HOMÉLIE VII. EMPRESSONS-NOUS DONC D'ENTRER DANS CE REPOS, DE
PEUR QUE QUELQU'UN DE NOUS NÉ TOMBE DANS UNE DÉSOBÉISSANCE
SEMBLABLE A CELLE DE CES INCRÉDULES. CAR ELLE EST VIVANTE ET EFFICACE
LA PAROLE DE DIEU; ELLE PERCE PLUS QU'UNE ÉPÉE A DEUX TRANCHANTS;
ELLE PÉNÈTRE JUSQUE DANS LES REPLIS DE LAME ET DE L'ESPRIT,
JUSQUE DANS LES JOINTURES ET DANS LA MOELLE DES OS; ELLE DÉMÊLE
LES PENSÉES ET LES MOUVEMENTS DU CŒUR. NULLE CRÉATURE NE
LUI EST CACHÉE, CAR TOUT EST A NU ET A DÉCOUVERT DEVANT LES
YEUX DE CELUI AUQUEL NOUS PARLONS. (IV, 41, 42, 13, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.)
Analyse.
1. Combien la toi est salutaire. — Dangers de l'incrédulité. — Rien n'échappe à l'eeil de Dieu.
2: Images énergiques et terribles employées par saint Paul pour peindre la puissance de la parole divine.
3. La miséricorde de Dieu est une munificence royale. — Les vieillards doivent, comme les jeunes gens, courir dans la carrière de la vertu. — Vices des vieillards contemporains de Chrysostome.
4. La vieillesse est honorable par elle-même.
1. La foi est une vertu grande et salutaire; sans elle, nous ne pouvons être sauvés. Mais la foi ne suffit pas, il faut encore mener une vie pure. Voilà pourquoi Paul, s'adressant à ces hommes initiés aux mystères du Christ, leur parle en ces termes . « Empressons-nous d'entrer dans son repos». — «Empressons-nous», dit-il, « appliquons-nous ». La foi ne suffit pas, il faut y joindre une vie pure et un zèle ardent. Car il faut avoir un zèle véritable et ardent pour monter au ciel. Si des hommes qui avaient enduré dans le désert tant de souffrances et de calamités n'ont -pas été jugés dignes d'entrer dans la terre promise et n'ont pu atteindre cette terre, parce qu'ils s'étaient livrés à la fornication, comment serions-nous jugés dignes du ciel, nous qui menons une vie inconsidérée; lâche et inactive? Il faut donc avoir beaucoup de zèle. Mais remarquez que, selon lui, la punition du pécheur ne consiste pas uniquement à ne pas entrer dans le repos de Dieu. Il ne s'est pas borné à dire: Efforçons-nous d'entrer dans ce repos, pour ne pas nous voir privés de si grands biens. Il a ajouté quelque chose qui est bien capable d'éveiller nos esprits. Qu'a-t-il donc ajouté? Il a continué en ces; termes : « De peur « que quelqu'un De tombe dans une désobéissance semblable à celle de ces incrédules » , ce qui veut dire que nous devons nous appliquer, nous arranger de manière à ne pas tomber, comme, eux. Il nous donne là un exemple, de l'incrédulité humaine. Ne tombons pas où ils sont tombés, dit-il. Mais n'allez pas vous appuyer sur ces mots pour croire que Dieu. se bornera à vous punir, comme il les a punis; écoutez ce que l'apôtre ajoute : « La parole de Dieu est vivante et efficace; elle perce plus qu'une épée à deux tranchants; elle pénètre jusque dans les replis de l'âme et de l'esprit, jusque dans les articulations, jusque dans la moelle des os; elle démêle les pensées et les mouvements du coeur ». Il montre ici la puissance de cette parole de Dieu toujours vivante et immortelle. Ce n'est pas une simple parole, ne le croyez pas, ne vous bornez pas à ce mot : Cette parole est plus perçante qu'un glaive.- Voyez comme il poursuit, et apprenez ici pourquoi les prophètes ont été obligés de parler du glaive, de l'arc et de l'épée de Dieu. « Si vous ne vous convertissez pas » , dit le Psalmiste, « il dirigera contre vous son glaive; son arc est déjà tendu ; son arc est déjà prêt ». (Ps. VII, 13.)
Si aujourd'hui, après tant d'années, lorsque tant d'événements se sont accomplis, il ne suffit pas à l'apôtre de ce seul mot, la parole de Dieu, pour frapper son auditoire, s'il a besoin de tout cet attirail d'expressions, pour montrer par la compas raison combien la parole de Dieu est puissante, cela était nécessaire à plus forte raison, au temps des prophètes. « Pénétrant jusque dans les replis, de l'âme et de l'esprit ». Que signifient ces mots? Quelque chose de terrible. L'apôtre nous montre la parole de Dieu séparant l'âme de l'esprit ou pénétrant même les substances immatérielles, et ne se bornant pas à percer les corps, comme le glaive. Il montre ici la punition de l'âme, la parole de Dieu qui en fouille les profondeurs et qui pénètre l'homme tout entier. « Elle démêle les pensées et les mouvements du coeur, et nulle créature ne lui est cachée ».. C'est par là surtout qu'il les épouvante. Vous avez beau avoir la foi, leur dit-il, si cette foi n'est pas accompagnée d'une persuasion pleine et entière , ne soyez pas. pleinement rassurés. Dieu jugera ce que vous avez dans le coeur ; car c'est jusque-là qu'il pénètre, pour vous examiner et vous punir. Et pourquoi parler des hommes? Passez en revue les anges, les archanges , les chérubins, les séraphins, les (483) créatures quelles qu'elles soient, tout, pour l'oeil de Dieu, est à découvert, tout est clair et manifeste pour lui, rien ne peut lui échapper. « Tout est à nu et dépouillé devant les yeux de Celui dont nous parlons». Ce mot « dépouillé » est une métaphore tirée des victimes écorchées. Quand un sacrificateur, après avoir égorgé la victime, sépare la peau de la chair, il met à nu les moindres fibres qui apparaissent alors à nos yeux : c'est ainsi que, sous l'œil de Dieu, apparaissent clairement et dans un jour complet, les moindres fibres de notre âme. Voyez comme saint Paul a toujours besoin de recourir à des images matérielles; c'est que ses auditeurs étaient faibles d'esprit. Ce qui. prouve cette faiblesse, c'est qu'il les traite quelque part d'êtres maladifs, auxquels il faut,du lait, auxquels il. ne faut pas une nourriture solide. « Tout est nu et dépouillé », dit-il, « aux yeux de Celui « duquel nous parlons».
Mais que signifient ces mots : « Dans une désobéissance semblable à celle de ces incrédules? » lis ont pour but de répondre à ceux qui demanderaient pourquoi ces hommes n'ont point vu la terre promise. Ils avaient reçu un gage de la puissance de Dieu et, au lieu de croire en lui, ils ont cédé à la crainte, et, sans que Dieu leur donnât aucun avis qui pût, les effrayer, ils ont péri victimes de leur pusillanimité et de leur découragement. On peut dire encore qu'après avoir fait la plus grande partie du chemin, sur le seuil même de la terre promise, en arrivant au port, ils ont sombré. Voilà ce que je crains pour vous, dit l'apôtre, et tel est le sens de ces paroles : « Dans une à désobéissance semblable à celle de ces incrédules », car eux aussi ils ont beaucoup souffert, et c'est ce qui est attesté par saint Paul , quand il dit : « Souvenez-vous de ces anciens jours où vous avez été éclairés par les combats que vous avez eu à soutenir contre la souffrance». (Hébr. X, 32.) Loin de nous donc la pusillanimité et l'abattement! Ne perdons pas courage à la fin de la lutte. il y a des athlètes en effet qui sont tout feu et tout flamme, en commençant le combat, et qui, pour n'avoir pas voulu faire encore quelques efforts, ont tout perdu. L'exemple de vos pères, dit. saint Paul, suffit pour vous instruire et pour vous empêcher de souffrir ce qu'ils ont souffert eux-mêmes. Voilà ce que veulent dire ces mots: « Ne tombez pas dans une désobéissance semblable à celle de ces incrédules ». Ne nous relâchons pas, dit l'apôtre, ne perdons pas nos forces. Et c'est ce qu'il dit encore en terminant: «Relevez vos mains languissantes et fortifiez vos genoux affaiblis ». (Hébreux, XII, 12.) « Il ne faut pas», dit-il, « que vous tombiez dans une désobéissance semblable à celle de ces incrédules ». C'est là en effet une chute bien réelle. Puis, pour que vous ne vous attendiez pas à subir seulement, comme peine de cette chute, le même genre de mort qu'eux, voyez ce qu'il ajoute : « La parole de Dieu est vivante et efficace; elle est plus perçante qu'un glaive à deux tranchants».
Oui : la parole de Dieu est le mieux affilé de tous les glaives; elle perce les âmes; elle leur porte des coups mortels et leur fait de mortelles blessures. Ce qu'il dit là, il n'est pas nécessaire qu'il le démontre, qu'il le prouve et qu'il l'établisse; l'exemple qu'il cite en dit assez. A quelle guerre en effet, sous quel glaive ont-ils succombé ? Ne sont-ils pas tombés d'eux-mêmes ? Si nous n'avons pas souffert autant qu'eux, ne soyons pas exempts de crainte : tant que nous pouvons dire « aujourd'hui » , relevons-nous et réparons nôs forces. Après avoir ainsi parlé, de peur que ses auditeurs, en apprenant ces châtiments de l'âme, ne restent froids et languissants, il ajoute à ces châtiments des peines corporelles, en faisant entendre que Dieu, armé du glaive spirituel de sa parole, fait comme un souverain qui punit ses officiers coupables de quelque grande faute. Il leur ôte le droit de servir dans ses armées, il leur ôte leur ceinturon et leur grade, et les condamne à une peine proclamée par la voix du crieur public. Puis, à propos du Fils, il laisse tomber ces mots terribles : « Celui auquel nous parlons» : c'est-à-dire, celui auquel nous devons rendre compte. Ainsi ne nous laissons pas abattre, ne nous décourageons pas. Ce qu'il a dit suffisait bien pour nous instruire; mais pour lui, ce n'est point assez et il ajoute : « Nous avons un grand pontife qui est monté au plus haut du ciel : c'est Jésus, Fils de Dieu (14) ».
2. Il veut par là soutenir notre courage et voilà pourquoi il ajoute : « Le pontife que nous avons n'est pas tel qu'il ne puisse compatir à nos faiblesses ». C'est encore pour cela qu'il disait plus haut : Par cela même qu'il a souffert et qu'il a été mis à l'épreuve, il est à même de secourir ceux qui sont éprouvés. Vous voyez qu'il a toujours le même but. Ce qu'il dit là revient à dire : La voie dans laquelle il était entré était encore plus rude que la nôtre; car il a fait l'expérience de toutes les misères humaines. Il avait dit: « Nulle créature ne lui est cachée », pour faire allusion à sa divinité. Mais, lorsqu'il arrive à l'Incarnation, il prend un langage plus modeste et plus humble. « Nous avons », dit-il, « un grand pontife qui est monté au plus haut du ciel», et il montre sa sollicitude pour défendre et protéger les siens, pour les préserver de toute chute. Moise, dit-il, n'est pas entré dans le repos de Dieu; mais lui, il y est entré, et comment? Je vais vous le dire. Que l'apôtre n'ait tenu hautement dans aucun passage, le langage que je lui prête, il n'y a rien d'étonnant à cela. c'est pour qu'ils ne croient pas avoir trouvé dans l'exemple de Moïse un moyen de défense, qu'il attaque indirectement Moïse lui-même; c'est pour ne pas avoir l'air de l'accuser, qu'il ne dit pas tout cela ouvertement. Car si, malgré sa discrétion, ils lui reprochaient de parler contre Moïse et contre la loi, ils se seraient récriés bien davantage, s'il -avait dit: Le lieu de repos dont je parle ce n'est pas la Palestine, c'est le ciel. Mais il ne se repose pas entièrement du soin de notre salut sur le pontife; il veut aussi que nous agissions de notre côté : il veut que nous demeurions fermes dans la foi dont nous avons fait profession. «Ayant», dit-il, «pour grand pontife, Jésus le Fils de Dieu, qui est monté au plus haut des cieux , demeurons fermes dans la foi dont nous avons fait profession ».
Qu'entend-il par- là? Il veut dire que nous devons croire fermement à la résurrection, à la (484) rémunération, aux biens innombrables que Dieu nous promet, à la divinité du Christ, à la vérité de notre foi: voilà les croyances dans lesquelles nous devons rester fermes. Ce qui prouvé d'une manière évidente que la vérité est là; c'est le caractère de notre pontife. Nous ne sommes pas encore tombés; restons fermes dans notre foi quand les événements prédits né seraient pas encore arrivés, restons fermes dans nos croyances : s'ils étaient déjà arrivés, ce serait un' démenti donné aux livres saints. S'ils tardent à s'accomplir, cela prouve encore que les livres saints disent la vérité. Car notre pontife est grand. — « Notre pontife n'est pas tel qu'il ne puisse compatir à nos faiblesses ». Il ne peut pas ignorer notre situation, comme tant de pontifes qui ne savent pas quels sont ceux qui sont dans l'affliction, qui ne savent pas ce que c'est que l'affliction. Car; chez nous autres hommes, il est impossible que l'on connaisse les tribulations de celui qui est persécuté, si l'on n'a pas fait soi-même l'épreuve du malheur, si l'on n'a pas souffert. Notre pontife à nous a tout souffert. Il a souffert, il est monté aux cieux; pour compatir à nos douleurs: « Il à éprouvé, comme nous, toutes sortes de tentations, hormis le péché». Voyez comme il revient sur ce mot « comme nous »; c'est-à-dire qu'il a été persécuté, conspué, accusé, tourné en ridicule, attaqué par la calomnie, chassé et enfin crucifié. « Il a souffert, comme nous, toutes sortes de tentations, hormis le péché ». Il y a encore ici une chose qu'il fait entendre, c'est que les souffrances ne sont pas incompatibles avec l'innocence, et que sans péché on peut souffrir. C'est pourquoi quand il dit « en prenant un corps semblable au nôtre », l'apôtre ne veut pas dire que cette ressemblance fût absolue, il a voulu seulement parler de l'Incarnation. Pourquoi donc ces mots : « Comme nous ? » Il a voulu faire allusion à la faiblesse de la chair, il s'était fait homme « comme nous», matériellement par là; mais, en ce qui concerne le péché, sa nature n'était pas la nôtre. « Allons donc nous présenter avec confiance devant le trône de la grâce, afin d'y recevoir miséricorde et d'y trouver le secours de sa grâce, dans nos besoins (16) ». Quel est ce trône de la grâce? C'est ce trône royal dont il est dit : «Le Seigneur a dit, à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied». (Ps.CIX, 1.) C'est comme s'il disait : Marchons avec confiance, puisque nous avons un pontife exempt de péché, qui a vaincu le monde. «Ayez confiance », dit-il, « j'ai vaincu le monde » (Jean , XVI, 33); ce qui veut dire qu'il connu toutes les souffrances, sans connaître le péché. Mais si nous sommes soumis au péché et s'il en est affranchi, comment ferons-nous pour nous présenter avec confiance? C'est qu'il s'agit ici du trône de la grâce et non du tribunal suprême.
« Approchons donc avec confiance » , dit-il , « pour recevoir cette miséricorde que nous demandons». Cette miséricorde est de la munificence ; c'est un don royal: « Et afin d'y trouver le secours de sa grâce, quand nous le demanderons à propos ». Il a raison de dire: « Quand nous le demanderons à propos». Approchez-vous de lui maintenant; il vous fera grâce et miséricorde, parce que vous arriverez à temps. Mais si, vous vous présentez aujourd’hui, c'est inutilement; votre arrivée est inopportune; vous ne pouvez plus vous présenter devant le trône de la grâce. Vous pouvez comparaître devant ce trône, tante qu'il est occupé par le souverain dispensateur des grâces, mais une fois que les temps sont accomplis, voilà votre juge qui se dresse devant vous ! « Levez-vous, mon Dieu », dit le Psalmiste, « et venez juger la terre ». Psaume, LXXXI, 8) Disons encore avec l'apôtre : « Approchons-nous avec confiance », c'est-à-dire , sans avoir de reproche à nous faire, sans hésitation; car celui qui a quelque chose à se reprocher, ne peut pas se présenter avec confiance. C'est pourquoi il est dit ailleurs : « J'ai exaucé votre prière faite en temps opportun, et je vous ai secouru au jour du salut ». (Isaïe, XLIX, 8.) En effet, si ceux qui pèchent, après avoir reçu le baptême, ont la ressource de la pénitence, c'est là un don de la grâce : ne croyez point, parce que vous avez entendu dire que Jésus est un pontife, qu'il reste debout ; saint Paul dit qu'il est assis, quoique le prêtre ordinairement ne soit pas assis, mais se tienne debout. Vous voyez que, s'il a été fait pontife, ce n'est pas là un don de la nature, mais un don de la grâce, un effet de son abaissement volontaire et de son humilité. Disons, il en est temps encore : Approchons-nous de lui avec confiance et demandons. Nous n'avons qu’à lui offrir notre foi; il nous accordera tout. Voici le moment des libéralités; qu'on ne désespère pas de soi-même. Il sera temps de désespérer, quand la salle sera fermée, quand le roi sera entré pour voir ceux qui sont assis au festin, quand les patriarches auront reçu dans leur sein ceux qui en sont dignes. Mais aujourd'hui ce n'est pas l'heure du désespoir. Le théâtre est encore là; c'est encore le moment du combat la palme est encore incertaine.
3. Hâtons-nous donc. C'est Paul qui nous le dit: «Pour moi, je ne cours pas au hasard .. (I Cor, IX, 26.) Il faut courir et courir, avec ardeur. Quand on court, on ne fait pas attention aux objets environnants, aux prés dans lesquels on entre, aux chemins arides et âpres que l'on traversez. Quand on court, on ne voit pas les spectateurs, on ne voit que le prix. Qu'on ait autour de soi des riches ou des pauvres, qu'on soit en butte aux moqueries ou qu'on reçoive des éloges, qu'on vous adresse des outrages, qu'on vous lance des pierres, qu'on pille votre maison, qu'on voie devant soi ses fils, son épousé, n'importe quoi, on n'est pas distrait, à cette vue ; on ne fait attention qu'à une chose, à courir, à remporter le prix. Quand on court, on ne s'arrête pas, car la moindre lenteur, la moindre halte peut vous faire perdre tout le fruit de vos efforts. Quand on court, on ne se ralentit pas avant d'arriver au but ; que dis-je? C'est quand on est près du but qu'on redouble d'ardeur. Ce que j'en dis s'adresse à ceux qui répètent : Nous nous sommes exercés dans notre (485) jeunesse; nous avons jeûné dans notre jeunesse; aujourd'hui, nous voilà vieux !... Ah ! c'est alors surtout qu'il faut redoubler de piété. Ne racontez pas en détail vos bonnes actions. Voici le moment de vous montrer jeune et vigoureux, comme si vous étiez dans: la fleur de l'âge. Les athlètes qui disputent le prix de la course, quand la vieillesse chenue vient à les glacer, ne sont plus agiles, mais leur vigueur à eux n'est autre chose qu'une vigueur physique.
Mais vous; pourquoi ralentir votre course? Ce qu'il faut ici; c'est la vigueur de l'âme, la vigueur d'une âme toujours éveillée. Or c'est dans la vieillesse que l'âme, se fortifie; c'est alors qu'elle a le plus de vigueur; c'est alors qu'elle s'élance. Le corps a beau être fort et robuste ; tant qu'il est en proie aux fièvres, aux assauts fréquents et successifs de la maladie, les maladies minent ses forces ; mais il les recouvre, quand il est délivré des maladies qui l'assiégent. Il en est de même de l'âme. Tant que dure la jeunesse, elle a la fièvre, elle est en proie à l'amour de la gloire et des plaisirs et à une foule d'autres affections. Mais la vieillesse, en arrivant, chasse tous ces penchants matériels ; ses remèdes pour nous en guérir, sont le temps et la philosophie. En détendant les ressorts de la matière, la vieillesse ne permet pas à l'âme de s'en servir; quand même elle le voudrait; mais, comme si elle domptait ses ennemis de tout genre, elle l'élève à des hauteurs que le tumulte dès passions ne peut atteindre, elle lui donne un calme profond et lui inspire surtout une terreur salutaire. Mieux que personne en- effet les vieillards savent qu'ils doivent mourir et qu'ils sont tout près de la mort. Lors donc que les passions et que les désirs mondains s'éloignent, quand on attend à chaque instant l'heure du jugement, quand cette attente triomphe de notre obstination et de notre désobéissance, comment l'âme, pour peu qu'elle soit bien disposée, ne deviendrait-elle pas plus attentive? Mais quoi? me direz-vous, ne trouve-t-on pas des vieillards plus corrompus que des jeunes gens? Vous considérez ici le vice à ses dernières limites. Ne voyons-nous pas aussi des fous furieux qui d'eux-mêmes vont se jeter dans un précipice ? Quand donc un vieillard a les maladies de la jeunesse , c'est un grand mal : un vieillard de cette espèce ne peut pas donner son âge pour excuse; il ne peut pas dire : « Ne vous souvenez plus des fautes et de l'étourderie de ma jeunesse ». (Ps. XXIV, 1.) Car celui qui, dans sa vieillesse, ne change pas, montre que les fautes de sa jeunesse ,viennent, non de, l'ignorance, non de l'inexpérience, non l'âge, mais d'un défaut de coeur. Pour avoir, le droit de dire : « Ne vous souvenez plus des fautes de ma jeunesse et de mon inexpérience », il faut se conduire comme un vieilard doit le faire, il faut que là vieillesse nous change: Mais si, dans notre vieillesse, notre conduite est toujours aussi honteuse, aussi déshonorante, méritons-nous le nom de vieillards, alors que nous ne respectons pas notre âge? Lorsqu'on dit: « Ne vous souvenez pas des fautes de ma jeunesse et de mon étourderie », on parle en vieillard honnête.
Ne perdez. donc point l'occasion que: vous offre votre vieillesse de faire excuser les fautes de votre jeune âge. N'est-elle pas absurde et inexcusable la conduite de ce vieillard qui s'enivre, qui hante les cabarets, qui va voir les courses, qui monte, sur un théâtre, qui court avec la foule, comme un enfant? C'est grande honte et c’est chose bien ridicule d'avoir des cheveux blancs sur la tête, et la légèreté de l'enfance dans le coeur. Si la jeunesse vous outrage, vous parlez aussitôt de vos cheveux blancs: Soyez donc le premier à les respecter: Si vous ne les respectez pas, vous; vieillard, comment voulez-vous que la jeunesse les respecte? Loin de les respecter, vous les couvrez d'opprobre et d'ignominie. Dieu, en vous donnant cette couronne de cheveux blancs, a mis sur` votre front un diadème. Pourquoi méconnaître cet honneur? Comment voulez-vous que la jeunesse vous respecte, quand vous êtes encore plus dissipé, encore plus débauché que. les Jeunes gens? Les cheveux blancs sont respectables , quand celui qui les porte fait ce qu'ils commandent; mais quand le vieillard se conduit en jeune homme, il est, avec ses cheveux blancs, plus ridicule que lui. Comment oserez-vous donner des avis à la jeunesse, vous antres vieillards ivres et dissolus? Ce que j'en dis n'est pas pour accuser tous les vieillards, Dieu m'en garde! je n'accuse ici que le vieillard qui agit en jeune homme. Ceux qui agissent ainsi ;en effet, fussent-ils centenaires, ne sont à mes yeux que des jeunes, gens, de même que les jeunes gens, quand ils seraient tout jeunes, valent mieux, selon. moi, que des vieillards, quand ces jeunes gens ont la modestie et la tempérance en pariage. Et ce que je dis là n'est pas de moi; c'est l'Ecriture qui établit cette distinction . « Ce qui rend la vieillesse respectable », dit-elle, « ce n'est pas le nombre des années, le grand âge; c'est un grand nombre d'années passées dans la vertu ». (Livre de la Sagesse, IV, 9.)
4. Honneur aux cheveux blancs, non que nous ayons une prédilection pour cette couleur, mais parce que c'est la couleur de la vertu, et parce que, cet extérieur vénérable nous fait conjecturer que l'homme intérieur a aussi des cheveux blancs ! Mais un vieillard qui donné à ses cheveux blancs un démenti par sa conduite, n'en est que plus ridicule. Pourquoi honorons-nous la royauté, la pourpre, le diadème ? C'est que ce sont là les emblèmes du commandement. Mais que ce roi vêtu de pourpre vienne à être conspué, foulé aux pieds par ses satellites, saisi à la gorge, jeté en prison et déchiré, respecterons-nous encore cette pourpre et ce diadème, et ne plaindrons-nous pas cette majesté outragée? N'exigez donc pas qu'on respecte vos cheveux blancs, quand vous les outragez vous-même; c'est vous rendre coupable envers eux que d'avilir une parure si imposante et si précieuse. Mes reproches ne s'adressent pas à tous les vieillards, et ce n'est pas la vieillesse en général que j'attaque; je ne suis point assez insensé pour cela; je m'en prends à ce caractère juvénil qui déshonore la vieillesse; j'adresse ces paroles amères non pas aux vieillards, mais à ceux qui (486) déshonorent leurs cheveux blancs. Un vieillard est roi, s'il le veut; il est plus roi que le souverain revêtu de la pourpre, s'il commande à ses passions, s'il foule aux pieds les vices, comme de vils satellites. Mais s'il se laisse entraîner, s'il se dégrade, s'il se rend l'esclave de l'avarice, de l'amour, de la vanité, des raffinements de la mollesse, du vin, de la colère et dès plaisirs, s'il se parfume les cheveux, si de gaieté de coeur il fait lui-même injure à sa vieillesse, quel châtiment ne mérite-t-il pas? Quant à vous, jeunes gens, n'imitez pas les vices de ces vieillards; vous n'êtes pas excusables non plus, quand vous vous égarez. Pourquoi? C'est que dans la jeunesse on peut être mûr, et s'il y a des vieillards toujours jeunes, il y a des jeunes gens déjà vieux. Les cheveux blancs ne sont pas toujours un préservatif; mais les cheveux noirs ne sont pas un obstacle. Les vices que j'ai signalés sont plus honteux chez un vieillard que chez un jeune homme, sans que, pour cela, le jeune homme vicieux soit complètement à l'abri du blâme. La jeunesse n'est une excuse que lorsque le jeune homme est appelé au maniement des affaires. Dans ce cas son jeune âge et son inexpérience peuvent lui faire pardonner son' inhabileté. Mais faut-il déployer une sagesse virile, faut-il triompher de l'avarice, le jeune âge n'est plus, une excuse. Il y a des cas en effet ou la jeunesse est plus répréhensible que la vieillesse. Le vieillard affaibli par l'âge a grand besoin de se ménages ; mais le jeune homme qui peut, s'il le veut, se suffire à lui-même, est-il excusable de se montrer plus rapace qu'un vieillard , d'avoir plus de rancune que lui, de se montrer négligent, de ne pas être plus prompt que le vieillard à protéger les faibles, de parler sans cesse à tort et à travers, d'avoir l'injure, et la médisance à la bouche, de se livrer à l'ivrognerie? S'il croit qu'on doit lui passer toute espèce de contravention aux lois de la tempérance et de la continence , il faut remarquer qu'il a de bons moyens d'observer aussi ces deux vertus. En admettant que les désirs et les passions aient plus d'empire sur lui que sur le vieillard, on doit pourtant convenir qu'il a, pour leur résister, plus de moyens, et qu'il peut, comme par magie, endormir le monstre. Ses moyens sont les travaux, la lecture, les veilles et le jeûnez Nous ne sommes pas des moines, m'objecterez-vous , pourquoi nous tenir ce langage? Eh bien! adressez cette objection à Paul, quand il vous dit.: « Persévérez et veillez dans la prière ». (Coloss. IV, 2.) « Ne cherchez point à contenter votre sensualité, en satisfaisant vos désirs ».(Rom. XIII,14.) Ses avis en effet ne s'appliquent pas seulement aux moines, mais aux habitants des villes. Un homme du monde en effet ne doit avoir sur le moine qu'un seul avantage : celui de pouvoir cohabiter avec une épousé légitime. Il a ce droit-là, mais du reste, il a les mêmes devoirs à remplir que le moine. La béatitude dont le Christ a parlé n'est pas le privilège des moines; autrement le monde aurait péri et nous accuserions Dieu de cruauté. Si la béatitude n'est faite que pour le moine, si l'homme du monde ne peut y atteindre, et si Dieu lui-même a permis le mariage, c'est Dieu qui nous a tous perdus.. Si en effet on ne peut, quand on est marié, remplir les devoirs des moines, tout est perdu et la vertu est réduite aux: dernières extrémités. Comment donc serait-ce chose honorable crue le mariage, quand il devient pour nous un si grand obstacle? Que faut-il conclure? Il faut dire qu'il est possible et très-possible, quand on est marié, de suivre le chemin de la vertu, et de la pratiquer si l'on veut. Ayons une femme; mais soyons comme si nous n'en avions pas; ne nous enivrons pas de nos richesses; usons du monde, sans en abuser. (I Cor. VII, 31.) Si pour certains hommes le mariage est un obstacle, ça n'est pas la faute du mariage, qu'ils le sachent, bien; c'est la faute de leur volonté qui leur a fait abuser du mariage. Ce n'est pas non plus la faute du vin, si l'ivresse arrive, c'est la faute de nos goûts dépravés et, de l'abus de cette liqueur. Usez avec modération du mariage, et vous occuperez la première place dans le royaume des cieux, et vous jouirez de tous les biens. Puissions-nous tous des obtenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur. Jésus-Christ auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur, etc.
HOMÉLIE VIII. CAR TOUT PONTIFE, ÉTANT PRIS D'ENTRE LES
HOMMES, EST ÉTABLI POUR LES HOMMES, EN CE QUI REGARDE LE CULTE DE
DIEU, AFIN QU'IL OFFRE DES DONS ET DES SACRIFICES POUR LES PÉCHÉS,
ET QU'IL PUISSE ÊTRE TOUCHE, DUNE . JUSTE COMPASSION POUR. CEUX QUI
PÉCHENT PAR IGNORANCE ET PAR ERREUR, COMME ÉTANT LUI-MÊME
ENVIRONNÉ DE FAIBLESSE. ET C'EST CE QUI L'OBLIGE A OFFRIR LE SACRIFICE
DE L'EXPIATION DES PÉCHÉS AUSSI BIEN POUR LUI-MÊME
QUE POUR LE PEUPLE. (V, 1, 2, 3, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.
Analyse.
1, 2. Sacerdoce du Christ.
3. Saint Paul reproche aux Hébreux la faiblesse de leur intelligence.
4. Comment peut-on s'habituer à discerner l'erreur de la vérité.
— Devoir du lecteur dans l'église.
1. Saint Paul s'attache maintenant à démontrer combien le Nouveau Testament est préférable à l'Ancien, combien il lui est supérieur, et il commence par exposer les raisons sur lesquelles il se fonde. Sous la loi nouvelle, rien ne parle aux sens, il n'y a pas de représentation matérielle . point (487) de temple, point de saint des saints, point de prêtre revêtu de l'appareil sacerdotal, point de cérémonies légales; tout est plus élevé, tout est plus parfait. Rien pour le corps; tout pour l'esprit. Or, ce qui est du ressort de l'esprit ne frappe pas les âmes. faibles comme ce qui parle"aux sens; voilà pourquoi l'apôtre tourne et retourne son sujet de mille manières. Voyez combien il est habile. Il nous représente d'abord le Christ comme prêtre, il ne cesse de lui donner le nom de pontife; et il part de là pour nous montrer combien il différé des autres pontifes. Il donne la définition du. prêtre , il nous montre les caractères et les symboles du sacerdoce réunis dans la personne du Christ. Ce. qu'on pouvait lui objecter, ce qui lui faisait obstacle, c'est qu'il n'était ni d'une haute naissance, ni d'une tribu sacerdotale, ni revêtu d'un sacerdoce terrestre. On pouvait donc craindre d'entendre sortir de quelques bouches cette question : Comment se fait-il qu'il soit prêtre? Eh bien ! Paul procède ici comme dans l'épître aux Romains. (Rom. IV.) Il s'était chargé de soutenir une thèse difficile;.il fallait prouver que la foi opère des effets que n'ont pu opérer la loi, ni, toutes les peines et tous les travaux qu'elle imposait. Pour montrer que cet effet d'est produit et qu'il pouvait se produire, il a recours à l'exemple des patriarches et il remonte aux temps anciens. C'est ainsi ! qu'il entre dans la seconde voie suivie par le sacerdoce, en citant d'abord les anciens pontifes. De même qu'à propos des peines infligées aux méchants, Il a cité .à ses auditeurs non-seulement la géhenne, mais encore l'exemple de leurs pères; de même ici il commence par leur rappeler les faits présents à leur mémoire. Au lieu de leur montrer le ciel, pour les faire croire aux choses terrestres, il fait le contraire, en considération de leur faiblesse. Il expose d'abord les points de contact que le Christ peut avoir avec les autres pontifes, pour montrer ensuite la supériorité qu'il a sur eux. La comparaison est donc à l'avantage du Christ; puisque sous certains rapports, il y a ressemblance et. affinité entré eux et lui, tandis que sous d'autres points de vue, il leur est supérieur. Autrement, à quoi aboutirait cette comparaison?
«Tout pontife pris d'entre-les hommes ». Voilà une condition qui se rencontre dans le Christ, comme dans les autres. « Est établi pour les hommes, en ce qui tient au culte de Dieu». Même observation. « Afin qu'il offre des dons et des sacrifices pour le peuple ». Cela est encore; jusqu'à un certain point, commun au Christ et aux autres. Mais il n'en est pas ainsi du reste: «Afin qu'il puisse étire touché de compassion pour ceux qui sont dans l'ignorance et terreur». Voilà déjà un avantage que le Christ a sur les autres pontifes. « Comme étant lui-même environné de faiblesse, et c'est ce qui l'oblige à offrir le sacrifice de l'expiation des péchés, aussi bien pour lui-même que pour « le peuple».Puis il ajoute: Il a reçu le pontificat, mais-il ne s'est pas fait lui-même pontife. Il a encore cela de Commun avec lies, autres pontifes. « Nul ne s'est attribué à soi-même cet honneur; mais il faut y être appelé de Dieu comme Aaron,(4) ». Ici c'est autre chose qu'il s'applique à démontrer, il fait voir que le Christ est l'envoyé de Dieu. C'est ce que le Christ ne cessait de dire, en conversant avec les juifs : «Celui qui m'a envoyé est plus grand que, moi». (Jean VIII, 42.) Et ailleurs : « Je ne suis pas venu dé moi-même ». Selon moi, ces paroles font allusion aux pontifes juifs qui envahissaient le sacerdoce au mépris de la loi. « Ainsi Jésus-Christ ne s'est pas élevé de lui-même à la dignité de souverain pontife (5) ».Quand donc a-t-il été institué et ordonné pontife? Aaron, .en effet, a été souvent institué et ordonné pontife, par la verge, par le feu du ciel, qui consuma ceux qui voulaient lui ravir le sacerdoce. ici, rien de pareil : non-seulement il n'est pas arrivé malheur aux faux pontifes, mais ils sont en bonne odeur. Comment donc saint Paul. prouve-t-il l'ordination de Jésus-Christ? Par les prophéties. Son pontificat n'a rien de matériel et ne tombe pas sous les sens. Ce qui prouve sa dignité de pontife, ce sont les prophéties, la prédiction de ce qui devait arriver, « c'est celui qui lui a dit : Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd'hui ». Ces paroles se rapportent-elles au Fils de Dieu? Sans doute, c'est de lui qu'il s'agit ici. Mais quel rapport ces paroles ont-elles avec la question qui nous occupe? Elles en ont un très-grand. C'est la démonstration anticipée qu'il a été institué et ordonné pontife par Dieu même.
Selon qu'il lui dit aussi dans un autre endroit; «Vous êtes le pontife selon l'ordre de Melchisédech (6) ». A qui s'appliquent ces paroles? Quel est ce pontife qui est selon l'ordre de Melchisédech? Nul autre que le Christ. Tous en effet étaient soumis à là loi; tous observaient le sabbat; tous étaient circoncis. Il ne peut être ici question que du Christ. « Ainsi, durant les jours de sa chair, ayant offert avec un grand cri et avec des larmes, ses prières et ses supplications à celui qui pouvait le tirer de la mort, il a été exaucé à cause de son humble respect pour son Père (1). Et, quoiqu'il fût le Fils. de Dieu, il n'a pas cessé d'apprendre l'obéissance par ce qu'il a souffert (8) ». Voyez-vous comme l'apôtre s'applique uniquement à montrer la sollicitude et la haute charité du Christ pour les bommes? Quel est-le sens de ces mots : «Avec un grand cri?» On ne trouve nulle part dans l'Evangile qu'il ait adressé cette prière les larmes aux yeux et en poussant de grands cris : Mais ne voyez-vous pas que saint Paul descend ici jusqu'à nous, jusqu'à notre faible intelligence? Il ne lui suffit pas de nous montrer le, Christ en prières; il nous le montre poussant de grands cris. .«Et il a été exaucé», dit-il, « à cause de son humble respect pour son Père; quoiqu'il fît le Fils de Dieu, il n'a pas laissé d'apprendre l'obéissance par ce qu'il a souffert. Et étant entré dans la consommation de sa gloire, il est devenu l'auteur du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent (9). Dieu l'ayant déclaré pontife, selon l'ordre de Melchisédech (10) ». Il a offert ses prières avec des cris, soit : mais pourquoi avec de grands cris? Il les a même offertes en versant des larmes, dit-il, et il a été exaucé à causé de son respect pour son Père. Qu'ils rougissent, les hérétiques qui nient la réalité de l'Incarnation ! Que dites-vous? Quoi ! (488) le Fils de Dieu était exaucé à cause de son respect? Que direz-vous de plus, en parlant des prophètes? Et n'est-ce pas une inconséquence, lorsqu'on a dit « Il a été exaucé à cause de son respect », d'ajouter ces paroles : « Quoiqu'il fût le Fils de Dieu, il n'a pas laissé d'apprendre l'obéissance par tout ce qu'il a souffert». Peut-on tenir un pareil langage, en parlant de Dieu? Qui serait assez insensé pour cela? Où trouver un homme qui aurait assez peu de raison pour parler ainsi? « Il a été exaucé à cause de son respect, il a appris l'obéissance par tout ce qu'il a souffert». Quelle obéissance?' Il avait appris, jusqu'à en mourir, l'obéissance qu'un fils doit à son père? Avait-il donc besoin de faire encore l'apprentissage de l'obéissance?
2. Ne voyez-vous pas qu'il s'agit ici de l'incarnation réelle? Ce qu'il dit là le fait assez entendre. Dites-moi : ne demandait-il point à son Père d'être préservé de la mort; n'était-il pas attristé par cette perspective de la mort? Ne disait-il pas : «Que ce calice, s'il est possible, s'éloigne de mes lèvres? » Mais, pour ce qui est de la résurrection, il n'a jamais prié son Père; au contraire, il dit lui-même tout haut : « Renversez ce temple, et dans trois jours, je le relèverai». Et il dit encore : «Je puis déposer la vie et la reprendre; personne ne me l'ôte; c'est moi-même qui la déposé ». (Jean, II, 19, et X, 18.) Qu'est-ce donc et pourquoi priait-il? Et . il disait aussi : « Nous allons à Jérusalem, et le Fils de Dieu sera livré aux princes des prêtres et. aux scribes qui le condamneront à mort et le livreront aux gentils; afin qu'ils le tournent en dérision, qu'ils le fouettent et le crucifient; et il ressuscitera le troisième jour». (Matth. XX,18,19.) Il n'a pas dit: Mon Père me fera ressusciter. Comment donc peut-on dire qu'il le priât pour le faire ressusciter? Mais pour qui priait-il? Pour ceux qui avaient cru en lui. Ce que dit l'apôtre revient à ceci : Il n'a pas de peine à se faire exaucer. Comme ses auditeurs ne se faisaient pas une juste idée du Christ, il dit qu'il a été exaucé, en tenant le langage que le Christ tenait lui-même, pour consoler ses disciples : «Si vous m'aimiez, vous vous réjouiriez, parce que je vais trouver mon Père qui est plus grand que moi ». (Jean, XIV, 28.) Comment donc ne s'est-il pas glorifié lui-même, ce Dieu qui a été assez dévoué pour s'annihiler, pour se livrer lui-même? «Il s'est sacrifié pour nos péchés», dit l'apôtre. (Gal. I, 4.) Et ailleurs : « C'est lui qui s'est livré, pour nous racheter tous » ( I Tim. II, 6.) Qu'est-ce donc? Ne voyez-vous pas que c'est le Dieu fait chair qui s'humilie? Aussi, quoiqu'il fût le Fils de Dieu, a-t-il été exaucé, en considération de son respect pour son Père. Il veut montrer, en effet, que l'œuvre qui s'est accomplie a été opérée par lui plutôt que par la grâce de Dieu. Tel était son respect filial et sa piété, dit l’apôtre, que Dieu son Père le respectait. Il a: appris à obéir à Dieu. Il montre encore quels sont les fruits de la souffrance. « Et étant entré dans la consommation de sa gloire, il est devenu l'auteur du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent». Or, si lui qui était le Fils de Dieu a profité de ses souffrances. pour apprendre à obéir, à plus forte raison nous autres devons-nous mettre à profit un semblable. apprentissage. Voyez-vous comme il s'étend sur l'obéissance, afin de parvenir à les persuader? Ils m'ont tous l'air en effet d'être fort disposés à secouer le frein et à se révolter. C'est ce que saint Paul fait entendre par ces mots: «Votre attention s'est refroidie» : Ses souffrances, dit-il, lui ont appris à obéir à Dieu. Et il est entré dans la consommation de sa gloire par la souffrance. C'est donc là ce qui parfait l'homme, et la souffrance est le chemin de la perfection. Non-seulement il s'est sauvé lui-même, mais il a sauvé les autres. « Etant entré dans la consommation de sa gloire, il est devenu l'auteur du salut éternel pour tous ceux qui lui obéissent, Dieu l'ayant déclaré pontife; selon l'ordre, de Melchisédech; sur quoi nous aurions beaucoup de choses à dire, qui sont difficiles à expliquer, à cause de votre lenteur et de votre peu d'application pour les entendre (11) ».
Avant d'en venir aux deux espèces de sacerdoce, il reprend ses auditeurs en leur montrant qu'il abaisse son style pour descendre jusqu'à eux, et qu'il les traite comme des enfants à la mamelle; par conséquent il prend un ton plus humble, approprié aux choses de la chair et il parle du Christ, comme on parlerait d'un homme juste. Voyez, sans garder : un silence absolu, il ne s'explique pas complété. ment; il ne dit que ce qu'il faut pour les engager à mener une vie parfaite et à ne pas se priver d'un. haut enseignement; mais il s'arrange de manière à ne pas accabler leur intelligence; et il. s'exprime ainsi: « Sur quoi nous aurions beaucoup de choses à dire, qui sont difficiles à expliquer, à cause de votre lenteur et de votre peu d'application pour, les apprendre »: C'est parce qu'il a affaire à des auditeurs peu attentifs qu'il lui est difficile de s'expliquer. Car lorsqu'on s'adresse à des auditeurs bornés, dont l'intelligence n'est -pas à la hauteur du sujet, il n'est pas aisé de leur bien faire comprendre la vérité. Mais peut-être y a-t-il parmi vous qui m'écoutez, quelques hommes dont la tête se trouble et qui regrettent que la nature de son auditoire ait empêché saint Paul de mieux s'expliquer. Eh bien ! à l'exception d'un petit nombre d'auditeurs, vous êtes, je crois, dans le même cas que, les Hébreux, et vous pouvez-vous appliquer les paroles de l'apôtre. Malgré cela, je vais m'adresser à ce petit nombre d'auditeurs. Saint Paul a-t-il donc abandonné le sujet qu'il traitait ou l'a-t-il repris dans les versets suivants, comme il l'a fait dans l'épître aux Romains? Car là aussi il ferme tout d'abord la bouche aux contradicteurs en ces, termes : « O homme, qui donc es-tu, pour répondre à Dieu? » (Rom. IX, 20.) Mais il résout aussitôt le problème dont il s'agit. Eh bien ! ici, le crois que, sans garder un silence complet, il ne s'est pas tout à fait expliqué, afin de jeter ses auditeurs dans l'attente. Après les avoir avertis, après leur avoir fait entendre,qu'il abordait un grand sujet, voyez comme il les loue et les reprend tout à la fois Car c'est toujours sa méthode de mêler de douces paroles aux paroles amères. C'est ainsi que, dans son épître aux- Galates, il dit : «Vous couriez avec ardeur; qui donc a pu vous arrêter?» (Galat. V, 7.) «Serait-ce donc en vain que vous avez (489) tant souffert, si toutefois ce n'est qu'en vain? » (Galat. III, 4.) «J'espère pour vous, dans le Seigneur ». (Galat. III, 10.) Et ici il dit de même : « Nous avons une meilleure opinion de vous et de votre salut». ( Hébr. VI, 9.) II fait donc deux choses à la fois: il ne les exalte pas et il ne les laisse pas tomber dans l'abattement. Car si l'exemple d'autrui est propre à exciter l'auditeur et à faire naître dans son âme le sentiment de l'émulation; quand on peut se prendre soi-même pour exemple et qu'on vous engage à être pour vous-même un objet d'émulation, la leçon est encore plus efficace. Voilà ce que saint Paul fait ici : il ne les laisse pas tomber dans l'abattement, comme des réprouvés qui auraient toujours fait le mal; il leur montre que parfois ils ont fait le bien. « Tandis que depuis le temps qu'on vous instruit, vous devriez déjà être des maîtres (12) ». Il montre ici qu'il y a longtemps qu'ils ont commencé à croire; il montre aussi qu'ils devraient instruire les autres. Voyez comme il travaille à amener ce qu'il peut avoir à dire du pontife, et comme il diffère toujours ses explications. Ecoutez son début : « Ayant un grand pontife qui est monté au plus haut des cieux ». Et après avoir passé sous silence l'explication du mot « grand »; il reprend ainsi : «Car tout pontife, étant pris d'entre les hommes, est établi pour les hommes, en ce qui regarde le culte de Dieu ». Puis il dit : « Ainsi Jésus-Christ ne s'est pas élevé de lui-même à la dignité de souverain pontife ». Et après avoir dit: « Vous êtes le prêtre éternel, selon l'ordre de Melchisédech », il remet encore son explication, pour dire : « Qui durant les jours de sa chair, a offert ses prières et ses supplications ».
3.Après s'être détourné tant de fois de son but, par forme de réponse et d'excuse, il leur dit : C'est votre faute. Quelle différence en effet? Ils devraient être des maîtres; et ils ne sont que des disciples, les derniers de tous. «Depuis le temps qu'on vous instruit, vous devriez être des maîtres et vous auriez encore besoin qu'on vous apprit les premiers éléments, par lesquels on commence à expliquer la parole de Dieu ». Ces premiers éléments sont ici la science humaine. Dans les lettres profanes, il faut d’abord apprendre les éléments; ici aussi il faut d’abord apprendre ce qui se rapporte à l'homme. Vous voyez pourquoi il abaisse ici son langage c'est ce qu'il faisait en parlant aux Athéniens «Dieu laissant passer ces temps d'ignorance, fait maintenant annoncer à tous les hommes et en tous lieux qu'ils fassent pénitence, parce qu'il a arrêté un jour où il doit juger le monde selon sa justice, par celui qu'il a destiné à en être le juge, de quoi il a donné à tous les hommes une preuve certaine, en le ressuscitant d'entre les morts ». (Act. XVII, 30, 31.) Lorsque Paul exprime quelque idée haute et sublime, il l'exprime brièvement, tandis que dans cette épître, il s'étend en maint endroit sur l'anéantissement de Jésus-Christ. C'est donc à la brièveté de l'expression que l'on reconnaît chez lui l'élévation de l'idée; et d'autre part l'humilité du langage indique sûrement qu'il ne parle pas du Christ entant que Dieu. Ici donc, pour plus de sûreté, il emploie un humble langage à exprimer ce qui se rapporte à l'homme. Il avait pour raison l'intelligence de ses auditeurs qui n'étaient pas en état de comprendre des idées plus relevées. C'est ce qu'il voulait dire dans son épître aux Corinthiens, par ces mots : « Puisqu'il y a parmi vous des jalousies et des disputes, n'est-il pas visible que vous êtes charnels? » (I Cor. III, 3.) Voyez quelle est sa prudence, et comme il s'entend à traiter tous ces malades, dont ii est le médecin. La faiblesse des Corinthiens venait en grande partie de leur ignorance ou plutôt de leurs péchés; celle des Hébreux ne provient pas de leurs péchés, mais de leurs afflictions continuelles. C'est pourquoi il emploie des expressions bien propres à faire ressortir cette différence. «N'est-il pas visible que vous êtes charnels? » dit-il aux Corinthiens. Et il dit aux Hébreux : L'excès de votre douleur a émoussé vos facultés. Les Corinthiens, hommes charnels, n'ont jamais pu supporter l'enseignement spirituel; mais les Hébreux le pouvaient autrefois. Car ces paroles : « Votre application à m'entendre s'est ralentie », indiquent qu'autrefois leurs âmes étaient saines, fortes et pleines d'ardeur. Et plus tard, il atteste ainsi leur faiblesse : « Vous êtes tombés en enfance; ce n'est pas une nourriture solide; c'est du lait qu'il vous faut ».
Dans plusieurs passages et même toujours il appelle « lait » le style qui s'abaisse. « Tandis que depuis le temps », dit-il, « vous devriez être des maîtres». C'est comme s'il disait : Ce qui a produit votre relâchement et votre abattement, c'est le temps qui aurait dû vous rendre forts. Le lait, selon lui, c'est ce style terre à terre qui convient aux simples; cette nourriture ne convient pas à des auditeurs plus avancés, et ce serait pour eux un dangereux régime. Aujourd'hui il ne faudrait plus citer l'ancienne loi et y puiser des comparaisons; il lié faudrait plus nous représenter le pontife sacrifiant et priant avec des cris et des supplications. Voyez comme tout cela est devenu pour nous un objet de dédain ; mais alors c'était pour les Hébreux une nourriture qu’ils ne dédaignaient pas. Oui : la parole de Dieu est bien une nourriture qui soutient l’âme. Ecoutez plutôt le Prophète et l'apôtre : « Je ferai en sorte qu'ils soient non pas affamés de pain, non pas altérés d'eau, mais affamés de la parole de Dieu: (Amos, VIII, 11.) Je vous ai donné à boire du lait, au lieu de vous donner une nourriture solide », (I Cor. III, 2.) Il n'a pas dit : Je vous ai nourris, montrant par là que ce n'est pas une nourriture solide, qu'il leur a donnée, mais qu'il les a nourris comme des enfants qui ne peuvent encore manger du pain;. car le breuvage des enfants est leur unique nourriture. Il n'a pas: parlé de leurs besoins ; mais il a dit : « Vous êtes faits pour vous nourrir de lait, et non d'aliments solides »; c'est-à-dire : C'est vous qui l'avez voulu; c'est vous qui vous êtes réduits vous-mêmes à cette extrémité, à cette nécessité. — « Car quiconque n'est nourri que de lait, est incapable d'entendre le langage de la justice; car il n'est encore qu'un enfant (13) ».
Ce langage de la justice, quel est-il? Je crois qu'il entend par là un plan de vie conforme à la (490) vertu, et c'est ce que voulait dire le Christ, quand. il s'exprimait ainsi : « Si votre justice n'est pas « plus abondante que celle des scribes et des pharisiens ». (Matth. V, 20.) C'est ce que l'apôtre lui-même veut dire par ces mots : « Si vous ne connaissez pas le langage de la justice ». Cela signifie : Si vous ne connaissez pas la philosophie d'en-haut, vous ne pouvez pas tendre à la perfection. Peut-être à ses yeux la justice n'est-elle autre chose que le Christ , et la parole élevée et sublime de l'orateur qui parle du Christ. Il les a traités d'esprits faibles et bornés. Pourquoi? Il ne s'est pas expliqué là-dessus. Il leur permet de deviner et il ne veut pas les choquer. Dans son épître aux Galates, au contraire, il a l'air d'être surpris et d'hésiter, et cette forme de style est plus consolante elle est d'un homme qui ne s'attend pas au mal. Voyez-vous la différence qui existe entre l'enfance de l'âme et sa perfection? Tâchons donc d'atteindre à cette perfection. Tout enfants, tout jeunes que nous sommes, noirs pouvons y atteindre; ce n'est point ici l'oeuvre de la nature, c'est l'oeuvre de la vertu. — «La nourriture solide est pour les parfaits, pour ceux dont l'esprit, par l'habitude et par l'exercice; s'est accoutumé à discerner le bien du mal (14) ». Eh quoi? Leurs sens n'étaient-ils pas exercés? Ne savaient-ils pas ce que c'est que le bien, ce que c'est que le mal ? C'est que, quand il parle de discerner le bien et le mal, il ne parle pas de ce discernement appliqué aux choses ordinaires de la vie. Ce discernement-là, le premier venu en est capable; saint Paul parle ici de ce discernement qui distingue les hautes et sublimes doctrines des croyances fausses et abjectes. Le petit enfant ne sait pas distinguer les aliments bons ou mauvais, souvent il avale de la poussière, il prend une nourriture malsaine, il agit en tout sans discernement. Il n'en est pas ainsi de l'homme fait. Oui. : ce sont des enfants, ces hommes qui croient sans réfléchir à tout ce qu'on leur dit, qui prêtent indifféremment l'oreille à tous les discours; saint Paul reproché ici à ses auditeurs dé tourner à tout vent, de prêter l'oreille tantôt à l'un, tantôt à l'autre. — C'est-ce qu'il finit par faire entendre, lorsqu'il dit : « Ne vous laissez pas séduire par toutes sortes de doctrines étranges ». Et il sous-entend : « Si vous voulez distinguer le bien du mal »; car c'est le palais qui juge des mets, et c'est l’âme qui juge des paroles.
4. Et nous aussi, instruisons-nous, En apprenant que cet homme n'est ni gentil, ni juif, n'allez pas en conclure qu'il est chrétien. Car les manichéens et les hérétiques de toutes sortes ont pris le masque du christianisme pour tromper les âmes simples. Mais, si nous sommes exercés à distinguer le bien du mal, nous pourrons appliquer ici notre discernement. Or quels moyens avons-nous de nous exercer? Nous n'avons qu'à écouter sans cesse la parole de Dieu, et qu'à nous fortifier dans la connaissance de l'Ecriture sainte. Quand nous vous aurons mis devant les yeux l'égarement de ces hérétiques, quand aujourd'hui vous aurez entendu parler de leurs erreurs, quand demain vous serez convaincu de la fausseté de leurs doctrines, il ne vous restera plus rien à apprendre, il ne vous , restera plus rien à connaître, et si aujourd'hui, vous ne comprenez pas; vous comprendrez demain. « Ceux », dit-il, « dont les sens sont exercés ». Voyez-vous comme nos oreilles doivent s'habituer à ces enseignements divins, pour se refuser à entendre des doctrines étrangères? « Nous devons être exercés », dit l'apôtre, « à discerner le bien et le mal »; c'est-à-dire, que nous de vous être habiles à distinguer l'un de l'autre. L'un ne croit pas à la résurrection ; l'autre ne croit pas à la vie future ; un autre dit qu'il y a un autre Dieu ; un autre dit que Jésus-Christ tire son principe de Marie. Voyez comme tous ces hérétiques sont tombés dans l'erreur, faute de garder une; juste mesure. Les uns ont été trop loin; les autres se sont arrêtés en route. En voulez-vous un exemple ? C'est Marcion qui .a donné le signal de l'hérésie. Il a introduit un autre Dieu qui n'existe pas; il est allé trop loin. Voici venir après lui Sabellius qui prétend, que le Père, le Fils et le Saint-Esprit rie font qu'une seule et même personne. Puis c'est l'hérésie de Marcellus et de Photin qui prêchent la même doctrine. Puis c'est l`hérésie de Paul de Samosate qui avance que Dieu n'a commencé à exister qu'en- sortant du sein de Marie. C'est ensuite l'hérésie des manichéens, qui vient après toutes les autres. Et puis c'est Arius; et puis ce sont d'autres hérésies encore.
C'est pour cela que nous avons. reçu la foi, c'est afin que nous ne soyons pas obligés de nous jeter dans ces hérésies saris nombre ; c'est afin que, nous n'en soyons pas le jouet et les victimes; c'est afin que nous regardions comme faux tout ce qu'on pourrait ajouter ou retrancher aux articles de la foi. Ceux qui admettent les mesures légales ne sont pas obligés de recourir laborieusement à une foule de poids et de mesures arbitraires; ils veulent que l'on s'en tienne aux mesures établies; il en est de même pour nos dogmes. Mais on ne veut pas faire attention aux saintes Ecritures. Si nous y faisions attention, non-seulement, nous ne tomberions point dans l'erreur, mais nous délivrerions les hommes abusés et nous les tirerions du péril. Un brave soldat, en effet, n'est pas bon pour lui seul ; il sait défendre le camarade qui est près de lui et le soustraire aux coups de l'ennemi. Mais aujourd'hui on ne connaît pas les saintes Ecritures, malgré toutes les précautions prises par le Saint-Esprit pour que ce dépôt conservé. Remontez jusqu'aux premiers temps, et apprenez à connaître l'ineffable bonté de Dieu. C'est lui qui a inspiré Moïse, qui a fait graver ses commandements sur les tables de la loi, qui l’a retenu à cet effet quarante jours sur la montagne; qui l'y a retenu quarante jours encore pour publier sa loi. (Exod. XXIII.) Puis il a envoyé des prophètes qui ont subi des épreuves sans nombre. Voilà la guerre allumée, les prophètes morts; les livres brûlés! Dieu inspire un autre législateur admirable Esdras, pour exposer sa loi et pour en rassembler les débris. Puis il l'a fait interpréter par les Septante.
Le Christ arrive, il prend les tablettes de la loi, les apôtres vont la publier partout. Le Christ fait (491) des signes et des miracles. Qu'arrive-t-il ensuite?, Après tant de soins, tant de précautions, les apôtres, à leur tour, se mettent à l'oeuvre, comme dit Paul: «Toutes ces choses ont été écrites pour notre instruction, à nous autres, qui nous trouvons à la fin des siècles ». (I Cor. X, 11.) Et le Christ disait : « Vous vous trompez, parce que vous ne connaissez pas les Ecritures ». (Matth. XXII, 29.) Et Paul disait encore : « C'est dans notre résignation et dans les paroles consolantes des saintes Ecritures que nous avons confiance » (Rom. XV, 4) ; et ailleurs : « L'Ecriture sainte, ce livre si utile, est d'un bout à l'autre une inspiration divine. (II Tim. III, 16.) Que la parole du « Christ habite en vous et remplisse vos âmes ». (Col. III, 16.) Et le Prophète dit : « Il méditera la loi, nuit et jour ». (Ps. I, 2.) Et il dit ailleurs : « Ne vous lassez pas d'expliquer la loi de l'Etre suprême ». (Ecclés. IX, 23.) Et il dit encore : « Que vos paroles sont douces pour mon palais ! » (Il ne dit pas: pour mes oreilles, mais « pour mon palais). Je les trouve plus douces que le miel ». (Ps. XVIII, 11.) Et Moïse dit aussi : « Méditez les saintes Ecritures, en vous levant, en vous reposant, en vous couchant ». (Deut. VI, 7.) C'est ce que dit encore saint Paul dans son épître à Timothée : « Appesantissez-vous sur les saintes Ecritures et méditez-les ». (I Tim. IV, 15.) On pourrait s'étendre à l'infini sur ce chapitre. Et après tout cela pourtant, il y a des gens qui n'ont pas ;la moindre idée de l'Ecriture sainte. Aussi ne connaissons-nous ni les saines doctrines, ni la justice, ni notre intérêt. Pourtant si l'on veut connaître l'art militaire, il faut en apprendre les règles: Si l'on veut connaître la politique, la science du forgeron ou toute autre, il faut apprendre. Eh bien ! pour acquérir la science qui nous occupe, on ne fait rien de semblable, et cependant il faut bien des veilles pour l'acquérir. Si vous voulez le savoir, écoutez cette parole du Prophète : «Venez, mes enfants, écoutez-moi, et je vous enseignerai la crainte de Dieu ». (XXXIII, 12, 14.) La crainte de Dieu est donc une chose qui s'apprend. Puis il est dit : « Quel est l'homme qui veut vivre? » vivre de la vie d'en-haut. Et ailleurs : « Ne souillez point votre langue; que vos lèvres ne laissent point échapper de paroles perfides ; détournez-vous du mal et faites le bien ; recherchez la paix ». Savez-vous quel est le prophète, l'historien, l'apôtre ou l'évangéliste qui a dit cela? Je crois que, parmi vous, il en est peu qui le sachent; et ces quelques hommes qui le savent seraient à leur tour en défaut, si je leur citais un autre passage. Tenez, voici la même pensée exprimée en d'autres termes : « Lavez vos souillures, soyez purs, faites disparaître de devant mes yeux cette perversité que j'aperçois dans vos âmes ; apprenez. à faire le bien ; recherchez la justice . ne souillez point votre langue et faites le bien ; oui, apprenez à faire le bien ». (Is. I, 16, 17.) Voyez-vous comme la vertu a besoin d'être enseignée? Plus haut, nous lisons : « Je vous enseignerai la crainte de Dieu ». Ici nous lisons : « Apprenez à faire le bien ». Savez-vous d'où ces paroles sont tirées? Peu d'entre vous le savent, à ce que je crois. Et pourtant voilà des choses que nous vous lisons deux ou trois fois par semaine. Et, quand le lecteur arrive, il commence par citer le livre dont il cite un fragment : c'est tiré de tel Prophète, de tel apôtre, de tel évangéliste. Il vous le dit, pour vous faire mieux remarquer et retenir le passage, pour que vous en connaissiez la lettre , l'esprit et l'auteur. Mais toutes ces attentions sont peine perdue; vous ne pensez qu'à la vie présente, sans tenir aucun compte des choses spirituelles. Voilà pourquoi les événements même de cette vie présente ne sont pas conformes à ce que vous souhaitez; voilà pourquoi vous trouvez tant d'écueils sous vos pas. Le Christ ne dit-il pas : « Demandez le royaume de Dieu et vous obtiendrez avec lui tout le reste » (Matth. VI, 33) ; c'est-à-dire, que nous obtiendrons ;tout le reste par-dessus le marché. Mais nous intervertissons cet ordre ; c'est la terre que nous cherchons, et avec elle, tous les biens terrestres, comme si les autres nous devaient être donnés par surcroît Aussi n'avons-nous ni les uns ni les autres. Revenons donc enfin à la raison et désirons les biens à venir; avec eux, les autres nous arriveront. Car, lorsqu'on recherche les choses de Dieu; on obtient aussi nécessairement les biens terrestres, s'il faut en croire la vérité éternelle dont ce sont là les paroles. Recherchons donc les choses de Dieu, pour ne pas tout perdre. Dieu peut nous toucher et nous rendre meilleurs, par la grâce de Jésus-Christ Notre-Seigneur, etc.
HOMÉLIE IX. QUITTANT DONC LES INSTRUCTIONS QUE L'ON DONNE A CEUX
QUI NE FONT QUE COMMENCER A CROIRE EN JÉSUS-CHRIST, PASSONS A CE
QU'IL Y A DE PLUS PARFAIT, SANS NOUS ARRÊTER A ÉTABLIR DE
NOUVEAU CE QUI N'EST QUE LE FONDEMENT DE LA RELIGION, LA PÉNITENCE
DES OEUVRES MORTES, LA FOI EN DIEU, ET CE QU'ON ENSEIGNE TOUCHANT LES BAPTÊMES,
L'IMPOSITION DES MAINS, LA RÉSURRECTION DES MORTS ET LE JUGEMENT
ÉTERNEL. ET C'EST CE QUE NOUS FERONS, SI DIEU LE PERMET. (VI, 1,
2, 3, JUSQU'A 6.)
Analyse.
1. Avant d'aller plus loin, il faut être bien convaincu des vérités fondamentales de la religion. 2. La foi ferme et sincère conduit à la vie parfaite.
3. Le baptême ne peut être conféré deux fois.
4. A défaut d'un second baptême qui ne peut être conféré, la pénitence est pour nous un moyen de salut. Mais la pénitence, afin, de porter ses fruits, doit être accompagnée de la contrition parfaite, du pardon et de l’oubli des injures, et surtout de la charité et de l'aumône.
5. Effets de la pénitence. — La gloire de saint Paul comparée
aux vanités de ce monde.
492
1. Vous avez vu comme il reproche aux Hébreux de vouloir qu'on leur dise toujours la même chose. Et il a raison. Depuis le temps qu'on vous instruit, dit-il, vous devriez être passés maîtres. et vous avez encore besoin d'apprendre les principes de la religion. Et vous aussi, j'ai bien peur que vous ne méritiez ce reproche; j'ai :bien peur, moi aussi, d'être obligé de vous dire que, lorsque vous devriez être des maîtres vous n'êtes même pas encore des disciples. Il faut toujours vous répéter la même chose, et vous avez toujours l'air de ne pas entendre. Vous interroge-t-on, un petit nombre d'entre vous seulement, quelques auditeurs faciles à compter sont en état de répondre, et ce n'est pas là un léger inconvénient; car le maître voudrait aller plus loin; il voudrait aborder quelque grand mystère, et la paresse, la négligence de son auditoire ne le lui permettent pas. Voyez les maîtres d'école. Si la leçon roule toujours sur les mêmes éléments, et si l'enfant ne la retient pas, il faudra toujours revenir sur la même chose et la répéter sans cesse, jusqu'à ce que l'enfant sache bien sa leçon. Car ce serait folie d'aller en avant, quand l'écolier n'est pas encore bien pénétré des principes fondamentaux. Il en est de même dans cette assemblée. Si nos redites perpétuelles ne vous servent à rien, nous serons obligé de revenir sans cesse sur les mêmes matières. Si l'enseignement était pour nous une affaire d'ostentation et de vanité, nous nous verrions forcé de passer, de sauter d'un sujet à un autre, sans faire attention à vous, dans l'unique but de nous attirer vos applaudissements. Mais ce n'est pas là notre ambition et nous ne cherchons que l'intérêt de vos âmes. Nous ne cesserons donc de vous répéter les mômes préceptes jusqu'à ce que vous ayez bien appris à les pratiquer. Nous aurions pu vous entretenir longtemps de la superstition des gentils, des manichéens, des marcionites; nous aurions pu, avec la grâce de Dieu,, porter des coups terribles à nos adversaires, mats ce n'est pas là ce qui doit nous occuper, pour le moment. Quand on a affaire à des auditeurs qui ne savent pas encore que l'avarice est un' mal, peut-on passer à autre chose et aborder de grands sujets?, Que nous venions à bout de' vous persuader ou non, nous vous dirons donc toujours la -môme chose. Nous craignons seulement qu'en écoutant, sans en profiter , des leçons qui seront toujours les mêmes, vous n'en deveniez que plus coupables. Ce que je dis là ne s’adresse pas à tout le monde. Parmi vous, il en est beaucoup, je le sais, qui m'ont toujours écouté avec fruit et qui pourraient accuser à bon droit ceux dont la lenteur et la négligence est un piège tendu à leurs progrès; mais ce piège, ils n'y tomberont pas. Ces mômes leçons répétées à ceux qui les savent leur seront utiles, car ce que nous savons déjà, à force d'être entendu, nous touche davantage. Nous savons, par exemple, que la charité est une bonne chose, et que le Christ en- a souvent parlé; mais ces vérités et les méditations dont elles sont l'objet, nous frappent toujours davantage, quand nous les aurions entendu répéter mille fois. A plus forte raison nous pouvons aujourd'hui vous dire sans manquer d'à-propos : « Quittant les instructions que l'on donne à ceux qui ne font que commencer à croire en Jésus« Christ, passons à ce qu'il y a de plus parfait. » Quelles sont ces instructions premières, l'apôtre nous le dit en ces termes : « Ne nous arrêtons pas à établir de nouveau ce qui n'est que le fondement de la religion, c'est-à-dire, la pénitence, des oeuvres mortes, la foi en Dieu, et ce qu'on enseigne touchant les baptêmes , l'imposition des mains, la résurrection des morts et le jugement éternel ».
Si ce sont là des vérités premières, il s'ensuit que le fond de tous nos dogmes, c'est la croyance, à la nécessité de la, pénitence, c'est la foi venant du Saint-Esprit à la résurrection des morts et au jugement éternel. Voilà le commencement, voilà les premières vérités que l'on apprend, alors qua la vie n'est pas encore parfaite: Pour apprendre à lire, il faut d'abord apprendre les éléments; pour apprendre à être chrétien, les vérités exposées ci-dessus sont celles qu'il faut connaître avant tout et dont il faut être bien convaincu. Si l'on a besoin encore d'être éclairé là-dessus, c'est que la religion du Christ n'est pas bien établie dans notre coeur; car avant tout, ces vérités fondamentales doivent y être fermement assises. Si après avoir,' été instruit sur le catéchisme, si, après avoir reçu le baptême, on a encore besoin d'affermir sa foi, et d'apprendre à croire à la résurrection, c'est, qu'on ne possède pas encore le fond du christianisme, c'est qu'on a besoin d'y être initié. Pour être persuadé que ces articles de foi sont la base du christianisme et que le reste est l'édifice, écoutez ces paroles du maître : « J'ai jeté le fondement, un autre bâtit dessus. Si l'on élève sur ce fondement un édifice d'or, d'argent, de pierres précieuses, de bois, de foin, de paille, l'ouvrage de chacun paraîtra enfin ». (I Cor. III, 10, 12, 13.). Voilà pourquoi l'apôtre disait : « Ne nous arrêtons pas à établir de nouveau ce qui est le fondement de la religion, la pénitence des oeuvres mortes ».
2. Mais que signifient ces mots : « Passons à ce qu'il y a de plus parfait? » Il veut dire : Elevons-nous jusqu'au faite; atteignons à la perfection, dans notre vie. L'A est la première lettre de l'alphabet; l'édifice repose en entier sur ses fondements : ainsi la pureté de la vie repose sur une foi sincère. Sans la foi, on ne peut être chrétien; sans les fondements, on ne peut bâtir sans la connaissance de l'alphabet, on ne peut être grammairien. Mais si l'on s'arrête aux éléments, si l'on s'arrête à la base, sans arriver à l'édifice, où sera le progrès? Eh bien! il en sera de même pour nous autres chrétiens: si nous nous arrêtons aux principes de la foi, nous n'arriverons jamais à la perfection. Et n'allez pas croire que l'on rabaisse (493) la foi, en lui donnant le nom d'élément; c'est là . précisément qu'est sa toute-puissance.. Lorsque l'apôtre dit : « Quand on. est à la mamelle, on ne connaît pas encore le langage de la justice, car on n'est qu'un enfant », il n'appelle pas la foi le lait de la justice; mais, selon lui, douter des premières vérités de la religion, est le propre d'un esprit faible qui a encore besoin de leçons. Ces vérités sont la droite raison elle-même, et nous appelons parfait l’homme, qui a la foi et dont la vie est droite. Si maintenant on a une certaine foi qui ne vous empêche pas de commettre des crimes, de douter et d'outrager la doctrine du Christ, on méritera le nom d`enfant; car ce sera, rétrograder jusqu'aux éléments. Quand donc nous persisterions dans la foi pendant mille ans, si notre foi n'est pas ferme et stable, nous serons toujours des enfants; car notre vie ne sera pas conforme à notre foi; car nous serons toujours arrêtés aux bases de l'édifice.
Or ce que l'apôtre reprend chez les Hébreux, c'est leur genre de vie, c'est leur foi vacillante, c'est le besoin qu'ils ont d'établir un fondement de pénitence par des oeuvres mortes; car l'homme qui passe d'une chose à une autre, qui laisse ceci de côté pour s'attacher à cela, doit nécessairement condamner ce qu'il rejette; il doit s'en détacher pour passer à un autre objet. Si, après cela, il revient toujours au premier principe, objet de ses rebuts, quand donc arrivera-t-i1 au second? Et la loi? La loi, nous l'avons condamnée et nous y sommes revenus. Ce n'est pas là changer : car avec la foi, nous avons encore la loi. « Détruisons-nous donc la loi par la foi ? » dit l'apôtre. « A Dieu ne plaise! nous l'établissons au contraire». (Rom. III, 31.) Le changement dont il était question était le changement du mal en bien. Pour passer dans le camp de la vertu en effet, il faut commencer par. condamner le vice. La pénitence n'avait pas le pouvoir de purifier les convertis, voilà pourquoi ils se faisaient baptiser aussitôt après, afin d'obtenir par la grâce du Christ de qu'ils ne pouvaient obtenir par eux-mêmes. La pénitence ne suffit donc point à la purification; il faut y joindre le baptême. C'est pourquoi on mène encore au baptême le nouveau converti qui a déjà accusé ses péchés. Mais que signifient ces mots : « Ce qu'on enseigne touchant les baptêmes? » Saint Paul ne veut pas dire par là qu'il y a plusieurs baptêmes; il n'y en a qu'un seul. Pourquoi donc parle-t-il au pluriel? C'est qu'il avait dit ; « Ne nous arrêtons pas à établir de nouveau ce qui n'est que le fondement de la religion, c'est-à-dire la pénitence » Et s'il avait passé son temps à leur donner un nouveau baptême; à les instruire encore sur le catéchisme, à leur tracer encore leur ligne de conduite, il n'y avait pas de raison pour qu'ils ne restassent toujours imparfaits. « L'imposition des mains ». C'est ainsi en effet qu'ils recevaient le Saint-Esprit. « Paul leur imposa les mains, et l'Esprit-Saint descendit sur eux ». — (Act. XIX, 6.) « Et la résurrection des morts ». C'est là un dogme dont il est fait mention dans le baptême et dans le Symbole « Et le jugement éternel ». Pourquoi ces paroles ? C'est que probablement leur foi était vacillante, c'est qu'ils menaient une vie coupable et dissolue. C'est pourquoi il leur dit : Veillez sur vous. Il dissipe leur indolence; il éveille leur attention. ils n'ont pas le droit de dire: Si nous menons une vie dissolue et négligente, nous en serons quittes pour. recevoir un nouveau baptême, pour apprendre encore le catéchisme; pour recevoir encore le Saint-Esprit. Ils ne peuvent pas dire : Si nous abandonnons la foi, nous en serons quittes pour laver nos péchés dans le baptême, et nous serons aussi avancés qu'auparavant. Erreur, dit l'apôtre! « Il est impossible que ceux qui ont été une fois éclairés, qui ont goûté le don du ciel, qui ont été rendus participants du Saint-Esprit, qui ont goûté la parole de Dieu et l'espérance des grandeurs du siècle à venir et qui, après cela, sont tombés, se renouvellent par la pénitence , parce qu'autant qu'il est en eux, ils crucifient de nouveau le Fils de Dieu et l'exposent à l'ignominie (4-6) ». Remarquez ce début qui est bien fait pour les couvrir de honte et pour les retenir. « Il est impossible », dit-il, c'est-à-dire : Ne vous attendez pas à ce qui ne peut pas arriver. Il n'a pas dit : Il ne convient pas, il n'est pas avantageux, il n'est pas permis. Il a dit : « Il. est impossible ». Il a voulu leur faire comprendre qu'après avoir été éclairés, c'est-à-dire baptisés une fois pour toutes ils devaient désespérer de l'être une seconde fois.
3. « Qui ont goûté le don du ciel », ajoute-t-il , c'est-à-dire la rémission dès péchés, « qui ont été rendus participants de l'Esprit-Saint et qui ont été nourris de la parole de Dieu ». Il est ici question de la doctrine. — « Et de l'espérance des grandeurs du siècle à venir ». Quelles sont ces grandeurs? Le don des miracles, les gages donnés par le Saint-Esprit.. — « Et qui après cela sont tombés, se renouvellent par la pénitence, parce qu'autant qu'il est en eux, ils crucifient le Fils de Dieu et l'exposent à l’ignominie ». — « Se renouvellent par la pénitence ». Eh quoi! Faut-il qu'ils renoncent à la pénitence? non pas à toute pénitence, à Dieu ne plaise ! mais au renouvellement qui a lieu par le baptême; car l'apôtre ne s'est pas borné à dire : « Il est impossible qu'ils se renouvellent par la pénitence », mais il a ajouté : « Parce qu'ils crucifient encore une fois le Fils de Dieu ». — « Se renouveler », signifie devenir un nouvel homme, et il n'y a que le baptême qui puisse opérer ce miracle. « Ta jeunesse », dit le psalmiste, « se renouvellera comme celle de l'aigle ».
La pénitence a pour effet de nous faire dépouiller le vieil homme et de faire des hommes nouveaux de ceux qui étaient retombés dans leurs anciens péchés; mais elle ne peut rendre à l'homme ce premier éclat qui est uniquement l'ouvrage de la grâce. « Parce qu'ils crucifient de nouveau le Fils de Dieu », dit-il, et « parce qu'ils l'exposent à l'ignominie ». C'est que le baptême est une croix, dit-il : Grâce à lui, « le vieil homme se trouve crucifié. Nous mourons, comme le Christ est mort. Par le baptême, nous avons été ensevelis avec le Christ ». Si donc il est impossible que le Christ soit crucifié de nouveau, il est impossible que nous recevions un nouveau baptême. (494) Car s'il est dit que la mort ne prévaudra plus contre lui, s'il est ressuscité, si cette résurrection l'a rendu plus puissant que la mort, s'il a triomphé et terrasse la mort par la mort même, et si, après tout cela, il est crucifié de nouveau, tout ce qu'on vient de dire n'est qu'un tissu de fables ridicules. Celui qui reçoit un nouveau baptême crucifie de nouveau le Christ. Le Christ est mort sur - la croix: et nous mourons dans le baptême, non à la chair, mais au péché. Il y a là deux genres de mort différents; le Christ meurt à la, chair et nous au péché. Par le baptême, le vieil homme qui. était en nous est enseveli, et c'est un nouvel homme, qui ressuscite comme Jésus-Christ est ressuscité après sa mort. Si donc un second baptême est nécessaire, une seconde mort est nécessaire aussi ; car le baptême n'est rien autre chose que la mort du vieil homme et la création d'un. homme nouveau dans celui qui est baptisé. L'expression « parce que nous crucifions de nouveau » est belle. Car ces hommes déchus dont il parle, oublieux de la grâce qu'ils ont reçue autrefois, mènent une vie lâche et dissolue, et se conduisent en tout point,. comme s'il y avait un nouveau baptême: Il faut donc ici faire bien attention. «Ce don du ciel qu'ils « ont goûté », c'est la rémission des péchés. .Il n'appartient qu'à Dieu d'accorder ce don. C'est une grâce qu'il nous fait une fois dans le baptême. «Mais quoi? Demeurerons-nous dans le péché, pour donner lieu à une surabondance de grâce? à Dieu ne plaise ! » (Rom. VI, 1, 2.)Si, pour être sauvés, il nous faut toujours la grâce, nous ne serons jamais vertueux. Puisque nous sommes si lâchés et si négligents, quand la grâce du baptême n'est conférée qu'une fois, comment pourrions-nous renoncer à nos péchés, si nous savions que nous pouvons encore laver cette tache? Nous n'y renoncerions pas, j'en suis bien sûr.
Saint Paul énumère ici une foule de dons qui viennent de Dieu. Si vous voulez comprendre, écoutez bien : Pécheur, dit-il, Dieu a daigné vous accorder la rémission la plus éclatante. Celui qui était plongé dans les ténèbres, celui qui était D'ennemi déclaré de Dieu, celui dont Dieu s'était détourné avec horreur, celui qui était perdu, celui-là a été tout à coup éclairé, jugé digne de la grâce du Saint-Esprit, des dons célestes, de l'adoption divine, du royaume des cieux, d'autres faveurs encore, de l'initiation à de saints mystères, et tout cela ne l'a pas rendu meilleur. Après avoir obtenu le don du salut et s'être vu honoré, comme s'il s'était distingué par sa vertu, lé voilà en état de perdition. Comment donc pourrait-il recevoir encore le baptême? C'est impossible, et l'apôtre établit cette impossibilité sur deux raisons dont la dernière est la plus forte. Ces raisons quelles sont-elles? C'est d'abord l'indignité de l'homme qui a abusé de tous les dons que Dieu a daigné lui faire. lin pareil homme né mérite pas de se renouveler par la pénitence. C'est ensuite que le Christ ne peut être crucifié une seconde fois : car ce serait l'exposer à l'ignominie. Il n'y a donc pas, non il n'y a pas de second baptême. Autrement, il y en aurait aussi un second, un troisième, un quatrième; car le premier se trouve dissous par le second, le second par le troisième et ainsi de suite à l'infini. « Qui se sont nourris de la sainte parole de Dieu et de l'espoir des grandeurs du siècle à venir ». Il n'explique pas ces paroles; mais c'est comme s'il disait : Vivre comme les anges, se passer des biens de ce monde, savoir que Dieu, eu nous adoptant, nous accorde les biens du siècle à venir, avoir en perspective ces sanctuaires où nous serons admis ; un jour, voilà les fruits du Saint-Esprit et de ses leçons ! Mais quelles sont ces grandeurs du siècle à venir? C'est la vie éternelle, la vie angélique. Le Saint-Esprit, en nous donnant la foi, nous a déjà, donné un avant-goût de tous ces biens. Maintenant, je vous le demande: si l'on vous introduisait dans Te palais d'un souverain, si l'on vous confiait toutes les richesses qu'il renferme, et si vous les:
perdiez, vous les confierait-on de nouveau?
4. Eh quoi! dira-t-on, est-ce qu'il n'y a plus de pénitence possible? Il y en a une, mais ce n'est plus celle du baptême. Cette sorte de pénitence est cependant très-efficace; elle peut délivrer du fardeau de ses péchés l'homme qui est plongé dans le péché ; elle peut ramener au port celui-là même qui est, au fond de l'abîme. Cette vérité est prouvée en maint passage. « Est-ce que celui qui tombe ne peut pas se relever? Est-ce que l'homme qui tourne le dos à Dieu ne peut pas se retourner vers lui? » (Jérém. VIII, 4.) Le Christ, si nous . voulons, peut encore se former en nous : Entendez-vous Paul qui vous dit : « Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que le Christ soit formé , en vous? » (Gal. IV, 19.) Or pour cela, il n'y a qu'une condition à remplir: c'est que la pénitence entre dans nos âmes. Voyez en effet comme Dieu, est bon et clément. Nous méritions, dans le principe, toutes sortes de châtiments, pour avoir, malgré les lumières de la loi naturelle et mille faveurs divines, ignoré Dieu et mené une vie impure et; . immonde. Et Dieu, loin de nous punir, nous a comblés, de biens, comme si nous avions fait les actions les plus grandes et les plus belles.
Nous avons encore failli et, loin de nous punir, il nous a apporté un remède à nos maux, la pénitence qui suffit pour détruire et effacer tous nos péchés, pourvu que nous connaissions bien la nature de ce remède et la manière dont il faut l'appliquer. Il faut d'abord nous condamner nous-mêmes et confesser tous nos péchés. « Je vous ai fait connaître mes fautes et je n'ai pas caché mes péchés. Je déclarerai hautement, et en m'accusant moi-même, mon impiété au Seigneur, et vous m'avez pardonné mon impiété ». (Ps. XXXI, 56.) « Commencez par avouer vos péchés, pour qu'on vous les pardonne, ». (Isaïe, XLIII, 26) « Le juste commence par s'accuser lui-même». (Prov. XVIII, 17.) Il faut, en second lieu, nous humilier profondément; car il y a là comme une chaîne d'or dont le premier anneau amène tous les autres. Une bonne. confession amène l'humilité ; car, lorsqu'on réfléchit sérieusement à ses, fautes, on ne peut s’empêcher d'être humilié. Mais l'humilité ne suffit pas ; il faut ressentir ce qu'éprouvait le saint roi David, quand il disait: « Purifiez mon coeur, ô mon Dieu »; et lorsqu'il (495) disait encore : « Dieu ne dédaignera pas la prière d‘un coeur contrit et humilié » (Ps. L, 12, 19), car le pécheur contrit ne s'élève pas lui-même. Loin d'être agressif; il est prêt à tout supporter. Oui : tel est l'effet de la contrition : l'âme ne se révolte ni contre l'outrage, ni contre les mauvais traitements; l'âme ne s'éveille plus pour la vengeance. Après s'être humilié, il faut prier avec ardeur, il faut verser, nuit et jour, des larmes abondantes : « Toutes les nuits», dit le Psalmiste, j'arroserai mon lit de mes larmes ». (Ps. VI, 7.) « Je dévorais la cendre comme le pain., et mes larmes se mêlaient à mon breuvage ». (Ps. CI, 10.) A la prière, il faut joindre l'aumône. C'est l'aumône qui fait produire au remède de la pénitence son plein et entier effet. Les remèdes ordonnés par les médecins se composent souvent de certaines plantes, parmi lesquelles il y en a une qui est plus salutaire que toutes les autres. Il en est ainsi du remède de la pénitence. Parmi les ingrédients qui le composent, il se trouve une plante plus efficace que toutes les autres et qui est tout. Cette plante s'appelle l'aumône. Voici les paroles de l'Ecriture sainte : « Faites l'aumône et vous serez purifiés». (Luc, XI, 41.) « L'aumône et la foi sont, les deux grands moyens de purification ». (Tob. IV, 11.) L'eau éteint le feu et la flamme; l'aumône étouffe le péché. (Ecclés. XXVIII, 33.) Nous devons, outre cela, bannir de notre coeur la colère et les sentiments, de vengeance; nous devons pardonner à tout le monde. « Eh quoi ! » dit l'Ecclésiaste, « l'homme veut que le Seigneur le guérisse et-il garde sa colère contre son semblable ! » (Ecclés. XXVIII, 3.) « Pardonnez», dit saint Matthieu, « pour que l’on vous pardonne ». (Matth. VI, 14.) Il faut travailler en outre à la conversion de ses frères : « Allez », est-il dit, « et convertissez vos frères » (Luc, XXII, 52), afin que vos péchés vous soient remis. Il faut se conduire convenablement envers les prêtres. « L'un d'entre eux pèche-t-il, il faut lui pardonner ». (Jac. V, 15.) Il faut défendre et protéger les opprimés, se garder de la colère, se montrer en tout calme et modéré.
5. Eh bien ! avant de connaître quel est- le pouvoir de la pénitence pour effacer nos péchés, n'étiez-vous pas inquiets, à l'idée qu'il ne pouvait y avoir deux baptêmes et que vous n'aviez plus rien à espérer? Mais aujourd'hui que vous connaissez les moyens de faire une bonne pénitence et d'obtenir la rémission de vos péchés, aujourd'hui que vous voyez dans la pénitence, si elle est ce qu'elle doit être une planche de salut, comment obtenir votre pardon, si vous ne vous souvenez même pas de vos fautes? Si vous y songez, en effet, votre , tâche est accomplie. Quand on a dépassé le seuil, on est dans la maison, de même quand on repasse ses fautes en soi-même, quand, on fait, chaque jour, son examen de conscience, on parvient à s'en corriger. Mais si l'on se borne à dire : J'ai péché, sans penser aux diverses espèces de péchés que l'on a commis ; si l'on ne se dit pas : j'ai péché de telle et telle manière, on ne se corrigera jamais. On se confessera toujours et l'on ne songera jamais à s'amender. Commençons, entrons dans la voie de la pénitence. et tout ira de soi-même. Ce qu'il y a de difficile, c'est de commencer. Jetons les bases de l'édifice ; le reste ira tout seul.
Commençons donc, je vous en prie : prions avec instance, pleurons sans cesse ou gémissons. Le moindre signe de repentir porte ses fruits. « J'ai vu », dit l'Ecriture, « j'ai vu l'affliction du pécheur; il marchait tristement et je lui ai aplani la voie ». (Isaïe, LVII, 17.) Ayons tous recours à l'aumône, au pardon, à l'oubli des injures, et renonçons à 1a. vengeance, afin d'humilier nôs âmes. Si nous ne perdons pas de vue nos péchés, les biens extérieurs ne pourront jamais enfler nos âmes. Les richesses, la puissance, le rang suprême, les dignités, les honneurs n'auront sur nous aucune influence; quand nous serions assis sur un char royal, nous gémirons toujours avec amertume. Le bienheureux David aussi était roi et il disait : « J'arroserai, chaque nuit, mon lit de mes larmes ». (Ps. VI, 6.) La pourpre et le diadème ne gâtèrent point son coeur et ne lui donnèrent pas d'orgueil. Il n'oubliait pas qu'il était homme et, comme il avait la contrition, il se lamentait. Les choses humaines, en effet, ne sont que cendre et poussière, c'est une poussière que le vent dissipe; c'est une ombre, une fumée; c'est la feuille qui est le jouet d'un souffle, c'est une fleur, un songe, un bruit qui passe; un air léger qui s'évanouit au hasard ; c'est la plume sans consistance qui s'envole ; c'est l'eau qui s'écoule; c'est moins que tout cela... Qu'est-ce qu'il y a de grand ici-bas, je vous le demande? Quelle est la dignité qui vous éblouit? Est-ce la dignité consulaire, cette dignité qui, dans l'opinion du vulgaire, est le degré suprême de la grandeur? Mais l'homme qui s'est trouvé revêtu d'une dignité aussi éclatante, l'homme qui s'est attiré tant d'admirateurs, n'est pas plus avancé que celui qui n'est pas consul. Ils sont égaux devant la mort; encore un peu de temps, et tous les deux ne seront plus. Répondez combien de temps a duré cette splendeur? Deux jours, l'espace d'un songe. Mais, me direz-vous, un songe n'est qu'un songe. Eh bien ! ce qui se passe ici-bas, en plein jour, n'est-ce pas un songe aussi ? Pourquoi donner un autre nom à ces événements ? Quand le jour paraît, le songe rentre dans le néant ; une fois la nuit venue, ces grands événements du jour ne sont plus rien. Eh bien ! le jour et la nuit ne se partagent-ils point la durée par égales portions? Si donc ces agréables rêves d'une nuit ne laissent pas de trace pendant le jour, comment les événements de la journée laisseraient-ils pendant la nuit une impression de plaisir? Vous avez été consul,.et moi aussi. La différence entre nous, c'est que vous avez été consul, pendant le jour, et moi pendant la nuit. Qu'en résulte-t-il ?C'est que vous n'êtes pas plus avancé que moi.
Mais, direz-vous peut-être, ce nom de consul que fon vous donne en réalité ne résonne-t-il pas à vos oreilles avec plus de douceur, et n'a-t-il pas tous les charmes de la renommée? Eh quoi! car je veux faire une supposition et m'expliquer plus clairement, une fois que j'aurai dit: Un tel est consul, une fois que je lui aurai donné ce nom, (496) n'est-ce pas là un mot qui s'envole aussitôt qu'on le prononce? Et certes, la chose a le même sort que le mot. Le consul ne fait que paraître, et il n'est déjà plus. Donnons à ce dignitaire un ou deux ans, trois ou quatre ans, pour rester consul... c'est bien assez. Car où trouver des hommes qui aient été consuls pendant dix ans? Mais il n'en est pas ainsi de Paul. Tant qu'il a vécu, sa splendeur n'a pas été cette splendeur éphémère qui brille un ou deux jours, qui s'éclipse au bout de dix, de vingt ou de trente jours, qui s'efface au bout de dix ans, de vingt ans ou de trente ans. Quatre cents ans ont déjà passé sur sa cendre, et aujourd'hui il est plus illustre encore et bien plus illustre que de son vivant. Et je ne parle ici que de sa gloire terrestre ; car la gloire dont il est revêtu dans les cieux, quelle bouche pourrait l'exprimer? Aspirons donc, je vous en prie, à cette gloire céleste; tâchons de l'obtenir; car c'est la seule gloire véritable. Laissons de côté les biens de cette vie, pour trouver grâce et miséricorde devant Jésus-Christ Notre-Seigneur, auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur, puissance et adoration, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE X. LORSQU'UNE TERRE, SOUVENT ARROSÉE PAR LA PLUIE,
PRODUIT DES HERBAGES UTILES A CEUX QUI LA CULTIVENT, ELLE REÇOIT
LA BÉNÉDICTION DE DIEU; MAIS QUAND ELLE NE JETTE QUE DES
ÉPINES ET DES RONCES, C'EST UNE TERRE RÉPROUVÉE QUI
EST MENACÉE DE LA MALÉDICTION DU SEIGNEUR, ET A LAQUELLE
IL FINIT PAR METTRE LE FEU. (VI, 7, 8, JUSQU'À-12.)
Analyse.
1. La terre dont il est question dans le septième et dans le huitième verset du chapitre VI, c'est l'âme humaine; la pluie, c'est 1a doctrine céleste. — La crainte du Seigneur ne doit pas abandonner nos âmes.
2. En méditant les paroles du verset 8, on voit que Dieu laisse jusqu'à la fin la porte du salut ouverte au repentir, et que lest à la persistance dans le mal qu'il réserve ses terribles châtiments.
3. Paul, en parlant aux Hébreux, sait mêler, dans de justes proportions, l'éloge et le blâme. Il rappelle aux Hébreux leur passé; il leur cite l'exemple d'Abraham.
4. La charité du chrétien ne doit avoir rien de mesquin
ni d'étroit. — Elle doit s'étendre aux laïques comme
aux religieux, au païens comme aux fidèles. — Il serait honteux
pour lui de rester, en fait de charité, au-dessous du bon samaritain.
1. Ecoutons avec crainte la parole de Dieu ; écoutons-la avec crainte et avec une crainte profonde. « Servez Dieu avec crainte », dit le Psalmiste, « et réjouissez-vous devant lui avec terreur ». (Ps. II, 11.) Or, si notre joie et notre allégresse doivent être mêlées de terreur, que sera-ce donc quand nous entendrons des paroles, comme celles de ce chapitre, et quel châtiment ne méritons-nous pas si nous écoutons ces paroles sans émotion ? Après avoir dit que l'homme devenu pécheur après le baptême, ne peut en recevoir un second et obtenir, par ce second baptême, la,rémission de ses péchés, l'apôtre ajoute aussitôt : « Lorsqu'une terre, souvent arrosée par la pluie produit des herbages utiles à ceux qui la cultivent; elle reçoit la bénédiction de Dieu. Mais, quand elle ne jette que des épines et des ronces, c'est une terre réprouvée qui est menacée de la malédiction du Seigneur, et à laquelle il finit par mettre le feu »: Tremblez donc, ô mes chers frères. Ces paroles menaçantes ne. sont ni celles de saint Paul, ni celles d'un homme; ce sont celles de l'Esprit-Saint, ce sont celles du Christ qui emprunte la voix de l'apôtre., Où trouver ces âmes qui ressemblent à des champs sans épines? Quand nous serions tout à fait purs, il ne faudrait pas encore avoir, trop de confiance. Nous devrions toujours craindre, nous devrions toujours trembler de sentir les épines germer dans nos âmes. Mais, quand nous sommes au dedans tout hérissés d'épines, et de ronces, d'où nous vient tant de confiance, je vous le demande ? Pourquoi tant de paresse et tant de lenteur? Quand on est debout, on doit craindre de tomber. « Que celui qui est debout prenne garde de tomber, dit saint Paul ». (I Cor. X, 12.) A plus forte raison, quand on est tombé, on doit avoir peur de ne plus pouvoir se relever. Si Paul, ce prédicateur de la foi, cet homme juste craint d'être réprouvé (I Cor. IX, 27); nous qui sommes- des réprouvés en effet, quel pardon pouvons-nous attendre, quand nous né craignons pas Dieu, quand nous remplissons nos devoirs de chrétiens par routine et à la légère ? Tremblons donc, ô mes chers frères « car Dieu manifeste sa colère du haut des cieux ». (Rom. I, 18.) Cette colère éclate non-seulement contre l'impiété, mais contre toute iniquité grande et petite.
Puis saint Paul fait allusion à la bonté de Dieu et à sa clémence. Cette pluie dont il nous-parle, c'est la doctrine céleste. Par ce seul mot , il rappelle ce, qu'il a dit plus haut : « Vous devriez déjà être des maîtres ». Dans maints passages de l'Ecriture on rencontre cette comparaison de la doctrine céleste avec une pluie féconde. « J'ordonnerai aux nuages », dit le Seigneur, « de ne pas laisser tomber la pluie sur cette vigne ». (Isaïe, V, 6.) (497) Ailleurs l'amour de la doctrine chrétienne est comparé à la faim et à la soif. (Amos, LV, 11 .) Et dans un autre endroit, il est dit encore : « Le fleuve de Dieu coule à pleins bords ». (Ps. LXIV, 10.) Ces mots « une terre souvent arrosée par la pluie », montrent que les Hébreux ont entendu la parole de Dieu, mais que cette parole a arrosé leurs âmes sans les féconder. Paul semble dire à ses auditeurs: Si vos âmes n'avaient pas été cultivées et arrosées, votre malheur ne serait pas si grand. « Si je n'étais pas venu », est-il dit, « si je ne leur avais pas parlé, il n'y aurait pas eu péché de leur part ». (Jean, XV, 22.) Mais, puisque vous avez reçu en abondance la parole de Dieu, pourquoi ces mauvaises herbes qui ont remplacé les fruits? « J'attendais des raisins et je trouve des épines ». (lsaïe, VI, 2.) Vous voyez que dans l'Ecriture, les épines représentent toujours les péchés : « Je me suis tourné et retourné dans mon malheur, et les épines se sont enfoncées dans ma chair ». (Ps. XXXI, 4.) C'est que l'épine n'entre pas seulement dans l'âme, elle s'y enfonce. C'est qu'il en est du péché comme de l'épine ; si nous ne l'arrachons en, entier de notre âme, le peu qui reste, nous fait souffrir. Que dis-je ? le péché une fois arraché tout entier de notre âme, y laisse de douloureuses cicatrices. Il faut bien des remèdes, il faut un traitement assidu pour opérer la guérison pleine et entière de cette âme blessée et endolorie par le péché. Il ne suffit pas d'extirper le péché, il faut panser. et soigner la plaie qu'il a faite. Mais j'ai bien peur que plus encore que les juifs, nous ne devions nous appliquer les paroles de l'apôtre: « Une terre souvent arrosée ». Cette parole de Dieu en effet descend sur nous sans cesse, elle imprègne sans cesse nos âmes. Mais, au premier rayon de soleil, toute cette pluie s'évapore, et voilà pourquoi nous ne produisons que des épines. Ces épines quelles sont-elles? Ecoutons-le Christ; il nous dira que ce sont les préoccupations mondaines et les trompeuses richesses de cette terre qui étouffent la doctrine de Dieu et qui la rendent stérile. (Luc, VIII, 14.) Notre âme, sans cela, serait « une terre fréquemment arrosée et produisant des plantes utiles ».
2. Il n'y a rien d'aussi utile que la pureté de la vie, rien qui offre un ensemble aussi harmonieux que la vie parfaite, rien qui convienne autant à l'homme que la vertu. « Produisant », est-il dit, « des herbages utiles à ceux qui la cultivent, elle reçoit la bénédiction de Dieu ». Il rapporte ici tout à Dieu, en attaquant indirectement les gentils qui attribuaient la production des fruits à la fertilité de la terre. Ce n'est pas la main du laboureur, dit-il, c'est l'ordre de Dieu qui lui fait porter ces fruits. « Elle reçoit la bénédiction de Dieu ». Et voyez comment il s'exprime en parlant des épines. Il ne dit pas « produisant », mot qui entraîne une idée d'utilité ; il dit: « Jetant » des épines. « Est une terre réprouvée », dit-il, â et menacée dé la malédiction du Seigneur». Ah ! combien ces paroles sont consolantes. Elle est menacée d'être maudite ; mais elle ne l'est pas encore. Or, quand on n'est pas encore maudit, quand on n'est encore que menacé, la malédiction peut être loin. Autre consolation: il n'a pas dit: C'est une terre à laquelle il mettra le feu, mais à laquelle il « finit » par mettre le feu. Ce châtiment est réservé à la terre qui continue jusqu'à la tin à être une mauvaise terre. Si donc nous chassons avec le fer et le feules épines de notre cœur, nous pourrons jouir d'avantages sans nombre, nous pourrons être au nombre des bons,et participer à la bénédiction de Dieu. C'est avec raison qu'il compare les péchés à des ronces ; le péché en effet, annoncé partout son contact par des lésions, par des déchirements; son aspect même est hideux et repoussant. Après les avoir frappés, épouvantés et piqués au vif, il met un baume sur les plaies qu'il leur a faites, pour qu'ils ne soient pas trop abattus ; car des coups trop violents changent la lenteur en apathie. Il ne les flatte pas trop, pour ne pas leur donner trop de confiance, il ne les frappe pas trop, de peur de les abrutir; mais il mêle, dans de justes proportions, les coups qu'il porte et les remèdes, pour arriver à ses fins. Voici son langage : En vous parlant ainsi, nous n'avons pas pour but de vous condamner, nous ne vous regardons pas comme des natures hérissées d'épines, nous ne craignons même pas que vous soyez jamais ainsi, mais nous aimons mieux vous imposer une crainte salutaire que de vous voir souffrir un jour. Voilà comment saint Paul sait s'y prendre. Il n'a pas dit : Nous pensons, nous conjecturons, nous espérons que vous serez sauvés; il a dit : « Nous avons confiance en vous », nous attendons de vous une conduite meilleure et plus en rapport avec votre salut. Il écrivait aux Galates J'espère de la bonté du Seigneur que vous n'aurez pas d'autres sentiments que les miens. (Galates, V, 10.) Il parle ainsi pour l'avenir; car il avait réprimandé les Galates; et leur conduite; pour le moment, ne méritait pas ses éloges. Mais dans cette épître aux Hébreux, il parle du présent . « Nous avons confiance, nous augurons ».
Mais n'ayant pas grand'chose de bon à dire de l'état des juifs, à l'époque où il parle, il cherche dans leur passé des motifs de consolation qu'il leur présente en ces termes : « Dieu n'est pas injuste pour oublier vos bonnes oeuvres et la charité que vous avez témoignée par l'assistance que vous avez rendue en son nom et que vous rendez encore aux saints (10) ». Ah! comme il sait bien ranimer, raffermir leurs âmes, en leur rappelant le passé, en leur rappelant que Dieu n'a rien oublié ! Le moyen d'éviter le péché en effet, si l'on ne croit pas fermement à la justice des jugements de Dieu, si l'on ne croit pas fermement qu'il, récompensera chacun selon ses oeuvres? Sans cette conviction, comment peut-on croire à la justice de Dieu? Il force donc les Hébreux à tourner leurs regards vers l'avenir. Car l'homme que le présent décourage et désespère, peut encore puiser dans la contemplation de l'avenir une certaine confiance. Voilà pourquoi il écrivait aux Galates : « Vous couriez si bien autrefois. Qui donc est venu enchaîner votre ardeur? » Puis : « Avez-vous donc souffert en vain tant d'épreuves, si toutefois vous les avez souffertes en vain? » Dans cette épître aux Hébreux ne leur dit-il pas, d'un ton de reproche qui renferme (498) aussi un éloge. Depuis le temps que vous apprenez, vous devriez être des maîtres ? Eh bien ! Il dit aussi aux Galates : « Je m'étonne que vous ayez changé si vite ». Cet étonnement implique un éloge; car lorsqu'on a fait de grandes choses et qu'on ne les fait plus, nous nous étonnons. Voyez-vous maintenant comme, sous l'accusation et la réprimande, l'apôtre s'entend bien à cacher un éloge? Et il ne parle pas en son nom ; il parle au nom de tout le monde. Il ne dit pas : J'ai confiance, mais : « Nous avons confiance en vous. « Nous augurons mieux de votre salut » : c'est-à-dire de votre conduite à l'avenir ou de la rémunération qui vous attend. S'il, a parlé plus haut de cette terre réprouvée qui est menacée de la malédiction et du feu, il prévient toute application que les Hébreux pourraient se faire à eux-mêmes de ces paroles, et il se hâte d'ajouter : « Dieu n'est point injuste pour, oublier vos oeuvres et votre charité », leur montrant par là que ce qu'il a dit plus haut ne s'applique pas directement à eux. Mais si ces menaces ne s'appliquent pas à nous, pourraient objecter ses auditeurs, pourquoi ces paroles qui semblent nous reprocher notre paresse? Pourquoi nous rappeler cette terre qui jette des épines et dés ronces? «Nous désirons », dit l'apôtre , « que chacun de vous fasse paraître jusqu'à la fin le même zèle, afin que votre espérance soit. accomplie et que vous ne soyez point paresseux, mais que vous vous rendiez les imitateurs de ceux qui, par leur foi et par leur « patience, sont devenus les héritiers des promesses (11, 12) ».
3. Nous désirons, dit-il, et notre désir est bien réel. Mais que désirez-vous, ô saint apôtre ? Nous désirons que vous persévériez dans la vertu, non parce que nous condamnons votre passé, mais parce que nous craignons pour l'avenir. Il n'a pas dit : Ce n'est pas votre passé que je condamne, c'est le présent, c'est votre dissolution, c'est la paresse dans laquelle vous êtes tombés. Non , le reproche, il le leur adresse avec douceur et à, mots couverts; il ne les frappe pas brutalement. Que dit-il en effet? Il dit : « Nous désirons que chacun de vous fasse paraître jusqu'à la fin le même zèle ». Paul, en cette circonstance, fait preuve d'un tact admirable. Il ne leur met pas sous tes yeux leur tiédeur. « Nous souhaitons que chacun de vous fasse paraître jusqu'à la fiai le même zèle », leur dit-il; c'est-à-dire : Je fais des voeux pour que votre ardeur ne se refroidisse pas, pour que vous soyez maintenant et toujours tels qu'on vous a vus d'abord. Ces ménagements ôtent l'amertume du reproche qui de cette manière est accepté facilement. Et encore ne dit-il pas : Je veux; ce n'est pas un maître qui commande; c'est un père, bienveillant qui exprime un souhait. « Nous désirons »; c'est comme s'il s'excusait d'avoir quelque chose de pénible à leur dire. « Nous désirons que chacun de vous fasse paraître jusqu'à la fin le même zèle, afin que votre espérance soit accomplie». Quel est le sens de ces mots? L'espérance, dit-il, vous soutient et vous ranime. Ne vous laissez point abattre,ne vous désespérez pas; vos espérances ne seront point vaines. Quand on fait bien, on doit avoir bon espoir, on ne doit jamais désespérer. « Afin que vous ne deveniez point paresseux ». Il leur a dit plus haut : « Vous êtes devenus inattentifs ». Mais, en parlant ainsi, il ne s'en prend qu'à leur inattention du moment, maintenant ses paroles ont un autre sens. Il était sur le point de leur dire : Ne persistez pas dans votre tiédeur, mais il leur dit :.Gardez-vous de tomber dans la paresse. II parle pour l'avenir, et ses paroles n'ont rien de compromettant; car on ne peut condamner l'avenir qui n'existe pas encore. Dire à un homme négligent: Maintenant faites diligence et montrez-vous vigilant, c'est peut-être le moyen de le rendre plus négligent et plus paresseux. Mais, quand on dit : « A l'avenir », il n'en est pas ainsi. « Nous désirons;», dit-il, « que chacun de vous fasse paraître le même zèle ». C'est un langage plein de bienveillance; il s'occupe des grands et des petits; il les connaît tous, il ne méprise personne ; tous ses auditeurs ont également part à- sa sollicitude et à sa considération. C'est ainsi qu'il leur faisait accepter sa parole, quelque sévère, quelque amère qu'elle fût. « Il ne faut pas que vous deveniez paresseux », dit-il, car, si la paresse altère les forces physiques, elle rend l'âme moins ardente pour le bien, elle l'énerve, elle l'affaiblit.
« Imitez », dit-il, « ceux qui par leur foi et par leur patience sont devenus les héritiers des promesses ». Et ceux-là quels sont-ils? Il vous le dit plus bas. Marchez sur les traces de votre passé. Et, pour qu'ils ne l'interrogent plus à ce sujet, il remonte jusqu'à Abraham le patriarche, il leur. montre le beau côté de leur propre histoire, il leur offre, pour affermir leurs âmes, l'exemple du saint patriarche. Il ne veut pas qu'ils se regardent comme une race dédaignée, comme une race sans valeur et abandonnée de Dieu. Il faut qu'ils se pénètrent de cette vérité, qu'il appartient aux âmes nobles et courageuses de traverser les épreuves, et que Dieu s'est -servi des grands hommes, pour offrir cet exemple au monde. Il faut, dit-il, tout supporter avec patience ; cette patience est encore de la foi.. Car si. celui qui vous, fait une promesse (accomplit à l'instant même, quelle occasion avez-vous eue de prouver votre confiance en lui? Le mérite n'est plus de votre côté; il est du mien. C'est moi qui ai prouvé tout d'abord ma fidélité il tenir ma parole. Mais si je vous dis : Voilà un don que je vous promets et si je ne vous fais ce don. que dans cent ans, sans que, pour cela, vous ne cessiez de compter sur moi, oh! alors, c'est que vous avez confiance en moi, c'est que vous avez de moi l'opinion que. je mérite. Vous voyez que l'incrédulité prend souvent sa source, non-seulement. dans le désespoir, mais encore dans la faiblesse, dans l'impatience; vous voyez qu'elle ne vient pas de celui qui promet. « Dieu n'est pas injuste», dit l'apôtre, «pour oublier la tendre sollicitude que vous avez témoignée par les assistances que vous avez rendues en son nom et que vous rendez encore aux saints ». Voyez comme il les ménage et comme il insiste sur ce point, Cette tendre sollicitude, ce n'est pas seulement aux, saints, c'est à Dieu même que vous l'avez (499) témoignée. Tel est le sens de ces trois mots : « En son nom », c'est comme s'il disait: C'est pour la gloire de son nom que vous avez tout fait, et celui auquel vous avez témoigné cette tendre sollicitude ne vous dédaignera jamais et ne vous oubliera pas.
4. Soyons attentifs à ces paroles, et prêtons aux saints notre assistance, car tous les fidèles sont des saints tant qu'ils restent fidèles. Qu'ils soient laïques et séculiers, peu importe. L'apôtre ne dit-il pas: « Le mari infidèle est sanctifié par une épouse fidèle, et l'épouse infidèle par un mari fidèle? » Voyez comme la foi sanctifie. Si donc nous voyons un laïque dans le malheur, tendons-lui la main Que les solitaires qui se sont retirés sur la montagne ne soient pas les seuls objets de notre sympathie. Ils sont saints en même temps par leur vie et par leur foi : Mais, outre ces hommes, il en est d'autres qui sont saints par leur foi, et beaucoup d'autres parleur vie. Entrons dans le cachot du moine; mais pénétrons aussi dans celui du laïque. Le laïque aussi est un saint; le laïque aussi est notre frère. Mais si c'est un pécheur souillé de crimes? Eh bien! n'entendez-vous pas la voix du Christ qui vous dit : Ne lugez pas les autres, pour n'être pas jugés vous-mêmes? (Matth. VII, 1.) Faites cela pour Dieu. Mais que dis-je? Quand cet infortuné serait un païen, il faudrait encore le secourir. Il faut secourir en un mot tous les malheureux, mais surtout les laïques, quand ce sont des fidèles. Ecoutez cette parole de Paul : «Faites du bien à tout le monde », mais surtout « aux fidèles qui servent, comme vous, le Seigneur ». (Gal. VI, 10.) Je ne sais où nous avons pris cette; habitude qui s'est introduite chez nous. Mais rechercher exclusivement, pour répandre sur eux ses bienfaits, les hommes voués à la vie monastique, entrer dans mille détails minutieux et dire : Si ce n'est pas un digne homme, si ce n'est pas un juste, s'il ne fait pas de miracles, je ne lui tends pas la main, c'est rapetisser la charité, c'est, même l'anéantir avec le temps. Oui telle est la nature de la charité, qu'il faut la faire même aux pécheurs, même aux coupables. Etre charitable; c'est avoir pitié non-seulement des bons, mais des pécheurs.
Pour vous en convaincre, écoutez cette parabole du Christ : « Un homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho, tomba entre les mains des voleurs ». (Luc, X, 30, etc.) Ils le maltraitèrent et s'en allèrent, le laissant sur la route blessé et demi-mort. Survint un lévite qui aperçut le blessé et qui passa son chemin. Un prêtre en fit autant ; il vit ce malheureux et passa outre. Mais un Samaritain étant venu à l'endroit où était cet homme, en prit le plus grand soin. Il pansa ses blessures, y versa de l'huile, et l'ayant mis sur un âne, il le conduisit à une hôtellerie, et le recommanda à l'hôte. Et voyez la générosité de ce Samaritain : Je vous rembourserai de tous vos frais, dit-il à l'hôte. Eh bien! dit Jésus à un docteur de la loi, quel est du lévite, du prêtre ou du Samaritain, celui qui s'est montré le prochain de cet homme ?» Le docteur lui répondit : « C'est celui qui a exercé la miséricorde envers lui ». « Allez donc », lui dit Jésus , « et faites de même ». Comprenez-vous le sens de cette parole? Il n'y est pas fait mention de la reconnaissance du juif pour le Samaritain, mais de la conduite généreuse de ce dernier. La morale de cette parabole, c'est que notre charité doit être universelle, qu'elle ne doit pas s'étendre uniquement aux fidèles qui servent le Seigneur comme nous. Vous aussi faites comme le Samaritain. Si vous voyez un malheureux, n'en demandez pas davantage ; son malheur est un titre qui lui donne droit à votre assistance. Si vous secourez un âne qui va périr, sans demander à qui il appartient, vous devez à plus forte raison secourir un homme, sans vous demander' s'il appartient à Dieu, s'il est juif ou païen. Si c'est un infidèle, c'est une raison de plus pour venir à son secours. S'il vous était permis d'examiner qui il est, et de le juger, toutes vos réflexions pourraient être raisonnables; mais son malheur vous ôte le droit de l'examiner. Car, s'il ne faut pas s'enquérir curieusement de ceux qui sont dans un état florissant, s'il ne faut pas se mêler des affaires des autres, la curiosité est encore bien plus condamnable, quand elle s'exerce aux dépens d'un malheureux. Mais vous, que faites-vous? Lorsque vous traitez cet homme de méchant et de pervers, est-il dans la prospérité, est-il tout brillant de gloire et de renommée? Non : cet homme est malheureux. Eh bien ! respect au malheur; ne traitez pas un infortuné de méchant et de pervers. C'est à celui que l'éclat environne qu'il faut adresser de semblables épithètes. Mais, quand un homme est dans le malheur, quand il a besoin de secours, il y aurait de la cruauté, il y aurait de l'inhumanité à l'appeler méchant et pervers.
Quoi de plus injuste que les juifs? Cependant, tout en les punissant, comme ils le méritaient, Dieu a jeté un regard favorable sur ceux qui avaient pitié d'eux, et il a puni à leur tour ceux qui insultaient et qui applaudissaient à leur malheur. « Ils n'étaient pas touchés », est-il dit, « de la contrition de joseph ». (Amos, VI, 6.) Et il est dit- encore : « Rachetez les captifs que l'on est en train d'immoler; pour les racheter, n'épargnez pas vos richesses ». (Prov. XXIV, 31.) Le livre ne dit pas: Examinez bien cet homme et sachez qui il est: car il est vrai de dire que ces esclaves ont pour la plupart bien des défauts. Mais le livre dit simplement: «Rachetez-les»,quels qu'ils soient. Voilà surtout ce qui constitue la charité. Faire du bien à un ami, en effet, ce n'est pas agir en vue de Dieu ; mais faire du bien à un inconnu, voilà ce qui s'appelle faire le bien pour Dieu, dans toute la pureté, dans toute la sincérité de son âme. L'Ecriture dit : N'épargnez pas vos richesses ;s'il tant donner tout l'or que vous possédez, donnez-le. Et nous, à l'aspect de nos frères qui périssent, qui se lamentent, qui souffrent, injustement parfois, des tourments mille fois plus cruels que la mort, c'est notre argent, ce ne sont pas nos frères que nous épargnons. Nous ménageons ce qui n'a point d'âme, sans nous inquiéter des êtres animés. Cependant Paul nous dit : « Il faut reprendre avec douceur ceux qui résistent à la vérité, dans l'espérance que Dieu pourra leur donner un jour (500) l'esprit de pénitence, pour la leur faire connaître, et qu'ainsi ils sortiront des piéges du démon qui les tient captifs, pour en faire ce qu'il lui plaît». ( II Timothée, II, 25, 26.) « Dans l'espoir ». Quelle patience sublime exprimée parce seul mot ! Faisons donc ainsi et ne désespérons de personne. Les pécheurs jettent souvent leurs filets à la mer, sans rien prendre; mais s'ils persévèrent, ils finissent par faire une bonne pêche. C'est pourquoi nous aussi nous ne désespérons pas et nous attendons que nos instructions portent leurs fruits et que ces
fruits mûrissent dans vos âmes. Quand le laboureur a semé,
il attend un jour, deux jours, bien des jours encore; puis tout à
coup il voit de toutes parts germer la moisson. Cette moisson, nous l'attendons
comme lui et nous la recueillerons dans vos âmes, par la grâce
et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel conjointement
avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur et puissance, maintenant
et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi
soit-il.
Traduit par M. BAISSEY.
HOMÉLIE XI. CAR DIEU, DANS LA PROMESSE QU'IL FIT A ABRAHAM, N'AYANT
POINT DE PLUS GRAND QUE LUI PAR QUI IL PUT JURER, JURA PAR LUI-MÊME.
(VI, 13, JUSQU'À 19.)
Analyse.
1 et 2. Abraham est cité comme type de l'espérance chrétienne. — Il a vu se réaliser certaines promesses dans le temps; il a attendu la réalisation des autres dans une vie meilleure. — La promesse de Dieu est appuyée de son serment. — Le Père et le Fils s'abaissent à nos usages pour exciter notre foi et notre espérance. — L'espérance est une ancre solide, et Jésus est notre précurseur au ciel.
3 et 4. Le sacrifice que Dieu demande est, avant tout, celui du coeur
et l'offrande de la vertu. — Bien noble est aussi le sacrifice du corps,
le martyre volontaire de la pénitence. — Le sacrifice de l'argent
par l'aumône complète notre holocauste. — Ayons l'intelligence
du pauvre. — Vaines excuses pour ne pas donner; reproches cruels faits
aux pauvres. — La malignité accuse même les moines mendiants.
1. L'apôtre avait commencé par remuer fortement, par effrayer saintement, ses chers Hébreux. Maintenant il leur donne une double consolation la louange d'abord, et bientôt, ce qui est plus encourageant encore, l'assurance certaine de posséder un jour ces biens qui font l'objet de leur espérance. Et cette consolation il la tire non du présent, mais encore une fois du passé : ce qui était plus persuasif pour eux. De même que pour les effrayer davantage, il leur a fait envisager le châtiment à venir, de même, pour mieux les consoler maintenant, il leur fait entrevoir les récompenses futures. Il montre aussi que la conduite ordinaire de Dieu est non pas de réaliser sur-le-champ ses promesses, mais de les ajourner au contraire longtemps. Et ce plan divin révèle deux intentions : Dieu veut d'abord nous donner ainsi une preuve dé sa grande puissance, puis nous exciter à la confiance en lui, afin que vivant au sein des tribulations sans recevoir encore les récompenses promises, nous soyons engagés à ne point défaillir à la peine. Oubliant tous les autres modèles en ce genre, bien qu'il en ait beaucoup, saint Paul met en scène Abraham , tant à cause de la dignité de ce grand homme, que parce que, plus que personne, il a ici donné l'exemple. Il avoue, cependant, à la fin de son épître, que tous les élus de l'Ancien Testament dont il rappelle la mémoire, après avoir contemplé et embrassé de loin tes promesses, ne les ont pas reçues toutefois; Dieu n'ayant pas voulu qu'ils fussent couronnés sans nous.
«Car Dieu, dans la promesse qu'il fit à Abraham, n'ayant
point de plus grand que lui-même par qui il pût jurer, jura
par lui-même, et lui dit ensuite : Soyez assuré que je vous
comblerai de mes bénédictions et que je multiplierai votre
race à l'infini ; et ayant ainsi attendu avec patience, il a obtenu
l'effet de ses promesses (13-15) ». Comment donc l'apôtre,
à latin de cette épître , avance-t:-il qu'Abraham même
ne reçut point l'accomplissement des promesses, tandis qu'ici, selon
lui, sa longue patience lui en obtint l'effet? En quel sens n'a-t-il pas
reçu? En quel sens a-t-il obtenu? — C'est qu'il ne s'agit pas des
mêmes promesses et récompenses dans les deux passages. Abraham
a été, lui, doublement couronné. Des promesses lui
ont été faites. Les premières, celles dont il s'agit
ici, se réalisèrent dans sa vie après un long délai,
mais non pas les secondes; celles-ci regardent un autre avenir; dans les
deux cas, au reste, sa longue patience lui en valut l'accomplissement.
Voyez-vous que la promesse à elle seule n'a pas tout fait, mais
qu'il fallut encore une longue patience? Cette réflexion de l'apôtre
est faite pour inspirer aux Hébreux la terreur, en leur apprenant
que souvent la promesse se brise contre une honteuse pusillanimité.
Et il. le prouve par l'histoire de son peuple. C'est par le fait de leur
étroitesse de coeur que les Israélites n'ont pas atteint
le but de la promesse; Abraham lai sert à montrer tout l'opposé.
Quant aux paroles qui terminent son écrit, elles nous apprennent
que ceux mêmes dont la longue patience n'a pas été
couronnée par le succès, ne se sont pas pour cela découragés.
501
« Les hommes jurent par un plus grand qu'eux-mêmes, et le serment à leurs yeux doit clore tout débat important. Or, Dieu ne pouvant jurer par un plus grand que lui a juré par lui-même (16) ». C'est vrai. Mais qui est celui qui fit à Abraham ce serment? N'est-ce pas le Fils? Non, dites-vous. — Et pourquoi dites-vous non ? — C'est bien certainement lui; mais je ne dispute pas. Car, lorsqu'il se sert lui-même de cette formule de serment: « En vérité, en vérité, je vous le dis », n'est-ce pas, de fait, parce qu'il n'a pas non plus de supérieur par qui il puisse jurer? En effet, aussi bien que le Père, le Fils jure par lui-même, quand il s'exprime ainsi : « Eu vérité, en vérité, je vous le a dis». L'apôtre rappelle aux Hébreux les formules de serment dont le Christ usait si fréquemment : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi ne mourra point éternellement ». Mais que veut dire ceci : « Le serment clôt et confirme toute controverse ?» — Comprenez que le serment, dans toute discussion, fait évanouir les doutes; et entendez-le, non de telle ou telle discussion, mais de toutes en général. Cependant, même sans ajouter de serment , Dieu doit avoir toute notre foi.
« C'est pourquoi Dieu voulant faire voir avec plus de certitude aux héritiers de la promesse, la fermeté immuable de sa résolution, a employé le serment (17) ». Ces «héritiers » comprennent aussi les chrétiens fidèles, et c'est pourquoi l'apôtre rappelle cette promesse faite à toute la communauté des croyants. Il a, dit-il, employé le moyen du serment. Ce serment qui sert de moyen terme, nous rappelle que le Fils a été intercesseur entre Dieu et nous. « Afin qu'étant appuyés sur ces deux choses inébranlables par lesquelles il est impossible que Dieu nous trompe... (18) ». Quelles sont ces deux choses? Sa parole et la promesse d'une part, et de l'autre le serment qu'il ajoute à sa promesse. Car, comme chez les humains, le serment paraît plus croyable que la simple affirmation, il a bien voulu le donner par surcroît.
2. Vous voyez que Dieu ne tient pas compte de sa dignité, mais que son but est de persuader les hommes; à; ce prix, il permet qu'on parle de lui-même en termes si peu dignes, parce qu'il veut nous convaincre pleinement et sûrement. Dans le fait d'Abraham, l'apôtre nous montre que tout vient de Dieu, et non pas de la longue patience de ce patriarche, puisque Dieu daigne et promettre et jurer. Les hommes jurent par Lui; Dieu aussi jure par lui-même; mais les hommes lui font appel comme à plus grand qu'eux; lui qui ne peut invoquer plus grand que soi , s'invoque cependant. Car il y a une grande différence qu'un homme jure par soi ou jure au nom de Dieu, puisque l'homme n'est aucunement maître de sa chétive personnalité. Or, voyez que ces paroles ne sont pas plus à l'adresse d"Abraham qu'à la nôtre. «Ayons », dit l'apôtre, « ayons, une très-solide consolation, nous qui avons mis, notre refuge dans la conquête des biens qui nous sont proposés par l'espérance ». Ici encore la réalisation des promesses est présentée comme étant l'effet de la patience de l'attente et non pas du serment.
Quant à la nature du serment, il la définit en disant qu'on jure par plus grand que soi. C'est parce que les hommes sont incrédules, que Dieu s'abaisse ainsi à nos idées et à nos exemples. Oui, c'est à cause de nous qu'il fait serment, bien que ce soit une indignité de ne pas le croire simplement. C'est dans le même sens qu'il est écrit : « Il a appris par, les épreuves qu'il a subies », parce que aux yeux des hommes, pour être plus digne de foi sur un point, il faut en avoir fait l'expérience. — Qu'est-ce que « l'espérance proposée? » Que le passé, dit-il, nous garantisse l'avenir. Car si une première promesse s'est ainsi réalisée après un long délai, ainsi bien certainement en sera-t-il des secondes promesses. Ce qui est arrivé à Abraham, nous fait foi des biens à venir.
« Espérance qui sert à notre âme comme d'une
ancre ferme et assurée et qui pénètre jusqu'au dedans
du voile, ou Jésus comme précurseur est entré pour
nous, ayant été établi Pontife éternel selon
l'ordre de Melchisédech (19. 20) ». Bien que nous soyons encore
dans ce monde, et non délivrés de la vie présente,
l'apôtre nous montre en possession des promesses. Grâce à
l'espérance, en effet, nous sommes déjà dans les cieux.
Attendez, nous dit-il, le succès est certain. Et bientôt nous
apportant une conviction pleine et définitive; pour mieux dire,
s'écrie-t-il, l'espérance vous met déjà en
possession. Il ne dit pas Nous sommes dans-le ciel; mais :Notre espérance
y est entrée, ce qui est plus vrai et plus persuasif. Telle, en
effet, que l'ancre une fois fixée ne laisse plus ballotter follement
le navire, mais qu'en dépit des vents qui le battent, cette ancre
fixée le rend ferme et immobile , ainsi fait l'espérance.
Et voyez quelle justesse dans la comparaison employée par l'apôtre.
Il dit une ancre, et non pas un fondement, qui rendrait mal l'idée.
Car tout en flottant sur l'eau, tout en ne paraissant avoir ni fermeté,
ni stabilité, un navire se maintient sur l'eau comme sur la terre,
chancelant et ne chancelant point , tour à tour. Ceux qui sont très-fermes,
très-solides, vraiment sages, se trouvent admirablement dépeints
dans la, parabole du Sauveur : « Ils ont », dit-il, «bâti
leur maison sur la pierre ». (Matth. VII, 24.) Mais au contraire
ceux qui déjà s'affaissent et veulent être portés
par l'espérance, trouvent leur portrait dans ces paroles de saint
Paul. Les vagues et l'effort d'une violente tempête secouent une
barque; mais l'espérance l'empêche d'être emportée
à l'aventure, parles vents qui sans cesse l'agitent. Si donc nous
n'avions pas eu cette espérance, déjà depuis ,longtemps
nous aurions sombré. Et ce n'est pas seulement dans les choses spirituelles,
c'est aussi dans les nécessités de la vie que vous retrouvez
cette salutaire vertu de l'espérance, par exemple : dans le commerce,
dans le labour, sous les drapeaux ; nul, s'il n'avait devant soi l'espérance,
ne pourrait seulement mettre la main à l'oeuvre. L'apôtre
ne l' appelle pas simplement une ancre, il ajoute ancre ferme et inébranlable,
pour montrer quelle fermeté elle procure à ceux qui s'appuient
sur elle pour être sauvés. Aussi ajoute-t-il : Qu'elle pénètre
jusqu'au dedans du voile, c'est-à-dire qu'elle monte jusqu'au ciel.
502
A l'espérance l'apôtre ajoute la foi, pour que nous n'ayons pas seulement l'espérance vague , mais la ferme et véritable espérance. Après le serment divin, il place une nouvelle démonstration par les faits eux-mêmes; je veux dire, par ce fait, que Jésus, comme précurseur, est entré pour nous. Un précurseur est précurseur de quelqu'un , comme Jean le fut de Jésus-Christ. Et il ne dit pas seulement : Il est entré , mais : « Où comme précurseur il est entré pour nous », parce que, nous aussi, nous devons arriver au même terme. La distance ne doit pas même être bien grande entre le précurseur et ceux qui le suivent; autrement il ne serait plus leur précurseur. Le précurseur et les suivants sont nécessairement sur la même route; l'un ouvre là marche, les autres le pressent. « Ayant été établi Pontife éternel selon l'ordre de Melchisédech». Voilà encore une consolation, puisque notre Pontife est à une telle hauteur et qu'il l'emporte si fort sur ceux des Juifs non-seulement quant au mode du sacrifice, mais quant à la résidence, au tabernacle, au testament, à la personne. Ce qu'on dit ici de Jésus, est dit de Jésus comme homme.
3. Fidèles d'un tel prêtre, nous devons donc nécessairement être d'autant plus parfaits;, oui, foute la distance qui sépare Jésus-Christ d'Aaron doit se retrouver entre nous et les Juifs. Voilà qu'en effet au ciel nous avons notre victime, au ciel notre Prêtre, au ciel notre sacrifice. Offrons donc des hosties dignes d'être placées sur un autel semblable, non plus, par conséquent, des boeufs et des brebis, non plus de la graisse et du sang. Ces symboles sont abolis et remplacés par l'introduction d'un culte raisonnable. Et qu'appelé-je un culte raisonnable? Les offrandes de l'âme, de l'esprit. « Dieu est esprit », dit le Seigneur, « et ceux qui l'adorent, doivent l'adorer en esprit et en vérité » (Jean, IV, 24), ce qui ne réclame ni le corps, ni les instruments, ni les lieux, mais bien la modestie, la tempérance, l'aumône, le support mutuel, la douceur, la patience. Ces sacrifices ont été figurés déjà dans les siècles passés. « Offrez», dit David, « offrez au Seigneur un sacrifice de justice. Oui, je-vous sacrifierai une victime de louanges; c'est un sacrifice de « louange qui me glorifiera devant Dieu , un esprit pénitent est un sacrifice ». (Ps. IV, 6;CXV,17; XLIX,23 et L, 19) — « Que vous demande le Seigneur, sinon que vous l'écoutiez?» (Mich. VI, 8.) — « Les holocaustes offerts pour les péchés ne vous étaient plus agréables ; alors j'ai dit : Je viens pour faire, ô mon Dieu, votre volonté ». (Ps. L, 18 et XXXIX; 8, 9.) Et en d'autres Prophètes : « Pourquoi m'apportez-vous l'encens de Saba? » (Jérém. VI, 20.) — « Eloignez de moi le son de vos cantiques: je n'écouterai plus les accents, de vos instruments de musique ».(Amos, V, 23.) «Au lieu de tout cela, je veux la miséricorde et non le sacrifice». (Osée, VI, 6.)
Voyez-vous quels sacrifices rendent Dieu propice? Voyez-vous qu'il y a déjà plusieurs siècles que, cette sorte d'offrande est sans valeur, tandis qu'une offrande nouvelle y a été substituée? Présentons celle-ci. La première est le fait de là richesse et de ceux qui la possèdent ; la seconde est le propre de la vertu. L'une est extérieure, l'autre intérieure. Les premiers venus pouvaient pratiquer celle-là; celle-ci est l'oeuvre du petit nombre: Autant l'homme est meilleur et d'un plus grand prix que la brebis, autant notre sacrifice l'emporte sur l'ancien. Ici, en effet, vous apportez votre âme comme victime.
Toutefois il y a d'autres hosties encore, et qui sont à la lettre des holocaustes : j'ai nommé-le corps de nos martyrs; en eux, corps et âme, tout est saint. Tout, chez eux, respire un parfum d'agréable odeur. Et vous aussi, si vous le voulez, vous pouvez offrir un sacrifice de ce genre. Pourquoi regretter de n'avoir pu livrer votre corps aux flammes ? Ne pouvez-vous le consumer par un autre feu, par celui de la pauvreté volontaire, par celui de la souffrance? En effet, avoir la faculté. de mener vie joyeuse, abondante, délicate; et choisir un régime laborieux et crucifiant, et mortifier ainsi votre corps, n'est-ce pas vraiment offrir un holocauste? Frappez de mort, crucifiez cette chair, et vous recevrez la couronne d'un si noble Martyre. Ce que le glaive fait ailleurs, l'ardent héroïsme de votre coeur le reproduit ici. Que l'amour de l'argent ne vous brûle ni ne vous captive; mais que le feu de l'esprit chrétien, au contraire, dévore et consume cette cupidité honteuse et criminelle; qu'elle tombe sous ce glaive spirituel. Voilà un beau sacrifice; il n'a pas besoin d'une main sacerdotale, mais la victime elle-même doit l'offrir; il s'achève dans ce bas monde, mais il monte aussitôt vers les célestes hauteurs. N'admirons-nous pas qu'autrefois le feu, descendant du ciel, dévorait une oblation? Il se peut, aujourd'hui même, qu'il descende encore un leu bien autrement admirable , et qui dévore toute une offrande, ou plutôt, non, qui ne la dévore pas, mais la transporte tout entière au ciel ! Loin de réduire nos dons en cendres, cette flamme les offre à Dieu. Telles étaient les offrandes de Corneille dont il est dit : « Vos prières et vos aumônes sont montées jusqu'en la présence et au souvenir de Dieu ». (Act. X, 4.) Comprenez-vous- ce qu'il y a d'excellent dans l'union de ces deux oeuvres ? Oui, nous. sommes exaucés,quand nous exauçons nous-mêmes le pauvre qui nous prie. « Celui », dit l'Ecriture, «celui qui se bouche les oreilles pour ne pas entendre la prière du pauvre, est certain que Dieu n'entendra pas non plus ses prières (Prov. XXI,13). Bienheureux qui a l'intelligence des misères du pauvre et l'indigent : au jour mauvais, Dieu le délivrera ». (Ps. XL, 2.) Ce jour mauvais n'est autre chose que celui qui sera si redoutable au pécheurs. Mais que veut dire «cette intelligence du pauvre ? c'est l'étude de l'indigence , c'est le zèle à connaître ses souffrances. Car quiconque aura compris ces souffrances du pauvre, bien certainement en prendra pitié. Si donc vous voyez un nécessiteux, ne passez pas votre chemin, mais plutôt pensez à ce que-vous seriez, si vous étiez à sa place. Que ne voudriez-vous pas alors que chacun fit pour, vous? Celui qui a l'intelligence, dit l'Esprit-Saint; réfléchissez donc que le pauvre (503) est comme vous, un homme libre, qu'il partage vos titres de noblesse, que tout est commun entre lui et vous; hélas ! et souvent, vous ne le faites pas même l'égal de vos chiens, que vous rassasiez de pain, tandis que lui s'endort avec la faim; souvent cet homme libre est rabaissé, dégradé au-dessous de vos esclaves. — Mais, direz-vous, ceux-ci nous rendent service. En quoi? Ils vous sont utiles ? Alors que direz-vous si je vous montre que, bien plus qu'eux, l'indigent travaille pour vos intérêts? Car c'est lui qui sera votre défenseur au jour du jugement; c'est lui qui vous arrachera aux flammes dévorantes. Quel service pareil vous rendent jamais vos esclaves? Quand Tabitha mourut, qui donc la ressuscita, de ses esclaves nombreux ou des pauvres mendiants? Mais vous, de cet homme libre vous ne voulez pas faire l'égal même d'un esclave. Le froid est intense, et le pauvre git, couvert de haillons, mourant les dents serrées et grinçantes; horrible tableau fait pour,émouvoir! Et vous, bien réchauffé, bien repu, vous passez ! Comment voulez-vous que Dieu vous sauve, quand vous serez sous le poids du malheur ?
Souvent vous osez dire : «Si c'était moi, si j'avais surpris quelqu'un à m'offenser beaucoup,volontiers j'aurais pardonné, et Dieu ne pardonne pas! » Oh! ne tenez point ce langage; car voici un homme qui n'a aucunement péché contre vous, vous pouvez le sauver, et vous le méprisez. Si vous le méprisez, comment Dieu vous pardonnera-t-il, à vous qui péchez contre sa Majesté sainte? De pareils méfaits ne méritent-ils point l'enfer? Mais faut-il s'en étonner ? Souvent vous prodiguez à un cadavre privé de sentiment, incapable d'apprécier cet honneur funèbre, vous prodiguez, dis-je, les vêtements les plus variés, les tissus d'or et de pourpre; et cet autre corps qui souffre; qui est déchiré, torturé, supplicié par la faim et le froid, vous le méprisez; vous accordez plus à la vaine gloire qu'à la crainte de Dieu. Et plût au ciel que votre dureté n'allât pas plus loin. Mais, dès qu'il s'approche, ce pauvre, vous l'accusez aussitôt : pourquoi, dites-vous, pourquoi ne travaille-t-il pas? Pourquoi nourrir un .oisif ? Répondez-moi, à votre tour : ce que vous possédez vous-même, le devez-vous à votre travail? ne- l'avez-vous pas reçu en héritage de vos pères? En supposant même que vous travaillez, pourquoi cette insulte au prochain? l'entendez-vous pas ce que dit saint Paul : « Celui qui ne travaille pas ne doit pas manger »; voilà ce qu'il dit; mais il ajoute aussitôt : «Pour vous, faites le bien, sans jamais vous lasser ».
4. Mais que répondez-vous — Ce pauvre est un fripon. — Que dites-vous, malheureux? Quoi pour un pain, pour un vêtement vous l'appelez fripon ! —Oui , parce qu'il vend ce qu'il reçoit. — Et vous, disposez-vous toujours sagement de ce que vous avez ? Puis, tons les pauvres le sont-ils pour cause de paresse ? N'en est-il aucun qui le soit par suite d'un malheur, d'un naufrage, par exemple, ou d'un vol, ou d'un procès injuste, ou d'aventures périlleuses, ou de maladies, enfin par suite de tout autre accident ? Et dès que nous entendrons quelqu'un déplorer une semblable infortune; regarder, pauvre et nu, vers, le ciel; porter inculte sa longue chevelure, me couvrir de haillons, lui jetterons-nous aussitôt les noms d'imposteur, de vagabond, de trompeur? N'êtes-vous pas honteux de prodiguer cette appellation odieuse ?Ne lui donnez rien et ne l'insultez pas. — Mais il a de quoi , me dites-vous, et il joue la misère. — Cette accusation retombe sur vous, et non sur lui. Il sait trop qu'il a affaire à des êtres cruels, à des bêtes féroces plutôt qu'à des hommes; il sait qu'en vain voudrait-il employer le langage le plus touchant, parce qu'il ne gagnerait personne; il lui faut donc nécessairement s'envelopper de dehors plus misérables encore que sa condition même, pour vous briser le coeur. Qu'un homme ose implorer notre charité avec un vêtement honnête : Voilà bien un trompeur, disons-nous; il se présente ainsi pour faire croire qu'il est d'une condition distinguée. Qu'il se montre avec des dehors tout opposés, nous le blâmons encore. Que feront donc ces malheureux? O cruauté! ô insensibilité! Pourquoi montrent-ils leurs membres mutilés? La faute en est à vous. Si nous étions charitables, ils n'auraient pas besoin de semblables moyens; s'ils pouvaient toucher notre coeur au premier abord, ils n'auraient pas recours à ces tristes moyens. Qui, en effet, serait assez misérable pour, se plaire à jeter les hauts cris, à se conduire de cette façon dégradée, à pleurer ainsi en public, à se lamenter avec une épouse toute nue, à se couvrir de cendres avec ses enfants ? Ces accessoires sont pires que la pauvreté même. Et toutefois ces spectacles, loin de nous inspirer la pitié pour eux, nous fournissent contre eux un prétexte d'insulte. Et nous serons, à notre tour, indignés contre Dieu, parce qu'il n'exauce pas nos prières? Nous serons au désespoir de ne pouvoir le fléchir par nos supplications? Et nous ne frissonnons pas d'épouvante, frères bien-aimés !
Mais, direz-vous, j'ai donné souvent. — Eh bien! ne mangez-vous pas aussi tous les jours? Et bien que vos enfants souvent demandent, les repoussez-vous? O impudence! Vous appelez le pauvre impudent! Vous, qui êtes un ravisseur, vous n'êtes pas impudent sans doute; mais lui , l'humble suppliant, il est impudent, parce qu'il vous demande du pain ! Ne réfléchissez-vous donc pas aux exigences de l'estomac ? Est-ce que vous ne faites pas tout au monde pour lé satisfaire? Ne négligez-vous pas pour lui votre religion ? Le ciel, le royaume des cieux, ne vous est-il pas proposé? Mais pour contenter la tyrannie de l'appétit, loin d'en mépriser les exigences, vous supportez tout; voilà l'impudence!
Ne voyez-vous pas ces vieillards mutilés ou boiteux? — Mais, ô délire ! Celui-ci, m'objectez-vous, prête à usure tant d'écus; d'or; tel autre, tant; -et avec cela il mendie ! - Vous contez là des fables, des sottises, des folies, dignes d'enfants sans intelligence; lés nourrices, en effet, leur font de semblables contes. Eh bien, moi ! je n'y crois pas, ,je refuse d'y croire, et absolument. Quoi ! cet homme prête à usure, et. comblé de richesses il mendie? Expliquez-moi donc pourquoi? Est-il chose plus honteuse que de mendier? Jusqu'à quand serons-nous cruels et inhumains? Car enfin, (504) quoi! sont-ils tous des usuriers? sont-ils tous des fripons? N'est-il point de vrais pauvres? Sans doute, me répondez-vous, il y en a beaucoup. Pourquoi donc ne leur portez-vous pas secours, vous qui examinez de si près leur conduite? Autant de prétextes, autant d'excuses. « Donnez à quiconque vous demande, et ne vous détournez pas de celui qui vous veut emprunter. Etendez a votre main, et qu'elle ne soit pas resserrée ». Nous ne sommes pas chargés d'examiner la conduite des pauvres, autrement nous n'aurions pitié de personne. Pourquoi, quand vous priez Dieu, dites-vous: Seigneur ne vous souvenez pas de, mes péchés? Quand bien môme l'indigent, lui aussi, serait un grand pécheur, appliquez cette parole, et ne vous souvenez pas de ses péchés. Voici le temps de la charité et du pardon, et non pas d'un examen rigoureux et sévère; de la miséricorde, et non d'un froid raisonnement. Il vous demande sa nourriture: donnez, si vous voulez; sinon renvoyez-le, mais sans chercher cruellement la cause de sa misère et de son malheur. Pourquoi non contents d'être sans pitié vous-mêmes, détournez-vous encore les autres de la charité? Que tel ou tel apprenne de vous que ce pauvre est un trompeur, cet autre un hypocrite, un comédien, ce troisième un usurier; dès lors il ne donne plus ni à ceux-ci, ni à ceux-là; car il les soupçonne d'être tous pareils. Soyons miséricordieux, non d'une façon telle quelle, mais comme l'est notre Père céleste. Il nourrit les adultères, les débauchés, les charlatans, que dis-je ? ceux mêmes qui réuniraient tous les vices. Il en faut de semblables pour composer ce monde immense; toutefois il donne à tous et la nourriture, et le vêtement; personne ne meurt de faim , à moins par hasard qu'il ne meure ainsi de son choix. Soyons aussi miséricordieux, et venons en aide à quiconque est dans le besoin.
Hélas ! de nos jours, nous sommes arrivés à un tel degré d'inhumanité, que, non contents d'appliquer notre blâme à ces pauvres qui courent les rues et les carrefours, nous n'épargnons pas même les moines. Tel ou tel de ceux-ci, dit-on, est un imposteur. Ne disais-je pas tout à l'heure, que si nous sommes résolus à donner à tous indifféremment, nous serons toujours charitables; mais que, si une fois nous écoutons une coupable curiosité, nous ne serons plus jamais charitables? Que dites-vous? Pour recevoir du pain, il joue le rôle d'un imposteur ! S'il demandait des talents d'or et d'argent, des habits précieux et magnifiques, un cortége d'esclaves, vous auriez raison de le qualifier d'escroc. S'il ne demande rien de pareil, au contraire, mais seulement la nourriture et le vêtement, ainsi qu'un philosophe, comment alors, dites-moi, comment, pour si peu, l'appeler trompeur? Brisons, mes frères, avec cette curiosité absurde, satanique, pernicieuse. Si cet homme se prétend membre du clergé, s'il se donne le titre de prêtre, faites votre examen alors, soyez curieux de savoir le vrai. Ce n'est pas sans danger qu'en cas semblable on se livre à de tels hommes; il y va de trop précieux intérêts. Mais demande-t-il à manger? Ne cherchez rien au delà; car vous ne donnez pas, vous recevez. Recherchez, si vous voulez, oui, examinez comment Abraham se montrait hospitalier pour tous ceux qui .l'approchaient. S'il avait trop curieusement scruté pour savoir à qui il donnait refuge, il n'aurait pas donné l'hospitalité à des anges. Car, peut-être ne croyant pas qu'ils fussent des anges, les eût-il repoussés avec les autres; mais recevant tout le monde, il accueillit aussi les anges. Est-ce que Dieu vous donne la récompense d'après la conduite de ceux qui reçoivent votre aumône ? Non, mais bien d'après la libre et bonne résolution de votre coeur, d'après votre grande libéralité et générosité, d'après votre bienveillance et bonté. Ayez cela, et vous gagnerez tous les biens. Puisse-t-il nous être donné à tous de les acquérir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel appartient, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XII. CAR CE MELCHISÉDECH, ROI DE SALEM, PRÊTRE
DU DIEU TRÈS-HAUT, QUI VINT AU-DEVANT D'ABRAHAM LORSQUE CELUI-CI
REVENAIT DE LA DÉFAITE DES ROIS, QUI LE BÉNIT, A QUI ABRAHAM
DONNA LA DIME DE TOUT CE QU'IL AVAIT PRIS, QUI S'APPELLE, SELON L'INTERPRÉTATION
DE SON NOM, PREMIÈREMENT ROI DE JUSTICE, PUIS ROI DE SALEM, C'EST-A-DIRE
ROI DE PAIX, QUI EST SANS PÈRE ET SANS MÈRE, SANS GÉNÉALOGIE,
QUI N'A NI COMMENCEMENT DE SES JOURS NI FIN DE SA VIE, ÉTANT AINSI
L'IMAGE DU FILS DE DIEU, DEMEURE PRÊTRE POUR TOUJOURS. (VII, 1, 2,
3, JUSQU'A 10.)
Analyse.
1 et 2. Résumé de l'épître aux Hébreux : comment s'échelonnent les raisonnements de saint Paul. — Melchisédech, parle silence mystérieux de l'Ecriture sur sa naissance et sa mort, était la figure de Jésus comme Verbe éternel. — Décimateur d'Abraham qu'il bénit, il est, à ce double titre, plus grand qu'Abraham ; si telle est la figure, quelle sera la vérité ? Lévi même a payé (545) la dîme au roi de Salem, abaissant ainsi son pontificat devant lui : combien plus devant Jésus, dont Melchisédech n'est que la figure?
3 et 4. Part de notre libre arbitre dans nos bonnes oeuvres, de l'aveu
des saintes Écritures. — Mauvais usage de notre volonté,
qui ne s'instruit pas à l'école du malheur d'autrui, et se
profane par le péché. — Saint usage de notre liberté
par la conversion. — Retour à Dieu qui nous appelle, nous aide,et
nous purifiera.
1. Saint Paul voulant montrer la différence entre l’Ancien et le Nouveau Testament, dissémine, en plusieurs passages, ses instructions à ce sujet, pour y amener par des préludes, par des essais, qui préparent d'avance les esprits de ses auditeurs. Dès le début de son ép!tre, il a jeté comme une base fondamentale cette vérité : que Dieu a parlé aux anciens dans les prophètes, tandis qu'à nous, c'est dans son Fils ; à eux, de plusieurs manières et en divers temps, à nous, parce Fils adorable. Ensuite il a dit quel est ce Fils et quelle est son oeuvre; il a exhorté à lui obéir, pour éviter de partager le malheur des Juifs insoumis ; il a dit que Jésus est prêtre, selon l'ordre de Melchisédech ; il a voulu aborder toutefois la question de cette différence essentielle ; et après maintes préparations prudentes, après des reproches adressés, à leur faiblesse, mêlés à des encouragements et à des consolations capables de leur rendre confiance ; après les avoir mis en état d'écouter avec docilité ses enseignements, il entreprend enfin de leur expliquer la différence entre Jésus-Christ et leur grand prêtre. Car une âme abaissée et découragée ne peut facilement écouter, comme peut vous en convaincre l'Écriture quand elle dit . « Et ils n'écoutèrent pas Moïse à cause de leur abattement ». L'apôtre a donc eu soin de guérir cette maladie de leur âme par ses paroles tantôt terribles, tantôt calmes et charitables; en sorte qu'il peut maintenant aborder la question de la différence entre les deux rois. Voici donc ce qu'il dit : « Car ce Melchisédech, roi de Salem, prêtre du Dieu très-Haut ». Chose admirable ! dans le-type même qu'il choisit, il montre déjà combien est grande la différence. Car, comme je l'ai dit, il emprunte toujours une figure pour concilier la foi à la vérité ; il se sert du passé pour affirmer le présent, à cause de la faiblesse de ses auditeurs. Donc : « Ce Melchisédech, roi de Salem, et prêtre du Dieu Très-Haut, qui vint au-devant d'Abraham, lorsqu'il revenait de la défaite des rois, et le bénit; à qui Abraham donna la dîme de tout ce qu'il avait pris ». Après avoir résumé tout le récit du Livre saint, il l'interprète mystiquement. C'est d'abord le nom de Melchisédech qui attire son attention. « Qui s'appelle, selon l'interprétation de son nom, premièrement Roi de Justice ». En effet, « Sédech » veut dire justice et « Melchi »; roi; d'où Melchisédech, roi de justice. Voyez-vous, jusque dans les noms, quel choix et quelle exactitude ? Or, quel est le roi de justice, sinon Notre-Seigneur Jésus-Christ? — Puis : «Roi de Salem », nom de sa cité; le sens est roi de paix, car telle est la traduction de Salem : encore un trait du Christ. Car c'est lui qui nous à faits justes et qui a pacifié tout ce qui est au ciel et tout ce qui est sur la terre. Quel homme est vraiment roi de. justice et de paix? Aucun, à l'exception du seul Jésus-Christ Notre-Seigneur. — Il ajoute bientôt une autre différence : « Sans père, sans mère, sans généalogie, qui n'a ni commencement, ni fin de sa vie, étant ainsi l'image du Fils de Dieu, qui demeure prêtre a pour toujours ». Mais ici se présentait un texte qu'on pouvait objecter : « Vous êtes prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melchisédech », parce que celui-ci était mort, et n'était pas prêtre pour l'éternité. Voyez donc à quel point de vue élevé se place l'apôtre. On va lui objecter : Comment parler ainsi d'un homme? Aussi, dit-il, je ne prends pas cette parole au pied de la lettre, mais voici ce que je veux dire : Nous ne savons quel père ni quelle mère eut ce prince; nous ne le voyons ni naître, ni mourir. — Eh bien ! alors, que conclure, dira-t-on ? De ce que nous ne savons rien, s'ensuit-il qu'il ne soit pas mort, qu'il n'ait pas eu de parents? — Non, vous avez raison d'affirmer qu'il est mort, qu'il a eu des parents. — Comment donc est-il sans père ni mère? Comment n'a-t-il ni commencement de ses jours, ni fin de sa vie? Comment? En ce sens que l'Écriture n'en dit rien. — Et où va cette remarque ? — A dire que ce prince est sans père, parce qu'on ne donne pas sa généalogie, mais que Jésus-Christ possède ce privilège réellement et en toute vérité.
2. Voici donc un roi qui n'a ni commencement ni fin ; c'est-à-dire, que comme nous ignorons et son commencement et sa fin, parce que ces faits n'ont pas été écrits, ainsi les ignorons-nous de Jésus, non parce que l'Écriture n'en dit rien, mais parce qu'en réalité il n'a ni l'un ni l'autre. Parce que le premier est la figure,, l'Écriture se tait sur son commencement et sa fin ; et parce que le second est la vérité, il n'a réellement ni commencement ni fin. Ainsi en est-il de leurs noms; pour l'un, sa royauté de justice et de paix n'est qu'un pur titre sans réalité; pour Jésus-Christ, il est tout cela véritablement. Comment donc a-t-il un principe? Vous voyez que le Fils est sans principe, non dans ce sens qu'il existe sans cause, car c'est impossible : il a un père, autrement comment serait-il Fils ? Mais il est sans principe anarkhos, en ce sens que sa vie n'a ni commencement ni fin. « Melchisédech est semblable au Fils de Dieu ». Où est la ressemblance ? C'est que de l'un comme de l'autre, nous ne savons ni le commencement ni la fin; de l'un, il est vrai, parce que ces dates n'ont pas été écrites, et de l'autre, au contraire, parce que ces termes n'existent pas : voilà la ressemblance. Que si cette ressemblance portait sur tous les points, vous ne verriez pas d'un côté la figure, et de l'autre la vérité; tous deux seraient figures. C'est ainsi que dans les portraits et images, vous trouvez et ressemblance et différence. Les traits et le dessin reproduisent la ressemblance; mais les couleurs une fois posées, la différence s'accuse évidemment, on voit similitude ici, et là, dissemblance.
« Considérez donc combien grand il devait être, puisque Abraham même lui donna la dîme de ce qu'il y avait de meilleur (4) ». Il a fait (506) ressortir la justesse de la figure. Enhardi dès lors, il montre qu'elle est plus glorieuse que les réalités juives elles-mêmes. Or, si par cela seul que ce roi portait en lui la figure de Jésus-Christ, il se trouvait ainsi plus grand et plus remarquable non-seulement que les prêtres, mais même que cet Abraham, d'où sortait la tribu des prêtres, que direz-vous de la Vérité? Voyez-vous comme il prouve surabondamment la supériorité de Jésus-Christ? —«Regardez », dit-il, « combien est grand celui à qui Abraham donna la dîme de ce qu'il y avait de meilleur ». Cette expression « de meilleur », fait allusion aux dépouilles. Et l'on ne peut dire qu'Abraham les ait partagées avec lui, parce qu'il aurait pris part au combat. Paul a soin de vous faire observer que le patriarche était revenu de la défaite des rois, quand il le rencontra. Ainsi, nous dit-il, le prince était chez lui, quand Abraham lui donna les prémices du butin conquis par ses travaux.
« Aussi ceux qui, étant de la race de Lévi, entrent dans le sacerdoce, ont droit, selon la loi, de prendre la dîme du peuplé, c'est-à-dire de leurs frères, quoique ceux-ci soient sortis d'Abraham aussi bien qu'eux (5) ». Telle est la dignité du sacerdoce, dit-il, que des hommes égaux à d'autres par les ancêtres, n'ayant avec eux qu'un seul et même père et principe de leur commune famille, se trouvent cependant préférés et privilégiés de beaucoup à l'égard des autres, puisqu'ils prélèvent la dîme sur eux. Or, si vous trouvez un personnage qui reçoive la dîme de dès privilégiés eux-mêmes, n'est-il pas vrai que ceux-ci descendent dès lors au rang des laïques, et que lui prend place parmi les prêtres ? Il y a plus : le roi de Salem n'avait pas, du côté de la naissance, l'égalité d'honneur avec eux; il était d'une antre race. Aussi Abraham n'eût-il point donné la dîme à un étranger, s'il n'avait reconnu en lui une grande supériorité d'honneur. Mais, ô ciel ! Que vient de démontrer le grand apôtre ? Une vérité incroyable, plus étonnante que celle qu'il a énoncée dans l'épître aux Romains. Car dans cette épître, il se contente de déclarer qu'Abraham est le chef et le premier père de notre religion, comme de celle des Juifs. Mais ici il ose plus encore à l'égard de ce patriarche, il montre qu'un incirconcis l'emporte sur lui de beaucoup. Et quelle preuve en donne-t-il? C'est que Lévi a donné la dîme. Abraham,dit-il, en a fait l'offrande. — Et que nous importe, à nous, diront les Juifs? — Mais beaucoup, sans doute, car vous ne pouvez prétendre que les lévites soient au-dessus d'Abraham. « Or, celui qui n'a point de place dans leur généalogie, prit la dîme sur Abraham». Et pour ne point passer légèrement sur ce fait, il ajoute : «Et il bénit celui qui avait reçu les promesses ». Ces promesses étaient incontestablement la gloire des Juifs : saint Paul montre qu'ils sont inférieurs à cet étranger, en honneur et en gloire, et cela au jugement de tout le monde. « Or; il est incontestable que celui qui reçoit la bénédiction, est inférieur à celui qui la donne », c'est-à-dire, d'après l'estimation commune, ce qui est moindre est béni par ce qui est plus grand. Donc ce roi, figure de Jésus-Christ, est plus grand que le dépositaire même des promesses.
« En effet, dans la loi, ceux qui reçoivent la dîme sont des hommes mortels; au lieu que celui qui la reçoit ici n'est représenté que comme vivant (8) ». Mais pour qu'on ne lui dise pas Pourquoi invoquer ces siècles si lointains? Que fait à nos prêtres , qu'Abraham ait donné la dîme ? Parlez de ce qui nous regarde nous-mêmes? il continue et ajoute : « Et pour ainsi dire» (Paul fait bien de ne pas parler affirmativement, de peur de blesser trop ses lecteurs), « pour ainsi dire, Lévi l'a payée aussi lui-même dans la personne d'Abraham, lui qui la reçoit des autres ». Comment l'a-t-il payée ? — « Parce qu'il était encore dans Abraham son aïeul, lorsque Melchisédech vint au-devant de ce patriarche ». Entendez : Lévi était en lui, bien qu'il ne fût pas encore né , et par son père, il a payé la dîme. Remarquez: il ne dit pas : « Les lévites », mais : « Lévi », choisissant ainsi ce qu'il y a de plus grand pour mieux faire ressortir la supériorité de Melchisédech.
Avez-vous compris quelle distance sépare Abraham de Melchisédech, qui n'est cependant que la figure de notre pontife ? Encore l'apôtre nous y fait-il voir une prééminence de pouvoir, et non de nécessité. L'un, en effet, donné la dîme qui est un droit sacerdotal , l'autre donne la bénédiction qui prouve un pouvoir de supériorité et d'excellence. Cette prééminence a- passé jusqu'aux descendants. Et voilà comme Paul, par une victoire admirable et glorieuse, renverse l'édifice du judaïsme. Voilà pourquoi il leur disait: « Vous êtes devenus faibles ». (Hébr. V, 11.) C'était une précaution qu'il prenait pour ne pas les faire regimber, en leur montrant trop brusquement la vérité. Telle est la prudence de Paul; il n'aborde les questions qu'après y avoir préparé les esprits. Car l'esprit humain est difficile à persuader; il demande pour être redressé plus de précautions que les plantés. On ne trouvé en celles-ci que la nature des éléments et de la terre, qui obéit aux plains des laboureurs ; mais chez nous se rencontre la libre volonté de choisir, qui prend à son gré mille formes changeantes, et opte tantôt pour une chose, tantôt, pour l'autre, et qui a toujours une grande pente pour le mal.
3. Il nous faut donc constamment veiller sur nous-mêmes, pour ne jamais sommeiller. « Car », dit le Prophète, « il ne sommeillera pas, il ne dormira pas, celui qui garde Israël. N'exposez donc pas votre pied à chanceler ». (Ps. CXX, 4.) Il n'a pas dit : Ne soyez pas ébranlés, mais n'exposez pas, ne donnez pas : donner, exposer, cela dépend de nous, à l'exclusion de toute autre puissance. Car si nous voulons nous maintenir fermes, debout, immobiles, nous ne serons pas. ébranlés. Ces paroles du Prophète insinuent ce sens.
Mais quoi ? La puissance même de Dieu n'a-t-elle ici aucune action? — Certainement tout au monde est soumis à la divine puissance, mais de telle sorte que, notre libre arbitre n'en est aucunement, blessé. — Mais alors, si tout dépend de Dieu, direz-vous, pourquoi nous attribue-t-il la faute? — Aussi bien ai-je dit : De telle sorte (507) cependant que notre libre arbitre n'en est point blessé. L'oeuvre dépend donc à la fois et de son pouvoir et de notre pouvoir. Il faut, en effet, que nous choisissions d'abord le bien, et après notre choix fait, Dieu apporte son concours. Il ne prévient pas nos volontés, pour ne pas anéantir notre liberté. Mais quand nous avons choisi, aussitôt il nous apporte un secours abondant.
Comment donc alors, si tel est notre pouvoir, Paul affirme-t-il que « cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui « fait miséricorde ? » (Rom. IX, 16.) — Je réponds d'abord que saint Paul ne donne pas ici son sentiment personnel, mais il conclut d'après le but qu'il se propose et d'après les prémisses qu'il a posées. Il vient de dire : « Il est écrit : Je ferai miséricorde à qui il me plaira de faire miséricorde, et j'aurai pitié de celui de qui il me plaira d'avoir pitié » ; il conclut : « Cela ne dépend donc ni de celui qui veut, ni de celui qui court ; mais de Dieu qui fait miséricorde ». — Pourquoi donc alors Dieu nous blàme-t-i1, objecterez-vous?
C'est qu'il est permis de dire du principal auteur d'une couvre qu'il a fait l'oeuvre tout entière. Oui, le premier choix, la volonté est notre fait à nous. Parfaire et conduire l'oeuvre à sa fin, est la part de Dieu. Or, comme cette part, qui est de beaucoup la plus importante, se trouve être la sienne, Paul lui attribue tout, et en cela il se conforme à. nos idées et à notre langage humain; nous ne faisons pas autrement, en effet. Par exemple, nous voyons un édifice admirablement construit, nous le rapportons en entier à l'architecte, et cependant la construction n'est pas entièrement de lui, mais des ouvriers aussi, mais du propriétaire qui fournit les matériaux, mais d'une foule d'autres agents. Mais comme l'architecte a plus contribué que personne, nous le disons auteur du tout. C'est ce qui arrive ici. — De même encore, en présence d'une foule où il y a beaucoup de monde, nous disons Tout le monde est là; et s'il y a peu de monde, nous disons qu'on ne voit personne. C'est ainsi que Paul a dit dans ce passage : « Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court; mais de Dieu, qui fait miséricorde ». II nous donne ainsi deux grandes et magnifiques leçons. La première, que nous ne devons pas nous enorgueillir de nos bonnes oeuvres;.la seconde, qu'il convient d'attribuer à Dieu la cause de nos saintes actions. Malgré votre course empressée, dit-il, malgré le zèle que vous déployez, ne regardez pas comme vôtre l'œuvre saintement faite. Car si vous n'obtenez pas le secours d'en-haut, tout est vain. Toutefois, il est évident qu'avec cette aide puissante, vous atteindrez le but de votre effort: mais à la condition que vous saurez et courir et vouloir. L'apôtre ne dit pas : En vain courez-vous! mais : En vain courez-vous, si vous croyez que tout dépend dé votre course, si vous n'attribuez encore plus le, succès à Dieu. Dieu n'a pas voulu que tout fût son couvre à lui seul, pour n'avoir pas l'air de nous couronner au hasard; ni que tout vint de nous, pour ne pas nous exposer à l'orgueil. Car si, lorsque nous n'avons que la moindre part, nous concevons déjà un sentiment d'orgueil, un vain contentement de nous-mêmes, que ne ferions-nous pas si tout était en notre pouvoir ? Dieu a pris toutes les précautions possibles pour prévenir notre orgueil, Et d'ailleurs de combien de faiblesses sa main adorable nous a entourés, pour briser ainsi notre vaine gloire ? De combien de monstres il nous a environnés? Car lorsque bien des gens s'écrient : Pourquoi ceci? A quoi bon cela? ils parlent contre les desseins de Dieu. Il vous a placés au sein de mille terreurs, et malgré cet état, vous n'avez pas encore d'humbles sentiments de vous-mêmes; mais au moindre succès qui vous arrive, votre coeur s'enfle jusqu'au ciel !
4. Et voilà ce qui explique ces perpétuelles révolutions et ces misérables chutes, qui ne servent pas même à nous corriger. Voilà pourquoi les morts prématurées, bien que fréquentes, nous laissent encore l'orgueilleuse idée que personnellement nous sommes immortels, comme si le coup fatal ne devait jamais nous atteindre. De là nos rapines, nos attentats à la propriété d'autrui, comme si nous ne devions jamais en rendre compte. Ainsi nous bâtissons, comme si nous avions ici-bas une demeure permanente et éternelle, et ni la parole de Dieu qui retentit tous les jours à nos oreilles, ni les faits journaliers eux-mêmes ne nous servent de leçons. Il n'est pas un jour, pas une heure qui ne nous donne le spectacle de quelques convois funèbres. C'est en vain ! Rien ne peut toucher notre insensibilité. Nous ne pouvons, nous ne voulons même pas nous amender par les malheurs d'autrui. Alors seulement nous rentrons en nous-mêmes, quand seuls nous avons à gémir; et si Dieu retient la main qui nous frappe, nous relevons aussitôt la nôtre pour commettre le mal.
Personne n'a de goût pour les choses spirituelles; personne ne méprise la terre, personne ne regarde le ciel. Mais semblables à l'animal immonde dont l'œil abaissé cherche la terre, que son ventre y incline, qui se roule dans la fange, des hommes, et en,grand nombre, et sans même en être affectés, se souillent d'une boue sans nom; car mieux vaut se souiller de fange que de péché. Ainsi souillé; on peut être lavé bientôt et redevenir semblable à celui qui ire s'est pas d'abord plongé dans le bourbier. Mais celui qui se précipite dans le cloaque du péché, y contracte une souillure que l'eau ne saurait effacer, et qui exige bien du temps, une pénitence parfaite, des larmes et des sanglots, plus de gémissements et de plus amers que ceux que vous faites entendre sur les têtes les plus chères. Il est, en effet, telle ordure qui nous arrive du dehors et dont nous sommes bientôt débarrassés; mais celles-ci naissent au-dedans de nous, et c'est à peine si tous nos efforts nous en purifient.
« C'est du coeur en effet », a dit Jésus-Christ, « que sortent les mauvaises pensées, les fornications, les adultères, les vols, les faux témoignages ». (Matth. XV, 19.) Aussi le Prophète s'écriait : « Créez en moi un coeur pur, ô mon Dieu ». (Ps. I, 12.) Et un autre : « Lave les vices de ton coeur, ô Jérusalem! » (Jérém. IV, 14. ) Vous voyez ici encore que le bien dépend et de nous et (508) Dieu. Et ailleurs : « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu ». (Matth. V, 8.) Faisons tous nos efforts pour nous rendre purs; lavons nos péchés. Et comment peut-on les laver, le Prophète nous l'enseigne, en disant : « Lavez-vous, soyez purs ; ôtez vos vices de vos âmes devant mes yeux ». (Is. I, 16.) Devant mes yeux, qu'est-ce à dire? C'est que plusieurs paraissent être exempts de vices, mais devant les hommes; au contraire, aux yeux de Dieu, ils ne sont que des sépulcres blanchis. Et c'est pourquoi il dit : Otez-les tels que je les vois. « Apprenez à « faire le bien , cherchez la justice , rendez-la au « petit et au pauvre, et puis venez et discutons « ensemble, dit le Seigneur. Et quand vos péchés « seraient comme la pourpre, je vous blanchirai « comme la neige; et quand même ils seraient « comme l'écarlate, je vous rendrai blancs comme « la laine ». (Isaïe, 1, 17, 18.) Vous voyez que nous devons commencer à nous purifier, et alors Dieu nous purifiera. Car après avoir dit d'abord: «Soyez purs », il ajoute:« Et moi je vous blanchirai ». Que nul donc, parmi ceux qui sont arrivés au faite du crime, ne désespère de lui-même. Car, dit le Seigneur, quand même vous auriez revêtu le vêtement et presque la nature même du vice, ne craignez pas. Il ne s'agit pas de couleurs fugitives et sans consistance, mais de celles qui font partie de l'es. sente même du corps; or, ceux qui en sont imprégnés peuvent retrouver un état tout contraire, car il ne parle pas seulement de les laver, mais de les blanchir comme la neige et comme la laine, afin de nous donner bon espoir.
Quelle est donc la vertu de la pénitence, puisqu'elle nous rend beaux comme la neige, blancs comme la laine, quand bien même le péché aurait déjà envahi et imprégné nos âmes? Etudions-nous donc à devenir purs; Dieu n'a pas fait un commandement difficile : rendez justice à l'orphelin, et traitez la veuve selon le droit. Vous voyez comment Dieu tient compte partout et toujours de la miséricorde et de la protection donnée à ceux qui sont sous le poids de l'injustice. Abordons ces bonnes œuvres et nous pourrons obtenir aussi par la grâce de Dieu les biens à venir. Puissions-nous tous en devenir dignes en Jésus-Christ Notre-Seigneur! Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XIII. SI LE SACERDOCE DE LÉVI, SOUS LEQUEL LE
PEUPLE A REÇU LA LOI, AVAIT PU RENDRE LES HOMMES PARFAITS, EUT-IL
ÉTÉ BESOIN QU'IL PARUT UN AUTRE PRÊTRE, APPELÉ
PRÊTRE SELON L'ORDRE DE MELCHISÉDECH, ET NON PAS SELON L'ORDRE
D'AARON ? (VII, 11, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.)
Analyse.
1-3 Le sacerdoce lévitique n'a rien perfectionné : aussi l'Ancien Testament lui-même annonçait un sacerdoce nouveau et éternel. — La tribu de Juda est appelée au sacerdoce dans la personne de Jésus-Christ; elle se trouve désormais tribu royale et sacerdotale ; mais le pontificat n'a plus de succession charnelle. — La loi de crainte est abrogée et fait place à une loi de meilleure espérance. — Nous n'avons qu'un pontife désormais; il est donc immortel et toujours prie pour nous. — Nous n'avons qu'un seul sacrifice ; encore Jésus ne l'a-t-il pas offert pour lui-même, puisqu'il était impeccable.
4 et 5. Beaucoup différaient de recevoir le baptême, et
le retardaient jusqu'à leur mort : conduite dangereuse, vrai mépris
de la vertu en elle-même. — En se sauvant à la dernière
heure, on n'arrive qu'à la dernière place au ciel : quelle
honte ! — Pourquoi tarder d'accomplir des commandements si doux,
que souvent les vices contraires sont plus pénibles même à
la nature ?
1. « Si donc la perfection était l'oeuvre du sacerdoce lévitique », dit l'apôtre, etc. Après avoir parlé de Melchisédech, et avoir montré qu'elle était sa prééminence sur Abraham, après avoir ainsi établi une grande différence, il continue à prouver la distance qui sépare les deux Testaments, dont l'un était imparfait, tandis que l'autre est la perfection même. Toutefois, il ne va pas au coeur même de son sujet; il ne raisonne et ne combat d'abord. que par la comparaison du sacerdoce et dé l'alliance; car pour les incrédules d'alois ces preuves étaient plus saisissables, puisque la démonstration allait porter sur le dépôt même qu'ils avaient reçu.
Il a donc montré que Lévi et Abraham restent bien en arrière de Melchisédech, lequel, même de leur aveu, a eu rang parmi les prêtres. Il part maintenant d'une autre preuve; et d'où? Du sacerdoce chrétien comparé à celui des juifs. Et voyez; je vous prie, son incomparable habileté! La raison même qui, selon toute vraisemblance, devait exclure du sacerdoce Melchisédech qui n'était pas de la race d'Aaron, lui sert au contraire à l'y maintenir et à détrôner les autres. Et pour arriver à cette conclusion, il se pose à lui-même un doute : Pourquoi n'est-il pas dit (prêtre) selon l'ordre d'Aaron? Et voici la solution qu'il donne: Et moi aussi, je me demande pourquoi il n'a pas été selon l'ordre d'Aaron; car c'est ainsi qu'il faut entendre ce qu'il dit : « Si donc la perfection eût été l'oeuvre du sacerdoce lévitique, etc. », et cette parole encore: «Pourquoi dès lors a-t-il été nécessaire», etc., phrase extrêmement significative. En effet, si Jésus-Christ était venu d'abord selon la chair pour être prêtre selon l'ordre de Melchisédech, et qu'après lui fût survenue la loi avec le sacerdoce d'Aaron, on aurait eu raison de conclure que le second (509) fait était un perfectionnement qui anéantissait le premier, puisqu'il lui succédait. Mais si Jésus
Christ, au contraire, est postérieur à la loi, s'il a adopté un autre type sacerdotal, il est évident que tout le lévitisme est imparfait; car supposons un instant, dit l'apôtre, que le sacerdoce antérieur à Jésus-Christ, celui d'Aaron, était parfait et ne laissait rien à désirer ; pourquoi donc dès lors l'Ecriture nous parle-t-elle d'un prêtre selon l'ordre de Melchisédech et non selon l'ordre d'Aaron? Pourquoi laisser Aaron et introduire un autre sacerdoce, à savoir, celui de Melchisédech, si la perfection se trouvait dans le sacerdoce lévitique, c'està-dire, si ce sacerdoce lévitique avait, au complet, toute la doctrine et de la foi et des moeurs? Et remarquez, comme sans dévier d'un pas, l'apôtre avance
Il avait dit «selon l'ordre de Melchisédech » et avait montré que ce sacerdoce était le plus grand, parce que Melchisédech était plus grand qu'Abraham. Puis, il prouve encore la même chose par la considération du temps, en disant que, puisque le sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech a paru après celui d'Aaron, c'est qu'il est plus grand.
Mais que signifient ces paroles qui suivent immédiatement : « Sous lequel [sacerdoce] le peuple a reçu la loi? » Que veut dire « sous lui ? » C'est que par lui le peuple marche, le peuple fait tout par lui : on ne peut dire qu'il ait été donné à d'autres qu'à lui. C'est sous lui que le peuple a reçu la loi, c'est-à-dire, grâce à son ministère. Et l'on ne peut dire que la loi était parfaite, mais non imposée au peuple. Le peuple , dit l'apôtre , a reçu la loi sous lui, c'est-à-dire par son organe et intermédiaire. Qu'était-il donc besoin d'un autre sacerdoce, si celui-là était parfait? « Car le sacerdoce étant transféré, il faut aussi que la loi le soit ». Si donc un autre prêtre, ou plutôt un autre sacerdoce est devenu nécessaire, il faut aussi nécessairement une autre loi. Ceci est à l'adresse de ceux qui disent : Qu'était-il besoin d'un Nouveau Testament? Il aurait pu prouver ce besoin par les prophètes eux-mêmes : « Voici », disent-ils, «le testament, l'alliance que j'ai faite avec vos « pères». Pour le moment, il n'argue que d'après le sacerdoce. Et voyez comme il brillait d'arriver à cette conclusion. Il a dit: Selon l'ordre de Melchisédech : c'était rejeter déjà le sacerdoce d'Aaron. Car si un autre sacerdoce a été introduit depuis lors, il a bien fallu aussi qu'il vint un autre testament. Car il est impossible qu'un prêtre soit sans testament, ni lois, ni préceptes; ou qu'en recevant son sacerdoce, ii se serve de l'antique alliance.
On pourrait lui objecter : Comment fut donc prêtre celui qui n'était pas lévite? Mais comme il a établi plus haut comme vérité fondamentale la maxime contraire, il ne veut pas même résoudre une telle objection, et ne lui jette qu'en passant cette réponse : Je vous ai dit que le sacerdoce a été transféré; donc aussi le testament; et Dieu ne l'a pas seulement changé dans son mode et dans ses règles, mais même dans la tribu. Comment? C'est que le sacerdoce est transféré d'une tribu à me autre, de la tribu sacerdotale à la tribu royale, de sorte qu'à l'avenir elle réunit sacerdoce et royauté. Or, voyez le mystère. De royale qu'elle était d'abord, elle est maintenant devenue sacerdotale. Ainsi s'est-il fait en Jésus-Christ. Lui qui fut toujours roi, a été fait prêtre quand il prit notre chair, quand il offrit le sacrifice. Voyez-vous le changement? Ce qu'on lui présentait comme une objection, l'apôtre l'établit précisément et par la seule logique des faits. « En effet, celui dont ces choses ont été prédites », nous dit-il, « est d'une autre tribu dont personne n'a jamais servi à l'autel; puisqu'il est manifeste que Notre-Seigneur est sorti de Juda, tribu à laquelle Moïse n'a jamais attribué le sacerdoce (13, 14) ». L'apôtre dit donc équivalemment : Et moi aussi je sais qu'il n'a eu aucune part à votre sacerdoce; que nul de cette tribu ne l'a exercé, comme le montre évidemment cette affirmation : « Nul n'a jamais servi à l'autel ». Tout est donc transféré. Ainsi était-il nécessaire que la loi ancienne et l'Ancien Testament fussent transférés, puisque la tribu [sacerdotale] elle-même a été changée.
2. Or, voyez comme il va dévoiler une autre différence que celle que lui fournit déjà ce changement de tribu. Il ne lui suffit pas de montrer la différence immense qui résulte de la tribu, de la personne, de la manière, du testament, mais il va la prouver par le personnage figuratif. « Lequel [Melchisédech] n'est point établi selon la disposition d'une loi charnelle, mais par la puissance de sa vie immortelle (16) ». — Il a été fait prêtre, dit-il, non pas selon la disposition d'une loi charnelle; car cette loi, dans sa plus grande partie, n'était point légitime ; et l'apôtre a raison de l'appeler une loi charnelle; car tous ses règlements étaient charnels. Car voici ce qu'elle commandait Coupez votre chair, oignez votre chair, lavez votre chair, purifiez votre chair, tondez votre chair, liez votre chair, nourrissez votre chair, donnez le repos à votre chair; ne sont-ce pas, je vous prie, autant de lois charnelles? Que si vous voulez savoir quels biens elle promettait, écoutez : Longue vie à votre chair, était-il dit, à votre chair lait et miel, paix à votre chair, plaisir à votre chair. C'est d'une telle loi qu'Aaron reçut le sacerdoce, mais non pas certes Melchisédech.
« Et ceci parait encore plus clairement, en ce qu'il se lève un autre prêtre selon l'ordre de Melchisédech (15) ». Qu'est-ce qui parait clairement? La différence qui est très-grande entre les deux sacerdoces, et l'incontestable prééminence du personnage qui n'a pas été fait prêtre par la disposition d'une loi charnelle. Et qui est celui-ci? Est-ce Melchisédech ? Non, mais Jésus-Christ, qui l'est par la vertu de sa vie immortelle; ainsi que l'Écriture le déclare par ces mots : «Vous êtes le Prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech (17)», c'est-à-dire, non pour un temps, non pour finir, mais selon la vertu d'une vie immortelle. Par ces paroles, il nous montre que Jésus a été fait prêtre par sa vertu et par celle de son Père, par sa vie qui n'a point de fin. Toutefois, ceci ne s'ensuit pas logiquement de ce qui a été dit plus haut : « il n'a pas été fait prêtre par la disposition d'une loi charnelle »; le raisonnement exigeait : Il l'a été par une loi spirituelle. Mais, par « charnel » l'apôtre entend plutôt temporel, comme quand il dit (510) ailleurs: Ces lois ne devaient durer que jusqu'à un temps meilleur, elles n'étaient que des justifications charnelles, en attendant la vertu de la vie; c'est-à-dire, en attendant celui qui vit par sa propre vertu. Après avoir dit que la loi subit un changement, et montré la nature de ce changement , il en cherche la cause, satisfaisant ainsi l'esprit humain, qui aime à savoir la cause de tout, et gagnant d'ailleurs ainsi notre confiance, puisqu'il nous apprend la cause et la raison de cette mutation.
« Car la première loi est réprouvée comme étant impuissante et inutile (18) ». Ici les hérétiques s'élèvent contre nous et nous disent : Voilà Paul qui déclare la loi mauvaise! Mais soyez attentifs et remarquez qu'il ne dit pas : Elle est rejetée comme vicieuse et dépravée, mais comme impuissante et inutile. Il a déjà montré ailleurs cette impuissance, quand il disait par exemple : « Dans cette loi on était infirme par la chair »; nous étions donc infirmes, et non pas la loi.
« Car la loi n'a rien conduit à la perfection (19) ». Qu'est-ce à dire, elle n'a rien conduit à la perfection ? Elle n'a rendu parfait aucun homme, parce qu'aucun ne lui obéit; et quand bien même on l'eut écoutée, elle n'aurait pu produire la perfection, la vraie vertu. Pour le moment, il n'affirme pas même cela, et se contente de dire qu'elle n'a pas eu de force. Et c'est' vrai ; c'était la condition des lettres sacrées mêmes : Faites ceci, ne faites pas cela; elles ne pouvaient que proposer, sans apporter en même temps la force et le pouvoir d'accomplir le précepte. Telle n'est pas la véritable espérance. Pourquoi dit-il «réprouvée? » Comprenez : Rejetée. Et sur quoi porte ce rejet, il l'indique : « Sur la loi précédente », désignant ainsi la loi [mosaïque] qui a été rejetée à cause de son impuissance. La réprobation, c'est l'abrogation, la destruction de règles qui jusque-là avaient force et vigueur. C'est assez dire que la loi eut dans un temps vigueur et force, mais que plus tard elle fut vouée au mépris, pour n'avoir rien produit. La loi n'a donc servi de rien? Au contraire, elle eut son utilité, sa grande utilité même, mais elle ne servit aucunement à créer des hommes parfaits; car elle-même n'a rien perfectionné. L'apôtre dit que la loi n'a rien parfait, parce que sous son règne tout était figure, tout était vaine ombre, circoncision, sacrifice, sabbat. Ces institutions n'ont pu arriver jusqu'aux âmes, et partout elles cèdent et se retirent.
« Mais voici que s'introduit une espérance meilleure par laquelle nous nous approchons de Dieu. Et de plus, ce sacerdoce n'est pas établi sans serment». Vous voyez qu'ici encore le serment a été nécessaire, et ceci vous explique pourquoi, précédemment, il a discuté avec tant de sagesse cette question du serment de Dieu, et la raison qui le détermine à jurer pour que notre conviction soit plus certaine et plus pleine. — Voici « l'introduction d'une meilleure espérance » qu'est-ce à dire? La loi aussi avait une espérance, mais non telle que celle-ci,-ses observateurs espéraient posséder la terre et ne pas trop souffrir. Et nous, nous espérons qu'en faisant la volonté de Dieu, nous posséderons non pas la terre, mais le ciel; que dis-je? nous espérons bien mieux encore : c'est que nous serons auprès de Dieu, que nous arriverons. jusqu'à ce trône de notre Père, et que nous le servirons avec les anges. Car Paul disait plus haut : « Nous entrons jusqu'au-delà du voile » ; mais ici : « Par elle nous approchons jusqu’à Dieu».
« Et de plus, ce n'est pas sans un serment de sa part ». Qu'est-ce à dire : « Et de plus, ce n'est pas sans un serment ? » C'est cela même : non sans un serment; et voilà une autre différence; car nos promesses ne sont pas sans raison, dit-il, « Car au lieu que les autres prêtres ont été établis sans serment, celui-ci l'a été avec serment, Dieu lui ayant dit : Le Seigneur a juré, et son serment demeurera immuable : Vous êtes le Prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech; tant il est vrai que l'alliance dont Jésus est le médiateur est plus parfaite que la première; aussi y a-t-il eu autrefois successivement plusieurs prêtres, parce que la .mort les empêchait de l'être toujours; mais comme celui-ci demeure éternellement, il possède un sacerdoce qui est éternel (21-24) ».
L'apôtre établit deux différences le sacerdoce nouveau, contrairement au sacerdoce légal, n'a pas de fin et s'appuie sur,un serment. Il le prouve par Jésus-Christ qui le reçoit et en remplit les fonctions, en effet, selon la vertu d'une vie immortelle. Il démontre le second point par le serment qu'il cite et par la nature même du pontificat; le précédent a été rejeté pour cause d'impuissance; celui-ci reste et demeure parce qu'il est puissant et fort; le prêtre nouveau lui fournit aussi une preuve, et comment? C'est qu'il est seul et unique; et il ne serait pas seul, s'il n'était immortel. Car comme les prêtres ne sont nombreux que parce qu'ils sont sujets à la mort, ainsi dans le cas pré. sent, le prêtre est unique parce qu'il est immortel. Et Jésus est devenu le garant d'une alliance d'autant meilleure, que Dieu lui a juré de le maintenir prêtre à jamais, serment qu'il n'est point fait, si Jésus n'était vivant.
3. « C'est pourquoi il est toujours en état de sauver ceux qui s'approchent de Dieu par son entremise, .étant toujours vivant afin d'intercéder pour nous (25) ». Vous voyez qu'en parlant; ainsi, Paul considère Jésus dans son humanité. En le montrant comme prêtre, il le déclaré aussi, tôt notre intercesseur. Nous affirmer qu'il intercède pour nous, c'est sous-entendre qu'alors il agit comme prêtre. Car de celui qui, à son gré, ressuscite les morts et qui donne la vie comme le Père, comment dit-on qu'il intercède, lorsqu'il devrait sauver? Comment intercède Celui à qui appartient tout jugement ? Comment intercède Celui qui envoie les anges pour jeter ceux-ci dans la fournaise et sauver ceux-là? Aussi l'apôtre dit: « Il peut sauver», et il sauve, parce que lui-même: ne meurt point. Et parce qu'il ne meurt pas et qu'il vit à jamais, il n'a pas, selon l'apôtre, de successeur. Et s'il n'a pas de successeur, c'est qu'il, peut défendre tous les hommes. Car, en Israël, le pontife, bien qu'admirable, ne durait qu'autant que sa vie même; ainsi Samuel, ainsi tous ceux qui revêtirent cette dignité ; ensuite, ils n'étaient (511) plus rien, puisqu'ils mouraient. Pour le nôtre, c'est l'opposé, il sauve à tout jamais. Qu'est-ce à dire: « A tout jamais? » Ceci donne à entendre' quelque grand mystère. Ce n'est pas ici-bas seulement, nous répond saint Paul, c'est dans l'autre vie aussi qu'il sauve tous ceux qui par lui s'approchent de Dieu. Comment les sauve-t-il? C'est qu'il est toujours vivant afin d'intercéder pour eux. Remarquez-vous l'humilité de sa très-sainte humanité? Car il ne dit pas. qu'une fois par hasard il remplira ce rôle; mais toujours, mais tant qu'il sera besoin, il prie pour eux à tout jamais. Que signifie encore « à tout jamais? » Non-seulement dans le temps présent, mais jusque dans la vie future. Il a donc toujours besoin de prier? Et par quelle convenance s'y soumet-il? Souvent des justes, par une seule prière, ont tout obtenu : et lui doit toujours prier? Pourquoi donc est-il assis sur. un trône? Voyez-vous que c'est par condescendance que l'apôtre tient ce langage humble? Voici ce que saint Paul veut nous faire comprendre: Ne craignez pas, dit-il; et ne dites pas : Certainement il nous aime, et il a toute liberté de parler à son Père, mais il De peut pas toujours vivre. Au contraire, il vit toujours.
« Car il était convenable que nous eussions un «pontife comme celui-ci, saint, innocent, sans tache, séparé, des pécheurs (26) ». Vous voyez que tout cela est dit de son humanité. Mais quand je dis l'humanité, je parle d'une humanité qui possède la divinité ; ne partageant pas Jésus, mais vous donnant facilité de mieux comprendre ce qui convient. Avez-vous vu la différence de pontifes? . Il résume ce qu'il a dit plus haut. « Il a été éprouvé de toutes manières, sauf par le péché, pour nous ressembler ». Tel convenait-il que fût notre pontife, saint, innocent. Qu'est-ce à dire, «innocent? » Ni méchant, ni trompeur; ce qu'un . autre Prophète exprime ainsi : « Le mensonge n'a pas été trouvé sur ses lèvres ». Qui parlerait ainsi de Dieu, et ne rougirait de dire qu'un Dieu n'est ni menteur ni fourbe? Mais de Jésus selon la chair il convient de déclarer qu'il est saint. « Sans tache » : vous ne direz rien de pareil de Dieu, parce. que sa nature est telle quelle ne peut être souillée. « Séparé des pécheurs », Ceci n'indique-t-il qu'une différence, et ne rappelle-t-il pas son sacrifice? Oui, son sacrifice aussi, et comment?
« Qui ne fût point obligé, comme les autres prêtres, d'offrir tous les jours des victimes, premièrement pour ses péchés, et ensuite. pour ceux du peuple; ce qu'il a fait une fois en s'offrant lui-même (27) ». Ces paroles sont comme l'introduction à ce qu'il dira touchant l'excellence du sacrifice spirituel. Déjà il u marqué la différence de prêtre et la différence de testament. Il ne l'a pas traitée entièrement : mais il l'a indiquée déjà cependant. Ici, il donne en quelque sorte le prélude du sacrifice même. N'allez pas croire, quand vous entendez parler de Jésus comme prêtre,'qu'il remplisse toujours la fonction du sacerdoce. Il a rempli cette charge dé sacrificateur une fois, et maintenant il s'est assis pour toujours. Ne pensez pas que parmi les habitants de la cour céleste, .il soit debout, agissant comme ministre. C'est là l'oeuvre de l'incarnation. En devenant esclave, il devint aussi prêtre et ministre. Mais de même que devenu esclave, il n'est pas demeuré esclave ; de même s'il s'est fait ministre, il n'est pas resté ministre : la marque du serviteur, eu effet, ce n'est pas d'être assis, mais debout. Ces paroles marquent donc la grandeur de son sacrifice qui, bien qu'unique, a suffi cependant; et bien qu'offert une seule fois, eut une valeur que n'ont pas eue tous les sacrifices du monde. Mais nous n'avons pas encore à traiter ce sujet.
« Il l'a donc fait une fois », ce sacrifice, dit saint Paul. Lequel? Le sacrifice « nécessaire », nous répond-il encore; il lui a fallu trouver une offrande aussi ; « non pas pour lui-même » : comment offrirait-il pour lui, étant impeccable? Mais « pour le peuple ». Que dites-vous, ô Paul ! Il n'a pas besoin d'offrir pour lui-même, et telle est sa puissance ? Certainement, nous répond-il. Car pour vous empêcher de croire que cette affirmation : « Il l’a fait une fois », s'applique aussi à lui, écoutez ce que l'apôtre ajoute : « Car la loi établit pour pontifes des hommes faibles », c'est pourquoi ils offrent toujours pour eux-mêmes; mais celui-là, qui est si puissant, qui n'a pas même de péché, pourquoi offrirait-il pour lui-même? Donc ce ne fut pas pour lui-même, mais pour le peuple qu'il offrit, et qu'il n'offrit qu'une fois.
« Mais la parole de Dieu, confirmée par le serment qu'il a fait depuis là loi, établit pour pontife le Fils qui est parfait à jamais ». Parfait, qu'est-ce à dire? Paul n'établit pas d'antithèses rigoureuses. Il disait des autres prêtres qu'ils sont faibles, il ne dit pas que le Fils est puissant, mais « parfait », ce qui comprend la puissance ; et vous pourriez ajouter : Voyez-vous que le nom de Fils est ici rappelé par opposition à esclave? Par faiblesse, ici, il entend ou le péché ou la mort. — Mais que veut dire : « A jamais parfait? » Inaccessible à tout péché, non-seulement maintenant, mais toujours. Si donc il est parfait, s'il ne pèche jamais, s'il est toujours vivant, pourquoi offrirait-il pour nous plusieurs sacrifices? Mais il n'insiste pas sur ce point; il s'appesantit seulement sur cette vérité : qu'il n'offre pas pour lui-même.
Puis donc que nous avons un tel pontife, imitons-le, marchons sur ses traces. Plus d'autre sacrifice que le sien : un seul nous a purifiés ; au delà, il n'y a plus que l'enfer et le feu. C'est pour cela que Paul remue ciel et terre pour nous répéter que nous n'avons qu'un prêtre, qu'un sacrifice; de peur que s'imaginant qu'il y en a plusieurs, quelqu'un ne pèche avec assurance.
4. Nous tous donc qui avons été admis à la dignité de chrétiens, et qui avons reçu le caractère baptismal, nous tous qui avons eu part au sacrifice, nous tous qui avons participé à la table immortelle; conservons intacte notre noblesse et notre honneur : car une chute ne serait pas sans u' immense danger. Quant à ceux qui n'ont pas été ennoblis par de semblables honneurs, qu'ils n'aient pas pour cela une triste confiance. Quand un homme pèche, en effet, avec l'idée de recevoir le baptême au dernier soupir, souvent il ne reçoit (512) pas cette grâce. Croyez-moi : ce n'est pas pour vous épouvanter que je poursuis ce que j'ai à dire. J'en connais plusieurs à qui ce malheur est arrivé; dans l'espoir et l'attente de ce sacrement de l'illumination, ils péchaient beaucoup; et au terme de leurs jours, ils sont partis vides et nus. Car c'est pour briser les chaînes du péché et non pour les multiplier, que Dieu a donné le baptême. S'en servir pour pécher plus à l'aise, c'est se créer des raisons de lâcheté et de négligence. Si le bain sacré n'existait pas, tel vivrait avec plus de précaution, parce qu'il n'aurait pas de pardon à espérer. Vous connaissez le détestable principe : Faisons le mal pour que le bien s'ensuive; c'est nous qui pratiquons ce principe et voulons qu'on le répète ! Aussi, je vous en prie , vous qui n'avez pas encore été initiés aux saints mystères, réveillez-vous. Que nul n'aborde la pratique de la vertu en vrai mercenaire, en véritable ingrat; que personne n'y entre comme dans une entreprise pénible et ennuyeuse. Non ! mais approchons avec un coeur allègre, une âme joyeuse ! Quand bien même, en effet, on ne nous proposerait aucune récompense, ne faudrait-il pas être vertueux? Soyons-le donc encore avec l'espoir d'une récompense. N'est-ce pas ici une honte et le comble du déshonneur? Si vous ne me donnez point de salaire, dites-vous, je ne veux être ni modeste ni tempérant. Eh bien ! moi, j'ose vous dire que vous ne serez jamais tempérants ni modestes, si vous voulez l'être pour un salaire. Vous n'estimez point la vertu , si vous ne l'aimez pas. Et toutefois Dieu, à cause de notre infirmité, a bien voulu y attacher une récompense; et nous, même à ce prix, nous n'en essayons point.
Or, supposons, si vous le voulez, qu'un homme meure, après avoir commis des péchés sans nombre, et cependant après avoir reçu le baptême, ce qui, à mon sens, n'arrivera pas de sitôt. Comment cet homme partira-t-il pour le ciel? S'il n'est plus accusé du mal qu'il aura commis; il est certain cependant qu'il ne jouira pas d'une grande confiance. Car après avoir vécu un siècle, il ne montre dans sa conduite qu'un bien, c'est qu'il n'a plus de péchés; je me trompe, il ne peut même montrer si peu; il est sauvé uniquement par la grâce : or, quand il verra les autres élus couronnés, glorieux, environnés d'honneur et d'estime, quoiqu'il ne tombe pas en enfer, supportera-t-il, dites-moi, l'angoisse et la honte qui tourmenteront son âme?
Un exemple éclaircira ma pensée. Voici deux soldats; l'un est voleur, habitué à l'injustice, ravisseur du bien d'autrui; l'autre, au contraire, se conduit en brave, s'illustre par des hauts faits, se couvre de trophées en trempant ses mains dans le sang des ennemis. Plus tard, quand le moment est venu, on vient le prendre dans le rang où était avec lui le soldat voleur, on le conduit soudain au trône impérial, on le revêt de pourpre; tandis que l'autre est maintenu à sa place vulgaire, et ne doit qu'à la clémence du souverain de n'être pas puni de ses crimes; mais il reste au dernier plan, mais on lui assigne sa place loin de l'empereur : supportera-t-il, dites-moi, le poids de son chagrin et de ses remords, quand il verra ainsi son compagnon d'armes élevé au faite des dignités, parvenu au comble de la gloire, dictant des lois au monde entier, lorsque lui-même reste au plus bas degré, et ne peut même s'honorer d'avoir échappé au supplice, cet honneur appartenant tout entier à la clémence et au pardon de son prince ! Ah ! quand bien même le souverain l'aurait relâché et lui aurait pardonné ses crimes, il ne vivra que couvert de honte et d'ignominie; il ne sera pas, certes, admiré des autres, car dans le cas d'une grâce semblable, on n'admire pas celui qui la reçoit, mais celui qui l'accorde; plus est grand le don octroyé, plus est affreuse la honte de celui qui en est l'objet, puisqu'il suppose de grands crimes commis.
De quels yeux donc un tel chrétien pourra-t-il voir ceux qui sont dans la cour céleste, et qui montrent et leurs blessures et leurs travaux innombrables, lorsque lui-même ne pourra rien montrer, lorsqu'il ne devra qu'à la bonté et à la clémence de Dieu d'être relâché sain et sauf ? Tel qu'un homicide, un voleur, un adultère prêt à marcher au dernier supplice, et qu'un haut personnage s'est fait donner à discrétion, et qu'il fait tenir à la porte de son palais : le misérable n'osera, d'ailleurs, regarder personne en face, bien qu'après tout il ait échappé au coup fatal : tel sera ce chrétien.
5. Car de ce qu'on appelle ce séjour la cour céleste, n'allez pas croire que tous y occupent le même rang. Dans les cours de nos princes, vous voyez des premiers officiers, et tous ceux qui font cortège au souverain, et toutes sortes de bas officiers, et jusqu'à ces licteurs qui occupent l'emploi appelé de Décan ; tous s'y rencontrent, bien, qu'entre le licteur et le grand officier, la distance soit immense. Bien plus grandes encore seront les différences dans la cour céleste. Et je ne dis pas cela de moi-même, car saint Paul établit une autre différence bien autrement considérable que . toutes celles-là. Les différences qui se remarquent entre les astres, depuis le soleil jusqu'à la lune, jusqu'aux étoiles, jusqu'à la moins brillante de celles-ci, ne sont pas en plus grand nombre ni plus grandes que celles qui existent entre les habitants de la cour divine. Or, qu'entre le grand officier et le licteur il y ait une distance bien moindre qu'entre le soleil et la moindre étoile, c'est chose évidente à tous les yeux; car le soleil éclaire à la fois et réjouit la terre tout entière, et , sa lumière éclipse la lune et les étoiles; et telle petite étoile ne parait peut-être même jamais et reste perdue dans les ténèbres, car il est bien des étoiles que nous n'apercevons même pas.
Quand donc nous verrons les autres devenir des soleils, tandis que nous irons prendre la place des moindres étoiles, de celles qui ne se devinent même pas, quelle consolation nous restera-t-il ? Ah ! je vous en prie, ne soyons pas ainsi tardifs; lourds et lâches ; ne traitons pas l'affaire du salut dont Dieu est l'enjeu, de façon à la changer en oeuvre de loisir; exerçons sur elle un saint négoce, sachons la faire valoir et la multiplier. Car enfin chacun ici, fût-ce un catéchumène, chacun connaît cependant Jésus-Christ, chacun apprécie la foi, entend la divine parole, approche plus ou moins de la connaissance de Dieu, et sait la volonté de son maître.
Pourquoi ces délais, ces hésitations, ces retards ? Rien n'est- meilleur qu'une vie vertueuse polar ce monde comme pour l'autre, pour les fidèles baptisés et pour les catéchumènes. Car, je vous le demande, quel est le commandement qui soit pour nous lourd et intolérable ? Ayez, Dieu le dit, ayez une épouse et soyez modéré et continent : est-ce donc difficile ? Comment le prétendre, lorsque tant de personnes même sans épouse savent être chastes, non-seulement parmi les chrétiens, mais parmi les gentils ? Une passion que le gentil domine par vanité, ne sauriez-vous l'éviter, vous, par crainte de Dieu? — «Donnez », Dieu le dit, « donnez aux pauvres suivant vos moyens » : est-ce un devoir lourd et intolérable ? Maïs ici encore les gentils nous accusent, eux qui, par vaine gloire, jettent parfois leur fortune entière à pleines. mains. — Ne tenez point de discours obscènes. Est-ce difficile ? Ne devrions-nous pas nous conduire assez honnêtement pour y voir notre propre déshonneur? C'est le contraire, c'est; veux-je dire, tenir des discours dés honnêtes qui est une difficulté, et vous le voyez avec évidence, par ce fait qu'on a la honte au coeur et la rougeur au front, lorsqu'on a laissé échapper des paroles de ce genre, qu'on ne prononcera pas, à moins d'être ivre. Pourquoi, en effet, une fois assis sur la place publique, n'y faites-vous plus ce que vous vous permettez peut-être à la maison ? N'êtes-vous pas retenu par les témoins qui sont là ? Pourquoi ne le feriez-vous pas même en présence de votre femme ? N'est-ce as de peur de la couvrir de honte ? Or, ce que vous ne faites pas par respect pour votre épouse, comment ne rougissez-vous pas de le faire en outrageant Dieu ? car il est présent partout, il entend tout. — Gardez-vous de vous enivrer c'est simple et beau. L'ivresse par elle-même n'est-elle pas un supplice? Dieu ne vous dit pas : Disloquez votre corps; mais quoi ? Ne vous enivrez pas, c'est-à-dire ne le dégradez pas au point de faire perdre à l'âme sa royauté. Quoi donc ? Faut-il refuser tous les soins à son corps? Arrière cette doctrine; je ne la prêche pas; Paul a formulé ainsi le précepte : « N'ayez aucun souci de la « chair dans ses mauvais désirs » (Rom. XIII, 14); ne vous prêtez jamais à sa concupiscence. — Ne ravissez pas ce qui n'est point à vous; gardez-vous d'envahir par avarice le bien d'autrui ; ne commettez point de parjure. Faut-il, pour accomplir ces devoirs, beaucoup travailler, beaucoup suer? N'accusez pas, est-il dit, ne calomniez pas : est-ce donc pénible ? C'est le contraire qui est pénible. Car lorsque vous prononcez une parole de détraction, vous êtes en danger; vous tremblez d'avoir été entendu par la personne, considérable ou chétive, dont vous avez ainsi parlé. Si c'est un grand de ce monde, vous êtes de fait en danger; si c'est un petit selon le siècle; il vous rendra la pareille, il vous paiera même avec usure, il vous attaquera par des discours plus malveillants. — Non, sachons vouloir, et aucun précepte ne sera pour nous lourd ni difficile. Mais si nous n'avons pas de volonté, tout ce qui est le plus facile nous paraîtra malaisé. — Quoi de plus facile que de manger ? Mais telle est la mollesse de quelques gens, qu'ils trouvent même cette fonction pénible. Et j'entends plusieurs personnes dire que manger est un travail. Aucune fonction n'est laborieuse, si vous le voulez, car avec la grâce céleste tout repose sur votre volonté. Veuillons donc le bien, afin de gagner aussi les biens éternels, par la grâce et la bonté etc.
HOMELIE XIV. TOUT CE QUE NOUS VENONS DE DIRE SE RÉDUIT A CECI
: LE PONTIFE QUE NOUS AVONS EST SI GRAND, QU'IL EST ASSIS DANS LE CIEL
A LA DROITE DU TRONE DE LA SOUVERAINE MAJESTÉ. CHAPITRE VIII EN
ENTIER.
Analyse.
1-3. Grandeurs et humiliations dans Jésus-Christ, ministre d'un nouveau tabernacle qui est le ciel. — Celui-ci n'est pas sphérique ni mobile : courte excursion dans' l'astronomie. — Le sacerdoce de la loi nouvelle est tout céleste : admirable idée des sacrements et de la liturgie chrétienne, dont les rites juifs n'avaient que l'ombre et t'ébauche. — L'alliance nouvelle a été pr¢dite.; .l'ancienne a été réprouvée d'avance en toutes lettres. — Caractère de la loi de grâce. — Elle n'est pas écrite ; les apôtres n'ont reçu du ciel aucun livre : témoignage écrasant contre le protestantisme. — L'alliance est nouvelle bien que contenant les débris de l'ancienne.
4. La pénitence, l'oubli de mal faire et la réparation
des méfaits, rend à l’âme sa première beauté.
— La nuit est le temps favorable à la contrition et à la
prière. — La prière du matin et du soir est nécessaire,
mais surtout le ban emploi de la nuit.
1. Saint Paul mêle dans son discours les humiliations et les grandeurs; il imite en cela son divin Maître. Les choses humbles et basses préparent la voie aux choses sublimes et divines. La vue de celles-ci nous apprend que celles-là étaient un effet de la bonté de Dieu qui voulait (514) condescendre à notre faiblesse. C'est ce plan général qu'il suit en particulier dans ce passage. Il a commencé par dire que Jésus s'est offert, et puis, nous l'ayant montré comme Pontife, il ajoute . « Voici maintenant le comble et le couronnement de tout ce qui a été dit jusqu'ici ; nous avons un Pontife si grand qu'il s'est assis dans le ciel à la droite du trône de la Majesté souveraine ». Or, être assis n'est pas le propre d'un pontife, mais de celui à qui le sacrifice est offert par le pontife. — « Etant le ministre du « sanctuaire » ; non pas simplement « ministre », mais ministre du sanctuaire; « et du vrai tabernacle que Dieu a fixé et non pas un homme ». Voyez-vous ici l'abaissement volontaire ? Car l'apôtre n'a-t-il pas établi, au début de son épître, cette différence en faveur du Fils de Dieu, que les anges « sont tous des esprits ministres », et que pour cette raison la parole : « Asseyez-vous à ma droite », ne leur sera jamais adressée ? Il affirme donc que celui qui s'assied n'est pas un ministre, un simple serviteur. Comment donc ici est-il appelé ministre, et ministre du sanctuaire ? C'est donc comme homme que cette affirmation lui convient.
Quant au « tabernacle », ici, c'est le ciel. Et pour montrer la différence entre ce tabernacle et celui des juifs, il dit que c'est non pas un homme mais Dieu qui l'a fixé. Remarquez comment il élève les âmes des juifs qui ont cru en Jésus-Christ. Vraisemblablement, ils s'imaginaient que nous n'avions point de tabernacle. Voici, leur dit-il, le prêtre, le prêtre vraiment grand, bien plus grand que les pontifes d'Israël, et qui a offert un sacrifice plus admirable. Mais ire va-t-on pas voir ici un vain étalage de mots pour séduire les esprits ? Non, car il leur rend ses affirmations dignes de foi, en les prouvant et par le serment divin, et par le tabernacle nouveau. Sur ce dernier point la différence était déjà éclatante; il leur en fait encore considérer une toute particulière : « Il a été fixé », dit-il, « non de main d'homme, mais par Dieu même ». Où sont maintenant ceux qui affirment le mouvement du ciel ? Où sont ceux qui disent que sa forme est sphérique ? L'une et l'autre idée sont détruites par ce seul texte : « Or voici le comble de tout ce qui a été dit ». Le comble, la tête, c'est tout ce qu'il y a de plus élevé. Mais il va rabaisser son langage, et après avoir parlé des grandeurs du Christ, il peut sans crainte parler des abaissements. Pour que vous sachiez donc que ce mot : « ministre », qu'il écrit ensuite, se rapporte à l'humanité de Notre-Seigneur, écoutez comme de nouveau il va le déclarer.
« Car tout pontife », dit-il, « est établi pour offrir à Dieu des dons et des victimes; c'est pourquoi il est nécessaire que celui-ci ait aussi quelque chose qu'il puisse offrir (3) ». En m'entendant dire qu'il est assis, n'allez pas croire qu'il n'ait pas été appelé sérieusement pontife. On dit qu'il est assis .pour marquer sa divinité; on dit qu'il est pontife pour montrer sa miséricorde envers nous. L'apôtre .insiste avec complaisance sur ce dernier point, il s'y étend davantage. Il craignait que l'idée de la divinité de Jésus-Christ n'empêchât de croire à ses miséricordieux abaissements. Il y revient donc, et comme quelques-uns demandaient : Pourquoi est-il mort? Parce qu'il était prêtre, répond-il; pas de prêtre sans sacrifice; il lui faut donc un sacrifice, à lui aussi. Saint Paul, qui a déclaré d'ailleurs que Jésus est dans le ciel, dit donc et montre de toute manière qu'il est prêtre, rappelant et Melchisédech, et le tabernacle, et le sacrifice offert par Notre-Seigneur. Et, toujours dans le but de prouver le sacerdoce de Jésus-Christ, il construit un nouveau raisonnement
« S'il avait été prêtre sur la terre », dit-il, « il ne serait pas prêtre, puisqu'il y avait déjà des prêtres pour offrir des dons selon la loi (4) ». Si donc il est prêtre, et il l'est certainement, il faut qu'il le soit ailleurs qu'ici-bas. Car s'il était prêtre sur la terre, il ne serait pas prêtre, et pourquoi? parce qu'il n'a jamais offert de sacrifice, et qu'il n'a pas rempli de fonction sacerdotale; et cela se comprend, puisqu'il y avait des prêtres chargés de ces sacrifices. L'apôtre prouve qu'il était même impossible à Jésus-Christ d'être prêtre sur la terre: comment, en effet, dit-il, l'aurait-il pu avant la résurrection ?
Maintenant, mes frères, il vous faut élever vos âmes, et contempler la science apostolique de Paul; car voici une nouvelle différence de sacerdoce qu'il nous dévoile. — « Dont le ministère a pour objet la figure et l'ombre des choses du ciel». Que sont ici les choses du ciel? Les choses spirituelles. Car bien que les saints mystères s'accomplissent en ce bas monde, ils sont néanmoins dignes du ciel. En effet, quand on nous met devant les yeux Jésus-Christ tué et immolé; quand l'Esprit-Saint descend; quand ici se rend présent Celui qui est assis à la droite du Père; quand le bain sacré engendre des enfants de Dieu; quand ceux ci deviennent concitoyens des habitants du ciel, puisque nous avons là-haut droit de patrie, de cité , puisque désormais ici-bas nous sommes étrangers et voyageurs, comment tous ces mystères ne sont-ils point célestes? Et quoi encore? Nos hymnes ne sont-elles point célestes? Les mêmes chants que font entendre au ciel les choeurs des puissances incorporelles, n'en avons-nous pas l'écho, nous qui sommes sur cette humble terre? Et notre autel n'est-il pas céleste aussi? Comment? C'est qu'il n'a rien de charnel; toutes les offrandes qui s'y font, sont spirituelles. Notre sacrifice ne s'évanouit pas en cendre, en graisse, en fumée; mais il ennoblit et glorifie les dons qu'on y présente. N'est-il pas céleste le sacrement qui s'accomplit en vertu de ces paroles adressées aux ministres de tous les temps: « Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez? » (Jean, XX, 23.) N'exercent-ils pas un pouvoir céleste, ceux qui possèdent même les clefs du royaume des cieux?
2. «Leur ministère a pour objet »,dit-il, «la figure et l'ombre des choses du ciel, comme il fut répondu à Moïse lorsqu'il construisait le tabernacle. Voyez» , disait le Seigneur, «et faites tout selon le modèle qui vous a été montré sur la montagne (5)»; c'est qu'en effet, l'ouïe est un (515) moyen plus lent que la vue pour apprendre une chose; ce que nous entendons ne se grave pas dans notre esprit comme ce que nous voyons. « Dieu lui montre toutes choses» ; peut-être ne les lui montre-t-il qu'en modèle et en ombre, peut-être veut-il ici parler du temple. Car il a dit d'abord : « Voyez et faites tout selon le modèle qui vous a été montré sur la montagne». N'a-t-il vu que ce qui avait trait à la construction du temple, ou aussi ce qui se rapportait aux sacrifices et à tout en général? Ce second sentiment peut être soutenu sans erreur. Car l'Église est céleste, elle n'est rien moins qu'un ciel.
« Au lieu que Jésus a reçu une sacrificature d'autant plus excellente, qu'il est le médiateur d'une meilleure alliance (6) ».Voyez combien, dit l'apôtre, le second sacerdoce l'emporte sur le premier, puisque l'ancien n'est que copies et figures, et que le nouveau est la vérité même. Mais cette assertion était peu consolante pour les Hébreux, et ne pouvait leur causer du plaisir; l'apôtre s'empresse donc d'ajouter quelque chose qui devait les combler de joie : « L'alliance nouvelle est établie sur de meilleures promesses ». Après l'avoir déjà montrée plus grande par le lieu, le prêtre et le sacrifice, il établit maintenant la différence d'alliance. Il avait déclaré plus haut que l'ancienne était faible et inutile, et toutefois remarquez les précautions qu'il prend avant d'en venir à lui faire son procès. Plus haut (VII) avant de prononcer la réprobation du sacerdoce antique, il avait eu soin de parler de l'immortalité du nouveau pontife, à qui ensuite il attribuait cette haute prérogative que « par lui « nous approchons de Dieu». Ici, ce n'est qu'après nous avoir élevés jusqu'aux cieux, après nous avoir montré que le ciel remplace pour nous le temple, et que le lévitisme ne possédait que les figures de nos saintes réalités; c'est après avoir ainsi relevé le culte nouveau qu'à bon droit dès lors il relève aussi le sacerdoce. — Mais, je l’ai dit, il établit spécialement ce qui doit causer aux Hébreux une joie incomparable, à savoir : « Que notre alliance repose sur des promesses meilleures». Et qui le prouve? Ce fait même que l'antique alliance est rejetée, et qu'une autre est introduite à sa place. Si désormais celle-ci a l'empire, c'est parce qu'elle est meilleure; car de même qu'il disait : Si par le sacerdoce lévitique la perfection était atteinte, pourquoi y a-t-il eu besoin qu'un autre prêtre se levât selon l'ordre de Melchisédech; ainsi employant ici le même argument, il dit
« Car s'il n'y avait rien de défectueux dans la première alliance, il n'y aurait pas lieu d'en « substituer une seconde. Et cependant Dieu leur adresse une parole de blâme (7, 8) », c'est-à-dire, si l'alliance n'avait pas eu quelque défaut, si elle avait délivré les hommes de tout péché. Car pour vous convaincre que tel est le sens de ces paroles, écoutez la suite : « Leur adressant un blâme », aux juifs, non à l'alliance, le Seigneur dit : « Il viendra un temps où je ferai une nouvelle alliance avec la maison d'Israël et la maison de Juda. Non selon l'alliance que j'ai faite avec leurs pères au jour où je les ai pris par la main pour les faire sortir d'Égypte; car ils ne sont point demeurés dans cette alliance que j'avais faite avec eux, et c'est pourquoi je les ai méprisés, dit le Seigneur ». Soit, dira-t-on ; et où est la preuve que cette alliance soit finie? Il l'a déjà fait voir par le prêtre; ruais maintenant, il démontre plus clairement et en termes exprès, qu'elle est rejetée. Comment? «Par des promesses meilleures». Où est, en effet, je vous prie, l'égalité entre le ciel et la terre? Considérez ce terme : Meilleures promesses; il est mis pour calmer les susceptibilités. Il a dit plus haut dans la même intention : «Par cette espérance nous approchons de Dieu, espérance meilleure», dit-il. (Héb. VII, 19.) En effet, dire meilleures promesses, meilleure espérance, c'est donner à entendre que l'ancienne alliance avait déjà ses promesses et son espérance. Mais ce peuple l'accusant toujours : « Voici », ajoute-t-il , « voici que des jours viendront, dit le Seigneur, où je consommerai une alliance nouvelle avec la maison d'Israël et la maison de Juda ». Il ne s'agit pas d'une ancienne alliance quelconque; car, pour qu'on ne pût s'y tromper, il a marqué la date même. Il ne dit pas absolument : Non pas selon l'alliance que j'ai faite avec leurs pères, parce que vous auriez pu répondre qu'il s'agit de celle que Dieu fit avec Abraham ou même avec Noé. Laquelle désigne-t-il donc? Écoutez : « Non pas selon l'alliance que j'ai faite avec leurs pères qui assistaient à la sortie »; et Dieu même ajoute : « En ce jour où je les pris par la main pour les tirer de la terre d'Égypte; car ils ne sont point demeurés dans cette alliance que j'ai faite avec eux, et c'est pourquoi je les ai méprisés, dit le Seigneur ». Voyez-vous que le mal commence par nous? Ce sont eux qui n'ont point persévéré, dit-il; ainsi la négligence est notre fait. Le bien, je veux dire tous les bienfaits, viennent de Dieu. Ici, il semble lui-même faire son apologie, et il dit pour quelle raison il les abandonne.
8. «Mais voici l'alliance que je ferai avec la maison d'Israël, après que ce temps-là sera venu, dit le Seigneur; j'imprimerai mes lois dans leur esprit et je les écrirai dans leur coeur, et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple (10) ». Dieu parle évidemment de la nouvelle alliance, puisqu'il a dit : Ce n'est plus selon l'alliance que j'ai faite jadis. Telle est la grande différence des deux alliances; la dernière est écrite dans les coeurs. La différence n'est pas tant dans les commandements que dans la manière de les donner et de les graver. « Mon alliance ne sera plus écrite en lettres», dit-il, « mais dans les coeurs ». Que le juif nous montre la réalisation de cette prophétie à une époque quelconque; mais non, il ne la trouvera pas, car ]aloi fut de nouveau reproduite en caractères écrits après le retour de la captivité de Babylone. Moi, au contraire, je leur montre que les apôtres n'ont rien reçu par écrit, mais que l'Esprit-Saint a gravé tout dans leur coeur. Aussi Jésus-Christ disait-il : « Quand il sera venu, il vous remettra toutes choses en mémoire et vous enseignera ».
« Et chacun d'eux n'aura plus besoin d'enseigner son prochain et son frère, en disant : Connaissez le Seigneur; parce que tous me connaîtront, depuis le plus petit jusqu'au plus grand; (516) car je leur pardonnerai leurs iniquités, et je ne me souviendrai plus de leurs péchés ( 11, 12) ». Voici un autre signe : Du petit au grand, dit-il, on me connaîtra; on ne dira plus : Connaissez le Seigneur. Quand donc s'est réalisée cette prédiction, sinon maintenant? car notre grande révélation chrétienne a éclaté partout; et la leur, loin d'être ainsi manifeste, est enfermée dans un étroit recoin. On dit qu'une chose est nouvelle, quand elle est tout autre, ou quand elle montre ce que n'avait pas celle qui l'a précédée. Une chose encore devient nouvelle quand on en retranche une forte partie sans toucher au reste. Par exemple, que quelqu'un répare une maison qui menace ruine, et que sans touchera l'ensemble de la construction, il en refasse les fondations, nous dirons aussitôt Il a fait une maison neuve, parce qu'il a enlevé certaines parties qu'il a remplacées par d'autres. Nous disons aussi que le ciel est nouveau, quand, cessant d'être d'airain, il nous verse la pluie; ainsi encore parlons-nous d'une terre qui cesse d'être stérile, sans avoir été changée autrement; ainsi appelons-nous édifice rieur celui dont on retire certaines parties en respectant les autres. Saint Paul a donc eu raison d'appeler nouvelle notre alliance, pour montrer que la précédente a vieilli, étant devenue absolument inféconde. Pour vous en convaincre, lisez les reproches d'Aggée, de Zacharie, de l'ange; lisez spécialement les griefs d'Esdras contre le peuple, comment il fut reçu, lorsqu'ils étaient transgresseurs, et qu'ils ne s'en doutaient même pas. — Voyez-vous comment votre alliance a été violée et supprimée, comment l'a mienne mérite à bon droit le titre de nouvelle?
Je n'admets pas d'ailleurs que ce texte : «Il y aura un ciel nouveau » (Isaïe, LXV, 17), ait été dit dans le sens indiqué tout à l'heure. En effet, lorsque Dieu, dans le Deutéronome, annonce que le ciel serait d'airain, il n'a pas ajouté cette antithèse : Si au contraire vous obéissez, le ciel sera nouveau; mais il déclare que c'est parce que les juifs n'ont point gardé la première alliance qu'il en donnera une nouvelle. Je la prouve par ces paroles de l'apôtre lui-même : « Car ce qui était impossible à la loi, qui était affaiblie parla chair»; et ailleurs : « Pourquoi tentez-vous Dieu, en imposant sur le cou des disciples un joug que ni nos pères, ni nous-mêmes n'avons pu porter?» (Rom. VIII, 3; Act. XV, 10 ) Puisqu'ils n'ont pas persévéré, dit-il. Ceci montre que nous sommes honorés de faveurs plus grandes et plus spirituelles. « Car », dit-il, « leur voix a retenti par toute la terre, et leurs paroles jusqu'aux extrémités du monde ». C'est l'explication du texte : « Chacun ne dira plus à soit prochain : Connaissez le Seigneur», et ailleurs: «La terre sera remplie de la connaissance du Seigneur, comme la mer jadis l'a couverte de ses flots» : (Habac. II, 14.)
« Or, en appelant cette alliance une alliance nouvelle, il a mis la première au rang des choses « vieillies et passées. Or, ce qui passe et vieillit, est proche de sa fin (13) » . Voyez comme il a dévoilé ce qu'il a de plus caché, la pensée même du Prophète. Il a honoré la loi, et n'a pas voulu t'appeler vieille en toutes lettres; mais il a dit qu'elle l'était cependant. Car si elle était nouvelle, il ne donnerait pas cette qualification de nouvelle à la nôtre. Ainsi Dieu donnant davantage, dit-il, par là même a mis la précédente alliance au rang des choses antiques. Donc elle se dissout et s'éteint, elle n'est déjà plus. Encouragé par le Prophète, il poursuit utilement ce thème, montrant que notre religion est florissante, par cela seul que l'autre alliance est usée. Prenant ensuite ce terme de chose antique, il en ajoute un autre encore, celui de chose vieillie, et le coup de grâce se déduit aussitôt des qualifications susdites : « Elle est », dit-il, « proche de sa fin ». Ce n'est donc pas, à proprement parler, la nouvelle alliance qui a détruit l'ancienne; c'est que celle-ci vieillit, c'est qu'elle est devenue inutile. Voilà pourquoi il disait: A raison de son impuissance et de son inutilité; et encore : La loi n'a rien mené à la perfection; et : Si la première alliance avait été sans défaut, on ne chercherait pas la place d'une seconde. Qu'est-ce qu'être sans défaut? C'est être utile, puissant. Il parle ainsi , non que la loi doive être accusée positivement; mais, la voyant insuffisante, il s'exprime plus simple; ment, comme si l'on disait : Votre maison n'est pas sans défaut; c'est-à-dire, elle a quelque vice de construction; elle n'est c'est-à-dire, ferme ni solide; votre vêtement n'est pas sans défaut; c'est-à-dire il s'en va. Il ne dit donc pas que l'alliance antique fut mauvaise, mais qu'elle laissait prise au blâme, aux accusations.
4. Ainsi nous sommes nouveaux,ou plutôt,nous l'avons été, car maintenant nous avons vieilli, et partant nous sommes près de la mort. Toutefois,, si nous le voulons, nous pouvons conjurer, réparer cette caducité honteuse. Nous ne le pouvons plus par le baptême, mais nous le pouvons par la pénitence. Si nous avons quelque symptôme de vieillesse , rejetons-le ; si déjà nous comptons quelque ride, quelque tache, quelque souillure, sachons tout effacer et recouvrons notre beauté première, afin que le Roi nous aime dans cette beauté renouvelée. Bien, que tombés peut-être dans une laideur extrême, il nous est permis de retrouver ce charmé et cette grâce dont parle ainsi David : « Ecoutez, ô ma fille, voyez, prêtez l'oreille, oubliez votre peuple et la maison de votre père, et le roi sera épris dé votre beauté». Ce n'est pas l'oubli qui fait la beauté de l'âme. Quel oubli est donc ici désigné? L'oubli des péchés. Car le Prophète s'adresse à l'Eglise appelée du milieu des nations païennes, et lui conseille de ne pas se souvenir de ses pères, de ceux sans doute qui sacrifiaient aux idoles; c'est parmi eux, en effet, qu'elle a été choisie. Et il ne lui dit pas: N'en approchez point; mais ce qui est bien autrement fort : N'en concevez plus même la pensée! Ce qui s'accorde avec cet autre passage : « Je ne me souviendrai plus même de leurs noms sur mes lèvres »; et ailleurs . « Puisse ma bouche ne pas parler des rouvres de ces hommes ! » (Ps. XV, 4 et XVI, 4.) Ceci n'est pas, encore d'une grande vertu, ou plutôt c'est une vertu déjà grande, mais non parfaite. Car que dit-il ici? Il ne s'arrête pas à cet avis : Ne parlez pas le langage de vos pères; il (517) poursuit : Ne leur gardez pas même un souvenir, n'en conservez pas même l'idée. Vous voyez à quelle distance il veut nous éloigner du Vice, En effet, qui ne se souvient plus d'une chose, n'y pense pas; qui n'y pense pas, n'en parle pas; qui n'en parle pas, est bien loin de la commettre. Comprenez-vous combien d'étapes il jette entre nous et le péché, combien de haltes, d'intervalles, doivent nous en éloigner ?
Ecoutons donc, nous aussi; oublions nos maux, et non pourtant les péchés que nous avons commis. Car, souvenez-vous-en le premier, dit le Seigneur, et moi, je ne m'en souviendrai plus. Prenons un exemple : Loin d'avoir un souvenir de vol, rendons le bien volé. C'est oublier le vice que de chasser ainsi toute pensée de rapacité sans jamais plus l'accueillir, ayant même souci d'effacer la trace de nos péchés.
Mais comment ainsi oublier le mal? Par le souvenir des bienfaits de Dieu. Si nous avions constamment mémoire de ce grand Dieu, nous pourrions aussi nous rappeler ses bontés. « Heureux », dit le Prophète, « si je me suis souvenu de vous sur ma couche même, si je méditais alors sur vous dès le matin ! » (Ps. LXII, 7.) Car toujours sans doute il faut se souvenir de Dieu, mais plus que jamais il le faut à l'heure où notre pensée est dans le silence et le calme, à l'heure où par ce souvenir elle peut se condamner, à l'heure où la mémoire est plus fidèle. Quand ce souvenir nous revient pendant le jour, bientôt d'autres soucis tumultueux chassent la bonne pensée. Durant la nuit, au contraire, nous pouvons nous souvenir toujours, dès que notre âme jouit de la tranquillité, du repos, qu'elle est au port et dans une atmosphère sereine. « Ce que vous dites dans vos coeurs », ajoute le Prophète, « repassez-le avec amertume dans votre lit ». (Ps. IV, 5.) Il faudrait sans doute, même durant le jour; conserver ces souvenirs; mais parce qu'alors vous êtes sans cesse inquiets et distraits par les affaires de la vie présente, au moins alors et dans votre lit, souvenez-vous de Dieu et méditez sur lui dès les heures matinales. Si telle est, dès le matin, notre Cation, nous irons ensuite à nos affaires avec une sécurité heureuse; si par la prière tout d'abord nous gagnons l'amitié de Dieu, nous marcherons dès lors sans rencontrer d'ennemi, ou, s'il s'en présente, nous en rirons, ayant Dieu pour nous. La guerre est sur la place publique, les embarras de chaque jour sont autant de combats, de vagues, de tempêtes. Nous avons besoin d'armes; les prières sont des armes puissantes. C'est quand les vents sont favorables qu'il faut tout étudier, pour que la longue journée s'achève sans naufrage ni blessure; car chaque jour voit surgir de nombreux écueils, et trop souvent contre eux la barque se brise et s'engloutit.
Voilà pourquoi nous avons besoin de prière , surtout le matin et le soir. Plusieurs d'entre vous souvent ont vu les jeux Olympiques; et non contents d'en être témoins, se sont portés fauteurs et admirateurs de ceux qui concourent, prenant parti l'un pour celui-ci, l'autre pour celui-là. Vous savez que pendant ces jours et ces nuits de combats, le héraut n'a toute la nuit même qu'une pensée, qu'un souci, c'est qu'aucun des combattants ne se conduise d'une manière indigne. Ceux qui patronnent un joueur de trompette, lui conseillent de ne dire mot à qui que ce soit, de peur d'épuiser son haleine et de prêter à rire. Si donc celui qui va lutter en face des hommes y met un soin pareil, bien plus convient-il que nous soyons constamment sur nos gardes et toujours réfléchis, nous dont la vie entière est nu combat. Que la nuit donc tout entière soit pour nous une longue veille, une continuelle précaution, de peur que nos démarches de la journée ne prêtent au ridicule; et plut à Dieu que nous ne fussions jamais que ridicules !
Or sachons qu'à la droite du Père siège le Juge du combat; il écoute attentivement s'il nous échappera quelque accent discordant et qui blesse l'harmonie, car il n'est pas seulement juge des faits, mais aussi dés paroles. Veillons toute la nuit, ô bien-aimés frères, et nous aussi, si nous voulons, nous aurons des partisans. Près de chacun de nous siége un ange, tandis que nous dormons profondément toute la nuit. Et encore si nous ne faisions que dormir; mais plusieurs alors commettent des turpitudes; les uns courent aux mauvais lieux; les autres prostituent leurs maisons mêmes, en y admettant des courtisanes. Je me tais : car ceux-là n'ont aucun souci de bien combattre. D'autres s'abandonnent à l'ivresse et aux grossières conversations; d'autres aiment le bruit et le trouble; d'autres passent toute la nuit dans une veille criminelle et méditent contre ceux qui dorment des complots détestables; d'autres comptent leurs profits usuraires; d'autres sont rongés de soucis et font tout excepté ce qui convient au bon combat. Aussi je vous prie d'abandonner toute pensée semblable et de d'avoir qu'un but, c'est de recevoir la récompense, d'ambitionner pour nos fronts la couronne, de tout faire enfin pour pouvoir atteindre les biens promis. Puisse-t-il nous être donné d'en jouir par la grâce et bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ!
HOMÉLIE XV. CETTE PREMIÈRE ALLIANCE A EU DES LOIS ET DES
RÈGLEMENTS TOUCHANT LE CULTE DE DIEU, ET UN SANCTUAIRE TERRESTRE.
(IX, JUSQU'A 15.)
Analyse.
1 et 2. Rappel, en quelques mots, des rites anciens : le tabernacle, l'arche et toua les objets qu'on y gardait, accusaient les Juifs. — Sacrifice unique et sanglant par le seul grand prêtre, et son entrée alors, une fois par an, dans le Saint des Saints image du sacrifice unique et sanglant de Jésus-Christ, et de son entrée définitive au ciel.
3 et 4. Mal du péché en général ; il le
compare au cadavre empesté. —Mal de l'avarice, qui se place au-dessous
de la prostitution même : détails navrants. — Mal du rire
insensé, qui va se moquer de cette doctrine. — Jésus-Christ
n'a jamais ri. — Mal spécial du rire dans l'église. — Objurgation
spéciale aux femmes.
1. Il a montré par le prêtre, par le sacerdoce, par l'alliance même la fin certaine de celle-ci; il va la prouver enfin par la figure du tabernacle lui-même. Comment? en y distinguant le Saint, et le Saint des Saints. Le Saint contenait les symboles et les signes de la période précédente, puisque tout s'y faisait par divers sacrifices. Le Saint des Saints, au contraire, appartient à notre époque. D'après saint Paul, le Saint des Saints marque à la fois le ciel, le voile du ciel, la chair du Christ qui entre par-delà ce voile, du Christ qui pénètre là par le voile de sa chair. Mais il est à propos de reprendre ce sujet de plus haut. Que dit-il donc?
« La première eut aussi... » Qu'est-ce à dire , la première? La première alliance. « Ses règlements « de culte ». Règlements, qu'est-ce? Des symboles ou des rites; comme s'il disait : Elle les a eus autrefois, elle ne les a plus. Il montre que déjà une alliance a supplanté l'autre : elle eut alors, dit-il. Aussi maintenant, quoique debout encore, elle n’est plus; elle eut aussi « un sanctuaire du siècle », c'est-à-dire, séculier, mondain, parce que tous les hommes pouvaient y pénétrer; il y avait un lieu ouvert et commun à tous dans le temple où se voyaient prêtres et simples juifs, prosélytes mêmes, gentils et nazaréens. Et parce que l'entrée en était libre même aux nations étrangères, il l'appelle « mondain », car les juifs n'étaient pas le monde.
« Car dans le tabernacle qui fut dressé, il y avait une première partie où étaient le chandelier, la table et les pains de proposition, et cette partie s'appelait le Saint ».Voilà les symboles d u monde. « Après le second voile... » Il y avait donc plus d'un voile; du côté du dehors, en effet, il y en avait un premier... Après le second voile était « le tabernacle qu'on appelle le Saint des Saints ». Vous voyez qu'il l'appelle un tabernacle, une tente, parce qu'on ne fait qu'y passer comme dans une tente; « où il y avait», dit-il, « un encensoir d'or, et l'arche de l'alliance toute couverte d'or, dans laquelle était une urne pleine de manne, la verge d'Aaron qui avait fleuri et les tables de la loi (4) ». Autant de témoignages éclatants de l'ingratitude des juifs. Ainsi les « tables de la loi » rappelaient que Moïse les avait brisées; « la manne » déposée dans une urne d'or, qu'ils avaient murmuré; « la verge d'Aaron », qu'ils s'étaient révoltés. Les juifs , ingrats et oublieux de si nombreux bienfaits, durent placer ces objets dans l'arche par ordre du législateur , et transmettre ainsi à la postérité le souvenir dé leurs méfaits. « Au-dessus de l'arche, des chérubins de gloire couvraient le propitiatoire (5) ». Qu'est-ce à dire, chérubins de gloire? Comprenez : glorieux , ou bien qui sous Dieu même couvrent le propitiatoire. Saint Paul devait ainsi faire ressortir et exalter ces détails, pour montrer que ce qui va suivre est plus grand encore. « Mais ce n'est pas ici le lieu d'étudier une à une toutes ces choses ». Ceci nous fait comprendre qu'il y avait là non-seulement ce qu'on voyait, mais encore du mystère. De toutes ces choses, dit-il, nous ne devons pas parler en détail, peut-être parce qu'elles exigeraient un long discours.
«Or, ces choses étant ainsi disposées,les prêtres entraient à toute heure dans le premier tabernacle, pour y remplir les fonctions du sacrifice (6) ». Comprenez : tout cela existait, mais les simples juifs n'en jouissaient pas, ils ne pouvaient même y plonger la vue. Aussi, ces choses n'étaient pas tant à eux qu'à nous, pour qui ces objets étaient des figures prophétiques.
« Mais dans le second tabernacle, seul, une seule fois dans l'année le pontife entrait, non sans y porter du sang qu'il devait offrir pour lui-même et pour les ignorances du peuple (7) ». Voyez-vous comment les figures ont été comme des pierres d'attente posées d'avance pour l'avenir? L'Apôtre prévient cette objection : Pourquoi un sacrifice unique? pourquoi le grand Pontife n'a-t-il offert qu'une seule fois? Il montre que cet usage datait de loin, et que le sacrifice le plus saint, le plus redoutable était unique. C'était l'antique usage que le grand prêtre n'offrit qu'une fois. Et il ajoute avec raison : « Non sans porter du sang »; il y avait du sang, à la vérité, mais ce n'était pas, celui-là, le sang divin. Le sacrifice d'alors n'avait pas cette importance. Ceci figure le sacrifice à venir que le feu ne doit pas constituer, mais qui s'accomplit surtout par le sang. Car ayant appelé sacrifice le crucifiement, où l'on ne vit ni flamme, ni bûcher, mais seulement une immolation sanglante, il montre que cet antique sacrifice avait un (519) semblable caractère: il se réduisait à cette oblation sanglante et unique... — « Qu'il devait offrir pour lui-même et pour les ignorances du peuple ». Il ne dit pas, remarquez-le, pour les péchés, mais pour les ignorances, afin d'abaisser leur orgueil. En effet, il se peut que vous n'ayez pas péché de plein gré; mais, malgré vous, l'ignorance vous a entraînés; personne n'est pur à ce titre. Et partout il fait ressortir qu'il offre « pour lui », pour montrer ainsi que Jésus-Christ est tout autrement saint et grand que le pontife dont se glorifiaient les juifs. Si celui-ci avait été séparé des pécheurs et du péché, comment -aurait-il offert pour lui-même? Où tend alors, bienheureux Paul, votre réflexion? à faire entendre que d'être exempt de péché devait être le privilège d'un pontife plus grand, de celui que je veux maintenant vous faire contempler.
« Le Saint-Esprit nous montrant par là que la voie du sanctuaire n'était pas encore découverte, pendant que le premier tabernacle existait (8) ». La raison de tout cet arrangement, nous dit-il , était de nous instruire que l'entrée du Saint des Saints, c'est-à-dire du ciel , n'était pas encore ouverte. Voici ce que cela voulait dire : De ce que vous ne pénétrez pas encore dans le ciel, n'allez pas en nier l'existence; car avez-vous même l'entrée du sanctuaire terrestre?
2. « Et cela même n'était qu'une figure pour un temps d'un instant (9) ». Qu'appelle-t-il temps d'un instant? Celui qui précède l'avènement de Jésus-Christ; car après l'arrivée du Sauveur, il n'y a plus temps d'un instant. Comment y en aurait-il, puisqu'il est la consommation et la fin des temps? « C'est donc une image » ; autrement dit, « c'est une figure pour un temps d'un instant, pendant lequel on offrait des dons et des victimes qui ne pouvaient rendre parfaits selon la conscience, les serviteurs de Dieu ». Vous voyez ici la claire explication des paroles qu'il a précédemment écrites: « La loi n'a rien mené à perfection » ; et encore : « Si la première alliance avait été sans reproche ». — « Selon la conscience », qu'est-ce à dire? C'est que les sacrifices d'alors ne détruisaient pas les souillures de l'âme, mais ils n'atteignaient que le corps: « Selon la loi d'un précepte charnel ». (Hébr. VII, 16.) Ils ne pouvaient remettre l'adultère, le meurtre, le sacrilège. Lisez plutôt ces règlements : Mangez ou ne mangez pas telles ou telles choses; autant d'objets indifférents. « Ce culte ne consistait qu'en des viandes et des breuvages et en diverses ablutions (10) ». Buvez ceci, dit-il , bien qu'il n'y eût dans la loi aucune prescription sur le boire ; mais son but est de montrer la grossièreté de ces prescriptions. — « En diverses prescriptions charnelles, imposées jusqu'à une époque d'amendement ». En effet, c'était une justice purement charnelle. L'Apôtre renverse ces sacrifices, qu'il montre avoir été sans vertu aucune, et imposés jusqu'à une époque d'amendement, c'est-à-dire, pour attendre le temps qui devait amender et corriger toutes choses.
« Mais Jésus-Christ s'étant présenté comme pontife des biens futurs, est entré par un tabernacle plus grand et plus parfait, qui n'a point été fait de main d'homme (11) ». Il désigne sa chair; et il a raison d'appeler ce tabernacle plus grand et plus parfait, puisque le Dieu Verbe, ainsi que toute la vertu de l'Esprit, habite en lui : « Car Dieu ne lui donne pas son Esprit avec épargne et mesure »; ou bien encore; il est plus parfait, en ce sens que le blâme ne tomba jamais sur cette sainte humanité, et qu'elle accomplit largement les plus hautes vertus. « Tabernacle qui n'est point de cette création », et c'est en ce sens qu'il est plus grand que l'ancien. Il n'aurait pas été conçu de l'Esprit, si un homme l'avait construit. Il n'est pas non plus de cette création, en ce sens qu'il n'est pas composé die ces éléments créés que nous voyons, mais tout spirituel; en effet, c'est l'Esprit-Saint même qui l'a construit. Voyez-vous comme ce corps sacré est appelé par l'apôtre, tabernacle,voilé, ciel? « Par un tabernacle plus grand et plus parfait » ; et plus bas : « Par le voile, c'est-à-dire par sa chair » ; et encore : « Jusqu'au dedans du voile »; et ailleurs : « Entrant dans le Saint des Saints, pour paraître devant la face de Dieu ». (Hébr. VI19.) Pourquoi ce langage de l'Apôtre ? Pour nous apprendre qu'une même expression peut avoir deux sens, un sens littéral et un sens allégorique. Ainsi le ciel est un voile, parce qu'il cache le Saint; il en est de même de la chair de Jésus que nous dérobe sa divinité, et. cette chair qui possède la divinité est en même temps un tabernacle; le ciel est encore un tabernacle, puisque le pontife y réside. — «Or, Jésus-Christ», dit-il ,« s'étant présenté comme le pontife ». — Il ne dit pas : Etant devenu, mais s'étant présenté , c'est-à-dire étant venu de lui-même pour cette fonction, sans succéder à personne. Et quand il s'est présenté, il n'a pas été fait pontife; il est venu avec le pontificat. Et il ne dit pas qu'il soit venu comme pontife des sacrifices, mais comme pontife des biens futurs; son discours, ici, semble impuissant à tout dire.
« Et il est entré non avec le sang des boucs et des veaux ». Tout est changé; « mais c'est avec son propre sang qu'il â pénétré une fois dans le sanctuaire », c'est le ciel qu'il nomme ainsi ; « ayant trouvé ainsi pour nous une rédemption « éternelle (12)». Ce mot « trouvé » exprime un de ces mystères profonds, inattendus; on demande comment par une seule entrée, il a trouvé une rédemption éternelle. L'Apôtre poursuit et nous donne les motifs de croire, à ce mystère. « Car si le sang des boucs et des taureaux et l'aspersion de l'eau mêlée avec la cendre d'une génisse sanctifie ceux qui ont été souillés, en leur donnant une pureté extérieure et charnelle, combien plus le sang de Jésus-Christ, qui par le Saint-Esprit s'est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache, purifiera-t-il notre conscience des oeuvres mortes pour nous faire rendre un vrai culte au Dieu vivant (13, 14)? » Car, dit-il, si le sang du taureau peut purifier la chair, bien plus le sang de Jésus-Christ purifiera-t-il les souillures de l'âme. Et quand vous entendez dire : « Sanctifie», n'allez pas croire à un effet merveilleux. L'apôtre prévient votre erreur, en remarquant et démontrant quelle différence existe entre les deux (520) sanctifications, et comment l'une est sublime, l’autre grossière; et il est bien juste, selon lui, qu'il en soit ainsi, puisque, d'un côté est le sang du taureau, et de l'autre le sang de Jésus-Christ. Et il ne se contente pas d'une différence de nom ; il établit aussi la manière d'offrir : « Lui», dit-il, « s'est offert à Dieu, par le Saint-Esprit, comme une victime sans tache » . Victime sans tache signifie pure de tout péché. Et l'expression « par le Saint-Esprit », veut dire : Non par le feu, ni par tout autre intermédiaire. Ce sang, dit-il, « purifiera notre conscience des oeuvres mortes ». — « Oeuvres mortes », est une locution très-juste; car, chez les juifs, si quelqu'un touchait un mort, il devenait impur; et chez nous toucher une oeuvre morte, c'est souiller sa conscience. « Pour nous faire rendre un vrai culte au Dieu vivant et véritable », ajoute-t-il. Il montre ici qu'il est impossible que celui qui a des oeuvres mortes, serve un Dieu vivant et véritable. Réflexion très-vraie, et qui nous montre le caractère des offrandes que nous devons faire à Dieu : oui, celles que nous présentons, sont vivantes et véritables; celles qui viennent des juifs, sont mortes et fausses: tout cela est conséquent.
3. Que nul donc n'entre au saint lieu avec des œuvres mortes. Si l'entrée en était interdite à celui qui touchait un cadavre, bien plus l'est-elle à celui qui a des oeuvres mortes; car c'est la souillure la plus honteuse. Or, j'appelle oeuvres mortes, toutes celles qui n'ont point la vie, qui déjà exhalent une odeur infecte. De même en effet qu'un cadavre, loin de flatter nos sens, incommode quiconque s'en approche; ainsi le péché frappe et atteint notre intelligence même, enlève à notre âme tout son repos, y jette le trouble et le bouleversement. On dit que la peste a la malheureuse vertu de corrompre les corps : tel est aussi le péché. Peste affreuse et trop vraie, il ne corrompt pas l'air d'abord, et les corps ensuite, mais il attaque aussitôt l'âme elle-même. Ne voyez-vous pas comme les victimes de la peste souffrent, s'agitent, se roulent, sont brûlées vives,exhalent une odeur repoussante, offrent un aspect révoltant, sont immondes enfin dans tout leur être? Telles sont, sans le savoir, les victimes du péché.
Car, dites-moi, n'est-il pas plus misérable qu'un fiévreux, celui qui est épris d'amour pour l'argent ou pour la chair? n'est-il pas plus immonde que les pestiférés, celui qui commet ou qui subit toutes les bontés? Se peut-il un être plus hideux que l'homme captif de l'avarice? Les courtisanes, les comédiennes ne tiennent pas une conduite plus abjecte que lui. Je crois même qu'il va plus loin qu'elles dans la honte. Il subit des traitements d'esclave, tantôt. s'abaissant à des flatteries sans nom, et tantôt audacieux et fier à l'excès; mais toujours inégal. Souvent des scélérats, des escrocs, corrompus et abjects , incomparablement plus pauvres, d'une moindre condition que lui, le voient cependant assis à leurs côtés, comme un vil courtisan, tandis que les gens d'honneur et de vertu n'auront que ses insultés, ses outrages; ses insolences. Vous le voyez, du reste, dans les deux cas, impudent et insolent, tour à tour bas à l'excès et arrogant outre mesure. La femme perdue, elle, se tient enfermée; son crime est de trafiquer de son corps à prix d'argent. Mais elle a une certaine excuse dans la pauvreté et la faim; bien que cette excuse soit insuffisante, puisqu'elle pourrait se nourrir en travaillant. L'avare, au contraire, ne reste point chez lui; il se montre au milieu de la cité, prostituant non pas son corps, mais son âme au démon qui en abuse comme d'une prostituée, et ne la laisse qu'après en avoir joui ; et cela non en présence de deux ou de trois témoins, mais de tout une ville.
La prostituée s'abandonne à qui la paye; esclave, homme libre, gladiateur, quiconque vient avec de l'argent est bien reçu; mais sans cet or maudit, l'homme le plus riche et le plus noble n'est point admis. Ainsi fait l'avare : les meilleures pensées, quand l'or n'est pas au bout, sont rejetées; mais il embrasse pour de l'argent les plus criminelles et les plus impies, il leur sacrifie la beauté de son âme. La fille de joie est par nature laide, noire, grossière, épaisse, sans grâce ni beauté, hideuse : ainsi devient l'âme cupide, dont la laideur ne pourrait se cacher, même sous une couche et un enduit de fard. Une fois parvenue à cette laideur extrême, quelque moyen qu'il imagine, il ne peut la couvrir.
Que l'impudence fait la prostituée, le Prophète même le déclare : « Vous êtes devenue impudente à la face de tous; vous avez un front de prostituée ». (Jérém. III, 3.) Pareille apostrophe pourrait s'adresser aux avares : vous êtes devenu impudent à la face de tous; non de tels ou de tels, mais de tous.. Comment ? C'est que père, fils, épouse, ami, frère, bienfaiteur, personne n'est respecté par un être ainsi déchu. Et que parlé-je d'ami, de frère ou de père ? Il ne respecte plus Dieu lui-même; tout ce qu'on en dit lui semble des fables; affolé par son ivresse, il rit de tout, et ses oreilles se refusent à admettre une parole utile, Au contraire, ô absurdité ! Quel est le langage de l'avare : Malheur à vous, argent, et à ceux qui ne vous possèdent pas ! Oh ! plutôt malheur à ceux qui parlent ainsi, quand même ils parleraient en riant ! Car, dites-moi; est-ce que Dieu n'a pas fait la terrible menace que vous savez : « Vous ne pouvez servir deux maîtres à la fois?» (Matth. vi, 24.) Vous croyez réduire cette menace à néant, en prononçant ces blasphèmes, mais malheur à vous ! Paul n'a-t-il pas déclaré que l'avarice est une idolâtrie et l'avare un idolâtre?
4. Mais vous, par ce rire hardi, vous imitez les femmes insensées et mondaines, et comme celles mêmes qui paraissent sur les planches des théâtres, vous essayez de faire rire les autres. Voilà le renversement, voilà la destruction de tout bien. Nos affaires sérieuses deviennent des sujets de rire, de plaisanteries et de jeux de mots. Rien de ferme, rien de grave dans notre conduite. Je ne parle pas ici seulement aux séculiers; je sais ceux que j'ai encore en vue; car l'Eglise même s'est remplie de rires insensés. Que quelqu'un prononce un mot plaisant, le rire aussitôt parait sur les lèvres des assistants ; (521) et chose étonnante, plusieurs continuent de rire même jusque pendant le temps des prières publiques. Le démon partout dirige ce triste concert, il pénètre dans tout, il exerce sur tous son empire. Jésus-Christ est méprisé, il est chassé; l'église est regardée comme un lieu profane. N'entendez-vous pas saint Paul s'écrier : « Que toute honte, toute sottise de langage, toute bouffonnerie soit bannie du milieu de vous ». Il place ainsi la bouffonnerie au même rang que les turpitudes. Et vous riez toutefois ! Qu'est-ce que la sottise de langage? C'est dire ce qui n'a rien d'utile. Mais vous riez quand même; le rire sans cesse épanouit votre visage, et vous êtes moine ?Vous faites profession d'être crucifié au monde, et vous riez ! Votre état est de pleurer, et vous riez!
Vous qui riez, dites-moi : où avez-vous vu que Jésus-Christ vous ait donné l'exemple ? Nulle part; mais souvent vous l'avez vu affligé ! En effet, à la vue de Jérusalem, il pleura; à la pensée du traître, il se troubla; sur le point de ressusciter Lazare, il versa des larmes. Et vous riez.!
Si ceux qui ne savent pas gémir sur les péchés d'autrui sont dignes de blâme, quel pardon mérite celui qui loin d'être affligé de ses fautes personnelles, ne sait que rire ?Voici le temps du deuil et. de l'affliction, le moment de châtier votre corps et de le réduire en servitude, l'heure des sueurs et des combats. Et vous riez ! Et vous ne remarquez pas comme Sara fut reprise pour ce fait ! Et vous n'entendez pas cet anathème de Jésus-Christ.: « Malheur à ceux qui rient, parce qu'ils pleureront ! » (Luc, V, 25.) Voilà pourtant ce que chaque jour vous répétez dans les saints cantiques. Car enfin, quelles paroles exprimez-vous alors, dites-moi ? Dites-vous avec le Prophète : J'ai ri ? Non ; mais que dites-vous ? « Je me suis fatigué à gémir ».
Mais peut-être il en est ici de tellement dissipés, tellement efféminés, que nos reproches les font rire encore, par cela seul que nous parlons de rire. Car le caractère de ce défaut, c'est la folie et l'hébétement d'esprit; il ne comprend pas, il ne sent pas le reproche. Le prêtre de Dieu est debout, offrant la prière universelle; et vous riez, sans pudeur aucune ! Lui tout tremblant, offre pour vous des prières; vous, vous n'avez que du mépris. N'entendez-vous donc pas celte parole de l'Ecriture : Malheur aux moqueurs ! Vous ne tremblez pas : Vous ne rentrez pas en vous-même ! Quand vous entrez dans un palais, votre allure, votre regard, voir démarche, tout votre extérieur enfin sait s'ennoblir et se composer mais ici où est le palais véritable, où tout est l'image du .ciel, vous riez ! Et pourtant, il est une assistance invisible à vos yeux, je le sais, mais réelle, entendez-le ; c'est celle des anges partout présents, mais qui surtout dans la maison de Dieu font cortége au souverain roi; tout est rempli de ces puissances spirituelles.
Mon discours s'adresse aussi aux femmes. En présence de leurs maris, elles n'osent pas sitôt se permettre un tel excès; quand elles rient alors, ce n'est pas constamment, mais à l'heure d'une honnête et nécessaire récréation : mais ici, c'est toujours ! Quoi donc, ô femme, vous mettez un voile sur votre tête, dès que vous prenez place à l'église, et vous riez ! Vous y êtes entrée avec la résolution de confesser vos péchés, de vous prosterner devant Dieu, de prier et de supplier pour les fautes que vous avez eu le malheur de commettre, et dans l'accomplissement de ces devoirs, vous riez ! Comment donc pourrez-vous apaiser votre Juge ? — Mais, dites-vous, le rire est-il donc un péché ? — Non, le rire n'est pas un péché; mais ce qui est un péché, c'est l'excès, c'est de prendre mal son temps. Le rire nous est naturel, quand par exemple nous revoyons un ami après un long temps d'absence ; ou quand, rencontrant des personnes frappées de vaines terreurs, nous voulons les rassurer et les récréer; rions alors, mais jamais jusqu'aux éclats, mais point constamment. Notre coeur a besoin de cet épanouissement pour se détendre quelquefois, mais non pour se dissiper. Les désirs de la chair sont naturels aussi; et toutefois il n'est pas nécessaire absolument d'y obéir, et moins encore d'en user avec excès; nous devons les dominer, loin de dire : c'est naturel, jouissons !
Servez Dieu avec larmes, pour pouvoir laver vos péchés. Je sais que plusieurs se moquent de nous et répètent : Les larmes ! c'est leur premier mot. C'est toujours le temps des larmes. Je sais quelles sont les maximes des hommes sensuels
Mangeons et buvons; car demain nous mourrons ». (I Cor. XV, 32.)
Mais rappelez-vous cet oracle : « Vanité des vanités,
et tout est vanité ». (Ecclés. I, 2.) Ce n'est pas
moi qui parle ici, c'est celui-là même qui goûta de
tout plaisir, c'est lui qui dit : « Je me suis bâti des maisons
royales; j'ai planté pour moi des vignes. Je me suis créé
des viviers et des bains; j'ai eu des serviteurs et des servantes pour
me verser à boire ». (Ecclés, II, 4, 5.) Et après
cette énumération, que dit-il ? « Vanité des
vanités, et tout est vanité », Pleurons donc, ô
mes bien-aimés, pleurons, pour que nous ayons un jour le rire vrai,
la joie véritable au jour de la sainte allégresse, Car l'allégresse
d'ici-bas est nécessairement mêlée de tristesse, et,
l'on ne peut la trouver franche et pure. Mais l'autre sera sincère,
exempte de mensonge et de déception, à l'abri de tout piège,
sans mélange enfin. Il n'est, au reste, qu'un moyeu de l'acquérir
; c'est de choisir, dès cette vie, non pas ce qui nous plait, mais
ce qui nous est utile; c'est de nous attrister bien peu de notre plein
gré, mais de supporter avec action de grâces tout ce qui nous
arrive. Ainsi pourrons-nous gagner le royaume des cieux, par la grâce
et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ainsi soit-il.
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