COMMENTAIRE SUR LES PSAUMES.
Tome V. p. 523-603 ; Tome VI p. 1-311
COMMENTAIRE SUR LES PSAUMES. *
EXPLICATION DU PSAUME CXII. "LOUEZ, ENFANTS, LE SEIGNEUR, LOUEZ LE NOM DU SEIGNEUR. " *
EXPLICATION DU PSAUME CXIII. . " LORSQU'ISRAEL SORTIT DE L'ÉGYPTE, ET LA MAISON DE JACOB D'UN PEUPLE BARBARE, DIEU PRIT POUR SANCTUAIRE LA MAISON DE JUDA, ET ÉTABLIT SON EMPIRE DANS ISRAEL. " *
EXPLICATION DU PSAUME CXIV. 1. " J'AI AIME PARCE QUE LE SEIGNEUR EXAUCERA LA VOIX DE MA PRIÈRE. " *
EXPLICATION DU PSAUME CXV. 1. " J'AI CRU, C'EST POURQUOI J'AI PARLÉ : MAIS J'AI ÉTÉ HUMILIÉ ENTIÉREMENT. " *
EXPLICATION DU PSAUME CXVI. 4. " NATIONS, LOUEZ LE SEIGNEUR, PEUPLES, LOUEZ-LE TOUS : " PARCE QUE SA MISÉRICORDE A ÉTÉ PUISSAMMENT AFFERMIE SUR NOUS ET QUE LA VÉRITÉ DU SEIGNEUR DEMEURE ÉTERNELLEMENT. " *
EXPLICATION DU PSAUME CXVII. " LOUEZ LE SEIGNEUR PARCE QU'IL EST BON, PARCE QUE SA MISÉRICORDE S'ÉTEND DANS TOUS LES SIÈCLES. " *
EXPLICATION DU PSAUME CXIX. CANTIQUE DES DEGRÉS, OU SELON UNE AUTRE VERSION : CANTIQUE POUR LESMONTÉES. 1 " J'AI CRIÉ VERS LE SEIGNEUR LORSQUE J'ÉTAIS DANS L'AFFLICTION, ET IL M'A EXAUCÉ. " *
EXPLICATION DU PSAUME CXX. CANTIQUE DES DEGRÉS, OU BIEN, CANTIQUES DES MONTÉES. 1. " J'AI LEVÉ MES YEUX VERS LES MONTAGNES D'OU ME VIENDRA LE SECOURS. " OU BIEN , " JE LÈVE, " ETC. *
EXPLICATION DU PSAUME CXXI. " JE ME SUIS RÉJOUI, LORSQU'ON M'A DIT : NOUS IRONS DANS LA MAISON DU SEIGNEUR. " *
EXPLICATION DU PSAUME CXXII. 1. " J'AI ÉLEVÉ MES YEUX MAIS VOUS QUI HABITEZ DANS LES CIEUX. " *
EXPLICATION DU PSAUME CXXIII. 1. " SI LE SEIGNEUR N'AVAIT ÉTÉ AVEC NOUS. " *
EXPLICATION DU PSAUME CXXIV. 1. " CEUX QUI METTENT LEUR CONFIANCE DANS LE SEIGNEUR SONT FEMMES COMME LA MONTAGNE DE SION. " *
EXPLICATION DU PSAUME CXXV. 1" LORSQUE LE SEIGNEUR A FAIT VENIR CEUX DE SION QUI ÉTAIENT CAPTIFS, NOUS AVONS ÉTÉ COMBLÉS DE CONSOLATIONS. " UN AUTRE INTERPRÈTE DIT : " LORSQUE LE SEIGNEUR AURA FAIT REVENIR CEUX QUI ÉTAIENT CAPTIFS, NOUS SERONS CONSOLÉS. " *
EXPLICATION DU PSAUME CXXVI. 1. " SI LE SEIGNEUR NE BATIT UNE MAISON, C'EST EN VAIN QUE *
TRAVAILLENT CEUX QUI LA BATISSENT; SI LE SEIGNEUR NE GARDE UNE VILLE, C'EST EN VAIN QUE VEILLE CELUI QUI LA GARDE. — 2. C'EST EN VAIN QUE VOUS VOUS LEVEZ AVAIT LE JOUR, LEVEZ-VOUS APRÈS QUE VOUS VOUS SEREZ REPOSÉS. " *
EXPLICATION DU PSAUME CXVII. " LOUEZ LE SEIGNEUR PARCE QU'IL EST BON, PARCE QUE SA MISÉRICORDE S'ÉTEND DANS TOUS LES SIÈCLES. " *
EXPLICATION DU PSAUME CXXVIII. 1. " ILS M'ONT SOUVENT ATTAQUÉ DEPUIS MA JEUNESSE; OUI, QU'ISRAEL LE DISE. — 2. ILS M'ONT SOUVENT ATTAQUÉ DEPUIS MA JEUNESSE; C'EST QU'EN EFFET ILS N'ONT RIEN PU CONTRE MOI. UN AUTRE INTERPRÈTE TRADUIT : MAIS ILS N'ONT RIEN PU CONTRE MOI. " *
EXPLICATION DU PSAUME CXXIX. 1. " DES PROFONDEURS J'AI CRIÉ VERS VOUS, SEIGNEUR. SEIGNEUR, EXAUCEZ MA PRIÈRE. " *
EXPLICATION DU PSAUME CXXX. 1. " SEIGNEUR, MON COEUR NE S'EST POINT ÉLEVÉ D'ORGUEIL, ET MES YEUX NE SE SONT PAS FIÉREMENT PORTÉS EN HAUT. " — AUTRE TEXTE : " MES YEUX NE SE SONT POINT ÉLEVÉS D'ORGUEIL, ET JE N'AI PAS MARCHÉ AU MILIEU DES CHOSES GRANDES, NI AU MILIEU DES CHOSES SURPRENANTES ET AU-DESSUS DE MOI. " — AUTRE TEXTE : " AU MILIEU DES CHOSES MAGNIFIQUES. " — AUTRE TEXTE : " AU MILIEU DES *
CHOSES POMPEUSES, NI AU MILIEU DES CHOSES DONT LA GRANDEUR FUT AU-DESSUS DE MOI (1). " *
EXPLICATION SUR LE PSAUME CXXXI. 1. " SOUVIENS-TOI, SEIGNEUR, DE DAVID, ET DE TOUTE SA DOUCEUR. " *
EXPLICATION DU PSAUME CXXXII. 1 " QU’ Y A-T-IL JE. LE DEMANDE, DE BON OU D'AGRÉABLE? (AUTRE VERSION : QU'Y A-T-IL, JE LE DEMANDE, DE BON ET DE BEAU), SI CE N'EST QUE DES FRÈRES HABITENT ENSEMBLE UNIS ? " *
EXPLICATION DU PSAUME CXXXIII. " MAINTENANT DONC BÉNISSEZ LE SEIGNEUR, VOUS TOUS QUI ÊTES LES SERVITEURS DU SEIGNEUR, VOUS QUI VOUS TENEZ DANS LA MAISON DU SEIGNEUR. " *
EXPLICATION DU PSAUME CXXXIV. 1 " LOUEZ LE NOM DU SEIGNEUR; LOUEZ LE SEIGNEUR, VOUS QUI ÊTES SES SERVITEURS; VOUS QUI DEMEUREZ DANS DANS LA MAISON DU SEIGNEUR, DANS LE PARVIS DE LA *
DE NOTRE DIEU. LOUEZ LE SEIGNEUR, PARCE QUE LE SEIGNEUR EST BON. (1,
2, 3) " *
EXPLICATION DU PSAUME CXII. "LOUEZ, ENFANTS, LE SEIGNEUR, LOUEZ LE NOM
DU SEIGNEUR. "
ANALYSE.
1. Ce que c'est que bénir et glorifier Dieu.
2. La nouvelle loi prédite. Que le langage de l'Ancien Testament est un langage de condescendance.
3. Dieu relève ce qui est humble : allusion à la venue du Christ. Récapitulation.
1. Il est souvent question de ces louanges dans les Ecritures : ce n'est pas , en effet, une chose de peu d'importance, mais un sacrifice, une offrande agréable à Dieu: le sacrifice de louanges me glorifiera , est-il écrit. (Ps. XLIX, 23.) Et ailleurs: " Je louerai le nom de mon Dieu avec un chant, je le célébrerai dans une louange : et cela plaira à Dieu plus qu'un jeune veau à qui la corne pousse au front et au pied. " (Ps. LXVIII, 31, 32.) Les (135) saints Livres répètent le même précepte eu plusieurs endroits; et ceux qui sont sauvés croient témoigner avec éclat leur reconnaissance en offrant ce genre de sacrifice. Et qu'y a-t-il là de difficile? dira-t-on; n'est-il pas aisé au premier venu d'en faire autant, de louer Dieu? Pour peu que vous prêtiez une exacte attention vous verrez à la fois et la difficulté attachée à cette offrande et le profit qu'on en retire. D'abord c'est aux justes que sont demandés les hymnes de ce genre: avant de les chanter à Dieu, il faut commencer par bien vivre. " Il n'y a pas de belle louange dans la bouche d'un pécheur. " (Eccli. XV, 9.) En second lieu , comme il y a deux manières de louer, Soit en paroles, soit en actions, c'est la dernière que Dieu recherche surtout; telle est la glorification qu'il préfère. " Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos belles actions, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. " (Matth. V, 16.) Telles sont les louanges des Chérubins. Et voilà pourquoi le Prophète, qui a entendu cette mélodie mystique, accuse sa propre misère, en disant: malheureux que je suis ! " Homme, ayant des lèvres impures, j'habite au milieu d'un peuple qui a des lèvres impures. " (Isaïe, VI, 3.) Aussi le Psalmiste, quand il prescrit d'offrir des louanges, commence-t-il par les puissances d'en-haut, en disant: " Louez le Seigneur du haut des cieux, louez-le, vous tous qui êtes ses anges. " (Ps. CXLVIII, 1, 2.) Il faut donc devenir un ange et ensuite chanter la louange. Ne voyons donc pas en cela un éloge ordinaire: avant notre bouche, il faut que notre vie résonne; avant notre langue, notre conduite doit faire entendre sa voix. De cette façon , jusque dans le silence nous pouvons louer Dieu: de cette façon, si notre voix s'élève, elle formera avec notre vie un concert harmonieux. Mais ce n'est pas la seule chose qui soit à considérer dans ce psaume : remarquez encore que tous les hommes y sont invités à concerter ensemble à former un choeur universel. Car ce n'est pas à une ni à deux personnes que s'adresse le Psalmiste, c'est au peuple tout entier. Le Christ nous invite à la concorde et à la charité , en nous prescrivant de faire en commun nos prières , et de nous confondre dans l'Eglise entière devenue comme une seule personne, en disant: " Notre Père, donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien. Remettez-nous nos offenses comme nous les remettons : et ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mal. " Partout il emploie le pluriel; et il prescrit à chaque fidèle en particulier, soit qu'il adresse sa prière isolément ou en commun, de prier en même temps pour ses frères. De même le Prophète invite tous les hommes à un concert de prières, et dit: " Louez le nom du Seigneur. " Que fait ici : " Le nom: " sans doute ce mot exprime la ferveur de la personne qui parle : mais il fait entendre quelque chose de plus, à savoir, que le nom du Seigneur soit glorifié par notre entremise, que notre vie même montre qu'il est digne d'hommages: il l'est en réalité : mais Dieu veut que notre conduite même rende cette vérité sensible. Que si vous voulez vous en convaincre, voyez la suite. " Que le nom du Seigneur soit béni dès ce jour et jusque dans l'éternité (2)." Qu'est-ce à dire, pour qu'il soit béni? votre souhait est-il nécessaire ? voyez-vous qu'il ne s'agit pas ici de la bénédiction attachée naturellement à Dieu, mais de celle qui s'exprime par l'entremise des hommes? C'est au sujet de cette dernière que Paul écrit pareillement: " Glorifiez Dieu dans votre corps et dans votre esprit. " (I Cor. VI, 20.) Par lui-même Dieu est grand , sublime, digne de toute louange: parmi les hommes, il devient tel quand ses serviteurs offrent le spectacle d'une vie capable d'appeler sur son nom les bénédictions de tous ceux qui les voient. Le Christ nous ordonne la même chose, lorsqu'il nous recommande de répéter toujours dans nos prières: " Que votre nom soit sanctifié. " (Matth. VI, 9.) C'est-à-dire que notre vie même le glorifie. En effet, si nous le blasphémons en vivant mal, nous le glorifions, le bénissons , le sanctifions , en pratiquant la vertu. Voici le sens de ces paroles : accordez-nous de passer toute notre vie dans la vertu , afin que nous contribuions aussi à faire de votre nom un objet de bénédictions. " Du lever du soleil à son couchant, louable est le nom du Seigneur (3). " Voyez-vous comment il annonce en quelque sorte la cité nouvelle, et fait entrevoir dès lors la noblesse de l'Eglise. Ce n'est plus seulement de la Palestine, de la Judée qu'il est ici question, mais de toutes les contrées de la terre. Or quand cela s'est-il vu,, sinon depuis les progrès de notre foi? Dans l'ancien temps, le nom de Dieu, loin d'être béni en Palestine ; était encore blasphémé à (136) cause des Juifs qui habitaient ce pays. Il est écrit.: " A cause de vous, mon nom est blasphémé parmi les nations. " (Isaïe, LII, 5.) Et aujourd'hui ce même nom est célébré par toute la terre. C'est ce qu'un autre prophète annonçait en disant: " Le Seigneur paraîtra, et exterminera tous les dieux des nations ; et ils l'honoreront, chacun de sa place. " (Soph. II, 11.) Un autre prophète dit également : " Parce qu'en nous les portes seront fermées, et que le feu de mon autel ne sera pas allumé gratuitement, car du lever du soleil à son couchant mon nom a été glorifié parmi les nations et en tout lieu l'on offre à mon nom l'encens et une oblation pure. " (Mal. I, 10, 11.)
2. Voyez-vous comment il ravale, il anéantit le judaïsme, étend sur toute la terre le gouvernement de l’Eglise, et prédit notre culte? Le prophète qui parle ainsi vivait après le retour de Babylone. S'il fit alors cette prophétie, ce fut pour empêcher les Juifs de dire que cette captivité, cet abandon sont ceux de Babylone. Ces épreuves étaient finies, les Juifs étaient revenus à leur premier régime: c'est alors que le messager de Dieu s'exprime ainsi, par allusion à l'abandon qui devait avoir lieu sous Vespasien et Titus, abandon qui doit rester à jamais irréparable. Car le tour de l'Eglise est venu. De là ces mots: " Mon nom est grand parmi les nations; " c'est-à-dire béni, loué par leur vie , dans le même sens qu'il dit ici; " Que le nom du Seigneur soit béni. Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations (4). "
Vous voyez encore ici son culte pénétrer chez les nations, non pas seulement chez une, deux ou trois, mais chez toutes les nations de la terre. Quoi de plus clair que cette prophétie ? Mais comment Dieu est-il élevé sur toutes les nations ! Est-ce nous qui l'élevons? Ce n'est pas sans doute qu'il nous appartienne d'ajouter quelque chose à sa grandeur? A Dieu ne plaise ! Il s'agit ici des dogmes, du culte, de l'adoration et de tous les autres hommages que nous lui rendons, en concevant de lui non pas une idée basse comme les Juifs, mais une idée beaucoup plus haute et plus relevée. Telle est en effet notre loi : autant le ciel est au-dessus de la terre, autant la nouvelle loi surpasse l'ancienne. De là ces expressions : "Le Seigneur est élevé sur toutes les nations. " En effet, lorsque nous le relevons en un sens par le culte que nous lui rendons, nous n'ignorons pas que ce culte appelle sa condescendance. Il surpasse celui de l'ancienne loi, mais il est encore bien peu digne de Celui à qui il s'adresse. Paul a dit, pour montrer cela et marquer la différence qui sépare la connaissance que nous avons aujourd'hui, de celle qui nous est réservée dans la vie future : " Quand j'étais petit enfant, je raisonnais comme un petit enfant, mais quand je suis devenu homme, je me suis dépouillé de ce qui était de l'enfant. " (I Cor. XIII, 11.) Et encore : " C'est imparfaitement que nous connaissons et imparfaitement que nous prophétisons. " Et enfin : " Nous voyons maintenant à travers un miroir en énigme, mais alors nous verrons face à face. " (Ibid. IX, 12.) Il montre par là que la connaissance actuelle diffère autant de la connaissance future que l'enfant diffère de l'homme parvenu à la pleine maturité. " Sa gloire est au-dessus des cieux. " Après avoir parlé de la louange, de la glorification qui résulte de la conduite humaine , après nous avoir invités à exalter Dieu, à le louer, le glorifier de la sorte; en progressant dans la vertu, il indique l'endroit où cela se fait principalement. Cet endroit est le ciel. Là réside la gloire de Dieu. Ce sont les anges, avant tout, qui le glorifient : ils le glorifient non-seulement par leur propre nature, mais encore par une obéissance de bons serviteurs, en accomplissant avec scrupule ses ordres et ses volontés. Voilà pourquoi il dit ailleurs : " Puissants, accomplissant sa parole. " (Ps. CII, 20.) Voilà pourquoi dans les Evangiles le Christ ordonne de prier et de dire : " Que votre volonté soit faite sur la terre comme aux cieux. " C'est-à-dire qu'il nous soit donné, à nous aussi, de le sanctifier comme le sanctifient les anges, exempts de tout vice et fidèlement attachés à la pratique de la vertu. Le Psalmiste fait entendre la même chose en disant : " Sa gloire est au-dessus des cieux. " Ne vous bornez pas à considérer sur la terre les créatures visibles, ni même l'ordre des corps célestes, élevez-vous, par la pensée des choses sensibles aux choses intelligibles, contemplez la beauté des essences célestes , la magnificence de l'empire qui est là-haut, et vous saurez alors comment sa gloire est dans les cieux.
" Qui est comme le Seigneur notre Dieu qui habite les hauteurs (5) et regarde les choses humbles (6) ? " Ne vous semble-t-il pas que (137) voilà une grande parole? Néanmoins, si vous songez de qui il est question, vous la trouverez bien insuffisante. Il ne tarit pas, je l'ai dit, s'en tenir aux paroles, il tarit porter plus haut sa pensée. Comment peut-il habiter dans les cieux, celui dont la présence remplit le ciel et la terre, celui (lui est partout, celui qui dit : " C'est Dieu, c'est moi qui m'approche, Dieu n'est pas loin. (Jér. XXIII, 23.) Celui qui a mesuré le ciel à l'empan et la terre dans la paume de la main, celui qui embrasse le tour de la terre." (Isaïe, XL, 12,22.) C'est parce qu'alors il s'adressait aux Juifs qu'il emploie ce langage afin d'initier peu à peu leur esprit, d'élever, de soulever de terre insensiblement leur pensée. Voilà pourquoi le Psalmiste ne se borne pas à dire : " Celui qui habite les hauteurs leurs et qui regarde ce qui est humble; " il commence par dire d'abord : " Qui est comme le Seigneur notre Dieu? " et par là il explique la seconde partie de sa phrase. Il parie ainsi pour condescendre à la faiblesse des Juifs qui avaient la superstition des images et adoraient des dieux enfermés dans des temples et des lieux déterminés. Voilà pourquoi il procède par comparaison, bien que Dieu soit hors de comparaison avec quelque chose que ce soit, comme je l'ai dit plus haut (et je ne me lasserai pas de le répéter) : il approprie ainsi son langage à la faiblesse de ses auditeurs. Il songeait moins alors à parler dignement de la majesté divine, qu'à se faire comprendre des Juifs. C'est pour cela qu'il n'avance que pas à pas, sans néanmoins s'en tenir à la bassesse de leurs idées et tout erg leur découvrant des perspectives plus hautes. En effet, après ces mots : " Lui qui habite les hauteurs et regarde ce qui est humble, " il passe à un ordre de conception plus relevé, en ajoutant : " Dans le ciel et sur la terre. " Par là il indique que Dieu est à la fois là-haut et ici-bas. S'il considère ce qui se passe sur la terre, ce n'est pas de loin ni du tond du ciel, il n'est pas emprisonné dans le ciel, il est partout présent, il est auprès de chaque être.
3. Voyez-vous comment il élève progressivement l'esprit
de ses auditeurs? Après cela, quand il les a soulevés de
terre, qu'il a fixé sur le ciel leurs regards, afin de leur proposer
encore un plus grand spectacle, il passe à une autre preuve de la
puissance divine, en disant: " Celui qui tire de la poussière l'indigent,
et relève le pauvre de dessus son fumier (7). " (137) Car c'est
le propre d'une grande, d'une infinie puissance, que d'élever jusqu'aux
petites choses. Ailleurs l'Ecriture nous représente le contraire,
à savoir, les grandes choses abaissées, par exemple en ce
passage: " Broyant la force, et déchaînant le malheur contre
les solides remparts. " (Amos, V, 9.) — Ici au contraire il est dit que
Dieu sait élever les petits. Tout cela est dit en général.
Si l'on veut néanmoins y chercher un sens figuré, on verra
que cela s'applique très-bien aux nations, que le genre humain a
passé par un tel changement lors de la venue du Christ. En effet,
quoi de plus misérable que notre espèce? Cependant le Christ
l'a relevée, l'a fait monter au ciel avec nos prémices, l'a
fait asseoir sur le trône paternel. " Et relève le pauvre
de dessus son fumier. Pour le faire asseoir avec les chefs, avec les chefs
de son peuple (8). " Par ce mot fumier il désigne une basse condition,
et le coup subit qui vient la changer, montrant ainsi que tout pour Dieu
est aisé et facile. Il passe ensuite à quelque chose de plus
élevé. Qu'est-ce donc? C'est que Dieu sait non-seulement
bouleverser les fortunes et changer la bassesse en élévation,
mais déplacer les bornes de la nature même, et rendre mère
une femme stérile. Il poursuit donc ainsi : " Celui qui donne à
celle qui était stérile la joie de se voir dans sa maison
mère de plusieurs enfants (9). " C'est ce qui advint pour Anne et
pour mille autres femmes. Voyez-vous que l'hymne est désormais complet
et terminé? Le Psalmiste a dit le bonheur réservé
à la terre, comment le judaïsme devait finir, comment la lumière
d'une nouvelle loi, celle de l'Eglise; devait briller à son tour,
comment le sacrifice serait offert désormais en tout lieu. Ensuite
afin de convaincre les hommes les plus grossiers de la vérité
de sa prédiction, il confirme au moyen de faits passés ce
qu'il annonce pour l'avenir. Voici le sens de ses paroles: N'allez pas.
douter de ce grand changement, qui doit porter au plus haut degré
de gloire les nations perdues. Ne voyez-vous pas ces choses arriver tous
les jours? Les petits grandir et prendre place au premier rang. Ne voyez-vous
pas la nature corrigée dans ses imperfections, des lemmes stériles
qui deviennent mères tout à coup? Il est arrivé quelque
chose de semblable pour l'Eglise : elle était stérile, et
elle est devenue mère d'innombrables enfants. De là ces paroles
d'Isaïe : " Réjouis-toi, femme stérile, toi qui n'enfantes
point: (138) élève la voix et crie, toi qui ne portes pas
parce que les enfants de la délaissée sont plus nombreux
que ceux de l'épouse." (Isaïe, LIV, 1.) Il prédit ainsi
la future destinée de l'Eglise. Voilà pourquoi le Psalmiste
termine son hymne en cet endroit, après avoir donné à
sa prophétie la confirmation des faits précédemment
opérés par la grandeur de Dieu. Car tout ce que Dieu juge
à propos, il n'a pas de peine à l'accomplir. Il peut changer
l'ordre de la nature, convertir la bassesse en grandeur, et réformer
le coeur de l'homme. Instruits de ces vérités, faisons notre
devoir, et nous jouirons d'une gloire parfaite, nous atteindrons l'ineffable
sommet, grâce à la protection de Dieu, à qui puissance
et gloire, au Père, au Fils et au Saint-Esprit, maintenant et toujours,
dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit il.
EXPLICATION DU PSAUME CXIII. . " LORSQU'ISRAEL SORTIT DE L'ÉGYPTE,
ET LA MAISON DE JACOB D'UN PEUPLE BARBARE, DIEU PRIT POUR SANCTUAIRE LA
MAISON DE JUDA, ET ÉTABLIT SON EMPIRE DANS ISRAEL. "
1. Que Dieu avant de réclamer la foi, a prouvé sa puissance
par les miracles. — En quel sens la race d'Israël a été
le peuple de Dieu. — Royauté de Dieu signalée par des bienfaits.
2. Suite du même sujet. — Sens de quelques expressions figurées.
3. Sens de l'expression : Dieu d Abraham, et autres semblables. — Dieu invoqué au nom de sa gloire, exauce dans sa miséricorde.
4. Folie des idolâtres.
5. Qu'est-ce que bénir Dieu, être béni de Dieu? — Effets de la bénédiction divine avant l'Evangile et depuis que la sollicitude de la divine Providence est universelle. — Explication des mots les vivants, les endormis.
1. Le Psalmiste témoigne ici de la bonté de Dieu, de son infinie douceur. En quoi consiste cette bonté ? C'est que Dieu commence par nous donner des preuves de son pouvoir avant de réclamer notre adoration. Telle est la signification de ces paroles: " Lorsqu'Israël sortit de l'Egypte, Dieu prit pour sanctuaire la maison de Juda. " Alors, veut-il dire, il montra sa puissance par les miracles d'Egypte, par ceux du désert: alors aussi il prit possession de son peuple. Il avait tenu la même conduite avec Adam. D'abord il avait fait le monde et prouvé par là sa sagesse et sa puissance: ensuite il créa l'homme et exigea son adoration. De même encore le Fils unique de Dieu avait commencé par donner mille signes divers de sa mission
ayant de réclamer la foi. Voilà pourquoi il ne dit pas tout d'abord à ceux qui l'approchèrent les premiers, sans avoir encore aucun gage, aucune preuve de sa divinité: Croyez-vous que je puis faire cela? Il se bornait à montrer ses miracles. Mais quand il eut laissé dans chaque endroit de la Palestine des monuments de son pouvoir, guérissant les infirmes, chassant le vice, discourant sur le royaume, promulguant les lois de salut, alors il exigea la foi de ceux qui l'approchaient. Les hommes veulent commander d'abord, et ensuite ils songent à faire le bien: mais Dieu commence par les bienfaits. Et à quoi servirait-il de rappeler tous ceux que nous lui devons, quand il est allé jusqu'à endurer le supplice de la croix, et n'est devenu (139) le maître du monde qu'après avoir donné cette marque de sa sollicitude? Le psaume fait allusion à la même chose, en disant : " Lorsqu'Israël sortit de l'Egypte, et la maison de Jacob du milieu d'un peuple barbare, Dieu prit pour sanctuaire la maison de Juda. " — Lors de la sortie d'Egypte, du départ, de la délivrance. Que s'il ne se borne pas à dire " d'Egypte " et ajoute " du milieu d'un peuple barbare, " c'est pour indiquer la sollicitude de Dieu par ce nom donné aux ennemis de son peuple. — En effet, les Hébreux n'auraïent pu échapper à la servitude de ce peuple dur, inhumain, barbare, s'ils n'avaient été assistés par une main puissante, par un bras invincible. Ils étaient plus farouches que des bêtes sauvages, plus durs que des bêtes féroces, ces hommes qui s'étaient vu frapper de tant de plaies sans céder. En disant "peuple barbare," le Psalmiste montre l'infinie puissance de Dieu qui sut persuader à une nation barbare et inhumaine de laisser partir ses esclaves, puis l'y contraindre par la force, vaincre son obstination en la précipitant dans les flots, et délivrer ainsi son peuple.
Qu'est-ce à dire " Dieu prit pour sanctuaire la maison de Juda ? " C'est-à-dire que cette maison devint son peuple fidèle, dévoué, consacré à son service. Ce mot sanctuaire s'employait ordinairement en parlant du temple, du saint des saints : c'est ainsi que Zacharie nous représente des hommes qui font la question suivante : " Le sanctuaire est entré ici : est-ce que nous jeûnerons?" (Zach. VII, 3.) il s'agit ici du retour de l'arche et des autres choses saintes. " Dieu prit pour sanctuaire la maison de Juda. " Auparavant le pays était impur et souillé , mais après le retour du peuple, la ville devint le sanctuaire de Dieu c'est-à-dire qu'elle fut sanctifiée par les cérémonies saintes, les sacrifices, le culte, et tout l'appareil de la religion. " Et établit son empire " dans Israël. " Ce n'est pas que tout l'univers ne fût déjà sous son empire, mais les Israélites devinrent alors plus particulièrement ses sujets. Ils entendaient les prophéties, ils écoutaient la voix de Dieu, et leurs intérêts étaient de sa part l'objet d'une attention spéciale. Il y a encore une autre raison qui justifie ce titre de peuple de Dieu : c'est que souvent pour obéir à Dieu, ils marchaient au combat, ou à quelque autre entreprise. Car après les avoir tirés des mains des barbares, affranchis de la tyrannie, de la servitude, sauvés d'un extrême péril et d'une erreur impie, il était devenu leur roi. Ailleurs il dit pour établir son droit et montrer qu'avant d'exiger rien d'eux, il avait commencé par payer de sa personne : " Est-ce que j'ai été un désert pour la maison d'Israël, ou une terre en friche ? " Voici le sens de cette parole : ai-je été stérile pour vous ? Ne vous ai-je pas comblé de biens ? Ne suis-je pas allé jusqu'à changer l'ordre de la nature ? n'ai-je pas plié les éléments à votre service? Ne vous ai-je pas nourris sans vous imposer aucune des fatigues humaines ? Voilà pourquoi il dit : " Est-ce que j'ai été un désert pour la maison d'Israël ? " En d'autres termes, n'ai-je pas porté mille fruits pour elle ? délivrance d'Egypte, affranchissement de l'esclavage des barbares, prodiges, vivres dans le désert, partage de la Palestine, victoires sur les nations, trophées sans nombre, victoires multipliées, inconcevables merveilles, prodiges sur prodiges, fertilité de la terre, accroissement de population, gloire répandue par toute la terre, et mille autres bienfaits ? Voyez-vous les fruits de Dieu? Aussi le Prophète poursuit-il en disant " Est-ce que j'ai été une terre en friche ? " En d'autres termes : N'avez-vous pas reçu de moi mille bienfaits ? n'ai-je pas béni votre entrée et votre sortie, vos bergeries, votre bétail, votre pain, votre eau? ne vous ai-je pas mis en sûreté ? ne vous ai-je pas rendus indomptables, terribles, invincibles à tous ? tous les biens de la terre et du ciel n'affluaient-ils pas chez vous en abondance ? En effet, le roi se révèle surtout par l'intérêt, la sollicitude qu'il montre pour ses sujets.
2. C'est pour cela que le Christ a dit " le bon " berger... " qu'attendez-vous ? est honoré, courtisé ? non, " le bon berger donne sa vie " pour ses brebis. " En cela consiste l'autorité, en cela le talent d'un pasteur : à négliger ses propres affaires pour s'occuper de ses sujets. il en est d'un prince, comme d'un médecin ou plutôt ce qui est vrai de celui-ci l'est encore bien plus de celui-là. Le médecin consacre son art au salut d'autrui ; le prince y emploie jusqu'à ses propres périls. Ainsi fit le Christ, souffleté, crucifié, en butte à mille tortures ; d'où ce mot de Paul : " Le Christ ne s'est point complu en lui-même ; mais, comme il est écrit : les outrages de ceux qui vous outrageaient sont tombés sur moi. " (Rom. XV, 3 ; Ps. LXVIII, 10.) En conséquence le Psalmiste (140) rappelle ici un bienfait ou plutôt trois, et même une infinité: la fin de la captivité en pays barbare, de l'exil, de la servitude, de tant de maux et de misères, et une multitude de miracles accomplis : puis il rapporte comment Dieu a choisi les Juifs pour sanctuaire, pour sujets, car ceci même est un bienfait, et des plus grands, que de les avoir admis au rang de ses sujets. " La mer le vit et s'enfuit ; le Jourdain retourna en arrière (3). " Voyons le langage s'élever et le bienfait grandir. A quoi bon parler des barbares et des gentils, quand la création elle-même céda, changea de face à la vue d'un tel guide, à la voix d'un pareil conducteur ? En effet rien ne résistait alors au peuple hébreu, afin que tous pussent juger que les événements ne se passaient point suivant l'ordre des choses humaines, que c'était une puissance divine et cachée qui opérait tant de miracles. Considérez la sublimité du langage, et comme elle est bien à sa place. Le Psalmiste ne dit pas : " reculé ni a fait place, mais bien la mer le vit et s'enfuit. " Par là il veut représenter la vitesse de cette retraite, le degré de cet effroi, la facilité de l'opération divine.
Et pour qu'on n'aille pas croire que ces choses s'accomplirent par hasard ou dans un temps marqué par la nature, elles né se renouvelèrent pas: elles n'eurent lieu qu'une fois, sur l'ordre de Dieu et avec acception de personnes. La violence désordonnée des eaux devint à sa voix, comme une force animée et raisonnable, pour sauver les uns, perdre les autres, ensevelir ceux-là , faciliter le passage de ceux-ci. On peut observer la même chose au sujet de la fournaise de Babylone. Le feu, cet élément indiscipliné par nature se montra docile à la volonté de Dieu, lorsqu'il épargna ceux qui étaient dans la fournaise et s'élança sur ceux qui étaient alentour pour les consumer. " Le Jourdain retourna en arrière. " Voyez-vous que les miracles s'opèrent dans des temps et des lieux divers? Afin de montrer aux hommes que la puissance de Dieu est répandue partout, qu'aucun lieu ne l'enferme, Dieu fit éclater ses prodiges dans le désert, dans le pays des barbares et partout, tantôt en mer, tantôt sur les fleuves, tantôt à l'époque de Moïse, tantôt à celle de Jésus : partout les miracles accompagnaient le peuple de Dieu, afin que sa dureté et son aveuglement, cédant à la vertu de ces prodiges, devinssent capables d'accueillir avec docilité la vraie doctrine. " Les montagnes ont bondi comme des béliers et les collines comme des agneaux (l4). " Ici une importante question s'élève. Quelques-uns conçoivent des doutes, et disent: nous sommes instruits des événements pissés ; l'histoire nous apprend que la Mer Rouge s'entr'ouvrit à la sortie, que le Jourdain retourna en arrière au passage de l'arche : mais que les montagnes et les collines ont tressailli, c'est ce qu'aucune relation ne nous révèle. Que répondre à cela? Il faut répondre que le Prophète voulant représenter avec force l'allégresse , ainsi que la grandeur des miracles, prête aux choses inanimées elles-mêmes, les tressaillements et les soubresauts que la joie cause chez les êtres vivants. De là cette comparaison ajoutée " comme des béliers et comme des agneaux." En effet, quand ces animaux se réjouissent; ils marquent leur plaisir par des trépignements. Ainsi donc, de même qu'un autre dit à propos de malheurs, que la vigne et le vin ont été dans le deuil (Is. XXIV, 7), non que la vigne puisse être dans l'affliction, mais afin d'indiquer un extrême abattement par cette hyperbole qui associe les êtres inanimés eux-mêmes à la douleur générale : de même le Psalmiste, en cet endroit., fait participer la création à la joie dont il parle, afin de montrer combien elle est grande. Ne disons-nous pas de même que la joie anime tout à l'approche d'un personnage illustre ? Vous avez rempli de joie notre maison, disons-nous: non pas que nous ayons en vue les murs, mais afin de représenter l'excès de l'allégresse. " Pourquoi, ô mer, as-tu fui? et toi, Jourdain, pourquoi es-tu retourné en arrière (5) ? " "Pourquoi avez-vous bondi, montagnes, comme des béliers, collines, comme des agneaux (6) ? " Il continue sous forme d'interrogation, et converse avec les éléments, en vertu de la même idée qui lui a dicté cette expression " bondir? " S'il pariait ainsi sans attribuer d'ailleurs le sentiment à ces choses, mais pour marquer comme je l'ai dit plus haut un excès de joie et de bienfaits, c'est dans le même sens qu'il leur adresse cette question : il ne croit pas qu'elles puissent lui répondre ni qu'elles sentent rien: il ne veut que donner plus d'énergie à son langage, et montrer ce qu'il y a d'extraordinaire dans les événements.
3. C'est parce qu'il s'agit d'un fait inouï et (141) contraire à l'ordre de la nature qu'il interroge, et fait ensuite la réponse. Quelle est cette réponse ? " La terre a été ébranlée à la présence du Seigneur, à la présence du Dieu de Jacob (7). " Ici encore ébranlement signifie surprise, étonnement, stupeur, et est destiné à faire ressortir la grandeur des événements. Puis, afin de montrer ce que vaut la vertu d'un homme, il recourt au nom du serviteur pour désigner le Maître. Ce que Paul signale comme la plus glorieuse prérogative qui ait été conférée aux saints de ce temps, en récompense de leur détachement à l'égard de toutes les choses terrestres. En effet , il ne se borne pas à faire mention du privilège, il en indique encore la raison , afin de révéler à son auditeur le moyen d'y participer. En quoi consiste ce privilège ? en ce que le Maître est désigné par le nom de ses serviteurs. De là cette parole : " Pour ce motif Dieu ne rougit point d'être appelé leur Dieu. " ( Hébr. XI, 16.) Mais comment s'appelait-il leur Dieu? En disant : " Je suis le Dieu d'Abraham, et le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob. " (Exode, III, 6.) . Plus haut, Paul indique le motif de cette appellation , en disant : " Et torrs ceux-ci sont " morts, n'ayant pas reçu les biens promis, " mais les voyant et les saluant de loin et confessant qu'ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre. " (Hébr. XI, 13.) Voilà le motif, et par là s'explique la suite : " Pour ce motif, Dieu ne rougit point d'être appelé leur Dieu. " Quel est ce motif? dites-moi. C'est qu'ils ont confessé qu'ils étaient étrangers et voyageurs, qu'ils n'avaient rien de commun avec ce monde; c'est qu'ils ont rompu avec les choses terrestres , et vécu ici-bas comme en exil. Qui changea la "pierre en des torrents d'eau, et la roche en des fontaines (8). " Quel pardon peuvent espérer encore, je vous le demande, les obstinés et les endurcis? Quand la roche et la pierre amollissent leur dureté pour obéir aux ordres de Dieu, l'homme doué du privilège de la parole, l'homme, le moins farouche des êtres, se montrera plus insensible ! Par roche il désigne ici un genre de pierre que le fer entame difficilement, et dont il peut tout an plus écorcher la surface. Eli bien ! la roche elle-même s'est amollie, a changé de nature pour ! livrer passage à une onde jaillissante. En effet, le Créateur de la nature sait aussi en déplacer les bornes, en bouleverser l'ordre : et il l'a fait plus d'une fois pour montrer que c'est lui qui a tiré toutes choses du néant. En conséquence, après avoir rappelé les anciens bienfaits de Dieu, ses prodiges, ses miracles, comment il mit fin à la servitude en pays barbare, comment il remit son peuple en liberté, bouleversa les éléments, répandit partout la joie, le Psalmiste l'invoque au secours de sa détresse présente, et se réfugie dans le même port. Ensuite comme ces anciens bienfaits n'avaient point été accordés au mérite, mais dus seulement à la bonté de Dieu, et octroyés en vue de son nom : " Afin que mon nom ne soit pas profané, " est-il écrit (Ezéch. XX, 9), afin aussi que tous fussent instruits par la vue des événements du pouvoir de la divinité, et en tirassent un enseignement, il fait valoir cette nouvelle considération, en disant : Quand bien même notre vie ne plaiderait pas pour nous, quand nos actions ne nous donneraient pas crédit auprès de vous, agissez pour votre nom, comme disait autrefois Moïse. Voici ces paroles, analogues à celles de ce personnage : " Non pas pour nous, Seigneur, non pas pour rions; mais donnez la gloire à votre nom (9). " Non pas pour nous, non pas pour nous rendre illustres ou renommés, mais pour manifester en tous lieux votre propre puissance. Mais si son nom est glorifié quand il nous prête aide et protection, il l'est aussi quand nous vivons dans la vertu et brillons par notre conduite. " Que votre lumière brille devant les hommes, " afin qu'ils voient vos belles actions, et qu'ils a glorifient votre Père qui est dans les cieux. " Comme il est glorifié par nos vertus, il est blasphémé par nos mauvaises actions. C'est ce qu'il indique par la bouche dit Prophète, en disant : " Mon nom est blasphémé à cause de vous parmi les nations. " (Isaïe, LII, 5.) N'ayant pas d'autre moyen de plaider la cause des hommes, le Psalmiste recourt au même moyen que Moïse.
Mais Dieu n'agit pas toujours de même dans sa sollicitude pour notre salut. S'il devait toujours opérer de même, beaucoup de tièdes deviendraient pires, parce qu'ils compteraient sur sa gloire comme sur un gage infaillible de sécurité et de salut pour eux-mêmes. Mais il n'en est pas ainsi. Car Dieu ne se soucie pas tant de sa gloire que de notre salut. S'il est des hommes qui méprisent la gloire, à plus forte raison en est-il ainsi de Dieu, qui n'a besoin d'aucune des choses que nous pouvons donner : mais comme je l'ai dit, le Prophète, (142) ayant rôle d'avocat emploie le moyen de justification dont il dispose, et le reproduit même à deux reprises, en disant : " Non pas pour nous, Seigneur, non pas pour nous ; " insistant ainsi sur l'indignité de ceux dont le salut est en question . " mais donnez la gloire à votre nom. " Quant à nous, nous méritons mille maux, mais faites en sorte que votre nom ne soit pas profané. " Pour votre miséricorde et votre vérité (10). " Un autre interprète dit : " A cause de votre miséricorde. " Vous le voyez, il n'ignore pas lui-même que souvent Dieu, dans son mépris pour cette première considération, n'envisage qu'une chose, l'amendement des pécheurs. Voilà pourquoi il ajoute : " Pour votre miséricorde et votre vérité. " En d'autres termes, à cause de votre miséricorde, secourez-nous: quand bien même vous vous souciez peu de la gloire qui vient des hommes, songez à votre miséricorde, à votre vérité. On peut en effet, on peut acquérir de la gloire par lé châtiment non moins que par la compassion. Mais ce n'est pas en cette considération que je vous sollicite, c'est au nom de votre miséricorde. Nous devrions glorifier votre nom par notre vie, notre conduite. Mais puisque nous nous sommes privés nous-mêmes de ce titre, aidez-nous par bonté, par miséricorde : " De peur que les nations ne viennent à dire : où est leur Dieu? "
4. J'entends bien des personnes, aujourd'hui encore, proférer le même veau : mais il est à craindre qu'elles ne parlent sans savoir ce qu'elles disent : autrement verrions-nous tant de rapines, d'injustices, de crimes de toute sorte?
" Notre Dieu a fait dans le ciel et sur la terre tout ce qu'il a voulu (11): " Ici il redresse l'erreur des hommes déraisonnables. Attendu que beaucoup d'hommes méconnaissent l'existence de Dieu, il combat cette opinion en disant : " Notre Dieu a fait dans le a ciel tout ce qu'il a voulu. " Par conséquent, il l'a fait à bien plus forte raison sur là terre. Mais qu'est-ce à dire, il a fait dans le ciel tout ce qu'il a voulu? Il veut parler ou des puissances d'en-haut et des peuples innombrables qui habitent le ciel, ou de la facilité avec laquelle les ordres divins sont accomplis. Que si la terre offre beaucoup de désordre et de confusion, ne vous en étonnez point. Cela provient de la méchanceté des hommes, et non de l'impuissance de Dieu , dont les choses célestes montrent assez la force et le pouvoir. S'il n'en est pas ainsi sur la terre, la faute en est à ceux qui se rendent indignes.
On en trouvera encore une autre raison, si l'on considère que la longanimité s'oppose à ce que beaucoup d'actions reçoivent ici-bas la rétribution qui leur est due. Voilà pourquoi on voit des méchants obtenir l'avantage sur des justes : c'est que le bon Dieu ne veut pas demander sur-le-champ compte à chacun de ses fautes, sans cela notre espèce serait anéantie depuis longtemps. Ce passage signifie donc que Dieu est fort, puissant, capable de punir; les choses du ciel en sont la preuve : s'il ne punit pas, c'est qu'il use de longanimité, et veut attirer les coupables au repentir. " Les idoles des nations sont de l'argent et de l'or, des ouvrages de la main des hommes (12). Elles ont une bouche et elles ne parlent point, elles ont des yeux et elles ne verront point (13). Elles ont des oreilles et n'entendront point, elles ont des narines et ne sentiront point (14). Elles ont des mains sans pouvoir toucher, elles ont des pieds sans pouvoir marcher, elles ne crieront point avec leur gorge (15). Que ceux qui les font leur deviennent semblables (16)." Dans le psaume CV, pour montrer leur démence, il disait : " Ils ont sacrifié leurs fils et leurs filles aux démons. " (37). Ici il fait voir la stupidité de ces adorateurs d'une matière inanimée. Et il passe en revue tous les membres des idoles, afin de compléter la dérision. Puis il poursuit en disant : " Que ceux qui les font leur deviennent semblables, et tous ceux qui s'y confient." C'est vertu, en général, que de ressembler à Dieu : ici c'est un, malheur qu'il leur souhaite. Songez à ce que peuvent être ces dieux, quand on ne saurait rien souhaiter de pire à quelqu'un que de leur ressembler. Il s'y prend à merveille, on le voit, pour railler l'extrême folie des idolâtres et les couvrir de ridicule.
Et comment ne serait-il pas ridicule, je vous le demande, de rendre un hommage fidèle à une statue qui offre l'image de la suprême indécence? Qui voudrait voir une femme nue? Eh bien ! le démon ne nous guette pas moins auprès d'une représentation semblable. Les idoles sont des images tantôt de fornication, tantôt de sodomie. Que signifient cet aigle, ce Ganimède , cet Apollon qui poursuit une vierge, et tant d'autres figures abominables? (143) Partout luxure, partout incontinence, partout des représentations d'amours illicites et furieuses. Images, fêtes, solennités, mystères, toutes ces choses attestent, rappellent, enseignent des infamies, et non pas seulement des ordures, mais encore des homicides. C'est ainsi que l'on s'y prend pour apaiser ces démons. Là on ne trouve qu'incontinence, orgies, cruauté, barbarie, homicides : tels sont les seuls éléments des fêtes. Après avoir raillé, en conséquence, l'insensibilité des idoles, et l'aveuglement de ceux qui s'y confient, il en revient aux louanges de Dieu, en disant : " La maison d'Israël a espéré dans le Seigneur, il est leur auxiliaire et leur protecteur (17). La maison d'Aaron a espéré dans le Seigneur, il est leur auxiliaire et leur protecteur (18). Ceux qui craignent le Seigneur ont espéré dans le Seigneur, il est leur auxiliaire et leur protecteur (19)." Par là, il proclame à la fois la puissance de Dieu et son élévation incomparable au-dessous de tous les êtres. En mettant sous nos yeux ce que Dieu a fait pour le peuple Juif, il nous rappelle un double ou plutôt un triple bienfait. En premier lieu, Dieu a délivré les Juifs des démons; en second lieu, il s'est fait connaître; en troisième lieu il a prêté son assistance.
Le Psalmiste parle ensuite séparément d'Israël, de la race sacerdotale, et de ceux des Gentils qui vinrent se joindre au peuple de Dieu. Ce n'est pas la même chose, en effet, qu'un prêtre et un simple particulier : le prêtre a un titre de plus. La division est donc en ce point justifiée par la prérogative de l'ordre sacerdotal.
5. Ensuite, voulant montrer que la Providence divine ne s'étendait point seulement sur la Judée, il fait mention également des étrangers, des païens réunis, et dit que le secours et la bénédiction sont devenus choses communes à tous. " Le Seigneur s'étant souvenu de nous, nous a bénis. Il a béni la maison d'Israël; il a béni la maison d'Aaron (20). Il a béni ceux qui craignent le Sei" gneur (21). " Qu'est-ce à dire : " Il a béni?" C'est-à-dire il a comblé de biens. L'homme peut aussi bénir Dieu, en disant, par exemple bénis, mon âme, le Seigneur. Mais celui qui bénit Dieu ne rend service qu'à lui-même; il ajoute à sa propre gloire sans obliger Dieu en aucune façon. Dieu, au contraire, en nous bénissant, nous rend plus glorieux sans y rien gagner lui-même. Rien ne manque, en effet, à la divinité : de sorte que, dans les deux cas, le profit est pour nous-mêmes. Mais comment les a-t-il bénis? Il leur a envoyé du pain du haut du ciel, il a fait jaillir pour eux l'eau d'un rocher, il a protégé leur entrée, leur sortie; il a multiplié leur bétail, leurs troupeaux, il les a nommés son peuple, il a fait de la prêtrise une royauté, il a donné la loi, il a envoyé ses prophètes. De là, ces assurances qu'on lit ailleurs : " Il n'a pas fait ainsi pour chaque peuple, et il ne leur a pas manifesté ses jugements. " (Ps. CXLVII, 9.) Et encore : " Quelle nation est assez sage pour que le Seigneur Dieu s'en approche? Les petits avec les grands. " (Deut. IV, 7.) C'est-à-dire qu'aucune race n'était privée de bénédiction, et que les mêmes grâces étaient répandues sur tous. " Que le Seigneur vous multiplie, vous et vos fils (22). " Encore une espèce de bénédiction, l'accroissement de la race. Le contraire est représenté par un autre comme un châtiment, en ces termes : " Nous avons diminué de nombre, et nous sommes bien peu par rapport à tous ceux qui habitent la terre. " (Dan. III, 37.) Même en Egypte, ils jouissaient de cette bénédiction ; malgré la foule des obstacles, les travaux, la misère, la barbarie de leurs tyrans, rien ne pouvait arrêter l'accomplissement de la parole divine, et la bénédiction produisit de tels effets qu'en deux cents années ils devinrent six cent mille. En cela consistait alors la bénédiction; aujourd'hui, sous le règne de la nouvelle loi, elle produit des effets bien plus relevés. Paul a dit : " Béni Dieu, qui nous a bénis de toute bénédiction spirituelle, des dons célestes dans le Christ ! " (Ephés. I, 3.) Et ailleurs : " Mais à celui qui est puissant pour tout faire bien au delà de ce que nous demandons ou concevons, à lui gloire dans l'Eglise! " (Ib. III, 20, 21.) Les prophètes de l'ancien temps, quand ils voulaient faire du bien à quelqu'un, avaient recours à la bénédiction qu'on a vue. Elisée fit présent d'un fils à la femme qui l'avait accueilli. Sous la nouvelle loi , les bienfaits sont autres et incomparablement plus grands. Ce n'est pas là ce que la marchande de pourpre demandait aux apôtres. Qu'était-ce donc? " Si vous n'avez pas jugé que je suis indigne devant le Seigneur, entrez et restez chez moi. " (Act. XVI, 15.)
Voyez-vous la différence, la diversité des (144) prières aux temps de l'Ancien et sous le Nouveau Testament? Le Christ a dit de même: " Réjouissez-vous de ce que vos noms ont été inscrits dans les cieux. " Et Paul : " Que Dieu vous remplisse de toute grâce et de toute gloire dans votre joie, afin que vous abondiez dans l'espérance et dans la vertu de l'Esprit-Saint. " (Rom. XV, 13.) Bénédiction dont la vertu est d'accorder des biens ineffables et n'a rien de terrestre. Paul dit encore : " Dieu écrasera Satan sous vos pieds promptement. " Mais aux temps de l'ancienne loi, quand les hommes étaient plus grossiers, c'étaient les choses sensibles qui formaient le tissu de la bénédiction, et la fécondité des femmes était regardée comme un bien incomparable. En effet, une fois que la mort eut été introduite à la suite du péché, Dieu voulant consoler notre espèce, et lui montrer que loin de vouloir l'exterminer, l'anéantir, il la rendrait au contraire bien plus nombreuse, prononça ces paroles : " Croissez et multipliez. " (Gen. IX, 1.) Mais la mort n'eut pas été plus tôt reconnue pour un simple sommeil, que la virginité devint un titre d'honneur. D'où ces mots de Paul : " Je voudrais que tous les hommes fussent dans la continence, ainsi que moi. " Et encore : " Il est avantageux à l’homme de ne toucher aucune femme. " (I Cor. VII, 7.) Et ces paroles du Christ : " Il y a des eunuques qui se sont faits eunuques en vue du royaume des cieux. " (Ib. V, 1; Matth. XIX, 12.) D'ailleurs, dès le principe, Dieu avait fait entendre qu'on a besoin de vertu et non d'une postérité nombreuse. Ecoutez en quels termes un sage dit : " Ne désirez point une troupe inutile d'enfants, s'ils n'ont pas la crainte de Dieu; et ne vous occupez pas de leur nombre. Car mieux vaut un que mille et mourir sans postérité que d'avoir des enfants impies; et mieux vaut un qui fait la volonté du Seigneur que mille qui transgressent la loi. " (Eccli. XVI, 4.) Mais les stupides Juifs, dans leur attachement à la chair, dans leur insouciance pour la vertu, disaient : " Que cherche Dieu, sinon la progéniture? " (Malach. II, 15.) Aussi, voulant leur montrer que ce n'est pas. cela qu'il cherche, en mille circonstances, il punit leurs vices par la mort. " Soyez bénis du Seigneur (23). " Remarquez ces derniers mots. Voilà, en effet, la bénédiction véritable. Il y a aussi des gens qui sont bénis parmi les hommes; mais les biens qui leur en reviennent sont humains. La suprême bénédiction, la voici : les hommes, bénissent, en ce sens qu'ils louent, célèbrent les hommes riches, puissants, glorieux. Mais c'est là une bénédiction temporaire, et inutile au moment même où elle se fait sentir : celle de Dieu est perpétuelle, et elle nous seconde dans les plus grandes choses. " Qui a fait le ciel et la terre. "
6. Voyez-vous le pouvoir de la bénédiction? Les paroles de Dieu deviennent des réalités. c'est une de ces paroles, du moins , qui a créé le ciel. " Par une parole du Seigneur, " est-il écrit , " les cieux furent établis, " (Psal. III, 2-6.) La parole dont il vous bénit, c'est cette parole puissante.
" Le Ciel du ciel est au Seigneur; la terre, il l'a donnée aux fils des hommes (24). " Que dites-vous ? Il a choisi le ciel pour en faire son séjour, et après s'être réservé l'étage supérieur, il nous a assigné cette terre pour habitation ? A Dieu ne plaise ! ce langage est celui de la condescendance. S'il en était ainsi que vous dites, comment subsisterait dès lors cette autre parole divine : " Est-ce que je ne remplis pas le ciel et la terre? dit le Seigneur. " (Jér. XXIII, 24.) Car ces deux choses sont contradictoires, si nous nous en tenons au sens qui s'offre tout d'abord , au lieu d'approfondir la doctrine qui y est renfermée. Que signifie donc ceci: " Le Ciel du ciel est au Seigneur : la terre, il l'a donnée aux fils des hommes?" C'est une expression de condescendance qui n'implique point que Dieu soit confiné dans le Ciel. Ce n'est pas. non plus parler dignement de lui que de dire : " Le ciel est son trône, et la terre son escabeau, (Isaïe LXVI, 4) : " encore le langage de la condescendance. Dieu embrasse tout, supporte tout, loin d'être assujetti à aucune condition de lieu, il domine lui-même et contient toutes choses; s'il est écrit que le ciel est sa maison , c'est parce que ce lieu est pur d'iniquité. Le ciel ne marque donc pas en cet endroit un séjour choisi, non plus que dans cet autre passage : " Il a marqué les limites des peuples selon le nombre des anges de Dieu, (Deut. XXXII, 8) ; " et dans celui-ci: " Il a choisi la maison de Jacob. " (Ps. CXXXIV, 4.) N'entendez point par là que les Juifs deviennent les siens, à l'exclusion des autres hommes,. abandonnés désormais de sa providence , et frustrés de son secours. Dieu est commun à tous les hommes. ce langage (145) n'est employé ici que pour marquer la tendresse particulière qu'il avait pour les Juifs, comme valant mieux, il faut bien le croire, que les autres hommes. En effet, qu'il ne les choisit pas à l'exclusion des autres, que sa sollicitude demeura toujours universelle, c'est ce que montrent et les faits d'avant Moïse, et tout ainsi bien ceux qui arrivèrent de son temps ; enfin ceux qui se passèrent successivement après lui. Le soleil , la terre , la mer, tout le reste fut donné à tous en commun par le Seigneur; chez tous il implanta pareillement la loi naturelle. Abraham était perse (1) : Dieu l'aima, le fit, changer de pays, il se servit de lui pour corriger les Egyptiens , les habitants de Chanaan , ceux qui venaient de la Perse; de son fil. et de son petit-fils pour rendre meilleures, autant qu'il lui appartient, beaucoup de peuplades voisines. Après la naissance de Moïse, il achemina les Egyptiens à la doctrine sainte par sa conduite envers les Juifs; de même les habitants de la Palestine, et ensuite ceux de Babylone : Ainsi, en disant: " Le ciel du ciel est au Seigneur, " le Psalmiste entend que le Seigneur se complaît, dans les habitants de ce séjour, parce qu'ils sont exempts de toute iniquité. Et vous-même, si vous ne restez pas attaché à la terre , si vous devenez un ange, vous monterez promptement au ciel et dans la maison paternelle; même avant le jour de la résurrection, vous voilà émigré d'ici-bas , et promu aux honneurs. Car de même que beaucoup de sénateurs conservent leur dignité, quoique vivant à la campagne; de même si vous voulez devenir citoyens du ciel, même en vivant ici-bas, vous jouirez de cette dignité. " Les morts ne vous loueront pas , Seigneur, ni tous ceux qui descendent dans l'enfer (25)."
"Mais nous les vivants, nous bénirons le Seigneur dès maintenant et dans tous les siècles (26). " Par " morts " il n'entend pas ici les trépassés, mais ceux qui sont décédés dans l'impiété , ou ceux qui ont vieilli clans le péché. Abraham, Isaac, Jacob, avaient déjà fini leurs jours, qu'ils vivaient encore, en ce sens que leur méritoire était honorée par les vivants. Quand Moïse prie pour le peuple placé sous sa conduite, il se sert de leurs noms pour émouvoir Dieu, il les adjoint à sa supplication. C'est encore en leur nom, que les trois enfants sollicitent leur délivrance. " Ne détournez pas
1 Saint Chrysostome ne signe par ce nom les Chaldéens, ainsi que dans d'autres passages Abraham venait de la Chaldée.
votre miséricorde de nous, à cause d'Abraham qui fut aimé
de vous, d'Isaac votre serviteur, et d'Israël votre saint. " (Dan.
III, 35.) Comment les appeler morts, eux qui jouissaient d'un pareil pouvoir?
Le Christ a dit : " Laissez les morts ensevelir leurs morts. " (Matth.
VIII, 22.) C'est pour cela que Paul appelle les défunts non pas
les morts, mais: " Les endormis: Je ne veux pas que vous ignoriez , " dit-il,
" mes frères , au sujet des endormis. " (I Thess. VI, 12.) Car le
juste même trépassé n'est pas mort, il n'est qu'en
état de sommeil. Celui qui doit être envoyé dans une
vie meilleure, n'est qu'endormi : celui qui doit. être traîné
à la mort. éternelle , celui-là est mort, qu'il soit
défunt ou en vie. Les uns descendent dans l'enfer, les autres monteront
au ciel , et seront avec le Christ. Aussi le Prophète ne dit-il
pas simplement: les vivants, mais " Nous les vivants , " se désignant
ainsi lui-même. Et d'où vient cette addition? De ce que Paul
s'est exprimé de même en disant " Nous les vivants, nous qui
restons, nous n’arriverons pas les premiers en la présence du Seigneur.
" (I Thess. IV, 16.) De même qu'ici , ce mot " Nous " ne permet pas
d'appliquer la phrase à tout le monde, mais seulement aux fidèles
, à ceux qui imitent la conduite de Paul , ainsi dans notre texte:
" Nous les vivants, " doit s'entendre de ceux qui vivent dans la vertu
, à la façon de David. " Dès maintenant et dans tous
les siècles. " Voyez-vous comme la suite confirme cette interprétation,
à savoir, qu'il parle de ceux qui vivent selon la vertu ? Personne
ne vit ici-bas jusque dans l'éternité, c'est le privilège
de ceux-là seuls, comme destinés à une immortalité
glorieuse. Les pécheurs vivent aussi ; mais c'est dans les tourments,
les supplices, les grincements de dents : les autres vivent dans tout l'éclat
de la gloire, et leur seule occupation est d'offrir à Dieu les hymnes
mystiques avec les puissances incorporelles. Tâchons d'obtenir cette
vie afin de goûter le même bonheur, afin d'entrer en possession
du partage que rien ne peut représenter, pas plus l'esprit que la
parole , et dont l'expérience seule peut révéler les
délices, desquelles puissions-nous tous jouir, par la grâce
et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui
gloire et puissance, maintenant et toujours , et dans les siècles
des siècles. Ainsi soit-il.
EXPLICATION DU PSAUME CXIV. 1. " J'AI AIME PARCE QUE LE SEIGNEUR EXAUCERA
LA VOIX DE MA PRIÈRE. "
ANALYSE.
1. Des vrais et des faux biens. Pourquoi Dieu permet la souffrance. Le bien de l'âme, souverain bien.
2. Providence de Dieu à l'égard des enfants. Bienfait de la mort et des souffrances.
3. Félicité de la vie future.
1. Et quel est l'homme, direz-vous. qui n'aime pas, quand on l'exauce? Beaucoup de mondains. Ils ne veulent pas écouter quelles sont les choses qui leur importent, et ils en souhaitent qui ne leur sont point avantageuses : puis, exaucés, ils gémissent et se désolent. Ce qui nous est avantageux, c'est ce que Dieu connaît pour tel, quand ce serait la pauvreté, la faim, la maladie, que sais-je encore? Ce que Dieu juge nous être utile, ce qu'il nous donne, voilà les choses profitables. Ecoutez plutôt ce qu'il dit à Paul : " Ma grâce te suffit, car ma puissance se consomme dans la faiblesse. " (II Cor. XII, 9.) C'est que l'intérêt de Paul était d'être persécuté, affligé, opprimé. Instruit par cette réponse, il dit "Aussi, je me complais dans les infirmités, les injures, les persécutions. " (Ib. 10.) 1l n'appartient donc pas aux premiers venus de se réjouir quand Dieu les exauce, en procurant leur bien. Beaucoup veulent de faux biens et s'y complaisent. Tel n'était pas le Prophète: il aima, quand Dieu l'eut exaucé, en lui accordant ce qui lui était utile, " Parce qu'il a incliné son oreille vers moi (2). " Encore des expressions humaines pour représenter le consentement de Dieu. Cette parole renferme de plus une autre allusion; il a l'air de dire : je ne méritais pas d'être entendu ; mais il est descendu jusqu'à moi. " Et dans mes jours je l'invoquerai. " Qu'est-ce à dire, " dans mes jours?" Parce que j'ai été exaucé, veut-il dire, je ne veux pas pour cela m'enfuir ni me relâcher; je consacrerai tous mes jours à cette occupation.
" Les douleurs de la mort m'ont environné, les dangers de l'enfer m'ont surpris. J'ai trouvé l'affliction et la douleur (3); et j'ai invoqué le nom du Seigneur (44). " Voyez-vous quelle forte armure? quelle consolation efficace contre toutes les épreuves? quelle âme échauffée par l'amour du Maître? Voici ce qu'il veut faire entendre : il m'a suffi, pour échapper aux maux qui m'environnaient, d'invoquer, le Seigneur. Pourquoi nous, l'invoquons-nous tant de fois sans être tirés de peine ? C'est que nous ne l'appelons pas comme il faut. Pour lui il est toujours prêt à (117) nous seconder. Ecoutez plutôt ce qu'il dit dans les Evangiles : " Quel est d'entre vous l'homme qui , si son fils lui demande du pain, lui "présentera une pierre? Ou, si c'est un poisson qu'il lui demande, lui présentera-t-il un serpent? si donc vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent?" (Matth. VII, 9, 49.) Voyez-vous combien grande est cette bonté auprès de laquelle la nôtre ne paraît plus que méchanceté? Puisque tel est notre maître , recourons toujours à lui , invoquons-le, lui seul , à notre aide et nous le trouverons prêt à nous sauver. Si des naufragés réfugiés sur une planche flottante n'ont qu'à appeler les premiers venus du plus loin qu'ils les aperçoivent, pour émouvoir leur charité, bien qu'ils n'aient rien de commun avec eux, et pas d'autre recommandation que leur infortune, à bien plus forte raison le bon Dieu en qui la miséricorde est innée a-t-il pitié des malheureux, pour peu qu'ils consentent à recourir à lui, à l'invoquer avec ferveur, renonçant à toutes les espérances humaines. Par conséquent , si vous venez à tomber dans quelque infortune imprévue, ne vous laissez pas abattre, relevez aussitôt votre courage et réfugiez-vous dans ce port sans orages , dans cette imprenable tour qui est l'assistance de Dieu. Car si Dieu vous laisse tomber, c'est afin que vous l'invoquiez. Mais c'est justement alors que la plupart se laissent décourager et perdent jusqu'à la piété qu'ils avaient , quand ils devraient faire tout le contraire. C'est l'amour extrême de Dieu pour nous, c'est son désir de nous attacher plus étroitement à lui qui le détermine à souffrir que nous tombions dans la peine. Les mères se servent de masques effrayants pour forcer leurs enfants rebelles à se jeter dans leurs bras: ce n'est pas qu'elles veuillent leur causer du chagrin, mais elles imaginent ce moyen pour les retenir auprès d'elles. De même Dieu , dans son désir constant de vous attacher à lui, dans son amour extrême, si ce n'est trop peu dire encore, permet que vous tombiez dans de telles épreuves: et c'est afin que vous vaquiez perpétuellement à la prière, que vous l'invoquiez continuellement, que vous négligiez tout le reste pour ne songer qu'à lui. " O Seigneur, délivrez mon âme. " Un autre interprète traduit: " Je vous en prie, Seigneur , retirez mon âme. " Un autre : " O Seigneur, sauvez mon âme. "
Voyez-vous la sagesse du Psalmiste? Comment il oublie toutes les choses mondaines pour s'occuper d'un seul objet, de maintenir son âme à l'abri de toute atteinte qui pourrait lui porter préjudice? En effet, si l'âme se porte bien, tout le reste suivra : au contraire si elle va mal, il n'est point de prospérité qui puisse dès lors nous être bonne à quelque chose. Aussi ne faut-il négliger aucun moyen, action ou parole, pour la sauver. C'est le sens caché dans cette parole : " Soyez prudents comme les serpents. " (Matth. X, 16.) Ainsi que le serpent sacrifie le reste de son corps pour sauver sa tête, ainsi vous devez, vous, tout immoler au salut de votre âme. En effet, ni la pauvreté, ou la maladie, ni cet autre mal qui paraît être comme le résumé des autres, la mort, ne sont en état de nuire à ceux qu'ils frappent, tant que leur âme reste intacte: pareillement la vie même cesse d'être un avantage, quand l'âme est perdue ou gâtée. C'est pour cela que le Psalmiste parle de l'âme et de l'âme seule , qu'il souhaite que le jugement ne lui soit pas rigoureux, et qu'elle échappe aux intolérables supplices. " Le Seigneur est miséricordieux et juste, et notre Dieu a pitié (5). " Voyez-vous comment il enseigne à l'auditeur à ne pas désespérer, à ne point se décourager? C'est à peu près comme s'il disait: point de désespoir: Dieu est miséricordieux. Point de découragement: Dieu est juste. De cette façon il guérit l'un du relâchement, l'autre du désespoir: et par là il travaille doublement à notre salut.
2. Puis, afin de montrer que Dieu incline plutôt vers la miséricorde, il poursuit en répétant : " Et notre Dieu a pitié. " Il dit à dessein " notre Dieu, " afin de l'opposer aux dieux dont il a parlé précédemment. Ces autres dieux ont pour occupation le meurtre, le massacre, les guerres sans trêve. Le nôtre ne songe qu'à répandre ses bienfaits, à pardonner, à nous tirer de péril et rien n'est plus propre à montrer que ces divinités ne sont que des démons funestes, tandis que notre Dieu est un Dieu bon, un Dieu protecteur, un Dieu véritable.
" Le Seigneur veille sur les petits enfants, j'ai été humilié et il m'a sauvé (6). " Il touche ici un côté fort important de la Providence. " Miséricordieux et juste, il a pitié, " il aborde une des oeuvres les plus frappantes de cette (148) bonté. Quelle oeuvre? Celle qui s'opère sur les petits enfants. Nous avons, nous. dans la raison un maître qui nous instruit de ce que nous devons éviter, rechercher, qui nous enseigne à repousser loin de nous les maux qui s'approchent, à nous affranchir de ceux qui nous accablent, nous avons des forces, nous connaissons des expédients ; faute de pareils secours, les enfants seraient sans protecteur, pour ainsi dire, s'ils ne trouvaient une assistance assurée dans la Providence divine qui ne saurait s'éloigner d'eux un seul moment sans les livrer tous à une perte certaine. Sans cela les serpents, les volatiles domestiques, tant d'autres animaux qui hantent les maisons tueraient dans les langes les jeunes nourrissons. Ni nourrice, ni mère, ni personne, ne sauraient montrer une sollicitude suffisante, pour les préserver, s'il leur manquait l'appui d'en-haut. Quelques-uns croient d'ailleurs qu'il s'agit ici des enfants encore emprisonnés dans le sein maternel. " J'ai été humilié et il m'a sauvé. " Il ne dit pas : Dieu n'a pas permis que je fusse en péril, mais bien, j'ai été en péril et il m'a sauvé. En effet, après avoir parlé de la Providence en général, il continue à parler en son propre nom, suivant son usage d'associer partout le général et le particulier. N'allez donc pas, mes chers frères, rechercher une vie à l'abri de tous les orages, ce ne serait pas un bien pour vous. Si les prophètes n'y trouvaient point leur avantage, à plus forte raison n'y trouveriez-vous pas le vôtre. Ils n'y trouvaient point leur avantage, dis-je, écoutez en effet : " C'est un bien pour moi que vous m'ayez humilié, afin que je connaisse vos jugements. " Ici Dieu est remercié de deux choses, d'avoir permis le péril et de n'avoir pas abandonné l'homme en danger. Ce sont deux espèces de bienfaits, et le premier n'est pas inférieur à l'autre, ou même, si j'ose le dire, il est plus grand. En effet, le second n'a eu pour effet que d'écarter le péril, le premier a rendu l'âme plus sage. " Rentre, ô mon âme, dans le repos, parce que le Seigneur a répandu sur toi ses bienfaits (7). Parce qu'il a délivré mon âme de la mort, mes yeux, des larmes, mes pieds de la chute (8). Je serai agréable en présence du Seigneur, au pays des vivants (9). " L'interprétation historique fait voir ici une délivrance merveilleuse, un soulagement, un affranchissement. Mais si l'on veut prendre ce passage dans le sens anagogique, on pourra se représenter cet affranchissement comme notre départ d'ici-bas et retrouver lit le repos dont il s'agit. Car on échappe par là à tous les dangers imprévus et l'avenir cesse d'être un mystère inquiétant, on est en sûreté une fois qu'on a quitté la terre le coeur plein de bonnes espérances. En effet, quoique la mort ait été introduite ici-bas par le péché, cela n'empêche pas que Dieu ne la fasse servir à notre avantage. Voilà pourquoi il n'en est pas resté là, mais a rendu de plus notre existence pénible : c'est afin de nous faire comprendre qu'il n'aurait pas permis la mort elle-même, si cette oeuvre de sa sagesse n'était pas très-utile. Voilà pourquoi après avoir dit : " Au jour où tu en mangeras, tu mourras, " il ne s'est pas borné à exécuter sa menace, en disant : " Tu es terre et tu retourneras en terre. " Mais voici ce qu'il ajoute : " Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. La terre produira pour toi des épines et des ronces, elle te nourrira dans la peine. " Et il dit à la femme : " Je multiplierai tes douleurs et tes gémissements. Tu enfanteras dans les douleurs. " C'est que la mort n'aurait pas suffi pour les rendre sages. Il est vrai qu'elle corrige beaucoup d'hommes, car sa venue les rend insensibles. Mais les épreuves de la vie nous améliorent de notre vivant. Que si l'on y voit un sujet de terreur, la faute en est à la faiblesse des âmes. C'est ce que montrent les prières de saint Paul et ses transports de joie, lorsqu'il dit, par exemple : " Partir et être avec le Christ, c'est bien préférable, " et encore : " Je me réjouis , je partage votre joie à tous , de même, vous aussi, réjouissez-vous, partagez ma joie. " Mais le contraire l'afflige : " Nous gémissons en nous-mêmes, " dit-il, " attendant l'adoption , la délivrance de notre corps. " Et ailleurs : " Nous qui sommes dans cet abri, nous gémissons affligés. "
3. Voyez-vous combien c'est une belle chose que la sagesse? Ce qui paraît
aux autres mériter des larmes, lui semble valoir des prières:
ce qui paraît aux autres sujet de joie et de contentement, il n'y
trouve que des raisons de gémir. N'est-ce pas, en effet, un digne
sujet de lamentations, que d'être exilé, expatrié?
N'est-ce pas un bonheur que de se réfugier promptement dans le port
de tranquillité, et d'être admis dans la cité céleste,
affranchi enfin des douleurs, des peines, des gémissements? Mais,
direz-vous, en quoi cela regarde-t-il un (149) pécheur tel que moi?
Voyez-vous que ce n'est pas la mort qui fait l'affliction, mais le mauvais
état de la conscience ? Cessez donc d'être un pécheur,
et vous soupirerez après la mort. " Mes yeux des larmes. " — Rien
de plus naturel: là-bas il n'y a ni chagrins, ni tristesse, ni pleurs.
" Mes pieds de la chute. " Ceci est plus important encore. Comment cela?
C'est que nous sommes affranchis non-seulement du chagrin, mais encore
des piéges qui pourraient nous faire trébucher. Il est établi
sur un roc, celui qui est parti chargé de bonnes oeuvres ; il est
entré au port; il ne trouve plus d'obstacles; le trouble, les alarmes
ont disparu. Celui-là vit au sein d'une gloire perpétuelle
qui a quitté dans cette disposition le séjour d'ici-bas.
" Je serai agréable en présence du Seigneur, au pays des
vivants. " — Un autre dit " devant le Seigneur. " Un autre "je marcherai.
" C'est ce que Paul, lui aussi, indique par ces mots : " Et nous serons
ravis dans des nuées en l'air, au-devant du Seigneur et ainsi nous
serons éternellement avec le Seigneur. " (I Thes. IV, 16.) Et remarquez
cette parole " au pays des vivants. " — C'est là-haut qu'est la
vraie vie, exempte de mort, et riche de biens sans mélange. Quand
" il aura détruit, " dit le même apôtre, " tout pouvoir,
tout empire, toute puissance, il détruira un dernier ennemi, la
mort. " (I Cor. XV, 24.) Mais ces choses détruites, il ne reste
plus aucun sujet d'affliction, ni souci, ni épreuve, tout est joie,
tout paix, tout amour, tout joie, tout allégresse, tout est parfait,
solide. Car il n'y a là-haut aucune chute pareille, ni colère,
ni chagrin, ni avarice, ni désirs charnels ou pauvreté, ni
richesse, ni infamie, ni rien de semblable. — Aspirons donc à cette
vie, et faisons toutes choses en vue d'elle. Voilà pourquoi nous
sommes exhortés à dire dans notre prière : " Que votre
royaume arrive: " c'est afin que; nous ayons perpétuellement ce
jour devant les yeux. En effet celui qui est possédé d'un
pareil amour, celui qui vit dans l'espoir de ces biens, celui-là
ne souffre ici-bas aucun naufrage, et ne se laisse abattre par aucun des
chagrins de ce monde. — De même que ceux qui se rendent dans une
capitale ne se laissent arrêter par aucune des choses qu'ils peuvent
rencontrer sur leur route, prairies, vergers, ravins, déserts, et,
indifférents aux divertissements comme aux obstacles, ne songent
qu'à la patrie qui les attend : ainsi celui qui chaque jour se représente
la ville céleste, et qui nourrit en lui cet amour, ne se laissera
ébranler par aucune épreuve, trouvera sans charme et sans
gloire ce qu'il verra de plus glorieux et de plus charmant. Que dis-je
? il n'en verra rien: car il aura d'autres yeux. ceux dont. parle Paul,
en disant: " Comme nous ne considérons pas les choses visibles,
mais les invisibles: en effet, les choses visibles sont éphémères;
les choses invisibles sont éternelles. " — Voyez-vous comment il
nous montre la route avec d'autres paroles? Attachons-nous donc à
la poursuite de ces choses invisibles, afin de les posséder et de
jouir de la vie éternelle: à laquelle puissions-nous tous
arriver par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ
à qui gloire et puissance, maintenant et toujours et dans les siècles
des siècles. Ainsi soit-il.
EXPLICATION DU PSAUME CXV. 1. " J'AI CRU, C'EST POURQUOI J'AI PARLÉ
: MAIS J'AI ÉTÉ HUMILIÉ ENTIÉREMENT. "
ANALYSE.
1. La foi est le principe de toutes les grandes choses : c'est elle qui a soutenu le peuple juif au milieu de ses épreuves, qui a inspiré ses prophètes et mérité à Abraham de devenir le père des croyants. Nous n'avons pas de meilleur moyen de glorifier Dieu.
2. La foi nous enseigne tontes choses et elle est notre force, car rien ne lui résiste Sans doute c'est un don de Dieu qui la donne à qui il lui plait; mais nous pouvons nous en rendre dignes par nos bonnes oeuvres: témoin le centurion Corneille.
3. Avec la foi, tout s'explique, tout profite dans la vie; sans elle, il n'y a qu'incertitude, que défaillances, que trouble et scandale, car l'homme abandonné à lui-même n'est que mensonge, c'est-à-dire, vil, passager, pur néant.
4. Malgré cette bassesse de l'homme, le peigneur le comble de bienfaits, ce qui est d'autant plus admirable qu'il est plus grand et que l'homme est plus petit. Et il veille sur lui, non-seulement pendant sa vie, mais jusqu'après sa mort, le glorifiant sur la terre et dans le ciel.
5. Pour mériter cette grâce, il faut le servir, se faire son esclave, selon le mot de saint Paul, et lui offrir continuellement un sacrifice de louanges, d'actions de grâces en reconnaissance de ces immenses bienfaits.
1. A propos de ces paroles qu'il cite, le bienheureux Paul s'exprime ainsi : " Et parce que nous avons un même esprit de foi, selon qu'il est écrit: J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé, nous croyons aussi nous, et c'est pourquoi nous parlons. " ( II Cor. IV, 13.) Il faut donc commencer par dire comment l'Apôtre a entendu ces paroles, en examinant le sujet qu'il avait entrepris de traiter, ce sera un bon moyen de connaître la pensée du Prophète. Du reste, la meilleure manière d'instruire c'est, non pas de prendre dans un discours un passage détaché, pour s'arrêter au point particulier qu'on a choisi, mais de remonter jusqu'au début du texte en question. A quel propos donc saint Paul rappelle-t-il ces mots du Psalmiste. C’est à propos de la résurrection et de l'acquisition des biens futurs qui surpassent toute parole, toute intelligence et toute pensée. Et précisément parce qu'un tel sujet était infiniment au-dessus de toute parole, et ne pouvait être expliqué, la fui était nécessaire pour le saisir. Mais les Juifs, à raison des vaines espérances qui les gonflaient d'orgueil, auraient pu être troublés et croire qu'on les trompait, aussi l'Apôtre se hâte-t-il de redresser leur grossière ignorance par la citation des paroles du Prophète, comme s'il leur eût dit: Je ne vous demande pas une chose nouvelle en vous demandant la foi, vous voyez qu'elle date de loin : Voilà pour saint Paul. Quant au roi David, comme il devait, lui aussi, annoncer aux Juifs les biens à venir, qui étaient en dehors de l'ordre des choses humaines, pour qu'on ne pût pas refuser d'y croire, il commença ainsi son psaume : " J'ai cru, c'est (151) pourquoi j'ai parlé. " Jérusalem n'était plus, son temple avait été renversé, et tous ses habitants avaient été emmenés captifs et chargés de chaînes dans une terre étrangère : les barbares avaient pris possession de leur terre, et le vainqueur avait forcé les Juifs à planter des vignes, à bâtir des maisons, à contracter des mariages. Un tel état de choses jetait les Juifs dans le désespoir et ils pensaient en eux-mêmes : si alors que nous avions une ville, des armes, des remparts, de l'argent en si grande abondance, un temple avec son autel, son culte et ses cérémonies, tout ce qui concerne, en un mot, l'exercice de notre religion, nous avons été faits prisonniers et emmenés en captivité, comment pourrons-nous recouvrer notre patrie, maintenant que nous sommes en pays étranger, dépouillés de tout, sans armes et sans liberté ? Et ces pensées en troublaient un grand nombre des plus faibles, et ils ne faisaient plus attention aux. prophéties, prédisant leur retour. C'est pourquoi David s'exprima de la sorte pour montrer que la foi est nécessaire dans tout ce que Dieu nous annonce. D'autres , comme Isaïe, leur parlent autrement. " Rappelez dans votre esprit, " leur dit-il , " cette roche dont vous avez été taillés et cette citerne profonde d'où vous avez été tirés. " ( Isaïe, LI, 1. ) Puis il ajoute : " Jetez les yeux sur Abraham votre père et sur Sara qui vous a enfantés, et considérez que l'ayant appelé lorsqu'il était seul, je l'ai béni et je l'ai multiplié. " (Ibid. 2.) Ces paroles peuvent se traduire ainsi : Abraham n'était-il pas étranger ? N'était-il pas sans enfants et déjà avancé en âge ? N'avait-il pas une femme qui à raison de ses années et de sa constitution était stérile ? Toutes ses espérances n'étaient-elles pas anéanties complètement ? Et pourtant avec ce seul vieillard jusque-là sans enfants, j'ai peuplé la terre. Pourquoi donc vous troubler? Si avec un seul homme j'ai pu peupler le monde, à plus forte raison, avec vous quoique vous soyez en petit nombre, je repeuplerai Jérusalem. Voilà pourquoi il dit : " Rappelez dans votre esprit cette roche d'où vous avez été taillés, " pour indiquer Abraham, " et cette citerne profonde dont vous avez été tirés, " désignant ainsi Sara. Car de même qu'une citerne n'a pas de source jaillissante, mais seulement l'eau qu'elle reçoit des pluies du ciel, ainsi Sara reçut d'en-haut la faculté de concevoir dont elle était privée. Et de même encore qu'une pierre n'a jamais porté de fruit, ainsi en était-il d'Abraham (1). Et pourtant c'est de là que je vous ai tirés pour peupler des régions aussi nombreuses et aussi étendues. Voilà pourquoi encore le Seigneur conduit Ezéchiel dans une plaine où il lui fait voir un amas d'ossements qui revivent à la parole du Prophète. Alors les montrant aux Juifs il leur dit : " Si je puis ainsi ressusciter les morts, à plus forte raison , je saurai vous ramener dans votre patrie, vous qui vivez. " (Ezéch. XXXVII, 1-13. ) Très-bien pour ces prophètes, mais que veut dire le Psalmiste par cette parole : " J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé? "
C'est-à-dire, il faut avoir confiance dans les promesses. Car, pour moi qui les méditais ces divines promesses, qui les conservais dans mon coeur, j'ai chassé tout trouble aussitôt que j'ai cru. Saint Paul parlant de nos biens sensibles et visibles requiert la foi. D'où il suit que s'il en est ainsi pour les choses matérielles, à plus forte raison pour les biens invisibles. Si la foi fut nécessaire aux Juifs pour recouvrer leur ville, combien plus à nous qui attendons le Ciel. Toutes les fois donc qu'il s'agit de quelque chose de grand que nous ne saurions atteindre ni par la pensée, ni par le raisonnement, il faut avoir recours à la foi et ne point examiner les choses d'après les règles d'une logique humaine : car les opérations miraculeuses de Dieu leur sont infiniment supérieures. Il faut donc imposer silence à la raison, et recourir à la foi pour glorifier Dieu. Essayez par le raisonnement de trouver le secret de ses opérations, ce n'est point le glorifier, c'est vouloir soumettre à notre humble raison les desseins admirables de la Providence.
2. C'est pourquoi saint Paul parlant, lui aussi, d'Abraham et de la manière admirable dont il fit taire sa raison pour ne considérer que la puissance de Celui qui lui faisait des promesses, nous assure que par sa conduite il glorifia Dieu souverainement : " Il n'hésita point, " nous dit-il, " et il n'eut pas la moindre défiance de la promesse que Dieu lui avait faite, mais il se fortifia par la foi, rendant gloire à Dieu et étant pleinement persuadé qu'il est tout-puissant pour faire tout ce qu'il a promis. " (Rom. IV, 20, 21.)
1 A la vérité, Sara était stérile, puisque la sainte Ecriture nous l'apprend. Mais comment notre auteur a-t-il pu dire qu'Abraham le lut également, et qu'il n'était pas plus capable d'engendrer qu'une pierre, puisqu'après la mort de Sara, malgré son âge bien plus avancé, il eut sept enfants de Céthura ? (Note des Bénédictins.)
152
Mais que signifient ces autres paroles : " Et parce que nous avons un même esprit de foi, selon qu'il est écrit : J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé : Nous croyons aussi, nous, et c'est aussi pourquoi nous parlons?" (II Cor. IV, 43.) Elles nous révèlent un grand mystère : à savoir, que : L'Esprit qui a inspiré le Nouveau Testament a également inspiré l'Ancien, et qu'il a parlé dans l'un aussi bien que dans l'autre, que la foi nous enseigne toutes choses et que sans elle nous ne pouvons absolument rien. " Nous croyons aussi, nous," est-il écrit, " et c'est pourquoi nous parlons. " Otez-nous la foi, nous ne pourrons pas même ouvrir la bouche. Mais pourquoi l'Apôtre n'a-t-il pas dit : " Parce que nous avons une même foi, " au lieu de dire : " parce que nous avons " un même esprit de foi? " Outre la raison que nous venons de dire, c'était pour montrer qu'il faut l'assistance de l'Esprit-Saint pour s'élever à la hauteur de la foi et pour sentir le néant et la faiblesse de notre raison. C'est toujours dans le même but que dans un autre endroit il s'exprime ainsi : " Or, ces dons du Saint-Esprit qui se font connaître au dehors sont donnés à chacun pour l'utilité de toute l'Église. Car, l'un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse, un autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science, un autre reçoit le don de la foi, un autre la grâce de guérir les maladies. " (I Cor. XII, 7, 8, 9.) On me dira peut-être, qu'il s'agit ici, ce qui est vrai du reste, de la foi nécessaire pour opérer les miracles. Mais je sais, moi aussi, qu'il y a une autre foi dont lés apôtres disaient. " Augmentez en nous la foi (Luc, XVII, 5), " sans parler de celle par laquelle nous sommés tous chrétiens, et qui ne nous fait point faire de prodiges, mais qui nous donne la science infuse de la piété. Or, dans ces deux derniers cas, nous avons encore besoin de l'assistance de l'Esprit-Saint, selon cette parole de saint Luc " Le Seigneur lui ouvrit le coeur pour entendre ce que Paul disait (Act. XVI, 14), " et celle autre du Christ : " Personne ne vient à moi si mon Père ne l'attire. " (Jean, VI, 44.) Mais si la foi vient de Dieu, comment donc pèchent ceux qui ne croient pas, puisque l'Esprit ne vient pas à leur secours, que le Père ne les attire pas, et que le Fils ne les met pas dans la voie? Car il dit de lui-même : " Je suis la voie (Jean, XIV, 6), " pour montrer que sans
Lui on ne saurait être amené vers le Père. Si donc le Père attire, le Fils conduit, l'Esprit illumine, comment peuvent être coupables ceux qui ne sont ni attirés, ni conduits, ni illuminés? — En ne se rendant pas dignes de recevoir cette lumière. Voyez ce qui arriva à corneille. (Act. X) Il ne trouva point en lui le bienfait de la foi, mais Dieu l'appela après qu'il s'en fut rendu digne par ses prières et ses bonnes oeuvres. Aussi Paul parlant de la foi aux Ephésiens, leur dit : " Et en effet, cela ne vient pas de vous puisque c'est un don de Dieu. " (Eph. II, 8.) Ce qui ne veut pas dire que nous soyons impuissants à produire des bonnes actions. Car bien qu'il appartienne à Dieu d'attirer et de conduire, il choisit cependant les âmes droites et dociles à ses inspirations pour leur donner son secours.
C'est pourquoi saint Paul, dans un autre endroit, parle "de ceux qui ont été appelés selon le décret de Dieu. " (Rom. VIII, 28.) Car ni notre vertu, ni notre salut ne sont le résultat de la nécessité. Et quoique nous soyons redevables de la plus grande partie et presque de tout à Dieu, il nous a cependant laissé une certaine part à notre salut, afin d'avoir une raison apparente de nous couronner un jour. Voilà pourquoi après avoir dit que " nous avons un même esprit de foi, " c'est-à-dire, ce même Esprit qui a parle; dans l'Ancien Testament, Paul a ajouté : " Nous croyons aussi nous, et c'est pourquoi nous parlons. " (II Cor. IV, 43.) Nous avons du reste un besoin de la foi bien plus grand qu'autrefois, et à cause de la nature des biens qui nous sont promis, lesquels sont invisibles et spirituels, et à cause de l'ordre des temps. Car ce n'est pas dans cette vie mais dans l'autre qu'on sera récompensé. En outre, il fallait la foi même pour les biens présents, car les dons qui nous étaient faits, comme la participation aux saints mystères, la grâce du baptême, ne pouvaient être reçus sans la foi ! Et puis, la vertu de ces dons surpasse toute intelligence. Si donc la foi était nécessaire quand il s'agissait de biens grossiers et sensibles, à plus forte raison l'est-elle aujourd'hui : Mais les paroles de l'Apôtre ont été suffisamment expliquées. Il est temps de revenir à notre prophétie et de vous faire comprendre ce que dit ici le saint roi David. Que dit-il donc ? — " J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé. " Il n'avait encore rien dit, mais il fait allusion au langage intérieur qu'il avait tenu (153) et qui peut se traduire ainsi : Alors, dit-il, que je repassais dans mon esprit et les malheurs des Juifs, et leurs infortunes , et leur extermination, et les derniers ravages, je n'ai pas désespéré de voir des jours meilleurs. Au contraire, je les ai attendus, je les ai annoncés et j'ai parlé. Dans mes premiers psaumes j'ai traité longuement cette question et je n'ai fait que vous annoncer ce que la foi m'enseignait.
3. Voyons maintenant combien est chancelant et troublé celui qui n'est pas instruit par cette même foi. Quoiqu'il s'agisse encore d'un psaume de David, ce ne sont pas ses propres sentiments qu'il a exprimés, mais les troubles intérieurs d'une âme sans consistance quand il s'est écrié : " Que Dieu est bon à Israël et à ceux qui ont le coeur droit, mais mes pieds ont failli me manquer et mes pas ont été chancelants. " (PS. LXXII, 2.) Ce qui doit s'entendre non des pieds et des pas, mais des raisonnements défectueux. Il en donne aussitôt un exemple en ajoutant . " Car j'ai été touché "d'un zèle d'indignation contre la prospérité " des méchants. " (Ibid. 7.) C'est-à-dire, en voyant les barbares florissants et les Juifs humiliés et abattus. Mais voici le vice du raisonnement. " Et j'ai dit : C'est donc inutilement que j’ai travaillé à purifier mon coeur et que j'ai lavé mes mains dans la compagnie des innocents. " (Ibid. 13.) Et il nous apprend lui-même ce qui l'a poussé à s'exprimer ainsi : " C'est qu'il a vu les pécheurs eux-mêmes dans l'abondance de tous les biens de ce monde, et qu'ils ont acquis de grandes richesses. " (Ibid. 12.) Mais entendez-le se reprendre ensuite lui-même : " Que si je disais: je parlerai de la sorte : un grand travail s'est présente devant moi et j'ai reconnu que je ne "pouvais le comprendre jusqu'à ce que j'entre dans le sanctuaire de Dieu et que j'y apprenne quelle doit être leur fin. " (Ibid. 15, 16, 17.) C'est comme s'il eût dit : j'étais indigné, affligé dans mes raisonnements, car c'est toujours le résultat qu'ils produisent. Ensuite, j'ai pensé que j'entreprenais une oeuvre difficile , car mes recherches sur de semblables sujets ne pourront m'amener à rien de certain tant que je ne serai pas dans ma patrie.
Jugez par là combien il est dangereux d'abandonner les choses de la foi aux raisonnements humains, au lieu de les confier à la foi elle-même. Si celui dont parle le Prophète eût été ferme et constant dans sa foi, il n'eût pas été troublé, les pieds n'auraient pas failli lui manquer et ses pas n'auraient pas été chancelants. Mais il n'en est pas de même du Psalmiste. Solidement établi sur la pierre il n'était pas troublé, et malgré le triste état où il voyait les affaires des Juifs, malgré la prospérité des barbares, dans un grand nombre de psaumes, il parlait souvent en termes clairs et avec assurance du retour clans sa patrie. Et sa foi était si grande qu'il ne faisait attention ni à la puissance de ses ennemis, ni à l'impuissance des Juifs, mais à la toute-puissance du Seigneur dont il tenait les promesses. Et voilà pourquoi il s'écrie : " J'ai cru et c'est pourquoi j'ai parlé; j'ai été humilié extrêmement. " Une autre version porte : " J'ai été affligé extrêmement. " — " Dans mon abattement j'ai dit : Tout homme est menteur (2). " Ou selon une autre version : " J'ai dit dans le trouble de mon esprit: Tout homme ment. " C'est ici qu'apparaît de nouveau la splendeur de la foi, car avec elle, l'infortune la plus grande ne saurait précipiter dans le désespoir. Cette vertu, en effet, est comme une ancre sacrée qui retient et affermit de toutes parts le vaisseau de notre esprit qui s'y attache et on le remarque principalement dans les rencontres les plus fâcheuses de la vie où la foi nous persuade d'attendre avec patience l'effet de l'espérance qu'elle nous inspire, et nous fait rejeter tous les raisonnements humains. C'est ce qu'il veut nous faire entendre par ces paroles : " Pour moi, j'ai été affligé extrêmement. " En d'autres termes : J'ai été bien affligé sans doute, mais je n'ai pas désespéré ni perdu courage. Pour nous montrer ensuite qu'il a été non-seulement affligé, mais dans l'angoisse la plus grande il ajoute ces paroles : " Dans mon abattement, j'ai dit : " Tout homme est menteur. " Qu'est-ce à dire, " dans mon abattement ? " — Dans mon malheur extrême, dans l'excès de mes maux. Car j'ai été assailli par une épreuve si violente qu'elle m'a plongé dans l'anéantissement et dans un profond sommeil. Il s'agit ici de cette défaillance, de cette insensibilité que produit le malheur. De même, ce qui est dit d'Adam, que Dieu lui envoya un profond sommeil doit s'entendre d'une certaine privation de sentiment. Car l'extase ou le ravissement d'esprit consiste à être hors de soi. Dieu avait donc envoyé à Adam un sommeil extatique pour (154) l'empêcher de sentir l'extraction de sa côte et d'en éprouver de la souffrance, et en le privant ainsi secrètement du sentiment de la peine, il lui déroba par cet anéantissement momentané, la douleur qu'il aurait ressentie. Il est encore écrit : " Il leur survint un ravissement d'esprit. " (Act. X, 10.) Il s'agit encore ici d'un sommeil extatique et d'une absence de sentiment, c'est le sens du mot " ravissement. " Mais cela a lieu, ou par l'action de Dieu, ou par la grandeur des maux qui produisent un sommeil profond et une sorte d'engourdissement, les malheurs ayant coutume en effet, d'amener l'anéantissement et le sommeil. Par son a abattement, " le Psalmiste entend donc ici l'excès des maux qui l'ont accablé. Mais que signifient ces mots : " Tout homme est menteur. " N'y a-t-il donc personne de véridique? Comment alors Job a-t-il pu être appelé un homme véridique, juste et religieux? Et les prophètes? S'il ont été menteurs, s'ils ont trompé dans ce qu'ils ont dit, il n'y a plus rien de solide. Et Abraham? et tous les Justes? Vous voyez combien il serait mauvais de s'en tenir à la lettre de l'Ecriture sans chercher à en pénétrer l'esprit. Qu'a donc voulu dire le Psalmiste par ces expressions : " Tout homme " est menteur? " — La même vérité que dans ces autres paroles : " L'homme est devenu a semblable au néant. " (Ps. CXLIII, 4.) C'est ce qu'a dit encore un autre prophète. " Toute chair n'est que de l'herbe et toute sa gloire est comme la fleur des champs (Isaïe, XL, 6), " pour exprimer une chose très-vile, passagère, semblable à l'ombre, à un songe et à quelque fantôme.
4. Et afin que vous sachiez que mon raisonnement s'appuie sur des motifs solides, remarquez qu'une version porte: " Tout homme est mensonge. " Une autre: " Tout homme ment; " ou bien encore: " défaille. " Expressions bien différentes les unes des autres; car, mentir est l'effet d'un vice qui réside dans l'âme, tandis que défaillir, être passager, ressembler à une onde qui s'écoule, à un songe, à une fleur, à une ombre indique la bassesse de notre nature. Cela revient à ce qu'on lit ailleurs: " Je ne suis que terre et que cendre." (Gen. XVIII, 27). Et encore: "Pourquoi la terre et la cendre s'élèvent-elles d'orgueil? " (Eccli. X, 9). Ou bien à ces autres paroles du Psalmiste: " Qu'est-ce que l'homme pour que vous vous souveniez de lui ? " (Ps. VIII, 5.) Partout le témoignage de la bassesse de notre nature, de son néant. Ne disons-nous pas des moissons qu’elles ont été trompeuses pour marquer qu'elles n'ont pas répondu à notre attente et qu'elles n'ont pas rapporté autant que nous espérions; et dans le même sens, que l'année a été trompeuse? L'homme est chose vile et de nul prix, et nous ne nous en apercevons jamais mieux que dans le malheur, parce qu'alors nous jetons ordinairement les yeux sur le néant de notre nature. C'est pourquoi le Psalmiste ayant l'âme abattue et sentant sa nature confondue, veut nous montrer combien elle est abjecte et misérable sous tous rapports eu disant: " Tout homme est menteur. " C'est-à-dire l'homme n'est que néant, comme il avait exprimé la même vérité dans cet autre passage : " L'homme passe comme en image. " (Ps. XXXVIII, 7). — " Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu'il m'a faits (3)."
Comme il fait bien ressortir la grandeur des bienfaits de Dieu, non-seulement parce qu'il a reçu mais encore par sa propre indignité, car, malgré la diversité du langage, on sent qu'il est animé ici des mêmes sentiments que dans un autre psaume où il disait: " Qu'est-ce que l'homme pour que vous vous souveniez de lui, ou le fils de l'homme pour que vous le visitiez?" (Ps. VIII, 5.) Or, ce qui double le prix des bienfaits, c'est d'être grands par eux-mêmes et d'être conférés à ceux qui ne sont que néant. Dans ce cas, la reconnaissance pour être en rapport avec le bienfait, doit être d'autant plus grande. C'est ce que le Prophète a voulu nous faire entendre par ces mots: " Que rendrai-je au Seigneur ? " Pour indiquer que lui, homme de mensonge, n'étant que bassesse et néant, a reçu des biens extraordinaires: " Pour tous les biens qu'il m'a faits. " C'est le propre d'un coeur reconnaissant de rechercher avec soin à donner quelque chose en retour des bienfaits reçus et de croire qu'il n'a rien fait, quand il a payé tout ce qu'il pouvait. Et c'est bien ce que nous voyons se réaliser ici de la part du Prophète. Car il témoigne doublement sa reconnaissance, et en donnant tout ce qu'il peut et en pensant que ce qu'il a donné n'a pas de valeur. Que va-t-il donc faire? — Il va nous l'apprendre lui-même, écoutez-le: — " Je prendrai le calice " du salut et j'invoquerai le nom du Seigneur (4)."
Ceux qui entendent ces paroles dans le sens (155) anagogique veulent qu'il s'agisse de la participation aux saints mystères. Pour nous, qui nous en tenons à l'histoire, nous disons en suivant notre pensée qu'il est question des oblations de liqueur, des sacrifices et des hymnes en actions de grâces. Il y avait autrefois, en effet, divers sacrifices; on distinguait le sacrifice de louanges, le sacrifice pour les péchés, les holocaustes, les hosties pacifiques, celles pour le salut et un grand nombre d'autres. Tout ce qui précède revient donc à ceci : Je ne puis payer Dieu ce qui lui revient, mais je ferai ce que je pourrai. J'offrirai au Seigneur un sacrifice d'actions de grâces, et je le ferai souvenir de mon salut. — " Je m'acquitterai de mes voeux "envers le Seigneur devant tout son peuple (5)."
Par ses voeux il entend ici ses promesses et ses engagements, car dans ses malheurs il avait eu recours à Dieu et il s'était constitué son débiteur, promettant que s'il échappait à ses ennemis, il lui offrirait en retour les sacrifices dont nous venons de parler. Donc, s'écrie-t-il, puisque mes épreuves ont cessé, " je m'acquitterai de mes voeux envers le Seigneur devant tout son peuple. — C'est une chose précieuse devant les yeux du Seigneur que la mort de ses saints (6). " Une autre leçon porte : " C'est une chose honorée devant le Seigneur. " Pourquoi cette conclusion et quel rapport a-t-elle avec ce qui précède? Elle en a un très-grand si on veut l'examiner avec soin. Comme le Psalmiste avait dit, pour montrer les bienfaits de Dieu : " Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu'il m'a faits?" En preuve de ces bienfaits il ajoute que Dieu prend soin non-seulement de la vie, mais encore de la mort de ses saints, soit qu'elle arrive d'après les lois de la nature ou par la volonté du Seigneur. N'entendez-vous pas saint Paul qui vous crie: " Il est plus utile pour votre bien que je demeure encore en cette vie, c'est pourquoi j'ai une certaine confiance qui me persuade que je demeurerai encore avec vous tous et que j'y demeurerai même assez longtemps? " (Philip. I, 24, 25). Et qu'y a-t-il d'étonnant qu'il en soit de la mort comme de la génération de quelques hommes, qui ne sont pas nés selon les lois de la nature; ainsi Isaac et Samuel. Aussi ne sont ils pas appelés enfants de la chair, mais enfants de la promesse. Ainsi encore Moïse n'est pas mort purement et simplement, mais il est mort par l'ordre exprès de Dieu ; et Jean est mort par sa permission. Cette dernière mort fut la récompense d'une courtisane, mais elle n'en fut pas moins honorée, et ce qu'il y a même de particulièrement admirable, c'est que malgré cette circonstance elle fut comblée de gloire. C'est que le saint précurseur avait été martyr de la vérité et il fut tellement en honneur qu'il inspira de la crainte à son meurtrier. Nous en trouvons la preuve dans l'évangéliste saint Marc, car voici ce qu'il rapporte d'Hérode " Cependant Hérode disait: voilà Jean-Baptiste qui est ressuscité et c'est pour cela qu'il se fait par lui tant de miracles. " (Marc, VI, 14.) Voyez encore comment la mort d'Abel était précieuse et honorée: " Où est Abel ton frère? La voix du sang de ton frère crie vers moi. " (Gen. IV, 9, 10).
5. Considérez, à propos de Lazare, comment après sa mort, les anges l'accompagnaient. (Luc, XVI, 22.) Contemplez, auprès du tombeau des martyrs, ce concours des villes et des peuples que leur amour enflamme. Les paroles du Psalmiste peuvent donc se traduire ainsi Dieu est rempli de sollicitude pour la mort do, ses saints et il en prend un soin extrême. Ils ne meurent pas d'une manière quelconque, ni fortuitement; mais selon les desseins de sa divine providence. C'est ce qu'il voulait nous montrer par ces mots : " Devant les yeux du Seigneur. O Seigneur, je suis votre serviteur, je suis votre serviteur et le fils de votre servante (7). "
Il ne s'agit pas ici d'une servitude ordinaire, mais de celle qui est produite par un grand amour et une vive affection. C'est ce désir enflammé dont est rempli le Psalmiste, et qui est sa plus belle couronne et son plus beau titre de gloire. Dieu lui-même en a fait le plus grand sujet de louanges, en disant : " Moïse, mon serviteur, est mort. " (Josué, 1, 2.) " Et le fils de votre servante. " C'est-à-dire, depuis les siècles les plus reculés, dans la personne de mes ancêtres, je suis attaché à votre service. Paul, de son côté, regardait cette dépendance comme la principale gloire de Timothée, quand il disait : " J'ai le souvenir de cette foi sincère qui est en vous, qu'a eue premièrement Loïde, votre aïeule et Eunice, votre mère. Je suis aussi très-persuadé que vous l'avez et que vous avez été nourri dès votre enfance dans les Lettres saintes. " (II Tim. I, 5; III,15.) Et en parlant de lui-même: " Je suis né hébreu, de pères hébreux" (156) (Philip. III, 5), ou bien : " Sont-ils hébreux? Je le suis. " Sont-ils Israélites? Je le suis aussi. " (II Cor. xi, 22.) Ils avaient quelque chose de plus que les prosélytes, ceux qui étaient tels par leurs ancêtres, et c'est dans ce sens que le Psalmiste s'écrie : " Et le fils de votre servante."
"Vous avez rompu mes liens. " Il ne dit pas, vous avez affaibli, mais " vous avez rompu, " afin de montrer que désormais ils seraient sans effet. Ce qu'il entend ici par ses liens, ce sont les afflictions, les tentations et les dangers. Il y a des liens qui sont bons, dont on souhaite d'être enchaîné, comme dans ces paroles: " Le lien de la dilection (Eph. IV, 3), " et " c'est le lien de la perfection. " (Coloss. III, 14.) Il y a d'autre part un lien opposé à celui-ci: " Chacun est enchaîné par les liens de ses péchés." (Prov. V, 22.) C'est ce que veut faire entendre le Christ, quand il dit : " Pourquoi donc ne fallait-il pas délivrer de ses liens cette fille d'Abraham que satan avait enchaînée?" (Luc, XIII, 16.) Isaïe lui-même dit du Sauveur : " Je vous ai établi pour être le réconciliateur des nations... pour dire à ceux qui étaient dans les chaînes, sortez." .(Is. XLIX, 8-9.) Il ne s'est donc pas contenté de délier ces liens, il les a rompus, ce qui est beaucoup plus: Que si l'on veut prendre ces paroles dans le sens anagogique et dire qu'il s'agit ici des liens du péché et de tout le vieil homme, on ne se trompera pas. Il y a encore, un autre lien, le plus beau de tous, que Paul ne quittait jamais, répétant toujours: " Moi, Paul, enchaîné pour l'amour de Jésus-Christ (Eph. III, 1 et VI, 20), " ou bien : " Jésus-Christ pour l'amour duquel je suis lié de cette chaîne.." (Act. XXVIII, 20.)
" Je vous sacrifierai une hostie de louanges (8). " C'est ainsi qu'au début, à la fin, partout et toujours, le Prophète paye à Dieu le même tribut. Il a commencé par lui dire : " Je prendrai le calice du salut et j'invoquerai le nom du Seigneur. " Ici : " Je vous sacrifierai une hostie de louanges. " C'est-à-dire, je vous rendrai grâces, je vous louerai. " Et j'invoquerai le nom du Seigneur. " Pour nous faire comprendre comment c'est un sacrifice de louanges : " Je m'acquitterai de mes voeux envers le Seigneur, devant tout son peuple (9); à l'entrée de la maison du Seigneur, au milieu de vous, ô Jérusalem (10)." Ce n'était point par ostentation ni pour s'attirer de la gloire qu'il en agissait ainsi, mais pour exciter un semblable zèle dans tous lés autres et leur inspirer de prendre part à sa reconnaissance envers Dieu. C'est ainsi qu'agissent torrs les saints, invitant à s'associer à leurs louanges, non-seulement les autres gommes, mais encore toute créature. Il n'y a rien qui soit plus agréable au Seigneur que la reconnaissance, non seulement dans la prospérité, mais même dans l'adversité. C'est la principale hostie, c'est la meilleure offrande. Ainsi agissaient, et Job, et Paul et Jacob. Ainsi ont agi tous les justes, témoignant à Dieu leur piété et leur gratitude,. surtout au milieu des difficultés. Imitons ces exemples et rendons constamment grâces à Dieu, afin de mériter les biens éternels. Puissions-nous tous tes obtenir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
EXPLICATION DU PSAUME CXVI. 4. " NATIONS, LOUEZ LE SEIGNEUR, PEUPLES,
LOUEZ-LE TOUS : " PARCE QUE SA MISÉRICORDE A ÉTÉ PUISSAMMENT
AFFERMIE SUR NOUS ET QUE LA VÉRITÉ DU SEIGNEUR DEMEURE ÉTERNELLEMENT.
"
ANALYSE.
Ce psaume renferme la prophétie de l'établissement de l'Eglise chrétienne et de la prédication de l'Evangile par toute la terre. Vous y voyons encore que notre salut est l'oeuvre de la miséricorde de Dieu.
Il est évident pour tous que ces paroles contiennent la prédiction
de l'établissement de l'Eglise chrétienne et de la prédication
de l'Évangile dans toute la terre. Car le Psalmiste ne s'adresse
pas à une, à deux ou à trois nations seulement, mais
à la terre entière et à la mer. Cette prophétie
se vérifia quand le Christ fit son apparition glorieuse. Passant
ensuite à la cause de notre salut, le Psalmiste dit qu'il ne vient
pas de nos couvres, ni de notre vie, ni de notre foi, mais uniquement de
la miséricorde de Dieu. " Parce que sa miséricorde a été
puissamment affermie sur nous. " C'est-à-dire qu'elle est devenue
stable, ferme et plus solide que la pierre. Chaque jour même elle
reçoit de l'accroissement. " Et la vérité du Seigneur
demeure éternellement. " Quoique à l'arrivée du Christ
la vérité ait paru dans sa plus belle splendeur, ces dernières
paroles indiquent qu'avant Lui tout ce qui arrivait était symbole
et figure, selon cette autre parole de l'Évangéliste : "
La loi a été donnée par Moïse, mais la grâce
et la vérité a été faite par Jésus-Christ.
" (Jean, I, 17.)
EXPLICATION DU PSAUME CXVII. " LOUEZ LE SEIGNEUR PARCE QU'IL EST BON,
PARCE QUE SA MISÉRICORDE S'ÉTEND DANS TOUS LES SIÈCLES.
"
ANALYSE.
1. La miséricorde du Seigneur est infinie : témoin la maison d'Israël, qui, au milieu de ses épreuves, a reçu des grâces si nombreuses; témoin la maison d'Aaron en faveur de laquelle se sont opérées tant de merveilles. Mais pour voir cette miséricorde il faut craindre Dieu dont la Providence n'est visible qu'à ceux qui sont exempts de passions et de préjugés.
2. Il suffit d'être malheureux pour avoir droit à la bonté divine. Avec son aide et sa protection on n'a rien à craindre, car, dit saint Paul, " si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? " Mais pour s'en rendre digne, il faut mettre de coté toute confiance dans les secours humains et lui demeurer constamment attaché.
3. Le Seigneur attend pour nous secourir que tout soit désespéré, humainement parlant, afin que son secours soit peu évident. Par ce moyen, il nous empêche de nous attribuer un succès qui n'est dû qu'à lui et il excite davantage notre reconnaissance.
4. La bonté du Seigneur ne se borne pas à nous délivrer des maux, mais elle nous met en possession de la gloire et de l'illustration, en nous délivrant de la corruption du tombeau pour nous ressusciter à une vie meilleure.
5. Mais les portes de l'éternité bienheureuse ne s'ouvriront que pour ceux qui auront été châtiés et. éprouvés en ce monde C'est pourquoi le Palmiste remercie le Seigneur d'avoir eu à souffrir. — Ici est rappelé le principal bienfait, la merveille par laquelle Dieu nous a ouvert le Ciel, je veux dire le mystère de l'Incarnation du Verbe.
6. Béni soit donc Celui qui vient au nom du Seigneur, que notre vie soit employée à le bénir, à le remercier, à profiter de ses grâces et de ses exemples, et célébrons à jamais, invitons toute créature à s'unir à nous pour célébrer ses miséricordes infinies !...
1. Il y a une parole de ce psaume que le peuple a coutume de répéter en choeur après chaque vers, et c'est la suivante: " C'est ici le jour que le Seigneur a fait, réjouissons-nous y donc et soyons pleins d'allégresse. " A ces mots, presque tous se lèvent, et c'est surtout le chant que les fidèles ont l'habitude de faire entendre dans cette assemblée spirituelle, dans cette fête céleste. Pour nous, si vous le voulez bien, nous parcourrons ce psaume dès le début et nous commencerons notre explication dès les premiers mots et non pas au verset qui sert de refrain. Nos pères permirent aux simples fidèles de s'en tenir à ce verset parce qu'il était harmonieux et qu'il renfermait un dogme sublime. Du reste, ils n'auraient pu retenir le psaume en entier et ces paroles exprimaient la doctrine la plus parfaite. Quant ! nous, il faut que nous le voyions dans son ensemble, quoique la plus grande prophétie soit au milieu. Car c'est au verset 22 qu'on lit : " La pierre que ceux qui bâtissaient avaient rejetée, a été placée à la tête de l'angle. " C'est du reste ce que le Christ lui-même dit aux Juifs, un peu moins clairement sans doute : il ne voulait pas augmenter encore la colère dont ils étaient enflammés, " car il ne brisera point le roseau cassé et il n'éteindra point la mèche " qui fume encore. " (Isaïe, XLII, 3.) Néanmoins il le leur dit : attaquons donc ce psaume par (159) son début, connut, nous l'avons déjà dit. Et quel est ce début : " Louez le Seigneur parce qu'il est bon , parce que sa miséricorde s'étend dans tous les siècles. " Le Prophète avant présents à l'esprit les bienfaits dont le Seigneur a comblé toute la terre, sa bonté infinie et sa miséricorde qui éclatent en toutes choses, s'attache à faire ressortir la source de tant de biens " Que la maison d'Israël dise maintenant que le Seigneur est bon et que sa miséricorde s'étend dans tous les siècles (2). "
Qu'est-ce que j'entends? " La maison d'Israël" qui a souffert des captivités nombreuses, qui a servi en Egypte, qui a été emmenée aux extrémités de la terre, qui en Palestine a enduré des maux sans nombre! Sans doute, me répond le Palmiste. Il n'y a point de meilleurs témoins de ces bienfaits et personne n'en a reçu de plus nombreux et de plus signalés. Bien plus, leurs épreuves mêmes sont une marque de son infinie bonté, et un examen un peu attentif prouvera qu'ils lui doivent de grandes. actions de grâces pour la venue du Sauveur, car les maux dont elle a été pour eux la source doivent être attribués à leur malice et non à. Notre-Seigneur. En effet , c'est pour eux qu'il venait et il leur répétait souvent : " Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël (Matth. XV, 24), " et à ses disciples: " N'allez point dans les terres des Gentils, mais plutôt aux brebis perdues de la maison d'Israël (Ibid. X, 5, 6) ; " et à la Chananéenne " Il n'est pas juste de prendre le pain des en" Gants pour le donner aux chiens. " (Ibïd. xv, 26. ) Toutes ses démarches, toutes ses actions se rapportaient donc à leur salut. S'ils parurent dans la suite indignes de ces bienfaits, c'est à leurs crimes et à leur ingratitude extraordinaire qu'il faut l'imputer. " Que la maison d'Aaron dise maintenant que le Seigneur est bon et que sa miséricorde s'étend dans tous les siècles (3). "
Le Prophète fait ici un appel spécial aux prêtres, afin qu'ils viennent chanter les louanges du Seigneur, montrant ainsi l'excellence du sacerdoce. Car, par cela même qu'ils étaient supérieurs aux autres ils reçurent de Dieu plus de gloire, non-seulement par l'honneur du sacerdoce , mais dans bien des circonstance,. Ainsi quand le feu sortit du Tabernacle (Lévit. X, 2), ce fut à cause d'eux; et la terre qui s'entr'ouvre (Nomb. XVI, 32), et la verge qui fleurit (Ibid. XVII, 8), et tant d'autres prodiges ont lieu à cause d'eux et pour eux. " Que tous ceux qui craignent le Seigneur disent maintenant qu'il est bon, que sa miséricorde s'étend dans tous les siècles (4). " Car ce sont ceux-là principalement qui peuvent voir sa bonté et en toutes circonstances trouver les preuves de sa miséricorde. Que signifient ces paroles : " Sa miséricorde s'étend dans tous les siècles?" C'est-à-dire due continuellement et sans interruption elle se montre avec éclat dans tous les événements. Il est vrai que ceux dont les yeux de l'âme sont trop faibles ou que quelques passions rendent malades, n'aperçoivent pas cette bonté et cette miséricorde, pas plus que ceux dont les yeux sont malsains ne peuvent contempler le soleil. Et ceux mêmes qui les ont bien disposés sont forcés de les détourner de sa splendeur. Ainsi en est-il de la Providence générale de Dieu dont la prudence et la sagesse sont si élevées qu'elles Font infiniment au-dessus de toute raison humaine. Ajoutez à cela mille cupidités qui, en nous rendant insensés, nous ôtent la vue et nous empêchent de l'apercevoir. La première est l'amour de la volupté qui fait passer par-dessus les choses les plus manifestes sans qu'on les découvre. La seconde est l'ignorance et le dérèglement de l'esprit. Si nous voyons un père châtier son enfant, nous l'approuvons, nous le louons même, et c'est à ce signe surtout que nous reconnaissons qu'il est père. Que Dieu veuille au contraire nous punir de nos mauvaises actions, nous ne le supportons pas, nous sommes indignés. Quelle absurdité ! quelle perversité comparable à celle-là, puisqu'elle nous fait révolter contre des choses tout à fait opposées et nous fait gémir ici de la présence du châtiment, là de son absence. Que l'on aperçoive des hommes qui volent, qui envahissent le bien d'autrui, on veut bien qu'ils soient punis. Quand il s'agit de ses propres fautes on raisonne tout autrement. Ce qui est l'indice d'un coeur dépravé et corrompu. La troisième, c'est le défaut de discernement de ce qui est bien d'avec ce qui est mal , ce qui fait porter des jugements faux; ce défaut vient de ce qu'on est entièrement adonné au vice et qu'on se complaît dans le mal. La quatrième, le peu de connaissance qu'on a de la grandeur de ses fautes. Une cinquième cause de notre aveuglement, c'est la distance infinie qui se rencontre entre Dieu et les hommes. Il faut ajouter que Dieu ne veut pas tous les jours tout découvrir parce (160) qu'il juge qu'il doit nous suffire de connaître peu il peu les événements.
2. Il ne faut donc pas trop chercher à pénétrer en foules choses la Providence divine, ce serait prétendre à dés choses infinies et infiniment au-dessus de toute nature créée. Quant à ceux qui veulent la comprendre sur certains points il faut qu'ils soient exempts de ces passions dont nous venons de parler, et alors ils la verront plus clairement que le soleil, quoique partiellement, et le peu qu'ils en verront leur apprendra à rendre grâces pour le tout. " J'ai invoqué le Seigneur du milieu de l'affliction, et le Seigneur m'a exaucé, et m'a mis au large (5). " Quelle miséricorde ! quelle ponté de la part du Seigneur : Le Psalmiste ne dit pas : j'étais digne, il ne dit pas : j'ai montré mes bonnes oeuvres, mais simplement : " J'ai invoqué, " et ma prière a suffi pour éloigner de moi le malheur. C'est ainsi que parle Dieu à propos des Egyptiens : " J'ai vu l'affliction de mon peuple et je suis descendu pour le délivrer. " (Exod. III, 7-8.) Il ne dit pas : J'ai vu la vertu de mon peuple ou son retour a de meilleurs sentiments, mais son affliction, et j'ai entendu ses cris de détresse. Qui ne reconnaîtrait, à ces traits, le père bienfaisant et miséricordieux qui s'empresse dé secourir par le seul motif qu'on est malheureux ? Les hommes ne regardent pas comme digne d'être sauvé quiconque est :affligé, et s'il leur arrive de voir torturer et battre de verges des esclaves, ils ne volent pas à leur, secours, mais ils sont arrêtés par la considération de leurs fautes. Dieu. a pardonné par cela seulement qu'on était affligé , et non content d'avoir délivré de l'affliction., il a procuré une grande sécurité. " Il m'a exaucé, " dit le Psalmiste, et il m'a mis au large. Il y a plus : l'affliction n'a été permise qu'afin de rendre meilleurs et plus sages ceux qu'elle a frappés. " Le Seigneur est mon soutien et je ne craindrai point ce que l'homme pourra me faire (6). ".
Quelle grandeur d'âme ! quel esprit élevé ! Comme il sait monter au-dessus de la,faiblesse humaine pour mépriser toute, la nature ! Ne nous contentons pas de constater le fait , ruais apportons des preuves à l'appui. Le Psalmiste rie dit pas : Je ne souffrirai plus, mais : " Je ne craindrai point ce que l'homme pourra me faire. " C'est-à-dire, quoique je souffre, je ne craindrai rien , exprimant la même pensée que saint Paul quand il s'écrie : " Si Dieu est, pour nous qui sera contre nous ? (Rom. VIII, 31). Pourtant les ennemis des Juifs étaient innombrables , mais rien ne les accablait. Ne faudrait-il pas en effet, une âme bien pusillanime et bien basse pour craindre ses semblables quand elle a la protection et l'amitié du Seigneur? Ici au contraire elle est supérieure à toutes les craintes qui l'assaillent de toutes parts. Agissons nous-mêmes de la sorte de peur que nous rie nous privions du secours de Dieu en redoutant trop les obstacles humains, car cette crainte serait une insulte envers l'assistance divine. Telle fat ta cause des malheurs qui fondirent sur la maison d'Ezéchias. En effet, le soleil avait rétrogradé et était revenu sur ses pas, et ce miracle aurait suffi pour remplir d'effroi ceux qui étaient venus pour le constater; mais le roi craignant d'être un jour assailli par ses visiteurs voulut les effrayer et exciter leur admiration. non par les prodiges dont il avait été l'objet, mais par des choses humaines : c'est pourquoi il leur montra ses trésors dans lesquels il plaçait toute sa confiance. (IV Rois. XX, 14, et suiv.) Aussi, Dieu irrité lui dit par son prophète : " Tout cela te sera ravi (Ibid.), " c'est-à-dire, ces objets dans lesquels tu te confies et tu mets tes espérances. Israël, à son tour, est accusé de se confier dans ses trésors et dans ses chevaux. Que fait le prophète ? Il les avertit de se hâter d'apaiser le Seigneur par une conduite tout opposée et de dire : " Nous ne monterons pas sur nos chevaux. " (Osée, XIV, 4.) Dieu vous honore et vous le méprisez. Dieu vous honore en vous offrant son secours et vous vous abandonnez aux, espérances Humaines, prétendant trouver le salut dans l'argent qui, n'est qu'une vile matière. Non-seulement il veut nous sauver, mais il veut nous honorer en mémé temps. Il nous aime ardemment, voilà pourquoi il veut nous séparer de tout pour nous attacher à lui seul : il nous retranche tout pour nous amener à lui et chacun de ses actes semble nous dire : " Espérez en moi " et demeurez-moi, constamment attachés. " Le Seigneur est mon soutien et je mépriserai mes ennemis (7). "
Il ne se venge pas, il ne punit pas ses ennemis, mais il remet ce soin à Dieu. " Il est bon de se confier au Seigneur plutôt que de se confier dans l'homme (8). Il est bon d'espérer au Seigneur plutôt que d'espérer dans les princes (9). Il ne s'agit pas ici d'une (161) comparaison, mais l'Ecriture a coutume de s'exprimer ainsi, même dans les choses qui n'admettent pas de comparaison, pour condescendre à la faiblesse de ceux auxquels elle s'adresse. Le Psalmiste n'a donc pas voulu établir une comparaison, mais simplement s'abaisser jusqu'à notre intelligence. C'est dans le même sens qu'un autre prophète a dit : " Maudit soit l'homme qui met sa confiance en l'homme ! " (Jér. XVII, 5.) Rien n'est plus faible, en effet, que cette espérance. Une toile d'araignée offrirait plus de ressource. Cette espérance n'est pas seulement faible, elle est encore dangereuse. J'en prends à témoin ceux qui se sont souvent confiés dans les hommes avec lesquels ils ont été accablés. La confiance en Dieu n'est pas seulement solide, mais elle est sûre et à l'abri de tout changement. Aussi saint Paul proclamait que l'espérance en Dieu ne trompe jamais ; et dans un autre endroit la sagesse s'exprime ainsi: " Considérez tout ce qu'il y a d'hommes parmi les nations et voyez s'il y en a un seul qui ait espéré dans le Seigneur et qui ait été confondu. " (Eccli. XI, 11.) Mais moi, direz-vous, j'ai espéré en vain. Voilà une bonne parole, mes frères, mais elle ne contredit en rien la sainte Ecriture. En effet, si vous . avez été confondus, c'est que vous n'avez pas espéré comme il fallait, que vous avez cessé d'espérer, que vous n'avez pas attendu la fin, que vous avez été faibles. Agissez autrement désormais, et quand vous serez sous le poids des malheurs ou des difficultés, ne perdez pas courage, car l'espérance consiste surtout à demeurer fermes au milieu des maux et des périls les plus grands.
3. Quel malheur comparable à celui de ces barbares Ninivites ! Ils étaient déjà enlacés dans les filets de leurs ennemis, la ruine de leur ville était imminente : néanmoins, ils ne perdirent pas courage, mais ils donnèrent les plus grands signes de pénitence et ils obtinrent que Dieu révoquât sa sentence. Voilà qui nous montre bien la vertu de l'espérance. Et croyez-vous que dans le ventre de la baleine le Prophète ne songeait pas encore et au temple, et à son retour dans la ville de Jérusalem? (Jon. II, 5.) Vous aussi, fussiez-vous aux portes de la mort et exposés de toutes parts aux plus grands périls, ne désespérez pas, car Dieu sait des les circonstances même les plus difficiles trouver une heureuse issue. C'est ce qui a fait dire à la sagesse : " Du matin au soir il y a de nombreux changements et tout cela est faible aux yeux de Dieu. " (Eccli. XVIII, 26.) Rappelez-vous l'histoire de ce tribun mourant de faim au milieu de l'abondance la plus grande. (IV Rois, VII, 2.) Et celle de la veuve qui était dans l'abondance malgré sa pauvreté. (III Rois, XVII, 2 et suiv.) Plus la misère dans laquelle vous vous trouvez est extrême, plus vous devez espérer. Car le moment que Dieu choisit de préférence pour montrer sa puissance, ce n'est pas aussitôt que commencent nos épreuves, mais c'est lorsque tout semble désespéré. C'est alors le vrai temps du secours de Dieu. Aussi voyons-nous qu'il ne délivra pas d'abord les trois jeunes hommes de Babylone, mais seulement après qu'ils eurent été jetés dans la fournaise. (Dan. III, 93.) Ni Daniel avant qu'il eût été mis dans la fosse aux lions, mais seulement sept jours après. (Dan. XIV, 39, 40.) Il ne faut pas faire attention à la nature des choses qui ne peut que jeter dans le désespoir, mais à la puissance de Dieu qui amène à bonne fin ce qui paraissait sans ressource. C'est ce que veut nous montrer le Psalmiste en même temps que nous faire comprendre les ressources de la puissance divine qui peut délivrer ceux qui sont tombés dans les plus grands maux dont ils sont accablés et comme écrasés, quand il ajoute : " Toutes les nations m'ont assiégé (10). "
Comprenez-vous l'imminence du danger? Il ne s'agissait pas de livrer une bataille, de résister aux ennemis d'un seul pays, mais le Roi-Prophète était cerné et comme enveloppé d'un filet ou comme pris dans un piége; et cela, non par un, par deux ou par trois ennemis, mais par toutes les nations réunies. Et cependant tous ces biens, malgré leur nombre et leur force, sont brisés par la confiance en Dieu. " Mais je les ai repoussées au nom du Seigneur. Elles m'ont assiégé et environné et je les ai repoussées au nom du Seigneur (11). " Elles m'ont toutes environné, comme des abeilles le rayon de miel, et elles se sont embrasées comme un feu qui a pris à des épines, mais je les ai repoussées au nom du Seigneur (12). "
Comme le Psalmiste nous dépeint bien la grandeur de son infortune ! Il ne s'est pas contenté de dire : " Elles m'ont environné, " mais il les compare à des abeilles et au feu dans les épines. Les abeilles indiquent une grande vivacité dans l'action et les épines une (162) colère irrésistible et. une soif de vengeance inextinguible. Est-il possible en effet de résister au feu (lui est tombé sur des épines ? Cependant, dit le Prophète; alors que rues ennemis excités contre moi m'assaillaient avec la violence et la rapidité de l'incendie, non-seulement j'ai pu m'échapper, mais je les ai repoussés. Le même prodige s'opère sur la matière, le feu brûlait un buisson, et le buisson n'était pas consumé, et le feu ne s'éteignait pas, mais ces deux substances demeuraient ensemble sans se détruire. (Ex. III, 2.) Cependant., qu'y a-t-il de plus faible que le bois d'un buisson, de plus ardent que le feu? Mais la puissance admirable de Dieu, qui opère des miracles qui nous surpassent, permit qu'il en fût ainsi. Il se produisit un miracle semblable pour le Roi-Prophète. Ses ennemis accouraient avec la rapidité de la flamme, et comme des abeilles, ils l'entouraient avec une grande vivacité, ils le cernaient de tous côtés, mais leurs efforts furent vains. Les armes invincibles et le secours inexpugnable du nom de Dieu les dispersa tous. " J'ai été poussé, on a fait effort pour me renverser, et le Seigneur m'a soutenu (13). "
Le Psalmiste nous a fait connaître la grandeur de ces maux par la multitude et les dispositions menaçantes, par l'ardeur et l'acharnement de ceux qui l'entouraient: maintenant il arrive à ce qu'il a souffert. J'ai été en butte à tant d'infortunes, nous dit-il, que j'ai failli être renversé et abattu. J'ai été tellement pressé et presque renversé que j'étais sur le point de tomber, mais au moment de m'abattre sur mes genoux, comme j'étais déjà penché et sans espoir dans les secours humains, le Seigneur a fait paraître son secours. Or Dieu en use de la sorte afin que personne ne lui ravisse et ne s'attribue la gloire qui revient à lui seul. C'est ainsi qu'il fit pour Gédéon dans l'histoire des Juges. (Juges, VII.) Et voilà pourquoi encore, sous le règne d'Ezéchias, il choisit la nuit pour remporter une brillante victoire. (IV Rois, XIX, 35.) En effet, si ce prince qui n'avait pris part ni au combat, ni à la victoire, devint néanmoins si téméraire, il l'eût été bien davantage s'il eût assisté à la défaite de ses ennemis et s'il les eût vus tomber. C'est donc bien à l'instant où tout semble désespéré que Dieu donne son secours. Témoin Goliath (I Rois, XVII), témoins les apôtres. Ecoutez saint Paul : " Nous avons entendu prononcer en nous-mêmes l'arrêt de notre mort, afin que nous ne mettions point notre confiance en nous, mais en Dieu qui ressuscite les morts. " (II Cor. I, 9.) " Le Seigneur est ma force et le sujet de mes louanges. C'est bien en lui que j'ai trouvé mon salut (14). "
En d'autres termes, il a été ma puissance et mon secours. Mais que signifient ces mots " Le sujet de mes louanges? " C'est que non-seulement il délivre des périls, mais il rend célèbre et illustre et partout on peut constater qu'il sauve et qu'il glorifie tout à la fois. Ces paroles ont encore un autre sens caché que voici: qu'à jamais, dit-il, je chante l'hymne de ma reconnaissance, que ma voix lui soit consacrée entièrement, et que je ne sois occupé désormais qu'à le louer.
4. Combien donc sont coupables et quelle perte éprouvent ceux qui se souillent par des chants diaboliques, et qui se plaisent à faire entendre continuellement les cantiques du démon, bien différents de ce juste qui loue sans cesse son Sauveur. " Les cris d'allégresse et du salut se font entendre dans les tentes des justes (15). " Après un succès complet remporté par Dieu, ceux qui jouissent de la victoire sont dans la joie et l'allégresse, par la double raison qu'ils sont sauvés et qu'ils le sont par Dieu. La cause de leur joie est le Seigneur lui-même qui a triomphé. Mais il faut que nous sachions ce qui a engagé Dieu à donner son assistance, et le Psalmiste ajoute : " Dans les tentes des justes. " Il ne s'agit pas de maison, mais de " tentes, " pour indiquer que c'est une demeure où l'on ne doit s'arrêter qu'en passant. Telle était la tente d'Abraham, quand après avoir vaincu les rois il revenait couvert de la gloire que ses exploits lui avaient méritée. Telle la lente de Paul quand il rentrait après avoir triomphé des démons, fait disparaître l'erreur, et s'être rendu célèbre par ses succès. — " La droite du Seigneur a fait éclater sa puissance, la droite du Seigneur m'a élevé (16). "
Tel est le sujet de l'allégresse du Psalmiste. Il ne fait que répéter ici ce qu'il disait tout à l'heure en montrant que tous ses succès sont l'oeuvre de Dieu : Il est donc bien vrai que sa bonté ne se borne pas à nous délivrer des maux, mais qu'elle nous met encore en possession de la gloire et de l'illustration. En effet, après avoir dit : " La droite du Seigneur a fait (163) éclater sa puissance, " il a ajouté : " La droite du Seigneur m'a élevé, " pour faire ressortir la gloire qui avait rejailli sur lui. Car, " m'a élevé " signifie, m'a comblé de gloire, et c'est ainsi que Dieu donne non-seulement la force, mais encore la grandeur. — " Je ne mourrai point, mais je vivrai, et je raconterai les oeuvres du Seigneur (17). "
Les périls me menaçaient de la mort, mais j'ai dit: " Je ne mourrai point, mais je vivrai." C'est-à-dire, la puissance du Seigneur est si grande que même avant la Nouvelle Loi, il a délivré de la mort au milieu de périls qui ne laissaient plus d'espoir, préconisant ainsi d'avance la résurrection future dont il nous a du reste donné une image dès l'origine en enlevant Hénoch au ciel. (Gen. V, 21.) Si vous né croyez pas possible la résurrection des morts, que ce fait vous serve de preuve. Comment, en effet, ce corps a-t-il pu subsister aussi longtemps? Car il y a bien de la différence entre relever une maison qui tombe eu ruines et conserver autant de temps celle qui s'écroule de vétusté. Ne songez-vous donc point que le Seigneur a créé l'homme qui n'existait pas? A plus forte raison pourra-t-il le rendre à la vie. Nous avons encore une autre figure de la résurrection dans l'enlèvement d'Elie qui n'est pas encore mort. (IV Rois, II, 11.) Pour Dieu, tout se fait vite et facilement. " Il n'y a rien d'impossible à Dieu, " dit l'Evangéliste (Luc, I, 37); et le Prophète : " Tout ce qu'il a voulu, il l'a fait. " (Ps. CXIII, 11.) Le travail d'un artisan quelconque ne vous serait-il pas impossible? Néanmoins vous vous inclinez devant sa science. Et ainsi, tandis que vous consentez à vous soumettre , devant l'habileté de votre semblable, vous voulez contrôler les couvres de la sagesse du Seigneur, et pour ne pas les admettre, vous refusez un acte de foi. Quelle folie! " Je ne mourrai pas, mais je vivrai. " On peut, sans crainte de se tromper, entendre ces paroles dans le sens anagogique, car bien qu'elles aient été dites de la résurrection, " Je ne mourrai pas " signifiant que la mort n'est pas une mort véritable, elles veulent dire aussi dans une acception différente, " Je ne mourrai pas " d'une seconde mort. C'est dans ce dernier sens que le Christ disait : " Je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi, quand il serait mort, vivra, et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. " (Jean, XI, 25, 26.)
" Et je raconterai les oeuvres du Seigneur. " Voilà principalement en quoi consiste la vie Lover Dieu et annoncer à tous ses merveilles. De quelles oeuvres s'agit-il ici, je vous prie? De celles qui vont être rapportées : " Le Seigneur m'a châtié pour me corriger, mais il ne m'a point livré à la mort (l8). " Comme on voit apparaître les oeuvres admirables du Seigneur et l'utilité que nous en retirons ! David ne rend pas seulement grâces à Dieu de ce qu'il a été délivré, mais il regarde même sa chute comme un très-signalé bienfait et la tentation comme un avantage en disant : " Le Seigneur m'a châtié pour me corriger. " Car l'utilité de la tentation consiste en ce qu'elle nous rend meilleurs. Admirons la puissance de Dieu et le soin qu'il prend de nous. Il a permis que David fût accablé de maux, puis il l'a délivré, car, dit ce saint roi, " il ne m'a pas " livré à la mort. " Ou, selon la belle interprétation d'une autre version : " Il ne m'a pas " donné à la mort. " Paroles qui nous font bien voir que tout dépend de sa puissance. Et ainsi David a été sauvé deux fois, d'abord des maux du corps, et ensuite du péché. C'est pourquoi saint Paul disait aux Hébreux dans son épître: " Si vous n'êtes point châtiés, tous les autres l'ayant été, vous êtes donc des bâtards et non des enfants légitimes." (Héb. XII, 8.) — " Ouvrez-moi les portes de la justice afin que j'y entre et que je rende grâces au Seigneur (l9). " Les portes s'ouvrent à ceux qui sont châtiés, qui déposent le fardeau de leurs péchés.
5. Celui qui a été châtié peut dire avec assurance, " ouvrez-moi les portes de la justice. " Il faut prendre ces paroles dans le sens anagogique et les entendre des portes du ciel qui demeurent fermées aux méchants et qui ne s'ouvrent qu'à la vertu , à l'aumône et à la justice. — " C'est là la porte du Seigneur, et les justes entreront par elle (20). " Il y a les portes de la mort, les portes de la perdition , et les portes de la vie, les portes étroites et difficiles. Comme il y a plusieurs portes, le Prophète fait connaître ce qui distingue la porte du Seigneur en ajoutant "C'est là la porte du Seigneur. " Les premières ne sont pas du Seigneur. Mais quelle est la marque de celle du Seigneur? — C'est qu'elle s'ouvre pour ceux qui sont châtiés et affligés, car elle est étroite et basse. Or, si elle est basse, ceux qui sont affligés et opprimés entrent par (164) elle, de même que celle qui mène à la mort est large et spacieuse. — " Je vous rendrai grâces de ce que vous m'avez exaucé et de ce que vous êtes devenu mon salut (21). " Le Psalmiste ne dit pas seulement à Dieu: " Vous m'avez exaucé ; " mais comme il avait été châtié et par là rendu meilleur, il lui rend grâces non-seulement d'avoir été exaucé, mais encore d'avoir été châtié : c'est en cela du reste qu'il a été exaucé et il ne pouvait assez en remercier le Seigneur. Car, comme je vous l'ai dit et comme je ne cesserai de vous le répéter, il n'y a pas d'oblation ni de sacrifice comparables à l'oblation et au sacrifice de l'action de grâces. — " La pierre qu'ont rejetée ceux qui ont bâti a été placée à la tête de l'angle (22)." Qu'il s'agisse ici du Christ, c'est évident pour tous. Car lui-même dans les Evangiles cite cette prophétie en se l'appliquant, quand il dit " N'avez-vous jamais lu que la pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient a été placée à la tête de l'angle ? " (Matth. XXI, 42 ; Luc, XX,17.)
Si ces paroles paraissent sans liaison avec ce qui précède et si cette prophétie ne fait qu'interrompre le cours de notre histoire, ce n'est pas une nouveauté qui doive nous surprendre, parce que la plupart des prophéties de l'Ancien Testament sont énoncées de la sorte. — Car si elles n'eussent pas été ainsi voilées, les Livres saints auraient été détruits. Ainsi, quand il est question de la naissance de notre Sauveur, quoique la prophétie paraisse se rattacher à l'histoire dont il s'agissait alors, elle n'a rien néanmoins de commun avec elle, comme par exemple celle-ci: " Une vierge concevra et elle enfantera un fils à qui on donnera le nom d'Emmanuel, c'est-à-dire, Dieu avec nous. (Is. VII, 14; Math. I, 27.) La pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient. " — Par ceux qui bâtissaient on entend ici les Juifs, les docteurs de la loi, les scribes, les pharisiens, qui ont rejeté le Sauveur en disant: " Vous êtes un Samaritain, vous êtes possédé du démon. " (Jean, VIII, 48.) Et encore: " Cet homme n'est pas de Dieu, mais il séduit le peuple. " (Jean, VIII, 12.) Malgré cette réprobation il a pourtant été jugé digne de devenir la principale pierre de l'angle. C'est que toute pierre n'est pas propre à être placée dans les angles: mais il faut pour cela des pierres de choix, capables de relier ensemble les deux côtés. Les paroles du Prophète peuvent donc s'interpréter ainsi : Celui que les Juifs ont rejeté avec mépris a paru tellement admirable que non-seulement il a pu tenir sa place dans l'édifice, mais que même il a servi à relier les deux murs. Et quels sont ces deux murs? — Les Juifs et ceux qui croyaient d'entre les Gentils, selon ce mot de saint Paul : " Car c'est lui qui est notre paix, qui des deux peuples (du Juif et du Gentil) n'en a fait qu'un, qui a rompu en sa chair la muraille de séparation, cette inimitié qui les divisait, et qui par sa doctrine a aboli la loi de préceptes, afin de former en soi-même un seul homme nouveau de ces deux peuples. " (Eph. II, 14, 15.) Et encore : " Vous êtes édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes en Jésus-Christ, qui est la principale pierre de l'angle. " (Ibid. 20.)
Dans ce qui précède, ce sont les Juifs surtout qui sont en cause, eux qui, voulant construire, n'ont pas su discerner la pierre convenable, mais qui ont rejeté, au contraire, comme défectueuse, celle qui pouvait faire la solidité de l'édifice. Maintenant, si nous voulons savoir de Notre-Seigneur lui-même quels sont ces deux murs, écoutons-le nous dire: " J'ai encore d'autres brebis quine sont pas de cette bergerie et il faut que je les amène. Elles entendront ma voix et il n'y aura qu'un troupeau et qu'un pasteur. " (Jean, X, 16.) Ce fait avait été figuré bien des siècles auparavant dans la personne d'Abraham qui fut le père de ces deux peuples, à savoir, les circoncis et les incirconcis. Mais encore une fois, ce n'était que la figure, nous avons la réalité dans Notre-Seigneur qui " est devenu la principale pierre de l'angle, " en réunissant ces deux nations. — " C'est le Seigneur qui a fait cette pierre (23)." Qu'est-ce à dire : " C'est le Seigneur qui a fait cette pierre? " C'est que ce qui a été exécuté était au-dessus des hommes, et il n'était au pouvoir d'aucun d'eux, pas plus qu'au pouvoir' des anges et des archanges de former un pareil angle. Nul ne peut opérer ce prodige, fût-il juste, prophète, ange ou archange ; à Dieu seul était réservée cette oeuvre admirable, elle est de son domaine exclusif. Une autre version porte: " C'est le Seigneur qui a fait cela. " C'est-à-dire cette oeuvre admirable qui surpasse tout ce qu'on peut imaginer, l'œuvre de L'angle. " Et c'est ce qui paraît à nos yeux digne d'admiration. " Qu'est-ce qui paraît admirable? — l'angle, la réunion de ces deux peuples en une mètre religion. Parmi les Juifs (165) il y eut plusieurs myriades de croyants: les apôtres avaient été pris parmi eux. Le Psalmiste a eu bien raison de dire : " A nos yeux." Car ce prodige ne brille pas à tous les regards. Qui ne serait étonné, ravi, en songeant que le Christ fut adoré là même où il avait été crucifié et que ceux qui le crucifièrent sont dans l'ignominie, tandis que ses adorateurs sont couverts de gloire ? Sa parole se répandit dans tout l'univers, ralliant tous les hommes à la vérité. C'est donc quelque chose d'admirable pour tous, à quelque point de vue qu'on se place, mais surtout et avec beaucoup plus d'évidence pour ceux qui croient, comme le marquent ces mots: " A nos yeux. C'est ici le jour que le Seigneur a fait: réjouissons-nous, et soyons pleins d'allégresse (24). " Le mot jour doit s'entendre ici non du cours périodique du soleil, mais des choses merveilleuses qui ont été accomplies. Car, de même qu'on dit d'un jour qu'il est mauvais, en faisant allusion, non à la marche du soleil, mais aux malheurs arrivés dans ce temps, ainsi on appelle bon le jour où il s'est passé de belles choses. Les paroles du Psalmiste peuvent donc se traduire ainsi: C'est Dieu qui a fait les choses admirables accomplies en ce jour, car sa main seule était capable de les réaliser.
6. Y a-t-il rien qui soit comparable à ce jour? C'est à
pareil jour, en effet, qu'a eu lieu la réconciliation de Dieu avec
les hommes; alors l'antique guerre a été terminée,
et la terre a envahi le ciel, et les hommes indignes de la terre ont paru
dignes du royaume céleste, et les prémices de notre nature
ont été élevées au-dessus des cieux, et le
paradis a été ouvert, et nous avons recouvré notre
ancienne patrie, et la malédiction a été abolie, et
le péché a été détruit, et ceux qui
avaient été punis par la loi ont été sauvés
sans la loi, et la terre entière et la mer ont reconnu leur souverain,
sans parler d'autres prodiges innombrables que notre discours ne suffirait
pas à énumérer. Aussi le Prophète, après
avoir repassé dans son esprit ces merveilles, les attribue toutes
à Dieu, montrant que ce qui a été fait, a été
fait par Dieu. " Réjouissons-nous en ce jour et soyons pleins d'allégresse."
Il s'agit ici d'une joie spirituelle, joie de l’esprit, joie de l'âme.
" Réjouissons-nous en ce jour et soyons pleins d'allégresse
" d'avoir été mis en possession de si grands biens. C'est
la marque d'une grande vertu de se réjouir du bien, d'en tressaillir,
d'en être rempli d'allégresse, de recevoir avec plaisir les
bienfaits de Dieu. " O Seigneur, conservez, je vous en " prie; ô
Seigneur, faites prospérer le règne " de votre Christ, je
vous en prie. " En voyant la prospérité de la terre, les
changements et les transformations heureuses qui s'accomplissaient, le
Psalmiste félicite ceux qui en sont l'objet et il s'écrie
: " O Seigneur, conservez, je vous en prie, ô Seigneur, faites prospérer
le règne de votre Christ, je vous en prie. " C'est-à-dire,
conservez ceux qui jouissent, et pour que leurs désirs soient accomplis
et qu'ils produisent des fruits dignes de votre grâce, rendez-leur
la voie facile, afin qu'après être arrivés au terme
de leurs désirs, ils ne se séparent plus de tels biens. "
Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur (26) ! " C'est que
nos biens ne consistent pas seulement dans ce qui a été fait,
mais ils nous conduisent à d'autres biens, infiniment supérieurs
: la résurrection, la vie éternelle , l'héritage avec
le Christ; toutes choses que le Psalmiste veut faire entendre par ces paroles
: " Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! " Notre Sauveur
a dit la même chose aux Juifs : " En vérité, en vérité
je vous le dis, vous ne me verrez plus jusqu'à ce que vous disiez
: Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ? " (Matt. XXIII,
39.) En effet, comme ils lui jetaient à la face, à tout propos,
qu'il n'était pas de Dieu, qu'il était l'ennemi de Dieu,
il leur dit : Vous me rendrez vous-mêmes témoignage que je
ne suis pas l'ennemi de Dieu, quand vous m'aurez vu venir, sur les nues
et que vous vous serez écriés : Béni soit celui qui
vient au nom du Seigneur ! Paroles admirables et pleines de louanges qui
rendront les Juifs inexcusables; car les événements qui s'accompliront
alors apporteront une telle lumière qu'ils arracheront ce cri qui
sera tout à la fois, et la glorification de Dieu et l'accusation
la plus terrible contre ceux qui le proféreront. " Nous vous bénissons
de la maison du Seigneur. Le Seigneur est le vrai Dieu et il a fait paraître
sa lumière sur nous (27). " Il est question ici de tout le peuple
fidèle qui a trouvé la bénédiction dans la
maison du Seigneur. Partout on entend les prophètes appeler bienheureux
ceux qui croiront. Pourquoi les bénédictions dont il s'agit
ici et d'où vient ce bonheur? C'est que " le Sauveur nous est apparu.
La grâce de Dieu notre Sauveur a paru, (166) tel et elle nous a appris
que renonçant à l'impiété et aux passions mondaines,
nous devons vivre avec tempérance, avec justice et avec piété,
étant toujours dans l'attente de la béatitude que nous espérons
et de l'avènement du grand Dieu et notre Sauveur, Jésus-Christ.
" (Tit. II,11, 12, 13.) Le Psalmiste admire ici les bienfaits de l'Incarnation,
dans laquelle Notre-Seigneur a paru parmi nous, bien qu'il fût Dieu,
et de la substance divine. Il a voulu dire qu'il était apparu, qu'il
s'était revêtu de notre chair, qu'il avait passé par
le sein d'une vierge, qu'il s'était fait homme et qu'il avait habité
parmi nous. C'est pourquoi il s'est écrié : " Nous vous bénissons
" de nous avoir octroyé nu tel bienfait. C'est ce que voulait faire
entendre le Christ, quand il disait : " Beaucoup de prophètes et
de justes ont souhaité de voir ce que vous voyez et ne l'ont point
vu, et d'entendre ce que vous entendez et ne l'ont pas entendu." (Matt.
XIII,17.) "Rendez ce jour solennel en couvrant de branches tous ces lieux,
jusqu'à la corne de l'autel. " Une autre version porte : " Rassemblez
des branches nombreuses pour orner le lieu de vos réunions. " Et
une troisième : " Sacrifiez en ce jour de fête des victimes
choisies." Nous passons ainsi de la prophétie à l'histoire.
C'est comme si le Psalmiste disait : " Mettez-vous en fête , rassemblez-vous
en grand nombre. " Mais qu'est-ce à dire : " Rendez ce jour solennel
en couvrant de branches tous les lieux? " Ou bien, selon un autre interprète
: " Sacrifiez des victimes choisies ? " Ou bien encore : " Ornez le temple
de bran" ches et de couronnes? " On pourrait lire dans l'hébreu
: " Esrou ag baad oth thim. " " Amenez l'agneau au milieu des branches
touffues, jusqu'aux cornes de l’autel. " Mais quel que soit le sens qu'on
adopte, il est question d'une fête, d'un jour de joie, d'une assemblée
nombreuse. Et c'est ainsi qu'après avoir parlé de choses
spirituelles, le Psalmiste revient aux objets matériels et rappelle
leur retour. " Vous êtes mon Dieu et je vous rendrai mes actions
de grâces ; vous êtes mon Dieu et je vous exalterai. Je vous
rendrai grâce de ce que vous m'avez exaucé et de ce que vous
êtes devenu mon salut (28). " David montre ici qu'il faut remercier
Dieu, alors même qu'on n'en a reçu aucun bienfait, et qu'on
doit le combler d'honneur et de gloire à cause de sa majesté,
à cause de sa nature, à cause de sa gloire ineffable. C'est
le sens de ces dernières paroles placées après l'énumération
des bienfaits qu'il a répandus avec profusion sur ses enfants, et
il semble nous crier à tous: Même sans ces bienfaits, je serais
reconnaissant et je rendrais grâces d'avoir au Seigneur si grand,
si élevé, qu'il ne peut être ni vu ni compris. Car
ici, "exalter" signifie glorifier. "Louez le Seigneur parce qu'il est bon,
parce que sa miséricorde s'étend dans tous les siècles
(29)." Ce n'est point assez pour le Psalmiste d'offrir lui-même ce
sacrifice de louanges, mais il appelle tous les hommes afin qu'ils s'unissent
à lui pour prendre part à sa reconnaissance et à ses
actions de grâces. Et il chante la bonté de Dieu, célébrant
sa perpétuité et sa grandeur. Maintenant que nous sommes
instruits de ces choses, soyons fidèles, nous aussi, à rendre
continuellement nos actions de grâces à ce Dieu bon, à
lui offrir ce sacrifice de louanges, afin de mériter les biens futurs,
par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
à qui soit la gloire, avec le Père et le Saint-Esprit, maintenant
et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il
!
EXPLICATION DU PSAUME CXIX. CANTIQUE DES DEGRÉS, OU SELON UNE
AUTRE VERSION : CANTIQUE POUR LESMONTÉES. 1 " J'AI CRIÉ VERS
LE SEIGNEUR LORSQUE J'ÉTAIS DANS L'AFFLICTION, ET IL M'A EXAUCÉ.
"
ANALYSE.
1. Le seul moyen de monter à Dieu c'est d'être dans les afflictions et les épreuves, conformément à cette parole du Maître : Bienheureux ceux qui pleurent, car alors ou se détache de soi-même et des choses de la terre, et on crie vers le Seigneur qui s'empresse toujours de nous exaucer.
2. Dans notre course à travers le monde, nous rencontrons bien des obstacles : le principal est le commerce avec les hommes pervers et trompeurs. C'est pourquoi nous devons nous unir au Prophète pour demander à Dieu d'en être délivrés et d'être mis en possession du Ciel.
3. Pour être exaucés, considérons cette terre comme un lieu d'exil et un passage, et soyons avec les méchants comme des agneaux au milieu des loups. Que la douceur soit notre seule arme de résistance. Elle nous fera triompher des pécheurs que nous convertirons, et mériter les biens éternels.
l. Chacun des autres psaumes a une inscription particulière , mais ici on en a réuni plusieurs sous un même titre : " Cantiques des degrés " ou "des montées, " selon un autre interprète. " Quelques-uns même les nomment simplement, "degré." Et pourquoi cette dénomination, direz-vous? — Au point de vue historique, c'est parce qu'ils parlent du retour de Babylone, et qu'ils font mention de la captivité des Juifs en ce pays. — Dans le sens an agogique , c'est , au dire de plusieurs interprètes , parce qu'ils conduisent dans le chemin de la vertu; or, la voie par laquelle nous y arrivons est semblable à des degrés par lesquels l'homme vertueux et sage monte lentement jusqu'à Dieu. D'autres voient dans ces psaumes une figure de l'échelle de Jacob qui fut montrée à David et qui touchait le ciel. C'est aussi au moyen de degrés et d'échelles qu'on peut s'élever aux lieux qui sont inabordables ou trop élevés. Hais comme ceux qui montent, arrivés à une certaine hauteur sont menacés du vertige, il est nécessaire d'affermir non-seulement ceux qui s'élèvent, ruais encore ceux qui sont parvenus au sommet. — Il n'y a qu'un moyen de salut : c'est de ne pas considérer à quelle élévation nous sommes parvenus , de peur de nous enorgueillir, mais d'examiner combien il nous reste encore de chemin à faire et de nous efforcer d'arriver au but, comme voulait nous le faire entendre saint Paul quand il disait: " Oublions ce qui est derrière nous, avançons-nous vers ce qui est devant nous. " (Philip. III, 13.) Telle est l'explication du sens anagogique. Maintenant, si vous le trouvez bon, revenons à l'histoire et considérons ceux (168) qui furent délivrés de la captivité. Comment donc eut lieu cette délivrance ? — Par le désir de voir Jérusalem; tandis que ceux qui n'avaient pas le même souci, ne profitèrent pas de la grâce de Dieu, mais passèrent leurs jours dans une perpétuelle servitude; ce sera aussi notre sort si nous agissons comme eux. Car si, au lieu d'être embrasés de l'amour des choses saintes et du désir de la céleste Jérusalem , nous nous attachons sans cesse à la vie présente, nous souillant dans la fange des choses terrestres, nous ne pourrons arriver à la patrie.
" J'ai crié vers le Seigneur lorsque j'étais dans l'affliction et il m'a exaucé. " Comme l'affliction nous est avantageuse ! comme la clémence est prompte à nous secourir ! la première nous porte à répandre des supplications saintes , la seconde exauce sur-le-champ ceux qui l'invoquent. C'est ce que nous voyons pour ce peuple juif en Egypte. Ecoutez le Seigneur: " J'ai vu l'affliction de mon peuple, et j'ai en tendu ses gémissements, et je suis descendu pour le délivrer. " (Exod. III, 7, 8.)
Donc, mes très-chers, vous aussi, quand vous êtes dans l'affliction, ne vous désespérez pas, ne devenez pas nonchalants; mais alors principalement ranimez votre courage, parce que dans ce moment nos prières sont plus pures et que plus grande aussi est la miséricorde de Dieu pour vous. Vivez constamment de telle sorte que la vie vous soit à charge ; n'oubliez pas que: " Tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ seront persécutés (II Tim. III, 12 ) ; et que c'est par beaucoup de tribulations que nous devons entrer dans le royaume des cieux. " (Act. XIV, 21.)
Ne courons donc pas après une vie molle et dissolue et ne cherchons pas à entrer par la voie large, car elle ne conduit pas au ciel, mais par la voie étroite et difficile. Si nous voulons parvenir aux demeures célestes, fuyons les plaisirs, foulons aux pieds la pompe extérieure du siècle, méprisons les richesses , la gloire , et la puissance, attachons-nous à la pauvreté, à la componction du coeur, à la confession, aux larmes, et poursuivons tout ce qui peut nous procurer le salut. C'est le moyen d'être plus en sûreté et de faire monter plus facilement nos prières vers Dieu. Si nous nous préparons de la sorte et si nous invoquons le Seigneur avec de semblables dispositions, il nous exaucera certainement, selon cette parole du Prophète : " Lorsque j'étais dans l'affliction, j'ai crié et j'ai été exaucé. " Apprenons donc à nous élever peu à peu et à donner pour ainsi dire des ailes à nos prières en chassant toute inquiétude et tout trouble dans les afflictions; ce sera le moyen de les rendre très-profitables. Si le prophète Elisée , tout homme qu'il était, ne permit pas à son disciple de repousser une femme qui venait à lui, disant: " Laissez-la parce que son âme est dans l'amertume " (IV Rois, IV, 27) , " afin de nous montrer que son affliction était pour elle une excuse et une défense très-grandes, à plus forte raison, Dieu ne nous repoussera pas si nous nous présentons à lui avec une âme remplie de tristesse. Voilà pourquoi encore le Christ appelle bienheureux ceux qui pleurent et malheureux ceux qui rient. Aussi a-t-il commencé par là ses béatitudes en disant. " Bienheureux ceux qui pleurent (1)?" (Matth. V, 5.) — Si donc vous voulez monter les degrés de la vertu, retranchez dans vos habitudes tout ce qu'il y a de désordonné et de vain; astreignez-vous à un genre de vie difficile, abstenez-vous des choses terrestres. C'est là le premier degré. Car il est impossible, d'une impossibilité absolue, de monter en même temps l'échelle et de rester attaché à la terre.
2. Vous voyez comme le ciel est élevé, vous connaissez la brièveté du temps, vous savez combien l'heure de la mort est incertaine. Ne tardez donc pas, ne différez point, mais entreprenez ce voyage avec une grande ardeur, afin que vous puissiez franchir deux, trois, dix et vingt degrés par jour. — " Seigneur, délivrez mon âme des lèvres injustes et de la langue trompeuse (2). " On voit briller ici ce précepte évangélique: " Priez afin que vous " n'entriez pas en tentation. " (Luc, XXII, 46.) C'est qu'il n'y a point, ô mes très-chers, de tentation plus dangereuse, que d'être livré à un homme trompeur : il est plus à craindre que n'importe quelle bête sauvage. Elle, du moins, se montre telle qu'elle est, mais le fourbe cache souvent son poison sous le masque de la douceur, afin qu'on ne puisse découvrir les embûches et qu'on tombe sans défiance dans ses piéges. C'est pourquoi le
1 Nous ne comprenons pas pourquoi saint Jean Chrysostome dit que Notre-Seigneur commença ses béatitudes par ces mots: Bien. heureux ceux qui pleurent, puisque ni saint Matthieu, ni saint Luc ne placent cette béatitude la première. (Note des Bénédictins.)
169
Psalmiste demande sans cesse à Dieu, avec instance, d'être délivré de tels ennemis. Que s'il faut fuir les gens fourbes et dissimulés, à plus forte raison les trompeurs, et ceux qui répandent des doctrines perverses. Les lèvres les plus dangereuses sont celles qui attaquent la vertu et qui portent au mal. C'est pourquoi le Prophète demande que son âme en soit délivrée. C'est vers ce point qu'il dirige tous ses traits: — " Que recevrez-vous et quel fruit vous reviendra-t-il, ô langue trompeuse (3) ? " Une autre version porte: " Que vous produira, que vous rapportera la langue trompeuse? " Et une troisième : " Que vous donnera, que vous rapportera la langue selon l'imposture? " Expressions qui tendent toutes à montrer qu'il s'agit d'une grande malice et d'une espèce de vice horrible. C'est pourquoi vous voyez le Prophète irrité, ému, s'écrier : " Que recevrez-vous et quel fruit vous reviendra-t-il, ô langue trompeuse? " Ce qui revient à ceci quel supplice sera digne d'un tel crime ! Ce qu'Isaïe voulait dire aux Juifs par ces paroles " A quoi servirait de vous frapper de nouveau, vous qui ajoutez péché sur péché (Is. I, 5), " le Psalmiste le dit par celle-ci : " Que retirerez-vous et quel fruit vous reviendra-t-il, ô langue trompeuse? " C'est comme s'il disait le méchant trouve son châtiment dans sa propre faute, et il devance le jugement de Dieu pour se punir puisque de lui-même il engendre le vice . car il n'y a pas de plus grand supplice pour l'âme que d'être livrée au vice, même avant qu'il sort puni. Quel châtiment donc pour un tel crime? Il n'y en a point ici-bas; Dieu seul pourra le trouver, l'homme n'y parviendrait pas, car c'est une malice qui surpasse tout châtiment. Mais Dieu se charge de la vengeance, et c'est ce que veut faire entendre le Prophète quand il ajoute aussitôt : — " Vous avez été percé avec des flèches très-pointues poussées par une main puissante, et vous serez brûlé avec des charbons dévorants (4). "
Le Psalmiste compare ici à des flèches les supplices dont il s'agit. Une autre version porte : " Les flèches de l'homme puissant qui me poursuit sont aigres, elles sont brûlantes comme des charbons accumulés. " Ou bien encore : " Comme des charbons de genévrier; " expressions métaphoriques et variées qui augmentent en nous la crainte du supplice. Car ces mots : " charbons accumulés, charbons de genévrier " ont le même sens. Dans le premier cas on veut faire ressortir le nombre des peines, dans le second, leur intensité. C'est ce qu'ont voulu nous faire entendre les Septante quand ils ont traduit par " charbons dévorants, " c'est-à-dire, dévastateurs, destructeurs, ruineurs. Les saintes Lettres, pour nous donner une idée de la vengeance de Dieu, la comparent à des choses que nous regardons comme terribles et elles nous la représentent comme des flèches ou comme du feu. Il me semble aussi qu'il y a dans ces mots une allusion aux barbares, et c'est dans ce sens qu'un autre interprète a dit : " Délivrez mon âme de la lèvre menteuse. " Car telles sont leurs paroles, telles leurs ruses et leurs embûches. Tout en eux respire la fraude et les plus grands crimes. — " Que je suis malheureux de ce que mon exil est si long ! J'ai demeuré avec les habitants de Cédar (5). " On lit dans une autre leçon : " Que je suis malheureux d'avoir prolongé mon exil ! " Et dans une troisième : "Que je suis malheureux d'avoir été si longtemps dans la terre étrangère ! "
Ce sont des lamentations au sujet de la captivité de Babylone. Saint Paul parlant de l'exil de cette vie qui se prolonge trop longtemps s'écrie : "Pendant que nous sommes dans le corps comme dans une tente, nous gémissons sous le poids de notre condition mortelle (II Cor. V, 4); " et encore : " Et non-seulement les créatures soupirent, mais nous qui avons reçu les prémices de l'Esprit nous gémissons nous-mêmes. " (Rom. VIII, 23.) C'est que la vie présente est un exil. Que dis-je, un exil ? C'est quelque chose de pire. Et Notre-Seigneur lui-même l'a appelée un passage quand il a dit : " La porte de la vie est petite et la voie qui y mène est étroite. " (Matth. VII, 14.) Aussi la meilleure, et par conséquent la première science pour nous, c'est de savoir que nous ne sommes dans ce monde que des voyageurs. Les anciens patriarches n'avaient pas d'autre doctrine et saint Paul les en loue hautement, comme on peut le voir dans ses Epîtres : " Pour cette cause Dieu ne rougit point d'être appelé leur Dieu. " (Héb. XI, 16.) Pour quelle cause, je vous le demande? Parce qu'ils confessèrent qu'ils étaient étrangers et voyageurs. (Héb. XI, 13.) Car c'est là le principe et le fondement de toute vertu, parce que celui qui est étranger au milieu de ce (170) monde sera citoyen du ciel. Celui qui est étranger aux objets d'ici-bas, ne se complaira point dans le présent; maison, argent., bonne chère, rien ne le touchera; mais semblable à ceux qui habitent un pays étranger, dont tous les actes, toutes les pensées tendent à les faire rentrer dans leur patrie, et qui chaque jour ont hâte de revoir la terre qui les a vus naître; ainsi celui qui est enflammé du désir des biens futurs, ne se laissera ni abattre par les adversités, ni enorgueillir par les prospérités du présent, mais il passera par-dessus tout, comme le voyageur qui fait sa route. C'est pourquoi nous devons dire dans notre prière : " Que votre règne arrive ! (Matth. VI, 10; Luc, XI, 2), " afin qu'entretenant dans notre âme la pensée et le désir ardent de cet avènement, et que l'ayant sans cesse devant les yeux, nous ne considérions plus les choses présentes. Si les Juifs, désireux de revoir Jérusalem, même après leur délivrance, pleurent encore au souvenir du passé, serons-nous pardonnables, pourrons-nous être excusés de ne pas être embrasés d'un violent amour de la Jérusalem céleste ?
3. Voyez donc comme ils se lamentent d'être obligés de vivre avec leurs ennemis : " J'ai demeuré, " disent-ils, " avec les habitants de Cédar, mon âme a été longtemps étrangère. " Ils ne gémissent pas seulement d'être détenus sur la terre, de l'exil, mais encore d'habiter avec des barbares, imitant en cela l'exemple des autres prophètes qui se lamentent en ces termes sur la. vie présente : " Malheur à moi, parce qu'on ne trouve plus de saints sur la terre; il n'y a personne qui ait le coeur droit. " (Mich. VII, 12.) Le Psalmiste lui même ne s'est-il pas écrié dans un autre endroit? " Sauvez-moi, Seigneur, parce qu'il n'y a plus de saints sur la terre! " (Ps. XI, 2.) C'est qu'en effet cette vie n'est pas seulement pénible parce qu'elle renferme une grande vanité et des soucis importuns, mais encore à cause du grand nombre des méchants. Car il n'y a rien de plus fâcheux pour les gens de bien que d'être obligés de vivre avec des hommes pervers. La fumée et la vapeur fatiguent moins les yeux que le commerce des méchants n'attriste l'âme. Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même prend soin de nous montrer combien de pareils rapports sont à charge. En effet, quand il s'écrie : " Jusqu'à quand serai-je avec vous? Jusqu'à quand vous supporterai-je?" N'est-ce pas dire en termes moins clairs : " J'ai demeuré avec les habitants de Cédar? " Ces peuples barbares ont pour habitude de traiter leurs inférieurs avec la cruauté des bêtes sauvages, en sorte qu'ils vivent sous des tentes et qu'ils sont réduits à la férocité de ces animaux. Mais plus terribles encore sont ces ravisseurs cupides qui passent leur vie dans les débauches, dans le luxe et les plaisirs de toutes sortes. — " Mon âme a été longtemps en exil (6). "
Pourtant il semble que non, car cet exil ne fut que de soixante-dix ans. Mais le Psalmiste a moins en vue le nombre des années que les peines qu'il avait endurées, car quelque court que soit le temps d'une affliction, il paraît fort long à ceux qui souffrent. Tels doivent être nos propres sentiments, et quoique nous vivions peu d'années sur cette terre, elles doivent nous paraître nombreuses à cause du désir des biens célestes. Et en parlant de la sorte, je ne veux point accuser la vie présente ; loin de moi une telle pensée, car cette vie est l'œuvre de Dieu, mais je voudrais faire naître en vous le désir des biens futurs et y détruire toute complaisance dans la possession des objets présents et tout attachement à voire corps, comme aussi vous empêcher de ressembler à ces âmes vulgaires qui, après une longue vie, se plaignent de n'avoir eu que peu d'années sur cette terre. Quoi de plus insensé ! Quelle n'est pas la stupidité de ces hommes à qui on offre le ciel avec tous ses biens que l'œil n'a point vus, que l'oreille n'a point entendus (I Cor. XI, 9), et qui soupirent après des ombres, et qui veulent traverser le fleuve de cette vie, trouvant leur plaisir à rester continuellement au -milieu des flots, des tempêtes et des naufrages. Il n'en était pas ainsi de saint Paul. Niais il avait hâte d'avancer, et il n'y avait qu'une chose qui pût le retenir, le salut de ses frères. " Je gardais un esprit de paix avec ceux qui haïssaient la paix; dès que je leur parlais, ils s'élevaient contre moi (7). "
C'est ainsi que le Prophète nous montre combien il est pénible de demeurer dans cette vie. Il n'a pas dit : " Avec ceux qui n'ont pas la paix, " mais, " avec ceux qui haïssent la paix, j'étais pacifique. " Voilà l'avantage de l'affliction, voilà le fruit de la captivité. Qui de nous pourrait maintenant en dire autant? Nous trouvons que c'est déjà beaucoup d'être pacifique avec les pacifiques, tandis que le (171) Prophète gardait un esprit de paix avec ceux qui haïssaient la paix. Que devons-nous donc faire pour n'être pas en défaut sur ce point? C'est de demeurer sur cette terre comme des étrangers — car j'en reviens toujours à mon premier raisonnement, — comme des voyageurs qui ne se laissent arrêter par aucune des choses présentes. Il n'y a rien, en effet, contre quoi nous devions lutter et combattre autant que contre l'amour des choses présentes et le désir de la gloire, de l'argent et des délices. Mais quand nous aurons coupé tous ces liens et que notre âme ne sera plus retenue par aucun, nous verrons où était le principe de la lutte et sur quoi doivent reposer les bases de la vertu. Ainsi encore, le Christ veut que nous soyons " comme des brebis au milieu des loups (Matth. X, 16), " afin que nous ne disions pas J'ai tant souffert que je suis devenu violent. — Car, nous répond-il, quand vous auriez souffert mille maux, gardez la douceur de la brebis et vous triompherez des loups. Cet homme est méchant et vif, mais vous disposez de forces si considérables que vous êtes au-dessus de tous les méchants. Quoi de plus doux que la brebis, de plus sauvage que le loup? Elle triomphera de lui cependant, comme on l'a vu par tes martyrs. C'est qu'il n'y a rien de plus puissant que la mansuétude, rien de plus fort que la douceur. Aussi le Christ nous ordonne-t-il d'être comme des agneaux au milieu des loups. Puis, après avoir parlé de la sorte, comme si celle douceur ne suffisait pas à qui veut paraître son disciple, il ajoute autre chose encore : " Soyez, " nous dit-il, " simples comme des colombes (Matth. X, 16), " réunissant ainsi la mansuétude des deux animaux doux et simples par excellence. Tant est grande la vertu qu'il exige de nous quand nous sommes avec des gens sauvages ! Et ne me dites pas : Cet homme est méchant, je ne puis le souffrir. Car c'est surtout avec des personnes grossières et inhumaines qu'il faut faire preuve de douceur. C'est alors qu'éclate la vertu, c'est alors que son utilité, son heureux succès, ses fruits brillent à tous les yeux.
" Dès que je leur parlais ils s'élevaient contre moi. " Un autre interprète dit . " Et quand je leur parlais, ils combattaient. " Ce qui signifie : " J'étais pacifique avec ceux qui haïssaient la paix; " ou bien : Quand je leur parlais ils combattaient contre moi. Expressions qui reviennent toutes à ceci: Au moment même où je parlais à mes ennemis, alors surtout que je montrais ma charité en proférant les paroles les plus affectueuses, ils s'emportaient, ils me dressaient des embûches et rien ne les arrêtait. Néanmoins , je faisais paraître ma vertu, sans avoir égard à leurs mauvaises dispositions.
Ainsi doit-il en être de nous. Quoiqu'on réponde à notre amour en nous frappant, en nous blessant, en nous tendant des piéges, ne cessons point de nous montrer pleins de bonté, nous souvenant de la parabole qui nous ordonne d'être comme des agneaux et des colombes au milieu des loups. En agissant ainsi nous rendrons nos ennemis meilleurs et nous mériterons les biens célestes. Puissions-nous tous les posséder un jour, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire dans les siècles des siècles! Ainsi soit-il.
EXPLICATION DU PSAUME CXX. CANTIQUE DES DEGRÉS, OU BIEN, CANTIQUES
DES MONTÉES. 1. " J'AI LEVÉ MES YEUX VERS LES MONTAGNES D'OU
ME VIENDRA LE SECOURS. " OU BIEN , " JE LÈVE, " ETC.
ANALYSE.
1. L'âme accablée de maux se tourne vers Dieu pour y puiser sa consolation. Mais si les Juifs charnels et grossiers agissaient de la sorte au milieu de leurs infortunes, à combien plus forte raison doit-il en être ainsi pour nous qui aspirons à des biens infini ment supérieurs. Soyons donc pleins de courage dans l'adversité, faisant tout notre possible et Dieu fera le reste.
2. Nous serons fermes au milieu des épreuves, notre pied ne sera pas ébranlé, si, détachés de la terre, nous regardons en haut d'où viendra notre secours. Placer ici-bas nos espérances, c'est nous tromper nous-mêmes, car on ne saurait compter sur l'homme et à cause de son impuissance à faire toujours le bien, et à cause de son inconstance. Il n'y a que Dieu qui soit toutpuissant et qui ne trompe jamais.
1. Voici l'âme qui, accablée de maux, ne peut se débarrasser ni trouver une issue, et qui se tourne vers Dieu pour y puiser sa consolation. Constatons de nouveau l'avantage des épreuves: elles élèvent et fortifient l'âme, elles la portent à implorer le secours d'en-haut et la détachent de tout ce qui appartient à cette vie. Si les Juifs grossiers et attachés à la terre étaient rendus meilleurs par la douleur de leur captivité, au point de tourner ainsi leurs regards vers le ciel, il est bien juste que dans nos maux, nous les imitions en recourant au Seigneur, car nous sommes tenus à une plus grande perfection. Ils étaient alors au milieu de leurs ennemis, sans ville, sans forteresse, sans armes, sans argent, sans ressource en un mot; mais captifs et esclaves, ils demeuraient avec leurs maîtres et leurs vainqueurs. Accablés sous le poids de leurs malheurs, ils recouraient à une force invincible, et privés de tout secours humain, ils trouvaient dans cet abandon même le principe de leur force, en disant à Dieu: " J'ai levé les yeux vers les montagnes d'où me viendra mon secours. " En d'autres termes : Tout ce que les hommes peuvent nous procurer nous manque ou bien nous a abandonnés, nous avons tout perdu, il ne nous reste désormais qu'un moyen de salut: c'est Dieu. " Mon secours me doit venir du Seigneur qui a fait le ciel et la terre (2). " Comme ils cherchent Dieu partout., sur la terre, au ciel, sur les montagnes, dans les déserts. de toutes parts ils le placent devant leurs yeux. Comme leur âme s'élève toujours davantage (173) et comme en toutes circonstances ils annoncent la providence de Dieu ! Ce n'est pas sans motif que le Psalmiste a ajouté : " Qui a fait le ciel et la terre. " Mais il y a dans ces paroles un raisonnement caché qui revient à dire : Si Dieu a fait le ciel et la terre, il peut, même dans une terre étrangère, porter secours et tendre partout, jusque dans un pays barbare , une main secourable; comme aussi, conserver ceux qui ont été chassés de leur patrie. Si une seule parole lui a suffi pour produire tous ces éléments, à plus forte raison pourra-t-il nous délivrer de nos ennemis. Voyez, depuis qu'ils sont dans un pays étranger, avec quelle sagesse raisonnent ceux qui avaient moins d'intelligence que des pierres. Ils ne songent plus à leur temple, mais au ciel et à la terré. Admirons comment ils proclament la création du monde, la sagesse de Dieu et sa providence. Ceux qui un peu auparavant disaient au bois : " Vous êtes mon Dieu, " et à la pierre : " Vous m'avez donné la vie (Jér. II, 27)," reconnaissent aujourd'hui le Créateur de tout l'univers. Mon secours me doit venir du Seigneur et non des hommes, ni du nombre des chevaux, ni des richesses, ni de la fidélité des alliés, ni de la force des remparts. Notre secours nous doit venir du Seigneur, c'est une assistance insurmontable, une protection invincible, et non-seulement invincible, mais encore prompte et facile. Il est tout près de nous et il ne faut, pour l'obtenir, ni flatter les gardiens de la maison, ni dépenser de grandes sommes, ni envoyer des ambassades, mais chacun peut, sans sortir de sa maison, en être favorisé, en le demandant à Dieu avec un coeur détaché des choses humaines et plein de confiance, pourvu qu'il ait les regards fixés sur le ciel. C'est afin de nous faire sentir la nécessité de nous détacher des choses sensibles pour nous élever plus haut, que Dieu a créé l'homme droit, à l'exclusion des autres animaux, et qu'il lui a placé les yeux à la partie supérieure du corps. Il n'y a que lui, en effet, qui soit fait de la sorte, car les autres animaux sont courbés vers la terre, et ils ont le regard tourné en bas. L'homme au contraire se dresse vers le ciel afin d'en contempler les objets, de les méditer, de les approfondir et de rendre ainsi plus pénétrants les yeux de son âme. C'est ce qui faisait dire à la sagesse : " Les yeux du sage sont à la tête. " (Ecclés. II, 14.) C'est-à-dire qu'il est affranchi de tous les objets terrestre, il vit dans le ciel pour en contempler les merveilles. " Ne permettez donc point, ô enfant d'Israël, que votre pied soit ébranlé. Et que celui qui vous garde ne s'endorme point (3). " Quelle diligence ces paroles exigent de nous ! Comme les Juifs se sont souvenus du secours de Dieu et qu'ils implorent son assistance, le Prophète vient les aider de ses conseils, leur disant en quelque sorte : Si vous voulez être exaucés, faites tout ce qui dépendra de vous. Mais que leur recommande-t-il? Ecoutez : "Ne permettez point que votre pied soit ébranlé. " C'est-à-dire, ne soyez point renversés ni abattus et vous verrez Dieu vous tendre la main, et il ne vous délaissera pas, il ne se retirera pas de vous. Tout dépend donc de nous, et le succès est en notre pouvoir. Mais puisqu'il en est ainsi, si nous voulons obtenir quelque chose, nous ne devons rien négliger, car telle est la volonté de Dieu ; quelque faibles et de peu d'importance que soient nos efforts, nous devons les faire valoir, et ne pas rester oisifs, engourdis, mous et abattus, mais agir et employer tous nos soins pour notre salut. C'est ce qui est signifié par les ouvriers de la onzième heure. (Matt. XX, 6.) Et si vous me demandez ce qu'ils pouvaient faire de si important à la onzième heure, je vous répondrai que leur travail devait être l'occasion et la cause de leurs couronnes, et voilà pourquoi David ajoute : " Ne permettez donc pas que votre pied soit ébranlé, et Celui qui vous garde ne s'endormira point." Faites ce que vous pourrez, et Dieu fera le reste. Il résulte également de ce qui précède que, malgré nos efforts, nous avons besoin du secours de Dieu pour être en sûreté et pour demeurer fermes et solides.
2. Mais quel est l'homme dont le pied est ébranlé, sinon celui qui se porte vers les objets passagers, qui ne reposent sur rien de solide? Tel, l'amour de l'argent, le désir des choses qui ont rapport à cette vie. C'est pourquoi il est souvent renversé et abattu et il court de grands dangers au sujet des choses les moins importantes. C'est qu'en effet les choses du monde ne sont jamais stables ni immobiles; mais toujours elles changent, elles sont en mouvement; elles sont plus agitées que les flots, elles passent plus vite que la pluie qui tombe, elles offrent moins de consistance que le sable et elles se répandent plus promptement. " Assurément, celui qui garde Israël ne (174) s'assoupira point et rie s'endormira point (4)." Si vous vous êtes prémunis , comme je viens de le dire, continue le Psalmiste, le Seigneur ne " s'assoupira point et ne s'endormira point; " en d'autres termes, il ne vous quittera pas, il ne vous délaissera pas , il ne vous abandonnera pas dans votre nudité et votre isolement. Et c'est pour nous bien pénétrer de cette pensée qu'il a ajouté à dessein : " Celui qui garde Israël. " Ce qui revient à dire : si par un acte continuel de sa providence, depuis un temps qui remonte jusqu'à vos ancêtres, il a pris soin de vous, il ne cessera pas de faire ce qu'il a fait et il agira comme par le passé, à moins dire " votre pied ne soit ébranlé. " Et non-seulement, il ne vous abandonnera pas, mais il vous défendra et il vous tiendra en grande sûreté. Voilà pourquoi le Psalmiste poursuit en ces termes : " Le Seigneur vous gardera, le Seigneur sera sur votre droite pour vous donner sa protection (5). " Une autre leçon porte : " Le Seigneur sera à votre droite. " Il sera votre défenseur , votre aide , votre secours. Remarquez comment, dans cette circonstance encore , le Seigneur vent que nous agissions. Semblable à ceux qui assistent dans les combats, il sera à notre droite, afin que nous soyons indomptables, forts, puissants, que nous triomphions, que nous remportions la victoire, car c'est principalement par sa protection que nous faisons toutes choses. Non-seulement il sera près de nous, mais il nous secourra , mais il nous protégera. Je le dis de nouveau, c'est par les choses qui sont sous nos yeux que le Prophète exprime le secours de Dieu : et par " sa droite et sa protection " il figure sa garde la plus absolue en tous points et son secours le plus prochain. " Le soleil ne vous brûlera point durant le jour, ni la lune pendant la nuit (6). " C'est ce qui eut lieu pour les Juifs quand ils sortirent de l'Egypte et qu'ils vivaient dans le désert. Ici le Psalmiste a voulu figurer une grande sécurité. il est même vraisemblable que ces mêmes Juifs, à leur retour de la captivité, fuient favorisés de quelque miracle de cette sorte. Et ce prophète n'a ajouté ce qui précède que pour nous montrer abondamment cette providence de Dieu qui, non contente de délivrer des maux, affranchit même ses enfants des incommodités auxquelles les hommes sont sujets. Il donne son secours avec une telle générosité et une bonté si ineffable que non-seulement il est proportionné à nos besoins, mais qu'il nous récompense au delà de nos espérances. " Le Seigneur vous gardera de tout mal, le Seigneur gardera votre vie (7). "
Celui , en effet, qui étend son souci et sa providence jusqu'aux plus petites choses pour empêcher qu'elles ne vous nuisent, saura bien vous délivrer de ceux qui voudraient vous assiéger. Tout ce qui peut nous arriver de fâcheux, cède au moindre signe de Dieu; ce qui n'est pas au pouvoir de l'homme. Car si bien souvent il a délivré d'un mal , il n'a pu délivrer d'un autre, ou s'il l'a pu, il ne l'a pas voulu. Mais la main de Dieu est forte et toute-puissante, et il sera toujours à même de repousser et de dissiper tout ce qui nous assaillira et de nous délivrer en toute circonstance. " Le Seigneur protégera votre sortie et votre entrée, ou votre approche, " selon une autre version.
L'entrée et la sortie de la vie n'indiquent-elles pas un secours continuel et incessant? Y a-t-il rien de comparable à une pareille charité, à une pareille miséricorde? Le Psalmiste embrasse ici toute la vie, car elle est renfermée tout entière entre ces deux termes, l'entrée et la sortie. Et pour nous le faire comprendre plus clairement encore il a ajouté : " Dès maintenant et jusque dans l'éternité. " Ce n'est point un jour, dit-il, ni deux, ni trois, ni vingt, ni cent, mais toujours. Les hommes seraient incapables de pareilles choses, étant sujets, comme ils le sont, à des changements nombreux, à une grande instabilité, à des vicissitudes continuelles. Tel est aujourd'hui votre ami, qui demain est votre ennemi, et celui qui vous secourt en ce moment vous abandonne bientôt après. Souvent même, il ne se contente pas de vous abandonner, mais il vous opprime et il vous tend des pièges plus dangereux que ceux de n'importe quel ennemi. Mais en Dieu, tout demeure immobile, perpétuel, immortel, stable et sans fin.
Faisons donc tout notre possible pour mériter ses biens. Nous
nous rendrons ainsi dignes de jouir d'une grande paix et d'être mis
en possession des biens futurs, en Jésus-Christ Notre-Seigneur,
à qui soit la gloire dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.
EXPLICATION DU PSAUME CXXI. " JE ME SUIS RÉJOUI, LORSQU'ON M'A
DIT : NOUS IRONS DANS LA MAISON DU SEIGNEUR. "
ANALYSE.
1. Le Psalmiste nous montre les avantages des épreuves par l'exemple de la captivité des Juifs. Eux, qui auparavant ne voulaient pas entendre la parole sainte et qui priaient avec dégoât, se réjouissent d'apprendre qu'ils reverront la maison du Seigneur.
2. C'est qu'il y avait pour eux de grands avantages dans la nécessité où ils étaient de monter à Jérusalem pour les grandes solennités : les principaux étaient d'entretenir entre tous l'esprit de charité, et de conserver parmi eux la connaissance du vrai Dieu et le souvenir des merveilles opérées en leur faveur. En retour, Dieu les récompense par ses bénédictions les plus abondantes.
1. Voilà une parole qu'on n'aime guère aujourd'hui. Qu'on soit invité à aller au cirque, au théâtre d'iniquités, on accourt en foule, mais s'il s'agit de la maison de prière, il y a bien des indifférents. Il n'en fut pas ainsi des Juifs: et, chose bien grave à observer, c'est que les Chrétiens paraissent plus négligents qu'eux. Mais d'où venaient aux Juifs de pareils sentiments? Je l'ai déjà dit, ce fut la captivité qui les rendit meilleurs. — A dater de ce temps ceux qui auparavant abandonnaient avec dégoût, le temple et l'audition de la parole sainte pour courir sur les montagnes, sur les collines, dans les bois se livrer à toutes sortes d'infamies, se détachèrent de ce culte impie et depuis lors cette annonce les ranima, les excita, les fortifia et remplit leur âme de joie. Ils étaient encore tourmentés par la faim et parla soif, mais cette fois il ne s'agissait plus de pain ni d'eau, mais bien de la parole de Dieu dont ils étaient affamés et altérés. (Amos, VIII, 11.) Ainsi corrigés par le châtiment qu'ils venaient
de subir, ils désiraient ardemment de recouvrer cette maison de Dieu qu'ils avaient perdue. Alors ils embrassaient jusqu'au sol lui-même, et ils s'écriaient: " Ces ruines ont été agréables à vos serviteurs et ils auront compassion de cette terre (Ps. CI, 15); " et encore: " Quand viendrai-je et quand paraîtrai-je devant la face de mon Dieu (Ps. XLI, 3) ? " ou bien . " Je me souviendrai de vous dans la terre du Jourdain, près d'Hermon, et de la petite montagne (Ibid. 7) ; " enfin : " Je me suis souvenu de ces choses et j'ai répandu mon âme au dedans de moi-même. " (Ib. 5.) Mais dites-nous quelles sont ces choses dont vous vous êtes souvenu : " C'est que je passerai dans le lieu du tabernacle admirable où paraît la gloire du Seigneur, et que j'irai jusqu'à la maison de mon Dieu. " (Ib. 5). C'est-à-dire, je verrai de nouveau les danses et les grandes assemblées, le culte de mon Dieu et ses cérémonies. " Mes pieds étaient fermes dans ton enceinte, ô Jérusalem {2) ! " Une (176) autre leçon porte: " Je me suis réjoui lorsqu'on m'a dit : Nous allons dans la maison du Seigneur. Nos pieds sont arrêtés à tes portes, ô Jérusalem ! " Quelle allégresse extraordinaire ! On croirait les voir déjà en possession de ce qu'ils souhaitent si ardemment, tant ils se réjouissent d'en parler, 'embrassent de leurs désirs la maison de prière et la ville sainte. C'est ainsi que Dieu a toujours coutume d'agir: quand nous ne savons pas apprécier les biens que nous possédons, il les arrache de nos mains, afin que la privation opère ce que l'usage n'a pu faire. Aussi les Juifs remis en possession de leur ville et de leur temple rendent de grandes actions de grâces pour avoir recouvré leur patrie. "Jérusalem qui est bâtie comme une ville (3) ; " ou bien: " Jérusalem bâtie comme une ville. "
Selon les Septante, il s'agit ici du temps qui a précédé la construction de Jérusalem et il faut traduire : " Jérusalem sera bâtie comme une ville. " — Selon un autre interprète, il est question de ce qui est arrivé après la captivité et on doit lire : " Nous avons recouvré a Jérusalem bâtie comme une ville. " Comme il régnait alors une solitude extrême dans la ville sainte qui n'offrait que des ruines, en sorte que ses tours rasées, ses murailles abattues ne présentaient plus que des vestiges de l'ancienne patrie, les Juifs, en voyant à leur retour une pareille désolation, se souviennent de la prospérité d'autrefois; ils racontent les splendeurs du passé et rapportent comment a été réduite à un état si honteux, celle qui était autrefois magnifique et illustre, qui possédait un temple, des princes, des rois et des pontifes, qui était la plus belle et la plus ornée. Si vous doutez qu'il en fût ainsi, écoutez ce qui suit: " Jérusalem qui est bâtie comme une ville. " Donc, ce n'était plus une ville alors, et cette vérité ressort encore de ce qui suit: " Dont toutes les parties sont dans une parfaite union entre elles. " Ces paroles indiquent qu'avant la captivité il y avait des édifices nombreux, solides et bien disposés, en sorte qu'ils présentaient un ensemble compacte et harmonieux et servaient de retraite à une population immense. Et c'est ce qu'a voulu faire entendre un autre interprète quand il a dit de Jérusalem qu'elle était "parfaitement unie." Voici d'autres attributs de Jérusalem qui proclament sa gloire: " C'est là que sont montées toutes les tribus, les tribus du Seigneur, comme les témoins et les députés d'Israël, pour y célébrer les louanges du nom du Seigneur (4). " Ce qui en effet faisait une des plus belles gloires de la cité, c'était moins sa grandeur et ses édifices, que parce qu'elle était le centre où tout aboutissait, soit qu'il s'agît d'un conseil, d'une assemblée sainte ou d'une délibération sur un sujet quelconque. C'est qu'en effet là était le temple où s'accomplissaient tous les rites, toutes les cérémonies; là étaient les prêtres, les lévites, la demeure royale, le sanctuaire, les vestibules, et l'autel des sacrifices, et les fêtes, et les grandes assemblées, et les prières, et les lectures publiques, et pour tout dire en un mot, là résidait tout ce qui constituait la forme du gouvernement. Et voilà pourquoi toutes les tribus devaient s'y réunir principalement trois fois par an, aux fêtes publiques et solennelles de Pâques, de la Pentecôte et de la Scénopégie ou des Tabernacles. Et il n'était pas permis d'aller ailleurs. C'est donc pour célébrer cette prérogative glorieuse de Jérusalem que le Psalmiste s'écrie : "C'est là que sont montées toutes les tribus. " Ou, " que sont montés tous les sceptres, " selon une autre version. Et remarquez que le Prophète n'a pas dit simplement " toutes les tribus, " mais, " toutes les tribus du Seigneur. " Bien que toutes les tribus appartinssent au Seigneur, il ne leur était pas permis d'exercer clans leur pays les actes dont nous venons de parler. — C'était un privilège réservé à la métropole qui rassemblait tout et attirait tout à elle.
2. Il en était ainsi afin que les Juifs eussent une raison de connaître Dieu; car, dispersés çà et là, ils auraient pu être portés à l'idolâtrie et s'engager dans le culte des fausses divinités. C'est pourquoi le Seigneur leur ordonna de s'assembler à Jérusalem pour y célébrer leurs fêtes, sacrifier et prier, afin que leurs dispositions au vagabondage et à t'impiété fussent ainsi limitées, comprimées et retenues. Tel est le sens de ces paroles : " Les tribus du Seigneur, comme les témoins et les députés d'Israël. " Que signifient ces " témoins d'Israël? " C'est-à-dire, le témoignage le plus grand, la marque évidente de la Providence divine, en sorte qu'il n'était plus possible d'excuser ceux qui abandonneraient leur Dieu pour courir aux idoles , car le Seigneur ne pouvait pas donner une preuve plus éclatante de sa providence, de sa puissance et de sa sagesse. C'est là, en effet, qu'on lisait la Loi (177) contenant le récit des faits mémorables du passé et de l'histoire. Ce temps qu'ils passaient ensemble resserrait les liens de la charité qui les unissait. Les fêtes qu'on devait célébrer étaient un motif de réunion , et une plus grande crainte du Seigneur, une piété plus vive et d'autres biens innombrables résultaient de leur assemblée dans la ville sainte. " Pour y a célébrer les louanges du nom du Seigneur, " c'est-à-dire pour rendre grâces, adorer, prier, offrir des sacrifices qui les portaient à la piété et rendaient plus sûre l'observance des moindres détails de leur religion. " Car c'est là qu'ont été établis les trônes pour la maison de David (5). "
Voici encore une autre prérogative de la ville sainte, qui est d'être la demeure des rois. Car c'est le sens de ces paroles : " C'est là qu'ont été établis les trônes pour la maison de David, " ou " de la maison de David. " Jérusalem, en effet, était le centre d'une double principauté; la principauté des prêtres et celle des rois, qui étaient en quelque sorte inséparables, en sorte que la ville était ornée comme d'une double couronne et d'un double diadème. C'est là que résidaient les juges auxquels on déférait tout ce qui surpassait l'intelligence, de la multitude. Si, dans les autres villes, il avait été porté une sentence sur la justice de laquelle il y avait doute, la cause était déférée aux juges qui siégeaient à Jérusalem, comme il arrive dans les appels. Quand ils avaient prononcé, on ne pouvait plus en revenir. C'est ainsi qu'il en était autrefois, mais aujourd'hui quel spectacle navrant ! partout la solitude et des ruines; on aperçoit quelques restes d'édifices ravagés par le feu, d'une apparence misérable, tristes vestiges et souvenirs bien minimes d'une grandeur qui n'est plus. Aussi le Prophète ne termine-t-il pas son discours par cet affligeant tableau, mais il rappelle les Juifs à des espérances plus joyeuses en leur disant: " Demandez tout ce qui peut contribuer à la paix de Jérusalem (6). " Que signifient ces paroles : " Demandez tout ce qui peut contribuer à la paix de Jérusalem? " C'est-à-dire priez, sollicitez. Une autre leçon porte : " Embrassez, " ou, " saluez Jérusalem. " En d'autres termes : Demandez à ce qu'elle revienne à son ancienne prospérité, afin qu'elle soit à l’abri des guerres fréquentes et que désormais elle jouisse de la sécurité. Si tel n'est point le sens de ces paroles, elles sont une prédiction, et alors " demandez tout ce qui peut contribuer à la paix de Jérusalem, " indique qu'elle jouira de la paix. " Et que ceux qui l’aiment, ô ville sainte, soient dans l'abondance, " ou bien, " qu'ils soient en paix; " ou bien encore, " qu'ils soient dans la prospérité. " C'est là une grande source de bonheur, que non-seulement les biens soient dans Jérusalem, mais que ceux qui l'aiment puissent en jouir. C'est le contraire qui arrivait autrefois. Car ceux qui la haïssaient et qui l'opprimaient étaient les plus puissants, les plus célèbres et les plus illustres et ils triomphaient facilement. Mais maintenant ceux qui la chérissent seront dans une grande sécurité, ainsi que ceux qui font cause commune avec elle. Par ces derniers, le Psalmiste entend ceux qui devaient soutenir son parti, ou ses propres habitants. " Que la paix soit dans tes forteresses. " ou " dans ton avant-mur, " ou bien, " dans tes remparts (7). "Dans tes forteresses, c'est-à-dire dans ta substance, dans ceux qui t'habitent, dans ta prospérité. Comme la guerre est chose pernicieuse et que c'est ce qui l'a perdue, il lui souhaite la paix, " et l'abondance dans tes tours, " ou bien, " dans les palais. " Selon un autre interprète le Psalmiste souhaite à Jérusalem " la félicité " ou " le repos. " Il ne prédit pas seulement sa future délivrance des maux, mais la possession de biens innombrables, la paix, l'abondance, la fertilité. De quel prix, en effet, peut être la paix pour ceux qui vivent dans la pauvreté, la faim et la misère ? A quoi sert l'abondance dans les périls de la guerre? C'est pourquoi le Prophète prédit ces deux biens à la fois : l'abondance et la paix qui permettra d'en jouir. — " A cause de mes frères et de mes proches (8). " Ou il s'agit des voisins qui se sont réjouis de la chute des Juifs, et. il souhaite la paix afin qu'à leur tour ils soient confondus et qu'ils reconnaissent la puissance de Dieu; ou, par ses frères il entend ceux qui habitent la ville, et dans ce dernier cas il veut dire : A cause de mes frères et de mes proches je prie pour la paix afin qu'ils respirent enfin, maintenant que le malheur les a rendus meilleurs.
" J'ai parlé de paix pour toi, ô Jérusalem ! — J'ai cherché à te procurer toutes sortes de biens à cause de la maison du Seigneur, notre Dieu (9). " Une autre version porte : " Je parlerai afin que la paix soit au milieu de toi. " Comme le Psalmiste avait dit : " A (178) cause de mes frères et. de mes proches, " il a voulu montrer qu'il n'appuyait pas sa prière sur leurs mérites, mais qu'il souhaitait seulement de les voir comblés d'un plus grand bienfait, et voilà pourquoi il a ajouté : " A cause de la maison du Seigneur, notre Dieu." C'est-il dire, par sa gloire je souhaite la paix, afin que son cule soit de nouveau rétabli et sa doctrine répandue partout. Comme il y avait des Juifs qui étaient nés au temps de la captivité, tandis que les autres avaient été témoins du départ et du retour; quand ils s'étaient acquittés de leurs devoirs envers Dieu, ils s'entretenaient ensemble du passé, et les anciens parlaient et de leur félicité d'autrefois, et de la prospérité dont, ils avaient joui et qu'ils avaient perdue. Admirons aussi comment le Psalmiste réprime l'arrogance des Juifs : Dans la crainte qu'ils ne s'imaginent qu'ils ont suffisamment expié leurs fautes , puisqu'ils ont recouvré leurs biens, il leur apprend que c'est à cause de la gloire de Dieu qu'ils sont de retour dans leur patrie, afin que cette connaissance leur procure la sécurité et les préserve du péché qui leur attirerait de nouveau les mêmes châtiments.
Pour nous, qui sommes instruits de ces choses, faisons tous nos efforts
pour ne pas tomber; et, s'il nous est arrivé de commettre le mal,
appliquons-nous à nous relever promptement, et à ne pas retomber
de nouveau dans la crainte d'encourir la menace qui fut faite au paralytique
: " Vous voilà guéri, ne péchez plus à l'avenir,
de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pis. " (Jean, V, 14. )En
parlant ainsi, Notre-Seigneur a voulu exhorter les bons à se conserver
avec soin dans la vertu et ceux qui sont délivrés de leurs
péchés à persévérer dans leur conversion,
afin que tous ensemble nous obtenions les biens célestes. Puissions-nous
en jouir tous, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, à qui soient la gloire et la puissance, dans
les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
EXPLICATION DU PSAUME CXXII. 1. " J'AI ÉLEVÉ MES YEUX
MAIS VOUS QUI HABITEZ DANS LES CIEUX. "
ANALYSE.
Dieu, quelque part qu'on l'invoque, exauce toujours nos prières. Mais c'est à la condition qu'on s'abandonnera ! lui sans réserve, n'ayant d'autre espérance que dans son secours. Il faut surfont se présenter à lui avec les sentiments de l'humilité la plus profonde, car il ne hait rien tant que l'orgueil.
On voit briller partout l'heureux fruit de la captivité , car ceux qui étaient attachés aux choses temporelles et qui mettaient leur confiance dans les Assyriens et les Egypliens , aussi bien que dans la puissance de leurs murailles et la quantité de leurs richesses, ont abandonné toutes ces espérances, pour se réfugier sous la main invincible du Seigneur, en laquelle seule ils espèrent, l'esprit tourné en haut et détaché des choses de ce monde. Comme ils ne peuvent plus aller, selon leur coutume, dans le temple qui a été détruit, ils invoquent enfin le Dieu du ciel. Quand nous disons qu'il habite dans le ciel, nous ne prétendons pas qu'il puisse être circonscrit dans un lieu: loin de nous une pareille idéel car il remplit tout. Mais c'est que le ciel est plus spécialement le siège de sa puissance et le lieu de son repos. N'est-il pas écrit aussi qu'il demeure parmi les hommes ? " J'habiterai en eux et je m'y promènerai. " (II Cor. VI, 16.) Donc, pendant que les Juifs demeuraient parmi les barbares, ils reçurent une grande leçon, car dans le dénuement où ils étaient, de toutes les choses de la vie, ils virent clairement comment Dieu , quelque part qu'on l'invoque, exauce promptement nos prières. Comme le rayon d'un nouveau genre de vie allait briller bientôt à leurs regards, le Prophète prélude aux événements futurs en soulevant peu à peu et d'une manière énigmatique le voile qui les cache.
" Comme les yeux des serviteurs sont attachés sur les mains de leurs maîtres et comme les yeux de la servante le sont sur les mains de sa maîtresse, de même nos yeux sont fixés vers le Seigneur notre Dieu, en attendant qu'il ait pitié de nous (2). " Ici encore, quelle piété ferme et solide ! Ils n'ont pas une espérance d'un instant, mais ils y demeurent constamment attachés et comme enchaînés. Aussi , par l'exemple qu'ils ont apporté , ils veulent nous faire comprendre qu'ils D'espèrent pas d'autre assistance ni d'autre secours, et que c'est vers Dieu seul qu'ils tournent leurs regards. C'est ainsi que la servante et le serviteur n'ont d'autre ressource pour préparer la nourriture, les vêtements et les autres choses (180) nécessaires que d'avoir recours à leurs maîtres. Ils ne se retirent point, ils attendent jusqu'à ce qu'ils aient reçu ce qu'il faut,, et après avoir reçu, ils rendent grâces, c'est là un devoir auquel ils ne manquent jamais. Voilà pourquoi le Psalmiste, pour nous faire comprendre que les Juifs ont les yeux tournés vers le Seigneur. et cela assidûment, qu'ils n'ont pas d'autre espérance et qu'ils sont tellement attentifs à attendre son secours qu'ils le regardent seul comme l'auteur de tout bien, a rappelé l'exemple de la servante et des serviteurs.
Remarquez comment ceux qui, avant leurs malheurs, avaient besoin d'être excités à recourir à Dieu et qui recevaient ces exhortations avec ennui et dégoût, sont devenus meilleurs. C'est à un point que maintenant ils ne veulent plus se passer de lui ; mais fidèles à son service ils l'invoquent jusqu'à ce qu'il ait pitié d'eux. Ils ne disent pas : En attendant qu'il nous ait satisfaits ou récompensés, mais, "Jusqu'à ce qu'il ait pitié de nous. " Vous donc, chrétiens, persévérez avec constance dans vos prières, que vous receviez ou non ce que vous demandez. et quand même vous ne seriez pas exaucés tout de suite, ne vous retirez point, vous le serez plus tard. Si la persévérance de la veuve fléchit ce juge cruel dont parle l'Evangile (Luc, XVIII), quelle excuse feront valoir ceux qui sont si portés au découragement, à la paresse, au silence ? N'avez-vous pas remarqué comme les servantes sont sous la dépendance de leurs maîtresses, fixant sur elles leurs pensées et leurs regards? Qu'il en soit de même pou nous à l'égard de Dieu. Attachons-nous à lui seul, et mettant tout le reste de côté, soyons au nombre de ses serviteurs. Alors, tout ce qui nous sera utile, nous l'obtiendrons sûrement.
" Ayez pitié de nous; Seigneur, ayez pitié de nous, parce que nous sommes remplis de confusion et dans le dernier mépris (3). En " effet, notre âme est toute remplie (4). " Voilà bien le langage du coeur contrit. Les Juifs s'appuient sur la miséricorde du Seigneur pour demander leur salut, et cette miséricorde ils ne croient point la mériter, alors ils invoquent les grands châtiments qu'ils ont endurés, selon ce mot de Daniel : " Nous sommes réduits à un plus petit nombre que toutes les autres nations qui sont sur la terre. " (Dan. III, 37.) Ils s'écrient dans leurs prières : Nous avons enduré la dernière misère, nous avons été dé
pouillés de notre patrie et de notre liberté, conduits en esclavage chez tes barbares, depuis longtemps nous vivons dans l'opprobre, consumés par la faim, la soif et les privations de toutes sortes, nous n'avons cessé d'être conspués, foulés aux pieds; épargnez-nous donc, ayez donc pitié de nous. Mais que signifient ces mots : " Notre âme est toute remplie? " C'est-à-dire, notre âme a été fondue, anéantie par la grandeur de nos maux. Il y en a que l'excès du malheur trouve courageux, mais il n'en a pas été de même pour nous, l'affliction nous est insupportable et nous abat. C'est ainsi que Dieu leur fait payer par l'adversité l'abus qu'ils ont fait des honneurs, car il a coutume d'agir de la sorte en toute circonstance. Ainsi, avait-il puni Adam en le chassant du paradis terrestre, pour avoir abusé des avantages de ce séjour, et Eve trouva dans la servitude et la dépendance le remède à la faute qu'elle avait commise en voulant s'égaler à Dieu. De même, les Juifs que la liberté et une longue sécurité dans leurs foyers avaient rendus pervers et dissolus furent corrigés par l'excès contraire. Et maintenant qu'ils implorent la miséricorde de Dieu, ils lui disent : " Notre âme est toute remplie de confusion , étant devenue un objet d'opprobre aux riches et de mépris aux superbes. " Une autre version porte : " Notre âme est bien rassasiée des blâmes de ceux qui sont dans l'abondance et des mépris des superbes; " une troisième : " des railleries des arrogants, " ou bien, " du mépris de ceux qui sont dans l'abondance. " Mais toutes ces expressions ont le même sens et nous montrent les Juifs déplorant leur malheur en disant : " Notre âme est rassasiée de mépris. "
Les Septante renferment un autre sens que voici : Puissent nos maux,
en accablant nos ennemis, leur faire éprouver ce qu'ils nous ont
fait et rabattre ainsi leur force et leur orgueil ! C'est du reste, ce
que nous voyons fréquemment., car le Seigneur a coutume d'abaisser
les esprits superbes et d'humilier ceux qui s'élèvent., afin
de les détourner de la voie qui les conduirait à leur perte.
C'est qu'il n'y a rien de pire que l'orgueil. C'est là, en effet,
que sont venues les tentations et les peines, la mort et tous les malheurs
qui nous accablent, de là les souffrances et les maladies qui sont
comme autant de freins destinés à réprimer l'âme
superbe et enflée par l'orgueil. Ne vous (181) troublez donc pas,
mes très-chers, lorsque vous êtes tentés, mais souvenez-vous
de cette parole du Prophète : " Il est bon que vous m'ayez humilié,
afin que j'apprenne vos ordonnances pleines de justice. " (Ps. CXVIII,
71.) Recevez le malheur comme un remède et sachez profiter de la
tentation, alors vous pourrez acquérir une plus grande tranquillité.
Puissions-nous en être trouvés dignes, par la grâce
et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à
qui soient la gloire et l'empire dans les siècles des siècles!
Ainsi soit-il.
EXPLICATION DU PSAUME CXXIII. 1. " SI LE SEIGNEUR N'AVAIT ÉTÉ
AVEC NOUS. "
ANALYSE.
1. L'homme a deux grands ennemis à combattre : le démon et ses semblables. Le premier est terrible, comme il l'a bien fait voir par la manière dont il a traité Job dans sa personne et dans tous ses biens. Les hommes ne sont pas moins à craindre, car l'homme livré à la colère est pire qu'un animal sauvage; cette passion le rendant aveugle et insensé : notre saint nous donne les remèdes pour la guérir.
2. Mais la protection divine. est plus que suffisante pour nous garder et quels que soient le nombre et la fureur de ceux qui cherchent à nous nuire, elle saura bien nous sauver. Quant à Satan, notre Sauveur l'a vaincu et désarmé, et il n'y a que les 1âches qui lui cèdent la victoire. Aussi, sommes-nous sans excuse si nous ne profitons pas des armes spirituelles qu'il nous a laissées et qui doivent nous assurer infailliblement la victoire.
1. Ce que j'ai dit souvent, je le répète en ce moment et je le répéterai encore, à savoir, que la captivité offre un grand enseignement et qu'elle peut ramener à la sagesse tout esprit attentif. Voyez, en effet, ceux qui se précipitaient vers les idoles, qui méprisaient Dieu et qui s'adonnaient à l'impiété, que disent-ils après leur captivité? En quels termes attribuent-ils leur salut à lieu ? Le Prophète lui-même, comme un excellent conseiller, leur ordonne de répéter souvent les mémés choses. Il commence donc par parler le premier, après quoi il leur commande, comme un maître à ses disciples, de redire après lui : " Qu'Israël dise maintenant : Si le Seigneur n'avait été avec nous lorsque les hommes s'élevaient contre nous, ils auraient pu nous dévorer tout vivants. " (182) Ils s'étaient vus sans armes, dépouillés de tout, captifs et esclaves; récemment délivrés de leurs maux, ils avaient une ville qui n'était pas environnée de murailles, ce n'était pas même une ville, et ainsi après leur retour ils étaient comme une proie sans défense. Mais Dieu leur servit de rempart et de citadelle. Disons, nous aussi, en ce moment . " Si le Seigneur n'avait été avec nous… nos ennemis auraient pu nous dévorer tout vivants. Que n'aurait pas fait, en effet, le diable, notre ennemi, si le Seigneur n'eût été pour nous? Ecoutez ces paroles du Sauveur à Pierre : " Simon, Simon, Satan a demandé souvent à vous cribler, comme on crible le froment, mais j'ai prié pour vous, afin que votre foi ne défaille point. " (Luc, XXII, 31.) C'est une bête méchante et insatiable, et si elle n'était continuellement réprimée, elle sèmerait partout le désordre et la destruction. Dieu ne lui lâcha qu'un instant la bride contre le saint homme Job, et il renversa sa maison de fond en comble, disloqua son corps et fit comme une affreuse tragédie, en détruisant ses richesses, en tuant ses enfants, en faisant sortir de sa chair des vers en abondance , en soulevant contre lui sa femme, ses amis, ses ennemis, jusqu'à ses serviteurs qui l'accablaient de leurs reproches. Il nous anéantirait nous-mêmes si le Seigneur ne le retenait par mille moyens. C'est pourquoi le Psalmiste s'écrie : " Si le Seigneur n'avait été avec nous. " Les Juifs étaient en petit nombre et méprisés, et à peine de retour ils avaient à supporter de nombreuses attaques. Or, la sagesse de Dieu se montrait encore, en ce qu'il ne leur donnait pas la sécurité subitement et d'un seul coup, ruais à la longue et par degrés, afin de les maintenir dans la connaissance de son saint nom, et de ne pas laisser passer sans fruit la leçon qu'ils avaient reçue dans leur captivité. Comme la délivrance des maux a pour effet de rendre les hommes plus négligents, le Seigneur, tout en leur accordant les biens, permet qu'ils soient constamment tentés, afin qu'ils trouvent, dans les épreuves, un exercice continuel de la sagesse. Cependant, il ne les laisse pas toujours dans l'affliction, car ils succomberaient; ni dans le repos et la prospérité, pour les préserver du relâchement; mais il les sauve en les faisant passer par des vicissitudes sans fin.
" Ils auraient pu nous dévorer tout vivants." Quelle cruauté dans leurs ennemis ! Ce sont des hommes qui montrent une férocité égale à celle des bêtes sauvages. Que dis-je? Elle la surpasse même puisqu'elle s'exerce centre leurs semblables. Après son premier choc, l'animal se calme et se retire; repoussé, il ne revient pas à la charge ; mais quand les hommes ont échoué dans leurs projets pervers, ils attaquent de nouveau , et ils se montrent avides de sang. Telle est la colère insensée, tels sont l'ardeur et le feu que cette passion allume dans l'âme. Comment guérir cette maladie? Songeons à ce que nous sommes, réfléchissons à la mort et à ceux qui nous quittent tous les jours, méditons sur notre nature ; nous ne sommes que cendre et poussière. Si la beauté de votre visage vous fait encore illusion, allez visiter les tombeaux et les cercueils de vos pères, contemplez-les dans leur repos, et en voyant cette poignée de terre, vous trouverez une grande occasion de vous abaisser. Ne trouvez pas ce langage trop sévère. De même que ceux qui out eu la fièvre ont besoin d'un air pur après leur guérison, ainsi ceux que les passions poussent à la folie, trouveront dans les tombeaux, comme dans une demeure très-salutaire, un remède à de nombreuses maladies. La vue seule d'une urne suffit, en effet, pour abaisser les plus arrogants. Transportez-vous ensuite, par la pensée, à ce jour terrible du jugement dernier, où personne ne prendra votre défense; songez aux questions qui vous seront adressées, au compte que vous aurez à rendre, à ces supplices où il n'y a plus de soulagement à espérer, Ces réflexions seront comme un charme qui calmera vos passions. Voyez aussi, parmi les hommes, ceux qui, dans la vie présente, ont passé de la richesse à la pauvreté, de la gloire à l'ignominie, et si vous éprouvez encore de la colère , que ce ne soit pas contre votre semblable, mais contre l'esprit du mal. Voilà de quoi vous fâcher. Ne vous réconciliez jamais avec lui, tournez et épuisez contre lui toute votre fureur, c'est contre lui qu'il faut diriger vos coups et lui faire une guerre acharnée. " Lorsque leur fureur s'est irritée contre nous, sans doute alors les eaux nous auraient submergés (4), un torrent aurait été amené sur notre âme. Assurément notre âme eût trouvé cette inondation insupportable." L'eau et le torrent marquent ici la grande colère des ennemis des Juifs. L'eau, en effet, se précipite (183) en désordre, entraînant avec une grande force et une grande violence tout ce qu'elle rencontre. Il ne s'agit pas seulement ici de l'invasion des maux, mais de leur peu de durée.
2. Ne nous décourageons donc pas quand le malheur fond sur nous. Ce n'est qu'un torrent qui se précipite, une nuée qui passe. S'agit-il de quelque chose de fâcheux? cela aura une fin ; de quelque chose de difficile? cela ne durera pas toujours. S'il en était autrement, la nature n'y suffirait pas. Mais, direz-vous, un grand nombre sont entraînés par le torrent. Sans doute. Mais la cause en est moins clans sa violence que dans la lâcheté de ceux qui se laissent abattre trop facilement. Afin donc que le torrent ne nous entraîne pas et que nous puissions marcher d'un pas ferme jusque dans ses plus grandes profondeurs, sondons-le et saisissons l'ancre divine, pour n'avoir plus à redouter aucun naufrage. Un torrent n'est terrible que pour un temps, bientôt après il s'apaise d'une manière étonnante: " Les eaux nous auraient submergés. " Selon une autre version : " Alors les eaux nous auraient inondés en passant sur notre âme comme un torrent, et notre âme eût trouvé cette inondation insurmontable; " ou bien : " Alors les superbes auraient passé sur notre âme comme un torrent. " Admirons la grandeur du secours de Dieu et comment, au milieu de tant de maux, il ne permet pas que ses enfants soient submergés. En effet, s'il laisse augmenter les maux, ce n'est pas pour nous accabler, mais pour nous éprouver davantage et faire éclater sa puissance. Les superbes, dont il est ici question, sont les ennemis qui, tout en se précipitant sur les Juifs avec plus de violence qu'un torrent quelconque ou qu'une inondation insurmontable, ne leur ont fait aucun mal. La cause en est dans la protection de Dieu, dans son assistance divine et son secours invincible. Aussi, après avoir dit qu'il a été délivré des maux, il nomme son libérateur et il le comble de louanges. " Béni soit le Seigneur qui ne nous a pas laissés en proie à leurs dents (5) ! Car notre âme a été arrachée de leurs mains comme un passereau du filet des chasseurs. "
Quel contraste entre la faiblesse des Juifs et la puissance de leurs ennemis. Ces derniers se précipitaient semblables à des bêtes féroces et à des lions prêts à se nourrir de leur chair, pleins de force et de colère; eux, au contraire étaient plus faibles que le passereau. Mais les miracles de la puissance divine n'apparaissent jamais mieux que quand la faiblesse triomphe de la force insurmontable. Et puis, ce qui rendait ces embûches intolérables, ce n'était pas seulement la puissance redoutable des uns, leur colère, et leur soif de carnage, et fa faiblesse des, autres, leur petit nombre et leur peu de défense: mais, de plus, ces derniers étaient environnés de maux, comme enveloppés par les difficultés, et ayant de toutes parts des guerres à soutenir. Cependant, Celui qui est la puissance par excellence, dit le Psalmiste, et qui peut toujours sauver, quels que soient les maux et les périls dont on est environné, nous a délivrés avec une grande facilité. Tel est le sens de ces paroles : " Notre âme a été arrachée de leurs mains comme un passereau du filet des chasseurs. " — " Le filet a été rompu et nous avons été délivrés (7). " Mais comment cela s'est-il fait? C'est ce qu'indiquent les paroles suivantes : " Notre secours est dans le nom du Seigneur qui a fait le ciel et la terre (8). " Comme il est fort, comme il est puissant, Celui qui est venu à leur secours ! Il a même fait disparaître ce qui servait à dresser des embûches. Tout ce qui précède peut être pris dans le sens anagogique et doit s'entendre du diable et du genre humain. Nous y voyons comment le Seigneur a renversé et détruit les piéges de Satan depuis le jour où il a dit à ses disciples : " Foulez aux pieds les serpents et les scorpions et toute la puissance de l'ennemi de votre salut." (Luc, IX, 19.) Il ne s'agit plus d'une guerre ouverte, la partie n'est pas égale , notre ennemi est renversé par terre et abattu, tandis que nous sommes debout, le dominant et le frappant de haut. Il est sans force, tandis que nous sommes pleins de vigueur. Comment se fait-il alors qu'il triomphe si souvent? C'est l'effet de notre lâcheté et de la paresse de ceux qui dorment; si vous vouliez résister il n'oserait pas vous attaquer de front. S'il triomphe de ceux qui s'endorment, ce n'est point à cause de sa puissance, mais de notre négligence. Qui ne triompherait d'un homme endormi, fût-on le plus faible de tous? Le fort est enchaîné, tous ses filets sont rompus, sa puissance brisée, sa demeure renversée, ses armes sans effet. Que faut-il de plus? Pouvez-vous encore le craindre? Pourquoi trembler? On nous ordonne de fouler aux pieds celui qui est déjà terrassé. (184) Encore une fois, pourquoi tremblez-vous? pourquoi attendre pourquoi hésiter? Oublions-nous clone quel est Celui qui nous doit secourir? Non-seulement notre ennemi est devenu moins fort, mais notre secours est plus grand. Le triomphe de la chair a été arrêté, le poids du péché enlevé, et nous avons reçu la grâce du Saint-Esprit qui donne la force. " Ce qu'il était impossible que la loi fît, parce qu'elle était affaiblie par la chair, Dieu l'a fait, ayant envoyé son propre Fils revêtu d'une chair semblable à celle qui est sujette au péché; et par le péché commis contre ce même Fils, lorsqu'il a été conduit à la mort, il a condamné le péché qui régnait dans notre chair, afin due la justice de la loi soit accomplie en nous qui ne marchons pas selon la chair. " (Rom. VIII, 3, 4.) Il nous a assujetti la chair, il nous a donné pour armure le bouclier de la justice, la ceinture de la vérité, le casque du salut, l'épée de la foi, le glaive de l'esprit. Il nous a laissé des arrhes, en nous présentant sa chair pour nourriture, son sang pour breuvage; il nous a offert sa croix comme une lance, mais une lance qui ne cède jamais. Il a lié notre ennemi, il l'a terrassé. Il ne nous reste donc plus d'excuse si nous sommes vaincus, et si nous cédons, nous n'avons plus de pardon à espérer. Nous avons en effet mille moyens de vaincre.
" Le filet a été rompu, " dit-il, " et nous avons été délivrés. Notre secours est dans le nom du Seigneur qui a fait le ciel et la terre. " Nous avons donc pour général et pour roi Celui qui a créé l'univers, et qui par sa seule parole a produit tant d'êtres, et cette masse de la terre, et cette immensité de l'espace. Point d'abattement donc, mais résistez courageusement, rien ne peut vous empêcher de triompher.
Sachant cela, mes bien-aimés, soyons sobres, combattons vaillamment,
ne nous endormons pas, ruais après avoir préparé nos
armes et raffermi notre courage, frappons notre ennemi avec ardeur, afin
qu'après avoir remporté une victoire éclatante nous
soyons mis glorieusement en possession du royaume des cieux. Puissions-nous
l'obtenir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l'empire, dans les
siècles des siècles! Ainsi soit-il.
EXPLICATION DU PSAUME CXXIV. 1. " CEUX QUI METTENT LEUR CONFIANCE DANS
LE SEIGNEUR SONT FEMMES COMME LA MONTAGNE DE SION. "
ANALYSE.
1 C'est par les épreuves et les tribulations que l'homme devient meilleur et semblable à ce juste du poète païen; rien ne doit l‘ébranler. L'homme, être raisonnable, n'est pas destiné à une vie molle et oisive, mais il doit lutter et combattre constamment, sans se laisser jamais abattre, à l'exemple de Daniel et des trois jeunes hommes dans la fournaise.
2. La raison de sa confiance, c'est qu'il a pour protecteur un chef invincible qui ne permettra pas que les biens des justes, si enfants, soient aux mains des pécheurs. Il est si bon, du reste, qu'il ne nous punit que faiblement sur cette terre, pour nous rappeler à lui et nous faire mériter les récompenses éternelles. Mais il demande de nous un coeur droit , une lime franche et sans dissimulation : c'est à ces coeurs et à ces âmes qu'il promet la paix sur la terre et au ciel.
l. Que signifie: " de Sion? " Pourquoi n'avoir pas dit simplement : " Comme une montagne, " au lieu de nommer cette montagne? — C'est pour nous apprendre que nous ne devons pas perdre courage dans les épreuves ni en être accablés ; mais mettre en Dieu toute notre espérance et tout supporter avec courage, les guerres, les combats et les troubles. De même que cette montagne , qui avait été autrefois déserte et sans habitants , était revenue à sa prospérité première , et. dans son premier état, s'était de nouveau peuplée d'habitants et avait vu s'opérer des miracles; ainsi l'homme fort, malgré les malheurs sans nombre qui l'accablent, ne sera jamais renversé. Ne recherchez donc pas une vie exempte de soucis et de peines, hais courageuse au milieu des dangers. Il y a bien de la différence entre rester tranquillement au port, et traverser la mer en fureur. Dans le premier cas on devient mou , lâche et énervé; tandis que celui qui a eu à lutter contre les rochers cachés dans la mer, contre les écueils du rivage , la violence des vents et une foule d'autres périls et qui en a triomphé, a rendu son âme plus courageuse. C'est que cette vie ne nous a pas été donnée pour que nous la passions dans l'oisiveté , ou le découragement et à l'abri de l'adversité, mais afin que la souffrance nous rende plus illustres. Ne recherchez donc pas une existence oisive et inutile, semée de plaisirs et de délices. Ce n'est point là le désir d'un homme fort, d'un être raisonnable, mais plutôt d'un ver de terre , d'un animal sans intelligence. Priez surtout afin que vous n'entriez point en tentation ; que s'il vous arrive parfois d'y tomber, n'en soyez ni attristés, ni troublés, mais faites tous vos efforts pour en sortir meilleurs. Voyez un vaillant soldat: quand le clairon l'appelle il ne pense qu'au triomphe, à la (186) victoire, aux couronnes, aux exemples de ses ancêtres qui se sont signalés. Vous aussi, quand la trompette spirituelle sonne, résistez avec le courage d'un lion: qu'on vous oppose le fer ou le feu , avancez. Les éléments eux-mêmes savent respecter les mâles courages. Les bêtes féroces, elles aussi, ont coutume de craindre les hommes valeureux, et malgré la faim . malgré la nature qui les aiguillonne et les excite, elles oublient tout en présence du juste , elles mettent un frein à leur courroux. Soyez donc remplis d'une sainte ardeur et vous ne craindrez pas les flammes, quand même vous les verriez s'élever jusqu'au ciel. Vous avez un chef généreux et tout-puissant qui d'un simple signe peut faire disparaître tout ce qui vous importune. Il tient tout en son pouvoir: le ciel, la terre, la mer, les animaux sauvages, et le feu. Il peut tout transformer, tout mouvoir à son gré. Je vous demande donc d'où peuvent venir vos craintes, sinon de votre lâcheté et de votre nonchalance personnelle. La mort n'est-elle pas le plus grand de tous les maux? Eh bien ! ce n'est cependant qu'une dette que nous payons à la nature. Pourquoi ne travaillez-vous pas à vous la rendre profitable? Puisqu'il faut bon gré, mal gré , avancer dans cette vie, pourquoi ne serait-ce pas à notre avantage ? Aux rudes épreuves de ce monde succéderont les biens de l'éternité, qui seront une source de jouissances infiniment au-dessus de la douleur présente. Que si ces épreuves vous paraissent insupportables, songez à ceux qui , sans aucune récompense, se consument à la longue, en proie à une faim continuelle , à des maladies incurables et longues qui leur font souvent souhaiter la mort. On en a vu qui se sont poignardés, d'autres qui se sont pendus pour en finir avec la vie. Pour vous, qui avez devant les yeux et le ciel et les biens qu'il renferme, vous ne craignez pas, vous ne tremblez pas d'être mous et lâches, surtout quand vous avez un aide aussi puissant! Ecoutez donc le Prophète qui vous crie: " Ceux qui mettent leur confiance dans le Seigneur sont fermes comme la montagne de Sion; " voulant nous faire entendre par cette montagne , que notre confiance cri Dieu doit être immuable, solide, invincible et inexpugnable. Car, de même que les machines les plus nombreuses et les plus puissantes ne sauraient ni renverser, ni ébranler cette montagne, ainsi celui qui a placé en
Dieu son espérance, résistera à toutes les attaques: il n'y a pas de montagne, en effet, dont la force puisse être comparée à la confiance en Dieu. — " Celui qui demeure dans Jérusalem ne sera jamais ébranlé. " Une autre leçon porte — " Il sera inébranlable à tout jamais celui qui demeure près de Jérusalem. "
Mais quoi ? Daniel et les trois enfants ne lurent-ils pas ébranlés? — Nullement, car s'ils furent expatriés, conduits en captivité, ils ne furent pas ébranlés un seul instant. Et au milieu d'une si grande perturbation de toutes choses, malgré la violence des flots, ils étaient immobiles comme le rocher et restaient tranquilles dans le port, sans éprouver rien de pénible. N'appelez pas ébranlement , l'émotion causée par les événements de la vie. Etre ébranlé, c'est donner la mort à son âme , perdre sa vertu ; ce qui n'a pas lieu pour ceux qui sont sobres et vigilants au milieu des périls; leur sagesse au contraire, y puise une nouvelle vigueur et ils en sortent avec plus d'éclat. Si vous voulez entendre dans un sens anagogique ces paroles: " Celui qui demeure dans Jérusalem ne sera jamais ébranlé , " représentez-vous la cité céleste. Ceux qui y sont parvenus sont à l'abri des épreuves. Il n'y a rien qui puisse les faire déchoir, ni passions, ni plaisirs, ni occasion de pécher, ni douleur, ni ennui, ni danger: tout cela est bien loin. — " Jérusalem est environnée de montagnes et le Seigneur est autour de son peuple pour le défendre dès maintenant et pour toujours (2). " Ces paroles signifient que Jérusalem tire un grand secours de sa position même, mais le Prophète ne veut pas qu'elle s'y confie, et il l'élève jusqu'à un autre secours inexpugnable , qui est Dieu.
2. Sans doute, dit le Psalmiste, les montagnes la défendent, mais il lui faut encore un protecteur qui la rende inexpugnable, selon cette parole d'un autre interprète: " Le Seigneur environne son peuple. " En d'autres termes, ne vous fiez pas à la hauteur des montagnes, car ce qui rend Jérusalem inexpugnable, c'est que " le Seigneur ne laissera pas toujours le sort des justes sous la verge des pécheurs(2). " Montrant ainsi aux justes un motif légitime d'attendre le secours de Dieu, et de s'y confier. Quel est ce motif ? C'est que le Seigneur ne laissera pas les biens des justes aux mains des pécheurs: paroles bien propres à nous faire confier dans l'assistance divine et (187) à persévérer dans la vertu, puisque c'est le moyen de jouir à jamais de son secours et de conserver nos biens. Il résulte de là, en effet, qu'il ne tient qu'à nous d'avoir la paix et de n'être pas dépouillés. Ici " la verge des pécheurs, " signifie le règne de nos ennemis et ce verset peut s'entendre ainsi : il ne permettra pas que les pécheurs s'emparent de l'héritage des justes. Si parfois le contraire a lieu pour un temps, c'est à titre de correction, de châtiment et de leçon. " De peur, que les justes a n'étendent la main vers l'iniquité." Ou bien : " C'est pourquoi les justes n'étendent point les mains vers l'iniquité. " Comme il a été dit que le Seigneur les défendrait, les vengerait; repousserait leurs ennemis, et les maintiendrait dans leurs possessions, le Psalmiste semble ajouter maintenant: Châtiés par les épreuves et rendus meilleurs par les biens qu'ils auront reçus, les justes auront, pou r persévérer dans la vertu, un double motif qui les préservera du mal. Tout a donc été fait pour rendre leur âme meilleure ; l'adversité a servi à la corriger, et les faveurs reçues à augmenter son zèle. — " Faites donc du bien, Seigneur, " ou bien, " accordez vos bienfaits à ceux qui sont bons et dont le coeur est droit (4). " — Mais pour ceux qui se détournent dans les voies obliques, le Seigneur les joindra à ceux qui commettent l'iniquité (5)." C'est ainsi qu'en toute circonstance les biens que nous recevons, les châtiments que nous encourons, dépendent de nous. Toutefois, la bonté de Dieu n'en brille pas avec moins d'éclat, car elle triomphe de nos résistances par des récompenses qu'elle nous distribue avec une largesse extraordinaire. Tombons-nous en faute? elle ne nous inflige qu'une faible peine; tandis qu'elle paye le bien que nous avons fait par une récompense infiniment au-dessus de nos mérites.
Par " coeurs droits " on entend ici les coeurs simples, ennemis de la dissimulation, ignorant les détours ou les feintes. Dieu attache un tel prix à la droiture que partout il la met en première ligne. Telle est aussi la vertu, simple et franche, contrairement au vice qui est hideux, ami des détours et de l'obscurité. Des exemples feront mieux ressortir la chose. Voyez celui qui veut monter et dresser des embûches : que d'essais, que de tentatives variées, de discours trompeurs! quel artifice ! quelle éloquence ! Chez celui qui dit la vérité, au contraire, il n'y a ni travail, ni difficulté, ni feinte, ni art, ni fourberie, ni rien de semblable, car la vérité se montre assez par elle-même. Et comme les corps difformes ont besoin de beaucoup d'art et de déguisements pour masquer leur laideur naturelle, tandis que ceux qui sont naturellement beaux, se prisent assez, sans avoir besoin d'un éclat emprunté, ainsi en est-il de la vérité et du mensonge, de la vertu et du vice. D'où il résulte clairement, qu'indépendamment de la justice divine, le vice porte avec lui son supplice et la vertu sa récompense. Et' de même que celle-ci a en elle des récompenses qui précèdent les couronnes immortelles, ainsi le vice contient un châtiment qui devance la punition de Dieu. Car en fait de châtiment, y en a-t-il de plus grave que le péché lui-même ?Aussi saint Paul parlant de ceux qui exercent des métiers infâmes, en prostituant la fleur de l'âge et en renversant les lois de la nature, a-t-il proclamé que leurs actions étaient leur plus grand supplice, même avant tes châtiments de Dieu : " Les hommes commettant avec les hommes une infamie abominable, et recevant ainsi en eux-mêmes la juste peine qui était due à leur erreur. " (Rom. I, 27). Appelant ainsi récompense du péché, le péché lui-même et les excès auxquels il porte. " Que la paix soit sur Israël. " Le Psalmiste termine par une prière. Telles sont les âmes des saints : à l'exhortation, aux conseils, ils joignent la prière pour donner à leurs auditeurs le plus grand secours possible. Il s'agit ici non. de la paix terrestre, mais de celle qui est infiniment au-dessus. Le Prophète dit d'où elle vient et il demande que l'âme ne se jette pas dans un trouble funeste en entrant en guerre avec elle-même. Recherchons-la, nous aussi, cette paix, afin de pouvoir obtenir les biens qui nous sont promis, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l'empire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !
EXPLICATION DU PSAUME CXXV. 1" LORSQUE LE SEIGNEUR A FAIT VENIR CEUX
DE SION QUI ÉTAIENT CAPTIFS, NOUS AVONS ÉTÉ COMBLÉS
DE CONSOLATIONS. " UN AUTRE INTERPRÈTE DIT : " LORSQUE LE SEIGNEUR
AURA FAIT REVENIR CEUX QUI ÉTAIENT CAPTIFS, NOUS SERONS CONSOLÉS.
"
ANALYSE.
1. On distingue plusieurs captivités, mais la pire de toutes, c'est celle qui consiste à être sous la domination de Satan. Il n'y a pas tyran plus impitoyable, comme il l'a bien fait voir par l'exemple de Judas. Heureux au contraire ceux qui sont les serviles captifs de Notre-Seigneur : ils ont tout lieu de se glorifier, comme saint Paul.
2. Peur recueillir les joies da ciel, il faut semer ici-bas dans les larmes de l'affliction, car de même que la terre doit être bouleversée et déchirée pour rapporter du fruit, ainsi l'âme a besoin d'être remuée et agitée par les tribulations de toutes sortes, pour produire tes fruits de vertu qui lui mériteront les récompenses éternelles. La pluie arrose et féconde la terre, les larme sont la rosée fécondante de l’âme : Heureux donc ceux qui sèment dans les larmes, ils recueilleront les joies et l'allégresse de l'éternité !
1. Le mot " captivité " n'a qu'une signification, il est vrai, mais il s'entend de bien des façons. Il y a, en effet, une bonne captivité, selon ce mot de saint Paul : " Réduisant en captivité tous les esprits pour les soumettre à Jésus-Christ (II Cor. X, 5), " et il y en a une mauvaise, d'après ces autres paroles : " Traînant après eux, comme captives, des femmes chargées de péché. " (II Tim. III, 6.) Il y a une captivité spirituelle exprimée ainsi par Isaïe : " Prêchez la grâce aux captifs (Is. LXI , 1) ; " et il y a une captivité matérielle, sensible, infligée par l'ennemi. De ces deux dernières, la première est la plus grave, car souvent ceux qui ont fait des prisonniers de guerre, épargnent les vaincus, et quand même ils leur ordonneraient de transporter du bois, de l'eau , ou des vivres pour les chevaux, ils ne peuvent atteindre leur âme. Celui, au contraire, qui est devenu l'esclave du péché a un maître dur et intraitable, qui le force à faire les choses les plus honteuses et les plus déshonorantes, car la tyrannie du vice ne pardonne pas, elle est s'ans pitié. Aussi, voyez comment après avoir rendu captif le misérable et infortuné Judas, elle est cruelle à son égard au point d'en faire un sacrilège et un traître. Et puis, après qu'il a commis son crime, elle le conduit en présence des Juifs pour qu'il avoue sa faute : mais ne voulant pas que cet aveu lui serve, elle le potasse à se pendre au lieu de lui laisser recueillir les fruits de sa pénitence. C'est un tyran redoutable, en effet, que celui qui nous commande le mal et qui déshonore ceux qui lui obéissent. C'est pourquoi, je vous en conjure, fuyons son empire avec le plus grand soin, luttons avec lui, qu'il n'y ait pas de réconciliation possible , et une fois délivrés, demeurons clans notre liberté.
Si ceux qui ont échappé à la captivité des (189) barbares ont été consolés , à plus forte raison, nous qui avons été arrachés au ,joug du péché devons-nous être dans la joie et l'allégresse et conserver à jamais notre bonheur, évitant de le troubler ou de le perdre en retombant aussitôt dans les mêmes fautes.
" Nous avons été comblés de consolation. " Ou selon d'autres interprètes d'accord avec l'hébreu: " Nous avons été comme des gens qui rêvent. " (Dans l'étonnement où nous étions notre délivrance nous a paru comme un songe. ) Que signifie le mot: " Consolés ? " C’est-à-dire , remplis de repos, de joie et de plaisir. — " Alors notre bouche a été remplie de cantiques de joie et notre langue de cris d'allégresse. Alors on dira de nous, parmi les nations : le Seigneur a fait de grandes choses en leur faveur (2). — Oui, le Seigneur a fait pour nous de grandes choses (3). " En d'autres termes: la joie que nous ressentons d'être délivrés de la captivité ne doit pas peu contribuer à nous rendre meilleurs. — Mais le moyen, direz-vous, de ne pas se réjouir d'un tel bien? — Cependant, quand leurs pères eurent été affranchis de la servitude d'Egypte et remis en liberté , par la plus noire ingratitude ils murmuraient malgré les biens dont ils étaient comblés, ils s'indignaient, ils étaient tristes, mécontents. Pour nous, semblent-ils dire, il en sera tout autrement: nous nous réjouissons, nous sommes dans l'allégresse, apprenez d'eux le sujet de leur joie. — Nous nous réjouissons, s'écrient-ils, non-seulement parce que nous avons été délivrés de nos maux, mais encore parce que tous verront par là que Dieu prend soin de nous. "Car alors, on dira de nous parmi les nations : Le Seigneur a fait de grandes choses en leur faveur. Oui, le Seigneur a fait pour nous de grandes choses. " Cette répétition ne sert qu'à faire mieux ressortir le sujet de leur joie. Dans le premier cas, ce sont les nations qui parlent, dans le second membre de phrase ce sont eux-mêmes. Et puis, remarquez qu'ils n'ont pas dit: " Le Seigneur nous a sauvés; " ni, " le Seigneur nous a délivrés; " mais, " il a fait pour nous de grandes choses, " afin de faire éclater davantage la conduite admirable et merveilleuse de Dieu à leur égard. Et c'est ainsi , comme je vous l'ai fait observer bien des fois, que le monde entier était instruit par ce peuple tandis qu'il était conduit en, captivité et rendu à la liberté. Leur retour lui-même était comme une prédication, car on parlait d’eux partout, la miséricorde de Dieu envers eux brillait à tous les regards à cause des miracles frappants dont ils avaient été l'objet et qui dépassaient tout ce qu'on pouvait imaginer. Aussi bien, Cyrus qui les retenait les laissa partir sans qu'on l'en priât, mais parce que Dieu avait fléchi son coeur; et non content de les renvoyer il voulut encore les combler de largesses et de présents. " Et nous en sommes remplis de joie. — Seigneur, faites revenir nos frères captifs, qu'ils se répandent dans cette terre comme un torrent dans le pays du midi (4) " Comment le Prophète a-t-il pu dire ait commencement de ce psaume : " Lorsque le Seigneur a fait revenir ceux de Sion qui étaient captifs? " et ici: " Faites revenir, " comme s'il s'agissait d'une chose future? Du reste, ce dernier sens nous est particulièrement indiqué par la version qui porte, non point: " Lorsque le Seigneur a fait revenir; " mais bien: " Lorsque le Seigneur aura fait revenir; " parce que la chose était alors commencée et qu'elle ne fut pas accomplie tout d'un coup , car il y eut plusieurs captivités: on en compte trois.
2. Voici donc ce qu'on peut dire : Le Prophète demande que la délivrance soit complète et absolue, contrairement au désir de beaucoup de Juifs qui voulaient rester au milieu des barbares , et dans son immense désir de la voir se réaliser, il s'écrie: " Faites revenir le reste de nos frères captifs. " Qu'ils se répandent dans cette terre comme un torrent dans le pays du midi. " En d'autres termes, excitez-nous , pressez-nous avec une grande ardeur et une grande violence. C'est ce que voulaient exprimer d'autres interprètes quand ils disaient: " Qu'ils se répandent comme des canaux; " ou bien: "Comme des bassins qu'on vide; " ou bien encore : " comme des écluses qu'on ouvre. — Ceux qui sèment dans les larmes, moissonneront dans la joie (5). " Ces paroles ont été dites des Juifs, mais elles peuvent trouver leur application dans bien d'autres cas. C'est en effet le propre de la vertu d'être largement récompensé de ses peines. Mais il faut d'abord commencer par travailler et par souffrir avant de chercher le repos. C'est du reste ce qui a lieu pour tout ce qui se rapporte à cette vie. Et voilà pourquoi le Psalmiste y fait allusion dan:t son discours, en nous parlant du semeur et (190) de la moisson. De même que celui qui sème doit travailler, souffrir, endurer le chaud et le froid, ainsi en est-il de celui qui est à la poursuite de la vertu. C'est que rien n'est, moins que l'homme, fait pour le repos; et voilà pourquoi Dieu a rendu étroit et difficile le chemin qui conduit à la vertu. Bien plus , ce n'est pas seulement la vertu qui est pénible, mais c'est tout ce qui a rapport à cette vie, et même à un plus haut degré. Car, celui qui sème comme celui qui bâtit, le voyageur, le charpentier, l'artisan, quiconque en un mot, veut se procurer quelque avantage, doit travailler et souffrir: et de même qu'il faut les pluies aux semeurs, il nous faut les larmes; et comme la terre a besoin d'être labourée et retournée, ainsi l'âme fidèle a besoin des tentations et des afflictions pour l'empêcher de produire des mauvaises herbes, pour la rendre plus souple et tempérer son effervescence et son orgueil. Car la terre, elle aussi, ne produit rien de bon, si on ne la cultive avec soin. Le Prophète veut donc que les Juifs se réjouissent non-seulement de leur retour, mais encore de leur captivité et qu'ils remercient Dieu de ces deux bienfaits. Voilà pour le semeur, passons maintenant à ce qui regarde la moisson.
Semblables, leur dit-il encore, à ceux qui sèment avec
peine pour recueillir ensuite des fruits abondants , on vous a vus pendant
votre captivité affligés, repoussés, persécutés
, supportant l'hiver, la rigueur des saisons, la guerre , les pluies, le
froid et la glace et répandant des larmes. — Car les larmes sont
à l'affliction ce que les pluies sont aux semences. Mais voici que
vous avez reçu la récompense de toutes ces peines. Ainsi
donc ces paroles: — " En s'en allant, ils marchaient en pleurant et ils
répandaient leur semence (6). Mais en s'en revenant ils marcheront
avec des transports de joie, en portant les gerbes de leur moisson, " doivent
s'entendre non du blé, mais des événements de la vie,
et elles nous apprennent à ne pas nous inquiéter et à
ne pas gémir dans les afflictions. De même que celui qui sème
ne se laisse pas abattre par les difficultés sans nombre qu'il rencontre
, dans la prévision d'une moisson splendide et abondante, ainsi
celui qui est éprouvé ne doit pas s'inquiéter ni se
tourmenter, quelle que soit la grandeur de ses maux, dans l'attente d'une
riche moisson, et en considération des avantages nombreux dont l'affliction
est pour lui la source. Que ces mêmes réflexions nous fassent
remercier Dieu des épreuves comme du repos et de la paix. Quelle
que soit la diversité des événements, tous tendent
au même but comme pour la semence et la moisson. Supportons donc
les adversités avec un coeur fort et généreux, en
rendant grâces à Dieu dont nous célébrerons
également la gloire dans le repos et la prospérité,
afin de mériter les biens éternels, par la grâce et
la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui
soient la gloire et l'empire, dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.
EXPLICATION DU PSAUME CXXVI. 1. " SI LE SEIGNEUR NE BATIT UNE MAISON,
C'EST EN VAIN QUE TRAVAILLENT CEUX QUI LA BATISSENT; SI LE SEIGNEUR NE
GARDE UNE VILLE, C'EST EN VAIN QUE VEILLE CELUI QUI LA GARDE. — 2. C'EST
EN VAIN QUE VOUS VOUS LEVEZ AVAIT LE JOUR, LEVEZ-VOUS APRÈS QUE
VOUS VOUS SEREZ REPOSÉS. "
ANALYSE.
1. L'essentiel pour l'homme, c'est d'attirer sur lai la protection divine ; sans elle, tous ses efforts seront vains, toutes ses peines inutiles, avec elle au contraire, il réussira toujours. biais il ne faut pas qu'il se contente d'implorer cette protection et qu'il reste ensuite trois la nonchalance et le repos, mais il doit déployer toute son énergie. C'est à cette condition que le Seigneur l'assistera.
2. Avec cette assistance divine, tout prospérera, tout lui réussira, et il trouvera dans les épreuves mêmes une source de bonheur et de joie; car le comble de la félicité et le souverain bien consistent à être armés du secours d'en-haut. C'est ce que, nous voyons se réaliser pour les Juifs quand ils viennent relever Jérusalem.
1. Ce psaume traite de l'état des choses après le retour des Juifs. Délivrés de la captivité, sortis du milieu des barbares, ils trouvèrent leur ville en ruine, leurs murailles et leurs tours renversées, et ils s'efforcèrent de les relever; mais leurs voisins en grand nombre les attaquaient de toutes parts, pour les en empêcher, soit jalousie de leur bonheur, soit crainte de leurs succès. Cependant le temps marchait, et avec une telle rapidité, qu'on employa plus de quarante ans, seulement pour construire le temple, comme les Juifs le proclamèrent plus tard : " On a été quarante-six ans à bâtir ce temple. " ( Jean, II, 20. ) Paroles qui doivent s'entendre non de la première construction faite par Salomon, mais de celle qui fut exécutée après la délivrance de la domination des Perses. Ainsi donc, comme la construction de la ville, du temple et des murailles exigeait beaucoup de temps (car il en fallut considérablement pour relever la ville), le Psalmiste l'exprime de la sorte pour apprendre aux Juifs à recourir à Dieu, en leur montrant que tous leurs efforts seront vains et inutiles, s'ils n'attirent sur eux le secours divin. Car non-seulement ce secours leur a été indispensable pour être délivrés de la captivité, mais il l'est encore afin qu'après leur délivrance ils puissent relever leurs murailles. Et sans parler de murs à élever, ni de ville à bâtir, quand même tout cela serait terminé et parfaitement organisé , on ne pourrait pas même les garder sans l'assistance divine. En parlant ainsi, le Prophète voulait, par tous les moyens possibles, porter les Juifs à implorer la protection d'en-haut, car il craignait que le repos et la prospérité ne les rendissent,pus négligents. C'est pour les mêmes raisons que Dieu ne leur donna pas tous ses bienfaits à la fois et d'un seul coup, mais successivement et (192) à la longue, de peur que, délivrés trop promptement de leurs maux. ils ne retombassent dans leurs premiers égarements. Et puis, à mesure qu'il leur accordait ses biens, il les avertissait fréquemment, en réveillant de temps en temps leur torpeur par les attaques de l'ennemi. Par conséquent, ce qui est dit ici ne doit pas être restreint au cas particulier dont il s'agit, hais il faut y voir un principe général qui s'applique à tout, et en conclure que dans les événements de la vie, nous ne devons jamais être lâches ni nous laisser abattre, mais faire tous nos efforts et ensuite nous abandonner complètement à la volonté du Seigneur, plaçant en lui toutes nos espérances. De même que sans l'aide de Dieu nous ne pourrons réussir en rien, ainsi notre négligence et notre lâcheté paralyseront son assistance au point de nous empêcher d'arriver à nos fins . " C'est en vain que vous vous levez avant le jour pour vous enrichir par votre travail. Levez-vous après que vous vous serez reposés. " Un autre interprète dit : " C'est en vain que vous attendez pour vous reposer, " et un troisième : " Que vous différez de vous reposer. " Ce qui revient à dire : malgré votre vigilance, quoique vous vous leviez de grand matin et que vous vous couchiez fort lard, passant tout votre temps à travailler et à souffrir, sans le secours d'en-haut, tous ces efforts purement humains n'aboutiront à rien, et toute cette application, toute cette peine seront sans fruit.
" Vous qui mangez d'un pain de douleur. " Ces dernières paroles nous font voir combien pénible est la vie des Juifs qui sont obligés d'être sous les armes pour bâtir. C'est qu'en i ffet, d'une main ils portaient la corbeille ou la pierre et de l'autre le glaive, obligés qu'ils étaient de se partager pour travailler et pour combattre et de joindre des armes à leurs instruments de travail. Car la ville était sans fortifications et par conséquent à découvert, ils craignaient à chaque instant les attaques de l'ennemi. C’est pourquoi ils se tenaient sous les armes, pour élever leurs murs, tout prêts à saisir le glaive ou l'épée au cas où les sentinelles avancées donneraient le signal d'une irruption soudaine en sonnant de la trompette aussitôt qu'ils verraient un mouvement. Mais malgré tant de précautions, ajoute le Psalmiste, quand même vous " mangeriez le pain de la douleur," vos efforts seront inutiles à moins que vous n'attiriez sur vous la protection divine. Que si, pour relever une ville et der murailles, l'assistance du Seigneur était si indispensable , quel besoin plus grand n'en avons-nous pas, nous qui voulons parcourir la voie qui conduit au ciel? car " après le sommeil qu'il aura donné à ses bien-aimés. ils verront naître des enfants qui seront comme un héritage et un don du Seigneur (3). " Que signifie cette conclusion? — Elle est admirable et bien en harmonie avec ce qui précède, car elle revient à ceci : sans l'aide de Dieu rien ne subsiste ; mais qu'il paraisse, il apporte avec lui, le sommeil agréable, le repos, la vie exempte de périls et pleine de sécurité.
2. Lors donc que Dieu aura donné le repos à ses enfants,
quand il aura réparé leurs forces, repoussé cens qui
les attaquaient, non-seulement. ils pourront bâtir leur ville et
la garder, mais ils recevront des biens infiniment plus importants : ils
deviendront les pères de nombreux enfants, et leur postérité
croîtra brillante. Et ainsi " le fruit de leurs entrailles sera la
récompense de leurs travaux , " ou bien " leur récompense
sera la fécondité du sein de la mère. " En d'autres
termes, ils recevront en récompense une postérité
nombreuse. Car bien que ce soit là une chose qui paraisse toute
naturelle , quand Dieu s'en mêle, elle réussit mieux ; le
secours d'en-haut lui est même indispensable, et c'est la condition
pour que Jérusalem soit peuplée d'habitants. Mais tout leur
bonheur consistera-t-il à élever une ville, à la bien
garder, à posséder une postérité nombreuse?
— Non, car à ces biens viendront s'en ajouter d'autres que le Psalmiste
nous indique dans les paroles suivantes : " Telles sont les flèches
dans la main d'un homme fort, tels sont les enfants de ceux qui ont été
éprouvés par l'affliction, " ou, selon une autre version,
par la captivité: " Ce qui revient à dire: non-seulement
ils seront en sûreté derrière leurs murailles, et dans
l'intérieur de leur ville fortifiée, non-seulement leur postérité
sera nombreuse, mais, de plus, ils seront terribles pour leurs ennemis
et redoutables comme des flèches. Et remarquez qu'ils ne sont pas
comparés simplement à des flèches, mais " à
des flèches dans la main des forts. " Les flèches en effet
ne sont pas terribles par elles-mêmes, et c'est seulement quand elles
sont lancées par un bras vigoureux qu'elles portent la mort où
elles sont dirigées. C'est donc ainsi qu'ils (193) seront terribles.
Mais de qui s'agit-il? — " Des enfants de ceux qui ont été
éprouvés par l'affliction. " C'est-à-dire, de ceux
qui étaient autrefois faibles et enchaînés. Le Prophète
rappelle souvent aux Juifs, pendant leur prospérité, les
malheurs du passé, afin de ramener leur esprit à de meilleurs
sentiments, et par les maux qu'ils ont soufferts et dont ils sont délivrés,
et par les biens qui les attendent. — " Heureux l'homme qui a accompli
son désir en eux; de tels enfants ne seront point confondus lorsqu'ils
parleront à leurs ennemis à la porte de la ville (5). " —
On lit dans l'hébreu : " Heureux l'homme qui a rempli son carquois
de telles flèches; " parce qu'avec cette grâce ils obtiendront
la force du corps, une vigueur irrésistible, une nombreuse et belle
famille, la sécurité et la splendeur de la cité, la
victoire et le triomphe dans les guerres. Aussi le Psalmiste proclame-t-il
bienheureux ceux auxquels est réservée une pareille félicité,
car, dit-il, ils seront armés pour la défense. Mais ce ne
sera pas encore là tout leur bonheur : ils auront de plus, le privilège
de ne pouvoir être humiliés. " Ils ne seront point confondus
lorsqu'ils parleront à leurs ennemis à la porte de la ville.
" Que signifient ces paroles, sinon, la plus grande gloire, la plus belle
illustration, le comble de l'allégresse et de la félicité
? On ne pourra plus leur reprocher d'avoir un Dieu qui n'a pas eu soin
d'eux, un Dieu impuissant, ou bien un Dieu fort dont leurs péchés
ont éloigné l'assistance. Illustres en tout, à cause
de leur ville, de leurs murailles, de leurs forteresses, de leurs enfants,
de leurs armes, de leur puissance, ils ne se cacheront pas de honte à
la vue de leurs ennemis, mais ils marcheront vaillamment leur rencontre,
pleins de confiance et d'ardeur, parce que Dieu montrera. toujours qu'il
s'est chargé de leur défense. Le comble de leur félicité
et leur souverain bien consistent désormais à être
armés du secours d'en-haut. Et le Prophète termine son psaume
par ces paroles pour nous apprendre à rechercher, nous aussi, cet
ornement qui doit faire notre unique gloire. Que tel soit donc le but de
tous nos efforts, et nous serons dignes des biens éternels, par
la grâce et la miséricorde de Notre- Seigneur Jésus-Christ,
à qui soit la gloire, en union avec le Père et le Saint-Esprit,
dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
EXPLICATION DU PSAUME CXVII. " LOUEZ LE SEIGNEUR PARCE QU'IL EST BON,
PARCE QUE SA MISÉRICORDE S'ÉTEND DANS TOUS LES SIÈCLES.
"
ANALYSE.
1. La miséricorde du Seigneur est infinie : témoin la maison d'Israël, qui, au milieu de ses épreuves, a reçu des grâces si nombreuses; témoin la maison d'Aaron en faveur de laquelle se sont opérées tant de merveilles. Mais pour voir cette miséricorde il faut craindre Dieu dont la Providence n'est visible qu'à ceux qui sont exempts de passions et de préjugés.
2. Il suffit d'être malheureux pour avoir droit à la bonté divine. Avec son aide et sa protection on n'a rien à craindre, car, dit saint Paul, " si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? " Mais pour s'en rendre digne, il faut mettre de coté toute confiance dans les secours humains et lui demeurer constamment attaché.
3. Le Seigneur attend pour nous secourir que tout soit désespéré, humainement parlant, afin que son secours soit peu évident. Par ce moyen, il nous empêche de nous attribuer un succès qui n'est dû qu'à lui et il excite davantage notre reconnaissance.
4. La bonté du Seigneur ne se borne pas à nous délivrer des maux, mais elle nous met en possession de la gloire et de l'illustration, en nous délivrant de la corruption du tombeau pour nous ressusciter à une vie meilleure.
5. Mais les portes de l'éternité bienheureuse ne s'ouvriront que pour ceux qui auront été châtiés et. éprouvés en ce monde C'est pourquoi le Palmiste remercie le Seigneur d'avoir eu à souffrir. — Ici est rappelé le principal bienfait, la merveille par laquelle Dieu nous a ouvert le Ciel, je veux dire le mystère de l'Incarnation du Verbe.
6. Béni soit donc Celui qui vient au nom du Seigneur, que notre vie soit employée à le bénir, à le remercier, à profiter de ses grâces et de ses exemples, et célébrons à jamais, invitons toute créature à s'unir à nous pour célébrer ses miséricordes infinies !...
1. Il y a une parole de ce psaume que le peuple a coutume de répéter en choeur après chaque vers, et c'est la suivante: " C'est ici le jour que le Seigneur a fait, réjouissons-nous y donc et soyons pleins d'allégresse. " A ces mots, presque tous se lèvent, et c'est surtout le chant que les fidèles ont l'habitude de faire entendre dans cette assemblée spirituelle, dans cette fête céleste. Pour nous, si vous le voulez bien, nous parcourrons ce psaume dès le début et nous commencerons notre explication dès les premiers mots et non pas au verset qui sert de refrain. Nos pères permirent aux simples fidèles de s'en tenir à ce verset parce qu'il était harmonieux et qu'il renfermait un dogme sublime. Du reste, ils n'auraient pu retenir le psaume en entier et ces paroles exprimaient la doctrine la plus parfaite. Quant ! nous, il faut que nous le voyions dans son ensemble, quoique la plus grande prophétie soit au milieu. Car c'est au verset 22 qu'on lit : " La pierre que ceux qui bâtissaient avaient rejetée, a été placée à la tête de l'angle. " C'est du reste ce que le Christ lui-même dit aux Juifs, un peu moins clairement sans doute : il ne voulait pas augmenter encore la colère dont ils étaient enflammés, " car il ne brisera point le roseau cassé et il n'éteindra point la mèche " qui fume encore. " (Isaïe, XLII, 3.) Néanmoins il le leur dit : attaquons donc ce psaume par (159) son début, connut, nous l'avons déjà dit. Et quel est ce début : " Louez le Seigneur parce qu'il est bon , parce que sa miséricorde s'étend dans tous les siècles. " Le Prophète avant présents à l'esprit les bienfaits dont le Seigneur a comblé toute la terre, sa bonté infinie et sa miséricorde qui éclatent en toutes choses, s'attache à faire ressortir la source de tant de biens " Que la maison d'Israël dise maintenant que le Seigneur est bon et que sa miséricorde s'étend dans tous les siècles (2). "
Qu'est-ce que j'entends? " La maison d'Israël" qui a souffert des captivités nombreuses, qui a servi en Egypte, qui a été emmenée aux extrémités de la terre, qui en Palestine a enduré des maux sans nombre! Sans doute, me répond le Palmiste. Il n'y a point de meilleurs témoins de ces bienfaits et personne n'en a reçu de plus nombreux et de plus signalés. Bien plus, leurs épreuves mêmes sont une marque de son infinie bonté, et un examen un peu attentif prouvera qu'ils lui doivent de grandes. actions de grâces pour la venue du Sauveur, car les maux dont elle a été pour eux la source doivent être attribués à leur malice et non à. Notre-Seigneur. En effet , c'est pour eux qu'il venait et il leur répétait souvent : " Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël (Matth. XV, 24), " et à ses disciples: " N'allez point dans les terres des Gentils, mais plutôt aux brebis perdues de la maison d'Israël (Ibid. X, 5, 6) ; " et à la Chananéenne " Il n'est pas juste de prendre le pain des en" Gants pour le donner aux chiens. " (Ibïd. xv, 26. ) Toutes ses démarches, toutes ses actions se rapportaient donc à leur salut. S'ils parurent dans la suite indignes de ces bienfaits, c'est à leurs crimes et à leur ingratitude extraordinaire qu'il faut l'imputer. " Que la maison d'Aaron dise maintenant que le Seigneur est bon et que sa miséricorde s'étend dans tous les siècles (3). "
Le Prophète fait ici un appel spécial aux prêtres, afin qu'ils viennent chanter les louanges du Seigneur, montrant ainsi l'excellence du sacerdoce. Car, par cela même qu'ils étaient supérieurs aux autres ils reçurent de Dieu plus de gloire, non-seulement par l'honneur du sacerdoce , mais dans bien des circonstance,. Ainsi quand le feu sortit du Tabernacle (Lévit. X, 2), ce fut à cause d'eux; et la terre qui s'entr'ouvre (Nomb. XVI, 32), et la verge qui fleurit (Ibid. XVII, 8), et tant d'autres prodiges ont lieu à cause d'eux et pour eux. " Que tous ceux qui craignent le Seigneur disent maintenant qu'il est bon, que sa miséricorde s'étend dans tous les siècles (4). " Car ce sont ceux-là principalement qui peuvent voir sa bonté et en toutes circonstances trouver les preuves de sa miséricorde. Que signifient ces paroles : " Sa miséricorde s'étend dans tous les siècles?" C'est-à-dire due continuellement et sans interruption elle se montre avec éclat dans tous les événements. Il est vrai que ceux dont les yeux de l'âme sont trop faibles ou que quelques passions rendent malades, n'aperçoivent pas cette bonté et cette miséricorde, pas plus que ceux dont les yeux sont malsains ne peuvent contempler le soleil. Et ceux mêmes qui les ont bien disposés sont forcés de les détourner de sa splendeur. Ainsi en est-il de la Providence générale de Dieu dont la prudence et la sagesse sont si élevées qu'elles Font infiniment au-dessus de toute raison humaine. Ajoutez à cela mille cupidités qui, en nous rendant insensés, nous ôtent la vue et nous empêchent de l'apercevoir. La première est l'amour de la volupté qui fait passer par-dessus les choses les plus manifestes sans qu'on les découvre. La seconde est l'ignorance et le dérèglement de l'esprit. Si nous voyons un père châtier son enfant, nous l'approuvons, nous le louons même, et c'est à ce signe surtout que nous reconnaissons qu'il est père. Que Dieu veuille au contraire nous punir de nos mauvaises actions, nous ne le supportons pas, nous sommes indignés. Quelle absurdité ! quelle perversité comparable à celle-là, puisqu'elle nous fait révolter contre des choses tout à fait opposées et nous fait gémir ici de la présence du châtiment, là de son absence. Que l'on aperçoive des hommes qui volent, qui envahissent le bien d'autrui, on veut bien qu'ils soient punis. Quand il s'agit de ses propres fautes on raisonne tout autrement. Ce qui est l'indice d'un coeur dépravé et corrompu. La troisième, c'est le défaut de discernement de ce qui est bien d'avec ce qui est mal , ce qui fait porter des jugements faux; ce défaut vient de ce qu'on est entièrement adonné au vice et qu'on se complaît dans le mal. La quatrième, le peu de connaissance qu'on a de la grandeur de ses fautes. Une cinquième cause de notre aveuglement, c'est la distance infinie qui se rencontre entre Dieu et les hommes. Il faut ajouter que Dieu ne veut pas tous les jours tout découvrir parce (160) qu'il juge qu'il doit nous suffire de connaître peu il peu les événements.
2. Il ne faut donc pas trop chercher à pénétrer en foules choses la Providence divine, ce serait prétendre à dés choses infinies et infiniment au-dessus de toute nature créée. Quant à ceux qui veulent la comprendre sur certains points il faut qu'ils soient exempts de ces passions dont nous venons de parler, et alors ils la verront plus clairement que le soleil, quoique partiellement, et le peu qu'ils en verront leur apprendra à rendre grâces pour le tout. " J'ai invoqué le Seigneur du milieu de l'affliction, et le Seigneur m'a exaucé, et m'a mis au large (5). " Quelle miséricorde ! quelle ponté de la part du Seigneur : Le Psalmiste ne dit pas : j'étais digne, il ne dit pas : j'ai montré mes bonnes oeuvres, mais simplement : " J'ai invoqué, " et ma prière a suffi pour éloigner de moi le malheur. C'est ainsi que parle Dieu à propos des Egyptiens : " J'ai vu l'affliction de mon peuple et je suis descendu pour le délivrer. " (Exod. III, 7-8.) Il ne dit pas : J'ai vu la vertu de mon peuple ou son retour a de meilleurs sentiments, mais son affliction, et j'ai entendu ses cris de détresse. Qui ne reconnaîtrait, à ces traits, le père bienfaisant et miséricordieux qui s'empresse dé secourir par le seul motif qu'on est malheureux ? Les hommes ne regardent pas comme digne d'être sauvé quiconque est :affligé, et s'il leur arrive de voir torturer et battre de verges des esclaves, ils ne volent pas à leur, secours, mais ils sont arrêtés par la considération de leurs fautes. Dieu. a pardonné par cela seulement qu'on était affligé , et non content d'avoir délivré de l'affliction., il a procuré une grande sécurité. " Il m'a exaucé, " dit le Psalmiste, et il m'a mis au large. Il y a plus : l'affliction n'a été permise qu'afin de rendre meilleurs et plus sages ceux qu'elle a frappés. " Le Seigneur est mon soutien et je ne craindrai point ce que l'homme pourra me faire (6). ".
Quelle grandeur d'âme ! quel esprit élevé ! Comme il sait monter au-dessus de la,faiblesse humaine pour mépriser toute, la nature ! Ne nous contentons pas de constater le fait , ruais apportons des preuves à l'appui. Le Psalmiste rie dit pas : Je ne souffrirai plus, mais : " Je ne craindrai point ce que l'homme pourra me faire. " C'est-à-dire, quoique je souffre, je ne craindrai rien , exprimant la même pensée que saint Paul quand il s'écrie : " Si Dieu est, pour nous qui sera contre nous ? (Rom. VIII, 31). Pourtant les ennemis des Juifs étaient innombrables , mais rien ne les accablait. Ne faudrait-il pas en effet, une âme bien pusillanime et bien basse pour craindre ses semblables quand elle a la protection et l'amitié du Seigneur? Ici au contraire elle est supérieure à toutes les craintes qui l'assaillent de toutes parts. Agissons nous-mêmes de la sorte de peur que nous rie nous privions du secours de Dieu en redoutant trop les obstacles humains, car cette crainte serait une insulte envers l'assistance divine. Telle fat ta cause des malheurs qui fondirent sur la maison d'Ezéchias. En effet, le soleil avait rétrogradé et était revenu sur ses pas, et ce miracle aurait suffi pour remplir d'effroi ceux qui étaient venus pour le constater; mais le roi craignant d'être un jour assailli par ses visiteurs voulut les effrayer et exciter leur admiration. non par les prodiges dont il avait été l'objet, mais par des choses humaines : c'est pourquoi il leur montra ses trésors dans lesquels il plaçait toute sa confiance. (IV Rois. XX, 14, et suiv.) Aussi, Dieu irrité lui dit par son prophète : " Tout cela te sera ravi (Ibid.), " c'est-à-dire, ces objets dans lesquels tu te confies et tu mets tes espérances. Israël, à son tour, est accusé de se confier dans ses trésors et dans ses chevaux. Que fait le prophète ? Il les avertit de se hâter d'apaiser le Seigneur par une conduite tout opposée et de dire : " Nous ne monterons pas sur nos chevaux. " (Osée, XIV, 4.) Dieu vous honore et vous le méprisez. Dieu vous honore en vous offrant son secours et vous vous abandonnez aux, espérances Humaines, prétendant trouver le salut dans l'argent qui, n'est qu'une vile matière. Non-seulement il veut nous sauver, mais il veut nous honorer en mémé temps. Il nous aime ardemment, voilà pourquoi il veut nous séparer de tout pour nous attacher à lui seul : il nous retranche tout pour nous amener à lui et chacun de ses actes semble nous dire : " Espérez en moi " et demeurez-moi, constamment attachés. " Le Seigneur est mon soutien et je mépriserai mes ennemis (7). "
Il ne se venge pas, il ne punit pas ses ennemis, mais il remet ce soin à Dieu. " Il est bon de se confier au Seigneur plutôt que de se confier dans l'homme (8). Il est bon d'espérer au Seigneur plutôt que d'espérer dans les princes (9). Il ne s'agit pas ici d'une (161) comparaison, mais l'Ecriture a coutume de s'exprimer ainsi, même dans les choses qui n'admettent pas de comparaison, pour condescendre à la faiblesse de ceux auxquels elle s'adresse. Le Psalmiste n'a donc pas voulu établir une comparaison, mais simplement s'abaisser jusqu'à notre intelligence. C'est dans le même sens qu'un autre prophète a dit : " Maudit soit l'homme qui met sa confiance en l'homme ! " (Jér. XVII, 5.) Rien n'est plus faible, en effet, que cette espérance. Une toile d'araignée offrirait plus de ressource. Cette espérance n'est pas seulement faible, elle est encore dangereuse. J'en prends à témoin ceux qui se sont souvent confiés dans les hommes avec lesquels ils ont été accablés. La confiance en Dieu n'est pas seulement solide, mais elle est sûre et à l'abri de tout changement. Aussi saint Paul proclamait que l'espérance en Dieu ne trompe jamais ; et dans un autre endroit la sagesse s'exprime ainsi: " Considérez tout ce qu'il y a d'hommes parmi les nations et voyez s'il y en a un seul qui ait espéré dans le Seigneur et qui ait été confondu. " (Eccli. XI, 11.) Mais moi, direz-vous, j'ai espéré en vain. Voilà une bonne parole, mes frères, mais elle ne contredit en rien la sainte Ecriture. En effet, si vous . avez été confondus, c'est que vous n'avez pas espéré comme il fallait, que vous avez cessé d'espérer, que vous n'avez pas attendu la fin, que vous avez été faibles. Agissez autrement désormais, et quand vous serez sous le poids des malheurs ou des difficultés, ne perdez pas courage, car l'espérance consiste surtout à demeurer fermes au milieu des maux et des périls les plus grands.
3. Quel malheur comparable à celui de ces barbares Ninivites ! Ils étaient déjà enlacés dans les filets de leurs ennemis, la ruine de leur ville était imminente : néanmoins, ils ne perdirent pas courage, mais ils donnèrent les plus grands signes de pénitence et ils obtinrent que Dieu révoquât sa sentence. Voilà qui nous montre bien la vertu de l'espérance. Et croyez-vous que dans le ventre de la baleine le Prophète ne songeait pas encore et au temple, et à son retour dans la ville de Jérusalem? (Jon. II, 5.) Vous aussi, fussiez-vous aux portes de la mort et exposés de toutes parts aux plus grands périls, ne désespérez pas, car Dieu sait des les circonstances même les plus difficiles trouver une heureuse issue. C'est ce qui a fait dire à la sagesse : " Du matin au soir il y a de nombreux changements et tout cela est faible aux yeux de Dieu. " (Eccli. XVIII, 26.) Rappelez-vous l'histoire de ce tribun mourant de faim au milieu de l'abondance la plus grande. (IV Rois, VII, 2.) Et celle de la veuve qui était dans l'abondance malgré sa pauvreté. (III Rois, XVII, 2 et suiv.) Plus la misère dans laquelle vous vous trouvez est extrême, plus vous devez espérer. Car le moment que Dieu choisit de préférence pour montrer sa puissance, ce n'est pas aussitôt que commencent nos épreuves, mais c'est lorsque tout semble désespéré. C'est alors le vrai temps du secours de Dieu. Aussi voyons-nous qu'il ne délivra pas d'abord les trois jeunes hommes de Babylone, mais seulement après qu'ils eurent été jetés dans la fournaise. (Dan. III, 93.) Ni Daniel avant qu'il eût été mis dans la fosse aux lions, mais seulement sept jours après. (Dan. XIV, 39, 40.) Il ne faut pas faire attention à la nature des choses qui ne peut que jeter dans le désespoir, mais à la puissance de Dieu qui amène à bonne fin ce qui paraissait sans ressource. C'est ce que veut nous montrer le Psalmiste en même temps que nous faire comprendre les ressources de la puissance divine qui peut délivrer ceux qui sont tombés dans les plus grands maux dont ils sont accablés et comme écrasés, quand il ajoute : " Toutes les nations m'ont assiégé (10). "
Comprenez-vous l'imminence du danger? Il ne s'agissait pas de livrer une bataille, de résister aux ennemis d'un seul pays, mais le Roi-Prophète était cerné et comme enveloppé d'un filet ou comme pris dans un piége; et cela, non par un, par deux ou par trois ennemis, mais par toutes les nations réunies. Et cependant tous ces biens, malgré leur nombre et leur force, sont brisés par la confiance en Dieu. " Mais je les ai repoussées au nom du Seigneur. Elles m'ont assiégé et environné et je les ai repoussées au nom du Seigneur (11). " Elles m'ont toutes environné, comme des abeilles le rayon de miel, et elles se sont embrasées comme un feu qui a pris à des épines, mais je les ai repoussées au nom du Seigneur (12). "
Comme le Psalmiste nous dépeint bien la grandeur de son infortune ! Il ne s'est pas contenté de dire : " Elles m'ont environné, " mais il les compare à des abeilles et au feu dans les épines. Les abeilles indiquent une grande vivacité dans l'action et les épines une (162) colère irrésistible et. une soif de vengeance inextinguible. Est-il possible en effet de résister au feu (lui est tombé sur des épines ? Cependant, dit le Prophète; alors que rues ennemis excités contre moi m'assaillaient avec la violence et la rapidité de l'incendie, non-seulement j'ai pu m'échapper, mais je les ai repoussés. Le même prodige s'opère sur la matière, le feu brûlait un buisson, et le buisson n'était pas consumé, et le feu ne s'éteignait pas, mais ces deux substances demeuraient ensemble sans se détruire. (Ex. III, 2.) Cependant., qu'y a-t-il de plus faible que le bois d'un buisson, de plus ardent que le feu? Mais la puissance admirable de Dieu, qui opère des miracles qui nous surpassent, permit qu'il en fût ainsi. Il se produisit un miracle semblable pour le Roi-Prophète. Ses ennemis accouraient avec la rapidité de la flamme, et comme des abeilles, ils l'entouraient avec une grande vivacité, ils le cernaient de tous côtés, mais leurs efforts furent vains. Les armes invincibles et le secours inexpugnable du nom de Dieu les dispersa tous. " J'ai été poussé, on a fait effort pour me renverser, et le Seigneur m'a soutenu (13). "
Le Psalmiste nous a fait connaître la grandeur de ces maux par la multitude et les dispositions menaçantes, par l'ardeur et l'acharnement de ceux qui l'entouraient: maintenant il arrive à ce qu'il a souffert. J'ai été en butte à tant d'infortunes, nous dit-il, que j'ai failli être renversé et abattu. J'ai été tellement pressé et presque renversé que j'étais sur le point de tomber, mais au moment de m'abattre sur mes genoux, comme j'étais déjà penché et sans espoir dans les secours humains, le Seigneur a fait paraître son secours. Or Dieu en use de la sorte afin que personne ne lui ravisse et ne s'attribue la gloire qui revient à lui seul. C'est ainsi qu'il fit pour Gédéon dans l'histoire des Juges. (Juges, VII.) Et voilà pourquoi encore, sous le règne d'Ezéchias, il choisit la nuit pour remporter une brillante victoire. (IV Rois, XIX, 35.) En effet, si ce prince qui n'avait pris part ni au combat, ni à la victoire, devint néanmoins si téméraire, il l'eût été bien davantage s'il eût assisté à la défaite de ses ennemis et s'il les eût vus tomber. C'est donc bien à l'instant où tout semble désespéré que Dieu donne son secours. Témoin Goliath (I Rois, XVII), témoins les apôtres. Ecoutez saint Paul : " Nous avons entendu prononcer en nous-mêmes l'arrêt de notre mort, afin que nous ne mettions point notre confiance en nous, mais en Dieu qui ressuscite les morts. " (II Cor. I, 9.) " Le Seigneur est ma force et le sujet de mes louanges. C'est bien en lui que j'ai trouvé mon salut (14). "
En d'autres termes, il a été ma puissance et mon secours. Mais que signifient ces mots " Le sujet de mes louanges? " C'est que non-seulement il délivre des périls, mais il rend célèbre et illustre et partout on peut constater qu'il sauve et qu'il glorifie tout à la fois. Ces paroles ont encore un autre sens caché que voici: qu'à jamais, dit-il, je chante l'hymne de ma reconnaissance, que ma voix lui soit consacrée entièrement, et que je ne sois occupé désormais qu'à le louer.
4. Combien donc sont coupables et quelle perte éprouvent ceux qui se souillent par des chants diaboliques, et qui se plaisent à faire entendre continuellement les cantiques du démon, bien différents de ce juste qui loue sans cesse son Sauveur. " Les cris d'allégresse et du salut se font entendre dans les tentes des justes (15). " Après un succès complet remporté par Dieu, ceux qui jouissent de la victoire sont dans la joie et l'allégresse, par la double raison qu'ils sont sauvés et qu'ils le sont par Dieu. La cause de leur joie est le Seigneur lui-même qui a triomphé. Mais il faut que nous sachions ce qui a engagé Dieu à donner son assistance, et le Psalmiste ajoute : " Dans les tentes des justes. " Il ne s'agit pas de maison, mais de " tentes, " pour indiquer que c'est une demeure où l'on ne doit s'arrêter qu'en passant. Telle était la tente d'Abraham, quand après avoir vaincu les rois il revenait couvert de la gloire que ses exploits lui avaient méritée. Telle la lente de Paul quand il rentrait après avoir triomphé des démons, fait disparaître l'erreur, et s'être rendu célèbre par ses succès. — " La droite du Seigneur a fait éclater sa puissance, la droite du Seigneur m'a élevé (16). "
Tel est le sujet de l'allégresse du Psalmiste. Il ne fait que répéter ici ce qu'il disait tout à l'heure en montrant que tous ses succès sont l'oeuvre de Dieu : Il est donc bien vrai que sa bonté ne se borne pas à nous délivrer des maux, mais qu'elle nous met encore en possession de la gloire et de l'illustration. En effet, après avoir dit : " La droite du Seigneur a fait (163) éclater sa puissance, " il a ajouté : " La droite du Seigneur m'a élevé, " pour faire ressortir la gloire qui avait rejailli sur lui. Car, " m'a élevé " signifie, m'a comblé de gloire, et c'est ainsi que Dieu donne non-seulement la force, mais encore la grandeur. — " Je ne mourrai point, mais je vivrai, et je raconterai les oeuvres du Seigneur (17). "
Les périls me menaçaient de la mort, mais j'ai dit: " Je ne mourrai point, mais je vivrai." C'est-à-dire, la puissance du Seigneur est si grande que même avant la Nouvelle Loi, il a délivré de la mort au milieu de périls qui ne laissaient plus d'espoir, préconisant ainsi d'avance la résurrection future dont il nous a du reste donné une image dès l'origine en enlevant Hénoch au ciel. (Gen. V, 21.) Si vous né croyez pas possible la résurrection des morts, que ce fait vous serve de preuve. Comment, en effet, ce corps a-t-il pu subsister aussi longtemps? Car il y a bien de la différence entre relever une maison qui tombe eu ruines et conserver autant de temps celle qui s'écroule de vétusté. Ne songez-vous donc point que le Seigneur a créé l'homme qui n'existait pas? A plus forte raison pourra-t-il le rendre à la vie. Nous avons encore une autre figure de la résurrection dans l'enlèvement d'Elie qui n'est pas encore mort. (IV Rois, II, 11.) Pour Dieu, tout se fait vite et facilement. " Il n'y a rien d'impossible à Dieu, " dit l'Evangéliste (Luc, I, 37); et le Prophète : " Tout ce qu'il a voulu, il l'a fait. " (Ps. CXIII, 11.) Le travail d'un artisan quelconque ne vous serait-il pas impossible? Néanmoins vous vous inclinez devant sa science. Et ainsi, tandis que vous consentez à vous soumettre , devant l'habileté de votre semblable, vous voulez contrôler les couvres de la sagesse du Seigneur, et pour ne pas les admettre, vous refusez un acte de foi. Quelle folie! " Je ne mourrai pas, mais je vivrai. " On peut, sans crainte de se tromper, entendre ces paroles dans le sens anagogique, car bien qu'elles aient été dites de la résurrection, " Je ne mourrai pas " signifiant que la mort n'est pas une mort véritable, elles veulent dire aussi dans une acception différente, " Je ne mourrai pas " d'une seconde mort. C'est dans ce dernier sens que le Christ disait : " Je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi, quand il serait mort, vivra, et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. " (Jean, XI, 25, 26.)
" Et je raconterai les oeuvres du Seigneur. " Voilà principalement en quoi consiste la vie Lover Dieu et annoncer à tous ses merveilles. De quelles oeuvres s'agit-il ici, je vous prie? De celles qui vont être rapportées : " Le Seigneur m'a châtié pour me corriger, mais il ne m'a point livré à la mort (l8). " Comme on voit apparaître les oeuvres admirables du Seigneur et l'utilité que nous en retirons ! David ne rend pas seulement grâces à Dieu de ce qu'il a été délivré, mais il regarde même sa chute comme un très-signalé bienfait et la tentation comme un avantage en disant : " Le Seigneur m'a châtié pour me corriger. " Car l'utilité de la tentation consiste en ce qu'elle nous rend meilleurs. Admirons la puissance de Dieu et le soin qu'il prend de nous. Il a permis que David fût accablé de maux, puis il l'a délivré, car, dit ce saint roi, " il ne m'a pas " livré à la mort. " Ou, selon la belle interprétation d'une autre version : " Il ne m'a pas " donné à la mort. " Paroles qui nous font bien voir que tout dépend de sa puissance. Et ainsi David a été sauvé deux fois, d'abord des maux du corps, et ensuite du péché. C'est pourquoi saint Paul disait aux Hébreux dans son épître: " Si vous n'êtes point châtiés, tous les autres l'ayant été, vous êtes donc des bâtards et non des enfants légitimes." (Héb. XII, 8.) — " Ouvrez-moi les portes de la justice afin que j'y entre et que je rende grâces au Seigneur (l9). " Les portes s'ouvrent à ceux qui sont châtiés, qui déposent le fardeau de leurs péchés.
5. Celui qui a été châtié peut dire avec assurance, " ouvrez-moi les portes de la justice. " Il faut prendre ces paroles dans le sens anagogique et les entendre des portes du ciel qui demeurent fermées aux méchants et qui ne s'ouvrent qu'à la vertu , à l'aumône et à la justice. — " C'est là la porte du Seigneur, et les justes entreront par elle (20). " Il y a les portes de la mort, les portes de la perdition , et les portes de la vie, les portes étroites et difficiles. Comme il y a plusieurs portes, le Prophète fait connaître ce qui distingue la porte du Seigneur en ajoutant "C'est là la porte du Seigneur. " Les premières ne sont pas du Seigneur. Mais quelle est la marque de celle du Seigneur? — C'est qu'elle s'ouvre pour ceux qui sont châtiés et affligés, car elle est étroite et basse. Or, si elle est basse, ceux qui sont affligés et opprimés entrent par (164) elle, de même que celle qui mène à la mort est large et spacieuse. — " Je vous rendrai grâces de ce que vous m'avez exaucé et de ce que vous êtes devenu mon salut (21). " Le Psalmiste ne dit pas seulement à Dieu: " Vous m'avez exaucé ; " mais comme il avait été châtié et par là rendu meilleur, il lui rend grâces non-seulement d'avoir été exaucé, mais encore d'avoir été châtié : c'est en cela du reste qu'il a été exaucé et il ne pouvait assez en remercier le Seigneur. Car, comme je vous l'ai dit et comme je ne cesserai de vous le répéter, il n'y a pas d'oblation ni de sacrifice comparables à l'oblation et au sacrifice de l'action de grâces. — " La pierre qu'ont rejetée ceux qui ont bâti a été placée à la tête de l'angle (22)." Qu'il s'agisse ici du Christ, c'est évident pour tous. Car lui-même dans les Evangiles cite cette prophétie en se l'appliquant, quand il dit " N'avez-vous jamais lu que la pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient a été placée à la tête de l'angle ? " (Matth. XXI, 42 ; Luc, XX,17.)
Si ces paroles paraissent sans liaison avec ce qui précède et si cette prophétie ne fait qu'interrompre le cours de notre histoire, ce n'est pas une nouveauté qui doive nous surprendre, parce que la plupart des prophéties de l'Ancien Testament sont énoncées de la sorte. — Car si elles n'eussent pas été ainsi voilées, les Livres saints auraient été détruits. Ainsi, quand il est question de la naissance de notre Sauveur, quoique la prophétie paraisse se rattacher à l'histoire dont il s'agissait alors, elle n'a rien néanmoins de commun avec elle, comme par exemple celle-ci: " Une vierge concevra et elle enfantera un fils à qui on donnera le nom d'Emmanuel, c'est-à-dire, Dieu avec nous. (Is. VII, 14; Math. I, 27.) La pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient. " — Par ceux qui bâtissaient on entend ici les Juifs, les docteurs de la loi, les scribes, les pharisiens, qui ont rejeté le Sauveur en disant: " Vous êtes un Samaritain, vous êtes possédé du démon. " (Jean, VIII, 48.) Et encore: " Cet homme n'est pas de Dieu, mais il séduit le peuple. " (Jean, VIII, 12.) Malgré cette réprobation il a pourtant été jugé digne de devenir la principale pierre de l'angle. C'est que toute pierre n'est pas propre à être placée dans les angles: mais il faut pour cela des pierres de choix, capables de relier ensemble les deux côtés. Les paroles du Prophète peuvent donc s'interpréter ainsi : Celui que les Juifs ont rejeté avec mépris a paru tellement admirable que non-seulement il a pu tenir sa place dans l'édifice, mais que même il a servi à relier les deux murs. Et quels sont ces deux murs? — Les Juifs et ceux qui croyaient d'entre les Gentils, selon ce mot de saint Paul : " Car c'est lui qui est notre paix, qui des deux peuples (du Juif et du Gentil) n'en a fait qu'un, qui a rompu en sa chair la muraille de séparation, cette inimitié qui les divisait, et qui par sa doctrine a aboli la loi de préceptes, afin de former en soi-même un seul homme nouveau de ces deux peuples. " (Eph. II, 14, 15.) Et encore : " Vous êtes édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes en Jésus-Christ, qui est la principale pierre de l'angle. " (Ibid. 20.)
Dans ce qui précède, ce sont les Juifs surtout qui sont en cause, eux qui, voulant construire, n'ont pas su discerner la pierre convenable, mais qui ont rejeté, au contraire, comme défectueuse, celle qui pouvait faire la solidité de l'édifice. Maintenant, si nous voulons savoir de Notre-Seigneur lui-même quels sont ces deux murs, écoutons-le nous dire: " J'ai encore d'autres brebis quine sont pas de cette bergerie et il faut que je les amène. Elles entendront ma voix et il n'y aura qu'un troupeau et qu'un pasteur. " (Jean, X, 16.) Ce fait avait été figuré bien des siècles auparavant dans la personne d'Abraham qui fut le père de ces deux peuples, à savoir, les circoncis et les incirconcis. Mais encore une fois, ce n'était que la figure, nous avons la réalité dans Notre-Seigneur qui " est devenu la principale pierre de l'angle, " en réunissant ces deux nations. — " C'est le Seigneur qui a fait cette pierre (23)." Qu'est-ce à dire : " C'est le Seigneur qui a fait cette pierre? " C'est que ce qui a été exécuté était au-dessus des hommes, et il n'était au pouvoir d'aucun d'eux, pas plus qu'au pouvoir' des anges et des archanges de former un pareil angle. Nul ne peut opérer ce prodige, fût-il juste, prophète, ange ou archange ; à Dieu seul était réservée cette oeuvre admirable, elle est de son domaine exclusif. Une autre version porte: " C'est le Seigneur qui a fait cela. " C'est-à-dire cette oeuvre admirable qui surpasse tout ce qu'on peut imaginer, l'œuvre de L'angle. " Et c'est ce qui paraît à nos yeux digne d'admiration. " Qu'est-ce qui paraît admirable? — l'angle, la réunion de ces deux peuples en une mètre religion. Parmi les Juifs (165) il y eut plusieurs myriades de croyants: les apôtres avaient été pris parmi eux. Le Psalmiste a eu bien raison de dire : " A nos yeux." Car ce prodige ne brille pas à tous les regards. Qui ne serait étonné, ravi, en songeant que le Christ fut adoré là même où il avait été crucifié et que ceux qui le crucifièrent sont dans l'ignominie, tandis que ses adorateurs sont couverts de gloire ? Sa parole se répandit dans tout l'univers, ralliant tous les hommes à la vérité. C'est donc quelque chose d'admirable pour tous, à quelque point de vue qu'on se place, mais surtout et avec beaucoup plus d'évidence pour ceux qui croient, comme le marquent ces mots: " A nos yeux. C'est ici le jour que le Seigneur a fait: réjouissons-nous, et soyons pleins d'allégresse (24). " Le mot jour doit s'entendre ici non du cours périodique du soleil, mais des choses merveilleuses qui ont été accomplies. Car, de même qu'on dit d'un jour qu'il est mauvais, en faisant allusion, non à la marche du soleil, mais aux malheurs arrivés dans ce temps, ainsi on appelle bon le jour où il s'est passé de belles choses. Les paroles du Psalmiste peuvent donc se traduire ainsi: C'est Dieu qui a fait les choses admirables accomplies en ce jour, car sa main seule était capable de les réaliser.
6. Y a-t-il rien qui soit comparable à ce jour? C'est à
pareil jour, en effet, qu'a eu lieu la réconciliation de Dieu avec
les hommes; alors l'antique guerre a été terminée,
et la terre a envahi le ciel, et les hommes indignes de la terre ont paru
dignes du royaume céleste, et les prémices de notre nature
ont été élevées au-dessus des cieux, et le
paradis a été ouvert, et nous avons recouvré notre
ancienne patrie, et la malédiction a été abolie, et
le péché a été détruit, et ceux qui
avaient été punis par la loi ont été sauvés
sans la loi, et la terre entière et la mer ont reconnu leur souverain,
sans parler d'autres prodiges innombrables que notre discours ne suffirait
pas à énumérer. Aussi le Prophète, après
avoir repassé dans son esprit ces merveilles, les attribue toutes
à Dieu, montrant que ce qui a été fait, a été
fait par Dieu. " Réjouissons-nous en ce jour et soyons pleins d'allégresse."
Il s'agit ici d'une joie spirituelle, joie de l’esprit, joie de l'âme.
" Réjouissons-nous en ce jour et soyons pleins d'allégresse
" d'avoir été mis en possession de si grands biens. C'est
la marque d'une grande vertu de se réjouir du bien, d'en tressaillir,
d'en être rempli d'allégresse, de recevoir avec plaisir les
bienfaits de Dieu. " O Seigneur, conservez, je vous en " prie; ô
Seigneur, faites prospérer le règne " de votre Christ, je
vous en prie. " En voyant la prospérité de la terre, les
changements et les transformations heureuses qui s'accomplissaient, le
Psalmiste félicite ceux qui en sont l'objet et il s'écrie
: " O Seigneur, conservez, je vous en prie, ô Seigneur, faites prospérer
le règne de votre Christ, je vous en prie. " C'est-à-dire,
conservez ceux qui jouissent, et pour que leurs désirs soient accomplis
et qu'ils produisent des fruits dignes de votre grâce, rendez-leur
la voie facile, afin qu'après être arrivés au terme
de leurs désirs, ils ne se séparent plus de tels biens. "
Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur (26) ! " C'est que
nos biens ne consistent pas seulement dans ce qui a été fait,
mais ils nous conduisent à d'autres biens, infiniment supérieurs
: la résurrection, la vie éternelle , l'héritage avec
le Christ; toutes choses que le Psalmiste veut faire entendre par ces paroles
: " Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! " Notre Sauveur
a dit la même chose aux Juifs : " En vérité, en vérité
je vous le dis, vous ne me verrez plus jusqu'à ce que vous disiez
: Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ? " (Matt. XXIII,
39.) En effet, comme ils lui jetaient à la face, à tout propos,
qu'il n'était pas de Dieu, qu'il était l'ennemi de Dieu,
il leur dit : Vous me rendrez vous-mêmes témoignage que je
ne suis pas l'ennemi de Dieu, quand vous m'aurez vu venir, sur les nues
et que vous vous serez écriés : Béni soit celui qui
vient au nom du Seigneur ! Paroles admirables et pleines de louanges qui
rendront les Juifs inexcusables; car les événements qui s'accompliront
alors apporteront une telle lumière qu'ils arracheront ce cri qui
sera tout à la fois, et la glorification de Dieu et l'accusation
la plus terrible contre ceux qui le proféreront. " Nous vous bénissons
de la maison du Seigneur. Le Seigneur est le vrai Dieu et il a fait paraître
sa lumière sur nous (27). " Il est question ici de tout le peuple
fidèle qui a trouvé la bénédiction dans la
maison du Seigneur. Partout on entend les prophètes appeler bienheureux
ceux qui croiront. Pourquoi les bénédictions dont il s'agit
ici et d'où vient ce bonheur? C'est que " le Sauveur nous est apparu.
La grâce de Dieu notre Sauveur a paru, (166) tel et elle nous a appris
que renonçant à l'impiété et aux passions mondaines,
nous devons vivre avec tempérance, avec justice et avec piété,
étant toujours dans l'attente de la béatitude que nous espérons
et de l'avènement du grand Dieu et notre Sauveur, Jésus-Christ.
" (Tit. II,11, 12, 13.) Le Psalmiste admire ici les bienfaits de l'Incarnation,
dans laquelle Notre-Seigneur a paru parmi nous, bien qu'il fût Dieu,
et de la substance divine. Il a voulu dire qu'il était apparu, qu'il
s'était revêtu de notre chair, qu'il avait passé par
le sein d'une vierge, qu'il s'était fait homme et qu'il avait habité
parmi nous. C'est pourquoi il s'est écrié : " Nous vous bénissons
" de nous avoir octroyé nu tel bienfait. C'est ce que voulait faire
entendre le Christ, quand il disait : " Beaucoup de prophètes et
de justes ont souhaité de voir ce que vous voyez et ne l'ont point
vu, et d'entendre ce que vous entendez et ne l'ont pas entendu." (Matt.
XIII,17.) "Rendez ce jour solennel en couvrant de branches tous ces lieux,
jusqu'à la corne de l'autel. " Une autre version porte : " Rassemblez
des branches nombreuses pour orner le lieu de vos réunions. " Et
une troisième : " Sacrifiez en ce jour de fête des victimes
choisies." Nous passons ainsi de la prophétie à l'histoire.
C'est comme si le Psalmiste disait : " Mettez-vous en fête , rassemblez-vous
en grand nombre. " Mais qu'est-ce à dire : " Rendez ce jour solennel
en couvrant de branches tous les lieux? " Ou bien, selon un autre interprète
: " Sacrifiez des victimes choisies ? " Ou bien encore : " Ornez le temple
de bran" ches et de couronnes? " On pourrait lire dans l'hébreu
: " Esrou ag baad oth thim. " " Amenez l'agneau au milieu des branches
touffues, jusqu'aux cornes de l’autel. " Mais quel que soit le sens qu'on
adopte, il est question d'une fête, d'un jour de joie, d'une assemblée
nombreuse. Et c'est ainsi qu'après avoir parlé de choses
spirituelles, le Psalmiste revient aux objets matériels et rappelle
leur retour. " Vous êtes mon Dieu et je vous rendrai mes actions
de grâces ; vous êtes mon Dieu et je vous exalterai. Je vous
rendrai grâce de ce que vous m'avez exaucé et de ce que vous
êtes devenu mon salut (28). " David montre ici qu'il faut remercier
Dieu, alors même qu'on n'en a reçu aucun bienfait, et qu'on
doit le combler d'honneur et de gloire à cause de sa majesté,
à cause de sa nature, à cause de sa gloire ineffable. C'est
le sens de ces dernières paroles placées après l'énumération
des bienfaits qu'il a répandus avec profusion sur ses enfants, et
il semble nous crier à tous: Même sans ces bienfaits, je serais
reconnaissant et je rendrais grâces d'avoir au Seigneur si grand,
si élevé, qu'il ne peut être ni vu ni compris. Car
ici, "exalter" signifie glorifier. "Louez le Seigneur parce qu'il est bon,
parce que sa miséricorde s'étend dans tous les siècles
(29)." Ce n'est point assez pour le Psalmiste d'offrir lui-même ce
sacrifice de louanges, mais il appelle tous les hommes afin qu'ils s'unissent
à lui pour prendre part à sa reconnaissance et à ses
actions de grâces. Et il chante la bonté de Dieu, célébrant
sa perpétuité et sa grandeur. Maintenant que nous sommes
instruits de ces choses, soyons fidèles, nous aussi, à rendre
continuellement nos actions de grâces à ce Dieu bon, à
lui offrir ce sacrifice de louanges, afin de mériter les biens futurs,
par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
à qui soit la gloire, avec le Père et le Saint-Esprit, maintenant
et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il
!
EXPLICATION DU PSAUME CXXVIII. 1. " ILS M'ONT SOUVENT ATTAQUÉ
DEPUIS MA JEUNESSE; OUI, QU'ISRAEL LE DISE. — 2. ILS M'ONT SOUVENT ATTAQUÉ
DEPUIS MA JEUNESSE; C'EST QU'EN EFFET ILS N'ONT RIEN PU CONTRE MOI. UN
AUTRE INTERPRÈTE TRADUIT : MAIS ILS N'ONT RIEN PU CONTRE MOI. "
" Ils m'ont souvent attaqué depuis ma a jeunesse; oui, qu'Israël
le dise (1). Ils m'ont "souvent attaqué depuis ma jeunesse; c'est
qu'en effet ils n'ont rien pu contre moi (2). " Un autre interprète
traduit : " Mais ils n'ont rien pu contre moi. "
Ce psaume se rattache encore au précédent. Car la construction du temple ayant été interrompue, et l'ouvrage ne s'achevant pas, le Psalmiste veut donner bon espoir aux Juifs, afin qu'ils ne se découragent point, et cherchant dans le passé de quoi les disposer à la confiance pour l'avenir; il leur apprend à dire les paroles du psaume dont il s'agit. Et que signifient-elles? Que les ennemis des Juifs, quoique les ayant souvent attaqués, ne purent l’emporter sur eux, et ne remportèrent point de victoire complète. Et cependant, dit le Psalmiste, ces ennemis firent les Juifs prisonniers, les transportèrent en pays étranger, et les vainquirent dans plusieurs guerres. Oui, mais avant tout, ce ne fut pas par leur propre force que ces ennemis triomphèrent alors, ce fut par l'effet du péché des Juifs; et en outre, ils ne gardèrent pas leur supériorité jusqu'à la fin. Ils ne purent ni exterminer tout à fait la race, ni anéantir entièrement la ville, ni perdre la nation pour toujours; mais après que, par la permission de Dieu, ils eurent eu quelque temps le dessus, ils furent vaincus à leur tour. Et comment le furent-ils? En ce que les Juifs redevinrent florissants comme auparavant. C'est ce qu'exprime un autre interprète, en traduisant : " Mais ils n'ont pas été plus forts que (200) moi. Les pécheurs travaillaient sur mon dos, ils ont prolongé leur iniquité (3). " Que signifient ces paroles? Le Psalmiste veut dire : Ils ne m'ont pas tendu des piéges ordinaires, mais ils ont formé contre moi nombre de complots et d'embûches, ourdissant mille ruses et m'assaillant en cachette. Car l'expression, " sur mon dos, " indique ou la perfidie et la dissimulation, ou bien un traitement exercé de vive force et avec une grande rigueur. Cela signifie donc, ils cherchaient à briser ma puissance. Un autre interprète, au lieu de : " Ils travaillaient, " traduit par : " Ils ont labouré, " pour montrer qu'ils mettaient toute leur ardeur à tendre ces piéges contraires à la justice. "Ils ont prolongé leur iniquité. " Que veut dire ici le Psalmiste? Il fait voir qu'ils mirent dans leurs attaques non-seulement beaucoup de violence, mais encore beaucoup de persistance, y employant un temps considérable, faisant de ces embûches leur grande affaire, et y mettant un acharnement continuel. Toutefois, ils n'y gagnèrent rien, grâce non pas à notre force, mais à la puissance de Dieu. C'est pourquoi, voulant montrer Celui qui élève le trophée et qui est l'auteur de 1a victoire, il ajoute : " Le Seigneur dans sa justice a tranché les cous des pécheurs (4). " Et un autre traducteur, au lieu de : " les cous, " a mis : " les lacets, " pour signifier les embûches, les artifices, les ruses. Et le Psalmiste a eu raison de ne pas dire : il a détruit, mais, " Il a tranché, " pour mieux mettre en évidence qu'il a opéré ce résultat en rendant leurs desseins désormais inutiles. Et en effet, lorsque la ville commençait à se rebâtir, une foule de gens, consumés d'envie, attaquèrent les Juifs de tous côtés, et ce ne fut pas une ou deux fois seulement, mais à bien des reprises. Cela est arrivé aussi à l'Église. Quand elle commençait à s'accroître, tout le monde l'attaquait continuellement: ce furent d'abord les princes, les peuples, les tyrans; puis vinrent les piéges des hérésies : de toutes parts une vaste guerre s'alluma, sous des formes diverses. Malgré cela, elle ne servit de rien les plans des ennemis ont été déjoués, et l'Église est florissante. " Que tous ceux qui détestent Sion soient couverts de honte et forcés " à tourner le dos (1) (5). Qu'ils deviennent
1. Apostraphetosan et anatrapetosan ont un sens trop analogue, surtout suivis de eis ta opiso , pour qu'on puisse traduire en français une différence de versions que donne ici saint Chrysostome. (Em.)
comme l'herbe des toits, qui s'est desséchée avant qu'on l'arrachât (6); dont le moissonneur n'a point rempli sa main (1). Et dont " celui qui ramasse les javelles n'a point rempli son sein (7). Et ceux qui passent n'ont point dit : Que la bénédiction du Seigneur soit sur vous. Nous vous avons bénis au nom du Seigneur (8). " Le Psalmiste termine par une prière cette exhortation; et, tant par le récit des événements passés que par cette même prière, il dispose l'auditeur à prendre courage, et lui montre le motif injuste de cette guerre. C'est l'envie, c'est la haine, qui a fait entreprendre cette suite de combats; aussi dit-il : " Que tous ceux qui détestent Sion soient couverts de honte et forcés à tourner le dos. " Puissent-ils non-seulement avoir le dessous , mais d'une manière honteuse et digne de risée. Ensuite, par ces paroles " Qu'ils deviennent comme l'herbe des toits," il insiste sur l'image; il ne les compare pas simplement à l'herbe, mais à celle des toits. Pourtant même celle qui croît dans une bonne terre, passe bien vite; eh bien! pour peindre plus vivement encore le peu de valeur de nos adversaires, il les compare à l'herbe qui pousse sur les maisons; de manière que la facilité de renverser nos ennemis ressort pour nous d'un double rapprochement : la nature de l'herbe et la nature du lieu. Telles sont, nous dit-il, leurs attaques : elles n'ont ni racine, ni soutien; ces adversaires semblent d'abord un instant fleurir, mais ensuite on les voit ce qu'ils sont, et leurs menées retombent sur eux-mêmes. Telle est aussi la prospérité de ceux qui vivent dans l'iniquité, tel est le brillant des choses de la vie; à peine apparu, tout cela s'évanouit, n'ayant ni fondement ni force intime. Il ne faut donc pas tenir compte de ces avantages, mais, songeant à leur fragilité, il faut aspirer aux biens immortels, inébranlables et immuables. Puissions-nous tous les obtenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire au Père ainsi qu'au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
1 Même remarque pour Kheir main en général, et drax
main fermée pour tenir une poignée de quelque chose; mais
avec plero , remplir, il n'y a pas en français deux manières
de traduire. (Em.)
EXPLICATION DU PSAUME CXXIX. 1. " DES PROFONDEURS J'AI CRIÉ VERS
VOUS, SEIGNEUR. SEIGNEUR, EXAUCEZ MA PRIÈRE. "
ANALYSE.
1. Les prières, pour être bonnes, doivent partir du fond du coeur. Dieu exauce la prière ardente.
2. Nul homme; si Dieu voulait le juger à la rigueur, ne serait trouvé juste.
3. De la confiance en Dieu.
1. Que signifient ces mots : " Des profondeurs? " Ce n'est pas simplement la bouche, ni simplement la langue qui prononce ces mots, tandis que la pensée est errante; non, ils sortent du fond le plus intime du coeur, c'est avec un grand zèle, une grande ferveur, que la pensée les tire de ses profondeurs. Telle est, en effet, l'âme des affligés; elle remue en même temps qu'elle le couur tout entier, en invoquant Dieu avec une grande componction, et c'est pour cela qu'elle se fait écouter. Oui, de telles prières ont une grande force, et rien ne les abat ni ne les ébranle, quand même le démon viendrait à la charge avec une grande violence. De même qu'un arbre vigoureux, qui envoie de toutes parts ses racines sous terre à une grande profondeur, et en étreint rigoureusement tous les replis, résiste ainsi à toute la violence des vents, tandis que celui qui ne tient qu'à la surface du sol est ébranlé au moindre souffle qui arrive, et bientôt, arraché avec sa racine, s'en va joncher la terre; de même les prières, lorsqu'elles partent du coeur, qu'elles ont des racines profondes, alors taille et mille pensées ont. beau survenir, et le démon déployer tous ses armements, elles demeurent fermes et invincibles, rien ne peut les abattre; celles au contraire qui ne partent que de la bouche, que des lèvres, qui ne viennent pas du coeur, ne peuvent pas non plus monter jusqu'à Dieu, à cause de la tiédeur de celui qui les profère. Un tel homme, au moindre bruit le voilà renversé; le moindre tumulte l'arrache à son oraison ; la bouche retentit, mais le cœur est vide et la pensée au dépourvu. Ah ! ce n'est pas ainsi que priaient les saints, eux dont la contention d'esprit allait jusqu'à ployer le corps tout entier. Ainsi le bienheureux Elie, voulant prier, chercha d'abord la solitude; puis, s'étant mis la tête entre les genoux, il embrasa son cœur d'une grande ferveur, et donna cours alors à ses prières. (III Rois, XVIII, 42.) Voulez-vous maintenant le voir prier debout? Contemplez-le une autre fois dressé vers le ciel, et avec une telle contention qu'il fait descendre le feu d'en-haut. (ibid. V, 36-38.) De même lorsqu'il voulut ressusciter le fils de la veuve, c'est en se raidissant tout entier qu'il opéra cette résurrection, et cela sans en être brisé, sans bâiller (202) comme nous autres, mais réchauffé au contraire par l'ardeur de sa prière. (III Rois, XVII, 19-22.) Mais pourquoi parler d'Elie et de ces saints illustres?
J'ai souvent vu des femmes prier tellement du fond du coeur pour un mari en voyage ou un enfant malade, et verser de tels torrents de larmes, qu'elles obtenaient enfin ce qu'elles demandaient par leur prière. Eh bien! si pour la santé d'un enfant, si pour un mari qui est à l'étranger, des femmes s'enflamment à ce point dans leurs prières, quelle excuse aura l'homme qui n'a que de la tiédeur lorsque son âme est morte ? C'est bien pour cela que souvent, après avoir prié , nous nous retirons vides comme auparavant. Ecoutez comment Anne priait du fond du coeur, quels torrents de larmes elle versait, et comment elle était transportée au sortir de sa prière! (I Rois, I, 10-11.) C'est que celui qui prie ainsi, recueille de grands avantages de sa prière, même avant d'obtenir ce qu'il demande, car il fait taire toutes ses passions, il apaise sa colère, se dépouille de sa jalousie, mortifie sa concupiscence, dompte son amour pour les choses de la vie, établit son âme dans un grand calme, enfin s'élève jusqu'au ciel. Car de même que la pluie, en tombant sur la terre desséchée, la fait devenir molle, ou de même que le feu assouplit le fer, ainsi une telle prière amollit et attendrit plus énergiquement que le feu, plus efficacement que la pluie, la sécheresse que les passions ont communiquée à l'âme. L'âme est chose tendre et impressionnable; mais, semblable à l'Ister, dont l'eau devient souvent dure comme la pierre sous l'influence du froid, ainsi notre âme, sous l'influence du péché et d'une grande tiédeur, s'endurcit et se pétrifie. Nous avons donc besoin d'une forte chaleur pour amollir cette dureté. Or, c'est principalement la prière qui en vient à bout. Lors donc que vous y avez recours, ne cherchez pas seulement à obtenir ce que vous demandez , cherchez aussi comment vous pourrez, en priant, rendre votre âme meilleure. Car c'est là l'œuvre de la prière. L'homme qui prie ainsi s'élève au-dessus des choses de ce monde, il s'envole par la pensée, il donne de l'agilité à son intelligence et n'est plus emprisonné par aucune passion. "Des profondeurs j'ai crié vers vous, Seigneur." Le Psalmiste met ici deux choses : " Des profondeurs, " et : " J'ai crié vers vous. " Par ces cris, il ne veut pas dire le son de la voix, mais la disposition de notre esprit. " Seigneur, écoutez ma voix. " Il y a deux enseignements à tirer de là : le premier, c'est que nous ne pouvons absolument rien obtenir de Dieu, si nous n'y apportons ce qui dépend de nous; c'est pour cela qu'il commence par dire : " Des profondeurs , j'ai crié, " et qu'il ne dit qu'ensuite : " Ecoutez ma voix. " Le second point, c'est qu'une prière énergique, à laquelle se joignent les flots de larmes de la componction, a un grand pouvoir auprès de Dieu pour le faire accéder à ce que nous implorons. Et en effet, c'est en homme qui a accompli quelqu'oeuvre très-méritoire, et qui a fait ce qui dépendait de lui, que le Psalmiste ajoute : " Seigneur, écoutez ma voix (1). Que vos oreilles deviennent attentives à la voix de rua prière (2). " Il appelle " oreilles " la faculté que Dieu a d'entendre ; et par le mot de " voix, " il fait allusion non pas au son produit par notre souffle, ni à nos cris, mais à notre tension d'esprit. " Si vous considérez les iniquités, Seigneur, " Seigneur, qui pourra résister ? " Ceci, c'est afin que personne ne vienne dire : Pécheur comme je suis, et sous le poids de misères sans nombre, je ne puis m'approcher de Dieu, le prier ni l'invoquer ; pour détruire ce prétexte, le Psalmiste s'exprime ainsi : " Si vous considérez les iniquités, Seigneur, Seigneur, qui pourra résister ? " Car cette question : " Qui pourra? " revient à dire : Il n'y a personne qui puisse. Non en effet, cela ne se peut, il n'y a personne au monde qui, s'il rendait un compte exact de ses actions, fût jamais en état d'obtenir indulgence et miséricorde.
2. Et si je vous parle ainsi, ce n'est pas afin de porter les âmes à la tiédeur, c'est pour consoler ceux qui tombent dans le découragement. Car qui pourra se vanter d'avoir le coeur pur, " ou dire avec assurance qu'il est exempt de péché? " (Prov, XX, 9.) Sans aller chercher d'autres exemples, je n'ai qu'à vous citer saint Paul; et si je voulais lui faire passer rigoureusement en revue sa conduite, il n'y résisterait pas non plus. En effet, qu'aurait-il à dire? Il avait lu les Prophètes avec soin, en observateur zélé de la loi de ses pères, il voyait les prodiges qui s'accomplissaient, et pourtant il restait persécuteur; et il ne changea pas avant d'avoir été favorisé de cette merveilleuse vision, et d'avoir entendu cette voix terrible ; jusque-là il avait continué à jeter partout le (203) trouble et le désordre. Néanmoins, Dieu oublia tout cela, il l'appela, et daigna le combler de sa grâce. Et que dirons-nous de Pierre, lui qui occupe le premier rang? Après des miracles et des prodiges sans nombre, après tant d'exhortations et d'avertissements Dieu ne le convainquit-il point d'avoir gravement failli ? Pourtant, Dieu oublia cela aussi, et il établit Pierre le prince des apôtres. Aussi lui dit-il : " Simon, Simon, voilà que Satan a cherché à te passer au crible comme le blé; et moi j'ai prié pour toi afin que ta foi ne vienne pas à manquer. " (Luc, XXII, 31, 32.) Vous le voyez, si après tout cela Dieu n'usait de miséricorde et d'indulgence, s'il venait juger les hommes d'après un examen rigoureux, il les trouverait coupables tous absolument. C'est ce qui fait dire à saint Paul : " Ma conscience ne me reproche rien, mais je ne suis pas justifié pour cela (I Cor. IV, 4) ; " et au Psalmiste : " Si vous considérez les iniquités, Seigneur, Seigneur ! " La répétition de ce dernier mot n'est pas l'effet du hasard : elle montre un homme saisi d'étonnement et d'admiration devant l'extrême miséricorde , l’immense majesté de Dieu, devant l'océan sans bornes de sa bonté. " Qui pourra résister? " Le Psalmiste ne dit pas : Qui pourra échapper? mais: "Qui pourra résister ? " On ne pourra même , veut-il dire, rester en la présence de Dieu. " Parce que c'est de vous que vient la propitiation (11). " Que signifient ces mots? En voici le sens : Ce n'est pas en vertu de nôs propres mérites, mais c'est grâce à votre bonté, qu il nous est possible d'échapper au châtiment. En effet, si votre justice nous épargne, cela dépend de votre miséricorde. Si cette dernière nous est refusée; nos propres actions ne suffiront pas pour nous soustraire à la colère à venir.
3. C'est ce que Dieu nous enseigne encore lorsqu'il dit par son Prophète:
" C'est moi qui efface tes iniquités. " (Isaïe, XLIII, 25.)
C'est-à-dire, cela n'appartient qu'à moi , c'est le fait
de ma bonté, de mon amour pour toi. De sorte que tes actions ne
sauraient jamais suffire pour te mettre à l'abri du châtiment,
si ma miséricorde n'y venait ajouter son œuvre. Et plus loin: "
Je vous supporte (Isaïe, XLVI, 4), " dit-il encore. " A cause de votre
nom, je vous ai a attendu, Seigneur. Mon âme a attendu l'effet de
votre parole. " (Ps. CXXIX, 4.) " Mon âme a espéré
dans le Seigneur. " (Ibid. 5.) Une autre version porte: " A cause de votre
loi, " et une troisième: " Afin que votre parole fût connue.
" Dans tous les cas, voici le sens: à cause de votre miséricorde,
à cause de votre loi , j'ai attendu mon salut ; car si je considérais
ce qui dépend de moi, il y a. longtemps que j'aurais perdu tout
courage et tout espoir; mais comme je songe à votre loi et à
votre parole , j'en conçois de bonnes espérances. A quelle
parole songe-t-il? A la parole de la miséricorde divine. Car c'est
ce Dieu qui dit: " Autant le ciel est distant de la terre , autant mes
résolutions sont distantes des vôtres, et mes voies de vos
voies. " (Isaïe, LIX, 9.) Et autre part: " Autant le ciel est élevé
au-dessus de la terre , autant le Seigneur a affermi sa miséricorde
sur ceux qui le craignent. " (Ps. CII, 11.) Et ensuite : " Autant l'orient
est distant de l'occident, autant il a éloigné de nous nos
iniquités. " (Ibid. 12.) C'est-à-dire, je n'ai pas seulement
sauvé ceux qui avaient fait de bonnes couvres , mais j'ai épargné
les pécheurs, et au milieu de tes prévarications j'ai fait
paraître ma protection et ma sollicitude. Un autre interprète
traduit: " Afin que vous soyez redouté, je vous ai attendu , Seigneur.
" Redouté de qui? de mes ennemis , de ceux qui me tendent des embûches
et qui me baissent. Maintenant, que signifie: " A cause de votre nom? "
C'est-à-dire : Quoique je sois un pécheur, et sous le poids
de misères sans nombre, cependant, je le savais, de peur que votre
nom ne fût profané, vous ne nous auriez pas laissés
périr. C'est ce que Dieu dit aussi dans Ezéchiel: " Ce n'est
pas à cause de vous que je le fais, mais à cause de mon nom,
afin qu'il ne soit pas profané parmi les nations. " (Ezéch.
XXXVI, 22. ) Ce qui veut dire : par nous-mêmes, nous ne méritions
pas d'être sauvés, et nous ne pouvions fonder aucune espérance
sur nos actions; mais nous attendons notre salut à cause de votre
nom, et cet espoir nous est laissé. Dans une autre version nous
lisons: " A cause de la crainte j'ai attendu le Seigneur. " Dans une autre
: " A cause de la loi j'ai attendu le Seigneur. Mon âme a attendu
l'effet de ta parole. " Dans une autre : " Mon âme a espéré
en sa parole. " Et dans une autre : " Mon âme a attendu , et j'ai
prêté l'oreille pour entendre sa parole. " C'est-à-dire,
j'avais une ancre sainte qui m'était fournie par les déclarations
et les promesses continuelles attestant sa miséricorde et sa (204)
bonté, et je ne désespérais pas de mes propres intérêts.
" Depuis la première heure du matin jusqu'à la nuit, qu'Israël
espère dans le Seigneur (6). " Il veut dire par là: toute
la vie, puisque c'est: le jour et la nuit durant. Car il n'est rien de
tel pour le salut, que de l'avoir toujours en vue, et de rester attaché
à cette espérance, malgré les mille événements
qui peuvent survenir et nous porter au découragement. Cette idée
est un rempart indestructible , un abri inviolable , une forteresse inattaquable.
Ainsi , quand même les circonstances vous menaceraient de la mort,
de quelque danger, d'une ruine totale , ne renoncez pas à espérer
en Dieu, à attendre de lui votre salut. Tout est pour lui facile
et aisé, et il saura bien trouver une issue pour vous tirer d'une
position inextricable. Ce n'est donc pas seulement lorsque les événements
suivent leur cours naturel, que vous devez vous attendre à ce que
Dieu vous accorde ses secours, c'est encore et surtout quand survient la
tempête, quand se gonflent les flots, et que nous courons les derniers
dangers. Car c'est surtout alors que Dieu déploie sa puissance.
Tel est donc le sens de ce passage: il faut espérer continuellement
dans le Seigneur, tout le temps de notre existence , durant toute notre
vie. " Parce qu'auprès du Seigneur est la miséricorde, et
que la rédemption abonde auprès de lui. Et lui-même
rachètera Israël de toutes ses iniquités (7). " Que
signifie: " Parce qu'auprès du Seigneur est la miséricorde
(8) ? " C'est-à-dire, il y a en lui une source, un trésor
d'amour pour les hommes, qui se répand continuellement sur eux.
Où est la miséricorde, est aussi la rédemption : et
une rédemption non pas ordinaire , mais considérable , un
océan immense d'amour pour nous. Ainsi, même quand nous sommes
compromis par nos péchés, il ne faut ni perdre courage ni
désespérer. Car là où il y a miséricorde
et monté, on n'exige pas un compte rigoureux des fautes commises,
attendu que le juge, dans sa grande compassion, et entraîné
par son penchant à nous aimer, néglige la plupart des griefs.
Tel est Dieu en effet. il est porté, il est enclin à faire
continuellement miséricorde et à nous accorder notre pardon:
" Et lui-même rachètera Israël de toutes ses iniquités.
" Si donc Dieu est ainsi, si la grandeur de son amour pour nous se déverse
de toutes parts , il est aisé de voir qu'il sauvera aussi son peuple,
et qu'il l'affranchira non-seulement du châtiment, mais encore des
péchés. Instruits de cette vérité , persévérons
dans l'invocation et dans la prière, et n'y renonçons jamais,
soit que nous obtenions, soit que nous n'obtenions pas. Car s'il est le
maître de donner, il l'est aussi de donner quand il veut, et c'est
lui également qui connaît à point le moment favorable.
Persévérons donc dans nos supplications , dans nos invocations
, dans notre confiance en sa miséricorde et en sa bonté,
et ne désespérons jamais de notre salut, mais contribuons-y
selon notre pouvoir, et alors ce qui dépend de lui ne pourra manquer
de venir à la suite, puisqu'il y a chez lui miséricorde ineffable
et amour illimité pour les hommes. Puissions-nous tous en ressentir
les effets, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, avec lequel gloire au Père et au Saint-Esprit,
dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
EXPLICATION DU PSAUME CXXX. 1. " SEIGNEUR, MON COEUR NE S'EST POINT
ÉLEVÉ D'ORGUEIL, ET MES YEUX NE SE SONT PAS FIÉREMENT
PORTÉS EN HAUT. " — AUTRE TEXTE : " MES YEUX NE SE SONT POINT ÉLEVÉS
D'ORGUEIL, ET JE N'AI PAS MARCHÉ AU MILIEU DES CHOSES GRANDES, NI
AU MILIEU DES CHOSES SURPRENANTES ET AU-DESSUS DE MOI. " — AUTRE TEXTE
: " AU MILIEU DES CHOSES MAGNIFIQUES. " — AUTRE TEXTE : " AU MILIEU DES
CHOSES POMPEUSES, NI AU MILIEU DES CHOSES DONT LA GRANDEUR FUT AU-DESSUS
DE MOI (1). "
ANALYSE.
Quand est-ce qu'il est permis de se glorifier. C'est même quelquefois un devoir pour nous. — Combien nous devons fuir l'orgueil et la société des orgueilleux.
1. Eh quoi ! saint Paul, tout en y étant forcé, dit que c'est une folie, de se louer soi-même; aussi ajoute-t-il : "Je me suis glorifié a follement, c'est vous qui m'y avez forcé. " (II Cor. XII, 11.) Comment donc le Prophète a-t-il ignoré cela et se glorifie-t-il maintenant, non pas devant deux ou trois personnes, non pas devant une dizaine d'auditeurs, mais à la face du monde entier? Et voici en quels termes il se glorifie : Je suis humble et modéré, je suis excessivement humble, je suis simple; car c'est là le sens de : " Comme est l'enfant a sevré à l'égard de sa mère (2). " Pourquoi donc tient-il ce langage? C'est qu'il n'est pas toujours défendu de se glorifier et que dans Certains cas cela est même nécessaire; bien plus, il y a des circonstances où ce n'est pas en nous glorifiant, mais en ne nous glorifiant pas, que nous serions insensés. C'est pour cela que le même saint Paul nous dit : " Que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur. " (II Cor. X, 17.) En effet, celui qui ne se glorifie point de la croix, est le plus insensé et le plus coupable des hommes, celui qui ne se glorifie pas de la foi est le plus malheureux des mortels, celui qui ne se glorifie point et ne se confie point en ces choses-là périra infailliblement. Aussi l'Apôtre disait-il plein d'assurance " Quant à moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie, excepté dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. " (Gal. VI, 14.) Et l'on trouve ailleurs dans l'Ecriture : " Que le riche ne se glorifie pas dans sa richesse, ni le sage dans sa sagesse, ruais voici de quoi il doit se glorifier, c'est de comprendre et de connaître le Seigneur. " (Jér. IX, 23, 24.) Quelle est donc la mauvaise manière de se glorifier ? C'est quand nous le faisons comme le Pharisien. (Luc, XVIII.) Et pourquoi, demandera-t-on, saint Paul a-t-il dit : " Je me suis glorifié (206) follement, c'est vous qui m'y avez forcé? " Parce qu'il racontait les actions méritoires de sa vie, sa belle conduite, choses qu'il n'aurait pas dû proclamer s'il n'y avait pas eu nécessité. Il dit aussi un peu plus haut : " Même si je veux me glorifier, je ne serai pas insensé, car je dirai la vérité. " (II Cor. XII, 6.) De sorte que celui qui dit la vérité, quand la circonstance l'y détermine, n'est pas un insensé. Ainsi le Prophète non plus n'était pas insensé lorsqu'il se glorifiait, car il disait la vérité. Mais quel est le motif qui l'a amené à tenir ce langage? C'était pour apprendre à ceux qui l'écoutaient qu'après avoir été délivrés de leurs maux, ils ne devaient pas s'abandonner de nouveau au vertige de l'orgueil, ni dégagés de leurs chaînes, retomber par de nouveaux écarts, dans la nécessité d'une autre captivité. Ainsi, en racontant sa propre conduite, il corrige l'auditeur et il ne dit pas : Je me suis senti élevé d'orgueil , mais j'ai maîtrisé ma passion; il dit : " Mon coeur ne s'est point élevé d'orgueil; " c'est-à-dire, la malice n'a pas même effleuré mon âme. Sa pensée était comme un port tranquille où n'entrent point les flots de ce mal qui est la cause de tous les autres, la source des plus grandes iniquités. Que veut-il dire par ces paroles : " Seigneur, mon coeur ne s'est point enflé d'orgueil et mes yeux ne se sont pas fièrement portés en haut? " Cela signifie : Je n'ai point froncé les sourcils, ni dressé la tête. Car le mal de l'orgueil, en débordant de la source de passion qui est au dedans de nous, reproduit sur notre corps même l'expression de ce bouillonnement intérieur. " Et je n'ai pas marché au a milieu des choses grandes, ni des choses surprenantes et au-dessus de moi. " Que signifie : " Au milieu des choses grandes? " Cela veut dire : Parmi les hommes orgueilleux, riches, vains et arrogants. Voyez-vous quelle humilité rigoureuse ? Non-seulement il était lui-même exempt de cette plaie, mais il allait jusqu'à fuir les gens qui en étaient dévorés et dans sa grande haine pour l'orgueil, il se dérobait à de telles sociétés. Car comme il détestait ce vice, non-seulement il s'y dérobait, non-seulement il lui fermait tout accès à sa pensée, mais encore il fuyait à une grande distance de ceux qui s'y abandonnaient, de sorte que même de ce côté il n'en pouvait subir la contagion.
Or ce n'est pas un faible mérite que de fuir les arrogants, de
haïr les orgueilleux, de s'écarter d'eux et de les avoir en
horreur : c'est la plus grande sûreté pour la vertu et la
meilleure garde pour l'humilité. " Ni au milieu des choses surprenantes
et au-dessus de moi." Ou autrement : " Ni au milieu des choses dont la
grandeur fût au-dessus de moi (1). " Si je n'ai pas été
humble dans mes sentiments, mais haut dans mes pensées, comme est
l'enfant sevré à l'égard de sa mère, vous rétribuerez
mon âme en conséquence. " Ou autrement : " Que mon âme
soit rétribuée en conséquence. " Il use ici d'une
transposition; c'est comme s'il y avait : Si je n'ai pas été
humble comme est l'enfant sevré à l'égard de sa mère,
si j'ai été haut dans mes pensées, que mon âme
soit rétribuée en conséquence. Et le sens, le voici
: Non-seulement j'étais pur du vice, je veux parler de l'orgueil;
non -seulement j'étais étranger à ceux qui le nourrissaient
en eux-mêmes, mais je cultivais au dernier point la vertu opposée
à ce vice, savoir, l'humilité, la modération, la contrition.
C'est cela même que Jésus-Christ commandait à ses disciples
en ces termes : " Si vous ne changez et si vous ne devenez comme les enfants,
vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. " ( Matth. XVIII, 3.) Ainsi
le Prophète veut dire : J'ai eu autant d'humilité que l'enfant
à la mamelle. Car de même que cet enfant se tient attaché
à sa mère, qu'il est humble, qu'il est exempt de tout, orgueil,
qu'il a en partage l'innocence et la simplicité; ainsi étais-je
à l'égard de Dieu, me tenant continuellement attaché
à lui. Et ce n'est pas au. hasard qu'il donne pour exemple l'enfant
que l'on a sevré; il veut nous représenter la tribulation,
la détresse, le chagrin, la grandeur des maux. Ainsi, comme l'enfant
qu'on vient d'arracher à la mamelle, ne se détache pas pour
cela de sa mère, mais qu'avec des plaintes et des larmes, des impatiences,
des inquiétudes et des gémissements, il persiste à
rester attaché à celle, qui lui a donné le jour, et
ne veut pas s'en séparer; de même, dit le Prophète,
quoique je fusse dans les tribulations, dans la détresse, dans de
nombreux malheurs, je restais attaché à Dieu. Et s'il n'en
a pas été ainsi, que mon âme reçoive sa rétribution,
c'est-à-dire que je subisse le dernier châtiment. " Qu'Israël
espère dans le Seigneur, depuis maintenant et jusque dans l'éternité
(4)! " Vous le voyez, comme je vous le disais en (207) commençant,
pour les choses qui regardent la foi et les dogmes, il faut, même
sans motif particulier, se glorifier continuellement, et celui qui ne s'en
glorifie pas est perdu; et quant aux actions méritoires de notre
vie, nous ne devons jamais reculer à nous en glorifier, quand les
circonstances nous y amènent. Et quelles circonstances? Elles sont
nombreuses et diverses, et l'instruction de nos auditeurs est de ce nombre.
Le Prophète le savait bien; c'est ce qui fait que, pour nous montrer
qu'il rapporte ses propres mérites, afin d'entraîner ses auditeurs
au même zèle, il ajoute ces paroles : " Qu'Israël espère
dans le Seigneur, depuis maintenant et jusque dans l'éternité
: " C'est comme s'il nous disait Quand même les malheurs, les découragements,
les guerres, les captivités, n'importe quels maux imprévus
viendraient vous assiéger, tenez-vous attaché à l'espérance
en Dieu, à l'attente des biens futurs, et alors vous ne pouvez manquer
d'obtenir une bonne fin, car Dieu récompensera par la délivrance
de vos maux votre bonne espérance d'ici-bas, en Jésus-Christ
Notre-Seigneur, auquel appartiennent la gloire et la puissance dans les
siècles des siècles. Ainsi soit-il.
EXPLICATION SUR LE PSAUME CXXXI. 1. " SOUVIENS-TOI, SEIGNEUR, DE DAVID,
ET DE TOUTE SA DOUCEUR. "
ANALYSE.
1. Douceur de Moise ; en quoi elle consistait. La vraie douceur est accompagnée de fermeté.
2. L'auteur du psaume s'autorise de la douceur de David et des promesses de Dieu pour demander au ciel le rétablissement du temple et du culte.
3. Les biens que demande l'auteur du psaume sont les biens spirituels. Une partie des fils de David n'ayant pas observé les conditions auxquelles les promesses de Dieu étaient attachées , l'auteur du psaume n'a plus à invoquer que la prédilection volontaire de Dieu pour Sion. Quels sont les biens dont Dieu a promis de la combler. Pour tenir ses promesses, Dieu veut que nous remplissions les conditions qu'il y a mises. Il ne faut, ni se relâcher par trop de confiance, ni se décourager par une crainte mal entendue de ses menaces.
1. Nous voyons d'autres circonstances où, aime titre à son salut, on se contente d'invoquer le souvenir de ses ancêtres : mais ici, on rappelle en outre leurs mérites, et spécialement celui qui est la source de toutes les vertus, ce caractère de mansuétude, d'humilité, de douceur, qui faisait principalement admirer Moïse lui-même. En effet, l'Ecriture nous dit : " Il était le plus doux de tous les hommes de la terre. " (Nom. XII, 3.) Ici, certains hérétiques, pensant trouver en faute sa conduite, et ce que, 1'Ecriture dit de lui, (208) s'écrient: Comment donc? c'était le plus doux des hommes, celui qui se jeta sur cet Egyptien, et le tua? celui qui sema parmi les Juifs tant de meurtres et de guerres intestines? celui qui donna ordre aux enfants de Lévi de mettre à mort leurs proches ? celui qui entr'ouvrit la terre par sa prière, qui attira d'en-haut la foudre, engloutit les uns dans la mer, et en brûla d'autres ? Si cet homme était doux, quel sera donc l'homme colère et cruel ? Arrêtez : ne tenez point de discours superflus. Que Moïse fût doux, qu'il fût le plus doux des hommes , c'est ce que je prétends, c'est ce dont je ne me départirai point; et si vous voulez, je n'irai pas chercher ma preuve autre part, je tâcherai de la trouver dans les faits mêmes que l'on objecte. Je serais pourtant bien en droit d'alléguer, et le langage qu'il tint à Dieu au sujet de sa soeur, et les supplications qu'il adressa au ciel en faveur de la nation juive, tant de paroles apostoliques et divines, la mansuétude enfin avec laquelle il conversait avec le peuple. Il me serait permis de citer ces exemples, et d'énumérer bien d'autres faits encore; mais si vous le voulez, laissons-les de côté, et, nous servant des propres objections de nos ennemis, rapportées en premier lieu, montrons qu'il était très-doux, parles raisons même qui font croire à certaines gens qu'il était rigide, cruel et colère. Comment procéderons-nous? Nous distinguerons d'abord, et nous définirons ce que c'est que la douceur, ce que c'est que la dureté. Le seul fait de frapper ne constitue pas absolument ,la dureté, comme celui d'épargner ne prouve pas nécessairement la douceur; celui-là est doux qui, assez courageux pour supporter les offenses qui lui sont faites, défend les opprimés, et se conduit en, vengeur sévère de ceux que l'on outrage; si bien que quiconque agit. autrement est un homme apathique, endormi, un homme autant dire mort, mais il n'est point doux, il n'a point la, mansuétude. N'avoir aucun souci des victimes de l'injustice, ne pas s'affliger de leur sort, ne point s'irriter contre les auteurs de ces outrages, ce n'est pas là de la vertu, c'est de la lâcheté; ce n'est pas de la douceur, c'est de l'apathie. Ainsi, c'est précisément une preuve de sa douceur que cette chaleur qui allait jusqu'à le faire bondir quand il voyait les autres injustement traités, incapable qu'il était de maîtriser son indignation en faveur de la justice. Quand c'était lui l'offensé, il ne se vengeait pas, il ne sévissait pas , il supportait tout jusqu'au bout avec résignation. S'il avait été dur , colère , cet homme si bouillant, si enflammé pour la défense d'autrui , n'aurait pas pu se contenir pour ses griefs personnels; on l'eût vu au contraire s'irriter alors bien davantage. Car vous le savez, nos propres maux nous affectent plus que ceux des autres. Moïse, lui, quand on faisait tort à autrui, tirait vengeance de l'injure à l'égal de ceux. mêmes qui l'avaient soufferte; mais quant aux offenses dont lui-même était l'objet , il en faisait le sacrifice avec une grande patience; de sorte qu'il montrait en, lui, portées au plus haut point, les qualités opposées, la haine de l'iniquité d'une part, et de l'autre la longanimité. Et que devait-il donc faire, selon vous? Laisser l'injustice se commettre, et le mal se répandre par tout le peuple? Mais ce n'était pas là le devoir d'un chef de nation, ni le fait d'un homme patient et longanime; cela n'eût dénoté que l'apathie et l'abattement. Quand la gangrène s'étend et menace d'envahir le corps entier, vous ne blâmez pas le médecin qui en arrête les progrès par l'amputation : et vous dites qu'un homme fut la dureté même, parce qu'il voulut par un coup d'une certaine rigueur, retrancher un mal bien plus cruel que la gangrène et qui allait gagnant tout le peuple? Jugement inconsidéré, car à la tête d'un peuple pareil, pour mener une nation si intraitable, si dure et si rétive, il fallait réprimer les abus dès le principe, couper le mal à sa naissance, pour ne pas lui permettre d'aller plus avant. Mais, dira-t-on, il a englouti Dathan et Abiron. Eh quoi ! Fallait-il donc qu'il laissât fouler aux pieds le sacerdoce, renverser les lois de Dieu, détruire ce dont toutes choses dépendent, c'est-à-dire la dignité sacerdotale; fallait-il qu'il ouvrît à tout le monde le sanctuaire, et que, par sa faiblesse à l'égard de tels hommes, il livrât les enceintes sacrées à quiconque eût voulu y porter ses pas sacrilèges; fallait-il enfin que l'ordre fût partout boule. versé ? C'est là surtout ce qui eût été un acte, non de douceur, mais d'inhumanité et de cruauté, de laisser un si grand mal s'accroître, et, pour épargner deux cents hommes, d'eau perdre tant de milliers. En. effet, répondez, lorsque Moïse ordonna aux enfants de Lévi de massacrer leurs proches, qu'aurait-il fallu faire? Dieu était irrité, l'impiété allait (209) croissant et rien ne pouvait les soustraire à la colère céleste : Moïse aurait-il dû, laissant le fléau du ciel s'abattre sur toutes les tribus, livrer ainsi la race hébraïque à une extermination générale, et, le châtiment s'accomplissant, ne point s'occuper du péché, qui devenait alors irrémédiable. Ou bien n'a-t-il pas dû plutôt, par la punition corporelle et le meurtre de quelques hommes. enlever le péché, apaiser le courroux du ciel, et rendre Dieu propice a toux qui avaient commis de telles offenses? En examinant de cette manière la conduite du juste Moïse, vous trouverez que c'est principalement en cette circonstance qu'il nous montre sa douceur.
2. Mais nous laisserons les personnes qui aiment à s'instruire réfléchir là-dessus d'après ce que nous en avons dit, et afin de ne pas donner à l'accessoire des proportions plus grandes qu'au fond même du discours, revenons à notre sujet. Quel était-il? " Souviens-toi, Seigneur, de David, et de toute sa douceur (1) ; du serment qu'il fit au Seigneur, de la prière qu'il fit au Dieu de Jacob (2). " L'auteur du psaume parle d'abord de la douceur de David ; puis, omettant le récit de ce qui concerne Saül, les frères de David, Jonathas, ainsi que de la patience de David à l'égard du soldat qui l'avait abreuvé de mille outrages; passant également sous silence bien d'autres faits encore, il en vient à un autre point, qui était particulièrement l'objet d'un grand zèle. Et pourquoi procède-t-il ainsi ? Pour deux motifs : le premier, c'est que la douceur est la qualité qui plaît le plus à Dieu; " Car sur qui jetterai-je les yeux, " dit-il, " si ce n'est sur l'homme doux et pacifique, et qui redoute mes paroles? (Isaïe, LXVI, 2.) " L'autre motif, c'est que l'affaire la plus urgente, c'était la réédification du temple, la reconstruction de la ville, et le rétablissement des anciennes coutumes: c'est donc principalement à ce point qu'il se hâte d'arriver, et laissant le premier de côté comme évident et reconnu, (ce fait, manifeste pour tout le monde, c'est la douceur de David), il aborde ce dont il a surtout besoin pour le but qu'il se propose. En effet, que désirait-on voir? Le temple rebâti, et les anciens sacrifices rétablis. Et comme David s'était spécialement distingué sous ce rapport, l'auteur du psaume demande à Dieu, en récompense du zèle de David, la reconstruction du temple, et il dit : " Souviens-toi, Seigneur, de David, et de toute sa douceur ; du serment qu'il fit au Seigneur, de la prière, qu'il fit au Dieu de Jacob (2) : Je jure de ne point entrer sous l'abri de ma maison, de ne point monter sur le lit où est ma couche (3), de ne point donner de sommeil à mes yeux , d'assoupissement à mes paupières (1), ni de repos à ma tête, jusqu'à ce que j'aie trouvé un lieu pour le Seigneur, un tabernacle pour le Dieu de Jacob (5). " Mais en quoi cela te concerne-t-il, demandera Dieu à l'auteur du psaume. C'est que, répondra-t-il à Dieu, je suis le descendant de David ; et comme son zèle vous fut agréable, comme vous lui promîtes en récompense d'affermir sa race et sa royauté, nous venons maintenant, à ce titre, réclamer l'effet de ce contrat. Or David n'avait point dit: Jusqu'à ce que j'aie bâti (car cette faveur ne lui avait pas été accordée), mais: " Jusqu'à ce que j'aie trouvé, un lieu pour le Seigneur, et un tabernacle. " Ainsi, l'auteur dit psaume ne parle pas de celui qui avait bâti le temple, et il met en avant celui qui avait promis de le bâtir , afin de vous apprendre quel grand bien c'est qu'une intention droite, et comment Dieu a coutume de réserver toujours une récompense pour la bonne volonté : c'est pour cela qu'il rappelle de préférence le souvenir de David, attendu que c'est plutôt lui, que son fils, qui a bâti le temple. L'un a promis de le construire, l'autre en a reçu l'ordre. Et voyez ici l'empressement de David. Non-seulement il dit qu'il n'entrera pas dans sa maison, qu'il ne montera pas sur sou lit, mais il déclare qu'il ne goûtera pas même sans tourment ce qui est de nécessité physique, tant qu'il n'aura pas trouvé un lieu et un tabernacle pour le Dieu de Jacob. Dieu reprochait aux Juifs le contraire lorsqu'il leur disait : " Vous habitez, vous autres, dans des maisons élégamment, lambrissées; et moi, ma maison est délaissée. (Aggée, 1, 4.) Jusqu'à ce que j'aie trouvé un lieu pour le Seigneur, un tabernacle pour le Dieu de Jacob. " Voyez encore par ce passage quel zèle, quelle âme pleine de sollicitude ! " Jusqu'à ce que j'aie trouvé un lieu pour le Seigneur , un tabernacle pour le Dieu de Jacob; " ainsi parle le Roi-Prophète, lui qui avait tout à ses ordres, c'est qu'il ne voulait pas simplement bâtir, il voulait que ce fût dans l'emplacement le plus convenable; le mieux approprié au temple; et pour cela lit avait besoin de chercher, tant son âme (210) était vivante ! " Car nous avons appris que l'arche a été à Ephratha, et nous l'avons trouvée dans les champs de la forêt (6). " Ici, l'auteur du psaume rapporte des faits anciens, pour indiquer que l'arche a précédemment erré pendant longtemps, allant de place en place ; c'est ce que signifie-: " Car nous avons appris qu'elle a été à Ephratha, " c'est-à-dire : nos pères nous ont raconté, nous savons par ouï-dire, que déjà, après avoir erré de tous côtés, dans les plaines et les campagnes, elle s'était ensuite fixée : eh bien ! puisse la même chose arriver encore aujourd'hui ! Par Ephratha, il entend ici la tribu de Juda, où elle avait été amenée après ses nombreux voyages. " Nous entrerons dans les tabernacles du Seigneur, " nous l'adorerons dans le lieu où se sont tenus ses pieds (7.) " Vous novez de quelles expressions matérielles il s'est servi, à cause de l'extrême grossièreté de ses auditeurs, en leur parlant de tabernacles de Dieu, de ses pieds, et d'un lieu, où ses pieds se sont tenus. Il désigne par tous ces mots l'endroit où était l'arche, parce que c'était de l'arche que sortaient des voix terribles qui, dans les affaires des Juifs, dissipaient les obscurités, et qui prédisaient l'avenir. " Lève-toi., Seigneur, pour te rendre au lieu de ton repos, toi et l'arche de ta sanctification (3). " Ou autrement : " De ta force. " Autrement encore : " De ta puissance." Du reste, les deux sens sont conformes à la vérité. Car c'était de l'arche que Dieu envoyait la sainteté, et les paroles écrites qui y étaient placées procuraient à la fois et !a sainteté et la force.
3. L'auteur du psaume a donc bien dit: oui, Dieu fit éclater une grande puissance par le moyen de l'arche, non pas une ou deux fois, mais souvent, comme par exemple lorsqu'elle fut prise par les habitants d'Azot, lorsqu'elle renversa les idoles, lorsqu'elle frappa ceux qui l'avaient prise, lorsqu'ayant été restituée elle arrêta le fléau; enfin, par d'autres merveilles encore qu'elle opérait là où elle était alors, elle manifestait sa vertu. Et que signifient ces mots : " Lève-toi pour te rendre au lieu de ton repos? " C'est-à-dire, mets un terme à nos marches errantes, aux déplacements de ton arche que nous portons avec nous et fais enfin qu'elle se repose. " Tes prêtres se revêtiront de justice (9). " Suivant une autre version : " Que tes prêtres s'enveloppent de justice, " et suivant une autre encore : " Que tes prêtres se revêtent de justice, " ce qui est certainement plus clair, car ce sont ici les paroles, non d'un homme qui prophétise, mais d'un homme qui prie et qui demande la possession de la vertu. Il appelle justice les cérémonies saintes, le sacerdoce, le culte, les sacrifices, les offrandes et aussi la régularité de la conduite, car c'est surtout des prêtres qu'elle doit être exigée. " Et tes saints seront dans l'allégresse, " lorsque ces choses arriveront. Voyez, il n'ambitionne ni la reconstruction de la ville, ni l'abondance des vivres, ni les autres genres de prospérité ; ce qu'il cherche c'est la dignité du temple, le repos de l',arche, la perfection des prêtres, les cérémonies sacrées, le culte, le sacerdoce. Puis, comme les Juifs demandaient aussi tout cela, mais qu'ils étaient coupables de beaucoup de péchés, il s'autorise encore de celui dont il descend . " A cause, " dit-il, " de David ton serviteur, ne repousse pas le visage de ton christ (10). " Pourquoi dit-il : " A cause de David ton serviteur? " Ce n'est pas seulement, veut-il dire, en faveur de la vertu de David, ni parce qu'il a montré tant de zèle pour la construction du temple, mais encore parce que tu as fait un pacte avec lui. " A cause de David ton serviteur , ne repousse pas le visage de ton christ." Quel est ce christ? Celui qui, ayant reçu l'onction sainte, gouverne maintenant le peuple et est à la tête de la nation. " Le Seigneur a juré à David la vérité et il ne la démentira pas. Je placerai sur ton trône quelqu'un qui viendra du fruit de tes entrailles (11). " En effet, après avoir évoqué le souvenir de David et de sa vertu, ainsi que de son zèle relativement au temple, après avoir rappelé les événements d'autrefois et réclamé auprès de Dieu pour que le temple reparût avec ses premières institutions, l'auteur du psaume met en avant ce qui est pour lui l'objet capital, en reproduisant les conventions établies par Dieu. Et quelles sont-elles? " Je placerai sur ton trône quelqu'un qui viendra du fruit de tes entrailles. " Toutefois ce pacte n'a pas été fait purement et simplement, mais avec une certaine restriction. Quelle est-elle donc cette restriction ? Écoutez , l'Écriture ajoute : " Si tes fils gardent mon alliance et ces témoignages que je leur enseignerai, et si leurs fils les gardent dans la suite des siècles, ils seront assis sur ton trône (12). " Dieu ayant établi ces conventions avec les fils (211) de David, leur en remit l'acte entre les mains; et ceux-ci disaient en réponse : " Nous ferons et nous écouterons tout ce qu'a dit le Seigneur. " (Exode, XXIV, 7.) Puis, comme l'auteur du psaume voit que plusieurs d'entre eux ont transgressé les conventions, il reprend ta suite de son discours, il met tout en couvre pour trouver des paroles de consolation , et voici ce qu'il dit : " Car le Seigneur s'est choisi Sion, il l'a adoptée de préférence pour être a sa demeure (13). Elle est, dit-il, mon lieu de a repos dans la suite des siècles. C'est là que "j'habiterai, parce que je l'ai choisie de préférence (14). " Ce qui signifie, ce n'est pas un homme qui a choisi ce lieu , c'est Dieu même qui l'a désigné par condescendance pour leur faiblesse. Voici donc le sens : ce lieu que vous ayez choisi, que vous avez élu, que vous avez désigné, que vous avez jugé convenable, ne le laissez pas tomber en ruines, ne le laissez pas périr. Car vous avez dit : " J'y habiterai. " Mais il avait parlé ainsi aux conditions précitées. Quelles conditions donc? "Si tes fils gardent mon alliance. Je comblerai sa chasse (1) de mes bénédictions (15). " Un autre interprète traduit : " Sa nourriture. " Le mot chasse signifie ici l'abondance des vivres, des récoltes, ainsi Dieu souhaite que tout leur afflue comme de source. En effet, les Juifs étaient autrefois dans de telles conditions d'existence qu'ils ne ressentaient pas les nécessités physiques; lorsqu'ils avaient Dieu pour eux, il n'y avait chez eux ni disette, ni famine, ni peste, ni mort prématurée, ni aucun de ces fléaux tels qu'il en arrive souvent parmi les hommes : tout leur affluait comme de source, la main de Dieu corrigeant la faiblesse des choses humaines. L'auteur du psaume dit donc ici : Vous avez promis de bénir la chasse de Sion, c'est-à-dire, de lui fournir avec toute garantie l'abondance des choses nécessaires. " Je rassasierai ses pauvres de pains (15). Je revêtirai ses prêtres de salut et ses saints tressailleront d'allégresse (16). C'est là que je ferai paraître la puissance de David , j'ai préparé un flambeau a pour mon christ (17). Je couvrirai ses ennemis de confusion et sur lui fleurira ma sanctification (18). "
1. Comme cette version diffère notablement, par suite du changement d'une seule lettre grecque, du sens que l'on est habitué à voir à ce verset, il n'est pas inutile de remarquer, avec la bible de Vence et l’édition Migne de saint Jean Chrysostome, que Theran , venationem, est la vraie leçon, quoique plusieurs exemplaires, même anciens, des Septante, portent déjà Kheran viduam. L'hébreu porte (****), qu'Aquila traduit par episitismon , cibum. (E. M.)
Voyez la prospérité résultant de toutes les conditions réunies, aucune des choses nécessaires ne leur manque, les prêtres sont en sûreté, le peuple dans la joie et le roi plein de force. Car ce qu'il appelle ici le flambeau promis au roi, c'est, ou la protection divine, ou le salut, ou la lumière, et ces avantages sont accompagnés du genre de prospérité le plus insigne. Quel est-il? Les ennemis seront couverts de honte et personne ne viendra corrompre tant de biens. Et l'auteur du psaume ne dit pas seulement la ruine, mais la honte, il veut que, restant en vie; ils soient couverts de confusion, qu'ils se cachent et que par les maux qu'ils endureront, ils témoignent de la force et de la prospérité de ce peuple. " Et. sur lui fleurira ma sanctification. " Que signifie : " Et sur lui? " Cela veut dire : Sur le peuple. " Ma sanctification. " Un autre interprète a mis : " La puissance; " un autre " Sa distinction ; " et un autre : " Ce qui le distingue. " Quelle est en définitive le sens de ce passage? Je crois que cela signifie le succès, la sécurité, la force, la royauté.
Les dons que je lui ai réservés dès le commencement,
veut dire l'auteur du psaume, demeureront florissants et en pleine vigueur
ils ne se flétriront ni ne dépériront; mais tout cela
aura lieu, si la condition dont nous avons parlé plus haut continue
à être observée. Quelle condition? " Si tes fils gardent
mon alliance. " Car les promesses de Dieu, toutes seules, ne nous procurent
pas les différents biens, si, de notre côté, nous ne
faisons pas ce qui dépend de nous, et nous ne devons pas, comptant
sur ces promesses, nous relâcher et nous endormir. Car il y a beaucoup
de biens que Dieu a promis et qu'il ne donne pas, parce qu'il trouve que
ceux qui en ont reçu les promesses en sont indignes; de même
qu'il ne donné pas leur effet aux maux dont il nous avait menacés,
lorsque ceux qui l'avaient irrité se convertissent ensuite et désarment
sa colère. Instruits de ces vérités, ne nous laissons
pas aller à la tiédeur en nous fiant aux promesses de Dieu,
afin de ne point faire de chute, et en même temps, ne nous décourageons
pas sous l'impression des menaces, mais convertissons-nous. Car c'est ainsi
que nous pourrons obtenir les biens futurs, par la grâce et la miséricorde
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire
et la puissance dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
EXPLICATION DU PSAUME CXXXII. 1 " QU’ Y A-T-IL JE. LE DEMANDE, DE BON
OU D'AGRÉABLE? (AUTRE VERSION : QU'Y A-T-IL, JE LE DEMANDE, DE BON
ET DE BEAU), SI CE N'EST QUE DES FRÈRES HABITENT ENSEMBLE UNIS ?
"
ANALYSE.
Caractères et avantages de la concorde.
Il y a bien des choses moralement belles, qui ne sont pas agréables;
d'autres, qui font plaisir. sont dépourvues de la grande et véritable
beauté : quant à trouver ces deux qualités réunies,
cela n'est pas fort aisé. Mais dans le fait qui nous occupe, les
deux conditions se sont rencontrées : plaisir et grande beauté
morale. C'est là en effet le principal apanage de la charité
: outre son utilité, elle est aussi très-facile, et en même
temps agréable à pratiquer. C'est donc bien elle que le Psalmiste
célèbre encore ici. En effet, il ne parle pas simplement
de la demeure que l'on occupe, ni de réunion dans une seule petite
habitation, mais il parle d'habiter ensemble unis, c'est-à-dire
dans la concorde et la charité; car il en résulte alors que
plusieurs ne font qu'une seule et même âme. Puis, après
avoir dit que cela était beau et agréable, il rend son discours
encore plus clair, en mettant sous forme de comparaison ce qu'il vient
de dire, et il emprunte des images matérielles capables de le présenter
plus nettement à nos yeux. Et voyez quelles sont ces images : "
C'est comme ce parfum qui, répandu sur la tête, descendit
sur la barbe, sur la barbe d'Aaron (9), et jusqu'au bord de son vêtement
(3). " En effet Aaron, en sa qualité de grand prêtre, se frottait
de ce parfum, qui, ruisselant sur lui de tous côtés, le rendait
très-gracieux à voir, en même temps qu'agréable
et attrayant à cause de cette bonne odeur. Ainsi, veut dire le Psalmiste,
comme Aaron frotté de ce parfum, offre un aspect brillant, un extérieur
éclatant, qu'il est tout enveloppé d'une odeur suave, et
qu'il est la joie des yeux qui le contemplent; de même cette union
entre frères est une belle chose; et de même que ce spectacle
non-seulement est beau à voir, mais encore réjouit les yeux,
ainsi cette charité met la joie dans l'âme. " C'est comme
la rosée de l'Hermon qui descend sur les montagnes de Sion (3).
" Nouvelle image qu'il emprunte, fort gracieuse aussi, et propre à
charmer l'esprit qui s'y arrête. les expressions qu'il emploie ne
sont pas l'effet du hasard : avant la captivité , dix tribus avaient
vécu séparées des deux autres : cette division était
devenue la cause de nombreuses iniquités; elle avait jeté
les Juifs dans les dissensions, les querelles elles guerres; afin donc
que cet état de choses ne reparaisse point, il avertit le peuple,
il lui conseille de ne plus (213) donner l'exemple de cette scission, mais
d'habiter ensemble, de rester uni, d'obéir à un seul chef,
à un seul roi, et de faire que la charité répande
ses flots salutaires dès à présent et à jamais,
semblable à la rosée qui pénètre partout. Il
compare la charité à un parfum et à la rosée,
voulant par le premier représenter la bonne odeur, et par la seconde,
le repos et le charme de la vue. " Parce que c'est là que le " Seigneur
a ordonné que fût sa bénédiction (4.). " Quel
endroit désigne le mot : " Là? " L'endroit habité
de la manière que l'on vient de dire, avec cet accord, cette bonne
intelligence, cette union dont on a parlé. Car c'est là la
bénédiction, comme le contraire est la malédiction.
C'est pourquoi l'Ecriture loue ailleurs la même chose en ces termes
: " L'amitié entre les frères, la concorde entre les proches,
le mari et la femme ayant de la condescendance l'un pour l'autre. " (Eccli.
XXV, 2.) Et autre part, se servant de figures pour donner à entendre
leur force, elle s'exprime ainsi : " S'ils se couchent deux ensemble, ils
seront réchauffés, et la corde qui est triple ne sera pas
vite rompue. " (Eccle. IV, 11, 12.) En effet elle nous montre ici, et le
plaisir et la force; elle nous fait voir que même dans leur repos
leur plaisir sera grand, et que s'ils se mettent à agir, grande
sera leur force. Elle dit encore : " Le frère secouru par son frère
est comme une ville fortifiée. " (Prov. XII, 19.) Et Jésus-Christ
nous déclare ceci : " Là où deux ou trois personnes
sont réunies en mon nom, j'y suis au milieu d'elles. " (Matt. XVIII,
20.) C'est notre nature même qui le réclame. Aussi , lorsque
Dieu forma l'homme au commencement, il dit : " Il n'est pas bon que l'homme
soit seul " (Gen. II, 18); " et quand il fit cet être due l'on appelle
la femme, il l'unit à l'homme par les liens étroits du besoin,
et il nous rapprocha l'un de l'autre en mille manières. Ensuite
le Psalmiste ajoute fort bien : " Et la vie dans l'éternité.
" Car où est la charité, il y a grande sécurité,
et grande assistance de la part de Dieu. En effet, elle est la mère
des biens, elle en est la racine et la source, elle est la suppression
des guerres, l'anéantissement des dissensions. C'est pour montrer
cela qu'il ajoute : " Et la vie dans l'éternité. " Car de
même que les dissensions et les querelles occasionnent les morts,
et les morts prématurées; de même la charité
et la concorde produisent la paix et font les coeurs unis; or, où
il y a paix et union des âmes, l'existence est pleine de confiance
et de sécurité. Et pourquoi parler de la vie actuelle? C'est
encore la charité qui nous fait obtenir le ciel et les biens mystérieux,
et elle est la reine des vertus. Puisque nous le savons, soyons diligents
à en poursuivre la possession , afin de jouir des biens présents
et des biens futurs : puissions-nous tous obtenir cette faveur, par la
grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
avec lequel, gloire au Père ainsi qu'au Saint-Esprit, dans les siècles
des siècles. Ainsi soit il.
EXPLICATION DU PSAUME CXXXIII. " MAINTENANT DONC BÉNISSEZ LE
SEIGNEUR, VOUS TOUS QUI ÊTES LES SERVITEURS DU SEIGNEUR, VOUS QUI
VOUS TENEZ DANS LA MAISON DU SEIGNEUR. "
ANALYSE.
Quelle grande sainteté est requise pour la réception de la sainte Eucharistie. La nuit ne doit pas être employée tout entière à dormir. Les chrétiens peuvent honorer Dieu partout.
Ici le Psalmiste termine les psaumes des degrés, et pour les couronner dignement, il conclut par la louange et la bénédiction. Il veut que l'on se montre serviteurs du Seigneur non-seulement par la croyance aux dogmes, mais aussi par la pratique des vertus, c'est ce qu'il fait entendre lorsqu'il ajoute : " Vous qui demeurez dans la maison du Seigneur, dans les parvis de la maison de notre Dieu. " Car à celui qui est impur et profane , il n'est pas permis de franchir même le seuil de l'enceinte sacrée. En sorte que quiconque est digne d'entrer, est digne aussi de chanter les louanges. La maison de Dieu est comme le ciel, et non moins que le ciel , la maison de Dieu est fermée à toute puissance ennemie.
Considère, ô homme , quelle est ta dignité, et puisque tu es devenu toi-même un temple, quelle pureté tu ne devrais pas présenter ? Et en quoi consiste cette pureté? à rejeter toute pensée mauvaise, à rendre la forteresse de ton coeur inaccessible aux forces diaboliques, à demeurer comme dans un inviolable sanctuaire, tout occupé d'orner ton coeur. Dans le temple juif, tout lieu n'était pas accessible à tout homme, mais il y avait plusieurs enceintes différentes: une pour les prosélytes , une pour les Juifs d'origine, une pour les prêtres, une pour le grand-prêtre , et encore dans laquelle celui-ci n'entrait pas tous les jours, mais seulement une fuis l'année; s'il en était ainsi pour ce temple matériel, quelle sainteté ne te faut-il pas à toi dépositaire de sacrements bien plus granas que les symboles que renfermait le Saint des saints ! Tu as pour résider en toi non les chérubins , mais le Maître même des chérubins; ni l'urne d'or , ni la manne, ni les tables de pierre, ni la verge d'Aaron, mais le corps et le sana du Seigneur, et au lieu de la lettre, l'esprit, et une grâce surpassant toute pensée humaine, un don inénarrable. Plus sont, grands les sacrements , et redoutables les mystères dont tu as été honoré, plus doit l'être aussi la sainteté exigée de toi , et plus le sera certainement ta punition si tu transgresses les commandements. — " Durant les nuits, élevez vos mains vers le sanctuaire (2). " Une autre version: " Saintement; " une autre : " d'une manière sainte et bénissez le Seigneur. "
Pourquoi dit-il: " Durant les nuits? " Pour nous apprendre à ne pas donner toute la nuit au sommeil , et pour nous faire entendre que (215) les prières sont plus pures, alors que l'esprit est plus prompt, et le repos plus profond. S'il est recommandé de venir dans le sanctuaire jusque pendant la nuit, songez quelle sera l'excuse de celui qui durant ce temps ne prie pas même dans sa maison. Le Prophète veut que vous quittiez votre couche, que vous vous renfliez au temple, que vous y passiez la nuit en prière, et vous, vous ne priez pas même en ressaut dans l'intérieur de votre maison. " Saintement; " est bien dit, cela nous montre qu'il faut prier sans aucune mauvaise pensée dans l'esprit , pensée de rancune , pensée d'avarice, pensée d'un péché quelconque de nature à donner la mort à l'âme. — " Et bénissez le Seigneur. " La bénédiction parfaite est celle qui résulte de la parfaite harmonie des paroles et de la vie ; elle demande que vous glorifiez aussi par vos actions le Dieu qui vous a créés, selon cette parole de l'évangile: " Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos belles actions et qu'ils glorifient votre Père qui est aux cieux. " (Matth. V, 16.) — " Qu'il vous bénisse de Sion, le Seigneur qui a créé le ciel et la terre (3)."
C'est-à-dire si vous faites ces choses, vous obtiendrez en retour la bénédiction de Dieu, c'est-à-dire si vous vous levez la nuit, si vous priez saintement, si vous êtes digne d'entrer dans la maison du Seigneur, si vous faites en sorte d'être vous-mêmes des temples convenables. Avant donc exhorté comme il fallait, le Psalmiste clot son discours par une prière. C'est le propre d'un excellent maître de redresser le disciple par le conseil et de le fortifier ensuite par la prière. Que veut-il montrer en disant : " De Sion ? " C'était un nom agréable à entendre pour les Israélites, c'était le lieu exclusif où s'accomplissaient tous les rites sacrés. C'est pourquoi le Prophète souhaite à ses compatriotes de recouvrer leur premier état religieux, ainsi que la pratique de leurs cérémonies saintes, afin d'obtenir par là les bénédictions de Dieu. Puis pour les élever à des dogmes plus hauts et leur apprendre que Dieu est partout, que c'est pour condescendre à leur faiblesse qu'il a décrété la construction du temple, mais qu'il convient de l'invoquer partout, le Psalmiste a ajouté : "Qui a créé le ciel et la terre. "
Dans ce temps-là c'était à Sion que les fidèles
invoquaient Dieu, nous, nous l'honorons en tout lieu, en tout endroit,
à la maison, sur la place publique, dans la solitude, en vaisseau,
dans les hôtelleries, partout. Rien de ce qui est du lieu n'empêche
la prière, pourvu que la manière de vivre soit convenable
à la prière. Réalisons cette condition, et invoquons
Dieu partout, et il viendra, et il nous secourra, et tout ce qui sera difficile
il nous le rendra aisé et facile, et il daignera nous mettre en
possession de., biens éternels, à la jouissance desquels
puissions-nous tous parvenir, par la grâce et la charité de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire
et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles!
Ainsi soit-il.
EXPLICATION DU PSAUME CXXXIV. 1 " LOUEZ LE NOM DU SEIGNEUR; LOUEZ LE
SEIGNEUR, VOUS QUI ÊTES SES SERVITEURS; VOUS QUI DEMEUREZ DANS DANS
LA MAISON DU SEIGNEUR, DANS LE PARVIS DE LA DE NOTRE DIEU. LOUEZ LE SEIGNEUR,
PARCE QUE LE SEIGNEUR EST BON. (1, 2, 3) "
ANALYSE.
1 et 2. Heureuse influence que la psalmodie exerce sur les âmes. De l’élection du peuple juif, qu'elle avait pour but l'intérét de toutes les nations.
3. Phénomènes merveillenx résultant de la rencontre des éléments contraires. De l’utilité des vents. Ce qu'il faut entendre par ces trésors d'où, selon le Psalmiste , Dieu tire les vents.
4. et 6. Universalité de la Providence divine.
7. De la vanité des idoles , du parti que le démon sait en tirer pour perdre les hommes.
Nouvelle exhortation au sacrifice par !es louanges ; car c'est là le sacrifice, l'oblation qui convient à Dieu. Aussi, ailleurs encore, le Psalmiste dit-il : " Je louerai le nom de mon Dieu, en chantant un cantique; je le glorifierai par mes louanges, ce qui sera plus agréable à Dieu qu'un jeune veau, montrant ses premières cornes et ses ongles. " ( Ps. LXVIII, 31, 32.) Et il ne cesse de rappeler la maison, le parvis, le lieu où il attache, où il retient les transports des fidèles. En effet, dès le commencement la loi a voulu l'établissement du temple, pour prévenir toute impiété, toute idolâtrie ; pour tenir en un seul lieu les croyants rassemblés, pour empêcher la licence vagabonde, qui trouvait partout, dans les bois, auprès des fontaines, sur les collines, sur les montagnes, des occasions d'impiétés, de sacrifices, de libations sur les hauts lieux. Aussi le législateur va-t-il jusqu'à prononcer la mort contre celui qui sacrifie hors du temple : " Celui qui n'aura pas présenté l'offrande à l'entrée du tabernacle, pour être offerte au Seigneur, sera coupable de meurtre. " (Lévitique, XVII, 4. ) Si la loi rassemble de toutes
parts les Hébreux en un seul et même lieu, c'est pour leur donner les enseignements de la sagesse, c'est pour les préserver de tous les écarts de la pensée. Et il leur est enjoint de chanter des cantiques et des psaumes , parce que les louanges adressées à Dieu les édifient dans la piété, leur exposent les vieilles histoires, les événements de l'Egypte, les événements du désert, ce qui est arrivé dans la Terre Promise, ce qui s'est passé quand la loi fut donnée, ce qu'on a vu sur le Sinaï, les guerres qu'ils ont eu à soutenir; en même temps que le peuple bénissait son Dieu, il chantait et s'instruisait tout ensemble, il apprenait les règles de vie qui le préparaient à des dogmes supérieurs. " Louez le Seigneur, parce que le Seigneur est bon. " Une autre version porte: " Parce que le Seigneur est débonnaire. " Toutes les qualités qu'on désire le plus en Dieu, l'Ecriture les lui attribue saris cesse, l'affection pour l'homme, la miséricorde, une débonnaire douceur.
" Chantez son nom, parce que cela est beau." Ces paroles montrent que la louange est un plaisir, qu'accompagne l'utilité. Le principal (217) avantage des hymnes qu'on adresse à Dieu, c'est de purifier l'âme, d'élever la pensée, de faire connaître la doctrine, d'apprendre la sagesse qui réfléchit sur le présent et sur l'avenir. A ces avantages, la mélodie ajoute un grand plaisir; c'est une consolation, c'est une récréation, et elle rend vénérable celui qui fait entendre ces chants. Ce qui prouve la vertu efficace des hymnes, c'est ce que dit un interprète: " Parce que cela est convenable; " un second interprète encore : " Parce que cela est doux. " Tous les deux disent la vérité. Quelque libertin que soit celui qui chante, s'il respecte son chant, il endort la tyrannie de ses passions; quoique accablé sous le poids de vices sans nombre, quoique possédé d'un mal qui abat son âme, sous l'action du plaisir qui la caresse, sa pensée devient plus légère, son intelligence prend des ailes, son âme s'élève sur les hauteurs —. " Parce que c'est Jacob que le Seigneur s'est choisi pour être à lui; parce que c'est d'Israël qu'il a fait sa possession (4). " Le psaume ne parle pas des bienfaits partagés avec les autres peuples, mais du bienfait propre à Israël, et qui en fait un peuple choisi. Quel était ce bienfait? C'est que Dieu s'est choisi ce peuple, qu'il se l'est consacré, qu'il lui a montré une bienveillance toute particulière; et partout les prophètes se plaisent à rappeler les bienfaits qu'ils ont reçus de Dieu, ils en font comme la trame de leurs discours. Mais que signifient ces paroles: " sa possession ? " C'est-à-dire sa richesse, son luxe. En effet, si chétif que fût ce peuple , Dieu l'a choisi pour lui , comme on recherche la richesse; sans s'arrêter au petit nombre, ne considérant que la vertu à laquelle il veut amener ce peuple, il l'a choisi, parce que les autres nations ne lui présentaient pas autant de ressources, et ce peuple est devenu un peuple de choix, et pour manifester la bienveillance de celui qui l'a choisi, et pour servir d'enseignement aux hommes. C'est en effet l'habitude de Paul lui-même d'appeler richesse, le salut des hommes. Exemple, ces paroles: "C'est le même Seigneur " qui répand ses richesses sur tous ceux qui l'invoquent (Rom. X, 12); " et ailleurs: " Cela regarde son maître, s'il demeure ferme ou s'il tombe. " (Rom. XIV, 4). Voyez comme il montre la bienveillance de Dieu, sa providence, sa sollicitude, son amour pour les fidèles en les considérant comme sa possession. Cette providence si rare se révèle donc de deux manières, et parce que Dieu a choisi ce peuple, et parce qu'il en a fait sa possession. Avez-vous bien compris comment le Psalmiste a montré l'amour de Dieu pour l'homme? Voilà pourquoi, dès le commencement, il dit: " Louez le Seigneur, parce que le Seigneur est bon, parce que j'ai reconnu que le Seigneur est grand (5). " Voilà un nouveau motif de louanges. — Mais que voulez-vous dire, ô Prophète? Vous avez reconnu, dites-vous, que le Seigneur est grand: est-ce que les autres hommes l'ignorent (12) ? — Non, certes, mais ils ne le savent pas comme moi. — Oui, c'est là surtout le propre des saints, et de ceux qui se sont élevés le plus haut; ils connaissent mieux la grandeur de Dieu ; ils ne la connaissent pas tout entière (car cela est impossible) , mais ils la connaissent mieux que les autres. " Et que notre Dieu est élevé au-dessus de tous les dieux. " Voyez-vous, objectera-t-on, il a dit: " Que Dieu est grand ; " il a dit: " J'ai reconnu que le Seigneur est grand ; " et en poursuivant son discours, il l'affaiblit ; il compare Dieu aux autres dieux et il ne lui accorde qu'une supériorité relative. Nullement; le Psalmiste a égard à la faiblesse de ceux qui l'écoutent, et ce n'est que pas à pas qu'il les fait monter avec lui; ce n'est pas, en effet, une bien grande preuve de la grandeur de Dieu que de dire qu'il est plus grand que les autres dieux, au-dessus de tous, mais je répète ce qu'il me tardait de dire, il mesure son langage à la faiblesse de ceux qui l'entendent; il les fait monter pas à pas. C'était oeuvre de charité de ne leur faire entendre que ce qui pouvait produire en eux la persuasion.
2. En effet, que cette supériorité de Dieu défie toute comparaison, c'est ce que le Psalmiste montre par les paroles qui suivent, où il donne la plus forte preuve de la puissance divine, où il montre qu'il a voulu accommoder ses premières paroles à la faiblesse de ceux qui l'entendent. Voilà pourquoi, quand il ne fait qu'énoncer, ses expressions sont faibles; mais quand il veut insister, quand il démontre, quand il fournit les arguments qui établissent la grandeur de Dieu, ses paroles sont grandes alors. Que dit-il donc ensuite, qui soit digne de Dieu, de Dieu seul? Voyez ce qu'il ajoute: " Le Seigneur a fait tout ce qu'il a voulu, dans le ciel, dans la terre, dans les mers, et dans tous les abîmes (6). " Voyez-vous la toute-puissance, qui se suffit à elle-même? Voyez-vous la source (218) de vie ? Voyez-vous la force invincible? Voyez-vous l'incomparable supériorité? Voyez-vous la force, à qui rien ne fait obstacle? Voyez-vous la facilité absolue, que rien tic gêne? car, dit-il, le Seigneur a fait tout ce qu'il a voulu. " Où cela? répondez-moi. " Dans le ciel et dans la terre; " c'est-à-dire, non-seulement ici-bas, mais dans le ciel même; non-seulement dans le ciel, mais sur la terre ; non-seulement sur la terre, mais de plus, " dans les mers et dans tous les abîmes. " Abîmes signifie ici les parties les plus profondes de la terre, de même que "dans le ciel, " signifie les parties les plus élevées des cieux. Eh bien ! ces immensités n'ont rien qui embarrassent sa volonté ; elle franchit tous les espaces ; et, voyez la merveille ! Il a tout fait, et pour cela il ne lui a fallu ni peine ni fatigue, il n'a pas même eu besoin de commander, sa simple volonté lui a suffi pour tout faire, il a seulement voulu et l'oeuvre a suivi. Voyez-vous comme le Psalmiste montre la facilité de l'oeuvre, le luxe intarissable des ouvrages, la puissance qui ne connaît pas d'obstacle? Ensuite, cessant de parler du ciel et de la mer, il montre les ouvrages qui en dépendent, il ne les nomme pas tous, mais, franchissant rapidement ce qui est dans le ciel,.quoiqu'il y ait là des merveilles, il parle de ce qui est autour du ciel. Pourquoi? C'est que ces premières merveilles, si éclatantes qu'elles fussent, étaient ignorées d'un grand nombre; les autres, quoique moins admirables, étaient pourtant visibles, tous en avaient le spectacle. S'adressant à des hommes moins touchés de l'invisible que du spectacle étalé sous leurs yeux, il commence son enseignement par les merveilles visibles; le conseil qu'il donne, il le met lui-même en pratique. Que conseille-t il donc ? De louer Dieu par ses oeuvres, en les passant en revue l'une après l'autre, et de lui rendre gloire pour chacune de ses oeuvres. En donnant le conseil de louer Dieu, il ne cessait pas de répéter: " Louez le nom du Seigneur; louez le Seigneur, vous qui êtes ses serviteurs. " Et maintenant il montre comment il faut le louer; en parcourant la création tout entière, en admirant, en exaltant la sagesse de Dieu, sa providence, sa puissance, sa sollicitude. Par là, nous apprenons que notre nier n'est pas la seule qui existe, ruais qu'il y en a beaucoup d'autres, et d'une étendue immense. En effet, le Psalmiste dit : " Dans les mers, et dans tous les abîmes. " La mer Caspienne, la mer des Indes, et la mer Rouge sont séparées de la nôtre; et , en dehors, enveloppant tout le reste, est l'Océan. " Il fait venir les nuées de " l'extrémité de la terre (7). " Autre version: " Il fait monter; " autre version: " Il attire des dernières limites; " autre version: "Du bout du monde. " C'est encore ce qu'on voit dans Job: " C'est lui qui enserre les eaux dans les nuées. " (Job, XXV, 8.) Et Salomon : " Contenant l'eau comme dans un vêtement. " (Prov. XXX, 4.) Le Psalmiste ici parle d'une autre merveille. De laquelle ? De celle qui a lieu lorsque l'air devenu plus lourd s'élève néanmoins, et, nonobstant le corps pesant qu'il porte, suit une marche ascendante, et contraire à celle que suivent naturellement les corps graves. Voyez que de merveilles ! l'eau est contenue dans l'air ; et, ce qui est bien plus admirable encore, l'eau est contenue dans un corps plus léger qu'elle qui la porte; mais ce qui est encore plus incroyable, c'est que l'eau contenue dans cet air, une fois répandue hors du nuage, n'est plus retenue par l'air qui est au-dessous, riais s'écoule en divers sens, de tous côtés, et se précipite sur la terre. Si elle était contenue dans le nuage naturellement, il faudrait qu'elle fût aussi contenue dans l'air. Supposons dans l'air, une outre peine d'eau, supposons que cette outre soit portée par l'air, nécessairement l'air portera aussi l'eau contenue dans l'outre, si cette eau vient à en sortir; voilà la conséquence naturelle des faits. Mais parce que toutes ces oeuvres sont des merveilles faites pour confondre la pensée humaine, elles sont supérieures aux lois ordinaires de la nature comme à la raison de l'homme. Comment ! ce qui est contenu dans l'air du nuage n'est plus contenu dans l'air qui suit le nuage? Avez-vous compris ce qu'il y a là de merveilleux, et comment un fait inférieur à tant d'autres merveilles, est encore une merveille? Le Psalmiste montre, de plus, un autre prodige, en disant: soit de " l'extrémité de la terre, " soit des " limites de la terre. " En effet, non-seulement les nuées montent, mais de plus elles voyagent; et ce n'est pas où elles ont d'abord paru, qu'elles envoient la pluie, elles franchissent souvent de grands espaces, versant ailleurs leurs eaux, par delà les cités et les peuples. La merveille n'est donc pas seulement qu'elles montent , mais qu'elles marchent aussi solidement que sur un plancher, en portant une si grande masse d'eaux.
3. " Il change les éclairs en pluie. " Voyez encore un autre prodige : des natures contraires qui se réunissent; rien n'est plus essentiellement du feu, que l'éclair; rien n'est plus froid que l'eau, et cependant ces éléments se mêlent sans se confondre, sans se tempérer l'un par l'autre; chacun d'eux conserve toute sa force. Le feu persiste dans l'eau et l'eau dans le feu, et le feu ne dessèche pas l'eau; l'eau n'éteint pas le feu. L'éclair est plus vif que la lumière du soleil, c'est un feu plus brillant, plus pénétrant; c'est ce qu'atteste le regard de l'homme en perpétuel rapport avec les rayons du soleil, et incapable de supporter l'éclair, même un seul instant; le soleil met un jour entier à parcourir le ciel, l'éclair en un moment illumine la terre ; c'est ce que le Christ atteste par ces paroles : " Comme un a éclair qui sort de l'orient et paraît à l'occident." (Matth. XXIV, 27.) " Et il fait sortir les vents de ses trésors. " Autre élément maintenant, qui ne nous est pas d'une mince utilité, au contraire, élément précieux, vital, qui nous ranime, qui nous rafraîchit, qui rend l'air plus léger; telle est, en effet, l'oeuvre des vents; ils secouent l'air en tous les sens; ils en préviennent l'immobilité qui le corromprait; ils font mûrir les fruits, ils nourrissent les corps; comment énumérer les services qu'ils rendent aux navigateurs? ils s'élèvent à des époques déterminées, selon un ordre établi; ils se retirent mutuellement les uns devant les autres; ils dansent sur la surface de la mer et ils transportent les matelots. Tel vent pousse le marin et le transmet à un autre qui le reçoit; dans les routes contraires qu'ils suivent, ils se montrent nos serviteurs, et la guerre qu'ils se livrent nous est encore utile. On pourrait parler d'autres services, en nombre infini, que les vents nous rendent; toutefois, sans s'y arrêter, le Prophète laisse à celui qui écoute le soin de les découvrir; il se borne à montrer la facilité de la production, car ces paroles : " De ses trésors, " ce n'est pas pour faire entendre qu'il y ait je ne sais quels trésors des vents, c'est pour montrer la facilité de leur production, la rapidité, la toute-puissance du pouvoir qui les tient tout prêts. En effet, celui qui possède un trésor, y puise à son aise, il en tire toutes choses à sa volonté; c'est ainsi que le Créateur de l'univers a tout créé sans peine, et enrichi la nature.
Voyez, dans l'air, quelle variété, quelles transformations dans l'eau et dans le feu? Les eaux sortent des fontaines ou de la mer, ou de l'air, ou des nuages, ou du ciel, ou des espaces supérieurs au ciel, ou des abîmes de la terre; et le feu maintenant vient du soleil, ou de la lune, ou des astres, ou des éclairs, ou de l'air, ou du bois, ou de ce qui nous entoure, ou de nos lumières, ou de la terre; et, en effet, partout se rencontre le feu qui vient de la terre; témoin les sources d'eaux chaudes, et le feu qui jaillit des pierres par le frottement, qui jaillit de la chevelure des arbres, par le frottement encore, et il y a le feu des tonnerres. Variété dans l'air maintenant : l'un est plus épais, celui qui nous entoure; l'autre, l'air supérieur, est plus subtil et aussi plus mâle de feu. Innombrable variété maintenant dans la nature des vents : l'un est plus subtil, l'autre plus épais; l'un rafraîchit, l'autre dessèche; l'un est plus humide, l'autre est plus chaud. Considérons encore les nuages aériens . les uns s'avancent lentement , les autres vont avec la vitesse d'un cheval au galop; mêmes différences dans les nuées poussées par les vents: les unes ressemblent à des urnes, tantôt remplies d'eau, tantôt vides; les autres à un éventail. Quant à toi, au spectacle de cette diversité, de cette variété, apprends à admirer l'Ouvrier qui a fait toutes ces choses.
" Il a frappé les premiers-nés de l'Egypte (8)." Après les généralités, après avoir montré la providence de Dieu embrassant toute la terre, par ses éclairs, par ses vents, par la variété des fonctions de l'air, par les nuages, par les pluies; après avoir confondu les insensés qui attribuent à la lune même une providence, il arrive aux oeuvres particulières faites dans l'intérêt particulier des Juifs. Que la terre, que le ciel, que l'univers se ressente de la bonté de Dieu, c'est ce que le Psalmiste a montré; maintenant, pour exciter la reconnaissance des Juifs, ii raconte, de plus, les faits qui les concernent en particulier, il leur montre que le Dieu de l'univers, qui prend soin de toutes choses, leur a départi certains bienfaits qui ne sont que pour eux, quoiqu'à un autre point de vue, il faille reconnaître que les faveurs, qui leur étaient départies, étaient encore,des bienfaits pour le monde entier. En effet, le privilège qui les avait choisis entre les autres peuples, était pour les peuples un motif d'émulation. Ce que Paul fait entendre par ces (220) paroles: " Leur chute est devenue le salut des gentils, jaloux de les remplacer. " (Rom. XI, 11.) Comme un père, quand ses enfants s'éloignent de lui, en prend un qu'il fait asseoir sur ses genoux, ce qu'il ne fait pas seulement par amour pour ce fils, mais bien plutôt pour que ses autres enfants se piquent d'émulation à cette vue, s'empressent de revenir, afin de recevoir la même preuve de bonté; ainsi Dieu a fait à l'égard des Juifs; il ne les a pas pris sur ses genoux, mais dans ses bras, comme dit le Prophète; " et il les a mis sur son dos." (Osée, XI, 3.) Il leur prodigue les faveurs qu'ils enviaient, le temple, les sacrifices, et, ce qu'ils désiraient plus ardemment encore, les secours dans les combats, les victoires, les trophées, l'abondance qui vient de la terre, la fertilité des fruits ; et par là, en même temps qu'il les enrichit, il porte les autres peuples à rivaliser avec eux. Mais comme les Juifs se seraient corrompus s'il n'eût eu pour eux que des caresses, il leur fait sentir aussi le frein des châtiments. C'est que la sagesse de Dieu est grande, et, de ce qui semble impossible, il fait sortir les moyens qui rendent tout facile.
4. Considérez maintenant la sagesse du Prophète; il débute par des oeuvres d'un caractère général, avant d'en venir à des faits particuliers, afin que nul insensé ne s'imagine que ce soit d'un Dieu particulier à un peuple qu'il parle. Voilà pourquoi il commence par le général, avant de toucher les détails, avant de dire: " Il a frappé les premiers-nés de l'Égypte."
Ne vous semble-t-il pas que cette rigueur avait surtout pour but l'intérêt des Juifs? Eh bien! si je vous montre que Dieu, en frappant ce coup, pensait aussi aux autres peuples; que diront ceux qui prétendent que la providence de Dieu ne s'occupe pas de l'univers? Comment le prouverons-nous? Il suffit. certes de la pensée que Dieu exprime d'une manière si manifeste par ces paroles : " Car je vous ai établis pour faire éclater en vous ma toute-puissance, et pour rendre mon nom célèbre dans toute la terre. " (Exode, IX, 16 ; Rom. IX, 17.) Comprenez-vous que c'était une prédication que cette mort des premiers-nés de l'Égypte? que cette plaie, venue de la main de Dieu, c'était une parole destinée à publier partout sa puissance? Cette providence se préoccupe donc de tout l'univers alors même qu'elle sert les intérêts des Juifs. Quant à sa puissance , Dieu l'avait fait connaître assez dans les temps anciens, par exemple, par Joseph et par Abraham; en cette circonstance pourtant, il la déclara d'une manière plus manifeste. Comment? C'était alors par des bienfaits; mais , dans le second cas , ce fut par une plaie terrible. Et il ne cesse pas, comme je l'ai souvent dit, de se montrer à chaque génération, de se manifester par ses oeuvres; il ne le fait pas toujours de la même manière; ses moyens sont variés et différents. Tantôt, c'est l'épouse d'Abraham qu'il frappe de stérilité; tantôt c'est la famine ou l'abondance qu'il envoie; après, ce sont des plaies infligées coup sur coup. Comme ces Égyptiens accusaient Dieu d'impuissance, ils causèrent ainsi eux-mêmes la mort de leurs premiers-nés, et changèrent en sang les eaux de leur fleuve. A la même époque, Dieu leur donna encore d'autres marques, mais moins éclatantes de sa puissance. Ainsi les sages-femmes des Egyptiens, qui avaient méprisé des ordres cruels, éludé un monstrueux décret du roi, jouirent d'une grande abondance de bien. C'était un double effet de la providence de Dieu d'abord, que des femmes eussent montré plus de vertu que ceux qui portaient au front le diadème, et ensuite que leur vertu eût été récompensée, et que leurs familles se fussent accrues extrêmement. Ces paroles, en effet, " Dieu fit du bien aux sages femmes (Exode, I, 20)," signifient que leur parenté s'étendit; c'est que, pour les bienfaits que les Juifs reçurent d'elles, ces femmes avaient mérité la récompense du Seigneur, parce qu'elles ne tuaient pas les enfants des Juifs. Dieu accorda à ces égyptiennes une nombreuse postérité.
Mais comme les Egyptiens persistaient dans leur endurcissement, Dieu les frappa d'une plaie encore plus terrible, qui fut un enseignement pour la terre, un enseignement pour les Égyptiens; les autres peuples apprirent par la renommée ce que les Égyptiens connurent par leurs propres souffrances, par la vue et par l'expérience, et torts purent. savoir quelle est la puissance de Dieu ; et c'est pour cette raison que le fléau leur avait été prédit. Dieu ne voulait pas que la plaie parût un effet du hasard, un de ces coups que la mort frappe d'elle-même. Aussi pouvons-nous appliquer dans cette circonstance une parole prononcée ailleurs au sujet du Sauveur. Quelle est cette parole ? " Dominez au milieu de vos ennemis. " (Ps. CIX, 2) Dieu en effet ne les fit pas sortir (221) pour les mener dans le désert, ni ailleurs; ce fut au milieu même de leur ville qu'il les frappa. Et maintenant, voyez, jusque dans la plaie , la clémence , car le fléau s'attaqua d'abord aux troupeaux, et ce n'est qu'ensuite qu'il s'étendit sur les hommes. Comment donc ne pas admirer ce pouvoir qui produit toute chose dans le même instant, qui montre à la fois une modération et une sagesse ineffables? Et en effet, cette plaie ne fut pas la première qu'il leur infligea ; il leur en envoya d'autres d'abord, afin de les corriger, et, quand il frappa le dernier coup, ce rie fut qu'après l'avoir annoncé; pourquoi ? C'est qu'il voulait par de simples paroles les ramener à la sagesse, et prévenir ainsi une correction effective. Ensuite, quand ils refusèrent de se corriger, Dieu ne permit pas que la plaie eût un, sens équivoque. On aurait pu croire que c'était un effet du hasard, urne maladie, une peste survenue par accident; mais voyez quel concours de circonstances ! d'abord, dans une seule nuit, tous sont frappés; secondement, ce sont tous les premiers-nés qui périrent. Une peste ne se serait pas attaquée seulement à tous les premiers-nés, en épargnant les autres ; elle aurait fait, de tous indistinctement, ses victimes; troisièmement, une peste n'aurait pas absolument respecté les Juifs, de manière à ne s'attaquer qu'aux Egyptiens ; elle aurait, au contraire, sévi bien plus cruellement sur les Juifs, accablés de fatigues, de misères, de tant d'innombrables maux, depuis longtemps épuisés par la pauvreté et par la faim : elle ne serait pas tombée sur les personnes royales, élevées en dignité, jouissant de l'abondance de toutes choses, entourées de tant de soins. Une peste n'aurait pas fait invasion tout à coup ; elle aurait été précédée de symptômes précédant son arrivée. Au contraire ici, le mal sévit tout d'abord, dans toute sa rigueur, afin de confondre la démence des Egyptiens. Après cette plaie, malgré la conscience qui leur disait si clairement que c'était là un fléau envoyé de Dieu, ils poursuivirent les Juifs qui se retiraient. Ce qui est la preuve de leur délire, et la plus forte justification de la conduite de Dieu. Comme les signes allaient cesser, il les termine par un dernier signe qui sert à justifier tous les autres, pour peu qu'on veuille réfléchir sur ces événements. A celui (lui dirait : pourquoi tous les Egyptiens sont-ils punis, quand le roi retient seul les Juifs, est seul coupable ? le dernier signe est une réponse qui résout la question. Comment supprime-t-il l'objection, ce dernier signe ? C'est qu'après que leurs premiers-nés eurent été frappés, les Egyptiens chassèrent les Juifs, même en dépit du roi. Donc, s'ils avaient voulu, dès le commencement, ils auraient été plus forts que le roi; donc s'ils n'ont pas forcé la main au roi, tout d'abord, ce n'est point qu'ils ne le pouvaient pas, c'est qu'ils ne le voulaient pas. Et de plus, ce qu'ils ont fait ensuite, leur acharnement à poursuivre les Juifs, aggrave encore leur faute.
5. C'est précisément ce que noies avons vu, à propos de Saül. Quand il fallut soustraire son fils à sa colère, tous vinrent, poussés par l'esprit d'adulation, lui arracher ce fils, quoiqu'il eût transgressé la loi. (I Rois, XIV, 45.) Mais quand le roi voulut mettre à mort tant de prêtres, ces mêmes flatteurs ne firent pas entendre une seule parole pour les défendre. (I Rois, XXII, 17.) S'ils avaient pour eux dans le premier cas, un sentiment naturel, dans le second c'était le sentiment du droit qu'ils devaient invoquer. Les victimes étaient des prêtres, et le meurtre était tan sacrilège , un effet de la colère et non d'un juste jugement. Mais la raison de cette conduite c'était l'engourdissement des âmes et l'indifférence à l'égard des prêtres. Eh bien, voyez, plus tard, en punition de ces fautes, quels malheurs ! cette coupable négligence coûta cher. J'en conclus que quand vous serez témoins d'un sacrilège, vous ne devrez pas rester dans l'inertie, dans une lâche indolence; il faut alors être plus ardent que le feu, ressentir l'injure aussi vivement que les victimes; c'est par là qu'on évite des calamités sans nombre. — " Depuis l'homme jusqu'aux animaux. " Pourquoi : " Jusqu'aux animaux? " Comme ils ont été créés pour l'homme, Dieu les punit aussi, à cause de l'homme, afin d'ajouter à l'épouvante; afin d'aggraver le fléau; afin de montrer que la plaie est envoyée par Dieu, que la guerre vient du ciel. " Et il a fait éclater des signes et des prodiges, au milieu de toi, ô Egypte (9)!"
Qu'est-ce à dire : " Au milieu de toi ? " Ou ce terme désigne le lieu, ou il veut dire, d'une manière manifeste. En effet, ces paroles : " Au milieu, " signifient partout la même chose que, ouvertement ; c'est ainsi qu'il dit ailleurs : " Il a opéré notre salut au milieu de la terre (Ps. LXIII, 12) ; " ce qui est au milieu, tous le voient. " Il a envoyé des signes et des prodiges (222) au milieu de toi, Egypte ; " et c'est avec une grande sagesse; car il s'agissait de corriger les hommes, et de parler aux yeux de ceux qui profiteraient de ces enseignements. Car ces prodiges n'arrivaient pas au hasard ; c'était l'effet d'une conduite admirable; et comme ces merveilles étaient de grands coups, et que ces coups frappaient d'une manière admirable, ils avaient une double utilité. " Contre Pharaon et contre tous ses serviteurs. " Voyez-vous l'ineffable puissance? Comprenez-vous bien? Comme ils étaient tous ensemble, le châtiment les a visités tous ensemble, de manière que les uns en souffraient, que les autres y trouvaient leur profit. Mais maintenant, que veulent dire ces paroles : " Contre tous ses serviteurs? " Assurément. ils n'avaient pas tous des premiers-nés; mais le Psalmiste parle des autres signes; et, en Egypte, pendant que les Egyptiens étaient frappés, les Israélites profitaient de la leçon. Dans le désert, pendant que les Juifs recevaient les bienfaits de Dieu , les autres en profitaient également. Dieu envoya des plaies aux ennemis des Juifs; il combla les Juifs dé bienfaits; et, soit plaies, soit bienfaits, tous y trouvèrent leur utilité. Mais pourquoi ne pas combler de bienfaits les Egyptiens aussi? c'est que d'ordinaire les hommes frappés par Dieu apprennent mieux à le connaître que ceux qui reçoivent ses bienfaits. Quant à ce qui prouve que Dieu ne voulait pas les punir, voyez-le différant toujours, retenant les coups, manifestant, par les maux qu'il envoie, comme par les biens, son pouvoir et sa clémence. Certes, après la première, la seconde, la troisième plaie, Dieu pouvait les considérer comme atteints d'une maladie incurable et les perdre lotis; mais Dieu ne le voulut pas, et, quoiqu'il connût l'avenir, qu'il sût bien que ni la cinquième, ni la sixième, ni la dixième plaie ne les rendraient meilleurs, il ne s'arrêta pas dans la marche qui lui convenait. De là, pour nous, les plus fortes raisons d'admirer sa puissance, sa sollicitude, sa sagesse et sa bonté : sa puissance, parce qu'il a frappé; sa sollicitude, parce qu'il s'est retenu ; sa sagesse, parce que, connaissant l'avenir, il a néanmoins suivi sa marche. Et maintenant ce qui prouve surtout sa clémence, c'est qu'il frappa, d'abord les êtres moins considérables , ceux qui ne sont pas doués de raison. Puis, allant progressivement, il atteignit le roi lui-même ; ce qui était le meilleur moyen de donner du retentissement au fléau. En effet, les manieurs d'un particulier sont obscurs, mais quand un homme illustre est frappé, la nouvelle aussitôt s'en répand partout.
Après les raisons qui décident le châtiment, le Psalmiste indique les plaies. Mais il ne les passe pas en revue, il ne les détaille pas, un seul mot lui suffit et il passe outre en disant : " Il a fait éclater des signes et des prodiges au milieu de toi, Egypte. " Ensuite, il fait sortir de l'Egypte le peuple de Dieu, pour le conduire dans le désert., montrant partout que Dieu n'est pas seulement le Dieu de quelques hommes, que son empire ne se borne pas à une seule contrée, que sa domination embrasse l'univers. Voilà pourquoi il ajoute : "Il a frappé plusieurs nations, il a tué des rois puissants (10). " Dans tout ce voyage, lieu donne des preuves variées de sa puissance, se servant de faits sensibles pour instruire les peuples. En effet, leurs guerres et leurs victoires miraculeuses les éclairaient sur la nature des événements arrivés antérieurement en Egypte et leur faisaient comprendre qu'il fallait les attribuer, non pas à l'air ni aux autres éléments, ni à aucune autre casse naturelle, mais à la main divine qui les guidait et combattait pour eux dans les batailles. En sorte que ces deux groupes de faits se renvoyaient une mutuelle clarté, ceux de l'Egypte aidaient à comprendre ceux du désert et réciproquement. En, effet, lorsque sans amies, sans bataille rangée, les Israélites mettaient en déroute leurs ennemis, il devenait évident pour eux que si, en Egypte, Dieu s'était servi des éléments, ce n'était pas qu'il en eût besoin, mais qu'il voulait manifester différemment et diversement sa puissance. " Séon, roi des Amorrhéens, et Og, roi de Basan (11). " Le Psalmiste ne passe pas en revue les villes, il n'insiste pas sur les détails, il ne raconte pas les batailles une à une; mais ici encore, son grand esprit franchit d'un bond d'innombrables prodiges: il pouvait s'arrêter, amplifier ce riche et tragique sujet, il n'en fait rien ; à travers cette incomparable abondance, cette richesse des oeuvres de Dieu, il s'élance et poursuit sa route. Or ces peuples étaient armés, ils habitaient des villes fortifiées, ils connaissaient la guerre, l'art de disposer les armées ; les Israélites étaient des exilés, ignorant les batailles, respirant à peine d'une longue servitude, d'une tyrannie interminable, consumés par la faire et par les (223) malheurs. exposés aux mauvais traitements du premier qui voudrait leur faire injure; mais sous la conduite de ce Dieu, ils étaient plus puissants que tous les peuples.
6. Ce n'est pas tout, la guerre était juste, les Israélites n'auraient pas fait d'invasion, si les peuples ne leur en eussent fourni des motifs, en leur barrant le passage, ce qui était de la dernière inhumanité. Quant aux Iduméens, Dieu ne souffrit pas qu'ils fussent enveloppés dans la guerre. Le silence de Dieu aurait pu autoriser les Israélites, à faire de nouvelles invasions: Dieu les prévint, il leur apprit avec quels peuples ils devaient combattre, de quels peuples ils devaient se détourner, il leur fit la leçon dans le désert, mais c'est avec des faits qu'il écrivit en quelque sorte la loi qu'ils devaient suivre en pareil cas et la conduite qu'ils devaient tenir envers les peuples qu'ils rencontreraient,. " Et tous les royaumes de Chanaan. " Comprenez-vous que cet enseignement s'adresse à la terre entière ? Comme le feu dévore les épines, de même ils envahissaient tous ces peuples et nul ne pouvait leur résister. Ecoutez les paroles de Balaam, instruit, non par les prophètes, non par Moïse, mais par l'expérience même : " Voici le peuple qui lèche toute la terre. " (Nombr. XXII, 4.) Comprenez-vous la justesse de la métaphore ? Il ne dit pas : le peuple qui fait la guerre, qui renverse. mais qui lèche la terre, voulant montrer par là la facilité de la victoire, les trophées sans effusion de sang, la conquête au pas de course; ils n'ont pas besoin, dit-il, d'armées rangées en batailles, ni de combats ; il leur suffit d'envahir les pays et rien ne leur résiste. En effet, Dieu ne leur a pas accordé seulement les victoires qui résultent des lois de la guerre, des règles de la stratégie ; on aurait pu attribuer les événements à leur valeur personnelle, mais Dieu soulevait contre leurs ennemis tous les éléments de l'univers. D'abord il abattait les courages, la grêle tombant par torrents, tua dans une rencontre beaucoup d'ennemis; le soleil, suspendant sa course, prolongea une bataille ; ajoutez un grand nombre de prodiges du même genre, un bruit de trompettes plus violent que le feu, s'abattant sur des tours, fit écrouler les murailles. Cette conduite de Dieu avait une double utilité, les uns apprenaient que la guerre qui leur était faite, ne leur venait pas des hommes, et les autres apprenaient à lever leurs regards vers Dieu, à ne jamais s'enorgueillir des événements, à fuir la présomption, à pratiquer la modestie. Ils gagnaient moins à vaincre qu'à vaincre de cette manière : ce qui les rendait terribles devait les rendre en même temps modestes ; terribles assurément , puisqu'ils avaient un tel général; modestes eu outre, parce qu'ils n'avaient pas lieu de s'enorgueillir de leurs triomphes. " Et il a donné leur terre en héritage à Israël ; il l'a donnée, pour être l'héritage de son peuple (12). "
C'est là le plus grand prodige: non-seulement ils chassaient les peuples, mais il leur était donné de s'emparer des pays, et de s'en partager les villes : ce qui était pour eux une grande joie , un grand triomphe , une grande gloire ; et c'était là un effet de la puissance du Seigneur. Ce n'est pas un mince avantage que de s'emparer d'un pays ennemi : il faut, pour cela, un grand secours qui vient de Dieu. — " Seigneur, votre nom subsistera éternellement, et le monument de votre gloire persistera à travers les générations (13). " Une autre version dit : " Et votre souvenir. " Ici, le Psalmiste s'interrompt pour glorifier Dieu ; c'est l'usage des Saints. Quand ils commencent à parler de ses miracles, ils s'enflamment, et impossible à eux de finir leurs récits , sans glorifier Dieu, sans le bénir pour les merveilles qu'ils ont racontées; ils satisfont ainsi leur cœur. C'est ce que nous voyons encore, à chaque page , dans le bienheureux Paul, surtout au commencement de ses épîtres, comme lorsqu'il dit aux églises de Galatie : " Que la grâce et la paix vous soient données , par Dieu notre Père , et par Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui s'est livré lui-même pour nos péchés, selon la volonté de Dieu notre Père , à qui soit la gloire dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il . (Gal. I, 3, 5.) " Et, dans l'épître aux Romains : " Les Israélites à qui appartient l'adoption des enfants de Dieu, sa gloire, son alliance, son culte, ses promesses, de qui les patriarches sont les pères , et desquels est sorti , selon la chair, Jésus-Christ même, qui est Dieu au-dessus de tout, et béni dans tous les siècles. Ainsi soit-il." (Rom. IX, 4.) Et ailleurs encore: " Au Roi des siècles , immortel, invisible, à l'unique sage , à Dieu soient l'honneur et la gloire , dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. " (I Tim. I, 17.), C'est ce que fait encore ici le Prophète. Après avoir (224) conçu , dans sa pensée , cette providence de Dieu qui embrasse le monde entier, ces plaies de l'Egypte, la diversité des bienfaits qu'il a répandus sur les Juifs dans le désert, tous les prodiges qu'il a opérés contre leurs ennemis, cette ineffable bonté l'enflamme, et il laisse s'échapper de son coeur cette glorification " Seigneur , votre nom subsistera éternellement, et le monument de votre gloire persistera à travers les générations; " c'est-à-dire, votre gloire n'est jamais interrompue; rien ne l'amoindrit , rien n'en suspend le cours; elle demeure toujours, à l'abri de tout changement, de toute conversion, florissante, vigoureuse. Que signifie maintenant: " Et le monument de votre gloire persistera à travers les générations? " Votre mémoire, dit-il, n'a pas de fin, n'a pas de limite. " Parce que le Seigneur jugera son peuple , et se laissera fléchir aux prières de ses serviteurs (14). " Ce qui peut se dire , soit en appliquant le tout au peuple de Dieu , à savoir que Dieu lui infligera des châtiments, et ensuite s'arrêtera et ranimera son peuple ; soit en faisant une division; il se laissera fléchir par son peuple, il jugera ses ennemis ; c'est-à-dire, les uns, il les ranimera: c'est ce que veut dire: " Il se laissera fléchir; " maintenant, il jugera, à savoir les ennemis de son peuple, c'est-à-dire, il leur infligera des châtiments.
7. Ensuite , ne pouvant pas raconter les oeuvres méritoires des Israélites, pour les justifier d'une certaine manière , il emploie ces mots de " peuple " et de " serviteurs. " Après avoir dit: " Il se laissera fléchir, " le Psalmiste montre que la réconciliation est un effet de sa clémence, et non de leurs mérites. Car, du moment qu'on se laisse fléchir c'est qu'il faut pardonner; c'est assez dire, que les actions méritoires manquent , et que le temps de la clémence est venu. Donc, après avoir dit: " Le monument de votre gloire persistera à travers les générations; " comme, à cette époque, les Israélites étaient le seul peuple qui reconnût le Seigneur, le Psalmiste ne veut dire que ceci: le salut de votre peuple est votre glorification au milieu des nations. La gloire propre à Dieu lui est assurée, même quand nul ne l'adore, et ne lui offre son culte; gloire inaltérable, impérissable, inaliénable. Quant à la glorification de Dieu au milieu des peuples, ce sera un effet de notre conservation , quand nous aurons recouvré notre cité, notre sainte demeure, notre temple; quand nous aurons été rendus à notre premier gouvernement. — " Les idoles des nations ne sont que de l'argent et de l’or, et les ouvrages de la main des hommes (15). "
Le Psalmiste a commencé par dire : "Notre-Seigneur est au-dessus de tous les dieux. " Cette expression semblait donner l'idée d'une excellence relative, accommodée à la faiblesse de l'esprit des auditeurs. Voyez maintenant comme il développe cette grandeur incomparable. Il a d'abord rappelé la puissance de Dieu, les merveilles du ciel, de la terre, des abîmes; les prodiges accomplis pour les Juifs, dans leur propre pays, sur la terre étrangère, contre leurs ennemis, au milieu des nations; ensuite il a rappelé la bonté de Dieu, son amour pour les hommes, sa sollicitude, sa sagesse, sa force; il a montré qu'il est le Dieu de l'univers, attentif aux besoins de tout l'univers; alors il raille, il tourne en ridicule la faiblesse des idoles, et, tout de suite, il les attaque par leur propre nature ; ou plutôt, leur seul nom lui fournit son premier reproche. Une idole en effet, qu'est-ce , qu'un objet sans force, méprisable, dont le nom seul révèle l'infirmité? De là, ces premières paroles : " Les idoles des nations ne sont que de l'argent et de l'or. " Premier reproche, Idoles; second reproche, matière inanimée ; troisième reproche, par cela même que ce sont des idoles, non-seulement elles sont d'elles-mêmes, faibles, viles, misérables, mais, en outre, ce sont des choses que les hommes ont faites. Voilà pourquoi il ajoute : Et les ouvrages de la "main des hommes; " ce qui est certes le plus grand reproche adressé à ceux qui les adorent. En effet, ces hommes, qui ont fait ces idoles, attendent leur propre salut de ce qui n'existerait pas sans eux. — " Elles ont une bouche, et elles ne parleront point; elles ont des yeux, et elles ne verront point; elles ont des oreilles, et elles n'entendront point; car il n'y a point d'esprit dans leur bouche; que ceux qui les font, leur deviennent semblables, et tous ceux aussi, qui se confient en elles (16, 18). "
Voyez-vous comme il insiste sur le ridicule, comme il démontre
la fraude; il arrive en effet souvent que les démons leur communiquent
le mouvement; le Psalmiste met à découvert la feinte et la
comédie; il montre (225) qu'il n'y a pas d'esprit dans leur bouche.
Et pourquoi le perfide démon ne fait-il, et ne dit-il rien sans
les idoles? Parce que ces idoles, à cause des types qu'elles représentent
, sont comme les colonnes du temple abominable de la fornication, de l'adultère
et de toutes les turpitudes humaines; la vue de ces simulacres est un moyen
de séduction que le démon emploie pour induire les hommes
à imiter les actions dont les idoles leur offrent les représentations
: voilà pourquoi, il est si assidu auprès de ces idoles qu'il
meut pour mieux tromper. Le Psalmiste les attaque encore par une autre
ironie : " Que ceux qui les font leur deviennent semblables. " Réfléchissez
en vous-mêmes, demandez-vous ce que sont ces dieux, s'il suffit,
pour prononcer une imprécation terrible, de demander qu'on leur
devienne semblable. Chez nous, il n'en est pas de même; c'est le
comble de la vertu la plus haute, c'est acquérir d'inestimables
biens, que de se faire, autant qu'il est possible, semblable à Dieu.
Chez les idolâtres, au contraire, tel est le tulle, tels sont les
dieux, que leur devenir semblable, c'est le dernier des malheurs que puisse
souhaiter l'imprécation. Donc, que ces dieux soient une matière
inanimée, l'ouvrage de ceux qui leur vouent un culte, des simulacres
informes, sans vie, dépourvus de tout sentiment, que ce soit la
plus terrible imprécation que de souhaiter qu'on leur devienne semblable;
toutes ces vérités montrent l'erreur profonde des idolâtres.
Après avoir mis en lumière la faiblesse, l'égarement,
la perversité des démons, la stupidité des fabricateurs
d'idoles, délivré de ces pensées, le Psalmiste conclut
en glorifiant le Seigneur; il ne raconte plus les oeuvres que Dieu a faites;
il les a suffisamment exposées. Mais, pour toutes les oeuvres qui,
sont reconnues de tous, il réclame le tribut d'éloges, dû
par ceux qui jouissent des divins bienfaits; il les appelle donc à
glorifier Dieu; il fait entendre ces paroles : " Maison d'Israël bénissez
le Seigneur; maison d'Aaron, bénissez le Seigneur (19) ; maison
de Lévi, bénissez le Seigneur; vous qui craignez le Seigneur,
bénissez le Seigneur (20) ; que le Seigneur soit béni de
Sion, lui qui habite dans Jérusalem (21). " Pourquoi n'appelle-t-il
pas tout le peuple à la fois? Pourquoi fait-il une division? C'est
pour vous apprendre la grande différence qui distingue les bénédictions.
En effet, autre est la bénédiction du prêtre, autre
est la bénédiction du lévite; autre est la bénédiction
du laïque, autre est la bénédiction qui vient du peuple
entier. Quant à cette expression, " Bénissez, " elle a pour
but de montrer quelle est cette nature bienheureuse et sans mélange.
" Bénissez, " en effet, cela veut dire, parce que vous êtes
affranchis de vos ennemis; parce que vous avez été jugés
dignes d'adorer un tel Dieu; parce que vous avez reconnu la vérité.
Dieu, en effet, est de lui-même, béni; il porte en lui la
bénédiction; il n'a besoin d'aucune louange; et pourtant,
vous, de votre côté, bénissez-le; non pas que votre
bénédiction ajoute quelque chose à ce qu'il a en lui,
mais c'est que, vous-mêmes, vous retirerez, de cette bénédiction,
un fruit précieux; quoiqu'il soit de sa nature essentiellement béni,
ce qui est de toute certitude, il veut pourtant, il veut, de plus, être
béni par nous. Maintenant le Psalmiste nomme encore Sion et Jérusalem.
C'est que le gouvernement des Juifs y résidait; c'était là
que leur culte avait ses fondements; c'était là qu'ils puisaient
l'enseignement et la sagesse; et le Psalmiste veut rendre ces lieux vénérables,
magnifiques, en y attachant le nom même de Dieu, afin que la vénération
dont ces lieux seraient l'objet, augmentât le désir de s'y
porter; que ce désir croissant y attirât plus de peuple; que
le peuple, attiré en plus grand nombre, imprimât plus profondément
dans son âme le culte de Dieu; que ce culte plus profondément
imprimé, produisît un accroissement de cette vertu pour laquelle
toutes choses ont été faites. On disait alors: Jérusalem
et Sion; nous disons aujourd'hui : le ciel, et ce qui est dans le ciel.
C'est donc là, je vous en conjure, qu'il nous faut attacher, afin
d'obtenir les biens de la vie future, par la grâce et par la miséricorde
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire,
dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
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