HOMÉLIE XVI. AUSSI EST-IL LE MÉDIATEUR D'UN NOUVEAU TESTAMENT,
AFIN QUE SA MORT INTERVENANT POUR LE RACHAT DES INIQUITÉS QUI SE
COMMETTAIENT SOUS LE PREMIER TESTAMENT, CEUX QUI SONT APPELÉS DE
DIEU REÇOIVENT L'HÉRITAGE QU'IL LEUR A PROMIS. (IX, 15, JUSQU'A
23.)
Analyse.
1 et 2. Le nouveau Testament est un testament vrai : ses dispositions, ses lois, ses témoins ; mort du testateur qui le rend définitif. La mort sanglante de notre testateur figurée par les hosties sanglantes immolées au moment où Dieu consacra le premier Testament. Magnifique témoignage de la présence réelle. Preuve du secret chez les premiers initiés ou premiers chrétiens. La vertu des anciens sacrifices sanglants venait du sang de Jésus-Christ.
3 et 4. La vertu fera de notre coeur un vrai ciel : magnifique comparaison.
Exemples des saints arrivés, dès cette vieà la
hauteur des cieux et plus haut même encore. Les funambules et bien
d'autres, dont la profession est rude et dangereuse, devraient nous faire
rougir. Toujours vouloir et prouver notre volonté en mettant la
main à l'oeuvre : Dieu nous aidera.
1. Vraisemblablement un certain nombre des plus faibles convertis, étonnés de la mort même de Jésus-Christ, n'avaient pas eu foi en sa promesse. Paul, pour donner à leurs idées une réfutation sans réplique, cite un exemple emprunté aux coutumes les plus communes de la vie. Quel est cet exemple? Le motif même, dit-il, qui doit vous donner confiance et joie, c'est que précisément un testament n'est pas certain, ni valide, ni d'effet définitif pendant la vie, mais bien après la mort~du testateur. Voilà pourquoi il avance que Jésus « est médiateur d'un nouveau Testament a. Un testament se fait aux approches de la mort ; son essence est de reconnaître certains héritiers et de déshériter d'autres personnes. Ainsi en est-il ici quant aux héritiers. « Je veux », a dit Jésus-Christ, « qu'ils soient où je suis moi-même ». (Jean, XVII, 24.) Et quant aux déshérités, écoutez son arrêt : « Je ne prie pas pour tous, mais pour ceux qui, par leur parole, croiront en moi ». (Jean, XVII, 20.) De plus, un testament énonce les dispositions du testateur, et. impose aux légataires certaines dispositions, aussi ; ils ont à recevoir telle chose, et à faire telle autre chose. Ainsi, dans ce même cas, Jésus après avoir fait des promesses sans nombre énonce certains devoirs qu'il exige en retour, quand il dit : « Je vous donne un commandement nouveau». (Jean, XVII, 13.) En troisième lieu, le testament doit avoir des témoins. Ecoutez ses paroles à cet endroit : « C'est moi qui rends témoignage de moi-même; mais mon Père qui m'a envoyé me rend aussi « témoignage ». Et ailleurs, parlant de l'Esprit consolateur : « C'est lui », dit-il, « qui me rendra « témoignage ». (Jean, VIII, 18 et XV, 26.) Et il envoya ses apôtres en disant : « Soyez mes témoins devant Dieu ».
« Il est », dit-il, « médiateur de la nouvelle alliance ». Quel est le droit du médiateur? Il n'a pas en son pouvoir l'objet pour lequel il s'interpose. Autre est cet objet, autre le médiateur. Ainsi l'entremetteur d'un mariage n'est pas le fiancé, mais celui qui aide le fiancé à trouver une épouse. De même, au cas présent, le Fils fut a la fois notre médiateur et celui du Père. Le Père ne voulait pas nous laisser son héritage infini; irrité contre nous, il nous gardait comme à des ennemis sa rude et légitime sévérité. Jésus, intercédant entre lui et nous, a fléchi son coeur. Et voyez comme il a rempli ce rôle d'intermédiaire. Il porta et reporta les paroles échangées du ciel à la terre, transmit à , Dieu l'exposé de nos besoins, s'offrit même à subir la mort. Oui, nous avions péché, nous devions mourir; mais il mourut pour nous, et nous rendit dignes de paraître sur le testament. Et ce qui établit définitivement cet acte testamentaire, c'est que désormais il ne concerne plus des indignes. Car,dès le commencement, en père affectueux, Dieu nous avait fait un testament : mais devenus indignes, nous n'avions plus à figurer au testament, mais au supplice. Pourquoi, dès lors, dit saint Paul aux Juifs, pourquoi vous glorifier de la loi? Le péché nous a réduits à une si triste condition que désormais le salut nous était impossible, si Notre-Seigneur n'avait pour nous subi la mort; la loi faible et nulle , aurait été absolument impuissante.
Non content de confirmer ses assertions parla coutume universelle, l'apôtre l'appuie sur les circonstances qui consacrèrent l'antique Testament: Cette preuve est tout à fait choisie pour eux. On lui aurait dit: Mais personne alors ne mourut pour l'établir; où fut donc le principe de sa solidité, de sa stabilité ? Il répond : La consécration de l'antique alliance fut toute semblable. Comment? C'est qu'on y versa le sang, comme le sang coule chez nous. Et ne vous étonnez pas si ce n'était pas alors le sang du Messie : Cette alliance ancienne n'était qu'une figure. Voilà pourquoi l'apôtre ajoute : « C'est pourquoi le premier Testament lui-même ne fut consacré qu'avec le sang (18) ». Consacré, qu'est-ce à dire? Comprenez établi, confirmé, ratifié. Il fallut donc, dit-il, qu'on vît alors la figure et d'un testament et d'une mort. Autrement, expliquez-moi pour quelle raison le livre du Testament reçoit une aspersion sanglante ? Car voici le texte de l'histoire sainte
2. « Moïse ayant lu devant tout le peuple toutes les ordonnances de la loi, prit du sang des veaux et des boucs avec de l'eau , de la laine teinte en écarlate et de l'hysope et en jeta sur (523) le livre même et sur tout le peuple, en disant : C'est le sang du testament et de l'alliance que Dieu a faite en votre faveur (19, 20) ».Pour quelle raison, dites-moi , se fait cette aspersion et du livre, et du peuple, sinon parce qu'un sang précieux était figuré ainsi, bien des siècles à l'avance? Pourquoi l'hysope ? Parce que son feuillage épais et spongieux retenait mieux le sang. Pourquoi l'eau? Pour montrer cette purification qui se fait aussi par l'eau. Pourquoi la laine? Pour mieux absorber aussi le sang. Il montre ici que le sang et l'eau étaient la même chose : et en effet le baptême est le symbole de sa passion.
« Il jeta encore du sang sur le tabernacle et sur tous les vases qui servaient au culte. Selon la loi, enfin, presque tout se purifie avec le sang, et les péchés ne sont pas remis sans effusion de sang (21, 22) ». Pourquoi le mot « presque ? » Pourquoi ce correctif ? Parce que la purification d'alors n'était point parfaite, non plus que la rémission des péchés; la justification était incomplète et pour une partie très-peu considérable. Chez nous, au contraire, écoutez : « C'est le sang de la nouvelle alliance. qui est répandu pour vous pour la rémission des péchés ». (Matth. XXVI, 28.) Le livre aujourd'hui est l'âme des chrétiens que Dieu purifie ; les fidèles sont les livres de la nouvelle alliance. Quels sont les vases servant au culte? Eux encore. Et le tabernacle? Eux toujours. Car « j'habiterai en eux », dit-il, « et je marcherai en eux ». Mais on ne les aspergeait ni avec la laine ni avec l'hysope? Pourquoi ? Parce que leur purification n'était plus corporelle, mais spirituelle; le sang même était spirituel ici. Comment? Parce qu'il ne coula pas des veines d'animaux sans raison, mais d'un corps préparé par le Saint-Esprit. Voilà le sang dont Jésus-Christ, et non plus Moïse, nous arrosa par la parole déjà rapportée : « C'est le sang de la nouvelle alliance pour la rémission des péchés ». Cette parole tenant lieu de l'hysope imprégnée de sang, nous a tous arrosés. Jadis le corps était purifié extérieurement, ce n'était qu'une purification matérielle. Mais ici la purification toute spirituelle pénètre Pâme et n'est pas une simple aspersion, c'est une source vive qui jaillit dans nos âmes : Ceux qui sont initiés aux saints mystères me comprennent. Moïse ne répandait l'aspersion que sur la surface, et après l'aspersion il fallait se laver de nouveau : on ne pouvait garder longtemps cette rosée de sang. Dans nos âmes il n'en va pas ainsi : le sang se mêle à leur nature ; il les rend fortes et chastes; il y produit une beauté que le langage humain ne peut expliquer.
L'apôtre démontre encore que la mort du Sauveur n'a pas seulement une vertu confirmative, mais une vertu purificative. La mort, en effet, qui paraissait une exécration, surtout celle qu'on subissait sur une croix, cette mort nous a purifiés, dit-il, et par une purification inappréciable, et pour des faits bien autrement graves. Si les sacrifices antiques ont précédé,c'est en vue de ce sang; ainsi s'explique l'immolation des agneaux, et tout ce qui s'est fait enfin.
« Il était donc nécessaire que ce qui n'était que figure des choses célestes, fût purifié par le sang des animaux; mais que les choses célestes elles-mêmes le fussent par des victimes plus excellentes que n'ont été les premières (23) ». Quelles sont ces figures des choses célestes ? Quelles sont les choses que l'apôtre nomme maintenant célestes ? Entend-il par là le ciel, les anges? Non, il désigne ainsi ce que nous avons. Nos saints mystères sont donc dans le ciel, ils sont célestes, bien qu'ils se célèbrent sur la terre. Car les anges, bien que sur terre, sont appelés anges du ciel , et les chérubins sont célestes, bien qu'ayant apparu sur la terre. Apparu, que dis-je? Ils vivent sur la terre, comme dans le paradis; mais cette circonstance ne fait rien ; ils sont célestes par nature. « Et notre conversation à nous-mêmes est dans les cieux » (Philip. III, 20), bien que nous habitions ici-bas. Ainsi, « les choses célestes mêmes ». C'est la sagesse que nous pratiquons, nous qui sommes appelés là-haut. « Par des victimes », ajoute-t-il, « meilleures que les premières ». Qui dit « meilleur », suppose la comparaison de supériorité avec « bon ». Ainsi alors déjà il y avait des institutions bonnes et des copies de ce qui est au ciel; et les copies mêmes n'étaient pas un mal, car autrement vous déclarez mauvais les originaux eux-mêmes.
3. Si donc nous sommes tout célestes, si nous sommes montés à cette haute nature, tremblons, et ne faisons plus de cette terre notre demeure. Car dès qu'on le veut sincèrement aujourd'hui, on peut n'être plus sur la terre. Pour y être et n'y pas être à la fois, nous avons un moyen sûr, une méthode certaine. Par exemple : on dit que Dieu est dans le ciel ; comment ? Est-ce parce qu'il y est renfermé comme dans un lieu ? Arrière cette idée; mais sans que la terre soit déserte et privée de sa sublime présence, il garde une amitié, une familiarité, une union plus intime avec ses anges. Si donc nous sommes proches de Dieu, nous habitons le ciel. Eh ! que me fait en effet le ciel même, quand je contemple le Seigneur du ciel, quand moi-même je serai devenu le ciel? Or, dit Jésus-Christ, « nous viendrons, mon Père et moi, « et nous ferons en lui notre demeure ».
Ah! faisons de notre âme un ciel ! Le ciel, de sa nature, est si beau, si joyeux, que l'orage même ne peut l'assombrir; son aspect ne change pas en réalité ; les nuages amoncelés ne font que le cacher. Le ciel possède le soleil ; nous avons, nous aussi, le Soleil de justice.
J'ai dit qu'il nous est permis de devenir autant de cieux ; et je vois même que nous pouvons surpasser le ciel en beauté, en éclat. Et comment ? Dès que nous posséderons le Dieu du ciel. Le ciel, dans toutes ses parties, est put, sans tache ; ni la saison mauvaise, ni la nuit ne peuvent l'altérer. Pour éviter aussi de tristes vicissitudes, veillons à ne subir aucune atteinte des afflictions qui nous frappent ou des démons qui nous attaquent : restons purs et sans tache. Le ciel est élevé ; il est loin de la terre ; imitons cette perfection , séparons-nous de la terre, élevons-nous à cette hauteur; et comment ainsi quitter la terre? Par les pensées célestes. Le ciel est au-dessus des pluies (524) et des orages ; rien ne le captive. Nous pouvons y si nous voulons, arriver là; et comme il semble souffrir de ces tempêtes, tout en restant en effet impassible, ainsi sachons ne point pâtir, alors même que nous paraissons souffrants. En effet, dans la mauvaise saison, le vulgaire, ignorant la beauté inaltérable de ce dôme céleste, s'imagine qu'il subit des changements; les philosophes au contraire savent qu'il n'en a point souffert; ainsi la patience peut nous rendre immuables jusque dans les souffrances. Plusieurs nous croiront changés et supposeront que la douleur nous a touchés au cur; mais les sages sauront qu'elle n'a pu nous frapper.
Encore une fois, devenons un ciel : montons à cette hauteur, et de là nous verrons les hommes tout pareils à de pauvres fourmis; et nous jugerons ainsi les pauvres comme les riches, les grands, l'empereur même; nous ne distinguerons plus ni souverain, ni sujet; nous ne saurons plus ce que c'est que l'or ou l'argent, la soie ou la pourpre. Assis à cette hauteur, nous verrons tout comme des moucherons; pour nous, plus de tumulte, de révolution, de clameur.
Mais comment, direz-vous, comment peut s'élever si haut un mortel qui habite ce bas monde ? Je laisse les paroles pour vous répondre par les faits, et vous montrer des hommes qui ont su arriver à cette sublime élévation. Qui sont-ils? Paul et ses disciples, qui même en habitant la terre; conversaient dans le ciel. Dans le ciel, que dis-je? Plus haut que le ciel, dans un autre ciel que celui-ci ; jusqu'à Dieu même ils montaient, ils arrivaient! « Qui nous séparera », s'écrie-t-il, « de l'amour de Jésus-Christ? Sera-ce la tribulation ou l'angoisse, la faim ou la persécution, la nudité, le danger, le glaive ? » (Rom. VIII, 35.) Et ailleurs : « Nous ne contemplons point désormais les choses visibles, mais les invisibles ». (II Cor. IV, 18.) Remarquez-vous qu'il n'avait plus de regard pour les choses d'ici-bas? Et pour vous prouver qu'il était plus élevé que les cieux, je vous citerai sa parole . « Je suis certain en effet que ta mort ni la vie, les choses présentes ni les futures, la hauteur ni la profondeur, qu'aucune créature enfin ne pourra nous séparer de l'amour de Jésus-Christ ».
4. Voyez-vous comment sa pensée s'élevant au-dessus de tout, le rendait supérieur, non-seulement à toute créature , non-seulement à ce ciel visible, mais à tous les cieux qui peuvent exister? Avez-vous compris cette élévation d'âme? Avez-vous vu quel homme admirable était devenu ce faiseur de tentes, quand il l'a voulu, lui qui avait passé toute sa vie dans les rues et les places publiques? Non, non; avec une ferme volonté rien ne peut arrêter notre vol sublime. Car si nous apprenons parfaitement, si nous pouvons exercer certaines professions dont les résultats étonnent et surpassent le vulgaire, bien plus est-il possible d'atteindre à une perfection qui demande moins de travail. Quoi de plus difficile, de plus pénible, par exemple, dites-moi, que de marcher sur une corde tendue, comme on le ferait sur un sol uni ; et, tout en se promenant dans le vide, de s'habiller et de se déshabiller comme si on était assis sur son lit? Ces expériences ne nous semblent-elles pas tellement effrayantes, que loin de vouloir les regarder, nous tremblons, nous avons le frisson rien qu'à les apercevoir? Dites-moi encore, quoi de plus pénible et de plus difficile que de se placer une perche en équilibre sur le front, et de porter sur la pointe un misérable enfant qui fait mille évolutions dangereuses pour l'amusement du public ? Quoi de plus pénible et de- plus difficile que de jouer à la paume sur des épées dressées? Est-il rien de dangereux comme de fouiller en plongeant le fond des mers? Vous me citeriez vous-mêmes mille autres professions périlleuses.
Or, la vertu est plus aisée que tout cela, quand même une sainte ambition nous porterait à monter jusqu'au ciel. Ici, il ne s'agit que de vouloir, et tout s'ensuit. Il n'est pas permis de dire : Je ne saurais ! Ce serait accuser votre créateur; car sil nous a faits trop faibles, et qu'il nous commande cependant, l'accusation retombe sur lui. Comment donc, direz-vous, tant d'hommes ne peuvent-ils pas arriver? C'est qu'ils ne veulent pas. Et pourquoi ne veulent-ils pas? C'est lâcheté: s'ils voulaient, certainement ils pourraient. Paul n'a-t-il pas dit : « Je veux que tout homme soit comme moi-même? » (I Cor. VII, 7.) II savait, en effet, que tous peuvent être comme lui: si la chose était impossible, il n'aurait pas écrit cette parole.
Voulez-vous devenir vertueux? Avant tout, commencez. Car, dites-moi, dans toute profession, dès qu'on veut savoir, suffit-il de vouloir, sans mettre la main à l'oeuvre ? Par exemple, quelqu'un veut devenir pilote; il ne dit pas : Je le veux; c'est insuffisant, en effet; aussi, il commence. Veut-on devenir marchand? On ne dit pas seulement: Je veux; on entreprend le commerce. Veut-on voyager au loin? On ne dit pas seulement: Je veux; on se met en route. En toutes choses enfin, vouloir ne suffit pas; agir est nécessaire. Et quand vous voulez monter au ciel, vous vous contentez de dire : Je le veux. !
On m'objectera que je disais tout à l'heure: Il suffit de vouloir ! Oui, de vouloir avec des actes, de commencer la grande affaire et les saints travaux. Car nous avons un Dieu qui nous seconde et nous aide. Seulement, prenons notre parti, mettons-nous à l'oeuvre comme à une chose sérieuse, soyons diligents, soyons appliqués et attentifs, et le reste se fera. Que si nous dormons, si nous attendons en plein sommeil que le ciel s'ouvre, quand donc pourrons-nous saisir ce sublime héritage ? De la volonté, donc, je vous en prie, de la volonté! Pourquoi toujours traiter uniquement les affaires de cette vie que nous quitterons demain? Ah! plutôt, faisons choix de la vertu, qui nous suffira pour les siècles sans fin, où nous serons à tout jamais, où nous jouirons de biens impérissables ! Puissions-nous les gagner tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc.
HOMÉLIE XVII. CAR JÉSUS-CHIST N'EST POINT ENTRÉ
DANS CE SANCTUAIRE FAIT DE MAIN D'HOMME, QUI N'ÉTAIT QUE LA FIGURE
DU VÉRITABLE, MAIS IL EST ENTRÉ DANS LE CIEL MÊME,
AFIN DE SE PRÉSENTER MAINTENANT POUR NOUS DEVANT LA FACE DE DIEU.
(IX, 124, JUSQU'A X, 7.)
Analyse.
1. Gloire du premier et du second temple juif. Le ciel est le temple des chrétiens, et leur pontife y entre couvert de son propre sang. Cette entrée, ce sang, ce temple, cette oblation unique et suffisante, marquent assez la prééminence de Jésus-Christ et de son Testament.
2. Il nous a délivrés de la mort, simple sommeil, en attendant la résurrection. Il est mort pour tous les hommes, et pour les anges mêmes, dit l'orateur.
3. Un seul sacrifice est désormais suffisant : la multiplicité des victimes chez les Juifs prouve leur impuissance. Pourquoi la messe quotidienne cependant. Admirable doctrine dont le concile de Trente n'est que l'écho.
4 et 5. Le nombre des communions n'en fait pas le mérite, mais
bien la préparation. Celle de la sainte quarantaine ne suffit
pas, surtout si la communion est suivie de rechutes. La sainteté
est nécessaire. Voix du diacre, voix du prêtre qui nous
crie : Les choses saintes sont pour les saints. La sainteté consiste
surtout à voir juste et à bien vivre. Longue et belle métaphore
tirée de l'oeil humain.
1. Un grand sujet d'orgueil pour les juifs, c'était leur temple et leur tabernacle. « Le temple du Seigneur», répétaient-ils, «le temple du Seigneur ». (Jérém. VII, 5.) Et, en effet, jamais au monde ne fut construit temple pareil, au point de vue de la dépense et de la beauté; sous tout rapport, enfin. Dieu qui l'avait fait bâtir, avait voulu qu'on le construisit avec beaucoup de magnificence, parce que son peuple se laissait éprendre et attirer par les splendeurs matérielles. Les parois intérieures étaient donc revêtues de lames d'or, et si vous voulez savoir d'autres détails, consultez le second livre des Rois ou le prophète Ezéchiel , vous verrez quelle énorme quantité d'or y fut dépensée. Le second temple fut encore plus magnifique en beauté et sous bien d'autres rapports. Il n'était pas seulement splendide et vénérable ; il était encore inique, et ses splendeurs attiraient à lui le monde entier. On s'y rendait des confins de la terre habitée, de Babylone comme de l'Éthiopie. Saint Luc .fait allusion à ce concours dans les Actes : « Il y avait», dit-il, « à Jérusalem des Parthes, des Mèdes, des Elamites, de ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée et la Cappadoce, le Pont et l'Asie, la Phrygie et la Pamphylie, l'Égypte et la contrée de Lybie qui est autour de Cyrène ». (Act. II, 5.) Ainsi de toute la terre, on s'y était rendu; et le nom du temple était connu au loin. Que va faire saint Paul? Il va raisonner ici, comme il a fait à propos des sacrifices. Comme en face de ces immolations antiques il a placé la mort de Jésus-Christ, ainsi va-t-il au temple ancien opposer le ciel tout entier. Et non content de cette différence matérielle, il ajoutera que le prêtre de la nouvelle alliance s'est bien plus approché de Dieu. « Jésus-Christ», dit-il, « n'est pas entré dans un sanctuaire fait de main d'homme, mais dans le ciel même, afin de se présenter maintenant pour nous devant la face de Dieu ».
Il déclare que Notre-Seigneur s'est présenté devant la face de Dieu; il grandit ainsi la sacerdoce nouveau, non-seulement à raison du ciel où il est, mais aussi pour cette entrée sublime du pontife, qui lui fait contempler non par symbole seulement, mais en face DIEU lui-même. Comprenez-vous maintenant que tout ce qu'il a dit d'humble au sujet de Jésus , il l'a dit par condescendance pour nous? Serez-vous encore étonnés que le divin Sauveur intercède, puisque l'apôtre vous montre en lui le Pontife? « Non cependant qu'il s'offre souvent lui-même, comme ce grand prêtre qui entre dans le Saint des Saints tous les ans, en se couvrant du sang d'une victime étrangère (25) » ; car Jésus n'est pas entré dans un sanctuaire fait de main d'homme, qui n'était que la figure du véritable. Ainsi celui d'à présent est véritable; l'autre n'était que figuratif. Le temple était construit sur le modèle du ciel des cieux.
Mais que dit l'apôtre? Quoi? S'il n'était pas entré au ciel, il n'aurait pas eu la claire vision de Celui qui est partout et emplit tout? Vous voyez que c'est de Jésus-Christ comme homme que parle lapôtre. Il dit que « pour nous » il s'est présenté devant la face de Dieu. Qu'est-ce à dire, pour nous? Il est monté, nous dit-il, avec un sacrifice capable d'apaiser le Père. Mais pourquoi , dites-moi ? Était-il ennemi lui-même? Les anges l'étaient, mais non pas lui; car pour ce qui regarde les anges, écoutez l'oracle de saint Paul : « Jésus a pacifié tout ce qui était sur la terre et tout ce qui était au ciel ». (Colos. I , 20.) Il a donc raison de dire que Jésus est entré dans le ciel, afin de se présenter pour nous devant la face de Dieu. Il s'y présente, en effet, mais pour nous.
« Et il n'y est pas ainsi entré pour s'offrir lui-même souvent, comme le grand prêtre entre tous les ans dans le sanctuaire, en se couvrant d'un sang étranger ». Vous voyez comme les différences sont nombreuses. Une fois, lui; l'autre, souvent; l'un entre avec son propre sang, l'autre avec un sang étranger. Grandes différences. Jésus est donc à la fois sacrifice, prêtre et victime. (526) S'il n'était pas tout cela, s'il devait offrir plusieurs sacrifices, il faudrait qu'il fût plusieurs fois crucifié : «Autrement » , dit-il, « il aurait fallu qu'il eût souffert plus d'une fois depuis la création du monde (26) ».
Mais voici une parole profonde et mystérieuse : « Au lieu », dit-il, « qu'il n'a souffert qu'une fois vers la fin des siècles ». Pourquoi : « Vers la fin « des siècles?» Après de nombreux péchés commis dans le monde. Si tout s'était passé dès le commencement, personne ne l'aurait cru; et son incarnation avec tous ses dévouements devenaient inutiles; Jésus-Christ, en effet, n'aurait pu convenablement mourir deux fois. Mais après un long règne du péché, il convenait qu'il se montrât. C'est, au reste, ce qu'il dit ailleurs : «Où le péché a abondé, la grâce a surabondé ». (Rom. V, 20. ) « Et maintenant une seule fois vers la fin des siècles, il a souffert pour abolir le péché en s'offrant lui-même pour victime ».
2. « Et comme il est arrêté que tous les hommes meurent une fois, et qu'ensuite ils soient jugés... (27) ». Après avoir prouvé que Jésus-Christ n'avait pas besoin de subir la mort plus d'une fois, saint Paul nous apprend pourquoi il dut mourir une fois. Il est établi, dit-il, pour tous les hommes de mourir une fois, voilà donc pourquoi il est mort une fois pour tous les hommes. Mais, dès lors, comment? Est-ce que nous ne subissons plus la mort dont il s'agit ici? Sans doute, oui, nous la subissons, mais non pour y demeurer; et déjà ce n'est plus mourir. Car la tyrannie de la mort, sa terrible réalité existe tout entière quand le mort n'a plus pouvoir de revenir à la vie. Que s'il revit après le coup fatal, et surtout s'il retrouve une vie meilleure, non ce n'est plus une mort, c'est un sommeil. Or, comme nous étions condamnés à rester toujours captifs sous cette main de la mort, le Sauveur est mort précisément pour nous délivrer.
«Ainsi Jésus-Christ a été offert une seule fois (28)». Par qui, offert? Far lui-même, ce qui montre en lui non-seulement le prêtre, mais encore la victime et le sacrifice. Ensuite l'apôtre nous donne la raison de cette oblation: « Offert une fois », dit-il, « pour effacer les péchés de plusieurs». Pourquoi de plusieurs et non pas de tous? Parce que tous n'ont pas cru. Il est mort pour les sauver tous; il a fait, en ceci, tout son devoir. Cette mort divine équivalait à la mort de tous les hommes; mais elle n'a ni éteint, ni levé les péchés de tous les hommes, parce qu'eux-mêmes s'y sont refusés. Mais qu'est-ce que « lever les péchés? » Cette expression rappelle notre prière à l'offertoire, alors que présentant nos péchés, nous disons : «Que nous a ayons péché volontairement ou involontaire« ment, Seigneur, pardonnez-nous ». Ainsi les lever, c'est nous en souvenir, et en implorer aussitôt le pardon. C'est exactement ce qui s'est fait par Notre-Seigneur. Et quand l'a-t-il fait? Ecoutez sa réponse : « Pour eux, je me sanctifie moi-même ». (Jean, XVII, 19.) Il a enlevé aux hommes leurs péchés et les a offerts à son Père, non pour requérir contre eux, mais pour les leur remettre ; « Et la seconde fois il apparaîtra sans péché pour le salut de ceux qui l'attendent sans péché ». Qu'est-ce à dire? C'est-à-dire qu'il ne viendra plus pour effacer nos péchés, pour anéantir nos iniquités, pour mourir de nouveau. Car s'il est mort, ce n'est pas qu'il dût ce tribut à la nature, ce n'est pas non plus qu'il eût péché. «Il apparaîtra » , comment? Comme vengeur, pouvait-il dire; mais laissant cette parole, il en prononce une bienheureuse et bien douce: « Il apparaîtra sans péché, pour le salut de ceux qui l'attendent », pour que désormais ils n'aient plus besoin de sacrifices; pour les sauver enfin, mais d'après leurs oeuvres.
« Car la loi n'ayant que l'ombre même des biens à venir et non l'image même des choses réelles», c'est-à-dire qu'elle n'en avait pas la vérité. Car jusqu'à ce qu'on pose les couleurs sur un tableau, ce n'est qu'une ébauche ; mais quand le dessin a disparu sous la couleur, c'est un portrait. La loi, c'était quelque chose de pareil. Reprenons :
« Car la loi n'ayant que l'ombre des biens à venir et non la vérité même des choses (entendez le vrai sacrifice, la vraie rémission des péchés), malgré les mêmes victimes qu'on ne cesse d'offrir, elle ne peut rendre justes et parfaits ceux qui s'approchent de l'autel. Autrement on aurait cessé de les offrir, parce que ceux qui lui rendent ce culte n'auraient plus senti leur conscience chargée de péchés, en ayant été une fois purifiés. Et cependant on y fait mention de nouveau tous les ans des péchés. Car il est impossible que le sang des taureaux et des boucs ôte le péché. C'est pourquoi le Fils de Dieu entrant dans le monde, dit: Vous n'avez pas voulu d'hostie ni d'oblation; mais vous m'avez formé un corps. Vous n'avez point agréé les holocaustes ni les sacrifices pour le péché. Alors j'ai dit: Me voici; il est écrit de moi à la tête du livre: Je viens, mon Dieu, pour faire votre volonté. Après avoir dit : Vous n'avez point voulu et vous n'avez point agréé les hosties, les oblations, les holocaustes et les sacrifices pour le péché, qui sont toutes choses qui s'offrent selon la loi; il ajoute ensuite : Me voici , je viens pour faire, ô Dieu, votre volonté. Il abolit ces premiers sacrifices, pour établir le second ». (X, 1-9.) Vous voyez quelle abondance de preuves. Notre victime est unique, dit-il; les vôtres nombreuses; et leur grand nombre même prouve leur impuissance.
3. En effet, dites-moi, à quoi bon plusieurs victimes, quand une seule suffît? Leur nombre et leur offrande perpétuelle montrent que ceux qui les offrent ne sont pas purifiés. Quand un médicament est fort, capable de rendre la santé et de guérir entièrement la maladie, il suffit de le prescrire une fois pour qu'il opère tout son effet. Et si, prescrit une fois, il a opéré parfaitement, sa force est démontrée par cela seul qu'on ne l'ordonnera plus; son action est évidente, par cela même qu'on n'y fait plus appel. Au contraire, s'il faut le répéter toujours, c'est qu'évidemment il est sans vertu; car le propre d'un spécifique, c'est d'être prescrit une fois et non pas souvent. Appliquez ici cette comparaison. Pourquoi enfin faut-il toujours (527) les mêmes victimes? S'ils étaient délivrés de tous leurs péchés, pourquoi offrir chaque jour de nouveaux sacrifices? En effet, il était établi qu'on sacrifierait pour le peuple entier tous les jours, chaque soir et même pendant ]ajournée. Cette pratique accusait les péchés des juifs et ne les remettait pas; elle avouait leur faiblesse et ne manifestait pas sa vertu. Une première immolation avait été impuissante : on en offrait une seconde; celle-ci ne produisait rien elle-même, il en: fallait une troisième; c'était donc une déclaration sans réplique de leurs péchés. Le sacrifice était une preuve du péché, le sacrifice sans cesse réitéré était un aveu de l'impuissance du sacrifice.
En Jésus-Christ, le contraire a lieu. Il a été offert une fois, et à perpétuité ce sacrifice suffit. Aussi l'apôtre, avec raison, appelle les offrandes antiques des « copies » : elles n'ont, de leur modèle, que la figure, et non pas la vertu. C'est ainsi que les portraits ont l'image du modèle, sans en avoir la vertu. L'original et la figure ont quelque chose de commun: ils ont la même apparence, mais non la même force. Ainsi en va-t-il du ciel comparé au tabernacle; il y a similitude entre eux , sainteté de part et d'autre : mais la vertu et le reste ne sont plus les mêmes.
Comment entendre que le Seigneur, par son sacrifice, est apparu pour la ruine du péché ? Qu'est-ce que cette ruine ? C'est une sorte d'exclusion avec mépris; le péché n'a plus de pouvoir, il est ruiné, disgracié. Comment encore ? Il avait droit à réclamer notre châtiment, et il ne l'a pas obtenu ; en cela, il est exclu avec violence. Lui qui attendait l'heure de nous évincer tous et de nous détruire, a été lui-même supprimé et anéanti. Jésus est apparu par son sacrifice, c'est-à-dire, il s'est montré lui-même, il s'est approché de Dieu. Quant aux prêtres des juifs, n'allez pas croire qu'en répétant souvent leur immolation dans une même année, ils le fissent au hasard, et non pas à cause de l'impuissance de leurs sacrifices. Si ce n'était par impuissance, pour quel autre motif agir ainsi ? Quand une plaie est guérie, il n'est plus besoin d'appliquer les médicaments. C'est pourquoi, dit saint Paul, Dieu a ordonné qu'on ne cessât d'offrir par impuissance même de guérir, pour rappeler sans cesse aux juifs la mémoire de leurs péchés.
Mais quoi ? Est-ce que nous n'offrons pas aussi tous les jours? Sans doute, nous offrons ainsi; mais nous ne faisons que rappeler la mémoire de la mort de Jésus-Christ, car il n'y a qu'une hostie et non pas plusieurs. Pourquoi une seulement et non pas plusieurs ? Parce qu'elle n'a été offerte qu'une seule fois , comme il n'y avait qu'un seul sacrifice offert dans le Saint des Saints : or ce sacrifice était la figure du nôtre, de celui que nous continuons d'offrir. Car nous offrons toujours le même, et non pas aujourd'hui un agneau, demain un autre; non, mais toujours le même. Pour cette raison, notre sacrifice est unique. En effet, de ce qu'on l'offre en plusieurs endroits, s'ensuit-il qu'il y ait plusieurs Jésus-Christ ? Non, certes, mais un seul et même Jésus-Christ partout, qui est tout entier ici, et tout entier là, un seul et même corps. Comme donc, bien qu'offert en plusieurs lieux, il est un seul corps et non pas plusieurs corps, ainsi n'avons-nous non plus qu'un seul sacrifice. C'est notre Pontife qui a offert cette victime, qui nous purifie. Et nous offrons maintenant aussi celle qui fut alors présentée et qui ne peut s'épuiser jamais. Et nous le faisons maintenant en souvenir de ce qui se fit alors : « Faites ceci en mémoire de moi », dit-il. Ce n'est pas à chaque fois une immolation différente, comme le grand prêtre d'alors, c'est la même que nous faisons; ou plutôt d'un seul sacrifice nous faisons perpétuellement mémoire.
4. Mais, puisque j'ai rappelé ce grand sacrifice, il faut que je vous en parle un peu, à vous qui êtes initiés aux mystères; je dis un peu, parce que je serai court; je devrais dire grandement, à cause de l'importance et de l'utilité de ce sujet, car ce n'est pas moi qui parle, mais le Saint-Esprit. Que dirai-je donc ?.Plusieurs, en toute une année, ne participent qu'une fois à ce sacrifice; d'autres, deux fois; d'autres, souvent. Je m'adresse donc à tous les chrétiens, non-seulement à ceux qui sont ici, mais encore à ceux qui demeurent dans le désert; car les solitaires n'y prennent part qu'une fois l'an, souvent même à peine une fois en deux ans. Mais, après tout, qui sont ceux que nous approuverons le plus de ceux qui communient une fois, de ceux qui communient souvent, ou de ceux qui communient rarement? Pas plus les uns que les autres; mais ceux-là seuls qui s'y présentent avec une conscience pure, avec la pureté du coeur, avec une vie à l'abri de tout reproche. Présentez-vous ces garanties? venez toujours! Ne les offrez-vous point? ne venez pas même une fois. Pourquoi? parce que vous y recevriez votre jugement, votre condamnation, votre supplice. N'en soyez pas étonnés : car ainsi qu'un aliment nourrissant de sa nature, ruais qui tombe dans un corps rempli déjà d'autres aliments mauvais ou d'humeurs malignes, achève de tout perdre et de tout gâter, et occasionne une maladie ; ainsi agissent nos augustes mystères.
Quoi ! vous jouissez d'une table spirituelle, d'une table royale, et de nouveau votre bouche se souille de fange? Vous parfumez vos lèvres pour les remplir bientôt d'ordure? Dites-moi, lorsqu'au terme d'une longue année vous participez à la communion, pensez-vous que quarante jours vous suffisent pour purifier les péchés de toute cette période? Et même encore, à peine une semaine se sera-t-elle écoulée après votre communion, que vous vous livrerez à vos anciens excès! Or, si après quarante jours à peine de convalescence d'une longue maladie, vous vous permettiez sans mesure tous les aliments qui engendrent les maladies, ne perdriez-vous pas votre peine et vos efforts passés? Car si les forces naturelles subissent elles-mêmes des altérations, combien plus celles de nos résolutions et de notre libre arbitre! Par exemple, la vue est une faculté naturelle; nous avons naturellement les yeux sains, mais souvent une indisposition blesse chez nous ce précieux organe. Si donc ces facultés physiques peuvent (528) s'altérer, combien plus facilement celles qui dépendent de notre liberté! Vous accordez quarante jours, peut-être même moins, à la santé de votre âme, et vous croyez avoir apaisé votre Dieu ! O homme! vous moquez-vous enfin?
Je parle ainsi, non pour vous éloigner de cet unique et annuel accomplissement d'un devoir, mais parce que je voudrais que tous nous pussions le remplir assidûment. Au reste, je ne suis que l'écho de ce cri du diacre qui tout à l'heure appellera les saints, et qui par cette parole semblera sonder les dispositions de chacun, afin que personne n'approche sans préparation. De même que dans up troupeau où la plupart même des brebis sont saines, s'il s'en trouve qui soient malades, il faut qu'on les sépare des brebis saines, ainsi en est-il dans l'Eglise; parmi nos ouailles, les unes sont saines, les autres malades, et la voix du ministre de l'autel partout retentissante, les sépare; et cette voix terrible est l'écho de celle du prêtre qui appelle et attire exclusivement les saints. En effet, il est impossible à l'homme de connaître la conscience de son prochain : « Car », dit l'apôtre, « qui parmi. les hommes connaît les secrets de l'homme, sinon la conscience humaine, parce qu'elle est dans l'homme? » (1 Cor. II, 11.) C'est pourquoi la voix terrible retentit au moment où s'est achevé le sacrifice, afin que personne ne s'approche avec irréflexion et témérité de la grande source des grâces.
Dans un troupeau (car rien ne nous empêche d'exploiter encore cet exemple), dans un troupeau, nous démêlons, pour les enfermer à part, les animaux malades; nous les retenons dans les ténèbres, nous leur donnons une nourriture spéciale; nous ne leur permettons ni de respirer l'air trais, ni de se nourrir de l'herbe pure, ni de sortir pour aller boire aux fontaines. Eh bien ! cette voix du sanctuaire est aussi comme une chaîne. Vous ne pouvez dire : J'ignorais, je ne savais pas que la chose eût des conséquences dangereuses. C'est contre cette ignorance surtout que Paul a tonné. Vous direz peut-être : Je ne l'ai pas lu. Cela vous accuse, loin de vous excuser. Vous venez tous les jours à l'Eglise et vous ignorez un point de cette importance !
5. Au reste, pour que vous ne puissiez vous couvrir d'un tel prétexte, le prêtre debout en un . lieu éminent, et levant la main, comme le héraut de Dieu, crie à haute voix et d'un ton terrible-; vous l'entendez au milieu d'un silence redoutable appeler d'une voix forte les uns, et repousser les autres : c'est le prêtre, il ne fait pas seulement le geste de la main, mais ses lèvres s'expriment plus clairement, plus nettement qu'une main menaçante. Cette voix pénétrant dans nos oreilles, est comme un bras puissant qui expulse les uns et les chasse dehors, tandis qu'il fait entrer et placer les autres. Dites-moi, je vous prie, aux jeux olympiques, n'avez-vous pas vu se lever le héraut, criant à haute et intelligible voix : Est-il quelqu'un qui accuse tel candidat d'être un vil esclave, un voleur, un libertin ? Or,ces combats n'ont rien pour l'esprit, le coeur ni les moeurs; tout y représente le corps et la force physique. Si donc pour ces exercices purement corporels, on fait une enquête si sérieuse des habitudes et de la conduite, bien plus est-elle requise quand il s'agit entièrement d'un combat de l'âme. Voici donc parmi nous aussi un héraut debout, prêt déjà, non pas à nous prendre et à nous conduire en nous tenant par la tête, mais à nous tenir tous ensemble par notre conscience; le voici qui ne fait pas appel à des accusateurs contre nous, mais qui nous oblige à nous accuser nous-mêmes. Il ne demande pas : Est-il quelqu'un pour accuser cet homme? Mais, écoutez; est-il quelqu'un qui s'accuse lui-même? Car lorsqu'il dit : Les choses saintes sont pour les saints, il dit quelque chose d'équivalent : Arrière celui qui n'est pas saint! Il faut,-dit-il, non-seulement être pur de. péchés, mais être saint. La délivrance et- le pardon des fautes ne suffisent pas pour sanctifier; il faut encore là présence de l'Esprit-Saint, et l'abondance des bonnes oeuvres.Je vous veux, ajoute-t-il, non-seulement exempts de souillures, mais déjà splendides de beauté et de blancheur. Car si le roi de Babylone, en choisissant les jeunes gens de la captivité, s'arrêta sur les mieux faits de corps et les plus beaux de visage, bien plus faut-il que les convives de cette table du souverain Roi, brillent par la beauté de leur âme, que l'or éclate sur eux, que leurs vêtements soient irréprochables, leur chaussure royale et toute leur physionomie spirituelle pleine de grâce, qu'ils aient parure d'or et ceinture de vérité. Qu'il approche le chrétien ainsi disposé, qu'il trempe ses lèvres au royal breuvage !
Mais s'il en est un, couvert de haillons, souillé d'ordure, et qu'il veuille avec ce honteux appareil approcher du banquet royal, imaginez quel supplice et quels remords l'attendent, puisque quarante jours ne suffisent pas à laver les péchés commis pendant une longue période de temps. Car si l'enfer ne suffit pas, bien qu'il soit éternel, (il n'est éternel, en effet, que parce qu'il est insuffisant), bien moins doit-on se contenter de ce temps si court de la sainte quarantaine. Ainsi faite, notre pénitence n'est point valide, mais impuissante.
Le divin Roi demande surtout de saints eunuques. Par eunuques j'entends
ceux qui ont le coeur pur, sans souillure, sans tache, ceux dont l'âme
est élevée ; je leur demande surtout un ceil du coeur, doux
et pacifique, un oeil pénétrant et vif, sévère
et attentif, et non pas somnolent et paresseux; un oeil libre et franc,
mais non point hardi ni présomptueux; un oeil vigilant et fort,
ennemi de la tristesse exagérée autant que d'une gaieté
folle et dissipée. L'oeil de notre coeur avec toutes ses vertus,
sera notre oeuvre; si nous voulons, nous pouvons nous former un regard
très. beau et très-pénétrant. Evitons d'exposer
cet organe de la vue à la fumée et à la poussière,
image trop vraie de toutes les choses humaines; nourrissons-le d'air pur
et vif; dressons-le à contempler les hauteurs et les sommets sublimes,
à plonger dans les milieux calmes, purs, réjouissants: bientôt
nous l'aurons à la fois guéri et fortifié, en le baignant
dans ces perspectives enchanteresses
529
Ainsi, avez-vous aperçu des richesses mal acquises et excessives? Ne levez pas les yeux de ce côté : votre organe y trouverait boue et fumée, vapeur malsaine et ténèbres, angoisses. cuisantes et ennuis suffocants. Avez-vous vu au contraire un homme juste, content de ce qu'il a, très-large à pardonner, sans souci ni inquiétude des biens présents? Fixez, élevez sur lui votre regard; votre cil n'en deviendra que plus beau et plus clair, si vous le repaissez non de la vue des fleurs, mais plutôt de celle de la vertu, du désintéressement, de la modération, de la justice, de tontes les saintes habitudes. Car rien ne trouble l'oeil, autant que la mauvaise conscience. « Mon coeur s'est troublé de colère », dit le Prophète; rien ne répand en effet de plus épaisses ténèbres. Epargnez-lui cette triste épreuve, et vous le rendrez joyeux, vif et fort, et capable de se nourrir toujours de saintes espérances.
Que Dieu nous donne à tous d'acquérir cet oeil parfait et de régler ainsi toutes les opérations de notre âme selon la volonté de Jésus-Christ, afin que devenus dignes du chef sublime qui nous commande, nous partions un jour pour son saint rendez-vous. Car il dit : où je suis, je veux qu'ils soient aussi avec moi, et qu'ils aient la vision de ma gloire. (Jean, XVII, 24.) Puisse-t-il nous être donné de. la gagner en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XVIII. VOUS N'AVEZ POINT VOULU ET VOUS N'AVEZ POINT AGRÉÉ
LES HOSTIES, LES OBLATIONS, LES HOLOCAUSTES ET LES SACRIFICES POUR LE PÉCHÉ,
TOUTES CHOSES QUI S'OFFRENT SELON LA LOI. (X, 8, JUSQU'A 18.)
Analyse.
1. Les sacrifices étaient abolis dans la volonté de Dieu, quand arriva Jésus-Christ. La volonté de Dieu ne se confond pas avec son désir : il n'exige pas toujours ce qu'il désirerait de nous. Pourquoi Notre-Seigneur attend avant de frapper, ses ennemis ? Qui sont, ceux qui encourent son inimitié ?
2 et 3. La pauvreté enseignée déjà comme
vertu dans l'Ancien Testament, est déclarée comme telle avec
bien plus d'évidence dans le Nouveau. C'est la pauvreté
qui donne aux prophètes et aux apôtres leur sublime courage,
et à tout homme une sainte liberté. La pauvreté
est une véritable richesse. Elle vous donne, à vous personnellement,
de grandes vertus et des facilités pour le ciel; extérieurement,
d'ailleurs, elle vous affranchit du besoin dés autres et vous rend
plus heureux qu'un roi. La pauvreté fait des miracles avec saint
Pierre, et vous gagne le ciel quand, par amour pour elle et pour les indigents,
on s'est dépouillé de tout.
1. L'apôtre a démontré précédemment l'inutilité des sacrifices juifs pour la pureté et la sainteté parfaite de nos âmes; il a fait voir en eux des figures et des images, et encore bien impuissantes. Une objection se présentait : Pourquoi, si c'étaient des figures et des ombres, pourquoi n'ont-ils pas cessé, aussitôt l'avènement de la vérité? Comment, loin d'avoir fini, se célèbrent-ils encore ?Il prouve donc maintenant avec évidence qu'ils ne s'accomplissent déjà plus, pas même à titre de copies et de figures, puisque Dieu ne veut plus les accepter. Il n'invoque, au reste, aucun nouvel argument pour les condamner; il lui suffit de produire un témoignage antique autant qu'irréfragable, celui des prophètes qui rappellent aux juifs la fin et la mort imminente de ces rites usés, et qui leur reprochent d'agir avec témérité en toutes choses et. de résister toujours à l'Esprit-Saint. il prouve même clairement que leurs sacrifices n'ont pas cessé du jour où il parle, mais dès celui où Notre-Seigneur entra dans le monde, et même avant son avènement; de sorte que Jésus-Christ n'a pas dû les réprouver ni les abolir, mais qu'aussitôt leur abolition et réprobation, le Messie arriva. Afin que les juifs ne pussent dire : Nous pouvons encore plaire à Dieu sans le nouveau sacrifice, le Christ a attendu pour venir que les anciens sacrifices fussent reconnus inutiles même parmi eux. Voici en effet ce que dit le Seigneur, par la bouche du Prophète :.« Vous n'avez plus voulu, de sacrifices ni d'offrandes » ; paroles qui anéantissent tous les anciens rites; et après s'être ainsi exprimé en général, il condamne chacun de ces rites en particulier : « Vous n'avez pas agréé les holocaustes pour le péché », continue-t-il. Tout ce qu'on présentait à Dieu, en dehors du sacrifice, s'appelait offrande.
« Alors j'ai dit : Voici que je viens ». Quel est le personnage désigné ici par le Prophète ? Nul autre que Notre-Seigneur Jésus-Christ, lequel en ce passage n'accuse point ceux qui faisaient les offrandes; montrant. que, s'il ne les agrée plus, ce n'est pas à cause de leur malice et de leurs péchés, raison qu'il allègue ailleurs pour réprouver leurs présents ; mais qu'il les repousse aujourd'hui parce qu'il est d'ailleurs prouvé, parce que l'expérience a démontré que tout ce culte est sans puissance aucune et n'est plus en harmonie avec, son époque. N'est-ce pas ajouter une nouvelle raison à celle déjà donnée, de la multiplicité des sacrifices? Mais ce n'est pas seulement cette multiplicité qui, selon, lui, en révèle l'impuissance et le néant; c'est ce fait encore, que Dieu n'en veut, puis comme étant inutiles et stériles. Aussi dit-il (530) ailleurs: « Si vous aviez voulu un sacrifice, j'en aurais offert u (Ps. L, 18); indiquant encore qu'il n'en veut plus. Donc les sacrifices ne sont plus le désir de Dieu, qui en veut au contraire l'abolition, et c'est contre son gré que désormais on les fait.
« Pour faire votre volonté ». Qu'est-ce à dire? Pour me donner moi-même; car telle est la volonté de Dieu, volonté par laquelle nous avons été sanctifiés. Il nous révèle ainsi que la volonté de Dieu, et non pas les sacrifices, purifie les hommes; la continuation des sacrifices n'était donc pas dans la volonté de Dieu. Serez-vous étonnés, au reste, qu'ils ne soient plus maintenant dans le désir de Dieu, lorsque déjà, dès le commencement ils lui étaient plus qu'indifférents? « Car», dit-il dans Isaïe, « qui donc vous a demandé ces offrandes de vos mains?» (Isaïe, I, 12.) Et toutefois, il les avait commandées ; pourquoi ? Pour s'abaisser à leur niveau, comme quand Paul disait : « Je désire que tous les hommes vivent comme moi dans la continence » (I Cor. VII, 7); ajoutant au contraire : « Je veux que les jeunes « veuves se marient, qu'elles aient des enfants ». (I Tim. V, 45.) Voilà l'expression de deux volontés, mais qui ne sont pas toutes deux son désir, bien qu'il commande dans les deux cas : la première est bien la sienne, et il la déclare sans y apporter de motif; la seconde, bien qu'il l'énonce, n'est pas son désir, aussi en a-t-il formulé la raison, commençant par accuser ces femmes de s'adonner au luxe et au plaisir contre la loi de Jésus-Christ, et ajoutant en conséquence : « Je veux que les jeunes veuves se marient, qu'elles aient des enfants ». C'est ainsi que Dieu, s'accommodant à la faiblesse de son peuple, avait réglé son culte. Sa volonté première n'était pas pour ce rite des sacrifices. Ainsi quelque part il déclare qu'il ne veut pas la mort du pécheur, mais plutôt qu'il se convertisse et qu'il vive. (Ezéch. XVIII, 23.) Ailleurs, au contraire, il déclare non-seulement qu'il l'a voulue, mais qu'il l'a désirée. Voilà deux idées contraires : car le désir est une forte volonté. Comment pouvez-vous, ô mon Dieu, refuser ici ce que vous désirez ailleurs, puisque ce désir indique votre volonté plus grande? C'est dans le sens que nous avons dit ici.
« Et c'est cette volonté de Dieu qui nous a sanctifiés », ajoute-t-il. « Sanctifiés », comment? Lui-même l'explique : « Par l'oblation du corps de Jésus-Christ qui a été faite une seule fois. Aussi, au lieu que tous les prêtres se tiennent debout tous les jours devant Dieu sacrifiant et offrant plusieurs fois les mêmes victimes ». La position debout accuse donc le serviteur et le ministre; tandis que la position assise indique celui qui reçoit le service et l'hommage. « Celui-ci ayant offert une seule hostie pour les péchés, est assis pour toujours à la droite de Dieu, où il attend ce qui reste à accomplir : Que ses ennemis soient réduits à lui servir de marchepied. Car par une seule oblation il a rendu parfaits pour toujours ceux qu'il a sanctifiés. Et c'est ce que l'Esprit-Saint nous a déclaré lui-même ». Il déclare que ces oblations n'ont plus lieu, et il le démontre par les faits écrits et non écrits. Au reste, il avait cité auparavant le texte du Prophète « Vous n'avez plus voulu de sacrifice ni d'offrande ». Il avance aussi que Dieu a remis nos péchés, et il le prouve cette fois par un témoignage d'Ecriture sainte : « L'Esprit-Saint », dit-il, « nous l'a déclaré lui-même, car après avoir dit : Voici l'alliance que je ferai avec eux; après que ce temps-là sera arrivé, dit le Seigneur, j'imprimerai mes lois dans leur coeur et je les écrirai dans leur esprit, il ajoute : Et je ne me souviendrai plus de leurs péchés ni de leurs iniquités : or, quand les péchés sont remis, il n'y a plus d'oblation à faire pour les péchés (10-18) ».
Il a donc remis les péchés, quand il nous a donné son testament; et il nous a donné son testament par son sacrifice. Si donc il a effacé les péchés par ce sacrifice unique, il n'en faut plus même un second. « Il est assis », remarque-t-il, « à la droite de Dieu, attendant le reste ». Quelle est la cause de ce délai ? C'est que ses ennemis doivent être placés sous ses pieds. « Car une seule offrande, d'ailleurs, a rendu parfaits pour toujours ceux qu'il a sanctifiés ». Mais, dira peut-être quelqu'un: Pourquoi ne pas prosterner sur-le-champ ses ennemis? A cause des fidèles qui devaient naître et lui être engendrés. Mais qu'est-ce qui prouve qu'un jour cet abaissement aura lieu? C'est cette position assise et majestueuse que lui donne Dieu même. L'apôtre a donc rappelé le magnifique témoignage de David : « Jusqu'à ce « qu'il place ses ennemis sous ses pieds », et ses ennemis sont les juifs. Après avoir rappelé cette promesse de Dieu au Christ, de réduire ses ennemis à lui servir de marchepied, comme cette promesse ne s'accordait pas avec l'état actuel des choses, puisqu'alors les juifs persécutaient les chrétiens, saint Paul pour rassurer les fidèles, leur parle longuement de la foi dans ce qui suit. Mais encore une fois, qui sont ses ennemis ? Les juifs, sans doute, mais aussi tous les infidèles et les démons. Et pour indiquer à demi-mot leur humiliation complète, il ne dit pas qu'ils lui seront soumis seulement, mais qu'ils seront placés sous ses pieds. Gardons-nous donc d'être de ses ennemis, et sachons que les infidèles et les juifs ne sont pas les seuls dans son inimitié, mais aussi tous ceux dont la vie est remplie d'impuretés et de péchés. « Car la prudence de la chair est ennemie de Dieu ; elle n'est pas soumise, en effet, elle ne peut même l'être à la loi de Dieu ». Quoi donc? direz-vous; est-ce là un crime ? Et un très-grand. Le méchant, tant qu'il reste dans sa malice, né peut être soumis à Dieu ; mais le repentir qui lui est possible, peut le rendre bon et fidèle.
2. Bannissons donc les pensées et les sentiments charnels. Charnels, qu'entends-je par là? Tout ce qui rend le corps florissant et brillant de santé, et qui apporte à lâme la laideur et la maladie : comme par exemple, tout ce qu'on appelle richesses, délices, gloire. Le principe charnel se reconnaît tout entier en un mot . c'est l'amour de nos corps. Ne désirons point la richesse, embrassons plutôt la pauvreté , car elle est un grand (531) bien. Mais elle rabaisse, dira-t-on; elle dégrade et avilit aux yeux des hommes. C'est précisément ce dont nous avons le plus besoin, c'est notre plus grand intérêt. « La pauvreté », dit le Sage, « donne l'humilité ». Et Jésus-Christ « Bienheureux les pauvres de bon gré! » Quoi ! vous plaindrez-vous d'être sur la voie qui conduit à la vertu? Ignorez-vous que la pauvreté nous donne une grande confiance auprès de Dieu? Mais, répliquez-vous, « le Sage a dit que la sagesse du pauvre n'est pas estimée » (Eccl. IX, 16); il s'écrie ailleurs : « Seigneur, ne me donnez pas la pauvreté ! » (Proverb. XXX, 8.) Et «De cette fournaise de la pauvreté, Seigneur, délivrez-moi ! » Mais, s'il est vrai que les richesses comme la pauvreté viennent de Dieu, comment seraient-elles un mal? Comment accorder tout cela? Je réponds que l'on parlait ainsi dans l'Ancien Testament, sous l'empire duquel les richesses comptaient pour beaucoup, tandis que la pauvreté était en grand mépris, tellement qu'on voyait en celle-ci une exécration et une malédiction, tandis que celles-là étaient une bénédiction.
Mais voulez-vous entendre l'éloge de la pauvreté? Jésus-Christ même l'a prise pour lui : « Le Fils de l'homme », dit-il , « n'a pas où reposer sa tête». Et parlant à ses disciples : « Ne possédez », leur prescrit-il, « ni or, ni argent, ni deux tuniques ». (Matth. VIII, 20; X, 9.) Paul écrivait . Nous sommes comme n'ayant rien, et possédant « tout ». (Il Cor. VI, 10.) Pierre disait à cet homme boiteux de naissance : « Moi, je n'ai ni or ni argent ». (Act. III, 6.) Jusque dans l'Ancien Testament, d'ailleurs, alors que les richesses étaient tant admirées, quels étaient cependant, dites-moi, les hommes admirables? N'est-ce pas Elie, qui ne possédait que son vêtement de peau de brebis? N'est-ce pas Elisée? N'est-ce pas Jean-Baptiste?
Que nul donc, à raison de sa pauvreté, ne soit humilié à ses propres yeux. Ce n'est pas la pauvreté qui humilie; c'est plutôt la richesse qui vous condamne à avoir besoin de tant de personnes et vous crée à leur égard mille obligations de reconnaissance. Qui fut plus pauvre que Jacob qui disait : « Si le Seigneur me donne du pain à manger et un vêtement pour me couvrir? » (Gen. XXVIII, 20.) Et cependant étaient-ils humiliés de leur pauvreté, Elie et Jean-Baptiste ? Ne parlaient-ils pas au contraire avec beaucoup de hardiesse et de liberté? N'accusaient-ils pas hautement les rois; l'un, Achab ; l'autre, Hérode ? A celui-ci, Jean disait : « Il ne t'est pas permis de garder la femme de Philippe ton frère ». (Marc, VI, 8.) A celui-là, Elie répondait librement et hardiment : « Ce n'est pas moi, c'est vous-même et la maison de votre père , qui jetez le trouble en Israël ». (III Rois, XVIII, 18.) Voyez-vous que cette condition même, que leur pauvreté donnait encore une plus grande confiance et une plus grande liberté de parole ?
En effet, un riche n'est qu'un esclave, parce qu'il peut perdre quelque chose, et qu'il prête le flanc par là même à qui veut le maltraiter. Mais celui qui n'a rien, ne craint ni la confiscation de ses biens, ni le bannissement. Si la pauvreté enlevait aux hommes leur liberté de parole, Jésus-Christ n'aurait pas envoyé ses disciples avec cette pauvreté pour seule arme, à une conquête qui exigeait avant tout une parole libre et confiante.
Le pauvre, lui, est fort et courageux; il ne donne pas prise à l'injustice, on ne sait par où le maltraiter; le riche, au contraire, est attaquable et prenable de tous côtés. Qu'un malheureux traîne autour de lui-même des liens nombreux et prolongés, facilement on l'arrête ; mais il est malaisé de saisir et de retenir un homme nu. La première partie de cette image vous peint le riche esclaves, argent, vastes domaines, affaires infinies, soins innombrables, ennuis, accidents, besoins, sont autant de chaînes par lesquelles tout le monde peut aisément le prendre et l'arrêter.
3. Que personne donc n'envisage la pauvreté comme une cause d'infamie et de déshonneur. Ayez la vertu, et toutes les richesses de la terre ne vous seront que de la boue, qu'un fétu de paille en comparaison. Embrassons la pauvreté, si nous voulons entrer dans le royaume des cieux : « Vendez », a dit Jésus, « vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel ». Et encore : « Il est difficile à un riche d'entrer dans le royaume des cieux ». (Matth. XIX, 21, 23.) Voyez-vous que si la pauvreté n'est pas déjà votre patrimoine, il faut tâcher de l'acquérir? tant elle est un bien inappréciable ! Oui, car elle vous mène comme par la main sur le chemin qui conduit au ciel ; elle est comme l'onction des athlètes, comme une gymnastique sublime et merveilleuse, comme un port tranquille. Mais j'ai de grands besoins, dites-vous, et je ne veux rien recevoir gratuitement de personne. En cela le riche est encore bien plus à plaindre que vous. Peut-être, en effet, ne demandez-vous que le nécessaire; tandis qu'il a, lui, mille raisons honteuses de désirer la richesse, en particulier l'avarice. Les riches ont des besoins nombreux. Que dis-je, nombreux? Souvent ils manifestent des besoins indignes d'eux-mêmes; par exemple, il leur faut faire appel à des soldats, à des esclaves! Le pauvre, lui, na pas même besoin de l'empereur, et, pauvre de bon gré, eût-il besoin, il n'est que plus admirable de s'être réduit à l'indigence volontaire, pouvant être riche.
Non, que personne n'accuse la pauvreté d'être la cause de maux sans nombre; ce serait démentir Jésus-Christ qui la déclare, au contraire, la perfection de la vertu, quand il dit : « Si vous voulez être parfait ».... Il l'a proclamé par ses paroles, il l'a montré par ses exemples, il l'a enseigné par ses disciples. Encore une fois, embrassons la pauvreté : car elle est un grand bien pour les vrais sages. Peut-être déjà me comprend-on parmi mes chers auditeurs, et j'ose croire que plusieurs m'applaudissent. En effet, la grande maladie chez la plupart des hommes est là : telle est la tyrannie de cette passion de l'argent, qu'ils n'auraient pas même le courage de le refuser en paroles, et qu'il est pour eux comme une religion et un dieu. Loin de vous ce malheur, âmes chrétiennes! Sachez que rien n'est riche (532) comme celui qui volontairement et de grand coeur choisit la pauvreté. Est-ce possible? oui, et j'affirme même, si vous voulez, que celui qui choisit cette pauvreté volontaire est plus riche qu'un roi. Car celui-ci a de nombreux besoins, des ennuis, des craintes, par exemple, pour ses convois militaires qui peuvent manquer; celui-là, au contraire, jouit d'une quiétude parfaite, et loin d'éprouver mille craintes, n'en garde aucune. Or, dites-moi, quel est le vrai riche, de celui qui chaque jour est inquiet, qui pense, qui s'étudie à amasser encore et toujours, et qui craint de manquer un jour; ou de celui qui n'amasse rien, à qui tout suffit et abonde, qui n'éprouve aucun besoin, car la vertu et la crainte de Dieu, et non l'argent, donnent une sainte confiance? L'or possède même le privilège de vous asservir. « Les cadeaux et les présents », dit l'Ecriture, « aveuglent les yeux des sages; ils sont dans leurs bouches comme un frein qui empêche leurs arrêts et leurs réprimandes ». (Ecclés. XX, 31.)
Considérez comment Pierre, ce noble indigent, punit le riche Ananie. Car celui-ci n'était-il pas riche ; et celui-là, pauvre? Or, écoutez-le parlant avec autorité et disant : « Est-ce bien à tel prix que vous avez vendu votre champ? » et l'autre humblement. répond : « Oui, c'est à ce prix! » (Act. V, 10.) Mais, dites-vous, qui me donnera d'arriver à la hauteur de Pierre? Vous pouvez être aussi grand que Pierre, si vous voulez vous dépouiller de tout ce que vous avez. Semez, donnez aux pauvres, suivez Jésus, et vous serez un autre Pierre. Mais comment? car (me dites-vous) il a fait des miracles. Est-ce donc là, répondez-moi, ce qui a rendu cet apôtre admirable; et n'est-ce pas plutôt la pleine confiance qu'il a gagnée auprès de Dieu par la sainteté de sa vie? N'entendez-vous donc pas Jésus-Christ déclarer « Ne votas réjouissez pas de ce que les démons vous obéissent; si vous voulez être parfaits, vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans les cieux? » (Matth. XIX, 20.) Ecoutez ce que dit Pierre lui-même : « Je n'ai ni or ni argent; mais ce que j'ai, je te le donne »..(Act. III, 6.) Ceci, voyez-vous, on ne l'a point, quand on a l'or et l'argent. Mais, répondez-vous , bien des gens n'ont ni le don de Pierre, ni ceux de la fortune! C'est qu'ils ne sont pas pauvres de leur gré; car tout pauvre vraiment volontaire, possède tous lesbiens. Encore qu'il ne ressuscite point les morts, encore qu'il ne redresse point les boiteux, il possède, et ce don vaut mieux que ceux du thaumaturge, il possède la confiance en Dieu. De tels pauvres entendront au grand jour ce bienheureux arrêt « Venez, les bénis de mon Père ! (Se peut-il quelque chose de meilleur?) Possédez le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde. Car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire; j'étais étranger, et vous m'avez recueilli; j'étais nu, et vous m'avez habillé ; j'étais malade et en prison, et vous m'avez visité. Possédez le royaume qui vous a été préparé dès la création du monde ». (Matth. XXV, 34-36.) Fuyons donc l'avarice et la cupidité, pour gagner le royaume des cieux. Nourrissons les pauvres, afin de nourrir Jésus-Christ, et de devenir les cohéritiers de ce Sauveur Jésus, Notre-Seigneur, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XIX. AYANT DONC, MES FRÈRES, LA CONFIANCE QUE
NOUS ENTRERONS DANS LE SANCTUAIRE PAR LE SANG DE JÉSUS, PAR CETTE
VOIE NOUVELLE QUI MÈNE A LA VIE, ETC. (X, 20, JUSQU'A 26.)
Analyse.
1. L'orateur résume les différences déjà trouvées entre le culte israélite et le culte chrétien, et conclut par nous commander la confiance, la foi pleine et entière, et les oeuvres saintes. Il nous recommande une sainte rivalité dans la pratique du bien, une grande droiture dans nos rapports mutuels.
2. L'amour mutuel, plénitude de la loi, n'a qu'une règle
: aimer son prochain comme soi-même. Le pardon des injures est
l'application de ce principe. Nul ne voudrait se haïr : ne haïssons
point nos frères. Le Nouveau Testament et même l'Ancien
nous donnent des exemples. Aimer ses ennemis, c'est au fond s'aimer soi-même
et centupler sa récompense.
1. « Ayez confiance », Paul peut nous parler ainsi quand il a montré la différence de pontife, de sacrifice, de tabernacle, de testament, de promesses; différence très-grande en effet, puisque chez les Juifs tout cela est temporel, et chez nous, éternel; que là tout s'efface et tombe; ici, tout est permanent; d'un côté, on voit la faiblesse ; de l'autre, la perfection; des ombres et des figures enfin, en face de l'immuable vérité. Ecoutez, en effet : « Ce n'est pas selon la disposition d'une loi charnelle, c'est en vertu de sa vie immortelle » que Jésus est prêtre, nous dit-il ; ajoutant qu'il est écrit ailleurs : « Vous êtes prêtre pour l'éternité » voilà déjà la perpétuité du sacerdoce. Quant au testament, « celui-là », dit-il , « est ancien; or ce qui passe et vieillit, va bientôt finir ». (Hébr. VII, 16; VIII, 13.) Le Nouveau possède la rémission des péchés : l'autre n'a rien de semblable : « Car la loi », nous dit-il, « n'a rien mené à perfection ». (Hébr. VII, 19.) Et encore : «Mon (533) Dieu! vous n'avez voulu ni offrande ni sacrifice». Le tabernacle était fait de main d'homme : la main de l'homme n'a point construit le nôtre. L'un vit couler le sang des boucs, l'autre le sang du Seigneur: en celui-là le prêtre se tient debout; dans notre sanctuaire, il est assis.
Tout étant donc bien moindre d'un côté, et bien plus grand de l'autre , il conclut et nous dit : « C'est pourquoi, mes frères, ayez confiance ». Et pourquoi, confiance? à cause du pardon. Car, dit-il, comme le péché produit et apporte la honte, ainsi la confiance naît et se produit par la certitude que tous nos péchés nous ont été remis. Et ce n'est pas pour cette raison seulement ; c'est aussi parce que nous sommes devenus ses cohéritiers et les objets de cette immense charité. « Dans l'entrée au sanctuaire ». Où, cette entrée ? Au ciel, dans une voie et un progrès tout spirituels. « La voie qu'il a ouverte pour nous » , c'est-à-dire, qu'il a construite, et par où il est entré tout d'abord. En effet, ouvrir signifie ici commencer d'user. Or il l'a préparée, cette voie, nous dit-il, et lui-même est entré « dans cette voie nouvelle et vivante ». Il montre ici la plénitude de notre espérance. Cette voie est nouvelle, dit-il; car il veut nous montrer que nous sommes bien plus grandement partagés que les anciens, puisqu'à présent les portes du ciel sont ouvertes, bonheur que n'avait pas l'époque d'Abraham. Et c'est avec raison qu'il l'appelle voie nouvelle et vivante; car l'antique voie était un chemin de mort conduisant aux enfers; celle-ci mène à la vie. Et toutefois il ne l'appelle pas la route de vie, mais la route vivante, c'est-à-dire permanente. « Par le voile », dit-il, « par sa chair »; car cette chair sacrée lui ouvrit à lui-même et tout d'abord ce bienheureux chemin, qu'il est dit avoir inauguré, puisqu'avec cette chair, il y est entré le premier. Cette chair, il l'appelle un voile, et à bon droit; car lorsqu'il eut été enlevé dans le ciel, alors tout ce qui est dans les cieux s'est dévoilé.
« Approchons-nous », dit-il, « avec un coeur sincère ». Qui pourra donc approcher de lui? L'homme saint, armé de la foi et de l'adoration en esprit; « avec un coeur sincère et dans la plénitude de la foi », parce qu'en effet, rien chez nous n'est visible , ni le prêtre, ni le sacrifice, ni l'autel; bien que, chez les juifs mêmes, le grand prêtre t'ut invisible aussi, entrant seul au Saint des Saints, tandis que tous les autres, tout le peuple restait dehors. Ici au contraire, non content de montrer que notre prêtre a pénétré dans le sanctuaire, (ce qu'il déclare en ces termes : « Nous avons aussi un grand prêtre qui est établi sur la maison de Dieu »), il déclare que nous y entrerons après lui. « Ayons donc », dit-il, « la plénitude de la foi (21, 22) ». Il peut arriver, en effet, que vous croyiez, mais avec des doutes; comme plusieurs même à présent prétendent que tels ressusciteront, et que tels autres ne ressusciteront pas. Ce n'est pas là une foi pleine et entière. Il faut croire comme vous croyez à ce que vous voyez, et bien plus fermement encore; car notre vue peut se tromper même dans les objets qu'elle perçoit; mais dans les enseignements de la foi , l'erreur est impossible. Dans le premier cas, nous écoutons un de nos sens; dans le second, l'Esprit divin est notre maître.
« Ayant le coeur purifié des souillures de la mauvaise conscience (23) ». Il enseigne que non-seulement la foi est exigée pour le salut, mais aussi la conduite et la vie vertueuse, et une conscience qui ne se reproche aucune iniquité. A défaut de cet ensemble de dispositions, l'on ne peut recevoir en leur plénitude les choses saintes car saintes en elles-mêmes, les choses saintes sont surtout pour les saints. Aucun profane n'entre donc ici ; Israël se purifiait de corps, nous de conscience. Une sainte aspersion nous est encore permise, celle de la vertu. « Ayant eu aussi le « corps lavé dans l'eau qui purifie ». Il parle ici d'un bain qui ne purifie pas le corps, mais lâme. « Car l'auteur de nos promesses est fidèle ». Mais à quelles promesses doit-il être fidèle? C'est que nous avons à sortir d'ici, pour entrer dans un royaume. Au reste, ne sondez pas avec curiosité la parole divine, n'en exigez pas les raisons. Nos saintes vérités requièrent la simplicité de la foi.
« Et ayons les yeux les uns sur les autres pour nous provoquer mutuellement à la charité et aux bonnes oeuvres, ne nous retirant pas de l'assemblée des fidèles, comme quelques-uns ont accoutumé de faire, mais nous exhortant les uns les autres, d'autant plus que vous voyez que le jour approche (24, 25) ». Conformément à ce qu'il dit ailleurs : « Le Seigneur est proche; soyez sans inquiétude (Philip. IV, 5); Car aujourd'hui notre salut est plus près de nous ». Et encore : « Le temps est court ». (I Cor. VII, 29.) Mais pourquoi faut-il « ne pas abandonner l'assemblée des fidèles?» C'est qu'il sait qu'une réunion, une congrégation présente, devant Dieu, une force particulière. « Car », a dit le Seigneur, « quand deux ou trois d'entre vous se rassemblent en mon nom, je suis là, au milieu d'eux ». Il dit aussi : « Qu'ils ne soient qu'un, comme nous ne sommes qu'un ». (Jean, XVII, 11.) Et on lit ailleurs: « Tous n'avaient qu'un coeur et qu'une âme ». (Act. IV, 32.) Et ce n'est pas là le seul avantage d'une réunion; par sa nature, une assemblée chrétienne commande et augmente la charité ; et cet accroissement de charité emporte et attire un surcroît de bénédictions divines. « La prière », est-il dit, « se faisait sans relâche par tout le peuple ». (Act. XII, 5.) « Comme quelques-uns ont l'habitude de s'isoler» il ne s'en tient pas à exhorter, il sait reprendre aussi. « Et ayons les yeux les uns sur les autres pour nous provoquer mutuellement à la charité et aux bonnes oeuvres ». Il sait que déjà leurs réunions suivent cette règle. Comme le l'or aiguise le fer, ainsi le rapprochement augmente la charité; et si une pierre broyée contre une autre pierre, fait jaillir le feu, combien plus une âme qui se fond dans une âme ! Voyez : il ne dit pas : Pour rivaliser entre vous; mais: « Pour provoquer votre charité mutuelle ». Mais, qu'est-ce que cette provocation de charité? C'est le désir d'aimer et d'être aimé davantage; « et vos bonnes (534) oeuvres », pour en devenir plus zélés. Car si l'exemple a toujours, bien plus que la parole, la force d'enseigner, vous avez bien des docteurs et des maîtres parmi votre multitude même, puisqu'ils paieront ainsi d'exemple.
« Approchons avec un cur sincère ». Qu'est-ce à dire? c'est l'horreur de toute hypocrisie, de toute dissimulation. « Malheur», est-il écrit, « au coeur hésitant, aux mains lâches et paresseuses! » (Ecclés. II, 14.) Qu'aucun mensonge non plus n'ait lieu parmi nous. N'allons pas avoir une parole contraire à notre pensée : c'est là le mensonge. Gardons-nous de la pusillanimité : ce n'est pas la marque d'un cur vrai. C'est notre défaut de foi qui nous rend pusillanimes. Comment acquerrons-nous la vertu opposée? si nous savons nous former par la foi des convictions inébranlables. « Ayant le cur aspergé ». Pourquoi n'a-t-il pas dit : purifié, mais aspergé? Il veut montrer le caractère propre de ce qui fait l'aspersion. Car elle suppose à la fois une couvre de Dieu et notre oeuvre aussi. Asperger et laver la conscience, c'est l'action divine; mais s'offrir à l'aspersion avec sincérité, avec une conviction pleine et assurée qui vient de la foi, c'est notre part. Ensuite il attribue aussi à la foi une grande vertu, fondée sur sa vérité et sur la force divine de l'auteur des promesses. Mais que veut dire : « Ayant aussi le corps lavé par l'eau pure?» Entendez: par l'eau qui donne une pureté vraie, ou encore par l'eau non mêlée de sang. Ensuite il ajoute un commandement de perfection, c'est-à-dire la charité : « Ne délaissant pas nos saintes assemblées, comme font plusieurs », qui produisent les schismes. il le leur défend expressément. « Car le frère secondé
par le frère est comme une ville fortifiée ». (Prov. XVIII, 19.) « Mais considérons-nous les uns les autres pour nous provoquer à la charité». Qu'est-ce que nous considérer mutuellement? C'est imiter nos frères vertueux; c'est avoir les yeux sur eux, pour les aimer et en être aimé. Car la charité est la source des bonnes oeuvres. Répétons-le donc : se réunir est chose bien utile ; c'est le moyen de rendre la charité plus ardente , et de la charité naissent tous les biens, puisqu'il n'en est aucun que la charité ne puisse produire.
2. Confirmons donc entre nous la charité; « car l'amour est la plénitude de la loi ». (Rom. XIII, 10.) Aimons-nous les uns les autres, et nous n'aurons besoin ni de travaux ni de sueurs pour nous sauver. Ce chemin, de lui-même, conduit à la vertu. Ainsi qu'un voyageur, dès qu'il a trouvé la tête d'une route publique, se trouve aussitôt conduit par elle et n'a pas besoin d'autre guide : ainsi, pour la charité, saisissez-en seulement le commencement, et ce début vous conduira et vous dirigera.
« La charité », dit saint Paul, « est patiente, elle est bienveillante ; elle ne suppose point le mal ». (I Cor. XIII, 4.) Que chacun de nous réfléchisse en soi-même sur la manière dont il est disposé pour lui-même; et qu'il ait pour le prochain ce même sentiment. Ainsi nul n'est jaloux de soi-même; chacun se souhaite tous les biens; l'on se préfère naturellement aux autres; pour soi l'on est disposé à tout faire. Si nous avons les mêmes sentiments pour le prochain, tous les maux de l'humanité sont guéris : plus d'inimitiés désormais, plus d'avarice, plus de cupidité. Car qui voudrait se frustrer soi-même ? Personne; on ferait plutôt le contraire. Dès lors nous posséderons en commun tous les biens, et nous ne cesserons pas de resserrer nos rangs.
Si telle est notre ligne de conduite, le ressentiment des injures n'est plus possible entre nous. Qui pourrait, en effet, se mettre au cur une haine contre soi-même, et garder le souvenir d'une injure qu'il se serait faite volontairement? Qui voudrait se fâcher contre soi-même? Ne suis-je pas, de tous les hommes, celui à qui je pardonne le plus volontiers ? Si donc tels sont aussi nos sentiments à l'égard du prochain, la mémoire des injures est à jamais éteinte.
Mais, direz-vous, est-il possible d'aimer son prochain comme soi-même? Si cette charité est sans exemple, vous avez le droit de la déclarer impossible. Mais si d'autres l'ont pratiquée, il est évident qu'en ne les suivant pas nous faisons uniquement preuve de lâcheté et de paresse. D'ail. leurs Jésus-Christ n'a jamais pu commander ce qui serait impraticable; il s'est vu bien des chrétiens qui ont même dépassé ses lois. Quels sont ces héros? Paul, Pierre, tout le choeur des saints. Si j'avance qu'ils ont aimé le prochain, je ne fais que faiblement leur éloge; car ils ont aimé leurs ennemis autant qu'on aime l'ami le plus intime. Quel homme au monde, en effet, libre d'aller prendre la céleste couronne, choisirait l'enfer pour sauver ses amis intimes? Aucun. Et Paul, toutefois, l'a choisi pour ses ennemis, pour ceux qui l'avaient lapidé, pour ceux qui l'avaient battu de verges. Quel pardon pouvons-nous donc attendre, quelle excuse aurons-nous, si nous n'accordons pas même à nos amis la plus faible partie de l'amour que Paul a montré pour ses ennemis?
Avant lui déjà, le bienheureux Moïse demandait à être rayé du livre de vie, à la place d'ennemis qui l'avaient reçu à coups de pierres, (Exod: XXXII, 32.) David aussi, voyant périr ceux qui lui avaient résisté, disait : « C'est moi, leur pasteur, qui ai péché: mais eux, qu'ont-ils fait? » (II Rois, XXIV, 17.) Et quand Saül fut entre ses mains, loin de vouloir attenter à ses jours, il le sauva, alors même que sa générosité allait le mettre en danger. Or, si l'Ancien Testament a fourni de pareils exemples, quel pardon obtiendrons-nous, nous qui vivons sous le Nouveau, et qui ne savons pas arriver même à la hauteur où ils sont parvenus? « Car si notre justice n'abonde pas plus que celle des Scribes et des Pharisiens, nous n'entrerons pas dans le royaume des cieux ». Et si nous avons moins de justice que ces gens-là mêmes, comment entrerons-nous? « Aimez », dit le Seigneur, « aimez vos ennemis et vous serez semblables à votre Père qui est dans le ciel ». (Matth. V, 44, 45.)
Aimez donc votre ennemi. Ce n'est pas à lui que vous faites ainsi du bien, c'est à vous-même. Comment? C'est que vous devenez semblable à Dieu. Aimé de vous, votre prochain n'y gagne (535) que bien peu; c'est un compagnon de service qui le chérit. Mais vous, en aimant ce compagnon de service, vous y gagnez beaucoup; vous vous rendez pareil à Dieu. Voyez-vous que le bénéfice est à vous et non pas à votre prochain ? Car Dieu vous propose la couronne, et non à lui. Mais qu'arrivera-t-il, si c'est un méchant? Votre récompense n'en sera que plus grande; vous serez donc reconnaissant à votre ennemi pour la malice qu'il montre encore après vos innombrables bienfaits. Car s'il n'avait été profondément méchant, votre trésor au ciel n'aurait pas si merveilleusement augmenté. Sa malice, qui vous autorisait à ne l'aimer point, est donc vraiment un motif pour l'aimer davantage. Faites disparaître votre adversaire. votre antagoniste, vous détruisez l'occasion que vous avez d'être récompensé. Ne voyez-vous pas comme les athlètes s'exercent avec des corbeilles pleines de sable? Vous n'avez pas besoin de vous imposer ce labeur; la vie est pleine d'occasions qui vous tiennent en haleine et nourrissent en vous la force et le courage. Ne remarquez-vous pas que les arbres sont d'autant plus vigoureux et plus solides, qu'ils sont plus fortement battus des vents? Chez nous aussi, avec l'épreuve et la patience, grandira la vigueur. « Car », dit le Sage, « l'homme patient et longanime abonde en prudence ; le pusillanime au contraire n'apprend ni ne sait rien ». (Prov. XIV, 29.) Comprenez-vous ce magnifique éloge de l'un, cette grave accusation de l'autre? Il est fort ignorant, le paresseux; il ne sait rien. Gardons-nous donc de porter cet esprit étroit et petit dans nos rapports mutuels; car notre malheur ne viendrait pas de ces inimitiés qu'on rencontre toujours, mais bien de notre propre coeur, faible et rancunier. S'il est fort, ce coeur, il supportera aisément tous les orages ; aucun ne pourra le faire sombrer; ils contribueront même à le conduire au port tranquille. Puissions-nous y toucher et aborder un jour, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, empire et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XX. SI NOUS PÉCHONS VOLONTAIREMENT APRÈS
AVOIR REÇU LA CONNAISSANCE DE LA VÉRITÉ, IL N'Y A
DÉSORMAIS PLUS D'HOSTIE POUR NOS PÉCHÉS ; IL NE NOUS
RESTE QUE L'ATTENTE EFFROYABLE DU JUGEMENT ET D'UN FEU ARDENT QUI DOIT
DÉVORER LES ENNEMIS DE DIEU. (X, 27, JUSQU'À 32.)
Analyse.
1. Après les motifs d'honneur, les raisons de crainte. Toutefois saint Paul n'enseigne pas l'erreur des Novations et ne proscrit pas la pénitence, mais seulement l'anabaptisme.
2. L'enfer a un véritable et redoutable feu pour les prévaricateurs, et surtout pour les communions indignes. La vengeance réservée et patiente n'en est que plus à craindre.
3 et 4. La richesse est une lourde chaîne, un préjugé.
Un mot aux femmes luxueuses et avares tout à la fois. La cupidité
est un esclavage comparable à celui des Israélites courbés
sous le joug de Pharaon. Ceux-ci emportèrent l'or d'Egypte ; nous
n'emportons que les verges. La ruine n'est qu'un mot, pour qui conserve
l'action de grâces. Exemple de Job; sortie contre les femmes.
Pourquoi la richesse n'échoit pas à tous. Malheur à
qui la reçoit et n'en est pas meilleur!
1. Tout arbre dont la plantation et la culture auront demandé la main et les sueurs du laboureur, doit rapporter son fruit, sous peine d'être déraciné et jeté au feu. Cette comparaison s'applique aux âmes qui auront reçu la lumière, c'es-tà-dire le baptême. Après avoir été plantés par Jésus-Christ et avoir reçu sa rosée spirituelle, si nous ne donnons aucun fruit, le feu de l'enfer nous attend, avec ses flammes qui ne peuvent s'éteindre. Et c'est pourquoi non content de nous exhorter à pratiquer la charité et à produire les fruits des bonnes oeuvres, par les motifs les plus saints et les plus doux, tels que notre entrée assurée dans le ciel et la voie nouvelle que Jésus-Christ nous y a ouverte, saint Paul recommence à nous y exciter, en faisant appel aussi à des motifs plus terribles et plus redoutables. Il venait d'écrire : Ne délaissez pas nos saintes réunions, comme c'est l'habitude de quelques-uns; mais consolez-vous mutuellement, d'autant plus que vous voyez approcher le grand jour, qui suffit, en effet, à lui seul, pour vous consoler de tout. Maintenant il ajoute « Si nous péchons volontairement après avoir « reçu la connaissance de la vérité», tremblons, car il faut, entendez-le, il nous faut absolument des bonnes pauvres; autrement, « il ne nous reste a plus désormais de victime pour nos péchés ». Comprenez donc. Vous voilà purifié, délivré de vos crimes, monté au rang de fils. Si vous revenez à votre ancien vomissement, il ne vous reste que l'anathème, le feu, et tout ce que rappelle cet arrêt. Car vous n'avez pas une seconde victime.
A ce propos, nous sommes attaqués par l'hérésie qui déclare la pénitence impossible, et par ceux qui diffèrent à recevoir le baptême. Ceux-ci prétendent qu'il y a danger à recevoir le baptême, puisqu'il n'y a point de second pardon; ceux-là déclarent qu'il y a péril à admettre les pécheurs aux saints mystères, puisque le second pardon est impossible. Aux uns comme aux autres, que (536) dirons-nous? Que saint Paul ici ne détruit ni la pénitence , ni l'expiation qui en est l'oeuvre; et qu'il ne prétend ni chasser, ni abattre par le désespoir celui qui est tombé. Paul n'est pas à ce point l'ennemi de notre salut; il ne détruit que l'espoir d'un second baptême. En effet, il ne dit pas : Point de pénitence ! plus de pardon ! mais simplement. Désormais pas de victime, c'est-à-dire, la croix, qu'il appelle victime, ne se dressera pas une seconde fois. Une seule immolation a rendu parfaits à tout jamais ceux qui se sont sanctifiés, à la différence de l'oblation judaïque et des offrandes multipliées. Tel a été le dessein de l'apôtre, quand parlant de notre victime, il a si fort insisté sur cette vérité, qu'elle est une, absolument une; voulant ainsi, non-seulement montrer l'avantage qu'elle a sur les sacrifices judaïques, mais aussi pour rendre plus vigilants les Hébreux convertis, puisqu'ils ne doivent plus attendre une nouvelle victime comme autrefois sous l'ancienne loi.
« Si nous péchons volontairement », dit-il. Voyez-vous comme Dieu est porté à la clémence? Il s'agit de nos péchés volontaires : nos fautes involontaires obtiennent donc le pardon. «Après avoir reçu la connaissance de la vérité », cest-à-dire de Jésus-Christ ou de tous ses dogmes, « il ne nous reste plus d'hostie pour nos péchés»; que reste-t-il, au contraire ? « Une attente effroyable du jugement, un feu jaloux qui doit dévorer les ennemis de Dieu ». Ainsi les infidèles n'en seront pas seuls les victimes, mais tous ceux encore qui commettent des actes contraires à la vertu ; ou bien entendez que le même feu qui dévorera les ennemis, consumera aussi les enfants rebelles. Puis, pour nous montrer combien ce feu est dévorant, il lui prête une espèce de vie, en déclarant que c'est un feu jaloux qui doit consumer les ennemis. Pareille à une bête féroce irrite, exaspérée, qui n'a point de repos jusqu'à ce qu'elle ait saisi et dévoré quelqu'un, cette flamme de l'enfer parait obéir à l'aiguillon de la jalousie cruelle, saisit pour ne plus lâcher, ronge et déchire à tout jamais.
Ensuite l'apôtre nous donne la raison de ces menaces redoutables, et nous prouve qu'elles sont l'effet d'une justice inattaquable. Nous croirons, en effet, plus facilement l'existence du châtiment, quand nous en comprendrons le droit et le motif. « Celui qui a violé la loi de Moïse est condamné à mort sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins (28) ». Sans miséricorde, remarque-t-il; ainsi en Israël, ni pardon , ni pitié; et pourtant ce n'est que la loi de Moïse; il est l'auteur d'un grand nombre de ses prescriptions. Que veut dire : « La déposition de deux ou trois témoins? » Que si deux ou trois personnes attestent la prévarication, aussitôt elle est punie. Si donc, dans l'Ancien Testament, une violation de la loi de Moïse est châtiée immédiatement par le dernier supplice , combien plus chez nous! Aussi conclut-il : «Combien donc croyez-vous que méritera de plus grands supplices, celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, qui aura tenu pour chose vile et profane le sang de l'alliance, et qui aura fait outrage à l'Esprit de la grâce (29) ! »
2. Mais comment un homme foule-t-il aux pieds le Fils de Dieu? C'est quand, admis à participer à ses mystères, il commet, nous dit l'apôtre, un péché grave. Alors n'est-il pas vrai qu'il le foule aux pieds? N'est-il pas vrai qu'il le méprise? Nous foulons aux pieds ainsi ce dont -nous ne faisons aucun cas : ainsi les pécheurs ne tiennent aucun cas de Jésus-Christ, et c'est là le caractère du péché. Quoi! vous êtes devenu le corps de Jésus-Christ, et vous le jetez sous les pieds du démon! « Il a tenu pour vil et profane le, sang de l'alliance ». Qu'est-ce qu'une chose vile et profane? C'est une chose impure, ou qui n'a rien de plus que la plus vile matière.- « Il a fait outrage à l'Esprit « de grâce »; car ne pas accepter un bienfait, c'est faire outrage au bienfaiteur. Il t'a fait son enfant; tu veux devenir esclave? Il est venu, il a fait en toi son séjour; et tu laisses entrer en ton coeur de coupables pensées? Jésus-Christ a voulu, chez toi, faire sa demeure, avoir une place ; et tu le foules aux pieds par le libertinage ou l'ivrognerie? Ecoutons, écoutons, nous qui participons indignement aux saints mystères; nous qui indignement approchons de la table sainte! « Gardez-vous de donner les choses saintes aux chiens », dit le Seigneur, « de peur qu'ils ne les foulent aux pieds» (Matth. VII, 6) ; c'est-à-dire de peur qu'ils n'aient pour elles que du mépris et du dégoût. Paul n'a pas seulement répété cette parole; il en a fait retentir une plus redoutable encore, bien capable de terrifier les âmes, et meilleure pour les faire rentrer en elles-mêmes qu'une douce et consolante exhortation. Il montre combien le sang de Jésus-Christ l'emporte sur la loi de Moïse, quel châtiment était infligé aux violateurs de celle-ci, puis il conclut en disant : Jugez vous-mêmes combien plus grande doit être la punition de ceux qui foulent aux pieds le sang de Dieu ! Je vois là une allusion aux sacrilèges commis contre nos saints mystères; et ce qui suit confirme cette interprétation.
« C'est une chose terrible que de tomber entre les mains du Dieu vivant; car il est écrit : La vengeance m'est réservée et je saurai bien la faire, dit le Seigneur ». Et encore: « Le Seigneur jugera son peuple (30 et 31) ». Nous tomberons, dit-il, dans les mains du Seigneur, et non pas dans les mains des hommes. Oui, cette main divine vous attend, si vous ne faites pénitence. O terreur! ce n'est rien, après tout, que de tomber aux mains des hommes; et quand nous verrons un homme. puni en ce monde, nous dit l'apôtre, ne craignons pas pour lui le présent, tremblons pour son avenir! « Car autant le Seigneur a de miséricorde, autant est grand son courroux, et sa fureur s'appesantira sur les pécheurs ». (Ecclés. V, 7.)
Mais l'apôtre nous laisse deviner ici une autre leçon. « La vengeance m'est réservée », dit le Seigneur, « et je saurai la faire! » Cette menace atteint l'ennemi qui vous fait du mal, et non pas vous qui subissez l'injustice. Ceux-ci, au contraire, l'apôtre les console en leur disant, presque en propres termes : Dieu est vivant, il demeure éternellement... Que si ceux-là ne reçoivent pas dès (537) maintenant leur châtiment, plus tard ils le recevront. Ce sont eux qui doivent gémir, ce n'est pas nous. Nous tomberons dans leurs mains; eux, dans la main de Dieu! Ce n'est donc pas la victime qui est à plaindre, c'est l'oppresseur; comme ce n'est pas l'obligé, en définitive, mais le bienfaiteur, qui reçoit le bienfait.
Instruits de ces vérités consolantes, sachons être faciles à supporter le mal et l'injustice autant que prompts à faire du bien aux autres. Nous arriverons à cette disposition, si nous méprisons l'argent et la gloire. L'homme qui se dépouillera de ces peux passions sera, plus que personne, libre et grand, plus riche même que celui qui revêt la pourpre. Ne voyez-vous pas que de mal fait commettre la passion de l'or? Je ne parle pas des maux qu'engendrent l'avarice et la cupidité, mais de ceux qui naissent du seul amour de l'argent même bien acquis. Qu'un homme, par exemple, soit ruiné, il mène désormais une vie plus pénible que tout genre de mort. O homme ! pourquoi ces gémissements? Pourquoi tant de larmes? Est-ce parce que Dieu t'a délivré du triste et inutile souci de garder ton or, ou parce que désormais tu n'es plus assis auprès de ton trésor, dans la crainte et tremblement? Si un étranger t'avait lié à son coffre-fort, te forçant à rester là constamment assis, et à veiller pour lesbiens d'un autre, tu gémirais, tu serais furieux. Et lorsque spontanément tu t'étais chargé toi-même de chaînes si lourdes, maintenant délivré d'une pareille servitude, tu gémis! Nos douleurs ou nos joies ne sont, en vérité, que préjugés , puisque nous gardons nos richesses , comme si elles étaient la propriété d'autrui.
Un mot maintenant aux femmes. Une femme a-t-elle un vêtement tissu d'or? Avec quel soin elle en secoue la poussière, elle le plie, elle l'enveloppe! Dans la crainte de le gâter, elle n'en jouit presque pas. En effet, en attendant, elle meurt ou devient veuve. La crainte qu'elle a de l'user en le portant trop souvent, fait qu'elle s'en prive pour le ménager. Mais elle le laissera pour une autre. Rien n'est moins certain; et d'ailleurs en le laissant à une autre, celle-ci en usera de même. Au reste, si l'on voulait fouiller ce que recèlent nos opulentes maisons, l'on verrait que maints habits précieux, maints objets recherchés sont plus honorés que leurs propriétaires vivants. Loin de s'en servir constamment, en effet, telle femme craint et tremble pour eux, elle en écarte les vers et tout ce qui peut les ronger, elle les dépose pour la plupart dans les parfums et les aromates, elle n'en permet pas même la vue, mais, d'accord avec son mari, elle ne fait que les ranger et les déranger.
3.Saint Paul, dites-moi, n'a-t-il pas eu raison d'appeler l'avarice une idolâtrie? L'honneur, en effet, que les païens rendent à leurs idoles, ces malheureux le rendent à leurs tissus, à leurs bijoux d'or. Jusques à quand remuerons-nous cette fange? Jusques à quand serons-nous attachés à la boue et aux briques? Comme les enfants d'Israël travaillaient pour le roi d'Egypte, ainsi travaillons-nous pour le démon, qui nous maltraite plus cruellement encore que Pharaon les Hébreux. Ne voyez pas ici une hyperbole. Car plus l'âme l'emporte sur le corps, plus il est triste et pénible de la voir maltraiter par l'avarice qui sans cesse la flagelle, l'inquiète, la tourmente.
Gémissons donc et élevons vers Dieu nos regards suppliants! Il nous enverra non pas Moïse, non pas Aaron, mais sa parole, et une componction salutaire. Dès que cette parole sera venue et aura pénétré nos coeurs ; elle nous délivrera d'une cruelle servitude, et nous fera sortir de cette autre Egypte, de cette passion inutile et vainement laborieuse, de cet esclavage sans profit. Au moins les Israélites, sortant d'exil, reçurent de l'or, juste salaire de leurs travaux; mais nous autres, nous sortirons les mains vides, et encore serions-nous heureux si nous n'emportions rien; mais nous emportons avec nous, non les vases d'or et d'argent de lEgypte, mais ses maux, ses péchés et les supplices dont Dieu les punit.
Apprenons donc à recueillir un vrai profit; apprenons à bien souffrir une injustice : c'est le caractère du chrétien. Méprisons les vêtements d'or, méprisons les richesses, de peur de mépriser notre salut. Méprisons l'argent, oui, et non point notre âme. A elle, en effet, le châtiment; à elle, le supplice un jour. Ces prétendus biens restent sur la terre; notre âme s'en ira ailleurs.
Pourquoi, dites-moi, vous déchirer vous-mêmes et ne pas le sentir? Je parle ici à ces avares, qui sont travaillés du désir de posséder toujours davantage. Mais il est bon de le dire aussi à ceux que les avares exploitent et volent. Supportez, chères victimes, les dommages que les avares vous font subir. Ils se suicident, et ne sauraient vous tuer. Ils vous privent de votre argent; mais ils se privent eux-mêmes de l'amour et du secours de Dieu. Or, dépouillé de cette grâce, possédât-on les richesses du monde entier, on est le plus pauvre de la terre; tandis que le plus pauvre des hommes, s'il jouit de la grâce de Dieu, est certainement le plus riche de tous, puisqu'il peut dire avec le Prophète: « Le Seigneur me conduit, rien ne me manquera jamais ». (Ps. XXII, 1.)
Si vous aviez, dites-moi, un protecteur haut placé et admirable
qui vous aimât extrêmement, qui vous portât intérêt;
et si d'ailleurs vous saviez qu'il vivra toujours, que vous ne mourrez
pas vous-même avant lui, et qu'il vous fera part de tout ce qu'il
a, pour en jouir en toute sûreté comme d'un bien qui vous
sera propre et personnel , dès lors vous mettriez-vous en peine
de rien acquérir? En vous supposant même dépouillé
de tout, ne vous croiriez-vous pas plus riche que personne? Pourquoi donc
pleurez-vous? De n'avoir pas d'argent? Mais pensez que, par là
même, l'occasion de pécher vous est ôtée. D'avoir
perdu vos biens? Mais vous avez gagné l'amitié de Dieu.
Et comment l'ai-je gagnée, dites-vous? C'est lui-même qui
vous dit : « Pourquoi ne souffrez-vous pas l'injustice » plutôt
que de la commettre? Et :« Rendez grâces au ciel de toutes
choses » ; et « Bienheureux les pauvres de bon gré!
» (I Cor. VI, 7; I Thess. V, 18; Matth. V, 3.) Imaginez donc à
quelle hauteur vous êtes dans son amitié, si vous mettez ces
conseils en pratique.
538
En effet,on ne nous demande qu'une chose: c'est de remercier Dieu en tout et toujours; dès lors, nous aurons tout en abondance. Par exemple, avez-vous perdu dix mille livres d'or? Remerciez Dieu tout aussitôt et vous avez gagné cent mille livres par cette parole d'abnégation et de reconnaissance. Car, dites-moi : à quel moment appelez-vous Job bienheureux? Est-ce quand il est propriétaire de tant de chameaux, de tant de gros et menu bétail? N'est-ce pas plutôt quand il fait entendre cette parole ? « Le Seigneur m'a donné, le Seigneur m'a ôté, son nom soit béni! » (Job, I, 21.) Quand le démon nous veut perdre, ce n'est pas en nous enlevant les richesses, il sait qu'elles ne sont rien ; mais il veut par cette ruine nous forcer à prononcer quelque blasphème. Ainsi agissait-il à l'égard du bienheureux Job; son but unique n'était pas de le réduire à la pauvreté, mais de lui arracher un blasphème. Voyez plutôt quel langage il lui tient par l'épouse même du patriarche. Dès que celui-ci est dépouillé de tout : « Prononcez », lui dit-elle, « une parole contre Dieu, et puis mourez ». Mais, maudit Satan, tu l'as déjà dépouillé de tout! Je n'ai pas ainsi atteint mon but. J'ai tout fait pour arriver et je n'ai pu parvenir à le priver aussi du secours de Dieu. Voilà ce que je veux; ce que j'ai fait d'ailleurs n'est rien. Si je n'atteins pas mon but ultérieur, non-seulement Job n'aura subi aucun mal, mais son épreuve lui aura servi.
4. Voyez-vous comment le démon sait le prix de cette ruine spirituelle? Aussi emploie-t-il à cette fin le piège même d'une épouse impie. Ecoutez ici, vous tous qui avez des femmes passionnées pour l'argent, lesquelles vous forceraient à blasphémer contre Dieu! Souvenez-vous de Job. Mais plutôt voyons, s'il vous plait, la grande douceur avec laquelle il lui ferme la bouche. « Pourquoi », lui dit-il, « avez-vous parlé comme une femme insensée? » (Job, II, 10.) En effet, « les mauvais « discours corrompent les bonnes moeurs ». (1 Cor. XV, 33.) Toujours, hélas! mais surtout dans le malheur, l'influence des mauvais conseils est grande. Notre âme se sent déjà portée d'elle-même à la colère et au désespoir : combien plus elle y obéit, quand elle rencontre un mauvais conseiller! N'est-elle pas alors poussée au précipice? La femme est un grand bien, comme elle est un grand mal. Remarquez, en effet, comment le démon cherche à faire brèche dans ce mur inexpugnable. La perte de tous ses biens n'a pu l'entamer; cette ruine n'a pas produit contre lui grand effet. Convaincu d'avoir en vain dit à Dieu : « Vous verrez que Job vous maudira en face» (Job, I, 11), le démon arme l'épouse, pour arriver à vaincre. Vous avez ouï ce qu'il en espérait! Mais cet engin de guerre ne lui a pas réussi.
Ainsi, nous-mêmes, si nous supportons tout avec reconnaissance, nous recouvrerons même nos biens; sinon, du moins aurons-nous une plus magnifique récompense, comme il est advenu à ce coeur de diamant, à ce patriarche qui, après une lutte courageuse et victorieuse, a vu le Seigneur lui donner encore la fortune. Job avait prouvé au démon qu'il ne servait pas Dieu par un motif de vil intérêt; le Seigneur, en retour, voulut bien lui rendre plus qu'il n'avait auparavant. C'est en effet ce qui arrive. Quand Dieu voit que nous ne sommes pas attachés aux biens de la vie, il nous les donne; quand il nous voit préférer les biens spirituels. il nous accorde les biens temporels par surcroît, mais jamais ceux-ci d'abord, de peur que nous n'oubliions les biens spirituels. C'est donc par un ménagement de sa providence qu'il nous refuse les biens du corps, afin de nous en séparer même malgré nous.
Mais non, direz-vous; quand je reçois, au contraire, je suis comblé et je rends grâces plus volontiers! Cela n'est pas, ô homme ; tu n'en es que plus lâche et plus ingrat. Mais pourquoi Dieu donne-t-il à d'autres? Etes-vous bien sûr que c'est lui qui donne? Qui est-ce, si ce n'est lui? Leur avarice, leur rapacité sait s'enrichir. Alors comment Dieu permet-il ces crimes? Comme il tolère le meurtre, les vols, les violences.- Alors que dites-vous de ceux qui, bien que remplis d'iniquités Bans -nombre, reçoivent de leurs ancêtres un riche héritage ? Comment Dieu les en laisse-t-il jouir? Comme il fait pour les voleurs, les meurtriers et tous les autres malfaiteurs. L'heure n'est pas venue de les juger, mais bien de régler parfaitement votre conduite. Ce que j'ai dit déjà, je le répète. Ils seront d'autant plus sévèrement châtiés, qu'ayant ainsi reçu tous les biens, ils n'en seront pas devenus meilleurs. Car tous les méchants ne seront pas également punis. Ceux qui, couverts des bienfaits de Dieu, demeurent mauvais, seront plus durement châtiés. Mais il n'en sera pas ainsi des hommes qui auront vécu dans la pauvreté. Pour vous convaincre de cette divine justice, écoutez ce que Dieu dit à David: « Ne vous ai-je pas donné tous les biens du roi votre maître?» (II Rois, XII, 8.) Quand donc vous verrez un jeune homme recevoir sans travail l'héritage paternel et persévérer dans le péché, soyez sûr que son châtiment vient de s'accroître, et son supplice d'augmenter. Ne portons pas envie à de tels misérables, mais rivalisons avec ceux qui savent hériter de la vertu et acquérir les biens de la grâce. « Car, malheur », dit l'Ecriture, « à ceux qui se confient dans leurs richesses!» et: « Bienheureux ceux qui craignent le Seigneur ! » (Ps. XLVIII, 7 et CXXVII, 1.) De quel côté vous rangez-vous, dites-le-moi? Du côté de ceux qu'elle proclame bienheureux , sans doute? Soyons donc saintement jaloux de ceux-ci et non point des autres,afin d'acquérir,comme les premiers, lesbiens promis. Puissions-nous les gagner tous par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soient au Père et au Saint-Esprit, gloire , honneur, empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XXI. RAPPELEZ EN VOTRE MÉMOIRE CE PREMIER TEMPS
OÙ, APRÈS AVOIR ÉTÉ ILLUMINÉS PAR LE
BAPTÊME, VOUS AVEZ SOUTENU DE GRANDS COMBATS DE SOUFFRANCES, ETC.
(X, 32, JUSQU'A XI, 3.)
Analyse.
1 et 2. Après la terreur, l'encouragement. Louanges adressées aux Hébreux qui ont souffert pour Jésus-Christ, et se sont associés aux souffrances de ses apôtres. La souffrance voulue, cherchée, subie avec joie, est un héroïsme véritable : c'est celui des apôtres. La patience est nécessaire toujours; elle naît comme nécessairement de la foi et de l'espérance. Magnifique idée de la foi.
3 et 4. La foi est appuyée sur les prophéties du Sauveur;
celles qui se sont réalisées ne pouvaient l'être humainement;
elles garantissent celles qui concernent le jugement à venir.
La fin des temps est proche. Celle du monde, dit l'orateur, peut n'être
pas loin; mais celle de chacun de nous est proche : notre vie est si courte!
Tremblons! Il y va de l'enfer! Nous jouons trop avec le péché,
et surtout avec celui de la détraction. Vains subterfuges pour
couvrir la médisance. Nous répondrons de nos paroles peu
charitables au jugement de Dieu.
1. Quand un grand médecin vient de faire à son malade une incision profonde et d'ajouter à ses douleurs une plaie cuisante, il s'empresse de soulager le membre souffrant et de prodiguer à cette âme troublée les secours et les encouragements; bien loin de vouloir trancher de nouveau dans le vif, l'homme de l'art emploie sur la première plaie les médicaments les plus adoucissants, et tout ce qui peut enlever le sentiment de la douleur. Telle est aussi la méthode de Paul. Il lui a fallu secouer fortement ses chers disciples, et les toucher de componction par le souvenir de l'enfer dont il a parlé; il a dû leur déclarer que le prévaricateur qui aura violé la loi de grâce est certain de périr; et il a démontré cette perte assurée par les lois de Moïse; il a même confirmé son dire par d'autres témoignages, et déclaré qu'il est horrible de tomber dans les mains du Dieu vivant. Maintenant, il craint que leur âme,arrivant au désespoir par l'excès de la crainte, ne reste absorbée dans sa douleur; et il les console par les louanges, il les relève par l'exhortation, il leur présente une sainte rivalité avec eux-mêmes.
« Rappelez-vous », leur dit-il en effet, « ce premier temps où, après avoir été illuminés par le baptême, vous avez soutenu de grands combats de souffrances (32) ». Douce et puissante exhortation que celle qui est tirée de leurs propres oeuvres ! Aussi bien faut-il que celui qui débute dans une entreprise, fasse des progrès par la suite. C'est donc comme s'il disait : Au temps de votre initiation, quand vous n'étiez encore que disciples, vous avez montré une ardeur, une générosité dâme que vous ne montrez plus au même degré. Cette exhortation, vous le voyez, s'appuie sur leurs propres exemples. Et il ne dit pas : Vous avez soutenu des combats, mais de grands combats. Il n'emploie pas seulement le mot tentations, ruais celui de combats qui porte avec lui son éloge et tout un ensemble de magnifiques louanges. Ensuite il repasse une à une leurs victoires, développant son thème, redoublant les éloges. Écoutez : « Ayant été d'une part exposés devant tout le monde aux opprobres et aux mauvais traitements (33) ». C'est chose grave, en effet, qu'un opprobre; c'est chose capable de percer le coeur et de bouleverser l'âme, et de répandre les ténèbres dans une raison humaine. Entendez à ce sujet le Prophète : « Mes larmes ont été mon pain jour et nuit, tant qu'on m'a dit chaque jour : « Où est votre Dieu ? « Et encore : » Si mon ennemi m'avait outragé, je l'aurais enduré ». (Ps. XLI, 4; LIV, 13.) Comme les humains ont surtout la maladie de la vaine gloire, l'opprobre est un piège qui les prend facilement. Et, non content de rappeler les opprobres, l'apôtre témoigne qu'ils ont eu un caractère public de gravité : « Ils ont « été donnés en spectacle ». Lorsque quelqu'un se voit poursuivi de malédictions, sa peine est vive, mais elle l'est beaucoup plus quand elles retentissent devant tout le monde. Pour eux qui avaient quitté les rites si imparfaits du judaïsme, pour passer à une religion parfaite, en sacrifiant les traditions de leurs ancêtres, quel chagrin c'était, dites-moi, que de subir les mauvais traitements de leurs compatriotes, sans pouvoir même se défendre ! Bien que vous ayez tant souffert, ajoute-t-il, on ne peut dire que vous ayez fait entendre des plaintes, puisqu'au contraire vous en avez témoigné toute votre joie.
C'est dans le même sens qu'il leur dit. « Et d'autre part, ayant été compagnons de ceux qui ont souffert de pareilles indignités, vous avez compati à ceux qui étaient dans les chaînes (34) », mettant en scène ici les apôtres. Non-seulement, dit-il, vous n'avez point rougi d'être maltraités par ceux de votre nation, mais vous avez été les compagnons d'autres martyrs encore, qui ont enduré les mêmes souffrances que vous. Vous reconnaissez ici dans saint Paul la voix qui console et qui encourage. Il n'a pas dit. Vous subissez avec moi les afflictions, vous partagez mes combats; mais: « Vous avez compati à ceux qui étaient dans les chaînes ». Voyez-vous comme il parle de lui-même sans doute, mais, aussi d'autres captifs ? Vous n'avez point considéré ces chaînes comme des chaînes, leur dit-il, et sans vous effrayer, vous êtes demeurés fermes comme de (540) courageux athlètes; et loin d'avoir besoin d'être consolés dans vos tribulations, vous avez su consoler les autres.
« Et vous avez accueilli avec joie le pillage de vos biens ». Dieu ! quelle foi chez eux, pleine, certaine, convaincue ! Saint Paul fait bien voir la cause de leur fermeté, non-seulement pour les exhorter à de nouveaux combats, mais pour les engager à ne pas déchoir de cette foi sublime. Vous avez vu, dit-il, le pillage de vos biens, et vous l'avez supporté ; car vos regards se portaient alors vers les biens invisibles que vous envisagiez déjà comme visibles; preuve d'une foi éminente, que vous avez, d'ailleurs, manifestée par vos oeuvres. Mais ce pillage était peut-être, de la part de vos ennemis, un acte de pure violence que vous n'auriez pu empêcher? Il n'est donc pas évident que vous ayez subi votre ruine pour le motif de la foi ? Au contraire, c'était si évidemment pour la foi, que vous pouviez, en abjurant votre religion, conjurer ce pillage. Aussi avez-vous fait bien plus encore que. de consentir à le subir; vous l'avez supporté avec joie, ce qui est une vertu toute apostolique et digne de ces grandes âmes dont la joie éclatait jusque sous les fouets. Car il est dit « qu'ils revinrent joyeux de l'assemblée des juifs, parce qu'ils avaient été trouvés dignes d'être accablés d'outrages pour le nom de Jésus ». (Act. V, 41.) Au reste, cette joie dans la souffrance révèle dans un martyr l'espoir d'une récompense, et la conviction que loin d'y perdre, il y gagne certainement. Et ce mot : « Vous avez accueilli », montre une souffrance volontiers acceptée. Et pourquoi l'avez-vous choisie et accueillie ? C'est parce que « vous saviez que vous aviez d'autres biens plus excellents et permanents». «Permanents », c'est-à-dire fermes et durables, et non pas périssables comme ceux de la terre. Après les avoir ainsi loués, il dit :
2. « Ne perdez donc pas la confiance que vous avez, qui doit être récompensée d'un grand prix (35) ». Que dites-vous, bienheureux Paul? Vous ne prononcez pas qu'ils ont perdu la confiance, et qu'ils ont à la regagner; loin de leur ôter ainsi l'espoir, vous dites qu'ils l'ont encore, qu'ils ne doivent pas la perdre; et ainsi vous les encouragez. Vous l'avez encore, dit l'apôtre. Pour acquérir de nouveau ce qu'on a perdu, il faut plus de travail; il en faut bien moins pour éviter de perdre ce qu'on possède encore. Aux Galates son langage est tout autre : « Mes petits enfants, pour lesquels je souffre des douleurs de mère, jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous ». (Galat. IV, 19.) Il trouvait chez eux plus de paresse et de lâcheté; aussi avaient-ils besoin d'entendre des paroles plus énergiques. Les Hébreux avaient seulement le coeur faible et découragé; leur état réclamait donc un discours de guérison et d'encouragement. Ne perdez donc pas, leur dit-il, votre confiance : ils étaient donc en grande faveur auprès de Dieu. « Parce qu'elle doit être récompensée d'un grand prix ». Qu'est-ce à dire, sinon: nous la. recevrons plus tard? Si donc elle est réservée à une vie future, il ne faut pas la demander à celle-ci. Et de peur qu'on ne lui objecte : Mais nous avons tout sacrifié! Il prévient cette difficulté de leur part en disant équivalemment : Si vous savez que le ciel vous garde des biens tout autrement précieux, ne cherchez plus rien ici-bas. Car la patience vous est nécessaire, non pas que vous deviez combattre encore plus, mais pour que vous restiez dans les mêmes combats, et que vous ne jetiez pas à vos pieds la palme que vous tenez déjà. Vous n'avez qu'un besoin donc : c'est de résister, comme vous l'avez fait jusqu'ici afin qu'arrivés au terme de la carrière, vous receviez la récompense promise.
« Car la patience vous est nécessaire, afin que faisant la volonté de Dieu, vous puissiez obtenir les biens qui vous sont promis (36) ». Votre unique et nécessaire devoir est donc de supporter le délai de Dieu, mais non pas de subir de nouvelles luttes. Déjà, leur dit-il, vous touchez à la couronne, vous avez vaillamment tout subi, combats, chaînes, afflictions ; tous vos biens ont été pillés. Que reste-t-il donc ? Désormais vous ne faites plus qu'attendre l'heure du couronnement ; vous ne supportez plus qu'une peine légère, celle du délai de votre couronne à venir. O magnifique consolation ! Il semble qu'on parle à un athlète qui a renversé et vaincu tous ses antagonistes, et qui ne voit plus se. lever aucun adversaire pour accepter la lutte; n'ayant désormais qu'à recevoir la couronne, il s'irrite du temps que le juge du combat met à venir enfin pour placer le laurier sur son front; impatient, il veut sortir de l'arène et fuir l'amphithéâtre, n'y tenant plus de chaleur et de soif. Que dit donc l'apôtre, dans une circonstance semblable ? « Encore un peu de temps, et celui qui doit venir viendra, et ne tardera pas (37) ». Pour prévenir ce cri de leur impatience: Quand donc viendra-t-il? l'apôtre les console par les saintes Ecritures. Déjà, dans un autre passage, il encourage ses disciples, en disant : « Notre salut est plus proche », parce qu'il reste peu de temps à courir. Et il ne parle pas de lui-même, mais d'après les saints Livres. Car, si déjà dans ces temps lointains, on disait : « Encore un peu de temps, et celui qui doit venir viendra, et ne tardera pas » (I Rom. XIII, 11), il est évident que le Libérateur est plus voisin encore. L'attendre donc, c'est accroître encore la récompense.
« Or, le juste vivra de la foi. Que s'il se relire, il ne plaira pas à mon coeur (38) ». Exhortation bien pressante qui leur apprend que même après avoir été jusque-là parfaits dans leur conduite, ils perdraient tout par le ralentissement. « Mais quant à nous, nous ne sommes point les enfants de la révolte, ce qui serait notre ruine; mais nous demeurons fermes dans la foi pour le salut de nos âmes (39) ».
« Or la foi est la substance des choses que lon doit espérer et une pleine conviction de celles qu'on ne voit point. C'est par la foi que les anciens Pères ont reçu un témoignage si avantageux ». (XI, 1, 2.) Ciel ! quelle admirable exactitude d'expression! La foi est la « démonstration », dit-il, « des choses qui ne paraissent pas encore » c'est-à-dire, la conviction pleine de l'invisible. La démonstration, d'ordinaire, ne se dit que d'une (541) vérité certaine. La foi est donc une vue de vérités non manifestes encore, et l'invisible qu'elle nous révèle doit être admis avec une persuasion aussi certaine que le visible. Ce que nous voyons, il nous est impossible de ne le pas croire ; or, si l'objet de la foi qui échappe à notre oeil ne nous paraît pas aussi vrai et plus sûr même que le monde visible, nous n'avons pas la foi. Comme les choses que nous espérons paraissent n'avoir pas de corps ni de consistance, la foi donne une substance et un corps à ces objets de l'espérance; ou plutôt, elle ne leur donne pas, elle est elle-même leur essence. Prenons un exemple : La résurrection n'est pas encore arrivée ; elle n'a donc pas encore de substance, elle n'existe pas; mais l'espérance lui crée une subsistance dans notre âme, voilà ce que veut dire : « La substance des choses qu'on doit espérer ». Si donc la foi seule a la démonstration de l'invisible, pourquoi voulez-vous voir celui-ci, et vous exposer à perdre la foi, à compromettre ce principe par lequel vous êtes justes, puisque le « juste vivra de la foi? » Si vous voulez être voyants, vous cessez d'être croyants. Vous avez travaillé et combattu, je me plais à le dire ; mais, attendez! Attendre, c'est la foi; ne cherchez pas tout ici-bas.
3. Ces paroles ont été dites aux Hébreux; mais l'avis qu'elles renferment s'adresse à un grand nombre de ceux qui sont ici rassemblés. A qui surtout? A ceux qui ont le coeur étroit et défaillant, à ceux aussi qui manquent de patience. Les uns et les autres ne peuvent voir la prospérité des méchants, ni leurs adversités à eux-mêmes, sans être accablés de tristesse et d'indignation, appelant sur ceux-là le supplice et la vengeance du ciel, en même temps que fatigués d'attendre leur propre récompense.
« Encore un peu de temps », disait saint Paul, « et celui qui doit venir viendra et ne tardera pas ». Répétons-le, nous aussi, aux lâches et aux paresseux : la punition arrivera certainement, elle viendra , la résurrection même déjà est à nos portes. Mais qui le prouve, dira-t-on? Je ne demanderai pas mes preuves aux prophètes. Je ne parle pas seulement à des chrétiens en ce moment, mais mon auditeur fût-il un gentil, j'ai pleine confiance, j'apporte. des preuves certaines ; je puis le convaincre, lui aussi; et comment? Écoutez-moi.
Jésus-Christ a fait plusieurs prophéties. Si les unes ne se sont pas réalisées, ne croyez pas aux autres; mais si elles se sont accomplies en tous points, pourquoi douteriez-vous de celles qui restent à accomplir? Lorsqu'une partie de ces prophéties se sont accomplies, il serait aussi déraisonnable de ne pas croire aux autres, qu'il le serait d'y croire, si rien ne s'était encore accompli. Au reste, un exemple va rendre la chose évidente : Jésus-Christ a dit que Jérusalem serait prise, et qu'elle le serait avec des circonstances inouïes jusqu'alors, et qu'elle ne serait jamais rebâtie : sa prédiction s'est réalisée. Il a dit qu'une terrible affliction frapperait le peuple juif : elle est arrivée. Il a prédit l'extension de son Evangile, pareil d'abord au grain de sénevé : et nous le voyons se propager de plus en plus dans l'univers entier.
Il a prédit que quiconque abandonnerait son père, sa mère, ses frères, ses soeurs, retrouverait son père et sa mère; et nous voyons ce fait réalisé. Il a dit à ses disciples : « Vous aurez des tribulations en ce monde, mais ayez confiance, j'ai vaincu le monde »; c'est-à-dire, personne ne vous vaincra, et l'événement nous l'a prouvé. Il a dit que les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre l'Église, bien qu'elle doive souffrir persécution, et que personne n'éteindra son Évangile : cette prédiction est vérifiée par l'expérience. Et quand le Seigneur faisait ces prophéties, elles avaient un caractère incroyable. Pourquoi? C'est que l'on ne pouvait y voir que des paroles, et que lui-même n'apportait pas de preuve de l'avenir qu'il annonçait. Aussi ces prophéties n'en sont que plus dignes de foi aujourd'hui. Il a dit que la fin viendrait après que l'Évangile aurait été annoncé à toutes les nations. Voici qu'en effet nous touchons à la fin; car la prédication a été faite à la plus grande partie de la terre. (Luc, XIX, 44 ; Marc, XIII, 2 ; Matth. XXIV, 14, 21 ; Luc, XIII, 19 ; Matth. XIX, 29 ; XVI, 18 ; Jean, XVI, 33.)
Donc la fin est proche. Tremblons, mes frères. Mais quoi ! vous qui m'entendez, êtes-vous même inquiets de cette fin redoutable? Et pourtant la voici pour vous déjà imminente et présente. La vie s'achève, pour chacun de nous, et de plus en plus, la mort s'avance. Car, dit l'Écriture : « La somme de nos jours l'un dans l'autre est de soixante-dix ans; et pour les mieux partagés, quatre-vingts ans ». Le jour de notre jugement est proche; tremblons encore une fois. « Le frère ne rachète pas le frère : quel homme donc vous rachètera? » Nos regrets seront immenses, dans l'autre vie : « Mais dans la mort, personne ne pourra louer Dieu ! » Aussi est-il dit : « Prévenons sa face, pour le louer » (Ps. LXXXIX,10; XLVIII, 8 ; VI, 6 et XCIV, 2), c'est-à-dire devançons son avènement. De ce côté, nos efforts ont leur prix et leur puissance ; ils ne pourront rien dans lautre monde.
Dites-moi, je vous prie, si l'on nous renfermait pour un temps assez court dans une fournaise embrasée, ne ferions-nous pas tous les sacrifices pour être délivrés, fallût-il donner toute notre fortune, fallût-il subir l'esclavage? Combien d'hommes sous le poids de maladies graves seraient prêts à donner tout pour guérir, si on leur laissait le choix! Si donc une maladie, si peu qu'elle dure, nous ennuie et nous tourmente à ce point, que ferons-nous dans cet autre monde où la pénitence même sera impossible?
Que de maux nous accablent, que nous ne sentons même pas! nous nous mordons les uns les autres, nous nous entre-dévorons par mille injustices, accusations, calomnies, jalousies chagrines de la gloire du prochain. Et voyez quel péché grave! Quand on veut blesser la réputation du prochain, l'on dit : « Un tel ou un tel a dit cela! Que Dieu me pardonne!... Qu'il ne m'examine pas moi-même; je ne suis coupable que d'avoir entendu ». Mais si vous n'y croyez pas, (542) pourquoi le dites-vous, enfin? Pourquoi le répétez-vous ? Pourquoi à force d'en répandre le bruit, rendez-vous le fait croyable? Pourquoi colporter un mensonge? Vous n'y croyez pas, et vous demandez que Dieu vous épargne son redoutable examen ? Ah ! plutôt, ne dites rien, taisez-vous, et alors seulement soyez rassuré.
4. Je ne sais vraiment comment cette maladie a pu envahir les hommes. Non, nous ne sommes que des comédiens; nous ne savons rien garder dans notre âme. Ecoutez l'avis du Sage : « Avez-vous entendu un bruit fâcheux? qu'il meure dans votre sein; ne craignez pas; votre coeur n'en crèvera point! » Et ailleurs : « L'insensé a entendu une parole; il est en travail pour la redire, comme la femme qui enfante ». (Ecclés. XIX, 10, 11.) Nous sommes si prompts à l'accusation, si disposés à condamner! Ah! quand nous n'aurions pas commis d'autre péché, celui-là suffirait pour nous perdre et nous conduire en enfer. Il nous enveloppe, il nous jette dans un réseau inextricable de fautes sans nombre.
Pour mieux l'apprécier, écoutez le Prophète : « Tu t'asseyais pour parler contre ton frère ». (Ps. XLIX, 20.) Mais ce n'est pas moi, dites-vous, c'est cet autre. Non, c'est vous autant que lui. Car si vous n'aviez rien dit, il n'aurait rien appris. Et dût-il même l'apprendre d'ailleurs, au moins ne seriez-vous pas coupable de péché, lorsque votre devoir est de couvrir et de cacher les fautes du prochain. Mais vous, sous prétexte d'aimer la vertu, vous les révélez, et vous êtes moins un accusateur, qu'un hypocrite, un homme en délire, un insensé. Triste habileté ! vous vous couvrez de honte autant que votre victime, et vous ne le sentez même pas !
Or, voyez que de maux découlent d'une seule faute! Vous irritez Dieu, vous désolez votre prochain, vous vous rendez digne de l'éternel supplice. N'entendez-vous pas ce que Paul dit ait sujet des veuves : « Non-seulement elles sont curieuses et veulent tout savoir; mais encore intarissables de la langue et des yeux, elles courent les maisons, et disent ce qui ne convient pas ». (I Tim. V, 13.) C'est pourquoi, lors même que vous croiriez ce que l'on dit contre votre frère, vous n'avez pas même dans ce cas le droit d'en parler; à plus forte raison, si vous n'y croyez pas.
Ah ! plutôt, étudiez ce qui vous regarde ; tremblez que Dieu ne vous examine. Car ici vous ne pouvez me répondre : Est-ce que Dieu m'examinera pour des bagatelles? Je le veux, ce sont des riens; mais pourquoi les colportez-vous? Pourquoi grossir le mal? Cette conduite peut nous perdre; et c'est pourquoi Jésus-Christ disait: « Ne jugez pas, pour que vous ne soyez pas jugés ». Mais nous ne tenons pas compte même du divin Maître. La punition du pharisien ne nous corrige pas, et ne nous rend ni plus modestes ni plus réservés. Il disait avec vérité, cet orgueilleux : « Je ne suis pas semblable à ce publicain! » et il le disait sans témoin, et il fut cependant condamné. Si énonçant un fait véritable, et l'énonçant loin de toute oreille étrangère, il fut pourtant condamné; qu'adviendra-t-il à ceux qui vont répétant partout des mensonges, dont ils n'ont aucune preuve, pareils en cela à des femmes frivoles et loquaces? Quel ne sera pas leur châtiment, leur juste punition ?
Mettons désormais une porte et une serrure à notre bouche. Ces riens dangereux engendrent des maux sans nombre; des familles sont bouleversées, des amitiés brisées ; des misères infinies en résultent. O homme! n'examinez point curieusement les affaires de votre prochain. Mais vous êtes bavard, c'est votre maladie? Parlez de vos affaires à Dieu ; ce ne sera plus un vice et un danger pour vous, mais un avantage. Racontez-les à vos amis, aux hommes justes, à ceux qui possèdent votre confiance, afin qu'ils prient pour vos péchés. Si vous parlez des faits et gestes du prochain, loin d'y gagner, loin d'en profiter, vous êtes perdu. Si Dieu est notre confident pour tout ce qui vous regarde, vous amasserez une belle récompense. « Je l'ai dit », chantait le Psalmiste: « J'accuserai contre moi-même et à Dieu toutes mes iniquités! Et vous, Seigneur, vous m'avez pardonné l'impiété de mon coeur! » Vous voulez juger? Jugez vos oeuvres. Personne ne vous accusera plus, si vous vous condamnez vous-même; mais on vous accusera, si vous ne vous jugez pas. Oui, l'on vous accusera si vous ne faites pas votre aveu; on vous accusera si vous n'avez pas de repentir. Voyez-vous quelqu'un s'irriter , s'emporter, commettre quelque péché grave et indigne ? Pensez aussitôt à vos propres actions; ainsi vous ne le condamnerez pas sévèrement, et vous vous épargnerez un faix énorme de péchés.
Si nous réglons ainsi notre vie, si nous l'occupons de la sorte, si nous prononçons nous-mêmes notre condamnation, nous ne commettrons peut-être que bien peu de péchés ; tandis que celte douceur, cette réserve nous enrichira d'actions honnêtes et glorieuses, et nous fera jouir de tous les biens promis à ceux qui aiment Dieu. Puissions-nous les conquérir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soient au Père, dans l'unité du Saint-Esprit, gloire, empire, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XXII. C'EST PAR LA FOI QUE NOUS SAVONS QUE LES SIÈCLES
ONT ÉTÉ CRÉÉS PAR LA PAROLE DE DIEU, ET QUE
TOUT CE QUI ÉTAIT INVISIBLE A ÉTÉ FAIT VISIBLE. (XI,
3, JUSQU'À 7.)
Analyse.
1 et 2. L'orateur résume les généralités sur la foi, et la fin de l'instruction précédente. Il montre que la foi, qui parait un système en l'air, est la base même de la philosophie. Celle-ci, en définissant Dieu, est obligée de faire un acte de foi. Après le monde en général, lapôtre aborde en particulier l'homme, et surtout les grands hommes. Magnifique exemple d'Abel, au sujet duquel l'orateur donne des détails qu'on ne trouve pas dans la Genèse. La foi d'Enoch, que la mort d'Abel aurait dd décourager. Enoch est d'autant plus méritant qu'à son époque on ignorait la résurrection à venir? Où est Enoch ? Où est Die? Questions purement curieuses que l'Esprit-Saint n'a pas résolues. Ce qu'il nous apprend suffit à notre instruction et à notre édification.
3. Il faut chercher Dieu avec la même âpreté qu'on
met à chercher l'or. L'obstacle étant la hauteur de Dieu,
élevons nos âmes comme le mineur élève les yeux
du fond de la carrière ou de la fosse. Allusion à la prière
Manibus extensis. Volons par-dessus les obstacles, comme l'oiseau au-dessus
des abîmes. A cette hauteur, le démon ne peut nous atteindre
: ses traits retombent sur lui. Mais le moyen de repousser ses traits,
c'est surtout la douceur. La colère est mauvaise et puérile.
1. Le caractère de la foi est d'exiger une virilité d'âme, une jeunesse de coeur, une force qui nous élève au-dessus des choses sensibles, et qui laisse loin derrière elle la faiblesse des raisonnements humains. Il est impossible d'être vraiment fidèle, qu'a une condition : c'est qu'on se place au-dessus de tonte habitude vulgaire. Or, précisément, les Hébreux avaient laissé faiblir leurs âmes; après avoir débuté par la foi, ils avaient subi l'influence des événements; les troubles de coeur et les afflictions du dehors les avaient rendus pusillanimes; leur déchéance allait croissant. C'est pour les relever et leur rendre le courage, que l'apôtre a fait d'abord appel à leur première vertu, en disant : « Souvenez-vous de vos premiers jours ». Puis, invoquant l'Écriture sainte, il leur a dit avec elle : « Le juste vivra de la foi ». (Habac. II, 4.) Enfin, employant aussi le raisonnement, il a défini la foi, « la substance des choses que nous devons espérer, et la conviction de celles que nous ne voyons pas encore ».
A présent, il rappelle le témoignage et l'exemple de leurs ancêtres, de ces hommes si grands et si admirables, et leur dit équivalemment : Si pouvant jouir à discrétion des biens de la terre, ils ont cependant fait leur salut par la foi, combien plus cette voie doit-elle être la nôtre! Notre âme est ainsi faite que quand elle trouve un compagnon de souffrances, elle se calme et respire. Si la communauté d'afflictions console, la communauté de foi a le même avantage : « On se console mutuellement par la communauté de la même foi ». Car notre nature humaine est infidèle, défiante à l'excès; elle ne peut se confier en elle-même, elle craint pour les biens qu'elle croit posséder, elle a grand souci de l'opinion. Que fait donc saint Paul ? Il les relève et les exhorte d'après les exemples de leurs ancêtres, remontant même aux faits précédents et qui sont connus du genre humain. Comme on reprochait à la toi d'être un Tain système que l'on ne peut ni prouver ni démontrer, et qui semble même une duperie, l'apôtre fait voir que les plus grandes vérités et les plus grandes vertus sont dues à la foi et non au raisonnement.
Et comment le prouve-t-il, direz-vous? « C'est par la foi », avance-t-il, « que nous savons que le monde a été fait par la parole de Dieu, de sorte que de l'invisible a jailli le visible ». Il est évident, dit l'apôtre, que de ce qui n'était pas, Dieu a fait ce qui est ; de ce qui ne se peut voir, il a fait ce qu'on voit; de ce qui n'a ni corps ni consistance, il a fait les corps et les êtres consistants. Et comment est-il évident que la parole divine a tout fait? Car la raison ne suggère point cette vérité ; elle enseignerait plutôt le contraire, savoir que ce qui ne parait point vient de ce qui parait. Ainsi, les philosophes disent que de rien, rien ne se fait, parce que le philosophe, homme animal, n'accorde rien à la foi. Et cependant quand la sagesse humaine proclame une maxime noble et grande, quand, par exemple, elle avance que Dieu n'a point de principe qui le crée ni qui lui donne naissance, aussitôt elle est prise en flagrant délit d'emprunt à la foi : car la raison ne révèle point ce fait, mais plutôt tout l'opposé. Or voyez un peu l'immense folie de ces soi-disant sages. Ils disent que Dieu est incréé, sans principe, ce qui est bien autrement étonnant que d'être tiré du néant : car avancer de Lui qu'il est ainsi sans principe, ainsi incréé, qu'il ne doit sa naissance ni à lui-même, ni à aucun autre, voilà une proposition bien autrement inexplicable que celle qui dit : Dieu a fait de rien tout ce qui est. Il y a en ceci beaucoup de choses que la raison admet sans peine, par exemple, que Dieu a fait quelque chose, que les êtres faits ont eu un commencement, qu'ils ont été vraiment et absolument faits et créés. Mais l'autre vérité proclame Dieu existant par lui-même, spontanément, sans recevoir la naissance, sans avoir eu de commencement, sans être soumis au temps : cette affirmation, dites-moi, n'a-t-elle pas besoin de foi pour qu'on l'admette ?
Cependant l'apôtre n'a pas proposé cette première vérité bien autrement sublime, et il n'a (544) avancé que la seconde, bien inférieure : « La foi », a-t-il dit, «nous apprend que le monde a été créé par la parole de Dieu». Vous objecterez ici Comment pouvez-vous dire que Dieu d'une parole ait fait toutes choses? Car la raison ne le découvre pas, et personne n'était présent à ce moment de la création. Qui donc la prouve? La foi, oui, la foi, qui seule ici vous donne l'intelligence; aussi a-t-il dit , que nous le savons par la foi. Mais par cette expression « la foi », qu'entendons-nous? Que de l'invisible a jailli le visible. Voilà l'objet de la foi.
Après avoir exprimé cette vérité d'une manière générale, l'apôtre la poursuit dans ses applications particulières; car un grand homme est comme un petit univers. Saint Paul le donnera lui-même à entendre dans la suite. En effet, quand il aura fait sa preuve par l'exemple de cent ou de deux cents personnages qu'il va faire comparaître devant nous, il s'apercevra que ce nombre de témoins est petit comme quantité, mais il le grandira en ajoutant que du moins « le monde n'en était pas digne ». (Hébr. XI, 38.)
« C'est par la foi qu'Abel offrit à Dieu une plus excellente hostie que Caïn (4) ». Remarquez quel personnage il nomme le premier : c'est aussi le premier qui ait souffert, et qui ait souffert de la main de son frère, lequel pourtant est resté impuni, et n'a encouru que la haine de Dieu. Voilà, pour les Hébreux, l'exemple d'une persécution semblable à la leur, puisqu'ils étaient persécutés par leurs frères : « Et vous aussi », avait-il dit, «vous avez souffert les mêmes indignités de la part même de vos concitoyens». (I Thess. II,14.) Et il démontre que ceux-ci, nouveaux Caïus, obéissent à l'envie et à la haine. Abel honora Dieu, et mourut même pour l'avoir honoré; et il n'a pas encore obtenu la résurrection. Abel a signalé son zèle, il a fait tout ce qu'il devait faire; mais ce que Dieu, en retour, doit faire pour lui, Abel ne l'a pas encore reçu. L'apôtre appelle ici « une plus excellente hostie », une hostie plus honorable, plus glorieuse, plus filiale. Et nous ne pouvons pas prétendre, dit-il, qu'elle n'ait pas été acceptée; car elle a été reçue, si bien que Dieu disait à Caïn : « Je te refuse, si tu offres bien , mais que tu partages mal » (Gen. IV, 7); ce qui indique qu'Abel offrit bien et partagea également bien. Et pourtant de justice, quelle récompense a-t-il reçue? Il fut tué de la main de son frère; et la condamnation que son père entendit prononcer pour son péché, Abel, qui s'était conduit saintement, la subit le premier, et fut frappé d'autant plus cruellement qu'il le fut ainsi et le premier et par la main d'un frère. Et ces vertus, il les pratiqua sans exemple précédent qu'il pût contempler. Qui, en effet, aurait-il pu considérer pour s'animer à servir Dieu? Son père ou sa mère? Mais au lieu de reconnaître les bienfaits divins, ceux-ci avaient déshonoré Dieu. Son frère, peut-être? Mais celui-ci, à son tour, outrageait le Seigneur. Il ne puisa donc la vertu que dans son propre coeur. Or, étant digne de tant d'honneur, que souffrit-il cependant? Une mort violente. L'apôtre lui adresse encore une autre louange : «Par sa foi », dit-il, « il reçut le témoignage qu'il était juste; Dieu lui-même rendant ce témoignage aux offrandes d'Abel; par cette foi, enfin, il parle encore après sa mort ». Mais quel autre témoignage a-t-il reçu, et qui l'a déclaré juste? C'est le feu du ciel, qui, dit-on, descendit et consuma ses victimes. Car il est dit de lui : « Dieu regarda favorablement Abel et ses sacrifices»; et une version ajoute, que Dieu les consuma. Or, quoique ayant rendu par ses paroles et ses miracles ce témoignage à la vertu d'Abel, tout en le voyant périr à cause de sa foi en lui, Dieu ne le vengea pas, et laissa sa mort impunie.
2. Il n'en va pas ainsi de vous, leur dit l'apôtre; n'avez-vous pas en effet, et les prophètes, et les exemples, et d'innombrables consolations, et des miracles, et des prodiges tant de fois opérés? Chez Abel, c'était une foi vraie et pure : car quels miracles avait-il vus, pour croire ainsi aux récompenses à venir? N'est-ce pas la foi seule qui lui fit choisir la vertu?
Mais qu'est-ce que veut dire ceci : « Par la foi, il parle encore après sa mort? » Saint Paul craignant de pousser les Hébreux au désespoir, montre qu'Abel a reçu déjà en partie un dédommagement. En quel sens? C'est, dit-il, qu'on lui garde up grand honneur, une magnifique estime : l'expression, «il parle encore », donne cela à entendre, et signifie que s'il fut ravi au monde, au moins avec lui ne fut point ravie sa gloire, sa renommée. Non, il n'est pas :port, et vous-mêmes ne mourrez point! Plus auront été cruelles les souffrances d'un saint, plus grande est aussi sa gloire. Comment parle-t-il encore? C'est qu'une marque éclatante de vie, c'est certainement d'être célébré par tous les hommes, admiré partout, regardé comme bienheureux. En portant les autres à la vertu, il parle éloquemment. Un discours fera toujours moins d'effet que ce martyre. Et de même que le ciel nous parle, rien qu'en se dévoilant, ainsi ce grand saint nous prêche dès qu'il se révèle à notre souvenir. Il aurait prêché, il aurait eu mille voix, il vivrait encore, qu'il serait moins admiré qu'il ne l'est encore de nos jours. De telles vertus ne sont pas impunément frappées; elles ne peuvent passer inaperçues ni s'oublier avec les âges.
« C'est par la foi qu'Enoch a été enlevé du monde, afin qu'il ne mourût pas; et on ne l'y a plus vu, parce que Dieu l'a transporté ailleurs et l'Écriture lui rend ce témoignage qu'avant d'avoir été ainsi enlevé, il plaisait à Dieu; or, il est impossible de plaire à Dieu sans la foi; car pour s'approcher de Dieu, il faut croire premièrement qu'il y a un Dieu, et qu'il récompensera ceux qui le cherchent (56) ». L'apôtre révèle ici une foi plus grande que celle d'Abel. Comment? C'est que, bien qu'Enoch ait vécu après lui, l'exemple de sa mort affreuse suffisait pour détourner Enoch de suivre sa voie. En effet, Dieu avait prédit ce meurtre, quand il disait à Caïn : «Tu as péché , ne vas pas. plus loin! » Et cependant il ne vengea point cet Abel qu'il honorait. Enoch ne fut point découragé par cette triste histoire; il ne se dit pas à lui-même : Que gagne-t-on à subir les travaux et les dangers? Abel a honoré Dieu, et n'en a point reçu de secours. Car (545) que servit-il à la victime de Caïn, que celui-ci ait subi une certaine condamnation et un supplice?
Qu'y a-t-il gagné pour lui-même ? Supposons même que le meurtrier ait été sévèrement puni. Qu'importe à celui qui est mort si. prématurément? Enoch ne tint point ce langage, il n'eut point ces pensées; passant par-dessus toutes ces considérations, il comprit que s'il est un Dieu, ce Dieu est nécessairement rémunérateur.
Or, ces anciens ne savaient rien encore de la résurrection. Si donc, avec l'ignorance entière de ce dogme consolant, voyant même tout l'opposé en apparence, ils ont su néanmoins chercher te bon plaisir de Dieu : combien plus y sommes-nous obligés ? Car ils n'avaient, eux, ni cette connaissance de la résurrection, ni la facilité de contempler des modèles. Et c'est précisément pour n'avoir rien reçu de Dieu, que ce saint personnage fut agréable à Dieu. Car enfin, répondez-moi . il tenait pour sûr que Dieu est rémunérateur; mais d'où le savait-il? Abel n'avait certes point été rémunéré. Ainsi la raison suggérait de tout autres pensées que celles de la foi ; celle-ci disait le contraire de ce qu'on voyait. Donc, vous aussi, chers disciples, s'écrie l'apôtre, si vous n'êtes point rétribués en ce monde, ne vous en troublez pas!
Comment Enoch fat-il « transporté par la foi, hors de ce monde? » il plaisait à Dieu, et c'est pourquoi il fut enlevé; et la cause de cette amitié de Dieu pour lui fut sa foi. Car s'il eût ignoré que Dieu lui gardât une récompense, comment l'eût-il servi ? « Sans la foi il est impossible de plaire à Dieu ». Un homme croit ces deux points, l'existence de Dieu et la récompense à venir: il recevra le salaire de ses oeuvres. C'est cette foi qui rendit Enoch agréable au Seigneur.
« Car il faut, pour s'approcher de Dieu, croire qu'il est », et non savoir ce qu'il est. Or si, rien que pour croire à son existence, il faut la foi déjà, et non les raisonnements, comment, par la raison, pourrions-nous comprendre sa nature ?« Et qu'il récompense ceux qui le cherchent ». Si ce second point exige aussi la foi, et non pas seulement la raison, comment, encore une fois, notre raison pourrait-elle comprendre l'essence et les perfections de Dieu ? Quel raisonnement pourrait atteindre à ces hauteurs? En effet, il se rencontre des hommes qui attribuent au hasard l'existence même de cet univers. Vous voyez donc que si, sur tous les points, nous ne gardons pas la foi, si elle n'est pas là pour nous faire accepter, je ne dis pas seulement la rémunération à venir, mais la vérité si élémentaire de l'existence de Dieu, tout est perdu pour nous !
Plusieurs demandent comment et pourquoi Enoch fut transporté hors de ce monde, pourquoi il n'est pas mort, non plus qu'Elie, et, supposé qu'ils vivent encore, comment et dans quel état ils vivent; autant de problèmes inutiles à résoudre. Que l'un, Enoch veux-je dire, ait été transféré ailleurs ; que l'autre, c'est-à-dire Elie, ait été enlevé, l'Ecriture le déclare. Où sont-ils maintenant, et comment sont-ils, l'Ecriture ne l'a pas dit aussi clairement. C'est qu'en effet, elle ne nous enseigne que les vérités à nous nécessaires. Cette première translation a ou lieu dans les commencements du monde, pour donner au genre humain la double espérance que la loi de la mort serait un jour abrogée et la tyrannie du démon à jamais vaincue. J'ai dit que la loi de la mort serait abrogée : car Enoch fut transféré, non pas après sa mort, mais « pour qu'il ne mourût pas » ; et c'est pourquoi l'apôtre ajoute : Il fut transféré tout vivant, parce qu'il avait plu au Seigneur. Ainsi qu'un père, après avoir menacé son fils, veut tout bas oublier ses menaces , et toutefois soutient son premier mot et y persévère pour le châtier en attendant, et pour le tenir comme averti, laissant ainsi à ses menaces un caractère de durée et d'immutabilité; ainsi notre Dieu, agissant pour ainsi dire à la façon des hommes,. au lieu de soutenir son rôle menaçant, a montré dès le commencement que la mort était déjà abrogée, mais il a laissé d'abord le juste Abel subir le trépas; voulant, par l'exemple du fils, effrayer le père. Son dessein étant de montrer que sa sentence première est sérieuse et stable, s'il ne châtie point aussitôt les méchants, du moins il laisse périr cruellement un serviteur qu'il aimait, j'ai nommé ce bienheureux Abel ; mais presque aussitôt après celui-ci, il transporte hors du monde Enoch. tout vivant. Ainsi, par la mort d'Abel, Dieu imprime la terreur; et par l'enlèvement d'Enoch, il inspire aux hommes un saint zèle, une sainte rivalité à le servir. C'est assez vous dire combien déplaisent à Dieu ceux qui prétendent que tout marche à l'aventure, que le hasard dirige tout, et qui n'attendent pas la rémunération : idée et conduite vraiment païennes. Car, pour ceux qui le cherchent, et par les bonnes couvres et par la croyance, Dieu saura les récompenser.
3. Nous avons un rémunérateur ; faisons donc tout au monde, pour ne pas être privés d'une récompense qui ne se donne qu'à la vertu. Qui pourrait assez pleurer le mépris que l'on ferait d'une telle récompense, et l'indifférence que l'on témoignerait pour une si glorieuse couronne; car comme Dieu saura payer largement ceux qui le cherchent, ainsi saura-t-il traiter tout autrement ceux qui n'ont point souci de lui.
« Cherchez », est-il écrit, « et vous trouverez ». (Matth. VII, 7.) Or, comment peut-on trouver le Seigneur? Réfléchissez comment on trouve l'or avec bien des travaux ! « J'ai levé mes mains vers Dieu durant la nuit », disait le Prophète, « et je n'ai pas été déçu ». (Ps. LXXVI, 3.) Quant à nous, cherchons le Seigneur, comme nous cherchons un objet perdu et de grand prix. N'est-il pas vrai qu'alors nous tournons vers un seul point tout notre esprit? N'examinons-nous pas tous les passants ? Reculons-nous devant un lointain voyage ? Ne promettons-nous pas de l'argent? Et si c'était un de nos enfants qu'il fallût retrouver, que ne ferions-nous pas? Quelle terre, quelle mer ne verrait nos démarches? Argent, maisons, propriétés, tout serait sacrifié volontiers au prix d'une telle découverte. Et l'avons-nous retrouvé, nous le saisissons, nous l'embrassons, nous ne pouvons le quitter. Pour rentrer en possession d'un si précieux trésor, enfin, aucun sacrifice ne nous paraît (546) pénible; combien plus, quand il s'agit de Dieu, devons-nous avoir de pareils sentiments, et le poursuivre comme notre bien indispensable, je devrais dire même comme incomparable à tout autre bien ? Mais nous sommes si misérables, que le me borne à dire : Cherchons Dieu, comme nous ferions pour l'argent, pour un enfant égaré. Encore une fois, pour cette tête si chère, un voyage vous effraie-t-il, ou n'auriez-vous jamais voyagé pour un motif pécuniaire? Ne sondez-vous pas tous les recoins? Et cet enfant une fois rendu à votre amour, n'ôtes-vous pas au comble de la joie?
« Cherchez», est-il dit, « et vous trouverez ». Ce qu'on cherche , surtout quand il s'agit de Dieu, exige un inquiet empressement. Bien des obstacles, en effet, nous arrêtent; bien des ombres nous offusquent, bien des luttes contrarient nos désirs. Par lui-même, le soleil éclate, il s'offre à tout regard, on n'a pas besoin de le chercher. Mais supposons qu'on veuille s'enterrer et qu'on soulève des flots de poussière, il faudra dès lors de vrais et de pénibles efforts pour voir le soleil. Ainsi en sera-t-il, si nous nous plongeons dans les bas-fonds des passions mauvaises, dans les ténèbres qui peuvent troubler le coeur, ou dans les inutiles soucis des affaires temporelles : alors à grand'peine regarderons-nous en haut, à grand peine nous élèverons-nous. Toutefois, l'homme qui se trouve au fond d'une fosse, aperçoit le soleil de plus en plus, à mesure que lui-même élève davantage son regard. Secouons donc, nous aussi, la poussière ; perçons les brouillards qui pèsent sur nos têtes. lis sont si épais et si compacts, qu'ils ne permettent pas à nos yeux de regarder en haut. Mais, dira-t-on, comment percer ces impénétrables nuages? En appelant et attirant vers nous les rayons du soleil, de ce soleil de justice qui éclaire les intelligences; en élevant nos mains vers le ciel, car « l'élévation de mes mains», dit le Prophète, « est mon sacrifice du soir » (Ps. CXL, 2), et surtout en élevant à la fois et nos bras et nos coeurs. Vous me comprenez, vous qui ôtes initiés aux saints mystères. Peut-être reconnaissez-vous ce que je désigne, vous voyez dans vos pensées ce que je fais entendre à demi-mot. Elevons en haut nos pensées. Je connais, moi, des hommes presque suspendus au-dessus. de cette pauvre terre, et qui regrettent de ne pouvoir prendre leur vol vers les cieux, tant ils prient avec un coeur ardent et sublime. Je voudrais que cette image, cette prière, fut la vôtre, à tous et toujours; sinon toujours, du moins souvent; sinon souvent, du moins quelquefois, du moins le matin, du moins chaque soir. Au reste, si vous ne pouvez ainsi garder vos bras étendus et élevés, du moins qu'ainsi s'élève et s'étende la libre ardeur de votre âme. Etendez-la, oui, jusqu'au ciel; si vous voulez en toucher les sommets, et même arriver plus haut, vous le pouvez.
Car notre âme est plus légère, et notre pensée est plus prompte et plus rapide que l'oiseau du ciel, par sa nature. Que si, par surcroît, elle reçoit la grâce que donne l'Esprit divin, Dieu ! qu'elle devient vive, agile, capable de tout gravir, incapable de se porter en bas, et surtout de tomber par terre ! Procurons-nous ces ailes merveilleuses ; grâce à elles, nous pourrons franchir l'océan tumultueux de ce monde. Les oiseaux les plus agiles passent au vol et sans se blesser, les monts et les précipices, les mers et les écueils. Telle est aussi notre âme; une fois qu'elle est pourvue de ses ailes, une fois qu'elle plane au-dessus des misères de la vie, rien désormais ne peut la captiver; elle est plus élevée que tout au monde, et même que les traits enflammés du démon.
Non, le démon ne peut lancer ses traits ni si juste ni si haut, qu'il puisse arriver jusqu'à elle; il prodigue ses flèches, il est vrai, car il est impudent ; mais il n'atteint pas le but, mais son dard retombe inutile, et non-seulement inutile, mais redoutable pour sa tête, sur laquelle il revient. Une fois lancée, une flèche doit toujours frapper. Le projectile qui part d'une main d'homme, frappe toujours, ou son adversaire qu'il a visé, ou un oiseau, un mur, un vêtement, une planche; ou du moins il fend l'air : tel est aussi un trait du démon; il faut nécessairement qu'il frappe. S'il ne blesse pas la personne qui sert de point de mire, il déchire la main qui l'a, envoyé. Plus d'un exemple nous prouverait que, quand nous n'avons pas souffert de ses coups, c'est lui qui les reçoit tout entiers. Ainsi, pour ne citer que ces deux faits: Il a tenté Job, ne l'a pas atteint, et a reçu le coup;, il a assailli Paul, ne la pas blessé, et s'est blessé lui-même. Et si nous sommes sages et vigilants, nous verrons ainsi que de pareils faits arrivent partout : dès qu'il frappe, il se blesse lui-même. Mais surtout lorsque nous saurons nous armer contre, lui de l'épée et du bouclier de la foi, nous serons en pleine sûreté contre ses assauts, et sans péril d'être vaincus.
Tout mauvais désir est un trait du démon. Plus qu'aucun autre, du reste, la colère est un feu, une flamme qui saisit, mord et embrase. Eteignons-le par la douceur et la patience. Comme un fer rouge plongé dans l'eau perd son feu, ainsi la colère tombant sur une âme douce et patiente, loin de la blesser, lui fait du bien, puisqu'elle en devient plus forte. Point de vertu comparable à la douceur et à la patience. Celui qui en est armé, ne sent plus l'outrage; et comme le diamant que rien ne peut entamer, ainsi devient une âme de cette trempe; elle est au-dessus de tous les traits; car l'homme doux et patient est élevé, si élevé même qu'aucun dard ne peut arriver à sa hauteur.
Un homme s'emporte, riez, vous, non pas en face de lui, de peur de l'irriter davantage, mais riez dans votre âme en vous-même et pour vous. En effet, qu'un enfant nous frappe dans sa petite colère en croyant se venger ainsi, nous rions. Si donc vous riez d'un outrage, vous mettrez entre vous et le furieux la même distance qui sépare un homme d'un enfant. Que si vous vous emportez, vous devenez enfant au contraire; car quiconque s'irrite a moins de sens que ces pauvres petits. Dites-moi, quand l'un d'entre eux s'emporte, n'en rit-on pas, encore une fois? L'homme irrité prête ainsi le flanc. Et s'il est pusillanime, il est insensé, (547) puisque, selon le Sage, « quiconque est pusillanime manque complètement de sens ». (Prov. XIV, 29.) Et qui manque ainsi de raison, n'est qu'un enfant. Au contraire, ajoute Salomon, « celui qui est patient est aussi très-prudent ». Et c'est pourquoi, mes frères, tendons à cette grande patience, qui procure à l'homme vertueux cette grande prudence, laquelle nous fera gagner les biens promis en Notre-Seigneur Jésus-Christ. Qu'avec lui soient au Père, en union avec l'Esprit-Saint, gloire, empire, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XXIII. C'EST PAR LA FOI QUE NOÉ, DIVINEMENT AVERTI,
ET APPRÉHENDANT CE QU'ON NE VOYAIT PAS ENCORE, BÂTIT L'ARCHE
POUR SAUVER SA FAMILLE, ET EN LA BÂTISSANT CONDAMNA LE MONDE, ET
DEVINT HÉRITIER DE LA JUSTICE QUI NAIT DE LA FOI. (CHAP. XI, 7-12)
Analyse.
1 et 2. Exemple de Noé, et de sa foi à la prédiction qui lui annonçait le déluge, tandis qu'un monde 'railleur et indifférent se moquait de le voir construire l'arche. Exemple d'Abraham, et de sa foi à la parole de Dieu, qui lui montrait la terre promise à lui et à sa postérité. Il crut ainsi que Isaac et Jacob, Mien qu'ils n'aient pas vu l'accomplissement de la promesse. En effet, si Dieu a donné aux saints patriarches quelque bien-être terrestre, cette récompense était loin d'acquitter ses promesses divines . Aussi les saints, dédaignant les biens de la terre , saluaient par avance la cité à venir, comme le navigateur salue le port désiré. La foi de Sara, son rire désavoué, sa fécondité miraculeuse.
3 et 4. Longue et magnifique supplication où le saint orateur,
le père de tant de fidèles, développe sans art et
avec un pathétique sublime les motifs les plus touchants de conversion.
Jamais prédicateur n'a poussé des cris plus douloureux
ni plus éloquents : mais toute analyse ou résumé est
impossible.
1. « C'est par la foi que Noé, divinement averti... » L'apôtre rappelle ici le fait dont le Fils de Dieu parle ainsi, à propos de son second avènement « Au temps de Noé, les hommes épousaient des femmes, et les femmes épousaient des maris ». (Luc, XVII, 27.) Voilà du reste un exemple que saint Paul choisit à dessein. Celui d'Enoch rappelait seulement un acte de foi, mais l'histoire de Noé montre à côté d'elle un fait d'incrédulité. La plus sûre manière de consoler et d'exciter celui qui vous écoute, c'est de lui montrer les vrais fidèles en possession du bonheur, et l'incrédule frappé d'un sort contraire. Mais pourquoi dit-il littéralement.: « Noé, par la foi, ayant reçu une réponse ?» Comprenez « prédiction » ; car réponse et prophétie sont synonymes dans l'Ecriture. Elle dit ailleurs : « Siméon avait reçu une réponse de l'Esprit-Saint » (Luc, II, 26) ; et Paul demande dans le même sens: « Que dit la réponse divine ? » (Rom. XI, 4.) Voyez, en passant, que le Saint-Esprit est Dieu : Dieu répond, mais l'Esprit Saint aussi et comme lui. Et pourquoi saint Paul a-t-il choisi ce mot pour Noé? Afin de montrer dans cette « réponse » une prophétie. Ayant reçu réponse de ce qu'on ne voyait pas encore », cest-à-dire, au sujet du déluge; par crainte et par précaution, « il construisit l'arche ». La raisonne lui suggérait point cette action. « Car les hommes épousaient des femmes, et les femmes des maris »; le ciel était serein, rien n'annonçait l'événement, et cependant Noé craignit; car, dit l'apôtre : « C'est par la foi que Noé, divinement averti et appréhendant ce qu'on ne voyait point encore, bâtit l'arche pour sauver sa famille ».
Que veulent dire les mots suivants : « Et en la bâtissant, il condamna le monde ? » Qu'il le montra digne du supplice, puisque la vue de cette construction ne put porter les hommes ni à s'amender, ni même à se repentir, « et il devint héritier de la justice qui naît de la foi », comprenez : Parce qu'il crut à Dieu, il se montra,juste et saint. Car cela est comme naturel à un cur quai aime Dieu franchement et qui regarde par là même ses paroles comme tout ce qu'il y a de plus croyable au monde; l'incrédulité fait tout le contraire. Il est évident que la foi opère la justice. Or, comme nous avons, nous, la prophétie de l'enfer, ainsi Noé avait-il aussi sa prophétie. Mais on se moquait de lui, alors; on l'accablait de mépris et de railleries; mais il n'y prêtait aucune attention.
« C'est par la foi que celui qui reçut plus tard le nom d'Abraham, obéit, en s'en allant dans la terre qu'il devait recevoir en héritage ; c'est par la foi qu'il partit sans savoir même ou il allait; c'est par la foi qu'il demeura dans la terre qui lui avait été promise, comme dans une terre étrangère, habitant sous des tentés avec Isaac et Jacob, qui devaient être avec lui héritiers de cette promesse (8, et 9) ». Quel modèle, dites-moi, Abraham put-il voir et, imiter? Né d'un père idolâtre et gentil, n'ayant point entendu dé prophètes, il ne savait même où il allait. Volontiers les Hébreux devenus chrétiens avaient les yeux fixés sur ces patriarches, supposant qu'ils avaient , été comblés des biens de ce monde. Saint Paul montre qu'aucun d'eux n'a reçu la moindre chose, que tous furent absolument privés de ce genre de salaire ; que pas un ne trouva ici-bas sa récompense. Abraham, lui, sortit même de sa patrie et (548) de ses foyers, et sortit sans savoir où il allait. Et qui s'étonnera du sort fait au père, lorsque ses fils habitèrent le monde aux mêmes conditions que lui? Il ne vit pas s'accomplir la promesse, et toutefois ne se découragea point ; Dieu avait dit : « Je te donnerai cette terre, et à ta postérité ». (Gen. XII, 7.) Abraham vit son fils toutefois y habiter précairement ; le petit-fils à son tour séjourna sur une terre étrangère, sans se troubler davantage. Abraham, pour sa part, pouvait s'attendre à cette vie nomade, puisque la promesse, embrassant sa postérité, ne devait à la rigueur avoir sa réalisation que dans l'avenir. Encore est-il vrai de dire que la promesse s'adressait aussi à lui : « A toi et à ta postérité », disait-elle, non pas à toi dans la personne de tes enfants, mais à toi et à eux. Et toutefois ni lui, ni Isaac, ni Jacob ne recueillirent le fruit de cette promesse. Jacob servit comme mercenaire; Isaac dut subir plus d'un exil ; Abraham sortit de cette terre promise, d'où la crainte le chassait, il lui fallut recouvrer ses biens à main armée; et il eût, d'ailleurs, perdu tout ce qu'il avait, si Dieu ne l'eût secouru. Cela vous explique pourquoi saint Paul a dit : « Abraham, et ceux qui devaient être avec lui héritiers de la promesse » ; et il marque mieux encore cette communauté de leurs épreuves, en ajoutant : « Tous ces saints moururent dans la foi, sans avoir reçu les biens que Dieu leur avait promis ».
Deux questions se présentent naturellement à résoudre ici. Comment, après avoir dit que Dieu enleva Enoch, pour qu'il ne vit pas la mort, de sorte qu'on ne le trouva plus, l'apôtre ajoute-t-il ensuite : « Tous ces saints mouraient?» Second problème : « Sans recevoir l'effet des promesses », dit-il ; et cependant il déclare que Noé reçut comme récompense le salut de sa famille, qu'Enoch fut enlevé de ce monde, qu'Abel parle encore; qu'Abraham reçut une terre; ce qui ne l'empêche pas de conclure que tous ces saints moururent sans avoir reçu l'effet des promesses de Dieu. Quelle est donc la pensée de saint Paul ? Il faut résoudre ces questions l'une après l'autre. « Tous », dit-il, « sont morts dans leur foi » ; l'expression «tous », ici, n'est pas absolue dans ce sens que pas un n'ait échappé à la mort; elle signifie seulement, qu'à une exception près, tous en effet l'ont subie, tous ceux dont nous savons le trépas. Quant à la réflexion : « Sans avoir reçu « l'effet des promesses », elle est vraie de tout point ; la promesse faite à Noé, n'embrassait pas un lointain avenir.
2. Mais quelles sont les promesses de Dieu ? Isaac, en effet, et Jacob après lui, ont eu jusqu'à un certain point les promesses de la terre. Mais Noé, Enoch, Abel, quelles promesses virent-ils se réaliser? C'est donc de ces trois derniers que l'apôtre dit qu'ils n'ont rien reçu. Et si même on veut qu'il leur attribue quelque récompense, n'en était-ce pas une que cette gloire dont Abel hérita, que cet enlèvement dont Enoch fut l'objet, que ce miracle par lequel Noé fut sauvé ? Mais tout ce bonheur, loin de remplir les engagements de Dieu, n'était qu'un faible salaire de leurs vertus, et comme un avant-goût des récompenses à venir. Dieu, en effet, dès l'origine du monde, se vit comme forcé, dans l'intérêt du genre humain, à se mettre à la portée des hommes, et à leur donner non-seulement l'avenir, mais quelques biens présents. C'est dans le même dessein que Jésus-Christ disait à ses disciples : « Celui qui aura quitté maison, frères, soeurs, père et mère, recevra le centuple, et possédera la vie éternelle ». Et ailleurs : « Cherchez le royaume de Dieu, et tout le reste vous sera donné par surcroît ». (Matth. XIX, 29 et VI, 33.) Voyez-vous comment il nous donne ce faible surcroît, afin de ne pas nous décourager ? Ainsi les athlètes, pendant la durée de la lutte, reçoivent quelques rafraîchissements; mais ils ne jouissent d'une trêve absolue et d'un repos complet que plus tard, lorsqu'ils ne vivent plus sous le régime, et qu'ils ont enfin droit à toute jouissance. Dieu aussi donne un peu en ce monde; mais l'entier accomplissement de ses promesses est réservé à la vie future ; et saint Paul, pour nous enseigner cette vérité, s'est exprimé en ces termes : « Ces saints ne voyant et ne saluant que de loin les promesses divines ». Il nous fait entendre ici une réalisation mystérieuse de leurs voeux ; c'est-à-dire que ces saints ont reçu tout ce que Dieu leur annonçait pour l'avenir : la résurrection, le royaume des cieux et tous les biens que Jésus-Christ venant en ce monde nous a prêchés : voilà, selon l'apôtre, les vraies promesses. Tel est donc le sens de ce passage; ou peut-être signifie-t-il seulement que sans avoir encore reçu tout l'effet des promesses divines, du moins ils sont partis de ce monde avec la confiance et la certitude de les recueillir. Or, la foi seule a pu leur suggérer cette confiance, puisqu'ils ne virent que de loin, selon saint Paul, les réalités même terrestres, dont quatre générations d'hommes les séparaient. Car ce n'est qu'après ce nombre écoulé de générations, qu'ils sortirent enfin de l'Egypte. Mais ils saluaient ces espérances, dit-il, et ils se réjouissaient. Telle était leur intime persuasion de cet avenir, qu'ils le saluaient : métaphore empruntée aux navigateurs, qui aperçoivent de loin le port désiré, et qui avant même d'entrer dans les eaux d'une ville cherchée longtemps, appellent cette cité et l'ont déjà conquise dans leurs désirs.
« Ils attendaient, en effet, la cité bâtie sur un ferme fondement, et dont le fondateur et l'architecte est Dieu lui-même (10) ». Vous voyez que, pour ces grands saints, « recevoir », c'était seulement attendre, espérer avec pleine confiance. Si donc avoir confiance, c'est avoir reçu déjà, nous pouvons, nous aussi, recevoir. Bien que non encore en possession, ils voyaient déjà, par le désir, les promesses remplies. Pourquoi tous ces faits allégués ? Pour nous donner une sainte honte à nous : car ces patriarches avaient des promesses pour ce monde même, mais ils n'y prêtaient point attention et cherchaient la cité à venir; tandis que nous, à qui Dieu ne cesse de parler de la cité d'en-haut, nous cherchons celle d'ici-bas. Dieu leur a dit à eux : Je vous donnerai les biens présents. Mais bientôt il les a vus, ou plutôt eux-mêmes (549) se sont montrés dignes de biens plus nobles, n'ayant pas même voulu se lier à ceux de la terre.
Il me semble voir proposer à un sage certaines récompenses puériles, non qu'on veuille les lui faire agréer, mais pour lui donner occasion de montrer sa philosophie, parce qu'il demandera plus et mieux. L'apôtre a ainsi le dessein de nous montrer que les saints avaient à l'égard des choses terrestres, un si noble et si beau détachement, qu'ils ne voulaient pas même recevoir ce qu'on leur en offrait. Et c'est pourquoi leurs descendants les reçoivent, car eux, hélas! sont dignes de la terre.
Mais qu'est-ce que « la cité qui a des fondements solides? » C'est-à-dire que les fondations de ce monde ne méritent pas ce nom, si on les compare avec ceux de la cité dont Dieu est le fondateur et l'architecte. Ciel ! quel admirable éloge de cette cité d'en-haut ! « Sara eut aussi la foi (11) ». Exemple parfaitement choisi pour faire rougir les Hébreux, puisqu'ils ont montré un cur plus petit et plus étroit que celui d'une femme. Mais, objecterez-vous, comment, elle qui a ri si malencontreusement , est-elle ici vantée comme fidèle? Ce rire était, en effet, d'une infidèle; mais sa crainte aussitôt prouva sa foi. « Je « n'ai pas ri », s'écria-t-elle ; ce désaveu montre la foi qui rentre dans son coeur, et en bannit l'incrédulité. Donc : « C'est aussi par la foi que Sara étant stérile, reçut la vertu de concevoir un enfant, et qu'elle le mit au monde, malgré son âge avancé ». Qu'est-ce que la vertu de concevoir? C'est-à-dire qu'elle devint féconde, elle qui était déjà comme morte et qui était encore stérile. Il y avait deux obstacles : son âge, car elle était vieille; sa complexion, car elle était stérile.
« C'est pourquoi il est sorti d'un seul homme et qui était déjà mort, une postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel, et que les grains de sable sans nombre au bord de la mer (12) ». Ainsi cette multitude sortit d'un seul homme, d'après l'apôtre; c'est dire que non-seulement il rendit mère sa femme Sara, mais qu'elle le fut d'un nombre d'enfants tel que n'en produit pas le sein le plus fécond. Autant que d'étoiles, ajoute-t-il. Comment, alors, l'Ecriture en a-t-elle fait souvent le dénombrement, elle qui disait : comme on ne peut nombrer les étoiles du ciel, ainsi votre postérité sera innombrable? Vous verrez ici ou bien un langage hyperbolique, ou bien une allusion à cette postérité réellement incalculable que la génération multiplié tous les jours. On peut dresser, en effet, la généalogie exacte d'une famille, mais de telle ou telle famille déterminée ; tandis que le dénombrement est impossible s'il s'agit de la race tout entière comparée aux étoiles.
3. Telles sont les promesses de Dieu ; telle est la facilité que nous avons d'en gagner la réalisation. Or, si ce qu'il a promis comme par surcroît est cependant si admirable, si magnifique et si splendide, de quelle nature seront les biens dont ceux-ci ne sont que le faible accessoire et comme la surabondance? Quel bonheur est plus grand que d'acquérir ces biens parfaits, et quel malheur plus grand que de les perdre ? Un banni, rejeté du sol de sa patrie, un malheureux déshérité, font pitié à tous les hommes : mais celui qui est déchu du ciel, et de tous les biens que le ciel nous garde, n'a-t-il pas droit d'être pleuré avec des torrents de larmes? Hélas ! non ! Il ne mérite point nos pleurs! On en verse sur la victime de malheurs involontaires; mais pour celui qui s'y précipite lui-même, par l'abus coupable de son libre arbitre, il mérite plus que nos larmes; il lui faut nos lamentations et un deuil sans fin, car Notre-Seigneur Jésus-Christ a pleuré Jérusalem, bien qu'elle fût ingrate et impie ; et nous aussi, nous sommes dignes de gémissements sans fin, de lamentations sans mesure . Et quand même l'univers nous prêterait ses rochers, ses arbres, ses plantes, ses animaux terrestres et aériens; quand le monde entier, pour mieux dire en un mot, emprunterait des millions de voix et pleurerait sur nous qui sommes déchus de si grands biens, non, le deuil du monde, cette lamentation universelle, ne serait pas à la hauteur d'une telle infortune !
Quel langage si sublime, en effet, quelle intelligence pourrait expliquer ce bonheur, cette puissance, cette volupté, cette gloire, cette joie, ces splendeurs que « l'il de l'homme n'a point vues, que son oreille n'a pas entendues, que son coeur n'a jamais soupçonnées, et que cependant Dieu a préparées à ceux qui l'aiment ». (I Cor. 11, 9.) L'Ecriture, qui parle ainsi, ne dit pas seulement que cette félicité surpasse notre intelligence, mais que jamais personne n'a pu concevoir les biens que Dieu réserve à ses amis. Et, de fait, de quelle nature ineffable ne doivent pas être des biens que Dieu même veut préparer et créer? Si, aussitôt après nous avoir faits, antérieurement à toute bonne action de notre part, il daignait accorder à notre nature humaine tant de grâces, le paradis, la familiarité de ses entretiens, l'immortalité et la, promesse d'une vie bienheureuse et sans aucun chagrin ; que ne donnera-t-il pas à ceux qui pour son service auront fait tant de choses, soutenu vaillamment tant de combats et de souffrances? Pour nous, en effet, il n'a pas épargné son Fils unique, il l'a livré pour nous à la mort. Si donc il a daigné nous honorer de tant de faveurs, alors que nous étions ses ennemis, quelle grâce nous refusera-t-il, une fois son amitié reconquise ? Que ne donnera-t-il pas, après nous avoir réconcilié avec lui ? pieu est si riche, et toutefois il ambitionne et désire de gagner notre amitié : et nous bien-aimés frères, nous n'avons point ce désir !
Que dis-je, Nous ne désirons pas? Ah! nous avons, moins que Dieu même, la volonté de conquérir le bonheur qu'il nous offre. Lui , par des actes inouïs de bonté , a fait preuve de son bon vouloir; et nous, quand il y va de tout nous-même, nous ne savons pas mépriser un peu d'or, lorsque Dieu pour nous a donné son propre Fils. Profitons, enfin, comme il le faut, de ce divin amour; exploitons cette adorable amitié! « Vous êtes mes amis», nous dit-il, «si vous faites ce que je vous prescris ». (Jean, XV, 14.) Grand Dieu ! de vos ennemis, séparés de vous par la distance de (550) l'infini, et que vous surpassez d'une manière incomparable, vous faites des amis et vous leur en donnez le nom! Pour une amitié pareille, que ne devrions-nous pas souffrir volontiers? Et pourtant nous bravons les dangers pour gagner une amitié humaine, lorsque, pour, celle de Dieu, nous ne dépensons pas même notre argent! Oui, je le répète , notre état mérite les pleurs, le deuil, les gémissements , les lamentations , les sanglots ! Déchus de notre espérance, tombés de notre rang sublime, nous nous montrons indignes de l'honneur que Dieu nous a fait. Oublieux et ingrats, après tant de faveurs, dépouillés de tous nos biens par le démon, nous que le Seigneur avait élevés jusqu'au rang d'enfants, de frères, de cohéritiers, nous sommes en tout semblables à ses ennemis les plus outrageux.
Quelle consolation ou espérance pourra nous rester encore? Dieu nous appelle au ciel : et, spontanément, nous nous précipitons en enfer. Mensonge, vol, adultère se répandent sur cette terre. Le sang est versé sur le sang. Des crimes se commettent pires encore que l'assassinat. En effet, que d'opprimés, que de malheureux si tristement ruinés par l'avarice de leurs frères, qui choisiraient volontiers mille morts plutôt que ces excès de misère, et qui déjà se seraient réfugiés dans le suicide, si la crainte de Dieu ne les avait retenus, tant ils désirent se donner le coup fatal ! De tels crimes ne sont-ils pas pires que le sang versé? « Malheur à moi » , disait le Prophète, « l'homme pieux a disparu de la terre , et parmi tous les hommes il n'en est plus un seul qui fasse le bien ! » (Michée, VII, 2.) Jetons ainsi sur nous-même ce cri d'alarme et de douleur; mais vous, mes frères, aidez-moi à gémir. Peut-être quelques-uns n'ont-ils encore que le rire à nous opposer. Oh! alors redoublons nos lamentations, en rencontrant parmi nous cette folie, cette démence furieuse, qui ignore jusqu'à son délire, et nous fait rire encore de ce qui devrait nous faire gémir! « O homme! la colère de Dieu se manifeste sur toute impiété et injustice des hommes ! Dieu viendra manifestement: le feu marchera devant lui, et la tempête horrible le précédera. Un feu devant sa face brillera et enflammera autour de lui tous ses ennemis. Le jour du Seigneur sera comme une fournaise ardente ». (Rom. I, 18; Ps. XLIX, 3 et XCVI, 3.) Et personne ne réfléchit à ces menaces, et des oracles si redoutables sont méprisés comme des fables; personne, qui veuille les entendre; et tous s'accordent pour en rire et s'en moquer. Par quelle voie pourrons-nous les éviter, cependant? Par où trouver notre salut? Nous sommes compromis, nous sommes perdus, vains jouets désormais de nos ennemis, moqués à la fois et des païens et des démons! Satan, à l'heure qu'il est, relève la tète, il bondit, il triomphe, il s'applaudit, tandis que les anges commis à notre garde sont accablés de tristesse. Personne qui se convertisse : nous perdons ici nos peines, puisqu'à vos yeux nous sommes des charlatans.
4. L'heure est venue par conséquent d'apostropher le ciel, puisque personne n'écoute plus notre voix: il nous faut faire appel aux éléments : « Ciel, écoutez; terre, prête l'oreille! car le Seigneur a parlé ». (Isaïe, I, 2.) O vous qui n'êtes pas encore engloutis, donnez la main, offrez le bras à tant d'infortunés; vous dont l'intelligence est saine encore, secourez tant de gens perdus par leur ivresse; sages, secourez les êtres en démence; coeurs fermes et solides, n'oubliez pas les âmes ballottées par leurs passions. Je vous en conjure, sacrifiez tout au salut de cet ami pécheur; et que vos réprimandes et vos supplications n'aient qu'un but, son intérêt. Quand la maladie envahit une maison, les esclaves mêmes dominent leurs maîtres atteints de la fièvre; tant qu'elle est là, en effet, troublant les âmes et menaçant les vies, toute la troupe de serviteurs présents à ce spectacle ne reconnaît plus la loi du maître au détriment du maître. Convertissons-nous, je vous en supplie : guerres de chaque jour, inondations, morts de tous côtés menaçantes et sans nombre, la colère de Dieu, enfin, nous environne de toutes parts. Et l'on nous voit aussi calmes, aussi exempts de crainte, que si nous étions agréables au souverain Maître ! Nos mains sont toutes et toujours disposées à s'enrichir par l'avarice; aucune n'est prête à secourir par charité; tous acceptent le rôle de ravisseur, aucun celui de défenseur. Chacun n'a que l'idée fixe d'augmenter ses richesses; aucun, la pensée de venir en aide à l'indigent. Tous n'ont qu'une crainte et la formulent ainsi : Nous ne voulons pas être pauvres! mais personne. ne tremble ni ne frissonne, de peur de tomber en enfer. Voilà ce qui mérite nos lamentations, ce qu'on ne saurait trop accuser, trop blâmer !
Je ne voulais pas vous tenir ce langage; mais la douleur m'y force. Oui, pardonnez à cette douleur qui, malgré moi, me fait parler contre mon coeur. Je vois des menaces terribles, des malheurs auxquels on ne peut apporter de consolation; les maux qui nous ont envahis sont au-dessus de tout soulagement humain : nous sommes perdus! « Qui donnera de l'eau à ma tête, et à mes yeux une source de larmes » (Jérém. IX, 1), pour pleurer dignement? Oui, pleurons, mes frères, pleurons et gémissons. Il en est peut-être qui disent : Il ne nous parle que de lamentations, il ne veut que des larmes ! Ah ! c'est bien malgré mon coeur, croyez-le; c'est bien malgré mon coeur; je voudrais plutôt vous donner continuellement l'éloge et les louanges ! Mais c'est maintenant le temps des pleurs ! Et ce n'est pas le gémissement qui est pénible, ô mes bien-aimés; c'est plutôt qu'on commette ce qui mérite le gémissement. Ce ne sont pas les larmes qu'il faut éviter, mais les actions qui méritent les larmes. Ne soyez pas punis, et je cesse de gémir; ne mourez point, et mes larmes s'arrêtent. Mais quoi ! devant un cadavre vous demandez à tous un tribut de pitié, vous appelez cruels ceux qui ne gémissent point, et vous voulez que je ne pleure pas une âme qui périt! Mais puis-je être père sans pleurer ? car je suis votre père, plein de bon vouloir et d'amour. Ecoutez ce cri de Paul : « Mes petits enfants, que je mets au monde dans la douleur ! » (Gal. IV, 19.) Quelle mère dans l'enfantement pousse des cris plus douloureux? Plût à (551) Dieu que vous puissiez voir ce feu qui me dévore; vous avoueriez que je suis brûlé par le chagrin, tout autant qu'une mère ou qu'une épouse jeune encore, et veuve avant le temps! (:elle-ci pleure moins son époux, un père pleure moins son fils, que je ne gémis sur cette multitude des nôtres chez lesquels je n'aperçois aucun progrès dans le bien.
On n'entend retentir que calomnies ou médisances cruelles. Lorsque
chacun devrait uniquement se faire un devoir de servir Dieu, on entend
dire : Parlons mal d'un tel et d'un tel; de celui-ci encore qui n'est pas
digne d'appartenir au clergé, tant sa conduite est honteuse et déshonorante.
Il nous faudrait déplorer nos péchés personnels, et
nous jugeons les autres; lorsque nous n'aurions pas ce droit, quand même
nous serions purs. de tout péché. Car, dit l'apôtre,
« qui donc vous distingue? Qu'avez-vous que vous n'ayez reçu?
Et si vous l'avez reçu, comment vous en glorifiez-vous comme si
vous. ne l'aviez pas reçu?» (I Cor. IV, 7.) Et vous, comment
jugez-vous votre frère, étant vous-même couvert de
plaies sans nombre ? Quand vous aurez répété de lui:
C'est un méchant, un pervers, un scélérat, ramenez
votre pensée sur vous-même; sondez-vous, examinez-vous avec
soin, et vous regretterez ce que vous aurez dit. Car aucune exhortation
au monde, non, aucune ne vaut le souvenir de vos péchés.
Si nous pratiquons au reste ces deux -points, nous pourrons gagner les
biens promis, nous pourrons nous laver et nous purifier. Ayons seulement
bien soin d'y penser et de porter là tous nos efforts, mes bien-aimés
frères; livrons-nous en cette vie à la sainte douleur de
lâme, afin d'éviter dans l'autre l'inutile douleur du supplice;
ainsi nous jouirons du bonheur éternel, d'où seront bannis
la douleur, le deuil, le gémissement; ainsi nous atteindrons les
biens impérissables qui surpassent toute intelligence humaine, en
Jésus-Christ Notre-Seigneur à lui soit la gloire , aux siècles
des siècles. Ainsi soit-il.
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