donne " Bebaroth. " Voyez comment, ici encore, il ne songe pas à sa propre vengeance, et ne parle qu'en vue de la gloire de Dieu. Il ne dit pas simplement: Punissez mes ennemis, ou vos ennemis : Mais soyez exalté... Et comment peut être exalté le Très-Haut, Celui qui ne déchoit jamais de sa sublimité ? La sublimité de sa nature n'est susceptible ni de diminution, ni d'une augmentation quelconque: il est parfait, immense, immuable. Comment donc, de quelle façon peut-il être exalté ? Aux yeux du vulgaire. Plus d'une fois il a usé de longanimité : mais là où il y avait longanimité, ses ennemis ne voyaient qu'abaissement et faiblesse. Il est donc aussi susceptible d'abaissement, mais seulement aux yeux de ces hommes, et non pas en réalité.

7. En effet, si le soleil paraît sans éclat à ceux dont la vue est infirme, ainsi Dieu peut paraître sans pouvoir et sans grandeur aux yeux de ceux qui le méconnaissent. Mais de même que cet obscurcissement du soleil n'est que prétendu et non réel, et réside uniquement dans l'infirmité de certaines vues: ainsi Dieu, en dépit de cette illusion, garde tout son pouvoir : et ce n'est là qu'un symptôme qui marque le délire de ces esprits égarés... Quelle est donc la pensée; du juste ? Sois exalté, dit-il, (566) même aux yeux de nos ennemis, sévis et fais éclater ta puissance, afin que ceux qui te croient abaissé, soient avertis de ta gloire par leur propre supplice. Voilà quelle est son intention : elle n'a rien d'intéressé, elle est toute dirigée vers Dieu. Par ces mots " au milieu de, " les uns entendent que ta colère s'appesantisse sur leurs têtes, les autres qu'aucun de tes ennemis ne t'échappe. C'est un grand mérite chez notre juste, que d'avoir les mêmes ennemis, les mêmes amis que Dieu : comme c'est le signe d'une grande perversité que de haïr les amis de Dieu, et d'aimer ses ennemis. De même que dans le langage on attribue à Dieu des ennemis, non qu'il soit capable de haine ou d'aversion, mais parce qu'il a les mauvaises actions en horreur : de même si notre juste a des ennemis, ce n'est point qu'il songe à la vengeance, c'est que le vice lui est odieux. " Et éveillez-vous, Seigneur mon Dieu, suivant le précepte que vous avez établi. " Un autre dit " suivant le jugement. Et une assemblée de peuples vous environnera. " (8.) Un autre dit : " qu'une assemblée de peuples vous " environne. Et en considération d'elle, élevez" nous en haut, Seigneur. " Un autre dit : " Et " retournez en haut dans la sublimité. " Un autre : " Et pour elle élevez-nous en haut. " — Le texte hébreu exprime cette idée "en considération d'elle " par le mot "Ovaléa. " Qu'est-ce à dire, "suivant le précepte que vous avez établi?" C'est-à-dire pour secourir les opprimés, et arrêter les complots des persécuteurs. Vous nous l'avez prescrit : veuillez nous en donner l'exemple. Quelques-uns trouvent ici un autre sens, à savoir, suivant le précepte que Dieu nous a donné d'être ennemis de ses ennemis. " Et une assemblée de peuples vous environnera. " Ici encore ne cherchez rien d'humain. Les paroles sont telles, il est vrai, mais le sens est tout divin. Que signifie donc cette expression " Vous environnera ? " Cela signifie vous chantera, vous célébrera, vous saluera de mille bénédictions. — Cela se faisait au moyen de chœurs, rangés circulairement dans le temple et autour de l'autel : il emprunte à cet usage consacré dans les cérémonies d'actions de grâces l'expression par laquelle il désigne ici les bénédictions. Le sens est celui-ci : Punis, secours. Par là, tu t'élèveras même aux yeux de tes ennemis, et tu recevras de ton peuple mille bénédictions.

Considérez comment ce n'est pas à lui-même qu'il songe, mais à Dieu. Il veut le voir glorifier partout, au milieu de ses ennemis comme parmi ses fidèles. " Et en considération d'elle élevez-nous en haut. " De qui, d'elle? De l'assemblée; à cause d'elle " élevez-nous en haut. " Exaltez-nous, relevez-nous, comblez-nous de gloire, rendez l'assemblée plus illustre et plus magnifique, rendez-lui sa première prospérité. Voyez comment partout il mêle les préceptes aux prières. Plus haut, après avoir dit " Ayez pitié de moi et exaucez-moi, " il passe aux conseils, et dit : " Fils des hommes, jusques à quand vos coeurs seront-ils appesantis ? " Ici après ces mots : " Elevez-nous en haut, Seigneur, " il poursuit en ces termes : " Le Seigneur jugera les peuples. " Un autre interprète : " Le Seigneur rendra la justice. " Par là il enseigne à ceux qui croient que tout marche au hasard et à l'aventure, qu'il est une Providence qui préside aux événements et demande compte des actions. Par jugement, il entend ici à la fois et le jugement futur et celui d'ici-bas. Là-haut, le jugement général et public : ici-bas, les jugements particuliers, par lesquels Dieu inflige déjà certains châtiments, de manière à réveiller la nonchalance et à démontrer à l'incrédulité l'universelle providence. " Jugez-moi, Seigneur, suivant ma justice. " Un autre dit " Selon ce qu'il y a de juste en moi. Et selon l'innocence qui est en moi. (10.) " Que la malice des pécheurs soit consommée. Un autre traduit : " Que le supplice des impies se consomme. Et vous dirigerez le juste. " Suivant un autre : " Et vous raffermirez le juste. " Comment celui qui dit ailleurs : " N'entrez pas en jugement avec votre serviteur (Psal. CXLII, 2), " peut-il dire en cet endroit " Jugez-moi selon ma justice? " C'est qu'il s'agit de deux choses différentes. Quand il dit n'entrez pas en jugement avec votre serviteur, il veut dire : ne me faites point le procès, n'examinez point ma vie en la rapprochant des bienfaits dont vous m'avez comblé. — Voilà pourquoi il ajoute : " Parce que tout être vivant ne sera pas justifié devant vous : " entendez, tout être qui aura procès avec vous. — Mais ici sa pensée est autre : ce n'est pas relativement à Dieu qu'il veut être jugé, mais relativement à lui-même. Voilà pourquoi il dit : " Suivant ma justice. " Par justice, il entend ici ne pas avoir fait de mal le premier au prochain : de même qu'il disait plus haut. " Si j'ai fait cela, " (567) et la suite. " Selon l'innocence qui est en moi, " c'est encore la même chose. C'est d'après cela, entend-il, que je veux être jugé.

Grande est ici encore la confiance de notre juste. S'il parle ainsi, d'ailleurs, c'est que la nécessité l'y contraint. Comment cela? Oui, beaucoup d'insensés avaient mauvaise opinion de lui à cause de ses épreuves. La plupart des hommes sans intelligence trouvent dans le malheur une occasion de calomnie , comme on peut le voir aussi par l'exemple de Job. C'est pour cela que des gens qui ne le savaient coupable d'aucun crime, osaient lui dire: Ton châtiment n'est pas encore à la hauteur de ta faute. Paul aussi n'était qu'un pervers et un scélérat, aux yeux des barbares, lorsque la vipère s'élança sur sa main. Aussi disaient-ils : " Après avoir échappé à la mer, la vengeance ne permet pas qu'il vive. " (Act. XXVIII, 4.) Séméi de même appelait David meurtrier, s'autorisant de son malheur pour porter sur lui cette injuste sentence.

8. Afin que vous ne tombiez pas vous-mêmes dans une faute pareille, il faut que nous raisonnions un peu sur ce sujet. J'entends bien des personnes dire : Si Dieu aimait les pauvres, il n'aurait pas souffert qu'ils fussent pauvres : d'autres s'écrient, dès qu'ils voient un malade se débattre contre une tenace infirmité : Où sont les aumônes qu'il a répandues? Où sont ses bienfaits? Pour vous sauver d'une pareille erreur, plaçons au clair cette question. Car si tout homme raisonnable est incapable de haïr les bons et d'aimer les méchants, comment ose-t-on tenir un pareil langage au sujet du Seigneur, et prétendre que Dieu hait les pauvres, même vertueux, aime les riches, même pervers? Quel blasphème ! quel excès de folie !

Voyons donc, afin d'éviter une telle aberration, quels sont les objets de la haine et de l'amour de Dieu. Quel est l'homme aimé de Dieu? Celui qui garde ses préceptes. " J'aimerai cet homme, " est-il écrit, " et j'irai vers lui. " Cet homme, ce n'est pas le riche, l'homme en santé, c'est celui qui obéit aux préceptes divins. Quel est celui, maintenant, que Dieu voit avec haine et avec horreur? Celui qui n'accomplit point ses ordres. Par conséquent, lorsque vous verrez un homme qui n'accomplit point les ordres de Dieu, jouît-il d'une santé parfaite ou d'immenses richesses, mettez-le au nombre des hommes détestés : pour l'homme vertueux, malade ou pauvre, comptez-le parmi ceux qui sont aimés. Car c'est chez ceux-ci et non pas chez les autres, que l'amour divin trouve à quoi se prendre. Ne voyez-vous pas; pour emprunter un exemple au siècle, que ce sont les favoris des rois qui courent le plus de risques à la guerre, qui reçoivent le plus de blessures, qui s'éloignent le plus souvent de leur patrie? Ne savez-vous pas que " le Seigneur châtie celui qu'il aime, " et " qu'il flagelle: tout fils qu'il reçoit? " Mais beaucoup d'hommes , dira-t-on , sont scandalisés en voyant ces choses. Ce n'est point la chose qui les scandalise, mais bien leur propre démence. Car ce n'est pas ici-bas qu'est la rémunération de nos peines : ici-bas, c'est la carrière : plus tard viendront les prix et les couronnes. Ce n'est pas au jour de la lutte et du combat qu'il faut demander du repos et du délassement : ne confondez pas les temps. Mais il y a bien des faibles, dira-t-on. Eh bien ! Dieu a songé à eux : il a permis que beaucoup de justes vécussent, ici-bas même, dans la prospérité, non pour leur propre intérêt, mais pour celui des faibles. Ainsi donc, si ceux qui sont dans l'affliction vous scandalisent, que ceux qui sont dans la paix vous édifient; si la prospérité de quelques méchants vous ébranle, que les châtiments infligés à d'autres vous raffermissent. N'avez-vous pas entendu cette parole du Christ " Dans le monde vous aurez des tribulations?" (Jean, XVI, 33.) Pourquoi donc chercher le repos quand le Christ a parlé de la sorte? Ne savez-vous pas aussi qu'il a dit : " Le monde se réjouira, mais vous serez toujours affligés? " (Ibid. 20.) Les hommes peu intelligents auraient lieu de se scandaliser, s'il arrivait le contraire de ce qu'il a prédit : mais si sa prédiction se réalise parfaitement, quel sujet de scandale voyez-vous là dedans? Mais, dira-t-on, pourquoi Dieu a-t-il ainsi réglé les choses? N'examinez pas, contenez une vaine curiosité. " Le vase ne dira point au potier : Pourquoi m'as-tu fait ainsi? " (Rom. IX, 20.) Voilà pourquoi le Prophète réprimandait les Juifs de ce que, dans l'excès de leurs maux, ils scrutaient les voies de Dieu : " Ils désirent connaître mes voies comme un peuple qui aurait " pratiqué la justice, et n'aurait point déserté a le jugement de son Dieu. " (Is. LVIII, 2.) On eût dit un serviteur qui, après avoir failli et s'être rendu coupable de délits sans nombre, au lieu de chercher à fléchir le courroux de (568) son maître, lui demanderait des comptes et l'interrogerait sur les motifs de sa conduite. Gardez-vous de vous livrer à une pareille recherche, quand vous devriez pleurer, gémir, et expier vos propres torts.

Si je parle ainsi, ce n'est pas que je manque de raisons à produire : mais je voudrais vous arracher à cette vaine curiosité et vous voir appliqués uniquement au souci de votre salut. Maintenant, pourquoi Dieu a-t-il statué ainsi? C'est par ménagement pour l'humanité. Il a resserré la souffrance dans les étroites limites de la vie terrestre ; les couronnes, il les a réservées pour la vie future, qui doit être hors des atteintes de la mort et de la vieillesse. — Rien de plus fugitif, de plus éphémère, que les peines présentes : ce sont les récompenses qui sont immortelles et durent éternellement. D'ailleurs, c'est pour l'âme un exercice qui lui fait aimer la vertu. En effet, quand elle s'y attache, quoi qu'il lui en coûte, et sans rémunération actuelle, elle se dispose à l'aimer d'un parfait amour; quand elle trouve du plaisir à fuir le vice, sans qu'il l'expose encore à aucun châtiment, elle s'exerce à le haïr, à le prendre en aversion. — On le voit : par là même, elle contractera l'habitude de haïr le vice , de chérir la vertu. Voici maintenant une autre raison : c'est que rien ne nous prépare mieux aux luttes de la sagesse, ne nous rend plus forts que la tribulation. En voici une troisième c'est que Dieu veut nous apprendre à dédaigner les choses présentes, à ne pas nous y attacher, à ne pas nous en laisser enchaîner. Voilà pourquoi il a assigné cette terre pour séjour à la tribulation et à la peine, tandis qu'il a rendu passagères toutes nos félicités et toutes nos joies. — " Que la malice des pécheurs soit consommée, et tu dirigeras le juste. " Qu'est-ce à dire: " soit consommée? " Fais descendre le châtiment, et tu les arrêteras dans leur perversité. En effet, de même que la gangrène ne cède qu'à de cruels remèdes, au fer et au feu, de même pour réprimer le vice le châtiment est nécessaire.

9. Instruits de ces vérités, ne plaignons plus ceux qui sont châtiés et livrés au supplice, mais bien ceux qui pèchent impunément. Car si c'est un mal de pécher, c'en est un autre d'être privé de correction, ou plutôt ce dernier est le premier des deux, car c'est le plus terrible. En effet, c'est moins la maladie qui est redoutable que le manque de soin, quand on est malade; nous ne pleurons pas sur le sort d'un homme affecté d'une plaie : mais si cet homme est abandonné , si aucun médecin n'approche de son lit, c'est alors que nous le plaignons. Au contraire, celui qu'on traite par lé fer et le feu, nous le jugeons en voie de guérison, parce que nous ne considérons pas la douleur attachée à l'amputation, mais la santé que l'amputation doit procurer. En ce qui concerne l'âme, notre sentiment doit être le même : ce ne sont pas ceux qui sont punis (car leur châtiment les conduit à la santé), ce sont les pécheurs impunis que nous devons plaindre, sur qui nous devons gémir. Mais, dira-t-on, si les châtiments sont destinés à prévenir les péchés, comment se fait-il que nous ne soyons pas punis chaque jour de nos fautes? C'est que, s'il en était ainsi, la race humaine aurait péri prématurément, et le temps du repentir lui aurait été dérobé. Voyez Paul. S'il avait expié sa persécution, s'il avait été frappé, comment aurait-il eu le temps de se repentir, de faire les bonnes œuvres innombrables qui suivirent sa pénitence, de ramener l'univers entier, pour ainsi dire, de l'erreur à la vérité? Ne voyez-vous pas que les médecins qui ont affaire à un malade criblé de blessures ne lui administrent pas un traitement proportionné à la gravité de ces plaies, mais celui-là seulement que ses forces peuvent supporter? autrement, en guérissant les plaies, ils tueraient le malade.

Voilà pourquoi Dieu ne châtie pas à la fois tous les coupables, ni tous les coupables autant qu'ils le méritent, mais use en cela de douceur et ménagement : souvent la punition d'un seul lui suffit pour corriger beaucoup de pécheurs. Cela se voit souvent aussi pour le corps: un seul membre coupé remet les autres en santé. Mais admirez la charité de notre juste : voyez comme partout il se préoccupe de l'intérêt commun, de l'extirpation du péché, et s'inquiète non de tirer vengeance de ses ennemis, mais de guérir leur perversité. Ainsi attachons-nous constamment à réprimer les progrès du vice, pleurons sur ceux qui vivent dans l'iniquité, fussent-ils revêtus de vêtements de pourpre ; et célébrons le bonheur des gens de bien, fussent-ils livrés aux angoisses de l'extrême indigence; pour cela il nous suffit de détourner nos regards du dehors pour les diriger vers le dedans. C'est alors que nous verrons la richesse de l'un, la (569) pauvreté de l'autre. Qu'importent les robes de pourpre qu'on étale? On en étale ainsi dans de misérables échoppes de planches. En quoi celui qui s'en revêt est-il plus riche que celui qui les vend? Mais il n'en est pas ainsi de la richesse du juste; elle est solide et durable. Que si les prétendus riches ne s'aperçoivent pas de leur pauvreté réelle, il ne faut pas s'en étonner. Ceux qui sont atteints de frénésie n'ont pas non plus le sentiment ale leur infirmité, et c'est précisément ce qui les rend encore plus à plaindre, bien loin qu'ils doivent faire envie. S'ils avaient conscience de leur mal, ils courraient chez le médecin; mais ce qu'il y a de plus affreux dans leur infirmité, c'est qu'ils sont malades sans le savoir. Ne considérez donc point que le riche se complaît dans sa richesse : au contraire, voyez en cela même un nouveau sujet de larmes et de compassion, qu'il ne connaît point l'étendue de son infortune. Car il ne sied pas à l'homme de se prévaloir de pareilles choses, et c'est l'indice d'une extrême déraison. " Et vous dirigerez le juste." Qu'est-ce à dire ? Il veut dire que la punition infligée aux méchants rend les justes plus vigilants. Il résulte donc de là deux avantages les uns sont guéris de leur perversité, et les autres progressent dans le chemin de la vertu. Si un homme en santé qui voit employé le fer et le feu pour la guérison d'un malade, devient plus attentif à veiller sur sa santé, il en est de même ici. Car en ce temps, beaucoup de personnes, même parmi celles qui paraissaient veiller sur elles-mêmes, étaient scandalisées de la prospérité des méchants, faute d'instruction suffisante. Voilà pourquoi le Psalmiste dit ailleurs : " Mes pas ont été presque déroutés parce que j'ai senti de la jalousie contre les méchants. " (Ps. LXXII, 2.) " D'où vient, " dit un autre " que la voie des impies prospère? " (Jér. XII, 1.) Job aussi se fait mille questions semblables. Mais c'est qu'alors l'initiation était incomplète : de là ces paroles, ces questions; maintenant celui que ce spectacle déconcerte ne mérite aucune indulgence,. après tant de sublimes leçons de sagesse, après de pareilles révélations sur l'avenir, après tant de lumières nouvelles sur l'enfer, sur le royaume des cieux , sur la rétribution qui doit être accordée là-haut, à chacun selon son mérite.

" O Dieu juste qui sondez les coeurs et les reins. Mon recours est en Dieu qui sauve les hommes droits de coeur. " (11 .) Un autre dit : " Celui qui sonde les coeurs et les reins, le Dieu juste, mon protecteur. " Un autre " Le Dieu juste. " Les Septante interprètent ainsi : " Le Dieu qui sonde les coeurs et les reins. Juste est mon recours en Dieu. " Le Psalmiste a dit que Dieu jugera l'univers : il dit à présent comment Dieu le jugera. Il a dit que Dieu n'a besoin pour cela ni de témoins, ni d'enquêtes, ni de preuves, ni de pièces, ni de rien de pareil : car c'est lui qui sait les mystères. Qu'un insensé ne vienne donc pas nous dire . Et comment Dieu jugera-t-il tout cet univers? Celui qui l'a tiré du néant, saura bien juger son ouvrage. Par le mot "Reins, " il entend ici ce qu'il y a de plus secret, de plus profond, de plus mystérieux dans nos pensées : ce n'est ici qu'un emblème pour désigner quelque chose de plus général.

10. Que veut dire maintenant cette expression " Sonder? " La même chose " qu'Examiner " qui se trouve ailleurs. Les paroles sont humaines : le sens est digne de Dieu, quand Paul dit: " Celui qui scrute les cœurs. " (Rom. vin, 27.) " Scruter, " pour lui, est la même chose que savoir avec certitude. Ici " Sonder, " c'est savoir exactement. Quant à " Examiner, " c'est mettre à nu pour voir, ce qui est le propre d'une science, d'une connaissance exactes. Paul a dit : " Tout est à nu et à découvert devant ses yeux. " (Hébr. IV, 13.)

" Juste est mon recours. " Un autre traduit " Juste est mon protecteur. " Qu'est-ce à dire, " Juste est mon recours en Dieu? " C'est justement, veut-il dire, que Dieu m'exaucerait, car je ne lui demande rien d'injuste. Si donc nous voulons obtenir l'appui d'en-haut, demandons des choses qui aient le même caractère : afin que la nature de notre prière nous concilie la faveur de Celui qui " sauve les hommes droits de coeur. " Telle est sa fonction, telle est sa coutume. Ainsi donc, puisque je n'ai point donné l'exemple de l'iniquité, puisque je n'aspire point à la vengeance, c'est justement que Dieu viendrait à mon aide. Instruits de ces vérités, gardons-nous de rien demander, qui soit un obstacle au bienfait. Quand vous souhaitez du mal à vos ennemis, le secours que vous demandez serait injuste : car il contredirait la loi promulguée par Celui même dont vous sollicitez l'appui. Demander l'argent, la beauté, ou tout autre avantage mondain et périssable, c'est aller contre le devoir d'une (570) âme bien réglée. Ainsi donc, demandons de façon à obtenir.

" Dieu est un juge équitable, puissant, patient, qui n'inflige point sa colère chaque jour. " ( 12.) Un autre dit: "Qui gronde tous les jours. " Le texte hébreu dit : " Toute la vie. " Un autre interprète " qui menace, gronde, et ne punit pas. " Voici le sens de ces paroles: S'il est juste, il voudra, de toute façon, punir les hommes injustes; s'il est puissant, de toute façon il le pourra. Mais que devient, dira-t-on, la bonté de Dieu, s'il doit nous juger selon la justice? Elle éclate premièrement, en ce que le châtiment ne nous suit point pas à pas, ou plutôt, elle éclate d'abord, en ce qu'il a remis tous nos péchés au moyen de l'eau de régénération; et secondement, en ce qu'il nous accorde le repentir. Si vous réfléchissez que nous péchons tous les jours, c'est alors surtout que vous verrez la bonté divine se manifester dans son inexprimable étendue. C'est ce que David fait entendre par la suite : " Dieu est un juge équitable, puissant, patient. " Vous ne voyez pas pourquoi, si ni le pouvoir, ni la volonté ne lui manquent, il ne punit pas? Sachez, répond David, qu'il est patient, et que sa colère ne se manifeste pas chaque jour. Mais qu'on n'aille pas croire sottement que c'est la faiblesse qui l'empêche de sévir : David nous fait connaître le motif de ce délai : c'est que sa patience aussi est extraordinaire. Si cette patience a pour objet de vous amener au repentir, c'est lorsqu'il voit que ce remède reste impuissant, qu'il se décide à sévir. Il ne se passe donc point de jour, que nous ne méritions d'être punis. Sans cela, le Psalmiste ne dirait pas, comme une chose digne d'attention : " N'infligeant point sa colère chaque jour. " S'il parle ainsi, c'est que nos actes réclament le châtiment et que la bonté de Dieu s'oppose seule à notre juste punition. Ici encore, vous voyez comment il montre l'impassibilité divine, et par ce mot colère n'entend que le châtiment. Personne, en effet, n'inflige sa colère; la colère est pour qui la ressent, et le châtiment pour autrui. C'est donc bien à la punition qu'il songe en disant: " Et n'infligeant point sa colère chaque jour. " Et comment peut-il dire " chaque " jour ? " Que chacun de nous rentre en lui-même, et il en verra la raison. J'omets les péchés secrets: mais les péchés publics, qui s’en défendra? Quels sont donc ces péchés? Et quel est le jour, où nous ne prions pas avec négligence, avec une insouciance complète? Or, vous allez voir que par là nous encourons la colère. Dites, en effet: si vous abordiez votre juge en bâillant, et que vous fussiez convaincu, ne se hâterait-il pas de vous infliger votre peine, de vous déporter au delà des frontières? Sans doute, dira-t-on, attendu que c'est un homme. Eh bien ? Si un homme peut être dans son tort, quand il s'irrite d'une offense, vu que l'offenseur est son égal : quand c'est Dieu qui est l'offensé, le châtiment devient parfaitement juste : car la faute est plus grave que si elle atteignait un homme. De plus si l'homme punit, c'est dans une pensée d'intérêt personnel : en vous punissant, au contraire, Dieu ne considère que votre propre avantage : de sorte que, à ce point de vue encore, l'indignation devient plus légitime. Car ce n'est pas la même chose de mépriser ceux qui ne songent qu'à eux-mêmes ou celui qui ne songe qu'à vous. Et l'on encourt une colère bien plus grande encore lorsqu'on ne sait pas même être sage au moment de solliciter pour soi. Combien y a-t-il d'hommes qui n'aient jamais offensé leur frère gratuitement? Ne me dites pas que ce frère était un simple serviteur: " Car dans le Christ il n'y a ni homme, ni femme, ni esclave ni homme libre. " (Gal. III, 28.) Quel est celui qui n'a pas accusé son prochain, ne l'a pas calomnié? celui qui n'a jamais jeté sur une femme des regards dissolus? celui qui n'a pas été jaloux d'autrui? qui n'a pas connu la fausse gloire? qui n'a pas proféré une parole inutile? Or, toutes ces actions tombent sous le coup du châtiment. Et si nous étions aussi négligents à l'égard des choses mondaines, qu'au sujet des choses spirituelles, ce serait un titre à l'indulgence : mais ce dernier recours nous est interdit. En effet, dans les premières, nous sommes aussi vigilants qu'endormis en ce qui concerne les secondes. Et afin qu'en l'entendant parler de la patience divine, nous ne nous sentions pas encouragés à la nonchalance, il ajoute : " Si vous ne vous convertissez pas, il fera luire son glaive. " (Ibid. 13.) Un autre dit : " Il aiguisera son épée. Il a tendu son arc et l'a préparé. " Suivant un autre, " il tendra. Et il a disposé sur son arc des instruments de mort. Il a préparé ses flèches contre ceux qui brûlent. " (14.) Un autre dit : " Pour brûler. "

11. Que vont dire ici ceux qui attribuent à (571) Dieu une forme humaine à cause de ces expressions qui rappellent des mains, des pieds, des yeux? Est-ce qu'il y a là-haut des ares, des traits, des pierres à aiguiser, des glaives, des carquois. Pourtant on lit ailleurs : " A ta vue, les montagnes seront troublées devant toi. " (Eccli. XVI, 19.) Et chez le même Psalmiste : " Celui qui regarde la terre et la fait trembler. " (Psal. CIII, 32.) S'il lui suffit de regarder la terre, pour fondre les pierres, à plus forte raison aura-t-il le même pouvoir sur les hommes. Pourquoi donc Celui qui peut d'un regard bouleverser l'univers, que dis-je, par un simple effet de sa volonté (Celui qui l'a créé par sa volonté seule peut bien, certes, l'anéantir de la même façon), pourquoi, dis-je, est-il représenté avec un glaive et un arc? Si " dans sa main sont les frontières du monde. " (Psal. XCIV, 4.) Si " ceux qui l'habitent sont comme des sauterelles. " Si " toutes les nations seront comptées comme " une goutte tombée d'un tonneau et comme le petit grain de la balance. " (Is. XL, 22, 15.) Si son ange, en se montrant, a détruit dans un instant cent quatre-vingt-cinq milliers d'hommes; que dis-je, son ange? si des mouches, des chenilles et des vers ont exterminé l'armée des Egyptiens : que fait ici cet arc? à quoi bon ce glaive? pourquoi donc ces expressions? A cause de la grossièreté des esprits auxquels elles sont adressées, et afin de les ébranler à l'aide de ces noms d'armes qui leur sont familiers. Celui qui tient dans sa main notre respiration à tous, Celui dont personne ne saurait soutenir le poids (Dan. V, 23; Psal. CXLVII, 17), comment des armes lui seraient-elles nécessaires? Mais, comme je l'ai dit plus haut, s'il s'exprime ainsi, c'est à raison de la grossièreté et de la sottise des hommes pour lesquels il parle. Que veut dire ce mot : " Il fera luire? " Entendez : " Il aiguisera. " Mais il a donc besoin d'une pierre? Est-ce qu'il y a de la rouille sur son glaive? Et quel homme intelligent pourrait prendre ces termes à la lettre? Ainsi que je l'ai dit plus haut,. ce sont là des emblèmes qui figurent le châtiment : et il recourt aux objets les plus sensibles afin que les plus grossiers des hommes soient avertis qu'il ne faut pas s'en tenir aux mots, mais y chercher des pensées conformes à la majesté divine. Si donc on s'étonne d'entendre parler de la colère et du courroux de Dieu, à plus forte raison y a-t-il lieu d'être surpris en cet endroit. Mais si ces dernières expressions doivent être prises autrement que dans le sens littéral, et dans une signification qui convienne au caractère de la divinité, il est clair qu'il faut faire de même pour la colère et le courroux; et que la grossièreté des expressions n'a d'autre but que de frapper la grossièreté des auditeurs. Voilà pourquoi il ne s'en tient pas là, et ne craint pas de parler un langage encore plus humain, et propre à rendre la terreur encore plus vive. Il ne se borne pas à représenter Dieu armé d'une épée; il le montre encore s'apprêtant au combat. Comme ce n'est pas un égal sujet d'effroi que d'entendre dire qu'on aiguise le glaive, ou que l'arc est aux mains de l'archer, le Psalmiste ébranle l'âme de ses auditeurs par ces figures tout humaines : " Il a tendu son arc et l'a préparé... " Ainsi il nous effraye, et il nous fait connaître à la fois la longanimité de Dieu et sa colère. Il ne dit pas : il a lancé la flèche; il ne dit pas, il a saisi son arc, mais bien : il l'a tendu et l'a préparé : c'est-à-dire qu'il est prêt à lancer le trait.

Et pourquoi s'étonner de ce langage dans l'Ancien Testament, lorsque dans le Nouveau même, Jean s'adressant aux Juifs ne craint pas de leur dire : " Déjà la cognée est à la racine de l'arbre? " (Luc, III, 9.) Qu'est-ce à dire? Dieu fait comme un bûcheron qui coupe du bois avec une hache? Est-ce bien de cognée, est-ce bien de bois qu'il s'agit? Y pensez-vous? Pas plus que de paille et de blé, dans ces paroles : " Son van est dans sa main, et il nettoiera entièrement son aire : il amassera son blé dans le grenier; mais il brûlera la paille dans un feu qui ne peut s'éteindre. " (Mat. III, 12.) Qu'est-ce donc que cette cognée? C'est le châtiment, le supplice. Et les arbres? Ce sont les hommes. Mais la paille? les méchants. Et le blé? les bons. Le van, enfin? La séparation par le jugement. Il en est de même ici du glaive, de l'arc, des traits : c'est encore le supplice, la punition. Après cela, par ces expressions : " Tendre et préparer, " il nous représente les délais du supplice qui est différé sans être bien loin, qui nous attend à la porte. Les instruments de mort, ce sont les traits. Ainsi qu'on appelle instruments de labour, ce qui sert à cultiver la terre; instruments de navigation, ce qui sert. à traverser les flots; instruments de tissage ce qui sert à faire les tissus. Les instruments de mort sont ici ce qui donne (572) la mort. Ensuite, afin d'expliquer ce que sont ces instruments de mort, il ajoute : " Ses a traits, " indiquant ainsi la promptitude avec laquelle il punit, quand il veut punir. Et ceux qui brûlent? Ce sont les coupables punis, les suppliciés. Eh bien l est-ce que le feu ne suffit pas? A quoi bon des traits? Voyez-vous bien que tout cela n'est que métaphores et images, destinées à augmenter la terreur? Voici le sens de ses paroles : Dieu a tout préparé pour la punition de ceux qui doivent être punis. S'il n'avait point parlé de la sorte, il n'aurait pas inspiré autant de crainte : par toutes ces expressions diverses de traits, de glaive, de flèches lancées, d'arc tendu, d'instruments de mort,; de feu allumé, il redouble à dessein nos angoisses. Puis, pour calmer un peu notre terreur, il ajoute : " A ceux qui brûlent. " Sans cela, quelque homme sans intelligence pourrait croire que le bras de Dieu menace tous les hommes, qu'il est armé contre le monde entier. Paul fait allusion à la même chose, lorsqu'il dit en parlant du magistrat : " Ce n'est pas en vain qu'il porte le glaive. " (Rom. XIII, 4.) S'il est vrai que le glaive des magistrats soit bon à cela, et inspire la terreur, à plus forte raison est-ce vrai . de la divinité. Et ce n'est point le fait d'une bonté commune que d'effrayer par des menaces, et d'insister en paroles sur l'énormité du châtiment; c'est un moyen de nous en épargner l'épreuve. Si Dieu tend son arc, s'il le prépare, s'il y pose la flèche, s'il se prépare à punir, c'est afin de n'avoir pas lieu de punir.

12. Il donne de la force à son langage, en indiquant par cette expression, " il fera luire, " la rigueur et la promptitude du châtiment. Par ce mot : " il a tendu, " il en fait voir la proximité; en disant : " il a préparé, " il prédit le résultat inévitable de l'obstination des pécheurs ; en ajoutant : " pour ceux qui brûlent " il a en vue les coupables, afin que, avertis par tout ce qui précède, ils renoncent à leur iniquité. Que si c'était là le langage de la colère et du courroux, il n'aurait pas prévenu ceux qu'il devait frapper. Le courroux ne permet point tant de ménagements : il se comporte même d'une façon toute contraire, surtout quand il est à son apogée, au moment de la punition, dans les apprêts de la vengeance. En guerre, du moins, ou quand on veut se venger, loin de ; dire à l'avance, on se cache pour attaquer, de façon que ceux qu'on veut punir ne puissent se mettre sur leurs gardes. Il n'en est pas ainsi de Dieu; bien au contraire, il avertit, il diffère, il menace, il emploie enfin tous les moyens, pour ne pas être forcé d'exécuter ses menaces. Telle fut sa conduite à l'égard des habitants de Ninive. En cette occasion aussi il tendit son arc, fit briller son glaive, prépara ses traits et ne frappa point. Ne voyez-vous pas en effet, dans ces paroles du prophète, comme un arc, un trait, un glaive aiguisé : " Encore trois jours et Ninive sera détruite? " (Jon. III, 4.) Mais Dieu ne lança point sa flèche : car s'il l'avait préparée, ce n'était que pour la remettre au carquois et non pour la lancer. Les soldats s'arment, afin de frapper. Mais quant à Dieu, il ne s'arme que pour corriger les hommes par la terreur, que pour tenir suspendu le bras de la vengeance. Ne nous laissons donc pas étonner ces paroles terribles n'attestent qu'une infinie bonté, et plus elles nous paraissent embarrassantes, plus est grande la clémence qui les a dictées. Les pères qui ne veulent point punir leurs enfants exagèrent à dessein leur colère dans leur langage : c'est dans la même vue que Dieu, répugnant à nous punir, prodigue les paroles effrayantes. Il va jusqu'à dire qu'il a allumé le feu de l'enfer : c'est afin de ne pas nous y précipiter. Voilà pourquoi il est si souvent question du supplice dans les évangiles, plus souvent même que du royaume. Attendu que les hommes peu éclairés sont plus sensibles à la crainte des peines qu'aux promesses, et qu'il est plus facile de les conduire à la vertu et de les détourner du vice par ce moyen l'écrivain sacré insiste sur ce point et y revient sans cesse. N'allons donc point nous plaindre de ces mots pénibles; ils nous rendent un grand service : mais songeons en même temps à la longanimité de Dieu, à la justice de ses arrêts et ne désespérons pas de notre salut Dieu est patient. Ne tombons point dans le découragement : Dieu est juste. Ici-bas sa clémence est infinie : c'est dans l'autre vie qu'il fait éprouver les horreurs du supplice à ceux que sa bonté n'a point corrigés. Si nous craignons ce supplice, songeons dès maintenant à nous en préserver.

" Voici qu'il est gros d’injustice. " (15.) Au lieu de : " Il est gros, " le texte hébreu donne: " Jébal. Il a conçu la peine. " Un autre dit " Et ayant enfanté. Et il a mis au jour l’iniquité (573). Le mensonge, " suivant un autre. " Il a ouvert une fosse et l'a creusée, et il tombera dans la fosse qu'il a faite. " (16.) Ailleurs on dit : " Dans la perdition qu'il a opérée. " Il a dit que Dieu s'est préparé aux châtiments; il a dit qu'il déchaîne les supplices. Ainsi il a ramené l'auditeur à la sagesse, par la vue de la colère d'en-haut suspendue sur sa tête. Il l'instruit maintenant au moyen de la réalité même, en montrant que le vice lui-même est un premier châtiment. C'est ce que Paul fait voir aussi en disant : " Et recevant en eux la rétribution due à leur erreur. " (Rom. I, 27.) En effet, rien n'est plus propre à corriger la plupart des hommes grossiers, que l'exemple du malheur. Le Psalmiste leur met donc aussi cette image sous les yeux. Ainsi fait le Christ lui-même : Après avoir parlé longuement de la géhenne, il nous fait voir ceux qui y sont précipités. Par exemple le riche, dans l'histoire de Lazare; les vierges folles, l'homme qui avait enfoui le talent, et de même, en ce monde, ceux qui furent ensevelis sous les ruines de la tour, ceux dont Pilage mêla le sang aux sacrifices. De même encore Pierre, après un long discours sur l'enfer, frappa surtout ses auditeurs, quand il en vint à leur montrer ceux qui avaient été punis, et à étaler sous leurs yeux le supplice d'Ananie et de Saphire, et Paul fit la même chose à l'égard du magicien. Il s'y prend d'une autre manière pour produire le même effet, lorsqu'il parle comme il suit de ceux qui périrent dans le désert . " Je ne veux pas que vous ignoriez que tous nos pères étaient sous la nue, et que tous furent baptisés en Moïse, mangèrent l'aliment spirituel et burent le breuvage spirituel; mais Dieu ne se complut pas dans la plupart d'entre eux: ils périrent et tombèrent." ( I Cor. X,1-5.) Il parle de l'avenir, de l'enfer, du châtiment, du supplice : à l'appui de sa démonstration, il invoque le passé, et produit sous nos yeux les supplices eux-mêmes, les victimes des serpents et de l'exterminateur. Ici même, David fait la même chose, soit qu'il parle d'Achitophel ou d'Absalon. Quelques-uns croient qu'il s'agit d'Achitophel.. En effet, il ne convenait pas au même homme de dire : " Epargnez mon enfant Absalon, " et quand il l'eut . perdu, " qui me donnera la mort à ta place? " (II Rois, XVIII, 5-33), et de parler comme il fait ici. Mais les premières paroles lui étaient dictées par la nature ; celles-ci, par l'inspiration de l'Esprit. D'ailleurs, qu'il ait eu en vue Absalon ou Achitophel, examinons ses paroles : je me soucie peu des personnages.

13. Qu'apprenons-nous par là? Il nous fait voir que celui qui creuse une fosse pour le prochain, y tombera : et que pareil aux femmes enceintes, dont la grossesse est un tourment, l'artisan d'une perfidie, avant qu'il ait réussi à nuire, est lui-même en proie aux tourments, à la douleur, à une douleur vive et poignante. Aussi voulant représenter ce que cette douleur a d'affreux, il emploie le terme de grossesse. C'est le mot dont se sert l'Ecriture quand elle veut dépeindre une douleur insupportable. — De là cette phrase : " Des grossesses se sont emparées des habitants de Philistim (Exod. XV, 4) : " entendez, la crainte, le tremblement, la peine, la douleur. Paul de même : " Lorsqu'ils diront, Paix et sécurité, alors même viendra sur eux une ruine soudaine, comme est le mal de la grossesse pour une femme enceinte. " (I Thessal. V, 3.) Par là il indique à la fois la violence intolérable du mal, et son irruption subite. Ezéchias dit aussi : " Que les douleurs de la grossesse sont venues pour la femme enceinte, mais qu'elle n'a pas la force d'accoucher (Isaï, XXXVII, 3), " marquant par cette expression une crainte et une souffrance intolérables. Ainsi fait le prophète en cet endroit. — Un homme fût-il un millier de fois scélérat, il ne réussira jamais à corrompre le tribunal de sa conscience; c'est un juge naturel que Dieu lui-même a institué au fond de nos coeurs. Quelque résistance que nous lui opposions, il est toujours là pour nous dénoncer, nous punir, nous accuser; et il n'est aucuir de ceux qui vivent dans l'iniquité qui ne souffre une douleur inexprimable, soit en méditant le crime, soit en exécutant son dessein. Quoi de plus scélérat qu'Achab? Néanmoins quand il eut convoité la vigne, rappelez-vous quelle fut sa douleur. — Ce roi, ce souverain absolu, que personne n'osait contredire, incapable de supporter les accusations de sa conscience, rentre chez lui triste, la tête baissée, confus, un sombre nuage sur le front, portant sur son visage le témoignage accusateur de sa conscience, et ne pouvant voiler la douleur de son âme. — C'est en cet état du moins que sa femme le surprit. — Le traître Judas, l'homme qui s'était porté à un tel attentat, ne pouvant supporter la douleur que lui causait le jugement de sa conscience, se pendit et finit ainsi (574) ses jours. Si le méchant souffre de tels tourments, l'homme vertueux au contraire jouit du calme et d'une absolue tranquillité d'âme. Voyez un peu. Qu'un homme projette de se venger ou de commettre une mauvaise action, considérez à quelles tortures il est en butte. — La colère remplit son coeur, le courroux le dévore, mille pensées tumultueuses s'agitent dans son esprit; il hésite entre mille partis

la crainte, les angoisses, le tremblement l'assiègent, pendant que la colère le ronge, la crainte le bouleverse : comment réussir, comment se venger? avant celui dont il trame la perte, il se perd lui-même. Au contraire celui qui a banni le courroux de son âme est exempt de toutes ces agitations, et cela se conçoit. — C'est quelque chose dont il est le maître; il n'a qu'à vouloir et tout s'exécute. L'autre, pour réussir, a besoin des circonstances, d'un lieu propice, de ruse, de trahison, d'armes, de stratagèmes, de guet-apens, de flatterie, de servilité, d'hypocrisie. Voyez-vous combien la vertu est chose aisée, le vice, chose difficile ? Quel est le calme attaché à l'une, le trouble dont l'autre est désolé?

Voilà ce qu'indique le Prophète en disant " Voici qu'il est gros d'injustice, qu'il a conçu la peine et enfanté l'iniquité. " Par là il fait voir que l'injustice n'est pas naturelle chez nous, mais empruntée. Voilà pourquoi elle nous est à charge; pourquoi, tant que nous en subissons l'empire, nous sommes assiégés de douleurs comparables à celles de l'enfantement. — Tant que l'enfant n'est pas complètement formé, son séjour naturel est au sein de sa mère; il y reste donc, et cela sans peine. Mais quand il est parvenu à maturité, rester où il est devient une chose contre nature : de là les souffrances de l'enfantement. Dès lors la nature contrariée fait effort pour le chasser au dehors : elle a consommé son oeuvre, elle ne saurait plus en garder le dépôt. — Mais dans ce cas, la conception précède, et les douleurs suivent : ici , au contraire, les souffrances viennent en premier lieu, et en. suite la conception et l'enfantement. Qu'est-ce à dire ? C'est-à-dire que dans le premier cas, la douleur survient au moment de l'enfantement, et que dans le second la douleur se fait sentir tout d'abord. En effet, on n'a pas plus tôt conçu un projet criminel, on ne l'a pas encore bien fixé dans son esprit, que déjà le trouble et le désordre y règnent. — En ce qui regarde les femmes, le germe une fois déposé dans leur sein prend de lui-même la forme que l'enfant doit avoir. Mais quand il s'agit de desseins perfides, c'est aujourd'hui une pensée mauvaise; demain ce sera le tour d'une autre : c'est une succession infinie de mauvais germes tombant l'un après l'autre; ce sont, chaque jour, des conceptions, des souffrances qui ruinent le coeur où elles ont leur siège. Ce n'est pas un enfantement pareil à celui des femmes, mais plutôt pareil à celui des vipères, dont les petits déchirent le sein, entr'ouvrent les flancs maternels pour voir le jour : c'est l'image des ruses de l'iniquité. Mais quand nous ferions tous nos efforts, nous ne saurions représenter à la pensée les souffrances qu'endurent les méchants. De là cette parole : " Le méchant seul épuisera les maux. " (Prov. IX, 12.) — En effet, quoi de plus triste, de plus infortuné qu'un envieux, un traître, un homme qui convoite le bien d'autrui ! — Il n'y a pas de bourreau qui fasse endurer pareille torture.

14. C'est donc avec raison que le Psalmiste appelle ces pensées-là " Maux de grossesse. " Mais les femmes enfantent par suite d'un commerce : si la santé des parents est bonne, telle sera aussi vraisemblablement celle des enfants; s'ils sont infirmes, leur infirmité se transmettra à leur rejeton. — Il en est de même encore en ce qui regarde les pensées. Si vous fréquentez d'honnêtes gens, vous donnerez naissance à de bonnes pensées; si vous hantez des méchants, et que vous n'y preniez pas garde, vous aurez lieu de vous en repentir. Ecoutez du moins ce que dit le prophète : " C'est de ta crainte que nous avons conçu, porté, enfanté un esprit de salut. " (Isaïe, XXVI , 18.) — Voici maintenant pour ceux qui ont commerce avec le diable : " Ils ont brisé des oeufs d'aspic, et ils tissent une toile d'araignée. " (Is. LIX, 5.) Fuyons donc les méchants. Quand nous pouvons concevoir et enfanter sous l'inspiration des préceptes de Dieu , comment serions-nous excusables de nous y refuser, et de rechercher la société des hommes dépravés : pareils à une femme qui préférerait aux embrassements d'un monarque le commerce d'un brigand ou d'un pirate? " Il a ouvert une fosse, et l'a creusée : et il tombera dans la fosse qu'il a faite. " (16.) Encore une figure : par les maux de la grossesse, il désignait la souffrance: ici, par ce mot (575) fosse, il indique l'impossibilité de la délivrance " Et il tombera dans la fosse qu'il a faite. " Ce qu'un autre exprime en ces termes - Celui qui creuse une fosse pour son prochain y tombera. Et c'est encore une marque de la bonté divine, d'avoir rendu la trahison telle que le traître tombe dans ses propres filets, afin que cette considération même détourne les hommes des combats et des artifices contre le prochain. La même chose arriva pour Moïse : celui qui devait périr fut sauvé, tandis que Pharaon trouva la mort dans la voie même qu'il avait suivie pour exterminer les enfants. — En effet, l'ordre de ce massacre, contraignit la mère de Moïse, dans son effroi, à exposer son fils : la fille de Pharaon recueillit sur le fleuve le berceau abandonné, trouva l'enfant, l'éleva; et Moïse, parvenu à l'âge d'homme extermina tous ses persécuteurs. — En cela éclate surtout l'industrieuse sagesse de la Providence : voyez quel avertissement pour les méchants, quelle joie pour ceux qu'ils menaçaient. — Quelque chose de pareil arriva aussi à l'admirable Joseph. Ses frères qui l'avaient précipité dans la servitude eurent le sort que l'on connaît ; quant à lui, loin de causer son malheur, ils lui rendirent service : c'est à eux qu'échut le rôle lugubre dans cette tragédie. Je pourrais citer beaucoup d'exemples pareils : mais je passe à un nouvel ordre de considérations.

Un homme a usurpé le bien d'autrui ? c'est sa propre ruine qu'il a causée. Quant à celui qu'il a dépouillé, souvent il lui rend service, au détriment de sa propre âme, dont il trahit les intérêts. Un homme a commis une injustice ? C'est un glaive qu'il s'est enfoncé dans le sein. — Le plus grand préjudice, ce n'est point de subir un préjudice, c'est de le causer. Aussi Paul recommandait-il de subir plutôt l'injustice, et de ne point s'en rendre coupable; et le Christ, de recevoir les soufflets et de n'en pas donner, de présenter au contraire sa joue à l'outrage. C'est le propre de la vraie force, c'est ce qui fait la patience, ce qui fortifie l'âme, ce qui la rend supérieure aux passions. Celui qui fait tort au prochain, en le frappant, en l'injuriant, a commencé par être victime et captif de sa passion, avant de causer à autrui ce dommage apparent; le pire sort est le sien, esclave qu'il est du plus dur des maîtres. " La peine retournera sur sa personne ; et son injustice retombera sur sa tête. " (17.) — Ces mots encore sont entendus soit d'Achitophel, soit d'Absalon. L'un et l'autre, en effet, furent atteints à la tête par le châtiment. L'un se pendit; l'autre en passant sous un arbre resta pris par les cheveux et demeura suspendu longtemps. Judas se pendit de même, sachant que tout le mal qu'il avait fait devait retomber sur sa tête. Achitophel aussi, pressentant que David ne pouvait manquer de triompher, alla se pendre; quant à Absalon, c'est malgré lui qu'il resta suspendu, et il ne mourut pas tout d'abord : comme un condamné, il fut d'abord attaché et suspendu à un arbre; et en vertu d'un arrêt d'en-haut, il demeura longtemps dans cette position, livré aux tortures de sa conscience. Il brûlait de plonger sa main dans le sang paternel; et son père néanmoins recommandait à ses soldats de l'épargner. Que dis-je? Il était si exempt de vaine gloire, qu'il alla jusqu'à pleurer sa mort. Et pour vous faire bien entendre que les hommes ne furent pour rien dans cette exécution, et que la sentence était toute divine, des cheveux et du bois servirent de chaînes pour le coupable, un animal le livra; sa chevelure tint lieu de cordes, l'arbre de poteau, la mule fut le soldat qui le conduisit au supplice. Et voyez quelle singularité. Aucun des siens en le voyant dans cet état, n'eut l'idée de s'approcher de lui, de le délivrer, bien que le temps ne manquât pas pour cela. — Dieu l'avait voulu ainsi, pour qu'il ne fût ni tiré de là, ni conduit enchaîné auprès de son père, attendu que ce coeur paternel montrait une indulgence excessive. Et ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que le meurtrier d'Absalon fut l'homme qui l'avait réconcilié avec son père; il jouait là, pour ainsi dire, le rôle d'un implacable accusateur : mais il ne fit que frapper, et c'est Dieu qui prononça l'arrêt.

15. Que c'était, de fait, un jugement d'en-haut, David même nous en instruit: car après avoir dit : " Son injustice retombera sur sa tête, " il ajoute : "Je rendrai hommage au Seigneur, suivant sa justice : et je célébrerai le " nom du Seigneur Très-Haut. " (18.) Rendons grâces, dit-il, non qu'il se réjouisse de l'exécution de l'arrêt: mais il s'incline devant le jugement du Seigneur. Et qui pourrait rendre grâces au Seigneur suivant sa justice? Qui pourrait le louer à proportion de ce qu'il est ? Personne. Que signifie " Suivant sa justice? " Entendez, à cause de sa justice. " Et je chanterai les louanges du Seigneur tout-puissant. " En effet la victoire est la sienne, les trophées sont (576) pour lui, non pour moi. De même qu'à la guerre, quand le roi a remporté la victoire, on forme des choeurs à sa louange, on lui reporte toute la gloire du succès : voilà quelle sera ma conduite, veut-il dire. Aussi ne dit-il pas : je rends hommage, mais " je rendrai hommage, " voulant montrer que le succès même ne le rend ni oublieux, ni négligent, mais qu'il reste vigilant et sage; ce n'est pas que Dieu ait besoin de tels hommages, mais ils sont utiles et profitables à nous-mêmes. S'il recevait des sacrifices, bien qu'il n'en eût aucun besoin (si j'ai faim, est-il écrit, je ne vous le dirai pas. Ps. XLIX, 12), afin d'engager les hommes à l'honorer, c'est de la même façon qu'il accueille les hymnes, non qu'il ait besoin de nos bénédictions, mais parce qu'il désire notre salut. Car Dieu ne tient à nulle chose plus qu'à nos progrès dans la vertu.

Mais il n'est rien de plus propre à nous avancer dans cette voie, qu'un commerce assidu avec Dieu, que des actions de grâces, des hommages journaliers. Le Psalmiste loue Dieu, dans l'admiration que lui cause la justice et la longanimité divines. Et où voyez-vous, dirat-on, cette longanimité, quand l'usurpateur a péri? Elle est grande et- merveilleuse. Dieu a longtemps ménagé Absalon afin qu'il se repentît; il a permis qu'il fût maître du palais royal, afin qu'à la vue de cette maison où il avait grandi, où il avait été élevé, il éprouvât des remords. S'il n'avait pas été une brute, si son coeur n'eût été de pierre, tout cela était bien propre à le ramener; cette table où il s'asseyait à côté de son père, cette maison, ces lieux de réunion, où la parole avait obtenu sa rentrée en grâce après le meurtre affreux qu'il avait commis; bien d'autres choses encore auraient dû l'émouvoir. Il savait que son père errait comme un vagabond et un fugitif, en proie à d'extrêmes souffrances. Que si c'était trop peu pour le toucher, l'exemple, la triste fin d'Achitophel auraient dû éclairer son aveuglement; tout lui conseillait le repentir, car il n'ignorait pas le sort de son ami. Et qu'avait-il d'ailleurs à reprocher à son père? De l'avoir banni de sa vue? il aurait dû plutôt l'admirer, lui savoir gré d'avoir traité si doucement un fratricide. Il n'avait aucun reproche à lui faire; c'est lui-même qui, saisi d'une convoitise prématurée , alors que son père était vieux, que l'espérance lui souriait de près, n'avait pu se résigner à une attente aussi courte. Mais comment n'avait-il pas réfléchi que, même victorieux, il serait le plus malheureux des hommes, souillé d'un pareil crime et déshonoré par son propre trophée?

16. Où sont maintenant ceux qui gémissent de leur pauvreté ? quelle pauvreté n'est pas plus douce que de tels maux? quelle maladie? quelle souffrance? David ne se dit rien de pareil à lui-même ; il ne se décourage point, il ne se lamente point. Me voilà bien récompensé, aurait-il pu dire, moi qui jour et nuit m'occupe d'observer la loi de Dieu, moi qui, en dépit de mon rang, suis tombé au niveau du dernier des hommes : moi qui, miséricordieux envers mes ennemis, me suis vu livrer aux mains d'un enfant rebelle. Il ne dit, ne pensa rien de semblable: il supporta tout avec résignation, consolé dans ses épreuves par cette seule pensée que Dieu n'ignorait rien de ce qui se passait. Les trois enfants disaient: " Sinon, sache bien, roi, que nous ne servons pas tes dieux, et que nous n'adorons pas la statue d'or que tu as érigée. " Et si quelqu'un leur avait demandé: Et dans quelle espérance affrontez-vous le trépas ? qu'attendez-vous, qu'espérez-vous après la mort, après le bûcher? (en effet, l'attente de la résurrection n'existait pas encore) ils lui auraient répondu : Voilà la rémunération suprême : c'est de mourir pour Dieu. De même David ne jugeait aucune consolation supérieure à cette pensée, que Dieu sachant ces choses ne les empêchait pas. Un amant braverait mille morts pour sa bien-aimée et pourtant, qu'espérer d'elle après la mort ? Ainsi nous devons, sans penser au royaume des cieux , ni à aucun des biens qui nous sont promis, tout souffrir pour le seul amour de Dieu. Il y a pourtant des hommes si tièdes, si insensibles, que l'appât même des récompenses ne peut les gagner à la vertu. Dieu promet le royaume, et n'est pas écouté; le diable ouvre l'enfer, et il se fait aimer. Quelle horrible démence? Et pourquoi parler de l'enfer? Dès ce monde , et avant l'enfer , il procure souffrance, honte, risée, mille tortures, et il. attire à lui une foule empressée.. Considérez l'adultère ; voyez s'il est un homme plus malheureux que lui: il n'est pas encore dans l'enfer: mais déjà il est en proie à des soupçons continuels, les ombres l'épouvantent; il n'ose regarder personne en face; il craint tout le monde , ceux qui savent son crime, comme ceux qui l'ignorent; il ne voit partout (577) que glaives aiguisés, morts suspendues sur sa tête, bourreaux, juges assemblés. Que trouvez-vous de pareil chez l'homme chaste, fût-il en butte à mille épreuves? n'est-il pas toujours content, tandis que l'autre est toujours dans la douleur, dans les ténèbres? Voyez encore les esclaves de la colère, et ceux qui savent en triompher; les ravisseurs, et ceux qui donnent ou plutôt répandent leurs biens en vue de Dieu. Les uns sont dans un port tranquille, les autres sont jetés sur l'orageux détroit de la misère humaine, y sont ballottés chaque jour. En outre, quand l'avare voit que sa vie touche à son terme, et que sa passion va s'éteindre avant d'avoir été satisfaite, quand déjà la mort est suspendue au-dessus de sa tête, voyez quels tourments il endure. Il n'en est pas ainsi de l'homme vertueux : au contraire, il n'est jamais si content, si heureux, que lorsqu'il arrive à la vieillesse : car alors ses jouissances, loin de toucher à leur terme, sont plutôt dans leur fleur. Pour les adultères, les libertins, les avares, les gourmands, la vieillesse est la fin des jouissances : c'est un redoublement de jouissances pour les amis de la vertu. Ainsi donc, sans aller jusqu'à l'enfer et aux tourments dont il nous menace, il y a ici-bas déjà de quoi remuer fortement le coeur. Plein de ces pensées, fuyons le vice, attachons-nous à la vertu, aimons Dieu, non pour ce qui est à lui, mais pour lui-même. Ainsi nous suivrons ici-bas ce chemin de la vertu, qui est naturellement étroit, mais qu'il dépend des voyageurs d'élargir à leur volonté. Puissions-nous tous en atteindre le sommet, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il
 

 

EXPLICATION DU PSAUME VIII. POUR LA FIN, POUR LES PRESSOIRS. — SUIVANT UN AUTRE : CHANT TRIOMPHAL AU SUJET DES PRESSOIRS. — SUIVANT UN AUTRE : A L'AUTEUR DE LA VICTOIRE, AU SUJET DE GETTHITIS. — DANS LE TEXTE HÉBREU : LAIIIANASSÉ, AL HAGETTHITH.
" SEIGNEUR, NOTRE SEIGNEUR, QUE VOTRE NOM EST ADMIRABLE SUR TOUTE LA TERRE!" — SUIVANT UN AUTRE : QUELLE GRANDE CHOSE QUE VOTRE NOM !
ANALYSE.

1. Erreur des Anoméens. — Erreur des Juifs.

2. Miracle des enfants doués subitement de la parole : sa nouveauté, son importance.

3. - 4. -5 . Malheurs des Juifs, conséquence du crucifiement. — Que leur dispersion atteste la divinité de Jésus-Christ. — Que Dieu ne les a point dispersés pour qu'ils répandissent leur religion dans tout l'univers, mais afin de les punir.

6. Que tout le monde sensible est fait en vue de l’homme. — Bienfaisance de Dieu à notre égard.

7. Gloire de l'homme, encore augmentée malgré le péché : pourquoi son empire sur le, animaux a été diminué. 8. En quoi consiste cette diminution. — A quoi servent les bêtes féroces. — Erreur de Paul de Samosate.

9. Egalité du Père et du Fils : qu'il n'y a entre eux qu'une distinction de personne.

1. Dans le psaume précédent David disait " Je rendrai hommage au Seigneur selon sa justice, et je célébrerai le nom du Seigneur Très-Haut ; " ici il remplit sa promesse, il lui chante un hymne. Dans l'autre psaume il parle au singulier : " Seigneur mon Dieu, c'est en vous que j'ai espéré , sauvez-moi. " Ici , il emploie le pluriel. " Seigneur, notre Seigneur, que votre nom est admirable! " Mais faites silence, et prêtez une oreille attentive. Si dans un théâtre où retentissent des chants sataniques, on garde un calme si profond, pour ne rien perdre de ces pernicieuses mélodies ; et cela, quand le choeur est composé de mimes, de danseurs, et dirigé par un musicien profane, quand la musique est oeuvre de Satan et principe de perdition, quand les chants s'adressent à quelque odieux et abominable démon : ici, où le chœur est composé d'hommes religieux, où le chef du chœur est un Prophète, où la mélodie , loin d'être suggérée par Satan est inspirée par l'Esprit-Saint, où le chant enfin n'est point adressé à un démon, mais à Dieu : comment ne serait-ce pas un devoir de rester parfaitement tranquille, et d'écouter avec une crainte religieuse ? Les puissants d'en-haut figurent avec nous dans ce concert. Les choeurs célestes, les chérubins, les séraphins n'ont pas d'autre occupation que la nôtre : ils louent Dieu perpétuellement. La terre en a vu quelques-uns descendre ici-bas pour associer leurs voix à celles de simples pasteurs. Prêtons donc l'oreille à ce nouveau chant. Ceux qui célèbrent un des monarques de la terre, lui parlent de sa puissance, de ses trophées , de sa victoire : ils comptent les (579) peuples vaincus : ils appellent leurs héros destructeurs de villes, vainqueurs des barbares, que sais-je encore? C'est un hymne pareil que chante notre bienheureux. Il parle d'une victoire, d'un trophée, de guerres terminées, guerres d'un genre bien plus terrible. Et voyez comment il débute : "Seigneur, notre Seigneur. " De ceux qui ne croient pas en lui il n'est le Seigneur que d'une façon : mais il est doublement le nôtre; et parce qu'il nous a tirés du néant, et parce que nous le reconnaissons pour ce qu'il est. Considérez aussi comment tout d'abord David rappelle en un mot la bienfaisance de Dieu à notre égard. Rappelez-vous comment Dieu est devenu voire Seigneur; songez que des hommes séparés de lui, et morts , pour ainsi dire, ont été reconquis par sa grâce et ressuscités ; et alors vous comprendrez comment ce mot rappelle à lui seul la bienfaisance divine.

Dans l'étonnement que lui cause cette merveille, le Prophète s'écrie : " Que votre nom est admirable ! " Il veut dire votre nom est tout à fait admirable. Dans quelle mesure il est admirable, il ne l'a pas dit : il ne s'agit point ici de marquer une mesure, mais d'indiquer une grandeur qui dépasse l'imagination. Que dire maintenant de ceux qui prétendent scruter l'essence divine? Si le nom seul de Dieu cause au Prophète un tel étonnement , qu'il demeure interdit, comment excuser ceux qui se vantent de connaître son essence ? le Prophète ne peut comprendre à quel point ce nom est admirable : " Que votre nom est admirable ! " Par ce seul nom, en effet, la mort fut vaincue, les démons furent enchaînés, les cieux rendus accessibles , les portes du paradis ouvertes; l'Esprit fut envoyé ici-bas, les esclaves devinrent libres, les ennemis furent des fils; les étrangers, des héritiers; les hommes des anges. Des anges, ai-je dit? Dieu est, devenu homme, et l'homme est devenu Dieu ; le ciel accueillit une espèce terrestre ; la terre reçut Celui qui siège au-dessus des chérubins avec l'armée des anges. La cloison fut enlevée, la barrière abattue, les choses divisées se réunirent, les ténèbres furent supprimées, la lumière brilla, la mort fut engloutie. — Ce sont toutes ces pensées et d'autres encore qui arrachent au Prophète ce cri : " Que votre nom est admirable sur toute la terre ! " Que penserons-nous maintenant des enfants des Juifs qui osent se refuser à la vérité? Volontiers je leur demanderais de qui il est question dans ce passage. Du souverain Maître, répondront-ils, mais son nom n'était pas admirable sur toute la terre. Et c'est ce dont témoigne Isaïe en disant : " A cause de vous mon nom est blasphémé parmi les nations. " (Isaïe, LII, 5.) Mais si ceux qui l'honoraient donnaient lieu à d'autres de le blasphémer, où donc était-il admirable ? Qu'il est admirable en vertu de sa nature , cela est clair : mais aux yeux des hommes d'alors, de la plupart au moins, loin d'être admirable, il était un objet de mépris. Il n'en est plus de même aujourd'hui. Lorsqu' a paru le Fils unique, son nom est devenu admirable en tous lieux avec le Christ. " Du lever du soleil à son couchant, " est-il écrit, " mon nom a été glorifié parmi les nations." (Malach. I, 11.) Et ailleurs : " En tous lieux on offre à mon nom de l'encens et un sacrifice pur. Mais vous, vous le profanez. " (Ib.12.) Un autre dit : " Toute la terre a été remplie de la connaissance du Seigneur. " (Isaïe, XI, 9.) Et encore : " Ils viendront disant : Nos pères ont eu de fausses idoles. " (Jér. XVI, 19.)

2. Voyez-vous que tout cela est dit au sujet du Fils ? Car c'est son nom, à lui, qui est devenu admirable sur toute la terre, " Parce que votre magnificence a été élevée au-dessus des cieux. " Un autre dit : " Vous qui avez placé votre louange au-dessus des cieux. " Il a parlé de la terre : il passe maintenant au ciel, fidèle à sa coutume, de montrer que tout l'univers bénit son Maître. C'est ainsi qu'en -cet endroit il représente Dieu comme admirable là-haut, admirable ici-bas. En effet, ce ne sont pas seulement les hommes, ce sont les anges encore qui célèbrent les choses accomplies, et rendent grâces pour les bienfaits octroyés aux hommes : ce qu'ils ont fait tout d'abord, quand ils se formaient en choeur sur la terre. Il veut donc ou faire entendre cela même que les anges aussi chantent le Seigneur, ou représenter la grandeur de Dieu. En effet, quand l'Ecriture veut exprimer la grandeur, elle rapproche ces deux éléments : par exemple, quand elle dit : " Comme le ciel est élevé par rapport à la terre. " Et encore : " Autant que le levant est éloigné du couchant, il a écarté de nous nos iniquités. " (Ps. CII, 11,12.) Ici donc il admire ce qui s'est passé; tant de grandeur, de sublimité l'étonne: ce qu'il y avait de plus humble devient ce qu'il y a de plus élevé. "Vous avez formé dans (580) la bouche des enfants et de ceux qui sont encore à la mamelle une louange parfaite. " (3.) Un autre dit : " Vous vous êtes servi de la bouche des enfants pour fonder votre puissance. " Un autre : " pour constituer votre .pouvoir. " Le sens est : Vous avez déployé votre puissance en cela surtout, que vous avez donné des forces à la faiblesse, et délié pour l'hymne de gloire des langues balbutiantes. Il prédit par là le cantique des enfants dans le temple. Et pourquoi donc omettre tant d'autres prodiges, résurrections, guérisons de lépreux, expulsion de démons, pour faire mention de ce prodige accompli chez les enfants? Parce que les premiers de ces prodiges avaient eu des précédents analogues, sinon semblables, et d'une certaine conformité, sinon vraiment pareils. Un mort se réveilla à la voix d'Elisée, un lépreux fut guéri, un démon chassé grâce à David, lors de la possession de Saül : Mais alors pour la première fois on ouit parler des enfants à la mamelle. Et afin que les Juifs n'aient pas l'impudence de prétendre qu'il s'agit en cet endroit de faits contemporains de l'Ancien Testament, il a fait choix d'un miracle jusqu'alors inouï. D'ailleurs cet événement était une image qui figurait les apôtres : car eux aussi, bien qu'incapables de parler et plus muets que des poissons, finirent par prendre tout l'univers dans leurs filets. Mais la preuve que la puissance de Dieu éclate surtout en cela, la voici dans l'Ancien Testament même : Voyez ce que le prophète dit du Père lui-même. Dieu dit, parlant à Moïse : " Qui a fait le muet et le sourd, le clairvoyant et l'aveugle? " (Exod. IV, 11.) Et encore " Donnant des langues déliées à ceux qui parlent difficilement." (Isaïe, XXV, 6.) Et ailleurs: " Dieu me donne la langue d'instruction, afin que je sache quand il convient de parler. " (Ib. 4.) Il dit encore au commencement: "Venez, descendons et confondons leurs langues." (Gen. XI, 7.) Voilà une forte et solide preuve. Les autres pouvaient laisser encore, sinon quelque raison, du moins certain prétexte de clouter, à la mauvaise foi : ici, rien de pareil c'est la nature qui, de son propre mouvement, entre en contradiction avec elle-même. Voilà pourquoi l'écrivain sacré ne se borne pas à désigner les enfants par un mot qui pourrait s'appliquer aussi aux esprits simples ou aux innocents, et ajoute : " Et ceux qui sont encore à la mamelle, " caractérisant l'enfance par la façon dont on la nourrit. " Ceux qui sont encore à la mamelle, " dit-il, ceux qui ne goûtent pas encore aux aliments solides. Aussi, ce qu'il y a d'étonnant, ce n'est pas seulement qu'ils aient parlé et d'une voix distincte, c'est encore que leurs paroles aient été toutes chargées de bénédictions. Ce que ne savaient pas encore les apôtres, ces enfants le chantaient. Une autre conclusion qui ressort de là, c'est que les hommes qui s'approchent des dogmes doivent devenir enfants par le coeur. " Si l'on ne reçoit pas le royaume des cieux dans les dispositions d'un enfant, on ne pourra pas y pénétrer. " (Matth. XVIII, 3.)

" A cause de vos ennemis. " Il indique après cela la raison de ce miracle : Les autres n'arrivèrent point à " cause des ennemis, " mais afin de rendre service à ceux qui les verraient, et d'instruire le reste des hommes par leur entremise. Mais ce ne fut point la seule raison de ce nouveau miracle; il eut encore pour but de fermer la bouche aux ennemis, à ces ennemis qu'un autre désigne plus distinctement par ces mots : " A cause de ceux qui vous enchaînent. " Ce sont eux, en effet, qui le lièrent, quand on le conduisit à la croix. " Pour détruire l'ennemi et celui qui veut se venger." Un autre dit : " Pour arrêter l'ennemi et celui qui se venge, " désignant par là le peuple juif. En effet, les Juifs persécutaient le Christ comme un ennemi, et ils feignaient d'agir ainsi pour venger le Père. Voulant leur fermer ce refuge, il dit : " Celui qui me hait, hait " aussi mon Père (Jean, XV, 23)," et encore : " Celui qui croit en moi, croit en Celui qui a m'a envoyé. " (Ib. XII, 44.) Associant là-haut et ici-bas son Père à ses honneurs- et à ses affronts. Et voyez l'exactitude du prophète. Il ne dit pas pour punir, mais " pour détruire, " ce qu'un autre rend par ces mots " pour arrêter, " c'est-à-dire pour réprimer leur impudence, non pour les instruire : car leur maladie était incurable. A la vue d'un tel miracle, ne trouvant plus rien à dire, ils se tournaient vers lui disant : " N'entendez-vous pas ce que disent ceux-ci? " (Matth. XXI, 16.) Au lieu d'adorer, d'admirer, ils étaient dans une grande perplexité, et au lieu de redire entre eux : N'entendez-vous pas ce que disent ces hommes? C'est au Christ qu'ils le disaient. Et pourquoi la voix des anges ne se fit-elle pas entendre plus tôt? Parce que les Juifs auraient cru être dupes d'une illusion, tandis qu'à cet autre miracle ils ne pouvaient rien objecter. (581) Cependant que disaient ces petits enfants ? Rien qui pût leur être importun ou pénible, rien qui dût les choquer; mais ce qu'il y avait de plus propre à attester l'accord du Fils et du l'ère. " Béni soit, " disaient-ils, " celui qui vient au nom du Seigneur. " (Matth. XXI, 9.)

3. Alors il confondit leur impudence ; plus tard, il détruisit leur ville, et il n'est pas une région de l'univers où les Juifs n'aient porté leur infortune. De même qu'un homme mutilé court en tous lieux , étalant ses blessures; de même que les juges lorsqu'ils ont puni de mort plusieurs meurtriers, empalent un d'entre eux comme si ce dernier supplice infligé à un cadavre était propre à corriger les vivants ainsi Dieu fit des Juifs, non morts, mais vivants, un exemple, en les dispersant. Et ceux qui habitaient autrefois un même pays, sont aujourd'hui disséminés par toute la terre. Que si vous en cherchez la raison, vous n'en trouverez point d'autre que le crucifiement du Christ. En effet, pour quel motif n'eurent-ils point le même sort que précédemment ? Précédemment ils furent déportés dans une région unique, et pour quelques années seulement: cette fois il n'en est pas de même : leur châtiment n'aura pas de fin. Demandez-leur maintenant pourquoi ils ont crucifié le Christ ? Ils vous diront parce que c'était un imposteur. S'il en était ainsi, ils auraient dû être comblés d'honneurs et entrer en possession d'une plus vaste contrée : car ils auraient fait une chose agréable à Dieu. En effet, celui qui fait justice d'un imposteur, fait justice d'un ennemi de Dieu, et mérite d'être honoré en récompense de son action... Phinéès, pour avoir seulement fait périr une prostituée fut honoré par le Seigneur, au point d'être jugé digne du sacerdoce: et vous, bien plus dignes que lui d'être honorés, si, en effet, vous avez fait périr un imposteur, vous errez en tout lieu comme des vagabonds sans patrie ? Si vous avez subi un pareil sort, c'est que vous avez crucifié un maître, un bienfaiteur, un précepteur de vérité. Si Jésus était un imposteur, un ennemi de Dieu, un faux Dieu, convoitant les honneurs du Dieu véritable, vous devriez être rémunérés mieux que Phinéès, que Samuel, et tant d'autres, pour avoir déployé un si grand zèle dans l'intérêt de la loi. Et voici que vous êtes plus sévèrement traités aujourd'hui que dans lé temps où vous étiez idolâtres, impies, où vous égorgiez des enfants; vos épreuves ne finissent pas; proscrits, fugitifs, asservis aux lois des Romains, vous parcourez la terre et les mers, errants, sans patrie, sans maisons, esclaves, déchus de la liberté, du sacerdoce, de toutes vos prérogatives passées, dispersés au milieu des barbares et d'une quantité de peuples divers, haïs, abhorrés de tous les hommes et exposés de toutes parts à toutes les injures. Ah ! certes, vous êtes bien mal récompensés, d'avoir livré à la mort un ennemi de Dieu. Sottise et folie ! Votre sort n'est pas celui des hommes qui font périr les ennemis de Dieu ; c'est celui des assassins qui égorgent ses amis. Mais, diront-ils, mon ami, nous ne disons pas cela, c'est pour nos péchés que nous sommes frappés ainsi. Vous en convenez donc, têtes indociles? Et quels sont ces péchés, dis-moi ? Est-ce donc la première fois que vous péchez ? Pourtant aujourd'hui vous êtes devenus plus sages. Mais laissons ce point: voici ce que je veux vous demander à présent : Pourquoi précédemment toutes les fois que vous péchiez, obteniez-vous de Dieu miséricorde et n'obtenez-vous plus la même grâce aujourd'hui, aujourd'hui, dis-je, que vos fautes sont moins graves? Alors vous vous faisiez initier au culte de Belphégor, vous vous prosterniez devant le veau d'or, vous égorgiez vos fils, vous massacriez vos filles, et cela, quand les avertissements d'en-haut ne vous manquaient pas; et aujourd'hui que vous ne voyez ni la mer s'entr'ouvrir, ni les rochers se fendre, ni les prophètes vous visiter, aujourd'hui que vous n'êtes plus l'objet de la sollicitude constante de la Providence, vous montrez néanmoins plus de sagesse. Comment se fait-il donc que vos péchés étant moindres et votre vertu plus grande, votre punition, votre châtiment redoublent de sévérité ? N'est-il pas sensible pour les hommes les moins intelligents qu'au contraire votre faute est plus grave aujourd'hui? Tant que vous vous êtes bornés à pécher contre les serviteurs, à tuer, à lapider les prophètes, vous avez obtenu l'indulgence; mais du jour où vous avez porté les mains sur le Maître, votre plaie est devenue incurable. Aussi , quatre cents ans se sont écoulés depuis que l'emplacement même de votre ville a disparu avec le sacerdoce, la royauté, depuis la confusion de vos tribus, depuis que tous vos titres de gloire sont effacés, au point de ne pas laisser un vestige; ce que l'on n'avait jamais vu. Au commencement même après la ruine du temple, (582) les prophètes, les dons de l'Esprit demeuraient parmi vous avec les miracles. Aujourd'hui , afin que vous compreniez bien que Dieu s'est détourné de vous pour jamais , ces choses mêmes ont disparu pour faire place à l'esclavage, à la captivité, à une déchéance complète, et ce qu'il y a de pis, à l'abandon de Dieu.

4. Dieu a fait comme un maître, qui, après avoir fouetté maintes fois son esclave sans le corriger, le dépouille de ses vêtements et l'abandonne à lui-même, nu, vagabond, dénué de tout, mendiant, partout proscrit. Tel n'était pas auparavant votre sort, vous aviez des prophètes jusqu'en Egypte, jusque dans Babylone et dans le désert; en Egypte, Moïse ; à Babylone, Daniel et Ezéchiel ; en Egypte encore, Jérémie. Les miracles succédaient aux miracles et la gloire de votre nation s'augmentait; les vôtres, en captivité , étaient plus grands que des rois. Mais tout cela est passé, il ne reste qu'un châtiment pire que les précédents, non-seulement par sa durée, ruais encore par l'abandon complet où vous êtes laissés. Pourquoi donc, dites-moi, étiez-vous si favorisés de la Providence lorsque vous étiez plus coupables, et êtes-vous plus sévèrement châtiés, aujourd'hui que vous avez déployé, s'il faut vous en croire, votre zèle pour la loi? En prétendant cela, vous accusez Dieu d'injustice; vous le représentez honorant les coupables et humiliant les hommes vertueux. Si vous avez fait une bonne action comme vous le prétendez, si votre victime n'était qu'un imposteur, Dieu qui est juste aurait dû vous récompenser et non vous punir; s'il vous punit, il est clair que vous êtes plus coupables que jamais. Mais si vous n'êtes plus impies comme autrefois, si vous n'égorgez plus d'enfants, quelle est donc cette faute pire que vous expiez par un pire châtiment? N'est-il pas évident gaie le crucifiement est comme le couronnement de vos crimes? Voilà ce qui vous a perdus plus que l'idolâtrie, que l’érection du veau d'or, que les égorgements d'enfants. Car ce n'est pas la même chose d'égorger son enfant ou de crucifier son maître. Aussi, lorsque vous immoliez vos fils, Dieu vous a été clément, mais du jour où vous avez fait périr le Fils de Dieu, votre maître, votre crime a été irrémissible.

Combien d'années s'est-il écoulé depuis la sortie d'Egypte jusqu'à la venue du Christ? Environ quinze cents années et plus. Comment se fait-il donc, que durant tout ce temps, le Seigneur ait supporté vos fautes, et qu'il vous rejette aujourd'hui, aujourd'hui que te moment serait venu de vous couronner, quel qu'ait pu être jusqu'ici le nombre de vos crimes? Jamais vous n'avez rien pu faire de plus méritoire que d'immoler un imposteur. De plus, vous paraissez aujourd'hui observer fidèlement le sabbat, vous n'adorez plus les idoles, vous vous piquez d'observer toutes les prescriptions de la loi. Et c'est quand votre vie est plus pure, quand vous avez fait de plus la bonne oeuvre que vous dites, c'est alors que vous êtes en butte à toutes les infortunes! Quelle pire folie, quelle plus abominable démence que celle qui vous porte à blasphémer Dieu pour vous justifier? Si votre conduite vis-à-vis du Christ était un titre pour vous, loin d'être un péché plus détestable que tous les autres, pourquoi cette sévérité à l'égard des justes, cette indulgence pour les pécheurs? Un homme quelque peu intelligent, Dieu à plus forte raison, ne consentirait jamais à se conduire de la sorte. Mais que répondent-ils à cela? Nous avons été dispersés, pour devenir les instituteurs de l'univers. Niaiserie, sottise, que cette réponse. Avant de devenir le maître des autres, il faut commencer par se bien conduire soi-même; c'est alors seulement qu'on peut être chargé d'une telle mission; et tel fut le cas des prophètes, des apôtres. Mais les juifs égarés eux-mêmes et chargés de toutes les iniquités, comment auraient-ils pu être chargés d'enseigner? Considérons donc quelle était leur vie, dès avant cette époque. Nous verrons qu'ils étaient plus farouches que des bêtes fauves. Ce n'étaient que parricides, infanticides, idolâtres, ravisseurs du bien d'autrui; les prophéties l'attestent en maint. endroit. Jérémie disait pour faire voir votre luxure : " Ils sont devenus comme des chevaux ardents pour les femelles; chacun hennit en voyant la femme du prochain. " (Jér. V, 8.) Quelle abominable impureté ! Ce n'étaient plus des hommes, ces êtres (lui s'accouplaient avec les femmes d'autrui; aussi nomme-t-il leur fureur hennissement. Ce n'est pas seulement la fornication, c'est encore l'adultère qu'il leur reproche , et une promiscuité comparable à celle des brutes. Un autre prophète dit : " Le père et le fils se sont approchés de la même femme. " (Amos, II, 7.) Est-ce donc pour cela, dis-moi, que Dieu vous a institués nos (583) maîtres, pour nous enseigner la fornication, l'adultère, l'inceste? Et Ezéchiel : " Vous n'avez pas même agi selon les lois des Gentils. " (V, 7.) Eh quoi! Ces hommes pires que les Gentils; Dieu les choisit pour ses envoyés? Et leurs homicides, qui pourrait en supporter l'idée! Ils immolaient aux démons leurs fils, leurs filles, et les brûlaient. C'est ce que nous apprend David par ces mots . " Ils ont sacrifié leurs fils et leurs filles aux démons. " (Ps. CV, 37.) Est-ce pour cela que Dieu les a envoyés, pour que le genre humain apprît d'eux, qu'il faut égorger ses fils et ses filles? Vous ne rougissez pas, vous ne vous voilez pas la face, vous qui osez forger de pareilles inventions? Un autre dit : " Ils mêlent le sang au sang, malédiction, mensonge, vol, homicide, adultère , se sont répandus dans le monde. " (Osée, IV, 2.) Un autre dit : " Tu t'es fait un front de prostituée; tu as dépouillé toute pudeur aux yeux de tous. " (Jér. III, 5.) Un autre : " Vos princes sont comme les loups de l'Arabie. " (Ezéch. XXII, 27.) Un autre : " Il n'est personne qui comprenne, personne qui cherche Dieu. " (Soph. III, 3.) " Tous sont dévoyés, tous sont tombés à rien. " (Ps. XIII, 2, 3.)

5. Voilà donc ce que vous êtes venus enseigner, l'impudeur, la démence, la fornication, l'adultère, le meurtre, tous les genres de vice? Vous voulez nous forcer encore d'étaler vos crimes, à tous les yeux? C'est vous qui êtes " portés dans le sein, et instruits jusqu'à la vieillesse. " (Isaï, XLVI, 3.) C'est vous qui êtes les aveugles, et qui vous jetez mutuellement dans la fosse. " Si un aveugle sert de guide à un aveugle, tous deux tomberont dans la fosse. " (Matth. XV, 14; Luc, VI, 39.) Vous qui avez eu tant de prophètes sans jamais devenir meilleurs, étiez-vous faits pour devenir les précepteurs d'autrui? Ne cesserez-vous pas de déraisonner ainsi, au lieu de convenir de votre perversité? Voilà ce qui vous a toujours perdus : ne vouloir jamais remonter à l'origine de vos maux. Aussi pareil aux juges qui font suivre ceux que l'on fouette par des crieurs chargés de proclamer leur crime, vol ou rapine à main armée : Dieu vous a fait constamment escorter par des prophètes qui vous révélaient la cause de vos châtiments. Encore aujourd'hui ils vous suivent par toute la terre dans votre esclavage, et vous répètent les mêmes cris. Entrez clans les synagogues: vous entendrez les mêmes paroles assidûment redites. David faisant allusion au futur jugement, ou plutôt au brigandage de Caïphe, dit que telle est la cause de votre perte. Après avoir dit : " Brisons leurs liens, et rejetons leur joug loin de nous (Ps. II, 3), " il ajoute: " Alors il leur parlera dans sa colère, et dans son courroux il les troublera." (Ibid. V, 5.) Après ces mots : " Il fut conduit comme une brebis à l'immolation, " Isaïe poursuit en ces termes : " Et je donnerai les méchants pour sa sépulture, et les riches pour sa mort. " (Isaïe, LIII, 9.) Et ailleurs, en parlant de la vigne : " J'ai attendu afin qu'il fît justice; mais il a fait iniquité et non justice, et a poussé un cri. " (Ibid. V, 7.) Quel cri? " Crucifie, Crucifie. " (Luc, XXIII, 21.) Et il ajoute : " A cause de cela je renverserai son rempart, et il sera foulé aux pieds : et je recommanderai aux nues, de ne pas verser sur lui la pluie. " (Isaïe, V, 5-6.) La raison de votre dispersion n'est donc pas celle que vous dites, mais bien le crime du crucifiement : les Prophètes le démontrent. Et, afin que vous compreniez la puissance du Christ, et que vous vous instruisiez par vous-mêmes de ce que les prophètes n'ont pas su vous persuader, consultez le témoignage des faits. La puissance du Christ a opéré en vous-mêmes le miracle que n'avaient pas su faire les prescriptions de la loi. Tant que vous avez eu la loi, vous avez tué, égorgé vos enfants, commis l'adultère mais du jour où le Soleil de la justice a brillé, l'empire du mal a diminué parmi vous-mêmes, et votre émulation vis-à-vis de nous vous a rendus plus vertueux.

Si Dieu vous a dispersés, c'est pour vous faire mesurer la grandeur de l'empire qu'il a fondé ici-bas; s'il a ruiné votre temple, c'est pour vous arracher, en dépit de vous-mêmes, à l'iniquité. Et là où fut détruit le temple, là le Christ fut enseveli, afin que, fuyant loin de son sépulcre , vous pussiez voir le trophée élevé par sa puissance, et la réalisation de la parole qui dit : " Il ne restera pas ici pierre sur pierre. " (Matth. XXIV.) En effet, partout il a dis trophées, partout des monuments de son pouvoir. Mais, si c'était un impie, un ennemi de Dieu, comme vous le prétendez, quels qu'aient pu être vos excès à son égard, vous n'auriez pas dû subir un pareil châtiment; sinon, ce n'était pas tout au moins le montent, car cela est propre ~ faire croire que tel est le motif de (584) votre punition. N'avez-vous pas entendu Dieu vous dire, lorsque vous étiez en captivité : " Si j'agis de la sorte, ce n'est pas à cause de vous, c'est pour que mon nom ne soit pas profané ? " Cependant votre méchanceté était alors à son comble. Néanmoins Dieu vous dit : Pour que les infidèles ne croient pas que je suis faible, je néglige vos péchés et je vous conserve. Eh bien ! si dans ces circonstances, il épargna les coupables, afin que son nom ne fût pas profané ; comment n'aurait-il pas fait la même chose dans le cas présent ? Quelques crimes que vous eussiez pu commettre, vous ne deviez point subir un pareil traitement, si le Christ était vraiment un imposteur , un traitement propre à faire croire que vous étiez frappés à cause de lui. Loin de là, vous auriez dû être sauvés, et, en tout cas, je le répète, le moment était mal choisi. Mais, dans le fait, ces deux choses sont arrivées en même temps. A peine la croix eut-elle paru , les apôtres se mirent en campagne, et bientôt une guerre terrible vint menacer votre capitale alors on vit se confirmer le mot des Evangiles : " Malheur aux femmes qui allaitent et " à celles qui sont enceintes (Matth. XXIV,19) ! " et tant d'autres. Alors se réalisa la prédiction " En ce temps il y aura une affliction telle qu'on n'en a jamais vu. " (Luc, XXI, 23.) Des femmes mangèrent leurs enfants, les ennemis éventrèrent des cadavres , l'incendie allumé par les barbares dévora tout, le sang coula à torrents, on vit des tragédies inouïes; le malheur des Juifs remplit l'univers. Instruits par ces souvenirs, reconnaissez enfin votre Maître. Vous avez massacré des prophètes, avez-vous été punis de la sorte? Vous avez ruiné des autels, pareil malheur vous est-il arrivé? Vous avez adoré le veau d'or, vous vous êtes fait initier au culte de Belphégor, vous avez méconnu la nature, avez-vous eu à combattre de pareils ennemis? N'est-il pas vrai qu'ingrats parmi les bienfaits dont vous étiez comblés, vous subsistiez néanmoins? D'où vous viennent donc aujourd'hui ces malheurs qui n'auront pas de fin? N'est-il pas clair qu'ils proviennent de ce que vous vous êtes attaqués au Maître et non plus aux serviteurs. Voilà pourquoi vos maux ne finissent pas, ne finiront jamais. S'ils devaient finir, les prophètes l'auraient dit. Mais ils ont parlé de la captivité, et jamais du retour, malgré leur coutume de mêler les biens et de marquer la durée des épreuves. Ainsi, Jérémie annonce soixante-dix années, et Daniel, trois semaines et demi (1); et il est écrit que la servitude en Egypte durera 430 ans. Quant à la captivité actuelle, la durée, la fin n'en sont indiquées nulle part, mais votre maison est déserte, et chaque jour voit s'augmenter vos maux.

6. Réfléchissez bien en vous-mêmes à tout cela , développez ce qui vient d'être dit (" Fournissez une occasion au Sage, " est-il écrit, " et il sera plus sage. " (Prov. IX, 9.) Et vous pourrez facilement convaincre les Juifs d'impudence et d'ingratitude. " Parce que je verrai les cieux, ouvrages de tes doigts. " (4.) Un autre dit : " Car je vois les cieux , la lune et les astres que vous avez fondés. " Un autre interprète : " que vous avez disposés; " un autre : " que vous avez établis à leur place. " Après avoir dit que Dieu a détruit les ennemis, il donne la preuve de cette glorieuse victoire. Vous, le Crucifié, dit-il, vous, le condamné à mort, vous êtes apparu comme le créateur de l'univers. De là ces mots : " Je verrai les cieux : " par là il fait voir que si précédemment cela était généralement ignoré, tous le sauront désormais. Et pourquoi ne passe-t-il pas en revue toutes les parties de l'univers? C'est qu'après avoir parlé des plus importants parmi les objets visibles, il n'avait pas besoin de nous instruire au sujet des autres. Ses ennemis ont donc été détruits si complètement que celui qu'ils persécutaient, celui qu'ils avaient fait périr, s'est révélé comme le créateur de toutes les choses sensibles. Et pourquoi n'avoir pas dit de vos mains, mais de vos doigts ? C'est pour montrer que les objets visibles ne lui ont pas coûté de peine; c'est aussi faire allusion à cette merveille de la création, que les astres ne tombent pas de la place où ils sont suspendus : cependant il n'est pas dans la nature des fondements d'être suspendus en l'air, mais de reposer en bas. Mais cet habile et merveilleux créateur a presque partout, dans ses ouvrages, franchi les limites de l'ordre naturel. Et pourquoi ne dit-il rien des puissances incorporelles, pourquoi s'en tient-il à cette preuve de l'industrie divine ? Parce que dans ce temps-là, Dieu ne voulait instruire les hommes que de ce qui regarde les choses apparentes. Voilà pourquoi le Père, dans ses fréquents entretiens avec les Juifs, ne leur dit pas : C'est moi qui ai fait les anges et les chérubins.

1. Erreur imputable soit à l'orateur, soit aux copistes.

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" C'est moi, " dit-il, " qui ai déployé le ciel, c'est ma main qui a fondé la terre, ma droite qui l'a consolidée. " (Isaïe, XLVIII, 13.) Il ne parle jamais que des choses visibles, ne considérant en toute chose que le salut de ceux qui l'écoutent. En effet ces hommes grossiers étaient plus sensibles à ce qui frappe la vue qu'à ces choses qu'elle ne peut atteindre. C'est pourquoi Paul, toutes les fois qu'il s'avance pour prendre la parole, commence par entretenir ses auditeurs des créatures visibles " Dieu qui a fait le ciel, la terre, la mer, et tout ce qu'ils renferment. " (Act. XVII, 24.) Les pluies annuelles, l'espèce humaine, voilà ce qui lui fournit constamment le début de ses discours. Si je dis que Dieu a fait les chérubins, j'ai deux choses à démontrer: qu'il y a des chérubins et qu'il en est le créateur, quand il s'agit au contraire d'objets visibles, il me suffit de prouver qu'il les a faits. Le discours en devient plus aisé ; car alors il s'appuie sur le témoignage de la vue. La grandeur, la beauté, l'utilité, l'ordre, la proportion sont choses que l'auditeur peut voir. Il me reste seulement à établir que Dieu en est l'auteur. Et pourquoi ne fait-il pas mention du soleil, mais seulement de la lune et des astres? En parlant de ceux-ci, il fait entendre aussi le soleil. Comme il y a des gens qui éliminent la nuit de la création divine, il indique en nommant la lune, que Dieu en est aussi l'auteur. La diversité des astres est infinie, et il serait long d'énumérer toutes les phases de la lune.

" Qu'est-ce que l'homme pour que vous e vous souveniez de lui, ou le fils de l'homme. " pour que vous le visitiez (1)? " (5.) Après avoir parlé de la création, et avoir élevé l'esprit du particulier au. général, il passe à la sollicitude de la Providence pour les hommes. Ce qu'il dit ici concerne spécialement l'homme. Sans doute ce qui précède touchant la Providence le concerne également : car toute la création est faite en vue de l'homme. Mais il aborde ici une autre forme de providence, et il ne se borne pas à en parler avec une infinie gratitude, il remercie le Seigneur au nom de l'univers ; il rappelle ses bienfaits d'une manière générale, et insiste sur les soins tout particuliers qu'il a pris du genre humain. En effet, si l'homme n'était rien dès l'origine, à plus forte raison en était-il ainsi lors de la venue

1 Le saint orateur indique ici deux légères variantes qui disparaîtraient dans une traduction.

du Christ, après tant d'horribles péchés. Le Psalmiste montre que la venue du Christ n'est pas étrangère à la miséricorde, qu'elle est due à une suprême bonté. Comme un bon médecin, il a laissé ceux qui étaient en santé pour venir à nous, êtres malades, créatures de néant. De là cette expression : " Qu'est-ce que l'homme? " En d'autres termes l'homme n'est rien, n'est que misère. A la vue d'une telle sollicitude, d'une si admirable providence, de tant d'oeuvres accomplies pour sauver le genre humain, David se demande avec étonnement et stupeur quel est donc cet être que Dieu a jugé digne de pareils soins. Songez que toutes les choses visibles ont été faites pour lui ; songez que depuis Adam jusqu'à la venue du Christ tout a été réglé pour son intérêt, songez que le paradis, les préceptes, les châtiments, les miracles, les supplices et les bienfaits qui suivirent la loi, que tout cela a été combiné en vue de l'homme; que le Fils de Dieu s'est fait homme à cause de lui. Et qui pourrait dire les biens qui lui sont réservés dans la vie future ? — C'est parce qu'il se rappelle tout cela que David s'écrie : Qu'est-ce que l'homme pour que vous l'ayez jugé digne de si grands bienfaits?

7. En effet, si l'on réfléchit à tout ce qui s'est fait ou se fait en vue de cette créature, à tout ce qui lui. est encore promis, on se sent pénétré d'effroi; et c'est alors qu'on peut juger comme il faut, à quel point elle est chère à Dieu. " Vous l'avez abaissé un peu au-dessous des anges. " (6.) D'autres disent : " Un peu au-dessous de Dieu. " Le texte hébreu est Outhasreou mat me Eloim. Il rappelle ici la condamnation, l'ancienne faute, la mort. Mais la mort même fut vaincue par la venue du Christ. " Vous l'avez couronné de gloire et d'honneur. " Un autre dit: " Vous le couronnerez de gloire et de noblesse. " On peut prendre ses paroles soit dans le sens historique, soit dans le sens anagogique : David parle du pouvoir dont l'homme fut investi dès sa naissance : il parle aussi des biens que lui procura dans la suite la venue du Christ. A l'origine, Dieu dit à l'homme : " Votre crainte sera sur tous les animaux. " (Gen. IX, 2.) Et encore . " Qu'ils règnent sur les poissons de la mer ! " (Gen. I, 26.) Plus tard il dira : " Marchez sur les serpents et les scorpions. " (Luc, X,19.) Mais David omet ce dernier point, et s'attache de préférence à des considérations (586) moins élevées, laissant aux esprits pénétrants le soin de trouver les autres. En effet, l'époque du Nouveau Testament est plus honorable et plus glorieuse pour l'homme : c'est alors qu'il a le Christ pour chef, qu'il devient son corps, son frère, son cohéritier, que, de corps, il est son semblable; c'est alors qu'il surpasse en gloire Moïse même, ainsi que Paul l'a montré, puisque Moïse se voilait la face, tandis que nous contemplons tous aujourd'hui la gloire de Dieu à visage découvert. De là ces mots : " Ce qu'il y a d'éclatant dans cette partie n'a pas été véritablement glorieux à cause de la gloire éminente de l'autre. " (II Cor. III, 10.) Le Prophète fait donc allusion à cette gloire. En effet, qu'est-ce qui pourrait égaler la gloire d'unir nos voix aux voix des anges , d'être adoptés, de voir le Fils unique lui-même immolé pour nous? quelle pourpre, quel diadème n'est effacé par le privilège de mépriser la mort, de revêtir l'impassibilité des puissances incorporelles, nous, méprisés naguère, obscurs, rebutés? Adam, sans avoir fait ni bien ni mal fut honoré dès sa naissance. Comment aurait-il pu agir avant d'exister? Mais nous, après avoir commis une infinité de crimes, nous jouissons d'honneurs incomparablement plus grands. " Je ne vous appelle plus serviteurs, " est-il écrit : " car vous êtes mes amis. " (Jean, XV, 15, 14.) Les anges ne rougissent plus à cause de nous : que dis-je? ils s'entremettent pour notre salut. En effet, Philippe reçut la visite d'un ange, ainsi que beaucoup d'autres : des anges annoncèrent à des hommes la Bonne Nouvelle. Nous ne sommes plus des héritiers d'ici-bas; nous sommes associés au patrimoine des cieux, nous partageons le domaine du Christ, du Fils unique. Tout cela est renfermé dans ce qui est écrit de notre gloire et de nos honneurs. Aussi le Psalmiste dit-il : " Vous le couronnerez de gloire et d'honneurs, " parce qu'il prédit l'avenir.

" Et vous l'avez établi sur les ouvrages de vos mains. " Un autre dit : " Et vous lui avez donné l'empire sur les ouvrages de vos mains. " (P. VIII, 7.) " Vous avez tout mis sous ses pieds. Les brebis et tous les bœufs, avec les troupeaux de la campagne. " Suivant un autre: "Avec les bêtes sauvages. " (Ibid. 8.) " Les oiseaux du ciel, et les poissons de l'Océan qui traversent les chemins des mers. " (Ibid 9.) " Seigneur, notre Seigneur, que votre nom est admirable sur toute la terre! " (Ibid. 10.) Comme en parlant de la création, il ne se contente pas de toucher aux puissances d'en-haut, et aborde aussi les choses sensibles . ainsi, lorsqu'il expose les honneurs accordés à l'homme, il indique par une simple allusion les choses mystérieuses et incorporelles dont il a fait mention, et insiste principalement sur les avantages sensibles, comme plus propres à frapper les esprits grossiers. Quels sont ces avantages? L'empire donné à l'homme sur ce monde.

Et ce qu'il y a d'admirable, ce que le Psalmiste indique surtout, c'est que l'homme comblé d'honneurs avant sa faute, n'en soit pas déchu après son péché. " Vous l'avez abaissé un peu au-dessous des anges, " c'est-à-dire, vous avez puni son péché de la mort. Mais vous n'avez point pour cela dépouillé ce condamné à mort des présents que vous lui aviez faits. En conséquence, il montre aussitôt après l'ineffable bonté de Dieu, qui, malgré l'abaissement où nous sommes tombés par suite de notre péché, a permis que nous fussions couronnés de gloire, et n'a diminué en rien notre empire. Ou du moins s'il en a retranché quelque chose, c'est encore un effet de sa sollicitude. Avant sa désobéissance , l'homme étendait son autorité jusque sur les bêtes. Après la désobéissance, il perdit quelque chose de ce pouvoir. Encore aujourd'hui il a des moyens pour les rendre dociles; ruais il faut qu'il les effraye, les épouvante. Dieu ne lui a pas ôté tout son pouvoir, il ne lui a pas non plus laissé ce pouvoir tout entier. Les animaux nécessaires soit à la nourriture, soit à l'industrie de l'homme, sont restés sous sa domination : mais il n'en est plus ainsi des bêtes sauvages, qui lui font une guerre destinée à lui rappeler la faute autrefois commise par Adam , notre premier père. De sorte que cette révolte même est pour nous un grand avantage. Quel profit nous reviendrait-il de la docilité des lions, de la domesticité des panthères? Rien qu'orgueil et vanité. Voilà pourquoi Dieu a permis que ces animaux-là s'affranchissent de notre autorité, tout en nous assujettissant ceux qui peuvent nous être utiles, le boeuf qui laboure, la brebis qui revêt la nudité de notre corps, les bêtes de somme nécessaires pour le transport, les oiseaux, les poissons, qui font l'ornement de nos tables.

8. Dieu agit vis-à-vis de nous comme un (587) père de famille, qui, en déshéritant son fils, ne le dépouille pas de tout son patrimoine, mais d'une partie seulement, afin de le corriger que dis-je? sa conduite fut directement contraire. Le père qui déshérite son fils le prive de la plus grande partie et ne lui laisse que la plus faible : au contraire, Dieu nous a laissé la plus forte part et ne nous a retiré qu'une fraction minime, encore est-ce pour notre avantage, afin que nous ne triomphions pas trop facilement de toutes les autres créatures. Mais en cela encore, vous avez une marque de la sollicitude de Dieu : en aiguisant notre intelligence, en abattant notre orgueil, en nous interdisant une fâcheuse oisiveté (car l'homme s'abandonnerait à la mollesse, si tout lui venait de soi-même), il a mêlé l'existence de quelques difficultés, il a empêché que le travail ne nous fût nécessaire pour tout, ni, pour tout, superflu. Il a fait en sorte que les choses nécessaires nous fussent données sans peine et sans fatigue; les choses de luxe, au contraire, au prix des fatigues et de la peine, afin de diminuer, en cela aussi, l'excès de notre sécurité.

Que si l'on vient nous dire : Mais à quoi servent les bêtes féroces? nous répondrons : D'abord à nous inspirer de l'humilité, à nous fortifier par la lutte, à réveiller chez le plus vain le souvenir de sa bassesse, devant une brute, qui lui fait peur. En outre, beaucoup de maladies trouvent là des remèdes. Mais celui qui nous demande pourquoi il y a des bêtes féroces, nous demanderait-il aussi ce que font en nous la bile ou la pituite ? Ces choses aussi, pour peu qu'on les irrite, nous attaquent avec plus de fureur que les bêtes féroces, et exercent leurs ravages dans tout notre corps. La colère aussi nous fait la guerre, et pareillement la concupiscence, et ces deux ennemis sont plus acharnés que des bêtes sauvages contre ceux qui ne savent pas les brider ou les contenir. Que dis-je? le courroux, la colère? Nos yeux mêmes nous causent parfois plus de maux que les bêtes féroces, en faisant pénétrer dans notre cœur les traits redoutables de l'amour. Et cependant, nous n'irons pas dire pour cela : A quoi bon? Au contraire, nous, saurons gré au Maître de tout ce qu'il a fait. La bête est pour l'homme ce qu'est le fouet pour un enfant. Si, parmi tant de dangers, l'orgueil enfle encore tant de coeurs, ce frein ôté, jugez des progrès que ferait le vice. Voilà pourquoi notre corps est ce qu'il est, exposé aux infirmités, aux souffrances, assiégé par mule fléaux; pourquoi la terre n'accorde ses biens qu'au travail; pourquoi la vie entière est arrosée de sueurs. C'est parce que la vie présente n'est qu'une école, c'est parce que le repos et l'oisiveté perdent la plupart des hommes, que Dieu a mêlé à notre existence, le travail et la peine, comme un frein destiné à réprimer l'excitation de nos pensées. Mais voyez : les animaux qui nagent dans l'abîme des eaux, ceux qui s'élèvent dans les airs, le Seigneur les a soumis eux-mêmes à votre industrie. Et pourquoi David ne passe-t-il pas en revue toutes les choses visibles, les plantes, les graines, les arbres? En nommant la partie il fait entendre le tout, et laisse aux hommes studieux le soin de rechercher le reste. Puis il termine ainsi qu'il a commencé: " Seigneur, notre Seigneur ! " avant et après sa description, les mêmes expressions reviennent. Persistons donc, nous aussi, à redire la même chose, à admirer la Providence de Dieu, sa sagesse, sa bonté, sa sollicitude pour nos intérêts. Voilà ce que nous avions à dire pour compléter l'interprétation. Maintenant, si vous le voulez, nous en viendrons à la controverse, et nous demanderons aux Juifs en quelles circonstances on a entendu chanter de petits enfants, à quelle époque un tel chant a détruit l'ennemi, enfin, quand le nom de Dieu a été admirable. Ils ne sauraient citer un autre moment que celui dont nous avons parlé, moment où reluit la puissance de la vérité avec plus d'éclat que le soleil. Voilà pourquoi le Psalmiste dit: " Je verrai les cieux ouvrages de vos doigts. " D'ailleurs Moïse avait dit précédemment : " Au commencement Dieu fit le ciel et la terre."

En voilà assez à l'adresse des Juifs, avec ce que nous avons dit plus haut : mais il est des hommes qui, imitant et adoptant leur doctrine, hormis en ce qui touche la circoncision (je parle des disciples de Paul de Samosate), prétendent que le Christ exista seulement du jour où il sortit du sein de Marie : Demandons-leur donc, à eux aussi, comment il se fait que le Christ ait créé les cieux , s'il est vrai qu'il n'existe que depuis cette époque. En effet, selon le prophète, Celui qui fit parler des enfants à la mamelle est aussi le créateur des cieux. Que s'il créa les cieux, il existait donc avant les cieux; et loin de devoir à Marie son origine, il lui est antérieur. Considérez ici la sagesse du Prophète ! Il n'en fait pas (588) seulement un créateur, mais un créateur qui produit ses oeuvres sans peine. De là : " Je verrai les cieux, ouvrages de tes doigts : " non que Dieu ait des doigts; mais le Psalmiste veut montrer que les créatures visibles n'ont coûté aucun effort, et c'est pour cela qu'il désigne des choses qui nous surpassent par des noms qui nous sont familiers. C'est ainsi qu'il dit ailleurs : " Celui qui mesure le ciel à l'empan et la terre avec la paume de sa main. " (Isaïe, XL, 10.) Ce n'est pas qu'il ait en vue alors ni l'empan, ni la paume de la main, mais c'est qu'il veut représenter l'infinie puissance de Dieu. Comment donc quelques-uns osent-ils faire du Fils un ministre? Celui qui n'a pas même mis en oeuvre tous ses moyens quand il s'agissait de créer le ciel, que dis-je : tous ! pas même la plus faible partie : comment celui-là serait-il un simple ministre? et comment serait-il un ministre si " ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement? " Que devient ce mot : " Pareillement, " si l'un est ministre et l'autre créateur? Et comment le Psalmiste peut-il attribuer les oeuvres mêmes à ce ministre, en disant, par exemple: " Au commencement, Seigneur, tu as fondé la terre, et les cieux sont des ouvrages de tes mains; " ou comme ici : " Je verrai les cieux, ouvrages de tes doigts. " Les ouvrages ne sont point dus aux ministres, mais aux créateurs; qu'il y ait eu, ou non, un ministre, c'est toujours au créateur que l'oeuvre est attribuée. Donc les paroles de Moïse lui-même concernent aussi le Fils. Je veux dire : " Au commencement Dieu fit le ciel et la terre; " et: " Qu'ils dominent sur les poissons de la mer. " (Gen. I , 1 et 26.) Car celui qui mit sa louange dans la bouche des petits enfants à la mamelle, est le même qui visita l'homme.

9. Ce que Moïse dit du Père, Paul l'applique au Fils, montrant par là leur complète égalité. En conséquence , puisqu'il était indifférent aux Saints d'appliquer au Fils ce qui est dit du Père, et réciproquement : " Tout cela a été fait par lui. " (Jean, I, 3.) Que devient cette appellation du ministre? elle ne signifie plus rien. Mais, dira-t-on : " Par lui, " cela signifie par son entremise (1). Mais si la même expression est employée aussi en parlant du Père ? Ecoutez plutôt : " Il est fidèle, le Dieu par qui

1 La différence des langues nous a contraint d'amplifier un peu ce que saint Jean ne fait qu'indiquer; la nuance est celle qui existe en latin entre a quo et per quem

vous avez été appelés à la société de son Fils. " (I Cor. I, 9.) Et encore : " Paul, apôtre de Jésus-Christ, par la volonté de Dieu. " (II Tim. I, 1.) Et ailleurs : " Puisque c'est de lui, et par lui, et en lui, que sont toutes choses. " (Rom. XI, 36.) Mais, pourquoi l'appelez-vous ministre ? — Par déférence pour le Père. — Pourtant le Fils a dit : " Afin que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père. " (Jean. V, 23.) Pour celui qui n'honore pas le Fils, il est clair qu'il n'honore pas non plus le Père. Quoi donc, dira-t-on ? J'appellerai Père le Fils? Nullement. Jésus n'a pas dit : Afin que vous m'appeliez Père; mais bien, afin que vous honoriez le Fils éternel comme le Père. Appeler Père le Fils, ce serait tout confondre. La distinction subsiste : mais les honneurs sont communs. Si le Père est ici nommé avec le Fils, c'est justement pour prévenir la confusion des personnes. Mais si la substance de l'un n'était pas celle de l'autre, comment réclamerait-elle les mêmes honneurs? On dira : Pourquoi donc le Christ parle-t-il souvent un langage si humble ? C'est pour nous enseigner l'humilité, c'est à cause de l'enveloppe de chair dont il était revêtu, c'est à cause de la stupidité des Juifs, c'est parce que l'espèce humaine ne peut être amenée à la vraie doctrine que pas à pas; c'est en considération du peu de lumières des auditeurs : d'ailleurs il approprie souvent son langage aux opinions de ceux qui l'écoutent. En effet, les choses sublimes ne sont pas pour ceux-là seuls qui sont dignes de les entendre : ou plutôt, quoi que l'on puisse dire de la divinité, on demeure toujours bien au-dessous de sa grandeur, on emploie nécessairement le langage de la condescendance. Prenons un exemple : Dieu est grand? Mais c'est parler petitement de Dieu : la grandeur , quelle qu'elle soit, est bornée; or Dieu est infini. Et c'est encore en parler petitement. Je sais qu'il n'a point de limites; mais ce qu'il est, où il est, c'est ce que j'ignore. Appelez-le sage, bon, et cela infiniment; c'est encore parler un langage indigne de lui, si l'on n'attache aux termes une signification convenable. Par conséquent, si des expressions si fortes restent encore au-dessous de la vérité, comment justifier ceux qui voudraient les affaiblir? Fuyons leurs entretiens, et bien persuadés de l'éternité du Fils unique, de son pouvoir créateur, de son absolue souveraineté , de sa consubstantialité (589) parfaite avec le Père, de sa condescendante Providence, des mille formes que prend sa sollicitude à notre égard (tels sont, en effet, avec bien d'autres, les enseignements renfermés dans ce psaume, pour l'usage des esprits attentifs) , gardons la pureté des dogmes, et signalons-nous par une conduite digne de notre foi, afin d'obtenir les biens futurs, desquels puissions-nous tous être comblés, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire et honneur, au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

EXPLICATION DU PSAUME IX. POUR LA FIN , POUR LES SECRETS DU FILS, PSAUME POUR DAVID. — SUIVANT UN AUTRE : HYMNE TRIOMPHAL POUR LA MORT DU FILS, CHANT POUR DAVID. — SUIVANT UN AUTRE : DE LA JEUNESSE DU FILS.
"JE VOUS RENDRAI HOMMAGE, SEIGNEUR, DANS TOUT MON COEUR; JE RACONTERAI TOUTES VOS MERVEILLES. "
ANALYSE.

1. Qu'il faut rendre grâces même dans l'adversité. — Qu'on s'affranchit. par là des pensées coupables.

2. Merveilles de la terre. — Bonheur d'aimer Dieu et de chanter ses louanges.

3. Puissance de Dieu. — Sa justice.

4. Deux manières d'interpréter les textes : selon la lettre et selon l'esprit. — Deux jugements : l'un particulier ici-bas, l'autre général dans l'autre monde.

5. Conditions de l'assistance divine. — De l'espoir en Dieu.

6. Ce que c'est que rechercher Dieu. — Que la prière doit être humble. — Que la miséricorde de Dieu ne nous est jamais plus nécessaire que dans la prospérité.

7. Contre les sortilèges. — Inutilité de la persécution exercée par les Juifs contre les apôtres. — Qu'on ne peut être vertueux par nécessité.

8. Récompense et châtiment. — De la patience du pauvre.

9. De l'aveuglement produit par le péché.

10. Qu'il faut songer au malheur dans la prospérité.

11. Que le pécheur doit être puni tôt ou tard.

1. Ce psaume est long : à ceci même reconnaissez la sagesse de l'Esprit. Au lieu de donner à tous la même étendue, grande ou petite, il a mis dans ce recueil cette variété même qui naît de l'inégalité, la longueur qui stimule la paresse, à côté de la brièveté qui soulage la fatigue. "Je vous rendrai hommage, Seigneur, dans tout mon coeur; je raconterai toutes vos merveilles. " Il y a deux manières de rendre hommage : en condamnant ses fautes, ou en remerciant Dieu. Il s'agit ici d'un hommage de reconnaissance. — Mais que veut dire (590) ceci : " Dans tout mon coeur? " Cela signifie avec tout mon zèle, toute mon ardeur : non-seulement pour mes prospérités, ruais encore pour mes revers. En effet, ce qui distingue entre toutes choses une âme reconnaissante et sage, c'est de rendre grâces jusque dans l'adversité, c'est de louer Dieu eu toute occasion, non-seulement pour ses bienfaits, mais encore pour ses châtiments. C'est le moyen d'obtenir une plus ample récompense. Remercier Dieu des biens qu'il nous octroie, c'est acquitter une dette : le remercier quand il nous frappe, c'est devenir ses créanciers. — L'obligé qui témoigne sa reconnaissance, se décharge d'une obligation. L'affligé qui rend hommage crée une obligation à son profit. Aussi Dieu reconnaît-il par mille grâces une pareille reconnaissance, et dans l'autre monde et même sur-le-champ : de telle sorte que nous perdons jusqu'au sentiment de nos épreuves. Personne ne ressent des maux dont il remercie Dieu : nous retirons donc de là un second avantage, celui d'échapper au chagrin. Si vous perdez de l'argent et que vous rendiez grâces, le regret du dommage éprouvé est effacé par la joie qui accompagne le remerciement. C'est là pour le diable un coup mortel; c'est le moyen de parvenir à la sagesse, le moyen de porter un jugement sain sur les choses présentes. Un bon nombre d'hommes jugent mal des choses d'ici-bas, aussi tombent-ils dans le découragement. — C'est ainsi que les fous s'effrayent de ce qui n'a rien d'effrayant, redoutent des choses qui souvent n'existent point et prennent la fuite devant des ombres. C'est leur ressembler que de craindre une perte d'argent.

Cette crainte, en effet, n'est pas imputable à la nature, mais à la volonté. S'il y avait là un vrai sujet d'affliction, tous ceux qui font des pertes devraient être malheureux : mais si la même mésaventure ne produit pas chez nous tous la même affliction, il s'ensuit que le principe de l'affliction n'est point dans la nature des choses, mais dans la grossièreté de nos pensées. De même que dans l'obscurité on s'effraye souvent à la vue d'une corde, croyant apercevoir un serpent, de même qu'alors on voit tout avec défiance, on prend ses amis pour des ennemis : de même ceux qui vivent dans les ténèbres de la déraison ne reconnaissent plus la vraie nature des choses, ils se roulent dans l'ordure, et le fumier cesse de leur paraître du fumier; possédés par l'avarice, ils sont insensibles à la mauvaise odeur qu'elle exhale : qu'ils s'éloignent, ils la sentiront. — Les amants de la richesse sont comme ceux qui aiment une femme laide et commenceront à s'apercevoir de sa difformité, quand ils seront guéris de leur maladie. Et comment faire, dira-t-on, pour chasser loin de moi cette passion ? Je recourrai encore au même exemple. L'homme épris d'une femme laide, s'il ne cesse de la fréquenter, attise sa propre ardeur : mais pour peu qu'il la délaisse, il sent son amour s'évanouir peu à peu : de même, éloignez-vous quelque peu, faites trêve un moment, et ce moment mettra un grand intervalle entre vous et votre maladie. Il ne s'agit que d'entrer dans la bonne voie. Vous avez une maison qui vous est superflue : vendez-la, donnez-en le prix à ceux qui ont besoin, et ne croyez point par là vous en défaire; loin de là, vous ne faites que vous en assurer la propriété. Ne regardez pas â la dépense, mais au profit; ne songez point que vous en serez privés ici-bas, mais bien que vous en jouirez là-haut. De la sorte, il vous sera donné de raconter à jamais les merveilles de Dieu. Car c'est ainsi que débute notre psaume. L'avare n'a guère de temps à consacrer à cette occupation : il ne rêve qu'intérêts, actes, contrats, ventes, testaments, estimations de maisons ou de terres, profits, trafics : voilà ses pensées, ses soucis perpétuels. Où est le trésor de l'homme, là est son coeur. — Voilà les sujets de ses discours, de ses pensées : il pense aux affaires du Seigneur comme un esclave à celles de son maître. Quel ordre a-t-il donné? Qu'est-ce qui est fait? Qu'est-ce qui reste à faire ? Je vous exhorte donc à vous dérober aux soins qui vous assiégent pour vous appliquer à ces récits dont parle le prophète, pour raconter chaque jour les merveilles opérées par Dieu soit en particulier, soit en général, dans l'intérêt de tous ou dans celui de chacun. Le monde est plein de pareils sujets de récits, et quel que soit celui que vous choisiriez pour commencer, la pompe ne manquera pas à votre début : le ciel, la terre, l'air, les animaux, les graines, les plantes; les anciens bienfaits, ceux qui ont précédé la loi, ceux qui l'ont suivie, ceux qui datent de la grâce, ceux qui nous sont réservés après notre départ d'ici-bas et jusque dans la mort, voilà de quoi vous occuper. — Combien nous serions insensés, si, en présence de pareils sujets, aussi charmants que profitables à l'âme, (591) nous allions traîner nos pensées dans la fange, et parler le langage de l'avarice et de l'injuste cupidité!

2. Si vous le voulez, nous laisserons de côté les choses du ciel, et nous nous entretiendrons de la terre, de sa grandeur, de sa position, de son usage, de sa nature , de ses enfantements perpétuels, de ses productions diverses, des graines, des plantes, des arbres, des fleurs, des prairies, des jardins. Mettons à part maintenant la forme de chaque arbre, son port, sa hauteur, l'odeur qu'il exhale, ses fruits, la saison où il produit, les soins qu'il réclame, et le reste; la fertilité de certains territoires, la stérilité qu'on remarque ailleurs: car il n'y a rien d'inutile sur la terre. Ici elle produit le fer, ou l'airain , ou l'or, ou l'argent: là les aromates, ou des médicaments de toute espèce. Que dire maintenant des services que nous rendent les eaux, soit potables, soit salées, les richesses des montagnes, la variété de leurs marbres, les fontaines qui en découlent , les arbres qu'elles produisent pour la construction des maisons ? Autant de fruits du désert, ajoutez-y les animaux, les bêtes sauvages qu'il nourrit. Que dire des lacs, des fontaines, des fleuves? De même que les femmes qui viennent d'accoucheront en elles une source de lait pour abreuver leurs nourrissons: ainsi la terre a des mamelles d'où jaillissent des fontaines et des rivières pour arroser jardins et vergers. Et encore, il faut que l'enfant s'approche pour boire au sein de sa mère : tandis que la terre d'elle-même présente la mamelle, et son lait découle de toutes les hauteurs.

Voici encore un autre usage du désert. C'e§t là que le corps se maintient le mieux en santé, qu'il respire l'air le plus pur: c'est là que l'on contemple de haut tout l'univers; qu'on se plonge dans la philosophie de la solitude, qu'on devient étranger à tous les soucis du monde. Que dire de la voix mélodieuse des oiseaux, des animaux que l'on prend à la chasse? autre bienfait: le désert est comme un rempart pour certains pays, grâce aux montagnes élevées, aux ravins, aux précipices, dont il les environne. Parlerai-je des plantes qui y viennent, productions si utiles aux corps attaqués par la maladie ? que si telle est l'utilité des déserts et des montagnes, tels sont les services qu'ils nous rendent, dès que nous arrivons aux terres labourables et aux plaines, songez quelle carrière nouvelle va s'ouvrir à nos récits. Ainsi que dans notre corps on distingue des os, des nerfs, des chairs enfin : de même la terre offre des montagnes, des ravins, de gras territoires, et tout cela est utile. Et pourquoi parler de la terre, cet immense élément? Prenez seulement un arbre: si vous entreprenez d'en décrire la forme, l'usage, le fruit, les feuilles, la saison, et le reste, vous aurez une tâche considérable. Prenez pour texte la situation des montagnes et tout ce qui les concerne, ou bien l'homme lui-même et la configuration de son corps voilà encore une source inépuisable de récits. Appliquons-nous donc à tous ces objets: nous y trouverons un charme infini avec beaucoup d'avantages et une incomparable sagesse. Aussi David poursuit-il, afin d'indiquer cela : " Je me réjouirai et tressaillerai d'allégresse en vous. " Suivant un autre. "Et je me glorifierai, je chanterai votre nom, Très-Haut. " (3.) Ce n'est pas une faible marque de sagesse, que de se réjouir en Dieu. Celui qui se réjouit en Dieu. Comme il faut, écarte de lui toute joie mondaine. Mais qu'est-ce à dire : " Je me réjouirai en vous? " Avoir un tel maître, veut-il dire, voilà mon bonheur, voilà ma joie. Si quelqu'un connaît cette joie comme il faut la connaître, il devient insensible à toute autre. Car c'est cela qui est proprement la joie : tout le reste n'en a que le nom, et manque de réalité. C'est elle qui ravit l'homme, elle qui affranchit l'âme de l'esclavage du corps, elle qui lui donne des ailes pour s'envoler au ciel, elle qui l'élève au-dessus du monde, elle qui la délivre du vice : et rien de plus naturel. En effet, si ceux qui s'éprennent des corps séduisants, ne s'aperçoivent pas de ce qui se passe autour d'eux et sont tout entiers à la pensée de l'objet aimé : ainsi celui qui aime Dieu comme il convient de l'aimer devient insensible à tout ce qu'il y a de bonheur et de peine en ce monde: il est au-dessus de tout : ses délices sont éternelles comme l'objet de son amour. Ceux qui placent ailleurs leur affection s'endorment bientôt dans un oubli involontaire, quand ceux qu'ils aimaient ont perdu leurs charmes : tandis que l'amour dont je parle est infini , impérissable ; les joies en sont plus vives; le profit en est plus grand : et le plus puissant attrait qu'il offre à l'amant, c'est qu'il ne saurait jamais finir. " Je chanterai votre nom, Très-Haut. " C'est l'usage de ceux qui aiment. Les amants chantent des chansons en l'honneur de leur bien-aimée et ils se consolent ainsi de leur absence. Ainsi fait le Prophète: ne pouvant (592) jouir de la vue de Dieu, il compose des chansons à sa gloire; en le célébrant, il croit se rapprocher de lui, il ravive sa propre flamme, il s'imagine le voir: ou plutôt en le chantant, en le célébrant, il communique à bien d'autres son ardeur. Car si les amants disent les louanges de leur bien-aimée , et vont colportant son nom, le Prophète à leur exemple, s'écrie: " Je chanterai votre nom, Très-Haut. "

3. Voyez comment il s'élève au-dessus de la terre, comment il suspend, pour ainsi dire, tout son être à l'Etre éternel, et se consacre à Dieu. Voilà pourquoi il fait revenir si souvent ce même nom: c'est la coutume des amants.(4.) " Lorsque mon ennemi se sera retourné en arrière, ils affaibliront et périront devant votre face. " Suivant un autre : " Quand mes ennemis se seront retournés en arrière, auront échoué et péri devant votre face." Ceci encore est une grande marque d'amour, que d'énumérer sans cesse les bienfaits qu'on a reçus et de s'y complaire : C'est l'affection qui produit cela, et l'affection même en est redoublée. On ne se tromperait pas en disant qu'il s'agit ici d'ennemis invisibles. Ceux-là, en effet, entrent eux-mêmes en déroute, quand ils ont trouvé une âme courageuse. Un javelot qui tombe sur un bouclier, le brise, s'il est faible, reste impuissant et s'émousse si la surface est dure et résistante. Il en est ainsi de l'âme. Si les traits du diable la trouvent faible et incapable de résistance, ils pénètrent jusqu'au fond. Si au contraire elle est dure et solide, l'assaillant se retire sans avoir rien fait, sans que l'âme ait éprouvé aucun dommage : De là deux, ou plutôt trois avantages : l'âme n'a point pâti, elle s'est même fortifiée : enfin le diable s'est affaibli. Considérez maintenant comment le Psalmiste proclame la puissance de Dieu. " Ils s'affaibliront, " dit-il, " et périront devant votre face... " Ici encore, que ce mot visage ne vous représente rien de corporel. David n'entend parler que de l'action, de la manifestation divine, et de la facilité avec laquelle elles s'opèrent. C'est ainsi qu'il dit ailleurs : " Celui qui regarde sur la terre et qui la fait trembler. " Son regard suffit à lui seul pour la perte des méchants. En effet, si la présence des saints affaiblit l'empire des démons, il doit en être de même, à plus forte raison, de la présence de Dieu... Si son éclair en brillant répand partout la terreur, songez comment bon éternelle puissance doit épouvanter, perdre les méchants. Voyez-vous le caractère de ces hymnes ? Voyez-vous la nature de ces hommages, et comment David raconte la puissance de Dieu ? Un dogme important est renfermé jusque dans ces mots : " Je chanterai votre nom, Très-Haut, lorsque mon ennemi se sera retourné en arrière. " Qu'est-ce donc que cela prouve ? Que David était sage non-seulement dans la détresse, mais encore dans la tranquillité... L'humiliation que causent les maux a pour effet de rendre beaucoup d'hommes plus vertueux. Le bonheur au contraire les rend plus négligents et plus mous : Voyez ce qu'il dit plus loin des Juifs : " Lorsqu'il les tuait, c'est alors qu'ils le cherchaient. " (Ps. LXXVII, 34.) II n'en est pas ainsi de notre juste: même dans la prospérité il reste sage et vigilant, Ce qui n'est pas sans importance poux la religion. " Car vous m'avez rendu justice." (5. ) Suivant un autre : " Vous avez jugé en ma faveur. Vous vous êtes assis sur votre trône, vous qui jugez selon la justice. (6.) " Vous avez repris les nations, et l'impie a péri. " Un autre dit : " Vous avez fait périr, vous avez effacé son nom pour les siècles des siècles." Admirez encore la sagesse de David : Il ne se venge pas lui-même de ses ennemis, il se repose sur Dieu du soin de faire justice, conformément au précepte apostolique : " Ne se vengeant pas les uns des autres." (Rom. XII, 19.) Mais il y a autre chose encore à remarquer : c'est qu'il était victime d'une injustice. En effet, s'il n'y avait pas eu d'injustice, Dieu n'aurait point puni. " Vous vous êtes assis sur votre trône, vous qui jugez selon la justice." Il emploie ici le langage humain : de là ces mots: trône et s'asseoir. Quand à cette expression : " Vous qui jugez selon la justice, " elle indique la coutume de Dieu et le privilège de son essence. En parlant des hommes ce langage serait déplacé. Quelque justes qu'ils puissent être, ils ne jugent pas selon la justice, tantôt par ignorance , tantôt parce qu'ils négligent de rechercher ce qui est juste. Mais Dieu, qui est exempt de toutes ces imperfections, Dieu qui connaît la justice et veut l'accomplir, juge selon la justice. Par ces mots : " Vous vous êtes assis sur votre trône, " entendez : Vous avez jugé, vous avez puni, vengé. " Vous avez repris les nations, et l'impie a péri. " Vous voyez que Dieu n'a pas besoin d'armes, d'épée, de flèches, de traits : toutes ces expressions qu'on a vues plus haut sont (593) empruntées au langage humain : il suffit à Dieu de reprendre, et les coupables qui doivent être punis périssent. — Ce qui suit est propre encore à vous faire comprendre sa puissance : Vous avez effacé leur nom pour les siècles des siècles. Vous les avez exterminés, ruinés de fond en comble, anéantis de telle sorte que leur souvenir même a disparu. " Les épées de l'ennemi ont perdu leur force pour toujours. " Un autre dit : " Les ruines. " Le texte hébreu porte " Arboth. " Et " vous avez détruit leurs villes. " Qu'est-ce à dire ? C'est-à-dire qu'après avoir frappé d'impuissance leurs projets et leurs machinations, vous leur avez enlevé jusqu'à leurs propres armes Voilà ce que c'est que la colère de Dieu : Elle fait disparaître et détruit tout. Ou encore, selon un autre interprète : " Les déserts. " C'est-à-dire : vous n'avez pas seulement ruiné les villes , vous avez anéanti jusqu'aux déserts. C'est ainsi que notre juste faisait la guerre : il ne tuait pas ses ennemis avec des armes, avec des javelots : Il n'avait d'autre arme que la protection divine. Aussi cette guerre le couvrit-elle de gloire, aussi la victoire couronna-t-elle ses efforts. " Sa mémoire a péri avec bruit. " Un autre dit : " Avec eux; " le texte hébreux est " Em. " Que signifie cela : " Avec bruit. " Il veut indiquer soit une extermination générale, soit les cris de douleur des victimes. — Et c'est encore une marque de la sollicitude divine, de ne pas faire ces choses en secret, de telle sorte que le malheur des uns corrige les autres. Le Psalmiste a donc en vue la notoriété de ce désastre.

4. " Et le Seigneur subsiste éternellement. " (8.) Suivant un autre : " Sera assis. " Souvent on désigne ainsi sa permanence : de même Jérémie: " Vous qui êtes assis pour l'éternité. " (Baruch, III, 3.) Le texte hébreu donne ici "Jéseb. " Le Prophète revient toujours sur cette idée à propos des hommes qui périssent : il montre par là que l'essence de Dieu est éternelle, que si l'espèce humaine est éphémère, Dieu et sa grandeur sont impérissables. Il agit ainsi afin de nous alarmer, de nous inspirer, pour ainsi dire, un double effroi, en nous représentant d'une part la grandeur de la gloire divine, de l'autre l'imperfection de notre propre nature, devant celui qui ne meurt pas, et dont la justice est formidable. Que si nous trouvons ici quelque figure, il ne faut pas nous refuser à la voir. Il y a des textes qui appellent la méditation;. il y en a d'autres qu'il ne faut pas prendre autrement qu'à la lettre, par exemple: " Au commencement Dieu fit le ciel et la terre. ".D'autres répugnent à l’interprétation littérale, comme celui-ci. " Que la biche de votre amitié et le poulain de vos bonnes grâces vivent familièrement; avec vous. " (Prov. V, 19.) Et encore : " Que ce que vous avez soit à vous seul , et qu'aucun étranger ne le partage avec vous. Que la source de votre eau soit à vous seul. " (Ibid. 17-18.) Si en examinant ce texte, vous ne fuyez pas la lettre, pour vous attacher à l'esprit, ce n'est plus qu'un précepte d'inhumanité, une recommandation de ne donner d'eau à personne :mais il s'agit ici de l'épouse : l'écrivain sacré nous prescrit de vivre chastement avec notre femme : et ces noms de source et de biche font allusion à la pureté de l'union conjugale. Voilà pour ce qui regarde ce passage : ailleurs. il faut tenir compte et de la lettre et de l'esprit. Exemple : " Comme Moïse a élevé le serpent. " (Jean, III, 14.) En effet, il faut voir dans ce passage à la fois l'expression d'un fait qui arriva réellement, et un emblème pour désigner le Christ. De même ici l'on ne se tromperait pas en appliquant aux Juifs les paroles du Psalmiste : " Vous vous êtes assis sur votre trône, vous qui jugez selon la justice. Vous avez repris les nations, et l'impie a péri vous avez effacé son nom pour l'éternité, et pour les siècles des siècles. Les épées de l'ennemi ont perdu leurs forces pour toujours; et vous avez détruit leurs villes. Leur mémoire a péri avec bruit. " Car ceux qui ont crucifié le Christ ont vu eux-mêmes leur malheur divulgué par toute la terre, leurs villes ont été détruites, les artifices du diable ont perdu leur force, déjoués par la sollicitude du Christ. Mais laissons les esprits studieux compléter ce rapprochement, et poursuivons notre sujet. " Il a préparé son trône dans le jugement. " (8) Un autre dit : " Il a assis pour le jugement. " (9) " Et lui-même jugera le monde avec justice, jugera les peuples avec droiture. " Voyez-vous comment son langage s'élève peu à peu ? Après avoir fait mention du trône, il en fait connaîtra la nature : ce n'est pas un trône de planches, ni de toute autre matière; c'est un trône de justice, fondé sur la justice. " Il jugera le monde avec justice. " Il parle à la fois pour le présent et pour l'avenir. Le jugement général est réservé pour l'autre (594) monde; mais le jugement particulier commence ici même. Il porte dans le présent même de nombreux effets, afin que les insensés ne puissent révoquer en doute l'existence d'une Providence. Que si tous ne reçoivent pas ici-bas leurs couronnes, ne vous en étonnez pas. Car Dieu " a préparé un jour, dans lequel il doit juger la terre. " (Act. XVII, 31.) Ce monde-ci n'est que le stade, la carrière, l'arène. Voilà pourquoi tous ne sont pas rétribués selon leur mérite, pourquoi les récompenses , les supplices attendent là-haut le mérite et la faute ici-bas, support et longanimité, afin que nous puissions expier nos péchés par le repentir mais là-haut, il n'en est pas de même ; tant qu'un meurtrier est libre de ses démarches, il est maître de s'amender et de se dérober au châtiment; mais une fois qu'il est tombé sous la sentence du juge, c'est le tour du glaive , du bourreau, du gouffre fatal. Il en est de même ici. Tant que nous sommes dans la vie présente, il nous est possible d'échapper au châtiment par la conversion : mais une fois partis pour l'autre séjour, nos gémissements seront inutiles : " Il a préparé son trône dans le jugement. " On peut, sans faire erreur, prendre à la lettre cette expression : " Il a préparé : " en effet tout est préparé, et les supplices , et les couronnes, et la sentence. Il n'y a ni retard, ni répit, ni délai auprès de Dieu, puisque les vivants ne devanceront pas ceux qui sont endormis : " Nous les vivants, " dit Paul , " nous qui restons pour la venue du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui seront endormis. " (I Thess. I, 16.) Considérez la sagesse du Prophète : voyez comment il parle à la fois de l'avenir et du présent. Du présent : " Vous avez repris les nations et l'impie a péri. " De l'avenir : " Il a préparé son trône dans le jugement. Et lui-même jugera le monde avec justice. " C'est afin de convaincre par le présent ceux qui ne croient pas aux choses de l'autre vie (10.) " Et le Seigneur est devenu un refuge pour le pauvre." Suivant un autre: " pour l'opprimé; " suivant un autre: " pour l'affligé. " Il ne cesse de s'appeler pauvre et mendiant bien qu'il habite un palais. De même ailleurs : " Je suis pauvre et mendiant. " (Ps. XXXIX, 18.) II savait, en effet, il savait bien que les choses humaines ont moins de consistance qu'une ombre, et rien ne nous appartient en propre autant que la vertu , que tout le reste ressemble aux feuilles, et n'est qu'extérieur. Que la vertu est une chose qui nous est propre, en voici la preuve. De quelque côté que nous portions nos pas, elle nous suit : il n'en est pas ainsi des autres biens. La vertu, voilà donc notre vraie propriété; le reste ne nous touche pas d'aussi près. — De même que nous appelons intime l'ami qui ne nous quitte point: de même nous nommons la vertu un bien plus intime que les richesses, en tant qu'elle ne s'éloigne jamais de nous.

5. Contemplez maintenant la gratitude et la sagesse de David. Il a des chevaux, des armées, des moyens de défense innombrables : mais il oublie tout cela et ne s'occupe que d'attirer sur lui la grâce d'en-haut, et c'est à Dieu qu'il fait honneur de son propre salut. Il ne dit pas: mes armées, mes trésors, mes remparts ont été mon refuge, mais bien : " le Seigneur est devenu un refuge pour le pauvre. " C'est lui qui m'a mis en sûreté: car rien n'égale un pareil recours, ni pour la facilité; ni pour les garanties qu'on y trouve. Les autres refuges peuvent nous être ravis par la ruse, nous ne sommes pas sûrs de les trouver à notre portée; le temps, le lieu, mille circonstances peuvent nous en fermer l'accès : mais celui-là est tout près de nous; il suffit de le chercher avec diligence. " Quand vous parlerez encore, je dirai: me voici. " (Isaïe, LVIII, 9.) " C'est Dieu, c'est moi qui arrive : Dieu n'est plus éloigné. " (Jér. XXIII, 23.) Nous n'avons donc pas besoin de courir ou de nous absenter . sans quitter notre demeure, il ne tient qu'à nous de nous procurer ce refuge. Et tantôt il nous sauve du péril; tantôt il ajoute à notre gloire, il nous rend plus puissants que nos ennemis, et tout cela au moment opportun. Car, lorsque ceux qui en sont favorisés savent rester dans la modération, ces deux grâces sont octroyées. Si au contraire ce mérite reste imparfait en eux, la faveur n'est pas doublée.; car autrement ils tomberaient dans l'orgueil. Pour vous citer un des nombreux exemples de cet enivrement, Ezéchias s'y laissa emporter : Dieu néanmoins ne l'abandonna pas : mais lorsque son Heureuse victoire eut enflé son coeur, Dieu le corrigea au moyen de la maladie. " Secourable dans les bons moments, dans les tribulations. " Qu'est-ce à dire " dans les bons moments? " C'est-à-dire dans les moments opportuns. En cela il considère deux choses: le secours donné par Dieu et l'opportunité de ce (395) secours. Car " bons moments " signifie ici les moments d'affliction. Comment expliquer cela? C'est que l'affliction est la mère de la sagesse, qu'elle sauvera l'homme de la mort et que rien n'est plus propre à attirer la grâce de Dieu. Elle guérit de la mollesse et du relâchement; elle rend les prières plus ferventes. Et de même que l'hiver est une bonne saison pour labourer la terre, de même l'affliction est propice pour la culture de l'âme. En effet, si nous avons toujours besoin du secours de Dieu, même au sein des prospérités ; nous en avons besoin surtout, lorsque nous sommes dans l'affliction. " Secourable. " Dans ce mot est impliquée encore une autre idée. C'est que nous devons, nous aussi, prendre de la peine. On ne secourt que ceux qui travaillent eux-mêmes. Il ne faut donc pas nous laisser abattre, mais prier, répandre l'aumône, faire en un mot tout ce qui dépend de nous. En guerre aussi on ne porte secours qu'à ceux qui combattent, et non aux lâches et aux fainéants. Par conséquent, si vous voulez obtenir l'assistance de Dieu, ne trahissez jamais votre devoir. C'est de cette façon que Job obtint du secours, en restant debout, en luttant. De même les apôtres, en déployant de l'activité. " Et qu'ils espèrent en vous, ceux qui connaissent votre nom. " (11.) Suivant un autre : " Et ils se fieront à vous. " Telle est la marche constante du Prophète; de la prière il passe à l'exhortation ; comme le Précepteur commun de l'univers, il ouvre à tous le trésor de la sagesse. Il dit bien : " qu'ils espèrent, ceux qui connaissent votre nom. " Ceux qui vous connaissent veut-il dire, ceux qui savent ce que vaut votre assistance, ceux-là s'attachent à l'espoir en vous comme à une ancre solide. En vous, dis-je, allié tout puissant, inexpugnable à tous; à vous, qui non-seulement leur promettez la guérison de leurs maux, mais ne permettez pas même qu'ils soient troublés de leurs épreuves actuelles. Car celui qui est affranchi des pensées humaines, celui qui place là-haut toutes ses espérances, celui là non-seulement appelle sur lui une prompte délivrance, mais jusqu'au sein du malheur, il n'est ni troublé, ni déconcerté, parce qu'il trouve un secours dans sa confiance en cette ancre éternelle. C'est ainsi que les trois enfants, non-seulement furent tirés de la fournaise, mais dans la fournaise même ne sentirent aucun trouble, car ils étaient assurés de la protection divine. De là cette variante " Et ils se fieront en vous, " c'est-à-dire, ils auront confiance.

En effet, la sécurité qu'inspire une pareille espérance est bien plus forte que la tyrannie des souffrances. Car ce sont là des choses humaines, tandis que l'espoir en Dieu est un secours divin et irrésistible. Après avoir dit que Dieu est venu à notre secours, qu'il a été notre refuge, le Psalmiste montre comment cela se fait. Comment donc alors fait-il? C'est quand nous persévérons dans notre espérance en Dieu. Que s'il ne fait pas cesser sur-le-champ vos maux, c'est afin de vous éprouver. De même qu'il pourrait ne pas souffrir les attaques de vos ennemis, et qu'il les soutire néanmoins, afin de vous fortifier : de même, pouvant vous délivrer tout d'abord, il remet, il diffère, afin d'accroître votre fermeté, d'exercer votre espérance, de rendre plus fort votre attachement à son égard; il ne permet pas que nous soyons toujours affligés, car nous nous lasserions; ni toujours en repos, car nous tomberions dans le relâchement. " Parce que vous n'avez pas abandonné ceux qui vous cherchent, Seigneur." Suivant un autre : " Car vous n'avez pas abandonné. " Un autre dit pareillement : " Considérez les anciennes générations et voyez qui a espéré dans le Seigneur et a été confondu; ou qui l'a invoqué: et a été abandonné de lui? " (Eccli. II, 11-12.) Et comment, dira-t-on, chercher Dieu qui est partout ? Par le zèle, l'ardeur, le détachement de toutes les choses mondaines. Souvent nous croyons éloigné ce qui est sous nos yeux, entre nos mains, et nous cherchons par tout ce que nous tenons, pour que notre esprit soit distrait.

6. Comment donc peut-on chercher Dieu? Il suffit de tenir notre pensée dirigée vers le ciel, et d'être détaché des choses mondaines. Celui qui cherche, après avoir chassé toute autre préoccupation de son âme, arrive auprès de ce qu'il cherche. — Et ce n'est pas assez de chercher, il faut encore rechercher. L'homme qui recherche ne se borne pas à chercher lui-même, il a recours à l'assistance d'autrui, afin de trouver ce qu'il cherche. Mais quand il s'agit de choses mondaines, nous cherchons souvent sans trouver : cela n'est pas possible, quand il s'agit de choses spirituelles : il est alors de toute nécessité de trouver, dès que l'on cherche. Pour peu que nous nous mettions (596) en quête, Dieu ne permet point que nous nous fatiguions: c'est pourquoi il dit: " Quiconque cherche trouve. " (Matth. VII, 8.) " Chantez le Dieu qui habite Sion. " (12.) Un autre dit : " Qui siège. Annoncez parmi les nations ses conseils. " Suivant un autre : " Parmi les peuples ses actes. " Qu'est-ce à dire ? Celui qui a pour trône le ciel, et la terre pour escabeau, celui qui tient dans sa main les confins de la terre, celui-là habite Sion. Oui; car ici habiter n'implique point l'idée d'être renfermé, (la grandeur de Dieu est illimitée), mais la prédilection du Seigneur pour cet endroit, et la résidence qu'il y fait d'ordinaire afin de s'attacher les Juifs par cette condescendance ; de même nous appelons habitation l'endroit où nous séjournons de préférence. Et si l'on dit que Dieu habite parmi nous, ce n'est pas à dire qu'il soit enfermé dans cette enceinte, c'est indiquer seulement l'attachement particulier qui l'unit à nous. Sion est ici une figure de l'Eglise. " Car vous êtes venus vers la montagne de Sion et l'Eglise des premiers-nés. " (Hébr. XII, 22, 23.) Et en effet, c'est bien une montagne que l'Eglise si l'on considère sa durée, sa solidité inébranlable. Car il n'est pas plus possible d'ébranler une montagne que l'Eglise de Dieu. " Annoncez parmi les nations ses conseils. " Il veut que nous soyons les hérauts des bienfaits de Dieu et que jamais nous ne laissions ses grâces dans l'ombre. Et voilà ce qu'il cherche partout, tant dans l'intérêt de ceux qui prendront la parole que dans celui de leurs auditeurs. Car les premiers y trouveront leur avantage, et les seconds aussi, s'ils prêtent attention. " Parce que celui qui venge les meurtres s'est souvenu d'eux. " (13.) — Voyez-vous de quels conseils il parle? De conseils bienfaisants. De plus, il y a ici une allusion à un dogme important : c'est que le meurtre n'est jamais commis impunément; que de toute façon il est puni ; ce qui résulte déjà de ces paroles de Moïse dans la Genèse : " Je vengerai votre sang. " (Gen. IX, 5.) C'est une marque de l'infinie Providence, de son infatigable sollicitude. — Si elle ne venge point le crime sur-le-champ, ne vous en étonnez pas; c'est afin de donner aux coupables le moyen de se repentir. "Il n'a pas oublié le cri des pauvres." (Rom. II, 4.) — Encore les pauvres en honneur. D'ailleurs il ne s'agit point ici des pauvres absolument, mais de ces pauvres d'esprit dont parle le Christ. — En effet, ceux dont la prière est le mieux exaucée, ce sont les humbles de coeur, ceux qui sont contrits. — Il y a deux choses ici: la prière et l'humilité. " Sur qui porterai-je mes regards, " est-il écrit, " sinon sur l'humble, sur l'homme de paix, sur celui qui tremble devant mes paroles?" (Is. LXVI, 2.) Et partout on voit que l'humilité est comme un véhicule pour la prière. Car le Christ est près de ceux qui ont le coeur contrit. — L'orgueil est donc ce que doit fuir avant tout l'homme qui prie, suivant la recommandation de Paul : " Sans colère et sans discussion. " (I Tim. II, 8.) — David le dit bien : " Le cri des pauvres. " Ce cri n'est pas une élévation de la voix, pois bien une disposition de l'âme. En disant : " il n'a pas oublié, " le Psalmiste fait voir que les prières étaient continuelles, et qu'elles n'avaient pas été exaucées tout d'abord. Le sens est donc celui-ci :N'allez pas croire que Dieu vous a oubliés et que c'est polir ce motif qu'il ne vous a pas vengés: car il lui appartient de rechercher les choses de cette sorte, même avant qu'on l'en prie: à plus forte raison, quand on l'en prie, et que la prière est humble. " Ayez pitié de moi, Seigneur, voyez mon humiliation du fait de mes ennemis. " (Ib. 11.) " Vous qui me relevez des portes de la mort, afin que je proclame vos louanges aux portes de la fille de Sion. " Un autre traduit: " Votre glorification. " Un autre : " Vos éloges. " — Voyez comme il est constamment fidèle à la prière. Délivré de ses épreuves, en sûreté désormais, il ne cesse point pour cela de prier, de dire : " Ayez pitié de moi, " d'invoquer Dieu pour l'avenir. En effet, nous avons toujours besoin de la Providence, et plus que jamais à la fin de nos maux. Car alors commence une nouvelle guerre plus terrible que la première, celle que nous livrent la paresse et l'orgueil : et le diable souffle alors avec plus de violence. C'est donc principalement quand nos maux sont finis que nous avons besoin de l'assistance divine, afin de supporter comme il faut la prospérité. Délivrés des Egyptiens, les Juifs eurent à lutter contre deux ennemis redoutables, l'orgueil et la nonchalance. C'est alors surtout que la mort les décima, parce qu'ils ne savaient pas se diriger dans leur marche. Incapables de résister à la gourmandise, aux convoitises vulgaires, imitateurs des passions des Egyptiens, ils se perdirent par là. De même David, une fois délivré des maux que lui avaient causés Saül et (597) ses autres ennemis, une fois en repos, eut à soutenir une autre guerre plus rude contre la concupiscence, qui fut pour lui un bourreau encore plus cruel. — Ainsi donc nous ne devons jamais éprouver autant de crainte, qu'une fois délivrés de nos maux.

7. Une bête féroce ne nous cause pas autant d'effroi quand elle est attachée, que lorsqu'elle est en liberté; de même, ce n'est pas dans l'affliction que nous devons principalement craindre le vice; car alors il est enchaîné par la douleur et d'autres liens encore; c'est après la délivrance que notre crainte doit être le plus vive. Aussi verrez-vous souvent les prospérités engendrer de plus grands maux que l'adversité même. Le trophée d'Ezéchias ne fut que le signal de sa perte. Voilà pourquoi David dit ailleurs : " C'est un bonheur pour moi que vous m'ayez humilié. " (Ps. CXVIII, 71.) Même après la délivrance il sollicite encore la miséricorde, et se fait de ses maux passés un titre à la compassion. " Voyez mon humiliation du fait de mes ennemis. " Voici maintenant un autre titre : " Vous qui me relevez des portes de la mort. " Je me réfugie auprès de mon maître, de mon patron, de celui qui ne cesse de me tendre la main. Voyez-vous comme, en priant pour l'avenir, il se montre reconnaissant du passé, insiste sur le double bienfait qu'il a reçu. Car il ne se borne pas à dire: Vous qui me délivrez des portes de la mort, mais " Vous qui me relevez. " Le bienfait de Dieu ne se bornait pas à une délivrance; ceux qu'il avait sauvés devenaient admirables, glorieux, illustres. S'il ne dit pas: de la porte, mais " Des portes, " c'est pour montrer l'étendue du danger. " Afin que je proclame toutes vos louanges aux portes de la fille de Sion. " Ce qu'il a prescrit aux autres de faire, il le fait lui-même : " Annoncez, " dit-il plus haut, " parmi les nations ses conseils. " C'est ce que je vais faire à présent, et je ne me bornerai pas à le faire en présence d'une, de deux, de trois personnes, mais publiquement. " Je serai transporté d'allégresse, à cause du salut que vous m'avez procuré. " (16.) Voilà ma couronne, voilà mon diadème ; être vainqueur par vous, par vous sauvé. A son exemple ne cherchons pas à être sauvés d'une façon quelconque, à être tirés de danger par le premier moyen venu; demandons à Dieu d'être notre libérateur. J'insiste là-dessus, à cause des incantations auxquelles recourent quelques personnes contre les maladies , aux sortilèges dont elles font usage pour soulager leurs infirmités. Ce n'est pas là se sauver, mais se perdre. Le vrai salut ne procède que de Dieu. " Les nations sont restées prises au piège de perdition qu'elles avaient tendu. " Un autre dit : Se sont enfoncées. Par ce mot perdition, il entend le vice; car il n'y a point un pareil principe de perte. Rien n'est plus faible que le méchant. Il périt par ses propres armes, comme le fer par la rouille et la laine par la teigne. Ainsi donc, avant que Dieu lui-même ait frappé, l'artisan d'iniquité est déjà puni par son injustice même. Après s'être étendu sur la justice d'en-haut et le secours divin, attendu que ce secours n'arrive pas sur-le-champ, mais tarde souvent à se manifester, et que ce retard produit chez beaucoup d'hommes de la négligence, le Psalmiste montre que le châtiment n'est pas loin, et que les méchants le subissent de la façon qu'indique Paul en disant : " Et recevant en eux-mêmes la rétribution due à leur égarement. " (Rom. I, 27.) Considérez la justesse des expressions. " Elles sont restées prises; " c'est-à-dire elles ont été arrêtées par la force; elles sont tombées dans un piège d'où elles ne sauraient s'échapper. Et ensuite : " Leur pied est demeuré captif dans le filet qu'elles avaient caché. " Les méchants sont pris dans des chaînes qu'ils ne peuvent briser. C'est ce qu'on a vu se réaliser pour les apôtres et les Juifs. Quand les Juifs faisaient la guerre aux apôtres, ils ne leur causaient aucun dommage, tandis qu'ils attiraient sur leur propre tête des maux innombrables, l'exil, l'esclavage, la perte de tous leurs biens la prédication ne faisait que se répandre, tandis que les conspirateurs succombaient. Ceux qui jetèrent les trois enfants dans la fournaise de Babylone y furent enfermés à leur tour; et la même chose arriva pour Daniel. Mais pour Daniel cela se conçoit, car c'étaient eux qui l'avaient mis dans la fournaise. Mais comment expliquer, en ce qui regarde les trois enfants, victimes du roi seul, que ceux qui se tenaient debout devant la fournaise aient été punis de la sorte? C'est parce que ces malheureux avaient obéi à l'ordre du tyran, et adoré la statue d'or. " Dans le filet qu'elles avaient caché. " Voyez comment il montre tout ce que leur conduite avait d'odieux. Leur action étant infâme, ils la cachent, ils essayent d'échapper aux regards. " On connaît le Seigneur, quand (598) il exerce ses jugements. " (Ibid. 17.) Suivant un autre : " On a connu quand il eut exercé : " en d'autres termes quand il punit, venge, châtie. Autre bienfait attaché à la punition. Non-seulement elle rend meilleurs ceux qui la subissent, mais encore elle fait briller la lumière de la doctrine, et rien n'est plus propre à convaincre les hommes que Dieu s'occupe de leurs intérêts. Quand Jésus permit que le troupeau de porcs fût précipité et englouti dans la mer, l'admiration fut plus grande que jamais. Il en est de même pour les Juifs de l'Ancien Testament. " Lorsqu'il les faisait périr, c'est alors qu'ils le recherchaient (Ps. LXXVII, 34)," pour parler comme le Prophète. Et pourquoi donc Dieu n'a-t-il pas recours plus souvent à ce moyen? Parce qu'il veut que la vertu soit un fruit du libre arbitre plutôt que de la contrainte, des bienfaits plutôt que des punitions. Mais ne vaut-il pas mieux, dira-t-on, être bon par nécessité que méchant par un libre choix? Il n'est pas possible d'être bon par nécessité. Celui qui est honnête parce qu'il est enchaîné, ne sera pas toujours honnête; une fois mis en liberté, il retournera à ses habitudes perverses; au contraire, celui qu'une bonne éducation a rendu honnête, demeure inébranlable. " Le pécheur a été pris dans les ouvrages de ses mains. " Non pas des mains de Dieu, de celles du pécheur.

8. Voyez-vous comment il varie son discours en faisant intervenir tantôt la vindicte céleste, tantôt le châtiment infligé par le vice lui-même. D'abord la vindicte céleste : " On connaît le Seigneur quand il exerce ses jugements. " Ensuite le châtiment infligé par le vice : " Les nations sont restées prises dans le piège de perdition qu'elles avaient tendu. " Et voici qui regarde encore la punition de la perversité par elle-même : " Le pécheur a été pris dans les ouvrages de ses mains. " N'allez donc pas croire que vous préparez la ruine du prochain quand vous complotez contre lui c'est pour vous-mêmes que vous tressez vos filets. " Chant, hommage perpétuel. " Suivant d'autres : " Cri perpétuel, mélodie sans fin. " En hébreu : " Eggaon sel. " Que les pécheurs " soient précipités dans l'enfer, et toutes les nations qui oublient Dieu. " (IX, 18.) Suivant un autre : " S'en iront. " Il insiste sur le même sujet, continuant à montrer que le châtiment est étroitement uni au vice, que l'impiété engendre la mort, et le péché, les périls. " Parce que le pauvre ne sera pas oublié jusqu'à la fin : la patience des pauvres ne périra pas pour toujours. " (Ibid. 19.) Un autre interprète dit : " Car l'attente des hommes de paix ne sera pas oubliée jusqu'à la fin. " Remarquez cette expression : " Jusqu'à la fin " elle nous montre qu'on ne reste pas toujours en quête du repos. Que deviendrait la patience, si l'on devait demeurer dans un repos continuel ? Voici le sens de ses paroles : Les méchants seront punis et subiront les peines les plus rigoureuses. Car Dieu ne souffrira pas que les opprimés soient toujours en butte aux persécutions. Par là, il console les uns, il fait peur aux autres: il fait voir la bonté de Dieu manifestée jusque dans ce retard qui éprouve les uns et provoque les autres à la pénitence. — Nouvel honneur pour les pauvres : non pas les pauvres, au sens propre du mot, mais les hommes qui ont le coeur contrit. Car ce sont eux qui sont le plus capables de résignation. Ou plutôt ces deux choses se prêtent une mutuelle assistance ; l'humilité confirme la patience, la patience confirme l'humilité. Que si l'on vient nous dire : Et comment l'humilité est-elle une espèce de pauvreté? nous répondrons : en tant qu'elle offre plus de facilité pour être vertueux. Le riche s'étourdit, perd le sang-froid. Le pauvre supporte toutes les épreuves sans se plaindre, comme un athlète exercé depuis longtemps dans 1e gymnase de la pauvreté. Aussi le Christ disait-il, qu'il est malaisé à un riche d'entrer dans le royaume des cieux. Qu'est-ce à dire : " La patience des pauvres ne sera point perdue jusqu'à la fin? " C'est-à-dire, que jamais elle ne périra, que de toute manière elle recueillera le fruit qui lui appartient. Il n'en est pas ainsi dans les choses mondaines, souvent le résultat nous trompe, et nos peines sont perdues. Le laboureur attend, le marchand de même ruais souvent les intempéries frustrent l'un et l'autre du fruit de ses travaux. En Dieu, rien de pareil : le résultat est toujours assuré. Et ce n'est pas un faible motif de consolation que cette confiance inébranlable dans l'issue. " Levez-vous, Seigneur, que l'homme ne se fortifie pas. " Un autre dit : " Ne s'enhardisse pas. Que les nations soient jugées en votre présence. " Suivant un autre : " Devant votre face. " Il a parlé de la méchanceté qui possède la plupart des hommes, il a fait connaître leur perversité, leurs rapines, leurs (599) injustices, leurs homicides. Maintenant il invoque Dieu au secours des opprimés. Tel est le coeur des saints. Ils ne songent pas seulement à eux-mêmes : comme si le monde entier n'était qu'une maison, et le genre humain qu'une seule personne, ils ne cessent d'invoquer Dieu pour tous. "Levez-vous, Seigneur, que l'homme ne se fortifie pas. " Qu'est-ce à dire: " Levez-vous, Seigneur? " Vengez, secourez, punissez les persécuteurs. La simplicité des expressions est remarquable ici : " Levez-vous, que l'homme ne se fortifie pas. " C'est pour indiquer le peu que nous sommes, créatures de boue, cendre et poussière. " Que les nations soient jugées " en votre présence." C'est-à-dire qu'elles soient punies de leurs péchés. La longanimité ne les a point corrigées : demandez-leur compte de leurs iniquités. " Etablissez, Seigneur, un juge sur eux; que les nations connaissent qu'ils sont hommes. " " Chant prolongé. " ( 21.) Suivant un autre : " Toujours. " Qu'est-ce à dire: " Etablissez un juge sur eux ? " Puisqu'ils agissent comme des hommes sans loi, qu'ils ne veulent pas expier, punissez-les, châtiez-les désormais au lieu de les avertir. C'est ce qu'un autre exprime en disant : Mettez, Seigneur, un sujet d'effroi parmi eux. Considérez comment ce n'est pas leur punition qu'il cherche, mais leur correction, leur amendement, la fin de leurs iniquités. Ils seront châtiés, dit le Psalmiste, au lieu d'être avertis.; ce n'est pas seulement dans leur intérêt, c'est encore pour les autres. Et pour que vous entendiez quel avantage et quel remède il en résulte, écoutez la suite : " Que les nations connaissent qu'ils sont hommes. " Le sens est celui-ci. Beaucoup d'hommes perdent jusqu'à la conscience de leur nature, tombent dans le délire, se méconnaissent eux-mêmes. Et c'est bien à propos qu'il ajoute : " Toujours, " afin de montrer que ce n'est pas seulement dans les infortunes, mais encore,dans les prospérités. Riais si vous les châtiez maintenant, en proie à de vives alarmes, et pleins du souvenir de leur peine, ils conserveront désormais la conscience de leur nature jusqu'au sein de la prospérité.

9. Voyez-vous comment il prie pour eux, pour la guérison de leur folie? En effet, s'ignorer soi-même, c'est la pire des folies, et des frénésies. Ce dernier mal ne provient que de la nécessité : mais l'autre est le fait d'une volonté corrompue. " Pourquoi, Seigneur, vous êtes-vous retiré au loin, et me négligez-vous dans le temps de mon besoin et de mon affliction? " (1.) Ainsi parle le Prophète il supplie Dieu et l'invoque au nom des affligés ; ce n'est pas un reproche , à Dieu ne plaise ! Beaucoup d'affligés demandent le jugement avant que l'heure en soit arrivée c'est ainsi que ceux qu'on ampute, avant que l'opération soit terminée, conjurent le médecin de retirer le fer : prière que leur arrache, contre leur intérêt, l'impossibilité d'endurer plus longtemps leurs souffrances. Souvent on les entend crier au médecin : vous me torturez, vous me tuez, vous me faites mourir. Mais ce n'est pas l'intelligence qui parle ainsi, c'est la douleur. Ainsi parlent dans les afflictions beaucoup d'hommes pusillanimes, incapables de supporter la douleur. Sophonias touche ce point quelque part. Mais c'est dans le. Nouveau Testament, et alors les épreuves étaient modérées : la sagesse est encore loin de ce qu'elle devait être clans le Nouveau. " Tandis que l'impie s'enfle d'orgueil, le pauvre se consume; ils sont trompés dans les pensées dont leur esprit est occupé (qu'ils soient trompés, suivant un autre). Car le pécheur est loué dans " les désirs de son âme et le méchant est béni. Le pécheur a irrité le Seigneur. " (2.) Le Prophète qui a pris la posture d'un suppliant, qui prie Dieu pour les opprimés, indique aussi les souffrances causées par la faiblesse humaine: jusqu'au châtiment, jusqu'au supplice, l'opprimé souffre, ne pouvant se résigner au bonheur du méchant. Et ceci même est un douloureux supplice. Il demande donc que les méchants soient punis, que leurs complots se retournent contre eux et il fait mention d'une intolérable espèce de vice : " Le pécheur est loué dans les désirs de son âme. " Des choses dont on devrait rougir, devant lesquelles il faudrait se voiler la face, leur attirent des éloges, de l'admiration. Et quel moyen de guérison reste-t-il désormais, dès que le vice est comblé de louanges? Nous voyons la même chose autour de nous. On vante l'une à cause de sa puissance; un aulne à cause de la vengeance qu'il tire de ses ennemis; un autre pour l'habileté avec laquelle il sait s'enrichir aux dépens de tout le monde. Quand il se perd, on dit qu'il s'y retrouve. Les éloges ne manquent à aucun talent de ce genre : mais des qualités spirituelles, il n'eu est pas question. Nulle part (600) vous n'entendrez louer avec empressement l'homme désintéressé, le pauvre volontaire on exaltera au contraire l'homme d'argent, l'usurier, le courtisan, celui qui s'abaisse à des emplois serviles pour un lucre méprisable. Voilà ce qui fait gémir le Prophète: c'est que le vice triomphe au point de s'étaler, d'avoir son franc parler, et, ce qui est pis, de ne pas rougir : que dis-je? Ce n'est pas lui seulement qui se vante de ses démarches : il trouve encore des flatteurs autour de lui. Quelle plus détestable folie? " Le pécheur a irrité le Seigneur. " Suivant un autre : " Parce que l'homme injuste s'étant félicité des désirs de son cœur, et l'avare les ayant bénis, ont irrité le Seigneur. Quand sa colère s'est élevée, il ne recherche plus. " Un autre dit : " Parce qu'il a chanté dans la passion de son âme, et que l'avare ayant béni, a offensé le Seigneur. Un impie dans l'enivrement de son coeur ne recherche plus. " Les Septante traduisent : " Le pécheur a irrité le Seigneur dans la grandeur de sa colère, il ne recherchera pas. " Voyez-vous à quel excès en est venue leur perversité? Pourquoi parler de l'affliction que cela cause aux pauvres? Dieu même en est irrité. " Et dans la grandeur de sa colère, il ne recherchera pas : " entendez " Dieu. " Un autre croit qu'il s'agit ici de l'impie " dans son enivrement, " c'est-à-dire, son orgueil, sa présomption. Voyez quel excès de démence, quelle perdition? Le voilà ennemi de tous les siens, brouillé avec la vertu, amant et panégyriste du vice. Un autre dit admirablement : " Dieu n'est pas dans toutes ses pensées, " indiquant par là qu'il ne recherche pas Dieu, parce que son esprit est plein de ténèbres, parce qu'il n'a pas la crainte de ce saint nom devant les yeux. De même que la chassie trouble la prunelle, de même le vice obscurcit l'intelligence et la pousse à sa perte. " Dieu n'est pas en sa présente. " (5.) D'après un autre : " Dans toutes ses pensées. Ses voies sont profanées en tout temps, vos jugements sont ôtés de devant sa vue. " Un autre dit : " Votre jugement a " été enlevé. "

Voyez-vous quel est le fruit du vice? La lumière s'éteint chez le coupable, son esprit s'aveugle, il est livré comme un captif à la méchanceté. De même qu'on voit souvent un aveugle tomber dans un abîme, ainsi le pécheur, quand il n'a plus la crainte de Dieu devant les yeux, reste constamment dans l'iniquité ; ce n'est plus une alternative de vice et de vertu, c'est le vice tout pur; il oublie la géhenne, le jugement futur, les comptes à venir; il rejette tous ces secours comme autant de freins importuns; le voilà comme une barque sans lest, abandonnée à la fureur des vents et des flots, sans guide pour remettre sa pensée dans la voie. Voyez-vous comment le coupable trouve sa punition dans son vice même? En effet, quoi de plus malheureux qu'un cheval sans frein, qu'une barque sans lest, qu'un homme atteint de cécité !

10. Eh bien ! il est encore plus à plaindre l'homme qui vit dans l'iniquité, qui a éteint en lui la crainte de Dieu, qui n'est plus qu'un malheureux captif. — " Il triomphera de tous ses ennemis. Car il a dit dans son coeur : Je ne serai point ébranlé: de génération en génération je resterai à l'abri du mal. " (6.) D'après un autre : " Il dissipe d'un souffle tous ses ennemis, disant dans son coeur je ne serai pas ruiné dans la suite des générations. Car je ne serai pas dans l'affliction. " Voyez quel orgueil ! quelle affreuse perdition ! quel acheminement à la mort ! Voilà pourtant ce qu'admire la sottise : un abîme d'infortune. Vous savez maintenant comment se fait le naufrage. Le coupable est loué dans ses péchés, béni dans ses iniquités. Voilà le premier abîme, bien suffisant pour tuer celui qui n'y prend pas garde.

Nous devons donc accueillir avec plus de gratitude les reproches et les réprimandes que les éloges, que de pernicieuses flatteries. Voilà ce qui perd les sots et les pousse à de plus graves fautes, comme en inspirant l'orgueil à ce pécheur, on lui enseigna la démence. Aussi Paul dit-il aux Corinthiens en parlant du fornicateur : " Et vous êtes enflés, et vous n'avez pas gémi plutôt ? " (I Cor. V, 2.) Il faut gémir, gémir encore sur le pécheur, et non pas le louer. Vous avez vu cette méchanceté qui arrive à l'excès parce qu'au lieu de la gourmander, on lui donne des louanges. Aussi égaré à la fois par son propre délire et par ces éloges le pécheur redouble de perversité, il oublie Dieu et ses jugements; il oublie jusqu'à sa propre nature. En effet celui qui oublie les jugements de Dieu finit avec le temps par s'oublier lui-même. Voyez comment il raisonne. " Je ne serai pas ébranlé dans la suite des générations, et je serai à l'abri du mal. " Quel (601) excès de démence? Etre homme. mortel, entouré de choses périssables, exposé à mille vicissitudes, et concevoir une pareille illusion? D'où lui vient-elle ! De la déraison. En effet, lorsqu'un homme déraisonnable, jouit d'une parfaite prospérité, qu'il triomphe de ses ennemis, qu'il se voit loué, admiré, il devient le plus malheureux des hommes. Faute de s'attendre aux changements de fortune, faute de porter sagement sa félicité, pour peu qu'il vienne à tomber dans l'adversité, il se trouble. se déconcerte, parce qu'il n'y était point préparé. Il n'en fut pas ainsi de Job : jusque dans la félicité, il se préoccupait chaque jour du malheur : c'est pourquoi il dit : " La crainte que j'éprouvais m'est venue; celle que j'aurais ressentie s'est réalisée pour moi. Je n'ai pas été en paix, en repos, je ne me suis point relâché: cependant la colère est venue pour moi. " (Job, III, 25-26.) C'est pourquoi un autre encore a dit : " Souviens-toi du temps de disette au temps d'abondance, de la pauvreté et du besoin au jour de la richesse " (Eccli. XVIII, 25.) Mais le pécheur dont il s'agit ici, une fois perverti, ne songe plus à la fragilité humaine, il croit que sa bonne fortune lui assure une félicité invariable : ce qui est un principe de folie, de perdition complète, une cause de ruine. N'allez donc point vanter le bonheur des riches, de ceux qui triomphent de leurs ennemis, de ceux qu'on félicite au sujet de ces prospérités. Autant de gouffres, de précipices profonds pour ceux qui ne prennent pas garde, c'est par là qu'on tombe jusqu'au fond de l'impiété. " Sa bouche est pleine de malédiction, d'amertume et de tromperie. Le travail et la douleur sont sous sa langue. (Ps. IX, 7.) " Un autre dit : " Inutilement, il se tient assis en embuscade avec des riches dans les lieux cachés, afin de tuer l'innocent. " (8.) Suivant un autre: " En embuscade auprès du palais, ses yeux regardent vers l'innocent. Il est en embuscade dans un lieu retiré comme un lion dans sa tanière. " (9.) D'après un autre : " Dans son fort, il complote d'enlever le pauvre, d'enlever le pauvre en l'attirant. " (10.) " Il l'humiliera dans son piège. " Un autre traduit " Dans son filet, il se penchera et tombera lorsqu'il sera devenu maître du pauvre. " Suivant un autre. " L'affligé sera courbé, lorsque celui-ci sera tombé avec ses forts sur les faibles. "

Voyez-vous que ce n'est plus qu'une bête féroce ? On dirait que le Prophète décrit un animal de ce genre, à voir comme il parle de ses ruses, de ses embuscades, de ses artifices. Et quoi de plus malheureux, de plus pauvre que cet homme réduit à convoiter le bien du pauvre? L'appellerons-nous encore un riche, dites-moi ? Appelons donc ainsi les voleurs et les brigands. A Dieu ne plaise ! dira-t-on. Mais quoi ! s'il ne force pas les portes, s'il n'attaque pas pendant la nuit, n'emploie-t-il pas la ruse pour éteindre le flambeau du juge? S'il ne choisit pas le moment où l'on dort, s'il opère l'iniquité sous les yeux de tous, n'en est-il pas que plus audacieux? Les lois ne punissent-elles pas le vol du jour plus sévèrement que le vol de nuit?

Voyez-vous combien il est pauvre? Voyez-vous combien il est inhumain ? Pauvre, parce qu'il convoite le bien du pauvre. Inhumain , parce que le malheur ne peut le fléchir, et qu'au lieu de prendre en compassion la misère et de la secourir, il l'opprime. Mais tant de crimes ne restent pas impunis: quand il est victorieux, qu'il croit triompher, qu'il se flatte d'être invincible, c'est le moment de sa perte : afin qu'en cela éclate la puissance de Dieu, la patience du pauvre, l'obstination du pécheur et la longanimité divine. Voilà pourquoi le châtiment n'est pas instantané : Dieu, par sa patience, invite le coupable à la pénitence : mais quand ce délai demeure inutile, c'est par le châtiment que désormais il l'avertit. Quant aux opprimés, ils n'ont subi aucun dommage : ils sont devenus meilleurs et plus glorieux grâce à leurs tribulations. Dieu, de son côté, a déployé sa longanimité, sa patience, et du même coup, sa force, sa sagesse: car c'est quand le pécheur était au faîte de sa puissance qu'il en a triomphé. Pour l'incorrigible, il subit le plus rigoureux des châtiments, et c'est là un avertissement qui n'est pas d'une médiocre utilité pour les heureux.

11. Gardez- vous donc, s'il vous est donné de vaincre vos ennemis, si vous voyez toutes choses aller selon vos voeux, gardez-vous de vous abandonner avec confiance à l'iniquité ne soyez au contraire que plus circonspects. Car, si vous restez méchants, en même temps que votre perversité s'accroît, votre justification devient plus difficile, vos titres au pardon s'effacent. " Il a dit en son coeur : Dieu a oublié ; il a détourné son visage, pour ne plus voir jusqu'à la fin. " (11.) Voyez dans quel abîme (602) de perdition le voilà tombé; quelles opinions il se forme, opinions qu'à la vérité il n'ose exprimer tout haut, mais qu'il roule en lui-même, dans ses efforts, pour lutter contre la vérité, pour répandre les ténèbres de son propre aveuglement sur des choses plus claires que le soleil. " Levez-vous, Seigneur, mon Dieu ! que votre main s'élève ! N'oubliez pas les pauvres. (12.) Pourquoi l'impie a-t-il irrité Dieu? c'est qu'il dit dans son coeur: il ne recherchera pas. (13.) Vous voyez que vous êtes témoin de la peine et de la colère pour le livrer entre vos mains; "un autre dit: "Vous avez vu que vous considéreriez." (14.)

L'impie, l'avare, le spoliateur parlent ainsi, croyant échapper au châtiment; mais le prophète le tire d'erreur, complétant par là ce qui a été dit de la longanimité. Le pécheur a dit : " Il a détourné son visage pour ne pas voir jusqu'à la fin. " Le Prophète dit, au contraire : Vous voyez, vous savez et vous patientez, jusqu'à ce qu'ils tombent entre vos mains? Qu'est-ce à dire : " Le livrer entre vos mains. " C'est le langage des hommes. Le sens est celui-ci : Vous patientez, vous attendez qu'ils soient livrés à l'excès de la méchanceté. Du premier coup vous pourriez les faire périr : mais. l'océan de votre mansuétude est sans bornes; vous les voyez et ne les poursuivez pas, vous attendez qu'ils se repentent. S'ils refusent, alors vous les punissez, voyant que votre longanimité n'a produit aucun fruit pour eux. La suite fait voir à quel point Dieu s'inquiète du sort des opprimés : " Le pauvre vous a été confié, vous a été un protecteur pour l'orphelin. " Un autre dit : " Vous êtes devenu; un autre : " Vous serez. " Il veut dire : voilà votre office, votre prérogative.

En effet, Dieu ne saurait délaisser son oeuvre, manquer à sa tâche. De même qu'il appartient à un maçon de bâtir, à un pilote de diriger les vaisseaux, au soleil de luire : ainsi il appartient à Dieu de protéger les orphelins, de tendre la main aux pauvres. Ils n'ont d'autre patron que lui,seul. — Voilà le sens de ce mot " a été confié; " personne, si ce n'est vous, ne protège les orphelins et les pauvres. " Broyez le bras du pécheur et du méchant. " Son péché sera recherché et ne sera pas trouvé de lui-même. " (15.) D'après un autre : " Que son impiété soit recherchée , afin qu'il ne soit pas trouvé lui-même. " Ce n'est point précisément le pécheur qu'il désire voir broyer, c'est sa force, sa puissance, c'est la méchanceté qui le dévore. Ensuite, il prie qu'il lui soit demandé compte de ses actes, et afin de montrer la grandeur de son iniquité, il dit: Si cela se fait, il ne pourra se tenir debout, ni se montrer; il périra, disparaîtra, sera complètement anéanti, pendant qu'on examinera sa conduite. — Ainsi donc que personne ne gémisse de se voir orphelin ou pauvre. Le secours donné par Dieu est proportionné à l'étendue de ces maux. Que personne en se voyant puissant ne conçoive ni orgueil, ni présomption. Car la grandeur est un séjour dangereux, d'où l'on est facilement précipité, quand on n’y prend pas garde. " Le Seigneur régnera dans l'éternité et dans les siècles des siècles. " (13.) Il répond ici à ceux qui sont ébranlés en voyant que les coupables ne sont pas punis sur-le-champ : Que craignez-vous? dit-il ; que redoutez-vous? Avons-nous affaire à un juge mortel ? Sa royauté doit-elle finir? Si le châtiment n'est pas venu, il viendra. Car Celui qui demande les comptes est toujours là-haut, et son règne est éternel... " Vous périrez, nations , de dessus sa terre. Vous avez entendu le désir des pauvres, Seigneur ! Votre oreille a ouï la préparation de leurs coeurs. " (17.) Un autre dit : " La disposition. " Un autre : " Vous préparez leurs coeurs, de façon que votre oreille les entende. Jugez l’orphelin et l'humble, afin que l'homme n'entreprenne plus de se glorifier sur la terre. " (18.) D'après un autre : " L'orphelin et l'affligé. "

Voyez-vous comment le Prophète s'occupe spécialement des soins que réclament les méchants ? En effet, leur malheur est le pire de tous. L'opprimé perd de l'argent; le pécheur est en butte au plus grand des périls. Que sera-ce, s'il ignore le degré de sa maladie? Ainsi s'accroît leur démence , et c'est par là surtout qu'ils sont à plaindre; ainsi ils se confirment dans leur ignorance. Les enfants ne s'effrayent nullement de ce qui est à craindre, ils vont jusqu'à approcher leurs mains du feu; en revanche, ils tremblent, ils frissonnent à la vue d'un simple masque. C'est l'image de ces avares qui redoutent la pauvreté, laquelle n'a rien d'effrayant, qui est au contraire un principe de sûreté et mettent au-dessus de toute une richesse mal acquise, possession bien autrement redoutable que le feu. La cupidité, voilà. ce qui est absolument un mal. Aussi le (603) Prophète s'efforce-t-il constamment de nous en corriger, en nous menaçant, en nous faisant peur, en priant Dieu de se lever pour punir une pareille insensibilité. Et voilà pourquoi il ajoute : " Vous périrez, nations, de dessus sa terre. " Par là il menace les avares d'extermination, il prie Dieu de secourir et de venger les opprimés, de leur apporter le soulagement et la correction à leurs persécuteurs. Que personne ne s'avise, par conséquent, de convoiter des richesses superflues. De là naissent; si l'on n'y prend garde, bien des maux; orgueil, paresse, envie, vanité, et bien d'autres. Voulez-vous y échapper? coupez-en la racine; si vous l'ôtez, vous ne verrez point croître ces rejetons de malheur. Et ce langage n'est pas destiné seulement à frapper nos oreilles, mais encore à nous corriger, à nous rendre vertueux en Jésus-Christ, à qui gloire et puissance dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

FIN DU CINQUIÈME VOLUME.
 

 

 

 

 

 

 

EXPLICATION DU PSAUME X. POUR LA FIN, POUR DAVID. — SUIVANT UN AUTRE : CHANT DE VICTOIRE POUR DAVID. — SUIVANT UN AUTRE : POUR L'AUTEUR DE LA VICTOIRE.
Tome VI

ANALYSE.

1. De l'espoir en Dieu : force qu'il donne aux justes.

2. Faiblesse des méchants.

3. Vanité des ressources humaines.

1. " C'est dans le Seigneur que je me confie : comment direz-vous à mon âme : Passe sur la montagne ainsi qu'un passereau (1). Car voici que les pécheurs ont tendu leur arc, ont préparé leurs traits dans leur carquois, afin d'en percer, dans l'obscurité, les hommes droits de coeur, comme dans les ténèbres. " D'après un autre (2) : " Car les choses que vous aviez consommées, ils les ont détruites. " Un autre dit : " Parce que les lois ont été enfreintes ; " un autre, " parce que les préceptes seront broyés (3). " Grande est la puissance de l'espoir en Dieu; c'est une sûre forteresse, un inexpugnable rempart, une invincible alliance, un port tranquille, une tour imprenable, une arme irrésistible, une puissance sans rivale qui trouve des ressources dans les difficultés mêmes. Grâce à lui, on n'a pas besoin d'armes pour triompher d'adversaires armés; des femmes remportent la victoire sur des hommes ; des enfants n'ont pas de peine à vaincre tes ennemis les plus aguerris. Et faut-il s'étonner que ceux qui espèrent remportent l'avantage dans de simples (2) combats quand l'univers lui-même n'a pu leur résister? Les éléments ont méconnu leur propre nature pour servir leurs intérêts; des bêtes féroces ont perdu leur férocité; une fournaise son ardeur. L'espoir en Dieu opère toutes les métamorphoses. Dents aiguës, prison étroite, naturels farouches irrités encore par la faim, tout cela menaçait- le prophète , qu'aucune cloison ne protégeait contre des monstres dévorants; mais l'espoir en Dieu, plus fort que tous les freins, brida ces gueules meurtrières et les contraignit à se détourner. Aussi David, réfléchissant à cela, répond-il à ceux qui lui conseillent de fuir, de se sauver, de chercher son salut dans un lieu sûr : " C'est dans le Seigneur que je me confie : Comment direz-vous à mon âme?" Qu'entendez-vous par là? Le maître de la terre, veut-il dire : Voilà mon allié. Celui qui fait tout sans aucune peine, celui-là est mon guide, mon protecteur, et vous m'exhortez à chercher une retraite, c'est sur le désert que vous comptez pour protéger mes jours ! Est-ce que le désert est an auxiliaire plus sûr que Celui qui peut tout et ne connaît point d'obstacles? Revêtu d'une si forte armure, vous voulez que je fuie comme si j'étais nu et désarmé ; vous m'engagez à m'expatrier! Mais si vous voyiez un homme à la tête d'une armée, défendu par des remparts et des soldats, vous ne l'exhorteriez pas à se réfugier au désert, ou un tel conseil ferait de vous un objet de risée; et vous renvoyez, vous condamnez à fuir celui qui a pour auxiliaire le Maître du monde, vous lui prescrivez l'exil à cause de la guerre que lui font les pécheurs. J'omettais, en effet, cette autre raison qui me dissuade de prendre la fuite. Quand on a Dieu pour allié et des pécheurs pour ennemis, peut-on prendre l'alarme au moindre bruit, à la façon des oiseaux? Et celui qui donne un tel conseil ne devrait-il pas rougir? Ignorez-vous que l'armée qui m'est opposée ne vaut os une toile d'araignée. Si l'ennemi d'un monarque terrestre est partout en péril; s'il a peur, s'il tremble, en quelque endroit qu'il se trouve, que dire de celui qui a pour ennemi le Dieu de l'Univers? En quelque lieu qu'il se rende, il a pour adversaire tout le monde et la création même. Car si les amis de Dieu inspirent de la crainte aux éléments, aux bêtes féroces, et du respect à toute la création, les ennemis de Dieu sont en butte aux attaques et aux mépris des êtres inanimés eux-mêmes. Aussi les a-t-on vus, les uns dévorés par les bêtes avant d'avoir touché la terre, les autres consumés par le feu. Mais ils ont des flèches, des carquois et sont tout prêts à combattre. Eh bien ! répond David, ils ont préparé leurs carquois mais ils n'en sont ni plus forts ni plus redoutables. Si je voyais un homme armé d'un arc détendu, je n'en aurais pas peur. En effet, à quoi bon des armes qui n'ont pas la force de nuire? De même ici, soyons tranquilles, puisque la faveur de Dieu manque à nos ennemis. Mais ils trament des stratagèmes, et suivent une voie oblique pour nous attaquer. Ce sont justement ces menées ténébreuses qui m'enhardissent le plus à les braver. Rien de plus faible que le fourbe. Il n'est pas besoin d'armes pour en triompher : il succombe sous ses propres coups et périt victime de ses artifices. Or qu'y a-t-il de plus faible qu'un homme qui se prend clans ses propres piéges? Autre motif de confiance : ce ne sont pas seulement des pécheurs qui s'attaquent perfidement à des hommes secourus de Dieu; ce, sont encore (les agresseurs de l'innocence. Et rien ne saurait contribuer davantage à les affaiblir. Ils ressemblent à ces animaux qui regimbent contre l'aiguillon : ils se blessent eux-mêmes, sans pouvoir endommager l'aiguillon qui les presse. Enfin, il est une dernière raison qui ôte à cette guerre tout péril pour nous. Quelle est-elle? " Ce que vous aviez consommé ils l'ont détruit (4). "

Voici le sens de ces paroles : ils vous combattent, ils vous font la guerre afin de ruiner votre loi, vos préceptes: ils veulent les détruire, ces préceptes, quand ils sont consommés. Ou encore il veut dire que ses ennemis sont des transgresseurs de la loi. Et comment seraient-ils forts, s'ils marchent au combat après avoir méconnu vos préceptes? En effet, c'est parce qu'ils les méconnaissent, qu'ils attaquent des justes, et ourdissent contre eux des trames perfides.

2. C'est ainsi qu'il met d'abord en lumière la faiblesse de ses ennemis, en montrant quelle en est la cause propre à eux seuls; en effet il ne dit pas : ils manquent d'argent, de places fortes, d'alliés, de villes, d'expérience dans la guerre : il passe dédaigneusement sur ces considérations qui lui semblent méprisables, et insiste uniquement sur ce point, que ce sont des hommes injustes, qu'ils attaquent l'innocence, qu'ils renversent les lois de Dieu. Il passe (3) ensuite à l'armée des justes, et tire de là une ' nouvelle preuve de la faiblesse de leurs ennemis. — Servons-nous également de cette mesure pour apprécier la force et la faiblesse et n'allons point nous effrayer de ce qui est un sujet de crainte pour le sot vulgaire. — Qu'entendons-nous dire en effet? C'est un homme redoutable et sans scrupules, armé d'opulence et de pouvoir. Raison de plus pour que je le brave: ce sont là des principes de faiblesse. Mais il sait ourdir une trame, dira-t-on. — Ce n'est qu'un nouveau principe d'affaiblissement.

Comment se fait-il donc que de pareils hommes restent si souvent vainqueurs? C'est que vous ne savez pas lutter : c'est que vous combattez pour ces mêmes avantages prétendus qui font leur faiblesse, la gloire et la puissance. Fuyez ces causes de guerre et recourez à d'autres armes, à la modestie contre l'orgueilleux, à la pauvreté contre l'avare, à la tempérance contre le voluptueux, à la bonté contre l'envieux: par là vous vaincrez sans peine. Pour revenir à ce que je disais, voyons maintenant comment David , après avoir fait ressortir la faiblesse de ses adversaires, décrit l'armure du juste. Qu' "a fait le juste? " poursuit-il. Vous savez à quels ennemis il avait affaire : vous voulez maintenant savoir comment il s'arma? Ecoutez. — " Le Seigneur est dans son saint temple : le Seigneur, dans le ciel est son trône (5). "

Voyez-vous avec quelle brièveté il fait mention de cette alliance. Qu'a fait le juste? demandez-vous: il s'est réfugié auprès du Dieu qui est au ciel, du Dieu qui est partout. Au lieu de tendre son arc, de préparer son carquois, à l'exemple de son adversaire, de ranger son armée dans les ténèbres, il s'est retranché derrière son espoir en Dieu, comme derrière un rempart contre toutes les attaques; il a opposé à l'ennemi celui qui n'a besoin de rien de pareil, ni circonstances, ni lieux favorables, ni armes, ni argent, et qui, d'un signe, accomplit toutes ses volontés. Voyez-vous quelle invincible et commode assistance? — " Ses yeux regardent vers le pauvre, ses paupières examinent les fils des hommes. —Le Seigneur examine le juste et l'impie; celui qui aime l'injustice, trait son âme (6). " Suivant d'autres: " Ses paupières éprouvent; " ou: " le Seigneur est un examinateur équitable; " ou " il éprouve le juste et l'impie, et celui qui aime l'injustice est haï de son âme. "

Tel est l'allié, l'auxiliaire prêt à secourir David : un être qui est partout, voit, tout, considère tout, qui a pour principal office, qu'on le prie ou non , de veiller sur nous, de pourvoir à nos intérêts, de réprimer l'injustice, de secourir les opprimés, de donner aux uns la récompense de leurs bonnes oeuvres, d'infliger aux autres les supplices dus à leurs péchés. Rien .:e lui échappe; car ses regards s'étendent sur toute la terre. Et ce n'est pas assez pour lui de savoir ce qui s'y passe, il veut encore y remettre l'ordre. De là ce nom de juste qui lui est donné ailleurs. S'il est juste, il ne se résignera pas à laisser aller ainsi les choses. Il se détourne des méchants, il approuve les justes. Le Psalmiste poursuit en montrant la même chose qu'il a déjà fait voir dans le précédent psaume, à savoir qu'il suffit de leurs vices mêmes pour perdre les méchants. " Celui qui aime l'injustice hait son âme. " — Le vice, en effet, est une chose hostile à l'âme, funeste et pernicieuse: de telle façon que le méchant est puni avant d'être livré au supplice. Vous voyez comment il montre que tout conspire contre ses ennemis, et l'allié qui le secourt, et leurs armes, à eux, qui se retournent contre eux-mêmes, leurs boucliers qui les surchargent et les écrasent. Vous voyez de plus avec quelle facilité il s'est assuré l’assistance de son allié. Il n'est pas besoin de sortir de cirez soi, de courir, de dépenser de l'argent : Dieu est partout, il voit tout. " Il fera pleuvoir des pièges sur les pécheurs : le feu, le soufre et le souffle de la tempête seront leur part de breuvage (7). Parce que Dieu est juste, et " qu'il a pris en affection la justice; son visage a vu la droiture (8). " Un autre dit: " Il fera pleuvoir les charbons sur les coupables. " Un autre : " Leur visage verra la droiture; " entendez la droiture des justes ou celle de Dieu lui-même.

Après avoir fait connaître la punition que le vice trouve en lui-même, sachant que beaucoup la méprisent, il ébranle maintenant le coeur des méchants par la crainte des châtiments d'en-haut, en se servant pour cela d'un langage. expressif et de termes propres à inspirer l'effroi. Il les menace du feu, du soufre, du souffle de la tempête, de charbons tombés du ciel, voulant indiquer par ces mots figurés, ce que le, châtiment a d'inévitable, le supplice d'effrayant, les coups, de subit et de désastreux.

3. Qu'est-ce à dire " leur part de breuvage? " c'est-à-dire leur lot, leur propriété; c'est de cela qu'ils vivront, c'est là qu'ils trouveront la mort : le motif vient ensuite : c'est que celui qui voit tout ne consentira pas à laisser de pareils crimes impunis. De là, ces paroles d'un autre prophète: " Votre oeil est pur, afin de ne pas voir les iniquités; et vous ne pourrez regarder les maux. " C'est ce que David lui-même exprime en disant : " Parce que le Seigneur est juste et qu'il a pris en affection la justice. " Tel est, en effet., le caractère le plus sensible de la divinité; approuvez la justice, la droiture; pour ce qui est contraire à ses vertus, elle ne saurait jamais en soutenir la vue.

Voilà pourquoi il disait, en commençant ce psaume : " C'est en Dieu que je me confie, comment direz-vous à mon âme. Passe sur les montagnes ainsi qu'un passereau? " En effet, ceux qui placent leur confiance dans les biens de ce monde sont tout pareils au passereau qui. dans la solitude où il doit trouver la sécurité, est aisément pris par le premier venu. Tel est l'homme qui se fie à ses richesses. Ainsi que le passereau se laisse attraper parles petits enfants, par la glu, les piéges, et de mille façons; de même le riche est victime, soit des siens, soit de ses ennemis; et son salut est encore plus menacé, à cause du grand nombre d'embûches que lui tendent les hommes, et, par-dessus tout, ses mauvaises passions; c'est un nomade que la crainte chasse de chez lui à tous moments devant des licteurs furieux, un roi irrité, des courtisans perfides, des amis infidèles ; s'il voit surgir des ennemis, il est dans d'inexprimables alarmes; et, jusqu'au sein de la paix, il redoute encore les attaques; car la richesse qu'il possède est éphémère et périssable. Aussi ne cesse-t-il de voltiger, de changer de place, de chercher les déserts, les montagnes, de vivre dans l'obscurité; que dis-,je? le jour même n'est pour lui qu'une obscurité profonde où il ourdit des ruses. Mais il n'en est pas de même du juste. " Car les voies des justes resplendissent comme la lumière. " (Prov. IV, 18.) Ils ne songent ni à nuire, ni à conspirer contre autrui; leur âme est dans la paix. Au contraire, les hommes artificieux sont toujours dans les ténèbres et dans les alarmes comme les voleurs, les brigands, les adultères; en plein jour même, ils ne voient que ténèbres, dans la crainte qui agite leur âme. Comment s'y prendre pour dissiper ces ténèbres? Il faut s'affranchir de toutes ces pensées et s'attacher uniquement à l'espoir en Dieu, de quelques péchés qu'on puisse être chargé. " Regardez vers les anciennes générations, et voyez qui a espéré dans le Seigneur et a été confondu. " Il ne dit pas quel juste? mais " Qui? " juste ou pécheur. La merveille est, en effet, que les pécheurs mêmes, s'ils savent se cramponner à cette ancre, résistent désormais à tous leurs ennemis. C'est que rien n'indique mieux l'amour de Dieu que de se fier à sa bonté quand on succombe sous un pareil fardeau. Autant est maudit celui qui met son espoir dans l'homme, autant est bienheureux celui qui place en Dieu son espérance. Renoncez donc à tout, pour vous affermir sur cette ancre. En effet, Dieu voit tout; il juge les actions des justes, et, non content de les juger, il les fait encore réussir. C'est pourquoi David, après avoir parlé de la justice divine, fait intervenir aussi le châtiment par ces expressions " feu, tempête; " s'il le fait, c'est pour leur bien, c'est pour les rendre plus sages par la considération des supplices. Par tous ces motifs, allons à lui, et ne cessons de diriger vers lui nos regards. Nous obtiendrons ainsi tous les biens en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

EXPLICATION DU PSAUME XI. POUR LA FIN, POUR L'OCTAVE. — D'APRÈS UN AUTRE : A L'AUTEUR DE LA VICTOIRE POUR L'OCTAVE. EN HÉBREU : ASEMINITH. " SAUVEZ-MOI, SEIGNEUR, PARCE QUE LE JUSTE A FAIT DÉFAUT, PARCE QUE LES VÉRITÉS ONT ÉTÉ ALTÉRÉES PAR LES FILS DES HOMMES." — SUIVANT UN AUTRE : " PARCE QUE LES FIDÈLES ONT DISPARU DU MILIEU DES FILS DES HOMMES. "
ANALYSE.

1. Difficulté de rester juste au milieu d'une corruption générale.

2. Des paroles inutiles : de la duplicité.

3. Que Dieu est notre maître. — Qu'il faut songer à l'enfer. — Pouvoir de l'humilité.

4. Comment Dieu a honoré les hommes.

1. C'est une chose malaisée que la vertu, un mérite difficile à conserver et par lui-même, et surtout quand celui qui le possède ne voit autour de lui qu'un petit nombre d'hommes vertueux. C'est ainsi qu'un voyage est toujours fatigant, mais l'est surtout pour celui qui chemine seul et sans compagnie. C'est un grand bien que la société de nos frères et les consolations qu'elle nous procure. De là ces mots de Paul : " Nous considérant les uns les autres pour nous exciter à la charité et aux bonnes oeuvres. " (Hébr. X, 24.) Et s'il faut admirer les anciens justes, c'est moins encore à cause de leur vertu, qu'en considération de la disette de vertu qui régnait alors, et de la difficulté de rencontrer à cette époque des hommes de bien. C'est à quoi fait allusion l'Ecriture en disant : " Noé fut juste, parfait dans sa génération. " (Gen. VI, 9.) Si nous admirons Abraham, Loth, Moïse, c'est qu'ils brillèrent comme des astres au milieu d'une nuit profonde, des roses parmi des épines, des brebis parmi des loups innombrables, et qu'ils marchèrent, sans s'arrêter, dans une voie contraire à celle que suivait alors tout le monde. En effet, si c'est un embarras d'aller ainsi contre la foule, si l'on s'expose à mille peines en suivant une direction contraire à celle de la multitude; s'il est pénible, quand on navigue, de diriger son esquif à l'encontre du courant, à plus forte raison en est-il de même, quand il s'agit de la vertu. Voilà pourquoi notre juste se voyant seul dans la bonne voie, tandis que tout le monde marchait dans le sens opposé, fait appel à la Providence en disant: " Sauvez-moi, Seigneur! " Voici tout ce qu'il veut faire entendre par là : J'ai besoin du bras d'en-haut, de l'appui du Ciel, de l'assistance de Dieu Pour suivre une voie opposée à la voie commune, j'ai besoin du secours actif de la Providence. Et il ne dit pas : Sauvez-moi, parce qu'il n'y a pas de juste, mais parce que le juste a fait défaut, montrant par là que les progrès du vice et de la maladie avaient fait disparaître ceux qui pouvaient exister. Paul exprime la même crainte en disant : " Ne savez-vous pas qu'un peu de ferment fait fermenter la pâte entière? " (I Cor. V, 6.) Et encore: " Les mauvaises sociétés corrompent les bons naturels. " (Ibid. XV, 33.) Qu'est-ce à dire : " Les (6) vérités ont été altérées? " Il y a bien des vérités diverses. Quand on parle; de couleurs ou d'autres choses pareilles, on distingue les vraies des fausses; on dit vraie pourpre et pourpre fausse; de même quand il s'agit du jaune employé en teinture, ou de pierres précieuses, ou d'aromates, que sais-je encore? Il en est de même des vertus. Ce qui est en effet, voilà la vérité; ce qui n'est point, c'est le mensonge. Les choses dont parle le Prophète avaient été défigurées, obscurcies, non qu'elles eussent perdu leur puissance , mais parce que les hommes les avaient persécutées: voilà pourquoi il ne se borne pas à dire : " Les vérités ont été altérées, " mais ajoute . " Par les fils des hommes. " Voyez encore : Il y a un monde véritable, il y a aussi un monde faux. Qu'est-ce que le monde véritable ? Celui de l'âme. Et le monde faux? Celui du corps. Il y a une vraie et une. fausse richesse. La fausse richesse, c'est la richesse d'argent; la vraie, celle des bonnes oeuvres. Il faut faire la même distinction en ce qui regarde le bonheur, la beauté, la puissance, la gloire. Mais la plupart, en toutes ces choses, négligent la vérité, pour courir après le mensonge. De même que l'homme est véritable ou faux ; véritable , quand il vit et se meut; faux, quand il n'existe qu'en peinture; on peut en dire autant des vertus.

2-3. " Chacun dit des choses vaines à son prochain. Leurs lèvres sont trompeuses. Ils profèrent le mal avec un coeur double. " Il signale ici deux fautes : La première, c'est de dire des choses vaines, la seconde de les dire à son prochain; par choses vaines, il entend soit les choses- fausses, soit les choses inutiles et superflues. Paul a dit de même : " Ne vous mentez pas mutuellement. " (Coloss. III, 9.) Et ce qu'il y avait de pire, c'est que cette corruption était générale. Il ne dit pas tel ou tel, mais " chacun." Le vice n'était pas à la surface, mais au fond et enraciné dans, le coeur. " Un coeur double " désigne leur profonde duplicité. Voilà un mal plus terrible que les ennemis les plus dangereux. On peut se mettre en garde contre des ennemis déclarés, mais les hommes qui se cachent le visage sous un masque d'emprunt, se dérobent ainsi à la pénétration de ceux que menace leur perfidie, et sont bien plus à craindre que s'ils étaient armés de poignards cachés. " Le Seigneur exterminera toutes les lèvres perfides et les langues insolentes (4). " Ceux qui disent : Nous glorifierons notre langue (5). " Un autre traduit : " Nous règnerons sur notre langue. Nos lèvres nous appartiennent. " Un autre : " Sont avec nous. Qui est notre maître? " Un mitre " Qui dominera sur nous? " Voyez-vous la sollicitude du Prophète, et la prière qu'il adresse pour ces hommes? Ce qu'il dit, en effet, n'est pas dit contre eux, mais en leur faveur. Il ne demande pas leur perte, mais la guérison de leur vice. Il ne dit pas: Dieu les exterminera, mais bien : " Dieu exterminera les lèvres trompeuses. "

3. Ce n'est point à eux-mêmes qu'il en veut c'est leur langage, c'est leur orgueil, leur perfidie qu'il souhaite de voir anéantie; c'est leur insolence dont il demande la répression. Il raille leur jactance par ces paroles : "Nos lèvres nous appartiennent. Qui est notre maître? " C'est le, langage de la démence et de la folie. Paul donne une leçon tout opposée : " Vous n'êtes pas à vous-mêmes, vous avez été achetés d'un grand prix (I Cor. VI, 19, 20) ; " à quoi il ajoute qu'il ne faut pas vivre pour soi-même. Vos lèvres ne sont pas à vous, dit-il, mais au Seigneur. C'est lui qui les a faites, lui qui les a disposées, lui qui les a animées. Mais ces lèvres sont les vôtres : ce n'est pas à dire pour cela qu'elles vous appartiennent; nous possédons l'argent qui nous a été confié; noua avons à loyer la terre que nous tenons d'autrui. Les lèvres aussi, Dieu nous les a données à, loyer, non pour en faire sortir des ronces, mais pour amener à bien les germes qui y sont déposés; non pour leur faire produire la jactance ou la trahison, mais l'humilité, les bénédictions, la charité.: Pareillement, s'il vous a donné des yeux, ce n'est pas pour que vous les fassiez servir à des regards dissolus, c'est afin que vous les décoriez de modestie des mains, ce n'est pas pour frapper, c'est pour répandre l'aumône. Comment osez-vous encore dire : " Nos lèvres nous appartiennent, " quand vous les asservissez au péché, à la fornication, à l'impureté? " Qui est notre maître? " O diabolique parole ! suggestion du démon ! Vous voyez toute la nature proclamer la puissance, la sagesse, la sollicitude, la providence de votre Seigneur; votre corps , votre âme, votre vie, les choses visibles, les êtres invisibles, tout pour ainsi dire, élève la voix et salue la puissance du Créateur : et vous pouvez dire : " Qui est notre maître? " (7) Folie, délire, corruption : de là tous les maux dont nous sommes assaillis.

Tandis que ces hommes disent : " Qui est notre maître? " d'autres confessent à la vérité, le Seigneur, mais suppriment le dogme du jugement et de la peine, courte satisfaction achetée au prix d'un terrible châtiment! Ils veulent se consoler en oubliant -l'enfer; et ils ne voient pas que, par cette sécurité ils se précipitent eux-mêmes dans le gouffre de la perdition. Je vous en conjure donc, souvenez-vous de l'enfer, entretenez-vous de l'enfer; façonnez, embellissez ainsi votre âme. L'utilité de ces propos est grande. Ce n'est pas sans intention que Dieu nous a menacés de la géhenne, et nous en a révélé, même ici-bas, l'existence c'est afin de nous corriger par la crainte. Aussi le diable n'épargne-t-il rien pour effacer de notre mémoire cette pensée. N'allez pas la perdre, ne dites point : pourquoi me tourmenter, hors de propos? Hors de propos, dites-vous? C'est dans l'enfer que vous souffrirez hors de propos. C'est le temps présent qui est opportun pour la souffrance, et non l'autre vie. —Témoin le riche de l'histoire de Lazare il souffre beaucoup, et n'y gagne rien. Si, au contraire, il avait su choisir le bon moment pour souffrir, il n'aurait pas été condamné à un pareil supplice. — " A cause de l'infortune des mendiants et des gémissements des pauvres, je vais me lever, dit le Seigneur. Je les mettrai dans un lieu de salut. J'agirai en cela avec une entière liberté (6). " D'après un autre : " Je rendrai leur salut manifeste. "

Apprenez quel est le pouvoir de l'humilité. C'est la force des pauvres (parce mot j'entends ceux qui ont le coeur contrit), c'est leur soutien dans les épreuves. David ne parle pas ici de vertu, de sagesse ; le malheur, dit-il, voilà ce qui excite Dieu à se lever, ce qui le porte à sévir, à, venger. Tel est le mérite attaché à la patience de l'opprimé, telle est la sollicitude de Dieu pour ceux qui sont persécutés, le malheur même devient le plus efficace pies appuis pour les malheureux. Grand est le pouvoir des gémissements,, ils font descendre la grâce d'en-haut. Tremblez, vous qui maltraitez les pauvres. Vous avez la puissance,, l'argent, l'opulence, la faveur des juges ; mais de leur côté, ils ont une arme plus forte, les gémissements, les pleurs et leur oppression même, qui leur procure les secours d'en-haut. Cette arme-là ruine des maisons, en bouleverse les fondements, elle détruit des villes, elle anéantit des nations entières ; je parle du gémissement des opprimés. Dieu honore leurs bons sentiments, lorsqu'au milieu de l'adversité, ils s'interdisent toute parole condamnable et se bornent à gémir, à se lamenter sur leurs propres infortunes. Que veut dire ceci : " Je les mettrai " dans un lieu de salut, j'agirai en cela avec " une entière liberté ? " Entendez manifestement , publiquement , de sorte que tout le monde en soit instruit. N'est-ce donc point toujours manifestement que Dieu nous sauve? Non, c'est quelquefois en secret, attendu qu'il n'a que faire de l'admiration des hommes. Mais dans la circonstance présente, comme les ennemis de ces pauvres devaient évidemment les insulter, les injurier, les accuser d'être privés du secours divin, Dieu, afin de corriger ces méchants mêmes et de les pousser à s'amender, en les convainquant de l'appui prêté par le Seigneur, annonce alors qu'il rendra manifeste la délivrance des opprimés. " Les paroles du Seigneur sont des paroles pures; c'est un argent éprouvé au feu, purifié dans la terre (7). " Quelle est donc la suite des idées? Elle est parfaite et continue. N'allez pas croire, veut-il dire, que ce soient là de vaines paroles, de stériles menaces ; les paroles de Dieu sont pures, dégagées de tout mensonge. De même que l'argent éprouvé au feu ne conserve plus aucun élément étrangé ni emprunté, de même les paroles de Dieu, une fois proférées, ne peuvent manquer de s'accomplir. De là ces mots : " Un argent éprouvé au feu, purifie dans la terre. " Suivant un autre :" Eprouvé au feu, qui passe dans la terre. " En hébreu : Baalif Iaares, c'est-à-dire: Passé à l'entonnoir, coulant dans la terre. " Sept fois affiné. ".

4. Voyez-vous comment il insiste au moyen d'une image matérielle, sur cette parfaite et absolue vérité? Il en est des promesses de Dieu comme du métal passé au creuset et au feu, et cela à plusieurs reprises, dégagé de toute substance étrangère , purifié avec minutie. " Vous, Seigneur, vous veillerez sur nous et vous nous protégerez contre cette génération et pour toujours (8). " Il y a d'autres traductions : " Vous veillerez sur eux ou vous veillerez sur ces choses et vous nous, protégerez contre cette génération et pour toujours, " ou " durant la génération éternelle. " " Les impies marchent en tournant. " (8) " Marcheront (9), " d'après un autre. Ou encore : " Ils marcheront dans le cercle des impies. Selon votre sublimité vous avez honoré les fils des hommes. " D'après un autre : " Quand auront été exaltés ceux qui sont vils parmi les fils des hommes. " D'après un autre: "Achetés à bas prix par les fils des hommes. " En hébreu : " Charm zollo lebne Adam. Vous, " Seigneur, vous veillerez sur nous et nous protégerez. "

Vous le voyez : c'est à chaque instant, ou plutôt sans relâche qu'il se réfugie auprès de Dieu, et cherche en lui son recours: en effet c'est une aide toute puissante, et qui ne cesse jamais d'agir. C'est comme s'il disait: nous n'avons besoin d'aucune assistance humaine: car vous ne cessez pas de veiller sur nous. Qu'est-ce à dire: " Les impies marchent en tournant? " Suivant les Septante il faut entendre,que nous n'avons rien à craindre, quand bien même les impies nous circonviendraient de toutes parts: car Dieu veille sur nous, nous élève, nous glorifie. Suivant l'autre interprète, voici le sens: Les impies seront repoussés, quand vous aurez exalté ceux qui sont vils parmi les fils des hommes: c'est-à-dire en nous exaltant, nous les dédaignés, nous les humiliés, vous les éloignerez , vous les repousserez. Et que signifie : " Selon votre sublimité? " C'est-à-dire que vous les avez rendus semblables à vous, autant que cela est donné à l'homme. " Faisons l'homme à notre image, " est-il écrit, " et à notre ressemblance. " Ce que Dieu lui-même est au ciel, nous le sommes sur la terre et de même qu'il n'a point de supérieur là-haut, personne ici-bas n'égale la vertu de cette créature. " Soyez semblables , " dit l'Ecriture, " à votre Père qui est dans les cieux. " (Matth. V, 45.) Il nous fait même participer à son nom: " J'ai dit : Vous êtes dieux, et tous fils du Très-Haut. " (Psal. LXXXI, 6.) Et ailleurs : " Je t'ai établi dieu de Pharaon. " (Exod. VII .) Il lui a permis de créer des choses corporelles et incorporelles. Tantôt c'est Moïse qui transforme la création, tantôt tel ou tel élément qui cède à une autre voix. Enfin Dieu nous a prescrit de lui bâtir un temple en nous-mêmes. Vous ne créez point le ciel, mais vous créez un temple pour le Seigneur: et si le ciel même est un séjour de gloire, c'est que Dieu y réside: que dis-je? La grâce du Christ nous l'a ouvert à nous-mêmes. " Il nous a réveillés et nous a fait asseoir à la droite dans les cieux. " (Ephés. II, 6.) Et il nous a permis de faire des choses plus grandes que ses propres ouvrages. " Les signes que je fais, lui aussi les fera, et il en fera de plus grands encore. " Au temps de l'Ancien Testament, l'un déplaça la mer, un autre arrêta le soleil, un autre prescrivit le repos à la lune, un autre fit reculer les rayons d u soleil; les enfants, dans la fournaise, réprimèrent la fureur d'un élément; la flamme s'apaisa, et fut réduite à murmurer dans son impuissance. Les bêtes féroces elles-mêmes savent respecter les amis de Dieu : même pressées par la faim, elles s'humanisent pour eux. Hommes sensuels, imitez la tempérance des animaux féroces. Des lions virent Daniel , et surent vaincre leur faim. Nous, en voyant venir à nous le Fils de Dieu, nous ne savons pas nous vaincre: Les lions aimèrent mieux mourir de faim que de toucher à la personne d'un saint: et nous qui voyons le Christ errer sans vêtements et sans pain, nous n'abandonnons pas même notre superflu: et du sein de notre opulence nous considérons froidement les souffrances des justes. Un autre ami de Dieu vit la terre lui prodiguer les présents de son sein avec une munificence inouïe jusqu'alors. Et comment s'étonner des marques d'honneur décernées à leurs personnes , lorsque leurs vêtements même, leur ombre, épouvantaient les démons, la mort, la maladie? Des anges s'inclinèrent, devant des hommes, et les comblèrent d'honneurs. Et comment aurait-il pu en être autrement, quand leur maître traitait si magnifiquement ces mêmes créatures? L'Ancien, le Nouveau Testament, nous en offrent la preuve. De là ces mots: " Selon votre sublimité, vous avez honoré les fils des hommes. " Réfléchissons à l'éclat de ces honneurs, et sachons en témoigner une juste reconnaissance, si nous ne voulons pas que tant de distinctions ne nous procurent d'autre fruit que le châtiment : duquel puissions-nous tous, maître et auditeurs, être préservés en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui convient toute gloire, tout honneur, toute adoration dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

EXPLICATION DU PSAUME XII. POUR LA FIN, PSAUME POUR DAVID. — D'APRÈS UN AUTRE CHANT DE VICTOIRE DE DAVID. — SUIVANT UN AUTRE : POUR UNE VICTOIRE : " JUSQUES A QUAND, SEIGNEUR, M'OUBLIEZ-VOUS CONIPLÉTEMENT ? JUSQUES A QUAND DÉTOURNEZ-VOUS VOTRE VISAGE DE MOI. " D'APRÈS UN AUTRE : " CACHEZ-VOUS? — JUSQUES A QUAND PLACERAI-JE DES PROJETS (OU RANGERAI-JE DES PENSÉES DANS MON AME, DES " CHAGRINS DANS MON COEUR NUIT ET JOUR ? AUTREMENT : " MES INQUIÉTUDES DANS MA PENSÉE CHAQUE JOUR? "
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ANALYSE.

1. De l'oubli de Dieu. —- En quoi il consiste. — Qu'il est lui-même une marque de la bonté divine.

2. Trois motifs allégués dans la prière de David. — Fondement de sa confiance,

3. Joie de la délivrance. — Devoirs de l'âme délivrée.

1. Ce n'est pas un médiocre avantage que de s'apercevoir de l'oubli de Dieu. Cet oubli n'est pas un mal sensible, mais un pur abandon. Du moins beaucoup de ceux qui sont oubliés l'ignorent et ne songent pas à s'en plaindre. Notre bienheureux au contraire, non-seulement connaissait son malheur, mais encore il en calculait la durée. Cette expression " jusc ques à quand " indique un temps prolongé voila pourquoi David s'afflige et gémit. Veuillez considérer ici que ce ne sont jamais des choses mondaines comme l'argent ou la gloire qui causent ses pleurs, mais partout lu grâce divine. Et à quoi s'aperçoit-il, dira-t-on, que Dieu l'a oublié? C'est qu'il savait aussi quand Dieu se souvenait de lui, et qu'Il connaissait parfaitement ce qu'est le souvenir, ce qu'est l'oubli. Il n'était pas semblable au vulgaire des hommes qui croient que Dieu se souvient d'eux quand ils sont riches, honorés du monde, et que tout réussit selon leurs vceux : cette erreur les empêche de s'apercevoir quand ils sont oubliés. Car ceux qui ne savent point à quels signes on reconnaît le souvenir, sont également incapables de discerner l'oubli. Ignorant les caractères de l'amitié, ils ne distinguent pas davantage ceux de l'inimitié. Dieu oublie souvent, oublie surtout ceux qui jouissent de ces biens fragiles : au contraire il se souvient fréquemment de ceux qui vivent dans l'adversité. Car rien n'appelle plus sûrement le souvenir de Dieu que les bonnes couvres, la sagesse, la vigilance, la pratique de la vertu comme il n'est pas d'autre part, de motif d'oubli aussi efficace que le péché, l'injustice, les empiètements sur le bien d'autrui. Ainsi donc, mon très-cher frère, ce n'est pas quand vous êtes dans l'infortune qu'il faut dire : Dieu m'a oublié : c'est quand vous êtes dans le péché, et que tout marche selon vos souhaits. Si vous êtes bien convaincu de cette vérité, vous aurez hâte de renoncer à ces détestables pratiques.

" Jusques à quand détournez-vous votre visage de moi? " Voilà le dernier degré de l'oubli. Il emprunte ses images à la nature humaine afin de dépeindre les actes de la divinité, sa colère, ses vengeances. Dieu détourne son visage quand nous ne vivons pas conformément à ses préceptes. " Quand vous étendrez vos mains, " est-il écrit, " je (10) détournerai mes yeux de vous. " En voici maintenant la raison : " Car vos mains sont pleines de sang. " (Isaïe, I, 15.) Mais la sollicitude divine éclate jusque dans l'abandon; si Dieu détourne son visage, c'est afin de nous ramener plus sûrement. C'est ainsi qu'un amant passionné délaisse, abandonne l'objet de son amour, quand celui-ci lui témoigne trop de dédain : non qu'il le bannisse de sa pensée; il veut seulement le ramener et se l'attacher. Après ce visage qui se détourne, voici maintenant l'oubli avec ses conséquences. Quelles sont-elles? Celles qu'il nous fait connaître ensuite : " Jusques à quand placerai-je des projets dans mon âme ? " Ainsi que le nautonnier égaré loin du port erre à l'aventure, ainsi que l'homme privé de la lumière, se heurte contre tous les obstacles : de même l'homme oublié de Dieu est livré à des soucis, des inquiétudes, des douleurs sans fin. Et ce n'est pas un faible moyen d'appeler sur soi l'attention de Dieu, que ces soucis, ces inquiétudes mêmes, que ces douleurs dont on est consumé, que de réfléchir à son délaissement. Ainsi Paul dit de lui-même en ! écrivant aux Corinthiens : " Et qui est celui qui me réjouit, sinon celui qui est contristé à cause de moi." (II Cor. II, 2.) Non, ce n'est pas, mon cher auditeur, un mince avantage, que de s'apercevoir que Dieu se détourne de nous, d'en souffrir, de nous en affliger. C'est par là que nous le. ramènerons le plus promptement à nous. " Jusques à quand mon ennemi sera-t-il élevé au-dessus de moi ? " (3.) " Regardez-moi , exaucez-moi, Seigneur mon Dieu. Eclairez mes yeux, afin que je ne m'endorme jamais dans la mort. " (4.)

Si la présence et l'assistance de Dieu écarte loin de nous tout ce qui pourrait nous chagriner; son absence, son oubli, déchire notre âme, attriste notre coeur, nous abandonne aux insultes de nos persécuteurs, multiplie sous nos pas les rochers et les précipices. Mais ce sont autant de bienfaits qui ont. pour but d'encourager les indifférents, par toutes ces souffrances, à remonter avec plus de hâte à l'endroit d'où ils sont tombés. " Ta désertion t'instruira, " est-il écrit, " et ton vice te confondra. " (Jér. II, 16.) L'abandon de Dieu est donc lui-même une forme de la Providence. Quand sa sollicitude et sa tendresse rie rencontrent que le mépris, il s'éloigne pour un temps, il délaisse les tièdes, afin qu'ils secouent leur nonchalance et deviennent plus zélés. Regardez, dit-il. voyez mon ennemi qui s'élève contre moi : et si ce n'est en considération de mon infortune, du moins à cause de son orgueil et de sa jactance, écoutez-moi. Et que demandes-tu donc? A vaincre tes ennemis? Non pas, mais que mon coeur soit éclairé, que les ténèbres répandues sur mon discernement soient dissipées, que la lumière se fasse dans mon intelligence. Voici ce que je demande : " Eclairez mes yeux. Afin que jamais mon ennemi ne dise " en me voyant précipité dans la mort du péché : " Ainsi j'ai eu l'avantage sur lui (i). " Je l'ai vaincu , ce que je voulais voir s'est réalisé. Qu'est-ce à dire : " J'ai eu l'avantage sur lui ? " C'est-à-dire qu'il a été fort par rapport à moi, quelle que soit d'ailleurs sa force, à parler absolument. Notre défaite lui donne des forces, le rend robuste, redoutable, invincible.

2. Voyez-vous bien que nos péchés n'ont pas seulement pour effet de nous déshonorer, de nous perdre, de nous plonger dans la mort, mais encore de proclamer, par notre défaite, la force et la puissance dé nos ennemis : Que dis-je ? De les mettre en allégresse et en joie. Ali l quelle folie, quel aveuglement de s'allier avec ses ennemis contre soi-même, de donner lieu de se réjouir et de se féliciter à ceux qui persécutent et oppriment notre âme ! Voyez que d'absurdités ! Au lieu de vaincre notre ennemi " ses glaives se sont affaiblis à la fin, " est-il écrit, " et l'impie a succombé (Ps. IX, 7-6) : " au lieu de vaincre , nous sommes vaincus. Ce n'est pas tout, nous rendons notre ennemi robuste et vigoureux, et là ne s'arrête pas encore notre clémence, notre inconcevable maladie; nous lui procurons encore des sujets d'allégresse et de joie. C'est vraiment le comble de l'ivresse, le comble des maux que le péché.

" Ils se réjouiront si je suis ébranlé. " Le Prophète allègue trois raisons pour émouvoir le Seigneur, pour attirer ses regards, le déterminer à tourner son visage vers lui, à exaucer sa prière : la force et la puissance de ses ennemis; en second ou plutôt en premier lieu leur orgueil, leur insolence; enfin leur joie, leur allégresse. C'est à peu près comme s'il disait

Si ce n'est pas assez de ma prière, assez de mon infortune pour appeler vos regards, Seigneur, du moins que la jactance de mes ennemis, que la présomption dont leur puissance les pénètre attire votre attention : ils (11) triomphent de mes maux, ils se rient de ma chute. " Exaucez-moi, éclairez mes veux." Chassez ce lourd sommeil du péché, ce sommeil dont j'ai dormi presque jusqu'à la mort de mort âme. Pour peu que la sécurité dont je jouis auprès de vous soit ébranlée, c'est un sujet de joie et de forfanterie pour eux ; c'est à leurs yeux une preuve de leur force; ils en conçoivent de l'orgueil, titi orgueil insupportable. Que ne feraient-ils pas, si je venais à périr? Vous voyez que le Prophète regardé comme un malheur affreux, comparable au supplice et au châtiment, de réjouir l'ennemi commun, de le voir grandir et prendre des forces. En effet, s'il n'avait pas vu là un mal horrible et intolérable, il n'aurait pas usé d'un pareil moyen pour fléchir Dieu et pour se concilier sa bienveillance. Suivons son exemple : donnons toute notre attention, tous nos efforts, à ne pas exalter notre ennemi, à ne pas le fortifier, à ne pas le réjouir; tout au contraire, à l'humilier, à le ravaler, à l'affaiblir, à lui causer de la honte et de la tristesse. C'est ce qui arrive dès qu'il voit des pécheurs rentrer dans la bonne voie. " Mais moi, j'ai espéré dans votre miséricorde (6). "

Qu'as-tu donc fait pour demander ces grâces, que Dieu retourne les yeux vers toi, qu'il exauce ta prière, qu'il éclaire les yeux de ton intelligence? Quels sont tes titres? Si d'autres en ont à produire, répond le Prophète, qu'ils les produisent. Moi je ne sais, je ne dis qu'une chose, je fonde en une chose toute mon espérance, je ne fais valoir qu'un motif, votre miséricorde, votre bonté. " Mais moi, j'ai espéré dans votre miséricorde. " Voyez-vous l’humilité du Prophète? Voyez-vous la sagesse de ses pensées? En dépit de tous ses mérites, bien suffisants par eux-mêmes, pour émouvoir Dieu, il les passe sous silence, il se borne à invoquer la miséricorde divine. De là il résulte que lorsqu'il parle de ses bonnes oeuvres, par exemple, en disant: " Si j'ai fait cela, si j'ai rendu le bien, " et autres paroles du même genre, il n'emploie ce langage que parce qu'il y est forcé : quand la nécessité ne le contraint pas, il se tait sur ce sujet, et se borne pour toute supplication à rappeler la miséricorde et la bonté de Dieu. Ensuite, persuadé qu'il ne sera point frustré dans son espérance, il ajoute " Mon coeur se réjouira à cause du salut que vous me procurerez. "

Voyez-vous la confiance de cette âme? Elle demande: et avant d'être exaucée, elle remercie comme si elle l'était, elle chante les louanges de Dieu, elle se comporté en un mot comme on l'a vu plus haut. D'où venait donc au Prophète cette confiance? De ses bons sentiments, de la ferveur avec laquelle il adressait sa prière : il savait qu'on est toujours entendu de Dieu, quand on l'invoque du fond du coeur par une ardente et vive prière. —Aussi, tandis que les hommes qui prient avec tiédeur et relâchement, même exaucés ressentent à peine le bienfait qu'ils ont reçu: ceux qui adressent leur requête avec zèle et recueillement, sont sensibles à la faveur avant même qu'elle leur soit accordée, par un effet de leurs excellentes dispositions, et la grâce divine leur fait éprouver par avance la satisfaction d'être exaucés ils témoignent leur reconnaissance, et se rapprochent par là du moment qui doit combler leurs vœux. " Mon coeur se réjouira à cause du salut que vous me procurerez. " Voilà, veut-il dire, ce qui réjouit mon âme, c'est d'être sauvé par vous; ce qui la contente, c'est que vous voyez vous-même son salut.

3. Voyez-vous ces deux sortes de joie? joie des ennemis causée par la chute, joie de l'âme causée par son propre salut? L'une est celle du malin, l'autre est propre à ceux qui sont sauvés. — L'une est la perte, et de celui qui croit l'éprouver, et de celui qui la cause; l'autre est le salut et la consolation de celui qui la ressent. C'est cette dernière joie, c'est ce contentement-là qu'il faut rechercher pour nous-mêmes: quant à l'autre, fuyons-le, ayons-en horreur. " Je chanterai en l'honneur du Seigneur qui m'a comblé de ses bienfaits, et je célébrerai le nom du Seigneur Très-Haut. " En commémoration de ce bienfait, veut-il dire, je consacrerai un chant au Seigneur, qui m'a comblé de ses grâces, a humilié mon ennemi, l'a rempli de confusion, l'a convaincu de faiblesse; qui a exaucé ma prière, a tourné vers moi son visage, après avoir dissipé les ténèbres et l'obscurité que je traversais pour aller à la mort: heureux du salut qu'il m'a procuré, je lui consacre ce cirant comme un monument indestructible de ses bontés pour moi; et ce n'est pas aujourd'hui seulement que je le célèbre, que je rappelle ses bienfaits; dans la suite encore je chanterai, je célébrerai le nom du Seigneur, et je conserverai gravé dans mon âme en traits ineffaçables le souvenir de son infinie bienfaisance. Une pareille âme (12) obtient facilement d'être sauvée des maux qui peuvent l'assaillir. Mais ce n'est pas tout: elle se garantit encore de la manière la plus efficace contre le retour de semblables infortunes. Car si elle conserve dans sa mémoire le souvenir du bienfait reçu, il est clair qu'elle ne saurait pas davantage oublier les épreuves dont le bienfait l'a tirée. — Dès lors, gardant souvenir de ses maux, on se remémore avec soin quelle a été l'origine, la cause d'une pareille infortune; et grâce à ces réflexions, on se fortifie de toutes parts pour l'avenir, de manière à ne pas retomber dans de semblables adversités. — Et en même temps que l'on règle ainsi, que l'on amende sa conduite, on témoigne une vive reconnaissance à son sauveur, en le priant de devenir le gardien de celui dont il a été le libérateur.

Imitons cette manière d'agir, et si nous nous sommes laissé entraîner à quelque faute, ayons hâte de revenir à nous, faisons de notre chute un motif de sûreté, une raison de ne plus faillir. Comment donc faire? Vous avez un maître en David. Vous avez péché? Ne vous endormez point sur votre péché; levez-vous, songez aussitôt que Dieu a détourné de vous son visage, qu'il vous a oublié; après cela pleurez, gémissez, baignez chaque nuit votre lit de vos larmes, fuyez loin de ceux qui opèrent l'iniquité. Telles sont les leçons nouvelles que vous pouvez encore recevoir de David. Dites avec lui : " Jusques à quand, Seigneur, m'oublierez-vous toujours ? Jusques à quand détournerez-vous votre visage de moi? " Dites cela, non des lèvres, mais avant tout du coeur. Dites encore tout ce que David fait valoir à l'appui de sa prière. Quand vous aurez tout dit, espérez dans la miséricorde de Dieu; espérez, ne doutez pas. " Celui qui doute," est-il écrit, " ressemble au flot de la mer qui est battu des vents. Que celui qui est tel, ne pense pas obtenir quelque chose de Dieu. Car c'est un homme irrésolu, inconstant dans toutes ses voies. " Espérez donc dans la miséricorde divine, sans jamais douter, et vous ne manquerez pas de voir votre prière exaucée, et une fois exaucé ne devenez pas ingrat, n'oubliez pas votre bienfaiteur, consacrez le souvenir de son bienfait par un monument, par un hymne de reconnaissance au Seigneur. Peut-être êtes-vous incapable d'en composer un vous-même. Eh bien ! convoquez les pauvres, empruntez leurs langues et servez-vous en pour cet usage. Sachez bien que l'hymne de David a été moins agréable à l'oreille de Dieu, que ne le sera celui que ces voix-là feront entendre en votre nom. En effet, de même que l'harmonie produite par des sons divers fait une musique plus agréable que n'est une simple mélodie, ainsi les voix des pauvres charmeront Dieu comme un délicieux concert. Elevez donc, et à Dieu et à vous-même, un pareil monument, afin de rappeler sa bienfaisance et, tout à la fois, de marquer votre reconnaissance et votre gratitude, par ce signe du souvenir éternel qui doit rester au fond de votre coeur et, de là, diriger votre vie. Oui, dirigeons tous ainsi notre vie, afin que nous devenions dignes, nous aussi, de l'héritage des .biens éternels, en J.-C. N. S., à qui gloire et puissance dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. X***.
 

 

 

 

 

EXPLICATION DU PSAUME XLI. " DE MÊME QUE LE CERF ASPIRE APRÈS LES SOURCES (2). " POURQUOI LES PSAUMES ONT ÉTÉ INTRODUITS ICI-BAS, ET POURQUOI ON ASSOCIE LE CHANT A LEURS PAROLES. — DE LA LONGANIMITÉ DE DIEU.
ANALYSE.

L'homélie sur le psaume XLI fut prononcée à Antioche, l'an 387, après le mois de septembre, entre le septième et le huitième discours contre les Juifs.

1. L'orateur sacré doit prendre en main tantôt la harpe de David, tantôt l'arme de la controverse. L'effet de la musique est grand sur les âmes, voilà pourquoi Dieu fait chanter les psaumes, c'est afin que les âmes suivent sans effort le sens des paroles sacrées.

2. L'orateur conseille de chanter des psaumes pendant les repas, pendant les promenades en tout temps, en tout lieu.

3. Du gémissement de l'esprit; ce que c'est. Que nous pouvons aimer Dieu sans le voir. Trois choses donnent naissance à l'amour.

4-6. Les bienfaits de Dieu envers nous.

7. Exhortation.

1. Lorsque nous vous parlions l'autre jour de Melchisédech, vous étiez surpris de la Longueur de nos paroles ; et moi j'étais surpris du zèle et de l'intelligence avec lesquels vous écoutiez, et de cette attention avec laquelle vous nous avez suivi, jusqu'au bout, malgré les proportions que prenait notre discours d'autant qu'il n'était pas seulement de longue haleine, mais qu'il offrait aussi de grandes difficultés. Mais ni sa longueur ni ses difficultés n'ont mis en défaut votre zèle. Eh bien ! en récompense de votre peine d'alors, nous allons aujourd'hui vous faire assister à un entretien plus simple. En effet, il ne faut, ni tendre sans cesse l'esprit de ses auditeurs, lequel ne tarde pas à se rompre de fatigue, ni toujours lui laisser du relâche et desserrer son frein, car alors il redevient paresseux. Il faut donc varier la forme de l'enseignement, et discourir tantôt sur le ton de la fête, tantôt, sur celui de la controverse et de la lutte. Je vous disais dans les dernières circonstances que lorsque les loups venaient assaillir le troupeau, les pasteurs laissaient là leur chalumeau, et s'armaient de la fronde : eh bien ! maintenant que les fêles judaïques sont passées, car il n'y a pas de loups plus acharnés que les Juifs, laissons de côté la fronde, et retournons à nos chalumeaux; faisons trêve aux discours militants, et servons-nous d'un langage plus simple, prenant en main la harpe de David, et vous proposant pour sujet ce verset de psaume que nous avons tous chanté, aujourd'hui. Ce verset, le voici : " De même que le cerf aspire après les sources, ainsi mon âme soupire après vous, mon Dieu. "

Mais il faut dire auparavant pourquoi le psaume a été introduit parmi les hommes, et pourquoi ces prophéties se récitent plus particulièrement avec chant. Voici pourquoi on les chante. Dieu s'était aperçu que beaucoup d'hommes étaient tièdes, éprouvaient du (14) dégoût pour la lecture des choses spirituelles, et supportaient avec peine le travail que cela leur imposait; il voulut leur rendre la tâche plus agréable, leur ôter le sentiment de la peine, et pour cela, il joignit la mélodie aux paroles prophétiques, afin que tous, entraînés par le rythme musical, fissent monter vers lui les saintes hymnes avec une grande ferveur. Car il n'est rien, non rien qui élève l'âme, qui lui donne des ailes, qui l'arrache à la terre, qui l'affranchisse des liens du corps , qui lui inspire la divine sagesse, qui lui fasse tout mépriser ici-bas, comme une musique d'ensemble et les accents mesurés d'un divin cantique. Il y a dans le chant et dans la musique un charme si approprié à notre nature, que c'est un moyen de calmer même les enfants à la mamelle, lorsqu'ils crient et qu'ils sont fâchés. Aussi les nourrices qui les portent dans leurs bras vont et viennent mille et raille fois en leur chantant des airs enfantins, qui réussissent à fermer leurs paupières. C'est encore pour la même raison que l’on voit souvent vers le milieu du jour des gens en voyage conduisant leurs bêtes de somme, chanter en même temps, pour adoucir par ces chants les désagréments du voyage. Et non-seulement les voyageurs, mais encore les cultivateurs chantent fort souvent, lorsqu'ils foulent le raisin, ou qu'ils font la vendange, lorsqu'ils donnent des soins à leurs vignes, ou se livrent à n'importe quel autre travail.

Les matelots chantent aussi en maniant la rame. Et quand les femmes font de la toile, et qu'elles démêlent avec la navette les fils embrouillés de la chaîne, elles chantent aussi des airs, soit chacune en particulier, soit toutes en choeur. Or, toutes ces personnes, femmes, voyageurs, cultivateurs ou matelots, ne chantent ainsi que dans le but d'alléger la fatigue de leurs travaux, parce que l'âme, lorsqu'elle entend un air, un chant, est capable de supporter plus facilement toute sorte de peines et de fatigues. Et comme cette sorte de plaisir a pour notre âme un attrait si naturel, Dieu, pour empêcher que les démons ne viennent tout bouleverser en introduisant panai nous des chants lubriques, Dieu nous a donné les psaumes comme un rempart, et a voulu qu'ils nous fussent à la fois agréables et utiles. Car les chants mondains sont nuisibles, pernicieux, les maux qu'ils causent sont nombreux : ce qu'ils ont de plus impur et de plus déréglé s'introduisant dans le fond des âmes, les affaiblit et les énerve; au contraire le chant tout spirituel des psaumes est d'une grande utilité, d'un grand profit ; il nous procure une abondante sanctification, il nous suggère toute espèce de sagesse, parce que leurs paroles purifient nos âmes, et que l'Esprit-Saint ne tarde pas à descendre dans l'âme qui fait retentir de pareils accents. Oui, ceux qui chantent les psaumes avec conscience invoquent par là la grâce du Saint-Esprit, témoin cette parole de saint Paul : " Ne vous enivrez point de vin, car il produit la débauche; mais remplissez-vous du Saint-Esprit; " puis il ajoute la manière d'y parvenir : " en chantant, " dit-il, du fond de vos coeurs, des cantiques et des " psaumes au Seigneur. " (Ephés. V, 18, 19.) Que signifie " du fond de vos coeurs? " C'est-à-dire avec conscience, pour que, la bouche prononçant les paroles, la pensée ne s'en aille pas au dehors s'égarant de tous côtés, mais pour due l'âme écoute les paroles de la langue.

2. Vous le savez, où il y a un bourbier, les pourceaux y courent; mais aussi, où il y a des aromates et des parfums, les abeilles établis .sent leur demeure: de même, où des chants lubriques se fout entendre, les démons se rassemblent; mais là où retentissent des chants spirituels, vient se reposer la grâce de l'Esprit-Saint, sanctifiant et les bouches et les âmes. Et je le dis, non pas seulement pour vous inciter à louer Dieu vous-mêmes, mais aussi pour que vous appreniez à vos enfants et à vos femmes à chanter de pareils cantiques, non pas seulement en faisant de la toile ni en travaillant à d'autres ouvrages, mais particulièrement quand vous êtes à table. En effet, c'est surtout pendant les repas que le démon vous tend des pièges : il a pour lors le secours de l'ivresse et de l'intempérance, des rires immodérés, du laisser-aller de l’âme; c'est donc surtout alors, ainsi qu'avant et après le repas, qu'il faut lui opposer comme un rempart la vertu fortifiante des psaumes; il faut cous lever de table avec votre femme et vos enfants, et chanter en commun les saintes hymnes à Dieu. Car si Paul, tout exposé qu’i il était à d'intolérables coups de fouet, les entraves aux pieds et retenu dans une prison, a pu au milieu de la nuit, alors que le sommeil enchaîne tous les hommes avec le plus de douceur, employer le temps, conjointement avec Silas, à louer (15) Dieupar des hymnes; si ni la nature du lieu, ni les circonstances, ni l'inquiétude, ni la tyrannie du sommeil, ni la souffrance causée par tant de supplices, si rien en un mot ne put le forcer à interrompre ses chants (Act. XVI, 25); combien pins ne devons-nous pus, quand nous sommes dans la joie, quand nous jouissons des biens que Dieu nous accorde, faire mouler vers fui des chants d'actions de grâces, afin. que si l'ivresse et l'intempérance donnent accès dans notre âme à quelque chose de déréglé, toutes ces pensées folles et mauvaises prennent aussitôt la fuite lorsque survient le chant des psaumes. A l'exemple de tous ces riches qui ont soin d'emplir de baume une éponge et d'en frotter la table, afin que si les mets ont fait quelque tache, la table apparaisse propre quand l'éponge y aura passé; de même les chants spirituels sont un baume dont nous devons emplir nos bouches, afin que si l'intempérance a laissé quelque tache dans l'âme, nous l'effacions au moyen de ces cantiques sacrés, que, nous levain tous nous dirons en commun. " Tu nous as réjouis, Seigneur, par les choses que tu as créées, et nous nous complairons avec allégresse dans les oeuvres de tes mains. " (Ps. XCI, 5.) Et qu'au chant du psaume succède aussi une prière, afin que nous sanctifiions notre demeure en même temps que notre âme. Car de même que ceux qui amènent à leur table des mimes, des danseurs et des courtisanes, y appellent les démons et satan lui-même, et remplissent leur maison de mille et mille. dissensions (car il en résulte des jalousies, des adultères, des débauches et tous les maux imaginables); ainsi ceux qui prient David de venir avec sa harpe, appellent par son intermédiaire Jésus-Christ même dans leur maison. Or, là où est le Christ, nul démon n'oserait jamais entrer, ni même seulement jeter les yeux; mais la paix, la charité, tous les biens en un mot y afflueront comme de source. Ces gens-là font de leur habitation un théâtre; vous autres, faites de votre demeure une église. En effet, là où l’on récite les psaumes, là où l'on prie, là où vient s'assembler le cortége des prophètes, et où l'âme des chanteurs est pleine de l'amour de Dieu, ce n'est point se tromper que d'appeler une pareille réunion du nom d'église. Et quand même vous ne comprendriez pas le sens des paroles, ne laissez pas de former votre bouche à les prononcer ; car la langue se sanctifie même par les paroles, quand on les dit avec bonne volonté. Si nous prenons cette habitude , nous n'omettrons jamais ni à dessein, ni par tiédeur, cette belle manière d'honorer Dieu, car l'habitude notas forcera chaque jour, même sans que nous le voulions, à lui rendre ce beau culte. Pour ce chant des psaumes, point de défaite à donner, ni vieillesse, ni jeunesse, ni rudesse dans la voix, ni inexpérience de l'art de la musique. Ce qu'on y cherche, c’est la sobriété de l'âme, la vigilance de la pensée, la componction du crieur, la solidité de la raison, et une conscience purifiée. Si vous entrez avec tout cela dans le saint coeur de Dieu, vous serez dignes d'y figurer auprès de David même. Point n'est besoin ici de harpe ni de cordes tendues, ni d'archet, ni d'art, ni d'aucun instrument : ou si vous voulez, c'est de vous-même que vous ferez une harpe, en mortifiant vos membres charnels, et en mettant votre corps dans une grande harmonie avec votre âme. Car lorsque la chair n'a point de désirs contraires à l'esprit, mais qu'elle cède à ses commandements, lorsque vous la dirigez jusqu'au bout vers la voie excellente et surnaturelle, vous produisez alors une harmonie spirituelle. Il n'est ici nul besoin d'un art. longtemps perfectionné; il ne faut qu'une intention généreuse, et en un court instant l'habileté nous viendra. Tout cela n'exige ni un certain lieu ni un certain laps de temps; en tout lieu, en toute circonstance il est possible de chanter les psaumes par la pensée. Même en vous promenant sur la place publique ou en passant dans les rues, même dans la société de vos amis, vous pouvez élever votre âme, vous pouvez vous écrier tout en gardant le silence. C'est ainsi que s'écriait Moïse, et Dieu l'écouta. (Exod. XIV, 15.) Etes-vous artisan ? il vous est possible de chanter les psaumes, étant assis dans votre atelier, et tout en travaillant. Etes-vous soldat ?vous pouvez en faire autant pendant que vous êtes de service au tribunal.

3. On peut donc chanter les psaumes sans faire usage de sa voix, c'est la pensée qui retentit au dedans de nous. Car ce n'est pas pour les hommes que nous chaulons les psaumes, mais lieur Dieu qui sait entendre nos coeurs et pénétrer dans le secret de nos pensées. C'est ce que nous enseigne saint Paul, lorsqu'il s'écrie : " L'Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements ineffables. Et celui qui (16) sonde les coeurs sait quelle est la pensée de l'Esprit, parce que c'est selon Dieu qu'il intercède pour les saints. " (Rom. VIII, 26-97.) Ce qui ne veut pas dire que l'Esprit gémisse, mais que les hommes spirituels, qui possèdent les grâces de l'Esprit-Saint, en priant pour leur prochain et en offrant leurs supplications, le faisaient avec componction et avec gémissements. Faisons donc comme eux, et intercédons chaque jour auprès de Dieu au moyen des psaumes et des prières. Et afin de ne pas seulement en proférer les paroles, mais encore de savoir la valeur des mots, mettons-nous à examiner le début même de notre psaume. Voici ce début : " De même que le cerf aspire après les sources, ainsi mon âme soupire après vous, mon Dieu. " C'est l'ordinaire, quand on aime, de ne point tenir secrète son affection, mais de s'en ouvrir à d'autres, de leur déclarer que l'on aime. Car l'amour est ardent de sa nature, et l'âme ne pourrait supporter de le renfermer ainsi sous le silence. C'est pourquoi Paul disait aux Corinthiens qu'il aimait : " Notre bouche est ouverte pour parler de vous, ô Corinthiens (II Cor. VI,11) ; " c'est-à-dire: Je ne puis cacher ni tenir secret mon amour pour vous, mais sens cesse et partout, je vous porte dans mon esprit et sur ma langue. Et c'est ainsi que le bienheureux Psalmiste, qui aimait Dieu, et qui était consumé de cet amour, ne pouvait supporter de s'en taire, mais que tantôt il disait : " De même que le cerf aspire après les sources, ainsi mon âme soupire après vous, mon Dieu; " et une autre fois : " O Dieu, mon Dieu, je me tourne vers vous dès l'aurore. Mon âme a soif de vous, comme une terre inaccessible, aride et déserte." (Ps. LXII,1.) Car c'est ainsi que l'a traduit un autre interprète. Et en effet, comme il ne peut trouver de langage pour exprimer son amour, il cherche toutes sortes d'exemples, pour nous faire ainsi comprendre sa tendresse, et nous faire partager les mêmes transports. Laissons-nous -donc persuader à ses paroles, et apprenons à aimer ainsi.

Et qu'on n'aille pas me dire : Et comment puis-je aimer Dieu, que je ne vois pas? Il y a bien des gens que nous aimons sans les voir, comme par exemple nos amis, nos enfants ou nos parents, nos proches et nos familiers, lorsqu'ils sont en pays étranger : la privation de leur aspect n'apporte à cela aucun obstacle, c'est même précisément là ce qui enflamme

surtout notre tendresse et accroît le besoin que nous avons de leur présence. C'est pourquoi encore, Paul parlant de Moïse, et ayant dit qu'il abandonna richesses, trésors, splendeur royale, tout l'éclat en un mot dont il jouissait en Egypte, et préféra être affligé avec les Juifs; ensuite pour nous apprendre la cause de cette conduite, qui était que Moise faisait tout cela pour Dieu , il ajoute ces mots : " Car il demeura ferme comme s'il eût vu l'invisible. " (Hébr. XI, 25-27.) Vous ne voyez pas Dieu , mais vous voyez ses créatures , vous voyez ses oeuvres, le ciel, la terre, la mer. Et quand on aime, il suffit de voir quelque ouvrage de la personne aimée, ou même sa chaussure, ses habits, n'importe quel objet lui appartenant, pour que cet amour se ravive en nous. Vous ne voyez point Dieu, mais vous voyez ses serviteurs, ses amis, je veux dire les saints, qui ont toute sa confiance. Honorez-les maintenant et vous en recevrez un adoucissement extraordinaire, aux regrets que vous avez de ne point le voir. En effet, même lorsqu'il s'agit de nos semblables; nous aimons ordinairement non-seulement nos amis, mais encore les personnes qu'ils aiment. Et si une personne que nous aimons vient à nous dire J'aime bien untel; quand il lui arrive quelque bonheur, il me semble que c'est à moi que l'on fait du bien; alors nous faisons tout, nous employons toutes nos ressources pour prouvera cette dernière personne tout notre zèle, comme si nous voyions en elle celle même que nous aimons. Eh bien ! il nous est donné dès maintenant de donner cette preuve de notre amour pour Jésus ! Il a dit qu'il aimait les, pauvres, et que si nous leur faisions du bien, il nous récompenserait comme s'il en avait lui-même été l'objet. (Matth. XIX, 21.) Faisons donc tout pour leur venir en aide ; que dis-je? Epuisons pour eux tous nos biens, persuadés qu'en leur personne, c'est Dieu même que nous nourrissons. Si vous voulez vous en convaincre, écoutez cette parole de Jésus-Christ : " Car vous m'avez vu souffrant de la faim, et vous m'avez donné à manger; souffrant de la soif, et vous m'avez donné à boire ; dans la nudité , et vous m'avez vêtu (Matth. XXV, 35-36), " et il nous a donné bien des moyens d'adoucir le regret de ne point le voir.

Voici trois choses principales qui font ordinairement naître l'amour en nous : la beauté du corps, la grandeur des bienfaits, et l'amour (17) qu'on a pour nous. Il suffit même d'une seule de ces circonstances pour produire en nous cette tendresse. Car, sans que la personne nous ait fait aucun bien, si nous apprenons qu'elle nous aime, qu'elle nous loue et nous admire, aussitôt nous nous attachons à elle, et nous la chérissons comme une bienfaitrice. Or, non-seulement cette condition existe en Dieu, mais elles y existent toutes les trois à un tel degré de surabondance que le langage n'y petit atteindre. Et d'abord, la beauté de cette nature bienheureuse et sans tache est quelque chose de si prodigieux et de si inviolable que cela surpasse toute expression et échappe à toute pensée. Et quand je vous parle de beauté, ne soupçonnez là rien de corporel, mon cher auditeur, mais bien une gloire immatérielle et une magnificence ineffable.

4. C'est cette nature que le Prophète publiait en ces termes : " Et les séraphins se tenaient autour de lui, et avec deux de leurs aises ils se couvraient le visage, avec deux autres ils se couvraient les pieds, et des deux autres ils volaient, en criant : Saint, saint, saint! " (Isaïe, VI, 2, 3), pénétrés qu'ils étaient de saisissement, d'admiration à la vue de cette majesté, de cette gloire. David aussi, ayant en vue cette même beauté, et frappé de la gloire de cette nature bienheureuse, disait : " Ceins ton glaive à ton côté, Dieu puissant, dans ta splendeur, dans ta beauté. " (Ps. XLIV, 4,5.) C'est pour cela encore que Moïse désirait si souvent le voir, dévoré par cette tendresse et plein d'amour pourtant de gloire. (Exod. XXXIII, 13.) C'est également ce qui faisait dire à Philippe : " Montre-nous le Père, et (136) nous serons satisfaits. " (Jean, XIV, 3.) Que dis-je? tout ce que nous pourrions exprimer ne serait pas même une faible et pâle image de tant de majesté. Faut-il maintenant vous énumérer ses bienfaits? Mais, ici encore, les paroles seront impuissantes. Aussi saint Paul disait-il : " Et " rendons grâces au Seigneur pour le don inexprimable qu'il nous a fait. " ( II Cor. IX, 15.) Et ailleurs : " Qu'aucun oeil n'a vu, que nulle oreille n'a entendu, que le cœur de l'homme n'a point conçu ce que Dieu a réservé à ceux qui l'aiment. " (I Cor. II, 9.) Et autre part encore : " O profondeur des richesses, de la sagesse- et de la science de Dieu ! Combien ses décrets sont impénétrables et ses voies impossibles à découvrir. " (Rom. XI, 33.) Et la tendresse dont il a fait preuve envers nous, quel langage pourra l'exprimer? Saint Jean en était frappé, et c'est pour cela qu'il disait " Car Dieu a tellement aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique. " (Jean, III, 16.) Et si vous voulez entendre les paroles mêmes de Dieu, et apprendre toute l'affection qu'il a pour les hommes, écoutez ce qu'il dit par son prophète : " Une femme oubliera-t-elle jamais sa pitié pour les fruits de ses entrailles? Or, " quand même une femme oublierait cela, moi je ne l'oublierai pas. " (Isaïe, XLIX, 15.) Et de même que le Prophète disait : " Comme le cerf désiré les sources, ainsi mon âme soupire après toi, mon Dieu; " de même le Christ nous dit : " Comme l'oiseau rassemble sa couvée, ainsi j'ai voulu rassembler vos enfants, et vous ne l'avez pas voulu. " (Matth. XXIII, 37.) Et autre part : " Comme un père a pitié de ses fils, ainsi le Seigneur a eu pitié de ceux qui le craignent. " (Ps. CII, 13.) Il dit encore : " Car autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant le Seigneur a fortement établi sa miséricorde sur ceux qui le craignent. " (Ibid. 11.) Et de même que le Prophète cherche un exemple pour faire comprendre son aspiration vers Dieu, ainsi Dieu se sert de comparaisons pour nous montrer l'ardent désir qu'il a pour notre salut. Et si le prophète a. pris pour exemples un cerf altéré, et une terre desséchée par la chaleur, Dieu prend pour objets de comparaison la tendresse des oiseaux pour leur couvée, la sollicitude des pères pour leurs fils, la hauteur du ciel au-dessus de la terre, et les entrailles maternelles, non pas qu'il ne nous aime que comme une mère aime son enfant, mais c'est qu'il n'y a pas parmi nous d'expressions plus fortes pour prouver l'affection que ces termes-là, que ces comparaisons, que ces exemples. Pour vous convaincre qu'il ne nous aime pas seulement comme une tendre mère aime ses enfants, mais beaucoup plus encore, écoutez ses paroles : " Quand même," dit-il, "une femme oublierait le fruit de ses entrailles, moi je ne l'oublierai pas. " Il a voulu montrer par là que sa sollicitude pour nous est plus ardente que la plus vive tendresse. Réunissez tous ces traits, repassez-les dans votre esprit, et vous ferez naître en vous un brûlant amour, vous y allumerez une flamme resplendissante. Et puisque, même entre les hommes, rien ne ait naître ordinairement le feu de l’amitié comme le souvenir des bienfaits que nous avons reçus, (18) conduisons-nous de même à l'égard de Dieu. Réfléchissons à tout ce qu'il a fait pour nous, le ciel même, la terre, la mer, l'air, les plantes qui croissent sur la terre, les fleurs diverses, les animaux domestiques et sauvages, tout ce qui existe dans la mer, au milieu de l'air, les astres qui sont dans le ciel,. le soleil, la lune, en un mot toutes les choses visibles, les éclairs, le bel ordre des saisons, la succession du jour et de la nuit, le renouvellement des années. Il a soufflé l'âme en nous, il nous a fait don de la raison, il nous a revêtus de la plus grande autorité. Il nous a délégué des anges, il nous a envoyé des prophètes, et enfin son Fils unique. Et après tant de bienfaits, il vous invite encore, tant par lui-même que par son Fils unique à vous sauver : et saint Paul ne cesse de nous crier de si part : " Dieu vous y invite par notre bouche, nous vous en conjurons au nom du Christ, réconciliez-vous avec Dieu. " (II Cor. V, 20.) Et il ne s'est pas arrêté là : il a recueilli le type de votre nature humaine, et "Il l'a fait asseoir au-dessus de toute principauté, de toute autorité, de toute puissance, et de tout nom qui soit jamais non-seulement dans ce siècle, mais encore dans le siècle à venir. " (Ephés. I, 21.)

Il est vraiment à propos de dire maintenant " Qui raconter les puissances du Seigneur? qui fera entendre toutes ses louanges? " (Ps. CV, 2.) Et aussi : " Que rendrai-je au Seigneur pour tous ses bienfaits? " (Ps. CXV,12.) En effet, quel honneur pourrait égaler celui de voir les prémices de notre genre humain, de cette race auparavant si déchue, si déshonorée, siéger maintenant à une telle hauteur, et jouir d'un tel honneur? Puis, ne songez pas seulement aux bienfaits que tous les hommes partagent, énumérez encore ceux dont vous êtes particulièrement l'objet, par exemple lorsque tombé dans les piéges de la calomnie , vous êtes sorti victorieux de ses accusations, ou si, ayant rencontré des brigands à une heure dangereuse, au milieu même de la nuit, vous avez échappé à leurs embûches, ou si vous avez conjuré une peine qui vous était infligée, ou lorsque atteint d'une maladie cruelle, vous avez éprouvé du soulagement.

5. Repassez dans votre esprit tous les bienfaits que vous avez reçus de Dieu pendant toute votre vie, et assurément vous les trouverez en grand nombre, non-seulement dans votre vie entière, mais même pendant un seul jour; si Dieu voulait nous remettre sous les yeux tous les biens dont il nous comble chaque jour sans que nous y fassions attention, sans que nous nous en doutions, nous ne pourrions pas même les compter. Combien de démons traversent cet air qui nous entoure ! Combien de puissances ennemies ! S'il leur permettait seulement de se montrer à nous, avec leur aspect épouvantable , horrible, ne fuirions-nous pas, ne serions-nous pas perdus, ne serait-ce pas notre destruction? Oui, en réfléchissant à tout cela, et aussi à nos péchés, à toutes les chutes que nous faisons, ou en connaissance de cause, ou sans nous en apercevoir (car ceci encore ne doit pas compter pour peu de chose parmi les bienfaits de Dieu , que chaque jour il ne tire pas vengeance de nos transgressions); en songeant, dis-je, à tout cela, nous serons capables d'aimer Dieu. Si vous considérez tous les péchés que vous faites par jour, tous les bienfaits que vous recevez chaque jour aussi, toute la longanimité, toute l'indulgence dont il vous favorise, si vous réfléchissez que si Dieu se vengeait tous les jours. vous n'auriez pas vécu même un court espace de temps, selon le Prophète qui dit : " Si vous tenez compte de nos iniquités, Seigneur, Seigneur, qui pourra résister? (Ps. CXXIX, 3) ", alors vous lui rendrez grâces, et vous ne vous irriterez de rien de ce qui vous arrivera; mais vous verrez que, souffririez-vous mille et mille maux, ce ne serait pas encore une satisfaction proportionnée, et étant dans ces dispositions, vous allumerez en vous un grand désir de Dieu, et vous pourrez dire avec le Prophète : " De même que le cerf aspire après les sources, ainsi mon âme soupire après vous, mon Dieu." Mais il est à propos d'examiner pourquoi le Prophète a pris pour comparaison le cerf plutôt qu'un autre animal. C'est que le cerf est très-souvent altéré, et pour cette raison, il accourt continuellement près des sources. Il est porté à l'altération par sa nature même, et aussi parce qu'il dévore les serpents et se nourrit de leur chair. Eh bien! imitez-le : dévorez le serpent intellectuel; terrassez le péché, et vols serez capable d'être altéré du désir de Dieu. Car de même qu'une mauvaise conscience nous souille et nous jette dans le découragement, de même, quand nous aurons terrassé nos péchés, quand nous nous serons purifiés de notre malice, nous pourrons tourner nos (19) pensées vers les désirs spirituels, invoquer Dieu avec une grande ardeur, allumer en nous une tendresse plus vive, et chanter notre réponse d'aujourd'hui non-seulement en paroles, mais par nos actions elles-mêmes. En effet, lorsque le bienheureux roi, ou plutôt la grâce du Saint-Esprit, a chanté pour nous les psaumes, ce n'était pas seulement pour nous erg faire prononcer les paroles, c'était aussi pour que nos actions mêmes en reproduisissent les leçons. Quand vous entrez ici, ce n'est pas seulement, croyez-le bien, pour dire les paroles des psaumes, c'est afin que, lors du chant de vos répons, vous considériez comme un contrat ce que vous répondez. Lorsque vous avez dit: " De même que le cerf aspire après les sources, " ainsi mon âme soupire après vous, mon " Dieu; " vous avez fait un pacte avec Dieu, vous avez, quoique sans papier ni encre, signé une obligation, vous avez confessé verbalement que vous l'aimez par-dessus tout, que vous ne lui préférez rien, et que vous brûlez d'amour pour lui. Si donc en sortant d'ici vous rencontrez une beauté aux moeurs impures qui cherche à vous séduire et, s'attirer votre amour, dites-lui : Je ne puis vous suivre, j'ai fait un contrat avec Dieu, en présence de mes frères, des prêtres, des docteurs; par les paroles que j'ai répétées en chantant, j'ai confessé que je l'aimais, j'ai promis de l'aimer " de même que le cerf aspire après les sources. " Je redouterais d'enfreindre ce contrat, je me consacre désormais à mon amour pour Dieu. Si vous apercevez de l'argent sur la place, ou des habillements brochés d'or, ou des gens marchant d'un air fier, avec des serviteurs et des chevaux richement caparaçonnés, que cet appareil n'influe en rien sur vous, mais reprenez en vous-même le même chant de psaume, et dites à votre âme: Nous chantions il n'y a qu'un instant : " De même que le cerf aspire après les sources, ainsi mon âme soupire après vous, mon Dieu; " et nous nous sommes approprié ce texte, nous l'avons rendu nôtre. N'aimons donc rien de ces choses d'ici-bas, afin que cet amour demeure en, nous sans mélange, et qu'il ne s'affaiblisse pas par cette division. Cette richesse pourra nous procurer toute richesse, tous les trésors possibles, toute célébrité, toute gloire, tout éclat. Conservons-la bien, et nous n'aurons besoin de rien autre chose. En effet, quand on voit ces hommes que possède un amour honteux, et qui sont épris de quelque belle courtisane, ne faire attention ni aux menaces d'un père, ni aux reproches de leurs amis, ni au blâme de bien d'autres personnes, mais avoir continuellement cette femme pour but, et dédaigner famille, héritage paternel, gloire, considération, exhortations de l'amitié, croyant avoir une ample compensation de tout cela, s'ils sont considérés de l'objet seul de leur amour, cette femme fût-elle de rang infime, sans honneur, la première venue; et comment donc ceux qui aiment Dieu comme il faut, seraient-ils sensibles aux choses humaines, soit brillantes, soit fâcheuses? Non, ils ne verront même pas les illusions de la vie présente, tournés qu'ils sont vers l'amour de Dieu, mais ils riront de toutes les prospérités, et mépriseront tous les revers, captivés par leurs saintes aspirations, et ne voyant que Dieu seul, en tous lieux se le représentant, et se trouvant les plus heureux des hommes. Jusque dans la pauvreté, dans l'ignominie, dans les fers, dans les tribulations, dans les derniers des maux, ils jugeront encore leur position meilleure que celle des souverains mêmes, car ils auront dans toutes leurs souffrances une consolation merveilleuse, celle de souffrir pour l'objet de leurs désirs.

6. Aussi saint Paul, qui était chaque jour voisin de la mort, dans les prisons, au milieu des naufrages, dans les déserts, sous les coups de fouet, victime de mille autres supplices, était joyeux et dans l'allégresse, il tressaillait de plaisir et de ravissement (II Cor. XI, 23, 27); et tantôt il disait : " Ce n'est pas seulement dans l'espérance de la gloire de Dieu, c'est même de nos tribulations que nous sommes fiers (Rom. V, 2, 3) ; " et tantôt : " Je me réjouis dans mes souffrances, et je complète en ma chair ce qui manquait aux afflictions de Jésus-Christ (Coloss. I, 24); " et il appelle cela une grâce; car voici ce qu'il déclare, ce qu'il dit en propres termes : " C'est ainsi que le Christ nous a fait la grâce, non-seulement de croire en lui, mais encore de souffrir pour lui. " (Philipp. I, 29.) Efforçons-nous donc aussi de penser de la sorte, et souffrons avec joie tout ce qui nous arrive de fâcheux. Nous pourrons le souffrir ainsi, si nous aimons Dieu comme le Prophète l'a aimé. Car ce n'est pas seulement ce verset que les fidèles répondent ensemble qui nous tait voir sa tendresse, ce sont encore les paroles qui suivent. Après avoir dit : " De même que le cerf aspire après les (20) sources, ainsi mon âme aspiré après vous, mon Dieu, " il ajoute : " Mon âme a eu soif du Dieu fort, du Dieu vivant; quand irai-je devant Dieu, quand sa face me verra-t-elle? " (Ps. XLI, 3.) Il n'a pas dit : mon âme a aimé le Dieu vivant, ni mon âme a chéri le Dieu vivant; niais, pour dépeindre sa disposition, il a appelé sa tendresse une soif, nous montrant ainsi à la fois l'ardeur de son amour et la continuité de sa flamme. Car de même que les gens disposés à l'altération n'éprouvent pas la soif un jour seulement, ni seulement deux ou trois, mais pendant toute leur vie, parce que c'est leur nature qui les y porte, de même le bienheureux roi et tous les saints n'ont pas été dans la componction un jour seulement, comme tant d'hommes, ni seulement deux ou trois (car il n'y a là rien d'admirable), mais ils étaient continuellement et chaque jour dans un état de pieux amour, et ils faisaient croître en eux cette charité. C'est ce qu'il nous fait voir, lorsqu'il dit : " Mon âme a eu soif du Dieu fort, du Dieu vivant, " indiquant à la fois le motif de son amour, et voulant pour votre profit montrer comment on arrive à aimer Dieu ainsi. C'est bien, en effet, nous apprendre tout cela que de nous dire d'abord : " Mon âme a eu soif de Dieu, " et d'ajouter ensuite : " Du Dieu vivant; " c'est presque comme s'il conseillait, comme s'il criait à tous ceux qui soupirent après les choses d'ici-bas Pourquoi cette passion insensée pour des corps? Pourquoi ce désir de gloire? Pourquoi cette recherche de la sensualité? Rien de tout cela ne demeure ni ne vit perpétuellement, toutes ces choses s'envolent et passent plus vaines que l'ombre, plus trompeuses que les songes, plus fugaces que les fleurs printanières; les unes nous abandonnent au sortir de la vie présente, les autres périssent avant même notre existence ici-bas. Leur possession est infidèle, leur jouissance incertaine, leurs changements rapides; en Dieu, au contraire, rien de tel, il vit et dure éternellement sans éprouver ni changement ni vicissitudes Laissons donc là les objets passagers, éphémères, et aimons l'Etre éternel et toujours vivant. Quand on l'aime, on ne saurait être confondu, on ne saurait échouer, ni se voir privé de celui que l'on aime. Celui qui aime les richesses est dépouillé de ce qu'il affectionnait lorsque survient la mort, ou même avant qu'elle arrive; l'homme épris de la gloire de ce monde éprouve le même sort; souvent aussi la beauté corporelle s'éclipse bien plus vite encore que tout cela; en un mot, tout absolument dans la vie actuelle, étant périssable et éphémère, s'évanouit bientôt, avant même de s'être produit et d'avoir pu se montrer. Tout, au contraire, l'amour des biens spirituels est dans une force, dans une fleur de jeunesse perpétuelle, la vieillesse lui est inconnue, pour lui, point de vétusté, il n'est exposé ni au changement, rai à des vicissitudes, ni à l'incertitude de l'avenir; dès ce monde, il est utile à ceux qui le possèdent, et les protège de toute part; puis à leur départ d'ici-bas, loin de les abandonner, il fait le voyage avec eux, il les accompagne dans leur migration, et il les fait briller au dernier jour d'un plus grand éclat que les astres eux-mêmes.

Le bienheureux David le savait , et c'est pourquoi il ne cessait d'aimer, et, ne pouvant contenir son amour au dedans de soi, il se hâtait de manifester à ceux qui l'écoutaient ce feu qui le remplissait intérieurement. Ainsi, après avoir dit: " Mon âme a eu soif du Dieu fort, du Dieu vivant, " il a ajouté: " Quand irai-je devant Dieu, quand sa face me verra-t-elle?" Voyez l'homme embrasé, voyez l'homme enflammé. Sachant qu'au sortir d'ici, il le verra, il est impatient du délai; il ne supporte point ce retard, et il nous montre ici les mêmes sentiments que l'apôtre. En effet, saint Paul gémissait sur l'ajournement de son départ de ce monde ( II Cor. V, 2); et David éprouvait le même déplaisir, ce qui lui faisait dire: "Quand irai-je devant Dieu, quand sa face me verra-t-elle ?"Et si c'eût été un simple particulier, un homme du vulgaire, de basse condition, vivant dans la pauvreté, t'eût été, mémé dans ce cas, une grande chose que ce mépris de la vie présente; mais non pas autant que de voir ce souverain, qui jouissait de tant de délices, qui avait tant de gloire en partage, qui avait remporté d'innombrables victoires et vaincu une multitude d'ennemis, dont l'éclat enfin et le renom étaient universels, de voir un tel homme se rire de tout cela, richesse, gloire et délices de toutes sortes, et aspirer aux biens futurs; ceci est le fait d'un esprit magnanime, d'une âme qui sait goûter la sagesse, et qui a pris son vol vers le céleste amour.

7. Suivons cet exemple, et n'ayons point d'admiration pour les choses présentes, afin d'en avoir pour les choses futures : ou plutôt, (21) admirons celles de l'autre vie pour ne point admirer celles de ce monde. En effet, si nous entretenons sans cesse notre esprit dans la pensée des choses futures, si nous réfléchissons au royaume des cieux, à l'immortalité, à la vie éternelle, à notre place dans les choeurs des anges, à notre séjour avec Jésus-Christ, à cette gloire sans mélange, à cette vie délivrée de toute souffrance, si nous considérons que larmes, chagrins, affronts, mort, découragements, travaux, vieillesse, maladie, infirmité, pauvreté, calomnie, veuvage, péché, condamnation, supplices, châtiment, et s'il est en cette vie présente quelque autre affliction, quelque autre déplaisir, tout cela sera banni loin de nous, et qu'au lieu de ces maux seront venus prendre place la paix, la douceur, la bonté, la charité, la joie, la gloire, l'honneur la splendeur, et tous les autres biens que la parole ne saurait même exprimer; si nous pensons, dis-je, à tout cela, aucune des choses présentes ne sera capable de nous captiver, et nous pourrons dire avec le Prophète: " Quand irai-je devant Dieu, quand sa face me verra-t-elle ? " et si nous sommes dans cette disposition, ni les splendeurs de la vie ne nous tourneront la tête, ni ses afflictions ne nous jetteront dans le découragement; nous ne serons plus jamais en proie à l'envie, soit à la vaine gloire, soit à quelque fléau semblable.

N'entrons donc pas ici comme au hasard , et en répétant nos versets , ne répondons pas comme pour nous en débarrasser, mais armons-nous-en comme d'un bâton pour le moment où nous sortirons. Chaque verset à lui seul suffit à nous inspirer une grande sagesse, à rectifier nos principes , et à nous procurer les plus grands avantages pour notre conduite; que si nous en étudions avec soin chaque parole, nous en recueillerons d'excellents fruits. En effet, il ne faut ici m'objecter ni la pauvreté, ni le manque de temps, ni la paresse de l'esprit. Si vous êtes pauvre, et. qu'à cause de votre pauvreté vous manquiez de livres, ou qu'ayant des livres, vous ne jouissiez d'aucun loisir, je ne vous demande que d'observer ces répons des psaumes que vous chantez ici non pas une fois, ni deux, ni trois , mais si souvent, et, sorti d'ici, vous en recevrez une grande consolation. Voyez donc quel; trésor ces répons dont je viens de vous parler, nous ont ouvert. Et qu'on n'aille pas me dire qu'avant d'en avoir l'explication , on n'en connaissait pas la portée, car, avant même d'être expliqué, ce verset était facile à saisir pour quiconque l'écoutait et voulait y faire la moindre attention. Si seulement vous vous êtes appris à dire " De même que le cerf aspire après les sources, ainsi mon âme soupire après vous, mon Dieu; mon âme a eu soif du Dieu fort, du Dieu vivant; quand irai je devant Dieu, quand sa face me verra-t-elle? " même avant l'explication vous pouvez vous mettre dans l'esprit la sagesse tout entière. Et non-seulement ce répons, mais tout autre que celui-là nous offrira les mêmes richesses. Si vous dites : " Bienheureux l'homme qui craint le Seigneur (Ps. CXI, 1), " et que vous soyez capable de savoir ce que vous dites, vous ne porterez envie ni au riche, ni au puissant, ni à celui qui a en partage la beauté, qui est doué de la force, qui possède des demeures splendides, qui vit au sein du pouvoir, qui est élevé dans les palais, ni à personne de ce genre, mais à l'homme qui vit dans la piété, dans la sagesse, dans la crainte de Dieu, et vous en jugerez ainsi non-seulement relativement à l'avenir, mais encore sous le rapport de la vie présente. En effet, dès ce monde même, ces derniers sont plus puissants que les autres. Survient-il une maladie, l'homme revêtu de la pourpre ne retire de son escorte et de tant d'appareil aucun soulagement à son mal; ses proches, ses parents, tout son monde est là; sous lui , sur lui, ce sont des tissus d'or, et il est là gisant, brûlé comme dans une fournaise. Celui au contraire qui vit dans la piété , qui craint Dieu , n'a peut-être là ni père, ni serviteur, ni personne à ses côtés , mais il a élevé ses regards vers le ciel , non pas même souvent, mais seulement deux ou trois fois, et il a éteint toute cette fournaise. Et c'est ici un fait qu'on est à même de voir se présenter dans toutes les circonstances graves, dans tous les cas imprévus, que les hommes opulents et haut placés , sont troublés, et que les gens pieux et sages souffrent tout avec calme. Mais ce qui passe avant tout cela, c'est que, même sans aucun événement terrible, la conscience de l'homme qui craint Dieu est remplie d'un plaisir plus grand et plus pur que ne l'est l'âme du riche. C'est que ce dernier, lors même qu'il jouit de la nourriture matérielle, est dans un état plus cruel que le malheureux le plus affamé, parce qu'il se souvient de ses maux personnels, et qu'il est en compagnie de sa (22) mauvaise conscience; tandis que l'homme pieux, manquât-il de la nourriture nécessaire, aura meilleur courage que ceux qui regorgent de délices, parce qu'il nourrit en son coeur de précieuses espérances, et qu'il attend de jour en jour la rémunération de ses propres bonnes oeuvres. Mais afin de ne pas vous sembler fatigant en prolongeant ce discours, laissant aux plias studieux le soin de recueillir chaque répons et de scruter la vertu qu'ils renferment, je terminerai ici mon allocution, en recommandant à votre charité de ne pas sortir d'ici sans réflexion, mais de vous saisir de ces versets de répons, de les conserver comme autant de perles, de les méditer continuellement chez vous, et de redire tout ceci à vos amis et à vos épouses; et si une passion vous tourmente, si la concupiscence s'élève en vous, ou la colère, ou quelqu'autre de ces passions si insensées, de vous mettre à chanter assidûment ces mêmes versets, afin que nous puissions jouir d'un grand calme pendant cette vie, et obtenir pour la vie future les biens éternels, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire, puissance et honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

EXPLICATION DU PSAUME XLIII. A L'AUTEUR DE LA VICTOIRE, POUR LES FILS DE CORÉ. — "NOTRE DIEU , NOUS AVONS ENTENDU DE NOS OREILLES , NOS PÈRES NOUS ONT FAIT CONNAITRE L'OEUVRE QUE TU AS OPÉRÉE EN LEURS JOURS, DANS DES JOURS ANCIENS. " — UN AUTRE INTERPRÈTE TRADUIT : " DANS LES JOURS D'AUPARAVANT " ; ET UN AUTRE : " DANS LES JOURS DU COMMENCEMENT. "
ANALYSE.

1. Ce psaume fut composé par David, mais il s'applique aux Macchabées.

2. C'est un devoir pour les pères de raconter à leurs enfants les pieuses et nobles traditions.

3. De l'extrême pauvreté des riches.

4. Si Dieu ordonna aux Hébreux qui allaient tourner autour de Jéricho, de prendre leurs armes, c'était pour soutenir leur foi.

5. et 6. Explication des versets 4-11. — Tout le long du jour signifie ici toute la vie.

7. et 8. Versets 12-24. — Ce que c'est que l'ombre de la mort.

9. Verset 25. —La beauté du corps n'est que de la boue. —N'admirez la beauté que pour glorifier le Créateur.

1. C'est le Prophète qui prononce ce psaume; mais il le prononce non pas en son propre nom , mais au nom des Macchabées, et il y raconte et y proclame d'avance ce qui doit avoir lieu de leur temps. Tels sont les prophètes: ils parcourent tous les temps, passés, présents et à venir. Mais quels sont ces Macchabées, quelles ont été leurs souffrances , leurs belles actions ? c'est ce qu'il est nécessaire de dire en premier lieu , afin de rendre plus claires les paroles de notre texte. Ce sont des hommes qui , lors de l'invasion d'Antiochus, surnommé Epiphane, alors que ce roi avait tout dévasté, et contraint beaucoup de Juifs à fouler aux pieds la religion de leurs pères, demeurèrent invulnérables à ces tentations (I Macc. I, 11 et suiv.), et quand (23) la guerre soufflait avec rage et que la résistance n'eût servi de rien, ils se cachaient. Aussi bien, les apôtres faisaient la même chose, ainsi donc, on ne voyait pas toujours les Macchabées, mêlés aux événements, s'élancer au milieu des dangers; mais parfois aussi, cédant à la nécessité, ils fuyaient et ne se montraient point. Puis, lorsqu'ils avaient repris haleine un instant, semblables à de jeunes lions pleins de courage, ils s'élançaient de leurs cavernes, ils se précipitaient hors de leurs retraites, résolus à sauver non plus seulement eux-mêmes, mais encore les autres, en aussi grand nombre qu'ils en seraient capables; alors, parcourant la ville entière et toute la campagne , ils recueillaient tous ceux qu'ils trouvaient sains et saufs ; et même parmi les malades et ceux dont la corruption s'était emparée, ils en ramenaient plusieurs, qu'ils persuadaient d'accourir se ranger de nouveau souslaloi observée par leurs pères. Ils leur disaient que Dieu aimait les hommes, et que jamais il ne refusait le salut au repentir. Par ce langage, les Macchabées recrutaient des armées de guerriers généreux; car ces guerriers ne combattaient pas seulement pour leurs femmes, leurs enfants, et leurs serviteurs, pour conjurer la destruction et l'asservissement de la patrie, mais ils combattaient pour la loi et les principes suivant lesquels vivaient leurs pères, et Dieu même était leur chef. Lors donc qu'ils en étaient venus aux mains , et qu'ils exposaient leur vie , ils défaisaient leurs ennemis, ayant confiance non dans leurs armes, mais dans le motif de leur lutte qui leur tenait lieu de toutes les armes possibles. Eu marchant au combat, ils ne poussaient point de clameurs, ne chantaient pas d'hymnes guerriers, comme font certaines troupes, ils ne faisaient pas venir avec eux des joueurs de flûte , comme cela arrive dans d'autres armées ; mais ils invoquaient Dieu , le priant de descendre parmi eux, d'être leur auxiliaire, de leur tendre la main, lui pour qui ils combattaient, pour la gloire de qui ils soutenaient cette lutte. Voyons (lotie ce qu'elle dit, cette armée de Dieu, fortifiée du secours spirituel, lorsqu'elle va fondre sur l'ennemi. " O Dieu, nous avons entendu de nos oreilles. " C'est qu'il y en avait dans leurs rangs qui , à la vue de la multitude et du déploiement de forces d'Antiochus , de ces troupes victorieuses qui enlevaient tout au premier assaut, et songeant d'autre part à leur propre faiblesse et à. leur petit nombre , perdaient une partie de leur fermeté, de leur énergie; alors, pour réveiller les courages, et faire voir que Dieu est le chef de qui tout dépend, que même sans armées, nous pouvons avoir le dessus, s'il combat pour nous, le Prophète compose pour ses soldats, sous forme de prière, un avertissement, un conseil, et c'est en s'adressant à Dieu qu'il augmente leur ardeur. Cela entre pour beaucoup dans son exhortation. Sa parole n'eût pas eu , interpellant les siens , la même force qu'adressée à Dieu même. Aussi continue-t-il en ces termes : " Ce n'est pas par leur glaive qu'ils ont hérité de cette terre, et ce n'est pas leur droite qui les a sauvés (4). " Ces paroles étaient bien celles d'un homme qui relève des courages faiblissant en face des maux, et cherchant la victoire dans un ordre de choses tout humain. Toute cette prière est donc un encouragement aux soldats, puisqu'elle leur commande de s'en remettre de tout à Dieu , et de rattacher leur victoire à l'espérance des secours d'en-haut. Et pourquoi n'a-t-il pas dit simplement : " Nous avons entendu, " mais a-t-il ajouté : " de nos oreilles? " Est-ce que l'on entend par quelqu'autre organe du corps ? N'est-ce point là une surabondance de mots? A Dieu ne plaise ! mais c'est une habitude générale parmi les hommes, quand ils racontent des choses dont ils ont la certitude, quand le récit a pour sujet des faits graves et très-importants , et s'adresse à des gens qui n'en sont pas encore très-convaincus, d'ajouter toujours cette expression, en disant qu'ils l'ont entendu de leurs oreilles. Nous avons cette habitude, non-seulement en ce qui concerne l’ouïe, mais encore à propos de nos autres facultés, prenant ainsi à témoin nos différents sens eux-mêmes. Ainsi, c'est le propre de ceux qui veulent convaincre leur auditeur , d'ajouter cette expression : de mes oreilles. Et il en est de même à l'égard de nos yeux et de nos mains, comme quand nous disons: Nous avons touché de nos mains. Et les apôtres disaient: " Ce que nos yeux ont vu; ce que nos mains ont touché. " (I Jean, I, 1.) Et voyez, dès à présent, ales l’introduction même, la vertu de ces hommes : après tant et de si grands maux soufferts pour Dieu, bannis de leur patrie, privés de leur liberté, tombés au milieu des dangers, plusieurs même d'entre eux, réduits à l'état de fugitifs, s'en allant chercher les montagnes et les déserts, ils ne tiennent pourtant aucun (24) langage comme celui-ci: Nous avons, pour toi, souffert telle et telle chose; viens à notre secours; mais comme si ces titres leur manquaient, comme s'ils n'avaient pas dans leurs propres mérites un motif de confiance, ils invoquent les faveurs dont Dieu prit autrefois l'initiative à l'égard de leurs ancêtres. Que des gens que rien n'autorise à cette confiance, en agissent de la sorte, cela n'a rien d'étonnant, la nécessité les y entraîne; mais que ces hommes, qui pouvaient parler avec assurance à cause de leurs propres mérites, ne considèrent pas cela comme un titre à leur propre conservation, et ne se fondent que sur la bonté de Dieu , dont leurs pères ont été favorisés avant eux, ceci est la preuve de leur grande humilité; et par là ils se préparent encore un grand sujet de hardiesse. Car l'invocation seule de Dieu suffit à mettre fin à des guerres innombrables.

2. " Nos pères nous ont raconté. —" Ecoutez, vous tous qui négligez vos enfants, qui les laissez chanter des chants diaboliques, et qui négligez les récits divins. Tels n'étaient pas les hommes dont nous parlons, ils passaient toute leur vie à raconter les oeuvres de Dieu; et ils y gagnaient doublement. Car ceux qui avaient reçu de lui des bienfaits, devenaient meilleurs par le souvenir qu'ils en conservaient; et leur postérité, puisant dans ces récits une grande ressource pour connaître Dieu, acquéraient ainsi du zèle pour la vertu. Leurs livres, c'était la bouche des auteurs de leurs jours, et toutes leurs études comme tous leurs entretiens consistaient dans ces récits, dont rien ne surpassait le charme et l'utilité. En effet, si des narrations de faits ordinaires, ou des fables et des fictions ont en général le don d'intéresser les auditeurs, à bien plus forte raison, en retraçant les événements qui prouvaient combien est grande la bienfaisance de Dieu à notre égard, sa puissance, sa sagesse, et sa sollicitude pour nous, devait-on transporter de joie l'auditeur, et augmenter en lui la vertu. Car c'étaient les témoins et les spectateurs mêmes de ces événements qui les transmettaient aux oreilles d'autrui, et l'audition était aussi efficace que la vue à en établir la croyance. Ceux qui n'avaient été ni témoins, ni spectateurs, ne croyaient pas moins que ceux qui l'avaient été. Et cela même n'était pas médiocrement propre à fortifier la foi. Mais voyons à présent ce qu'on leur avait raconté, et si l'on y faisait mention d'un état de choses analogue au leur. En effet, lorsque l'on a quelque chose à demander, il faut, pour obtenir l'objet de sa prière, la fonder sur une faveur pareille accordée précédemment à d'autres. Je m'explique : un serviteur, par exemple, nous demande un présent; s'il nous fait voir qu'un autre en a déjà obtenu un semblable, c'est le plus grand droit qu'il puisse faire valoir à en obtenir autant, à moins que son exemple ne soit infirmé par certaines différences. Or, il y a différence de personnes et différence de choses. Si, en effet, celui qui a obtenu est revêtu du même caractère que celui qui demande, et que la chose demandée soit de même nature que la chose obtenue, l'exemple a de la valeur; si celui qui a obtenu en était digne, et que celui qui demande né le soit pas autant, une plus grande supplication sera nécessaire. Ceci a besoin d'être éclairci par des passages de l'Ecriture : la Chananéenne, quand elle eut entendu dire cette parole : " Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux chiens, " répondit : " Oui, Seigneur; mais les chiens mangent les miettes de la table de leurs maîtres. " (Matth. XV, 26, 27.) Et saint Paul écrivait aussi : " Si d'autres ont part à ce droit sur vous, à bien plus forte raison nous autres (I Cor. IX, 12); " et il fortifiait ici son droit par la différence des personnes. Ecrivant à Philémon, il dit encore : " Car les entrailles des saints se sont reposées grâce à toi; mon frère ; c'est pourquoi, quelque enhardi que je sois en Jésus-Christ à te commander ce qui convient, j'aime mieux t'en conjurer par la charité. " (Philém. 7, 8.) Ici la comparaison repose sur des droits égaux. Et en effet, quand une première personne a obtenu quelque chose, c'est comme une introduction qu'elle ménage à une seconde personne, si celle-ci est revêtue du même caractère que la première, et qu'elle demande la même chose. Mais ce n'est pas seulement ce qu'on a donné aux autres qui donne de la force à notre prière, c'est souvent aussi ce que nous avons déjà reçu nous-mêmes. C'est ce dont saint Paul se prévalait lorsqu'il écrivait aux Philippiens : " Car déjà, à Thessalonique, vous m'avez envoyé une première fois, puis une seconde, ce qui m'était nécessaire. " (Philipp. IV, 16.) Aussi beaucoup de ces personnes qui donnent à beaucoup de monde recommandent-elles de n'en rien dire (25) à d'autres, de peur que la faveur faite à l'un n'attire à l'auteur du bienfait un grand nombre de demandes, car lorsqu'on a donné aux uns; on ne peut plus recourir à aucune raison pour ne point donner aux autres. Or, il est naturel que les hommes fassent de telles recommandations, parce, qu'à force de donner ils deviennent pauvres; mais Dieu, au contraire, proclame et publie ce qu'il donne aux uns pour fournir aux autres un motif de lui demander à leur tour. Ce qu'il donne ne fait que montrer sa richesse plus grande encore. Aussi saint Paul dit-il : " Celui qui est riche pour tous, et en faveur de tous ceux qui l'invoquent. " (Rom. X, 12.) Ne voyez-vous pas là un nouveau caractère de la richesse? Imitez, vous aussi, cette libéralité. Car lorsque vous emploierez de la sorte les richesses que vous avez en réserve, vous les rendrez encore plus grandes; et si vous les enfouissez, vous ne faites que les diminuer. Et qu'y a-t-il d'étonnant qu'il en soit ainsi dans l'ordre spirituel, lorsque cela arrive même dans l'ordre matériel? En effet, si un homme, voulant économiser le blé qu'il a chez lui, ne le consomme point, et ne le jette pas dans les champs, il le livre en pâture aux vers; si au contraire il le sème, il augmente sa récolte.

3. Ecoutez, vous tous qui êtes de mauvaise volonté pour l'aumône. Ecoutez, vous qui diminuez vos richesses en les tenant sous clef. Ecoutez, vous dont l'état ne vaut pas mieux que celui d'un homme qui rêve qu'il est riche. La vie présente ne vaut pas mieux qu'un songe; comme certaines gens qui, pendant leur sommeil, se figurent avoir une fortune, quand même ils se croiraient alors possesseurs des trésors des rois, sont néanmoins les plus pauvres du monde quand arrive le jour; ainsi, celui qui dans cette vie n'aura pu rien amasser pour l'autre, sera un jour le plus pauvre de tous, quand même ici-bas il aurait possédé les richesses de tous; il n'aura été riche qu'en songe. Si donc vous voulez me montrer l'homme opulent, montrez-le-moi quand sera venu le jour où nous partirons pour notre patrie de l'autre monde; car pour l'instant je n'admettrai point de distinction entre le riche et le pauvre. Il y a là non des choses véritables, mais plutôt des mots brillants et sonores. De même que le vulgaire appelle polubépontes les aveugles, et que le fait ne confirme pas l'expression, puisqu'elle désigne précisément ceux qui n'y voient point, de même je prétends que le nom de riches est prodigué ici-bas à ceux qui ne possèdent rien là-haut. Quelqu'un est-il riche en ce monde, c'est à cela surtout que je vois qu'il est pauvre; s'il n'était pas si pauvre, il ne serait pas si riche. Tant qu'un homme, dont la vue est abîmée, n'est pas complètement aveugle, on ne l'appelle pas polublepon ; eh bien! il faut faire le même raisonnement relativement aux riches. Laissons donc de côté la tromperie des mots, et attachons-nous à la vérité des faits. Car les faits ne dépendent pas de leurs appellations, mais c'est la nature des faits qui leur assigne des dénominations conformes à leur essence propre. Un tel est appelé riche, mais il ne l'est pas. Et comment ne l'est-il pas, puisqu'il regorge d'argent, d'or, de pierres précieuses, de vêtements tissus d'or, et de tout le reste? Parce que ce n'est pas l'or, ni les vêtements, ni la fortune, mais l'aumône qui rend l'homme riche. Ces prétendues richesses ne sont qu'un peu d'herbe, de bois et de paille. En effet, quel est le vêtement, dites-moi, qui pourra revêtir en ce jour-là l'homme comparaissant dépouillé de tout devant le terrible tribunal? Aussi saint Paul disait-il avec crainte : " Si toutefois nous nous sommes trouvés vêtus, et non point nus. " (II Cor. V, 3.) Quelles richesses pourront alors le sauver du danger? quels serviteurs seront là pour assister leur maître flagellé? quelles habitations? quelles pierres précieuses? quels bains pourront enlever les souillures de ses péchés? Jusques à quand vous trompez-vous vous-mêmes? jusques à quand ne discernez-vous pas la vérité des choses, et êtes-vous en admiration devant des songes, lorsque le jugement est tout près de vous, à votre porte? Mais revenons à notre sujet: " Nos pères nous ont fait connaître l'œuvre que nous avons opérée en leurs jours, dans des jours anciens. " Cette parole peut être prise dans le sens anagogique. Car s'ils ont entendu les récits de leurs pères, à nous la grâce de Dieu a donné d'apprendre par la visitation de l'Esprit-Saint ce qui est arrivé à eux-mêmes. Et comment prendre ces paroles anagogiquement? En les appliquant aux bienfaits de la grâce nouvelle qui nous a introduits dans le ciel, qui a daigné nous admettre au royaume éternel, qui a déterminé Dieu à se faire homme, et qui a détruit le mur de séparation qui, était entre lui et nous. Mais revenons maintenant au sens historique. " L'œuvre que nous avons (26) opérée en leurs jours, dans des jours anciens. " Le Prophète fait mention d'un récit ancien, il met sous nos yeux des bienfaits d'une époque reculée. Et pourquoi ne rappelle-t-il pas quelque événement récent, de fraîche date? Parce que, quand nous parlons à des hommes, il est tout naturel que nous leur racontions du nouveau, et que cela les attache, leur mémoire s'affaiblissant vite; mais pour Dieu, tout est également connu, faits anciens et nouveaux. " Voici, " dit le Psalmiste, " vous avez connu toutes choses, les plus lointaines dans l'avenir et les anciennes. " (Ps. CXXXVIII, 5.) Il n'importe donc pas qu'on lui parle d'événements antiques ou récents, pourvu qu'ils soient appropriés à notre sujet. Eh bien ! de quel événement ancien le Prophète veut-il lui parler? Écoutons : " Votre main a exterminé les nations, et eux, vous les avez plantés; vous avez affligé les peuples et vous les avez chassés. " Reconnaissez-vous de quelle guerre il parle, de quelle victoire, de quels trophées, ou bien mes paroles manquent-elles encore pour vous de clarté? Je pense que déjà beaucoup d'entre vous en ont saisi le sens; néanmoins pour ceux qui l'ignorent encore, je dois en ajouter l'explication moi-même. De quels triomphes fait-il donc mention? de quels prodiges ? De ceux qui eurent lieu en Egypte, de ceux qui eurent lieu dans le désert, de ceux qui eurent lieu dans la terre de promission ; ou disons mieux de ceux qui eurent lieu en vertu de la promesse. Car ce ne furent point ceux qui étaient sortis d'Égypte qui parvinrent en Palestine, ils étaient tous morts dans le désert. (Nombres, XIV, 23; Héb. III, 17.) Lors donc que leurs fils et leurs petits-fils, nourris dans le désert, entrèrent en Palestine, alors, dit l'Écriture, ils n'eurent pas besoin d'armes; mais par leurs clameurs . seules ils s'emparèrent des villes; lorsqu'ils eurent passé le Jourdain; la première ville qu'ils rencontrèrent fut Jéricho-. or, ils la détruisirent comme des gens en fête plutôt que comme des guerriers. (Josué, VI.) Car ils s'avancèrent ornés de leurs armes, comme on l'est, non pas dans les combats, mais dans une fête et une réjouissance publique; ils s'en étaient revêtus comme d'une parure plutôt que comme d'un moyen de sûreté; ils avaient mis aussi leurs robes sacrées, et dans cet appareil, avec les lévites marchant à la tête de l'armée, ils firent le tour des murs. C'était un spectacle admirable et surprenant, que tous ces milliers de soldats marchant en ordre et eri mesure, dans un grand calme et en grande pompe, et, comme s'il n'y eût eu là personne, menant à bien toute l'entreprise avec le seul concert de leurs trompettes. Honte à ceux qui font du tumulte dans l'église ! Si, en effet, au retentissement des trompettes, un si bel ordre put régner alors, quelle sera l'excuse de ceux qui, là où la voix de Dieu se fait entendre, empêchent, par le bruit qu'ils font, qu'on puisse entendre distinctement ses paroles? Mais, direz-vous, pourquoi n'a-t-il pas mentionné ceux qui étaient sortis d'Égypte? Parce que tous étaient morts, tous avaient été punis. Et pourquoi tous périrent-ils? Parce qu'ils avaient grandement péché. Et dès lors Dieu concertait un autre plan, c'était que ceux qui devaient entrer en possession de la Palestine n'auraient point été spectateurs des vices de l'Égypte, de la superstition, de tous les genres d'impiété, et qu'ils n'auraient personne à l'école de qui ils pussent apprendre une telle perversité. Car leurs pères étaient si infatués, si esclaves des coutumes égyptiennes, que même, après tant de miracles et au milieu du désert, ils n'avaient pas entièrement effacé en eux les restes de leurs erreurs. Supposez qu'après avoir été à l'école des Egyptiens, ils fussent allés à celle, encore pire, des Chananéens, et jugez à quel degré d'impiété ils seraient descendus. C'est pourquoi Dieu retint dans le désert ceux qui y étaient nés jusqu'à ce que leurs enfants fussent parvenus à l'âge d'hommes.

4. Et je ne parle pas ici d'après moi-même, niais je puis vous montrer dans l'Écriture les preuves de ce que je dis. En effet, Dieu reproche aux Hébreux, par la bouche d'Ezéchiel, que les ayant conduits dans le désert et leur ayant beaucoup parlé, il n'en était pas écouté. Mais pourquoi leur ordonna-t-il de prendre leurs armes en marchant contre Jéricho? Car la chose eût été plus étonnante s'ils y fussent allés sans armes. Eh bien ! s'il leur ordonne ainsi de faire une action purement humaine et de s'adjoindre un secours matériel , c'est principalement pour se mettre au niveau de leur faiblesse. Car que pouvait cet appareil d'armes pour détruire des murailles ? Que pouvait aussi le son des trompettes? S'ils eussent eu des hommes à combattre, on aurait pu fonder quelque espoir sur des armes, mais si les murailles devaient tomber, à quoi leur (27) servait d'être revêtus de leurs armes? Et du temps de Gédéon, les guerriers qui furent pris étaient égaux à ceux qui ne le furent pas, car ils étaient tous en évidence (1). (Juges, VII.) Pourquoi donc tout cela arrive-t-il ainsi ? Pour que ceux qui reçoivent ces ordres soient amenés à croire. En effet, notre âme vivant avec notre corps, et ne voyant jamais rien d'immatériel, est en admiration devant les objets sensibles, et elle a besoin d'être conduite par les choses visibles aux choses intelligibles. C'est pour cela que les prophètes, en pariant de Dieu, ont été obligés d'emprunter des termes désignant les diverses parties du corps humain, non pas qu'ils voulussent assimiler à nos organes cette nature incorruptible, mais c'était pour enseigner, au moyen de choses humaines, des dogmes surhumains, à cette âme qui vit associée à, une nature matérielle. Ainsi, comme l'action même de Dieu est quelque chose d'intelligible, pour que les hommes d'alors n'y fussent pas incrédules, Dieu y met quelque chose de sensible. S'il eût dit : En sept jours la ville sera détruite sans que vous bougiez, sans que vous fassiez rien, peut-être plusieurs n'y auraient pas cru. Au lieu de cela, il leur donne les ordres que nous avons vus, comme pour servir de soutien à leur pensée humaine. Et afin que vous ne supposiez pas que ceci est une pure conjecture, je veux vous raconter une antique histoire qui donnera du crédit à mes paroles. Il y avait un certain syrien qui s'appelait Naaman. Il avait été atteint de la lèpre et était honteux de son mal; comme il courait aussi un grand danger, il vient en Palestine (car il faut que j'abrége) pour obtenir du prophète la délivrance de son mal. Il arrive donc, et se tenant à la porte de l'homme de Dieu, il appelait celui qui devait le guérir. Le prophète entendit, mais il ne sortit pas, il envoya des gens à Naaman pour lui ordonner de se plonger dans le Jourdain. Comme l'ordonnance était toute simple, très-facile à saisir, et qu'elle n'exigeait pas une intelligence bien profonde, Naaman n'y crut point. Au lieu de cela, que dit-il? " Je me disais : il sortira de chez lui, il mettra sa main sur moi, il invoquera son Dieu et il guérira la lèpre. " (IV Rois, V, 11.) Vous voyez cet esprit, comme il avait besoin d'une figure sensible. Ne point croire qu'il suffisait de l'ordonnance du médecin, mais qu'il fallait

1 Cet endroit est très-obscur, et l'éditeur bénédictin avoue ne pas le comprendre.

encore l'attouchement de la main, cela tenait à l'état de maladie de celui qui se faisait soigner. Eh bien! ceci nous donne la clef de bien d'autres choses. C'est pour cela que Jésus ne guérit pas toujours par la parole, mais aussi avec la main. En effet, il mit son doigt sur la bouche et sur la langue du muet ; d'autres fois, c'est par la parole seule, d'autres fois par sa volonté qu'il fait tout, lorsqu'il s'agit de guérir ceux qui viennent à lui. (Marc, VII, 33.)

Et pourquoi cette conduite? C'est par égard pour la faiblesse de ceux qui viennent le trouver. La preuve en est qu'il donnait des éloges à ceux qui n'avaient pas besoin de ces sortes de signes. " En vérité je vous le dis, que même en Israël je n'ai pas trouvé une aussi grande foi (Matth. VIII, 10); " parole qu'il prononce, parce que le centenier ne l'avait pas fait venir chez lui, mais avait dit que son ordre suffisait. Aussi,. à l'égard du roi Ezéchias, il n'y arien de tel, mais seulement une prédiction, à laquelle n'était ajouté aucun signe humain, et pour cette raison aussi, sous le monarque qui s'enflamma de jalousie à propos de son épouse, l'ordre donné avait quelque chose de plus matériel. Et si vous voulez prendre ceci dans le sens ananogique, " Car toutes choses, " dit l'Apôtre, " leur arrivaient par figure; et elles ont été écrites pour l'instruction de nous " autres, qui sommes venus à la fin des siècles (I Cor. X,11) ; " songez aux docteurs les plus excellents de l'Eglise, qui en guise de trompette se servent de la parole pour renverser les murailles de nos adversaires, songez aux peuples qui sont revêtus de toutes les " armes " de Jésus. Ce nombre de sept jours abolit d'avance pour nous le sabbat. Car ces sortes de commandements de la loi n'ont pas été donnés d'une manière essentielle. Aussi l'Ecriture dit-elle au sujet des sacrifices: " Qui est-ce qui a exigé ces choses de vos mains? " (Isaïe, I, 12.) Et autre part : " Est-ce que les prières et les viandes sacrées effacent les péchés ? " (Jér. XI, 15.) Et encore : " Est-ce que " vous m'avez offert des victimes et des sacra" faces dans le désert pendant quarante ans? " (Amos, V, 25.) Et ceci : " Pourquoi m'apportes" tu de l'encens de Saba, et du cinnamome d'un pays lointain ? " (Jér. VI, 20.) Et dans un autre endroit : " Vous n'avez pas voulu de sacrifice ni d'offrande. " (Ps. XXXIX, 7.) Et encore : " Dieu veut-il d'autres holocaustes et d'autres sacrifices, que notre obéissance (28) envers lui? " (I Rois, XV, 22.) Et ailleurs: " Si vous aviez voulu un sacrifice, je vous en aurais offert. " (Ps. L, 18.) Puis encore : " L'obéissance vaut mieux que le sacrifice. " (I Rois, XV, 22.) Elle dit aussi, rejetant les fêtes : " Je hais, je repousse vos fêtes. Eloigne de moi le son de tes chants, et je n'entendrai pas les cantiques de tes harpes. " (Amos, V, 21, 23.) Puis ailleurs : " Je ne puis souffrir vos jours de fête, et mon âme hait votre jeûne et votre repos. " (Isaïe, I, 13, 14.) Et plus loin : " Ce n'est pas là le jeûne que j'ai choisi. " (Isaïe, LVIII, 5.) Ezéchiel aussi disait : " Je vous donnerai des préceptes qui ne seront pas bons, et dans lesquels vous ne trouverez pas la vie. " (Ezéch. XX, 25.) Ainsi le sabbat même est ici aboli. Mais pourquoi l'Écriture dit-elle " Qui est-ce qui a exigé ces choses de vos mains? " Je vous laisse cette solution à. trouver : or vous serez capables de trouver les choses de ce genre, si vous offrez l'exemple d'une vie pure.

5. Si en effet Dieu appela le centurion Corneille à la connaissance de ses mystères à cause: d'une vie vertueuse (Act. X, 4), s'il les fit connaître aussi à l'eunuque , parce qu'il lisait assidûment (Act. VIII, 27 et suiv.) , à bien plus forte raison augmentera-t-il la clarté de votre science, à vous qui jouissez déjà de la foi, et qui avez offert l'exemple d'une conduite régulière. Car de même qu'une vie impure empêche la connaissance de ces mystères (comme le dit saint Paul : " Je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, parce qu'il y a parmi vous des dissensions et des jalousies (I Cor. III, 1, 3) ; " et Isaïe : " Ils désireront connaître mes voies, comme un peuple a qui aurait pratiqué la justice (Is., LVIII, 2) ; " de même une vie pure nous conduit à cette connaissance, et aussi le zèle que nous avons pour la chercher. En effet l'Écriture nous dit " Cherchez, et vous trouverez. " (Luc, XI, 9.) C'est ce que nous montre encore la parabole de cet homme qui demande des pains à son ami déjà endormi. (Ibid. 5, 8.) C'est encore pour cette raison que Salomon, ayant demandé les dons spirituels, reçut en outre ce qu'il n'avait pas demandé. (III Rois, III, 11.) Ainsi, quand vous aurez pour vous et la persévérance, et la demande spirituelle, et une vie pure, songez quelle facilité vous aurez pour obtenir, puisque la persévérance toute seule y a réussi. Car l'Écriture ajoute : " Je vous le dis, quand même il ne lui donnerait pas eu égard à leur amitié, il lui donnera du moins à cause de son opiniâtreté. " (Luc, XI, 8.) Mais revenons à notre texte.

" L'oeuvre que vous avez opérée en leurs jours, dans des jours anciens. Votre main a exterminé les nations, et eux, vous les avez plantés. " Voyez avec quelle propriété le prophète emploie cette expression. Vous n'avez pas, veut-il dire, arrêté les événements d'alors à la victoire des uns et à la défaite des autres; non, tout a marché plus avant : et pourtant, dans le principe, les conditions de la lutte n'étaient pas égales. Les uns voulaient rester maîtres chez eux, les autres étaient des nonveaux-venus; néanmoins il se fit un tel changement, que les premiers furent radicalement extirpés du sol, et que les derniers y devinrent citoyens et habitants. C'est pourquoi le Prophète dit en parlant de ceux-là : " Votre main a exterminé les nations " ; et en parlant des Juifs: " Elle les a plantés. " Par le mot " main " il désigne la puissance de Dieu. Or si Dieu a voulu que ceux qui arrivaient du dehors, qui n'avaient ni ville ni maison, ni aucun endroit pour se mettre en sûreté ou s'arrêter, devinssent en si peu de temps plus puissants que les habitants mêmes du pays, à bien plus forte raison ne nous abandonnera-t-il pas, l'Écriture nous le dit, nous qui avons été chassés de l'héritage de nos pères. Et que veut dire ce mot : " Vous les avez plantés? " Cela signifie : vous les avez fixés. En effet ce qui a été planté devient stable et fixe. Eh! quoi? n'ont-ils pas émigré? demandera-t-on. N'ont-ils pas été chassés en des lieux étrangers? Oui, ils ont été chassés, mais non par suite de la faiblesse de celui qui les avait établis; ce fut à cause de la malice de ceux qui avaient été plantés. Si les obstacles ne fussent venus de leur part, rien ne les eût empêchés de demeurer en ce séjour. " Vous avez affligé les peuples, et vous les avez chassés. " Il y en a qui disent qu'il est ici question des Égyptiens; je pense, moi, qu'ici encore il s'agit des autres nations. Car il a fait éprouver ses châtiments à ces dernières aussi, en manifestant sa puissance de l'une et de l'autre manière, en détruisant les ennemis, et en fortifiant son peuple. " Car ce n'est pas par leur glaive (4), " ou suivant un autre interprète, " par leur épée, qu'ils ont hérité de cette terre. Ce n'est pas leur bras qui les a sauvés; mais c'est votre droite, c'est votre (29) bras, et la clarté de votre visage. " Un autre interprète traduit : " la lumière. Parce que vous vous êtes complu en eux. " Il est vrai qu'ils étaient tous armés lorsqu'ils triomphaient à la guerre; mais quoiqu'ils fussent armés, la victoire n'était pas l'oeuvre de leurs armes, mais de Dieu qui était leur chef. Voyez-vous comme le Prophète, sous forme de prière à Dieu, nous présente un conseil, nous recommandant de tout remettre entre les mains de Dieu ? Et comment appelle-t-il cette possession un héritage, alors que ni leurs pères, ni leurs aïeuls, ni leurs bisaïeuls n'avaient été maîtres de ce pays, et avaient succombé dans d'autres circonstances? C'est que la promesse avait été faite à leurs pères."Viens, dit l'Ecriture, dans la terre que je te montrerai (Gen. XII, 1) ; " et plus loin : " Je te donnerai cette terre, ainsi qu'à ta postérité. " (Gen. XIII, 15.) Et après s'être servi de ces expressions de " droite " et de " bras, " qui étaient toutes matérielles, voyez comme le Prophète continue le même langage, en ajoutant : " Et la clarté de votre visage, " c'est-à-dire, votre assistance, votre providence. Car sa volonté, sa présence leur a suffi. Vient ensuite le motif : " Parce que vous vous êtes complu en eux, " c'est-à-dire, parce que vous les avez aimés, parce que vous l'avez voulu. De sorte que ces événements furent un effet de la grâce de Dieu, et non des belles actions des Juifs, et qu'ils durent ces succès non pas à leur vertu personnelle, mais à la bonté divine. " C'est vous qui êtes mon roi et mon Dieu, qui donnez vos ordres pour le salut de Jacob. " (Ibid. 5.) Ou selon un autre interprète : " Donnez vos ordres pour le salut de Jacob. " Et comment ces paroles arrivent-elles ici? Par une grande liaison avec ce qui précède. Car voici ce que veut dire le Prophète : Nous sommes les descendants de ces hommes, et vous, vous êtes le même Dieu, qui avez opéré ces choses et alors et de nos jours. D'où dent donc un si grand changement? Le Dieu d'alors n'était pourtant pas autre que vous, vous êtes toujours le même.

6. Il n'est pas vrai non plus que, vous étant le même, je m'attribue, à moi, un autre Dieu, mais " C'est vous qui êtes mon roi et mon Dieu. " Nous ne nous sommes pas soustraits à votre empire, nous n'avons pas adopté un autre chef. " Qui donnez vos ordres pour le salut de Jacob ; " c'est-à-dire, le Dieu est le même, et ses desseins sont les mêmes. D'où vient donc un si grand changement dans les événements ? Et que veut donc dire : " Qui donnez vos ordres ? " Cela signifie : Qui commandez, qui prescrivez que Jacob soit sauvé. Ici encore le prophète nous présente la facilité du secours, et la grandeur de la puissance; et ce n'est point par hasard qu'il fait mention de son ancêtre : il met en avant la vertu de Jacob comme un titre, voulant par là fléchir Dieu. " C'est en vous que nous heurterons nos ennemis (6). " Ainsi, vous êtes le même Dieu, veut dire le prophète: vos desseins sont les mêmes; de notre côté, c'est vous que nous reconnaissons, et nous avons fait usage des mêmes armes. Car c'est ce que signifie : " C'est en vous que nous heurterons nos ennemis. " Un autre interprète traduit ainsi " Nous heurterons ceux qui nous oppriment. Et en votre nom nous mépriserons ceux qui s'élèvent contre nous. " Suivant un autre interprète: " Nous foulerons aux pieds. " Et pourquoi dis-je : " En vous? " veut encore dire le Prophète. C'est qu'il suffit d'invoquer seulement votre nom, pour tout accomplir avec le plus grand succès. Car il n'a pas dit Nous les vaincrons, ou, nous l'emporterons sur eux ; mais : " Nous les mépriserons, " nous les regarderons comme rien, c'est ce que veut dire le Prophète, nous ne les craindrons pas, mais nous les poursuivrons comme s'ils n'étaient rien. C'est l'idée que rend un autre interprète par l'expression : " Nous marcherons dessus; " il indique ainsi la victoire de vive force, l'exploit sans lutte , le combat sans crainte. " Car je n'espérerai pas en mon arc (7). " Suivant un autre interprète : " Je ne me suis pas confié en mon arc. Et ce n'est pas mon glaive qui me sauvera. " Et pourquoi donc t'es-tu servi de ces moyens de défense ? Pourquoi t'armer, et prendre en main l'arc et l'épée ? C'est que Dieu l'a ordonné ainsi; c'est pour cela que j'ai fait usage de ces armes, mais je me repose de tout sur lui. Voilà comme les Macchabées, fortifiés par l'inspiration d'en-haut, apprenaient à combattre les ennemis corporels, et aussi, les ennemis incorporels. Et vous, par conséquent, lorsque vous luttez contre le démon, dies-vous ceci : Ce n'est pas en mes propres armes que j'ai confiance; c'est-à-dire, ce n'est pas en ma propre force, ni en mes propres mérites, mais en la miséricorde de Dieu. C'était le langage de Daniel : " Ce n'est pas en nous fondant sur nos propres mérites (30) que nous venons jeter à vos pieds nos prières suppliantes. " (Dan. IX, 48.) Car vous nous avez " sauvés de ceux qui nous opprimaient, et vous avez confondu ceux qui nous haïssent. " Suivant une autre version : " Parce que vous nous avez sauvés. " Pourquoi, veut dire ici le Prophète , parler des événements anciens, arrivés à nos ancêtres ? Nous avons nous-mêmes bien des gages de vos desseins à notre égard, nous pouvons compter de brillants trophées, et une suite de victoires admirables, extraordinaires. C'est ce qui lui fait dire : " Vous avez confondu ; " par ces mots il proclame ceci : ô Dieu ! vous ne nous avez pas simplement délivrés et arrachés à nos persécuteurs, mais vous l'avez fait en les couvrant de honte. " Nous serons loués en Dieu tout le long du jour; et nous rendrons gloire à votre nom dans l'éternité (9). "

6. Une autre version porte: " Nous chantons chaque jour des hymnes à Dieu. " En effet, veut dire le Prophète, si le temps de la victoire est passé, celui des actions de grâces nous reste. Par l'expression atout le long du jour," il entend toute la vie. En effet, nous ne cessons, ô Dieu ! de faire de vos secours le sujet de nos chants et de notre honneur. Car c'est là notre gloire, notre orgueil, c'est de cela que nous sommes fiers auprès de tous les hommes; ce n'est pas d'avoir une cité grande et admirable, ni d'être les premiers à remporter la victoire, ni de l'emporter parla force du corps; mais c'est d'avoir le vrai Dieu, voilà notre orgueil; et, non pas seulement lorsque vous nous assistez, mais lors même que vous nous abandonnez. Car, voilà ce que signifie : " Tout le long du. jour; " comme dit encore saint Paul : " Pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie, sinon dans la croix de Jésus-Christ ! " (Gal. VI, 14.) En effet, il n'y a point, non, il n'y a point d'autre gloire pareille à celle-là. C'est ce qui lui fait dire aussi : " Et non-seulement cela, mais encore nous glorifions en Dieu. " (Rom. V, 11.) C'est que nul sujet de gloire n'égale celui-là. Que personne ne tire donc vanité de ses richesses, ni d'aucune chose de cette vie, mais uniquement de ceci, d'avoir Dieu pour maître. Cela est préférable à toute liberté, cela vaut mieux que le ciel même. Car si l'on a souvent pu trouver à se vanter, devant les hommes, de servir tel ou tel personnage, songez quelle gloire il nous reviendra d'être les serviteurs de Dieu. C'est pourquoi saint Paul aussi compte cela comme un grand titre d'honneur, lorsqu'il dit : " Or, ceux qui sont au Christ , ont crucifié leur chair (Galat. V, 24.) ici une " pause " dans le psaume. Un autre interprète, au lieu d'y voir cette indication, traduit le mot par : Toujours. Dans l'hébreu il y a : " Sel " (Selah). " Et maintenant, vous nous avez repoussés, vous nous avez couverts de honte. " (Ps. XLIII, 10.) Selon une autre version : " Quoique vous nous ayez repoussés." Suivant une autre: "Et toutefois vous nous avez repoussés. " Suivant un autre encore: " Et après cela vous nous avez rejetés. " Et vous ne sortirez pas, ô Dieu ! pour venir au milieu de nos puissances. " Un autre interprète traduit : " Et vous ne vous avancerez pas au milieu de nos expéditions. " C'est qu'eu effet, quand Dieu nous a repoussés, nous ne tardons pas à être couverts de honte, et en butte aux mauvais traitements de tous. Il appelle ici puissances leurs armées, parce que c'est en elles que consiste la force d'un prince, et Dieu encore ici a bien réglé les choses, de manière qu'il y ait un lien entre le gouvernant et les gouvernés. Le prince a besoin de ses sujets, ceux-ci en même temps ont besoin de leur chef, et ils se sont mutuellement d'une grande nécessité. Car afin de prévenir l'infatuation des princes, Dieu a voulu que les grands eussent fréquemment besoin des petits. Il en a disposé ainsi, même dans l'ordre matériel. Souvent un simple caillou, placé soles une colonne qui chancelle, l'empêchera de tomber, et un petit gouvernail dirige et soustrait, au danger, un vaisseau qui porte des milliers de personnes. Et que signifie : " Quoique vous nous ayiez repoussés? " C'est-à-dire, même après de telles souffrances , nous ne nous sommes pas séparés de vous, nous avons continué à vous glorifier, à chanter vos louanges, à mettre notre orgueil en vous. " Vous nous avez fait retourner en arrière à la vue de nos ennemis. Et ceux qui nous haïssent nous dépouillaient à loisir. " Suivant un autre interprète : " Vous nous avez mis au-dessous de tous nos adversaires (11). " Voyez comme il grandit leurs souffrances par ses expressions, comme il amplifie leur malheur, pour faire voir que, bien qu'ils fussent de grands pécheurs, ils avaient subi toutefois un châtiment suffisant !

7. C'est avec cette même redondance que parlèrent les jeunes hébreux dans la fournaise, (31) alors qu'ils chantaient et qu'ils disaient: "Vous nous avez livrés entre les mains d'ennemis impies, acharnés, apostats, et au pouvoir d'un roi injuste et le plus pervers de tonte la terre. " (Dan. III, 32.) Et encore : " Nous avons été rendus plus petits que toutes les nations , et nous sommes humiliés entre tous sur la terre. " (Ibid. 37.) Le Psalmiste énonce la même idée, et ce qu'il dit revient à ceci : Nous sommes devenus vils entre tous, parce que vous nous avez retiré votre Providence; et nos malheurs ne se sont pas arrêtés là; nous sommes devenus la pâture de nos ennemis, qui nous ont déchirés suivant leur caprice. Car c'est le sens de ces mots : " Ils nous dépouillaient à loisir, " c'est-à-dire sans que personne les en empêchât. " Vous nous avez livrés comme des brebis destinées à être mangées et vous nous avez dispersés parmi les nations (12). " Une autre version donne : " Vous nous avez vannés. " Que veut dire " Comme des brebis destinées à être mangées? " Cela signifie : Parce que vous nous avez rendus très-faciles à saisir, et que vous avez montré notre peu de valeur. Car il y a aussi des brebis destinées à être conservées, ce sont celles qui sont propres à reproduire l'espèce ; mais les autres, soit par vieillesse, soit par stérilité, ne sont bonnes qu'à être mangées. Mais ce qui était encore plus affligeant, c'était d'avoir été dispersés parmi les nations; cela était pour eux plus insupportable que tout le reste, parce que chez ces peuples ils ne pouvaient observer exactement la loi, et qu'ils étaient déshérités de leurs usages paternels. Et ce n'est pas chez une seule nation, mais partout, vous donne à entendre le Prophète, et nous ne sommes plus préparés qu'à une chose, à subir de mauvais traitements; quant à nous venger ou à lever nos bras contre ces hommes, nous ne le pouvons même pas. C'est là le sens de cette comparaison prise des brebis. " Vous avez cédé votre peuple pour rien (13). " On suivant une autre version : " Pour une rétribution peu considérable. " Et une autre : " Sans rétribution considérable. Et il n'y a point eu de somme importante payée lors de notre échange. " Un autre interprète traduit : " Et vous ne les avez pas mis à un prix élevé. " Dans tous les cas voici le sens ; car le texte paraît ici fort obscur, mais prêtez attention, afin de chanter ce verset avec intelligence. Que signifie-t-il donc? Il exprime l'abjection et la nullité où ils étaient tombés. Vous nous avez abandonnés comme si nous n'avions aucune valeur, comme des gens vils et méprisables. Et le Psalmiste parle ainsi d'après les habitudes humaines. Car c'est la coutume parmi nous, de donner, même pour rien, ce qui n'a aucun prix, aucune valeur; mais les choses dont-nous faisons grand cas, si nous les vendons,. ce n'est que fort citer; quant aux objets auxquels nous n'attachons pas beaucoup de prix, nous en faisons encore cadeau. Ainsi, les serviteurs infidèles, on les vend pour la moitié de leur prix, et d'autres fois on les cède pour rien. Et si la cession à bas prix prouve le peu de valeur de l'objet vendu, à plus forte raison, lorsqu'on n'en demande même aucun prix, lorsqu'on le cède pour rien. C'est donc comme si le Psalmiste disait : Semblable à un homme qui se déferait de ce qui lui appartient et qui n'en demanderait nul prix, ainsi vous nous avez abandonnés comme si nous étions sans valeur, vous nous avez grandement méprisés. C'est encore le sens des paroles qui suivent : " Et il n'y a pas eu de somme importante payée lors de notre échange ; " c'est-à-dire , quand nous avons été achetés. C'est pourquoi une autre version porte : " Lors de notre estimation; " ce qui signifie, de notre vente. Car le paiement est un échange; il arrive maintes fois que lorsque nous donnons un serviteur, nous recevons de l'argent ou de l'or.

14. " Vous avez fait de nous l'objet des insultes de nos voisins, la moquerie et la risée de ceux qui nous entourent. " Suivant une autre traduction : " le jouet de ceux qui nous entourent. "

15. " Vous avez fait de nous la fable des nations. " Ce châtiment est pénible, intolérable, surtout de se voir injurié par des impies, d'avoir à endurer ce traitement de la part d'ennemis, d'avoir tout autour de soi des gens qui vous insultent, d'être environné de tous côtés par ceux qui vous outragent. Et que veut dire être la fable? C'est être le texte de leurs récits, l'objet de leurs affronts. Oui, car ceux qui les entouraient étaient des gens tarés, sans coeur, qui non contents de ne pas, les plaindre, les accablaient d'outrages, et c'est là ce qui était le plus cuisant pour les Juifs. Je crois que le Prophète veut parler ici des Arabes, un des peuples qui habitaient dans le voisinage. " Vous avez fait de nous l'objet de (32) mouvements de tête parmi les peuples. " Un autre traducteur dit: " Tu nous as fait émigrer à travers les peuples. " Il y a dans l'hébreu Manoud. Ainsi, ou bien cela signifie: Tu nous as fait passer d'un lieu dans un autre, ou bien le Prophète veut indiquer par cette image du mouvement de tête l'arrogance que donne la joie.

16. " Pendant tout le jour ma confusion est devant mes yeux. " Suivant une autre version : " Mon déshonneur. Et la honte de mon visage m'a couvert. "

17. " A la voix de celui qui m'insultait et parlait contre moi. " Suivant un autre interprète: " Et me diffamait à l'aspect de mon en" nemi et persécuteur". Cela était pour eux plus cuisant que les supplices. Car comme ils obtenaient toujours et continuellement des succès, et triomphaient de leurs ennemis, toutes les bouches s'ouvrirent, alors qu'ils furent tombés, qu'ils eurent été renversés à terre, et qu'ils ne pouvaient pas même relever la tête, mais qu'ils souffraient des mauvais traitements continuels.

18. " Tout cela est venu fondre sur nous, et nous ne vous avons. pas oublié, et nous n'avons pas péché contre votre testament. " Suivant une autre version : " Et nous n'avons pas trompé vôtre alliance. ". Le Prophète veut dire : Nous avons, marché dans une voie opposée à celle des autres. Car ils ont été renversés même avant leurs maux; et nous, même après nos maux, nous sommes restés fermes, et l'âme inébranlable. Ce qu'ils disent pour donner bon espoir à ceux qui sont avec eux.. Aussi, voilà pourquoi, tandis que Daniel et les trois enfants s'écrient: " Nous avons péché, nous avons prévariqué (Dan. III, 29), " les nôtres disent: " Nous n'avons pas péché contre votre testament, " pour relever le courage de leurs compagnons d'armes, Car, veut dire le Prophète, si vois avons, souffert les plus grands maux, si nous sommes les descendants de ceux qui ont reçu de si grands bienfaits, et si dans nos malheurs nous n'avons point faibli, nous devons espérer une délivrance signalée.

8. Je vous répète donc ce que le vous disais en commençant, que sous, la forme d'une prière ils préparent les courages de leurs compagnons, comme s'ils leur disaient; Pourquoi avez-vous désespéré de votre salut? Nous avons Dieu à, notre tête; même si nous avons commis quelque faute, nous avons subi un châtiment suffisant; nous sommes demeurés généreusement fermes dans les épreuves; nous avons pour guide Celui qui conduit toujours même les pécheurs : ainsi nous devons sous tous les rapports nous attendre à une heureuse issue. Et que signifie: " Nous n'avons point péché contre votre testament? " Cela veut dire: Nous n'avons point failli contre ce qui nous avait été confié, mais nous l'avons gardé avec soin. En effet, c'est la plus grande des injustices, de transgresser cette loi qui nous protège, qui ne permet pas même que nous soyons lésés par le prochain, et qui empêche le vice; c'est la plus grande des injustices de se montrer ingrat envers une loi qui nous procure de tels biens.

19. " Et notre coeur n'a point reculé." Autre traduction: " Ne s'est point retiré. Et vous n'avez pas écarté nos sentiers de votre voie." Autre version : " Et les choses qui nous dirigent n'ont point été détournées. " Ou encore suivant un autre: " Et notre coeur ne s'est point retourné en arrières et nos pas: n'ont point dévié. " Ce qu'il a dit précédemment, il le redit, ici , qu'au milieu d'une telle tempête de maux, ils n'ont pas été le moins du monde agités.: Et il exprime fort bien cette idée. Car de, même que la loi nous conduit en avant, de même la transgression de la loi nous fait reculer; et comme la loi nous fait marcher dans le droit chemin, ainsi la transgression de la loi détourne l'homme en des régions désertes et impraticables. C'est,donc la loi qu'il appelle ici une route. Quant à ces mots:. " Vous avez écarté, " ou, selon, d'autres. interprètes: " Et les choses qui nous dirigent n'ont point été détournées de vôtre voie " le texte hébreu porte:: " Ouathet aschourenou meni orach; " et si d'on veut traduire avec les Septante, et non suivant les autres, par: " Vous avez écarté nos sentiers de la voie; " cela signifie alors: Vous nous avez exilés de votre temple, et vous nous avez fait habiter la terre étrangère; ce qui ne leur permettait pas d'accomplir les cérémonies du culte.

20. " Car vous nous avez humiliés dans le lieu de l'affliction. " Autre version: " Dans un lieu inhabitable; " ou encore: " Dans le séjour des sirènes. Et l'ombre de la mort nous a couverts. " Un autre interprète traduit: "Vous nous avez murés. " Ceci me paraît se rattacher à ce qu'ils disent plus haut (33) en racontant leurs maux : " La honte de mon visage m'a couvert, à la voix de celui qui m'insultait et parlait contre moi : Car vous nous avez humiliés. "

Si toutefois on veut le faire rapporter à : " Vous avez écarté nos sentiers de votre voie, " cela offre encore une suite avec l'idée dont nous parlions tout à l'heure. En effet, cela fait voir comment il les a repoussés de leurs sentiers, c'est-à-dire de leurs usages et de leurs lois, pour les mener dans des lieux déserts, et les abandonner au milieu de leurs ennemis. Car c'est le sens de : " L'ombre de la mort nous a couverts; " le Psalmiste entend par là les dangers qui causent la mort, les dangers dont le trépas est voisin, de même que l'Ecriture les appelle les angoisses de la mort et les portes de l'enfer. Et il représente ici ce que les maux ont d'inévitable sous la figure de l'ombre et d'une chose qui nous couvre, pour exprimer qu'on rie saurait y trouver aucune délivrance ni le moindre relâche. " Si nous avons oublié le nom de notre Dieu, et si nous avons tendu nos mains vers un Dieu étranger (21). Dieu ne recherchera-t-il pas ces crimes? Car il connaît les secrets des coeurs (22). " C'est le fait de serviteurs fidèles, lorsqu'ils éprouvent de mauvais traitements, de continuer à servir leur maître; ce sont là les enseignements de la sagesse. Et ici, nos héros apprennent en outre à ceux qui écoutent leurs discours, à ne point feindre, mais à servir Dieu de tout coeur. " Car Dieu, est-il dit, connaît les secrets de l'âme. " Et ils parlent ainsi pour les effrayer, afin qu'ils n'aient aucune pensée qui soit indigne de Dieu. Voyez encore quel grand surcroît de vertu, car le Prophète ajoute : " Car, à cause de vous, nous souffrons la mort tout le jour, nous avons été considérés comme des brebis destinées à être égorgées. " C'est que s'il est grand de demeurer dans le service de Dieu et de ne pas lui échapper pour passer à un autre, il est encore bien plus grand, de lui conserver un tel amour quand nous sommes continuellement menacés de la mort, et exposés à des dangers de tous les jours. Et songez quel haut degré de sagesse il y a en cela,. puisque c'est celui que possède saint Paul, énumérant dans son épître aux Romains (Rom. VIII, 36), tout ce déluge de périls auquel l'Apôtre fut exposé. Ainsi, quelles couronnes ne méritèrent pas les Macchabées qui, sous l'ancienne loi, nous apparaissent comme ayant d'avance atteint la mesure des luttes soutenues sous la loi nouvelle? Car ce que dit saint Paul: " Je meurs tous les jours (I Cor. XV, 31), " les Macchabées le font aussi, non pas en réalité, non pas en effet, mais en intention. Et pourquoi le psaume porte-t-il : " A cause de vous? " C'est-à-dire, il nous était loisible de passer à l'ennemi, d'abandonner les usages de nos ancêtres, et de vivre en sûreté; mais nous préférons endurer de mauvais traitements, et garder les moeurs de nos pères, plutôt que de jouir de la paix après être déchus de ces mêmes moeurs. " Nous avons été considérés comme des brebis destinées à être égorgées. " Telle est, veut dire le Psalmiste, la facilité avec laquelle on nous détruit. Et par là il fait voir en outre leur douceur. Et malgré cela, quoique étant pour eux une proie si facile, nous demeurons avec notre âme inébranlable. Ici nous devons en outre admirer la puissance de Dieu, de ce que ces hommes exposés à la merci de leurs ennemis comme des brebis destinées à être égorgées, il les a conservés, et de ce qu'il n'a pas laissé tomber victimes de la mort ces hommes qui souffraient la mort tous les jours. " Levez-vous; pourquoi sommeillez-vous, Seigneur (23) ? " Une autre version porte : " Pourquoi êtes-vous endormi? " Une autre : " Réveillez-vous. " Et une autre : " Eveillez-vous, levez-vous, et ne nous repoussez pas jusqu'à la fin. Pourquoi détournez-vous votre visage (24) ? " Et suivant un autre interprète : " Pourquoi cachez-vous votre visage? Oubliez-vous notre dénuement et notre tribulation ? " Suivant une autre version

" Notre état misérable? " Dans tous les cas, c'est comme s'il y avait : vous pouvez mettre un terme à nos maux; car ce n'est pas par votre impuissance que tout cela arrive, mais par votre permission. Le Psalmiste appelle ici sommeil l'absence d'action de la part de Dieu, il appelle réveil le châtiment, et visage, sa protection, sa providence, sa sollicitude, son secours.

9. " Pourquoi oubliez-vous notre dénuement? " Voyez encore une fois la sagesse du Prophète. Il ne dit pas : nos belles actions; il ne dit pas : notre coeur inébranlable; il ne dit pas notre âme à l'épreuve des tentations. On met tout cela en avant quand on cherche à se justifier; mais quand on demande assistance, on tire ses arguments de salut de la condamnation que l'on a subie. C'est, dit-il, parce (34) qu'ils ont été punis, c'est parce qu'ils ont souffert les derniers châtiments. Saint Paul tient souvent ce langage, et d'autres prophètes aussi. Et ces derniers parlaient de la sorte, quoique ne sachant encore rien de l'enfer, ni du royaume du ciel, sans avoir été instruits à voir tout cela d'une âme élevée, et ils supportaient tout avec résignation : "Car notre âme a été abaissée dans la poussière ; notre ventre a été appliqué contre terre (25). " En effet, comme il a dit : " Vous oubliez notre dénuement, " ce qui signifie notre affliction; il insiste ensuite sur cette affliction. Et voici à quoi revient ce qu'il en dit : nous sommes perdus, nous sommes enfouis, notre état n'est en rien meilleur que celui des morts. Et l'on peut bien dire avec raison de ceux qui sont attachés aux choses de ce monde, que leur âme est abaissée dans la poussière, et de ceux qui sont esclaves de leur ventre, que leur ventre est appliqué contre terre.

En effet, celui qui est enchaîné par l'amour, qui est en admiration devant de la boue, et qui asservit a cette cendre la faculté incorporelle qui existe en lui, cet homme, on peut le dire à juste titre, est dans l'état dont nous parlons. Qu'est en effet la beauté du corps, sinon de la poussière, de la boue, ou plutôt, quelque chose de plus hideux encore ? Si vous ne me croyez pas, allez fouiller les sépultures humaines, et vous verrez cette boue et cette poussière. Car une fois que l'enveloppe corporelle est destituée de la vie présente, alors cette enveloppe apparaît ce qu'elle est : que dis-je? cela lui arrive même avant la mort. En effet, quand la vieillesse sera venue, ou que la maladie l'aura frappée, vous verrez alors quelle sera son apparence ; car elle n'est que boue; seulement Dieu, en sage créateur, â fait sortir d'une matière si vile une beauté inexprimable, et cela, non pour vous porter à la fornication, mais afin de vous offrir une preuve de sa sagesse. N'outragez donc pas l'artisan, en faisant de l'oeuvre de sa sagesse, l'objet de votre impureté et de votre débauche. Que votre admiration pour la beauté n'aille que jusqu'à rendre gloire à l'artisan ; ne la poussez pas plus avant, vous exciteriez la passion. L'ouvrage est beau : il faut donc adorer l'ouvrier, et non pas lui faire outrage. Si un homme, dites-moi, allait s'emparer de la statue en or de quelqu'un, de l'image de quelque prince, et la souillait de bourbe et d'autres immondices, n'en serait-il pas puni avec la dernière rigueur? Et si une telle irrévérence à l'égard des hommes mérite un si grand châtiment, que devra subir celui qui déshonore de même l'oeuvre de Dieu, et surtout lorsqu'ayant une femme il mènera une pareille conduite ? Car ne me parlez pas des désirs de la nature. Le mariage a été accordé aux hommes, pour les empêcher de franchir les limites de la société conjugale. Considérez quel châtiment vous mériteriez. Dieu a pourvu à votre repos et à votre honneur, en sorte que vous puissiez satisfaire cette rage de la nature au moyen de votre femme, .et le faire sans danger, â l'abri de toute ignominie. Et vous allez, de gaîté de coeur, outrager celui qui est pour vous si prévoyant ? Car dites-moi, s'il n'eût pas voulu instituer le mariage, quels tourments, quels supplices n'auriez-vous pas eu à endurer ? Ainsi, vous devez remercier et glorifier Dieu de vous avoir retranché la majeure partie de vos peines, en imaginant un adoucissement admirable; et au lieu de cela, vous l'outragez avec ingratitude, avec impudence, vous transgressez les limites qu'il a posées, et vous avilissez votre propre honneur. N'entendez-vous pas saint Paul vous disant dans ce moment même, et criant au milieu de tous: " Fuyez la fornication ? " (I Cor. VI, 18.) Que dis-je ? N'entendez-vous pas Jésus-Christ inspirant l'âme de l'apôtre ? Pourquoi étudiez-vous une beauté étrangère ? pourquoi scruter ce visage qui ne vous appartient pas ? pourquoi courir au travers des précipices? pourquoi vous jeter dans les filets ? Mettez un rempart à vas yeux, une fortification à vos regards, imposez une loi à votre vue. Ecoutez Jésus-Christ qui vous menace, et qui juge vos regards déréglés à l'égal de l'adultère. " (Matth. V, 28.) De quelle utilité est le plaisir, lorsqu'il engendre un ver rongeur, une crainte perpétuelle ? lorsqu'il devient pour celui qui en a joui la source d'un châtiment éternel ? Combien ne vaut-il pas mieux, après avoir, pendant un temps bien court supporté ta violence de nos propres pensées, être pour toujours dans le calme, plutôt qu'après avoir fait des concessions, bien courtes aussi, à nos désirs insensés, en être éternellement puni ? " Non, mes enfants, ne faites pas ainsi : les choses que j'entends dire de vous ne sont pas bonnes. " (I Rois, II, 24.) Je sais bien quels sont ceux à qui ce discours s'adresse, il ne s'adresse pas à tous; mais là où il trouve (35) une blessure, il applique son remède. Pourquoi outragez-vous le mariage ? pourquoi violez-vous la société conjugale ? pourquoi blessez-vous votre propre chair ? pourquoi avilissez-vous votre propre honneur ? Sapez cette passion, extirpez cette mollesse. " (I Cor. VI, 15.) Car la mollesse et l'ivresse sont les sources de la fornication. Si vous ne faites du repos l'usage qu'il faut, il vous amènera l'affliction. Ecoutez ce qui arriva aux Juifs qui avaient forniqué, qui n'avaient pas participé au corps de Jésus-Christ, qui n'avaient pas profité du banquet spirituel. " Ne forniquons pas, " dit l'Apôtre, " comme certains d'entre eux forniquèrent, et périrent en un seul jour au nombre de vingt-trois mille. " (I Cor. X, 8.) " Levez vous, Seigneur, secourez-nous, et rachetez-nous à cause de votre nom (26). " Suivant une autre traduction : " Soyez-là pour nous défendre, et délivrez-nous à cause de a votre miséricorde. " Voyez comment nos héros terminèrent leurs discours; après leur mille et mille exploits, quels motifs croient-ils devoir invoquer pour leur salut ? La miséricorde, la bonté de Dieu; c'est aussi à. cause de son nom. Et que signifie: " à cause de votre nom ? " Afin que ce nom ne soit point profané. Et il dit souvent lui-même : " Je le fais à cause de mon nom. " Vous avez vu tout à l'heure l'humilité, la contrition de leurs coeurs? Et quels sont les motifs qu'ils, croient devoir invoquer pour leur salut ? La bonté de Dieu, sa miséricorde : comme les gens qui sont au dépourvu de belles actions, qui n'ont aucun titre à faire valoir pour leur salut, et quoiqu'ils fussent décorés de tant de fatigues et de dangers, ils rapportaient tout à Dieu. Imitons-les donc nous aussi, qui vivons sous la loi de la grâce, et renvoyons la gloire à Dieu, à qui elle appartient dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. E. MALVOISIN.
 

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