Explication des Psaumes




PSAUME 3

Psaume de David, lorsqu'il fuyait devant Absalom son fils. "Seigneur pourquoi le nombre de ceux qui me persécutent, s'est-il multiplié." (v. 1-2).

Si les rois élèvent des statues triomphales à leurs généraux victorieux, les magistrats érigent aux conducteurs des chars et aux athlètes des monuments et des colonnes qui éternisent leur triomphe, et les inscriptions qu'on y grave donnent à la matière inanimée autant de bouches éloquentes pour publier leurs victoires; d'autres composent des écrits et des livres à la gloire des vainqueurs et s'efforcent de déployer dans leurs éloges un talent qui les élève au-dessus de ceux dont ils célèbrent les louanges. En un mot, les peintres, les statuaires, les sculpteurs, les peuples, les rois, les villes et les bourgs, sont pleins d'admiration pour ceux qui ont remporté la victoire; mais jamais personne n'a reproduit les traits d'un homme qui s'est enfui sans livrer combat, comme le fait ici David. Tel est, en effet, le titre du psaume : "Psaume de David lorsqu'il s'enfuyait devant Absalom son fils." Et depuis quand celui qui prend la fuite est-il digne de louanges ? Depuis quand celui qui fuit devant l'ennemi mérite-t-il de voir immortaliser son nom ? On affiche les noms des fuyards, mais on ne les immortalise point par des inscriptions. Apprends donc, mon frère, la raison de ce titre, et que ton âme cesse de se troubler. Que ce fait historique soit pour ta vie un enseignement salutaire, et que la persécution du juste devienne le ferme appui de ton âme. Comprends pourquoi David était persécuté par Absalom, et, lorsque tu en auras trouvé la raison fondamentale, tu seras édifié dans la crainte de Dieu. Une maison sans fondement n'a aucune solidité, ainsi la sainte Écriture ne peut avoir d'utilité si l'on ne découvre clairement la fin qu'elle se propose. Le but du saint roi David, dans le psaume dont il est question, est de nous instruire et de nous former à la pratique de la véritable sagesse, pour nous faire éviter le mal, le mépris des lois divines, et par là même les châtiments qui furent la juste punition de son péché.

David s'enfuit devant son fils, parce qu'il s'est éloigné de la chasteté; il s'enfuit devant son fils parce qu'il a outragé les saintes lois du mariage; il s'enfuit devant son fils, parce qu'il a commencé par fuir cette loi de Dieu qui lui disait: "Vous ne tuerez pas, vous ne commettrez point d'adultère." (Ez 20,13-14). Il a introduit dans sa maison la brebis d'autrui, et a fait mettre à mort celui qui en était le pasteur; et, par un juste retour, il voit celui qui était un agneau dans sa propre maison, s'attaquer à son propre pasteur. Il a porté la guerre dans la famille d'un autre, et la guerre s'élève contre lui du sein de sa propre famille. Ce n'est point là une opinion personnelle, c'est David lui-même qui l'affirme; et qui oserait contredire l'interprétation divine ? Voulez-vous vous convaincre qu'Absalom s'est révolté contre David, parce que David s'est rendu coupable du meurtre d'Urie, et qu'il a pris sa femme pour épouse ? Écoutez ce que Dieu lui dit par le prophète Nathan : "Je t'ai sacré roi sur Israël, et Je t'ai délivré de la main de Saul. Je t'ai mis entre les mains tout ce que possédait ton seigneur, et je t'ai rendu maître de toute la maison de Saul et de Juda. Et si cela n'est pas assez, j'étais prêt à y ajouter beaucoup encore. Pourquoi donc as-tu méprisé le Seigneur, jusqu'à commettre le mal devant mes Yeux ? Tu as fait périr par l'épée Urie l'Héthéen, tu as pris sa femme pour épouse. C'est pourquoi l'épée ne sortira jamais de ta maison." (2 Rois 12,7-11). Tu as séparé par le glaive la maison d'autrui, et je ferai sortir un glaive vengeur de ta propre maison. "Voici, dit le Seigneur, que je susciterai le mal contre toi au sein de ta maison." Ce ne sera point d'ailleurs, ce ne sera point du dehors, ce sera de ta propre maison elle-même. Le châtiment sortira de la source même d'où est sorti le péché. C'est donc parce que David avait commencé par fuir les préceptes du Seigneur et par s'en éloigner, qu'il est réduit à prendre la fuite devant son fils. "Psaume de David lorsqu'il s'enfuyait devant son fils Absalom."

La cause qui a déterminé cette guerre est plus utile à connaître que le récit de cette guerre elle-même, et le spectacle d'un juste tombé de si haut, nous avertit de nous préserver d'une chute semblable et d'éviter le châtiment dont elle a été suivie. Combien, en effet, jusqu'à ce jour, ont à soutenir des guerres dans leur intérieur ? L'un est attaqué par son épouse, l'autre est assiégé par son fils; celui-ci est dominé par son frère, celui-là par son serviteur; tous sont exposés à des peines, à des tribulations, à des luttes incessantes, obligés de lutter et de soutenir mille combats; et aucun d'entr'eux ne réfléchit sérieusement en lui-même et ne se dit : Si je n'avais premièrement semé des crimes, jamais les épines et les ronces n'auraient poussé dans ma maison; si je n'y avais déposé des étincelles de péché, jamais elle ne serait devenue la proie des flammes. Que les calamités personnelles soient les tristes fruits des péchés, et que Dieu choisisse des bourreaux domestiques pour tourmenter les pécheurs, c'est ce qui nous est attesté par la sainte Écriture, dont l'autorité n'a rien qui l'égale. Ton épouse te fait la guerre, elle se présente à toi, lorsque tu entres, comme une bête féroce, elle aiguise sa langue comme un glaive. C'est chose bien pénible assurément d'avoir un auxiliaire pour ennemi; mais examine-toi bien toi-même. N'as-tu jamais dans ta jeunesse rien médité contre une femme ? La blessure faite en outrageant une femme, ne serait-elle pas ainsi guérie par une autre, et ton propre épouse ne remplirait-elle pas l'office d'un sage médecin en pansant des plaies qui sont l'ouvrage d'une autre ? Elle ignore ce qu'elle fait en portant le fer dans tes plaies, mais le divin médecin le sait. Dieu se sert de ton épouse contre toi comme d'un instrument tranchant. Le fer ne sait pas ce qu'il fait; le médecin connaît la guérison qui doit être le résultat de l'opération. Ainsi, l'épouse qui frappe aussi bien que l'époux qui est frappé, ignorent la cause du coup porté; Dieu, qui est le souverain médecin, connaît bien cette cause.

La sainte Écriture nous déclare du reste qu'une méchante femme est le juste châtiment des pécheurs. "La méchante femme, nous dit-elle, sera donnée au pécheur." (Ec 26,3 et ss). Peut-être elle lui sera donnée comme un antidote amer qui épuisera toutes les mauvaises humeurs de ses péchés. C'est aussi comme châtiment des péchés que Dieu permet la rébellion des fils contre leur père David en est une preuve, lui qui, en punition d'une criminelle union, vit son fils Absalom se révolter contre lui, comme nous l'avons déjà dit. "Les guerres des frères entre eux n'ont point eu d'autre cause que leurs crimes" au témoignage du livre des Juges. (Jud 19-20). Lorsque des habitants de la tribu de Benjamin eurent outragé indignement la femme d'un Lévite qui traversait leur pays, au point que cette femme mourut victime de leurs infâmes excès, les onze tribus déclarèrent la guerre à la tribu de Benjamin. Lorsqu'à leur tour les onze tribus s'éloignèrent du vrai Dieu pour se prostituer au culte des idoles, elles furent souvent vaincues par une seule tribu, et à de fréquentes défaites elles purent à peine opposer une seule victoire. On vit ainsi les frères combattre contre leurs frères, parce que Dieu en punition de leurs péchés avait enlevé le mur qui les séparait. La tribu de Benjamin avait commis le crime de fornication contre une femme, les onze tribus s'étaient rendues coupables du même crime de fornication spirituelle à l'égard des idoles, et Dieu pour les punir les a toutes détruites selon cette parole de l'Écriture: "Tu as perdu tous ceux qui T'abandonnent pour se prostituer faux idoles." (Ps 72,27).

Ce sont donc les crimes des hommes qui sont la cause des guerres que les frères se font entre eux. Si tes frères se déclarent contre toi, ne te borne pas à déplorer leur triste sort, mais demande-toi sérieusement à toi-même en punition de quels crimes ils sont devenus tes ennemis. Ce n'est pas que toutes les tribulations qui nous viennent de nos frères aient nos péchés pour cause. Joseph fut persécuté par ses frères, et certes il était bien innocent; Job eut à supporter les discours injurieux de son épouse, et ce n'était point en punition de ses péchés. Cependant la plupart du temps ce sont nos propres péchés qui sont la cause de toutes ces guerres domestiques. Quelquefois même nos amis deviennent nos ennemis en punition de nos crimes, et Dieu, pour des raisons qui Lui sont connues, permet que nous soyons un objet de haine et d'aversion pour ceux qui nous aimaient le plus. C'est ainsi qu'il est écrit des Égyptiens dans le psaume cent quatrième: "Il changea leur coeur au point qu'ils conçurent de la haine pour son peuple." (Ps 104,26). Or, Dieu n'aurait point inspiré cette haine aux Égyptiens, s'ils n'avaient eu d'abord pour son peuple une affection coupable. L'amitié des Égyptiens était pour le peuple de Dieu un principe de ruine, leur haine devint pour lui une occasion de vertu. Que dis-je ? Des êtres mêmes qui sont assujettis à l'homme et qui lui étaient soumis se sont révoltés contre leur maître en punition de ses crimes. Voyez Adam avant son péché: les animaux lui étaient soumis et lui obéissaient, et il leur donnait à chacun leur nom comme à des esclaves dont il était le maître. (Gen 2,12). Mais, après qu'il eut souillé ses yeux par un regard coupable, les animaux cessèrent de le connaître, et à la soumission qu'ils lui témoignaient, succéda l'inimitié et la haine. Le chien dans une maison est parfaitement soumis à celui qui lui donne sa nourriture, il le craint, il le redoute; mais, si cette même personne se présente à ses regards le visage noirci par la fumée et couvert d'un masque, le chien s'élance sur elle comme sur un étranger et cherche à le mettre en pièces. Ainsi, tant qu'Adam conserva, dans sa pureté, ce visage qui avait été fait à l'image de Dieu, les animaux lui étaient soumis comme des esclaves. Mais, lorsque la désobéissance eut souillé et déformé son visage, les animaux ne connurent plus leur maître, et le prirent en haine comme un étranger. La révolte des serviteurs est donc le juste châtiment des péchés. Daniel était juste, et les lions reconnurent son empire; il était innocent de tout crime, et ils le laissèrent sans exercer contre lui aucune violence. (Dan 6,22). Au contraire, un prophète se rend coupable de mensonge, et il rencontre sur son chemin un lion qui le met à mort. (3 Roi 13,24) Il était comme défiguré par le mensonge, et le lion ne put le reconnaître. S'il avait trouvé un prophète comme Daniel, il l'aurait respecté; mais il ne rencontra qu'un faux prophète, et il se jeta sur lui comme sur un étranger. Le maître se rend coupable de mensonge, et l'esclave cesse de reconnaître son autorité. Et pourquoi parler de ces maux domestiques, lorsque notre corps lui-même qui nous est si intime et si cher nous déclare la guerre à cause de nos péchés, et nous accable par les fièvres, par les maladies, par les douleurs ? Et il agit ainsi non point de son propre gré, mais parce que Dieu le lui commande; nous en avons une preuve dans ces paroles de Jésus Christ au paralytique: "Te voilà guéri, ne pèche plus, de peur qu'il ne t'arrive quelque chose de pire." (Jn 5,14).

Puisque donc nous savons,;mes frères, que toutes les guerres domestiques et intestines, les révoltes de nos serviteurs et les maladies du corps ont souvent le péché pour cause; réprimons le péché comme la source de tous les maux, et, si les torrents de nos passions ne coulent pas impétueusement dans notre âme, les fleuves des eaux divines la traversent en y répandant la fécondité et la joie. David s'était emparé d'une femme qui était sous la puissance de son mari, comme d'un royaume qui ne lui appartenait pas; car une femme unie de coeur à son époux est pour lui comme un royaume, et la pourpre et le diadème ne sont pas si chers à un roi que la femme l'est à son mari. En punition de ce crime, le fils qui lui était né de son épouse se révolta contre lui et voulut s'emparer du royaume de son père. Il enleva cette femme de vive force, il fut à son tour victime de la violence. Son péché avait été commis en secret, le triomphe que son fils remporta sur lui fut public; sa blessure avait été cachée, et c'est aux yeux de tous qu'il dût subir l'opération du médecin, c'est-à-dire de Dieu qui lui avait dit: "Tu as fait cette action en secret, pour Moi Je la ferai à la face du soleil." (2 Rois 12,12). Cependant le crime d'Absalom ne fut point couronné d'un plein succès, et justement, afin que les parricides ne pussent s'autoriser de cet attentat. Après avoir été l'exécuteur de la Justice de Dieu, il fut mis à mort comme un criminel; et de même que, dans les théâtres, nous voyons les bêtes féroces dévorer les uns et être mises à mort par les autres; ainsi Absalom qui s'était révolté contre David, fut tué par Joab. (2 Rois 18,14). Il avait osé s'élever contre son père, il demeura suspendu au haut d'un arbre. Il fut retenu par un arbre pour avoir combattu contre la racine; il demeura comme enchaîné à une branche, lui branche séparée de la volonté de son père. Il avait cherché à faire tomber la tête de son père, et il est pris lui-même par la tête. Il demeura suspendu comme un fruit malheureux à un arbre, lui qui avait voulu trancher les jours de l'auteur de son être. Un dard lui perce le coeur et il reçoit le coup de la mort, là où lui-même avait conçu ses parricides desseins. On vit alors un spectacle étonnant: comme il s'enfuyait sur sa mule, sa chevelure s'embarrassa dans les branches touffues d'un chêne. La chevelure de cet arbre retint enchaîné par la chevelure cet usurpateur en le frappant dans cet endroit où il voulut placer le diadème du roi son père. Absalom était donc suspendu entre le ciel et la terre. Le ciel ne voulait point le recevoir; il avait rejeté de son sein le premier rebelle, le démon, comment aurait-il reçu le second, coupable de rébellion ? La terre l'avait en horreur, et ne pouvait consentir à être souillée par les pas de ce fils parricide; si, en effet, elle a dévoré Dathan qui avait osé parler contre Moïse, si elle s'est ouverte pour engloutir celui qui avait ouvert la bouche pour proférer des discours séditieux, aurait-elle pu supporter un fils qui courait ôter la vie à son père ? Or, pendant que ce fils était ainsi pendu à un chêne, Joab, général des armées royales, vint et perça de trois dards le coeur d'Absalom en le frappant à l'endroit même qui était le siège de ses projets criminels. Et c'est quand il était ainsi suspendu que David lui fit cette épitaphe si bien méritée : "J'ai vu l'impie très-élevé et qui égalait en hauteur les cèdres du Liban; et j'ai passé et il n'était plus." (Ps 36,35).

"Psaume de David lorsqu'il s'enfuyait devant Absalom, son fils." Ce n'était point sous l'impression d'un sentiment de crainte qu'il s'enfuyait, mais par le désir d'épargner les jours de son fils. Il voulait lui sauver la vie, parce que c'était son fils; mais ceux qui étaient avec lui ne crurent pas devoir l'épargner, parce que c'était un rebelle. Aussi David, alors que son fi]s le poursuivait et que pour cela même Seméis l'accablait d'outrages, fit preuve d'une patience admirable. Mais, lorsqu'il vit qu'il était pour un grand nombre un objet de scandale et surtout pour ceux qui avaient partagé la révolte d'Absalom; lorsqu'ils s'élevèrent contre lui comme s'il était abandonné de la divine Providence, et qu'ils dirent hautement: David est maintenant seul, sans secours et sans appui, Dieu S'est retiré de lui, comme Il S'est retiré autrefois de Saul; de même qu'Il s'est éloigné de Saul pour s'unir avec David, ainsi Il abandonne maintenant David pour devenir le protecteur d'Absalom: révoltons-nous contre lui, attaquons-le; il n'y a point de salut pour lui dans son Dieu. Tels étaient leurs discours, et c'est alors que David, plus sensible à ce langage impie qu'à la révolte de son fils, fait à Dieu cette question: "Seigneur, pourquoi le nombre de ceux qui me persécutent s'est-il si fort augmenté ?" Les tentations m'assiègent de toutes parts, les calamités m'environnent comme des torrents, une pluie désastreuse tombe sur moi, mes ennemis viennent m'assaillir comme autant de fleuves débordés, des esprits mauvais se déchaînent contre moi comme les vents en furie, et viennent fondre sur ma maison, dans le dessein de séparer mon âme de Toi, ô mon Dieu ! Mais, fondé sur la pierre de la foi, je ne succombe point; je me prosterne devant Toi afin d'apprendre pourquoi, Seigneur, le nombre de ceux qui me persécutent s'est multiplié. Celui qui est né de moi s'est déclaré contre moi; mais Toi, Seigneur, Tu es pour moi. Mes propres entrailles me font la guerre, mon peuple a pris le parti d'Absalom, mes propres soldats se sont armés contre moi. Mes brebis sont devenues des loups, les agneaux des lions, les petits agneaux eux-mêmes se sont changés en chiens furieux, les béliers en taureaux menaçants; je ne m'en attriste pas pour moi-même; mais je m'afflige de les voir courir à leur perte.

PSAUME 4

"Lorsque je L'invoquai, le Dieu de ma justice m'a exaucé." (v. 2).

Si le prophète s'exprime de la sorte, ce n'est pas seulement pour nous apprendre que sa prière a été exaucée, mais pour nous enseigner à nous-mêmes ce que nous devons faire si nous voulons que

Dieu nous exauce promptement, et nous accorde l'effet de nos prières avant même qu'elles soient terminées. Le roi-prophète, en effet, ne dit pas: Lorsque je L'ai eu invoqué, mais : "Lorsque je L'invoquai, Il m'a exaucé." C'est la promesse que Dieu Lui-même a faite par son prophète à celui qui l'invoque: "Pendant que vous parlerez encore, Je dirai : Me voici" (Is 58,9). Car ce qui donne à la prière cette puissance de persuasion sur le C¦ur de Dieu, ce n'est point la multitude des paroles, c'est une conscience pure, et la pratique des bonnes ¦uvres. Voulez-vous savoir ce qu'il dit à ceux qui vivent dans le mal, et qui s'imaginent cependant Le fléchir par la longueur de leurs prières ? "Lorsque vous multiplierez vos prières, Je ne vous écouterai point; lorsque vous étendrez vos mains, Je détournerai mes Yeux de vous." (Is 1,15). Avant toutes choses, celui qui prie doit avoir de la confiance, et il obtiendra infailliblement ce qu'il demande. Aussi le prophète ne dit-il pas: Il m'a exaucé; mais: "Il a exaucé ma justice;" "montrant ainsi cette confiance en Dieu dont son âme est toujours remplie quand il s'approche de Lui. Or, ne pensez pas que ces paroles lui soient inspirées par un sentiment de vaine présomption; s'il parle ainsi, ce n'est point pour se faire valoir, mais pour notre instruction et pour nous donner à tous une leçon des plus utiles. Vous auriez pu dire : Il a été exaucé de Dieu, parce que c'était David; mais pour moi qui suis si petit et qui ai si peu d'importance, je ne puis rien en espérer. Il vous montre donc que si Dieu l'a exaucé ce n'est pas sans de sages raisons, et que s'Il rejette vos prières, ce n'est point à la légère et comme au hasard, qu'Il examine toujours avec le plus grand soin les ¦uvres de celui qui Le prie. Si vous pouvez présenter vos ¦uvres à l'appui de votre prière, vous serez toujours exaucé; mais, si elles vous font défaut, fussiez-vous un David, vous ne pourrez jamais fléchir le C¦ur de Dieu.

Voyez les avares: ils ne tiennent aucun compte ni de la dignité, ni de quelqu'autre considération que ce soit; ils ne considèrent que ceux qui ont de l'argent, et se montrent disposés à tout faire pour eux. Ainsi Dieu, qui aime la justice, ne renverra jamais les mains vides le juste qui vient Le prier. Quant à celui qui n'a point cette justice, et dont l'âme est souillée des vices contraires, il a beau prier et supplier, ses efforts sont inutiles, parce qu'il n'a point en lui la puissance de persuasion. Voulez-vous donc être tout-puissant auprès de Dieu, présentez-vous devant lui avec cette justice. Or, ne croyez pas que la justice soit une vertu particulière; c'est la vertu considérée dans son ensemble et comme la réunion de toutes les vertus. C'est dans ce sens que Job était juste: il avait toutes les vertus qu'un homme peut pratiquer; il ne s'abstenait pas de tel vice pour s'en permettre un autre. Quelle est, en effet, la balance que nous appelons juste ? Celle qui est toujours parfaitement égale. Ce n'est point celle qui serait juste pour peser de l'or, et qui ne le serait plus quand il s'agirait de peser du plomb, mais celle qui pèse toutes choses avec une parfaite égalité. Qu'entendons-nous encore par une mesure juste ? Celle qui mesure également tous les objets. C'est donc ainsi que Job était juste et équitable dans toutes les circonstances de sa vie. Ce n'est point seulement dans l'usage des richesses que Job était fidèle aux lois de l'équité; dans toutes les autres choses, il en était l'observateur rigoureux. Et qu'on ne dise pas qu'à la vérité il aimait à être équitable dans les questions d'argent, mais qu'il cessait de l'être dans ses rapports et dans ses paroles avec ceux qui l'entouraient, et qu'il les traitait avec hauteur et dédain; car il ne fuyait rien tant que ces emportements de l'orgueil. C'est pour cela qu'il disait: "Ai-je dédaigné d'entrer en jugement avec mon serviteur; et avec ma servante, lorsqu'ils disputaient contre moi ? N'ont-ils pas été créés comme je l'ai été moi-même ?" (Job 31,13). L'orgueil et l'arrogance sont donc aussi une grande injustice.

2. Nous accusons de cupidité celui qui veut s'emparer des biens des autres et ne se contente pas de ceux qu'il possède; de même nous taxons d'orgueil celui qui exige de son prochain plus d'égards qu'il ne lui en est dû, qui veut avoir tous les honneurs, et n'a en retour que du mépris pour les autres. Cette prétention n'a point d'autre source que l'injustice En voulez-vous la preuve ? La voici: c'est Dieu qui a créé votre prochain aussi bien que vous et qui lui a donné absolument les mêmes avantages que vous avez reçu vous-même. Pourquoi donc le déposséder et le dépouiller de l'honneur que Dieu lui a donné, ne pas lui laisser prendre sa part de biens qui vous sont communs, vous attribuer tout exclusivement et le réduire à cette pauvreté qui le prive non seulement des richesses, mais encore de l'honneur ? Dieu vous a donné à un et à l'autre une seule et même nature, une noblesse égale, et a daigné vous admettre tous deux à l'honneur d'être sa créature. Ces paroles: "Faisons l'homme." (Ge 1,26), sont communes au genre humain tout entier. Pourquoi donc dépouiller votre prochain de son patrimoine, le réduire à la dernière humiliation, et vous approprier ce qui est la propriété commune de tous ? Tel n'était pas le saint roi-prophète; aussi disait-il avec autant de confiance que de liberté : "Dieu a exaucé ma justice."

C'est ainsi que saint Paul parle souvent de lui-même, non par un sentiment d'orgueil ou d'ambition, mais pour se proposer aux autres comme modèle, lorsqu'il dit, par exemple : "Je voudrais que tous les hommes vécussent comme moi dans la continence." (1 Cor 7,7). Ainsi David lui-même, lorsque les circonstances l'exigent, proclame la force toute divine dont Dieu l'avait revêtu. Il rappelle comment il étouffait les ours, étranglait les lions, non pour se faire valoir assurément, mais uniquement pour se rendre digne de foi. Mais si j'ai la justice, me dira-t-on, quel besoin ai-je encore de la prière ? La justice seule ne suffit-elle pas pour diriger toute ma vie, et l'auteur de tous les dons ne sait-il pas lui-même ce qui nous est nécessaire ? &emdash; Je réponds que la prière est un lien puissant qui nous unit à Dieu, nous apprend à converser avec Lui, et nous inspire l'amour de la sagesse. Celui qui fréquente habituellement un homme éminent, retire le plus grand fruit de cette société; combien plus celui qui entretient avec Dieu un commerce assidu ? Mais nous ne comprenons pas suffisamment ces grands avantages de la prière, parce que nous n'y portons pas toute application d'esprit qu'elle exige, et que nous n'y suivons point les lois que Dieu nous prescrit. S'agit-il de présenter une requête à des hommes qui nous sont supérieurs, nous ne les abordons qu'après avoir composé notre attitude, notre démarche, nos vêtements, tout notre extérieur; tandis que, si nous paraissons devant Dieu, c'est en affectant des airs d'ennui, avec un sans-gêne inconvenant, en nous retournant en tout sens, et en donnant des signes d'une nonchalance scandaleuse; nous fléchissons les genoux devant Lui, et notre esprit se promène sur la place publique. Si nous nous mettions en prière avec tout le respect convenable, et comme des hommes qui vont s'entretenir avec Dieu, les fruits les plus précieux nous seraient assurés avant même que nous eussions obtenu ce que nous demandons. L'homme qui connaît les règles de ce divin entretien que Dieu permet à l'homme d'avoir avec Lui devient comme un ange sur la terre; son âme est comme délivrée des liens du corps, sa raison se tient dans les plus haut régions; il s'élève de la terre aux cieux; il regarde avec mépris toutes les choses de la vie; cet homme s'approche du trône même de Dieu, fût-il d'ailleurs pauvre, au service des autres, d'une condition obscure et sans aucune science. Ce que Dieu recherche, en effet, ce n'est ni une élocution brillante, ni un savant arrangement des mots, mais la beauté de l'âme, et, si elle Lui tient le langage qui Lui plaît, elle obtient l'entier accomplissement de ses désirs. Voyez donc comme la prière est chose facile !

Parmi les hommes, lorsqu'on veut obtenir quelque faveur, il faut être doué du talent de la parole, gagner par des flatteries tous ceux qui entourent le prince, avoir recours à mille autres moyens pour se rendre agréable. Ici, au contraire, la seule chose exigée, c'est une âme qui veille sur elle-même et qui éloigne soigneusement tous les obstacles qui l'empêchent de s'approcher de Dieu; "car, dit le Seigneur, Je suis le Dieu qui est près et non pas le Dieu qui est loin." (Jer 23,23.) Quand Il s'éloigne, c'est nous seuls qui en sommes cause, car pour Lui, Il est toujours près de nous. Mais que dis-je, nous n'avons pas besoin d'éloquence ? Bien souvent la parole même est inutile. Que votre c¦ur seul Lui parle et L'invoque avec ferveur, et vous serez aussitôt exaucés. C'est ainsi qu'Il exauça la prière de Moïse, (Ez 14,15), et celle de la mère de Samuel, (1 Rois 1,13). Point de soldat ici qui vous repousse, point de garde qui vous fasse perdre l'occasion favorable; personne qui vous dise: Vous ne pouvez maintenant avoir audience, venez plus tard. &emdash; En quelque temps que vous veniez, Il est prêt à vous entendre. Quand même ce serait à l'heure du dîner, ou à celle du souper; même au milieu de la nuit, sur la place, dans les chemins, dans votre lit, lorsque vous êtes au tribunal, près du magistrat, invoquez Dieu comme il le faut, et vous obtiendrez infailliblement l'effet de votre demande. Vous n avez point à dire: Je crains de me présenter devant Dieu pour Lui adresser ma prière, car mon ennemi est là. Dieu a pris soin d'écarter cet obstacle; Il ne prête aucune attention à votre ennemi, et n'interrompt point votre prière. Vous pouvez donc en tout temps et continuellement vous adresser à Lui sans craindre la moindre difficulté. Vous n'avez ici besoin ni de portier pour vous introduire, ni d'intendants, ni d'administrateurs, ni de défenseurs, ni d'amis; présentez-vous seul devant Dieu, Il vous écoutera d'autant plus que vous n'aurez recours à aucun intermédiaire pour Le prier.

3. Jamais donc nous ne fléchirons aussi bien Dieu par l'entremise des autres que par nous-mêmes. Puisque Dieu désire et recherche notre amitié, Il fait tout pour nous inspirer de la confiance, et dès qu'Il nous voit agir nous-mêmes sous l'impression de ce sentiment, Il descend aussitôt à nos désirs; c'est ce qu'Il fit à l'égard de la Cananéenne. (Mt 15,22, et ss). Pierre et Jean L'avaient prié pour elle, Il ne les écoute pas; cette femme fait elle-même de nouvelles instances, Il lui accorde aussitôt ce qu'elle

demande. Il parut d'abord vouloir différer tant soit peu, mais ce n'était point pour ajourner la grâce que sollicitait cette femme. Il voulait couronner sa persévérance d'une manière plus éclatante et rendre ses instances plus vives et plus intimes. Préparons-nous donc soigneusement à prier Dieu, et apprenons comment nous devons Lui adresser notre prière. Il ne s'agit point pour vous d'aller aux écoles, de faire de grandes dépenses, de payer des maîtres, des rhéteurs, des philosophes. Il n'est même pas nécessaire d'employer beaucoup de temps pour que vous appreniez les règles de cet art; il vous suffit de le vouloir, et vous le savez en perfection. Ce n'est point seulement votre propre cause, c'est aussi la cause des autres que vous pourrez défendre devant ce tribunal.

Quel objet faut-il se proposer dans l'étude de cette jurisprudence céleste ?&emdash;La méthode ou la forme de la prière. Approchez-vous de Dieu avec une âme mortifiée, avec un c¦ur contrit, les yeux inondés de larmes abondantes; ne demandez rien de terrestre, ne désirez que les choses de la vie future; que les biens spirituels soient l'unique objet de votre prière; ne demandez pas à Dieu vengeance contre vos ennemis, oubliez toutes les injures qui vous ont été faites, chassez de votre âme toutes les passions qui la troublent, présentez-vous avec un c¦ur pénétré de componction, rempli d'humilité et d'une grande douceur; qu'il ne sorte de votre bouche que des paroles convenables, ne prenez part à aucune mauvaise action, n'ayez aucun rapport avec l'ennemi commun du genre humain, c'est-à-dire avec le démon. Car les lois civiles elles-mêmes punissent sévèrement celui qui plaide la cause des autres devant le souverain, et puis en même temps entretient des relations avec ses ennemis. Si donc vous voulez plaider à la fois votre cause et celle des autres auprès de Dieu, conduisez-vous avec la plus grande droiture et n'ayez pas le moindre rapport avec cet ennemi commun du genre humain. C'est ainsi que vous serez véritablement juste, et en ayant ainsi la justice pour avocat, vous ne pourrez manquer d'être écouté.

"Au jour de la tribulation, Tu as élargi ma voie." Il ne dit point : Tu m'as écarté les afflictions, ni Tu m'as délivré des tentations, mais en les laissant subsister, Tu m'as mis au large. Dieu fait paraître les ressources infinies de sa Sagesse et de sa Puissance, non seulement en nous délivrant de nos tribulations, mais en nous les faisant supporter avec une merveilleuse facilité lorsqu'elles persistent. Cette conduite fait éclater à la fois la Puissance de Dieu et la vertu de ceux qui sont victimes de ces tribulations, parce que, d'un côté, Dieu donne la force qui met au large et console l'âme affligée; et, de l'autre, Il laisse peser sur elle l'épreuve pour étreindre de près sa négligence et la guérir du relâchement et de la négligence. Comment, me direz-vous, Dieu peut-Il mettre au large au milieu de l'affliction ? C'est ce qu'Il fit pour les trois enfants dans la fournaise et pour Daniel dans la fosse aux lions. Il n'a point éteint les flammes de la fournaise pour garantir ces enfants de leur atteinte. Il n'a point fait mourir les lions pour mettre Daniel à l'abri de leur férocité; mais alors que le feu était des plus ardents et que les lions étaient là prêts à dévorer leur proie, les justes jouirent de la plus grande liberté. (Dan 3,24; 4,11). L'âme est encore mise au large dans un autre sens, lorsqu'accablée sous le poids des tribulations, elle se voit délivrée de ses passions et d'une multitude de maladies intérieures; car c'est vraiment alors qu'elle voit s'élargir la voie devant elle. Combien qui dans la prospérité voient naître dans leur âme des affections criminelles qui sont pour eux la cause de peines cuisantes : amour des richesses, amour des plaisirs des sens, et d'autres objets non moins coupables !

Voyez ceux qui sont tourmentés de la fièvre : tant qu'ils cherchent la satisfaction de leurs désirs déréglés dans une table bien servie, dans des vins exquis, leur état ne fait que s'empirer; mais, s'ils consentent à s'imposer avec persévérance quelque privation, un mieux sensible se déclare aussitôt, ils voient disparaître leurs souffrances et finissent par recouvrer la santé. Ainsi en est-il dans la conduite ordinaire de la vie. Rien ne nous met plus au large que l'affliction, qui nous détache de toutes les choses de la terre. Croyez-vous que les Juifs n'aient pas été dans de grandes tribulations, alors même que leurs affaires paraissaient les plus prospères ? N'entendez-vous pas le langage d'une âme dévorée par la fièvre, en proie à l'agitation et au trouble dans ces paroles : "Faites-nous des dieux qui marchent devant nous; car, pour ce qui est de Moïse, cet homme qui nous a tirés de l'Égypte, nous ne savons ce qui lui est arrivé ?" (Ex 32,1). Au contraire, ne voyez-vous pas le signe d'une âme véritablement sage et affranchie de toutes les passions qui nous troublent, dans la prière fervente que les Juifs adressèrent à Dieu du milieu de leurs tribulations, pour qu'il vînt à leur secours ? Et le roi-prophète lui-même, quelles peines cruelles n'a-t-il pas éprouvées parmi les douceurs d'une vie tranquille, par suite de cette passion coupable qui a été pour lui la cause de mille déchirements et de mille angoisses ? Mais, lorsque la tribulation est venue fondre sur lui, quelle a été la tranquillité de son âme ? Le feu ne l'a point touché, et il a vu toute son ardeur s'éteindre. En effet, la plus grande cause de tribulation pour une âme, ce sont les passions qui l'assiègent. Les unes viennent du dehors, les autres naissent au dedans d'elle-même, et c'est la plus grande tribulation. Le monde a beau nous tourmenter, nous n'avons rien à craindre si nous savons ne pas nous tourmenter nous-mêmes; il dépend donc de nous d'être dans l'affliction ou de n'y être pas.

4. Voulez-vous entendre la voix de l'Apôtre proclamer la grande liberté que l'âme trouve au sein de l'affliction ? Écoutez saint Paul vous énumérant lui-même les fruits qu'elle produit : "La tribulation produit la patience, la patience l'épreuve, l'épreuve l'espérance, et cette espérance n'est pas confondue." (Rom 5,3-5). Voyez s'il est possible de dire combien l'âme s'étend et se dilate au milieu de la tribulation, qui devient pour elle comme un port où elle aborde avec joie ? "La tribulation, dit-il, produit la patience." Quoi de plus calme et de plus tranquille, en effet, que l'homme véritablement patient et qui supporte facilement toutes les afflictions ? Quoi de plus fort que celui qui a passé par l'épreuve ? Que peut-on comparer au plaisir intime qui en est le précieux fruit ? Saint Paul nous énumère trois sujets de joie différents qui naissent de l'affliction : la patience, l'épreuve et l'espérance des biens futurs. C'est ce que le sage prophète veut exprimer lorsqu'il dit à Dieu : "Tu as élargi ma voie dans la tribulation." Il a dit précédemment : "Dieu m'a exaucé;" il explique maintenant en quoi Dieu a exaucé sa prière. Ce n'est point en lui accordant des richesses, il n'en demandait pas; ce n'est point en obtenant de triompher de ses ennemis, tel n'était point l'objet de sa prière. Dieu l'a exaucé en lui donnant le calme et la tranquillité qu'il goûte désormais au milieu même de la tribulation.

"Aie pitié de moi et exauce ma prière." Que dis-tu, saint prophète ? Tu viens d'invoquer le souvenir de ta justice, et tu fais un appel à la compassion et à la miséricorde ? Comment accorder ces choses ? &emdash; Rien de plus facile, et ces paroles sont étroitement unies avec celles qui précèdent. Car, quelle que soit la multitude de nos bonnes ¦uvres, ce n'est que par un effet de sa Bonté et de sa Miséricorde que Dieu nous exauce. Fussions-nous parvenus au sommet de la plus haute vertu, c'est toujours sa Miséricorde qui nous sauve. Apprenons de là qu'à la justice intérieure il nous faut joindre la contrition du c¦ur. Quand même vous seriez pécheur, si vous priez Dieu avec cette humilité qui est une partie de la vertu, vous êtes capable des plus grandes choses; au contraire, fussiez-vous des plus justes, si vous vous présentez devant Dieu dans un sentiment de présomption, vous perdez tout le mérite de vos bonnes ¦uvres. C'est ce que prouve l'exemple du publicain et du pharisien. (Luc 18).

Il nous faut donc maintenant apprendre la manière de prier. Quelle est-elle ? Apprenez-la du publicain et ne rougissez pas de vous instruire à l'école d'un tel maître, dont la prière a été si parfaite, que quelques paroles seulement lui ont obtenu un plein succès. Son âme était si bien préparée, qu'une seule parole lui suffit pour lui ouvrir le ciel. Et quelle était cette préparation ? Il reconnaissait sa misère, il se frappait la poitrine, il n'osait pas lever les yeux vers le ciel. Vous aussi, priez de la sorte, et vous rendrez votre prière plus légère que l'aile de l'oiseau. Si, en effet, cette prière a suffi pour rendre juste un pécheur, à quel degré de perfection sera élevé le juste, s'il sait adresser à Dieu une semblable requête ? C'est pour nous faire comprendre cette vérité que le roi-prophète ne parle pas ici de lui-même, mais de sa prière. Il a dit plus haut : "Exaucez ma justice;" il dit ici : "Exaucez ma prière." Pourquoi le centurion Corneille a-t-il été exaucé ? C'est parce que la prière a été son avocate auprès de Dieu. "Tes prières et tes aumônes, lui dit l'ange, sont montées en présence de Dieu." (Ac 10,4). Et c'est avec raison qu'il lui parle de la sorte; car ce sont les bonnes ¦uvres que le Seigneur exauce; ce ne sont pas absolument les prières, mais les prières qui sont conformes à la loi de Dieu. Et quelles sont ces prières ? Celles qui ont pour objet des choses qu'il est digne de Dieu de nous donner, et qui ne Lui demandent pas ce qui est en opposition avec ses lois. Mais qui donc serait assez téméraire, me direz-vous, pour implorer de Dieu des choses qui seraient en contradiction avec sa loi ? Celui qui implore la Vengeance de Dieu contre ses ennemis, voilà qui est en contradiction directe avec la loi divine; car Dieu Lui-même nous a dit : "Remettez leurs dettes à ceux qui vous doivent." (Mt 6,12). Et vous, vous venez invoquer contre vos ennemis celui qui vous commande de leur pardonner ? Se peut-il un égarement plus coupable ? Celui qui se présente pour prier Dieu doit avoir l'attitude, les pensées, les sentiments d'un suppliant; pourquoi donc prendre la figure d'une autre personne, d'un accusateur ? Comment pouvez-vous espérer obtenir le pardon de vos péchés, quand vous venez prier Dieu de punir les péchés des autres ?

Que votre prière n'ait donc rien d'impitoyable, quelle soit pleine de calme, qu'elle ait pour ainsi dire un visage gracieux et agréable. Telle est la prière où règne la douceur, et qui ne souhaite point de mal à ses ennemis; tandis que la prière qui est faite dans un esprit opposé ressemble à une femme emportée à la fois par l'ivresse et la folie, ou bien à un sanglier en fureur. Aussi le ciel lui demeure-t-il impitoyablement fermé. La prière, au contraire, qui s'inspire de la douceur chrétienne, a je ne sais quoi de mélodieux, de doux, de digne des oreilles des rois, quelque chose qui est à la fois suave, harmonieux et mesuré. Aussi une prière semblable, loin d'être exclue de la scène, reçoit les couronnes qui lui sont dues; car elle se présente avec une lyre d'or, avec des vêtements où l'or éclate également. Aussi charme-t-elle son juge par son attitude, par ses regards, par sa voix; et personne ne songe à la repousser des célestes palais. Elle répand dans toute l'assemblée une joie ineffable. La prière vraiment digne des cieux, celle qui emprunte aux anges mêmes leur voix, est celle dont le langage n'a point d'amertume, et ne fait entendre que des paroles de douceur. Lorsqu'elle adresse ses supplications à Dieu pour d'injustes ennemis, pour des persécuteurs, les anges l'écoutent dans un profond silence, et, lorsqu'elle a cessé de parler, ils ne se lassent par de l'applaudir, de la louer, de l'admirer. Faisons nous-même à Dieu de semblables prières, et nous serons exaucés. Lorsque nous nous présentons devant Dieu, figurons-nous que nous parlons non pas devant une réunion ordinaire, vulgaire, mais devant une assemblée composée de tout l'univers, ou plutôt de tous les peuples qui habitent les cieux, et au milieu desquels est dressé le trône du Roi des cieux, qui prête une oreille attentive à notre prière. Faisons en sorte que notre prière soit digne de paraître au milieu de cette assemblée; lorsque nous sommes pour entrer dans l'assemblée des anges, préparons-nous avec plus de soin que ne s'exerce le joueur de harpe ou de Iyre, pour ne laisser échapper aucun son qui blesse l'harmonie. Que notre langue, semblable a l'archet qui touche l'instrument, ne fasse entendre que des accents agréables, harmonieux, cadencés et animés d'une pensée céleste. Lorsque nous nous présentons devant Dieu pour lui adresser nos supplications et nos prières, faisons résonner les cordes de notre âme en faveur de nos ennemis; c'est ainsi que nous mériterons de voir exaucées les prières que nous faisons pour nous-mêmes.

5. La prière faite dans ces sentiments couvre de honte le démon et nous inspire la plus grande confiance. Non seulement elle confond le démon, mais elle le met en fuite; car le démon ne craint pas si vivement celui qui le chasse d'un autre homme et lui fait prendre la fuite, que celui qui triomphe de sa colère, et qui sait commander à son courroux : la colère est elle-même un démon cruel, et ceux qu'elle domine sont plus malheureux que ceux qui sont possédés du démon. En effet, le démon ne précipite pas dans l'enfer ceux qu'il possède; mais la colère, le souvenir des injures qu'on a reçues nous ferme la porte du royaume des cieux. Si nous savons soumettre notre prière à cette règle, nous pourrons dire aussi à Dieu avec confiance : "Exauce ma prière." Non seulement alors vous retirerez de votre prière les plus grands avantages, mais vous comblerez de joie Dieu qui vous écoute, parce que vous Lui demanderez des choses qui sont vraiment conformes à ses commandements, et qu'Il vous accordera on ne peut plus volontiers. Voilà qui est digne de l'Adoption divine, voilà ce que nous marque véritablement du caractère de ses enfants : "Soyez miséricordieux, nous dit-il, comme votre Père céleste est miséricordieux;" (Lc 6,36); et encore : "Priez pour ceux qui vous font du mal, afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux." (Mt 5,44). Que peut-on comparer à une semblable prière ? Ce n'est ni aux anges, ni aux archanges, mais au Roi des cieux lui-même qu'elle nous rend semblables. Or considérez quelle confiance fait éclater dans ses prières celui qui devient semblable, autant qu'il est en lui, au Roi des cieux. "Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le c¦ur appesanti ? Pourquoi aimez-vous la vanité et recherchez-vous le mensonge ?" À qui le roi-prophète adresse-t-il ici la parole ? À qui fait-il ce reproche et donne-t-il ces conseils ? À ceux qui vivent dans le crime et se laissent entraîner au mal. Mais quoi, est-ce que nous ne sommes pas nous-mêmes enfants des hommes ? Oui, nous sommes par nature enfants des hommes, mais nous sommes par grâce enfants de Dieu. Si nous conservons soigneusement l'image de Dieu par la pratique de la vertu, cette grâce aura son effet complètement. Car il faut que ceux qui doivent à la grâce le titre glorieux d'enfants de Dieu en expriment fidèlement le caractère par la sainteté de leur vie. Quant à ceux qui sont absorbés par les soins de cette vie et se laissent aller à leurs inclinations vicieuses, la sainte Écriture les appelle les enfants des hommes : "Les enfants de Dieu voyant les filles des hommes." (Ge 6,2).

Mais, me direz-vous, vous avancez le contraire de ce que vous voulez prouver ? Nullement. L'auteur sacré donne ici le nom d'enfants de Dieu à ceux qui avaient eu pour pères des hommes vertueux et avaient reçu de Dieu des témoignages d'honneur, mais qui, menant ensuite une vie toute différente, s'étaient livrés au vice et avaient perdu ces glorieuses prérogatives. S'il rappelle ces prérogatives d'honneur, c'est pour faire ressortir davantage leur conduite coupable, et il leur montre après cela que leur plus grand crime, c'est qu'étant enfants de Dieu et devant le jour à des hommes aussi vertueux, ils en soient venus à cet excès d'iniquité. Dieu S'exprime encore ailleurs en ces termes : "J'ai dit : Vous êtes des dieux, vous êtes tous les fils du Très-Haut; mais vous mourrez tous comme les autres hommes." (Ps 81,67). Considérez quelle était la prudence du prophète. Il a commencé par relever la Puissance de Dieu, sa Condescendance, la multitude des ressources qui sont à sa Disposition, sa Bonté, sa Tendresse, qui le portent à venir au secours de ceux qui sont dans la tribulation et à les exaucer par un sentiment de miséricorde; puis il pense à l'iniquité qui se répand comme un torrent parmi les hommes, à l'impiété qui les domine, et comme sous le poids d'un profond découragement, il s'adresse à ceux qui passent toute leur vie dans ces excès criminels, et leur tient à peu près ce langage : Quoi ! Vous avez un Dieu dont la Bonté, dont la Clémence égalent la Puissance, et vous vous laissez entraîner à l'iniquité? &emdash; Voyez dans ce reproche quel heureux mélange de colère, de douceur et de sagesse ! Que leur dit-il donc ? "Enfants des hommes, jusqu'à quand aurez-vous le c¦ur appesanti ?" Il leur fait surtout un reproche de leur persévérance dans le mal.

Si c'est un crime, en effet, de ne pas comprendre tout d'abord la Bonté de Dieu envers nous, quel pardon peut espérer celui qui ferme les yeux si longtemps à la vérité ? Or, que faut-il entendre par ces c¦urs appesantis ? Ceux qui ont des sentiments grossiers et charnels, qui sont attachés à la terre, suivent leurs inclinations vicieuses, se livrent à toute sorte de crimes, et se corrompent au milieu des plaisirs des sens; tel est l'homme charnel. En se rendant ainsi l'accusateur de leur vie, le roi-prophète leur indique la source de leur impiété, et leur fait voir que c'est là le plus grand obstacle qui les empêche de s'élever à des vérités plus hautes. Rien n'appesantit le c¦ur, comme les désirs criminels, l'inclination trop vive aux jouissances de la vie, et l'attache trop grande aux biens de la terre. On ne se tromperait point en appelant ce c¦ur un c¦ur de boue; c'est pour cela que le roi-prophète l'appelle un c¦ur appesanti, et il fait voir que la cause de tout le mal, c'est que le c¦ur qui devrait remplir l'office de conducteur, non seulement ne peut maintenir le coursier qu'il est chargé de conduire, mais qu'il se laisse entraîner avec lui dans l'abîme. C'était à lui de donner des ailes à la chair, de la maintenir dans de plus hautes régions, de l'élever jusqu'au ciel; et il tombe avec elle sous le poids écrasant du vice. Quand le conducteur, quand le pilote se conduisent de la sorte, quelle espérance de salut peut-il rester ? C'est ce que nous dit notre Seigneur : "Si la lumière qui est en vous est ténèbres, combien grandes seront les ténèbres elles-mêmes ?" (Mt 6,23). Si le pilote tombe dans l'ivresse et imite le mouvement irrégulier des flots, comment le navire pourra-t-il échapper au naufrage ?

6. Comment donc pourrons-nous rendre notre âme légère ? Si notre vie est vraiment exemplaire, c'est-à-dire, si nous ne soupirons après aucune des jouissances de cette vie, et si nous n'attachons pas à nos pieds de ces entraves qui nous entraînent dans les basses régions. Parmi les corps, il en est qui par leur nature tendent toujours à tomber, comme les pierres, le bois et d'autres corps de ce genre; d'autres qui tendent toujours à s'élever comme le feu, le vent et la plume, qui est légère de sa nature. Si donc vous attachez à un corps léger un corps pesant et qui tend naturellement à tomber, ni les ailes, ni le vent ne pourront vous être d'aucune utilité, puisque le corps pesant l'emporte nécessairement, rompt l'équilibre et entraîne le corps plus léger avec lui. De même encore, qu'un homme ait les jambes alourdies ou par l'afflux des humeurs, ou par l'effet d'une autre maladie; rien ne lui servira que tout le reste de son corps soit léger. Or, s'il en est ainsi des corps, à plus forte raison de notre c¦ur. Ne faisons donc rien pour l'appesantir, de peur que comme les navires dont le lest est trop pesant, il ne vienne à être submergé. Cela dépend complètement de nous. Notre âme n'est pas pesante de sa nature; au contraire, elle est légère et tend à s'élever; c'est nous qui contre sa nature la rendons pesante, et c'est ce que nous reproche le roi-prophète. Si elle était pesante de sa nature, il ne nous en aurait pas fait un reproche. Ainsi encore nous marchons en vertu de notre nature; mais, si nous alourdissons volontairement nos genoux, I'empêchement ne vient pas de la nature. Le même phénomène se produit pour les pieds de l'âme, c'est-à-dire pour les pensées. "Pourquoi aimez-vous la vanité, et recherchez-vous le mensonge ?" Le prophète a ici en vue le culte des idoles, et la vie qui est livrée au mal. On appelle vain ce qui est vide, ce qui n'a que le nom de la chose, sans la chose elle-même.

Ainsi les Grecs ont une multitude de noms de dieux; mais de fait, ils n'ont pas ce que ce nom signifie. Il en est de même de toutes les autres choses : ils ont le nom des richesses, le nom de la gloire, le nom de la puissance; mais ils n'en ont pas la réalité, et ils n'en possèdent que le nom. Qui donc serait assez insensé pour rechercher des noms vides de sens et de choses, et de poursuivre avidement des vanités qu'il devrait bien plutôt fuir ? Or, que sont autre chose les plaisirs et la félicité du monde ? Est-ce que tout n'est pas mensonge et tromperie ? Vous avez beau faire sonner bien haut les noms de gloire, de richesses, de puissance; tout cela n'est que vanité. Voilà pourquoi l'Ecclésiaste a dit : "Vanité des vanités, et tout est vanité." (Ec 1,2). Voilà pourquoi le roi-prophète se plaint si amèrement en voyant notre vie en proie à un égarement aussi déplorable. De même qu'un homme qui en voit un autre fuir la lumière et rechercher les ténèbres, ne peut s'empêcher de lui dire : Pourquoi donc cet acte insensé, et si contraire à toute raison ? ainsi le prophète s'écrie : "Pourquoi aimez-vous la vanité et recherchez-vous le mensonge ? Sachez que le Seigneur a couvert son saint de gloire." Un autre interprète traduit : "Mais sachez qu'Il a couvert de gloire." Voyez ici la sagesse du prophète ! D'où part-il pour les amener à la connaissance de Dieu ? Il choisit pour cela une des preuves les plus évidentes, un fait des plus manifestes, il se propose lui-même en exemple. Je suis, leur dit-il, le serviteur du Dieu véritable, venez donc apprendre de moi quelle est sa Puissance, sa Force, sa Providence. C'est ce que le roi-prophète prouve jusqu'à l'évidence, lorsque, pour démontrer la Providence divine, il choisit successivement le soleil, le ciel, le terre, l'air et proclame la Gloire du Créateur par l'ordre admirable qui règne dans toutes les parties du monde visible. Les serviteurs de Dieu et les événements qui sont arrivés par son ordre lui fournissent la preuve de la même vérité. C'est ce que nous voyons dans Abraham lui-même. Les enfants de Heth lui disaient : "Nous savons que vous êtes venu vers nous comme un prince de Dieu." (Gen 23,6). &emdash; Et comment le savez-vous ? &emdash; Par les combats que vous avez livrés, par les victoires et les trophées que vous avez remportés. Les Juifs en sont un autre exemple. Les miracles opérés en leur faveur avaient rempli de crainte les habitants de toute la terre, comme l'atteste cette courtisane de Jéricho : "La crainte et la terreur de ton Nom nous ont tous saisis." (Job 2,9).

Il y a donc deux voies qui conduisent à la connaissance de Dieu, l'une par les créatures, l'autre, qui est beaucoup plus claire, par les serviteurs de Dieu, et Dieu, depuis les siècles les plus reculés, n'a cessé de répandre par ce dernier moyen sa doctrine de génération en génération. C'est ainsi qu'Il a enseigné les Égyptiens et les Perses par Abraham, les Ismaélites et une multitude d'autres par ses enfants, et par Jacob les habitants de la Mésopotamie. C'est ainsi que l'univers entier, s'il l'avait voulu, aurait eu les saints pour maîtres. Je dirai plus, bien avant ces saints patriarches, le déluge et la confusion des langues avaient suffi pour réveiller de son assoupissement l'intelligence des hommes. Car, de peur que le souvenir de ce dernier événement ne vînt à s'effacer de l'esprit des hommes par suite de l'éloignement des temps, cet endroit même reçut un nom significatif : on l'appela Babylone à cause de la confusion des langues, afin que ce nom seul fît remonter à l'événement qui lui avait donné naissance, et comprendre l'étendue de la Puissance de Dieu. De cette manière, tous ceux qui habitaient l'Occident apprenaient tous les grands faits historiques dans leurs relations avec les marchands égyptiens. Dans les commencements, il est vrai, un très petit nombre de peuples habitaient cette partie du monde, tandis que les contrées de l'Orient comptaient un grand nombre de nations et une population considérable. C'est dans l'orient, en effet, qu'Adam avait reçu la vie; c'est l'Orient qu'habitaient les enfants de Noé, ils y étaient encore après la construction de la tour de Babel, et ils se fixaient pour la plupart dans cette partie du monde. Cependant Dieu prit soin à chaque génération de leur donner des maîtres, tels que Noé, Abraham, Isaac, Jacob, Melchisédech.

Voilà pourquoi le roi-prophète cherche à faire impression sur ceux qui vivent dans l'iniquité, en leur rappelant la protection dont Dieu environne les saints : "Sachez que le Seigneur a rendu son saint admirable." Que signifie cette expression ? Il a environné celui qui Lui était dévoué d'une gloire, d'un éclat qui excitait l'admiration. Apprenez donc quelle est la Puissance de Dieu par les merveilles qu'Il opère en faveur de son serviteur. Il ne dit pas seulement : Il l'a comblé de biens, mais, "Il l'a rendu admirable" c'est-à-dire qu'Il l'a comblé de biens d'une manière tout à fait miraculeuse, contre toute attente et toute espérance. C'est ce qu'Il fit en particulier pour Abraham : non seulement Il sauva l'honneur de sa femme, mais Il le rendit lui-même l'objet de l'admiration des Égyptiens, et le juste dut à la Protection divine, de ne courir aucun danger, et de plus, d'être environné de gloire dans toute l'Égypte. (Gen 12,11-20). C'est comme récompense de sa justice, que Dieu le garantit de tout danger, et c'est pour l'instruction des autres qu'Il le fit sortir de l'Égypte comblé de gloire et d'honneur. Nous voyons les mêmes effets de cette protection dans Daniel jeté en pâture aux lions, et dans Jonas englouti par la baleine. Partout Dieu Se déclare, au prix même des plus grands miracles, le Protecteur non de tous indifféremment, mais de ceux qui se recommandent par leur sainteté.

7. Vous voyez comme le roi-prophète nous exhorte à la fois à la connaissance de Dieu, et à mener une vie sainte, en nous enseignant à ne point placer l'espérance de notre salut dans la seule Bonté de Dieu, mais aussi dans le mérite de nos actions vertueuses. "Le Seigneur m'exaucera lorsque je L'invoquerai." Il vient de dire que Dieu l'a couvert d'une gloire admirable, il ne s'arrête pas là et il nous fait connaître un bonheur d'un genre différent. Quel est-il ? C'est d'avoir toujours Dieu pour auxiliaire et pour défenseur, et de jouir continuellement de sa Présence. Et ce n'est pas une seule fois, mais deux, mais trois fois, mais toutes les fois que nous L'invoquons, qu'Il renouvelle ce prodige. Voyez comme Il est prompt à nous exaucer. Il a dit en commençant : "Lorsque je L'invoquais, le Dieu de ma justice m'a exaucé," de même ici : "Lorsque je crierai vers Lui."

Mais comment donc se fait-il qu'un si grand nombre ne soient point exaucés? Parce qu'ils demandent des choses inutiles, et alors il vaut mieux pour nous que Dieu nous refuse l'objet de nos prières. Si donc parfois Dieu nous exauce, ne nous hâtons pas de nous réjouir; et, s'il refuse de nous exaucer, témoignons-lui notre reconnaissance. La cause pour laquelle Dieu n'écoute point nos prières, vient ou de ce que nous demandons des choses inutiles, et c'est un profit véritable de ne point les recevoir; ou de ce que nous prions avec tiédeur, et alors, en différant de nous exaucer, Dieu prend un moyen sage et efficace pour nous faire persévérer dans la prière; c'est pour nous un des plus précieux avantages. "Si vous savez, nous dit-il, donner de bonnes choses à vos enfants " (Mt 7,11), à plus forte raison notre Dieu sait-Il et quand il faut donner, et ce qu'il faut donner. Saint Paul a demandé à Dieu une grâce et ne l'a pas obtenue, parce qu'il demandait une chose inutile. Moïse demande aussi, et Dieu refuse de l'exaucer. Ne cessons donc point de prier, lorsque notre prière n'est point exaucée, ne nous laissons point aller à la tristesse et au découragement, mais persévérons avec constance, dans la prière.

"Mettez-vous en colère, mais gardez-vous de pécher, repassez en silence sur vos lits de repos les pensées de votre c¦ur." Je répète ce que j'ai dit précédemment: avant de conduire les hommes à la connaissance de Dieu, le roi-prophète veut guérir leur âme de toutes ses maladies; car il sait qu'une vie corrompue est pour nous le plus grand obstacle à la connaissance des vérités sublimes de la religion. C'est ce que saint Paul lui-même nous indique lorsqu'il dit aux Corinthiens: "Je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des personnes encore charnelles. Je ne vous ai nourris que de lait, comme de petits enfants en Jésus Christ, et non de viandes solides. " (1 Cor 3,1-2). Et ailleurs, écrivant aux Hébreux : "Nous aurions beaucoup de choses à vous dire sur cette matière; mais il est bien difficile de les expliquer, parce que vous vous êtes rendus peu capables de les entendre. " (Heb 5, 2).

C'est ce que de son côté Isaïe nous déclare en ces termes : "Ce peuple me cherche, et demande à connaître mes voies, comme si c'était un peuple qui eût pratiqué la justice, et qui n'eût point abandonné la loi de son Dieu." (Is 58, 2). De même le prophète Osée lorsqu'il dit : "Semez pour vous dans la justice et rendez ainsi plus vive la lumière de la connaissance. " (Os 10,12). Jésus Christ Lui-même n'a-t-Il pas dit : "Quiconque fait le mal, hait la lumière, et ne vient point à la lumière" (Jn 3,20); et encore : "Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez l'un de l'autre la gloire, et ne cherchez point la gloire qui vient de Dieu seul ?" (Jn 5,44). L'évangéliste lui-même fait ailleurs cette remarque : "Ses parents (ceux de l'aveugle-né) parlèrent ainsi, parce qu'ils craignaient les Juifs." (Jn, 9,22). Et dans un autre endroit : "Cependant plusieurs d'entre les princes mêmes crurent en Lui; mais, à cause des pharisiens, ils ne Le confessaient pas." (Jn 12,42). C'est ainsi que nous voyons partout que la corruption des m¦urs est un obstacle à la connaissance parfaite des vérités divines. De même que l'humeur qui se répand sur la pupille transparente de l'¦il, obscurcit et trouble l'organe de la vue, ainsi la pensée qui s'est laissée envahir et corrompre par le vice couvre l'âme d'épaisses ténèbres. C'est dans cette conviction que le roi-prophète donne ce sage conseil : "Mettez-vous en colère, mais gardez-vous de pécher." Il n'interdit point la colère, elle a son utilité; il ne proscrit point l'indignation, elle peut nous servir pour réprimer l'injustice, ou pour stimuler la négligence. La colère qu'il nous défend, c'est la colère qui est injuste, c'est l'indignation qui n'a point de raison d'être. Lorsque Moïse arrive aux lois qui ont pour objet les devoirs de la morale, il place en tête de toutes ce précepte : "Vous ne tuerez pas." (Ex 20,13;15). C'est ce que fait ici le roi-prophète, et il fait plus encore parce qu'il connaissait mieux les devoirs de la religion véritable.

Moïse proscrit le meurtre, David veut étouffer dans notre c¦ur jusqu'à la colère qui enfante le meurtre, qui est la racine et la source de tout mal. C'est pour cela que Jésus Christ voulant mettre un frein à cette passion de la colère, disait : "Celui qui se met sans raison en colère contre son frère, sera digne de la géhenne du feu. " Mt 6,22. Vous voyez partout la juste mesure. "Mettez-vous en colère et ne péchez pas... Celui qui se met en colère sans raison..." La colère est donc permise pour de justes causes. Car saint Paul s'est mis en colère contre Elymas; (Ac 13,15); et Pierre contre Saphire. (Ac 13,10). J'oserais dire toutefois que ce n'était pas de la colère, mais de la prudence, de la sollicitude, un acte sage et ferme de prévoyance. Un père se met en colère contre son fils, mais c'est par affection pour lui. L'homme dont la colère est sans raison est celui qui ne cherche qu'à se venger; celui, au contraire, qui ne se propose que de corriger les défauts de son prochain est le plus doux des hommes. C'est ainsi que la Colère de Dieu dont parlent les Écritures, a pour objet non de Le venger Lui-même, mais de nous être utile. Prenons-Le donc pour modèle. Se venger de la sorte, c'est se venger en Dieu; agir autrement, c'est se venger en homme. La Colère de Dieu ne diffère pas seulement de la nôtre en ce qu'elle est toujours juste, mais en ce qu'elle ne produit en Lui aucun trouble de l'esprit. Ne nous laissons donc pas aller à la colère sans raison. La colère ne nous a pas été donnée pour que nous y trouvions une occasion de péché, mais comme un moyen de nous opposer aux péchés des autres; ni pour répandre le trouble et le malaise dans notre âme, mais pour être le remède de toutes ses maladies.

8. Voyez en vous-même de quel crime se rend coupable celui qui change le remède en poison, qui fait de nouvelles blessures avec l'instrument destiné à guérir les blessures des autres; semblable en cela à un homme qui prendrait le fer destiné à retrancher les chairs gangrenées du corps des autres, pour déchirer son propre corps et le couvrir de blessures; ou à un pilote qui se servirait pour submerger sa barque du gouvernail, à l'aide duquel il devait maîtriser la fureur désordonnée des vents. Telle est donc la colère : c'est un instrument utile pour nous réveiller de notre assoupissement, pour inspirer à notre âme une certaine vigueur et nous donner la force de prendre hautement la défense de ceux qui sont victimes de l'injustice, et de tirer vengeance des pièges qui leur sont dressés. C'est pour cela que le roi-prophète prend soin de nous dire : "Mettez-vous en colère, et ne péchez pas." Si cela n'était pas possible, il n'en eût point fait un précepte; car personne ne songe à commander l'impossible. Après avoir rappelé ce précepte apostolique et cette loi de l'évangile, dans les mêmes termes dont S'est servi notre Seigneur Jésus Christ, le roi-prophète nous donne une a

cette proposition, il en donne la preuve. Quelle est-elle ? "Tu as répandu la joie dans mon c¦ur." Après s'être élevé contre la multitude sans intelligence, il prouve l'existence de la Providence divine par l'exemple de ceux qui réfléchissent et chez qui la raison a conservé toute sa force : "Tu as, dit-il, répandu la joie dans mon c¦ur", c'est-à-dire : Tu m'as appris la véritable sagesse, le mépris de toutes les choses de cette vie, la science des biens vrais et immuables. Tu as rempli mon c¦ur des plus belles espérances en me conduisant comme par la main jusqu'à la vie future, et en me donnant l'espérance comme gage des biens dont je dois un jour avoir la jouissance. Tel est le sens de ces paroles du roi-prophète.

10. Celui qui doit recueillir la succession d'un riche héritage ou d'une grande dignité, avant même qu'il en jouisse et lorsqu'il ne fait que l'attendre, trouve dans l'espérance qui lui est donnée le sujet d'une joie continuelle; quelle doit donc être, dites-moi, la joie de celui qui attend la possession du royaume vivant et immortel et la jouissance de ces biens "que l'¦il de l'homme n'a point vus, que son oreille n'a pas entendus, que son c¦ur n'a pas compris ?" (1 Co 2, 9). C'est ce qui fait dire au prophète : "Vous avez répandu la joie dans mon c¦ur." C'est, en effet, un des plus grands traits de la Providence divine que de nous préparer dès maintenant ces biens, et d'en faire l'objet de notre espérance. Si les esprits grossiers, charnels, attachés à la terre, ne daignent pas y faire attention, c'est leur conduite insensée et non point celui qui nous a fait ces promesses, qu'il faut accuser du trouble et de l'agitation qui sont la suite de leur indifférence. Et remarquez que le roi-prophète ne dit pas simplement : Tu as fait naître la joie; mais : "Tu l'as fait naître dans mon c¦ur"; nous apprenant ainsi que la véritable joie ne vient point des biens extérieurs et visibles, ni de la multitude des esclaves, ni de l'or, ni de l'argent, ni de la richesse des vêtements, ni d'une table somptueuse, ni de la grandeur de la puissance, ni de la magnificence de ses vastes palais. Tout cela est pour le plaisir des yeux, mais ne donne point la joie du c¦ur. Aussi, combien de ceux qui possèdent ces biens regardent la vie comme insupportable, portent dans leur âme comme un foyer de peines et de découragement, épuisés qu'ils sont par la multitude de leurs soucis, et accablés sous le poids de craintes continuelles. Non, dit le roi-prophète, ce n'est pas là qu'est la source de la vraie joie, mais dans un c¦ur intelligent, dans une âme qui s'affranchit du corps pour ne penser qu'aux biens incorporels. Si les choses présentes ont pour vous tant de charmes et vous donnent l'idée de la Providence de Dieu, combien plus cette idée doit naître dans votre esprit à la pensée de ces biens futurs qui l'emportent de beaucoup en nature comme en durée sur tous les biens de la terre ! Les richesses et la prospérité dont vous jouissez vous font croire à la Providence de Dieu; mais les richesses que Dieu vous prépare dans le ciel ne doivent-elles pas rendre votre foi bien plus vive ?

Vous me direz peut-être : "Pourquoi ces biens sont-ils en espérance et ne sont-ils pas visibles à nos yeux ? Je réponds que pour nous autres fidèles, les biens qui sont l'objet de notre espérance sont plus évidents que les biens extérieurs et visibles, tant est grande la certitude de la foi. Vous me direz encore : Pourquoi ne pas recevoir dès ici-bas la récompense de nos travaux ? Parce que cette vie est le temps de la lutte et des combats, et que les couronnes et les récompenses sont le partage de la vie future. (2 Tm 4, 8). Nous devons encore ici admirer la Providence de Dieu, qui a renfermé pour nous les travaux et les fatigues dans l'espace si court de cette vie périssable, en réservant les récompenses et les couronnes pour cette vie immortelle et qui ne doit jamais finir. Cependant, lorsqu'une grande partie des hommes était encore comme dans un état d'enfance spirituelle, Dieu ne leur refusa pas les biens de la vie présente. C'est la règle qu'il a suivie à l'égard des Juifs. Il leur prodiguait les richesses, prolongeait leur vie jusqu'à la vieillesse, les garantissait de toute maladie. Ajoutez à cela la ruine de leurs ennemis, une paix profonde, des victoires, des triomphes, de nombreux enfants qui faisaient la joie du foyer domestique, tous ces biens étaient la récompense de leur fidélité au service de Dieu. Mais depuis, notre Seigneur Jésus Christ est venu nous appeler à prendre possession du ciel, nous enseigner le mépris des biens de la terre, nous inspirer l'amour des biens éternels et nous détacher des choses de la vie présente; Dieu n'a plus donné les biens terrestres en si grande abondance, parce pour les hommes devenus plus parfaits, les biens du ciel sont les véritables et les seules richesses.

Les parents suivent la même conduite à l'égard de leurs enfants. Lorsqu'ils sont encore en bas âge, ils leur donnent des choses de ce genre, des chaussures, des habits, des ornements d'or, des bracelets; mais, quand leurs enfants sont plus grands, ils remplacent ces dons par des objets d'une plus grande importance, ils cherchent à leur procurer la gloire, l'éloquence, la célébrité parmi leurs concitoyens, le crédit dans les palais des rois, les dignités, les charges, et les détournent ainsi des désirs de leur première enfance; Dieu agit de même à notre égard, Il nous détache de tous les biens misérables et puériles pour nous inspirer l'amour des biens célestes qu'Il nous a promis. Cessons donc d'admirer ces biens fugitifs et périssables, et ayons des sentiments plus élevés. Toutefois Dieu ne nous a pas entièrement privés de ses biens. La chair dont notre âme est revêtue, le corps qui lui sert de demeure lui rendent ces biens nécessaires, et Dieu nous les donne en abondance. Voilà pourquoi le prophète, après avoir décrit l'action plus noble et plus élevée de la Providence en disant : "Tu as répandu la joie dans mon c¦ur": ajoute : "Ils se sont multipliés par l'abondance de leurs fruits, de leur froment, de leur vin, de leur huile." Le roi-prophète touche à une partie importante de l'action de la Providence qui s'étend à toutes les choses visibles. En parlant du froment, du vin, de l'huile, et de l'abondance de tous ces fruits, il comprend en même temps la pluie, l'ordre régulier des saisons, la fécondité de la terre, ses enfantements productifs, la diffusion de l'air, le cours du soleil, les révolutions périodiques de la lune, le mouvement régulier des astres, la succession de l'été, de l'hiver, de l'automne, du printemps, la science de l'agriculture, le bon choix des instruments, et une foule d'autres industries qui concourent au même but. Car sans ce concours il est impossible que les fruits se forment et parviennent à leur maturité. Quand donc le roi-prophète se contente de parler du froment, du vin, de l'huile, il offre à l'esprit sage le moyen de s'élever de la partie au tout, en ouvrant devant ses yeux cette mer immense de la Providence de Dieu, dont l'action se manifeste dans toutes les choses visibles.

11. Voilà pourquoi saint Paul, dans un de ses discours où il démontre l'action de la Providence, s'exprime en ces termes : "Dieu qui dispense les pluies du ciel et les saisons favorables pour les fruits, en nous donnant la nourriture avec abondance, et remplissant nos c¦urs de joie." (Ac 14,16). Le roi-prophète ne s'arrête pas aux choses recherchées et superflues, il ne dit rien de la multitude des fruits variés, des divers genres de légumes, de graines, de plantes, de fleurs, que l'on recueille dans les jardins et les champs, ni de toutes leurs autres productions; il ne parle que de ce qui est essentiellement nécessaire à l'entretien de notre vie, et prouve par là même l'action de la Providence sur les choses qu'il passe sous silence. Or, ces aliments nécessaires, Dieu ne se contente pas de nous les donner, il nous les prodigue chaque année avec abondance. S'il paraît quelquefois se montrer moins libéral et resserrer sa Main, c'est encore par un effet de sa Providence, pour réveiller l'indifférence d'un trop grand nombre et les engager à solliciter ces biens de sa Bonté. Nous dira-t-on que ce n'est point Dieu, mais les idoles qui donnent la pluie, nous demanderons la preuve d'une telle assertion. &emdash; Parce que les poètes, répondra-t-on, représentent Jupiter comme le principe et la source de la pluie. &emdash; Mais ils nous le représentent aussi comme un adultère, comme un corrupteur de la jeunesse, comme un parricide souillé d'ailleurs de mille autres crimes non moins énormes. Ce sont des mensonges, disent-ils; est-il donc plus vrai qu'il soit l'auteur de la pluie? Si vous admettez le témoignage de vos poètes sur un point, il faut l'admettre sur un autre; si vous le rejetez dans une chose, vous devez le rejeter sur toutes les autres. Car pour nous, toutes les fois que nous produisons des témoins de la Puissance de Dieu, nous recevons leur témoignage sur toutes les choses qu'ils affirment. Il vous faut donc admettre aussi que Jupiter est un adultère, qu'il est coupable de tous les crimes dont les poètes le chargent, et vous convaincre que de semblables crimes sont incompatibles avec la Puissance divine, et que celui qui en est coupable ne peut être Dieu. Mais vos fables se démentent d'elles-mêmes, le mensonge se réfute par lui-même, en dépit de vos efforts, et détruit le témoignage de vos poètes. Or, leur témoignage une fois renversé, toutes vos inventions croulent avec la même facilité. "Ce sont vos poètes qui ont inventé les noms de vos dieux et qui les leur ont imposés, comme l'atteste un de vos philosophes.

Laisserez-vous là vos poètes pour recourir aux interprétations allégoriques. Je vous demanderai : Qu'est-ce que Jupiter? C'est, répondez-vous, une substance ignée supérieure à l'air et qu'on appelle l'éther, à cause de son état continuel de combustion et d'incandescence. Ce n'est donc point une nature raisonnable, intelligente; c'est une substance dépourvue de la faculté de penser. N'est-il pas clair pour tous que l'air n'a ni l'usage de la raison, ni la propriété de discuter? Il n'y a personne qui n'en soit convaincu, fût-il plus stupide que les êtres inanimés. Jupiter n'existe donc plus et sa prétendue substance est réduite à néant. Car, si l'air est ce que vous appelez Jupiter, et que l'air soit tel que nous l'avons défini, votre fable tombe d'elle-même. Si donc Jupiter est tout simplement l'air, il n'est le père de personne, il n'a enfanté aucune substance, telle que serait le soleil, auquel ils donnent le nom d'Apollon, et qu'ils prétendent être son fils; le soleil n'a ni raison, ni âme, ni intelligence, c'est une substance créée qui se meut et accomplit son cours suivant les lois que Dieu lui a imposées dès le commencement. D'ailleurs la pluie ne vient point de l'éther, mais des nuées, qui sont chargées ou des vapeurs aqueuses qui s'élèvent de la mer, ou des eaux qui sont dans les régions supérieures, selon le langage des prophètes. Or, si vous ne croyez pas aux prophètes, nous vous donnons des preuves évidentes et incontestables qu'ils ont été divinement inspirés et qu'ils n'ont jamais parlé d'eux-mêmes, mais sous la dictée de la Grâce divine et toute céleste de l'inspiration. Tous les événements qu'ils ont prédits, anciens ou nouveaux, ont eu leur accomplissement et leur réalisation. Toutes les prophéties qui concernaient les Juifs se sont vérifiées, et la ruine de ce peuple, en particulier, est un fait connu de toute la terre. Il en est de même des prophéties qui ont Jésus Christ pour objet dans le Nouveau Testament, ce qui prouve la divinité des nouvelles comme des anciennes Écritures. Or, si les Écritures sont divines, tout ce qu'elles nous disent de Dieu est la Vérité même. N'ayez donc aucun doute sur la Providence de Dieu, mais admirez sa Sollicitude paternelle, qui, malgré le mélange des méchants avec les bons, donne à tous indifféremment l'usage de la terre, la lumière du soleil et les pluies qui fertilisent leurs champs.

S'il permet que quelques-uns tombent dans la misère et la pauvreté, il le fait dans leur intérêt, et pour inspirer à leur âme un plus grand amour de la sagesse. Vous savez, en effet, et vous savez parfaitement que les richesses, pour ceux qui ne sont point sur leurs gardes, deviennent un instrument de corruption; tandis que la pauvreté est la mère de la sagesse : tous les jours, nous avons des preuves de ces deux vérités. Combien voyons-nous de pauvres plus prudents que les riches, plus amis de la sagesse, d'une santé même plus vigoureuse, parce que la pauvreté a été un bienfait à la fois pour leur corps et pour leur âme ! "Pour moi, je dormirai et je me reposerai dans la paix. Parce que tu m'as, Seigneur, affermi d'une manière toute singulière dans l'espérance." Voici un bienfait nouveau et une mesure signalée de la divine Providence, c'est que la paix est le partage de ceux qui sont fidèles à Dieu; "car, dit ailleurs le roi-prophète, ceux qui aiment ta loi, jouissent d'une grande paix." (Ps 118,165). Rien, en effet, ne produit plus sûrement la paix, que la connaissance de Dieu et la pratique de la vertu : elles bannissent de l'âme toutes les luttes intestines dont elle est agitée et ne souffrent point que l'homme soit en guerre avec lui-même. S'il ne jouit pas de cette paix intérieure, fût-il d'ailleurs extérieurement dans une paix profonde, à l'abri de toute invasion de l'ennemi, il est plus malheureux que tous ceux qui vivent au milieu de la guerre et des combats.

12. Non, ni les Scythes, ni les Thraces, ni les Sarmates, ni les Indiens, ni les Maures, ni les peuples les plus barbares ne font une guerre aussi acharnée qu'une pensée coupable qui se glisse dans l'intérieur de notre âme, qu'un désir déréglé, que l'amour des richesses, l'ambition du pouvoir, l'inclination violente pour les choses de la terre. Et on le comprend facilement : d'un côté, la guerre n'est qu'extérieure; de l'autre, au contraire, elle est au-dedans même de l'âme. Or, nous voyons partout que les maux qui naissent à l'intérieur, sont beaucoup plus graves et déterminent plus promptement la mort que ceux qui viennent du dehors. Ainsi le ver qui ronge l'intérieur d'un arbre le fait mourir bien plus vite. Les maladies dont le principe est intérieur altèrent bien plus gravement les forces et la santé du corps que celles qui viennent d'une cause extérieure. Ce qui perd et détruit les villes, ce sont moins les guerres étrangères que les luttes intestines des citoyens entre eux. Aussi pour l'âme, ce sont moins les attaques extérieures dont elle est l'objet, que les vices qui naissent au-dedans d'elle-même qui sont cause de sa ruine. Mais qu'un chrétien, armé de la crainte de Dieu, fasse tous ses efforts pour apaiser cette guerre, pour calmer et assoupir ses passions intérieures, et qu'il étouffe comme autant de bêtes féroces toutes les pensées mauvaises en les poursuivant jusque dans leur dernière retraite, il jouira d'une paix parfaite et profonde. C'est cette paix que Jésus Christ nous a donnée en venant au monde, cette paix que Paul souhaite aux fidèles dans toutes ses épîtres : "La Grâce et la Paix qui viennent de Dieu notre Père soient avec vous." Celui qui a cette paix en partage, ne redoute ni les barbares, ni les ennemis, il ne craint même pas le démon. Il se rit des phalanges de ses satellites; aucun homme n'a autant de joie et d'assurance; ni la pauvreté ne l'inquiète, ni la maladie ou les infirmités ne l'accablent, ni aucune de ces vicissitudes humaines qui tombent sur nous à l'improviste ne le trouble, parce que son âme pleine de santé et de force peut soutenir parfaitement et avec la plus grande facilité ces divers assauts.

Voulez-vous une preuve de cette vérité ? Voici un homme que l'envie domine, personne ne lui fait la guerre, en est-il plus heureux? Il se fait à lui-même une guerre cruelle, il aiguise ses pensées comme autant de glaives qui percent son âme, &emdash; tout ce qu'il voit lui est un écueil, il vient se heurter et se blesser contre chacun des hommes qu'il rencontre, parce qu'il n'en voit aucun d'un ¦il bienveillant, et qu'il les regarde tous comme ses ennemis. À quoi sert donc d'être en paix extérieurement, à cet homme outré de rage et de fureur, qui va de tous côtés comme l'ennemi commun du genre humain, portant dans son c¦ur ce foyer de guerre intestine, qui aimerait mieux être percé de mille traits et de mille flèches, qui souhaiterait plutôt souffrir mille morts que de voir un de ses semblables obtenir quelque gloire où jouir de quelque bonheur ? En voici un autre qui est dominé par l'amour des richesses : il fait de son âme le théâtre de guerres innombrables, de combats, de séditions, qui sont pour lui une cause permanente d'agitation et de trouble et ne lui permettent pas de respirer un seul instant. Il n'en est pas ainsi de celui qui a su s'affranchir de toutes ces passions, il vit comme dans un port tranquille, faisant ses délices de l'étude de la sagesse, sans avoir à craindre aucun de ces tourments. Voilà pourquoi le prophète célèbre ce nouveau Bienfait de la Providence à son égard: "Pour moi, disait-il, je dormirai et je me reposerai dans la paix." Il nous montre ainsi que celui à qui cette paix est refusée se voit fermé le port même qui est ouvert à tous les hommes, le port du sommeil et du repos de la nuit. Ces passions, en effet, détruisent jusqu'à la sécurité que nous donne la nature et par une tyrannie déplorable l'emportent jusque sur la puissance si grande du sommeil.

Ceux qui sont esclaves de la jalousie ou de l'envie, les avares, les ravisseurs du bien d'autrui, portent partout cette guerre avec eux, et sont toujours accompagnés de ces ennemis intérieurs; quelle que soit la voie qu'ils prennent, il leur est impossible d'éviter le combat. Jusque dans leurs demeures, jusque sur leurs lits de repos, ils ont à supporter des nuées de traits perçants, un bruit confus plus épouvantable que celui des flots qui s'entrechoquent, des meurtres, des cris, des gémissements et d'autres fléaux plus terribles que ceux qui marchent ordinairement à la suite des combats. Il n'en est point ainsi du juste; dans le jour, il goûte une joie ineffable, et, lorsque la nuit est venue, il se livre à un sommeil qui est pour lui plein de délices. Que signifie cette expression : epì tò aùtó ? C'est-à-dire en me recueillant tout entier en moi-même, sans partager mon esprit en mille soins différents, sans m'occuper des affaires de celui-ci ou de celui-là, sans faire de l'univers entier l'objet de ma sollicitude, mais en concentrant toutes mes pensées sur moi, sur ce qui peut m'être utile et donner satisfaction à mes véritables intérêts. "Parce que Tu m'as, Seigneur, affermi d'une manière toute spéciale dans l'espérance", dans l'attente des biens à venir : l'espérance que Tu m'en as donnée, suffit pour imposer silence à toutes les passions qui voudraient troubler mon âme. C'est ce que saint Paul nous enseigne lui-même quand il dit : "Le moment si court et si léger des afflictions que nous souffrons en cette vie produit en nous le poids éternel d'une gloire souveraine et incomparable; parce que nous ne considérons point les choses qui se voient, mais les choses invisibles. (1 Cor 4, 17-18). En effet, point de chose si difficile qui ne devienne d'une extrême facilité par l'espérance que Dieu nous donne de la gloire future; c'est pour cela que le Prophète dit : "Tu m'as affermi dans l'espérance". Il ajoute : "D'une manière singulière", expression qui renferme une doctrine profonde.

13. Quel est donc le sens de cette expression Katá mónav "D'une manière singulière ?" C'est-à-dire en dehors des méchants. J'ai goûté cette paix en vous, dit le Roi-Prophète, et je mène une vie retirée, complètement séparée de la société des hommes corrompus. Précaution juste et louable; car, de même que les corps périssent souvent des émanations pestilentielles répandues dans les airs, l'âme aussi trouve souvent sa peste dans le commerce et le contact des méchants. L'¦il parfaitement sain peut facilement contracter la maladie qu'il voit; ceux qui sont couverts d'une maladie contagieuse la communiquent à ceux qui ne l'ont pas : la société des hommes vicieux n'offre pas moins de dangers. Voilà pourquoi notre Seigneur Jésus Christ nous conseille non seulement de les fuir, mais même de les retrancher de notre sein. "Si votre ¦il droit vous scandalise, arrachez-le, et jetez-le loin de vous." (Mt 5,29). Ce n'est pas de l'¦il qu'il veut ici parler, quel mal peut faire l'¦il lorsque l'âme jouit d'une santé parfaite ? Notre Seigneur veut parler ici de nos amis les plus intimes qui semblent nous tenir lieu de ces membres, et qui cependant sont pour nous une occasion de ruine. Il nous commande de sacrifier leur amitié pour assurer notre propre salut. C'est ce qui fait dire au Prophète dans un des psaumes suivants : "Je ne me suis point assis dans les assemblées de vanité, et je n'entrerai point dans le conseil où siègent les méchants." (Ps. 25, 4). Le prophète Jérémie lui-même proclame bienheureux celui qui vit dans la solitude, et qui porte le joug dès sa jeunesse. (Lam 3, 27, 28). L'auteur du livre des Proverbes ne cesse en mille endroits de nous dire et de nous presser, non seulement de fuir ceux qui nous conseillent le mal, mais de nous en séparer violemment, et de n'avoir aucun commerce avec eux. Car, si une habitude vicieuse a souvent assez de force pour changer et détruire les qualités qui nous sont naturelles, combien plus triomphera-t-elle de ce qui dépend de notre volonté ? C'est de la nature que nous tenons la couleur du visage et la santé, et nous les voyons s'altérer sous l'influence de dispositions qui leur sont contraires. L'appétit vient aussi de la nature; cependant nous le perdons souvent par suite de maladies; et nous voyons tous les jours beaucoup d'autres exemples semblables. Si les choses physiques sont sujettes au changement, combien plus celles qui dépendent de notre choix volontaire !

Gardons-nous donc d'estimer que la société des méchants n'offre pas de dangers et évitons-les par-dessus tout, fussent-ils nos parents, nos amis, en un mot, quels qu'ils soient. Telle a été la cause de la perte des plus grands personnages, d'un Salomon, d'un Samson, que dis-je ? de la nation tout entière des Juifs. Les reptiles venimeux font des blessures moins profondes que les vices des hommes : ces reptiles ne cachent point le poison mortel qu'ils portent avec eux, tandis que les méchants insinuent tous les jours insensiblement et sans bruit la contagion de leurs vices, et dépouillent chaque jour la vertu d'une partie de ses forces. Voilà pourquoi Dieu nous interdit jusqu'à un regard impur : "Quiconque aura regardé une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère dans son c¦ur" (Mt 5,28); parce qu'en effet la pente vers le mal est glissante et facile. Lorsque vous voulez fixer votre séjour dans une ville, vous vous informez avec soin de la salubrité de l'air : n'est-il point malsain, le climat est-il tempéré, la chaleur n'y est-elle pas trop grande ? Mais, lorsqu'il s'agit des intérêts de votre âme, vous n'avez aucun souci des m¦urs de ceux qui doivent entrer en rapport avec elle, et vous la livrez indifféremment et comme au hasard au premier venu. Comment justifier, dites-moi, une pareille indifférence ?

D'où pensez-vous que viennent les vertus éclatantes que nous admirons dans ceux qui ont habité les déserts ? N'est-ce point parce qu'ils ont fui le tumulte et l'agitation qui règnent dans toutes les réunions des hommes, et qu'ils se sont dérobés à cette épaisse fumée qui environne toutes les affaires d'ici-bas ? Imitez-les donc, en recherchant la solitude jusqu'au milieu des villes. Comment cela peut-il se faire ? Si vous fuyez le commerce des méchants et si vous recherchez la société des bons, vous obtiendrez alors une sécurité plus grande que ceux qui habitaient les déserts, non seulement en fuyant ceux qui peuvent vous nuire, mais en fréquentant ceux qui vous seront utiles. Si vous fuyez les méchants et si vous recherchez les bons, vous verrez en même temps la vertu s'accroître et le vice diminuer. Prenons donc les moyens d'obtenir un si précieux résultat, en obéissant au psalmiste, qui dit à Dieu : "Tu m'as affermi d'une manière toute particulière dans l'espérance." Je termine ici ce discours, après avoir, ce me semble, suffisamment résolu toutes les questions que j'avais entrepris de traiter, par la Grâce de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soient gloire et puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 5

"Pour la fin, pour celle qui obtient l'héritage." (v. 1.)

Voyons d'abord quel est cet héritage, si nous y avons des droits, et le temps où nous devons en prendre possession. En effet, n'est-il pas contraire à toute raison, lorsqu'une succession nous est dévolue par un testament qui nous en assure la possession certaine, de nous voir faire mille démarches, nous donner mille peines, rechercher soigneusement les titres, consigner des sommes, recourir aux pièces, en transcrire la teneur, en un mot, déployer une activité sans bornes; tandis que nous restons froids et insensibles devant ce testament spirituel qui nous est présenté, devant ces lettres ouvertes sous nos yeux, et alors qu'il s'agit d'un héritage qui n'a rien de matériel ? Approchons-nous donc, ouvrons les titres, examinons avec soin les termes du testament, voyons pour quelles raisons cet héritage nous est dévolu, et quelle en est la nature. Car il ne nous est pas laissé purement et simplement, mais à des conditions expresses. Quelles sont ces conditions ? "Celui qui m'aime, nous dit notre Seigneur Jésus Christ, gardera mes commandements." (Jn 14,23). Et encore : " Celui qui ne porte point sa croix et ne me suit pas " (Mt 10,38); et plusieurs autres conditions qui sont mentionnées dans ce testament. Apprenons aussi le temps où nous devons entrer en possession de cet héritage : ce n'est point dans le temps présent, mais dans l'autre vie; ou plutôt c'est à la fois dans cette vie et dans l'autre : "Cherchez avant tout le royaume de Dieu et sa justice, nous dit-Il et le reste vous sera donné comme par surcroît;" (Lc 12,31); mais la pleine et entière possession de cet héritage ne nous sera donnée que dans la vie future.

Comme la vie présente est fragile et périssable et que d'ailleurs nous sommes encore loin de la perfection, Dieu fait à notre égard ce que font les législateurs de la terre, qui ne délivrent l'héritage paternel qu'à ceux qui ont atteint l'âge de leur majorité. Ainsi Dieu nous délivrera notre héritage lorsque nous serons parvenus à l'état de l'homme parfait, à la mesure de l'âge voulu, et que nous serons entrés dans cette vie sur laquelle la mort a perdu son empire. En attendant, Il a fait son testament, Il nous a laissé les Écritures où Il nous prescrit ce que nous devons faire pour entrer en possession de cet héritage, ne point perdre les titres qu'Il nous donne, et n'être point exclus de toute espèce de droit à cette glorieuse succession. Si quelques-uns, à la pensée de leur imperfections venaient à concevoir de l'inquiétude et de la défiance à l'égard des Promesses divines, qu'ils écoutent ce que leur dit l'apôtre saint Paul, parlant à la fois de la vie présente et de la vie future : "Quand j'étais enfant, je parlais en enfant, je jugeais en enfant, je raisonnais en enfant; mais, lorsque je suis devenu homme, je me suis défait de tout ce qui tenait de l'enfant." (I Cor 13,11). Et, dans un autre endroit : "Jusqu'à ce que nous arrivions à l'état de l'homme parfait, à la mesure de l'âge de la plénitude du Christ." (Ep 4,13). Dans la vie présente, nous dit saint Paul, les choses créées sont pour nous comme une nourrice qui soutient notre enfance; mais, lorsque nous entrerons dans la maison du Seigneur, nous dépouillerons les vêtements de la corruption pour revêtir l'incorruptibilité, et nous passerons à une vie d'un genre tout différent. Ce testament déshérite donc par avance un grand nombre d'hommes, ceux qui ne remplissent pas les conditions qu'Il impose aux héritiers. Considérons maintenant la nature de l'héritage "C'est ce que l'oeil n'a point vu, l'oreille n'a point entendu, et ce que le coeur de l'homme n'a jamais conçu." (1 Cor 2,9). Comment donc pourrions-nous jouir dans la vie présente de ce magnifique héritage dont la connaissance seule surpasse toutes nos pensées ? C'est pour cela que Dieu en a réservé la jouissance pour la vie future. Mais voyez jusqu'où s'étend sa tendre Sollicitude pour nous : Il circonscrit les travaux et les épreuves dans la vie présente, pour que les souffrances ne dépassent pas la durée de cette vie si courte; et Il réserve les véritables biens pour la vie future, pour que les récompenses soient égales en durée à celle même de l'éternité. Dieu donne aussi à cet héritage le nom de royaume. Ces biens qui nous attendent sont au-dessus de toute parole; cependant Dieu S'est servi d'images et de figures pour nous en donner quelqu'idée, autant qu'il nous est possible de l'avoir. Tantôt c'est un royaume, tantôt ce sont des noces, tantôt un empire; Il emprunte, ce semble, à la terre les noms les plus éclatants pour nous faciliter l'intelligence de ces biens immortels, de cette gloire éternelle, de cette béatitude sans fin, de cette vie qui nous sera commune avec Jésus Christ, et à laquelle rien ne peut être comparé.

Or, quelles sont les conditions que nous impose l'Église, ou plutôt cet héritage lui-même ? Elles sont on ne peut plus faciles à remplir. "Tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le vous-même pour eux." (Mt 7,12). Vous voyez qu'il n'exige de vous rien d'extraordinaire; ce sont les lois que la nature elle-même avait prescrites. Faites à votre prochain, vous dit-il, ce que vous voudriez qu'il vous fît à vous-mêmes. Vous aimez qu'il vous loue ? Louez-le le premier. Vous ne voulez pas qu'il vous dérobe ce qui vous appartient ? Respectez vous-même le bien des autres. Vous désirez être honoré ? Honorez les autres. Vous voulez qu'on soit miséricordieux à votre égard ? Soyez miséricordieux pour vos frères. Vous voulez qu'on vous aime ? Commencez par aimer. Vous craignez d'entendre parler mal de vous ? Ne parlez jamais mal de personne. Remarquez la justesse du langage de notre Sauveur. Il n'a point dit : Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fît; mais : "Faites ce que vous voulez qu'on vous fasse." Deux voies nous conduisent à la vertu : l'une, la fuite du mal; l'autre, la pratique des bonnes oeuvres. Le Sauveur nous propose cette dernière voie dans laquelle se trouve comprise en quelque sorte la première. Déjà notre Seigneur avait commencé à le faire entendre lorsqu'Il disait : "Ne faites point à un autre ce que vous seriez fâché qu'on vous fît." (Tob 4,16). Mais ici Il s'exprime en termes clairs et exprès : "Tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le-leur vous-mêmes."

2. Il y a encore une autre condition. Quelle est-elle ? Aimer son prochain comme soi-même. Quoi de plus facile ? Ce qui est difficile et pénible, c'est la haine, source de trouble et de dissension; mais pour aimer c'est une chose facile et douce. S'il nous avait dit à nous autres hommes : Vous aimerez les animaux, ce commandement eût offert quelque difficulté; mais c'est à des hommes qu'il ordonne d'aimer des hommes, qui sont de même substance, qui descendent d'une même famille, et que la voix de la nature, par mille raisons, nous conseille d'aimer. Où sont donc les difficultés ? Les lions comme les loups nous donnent ici l'exemple; car la conformité de nature établit entre eux une certaine liaison. Quelle sera donc notre excuse, à nous qui apprivoisons les lions, qui habitons avec eux dans nos demeures, et qui ne faisons rien pour attirer nos semblables ? N'en voyez-vous pas un grand nombre qui, pour obtenir un héritage, assiègent et obsèdent les vieillards : jeunes encore, pleins de force et de santé, ils supportent toutes les incommodités de la vieillesse, la goutte, les infirmités de l'âge, les suites des affections catarrhales, sans quitter ces vieillards d'un seul instant. Et pourquoi ? Pour des richesses, pour une espérance incertaine; tandis que pour nous, c'est le ciel, et, avant le ciel, le bonheur de plaire à Dieu.

Mais quelle est donc celle qui obtient ici l'héritage, car le titre de ce psaume porte : "Pour celle qui obtient l'héritage ?" C'est l'Église et tous les membres dont elle est composée, c'est elle dont saint Paul dit : "Je vous ai fiancés à cet unique Époux qui est Jésus Christ, pour vous présenter à Lui comme une vierge toute pure" (2 Cor 11,2); et saint Jean : "Celui qui a une épouse est époux." (Jn 3,9). L'époux, les premiers jours passés, sent diminuer la vivacité de son amour; mais notre époux nous aime continuellement et d'un amour qui s'accroît de jour en jour; c'est ce que saint Jean veut nous faire entendre en lui donnant le nom d'époux nouvellement fiancé, alors que sa tendresse est dans toute sa force. Et ce n'est pas la seule raison pour laquelle il donne à l'Église le nom d'épouse, il veut encore que tous nous ne formions qu'un corps et qu'une âme, par les sentiments d'une même vertu et d'un même amour; et que pendant tout le cours de notre vie nous imitions l'épouse qui n'a d'autre objet que de plaire à son époux. Telle que l'épouse assise le jour de son union dans sa chambre nuptiale n'a qu'une préoccupation, celle de se rendre agréable à son époux, ainsi nous-mêmes, pendant tout le cours de notre vie, n'ayons qu'une pensée, celle de plaire à notre époux et de garder fidèlement la conduite modeste et digne de l'épouse. C'est de cette épouse que David disait longtemps à l'avance : "La reine s'est tenue à ta droite, ornée d'un habit enrichi d'or, couverte de vêtements de diverses couleurs." (Ps 44,10). Voulez-vous connaître sa chaussure ? Écoutez saint Paul qui est chargé de conduire l'épouse et qui vous dit : "Que vos pieds aient une chaussure qui vous dispose à suivre l'évangile de la paix." (Ep 5,15). Voulez-vous voir aussi sa ceinture, et comme elle est tissée de la vérité : "Que la vérité, vous dit-il, soit la ceinture de vos reins. (Ibid., 5,27). Voulez-vous encore contempler sa beauté, le même apôtre vous en fait la description : "Elle n'a ni tache, ni ride." (Ibid., 5,27). Écoutez encore l'éloge qu'en fait l'auteur du Livre des Cantiques : "Tu es toute belle, ma bien-aimée, et il n'y a aucune tache en toi." (Can 4,7), Voulez-vous voir enfin ses pieds, saint Paul vous dit : "Qu'ils sont beaux les pieds de ceux qui annoncent l'évangile de paix, de ceux qui annoncent les biens !" (Rm 10,15). Et ce qui doit nous remplir d'admiration et d'étonnement, c'est qu'après avoir ainsi prodigué les ornements pour son épouse, Il n'est point venu dans tout l'éclat de sa gloire, dans la crainte de l'effrayer et de la mettre hors d'elle-même par la splendeur de sa beauté; Il est venu revêtu du même vêtement que son épouse, et Il a voulu prendre comme elle une nature composée de chair et de sang.

Il ne l'appelle pas non plus du haut du ciel, Il vient la chercher sur la terre, fidèle en cela à la coutume qui veut que l'époux vienne chercher l'épouse dans sa demeure. C'est la loi proclamée autrefois par Moïse : "C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à son épouse" (Gn 2,24), et saint Paul lui-même a dit : "Ce sacrement est grand, je le dis, en Jésus Christ et en l'Église." (Ep 5,32). Lors donc qu'il est entré dans sa demeure, et qu'il l'a trouvée couverte de mille souillures, sans vêtement et étendue dans l'impureté de son sang, (Éz 16,5-6), Il l'a purifiée, Il a répandu sur elle une huile parfumée, Il l'a nourrie de mets exquis, l'a revêtue d'habits d'une richesse incomparable. Après qu'Il S'est rendu Lui-même son vêtement, Il l'a prise et conduite dans les cieux. C'est pour elle que l'héritage est préparé. Mais que dit de cette héritière le roi-prophète ? Une multitude de choses; car il est son avocat et il a prédit et annonce d'avance un grand nombre d'événements dont elle devait être l'objet; par exemple : celui qui serait son époux, son union avec Lui, les biens dont Il devait la combler. C'est pour cela qu'il parle ici en son nom, et qu'à l'exemple des orateurs et des avocats qui avant de plaider devant les tribunaux disent le nom du client dont ils prennent la défense, il nous avertit qu'il va parler "pour celle qui reçoit l'héritage." Mais écoutons ce que demande à Dieu celle pour qui l'héritage est destiné. "Seigneur, prête l'oreille à mes paroles." Elle donne le nom de seigneur à son époux, c'est le langage d'une épouse prudente. Si l'usage suivi par ceux qui ont une même nature, est que l'épouse appelle son mari son seigneur; cet usage a bien plus sa raison d'être dans les rapports de Jésus Christ avec son Église, puisqu'Il est par nature son Seigneur et son Dieu. Elle L'appelle donc son Seigneur non seulement parce qu'Il est son époux, mais parce qu'Il est vraiment son Seigneur; elle Le prépare ainsi à écouter sa prière. L'héritage lui est destiné; mais le testament n'aura son plein effet qu'à la condition qu'elle aura parfaitement accompli les commandements qui lui sont proposés. Elle s'adresse donc à Dieu et Le prie de venir à son secours, afin qu'elle puisse observer les commandements et ne pas perdre ses droits à l'héritage céleste : "Seigneur, dit-elle, prête l'oreille à mes paroles." Sa prière est pleine de confiance, parce qu'elle demande ce que Dieu même a le plus grand désir de lui accorder; tandis que celui qui demande à Dieu des choses indignes de Lui, ne peut espérer d'être exaucé. Ainsi, prier contre ses ennemis, contre ceux qui nous ont causé quelque peine, ce n'est pas le langage d'un homme, c'est le langage du démon. Si, en effet, le jurement vient du démon, "car, dit notre Seigneur, ce qui se dit de plus que : Cela est, cela n'est pas, vient du malin." (Mt 5,37); il est évident que la prière contre les ennemis vient de la même source. Si donc vous dites à Dieu : "Seigneur, prête l'oreille à mes paroles," dites-le dans les sentiments d'un homme plein de douceur et de charité, et qui n'a rien de commun avec le démon.

"Comprends mes cris." Ces cris, ce n'est pas l'élévation de la voix, mais le sentiment du coeur. Dieu ne dit-Il pas à Moïse qui Le priait en silence : "Pourquoi cries-tu vers Moi ?" (Ex 14,15). Il ne lui dit pas : Pourquoi me pries-tu ? mais : "Pourquoi cries-tu vers Moi ? " parce que la prière de Moïse lui était inspirée par un ardent amour pour son peuple. Or, pour mieux vous convaincre qu'il ne s'agit pas ici d'un cri extérieur, mais de la disposition de l'âme, et d'un redoublement de désirs, le roi-prophète ne dit pas : Prête l'oreille à mes cris; mais : "Comprends" ou bien : Apprends quel est l'objet de mes cris. Car, bien qu'il se soit servi d'un langage humain, ce langage a une signification plus haute. "Sois attentif à la voix de ma supplication." Cette voix c'est encore une voix intérieure. C'est ainsi qu'Anne criait vers le Seigneur. (1 Rois 1,13). Remarquez encore qu'il ne dit pas simplement : "Prête l'oreille à la voix de ma prière;" mais : "Prête l'oreille à la voix de ma supplication." Celui qui prie doit, en effet, prendre l'extérieur et les sentiments d'un véritable suppliant. Un suppliant se garde bien de tenir le langage d'un accusateur; or, celui qui prie contre ses ennemis est un accusateur plutôt qu'un suppliant. Vous voyez donc qu'il ne présente sa prière que lorsqu'il l'a rendue digne d'être entendue. Ainsi lorsque nous voulons assurer le succès de notre prière, commençons par la préparer, qu'elle soit une véritable prière et non une accusation, et alors nous pourrons l'adresser à Dieu conformément aux lois qu'Il a Lui-même prescrites. "Ô mon roi et mon Dieu." C'est le nom que le prophète donne souvent à Dieu et qui était encore plus familier au patriarche Abraham. Aussi, dit saint Paul, "Dieu ne rougit pas de S'appeler leur Dieu." (Hé 11,16). L'Église donne elle-même à Dieu ce nom, et le justifie par l'ardeur de ses désirs; elle ne se contente pas de dire : "Ô roi," mais, "Ô mon roi et mon Dieu !" témoignant ainsi de l'amour qui l'anime.

Elle expose ensuite les raisons qui rendent sa prière digne d'être exaucée. Quelles sont ces raisons ? - "Car je T'adresserai ma prière, ô mon Dieu." Qui donc, me direz-vous, n'adresse pas ses prières à Dieu ? Il en est beaucoup qui paraissent prier Dieu, mais qui le font uniquement pour être vus des hommes. Ce n'est point ainsi que prie l'Église, elle s'adresse à Dieu seul, en laissant de côté toute considération humaine. "Tu entends ma voix dès le matin." Vous voyez une âme pleine d'ardeur et profondément pénétrée. C'est aux premiers rayons du jour, dit-elle, que je me livre à ce saint exercice. - Écoutez cette leçon, vous qui ne vous mettez en prière qu'après mille occupations étrangères. L'Église agit bien différemment, elle donne à Dieu les prémices de la journée. "Il faut, dit l'auteur du livre de la Sagesse, prévenir le lever du soleil pour Te bénir, et T'adorer avant le lever du jour." (Sag 16,28). Vous ne souffrez point qu'un de vos inférieurs présente avant vous ses hommages à l'empereur. Et cependant le soleil adore depuis longtemps son Créateur, et vous dormez encore; vous cédez ici la première place à la créature, et vous ne prévenez pas toute cette nature créée pour vous, et vous ne rendez pas à Dieu vos actions de grâces. Aussitôt que vous êtes sortis du lit, vous vous lavez les mains et la figure sans songer à donner à votre âme aucun des soins qu'elle exige. Ne savez-vous donc pas que la prière purifie l'âme, comme l'eau purifie le corps ? Purifiez donc votre âme avant votre corps. Le péché a couvert notre âme d'une multitude innombrable de taches, effaçons-les par la prière. Nos lèvres étant ainsi protégées, les actions de la journée reposeront sur un fondement solide et durable...

"Dès le matin, je me présenterai devant Toi et je Te contemplerai." Je me présenterai devant Toi, non en changeant de lieu, mais par mes oeuvres. C'est le seul moyen de nous approcher de Dieu. Ce n'est, en effet, que par les oeuvres qu'on s'approche ou qu'on s'éloigne de Dieu; car Dieu remplit tous les lieux de sa Présence. "Je me présenterai devant Toi et je verrai que Tu n'es pas un Dieu Ami de l'iniquité."

"Et le méchant n'habitera pas avec Toi." Le roi-prophète veut parler du culte des idoles, dans lequel les hommes se complaisaient, comme aussi dans toute sorte d'iniquités et d'actions criminelles. Ces méchants, dit-il, ne seront ni vos amis ni vos voisins. "Les insensés ne soutiendront point tes Regards." Il nous montre ici l'horreur que Dieu a pour les méchants, et il enseigne à ceux qui veulent s'approcher de Lui à se rendre d'abord semblables à Lui; car c'est à ce titre seul qu'ils peuvent s'approcher de Lui. Un homme vertueux ne peut se lier avec un homme vicieux : à combien plus forte raison Dieu repousse-t-Il le méchant de sa présence ? Voulez-vous vous convaincre que les méchants ne peuvent avoir de liaison avec les hommes vertueux, écoutez la manière dont il parle de l'homme juste :"Sa vue seule nous est insupportable." (Sag 2,15). C'est ainsi que Jean le Baptiste, alors même qu'il était dans les fers, loin de tous les regards, était à charge à Hérodiade, bien qu'elle en fût elle-même si éloignée. C'est ainsi qu'après sa mort il était encore un sujet d'effroi pour la conscience du roi Hérode. Qu'aucun donc de ceux qui pratiquent la vertu ne regarde comme un malheur d'être en butte aux complots des méchants. Les vrais malheureux sont ceux qui commettent le mal.

"Tu haïs tous ceux qui commettent l'iniquité, Tu perds tous ceux qui profèrent le mensonge. Le Seigneur abhorre l'homme sanguinaire et trompeur." Ces paroles, dans l'intention du prophète, sont pour nous une leçon continuelle qui nous enseigne la nécessité de conformer notre vie à celle de l'Époux, pour nous rendre dignes de nous approcher de lui. Sans cela nous serons privés du secours d'en-haut, et c'est le plus grand malheur qui puisse nous arriver.

"Tu hais tous ceux qui commettent l'iniquité. " Tous, esclaves, hommes libres, rois, ou tout autre, quel qu'il soit. Ce n'est point la dignité, mais la vertu que Dieu pèse quand il veut choisir ses amis. Comme certains esprits ignorants estiment que cette Haine de Dieu est peu de chose, écoutez comme il leur inspire la crainte du châtiment. "Tu perds tous ceux qui profèrent le mensonge." Il s'adresse ici à la partie sensible et matérielle dans les pécheurs. Le châtiment, leur dit-il, ne s'arrêtera pas à cette Haine de Dieu, bien que ce fût déjà un supplice indicible; Il détruira tous ceux qui profèrent le mensonge. Un supplice insupportable et plus cruel mille fois que l'enfer, c'est d'être l'objet de la Haine de Dieu; mais il n'en parle que pour ceux qui sont capables de comprendre ce châtiment; pour les esprits plus grossiers il ajoute : "Tu perds ceux qui profèrent le mensonge." Ne vous laissez donc aller ni au trouble, ni à l'inquiétude, lorsque vous voyez les artisans de mensonge, les voleurs, ceux qui s'emparent des biens d'autrui, n'éprouver cependant aucun mal. Le châtiment ne peut manquer de les atteindre; car telle est la Nature de Dieu, Il détourne ses Regards de l'iniquité, elle est pour Lui un objet de haine et d'horreur. Ceux qui profèrent le mensonge, sont ici ceux qui vivent dans le crime, ceux qui poursuivent des choses vaines et mensongères et qui sont plongés dans la volupté, dans les plaisirs de la table, dans l'amour des richesses, toutes choses que le roi-prophète a coutume de désigner sous le nom de mensonge. "Dieu abhorre l'homme sanguinaire et trompeur", c'est-à-dire l'homme qui se plaît dans le meurtre, qui ourdit en secret des trames perfides, qui parle autrement qu'il ne pense, qui, sous les dehors de la douceur, cache les instincts et la férocité des loups. Se peut-il rien de plus dangereux ?

On peut se mettre en garde contre un ennemi déclaré; mais on ne peut se défendre contre celui qui cache sa méchanceté sous le voile d'une profonde dissimulation, et qui produit ainsi des maux innombrables. Aussi notre Seigneur nous recommande-t-Il une grande vigilance quand les hommes s'approchent de nous. "Ils viennent à vous, nous dit-Il, sous des vêtements de brebis, et ils sont au dedans des loups ravissants." (Mt 8,15).

"Pour moi, grâce à ta Miséricorde, j'entrerai dans ta demeure. " C'était au milieu de tels hommes que l'Église avait été choisie, parmi les gentils, les magiciens, les homicides, les auteurs de sortilèges, les artisans de mensonge et les imposteurs, et c'est d'eux qu'elle avait dit : Ils sont pour Toi, ô mon Dieu, un objet de haine et d'horreur; elle nous apprend ici que ce n'est ni à sa justice ni à ses bonnes oeuvres, mais à la Miséricorde divine, qu'elle doit d'avoir été délivrée du milieu de ces hommes de crime, et introduite dans le sanctuaire de Dieu. "Pour moi, grâce à ton infinie Miséricorde, j'entrerai dans ta demeure." Elle prévient l'objection qu'on pouvait lui faire : Comment après vous être vous-même rendue coupable de pareils crimes, avez-vous pu être sauvée ? Et elle nous apprend à qui elle est redevable de son salut. C'est grâce à sa grande Miséricorde nous dit-elle, et à sa Bonté ineffable que j'ai été sauvée. Mais il en est qui, atteints, comme les Juifs, d'une maladie incurable, ne veulent pas entendre parler de miséricorde. Cependant la grâce et la miséricorde, bien que comme telles, soient des dons purement gratuits, ne peuvent sauver que ceux qui le veulent et qui consentent à recevoir en eux la grâce, et non ceux qui résistent audacieusement, et rejettent le don qui leur est offert. C'est ce qu'ont fait les Juifs, dont saint Paul a dit : "Ne connaissant pas la Justice de Dieu, et s'efforçant d'établir leur propre justice, ils ne sont point soumis à la Justice de Dieu." (Rm 10,3). Après avoir dit ce que Dieu a fait pour elle, elle nous apprend ce qu'elle a fait elle-même. "Je T'adorerai avec crainte dans ton saint temple." Après la grâce que j'ai reçue, dit-elle, je Te présenterai l'expression de ma reconnaissance, je T'offrirai ce sacrifice : "Je T'adorerai avec crainte dans ton saint temple." Je n'imiterai pas la conduite d'un grand nombre qui dans la prière affectent des manières inconvenantes, donnent des signes d'ennui, et sont comme atteints d'engourdissement; pour moi, je Te prierai avec crainte et avec tremblement. Celui qui prie de la sorte, se dépouille de tous les vices, s'élève à la pratique de toutes les vertus, et se rend digne de la Miséricorde de Dieu.

"Seigneur, conduis-moi dans ta Justice, à cause de tes ennemis." L'Église a chanté les Louanges de Dieu, proclamé sa Haine pour les méchants, sa Bonté, sa Miséricorde, le salut dont elle a été l'objet, la manière dont Dieu l'a sauvée. Elle nous a fait connaître ensuite comment elle a répondu à cette grâce : elle s'est détournée du mal, elle s'est efforcée de porter les hommes à la vertu, elle a donné à ceux qui vivent dans le crime la double espérance de pouvoir obtenir miséricorde, s'ils veulent se convertir; elle termine en adressant à Dieu cette prière : "Seigneur, conduis-moi dans ta Justice." C'est ainsi qu'elle nous enseigne à offrir d'abord nos louanges à Dieu, à Lui rendre grâces pour ses Bienfaits, à Lui adresser ensuite nos prières, et à Le remercier de nouveau de ses Bienfaits. Mais considérons l'objet de sa prière : Demande-t-elle les choses de cette vie, des biens fragiles, périssables et inutiles ? Sollicite-t-elle des richesses, de la gloire, de la puissance ? Demande-t-elle vengeance contre ses ennemis ? Non, aucune de ces choses. Que demande-t-elle donc ? "Seigneur, conduis-moi dans ta Justice, à cause de tes ennemis." Voyez comme elle se garde de demander aucune faveur passagère et comme elle implore le secours d'en-haut, secours nécessaire surtout à ceux qui entrent dans la voie de la justice. La justice doit s'entendre ici de la réunion de toutes les vertus. Ce n'est pas sans dessein qu'elle dit : "Dans ta Justice. " Car il y a la justice des hommes, qui consiste dans l'observation des lois humaines. Mais que cette justice est peu de chose ! Elle est pleine d'imperfections et de défectuosités, et n'est déterminée que par la pensée même des hommes. Pour moi, je demande ta Justice, celle que Tu as apportée sur la terre, et qui nous conduit au ciel, et je demande le secours qui m'est nécessaire pour obtenir cette justice.

Remarquez encore le choix admirable de cette expression : "Conduis-moi." La vie présente, en effet, est comme le chemin où il faut que Dieu nous conduise par la main. Si, lorsque nous entrons dans une ville, nous avons besoin d'un guide pour nous conduire, combien plus, dans le voyage que nous entreprenons pour arriver au ciel, le secours d'en-haut nous est-il nécessaire pour nous montrer la voie, affermir nos pas, et nous conduire comme par la main. Il y a tant de sentiers qui s'écartent de la voie; tenons donc fermement la Main de Dieu. "À cause de tes ennemis." Bien des ennemis, dit-elle, conspirent contre moi, ils veulent égarer mes pas, me tromper et me détourner de la véritable voie. Puisque je suis exposée à tant de pièges, à tant d'attaques imprévues, conduis-moi Toi-même, ton Secours m'est nécessaire. - C'est à Dieu, en effet, qu'il appartient de nous montrer la voie; mais c'est à nous de nous rendre dignes d'être conduits par la Main divine. Si votre âme n'est pas pure, si elle est esclave de l'avarice ou de quelqu'autre vice qui est pour elle une souillure, la Main de Dieu ne peut vous conduire. "Rends droite ma voie devant tes Yeux", c'est-à-dire, fais qu'elle soit pour moi une voie claire, sans détours, bien connue, fais qu'elle soit pour moi une voie droite. Un autre interprète traduit ainsi : "Aplanis devant moi ta voie;" c'est-à-dire rends-la facile et parfaitement aplanie devant moi.

"Car la vérité n'est point sur leurs lèvres, leur coeur est rempli de vanité." Le roi-prophète veut parler ici, ce me semble, de ceux qui sont plongés dans l'erreur et dont la bouche et le coeur sont également coupables, de ceux qui passent leur vie dans le crime.

"Leur bouche est un sépulcre ouvert." Il désigne ici les hommes de sang ou ceux qui répandent des opinions qui portent avec elles la corruption et la mort. On ne se trompera point en disant que la bouche de ceux qui profèrent des paroles obscènes est comme un sépulcre ouvert; car l'odeur qui s'exhale d'une âme corrompue est bien plus funeste que les émanations d'un sépulcre ouvert. Telle est encore la bouche des avares, qui ne parlent jamais que de meurtres et de rapines.

Que votre bouche ne soit donc jamais un sépulcre, mais bien plutôt un trésor. Les trésors sont bien différents des sépulcres : les sépulcres corrompent, les trésors conservent le dépôt qui leur est confie. Ayez donc dans votre trésor, non pas un foyer de mauvaise odeur et d'infection, mais les richesses vraies et durables de l'amour de la sagesse. Et il ne se borne pas à dire : "Leur bouche est un sépulcre" mais : "Un sépulcre ouvert" pour nous faire comprendre l'infection bien plus grande qui s'en échappe. Ils auraient dû bien plutôt cacher ces paroles, au lieu de les produire au dehors et de dévoiler tout le mal qui les ronge. À l'égard des cadavres, nous faisons tout le contraire, nous nous empressons de les confier à la terre; mais pour eux, au lieu de cacher et d'étouffer au fond de leur coeur de semblables paroles, ils les profèrent en public, ils les étalent aux yeux de tous, sans crainte de choquer les regards. Chassons donc loin de nous, je vous en prie, les auteurs de ces discours. Nous prenons soin d'ensevelir les cadavres hors de l'enceinte des villes; combien plus devons-nous éloigner soigneusement de nous ceux qui osent proférer des paroles de mort, sans vouloir ni les couvrir ni les dissimuler, car de telles bouches sont la perte commune de toute une ville. "Ils se sont servis de leur langue pour tromper avec adresse." Vous voyez un autre genre d'iniquité : les uns cachent et dissimulent au fond de leur coeur leurs projets artificieux, et n'ont à la bouche que de douces paroles; d'autres sont tellement habiles que leurs paroles mêmes servent souvent de voile à leur méchanceté, et que c'est à l'abri de leurs discours qu'ils ourdissent leurs trames pernicieuses. "Juge-les, ô mon Dieu, fais échouer leurs desseins." Voyez quelle douceur respire cette prière. Il ne dit pas à Dieu : Punis-les; mais : "Juge-les", mets un terme à leur iniquité et anéantis leurs desseins. Cette prière est faite même dans leur intérêt et pour les empêcher d'enfoncer plus avant dans la voie du crime. "Pour prix de leurs nombreuses prévarications, rejette-les, parce qu'ils T'ont irrité, Seigneur." C'est-à-dire : Je ne suis point sensible au mal qu'ils m'ont fait, mais je m'afflige des coups qu'ils dirigent contre Toi. Voici, en effet, un des premiers caractères d'une âme véritablement sage, c'est de ne point chercher à tirer vengeance de ses propres injures et de se montrer pleine de zèle pour les outrages dirigés contre Dieu. Telle est, au contraire, la conduite d'un grand nombre : ils sont insensibles aux intérêts de la Gloire de Dieu outragée, mais ils poursuivent avec une ardeur sans égale la réparation des injures qui leur sont faites. Ce n'est point ainsi qu'agissaient les saints; ils prenaient en main avec un zèle ardent la cause de Dieu contre ses ennemis, et ne songeaient même pas à venger leurs propres injures.

"Mais qu'ils se réjouissent, tous ceux qui espèrent en Toi." Voilà le fruit de la prière : ceux-ci deviendront meilleurs et s'abstiendront désormais du mal; ceux-là éprouveront une joie indicible en voyant cet admirable changement, cette conversion du mal au bien; d'autres puiseront dans cet exemple le principe d'une perfection plus grande. "Ils seront éternellement remplis de joie, et Tu habiteras en eux. Le roi-prophète veut parler des joies de l'éternité; car les autres joies n'ont pas plus de stabilité que les eaux courantes des fleuves, qui s'écoulent au moment même où elles passent sous nos yeux. Pour la joie dont Dieu est l'auteur, elle est durable, elle a de profondes racines, elle comble les désirs de notre coeur, elle est invariable, elle est à l'abri de toutes les vicissitudes de la terre, et les difficultés et les obstacles mêmes lui donnent un nouveau degré de perfection. Ainsi voyons-nous les apôtres se réjouir d'avoir été frappés de verges, Paul tressaillir d'allégresse au milieu de ses tribulations, et, sur le point de mourir, dire à ceux qui partageaient sa joie : "Quand même je serais immolé sur le sacrifice et l'oblation de votre foi, je m'en réjouirais et m'en féliciterais avec vous tous. Réjouissez-vous donc vous-mêmes et félicitez-moi." (Phi 2,17-18). Dieu habite avec ceux dont le coeur est plein de cette joie sainte. C'est pour cela que l'Église par la bouche du prophète dit : "Ils seront éternellement remplis de joie, et Tu habiteras en eux." Jésus Christ nous confirme Lui-même cette vérité, en nous apprenant que cette joie n'aura point de fin : "Je vous verrai de nouveau, et personne ne vous ravira votre joie." (Jn 16,22). Et saint Paul nous dit de son côté : "Soyez toujours dans la joie, priez sans cesse." (I Th 5,16-17). "Et tous ceux qui aiment ton Nom se glorifieront en Toi." Voilà les seules choses dans lesquelles nous pouvons mettre notre joie, notre gloire, notre allégresse. Mais, pour celui qui se glorifie dans les choses de la terre, il est semblable en tout à ceux qui goûtent la joie fugitive d'un vain songe.

Dites-moi, en effet, qu'y a-t-il dans les choses humaines dont on puisse légitimement se glorifier. La force du corps ? Mais cette force ne dépend pas de notre choix, et nous n'avons aucun motif d'en tirer gloire. D'ailleurs, nous la voyons s'affaiblir et se perdre bien vite, souvent même elle tourne à la ruine de celui qui la possède, s'il n'en fait pas un bon usage. Nous pouvons dire la même chose de la jeunesse, de la beauté, de la puissance, des plaisirs, en un mot de tous les biens de la vie présente. Mais se glorifier en Dieu et dans l'amour qu'on a pour lui, voilà un couronnement incomparable, une gloire qui surpasse l'éclat des plus riches diadèmes, quand même celui qui se glorifie de la sorte serait dans les fers. Cette gloire ne craint ni la maladie, ni la vieillesse, ni la vicissitude des choses humaines, ni les changements de temps; elle est à l'épreuve même de la mort, et c'est alors qu'elle brille d'un plus vif éclat.

13. "Parce que Tu répands ta Bénédiction sur le juste." Comme des dispositions si parfaites exposent aux railleries et à la dérision du monde, ceux surtout qui pratiquent la vertu, le roi-prophète prévient le découragement qui pourrait naître dans des âmes encore faibles et inexpérimentées, en relevant et en justifiant leurs sentiments. "Tu répands, dit-il, ta Bénédiction sur le juste. " Quel mal, en effet, peut faire le mépris des hommes et de la terre tout entière, à celui qui est jugé digne des applaudissements et des éloges du Maître des anges ? Et quel fruit, au contraire, lui reviendrait des applaudissements de tous ceux qui habitent la terre et les mers, si Dieu refuse d'y joindre ses propres Louanges? Faisons donc tous nos efforts pour mériter d'être loués de la bouche même de notre Dieu, d'être couronnés de sa Main. Si nous avons ce bonheur, nous dominerons tous les hommes, fussions-nous d'ailleurs pauvres, malades, plongés dans un abîme de maux. Voyez le saint homme Job assis sur un fumier, épuisé par le sang corrompu qui coulait de ses ulcères, par la quantité innombrable de vers qui fourmillaient dans ses plaies. Joignez à cela des épreuves non moins cruelles, le mépris et l'horreur qu'il inspirait à ses serviteurs, à ses amis, à ses ennemis, les pièges que lui tend sa femme, la pauvreté, la misère, cette maladie affreuse et incurable dont il est frappé; et cependant il est le plus heureux des hommes.

Pourquoi ? Parce qu'il était béni de Dieu, qui avait dit de lui : "C'est un homme irréprochable, juste, vrai, craignant Dieu, et fuyant le mal." (Job 1,8). " Seigneur, Tu nous as couverts de ta Bienveillance comme d'un bouclier. " Le roi-prophète termine sa prière par l'action de grâces, en offrant à Dieu l'hymne de la reconnaissance. Or qu'est-ce que le bouclier de la Bienveillance divine ? C'est un bouclier à toute épreuve, un bouclier selon la Volonté de Dieu, une armure à laquelle rien n'est comparable; expression figurée qui veut dire : Tu nous as couverts de ton invincible Protection. Selon un autre interprète, il faut lire : "Tu le couronneras", indubitablement le juste, auquel il applique ces paroles. "Tu couronneras le juste; " c'est-à-dire que ta Bienveillance, ton Amour, seront pour lui des armes qui le rendront invulnérable. Ou bien encore : Tu entoures le juste d'un secours si puissant que sa gloire est pleine d'assurance, comme sa sécurité est toute brillante de gloire. Car que peut-on concevoir de plus fort et en même temps de plus glorieux qu'un homme qui est protégé par la Main du Très-Haut ? Cette couronne est tressée par la miséricorde, comme David le dit ailleurs : "C'est Lui qui vous couronne de miséricorde et d'amour." (Ps 102,4). Elle est aussi préparée par la justice, comme le dit saint Paul : "Il ne me reste qu'à attendre la couronne de justice qui m'est réservée." (2 Tm 4,8). C'est encore une couronne de grâce : "Il vous couvrira d'une couronne de grâces", dit l'auteur des Proverbes. (Pro 4,9). C'est aussi une couronne de gloire, selon ces paroles d'Isaïe : "En ce jour-là, le Seigneur des armées sera une couronne d'espérance et de gloire pour son peuple." (Is 28,4). Cette couronne est donc un admirable composé de bonté, de justice, de grâce, de gloire et de beauté; car elle est un Don de Dieu qui produit toutes ces grâces si variées. C'est enfin une couronne incorruptible, au témoignage de saint Paul : "Ils ne se proposent de gagner qu'une couronne corruptible, au lieu que nous en attendons une incorruptible." (I Cor 9,25). Tel est donc le sens de ces paroles : "Tu nous as couronnés d'une gloire" certaine et assurée; car le caractère des Dons de Dieu, ce qui distingue ses couronnes, c'est la force, c'est la gloire.

Il n'en est pas ainsi parmi les hommes : celui-ci est environné de gloire, mais sans jouir d'une entière assurance; celui-là vit en pleine sécurité, mais sans beaucoup de gloire : ces deux choses se trouvent difficilement réunies, et, si parfois on les voit ensemble dans un même sujet, cette union est de courte durée. Ainsi ceux qui sont au faîte des honneurs et de la puissance sont environnés de gloire et d'éclat; mais ils sont loin d'être en sûreté, et le terrain sur lequel ils marchent est d'autant plus glissant et dangereux que leur gloire est plus éclatante. Au contraire, les hommes d'une condition obscure et méprisée doivent à leur obscurité même la sécurité et le calme dont ils jouissent; mais leur vie est sans gloire, et c'est justement cette vie sans éclat qui fait leur sécurité. En Dieu, c'est tout l'opposé que vous voyez : Il sait réunir au suprême degré dans une même personne la gloire et la sécurité. Considérant donc la grandeur des biens qui nous sont proposés, et par-dessus tout le précieux avantage pour nous d'être agréables à Dieu, puisque c'est à la fois une armure invincible, la gloire, la sécurité, la réunion de tous les biens, courons par la patience dans la carrière qui nous est ouverte, ne perdons jamais courage et ne nous laissons point dépouiller de nos armes. Ce genre de combat ne souffre point que le soldat soit désarmé, on ne lui permet de quitter son armure que lorsque le combat est terminé, et le combat ne se termine qu'à la séparation de l'âme avec le corps. Il nous faut donc combattre pendant toute la durée de cette vie, dans l'intérieur de nos maisons, lorsque nous nous rendons aux assemblées, pendant nos repas, dans la maladie comme dans la santé.

Le temps de la maladie est surtout le temps favorable pour ce combat, lorsque les douleurs répandent le trouble dans notre âme, qu'elle est assiégée par la tristesse, et que le démon est là qui nous excite à dire quelque parole d'amertume. C'est alors surtout qu'il faut nous mettre en garde, nous couvrir de la cuirasse du bouclier, du casque et de toutes les autres armes, et rendre à Dieu de continuelles actions de grâces. C'est alors que nous lancerons contre le démon des traits perçants, que nous lui porterons des coups mortels, et que nous obtiendrons de brillantes couronnes. En effet, ce qui a environné le saint homme Job d'une gloire aussi éclatante (car pourquoi ne pas invoquer de nouveau son exemple ?), ce qui l'a rendu digne des plus grands éloges, ce qui lui a mérité une si belle couronne, c'est qu'au milieu des épreuves successives de la tentation, de la maladie, de la pauvreté, son âme demeura ferme et immuable, son esprit inébranlable, et qu'il offrit à Dieu des paroles de reconnaissance et d'actions de grâces qui furent à ses yeux un véritable sacrifice spirituel : "Le Seigneur m'a tout donné, le Seigneur m'a tout ôté, il n'est arrivé que ce qu'il Lui a plu; que le Nom du Seigneur soit béni." (Job 1,21). Imitons nous-mêmes cet exemple : dans les tentations, dans les épreuves, dans les persécutions, rendons gloire à Dieu et ne cessons de Le bénir, parce que la gloire Lui est due dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 6

"Seigneur, ne me reprends pas dans ta Fureur; et ne me châtie pas dans ta Colère." (v. 2).

Lorsque vous entendez parler de la Fureur et de la Colère de Dieu, ne soupçonnez en Lui aucune des passions propres à la nature humaine; Il emploie ces expressions pour condescendre à notre faiblesse; mais Dieu est affranchi de toutes ces passions, et, s'il parle de la sorte, c'est pour se faire comprendre des intelligences moins développées. Nous aussi, quand nous conversons avec les barbares, nous employons leur langage; si nous parlons avec un enfant, nous balbutions comme lui; quelle que soit d'ailleurs notre science, nous nous rabaissons jusqu'à imiter son langage enfantin. Et qu'y a-t-il d'étonnant que nous imitions son langage? Nous imitons même ses manières, nous nous mordons les mains, nous simulons la colère, pour le corriger plus sûrement. C'est dans le même dessein et pour impressionner les esprits plus pesants, que Dieu se sert de ces paroles, cherchant beaucoup moins à conformer son Langage à sa Dignité, qu'à notre propre utilité. Il nous apprend clairement, en effet, dans les saintes Écritures, qu'Il n'est point sujet à la colère : "Est-ce Moi qu'ils irritent, dit le Seigneur, n'est-ce pas bien plutôt eux-mêmes ?" (Jr 7,19). Mais comment voudriez-vous que Dieu ait pu discuter avec les Juifs ? Pouvait-Il leur dire qu'Il n'éprouve ni colère, ni haine pour les méchants, car la haine est une passion qui trouble l'âme; qu'il ne voit pas les choses humaines ? Car voir est une des propriétés du corps; qu'Il n'entend pas, car c'est là encore un acte particulier aux êtres corporels ? De là eût découlé cette erreur pernicieuse que le monde n'est pas gouverné par une providence divine. En refusant d'attribuer à Dieu ces sentiments et ces actions, on exposait un grand nombre d'hommes à ignorer même son Existence; ignorance qui eût été la ruine de toutes les autres vérités; tandis que, ce dogme une fois admis, il était facile de redresser cette opinion. Celui qui est convaincu de l'Existence de Dieu, bien qu'il ne s'en forme pas encore une idée assez digne, et qu'il mêle à cette idée quelques images grossières, finira avec le temps, par se persuader que Dieu est étranger aux affections qu'il Lui prête. Mais celui qui ne croit point à l'Existence de la Providence, qui est persuadé qu'elle ne s'occupe ni du gouvernement, ni de l'existence des créatures, que gagnera-t-il d'entendre dire que Dieu est inaccessible aux sentiments qu'on Lui attribue ?

Aussi, le prophète, après leur avoir d'abord parlé de Dieu, après les avoir bien convaincus de son Existence, épure insensiblement leurs idées, en les élevant à des considérations plus sublimes sur la Nature divine et leur fait voir que Dieu est étranger aux passions qui sont le propre de la nature humaine. "En effet, dit un autre prophète, Dieu n'est accessible ni à la faim, ni à la fatigue." (Is 40,28). Le même prophète qui l'avait représenté comme sujet à la colère, nous déclare maintenant qu'Il y est inaccessible : "Est-ce Moi qu'ils irritent, dit le Seigneur, n'est-ce pas plutôt eux-mêmes ?" (Jr 7,19). Celui qui nous l'avait montré résidant au milieu de son temple, nous dit maintenant en son Nom : "Il n'y a point de saint en toi, et je n'entrerai pas dans la ville." (Os 11,9). C'est-à-dire : Je ne puis être renferme dans aucune limite. Il ne parcourt point toutes les autres passions; il laisse à conclure à un esprit intelligent que si Dieu est affranchi de ces passions impérieuses qui sont comme essentielles à la vie, à plus forte raison est-il inaccessible aux autres. C'est dans ce sens que le prophète dit encore : "Seras-Tu comme un homme endormi." (Jr 14,9). Partout il revient sur l'impassibilité de la Nature divine. Donc, lorsque vous entendez parler de fureur, ne croyez point que ce soit en Dieu une passion. Les hommes qui veulent devenir de véritables sages, se rendent, autant qu'il est en eux, inaccessibles à tout mouvement de colère; combien plus Dieu, cette Nature immortelle, incorruptible, qui est au-dessus de toute parole comme de toute pensée ! Ne voyez-vous pas aussi que les médecins, lorsqu'ils appliquent sur une blessure le fer ou le feu, n'agissent point par un sentiment de colère, mais dans le but de procurer la guérison ? Ils ne se fâchent point contre les l'autres malades, ils les prennent en pitié, et cherchent à les délivrer de leur maladie. Ces paroles du roi-prophète : "Ne me reprends pas dans ta Fureur," reviennent à celles-ci : "Ne demande pas justice de mes péchés, et ne tire point vengeance de mes iniquités. "Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je suis languissant." Nous avons tous besoin de faire à Dieu cette prière, quelle que soit la multitude de nos bonnes oeuvres, et alors même que nous serions parvenus à une perfection éminente. Aussi le prophète dit-il dans un autre psaume : "Nul homme vivant ne sera justifié en ta présence." (Ps 142,2); et encore : "Si Tu examine toutes nos iniquités, qui pourra, grand Dieu, subsister ? (Ps 129,3). Saint Paul dit, de son côté : "Ma conscience ne me reproche rien, mais je ne suis pas justifié pour cela" (1 Cor 4,4); et l'auteur du livre des Proverbes : "Qui peut se glorifier d'avoir le coeur pur ? ou qui peut assurer qu'il est exempt de péché ?" (Pro 20,9).

Nous avons donc tous besoin de miséricorde, mais nous n'en sommes pas tous dignes; bien que ce soit la miséricorde, elle cherche un sujet digne, comme Dieu le disait à Moïse : "Je ferai grâce à qui Je voudrai, et miséricorde à qui Il me plaira." (Ex 23,9). Celui donc, qui se rend digne de la miséricorde, peut dire à Dieu : "Aie pitié de moi", mais celui qui se met en dehors de la miséricorde, fera inutilement à Dieu cette prière : "Aie pitié de moi." En effet, si la miséricorde devait s'étendre sur tous les hommes, il n'y en aurait aucun de puni. Elle agit avec un certain discernement, elle cherche celui qui est à la fois digne d'elle et disposé à la recevoir.

2. Il en est donc un grand nombre qui sont souvent retombés dans les mêmes péchés, et qui cependant n'ont pas été punis des mêmes châtiments, puisque les causes qui avaient déterminé leurs crimes n'étaient pas les mêmes. Si vous le voulez, arrêtons-nous à cette pensée. Ainsi, par exemple, tous les Juifs se sont rendus coupables du crime d'idolâtrie; mais tous n'ont pas été punis d'un châtiment égal : les uns ont été perdus sans retour, les autres ont obtenu pardon. Dans les péchés, en effet, ce n'est pas seulement la nature de la faute qui est commise qu'il faut envisager, mais l'intention, mais la circonstance, mais le motif, enfin ce qui a suivi le péché, si les uns y ont persévéré, si les autres s'en sont repentis, et encore s'ils y ont persévéré par surprise, par séduction ou de propos délibéré. Beaucoup d'autres circonstances doivent attirer l'attention : la différence du temps, et l'état du peuple juif. Ainsi les hommes ont péché sous l'Ancien Testament, ils pèchent aussi sous le Nouveau; mais le châtiment n'a pas été égal, il est beaucoup plus sévère pour les derniers. C'est cette vérité que saint Paul nous enseigne en ces termes : "Celui qui a violé la loi de Moïse, est condamné à mort sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins. Songez donc combien mérite de plus grands supplices, celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, et qui aura profané le sang de l'alliance." (Hé 10,28-29). Ces paroles : "Combien mérite de plus grands supplices" annoncent un châtiment beaucoup plus rigoureux. De même encore, les hommes ont péché avant la loi, et ils ont péché sous la loi, et les premiers ont été punis beaucoup moins sévèrement que les seconds; comme saint Paul nous l'apprend : "Tous ceux qui ont péché sans la loi périront sans la loi." (Rm 2,2). Cette expression : "sans la loi" signifie que le châtiment sera non pas plus sévère, mais beaucoup plus doux : "Et tous ceux qui ont péché étant sous la loi, seront jugés par la loi." (Rm 2,12). Pourquoi cette différence ? Parce que les premiers n'ont que la nature pour accusatrice, tandis que les autres, avec la nature ont encore la loi, et leur punition sera d'autant plus rigoureuse que la connaissance qu'ils ont eue de la Volonté de Dieu a été plus parfaite.

La position plus élevée des personnes établit encore la même différence, comme on peut le voir pour les sacrifices qui sont offerts. Pour le péché du peuple tout entier, on offrait le même sacrifice que pour le péché d'un seul prêtre, preuve évidente que la grandeur du châtiment sera proportionnée à la grandeur de la dignité. C'est pour la même raison que la femme qui s'était rendue coupable de simple fornication était mise à mort, tandis que pour le même crime, la fille d'un prêtre était brûlée vive. La diminution ou la grandeur du châtiment se mesurent encore sur la considération des peines qu'endurent certains pécheurs ici-bas et de la vie de plaisir à laquelle d'autres se livrent. Ces derniers auront beaucoup plus à souffrir dans l'autre vie, et les autres beaucoup moins, si même leur expiation n'est entièrement achevée. C'est ce que Jésus Christ veut nous apprendre, lorsqu'Il fait dire au mauvais riche par Abraham : "Tu as reçu les biens en cette vie, et Lazare les maux; or maintenant, celui-ci est consolé, et toi, tu souffres." (Lc 16,29). Le mauvais riche avait comme renvoyé à l'autre vie le châtiment qu'il méritait, et c'est pour cela que son supplice fut beaucoup plus rigoureux; d'autres, au contraire, en souffrent une partie ici-bas, et allègent d'autant les peines expiatoires de l'autre vie. La différence du châtiment se mesure encore sur la connaissance plus grande ou sur la simplicité de celui qui pèche, comme nous le voyons dans ces paroles du Sauveur : "Le serviteur qui a connu la volonté de son maître et qui ne l'a point exécutée, sera frappé de plusieurs coups; mais celui qui ne l'aura point accomplie parce qu'il ne la connaissait pas, recevra moins de coups." (Lc 12,47-48). Beaucoup d'autres raisons déterminent encore les divers degrés de punition, comme aussi la mesure différente de la Miséricorde et de la Bonté de Dieu.

Voyez-en un exemple dans le premier homme : Eve a péché, Adam a péché aussi, et leur faute était la même, puisque tous deux avaient mangé du fruit défendu; mais leur punition ne fut pas égale. Caïn s'est rendu coupable de meurtre aussi bien que Lamech; Caïn a été puni et Lamech a trouvé miséricorde. Un homme qui avait ramassé du bois le jour du sabbat, fut lapidé sans pitié. (Nom 5,32 et ss). David se rend coupable du double crime d'homicide et d'adultère, et il en obtient le pardon. Livrons nous donc tout entiers à ces saintes recherches; il vaut beaucoup mieux nourrir notre esprit de ces sérieuses considérations que de le dissiper dans les frivolités et les vains discours de la place publique : non seulement l'intelligence de ces mystères est pour nous un véritable trésor, mais l'étude toute seule en est profitable, quand même nous n'arriverons pas à les comprendre; car nous serons forcés d'y appliquer les forces de notre esprit et d'y consacrer tout notre temps.

Pour en revenir à la difficulté qui nous occupe, pourquoi, lorsque tous les Juifs ont concouru à la fabrication du veau d'or, les uns ont-ils été punis et les autres épargnés ? Parce que ces derniers, touchés de repentir, oubliant les sentiments de la nature, ont mis à mort leurs parents pour venger la religion outragée; tandis que les autres ont persévéré dans leur impiété. Leur crime a été le même, mais leur conduite après qu'ils l'ont commis a été différente. Pourquoi encore le châtiment d'Adam et d'Eve a-t-il été différent, bien que leur péché ait été le même ? Parce qu'il était bien différent d'être trompé par la femme ou de l'être par le serpent. C'est pour cela que saint Paul appelle le péché de la femme une véritable séduction : "Adam, dit-il, n'a pas été séduit, mais la femme ayant été séduite, est tombée dans la désobéissance." (1 Tm 3,41). Pourquoi celui qui avait ramassé du bois le jour du sabbat ne put-il obtenir pardon ? Parce que c'était un crime vraiment énorme de transgresser un précepte qui venait d'être donné, et qu'il fallait pénétrer les autres d'une crainte salutaire. Le châtiment sévère d'Ananie et de Saphire eut lieu pour le même motif. (cf. Ac 5). Lors donc que nous avons commis le péché, considérons nous-mêmes si nous sommes dignes de miséricorde, si nous l'avons méritée par nos oeuvres, si notre repentir est sincère, si nous sommes devenus meilleurs, si nous avons cessé de pécher. C'est toujours à la miséricorde que nous sommes redevables du pardon que nous obtient le repentir. Voilà pourquoi le prophète demande à Dieu de le sauver en considération de ses gémissements et de ses larmes. "Toutes les nuits, dit-il, j'arrose mon lit de mes pleurs, j'inonde ma couche de larmes;" c'est-à-dire des pleurs et des larmes du repentir. "Mes os sont ébranlés. Mon âme est dans un trouble extrême." Avant d'exposer à Dieu l'état de son âme, il invoque en sa faveur la faiblesse de sa nature : "Aie pitié de moi, Seigneur, parce que je suis languissant." Il parle de la sorte pour nous apprendre que cette raison ne suffit pas pour nous rendre dignes du pardon; car alors nous serions tous sauvés, puisque tous nous avons la même nature.

3. Cependant, pour parler plus exactement, j'oserai dire que telle n'est point la véritable signification de ces paroles et que le roi-prophète apporte ici comme une des raisons les plus propres à fléchir la Miséricorde divine et à obtenir le pardon de son péché, la faiblesse qui résulte des tentations. C'est ce qu'il exprime plus clairement dans la suite du psaume, lorsqu'il dit : "Je me suis consumé au milieu de mes ennemis." Il savait, en effet, que la tribulation que l'on supporte en esprit d'actions de grâces est un puissant moyen pour attirer sur nous la miséricorde et nous rendre Dieu favorable. C'est ce sentiment qu'il exprime dans ces paroles : "Guéris-moi, Seigneur, parce que mes os sont ébranlés, et que mon âme est dans un trouble extrême." Il ne dit pas : "Remets-moi," ou "pardonne-moi mes péchés", mais : "Guéris-moi." Il demande à Dieu de fermer ses anciennes blessures. Par les os, il faut entendre ici la force tout entière de l'homme, et par le trouble, la peine, le châtiment et la vengeance qui suivent le péché. "Guéris-moi, Seigneur, parce que mes os sont ébranlés, mon âme est dans un trouble extrême."

Dans la médecine on peut considérer trois, quatre ou même jusqu'à cinq choses, entre lesquelles il y a souvent lutte et combat : le médecin, son art, le patient, la maladie, la vertu naturelle des remèdes. Si la volonté du malade vient se joindre aux efforts du médecin, aux effets de son art, et, à la puissance des remèdes, la guérison est assurée. Mais le malade cesse-t-il de seconder leur action, son état ne fait que s'aggraver; et, si sa volonté se met en opposition avec celle du médecin, avec les ressources de l'art et l'efficacité des remèdes, il se donne lui-même la mort. Un phénomène égal, je dirai même plus surprenant, se produit en nous. Lorsque nous avons recours aux médecins, il arrive souvent que malgré le concours que le malade donne à la guérison de sa maladie, aux efforts du médecin, et à l'emploi des remèdes, la maladie persiste par suite de l'affaiblissement de sa constitution, de l'impuissance de l'art ou de l'inefficacité des remèdes. Mais, lorsque nous avons recours à Dieu, il n'en est pas ainsi; il suffit que vous secondiez la volonté du médecin, et vos blessures sont nécessairement guéries. Car, ce n'est pas ici un art purement humain, qui manque quelquefois son effet; c'est une puissance divine, qui triomphe à la fois de la nature, de ses infirmités, de sa perversité, en un mot de tous les vices.

Voilà pourquoi le roi-prophète s'approche de Dieu comme d'un médecin et lui dit en gémissant : "Guéris-moi, Seigneur, parce que mes os sont ébranlés." Suivant quelques-uns il veut parler ici du trouble qui est la suite naturelle du péché. Lorsque les vents se déchaînent sur la mer avec violence, ils l'agitent et la bouleversent jusque dans sa profondeur, ramenant à sa surface le sable qui forme son lit, et font courir aux navigateurs les plus grands dangers. Ainsi lorsque le trouble s'empare de notre âme, notre corps lui-même en est ébranlé, tout en nous est en proie à la tempête, notre barque est dans une agitation continuelle, d'épaisses ténèbres nous environnent, tout en nous paraît chanceler sur ses bases, au milieu de ce bouleversement général et de cette confusion extrême. Ces effet se produisent surtout dans les passions de la chair, dans les accès de la colère, et dans les malheurs de la vie. Le trouble s'empare de l'âme, les os mêmes sont ébranlés, la prunelle de l'oeil semble sortir de son orbite, les yeux ne voient plus les choses sous leur aspect naturel. De même que les chevaux s'emportent lorsque le trouble s'empare de celui qui les conduit; ainsi lorsque la raison cesse d'être calme, tout en nous se confond, tout est bouleversé et sort de sa voie. Mais comment ce trouble se produit en nous, c'est ce qu'il est nécessaire maintenant d'expliquer. Il ne s'élève pas tout d'un coup et à l'improviste comme la tempête qui soulève les flots de la mer, il est toujours la suite de notre négligence. Il dépend uniquement de nous d'en ressentir les effets, ou d'en être toujours à l'abri. Ainsi, par exemple, un désir coupable s'éveille dans votre âme, la fournaise ne s'embrasera pas si vous ne soufflez le feu, si vous ne donnez un aliment à la flamme. Or, vous éviterez cet embrasement si vous ne portez des regards indiscrets sur les visages dont la beauté est pour vous un écueil, si les charmes et les attraits des personnes qui vous sont étrangères ne sont pas l'objet habituel de vos pensées, si vous ne fréquentez pas les spectacles d'iniquité. En effet, ne nourrissez point votre chair dans les délices, ne noyez point votre raison dans le vin, la flamme ne pourra s'élever, ni la fournaise s'embraser, votre chair ne sera pas semblable à une bête féroce et indomptable, et la pureté de votre coeur ne sera pas mise en pièces comme par des vents déchaînés et furieux. Ces moyens sont-ils suffisants pour étouffer à jamais la flamme du péché ? Seuls, ils ne suffisent pas; il faut y joindre des prières continuelles, la fréquentation des personnes vertueuses, un jeûne modéré, une nourriture simple, des occupations nécessaires, et par-dessus tout, la crainte de Dieu, la pensée du jugement, des supplices insupportables de l'autre vie, comme aussi des biens qui nous sont promis. À l'aide de ces moyens, vous pourrez mettre un frein à la fureur de vos passions, et apaiser cette mer en courroux.

" Mais Toi, Seigneur, jusques à quand ? Tourne-Toi vers moi, Seigneur, et délivre mon âme, sauve-moi en considération de ta Miséricorde." Le roi-prophète répète continuellement ce mot "Seigneur," comme un titre au pardon et à la grâce qu'il implore. Quel est, en effet, le plus grand motif de notre espérance si ce n'est sa Bonté ineffable, sa Propension naturelle à nous pardonner ? Cette expression : "Jusques à quand," n'est pas une expression de découragement ou d'impatience, mais de la peine et de la douleur d'un homme écrasé sous le poids des tentations.

4. "Tourne-Toi vers moi, Seigneur, et délivre mon âme." Il demande deux choses : que Dieu se tourne vers lui, et qu'Il délivre son âme. Ce que les justes recherchent avec le plus d'empressement, c'est que Dieu Se réconcilie avec eux, qu'Il leur soit favorable et propice et ne détourne pas d'eux les regards de sa miséricorde. Ils demandent comme conséquence une autre grâce, c'est que leur âme soit sauvée. Ils n'imitent pas la conduite d'un grand nombre, qui dans leurs instincts grossiers ne recherchent qu'une seule chose, les jouissances de la vie présente. Les justes, au contraire, n'ont qu'un seul désir, qu'un seul objet, qui passent pour eux avant tous les autres, c'est le salut de leur âme, "Car dans la mort qui se souvient de Toi? Dans le tombeau qui songe à Te louer?" Voyez que de motifs il allègue à Dieu pour qu'Il sauve son âme. "Je suis languissant, mes os sont ébranlés; j'en fais la demande à Dieu; enfin, dans la mort personne ne se souvient de Toi." Ce n'est pas qu'en parlant ainsi il veuille renfermer notre destinée dans les limites étroites de la vie présente, à Dieu ne plaise, il connaît le dogme de la résurrection; mais il veut dire qu'une fois que nous sommes sortis de cette vie, le temps de la pénitence est passé pour nous. Le mauvais riche faisait l'aveu de ses fautes et s'en repentait. Regrets inutiles ! Il n'était plus temps (Lc 16). Les vierges folles désiraient avoir de l'huile, personne ne leur en donna (Mt 25). Voilà pourquoi le prophète prie Dieu de le purifier ici-bas de ses péchés, afin qu'il puisse paraître avec confiance devant son tribunal redoutable. Il nous enseigne ensuite qu'à la Miséricorde de Dieu nous devons unir nos propres efforts; car, si nous mettons en avant notre faiblesse, la Bonté de Dieu et les autres motifs que David énumère, et que nous ne fassions rien de notre côté, nous n'avons rien à espérer.

"Je m'épuise à gémir, toutes les nuits j'arrose mon lit de mes pleurs, j'inonde ma couche de larmes." Que ceux qui vivent dans une condition obscure apprennent quelle était la pénitence de ce roi revêtu de la pourpre. Écoutons-le nous-mêmes et soyons pénétrés de componction. Non seulement il se fatigue, mais il s'épuise à force de gémir; il ne se contente pas de pleurer, il inonde sa couche de larmes; ce n'est point seulement pendant deux ou trois jours, c'est toutes les nuits, et, ce qu'il a fait pour le passé, il le promet pour l'avenir. Ne pensez pas, en effet, qu'après avoir pleuré une fois ses fautes, il se soit laissé aller au relâchement; non, toute sa vie s'est écoulée dans la pratique de la pénitence. Conduite bien différente de la nôtre : après avoir donné un jour aux larmes, et souvent pas un jour entier, nous retournons aussitôt aux rires, aux plaisirs d'une vie molle et dissolue. Ce n'est pas ainsi qu'agissait David, il passait toute sa vie dans les larmes. Imitons donc son repentir; si nous refusons de pleurer nos fautes ici-bas, force sera de les pleurer dans l'autre vie, mais sans aucune utilité, tandis qu'ici-bas nos larmes sont fécondes en fruits de salut. Dans l'autre vie, nos pleurs seront pour nous un sujet de confusion; ici-bas, ils sont un titre de gloire. Voulez-vous une preuve de cette vérité ? Écoutez ce que dit notre Seigneur Jésus Christ : "C'est là qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents." (Mt 8,12). Mais que le sort de ceux qui pleurent ici-bas est bien différent : "Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu'ils seront consolés." (Mt 5,5). "Malheur à vous riches, parce que vous recevez votre consolation en ce monde." Que ceux qui se complaisent dans leurs lits d'argent, apprennent quelle était la couche de ce roi; elle n'était ni brillante de pierreries, ni étincelante d'or, mais inondée de ses larmes; ses nuits n'étaient pas des nuits de repos, mais des nuits de gémissements et de lamentations. Pendant le jour, il était assiégé de mille soins divers; voilà pourquoi il consacrait à la pénitence le temps que tous les hommes donnent au repos, et c'est alors qu'il gémissait plus amèrement sur ses fautes. Il est toujours bon de pleurer, mais surtout pendant la nuit, alors que personne ne peut nous ravir cette admirable et sainte joie, et qu'il nous est permis, si nous voulons, de nous y plonger tout entier. Ceux qui en ont fait l'expérience, savent quelle joie apportent avec elles ces sources abondantes de larmes; elles sont assez puissantes pour éteindre ce feu qui ne s'éteint jamais, ce fleuve qui coule devant le tribunal du juste Juge.

C'est ainsi que saint Paul a pleuré nuit et jour pendant trois ans pour corriger les passions des autres; pour nous, nous ne réprimons pas même les nôtres, nous nous abandonnons aux rires et à la volupté, et la nuit venue, nous tombons dans un profond sommeil. Les uns sont plongés dans un sommeil qui est l'image de la mort, les autres ont des insomnies mille fois pires que la mort, occupés de compter pendant la nuit les intérêts de leur argent, leurs usures, et dressant de nouvelles embûches à leurs victimes. Les hommes sobres et vigilants agissent bien différemment : ils cultivent avec soin leur âme, et leurs larmes sont comme une rosée féconde qui fait croître les germes des vertus. Aucun vice, aucune passion impure ne peut approcher de la couche qui est inondée des larmes de la pénitence. Celui qui répand ces larmes, compte pour rien les choses de la terre, il délivre son âme de tous les ennemis qui l'assiègent, et donne à son esprit une clarté plus brillante que l'éclat du soleil. Ce n'est point seulement aux solitaires, mais aux hommes du siècle que j'adresse cette exhortation, et beaucoup plus encore qu'aux premiers; car, au milieu du monde, ils ont un bien plus grand besoin des remèdes salutaires de la pénitence. Celui qui sait répandre ces larmes, se lèvera l'âme remplie d'un calme plus profond que celle qui règne dans un port paisible; il bannit de son coeur toutes les passions, c'est avec une sainte allégresse et avec une confiance parfaite qu'il entre dans la maison de Dieu, ses paroles sont pleines de grâce et d'aménité, la colère est loin de son coeur, la cupidité ne l'embrase pas de ses feux, il n'est dominé ni par l'amour des richesses, ni par l'envie, ni par aucun vice de ce genre. Les gémissements et les larmes de la nuit ont forcé toutes ces passions de s'enfoncer comme les animaux sauvages dans les profondeurs de leurs tanières.

"Ta Fureur a rempli mon oeil de trouble." Voilà une âme vraiment brisée par le repentir : David vient de décrire sa pénitence, il expose de nouveau les agitations de son âme, le trouble répandu sur son intelligence, et la crainte que lui inspire la Colère de Dieu.

5. Cet oeil c'est l'oeil de l'âme, cette faculté de juger et de raisonner, que la conscience de nos fautes vient obscurcir et troubler. Le souvenir de ses fautes toujours présentes à ses yeux rappelait à son esprit la juste Colère de Dieu et ne lui permettait pas d'être insensible comme tant d'autres, mais le remplissait d'anxiété, de trouble et d'effroi. Heureux trouble, qui est la source de la tranquillité; heureuse crainte, qui est le fondement de la sécurité. Celui qui est rempli de ce trouble, triomphe de tous les orages; l'âme où il ne trouve point d'accès est exposée à toute la fureur des flots. Le vaisseau qui n'a point de lest, devient la proie des vents déchaînés et des vagues qui l'engloutissent bientôt; ainsi l'âme inaccessible à la douleur de ses fautes, est exposée à mille bouleversements intérieurs. C'est le triste état que saint Paul décrivait en ces termes : "Par suite de leur profonde insensibilité, ils se sont livrés avec une ardeur insatiable à l'impudicité, à toutes sortes de dissolutions et d'impuretés." (Ep 19). Tant que le pilote se préoccupe vivement du sort des passagers, ils sont tous rassurés et tranquilles; mais, si fatigué de cette sollicitude, il s'abandonne au sommeil, le trouble et l'effroi s'emparent de tous les esprits. Ainsi l'homme qui ouvre son âme à l'anxiété, au trouble, à la crainte, lui assure une profonde sécurité; tandis que s'il se laisse envahir par le sommeil de la négligence, sa barque devient bientôt la proie des flots. "Je suis devenu vieux au milieu de mes ennemis." Que signifient ces paroles : "Je suis devenu vieux ?" J'ai vu mes forces s'épuiser par la violence de mes ennemis. Notre vie, en effet, est un véritable combat, nous y sommes assiégés par mille ennemis divers qui deviennent plus forts que nous, lorsque nous sommes tombés dans le péché; il faut donc faire les derniers efforts pour échapper à leurs mains, et ne jamais pactiser avec eux : voilà pour nous le fondement assuré d'une sécurité parfaite. Ce sont ces phalanges ennemies que saint Paul nous signale en ces termes : "Nous avons à combattre non contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances, contre les princes de ce siècle ténébreux." (Ep 6,42). En face de ces phalanges ennemies, il nous faut toujours être sous les armes et fuir toutes les attaques du péché; car rien n'épuise les forces de l'âme, comme l'influence naturelle du péché. Aussi saint Paul, voulant éloigner de nous cette cause d'affaiblissement, nous dit : "Ne vous conformez point au siècle présent, mais transformez-vous par le renouvellement de votre esprit." (Rm 12,2).

Si donc le péché a consumé vos forces, recourez à la pénitence pour vous renouveler, "Retirez-vous de moi, vous tous qui opérez l'iniquité, le Seigneur a entendu la voix de mes pleurs. Le Seigneur a exaucé mes supplications, le Seigneur a agréé ma prière." Une voie non moins sûre pour nous conduire à la vertu, c'est la fuite des méchants; c'est ce que Jésus-Christ nous recommande d'une manière si frappante, lorsqu'Il nous ordonne de nous séparer de ceux de nos amis qui nous seraient aussi nécessaires que nos propres membres, si leur amitié vient à être pour nous une cause de scandale et de ruine : "Si votre oeil vous scandalise, nous dit-Il, arrachez-le, et si votre main est pour vous un sujet de scandale, arrachez-la et jetez-la loin de vous." (Mt 5, 29-30). Ce n'est pas assurément des membres de notre corps qu'il veut parler ici, mais de nos amis les plus intimes : donc il nous faut sacrifier l'amitié lorsque loin d'être utile, elle devient nuisible à nos amis aussi bien qu'à nous-mêmes. Fidèle à ce commandement salutaire, non seulement David ne recherchait pas de tels amis, mais il leur commandait de s'éloigner de lui.

6. Voilà le fruit de la pénitence et le précieux bénéfice des larmes, que l'âme ainsi repentante ne sera plus désormais l'esclave d'aucune passion. Imitons cet exemple; et, si l'un de nos amis, fût-il couronné du diadème, devient pour nous une occasion de danger, sachons sacrifier son amitié; car rien n'est méprisable comme un homme qui vit dans l'iniquité, fût-il revêtu de la pourpre, comme au contraire, rien n'est plus auguste qu'un captif chargé de fers, lorsque son âme est riche de vertus. "Parce que le Seigneur a exaucé la voix de mes pleurs." Il ne dit pas simplement : Il a exaucé ma voix mais : "la voix de mes pleurs." Voyez comme il s'étend sur le caractère de sa prière : "Il a exaucé la voix de mes pleurs. " Cette voix n'est point le son extérieur de es paroles ou de ses cris, mais l'expression intérieure de son âme; ces pleurs ne sont point les larmes qui coulent des yeux, mais celles qui sortent du coeur. Celui qui entreprend de faire pénitence et qui est exaucé de Dieu, n'a pas de peine à obtenir ce grand bien d'éloigner de lui tout commerce avec les méchants.

"Que tous mes ennemis rougissent et soient remplis de trouble, qu'ils reculent soudain couverts de honte et de confusion." Nous voyons deux précieux fruits de cette prière. "Que mes ennemis soient couverts de honte et qu'ils se retirent en arrière." En effet, si ceux qui courent dans la carrière du vice viennent à rougir de leur conduite et à reculer en arrière, ils cesseront de commettre le mal. Lorsque nous voyons un homme marcher dans une voie qui conduit à un précipice, nous nous empressons de l'arrêter pour qu'il n'aille pas plus avant, en lui criant : Où donc allez-vous ? Vous êtes sur les bords d'un précipice. C'est dans ce sens que le prophète demande que les méchants s'arrêtent dans la voie du mal. Ainsi encore, si l'on ne s'empresse de ramener en arrière un cheval qui s'emporte, il périra infailliblement. Voyez comme les médecins s'empressent d'arrêter le progrès du venin d'un reptile qui tend à se répandre dans le corps tout entier et d'en détruire les ravages. Suivons nous-mêmes cet exemple, étouffons avec soin les premiers germes du mal que nous remarquons dans notre âme, si nous ne voulons les voir se développer et aggraver notre maladie. Les blessures que nous causent nos péchés, dès qu'elles sont négligées, deviennent plus dangereuses; l'état de maladie et de faiblesse ne s'arrête pas là, il amène nécessairement la mort et une mort éternelle; si, au contraire, nous détruisons le mal dans sa racine, nous prévenons toutes les suites fâcheuses qu'il entraîne. En voulez-vous une preuve ? Celui qui s'applique à ne point faire injure à son prochain, se gardera par là même de tout débat avec lui; celui qui fuit toute dispute, sera fidèle observateur des lois de l'amitié : par une conséquence nécessaire, il n'aura point d'ennemi, pratiquera la charité et sera un modèle accompli de toutes les vertus. Gardons-nous donc de négliger les premiers symptômes du mal, de peur qu'il ne s'aggrave et n'en vienne bientôt aux dernières extrémités. Si Judas avait combattu l'amour de l'argent, il n'en serait pas venu à commettre un sacrilège, et, s'il avait réprimé ce malheureux penchant, il ne se serait pas rendu coupable du plus grand des crimes. Voilà pourquoi notre Seigneur Jésus Christ non seulement défend la fornication et l'adultère, mais réprime jusqu'à un regard imprudent; il arrache le mal dans sa racine, pour nous rendre plus facile la victoire sur le vice de l'impureté. C'est ce qu'Il faisait aussi à l'égard des Juifs, quoique d'une manière voilée et symbolique, parce qu'Il s'adressait à des esprits encore charnels; cependant Il le faisait, et de quelle manière ? Il défendait l'accouplement d'animaux de différentes espèces; (Deut 22,10); Il ne permettait pas de manger le sang des animaux; (Lév 17,10); Il ne voulait pas qu'on retînt au delà du coucher du soleil l'objet donné en gage : il prévenait ainsi des excès beaucoup plus graves. La première défense prévenait l'union infâme des hommes entr'eux; la seconde, les meurtres et les homicides; la troisième, la cruauté et l'inhumanité.

Maintenant tous ces crimes se commettent avec une facilité étonnante et une impudence extraordinaire, et voilà pourquoi le désordre est à son comble. Lors donc qu'une passion s'introduit dans votre âme, n'y soyez pas indifférent, parce qu'elle vous paraît peu de chose, mais considérez que ce qui en résultera, est capable de produire les plus grands maux. Quand nous voyons dans une maison le feu prendre à quelques étoupes, nous sommes saisis de trouble et de crainte; car notre pensée ne s'arrête pas à ces faibles commencements, elle embrasse les conséquences qu'ils peuvent avoir; et voilà pourquoi nous courons, nous mettons tout en mouvement pour étouffer ce foyer d'incendie. Or, le vice cause dans une âme de plus grands ravages que le feu. Il faut donc prévenir jusqu'à ses moindres atteintes. Si nous sommes négligents sur ce point, il nous sera très difficile ensuite d'arrêter ses développements. C'est ce que nous pouvons voir encore par ce qui se passe sur un vaisseau : le trouble et l'inquiétude s'emparent des matelots, non pas seulement quand ils voient le navire s'abîmer dans les flots, mais alors seulement que leur perte est imminente. Gardons-nous donc de tomber dans la négligence à l'égard des fautes légères, combattons-les avec le plus grand soin, afin d'échapper à de plus grands crimes, et de mériter les biens de la vie future par la Grâce et la Miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soient, en même temps qu'au Père et au saint Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 7

Psaume de David, qu'il chanta au Seigneur au sujet des paroles de Chus, fils de Jémini : "Seigneur mon Dieu, j'ai mis en Toi mon espérance, sauve-moi de tous mes persécuteurs, et délivre-moi".

Nous devriez avoir des saintes Écritures et des faits historiques qu'elles renferment, une connaissance si parfaite qu'il ne fût point nécessaire de longs discours pour vous les enseigner. Mais, comme les uns absorbés par les occupations de cette vie, les autres plongés dans l'indifférence, négligent de s'en instruire, nous sommes obligés d'entrer dans de plus grands développements pour expliquer le sujet de ce psaume. Prêtez donc une oreille attentive. Quel est ce sujet ? "Psaume de David, qu'il chanta au Seigneur". On lit dans une autre version : "Psaume pour l'ignorance de David". Et dans une autre encore : "Ignorance de David"; et, au lieu de Chus, on lit : Éthiopiens. L'obscurité de ces paroles vient surtout de ce que vous ne connaissez point l'Histoire sainte. Il ne suffit pas néanmoins de vous adresser des reproches, il faut vous instruire, et pour cela commencer ce récit historique. Quel est donc ce Chus, fils de Jémini, et quelles sont les paroles qui ont donné lieu à David de chanter cette hymne ? C'est ce que nous expliquerons, en remontant jusqu'aux événements qui en ont été l'occasion. Absalom était fils de David et déshonorait sa jeunesse par une vie licencieuse et dissolue. Il en vint jusqu'à se révolter contre son père, le dépouiller de son royaume, le chasser de son palais, de sa patrie, et s'emparer de tout ce qu'il possédait, sans respect pour les droits du sang, de l'éducation, de l'âge, et sans égard pour les soins qui lui avaient été prodigués. Ce prince, plus semblable à une bête féroce qu'à un homme, poussa la cruauté et la barbarie jusqu'à franchir toutes les bornes, fouler aux pieds les lois de la nature et remplir tout le royaume de trouble et de confusion. On vit alors l'oubli le plus complet de tous les sentiments naturels, de la crainte des hommes, de la religion, de l'humanité, de la compassion, du respect dû à la vieillesse. Car si Absalom avait oublié ce qu'un fils doit à son père, devait-il au moins respecter la vieillesse de David; s'il était sans respect pour ses cheveux blancs, le souvenir de ses bienfaits aurait dû l'attendrir; s'il était insensible à la reconnaissance, encore devait-il se rappeler qu'il ne lui avait fait aucun mal. Mais l'ambition étouffa en lui tout sentiment humain et ne lui laissa que les instincts d'une bête féroce. Et voici que ce saint roi qui avait engendré, nourri ce fils ingrat, errait dans le désert comme un fugitif au milieu de toutes les privations qui pèsent sur un misérable exilé, tandis que son fils jouissait en paix des biens paternels.

Dans cette extrémité, où l'armée obéissait à l'usurpateur, et où les villes lui ouvraient leurs portes, un homme juste et bon, nommé Chus, ami de David, lui resta fidèle malgré ce grand changement de fortune. En le voyant ainsi s'enfuir dans le désert, il déchira ses vêtements, se couvrit de cendre, pleura amèrement sur la détresse de son roi, et, dans l'impuissance de faire autre chose, il lui offrit la consolation de ses larmes; car ce n'était ni la fortune, ni la puissance, mais la vertu qu'il aimait chez David; voilà pourquoi il lui conserva une inviolable fidélité, malgré la déchéance de son pouvoir. David le voyant s'abandonner ainsi à sa douleur, lui dit : Vous me donnez des preuves d'une amitié sincère et d'un attachement véritable, mais qui ne peuvent me servir en rien; il faut donc concerter quelque dessein qui puisse mettre fin aux malheurs présents et me délivrer des calamités qui m'accablent. Puis il lui suggéra ce moyen : Allez trouver mon fils, présentez-vous devant lui avec un visage ami, confondez les projets et rendez inutiles les conseils d'Achitophel. Cet Achitophel était alors tout-puissant auprès de l'usurpateur; c'était un homme habile dans l'art militaire, général renommé dans la guerre et dans les combats. Aussi inspirait-il à David plus de crainte que son fils, parce que l'habileté d'Achitophel n'était pas moins grande dans les conseils. Chus obéit à l'ordre du roi, sans se laisser arrêter par aucune pensée de faiblesse ou de crainte. Il ne se dit pas en lui-même : Que deviendrai-je si je suis surpris, si l'on vient à m'arracher le masque dont je me couvre, et à dévoiler l'artifice dont je me rends l'instrument ? La perspicacité d'Achitophel est grande, il ne lui sera pas difficile de me prendre sur le fait et de découvrir ce stratagème, dont je périrai victime sans la moindre utilité pour David. Il ne s'arrête à aucune de ces pensées, il se rend à l'armée de l'usurpateur, remet tout entre les Mains de Dieu, et se jette hardiment au milieu des dangers. Si je vous raconte ce trait de courage, ce n'est pas seulement pour exciter votre admiration, mais pour vous faire connaître l'étendue des malheurs et des épreuves que David eut à subir, comme aussi les précieux fruits que nous pouvons en recueillir. Un grand nombre nous demandent fréquemment : Pourquoi les justes sont-ils éprouvés, tandis que les méchants mènent une vie saine et tranquille ? Nous trouvons ici la réponse à cette question : Le juste est exposé à tous les outrages de la fortune, et un fils coupable, un parricide, un ennemi juré des lois de la nature, vit au sein de la prospérité et habite dans des palais. Mais quel fruit lui revint-il de ce bonheur ? Comme aussi en quoi ces épreuves furent-elles nuisibles à David ? Absalom fut bientôt précipité dans un abîme de maux, tandis que David sortit plus glorieux de ses malheurs, semblable à l'or à qui le feu du creuset donne une plus grande pureté et un plus vif éclat.

2. Apprenons ici d'abord à ne point nous troubler à la vue des épreuves auxquelles les justes eux-mêmes sont soumis; secondement, à ne point changer suivant les diverses faces des temps, mais à rester toujours fidèle aux lois de l'amitié; troisièmement, à ne pas craindre d'affronter les dangers pour la cause de la vertu; quatrièmement enfin, à conserver toujours l'espérance au milieu des circonstances les plus difficiles, en comptant sur le Secours de Dieu. Voyez Chus, il ne considère ni la force de l'armée de l'usurpateur, ni la crainte qu'il devait inspirer, ni la multitude de ses chevaux, ni ses nombreuses phalanges de soldats armés, ni les villes tombées en son pouvoir, ni l'isolement de David, son délaissement et sa faiblesse. Il ne voit qu'une chose, le Secours invincible de Dieu et la protection dont Il couvre son roi, et cela lui suffit pour apprécier la situation des deux partis. À ses yeux, la faiblesse est dans le camp d'Absalom, la force est du côté de David. Car l'un outrageait les lois de la justice, tandis que l'autre en se défendant avait le bon droit pour lui. Il se rangea donc non pas du côté des nombreuses armées, mais du parti où la vertu seule combattait, et il se rendit ainsi Dieu favorable. Si je vous rappelle cet exemple, c'est afin que nous aussi nous prenions le parti de ceux qui défendent la cause de la justice, quand même ils seraient les plus faibles, et que nous refusions de combattre avec les partisans de l'injustice, quel que soit d'ailleurs leur pouvoir. Le vice, en effet, quand toute la terre se déclarerait en sa faveur, est ce qu'il y a de plus faible au monde; tandis que la vertu, fût-elle délaissée de tous, est ce qu'il y a de plus fort; car elle a Dieu pour protecteur et pour appui. Or, qui peut sauver celui contre qui Dieu Se déclare, comme aussi qui peut faire périr celui dont Dieu prend en main la défense ? Pénétré de ces vérités et plein d'espérance, Chus n'hésita pas à se rendre où David l'envoyait, et lorsqu'il fut arrivé, il vit l'usurpateur entrer en triomphe dans la ville de Jérusalem, et s'approcha de lui. À sa vue, Absalom, enivré par l'amour du pouvoir et sans prendre la peine de l'interroger avec soin, en fait un objet de railleries et d'outrages. Retournez avec votre ami, lui dit-il; il ne daigne même pas prononcer son nom, tant était grande sa haine et son animosité. (2 Sam 16,17). Chus, sans se troubler, sans s'émouvoir, lui répond : "Quand Dieu était avec lui, je défendais ses intérêts, mais maintenant qu'Il S'est déclaré pour vous, il est juste que je soutienne les vôtres." (Ibid. 18,19). Ces paroles remplirent d'orgueil et de présomption le coeur de l'usurpateur, et sans autre enquête (car l'homme léger croit à tout ce qu'on lui dit, comme nous le voyons ici), il se livre lui-même tout entier à ses ennemis en admettant tout aussitôt Chus au nombre de ses conseillers intimes et parmi ses plus fidèles amis.

Dieu qui était présent, conduisait et dirigeait Lui-même tous les événements. Le conseil s'étant réuni au sujet de la bataille à livrer, et les avis étant partagés sur cette question, s'il fallait fondre immédiatement sur David ou attendre quelque temps, Achitophel, dont la prudence était renommée dans les conseils, fit la proposition suivante : Fondons sur David tandis qu'il est plongé dans l'affliction et le trouble, car si nous ne lui laissons pas même le temps de se mettre sur pied, sa ruine est certaine, et si nous l'attaquons avant qu'il ait pu se préparer à la défense, nous n'aurons aucune peine à le vaincre. (2 Sam 16,1-3). Absalom ayant entendu ce conseil, fait venir Chus qui paraissait extérieurement avoir embrassé son parti, et lui fait connaître l'objet de la délibération. Il était contraire à toute raison de témoigner tant d'honneur à un homme nouvellement arrivé, et de compter sur sa fidélité au point de lui demander son avis sur des affaires de cette importance. Chus est donc introduit, et on lui laisse toute liberté de faire connaître son avis sur la question qui est mise en discussion (2 Sam 17,5-6). Or, que répond Chus ? Achitophel ne s'est jamais trompé. Voyez quelle est sa prudence; il ne blâme pas immédiatement son sentiment, il commence par le louer. Les éloges qu'il donne à la sagesse des conseils d'Achitophel pour le passé, lui permettront de désapprouver son sentiment dans la question présente. (Ibid. 7-13). Voici le sens de sa réponse : Je suis surpris qu'Achitophel se soit trompé cette fois, car le conseil qu'il donne ne me paraît pas utile à suivre. Si nous livrons maintenant bataille, votre père comme un ours en furie, le coeur plein de colère, emporté par le désespoir et disposé à combattre à outrance sans tenir aucun compte de sa propre vie, fondra sur nous avec une impétuosité terrible. Mais si nous différons quelque temps encore, nous pourrons l'attaquer avec une armée beaucoup plus considérable et avec bien plus d'assurance, nous le prendrons pour ainsi dire au piège sans peine, sans difficulté et comme dans un filet, et nous vous l'amènerons prisonnier. Absalom approuve ce sentiment et le regarde comme préférable à l'autre. Or le dessein de Chus, en parlant de la sorte, était de laisser à David le temps de se reconnaître, de respirer et de rassembler son armée. Après avoir ainsi détruit le conseil d'Achitophel, Chus envoya secrètement informer David de tout ce qui se passait, et lui apprendre que l'usurpateur venait de prendre une résolution qui était pour le roi le garant d'une victoire assurée. C'est en effet ce qui arriva bientôt. David, profitant du temps qui lui était donné pour se préparer à la bataille, tomba sur l'ennemi et remporta une victoire éclatante. (2 Sam 17,15-23). Achitophel, qui, dans sa prudence et son esprit pénétrant, avait prévu ce résultat, comprit que sa perte était certaine, et que cette résolution serait la cause de la ruine d'Absalom; il s'en alla chez lui, se pendit et mit ainsi fin à ses jours.

3. C'est en apprenant cette nouvelle que David composa ce psaume comme une hymne d'actions de grâces, où il rend à Dieu toute la gloire du succès. Il commence donc ainsi : "Seigneur mon Dieu, j'ai mis en Toi mon espérance, sauve-moi." Ce n'est point dans la personne de Chus ni dans la prudence, ni dans la sagesse des hommes, ni dans mes lumières personnelles, c'est en Toi seul. Imitons cet exemple, et si les hommes sont pour nous l'instrument de quelque action éclatante et utile, rendons grâces à Dieu pour les faveurs qu'Il nous accorde et dont Il couronne soit nos propres efforts, soit les efforts que font les autres. Si nous agissons de la sorte, il n'y aura plus ni difficulté ni peine. C'est ce que faisait David en s'exprimant à peu près en ces termes : Ce n'est point dans les paroles de Chus que j'ai placé l'espérance de mon salut, c'est dans le secours que j'attends de Toi. Mais voyez quelle vivacité de sentiment comme toujours. Il ne dit pas : "Seigneur Dieu", mais : "Seigneur mon Dieu", et dans un autre psaume : "Dieu, mon Dieu, pour Toi je veille dès l'aurore." (Ps 62,2). En effet, comme le reste des hommes, il sentait le besoin qu'il avait de Dieu, mais il éprouvait plus particulièrement ce besoin à cause de la vivacité de son amour. Dieu Lui-même tient cette même conduite à l'égard des justes; Il est le Dieu de tous les hommes, mais Il Se dit plus spécialement le Dieu des justes : "Je suis le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob." (Ex 3,6). Voyez encore la sagesse de ce saint roi. Après avoir dit : "Seigneur mon Dieu, j'ai mis mon espérance en Toi" il n'ajoute pas : Venge-moi de mon ennemi, fais-le périr. Mais quel est son langage ? Il ne demande que ce qui est dans son intérêt : "Sauve-moi, dit-il, ne permets pas que je sois victime de mes ennemis, et délivre-moi de tous ceux qui me persécutent". Voyez, comme malgré ses infortunes, il ne prononce même pas le nom du parricide Absalom, il est accessible à la voix de la nature jusque dans ses malheurs, il reconnaît son fils jusque dans la guerre, et n'oublie pas le fruit de ses entrailles. Tant étaient vives son affection et sa tendresse pour ses enfants, ou plutôt tant était grand son amour de la sagesse. Car c'est moins encore la voix du sang que la douceur de son âme qui lui inspirait ces sentiments, et dans sa pensée, il imputait bien plus à l'armée d'Absalom qu'à ce fils rebelle, le crime de la révolte.

C'est pour cela qu'il dit : "Sauve-moi de tous ceux qui me persécutent et délivre-moi." Vous voyez combien son langage est modéré en parlant de ses ennemis. Il ne dit pas : Sauve-moi de ceux qui me font la guerre, qui s'emparent de mes biens, qui triomphent insolemment dans mes palais, mais simplement : "Sauve-moi de ceux qui me persécutent. De peur que mon ennemi ne me ravisse comme un lion et ne me déchire sans que personne ne me tire de ses mains et ne me sauve." (Ibid. 3). Mais comment David, qui avait levé une armée considérable et comptait autour de lui un grand nombre de défenseurs, a-t-il pu dire : "Sans que personne ne me tire de ses mains et ne me sauve ? C'est qu'il regarde le monde entier comme un secours insuffisant, si en même temps, il n'a Dieu pour appui, et qu'il ne se considère point comme délaissé, quand il serait réduit à ses seules forces, une fois que Dieu lui vient en aide. Voilà pourquoi il disait : "Ce n'est point dans sa grande puissance qu'un roi trouve son salut, ni par sa force extraordinaire que le géant échappe aux dangers". (Ps 32,16). Il en est qui prennent ces paroles dans un sens anagogique, et entendent par ce lion et ces persécuteurs le démon et ses satellites. David voyait en effet son fils devenu la proie du démon qui l'avait comme dévoré, il prie Dieu de le sauver d'un semblable malheur, et il indique la raison qui a causé la ruine de cet infortuné. Quelle a été cette raison ? Sa méchanceté qui a éloigné de lui le Secours de Dieu, comme le dit David : "Lorsqu'il n'y a personne pour le secourir et le sauver." Que le démon soit semblable à un lion, le témoignage de l'Écriture est formel : "Le démon votre ennemi tourne autour de vous comme un lion rugissant, cherchant quelqu'un à dévorer." (1 Pi 5,8). Le roi-prophète lui-même nous dit dans un autre endroit : "Vous foulerez aux pieds le lion et le dragon." (Ps 90,13). Le démon est une bête féroce qui prend toutes les formes, mais si nous sommes sur nos gardes, ce lion, ce dragon n'aura pas plus de puissance contre nous que la boue, il n'osera pas nous attaquer de front, et s'il avait cette audace, il serait foulé aux pieds. "Marchez, nous dit le Sauveur, sur les serpents et sur les scorpions." (Lc 10,19). Il tourne autour de nous comme un lion plein de rage; mais s'il vient à s'attaquer à ceux qui ont en eux Jésus Christ, la croix sur le front, le feu de l'Esprit saint dans le coeur, et cette lampe de la charité qui ne s'éteint pas, il n'osera même pas les regarder en face, mais il prendra la fuite, sans oser se retourner en arrière. Et pour vous convaincre que ce ne sont pas là de vaines paroles, considérez saint Paul : c'était un homme comme nous; mais ce lion le redoutait tellement que la vue seule de ses vêtements et de son ombre le mettait en fuite. Et justement certes, car il ne pouvait supporter l'odeur suave qui sortait et s'exhalait de ses vêtements, et il n'osait fixer les yeux sur ce flambeau éclatant de vertu.

"Seigneur mon Dieu, si j'ai fait ce qu'ils m'imputaient, si mes mains sont coupables d'iniquité..." (Ibid. 4). Le but de nos constants efforts doit être non seulement de prier, mais de prier de manière à être exaucé. Car la prière ne suffit pas pour obtenir ce que nous demandons si nous ne la revêtons pas des conditions qui la rendent agréable à Dieu. Ainsi le pharisien a prié et sa prière ne lui a servi de rien. (Lc 18,10). Les Juifs ont aussi prié mais Dieu Se détournait de leurs prières : car ils ne priaient pas avec les conditions voulues. (Is 1,15). Voilà pourquoi Dieu nous ordonne de Lui présenter une prière qui soit de nature à être exaucée. C'est ce que David nous a enseigné dans le psaume précédent, il ne demandait pas seulement à Dieu de l'écouter, mais il mettait tout en oeuvre pour obtenir ce résultat. Que faisait-il donc ? "Toutes les nuits j'arroserai mon lit de pleurs, j'inonderai ma couche de larmes." (Ps 6,7). Et encore : "Je m'épuise à gémir", et plus loin : "Retirez-vous de moi, vous tous qui opérez l'iniquité", et enfin : "Ta fureur a rempli mon oeil de trouble." (Ps 6,8-9).

4. Voilà donc autant de moyens pour nous rendre Dieu favorable : la douleur, les larmes, les gémissements, la fuite des méchants, la crainte du redoutable jugement. David dit ailleurs : "Le Seigneur a exaucé ma justice, au jour de l'angoisse Il a élargi ma voie." En effet, les conditions qui garantissent le succès à nos prières sont, premièrement, d'être dignes de la Grâce que nous sollicitons; secondement, de prier conformément aux Lois divines; troisièmement de prier avec persévérance; quatrièmement, de ne point demander les biens de la terre; cinquièmement, de rechercher les choses qui nous sont vraiment utiles; sixièmement, de prier avec les dispositions les plus parfaites. Rappelez-vous combien de personnes ont mérité ainsi de voir leurs prières exaucées : Corneille à cause de ses bonnes oeuvres (Ac 10,4); la Cananéenne, en récompense de sa persévérance (Mt 15,28); Salomon, à cause de la perfection de sa prière (3 R 3,11). "Parce que tu n'as point demandé les richesses, ni la mort de tes ennemis;" le publicain enfin à cause de son humilité (Lc 18,14); d'autres pour d'autres raisons. Voilà les qualités qui assurent le succès de la prière, comme les défauts contraires sont cause qu'elle n'est point exaucée, quelque juste qu'on soit d'ailleurs. Qui fut, en effet, plus juste que saint Paul ? Mais parce qu'il demanda des choses inutiles, Dieu ne l'exauça point : "J'ai prié trois fois le Seigneur pour cela, nous dit-il, et Il m'a répondu; "Ma Grâce te suffit." (2 Cor 12,8-9). Qui fut encore plus saint que Moïse ? Et cependant Dieu rejeta sa prière en lui disant : "C'est assez, ne M'en parle plus." (Deut 3,26). Il demandait d'entrer dans la Terre promise, ce que Dieu regardait comme inutile, et cette Grâce ne lui fut point accordée. Une autre cause qui fait rejeter nos prières, c'est la persévérance dans le péché. C'est ce que Dieu reprochait aux Juifs lorsqu'Il disait à Jérémie : "Cesse de prier pour ce peuple, ne vois-tu pas ce qu'ils font ?" (Jer 7,16-17). Ils persévèrent dans leur impiété, et tu viens intercéder pour eux, Je ne puis écouter tes prières. Ajoutons encore une autre raison : lorsque nous demandons à Dieu le malheur de nos ennemis, non seulement nous n'obtenons rien, mais nous irritons Dieu contre nous. La prière est un remède, mais si nous ne savons pas comment nous devons nous en servir, nous n'en retirons aucune utilité. Voyons donc ce que David dit à Dieu dans sa prière : "Seigneur mon Dieu, si j'ai fait cela." Que signifient ces paroles : "Si j'ai fait cela" ? Si j'ai fait le mal que j'endure, si je me suis révolté contre mon père, si j'ai outragé les lois les plus saintes. Il ne veut même pas ici nommer celui qui se conduit aussi indignement, et il rougit, il a honte pour son fils. Lorsqu'un homme bien né a surpris sa femme en adultère, il n'a pas la force de divulguer son crime en la faisant connaître; ainsi David ne dit point : Si je me suis révolté contre celui qui m'a donné le jour, si j'ai été un parricide, mais : "Si j'ai fait cela." Et pourquoi dis-je : "Si j'ai fait cela ?" semble-t-il ajouter. Est-ce donc une si grande vertu que de ne point être un parricide, crime qu'on ne rencontre même pas dans les bêtes féroces ? "Si mes mains se trouvent coupables d'iniquité." Je ne parle point de cette monstrueuse iniquité, mais de toute autre dont mes mains sont innocentes.

S'il parle de la sorte, ce n'est point pour se glorifier, c'est parce qu'il est forcé de faire connaître l'innocence de sa conduite. Mais cette raison n'est rien auprès de celle qu'il va donner. "Si j'ai rendu le mal à ceux qui m'en avaient fait." (Ibid. 5). Pesez attentivement ces paroles, elles expriment une action qui n'est pas ordinaire. Il est beau de se garder de toute injustice, mais il est plus glorieux, et c'est la marque d'un esprit sage, de ne point tirer vengeance des injustices commises à notre égard. La loi permettait, il est vrai, d'exiger oeil pour oeil, dent pour dent, (Deut 19,21), sans que le précepte divin fût transgressé. Mais le roi-prophète était parvenu à un tel degré de perfection, que loin de transgresser la loi, il s'élevait bien au-dessus d'elle, et allait bien au-delà de ses exigences. Pour lui la vertu n'était rien, si elle ne s'élevait au-dessus des commandements. C'est l'exemple que nous donne saint Paul. Il avait reçu le commandement de vivre de l'évangile, et il n'usait point de ce droit, mais il prêchait l'évangile gratuitement. (1 Cor 9,14-18). De même le saint roi David, bien que la loi lui permît de se venger de ses ennemis, n'usa point de cette faculté, et s'éleva de beaucoup au-dessus des prescriptions de la loi. Quant à nous, il nous est commandé non seulement de ne pas rendre le mal pour le mal, mais au contraire de faire le bien. "Priez, nous dit notre Seigneur, pour ceux qui vous maltraitent, et faites du bien à ceux qui vous haïssent." (Mt 5,44). Mais pour David c'était un acte héroïque et bien supérieur aux prescriptions légales que de ne point se venger de ses ennemis. C'est pour cela qu'il dit à Dieu avec confiance : "Si j'ai fait cela, si mes mains se trouvent coupables d'iniquité, si j'ai rendu le mal à ceux qui m'en avaient fait." À l'égard de son fils, la nature seule suffisait pour le retenir; mais si j'ai commis l'injustice à l'égard d'un autre, dit-il, ou si j'ai tiré vengeance de celle qui m'était faite. Quel pardon pourrons-nous donc obtenir, quelle excuse alléguer, nous qui, après la Venue de Jésus Christ, ne sommes pas encore parvenus au degré de perfection de ceux qui vivaient sous l'ancienne loi, bien que Dieu exige de nous une justice beaucoup plus parfaite ? "Car, nous dit le Sauveur, si votre justice n'est pas plus abondante que celle des pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux." (Mt 5,20). De même que celui qui faisait le bien sous la loi ne peut prétendre au même mérite que celui qui le faisait avant la loi; ainsi celui qui pratique la vertu sous la Grâce est bien inférieur à celui qui la pratiquait sous la loi, car la différence des temps influe sur la différence des mérites. Aussi, voyez comme saint Paul, pour nous rendre cette vérité sensible en ce qui concerne soit le vice, soit la vertu, donne de bien plus grands éloges à ceux qui ont fait le bien sans la loi, et juge dignes de châtiments plus sévères ceux qui ont fait le mal sous la loi : "Lorsque les Gentils qui n'ont point de loi, nous dit-il, font naturellement les choses que la loi commande, n'ayant point la loi, ils se tiennent à eux-mêmes lieu de loi." (Rm 2,14).

5. Vous voyez comme saint Paul loue et célèbre le mérite de ceux qui ont fait le bien sans y être obligés par la loi. Écoutez maintenant comme, au témoignage du même apôtre, ceux qui pèchent sous le règne de la Grâce se rendent dignes d'un châtiment bien plus terrible que ceux qui pèchent sous l'empire de la loi. "Celui qui viole la loi de Moïse est mis à mort sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins. Songez combien mérite de plus grands supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, et qui aura profané le sang de l'alliance." (Hé 10,28-29). Ailleurs, il fait voir encore que ceux qui ont péché avant la loi auront à subir un châtiment beaucoup moins sévère que ceux qui ont péché sous la loi : "Ceux qui ont péché sans la loi, périront sans la loi;" c'est-à-dire que leur punition sera moins rigoureuse, parce qu'ils n'auront point la loi pour accusatrice, mais la nature seule : "Et ceux qui ont péché sous la loi seront jugés par la loi," c'est-à-dire que la loi viendra se joindre à la nature pour les accuser et les charger davantage : "Je succomberai sous mes ennemis, sans espoir de délivrance. Que l'ennemi poursuive mon âme et s'en rende maître, qu'il foule aux pieds dans la poussière et ma gloire et ma vie." (Ibid. 6). Vous voyez la confiance du juste et le témoignage d'une bonne conscience. Car, si David n'était pas sûr de lui-même, il n'aurait pas ainsi invoqué la Vengeance de Dieu contre lui. Or, voici le sens de ces paroles : Si je me suis rendu coupable d'injustice, si je me suis vengé de mes ennemis, je consens à être victime des mêmes épreuves. Il prononce donc lui-même son arrêt, et demande à Dieu de le juger non pas seulement suivant ses fautes, mais plus sévèrement qu'il ne le mérite, et il se soumet volontairement à un châtiment dont la loi elle-même l'exemptait. Mais que signifient les paroles qui suivent : "Que je succombe sous mes ennemis sans espoir de délivrance. Que l'ennemi poursuive mon âme et s'en rende maître, qu'il me foule aux pieds sur la terre en m'ôtant la vie, et qu'il réduise ma gloire en poussière ?" C'est-à-dire que je sois sans honneur, sans réputation, et que Dieu anéantisse à la fois ma gloire et ma vie.

Quel est le sens de ces dernières paroles : "Qu'il réduise ma gloire en poussière ?" C'est-à-dire qu'il l'humilie, qu'il la foule aux pieds, et que je devienne une proie facile pour mes ennemis. Quel crime égal à celui d'Absalom qui combattait contre un père, et contre un père si plein de douceur et de bonté, lui qui ne se recommandait que par des moeurs licencieuses, déréglées et violentes ? Eh bien, David a-t-il rendu ici le mal pour le mal, a-t-il seulement rappelé le souvenir de tant d'outrages ? Non. Et si vous étudiez l'histoire de Saül, vous verrez cette vérité briller de tout son éclat. Saül qui, après tant de bienfaits, tant d'actions éclatantes, tant de victoires dont il était redevable à David, ne cessait de le persécuter, de lui tendre des pièges, et cherchait tous les jours l'occasion de le faire périr, tombe dans ses mains plusieurs fois, souvent lorsqu'il était plongé dans le sommeil, renfermé comme dans une prison, et sans gardes autour de lui. David était pressé par un grand nombre des siens de le percer de son épée et de le mettre à mort, il s'en défendit toujours, et triompha de sa juste colère, bien qu'il sût qu'en laissant la vie à Saül il déchaînait contre lui un ennemi acharné et irréconciliable. Cependant, ni le souvenir du passé, ni la crainte de l'avenir, ni aucune autre considération ne purent le déterminer à commettre ce meurtre. Il fit appel à sa vertu pour arrêter le coup que ses mains auraient pu porter, et mettre un frein à son ressentiment; et il aima mieux courir les plus grands dangers, être exposé à toutes sortes d'embûches, se voir à la fois chassé de sa patrie et privé de la liberté, que de tremper ses mains dans le sang d'un homme qui, en récompense de tant de bienfaits, ne cherchait qu'à lui ôter la vie.

Je pourrais apporter beaucoup d'autres preuves de la haute sagesse de David. Entendez-le se souhaiter les plus grands malheurs, comme d'échouer dans toutes ses entreprises, de voir ses ennemis triompher insolemment de lui, de mourir sans gloire et encore de la main de ses ennemis, ce qui est mille fois pire que la mort. Aussi, fait-il les plus grands efforts pour que son nom survive après lui. Considérez donc toutes les calamités qu'il appelle sur sa tête : Que je ne réussisse dans aucune de mes actions, que mes ennemis triomphent de moi, que je meure, et non pas d'une mort ordinaire, mais sans laisser aucun nom après moi ! Se dévouerait-il à tant de maux extrêmes, si le témoignage de sa conscience ne l'avait rassuré ? S'il avait des ennemis, il n'en était pas la cause, car il n'avait donné aucune occasion à leur inimitié. Quel sujet de le haïr avait-il donné à son fils, et précédemment à Saül ? Lorsqu'Absalom eut commis un crime digne de mort, il lui avait permis de revenir à sa cour et lui avait rendu toute sa confiance après l'avoir puni pendant quelque temps. (2 R 4,21 et ss.). Quant à Saül, qui cherchait toutes les occasions de le faire périr, il lui avait laissé la vie toutes les fois qu'il était tombé entre ses mains. (1 R 24,7). Ne considérez donc point s'il avait des ennemis, voyez s'il avait donné quelque sujet à leur inimitié. Car Jésus Christ ne nous a pas commandé de n'avoir pas d'ennemis, ce qui n'est pas en notre pouvoir, mais Il nous fait un précepte de ne point les haïr, ce dont nous sommes parfaitement les maîtres. En effet, il ne dépend pas de nous d'être l'objet d'une haine toute gratuite, cela dépend uniquement de ceux qui nous haïssent. Car il est ordinaire que les bons soient un objet de haine pour les méchants. C'est ainsi qu'ils ont haï Jésus Christ sans raison, comme l'atteste le Sauveur lui-même : "Ils M'ont haï sans sujet." (Jn 15,25). Les apôtres ont eu pour ennemis les faux apôtres, et les prophètes, les faux prophètes. Nous devons donc nous appliquer, non pas à n'avoir pas d'ennemis, mais à ne leur donner aucun juste sujet de l'être, et à ne nourrir contre eux aucun sentiment d'éloignement et d'aversion, quelle que soit la violence de leur haine contre nous. Lorsque je suis haï de quelqu'un sans le haïr moi-même, je suis bien son ennemi, mais il n'est pas le mien. Et comment serait-il mon ennemi, alors que je prie pour lui et que je cherche à lui faire du bien ? C'est pour cela que saint Paul faisait cette recommandation; "Vivez en paix, si cela se peut et autant qu'il est en vous, avec tous les hommes." (Rm 12,18).

6. Faisons donc tout ce qui dépend de nous, et nous nous rendrons dignes des plus grands éloges. Mais que devons-nous faire pour cela ? Voici par exemple un homme qui vous hait et qui se déclare contre vous; de votre côté montrez-lui de l'amitié et faites-lui du bien. Il vous injurie et vous outrage ? Dites du bien de lui et faites son éloge. Mais toutes ces avances ne peuvent triompher de son inimitié ! Il vous prépare alors une récompense beaucoup plus grande. Car les méchants qui persistent à nous faire la guerre en dépit de ce que nous faisons pour les fléchir, deviennent pour nous la cause des plus brillantes récompenses, tandis qu'ils se réduisent eux-mêmes à une extrême faiblesse. En effet, l'homme implacable dans sa haine, sèche, dépérit et vit dans une agitation continuelle; au contraire, celui qui est inaccessible aux traits de la haine est à l'abri de l'orage, et il trouve pour lui-même mille avantages inconnus au premier dans le soin qu'il prend de se réconcilier, d'éviter tout différend, et d'écarter de lui tout sujet de contestation et de dispute. Fuyons donc tout ce qui peut nous mettre en guerre avec les autres, et retranchons ici le mal dans sa racine, je veux dire la vaine gloire et la cupidité. Car la cause de toutes les inimitiés, c'est l'amour des richesses ou de la vaine gloire. Si nous savons dominer ces passions, nous triompherons également de la haine et de la vengeance. Quelqu'un vous outrage, supportez-le courageusement; ce n'est pas à vous, c'est à lui-même qu'il a fait tort. On vous frappe, ne résistez pas, car celui qui a donné le coup en est la première victime; sa main vous a frappé, mais sa colère lui a porté un coup bien plus funeste et l'a perdu dans l'esprit de tous les hommes. Ce que je vous demande ici vous paraît difficile; figurez-vous donc qu'un homme furieux déchire en pièces vos vêtements. Qui est ici le plus à plaindre ? Est-ce vous qui souffrez cette indignité ou celui qui en est l'auteur ? Il est évident que c'est l'agresseur. Eh quoi donc, lorsqu'il s'agit de vêtements déchirés, vous estimez plus malheureux l'agresseur que la victime, et celui dont le coeur est mis en pièces (car c'est ce que fait la colère), ne vous paraît pas mille fois plus malheureux que vous qui n'avez souffert aucun dommage ?

Et ne me dites pas qu'il a sans doute déchiré vos vêtements, mais qu'il avait commencé par mettre son coeur en pièces. Car de même que la jaunisse ne se déclare que lorsque l'excès de la bile la fait sortir de ses vaisseaux naturels, ainsi une violente colère n'éclate que sous l'effort d'un coeur qui s'est comme brisé en mille morceaux. Or, lorsque vous voyez un homme atteint de la jaunisse, quelques mauvais traitements qu'il vous fasse, vous vous gardez bien de vous exposer à gagner sa maladie; faites de même à l'égard de la colère. N'imitez pas le vice par une triste rivalité, mais ayez bien plutôt pitié d'un malheureux qui ne sait pas mettre un frein à un animal féroce, et qui devient ainsi tout le premier la victime de sa fureur et la cause de sa ruine. Voulez-vous une preuve de cette vérité ? Écoutez ce que disent la plupart de ceux qui veulent s'interposer dans de semblables différends, et les conseils qu'ils donnent. Épargnez-vous ce mal, c'est à vous-même que vous faites tort. Telle est, en effet, la nature du vice, il perd l'âme qui l'enfante, et la bouleverse de fond en comble. Gardons-nous donc de nous jeter hors du port pour satisfaire un désir insensé de vengeance. Si un homme sur le point de faire naufrage et d'être englouti dans les flots, venait vous insulter sur le rivage où vous êtes et qu'il va quitter, vous n'en concevriez aucun chagrin et vous ne quitteriez pas la terre ferme pour devenir avec lui victime du naufrage qui l'attend. Eh bien, représentez-vous que celui qui vous insulte et vous outrage, est comme enveloppé tout entier dans un tourbillon et dans une tempête violente, sur le point d'être englouti dans les flots, et que sa colère le menace d'un naufrage certain, tandis que vous qui supportez avec fermeté ses outrages, vous jouissez dans le port et sur le rivage d'une ineffable tranquillité. Mais si vous vous laissez aller aux mêmes sentiments de colère, ce n'est pas lui, c'est vous-mêmes que vous précipitez dans les flots. "Lève-Toi, Seigneur, dans ton Courroux, signale-Toi sur les frontières de mes ennemis." (Ibid. 7). David nous apprend ainsi que Dieu peut Se lever dans un autre sentiment que celui de la colère, comme lorsqu'il Lui fait cette prière : "Lève-Toi, Seigneur, sauve-moi, ô mon Dieu."

Que cette expression : "Lève-Toi" ne représente à votre esprit aucune idée matérielle. Cette locution, pas plus que celle de s'asseoir, ne doit s'entendre, quand il est question de Dieu, dans un sens corporel. "Tu es assis pour l'éternité", dit le même roi-prophète. Que signifient ces paroles ? La fixité, la stabilité, l'immutabilité de la Nature divine, vérité qu'il démontre également par les contraires. En effet, après avoir dit : "Tu es assis pour l'éternité," il ajoute : "Mais vous, vous périrez pour les siècles des siècles." (Ps 91,8-9). L'expression : "Se lever," ne doit donc point s'entendre dans un sens matériel, non plus que l'expression : "S'asseoir;" mais la première représente la Puissance que Dieu a de châtier et de perdre les méchants, comme la seconde figure l'Immutabilité divine. L'expression : "S'asseoir" signifie aussi quelquefois le pouvoir de juger, comme dans ces paroles du roi-prophète : "Toi qui es assis sur ton trône, Toi qui juges selon la justice" (Ps 9,4); et dans ces autres de Daniel : "Les trônes furent placés et le jugement s'assit." (Dan 7,9-10). Cette expression est encore le symbole de la puissance royale, comme lorsque David dit à Dieu : "Ton trône, ô mon Dieu, est un trône éternel, le sceptre de l'équité est le sceptre de ton empire." (Ps 44,7). De là vient que ces autres paroles : "Assieds-toi à ma Droite" (Ps 109,1) signifient une égalité d'honneur. Mais que veulent dire les paroles suivantes : "Dans ta Colère ?" Il faut également les entendre dans un sens digne de Dieu. En effet, la Colère de Dieu n'est pas une passion, mais le juste châtiment des pécheurs. "Signale ta Puissance sur les frontières de mes ennemis." Une autre version porte : "Dans ta Colère contre mes ennemis;" une autre : "Dans la fureur de ceux qui me persécutent;" une autre enfin : "Dans l'impatience de ceux qui veulent me charger de chaînes." On lit dans le texte hébreu : "Sur les frontières," (Bebaroth). Remarquez une fois de plus que David est éloigné de tout sentiment de vengeance, et n'a ici en vue que la Gloire de Dieu. Car il ne dit pas à Dieu : "Châtie mes ennemis ou les tiens", mais : "Élève-Toi". Et comment peut S'élever Celui qui est déjà si haut et qui reste toujours au plus haut degré de la grandeur ? Car l'élévation de sa Nature n'est susceptible ni de diminution, ni d'accroissement; Dieu est parfait, n'a besoin de rien, et reste toujours le même. Comment donc peut-Il être élevé ? Dans l'esprit d'un grand nombre. Lorsqu'Il usait, comme Il le fait souvent, de patience, ses ennemis ne voyaient dans sa conduite que pusillanimité et faiblesse. Il était donc comme humilié, non pas en réalité, mais dans leur esprit.

7. De même que le soleil paraît sans clarté à ceux dont les yeux sont malades, ainsi Dieu passe pour faible et pusillanime dans l'esprit de ses ennemis. Mais bien que le soleil paraisse ainsi enveloppé d'obscurité, il ne l'est pas en réalité; c'est la faiblesse des yeux infirmes qui le fait paraître tel; ainsi cette prétendue Faiblesse de Dieu n'existe que dans les esprits malades. Quel est donc ici le souhait du juste ? Signale ta Gloire au milieu de tes ennemis, fais éclater ta Vengeance et ta Force, afin que ceux qui T'accusent de faiblesse reconnaissent ta Puissance aux châtiments dont Tu es l'Auteur. Vous voyez le but qu'il se propose, ce ne sont point ses intérêts, mais ceux de la Gloire de Dieu. Il en est qui rendent cette expression : "Sur les frontières" par : "sur les têtes;" d'autres traduisent ainsi : "Qu'aucun de tes ennemis ne puisse échapper." C'est une preuve de grande vertu dans un juste, d'avoir les mêmes ennemis et les mêmes amis que Dieu, comme aussi c'est un signe de grande perversité d'avoir pour amis les ennemis de Dieu, et pour ennemis ceux qui sont ses amis. Or, de même que nous disons de Dieu qu'Il a des ennemis, non pas dans ce sens qu'Il ait contre eux de la haine ou de l'aversion, mais parce que leurs mauvaises actions Lui sont en horreur; ainsi le juste aussi a des ennemis sans chercher à en tirer vengeance; il se contente d'avoir leurs mauvaises actions en horreur. "Et lève-Toi, Seigneur mon Dieu, pour exécuter le précepte que Tu as établi." D'autres versions portent : "Le jugement." "Et l'assemblée des peuples T'environnera." (Ibid. 8). Suivant une autre version : "Qu'elle T'environne." "En considération de cette assemblée, remonte en haut, Seigneur." Une autre version traduit : "Remonte en haut au-dessus d'elle." Le texte hébreu porte : Oualea. Que signifient ces paroles : "Pour exécuter le précepte que Tu as établi ?" Ce précepte, c'est de secourir ceux qui sont victimes de l'injustice, et de ne point abandonner ceux dont les ennemis ont résolu la perte. Exécute donc Toi-même, Seigneur, le précepte que Tu nous as donné. D'autres disent qu'il s'agit de la Promesse que Dieu a faite de Se déclarer contre ses ennemis : "Et l'assemblée des peuples T'environnera." Loin d'ici encore toute pensée humaine. Ces expressions, tout en présentant un sens matériel, renferment une signification digne de Dieu. Quel est donc le sens de ces paroles : "Elle T''environnera ?" C'est-à-dire : Elle chantera, elle célébrera tes Louanges, elle exaltera ta Gloire et Te comblera de bénédictions.

Le peuple se formait en choeurs pour offrir à Dieu ses chants d'actions de grâces, et il était rangé circulairement dans le temple autour de l'autel; c'est à cette disposition que le roi-prophète emprunte le terme qui exprime leurs bénédictions et leurs louanges. Voici donc le sens de sa prière : Marche contre tes ennemis, et viens à mon secours. Tu forceras ainsi tes ennemis à reconnaître ta Grandeur, et Tu donneras à ton peuple un juste sujet de célébrer tes louanges. Vous voyez ici encore une fois qu'il ne songe nullement à ses intérêts, et ne cherche que la Gloire de Dieu. Il veut que cette Gloire soit partout reconnue aussi bien par les ennemis de Dieu que par ses serviteurs. "Et pour elle, remonte en haut." De qui veut-il parler ? De l'assemblée elle-même, c'est-à-dire en considération de cette assemblée, remonte en haut, relève-nous de notre abaissement, que le succès couronne toutes nos entreprises, entoure cette assemblée de gloire et d'éclat, et rends-lui sa prospérité première. Remarquez comme David mêle partout la doctrine à la prière. Après avoir dit dans un autre psaume : "Aie pitié de moi et exauce-moi" (Ps 4,2), il fait suivre sa prière de cet enseignement : "Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le coeur appesanti ?" De même ici, après avoir dit à Dieu : "Seigneur, remonte en haut", il ajoute : "Le Seigneur discernera les actions des peuples;" (Ibid. 9); une autre version porte : "Le Seigneur jugera les peuples." Le roi-prophète apprend ainsi à ceux qui s'imaginent que toutes choses vont sans règle au gré du hasard, qu'il y a une Providence qui gouverne tout, et qui demande aux hommes un compte sévère de leurs actions. Le jugement dont il parle ici est à la fois le jugement futur et celui que Dieu porte dès la vie présente. Le jugement à venir sera universel et public; mais dès ici-bas, Dieu exerce ce jugement en partie pour réveiller par certains châtiments la tiédeur des uns et forcer l'incrédulité des autres à reconnaître sa Providence dont le gouvernement s'étend à tout l'univers. "Juge-moi, Seigneur, selon ma justice". Un autre interprète traduit : "selon mon droit, et selon mon innocence."

"L'iniquité des pécheurs aura un terme." Une autre version porte : Que le châtiment des impies soit complet. "Et Tu conduiras le juste"; ou suivant une autre : "Tu affermiras le juste." Mais, comment David qui, dans un autre endroit, fait à Dieu cette prière : "N'entre pas en jugement avec ton serviteur" (Ps 142,2); peut-il Lui dire: "Juge-moi selon ma justice" ? Parce qu'il est question de deux idées complètement différentes. Ces paroles : "N'entre pas en jugement avec ton serviteur", signifient : Ne soyons point jugés ensemble et n'examine point ma vie en l'opposant à tes Bienfaits; et c'est pour cela qu'il ajoute : "Parce que nul homme vivant ne sera trouvé juste devant Toi," c'est-à-dire si l'on établit une comparaison entre Toi et lui. Ici, au contraire, telle n'est point sa pensée, il ne veut établir aucune comparaison entre Dieu et lui, et il demande simplement à être jugé seul. "Juge-moi, dit-il, selon ma justice," c'est-à-dire selon la justice qui m'est personnelle. Cette justice, c'est de n'avoir point pris l'initiative d'agressions injustes, comme il l'a dit plus haut : "Si j'ai fait cela," et ce qu'il ajoute ensuite. Les paroles qui suivent : "Et selon mon innocence," ont la même signification; c'est d'après cette innocence, dit-il à Dieu, que je veux être jugé. La confiance de David en sa justice paraît ici bien grande, mais il est forcé de parler de la sorte. Pour quelle raison ? Parce que ses épreuves auraient pu donner de lui une mauvaise opinion à un grand nombre d'insensés. En effet, la plupart des esprits sans jugement regardent comme coupable la vie d'un homme sur lequel le malheur s'appesantit, c'est ce qui est arrivé au saint homme Job. Voilà pourquoi ses amis, sans pouvoir le convaincre d'aucune action répréhensible, osaient lui dire "Tu n'es pas encore puni comme tes péchés le méritent" (Jb 33,27). Des barbares eux-mêmes regardaient Paul comme un scélérat et un malfaiteur, parce qu'une vipère s'était élancée sur sa main, et ils disaient : "Après avoir été sauvé de la mer, la Vengeance divine ne veut pas le laisser vivre." (Ac 28,4). Séméi traitait également David d'homicide, et le regardait comme criminel, parce qu'il le voyait malheureux. (2 R 16,8).

8. Arrêtons-nous un instant sur cette matière pour vous faire éviter cette erreur. J'entends bien des personnes me dire : Si Dieu aimait les pauvres, Il ne les laisserait pas dans l'indigence. D'autres, quand ils voient un homme travaillé par des infirmités, par des maladies continuelles, se demandent : Où est le fruit de ses aumônes ? Que sont devenues ses bonnes oeuvres ? Examinons à fond cette difficulté pour ne point tomber dans la même erreur. Un homme qui est intelligent ne peut avoir ni haine pour les bons, ni affection pour les méchants; et vous osez accuser Dieu de haïr les pauvres, tout vertueux qu'ils soient, et d'aimer les riches bien qu'ils soient criminels, et vous ne comprenez pas que ce langage est à la fois un blasphème et une énorme absurdité ? Pour éviter de semblables excès, apprenez quel est l'objet véritable de la Haine et de l'Affection de Dieu. Quel est donc celui qui est aimé de Dieu ? Celui qui garde ses commandements. "Je l'aimerai, nous dit-Il, et Je viendrai à lui." (Jn 14,21-23). Ce n'est donc point celui qui est riche, celui dont la santé ne laisserait rien à désirer, mais celui qui obéit à mes commandements. Pour qui au contraire Dieu a-t-Il de la haine et de l'horreur ? Pour celui qui n'accomplit point ses préceptes. Lors donc que vous voyez un homme transgresser les commandements de Dieu, eût-il d'ailleurs en partage une santé florissante, une brillante fortune, rangez-le parmi ceux qui sont l'objet de la Haine de Dieu. Voyez-vous au contraire un homme vertueux, en proie tout ensemble à la maladie, à l'indigence, dites : C'est un ami de Dieu. Car l'Amitié de Dieu se manifeste non dans la possession des biens de la terre, mais bien plutôt dans les épreuves de la vie. Ne voyez-vous pas, pour prendre un exemple dans les choses humaines, que ce sont les favoris des rois qui dans les combats affrontent les dangers, s'exposent aux plus graves blessures et entreprennent des expéditions lointaines ? N'avez-vous pas entendu l'Apôtre vous dire : "Le Seigneur châtie celui qu'Il aime, Il frappe de verges tous ceux qu'Il reçoit au nombre de ses enfants ?" (Hé 12,6). Mais cette conduite en scandalise un grand nombre. Ils ne doivent s'en prendre qu'à leur défaut d'intelligence. Car ce n'est point ici-bas que Dieu nous donne la récompense de nos travaux. Cette vie est le temps des combats, les couronnes et les récompenses nous seront données dans la vie future. Ne cherchez donc pas le repos et la sécurité au temps du combat, au jour de la lutte, et ne confondez pas les temps.

Mais il en est qui sont si faibles, me direz-vous. Dieu a pourvu à leur faiblesse, et Il a permis qu'un grand nombre de justes passent leur vie au sein de la prospérité, non pour les récompenser, mais dans l'intérêt de ces âmes plus faibles. Si donc les afflictions des uns sont pour vous un objet de scandale, la vie calme et tranquille des autres doit ranimer votre foi, et si la vue du bonheur des méchants vous ébranle, le spectacle de leurs châtiments et de leurs supplices doit vous raffermir. N'avez-vous pas entendu Jésus Christ vous dire : "Vous aurez des tribulations en ce monde ?" (Jn 16,33). Pourquoi donc après ces paroles du Sauveur, chercher le repos ici-bas ? Ne L'avez-vous pas encore entendu vous dire : "Le monde se réjouira, tandis que vous serez dans la tristesse ?" (Jn 16,20). Il y aurait donc lieu pour les esprits peu intelligents d'être scandalisés, si le contraire de ce que Jésus Christ a prédit arrivait; puisque donc les événements sont conformes à ses Prédictions, pourquoi vous scandaliser ? Mais pour quelle raison, me direz-vous, Dieu en a-t-Il ordonné de la sorte ? Ne cherchez point à le savoir, et renoncez à une curiosité indiscrète. "Un vase d'argile dit-il à celui qui l'a formé : Pourquoi m'as-tu fait ainsi ?" (Rm 9,20). C'est cette témérité que Dieu par son prophète reprochait aux Juifs, alors que, coupables de crimes sans nombre, ils voulaient pénétrer avec curiosité dans les Desseins de Dieu. "Ils veulent connaître mes Voies, disait-Il, comme un peuple qui aurait agi selon la justice, et n'aurait pas abandonné la Loi de son Dieu." (Is 63,2). Ils ressemblent à un serviteur qui, ayant encouru le juste mécontentement de son maître et coupable à ses yeux de mille infidélités, au lieu d'apaiser sa colère, viendrait lui demander raison de la conduite qu'il tient a son égard. Cessez donc ces vaines recherches, et ne songez qu'à gémir, à pleurer et à laver vos fautes dans vos larmes.

Si je vous tiens ce langage, ce n'est pas que je ne puisse vous rendre raison de la conduite de Dieu, mais je voudrais vous guérir de cette curiosité inquiète, et vous inspirer une vive sollicitude pour le salut de votre âme. Pourquoi donc Dieu agit-Il de la sorte ? C'est par un sentiment de bonté pour le genre humain. Il a resserré le travail et la peine dans les étroites limites de cette vie, et Il a réservé les couronnes pour la vie future qui ne connaît ni vieillesse, ni fin. Le travail et la peine arrivent rapidement à leur terme, mais les récompenses sont immortelles et ne finiront jamais. Une autre raison de cette conduite, c'est d'exercer les âmes à l'amour de la vertu. Lorsqu'une âme embrasse la pratique de la vertu avec les peines qui lui sont attachées, et sans en recevoir la récompense, elle montre qu'elle veut l'aimer d'un amour désintéressé et parfait. En fuyant le vice qui se présente avec tous ses attraits et sans être suivi de châtiment, elle se fortifie dans l'habitude de haïr le vice et de chérir la vertu. C'est ainsi qu'elle se forme par une heureuse habitude à la haine du mal et à l'amour du bien. Il est encore une autre raison; quelle est-elle ? C'est que l'affliction nous inspire l'amour de la sagesse et augmente notre force intérieure. Dieu Se propose encore un autre motif, c'est de nous apprendre à mépriser les biens de la vie présente, à ne point nous y attacher et nous en rendre les esclaves. Voilà pourquoi Il assigne à cette vie les afflictions et les peines, tandis que le bonheur et la prospérité sont ici-bas de courte durée : "Que la malice des pécheurs ait un terme, et alors Tu conduiras le juste. Qu'est-ce à dire : "Qu'elle ait un terme" ? Envoie-leur des châtiments qui les arrêtent dans la voie du crime. Car de même que des blessures gangrenées cèdent à l'efficacité de remèdes énergiques, tels que l'application du fer et du feu; ainsi, le châtiment est un frein puissant qui arrête le vice.

9. Une fois convaincus de ces vérités, ce n'est plus sur ceux que Dieu châtie par les épreuves de cette vie qu'il nous faut verser des larmes, mais sur ceux qui pèchent avec le bénéfice de l'impunité. En effet, le premier malheur c'est de pécher, le second c'est de ne point appliquer le remède sur les blessures du péché, je dirai même et avec fondement que ce second malheur est pire que le premier. - Car, ce qui est vraiment pénible et triste, ce n'est pas d'être malade, c'est d'être malade et de ne point se soucier de sa guérison. De même encore, ce n'est pas simplement l'état d'un homme rongé d'un ulcère que nous déplorons, mais le triste état de celui qui n'y pense point, et n'a point recours à la main du médecin. Si cet homme au contraire se soumet à l'opération du fer et du feu, nous disons de lui qu'il est en voie de guérison. Nous ne considérons point la douleur que produit le retranchement des chairs, mais la santé qui doit en être le résultat. Tels doivent être nos sentiments à l'égard des maladies de l'âme. Ce n'est point sur les pécheurs que Dieu châtie que nous devons gémir et pleurer, car c'est ainsi qu'Il les ramène à la santé; mais sur ceux qu'Il laisse pécher avec impunité. Cependant, si les peines de cette vie sont un frein aussi puissant contre le péché, pourquoi ne sommes-nous pas châtiés tous les jours des fautes que nous commettons ? S'il en était ainsi, le genre humain serait détruit, sans avoir le temps de faire pénitence. Considérez cette vérité dans saint Paul. Si Dieu l'eût frappé de mort pour le punir d'avoir persécuté son Église, il n'aurait pas eu le temps de faire pénitence, il n'eût pas accompli ces oeuvres merveilleuses dont sa vie est pleine, et n'eût pas ramené le monde presqu'entier de l'erreur à la vérité. Ne voyez-vous pas que les médecins eux-mêmes, lorsqu'un malade est couvert de nombreuses blessures, n'appliquent pas des remèdes aussi énergiques que le demanderait la nature du mal, mais qu'ils les proportionnent aux forces du malade, dans la crainte qu'en voulant guérir ses blessures, ils ne lui donnent la mort ? Voilà pourquoi Dieu ne punit pas simultanément tous les pécheurs ou ne les châtie pas tous comme ils le méritent, mais qu'Il ne les punit qu'individuellement et en relâchant un peu les droits de sa Justice. Souvent même, le châtiment d'un seul a suffi pour en rappeler au devoir un grand nombre. C'est ce qui arrive tous les jours pour le corps. Le retranchement d'un seul membre rend la santé à tous les autres. Voyez la charité qui remplit l'âme de ce saint roi, comme il cherche en toute circonstance l'intérêt commun, c'est à-dire la destruction du péché. Il désire non point se venger de ses ennemis, mais les voir renoncer à leurs iniquités.

N'ayons donc aussi nous-mêmes qu'une seule chose en vue : arrêter les progrès du mal. Déplorons le triste sort de ceux qui vivent dans l'iniquité, fussent-ils revêtus de riches étoffes de soie, et proclamons bienheureux ceux qui pratiquent la vertu, quand même ils seraient réduits à la dernière indigence. Ne nous arrêtons pas à l'extérieur, pénétrons dans l'âme des uns et des autres, c'est alors que nous verrons les richesses des uns, l'extrême pauvreté des autres. Qu'importe que l'un soit couvert de vêtements éclatants ? En quoi diffère-t-il des magasins et des planches où ces vêtements sont suspendus ? En quoi est-il plus riche que ceux qui reçoivent ces étoffes pour les vendre ? Telles ne sont point les richesses du juste, elles sont solides et durables. Me direz-vous que les riches ne sentent point leur indigence ? Rien en cela de surprenant. Les frénétiques aussi ne sentent pas leur mal, et loin d'en être plus heureux, ils n'en sont que plus à plaindre. S'ils avaient la conscience de leur mal, ils s'empresseraient de venir trouver le médecin; mais le plus triste effet que produit le vice dans une âme qu'il possède, c'est de la rendre insensible au mal qui la dévore. Ne soyez point impressionnés par la joie que le riche affecte au milieu de ses richesses, mais versez sur lui des larmes d'autant plus abondantes qu'il ne comprend pas l'étendue de son infortune; car il n'est pas conforme à la nature, et c'est un acte d'extrême folie, de se livrer aux transports de la joie dans un semblable état. "Et Tu conduis le juste." Que veulent dire ces paroles ? C'est que le châtiment des impies rend les justes plus attentifs. Il résulte donc de là deux précieux avantages : les uns se retirent du mal, les autres s'attachent plus étroitement à la vertu. Un homme qui jouit de la santé, veille encore avec plus de soin à la conserver, lorsqu'il voit un de ses semblables soumis à l'opération douloureuse du fer et du feu; le même effet se produit ici. Un grand nombre de ceux qui existaient alors, parmi même les plus vigilants, se scandalisaient, et éprouvaient un sentiment de peine qui attestait leur imperfection, à la vue du bonheur des méchants.

C'est ce qui faisait dire à David dans un autre psaume : "Mes pas ont presque chancelé, parce que j'ai été touché d'un zèle d'indignation contre les méchants." (Ps 77, 2). Jérémie de son côté se demande "Pourquoi les impies prospèrent-ils en leurs voies ?" (Jer 12,l). C'est ce que le saint homme Job lui-même ne cessait de rechercher. Les dispositions encore imparfaites de ces temps anciens expliquent ces questions et ces recherches, mais aujourd'hui celui qui se troublerait à la vue de ce spectacle serait inexcusable, après avoir été si longtemps à l'école de la sagesse, après avoir été instruit en termes si clairs des vérités de la vie future, de l'existence de l'enfer et du royaume des cieux où chacun recevra suivant ses oeuvres. "Le Dieu juste sonde les coeurs et les reins. Mon secours est dans le Seigneur qui sauve les coeurs droits." (Ibid. 11). Une autre version porte : "Le Dieu juste examine les coeurs et les reins, Il est mon défenseur." Une autre : "Dieu est juste." Les Septante ont traduit : "Dieu scrute les coeurs et les reins; c'est avec justice que j'attends le Secours du Seigneur." Le roi-prophète avait annoncé que le Seigneur jugerait l'univers. Il explique maintenant quelle sera la forme de ce jugement : Dieu, dit-il, n'aura besoin ni de témoins, ni d'enquêtes, ni de preuves, ni de pièces, ni de démonstrations, ni d'aucun autre témoignage, car Il connaît tous les secrets des coeurs. Que l'insensé ne vienne donc plus dire : Comment Dieu pourra-t-Il juger cette multitude innombrable dont le monde est composé ? Car Celui qui a tiré le monde du néant pourra bien juger ce qu'Il a créé. Les reins signifient ce qu'il y a dans l'âme de plus secret, de plus intime, de plus profond, et c'est ce que le prophète veut faire comprendre par la place que les reins occupent dans le corps de l'homme.

10. Quel est le sens du mot : "Scrutant ?" Celui que lui donne un autre interprète : "Examinant." Le roi-prophète parle ici le langage de l'homme, mais le sens caché de ses paroles est digne de Dieu. Lorsque saint Paul dit de Dieu : " Qui scrute les coeurs" (Rm 7,27), scruter, pour lui, est savoir avec certitude; ainsi le mot scrutant, dans l'esprit du roi-prophète, veut dire qui connaît parfaitement. Examiner veut dire mettre en plein jour, ce qui est le propre de la science parfaite, comme dans ces paroles de saint Paul : "Tout est à nu et à découvert devant ses Yeux." (Hé 4,13). "C'est avec justice que j'attends le Secours du Seigneur." C'est-à-dire j'ai droit à ce secours, car je ne demande rien d'injuste. Si donc nous voulons obtenir le secours d'en haut, ne demandons que ce qui est conforme à la justice, afin que la nature même de nos prières en assure l'efficacité. "Qui sauve les coeurs droits." C'est l'oeuvre qui est familière à Dieu. Je ne me suis pas rendu le premier coupable d'injustice, je ne désire point me venger, dit le roi-prophète, et c'est pour cela que j'attends justement le Secours du Seigneur. Instruits de ces vérités, ne demandons rien à Dieu qui s'oppose à l'effet de nos prières. Lorsque vous Le priez contre vos ennemis, le secours que vous implorez n'est point juste, il est en opposition avec la loi de Dieu dont vous sollicitez l'appui. Je dirai la même chose lorsque vous demandez les richesses, la beauté, ou quelqu'autre faveur passagère de la vie présente, et contraire à la vraie sagesse de l'âme. Prions donc, mais de manière à obtenir. "Dieu est un Juge équitable, fort et patient; il n'exerce pas sa Colère tous les jours." (Ibid. 12). Une autre version traduit : "Il frémit de colère tous les jours." Le texte hébreu porte : "Pendant toute la vie." Une autre version : "Il menace, Il frémit, et ne punit point." Or voici le sens de ces paroles : Il est juste, donc Il voudra punir les méchants; Il est fort, donc Il pourra exécuter les arrêts de sa justice. Mais que devient sa Miséricorde, s'Il juge suivant la justice ? Elle paraît d'abord dans la patience qui Lui fait différer le châtiment, dans la rémission de nos péchés par le sacrement de la régénération, et en second lieu dans le temps qu'Il nous laisse pour faire pénitence.

Si vous réfléchissez, en effet, aux péchés que vous ne cessez de commettre, vous comprendrez la grandeur ineffable de sa Miséricorde. C'est ce que veut nous apprendre le roi-prophète par ces paroles : "Dieu est un juge équitable, fort et patient." Vous êtes surpris qu'Il ne punisse pas, alors que ni le pouvoir ni la volonté ne lui font défaut. Apprenez donc, nous dit David, que Dieu est patient, et qu'Il n'exerce pas sa Colère tous les jours. Ce n'est point par impuissance qu'Il ne venge pas ses droits outragés, comme des insensés pourraient le croire; la cause qui Lui fait différer le châtiment, c'est que sa Longanimité est grande. Il use de patience pour vous amener au repentir. Si vous ne profitez point de ce remède, c'est alors qu'Il exerce sa Vengeance. Tous les jours donc nous sommes redevables à sa Justice. S'il en était autrement, David n'eût point signalé comme une chose extraordinaire que Dieu n'exerce pas sa Colère tous les jours. S'il parle de la sorte, c'est que nos actions crient tous les jours vengeance, et que la Bonté seule de Dieu arrête le bras de sa Justice. Remarquez encore comme le roi-prophète nous montre Dieu exempt de trouble, et sous le nom de colère n'entend que le châtiment. Car personne n'inflige la colère, mais on ressent la colère en soi-même et on inflige le châtiment à celui qui le mérite. Il ne veut donc exprimer autre chose que l'idée de châtiment lorsqu'il dit : "Et Il n'exerce pas sa Colère tous les jours." Et pourquoi ajoute-t-il : "Tous les jours ?" Que chacun de nous rentre dans sa conscience, et il répondra à cette question. Ne parlons point ici des péchés secrets; mais qui peut éviter ceux qui sont communs à tous les hommes ? Quels sont-ils ? Dites-nous quel est le jour où nos prières ne soient faites avec négligence et tiédeur ? En faut-il davantage pour attirer la Colère de Dieu ? Jugez-en vous-mêmes. Dites-nous si vous vous présentiez devant un juge en donnant des signes de nonchalance et d'ennui, et que votre culpabilité fût prouvée, est-ce que vous ne seriez pas aussitôt condamné et envoyé en exil ? Oui, sans doute, me répondrez-vous, car ce juge est un homme.

Quelle conséquence tirer de là ? C'est qu'un homme à qui on fait outrage ne peut justement s'en irriter, car il est outragé par un de ses semblables, tandis que Dieu est en droit de faire justice des outrages qu'Il reçoit, parce qu'ils ont une gravité beaucoup plus grande que s'ils atteignaient un homme. Ajoutons encore que l'homme agit ainsi dans son intérêt, tandis que Dieu ne Se propose que le vôtre, et ce motif seul légitime sa Colère. En effet, en méprisant celui qui ne se propose que votre bien, vous êtes plus coupable que si vous méprisiez des hommes qui ne cherchent que leurs intérêts. Ce qui vous rend digne encore d'un châtiment plus sévère, c'est de n'avoir pas même la simple prudence de demander ce qui peut vous être utile. Mais quel est celui qui n'outrage pas son frère sans motif ? Ne me dites pas : Ce n'est qu'un serviteur, car en Jésus Christ il n'y a plus d'homme, ni de femme, ni d'esclave, ni d'homme libre (Gal 3,28). Quel est encore celui qui ne s'est point rendu l'accusateur de son prochain, qui n'a point commis de mensonge, qui n'a point jeté sur une femme des regards criminels, qui n'est point coupable d'envie ou de vaine gloire, qui n'a point à se reprocher de paroles inutiles ? Car voilà autant de justes sujets de condamnation. Si du moins nous avions pour les intérêts du temps la même négligence que nous affectons pour les intérêts de notre âme, peut-être serions nous dignes de quelque pardon. Mais nous ne pouvons nous prévaloir de cette excuse, car tandis que nous veillons avec le plus grand soin aux affaires de la terre, nous sommes d'une négligence extrême pour celles de l'éternité. Or, de peur que cette Patience de Dieu ne devienne pour les hommes l'occasion d'une négligence plus grande encore, David ajoute : "Si vous ne revenez à Lui, Il fera briller son épée. " (Ibid. 13). Une autre version porte : "Il aiguisera son épée. Il a tendu son arc et Il le tient," ou, suivant une autre version : "Il le bandera. Il y a préparé des instruments de mort et a rendu ses flèches brûlantes." (Ibid. 14). Suivant une autre version : "Il a préparé ses flèches pour brûler."

11. Que diront ici ceux qui prétendent que Dieu est revêtu d'une forme humaine, parce que l'Écriture lui prête des mains, des pieds, des yeux ? Soutiendront-ils qu'il y a aussi dans le ciel des arcs, des flèches, des pierres à aiguiser, des glaives, des carquois ? À ton seul Regard, dit un autre auteur inspiré, les montagnes tremblent de frayeur." (Ec 16,19). Et David lui-même nous dit : "Lui qui regarde la terre, et la fait trembler." (Ps 103,32). Si le seul Regard de Dieu a la vertu de fondre la nature des pierres, quelle puissance beaucoup plus grande n'aura-t-Il pas sur les hommes ? Pourquoi donc le roi-prophète prête-t-il un arc et un glaive à Dieu, qui peut anéantir la terre entière d'un seul regard; que dis-je, par un seul acte de sa volonté ? Car il est évident qu'Il peut l'anéantir de la même manière qu'Il l'a créée, c'est-à-dire par sa seule Volonté. L'Écriture nous dit "qu'Il tient dans sa Main les extrémités de la terre" (Ps 94,4); "que ceux qui l'habitent sont en sa Présence comme des sauterelles;" (Is 40,22); "que les nations sont devant Lui comme une goutte d'eau dans un vase d'airain, comme un grain de sable dans une balance." (Ibid. 40,15). Nous lisons encore qu'un ange envoyé de Dieu frappa de mort dans un seul instant quatre-vingt-cinq mille hommes (4 Rois 19,35); que dis-je, un ange ? Des mouches, des insectes, des vers ont suffi pour détruire l'armée des Égyptiens. Quel besoin donc est-il d'arcs et de glaives ? Pourquoi donc ce langage dans la bouche du roi-prophète ? C'est pour s'accommoder à la faiblesse de ses auditeurs et leur inspirer une salutaire frayeur par l'énumération de ces armes qui leur sont connues. Car en quoi d'ailleurs les armes seraient-elles nécessaires - à celui qui tient dans sa Main la vie de tous les hommes (Dan 5,23) et dont David a dit : "Qui peut soutenir la rigueur de son froid ?" (Ps 147,17). Mais comme je l'ai dit, c'est à cause de la grossièreté et de l'ignorance des hommes qu'il parle de la sorte. Que veut dire cette expression : "Il fera briller son glaive ?" Il aiguisera. Faudra-t-il donc une pierre à aiguiser ? Est-ce que son glaive a des taches de rouille ? Quel est celui qui avec tant soit peu d'intelligence, voudrait entendre ces expressions dans leur sens littéral ? Ainsi que je l'ai dit précédemment, le prophète fait une description entière des châtiments réservés aux pécheurs, et il se sert de ces expressions figurées pour que les esprits les plus dépourvus de raison comprennent qu'il ne faut pas s'en tenir aux mots, mais leur donner une signification qui soit digne de Dieu.

Si donc on est surpris d'entendre attribuer à Dieu de la colère, de la fureur, combien le sera-t-on davantage de Lui voir prêter des armes ? Cependant, si nous devons prendre ces armes non dans leur signification littérale, mais dans un sens digne de Dieu, il est évident qu'il faut entendre dans le même sens la colère et la fureur. Ces expressions matérielles et figurées n'ont d'autre but que de frapper les intelligences les plus grossières. Aussi David ne se contente pas de ce qu'il a dit, mais pour augmenter leur frayeur, il emprunte un langage encore plus rapproché du nôtre. Il nous présente Dieu non seulement comme ayant un glaive à la main, mais comme armé de toutes pièces. La vue d'un arc qu'on tient entre les mains cause une bien plus grande frayeur que la vue d'un glaive qu'on aiguise, et c'est pour cela que le roi-prophète a recours à ces expressions métaphoriques pour pénétrer l'âme de ses auditeurs d'une crainte salutaire : "Il a tendu son arc et l'a préparé," et il fait ressortir en même temps la Patience de Dieu et sa juste Colère. Il ne dit pas : "Il a envoyé, Il a lancé ses flèches," mais : "Il a tendu son arc, Il l'a préparé;" c'est-à-dire il est tout prêt à lancer ses flèches. Et qu'y a-t-il d'étonnant que le roi-prophète parle ainsi sous l'Ancien Testament, alors que sous le Nouveau, Jean Baptiste tient aux Juifs le même langage : "La hache est déjà placée à la racine de l'arbre ?" (Lc 3,9). Quoi donc ? Est-ce que Dieu agit comme un ouvrier qui se sert de la hache pour couper le bois ? Et faut-il entendre dans le sens littéral cette hache et ce bois ? Non sans doute, pas plus qu'il ne faut prendre dans ce sens la paille et le blé dans ces paroles : "Sa main tient le van, et Il nettoiera son aire, et Il amassera son froment dans son grenier, et Il brûlera la paille dans un feu qui ne s'éteint point." (Mt 3,12). Dans quel sens faut-il donc entendre ces expressions ? La hache, c'est le châtiment et le supplice; les arbres ce sont les hommes; la paille les méchants; le froment les bons; le van, le jugement et la séparation. De même ici le glaive, l'arc et les flèches sont la figure du juste châtiment réservé aux pécheurs. Il nous annonce ensuite que ce châtiment doit être tant soit peu différé, mais il nous montre qu'il n'est pas éloigné, en nous disant que Dieu a tendu son arc et le tient préparé.

Les instruments de mort sont les flèches; de même que les instruments aratoires sont ceux qui servent à l'agriculture, les instruments de marine ceux qui servent à la navigation, les instruments de tissage ceux dont on se sert pour tisser, ainsi les instruments de mort sont ceux qui donnent la mort. Il explique ensuite quels sont ces instruments de mort; ce sont les flèches qui indiquent la célérité du châtiment, lorsque le temps voulu de Dieu est arrivé. Que signifient ces paroles : "Pour ceux qui sont enflammés ?" Pour ceux sur qui tomberont ces châtiments. Est-ce donc que le feu ne suffisait pas, qu'il fallut y joindre encore des flèches ? Vous voyez que le roi-prophète se sert partout d'expressions métaphoriques pour nous inspirer un plus grand effroi. Voici donc le véritable sens de ses paroles : Dieu a préparé ses châtiments pour ceux qui les ont mérités. Mais s'il n'avait employé ce langage figuré il eût inspiré moins de crainte, tandis que cette énumération de flèches, d'arc tendu, de flèches prêtes à être lancées, d'instruments de mort, de feu, pénètre l'âme de frayeur. Il modère ensuite cette crainte en ajoutant : "Pour ceux qui sont au milieu du feu." C'est-à-dire qu'il prévient la pensée qui pourrait naître dans un esprit peu intelligent que la Main vengeresse de Dieu s'étend sur tous les hommes, en ajoutant : "Pour ceux qui sont au milieu des flammes." C'est ce que saint Paul fait entendre lui-même lorsque, parlant du prince, il dit: "Ce n'est pas en vain qu'il porte le glaive." (Rm 13,14). Si donc le glaive des princes inspire une salutaire frayeur, combien plus le glaive de Dieu ! C'est du reste une preuve de la grande Bonté de Dieu que de nous effrayer par des menaces, par une peinture même exagérée du châtiment pour nous le faire éviter plus sûrement. C'est pour cela qu'Il tend son arc, qu'Il le prépare, qu'Il y place ses flèches, c'est pour cela qu'Il se prépare à punir pour n'avoir jamais à le faire.

12. Tous les traits dans cette description ont une signification marquée. "Il fera briller son glaive." C'est la violence et la célérité du châtiment. "Il a tendu son arc," c'est la certitude de la punition, si les pécheurs refusent de se convertir : "Pour ceux qui sont au milieu des flammes." Ce sont les coupables qu'Il instruit par avance des châtiments qui leur sont réservés pour les retirer de la voie du crime. Si Dieu agissait ici par un motif de colère et de fureur, Il ne prédirait point aux méchants les supplices qui les attendent. Car ce n'est point ainsi qu'agit la colère, elle tient une conduite toute contraire, surtout lorsqu'elle est parvenue à son comble, que le moment de la vengeance approche, et que tout est prêt pour le châtiment. Ainsi les ennemis et ceux qui méditent un grand acte de vengeance, non seulement ne le font pas connaître, mais viennent fondre à la dérobée dans la crainte que ceux qu'ils veulent ainsi châtier ne se mettent sur leurs gardes. Mais Dieu tient une conduite toute différente, Il prédit les châtiments, Il les diffère, Il effraie par ses Paroles, Il fait tout pour n'être pas obligé de mettre ses Menaces à exécution. Là aussi Il a tendu son arc, Il a aiguisé son épée, Il a préparé ses flèches, et n'a point déchargé ses Coups. En effet ne vous semble-t-il pas voir un arc, des traits, un glaive aiguisé dans cette menace du prophète : "Encore trois jours et Ninive sera détruite ?" (Jon 3,4). Cependant le trait ne partit point, car Dieu ne l'avait point préparé pour le lancer, mais pour le déposer. Les soldats ne s'arment que pour frapper, Dieu au contraire ne le fait que pour nous inspirer une crainte qui nous rende plus sages et désarmer sa Main levée pour nous punir. Ne nous troublons donc point, ces paroles redoutables partent d'un Coeur extrêmement miséricordieux, et plus elles nous paraissent dures et insupportables, plus elles sont dictées par un sentiment de douceur ineffable. Les pères, lorsqu'ils n'ont point intention de punir leurs enfants, laissent éclater dans leurs paroles une colère plus grande; ainsi Dieu qui ne veut point nous châtier, cherche à nous effrayer par des menaces plus sévères. Il nous prédit qu'Il a préparé le feu de l'enfer, pour n'être point obligé de nous y précipiter, et c'est pour cette raison que dans l'Évangile Il parle bien plus souvent des supplices éternels, que du royaume des cieux.

Comme les esprits peu éclairés se laissent plus facilement détourner du vice et amener à la pratique de la vertu par la crainte des châtiments que par l'espérance des biens promis, Dieu S'attache à leur remettre continuellement ces châtiments sous les yeux. Que ces menaces terribles ne jettent donc point notre âme dans la tristesse; car elles peuvent nous être souverainement utiles. Considérons tout à la fois la Longanimité et la Justice de Dieu et ne désespérons point de notre salut, car Il est patient; ne perdons point courage, car Il est juste. Il fait preuve sur la terre d'une patience admirable; et dans l'autre vie, Il abandonne ceux qui n'ont point voulu en profiter à la triste expérience des supplices éternels. Prévenons dès cette vie un si grand mal. "Voici que le méchant a enfanté l'injustice." Le texte hébreu porte au lieu de "il a enfanté, " Jebal, "il a conçu la douleur." Suivant une autre version : "Et après avoir enfanté, il a engendré l'iniquité." (Ibid. 16). Une autre version porte : "Šle mensonge. Il a ouvert une fosse, et l'a creusée, il tombera dans la fosse qu'il a préparée." (Ibid. 16). Une autre version porte : "Dans la perdition dont il est l'auteur." Le roi-prophète nous a montré Dieu prêt â exercer sa Vengeance et à châtier les méchants, et il rend ainsi ceux qui l'écoutent plus sages et plus modérés en leur montrant la Colère de Dieu suspendue sur leur tête. Il les enseigne maintenant par les faits et leur apprend qu'avant même les châtiments de l'autre vie, le crime est à lui-même son propre supplice. Vérité que proclamait saint Paul lorsqu'il disait : "Et ils ont reçu en eux-mêmes la peine due à leur égarement." (Rm 1,27). Et il en donnait pour exemple ceux que leurs crimes monstrueux avaient punis de la manière la plus frappante. Comme un grand nombre d'âmes encore grossières n'écoutent les conseils de la sagesse que lorsqu'ils leur sont donnés par les châtiments des coupables, saint Paul croit utile de proposer cet exemple. C'est ce que fait Jésus Christ Lui-même. Après avoir parlé à plusieurs reprises des supplices de l'enfer, Il apporte l'exemple des tristes victimes de ces feux éternels, du riche contemporain de Lazare, des vierges folles, (Mt 25,1-24); du serviteur qui avait caché son talent, et dès cette vie, de ceux qui avaient été écrasés par la chute d'une tour et dont Pilate avait mêlé le sang avec leurs sacrifices. (Lc 13,1-4).

Ainsi Pierre, après avoir lui-même parlé longuement des peines de l'enfer, cite à l'appui ceux qui endurent ces supplices éternels, et place sous les yeux de ses auditeurs le châtiment d'Ananie et de Saphire, ce que saint Paul lui-même fit pour Elymas le magicien. (Ac 13,11). Il confirme encore cette vérité, lorsque, rappelant le voyage des Hébreux dans le désert, il dit : "Vous ne devez pas ignorer, mes frères, que nos pères ont tous été sous la nuée, qu'ils ont tous été baptisés sous la conduite de Moïse, qu'ils ont tous mangé la même nourriture mystérieuse, et qu'ils ont bu le même breuvage spirituel. Cependant la plupart d'entre eux ne furent point agréables à Dieu, mais ils périrent dans le désert." (1 Co 10,1-5). Saint Paul venait de parler de la vie future, de l'enfer, des châtiments et des supplices qu'on y endure; à l'appui de ces vérités, il invoque les exemples des temps anciens en rappelant ceux qui ont été punis, les uns par les serpents, les autres par l'ange exterminateur. C'est ce que fait ici David lui-même en apportant l'exemple d'Achitophel ou d'Absalom; car, suivant quelques-uns, il parlerait ici d'Achitophel. En effet, il n'y a aucun rapport, ce semble, entre ce que dit ici David et ces paroles : "Épargnez mon fils Absalom," non plus qu'entre ce qu'il dit après avoir appris sa mort : "Qui me donnera de mourir pour toi" ? (2 R 18,5 et 33). D'un côté en effet, c'est la voix de la nature qui se fait entendre, de l'autre, il parle sous l'inspiration de l'Esprit saint. Mais qu'il ait en vue Absalom ou Achitophel, appliquons-nous à méditer ces paroles, car je ne m'occupe pas autrement des personnes.

13. Quel enseignement nous est donc ici donné ? C'est que celui qui creuse une fosse sous les pas de son prochain y tombera lui-même. De même que les femmes en couches sont déchirées par les douleurs de l'enfantement, ainsi celui qui tend des pièges à son prochain, avant même qu'il ait pu lui nuire, est le premier en proie à ces déchirements violents, aux douleurs les plus aiguës. C'est pour nous faire comprendre tout ce que ces douleurs ont d'affreux, que le roi-prophète les compare aux douleurs de l'enfantement. En effet, c'est la comparaison dont se sert la sainte Écriture, quand elle veut exprimer une douleur insupportable. "Les douleurs de l'enfantement, est-il dit dans l'Exode, saisirent les habitants de la Palestine" (Ex 15,14); c'est-à-dire la crainte, l'épouvante, la douleur et la souffrance. Saint Paul emploie la même comparaison dans les paroles suivantes : "Lorsqu'ils diront : Paix et sécurité, alors une ruine soudaine les surprendra, comme une femme est surprise par les douleurs de l'enfantement." (1 Th 5,3). L'apôtre veut ici nous faire comprendre deux choses : la rigueur intolérable du mal et son irruption subite. Ézéchias exprime la même idée lorsqu'il dit : "Les enfants sont venus à terme, et la mère n'a pas eu la force de les mettre au monde." (Is 37,3). Il veut marquer par cette comparaison tout ce que la crainte et la souffrance ont d'amer et de déchirant; c'est ce que fait ici le roi-prophète. En effet, quelque nombreux que soient les crimes qu'un homme a commis, le jugement de la conscience n'est pas détruit; car il est naturel et c'est Dieu Lui-même qui l'a gravé dès le commencement au fond de notre âme. Malgré tous nos efforts, Il est au dedans de nous, Il fait entendre sa Voix, Il nous punit, Il nous condamne; et il n'est personne de ceux qui vivent dans le crime, qui n'ait à souffrir des douleurs sans nombre, lorsqu'il médite de faire le mal, et lorsqu'il exécute ses mauvais desseins. Quel homme fut plus criminel que le roi Achab ? Et cependant voyez quelle douleur il éprouva lorsqu'il eut convoité la vigne de son voisin Naboth ! (3 R 21,4). Il était roi, tout lui obéissait, personne n'osait le contredire, et cependant parce qu'il ne peut soutenir la voix de sa conscience, il rentre dans son palais triste, abattu, déconcerté, les yeux couverts d'un sombre nuage, portant gravé sur ses traits le jugement accusateur de sa conscience, et ne pouvant dissimuler la douleur de son âme. C'est dans cet état que sa femme le surprit. Voyez encore le traître disciple après le crime énorme dont il s'est rendu coupable, il ne peut supporter la douleur que lui cause le jugement de sa conscience (Mt 28,5), il se pend et finit ainsi ses jours. (Ac 1,8). Mais de même que l'âme coupable est en proie à d'indicibles tortures, de même l'homme vertueux jouit d'un calme profond et d'une tranquillité parfaite; soyez-en vous-même le juge.

Voici un homme qui veut se venger d'un outrage qu'il a reçu, ou commencer le premier une injuste agression, voyez à quelles dures épreuves il se condamne. Il est rempli de fureur, déchiré par la colère, mille pensées tumultueuses s'agitent dans son esprit, il hésite entre mille voies diverses, il est assiégé de craintes, d'appréhension et d'effroi. La colère partage son esprit, la crainte livre son âme au trouble et à l'irrésolution : comment pourra-t-il accomplir ses desseins ? Comment pourra-t-il se venger ? Et il se perd ainsi lui-même avant de faire le moindre mal à celui qu'il veut perdre. Au contraire, celui qui bannit la colère de son coeur, s'affranchit en même temps de tous ces maux et cela se conçoit; car tout ici dépend de lui seul, et il n'a qu'à vouloir et tout s'exécute. Il n'en est pas ainsi du premier, il lui faut choisir le temps, le lieu, avoir recours à la ruse, à la méchanceté, aux armes, aux expédients, aux injures, aux basses flatteries, à la dissimulation. Vous voyez comme la vertu est facile, et que de difficultés au contraire présente le vice; quel calme dans la vertu, quel trouble et quelle agitation marchent à la suite du vice ! C'est cette vérité que le roi-prophète veut nous enseigner par ces paroles : "Voici qu'il a enfanté l'injustice, il a conçu la douleur et enfanté l'iniquité." Il nous apprend ainsi que l'injustice n'est pas dans notre nature, mais qu'elle lui est étrangère. C'est pour cela qu'elle nous est tant à charge et nous cause de si vives douleurs, tant que nous en subissons l'empire. Ainsi, tant que l'enfant n'a pas atteint sa formation, il reste attaché au sein de sa mère, selon les lois de la nature, et il y demeure sans causer aucune douleur. Mais lorsque son organisation est complète, s'il reste plus longtemps dans le sein maternel, c'est contre les lois de la nature, et les douleurs de l'enfantement se font sentir. Aussi la nature contrariée s'efforce de l'expulser comme ayant accompli son oeuvre et ne pouvant plus le supporter davantage. Mais dans l'ordre de la nature, la conception précède les douleurs de l'enfantement, ici au contraire, le méchant enfante, puis il conçoit et met au jour.

Pourquoi cette inversion ? C'est que dans les enfantements naturels la douleur accompagne l'enfantement, tandis qu'ici elle se fait sentir tout d'abord. En effet, aussitôt qu'on s'arrête à une pensée criminelle, avant même qu'elle ait fait une profonde impression sur l'esprit, elle y répand le trouble et le désordre. Le germe, une fois déposé dans le sein de la femme, se développe et forme l'être organisé qu'elle doit enfanter. Mais pour les artisans de desseins perfides, une pensée tombe aujourd'hui dans leur esprit, et demain une autre, ce sont des semences innombrables de mal, et tous les jours de nouvelles conceptions et de nouvelles douleurs qui donnent la mort à l'âme qui les enfante. Car cet enfantement ne ressemble point aux enfantements naturels, il est pareil à celui des vipères, dont les petits déchirent et mettent en pièces le sein qui les engendre; ainsi fait l'iniquité et l'injustice. Mais malgré tous nos efforts, nous ne pourrons jamais exprimer par la parole, les tourments et les peines auxquels se condamnent les méchants. Aussi l'auteur des Proverbes dit : "Le méchant seul épuisera tous les maux." (Prov 9,12). Qu'y a-t-il en effet de plus malheureux que celui qui est dominé par l'envie, et de plus misérable que celui qui tend des pièges à son prochain ou qui désire s'emparer de ses biens ? Toutes ces passions déchirent l'âme plus violemment que ne pourrait faire le plus cruel bourreau.

14. C'est donc avec raison que le roi-prophète a comparé ces pensées aux douleurs de l'enfantement. C'est par suite des relations conjugales que les femmes enfantent; si les corps des parents sont sains, les corps qui naîtront d'eux le seront également; mais s'ils renferment quelque principe vicieux ils le transmettent à leurs enfants : or il en est de même pour nos pensées. Si vous vivez dans la société des bons, votre âme ne produira que de bonnes pensées, mais si vous vous liez avec les méchants, cette union sera pour vous féconde en maux de tout genre. Écoutez donc ce que dit le prophète : "Sous l'impression de ta Crainte, nous avons conçu, nous avons été comme en travail, et nous avons enfanté l'esprit du salut." (Ps 26,18). Mais pour ceux qui sont du parti du démon : "Ils ont fait éclore des oeufs d'aspic, et ils ont formé des toiles d'araignée. " Is., 59, 5. Fuyons donc le commerce des méchants. Quelle n'est pas notre folie de ne point vouloir, lorsque nous le pouvons, concevoir et enfanter sous la céleste influence des préceptes divins, mais de rechercher avec empressement le commerce des méchants, semblables en cela à une femme qui pouvant s'unir à un roi refuserait cette alliance, et choisirait pour époux un brigand et un voleur de profession ? "Il a ouvert une fosse et l'a creusée, et il tombera dans la fosse qu'il avait faite" (Ibid. 6). Le roi-prophète a de nouveau recours aux expressions métaphoriques; par la comparaison de l'enfantement il a voulu nous faire comprendre la douleur des méchants, et par la comparaison d'une fosse, il nous fait entendre combien leur délivrance sera difficile. "Il tombera dans la fosse qu'il a creusée." C'est ce que dit un autre auteur inspiré : "Celui qui creuse une fosse sous les pas de son prochain y tombera le premier" (Prov. 26,27). Or, c'est un nouveau trait de la Bonté divine d'attacher aux desseins artificieux cette destinée fatale qui fait tomber les traîtres dans leurs propres filets, afin que cette considération les détourne de faire la guerre à leur prochain, et de lui tendre des embûches. C'est ce qui s'est vérifié dans la personne de Moïse. Il était destiné à une mort certaine et il fut sauve, et Pharaon périt par la voie qu'il avait prise pour faire périr les enfants des Hébreux. Il avait ordonné de les mettre à mort, et la mère de Moïse, forcée par la crainte d'obéir à cet ordre, avait exposé son enfant, mais la fille de Pharaon ayant fait retiré du fleuve la corbeille de jonc, et y ayant trouvé cet enfant, le fit élever, et ce Moïse, devenu grand, fut la cause de la ruine des Égyptiens. La Sagesse de Dieu brille ici de tout son éclat; les méchants peuvent puiser dans cette conduite une leçon salutaire, et ceux qui échappent à leurs persécuteurs un profond sentiment de joie.

L'illustre Joseph est un exemple de la même vérité. Ses frères qui l'avaient réduit en servitude furent soumis à mille épreuves; loin de nuire à leur frère ils contribuèrent à son élévation et supportèrent seuls les suites fâcheuses de cet événement tragique. Je pourrais donner un plus grand développement à ces réflexions, je me contente de vous dire : Considérez cette vérité dans ceux qui vous entourent. Un homme s'est emparé des biens d'autrui ? Il s'est perdu lui-même. Souvent son action a tourné au profit de celui qu'il avait dépouillé, tandis que lui-même a livré son âme a une ruine assurée. Un autre a commis une injustice ? Il s'est enfoncé un glaive dans l'âme; le véritable mal n'est point pour celui qui reçoit l'outrage, mais pour celui qui en est l'auteur. Voilà pourquoi saint Paul exhorte les chrétiens à souffrir qu'on leur fasse tort, plutôt que d'en faire eux-mêmes. (1 Cor 6, 7) Jésus Christ Lui-même nous commande de ne point rendre le soufflet que nous recevons, mais d'aller au-devant même de l'outrage qu'on veut nous faire (Mt 5, 39). C'est la preuve d'une grande force d'âme, c'est là ce qui forme à la patience, c'est là ce qui donne à l'âme une vigueur extraordinaire et la rend supérieure à toutes les agitations. Celui qui fait tort à son prochain, qui le frappe ou l'outrage est le premier victime de sa passion et en devient l'esclave. Il paraît ne faire de mal qu'à son frère, mais il est en proie lui-même à des maux bien plus cuisants, et il se réduit à la dernière des servitudes. "La douleur retournera sur lui-même, et son injustice descendra sur sa tête" (Ibid. 17). Les interprètes appliquent ces paroles à Achitophel et à Absalom, dont la tête à tous deux fut dévouée particulièrement au supplice. Achitophel, en effet, se pendit, et Absalom, passant sous un arbre, fut retenu par sa chevelure, et demeura suspendu pendant un assez long temps. Judas lui-même se pendit de désespoir, convaincu qu'il avait par son crime attiré ce malheur sur sa tête. Achitophel ayant bien prévu que David serait victorieux, s'étrangla de ses propres mains. Pour Absalom, ce fut contre sa volonté qu'il fut suspendu à un chêne, et il n'expira point sur-le-champ, mais il demeura comme exposé devant un tribunal et attaché à cet arbre. Par un juste jugement de Dieu, il resta ainsi suspendu très longtemps, pendant que le jugement de sa conscience venait ajouter à son supplice. Il désirait plonger son glaive dans le sein de son père; et malgré cela David suppliait ses gens d'épargner la vie de son fils. Il était si fort au-dessus de la vaine gloire qu'il pleura amèrement la mort de ce fils rebelle.

Pour bien vous convaincre du reste que les desseins et l'habileté des hommes ne furent ici pour rien, mais que tout s'est fait par suite d'un jugement divin, ce sont les cheveux et les branches de l'arbre qui retinrent Absalom lié, et ce fut un animal sans raison qui le conduisit au supplice; sa chevelure tint lieu de corde, un chêne servit de gibet, et sa mule fit l'office de soldats. Et chose vraiment étonnante, il demeura ainsi suspendu un long espace de temps sans qu'aucun des siens osât venir le délivrer. C'était le Dessein de Dieu qu'il ne fût point détaché de l'arbre, ni amené chargé de chaînes à son père, parce que le coeur paternel de David avait manifesté pour lui une trop grande indulgence. Et ce qu'il y a ici de plus admirable, c'est qu'Absalom reçoit le coup de la mort de la main de celui qui l'avait autrefois réconcilié avec son père, et qui devient pour lui un accusateur rigoureux. Toutefois en lui donnant la mort, Joab ne faisait qu'exécuter la sentence que Dieu lui-même avait portée.

15. Voulez-vous une preuve que cette sentence est sortie de la Bouche de Dieu ? La voici. Après avoir dit : "Son injustice descendra sur sa tête, le roi-prophète ajoute : "Je rendrai gloire au Seigneur, à cause de sa Justice, et je chanterai le Nom du Très-Haut." (Ibid.18). Rendons grâces à Dieu, dit-il, non point en "nous réjouissant de la mort de nos ennemis, mais en nous soumettant au juste Jugement de Dieu. Mais qui peut rendre grâces à Dieu selon sa Justice ? qui peut Le louer d'une manière digne de lui ? Personne. Que signifient ces paroles : "Selon sa Justice ?" C'est-à-dire à cause de sa justice : "Et je chanterai le Nom du Très-Haut." Car c'est à Lui et non pas à moi que revient toute la gloire de la victoire et du triomphe. Lorsqu'un roi revient victorieux de la guerre, les choeurs qui célèbrent ses louanges reportent sur Lui tout l'honneur de la victoire, c'est ce que je veux faire moi-même, dit David. Aussi il ne dit pas : "je chante" mais "je chanterai" pour nous apprendre qu'il ne met point en oubli les bienfaits qu'il a reçus, et que loin d'en perdre le souvenir, ils sont toujours l'objet de ses pensées. Ce n'est pas que Dieu ait besoin de notre reconnaissance, c'est à nous-mêmes qu'elle est utile et profitable. C'est ainsi qu'Il recevait autrefois les sacrifices, sans en avoir aucun besoin "Si J'avais faim, irais-Je te le dire ?" (Ps 49,12), mais pour amener les hommes à lui rendre l'honneur qui lui est dû; aussi reçoit-Il leurs hymnes et leurs chants, sans avoir besoin de nos louanges, et uniquement dans le désir qu'Il a de notre salut.

Dieu, en effet, n'a rien tant à coeur que notre progrès dans la vertu. Or rien n'est plus propre à nous y faire avancer que d'être toujours dans un saint commerce avec Dieu, de Lui rendre de continuelles actions de grâces et de chanter assidûment ses louanges; et chanter les louanges de Dieu, c'est admirer sa Justice et sa Patience. Et où paraît donc, me direz-vous, la Patience de Dieu dans la mort de l'usurpateur ? Peut-elle être plus grande et plus éclatante ? Dieu le supporta longtemps, pour l'amener au repentir; Il le laissa s'emparer des palais royaux, afin qu'en voyant la maison où il avait été nourri et élevé, et les insignes du roi son père, il conçût un vif regret de son crime. S'il n'eût pas eu des instincts féroces et un coeur de pierre, tout ce qu'il avait sous les yeux devait le toucher profondément; la table où il s'asseyait à côté de son père, la maison, la salle même où on l'avait réconcilié avec lui après le meurtre qu'il avait commis, et mille autres considérations qui auraient dû l'attendrir. Car il avait appris que son père errait en fugitif sans demeure certaine, et qu'il était réduit à la dernière détresse. Si tant de motifs réunis n'étaient point capables de le toucher, ne devait-il point réfléchir en apprenant la fin tragique d'Achitophel qui venait de se pendre, et se repentir de ses desseins criminels ? Car il n'ignorait pas le triste sort de son ami. Et qu'avait-il à reprocher à son père pour légitimer sa révolte ? Qu'il lui avait défendu de se présenter devant lui. Ne devait-il pas au contraire être rempli d'admiration et de reconnaissance de ce que David lui avait pardonné le meurtre de son frère ? Ainsi, sans que rien pût autoriser sa révolte, et obéissant uniquement à une ambition aussi violente qu'inopportune, alors que son père était parvenu à la vieillesse et que l'attente ne devait pas être longue, Absalom ne voulut point tarder d'un seul instant. Mais comment ne lui vint-il pas à la pensée que fût-il même victorieux, il mènerait la vie la plus misérable, et que sa victoire elle-même le rendrait un objet d'exécration et d'horreur?

16. Où sont maintenant ceux qui se lamentent sur leur pauvreté ? Quelle indigence, quelle maladie, quelle douleur ne sont pas mille fois plus douces qu'un semblable sort ? David ne récrimina pas en lui-même, il ne s'abandonna ni à l'indignation, ni aux plaintes. On ne l'entendit point dire : Je reçois une belle récompense, moi qui passe le jour et la nuit à méditer sa loi; du faîte des honneurs je suis tombé au dernier degré de l'opprobre, et moi qui ai toujours épargné mes ennemis, je suis tombé entre les mains d'un fils rebelle. David s'abstint de toute parole, de toute pensée de ce genre, il supporta toutes ces épreuves avec sagesse et courage, n'ayant qu'une seule consolation au milieu de ses malheurs, c'est que Dieu n'ignorait rien de ce qui se passait. Lorsque les trois enfants disaient à Nabuchodonosor : "Quand Dieu ne voudrait pas nous délivrer, sachez, ô roi, que nous n'honorons pas vos dieux, et n'adorons pas la statue d'or que vous avez élevée" (Dn 3,18).Si on leur eût demandé : Dans quelle espérance affrontez-vous le trépas ? Qu'attendez-vous, qu'espérez-vous après la mort (car l'espérance de la résurrection n'était pas alors bien affermie) ? - ils auraient fait cette réponse : La plus grande récompense à nos yeux, c'est de mourir pour Dieu. De même la plus grande consolation pour David c'est que Dieu connaissait ses malheurs et ne les empêchait pas. Un homme qui aime, donnerait mille vies pour la personne qu'il aime, lors même qu'il n'en attendrait rien après la mort. Ainsi devons-nous être prêts à tout souffrir pour Dieu Lui-même, plutôt que pour le royaume des cieux et dans l'espérance des biens futurs. Mais il en est qui sont si nonchalants, si insensibles, que l'attrait des récompenses ne suffit pas pour leur faire embrasser la vertu. Ils n'écoutent pas Dieu qui leur promet le royaume des cieux; ils aiment le démon qui ne peut leur donner que l'enfer. Est-il une folie plus déplorable ? Mais, que dis-je, qu'il ne peut donner que l'enfer ? Avant même d'y précipiter ses victimes, il ne leur donne en partage ici-bas que la douleur, l'opprobre, la dérision et des tourments innombrables; et cependant on accourt en foule autour de lui. Considérez l'adultère, voyez s'il est un homme plus malheureux que lui; avant même le supplice de l'enfer tout lui est crainte et soupçon, une ombre le fait trembler, il n'ose regarder personne en face, il redoute tous les hommes, ceux qui connaissent son crime comme ceux qui l'ignorent, il voit partout des glaives aiguisés, le coup de la mort suspendu sur sa tête, des licteurs, des tribunaux. Combien différent est le sort de la continence, quelles que soient ici-bas ses épreuves ! L'homme chaste goûte toujours les plaisirs les plus purs, l'adultère est toujours dans la douleur et les ténèbres.

Nous pouvons encore voir l'application de cette vérité dans les esclaves de la colère et dans ceux qui s'en rendent maîtres, dans les ravisseurs du bien d'autrui, et dans ceux qui donnent, ou pour parler plus justement, qui prodiguent leurs propres biens pour Dieu. Les uns sont assis tranquillement dans le port; les autres entraînés sur la mer orageuse de cette vie, sont tous les jours le jouet de ses flots agités. Mais en outre considérez quelles sont les souffrances de l'avare lorsqu'il arrive à la vieillesse, qu'il voit que sa passion va s'éteindre sans avoir été satisfaite, et que la mort le menace de jour en jour. Qu'il en est bien autrement de l'homme vertueux ! La vieillesse ne lui apporte que joie et douceur, car loin que ses jouissances touchent à leur terme, elles se présentent à lui comme dans leur fleur. Pour les adultères donc, pour les impudiques, pour les avares, pour les hommes sensuels, la vieillesse est la fin des jouissances, tandis qu'elle devient pour les amis de la vérité le principe et la source des plus pures délices. Aussi, avant l'enfer et les souffrances qu'on y endure, il y a ici-bas pour l'âme un supplice déjà bien cruel. Pleins de ces pensées, fuyons le mal, pratiquons la vertu, aimons Dieu, non pour les biens qu'Il donne, mais pour Lui-même. C'est ainsi que dans cette vie nous suivrons la voie qui conduit à la vertu, voie qui est étroite pour la nature, mais qui s'élargit au gré des voyageurs, et au sommet de laquelle nous demandons à Dieu de nous faire parvenir par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ à qui est la gloire dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 8

Pour la fin, pour les pressoirs. Suivant une autre version : Chant de triomphe pour les pressoirs. Suivant une autre : Pour l' auteur de la victoire sur la lyre de Geth. Dans le texte hébreu : Lamanasse al haggethith, (v. 1). - "O Dieu, notre souverain Maître, que ton Nom est admirable par toute la terre !" Une autre version porte : "Que ton Nom est grand !" (v. 2).

David terminait ainsi le psaume précédent : "Je rendrai gloire au Seigneur à cause de sa Justice, je chanterai le Nom du Très-Haut". (Ps 7,18) Il accomplit ici sa promesse et offre à Dieu le tribut de ses chants. Dans le premier psaume, il ne prie qu'en son nom personnel : "Seigneur mon Dieu, j'ai mis en Toi mon espérance, sauve-moi." (Ibid. 2). Dans celui-ci, au contraire, c'est au nom d'un grand nombre qu'il s'adresse à Dieu : "O Dieu, notre souverain Maître, que ton Nom est admirable par toute la terre !" Faites silence et prêtez une oreille attentive. Lorsqu'au théâtre, des choeurs inspirés par le démon se font entendre, on écoute dans le plus grand silence leurs chants si dangereux; et cependant ces choeurs ne sont composés que d'histrions et de danseurs, ils n'ont pour les diriger qu'un misérable joueur de lyre, et ils ne font entendre que des chants sataniques et pernicieux en l'honneur de l'esprit du mal, l'auteur de tout crime. Ici, au contraire, le choeur n'est composé que d'hommes religieux, celui qui le dirige est un prophète, ses cantiques lui sont inspirés non par le démon, mais par la grâce de l'Esprit saint; l'objet de ses chants ce n'est pas le démon, c'est Dieu. Dans quel profond silence et avec quelle crainte religieuse ne devons-nous donc pas les entendre ? En les écoutant, nous ne formons qu'un seul choeur avec les puissances célestes, car l'office des choeurs des chérubins et des séraphins, c'est de célébrer éternellement les louanges de Dieu. Ce sont ces choeurs qui se firent entendre sur la terre et unirent leurs voix à celles des bergers qui veillaient sur leurs troupeaux. (Lc 1,13) Prêtons donc l'oreille à ce cantique. Ceux qui célèbrent les louanges des rois de la terre leur parlent de leur puissance, de leurs victoires, de leurs triomphes. Ils rappellent les nations qu'ils ont subjuguées, ils leur prodiguent les titres de conquérants, de vainqueurs des peuples barbares, et d'autres du même genre. C'est un chant semblable que le saint roi adresse à Dieu. Il y célèbre en état des guerres heureusement terminées, des victoires, des conquêtes beaucoup plus difficiles que les victoires et les conquêtes de la terre. Voyons comme il débute : "Ô Dieu, notre souverain Maître." Pour ceux qui ne croient point en Lui, Dieu n'est leur Seigneur que d'une seule manière; Il est le nôtre à double titre, et parce qu'Il nous a tirés du néant, et parce qu'Il nous a fait la grâce de Le connaître. Et voyez comme dès le début, le roi-prophète nous rappelle en abrégé ses bienfaits. Si vous considérez en effet comment Dieu est devenu votre Seigneur, comment Il a daigné rendre son amitié et la vie à ceux qui étaient éloignés de Lui, à ses ennemis et à ceux qui étaient plongés dans la mort, vous verrez clairement que cette invocation est comme le magnifique sommaire de ses bienfaits. Dans l'étonnement que lui causent tant de merveilles le prophète s'écrie : " Que ton Nom est admirable !" c'est-à-dire, il est souverainement admirable. Il n'entreprend pas de dire combien ce Nom est admirable, cela n'est pas possible, mais il exprime comme il peut la grandeur et l'excès de son admiration. Que dire maintenant de ceux qui veulent scruter avec une curiosité téméraire l'Essence de Dieu ? Son Nom seul jette le prophète dans une admiration qui le saisit d'étonnement, comment donc excuser ceux qui prétendent connaître l'Essence de Dieu, alors que le saint roi David n'a pu même nous dire toute l'admiration dont son nom était digne ! "Que ton Nom est admirable !" Par la vertu de ce nom, la mort a été vaincue, les démons ont été enchaînés, le ciel a cessé d'être fermé, les portes du paradis se sont ouvertes, l'Esprit saint a été envoyé, les esclaves ont recouvré la liberté, les ennemis sont devenus des enfants, les ennemis des héritiers, les hommes des anges. Que dis-je, des anges ? Dieu S'est fait homme, et l'homme est devenu Dieu, le ciel a élevé jusqu'à Lui la nature humaine et terrestre, et la terre s'est unie à Celui qui est assis sur les chérubins, au milieu des cohortes des anges. La muraille de séparation a été détruite, la barrière a été renversée, l'union a fait place à la division, les ténèbres ont disparu, la lumière a brillé dans tout son éclat, la mort a été absorbée dans sa victoire.

C'est en contemplant ces merveilles et d'autres plus grandes encore, que le prophète s'écrie : "Que ton Nom est admirable par toute la terre !" Où sont maintenant les Juifs qui s'élèvent impudemment contre la vérité ? Je leur demanderais volontiers de qui le roi-prophète veut ici parler ? Du Tout-Puissant, me diront-ils. Mais son Nom n'était pas un objet d'admiration pour toute la terre, j'en prends à témoin Isaïe lorsqu'il leur dit : "Vous êtes cause que le Nom de Dieu est blasphémé parmi les nations." (Is 52,5), si les serviteurs du vrai Dieu étaient cause que son Nom fut blasphémé, comment pouvait-il être admirable ? Ce Nom est admirable par sa nature, qui en doute ? Mais alors, loin d'être admirable aux yeux des hommes, il était bien plutôt un objet de mépris. Il n'en est pas ainsi aujourd'hui. Dès que le Fils unique de Dieu fut descendu sur la terre, le Nom de Dieu devint admirable dans la Personne du Christ. "Depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, mon Nom est glorifié parmi les nations." (Ml 1,11). Et encore : "On offre en tout lieu un encens agréable et une oblation pure à mon Nom. Mais pour vous, vous avez déshonoré mon Nom." (Ml 1,11-12). Un autre prophète dit encore : "La terre a été remplie de la connaissance de Dieu." (Is 11,9). Et un autre : "Les nations viendront à Toi en disant : Vraiment nos pères ont adoré de fausses idoles." (Jr 16,19).

2. Vous voyez que ces paroles doivent s'appliquer à la Personne du Fils. Car c'est son Nom qui est devenu admirable par toute la terre. "Parce que ta Magnificence est élevée au-dessus des cieux." Suivant une autre version : "Toi qui a élevé ta louange au-dessus des cieux." Le roi-prophète vient de parler de la terre, il s'élève maintenant jusqu'au ciel, suivant sa coutume, et il montre ainsi l'union du ciel et de la terre pour louer leur souverain Maître. C'est ce qu'il veut prouver en proclamant que le Nom de Dieu est admirable sur la terre, admirable aussi dans les cieux. Car non seulement les hommes, mais les anges eux-mêmes célèbrent les oeuvres du Créateur, et Lui rendent grâces pour les bienfaits dont Il a comblé les hommes; c'est ce qu'ils ont déjà fait dès le commencement, lorsqu'ils chantaient en choeur les merveilles de la création. David veut donc exprimer ici ou les chants des anges ou la Grandeur de Dieu. En effet, lorsque l'Écriture veut nous représenter quelque chose de grand, elle apporte pour exemple la distance qui sépare le ciel de la terre : "Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre." Et encore : "Autant le coucher est éloigné de l'aurore, autant Il a éloigné de nous nos iniquités" (Ps 102,11-12). Le psalmiste est donc saisi d'admiration à la vue de la grandeur extraordinaire des oeuvres de la création; car Dieu a revêtu la nature la plus faible d'une force supérieure à toutes les autres.

"C'est de la bouche des nouveaux-nés et des enfants à la mamelle que Tu as tiré ta louange la plus parfaite" (Ibid. 3). Une autre version porte : "Tu as fondé ta louange". Une autre : "Tu as établi ta Force." Ces paroles signifient : Tu as donné une preuve éclatante de ta Puissance en faisant servir à ta Gloire l'âge le plus faible, et en déliant la langue encore bégayante des enfants pour chanter tes louanges." David prédit ici l'hymne triomphal que les enfants chantèrent dans le temple. (Mt 21,15). Et pourquoi donc parmi tant d'autres miracles qu'il passe sous silence, les morts ressuscités, les lépreux guéris, les démons chassés, le roi-prophète choisit-il de préférence ce prodige dont les enfants ont été les instruments ? Parce que ces miracles avaient eu des précédents d'une conformité à peu près semblable, excepté quant à la manière dont ils s'étaient accomplis. En effet, Elisée avait ressuscité un mort (4 R 4,35), et guéri un lépreux, (4 R 5,14); David avait mis le démon en fuite lorsqu'il s'emparait de Saül, (1R 16,23); mais c'était la première fois qu'un choeur d'enfants nouveau-nés se faisait entendre. Pour confondre l'impudence des Juifs qui oseraient dire que David avait eu en vue ce qui s'était passé dans l'Ancien Testament, il choisit un miracle jusqu'alors inouï, et qui n'eut lieu qu'une seule fois sous le Nouveau. Ce miracle était du reste la figure de ce qui devait arriver pour les apôtres : ils étaient de faibles enfants plus muets que les poissons eux-mêmes, et cependant ils ont pris dans leurs filets l'univers entier. C'est l'oeuvre de la Puissance de Dieu, comme l'atteste le prophète en parlant de Dieu le Père. Écoutez ce qu'il dit à Moïse : "Qui a fait le muet, et le sourd, l'aveugle, et celui qui voit?" (Ex 4,11). Et ces autres paroles d'Isaïe : "C'est Lui qui donne une langue prompte et rapide à ceux qui l'ont embarrassée." (Is 35,6); et encore : "Le Seigneur m'a donné une langue éloquente afin que je sache quand je dois parler" (Is 50,4). Dieu avait dit aussi dans le commencement : "Venez, descendons, et confondons leur langue." (Gn 40,7). La démonstration était donc ici aussi forte qu'évidente. Ces esprits impudents pouvaient élever sur les autres miracles quelques difficultés quoique sans fondement, mais ici ils ne pouvaient rien dire, car la nature était directement en opposition avec elle-même. Aussi David ne dit pas seulement : "De la bouche des enfants" pour ne point donner à penser qu'il voulait parler de ceux qui ont l'innocence et la simplicité de l'enfance, mais il ajoute : "et de ceux qui sont à la mamelle" exprimant ainsi l'âge dune manière précise par le genre même de la nourriture. En effet, au lieu de dire simplement : " Des enfants", il ajoute : "de ceux qui sont encore à la mamelle", c'est-à-dire qui ne peuvent encore faire usage d'une nourriture plus substantielle. Ce qu'il y a ici de plus digne d'admiration, n'est pas seulement que ces enfants aient parlé d'une manière claire et distincte, mais qu'ils aient annoncé des biens innombrables. Car ils célébrèrent dans leurs chants ce que les apôtres ne savaient pas encore. Le roi-prophète nous donne un autre enseignement, c'est que pour être digne de la doctrine de la vérité, il faut devenir des enfants par le coeur (Mt 18,3). Celui qui ne reçoit pas le royaume des cieux comme un petit enfant, nous dit Jésus Christ, n'y pourra jamais entrer.

"Pour détruire votre ennemi." Le prophète nous fait connaître la cause de ce miracle. Les autres prodiges n'avaient point pour but de confondre des ennemis, mais de faire du bien à ceux qui en étaient l'objet, et d'instruire ceux qui en seraient témoins. Mais ce miracle eut surtout pour objet de fermer la bouche des ennemis du Sauveur, ce qu'un autre interprète exprime plus clairement en traduisant : "Pour confondre ceux qui vous chargent de chaînes." Une autre version porte : "Pour réprimer l'ennemi, et celui qui veut se venger", c'est-à-dire le peuple juif. Les Juifs poursuivaient Jésus Christ comme un ennemi; et ils se couvraient de ce prétexte qu'ils vengeaient en cela l'honneur de Dieu outragé. Mais le Sauveur leur ôte cette excuse lorsqu'Il leur dit : "Celui qui Me hait, hait aussi mon Père." (Jn 15, 23). Et encore : "Celui qui croit en Moi, croit en Celui qui M'a envoyé." (Jn 12, 44). Toujours il associe Dieu son Père à l'honneur comme aux outrages qu'Il reçoit. Voyez l'exactitude du langage du Prophète. Il ne dit pas : "pour châtier", mais : "pour détruire", ce qu'un autre interprète exprime ainsi avec plus de clarté : "pour faire cesser" c'est-à-dire qu'il faut non pas les instruire, mais réprimer leur impudence, car leur maladie était incurable. Aussi, à la vue de ce miracle contre lequel ils ne pouvaient rien objecter, ils dirigèrent leurs attaques contre le Sauveur : "N'entends-Tu pas ce qu'ils disent ?" (Mt 21,16). Ce qu'ils devaient faire, c'était de tomber à ses Pieds et de L'adorer dans un sentiment d'admiration. Mais non, leur incertitude est extrême, et au lieu de se dire les uns aux autres : "Tu n'entends pas ce qu'ils disent", c'est à Jésus Christ Lui-même qu'ils adressent cette question. Et pourquoi la voix des anges ne se fit-elle pas entendre au lieu de la voix des enfants ? Parce que les Juifs l'auraient regardée comme une chose imaginaire, comme une illusion, tandis qu'ils ne pouvaient soulever ici la moindre objection. Or, que disaient les enfants ? Rien de désagréable, de fâcheux, et qui fût capable de les blesser. Ils proclamaient simplement l'harmonie qui régnait entre son Père et Lui : "Béni soit, disaient-ils, Celui qui vient au Nom du Seigneur." (Mt 21,9).

3. C'est alors que Dieu confondit leur impudence et détruisit ensuite la ville de Jérusalem, et il n'est aucune partie de la terre qui soit restée étrangère aux calamités de la nation juive. Celui qui a le corps mutilé va partout montrant ses blessures; de même encore les juges, après avoir puni de mort plusieurs homicides, font suspendre l'un d'eux à un gibet, afin que le supplice infligé à un cadavre contienne les vivants dans le devoir. Ainsi Dieu a proposé en exemple à tous les hommes, non pas des morts, mais des vivants, en dispersant les Juifs par toute la terre; et ceux qui n'habitaient qu'une seule contrée sont maintenant répandus dans tout l'univers. Si vous en demandez la raison, vous n'en trouverez pas d'autre que le crime d'avoir crucifié Jésus Christ. Car pourquoi un châtiment semblable ne leur avait-il pas encore été infligé ? Nous voyons bien que dans les temps anciens ils ont été emmenés captifs chez un seul peuple et pour un petit nombre d'années. Mais aujourd'hui quelle différence ! Leur châtiment n'a point de fin. Et si vous leur demandez : Pourquoi avez-vous crucifié Jésus Christ ? Ils vous répondront : Parce que c'était un séducteur et un imposteur. S'il en était ainsi, Dieu aurait dû vous combler d'honneurs et reculer vos frontières pour vous récompenser d'avoir fait une chose qui Lui est agréable. Car punir de mort un séducteur et un imposteur c'est frapper un ennemi de Dieu, c'est faire une action digne de louanges. Phinées, pour avoir mis à mort une seule femme de mauvaise vie, fit une oeuvre si agréable à Dieu qu'il fut jugé digne de l'honneur du sacerdoce (Nb 25,12-13). Et cependant vous qui aviez droit de prétendre à de bien plus grandes récompenses si vous aviez mis à mort un séducteur, comment se fait-il que vous menez une vie errante par toute la terre, sans avoir de demeure certaine ? Ne cherchons point d'autre cause à ce châtiment que le crime que vous avez commis en crucifiant votre Protecteur, votre Bienfaiteur, et le Docteur qui venait vous enseigner la vérité. Encore une fois, s'Il avait été un séducteur, un ennemi de la Divinité, s'Il eût voulu Se faire passer pour Dieu, sans L'être en effet, et usurper la gloire qui n'est due qu'à son Père, Dieu vous devait de plus grands honneurs qu'à Phinées, qu'à Samuel et à tant d'autres, pour avoir déployé un si grand zèle dans la défense de la loi. Et cependant vous êtes aujourd'hui frappés d'un châtiment que vous n'aviez point éprouvé lorsque vous adoriez les idoles, que vous viviez dans l'impiété, et que vous répandiez le sang de vos enfants. Et vous n'avez aucun moyen de vous soustraire à ces calamités. Vous menez comme des exilés une vie errante et vagabonde, asservis aux lois romaines, parcourant la terre et les mers, sans demeures, sans villes, sans asile, réduits à une honteuse servitude, privés à la fois de la liberté, de la patrie, du sacerdoce, et de toutes vos prérogatives passées, dispersés au milieu des barbares et de mille peuples divers, devenus un objet d'horreur et d'abomination pour tous les hommes, et exposés aux outrages de tout l'univers. Et justement certes, car ne dites pas que vous avez été récompensés pour avoir mis à mort un ennemi de Dieu, ce serait une extravagance et une absurdité. Ce que vous souffrez maintenant n'est point le partage de ceux qui font périr les ennemis de Dieu, mais le châtiment de ceux qui mettent à mort ses amis.

Mais mon ami, me diront-ils, tel n'est point notre langage, c'est pour nos péchés que nous souffrons ces épreuves. Vous finissez donc par l'avouer, malgré votre incrédulité, et quels péchés avez-vous donc commis ? Est-ce la première fois aujourd'hui que vous vous êtes rendus coupables ? Il est certain que votre vie est maintenant beaucoup moins répréhensible qu'autrefois, mais nous n'en sommes pas encore là. Je vous demanderai volontiers en ce moment pourquoi, malgré les crimes que vous avez commis précédemment, vous n'avez cessé d'éprouver les effets de la Bonté de Dieu, tandis que nous voyons aujourd'hui le contraire, et ce qui est le plus étonnant, bien que vous soyez beaucoup moins coupables ? Car alors vous vous consacriez à Béelphézer (Nb 25); vous adoriez le veau d'or (Ex 3, 2); vous immoliez vos fils et répandiez le sang de vos filles (Ps 105,37-8; Ex 14 et 17), malgré les miracles qui se multipliaient sous vos yeux. Aujourd'hui vous ne voyez ni la mer s'entr'ouvrir devant vous, ni le rocher se fendre, vous n'avez plus de prophètes, et vous n'éprouvez plus les effets sensibles de la Providence divine, et cependant votre conduite est plus conforme aux principes de la justice. Pourquoi donc des fautes moins grandes et une conduite plus sage et plus juste, sont-elles suivies d'un châtiment plus sévère ? N'est-il pas évident même pour les plus aveugles, que c'est parce que vous êtes aujourd'hui coupables d'un crime beaucoup plus énorme ? Tant que vous n'avez péché que contre les serviteurs, en lapidant et en tuant les prophètes, vous avez obtenu le pardon de vos crimes; mais après que vous avez porté des mains violentes sur le Seigneur Lui-même, vos blessures sont devenues incurables. Aussi, voilà quatre cents ans déjà que le sol où était bâti votre ville a comme disparu, que votre sacerdoce a cessé d'exister, que votre royaume est détruit, que vos tribus sont confondues, que tant d'autres privilèges aussi augustes qu'éclatants vous ont été enlevés, sans qu'il en reste aucun vestige, ce qui jamais n'était arrivé dans les temps anciens. Lorsque le temple fut détruit pour la première fois, vous aviez encore les prophètes, les Grâces de l'Esprit saint et les miracles; mais aujourd'hui, pour vous faire comprendre clairement que Dieu S'est éloigné à jamais de vous, tous ces avantages vous ont été retirés pour faire place à la servitude, à la captivité, à une ruine complète, et, ce qui est le plus déplorable, au délaissement le plus absolu de la part de Dieu.

4. Dieu S'est conduit à votre égard comme un maître ferait vis-à-vis d'un serviteur sans intelligence, que les coups n'ont pu corriger; il le laisserait dépouillé de ses vêtements, réduit à une extrême misère, errant, mendiant son pain, recevant partout des rebuts. Tel n'était point autrefois votre sort; vous aviez alors des prophètes dans l'Égypte, à Babylone, comme dans le désert; Moïse dans l'Égypte, Daniel et Ézéchiel à Babylone, et Jérémie encore dans l'Égypte; les miracles succédaient aux miracles, et votre nation sortit plus éclatante de ces épreuves, puisque plusieurs de vos captifs avaient une puissance supérieure à celle des rois. Mais aujourd'hui, toutes ces faveurs ont disparu, et vous êtes victimes d'un châtiment beaucoup plus sévère non seulement par sa durée, mais par l'abandon complet où Dieu vous laisse. Expliquez-moi donc, comment, malgré tous vos crimes, vous étiez alors l'objet d'une providence toute particulière, tandis que le zèle pour votre loi, comme vous l'appelez, fait peser maintenant sur vous de si dures épreuves. Il faut, remarquez-le bien, que vous accusiez Dieu d'injustice, puisqu'Il aurait comblé les pécheurs de bienfaits, tandis qu'Il couvrirait d'opprobres les hommes vertueux, observateurs de sa loi. Si en effet, vous avez mis à mort un imposteur comme vous le dites, vous avez fait une action louable, et si Dieu est juste, comme on n'en peut douter, Il devait vous récompenser au lieu de vous punir. S'Il vous punit, il est évident que vous êtes devenus plus coupables; mais si vous avez cessé de rendre comme autrefois un culte impie aux idoles et de leur immoler vos enfants, quel est donc le crime qui fait tomber sur vous ces terribles châtiments ? N'est-il point manifeste que la croix que vous n'avez pas craint de dresser pour le Sauveur, a mis le comble à tous vos crimes? Voilà la vraie cause de votre ruine, bien plus que votre idolâtrie et le sacrifice de vos enfants. Car il y a une grande différence entre mettre son fils à mort et crucifier son Seigneur et son Maître. Aussi, lorsque vous immoliez vos enfants, vous avez obtenu le pardon de ce crime; mais après avoir mis à mort le Fils de Dieu et votre Seigneur, vous êtes punis sans espérance de pardon. Combien comptez-vous d'années depuis la sortie d'Égypte, jusqu'à l'Avènement de Jésus Christ ? Quinze cents ans et plus, je pense. Comment donc se fait-il que pendant tout cet espace de temps, Dieu vous a supportés avec patience, malgré tant de crimes, et que maintenant Il vous ait ainsi rejetés, alors qu'Il devait vous combler de bienfaits, quelles que fussent d'ailleurs vos offenses ? Car enfin, vous avez vraiment fait une action d'éclat, si vous avez mis à mort un imposteur. Ajoutez qu'aujourd'hui vous observez religieusement le sabbat, vous avez renoncé au culte des idoles, et vous vous efforcez d'accomplir avec la même fidélité tous les autres points de la loi. Ainsi votre conduite est meilleure, vous avez en outre fait une action des plus méritoires, et cependant vous êtes en proie à des maux extrêmes. Se peut-il une folie plus grande, une extravagance plus coupable de chercher à vous justifier aux dépens de la Justice de Dieu que vous attaquez par vos blasphèmes ? Si l'action que vous avez commise contre Jésus Christ, loin d'être le plus grand de tous les crimes, est, comme vous le dites, une action juste et louable, pourquoi Dieu vous punit-Il puisque vous faites bien, Lui qui vous a épargnés lorsque vous étiez coupables ? Non seulement Dieu, mais tout homme, faisant usage de son intelligence, est incapable d'agir de la sorte.

Que répondent-ils à ces raisons ? Nous avons été dispersés pour devenir les docteurs et les maîtres de toute la terre. Réponse frivole et dénuée de sens. Ceux qui prétendent à l'honneur de devenir les maîtres des autres, doivent tout d'abord s'en rendre dignes par une conduite irréprochable, comme les prophètes et les apôtres. Mais comment les Juifs qui étaient pervertis et profondément corrompus, pouvaient-ils être envoyés pour enseigner les autres ? Voyons en effet, quelle avait été jusque-là leur vie. Nous découvrirons chez eux des instincts pires que chez les bêtes féroces. C'étaient des parricides, des bourreaux de leurs enfants, des adorateurs des idoles, des ravisseurs du bien d'autrui, comme les prophéties ne cessent de le leur reprocher. Jérémie signale en ces termes leur lubricité : "Ils sont devenus comme des chevaux qui courent et qui hennissent après les cavales, chacun d'eux poursuivait avec une ardeur furieuse la femme de son prochain" (Jr 5,8). Se peut-il quelque chose de plus immonde ? Ils ne se contentaient pas de l'union légitime des hommes avec leurs propres femmes, et c'est pour cela qu'il compare leur ardeur furieuse au hennissement des chevaux. Et ce n'est pas seulement le crime de simple fornication qu'il leur reproche, mais le crime d'adultère qu'ils commettaient sans pudeur, comme des animaux sans raison. "Ceux qui faisaient des tapisseries sont allés vers la même femme, dit un autre prophète, le père et le fils se sont approchés de la même fille." (Am 2,7). Est-ce pour cela, dites-moi, que Dieu vous a envoyés comme les docteurs du monde pour nous enseigner la fornication, l'adultère, et nous apprendre que le fils peut déshonorer la couche de son père ? Que vous reproche Ézéchiel ? "Vous n'avez pas même observé les principes de la loi naturelle comme les nations païennes." (Éz 5,7). Ainsi Dieu aurait donné pour docteurs au monde ceux qui étaient pires que les païens eux-mêmes ? Mais qui pourrait entendre sans frémir le récit de leurs homicides et de leurs meurtres ? Ils ont immolé aux démons leurs fils et leurs filles, comme David le leur reproche : "Ils répandirent le sang de leurs fils et de leurs filles qu'ils immolèrent aux démons." (Ps 105,37). Dites-moi encore, Dieu vous aurait-Il envoyés pour enseigner aux hommes à sacrifier leurs enfants aux démons ? Vous ne rougissez pas, vous n'êtes pas couverts de confusion d'avancer de semblables absurdités ? Un autre prophète dit encore : "Le sang s'est mêlé au sang, les blasphèmes, les mensonges, l'homicide, le vol, l'adultère, ont inondé la terre." (Os 4, 2). Un autre : "Vous avez pris le front d'une débauchée, vous êtes devenus sans pudeur à l'égard de tous." (Jr 3,3). Un autre encore : "Vos princes sont devenus semblables aux loups d'Arabie." (Éz 22, 2); (Sa 3,3). Un autre enfin : "Il n'en est aucun qui ait de l'intelligence, aucun qui cherche Dieu. Tous se sont détournés, tous sont devenus inutiles." (Ps 12,2-3.

5. Ce serait donc pour nous enseigner l'oubli de toute pudeur, les égarements les plus monstrueux, la fornication, l'adultère, toute espèce d'iniquité, que Dieu vous aurait dispersés par tout l'univers ? Vous nous forcez sans cesse de continuer la triste énumération de vos crimes. "C'est vous, dit Dieu par son prophète, que je porte depuis votre naissance et que j'enseigne jusqu'à votre vieillesse." (Is 46,3-4). Vous êtes des aveugles qui vous précipitez les uns les autres dans l'abîme. "Car, dit notre Seigneur, si un aveugle conduit un autre aveugle, ils tomberont tous deux dans la fosse." (Mt 15,14); (Lc 6,39). Quoi ! Vous qui ayez toujours eu des prophètes pour vous instruire sans en devenir pour cela meilleurs, vous seriez les docteurs des autres hommes ? Vous ne cesserez point d'afficher une prétention aussi absurde, et vous ne reconnaîtrez pas une bonne fois l'énormité de votre crime ? Ce qui vous a toujours perdus, c'est de n'avoir jamais voulu remonter à la véritable cause de vos malheurs. Voilà pourquoi Dieu a fait pour vous ce que les juges font pour ceux qu'ils condamnent à être frappés de verges. Ils les font suivre par des hommes qui crient et font connaître à tous la cause de leur supplice, leurs vols ou leurs rapines. Ainsi Dieu, en vous dispersant dans toutes les parties de l'univers, a commandé aux prophètes de vous suivre pour révéler à tous la cause de vos châtiments. Ils sont comme enchaînés avec vous par toute la terre, et ils ne cessent de faire entendre leur voix. Si vous entrez dans les synagogues, vous les entendrez proclamer constamment la même vérité.

David lui-même, décrivant le jugement inique de Caïphe qui fut bien plutôt un brigandage, ne donne pas d'autre cause de votre ruine. Après avoir rapporté le langage de vos princes : "Brisons leurs liens, et rejetons leur joug loin de nous", il ajoute : "Alors Il leur parlera dans sa Colère, et les confondra dans sa Fureur." (Ps 2,3-5). Isaïe de son côté, après avoir représenté le Sauveur comme une brebis que l'on conduit à la boucherie, ajoute : "Je donnerai les impies pour le prix de sa sépulture, et les riches pour la récompense de sa mort" (Is 53,9). Et dans un autre endroit, parlant de la vigne comme emblème de son peuple, il dit : "J'ai attendu que ce peuple fît des actions justes; et je n'entends que des cris." (Is 5,7). Quels sont ces cris ? "Crucifiez-Le, crucifiez-Le." (Lc 23,21). Et le prophète ajoute : "C'est pourquoi j'arracherai la haie de cette vigne, elle sera exposée au pillage; et je commanderai aux nuées de ne pleuvoir plus sur elle." (Is 5,5-6). Point d'autre cause donc de votre dispersion par toute la terre, que le crime d'avoir attaché le Sauveur à la croix. Et pour vous donner une preuve éclatante de la Puissance de Jésus Christ, et vous faire apprendre par vous-mêmes ce que les prophètes n'ont pu vous enseigner, écoutez le témoignage que rendent les faits eux-mêmes. Ce que votre loi n'avait pu vous apprendre, la Puissance surabondante de Jésus Christ vous l'a enseigné. Tant que vous étiez sous l'empire de votre loi, vous répandiez le sang, vous immoliez vos enfants, vous vous rendiez coupables d'adultères. Mais aussitôt que le Soleil de justice a commencé à briller, vos crimes ont diminué, et l'espèce de rivalité que vous nourrissiez contre nous, vous a inspiré de mener une conduite plus régulière. Dieu vous a donc dispersés parmi les nations de la terre, pour vous apprendre quel grand royaume Il est venu fonder ici-bas, et Il a détruit votre temple, pour vous arracher comme malgré vous à vos habitudes criminelles. Jésus Christ fut enseveli dans la ville même où le temple avait été détruit, afin que ceux qui s'éloignaient de son sépulcre vissent en même temps de leurs yeux le trophée de sa Puissance et l'accomplissement de cette prédiction qu'il avait faite : "Il ne restera pas ici pierre sur pierre." (Mt 24, 2). Partout en effet, nous voyons des trophées et des instruments de sa Puissance.

Or, si Jésus était comme vous le dites, un impie, un ennemi de Dieu, malgré la multitude de vos crimes, vous n'auriez pas dû être punis comme vous l'êtes aujourd'hui, et si vous méritiez ce châtiment, il aurait fallu au moins le différer pour qu'il ne parût point la juste punition de la Mort du Sauveur. N'avez-vous pas entendu ce que Dieu vous disait lors de votre captivité : "Ce n'est pas pour vous que Je ferai ce que Je dois faire, mais c'est pour Moi, afin que mon Nom ne soit point déshonoré." (Éz 36,23). Et cependant vos crimes étaient alors bien plus nombreux. Toutefois, dit Dieu, pour ne point donner à croire aux natures barbares que je suis un Dieu faible, Je vous pardonne vos iniquités et vous rends la liberté. Et quoi ! Pour ne point exposer son Nom à être déshonoré, Il vous a sauvés alors malgré vos crimes, et Il ne l'aurait pas fait aujourd'hui ? Vos iniquités fussent-elles innombrables, vous ne deviez pas être punis si sévèrement dans l'hypothèse que Jésus est un imposteur, puisqu'alors chacun croyait naturellement que sa Mort était la cause de vos malheurs. Il fallait donc conserver votre nation, et différer le châtiment qu'elle pouvait mériter. Au contraire, les deux choses se sont faites en même temps. Les apôtres sortirent de Jérusalem quelque temps après le crucifiement du Sauveur, une guerre affreuse, vint menacer votre malheureuse ville, et l'on vit alors s'accomplir les prédictions de l'évangile : "Malheur aux femmes enceintes et à celles qui allaiteront en ces jours-là." (Mt 24, 24); et cette autre : "La tribulation sera si grande qu'il n'y en a jamais eu de semblable." (Mt 24,21). En effet, les femmes se sont nourries de la chair de leurs enfants; les ennemis ont ouvert le sein des femmes qu'ils avaient égorgées. Le feu allumé par des mains barbares dévora tout, le sang coula par torrents, on vit un spectacle inouï jusqu'alors, et l'univers entier retentit des calamités de la nation juive. Pensez-y donc sérieusement, et reconnaissez votre Seigneur et votre Dieu. Vous avez autrefois massacré des prophètes; avez-vous été punis de la sorte ? Vous avez détruit les autels du vrai Dieu; avez-vous vu fondre sur vous de semblables calamités ? Vous avez adoré le veau d'or, vous vous êtes initiés au culte de Béelphégor, vous avez outragé les lois de la nature; avez-vous eu à combattre des ennemis aussi cruels ? N'avez-vous pas été sauvés malgré votre superbe ingratitude ? De quelle source sont donc sortis ces maux qui vous accablent ? N'est-il pas évident que c'est du forfait que vous avez osé commettre, non point contre les serviteurs de Dieu, mais contre le Seigneur Lui-même ? Aussi, n'avez-vous aucun espoir de voir la fin de vos malheurs, et vous ne l'aurez jamais. S'ils devaient avoir un terme, les prophètes l'auraient prédit. Mais en prédisant votre captivité, ils n'en ont point annoncé le retour, bien qu'ils mêlent constamment dans leurs prédictions les promesses aux menaces, et qu'ils précisent la durée des épreuves. Ainsi Jérémie a fixé le terme de la première captivité à soixante-dix ans. (Jr 29,10). Daniel lui-même précise l'époque de soixante-dix semaines et demie. (Dn 9,23); et Dieu avait prédit que la servitude d'Égypte durerait quatre cent trente ans. (Gn 15, 3). Mais pour cette dernière captivité, ni la durée ni la fin n'en ont été indiquées. Votre maison est laissée déserte, et chaque jour voit s'accroître vos malheurs.

6. Si vous voulez méditer sérieusement ces vérités et leur donner tout le développement nécessaire (car, est-il écrit : Donnez une occasion au sage, et il en deviendra encore plus sage; [Pr 9,9]), il vous sera facile de confondre l'impudence et l'ingratitude des Juifs. "Quand je contemple les cieux, ouvrage de tes Mains." (Ibid 4). Une autre version porte : "Je vois les cieux, la lune et les étoiles que Tu as créés", une autre : "que Tu as préparés", une autre : "que Tu as établis." Après avoir dit : "Tu as détruit tes ennemis", le roi-prophète donne les preuves de cette éclatante victoire. Toi, Seigneur, qui avais été crucifié et mis à mort, Tu as apparu comme le Créateur de l'univers "Je verrai tes cieux." David parle de la sorte, pour exprimer qu'un grand nombre ne savaient pas que le Sauveur fut le créateur du monde, mais que tous Le reconnaîtront par la suite en cette qualité. Et pourquoi ne fait-il pas ici l'énumération de toutes les parties de l'univers ? Il a choisi parmi les choses visibles, celles qui lui paraissaient les plus convenables au but qu'il se proposait, sans s'arrêter à celles qui étaient inutiles. La destruction de ses ennemis a donc été si complète, que Celui qu'ils avaient persécuté et mis à mort a été reconnu pour le Créateur de toutes les choses visibles. Et pourquoi ne dit-il pas : "l'ouvrage de tes Mains", mais : "l'ouvrage de tes Doigts" ? Il veut nous montrer que les choses visibles sont une des oeuvres les moins importantes de la Puissance divine, et faire ressortir cet acte étonnant de la création qui tient les étoiles suspendues dans l'espace, bien que la nature des fondements exige qu'ils soient jetés dans les parties inférieures, au lieu d'être suspendus en l'air. Mais le merveilleux Artisan du monde, dont toutes les oeuvres sont admirables, a, dans la création des choses visibles, fait bien des oeuvres supérieures aux lois de la nature. Et pourquoi David ne dit-il rien des puissances incorporelles qui font aussi ressortir la Puissance du Créateur ? Parce que son but était d'enseigner les hommes par le spectacle des choses visibles. C'est ainsi que Dieu le Père, dans ses fréquents entretiens avec le peuple juif ne lui dit pas : J'ai créé les anges et les chérubins; mais : "J'ai étendu les cieux, ma Main a fondé la terre, ma Droite les a affermis." (Is 48, 13); et le prophète dans tout son discours, ne parle que des choses visibles, ne se proposant en tout que le salut de ceux à qui il s'adresse. Leur esprit encore grossier les rendait plus sensibles aux objets qu'ils voyaient qu'à ceux qu'ils ne pouvaient atteindre. Voilà pourquoi saint Paul commence tous ses discours en parlant des créatures visibles : "Dieu, dit-il, qui a fait le ciel, la terre et la mer et tout ce qu'ils renferment." (Ac 18,94). Et toujours, nous le voyons donner pour exorde à ses prédications, ou les pluies que Dieu répand annuellement sur la terre, ou l'origine et la création des hommes. En effet, si je dis que Dieu a créé les chérubins, j'aurai deux choses à prouver : l'existence des chérubins, et la manière dont ils ont été créés. Au contraire pour les choses visibles, il me suffit de démontrer qu'elles tiennent de Dieu leur existence; et cette démonstration est d'autant plus facile que les yeux viennent lui prêter leur témoignage. Car l'auditeur peut contempler la grandeur, la beauté, l'utilité de ces astres, leur fusion, leur course régulière et pleine d'harmonie. Tous mes efforts doivent donc se borner à établir que c'est Dieu qui les a créés. Et pourquoi David ne parle-t-il point du soleil, mais seulement de la lune et des étoiles ? C'est qu'il est compris nécessairement dans cette énumération. Comme il en est qui séparent la nuit des oeuvres du Créateur, le roi-prophète prouve par l'astre des nuits que Dieu est aussi l'Auteur de la nuit. Or, la variété des étoiles est bien grande, et ce serait aussi un grand travail que de faire connaître les différentes phases de la lune.

"Qu'est-ce que l'homme pour mériter ton souvenir, ou le fils de l'homme pour que Tu descendes jusqu'à lui?" (Ibid. 5). Une autre version porte : "Qu'est-ce que chaque homme pris individuellement pour que Tu Te souviennes de lui?" On lit dans une autre version : "Tu le visites" au lieu de : "Tu le visiteras." Après la création dont il a fait comprendre le magnifique ensemble par une seule de ses parties, le roi-prophète en vient à la Providence de Dieu sur les hommes. Ce qu'il a dit des créatures visibles, aussi bien que de la Providence divine dont elles sont l'objet, était déjà dans l'intérêt de l'homme, car ces créatures n'existent que pour lui. Mais il veut nous faire ici connaître une autre forme de la providence, et il ne se contente pas de nous en donner une idée quelconque, il nous la représente en termes aussi sages que relevés. Il rend grâces à Dieu au nom de toute la terre, célèbre en Lui cette inclination à faire du bien qui s'étend à tous sans exception, et la grandeur du bienfait de l'Incarnation en faveur de l'homme. Si l'homme n'était rien dès l'origine, à plus forte raison lorsque Jésus Christ vint après tant de crimes énormes. Le roi-prophète veut nous apprendre que la Venue de Jésus Christ, loin d'être étrangère à la miséricorde, a été l'effet d'une souveraine bonté. Comme un médecin compatissant, il a laissé ceux qui se portaient bien pour venir vers nous qui étions malades, qui n'étions que néant. C'est ce que David veut exprimer en s'écriant : "Qu'est-ce que l'homme ?" C'est-à-dire, c'est un néant, un être de nulle valeur. La considération de cette Providence si grande de Dieu, de ce soin si paternel, de tant d'oeuvres extraordinaires accomplies pour sauver le genre humain, le jette dans un sentiment profond d'étonnement et d'admiration, et il se demande comment l'homme a pu devenir l'objet tout particulier de cette Providence divine. Car enfin, remarquez-le, toutes choses ont été faites pour lui. Tous les événements qui se sont succédé depuis Adam jusqu'à Jésus Christ n'ont eu pour objet et pour fin que le salut de l'homme. C'est pour lui que Dieu a établi le paradis, pour lui qu'Il a donné la loi, pour lui qu'Il a multiplié les châtiments, les prodiges, pour lui qu'Il a préparé les supplices et les récompenses qui suivaient la transgression ou l'observation de la loi, pour lui enfin que le Fils de Dieu S'est fait Homme. Qu'est-il besoin de parler des biens que Dieu lui réserve dans l'autre vie ? C'est en considérant tous ces bienfaits que le roi-prophète s'écrie : "Qu'est-ce donc que l'homme, pour que Tu l'aies ainsi comblé de tant de grâces et de si grandes faveurs ?"

7. Si on veut méditer sérieusement les prodiges aussi nombreux qu'étonnants que Dieu a opérés et qu'il opère encore tous les jours en faveur de l'homme, on sera saisi d'admiration et l'on comprendra parfaitement combien l'homme est un être cher à Dieu. "Tu l'as placé un peu au-dessus des anges." (Ibid 6). Suivant une autre version : "un peu au-dessous de Dieu." Suivant une autre : "quelque peu au-dessous de Dieu." L'hébreu porte Outhasreou mat me Elohim. Le roi-prophète veut ici parler de la condamnation prononcée contre le premier homme, de son péché et de la mort qui en fut la suite. Mais le Fils unique de Dieu a détruit la mort lorsqu'Il est venu sur la terre. "Tu l'as couronné de gloire et d'honneur." Une autre version porte : "Tu le couronneras de gloire et de dignité." On peut prendre ces paroles dans un sens historique ou dans un sens anagogique. David rappelle à la fois la puissance que Dieu a donnée à l'homme lors de sa création, et les biens dont l'Avènement de Jésus Christ a été pour lui le principe. Au commencement du monde Dieu lui avait dit : "Que tous les animaux de la terre vous craignent et vous redoutent, et commandez aux poissons de la mer." (Gn 9,2). Après la Venue de Jésus Christ, il a été dit aux apôtres : "Marchez sur les serpents et sur les scorpions." (Lc 10,19). Mais le roi-prophète laisse de côté ces prérogatives et s'arrête à des avantages plus modestes, en laissant aux esprits plus pénétrants les considérations plus élevées. En effet, dans le Nouveau Testament l'homme est environné d'un honneur et d'une gloire incomparables. Il a Jésus Christ pour chef, il fait partie de son Corps, devient son frère, son cohéritier, il acquiert une heureuse conformité avec le Corps du Sauveur, il est environné d'une gloire plus grande que celle de Moïse, comme saint Paul le démontre lorsqu'il dit : "Nous ne serons pas comme Moïse qui se couvrait le visage d'un voile; mais nous contemplerons la Gloire du Seigneur sans avoir de voile sur le visage." (2 Co 3,43-48). C'est pour cela qu'il ajoute : "Cette gloire n'est pas une véritable gloire, si on la compare avec la sublimité de celle de l'évangile." (Ibid. 10). C'est de cette gloire que le roi-prophète veut parler dans le sens anagogique. Que peut-on comparer, en effet, à la gloire de faire partie des choeurs des anges, d'être honorés de l'adoption divine, de voir que Dieu n'épargne même pas son Fils à cause de nous ? Quelle pourpre, quel diadème, dont l'éclat ne le cède pas à cette gloire qui nous fait insulter à la mort, et participer à l'impassibilité des puissances incorporelles, nous qui étions auparavant un objet de mépris, d'opprobre et d'abomination ? Adam fut entouré d'honneur aussitôt sa création, sans avoir fait ni bien ni mal. Comment aurait-il pu agir avant d'exister ? Nous au contraire, malgré les crimes nombreux dont nous étions coupables, nous avons reçu en partage une gloire beaucoup plus grande. "Je ne vous appellerai plus des serviteurs, nous dit Jésus Christ, car vous êtes mes amis." (Jn 15,14-15). Nous ne sommes plus un objet de confusion pour les anges, mais ils deviennent les ministres de notre salut. C'est ainsi que nous voyons un ange venir trouver Philippe ( Ac 8, 25), et beaucoup d'autres; c'est ainsi que nous les entendons annoncer aux hommes la bonne nouvelle. Or ce n'est pas des biens de la terre, mais des biens du ciel que nous sommes héritiers, nous devenons participants du Christ, et nous entrons dans la société du Fils unique de Dieu. (1 Co 1,9). Voilà tout ce que le roi-prophète veut exprimer par la gloire et l'honneur dont il parle. C'est pour cela qu'un autre interprète traduit : "Tu le couronneras d'honneur et de gloire." Ce qui est une prédiction de ce qui doit arriver.

"Tu l'as établi sur l'oeuvre de tes Mains." (Ibid 7). Suivant une autre version : "Tu lui as donné l'empire sur les oeuvres de tes Mains." "Tu as mis toutes choses sous ses pieds, toutes les brebis et tous les boeufs, et les bêtes des champs" (Ibid. 8). Suivant un autre interprète : "Les animaux sauvages, les oiseaux du ciel, les poissons de la mer, et tout ce qui parcourt les humides sentiers." (Ibid. 9). "O Dieu, notre souverain Maître, que ton Nom est grand par toute la terre !" (Ibid. 10). En énumérant ces merveilles de la création, le roi-prophète ne s'est pas contenté de parler des puissances célestes, mais il a compris dans sa description les oeuvres extérieures et sensibles; ainsi, en parlant de l'honneur que Dieu a fait à l'homme, il ne fait qu'indiquer les prérogatives spirituelles et mystérieuses qui lui ont été communiquées, pour s'étendre davantage sur les dons extérieurs qu'il a reçus et qui sont plus propres à frapper les esprits grossiers. Quels sont ces dons ? L'empire de la terre qui a été donné à l'homme. Une circonstance admirable, et que le roi-prophète prend soin de relever, c'est que le péché de l'homme ne l'a point dépouillé de l'honneur qui lui avait été accordé avant sa chute. "Tu ne l'as qu'un peu abaissé au-dessous des anges." C'est-à-dire Tu l'as condamné à mort en punition de son péché; mais malgré cette condamnation, Tu ne l'as pas dépouillé de ses prérogatives. Le roi-prophète en fait la remarque expresse pour nous faire voir la Clémence ineffable de Dieu qui, malgré l'abaissement de l'homme par suite de son péché, l'a laissé couronné de gloire et d'honneur et ne lui a pas retiré l'empire qu'Il lui avait donné. Si cet empire se trouve un peu affaibli, c'est par un effet de la Providence divine. Avant sa désobéissance, l'homme dominait sur tous les animaux; après son péché, sa domination fut un peu restreinte. L'homme commande encore aux animaux, mais par son adresse, et ce n'est point sans crainte ni sans danger. Dieu ne lui a pas retiré tout le pouvoir qu'Il lui avait donné sur les animaux, mais Il ne le lui a pas non plus laissé tout entier. Il a soumis à sa Puissance tous ceux qui pouvaient servir à sa nourriture ou à ses travaux. Quant aux animaux plus féroces, Dieu ne les a pas également soumis à l'homme, Il a voulu que la lutte qu'il aurait à soutenir contre eux lui rappelât le péché d'Adam notre premier père. II nous est même souverainement utile que ces animaux ne nous soient pas entièrement soumis. Que nous reviendrait-il par exemple de la docilité des lions et de la soumission des léopards, si ce n'est peut-être de nourrir notre fierté et notre orgueil ? Dieu a donc placé ces animaux en dehors de notre domination; ceux au contraire qui servent à nos usages, Il les a rendus dociles à notre commandement, le boeuf qui laboure nos champs, la brebis dont la laine couvre la nudité de notre corps, les animaux qui servent au transport des marchandises, et aussi les oiseaux et les poissons qui contribuent à l'entretien et à l'ornement de nos tables.

8. Dieu a fait pour l'homme ce qu'un père fait pour un fils qui a mérité d'être déshérité. Il ne le prive pas de la totalité de ses biens, Il lui en laisse une partie pour le ramener à de meilleurs sentiments. Dieu tient à notre égard une conduite semblable, ou pour mieux dire une conduite contraire. Le père qui déshérite son fils lui retire la plus grande partie de sa fortune pour ne lui laisser que la moins considérable. Dieu au contraire nous laisse la plus grande partie de ses biens, et ne nous prive que de la moins importante. Encore est-ce dans notre intérêt, afin que toutes choses ne réussissent pas trop facilement à notre gré. C'est encore ici une marque de la Providence de Dieu. Il a voulu exciter dans l'homme l'amour de la sagesse, réprimer son orgueil, et troubler un repos qui n'est pas de cette vie; car s'il ne rencontrait aucune difficulté, il serait exposé à s'abandonner à une vie molle et dissolue. L'usage des choses de la vie est donc mêlé pour l'homme de quelques difficultés. Tout ne lui est pas donné sans travail, comme aussi tout n'exige pas de lui les mêmes efforts. Les choses nécessaires ne lui coûtent ni grand travail ni sueurs abondantes, mais il en est tout autrement des jouissances de la vie. Dieu l'a fait à dessein pour ne pas nous laisser dans une trop grande sécurité.

Mais me dira-t-on, de quelle utilité sont les bêtes féroces ? Je répondrai d'abord qu'elles rendent l'homme plus humble, qu'elles sont une occasion pour lui de se préparer à la lutte, et qu'elles rappellent à celui qui est infatué de lui-même la faiblesse de sa nature, par l'effroi qu'elles lui inspirent. Ajoutons qu'elles servent à composer un grand nombre de remèdes pour les maladies du corps. Ceux qui nous demandent pourquoi les bêtes féroces ont été créées, pourraient nous demander avec autant de raison pourquoi la bile et l'humeur qui sont répandues dans notre corps ? Car lorsqu'elles sont excitées, elles s'emportent plus violemment que les bêtes féroces, et souvent sont pour le corps une cause de mort. Nous avons encore en nous-mêmes la colère et la concupiscence qui exercent dans ceux qui négligent de leur mettre un frein, de plus funestes ravages que ne feraient des animaux furieux. Et qu'ai-je besoin de parler de la concupiscence et de la colère ? Notre oeil seul peut nous précipiter dans des passions plus funestes que les bêtes féroces, en blessant notre âme par les traits redoutables de l'amour. Nous ne dirons pas cependant la raison pour laquelle toutes ces choses ont été faites, mais nous rendrons grâces au Seigneur pour tout ce qu'Il a créé. Les bêtes féroces sont pour les hommes ce que le fouet est pour les enfants. Car, si malgré tant de dures épreuves qui devraient contenir les hommes dans de justes bornes, la plupart des hommes se laissent emporter à de tels excès d'orgueil, jusqu'où n'iraient-ils pas dans la voie du mal, si ce frein venait à leur manquer ? C'est pour cela que Dieu nous a donné un corps sujet aux maladies, aux souffrances, assiégé de maux innombrables. Voilà pourquoi la terre ne produit rien qu'au prix de mille travaux; voilà pourquoi tout ici-bas est arrosé de nos sueurs. La vie présente est comme une école où le repos et l'oisiveté perdent les hommes. Aussi Dieu a-t-Il semé sous nos pas le travail, la fatigue, pour être comme le frein des passions trop vives de notre âme.

Considérez maintenant comment Dieu vous a soumis avec sagesse les poissons qui nagent dans les profondeurs des mers et les oiseaux qui volent dans l'étendue des airs. Et pourquoi le roi-prophète n'a-t-il pas fait l'énumération de toutes les créatures visibles, des plantes, des arbres, des semences ? Par une seule partie de la création, il a voulu nous en faire comprendre tout l'ensemble, et en a laissé le développement à ceux qui ont le désir de s'instruire. Il termine ce psaume comme il l'avait commencé : "Ô Dieu notre souverain Maître", et la conclusion de son discours est semblable à l'exorde. Ne cessons donc nous-mêmes de répéter ces paroles, en admirant la sollicitude de Dieu pour ses créatures, en adorant avec un saint respect sa Sagesse, sa Bonté, sa Providence paternelle à notre égard. Nous avons jusqu'ici donné l'explication de ce psaume. Si vous le voulez, nous entrerons maintenant plus particulièrement en discussion avec les Juifs, et nous leur demanderons, quand donc les enfants ont fait entendre ainsi leur voix, dans quelle circonstance cette voix a détruit les efforts de l'ennemi, et depuis quel temps le nom de Dieu est devenu vraiment admirable? Ils ne pourront indiquer un autre temps que celui dont nous avons parlé, ce qui est une preuve de la vérité plus éclatante que le soleil. C'est dans ce même dessein que le roi-prophète dit : "Je verrai les cieux, l'ouvrage de tes Mains" bien que Moïse eût dit longtemps auparavant : "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre." (Gn 2,1).

C'en est assez contre les Juifs, surtout avec ce que nous avons dit plus haut. Mais les sectateurs de Paul de Samosate qui, à l'exception de la circoncision, adoptent les traditions et les erreurs des Juifs, prétendent que l'Existence de Jésus Christ ne date que du moment où Il est sorti du sein de Marie. Nous leur ferons cette simple question : Comment, si Jésus Christ n'existe que du moment de son Incarnation, a-t-Il pu créer les cieux ? Car Celui qui a su tirer de la bouche des enfants une louange parfaite est ici le même qui a créé les cieux. Or si les cieux sont l'ouvrage de ses Mains, Il existait donc avant les cieux; ce n'est point à Marie qu'Il doit son origine, et Il était bien avant elle. Considérez ici la sagesse du roi-prophète : il ne nous représente pas Dieu comme ayant seulement créé les cieux, mais comme les ayant créés avec la plus grande facilité. "Je verrai, dit-il, les cieux, l'ouvrage de tes Mains." Ce n'est pas sans doute que Dieu ait des doigts, mais David a voulu nous faire comprendre que la création des choses visibles a été un des moindres effets de la Puissance divine, et il se sert de ces expressions qui nous sont familières pour nous enseigner les vérités qui sont au-dessus de nous. Ainsi, quand le prophète dit de Dieu : "Il mesure les cieux avec sa Main, et la terre avec trois doigts" (Is 40,12), son intention n'est point d'attribuer à Dieu des mains et des doigts, mais de faire ressortir sa Puissance infinie. Comment donc en est-il qui ont osé dire que le Fils n'est que le serviteur du Père ? Quoi ! Celui qui n'a pas eu besoin de déployer toute sa Puissance pour créer, que dis-je, toute sa Puissance ? Celui à qui la création des cieux n'a coûté que le plus léger effort, ne serait que le serviteur du Père ? Mais comment serait-Il le serviteur du Père, si ce que le Père fait, le Fils le fait également comme Lui?" (Jn 5,19). Que devient cette expression : "également", si l'un est Créateur et l'autre serviteur ? Comment encore le roi-prophète proclame-t-il que la création est son ouvrage dans ces paroles : "Seigneur, au commencement Tu as fondé la terre, et les cieux sont l'ouvrage de tes Mains;" Ps 101, 26; et ici : "Je verrai les cieux, l'ouvrage de tes Doigts ?" Ce ne sont pas les serviteurs qui produisent les différents ouvrages, ce sont les artisans qui les fabriquent, et ce n'est point aux serviteurs qu'on en attribue le mérite, mais à ceux qui les ont produits. Ce que Moïse avait dit si longtemps auparavant : "Au commencement Dieu a créé le ciel et la terre", et encore : "Qu'ils dominent sur les poissons de la mer" (Gn 1,1-26), le roi-prophète l'applique ici au Fils de Dieu. Car Celui qui a su tirer une louange parfaite de la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle, est le même qui a daigné descendre jusqu'à l'homme.

9. Ce que Moïse avait dit de Dieu le Père, saint Paul l'applique aussi au Fils de Dieu pour montrer leur parfaite Égalité. Or, puisque les saints attribuent indifféremment au Fils ce qui est dit du Père, et au Père ce qui est dit du Fils; "car toutes choses ont été faites par Lui" (Jn 1,3); où trouver ce nom de serviteur ? On n'en peut découvrir nulle part la trace. Objectera-t-on ces paroles : "Tout a été fait par Lui?" Mais saint Paul se sert de cette même expression en parlant du Père. "Dieu est fidèle, dit-il, ce Dieu par qui vous avez été appelés à la société de son Fils Jésus Christ." (1 Co 1,9). Et encore : "Paul, apôtre de Jésus Christ par la Volonté de Dieu." (2 Tm 1,1). Et dans un autre endroit : "Tout est de Lui, tout est par lui, tout est en Lui." (Rm 9, 36). Pour quel motif donnez-vous donc au Fils le nom de serviteur ? Pour honorer le Père, répondent-ils. Mais est-ce que le Fils n'a pas dit : "Afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père" ? (Jn 5, 23). Il est donc évident que celui qui ne rend pas honneur au Fils n'en rend pas davantage au Père. Est-ce donc, me direz-vous, que le Père est pour moi le Fils ? Nullement, car Jésus Christ ne dit pas : "Afin que vous m'appeliez le Père", mais : "Afin que vous honoriez le Fils à l'égal du Père". Si vous donnez au Fils le Nom du Père, vous confondez tout. Les deux personnes sont distinctes, mais l'honneur qui leur est rendu est le même. Le Sauveur distingue à dessein le Père du Fils, pour que vous ne confondiez pas les deux personnes. Or si le Père et le Fils n'avaient pas la même nature, comment pourraient-ils exiger qu'on leur rendît le même honneur ? Mais pourquoi, direz-vous encore, Jésus Christ parle-t-Il souvent de Lui-même en termes si humbles ? Il voulait nous enseigner l'humilité et tenir un langage conforme à sa nature mortelle; ne point étonner l'ignorance grossière des Juifs, conduire peu à peu le genre humain à la connaissance de la vérité, et S'accommoder au peu de lumières de ceux qu'Il instruisait, souvent même Il se conformait à leurs propres pensées. Tout ce qui tient à la plus haute majesté est trop élevé au-dessus de nous, ou plutôt tout ce que nous pouvons dire de Dieu est au-dessous de cette nature infinie et ne peut être qu'un langage approprié à la faiblesse de notre esprit. En effet, que voulez-vous dire en proclamant que Dieu est grand ? Ce terme de grand attribué à Dieu implique une idée de petitesse, car cette grandeur, quelque étendue qu'elle soit, est nécessairement bornée, tandis que Dieu est infini. C'est donc une expression de petitesse si vous l'appliquez à Dieu. Car je sais que Dieu est infini, mais je ne sais ni ce qu'Il est, ni où Il est. Vous parlez de sa Sagesse, de sa Bonté, de ses autres Perfections infinies, vous n'avez rien dit qui approche de la majesté de sa Nature, et il faut toujours donner à vos paroles une signification convenable. Mais si ces expressions, toutes sublimes qu'elle sont, restent bien au-dessous de cette majesté suprême, comment excuser ceux qui cherchent encore à les affaiblir ? Fuyons donc tout commerce avec eux; et puisque nous savons que le Fils unique existait avant tous les siècles et que nous sommes convaincus de sa Puissance créatrice, de son Autorité souveraine, de son Égalité parfaite avec son Père, des humiliations de son Incarnation, des soins multipliés de sa Providence paternelle (car le trésor qui est caché dans ce psaume renferme toutes ces richesses et de plus grandes encore), gardons ces vérités dans toute leur pureté, conformons-y toute notre vie pour mériter d'obtenir les biens de la vie future. Que Dieu nous en rende dignes par la Grâce et la Miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soit avec le Père et le saint Esprit, honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 9

Pour la fin, psaume de David, pour les secrets du fils. Suivant une autre version : "Chant de victoire de David pour la mort du fils." Suivant une autre : "De la jeunesse du fils." (v. 1). - "Je Te louerai, Seigneur, de toute l'étendue de mon coeur, je raconterai toutes tes Merveilles." (v. 2).

Ce psaume est d'une certaine longueur, c'est un effet de la Sagesse de l'Esprit saint. Tous les psaumes en effet n'ont pas la même étendue, grands ou petits; mais l'Esprit saint a mis dans leur dimension une grande variété. Les uns sont plus longs pour exciter la négligence, les autres plus courts pour diminuer le travail. "Je Te confesserai, Seigneur, de toute l'étendue de mon coeur, je raconterai toutes tes Merveilles." Il y a deux espèces de confessions : l'une est une accusation de nos propres péchés, l'autre est une action de grâces que nous rendons à Dieu. C'est dans ce dernier sens que le roi-prophète entend ici le mot confession. Que signifient ces paroles : "de tout mon coeur" ? Dans toute l'ardeur et l'empressement de mon âme; non seulement je Le louerai pour les biens que j'en ai reçus, mais aussi pour les épreuves de l'adversité. C'est en effet la marque d'une âme reconnaissante et sage de rendre grâces à Dieu jusqu'au milieu des tribulations, et de Le glorifier dans toutes les circonstances de la vie, non seulement pour ses Bienfaits, mais pour les épreuves qu'Il nous envoie. Cette conduite nous rend dignes d'une plus grande récompense. En vous montrant reconnaissant dans la prospérité, vous acquittez une dette; en rendant grâces à Dieu dans l'adversité, vous devenez son créancier. En effet, celui qui rend grâces pour les bienfaits qu'il a reçus, acquitte une véritable dette; mais celui qui glorifie Dieu jusqu'au milieu de ses malheurs, rend pour ainsi dire Dieu son débiteur. Qui pourrait dire tous les biens dont Dieu nous comblera et qu'Il nous accorde dès maintenant en retour de cette disposition de notre âme ? Le sentiment douloureux du malheur ne saurait même nous atteindre. Comment, en effet, s'attrister des malheurs dont on rend grâces à Dieu ? Nous recueillons encore de cette disposition un autre avantage, c'est d'échapper à toute pensée de tristesse et d'abattement. N'est-il pas vrai que lorsque vous rendez grâces à Dieu pour la perte de vos richesses, la peine produite par cet accident est effacée par la joie qu'accompagne l'action de grâces ? C'est là pour le démon un coup mortel. Voilà ce qui inspire à notre âme l'amour de la sagesse, et ce qui nous fait juger sainement des choses présentes. Un grand nombre d'hommes jugent mal des choses d'ici-bas, et c'est pour eux la source de mille peines. Ainsi, ceux qui n'ont pas l'usage de la raison, craignent ce qui n'est pas à craindre, redoutent des dangers qui n'existent pas et s'enfuient devant l'ombre même du péril. C'est l'image de ceux qui craignent de perdre leurs richesses. Cette crainte, en effet, n'est nullement dans la nature, elle est toute volontaire; si la perte des richesses était une cause nécessaire de tristesse, tous ceux qui l'éprouvent devraient s'en affliger. Si donc elle ne produit pas ce sentiment dans tous ceux qu'atteint l'infortune, cette crainte n'est point dans la nature, elle est le résultat de nos dispositions imparfaites.

On en voit souvent qui, dans les ténèbres tremblent à la vue d'une corde, comme à l'approche d'un serpent, qui soupçonnent partout des pièges, et regardent leurs amis comme des ennemis. De même ceux qui n'ont pas un sens droit, sont comme plongés dans de profondes ténèbres, ne connaissent pas la nature des choses, mais roulent comme dans un bourbier. Pour eux, le fumier cesse d'être du fumier; sous l'impression de l'avarice dont leur âme est remplie, ils ne sentent pas l'odeur infecte qui les entoure, et ils ne commencent à s'en apercevoir que lorsqu'ils s'en sont retirés. Ceux qui sont épris d'amour pour une femme sans beauté, ne s'aperçoivent de sa laideur que lorsqu'ils sont guéris de leur passion; il en est de même de ces malheureuses victimes de l'amour des richesses. Et comment, me direz-vous, pourrai-je éteindre cette passion ? Je me sers du même exemple. Celui qui aime une femme dont la figure est difforme, ne fait qu'enflammer sa passion par le commerce habituel qu'il entretient avec elle; mais s'il consent à s'en éloigner tant soit peu, cette passion s'éteindra insensiblement. Vous donc aussi, éloignez-vous un peu de vos richesses, et cette légère séparation mettra entre elle et vous une grande distance. Commencez seulement à bien faire; vous avez une maison qui vous est inutile, vendez-la, et donnez-en le prix aux indigents, en vous persuadant bien que vous ne l'avez point perdue, mais que vous ne faites que vous en assurer la propriété. Considérez non point la dépense qui en résulte pour vous, mais le profit qui vous en revient; vous ne vous dépouillez point de cette maison, vous en devenez plus que jamais le maître. Voilà comment vous mériterez de publier continuellement les Merveilles de Dieu. C'est la vérité contenue dans les premières paroles de ce psaume. Celui qui est esclave de la passion des richesses, n'est guère capable de ces considérations. Il ne rêve qu'usures, contrats, obligations, acquisitions, testaments, estimations de terres et de maisons, gains, trafic; voilà les pensées qui l'absorbent continuellement. Or, où est votre trésor, là est aussi votre coeur. (Mt 6,21). C'est le sujet de toutes ses conversations, de toutes ses pensées. Les serviteurs ont toujours présents à l'esprit les ordres de leurs maîtres, et lui aussi ne cesse de penser aux ordres que lui donne son maître. Qu'a-t-il commandé ? Qu'a-t-on fait pour obéir ? Que reste-t-il encore à faire ? Je vous engage donc à vous délivrer de cette passion qui assiège votre coeur, pour vous appliquer à ces saints récits qui ont pour objet les miracles particuliers et généraux, que Dieu ne cesse d'opérer tous les jours, soit dans l'intérêt de tous les hommes, soit en faveur de quelques-uns d'entre eux. Tout dans l'univers prête à ces récits; quel que soit le sujet que vous choisissiez, il vous promet un exorde brillant, que vous l'empruntiez au ciel, à la terre, à l'air, aux animaux, aux semences, aux plantes ou aux arbres. Si vous voulez rappeler le souvenir des anciens bienfaits, de ceux qui ont ou précédé ou accompagné la loi; des dons plus abondants sous le règne de la grâce, de ceux qui nous attendent au sortir de cette vie, au moment même de la mort, vous trouverez comme une mer immense de narrations variées. Quelle serait donc votre folie, puisque vous avez à votre disposition un si grand nombre de sujets qui peuvent procurer à votre âme tant de douceur, de profit et d'utilité, d'aller traîner vos pensées dans les récits fangeux qui n'ont pour objet que l'avarice et la cupidité.

2. Si vous aimez mieux, quittons les cieux pour descendre sur la terre, et décrivons sa grandeur, la position qu'elle occupe, son usage, sa nature, son inépuisable fécondité, les productions nombreuses et variées qui sortent de son sein, les semences, les herbes, les plantes, les fleurs, les prairies, les jardins. Distinguons encore par l'analyse la forme de chacun des arbres, son port, sa hauteur, l'odeur qu'il répand, les fruits qu'il produit, la saison où il les donne, l'usage auquel on l'applique; joignons une foule d'autres observations sur la fertilité ou la stérilité de la terre, car elle ne renferme rien d'inutile. Ici en effet, elle produit du fer, là de l'airain, celle-ci de l'or, celle-là de l'argent, l'une des parfums, l'autre des médicaments variés et de toute espèce. Parlerai-je de l'utilité des eaux potables ou salées, des richesses des montagnes, des variétés de marbre qu'elles cachent dans leur sein, des sources qu'elles renferment, des arbres qui les ombragent et qui servent à la construction des maisons ? Voilà les fruits du désert; ajoutez qu'il nourrit les animaux et les bêtes féroces. Parlerai-je encore des lacs, des fontaines et des fleuves ? De même que les femmes qui sont devenues mères, versent des fontaines de lait pour nourrir leurs enfants nouveau-nés, ainsi la terre ouvre les fleuves, les fontaines, comme autant de mamelles, pour arroser les prairies et les jardins. Que dis-je ? Il faut que l'enfant s'approche pour boire au sein de sa mère, tandis que la terre ouvre d'elle-même son sein et répand partout du haut des montagnes ses eaux fécondantes.

Les lieux déserts ont encore d'autres avantages; la santé du corps y est plus vigoureuse, on y respire un air plus pur, ils nous font considérer la terre de plus haut, ils ouvrent notre âme aux pensées sérieuses, et la déchargent tant soit peu des préoccupations de la vie. Dirai-je encore les chants si variés des oiseaux et les moeurs des animaux qui servent au plaisir de la chasse ? Ajoutons que souvent le désert sert comme de rempart aux campagnes par les montagnes, par les crêtes élevées, par les précipices dont il les environne. Décrirai-je enfin la vertu des plantes que la terre produit, et qui apportent un si grand soulagement à notre corps dans ses maladies ? Or, si les lieux déserts et les montagnes sont d'une si grande utilité et produisent de si abondantes richesses, quelle nouvelle matière de descriptions nous offriront les plaines et les terres labourables ? De même que dans notre corps, nous distinguons les os, les nerfs, la chair; ainsi la terre est composée de montagnes, de précipices et de champs fertiles, et toutes ces choses ont leur utilité. Mais pourquoi parler de la terre qui, après tout, est un des éléments les plus importants ? Si prenant un seul arbre, vous voulez décrire sa forme, son usage, ses fruits, ses feuilles, la saison où il les produit, et mille autres choses semblables, vous aurez une riche matière de narrations. De même, si vous entreprenez la description des montagnes et de toutes les autres merveilles de la création. Si enfin vous choisissez l'homme et la formation de son corps pour texte de vos discours, quelle mer immense s'ouvre devant vous !

Que ces pensées nous soient donc familières, elles seront pour nous la source d'une joie ineffable, des biens les plus précieux, et d'une sagesse incomparable. C'est ce que le roi-prophète veut nous faire comprendre en ajoutant : "Je me réjouirai, je tressaillirai d'allégresse en Toi." (Ibid. 3) Une autre version porte : "Je me réjouirai, et je chanterai ton Nom, ô Très-Haut"; une autre encore : "Je chanterai ton Nom." C'est le signe d'une âme avancée déjà dans la sagesse de placer en Dieu toute sa joie. Car celui qui sait ainsi se réjouir parfaitement en Dieu, écarte de son coeur tous les autres plaisirs de la via présente. Quel est en effet le sens de ces paroles : "Je me réjouirai en Toi ?" Toute ma joie, toute mon allégresse est de T'avoir pour Seigneur et pour Maître. Celui qui apprécie cette joie à sa juste valeur, est insensible à tout autre plaisir; c'est en effet la seule véritable joie, toutes les autres n'en portent que le nom sans en avoir la réalité. C'est elle qui inspire à l'homme des pensées sublimes, c'est elle qui affranchit l'âme de la servitude du corps, c'est elle qui lui donne des ailes pour s'envoler aux cieux, c'est elle qui l'élève au-dessus des préoccupations de la vie, c'est elle enfin qui la délivre de tous les vices. Et rien de plus naturel, car si ceux qui sont épris de la beauté du corps sont indifférents à toutes les choses de la vie, et n'ont dans l'esprit que la personne qu'ils aiment; quels sont les biens, quels sont les maux qui peuvent faire impression sur une âme qui aime Dieu comme Il mérite d'être aimé ? Il n'en est aucun assurément, elle est supérieure à tout, et sa joie est éternelle comme l'objet de son amour. Ceux qui placent leur affection dans les choses de la terre, tombent bien vite et malgré eux dans l'oubli, quand les choses qu'ils aimaient ont perdu leurs charmes; mais l'amour de Dieu est un amour immense, infini, impérissable, mille fois supérieur aux autres amours, par la joie qu'il répand dans l'âme et par les avantages qu'il procure. Aussi, quel charme puissant que la pensée d'un amour qui ne doit jamais finir ! "Je chanterai ton Nom." C'est l'effet naturel de l'amour. Ceux qui aiment prennent pour matière de leurs chants les personnes qui sont l'objet de leur affection, et se consolent ainsi de leur absence. C'est ce que fait aussi le prophète; il ne peut voir Dieu, il Le prend pour sujet de ses chants, il s'unit ainsi à Lui de l'union la plus étroite, il donne une nouvelle ardeur à ses désirs, il lui semble jouir de sa Présence, ou plutôt par ses hymnes et ses chants, il enflamme les désirs de tous ceux qui l'entendent. Ceux qui sont épris d'amour, chantent les louanges des personnes qu'ils aiment, et ils en ont toujours les noms sur leurs lèvres; ainsi fait le prophète : "Je chanterai ton Nom, ô Très-Haut".

3. Voyez comme il s'élève au-dessus de la terre, comme il approche sa nature de l'essence divine, et se consacre tout entier à Dieu. Aussi, ne cesse-t-il de célébrer son Nom comme ceux qui sont épris d'un ardent amour. "Lorsque Tu auras fait tourner mes ennemis en arrière, ils succomberont et périront devant ta Face." (Ibid. 4). C'est encore un des caractères de l'amour, de redire continuellement les bienfaits qu'il a reçus et de s'y complaire. L'amour inspire ce sentiment de reconnaissance et la reconnaissance, à son tour, rend l'amour plus ardent On peut dire avec assez de fondement que le roi-prophète veut aussi parler des ennemis spirituels. Car eux aussi retournent en arrière, quand ils rencontrent une âme généreuse. Lorsqu'un javelot tombe sur un bouclier dont la matière est faible et sans résistance, il le perce de part en part; si au contraire, ce bouclier présente une surface dure et impénétrable, le fer du javelot vient s'y émousser et perdre toute sa force. Il en est de même pour notre âme; si les traits que lance le démon tombent sur une âme molle et sans énergie, ils lui font de profondes blessures, si au contraire le démon dirige ses coups sur une âme pleine de force et de vigueur, tous ses efforts sont inutiles, et loin de lui faire du mal, il lui procure deux, je dirai même trois avantages précieux : il n'a pu lui faire aucune blessure, il l'a rendue plus forte qu'elle n'était, tandis que lui-même est devenu plus faible.

Considérez comme David relève ici la Puissance de Dieu : "Ils succomberont, dit-il, et périront devant ta Face." Que cette expression ne réveille dans votre esprit aucune idée matérielle : David ne veut parler que de la force de l'Action divine, de sa manifestation et de la facilité avec laquelle Dieu exerce sa toute-puissance. C'est cette même vérité que le roi-prophète proclame ailleurs : "Il regarde la terre et Il la fait trembler." (Ps 103,32). Ainsi, le Regard seul de Dieu suffit pour perdre les méchants; en effet, si la présence des saints frappe d'impuissance les efforts du démon, combien plus la Présence de Dieu ? L'éclair qui sillonne la nue, saisit d'effroi tous les hommes, jugez de l'épouvante dont cette puissance immortelle doit frapper les méchants et avec quelle facilité elle doit les surprendre. Vous voyez le caractère des hymnes du roi-prophète, comment il célèbre la Gloire de Dieu et exalte sa Puissance. Or, il nous donne une leçon importante de sagesse dans ces paroles : "Je chanterai ton Nom, ô Très-Haut. Lorsque Tu auras fait retourner mon ennemi en arrière". Quelle est cette leçon ? C'est la vigilance dont il a fait preuve non seulement dans les afflictions, mais encore dans la prospérité. Il en est beaucoup que l'adversité humilie, et rend plus attentifs sur eux-mêmes; mais qui, dans la prospérité, se laissent aller à la négligence et au relâchement. C'est le reproche que David fait aux Juifs dans un des psaumes suivants : "Quand Dieu les frappait, alors ils Le cherchaient" (Ps 77,38). Quant à lui, sa conduite était bien différente, et jusqu'au milieu du calme des jours prospères, il reste fidèle à la pratique de la sagesse et de la vigilance, et c'est là un grand pas dans la voie de la perfection; "Car Tu as fait triompher mon droit et Tu as jugé ma cause" (Ibid. 5). Une autre version porte : "Tu as jugé en ma faveur, Tu T'es assis sur ton tribunal, Toi qui juges selon la justice, Tu as repris les nations, et l'impie a péri." Suivant une autre version : "Tu as perdu l'impie, Tu as anéanti leur nom pour toujours, et pour tous les siècles des siècles." (Ibid. 6). Considérez de nouveau la sagesse du saint roi; il ne songe pas à se venger de ses ennemis, mais il se repose sur Dieu du soin de faire justice et observe par avance la recommandation de l'Apôtre : "Ne vous vengez pas vous-mêmes." (Rm 12,19). Et ce n'est pas la seule chose que nous pouvons admirer ici, nous voyons encore que David avait été la victime de l'injustice de ses ennemis. S'il n'avait pas souffert injustement, Dieu n'aurait pas pris en main sa défense. "Tu T'es assis sur ton tribunal, Toi qui juges selon la justice". En parlant ici de trône et de tribunal, le roi-prophète s'accommode au langage ordinaire des hommes. En disant à Dieu : "Tu juges selon la justice" il fait connaître un des attributs particuliers à Dieu et qui tient de plus près à sa Nature divine. Nous ne pourrions faire le même éloge des hommes; fussent-ils mille fois justes, ils ne jugent pas selon la justice, parce qu'ils ne peuvent distinguer ce qui est vraiment juste, tantôt par ignorance, tantôt par un effet de leur négligence; mais Dieu qui est exempt de ces imperfections, juge toujours selon la justice, parce qu'Il sait ce qui est juste, et qu'Il sait y conformer son jugement. Ces paroles : "Tu T'es assis sur ton tribunal" signifient : Tu as jugé, Tu as châtié mes ennemis; Tu en as tiré vengeance. "Tu as repris les nations et l'impie a péri." Vous voyez que Dieu n'a besoin ni d'armes, ni de glaive, ni d'arc, ni de flèches; ces expressions sont empruntées à notre langage. Dieu n'a qu'à reprendre simplement et Il fait périr ceux qui méritent ce châtiment. La suite vous donne une haute idée de sa Puissance : "Tu as anéanti leur nom pour toujours, et pour les siècles des siècles". C'est-à-dire, Tu les as détruits jusque dans la racine, Tu les as arrachés, Tu les as exterminés au point que leur mémoire est anéantie. "Les glaives de l'ennemi ont perdu leur force pour toujours" (Ibid. 7), suivant une autre version : "Les ruines". Le texte hébreu porte : Arboth. "Et Tu as ruiné ses villes". Quel est le sens de ces paroles ? Tu as mis à néant ses desseins et ses stratagèmes, et vous l'avez dépouillé de ses armes. Telle est la Colère de Dieu, elle détruit, elle anéantit tout ce qu'elle frappe. Un autre interprète traduit : "les déserts"; c'est-à-dire non seulement Tu as détruit les villes, mais Tu as encore anéanti jusqu'aux déserts. C'est ainsi que le juste combattait contre ses ennemis et leur faisait essuyer une défaite complète, sans autres armes et sans autres lances que le Secours de Dieu. Aussi cette guerre le couvre de gloire, et c'est de vive force qu'il remporte ici la victoire. "Leur mémoire a péri avec bruit"; suivant une autre version : "avec eux". Le texte hébreu porte le mot Em. Que signifie cette expression : "avec bruit" ? Ou bien la ruine entière des ennemis du saint roi, ou les cris de désespoir des vaincus. Car c'est encore un des traits de la Providence de Dieu, de ne point punir ses ennemis en secret, afin que les châtiments des uns puissent rendre les autres meilleurs. Ces paroles signifient donc que leur ruine sera éclatante.

4. "Mais Dieu demeure éternellement"; une autre version porte : "Il sera assis." Cette expression s'emploie souvent pour la Nature divine qui reste toujours immuable; Jérémie l'emploie également lorsqu'il dit : "Tu es assis pour l'éternité." (Ba 3,3); le texte hébreu porte Jesel. Toutes les fois que le prophète vient de décrire la fin si prompte des hommes, il proclame aussitôt l'éternité de la Nature divine et il oppose à la nature humaine dont la vie est éphémère, cette nature infinie et cette majesté impérissable. Il veut par là donner aux hommes deux motifs propres à leur inspirer la crainte de Dieu, la grandeur de sa Gloire opposée à la bassesse de leur nature, et son éternelle justice qui inflige aux pécheurs de si terribles châtiments. Ces mêmes paroles renferment un sens anagogique qu'il ne faut pas négliger. Il est dans l'Écriture certains passages que nous pouvons examiner à fond, d'autres que nous ne devons entendre qu'à la lettre, comme ces paroles : "Dieu fit le ciel et la terre" (Gn 1,4); d'autres enfin qu'il faut entendre dans un sens différent du sens littéral, comme celui-ci : "Que la biche très chère, que le faon très agréable partagent votre intimité" (Pr 5,19), et cet autre "Possédez seul ce qui vous appartient, et que les étrangers n'y aient point de part" (Ibid. 17), et cet autre encore : "Que la source d'eau soit pour vous seul" (Ibid. 18). Si vous considérez ces paroles dans le sens qui se présente le premier à l'esprit, sans vous éloigner de la lettre pour rechercher leur véritable sens, il vous paraîtra bien cruel de refuser de l'eau à qui vous en demande. Mais l'auteur sacré veut parler ici de l'épouse dont son mari doit jouir avec chasteté, et il la désigne sous les noms de source et de biche pour exprimer la pureté qui doit présider aux rapports des époux entre eux. C'est ainsi qu'il faut entendre ces différents passages. Il en est d'autres que nous devons entendre à la fois dans le sens littéral, et dans celui qui est figuré par les mots, comme ces paroles : "De même que Moïse a élevé le serpent" (Jn 3,14). Car il faut voir ici à la fois l'expression d'un fait réellement accompli et une figure de Jésus Christ. On peut aussi sans crainte de se tromper, appliquer aux événements dont les Juifs ont été les victimes, ces paroles du roi-prophète : "Tu t'es assis sur ton trône, Toi qui juges selon la justice. Tu as repris les nations et l'impie a péri. Tu as effacé leur nom pour l'éternité et pour les siècles des siècles. Les armes de l'ennemi ont perdu leur force pour toujours, et Tu as détruit leurs villes. Leur mémoire a péri avec bruit." Les calamités qui sont venues fondre sur ceux qui ont crucifié Jésus Christ ont été connues de toute la terre, leurs villes ont été détruites, et tous les artifices du démon sont venus échouer contre les desseins providentiels de Jésus Christ qui ont dirigé toutes choses. Mais laissons aux esprits désireux de s'instruire le soin de pénétrer dans ces rapprochements mystérieux, et continuons l'explication que nous avons commencée.

"Dieu a préparé son trône pour rendre ses arrêts." (Ibid. 8). Suivant une autre version : "Il l'a fondé, affermi pour le jugement". Il jugera Lui-même toute la terre dans l'équité; Il jugera les peuples dans la justice." (Ibid. 9). Voyez-vous comme le discours du prophète s'élève par degrés. Il vient de parler de trône, mais il se hâte d'en faire connaître la nature. Ce trône n'est point composé de bois ou de quelque autre matière grossière, c'est un trône de justice. Il est établi, dit-il, sur la justice. "Il jugera l'univers dans l'équité." Cette prédiction embrasse à la fois la vie présente et la vie future. Le jugement général est réservé pour l'autre vie, mais Dieu exerce dès cette vie un jugement partiel et fait souvent éclater des traits de sa Justice, afin que les insensés ne s'imaginent pas que tout marche au hasard sur la terre. Ne vous étonnez pas du reste si tous ne reçoivent pas les récompenses qu'ils méritent; "car Il a établi un jour pour juger le monde selon la justice" (Ac 17,31). Cette vie est le temps de la lutte, de la guerre et des combats. Tous ne reçoivent pas ici-bas ce qu'ils ont mérité, mais Dieu tient en réserve pour l'autre vie les récompenses des justes et les châtiments des méchants. Ici-bas il use à notre égard de patience et de longanimité pour nous engager à effacer nos péchés dans les larmes de la pénitence. Tant qu'un homicide est libre, il est en son pouvoir de changer de vie et d'échapper au supplice, mais dès qu'il est traîné devant le tribunal du juge, il n'a plus en perspective que le glaive, le bourreau et une mort affreuse. Il en est de même par rapport à nous. Tant que nous sommes dans cette vie, nous pouvons échapper au supplice par notre conversion, mais lorsque nous en serons sortis, toutes nos larmes seront inutiles, "car Dieu a préparé son trône pour exercer son Jugement". On peut, sans crainte de se tromper, prendre cette expression : "Il a préparé" dans son sens littéral; car tout est préparé dès maintenant, les supplices, les couronnes et les jugements. En Dieu il n'y a ni délai, ni retard, ni répit, et ceux qui sont vivants ne préviendront point ceux qui sont morts, selon ces paroles de saint Paul : "Nous qui vivons et qui sommes réservés jusqu'à l'Avènement du Sauveur, nous ne préviendrons point ceux qui sont dans le sommeil de la mort." (1 Th 4,14). Voyez comme la sagesse du prophète embrasse à la fois dans ses prédictions le présent et l'avenir; le présent lorsqu'il dit : "Tu as repris les nations, et l'impie a péri"; l'avenir, lorsqu'il ajoute plus loin : "Il a préparé son trône pour exercer son Jugement, et Il jugera toute la terre dans l'équité." Son but est de convaincre par le spectacle du présent ceux qui ne croient point aux jugements de l'autre vie. "Et le Seigneur est devenu le refuge du pauvre." (Ibid. 10). Une autre version porte : "de celui qui est écrasé." Une autre : "de celui qui est brisé". David se donne continuellement le nom de pauvre et d'indigent, bien qu'il eût pour demeure un palais. C'est ce qu'il répète encore dans un autre psaume : "Pour moi, je suis pauvre et dans l'indigence." (Ps 39,18). Il savait en effet, à n'en pouvoir douter, que tous les biens de cette vie sont plus fugitifs que l'ombre, et que le seul bien qui nous soit vraiment propre, c'est la vertu, tandis que tout le reste est semblable aux feuilles des arbres qui ne tiennent qu'à l'extérieur. Une preuve évidente que la vertu est un bien qui nous est personnel, c'est que nous la portons avec nous partout où nous allons. Il n'en est pas ainsi des biens de cette vie. La vertu nous appartient donc en propre, et les autres biens ne sont à nous que d'une manière éloignée. De même donc que nous donnons le nom d'intime à celui qui nous est uni par des liens plus étroits, ainsi nous disons que la vertu est un bien qui nous appartient d'une manière plus intime, parce qu'elle est toujours plus rapprochée de nous.

5. Considérez ici comme l'âme du roi-prophète s'ouvre aux inspirations de la reconnaissance et de la sagesse. Il avait des chevaux, des armées nombreuses et mille autres moyens de défense; il n'en tient aucun compte et s'adresse à Dieu seul pour implorer le secours d'en-haut, et reconnaît que c'est à Lui seul qu'il doit son salut. Il ne dit pas : Mes troupes, mes richesses, mes enfants sont devenus mon refuge; mais : "Le Seigneur est devenu le refuge du pauvre". Il m'a placé dans un lieu sûr, car rien ne peut être comparé à ce refuge au double point de vue de la facilité et de la sécurité. Les autres refuges sont environnés d'embûches; ils ne sont pas toujours à proximité; ils dépendent du temps, du lieu et de mille autres circonstances qui peuvent vous en fermer l'accès; mais pour celui-ci il est toujours à votre disposition, pour peu que vous le cherchiez avec soin. "Tu parleras encore, dit-il par son prophète, et Je répondrai : Me voici" (Is 58,9). Et encore : "Je suis le Dieu de près et non pas le Dieu de loin." (Jr 23,23). Il n'est besoin ni de courses ni de longs voyages; sans quitter notre demeure, ce refuge nous est ouvert. Tantôt Dieu nous délivre des dangers qui nous menacent, tantôt Il les fait tourner à notre gloire et nous donne la victoire sur nos ennemis, et toujours en temps convenable. Lorsque ceux qu'Il choisit pour être l'objet de ces faveurs se conduisent avec modération, Il les leur accorde toutes deux; si au contraire ils n'en font pas un bon usage, Il se borne à une seule pour ne point les exposer par une plus grande libéralité à la tentation de l'orgueil. Si vous doutiez que les Bienfaits de Dieu deviennent souvent pour les hommes une occasion de vaine présomption, je vous citerais l'exemple d'Ézéchias, qui s'enorgueillit de ses succès. Cependant Dieu ne l'abandonna point, mais comme la gloire de son triomphe avait enivré son âme, Dieu lui envoya une maladie pour le ramener à des sentiments plus justes. "Il vient à son secours dans le temps opportun, dans l'affliction". Que signifient ces paroles : "dans le temps opportun"? Dans le temps convenable, David fait ressortir ici une double convenance, le secours que Dieu accorde et l'opportunité du temps où Il le donne. Or le temps opportun est le temps de l'affliction. Pour quelle raison ? Parce qu'elle est la mère de la vraie sagesse, qu'elle délivre l'homme de la mort, et qu'elle attire en lui la Grâce de Dieu. Dans l'affliction, notre âme secoue toute négligence et toute paresse, et nos prières sont plus ferventes. L'hiver est le temps le plus favorable pour cultiver la terre, de même l'affliction est le temps le plus propre à la culture de l'âme. Le Secours de Dieu nous est toujours nécessaire, même au milieu de la prospérité; mais nous en sentons plus vivement le besoin au temps de l'affliction.

"Il vient à son secours." Le roi-prophète, en se servant de cette expression, veut nous apprendre que nous devons nous-mêmes contribuer à notre salut. En effet, on ne vient au secours que de celui qui agit déjà par lui-même. Gardons-nous donc de nous laisser aller au découragement, multiplions les prières, les aumônes et prenons tous les moyens qui sont en notre pouvoir. Les corps auxiliaires viennent au secours de ceux qui combattent et non point de ceux qui restent dans une honteuse inactivité. Si donc vous voulez obtenir le Secours de Dieu, ne trahissez jamais vos propres intérêts. Comment Job a-t-il mérité le Secours de Dieu ? Par son attitude courageuse et ses glorieux combats; et les apôtres eux-mêmes ne l'ont obtenu que par leurs pénibles travaux. "Et que ceux-là espèrent en Toi qui connaissent ton Nom." Suivant une autre version : (Ibid. 11) "Qu'ils mettent leur confiance en Toi". Le roi-prophète passe continuellement de la prière à l'exhortation, et change ainsi d'interlocuteur, comme le commun docteur de l'univers, qui ouvre à tous les hommes les riches trésors de la sagesse. Considérez l'heureux choix de ces paroles : "Et que ceux-là espèrent en Toi qui connaissent ton Nom." Ceux qui Te connaissent, dit-il, et qui connaissent aussi la puissante protection dont Tu nous entoures, ont dans l'espérance qu'ils mettent en Toi une ancre des plus fermes, en même temps qu'un secours des plus efficaces, une tour inexpugnable dans Celui qui non seulement peut les délivrer de tout danger, mais qui, au milieu même des périls donne à leur âme le calme et la tranquillité. En effet, celui qui renonce au secours qui vient des hommes et qui ne place ses espérances que dans le ciel, non seulement se voit bientôt délivré de tous les dangers, mais il ne connaît ni l'agitation ni le trouble qu'amène avec lui le malheur, parce qu'il est fortement appuyé sur l'espérance comme sur une ancre inébranlable. Ainsi, non seulement les trois enfants ont été tirés de la fournaise, mais pendant même qu'ils y étaient, leur âme ne ressentit aucun trouble, car ils savaient que Dieu viendrait à leur secours. C'est pour cela qu'un autre interprète traduit : "Et ils se confieront"; c'est-à-dire ils mettront leur confiance. En effet, la sécurité qui naît de cette espérance en Dieu est bien supérieure à la tyrannie que les troubles extérieurs peuvent exercer sur notre âme, car ces épreuves, quelles qu'elles soient, viennent des hommes, tandis que notre confiance est divine et invincible. Le roi-prophète ne se contente pas de nous dire que Dieu est notre secours et notre refuge, mais il nous apprend à quelles conditions; c'est que notre espérance en Lui sera persévérante et continuelle. Si Dieu ne fait pas cesser aussitôt vos malheurs, c'est qu'Il veut vous éprouver. Dieu pourrait sans doute défendre à l'adversité de fondre sur vous, Il le lui permet cependant pour donner une nouvelle force à votre âme. De même, Il pourrait vous en délivrer tout aussitôt, mais Il attend et Il diffère pour accroître votre fermeté, exercer votre espérance, et rendre votre amour pour Lui plus ardent. Ainsi, Il ne permet pas que la tribulation pèse toujours sur vous, de peur que vous ne veniez à faiblir. Il ne veut pas non plus que vous soyiez toujours dans le calme pour ne pas vous exposer à tomber dans le relâchement. "Parce que Tu n'as point abandonné, Seigneur, ceux qui Te cherchent." Une autre version porte : "Car Tu n'as pas abandonné." C'est la vérité que proclame un autre auteur inspiré : "Considérez les générations anciennes, et voyez si un seul de ceux qui ont espéré dans le Seigneur, a été confondu, si un seul de ceux qui L'ont invoqué a été délaissé de Lui". Et comment, me direz-vous, pouvons-nous chercher Dieu, puisqu'Il est partout ? Par la sainte activité de notre âme et par le détachement des choses de la terre et de toutes les préoccupations du siècle. Car il nous arrive souvent d'avoir sous les yeux ou entre les mains certains objets sans nous en apercevoir, et nous courons de tous côtés pour chercher ce que nous avons comme entre les mains, parce que notre esprit est occupé d'autres pensées.

6. De quelle manière devons-nous donc chercher Dieu ? Par l'application sérieuse de notre âme et en nous rendant libres de toutes les sollicitudes matérielles de cette vie. Celui qui cherche Dieu avec cette liberté entière de l'âme, trouve nécessairement ce qu'il cherche. Il ne suffit pas de chercher Dieu, il faut Le rechercher avec empressement. Celui qui Le cherche de la sorte ne se contente pas de ses efforts personnels, il fait appel aux efforts des autres pour trouver plus sûrement ce qu'il cherche. Lorsqu'il s'agit des biens de la terre, nous cherchons souvent sans trouver; mais dans les choses spirituelles, nous trouvons nécessairement ce que nous cherchons. Pour peu que nous commencions, Dieu ne permettra pas que nous nous épuisions longtemps dans de vaines recherches, c'est pour cela qu'Il dit: "Tout homme qui cherche trouve." (Mt 7,8). "Chantez le Seigneur qui habite dans Sion." (Ibid. 12). Une autre version porte : "Qui est assis, annoncez parmi les peuples ses inventions. " Que dis-tu, saint prophète ? Celui qui a le ciel pour trône et la terre pour marchepied (Is 46,1) et qui tient en ses Mains les profondeurs de la terre, (Ps 119, 4), habite dans Sion ? Oui certainement, mais en parlant de la sorte, il n'a pas l'intention de circonscrire dans un lieu cette infinie Majesté, il veut simplement exprimer la Prédilection de Dieu pour ce lieu, et l'espèce de familiarité qui le Lui fait choisir pour demeure, afin d'attirer les Juifs à Lui par cet acte de condescendance à leur égard. Nous-mêmes aussi nous appelons notre habitation l'endroit où nous habitons de préférence. Nous disons encore que Dieu habite au milieu de nous, non pas qu'Il puisse être limité par notre faible nature, mais à cause de l'attachement particulier qu'Il a pour nous. Dans le sens anagogique, Sion est la figure de l'Église : "Vous vous êtes approchés de la montagne de Sion, et de l'Église des premiers-nés." (Gn 12,29). C'est avec raison que l'Église est comparée à une montagne à cause de sa stabilité et de son inébranlable]e fermeté. On ne peut ébranler une montagne, l'Église de Dieu ne peut l'être davantage. "Annoncez parmi les peuples ses conseils." Il veut que les Juifs proclament hautement les Bienfaits de Dieu et se gardent de les ensevelir dans le silence. Et cette recommandation s'adresse à ceux qui les publient comme à ceux qui les entendent publier; car les uns et les autres y trouveront le même avantage, s'ils y apportent une égale attention. "Parce qu'Il s'est souvenu du sang de ses serviteurs." (Ibid. 13). Vous voyez quel est l'objet des conseils de Dieu, c'est de faire du bien. Le roi-prophète nous rappelle en même temps une grande vérité, c'est qu'aucun homicide ne reste impuni et sans être vengé, ce que Moïse lui-même nous enseigne dans la Genèse, lorsqu'il prête à Dieu ces paroles : "Je vengerai votre sang." (Gn 9,5). C'est là une preuve de sa Providence infinie et de sa Sollicitude vraiment extraordinaire. S'Il paraît différer quelque temps sa Vengeance, n'en soyez pas surpris, Il veut donner aux pécheurs le temps de faire pénitence. (Rm 2,4).

"Il n'a point mis en oubli le cri des pauvres." Voyez quel honneur encore pour les pauvres ! Toutefois il entend ici non pas toute espèce de pauvres, mais ceux qui sont pauvres d'esprit, selon la recommandation de Jésus Christ. (Mt 5,3). Car Dieu exauce surtout la prière de ceux dont le coeur est humble et contrit. Le roi-prophète ne sépare pas ici ces deux choses, la prière et l'humilité. "Sur qui jetterai-Je les yeux, si ce n'est sur celui qui est humble, doux et paisible, et qui écoute mes paroles avec tremblement ?" (Is 66, 2). Partout, nous voyons que l'humilité est comme le char de la prière, car Dieu est proche de ceux qui ont le coeur contrit. Celui qui veut prier Dieu doit donc avant tout, bannir de son coeur tout sentiment d'orgueil. C'est la condition que demande saint Paul lorsqu'il veut que les hommes prient : "Sans colère et sans contention." (1 Tm 2,8). Remarquez le choix de cette expression : "Le cri des pauvres. " Ce cri, c'est l'affection de leur coeur plutôt que le son prolongé de leur voix. "Dieu n'a point mis en oubli le cri des pauvres. " Le roi-prophète nous montre par là qu'ils n'ont cessé d'invoquer Dieu, et que cependant Dieu a différé d'exaucer leurs prières. Quel est donc le vrai sens de ces paroles ? Ne pensez pas que ce soit l'oubli de Dieu qui soit cause de l'impunité qu'Il semble accorder aux méchants, c'est le propre de sa Nature de prendre la défense des pauvres avant même qu'on L'en prie. Combien plus lorsque la prière Lui en est faite avec un coeur humble et contrit ! "Aie pitié de moi, Seigneur; vois l'état d'humiliation où mes ennemis m'ont réduit". (Ibid. 14). Toi qui me retires des portes de la mort afin que je publie tes éloges aux portes de la fille de Sion." (Ibid. 5). Une autre version porte : "Les hymnes en votre honneur"; une autre : "tes louanges". Voyez comme le roi-prophète est continuellement appliqué à la prière. Il est délivré de ses épreuves, il jouit d'un calme assuré, et cependant il ne cesse point de prier en disant à Dieu : "Aie pitié de moi" et d'implorer sa Protection pour l'avenir. Nous avons toujours besoin de la Providence de Dieu, mais surtout lorsque nous venons d'échapper au danger. Car à cette première guerre en succède une autre bien plus difficile, la guerre du relâchement et de la présomption, et c'est alors que le démon déploie le plus d'activité. C'est donc lorsque nous sommes délivrés des malheurs qui nous accablaient, que le Secours de Dieu nous est nécessaire, pour supporter plus facilement le poids de la prospérité. Voyez les Juifs, lorsqu'ils furent délivrés des Égyptiens; ils furent victimes d'une guerre beaucoup plus funeste, celle de la présomption et de la négligence. C'est alors qu'ils furent frappés de mort, parce qu'ils n'étaient point capables de diriger leur marche. Ils ne purent lutter courageusement ni contre la sensualité ni contre leurs convoitises, mais ils imitèrent les vices des Égyptiens, et ce fut la cause de leur perte. David lui-même, lorsqu'il fut sorti victorieux des persécutions de Saül et de toutes ses guerres contre les peuples ennemis, au milieu d'une paix profonde, eut à soutenir une guerre bien plus funeste contre la passion de l'incontinence, qui attira sur lui les plus grands malheurs. C'est donc lorsque nous sommes délivrés des maux qui pesaient sur nous que nous devons craindre davantage.

7. Une bête féroce qui est enchaînée est plus à craindre que lorsqu'elle est en liberté; de même le vice est beaucoup moins redoutable dans l'affliction, car il est alors comme enchaîné par la tristesse et l'abattement et par d'autres liens qui lui ôtent sa liberté d'action; mais c'est dans les douceurs du repos que nous devons le craindre davantage. Aussi, vous verrez souvent que la prospérité enfante plus de crimes que l'adversité. C'est ainsi qu'après de glorieuses victoires, Ézéchias se vit à deux doigts de sa perte. C'est ce qui fait dire au roi-prophète dans un autre endroit : "Il est bon que Tu m'aies humilié." (Ps 118,71). Bien que Dieu l'ait déjà délivré, il ne laisse pas d'implorer encore sa Miséricorde, et la raison qu'il donne à l'appui de sa prière, c'est la peine qu'il éprouve. "Vois l'état d'humiliation où mes ennemis m'ont réduit." Et encore : "Toi qui me retires des portes de la mort." C'est-à-dire, je me réfugie dans le sein de Celui qui a toujours été mon Protecteur et mon Défenseur, et qui m'a toujours tendu la main. Vous voyez qu'en implorant la Protection de Dieu pour l'avenir, il Lui rend grâces pour les faveurs passées, et proclame le double bienfait qu'il en a reçu. Car il ne dit pas simplement : "Toi qui me délivres des portes de la mort", mais : "Toi qui me relèves des portes de la mort". En effet, la Protection de Dieu ne se borne pas seulement à délivrer ses serviteurs de leurs épreuves, elle les élève et les environne de considération, d'honneur et de gloire. Remarquez encore qu'il ne dit pas : "de la porte, mais : "des portes", pour exprimer les nombreux dangers qu'il a courus. "Afin que j'annonce toutes tes louanges aux portes de la ville de Sion." David fait lui-même ce qu'il a conseillé aux autres de faire. "Annoncez, leur disait-il, parmi les peuples, ses conseils." Je vous en donnerai moi-même l'exemple, et ce ne sera pas seulement devant un, deux ou trois hommes, mais devant une nombreuse assemblée que je publierai ses louanges. "Je serai transporté de joie à cause du salut que Tu m'as procuré." (Ibid. 16). Ma couronne, mon diadème, c'est de triompher grâce à ton appui, c'est d'être sauvé par ton Secours. Et nous donc aussi, cherchons non pas à être sauvés et délivrés de nos maux à tout prix, mais à l'être selon la Volonté de Dieu. Je parle ainsi pour ceux qui, dans leurs maladies, ont recours à des paroles magiques ou à d'autres opérations semblables pour soulager leurs infirmités. Loin d'être sauvé, on se dévoue ainsi bien plutôt à une perte certaine. Le salut le plus assuré est celui qui nous vient de Dieu. "Les nations sont tombées dans la mort qu'elles ont préparée." Une autre version porte : "Elles ont été englouties." Cette mort, ou si l'on veut cette corruption, c'est la mort de l'iniquité; car il n'est point de corruption égale à celle que produit le vice. Rien aussi n'est plus faible que l'homme esclave de l'iniquité; il est vaincu par ses propres armes, et il est rongé par le vice, comme le fer par la rouille, comme la laine par les vers.

Ainsi, avant même le châtiment que Dieu prépare au pécheur, son crime devient son premier supplice. Le roi-prophète s'est étendu longuement sur la Justice divine, comme aussi sur le secours d'en-haut, mais comme cette justice ne se manifeste pas aussitôt, que souvent Dieu tarde d'en faire sentir les effets, et que ce retard favorise la négligence d'un grand nombre, il fait voir que le supplice est imminent, et que les méchants le subissent dès maintenant, comme l'atteste saint Paul : "Et ils ont reçu en eux-mêmes la peine due à leur égarement." (Rm 1,27). Remarquez la justesse des expressions dont se sert le roi-prophète : "Ils ont été enfoncés", c'est-à-dire, ils ont été retenus par force, ils sont tombés dans un piège dont ils ne peuvent sortir. Et encore : "Leur pied a été pris dans le filet qu'ils avaient tendu en secret" : c'est-à-dire que les méchants sont enchaînés dans des liens qu'ils ne peuvent rompre. Nous en voyons un exemple dans les Juifs qui cherchaient à perdre les apôtres. Lorsqu'ils combattaient contre eux, ils ne leur causaient aucun dommage, et ils se précipitaient eux-mêmes dans une infinité de maux. Ils se voyaient privés à la fois de leur ville, de leur liberté et de toutes leurs autres prérogatives. La prédication se multipliait, et ceux qui s'y étaient opposés étaient renversés et détruits. Voyez encore ceux qui avaient jeté les trois enfants dans la fournaise de Babylone; ils y furent enfermés à leur tour, et la même chose se reproduisit pour Daniel. Mais, me direz-vous, ce qui arriva aux ennemis de Daniel était juste, car ils l'avaient eux-mêmes jeté dans la fosse. Mais quant aux trois enfants, comment se fait-il que ceux qui se tenaient devant la fournaise y aient été jetés, tandis que le roi était seul coupable ? Ils devinrent la proie des flammes parce qu'ils avaient obéi aux ordres du tyran, et qu'ils avaient adoré la statue d'or. "Dans le filet qu'ils ont tendu en secret." Voyez quelle accusation sévère il formule contre eux. Comme le crime qu'ils commettaient était souverainement honteux, ils s'efforcent de le cacher et de le couvrir de profondes ténèbres. "On reconnaît que le Seigneur rend justice." (Ibid. 17). Une autre version porte : "On a reconnu que le Seigneur rendait justice." C'est-à-dire qu'Il punit l'iniquité et qu'Il en tire une juste vengeance. Vous voyez un nouveau genre de bienfait qui ressort du châtiment. Non seulement Il rend meilleurs ceux qui en sont l'objet, mais il sert encore à faire briller la connaissance de Dieu et à manifester plus clairement sa Présence sur les hommes. Lorsqu'Il permit à un troupeau de pourceaux de se précipiter du haut d'un rocher escarpé dans la mer, les témoins de cet événement furent saisis d'étonnement. (Mc 5,13). Nous voyons aussi dans l'Ancien Testament que les Juifs recherchaient Dieu lorsqu'Il les faisait mourir" comme le dit le roi-prophète. (Ps 77,34). Cependant, pourquoi Dieu n'emploie-t-Il pas plus souvent les mêmes moyens ? Parce qu'Il ne veut point que la pratique de la vertu nous soit imposée par force, mais que nous l'embrassions par le choix libre de notre volonté, et sous l'impression de ses Bienfaits plutôt que par la crainte de ses châtiments. Mais, me dira-t-on, ne vaut-il pas mieux être bon par nécessité que mauvais par son propre choix ? Je réponds qu'on ne peut être bon par nécessité. Celui qui est bon parce qu'il est comme enchaîné au bien, ne persévérera pas longtemps; aussitôt que la nécessité disparaîtra, il reprendra ses habitudes vicieuses. Celui au contraire qui s'est déclaré pour le bien par le libre choix de sa volonté, une fois devenu bon, le sera toujours. "Le pécheur a été pris dans les oeuvres de ses mains. " Il ne dit pas des Mains de Dieu, mais des mains du pécheur.

8. Vous voyez comment le prophète répand la variété dans son discours. C'est du ciel, nous dit-il, que descend le supplice du pécheur, et son iniquité devient son premier châtiment. Comment nous montre-t-il le châtiment descendant du ciel ? "On reconnaîtra que le Seigneur rend justice." Où voyons-nous que les pécheurs sont punis par leurs propres péchés ? "Les nations sont tombées dans la mort qu'elles avaient préparée." Il reproduit la même vérité dans les paroles qui suivent : "Le pécheur a été pris dans les oeuvres de ses mains." Il ne se borne pas à parler du châtiment dont Dieu est l'auteur, parce que souvent Dieu diffère de l'exercer; il ne s'arrête pas non plus exclusivement au supplice que le pécheur trouve dans son propre crime, parce qu'un grand nombre s'y complaisent volontiers, mais il trouve dans chacun d'eux la preuve de ce qu'il avance. C'est pour cela qu'il dit en propres termes : "Le pécheur a été pris dans les oeuvres de ses mains". Une autre version porte : "de la paume de ses mains. "Ne croyez donc pas que ce soit contre votre frère que vous travaillez lorsque vous lui dressez des embûches, c'est à vous-même que vous tendez des pièges. "Chant dont la modulation est différente." Une autre version porte : "Voix qui doit toujours se faire entendre". Une autre : "Chant mélodieux à toujours ". On lit dans le texte hébreu : Enguon sel. "Que les pécheurs soient précipités dans l'enfer, tous ces peuples qui oublient Dieu." (Ibid. 18). Suivant une autre version : "Ils seront précipités". Le roi-prophète continue de développer la même idée et de prouver que le crime est nécessairement puni, que l'impiété enfante la mort, et que le péché est la source de mille dangers. "Car le pauvre ne sera pas en oubli pour jamais, la patience des pauvres ne périra pas sans retour." Un autre interprète traduit : "L'attente de ceux qui sont doux ne sera pas toujours mise en oubli". Remarquez le choix de cette expression : "pour toujours," par laquelle le prophète nous apprend qu'on ne cherchera pas constamment le repos. Si ce repos était toujours à venir, où serait l'exercice de la patience ? Voici le sens de ces paroles. Les méchants doivent s'attendre à être punis, et punis des derniers supplices. Car Dieu ne permettra pas que les victimes de l'injustice soient exposées à de continuels dangers. Il console ainsi les uns en même temps qu'il effraie les autres, et il fait ressortir la Bonté de Dieu qui, en différant ainsi le châtiment, achève d'éprouver les bons, et invite les méchants à la pénitence.

Mais voyez comme les pauvres sont encore traités avec honneur, je dis les pauvres qui ont le coeur contrit. Ce sont ces pauvres qui sont particulièrement capables de résignation, ou plutôt ces deux vertus s'attirent mutuellement, l'humilité produit la patience et la patience l'humilité. Si l'on me demande comment la pauvreté engendre ainsi l'humilité, je répondrai parce qu'elle a plus de facilité pour pratiquer la vertu. Le riche est toujours dans l'agitation et le trouble, tandis que le pauvre supporte facilement toutes les épreuves, comme un athlète exercé aux luttes et aux privations de la pauvreté. Aussi Jésus Christ déclare-t-Il qu'il est difficile d'entrer avec les richesses dans le royaume des cieux. Que signifient ces paroles : "La patience des pauvres ne sera pas frustrée pour toujours" ? Elle ne périra pas sans retour, mais elle recevra intégralement la récompense qui lui est due. C'est ce qui est loin d'arriver toujours pour les choses de la vie présente où nos travaux restent souvent stériles et infructueux. Ainsi, le laboureur et le marchand attendent avec patience; mais souvent l'intempérie des saisons vient les priver du fruit de leurs peines. Avec Dieu au contraire, rien de semblable à craindre, et ce que nous faisons pour Lui obtient nécessairement sa récompense. Or c'est une grande consolation que d'être ainsi assuré du fruit de ses travaux. "Lève-Toi, Seigneur, que l'homme ne s'affermisse pas dans sa puissance." (Ibid. 20). Une autre version porte : "Qu'il ne devienne pas audacieux. Que les nations soient jugées devant Toi." Suivant une autre version : "Devant ta Face." Après avoir fait connaître l'iniquité qui s'est emparée de la plupart des hommes, et fait l'énumération de leurs vices, de leurs rapines, de leur avarice, de leurs homicides, il prie Dieu de prendre en main la défense des victimes de l'injustice. Telle est la sensibilité du coeur des saints; oublieux de ce qui les touche, ils supplient Dieu pour l'univers entier comme pour une seule famille, et ils l'implorent pour tous les hommes comme ne formant tous qu'un même corps : "Lève-Toi, Seigneur, que l'homme ne s'affermisse pas dans sa puissance." Quel est le sens de ces paroles : "Lève-Toi, Seigneur ?" Viens au secours de ceux qui souffrent injustement, et tire une éclatante vengeance de leurs persécuteurs. Remarquez l'heureux choix de ces expressions simples : "Lève-Toi, Seigneur," et encore : "Que l'homme ne se fortifie pas," pour signifier que l'homme est une créature vile, qui tire son origine de la terre, et qui n'est que cendre et poussière. "Que les nations soient jugées devant Toi." Que veulent dire ces paroles ? Qu'elles subissent la peine due à leurs crimes. Ta Patience à leur égard ne les a pas rendues meilleures, demande-leur un compte sévère de leurs iniquités. Établis, Seigneur, un législateur sur eux. Que les peuples sachent qu'ils sont hommes." (Ibid., 21). "Changement de modulation." Suivant une autre version : "Toujours." Que signifient ces paroles : "Établis un législateur sur eux ?" Puisqu'ils se conduisent en tout comme s'ils étaient indépendants, et qu'ils refusent de se soumettre au châtiment qu'ils méritent, tire vengeance de cette audace et que leur propre supplice leur serve d'enseignement. Un autre interprète exprime la même vérité en traduisant : "Établis ta Crainte dans leurs coeurs." Vous voyez ce que demande le prophète, ce n'est pas leur supplice, c'est leur instruction, la réforme de leur conduite criminelle, la cessation de leurs iniquités. Leur châtiment, dit-il, servira d'enseignement non seulement pour eux, mais pour tous les autres. Si vous voulez connaître les heureux effets de cette Conduite de Dieu, et comment elle guérit la grande maladie du genre humain, écoutez la suite : "Que les hommes sachent qu'ils sont hommes;" paroles dont voici le sens : Il en est un grand nombre qui ont perdu jusqu'a la conscience de leur nature, qui se sont emportés à des excès inouïs et se méconnaissent eux-mêmes. Et il ajoute ce mot "toujours," pour nous faire comprendre qu'ils se sont rendus coupables de cet oubli non seulement dans le malheur, mais encore au sein de la prospérité. Mais si Tu les châtie maintenant, dit le prophète, ils seront saisis de crainte, ils conserveront le souvenir des châtiments qu'ils ont soufferts, et même si la bonne fortune leur sourit de nouveau, ils ne perdront point la conscience de ce qu'ils sont.

9. Vous voyez la prière qu'il adresse à Dieu pour eux, et son vif désir de les voir renoncer à leur conduite insensée; car l'ignorance de soi-même est le comble de la folie, et elle est mille fois pire que la frénésie. Ce dernier mal est une maladie qu'on souffre malgré soi, mais l'autre est une corruption libre et volontaire. "Pourquoi, Seigneur, T'es-Tu retiré au loin, et dédaigne-Tu de me regarder dans le temps favorable, au milieu de mes tribulations ?" (Ibid. 1.) Le roi-prophète prie instamment Dieu au nom de ceux qui sont dans l'affliction et sans vouloir accuser aucunement sa providence. En effet, il en est beaucoup à qui, au milieu de leurs tribulations, la violence de la douleur fait désirer que Dieu exerce son jugement avant le temps marqué dans ses décrets. Ils ressemblent à ceux qui sont soumis à l'amputation d'un membre; avant que l'opération soit faite, ils repoussent la main du médecin et le conjurent contre leur intérêt de retirer le fer, parce qu'ils ne peuvent supporter la douleur de cette opération. Aussi les entend-on crier souvent aux médecins : Vous me faites souffrir, vous me torturez, vous me donnez la mort; paroles qui leur sont inspirées non par la raison, mais par la douleur. Tel est le langage que tiennent aussi les âmes faibles et timides qui ne peuvent supporter la souffrance inséparable de la tribulation. Sophonias fait aussi à Dieu la même prière. On conçoit ce langage sous l'Ancien Testament, alors qu'on n'avait à soutenir que des combats modérés, mais il est bien éloigné de la perfection de la nouvelle alliance. "Tandis que l'impie s'enfle d'orgueil, le pauvre est exposé au feu de la persécution. Ils seront enveloppés dans les complots qu'ils méditent." (Ibid., 2). Une autre version porte : "Qu'ils soient enveloppés." "Le pécheur est glorifié des désirs de son âme et le méchant est applaudi." (Ibid., 3). "Le pécheur a irrité le Seigneur." (Ibid., 4). Le prophète prend le rôle de suppliant, il s'adresse à Dieu au nom de ceux qui sont victimes de l'injustice et il se rend l'interprète de leurs peines, résultat de la faiblesse humaine, à la vue de l'impunité et de la prospérité des méchants qui leur est insupportable. Mais cette impunité et ce bonheur sont déjà un des plus grands châtiments que Dieu puisse leur envoyer. Le prophète demande ensuite à Dieu qu'il les punisse en faisant retomber sur eux leurs desseins criminels; puis il nous fait connaître un des caractères intolérables de leur iniquité. Quel est-il ? "Le pécheur est glorifié des désirs de son âme." On n'a point assez de louanges, assez d'admiration pour des actions qui devraient le couvrir de honte et de confusion. Or quelle guérison peut-on espérer lorsque le vice lui-même est comblé de louanges ? Voilà le spectacle que présente le monde. On admire celui-ci parce qu'il est puissant, celui-là parce qu'il s'est vengé de ses ennemis; on loue la prudence d'un autre parce qu'il a su s'emparer de toutes les fortunes; alors qu'il s'est perdu lui-même, on dit qu'il s'est sauvé et mille autres choses semblables; mais des intérêts spirituels de l'âme il n'en est pas question. On ne loue pas avec tant d'empressement celui qui reste étranger aux affaires du monde, celui qui aime la pauvreté, et on exalte bien haut l'homme riche, l'usurier, le flatteur, celui qui pour des choses de néant s'abaisse aux actions les plus viles. Voilà ce que déplore le prophète, que le vice soit devenu assez puissant pour se complaire en lui-même, pour s'étaler avec assurance, et ce qui est plus triste encore, de ne pas le voir rougir, que dis-je, d'entendre faire son éloge et par lui-même et par les autres, se peut-il une folie plus dangereuse ?

"Le pécheur a irrité le Seigneur." Un autre interprète traduit : "Le méchant a loué selon les désirs de son âme, et l'avare a applaudi, et ils ont irrité le Seigneur;" un autre : "Il a loué dans les désirs de son âme, et l'avare qui a lui-même applaudi a outragé le Seigneur. L'impie dans l'excès de sa colère ne cherchera pas." Les Septante traduisent : "Le pécheur a irrité le Seigneur, dans l'excès de sa colère, il ne se mettra point en peine de Dieu." Vous voyez jusqu'où le vice peut aller. Que dis-je ? qu'il persécute les pauvres; il va jusqu'à irriter Dieu lui-même. "Dans l'excès de sa colère, il ne se mettra point en peine de Dieu. Un autre interprète qui applique ces paroles à l'impie traduit : Dans l'excès de son élévation," c'est-à-dire de son orgueil, de son arrogance. Vous voyez quelle folie et quelle corruption; il est l'ennemi déclaré de tous les siens, étranger à tout sentiment de vertu, et n'ayant d'affection et d'éloges que pour le vice. Aussi est-ce avec raison qu'un autre interprète a traduit : "Dieu n'est dans aucune de ses pensées," c'est-à-dire qu'il a peu de souci de Dieu, que son âme est pleine de ténèbres et qu'il n'a point sa crainte devant les yeux. De même que l'humeur qui s'amasse sur le bord des paupières obscurcit la vue, ainsi le vice répand des ténèbres dans l'âme et l'entraîne dans des précipices. "Dieu n'est pas devant ses yeux" (Ibid. 5), suivant une autre version : "Dans aucune de ses pensées," ses voies sont constamment souillées par le crime. "Tes jugements sont ôtés de devant sa vue" une autre version porte : "Ton jugement a été ôté." Voilà les tristes fruits du vice. La lumière de l'esprit s'éteint, la force de la raison s'affaiblit, et l'âme devient esclave de l'iniquité. Celui qui a perdu les yeux est continuellement exposé à tomber dans des précipices; de même celui qui cesse d'avoir la crainte de Dieu devant les yeux, reste constamment plongé dans le vice. Il n'y a point chez lui alternative de vice et de vertu, il est toujours sous l'esclavage du vice, il ne pense ni à l'enfer, ni au jugement à venir, ni au compte qu'il devra rendre, il secoue comme un frein odieux ces pensées qui lui seraient d'un si précieux secours. Il est comme un navire qui a perdu son lest, et qui devient le jouet de la violence des vents et de la fureur des flots, sans guide pour le diriger et le conduire. Vous voyez comment l'iniquité devient le premier châtiment de celui qui la commet; car, qu'y a-t-il de plus malheureux qu'un cheval sans frein, qu'un navire sans lest, qu'un homme qui a perdu les yeux ?

10. Mais bien plus malheureux encore est celui qui passe sa vie dans le crime, et qui privé de la lumière que la crainte de Dieu répand dans l'âme, tombe dans une honteuse captivité. "Il dominera tous ses ennemis, car il dit en son coeur : Je ne serai point ébranlé; de race en race je vivrai sans aucun mal;" (Ibid. 10), une autre version porte : "Il disperse tous ses ennemis, et il dit dans son coeur : Je ne changerai point, je passerai de génération en génération, sans éprouver de malheur. " Quel excès d'orgueil ? Quelle ruine vraiment inexprimable ? Et comme le méchant descend par degrés dans l'abîme ! Voyez-vous comment ce bonheur tant vanté par les insensés, est au fond plein de misères, et quelle est sa fragilité ? Le méchant entend louer ses crimes et applaudir à ses injustices; c'est le premier abîme où celui qui n'est point sur ses gardes peut trouver la mort. Aussi devons-nous préférer ceux qui nous blâment et nous reprennent, à ceux qui nous flattent et nous perdent. Leurs louanges, en effet, sont pour les insensés un poison corrupteur qui les pousse à de plus grands crimes; ainsi ceux qui ont inspiré cet excès d'orgueil au pécheur, ont été la cause d'un si grand égarement. Voilà pourquoi saint Paul parle en ces termes aux Corinthiens de l'incestueux : "Et vous êtes encore enflés d'orgueil, et vous n'avez pas plutôt été dans les pleurs ?" (1 Co 5,2). Il faut verser des torrents de larmes sur celui qui commet le péché, plutôt que d'applaudir à son crime. Mais voyez ici quel coupable renversement : loin de condamner le pécheur, on lui prodigue les louanges. L'orgueil dont il est plein vient ajouter à ce que ces louanges ont d'injuste et de criminel; il perd le souvenir de la crainte de Dieu, et ne tarde pas à s'oublier lui-même. Considérez quelles sont ses pensées : "Je ne serai point ébranlé, de génération en génération je vivrai sans aucun mal." Quoi de plus déraisonnable, en effet, qu'un homme dont l'existence est si fragile, qui est comme enlacé dans des intérêts d'un jour, et soumis à mille changements, puisse concevoir de telles pensées ? Quel en est le principe ? Le défaut d'intelligence. En effet, lorsque l'insensé a eu en partage une longue suite de prospérités, qu'il a triomphé de ses ennemis, et qu'il est pour tous un objet d'admiration et de louanges, il devient le plus misérable des hommes. Comme il ne peut croire à un changement de fortune, il jouit de son bonheur sans modération, et s'il vient à tomber dans l'adversité, comme il n'y est point préparé et qu'il n'y a jamais songé, il est en proie au trouble le plus violent. Ce n'est point ainsi que Job se conduisait. Au sein de la prospérité, il pensait tous les jours au malheur qui pouvait l'atteindre, et il disait : "Ce qui faisait le sujet de ma crainte est arrivé et les maux que j'appréhendais sont tombés sur moi. N'ai-je pas conservé la paix, le silence et la tranquillité ? Et cependant la Colère de Dieu est tombée sur moi." (Jb 3,25-26). C'est pour cela qu'un autre auteur inspiré disait : "Souvenez-vous de la pauvreté pendant l'abondance, et des besoins de l'indigence au jour des richesses." (Ec 18,25). Mais cet impie, une fois arrivé à ce degré de corruption, ne pense plus à la fragilité des choses humaines; enivré de son bonheur, il le considère comme inébranlable, ce qui est le dernier excès de la folie de la corruption, et un principe certain de ruine. Gardez-vous donc de croire au bonheur de ceux qui ont les richesses en partage, qui triomphent de leurs ennemis et à qui l'on prodigue pour cela les louanges. Ce sont là autant de lieux escarpés et dangereux qui précipitent les hommes imprudents dans l'abîme de l'impiété.

"Sa bouche est pleine de malédiction, d'amertume et de tromperie, sa langue cache la travail et la douleur" (Ibid. 7); suivant une autre version : "Ce qui est nuisible. Il est assis en embuscade avec les riches pour immoler en secret l'innocence" (Ibid. 8); une autre version porte : "Il tend des embûches à l'entrée des maisons. Ses yeux épient sans cesse le pauvre. Il tend ses pièges en secret comme un lion dans son antre" (Ibid.); suivant une autre version : "Comme un lion dans son enceinte." - "Il se tient en embuscade pour enlever le pauvre, afin, dis-je, d'enlever le pauvre lorsqu'il l'attire" (Ibid., 10); suivant une autre version : "En l'attirant." Lorsqu'il l'aura pris dans son piège, il le jettera par terre; une autre version porte : "Dans ses filets." "Il se baissera et tombera sur les pauvres, lorsqu'il se sera rendu maître d'eux;" suivant une autre version : "Lorsqu'il sera brisé, il sera abaissé, après qu'il se sera jeté sur le faible avec ses forts." Vous voyez comme il est devenu semblable à une bête féroce. Car c'est sous les traits d'un animal furieux que le prophète nous le dépeint en parlant de ses ruses, de ses embûches, de ses plans insidieux. Que peut-on imaginer de plus misérable, de plus pauvre, qu'un homme qui a besoin de l'avoir de l'indigent ? Oserons-nous, je vous le demande, dire qu'il est riche ? Mais alors, donnons aussi ce nom au voleur et à celui qui brise les portes pour s'emparer du bien d'autrui. À Dieu ne plaise, me direz-vous. Qu'importe, en effet, qu'il ne renverse pas les tribunaux des juges, qu'il ne vienne point attaquer pendant la nuit, si d'ailleurs il éteint la lumière de celui qui devait le juger; s'il fond sur ses victimes, non pendant leur sommeil, mais en plein jour et aux yeux de tous ? Il n'en est que plus impudent; les lois en effet, punissent plus sévèrement ceux qui commettent leurs vols en plein jour. Vous voyez donc ici la pauvreté jointe à la cruauté; la pauvreté qui lui fait désirer ce que l'indigent possède, la cruauté qui le rend insensible aux malheurs du pauvre et lui fait opprimer celui à qui il devait compassion et assistance. Cependant l'impunité ne lui sera pas toujours assurée; lorsqu'il sera parvenu à cette domination absolue, qu'il se regardera comme supérieur à tout et à l'abri de tout revers, c'est alors que Dieu le frappera pour faire éclater la puissance avec laquelle il peut triompher de lui, la patience des pauvres, la difficulté de le ramener à des sentiments plus justes, et toute l'étendue de la Honte divine. Dieu a différé de le punir, parce qu'il voulait l'amener au repentir par sa Patience et sa Longanimité; mais le pécheur n'en a tiré aucun profit, et il ne reste à Dieu que de l'instruire par son Supplice. Ceux qu'il a voulu opprimer n'en ont souffert aucun dommage, et ses injustices n'ont fait que rendre leur vertu plus éclatante. D'un autre côté, Dieu voulait donner un grand exemple de sa Patience, en supportant avec longanimité cet abus de puissance, et en même temps faire éclater sa Force et sa Sagesse. Ainsi, c'est lorsque le pécheur est arrivé au plus haut degré de sa puissance, qu'Il lui fait sentir sa domination, et comme il persévère dans son iniquité, la Justice divine le punit du dernier supplice. Grave et importante leçon pour ceux dont la vie s'écoule tout entière dans la prospérité.

11. Lors donc que vous avez triomphé de vos ennemis, et que tout réussit à votre gré, n'en prenez point occasion de vivre avec confiance dans l'iniquité, mais que plutôt cet état prospère excite en vous de vives craintes. En effet, l'inclination pour le vice se fortifie, toute justification vous devient impossible, et vous perdez toute espérance de pardon, si vous persévérez dans le mal. "Car il a dit dans son coeur : Dieu a oublié, Il a détourné son Visage pour ne rien voir à jamais." (Ibid. 11). Voyez dans quel abîme de perdition il se précipite, et quelles pensées naissent dans son coeur. Un reste de pudeur lui détend de les formuler, mais il s'en nourrit dans son âme où il livre des combats à la vérité, et couvre de ténèbres les vérités plus éclatantes que le soleil, par suite de l'aveuglement de son esprit. "Lève-Toi, Seigneur mon Dieu, que ta Main soit exaltée; n'oublie pas les pauvres." (Ibid. 12). Une autre version porte : "Élevez votre main." Pour quelle raison l'impie a-t-il irrité Dieu ? "C'est qu'il a dit en son coeur : Dieu ne cherchera point mes crimes." (Ibid. 13). "Mais Tu le vois, Seigneur, Tu observes ses crimes et sa violence pour le livrer à ton Bras;" suivant une autre version : "Tu as vu, Tu examineras ses crimes et sa fureur pour le livrer à ton Bras" (Ibid. 14); suivant une autre : "Pour les livrer entre tes Mains." Tel est le langage que tiennent l'impie, l'avare, le ravisseur du bien d'autrui, en se confiant dans leur impunité; mais le prophète détruit leurs prétentions insensées, en nous donnant des idées plus justes, de la Patience de Dieu. Le pécheur ose dire : "Dieu a détourné son Visage pour ne rien voir à jamais." Le prophète combat cette assertion : "Tu les vois, Seigneur et Tu observe leurs crimes pour les livrer entre tes Mains." Le prophète parle ici le langage des hommes, et il veut dire : Tu attends, Tu les supporte, jusqu'à ce qu'ils soient victimes de l'excès même de leur injustice. Tu aurais pu les châtier et les perdre tout aussitôt, mais ta Patience est comme un Océan sans bornes; Tu les vois et Tu ne les punisse pas, parce que Tu attends qu'ils fassent pénitence. S'ils persévèrent dans leurs crimes, Tu les livras au supplice, parce qu'ils ont rendu inutiles les efforts de ta Patience. Or, apprenez par les paroles qui suivent, combien grande est la Sollicitude de Dieu pour ceux qui sont persécutés injustement. "C'est à Toi que le soin du pauvre a été laissé, Tu as été le Protecteur de l'orphelin"; une autre version traduit : "Tu es devenu"; une autre : "Tu seras" c'est-à-dire c'est là ton Oeuvre de choix et de prédilection. Dieu n'a pas manqué au devoir qu'Il s'est imposé. C'est à l'architecte qu'il appartient de diriger la construction de l'édifice, au pilote de gouverner le navire, au soleil d'éclairer l'univers, de même il T'est réservé, ô mon Dieu, de prendre la défense des orphelins, de tendre aux pauvres une main secourable, personne ne peut en prendre un plus grand soin que Toi. C'est ce que signifient ces paroles : "Le pauvre T'a été abandonné." C'est-à-dire, il n'y a que Toi qui sois le Protecteur des orphelins. "Brise le bras de l'impie et du pécheur, on cherchera les traces de son iniquité, et on ne les trouvera plus." (Ibid., 15). Le roi-prophète ne veut pas la ruine du pécheur, mais la destruction de ses forces, de sa puissance et de ce foyer d'iniquités qui le dévore. Il demande ensuite à Dieu de vouloir bien rendre compte de sa conduite, et il fait ressortir toute l'étendue de l'injustice du méchant en disant : "S'il est coupable de ces forfaits, sa perte est assurée, il disparaîtra sans retour, il sera renversé, détruit jusque dans sa racine, après l'examen que Dieu fera de ses crimes. Que personne donc ne s'afflige outre mesure d'être orphelin ou pauvre, car le Secours de Dieu sera proportionné à l'étendue de ces maux. Que personne aussi ne vienne à s'enorgueillir et à s'enfler de sa puissance. Car c'est un terrain glissant et bordé de précipices, et qui peut facilement entraîner dans l'abîme ceux qui ne sont point sur leurs gardes.

"Le Seigneur régnera éternellement et dans les siècles des siècles." (Ibid. 16). David répond ici à ceux qui s'inquiètent en voyant que le châtiment des méchants se trouve différé. Que craignez-vous, leur dit-il, et que redoutez-vous ? Est-ce que Dieu est un juge passager et mortel ? Est-ce que son règne doit un jour finir ? Donc, bien que le châtiment du pécheur soit différé, il n'en est pas moins certain. Celui qui lui demandera compte de ses crimes, demeure et règne éternellement. "Nations, vous disparaîtrez de son empire." "Le Seigneur a exaucé le désir des pauvres, ton Oreille a entendu la préparation de leur coeur;" suivant une autre version : "Ton Oreille a entendu la résolution de leur coeur." (Ibid. 17). "Pour juger en faveur de l'orphelin et de celui qui est opprimé, afin que l'homme n'entreprenne plus de s'élever sur la terre"; une autre version porte : "Afin que Tu juges l'orphelin et l'opprimé." Vous voyez comme le roi-prophète étend sa sollicitude jusque sur les méchants. C'est qu'en effet ils sont soumis aux plus rudes épreuves; celui qu'ils oppriment injustement n'est atteint que dans les biens qui lui sont ravis, mais pour eux, ils sont exposés aux plus grands dangers. Qu'importe qu'ils ne comprennent pas toute l'étendue de leurs infortunes; c'est l'effet de leur extrême sensibilité, et ils n'en sont que plus dignes de compassion, car c'est un signe de leur grande ignorance. C'est ainsi que les enfants ne tiennent aucun compte des accidents les plus terribles; on les voit souvent approcher les mains du feu, tandis que la vue d'un simple masque les saisit de crainte et d'épouvante. De même les avares redoutent la pauvreté qui loin d'être effrayante, est bien plutôt le gage et le fondement de la sécurité, et la plupart attachent le plus grand prix aux richesses injustement acquises, et aux biens dont ils dépouillent les autres, ce qui est mille fois plus à craindre que le feu. La cupidité est toujours un mal; c'est pour la détruire jusque dans sa racine que le roi-prophète a recours à l'exhortation, aux menaces, à la crainte, et qu'il demande à Dieu de déployer sa Puissance contre un tel excès d'insensibilité. Il ajoute : "Nations, vous disparaîtrez de son empire;" c'est-à-dire qu'il les menace d'une ruine entière, et qu'il demande à Dieu de se constituer l'appui et le vengeur de ceux qui ont été victimes de leurs injustices, afin que les uns soient délivrés de l'oppression, et que les autres reviennent à des sentiments plus modérés. Ne convoitez donc point les grandes richesses, car elles sont pour les âmes imprudentes la source d'une multitude de maux, de l'orgueil, de la tiédeur, de l'envie, de la vaine gloire et de bien d'autres plus pernicieux encore. Voulez-vous être affranchis de tous ces maux ? Extirpez-en la racine; une fois détruite, tous les mauvais germes seront détruits avez elle. Or, ces enseignements nous sont donnés non seulement pour frapper nos oreilles, mais pour nous rendre meilleurs et capables d'une vertu éminente en notre Seigneur Jésus Christ, à qui appartient la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 40

"Comme le cerf soupire après les eau" (v. 2) . - Pourquoi faisons-nous usage des psaumes ? - Les chants sont-ils sous forme de cantiques ? - De la Patience de Dieu.

1. Vous admiriez tout récemment encore l'étendue du discours que nous vous avons fait sur Melchisédech, et nous admirions nous-même votre attention et votre intelligence, qui se soutinrent jusqu'à la fin, malgré la longueur de notre discours et les nombreuses difficultés qu'il renfermait. Mais ni cette longueur ni ces difficultés ne purent ralentir votre zèle. Nous voulons donc aujourd'hui vous en récompenser par un entretien plus facile à comprendre. Il ne faut pas toujours tenir fortement tendu l'esprit des auditeurs, car il s'épuiserait bien vite. Il ne faut pas non plus lui laisser trop de relâchement et de liberté pour ne point affaiblir son activité. L'enseignement doit donc être varié dans ses formes. Tantôt il faut prendre le genre populaire, tantôt lui préférer le style de la controverse. Je vous le disais alors, lorsque les loups viennent fondre sur le troupeau, les bergers laissent la flûte pour prendre en main la fronde. Et nous aussi, maintenant que les fêtes des Juifs, mille fois plus cruels que les loups, sont passées, laissons la fronde pour reprendre la flûte. Ne prolongeons pas davantage le genre de la discussion, et abordons des matières plus claires en prenant la harpe de David et en expliquant le verset que nous avons tous chanté ce matin. Quel est ce verset ? "Comme le cerf soupire après un courant d'eau vive, ainsi mon âme soupire après Toi, Seigneur."

Il est nécessaire d'expliquer tout d'abord l'usage des psaumes, et pourquoi nous les récitons sous forme de chants. Voici la raison pour laquelle la récitation des psaumes est accompagnée de chants : Dieu, voyant l'indifférence d'un grand nombre d'hommes qui n'ont aucun goût pour la lecture des choses spirituelles, et ne peuvent supporter le travail sérieux d'esprit qu'elles demandent, a voulu leur rendre ce travail plus agréable, et leur ôter même le sentiment de la peine. Il a donc uni à des chants les vérités divines, afin de nous inspirer, par le rythme et le charme des mélodies, un goût plus vif pour ces hymnes sacrées. Rien, en effet, n'élève plus notre âme, ne lui donne pour ainsi des ailes, ne la soulève au-dessus de la terre, ne l'affranchit des liens du corps, ne lui donne un amour plus ardent pour la vraie sagesse, et ne lui inspire plus de mépris pour toutes les choses de la terre, qu'une douce harmonie et le chant mesuré et cadencé des saints cantiques. Ces chants ont tant de charme pour notre nature, qu'ils sèchent les larmes, apaisent le chagrin des enfants encore à la mamelle et les endorment sur le sein de leurs mères. Vous voyez, en effet, les nourrices qui les portent sur leurs bras aller et revenir fréquemment en les berçant par des chants enfantins, pour assoupir et fermer leurs paupières. Les voyageurs eux-mêmes, qui conduisent des animaux sous les ardeurs d'un soleil brûlant, chantent aussi pour leur adoucir les fatigues du voyage. Et non seulement les voyageurs, mais les vignerons lorsqu'ils foulent le raisin, qu'ils vendangent ou cultivent la vigne, ou se livrent à n'importe quel autre travail; les matelots chantent également en faisant aller leurs rames. Les femmes elles-mêmes, lorsqu'elles tissent et séparent à l'aide de la navette les fils entremêlés de la chaîne, chantent souvent ou seules ou bien toutes réunies en choeur. Or, le but que se proposent en chantant les femmes, les voyageurs, les vignerons et les matelots, c'est d'alléger le travail et la peine, car l'âme, grâce à ces chants, supporte sans se plaindre les plus dures fatigues.

Or, comme nous sommes naturellement sensibles aux douceurs de la mélodie, Dieu, pour nous prémunir contre les chants voluptueux et lascifs par lesquels le démon nous corrompt et nous perd, nous a donné les psaumes qui nous charment en même temps qu'ils nous instruisent. Les chants des enfants du siècle entraînent après eux les plus grands dangers, la ruine de toute vertu et la mort, car les paroles licencieuses et dissolues qu'ils contiennent, s'insinuent dans les replis les plus secrets de l'âme, l'affaiblissent et l'énervent. Les psaumes spirituels, au contraire, sont la source féconde des plus précieux avantages. Ils élèvent l'âme à une éminente sainteté et lui donnent tous les principes de la vraie sagesse. En même temps que les paroles purifient l'âme, l'Esprit saint descend dans le coeur qui fait retentir ces mélodies sacrées. Voulez-vous une preuve que le chant intelligent des psaumes attire la Grâce de l'Esprit saint ? Écoutez ce que dit saint Paul : "Ne vous laissez point enivrer par le vin d'où naît la dissolution, mais remplissez-vous du saint Esprit." Et comment accomplir cette recommandation ? "En chantant du fond de vos coeurs à la Gloire du Seigneur." (Ep 5,18-19). Qu'est-ce à dire, du fond de vos coeurs ? Avec intelligence. Ne soyez pas comme ceux qui ne prononcent les paroles que de bouche, tandis que leur âme vagabonde se répand sur tous les objets extérieurs; mais que votre âme écoute les paroles de votre langue.

2. Là où se trouve un bourbier, on y voit accourir les animaux immondes, tandis que les abeilles sont attirées dans les endroits d'où s'exhalent les parfums et les émanations odorantes. Ainsi les chants dissolus attirent les démons, tandis que les cantiques spirituels appellent en nous la Grâce de l'Esprit saint, qui sanctifie à la fois notre bouche et notre coeur. En vous parlant ainsi, mon intention n'est pas que vous vous contentiez de chanter vous seuls les psaumes, mais que vous formiez vos enfants, vos épouses, au chant de ces cantiques sacrés, non seulement dans le temps que consacrez au tissage ou à d'autres occupations, mais surtout pendant les repas. C'est le moment que le démon choisit de préférence pour tendre ses pièges, car il a pour auxiliaires dans les festins l'ivresse, les excès de la table, les rires dissolus, le relâchement et la mollesse de l'âme. Il faut donc, avant comme après le repas, vous couvrir de la protection des psaumes, et en vous levant de table avec votre femme et vos enfants, chanter ensemble à Dieu ces hymnes sacrés. Voyez, en effet, l'apôtre saint Paul, menacé d'une sanglante flagellation, (cf. Ac 16, 25), attaché à un pieu dans un cachot qui lui servait de demeure. Il ne laisse pas, au milieu même de la nuit, alors que le sommeil est si plein de douceur, de louer Dieu avec Silas, sans que ni le lieu, ni le temps, ni les inquiétudes, ni la tyrannie du sommeil, ni les fatigues, ni les douleurs, ni quelqu'autre motif ait pu le forcer d'interrompre leurs saintes mélodies. (cf. Ac 16,25). Nous donc, dont la vie s'écoule dans le calme, dans la joie, dans l'abondance de tous les biens, combien plus devons-nous offrir à Dieu nos chants d'actions de grâces, afin que si l'ivresse ou la sensualité ont laissé quelque trace honteuse dans notre âme, la divine psalmodie puisse effacer ces impressions mauvaises et toutes les pensées criminelles ! À l'exemple des personnes riches qui font essuyer leurs tables avec une éponge pleine de baume, pour la nettoyer et la rendre pure de toutes les taches que les aliments auraient pu y laisser, nous-mêmes au lieu de baume, remplissons notre bouche de cette mélodie spirituelle, pour qu'elle efface dans notre âme les taches que la sensualité aurait pu y produire, et disons tous ensemble d'une commune voix : "Tu m'as rempli de joie dans la contemplation de tes créatures, et nous serons remplis d'allégresse en louant les oeuvres de tes Mains." (Ps 91,5).

À la psalmodie joignons la prière, afin que notre habitation soit sanctifiée comme notre âme par les bénédictions du Ciel. Ceux qui invitent à leurs festins les comédiens, les danseurs, les femmes de mauvaise vie, y appellent en même temps le démon et toutes ses cohortes, et font de leurs maisons le théâtre de guerres et de dissensions innombrables (car c'est de là que naissent les jalousies, les fornications, les adultères, et une foule d'autres crimes). Ainsi, par une raison contraire, celui qui invite le Roi-prophète avec sa harpe sacrée appelle en même temps Jésus Christ dans l'intérieur de sa demeure. Or, là où se trouve Jésus Christ, le démon n'ose entrer; que dis-je ? Il n'ose même jeter un regard furtif; et de cette source coulent en abondance la paix, la charité, tous les biens. Ils font de leur maison un théâtre, faites de la vôtre une église. Car on peut appeler sans se tromper une église, la maison qui est sanctifiée par le chant des psaumes, par la prière, par le choeur des prophètes, par la ferveur et la charité. Peut-être ne comprenez-vous pas toute la force des paroles; ne laissez pas de former votre bouche à les redire. Car la langue elle-même est sanctifiée par ces paroles, lorsqu'elles sortent d'un coeur embrasé d'amour. Si nous contractons cette heureuse habitude, nous n'omettrons jamais ni volontairement, ni par négligence, de remplir ce devoir sacré, et l'habitude seule nous forcera comme malgré nous d'accomplir tous les jours cet acte de religion. Ni l'âge avancé, ni la jeunesse, ni la rudesse de la voix, ni l'ignorance absolue des règles de l'harmonie ne peuvent faire obstacle à l'exécution de ces chants. La seule condition qui soit ici exigée, c'est une âme qui sait modérer ses appétits sensuels, un esprit attentif, un coeur contrit, une raison bien affermie, une conscience pure. Si vous entrez avec ces dispositions dans le choeur que Dieu préside, vous pourrez figurer près de David lui-même. Il n'est besoin ici ni de harpe, ni de cordes tendues, ni d'archet, ni de science musicale, ni d'aucun instrument. Si vous le voulez, vous serez vous-même la harpe en mortifiant vos membres et en établissant ainsi une parfaite harmonie entre votre âme et votre corps. En effet, lorsque la chair cesse d'avoir des désirs contraires à ceux de l'esprit, (cf. Ga 5,47), qu'elle obéit à ses inspirations, et que vous la conduisez ainsi dans la voie de la vertu et de la perfection, vous exécutez une mélodie toute spirituelle. On ne demande pas ici une science qui ne s'acquiert qu'à force de temps. Ayez une volonté généreuse, et vous arriverez bientôt à la perfection. Le lieu, le temps sont indifférents, et vous pouvez en tout temps comme en tout lieu chanter intérieurement ces divins cantiques. Vous vous promenez sur la place publique, vous êtes en voyage ou au milieu de vos amis, qui vous empêche de proposer à votre âme des chants intérieurs qui peuvent s'exécuter en silence ? C'est ainsi que Moïse criait vers Dieu, et Dieu l'écoutait. (cf. Ex 14,15). Vous êtes artisan, vous pouvez également dans votre atelier joindre le chant des psaumes au travail qui vous occupe. Vous servez dans les armées ou vous remplissez les fonctions de juge, vous pouvez en faire autant.

3. Il n'est pas besoin en effet de parler, la voix intérieure de l'âme suffit pour le chant des psaumes. Car ce n'est point pour les hommes que nous chantons, c'est pour Dieu qui entend la voix du coeur et pénètre dans les replis les plus secrets de notre âme. C'est ce que l'apôtre saint Paul proclame si ouvertement lorsqu'il dit : "L'Esprit lui-même demande pour nous par des gémissements inénarrables; et celui qui sonde les coeurs sait quels sont les désirs de l'Esprit, parce qu'il demande pour les saints ce qui est selon Dieu." (Rm 8,26-27). Ce langage de l'Apôtre ne signifie point que l'Esprit saint pousse des gémissements, mais que les hommes vraiment spirituels, qui ont reçu les Dons de l'Esprit saint, accompagnent des gémissements de la componction les prières et les supplications qu'ils adressent à Dieu pour leurs frères. Imitons leur exemple, et entrons tous les jours en communication avec Dieu par les psaumes et les prières. Mais ne lui offrons point de simples paroles, pénétrons-en le sens et la force, et pour cela expliquons le début de ce psaume. Quel est-il ? "Comme le cerf soupire après les sources d'eaux vives, ainsi mon âme soupire vers Toi, ô mon Dieu."

Il est ordinaire à ceux qui aiment de ne point tenir leur amour secret, mais de faire connaître à tous ceux qui les entourent l'ardeur dont ils sont embrasés. Car l'amour est de sa nature comme une flamme ardente que l'âme ne peut tenir cachée. Aussi, écoutez le langage que l'amour suggère à l'apôtre saint Paul parlant aux Corinthiens : "Ô Corinthiens, ma bouche s'ouvre vers vous." (2 Cor 6,11). C'est-à-dire, il m'est impossible de contenir et de taire l'amour que j'ai pour vous, que je porte partout et toujours dans mon coeur comme dans mes paroles. C'est ainsi que le saint roi David ne peut se résoudre à taire l'amour ardent qu'il a pour Dieu et qu'il l'exprime en ces termes : "De même que le cerf soupire après les sources d'eaux vives, ainsi mon âme soupire après Toi, ô mon Dieu." C'est ce même sentiment qui lui inspire ailleurs ces paroles : "Ô Dieu, ô mon Dieu, je Te cherche dès l'aurore; mon âme brûle d'une soif ardente pour Toi comme une terre déserte, stérile et sans eau." (Ps 62,1). C'est ainsi que traduit un autre interprète. Comme la parole est impuissante à exprimer son amour, le Roi-prophète cherche de tous les côtés un exemple qui puisse nous faire comprendre cet amour et nous faire partager ses transports. Laissons-nous donc persuader, et apprenons de lui à aimer Dieu. Et ne me dites pas : "Comment puis-je aimer Dieu que je ne vois point ?" Car combien de personnes aimons-nous sans les voir, nos amis par exemple, nos enfants, nos parents, ceux qui nous sont le plus étroitement unis et que des voyages lointains séparent de nous ? Loin que leur absence soit un obstacle à notre amour pour eux, elle ne sert au contraire qu'à le rendre plus vif et plus ardent. C'est ce qui faisait dire à saint Paul, parlant de Moïse, qu'il avait renoncé aux trésors et aux richesses, à la splendeur du trône et à tous les honneurs que pouvait lui offrir l'Égypte, aimant mieux être affligé avec le peuple de Dieu. L'apôtre nous donne ensuite la cause de cette conduite, c'est que Moïse sacrifiait à Dieu tous ces avantages terrestres : "Il demeura ferme et constant comme s'il eût vu l'Invisible." (He 11,25-27). Vous ne voyez pas Dieu, mais vous voyez ses créatures; vous voyez ses oeuvres, le ciel, la terre et la mer. La vue seule d'un objet qui appartient à une personne qu'on aime, sa chaussure, ses vêtements ou quelqu'autre chose semblable, ravive l'affection qu'on a pour elle. Vous ne voyez pas Dieu, mais vous voyez ses serviteurs, ses amis, je veux dire les saints et ceux qui mettent en lui leur confiance. Ayez pour eux une affection respectueuse, et vous y trouverez une grande consolation au désir que vous avez de voir Dieu. Dans le commerce ordinaire de la vie, nous aimons non seulement nos amis, mais aussi les personnes qui leur sont unies par les liens de l'affection. Si l'un de nos amis nous tient ce langage : "J'aime cette personne, et je regarde comme fait à moi le bien qu'on peut lui faire"; n'est-il pas vrai que nous mettons tout en oeuvre, que nous déployons tout notre zèle pour lui être utile, comme si c'était notre ami lui-même ? Or, nous pouvons donner cette preuve de notre amour pour Jésus Christ. Il nous a dit : "J'aime les pauvres, et Je tiendrai compte de tout le bien qui leur sera fait comme s'il M'était fait à Moi-même." (Mt 19,21). Consacrons donc tous nos soins à les honorer, à les servir; faisons plus, versons dans leur sein tous les biens que nous possédons; dans la ferme confiance que dans leur personne c'est Dieu même que nous avons l'honneur de nourrir. Vous faut-il une preuve de cette vérité, écoutez ce que dit Jésus Christ : "J'ai eu faim, et vous M'avez donné à manger. J'ai eu soif, et vous M'avez donné à boire. J'étais nu, et vous M'avez revêtu." (Mt 25,35-36). Et que de raisons Il nous donne pour satisfaire en partie le désir que nous avons de Le voir ! Trois choses d'ailleurs nous inspirent de l'amour : la beauté du corps, la grandeur des bienfaits, et l'affection qu'on nous témoigne. Chacune de ces choses peut par elle-même produire en nous ce sentiment. Quand même nous n'aurions reçu aucun bienfait d'une personne, il suffit que nous apprenions qu'elle nous aime d'un amour constant, qu'elle ne cesse de nous louer, de nous admirer, pour que nous nous attachions à elle et que nous l'aimions comme un bienfaiteur. Or, Dieu possède ces trois titres à notre amour, mais à un degré si élevé, qu'aucune parole n'est capable de l'exprimer. Et d'abord la beauté de cette nature bienheureuse et immortelle est une perfection infinie que rien ne peut surpasser, qui échappe à tout discours comme à toute pensée. Mais gardez-vous de croire, mon très cher frère, que cette beauté ait rien de matériel, c'est une gloire toute spirituelle et une magnificence vraiment ineffable.

4. Le prophète veut nous donner une idée de cette beauté dans ces paroles : "Des séraphins étaient autour du trône, de deux de leurs ailes ils voilaient leur face, de deux autres ils voilaient leurs pieds, et des deux dernières, ils volaient. Et ils criaient : Saint, saint, saintŠ" (Is 6,2-3); étonnés, ravis qu'ils étaient de tant de splendeur et de tant de gloire. David lui-même, à qui cette divine Beauté avait été révélée, s'écrie dans l'admiration où le jette la contemplation de la gloire de cette Nature bienheureuse : "Ceins ton glaive à ton côté, Toi qui es le Tout-Puissant; revêts-Toi de ta Gloire et de ta Majesté." (Ps 44,4). Aussi Moïse désirait-il vivement contempler cette gloire blessé, qu'il était par l'amour que Dieu lui avait inspiré. (cf. Ex 33,43). C'est encore ce qui faisait dire à l'apôtre Philippe : "Montre-nous le Père, et cela nous suffit." (Jn 14,8). Ou plutôt, quoi que nous puissions dire, nous ne pourrons jamais donner même une idée faible et imparfaite de cette immortelle beauté. Voulez-vous que du moins nous énumérions ses bienfaits ? La parole ici est également impuissante; voilà pourquoi saint Paul disait : "Grâces à Dieu pour le don ineffable qu'Il nous a fait." (2 Cor 9,15). Et encore : "L'oeil n'a point vu, l'oreille n'a point entendu, et le coeur de l'homme n'a jamais compris ce que Dieu a préparé à ceux qui L'aiment." (1 Cor 2,9). Et dans un autre endroit : "Ô profondeur des trésors de la Sagesse et de la Science de Dieu, que ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables !" (Rm 11,33). Quel discours a pu encore nous faire comprendre l'amour que Dieu a pour nous ? Saint Jean, dans l'admiration que produisait en lui cet amour, s'écriait : "C'est ainsi que Dieu a aimé le monde, qu'Il lui a donné son Fils unique !" (Jn 3,16). Voulez-vous connaître comment Dieu exprime cet amour ardent qu'Il a pour nous, écoutez ce qu'Il dit par son prophète : "Une mère peut-elle oublier son enfant et n'avoir point pitié du fruit de ses entrailles ? Mais quand elle l'oublierait, Moi Je ne vous oublierai jamais." (Is 49,18). David commence ce psaume par ces paroles : "Comme le cerf soupire après les sources d'eau vive, ainsi mon âme soupire après Toi, ô mon Dieu." Et notre Seigneur Jésus Christ semble rivaliser avec lui lorsqu'il dit : "Combien de fois ai-Je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes, et tu ne l'as pas voulu !", (Mt 23,37). Dans un autre endroit, le Roi-prophète exprime encore la même vérité : "Comme un père s'attendrit sur ses enfants, ainsi le Seigneur a pitié de ceux qui Le craignent." (Ps 102,13). Et dans le même psaume : "Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant sa Miséricorde s'élève et s'affermit sur ceux qui Le craignent." Le Roi-prophète a recours à des exemples pour nous faire connaître le vif désir de son âme, et Dieu Lui-même ne dédaigne pas de Se servir de comparaisons pour exprimer le désir ardent qu'Il a de notre salut. David a choisi les comparaisons du cerf dévoré par la soif et d'une terre desséchée, et Dieu choisit comme exemple de sa Tendresse l'amour des poules pour leurs petits, la sollicitude des pères pour leurs enfants, la distance qui sépare les cieux de la terre, les entrailles si sensibles des mères, non que son Amour ne soit pas supérieur à celui des mères pour leurs enfants, mais parce que ces images, ces figures, ces descriptions, ces comparaisons expriment pour nous le plus grand amour que nous puissions concevoir.

Voulez-vous une preuve que l'Amour de Dieu pour nous l'emporte de beaucoup sur l'amour d'une tendre mère pour ses enfants ? Écoutez ce qu'Il dit par son prophète : "Quand même une mère oublierait ses enfants, Moi, Je ne vous oublierai jamais." (Is 49,15). Il veut nous faire comprendre par là que l'Amour qu'Il a pour nous est bien plus ardent que tout amour purement naturel. Méditez sérieusement toutes ces considérations, et vous allumerez vous-même dans votre âme le feu de l'Amour divin et la flamme brillante de la charité. Et puisque rien n'est plus puissant pour établir une amitié vive et constante entre les hommes, que le souvenir des bienfaits qu'ils ont revus, servons-nous de cette pensée à l'égard de Dieu. Considérons en nous-mêmes tout ce qu'Il a fait pour nous, le ciel, la terre, la mer, l'air, tout ce que la terre contient, les arbres, les fleurs si variées, les animaux, les reptiles, tout ce qui existe dans la mer, au milieu de l'air, les astres qui sont dans le ciel, le soleil, la lune, et pour tout dire en un mot, toutes les créatures visibles, l'éclat de la lumière, l'ordre admirable des saisons, la succession du jour et de la nuit, les révolutions périodiques des astres. C'est Lui qui a répandu en nous un souffle de vie, qui nous a donné l'intelligence et nous a revêtus d'un empire presqu'absolu sur les créatures. Il nous a délégué ses anges, Il nous a envoyé ses prophètes, et après eux son Fils unique. Et après tant de bienfaits, Il ne cesse encore par Lui-même et par son Fils unique de vous exhorter à travailler à votre salut; et saint Paul ne cesse lui-même jusqu'à ce jour de répéter : "Nous remplissons la fonction d'ambassadeur pour Jésus Christ, et c'est Dieu même qui vous exhorte par notre bouche. Nous vous conjurons au Nom de Jésus Christ de vous réconcilier avec Dieu." (2 Cor 5,20).

"Son Amour ne s'est point arrêté là, Il a fait asseoir les prémices de votre nature au-dessus de toutes les principautés, de toutes les puissances, de toutes les vertus, et de tout ce qu'il y a de plus grand, soit dans le siècle présent, soit dans le siècle futur." (Ep 1,21). C'est donc maintenant que nous pouvons nous écrier en toute vérité : "Qui pourra raconter la Puissance du Seigneur, qui pourra publier les louanges qui Lui sont dues ?" (Ps 105,2). Et encore : "Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens dont Il m'a comblé ?" (Ps 105,3). Que peut-on imaginer de plus glorieux en effet, que de voir les prémices de notre nature qui s'est rendue coupable de tant de crimes, qui s'est déshonorée par tant d'actes ignominieux, élevée à cette hauteur et environnée d'une gloire si éclatante ? Ne vous contentez pas de méditer ces bienfaits qui vous sont communs avec tous les hommes, repassez dans votre esprit ceux qui vous sont personnels, comme par exemple d'être sorti victorieux d'une action calomnieuse qu'on vous intentait, d'avoir évité les pièges que les voleurs vous avaient tendus au milieu d'une nuit obscure et profonde, d'avoir échappé au dommage que l'on voulait causer à votre fortune, d'avoir été guéri d'une maladie grave dont vous étiez atteint.

5. Rappelez à votre souvenir les bienfaits que vous avez reçus de Dieu dans tout le cours de votre vie, et vous trouverez qu'ils sont innombrables; non seulement ceux qui s'étendent à votre vie tout entière, mais ceux mêmes qui n'embrassent qu'un seul jour; et si Dieu voulait nous remettre sous les yeux toutes les grâces dont Il ne cesse de nous combler, sans que nous y pensions, sans même que nous le sachions, nous ne pourrions pas seulement les énumérer. Que de démons sont répandus dans les airs ! Combien de puissances ennemies ? Or, si Dieu leur permettait seulement de nous montrer leur affreuse et horrible figure, ne serions-nous pas saisis de crainte et d'épouvante, et comme frappés de mort ? À cette considération, joignons la pensée des péchés volontaires ou involontaires que nous avons commis (car c'est encore une grâce signalée de Dieu qu'Il ne tire pas tous les jours vengeance de nos péchés), et nous y trouverons un nouveau motif de L'aimer. Réfléchissez, en effet, aux fautes nombreuses que vous commettez, aux bienfaits dont Dieu vous comble chaque jour, à la patience, à la longanimité dont vous êtes l'objet; considérez encore que si Dieu eût voulu vous infliger chaque jour le châtiment que méritaient vos péchés, il y a longtemps que vous auriez cessé d'exister (comme l'atteste le Roi-prophète : "Si Tu scrutes, Seigneur, nos iniquités, qui pourra, grand Dieu, subsister devant Toi ?" (Ps 129,3)). Alors, vous Lui rendrez de continuelles actions de grâces; aucune des épreuves qui vous arrivent ne vous paraîtra trop dure, et vous reconnaîtrez que ces épreuves eussent-elles été mille fois plus douloureuses, vous êtes loin encore d'avoir souffert ce que vous méritiez; vous sentirez alors un désir ardent naître dans votre coeur, et vous pourrez dire avec le Roi-prophète : "Comme le cerf soupire après les sources d'eau vive, ainsi mon âme soupire vers Toi, ô mon Dieu !"

Il n'est pas inutile de rechercher pour quelle raison David choisit le cerf comme terme de comparaison. Le cerf est souvent altéré et court fréquemment vers les sources d'eau vive. Or, il est altéré de sa nature parce qu'il dévore les serpents et se nourrit de leur chair. Imitez son exemple, nourrissez-vous du serpent spirituel, abattez à terre le péché, et alors vous pourrez éprouver la soif du désir de Dieu. De même qu'une conscience criminelle rend notre âme impure, ainsi lorsque nous aurons remporté une victoire complète sur nos péchés, et purifié notre âme de toutes ses souillures, elle pourra s'ouvrir à ces désirs spirituels, invoquer Dieu avec ferveur, s'embraser d'un amour plus ardent et chanter non seulement de bouche, mais par toutes ses actions, ces paroles du Roi-prophète. C'est dans ce dessein que ce saint roi a écrit, ou plutôt que la Grâce de l'Esprit saint lui a inspiré ces divins cantiques. Ce n'est pas seulement pour que nous les chantions de bouche, mais pour en faire passer le fruit dans nos oeuvres. Gardez-vous donc de croire que vous entrez ici pour réciter seulement des paroles. En chantant les cantiques inspirés du Prophète, vous contractez un véritable engagement. Lorsque vous dites : "De même que le cerf soupire après les sources d'eau vive, ainsi mon âme soupire après Toi, ô mon Dieu," vous avez fait un traité avec Dieu, vous avez signé une convention, quoique sans papier et sans encre, vous avez déclaré à haute voix que vous L'aimiez par-dessus toutes choses, que vous Lui sacrifiiez toute autre affection, et que votre âme était embrasée de son Amour. Si donc, au sortir du lieu saint, une femme de mauvaise vie vous attire par l'appât séducteur de sa beauté, dites-lui : "Je ne puis vous suivre, j'ai fait un pacte avec Dieu, et en présence de mes frères, des prêtres, des docteurs, j'ai déclaré et promis en chantant ces paroles, que j'aimais Dieu, que je soupirais vers Lui comme le cerf soupire après les sources d'eau vive. Je crains d'être infidèle à mes engagements; l'Amour de Dieu sera désormais l'unique objet de mes pensées." Si vous voyez de l'argent étalé sur la place publique, des vêtements brochés d'or, des hommes s'avançant fièrement suivis d'une foule de serviteurs, et conduits par des chevaux ayant des freins dorés, ne vous laissez pas impressionner par toute cette pompe, mais dites à votre âme : Nous venons de chanter : "Comme le cerf soupire après les sources d'eau vive, ainsi mon âme soupire après Toi, ô mon Dieu," et nous nous sommes fait l'application de ces paroles de l'Écriture. N'aimons donc rien des biens de cette vie, afin que cet amour demeure en nous dans toute sa pureté et qu'il ne vienne pas à s'affaiblir en se divisant. Ces richesses nous mettront en possession de toutes les richesses, de tous les trésors, de tout l'éclat que nous pouvons désirer. Cherchons donc à les acquérir, elles suppléeront pour nous à tout le reste. Voyez les malheureux esclaves d'un amour criminel, qui brûlent d'une passion coupable pour une fille souvent sans beauté; ils ne tiennent compte ni des menaces de leurs parents, ni des reproches de leurs amis, ni des jugements sévères du public, ils n'ont que cette personne en vue, et méprisent pour lui plaire les douceurs du foyer domestique, l'héritage paternel, la gloire, la réputation, les conseils de l'amitié. Il suffit pour les consoler de tout ce qu'ils sacrifient, d'avoir l'estime de la personne qu'ils aiment, quelle qu'elle soit, fût-elle perdue même d'honneur et de réputation. Ceux donc qui aiment Dieu d'un amour digne de Lui, pourraient-ils encore être sensibles à ce que les hommes appellent prospérité ou revers de fortune ? Non, ils ne se laisseront point séduire par les vaines apparences de cette vie, parce que cet Amour de Dieu est le but unique de leurs efforts. Ils n'auront que du dédain pour tous les biens de ce monde et du mépris pour ses afflictions, parce qu'ils sont comme enchaînés par l'Amour de Dieu, qu'ils ne voient que Lui seul, qu'Il est l'objet constant de leurs pensées, et qu'ils se considèrent comme les plus heureux de tous les hommes. Qu'ils soient dans la pauvreté, dans l'ignominie, dans les chaînes, dans les tribulations, en proie à des maux extrêmes, jusqu'au milieu de leurs souffrances, ils estimeront leur sort préférable à celui des rois, parce qu'ils goûtent cette consolation vraiment admirable de souffrir pour celui qu'ils aiment.

6. Voilà pourquoi saint Paul, au milieu des dangers qui menaçaient continuellement sa vie, dans les prisons, dans les naufrages, dans les déserts, lorsqu'il était battu de verges, victime de mille autres persécutions, (cf. 2 Cor 11,23-27), tressaillait d'allégresse et se glorifiait de ses souffrances : "Non contents de nous glorifier dans l'espérance de la gloire des enfants de Dieu, disait-il, nous nous glorifions encore dans nos afflictions." (Rm 5,2-3); et ailleurs : "Je me réjouis dans mes souffrances et j'accomplis dans ma chair ce qui manque aux Souffrances de Jésus Christ." (Col 1,24). Et dans un autre endroit, il reconnaît et déclare que les souffrances sont une grâce : "Jésus Christ vous a donné la grâce non seulement de croire en Lui, mais encore de souffrir pour Lui." (Ph 1,29). Efforçons-nous donc d'entrer dans les mêmes sentiments et nous pourrons aussi supporter avec joie les épreuves qui nous arrivent. Ces épreuves n'auront pour nous rien de pénible, si nous aimons Dieu comme L'aimait le Roi-prophète. Ce n'est pas seulement ce verset que les fidèles chantent ensemble, mais les paroles qui suivent, qui nous font connaître l'étendue de son amour. En effet, après avoir dit : "De même que le cerf soupire après les sources d'eau vive, ainsi mon âme soupire vers Toi, ô mon Dieu", il ajoute : "Mon âme a soif du Dieu fort et vivant; quand viendrai-je et quand paraîtrai-je devant la Face de Dieu ?" Il ne dit pas : Mon âme aime Dieu, ou bien elle a de l'affection pour Dieu, mais pour mieux nous exprimer la vivacité de son amour, il le compare au besoin de la soif, pour nous faire comprendre à la fois l'ardeur et la continuité de son amour. Ce n'est pas pendant un jour ou quelques jours seulement que nous éprouvons le besoin de la soif, mais pendant toute notre vie, parce que ce besoin tient à notre nature. Ainsi, ce saint roi et tous les saints ne se sont pas contentés d'avoir l'esprit de componction et d'amour un jour seulement, comme un grand nombre d'hommes, ou deux ou trois jours au plus (ce qui n'aurait rien de surprenant); mais ils persévéraient religieusement dans cet amour, et chaque jour ne faisait que l'accroître davantage.

C'est ce que le Roi-prophète veut exprimer par ces paroles : "Mon âme a soif du Dieu fort et vivant"; et il nous indique en même temps la cause de ce désir ardent, pour nous apprendre comment il est possible d'aimer Dieu de cette sorte. Tel est le sens des paroles suivantes : "Mon âme a soif de Dieu"; il ajoute : "du Dieu vivant", et il semble par là faire entendre bien haut ces reproches aux oreilles de ceux qui soupirent après les choses de cette vie. Pourquoi cette passion insensée pour la matière ? Pourquoi cet amour des corps périssables ? Pourquoi cette ambition de la gloire ? Pourquoi ces désirs de la volupté ? Aucune de ces choses ne dure et ne vit éternellement; elles passent toutes, et disparaissent avec rapidité, elles sont plus vaines que l'ombre, plus trompeuses que les songes, elles se flétrissent et tombent plus vite que les fleurs du printemps. Les unes en effet périssent pour nous avec cette vie, les autres nous quittent même avant ce terme fatal. La possession en est incertaine, l'usage de courte durée, et le changement des plus rapides. En Dieu au contraire rien de semblable, Il vit et demeure éternellement et n'est sujet à aucun changement, à aucune espèce de vicissitude. Laissons donc toutes ces choses fragiles et éphémères, pour attacher notre amour à celui dont l'existence est éternelle. Jamais celui qui L'aime ne sera confondu, jamais il ne sera séparé de Lui, jamais il ne sera privé de l'objet de son amour. Celui qui place son affection dans les richesses, s'en voit dépouiller ou par la mort ou même avant qu'elle arrive. Ceux qui recherchent la gloire du monde éprouvent le même sort. Souvent la beauté des corps se flétrit encore plus vite. En un mot, toutes les choses de cette vie ont une existence éphémère et fugitive, et avant même qu'elles aient frappé nos regards, elles ont cessé d'exister. L'amour des biens spirituels est tout différent; il est toujours dans sa force et dans sa fleur, il ne connaît ni la vieillesse ni les effets de la vétusté; il est affranchi de tout changement, de toute vicissitude, de toute incertitude de l'avenir. Il est l'appui et le soutien, le rempart inexpugnable de ceux qui le possèdent; il ne les abandonne point au sortir de cette vie, mais il les accompagne et les suit constamment, et les revêt d'une splendeur plus brillante que celle des astres qui nous éclairent.

C'est ce que savait le saint roi David et c'est pour cela qu'il persévérait dans l'Amour de Dieu, mais il ne pouvait contenir au dedans de lui cet amour, et il s'efforçait par tous les moyens possibles de faire connaître le feu qui le brûlait intérieurement. Aussi après avoir dit : "Mon âme a soif du Dieu fort", il ajoute : "Quand viendrai-je et apparaîtrai-je devant Dieu ?" Vous voyez une âme toute embrasée et consumée d'amour. Il sait qu'il doit voir Dieu au sortir de cette vie, mais il ne peut attendre ce moment, il ne peut souffrir de retard, et il se montre ici animé du même esprit que l'Apôtre. En effet, la longueur du pèlerinage de cette vie arrachait aussi des gémissements à saint Paul. (2 Cor 5,2). Le Roi-prophète éprouve le même sentiment et il s'écrie : "Quand viendrai-je et apparaîtrai-je devant Dieu ?" Supposons un homme ordinaire, d'une condition vile, obscure et qui vit dans la pauvreté, il ferait déjà un grand acte de vertu en méprisant la vie présente, mais quelle vertu bien plus héroïque faut-il dans un roi qui nage au sein des délices, qui est environné d'une gloire éclatante, qui a remporté d'innombrables victoires, qui s'est illustré et immortalisé dans mille combats, pour mépriser les richesses, la gloire, les plaisirs de la terre, pour soupirer ardemment après les biens de l'autre vie ? Voilà la marque d'un esprit magnanime, d'une âme qui a le goût de la sagesse et qui brûle de l'amour des biens célestes.

7. Imitons nous-mêmes un si bel exemple, cessons d'admirer les biens de la vie présente, et réservons notre admiration pour les biens de l'autre vie, ou plutôt admirons les biens éternels pour cesser d'admirer les biens de cette vie. Méditons donc continuellement ces vérités. Représentons-nous le royaume des cieux, l'immortalité, cette vie qui ne doit point finir, l'union avec les choeurs des anges, la société de Jésus Christ, une gloire incorruptible, une vie affranchie de tout sentiment de douleur. Représentons-nous encore que les larmes, les injures, les outrages, la mort, la tristesse, la fatigue, la vieillesse, les maladies, les infirmités, la pauvreté, les calamités, la viduité, toutes les autres épreuves douloureuses et pénibles ont disparu pour faire place à la paix, à la douceur, à la mansuétude, à l'amour, à la joie, à la gloire, à l'honneur, à la magnificence et à mille autres biens que la parole ne peut exprimer. Oh ! alors nous serons insensibles à tous les biens de la vie présente, et nous pourrons dire avec le Roi-prophète : "Quand viendrai-je et apparaîtrai-je devant la Face de Dieu ?" Si tels sont nos sentiments, ni la prospérité ne pourra nous enfler, ni l'adversité nous abattre, ni la jalousie, la vaine gloire, ni aucune autre chose nous faire sortir de nous-mêmes. N'entrons donc pas ici comme au hasard, ne répondons pas comme par manière d'acquit, mais prenons ce verset pour nous servir de bâton et de soutien. Chaque verset des psaumes suffit à lui seul pour nous élever à une sagesse éminente, réformer nos idées, et nous procurer les plus grands avantages, et si nous méditons attentivement chacune des paroles qui les composent, nous en recueillerons les fruits les plus abondants. Vous ne pouvez objecter ici ni la pauvreté, ni le manque de loisir, ni la lenteur de votre esprit. Vous êtes pauvre, et par là même dans l'impossibilité de vous procurer des livres; ou bien vous avez des livres, mais le temps vous manque pour les lire. Contentez-vous de méditer les versets des psaumes que vous avez chantés ici non pas une, deux ou trois fois, mais dans une multitude de circonstances, et vous y trouverez une matière abondante de consolations. Voyez quels trésors un seul verset vient de nous ouvrir !

Et qu'on ne me dise pas : Avant cette explication, j'ignorais les richesses que ce verset renfermait; car avant même toute explication, une attention ordinaire suffit pour en pénétrer le sens. Si vous apprenez seulement à dire : "Comme le cerf soupire après les sources d'eau vive, ainsi mon âme soupire après Toi, ô mon Dieu ! Mon âme a soif du Dieu fort et vivant, quand viendrai-je et apparaîtrai-je devant la Face de Dieu ?" ces paroles seules sans autre explication, peuvent vous faire entrer dans tous les secrets de la divine Sagesse. Vous récitez encore ces autres paroles; "Bienheureux l'homme qui craint le Seigneur" vous pouvez également en comprendre le sens, c'est-à-dire ne point regarder comme heureux celui qui a en partage les richesses, la puissance, la beauté, la force, qui possède de somptueuses demeures, qui occupe des fonctions éminentes, qui habite les palais des rois; mais celui-là seul qui fait profession de piété, de sagesse, de crainte de Dieu. Ajoutons qu'un tel homme est heureux non seulement par l'espérance des biens à venir, mais par les biens dont il jouit dans le cours de la vie présente. Dès cette vie en effet, il est mille fois plus puissant que le premier. Que la maladie les atteigne tous deux, celui qui est revêtu de pourpre ne trouvera aucun adoucissement à ses douleurs dans la multitude de ses gardes, non plus que dans l'éclat extérieur qui l'environne, mais sous les yeux de ses serviteurs, de ses parents, de tous ceux qui l'entourent, il est comme dévoré dans une fournaise ardente. Au contraire, l'homme fidèle aux inspirations de la piété et de la crainte de Dieu, sans avoir besoin de recourir à ses parents, à ses serviteurs, à aucun de ceux qui sont présents, n'a qu'à jeter les yeux non point constamment, mais deux ou trois fois vers le ciel pour éteindre les ardeurs de cette fournaise. Vous verriez la même chose se reproduire au milieu des afflictions et des malheurs qui fondent sur nous à l'improviste. Ceux qui ont les richesses en partage et occupent des positions brillantes, sont facilement accessibles au trouble. Ceux au contraire, qui préfèrent aux richesses l'amour de la religion et l'étude de la sagesse, supportent courageusement le poids de l'adversité. En dehors même de ces pénibles épreuves, la conscience de celui qui craint Dieu est pleine d'une joie plus grande et plus pure que l'âme de celui qui vit au milieu des richesses. Celui-ci en effet, bien qu'il ait tout en abondance, mène une existence mille fois plus triste que ceux qui ne vivent que de privations, parce que ses crimes sont continuellement présents à sa mémoire et que sa conscience ne cesse de les lui reprocher. L'autre, au contraire, bien que manquant du nécessaire, jouit d'un calme plus assuré que ceux qui regorgent de délices, parce qu'il se nourrit des espérances célestes, et qu'il attend de jour en jour la récompense de ses bonnes oeuvres. Mais je ne veux pas prolonger davantage ce discours pour ne point fatiguer votre attention, et je laisse à ceux qui aiment le travail le soin de lire chacun des versets de ce psaume et de comprendre la Vertu divine qu'ils renferment. Je m'arrête donc ici en vous exhortant, bien aimés frères, à ne point sortir d'ici sans aucun fruit. Prenez les paroles de ce psaume comme autant de perles pour les conserver et les méditer soigneusement dans vos demeures. Redites-les à vos amis et à vos épouses, et si le trouble vient à s'emparer de votre âme, si vous sentez s'élever en vous la convoitise, la colère ou quelqu'autre sentiment condamné par la raison, ayez à la bouche les paroles de ce divin cantique, elles seront pour vous en cette vie le gage d'une paix ineffable, et dans l'autre des biens éternels que nous obtiendrons par la Grâce et la Miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, par Lequel et avec Lequel soit au Père et au saint Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant, toujours et dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 42

Au vainqueur pour être exécuté par les fils de Coré. (v.1) - O Dieu, nous les avons entendues de nos oreilles, nos pères nous les ont racontées, les oeuvres que Tu as accomplies de leur temps aux jours anciens." Un autre interprète traduit : "Dans les jours qui ont précédé." Un autre : "Dans le commencement." (Ibid., 2.)

1. Le Roi-prophète, dans ce psaume, parle non pas en son nom mais au nom des Macchabées, et il raconte et prédit les événements qui devaient avoir lieu de leur temps. Tels sont en effet les prophètes. Ils parcourent tous les temps présents, passés et à venir. Mais il est nécessaire de faire connaître tout d'abord ce qu'étaient ces Macchabées, aussi bien que leurs travaux et leurs épreuves, pour jeter un plus grand jour sur le sujet de ce psaume. Lorsque Antiochus-Épiphane fut entré dans la Judée, (Mac 1,11 et ss), en semant la dévastation sous ses pas, et qu'il eut forcé un grand nombre de Juifs de transgresser les lois et la religion de leurs pères, les Macchabées demeurèrent invulnérables au milieu de ces rudes épreuves; et quand la guerre devenait si accablante que toute résistance était impossible, ils se cachaient. C'est ce que firent plus tard les apôtres eux-mêmes. Ils ne se jetaient pas continuellement au milieu des dangers, mais ils s'y dérobaient quelquefois en se retirant dans des lieux sûrs et ignorés. Puis, lorsque les Macchabées avaient tant soit peu repris courage, ils sortaient de leurs retraites; comme de jeunes lions vigoureux, ils s'élançaient de leurs cavernes, résolus à sauver avec eux tous ceux qu'ils pourraient. Ils parcouraient les villes, la contrée tout entière, ils réunissaient autour d'eux tous ceux qui étaient demeurés fidèles, et relevaient le courage de ceux qui s'étaient laissé abattre et corrompre, en les exhortant à revenir à la religion de leurs pères. Ils leur représentaient la grande Bonté de Dieu qui ne refuse jamais le salut au repentir. C'est ainsi qu'ils se formèrent une armée composée d'hommes d'un courage à toute épreuve. Car ce n'était ni pour leurs épouses, ni pour leurs enfants et leurs serviteurs, ni même pour sauver leur patrie de la destruction et de la captivité, mais pour les lois et les institutions religieuses de leurs pères qu'ils combattaient, et Dieu Lui-même était leur chef. Lors donc qu'ils marchaient au combat et qu'ils exposaient leur vie, ils triomphaient de leurs ennemis, par la confiance qu'ils avaient non dans leurs armes, mais dans la cause même pour laquelle ils combattaient et qui était pour eux comme une armure invincible. Aussi, avant de combattre, ils ne poussaient point de cris effrayants; ils ne chantaient pas, comme quelques autres peuples, d'hymnes guerriers; ils ne menaient pas avec eux de joueurs d'instruments, comme dans les autres armées; mais ils invoquaient le secours d'en-haut, et priaient Dieu de prendre leur défense en main, puisque c'était pour Lui qu'ils livraient bataille et pour sa Gloire qu'ils combattaient.

Voyons donc quel est le langage de cette armée de Dieu, lorsque sous la protection d'un Secours divin, elle est sur le point d'attaquer ses ennemis : "Ô Dieu, nous avons entendu de nos oreilles." Quelques-uns qui se trouvaient dans leurs rangs, en voyant l'armée si nombreuse d'Antiochus, et son ordre de bataille, se rappelaient ses premiers et si rapides succès et se laissaient abattre et décourager, en jetant ensuite les yeux sur leur petit nombre et leur faiblesse. C'est donc pour réveiller leur courage et les convaincre que tout ici dépend de Dieu qui les conduit au combat, de Dieu qui sans aucune armée peut, s'Il le veut, leur donner la victoire que le roi-prophète fait aux combattants cette exhortation sous forme de prière, et qu'en s'adressant ainsi à Dieu, il les remplit d'une intrépidité nouvelle. C'est là en effet ce qui donne à son discours une vertu toute particulière, et il eut eu beaucoup moins de force s'il se fût adressé directement à eux, au lieu de s'adresser à Dieu. C'est dans ce même dessein qu'il ajoute : "Non, ce n'est point leur glaive qui les a mis en possession de cette terre, ce n'est point leur bras qui les a sauvés." Quoi de plus propre à ranimer le courage de ceux qu'effraie la perspective des dangers à courir, et qui cherchent la victoire par des moyens naturels et tout humains ? Cette prière est donc une exhortation à ceux qui composent cette armée de mettre toute leur confiance en Dieu, et de faire dépendre la victoire de l'espérance qu'ils placeront en Lui. Mais pourquoi au lieu de dire simplement : "Nous avons entendu," s'exprime-t-il de la sorte ? "Nous avons entendu de nos oreilles." Par quelle autre partie du corps peut-on entendre ? Est-ce donc là une addition superflue ? Non, car c'est la coutume parmi les hommes, lorsqu'ils racontent des faits dont ils sont plus certains ou qui ont à leurs yeux une importance plus grande, de s'exprimer de la sorte vis-à-vis de ceux qui n'ont pas la même certitude, et de dire qu'ils ont entendu de leurs oreilles. Et ce n'est pas seulement dans cette circonstance, mais dans d'autres semblables que nous nous exprimons de cette manière en invoquant le témoignage de nos sens. C'est donc comme nouveau motif de crédibilité qu'on ajoute le témoignage des oreilles. Nous employons la même locution à l'égard des yeux et des mains, comme lorsque nous disons : "Nous avons touché de nos mains." C'est ainsi que s'exprimaient les apôtres : "Ce que nos yeux ont vu, disaient-ils, ce que nos mains ont touché." (1 Jn 1,1)

Voyez par ce préambule seul quelle est la vertu des Macchabées. Ils avaient mille fois souffert pour Dieu les plus rudes épreuves, ils étaient à la fois bannis de leur patrie, privés de la liberté, exposés à toute sorte de dangers, tandis que d'autres avaient été obligés de s'enfuir sur les montagnes et dans les déserts. Et cependant vous ne les entendez pas dire à Dieu : "C'est pour Toi que nous avons souffert toutes ces épreuves, viens à notre secours." Il semble qu'ils ne peuvent invoquer aucun de ces moyens de défense; ils n'ont aucune confiance dans leurs oeuvres, et ils se réfugient dans les Bontés de Dieu à l'égard de leurs ancêtres. Que ceux que rien n'autorise à compter sur leurs actions, agissent de la sorte, rien d'étonnant, la nécessité leur en fait un devoir. Mais les Macchabées pouvaient invoquer avec assurance le témoignage de leurs faits héroïques, et cependant ils demandent à être sauvés non par le mérite de leurs oeuvres, mais par cette même Bonté dont Dieu a fait preuve à l'égard de leurs ancêtres; peut-on trouver une preuve plus grande d'humilité, et tout ensemble de courage et de générosité ? En effet, l'invocation seule du Nom de Dieu suffit pour mettre en déroute les armées les plus nombreuses et les plus aguerries.

2. "Nos pères nous ont raconté." Prêtez ici l'oreille, vous qui ne prenez aucun soin de vos enfants, qui leur laissez chanter des chants inspirés par le démon, et qui n'avez que du mépris pour les récits sacrés. Tels n'étaient point les Macchabées, ils passaient leur vie à écouter le récit des grands événements dont Dieu était l'auteur, et ils en recueillaient un double avantage. Ceux qui avaient été l'objet de ces bienfaits, trouvaient dans leur souvenir un motif pour devenir meilleurs; tandis que leurs enfants puisaient dans ces récits une connaissance plus approfondie de Dieu, et se sentaient excités à imiter les vertus de leurs pères. Les livres saints étaient pour eux comme la bouche des auteurs de leurs jours; et dans toutes les écoles, dans toutes les institutions, on enseignait ces récits dont rien ne pouvait surpasser ni l'agrément, ni l'utilité. Si, en effet, la simple narration d'événements indifférents, si des fables, des fictions sont souvent pleines d'attraits pour ceux qui les écoutent, combien plus les récits où se manifeste, avec tant d'éclat, la Bonté de Dieu, sa Puissance, sa Sagesse, sa Providence, devaient-ils charmer ceux qui étaient fidèles à les entendre, et les exciter à devenir meilleurs ? Ceux qui avaient été les témoins de ces événements et qui les avaient vus de leurs yeux, en transmettaient le souvenir à leurs descendants, et le sens de l'ouïe était pour ces derniers un motif de certitude aussi fort que celui de la vue. Car la foi n'était pas moins ferme dans ceux qui n'avaient point été les témoins oculaires de ces prodiges, que dans leurs pères sous les yeux desquels ils s'étaient accomplis. Or, c'était là pour eux un exercice utile pour leur foi.

Voyons maintenant quelle est leur prière et si elle est conforme à celle de leurs pères. En effet, celui qui adresse à Dieu une prière et veut en assurer le succès, doit s'appuyer en priant sur l'exemple de ceux qui ont déjà obtenu une grâce semblable. Je m'explique : Un serviteur nous demande une faveur; s'il nous allègue qu'un autre l'a déjà obtenue, c'est pour nous un motif déterminant pour la lui accorder à lui-même, à moins qu'il n'y ait défaut d'analogie soit dans la personne qui demande, soit dans la grâce qu'elle sollicite. Ainsi, celui qui a obtenu cette faveur est-il dans la même condition que celui qui demande, et l'objet qu'il demande est-il semblable ? l'exemple allégué est juste. Mais si l'un mérite de recevoir cette grâce, tandis que l'autre en est moins digne, il faudra que la prière redouble ses instances. Rendons cette vérité plus claire par un exemple tiré des Écritures. Lorsque la Chananéenne eut entendu Jésus lui dire : "Il n'est pas bon de prendre le pain des enfants et de le donner aux chiens", elle Lui répondit : "Il est vrai, Seigneur, mais les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres." (Mt 15, 26-27.) Et saint Paul écrivait aux Corinthiens : "Si d'autres usent de ce pouvoir à votre égard, pourquoi n'en userions-nous pas plutôt qu'eux ?"(1 Cor 9,12.) L'Apôtre prouve par la différence qui existe entre les autres et lui qu'il a plus de droits à cette faveur. Il écrit encore à Philémon : "Les coeurs des saints ont été soulagés par vous." C'est pourquoi, bien que je puisse prendre en Jésus Christ une entière liberté de vous ordonner une chose qui est de votre devoir, néanmoins, à cause de l'amour que j'ai pour vous, j'aime mieux vous supplier." (Phm 7, 8.) Ici les deux termes de la comparaison sont égaux. Lorsqu'on a en effet reçu une première grâce, c'est pour ainsi dire une introduction à une seconde, si toutefois le second solliciteur est semblable, ou si l'objet de sa prière est le même. Et ce ne sont point seulement les grâces qui ont été accordées aux autres, mais celles qui nous ont été accordées à nous-mêmes qui peuvent donner une nouvelle force à la prière. C'est encore ce que fait saint Paul en écrivant aux Philippiens : "Car vous m'avez envoyé deux fois à Thessalonique ce qui m'était nécessaire." (Ph 4,16.) Aussi beaucoup de ceux qui donnent en plus grande abondance font cette recommandation : Ne le dites pas à d'autres. Ils craignent que les dons faits à un seul ne leur amènent de nombreux solliciteurs auxquels ils ne pourraient refuser ce qu'ils demandent, après avoir donné une première fois. On conçoit du reste que les hommes fassent cette recommandation, parce qu'ils s'appauvrissent en donnant. Dieu, au contraire, publie hautement les dons qu'Il répand sur les hommes pour engager les autres à Lui en demander de nouveaux. Car plus Il donne, plus Il fait éclater son inépuisable Richesse. C'est ce qui fait dire à saint Paul : "Il répand ses Richesses sur tous les hommes et sur tous ceux qui L'invoquent." (Rm 10, 12.) Admirez cette richesse d'une nouvelle nature, imitez aussi vous-mêmes cette Libéralité divine. En effet, lorsque vous donnez les richesses que vous avez en réserve, c'est alors que vous les augmentez : si au contraire vous aimez mieux les enfouir, vous les diminuez. Et qu'y a-t-il d'étonnant que ce phénomène se reproduise dans les choses spirituelles, puisque nous en voyons tous les jours des exemples dans les choses matérielles ? Si par un motif de parcimonie, vous ne faites point usage du blé que vous avez amassé, et que vous ne le semiez pas dans la terre, il devient la pâture des vers; si au contraire vous le dispersez en le semant, vous recueillerez une abondante moisson.

3. Écoutez cette vérité, vous à qui l'aumône coûte tant à faire. Écoutez, vous qui diminuez vos richesses en voulant les conserver. Écoutez, vous qui n'avez rien de plus que ceux qui ne sont riches que dans leurs songes. En effet, les choses de la vie présente ne sont en réalité qu'un songe. De même donc que ceux qui s'imaginent en dormant posséder de grandes richesses, fussent-ils alors les maîtres des trésors des rois, sont les plus pauvres de tous les hommes aussitôt que le jour vient à poindre; de même, dans la vie présente, celui qui ne peut rien emporter de ses richesses dans l'autre vie est le plus pauvre des hommes, quand bien même ici-bas il aurait possédé de grands biens, car il n'a été riche qu'en songe. Si donc vous voulez me montrer un véritable riche, montrez-le-moi lorsque le jour sera venu, lorsque nous serons entrés dans la patrie; car ici-bas, je ne puis distinguer un riche d'un pauvre. Nous n'avons point ici la réalité des choses, ce ne sont que des noms spécieux qui nous trompent. Il en est qui donnent aux aveugles le nom de polubléponta, dont la vue est très étendue, bien que la réalité soit contraire à ce nom; ainsi je ne crains pas de dire que le nom de riche est porté ici-bas par ceux qui ne possèdent rien. C'est justement quand cet homme est riche d'après le langage ordinaire que je découvre sa grande pauvreté. En effet, s'il n'était dans la dernière indigence, il ne chercherait pas à amasser de si grandes richesses. On ne donnerait point à un aveugle le nom de polubléponta, c'est-à-dire qui voit beaucoup de choses, s'il n'avait perdu entièrement la vue; il en est de même pour le riche.

Laissons donc ces noms qui nous trompent, pour nous attacher à la vérité. En effet, la réalité des choses ne consiste pas dans les noms, mais c'est la nature des choses elles-mêmes qui leur assigne les noms qui sont conformes à leur essence. Vous appelez cet homme riche, il ne l'est pas en réalité. Et comment ne l'est-il pas, lui chez qui on voit regorger l'argent, l'or, les pierres précieuses, les riches vêtements, et tous les autres biens de la terre ? Parce que ce n'est ni l'or, ni les vêtements précieux, ni les richesses, mais l'aumône seule qui rend un homme vraiment riche : je ne vois là que de l'herbe, du bois, de la paille. Dites-moi, en effet, quel vête- ment sera capable de couvrir la nudité de celui qui se tiendra devant le Tribunal redoutable de Dieu ? C'est ce que craignait saint Paul quand il disait : "si toutefois nous sommes trouvés vêtus et non pas nus." (2 Cor 5, 3.) Quelles richesses pourront l'arracher à de si grands dangers; quels serviteurs, quels palais, quelles pierres précieuses, pourront le garantir des châtiments qui lui sont infligés, quels bains pourront alors laver les souillures de ses péchés ? Jusques à quand donc vous séduirez-vous ainsi vous-même ? Jusques à quand fermerez-vous les yeux à la vérité pour rechercher ardemment de vains songes, alors que le jugement est si près, et qu'il est à votre porte ?

Mais revenons à ce qui fait l'objet de ce psaume. "Nos pères nous ont raconté l'oeuvre que Tu as accomplie de leur temps, aux jours anciens." On peut aussi donner à ces paroles un sens anagogique. Car bien que leurs pères leur aient raconté ces merveilles, la Grâce de Dieu nous a donné par l'Avènement du saint Esprit de connaître les oeuvres qu'Il a opérées en leur faveur. Or, comment entendre ces paroles dans le sens anagogique ? En les appliquant aux faits éclatants de la loi de grâce qui nous a introduits dans le ciel et nous a rendus dignes du royaume éternel. Dieu S'est fait homme, et la muraille qui nous séparait de Lui a été renversée. Reprenons le sens historique : "L'oeuvre que Tu as accomplie de leur temps, aux jours anciens." Le Roi-prophète rappelle le souvenir d'événements anciens et de faits qui se sont accomplis bien des siècles auparavant. Et pourquoi ne fait-il pas allusion aux faits plus récents ? Lorsque nous parlons aux hommes, nous choisissons des événements presque contemporains pour les attirer à nos idées, à cause de la faiblesse de leur mémoire. Mais Dieu connaît également toutes choses, les anciennes comme les nouvelles. "Voici que Tu connais toutes choses, dit ailleurs le Roi-prophète, l'avenir comme le passé." (Ps 138, 5). Il importe donc peu que les faits historiques soient anciens ou nouveaux, pourvu qu'ils aient rapport au but qu'on se propose. Mais quel événement ancien le Roi-prophète veut-il ici représenter à Dieu ? "Ta Main a exterminé les nations, pour rétablir nos pères en leur place, Tu as frappé les peuples et Tu les as chassés de leur demeure." (Ibid. 3). Avez-vous reconnu de quelle guerre il est ici question, de quelle victoire, de quel triomphe ? Est-il besoin que je vous l'explique ? Je suis persuadé qu'un grand nombre d'entre vous comprennent le sens de ces paroles; mais en faveur de ceux qui pourraient l'ignorer, je crois nécessaire d'entrer dans quelques développements. Quels sont donc les triomphes, quels sont les faits éclatants dont le Roi-prophète rappelle ici le souvenir ? Ce sont ceux qui se sont accomplis dans l'Égypte, dans le désert, dans la terre promise, ou plutôt ceux qui étaient l'objet des Promesses divines. En effet, les Israélites qui sortirent de l'Égypte n'entrèrent pas dans la Palestine, mais tous périrent dans le désert. (Nb 45, 23); (He 3,17). Lors donc que leurs enfants et ceux qui naquirent depuis dans le désert entrèrent dans la terre promise, ils n'eurent pas besoin de faire usage de leurs armes, il leur suffisait de pousser des cris pour s'emparer des villes. Ainsi, lorsqu'ils eurent traversé le Jourdain, ils prirent la première ville qu'ils rencontrèrent, celle de Jéricho, bien plutôt en dansant qu'en combattant. (Jos 6) Ils étaient armés, il est vrai, cependant on eût dit qu'ils marchaient non pas au combat, mais à une fête et à une réjouissance publique. Leurs armes étaient pour eux une parure plutôt qu'un moyen de défense. Ils étaient précédés par les prêtres couverts de leurs vêtements sacrés et par les lévites qui marchaient en tête de l'armée; et c'est ainsi qu'ils firent le tour des murs de la ville. C'était un spectacle vraiment digne d'admiration et presqu'incroyable, de voir une armée composée de tant de milliers d'hommes s'avançant en bon ordre et en mesure, marchant en silence et dans une tenue parfaite comme s'il n'y avait personne, et n'ayant besoin que du son des trompettes pour mener à bonne fin son entreprise. Quoi de plus propre à confondre ceux qui remplissent l'église de tumulte ? Car, si malgré le son retentissant des trompettes, il régnait dans cette armée un ordre si parfait, quelle excuse pourront apporter ceux qui dans le lieu même où Dieu daigne parler aux hommes, empêchent d'entendre ses paroles par l'agitation et le bruit qu'ils produisent ? Mais pourquoi, me demanderez-vous, le roi-prophète ne parle-t-il point de ceux qui sont sortis de l'Égypte ? Parce que tous étaient morts, tous avaient été punis. Et pourquoi cette peine de mort s'étendit-elle à tous ? Parce qu'ils s'étaient rendus coupables d'un grand crime. Dieu les punissait encore de la sorte, parce qu'Il voulait que ceux qui devaient entrer dans la Palestine n'eussent pas été spectateurs des superstitions, des impiétés qui régnaient dans l'Égypte, et qu'ils n'eussent aucun maître pour leur enseigner de si grands crimes. En effet, les Israélites étaient tellement esclaves des coutumes des Égyptiens, qu'après tant de miracles opérés sous leurs yeux, ils n'avaient pu encore effacer les restes de ces sacrilèges erreurs. Or, s'ils avaient pris encore pour maîtres les Chananéens, mille fois pires que les Égyptiens, à quels excès d'impiété se seraient-ils portés ? Voilà pourquoi Dieu retint dans le désert leurs enfants, jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus à l'âge de la maturité.

4. En vous tenant ce langage, nous ne suivons pas nos propres inspirations, mais celles de la sainte Écriture. Dieu, en effet, reproche aux Israélites par le Prophète qu'après les avoir conduits dans le désert et leur avoir fait souvent entendre sa parole, ils ont refusé de L'écouter. (Ez 20,10) Mais pourquoi commande-t-Il à son peuple de prendre les armes au moment de marcher contre la ville de Jéricho ? Le miracle n'eût-il pas été plus étonnant, s'ils eussent marché sans armes contre cette ville ? Nous répondons qu'en commandant de prendre quelques moyens naturels et de s'appuyer sur un secours extérieur, Dieu S'accommode à leur faiblesse. Car au fond, que pouvaient les armes et le son des trompettes pour détruire les murailles de cette ville ? S'il avait fallu combattre contre des hommes, les armes eussent été de quelqu'utilité, mais à quoi pouvaient-elles servir devant des murailles qui devaient tomber d'elles-mêmes ? Nous voyons encore que sous Gédéon, ceux qui furent choisis pour combattre étaient en tout semblables à ceux qui furent laissés, car ils étaient tous également connus. (Jdt 8). Pourquoi donc Dieu tient-Il cette conduite ? Pour amener à la foi ceux à qui Il commande d'agir de la sorte. En effet, l'âme qui est unie à un corps, qui n'a jamais rien vu d'immatériel et qui se porte avec ardeur vers les choses sensibles, a besoin d'être conduite jusqu'aux vérités purement intelligibles par le moyen des choses extérieures. Voilà pourquoi les prophètes, lorsqu'ils parlent de Dieu, Le représentent avec un corps semblable au corps de l'homme. Ce n'est pas sans doute pour donner une forme matérielle à cette nature incorruptible et immortelle; mais à l'aide de ces moyens sensibles, ils veulent enseigner les vérités surnaturelles à l'âme étroitement associée avec les choses extérieures. L'Action de Dieu ne peut être perçue que par l'intelligence; mais Dieu veut qu'il y ait ici quelque chose de sensible pour prévenir tout sentiment d'incrédulité dans les témoins de cet événement. Si Dieu leur avait dit simplement : Dans sept jours la ville sera détruite, sans que vous ayez besoin de faire autre chose que de rester en repos, un grand nombre peut-être eussent refusé de le croire. Il leur fait donc ce commandement pour être comme le fondement de la foi dans leur âme.

Pour preuve que ce n'est pas là une simple conjecture, comme vous pourriez peut-être le penser, je veux apporter à l'appui un fait emprunté aux anciens temps. Naaman était syrien; atteint de la lèpre et honteux d'une maladie qui mettait d'ailleurs ses jours en danger, il vint dans la Palestine (car je veux abréger ce récit), pour obtenir du Prophète sa guérison. Lorsqu'il fut arrivé devant sa demeure, il demanda celui qui devait le guérir. Celui-ci se rendit à sa prière, mais sans sortir de sa maison, et il le renvoya en lui ordonnant d'aller se laver dans le fleuve du Jourdain. Cet homme, justement parce que cette ordonnance était des plus faciles, puisqu'il ne s'agissait que d'une chose extérieure, qui n'exigeait pas de grands efforts d'esprit, refusa de croire; et quel fut son raisonnement ? "Je croyais qu'il sortirait vers moi; qu'il imposerait la main sur moi et qu'il invoquerait le Nom du Seigneur son Dieu, et qu'il me guérirait de la lèpre." (4 R 5, 11). Vous voyez comment son âme avait besoin d'un signe extérieur et sensible. Il ne croyait pas que la parole du médecin suffisait, mais il voulait qu'il y ajoutât l'imposition de ses mains, preuve de la faiblesse. d'esprit de cet homme. Cet exemple peut nous servir à résoudre bien des difficultés. C'est pour la même raison en effet, que Jésus Christ ne guérit pas toujours les maladies par sa seule parole, mais qu'il y joint l'action de la main. C'est ainsi que nous Le voyons mettre son Doigt dans la bouche et sur la langue (Mc 7,33) tandis que dans d'autres circonstances, sa Parole seule, et quelquefois un seul acte de sa Volonté suffisait pour guérir ceux qu'on lui présentait. Or, pourquoi le Sauveur agissait-Il de la sorte ? Par condescendance pour la faiblesse de ceux qui venaient de Le trouver. Et pour vous convaincre que tel était le motif de sa conduite, Il donne des éloges à ceux qui n'avaient pas besoin de ces signes extérieurs. "Je vous le dis en vérité, je n'ai pas trouvé une si grande foi dans Israël" (Mt 8,10); parce qu'en effet, le centurion ne chercha point à L'attirer dans sa maison, et qu'il dit au Sauveur que sa parole lui suffisait. Pour la guérison d'Ézéchias, nous ne voyons rien de semblable. Dieu lui prédit simplement qu'il guérira, sans indiquer aucun remède humain. (4 R 20). Au contraire, celui qui conçoit de la jalousie contre son épouse, Dieu commande de recourir à des moyens plus matériels. Si vous voulez interpréter cet événement dans le sens anagogique "Car toutes ces choses qui leur arrivaient, dit l'Apôtre, étaient des figures; et elles ont été écrites pour nous instruire, nous qui sommes arrivés à la fin des temps." (1 Cor 10,2), représentez-vous les plus illustres docteurs de l'Église qui recourent à la prière comme à une trompette spirituelle et renversent ainsi les murailles ennemies, et songez au peuple chrétien revêtu de l'armure de Jésus Christ. Les sept jours dont il est ici parlé signifient que depuis longtemps l'obligation du sabbat a cessé pour nous. Car ces sortes de préceptes n'ont pas été données comme essentielles. Voilà pourquoi le Prophète, parlant des sacrifices, dit aux Israélites : "Qui vous a demandé que vous eussiez ces offrandes dans les mains ?" (Is 1,12). Et dans un autre endroit : "Vos voeux et la chair sainte des victimes vous purifieront-ils de vos péchés ?" (Jr 11,15). Et ailleurs : "N'avez-vous pas offert des hosties et des sacrifices dans le désert pendant quarante ans ?" (Am 5,25). Et encore : "Pourquoi m'offrez-vous de l'encens de Saba, pourquoi me faites-vous venir des parfums des terres les plus éloignées?" (Jr 6, 20). Et dans les psaumes : "Tu as refusé les victimes et les offrandes." (Ps 39,7). Et dans un autre endroit : "Si Tu avais voulu des sacrifices, je T'en aurais offert." (Ps 50,48). Et ailleurs : "L'obéissance vaut mieux que le sacrifice." (3 R 15, 22). Dans un autre endroit, Il rejette les solennités des Juifs en ces termes : "Je hais vos fêtes et Je les abhorre. Loin de Moi le bruit tumultueux de vos cantiques, Je n'écouterai point les airs que vous chantez sur vos instruments." (Am 5, 21-23). Et ailleurs : "Je ne puis supporter votre grand jour de solennité, vos jeûnes et vos autres fêtes. (Is 1,13-14). Et encore : "Ce n'est pas là le jeûne que Je demande." (Is 58,5). Dieu dit encore par la bouche d Ézéchiel : "Je leur donnerai des préceptes imparfaits, et des ordonnances où ils ne trouveront pas la vie." (Ez 20,25). Paroles qui indiquent encore la cessation de la loi du Sabbat. Mais pourquoi Dieu leur dit-Il : "Qui vous a demandé que vous eussiez ces offrandes dans les mains?" Je vous laisse la solution de cette difficulté, et vous la trouverez facilement si vous menez une vie pure.

5. En effet, si la vie droite et vertueuse de Corneille l'a fait appeler à la connaissance des secrets du ciel (Ac 10, 4); si le zèle de l'eunuque pour la lecture des saintes lettres lui a mérité de connaître le sens des prophéties, (Ac, 27,7 et ss.); combien vous sera-t-il plus facile à vous qui avez déjà la foi, d'obtenir une connaissance plus claire de la vérité, si votre vie est irréprochable I Une vie souillée par le péché est un obstacle à la connaissance des vérités spirituelles, au témoignage de saint Paul : "Je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, parce qu'il y a parmi vous des jalousies et des contentions." (1Cor 3,13); et comme l'atteste aussi le prophète Isaïe : "Ils veulent connaître mes Voies, comme un peuple qui agit selon la justice." (Is 58, 2). Au contraire, une vie pure jointe à un désir sincère conduisent infailliblement à la connaissance de la vérité. "Cherchez, nous dit Jésus Christ, et vous trouverez." (Lc 6, 9). Nous en avons une nouvelle preuve dans la parabole de cet ami qui venait demander des pains à son ami déjà plongé dans le sommeil. (Lc 5, 8). Voilà pourquoi Salomon, en récompense de ce qu'il n'avait demandé que des biens spirituels, obtint de Dieu ceux mêmes qu'il n'avait pas demandés. (3 R 3,11). Mais quelle n'est pas la puissance de la prière, lorsqu'à la persévérance vient se joindre le véritable esprit de la prière et une vie pure? Que dis-je ? La persévérance seule a quelquefois assuré le succès de nos demandes. "Je vous le déclare, dit Jésus-Christ, quand celui-ci ne se lèverait pas pour lui en donner parce qu'il est son ami, il lui en donnerait à cause de son importunité." (Lc 11, 8).

Mais revenons à notre sujet : "L'oeuvre que Tu as accomplie de leur temps et dans les jours anciens. Ta main a exterminé les nations, et Tu les as établis en leur place." Voyez quel choix heureux d'expressions! Tu ne T'es pas contenté, dit le Roi-prophète, d'assurer leur victoire et la défaite de leurs ennemis, Tu as été beaucoup plus loin, bien que les uns et les autres ne fussent pas dans des conditions égales. Les uns en effet possédaient en propre la terre promise, les autres étaient étrangers, et cependant il se fit un si grand changement que les uns furent déracinés entièrement du sol qu'ils possédaient, tandis que les autres en devinrent les maîtres et les habitants. C'est pour cela que le Roi-prophète se sert de cette expression : "Ta main a exterminé les nations" et en parlant des Juifs : "Ta Main les a plantés." La Main de Dieu c'est sa Puissance. Or, si Dieu, en si peu de temps, a rendu beaucoup plus puissant que les peuples qui habitaient cette terre, un peuple étranger qui n'avait ni ville, ni demeure où il put se retirer ou fixer son séjour, comment ne prendrait-Il pas en main nos intérêts à nous qui sommes dépouillés de l'héritage paternel ? Que signifie cette expression : "Tu les as plantés?" Tu les as établis d'une manière stable; car ce qui est planté acquiert de la consistance et de la fermeté. Mais quoi, me direz-vous, est-ce que ce peuple n'a pas été obligé de quitter sa patrie ? Est-ce qu'il n'a pas été emmené dans des contrées étrangères ? Oui sans doute, mais il faut l'attribuer à leurs propres crimes et non à la faiblesse de Celui qui les avait établis. Ils y fussent demeurés à jamais, si leurs iniquités n'y avaient mis obstacle. "Tu as frappé les peuples, et Tu les as chassés de leurs demeures." Il en est qui pensent qu'il est ici question des Égyptiens, mais mon opinion est que ces paroles peuvent également s'appliquer aux autres nations. La Justice de Dieu s'est exercée aussi sur elles et Il a fait éclater doublement sa Puissance, en établissant son peuple à leur place.

"Car ce n'est point leur glaive qui les a mis en possession de cette terre." Un autre interprète traduit : "Ce n'est point par leur bras qu'Il les a sauvés, c'est ta Droite, c'est ton Bras, et l'éclat de ta Face." (Ibid. 4). Suivant une autre version : "La lumière de ta Face. Parce qu'il T'a plu de les aimer." Ils étaient revêtus de leurs armes, lorsqu'ils étaient vainqueurs dans les combats; mais tout armés qu'ils étaient, ce n'est point par la force de leurs armes qu'ils triomphaient, c'est par la Puissance de Dieu qui les menait au combat. Vous voyez comme le Roi-prophète entremêle les conseils à la prière, et les presse de mettre toute leur confiance en Dieu. Mais pourquoi appelle-t-il cette terre un héritage, alors que leurs pères, leurs aïeux, leurs bisaïeux sont morts successivement sans en avoir été en possession ? Parce que la promesse d'y entrer avait été faite à leurs pères : "Viens, dit Dieu à Abraham, dans la terre que Je te montrerai." (Gn 12,1). Et dans un autre endroit : "Je te donnerai cette terre à toi et à ta postérité." (Gn 13, 15).

Comme il venait de parler de la Droite de Dieu, de son Bras, expressions qui pouvaient réveiller des idées matérielles, il donne à son discours une forme plus relevée en ajoutant : "Et la splendeur de ta Face" c'est-à-dire ta Providence et ton Appui. La Volonté de Dieu et sa Présence au milieu d'eux ont suffi en effet pour le sauver. "Parce que Tu as mis en eux tes Complaisances." C'est-à-dire parce qu'il T'a plu de les aimer. Ces faits éclatants étaient donc de pures grâces de la part de Dieu, et non la récompense de leurs bonnes oeuvres; et ce n'est point à leur vertu, mais à la seule Bonté de Dieu qu'ils ont dû d'entrer dans la terre promise. "Tu es mon Roi et mon Dieu, Toi dont les ordres ont sauvé Jacob." (Ibid. 5). Un autre interprète traduit : "Sauve Jacob par ton Commandement." Quel est le rapport de ces paroles avec ce qui précède ? Il est on ne peut plus frappant. Voici en effet ce que veut dire le Prophète : C'est d'eux que nous tirons notre origine, et Tu es le Dieu qui es l'auteur de ces grands événements et de ceux qui ont suivi. D'où vient donc un si grand changement ? Car Tu n'es pas différent de ce que Tu étais alors, Tu es toujours le même Dieu.

6. Mais Tu n'es pas seulement le même Dieu en Toi-même ? Je ne veux point quant à moi avoir d'autre Dieu. "Tu es mon Roi et mon Dieu." Nous ne nous sommes pas retirés de la voie de tes Commandements, nous n'avons pas choisi un autre chef que Toi. "Toi dont les ordres ont sauvé Jacob." C'est-à-dire Tu es le même Dieu, et ta Providence est aussi toujours la même. Quelle est donc la cause du changement que nous voyons ? Que signifient ces paroles : "Toi dont les ordres ont sauvé Jacob ?", Toi qui ordonnes, qui commandes que Jacob soit sauvé ? Ces paroles font ressortir la facilité avec laquelle Dieu vient au secours de son peuple, et la grandeur de sa Puissance. Et ce n'est pas sans raison que le prophète rappelle le souvenir d'un de ses ancêtres, de Jacob; la vertu de ce patriarche devient pour lui un titre qui sert à lui rendre Dieu favorable : "C'est par Toi que nous terrasserons nos ennemis." (Ibid. 6). Tu es toujours le même, et ta Providence n'a point changé, et nous aussi, nous Te reconnaissons toujours pour notre chef, et nous n'avons point recours à d'autres armes. Voici le sens de ces paroles : "C'est par Toi que nous terrasserons nos ennemis." Un autre interprète traduit : "Nous terrasserons ceux qui nous persécutent. En ton Nom, nous mépriserons ceux qui s'élèvent contre nous." Suivant une autre version : "Nous foulerons aux pieds." Que signifie cette parole : "En Toi ?" C'est-à-dire l'invocation seule de ton Nom suffit pour assurer le plein succès de toutes nos entreprises. Il ne dit point : Nous les vaincrons, nous l'emporterons sur eux, mais nous les anéantirons, ils seront pour nous comme s'ils n'étaient pas. Nous ne les redouterons pas, et nous les poursuivrons comme des gens sans valeur et sans force. C'est ce que veut exprimer un autre interprète en traduisant : "Nous les foulerons aux pieds" c'est-à-dire nous remporterons la victoire de vive force, notre armée n'aura pas à combattre, et la guerre sera sans alarmes.

"Car ce n'est pas dans mon arc que je mets mon espérance." Une autre version porte : "Que je mets ma confiance." Et ce ne sera point mon épée qui me sauvera." (Ibid. 7). Pourquoi donc vous servir de ces armes ? Pourquoi vous en revêtir et manier l'arc et l'épée ? Parce que j'ai reçu l'Ordre de Dieu d'en faire usage, du reste je remets tout entre ses Mains. C'est ainsi que Dieu leur enseignait à combattre leurs ennemis visibles, sous la protection du secours d'en-haut. C'est de la même manière qu'il faut combattre les ennemis spirituels et invisibles. Vous donc, lorsque vous êtes en guerre avec le démon, dites aussi : Je ne mets pas ma confiance dans mes armes, c'est-à-dire dans ma vertu, dans ma justice, mais dans la Miséricorde de Dieu. C'était le langage de Daniel : "Nous ne répandons pas nos prières devant Toi selon nos justices" (Dn 9,18). "Car c'est Toi qui nous as sauvés de nos persécuteurs, et qui as couvert de honte ceux qui nous baissaient." (Ibid. 8) Une autre version porte : "Parce que Tu nous as sauvés." Qu'est-il besoin, dit le Roi-prophète, de rappeler le souvenir des événements anciens, et les hauts faits de nos ancêtres ? Nous avons nous-mêmes des gages multipliés de la Providence divine, et nous pouvons faire une longue énumération de nos glorieux triomphes, de nos victoires nombreuses, éclatantes, et vraiment extraordinaires. Il dit : "Tu as confondu", pour montrer que Dieu ne S'est pas contenté de nous délivrer, de nous arracher aux mains de nos ennemis, mais qu'Il l'a fait en couvrant de honte nos ennemis. "C'est en Dieu que nous mettrons tous les jours notre gloire, et nous donnerons éternellement des louanges à ton Nom." (Ibid. 9). Une autre version porte : "Nous louerons Dieu tout le jour." Le temps de la victoire est passé, mais nous y trouvons un continuel sujet d'actions de grâces. Ce jour tout entier, c'est tout le cours de notre vie. Nous ne cessons point, dit le Roi-prophète, de célébrer la Protection que Tu nous as accordée et de nous en glorifier. Car c'est là pour nous un véritable titre d'honneur et un juste sujet de gloire auprès de tous les hommes. Nous sommes fiers, non pas d'avoir une grande et admirable cité, ni d'avoir les premiers remporté la victoire, ni d'être supérieurs à nos ennemis par la force du corps, mais d'être les serviteurs du vrai Dieu; et nous nous en glorifions non seulement quand Dieu prend en main notre défense, mais lors même qu'Il paraît nous abandonner. Ces paroles : "Tout le jour" ont la même signification que ces autres paroles de saint Paul : "À Dieu ne plaise que je me glorifie, si ce n'est dans la Croix de Jésus Christ !" (Ga 6,14). Car je le déclare, il n'y a point d'autre gloire semblable à celle-là. C'est dans le même sens que le même apôtre dit ailleurs : "Et non seulement nous avons été réconciliés, mais nous nous glorifions en Dieu." (Rm 5,11). Rien en effet, ne peut soutenir la comparaison avec cette gloire. Cessez donc d'être fiers de vos richesses ou des biens qui n'ont pour objet que la vie présente, et ne vous glorifiez que d'une seule chose, d'avoir Dieu pour maître. C'est là un privilège au-dessus de toute liberté, et qui l'emporte même sur les cieux. Car si souvent les hommes sont fiers d'appartenir à tel ou tel personnage, jugez quelle gloire c'est d'appartenir à Dieu. Aussi saint Paul estimait-il ce privilège à l'égal des plus grands honneurs, lorsqu'il disait : "Ceux qui appartiennent à Jésus Christ ont crucifié leur chair." Changement de modulation. Suivant une autre version : "Toujours." Le texte hébreu porte : Sel.

"Mais maintenant Tu nous as repoussés et couverts de confusion". Une autre version traduit : "Bien que Tu nous aies repoussés." Une autre : "Après cela, Tu nous as rejetés. Et Tu ne marches plus, Seigneur, avec nos armées." (Ibid. 10). Suivant une autre version : "Et Tu n'es plus sorti à la tête de nos armées." Cet Abandon de Dieu les couvre de confusion et les expose à toute espèce de calamités. Ce qu'il appelle ici leurs forces, ce sont leurs armées, parce qu'elles sont en effet la force du souverain et que par une Providence particulière de Dieu, elles sont le lien qui unit celui qui gouverne à ceux qui sont soumis à son empire. Le roi ne peut se passer de ceux qui obéissent à ses ordres, de même que ceux-ci ont besoin d'un chef qui les commande; ils sont nécessaires, indispensables même les uns aux autres. En effet, pour prévenir tout sentiment d'orgueil, Dieu a voulu que les plus grandes choses aient souvent besoin des plus petites. C'est ce qu'il a fait même pour les choses inanimées. Un petit caillou suffit souvent pour affermir une colonne qui chancelle, et un gouvernail de petite dimension suffit pour conduire un vaisseau qui porte des milliers de personnes, et lui faire éviter tout danger. Quel est le sens de ces paroles : "Bien que Tu nous aies repoussés" ? C'est-à-dire malgré tant et de si rudes épreuves, nous n'avons pas cessé de Te rester attachés, de Te louer, de T'exalter et de mettre toute notre gloire en Toi. Tu nous as mis en fuite devant nos ennemis, et nous sommes devenus la proie de ceux qui nous haïssaient." Un autre interprète traduit : "Tu nous as mis au-dessous de tous nos ennemis." (Ibid. 11). Voyez en quels termes énergiques et expressifs le Roi-prophète décrit les malheurs de son peuple pour montrer que quelle que fût la grandeur de ses crimes, ces calamités en avaient été une expiation suffisante.

7. C'est cette même pensée que les enfants développent dans le cantique qu'ils chantent au milieu de la fournaise : "Tu nous as livrés aux mains de nos injustes ennemis, de ces pervers, de ces prévaricateurs et d'un roi injuste et impie au-delà de tout ce qui est sur la terre." (Dn 3,32). Et plus loin : "Nous sommes réduits à un plus petit nombre que toutes les nations, et nous sommes humiliés sur toute la terre." (Ibid. 37). Tel est aussi le langage du Roi-prophète : Notre humiliation, notre déshonneur est au comble depuis que Tu as retiré de nous ta Providence; et nos malheurs ont encore été plus loin, car nous sommes devenus la proie de nos ennemis qui nous ont partagés entre eux à leur gré comme de viles dépouilles. C'est le sens de ces paroles : "Nous sommes devenus leur proie" sans que personne s'y opposât. "Tu nous as livrés comme des brebis qu'on mène à la mort, et Tu nous as dispersés parmi les nations." (Ibid. 12). Une autre version traduit : "Tu nous as jetés au vent." Que signifient ces paroles : "Comme des brebis destinées à la boucherie" ? C'est-à-dire Tu nous as laissé prendre avec une facilité déplorable comme des animaux sans valeur. En effet, parmi les brebis que l'on met en vente, il en est qui sont propres à la reproduction, mais il en est d'autres qui par suite de leur vieillesse ou de leur stérilité, ne sont bonnes qu'à être mangées. Ce qui mettait le comble à leur malheur, c'est qu'ils étaient dispersés parmi les nations, et l'épreuve la plus pénible pour eux, c'est qu'ils ne pouvaient plus observer exactement leur loi, et qu'ils étaient déshérités des institutions politiques et religieuses de leurs pères. Et ce n'est pas seulement dans une seule contrée, mais parmi toutes les nations que nous avons été dispersés, comme des victimes qui n'ont en perspective que la souffrance, et qui ne peuvent ni se venger ni élever les mains pour se défendre. Car voilà ce qu'exprime la comparaison des brebis "Tu as vendu ton peuple sans en recevoir le prix. Une autre version porte : "Sans recevoir rien en échange." Une autre : "Comme étant de nulle valeur." - "Et dans l'achat qui s'en est fait, ils ont été vendus presque pour rien." (Ibid. 13). Suivant une autre version : "Tu ne les as pas estimés à un prix élevé." Voici l'explication de ces paroles qui sont très obscures, prêtez donc une attention sérieuse pour chanter ce verset avec intelligence. Que veut dire le Roi-prophète ? Il veut montrer à quel degré d'abaissement et d'abjection ils sont descendus comme des choses de nulle valeur; Tu nous as livrés au mépris et à l'opprobre, dit-il, comme des marchandises de vil prix. Il se conforme ici à notre manière de parler, car nous donnons pour rien les choses qui n'ont aucune valeur. Nous vendons très cher celles que nous estimons, et nous donnons gratuitement les choses qui n'ont pour nous aucun prix. Ceux qui ont de mauvais esclaves les vendent à moitié prix, quelques-uns même les donnent sans rien recevoir en échange. Si la vente à vil prix d'un objet est une preuve de son peu de valeur, combien plus la cession qu'on en fait sans rien recevoir en échange ! Voici donc le sens des paroles du Roi-prophète : "Semblable à un homme qui cède pour rien ce qu'il possède, Tu nous as livrés comme des objets de nulle valeur, Tu nous as couverts de mépris." Les paroles qui suivent achèvent d'expliquer sa pensée : "Et dans l'échange qui s'en est fait, ils ont été donnés presque pour rien." C'est-à-dire : "Lorsque nous avons été achetés." Et c'est pour cela qu'un autre interprète traduit : "Dans l'appréciation qui a été faite de nous," c'est-à-dire dans la vente dont nous avons été l'objet. En effet, le prix d'une chose est un échange; souvent nous donnons un esclave et nous recevons en échange de l'or ou de l'argent.

"Tu nous as rendus l'opprobre de nos voisins, le jouet et la risée de ceux qui nous environnent." Un autre interprète traduit : "Tu nous as rendus un objet de montre pour ceux qui sont autour de nous." (Ibid. 14). "Vous nous avez fait devenir la fable des nations." (Ibid. 15). C'est un supplice des plus pénibles et des plus insupportables, que d'être en butte aux outrages des impies et de ses propres ennemis, d'être environné de gens qui vous insultent et de quelque côté qu'on tourne les yeux, de ne voir autour de soi que des opprobres et des indignités. Que signifie ici le mot fable ? Un récit injurieux. En effet, les Israélites étaient entourés d'hommes perdus de crimes, sans coeur, qui non seulement n'avaient pour eux aucune pitié, mais qui les accablaient d'injures et d'outrages, ce qui était pour eux une épreuve des plus cruelles. Je crois que David veut ici parler des Arabes qui habitaient une des contrées voisines. "Les peuples secouent la tête en nous regardant." Un autre interprète traduit : "Tu nous as fait émigrer." L'hébreu porte : Manoud. Le Roi-prophète veut donc dire : Tu nous as déplacés, transportés; ou bien par ce mouvement de tête il veut exprimer la joie insolente de leurs ennemis.

"Tout le jour ma honte est devant mes yeux." Suivant une autre version : "Mon opprobre." "Et la confusion couvre mon visage." (Ibid. 16). "Quand j'entends la voix de celui qui m'accable par ses reproches et par ses calomnies." (Ibid.17). Une autre version porte : "Par ses blasphèmes; à la vue de mon ennemi et de mon persécuteur." Ces outrages étaient pour eux une peine beaucoup plus sensible que leurs calamités elles-mêmes. Comme ils avaient précédemment joui d'une longue suite de prospérités et triomphé constamment de leurs ennemis, toutes les bouches s'ouvraient pour insulter à leur malheur, lorsqu'on les vit plongés dans un abîme d'infortunes dont ils ne pouvaient se relever et où ils n'avaient en perspective qu'un long et perpétuel supplice. "Tous ces maux sont venus fondre sur nous, et cependant nous ne T'avons pas oublié et nous n'avons pas commis d'iniquité contre ton Alliance." (Ibid.18). Un autre interprète traduit : "Nous n'avons pas agi frauduleusement contre ton Alliance." Notre conduite, dit le Roi-prophète, a été toute différente de celle des autres peuples. Avant que le malheur les eût atteints, ils ont succombé; nous au contraire, après de si rudes épreuves, nous sommes demeurés fermes et inébranlables dans la fidélité à ton service. Ils parlent de la sorte pour faire partager leurs espérances à ceux qui sont dans les mêmes épreuves. Tandis que les trois enfants s'écrient avec Daniel : "Nous avons péché, nous avons commis l'iniquité" (Dn 3, 29); ceux-ci disent : "Nous n'avons pas violé ton Alliance", et ils animent ainsi le courage de ceux qui combattent avec eux. Nous avons, disent-ils, essuyé les plus grandes calamités, nous sommes les enfants de ceux que Tu as comblés de bienfaits et, malgré de si rudes coups, nous T'avons conservé notre fidélité. Quelle ne doit pas être notre espérance en Toi ?

8. Je répète ici ce que j'ai dit en commençant : le prophète entremêle l'encouragement avec la prière, et tel est le sens de ses paroles : Pourquoi désespérer de votre salut ? Nous avons Dieu pour défenseur. Si nous sommes coupables de péchés, nous en avons porté la peine, nous sommes demeurés fermes dans les tentations; nous avons pour guide Celui dont la Bonté s'étend jusque sur les pécheurs, nous pouvons donc espérer une prompte et heureuse délivrance. Mais que signifient ces paroles : "Nous n'avons point commis d'iniquité contre ton Alliance ?" C'est-à-dire nous ne nous sommes pas rendus coupables d'injustice à l'égard des choses qui nous ont été confiées, mais nous les avons gardées avec une fidélité inviolable. C'est en effet le comble de l'iniquité que de transgresser la loi qui nous protège, qui nous défend contre les injustices même de nos proches, qui interdit toute espèce de crime, et de faire preuve d'ingratitude à l'égard de Celui qui nous comble de tant de biens. "Notre coeur ne s'est pas retiré en arrière." Suivant une autre version : "Il ne s'est point éloigné, et vous n'avez pas écarté nos pas de vos sentiers." (Ibid. 19). Une autre version traduit : "Les choses qui nous élèvent n'ont pas été détournées." Une autre : "Notre coeur ne s'est pas détourné en arrière, et nos pas ne se sont pas écartés." Le Roi-prophète revient sur la pensée qu'il a déjà exprimée précédemment, c'est-à-dire qu'au milieu de ce déluge de maux, ils n'ont pas éprouvé la plus légère agitation. L'expression dont il se sert est des plus heureuses. Car de même que la loi nous conduit toujours en avant, l'iniquité nous fait reculer en arrière; la loi nous fait marcher dans une voie toujours droite, l'iniquité au contraire transporte l'homme dans des lieux déserts et impraticables. Cette Voie de Dieu est donc la loi. Au lieu de : "Vous n'avez pas écarté"; on lit dans une autre version : "Les choses qui nous élèvent n'ont pas été détournées et séparées de ta Voie"; l'hébreu porte : Vathet adschurenu meni orach. Si l'on veut suivre de préférence aux autres versions l'interprétation des Septante : "Tu as écarté nos sentiers de ta Voie," tel sera le sens de ces paroles : "Tu nous as éloignés de ton Temple, Tu nous as relégués dans une terre étrangère où il nous est impossible de T'offrir le culte qui vous est dû.

"Tu nous as humiliés dans un lieu d'affliction." (Ibid. 20). Suivant une autre version : "Dans un lieu inhabité." Suivant une autre : "Dans le lieu habité par les sirènes." "Et l'ombre de la mort nous a couverts." Une autre version porte : "Tu nous as fermé toute issue." C'est là l'espèce de récompense dont ils parlent précédemment en faisant l'énumération de leurs maux : "Et la honte qui paraît sur mon visage me couvre entièrement, à la voix de celui qui m'accable par ses reproches et par ses calomnies; car Tu nous as humiliés." Si l'on veut rattacher ces paroles à celles-ci : "Tu as écarté nos sentiers de ta Voie," on y trouvera un rapport évident avec le sens que j'ai indiqué, c'est-à-dire que le Roi-prophète veut exprimer comment Dieu les a repoussés des voies dans lesquelles ils marchaient, de leurs usages, de leurs lois, de leurs institutions, pour les transporter dans des lieux déserts et les abandonner au milieu de leurs ennemis. Voilà ce que signifient ces paroles : "L'ombre de la mort nous a couverts", David fait allusion à ces dangers qui enfantent la mort, qui sont voisins de la mort, et c'est dans ce sens que l'Écriture appelle ces dangers les douleurs de la mort et les portes de l'enfer. Par cette comparaison de l'ombre qui recouvre, il fait voir que ces dangers sont inévitables, et qu'il est impossible d'en être délivré, ou même d'en être tant soit peu soulagé.

"Si nous avons oublié le Nom de notre Dieu, si nous avons étendu nos mains vers un dieu étranger, (Ibid. 21), Dieu manquerait-Il d'en demander compte, Lui qui connaît le secret des coeurs ?" (Ibid., 22). C'est le propre des bons serviteurs de persévérer dans l'attachement à leurs maîtres, lors même qu'ils éprouvent de mauvais traitements, et ils suivent en cela les leçons de la sagesse. Les Israélites fidèles enseignent aussi à ceux qui les écoutent à fuir l'hypocrisie et à servir Dieu dans toute la sincérité de leur coeur. "Car Il connaît, disent-ils, les secrets des coeurs." Par ce langage, ils nous apprennent encore à éviter avec crainte toute pensée qui serait indigne de Dieu. Mais voyez ici comme leur vertu s'accroît et se perfectionne : "C'est pour Toi, Seigneur, disent-ils, que nous sommes immolés chaque jour, et traités comme un troupeau destiné à la mort." Il est beau de persévérer dans le service de Dieu, et de ne point porter ses hommages à un autre, mais il est vraiment héroïque de lui conserver sa fidélité et son amour lorsqu'on a sans cesse la mort en face et qu'on vit tous les jours au milieu des dangers. Combien cette sagesse est parfaite, puisque saint Paul lui-même en fait profession, lorsque dans son Épître aux Romains il énumère les dangers et les orages de ses courses apostoliques ! (Rm 8, 36). Quelles brillantes couronnes ont mérité ces héros dont les combats sous l'Ancien Testament ont égalé ceux qui étaient réservés aux athlètes de la loi nouvelle ! En effet, vous les entendez dire sinon en réalité et par le fait, du moins par la disposition de leur coeur, ce que saint Paul dira plus tard : "Je meurs tous les jours." (1Cor 15,31). Mais pourquoi le prophète ajoute-t-il : "C'est pour Toi ?" Nous pouvions, semble-t-il dire, tenir une autre conduite, renoncer aux usages de nos pères pour mener une vie sûre et tranquille. Mais nous avons mieux aimé souffrir toute espèce de maux et rester fidèles aux lois de notre patrie, plutôt que d'acheter le repos et la paix au prix d'une honteuse apostasie. "Nous sommes comme des brebis destinées à la boucherie." C'est-à-dire : ils nous mettent aussi facilement à mort que des brebis. Le Roi-prophète nous donne ici une preuve de leur douceur. Cependant, bien que nous soyons comme des victimes, attendant toujours la mort, nous restons fermes et inébranlables. Admirons aussi la Puissance de Dieu, qui a su conserver ceux qui étaient comme des brebis destinées à la boucherie, sauver de la mort ceux qui s'y trouvaient tous les jours exposés : "Lève-Toi, pourquoi sommeilles-Toi, Seigneur ?." (Ibid. 23). Suivant une autre version : "Pourquoi es-Tu comme un homme endormi ?" Suivant une autre : "Réveille-Toi." Suivant une autre encore : "Sors de ton Sommeil; lève-Toi, et ne nous rejette pas pour toujours." "Pourquoi détournes-Toi ton Visage? Un autre interprète traduit : "Pourquoi caches-Tu ton visage ? Pourquoi oublies-Tu notre misère et notre oppression ? (Ibid. 24). Suivant une autre

version : "L'état où nous ont réduits nos crimes." C'est-à-dire : Tu peux nous délivrer de nos maux, car ce n'est point par impuissance de ta part, mais par une permission expresse de ta Volonté que nous en avons été victimes. Le sommeil ici, c'est le Repos de Dieu; son réveil, c'est la Vengeance qu'Il exerce sur les ennemis de son peuple; sa Face, c'est sa Protection, sa Providence, sa Sollicitude et le Secours qu'Il accorde aux siens.

9. "Pourquoi oublies-Tu notre pauvreté ?" Admirez de nouveau la sagesse du prophète. Il ne dit pas : "Pourquoi oublies-Tu nos bonnes actions, notre inviolable fidélité, notre âme inébranlable au milieu des épreuves ?" Tel est le langage de ceux qui veulent se justifier. Mais quand ceux qui demandent du secours apportent à l'appui de leur prière les raisons dont se servent les coupables, ils ont, dit le Psalmiste, suffisamment expié leurs crimes, par l'extrémité où ils se trouvent réduits. Saint Paul et d'autres prophètes ont souvent tenu le même langage. Et ces pieux Israélites s'exprimaient de la sorte lorsqu'ils n'avaient encore aucune idée bien claire ni de l'enfer, ni du royaume des cieux, ni de la haute sagesse de la loi nouvelle, et ils supportaient néanmoins avec courage toutes ces épreuves.

"Notre âme est abaissée dans la poussière, nous sommes abattus, la face collée contre terre." (Ibid. 25). Il vient de dire : "Pourquoi oublies-Tu notre pauvreté ?" c'est-à-dire notre affliction, et il en fait connaître toute l'étendue. Voici le sens de ces paroles : C'en est fait de nous, nous sommes comme ensevelis dans la terre, et notre condition ne diffère en rien de ceux qui sont dans le tombeau. Ceux dont l'âme est comme attachée aux biens de la terre, pourraient dire avec non moins de raison que leur âme est humiliée dans la poussière, et les esclaves de l'intempérance, que leur ventre est collé à la terre. Car tel est le juste supplice de celui qui se laisse dominer par une violente passion, qui soupire ardemment après la boue, et qui abaisse jusque dans la poussière cette nature incorporelle que Dieu lui a donnée. Qu'est-ce, en effet, que la beauté du corps, si ce n'est de la poussière et de la boue, et quelque chose de plus hideux encore ? Si vous en doutez, ouvrez un tombeau, et vous n'y trouverez que de la boue et de la poussière. Lorsque la vie a cessé d'animer le corps, on voit alors ce qu'il est en réalité, et souvent même avant la mort. Lorsqu'en effet la vieillesse arrive, lorsque la maladie s'appesantit sur ce corps, il apparaît ce qu'il est en vérité, c'est-à-dire de la boue. Et si Dieu, comme un sage artisan, a fait sortir de cette matière vile et grossière une éclatante beauté, ce n'est point pour satisfaire vos passions, mais pour donner une preuve de sa Sagesse. Gardez-vous donc d'outrager ce divin artisan, en faisant de cette divine oeuvre un objet de fornication et d'impureté. Admirez, si vous le voulez, la beauté du corps, pour glorifier celui qui en est l'auteur, mais n'allez pas plus loin, et n'en faites pas un aliment à votre passion. L'ouvrage est admirable, adorez donc Celui qui en est l'auteur, mais ne l'outragez pas. Un homme qui souillerait de boue et d'ordures une statue d'or représentant la personne du souverain, ne serait-il pas puni avec la dernière rigueur ? Si donc celui qui se rend coupable de tels outrages à l'égard des hommes, mérite un si grand châtiment, quel sera le supplice de celui qui déshonore indignement l'oeuvre de Dieu ? D'autant plus coupable en cela que des liens légitimes l'attachent à son épouse. Ne m'alléguez pas la convoitise naturelle, car Dieu vous a permis le mariage pour vous empêcher de franchir les limites qui vous ont été assignées.

Considérez en effet, de quel supplice vous vous rendez digne. Dieu a pourvu tout à la fois à votre repos et à votre honneur en vous permettant d'apaiser la violence de la concupiscence par l'union légitime et innocente avec votre épouse, et en vous mettant ainsi à couvert de toute ignominie. Et vous vous faites un plaisir d'outrager celui qui a porté si loin la bonté pour vous ? Dites-moi, si Dieu n'avait pas établi la loi sacrée du mariage, quelle violence, quel supplice n'auriez-vous pas eu à endurer ? Au lieu donc de lui témoigner votre reconnaissance et de glorifier sa Bonté qui vous a déchargé de la plus grande partie du travail, en vous ménageant un adoucissement aussi considérable, vous, par un excès inouï d'ingratitude, vous outragez Dieu, vous dépouillez toute pudeur, vous franchissez les bornes qu'Il a posées et vous changez votre gloire en ignominie. N'entendez-vous donc pas saint Paul vous dire et vous crier ainsi qu'à tous les fidèles : "Fuyez la fornication !" (1 Cor 6,18). Mais écoutez plutôt Jésus Christ qui lui inspire ces paroles. Pourquoi donc vouloir connaître la beauté d'une personne qui vous est étrangère ? Pourquoi ce regard curieux et avide sur un visage qui ne vous appartient pas ? Pourquoi vous jeter dans de tels précipices ? Pourquoi vous enlacer dans ces filets ? Placez un mur devant vos yeux, entourez-les comme d'un rempart, imposez-leur une loi sévère. Écoutez le langage menaçant de Jésus Christ qui condamne un regard impudique à l'égal du crime d'adultère. (Mt 5,28). À quoi vous servira la volupté qui engendre le ver rongeur, une crainte éternelle, et lègue à celui qui cède à ses désirs un supplice qui ne doit point finir ? Ne vaut-il pas mille fois mieux acheter le calme et la tranquillité de notre âme en résistant tant soit peu à la violence de nos désirs, que d'encourir un supplice éternel en cédant pour un temps si court à l'attrait de pensées coupables ? "Cessez, mes enfants, d'agir de la sorte, car il n'est pas bien qu'on dise de vous ce que j'entends." (1 R 2,24). Je sais à qui s'adressent ces paroles, ce n'est pas à tous, mais l'Esprit saint applique le remède là où Il trouve une blessure. Pourquoi profaner les saintes lois du mariage ? Pourquoi déshonorer le lit nuptial ? Pourquoi cet outrage fait à vos propres membres ? Pourquoi flétrir ainsi votre réputation ? Réprimez cette passion qui vous trouble, retranchez cette vie molle et sensuelle; car l'intempérance et l'ivresse sont les deux sources de la fornication. Si vous ne faites pas un bon usage du repos, il sera pour vous la cause de chagrins amers. Rappelez-vous le châtiment des Juifs qui s'étaient livrés à la fornication et qui n'avaient point comme nous, participé au Corps de Jésus Christ, qui n'avaient point recueilli le fruit du banquet spirituel. "Ne commettons point de fornication, nous dit saint Paul, comme le firent quelques-uns d'entre eux, et vingt-trois mille périrent dans un seul jour." (1 Cor 10,8). "Lève-Toi, Seigneur, secours-nous, et rachète-nous à cause de ton Nom." (Ibid. 26). Un autre interprète traduit : "Sois là pour nous défendre, et délivre-nous à cause de ta Miséricorde." Vous voyez comme ils terminent leur prière. Après tant d'actions vertueuses dont ils pouvaient invoquer le souvenir, quel est le motif de leur espérance en Dieu ? La Miséricorde, la Bonté, le Nom même de Dieu. Pourquoi donc ajoutent-ils : "À cause de ton Nom" ? Afin que ce Nom divin ne soit point profané. C'est ce que Dieu déclare souvent Lui-même : "Je le fais à cause de mon Nom." Vous voyez à la fois leur humilité et le repentir de leur âme. En vertu de quel droit demandent-ils à être sauvés ? En vertu de la bonté de la Miséricorde de Dieu. Il semble qu'ils n'aient aucunes bonnes oeuvres à faire valoir, et qu'ils ne puissent apporter aucun motif personnel de salut; et bien qu'ils aient passé par tant d'épreuves et affronté tant de dangers, ils en renvoient toute la gloire à Dieu. Nous donc aussi qui vivons sous la loi de grâce, imitons un si bel exemple, rendons gloire à Dieu à qui cette gloire appartient dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 44

"Chant de victoire pour les fleurs des enfants de Coré." Un autre interprète traduit : "À l'auteur de la victoire, pour les lis des enfants de Coré." Au lieu du mot lis, l'hébreu porte : "Al sosanim, chant d'intelligence pour le bien-aimé". Une autre version porte : "Chant d'amour de celui qui est instruit." Une autre : "Pour ceux qui sont aimés." L'hébreu : "Idithoth". Les Septante traduisent : "Pour la fin, pour ceux qui seront changés, intelligence aux enfants de Coré. Cantique pour le bien-aimé." (v. 1).- "Mon coeur enfante une excellente parole." Une autre version porte : "Fais sortir." Une autre : "Mon coeur a été touché par une excellente parole." (Ibid. 2).

1. Je voudrais voir tous les Juifs et les païens présents dans cette assemblée, je voudrais recevoir des mains des Juifs le livre des saintes Écritures et lire devant eux ce psaume. Car vous savez que devant les tribunaux et en général dans toutes les affaires, le témoignage rendu par des ennemis est une preuve non suspecte de vérité. Donnons-en aujourd'hui un exemple, et produisons un témoignage propre à confondre les Juifs et les païens; les Juifs qui le lisent sans le comprendre, les païens qui voient nos ennemis nous remettre eux-mêmes les livres qui le renferment. Ils ne pourront dire en effet que c'est nous qui avons inventé ces témoignages, puisque c'est de ceux mêmes qui ont crucifié Jésus Christ que nous tenons les livres qui parlent de sa Puissance. Mais, qu'ils soient présents on non, remplissons notre devoir et commençons l'explication de ce psaume. Il a pour objet Jésus Christ, et c'est pour cela que le titre porte : "Pour le bien-aimé" et "pour ceux qui seront changés." Jésus Christ, en effet, est pour nous l'Auteur d'un bien grand changement et d'un état tout nouveau qui a succédé au premier. C'est à ce changement que saint Paul fait allusion lorsqu'il dit : "Si donc quelqu'un est en Jésus Christ une nouvelle créature." (2Cor 5,17). Voilà pourquoi le Roi-prophète ne commence pas ainsi : "Mon coeur a dit". Les paroles qu'il allait faire entendre n'avaient rien d'humain, elles étaient toutes spirituelles et toutes célestes, et le fruit non de ses recherches personnelles, mais de l'Action et de l'Inspiration divines, c'est pour cela qu'il se sert du mot d'éructation ou de renvoi. En effet, l'éructation n'est pas chez nous volontaire, tandis qu'il dépend de nous de parler et de nous taire quand nous voulons. Le Roi-prophète veut donc nous montrer que ses paroles ne sont pas le fruit d'un effort humain, mais qu'elles viennent de l'Inspiration divine qui les lui suggère, et c'est pour cela qu'il assimile sa prophétie à l'éructation ou au renvoi. L'odeur exhalée par la bouche participe à la nature des aliments dont on se nourrit, il en est ainsi pour la doctrine spirituelle. Le prophète exhalait ce dont il se nourrissait. Nous voyons un autre prophète exprimer cette opération par une comparaison sensible, lorsqu'il mange avec plaisir le livre qui lui est présenté : "Il fut à ma bouche, dit-il, doux comme le miel." (Ez 3, 3). Ils avaient reçu une grâce toute spirituelle, et ils exhalaient une grâce de même nature. Voulez-vous une preuve qu'il n'est ici question ni d'une action extérieure, ni d'aliments sensibles ? Écoutez quelle parole est proférée, et quel est celui qui la profère; ce n'est point l'estomac qui reçoit les aliments, mais le coeur. "Mon coeur, dit-il, a eu comme un renvoi." Et quelle odeur a-t-il exhalée ? L'odeur, non pas de la nourriture, non pas de la boisson, mais des choses dont il s'est nourri à cette table spirituelle. "Une bonne parole"; c'est-à-dire qui a pour objet le Fils unique de Dieu, car il est bon essentiellement et par-dessus tout. "Je suis venu, dit-il, non pour juger le monde, mais pour le sauver." (Jn 12,47). Tout respire la douceur, tout éloigne l'idée même de châtiment. Or, si le Roi-prophète prononce de semblables paroles, c'est qu'il a pris soin de purifier son coeur. Lorsque l'estomac est plein d'humeurs impures, il renvoie des gaz fétides; si au contraire il est dans son état normal, il renvoie une odeur qui annonce également la santé. C'est ainsi que le coeur du prophète, après s'être purifié de ses péchés, a reçu la Grâce de l'Esprit saint, et nous rend une excellente parole. Nous apprenons encore ici que les prophètes sont tout différents des devins. Lorsque le démon s'empare de l'âme de ces derniers, il leur ôte l'usage de la raison, obscurcit leur intelligence, et les oracles qu'ils font entendre sortent de leur bouche sans qu'ils les comprennent, semblables aux sons qui sortent d'un instrument. C'est ce qu'un de leurs philosophes exprime en ces termes : "De même que les devins et ceux qui rendent des oracles parlent sans comprendre ce qu'ils disent." Telle n'est point l'action de l'Esprit saint, il laisse à l'âme la faculté de comprendre ce qu'Il lui inspire. Si elle ne le comprenait pas, comment le Roi-prophète pourrait-il dire : "Mon coeur a proféré une excellente parole " ? Le démon, qui est notre ennemi déclaré, fait la guerre à notre nature, mais l'Esprit saint, qui ne veut que notre bien, qui nous comble de ses grâces, donne à ceux qui le reçoivent l'intelligence des dons qu'il leur accorde, et des vérités qu'il leur révèle.

"C'est au roi que j'adresse et que je consacre mes oeuvres." Une autre version porte : " Mes actions." Quelles sont ces oeuvres ? Sa prophétie. L'oeuvre de l'artisan qui travaille le fer est de faire une hache; l'oeuvre de l'architecte est de bâtir une maison; l'oeuvre du constructeur de navires est d'ajuster les différentes parties qui les composent; ainsi l'oeuvre du prophète est de méditer l'objet de sa prophétie. Voulez-vous une preuve que c'est là une oeuvre véritable, écoutez Jésus Christ disant de ses apôtres : "L'ouvrier est digne de sa récompense"; (Lc 10,7) et saint Paul : "Surtout ceux qui travaillent à la prédication de la parole et à l'instruction." (1Tm 5,17) L'oeuvre est ici la conséquence naturelle du travail. Et quelle oeuvre plus honorable ? En est-il de plus utile ? Cette oeuvre est d'un ordre plus élevé que toutes les industries. Quelle est donc cette oeuvre que le Roi-prophète dit au Roi ? C'est cette hymne, cette prophétie. Il ne spécifie pas quel est ce roi, pour nous apprendre qu'il s'adresse au Dieu de l'univers. Lorsque nous voulons parler du roi des Perses, nous ne disons pas simplement : le roi, mais nous ajoutons des Perses, ou des Arméniens, s'il en est question. Mais quand nous parlons de notre roi, toute autre addition est inutile, il nous suffit de dire le roi; de même il suffit au prophète qui parle ici de Celui qui est Roi en vérité, de dire simplement : "au Roi." Ainsi encore lorsque nous parlons du Tout-Puissant, il n'est besoin de rien ajouter, parce qu'il n'y a point un second Tout-Puissant; de même lorsque nous disons le Roi, nous n'ajoutons rien autre chose, puisqu'il n' a point d'autre Dieu qui soit Roi. D'ailleurs celui qui s'exprimait de la sorte était roi lui-même; nouvelle preuve qu'il ne voulait point parler d'un homme, mais du Dieu de l'univers. Aussi il ne dit point : au roi, Basileî sans l'article, mais : au roi, tw Basileî pour signifier par l'addition de l'article le souverain empire de Dieu.

2. Le Roi-prophète nous déclare ensuite que ce qu'il va dire n'est le fruit ni de ses pensées, ni de ses méditations, ni de son travail personnel, mais l'oeuvre exclusive de la Grâce divine, et qu'il ne fait que prêter sa langue à la parole inspirée. "Ma langue, dit-il, est comme la plume de l'écrivain rapide." Que signifie cette expression : "rapide" ? L'action de la Grâce de l'Esprit saint. Celui qui parle d'après ses propres inspirations est obligé de procéder avec lenteur; il médite, il compose; l'inexpérience, le défaut de science, mille autres causes entravent la rapidité du discours. Mais lorsque l'Esprit saint s'empare d'une âme, il n'y a plus de difficultés; semblable à une eau qui se précipite avec véhémence et impétuosité, la grâce de l'Esprit saint s'avance avec une rapidité inouïe, aplanissant tout sur son passage et renversant tous les obstacles. Le Roi-prophète élève encore plus haut ses pensées, et montre que ce n'est point un langage humain qu'il va faire entendre. "Tu surpasses en beauté les enfants des hommes." (Ibid. 3) Quelques-uns prétendent que ces paroles se rapportent à la langue qui, au dire du prophète, est une plume d'une forme magnifique; mais mon opinion est que le prophète parle exclusivement de Jésus Christ dans tout le reste du psaume. Aussi, un autre interprète a-t-il traduit de la sorte : "Les enfants des hommes T'ont orné d'une éclatante beauté." Le vif désir et l'ardent amour du Roi-prophète pour Jésus Christ, lui fait adresser directement la parole au Sauveur comme Jacob qui disait autrefois : "Tu t'es élancé de ton germe, ô mon fils; dans ton repos tu as dormi comme un lion." (Gn 49, 9). Sous le feu de l'inspiration divine, il s'entretient avec le Fils de Dieu, et lui adresse directement la parole. Il évite de faire ici aucune comparaison, et ne dit pas : Tu es plus beau, mais : "Tu l'emportes en beauté sur tous les enfants des hommes." C'est une beauté d'un genre tout différent. Remarquez que le prophète parle tout d'abord de l'incarnation du Fils de Dieu, comme le prouvent les paroles suivantes. Car après avoir dit : "Tu l'emportes en beauté sur les enfants des hommes", il ajoute : "La grâce est répandue sur tes Lèvres." Or, Dieu n'a point de lèvres, et il s'agit par conséquent de son union avec la nature humaine. Un autre interprète l'indique plus clairement en traduisant : "La grâce s'est répandue de tes Lèvres." Que signifient ces paroles : "S'est répandue de tes Lèvres ?" Cette grâce qui était à l'intérieur a jailli comme d'une source. Comment donc un autre prophète a-t-il pu dire : "Nous L'avons vu, Il n'avait ni éclat, ni beauté; son Aspect était méprisable, et Il était le dernier de tous les hommes ?" (Is 53, 2-3). Isaïe ne veut point parler ici de sa laideur, à Dieu ne plaise, mais des opprobres dont Il était couvert. Dès que le Fils de Dieu eut résolu de se faire homme, Il Se soumit à tous les mépris, à toutes les humiliations; ce n'est point une reine qu'Il choisit pour sa mère, Il n'est point déposé en naissant sur un lit rehaussé d'or, mais dans une crèche. (Lc 2,7). Il n'est point élevé dans un palais magnifique, mais dans l'humble atelier d'un simple artisan. Lorsqu'Il choisit ses disciples, Il ne les prend point parmi les orateurs, les philosophes, les rois de la terre, mais parmi les pécheurs et les publicains. (Mt 4,18; 9,9). Il reste toujours fidèle à ce genre de vie modeste et pauvre. Il n'a point de demeure; (Lc 9, 58) Il ne porte pas de riches vêtements, sa table n'est point somptueuse, Il vit des aumônes qui Lui sont faites, Il est en butte à tous les mépris, à tous les outrages, Il est chassé et persécuté par ses ennemis. Il se réduit à ces excès d'humiliation pour abattre le faste et l'orgueil des hommes. C'est donc parce qu'Il n'était environné d'aucun éclat extérieur, qu'Il n'avait ni suite ni gardes, et qu'Il marchait ordinairement seul comme un homme du vulgaire que le prophète dit : "Nous L'avons vu, Il n'avait ni éclat, ni beauté." (Is 53,2). Tandis qu'ici David en Le proclamant "le plus beau des enfants des hommes," a en vue la Grâce, la Sagesse, la Doctrine, les Miracles du Sauveur. Il fait ensuite la description de cette beauté : "La grâce a été répandue sur tes Lèvres." Vous voyez qu'il parle de la nature humaine dont Il S'est revêtu. Or, quelle est cette grâce ? La grâce de sa Doctrine et de ses Miracles, grâce qui est descendue sur la nature humaine du Sauveur. "Celui sur qui vous verrez l'Esprit descendre comme une colombe et Se reposer, fut-il dit à saint Jean, c'est Celui-là qui baptise dans le saint Esprit." (Jn 1,33). Toute l'abondance des grâces, en effet, a été répandue sur ce temple, car Dieu ne donne point l'Esprit avec mesure. "Nous avons tous reçu de sa Plénitude"; (Jn 1,16); mais ce temple a été inondé de la plénitude même de la grâce. C'est ce qu'Isaïe voulait exprimer lorsqu'il disait : "L'Esprit du Seigneur reposera sur Lui, l'Esprit de sagesse et d'intelligence, l'Esprit de conseil et de force, l'Esprit de science et de piété. Et Il sera rempli de l'Esprit de la crainte du Seigneur." (Is 11,2-3). Nous voyons ici la plénitude même de la grâce, tandis que les hommes n'ont reçu qu'une petite partie, qu'une goutte de cet océan de grâces. Aussi le prophète ne dit pas : "Je donne mon Esprit", mais : "Je répandrai de mon Esprit sur toute chair." (Jn 2, 28).

3. Cette prophétie s'est accomplie. Toute la terre est entrée en participation de cet Esprit. Il a commencé à se communiquer à la Palestine, puis Il S'est répandu sur l'Égypte, la Phénicie, la Syrie, la Cilicie, les contrées arrosées par l'Euphrate, la Mésopotamie, la Cappadoce, la Galatie, la Scythie, la Thrace, la Grèce, la Gaule, l'Italie, toute la Lybie, l'Europe, l'Asie et jusque sur l'océan lui-même. Qu'est-il besoin d'en dire davantage ? Cette Grâce de l'Esprit saint s'est étendue à toutes les régions qu'éclaire le soleil, et cette petite parcelle, cette goutte de l'Esprit saint a rempli l'univers entier de la science de Dieu. C'est par la vertu de cette grâce que les miracles étaient opérés et que tous les péchés étaient remis. Et cependant, cette grâce qui se répandit sur un si grand nombre de contrées, n'est qu'une faible partie et comme un gage de ce don divin. "Il a donné dans nos coeurs, dit l'Apôtre, l'arrhe, le gage de l'Esprit saint." (2Cor 1,22). C'est-à-dire une partie des effets qu'il produit en nous; car l'Esprit saint Lui-même ne souffre point de division. Considérez cependant l'abondance de cette source : "L'un reçoit du saint Esprit le don de parler avec sagesse; l'autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science; un autre reçoit le don de la foi; un autre reçoit du même Esprit le don de guérir les maladies; un autre le don des miracles; un autre le don de prophétie; un autre le discernement des esprits; un autre le don de parler diverses langues." (1 Cor 12,8-10). La grâce du baptême, qui a versé tous ces dons sur des peuples si nombreux, s'est répandue sur l'univers tout entier. Voilà ce qu'a produit une seule goutte de cet Esprit divin. Car ce n'était vraiment qu'une goutte, comme Dieu le déclare par son prophète : "Je répandrai de mon Esprit" (Jl 2,28); et au témoignage de saint Paul qui l'appelle une arrhe, un gage; preuve évidente que ce n'est qu'une partie du don tout entier. Saint Jean exprimait la même vérité lorsqu'il disait : "Et nous avons tous reçu de sa plénitude." (Jn 1,16). C'est-à-dire nous en avons tous reçu, parce qu'elle était pour ainsi dire à son comble, parce qu'elle débordait et se répandait par son abondance même.

Considérez donc la plénitude et l'abondance de cette Grâce de l'Esprit saint, qui suffit dans tous les temps à tous les besoins du monde entier, sans être limitée dans ses effets, sans jamais être tarie. Elle remplit tous les hommes de richesses et de grâce, et sa fécondité demeure inépuisable. Mais comme le nom d'esprit s'applique à différents êtres, à l'ange par exemple, à l'âme, au vent même et à beaucoup d'autres objets; le prophète ajoute : "De mon Esprit." Car la liaison étroite qui unit l'esprit de l'homme à l'homme lui-même existe aussi entre Dieu et son Esprit, tout en laissant subsister la distinction des personnes. C'est ce que saint Paul voulait exprimer lorsqu'il disait : "Qui d'entre les hommes connaît ce qui est dans l'homme, sinon l'esprit de l'homme qui est en lui ?" De même, personne ne connaît ce qui est en Dieu, si ce n'est l'Esprit de Dieu. (1Cor 2,11). Saint Paul ne confondait point ici les hypostases ou les personnes, mais il voulait relever la Dignité de l'Esprit saint. L'union qui existe entre le Père et l'Esprit saint est donc aussi étroite que l'union de l'âme humaine avec elle-même. De même que nous donnons au Fils de Dieu le nom de Verbe, pour faire connaître l'union intime du Fils avec le Père, mais sans que le Fils perde pour cela sa Personnalité, ainsi l'Esprit saint s'appelle l'Esprit de Dieu, tout en restant une Personne distincte. C'est parce que le Verbe est le Fils propre du Père, qu'Il nous communique la Grâce de l'adoption divine; et c'est aussi parce que l'Esprit saint possède la même nature que Dieu qu'Il répand sur nous ses Dons. C'est ainsi que l'homme, par cela même qu'il est homme, peut reproduire l'image de l'homme. "C'est pour cela que Dieu T'a béni éternellement." Un autre interprète traduit : "À cause de cela." Vous voyez avec quelle ardeur de sentiments le prophète s'adresse au Fils de Dieu. C'est par le même motif que dans un autre psaume, il ne se contente pas de prédire l'avenir, mais qu'il prend le ton du reproche et de l'accusation. "Pourquoi les nations ont-elles frémi, pourquoi les peuples ont-ils médité de vains complots ?" (Ps 2,1). Et il dit de même ici : "C'est pourquoi Dieu T'a béni éternellement." Il ne parle ni de sa Naissance, ni de son Éducation, ni des autres circonstances de sa vie, Il se contente d'en faire une simple mention. Pour quelle raison ? C'est le devoir des évangélistes de faire une narration suivie des événements; le prophète leur laisse donc cette tâche qui leur appartient, tandis que la prophétie choisit seulement quelques événements auxquels elle s'attache de préférence. C'est ce que font continuellement les prophètes, ils s'emparent seulement de quelques faits historiques qu'ils enveloppent encore d'une certaine obscurité. Voilà pourquoi le Roi-prophète dit ici : "Dieu T'a béni éternellement", pour faire connaître que ses paroles étaient pleines d'une Grâce infinie. Considérez ici la puissance de cette Grâce. Jésus Se promène sur les bords de la mer, Il trouve Jacques et Jean et leur dit : "Suivez-moi, et Je vous ferai pêcheurs d'hommes". Et ceux-ci, quittant leurs filets et leur père, Le suivirent" (Mt 4,21-22). Et lorsque dans un autre endroit Il posait cette question à tous ses apôtres : "Et vous aussi voulez-vous vous en aller ?", Pierre Lui répondit : "Seigneur, Tu as les paroles de la vie éternelle. Et nous avons cru et nous avons connu que Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant." (Jn 6, 68-70). Mais pourquoi parler de ses disciples ? Les pharisiens eux-mêmes, lorsqu'ils Lui envoyèrent leurs suppôts, entendirent ces derniers leur déclarer que jamais homme n'avait parlé comme cet Homme. (Jn 7, 46). Ailleurs la multitude s'écriait : "Jamais rien de semblable n'a paru dans Israël." (Mt 9,33). "Et ils étaient dans l'admiration de sa Doctrine, parce qu'Il les instruisait comme ayant autorité, et non comme les scribes et les pharisiens." (Mt 7,28-29).

4. Voulez-vous avoir une juste idée de la Grâce de Jésus Christ et comprendre toute l'étendue de sa Puissance ? Considérez l'importance et la difficulté des commandements qu'Il nous impose : "Celui qui ne renonce pas à tout ce qu'Il possède, et qui ne hait pas son âme, n'est pas digne de Moi." (Lc 14,33; Jn 12,25; Mt 10,37-38). Cette seule parole eut assez de puissance pour déterminer les plus grands sacrifices, tant l'opération de la grâce était forte. Qu'avons-nous de plus intime que notre âme ? Et cependant nous la méprisons pour obéir aux commandements du Sauveur. Ces paroles : "Dieu T'a béni", ne doivent point du reste vous scandaliser ni amoindrir l'idée que vous devez avoir du Fils de Dieu. Comme je l'ai déjà dit, le Roi-prophète parle ici de sa Nature humaine, qui a des Lèvres et qui a reçu la grâce et la bénédiction; car comme Dieu, Il n'a besoin ni de bénédiction ni de grâce, rien ne manque à la Divinité. "Comme le Père, nous dit-il, ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à ceux à qui Il veut." (Jn 5,21). Et encore : "Les oeuvres que fait le Père, le Fils les fait également comme Lui." (Ibid. 5,19). Et dans un autre endroit : "Comme le Père Me connaît, ainsi Je connais le Père." (Jn 10,17). Ces expressions : ainsi, également, comme, signifient que le Fils est en tout semblable au Père. Mais ici il est question de la nature humaine dont Il S'était revêtu. Nous L'entendons encore dire dans une autre circonstance : "C'est pour cela que le Père M'aime, parce que Je donne ma vie." (Jn 10,17). Est-ce donc que le Père avait attendu jusque-là pour L'aimer ? Comment donc aurait-Il pu dire : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé." (Mt, 3,17). En S'exprimant de la sorte, le Sauveur a donc voulu nous faire comprendre la grandeur et l'excellence de l'acte qu'Il allait consommer. Dans ces dernières paroles, nous voyons une des causes de l'Amour de Dieu, et dans le psaume qui nous occupe, la cause est aussi clairement indiquée. Aussi le Roi-prophète a commencé par dire : "Tu l'emportes en beauté sur les enfants des hommes, la grâce a été répandue sur tes Lèvres", avant d'ajouter : "C'est pour cela que le Seigneur T'a béni éternellement", et il applique ces paroles à l'Humanité du Sauveur, afin que ce qu'il pourra dire de moins digne en apparence de sa Gloire ne vous cause aucune surprise, parce que vous saurez à qui ses paroles se rapportent. Jacob avait aussi en vue l'Incarnation du Fils de Dieu lorsqu'il disait : "Ses yeux sont plus beaux que le vin, et ses dents plus blanches que le lait." (Gn 49,12). Or, la Nature divine n'a point de dents. Un autre prophète dit encore : "Il frappera la terre de sa Parole et l'anéantira par le souffle de sa Bouche." (Is 11, 4). Langage semblable à celui de saint Paul : "Le Seigneur le tuera par le souffle de sa Bouche et le détruira par l'éclat de sa Présence." (2Th 2,8).

Le Roi-prophète vous montre donc la puissance de la Divinité, pour prévenir l'impression défavorable que ces paroles pourraient produire. Il ne sépare point la Chair de la Divinité, ni la Divinité de la Chair; il ne confond point les substances, à Dieu ne plaise, mais il établit leur union : "Le Seigneur, dit-il, T'a béni éternellement." Quelle est la nature de cette bénédiction ? Il est entouré des anges, des archanges, des trônes, des dominations, des principautés, des puissances qui célèbrent ses louanges; et toute la terre depuis une extrémité jusqu'à l'autre proclame et chante la Gloire du Dieu incarné. Le premier Adam a été frappé d'une grande malédiction, le second est l'objet d'une bénédiction sans égale. Le premier Adam entendit Dieu lui dire : "Tu seras maudit dans tes oeuvres." (Gn 3,17) Et il fut dit à un autre après lui : "Maudit est celui qui fait l'oeuvre de Dieu négligemment." (Jr 48,10). Et encore : "Maudit celui qui ne demeure pas dans tous les préceptes qui sont écrits dans ce livre" (Dt 27,96). Et enfin : "Maudit est celui qui est suspendu au bois." (Dt 21,23). Voyez que de malédictions réunies ! Or, Jésus Christ vous a délivrés de toutes ces malédictions, en Se rendant Lui-même malédiction. (Ga 3,13). De même qu'Il S'est humilié pour vous élever, de même qu'Il est mort pour vous rendre immortel, ainsi Il S'est fait malédiction pour nous combler de bénédictions. Que peut-on comparer à cette bénédiction achetée au prix de la malédiction dont Il est l'objet. Il n'avait pas besoin pour Lui de bénédiction, et c'est à vous qu'Il la donne.

Lorsque je dis que le Fils de Dieu S'est humilié, ces paroles n'impliquent aucun changement dans sa Nature, mais expriment simplement les humiliations de la nature qu'Il S'est unie. De même lorsque je dis qu'Il a été béni, je ne prétends point pour cela qu'Il avait besoin de bénédiction, mais je donne une nouvelle preuve des abaissements de son Incarnation. C'est donc sur la Nature humaine que s'est répandue cette bénédiction, car Jésus Christ, une fois ressuscité des morts, ne meurt plus. (Rm 6,17). Il n'est plus soumis à la malédiction; disons mieux, Il n'y a jamais été soumis, mais Il S'est rendu volontairement malédiction pour nous en délivrer. "Ceins ton épée à ton Côté, Toi qui es tout-puissant." (Ibid. 4). Un autre interprète traduit : "Place ton Épée sur ta Cuisse." Un autre : "Applique ton Glaive sur ta Cuisse. Revêts-Toi de ta Gloire et de ta Majesté." (Ibid. 5). Suivant une autre version : "De ta Gloire et de ton Autorité." Suivant une autre : "De ta Gloire et de ta Magnificence." Quel est ce changement et que signifie ce langage si différent de celui qui précède ? Il vient de nous représenter le Fils de Dieu comme docteur dans ces paroles : "La grâce a été répandue sur tes Lèvres," et il Le dépeint tout à coup comme un Roi couvert de ses armes. Et ce n'est plus ici une prophétie, mais une prière, car il ne dit pas : Il sera ceint de son épée, il emploie la forme de la prière : "Ceins-Toi de ton épée." Ajoutez qu'ici la Beauté Se trouve jointe à la Force, et qu'il nous représente tout à la fois le Fils de Dieu comme un Guerrier revêtu de ses armes, et comme un Homme tout éclatant de beauté. "Revêts-Toi, dit-il, de ta Beauté et de ta Majesté." Il est également habile à tirer de l'arc : "Tes Flèches sont aiguës, ô Toi qui es tout-puissant." (Ibid. 6). Nous Le voyons ensuite comme un vainqueur triomphant : "Les peuples tomberont à tes Pieds, tes Flèches perceront le coeur des ennemis du Roi." Enfin le Roi-prophète nous représente ce Guerrier tout armé, ce Roi, cet Archer, ce Vainqueur couvert de parfums : "Tes vêtements exhalent l'odeur de la myrrhe, de l'aloès et de la casse."

5. Mais qu'y a-t-il de commun entre les armes et les parfums ? Entre l'action de se parfumer et le maniement de l'épée, entre la doctrine et la guerre, entre un arc et la beauté ? Je vois d'un côté les symboles de la paix, de l'autre, les signes de la guerre et les préparatifs du combat. Quel est donc celui qui est tout ensemble ami de la paix, et exercé dans l'art de la guerre ? Quel est celui qui exhale l'odeur des parfums et qui est revêtu de ses armes, qui sort de ses palais d'ivoire, et qui met en fuite d'innombrables ennemis et en fait un immense carnage ? Comment résoudre cette difficulté ? En nous rappelant que les saintes Écritures tiennent le même langage en parlant du Père. En effet, le Roi-prophète nous Le représente aussi dans un autre endroit revêtu de son armure : "Si vous ne vous convertissez, Il fera briller son épée; son arc est tendu, Il l'a préparé, Il a rempli son carquois d'instruments de mort." (Ps 7,13). Et un autre auteur inspiré nous dit : "Il prendra la justice pour cuirasse." (Sg 5,19). Vous voyez aussi qu'ils ont tous deux la même autorité. D'un côté, le Roi-prophète dit du Père : "Il fera briller son épée sans en recevoir l'ordre de personne, et de sa propre autorité"; de l'autre, Il dit également du Fils : "Les Flèches du Tout-Puissant sont aiguës, les peuples tomberont à tes Pieds, et elles pénétreront jusqu'au coeur des ennemis du roi." Comme preuve qu'Il agit en tout de Lui-même, le prophète ajoute : "Et ta Droite vous fera faire des progrès merveilleux". C'est-à-dire, la vertu de ton Action ne vient pas d'une impulsion étrangère, elle est tout entière en Toi-même. Entendez encore le Dieu de paix dire à ses disciples : "Je ne suis pas venu apporter la paix sur la terre mais le glaive." (Mt 5,34). Et encore : "Je suis venu apporter le fer sur la terre, et que désirai-Je, sinon de le voir allumé ?" (Lc 12,49). Le Roi-prophète de son côté, prédit en ces termes sa Venue sur la terre : "Il descendra comme la pluie sur une toison et comme l'eau qui tombe goutte à goutte sur la terre." (Ps 71,6). Je vous fais ces citations pour réveiller votre attention, pour vous faire comprendre le véritable sens des expressions de la sainte Écriture et vous faciliter ainsi la solution de toute difficulté. En effet, les expressions figurées signifient les différentes Opérations du Sauveur. Lors donc que le Roi-prophète Lui dit : "Ceins ton épée à ton Côté, ô Toi qui es le Tout-Puissant", ces expressions figurées sont le symbole de son Opération, de même que l'arc et les flèches. En effet, lorsque l'Écriture représente Dieu comme entrant en colère, elle ne l'entend point d'une passion qui troublerait son Âme, elle veut simplement faire comprendre aux intelligences moins exercées la juste vengeance que Dieu tire du crime. Or, c'est la même vérité que le Roi-prophète veut exprimer, lorsqu'il décrit l'armure dont Dieu est revêtu. Comme nos châtiments ne nous viennent pas de nous-mêmes, mais d'instruments qui nous sont étrangers, le Prophète, pour nous convaincre que Dieu a le pouvoir de nous punir, se sert d'expressions qui nous sont connues, non pour nous donner à penser que Dieu Se sert d'armes véritables, mais pour faire ressortir d'une manière plus saisissante la vengeance que Dieu exerce sur les pécheurs.

Cependant, me direz-vous, un grand nombre se sont scandalisés de ces paroles ? C'est bien gratuitement et par suite de leur ignorance; car dès qu'il est question de Dieu, ils devaient comprendre que ces expressions étaient figurées. Du reste, la sainte Écriture n'a point négligé de leur prouver en d'autres endroits l'Impassibilité absolue de Dieu. Écoutez comme elle nous enseigne ailleurs la facilité avec laquelle Dieu punit les coupables : "Que Dieu Se lève et que ses ennemis soient dissipés." (Ps 67, 2). A-t-Il donc besoin d'armes ? A-t-Il besoin d'un glaive ? Non, il Lui suffit de Se lever. Mais cette expression est encore trop matérielle; aussi le Roi-prophète nous dit souvent en parlant de Lui : "Il regarde la terre, et Il la fait trembler." (Ibid. 103, 32). Et encore : "La terre a été ébranlée à la Présence du Seigneur." Ibid. (103,7). Cette manière de parler est encore trop humaine. Écoutez donc un langage plus digne de Dieu : "Il a fait tout ce qu'Il a voulu." (Ibid. 134, 6). C'est qu'en effet, il Lui suffit de vouloir; mais considérez comme tout en employant ces expressions matérielles, le Roi-prophète fait bien voir que Dieu n'a nul besoin de ce qu'elles représentent. Il ne parle de ses Armes qu'après avoir proclamé sa Puissance, et encore, après avoir fait l'énumération de ses Armes, il attribue la victoire tout entière à sa Droite, c'est-à-dire à sa Nature et sa Puissance divines. C'est la même pensée qu'exprimait un autre prophète, lorsqu'il disait : "Le signe de sa Domination est sur son Épaule." (Is 9,6). Non qu'il veuille faire entendre que Dieu a des épaules, à Dieu ne plaise, mais pour vous faire comprendre que Dieu n'a besoin du secours de personne. "Ceins ton Épée à ton Côté, Toi qui es le Tout-Puissant; sers-Toi de ta Beauté et de ta Majesté." Que veut dire ici le Roi-prophète ? À l'aide de ces expressions figurées, il nous fait comprendre l'étendue de l'Action divine du Sauveur qui a soumis le monde entier à son Empire, a terminé heureusement la guerre qu'Il avait entreprise et consommé son triomphe sur ses ennemis. Il avait à soutenir une guerre terrible, une guerre des plus cruelles où Il devait combattre non contre des peuples barbares, mais contre les démons qui avaient tendu partout leurs pièges et qui étaient une cause de ruine pour la terre tout entière. C'est cette victoire que proclamait Isaïe lorsqu'il disait : "Il distribuera Lui-même les dépouilles des forts." (Is 53,12). Et dans un autre endroit : "L'Esprit de Dieu repose sur Moi; car le Seigneur M'a rempli de son Onction, Il M'a envoyé pour annoncer sa Parole aux pauvres, pour prêcher la Grâce aux captifs." (Is 61,1). Voilà pourquoi saint Paul commence toutes ses épîtres par ce souhait : "Que la Grâce et la Paix de Dieu notre Père soient avec vous", et qu'il dit dans son épître aux Éphésiens : "C'est Lui qui est notre paix, c'est Lui qui des deux peuples n'en a fait qu'un." (Ep 2,14). Voulez-vous une nouvelle preuve que ces paroles : "Ceins-Toi de ton Épée" ne doivent pas être prises dans un sens littéral et matériel ? Écoutez la suite : "Sers-Toi de ta Beauté et de ta Majesté"; c'est-à-dire que son Épée, c'est son Éclat, sa Beauté, sa Gloire, son Autorité, sa Majesté, sa Grandeur. Car cette Nature divine n'a besoin d'aucun secours étranger pour l'accomplissement de ses Desseins, son Indépendance est absolue. Le Roi-prophète s'adresse donc à Lui pour Le prier d'entreprendre la guerre dans l'intérêt du monde entier. Il descend ensuite de ces hauteurs et emploie de nouveau un langage sensible et matériel. "Tends ton Arc, Lui dit-il, avance, sois heureux et règne". L'expression : "Tends" indique clairement l'arc et les flèches; puis il démontre une fois de plus que Dieu n'a nul besoin de ces armes, en ajoutant : "Avance, sois heureux et règne." Un autre interprète traduit : "Marche de succès en succès." Le règne dont il veut ici parler est le règne d'union et de vérité que le Sauveur a fondé sur la terre dans les derniers temps.

6. Ces paroles sont l'expression du vif désir du Prophète qui voit par avance tout ce que le Fils de Dieu devait accomplir, et la terre tout entière amenée par Lui à la connaissance de la vérité, c'est ce qui explique son langage figuré, et la parole de commandement qu'il semble lui adresser. Ce langage est en effet celui des inférieurs, lorsqu'ils sont enflammés d'un zèle ardent pour les intérêts de ceux qui sont élevés au-dessus d'eux. "Établis ton règne par la vérité, par la douceur et par la justice." Il ajoute ici la vérité aux deux autres vertus. Vous voyez comme la sainte Écriture s'explique par elle-même et nous montre qu'il s'agit d'une victoire toute intérieure et toute spirituelle. Mais, comment après avoir décrit cet appareil de guerre, ces armes, ce glaive, cet arc, le Roi-prophète parle-t-il de douceur ? Quel rapport existe entre la guerre et la douceur, entre la modération et les combats ? Un très grand, si nous voulons y réfléchir. En effet, David et Moïse étaient remplis de douceur, l'Écriture leur rend ce témoignage, elle dit de l'un : "Souviens-Toi, Seigneur, de David et de toute sa Douceur" (Ps 131,1); et de l'autre : "Moïse était le plus doux entre tous les hommes qui étaient sur la terre." (Nb 12,3). Et cependant ces hommes si doux ont exercé les plus terribles vengeances. Permettez-moi de vous parler d'abord de leur douceur. David s'était souvent emparé de la personne de Saül, et il était le maître de lui ôter la vie; jamais cependant il ne porta la main sur lui, et malgré les instances qui lui étaient faites, il l'épargna toujours, et sut dominer son juste ressentiment. (1R 24,11; 26,7 et ss). Lorsque plus tard Semeï le chargeait d'outrages et insultait à son malheur, ses généraux voulaient marcher sur lui et mettre à mort cet homme qui se rendait coupable de tels excès; quelles paroles pleines de sagesse sortent alors de la bouche de David ! Avec quel soin encore, recommande-t-il à ses généraux ce fils parricide et incestueux en leur disant : "Épargnez mon fils Absalom !" (R 17,5). Et quand, dans ses premières années, il s'entretient avec ses frères à qui ses futures victoires inspiraient des sentiments de jalousie, avec quelle douceur il leur répond : "N'est-il pas permis de parler ?" (1R 17, 29)

Quelle fut d'un autre côté la conduite de Moïse ? Écoutez la prière qu'il adresse à Dieu pour ceux qui avaient voulu le lapider, (Ex 17,4), et tout fait pour lui ôter la vie : "Si Tu juges à propos de leur pardonner cette faute, je Te conjure de faire grâce, sinon, efface-moi de ton livre que Tu as écrit." (Ex 32,31-32). Dans une autre circonstance, on cherche à lui inspirer des sentiments d'envie et de colère, et il fait cette réponse si pleine de sagesse : "Plût à Dieu que tout le peuple prophétisât." (Nb 19,29). Et quelles prières, quelles supplications pour sa soeur, qui elle aussi n'avait pas craint de l'insulter ? (Nb 12,13). Nous pourrions donner mille autres preuves de sa douceur; ainsi lorsqu'il fut rejeté de la terre promise et condamné à ne point entrer dans la Palestine, les paroles qu'il adresse aux Hébreux respirent la plus grande douceur. Et cependant, cet homme si doux, regarda comme un acte de justice que Dathan, Abiron et Coré qui avaient usurpé les fonctions sacerdotales, fussent engloutis sous la terre, et que ceux qui avaient offert un feu étranger fussent consumés par le feu du ciel. (Nb 16,15 et ss). David lui-même, malgré sa grande douceur, terrassa Goliath, mit en fuite l'armée des Philistins et remporta sur eux une éclatante victoire. C'est qu'en effet, le caractère de la douceur est de pardonner ses propres injures, et de prendre la défense de ceux qui sont victimes de l'injustice. C'est l'exemple que nous donne notre Seigneur Jésus Christ Lui-même. Lorsqu'Il fut attaché sur la croix, Il disait : "Mon Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font." (Lc 23, 34). Et nous Le voyons encore répandre des larmes sur Jérusalem en lui disant : "Combien de fois ai-Je voulu rassembler tes enfants et tu n'as pas voulu" (Mt 23,37-38). Lorsqu'on Lui donne un soufflet, Il ne cherche pas à le rendre, Il Se justifie simplement devant celui qui Lui a fait cet outrage. (Jn 28, 22, 23). On L'appelle possédé du démon, Il répond en chassant les démons. On Le traite de séducteur, d'ennemi de Dieu, Il Se venge en conduisant dans son royaume ceux qui L'injurient. (Mt 9,32 et ss.; Jn 7,12). Il recommande à ses disciples de souffrir en toute circonstance les mauvais traitements, les outrages, la persécution, et de choisir toujours la dernière place : "Que celui qui veut être le premier parmi vous, leur dit-il, soit votre serviteur." (Mt 20,26). Et en cela, Il Se propose Lui-même pour exemple : "Comme le Fils de l'homme qui n'est point venu pour être servi, mais pour servir et donner sa Vie pour la rédemption de plusieurs." (Mt 20, 28). S'Il chasse les démons, s'Il déclare la guerre à Satan et dissipe toutes les erreurs, c'est encore par un effet de sa grande Douceur qu'Il détruit le vice, brise les chaînes de ceux qu'il tenait captifs sous ses lois, déjoue les embûches des démons, et délivre ceux qui étaient victimes de leurs mauvais traitements.

Or, que signifient ces paroles : "Règne par ta Vérité, ta Douceur, ta Justice ?" Le Roi-prophète nous a parlé de guerre, il nous en a décrit les préparatifs; il nous a fait voir le Soldat tout armé, il raconte maintenant les exploits de son Règne, le genre et la nature de ses Victoires. Les autres rois de la terre, sans exception, font la guerre pour conquérir des villes, des richesses, ou pour venger des inimitiés personnelles, ou par un motif de vaine gloire. Mais ce n'est point pour de tels motifs que le Fils de Dieu fait la guerre; c'est pour la vérité et pour l'établir sur la terre; c'est pour la douceur, pour l'inspirer à ceux qui surpassent en cruauté les bêtes féroces elles-mêmes; c'est pour la justice, c'est-à-dire pour rendre justes d'abord par sa Grâce et ensuite par la pratique des bonnes oeuvres, ceux qui gémissent sous le joug tyrannique de l'iniquité. "Et ta Droite Te conduira d'une manière merveilleuse." Un autre interprète traduit : "Et ta Droite T'éclairera au milieu des plus terribles épreuves." Un autre : "Et ta Droite Te découvrira des choses terribles."

7. Vous voyez comme le Roi-prophète fait de nouveau ressortir la Majesté de Celui qui opère ces merveilles. Lorsque précédemment, il a parlé de ses Armes, de son Épée, il s'est élevé aussitôt jusqu'à son immortelle Beauté, et a conduit ainsi son auditeur jusqu'aux contemplations de l'esprit. De même ici, après avoir décrit de nouveau son Armure, à l'aide d'expressions matérielles et figurées, telles qu'un arc et des flèches, il élève encore peu à peu notre pensée, en nous exposant les causes de la guerre, la vérité, la douceur, la justice, aussi bien que le mode de la victoire. Quel est ce mode ? "Et ta Gloire Te conduira admirablement." C'est-à-dire ta Nature seule Te suffit, et vous n'avez besoin que de ta Puissance pour voir les choses que vous devez faire et pour les accomplir. La traduction d'un autre interprète : "Ta Droite est terrible", présente un sens également conforme à la vérité, car rien de plus terrible, rien de plus effrayant que les Exploits du Sauveur : la mort détruite, les portes de l'enfer brisées, le paradis ouvert, le ciel devenu accessible, les démons condamnés au silence, l'union de la terre avec les cieux, un Dieu fait homme, l'Homme assis sur un trône, la foi à la résurrection ouvertement proclamée, des espérances immortelles, la jouissance de biens ineffables, et mille autres faits éclatants dont la Vie du Sauveur est pleine. Voilà pourquoi le Roi-prophète dit : "Ta Droite Te conduira vers des oeuvres terribles," et il montre par là que sa Nature et sa Puissance divines lui suffisent pour concevoir, entreprendre et accomplir ses Desseins. Les Septante traduisent : "Ta Droite Te conduira admirablement," c'est-à-dire qu'il ne faut pas seulement admirer les faits éclatants de la Vie du Sauveur, mais la manière vraiment extraordinaire dont ils ont été accomplis. C'est par la mort en effet que la mort a été détruite, la malédiction a effacé la malédiction et elle est devenue une source de bénédiction; c'est un manger coupable qui nous avait autrefois éloignés de Dieu; c'est un manger salutaire qui nous en rapproche. Une vierge nous avait chassés du paradis, une vierge nous fait retrouver la vie éternelle. Ce qui a été la cause de notre condamnation devient le principe de notre récompense. C'est en se représentant intérieurement ces merveilles que le Roi-prophète s'écrie : "Ta Droite Te conduira d'une manière admirable." Qu'est-il besoin d'armes ? Qu'est-il besoin de glaive, d'arc, de flèches ? Vous voyez comme sa Nature et sa Puissance suffisent largement à ses Entreprises.

Considérez maintenant comme le Roi-prophète, semblable à un artiste habile, quitte ces hauteurs pour descendre à des idées moins élevées. "Tes Flèches sont aiguës, Toi qui es tout-puissant. Les peuples tomberont à tes Pieds, elles pénétreront jusqu'au coeur des ennemis du Roi." (Ibid. 6). Vous voyez comme à l'expression matérielle de flèches, il joint l'idée de la toute-puissance pour vous apprendre que le Fils de Dieu n'a point besoin de flèches, mais qu'Il Se suffit à Lui-même. Voici la suite naturelle de cette proposition : "Tes Flèches sont aiguës, ô Toi qui es puissant, elles perceront le coeur des ennemis du Roi." Ces paroles : "Les peuples tomberont à tes Pieds", forment une parenthèse. Ce passage peut s'entendre de deux manières : ou le prophète prédit ici la captivité des Juifs, la destruction de leur ville et la ruine de leur nation; ou il veut représenter dans le sens anagogique la puissance de la prédication sous l'emblème de ces flèches. En effet, la Parole de Dieu a parcouru la terre tout entière, plus rapide que la flèche qui fend les airs, elle a touché le coeur de ses ennemis, non pour leur donner la mort, mais pour les attirer à elle, ce qui s'est vérifié dans l'apôtre saint Paul. Rien de plus juste en effet que de comparer à une flèche la Parole qui, envoyée du ciel, vint toucher son coeur et d'ennemi qu'il était, le rendit ami de Dieu. "Les peuples tomberont à tes Pieds." Vous voyez l'heureuse issue de la guerre, la soumission des rebelles, et l'enseignement de la doctrine qui leur est donné. Car cette chute qui les fait tomber à ses Pieds devient pour tous le principe et le fondement de leur élévation. Après les avoir affranchis de l'orgueil, de la vaine gloire, des erreurs où les retenaient les démons, Il les soumet à son empire. C'est pour cela qu'un autre prophète Le représente tout couvert de sang : "Qui est celui, s'écrie-t-il, qui vient d'Édom et de Bosor avec des habits teints de sang ?" (Is 63,1). Il n'y a point ici d'armes, ni d'arcs, ni de flèches, mais seulement des vêtements. L'image est encore un peu matérielle, mais moins cependant que les précédentes, et cependant le prophète élève également l'esprit de l'auditeur de cette image sensible à des idées toutes spirituelles. À la question que lui fait le prophète pourquoi ses vêtements sont rouges, le Sauveur répond : "J'ai foulé seul le pressoir." (Is 63,2-3). Ces paroles : "J'ai foulé seul le pressoir", ont une grande analogie avec celles-ci : "Ta Droite vous conduira d'une manière admirable." Rien n'est plus facile au vendangeur que de fouler les grappes de raisin; or Dieu accomplit aussi facilement ses Desseins, que dis-je ? avec une facilité beaucoup plus grande. "Ton Trône, ô Dieu, subsistera éternellement, le sceptre de ton Règne est un sceptre de droiture." (Ibid. 7). "Tu as aimé la justice et haï l'iniquité, c'est pour cela que le Seigneur ton Dieu a versé sur Toi le parfum de l'allégresse avec plus d'abondance que sur ceux qui doivent y participer." (Ibid. 8). Un autre interprète traduit : "Ton Trône subsistera pour l'éternité et au delà." Le texte hébreu porte : "Dieu, ton Dieu," Éloim, Éloach. Que peuvent objecter ici les Juifs ? À qui faut-il appliquer ces paroles ? Que disent de leur côté les hérétiques ? S'ils prétendent que c'est du Père qu'il est dit : "Ton Trône, ô Dieu, subsistera éternellement," comment lui appliquer ce qui suit : "C'est pourquoi le Seigneur ton Dieu a versé sur Toi le parfum de l'allégresse ?" Car le Père n'est point le Christ, et Il n'a pas reçu d'onction. Il est donc évident qu'il s'agit ici du Fils unique de Dieu, dont le Prophète avait déjà parlé précédemment, et dont Isaïe a dit aussi : "Et son règne n'aura point de fin". (Is 9,7).

8. On demandera peut-être pourquoi le Roi-prophète traite maintenant de la Divinité du Sauveur, après avoir commencé par parler de son Incarnation. Il suit en cela la marche adoptée par saint Matthieu. En effet, cet évangéliste commence par la génération charnelle du Sauveur, et voici son début : "Livre de la génération de Jésus Christ." (Mt 1,1). Saint Marc et saint Luc suivent le même ordre, saint Jean seul s'en écarte. Ce n'est qu'après cet exorde sublime sur la Divinité : "Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu" (Jn 1, 1) et de longues considérations sur le Verbe de Dieu, que cet évangéliste ajoute : "Et le Verbe S'est fait Chair et Il a habité parmi nous." Or, cette marche différente qu'il suit dans la composition de son évangile est une preuve de l'harmonie qui règne entre tous les évangélistes. Mais comment soutenir avec quelqu'apparence de raison que l'accord et l'harmonie résultent de l'opposition ? Ignorez-vous donc que cette opposition existe entre ces deux choses, manger et ne pas manger, boire et ne pas boire, donner et ne pas donner ? Cependant le médecin ordonne souvent ces deux choses si opposées, sans se mettre en contradiction, et en restant parfaitement d'accord avec lui-même, car il ne se propose qu'un seul but, la guérison du malade. C'est ce que nous voyons aussi dans les évangélistes. Est-ce que l'été aussi n'est pas opposé à l'hiver ? Et cependant ils ont une même fin, l'abondance et la maturité des fruits. Disons plus, l'univers entier est un composé de contraires, et ces contraires s'harmonisent parfaitement pour l'usage de notre vie. Jésus Christ Lui-même a suivi une voie tout opposée à celle de Jean le Baptiste. Notre Seigneur se nourrissait d'aliments ordinaires, tandis que Jean le Baptiste s'en abstenait : "Jean le Baptiste, dit le Sauveur, est venu ne mangeant pas de pain et ne buvant pas de vin, et ils disent : Il est possédé du démon. Le Fils de l'homme est venu mangeant et buvant, et ils disent : Voici un homme de bonne chère et qui aime le vin." (Lc 7,33-34). Mais malgré cette manière de vivre toute différente, ils n'avaient cependant qu'un seul et même but, le salut de ceux qu'ils attiraient à eux. C'est ainsi que l'ordre adopté par saint Jean dans l'exposé qu'il fait de la Divinité et de la Nature humaine du Sauveur, bien que différent de l'ordre suivi par les autres évangélistes, ne laisse pas de s'accorder parfaitement avec leur récit. Comment cela ? Le voici : dans les commencements, lorsque la prédication de la parole ne s'étendait pas encore bien loin, il était juste d'insister sur l'Incarnation du Fils de Dieu, et de faire de sa Nature humaine l'objet principal de l'enseignement évangélique, en commençant ainsi par ce qui était le plus sensible et le plus facile à comprendre. (1Cor 3,1). Mais lorsque la doctrine se fut répandue, et que la prédication eut retenti partout, le temps était venu d'élever les esprits à des considérations plus sublimes.

Voilà pourquoi les prophètes, quand ils parlent du Fils de Dieu, commencent toujours par le mystère de son Incarnation, et en font comme l'exorde de leurs prophéties. Voyez, par exemple, comme le début du prophète Michée est humble et modeste : "Et toi Bethléem, terre de Juda, tu n'es pas la plus petite entre les villes de Juda, car de toi doit sortir le Chef qui gouvernera le peuple d'Israël." (Mi 5,2). Or ce n'était point la Nature divine qui devait sortir de Bethléem, mais la nature humaine. Aussi le prophète n'en reste pas là, et il s'élève aussitôt jusqu'à la Divinité : "Et sa sortie est du commencement et des jours de l'éternité." (Ibid.) Écoutez maintenant Isaïe : "Voici que la Vierge concevra et enfantera un Fils, et Il sera appelé Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous." (Is 7,14; Mt 1,2-3). Vous voyez comment ce prophète s'élève de la Nature humaine jusqu'à la Nature divine. Dans un autre endroit, il suit cette même marche : "Un petit Enfant nous est né, un Fils nous est donné, et Il sera appelé l'Ange du grand conseil, le Conseiller admirable, le Dieu fort et puissant, le prince de la paix, le père du siècle futur." (Is 9,6). Remarquez-vous comme il part de nouveau de l'enfance du Sauveur, de sa Nature humaine, pour s'élever de là comme par autant de degrés jusqu'à sa Divinité ? C'est ainsi que Dieu le Père S'est révélé d'abord par le moyen des créatures : "En effet, les Perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du monde par tout ce qui a été fait." (Rm 1, 20). C'est pour cette même raison que Dieu Se présente souvent à nous dans l'Écriture sous une forme extérieure, afin d'élever insensiblement l'esprit de l'homme jusqu' aux vérités incorporelles. Et qu'y a-t-il d'étonnant qu'Il ait adopté cette conduite pour l'établissement des dogmes, puisqu'Il agit de la même manière dans les préceptes et les commandements qu'Il nous donne ? Le Roi-prophète suit ici ce même ordre, il s'élève de la Nature humaine à la Nature divine (car les lèvres indiquent nécessairement une nature humaine), puis il descend de nouveau de la Divinité à la Chair mortelle du Fils de Dieu, donnant ainsi à son discours une admirable variété pour l'utilité de ceux qu'il veut instruire : "Ton trône, ô Dieu, subsistera éternellement." Ce mot trône a ici une signification plus étendue et veut dire le règne tout entier. David prédit que son trône sera éternel. Isaïe annonce de son côté que ce trône est élevé. "J'ai vu, dit-il, le Seigneur assis sur un trône élevé." (Is 6,1) Et il dit encore dans un autre endroit : "Ton trône est élevé." Un autre prophète L'a vu assis sur un trône de gloire. (Dn 7,9). Et David nous représente aussi ce trône comme un trône de miséricorde. "La miséricorde et le jugement sont le soutien de son trône." (Ps 46,2).

9. Toute cette description a pour objet de nous montrer que son règne est éternel (comme l'indiquent ces paroles : dans les siècles des siècles), qu'Il sera glorieux, élevé, plein de force et de puissance. Le Psalmiste prouve encore que ce règne n'aura point de fin, lorsqu'il ajoute : "Ton règne est un règne qui s'étend dans tous les siècles." De même que le trône est le symbole de la royauté, ainsi le sceptre est l'emblème et du pouvoir royal et de la puissance judiciaire. C'est pour cela que le Roi-prophète ajoute : "Le sceptre de ton règne est un sceptre de droiture." Là ce qui est juste, ce qui est droit, est d'une clarté pure et sans le moindre nuage.

Que les hommes atteints de déraison et de folie, et ceux qui sont mille fois pires encore, prêtent ici une oreille attentive. Quels sont-ils, ceux qui accusent la Providence et demandent : pourquoi tel et tel événement arrivent-ils de cette manière ? Une semblable question n'est-elle pas le comble de l'absurdité ? Celui qui regarde un ouvrier couper ou scier une pièce de bois ne lui demande pas la raison de ce qu'il fait. Le médecin applique le fer et le feu sur la chair du malade, il le condamne à garder la chambre, lui prescrit une diète des plus sévères, et aucun de ceux qui sont présents, ni le malade lui-même ne songent à lui demander pourquoi il agit de la sorte. Le pilote fait tendre les cordages, déployer ou serrer les voiles, arroser les flancs du navire, sans que personne lui en demande la cause. Nul, en effet, ne songe à interroger avec curiosité pour savoir la raison de ces diverses opérations, mais tous se taisent et gardent le silence, quelques fautes que puissent commettre ces gens contre les règles de leur art. Et lorsqu'il s'agit de la Sagesse inénarrable de Dieu, de son ineffable Bonté, de sa Providence infinie, la curiosité humaine n'a plus de bornes. Peut-on pousser plus loin la folie ? S'agit-il de porter secours, d'avancer de l'argent à ceux qui sont victimes de l'injustice, à peine trouve-t-on quelqu'un qui soit disposé au plus léger sacrifice; mais en revanche on ne cesse de demander pourquoi un tel est pauvre, pourquoi un tel mendie son pain, pourquoi cet autre est riche ? Serviteur infidèle et insensé, pourquoi n'abaissez-vous pas les yeux sur vous-même pour vous étudier et vous connaître ? Pourquoi ne pas imposer un frein à votre langue, pourquoi ne pas réprimer ces recherches téméraires, renoncer à pénétrer dans d'aussi grands secrets, et ne pas reporter sur votre propre vie cette inquiète curiosité ? Considérez attentivement toutes les actions de votre vie, cette mer immense de vos péchés, et si vous êtes dominé par cet esprit de curiosité qui ne s'arrête jamais, demandez-vous compte de toutes les paroles coupables que votre bouche a proférées, de toutes les actions criminelles que vous avez commises. Maintenant, au contraire, vous négligez cet examen de votre conduite, alors que cette négligence vous prépare un châtiment sévère, tandis qu'une curiosité salutaire pourrait vous sauver, et vous préférez mettre le comble à tous vos autres péchés en citant Dieu à votre tribunal. N'entendez-vous pas le prophète vous dire : "Le sceptre de ton règne est un sceptre de droiture" ? et un autre : "Ses Jugements resplendiront comme la lumière" ? (Os 6,5). Si vous ne pouvez pénétrer dans les Secrets de votre souverain Maître, c'est une raison de plus pour Le glorifier, pour L'adorer, à cause de sa Grandeur ineffable, de sa Providence incompréhensible, de la Sollicitude si sage et si variée qu'Il a pour toutes ses créatures.

"Tu as aimé la justice et Tu as haï l'iniquité." Le Roi-prophète a décrit précédemment les Actions éclatantes du Fils de Dieu, ses Victoires, ses Triomphes, le salut du monde entier qu'Il a rempli de vérité, de douceur, de justice, et Il a fait ressortir la sagesse de ses Desseins. Il nous parle maintenant de la Dignité de Celui qui a opéré toutes ces merveilles : c'est un Dieu, c'est un Roi immortel, un Juge incorruptible, un Ami des justes, un Ennemi des méchants. Dans ces différents titres se trouve toute la raison de ses succès. Que personne donc n'élève ici aucun doute. Toutes ces actions qu'Il a faites ont eu pour principe et pour cause sa Puissance et sa Volonté. Après avoir parlé en termes aussi sublimes de sa Divinité, il redescend à sa Nature humaine, en disant : "C'est pour cela que Dieu, ton Dieu, a versé sur Toi le parfum de l'allégresse." Une autre version porte : "À cause de cela, Il a versé l'huile sur vos membres." C'est-à-dire, parce que dans toutes les actions qui viennent d'être énumérées, Tu as agi avec droiture, semé les germes de la justice et exécuté tous les desseins que Tu avais formés. Ne vous étonnez pas d'entendre le Prophète attribuer ces actions au Père. Ce n'est point pour en ôter au Fils la gloire, mais pour associer le Père à la Gloire du Fils, de même que le Fils déclare que tout ce qui est à son Père est à Lui : "Tout ce qui est à Toi est à Moi, dit-Il, et tout ce qui est à Moi est à Toi." (Jn 17,10). Lorsque saint Paul expose le fait de la résurrection de Jésus Christ, il dit : "C'est Dieu qui L'a ressuscité d'entre les morts," (1Cor 6,14); tandis que nous lisons dans saint Jean ces paroles du Sauveur : "Détruisez ce temple, et Je le rebâtirai en trois jours." (Jn 2,19). Mais quel est donc ce parfum d'allégresse ? Jésus Christ n'a jamais été oint d'aucune huile, Il a reçu l'Onction de l'Esprit saint. C'est pour cela que le prophète ajoute : "Avec plus d'abondance que ceux qui doivent y participer." C'est-à-dire que personne n'a reçu une onction aussi riche, aussi abondante que la sienne. Il y a eu avant Lui un grand nombre de christs, c'est-à-dire d'hommes qui ont été consacrés par l'onction, mais personne ne l'a été comme Lui. Il y a eu aussi beaucoup d'agneaux, Lui seul est l'Agneau par excellence; il y a eu un grand nombre de fils, Lui seul est le Fils unique de Dieu. Tout ce qui est en Lui a un caractère exceptionnel de supériorité, non seulement les attributs de sa Nature divine, mais les perfections de son Humanité, car personne n'a reçu en si grande abondance l'onction de l'Esprit saint.

Ne soyez pas surpris s'il fait entrer l'huile dans cette Onction divine, il emploie ici le langage figuré des prophètes. Il ajoute : "de l'allégresse" pour exprimer l'effet de cette Onction qui est la joie. "Car le fruit de l'Esprit, c'est l'amour, la joie, la paix." (Ga 5,22). Une autre version porte : "D'une huile qui embellit"; le texte hébreu : Sason, de l'éclat, de la gloire, de la beauté. Il est également vrai de dire que c'est une huile d'allégresse. Le glaive dont parle le Roi-prophète ne présente point à votre esprit l'idée d'un glaive matériel; de même, l'arc et les flèches ne sont pour vous que l'emblème des Actions éclatantes du Fils de Dieu; ainsi devez-vous entendre ce qu'il dit ici non point d'une huile matérielle, mais d'une onction toute spirituelle. L'huile était le symbole de l'Esprit saint, mais ce divin Esprit était la chose essentielle et nécessaire. Puisqu'il en est ainsi, n'hésitez pas à Lui donner le nom de Christ, car il a été donné à Abraham et aux prophètes, et tous cependant n'avaient pas reçu l'onction. "Gardez-vous de toucher à mes christs, dit ailleurs le Roi-prophète; gardez-vous de faire aucun mal à mes prophètes." (Ps 104,15).

Or à quel temps Jésus Christ a-t-Il reçu cette onction ? Lorsque le saint Esprit descendit sur Lui sous la forme d'une colombe. (Mt 3,16). Ceux qui ont part avec Lui à cette onction sont tous ceux qui vivent selon son Esprit, et dont saint Jean a dit : "Nous avons reçu tous de sa Plénitude." (Jn 1,16). Lorsqu'il parle de Jésus Christ au contraire : "Dieu, dit-il, ne donne point son Esprit avec mesure." Et il est dit encore ailleurs : "Je répandrai de mon Esprit sur toute chair." (Jl 2,28). Mais ici, Dieu n'a point versé de son Esprit, c'est son Esprit tout entier qui est descendu, et c'est ce qui fait dire à l'évangéliste : "Dieu ne donne point son Esprit avec mesure." "La myrrhe, l'ambre et la casse s'exhalent de tes vêtements." (Ibid. 9). Une autre version porte : "se répandent sur ton vêtement"; une autre : "sur tous tes vêtements."

10. Suivant quelques interprètes, le Roi-prophète fait ici allusion à la sépulture du Sauveur; d'autres y voient la différence de l'Onction qu'Il a reçue. En effet, c'était avec d'autres parfums que la myrrhe, l'ambre et la casse que se faisaient les onctions. Pour vous apprendre donc que l'Onction qu'a reçue Jésus Christ n'a aucun rapport avec les autres, David énumère des parfums tout différents et fait ainsi ressortir la singularité de cette Onction. Ces paroles : "de tes vêtements" montrent que ses vêtements eux-mêmes étaient pleins de grâce. Aussi cette femme, qui était malade d'une perte de sang, en arrêta l'écoulement aussitôt qu'elle eut touché le bord de ses vêtements. (Mt 9,20). Rien n'empêche qu'on n'admette l'une ou l'autre de ces deux explications qui me paraissent toutes deux vraisemblables. De même donc que vous n'avez pas entendu dans un sens matériel l'arc, les flèches et les autres expressions figurées de ce genre (car je crois utile de faire de nouveau cette observation), vous devez entendre dans un sens exclusivement spirituel la myrrhe, la casse dont parle ici le prophète. "Des maisons d'ivoire où les filles des rois T'ont comblé de joie dans l'éclat de ta Gloire." (Ibid. 10). Un autre interprète traduit : "Des temples d'ivoire, où les hommages qu'ils T'ont rendus T'ont comblé de joie"; un autre : "Dans les choses qui sont à ta Gloire." Après les grandes Actions du Sauveur, le Roi-prophète passe aux honneurs qui doivent les suivre, c'est-à-dire à l'adoration qu'Il doit recevoir dans des temples magnifiques. Autrefois en effet, cette matière était des plus précieuses, et l'ivoire était très recherché. Aussi un autre prophète, s'adressant aux riches, leur dit : "Malheur à vous qui dormez dans des lits d'ivoire." (Am 6,4). David montre ensuite que la prédication ne doit pas seulement se borner aux particuliers, mais qu'elle doit soumettre les royaumes eux-mêmes qui élèveront au Fils de Dieu des temples magnifiques. Toutes ces prédictions paraissent accomplies aujourd'hui. Le Roi-prophète veut faire ressortir la vertu de la prédication, et il expose comment elle a subjugué les femmes, les hommes, les particuliers, les riches de la terre, ceux qui portent la couronne, leurs épouses, et a su les amener à élever partout des temples à Dieu. Il poursuit cette pensée, lui donne de plus grands développements, et décrit ceux qui viendront offrir au Fils de Dieu leurs adorations et leurs prières. Il nous fait voir les peuples tombés à ses Pieds, leurs coeurs touchés par sa Grâce, ses Victoires sur ses ennemis, les merveilles de sa Droite, le règne de la vérité, de la douceur, de la justice établi sur la terre. Il poursuit ce langage allégorique, et fait une description prophétique et figurée de l'Église qu'il nous représente comme une épouse et comme une reine. C'est sous ces mêmes traits que les apôtres l'ont décrite dans la suite : "Je vous ai fiancée à un seul Époux, Jésus Christ, dit saint Paul, pour vous présenter à Lui comme une vierge pure." (2Cor 11,2). "L'époux, dit un autre, est celui à qui est l'épouse." (Jn 3,29). Et le Sauveur Lui-même : "Le royaume des cieux est semblable à un roi qui célèbre les noces de son fils." (Mt 17,2). "La reine, dit le Roi-prophète, s'est tenue à ta Droite." Suivant une autre version : "Elle a été affermie", c'est-à-dire, elle s'est tenue d'une manière ferme et inébranlable. C'est cette même vérité que Jésus Christ exprime en ces termes : "Les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle." (Mt 16,18). Vous voyez quel honneur extraordinaire, quelle éclatante dignité lui sont accordés. Elle était foulée aux pieds et reléguée au dernier rang, le Fils de Dieu l'élève jusqu'à la placer à sa droite. Elle était captive, étrangère, livrée à des amours infâmes, devenue un objet d'abomination, et vous voyez à quel degré d'honneur le Sauveur la fait monter. Elle se tient près de lui avec les puissances qui le servent. Le Fils de Dieu, égal en tout à Dieu son Père, est assis à sa droite; pour l'Église, elle se tient debout. Elle est reine, il est vrai, mais elle fait partie des êtres créés. Comment donc expliquer ces paroles de saint Paul : "Il nous a ressuscités avec lui et nous a fait asseoir dans le ciel en Jésus Christ ?" (Ep 2,6.) Remarquez ici l'exactitude du langage de l'apôtre. Il ne dit pas simplement : "Il nous a ressuscités et Il nous a fait asseoir"; mais il ajoute : "En Jésus Christ", c'est-à-dire dans la Personne de Jésus Christ. Il est notre chef et nous sommes ses membres. (Ep 1,22.) Or, puisque notre chef est assis à la droite de Dieu dans les cieux, nous participons à cet honneur tout en restant sur la terre.

"Elle est revêtue d'un habit enrichi d'or, et couverte de vêtements de diverses couleurs." Un autre interprète traduit : "Couronnée d'un diadème d'or d'Ophir." Vous n'avez point pris dans le sens littéral un arc et les flèches dont le roi était armé, et vous ne devez non plus entendre au littéral les vêtements de l'épouse; mais ces images sensibles sont destinées à vous inspirer des pensées qui soient dignes de Dieu. C'est pour détruire dans votre esprit toute idée matérielle et sensible que le Roi-prophète ajoute : "Toute la gloire de la fille du Roi vient du dedans." Les vêtements sont ce qui paraît le plus à l'extérieur, et ce qui frappe tout d'abord les regards quand il s'agit de choses matérielles. Mais lorsqu'il est question d'objets tout spirituels, c'est à l'intérieur qu'il faut tourner les yeux. C'est le Roi Lui-même qui a composé le tissu de ce vêtement et qui en a revêtu l'épouse par le baptême. "Vous tous qui avez été baptisés en Jésus Christ, dit saint Paul, vous vous êtes revêtus de Jésus Christ." (Ga 3,27.) Elle était auparavant dans un état qui faisait horreur, en spectacle à tous les passants; mais aussitôt qu'elle fut couverte de ce vêtement, elle a été élevée jusqu'au Trône de Dieu et jugée digne de se tenir à sa Droite. C'est avec raison que le prophète décrit l'admirable variété de son vêtement. Ce vêtement en effet n'est pas d'une seule espèce. Car la grâce ne suffit pas pour le salut, il faut y joindre la foi, et après la foi, les oeuvres. Mais il n'est pas ici question de vêtements; l'Esprit saint n'eut pas mis tant de soin à décrire les riches vêtements d'une femme. Si en effet le prophète Isaïe reproche aux femmes le luxe de leurs vêtements, (Is 3,16) et si tout ce qui nourrit la mollesse est sévèrement condamné, comment l'Esprit saint aurait-Il pu donner des éloges à une femme pour ses ornements et sa parure ? "Écoute, ô ma fille, vois et prête l'oreille, oublie ton peuple et la maison de ton père." (Ibid. 12) "Et le Roi sera épris de votre beauté." Une autre version porte : "Afin qu'il soit épris. Parce qu'il est le Seigneur votre Dieu." (Ibid. 12). On lit dans une autre version : "Il est notre Maître et les peuples L'adoreront." Un autre interprète traduit : "Adorez-le." "Et la fille de Tyr viendra avec des présents." Suivant une autre version : "La fille qui est forte apportera des présents. Tous les riches de la terre imploreront vos regards." (Ibid. 13)

11. Vous voyez qu'il n'y a rien ici de sensible, rien de corporel, tout s'adresse à l'esprit. Comment en effet l'épouse du Très-Haut est-elle en même temps sa fille ? Comment sa fille est-elle son épouse ? Il n'en est point ainsi parmi les hommes, on ne peut être épouse et fille à la fois; mais en Dieu ces deux titres peuvent s'accorder. C'est Lui qui régénère l'âme par le baptême, et c'est Lui-même qui la prend pour épouse. "Écoute, ma fille, et vois." Il donne ici deux choses à l'épouse : sa Doctrine par l'entremise de la parole, et la vue par le moyen des miracles et de la foi; et de ces deux choses, Il lui donne l'une et lui promet l'autre. Écoute donc mes paroles, vois mes miracles, mes oeuvres, et sois docile à mes leçons. Mais quel commandement lui fait-Il tout d'abord : "Oublie ton peuple et la maison de ton père." Comme c'est du milieu des nations païennes qu'Il l'a choisie pour épouse, Il lui fait un devoir de se dépouiller de toutes ses habitudes anciennes, d'en effacer jusqu'au souvenir, d'en bannir la pensée de son âme, et non seulement de ne plus en faire la règle de sa conduite, mais d'éviter même d'en rappeler le souvenir. "Et oublie ton peuple et la maison de ton père." Il comprend ici toute la vie de ceux qui font partie de ce peuple, leurs actions aussi bien que leurs croyances. "Et le Roi sera épris de ta beauté." Vous voyez qu'Il ne parle pas ici de la beauté du corps. Si tu es docile à mes conseils, lui dit-Il, une éclatante beauté sera ton partage et le Roi sera épris de tes charmes. Tels ne sont pas les effets de la beauté corporelle. Nous rencontrons ces charmes extérieurs chez les nations infidèles, et nous y voyons des femmes d'une beauté remarquable. Or, une preuve qu'il n'est point ici question de la beauté corporelle, c'est qu'elle est le résultat de l'obéissance, et que l'obéissance ne produit pas la beauté du corps, mais celle de l'âme. Si tu obéis à ma voix, ta beauté te gagnera le coeur de ton Époux. "Parce qu'Il est Ton Seigneur." Il est donc à la fois son Père, son Époux, son Seigneur. Il lui a commandé de quitter ses parents, d'oublier son peuple, de renoncer à sa vie ancienne; Il justifie ce commandement par les considérations de l'ordre le plus élevé, il fait voir qu'il est souverainement raisonnable et qu'il faut nécessairement y obéir. Si, en effet, Il est à la fois ton Père, ton Époux, ton Maître, il est juste que tu brises tous les liens pour t'attacher à Lui seul. Et Il ne dit pas : "parce qu'Il est ton Père," mais : "parce qu'Il est ton Seigneur;" pour faire sur son coeur une plus vive impression. Celui qui est ton Seigneur et ton Père a voulu aussi être ton époux. Que dis-je ? n'est-ce pas un effet de sa grande Miséricorde et de son inépuisable Bonté qu'Il daigne être son Seigneur et l'admettre à son service après qu'elle a été l'esclave des démons et le jouet de l'erreur ? Mais Il ne se contente pas de l'admettre à son service, Il veut être encore son Père et son Époux : "Oublie ton peuple et la maison de ton père." Car ce n'est point à un étranger que tu te donnes, mais à Celui qui t'a créée, qui t'est uni par les liens les plus intimes, et dont la Providence ne cesse de veiller sur toi, de prendre soin de toi. Il est ton Seigneur, il est ton Père, il est pour toi la source de tous les biens.

"Et les peuples L'adoreront, et la fille de Tyr viendra Lui offrir des présents." Quelle est la liaison de ces paroles avec ce qui précède ? La voici : le Roi-prophète donne un des motifs les plus pressants pour l'épouse de s'attacher à son Époux. Venez à Lui, semble-t-Il lui dire, sa Puissance est des plus grandes, et tous les hommes Lui obéiront. Il laisse le reste de la terre et, prenant la partie pour le tout, Il choisit pour exemple une ville voisine signalée alors pour son impiété, la citadelle forte du démon, et renommée par toute la terre pour ses richesses et sa magnificence. Le Roi-prophète me paraît personnifier ici toute espèce d'impiété et de désordre, car c'est l'habitude des prophètes de caractériser les moeurs sous le nom des villes, comme dans ces paroles d'Isaïe : "Écoutez la parole du Seigneur, princes de Sodome; prêtez l'oreille à la loi de notre Dieu, peuple de Gomorrhe." (Is 1,10). Il s'adressait cependant aux Juifs, mais comme ils commettaient les crimes des habitants de Sodome, le prophète leur en donne le nom. Et qu'y a-t-il d'étonnant qu'il les appelle ainsi puisqu'un autre leur donne même pour pères des peuples célèbres par leurs vices ? "Votre père était amorrhéen, et votre mère céthéenne." (Ez 16, 3). La sainte Écriture n'arrête pas là son langage accusateur, elle va jusqu'à les comparer à des animaux aux instincts cruels. C'est ainsi que nous lisons dans le Nouveau Testament : "Serpents, race de vipères;" (Lc 3,7) et dans l'Ancien : "Ils ont brisé les oeufs d'aspic et ourdi des toiles d'araignée." (Is 59,5). Et ailleurs : "N'êtes-vous pas pour moi comme les enfants des Éthiopiens ?" (Am 9,7). C'est ainsi que le Roi-prophète donne le nom de Tyriens à ceux qui joignent à l'impiété, des moeurs licencieuses. Et cependant, dit le Seigneur, j'en triompherai, j'exercerai sur eux un tel empire qu'ils seront forcés de m'adorer. Ils iront même plus loin, ils m'offriront des présents et les prémices de leurs biens, ce qui est un des plus grands hommages d'adoration et la marque d'une obéissance absolue. "Les riches du peuple imploreront tes regards." Que signifie cette expression : "Ils imploreront" ? C'est-à-dire les grands du peuple, les plus élevés d'entre eux vous prodigueront les plus grands honneurs. C'est ce que nous voyons s'accomplir dans l'Église, les hommes vraiment vertueux sont un objet de vénération pour tous les autres, même pour ceux qui sont les plus distingués par leurs richesses ou leurs fonctions. Car c'est le privilège de la vertu d'être supérieure à tous les avantages de la terre.

12. Voyez en même temps les honneurs que tous les hommes rendent à l'Église. C'est avec raison que le Roi-prophète lui dit : "tes regards, ton visage;" c'est-à-dire ta gloire, ta beauté, ta splendeur. Mais, de peur que ces expressions figurées de visage, de vêtements, de beauté, ne réveillent des pensées matérielles, il ajoute : "Toute la gloire de la fille du Roi lui vient du dedans." (Ibid. 14). Entrez dans votre intérieur, nous dit-il, apprenez quelle est la véritable beauté de l'âme, c'est de cette beauté que je vous parle, et sous ces expressions figurées de vêtements, de beauté corporelle, de franges, de riches ornements et d'autres images semblables, c'est l'âme qui est l'objet de mes paroles et de mes enseignements, c'est la vertu et la gloire intérieure.

Après avoir ainsi rectifié l'erreur des esprits grossiers, il emprunte de nouveau sans crainte ses comparaisons aux objets extérieurs : "Au milieu des franges d'or et des divers ornements dont elle est environnée." Un autre interprète traduit : "Revêtue d'ornements variés rehaussés d'agrafes d'or." L'or est ici comme précédemment l'emblème de la vertu. Saint Paul nous dit dans le même sens : "Si quelqu'un élève sur ce fondement un édifice d'or, d'argent, de pierres précieuses, de bois, de foin, de paille." (1Cor 3,12). C'est la vertu et le vice qu'il nous représente sous le nom de ces différents objets. Le Roi-prophète ne veut pas vous laisser supposer que ce sont là les ornements du corps, aussi vous défend-il toute représentation matérielle en attirant vos pensées à l'intérieur. Ces ornements extérieurs contribuent à rendre la beauté du corps plus éclatante; ainsi la vertu est-elle le plus bel ornement de l'âme.

"Des vierges seront amenées au Roi après elle." Une autre version porte : "Elles suivront leur compagne et vous seront amenées." (Ibid. 15). "Elles seront présentées avec des transports de joie; on les conduira jusque dans le temple du Roi" (Ibid. 16). Comprenez-vous quel est ce vêtement garni de franges, quels sont ces ornements rehaussés d'or ? C'est la fleur de la virginité, c'est le vêtement de l'Église. Considérez ici la précision du langage du Roi-prophète. Ce n'est pas dès la naissance, dans les premiers jours de l'Église, que la vertu de la virginité a poussé ses fleurs, mais quelque temps après. Aussi, David n'en parle-t-il qu'après que l'épouse a oublié son peuple et la maison de son père, qu'elle s'est revêtue de ses riches ornements et qu'elle s'est montrée dans tout l'éclat de sa beauté. C'est pour cela qu'il dit : "Celles qui sont tes proches te seront présentées;" ses proches, c'est-à-dire celles qui lui sont unies moins par les liens d'une même patrie que par la conformité des moeurs et des sentiments. Vous ne pouvez donc donner légitimement aux filles des hérétiques le nom de vierges, car elles ne sont point les proches de la reine. "Elles vous seront présentées avec des transports d'allégresse. Vous voyez ici briller d'un vif éclat une vérité proclamée par l'Apôtre, et à laquelle le Roi-prophète rend lui-même témoignage. Quelle est cette vérité ? "Ces personnes souffriront les tribulations de la chair." (1Cor 7, 28). Mais si elles sont dans la tribulation, les vierges seront dans la joie et dans l'allégresse. Les personnes mariées en effet, sont en proie à tous les soucis qu'imposent les enfants, un mari, une maison, des serviteurs, des parents, des beaux-pères, des gendres, des neveux, enfin une famille nombreuse ou la privation d'enfants, car mon dessein n'est pas d'énumérer ici les sollicitudes multipliées du mariage. La vierge, au contraire, crucifiée au monde, affranchie des soucis de la terre, élevée au-dessus des préoccupations de la vie présente, traverse heureusement le détroit, et les yeux fixés tous les jours vers le ciel, elle jouit de la joie de l'Esprit saint, et nage au sein d'un bonheur sans mélange. Le Roi-prophète ne se contente pas de lui prédire le bonheur pour la vie présente, mais aussi les joies futures de ce jour où les vierges iront au-devant de l'Époux, tenant en leurs mains des lampes qui répandront une lumière éclatante. (Mt 25,6). Le temple du Roi c'est son palais, le lit de l'Époux, la chambre nuptiale. "Des enfants te sont nés pour prendre la place de tes pères." (Ibid. 17). Un autre interprète traduit : "Tes fils seront à toi." Il avait commandé précédemment à l'épouse d'oublier son peuple et la maison de son père; il lui prédit ici encore les heureux effets dont ce sacrifice sera récompensé. Celle qui était stérile deviendra la mère d'une multitude innombrable d'enfants. Tu as renoncé, il est vrai, à tes parents, mais les choeurs de tes enfants seront environnés de tant d'honneur et de tant de gloire, et jetteront par leur nombre un si vif éclat, qu'ils rempliront la terre tout entière.

13. Le Roi-prophète me paraît avoir ici en vue les apôtres, qui sont devenus les docteurs de l'Église, et il décrit leur puissance, leur force, leur gloire, en ajoutant : "Tu les feras régner sur toute la terre." Ces paroles ont-elles besoin d'explication ? Je ne le pense pas; le soleil dans tout son éclat n'a pas besoin de démonstration, or, ces paroles sont plus lumineuses que le soleil. Les apôtres ont parcouru le monde entier, et ils ont régné sur l'univers dans un sens plus vrai et avec une puissance plus grande que ne l'ont fait les princes et les rois de la terre. La puissance des rois ne peut s'exercer que pendant leur vie, et elle cesse avec leur dernier soupir, tandis que la puissance des apôtres n'a jamais été plus grande qu'après leur mort. Ajoutons encore que les lois des rois de la terre n'ont de force que dans les limites étroites de leur royaume, tandis que les lois promulguées par de simples pécheurs ont étendu leur empire jusqu'aux extrémités du monde. Un empereur romain ne peut imposer des lois aux Perses, ni le roi des Perses aux sujets de l'empire romain; et les apôtres, Juifs d'origine, ont imposé leurs lois aux Perses, aux Romains, aux Thraces, aux Scythes, aux Indiens, aux Maures, à l'univers entier. Ces lois n'ont point été seulement en vigueur pendant leur vie, mais après leur mort, et ceux qui les ont reçues et embrassées, aimeraient mieux donner mille fois leur vie que de secouer leur autorité. "Je me souviendrai de ton Nom d'âge en âge. C'est pour cela que les peuples publieront éternellement tes louanges dans tous les siècles des siècles." (Ibid. 18). Une autre version porte : "Je rappellerai le souvenir de ton Nom dans chaque génération. C'est pour cela que les peuples publieront éternellement tes louanges." Une autre version : "C'est pour cela que les peuples Te rendront gloire." Le Roi-prophète a mesuré la grandeur de la Puissance du Fils de Dieu sur l'étendue de l'univers, sur la longueur de la terre, sur la multitude des peuples soumis à son empire. Un autre caractère, comme une autre preuve de sa puissance, c'est qu'elle s'étendra non seulement par tout l'univers, mais à travers tous les âges. Ta mémoire sera immortelle, elle sera écrite en traits ineffaçables dans nos livres, écrite dans les événements, écrite dans les lois. Vous voyez comme il prédit ici la perpétuité de sa prophétie. C'est le sens de ces paroles : "Je me souviendrai de ton Nom de génération en génération, lors même que j'aurai cessé de vivre, je célébrerai ton Nom jusque dans le tombeau. Car si mon corps tombe en dissolution, mes écrits me survivront et la loi sera éternelle. C'est pour cela que les peuples Te rendront gloire." Il finit ce psaume comme il l'avait commencé, c'est-à-dire par Jésus Christ. "C'est pour cela." Qu'est-ce à dire ? Tu T'es signalé par une multitude d'actions éclatantes, Tu nous as donné d'illustres chefs, Tu as détruit le règne du vice, fondé celui de la vertu, épousé notre nature, opéré des merveilles ineffables. C'est pour cela que l'univers entier chantera ta Gloire, non dans un espace de temps limité, pendant dix, vingt ou cent ans, ni dans une seule contrée de la terre, mais par toute la terre, sur la mer, dans les contrées peuplées d'habitants, comme dans les déserts inhabités, dans toute la durée des siècles, en rendant grâces pour tant de bienfaits que les hommes ont reçus de Toi. Rendons nous-mêmes d'immortelles actions de grâces pour tous ces bienfaits à Jésus Christ Sauveur, plein de bonté et de miséricorde, par lequel et avec lequel gloire soit au Père avec le saint Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 45

"Pour la fin, aux enfants de Coré, pour les secrets." Une autre version porte : "Au vainqueur, hymne des enfants de Coré." Un autre : "Chant pour la jeunesse." (v.1). &endash; "Dieu est notre refuge et notre force, Il a été notre secours dans les grandes afflictions qui nous ont enveloppés." Ibid. 2. Un autre interprète traduit : "Nous l'avons trouvé dans les afflictions." Aussi nous serons sans crainte, "quand la terre serait bouleversée, quand les montagnes seraient précipitées dans le sein des mers." (Ibid. 3).

l. Le Roi-prophète s'inspire ici de sa philosophie habituelle, qui est de détacher les hommes des choses de la vie présente, pour les élever jusqu'à l'espérance des biens du ciel. Ne m'alléguez leur dit-il, ni vos armes, ni vos remparts, ni vos retranchements, ni l'abondance de vos richesses, ni votre habileté dans l'art de la guerre, ni la multitude de vos chevaux, ni vos arcs, ni vos flèches et vos cuirasses, ni le nombre de vos alliés, ni les phalanges de vos soldats, ni leur force corporelle, ni l'expérience que vous avez de vos ennemis. Tous ces moyens de défense ne sont qu'une toile d'araignée, qu'une ombre vaine. Voulez-vous avoir contre vos ennemis une force invincible, un refuge inaccessible, une forteresse inexpugnable, une tour que rien ne puisse ébranler ? Choisissez Dieu pour votre refuge, et revêtez-vous de sa Force divine. David dit avec raison : "Dieu est notre refuge et notre force, parce que tantôt c'est par la fuite que nous triomphons de nos ennemis, tantôt en soutenant contre eux tout l'effort du combat." Ces deux choses, en effet, sont nécessaires, suivant l'occasion : marcher contre 1'ennemi et savoir éviter le combat. C'est ce que faisait saint Paul : tantôt il attaquait ouvertement ceux qui s'opposaient à la parole de vérité, tantôt il se dérobait à leurs poursuites. Notre Seigneur nous donne le même exemple à suivre dans sa conduite; nous devons donc l'imiter, connaître et distinguer avec soin les circonstances favorables, prier Dieu de ne point nous laisser entrer en tentation, selon la recommandation de l'évangile; mais lorsque l'heure de l'épreuve est arrivée, ne point faiblir, et lutter courageusement avec elle. "Notre puissant Défenseur dans les grandes tribulations qui nous environnent de toute part." Je répète ce que j'ai dit bien souvent, Dieu ne nous préserve pas toujours des assauts de la tribulation; mais lorsqu'elle nous assaille, Il nous inspire un courage à la hauteur de l'épreuve. L'adverbe puissamment sfodra, se rapporte au mot défenseur. En effet, ce n'est pas un appui ordinaire que Dieu nous donne, Il nous prête main forte et nous prodigue le secours et la consolation dans une mesure bien supérieure à celle de nos douleurs. Il ne se contente pas de proportionner ce secours à la grandeur de nos maux, mais il va bien au delà. "C'est pourquoi nous serons sans crainte, quand même la terre serait bouleversée." Vous voyez ici jusqu'où s'étendent les effets du Secours divin. Non seulement, dit le prophète, les calamités ne nous atteindront pas et ne nous feront point succomber, mais nous n'éprouverons même pas ces impressions de crainte et de frayeur naturelles à tous les hommes. Et à qui devrons-nous cette assurance ? Au puissant Secours que Dieu nous donne. La terre, les montagnes, le coeur de la mer, ne signifient pas ici les éléments matériels; sous ces expressions figurées, le Roi-prophète veut exprimer des dangers vraiment insurmontables Quand même, nous dit-il, nous serions témoins d'un bouleversement général, d'une perturbation universelle, quand nous verrions des événements inouïs jusqu'alors, les créatures se détruisant les unes les autres, la nature franchissant ses bornes, la terre remuée jusque dans ses fondements, les éléments confondus; dans cet épouvantable bouleversement de toutes choses, non seulement nous ne serions point abattus, mais nous resterions inaccessibles à la crainte." Et la raison, c'est que le Seigneur et le Maître de toutes ces créatures est notre appui; qu'Il nous prête main forte et se constitue notre défenseur. Or, si de semblables événements ne peuvent ni nous abattre, ni même ébranler notre courage, à plus forte raison si nos ennemis marchent contre nous et nous déclarent la guerre. "Les eaux mugissent et bouillonnent, les montagnes ont été renversées par sa Puissance." (Ibid. 4). Une autre version porte : "Les eaux mugissant, bouillonnant et les montagnes étant ébranlées pour rendre gloire à Dieu." Après avoir déclaré qu'ils ne craindront pas, alors même que tous les éléments seraient bouleversés sous leurs yeux. Le Roi-prophète proclame la Puissance de Dieu, à laquelle rien ne résiste. C'est à juste titre que nous serons sans crainte, dit-il, et suivant sa coutume, il fait servir tour à tour les créatures et les événements humains à démontrer cette divine Puissance. Or, voici le sens de ses paroles : Dieu ébranle, renverse, transporte comme Il le veut, toutes les choses créées, tant il est vrai que tout est souple et plie sous sa Main quand Il commande. Je crois que David veut nous dépeindre ici les ennemis de Dieu, aussi redoutables par leur multitude que par leur force, et le nombre presque infini de ceux qui se déclarent contre Lui. Sa Puissance est si grande, dit-il, que sur un seul signe de sa volonté, tout obéit. Et comment donc pourrions-nous craindre, nous qui avons un maître aussi puissant ? "Changement de rythme et de modulation." Suivant une autre version : "Toujours." "Un fleuve par son cours impétueux." Suivant une autre version : "Les divers bras du fleuve (le texte hébreu porte : Phalagau), réjouissent la cité de Dieu, le Très-Haut a sanctifié son tabernacle." Un autre interprète traduit : "Saint est le lieu de l'habitation du Très-Haut. Dieu est au milieu d'elle, elle ne sera point ébranlée; Dieu la protégera dès le lever de l'aurore." (Ibid. 6); Une autre version porte : "Vers le matin." Une autre : "Vers l'heure du matin." Après ce tableau de la Force et de la Puissance de Dieu, qui Lui rendent toutes choses faciles, le Roi-prophète fait ressortir sa Providence à l'égard des Juifs, et raconte en peu de mots les biens dont Il les a comblés. Ce Dieu si puissant, si fort, si terrible, qui porte l'univers et fait sentir partout son action, qui fait trembler, ébranle et bouleverse de fond en comble toutes les choses créées, a comblé notre cité de bienfaits innombrables. Ce fleuve en effet, représente l'abondance intarissable des dons que le ciel a versés sur nous avec abondance. Le Prophète semble dire : Tous ces biens ont coulé sur nous comme d'une source inépuisable. Semblable à un fleuve qui se divise en plusieurs bras, pour arroser la contrée qu'il traverse, la Providence de Dieu répand ses bienfaits de toutes parts, les verse avec abondance et souvent avec impétuosité, et remplit tout de ses dons. Et non seulement Dieu nous procure une sécurité et une protection à l'épreuve de tous les dangers, mais il répand encore dans notre âme une joie toute spirituelle. C'est pour cela que le Roi-prophète ajoute : "Le Très-Haut a sanctifié son tabernacle." N'est-ce pas déjà une grande bonté de la part de Dieu, d'appeler notre ville son tabernacle ?

2. Ce n'est pas sans raison que le Roi-prophète donne ici à Dieu le nom de Très-Haut. Celui qui est élevé au-dessus de tout ce qui est créé, dit-il, qui ne peut être limité par aucun espace, dont la nature est incompréhensible, a daigné appeler notre ville son tabernacle, et la remplit tout entière de sa Présence. Tel est le sens de ces paroles : "Dieu est au milieu d'elle", comme de ces autres de Jésus Christ : "Voici que Je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles." (Mt 27,20). Ainsi, Dieu l'enveloppe de toute part, et elle sera à l'abri non seulement de tout danger, mais de toute agitation. La cause en est qu'elle a au milieu d'elle un protecteur toujours présent et toujours prêt à la défendre. C'est ce que signifient ces paroles : "Dès le lever de l'aurore"; c'est un secours qui ne souffre ni lenteur ni retard, qui est toujours plein de force et de vigueur, et qui vient toujours dans le temps favorable. "Les nations ont été remplies de trouble." Une autre version porte : "Les nations se sont réunies, et les royaumes ont chancelé. Dieu a fait entendre sa Voix, et la terre a été ébranlée." (Ibid. 6). Il fait ressortir ici la puissance de la Protection divine. Ce ne sont pas des ennemis ordinaires qui viennent assaillir cette ville, ce sont des rois, des nations entières qui s'assemblent de tous côtés pour entourer une seule ville et en faire le siège; et non seulement elle n'a souffert aucun dommage, mais elle a triomphé de ces ennemis, elle a vaincu et détruit les armées qui étaient venues fondre sur elle. Tel est le sens de ces paroles : "Les royaumes ont été renversés, le Très-Haut a fait entendre sa voix." C'est-à-dire que sa voix seule a suffi pour s'emparer de leurs villes. Cette expression figurée est empruntée à notre langage; car ce n'est ni par le son de sa voix, ni par ses cris, mais par un seul acte de sa Volonté, que Dieu remporte la victoire sur ses ennemis. Toutefois, le Roi-prophète élève notre esprit au-dessus de ces expressions matérielles et sensibles et lui fait entendre un langage beaucoup plus digne de Dieu. Il représente continuellement Dieu comme un guerrier revêtu de ses armes, pour nous montrer que ce sont là de simples métaphores, de simples figures qu'il emploie pour s'accommoder à notre intelligence (car Dieu n'a que faire de toutes ces armes). Il ajoute : "Il a fait entendre sa voix, et la terre a été ébranlée". Ainsi, ce ne sont plus seulement les villes, les peuples, les contrées, mais la terre tout entière que le son de sa Voix ébranle et renverse. La terre, dans le langage de l'Écriture, signifie aussi la multitude des hommes, comme dans ces paroles de la Genèse : "Or, la terre avait une seule prononciation et une seule langue." (Gn 19,1).

"Le Seigneur des armées est avec nous, le Dieu de Jacob est notre défenseur." (Ibid. 8). Le texte hébreu au lieu du mot armées, porte : Sabaoth. Voyez comme le discours du Roi-prophète s'élève de la terre au ciel, jusqu'aux légions innombrables des anges et des archanges, jusqu'aux puissances célestes. Que me parlez-vous d'armées, de barbares, d'hommes mortels ? Jugez de la Puissance de Dieu par la grandeur du royaume qu'Il possède dans le ciel; que d'armées, de puissances invisibles sont soumises à ses ordres ! Le Prophète leur donne le nom de puissances, pour faire ressortir leur force, comme Il le fait dans un autre endroit, lorsqu'il dit : "Vous qui êtes revêtus de force et qui exécutez ses ordres." (Ps 102,20). En effet, un seul ange envoyé de Dieu a suffi pour faire périr une armée de cent quatre-vingt mile homme. (4R 19,35). Me direz-vous qu'Il est puissant, il est vrai, mais qu'Il n'a pas la Volonté de nous secourir ? Bannissez cette crainte, car le Prophète ajoute : "Il est notre Défenseur." Sa Volonté est donc égale à sa Puissance, ne craignez rien. Mais si nous en sommes indignes ? Rassurons-nous, sa Bonté pour nous est comme un héritage que nos pères nous ont transmis. C'est pour cela que David ajoute : "Le Dieu de Jacob," comme s'il disait : Cette bonté pour nous date de loin, elle remonte à l'origine de notre nation, et s'est perpétuée d'âge en âge. "Changement de modulation." Suivant une autre version : "Toujours." "Venez et contemplez les oeuvres du Seigneur, les prodiges qu'Il a opérés sur la terre." (Ibid. 9.) "Il a fait cesser la guerre jusqu'aux extrémités de la terre. Il brisera les arcs et mettra les lances en pièces." (Ibid. 10). Une autre version porte : "Il a brisé et Il livrera les boucliers aux flammes." Une autre : "Il réduira les chars en cendre." Après avoir décrit les bouleversements dont la terre, la mer, les montagnes ont été le théâtre, et le Secours divin qui leur a été envoyé du ciel, le Roi-prophète s'adresse de nouveau à ceux qui ont été les témoins de ces grands événements et les appelle à contempler avec des transports de joie et d'amour les triomphes et les victoires que Dieu a remportés sur leurs ennemis. Cependant le Roi-prophète se sert ici du mot de prodiges, et non de celui de trophées et de victoires. Car ces grands événements ne se succédaient pas selon les lois de la nature; ce n'était non plus ni par les armes, ni par la force extérieure que la victoire se décidait, mais par la seule Volonté de Dieu, et Il montrait par les résultats de la guerre que c'était Lui qui menait son peuple au combat. La puissance était vaincue par la faiblesse, des armées innombrables par un petit nombre d'hommes, les rois par ceux qu'ils tenaient sous le joug; les événements s'accomplissaient en dehors de toute espérance; c'est donc à juste titre que le Roi-prophète les appelle des prodiges, puisqu'ils étaient contre toute prévision et qu'ils s'étendaient jusqu'aux extrémités de la terre.

3. On peut sans crainte de se tromper voir dans ce psaume, entendu dans le sens anagogique, une prédiction du temps présent. Dieu en effet, a mis fin à la guerre cruelle que les démons faisaient aux hommes; Il a donné la paix à toute la terre, et Il a même fait cesser et rendu moins fréquentes les guerres extérieures. C'est ce qu'Isaie lui-même avait prédit : "Ils changeront leurs épées en socs de charrues, leurs lances en faucilles; les nations ne lèveront plus le fer contre les nations, on ne les verra plus davantage s'exercer aux combats." (Is 2,4). Dans les temps qui ont précédé l'Avènement de Jésus Christ, tous les hommes portaient les armes, nul n'était exempt du service militaire, les villes étaient sans cesse en lutte contre les villes, la guerre était universelle. Maintenant au contraire, la plus grande partie de la terre est en paix, tous exercent tranquillement leurs différentes professions, le laboureur cultive la terre, comme le navigateur traverse les mers, et il n'y a plus qu'un nombre restreint de soldats armés pour la défense commune. J'oserai même dire qu'ils deviendraient inutiles, si notre conduite était ce qu'elle doit être, et si nous n'avions pas besoin des dures leçons de l'adversité. Le feu dont parle le prophète, c'est la Colère de Dieu, et il prédit ici les suites de la victoire qu'ils remporteront sur les ennemis, ils livreront aux flammes leurs armes et leurs chars. Ézéchiel prédit cette même circonstance, comme le savent ceux qui sont instruits dans les saintes lettres (Ez 39,10). "Soyez dans le repos, et reconnaissez que c'est Moi qui suis le Seigneur. Je serai élevé au milieu des nations, et Je serai élevé dans toute la terre." (Ibid. 11). Un autre interprète traduit : "Soyez guéris et reconnaissez." Un autre : "Cessez afin de reconnaître." Le texte hébreu porte : Ouarphou ouadou. Le Roi-prophète adresse la parole aux nations à peu près en ces termes : Vous avez reconnu que la Force et la Puissance de Dieu s'étendent jusqu'aux extrémités de la terre, mais vous avez besoin que votre âme soit tranquille et pure. C'est le sens de cette expression : "Laissez" ou "Cessez"; c'est-à-dire, renoncez à vos erreurs, rompez avec les habitudes de votre vie ancienne, dégagez-vous pour respirer plus librement de l'épais nuage des vices qui vous environne, vous serez conduits alors par la doctrine des miracles, et dans le silence d'une âme calme et tranquille, vous reconnaîtrez le souverain maître de l'univers.

En effet, les miracles ne suffisent pas, il faut de plus une âme remplie de dispositions convenables. Que de miracles ont été opérés sous les yeux des Juifs, et ils n'en ont retiré aucun profit pour leur salut. À quoi serviraient les rayons du soleil, si l'oeil n'est pas transparent pour donner passage aux rayons lumineux ? Les miracles seuls ne sont donc pas suffisants. Aussi, après avoir décrit ces miracles, le Roi-prophète exhorte ceux qui doivent en profiter, à renoncer aux vices qui les retiennent captifs pour parvenir à la connaissance du souverain Maître de toutes choses. "Soyez dans le repos et considérez que c'est Moi qui suis Dieu, et non les idoles ou les statues." Tenez-vous donc dans le repos et Je vous donnerai beaucoup d'autres preuves de cette vérité. C'est ce que signifient les paroles suivantes : "Je serai élevé au milieu des nations, et Je serai élevé dans toute la terre;" c'est-à-dire, ce sont mes oeuvres qui vous démontreront ma Grandeur et mon Élévation au-dessus de tout ce qui existe. En effet, cette nature immortelle et ineffable a une élévation qui lui est propre. Mais comme vous êtes incapable de vous élever jusqu'à elle, Je vous la ferai connaître par les oeuvres : et cette connaissance ne sera pas limitée à la Palestine, à la ville de Jérusalem, mais s'étendra jusqu'à vous, nations infidèles. C'est ainsi que Dieu S'élève en leur faisant sentir sa main victorieuse et puissante, par les miracles qu'Il a opérés à Babylone, dans l'Égypte, dans le désert, par tout l'univers, et qui sont comme autant de maîtres qui leur apprennent à le connaître. "Le Seigneur des armées est avec nous, le Dieu de Jacob est notre défenseur." (Ibid. 12). Ce Dieu dont la grandeur et l'élévation s'étendent à tous les temps et à tous les lieux, a toujours été avec nous. Loin de vous donc tout sentiment de crainte ou de trouble, puisque vous avez pour défenseur le Dieu fort et invincible, à qui est dû la gloire, l'honneur, avec le Père qui est de toute éternité et son Esprit vivificateur, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 46

"Pour la fin, aux enfants de Coré." Suivant une autre version : "Pour le vainqueur, hymne des enfants de Coré." (v.1). &emdash; "Peuples, battez tous des mains." Suivant une autre version : "Applaudissez de la main, faites retentir des chants d'allégresse à la Gloire de Dieu." (Ibid. 2). Suivant une autre version : "Donnez le signal des chants de louange, parce que le Seigneur est élevé et redoutable, Il est le Roi suprême de toute la terre." (Ibid. 3).

1. Ce psaume a le même objet que le psaume précédent, il redit les victoires et les triomphes que le peuple de Dieu a remportés sur ses ennemis, et il invite tout l'univers à célébrer d'aussi grands bienfaits. Mais ce début, cette invitation, ces battements de mains, ces applaudissements, ces cris de joie paraîtront peut-être indignes de l'Esprit de Dieu. Ceux qui viennent dans le lieu saint pour recevoir les divins enseignements, me dira-t-on, ne peuvent pas, sans compromettre leur dignité, se prêter à des applaudissements, à des battements de main qui ne conviennent qu'au théâtre et aux banquets. Les hommes élevés dans l'école de l'Esprit saint, doivent se faire remarquer par le calme, l'ordre, la modération. Que signifient donc ces applaudissements et ces cris de joie ? Les armées rangées en bataille et prêtes à engager le combat, ont coutume de pousser de grands cris et de se livrer à des applaudissements bruyants pour effrayer leurs ennemis; mais une âme calme et tranquille n'a que faire de ces moyens. Et cependant ce psaume nous invite à la fois à battre des mains, à pousser des cris de joie. Que faut-il donc entendre par là ? Rien autre chose qu'une démonstration d'allégresse, et un symbole de victoire. Dans un autre psaume, le Roi-prophète représente les fleuves eux-mêmes applaudissant et frappant des mains. "Les fleuves, dit-il, battront des mains en signe d'applaudissement." (Ps 98, 8). Nous voyons dans Isaïe les arbres eux-mêmes donner des signes d'allégresse; (Is 55,12); et dans le Roi-prophète encore : les montagnes et les collines tressaillir et bondir de joie. (Ps 103, 4). Est-ce à dire qu'il nous faille entendre que les montagnes et les collines tressaillent réellement de joie, que les fleuves applaudissent, ou qu'ils aient des mains ? Ce serait une folie de le croire; nous ne devons donc voir dans ces métaphores que la joie portée à l'excès. C'est ce que nous voyons aussi parmi les hommes. Mais pourquoi le Roi-prophète ne dit-il pas : Réjouissez-vous et tressaillez d'allégresse, mais : "Applaudissez et poussez des cris de joie ?" Pour nous faire comprendre que c'est une joie qui ne connaît pas de bornes. Lorsque notre Seigneur Jésus Christ nous fait cette recommandation : "Quand vous jeûnez, parfumez votre tête et lavez votre visage", (Mt 6,17) Il ne nous commande pas de nous parfumer réellement (personne de nous ne l'entend de la sorte), mais de nous témoigner à tous la douceur et la joie qui remplissent notre âme (car ce que le Seigneur exige de nous, c'est que nous jeûnions avec joie sans affecter un air triste et fâcheux). De même ici, on nous commande non de battre des mains, mais de nous livrer en chantant les psaumes aux sentiments de la joie et de l'allégresse.

Cependant, il serait peut-être plus vrai d'entendre ce psaume dans le sens anagogique, en s'élevant au-dessus du sens historique et littéral. Le Roi-prophète commence par une invitation aux transports extérieurs et sensibles de la joie, mais pour conduire à la connaissance des vérités spirituelles. Je répète ici ce que j'ai déjà dit précédemment, il y a dans l'Écriture des choses qu'il faut entendre dans le sens exprimé par les mots, d'autres qu'il faut entendre dans un sens différent. Prenons pour exemple ces paroles : "Les loups habiteront et mangeront avec les brebis." (Is 11, 6). Il ne s'agit pas ici en réalité de loups et de brebis, ni de paille, ni de b¦ufs, ni de taureaux, mais du caractère et des m¦urs des hommes figurés par ces animaux. Il est d'autres endroits qu'il faut entendre dans une double acception, dans le sens littéral et dans le sens spirituel comme l'histoire figurative du fils d'Abraham. Ainsi, nous savons que ce fils a été véritablement offert, mais nous savons en même temps que cette oblation renfermait un mystère caché, le mystère de la croix. (Gn 12). C est ainsi que l'agneau pascal immolé en Égypte est une figure de la passion. (Ex 12). Il faut entendre ce psaume de la même manière. Le Roi-prophète n'invite pas seulement les peuples de l'Arabie et des contrées voisines, mais toutes les nations. "Parce que le Seigneur est élevé et redoutable, Il est le Roi suprême sur toute la terre. "Dès le début de ce psaume, il rend ses auditeurs attentifs, en les invitant à célébrer de si grands biens, à se joindre aux applaudissements de l'univers entier, à participer à cette fête toute divine et toute spirituelle, et à recevoir cette doctrine mystérieuse descendue du ciel. Tel est le sens de ces paroles : "Battez des mains"; c'est-à-dire : Réjouissez-vous, tressaillez d'allégresse. C'est aussi l'invitation que notre Seigneur nous fait dans l'Évangile : "Tressaillez de joie," nous dit-Il. (Lc 6,23). Assurément Il ne veut pas dire : Sautez, bondissez de joie (ce qui serait peu convenable); Il veut simplement nous exprimer toute la vivacité de cette allégresse. Il est digne, en effet, de reconnaître par une grande joie des événements aussi importants. La prédication évangélique a parcouru toutes les contrées que le soleil éclaire de ses rayons, le monde entier a trouvé le salut, et ceux qui vivaient précédemment au sein des plus grossières erreurs, ont embrassé une religion bien supérieure aux institutions et au culte des Juifs.

"Nations, frappez toutes des mains." Oui, applaudissez de ces mains autrefois impures, sacrilèges, souillées tous les jours de sang dans ces sacrifices immondes où vous immoliez vos propres enfants, où vous commettiez des crimes horribles et outragiez la nature elle-même. "Faites retentir à la Gloire de Dieu des chants d'allégresse." De cette même langue qui a goûté des mets impurs et proféré des blasphèmes impies, chantez maintenant l'hymne de la victoire. Lorsqu'une armée voit que ses ennemis ont le dessous dans la bataille et qu'ils commencent à plier, elle se contente pour achever d'ébranler leur courage abattu, de pousser unanimement des cris et de faire retentir des accents guerriers. Et se peut-il une victoire plus éclatante, un triomphe plus glorieux que de décider le sort de la bataille, en jetant des cris au lieu d'avoir recours aux armes et à la force des combattants ?

2. La gloire du triomphe revient donc tout entière à Jésus Christ. Il a terminé Lui-même cette guerre redoutable, Il a enchaîné le fort armé et lui a enlevé ses armes. Mais dans son immense Bonté, Il veut que ceux qui n'ont pris aucune part au combat jouissent cependant du triomphe, et Il leur met à la bouche les hymnes de la victoire comme s'ils avaient fait des prodiges de valeur et triomphé eux-mêmes de leurs ennemis. Voilà pourquoi nous nous écrions tous d'une voix claire et accentuée : "Ô mort où est ta victoire ? Ô mort où est ton aiguillon ?" (1Cor 15, 55). Et encore : "Dieu S'élève au bruit des acclamations"; comme nous le lisons dans ce même psaume. Et dans un autre : "Vous êtes monté en haut, vous avez emmené un grand nombre de captifs, vous avez distribué des présents aux hommes." (Ps 67, 19; Ép 4,8). Lorsque l'armée des Égyptiens fut ensevelie dans les flots de la mer, les Juifs chantaient aussi à Dieu cette hymne d'actions de grâces pour la victoire qu'ils venaient de remporter : "Chantons des hymnes au Seigneur, parce qu'Il a fait éclater sa Grandeur et sa Gloire." (Ex 15,1). Mais notre victoire à nous est bien plus éclatante. Ce ne sont point les Égyptiens qui ont été submergés, mais les légions infernales; ce n'est point pharaon qui a été vaincu, mais le démon. Ce ne sont pas des armes matérielles qui ont été prises, c'est l'iniquité qui a été détruite. Ce n'est pas dans la mer Rouge, mais dans le bain de la régénération que cette victoire a été remportée. Ce n'est point vers la terre promise que nous marchons, c'est vers le ciel. Ce n'est point la manne que nous mangeons, c'est le Corps même du Seigneur qui devient notre nourriture; (Ex 16, 14; Jn, 6, 31); nous ne buvons pas l'eau du rocher, mais le sang qui a coulé de son Côté. (Ex 17, 6). Voilà donc la raison de ces applaudissements, c'est qu'ils sont délivrés de ces travaux pénibles qui les appliquaient à des ouvrages de bois et de pierre; c'est qu'ils se sont élevés jusqu'aux cieux, et au-delà même des cieux, et qu'ils ont pénétré jusqu'au Trône même du Roi. "Chantez donc la Gloire de Dieu, c'est-à-dire offrez-Lui un cantique de reconnaissance, renvoyez-Lui tout l'honneur de la victoire. Ce n'est point là une de ces guerres telles qu'on en voit parmi les hommes, un de ces combats qui ont pour cause et pour objet des avantages purement temporels. Ici, l'objet du combat, c'est la conquête du ciel et des biens qu'il renferme. C'est le Seigneur Lui-même qui a conduit et dirigé cette guerre, et Il nous a fait entrer en participation de la victoire.

"Parce que le Seigneur est élevé et redoutable, qu'Il est le Roi suprême sur toute la terre." Où sont maintenant ceux qui veulent amoindrir la Gloire du Fils unique ? Le Fils est ici appelé le Roi suprême, titre qui est aussi donné au Père. "Ne jurez en aucune sorte, nous dit le Sauveur, ni par le ciel, parce qu'il est le trône de Dieu, ni par Jérusalem parce qu'elle est la cité du grand Roi." (Mt 5, 34-35). Et dans un autre endroit, le même Fils de Dieu est appelé "le Dieu fort, puissant", dénominations qui emportent le titre de roi. (Is 9, 6). Quand donc vous entendez dire que le Seigneur a été attaché à un gibet, qu'Il a été crucifié, enseveli, qu'Il est descendu dans les parties inférieures de la terre, n'ayez aucune crainte, aucune inquiétude, car Il est le Très-Haut, et Il l'est par nature. Or ce qui est élevé par nature ne peut jamais déchoir de son Élévation, mais jusque dans son Abaissement son Élévation subsiste et se fait sentir. Car c'est justement après sa mort qu'Il a fait éclater toute sa Puissance contre la mort. "La lumière luit dans les ténèbres, dit l'évangéliste saint Jean, et les ténèbres ne l'ont point comprise." (Jn 1,5). C'est ainsi que son Élévation a brillé au milieu de ses Humiliations volontaires. Voyez-le, jusque dans les enfers où Il est descendu, ébranler tout ce qu'il y avait de plus haut dans l'univers; le soleil éclipse alors ses rayons, les rochers se fendent, le voile du temple se déchire, la terre tremble, Judas se pend, Pilate et son épouse sont épouvantés, le juge lui-même cherche à se justifier. Lorsque vous entendez dire encore que le Fils de Dieu a été chargé de chaînes et cruellement flagellé, n'en soyez point troublé, mais considérez la puissance qu'Il déploie jusque dans les chaînes. Il leur dit ce seul mot : "Qui cherchez-vous ?" (Jn 18, 4), et Il les renverse tous à terre. Qu'Il est donc redoutable, Celui qui d'une seule parole, d'un seul signe, opère de si grands prodiges ! Lors donc que vous Le voyez soumis à la mort, rappelez-vous la pierre du sépulcre renversée, les anges demeurant debout dans un profond respect près du tombeau, les portes des enfers brisées, l'empire de la mort détruit, les captifs délivrés, et vous comprendrez combien il est redoutable. Si au temps même de ses opprobres Il a fait de si grandes choses dans le ciel, sur la terre, dans les enfers, que ne fera-t-Il pas lors de son second Avènement ? Écoutez ce que Lui disent dans le temps même de ses Humiliations, les démons écumant de rage, brisant leurs liens, rendant les routes impraticables : "Qu'y a-t-il de commun entre Toi et nous, Fils de Dieu ? Tu es venu nous tourmenter avant le temps." (Mt 8, 29; 24, 27). Si tel fut alors leur langage, que diront-ils lorsqu'Il viendra dans sa Gloire, lorsque les puissances des cieux seront ébranlées, que le soleil sera couvert de ténèbres, que la lune ne donnera plus sa lumière ? Voilà pourquoi le Roi-prophète L'appelle le Dieu élevé, le Dieu redoutable. Mais plutôt, qui racontera dignement toutes les circonstances terribles de ce grand jour où Dieu enverra ses anges par toute la terre, (Mt 24, 31), le bouleversement du monde entier, la terre s'entr'ouvrant avec fracas pour rendre les morts qu'elle avait en dépôt, la résurrection de cette multitude innombrable de corps, le ciel se repliant comme un voile ? Qui décrira l'établissement du tribunal redoutable, les fleuves roulant des flots de feu, les livres ouverts, toutes les actions accomplies dans les ténèbres révélées au grand jour, les supplices épouvantables réservés aux coupables, l'aspect menaçant des puissances spirituelles armées de glaives étincelants et entraînant les pécheurs dans l'enfer, la destruction de toutes les dignités de la terre, des rois, des généraux, des consuls, des gouverneurs, la présence des légions des anges, des essaims presqu'innombrables des martyrs, des prophètes, des apôtres, des solitaires; en un mot la distribution de ces récompenses inénarrables, de ces palmes, de ces couronnes, de ces biens immortels qui surpassent toute intelligence ?

3. Quel discours pourra jamais décrire ces scènes effrayantes ! Le prophète retraçant les merveilles de la création succombe sous cette tâche, et s'arrête en s'écriant : "Que tes ¦uvres sont magnifiques, ô mon Dieu !" (Ps. 91,5). Saint Paul, après avoir sondé un seul des mystères de sa Providence, s'écrie de son côté : "Ô profondeur des trésors de la Sagesse de Dieu !" (Rm 11,33). Comment donc faire la description de ce jour épouvantable ? Le prophète le voyait en esprit lorsqu'il dit : "Le Seigneur est élevé et redoutable, Il est le Roi suprême sur toute la terre", paroles qui expriment le salut du monde entier. Dieu, sans doute, était auparavant le Roi suprême, mais Il n'était pas connu. "Le monde a été fait par Lui, dit l'Évangéliste, et le monde ne l'a pas connu." (Jn 1,10). Et ce qu'il y a de plus admirable, c'est que l'union étroite qu'Il a voulu contracter avec nous, a fait éclater la grandeur et la puissance de sa Royauté. Se peut-il rien de plus grand en effet que d'envoyer par tout l'univers onze pauvres pêcheurs sans instruction, sans éducation, plus muets que les poissons eux-mêmes, n'ayant qu'une tunique pour tout vêtement, sans chaussures, privés de tout en un mot, et par leur moyen de soumettre avec autorité tous les hommes à son empire ? (Mt 10, 9; Lc 10, 4). C'est là vraiment se déclarer le Roi suprême que de délivrer de ses erreurs le monde entier, d'y établir en si peu de temps le règne de la vérité, et de détruire la tyrannie du démon. Avant même d'avoir des sujets pour Lui obéir, Il était déjà le Roi souverain. Il n'exerçait pas son empire sur ses serviteurs, Il n'était point entouré de l'appareil de la royauté; mais Il était Roi par nature. "Je suis né Roi," dit-Il à Pilate. (Jn 18,37). Voilà le caractère d'un roi véritablement grand, qui n'a point besoin d'une gloire empruntée, dont la royauté est indépendante, et qui fait tout ce qu'Il veut. "Allez, dit-Il à ses apôtres, enseignez toutes les nations," (Mc 16,15), et l'effet répondait au commandement. "Je le veux, sois guéri." (Matth., 8, 3). "Esprit sourd et muet, Je te l'ordonne, sors de cet enfant." (Mc, 9, 24). "Tais-toi, calme-toi." (Mc, 4, 39). "Allez dans le feu éternel qui a été préparé pour ses anges. Venez, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde." (Mt 25,41 et 34). Vous voyez partout la même puissance, partout la même autorité. Il a su tellement se rendre maître de ses sujets qu'Il leur a persuadé de sacrifier leur vie plutôt que de transgresser ses Ordres. Les rois de la terre doivent l'honneur qui les entoure à ceux qui sont soumis à leur empire; celui-ci au contraire comble ses sujets d'honneurs. Aussi, les autres ne sont-ils rois que de nom, tandis qu'Il est roi en réalité. Le roi véritablement grand est Celui qui a fait un véritable ciel de toute la terre, qui a inspiré aux barbares une sagesse toute divine et leur a donné d'imiter les m¦urs des anges. "Il nous a assujetti les peuples, et a mis les nations sous nos pieds." Ô miracle étonnant ! Il S'est fait adorer de ceux qui L'avaient crucifié; et Il a persuadé à ceux qui Le poursuivaient de leurs outrages et de leurs blasphèmes, à ceux qui étaient attachés au culte des idoles, de verser leur sang pour sa doctrine. Car ce miracle n'était pas l'¦uvre des apôtres, mais de celui qui marchait devant eux et qui agissait sur leur âme. Comment, en effet, un simple pêcheur ou un constructeur de tentes eût-il pu produire un si grand changement par toute la terre, si les paroles du Sauveur n'eussent fait disparaître tous les obstacles ? Les imposteurs, les tyrans, les rhéteurs, les philosophes, tous ceux en un mot qui leur résistaient, ont été dispersés comme la poussière, dissipés comme la fumée; et ils ont semé la lumière de la vérité, non par la force des armes ou l'influence des richesses, mais par un langage plein de simplicité. Disons mieux, ce n'était point de la simplicité, c'était une puissance supérieure à toute action humaine. Et quels moyens mettaient-ils en ¦uvre ? Ils invoquaient le nom d'un crucifié, et la mort était vaincue, les démons s'enfuyaient, les maladies étaient guéries, les corps étaient délivrés de leurs infirmités, l'iniquité était contrainte de prendre la fuite, les dangers disparaissaient, la nature des éléments était changée.

Lors donc qu'on nous adresse cette question : Pourquoi n'est-Il pas venu Lui-même à son secours sur la croix ? Nous répondons : parce qu'Il a fait quelque chose de plus admirable. En effet, c'est un miracle bien plus surprenant que ce Crucifié ait ressuscité tant de morts en son Nom, que s'Il fût descendu de la croix. Les événements qui suivirent sa Mort nous prouvent que c'est de sa pleine Volonté qu'Il est resté sur la croix. Celui qui arracha à la mort les corps qu'elle tenait sous ses lois, pouvait bien plus facilement la tenir à distance avant qu'elle L'eût atteint Lui-même. Lui qui communique la vie à tout ce qui respire, pouvait à plus forte raison Se la conserver à Lui-même. C'est ce qu'Il a fait trois jours après sa Mort, en Se ressuscitant par un acte de sa grande Puissance. Et ce miracle de sa Résurrection a trouvé sa preuve dans les faits qui l'ont suivi. Lorsqu'on vit en effet que son Nom avait tant de puissance sur les corps des autres, que la seule invocation de ce Nom mettait la mort en fuite, personne ne put douter qu'Il n'eût déployé la même puissance dans son propre Corps, et qu'Il n'eût soumis la mort à son empire. "Il nous a assujetti les peuples, Il a mis les nations sous nos pieds." (Ibid 4). Voyez la sagesse du prophète dont toutes les paroles sont d'une exactitude parfaite. Il prédit longtemps d'avance ce que les apôtres diront dans la suite : "Pourquoi nous regardez-vous, comme si, par notre vertu ou notre puissance, nous avions fait marcher cet homme ?" (Ac 3,12). Ces paroles : "sous leurs pieds," indiquent ce qui leur était assujetti, ou plutôt une soumission absolue. Voulez-vous mesurer l'étendue de cette soumission, écoutez ce que dit l'auteur des Actes : "Tous ceux qui possédaient des champs ou des maisons les vendaient et apportaient le prix de ce qui était vendu, et ils le déposaient aux pieds des apôtres." (Ac 4,34). D'autres, au sacrifice de leur fortune ont joint celui de leur vie. Ils ont exposé leur tête pour me sauver la vie, dit saint Paul. (Rm 16,4). Dans une autre lettre, le même apôtre écrit : "S'il eût été possible, vous vous seriez arraché les yeux pour me les donner." (Ga 4,15). Il écrivait encore aux Corinthiens : "Voyez, en effet, ce qu'a produit en vous cette tristesse selon Dieu que vous avez ressentie, quelle sollicitude, quel soin de vous justifier, quelle indignation, quelle crainte, quel désir, quel zèle, quelle ardeur pour punir le crime !" (2Co 7,11), tant les apôtres inspiraient de respect et de crainte ! Saint Luc écrivait également : "Aucun autre n'osait se joindre à eux, mais le peuple les exaltait" (Ac 5,13). Et saint Paul écrivait encore : "Lequel aimez-vous mieux, que je aille vous voir, la verge à la main ou que ce soit avec charité et avec un esprit de douceur ?" (1Cor 4,21).

4. Vous voyez quelle autorité et quelle puissance dans les apôtres ? Or, ils la devaient tout entière à cette parole que Jésus Christ leur avait dite lorsqu'Il leur donna leur mission : "Voici que Je suis avec vous." (Mt 28,20). Il éloignait Lui-même toutes les difficultés, en marchant devant eux; Il aplanissait tous les obstacles et domptait tout ce qui était capable de résistance. De quelque côté en effet qu'on pût tourner les regards, on ne voyait que guerres, écueils, précipices; nul endroit où l'on pût poser le pied et s'arrêter en sûreté. Tous les ports étaient comblés, toutes les maisons fermées, toutes les oreilles sourdes. Cependant aussitôt que les apôtres s'étaient présentés et avaient fait entendre leur voix, toutes les forteresses des ennemis s'écroulaient, à ce point qu'ils étaient disposés à donner leur vie et à supporter des dangers innombrables pour la doctrine qui leur avait été enseignée. "Il nous a choisis pour son héritage; la beauté de Jacob est l'objet de son Amour." (Ibid. 5). Une autre version porte : "La gloire de Jacob." Admirez ici encore l'exactitude de cette prophétie. Le Roi-prophète a dit plus haut : "Il nous a assujetti les peuples." Les Juifs sont venus les premiers, trois mille d'abord, cinq mille ensuite, (Ac 2,41; 4,4), et enfin les nations. C'est ce que le Sauveur Lui-même avait prédit : "J'ai d'autres brebis, il faut aussi que Je les amène, et elles entendront ma Voix, et il y aura un seul troupeau et un seul pasteur." (Jn 10,16). Mais, comme ces paroles : "Il nous a choisis pour son héritage" pouvaient produire dans quelques esprits le doute et l'hésitation, et leur faire dire : Pourquoi les Juifs n'ont-ils pas cru ? le Roi-prophète fait disparaître ce doute par un correctif. Dieu a fait tout ce qui dépendait de lui en nous choisissant pour héritage, et sous ce rapport il n'a oublié personne. Si vous demandez le résultat de ce choix, écoutez la suite : "La beauté de Jacob qui a été l'objet de son Amour." Le Roi-prophète a ici en vue les fidèles dont saint Paul disait : "Non que la parole de Dieu ait été vaine, car tous ceux qui descendent d'Israël ne sont pas tous Israélites, mais c'est Isaac qui sera appelé votre fils. C'est-à-dire, ceux qui sont enfants d'Abraham selon la chair, ne sont pas pour cela enfants de Dieu, mais ce sont les enfants de la promesse qui sont réputés de la race d'Abraham." (Rm 9,6-8). C'est à juste titre que les fidèles sont appelés la beauté du peuple. Quoi de plus beau en effet, quoi de plus éclatant que ceux qui ont embrassé la foi ? Le Roi-prophète appelle son peuple l'héritage de Dieu, non pour exclure des soins de sa Providence les autres nations, mais pour exprimer l'ardent amour qu'Il a eu pour ce peuple, l'union étroite qu'Il a contractée avec Lui, et la sollicitude toute paternelle avec laquelle Il veille sur ses intérêts.

Pour bien apprécier l'exactitude du langage du prophète, remarquez comment il emploie les termes ordinairement en usage dans les marchés. La plupart en effet, disent d'une chose qu'ils achètent, qu'elle est belle, lorsqu'elle est de meilleure qualité que les autres. David, voulant donc nous montrer que tous ne seront pas sauvés, emploie cette expression : "La beauté de Jacob." Cette même vérité est confirmée par une multitude de paraboles de l'Évangile : "Dieu est monté au bruit des acclamations." (Ibid 6). Il ne dit pas : "Il a été enlevé", mais : "Il est monté", pour prouver qu'Il n'a eu besoin de personne pour S'élever dans les cieux, et qu'Il S'est frayé Lui-même la voie. Élie, qui ne pouvait suivre la même voie que Jésus-Christ, était conduit par une puissance étrangère à sa nature. (4R 2,11). Car la nature humaine ne pouvait par elle-même prendre cette voie. Le Fils unique au contraire est monté par sa propre Puissance. C'est ce que saint Luc exprime lorsqu'il dit : "Et comme ils Le contemplaient montant vers le ciel." (Ac 1,10). Il ne dit pas : Il était enlevé ou Il était porté, car c'était Lui-même qui S'avançait dans cette voie. Et qu'y a-t-il d'étonnant qu'Il ait pu fendre les airs, lorsqu'Il eut repris un corps incorruptible, Lui qui avant sa mort sur la croix marchait sur les eaux avec un corps passible et soumis aux lois de la pesanteur ?

Mais à quel temps eurent lieu ces acclamations ? Qui a poussé ces cris de joie, lorsqu'Il est monté dans les cieux ? Ce mystère s'est accompli dans le silence et en présence seulement des onze apôtres. Vous voyez qu'il ne faut pas entendre les paroles de l'Écriture dans un sens purement littéral, mais chercher à pénétrer la signification des termes. Comme je l'ai dit en commençant l'explication de ce psaume, le mot que nous traduisons par chant de joie, acclamations, a quelquefois un autre sens, celui de victoire, de trophée. Ici donc il signifie : Dieu est monté comme un vainqueur après avoir triomphé de la mort, détruit le péché, mis les démons en fuite, dissipé l'erreur, opéré partout les plus heureux changements, et introduit notre nature dans son ancienne patrie, ou plutôt dans une patrie bien meilleure. En effet, Il a brisé tontes les résistances; ni la tyrannie du péché, ni la puissance de la mort, ni la force de la malédiction, ni la grandeur de l'iniquité et de la corruption, ni aucun autre obstacle de ce genre n'a pu tenir contre Lui. Il a brisé comme une toile d'araignée les phalanges des esprits mauvais, ce qui faisait la force du démon, et à la suite de si glorieux triomphes, Il est monté au ciel en vainqueur après avoir vu le succès couronner toutes ses entreprises.

5. C'est ce triomphe que saint Paul raconte en ces termes : "Ayant désarmé les principautés et les puissances, Il les a menées hautement en triomphe à la face de tout le monde, après les avoir vaincues en Lui-même." (Col 2,15). Et encore : "Il a effacé la cédule qui nous était contraire, Il a entièrement aboli le décret de notre condamnation, en l'attachant à la croix." (Ibid. 14). "Le Seigneur est monté à la voix de la trompette." C'est le même sens que précédemment, c'est-à-dire dans la gloire d'une brillante victoire. Ces paroles signifient encore que cet événement a été environné d'éclat, de splendeur, et qu'il a eu un retentissement immense. Lorsqu'il s'accomplit, personne n'en eut connaissance, mais il devint ensuite aussi public et plus manifeste même que si les sons de la trompette en avaient porté partout la nouvelle. En effet, l'Ascension du Sauveur, qui eut lieu dans le secret, a été connue de presque tous les habitants de la terre, et la nature même des choses fit retentir la nouvelle plus fortement et plus loin que n'auraient pu faire les sons de la trompette. Jamais la trompette la plus retentissante n'eût pu appeler tous les hommes à ce spectacle, avec autant de puissance que la voix des événements qui leur démontra le fait de l'ascension, et rendit cette vérité plus évidente que n'aurait pu faire la voix même du tonnerre. Non, jamais la voix du tonnerre n'eût fait une si vive impression sur tous les hommes que la voix des événements sur les hommes qui existaient alors, et sur ceux qui devaient venir dans la suite des temps. La voix du tonnerre ne retentit que dans le moment présent, mais la voix des événements, plus retentissante que le son de la trompette et plus éclatante que le bruit du tonnerre, a porté à toutes les générations le souvenir de ce miracle. On peut très bien, du reste, comparer la bouche des apôtres à des trompettes, non pas d'airain, mais à des trompettes plus précieuses que l'or, plus riches que les diamants. Pourquoi donc le Roi-prophète ne dit-il pas "au bruit de la trompette", mais : "à la voix de la trompette ?" Pour exprimer la parfaite harmonie qui existe entre eux, et à laquelle saint Paul fait allusion lorsqu'il dit : "Que ce soit moi ou eux, voilà ce que nous prêchons." (1Cor 17). Et saint Luc dit dans un autre endroit : "La multitude des croyants n'avait qu'un c¦ur et qu'une âme." (Ac 4,32). Or ils sonnaient de la trompette, non pour exciter les esprits à la guerre, mais pour publier la victoire. Lorsque les armées marchent au combat avec leurs étendards, elles sont précédées par les trompettes qui inspirent une ardeur guerrière à ceux qui les entendent. Ainsi lorsque les apôtres entraient dans une ville, le son de la trompette retentissait, et tous accouraient pour les entendre.

"Chantez à la Gloire de notre Dieu, chantez. Chantez à la Gloire de notre roi, chantez." (Ibid. 7). "Dieu est le Roi de toute la terre, chantez avec intelligence." (Ibid. 8). "Dieu a régné sur les nations." (Ibid. 9). Après avoir raconté les grandes choses que Dieu a faites, le Roi-prophète invite l'univers entier à célébrer sa Gloire avec ardeur; Il redouble son invitation et demande que l'on chante ses louanges avec intelligence. Que veulent dire ces paroles : Chantez avec intelligence ? Avec l'intelligence des événements qui se sont accomplis et après en avoir médité la grandeur et l'importance. Je crois que ces paroles : "Avec intelligence, avec sagesse", signifient encore qu'il faut célébrer les louanges de Dieu, non seulement par la voix, mais par ses ¦uvres, et que la vie doit s'unir aux paroles pour chanter sa Gloire. "Car Dieu a régné sur les nations." Une autre version porte : "Au-dessus des nations." De quel règne veut-il ici parler ? Ce n'est point du règne qui Lui appartient comme créateur, mais de celui qu'Il est venu fonder par son union avec notre nature. Il régnait auparavant sur tous les hommes comme sur les créatures qu'Il avait tirées du néant, mais maintenant Il règne sur des sujets qui acceptent volontairement son empire. Et quel sujet plus digne d'admiration et de louange que de voir celui que les Juifs avaient chargé d'outrages opérer un si grand changement dans les c¦urs et faire chanter sa Gloire par toute la terre ? Ceux qui n'avaient aucune connaissance des prophètes, qui étaient étrangers à la loi, disons mieux, dont les m¦urs étaient semblables à celles des animaux sauvages, ont été changés tout d'un coup, ont abjuré toutes leurs erreurs et se sont soumis au Joug du Sauveur. Et ce ne sont pas seulement deux, trois, quatre, ou dix peuples, mais toutes les nations de la terre. "Dieu est assis sur son saint Trône." Que signifient ces paroles : "Il est assis sur son saint Trône ?" I1 règne, Il exerce le pouvoir souverain. Le Roi-prophète dit avec raison : "Sur son saint Trône." Car non seulement Dieu règne, mais Il règne saintement. Qu'est-ce à dire, qu'Il règne saintement ? D'une manière entièrement irréprochable. Les hommes qui parviennent au pouvoir absolu s'en servent trop souvent pour commettre l'injustice. Mais le Règne de Dieu est exempt de toute injustice, il est d'une pureté, d'une sainteté inviolables. Ni la fraude, ni quelque autre chose de ce genre ne peut induire en erreur ou corrompre son Jugement, Il est équitable, sincère, plus brillant que la lumière la plus pure et resplendissant d'une gloire éclatante. "Les princes des peuples se sont rassemblés et unis avec le Dieu d'Abraham, parce que les dieux puissants de la terre ont été extraordinairement élevés." (Ibid. 20).

6. Le Roi-prophète nous montre ici jusqu'où l'Évangile s'est étendu. Ce n'est pas seulement sur les particuliers, mais sur ceux qui portent le diadème et qui sont assis sur le trône. Il fait voir ensuite que ce Dieu est à la fois le Dieu de l'Ancien et du Nouveau Testament, lorsqu'il l'appelle "le Dieu d'Abraham." C'est-à-dire le Dieu de nos pères et Celui qui leur a donné la loi. C'est ce que Jérémie prédisait en ces termes : "J'établirai avec vous une nouvelle alliance, non pas selon l'alliance que J'ai formée avec vos pères dans les jours où Je les pris par la main pour les tirer de la terre d'Égypte"; (Jr 31, 31-32); et il prouvait ainsi qu'il n'y avait qu'un seul et même Législateur pour l'Ancien et le Nouveau Testament. Le prophète Baruch disait aussi : "C'est Lui qui est notre Dieu, et nul autre ne sera devant Lui. C'est Lui qui a trouvé toutes les voies de la sagesse, et qui les a découvertes à Jacob son serviteur et à Israël son bien-aimé. Après cela, Il a été vu sur la terre et Il a conversé avec les hommes" (Ba 3,36-38); paroles qui signifient clairement que Celui qui a donné la loi est le même qui S'est incarné, comme Celui qui S'est incarné est le même qui a donné la loi. C'est cette même vérité qu'exprime le Roi-prophète : "Les princes des peuples se sont assemblés et unis avec le Dieu d'Abraham." Le texte hébreu, au lieu de : "Avec le Dieu", porte : Em Eloï Abraham. Et quelle a été la cause de cette union ? Parce que les dieux puissants de terre ont été extraordinairement élevés. Quels sont ces dieux puissants ? Ne sont-ce pas les apôtres et tous les fidèles ? Leur puissance a brillé d'un si vif éclat qu'elle leur a soumis tous les hommes. Quelle puissance plus grande en effet, que celle de ces hommes qui ont combattu contre l'univers entier, contre les démons, contre les peuples, contre les villes, contre les nations, contre les rois, contre les tourments et les supplices, contre les grils ardents et les fournaises, contre la coutume, contre la tyrannie de la nature, et qui ont tout renversé, qui ont été supérieurs à tous les hommes, et qui n'ont été vaincus par personne ? Comment ne pas reconnaître la force invincible de ceux qui, même après leur mort, ont fait éclater une si grande puissance ? De ceux dont les paroles plus dures que le diamant résistent aux injures du temps ? En effet, nous les voyons prendre tous les jours de nouveaux accroissements par la bouche des prédicateurs qui portent ces paroles jusqu'aux extrémités de l'univers. Rendons grâces pour tant de bienfaits au Dieu plein de bonté, parce qu'à Lui est dû la gloire et la puissance, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 47

Psaume qui doit servir de cantique aux enfants de Coré, (v.1). - "Le Seigneur est grand et digne de toute louange, dans la Cité de notre Dieu et sur sa sainte Montagne." (Ibid. 2). "Il lui fait pousser de profondes racines aux acclamations de toute la terre." (Ibid. 3). Un autre interprète traduit : "Par la beauté de ses rejetons, à la joie de la terre entière." Un autre : "Avec un éclat déterminé dès le commencement et qui a rejailli sur toute la terre."

1. Ce psaume a pour objet la délivrance des guerres et des combats. Lorsqu'au retour de Babylone, les enfants d'Israël, affranchis des rigueurs d'une longue captivité, rentrèrent dans la terre de leurs pères et se virent délivrés des ennemis qui leur avaient fait la guerre, ils chantèrent ce cantique d'actions de grâces pour tous les bienfaits qu'ils avaient reçus de Dieu, Auteur de tout bien; "Le Seigneur est grand et digne de toute louange." Ils proclament que Dieu est grand, mais ils ne disent pas quelle est l'étendue de sa Grandeur. Personne ne peut la mesurer, c'est pour cela qu'il ajoute : "Et Il est souverainement digne de louanges", car sa Grandeur ne connaît point de bornes. Tel est le sens des paroles du prophète. C'est Lui seul qu'Il faut glorifier et louer au-delà de toute mesure, tant à cause de la grandeur infinie et incompréhensible de sa Nature, que par reconnaissance pour les bienfaits dont Il nous a comblés. Car Il a voulu, et toutes ses Volontés ont été accomplies. "Dans la Cité de notre Dieu et sur sa sainte Montagne." Que dites-vous ? Ce Dieu si grand, si digne d'éloges, vous restreignez ses louanges à une seule ville, une seule montagne ? Non, répond le prophète, mais je parle de la sorte parce que nous avons connu la grandeur de Dieu avant tous les autres peuples. Ou bien encore ces paroles : "Dans la Cité de notre Dieu" signifient que la grandeur des miracles qui se sont accomplis dans cette cité a fait éclater la Grandeur et la Gloire de Dieu. N'est-ce pas Lui en effet qui environna de gloire et d'éclat de misérables captifs, objet de mépris et d'opprobre, retenus dans un pays ennemi comme dans un tombeau ? N'est-ce pas Lui qui les éleva au-dessus de leurs propres vainqueurs, leur rendit et leur prospérité première et les anciennes institutions de leur patrie ? La grandeur seule des créatures, dit le Roi-prophète, suffisait pour proclamer la souveraine majesté de Dieu, mais comme l'intelligence d'un trop grand nombre ne pouvait comprendre ce langage, Dieu s'est fait connaître par les victoires qu'il nous a fait remporter sur nos ennemis. Il n'a cessé d'élever de nouveaux trophées, de nous faire marcher de victoires en victoires, et d'opérer des prodiges qui surpassaient toute espérance et toute attente. Il appelle cette ville la cité de Dieu, non que sa providence ne s'étendît pas sur les autres villes, mais parce que les Israélites étaient parvenus bien longtemps avant les autres à la connaissance de Dieu. Les autres nations pouvaient être appelées son peuple à titre de créatures, mais les Israélites l'étaient en vertu des liens particuliers qui les unissaient à Dieu, parce que c'était au milieu d'eux qu'il opérait tous ses miracles. Cette ville était alors appelée la cité de Dieu, mais maintenant nous appartenons tous à Dieu : "Ceux qui appartiennent à Jésus-Christ, dit saint Paul, ont crucifié leur chair avec leurs passions et leurs désirs déréglés." (Gal 5, 24). Vous voyez ici la perfection de la vertu. On appelait cette montagne la montagne de Dieu, parce que Dieu y était adoré.

"Il lui fait pousser de profondes racines aux applaudissements de toute la terre." Ces paroles sont très obscures et demandent une attention sérieuse. À une simple lecture on y trouve de grandes difficultés, mais celui qui cherchera à en pénétrer la signification, découvrira facilement leur liaison et leur enchaînement avec l'objet de ce psaume. Voici en effet le sens de ces paroles : "Le Seigneur est grand et souverainement digne de louange dans la cité de notre Dieu, qu'il enracine fortement sur la montagne sainte;" c'est-à-dire il lui fait pousser de profondes racines, il la fixe, il l'affermit à la joie et aux applaudissements de toute la terre. C'est la même pensée qu'un autre interprète rend d'une manière plus obscure, "avec un éclat qui a été prévu et qui doit rejaillir sur toute la terre. "Cette ville a été, en effet, la splendeur et la joie de l'univers entier; c'est là qu'étaient la source de la vraie religion, les racines et l'origine de la connaissance de Dieu. C'est à ce titre que Dieu l'a profondément enracinée et affermie pour l'ornement du monde, à la joie et aux applaudissements de toute la terre. Jérusalem, en effet, était alors l'école du monde entier, et ceux qui voulaient trouver avec la joie la science des vérités qui sont le plus bel ornement de l'intelligence, venaient puiser à cette source la connaissance de leurs devoirs. Aussi, pour mieux exprimer cette vérité, le Roi-prophète ne dit pas simplement : "Il l'enracine", mais : "Il lui fait pousser de profondes racines." Si vous voulez entendre ces paroles dans un sens plus relevé, vous reconnaîtrez la vérité de cette prédiction, car de Jérusalem l'allégresse s'est répandue sur toute la terre : c'est de là qu'est sortie la joie vive et pénétrante, c'est là qu'étaient les sources de la vraie sagesse; dans ce lieu où Jésus Christ a été crucifié, et d'où les apôtres sont partis pour évangéliser le monde. "C'est de Sion que sortira la loi, et la parole du Seigneur de Jérusalem." (Mi 4,2). Or cette joie a des racines immortelles.

"Les montagnes de Sion sont les côtés de l'aquilon." Suivant une autre version : "Les montagnes de Sion sont comme les croupes de l'aquilon." Le texte hébreu porte : Ar Sion jerchte Saphoun. Pourquoi est-il ici question du nord et pourquoi cette description de la ville ? Parce que c'est du nord que la guerre et l'invasion des peuples barbares venaient continuellement les assaillir. C'est ce que les prophètes expriment fréquemment en désignant la guerre sous le nom de l'aquilon et en décrivant le vase bouillonnant qu'embrase le souffle de l'aquilon. (Jr 1,13-14). Le royaume des Perses est en effet situé au nord relativement à la Palestine. Le Roi-prophète admirait donc ces événements et semblait dire à Dieu : "Tu as rendu imprenable cette ville du côté où elle était sans cesse attaquée." De même qu'en parlant du corps nous dirions : Tu as fortifié la partie qui était plus faible, le Roi-prophète veut faire entendre aussi que la joie et la sécurité règnent dans les lieux d'où venaient leurs gémissements, leurs larmes et la cause de tous leurs malheurs. Les menaces, la crainte, les dangers qui naissaient de ce côté ont fait place à l'allégresse; personne ne redoute plus cette partie septentrionale du monde; désormais aucune inquiétude, aucun soupçon, tous les habitants de la ville sont dans l'allégresse, parce que vous avez planté ses racines dans la paix et dans la joie. "La Cité du grand Roi." - "Dieu est connu dans ses maisons, lorsqu'Il prendra sa défense." (Ibid. 4). Une autre version traduit : "Il a été connu." Une autre : "Dieu sera connu dans ses palais pour les fortifier." Une autre : "Dieu est connu dans ses palais comme Celui qui doit la délivrer."

2. Le Roi-prophète proclame ici ce qui fait la dignité, la gloire, la couronne de Jérusalem; "Elle est la Cité du grand Roi." Il justifie ses droits à un si beau titre en ajoutant : "Dieu est connu dans ses maisons", c'est-à-dire que la Providence de Dieu l'environne de toutes parts, non seulement en veillant sur elle, mais en étendant sa Sollicitude à chacune de ses maisons. Nous n'avons pas besoin de cet effet particulier de la Providence pour connaître Dieu, mais le Prophète s'en sert pour découvrir aux ennemis de Dieu toute l'étendue de sa Puissance. Sous le règne d'Ézéchias, lorsqu'une nuée de barbares vint fondre sur cette ville, et l'entoura tout entière comme dans un filet, ils furent forcés de s'enfuir après avoir vu périr sous leurs yeux, la plus grande partie de leur armée. Beaucoup d'autres peuples qui s'emparèrent de cette ville en furent honteusement chassés. Ce sont là autant d'effets de la Providence de Dieu, qui ont donné à cette ville autant de gloire que d'éclat. Et non seulement elle est devenue célèbre, mais cette cé]ébrité est devenue pour elle un principe de grandeur.

"Les rois de la terre se sont assemblés, et ont conspiré unanimement contre elle." (Ibid. 5) Une autre version porte : "Voici que les rois ont rangé leurs armées en bataille. À son aspect, ils ont été remplis d'étonnement, de trouble et d'émotion." (Ibid. 6) Le tremblement les a saisis sous les murs, comme les douleurs de l'enfantement. (Ibid. 7). "Sous le souffle d'un vent impétueux." Un autre interprète traduit : "Sous le souffle d'un vent violent." Un autre : "D'un vent brûlant, Tu briseras les vaisseaux de Tharsis." (Ibid. 8) Une autre version porte : "Tu briseras". Le texte hébreu porte le mot Tharsis. Le Roi-prophète fait ici le récit d'une guerre vraiment terrible, d'une guerre à laquelle ont pris part tous les peuples réunis, et d'une victoire encore plus éclatante. Il a déclaré précédemment que Dieu protégeait cette ville et veillait sur elle, il en donne maintenant les preuves. Des nations innombrables étaient venues fondre sur elle (c'est ce que figurent cette multitude, ces rois réunis pour lui faire la guerre.) Ils s'étaient coalisés et avaient déjà rangé leurs armées en bataille, mais Dieu Se déclara si visiblement en sa faveur, qu'ils se retirèrent saisis d'effroi devant les prodiges signalés dont ils furent les témoins. Le sort de la guerre se tournait tellement contre eux, qu'ils s'enfuyaient remplis d'étonnement, de crainte et d'épouvante; des multitudes entières battaient en retraite devant un petit nombre de soldats; des armées réunies étaient saisies de crainte devant des troupes disséminées et ils ressentaient les douleurs d'une femme qui est en travail d'enfant. Il était donc évident que le succès de cette guerre n'était point dû à des moyens humains, mais que Dieu seul avait dirigé le combat, détruit les prétentions orgueilleuses des ennemis, ébranlé leur courage, et leur avait fait éprouver les plus cruelles douleurs et des frayeurs indicibles. Spectacle semblable à celui d'une flotte nombreuse assaillie par une violente tempête qui brise tous les navires, submerge les galères et sème partout le trouble et l'effroi. Par cette comparaison, le Roi-prophète veut nous faire comprendre à la fois la facilité de la victoire, et la grandeur de l'épouvante qu'elle répandit parmi les ennemis. On peut dire aussi que ceux qui avaient réuni des régions les plus lointaines une flotte considérable, périrent tous sous le souffle de la Colère de Dieu, comme sous l'effort d'un vent impétueux. C'est pour cela que le Roi-prophète désigne l'endroit d'où ils étaient partis, en ajoutant : "de Tharsis," mot qui se trouve également dans l'hébreu et que nous avons ajouté pour votre instruction dans la lecture du contexte. On peut adopter cette interprétation, ou celle que j'ai donnée précédemment : De même qu'un vent violent brise les vaisseaux qui viennent de Tharsis, ainsi la Colère de Dieu a semé le trouble et la terreur dans toute cette multitude. "Ce qu'on nous avait annoncé, nous le voyons dans la Cité du Dieu des armées, dans la Cité de notre Dieu." (Ibid. 9). Vous voyez comment il explique ce qu'il a dit précédemment. "Qui donne de profondes racines." Il ne dit pas : "Qui a donné; mais : "Qui donne" c'est-à-dire que sa Providence ne cesse de veiller sur cette cité, et de la couvrir comme d'un rempart inexpugnable. Après avoir raconté les événements qui se passèrent alors, il évoque de nouveau le souvenir des événements anciens, pour montrer le rapport qui existe entre les uns et les autres. Les choses que nous avions entendues, dit-il, nous en avons vu l'accomplissement sous nos yeux, c'est-à-dire les Victoires de Dieu, les triomphes, les effets de sa Providence et des prodiges qui surpassent toute pensée humaine. Dieu n'a jamais cessé de signaler sa Puissance; c'est donc à Lui qu'il appartient de nous délivrer de nos dangers, et de nous amener ainsi à la connaissance de sa Divinité. On ne peut qu'admirer le Roi-prophète, de rappeler ainsi le souvenir des événements les plus éloignés. Le passé comme le présent devait en effet concourir à l'instruction du peuple de Dieu. Le spectacle des événements qui s'accomplissaient sous leurs yeux, forçaient les moins intelligents de croire à la vérité des événements anciens. Il y avait ainsi pour eux double avantage, ils croyaient aux récits qu'ils entendaient, comme aux choses qu'ils voyaient de leurs yeux. "Dieu l'a fondée et affermie pour l'éternité." "Nous avons reçu, ô Dieu, ta Miséricorde au milieu de ton temple." (Ibid.1O). Une autre version porte : "Nous avons apprécié, ô Dieu, ta Miséricorde au milieu de ton peuple." On lit dans le texte hébreu : Echalach demmenu. "Ta louange ainsi que ton Nom s'étend jusqu'aux extrémités de la terre." (Ibid. 11).

3. Le Roi-prophète avait dit : "Ce que nous avons entendu, nous le voyons;" il explique maintenant ce qu'il a entendu et ce qu'il a vu. Qu'a-t-il entendu et qu'a-t-il vu ? C'est que la Protection de Dieu a revêtu la cité d'une force qui la rend indestructible. Ce qui est pour elle un fondement assuré, une force invincible, ce n'est ni l'appui, ni le secours qu'elle tire des hommes, ni les armées qui la défendent, ni les remparts, ni les tours qui la protègent; qu'est-ce donc ? La Protection dont Dieu la couvre. C'est la vérité qu'il fallait surtout enseigner aux Juifs, et le Roi-prophète ne cesse de les y ramener. "Nous avons reçu, ô Dieu, ta Miséricorde au milieu de ton temple." Qu'est-ce à dire "Nous avons reçu ?" Nous avons espéré, nous avons entendu, nous avons connu ta Miséricorde. Il avait dit précédemment : Dieu a fondé cette cité, il lui a fait pousser de profondes racines, il l'a fortifiée comme d'un rempart. Or il veut leur apprendre que de si grandes faveurs ne sont point dues aux mérites de ceux qui les reçoivent, mais à la Bonté de Celui qui les accorde, et pour réprimer en eux toute pensée d'orgueil, il s'adresse à Dieu à peu près en ces termes : Ces bienfaits signalés, sont l'¦uvre de ta Miséricorde, de ta Gloire, de ta Bonté. C'est pour cela qu'il ajoute : "Ta louange ainsi que ton Nom s'étendent jusqu'aux extrémités de la terre." "Ta louange", semble-t-il dire, opère des prodiges admirables, dont l'éclat et la gloire égalent la grandeur. Tu n'as mesuré tes bienfaits ni à leurs vertus, ni à leurs mérites, mais à ta propre Grandeur. Ta louange donc, c'est-à-dire la renommée de tes ¦uvres a répandu partout le bruit des grandes choses que Tu as accomplies en leur faveur. La Palestine seule en avait été le théâtre, mais l'éclat et l'importance de ces événements en firent parvenir la nouvelle jusqu'aux extrémités de la terre, et les peuples les plus éloignés en étaient instruits. La courtisane de Jéricho connaissait les prodiges opérés dans l'Égypte, mieux que ceux-là mêmes qui en avaient été les témoins. (Jos 2,1O) Ainsi, les habitants de la Perse proclamaient les événements accomplis dans la Palestine, et les peuples des extrémités de la terre connaissaient à leur tour les prodiges que Dieu avait opérés dans la Perse. (Dan 3,92). Et c'était justement pour en répandre la connaissance, que le roi envoya des lettres par tout l'univers, pour publier le miracle des enfants dans la fournaise. Aussi, le Roi-prophète, après avoir dit : "Ta louange s'étend jusqu'aux extrémités de la terre", ajoute : "Ta Droite est pleine de justice." Suivant sa coutume, il remonte des ‘uvres extérieures de Dieu jusqu'à ses divines Perfections. Gardons-nous de croire que ces Perfections soient jamais susceptibles d'accroissement ou de diminution, car la faiblesse et l'imperfection de notre langage nous font un devoir de donner à nos paroles un sens qui soit digne de Dieu. Les Perfections qui, dans le langage du prophète, sont inhérentes à la Nature de Dieu, font donc partie de sa propre Substance. Quelles sont ces Perfections ? "Ta Droite est pleine de justice. "Il prouve ici que Dieu n'agit point en vertu des mérites de ceux qu'Il comble de ses Bienfaits, mais sous l'inspiration de sa propre Nature qui met sa joie et son plaisir dans la manifestation de sa Justice et de sa Bonté; c'est là son ‘uvre par excellence, son ‘uvre de prédilection, et voilà pourquoi Dieu répandait sur eux ses Bienfaits par torrents. Il est dans sa Nature de faire du bien, comme dans la nature du feu, d'échauffer; comme dans la nature du soleil d'éclairer, et encore cette Inclination de Dieu à faire du bien, est-elle de beaucoup supérieure. C'est ce qui fait dire au Roi-prophète : "Ta Droite est pleine de justice," paroles qui signifient que cette perfection est en Dieu au plus haut degré, et qu'elle fait partie de sa Nature.

"Que le mont de Sion se réjouisse, et que les villes de Juda tressaillent d'allégresse à la vue de tes jugements, Seigneur." (Ibid.12) Un autre interprète traduit : "À cause de tes Jugements." "Mesurez le circuit de Sion, parcourez son enceinte." Une autre version porte : "Faites le tour de Sion; racontez ces choses du haut de ses tours." (Ibid. 13) Suivant une autre version : "Comptez le nombre de ses tours." "Appliquez-vous à considérer sa force." Une autre version porte : "Son enceinte." Une autre : "Sa richesse. Et faites le dénombrement de ses maisons." (Ibid. 14). Une autre version traduit : "Mesurez ses palais, et vous apprendrez aux générations futures." Une autre : "à la génération suivante." "Que le Dieu qui la protège est notre Dieu, notre Dieu pour l'éternité, et qu'Il régnera sur nous dans tous les siècles;" (Ibid.15). Pourquoi le Roi-prophète commande-t-il de faire le tour de la ville, de compter le nombre de ses tours, de considérer ses édifices, de contempler sa beauté, de faire le dénombrement de ses murs et de ses remparts, de mesurer ses maisons et ses palais ? Nous n'avons point besoin de l'expliquer, il nous en donne lui-même la raison. Quelle est-elle ? "Afin que vous appreniez à la génération qui suivra." Tel est donc le sens des paroles du Prophète : "Que la joie inonde vos c¦urs et livrez-vous aux transports de l'allégresse. Toutefois ne le faites pas à la légère, mais considérez attentivement quelle est la force de votre cité. Cette ville avait été renversée, déracinée pour ainsi dire de fond en comble, et le sol même sur lequel elle s'élevait était presque détruit. Ils désespéraient donc de voir pour elle des jours meilleurs, et ils disaient : "Nos os ont séché, nous sommes épuisés, nous sommes retranchés," (Ez 37,ll), et ils avaient perdu toute espérance de rentrer en possession de cette ville. Elle leur fut cependant rendue, et non pas telle qu'ils l'avaient perdue, mais dans un état bien supérieur de prospérité, de splendeur, d'éclat, d'autorité, de richesse, de magnificence dans ses édifices, dans son commerce, dans sa puissance, dans ses ressources, dans l'abondance de toutes choses. Car le prophète l'avait prédit : "La gloire de cette maison sera plus grande que celle de la première." (Ag 2,l0). Le psalmiste encourage ici le peuple à peu près en ces termes : Voyez cette ville qui avait perdu tout espoir, qui avait été détruite et ne formait plus qu'un monceau de ruines; comment a-t-elle été rétablie dans un état plus brillant ? Considérez donc avec attention sa reconstruction, sa splendeur, son éclat, et en reconnaissant que c'est la Puissance de Dieu qui a élevé si haut cette ville qui n'avait plus d'espérance, racontez à vos descendants les ¦uvres de la Puissance divine et de la Providence continuelle da Dieu qui ne cesse de veiller sur nous, de nous diriger, de nous détendre. Ces récits seront pour vos descendants une haute leçon de sagesse, un moyen précieux pour arriver à une connaissance plus approfondie de Dieu, et à une pratique plus parfaite de la vertu. Vous comprenez maintenant pourquoi Il les engage à parcourir la ville dans toute son étendue, c'est afin d'instruire exactement leurs descendants des merveilles qu'elle renferme.

4. Et nous aussi, ne cessons de considérer et de contempler en nous-mêmes Jérusalem, notre véritable cité. Ayons toujours devant les yeux la beauté de cette ville qui est la métropole du Roi des siècles et qui réunit dans son sein les esprits des justes, les ch¦ur des patriarches, des apôtres, de tous les saints, où la mobilité des choses de la terre fait place à l'immutabilité, où toute beauté est invisible et immortelle. Ceux-là seuls la recevront en héritage, qui se seront entièrement détachés de tous les biens passagers et corruptibles de la vie présente, c'est-à-dire des richesses, des plaisirs et de toute ces voluptés pernicieuses dont le démon est l'inventeur. Développons donc de jour en jour dans nos c¦urs la charité fraternelle, I'amour du prochain, exerçons avec plus de soin l'hospitalité à l'égard des pauvres, pardonnons les injures du fond de notre c¦ur; c'est ainsi qu'après une vie toute remplie d'¦uvres agréables à Dieu, nous deviendrons héritiers du royaume des cieux, en Jésus Christ notre Seigneur à qui appartient la gloire et le règne avec le Père et l'Esprit saint, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 48

"Pour la fin, aux enfants de Coré." Suivant une autre version : "Chant de victoire." (v.1). &emdash; "Peuples, écoutez tous ces choses." Un autre interprète traduit : "Écoutez ceci." "Prêtez l'oreille, vous tous, habitants de l'univers." (Ibid. 2). Suivant une autre version : "Vous qui habitez les régions profondes de l'Occident." Suivant une autre : "Qui habitez l'Occident." Dans le texte hébreu : "Old. Enfants du peuple ou des grands." Un autre interprète traduit : "Le genre humain et en outre les enfants de tous les hommes, qu'ils soient riches ou pauvres." (Ibid. 3). On lit dans une autre version : "Ensemble, les riches et les pauvres."

1. Le Roi-prophète va nous donner dans ce psaume de grandes et mystérieuses leçons. Car il n'inviterait pas le monde entier à venir l'entendre, il ne choisirait pas l'univers pour théâtre, s'il n'avait à nous apprendre de grandes et imposantes vérités dignes d'être proposées à une si vaste assemblée. Ce n'est plus seulement aux Juifs qu'il parle comme prophète, il s'adresse comme apôtre, comme évangéliste, au genre humain tout entier. La loi n'adressait ses enseignements qu'à une seule nation, dans un seul coin de la terre; mais la prédication évangélique a retenti sur toute la surface du globe, elle s'est étendue jusqu'aux extrémités du monde habité et a parcouru autant de contrées que le soleil en éclaire de ses rayons. Les enseignements de la loi étaient une introduction élémentaire et comme un ministère de condamnation et de mort; tandis que la doctrine de la prédication apportait la grâce et la paix. Puisque le Psalmiste invite tout l'univers à écouter ses paroles, rendons-nous à son invitation, et voyons ce que veut nous enseigner ce docteur et ce maître du genre humain. Barbares, ou philosophes, ou simples particuliers, vous faites donc indistinctement appel à tous les hommes ? Oui, répond-il. Voilà pourquoi il commence en ces termes : "Peuples, écoutez tous", et il explique sa pensée en ajoutant : "Vous tous qui habitez la terre, et vous, enfants des hommes." Quelle doctrine admirable ! Comme elle convient et s'accommode à tous les esprits ! Aussi ce n'est pas un simple appel fait à tous les hommes, il les invite encore à écouter ses paroles avec l'attention la plus sérieuse. Il ne leur dit pas seulement : "Peuples, écoutez tous", mais : "Prêtez l'oreille." Car prêter l'oreille ne signifie autre chose qu'écouter avec soin et avec une attention soutenue. En effet, prêter l'oreille, ou recevoir dans l'oreille, se dit de ceux qui se parlent à l'oreille, et se recommandent mutuellement d'être attentifs à ce qu'ils disent. "Prêtez l'oreille, vous tous qui habitez la terre." Ceux-là même qui ne font point partie des peuples, mais qui sont mêlés et dispersés parmi les nations comme des tribus nomades, je les appelle à venir écouter mes paroles. Voyez l'habileté de l'orateur, il commence par exciter leur attention et les dispose à entendre ses enseignements en les appelant tous en masse et sans distinction.

Après cet appel, il réprime l'orgueil que la vue de leur grande multitude pouvait leur inspirer. En effet, la préparation que les auditeurs doivent apporter aux enseignements de la sagesse, c'est la componction, l'humilité, un c¦ur libre de toute enflure et de tout sentiment d'orgueil. Et comment réprime-t-il leur vaine suffisance ? Par le souvenir de leur commune nature. Pourquoi ajoute-t-il : "Et vous tous enfants des hommes ?" Il venait de dire : Vous qui habitez la terre ou qui êtes sortis de la terre, et cette expression aurait pu autoriser cette erreur de la mythologie soutenue par quelques auteurs, que les hommes sont sortis de semences confiées à la terre. Il se hâte donc d'ajouter : "Et vous enfants des hommes." Vos pères sont des hommes, mais ils ont comme vous la terre pour principe de leur origine. "Comment donc la terre et la cendre peuvent-elles s'enorgueillir ?" (Si 9,9). Considérez quelle est votre mère, et que cette considération étouffe en vous tout sentiment d'orgueil. Abaissez et humiliez ces pensées superbes, considérez que vous êtes poussière et que vous retournerez en poussière, et vous éloignerez ainsi de vous toute arrogance; car voilà l'auditeur qu'il me faut. Je veux vous inspirer des sentiments de modération pour vous rendre plus propres à comprendre mes paroles. "Riches et pauvres." Vous voyez quelle est la noblesse et la générosité de l'Église. Et comment nier cette noblesse, lorsque la différence de condition n'est point pour elle un motif de faire exception de personne, parmi ses disciples, mais que nous la voyons répandre indistinctement sa doctrine sur le pauvre comme sur le riche et les faire asseoir tous deux à une table commune ? Après avoir montré le lien qui les unit, c'est-à-dire d'avoir la terre pour commune origine, d'être tous les enfants des hommes, et d'avoir tous une même nature, il fait voir que la distinction qui ressort de la différence des conditions sociales est nulle, en les appelant tous indistinctement à écouter ses paroles. Je vous invite tous en général, parce que nous avons tous une commune nature, parce que la terre tout entière est notre commune cité. (Ac 17,26). Vous avez encore introduit une autre distinction, et par là même une autre inégalité fondée sur la pauvreté et la richesse, je les repousse également. Je n'admets pas les riches en rebutant les pauvres, je n'appelle point les pauvres en repoussant les riches, je les convoque tous sans distinction, et dans l'appel que je leur fais, il n'y a ni premiers, ni derniers, tous sont appelés en même temps. L'assemblée, le discours, les auditeurs, tout est commun. Vous êtes riche, mais vous n'en êtes pas moins sorti de la même boue, et vous avez eu la même entrée en ce monde, la même origine que le pauvre. Vous êtes enfant des hommes, il l'est également.

Puisque donc vous possédez au même titre les avantages d'un ordre supérieur, ceux qui sont de l'aveu de tous, les premiers et les plus honorables, pourquoi vous enorgueillir pour des ombres et pour des songes, en sacrifiant à ces distinctions chimériques les biens réels qui vous sont communs. Vous avez tous ensemble une communauté de nature, une communauté d'origine, une communauté de relations; pourquoi donc vouloir vous distinguer par la richesse de vos vêtements ? C'est ce que je ne puis souffrir, et voilà pourquoi je vous appelle conjointement avec le pauvre : "Ensemble le riche et le pauvre." Partout ailleurs je cherche inutilement cette égalité entre le riche et le pauvre, elle n'existe ni dans les tribunaux, ni dans les palais, ni dans les réunions publiques, ni dans les banquets; là, le riche est honoré, le pauvre ne recueille que le mépris, l'un a toute liberté, l'autre est couvert de honte. "La sagesse du pauvre est méprisé, et ses paroles ne sont pas écoutées." (Si 9,16). Le riche a parlé, et tous applaudissent à ses discours; le pauvre veut ouvrir la bouche, et on ne lui permet point de parler. (Si 8,27-28). Il n'en est point de même ici; dans cette assemblée ne veux point de ces distinctions insensées, et je propose à tous une doctrine commune. Vous voyez la prudence de ce docteur inspiré, et comment dès l'exorde de son discours, il fait ressortir la grandeur et l'importance de son enseignement. En appelant tous les hommes indistinctement, il ne laisse de place ni à l'orgueil du riche, ni à l'humiliation du pauvre, et il fait voir que les richesses ne sont pas plus un bien que la pauvreté n'est un mal, mais que ce sont là des choses indifférentes et purement extérieures. Il m'importe donc peu que vous soyez riches ou pauvres, la richesse ne vous élève pas plus que la pauvreté ne vous amoindrit à mes yeux.

Quelqu'un me dira peut-être; mais comment, vous qui n'êtes qu'un homme, dont la nature n'est point supérieure à la nôtre, portez-vous la prétention jusqu'à vous ériger en docteur du monde entier, et appelez-vous pour vous entendre les habitants des extrémités de la terre ? Vos paroles sont-elles dignes d'une si grande assemblée ? Oui, répond-il; en effet après cette convocation du monde entier, écoutez comme il rend son discours digne de foi : "Ma bouche dira la sagesse et les méditations de mon c¦ur feront entendre les enseignements de la prudence." (Ibid. 4). Un autre interprète traduit : "Mon c¦ur chantera les leçons de la sagesse." Le texte hébreu porte : Ovagith. Vous voyez comme son discours s'élève aussitôt au-dessus des choses de la terre. Je ne vous parlerai, dit-il, ni des richesses, ni des dignités, ni de la puissance, ni de la force du corps, ni d'aucune autre chose passagère et fragile; mais je vous ferai entendre le langage exact et précis de la sagesse, que j'ai acquise par de longues et profondes méditations. "Je prêterai l'oreille pour recevoir les paraboles." (Ibid. 5). Suivant un autre interprète : "Je prêterai l'oreille aux paraboles." Le texte hébreu porte : Lamasal. "Je développerai sur la harpe le sujet de mes chants." Suivant une autre version : "Mes paroles énigmatiques." L'hébreu porte : Idathi. Mais où est donc ici la liaison avec ce qui précède ? À la place d'un docteur, je vois maintenant un disciple. Vous nous appelez à venir recevoir des enseignements utiles, et lorsque nous avons tous répondu à votre appel et que nous sommes réunis autour de vous, après que vous nous avez promis de nous faire entendre les paroles de la sagesse, au lieu de nous tenir ce langage,vous laissez l'office du docteur pour prendre celui de disciple. "Je prêterai, dit-il, l'oreille pour entendre la parabole." Que signifient ces paroles ? Elles sont parfaitement en rapport avec ce qui précède. Je vais, a-t-il dit, vous faire entendre le langage de la sagesse; mais que personne ne s'imagine que c'est un langage humain, et que cette méditation de mon c¦ur est une invention personnelle. Les paroles que vous allez entendre sont divines, je ne dirai rien de moi-même, et ne vous transmettrai que les enseignements que j'ai moi-même reçus. J'ai incliné l'oreille pour entendre les paroles de Dieu, et ce sont ces paroles descendues du ciel dans mon âme que je vous fais entendre à mon tour. C'est ce qu'Isaïe exprimait en ces termes : "Le Seigneur m'a donné une langue savante pour distinguer le temps où il faut parler, il a préparé mon oreille à L'entendre (Is 50,4). Saint Paul dit également de son côté : "La foi vient de ce qu'on a entendu, et ce qu'on entend vient de la prédication de la parole de Dieu." (Rm 10,17) Vous voyez que le Roi-prophète a commencé par être disciple avant de devenir docteur. Voilà pourquoi un autre interprète traduit : "Et mon c¦ur chantera." Que signifie cette expression : "Il chantera" ? Il se livrera à une mélodie toute spirituelle. Ne soyez point surpris de cette expression : "La méditation de mon c¦ur." Le Roi-prophète méditait continuellement les enseignements qu'il avait reçus de l'Esprit saint, et les repassait dans son âme, et ce n'est qu'après de longues méditations qu'il les transmettait aux autres.

€Quel est le sens du mot parabole ? Ce mot peut s''entendre diversement; il signifie un entretien, un exemple, un objet de mépris comme dans ces paroles : "Tu nous as rendus un objet de mépris pour les nations, les peuples nous insultent en secouant la tête." (Ps 43,15) Il signifie encore un discours énigmatique, auquel plusieurs donnent le nom de question ou de problème, dont l'objet au lieu de ressortir clairement des paroles, a une signification mystérieuse et cachée, comme dans ces paroles de Samson : "La nourriture est sortie de celui qui dévore, et la douceur est venue du fort," (Jg 14,14), et dans ces autres de Salomon : "Il pénétrera les paraboles et leurs secrets." (Pr 1,6). La comparaison s'appelle aussi parabole : "Il leur proposa une autre parabole en leur disant : Le royaume des cieux est semblable à un homme qui a semé de bonne semence." (Mt 13,24). La parabole est encore un discours figuré : "Fils de l'homme, dit Dieu à Ézéchiel, dis-leur encore cette parabole : Un aigle énorme avec de grandes ailes." (Ez 17,1-3). Cet aigle était la figure du roi. Enfin, le mot parabole signifie encore figure et image, comme dans ces paroles de saint Paul : "C'est par la foi qu'Abraham, lorsque Dieu voulut le tenter, offrit Isaac, et sacrifia son fils unique qui avait reçu les promesses de Dieu, et il lui fut rendu en parabole." (He 12,17-19), c'est-à-dire en figure et en image de l'avenir.

3. Quel est donc ici le sens de ce mot ? À mon avis, il signifie narration, récit. Si les paroles du Roi-prophète sont enveloppées d'obscurité et renferment d'assez grandes difficultés, n'en soyez point surpris, il agit ainsi pour rendre ses auditeurs plus attentifs, et il leur parle en parabole parce qu'une trop grande clarté devient pour un grand nombre une cause d'inattention et de négligence. C'est ainsi que Jésus Christ parlait souvent au peuple en paraboles, qu'il expliquait en particulier à ses disciples. (Mc 4,33-34). La parabole, en effet, sert à discerner celui qui est digne de celui qui ne l'est pas. Le premier cherche à comprendre le sens des paroles qui lui sont adressées, l'autre les laisse passer sans y faire attention; c'est ce qui arriva du temps du Sauveur. La difficulté de comprendre ce qu'Il leur disait, ne les portait nullement à L'interroger, et ils n'y prêtaient aucune attention. Cependant, l'obscurité d'un discours qu'on entend est un motif d'en rechercher la signification. Notre Seigneur Jésus Christ agissait donc de la sorte, et leur parlait en paraboles pour les exciter, les stimuler et faire sortir de leur sommeil ces hommes endormis; mais ils n'en devenaient pas plus attentifs. Les disciples au contraire appliquaient leur esprit aux paroles du Sauveur, et la difficulté de les comprendre et leur ignorance étaient le principal motif qui les retenait près de Jésus Christ. Aussi Il leur donnait en particulier l'explication de ces paraboles. C'est pour la même raison que le Roi-prophète dit ici : "Je prêterai l'oreille pour recevoir la parabole, je développerai mon problème sur la harpe." Un problème est un discours obscur et énigmatique, et c'est dans ce sens qu'il dit ailleurs : "Je ferai connaître les choses cachées depuis le commencement du monde." (Ps 77,2). Plein de confiance dans l'Inspiration divine, il ne craint pas de dire que son langage est le langage de la sagesse, et il ajoute : "Je chanterai sur la harpe", pour montrer que sa doctrine est toute spirituelle, et qu'elle lui a été inspirée d'en haut. Il enseigne cette doctrine sous la forme de chant, pour donner plus de charme à ses paroles. Vous connaissez maintenant son exorde. Il a convoqué le monde tout entier, sans tenir compte des distinctions qui existent entre les hommes, il les a rappelés au souvenir de leur commune nature, rabattu leurs orgueilleuses prétentions. Puis il leur annonce de graves et importantes leçons; il n'en est pas l'auteur, mais elles lui ont été inspirées de Dieu; il les prévient de l'obscurité de ses paroles pour les rendre plus attentifs, et il nous promet de nous enseigner la sagesse spirituelle, sujet continuel de ses méditations. Apportons donc une grande attention, et ne passons pas légèrement sur ses paroles. Puisque c'est ici le langage de la sagesse, une parabole, un problème, il faut y apporter un esprit des plus attentifs.

Mais quel est ce conseil, ce problème, cette parabole, cette sagesse qui lui a été inspiré du ciel ? "Pourquoi craindrai-je au jour mauvais ?" Un autre interprète traduit : "Dans les jours du méchant." Un autre : "Dans les jours du mauvais." La version syriaque porte : "Rha. D'être enveloppé de l'iniquité de mes voies." (Ibid. 7). Une autre version porte : "De mes pas. Le texte hébreu : Aon accabai isubbani. Vous voyez en effet que c'est ici un problème, une énigme, un discours obscur, mystérieux et caché. Examinons d'abord, si vous le voulez, quel est ce jour mauvais; qu'est-ce que l'Écriture entend par là ? Un jour de calamités, un jour de supplices, un jour d'afflictions. C'est ainsi que l'entend lui-même le Psalmiste dans cet autre endroit : "Heureux celui qui veille avec intelligence sur le pauvre, au jour mauvais le Seigneur le délivrera." (Ps 40,1) Tel est ce jour qui sera si terrible et si redoutable pour les pécheurs. Vous voyez quel est le premier principe de la Sagesse divine, et comment la parole inspirée définit avec précision ce qui est digne de crainte et ce qui mérite condamnation. Celui qui ne fait point cette distinction essentielle, reste dans de profondes ténèbres, toutes choses sont pour lui confuses et sans aucune issue. Si nous ne savons distinguer en effet, quels doivent être les véritables objets soit de notre crainte, soit de notre mépris, nous nous exposons à de grandes erreurs et à des dangers certains. Ne serait-ce pas une insigne folie de redouter ce qui n'est nullement digne de crainte, et de rire de ce que nous devrions sérieusement redouter ? Ce qui distingue les hommes des enfants, c'est que les enfants dont l'intelligence n'est pas encore développée, ont peur des figures déguisées, des hommes qui se couvrent d'un sac, et qu'en même temps, ils sont insensibles aux outrages faits à leur père et à leur mère, se jettent au milieu du feu et des lampes allumées, sont saisis d'effroi au plus léger bruit; tandis que les hommes faits sont supérieurs à toutes ces impressions. Mais comme il en est beaucoup qui sont moins raisonnables que les enfants, le Roi-prophète leur enseigne à faire ce discernement. Ce qu'il faut craindre, ce n'est pas ce qui est pour la plupart un objet de terreur et d'effroi, je veux dire la pauvreté, le mépris, la maladie (car voilà ce qui est non seulement terrible, mais écrasant et insupportable pour un grand nombre; aussi le Psalmiste n'en dit pas un mot). Mais le péché seul; voilà le sens de ces paroles : "Je serai enveloppé par l'iniquité de mes voies." C'est là ce discours énigmatique, cette parabole nouvelle et singulière. N'est-ce pas une véritable nouveauté pour un grand nombre en effet, que de venir leur dire qu'ils ne doivent craindre aucun des accidents fâcheux de cette vie ? Que devrai-je donc craindre au jour mauvais ? Une seule chose, c'est d'être enveloppé de l'iniquité de mes voies et de ma vie. L'Écriture sainte a coutume de désigner la fraude sous la figure du talon : "Celui qui mangeait avec moi, dit ailleurs le Psalmiste, a levé le talon contre moi." (Ps 40, 10). Ésaü disait aussi de Jacob : "C'est la seconde fois qu'il me supplante." Telle est, en effet, la nature du péché, il nous et séduit s'empare de nous. Je crains donc, dit le Roi-prophète, le péché qui me trompe et qui m'enserre de toutes parts.

4. Voilà pourquoi saint Paul dit du péché qu'il est autour de nous, c'est-à-dire qu'il nous environne et nous enserre avec une extrême facilité, et sans que nous y prenions garde. Dans les jugements de la terre, mille choses sont à craindre pour les hommes, l'influence des richesses, la puissance, l'injustice, la fraude. Ici rien de semblable, une seule chose est à redouter, c'est le péché qui presse de tous côtés ceux qui s'y laissent prendre et dont la puissance est plus terrible que celle des armées. Faisons donc les derniers efforts pour ne point devenir sa proie. Dès que nous voyons qu'il veut nous saisir, fuyons les occasions, comme font les soldats aguerris. Si par malheur il réussit à nous rendre captifs, rompons aussitôt ses chaînes à l'exemple de David qui brisa toute la force du péché par la pénitence. (2R 12,13). Il était littéralement environné par le péché, mais il ne tarda point à fuir cet ennemi cruel. Celui qui craindra le péché ne craindra plus rien autre chose, et sous l'impression salutaire de cette seule crainte, il se rira des biens comme des maux de la vie présente. Non, rien absolument n'est à redouter pour celui qui est dominé par cette crainte, pas même la mort qui inspire le plus d'effroi; il ne craint que le péché. Et pour quel motif ? Parce qu'il nous livre aux feux de l'enfer, parce qu'il nous dévoue à d'éternels supplices. La fidélité à seul point est encore un principe fécond de vertus. Considérez combien il est grand en effet de ne point s'enfler de la prospérité, de ne point se laisser abattre par l'adversité, de n'attacher aucune importance aux choses de la vie présente, de contempler les biens futurs, d'attendre ce jour de l'éternité et d'être toujours sous l'impression de cette crainte. Ne redoutez que le péché et vous serez un ange; cette seule crainte vous affranchira de toutes les autres, comme aussi sans elle, vous serez en proie à des terreurs continuelles.

"Ceux qui se confient dans leur puissance et qui se glorifient dans la multitude de leurs richesses." (Ibid. 7). Suivant une autre version : "Ceux qui s'enorgueillissent." &emdash; "Le frère ne pourra racheter son frère, un homme le rachètera-t-il ? Il ne pourra apaiser Dieu ni Lui offrir le prix de la rançon de son âme." (Ibid. 8). Où est ici la suite des idées ? Elle est on ne peut plus étroite et plus frappante. Le Roi-prophète venait de parler du jugement, du compte terrible que nous devons y rendre et de cette sentence que rien ne peut corrompre. Or, comme dans les jugements de la terre il en est beaucoup qui ont corrompu la justice et qui ont échappé au supplice en achetant les juges à prix d'argent, il proclame que la Justice divine est inaccessible à toute corruption, et il augmente la crainte qu'il a cherché à inspirer en montrant qu'il a eu raison de dire qu'il n'y avait qu'une seule crainte légitime, celle qui vient du péché. Car, devant ce tribunal, la justice ne peut être corrompue à prix d'argent, les présents ne peuvent délivrer des supplices de l'enfer, et il n'y a ni protection, ni éloquence, ni aucun autre moyen capable de nous sauver. Soyez riche, soyez puissant, soyez connu de personnages influents, tout cela sera inutile, les ¦uvres seules seront ici la cause de votre châtiment ou de votre récompense. Le riche du temps de Lazare était renommé par ses grandes richesses, mais à quoi lui ont-elles servi ? (Lc 16). Les vierges folles étaient connues d'autres vierges, et cette connaissance leur fut tout à fait inutile (Mt 25); car on ne demande là qu'une seule chose. Vous donc qui mettez votre confiance dans vos richesses, et qui êtes environné de puissance, c'est en pure perte que votre c¦ur s'enfle d'un vain orgueil; ni la multitude de vos trésors, ni la grandeur de votre puissance ne vous suivront devant ce tribunal, et vos connaissances, vos parents, vos relations seront impuissants pour vous délivrer. Il n'y a point de richesses, point d'expiation, point de rançon capables alors de vous sauver. Que signifient donc ces paroles de l'Écriture : "Employez les richesses injustes à vous faire des amis, afin qu'ils vous reçoivent dans les demeures éternelles ?" (Lc 16, 9). Quel peut être le sens de ces paroles ? Loin d'être en contradiction ou en opposition avec celles du Roi-prophète, elles leur donnent une nouvelle confirmation. Dans la vie présente, nous devons nous faire des amis par nos largesses, et en distribuant nos biens aux pauvres. Le Sauveur nous recommande donc simplement de faire d'abondantes aumônes. Car si vous sortez de cette vie sans avoir suivi cette recommandation, vous ne trouverez alors aucun défenseur. En effet, ce n'est point précisément l'amitié des pauvres qui nous protégera, mais la cause de cette amitié, c'est-à-dire les richesses que nous leur aurons distribuées. C'est pour cela que notre Seigneur nous dit : "Faites-vous des amis avec vos richesses injustes", pour vous apprendre que ce sont vos ¦uvres, vos aumônes, votre charité, votre compassion pour les indigents qui seront alors votre appui. Sans ces ¦uvres, ni vos parents ni vos amis ne pourront vous être utiles, au témoignage du prophète : "Si Noé, Daniel] et Job intercèdent en leur faveur, ils ne délivreront ni leurs fils, ni leurs filles." (Ez 14,14-16). Mais pourquoi parler de la vie future ? Pendant le cours de cette vie même, nos amis ne peuvent nous servir de rien. Combien Samuel n'a-t-il pas versé de larmes, combien n'a-t-il pas gémi sur Saül, sans pouvoir le sauver ! (1R 15,35). Combien Jérémie a-t-il prié pour son peuple ! Et loin d'obtenir ce qu'il demandait, Dieu lui fit un reproche de sa prière. (Jr 14, 7-11). Et qu'y a-t-il d'étonnant que Jérémie n'ait pu rien obtenir, lorsque Dieu déclare que Moïse lui-même, s'il s'était présenté devant Lui, n'aurait pu sauver les Juifs, (Jr 15,1), tant ils avaient porté loin l'excès de leurs iniquités sans rien faire pour les réparer ?

5. Combien encore le triste état des Juifs a-t-il causé des gémissements à l'apôtre saint Paul ! "La disposition de mon c¦ur, nous dit-il, et mes prières à Dieu sont toutes pour leur salut." (Rm 10,1). Cependant quel a été l'effet de sa prière ? Il a été absolument nul. Et que dis-je, sa prière ? Il a même désiré d'être anathème pour ses frères. (Rm 9, 3). Mais quoi donc ? Faut-il en conclure que les prières des saints soient inutiles ? Non sans doute, mais leur grande puissance vient de l'appui que vous leur donnez vous-mêmes. C'est ainsi que Tabithe fut ressuscitée non seulement par la prière de Pierre, mais par la vertu de ses propres aumônes, et c'est de cette même manière que les prières des saints ont été utiles à un grand nombre. Et encore la puissance de ces prières est-elle restreinte à la vie présente, car dans l'autre vie nos bonnes ¦uvres seules peuvent assurer notre salut. Le Roi-prophète se rit ici des riches et des orgueilleux de la terre. Et remarquez qu'il ne dit pas :"Ceux qui possèdent de grandes richesses ou qui sont revêtus d'une grande puissance, mais : "Ceux qui se confient dans la multitude de leurs richesses et qui se glorifient dans leur puissance"; et il se moque d'eux en même temps qu'il les condamne, parce qu'ils mettent leur confiance dans des ombres, et leur gloire dans une vaine fumée. Rien de plus juste que cette pensée : "Il ne paiera point le prix de la rançon de son âme, car le monde entier lui-même ne pourrait suffire à sa rançon". C'est ce qui faisait dire à notre Seigneur : "Que sert à l'homme de gagner tout l'univers, s'il vient à perdre son âme ?" (Mt 16,26). Voulez-vous une nouvelle preuve que le monde entier ne peut payer la rançon d'une seule âme, écoutez ce que dit saint Paul des saints de l'ancienne loi : "Ils ont mené une vie errante, couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvres, pauvres, affligés, persécutés, eux dont le monde n'était pas digne." (He 11,37-38). Car le monde n'existe que pour l'âme. De même donc qu'un père ne voudrait point accepter une maison en place de son fils, ainsi Dieu ne peut recevoir le monde pour prix d'une âme; ce sont de bonnes ¦uvres et des vertus qu'Il demande. Voulez-vous comprendre la grandeur du prix de nos âmes ? Lorsque le Fils de Dieu voulut les racheter, ce n'est ni un homme, ni la terre, ni la mer, mais son Sang précieux qu'Il offrit pour sa rançon. C'est ce que saint Paul exprimait en ces termes : "Vous avez été rachetés d'un grand prix, ne devenez point les esclaves des hommes". (1Cor 7,23) Vous voyez donc la grandeur du prix de votre âme. Or, lorsque vous avez perdu une âme achetée si cher, comment pourrez-vous la racheter ? "Car Jésus Christ ressuscité des morts, ne meurt plus." (Rm 6, 9). Comprenez-vous maintenant le prix et la dignité de votre âme ? Qu'elle soit donc l'objet de tous vos soins, et gardez-vous de la rendre de nouveau captive.

"Il a travaillé pour l'éternité, et il vivra éternellement." (Ibid. 10). Un autre interprète traduit : "Et il s'est reposé pour l'éternité." Un autre : "Lorsqu'il sera mort pour le monde, il vivra pour l'éternité." Après avoir parlé des riches, des puissants, et montré l'inutilité de leurs richesses et de leur puissance, le Psalmiste en vient à ceux qui ont vécu dans la pratique de la vertu, au milieu des travaux et des tribulations, pour encourager au combat les athlètes de la vraie philosophie. Ne m'énumérez point, semble-t-il dire, leurs travaux, leurs afflictions, leurs peines, mais considérez quel en est le fruit; l'homme est immortel, et il a en perspective une vie immortelle et qui ne doit jamais finir. Ne vaut-il donc pas beaucoup mieux acheter au prix de courtes épreuves un bonheur éternel, que de se dévouer pour une légère satisfaction à des supplices sans fin ? Il nous montre ensuite que les récompenses et les couronnes ne sont pas le partage exclusif de la vie future, mais que nous en avons les prémices dès la vie présente. "Il ne regardera pas comme une mort la fin des hommes sages." Ne me dites donc pas : Vous ne me promettez que des biens futurs, car dès maintenant je vous donne le gage et les arrhes de ces couronnes et de ces récompenses. Comment et de quelle manière ? Parce que le vrai philosophe, que les espérances des biens futurs élèvent au-dessus de la terre, n'estime pas que la mort soit une véritable mort. Il voit étendu sous ses yeux le corps d'un homme qui vient d'expirer; ses impressions sont bien différentes de celles du grand nombre, parce qu'il songe intérieurement aux couronnes, aux récompenses, à ces biens immuables que l'¦il de l'homme n'a point vus, que son oreille n'a pas entendus, à cette vie de bonheur que nous devons mener avec les ch¦urs des anges . (1Cor 2,9) Lorsque le laboureur voit se corrompre le blé qu'il a confié à la terre, il n'en ressent ni découragement ni tristesse; loin de là, il en éprouve du contentement et de la joie, parce qu'il sait que cette dissolution est le principe d'une reproduction meilleure et le fondement d'une fécondité bien plus abondante. Ainsi, le juste qui met sa gloire dans ses bonnes ¦uvres et vit tous les jours dans l'attente du royaume des cieux, n'éprouve à la vue de la mort qu'il a sous les yeux, ni le trouble, ni la tristesse, ni l'affliction auxquels la plupart s'abandonnent, car il sait que la mort, pour ceux qui ont vécu dans la pratique de la vertu, n'est qu'une transition, un passage à une vie meilleure, et comme un voyage qui a pour but les couronnes éternelles. Mais de quels sages le Roi-prophète veut-il parler ici ? Ce n'est point des vrais sages, mais de ceux qu'on regarde comme tels. Je crois qu'il a ici en vue les sages selon le monde dont il se moque, parce que tout en se disant sages, ils ne sont que des insensés, (Rm 5,24), eux qui n'ont point compris la vérité de la résurrection. Lors donc qu'il verra ces sages du monde mourir au milieu des gémissements, des larmes, des sanglots, il n'éprouvera aucune de ces tristes impressions, il sera inaccessible aux traits de la douleur, parce qu'il est plein des espérances immortelles et qu'il sait que la mort n'est point l'anéantissement de notre nature, mais qu'elle ne fait que détruire la mortalité et la corruption. La mort, en effet, ne détruit pas à tout jamais le corps, elle n'en détruit que la partie périssable. La nature du corps demeure pour ressusciter avec une gloire beaucoup plus éclatante, gloire qui ne sera point le partage de tous les hommes. La résurrection sera générale, mais la résurrection glorieuse ne sera le partage que de ceux qui ont vécu saintement. "Les stupides et les insensés mourront, et leurs richesses passeront à des étrangers." (Ibid. 11) "Leurs tombeaux seront leur demeure pour l'éternité, et leur séjour de siècle en siècle, ils ont appelé la terre de leur nom." (Ibid. 12). Un autre interprète traduit : "Les choses qui sont dans leurs demeures pour l'éternité." Un autre : "Leurs demeures pour l'éternité donnant leurs noms à leurs terres." L'hébreu : Aleadamoth.

6. Voyez-vous comment le Roi-prophète nous détache du mal et de la cupidité, non seulement par la considération de l'avenir, mais par le spectacle de ce qui arrive dans la vie présente ? C'est ainsi qu'il réprime la folle passion d'amasser des richesses, et prouvé par les faits eux-mêmes qu'il a raison de traiter d'insensés ceux qui soupirent avec tant d'ardeur après les biens de la terre. Est-il, dites-moi, une folie comparable à celle de l'homme qui se fatigue, qui se tourmente et qui amasse d'immenses richesses pour que d'autres jouissent du fruit de ses travaux ? Quoi de plus triste que de voir cet homme qui meurt sans avoir recueilli autre chose de ses efforts que des sueurs et des peines, et qui laisse à d'autres la jouissance de toutes ses richesses ? Et ce n'est point à ses parents ou à ses amis, mais à ses rivaux et à ses ennemis ? Aussi le Psalmiste ne dit pas : "Ils laisseront leurs richesses à d'autres, mais : "Ils les laisseront à des étrangers." Quel est le sens de ces paroles : "Le stupide et l'insensé mourront de la même manière" ? C'est-à-dire ils mourront comme ceux dont il vient d'être question. Il veut parler ici des impies qui sont plongés tout entiers dans les biens de la vie présente, et ne songent pas aux choses de l'éternité; c'est pour cela qu'il les traite d'insensés. Car puisque ces biens ne peuvent vous suivre après cette vie, pourquoi vous fatiguer et vous tourmenter pour amasser de toutes parts des richesses, qui sont pour vous la cause de si grandes peines et ne pas en recueillir le fruit ?

"Et leurs tombeaux seront leurs demeures pour l'éternité." En parlant de la sorte, le prophète se conforme à leur manière de voir. "Leur sépulture sera leur demeure de siècle en siècle, ils ont appelé leur terre de leur nom." Quoi de plus insensé que de regarder les tombeaux comme notre demeure pour l'éternité, et de mettre notre gloire dans ces vaines constructions ? N'en voyons-nous pas un grand nombre en effet, qui construisent des tombeaux plus magnifiques que des palais? Or, en faisant ces folles dépenses, ils travaillent pour des ennemis, et se donnent des peines infinies pour les vers et pour la cendre. Car telle est la préoccupation de ceux qui n'ont point l'espérance des biens futurs. Mais n'ai-je pas sujet de déplorer qu'un grand nombre de ceux qui ont ces espérances imitent la conduite de ceux qui n'espèrent rien après cette vie; qu'ils construisent des tombeaux, élèvent de splendides monuments, prodiguent et enfouissent leur or, et laissent à d'autres leurs richesses; en cela mille fois plus coupables que les premiers ? En effet, la conduite de celui qui n'a aucune espérance après cette vie est contraire à la raison, je le veux; cependant, comme il n'attend rien après la mort, on conçoit qu'il concentre tous ses efforts et ses travaux dans les choses de la vie présente. Mais vous qui connaissez la vie future, ses biens ineffables et cette promesse de l'Évangile : "Les justes brilleront comme le soleil;" (Mt 13,43), quel pardon méritez-vous, quelle justification vous est possible, de quel juste supplice n'êtes-vous pas digne en prodiguant tout ce que vous possédez pour construire des ¦uvres de poussière et de cendre, des monuments pour des adversaires, pour des ennemis ?

"Ils ont appelé leurs terres de leur nom." Voici un autre genre de folie; ils donnent leurs noms et leurs titres à leurs demeures, à leurs propriétés, à leurs salles de bains. Cette vaine satisfaction est pour eux une grande consolation, et ils poursuivent ainsi l'ombre pour la vérité. Si vous voulez immortaliser votre souvenir, ô homme, n'inscrivez pas votre nom ou vos titres sur vos demeures, mais élevez des trophées composés de vos bonnes ¦uvres, qui préserveront ici-bas votre nom de l'oubli et vous mériteront dans la vie future un éternel repos. Désirez-vous laisser une mémoire impérissable, je vous enseignerai la voie véritable et qui vous conduira directement au but; que la vertu soit votre unique objet. Car rien n'assure l'immortalité à notre nom comme la vertu, témoins les martyrs, témoins les apôtres, témoins les glorieux souvenirs de ceux dont la vie a été vertueuse et sainte. Combien de rois ont fondé des villes, construit des ports, auxquels ils ont donné leurs noms; ils sont morts, et à quoi tout cela leur a-t-il servi ? Leur mémoire est ensevelie dans l'oubli le plus complet; tandis qu'un simple pêcheur, Pierre, qui n'a entrepris aucune de ces ¦uvres éclatantes, pour avoir fait de la vertu son unique objet et pris possession de la ville impériale, a laissé même après sa mort, une mémoire plus éclatante que le soleil. Votre conduite à vous, au contraire, est tout à la fois ridicule et honteuse, car non seulement ces monuments ne vous donneront aucune célébrité, mais feront de vous l'objet de la risée générale. En effet, ces monuments sont comme des trophées, des colonnes destinées à perpétuer en dépit des temps le souvenir de votre avarice.

"Mais l'homme au milieu de sa grandeur n'a pas compris sa destinée, il est devenu comme les animaux sans raison et il s'est fait semblable à eux." (Ibid. 13). Le prophète me paraît déplorer ici le triste sort de l'homme, de cet être doué de raison, à qui Dieu a donné l'empire du monde, et qui s'abaisse et s'avilit jusqu'à la condition des animaux, qui travaille pour la vanité, détruit l'¦uvre de son salut, poursuit une ombre de gloire, se rend esclave de l'avarice, et se consume en efforts inutiles. La gloire de l'homme, c'est de pratiquer la vertu, c'est de méditer les biens futurs, c'est de diriger tous ses efforts vers la vie éternelle, et de mépriser les biens de la vie présente. La vie des animaux sans raison ne dépasse pas les limites du temps, la nôtre au contraire a pour but une autre vie meilleure et qui n'a point de fin. Ceux qui n'ont aucune idée de cette vie sont pires que des animaux, et avec eux, ceux qui vivent dans la corruption du crime. Ils sont semblables à des serpents, à des scorpions, à des loups pour leur méchanceté et à des chiens pour leur impudence.

7. Quoi de plus insensé, dites-moi, que de s'appliquer tout entier à élever des tombeaux, des mausolées, et d'être remplis d'admiration en apprenant que d'autres ont donné leur nom à ces monuments ? La vertu seule peut immortaliser notre mémoire, et non des monuments, des statues, des enfants, ou tout autre chose semblable. Les monuments sont l'¦uvre de l'architecte, les statue l'¦uvre du sculpteur, les enfants l'¦uvre de la nature, mais votre mémoire n'a rien ici à revendiquer. Aussi le Prophète compare-t-il aux animaux l'homme qui s'oublie à ce point, parce qu'en se soumettant au joug de la stupidité, il descend au-dessous des animaux sans raison. L'animal, en effet, a son utilité, et peut être employé à la culture des champs, mais l'homme qui cesse d'être dirigé par la raison devient en cela pire que les animaux. Le Prophète vient de faire voir la grossièreté d'esprit de ces hommes, leurs inclinations terrestres et abjectes, l'inutilité de leurs efforts pour amasser des richesses : à l'exemple des prophètes, il rappelle le souvenir des Bienfaits de Dieu comme circonstance aggravante de leurs crimes. Isaïe, en effet, sur le point d'accuser les Juifs, rappelle les marques d'honneur dont Dieu les a comblés : "J'ai nourri des enfants, Je les ai élevés, et ils n'ont eu pour Moi que du mépris." (Is 1, 2). Ici, le Roi-prophète rappelle aussi dans la même proposition les bienfaits que les hommes ont reçus de Dieu : "L'homme élevé en honneur, n'a point compris."

Quel est cet honneur ? Écoutez ce qu'il dit dans un autre psaume : "Tu l'as abaissé un peu au-dessous des anges, Tu l'as couronné de gloire et d'honneur." (Ps 8, 6) Il fait voir ensuite quel est cet honneur en ajoutant : "Tu as tout mis à ses pieds, les troupeaux, les animaux des champs, les oiseaux du ciel et les poissons de la mer qui se meuvent dans les eaux." (Ibid. 8,9). C'est en effet le plus grand honneur que Dieu pût accorder à l'homme que de lui donner la puissance sur toutes les créatures visibles, sans qu'il eût mérité en rien cette faveur. Car c'est avant de créer l'homme que Dieu se dit à Lui-même : "Faisons l'homme à notre Image et à notre Ressemblance." (Gn 1,26). Et il explique le sens de ces paroles : "à notre Image," en ajoutant plus loin : "Qu'ils dominent sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur les animaux de la terre." Ainsi, Dieu a rapproché de Lui par le lien de l'intelligence, et a élevé au-dessus de tous les animaux en lui donnant une âme raisonnable, l'homme dont la taille mesure à peine trois coudées et dont la force corporelle est bien inférieure à celle des animaux; n'est-ce pas la plus grande marque d'honneur qu'il pût recevoir ? C'est Dieu qui a inspiré à l'homme de bâtir des villes, de traverser les mers, de cultiver la terre, d'inventer les arts, de dompter les bêtes féroces. Et ce qui est bien au-dessus de tous ces dons, Il S'est fait connaître à lui, Il lui a enseigné la pratique de la vertu et le discernement du bien et du mal. Seul de toutes les créatures visibles, il s'élève jusqu'à Dieu par la prière, seul il reçoit les Révélations divines, seul il connaît une multitude de vérités mystérieuses, seul il est instruit des secrets des cieux. C'est pour lui que la terre existe, pour lui que le ciel a été créé, pour lui que le soleil et les astres brillent au firmament, pour lui que la lune accomplit son cours, pour lui que les saisons se succèdent, pour lui que Dieu a créé les fruits, les plantes, et tant d'espèces différentes d'animaux. C'est pour lui qu'Il a fait le jour et la nuit, pour lui que les prophètes et les apôtres ont été envoyés sur la terre, pour lui que Dieu a souvent député ses anges. Pourquoi nous étendre davantage ? Car on ne peut tout dire. C'est pour lui que le Fils unique de Dieu S'est fait homme, qu'Il a été crucifié, enseveli, et qu'ont été accomplis tous ces prodiges étonnants qui ont suivi sa résurrection. C'est pour lui encore que la loi a été donnée, pour lui que le paradis a été ouvert, pour lui que Dieu a permis le déluge, car c'est un insigne honneur pour l'homme d'être rappelé à la pratique du bien par les châtiments comme par les bienfaits. C'est donc dans son intérêt que tant d'événements se sont accomplis dans les temps anciens. C'est encore par honneur pour l'homme que le jugement à venir doit avoir lieu. Voilà pourquoi Job disait : "Qu'est-ce que l'homme pour que Tu l'appelles en jugement avec Toi ?" (Jb 14, 3). Ce que le Psalmiste dit ailleurs dans les mêmes termes : "Qu'est-ce que l'homme pour que Tu Te souviennes de lui ?" (Ps 8,5). C'est encore dans l'intérêt de l'homme que le Fils unique de Dieu doit venir pour verser sur lui l'abondance de tous les biens. Il l'a déjà comblé de grâces par le baptême, par les sacrements, par une autre initiation mystérieuse, et Il a rempli la terre de beaucoup d'autres merveilles. Mais Il nous a promis des biens plus précieux encore : le royaume des cieux, la vie éternelle, où Il nous rendra les héritiers de son royaume et de son trône, (Rm 8,7); vérité que saint Paul proclamait en ces termes : "Si nous souffrons avec Lui, nous régnerons avec Lui." (2Tm 2,12). En considérant ces glorieuses prérogatives, le Roi-prophète n'a-t-il pas le droit de comparer aux animaux sans raison ceux qui ont déshonoré par leurs vices cette noblesse divine et l'ont abaissée jusqu'aux instincts de la brute ? C'est ce que font souvent les autres prophètes pour couvrir de honte par cette comparaison pécheur effronté. "Ils sont devenus comme des chevaux qui hennissent après des cavales", dit l'un d'eux. (Jr 5, 8). "Le b¦uf connaît celui à qui il appartient, et l'âne l'étable de son maître", dit un autre, (Is 9,3); et tous deux s'expriment plus énergiquement que le Roi-prophète. David, en effet, se contente de dire : "Il a été comparé aux animaux sans raison, et il leur est devenu semblable." Isaïe au contraire déclare qu'ils ont été plus déraisonnables que les animaux, "car eux du moins, dit ce prophète, connaissent leur maître, mais pour Israël, il ne M'a point connu."

€8. Ailleurs le Sage, pour montrer que le fainéant et le paresseux qui languit dans l'oisiveté est au-dessous des fourmis, le renvoie à ces petits animaux pour apprendre à travailler : "Paresseux, lui dit-il, va vers la fourmi et considère ses voies. Elle n'a ni champ cultivé, ni personne qui la force de travailler, ni maître pour lui commander. Cependant elle prépare sa nourriture dans l'été, et amasse sa provision durant la moisson." (Pr 6,6-8). Ailleurs il lui dit : "Allez vers l'abeille, et apprenez d'elle combien elle aime le travail. Son fruit l'emporte sur ce qu'il y a de plus doux, et les rois et les particuliers recherchent pour leur santé le produit de ses travaux." (Si 11,3). Un autre prophète va jusqu'à dire : "Vos princes sont comme les loups d'Arabie." (So 3, 3). Un autre :"Vous vous êtes assis dans le désert comme la corneille." (Jr 3,2). Et le fils de Zacharie ne craint pas de dire aux Juifs : "Serpents, race de vipères, qui vous a montré à fuir la colère qui s'approche?" (Mt 3,7). Un autre leur dit encore : "Ils ont brisé les ¦ufs d'aspic, et ourdi des toiles d'araignée." (Is 59,5). Le même Roi-prophète dit ailleurs : "Le venin des aspics est sous leurs lèvres." (Ps 139,4). Et ailleurs encore : "Leur fureur est semblable à celle du serpent." (Ps 57,5). Tel est en effet le caractère du vice, il abaisse et dégrade jusqu'au rang de la bête l'homme le plus élevé, fût-il au dessus de tous ses semblables et couronné de mille diadèmes. Voilà pourquoi le Roi-prophète, après avoir choisi deux espèces particulières de vices, et laissé à ses auditeurs le soin de suppléer les autres, stigmatise ceux qui en sont esclaves. Car quoi de plus insensé que la conduite d'un homme qui parcourt inutilement la terre et se consume en efforts superflus pour amasser au péril même de sa vie d'immenses richesses dont il ne doit point jouir, et qu'il laissera à des inconnus, souvent à des adversaires et à des ennemis ? Remarquez la justesse de ces expressions : "Ils laisseront leurs richesses à des étrangers." Car, encore une fois, quelle folie plus grande que de réserver pour soi les travaux et les péchés inséparables del' acquisition des grandes richesses) et d'en laisser à d'autres la jouissance ?

À cet amour effréné de l'argent, le Roi-prophète joint le vice de la vaine gloire qu'il condamne non moins sévèrement : "Ils ont donné leurs noms à leurs terres." Qu'y a-t-il encore de plus contraire à la raison que de confier le souvenir de son nom et sa propre gloire à des pierres, à du bois, à une matière inanimée ? Ils ont enlevé à des familles entières les biens qu'elles possédaient, ils ont dépouillé les veuves, pillé les orphelins, afin de construire pour les vers une splendide demeure et élever à la corruption de magnifiques monuments, dans la pensée que ces constructions éterniseront la mémoire de leur nom; tandis qu'elles ne pourront même arrêter longtemps la dissolution de leur corps. "Cette voie par laquelle ils marchent, leur est une occasion de scandale." (Ibid. 4). Quelle est cette voie ? Ces soins empressés, ces vains travaux, cette passion insensée des richesses, cet amour insatiable de la gloire, voilà ce qui avant les châtiments de l'autre vie, devient pour eux ici-bas une occasion de scandale et de ruine. Cette voie n'est donc pas pour la pratique de la vertu un léger empêchement, une petite difficulté, un obstacle sans importance. Aussi, voyez comment le prophète s'exprime : "Cette voie est pour eux une occasion de scandale." C'est-à-dire ils s'enchaînent eux-mêmes et se créent des obstacles qui les empêchent d'avancer. "Et ils ne laissent pas néanmoins de s'y complaire." Voilà pour eux le comble du malheur et la cause de tous les autres maux. Ceux qui se rendent coupables de ces vices et qui poussent jusque là l'excès de la folie, se proclament heureux et dignes d'envie et ils se complaisent dans leurs mauvaises actions. Or, considérez combien ces éloges donnés au vice fortifient dans ceux qui le commettent l'inclination qu'ils ont au mal. Quelquefois, malgré le blâme, la honte, la réprobation qui s'attachent au vice, malgré le châtiment que lui inflige le témoignage des hommes vertueux, malgré le supplice d'une conscience déchirée par le remords, enfin, malgré la haine publique, le mal cependant se fortifie avec audace et grandit de jour en jour. À quels excès donc ne s'emportera-t-il pas lorsque loin de rencontrer sur son chemin aucun obstacle, il n'aura à redouter ni accusateur, ni remords de la conscience, ni reproches amers, ni repentir, ni honte, ni pleurs, ni larmes lorsqu'au contraire ceux qui le commettent se décernent des applaudissements et des éloges, se croient meilleurs que les autres, et se vantent des crimes qu'ils ont commis; car c'est le sens de ces paroles : "Ils s'applaudissent de leur conduite." Leur extravagance et leur folie vont si loin qu'après avoir assouvi leurs passions, et lorsque la vue de leurs crimes devrait les couvrir de honte, ils s'en réjouissent, ils s'en glorifient, ils s'y complaisent. Telle est la nature du péché; avant qu'on le commette, il voile sa propre laideur, il cache ce qu'il a de criminel sous les charmes de la volupté. Mais dès qu'il est commis, et que l'ivresse de la volupté a fait place aux remords de la conscience qui infligent à la raison le châtiment qu'elle mérite, on voit alors dans toute leur étendue les tristes conséquences du péché. Ceux au contraire dont parle le prophète, non contents d'avoir satisfait leurs désirs, à la vue de cet amas de richesses, de ces tombeaux construits à grands frais, de tous ces monuments élevés par la vanité, au lieu d'ouvrir leur c¦ur à la componction et aux gémissements après l'accomplissement de leurs desseins criminels, sont atteints d'un mal beaucoup plus dangereux. Il n'y a en eux aucune espérance de remède, que reste-t-il donc à Dieu sinon d'accomplir à leur égard les devoirs de sa justice?

9. Ceux qui se condamnent les premiers pour les crimes qu'ils ont commis, préviennent la Sentence divine et l'évitent par ce moyen suivant ces paroles de saint Paul : "Si nous nous jugions nous-mêmes nous ne serions pas jugés." (1Cor 11,31). Les pécheurs, au contraire, dont la maladie est si désespérée, qu'ils n'éprouvent aucun repentir, et ne réprouvent pas les crimes dont ils sont coupables, attirent sur eux les châtiments sévères de la Justice de Dieu. Ceux qui ravissent le bien d'autrui ou prodiguent sans raison leurs propres richesses, qui dépensent en constructions inutiles, pour les vers et la corruption, ce qu'ils auraient dû verser dans le sein des pauvres, et qui loin d'en éprouver le moindre repentir demeurent volontairement en proie à un mal incurable, Dieu les livre au supplice comme le déclare le Roi-prophète : "Ils ont été placés dans l'enfer comme des brebis; la mort les dévorera." (Ibid. 15). S'il les compare à des brebis, ce n'est point pour exprimer la douceur de leurs m¦urs (car que peut-on imaginer de plus cruel que ceux qui voient d'un ¦il insensible la nudité des pauvres, leurs estomacs creusés par la faim, tandis qu'ils élèvent de magnifiques monuments à la corruption et aux vers ?), mais c'est pour signifier qu'ils deviendront pour la mort une proie facile, pour exprimer la rapidité de leur ruine, et la promptitude avec laquelle ils tomberont au pouvoir de leurs ennemis. Rien n'est plus faible en effet que celui qui passe sa vie dans le crime. Ils en feront la triste expérience, ils seront livrés à la mort, ils périront sans retour et seront précipités dans les enfers avec autant de facilité et de promptitude que des brebis qu'on immole. C'est pour eux la mort, ou plutôt une chose mille fois pire que la mort. Car à cette mort succédera une mort immortelle, ils ne seront pas reçus dans le sein d'Abraham ou dans un autre endroit semblable, mais ils seront précipités dans l'enfer; voilà ce qu'on peut appeler en toute vérité un châtiment, un supplice, une ruine irrévocable. Ici-bas, leur mort a été sans honneur et sans gloire, et dans l'autre vie ils ne connaîtront que des supplices éternels. Nous disons nous-mêmes tous les jours de ceux qui sont emportés par une mort prompte et subite : il a été frappé comme une brebis. Ils ont vécu comme des animaux sans raison, ils meurent de la même manière, sans espérance pour l'avenir, et n'ayant au contraire en perspective qu'un malheur affreux.

"La mort les dévorera." La mort dont parle ici le Roi-prophète est cette mort, ce supplice, qui attendent le pécheur au-delà du trépas, et dont un prophète a dit : "L'âme qui se rend coupable de péché périra" (Ez 18, 20), paroles qui ne signifie pas la destruction, l'anéantissement de l'âme, mais son châtiment. Le Roi-prophète continue la même métaphore. Il les a comparés à des brebis, il nous apprend quel sera leur pasteur. Quel est-il ? Un ver qui distille le venin, des ténèbres que rien ne peut dissiper, des chaînes qu'aucune force ne peut briser, un horrible grincement de dents. Vous voyez comme le châtiment les presse de toute part : dans cette vie, où ils se rendent la vertu impossible, deviennent les esclaves, les malheureux captifs du péché, et se consument dans des travaux inutiles et ridicules; dans leur mort qui a été commune et méprisable; comme après leur mort qui est suivie d'un supplice éternel.

"Et les justes domineront sur eux quand le jour se lèvera." Il est un grand nombre d'esprits grossiers qui n'ont pas plus d'intelligence que les pierres, qui n'ont aucune espérance claire et précise des biens à venir, qui ne soupirent qu'après les choses présentes et visibles; le Prophète blâme ici leur conduite sous le voile de l'allégorie. Après cet exposé court et énigmatique du sort qui les attend dans l'avenir, il insiste de nouveau sur le mépris et le châtiment qui les atteignent dès cette vie, il dévoile leur faiblesse, leur peu de considération et de valeur, et fait voir que, fussent-ils dix mille fois plus riches et revêtus d'une puissance sans bornes, ils sont aux yeux des hommes vertueux comme de vils esclaves. C'est ce que signifient ces paroles : "Et les justes domineront sur eux quand le jour se lèvera", c'est-à-dire les justes les domineront promptement et pour toujours, et ils n'auront besoin pour cela ni de temps, ni d'effort, ni d'attente. Car il est dans la nature des choses que le vice subisse l'empire de la vertu, qu'il la craigne et la redoute, malgré le fard dont il est couvert et ses nombreux déguisements, et quand même la vertu serait dépouillée de ses brillants dehors et réduite à ses propres forces. Cependant, me direz-vous, nous voyons le contraire, ce sont les méchants qui dominent les bons ? Ne nous arrêtons pas ici aux préjugés de la multitude qui partent d'un faux principe. Examinons les choses d'après la droite raison, et vous reconnaîtrez la vérité de ce que j'ai avancé. Supposons un mauvais maître ayant à son service un esclave vertueux, ou bien si vous le préférez, choisissons un exemple plus relevé. Supposons donc un roi livré au mal et un de ses sujets qui pratique la vertu, et voyons celui qui est vraiment le maître de l'autre. Où voit-on briller le signe de la vraie puissance, quel est celui qui commande, celui qui obéit ? Comment parviendrons-nous à le savoir ? Supposons que ce roi commande à ce sujet une action mauvaise et ouvertement criminelle, que fera ce sujet vertueux qui lui est soumis ? Loin de céder et de consentir, il s'efforcera, même au péril de sa vie, de détourner le roi de son dessein criminel. Quel est donc ici celui qui est vraiment libre, de celui qui ne fait que ce qu'il veut et qui ne redoute pas la colère de son roi, ou de celui qui se voit méprisé par son sujet ? Et pour ne pas prolonger ici une supposition générale et sans application, dites-moi, cette Égyptienne n'était-elle pas comme une reine ? (Gn 39,7). Ne commandait-elle pas à toute l'Égypte ? N'avait-elle pas un roi pour époux ? N'était-elle pas revêtue d'une grande puissance ? Qu'était Joseph au contraire ? Un simple esclave, un captif, un serviteur vendu à prix d'argent; cette femme ne vint-elle pas l'attaquer avec toutes ses armes, sans se décharger de ce soin sur un autre, et en livrant elle-même le combat ? Or, lequel des deux alors était esclave, lequel des deux était libre ? Est-ce celle qui descendait aux prières, aux instances, aux supplications, et qui obéissait servilement non pas à un homme, mais à une passion des plus criminelles ? Ou bien celui qui sans tenir compte du diadème, du sceptre, de la pourpre et de toute cette pompe extérieure, rendait inutiles tous ses artifices ? Ne la voyons-nous pas se retirer avec la honte d'un refus et devenir l'esclave d'une nouvelle passion, de la colère aveugle et de la vengeance, tandis que Joseph sortit de ce combat la tête ornée de mille couronnes, après avoir montré jusque dans la servitude le courage éclatant d'un homme vraiment libre ?

10. En effet, il n'y a point de liberté égale à celle de la vertu, comme il n'y a point de servitude comparable à celle du vice; vérité que le Sage proclame en ces termes : "L'esclave prudent dominera les maîtres insensés." (Pr 17,2). Celui qui est captif, eût-il d'immenses richesses, n'en est que plus exposé à devenir la proie de tous les autres; il en est de même de celui que ses passions dominent, il est plus vil, plus méprisable qu'une toile d'araignée. Que voyons-nous dans la guerre ? Ne sont-ce pas les sages qui triomphent ? Et dans les affaires comme dans les conseils, leurs paroles ne demeurent-elles pas gravées dans tous les esprits, alors même que personne ne les suit dans la pratique ? Mais qu'arrive-t-il après cette vie ? Ne voyons-nous pas le riche, devenu mendiant à son tour, demander une goutte d'eau sans pouvoir l'obtenir ? Et le pauvre qui avait suivi les inspirations de la sagesse et la vertu, obtient la souveraine félicité et partage le sort d'Abraham. (Lc 16,94). Que nous apprend encore l'exemple des apôtres ? "Ils étaient chargés de chaînes, battus de verges, en butte à des persécutions sans nombre, et ils triomphaient de leurs persécuteurs." (Rm 8, 37; 2Cor 4,8). Voyez dans quelle perplexité ils jettent leurs ennemis en les réduisant à se demander : "Que ferons-nous à ces hommes ?" (Ac 15,16). Et cependant, ils tenaient les apôtres enchaînés et les forçaient de comparaître devant leur tribunal. Ils étaient leurs juges et leurs maîtres, les apôtres étaient les accusés et ils ont triomphé de leurs juges. Partout, en un mot, si nous voulons y faire attention, nous verrons l'homme vertueux supérieur au méchant, et obtenir sur lui non pas une puissance fausse, apparente et facile à confondre, mais une supériorité solide et inébranlable. "Et leur appui vieillira dans l'enfer", c'est-à-dire sera réduit à la dernière faiblesse. Tel est le sens de ces paroles. Non seulement ils seront faciles à vaincre, en l'absence de tout secours et de tout appui et exposés qu'ils sont aux traits de tous leurs ennemis, mais ils ne trouveront là personne pour les défendre, leur porter secours, leur tendre la main et les consoler au milieu de leurs souffrances. "Ainsi, les vierges sages n'ont été d'aucun secours aux vierges folles." (Mt 15,9). Abraham n'a pu soulager le mauvais riche (Lc 16,20), et Noé, Job et Daniel n'ont pu délivrer leurs fils et leurs filles. (Ez 14,20). Cette expression : "Leur appui vieillira" signifie qu'il s'affaiblira, qu'il disparaîtra entièrement. "Car ce qui passe et vieillit est bien près de sa fin." (He 8,13).

"Ils ont été dépouillés de leur gloire." Ce qui était l'objet de leurs plus vifs désirs, le but de tous leurs efforts et de toutes leurs préoccupations; c'est-à-dire de se préparer une gloire qui survécût à leur trépas, et cela par leurs richesses, leurs monuments, leurs tombeaux, par leurs noms inscrits sur leurs sépulcres, ils ne

pourront l'obtenir, dit le prophète, et cette pensée faisait leur tourment dès cette vie. En effet, de tels monuments accusent hautement ceux qui ne sont plus. La terre, il est vrai, recouvre leur corps, mais les pierres elles-mêmes prennent la voix pour accuser hautement tous les jours leur cruauté, leur orgueil, pour les dénoncer comme des ennemis publics, pour attirer sur eux les reproches, les malédictions, les imprécations de tous les passants. Quelle est donc cette gloire qui consiste à laisser après soi des accusateurs qui, loin de garder le silence, ouvrent la bouche de tous ceux qui voient ces monuments et s'en approchent, et provoquent les accusations les plus graves contre ceux qui les ont élevés ? Où trouver une folie égale à celle de ces hommes, dont les actions seront la matière d'accusations et de châtiments terribles, peut-être même de violation de sépulture après leur mort, et qui donnent naissance aux imprécations, aux reproches et aux plaintes de ceux qui ont eu à souffrir de leurs injustices comme de ceux à qui ils n'ont fait aucun mal ?

"Mais Dieu rachètera mon âme de la puissance de l'enfer, lorsqu'Il m'aura reçu en sa Protection." (Ibid. 16) Après avoir fait connaître le châtiment des méchants et la punition de leurs crimes, il en vient aux récompenses destinées aux bons, à l'exemple des autres prophètes qui s'efforcent de former au bien leurs auditeurs, par le double spectacle des supplices des méchants et des récompenses promises à la vertu. Tel est donc le partage des pécheurs, dit le Roi-prophète, le déshonneur des travaux stériles, la folie, le ridicule, la honte, la ruine, la mort, les châtiments, des supplices éternels, des amertumes continuelles, la privation de la gloire et de la sécurité, des accusations, des reproches qui les poursuivront pendant cette vie et après leur mort, sans qu'ils puissent trouver aucun soulagement à leurs maux. Notre partage sera bien différent, nuls châtiments à craindre, la liberté de l'âme, la sécurité, l'honneur et la gloire. Car tout cela est renfermé dans ces paroles : "Dieu rachètera mon âme de la puissance de l'enfer, lorsqu'Il m'aura reçu en sa Protection." L'enfer désigne ici les châtiments, les supplices intolérables de l'autre vie. Or, jugez quels honneurs nous sont destinés, non seulement par la première partie de cette proposition, mais encore par les paroles qui suivent. Lorsque Dieu m'aura reçu, dit-il, alors je Le verrai plus clairement que je ne Le vois aujourd'hui." Nous ne voyons Dieu maintenant que comme dans un miroir et sous des images obscures, mais alors nous Le verrons face à face." (1Cor 13,12). Mon âme étant rachetée, mon corps jouira du même privilège. "Ne craignez point en voyant un homme devenu riche, ou la splendeur de sa maison s'accroître." (Ibid. 17). Puisqu'il en est ainsi, dit le Roi-prophète, pourquoi craindre les maux de la vie présente ? Pourquoi vous inquiéter de la pauvreté ? Pourquoi craindre celui qui est riche ? Vous venez d'entendre la doctrine de la résurrection, de l'héritage éternel des bons, du supplice des méchants. Pourquoi trembler après cela devant des chimères ? Les biens éternels sont les seuls biens stables et solides; les biens de cette vie sont comme les fleurs qui se flétrissent si vite. Aussi le prophète laisse de côté tout le reste pour attaquer la citadelle de tout mal, c'est-à-dire la passion des richesses, car la destruction de cette passion entraîne celle de toutes les autres.

11. Et comment ne pas craindre, me direz-vous, ceux qui ont une si grande puissance ? C'est une puissance de courte durée, encore un instant et cette force n'existera plus; la prospérité est passagère, les richesses, la fortune, tous ces grands honneurs ressemblent à des ombres, à des songes; c'est ce que le Roi-prophète veut nous apprendre en ajoutant : "À sa mort, il n'emportera pas tous ses biens, et sa gloire ne descendra pas avec lui dans le tombeau." (Ibid. 18). Et il nous donne la raison pour laquelle nous ne devons point craindre ce qui dure si peu. La mort est venue, nous dit-il, elle a coupé la racine, et la tête de l'arbre est tombée avec toutes ses feuilles, et cette maison est devenue la proie de ceux qui ont voulu la prendre. Les brebis et les chèvres se jettent sur l'arbre qu'on vient de couper et qui est étendu à terre; ainsi, lorsque ces riches sont morts, leurs ennemis, leurs amis, ceux qu'ils ont comblés de bienfaits, viennent en foule se jeter sur les biens qu'ils possédaient. Et cet homme qui jouissait d'une si grande fortune, qui comptait tant d'échansons, de cuisiniers, de coupes d'or et d'argent, qui possédait tant d'arpents de terre, de maisons, d'esclaves, de chevaux, de mules, de chameaux, une véritable armée de serviteurs, s'en va seul, personne ne l'accompagne et il ne peut même emporter ses vêtements avec lui. Plus il est couvert d'habits riches et précieux, plus il a préparé aux vers un riche festin, excite les convoitises des profanateurs des tombeaux, et donne lieu à de mauvais desseins contre ses restes malheureux. Ce luxe, cette magnificence jusque dans la mort, ne sert qu'à l'exposer à de plus grands outrages, en armant contre lui les profanateurs des tombeaux.

Et qu'importe ce qui doit suivre son trépas ? me direz-vous; ici-bas du moins, il donne libre carrière à ses désirs fastueux, et le triomphe de son orgueil dure jusqu'à sa mort ? Mais non, pour un grand nombre d'entre eux, ce bonheur ne dure pas jusqu'à leur mort. Ils sont en butte aux desseins perfides de leurs ennemis, et mille fois plus malheureux que les plus grands criminels, ils se voient dépouillés de leur fortune, couverts de déshonneur et plongés dans de noirs cachots. Celui qu'on voyait hier sur un char est aujourd'hui dans les fers. Hier il était entouré d'une foule d'adulateurs, il est maintenant assiégé par ses bourreaux; hier il exhalait les plus doux parfums, il est maintenant couvert de son sang; il s'étendait sur une couche délicate, il est maintenant jeté sur la terre; tous à l'envi lui rendaient des honneurs, tous à l'envi le méprisent. Mais, à sa mort même, me direz-vous encore, on lui fait de splendides et magnifiques funérailles. Et quel fruit peut-il lui en revenir, à lui qui ne sent plus rien ? L'odeur qu'il exhale, l'horreur qu'il inspire, l'envie qu'il réveille font bien plus d'impression, et ces funérailles somptueuses lui attirent pour toujours la haine de ses enfants. Voyez combien est juste et précise l'expression employée par le prophète, et combien grande sa sagesse. Il ne se contente pas de condamner la conduite du riche en lui montrant que ses richesses ne le suivront pas; mais dès cette vie il le dépouille de toute cette magnificence, et lui fait voir que ses richesses ne sont rien, lors même qu'il les possède et qu'il en jouit. Car il ne dit pas : "Lorsqu'il sera comblé de gloire", mais : "Lorsque la splendeur de sa maison s'accroît." C'est qu'en effet, tous ces biens que j'ai énumérés, ces fontaines, ces galeries, ces bains, cet or et cet argent, ces chevaux et ces mules, ces tapis et ces vêtements sont la gloire de la maison et non de celui qui l'habite. La vraie gloire de l'homme, c'est la vertu, et elle accompagne celui qui la pratique. Au contraire, la gloire de la maison reste, ou plutôt elle disparaît avec la maison, sans avoir été d'aucune utilité à celui qui la possédait, car cette gloire ne lui appartenait pas. "Son âme sera bénie pendant sa vie." (Ibid. 19). Après avoir parlé de sa gloire et de ses richesses, le Roi-prophète en vient aux louanges qui lui ont été prodiguées : les riches recherchent avec empressement les applaudissements du peuple, les égards et les prévenances de la multitude, les louanges du public, les éloges menteurs de la foule. Ils estiment être au comble du bonheur lorsqu'ils sont applaudis à leur entrée dans les théâtres, dans les banquets, dans les tribunaux; lorsqu'ils entendent leur nom répété de bouche en bouche et qu'ils se regardent comme un objet d'envie. Mais voyez encore comme il ôte tout prix à cette jouissance à cause de sa courte durée. C'est pendant sa vie, dit-il, c'est-à-dire ces égards, ces louanges ne s'étendent pas au-delà de cette vie, ils disparaissent avec tous les autres biens comme eux de nature passagère et périssable. Bien plus, à ces éloges purement gratuits succèdent souvent des sentiments tout opposés lorsque la mort a fait tomber le masque de la crainte. "Il vous louera lorsque vous lui ferez du bien." Voyez comme le Roi-prophète condamne même jusqu'à leurs bienfaits. Vous les flattez, vous leur prodiguez toute sorte d'honneurs, en affectant pour un temps des égards extérieurs et mensongers. Ils vous en seront reconnaissants et ils achèteront de vous et bien cher le droit de vous dicter ce qui leur est agréable. Tel est le sens de ces paroles : "Il vous louera, lorsque vous lui aurez fait du bien." Il ne dit pas : lorsque vous aurez fait pour lui quelque chose d'utile, lorsque vous lui aurez rendu service, mais : lorsque vous aurez fait ce qui lui plaît, ce qui lui est agréable; action que rendent doublement coupable et les témoignages mensongers de reconnaissance, et les services dangereux qui en sont la cause. "Il entrera dans le lieu de la demeure de tous ses pères, et durant toute l'éternité il ne verra point la lumière." (Ibid. 20). "L'homme au comble de l'honneur ne l'a point compris, il s'est abaissé au niveau des animaux sans raison et il leur est devenu semblable." (Ibid. 21). "Il entrera dans le lieu de la demeure de ses pères"; c'est-à-dire, il imitera leurs vices et il recevra l'héritage de leur perversité, comme il a reçu d'eux l'héritage de la vie. On peut encore entendre ces paroles dans un autre sens : S'il n'a fait aucune bonne action, on verra alors que ses richesses lui ont été inutiles. Il laissera ses ancêtres dormir dans la poussière jusqu'au jour du jugement, et il ne pourra contempler la lumière suivant la loi de la nature. Le Roi-prophète répète ensuite ce qu'il a déjà dit : "L'homme, au comble de l'honneur, n'a point compris; il s'est abaissé au niveau des animaux sans raison, et il leur est devenu semblable." Celui qui meurt de la sorte sans avoir fait un noble usage de ses richesses, ne diffère point de l'animal sans raison, puisqu'il ne comprend point l'honneur que Dieu lui a fait; il s'est rendu semblable aux animaux pour qui la fin de la vie est la mort sans aucune espérance. Puissions-nous, disciples et maîtres, être délivrés de ces erreurs en Jésus Christ notre Seigneur, à qui appartiennent la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 49

"Le Seigneur, le Dieu des dieux a parlé, et Il a appelé la terre depuis le lever du soleil jusqu'à son couchant." (v. 1).

Le Roi-prophète dit dans un autre endroit : "Dieu S'est tenu dans l'assemblée des dieux" et un peu plus loin : "Je l'ai dit, vous êtes des dieux." (Ps 81,1-6). Et saint Paul : "Encore qu'il y en ait plusieurs qui soient appelés dieux et seigneurs." (1Cor 8 5). Moïse dit aussi : "Vous ne parlerez point mal des dieux." (Ex 22,28). Et dans un autre endroit : "Les enfants de Dieu voyant les filles des hommes." (Gn 6,2). Et ailleurs : "Quiconque aura maudit Dieu portera la peine de son péché et le blasphémateur du Nom du Seigneur sera lapidé". (Lv 24,15-16) Jérémie dit lui-même : "Que les dieux qui n'ont point fait le ciel et la terre disparaissent, et qu'on ne les voie plus sous le ciel." (Jr 10,11) Quels sont donc ceux dont il est question dans ces divers témoignages; et quels sont ces dieux dont parle ici le prophète ? Ce sont les princes. Aussi après avoir dit : Tu ne parleras point mal des dieux, Moïse ajoute : "Et tu ne maudiras point le prince de ton peuple." (Ex 23,28). Ce nom s'applique encore aux enfants des hommes vertueux. Comme Isaac, pour avoir fait preuve d'une vertu éclatante, fut appelé du Nom de Dieu, tous ses descendants et ceux de son frère qui s'allièrent ensemble par des mariages, sont appelés enfants de Dieu, parce qu'ils avaient pour père un homme vertueux. "Ils commencèrent, dit Moïse, à être appelés du Nom de Dieu." (Gn 4,26). Il veut désigner aussi le peuple juif qui a eu l'honneur d'être appelé de ce nom, comme l'atteste le Roi-prophète : "J'ai dit : Vous êtes tous des dieux, et les fils du Très-Haut." (Ps 81,6). Moïse dit encore ailleurs : "Israël est mon fils premier-né." (Ex 4,22). Dieu donnait ce nom à son peuple par un effet de sa Bonté pour lui. C'est ainsi que s'expliquent ces paroles : "Celui qui aura maudit son Dieu portera la peine de son péché; c'est-à-dire celui qui parle mal du prince se rend coupable de péché. Et celui qui donne le Nom de Dieu sera lapidé" (Lv 24,15); c'est-à-dire celui qui attribue le Nom du vrai Dieu à ceux qui ne le sont pas. Un crime aussi énorme ne mérite point de pardon, et voilà pourquoi celui qui s'en est rendu coupable est condamné à un si terrible supplice. On appelle encore dieux les dieux des Gentils, non pour les honorer en cette qualité, ni pour consacrer cette appellation, mais pour faire ressortir l'erreur de ceux qui leur ont donné ce nom. C'est dans ce sens que saint Paul dit : "Encore qu'il y en ait plusieurs qui soient appelés dieux" (1Cor 8,5); et il montre ainsi qu'ils ne sont pas dieux, et qu'ils ne méritent même pas ce nom. De qui donc le Psalmiste veut-il parler en disant : "Le Dieu des dieux" ? Des dieux des nations, non pas qu'ils existent réellement, mais parce que l'erreur des peuples leur a donné une existence supposée. Les Juifs avaient des tendances matérielles, ils n'étaient pas entièrement affranchis du culte des idoles vers lesquelles ils se sentaient toujours attirés, ils avaient conservé des restes de leurs anciennes iniquités. C'est pour cela que le Roi-prophète cherche à purifier leur esprit de toutes ces erreurs, en leur montrant que Dieu est le souverain maître de tous ces dieux. Il est aussi le maître des démons, je veux dire de leur nature, car ils sont les seuls auteurs de leur malice et de leur perversité.

Or ce psaume me paraît se rattacher étroitement au précédent. Nous y voyons également les pécheurs accusés et confondus, avec cette différence que dans le psaume précédent, le Roi-prophète invitait toute la terre à venir l'entendre, et que dans celui-ci il fait appel aux éléments eux-mêmes répandus par toute la terre. C'est un autre théâtre et un auditoire différent. D'un côté, nous voyons les nations, les habitants de la terre, les riches et les pauvres; de l'autre c'est le ciel et la terre. Dieu lui-même paraît pour entrer en jugement avec le peuple juif et défendre sa cause devant lui. Il nous faut donc apporter une plus grande attention. Un autre prophète nous a décrit ce même spectacle : il nous représente Dieu venant défendre sa cause, et lui donne pour juges les vallées et les fondements de la terre. "Écoutez, vallées et fondements de la terre, car le Seigneur entre en jugement avec son peuple, et Il se justifiera devant lui." (Mi 6,2). Le prophète Jérémie nous dit aussi : "Il entrera en jugement avec vous et avec vos pères." (Jr 2,9) Dans beaucoup d'autres endroits de l'Écriture nous voyons ce même style figuré, style vraiment imposant et digne de la Bonté de Dieu. Le Roi-prophète peut-il, en effet, nous donner une plus grande preuve de la Bonté de Dieu, que de nous Le montrer S'abaissant jusqu'à entrer en jugement avec les hommes ? "C'est de Sion que vient tout l'éclat de sa beauté." (Ibid. 2) Ces paroles sont à la fois prophétiques et historiques, car même sous l'ancienne loi, la Gloire de Dieu s'est manifestée dans Sion. C'est là qu'étaient le temple, le Saint des saints, les cérémonies du culte, les institutions du peuple hébreu, la multitude des prêtres, les sacrifices, les holocaustes, les hymnes sacrés, le chant des psaumes, tout sortait de là et nous offrait une figure détaillée des événements à venir. Lorsque la vérité parut sur la terre, c'est de là aussi que partirent ses premiers rayons; c'est de là que la croix resplendit de tout son éclat, c'est là que s'accomplirent les innombrables prodiges de la loi nouvelle. C'est ce qui fait dire à Isaïe prédisant les merveilles du Nouveau Testament : "La loi sortira de Sion et la parole du Seigneur de Jérusalem, et le Seigneur jugera les nations." (Is 2,34) Par Sion, il entend le territoire environnant et la capitale des Juifs, la ville de Jérusalem qui s'étendait à ses pieds. C'est de là que les apôtres s'élancèrent comme des coursiers rapides de la barrière d'un hippodrome pour voler à la conquête de tout l'univers. C'est là qu'ils commencèrent le cours de leurs prodiges, c'est là qu'eurent lieu la Résurrection de Jésus Christ, son Ascension, les prémices et les commencements de notre salut; c'est là que commença la prédication des mystères; c'est là que pour la première fois le Père fut révélé, le Fils unique se fit connaître, la Grâce de l'Esprit saint se répandit avec abondance. C'est là enfin que les apôtres découvrirent les secrets des vérités incorporelles, des dons, des pouvoirs tout divins, et des promesses des biens futurs. Ce sont toutes ces merveilles que le Roi-prophète appelle l'Éclat et la Beauté de Dieu. En effet, l'Éclat et la Beauté de Dieu, c'est sa Bonté, son Amour et sa Bienveillance à l'égard de tous les hommes. "Dieu viendra manifestement, notre Dieu viendra et il ne se taira point." (Ibid. 3) Vous voyez comme le langage du prophète devient de plus en plus clair, nous découvre des trésors cachés, et répand des rayons plus lumineux lorsqu'il dit : "Dieu viendra manifestement." Quand donc Dieu est-Il venu d'une manière moins manifeste ? Lors de son premier Avènement, car Il est venu sans aucun éclat, inconnu du plus grand nombre, et prolongeant pendant de longues années le mystère de sa Vie cachée. Que dis-je, qu'Il ne fut point connu du plus grand nombre ? La Vierge elle-même qui L'avait porté dans son sein ne connaissait point parfaitement le secret du mystère de l'incarnation, ses frères ne croyaient pas en Lui, et celui que l'on regardait comme son père ne paraissait pas soupçonner sa Grandeur.

2. Et pourquoi parlai-je des hommes ? Le démon lui-même ne Le connaissait pas; car s'il eut su ce qu'Il était, il ne Lui aurait pas demandé longtemps après sur la montagne s'Il était le Fils de Dieu, et il n'eût pas renouvelé cette question à deux et à trois reprises différentes. (Mt 4,3-6) Voilà pourquoi Jésus dit à Jean le Baptiste qui commençait à découvrir ce qu'Il était : "Laisse maintenant." (Mt 3,15) C'est-à-dire, tais-toi pour le moment, car il n'est pas encore temps de révéler le mystère de mon Incarnation, je veux qu'il échappe encore à la connaissance du démon, tais-toi, "car il convient qu'il en soit ainsi." Et lorsqu'Il fut descendu de la montagne, Il défendit à ses disciples de dire qu'Il était le Christ. (Mt 17,9) Car Il venait alors comme un pasteur qui cherche sa brebis égarée et veut s'emparer de l'animal indocile, et c'est pour cela qu'Il voulait demeurer caché. Un médecin se garde bien d'effrayer tout d'abord son malade; de même le Sauveur évita de Se faire connaître dès le commencement de sa Mission et ne le fit qu'insensiblement et peu à peu. C'est cet événement sans éclat et sans bruit que le Prophète prédit en ces termes : "Il descendra comme la pluie sur une toison, et comme l'eau qui tombe goutte à goutte sur la terre." (Ps 71,6). Il n'est point venu avec grand bruit en semant le trouble sous ses pas, en agitant la terre, en lançant la foudre, en ébranlant le ciel, entouré des troupes des anges. Il n'a point déchiré le firmament pour venir sur les nuées, mais Il est venu dans le silence, porté neuf mois dans le sein d'une vierge; Il est né dans une crèche comme le fils d'un simple artisan, au milieu de ses humbles langes. Il est exposé aux complots, obligé de fuir en Égypte avec sa Mère. Après la mort de ce prince qui s'était souillé par tant de forfaits, Il revient en Judée, Il va de côté et d'autre sous l'extérieur d'un homme ordinaire. Son vêtement était simple, sa table plus simple encore; Il marchait constamment, au point d'en être fatigué.

Mais tel ne sera point son second Avènement, Il viendra avec tant d'éclat qu'Il ne sera point besoin d'annoncer sa venue. C'est cet éclat même qu'Il veut nous faire comprendre lorsqu'Il disait : "Si vous entendez dire qu'Il est dans le lieu le plus retiré de la maison, n'y entrez point, ou qu'Il est dans le désert, ne sortez point pour y aller. Comme l'éclair qui part de l'Orient et apparaît en Occident, ainsi sera l'Avènement du Fils de l'homme." (Mt 24,26-27) Il S'annoncera et Se manifestera de Lui-même. C'est ce qui a lieu pour l'éclair qui brille, nous n'avons pas besoin qu'on nous le fasse remarquer, aussitôt qu'il apparaît, il frappe à la fois tous les yeux. Saint Paul aussi nous prédit cet Avènement en ces termes : "Dès que le signal aura été donné par la voix de l'archange, par la trompette du dernier jour, le Seigneur Lui-même descendra du ciel." (1Th 4,15) C'est dans cet appareil éclatant que le Prophète Le vit porté sur les nues, avec le fleuve qui roule devant Lui, et ce Tribunal terrible où chacun doit rendre de sa vie un compte inévitable. Ce sera le temps du jugement et du discernement; aussi, Il ne nous apparaîtra plus comme un médecin, mais comme un juge. Daniel a vu ce trône, le fleuve qui roule ses eaux au pied du Tribunal et cet appareil tout de feu, le char et les roues. (Dn 7,9-10). Son premier Avènement fut bien loin d'avoir ces caractères; on ne vit alors ni feu, ni torrent, ni d'autres signes semblables; une crèche, une étable pour hôtellerie et une mère pauvre. Daniel nous montre ici que Dieu n'est sujet ni à la mutabilité, ni au changement. Il venait de dire que Celui qui était assis sur le trône avait les cheveux blancs comme la laine, et les vêtements éclatants comme la neige.(Ibid. 7,9). Le Roi-prophète, pour éloigner de notre esprit toute idée de cheveux ou de vêtements, ne nous parle que de splendeur, que d'éclat, que de feu rayonnant de tout côté : "Un feu dévorant marchera devant Lui, et autour de Lui mugira une tempête violente. Ces comparaisons ont pour objet de nous faire comprendre la souveraine Immutabilité de Dieu, l'éclatante lumière qui L'environne et sa Nature inaccessible. Il ne se contente pas de nous montrer le feu marchant devant sa Face, il y ajoute une tempête effrayante, pour mieux exprimer la violence du châtiment. Ce mot kataigív signifie ou une masse énorme de neige qui entraîne et renverse tout sur son passage, ou un vent violent et impétueux qui produit les mêmes ravages et auquel aucune force ne peut résister. Le Roi-prophète se sert donc de ces comparaisons pour nous faire comprendre combien sera terrible le châtiment réservé aux pécheurs.

"Il appellera d'en haut le ciel et d'en bas la terre pour faire le discernement de son peuple." (Ibid. 4) Le psalmiste choisit de nouveau les éléments qui ont été pour le genre humain la source de biens innombrables, non seulement pour la vie du corps et son organisation, mais encore pour nous donner la connaissance de Dieu. En effet, la beauté, la grandeur, la disposition de la création, les substances d'où sont sortis les éléments, les effets qu'ils produisent à leur tour suivant des lois générales et constantes ou d'une manière transitoire et particulière, tous ces phénomènes concourent à la formation, à l'entretien du corps et nous conduisent en même temps à la connaissance de Dieu. C'est ce qui faisait dire à saint Paul : "Les Perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création par tout ce qui a été fait : son éternelle Puissance et sa Divinité;" (Rm 1,20). Et encore : "Le monde avec sa propre sagesse, n'a point connu la Sagesse de Dieu." (1Cor 1,21); c'est-à-dire qu'il n'a pu parvenir à cette connaissance par la sagesse qui éclate dans les créatures et qui est cependant un des enseignements les plus forts et les plus clairs que Dieu puisse nous donner. Et tous ces phénomènes que Dieu ne cesse de produire tous les jours, et qui paraissent n'être que la conséquence des lois de la nature, proclament toutefois l'existence du Créateur, car le Créateur est le grand Maître de la nature.

3. Ne soyez point surpris que le Roi-prophète s'adresse spécialement aux Juifs, dans la description qu'il fait du Jugement général. "L'affliction et le désespoir, dit saint Paul, accableront l'âme de tout homme qui fait le mal, du Juif premièrement et puis du Gentil." (Rm 2,8-9). Et un peu plus loin : "Tous ceux qui ont péché sans la loi, périront sans la loi, et tous ceux qui ont péché étant sous la loi, seront jugés par la loi." (Rm 2,12). "Assemblez devant Lui tous ses saints, qui ont fait alliance avec Lui par des sacrifices. (Ibid. 5) Pourquoi donc ce nom de saints donné à ceux qu'Il va mettre en accusation et condamner ? C'est pour imprimer plus de force à l'accusation, et faire servir ce titre d'honneur à rendre la punition plus éclatante. Ainsi nous-mêmes, lorsque nous surprenons en faute des coupables, et que nous voulons rendre nos reproches plus sévères, nous les désignons en les appelant par les dignités dont elles sont revêtues, pour donner plus de poids à l'accusation, et nous disons : Appelez le diacre, appelez le prêtre. Comme Dieu donnait aux Juifs le titre de sacerdoce royal et de peuple privilégié, et qu'ils se complaisaient dans ces prérogatives, il en fait une cause aggravante de leurs crimes. "Qui ont contracté avec Lui une alliance scellée par les sacrifices." Ils se portaient à mille excès, commettaient toute sorte de crimes, s'emparaient par avarice du bien d'autrui, se rendaient coupables de meurtres, d'adultères, répandaient le sang à flots, et avec cela pensaient avoir rempli toute justice et obéi à tous les préceptes de la loi, en immolant des brebis et des taureaux. Aussi le Psalmiste prend ici le ton de l'insulte et de la raillerie en disant : "Ceux qui ont contracté avec Lui une alliance scellée par les sacrifices", c'est-à-dire ceux qui s'imaginent qu'il suffit pour être sauve, d'immoler à Dieu de vils animaux. "Et les cieux annoncent sa Justice." (Ibid. 6) 2 veut faire ressortir de nouveau le caractère éclatant de la Justice de Dieu, son évidence irrésistible à laquelle tous seront forcés de se rendre; il continue la même figure que précédemment, et invite les éléments à proclamer sa Justice "Parce que c'est Dieu Lui-même qui est juge," c'est-à-dire qu'Il traite chacun suivant son droit. Ce n'est point inutilement qu'il nous représente Dieu comme juge, il veut nous apprendre par là qu'Il est juste, et qu'Il rend à chacun ce qui lui est dû. En Dieu, le titre de juge est inséparable de la justice, comme saint Paul l'atteste lorsqu'il dit : "Car s'il en était autrement, comment Dieu jugerait-Il le monde ?" (Rm 3,6). En effet, ce qui constitue le jugement véritable, ce qui fait le vrai juge, ce n'est pas seulement de rendre un arrêt, c'est de le rendre suivant les lois de la justice. Ceux qui seront jugés par ce juste juge, seront les Juifs qui vivaient alors, et ceux qui ensuite se sont rendus coupables sous le Nouveau Testament; les premiers auront pour accusateurs la nature et la loi, les seconds auront de plus les bienfaits mêmes de Jésus Christ à leur égard. Qu'auront-ils à répondre, et comment excuser leur incrédulité ? Méditez attentivement, je vous prie, ces paroles, afin que vous puissiez fermer la bouche à ceux qui essaieraient de vous contredire. Ne vaut-il pas mieux qu'ils soient vaincus par nous, et qu'ils reviennent ainsi de leur erreur, plutôt que de les voir sortir avec la pensée qu'ils sont victorieux, et s'exposer ainsi à être condamnés par le Juge commun de toute la terre ? Comment se justifieront-ils d'avoir fait mourir Jésus Christ ? Quel crime énorme ou léger peuvent-ils Lui reprocher ? Qu'Il Se faisait passer pour Dieu, dites-vous ? (Jn 10,33). &emdash; Cependant ce n'était point là le crime dont ils L'accusaient, lorsqu'ils demandaient sa mort. Ils ne disaient pas : "Il Se fait passer pour Dieu," mais : "Celui qui se fait roi, n'est point ami de César." (Jn 19,10). Or, ils avaient voulu bien souvent Le faire roi, et Il S'était toujours dérobé à leurs désirs. Mais me direz-vous, ils L'avaient accusé précédemment de S'être fait passer pour Dieu. Qu'en résulte-t-il ? Si cette prétention était injuste et sans fondement, s'Il n'était pas vraiment Dieu, l'accusation avait sa raison d'être; mais s'Il avait le droit de Se donner comme Dieu, au lieu de Le crucifier il fallait L'adorer. Examinons donc si Jésus Se faisait passer pour Dieu sans l'être réellement, c'est-à-dire s'Il donnait des preuves extérieures de sa Divinité. À quels témoignages voulez-vous recourir pour vous en convaincre ? Aux événements qui s'accomplirent alors, ou à ceux qui se passent sous vos yeux ? Aux prodiges par exemple qui accompagnèrent sa naissance ? Qui donc est jamais né d'une vierge ? Qui a jamais fait paraître une étoile aussi brillante ? Qui a fait entreprendre aux mages un si grand voyage, non par force ni par contrainte, mais par les voies de la persuasion et de la révélation ? (Mt 4,1). Vous voyez que toute la création s'accorde à proclamer son Seigneur; la nature est la première à céder, elle n'essaie ni de résister, ni de contredire; elle ne dit pas : "Je ne consens pas à cet enfantement, je n'ai pas appris à faire naître un enfant du sein d'une vierge; je ne sais pas faire une mère sans union conjugale. Elle sortit de ses propres limites, car elle avait reconnu son Dieu. À peine fut-Il né que les anges entourèrent son berceau en proclamant que Celui qui habite les cieux était descendu sur la terre. (Lc 2,9). La terre elle-même devint un véritable ciel, puisque le Roi du ciel y avait fixé son séjour. Les mages vinrent des pays les plus éloignés pour L'adorer. Cet enfant était couché dans une simple crèche, dans la Palestine, et ces hommes qui venaient d'une contrée étrangère Lui prodiguaient les honneurs et les hommages qu'on ne rend qu'à Dieu seul. (Mt 2,2). Peut-être n'admettront-ils point ces prodiges et en demanderont-ils d'autres, accomplis dans la génération actuelle. Ces témoignages contemporains ne nous font pas défaut, car tel est le caractère de la vérité, qu'elle est féconde en moyens de justification. Et ici ils ne peuvent alléguer l'ombre même d'une contradiction. Vous n'existiez pas lorsque Jésus naquit d'une vierge, mais vous deviez croire au prophète qui vous disait : "Voici qu'une vierge concevra et enfantera un fils, et ils lui donneront le nom d'Emmanuel." (Is 7,14). Vous n'étiez pas présent, lorsque le Sauveur parcourait la terre revêtu d'une chair mortelle, et vivait dans la compagnie de ses serviteurs; mais lisez Jérémie et vous l'entendrez vous dire : "C'est Lui qui est notre Dieu, et nul autre ne sera reconnu comme Dieu que Lui. Il a trouvé toutes les voies de la vraie science, et Il l'a donnée à Jacob son serviteur, et à Israël son bien-aimé. Après cela, Il a été vu sur la terre, et Il a conversé avec les hommes." (Ba 3,36-38).

4.Toutes les autres circonstances de sa Vie ont été annoncées et prédites aussi clairement par les prophètes dont vous feuilletez et fatiguez jusqu'à ce jour les livres pour y trouver ces témoignages. Bien souvent, nous avons soutenu contre les Juifs de semblables discussions, et nous en soutiendrons encore. Pour le moment, poursuivons l'explication que nous avons entreprise : "Et les cieux annonceront sa Justice, parce que c'est Dieu même qui est juge." Cette justice, c'est la Providence souveraine de Dieu, sa Bonté pour son peuple, cette sollicitude paternelle à l'égard des hommes, qui se manifeste sous tant de formes et de tant de manières par la création, par la loi, par la grâce, par tant de faveurs visibles et invisibles, par les prophètes, par les anges, par les apôtres, par les châtiments, par les bienfaits, par les menaces, par les promesses, par la succession et l'ordre du temps. "Écoutez, mon peuple, et Je parlerai, Israël, et Je rendrai témoignage contre vous." (Ibid. 7) Voyez comme cet exorde respire la douceur et la bonté. Dieu agit comme un homme qui dirait à l'un de ses semblables, qu'il voit faire du bruit ou exciter du trouble : Si vous voulez m'écouter, je parlerai; si vous voulez être attentif, je vous ferai entendre ma voix. Le Seigneur tient ici le même langage à ses serviteurs; "Si vous voulez M'écouter, Je vous adresserai la parole." Leur négligence et leur paresse allaient si loin, qu'ils ne prêtaient même pas l'oreille à la lecture de la loi. C'est à cette indifférence que faisait allusion un prophète qui se trouvait alors dans la Perse, lorsqu'il disait : "Je serai pour eux comme un air de musique qui se chante d'une manière douce et agréable." (Ez 33,2) Souvent ils défendaient aux prophètes de prophétiser, ils allaient même jusqu'à les repousser pour se débarrasser, disaient-ils, de leurs importunités. C'est ainsi que nous voyons un roi défendre à un prophète sous les plus sévères menaces de convoquer le peuple. (3R 19,10; Za 7,1l; Am 7,13; Jr 32,3)

"C'est Moi qui suis Dieu, qui suis votre Dieu." C'est à dessein que le Roi-prophète fait cette répétition; il s'adresse à des hommes indifférents, dépourvus à la fois d'intelligence et de sentiment; il leur représente donc la souveraine Puissance de Dieu, comme un exorde favorable à son récit et leur prouve que c'est à Lui qu'ils sont redevables de la liberté et qu'ils doivent Lui rendre leurs hommages, comme des esclaves à leur maître, comme des créatures à leur Créateur, qui les a comblés des plus grands honneurs et des bienfaits les plus signalés. "Je ne vous reprends pas sur vos sacrifices, vos holocaustes sont toujours en ma Présence." (Ibid. 8). C'est aussi le reproche que leur font les autres prophètes, de négliger les devoirs essentiels de la vertu et de placer dans les sacrifices toute l'espérance de leur salut. En effet, tels étaient les moyens de défense qu'ils étaient prêts à invoquer : "Nous sacrifions à Dieu des victimes, nous Lui offrons des holocaustes." Ce n'est point, dit Dieu, ce que Je viens mettre en discussion et Je ne vous reproche point d'avoir négligé d'offrir des sacrifices. Isaïe leur fait ici des reproches bien plus violents : "Quel fruit Me revient-il de la multitude de vos victimes ? J'en suis rassasié, Je ne veux plus de vos holocaustes, de la graisse de vos agneaux, du sang de vos boucs et de vos taureaux. Qui vous a demandé d'apporter ces offrandes ?" (Is 1,11-12). Dieu avait établi un grand nombre de prescriptions relatives aux sacrifices, mais ces prescriptions n'étaient pas l'expression essentielle de sa Volonté, et Il voulait simplement S'accommoder à leur faiblesse; Jérémie leur fait le même reproche : Pourquoi M'apportez-vous l'encens de Saba, et les parfums des terres les plus éloignées ? (Jr 6,20). Tous les prophètes s'accordent à déclarer que les sacrifices ont peu d'importance. C'est pour le même motif que le Roi-prophète dès son début, fait parler Dieu en ces termes : "Je suis Dieu, Je suis votre Dieu;" et il fait voir par là que cette manière de L'honorer par des sacrifices est indigne de Lui. Le vrai culte de Dieu ne consiste ni dans la fumée, ni dans l'odeur de la chair des victimes, mais dans une vie vertueuse, sainte et toute spirituelle. Les démons qu'adorent les nations étrangères, demandent au contraire un culte tout différent, au témoignage d'un poète grec qui leur prête ces paroles : Telle est la part que le destin nous a faite. (Iliade D,5,49; W,5,70). Il n'en est pas ainsi de notre Dieu. Les démons qui avaient soif du sang des hommes et qui voulaient les accoutumer insensiblement à le verser, ne cessaient d'exiger ce genre de sacrifices. Dieu au contraire, qui voulait détourner peu à peu les hommes de ces immolations sanglantes d'animaux, a voulu user de condescendance, et Il a permis ces sacrifices, avec le dessein de les supprimer un jour.

"Je n'ai nul besoin des génisses de votre maison, ni des boucs de vos troupeaux. (Ibid. 9). C'est à Moi qu'appartiennent toutes les bêtes des forêts, et les troupeaux et les b¦ufs qui paissent sur les montagnes. (Ibid. 10). Je connais tous les oiseaux du ciel, et tout ce qui fait la beauté des champs est en ma Puissance." (Ibid. 11) Vous voyez comme il élève peu à peu leurs pensées au-dessus de la terre où elles se traînaient, comme il fait pénétrer la lumière dans ces esprits aveugles, et leur montre que si Dieu leur a commandé d'offrir ces sacrifices, ce n'est pas qu'Il en eut besoin, et que la loi qui les prescrit n'en approuve point pour cela l'usage. Car si Je voulais être adoré de la sorte, Moi qui suis le Créateur et le Maître de l'univers, Je ferais en sorte qu'on immolât sur mes autels les plus riches victimes. Il mêle ensuite la raillerie au reproche, pour rendre l'accusation plus sensible : "Si J'avais faim, Je n'irais pas vous le dire, car l'univers est à Moi et tout ce qu'il renferme." (Ibid. 12) Dieu ne leur avait permis ces sacrifices que dans le dessein de les en détourner peu à peu, mais ils sont restés attachés à ce culte grossier sans tirer aucun fruit de la Condescendance divine; Il est donc comme obligé de leur tenir ce langage matériel et tout humain : "Si J'avais faim, Je n'irai pas te le dire," ce qui signifie : Je suis inaccessible au besoin de la faim. Dieu, en effet, ne connaît ni la faim ni la fatigue, et si un pareil culte M'était agréable, poursuit-Il, Je trouverais facilement et en grand nombre, des sacrifices et des holocaustes car Je possède toutes choses en abondance. Mais bien que Je sois le Seigneur et le Maître de tout l'univers, Je consens à recevoir de vos mains ce qui M'appartient, pour gagner ainsi votre c¦ur, et vous faire renoncer à ces vaines observances.

5. Il les élève encore à des pensées plus hautes : "Croyez-vous que Je mange la chair des taureaux et que Je m'abreuve du sang des boucs ?" (Ibid. 13). Loin d'en avoir fait un commandement aux hommes, Je leur ai défendu sous les peines les plus sévères de se nourrir du sang des animaux. (Lv 7,16 et 26-27). Comment donc aurais-Je besoin de ce sang, Moi qui défends à mes serviteurs de s'en nourrir ? Après avoir rejeté tous ces sacrifices comme indignes de Lui et mêlé l'ironie à ses reproches, Il ne s'en tient pas là, et Il leur indique un autre genre de sacrifice qui Lui est agréable, semblable à un habile médecin, qui non content d'écarter les remèdes inutiles, applique sur les plaies du malade ceux qui peuvent le guérir. Voilà pourquoi Il ajoute : "Immolez à Dieu." Et quel sacrifice Lui offrirai-je ? Un sacrifice non sanglant : car c'est le sacrifice qui est agréable à Dieu. C'est pour cela qu'après avoir dit : "Immolez à Dieu," le Roi-prophète ajoute : "Un sacrifice de louange;" c'est-à-dire d'actions de grâces, d'hymnes sacrées, de glorification par les ¦uvres. Voici donc le sens de ces paroles : Faites en sorte que Dieu soit glorifié par votre vie. C'est ce que Jésus Christ recommande en ces termes : "Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes ¦uvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux." (Mt 5,16). En effet, louer quelqu'un c'est faire son éloge, le glorifier, célébrer son nom. Que votre vie donc, soit une louange perpétuelle de Dieu, et vous avez offert un sacrifice parfait. C'est ce sacrifice que saint Paul exige des fidèles : "Offrez vos corps, leur dit-il, comme une hostie vivante, sainte et agréable à Dieu." (Rm 12,1) Le Roi-prophète s'exprime en ces termes dans un autre endroit : "Je louerai le Seigneur dans mes cantiques, je le glorifierai dans mes louanges. Ce sacrifice sera plus agréable à Dieu que l'immolation d'un taureau aux cornes naissantes et aux ongles déjà forts." (Ps 68, 31-32). C'est ce même sacrifice que Job offrait à Dieu, accablé qu'il était sous le poids des coups dont Dieu l'avait frappé : "Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté, que le Nom du Seigneur soit béni dans les siècles." (Jb 1,21) "Et rendez vos v¦ux au Très-Haut." Il s'agit ici de la prière, David nous conseille de persévérer dans ce saint exercice, et de nous hâter d'accomplir nos promesses. Remarquez la justesse de cette expression : "Rendez;" une promesse, en effet, nous constitue de véritables débiteurs. C'est ainsi qu'Anne offrit son fils à Dieu, comme une dette sacrée qu'elle avait contractée. (1R 1,28). Quel que soit donc l'objet de votre promesse, donner l'aumône, faire profession d'une vie pure, ou quelqu'autre chose semblable, ne tardez pas à l'accomplir. Je dirai plus : après un examen sérieux, vous reconnaîtrez que la vertu est pour nous une obligation rigoureuse et indépendante de toute promesse. Jésus Christ Lui-même nous le déclare, lorsqu'Il dit : "Nous avons fait ce que nous devions faire." (Lc 17,10). Or, Il venait de parler de ce serviteur à qui son maître avait donné un ordre de peu d'importance, c'est-à-dire de ne point se mettre à table, mais de se préparer à le servir. La sainte Écriture nous dit ailleurs : "Si vous avez fait un v¦u à Dieu, ne tardez pas à vous en acquitter." (Si 5,3). Vous avez promis, tenez votre promesse, de peur que la mort ne vous surprenne, et ne vous empêche de l'accomplir. Qu'est-ce que cela me fait, me direz-vous ? Ma vie n'était pas en mon pouvoir. Et c'est justement cette pensée que votre mort est incertaine, que vous n'êtes le maître ni de votre vie, ni de votre mort, qui doit vous engager à ne pas différer. Ce que vous invoquez en votre faveur est précisément ce qui vous condamne; car ce n'est pas la mort qui a été la cause de l'inexécution de vos promesses, mais la lenteur et le retard que vous avez mis à les accomplir.

"Et invoquez-Moi au jour de la tribulation, Je vous délivrerai; et vous rendrez gloire à mon Nom." (Ibid. 15). Voyez quelle magnifique récompense. Que peut-on comparer à la Bonté de Dieu qui nous donne la récompense de nos vertus, récompense bien supérieure à nos travaux, et qu'Il nous donne dans le temps le plus favorable. Et pourquoi, me demandez-vous, Dieu nous recommande-t-Il de L'invoquer, pourquoi attend-Il que nous L'invoquions ? C'est pour établir entre Lui et nous par ces différentes actions de donner, d'invoquer, de recevoir, une union plus étroite, un amour plus ardent. Car le propre de la vertu est de nous unir à Dieu, les récompenses qu'Il nous accorde produisent le même effet, et la prière cimente cette union et lui donne une nouvelle force. Voilà pourquoi Dieu nous dit : "Donnez-Moi et Je vous donnerai à mon tour." (Mt 19,21). Je dirai plus, c'est que vous recevez même en donnant, parce que Dieu n'a point besoin de ce que vous Lui donnez. Soyez doux, modéré, chaste, vous n'avez rien ajouté à la Nature de Dieu, mais vous vous donnez à vous-même un nouveau degré de mérite et de gloire. Cependant Dieu vous récompense pour ces vertus, comme s'Il en tirait quelque profit. Il fait plus, avant même de vous mettre en possession de ces couronnes, il répand dans votre c¦ur la joie ineffable qui accompagne le témoignage d'une bonne conscience, et l'espérance certaine des biens éternels. Ce jour de l'affliction dont parle ici le Roi-prophète, n'est pas le jour des calamités ou des événements imprévus, mais celui où le péché nous fait la guerre, où le démon assiège notre âme, en lui inspirant de criminels désirs, et c'est alors que nous trouverons en Dieu un puissant secours. "Je vous délivrerai, et vous rendrez gloire à mon Nom." S'Il parle de la sorte, ce n'est pas qu'Il ait besoin de la gloire que nous Lui rendons, Lui qui est le Dieu de la gloire, mais Il veut que l'hymne de l'action de grâces rappelle le souvenir du bienfait, augmente la vivacité de notre amour et soit pour nous le principe du véritable bonheur.

6. On peut également dire que ce jour de l'affliction dont parle le Prophète est le jour de la vie future, jour où l'affliction sera éternelle. Ici-bas, la mort vient mettre un terme à nos malheurs, des amis nous consolent, nous entrevoyons la fin de nos maux; nous pouvons espérer un changement de fortune, le temps seul suffit quelquefois pour adoucir nos souffrances, aussi bien que le spectacle des malheurs de nos frères. Il en est beaucoup, en effet, qui regardent comme une grande consolation d'avoir des compagnons d'infortune et des exemples qui leur rappellent leurs propres épreuves. Mais dans l'autre vie, rien de semblable, aucun consolateur, aucun ami. Le temps n'adoucira point leurs souffrances, (et comment pourrait-il adoucir l'action dévorante de cette flamme éternelle ?) aucune espérance d'en être délivrés, leur supplice n'aura point de fin. C'est en vain qu'ils attendraient la mort, car outre que leurs châtiments ne finiront point, leurs corps eux-mêmes seront les immortelles victimes de ces châtiments. Ils n'auront pas même ce qu'un grand nombre regarde comme une consolation, la satisfaction de voir les châtiments des autres. Premièrement les ténèbres qui comme un mur impénétrable répandront une obscurité profonde sur leurs yeux, leur en déroberont la vue; d'ailleurs l'excès de leurs souffrances ne laissera point de place à ce genre d'adoucissement. Ni le riche donc, ni ceux qui grincent des dents ne trouveraient dans cette similitude de malheurs un motif de consolation.

Mais Dieu a dit au pécheur : "Pourquoi racontez-vous mes Justices ?" (Ibid. 16). Entendez-vous cette lyre parfaitement accordée, cette lyre harmonieuse qui de divers sons sait former un accord parfait. On peut en effet, retrouver cette même pensée dans les écrits des apôtres comme dans ceux des prophètes, et saint Paul lui-même nous déclare qu'il ne sert de rien d'instruire les autres, si on ne commence par s'instruire soi-même. La loi était pour les Juifs comme leurs sacrifices un objet de vaine complaisance, ils aimaient à se proclamer les docteurs des autres hommes. Saint Paul leur prouve qu'ils n'y gagnaient pas grand-chose, puisqu'ils restaient eux-mêmes dans l'ignorance, et il leur adresse ces vifs reproches : Vous qui instruisez les autres, vous ne vous instruisez pas vous-mêmes ? Vous qui prêchez qu'il ne faut pas dérober, vous dérobez ? Vous qui avez en horreur les idoles, vous faites des sacrilèges ? Vous qui vous glorifiez d'avoir la loi, vous déshonorez Dieu par la violation de la loi ?" (Rm 2,21-23). Et voilà pourquoi le même apôtre dit ailleurs de lui-même : "Je crains qu'après avoir prêché aux autres je ne sois réprouvé moi-même." (1Cor 9,27). C'est ainsi qu'il réprime l'enflure de ceux qui s'enorgueillissaient d'être les docteurs des autres, tandis qu'ils étaient vides de toute vertu. Il traite encore la même vérité sous une forme différente, quand s'adressant aux Juifs il leur dit : "Lorsque les Gentils qui n'ont pas la loi, font naturellement les choses que la loi commande, n'ayant pas la loi, ils se tiennent à eux-mêmes lieu de loi." (Rm 2,14). Et encore : "Ce ne sont point ceux qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu, mais ceux qui pratiquent la loi qui seront justifiés." (Ibid. 13). Jérémie dit de son côté : "Les gardiens de la loi ne M'ont point connu." (Jr 2,8) Et plus loin : "Ils sont devenus inutilement un jonc mensonger pour les scribes." (Ibid. 8, 8). Pourquoi ? Parce que la tourterelle et l'hirondelle et les oiseaux des champs ont connu le temps de leur passage, mais mon peuple n'a point connu mes Jugements." (Ibid. 7). Le prophète nous enseigne ici qu'il ne sert de rien d'instruire les autres, si l'on ne pratique pas la vertu, et qu'on perd ainsi ses droits à la dignité de docteur. Si dans les jugements humains, l'homme convaincu de crime est condamné à garder le silence, comment pourrait-on permettre à celui qui est esclave du péché de prendre la parole pour enseigner dans l'assemblée des fidèles, dans cette enceinte bien plus auguste que les tribunaux de la terre ? Là, les coupables subissent le châtiment qu'ils ont mérité; ici, au contraire, toutes choses tendent non à punir les coupables, mais à leur faire expier leurs péchés par la pénitence. Certainement, nul dans les cours des rois ne pourrait être l'interprète et l'organe de la parole du souverain, si sa vie était souillée de quelque crime. Pourquoi donc racontez-vous mes Justices, et les enseignez-vous aux autres, tout en faisant le contraire ? Pourquoi, par une contradiction déplorable entre votre vie et vos discours, détournez-vous ceux qui voudraient se rendre dociles à vos enseignements ? Ce n'est plus enseigner par vos paroles, c'est pervertir par vos exemples. Voilà pourquoi Jésus Christ donne des éloges au docteur qui rend son enseignement parfait par la conformité qu'il fait régner entre ses paroles et ses actions : "Celui qui fera et enseignera sera appelé grand dans le royaume des cieux." (Mt 5,19).

Que votre vie soit donc comme une voix retentissante qui proclame les mêmes enseignements que votre bouche, et alors même que vous garderiez le silence, vous serez comme une trompette éclatante dont les sons se feront entendre, non seulement de ceux qui sont près de vous, mais de ceux qui sont au loin. C'est ainsi que le ciel raconte la Gloire de Dieu, sans avoir ni bouche, ni langue, ni âme vivante pour se faire entendre. La beauté seule des merveilles dont il frappe les yeux, suffit pour exciter dans notre âme l'admiration pour le Créateur. Que la vertu soit donc pour votre âme ce qu'est pour le ciel le magnifique spectacle qu'il déroule à nos yeux. Mais si vous êtes souillé de crimes, en butte à mille accusations, et surtout à celle de votre conscience, et que vous osiez monter dans la chaire du docteur, en reprenant les vices des autres, c'est bien plutôt votre propre vie que vous condamnerez. "Pourquoi avez-vous mon alliance dans la bouche ?" Remarquez la justesse de cette expression : "Dans la bouche." Car le c¦ur est complètement vide des fruits que doit produire la parole divine, les lèvres s'agitent en vain pour la condamnation de celui qui parle. Examinez sérieusement cette âme, vous verrez qu'elle est en guerre déclarée avec Dieu. "Vous avez haï l'instruction, et vous avez rejeté mes paroles loin de vous." (Ibid. 7). L'instruction ici, c'est la doctrine de la loi qui règle les sentiments de l'âme, en chasse le vice, et y dépose les germes de la vertu. Comment donc oseriez-vous enseigner cette doctrine et la semer dans le c¦ur des autres, lorsqu'elle ne dirige en rien vos propres actions ? "Car vous avez rejeté mes paroles loin de vous."

7. Non seulement la doctrine de la loi ne vous a rien appris, vous avez même détruit en vous les enseignements de la nature. Dieu, en effet, a gravé dans notre âme la distinction de ce que nous devons faire et de ce que nous devons éviter. Mais pour vous, vous avez rejeté ces enseignements et vous les avez bannis de votre souvenir. Si vous aperceviez un voleur, vous couriez à lui, et vous preniez part aux crimes des adultères." (Ibid. 18). Il est impossible que l'homme soit entièrement exempt de péché, ce qui a fait dire à l'auteur du livre des Proverbes : "Qui peut se glorifier d'avoir le c¦ur pur, qui peut dire avec confiance : Je suis exempt de péché ? (Pr 20,9). Saint Paul lui-même, après avoir dit : "Ma conscience ne me reproche rien," ajoute "Mais je n'en suis pas pour cela justifié." (1Cor 4,4). Et il est dit encore ailleurs : "Le juste s'accuse lui-même le premier en commençant à parler." (Pr 18,17). C'est-à-dire qu'il accuse ses péchés. Or, pour prévenir cette objection : si tous les hommes sont pécheurs, et si Dieu défend au pécheur de raconter ses Justices, qui donc les racontera ? &emdash;, le Roi-prophète énumère "différentes espèces de péché dont il est ici question. "Il y a en effet un péché qui donne la mort", (1Jn 5,16) comme Héli déclarait à ses enfants : "Lorsqu'un homme en offense un autre, le prêtre peut demander à Dieu le pardon du coupable, mais l'homme offense le Seigneur, qui priera pour lui ?" (1R 2,25). Il y avait dans l'ancienne loi des péchés irrémissibles, et qui entraînaient la mort du coupable; il y en avait d'autres au contraire dont on pouvait facilement obtenir le pardon. Il en est de même sous le Nouveau Testament, au témoignage de Jésus Christ : "Si ton frère a péché contre toi, nous dit-il, va et reprends-le entre toi et lui seul. Mais s'il ne t'écoute point, prends avec toi une ou deux personnes; que s'il ne les écoute point, qu'il soit pour toi comme un païen et un publicain." Mt 18,15. Et cependant Pierre lui ayant demandé un peu après : "Combien de fois mon frère péchera-t-il contre moi et le lui remettrai-je ?" en reçut cette réponse : "Jusqu'à septante fois sept fois." (Ibid. 21). Dans les paroles qui précèdent, au contraire après deux avertissements le péché est à son comble, et on ne doit plus attendre davantage. Quoi donc ? Est-ce qu'il y a ici contradiction ? Non, sans doute, mais ces paroles du Sauveur : "Septante fois sept fois," supposent cette condition : s'il se repent de ses péchés. Comment pardonner en effet à celui qui ne veut ni avouer sa faute, ni s'en repentir ? Lorsque nous demandons au médecin de nous guérir, nous commençons par lui découvrir nos plaies.

Quel est donc le pécheur dont parle ici l'Écriture ? Écoutons attentivement, elle nous en fait la description dans ce qui suit."Si vous aperceviez un voleur, vous couriez à lui, et vous preniez part aux crimes des adultères. Votre bouche a été remplie de malice, et votre langue ourdit des trames perfides." (Ibid. 19). "Assis avec vos compagnons, vous parliez contre votre frère, vous tendiez un piège pour faire tomber le fils de votre mère." (Ibid. 20). Voyez-vous cette malice profonde dont le Prophète vient de nous retracer le tableau sous les plus vives couleurs ? Voyez-vous comment le vice a fait du pécheur une espèce de bête féroce à qui le péché a fait perdre la noblesse de sa nature ? Ne passons pas à la légère sur ce tableau, et considérons-en attentivement tous les traits : "Si vous aperceviez un voleur, vous couriez à lui." Voilà la cause de tous les maux, voilà le grand principe destructeur de la vertu, ce qui affaiblit et finit par éteindre dans un grand nombre l'amour du bien. C'est que loin de condamner ceux qui font mal, on leur adresse des félicitations; complaisance aussi coupable que le péché même qu'on approuve. Écoutez l'apôtre saint Paul qui vous dit : "Non seulement ceux qui font de pareilles actions, mais encore ceux qui les approuvent." (Rm 1,32). Non, ce n'est pas un crime léger de se réjouir avec ceux qui font le mal, fût-on d'ailleurs exempt de toute faute. Celui qui pèche peut alléguer la nécessité ou la pauvreté, bien que ce soient de mauvaises excuses. Mais vous, pourquoi louez-vous le mal qu'il a commis et dont vous ne pouvez retirer le moindre plaisir ? Et ce qu'il y a de plus triste pour vous, il se repentira peut-être; tandis que vous vous fermez cette porte de salut, vous vous ôtez ce remède, vous anéantissez ce grand principe de consolation, vous obstruez de vos mains toutes les voies qui pourraient vous conduire au port de la pénitence. Lors donc qu'il vous verra, vous qui étiez étranger au mal et qui aviez pour charge de reprendre les coupables, non seulement garder le silence, mais chercher à dissimuler le crime, et aller même jusqu'à vous en rendre complice, quel jugement portera-t-il et de lui-même et de son action ? Un grand nombre d'hommes, la plupart du temps,s ne jugent point d'après leurs propres idées de ce qu'ils doivent faire, mais ils se laissent influencer et corrompre en cela par l'opinion des autres. Si donc celui qui fait mal voit tout le monde s'éloigner de lui avec horreur, il se dira en lui-même qu'il a commis une faute grave. Mais, si au lieu de cette indignation, de cette horreur, il ne rencontre qu'une tolérance facile, et peut-être des applaudissements, le jugement de sa conscience achève de s'altérer par l'appui que l'opinion publique donne à l'idée que son esprit déjà corrompu se fait de son crime. Et alors à quels excès ne se portera-t-il pas ? Quand se condamnera-t-il et mettra-t-il un terme aux crimes qu'il commet sans scrupule ? Voici donc la voie qu'il faut suivre : vous avez commis une faute, n'hésitez pas à vous condamner vous-même, vous arriverez ainsi à ne plus la commettre. Vous ne faites pas encore ce qui est bien, ne laissez pas de le louer. Cette bonne volonté sera pour vous un acheminement à bien faire. Mais ici, le Roi-prophète flétrit et condamne à juste titre le pécheur qui ose applaudir au mal qu'il voit faire. Car si le vice, malgré le blâme qui s'attache à lui, est cependant si puissant; si la vertu, malgré les éloges qu'on lui donne, persuade à un si petit nombre de supporter les peines qu'elle impose, qu'arrivera-t-il si cet ordre est renversé ? Tel est le spectacle que présente quelquefois la tribu sacerdotale elle-même. Et si c'est un grand mal parmi les disciples, jugez de ce qu'il doit être parmi les maîtres ?

8. Que faites-vous donc, ô homme ? La loi a été violée, la chasteté foulée aux pieds, tant de crimes sont le fait d'un ministre des autels, l'enfer est comme mêlé avec le ciel, et vous n'êtes pas saisi d'horreur ? Le prophète invite les éléments inanimés eux-mêmes à déplorer avec les sentiments d'une amère douleur, les crimes dont la terre est si souvent le théâtre ! "Le ciel a frémi d'étonnement, et la terre a été saisie d'horreur." (Jr 2,12). Et dans un autre endroit : "Le Carmel est dans les larmes, le vin pleure, la vigne s'attriste." (Is 24,7). Eh quoi ! Les créatures inanimées se livrent aux gémissements, aux larmes, et partagent l'indignation de leur Créateur, et vous, être doué de raison, vous restez insensible et loin d'éclater en reproches et de vous déclarer le vengeur des lois divines, vous vous rendez le complice des pécheurs ? Ah ! quel pardon pouvez-vous espérer ? Ce n'est pas que Dieu ait besoin d'un vengeur, et qu'Il en soit réduit à implorer votre secours, non, mais Il veut que vous soyez ici le ministre de sa Justice, pour vous préserver de ces mêmes chutes, vous inspirer plus d'éloignement pour ces fautes qui excitent votre indignation et donner ainsi une preuve de votre amour pour lui. Dés lors que la vue de votre frère qui fait le mal vous laisse indifférent, n'attire sur vos lèvres aucune parole de blâme, ne produit dans votre c¦ur aucune tristesse, vous affaiblissez votre âme et lui préparez de nombreuses chutes dans les mêmes fautes. Et quant à votre frère lui-même, votre indulgence déplacée est pour lui une véritable cruauté, vous aggravez le jugement qu'il doit subir un jour et vous diminuez ses forces pour les combats de la vie présente. Ces considérations ne s'appliquent pas seulement au vol, mais à tout autre péché. Le Roi-prophète met ici en première ligne le péché qui est le dernier, pour vous faire comprendre que si l'on ne peut obtenir le pardon de ce péché, à plus forte raison les autres péchés n'ont aucun pardon à espérer.

Écoutez ce qu'il dit ensuite : "Et vous preniez part aux crimes des adultères." Il passe donc ici à de plus grands crimes, car le vol est de beaucoup moins grave que l'adultère. Un auteur inspiré faisant la comparaison de ces deux péchés, s'exprime ainsi : "Il n'est pas surprenant qu'un homme soit pris en flagrant délit de vol, car il dérobe pour avoir de quoi manger lorsqu'il est pressé de faim." (Pr 6,30). Or, si ce voleur ne peut obtenir son pardon, l'adultère l'obtiendra bien moins encore. Le Roi-prophète entend ici par l'adultère la fornication. Si donc un de ceux qui sont réunis avec vous se livre à la fornication et ose approcher des sacrements, dites à celui qui en est le ministre : Il est indigne des saints mystères, repoussez ses mains sacrilèges. Quoi ! Il n'est pas digne de raconter les Justices de Dieu, et il ose approcher de la table sainte ! Quel ne sera pas son châtiment et le supplice de celui qui le couvre de son silence ? Car le Prophète ne dit pas : Et vous commettiez l'adultère, mais "vous preniez part aux crimes des adultères." Grand Dieu ! Quel crime est-ce donc de voiler, de dissimuler la corruption des autres, puisqu'on mérite le supplice qui leur est réservé, et qu'on devient aussi coupable qu'eux ! L'adultère peut alléguer le trouble que la passion répand dans son âme, bien que cette excuse ne soit point valable, de même que le voleur peut s'excuser sur la faim qui le dévorait; mais pour vous, vous n'avez pas même cette ressource. Pourquoi donc, étranger au plaisir du péché, prendre votre part du châtiment qu'il mérite ? C'est ainsi que la justice humaine ne condamne pas seulement ceux qui ont commis un crime, mais les serviteurs qui sont convaincus d'en avoir eu connaissance. Et leurs maîtres eux-mêmes en les livrant à la justice, boiraient volontiers leur sang, mangeraient leur chair, parce qu'ils les chargent de tout l'odieux du crime, autant que leur femme infidèle. En n'écartant pas les voiles qui couvraient les coupables, ils ont facilité le crime qui a été commis, et se sont rendus coupables d'injustice à l'égard du mari outragé, de la femme déshonorée par l'adultère, et de son infâme séducteur. Ils n'avaient qu'à prévenir, qu'à donner l'éveil, toute tentative, toute poursuite serait devenue impossible. Celui qui veut attirer le gibier dans ses filets, les tend avec soin, reste tout auprès l'¦il constamment ouvert sur les animaux qu'il veut prendre, cache tout ce qui pourrait le trahir, ne fait aucun bruit, aucune action qui pourrait éloigner sa proie. De même ici, vous êtes tranquillement assis près du piège que le démon lui-même a tendu, vous savez que l'adultère va tomber dans ce piège, et vous ne faites aucun bruit, vous n'élevez pas la voix; vous devenez ainsi l'auteur de sa perte.

Et ne me faites point cette réponse pleine d'indifférence : Que m'importe ? je m'occupe de ce qui me regarde. Car vous ne prenez véritablement soin de vos intérêts que lorsque vous les identifiez avec l'utilité de votre prochain. C'est ce que saint Paul recommandait en ces termes : "Que personne ne cherche sa propre satisfaction, mais le bien des autres." (1Cor 10,24). Voulez-vous trouver vos intérêts, cherchez les intérêts des autres. "Votre bouche était remplie de malice, et votre langue ne s'exerçait qu'à inventer des tromperies." (Ibid. 19). "Étant assis, vous parliez contre votre frère, et vous prépariez un piège pour faire tomber le fils de votre mère." (Ibid. 20). N'allez donc pas dire : J'agis par humanité. Et quelle humanité de ne pas arrêter, de ne pas retenir celui qui va tomber dans un précipice, d'applaudir à une injuste passion et de voir d'un ¦il indifférent votre frère avaler un poison mortel ? Mais non, vous n'oseriez parler de la sorte. Voulez-vous une preuve que vous n'agissez point ici par un sentiment d'humanité; mais que vous cédez à l'apathie, à la négligence, à un défaut de charité ? Pourquoi, dites-moi, laissant tranquille le coupable, déchirez-vous la réputation de votre frère innocent ? Pourquoi tendez-vous des pièges à celui qui ne vous a fait aucun mal, à qui vous n'avez rien à reprocher ? C'est une double et souveraine méchanceté. Voici un homme que la passion enivre, et vous ne cherchez point à le retirer de son ivresse pour le ramener à l'usage de la raison; en voici un autre qui ne vous a fait aucun tort, et vous le frappez sans pitié.

9. Voyez comme à mesure que le discours s'avance, l'accusation devient plus accablante. Vous avez poursuivi de vos insinuations perfides celui qui a été pour votre mère la cause des mêmes douleurs, qu'elle a porté comme vous dans son sein, qui a partagé avec vous le même toit, la même table, la même nourriture, dont la tige a eu la même racine, le même principe de vie, et que vous avez vu croître avec vous depuis votre plus tendre enfance. Et non seulement vous déchirez sa réputation, mais vous cherchez à le faire tomber dans vos embûches. Car voilà ce que signifient ces paroles : "Vous lui tendiez un piège." Si donc, vous ne devez point diffamer celui que votre mère a enfanté au prix des mêmes douleurs naturelles que vous, combien plus devez-vous respecter votre frère spirituel ? Ne laissez donc point tomber dans le péché celui que vous voyez sur le bord du précipice, et cessez de calomnier et d'outrager celui qui ne vous a fait aucun mal. D'un côté vous cédez à l'envie, de l'autre à une négligence coupable : à l'envie en cherchant à faire tomber celui qui se tient debout, à la négligence en ne retenant pas celui qui est sur le bord de l'abîme. Remarquez que le Roi-prophète ne parle pas ici d'une simple accusation, mais d'une accusation artificieuse habilement concertée : "Étant assis, dit-il, vous parliez contre votre frère." Caïn, en tuant son frère, n'ôta la vie qu'à un seul homme; ceux-ci au contraire, par leurs discours empoisonnés, en font périr des milliers, en commençant par eux-mêmes. Celui qu'ils attaquent n'est pas la seule victime de leurs calomnies, il en est un grand nombre d'autres et surtout ceux qui les écoutent. Quant à celui qui est calomnié, loin d'en être atteint, il devient digne des plus grandes récompenses. Ce n'est donc point la victime, mais l'auteur de la calomnie qui mérite d'être puni. De même ce n'est pas celui qui l'écoute, mais celui qui la profère qui est coupable, pourvu que le premier n'y ait pas donné directement occasion. Efforçons-nous donc, non point de ne pas entendre la calomnie (cela est impossible, au témoignage de Jésus Christ Lui-même qui nous dit : "Malheur à vous, quand les hommes diront du bien de vous." (Lc 6,26), mais efforçons-nous de ne pas y donner occasion. Celui qui désire que tout le monde dise du bien de lui, sacrifie souvent son âme à cet amour de la vaine gloire, il se rend esclave là où il devrait être libre, il cherche à plaire aux hommes contre sa conscience pour acheter leur bienveillance. D'un autre côté, celui qui ne tient nul compte du mal que tous disent de lui, se perd également. Car s'il est impossible que l'homme de bien jouisse de l'approbation universelle, il ne l'est pas moins que l'opinion générale ne flétrisse la conduite de celui qui donne toujours un aliment à la médisance. Si vous êtes victime de la médisance sans y avoir donné occasion, votre récompense n'en sera que plus grande, comme il est arrivé pour les apôtres et ces illustres héros qui les ont suivis. Il faut bien aussi que nous sachions que si l'on vient nous attaquer sur un point où nous sommes innocents devant notre conscience, ce n'est pas une raison de rester indifférent à la calomnie et au mal qu'elle nous cause; alors nous devons tout faire avec prudence pour lui ôter tout prétexte, fût-il injuste. Voilà pourquoi saint Paul faisait distribuer par un grand nombre de personnes l'argent destiné à procurer des aliments aux pauvres. (1Cor 16,3). "Afin, disait-il, que personne ne puisse rien nous reprocher au sujet de ces abondantes aumônes dont nous sommes les dispensateurs." (2Cor 8,20). Il prévit bien que quelques-uns pourraient se scandaliser injustement, mais loin d'y être indifférent, comme il était en son pouvoir de prévenir ce scandale, il se hâta de le faire dans leur intérêt. Il proclame ailleurs la même vérité : "Si ce que je mange scandalise mon frère, je ne mangerai jamais aucune viande pour ne pas le scandaliser." (1Cor 8,13). C'étaient là des choses bien indifférentes et cependant, disait ce grand apôtre, si elles sont une cause de scandale, bien que je n'en éprouve aucun dommage, je dois veiller au salut de ces âmes scandalisées. Si le dommage qui en résulte pour vous l'emportait sur leur salut, vous ne devriez faire aucune attention à celui qui se scandalise, mais s'il en est autrement, ayez égard à sa faiblesse.

Telle est la règle générale que nous devons suivre dans la pratique, et qui nous apprend quand il faut tenir compte du scandale des âmes faibles; quand au contraire nous devons passer outre. C'est ainsi, par exemple, que les Juifs se scandalisaient de ce que saint Paul n'observait point la loi, il s'ensuivait que des milliers de personnes s'éloignaient de la religion chrétienne et chancelaient dans la foi. Que fit saint Paul ? Il s'empressa de mettre un terme à ce scandale (car le salut de tant de personnes l'emportait dans son esprit sur toute autre considération), et de raffermir leur foi chancelante. "Pour cela, il évita de faire paraître qu'il n'observait pas la loi, ce qui était le point important." (1Cor. 1,23). Les Juifs se scandalisèrent de nouveau de ce qu'il prêchait un Dieu crucifié; il n'en tint aucun compte parce que le fruit de sa prédication l'emportait de beaucoup sur ce scandale. C'est ce qu'avait fait Jésus Christ Lui-même; pendant qu'Il s'entretenait avec les Juifs de la question des aliments, ils se scandalisèrent de ces paroles : "Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l'homme, mais ce qui sort de la bouche." Laissez-les, répond le Sauveur : "Toute plante que mon Père céleste n'a point plantée sera arrachée." (Mt 15,11;14,13). Dans une autre circonstance, ils exigeaient de Lui qu'Il payât l'impôt, Jésus savait fort bien qu'Il en était exempt, cependant comme le temps n'était pas encore venu de faire connaître son autorité toute divine, Il dit à Pierre : "Mais afin que nous ne les scandalisions point, va à la mer et jette l'hameçon, et le premier poisson qui sortira de l'eau, prends-le et ouvrant sa bouche, tu y trouveras une pièce d'argent; prends-la et donne-la pour moi et pour toi." (Mt 17,26) Lorsqu'Il leur annonça sa Loi pleine d'une sagesse toute divine et qu'Il les vit atteints d'une indocilité sans remède, Il ne s'en inquiéta nullement et substitua sa Loi à l'ancienne. Mais au contraire, lorsqu'Il vit qu'ils n'étaient pas encore capable de comprendre la vérité de sa Nature divine, Il condescendit à leur faiblesse, et voila sa Divinité, en Se soumettant à payer le tribut. "Étant assis vous parliez contre votre frère." Mais, me direz-vous, c'était pour le corriger.

10. Il ne fallait donc pas le calomnier en secret, mais suivre la recommandation de Jésus Christ, et le reprendre en particulier. (Mt 18,15). Car les reproches faits en public ne servent qu'à rendre les pécheurs plus impudents. La plupart en effet, tant qu'ils espèrent pouvoir demeurer cachés, se persuadent qu'ils pourront rentrer dans le bon chemin; mais s'ils viennent à perdre l'estime générale, ils tombent dans le désespoir et finissent par dépouiller toute honte. Vous me direz que vous avez été offensé; pourquoi joindre à cette offense celle que vous vous faites à vous-même ? Car celui qui se venge se perce lui-même d'un coup mortel. Voulez-vous vous rendre service à vous-même et tout à la fois vous venger, dites du bien de celui qui vous a offensé, vous lui susciterez ainsi une foule d'accusateurs de sa conduite à votre égard, et vous vous ménagerez une magnifique récompense. Mais si vous déchirez sa réputation, on refusera de croire à des paroles que la haine paraît inspirer. Tous vos efforts se tourneront donc contre vous. Vous cherchez à détruire sa réputation, vous produisez un résultat contraire. Pour atteindre ce but, il fallait le louer et non pas vous plaindre amèrement de lui. Mais en agissant autrement, vous ajoutez à votre déshonneur, sans que vos traits arrivent jusqu'à votre ennemi. En effet, la pensée de l'inimitié qui vous travaille se présente naturellement à l'esprit de ceux qui vous écoutent, et ne leur permet pas d'ajouter foi à vos paroles, et on vous oppose ce que dans les tribunaux on appelle une fin de non recevoir. Il suffit qu'on oppose un cas d'exception pour que toute une cause soit renversée; de même ici le simple soupçon d'une inimitié personnelle ne permet pas que vous soyez admis à soutenir votre cause. Gardez-vous donc de parler mal de votre ennemi pour ne pas vous déshonorer vous-même. Ne cherchez pas à entrelacer de la boue, de l'argile et des briques, mais tressez bien plutôt une couronne avec des roses, des violettes et d'autres fleurs. Ne salissez pas votre bouche d'ordures à l'exemple des escargots (c'est ce que font les médisants qui sentent les premiers la mauvaise odeur qu'ils exhalent), mais parfumez-la de fleurs comme les abeilles; composez-en du miel à leur exemple, et soyez plein de douceur pour tout le monde. On fuit généralement le médisant à cause de l'infection qu'il répand, et parce qu'il se nourrit du malheur des autres, comme une sangsue qui se gorge de sang, comme un scarabée qui se repaît d'ordure. Celui au contraire dont la bouche ne s'ouvre qu'à la bienveillance, tous l'accueillent comme un membre de la famille commune, comme un véritable frère, comme un fils, comme un père.

Et pourquoi parler ici de la vie présente et de l'opinion des hommes ? Songez à ce jour terrible, à ce jugement inaccessible à la corruption, où vos mensonges viendront s'ajouter aux charges que vos péchés font déjà peser sur vous : "Car Je vous déclare, dit Jésus Christ, que les hommes rendront compte à Dieu au jour du jugement, de toute parole inutile qu'ils auront dite." (Mt 12,36). Quand même ces paroles ne seraient pas mensongères, vous ne pourrez éviter d'être condamné, parce que vous avez révélé les faiblesses déshonorantes de votre prochain. Rappelez-vous l'exemple du pharisien. Il n'était pas publicain, mais il devint plus coupable que le publicain pour avoir flétri sa réputation. Le publicain n'était pas pharisien, mais sa justice fut supérieure à celle du pharisien, parce qu'il reconnut humblement sa misère. (Lc 18,10 et ss.) "Tu as fait toutes ces choses et Je me suis tu. Tu as cru injustement que Je te serais semblable, mais Je te convaincrai et Je dévoilerai tes péchés à tes propres yeux." (Ibid. 21)

11. Voyez-vous la Bonté ineffable de Dieu ? Voyez-vous l'excès de son Amour ? Voyez-vous sa Patience infinie ? Car le Silence de Dieu, c'est sa Patience. Tu as porté l'audace jusqu'à commettre tant de fois des crimes énormes, et cependant Je ne t'ai point puni, J'ai tout souffert, tout supporté, pour te laisser le temps de te repentir. Mais toi, loin d'en profiter, tu t'es enfoncé plus profondément dans l'abîme du vice. Non seulement tu n'as point changé de vie, tu n'as pas eu honte de ta conduite, tu ne t'es pas condamné toi-même pour les crimes que tu as commis, mais tu as méconnu cette longue patience dont J'ai usé à ton égard, cette longanimité, ce silence avec lequel J'ai supporté tant d'infamies. Tu as attribué ce support non pas à ma Patience, à ma Bonté, mais à la volonté de ne point te punir et à une espèce d'approbation de ta vie criminelle.

"Comprenez ces vérités, vous qui oubliez le Seigneur." (Ibid. 22). Quelles sont-elles ? Celles que je viens d'exposer, dit le prophète. Que signifie ce mot : "Comprenez "? Considérez. Qu'y a-t-il donc d'obscur dans ce qu'il vient de dire et qui ait besoin d'explication ? Ce qu'il y a de plus important dans les enseignements du Roi-prophète, c'est le changement qu'il annonce devoir se faire dans le culte que nous rendons à Dieu. Les sacrifices de l'ancienne loi ont peu de valeur à ses yeux et il se hâte de passer à la loi de l'Évangile. Il voit d'ailleurs les hommes comme ensevelis dans la fange du vice, il veut donc les retirer de ce bourbier du péché, et les délivrer de leurs mauvaises habitudes comme on retire des yeux l'humeur qui les empêche de voir. Voilà pourquoi il les exhorte à se rappeler le souvenir de leurs crimes pour ne point perdre par un oubli coupable les fruits que Dieu leur a préparés. En effet, une longue habitude du vice répand une profonde obscurité sur l'âme, elle ôte l'usage même de la raison et obscurcit les regards pénétrants de l'intelligence. "De peur qu'il ne vous enlève tout d'un coup, et que nul ne puisse vous délivrer." O Clémence ineffable ! Ce sont là les paroles d'une tendre mère, ou plutôt d'un amour bien supérieur à toute la tendresse d'une mère. Quoi ! Celui qui a été pour le pécheur un accusateur si sévère, qui a manifesté un si grand courroux, cherche à l'en préserver ! Celui qui a dit : "Je te convaincrai et Je dévoilerai tes péchés devant tes yeux," déchire la sentence de condamnation qu'Il a prononcée ! Ce ne sont plus des coupables qu'Il livre au supplice, ce sont des hommes qu'il veut ramener par la persuasion et par les conseils, qu'il veut retenir par une crainte salutaire. Et Il leur dit : "De peur qu'il ne vous saisisse comme un lion et que nul ne puisse vous délivrer." &emdash; "Le sacrifice de louange est celui qui M'honorera, et c'est la voie par laquelle Je lui découvrirai le salut de Dieu." (Ibid. 23). Après leur avoir donné des preuves de sa Bonté en Se contentant d'avoir recours à la persuasion, aux exhortations, aux menaces, à la crainte du supplice, qu'Il nous montre en perspective, Il leur donne un nouveau conseil et leur indique la manière de réparer le mal qu'ils ont commis. "Le sacrifice de louange est celui qui M'honorera." C'est-à-dire que ce sacrifice non seulement apaisera ma Colère, annulera la sentence de condamnation, mais qu'il M'honorera véritablement. Considérez l'excellence de cette action dont Dieu Se trouve honoré. "Et c'est la voie par laquelle je lui découvrirai le salut de Dieu." Quelle récompense admirable ! Quelle Bonté infinie ! Il promet de découvrir à ceux qui font le bien la voie qui mène à Dieu et au véritable salut qui vient de Dieu. Laissons-nous donc persuader par de si magnifiques promesses et honorons Dieu par la sainteté de notre vie et le sacrifice de louanges. Car tel est le sacrifice qui nous ouvre la voie qui conduit au salut. Que Dieu nous donne à tous d'y arriver par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui appartient la gloire et la puissance, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 108

"O Dieu, ne tais pas ma louange, parce que la bouche du pécheur et celle de l'homme trompeur se sont ouvertes pour me déchirer. (v.2). Ils ont parlé contre moi avec une langue perfide. Ils m'ont comme assiégé par leurs discours remplis de haine, ils m'ont fait la guerre sans sujet. (Ibid. 3). Au lieu de m'aimer, ils me déchirent par leurs médisances, et moi cependant je priais. (Ibid. 4). Ils m'ont rendu le mal pour le bien, et la haine pour l'affection. (Ibid. 5). Donne au pécheur l'empire sur lui, et que le démon se tienne à sa droite. (Ibid. 6). Quand on le jugera, qu'il soit condamné, que sa prière même devienne un crime. (Ibid. 7). Que ses jours soient abrégés, et qu'un autre reçoive son emploi. (Ibid. 8). Que ses enfants deviennent orphelins, et que sa femme soit sans époux (Ibid. 9). Que ses enfants errants et vagabonds soient contraints de mendier, et qu'ils soient chassés de leur demeure. (Ibid. 10). Que l'usurier recherche tout son bien et que les étrangers lui ravissent ses travaux." (Ibid. 11)

1. Nous avons ici besoin d'une grande prudence, car ces paroles, à ne considérer que le sens qui résulte de leur signification première et littérale, jettent un certain trouble dans l'âme de ceux qui les entendent. Tout ce psaume en effet, est rempli jusqu'à la fin d'imprécations, expressions d'une âme bouillonnante et enflammée de colère, qui, non contente de tirer vengeance du coupable, étend le châtiment sur ses enfants, sur son père et sa mère. Que dis-je ? Une seule calamité ne lui suffit pas, il les accumule les unes sur les autres. Voyez, que de souhaits de vengeance : "Donne au pécheur l'empire sur lui, et que le démon se tienne à sa droite." C'est-à-dire qu'il soit en butte à toutes les accusations, à tous les mauvais desseins des hommes pervers, et qu'il ne puisse en triompher. Car voilà ce que signifient ces paroles : "Quand on le jugera, qu'il soit condamné." Mais ce châtiment ne lui suffit pas encore, et non content de cette condamnation, il demande qu'un autre lui succède dans ses dignités : "Et qu'un autre reçoive son emploi." Il ne s'arrête même pas là, et il lui interdit l'accès du seul port qui lui était laissé, en demandant à Dieu de lui fermer le sein de sa Miséricorde : "Et que sa prière même devienne un crime." Que dis-je ? Il lui souhaite même une mort prématurée : "Que ses jours, dit-il, soient abrégés." Ce n'est pas encore assez, bien que la mesure parût à son comble. Il déclare, ce qui est la marque d'une âme arrivée au dernier degré de la colère, qu'il ne suffit pas pour lui d'un ou de deux châtiments, et qu'il faut que d'autres soient ajoutés. Les calamités qui suivent sont plus déplorables encore, puisqu'il demande que les enfants qu'il laisse soient orphelins, et que sa femme soit sans époux. Ces malheurs sont la conséquence nécessaire de la mort du coupable, et cependant dans le feu de la colère, le Roi-prophète les mêle aux autres imprécations. Ce n'est pas encore assez que ses enfants soient orphelins; après avoir accumulé sur eux tant de calamités, il y met le comble en demandant qu'ils mènent une vie errante et vagabonde. "Que ses enfants errants et vagabonds soient contraints de mendier." C'est-à-dire que dans cette vie errante ils n'aient pas même le pain qui leur est nécessaire, qu'ils soient réduits à changer tous les jours d'asile, chassés, poursuivis par toute la terre sans pouvoir trouver un lieu où ils puissent s'arrêter. À ces imprécations, il en joint encore une plus terrible, il les dévoue à une misère extrême et intolérable où ils ne pourront obtenir aucune assistance de leurs proches, ils seront obligés d'aller de tous côtés demander des secours à des étrangers et à des inconnus. Écoutez comme il formule cette imprécation. Après avoir dit : "Que ses enfants, errants et vagabonds, soient contraints de mendier," il ajoute : "Qu'ils soient chassés de leurs demeures; que l'usurier recherche tout son bien, et que les étrangers lui ravissent ses travaux." Voilà un nouveau genre de calamités, leurs biens seront livrés au pillage, à la rapacité artificieuse des usuriers, ils seront en proie à des injustices de toute espèce, et ce qui est plus affreux, au milieu de si grands maux, ils n'auront personne pour les défendre. C'est le sens de cette imprécation : "Qu'il ne trouve personne pour l'assister."

Ces malheurs sont déjà insupportables par eux-mêmes, mais l'absence de toute protection les rend mille fois plus accablants. "Que nul n'aie pitié de ses enfants orphelins." Grand Dieu ! Jusqu'où va son indignation ! Quoi ! Ces enfants, devenus sitôt orphelins, ne pourront rencontrer aucune âme compatissante ? Bien plus, il les précipite dans la mort la plus affreuse. "Que ces enfants soient voués à la destruction, et que son nom s'éteigne dans une seule génération." Voyez comme la colère respire dans ces paroles et ne semble ne plus connaître de bornes. Tout son désir est qu'ils soient victimes de fléaux de tout genre, qu'ils épuisent toutes les calamités, et qu'ils périssent sans laisser aucune trace de leur nom. Et comme si le malheur des enfants ne lui suffisait pas encore, il ajoute : "Que l'iniquité de ses pères revive dans la mémoire de l'Éternel, que le péché de sa mère ne soit point oublié." (Ibid. 14). "Que leurs crimes soient toujours devant le Seigneur, et que leur mémoire soit effacée de dessus la terre." (Ibid.15). C'est l'effet d'une extrême colère d'énumérer ainsi les fléaux qu'on a commencé par appeler en général sur la tête de son ennemi, et d'y revenir continuellement. Ainsi après avoir dit : "Que l'iniquité de ses pères revive dans la Mémoire du Seigneur," il ajoute :

"Et qu'elle ne soit point oubliée." C'est la même idée répétée, mais la colère aime ces répétitions, et ces paroles signifient : Tuez-le, égorgez-le, faites-le disparaître. Voyez quel amas d'imprécations ! Si vous le voulez, je vais les récapituler : qu'il tombe entre les mains des méchants, qu'il soit en leur pouvoir, qu'il soit accusé, condamné, qu'il meure d'une mort prématurée, qu'il soit dépouillé de ses honneurs, et qu'il les voie transmis non pas à ses enfants, mais à des étrangers. Que son épouse périsse, que ses enfants soient pauvres, orphelins, réduits à la dernière indigence, soient condamnés, chassés de tous les côtés, sans que personne vienne à leur aide. Qu'ils ne trouvent même en Dieu aucune compassion, qu'il n'y ait pour eux ni port ni refuge, que son nom soit effacé de dessus la terre, que sa mort soit sans gloire, que son père et sa mère portent la peine de ses péchés, et qu'ils périssent eux-mêmes sans laisser aucune trace de leur passage.

2. N'êtes-vous point frappés d'épouvante en entendant ces paroles ? Ne désirez-vous point savoir sur qui tombent ces imprécations ? Lorsque nous entendons un homme en injurier un autre, nous cherchons à savoir de ceux qui sont présents, quel est celui qu'on insulte. Or ici, où ces imprécations sortent de la bouche du Prophète, à plus forte raison devons-nous chercher à connaître dans un sentiment de crainte et de frayeur, quel est celui qui a encouru une si violente indignation, et qui a contristé l'Esprit saint au point d'attirer sur sa tête de si terribles fléaux. Examinons donc ce psaume dès le commencement avec la plus grande attention. Soyez sans inquiétude, je l'expliquerai de mon côté avec tout le soin possible. Toutes ces questions ont une grande importance. Premièrement, pourquoi au châtiment ignominieux de celui qui est coupable, vient se joindre celui de ses enfants, de son épouse et de ses parents ? Secondement, quel est celui qui est l'objet de ces imprécations ? Troisièmement, comment le Prince des apôtres applique-t-il à Judas ce psaume, ou plutôt une partie de ce psaume ? "Car il est écrit, dit-il, dans le livre des psaumes : "Que leur habitation soit déserte, et que personne n'habite sous ses tentes." (Ac 1,20). Ces paroles donnent lieu à une autre question. Car les deux parties de la citation ne se trouvent point dans le même psaume; aussi saint Pierre ne dit pas : Dans ce psaume; mais : "Dans le livre des psaumes. En effet, ce premier membre : "Que leur habitation soit déserte" se lit dans un psaume, (Ps 68, 26); et dans un autre, ce second membre : "Et qu'un autre reçoive son apostolat." L'Apôtre a réuni ces deux propositions dans un seul témoignage. C'est ce que saint Paul fait ordinairement, comme lorsqu'il cite ces paroles du prophète : "Il sortira de Sion un libérateur qui bannira l'impiété de Jacob". Et c'est là l'alliance que je ferai avec eux, lorsque j'aurai effacé leurs péchés." (Rm 11,26; Is 59,20; 27,9).

Mais, me demandera-t-on, comment qualifier ce psaume ? Est-ce une prophétie, est-ce une imprécation ? C'est une prophétie sous forme d'imprécation; la sainte Écriture nous offre un exemple du même genre dans les dernières paroles du patriarche Jacob. Le Dessein de Dieu était que les châtiments des uns devinssent une leçon utile pour ceux qui viendraient à les connaître. Voilà pourquoi un grand nombre de prophéties sont faites de manière à inspirer au peuple une crainte salutaire par les menaces qu'elles contiennent. Il y a en effet une grande différence entre annoncer simplement les malheurs réservés à un homme, ou de les prédire avec l'accent de la colère et de l'indignation. Je prouve par un exemple tiré des prophètes eux-mêmes que cette interprétation n'est pas arbitraire. "Lorsque Jacob fut pour mourir, il dit à ses enfants : "Venez, afin que je vous annonce ce qui doit vous arriver dans les derniers temps." (Gn 49,1). Sur le point de prophétiser, il est comme sous l'inspiration d'une vive colère qui éclate en imprécations : "Ruben, mon fils aîné, tu es dur à supporter, tu as été dur et insolent, tu m'as outragé, tu t'es répandu comme l'eau, tu ne croîtras point." (Ibid. 3). Il lui prédit ainsi sa ruine future sous forme de malédiction. Au contraire, lorsqu'il prédit d'heureux événements, il emploie la forme de la prière : "Que Dieu vous donne de la rosée du ciel et de la graisse de la terre." (Gn 27,98). Cependant, c'est en même temps une prophétie. Il est évident que ce n'est point ici l'expression d'un sentiment tout humain. Son père avait déjà fait une prophétie du même genre à l'égard de Chanaan : "Chanaan sera l'esclave des autres". (Gn 9,25). Ainsi Dieu vous apprend qu'Il est le Protecteur de ceux qui souffrent de l'injustice, et qu'Il en punit sévèrement les auteurs. Jésus-Christ S'est servi Lui-même de cette figure dans cette prophétie où Il déplore les malheurs qu'il prédit : "Malheur à toi Chorozaïns malheur à toi Betsaïde". (Lc 10,13) De même, lorsqu'il s'écrie : "Jérusalem, Jérusalem qui tue les prophètes." (Lc 13,34)

Quel est donc l'objet de ce psaume ? Judas pour une partie, et l'Esprit saint a inspiré à David la prophétie qui le concerne; le reste du psaume s'applique à d'autres. C'est encore là un des caractères de la prophétie, et elle se présente souvent à nous sous cette forme; le commencement s'applique à une personne, la fin à une autre. Voici une nouvelle preuve de la même vérité. Lorsque les Juifs furent entrés dans la terre promise, Dieu ordonna au fils de Navé, de diviser les douze tribus en douze parties différentes, puis de bénir les unes et de maudire les autres. Ces bénédictions et ces malédictions étaient donc la prophétie de ce qui devait arriver : "Vous serez maudit dans la ville, disait-elle, et vous serez maudit dans les champs." (Dt 27,46), et Josué dans une longue énumération, poursuit les nombreuses malédictions de ce genre qui concernent les diverses tribus.

Quant au psaume qui nous occupe, on peut dire que sous cette forme d'imprécations, c'est une prophétie qui annonce et prédit les malheurs qui doivent arriver à Judas, et qui en second lieu a pour objet ceux qui se révoltent contre l'autorité sacerdotale. Son but est de nous apprendre quel crime c'est de s'insurger contre l'autorité divine du sacerdoce, et d'avoir recours contre elle à la ruse et à l'iniquité. Le tableau de tant de calamités réunies, nous fait connaître le triste sort réservé à ceux qui outragent leurs frères et persécutent avec toutes les ressources de la ruse et d'un esprit corrompu ceux qui ne leur ont fait aucun mal. Le Roi-prophète demande que ses enfants soient punis; n'en soyez point surpris, mon cher frère, ceux qu'il appelle ici ses enfants sont les complices de ses injustices. L'Écriture a coutume de donner ce nom aux enfants qui sont tels par la filiation du sang, et à ceux qui ne le sont que par la filiation du crime, quand même ils ne le seraient point par la filiation naturelle. C'est dans ce sens que Jésus Christ dit aux Juifs : "Vous êtes les enfants du diable." (Jn 8,44). Et cependant les Juifs n'étaient point ses enfants par nature. Comment des êtres charnels auraient-ils pu être les enfants d'un être incorporel ? C'est la société et la complicité du vice qui a établi entre eux une véritable parenté. C'est dans ce même sens que notre Seigneur les retranche de la race d'Abraham : "Si vous étiez les enfants d'Abraham, leur dit-il, vous feriez les oeuvres d'Abraham." (Jn 8,39). Que le fils ne soit point puni pour son père, ni le père pour son fils, c'est une vérité évidente pour chacun. La loi elle-même confirme cette vérité, elle ne fait d'exception que pour le père qui a mal élevé son fils, et alors ce n'est point pour son fils, mais pour sa négligence qu'il est puni comme le fut Hélie. (1R 3,13)

3. Reprenons, si vous le voulez, ce psaume dès les premiers versets : "Ô Dieu ne tais pas ma louange." Un autre interprète traduit : "Ô Dieu, ne sois point sourd à ma louange." Un autre : "Ne garde pas le silence," c'est-à-dire, n'oublie pas de punir et de venger les injustices dont j'ai été victime. Tu as la gloire, la grandeur, la puissance nécessaires pour exercer cette juste vengeance. "Parce que la bouche du pécheur et celle de l'homme trompeur se sont ouvertes contre moi; ils ont parlé contre moi avec une langue perfide; ils m'ont comme assiégé par leurs discours remplis de haine, ils m'ont fait la guerre sans sujet. Au lieu de m'aimer, ils me déchirent par leurs médisances, et moi cependant je priais." Vous voyez quel excès de perversité, quels coupables complots, quelle préméditation dans le crime ! Voilà ce qui provoque surtout l'Indignation de Dieu, c'est cette combinaison savante et réfléchie du crime dans les méchants qui le commettent. Il y a en effet, une grande différence entre celui que la séduction et l'enchantement font tomber dans le crime, et celui qui en fait profession, et surtout qui va jusqu'aux dernières limites, en exerçant sa méchanceté sur l'innocence elle-même. Le sens de ces paroles : "Au lieu de m'aimer, ils me déchirent par leurs médisances" est qu'ils ont répondu par une noire ingratitude aux avances de leur bienfaiteur, si digne d'être aimé et d'obtenir une autre récompense de ses bienfaits : "Et moi cependant je priais." Voyez quelle sagesse, quelle modération, quelle douceur, quelle piété ! Je ne prenais pas les armes, je ne marchais pas pour les combattre, c'est près de Toi que je me réfugiais, j'implorais ton Alliance; ta Protection, ces armes invincibles, ce secours auquel rien ne peut résister. Puis, après avoir prédit la triste fin de Judas, comment il se jugea lui-même digne de mort, comment il prononça sa sentence, comment il se pendit, comment son apostolat fut donné à un autre, il revient au sujet principal du psaume. C'est encore en effet, un des caractères de la prophétie d'interrompre ses prédictions, d'y mêler quelque trait historique, et de revenir ensuite à son premier objet. L'obscurité qui couvre la prophétie, a pour cause l'ingratitude des Juifs. Le prophète, comme je l'ai dit, semble faire allusion à un personnage qui, après le retour de la captivité de Babylone, aurait conspiré contre l'autorité sacerdotale. Il lui prophétise donc les plus grands malheurs. Il sera privé de tout appui, et le Roi-prophète demande qu'aucun port ne lui soit ouvert, et qu'il ne puisse jamais obtenir ni miséricorde, ni bonté, ni pardon. Comme je l'ai dit plus haut, et comme je ne cesserai de le répéter, ce psaume paraît être un tissu d'imprécations; et en réalité, c'est une prophétie des effets de la Colère de Dieu contre ceux qui forment de coupables desseins contre l'autorité sacerdotale. Il fait ensuite l'énumération de toutes les calamités qui doivent tomber sur eux. "Parce qu'il ne s'est point souvenu de faire miséricorde. (Ibid. 16). Et qu'il a persécuté l'homme pauvre et indigent, et cherché à faire mourir celui dont le coeur était brisé de douleur. (Ibid. 17). Le dernier degré de la cruauté, le comble de l'inhumanité, c'est de s'attaquer à celui qui devrait bien plutôt exciter les sentiments de la pitié et de la commisération. Celui qui en est arrivé à ce degré, descend jusqu'aux instincts des bêtes féroces, il les surpasse même en cruauté. Les animaux tiennent de la nature cet instinct de férocité, l'homme au contraire qui a la raison en partage prostitue au crime cette noble faculté. Les animaux féroces eux-mêmes, traitent avec une certaine affection, avec une sorte de douceur les animaux de même espèce; mais ces hommes, sans respect pour les liens de la nature qui leur est commune, cherchent à renverser et à détruire celui à qui ils auraient dû témoigner de la pitié, prêter appui et assistance.

"Il a aimé la malédiction, elle fondra sur lui, il a rejeté la bénédiction, elle s'éloignera de lui." (Ibid. 8). Après toutes ces imprécations et ces tristes souhaits, le Roi-prophète déclare qu'il n'en est point la cause, et qu'il faut la chercher tout entière dans celui qui a repoussé par ses actions le Secours de Dieu, et s'est exposé directement aux coups de sa vengeance. "Il a revêtu la malédiction; comme un vêtement, elle est entrée comme l'eau dans ses entrailles, et comme l'huile dans ses os." En s'exprimant de la sorte, le prophète veut nous montrer la violence et la perpétuité du châtiment et nous apprendre que tous les hommes sont les auteurs des maux qui leur arrivent, puisque c'est par leurs actions et leur conduite qu'ils se privent des biens qui les attendaient, et qu'ils se rendent dignes des châtiments de la Vengeance divine. "Qu'elle soit sur lui comme le manteau dont il se couvre, et comme la ceinture qui serre toujours ses reins." (Ibid. 9). Nous voyons ici la Vengeance incompréhensible de Dieu qui s'attache à ces infortunés. Ces paroles signifient que ces fléaux seront tellement identifiés avec leurs victimes, qu'aucun changement ne sera possible, et qu'ils feront à jamais leur désespoir par leur invariable continuité. Mais ce n'est pas seulement cet homme dont parle le prophète qui sera châtié pour sa méchanceté et pour ses crimes; tous ceux qui imitent sa conduite partageront son supplice. "Tel est le salaire que Dieu réserve à ceux qui m'attaquent par leurs médisances." (Ibid. 20). C'est-à-dire : tel sera le châtiment, le supplice de mes ennemis qui me tendent des embûches et me déclarent la guerre. "Et de ceux qui profèrent des paroles meurtrières contre moi." Les simples paroles elles-mêmes seront donc punies et d'un châtiment des plus rigoureux.

4. Après avoir terminé cette énumération, le Roi-prophète a de nouveau recours à Dieu pour implorer sa Protection. Il ne se contente pas de prédire le châtiment de ses ennemis, il veut nous montrer que les opprimés ont Dieu pour vengeur des injustices qui leur sont faites, et qu'ils trouvent en Lui un appui ferme et assuré. "Et Toi, Seigneur, agis pour moi à cause de ton Nom." (Ibid. 21) Voyez la religion et tout à la fois l'humilité du prophète; les maux qu'il endurait étaient un titre légitime pour obtenir le Secours de Dieu ! Nous voyons en effet, dans une multitude d'endroits de l'Écriture, que les hommes victimes de l'injustice, ont un droit tout particulier de réclamer la protection du ciel. Cependant, il ne fait point usage de ce titre, et ne met sa confiance que dans la Bonté de Dieu. "Agis pour moi à cause de ton Nom." Ce n'est point parce que j'en suis digne, mais parce que vous êtes bon et miséricordieux. Il ajoute : "Parce que ta Miséricorde est pleine de douceur." Il a raison de s'exprimer de la sorte, car il n'en est pas ainsi de la miséricorde des hommes qui devient souvent dans leurs mains un instrument de destruction et de mort, tandis que Dieu n'est jamais miséricordieux que dans notre intérêt. "Délivre-moi, parce que je suis pauvre et dans l'indigence, et mon coeur est troublé au dedans de moi." (Ibid. 22). Vous le voyez, il prie Dieu de nouveau de le délivrer, non parce qu'il est digne, ni parce qu'il est juste, mais parce qu'il est tout à fait accablé et en proie à d'innombrables douleurs. "Et mon coeur est troublé au dedans de moi." Telle est la force de l'épreuve, non seulement elle tourmente le corps, mais elle jette le trouble dans l'âme. "J'ai passé comme l'ombre qui s'incline, je suis jeté ça et là comme la sauterelle;" (Ibid. 23), figure qui exprime la violence des desseins pervers de ses ennemis, leur méchanceté indicible, et les sentiments dont il est animé au milieu de ces rudes épreuves. "Mes genoux sont affaiblis par le jeûne, et ma chair est toute changée, parce que je n'ai pu m'oindre d'huile." (Ibid. 24). Vous voyez les armes qu'il oppose à ses ennemis et le genre de vexations qu'ils lui faisaient endurer. "Je suis devenu pour eux un objet d'opprobre, ils me regardent et secouent la tête." (Ibid. 24). Voilà bien le caractère des méchants; loin que la religion et la piété du juste qu'ils oppriment, les désarment, c'est pour eux un nouveau sujet de railleries, d'insultes et de nouvelles attaques.

Et que fait le juste ? Il a recours à l'invincible Protection de Dieu, à cette force toujours victorieuse de ses ennemis. "Viens à mon aide, Seigneur mon Dieu, sauve-moi dans ta Miséricorde. (Ibid. 26). Qu'ils sachent que mon salut est l'oeuvre de ta Main, et que c'est Toi-même qui l'as opéré." (Ibid. 27). Que veulent dire ces paroles : "Ta Main ?" C'est-à-dire ta Protection, ton Appui. Je ne veux pas seulement être sauvé, mais je veux qu'ils sachent quel a été mon Sauveur et que je remporte ainsi un double trophée, une double couronne, une gloire éclatante. "Ils me maudissent, mais Tu les béniras. Ceux qui s'élèvent contre moi seront confondus, et ton serviteur se réjouira en Toi." (Ibid. 28). Le Roi-prophète nous donne ici une leçon de haute sagesse. Il veut nous apprendre que toutes les malédictions de ses ennemis ne peuvent prévaloir contre la Bénédiction de Dieu, que non seulement elles ne leur feront aucun mal, mais que ces outrages et ces opprobres retomberont de tout leur poids sur leurs auteurs. "Mais ton serviteur se réjouira en Toi." Remarquez cette expression "en Toi", elle nous apprend que la source de la vraie joie est la même, d'où découlent sur lui tant de biens. Quelle affliction, semble-t-il dire, pourrait encore troubler mon coeur rempli de cette joie que rien ne peut altérer ? "Que ceux qui me calomnient soient couverts de honte, et qu'ils soient enveloppés de leur confusion comme d'un manteau." (Ibid. 29). Vous voyez qu'il n'appelle pas seulement sur eux le châtiment, mais l'humiliation, mais la honte, afin qu'elles soient pour eux une correction utile et une occasion de devenir meilleurs. "Je bénirai Dieu de toute la force de ma voix, et je Le louerai au milieu d'un peuple nombreux." (Ibid. 30). "Parce qu'Il S'est tenu à la droite du pauvre pour délivrer mon âme de ceux qui la persécutaient." (Ibid. 31). Pour tous ces biens qu'il a reçus de Dieu, il lui offre une hymne, un cantique de louanges, d'actions de grâces, il annonce à tous les hommes les oeuvres de sa Puissance, et publie comme au milieu d'un théâtre les bienfaits dont Dieu l'a comblé. Voilà le sacrifice, voilà l'offrande que Dieu a pour agréable, c'est de conserver toujours le souvenir de ses bienfaits, de le graver profondément dans son âme, de les publier continuellement, de les porter à la connaissance de tous les hommes. Grâce à ces sentiments de reconnaissance, celui qui est l'objet d'un bienfait reçoit une nouvelle récompense, et se rend digne d'une protection plus grande. D'un autre côté, ceux qui entendent le récit de ces bienfaits en deviennent meilleurs, et la vue des grâces que Dieu a répandues sur leurs frères devient pour eux un puissant encouragement à la pratiquer de la vertu.

PSAUME 109

"Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Assieds-Toi à ma Droite.( v.1)

1. Réveillons notre attention, et apportons ici une grande application d'esprit. Ce psaume renferme les vérités les plus sublimes, propres à confondre non pas une seule erreur, mais l'hérésie dans ses formes les plus variées. En effet, il est dirigé à la fois contre les Juifs, contre Paul de Samosate, contre les Ariens, contre les Marcionites, contre les Manichéens, et contre tous ceux qui refusent de croire à la résurrection. Or puisque le combat est engagé contre tant d'ennemis à la fois, il nous faut multiplier nos regards pour apprécier avec soin la nature particulière de cette guerre. Dans les combats du cirque, une circonstance de la lutte peut échapper au spectateur sans qu'il en souffre aucun dommage; car ce n'est point pour s'instruire, mais pour se récréer qu'on se rend à ce spectacle. Mais ici, si vous ne savez parfaitement l'ordre de bataille adopté par l'ennemi et comment vous pouvez le repousser, vous éprouverez les plus grandes pertes. Prévenez ce danger en appliquant fortement votre esprit et en prêtant une oreille attentive. Ce sont les Juifs que nous attaquons en premier lieu, et c'est contre eux que nous engageons la lutte, en nous servant comme auxiliaire de ces paroles du Roi-prophète. Nous affirmons qu'elles s'appliquent directement à Jésus Christ, interprétation qu'ils rejettent et qu'ils cherchent à remplacer par une autre. Réfutons d'abord leurs raisons, nous établirons ensuite les nôtres. Demandons-leur tout d'abord quel est celui que le saint roi appelle son Seigneur : "Le Seigneur, dit-il, a dit à mon Seigneur." Car il n'est pas ici question d'une seule personne, mais de deux personnes dont l'une adresse la parole à l'autre. Quelle est donc celle qui prend la parole ? Dieu, répondent-ils. Quelle est celle à qui Dieu parle ? Abraham, disent les uns, Zorobabel, disent les autres, ou d'autres personnages encore. Ils sont semblables à des gens ivres qui parlent sans pouvoir s'entendre; ou à des hommes qui marchent dans les ténèbres et qui se heurtent les uns les autres. Mais veuillez me répondre : Est-ce que Zorobabel est le Seigneur de David ? Quelle vraisemblance alors qu'il ait tenu lui-même à grand honneur d'être appelé David ? La suite du psaume prouve jusqu'à l'évidence qu'il n'est ici question ni de Zorobabel, ni de David, car ni l'un ni l'autre n'ont exercé les fonctions sacerdotales. Celui dont parle ici le Roi-prophète est revêtu d'un sacerdoce d'un caractère nouveau et admirable. "Vous êtes prêtre, lui dit-il, pour l'éternité, selon l'ordre de Melchisédech." Abordons maintenant la question que nous nous sommes proposé de résoudre. Il en est qui donnent des interprétations plus misérables encore et qui prétendent que le Roi-prophète veut ici parler du peuple. Est-ce que le peuple a jamais été prêtre, et peut-on lui appliquer avec plus de raison la suite du psaume ? Laissons donc cette interprétation surannée, qui ne mérite pas d'être réfutée et passons à une autre. Que disent-ils encore ? Que c'est le serviteur d'Abraham qui parle ainsi de son maître. Se peut-il rien de plus faible ? Que vient faire ici le serviteur d'Abraham ? Où voit-on que son maître ait été revêtu du sacerdoce, lui qui s'adressa au grand prêtre Melchisédech et lui demanda sa bénédiction ? Et avec quelle apparence de raison appliquera-t-on à Abraham les paroles suivantes : "Je T'ai engendré de mon sein avant l'étoile du matin ?" Conviennent-elles mieux à David, à Zorobabel ou au peuple ? Il s'agit évidemment d'une opération au-dessus de la nature humaine. Et comment expliquer ces paroles : "Assieds-Toi à ma Droite", en les appliquant à ces divers personnages ? Comment supposer que Dieu dise à Abraham : "Assieds-toi à ma Droite," alors qu'Abraham regarde comme un très grand honneur d'être admis à se tenir près des anges ?

Mais quelles sont donc les graves objections que nos adversaires nous opposent ? Comment, nous disent-ils, vous osez nous parler d'un autre Seigneur devant cette déclaration si expresse de l'Écriture : "Le Seigneur votre Dieu est le seul et unique Seigneur, et vous n'adorerez que Lui, et il n'y a point d'autre Dieu que Lui ? (Dt 6,4 et 13; 4,35) À qui, je vous le demande, s'adressent ces paroles ?) C'est à vous, Juifs qui perdez si vite le souvenir des Bienfaits de Dieu. Pourquoi n'a-t-on rien dit de semblable ni à Abraham, ni à Isaac, ni à Jacob, ni à Moïse, mais est-ce à vous seuls qu'on tient ce langage, après qu'à peine sortis de l'Égypte vous vous étiez fabriqué un veau d'or ? (Ex 32) Pourquoi, dites-le moi ? Si vous en ignorez la raison, je vais vous l'apprendre. Après votre sortie de l'Égypte, vous vous étiez fait un veau d'or pour l'adorer, vous vous étiez initiés au culte de Béelphégor, vous étiez en adoration devant cette multitude de fausses divinités. Dieu voulut donc guérir cette maladie, et cette expression "le seul Dieu", a pour objet de le distinguer de toute cette foule de faux dieux, et non point de nier l'existence du Fils unique. Car pourquoi Dieu dit-Il dès le commencement : "Faisons l'homme à notre Image et à notre Ressemblance ?" (Gn 1,26). Et encore : "Venez, descendons en ce lieu, et confondons leur langage ?" (Gn 11,7). Pourquoi David lui-même s'exprime-t-il de la sorte : "C'est pourquoi Dieu, ton Dieu, T'a donné une onction plus excellente qu'à tous ceux qui y ont part avec vous ?" (Ps 44, 8). Or, si Moïse vous tient ce langage : "Le Seigneur votre Dieu est le seul Seigneur", c'est votre faiblesse d'esprit qui en est la cause : "Et qu'y a-t-il d'étonnant qu'il suive cette conduite à l'égard des vérités dogmatiques ? Dans les préceptes moraux, Dieu abaisse ainsi la perfection de la règle pour permettre un usage moins parfait, afin de condescendre à notre faiblesse. Ainsi, Il a permis de renvoyer une femme et d'en prendre une autre, permission que ne contenait pas la loi portée dans l'origine. Il établit encore une grande distinction entre les différents aliments, bien qu'il eût commencé par dire à l'homme : "Je vous ai abandonné toutes ces choses pour être votre nourriture, comme les légumes et les herbes de la campagne." (Gn 9,13). Il a également donné un grand nombre de lois relativement au lieu où Il doit être adoré, Il ne permet pas qu'on Lui adresse indifféremment partout des prières, et cependant Il n'avait rien prescrit à cet égard dans le commencement. Il S'était même manifesté à Abraham dans la Perse, dans la Palestine, et en beaucoup d'antres encore, de même qu'Il Se manifesta ensuite à Moïse dans le désert.

2. Quoi donc, me direz-vous, l'Écriture est-elle en contradiction avec elle-même ? Non, sans doute, mais elle règle chaque chose suivant les temps et pour le plus grand bien des hommes, et remédie ainsi à la faiblesse des générations qui se succèdent. Voilà pourquoi elle vous dit, ô Juifs : "Le Seigneur votre Dieu est le seul Seigneur." Cependant les prophètes ont enseigné dans leurs livres que Dieu a un Fils. Ils n'ont point professé ouvertement cette vérité, pour ne pas scandaliser la faiblesse de votre esprit, mais ils ne l'ont point aussi dissimulée, pour vous donner les moyens de sortir de votre erreur et de puiser dans leurs oracles les enseignements de la vérité. C'est par là que nous pouvoirs démontrer le caractère véritablement prophétique des écrits des prophètes, et prouver aux païens, en discutant avec eux, que l'Ancien Testament est digne de foi. Au contraire, si vous supprimez cette preuve, comment fermerez-vous la bouche aux païens ? Que leur direz-vous ? La sortie d'Égypte et les prophéties qui vous concernent ? Ils refuseront de les admettre. Mais si vous leur citez les prophéties de l'Ancien Testament qui ont rapport à Jésus Christ, et que vous leur démontriez la conformité des événements avec les oracles prophétiques, toute résistance leur deviendra impossible. Si vous attaquez nos dogmes, ô Juifs, comment pourrez-vous défendre l'Ancien Testament ? Si l'on vient à vous demander : Comment établissez-vous la véracité des livres de Moïse, que répondrez-vous ? Nous croyons à la véracité de ces livres. Nos livres ont donc une véracité beaucoup plus grande, car nous aussi nous croyons à leur véracité; et tandis que vous ne formez qu'une seule nation, nous représentons l'univers entier. D'ailleurs, la puissance de l'action de Moïse sur vous a été beaucoup moins grande que celle de Jésus Christ sur nous, et votre religion a cessé d'exister tandis que la nôtre subsiste. Alléguerez-vous les prédictions ? Mais nous en avons un plus grand nombre que vous.

Si donc vous supprimez nos titres, vous obscurcissez les vôtres. Invoquerez-vous les miracles ? Mais vous ne pouvez montrer aucun des miracles de Moïse, puisqu'il n'a fait que passer et qu'il n'existe plus, tandis que nous pouvons vous faire voir les miracles si nombreux et si variés que Jésus Christ ne cesse d'opérer au milieu de nous, et des prédictions plus éclatantes que le soleil. Vous réfugierez-vous dans votre loi ? Mais la nôtre est remplie d'une sagesse bien plus parfaite. Qu'avez-vous encore à dire ? Vous êtes sortis d'Égypte malgré les Égyptiens ? Mais comment pouvez-vous comparer votre triomphe sur les Égyptiens aux victoires remportées sur l'univers entier armé contre nous ? Si je parle de la sorte, ce n'est pas pour opposer le Nouveau Testament à l'Ancien, à Dieu ne plaise, mais pour imposer silence à l'ingratitude des Juifs : car Dieu est l'auteur de l'Ancien comme du Nouveau Testament et des prodiges opérés dans l'un comme dans l'autre. Mais ce que je veux démontrer, c'est que les Juifs, en rejetant les prophéties qui ont Jésus Christ pour objet, anéantissent la plus grande partie des oracles prophétiques, et qu'ils ne peuvent établir l'origine divine de l'Ancien Testament sans admettre le Nouveau. N'est-ce pas une vérité évidente pour ceux qui ont le sens commun, que ce psaume ne peut s'appliquer à un homme ? En faut-il d'autre preuve que ces paroles : "Assieds-toi à ma Droite," que le nom de Seigneur donné à Celui à qui Dieu s'adresse, que d'avoir été engendré avant l'étoile du matin, que d'être prêtre selon l'ordre de Melchisédech, que d'entendre enfin le Prophète Lui dire : "Ta Souveraineté est avec Toi ?"

Si un autre Juif vient nous dire qu'il est chrétien, si un Paul de Samosate s'élève contre nous, nous pouvons aussi le combattre avec les armes que nous fournit le Nouveau Testament. Mais de peur qu'on ne nous reproche d'abandonner notre plan d'attaque pour en prendre un autre, combattons cet adversaire avec les mêmes armes. Qu'ose-t-il donc avancer ? Jésus Christ n'est qu'un homme, et son existence ne remonte pas au-delà de sa naissance du sein de Marie. Que répondrez-vous donc, dites-moi, à ces paroles du psaume : "Je T'ai engendré de mon sein avant l'étoile du matin ?" Les raisons que nous avons fait valoir contre les Juifs, nous pouvons également les opposer aux partisans de cet hérésiarque. La faute n'en est pas à nous, mais à ceux qui ont avec les Juifs une si grande affinité de doctrine, ce qui nous force de nous servir contre eux des mêmes armes. Il dirigent contre nous le même système d'attaque, il nous faut les percer des mêmes traits. Que signifient donc ici ces deux personnages assis sur le même trône ? Le Roi-prophète veut nous montrer qu'ils sont égaux en honneur et en dignité, ce qui suffit pour fermer la bouche aux Ariens. Voilà pourquoi Jésus, répondant aux Juifs qui admettaient que le Christ était Fils de David, leur fait cette question : "Comment donc David qui était inspiré L'appelle-t-il son Seigneur, lorsqu'il dit : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : assieds-Toi à ma Droite ?" (Mt 23,43-44). Plus tard, saint Paul parlant de l'Incarnation, et s'expliquant plus clairement sur ce mystère, (Hé 7) porte un coup mortel aux Marcionites et aux Manichéens et à tous ceux qui sont atteints de la même maladie; et il démontre avec cette sagesse sublime qui convient à un tel sujet comment Il est prêtre selon l'ordre de Melchisédech. Mais revenons à notre sujet : "Le Seigneur a dit à mon Seigneur : assieds-Toi à ma Droite." Vous le voyez, il y a ici égalité d'honneur. Le trône est le symbole de la royauté, et comme il n'y a qu'un seul trône, tous deux partagent l'honneur de la même royauté. C'est ce qui faisait dire à saint Paul : "Dieu a fait des esprits ses envoyés, et des flammes ses ministres. Mais au Fils Il dit : Ton trône, ô Dieu, sera un trône éternel." (Hé 1,7). C'est pour la même raison que Daniel voyait toutes les créatures, les anges, les archanges, debout autour de Dieu, tandis que le Fils de Dieu s'avançait sur les nuées et parvenait jusqu'à l'Ancien des jours. (Dn 7) Si quelques personnes sont scandalisées de cette manière de parler, qu'elles méditent ces paroles du Psaume : "Assieds-Toi à ma Droite", et elles cesseront d'être étonnées. Nous ne disons pas que le Fils est plus grand que le Père, parce qu'Il est assis à sa Droite, c'est-à-dire à la première place d'honneur; mais n'en concluez pas non plus que le Fils soit inférieur au Père, dites seulement que leur substance est égale comme leur dignité. "Jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied." Et quels sont ces ennemis ? Écoutez ce que dit saint Paul : "Jésus Christ d'abord comme les prémices; puis ceux qui sont à Jésus Christ et qui ont cru à son Avènement. Ensuite viendra la fin de toutes choses. Car Jésus Christ doit régner jusqu'à ce que Dieu ait mis tous ses ennemis sous ses pieds." (1Cor 15,23-25).

3. Avez-vous remarqué la parfaite harmonie qui règne entre le Roi-prophète et l'Apôtre ? L'un dit : "Jusqu'à ce que Je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied;" l'autre : "Jusqu'à ce qu'Il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds." Mais ni cette expression "tant que" (éçwv), ni cette autre "jusqu'à ce que" (mécriv), ne désignent un temps limité. Car, si son règne ne devait pas s'étendre au-delà, où serait la vérité de ces paroles du Prophète : "Sa Puissance est une puissance éternelle, son Règne, un règne qui ne doit point s'affaiblir, et ce règne n'aura point de fin "? (Dn 17,14; Lc 1,34). Vous voyez qu'il ne faut pas seulement s'arrêter aux expressions, mais s'élever jusqu'à leur véritable signification. Ne soyez point du reste surpris en entendant le Prophète vous dire que le Père placera ses ennemis sous ses pieds. Ce n'est pas là une marque de la faiblesse du Fils, car saint Paul nous montre le Fils mettant Lui-même ses ennemis sous ses pieds. (1Cor 15,25). Et dans le même endroit il lui attribue toute puissance lorsqu'il dit : "Lorsqu'Il aura remis le royaume à Dieu son Père, et qu'Il aura anéanti toute domination et toute puissance." (Ibid. 24). C'est-à-dire, lorsqu'Il aura définitivement assuré son Empire, Il anéantira toute puissance. Tel est le sens du mot katargh¬sei. Il attribue toute puissance au Fils, mais il ne sépare ici ni le Père du Fils, ni le Fils du Père. Les attributs de l'Un sont les attributs de l'Autre : "Tout ce qui est à Moi est à Toi, dit Jésus Christ, et tout ce qui est à Toi est à Moi." (Jn 17,10). Lors donc que vous entendez dire que le Père a soumis les ennemis du Fils, n'allez pas croire que le Fils soit étranger à cet acte de puissance; de même lorsque vous lisez que le Fils S'est assujetti ses ennemis, ne dites point que le Père n'a aucune part à cette opération. Toutes ces actions éclatantes, comme en général toutes leurs oeuvres, sont communes entre eux.

"Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de ta Puissance." (Ibid. 2). Le sceptre de la puissance, c'est la puissance elle-même. Le Roi-prophète fait sortir de Sion le sceptre de sa Puissance, parce que c'est là que le Fils de Dieu a commencé le cours de ses triomphes. C'est là qu'Il a donné la loi, c'est là qu'Il a opéré ses miracles, c'est de là que la prédication est partie pour se répandre par toute la terre. Si vous voulez entendre ces paroles dans un sens anagogique, écoutez saint Paul qui vous dit : "Vous vous êtes approchés de la montagne de Sion, de la Cité du Dieu vivant, de la Jérusalem céleste, de l'assemblée des premiers-nés." (He 12,22) "Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de ta Puissance." Tantôt la verge châtie et récompense, tantôt elle console et elle est le symbole de la royauté. Voulez-vous une preuve de ce double office, écoutez ces paroles du Prophète : "Ta Houlette et ta Verge m'ont consolé." (Ps 22,4); et ces autres : "Tu les gouvernes avec une verge de fer, et Tu les briseras comme des vases d'argile." (Ps 2,9). Saint Paul ne dit-il pas aussi : "Lequel aimez-vous mieux, que j'aille vous voir la verge à la main, ou que ce soit avec charité et dans un esprit de douceur ?" (1 Cor 4,21). La verge sert donc à châtier ? Elle est aussi le signe de la royauté. Isaïe dit en effet : "Une verge sortira de la tige de Jessé, et une fleur s'élèvera de ses racines." (Is 40,1). Et David : "Ton Trône, ô Dieu, est un trône éternel, le sceptre de l'équité est le sceptre de ton Royaume." (Ps 54,7). Le sceptre dont parle ici le Roi-prophète c'est la puissance avec laquelle les disciples ont parcouru la terre, réformant les moeurs, ramenant les hommes de leurs égarements insensés à une conduite plus conforme à leur nature et à leur raison. "Allez, leur dit Jésus, enseignez toutes les nations." (Mt 28,19). Moïse aussi avait une verge, mais Dieu lui communiqua en outre cette puissance qui lui fit opérer tous ses prodiges. La verge de Moïse sépara les eaux de la mer, celle des apôtres a brisé l'impiété du monde entier. On pourrait même et à juste titre dire que la croix du Sauveur a été la verge de puissance, car c'est cette verge qui a bouleversé la mer et la terre et les a remplies des marques de la Puissance divine. Armés de cette verge, les apôtres ont parcouru l'univers entier et ont opéré tant d'étonnants prodiges. À l'aide de cette verge, ils triomphaient de tous les obstacles, à commencer par Jérusalem.

"Établis ton Empire au milieu de vos ennemis." Cette prophétie n'est-elle pas plus éclatante que le soleil ? Que veulent dire ces paroles : "Établis ton Empire au milieu de tes ennemis "? C'est-à-dire : au milieu des Gentils, au milieu des Juifs. C'est ainsi en effet que les églises ont été plantées au milieu des villes, c'est ainsi qu'elles ont établi leur puissance et fait reconnaître leur autorité. Quelle preuve plus grande de cette victoire éclatante des apôtres, que d'avoir élevé des autels au milieu de leurs ennemis, eux qui étaient comme des brebis au milieu des bêtes féroces, comme des agneaux au milieu des loups ? C'est ce que Jésus Christ leur avait dit en leur donnant leur mission : "Voilà que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups;" (Mt 10,16); miracle non moins surprenant que le premier. Que les brebis triomphent des loups, c'est en effet un prodige non moins admirable que de vaincre les ennemis dont on est environné de toutes parts. Mais le miracle le plus étonnant, c'est que douze hommes seulement, aient amené à leur doctrine l'univers entier. "Établis ton Empire au milieu de tes ennemis." Il ne dit pas : Sois vainqueur au milieu de tes ennemis, mais : "Établis ton Empire", pour nous apprendre que ce n'est pas un trophée élevé après avoir triomphé de ses ennemis, mais un empire qui s'établit avec autorité. Tel était en effet, le caractère de la victoire remportée par les apôtres; Jésus Christ était avec eux, ce qu'ils faisaient était empreint d'une autorité souveraine. C'est ce qui explique comment toutes les maisons s'ouvraient devant eux, comment ceux qui embrassaient la foi leur étaient plus soumis que les plus obéissants des esclaves, comment ils vendaient leurs biens et en apportaient le prix aux pieds des apôtres, sans même oser prendre sur ce qui leur appartenait pour subvenir à leurs besoins, comment enfin, les fidèles les avaient en si haute estime qu'ils n'osaient se joindre à eux.

4. Cette puissance ne se bornait pas aux chrétiens, elle s'étendait jusque sur les infidèles. Quel est, dites-moi, le signe auquel on reconnaît un serviteur ? N'est-ce pas lorsqu'on le voit faire tout ce que lui commande son maître ? Et quel est le signe distinct du maître ? N'est-ce pas de se faire obéir de ses serviteurs, comme il l'entend ? Or, quels sont ceux qui ont vu les rois et les princes obligés de se soumettre à leur volontés ? Ne sont-ce pas les apôtres ? Oui sans doute. Les rois et les princes voulaient retenir le monde dans les liens de l'impiété, et faisaient une obligation à leurs sujets de sacrifier aux démons; les apôtres commandaient le contraire, et ils étaient obéis. Vous m'objecterez les prisons où on les jetait, les flagellations sanglantes, les supplices qu'ils enduraient; mais vous énoncez là un des caractères les plus frappants de leur puissance. Comment et dans quel sens ? C'est que, malgré ces obstacles, leur volonté ne laissait pas de s'accomplir. Ce n'est point en effet, sur les lois des maîtres du monde réunis, mais sur la vertu que reposait leur empire, et la vertu n'a besoin d'aucun secours étranger; je dirai plus, les persécutions multipliées ne faisaient que leur donner un nouvel éclat. On a vu souvent les rois de la terre périr victimes des complots de leurs esclaves, parce que leur puissance était imparfaite et empruntée, tandis que tous les efforts dirigés contre la puissance des apôtres, loin de l'anéantir, n'ont servi qu'à la rendre plus éclatante. Qui donc règne avec plus de gloire, de celui qui a besoin de troupes innombrables pour contenir ses sujets dans le devoir, ou de celui qui sans tout cet appareil se fait obéir à son gré de ses sujets ? Il est évident que c'est le dernier. Bien souvent, ces rois qui commandent à des peuples nombreux, auraient perdu l'empire avec la vie, s'ils n'avaient eu pour eux l'appui des lois, et les moyens de défense que leur offraient les villes qu'ils habitaient. Paul au contraire, exerçait sa puissance jusqu'au fond des déserts. Voulez-vous une preuve que son règne a été plus brillant que celui des rois ? Il a donné des lois à tout l'univers, et les hommes n'ont pas hésité à désobéir aux lois des princes de la terre, pour se soumettre à ses écrits. Quels esclaves ont jamais été soumis à leurs maîtres, quels sujets ont obéi à leurs souverains avec autant de dévouement que les fidèles aux simples lettres de l'apôtre ? Qui pourrait exprimer l'attachement, la tendresse de ces hommes qui étaient prêts à s'arracher les yeux pour leur maître ? ( Ga 4,15). Qui jamais eut de semblables serviteurs ? C'est alors que toutes ces merveilles se présentent à l'esprit du prophète, c'est en voyant les apôtres obéis des chrétiens, devenus redoutables aux infidèles qu'ils chassaient devant eux avec autorité, et Jésus Christ qui triomphait a dans leur personne, qui dit non pas simplement : "Domine, mais : "Établis ta domination au milieu de tes ennemis", pour mieux exprimer l'étendue de son empire. Témoins de ces prodiges, les ennemis des apôtres ne pouvaient rien contre eux, bien qu'ils eussent à leur disposition les lois, bourreaux et un pouvoir illimité. Mais la puissance des apôtres était bien supérieure, grâce à la Présence de Celui qui habitait en eux. C'est par les apôtres, en effet, que Jésus Christ a établi son empire et qu'Il l'a établi d'une manière souveraine, entière, absolue. Forts de Celui qui habitait dans leur âme, on les voyait affronter courageusement les bûchers, les glaives, les bêtes féroces. C'est que Jésus Christ était avec eux au milieu de toutes ces épreuves; aussi leurs corps, livrés aux supplices, paraissaient ne plus leur appartenir, ils étaient affranchis de toutes les sollicitudes de la vie présente. Transportés de joie et d'allégresse, dévoués et soumis tout entiers à l'empire de Jésus Christ, ils sacrifiaient tout, leurs richesses, leur corps, jusqu'à leur vie. Voilà le spectacle que donnaient ceux qui avaient été précédemment les adversaires et les ennemis de Jésus Christ; car l'invincible Puissance de Dieu, non contente d'éteindre cette haine, sut leur inspirer un si grand attachement, un dévouement à toute épreuve.

Lors donc que le Roi-prophète dit que le Père met les ennemis du Fils sous ses pieds, il ne veut pas nous faire entendre que le Fils n'ait aucune part à cet acte de puissance, puisque tout a été fait par le Fils; mais comme je l'ai déjà dit, que le Père et le Fils ne sont qu'un seul Dieu, ayant deux personnalités distinctes, et qu'il n'y a qu'une seule personne qui n'ait pas été engendrée. Voulez-vous une preuve que cette victoire est tout entière l'ouvrage du Fils ?" Vous la trouverez dans les autres prodiges qu'Il a déjà accomplis. Gardez-vous seulement d'entendre les paroles du Prophète dans un sens humain, qui entraînerait des conséquences absurdes. Pour vous en faciliter l'intelligence, écoutez ce que je vais dire. Il en est qui d'ennemis de Jésus Christ qu'ils étaient, sont devenus ses amis; d'autres n'ont point cessé d'être ses ennemis. Saint Paul nous indique qu'il doit faire succéder l'amitié à la haine dans le coeur de ses ennemis, quand il dit "Parce qu'Il aura remis son royaume à Dieu son Père." (1Cor 15,24) Le Sauveur Lui-même exprime la même vérité dans sa prière : "Je vous ai glorifié sur la terre, J'ai achevé l'oeuvre que vous m'avez donné à faire." (Jn 17,4). La soumission des ennemis a été l'Oeuvre du Père; l'Oeuvre du Fils a été beaucoup plus grande et plus difficile. Car il y a une grande différence entre châtier ceux qui persévèrent dans leur inimitié, ou faire succéder dans leur coeur des sentiments d'amour aux sentiments de haine. Mais n'allons pas en conclure ou que le Fils est inférieur au Père, ou que le Père est inférieur au Fils. Ces oeuvres sont communes à la fois au Fils et au Père. Nous en avons une preuve dans ces paroles : "Retirez-vous de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé au démon et à ses anges." (Mt 26,41). Celui encore qui envoie les anges pour recueillir l'ivraie, c'est le Fils unique, et c'est Lui que nous voyons en toute circonstance faire sentir au démon les effets de sa Justice. (Mt 13,30). Les démons eux-mêmes sont forcés de Le reconnaître : "Tu es venu nous tourmenter avant le temps." (Mt 8,29). C'est donc le Fils qui doit les tourmenter un jour; donc les oeuvres qui sont attribuées au Père, sont cependant aussi les Oeuvres du Fils. Voici une nouvelle preuve que les Oeuvres du Père sont également celles du Fils : "Personne, dit le Sauveur, ne vient à Moi, si mon Père qui M'a envoyé ne l'attire." (Jn 6,44). Et encore : "Personne ne peut venir à mon Père que par Moi." (Jn 14,6). Il ne faut donc point entendre ces paroles dans un sens purement naturel. Cette expression même : "Vos ennemis", ne signifie pas seulement les ennemis du Fils, car, dit encore notre Seigneur : "Celui qui n'honore pas le Fils, n'honore pas le Père." (Jn 5,23).

5. Ainsi les Juifs ne sont pas seulement les ennemis du Fils, ils sont encore les ennemis du Père. Voilà pourquoi Dieu les a frappés d'une destruction complète. Il a renversé leur ville de fond en comble et en a fait un amas de ruines. Ce châtiment n'a pas suivi immédiatement sa Mort sur la croix, Il leur a laissé le temps de se repentir s'ils en avaient la volonté, et Il leur a envoyé ses apôtres pour les instruire de sa Puissance, et leur ménager jusqu'au dernier moment les moyens de se convertir. Mais la maladie dont ils étaient atteints ayant résisté à tous les remèdes, ils furent précipités dans des malheurs extrêmes. Toutefois, ici encore, Dieu les invitait à la pénitence. Le spectacle de leur nationalité détruite, de leur puissance renversée, la vue de Celui qu'ils avaient accablé d'opprobres recevant les adorations du monde entier, devaient les amener nécessairement à reconnaître la vérité. Cependant tous ces moyens de conversion ont été perdus pour eux, ils n'ont donc plus de pardon à espérer, et il ne leur reste à attendre qu'un supplice éternel. Cette expression de marchepied ne doit présenter à votre esprit aucune idée matérielle, elle signifie simplement la soumission de ses ennemis. La preuve évidente que Dieu assujettit ses ennemis à son Fils, se trouve dans les paroles suivantes, car là où il n'y a qu'un trône, il n'y a aussi qu'un marchepied.

"La souveraineté est avec Toi au jour de ta Puissance. (Ibid. 3). Il avait dit précédemment : "Jusqu'à ce que Je réduise tes ennemis à Te servir de marchepied. Mais dans la crainte que vous n'interprétiez ces paroles de la faiblesse du Fils et du besoin qu'Il avait d'un secours étranger, Il Se hâte de détruire par avance ce soupçon en Lui disant : "La souveraineté est avec Toi au jour de ta Puissance." Que signifient ces paroles : "La souveraineté est avec Toi au jour de ta Puissance" ? C'est-à-dire elle est en Toi, elle n'y est pas survenue accidentellement, elle y est essentiellement et à jamais. C'est cette même vérité qu'Isaïe exprime en ces termes : "Il porte sur son Épaule le signe de sa Domination" (Is 9,6); c'est-à-dire, Il la porte en Lui-même, dans sa Substance, dans sa Nature, prérogative que n'ont pas les rois. Pour eux, leur souveraineté est tout entière dans leurs nombreuses armées, ce qui n'avait pas lieu pour les apôtres. Mais la domination des apôtres eux-mêmes ne fut établie que par une opération extérieure dont ils n'étaient pas les agents. La Puissance de Jésus Christ au contraire était dans sa Nature, dans sa Substance, Il ne l'a pas reçue après qu'Il fut engendré, Il ne la possède pas comme une chose qui Lui vient du dehors, qui Lui est accidentelle, Il est né avec cette Puissance. Aussi, lorsqu'Il fut interrogé sur sa Royauté, Il répondit : "Je suis né, et suis venu dans le monde pour cela." "La souveraineté est avec Toi au jour de ta Puissance." Ces paroles indépendamment du sens que nous venons de leur donner, en ont encore un autre, et signifient que sa Domination ne réside pas dans un principe différent de Lui, mais qu'elle est en Lui pour l'éternité. Nous voyons souvent la puissance trahir les hommes même de leur vivant, et s'ils la conservent toute leur vie, du moins la perdent-ils toujours en mourant. Le dirai-je ? Même pendant leur vie, cette souveraineté n'est pas avec eux, elle est tout entière, comme je l'ai dit, dans leurs armées, dans leurs gardes, dans leurs immenses richesses, dans leurs villes fortifiées, et dans d'autres appuis de ce genre. Mais pour Dieu, sa Souveraineté est en Lui, et elle y est à perpétuité. On ne peut supposer un instant où sa Nature n'existe pas, Il en est de même de sa Royauté.

"Au jour de ta Puissance". Ce jour de sa Puissance peut être entendu à la fois et du jour où cette Puissance s'est déjà manifestée, et du jour de son avènement futur, car dans l'un comme dans l'autre, Il fait paraître des marques éclatantes de sa Souveraineté. Quelles preuves plus frappantes peut-Il nous donner que de nous montrer la mort vaincue par la mort, les portes d'airain brisées, le péché détruit, la malédiction anéantie, et l'abondance de tous les biens succédant à tous les maux anciens qu'Il vient guérir ? Que peut-on comparer à cette puissance, qu'on la considère ou dans les miracles qu'elle a opérés, ou dans les actions admirables qu'elle a produites ? Les morts ressuscitaient, les lépreux étaient guéris, les démons chassés, la fureur de la mer refrénée, les péchés remis, les paralytiques fortifiés, le paradis était ouvert, les rochers fendus, les rayons du soleil obscurcis, les ténèbres répandues sur toute la surface de la terre. Les corps des saints endormis du sommeil de la mort, sortaient du tombeau, le larron retournait dans son ancienne patrie, la voûte du ciel s'entr'ouvrait, la nature humaine si longtemps foulée aux pieds était élevée au-dessus des cieux, et ce qui est bien plus extraordinaire, elle s'asseyait sur le Trône du Roi des cieux, entourée des anges et des Dominations. Tous les vices étaient mis en fuite, la vertu était ramenée en triomphe, la grâce du saint Esprit se répandait dans tous les coeurs. On voyait de simples pécheurs, des publicains, des constructeurs de tentes, fermer la bouche aux philosophes et aux rhéteurs, détruire l'empire des démons, renverser les autels et les temples, et supprimer les fêtes et les grandes réunions des païens. Ils dissipaient de vive force l'odeur de la graisse et la fumée de l'encens offerts aux fausses divinités dans des sacrifices impies, et mettaient en fuite les devins, les prêtres mendiants de Cybèle, les augures et tout ce qui compose l'officine de Satan. D'un autre côté, les églises s'élevaient dans toutes les contrées de la terre, les choeurs des vierges et les essaims de solitaires se multipliaient, la piété fleurissait dans le désert aussi bien que dans les villes, et les choeurs des justes et des saints unissaient leurs voix aux puissances angéliques pour chanter ensemble les louanges de Dieu. Des légions de martyrs et de confesseurs se propageaient par toute la terre, la vertu établissait son règne sans difficulté; les nations barbares se formaient à l'école de la sagesse chrétienne; ces hommes dont les moeurs étaient plus féroces que celles des animaux sauvages, imitaient avec une sainte rivalité la vie des anges, et la parole de la prédication parcourut après le crucifiement et la Résurrection du Sauveur autant de contrées que le soleil en éclaire de ses rayons. C'est à la vue de ce magnifique spectacle qui s'offre à la pensée du prophète qu'il s'écrie : "La souveraineté est avec Toi au jour de ta Puissance."

6. Voulez-vous maintenant vous représenter le dernier jour à venir, et comprendre comment ce jour est aussi le jour de sa Puissance ? Songez quel spectacle ce sera de voir le ciel se replier sur lui-même, la nature entière sortir pleine de vie du sein de la corruption, tous les hommes répondre à l'appel de Dieu, le diable couvert de confusion, les démons profondément humiliés, les justes couronnés, chacun rendant compte de ses péchés, et recevant la récompense de ses bonnes oeuvres, et commençant une vie toute différente de celle-ci. Alors en effet, plus de mort, ni de maladie, ni de vieillesse, plus de pauvreté, plus de violences, plus d'embûches. Alors encore on ne verra plus ni maisons, ni villes, ni métiers, ni navigation, ni vêtements, ni aliments, ni boissons, ni toits, ni lits, ni tables, ni lampes. Loin de cette vie les trahisons, les luttes, les procès, les mariages, les douleurs de l'enfantement, et les enfantements eux-mêmes. Toutes ces misères seront dissipées comme la poussière, une vie meilleure nous sera donnée, notre corps deviendra incorruptible, immortel et doué d'une puissance extraordinaire. C'est à ce changement que saint Paul faisait allusion, lorsqu'il disait : "La figure de ce monde passe." (1Cor 7,31). Si vous n'ajoutez point foi à nos paroles, parce que vous n'avez pas ce spectacle sous les yeux, que le présent du moins soit pour vous un garant assuré de l'avenir. Parcourez par la pensée l'univers entier, la terre, les mers, la Grèce, les contrées barbares, les régions habitées et les solitudes, les villes du continent, les îles situées au milieu de la mer, les montagnes et les vallées; et en voyant partout éclater la Puissance de Jésus Christ, et tous les hommes proclamer la gloire de son auguste Nom, dites-vous à vous-même que c'est Celui qui a opéré tant et de si grands prodiges, qui vous a donné les promesses de la vie future.

Voulez-vous une preuve tirée d'un fait particulier ? Demandez-vous quelle raison pousse l'univers entier à aller visiter un sépulcre vide, quelle puissance secrète attire les habitants des extrémités de la terre, pour voir les lieux où Jésus est né, où Il a été crucifié et enseveli. Considérez la croix elle-même, de quelle puissance n'est-elle pas le signe ? Avant la Mort de Jésus Christ, la croix était le supplice le plus abominable, la mort la plus ignominieuse et la plus infâme. Maintenant, ce genre de mort est devenu plus glorieux que la vie elle-même, l'éclat de la croix surpasse celui des plus brillantes couronnes, et nous la portons tous sur nos fronts, que dis-je ? avec une noble fierté. Ce ne sont pas seulement les particuliers, mais les rois eux-mêmes qui la préfèrent au diadème et à juste titre, car ne vaut-elle pas mille fois mieux que tous les diadèmes de la terre ? Le diadème est un simple ornement pour la tête, la croix est le salut du monde. La croix nous défend contre les démons, c'est une couronne qui guérit les maladies de notre âme, c'est une armure invincible, un rempart inexpugnable, un fort inaccessible, où nous pouvons braver non seulement les invasions des barbares et les incursions des ennemis, mais les légions des démons déchaînés contre nous.

"Dans les splendeurs des saints." Un autre interprète traduit : "Dans la gloire du saint." Un autre : "Dans la gloire des saints. Le Roi-prophète a encore ici en vue le temps présent et le jour à venir. La splendeur des saints, c'est leur beauté. Quelle splendeur plus brillante en effet que celle de saint Paul, quelle gloire plus brillante que la gloire de Pierre, qui tous deux ont parcouru l'univers entier, en jetant un plus grand éclat que le soleil, et en répandant partout les semences de la piété ? On les regardait comme des anges descendus du ciel, et on les vénérait de loin avec respect : "Personne n'osait se joindre à eux, nous dit le livre des Actes. (Ac 5,1-3) Leurs vêtements eux-mêmes étaient comme imprégnés d'une grâce toute particulière, et l'ombre de leur corps exerçait une Puissance souveraine. (Ac 10,12). Si telle était déjà leur gloire ici-bas, que sera-t-elle lorsque leurs corps seront incorruptibles, immortels, plus brillants que toutes les splendeurs de la terre ? Quel éclat environnera, avec ces deux héros, tous les prophètes et les apôtres, tous les justes, les martyrs, les confesseurs, et tous ceux dont l'éminente sainteté aura répondu à la foi qu'ils avaient en Jésus Christ ? Représentez-vous tous ces peuples, ces clartés, ces rayons, cette gloire, cette majesté, cette joie, cette magnifique assemblée. Qui pourrait dépeindre un tel spectacle ? Toute parole est impuissante, l'expérience seule sera capable de donner à ceux qui en sont dignes une juste idée de ces splendeurs. Nous serons alors environnés, ce me semble, d'une lumière éclatante égale a celle que répandraient plusieurs soleils brillant au firmament ou des éclairs se succédant sans interruption. Ou plutôt, tout ce que je pourrais dire pour vous dépeindre cette beauté incomparable serait toujours bien au-dessous de la réalité. Car enfin, toutes ces comparaisons sont empruntées au monde extérieur et sensible, tandis que cette splendeur, cette gloire qui doit éclater alors, surpassera de beaucoup toutes les splendeurs de la terre. Non seulement les corps seront incorruptibles et immortels, mais ils seront revêtus d'une gloire que la parole ne peut exprimer. "Dans les splendeurs des saints." Le Roi-prophète ne veut pas seulement nous représenter le Sauveur sous un aspect terrible, il nous dépeint aussi sa Douceur et sa Bienfaisance dans ces paroles : "Dans les splendeurs des saints." C'est aussi par un effet de sa Puissance qu'Il les environne de cette splendeur éclatante dont parlait saint Paul, lorsqu'il disait : "Il changera notre corps misérable en le rendant conforme à son corps glorieux." (Ph 3,21).

7. Un changement si extraordinaire est au-dessus de toute pensée, de toute expression humaines. Aussi l'Apôtre ajoute-t-il : "Par cette Vertu toute-puissante, qui peut lui assujettir toutes choses." (Ibid.) Ne me demandez donc pas, nous dit-il, comment ni de quelle manière ce changement se fera, Dieu peut tout ce qu'Il veut. Mais pourquoi le Roi-prophète dit-il : "Dans les splendeurs des saints," et non : Dans la splendeur ? Parce que les récompenses éternelles sont nombreuses et variées. "Le soleil a son éclat, la lune le sien, et les étoiles leur clarté particulière, et entre les étoiles l'une est plus brillante que les autres. Il en est de même de la résurrection des morts." (1Cor 15,41). Jésus Christ Lui-même nous dit : "Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père." (Jn 14,2). Aussi, cette splendeur n'aura point de fin; elle ne cédera la place ni à la nuit, ni aux ténèbres. Elle est grande, elle est inexprimable, elle surpasse de beaucoup toutes les splendeurs de la terre, mais son caractère le plus admirable est d'être éternelle. Le Roi des cieux manifeste ainsi sa toute-puissance en revêtant des corps mortels et corruptibles d'une telle force et d'une telle vertu.

Ces magnifiques récompenses qu'il vient de nous dépeindre soulèvent notre âme sur les ailes de l'espérance, et le prophète nous prouve la légitimité de cette espérance par la grandeur et la puissance de l'auteur de toutes ces merveilles. Quel est-il ? C'est celui qui est consubstantiel à son Père, vérité qu'il exprime en ces termes : "Je vous ai engendré de mon sein avant l'étoile du matin." Ceux qui donnent à ces paroles un sens conforme à leurs opinions particulières prétendent qu'il n'est ici question que de la génération de la chair. Alors pourquoi, je vous le demande, cette expression : "Avant l'étoile du matin ?" Le Roi-prophète, répondent-ils, appelle ainsi la nuit dans laquelle Il est né, car sa Naissance eut lieu avant l'étoile du matin. Ce n'est pas répondre à la question. Le prophète d'ailleurs ne parle pas ici comme historien et ils ne peuvent montrer que ce que les évangélistes ont enseigné a été prédit par les prophètes dont les oracles sont en très grande partie couvertes d'obscurité. Ces paroles : "Avant l'étoile du matin" ne signifient donc pas avant le lever de l'étoile du matin, mais avant la création et la naissance de cette étoile. L'Écriture distingue parfaitement ces deux circonstances, avant la nature, la création, et avant le lever, comme dans ces paroles : "Il faut prévenir le matin pour Te rendre grâces, et venir T'adorer avant le lever de la lumière." (Sg 16,28). Le Roi-prophète veut parler ici du matin. Car il ne dit pas : Avant le soleil, avant sa création; mais avant son lever. Avant la création du soleil rien n'existait sur la terre. Il dit donc : "Avant le lever du soleil," pour bien exprimer qu'il s'agit du matin. Ailleurs au contraire, quand il veut nous faire remonter aux temps qui ont précédé la création du soleil, il ne dit pas : "Avant le lever," mais : "Avant le soleil;" comme dans ces paroles : "Son Nom existe avant le soleil et avant la lune, dans toutes les générations." (Ps 71,17-5). Il y a donc une différence entre ces deux locutions : "Avant le soleil," et : "Avant le lever du soleil." La première exprime la nature ou la création du soleil; la seconde l'action et le lever du soleil, c'est-à-dire le matin. Si donc le prophète avait voulu simplement exprimer la nuit, il n'eût pas dit : "Avant l'étoile du matin," mais : "Avant le lever de l'étoile du matin." D'ailleurs Jésus Christ Lui-même a entendu ce psaume, non pas de son Incarnation, mais de sa Génération divine par l'Esprit. En effet, lorsqu'Il eut fait aux Juifs cette question : "Que vous semble du Christ, de qui est-il Fils ?" ils lui répondirent : "De David." C'est alors qu'Il leur cite ce psaume et qu'Il leur dit : "Comment donc David a-t-il pu lui dire : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Assieds-Toi à ma Droite ? S'Il est son Seigneur, comment dites-vous qu'Il est son Fils ?" (Mt 22,42-49). Quel est le but de cette argumentation du Sauveur ? C'est de montrer qu'Il était la vrai Fils de Dieu.

Mais quoi donc ? Sa génération n'a-t-elle précédé que la création de l'étoile du matin ? Non sans doute, puisque nous lisons ailleurs : "Son Trône existe avant la lune." Et ce n'est pas seulement avant la lune, puisque le même Roi-prophète dit du Père : "Avant la formation des montagnes, avant la création de la terre et du monde, Tu es Dieu de tout temps et pour l'éternité." (Ps 89,2). Dieu n'existe pas seulement depuis le commencement des siècles, mais avant tous les siècles, car son existence n'est pas limitée par la durée des siècles, elle s'étend bien au-delà, jusqu'à l'infini. N'allez donc pas vous heurter contre les expressions des Livres saints, mais donnez-leur une signification digne de Dieu. Admirez ici la sagesse du prophète. Il n'a point commencé le psaume par ces paroles : "Je vous ai engendré de mon sein avant l'aurore." Il a d'abord fait un tableau des actions éclatantes du Christ, il l'a fait connaître par ses Oeuvres, et c'est alors seulement qu'il juge convenable de parler de sa divine Majesté. Notre Seigneur Jésus Christ suivait cette même gradation quand il disait aux Juifs : "Si Je ne fais les Oeuvres de mon Père, ne me croyez point; mais si Je les fais, quand vous ne voudriez pas croire en Moi, croyez du moins à mes Oeuvres." (Jn 10,37-38). En effet, une fois que vous saurez que c'est Lui qui est assis à la Droite du Père, qui est appelé Seigneur comme le Père, qui a la même souveraineté, qui fait éclater une si vive splendeur, qui exerce son Empire sur les nations, vous ne devez plus être ni surpris ni troublé lorsque le prophète vous dit qu'Il a été engendré avant toute créature. David me paraît encore digne d'admiration en ce qu'il fait tantôt parler Dieu Lui-même, et tantôt semble parler en son propre nom. Ces paroles : "Assieds-Toi à ma Droite, et ces autres : "Je T'ai engendré de mon sein avant l'aurore;" paroles dont la sublimité surpasse son intelligence, sont sorties de la bouche de Dieu Lui-même; dans le reste du psaume, c'est David qui parle. Admirez encore dans le Roi-prophète la propriété des termes. Il lui suffisait de dire : "Je T'ai engendré," mais par condescendance pour ceux dont les pensées rampent sur la terre, et pour leur faire comprendre que Jésus Christ est le vrai Fils de Dieu, Il ajoute cette expression : "De son sein." Lorsqu'il semble prêter des mains à Dieu, ce n'est point pour nous donner à penser que Dieu ait réellement des mains, mais pour exprimer sa Puissance créatrice; de même ici il parle du Sein de Dieu pour nous faire comprendre que le Fils de Dieu est le fruit de cette Génération divine.

8. David donne ensuite à sa prophétie la forme d'un jugement solennel, et il s'adresse au Fils de Dieu Lui-même, marque évidente d'un amour ardent, d'une joie extraordinaire, et d'une âme remplie de l'Esprit de Dieu. "Le Seigneur l'a juré, et Il ne se repentira point; Tu es prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melchisédech." (Ibid. 3). Vous voyez comme il descend des hauteurs où il s'était placé et traite ainsi tour à tour de la Divinité ou de l'Humanité du Sauveur. C'est ce que font aussi les évangélistes pour sauvegarder l'intégrité des deux mystères. Mais pourquoi cette addition : "Selon l'ordre de Melchisédech ?" À cause de l'offrande mystérieuse et figurative qu'il fit à Abraham du pain et du vin, et aussi parce que le sacerdoce de Melchisédech ne dépend en rien de la loi, et qu'on ne parle, comme dit saint Paul, ni du commencement ni de la fin de sa vie. (He 7,3). Ce que Melchisédech a été en figure, Jésus Christ l'a été en réalité, et le nom de Melchisédech a été comme les Noms de Jésus et de Christ, qui longtemps d'avance ont annoncé et figuré la Mission du Sauveur. Lorsque nous lisons que Melchisédech n'a eu ni commencement ni fin de sa vie, ce n'est pas qu'en réalité il n'ait eu ni commencement ni fin, mais parce qu'on ne trouve aucune trace de sa généalogie. Jésus, au contraire, n'a eu en vérité ni commencement de ses jours, ni fin de sa vie, non point pour la même raison, mais parce que son Existence n'a eu dans le temps ni commencement ni fin. L'un était la figure, l'autre la vérité. Lorsque vous entendez prononcer le Nom de Jésus, vous ne vous représentez pas Jésus comme étant réellement près de vous, vous ne songez qu'à la signification de ce Nom sans aller plus loin. Ainsi, lorsque vous entendez parler de Melchisédech qui n'a eu ni commencement ni fin, ne cherchez pas à lui appliquer ces paroles dans leur réalité, contentez-vous de ce simple énoncé et cherchez la vérité de ces paroles en Jésus Christ. De même quand vous entendez parler de serment, n'allez pas prendre ce mot dans le sens d'un véritable serment. La Colère de Dieu n'est pas une colère véritable, ce n'est pas une passion, mais seulement la Puissance qu'Il a de punir. Il en est de même du serment, car Dieu ne jure pas en réalité, et Il prédit simplement ce qui doit arriver.

Après avoir décrit les splendeurs des saints, la Victoire du Fils de Dieu sur ses ennemis, réduits à Lui servir de marchepied, et le jour de sa Puissance, il parle de ce qui doit s'accomplir dans le temps présent. Or, remarquez l'ordre qu'il suit dans son discours pour dompter l'esprit rebelle de ses auditeurs. Ce n'est qu'après les avoir effrayés par les terreurs du jugement, et fléchi leur opiniâtreté, qu'il arrive à parler du temps présent. Voilà qui explique ce mélange de genres différents. Jugez-en par vous-même : "Jusqu'à ce que j'aie réduit vos ennemis à vous servir de marchepied." Il s'agit ici des événements futurs. Voici pour le présent : "Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de ta Puissance. Règne au milieu de tes ennemis." Voici pour les événements futurs : "La souveraineté est avec Toi au jour de ta Puissance, au milieu des splendeurs des saints". Puis il revient encore aux choses présentes qui ne respirent plus la sévérité, mais la douceur : "Tu es prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melchisédech"; paroles qui renferment le pardon de nos péchés et notre réconciliation avec Dieu.

Après s'être arrêté à cette vérité selon qu'il l'a jugé convenable, le Roi-prophète parle de nouveau de l'Incarnation et reprend un ton moins élevé : "Le Seigneur est à ta Droite." (Ibid. 7) Mais quoi ! Il a dit plus haut que c'était Lui qui était assis à la Droite du Père ! Vous voyez qu'il ne faut pas s'attacher aveuglément au sens littéral des mots. Que signifient donc ces paroles : "Le Seigneur est à ta Droite ?" Le Roi-prophète vient de toucher le mystère de l'Incarnation, il s'adresse donc naturellement à l'Humanité du Sauveur qui a reçu le Secours d'en haut. Il la voit, en effet, réduite aux dernières angoisses et à une sueur de sang qui se répand sur la terre, et en même temps fortifiée par un ange du ciel. (Lc 22,44). Telle est en effet la nature de la chair. "Il brisera les rois au jour de sa Colère." On peut, sans crainte de se tromper, appliquer ces paroles aux ennemis actuels de l'Église, et à ceux qui recevront un jour la juste punition de leurs crimes et de leur impiété :

"Il exercera son jugement au milieu des nations, il multipliera les ruines." (Ibid 6) Que veulent dire ces paroles : "Il jugera les nations ?" Il jugera, Il condamnera les démons. Voulez-vous une preuve qu'Il les a jugés ? Écoutez Jésus Christ Lui-même : "Maintenant voici le jugement du monde, maintenant le prince du monde sera chassé." (Jn 12,31) Et plus bas : "Et Moi, quand J'aurai été élevé de terre, J'attirerai tout à Moi." (Ibid. 32) Ne soyez pas surpris que le Roi-prophète se serve d'une expression qui parle un peu trop aux sens; c'est l'usage de l'Écriture. "Il écrasera sur la terre les têtes d'un grand nombre." Dans le sens anagogique, ces paroles signifient qu'Il doit renverser et détruire l'orgueil des insensés; dans le sens littéral, les calamités du peuple juif qu'Il doit exterminer d'une manière terrible. "Il boira de l'eau du torrent". Le prophète fait ici allusion au genre de vie humble et simple du Sauveur : nul faste, point de gardes, point d'appareil imposant, et Il porte la frugalité jusqu'à boire de l'eau du torrent. Sa boisson répondait à sa nourriture. Il Se nourrissait de pain d'orge et Il buvait de l'eau du torrent. Il est venu en effet pour nous enseigner cette sage modération qui nous fait dominer la sensualité, fouler aux pieds le faste et fuir toute ostentation. Quel est le fruit de ce genre de vie ? Le Roi-prophète nous l'apprend en ajoutant : "C'est pour cela qu'Il lèvera la tête." (Ibid. 7)

9. Or ces paroles doivent s'entendre non pas de la Nature divine, mais de la Nature humaine qui a bu de l'eau du torrent et qui a été élevée en gloire. Ainsi, loin que cette simplicité de vie Lui ait fait aucun tort, elle L'a élevé à une hauteur que la parole ne peut exprimer. Vous donc, mon très cher frère, en présence de ce grand exemple, méprisez le luxe et la somptuosité, et préférez-leur une vie simple et sans apprêt, si vous voulez parvenir à la grandeur et à la gloire. Votre Dieu n'est venu sur la terre que pour vous enseigner cette voie. Voilà pourquoi le Prophète, après avoir raconté les grandes Actions du Sauveur, ajoute ces paroles dont voici le sens : En entendant parler de victoires, de trophées, ne vous attendez pas à voir des armes, des troupes, des chars, des chevaux, des cavaliers, des soldats pesamment armés, le bruit et le tumulte des combats. Ce Triomphateur est si humble, si simple et si frugal, qu'Il boira de l'eau du torrent, et cependant, malgré cette simplicité, c'est Lui qui accomplira tous ces prodiges. Écoutez ces enseignements, vous qui étalez sur vos tables la somptuosité des Sybarites, qui n'avez en tête que mets exquis et recherchés, qui faites venir de tous côtés les cuisiniers les plus habiles et les plus variés, qui avez des légions de matelots, de pilotes, de rameurs, pour vous apporter des contrées lointaines des vins, des parfums et tout l'attirail de la vie molle et sensuelle; vous vous précipitez ainsi dans l'abîme, et devenez les plus méprisables des hommes. Car, ce n'est pas la multiplicité des besoins qui fait l'homme véritablement grand, comme aussi ce n'est pas l'indigence qui peut l'avilir. Permettez-moi de vous représenter ici deux hommes : l'un, pour satisfaire à ses besoins, a une armée de matelots, de pilotes, d'artisans, de serviteurs, d'ouvriers habiles dans l'art du tissage et de la broderie, de bouviers, de bergers, d'écuyers, de palefreniers qui obéissent en tout à ses ordres. Toute la richesse de l'autre consiste dans du pain, de l'eau et un seul vêtement. Quel est ici le plus grand des deux, quel est celui qui est inférieur à l'autre ? N'est-il pas évident que le plus grand est celui qui n'a qu'un seul vêtement ? Ce dernier pourra mépriser le roi jusque sur son trône; l'autre au contraire est l'esclave de tous ceux qui lui procurent ces jouissances. Il est obligé de s'abaisser devant eux jusqu'à la flatterie, de peur qu'en perdant leurs services il ne soit privé de ce qui est devenu pour lui une nécessité. Multipliez vos besoins, vous multipliez les chaînes de votre esclavage; réduisez-vous au nécessaire, personne ne sera plus libre que vous. Nous en trouvons, une preuve jusque dans les animaux. Que sert-il à un âne de porter des fardeaux considérables, dût-il en jouir mille fois, et où est le dommage pour celui qui n'a point à porter ces fardeaux, s'il peut compter sur la nourriture nécessaire ? Voilà pourquoi notre Seigneur Jésus-Christ, voulant rendre véritablement grands et élevés ses disciples qu'Il destinait à être les prédicateurs du monde entier, les affranchit de toute sollicitude, leur donne comme des ailes et une force d'âme égale à celle du diamant. Rien ne fortifie l'âme en effet, comme de l'affranchir des soins de la vie, mais aussi rien ne l'affaiblit comme de s'en rendre esclave. Dans le premier cas, nulle douleur à craindre; dans le second, nul plaisir à espérer. L'un de ces deux hommes a au-dessus de lui une multitude de maîtres et de maîtresses sans douceur et sans humanité. L'autre ne dépend de personne, il est le maître de tous, il jouit en pleine sécurité des rayons du soleil, des délices d'un air pur, et n'éprouve aucune contrariété. Il n'est agité ni par la colère, ni par la haine, ni par l'envie; il n'est point rongé par les soucis, les rivalités, la vaine gloire, l'orgueil ou par d'autres passions semblables. Son âme est comme un port calme et tranquille, inaccessible à la tempête. Rien ne l'empêche de poursuivre son chemin vers le ciel, parce qu'il ne se laisse détourner par aucune des choses de la terre. Nous aussi donc, pour jouir de cette sécurité, pour obtenir ici-bas ce calme inaltérable, cette route libre et facile vers le ciel, suivons ce genre de vie, et nous mériterons ainsi ces biens éternels qui surpassent toute raison, toute intelligence, toute pensée, en Jésus Christ notre Seigneur, à qui appartiennent la gloire et l'empire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

PSAUME 110

"Seigneur, je Te confesserai de tout mon coeur." (v.1).

Que signifient ces paroles : "De tout mon coeur ?" Avec toute l'ardeur dont je suis capable, avec un esprit dégagé de toutes les préoccupations de la vie, avec une âme élevée dans les hautes régions qui touchent à Dieu et détachée des liens du corps. "De tout mon coeur." Ce n'est pas en paroles et de bouche seulement, mais d'esprit et de coeur. C'est dans ce sens que Moïse recommandait au peuple juif d'observer cette loi : "Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre coeur et de toute votre âme." (Dt 6,5) Le mot grec confession (e¬xomológhsiv), signifie ici action de grâces. Je Te louerai, je Te rendrai grâces. Toute la vie du Roi-prophète s'est passée dans l'accomplissement de ce pieux devoir, c'est par là qu'il commence, c'est par là qu'il finit. Tout son objet, toute son oeuvre a été de rendre grâces à Dieu, tant pour les bienfaits qu'il en avait reçus que pour les grâces accordées aux autres hommes. Dieu n'a rien tant à coeur que l'action de grâces, c'est le sacrifice, c'est l'offrande qui lui sont agréables, c'est la marque d'une âme reconnaissante, c'est un coup mortel porté au démon. Ce qui mérita au saint homme Job sa couronne et sa gloire, c'est que malgré les fléaux multipliés qui tombèrent sur lui, malgré les mauvais conseils de son épouse, il demeura inébranlable, et rendit à Dieu de continuelles actions de grâces, (Jb, 1,21) non seulement au milieu des richesses, mais lorsqu'il fut plongé dans la plus extrême pauvreté; non seulement lorsqu'il jouissait de la santé, mais lorsqu'il fut frappé cruellement dans sa chair; non seulement lorsque tout lui souriait, mais encore au milieu de cette terrible tempête qui vint fondre sur toute sa maison et sur son propre corps. Le signe infaillible d'un coeur reconnaissant est de rendre à Dieu de grandes actions de grâces au milieu même des épreuves et de l'adversité. C'est cette vérité que le Roi-prophète lui-même veut nous faire entendre dans les paroles qui suivent. La plupart des hommes rendent grâces à Dieu tant qu'ils sont heureux, mais si le malheur vient à les toucher, ils le supportent avec peine. Quelques-uns vont même jusqu'à blâmer la Providence dans les événements qu'elle permet. Le Roi-prophète veut nous faire comprendre que cette conduite n'est point la suite de la nature des événements, mais le fait d'un esprit corrompu, et il ajoute : "Dans la société et l'assemblée des justes. Les Oeuvres de Dieu sont grandes." (Ibid. 2). Il faut ici, nous dit-il, un juge intègre, une assemblée incorruptible, et on reconnaîtra alors que les Oeuvres de Dieu sont grandes et pleines des plus étonnantes merveilles. Leur grandeur tient à leur nature, mais cette grandeur ne paraît qu'aux yeux d'un juge équitable. Quoi de plus lumineux, de plus brillant de sa nature que le soleil ? Et cependant il n'a point cet éclat pour les yeux malades. À qui la faute ? Ce n'est pas au soleil, mais à la maladie qui affaiblit leurs yeux. Lors donc qu'un homme ose devant vous déverser le blâme sur les Oeuvres de Dieu, son injustice n'est point pour vous un motif de vous ériger en censeur des Oeuvres de Dieu, mais la pensée de la Providence divine doit faire ressortir à vos yeux l'extrême folie de cet homme. Celui qui reproche au soleil d'être obscur ne fait aucun tort à cet astre par son jugement, il donne une preuve évidente de son aveuglement. Celui encore qui se plaint de l'amertume du miel ne fait point douter de sa douceur, mais fournit un témoignage certain de la maladie dont il est atteint. Il en est de même de celui qui ose censurer les Oeuvres de Dieu. Le jugement qu'il en porte ne peut affaiblir ni ces oeuvres, ni l'idée qu'on s'en est formée, il ne sert qu'à faire ressortir son extrême folie. Ainsi ceux qui ne jugent pas sainement des Oeuvres de Dieu, ne reconnaissent même pas les miracles dont ils sont témoins. Au contraire, un esprit droit et qui n'a pas été perverti, sera saisi d'admiration devant chacun des prodiges qui paraissent offrir le plus de difficultés.

En effet, qu'y a-t-il dans toute la création qui ne soit vraiment merveilleux ? Si vous le voulez, laissons tout le reste pour nous arrêter aux choses, qui de l'aveu d'un grand nombre sont vraiment pénibles et insupportables, la mort, les maladies, la pauvreté et autres épreuves de ce genre. Un coeur droit les admet sans peine et y trouve un juste sujet d'admiration. La mort est entrée dans le monde à la suite du péché, il est vrai, mais la Puissance de Dieu, sa Bonté, sa Providence, ont eu assez de pouvoir pour la faire servir à l'avantage du genre humain. Dites-moi, en effet, qu'est-ce que la mort a de si pénible ? N'est-elle point la délivrance, de nos peines, la fin de nos soucis ? Entendez l'éloge qu'en fait le saint homme Job : "La mort est un repos pour l'homme dont les voies sont cachées." (Jb 3,23). Ne met-elle pas un heureux terme au péché ? Qu'un homme ait été mauvais, ses iniquités cessent avec sa mort : "Car celui qui est mort est délivré du péché" (Rm 6,7), c'est-à-dire il ne commet plus désormais de péché. Si, au contraire, un homme vertueux vient à mourir, toutes ses bonnes oeuvres sont en sûreté et Dieu les conserve dans un asile inviolable. D'ailleurs, dites-moi, est-ce que la mort ne rend pas les hommes plus sages et plus modérés ! Vous voyez souvent des riches enflés d'orgueil qui portent la tête haute; mais en présence d'un cadavre nu et immobile, devant des enfants orphelins, une femme veuve, des amis éplorés, des serviteurs revêtus d'habits de deuil, une maison tout entière plongée dans une sombre tristesse, comme ils s'abaissent, comme ils s'humilient, comme leur coeur s'ouvre au repentir ! Mille fois ils avaient entendu les divins Enseignements sans en tirer le moindre profit, et ce spectacle seul leur a rendu l'amour de la sagesse. Ils comprennent toute l'instabilité et la courte durée de la nature humaine, toute la faiblesse et la fragilité de ce que les hommes appellent puissance, et jusque dans les malheurs qui frappent les autres, ils prévoient le sort qui les attend eux-mêmes.

2. Si malgré la perspective assurée de la mort il se commet encore tant de vols, tant de rapines; si comme chez les poissons, les plus forts dévorent les plus faibles, à quels excès se serait portée l'avarice des hommes, s'ils ne devaient point mourir ? Bien qu'ils sachent qu'ils ne jouiront pas toujours des fruits de leurs rapines, mais que bon gré mal gré, ils devront les laisser à d'autres, leur fureur et leur rage d'acquérir ne connaît point de bornes; quel fin mettre à leur coupable cupidité, s'ils les possédaient sans crainte de les perdre ? Eh quoi ! Est-ce que ce n'est pas la mort qui tresse les couronnes du martyre ? Voyez saint Paul, n'a-t-il pas élevé des trophées innombrables, lui qui disait : "Il n'y a point de jour que je ne meure par la gloire que je reçois de vous ?" (1Cor 15,31). Ce n'est point la mort qui est un mal, c'est la mauvaise mort qui est un mal affreux. C'est pour cela que le Roi-prophète dit : "La mort des saints est précieuse aux Yeux de Dieu;" (Ps 115,15); et dans un autre psaume : "La mort des pécheurs est ce qu'il y a de plus funeste." (Ps 33,22). Il veut nous faire entendre que ce qui est un mal, c'est de quitter cette vie avec une conscience coupable, chargée du souvenir et du poids d'innombrables péchés. Au contraire, celui dont l'âme est pure prend le chemin des récompenses et des couronnes qui lui sont destinées. Voulez-vous une preuve que ce n'est point la nature des choses, mais l'opinion que les hommes s'en forment, qui répand le trouble dans leur âme, entendez l'expression des désirs de saint Paul : " Pendant que nous sommes dans ce corps comme dans une tente, nous gémissons dans l'attente de l'adoption des enfants de Dieu qui sera la rédemption de notre corps." (2Cor 5,4; Rm 8, 23). Ailleurs encore : "Mais quand même je serais immolé sur le sacrifice et l'offrande de votre foi, je m'en réjouirais et je vous en féliciterais tous. Et vous devriez vous-mêmes en avoir de la joie et vous en réjouir avec moi." (Ph 2,17-18). Si donc la mort loin d'être pénible, est même désirable pour ceux qui font le bien, combien plus la pauvreté, et les autres épreuves semblables !

"Elles sont conformes à toutes ses Volontés." Un autre interprète traduit : "Elles sont exécutées avec soin." Le Roi-prophète veut parler ici des créatures dans lesquelles il admire la Sagesse de Dieu. Dans ce qui précède, il avait en vue les oeuvres, les prodiges, les miracles qu'Il accomplit souvent dans le gouvernement du genre humain. (Nous avons cependant indiqué un autre sens pour nous accommoder à la faiblesse d'esprit et au peu d'intelligence d'un certain nombre.) Que signifient ces paroles : "Elles sont faites pour répondre à toutes ses Volontés ?" C'est-à-dire, elles sont exécutées avec un soin scrupuleux, comme traduit un autre interprète, elles sont préparées, disposées, avec une perfection qui ne laisse rien a désirer. Aussi elles sont en tout conformes à la Volonté de Dieu, elles proclament hautement sa Puissance, il n'y a en elles aucun défaut, et elles concourent avec un accord admirable à l'accomplissement des Ordres divins, comme le Roi-prophète le fait remarquer ailleurs : "Le feu, la grêle, la neige, la glace, les vents qui excitent les tempêtes et qui exécutent sa parole," c'est-à-dire ses ordres. (Ps 148,8). Dans un autre endroit, il s'exprime dans le même sens : "Il a fait la lune pour marquer les temps, le soleil connaît le moment où il doit se coucher. Tu as répandu les ténèbres, et la nuit a été faite." (Ps 103,19-20). Non seulement les créatures exécutent les Ordres de Dieu, conformes à la fin qu'Il s'est proposée, mais elles obéissent aussi avec une docilité parfaite aux ordres qui sont contraires à cette fin. Dieu a commandé, et non seulement la mer n'a point englouti les Juifs, ce qui est dans sa nature, mais sur ses flots étendus et aplanis elle a tracé une route plus solide que la pierre et qui permit aux Juifs de la traverser. (Ex 14,22). La fournaise où furent jetés les enfants, non seulement ne les brûlait pas, mais faisait tomber sur eux avec un doux murmure une rosée rafraîchissante. (Dn 3,24) Les lions, loin de dévorer Daniel, étaient comme autant de gardes qui le protégeaient. (Dn 5,22). Non seulement la baleine ne dévora point Jonas, mais elle le conserva sain et sauf comme un dépôt qui lui était confié. (Jon 2) La terre ne put supporter Dathan et Abiron; elle fit plus, elle s'ouvrit plus violemment que la mer pour les engloutir, eux et toute leur famille. (Nb 16,32). Nous pourrions encore citer une multitude d'antres prodiges dont la création est tous les jours le théâtre et qui peuvent convaincre ces hommes insensés qui veulent déifier la nature, que ce n'est point à la force aveugle et tyrannique de cette nature, mais à la Volonté de Dieu que tout cède et obéit. La nature est l'oeuvre de la Volonté de Dieu, Il dispose et organise toutes les créatures comme Il l'entend, tantôt Il les conserve dans leur premier état, tantôt Il renverse, lorsqu'Il le veut, l'ordre naturel qu'Il a établi et lui en substitue un tout contraire. "Elles sont disposées dans une parfaite conformité avec toutes ses Volontés," avec tous ses Préceptes, avec tous ses Commandements. Mais ce n'est pas la seule fin qu'Il s'est proposée, Il veut surtout être connu des hommes, c'est là sa Volonté première et la cause principale de la création. Voici donc le sens des paroles du prophète : Les Oeuvres de Dieu sont si parfaites qu'elles donnent aux âmes attentives et intelligentes la connaissance de Dieu la plus exacte, la plus claire, et la plus évidente. C'est surtout dans cette intention que Dieu a établi l'ordre admirable qui règne dans les créatures, afin que leur grandeur, leur éclat, la position qu'elles occupent, leurs vertus, leurs fonctions, toutes leurs autres qualités, fissent impression sur l'âme du spectateur, que son esprit et son coeur fussent excités à rechercher le Créateur et le suprême artisan de toutes choses, à L'adorer, et que le spectacle extérieur de la création fût pour lui comme un livre ouvert devant ses yeux.

3. Mais les créatures ne se bornent pas à nous faire connaître Dieu, elles nous donnent encore de précieux enseignements pour régler notre vie. Lorsque, par exemple, l'avare verra le jour succéder à la nuit, le soleil à la lune, cet ordre admirable qui règne parmi les éléments le couvrira de honte, et eût-il pour lui la force, il se gardera de convoiter le bien de ceux qui sont au-dessous de lui. Lorsque l'adultère et l'impudique verront la mer en furie se calmer en approchant du rivage qui lui sert de frein, ces flots en courroux qui s'apaisent leur apprendront à comprimer promptement la convoitise qui s'élève comme une vague, à lui jeter le frein salutaire de la crainte de Jésus Christ pour qu'elle n'aille pas plus avant, à dissiper toute l'écume de ces désirs impurs et à les soumettre à l'empire de la chasteté. Jetons maintenant les yeux sur la terre, elle nous offrira un sujet facile de méditations et d'enseignements sur la résurrection des corps. Nous la verrons recevoir le grain de froment à l'état solide, puis dissoudre ce grain et le pourrir pour en faire sortir des grains plus abondants, plus parfaits. Nous verrons encore la vigne dépouillée pendant l'hiver de ses feuilles, de ses tiges grimpantes et de ses grappes, et son bois sec comme des os desséchés; et au retour du printemps, nous la verrons reprendre toute sa beauté. Cette vie qui succède à la mort dans les végétaux et dans les semences nous inspirera d'utiles pensées sur la résurrection de notre chair. La fourmi nous enseignera encore l'amour du travail, l'abeille l'amour de ce qui est beau et les avantages de l'association, comme nous le dit le livre des Proverbes : "Allez à la fourmi, paresseux, imitez sa conduite, et apprenez à devenir plus sage qu'elle. Elle n'a point de champ à cultiver, personne qui la presse, elle n'a ni chef ni maître, elle fait néanmoins sa provision pendant l'été, elle amasse pendant la moisson de quoi se nourrir. Ou bien, allez trouver l'abeille et apprenez d'elle comment elle aime le travail. Les rois et les particuliers recherchent pour la santé le fruit de ses travaux. Et bien qu'elle soit petite et faible, cependant comme elle honore et pratique la sagesse, elle est élevée au-dessus des autres animaux." (Pr 6,6-8). L'abeille vous apprendra encore à ne point admirer la beauté corporelle lorsque la beauté de l'âme fait défaut, et à ne point mépriser la laideur, lorsqu'elle est compensée par l'éclat intérieur de l'âme. L'auteur des Proverbes exprime la même vérité lorsqu'il dit : "L'abeille est petite entre les animaux qui volent, et néanmoins son fruit l'emporte sur ce qu'il y a de plus doux" (Si 11,3). Considérez encore les oiseaux et apprenez d'eux les leçons de la sagesse. C'est ce qui faisait dire à Jésus Christ : " Considérez les oiseaux des champs, ils ne sèment ni ne moissonnent, et votre Père céleste les nourrit." (Mt 6,26). Voici des animaux privés de raison qui n'ont aucun souci de la nourriture, quelle excuse donc pourrez-vous apporter, vous qui n'avez pas même pour les choses de la terre la même indifférence que les oiseaux ? Voulez vous apprendre à mépriser la parure, les fleurs des champs vous enseigneront à ne point rechercher les vains ornements du corps. C'est la leçon que Jésus Christ veut vous donner lorsqu'Il vous dit : "Considérez les lis des champs, ils ne filent ni ne travaillent, et cependant Je vous le dis en vérité, Salomon n'a jamais été vêtu comme l'un d'eux." (Mt 6,28-29). Lors donc que vous serez trop préoccupé de la richesse des vêtements, réfléchissez que, malgré tous vos efforts, la victoire restera à l'herbe des champs, et que vous ne pourrez point lutter avec elle, et vous réprimerez ainsi cette passion insensée. Les animaux, les fleurs, les semences peuvent encore nous donner d'autres leçons non moins utiles de sagesse.

"Son Oeuvre publie sa Gloire et ses louanges;" (Ibid. 3) c'est-à-dire chacune de ses Oeuvres, car le Roi-prophète ne veut point parler d'une seule d'entre elles. Un autre interprète traduit : "Son Oeuvre est digne de louange et de gloire," et ici "digne de confession," c'est-à-dire d'actions de grâces et de gloire. En effet, chacune des oeuvres que nous voyons suffit pour exciter dans notre âme des sentiments de reconnaissance, et le désir de louer, de bénir, de glorifier Dieu. Nous n'avons pas à dire : Pourquoi ceci ? À quoi bon cela ? Les ténèbres comme la lumière, la faim comme l'abondance, le désert, les pays inhabités, comme les terres fertiles et couvertes de riches moissons, la vie comme la mort, en un mot tout ce que nous voyons suffit pour nous porter à rendre à Dieu des actions de grâces; vérité que Dieu Lui-même exprimait par son prophète, lorsqu'Il représentait ses Vengeances comme autant de bienfaits. "Je les ai détruits, dit-il, comme Dieu a détruit Sodome et Gomorrhe, Je les ai frappés par un vent brûlant et par des maladies d'entrailles." (Am 4,11-9). Et dans un autre prophète : "Je les ai tirés de la terre d'Égypte, Je les ai rachetés de la maison de la servitude." (Mi 6,4). Les châtiments sont ici de véritables bienfaits. Il en est de même de tout ce que nous voyons. Le mobile qui fait agir les hommes est tantôt le désir de faire du bien, tantôt la haine et l'aversion. Dieu, au contraire, agit toujours sous l'impulsion de la bonté. C'est par un sentiment de bonté qu'Il a placé l'homme dans le paradis terrestre, c'est par le même sentiment qu'Il l'en a chassé. C'est également par bonté pour les hommes qu'Il les fit périr dans les eaux du déluge et qu'Il fit tomber sur Sodome le feu du ciel. En un mot, il n'est aucune de ses Oeuvres qui ne soit un bienfait. Le dirai-je ? C'est par bonté pour nous qu'Il nous menace de l'enfer, semblable aux pères qui ne sont pas seulement pères lorsqu'ils caressent leurs enfants, mais lorsqu'ils les châtient, et qui sont aussi bons pères dans le second cas que dans le premier. C'est ce qui faisait dire à saint Paul : "Quel est le fils qui ne soit châtié par son père ?" (He 12,7); et à Salomon : "Le Seigneur châtie celui qu'Il aime, il frappe de verges celui qu'Il reçoit au nombre de ses enfants." (Pr 3,12). "Sa Justice demeure dans les siècles des siècles."

4. Le Roi-prophète me paraît s'adresser ici à ceux qui se scandalisent des malheurs qui viennent frapper certaines personnes contre toute espérance, et voici la vérité dont il voudrait les persuader. Ne vous troublez point en voyant des hommes victimes de la calomnie, en butte à l'injustice et à des persécutions qu'ils n'ont pas méritées; car il leur reste un tribunal incorruptible, il leur reste un juge équitable, qui rendra à chacun selon ses oeuvres. Vous voudriez que Dieu Se prononçât dès ici-bas, prenez garde d'attirer sur vous le premier, une sentence de condamnation. En effet, si chaque péché était immédiatement suivi du châtiment, et si Dieu punissait aussitôt chacun des coupables, c'en serait fait depuis longtemps du genre humain. Et il n'est pas besoin de parler ici de tel ou tel pécheur, je ne veux pour prouver cette vérité que l'exemple d'un homme supérieur à tous les autres hommes, l'exemple de Paul, ce prédicateur du monde entier, qui fut ravi au troisième ciel, transporté dans le paradis, à qui Dieu révéla les mystères les plus augustes; l'exemple de Paul, ce vase d'élection, ce conducteur de l'Épouse du Christ qui a mené sur la terre la vie des anges, et s'est élevé à la perfection la plus éminente. Or, si Dieu n'avait point voulu le supporter avec patience, mais qu'Il l'eût condamné comme il le méritait, à l'époque de ses égarements, de ses blasphèmes et de ses persécutions, Il lui aurait ôté tout moyen de faire pénitence. C'est dans cette pensée que cet Apôtre disait : " Je rends grâces à notre Seigneur Jésus Christ qui m'a fortifié, de ce qu'Il m'a jugé fidèle, en m'établissant dans son ministère, moi qui étais auparavant un blasphémateur, un persécuteur, un calomniateur. Mais j'ai obtenu miséricorde, afin que je fusse le premier en qui Jésus Christ fit éclater son extrême Patience, et que j'en devinsse comme un modèle et un exemple à ceux qui croiront en Lui pour la vie éternelle." (1Tm 12,13,16). Si Dieu encore avait puni aussitôt la femme pécheresse, quand aurait-elle changé de vie ? (Lc 7,27). Et s'Il avait infligé le châtiment qu'il méritait au publicain Matthieu, alors qu'il exerçait encore cette profession, Il l'eût mis dans l'impossibilité de se repentir. (Mt 9,9). On peut en dire autant du larron, des mages et de chaque pécheur. Dieu suspend donc les effets de sa Colère et de sa juste Vengeance, pour inviter les hommes à la pénitence. S'ils demeurent insensibles à cet appel, ils subiront infailliblement le châtiment dû à leurs péchés. C'est donc pour consoler ceux qui sont victimes de l'injustice, et rappeler à leur devoir ceux qui la commettent, que le Roi-prophète ajoute : "Et sa Justice demeure dans les siècles des siècles." Voici le sens de ces paroles : Vous avez à souffrir de l'injustice; ne désespérez pas, si vous venez à mourir, d'obtenir la justice qui vous est due. Au sortir de cette vie, vous recevrez infailliblement la récompense de vos travaux. Et vous, qui ravissez le bien des autres, dont l'avarice ne connaît point de bornes, et qui semez partout la confusion et le désordre, ne vous flattez point d'échapper à la Justice de Dieu, parce que vous terminez vos jours en paix. Car aussitôt votre mort, vous rendrez compte de tous vos crimes. Dieu est éternel, sa Justice est éternelle comme lui, la mort ne peut en interrompre le cours, qu'elle ait pour objet soit la récompense des

peines endurées pour la vertu, soit les supplices réservés au crime.

"Le Seigneur a perpétué le souvenir de ses Merveilles." Quel est le sens de ces paroles : "Il a perpétué le souvenir de ses Merveilles ?" (Ibid. 4.) Que signifient ces paroles ? Il n'a jamais cessé de faire des miracles; "Il a perpétué le souvenir," Il n'a jamais interrompu de génération en génération, le cours de ses Prodiges, pour réveiller par ce spectacle extraordinaire, les esprits les plus grossiers. Un esprit élevé et appliqué à l'étude de la sagesse, n'a point besoin de miracles, et c'est à lui que s'appliquent ces paroles : "Bienheureux ceux qui n'ont point vu et qui ont cru." (Jn 20,29). Mais Dieu dont la Providence s'étend non seulement sur ces derniers, mais sur ceux dont l'esprit est moins ouvert, n'a cessé d'opérer des prodiges dans chaque génération. Le spectacle général de la création est un assez grand miracle sans doute; cependant pour réveiller la tiédeur d'un grand nombre, Dieu a opéré une multitude de miracles au milieu du monde, soit en public, soit en particulier. Citons pour exemples, le déluge, la confusion des langues, l'embrasement de Sodome, les prodiges opérés en faveur d'Abraham, d'Isaac, de Jacob, ceux que Dieu fit pour les Juifs dans l'Égypte, et lorsqu'ils en sortirent; les prodiges dont furent témoins le désert, la Palestine, la Babylonie, le retour de la captivité, l'époque des Macchabées; ceux qui ont suivi l'Avènement de Jésus Christ, où qui l'ont accompagné; ceux qui s'accomplissent encore sous nos yeux, la ruine de Jérusalem, l'établissement de l'Église, la diffusion dans toutes les parties de la terre de la parole de Dieu à qui les orages donnent une nouvelle force et qui s'étend par la persécution; enfin les légions des martyrs et tant d'autres prodiges. On pourrait citer encore bien des miracles particuliers qui se sont opérés soit dans les maisons, soit dans les villes. Mais arrêtons-nous à ceux qui ont un caractère plus général, qui sont d'une évidence incontestable que tous peuvent connaître, et que chaque génération voit s'accomplir. Combien Dieu en a-t-Il opéré sous le règne de Julien dont l'impiété était sans égal ? Combien sous le règne de Maximin ? Combien sous les empereurs qui les avaient précédés ? Rappelez-vous, si vous voulez, les prodiges dont notre temps a été témoin : ces croix imprimées tout à coup sur les vêtements, le temple d'Apollon renversé par la foudre, la translation du saint martyr Babylas, dont le corps était à Daphné, la victoire éclatante remportée sur le démon, la mort subite et extraordinaire de l'intendant du trésor impérial, la fin tragique et violente de l'empereur lui-même, de ce Julien qui avait surpassé tous les autres par son impiété, la mort non moins affreuse de son oncle, ces vers qui fourmillaient, mille autres prodiges, la famine, la sécheresse, la stérilité, le manque d'eau qui en fut la suite et qui désola tant de villes, et une foule d'autres miracles arrivés sur tous les points de la terre.

5. Vous connaissez ceux qui ont eu lieu à cette époque dans la Palestine, lorsque les Juifs entreprirent de reconstruire le temple de Jérusalem qui avait été détruit par un Ordre secret de Dieu; un feu qui jaillissait des fondations chassa tous les ouvriers, et le travail resté inachevé est une preuve de ce miracle. "Le Seigneur est miséricordieux et plein de clémence; Il a donné la nourriture à ceux qui Le craignent." (Ibid. 5) Après avoir fait connaître les bienfaits dont Dieu a comblé les hommes, tant par ses Miracles que par ses Oeuvres, et le soin tout particulier qu'Il prend de nous, le Roi-prophète s'étend sur ce même sujet; il montre que le Dieu qui a fait de si nombreux et de si grands miracles pour le salut des hommes, qui n'a négligé aucun moyen de les instruire, qui leur a enseigné la connaissance de Dieu et les leçons de la plus haute sagesse, qui protège leur existence, n'agit point ainsi parce qu'Il le doit (ce qui mérite toute notre reconnaissance), mais par un sentiment de miséricorde et d'amour, non pas qu'Il ait besoin de nous, mais par pure bonté. "Il a donné la nourriture à ceux qui Le craignent." Pourquoi parler ici de ceux qui Le craignent ? Sont-ils donc les seuls qu'Il nourrisse ? N'est-il pas dit dans l'Évangile : "Il fait lever son soleil sur les mauvais et sur les bons, et il répand la pluie sur ceux qui sont justes et sur ceux qui ne le sont pas ?" (Mt 5,45). Pourquoi donc dire ici : "À ceux qui Le craignent ?" Le Roi-prophète parle ici non point de la nourriture du corps, mais de celle de l'âme. Voilà pourquoi il la restreint à ceux qui craignent Dieu, car c'est à eux qu'elle est destinée. C'est qu'en effet, l'âme a sa nourriture comme le corps. En voulez-vous une preuve ? Écoutez ces paroles : "L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la Bouche de Dieu." (Mt 4) Il veut donc parler de cette nourriture que Dieu a donnée surtout à ceux qui Le craignent, sa Doctrine par la prédication de la parole, ses Enseignements qui comprennent toute sagesse.

"Il Se souviendra éternellement de son Alliance." (Ibid. 5). Le psalmiste veut combattre les orgueilleuses prétentions des Juifs et leur enlever tout sujet de vaine gloire, ou plutôt il veut leur montrer que les bienfaits dont Dieu les a comblés ne sont pas dus à leurs propres mérites, mais à l'affection que Dieu avait pour leurs pères, et à l'alliance qu'Il avait faite avec eux : "Il Se souviendra éternellement de son Alliance." C'est cette vérité que Moïse recommandait aux Juifs à leur entrée dans la terre promise de se rappeler et de méditer sans cesse : "Si vous bâtissez des villes magnifiques, leur disait-il, et si vous acquérez de grandes richesses, ne dites pas en votre coeur : C'est à cause de ma justice que le Seigneur a fait ces choses, mais à cause de l'alliance contractée avec vos ancêtres." (Dt 9,4-5). Rien de plus coupable qu'une orgueilleuse présomption; aussi Dieu cherche-t-il de toutes manières et en toutes circonstances à la retrancher de notre coeur. "Il a fait connaître à son peuple sa Puissance dans ses Oeuvres," (Ibid. 6) "en leur donnant l'héritage des nations." (Ibid. 7). Le Roi-prophète descend ici du général au particulier, des événements qui ont eu pour théâtre le monde entier à ceux qui n'avaient que le peuple juif pour objet; quoiqu'en les considérant avec attention, on puisse les ranger parmi ceux qui intéressent tout l'univers. En effet, les événements qui avaient lieu dans la Judée étaient un enseignement pour les autres peuples, et leurs guerres, leurs trophées, leurs victoires, une véritable prédication pour les esprits attentifs. Car ces événements ne suivaient pas la marche ordinaire des choses humaines, et ils arrivaient contrairement à toutes les prévisions. Aussi, quelle cause naturelle et logique peut-on donner de ces murs qui tombent au son des trompettes; (Jos 6,20); de la victoire et du triomphe de cette femme qui commandait des armées, (Jdt 4), de la victoire de cet enfant qui par une seule pierre lancée par sa fronde, mit fin à la guerre des barbares contre le peuple de Dieu ? Beaucoup d'autres faits non moins extraordinaires s'accomplissaient sous leurs yeux. C'est ainsi qu'ils ont triomphé de leurs ennemis et les ont chassés de la Palestine. Lors donc que le Prophète nous dit : "Il fera connaître à son peuple la puissance de ses Oeuvres," il veut surtout faire ressortir la Puissance de Dieu, qui non content de chasser ces nations, l'a fait de manière à ce que son peuple pût comprendre (ce que prouvaient suffisamment les événements passés), que c'était la Main de Dieu qui les frappait, et que les victoires qu'ils remportaient sur leurs ennemis étaient dues à ce qu'Il commandait en personne leurs armées. Ce n'était pas seulement par ses paroles qu'Il les instruisait mais par des faits, par leurs chaussures, par leurs vêtements, par leur nourriture, par la lumière qui les éclairait jour et nuit, par la nuée mystérieuse, par les guerres, par la paix, par leurs victoires, par la fécondité qu'Il donnait à leurs terres, par les pluies; tout prenait une voix pour proclamer l'Action divine, et tirer les âmes de leur aveuglement, et ces miracles se succédaient en grand nombre et sans interruption.

"Les oeuvres de ses Mains sont vérité et justice." Après cet exposé de la Puissance de Dieu, le Roi-prophète rappelle le souvenir de sa Justice, qui aussi bien que sa Puissance, se trouve empreinte sur ses Oeuvres. Ce n'est pas sans motif en effet, que Dieu chassa les nations de la terre qu'elles habitaient, afin de la donner aux Juifs, Il le fit pour de justes raisons. C'est pour cela qu'Il disait dans un des livres de Moïse : "Les Amorrhéens n'ont pas encore mis le comble à leurs iniquités." (Gn 15,16). Les paroles du Roi-prophète ne doivent pas être restreintes au peuple juif, et aux événements qui leur sont propres : elles ont une signification générale. Toutes les Oeuvres de Dieu, quelles qu'elles soient, sont vérité et jugement, c'est-à-dire justice. L'Écriture prend souvent le mot vérité dans le sens de bonté. Le prophète veut donc nous faire entendre ici que toutes les Oeuvres de Dieu offrent un heureux mélange de justice et de bonté. Car s'Il n'avait pris conseil que de sa justice, tout eût péri infailliblement.

6. C'est ce qui fait dire au Roi-prophète dans un autre endroit : "N'entre pas en jugement avec ton serviteur, car nul homme vivant ne sera justifié en ta Présence." (Ps 142,2). Et ailleurs encore : "Si Tu examines nos iniquités, Seigneur, Seigneur, qui subsistera devant Toi ?" (Ps 129,3). La justice et la bonté sont donc le principal caractère de toutes les Oeuvres de Dieu. S'Il ne suivait que les règles de sa Justice, rien n'échapperait à une ruine complète; s'Il ne faisait usage que de sa Bonté, elle serait, pour un grand nombre, un motif de relâchement. Il a donc diversifié les moyens de salut, en s'inspirant tour à tour pour le bien des hommes, de la justice et de la bonté. "Tous ses Préceptes sont fidèles." (Ibid. 7). Le Roi-prophète, suivant sa coutume, passe de la sagesse et de l'ordre qui brille dans le détail si varié de la création, aux lois mêmes de la Providence qu'il entreprend d'exposer. Car ce n'est pas seulement par le spectacle de cette création si riche et si variée, mais en donnant des lois aux hommes, qu'Il leur a tracé une règle sûre de conduite. Aussi dans le psaume dix-huitième, où le Roi-prophète traite ces deux ordres de vérité, il commence par dire : "Les cieux racontent la Gloire de Dieu." (Ps 8,1). Puis lorsqu'il est arrivé au milieu du psaume, et qu'il a décrit les merveilles de la création, il ajoute : "La Loi du Seigneur est pure, elle convertit les hommes; le Précepte du Seigneur est rempli de lumière, et il éclaire les yeux." (Ps 18,9). De même ici, après avoir raconté les prodiges et les Oeuvres admirables de Dieu, il entreprend de parler de ses Commandements : "Tous ses Préceptes sont fidèles, ils sont immuables dans tous les siècles, ils sont fondés sur la vérité et sur l'équité." Ce n'est pas sans intention qu'il dit : "Tous ses Préceptes;" il emploie cette expression, parce qu'il veut embrasser toutes les Lois divines les plus diverses. Il y a en effet les lois données à la création et qu'observe fidèlement tout être créé, le soleil et la lune, le jour et la nuit, les étoiles, la marche régulière de la terre et de la nature. Il y a en second lieu les préceptes donnés à l'homme dès le commencement, lors de la création, et dont saint Paul parle en ces termes : "Lorsque les Gentils qui n'ont point de loi, font naturellement les choses que la loi commande; sans avoir la loi, ils sont à eux-mêmes la loi." (Rm 2,14). Et ailleurs "Selon l'homme intérieur, Je trouve du plaisir dans la Loi de Dieu." (Rm 7,22). Il y a enfin les commandements écrits, et tous ces commandements subsistent. Si quelques-uns ont été abrogés, c'est pour être remplacés non point par des lois moins bonnes, mais par des commandements plus parfaits. Ainsi par exemple, ce commandement : "Vous ne tuerez pas," n'a pas été abrogé mais étendu; cet autre : "vous ne commettrez point d'adultère," n'a pas été supprimé, mais imposé avec plus de sévérité. (Ex 20,13,14). Voilà pourquoi notre Seigneur disait : "Je ne suis pas venu détruire la loi et les prophètes, mais les accomplir." (Mt 5,17). En effet, celui qui ne se met pas en colère, à plus forte raison s'abstiendra du meurtre, et celui qui s'interdit tout regard impur, sera bien plus éloigné de commettre l'adultère. Le caractère particulier et distinctif de la loi, quelle qu'elle soit, la loi de la création, la loi de la nature, la loi de la sagesse, ou la loi du Nouveau Testament, c'est l'immortalité et la perpétuité; et notre Seigneur Jésus Christ rend témoignage à cette perpétuelle durée lorsqu'il dit : "Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point." (Mt 24,85) Quand Dieu veut qu'une chose subsiste, la perpétuité lui est assurée, et rien ne peut porter atteinte à son existence.

"Ils sont fondés sur la vérité et sur l'équité." Que signifient ces paroles : "Sur la vérité et sur l'équité ?" Dans ces commandements, il n'y a ni équivoque, ni ambiguïté, ni obscurité, rien n'y atteste l'affection ou la haine; ils n'ont tous qu'un but, notre utilité, notre avantage. Il n'en est pas ainsi des lois des hommes qui dans plusieurs de leurs dispositions sont nécessairement transitoires, souvent obscures et portent toujours le caractère de l'imperfection humaine. Un grand nombre de ces lois sont l'oeuvre des passions. Le désir de se venger d'un ennemi ou de faire plaisir à un ami, leur a souvent donné naissance. Telles ne sont point les Lois divines, elles sont plus claires que la lumière du soleil, elles n'ont pour objet que l'intérêt de ceux qu'elles obligent, elles leur enseignent le chemin de la vertu, de la vérité, et non celui du mensonge, c'est-à-dire des richesses et des honneurs. Ce sont là des biens passagers, tandis que ceux qui viennent de Dieu sont les seuls véritables; ces lois apprennent aux hommes non pas le secret de devenir riches ou de se procurer les biens d'ici-bas, mais le moyen assuré d'obtenir les biens de la vie future. Elles nous enseignent toutes les règles de la vérité et de la justice sans aucun mélange d'erreur. "Tous ses Préceptes sont fidèles;" que signifie cette expression, "fidèles ?" Fermes, durables. Leur transgression est suivie de près par le châtiment, sans que ces préceptes en soient ébranlés, et si les hommes refusent de les observer, Dieu sait prendre en main leur défense. Ne dites pas que ce sont là de pures menaces où l'exagération a beaucoup de part. Celui qui fait une loi, n'a pas seulement intention de menacer, mais de punir au besoin. Vous ne croyez qu'avec peine aux châtiments à venir, que le passé vous serve ici de leçon. Le déluge du temps de Noé, l'embrasement de Sodome, la destruction des Égyptiens sous Pharaon, la ruine des Juifs, leurs captivités, leurs guerres, étaient-ils de simples menaces ? Ou bien n'ont-ils pas été des châtiments trop réels ? Or, si ces châtiments qui n'étaient que figuratifs, ont eu lieu en réalité, ceux dont ils étaient la figure arriveront d'autant plus certainement que le crime des coupables est plus grand après que Dieu leur a prodigué des remèdes et des grâces extraordinaires. "Le Seigneur a envoyé la rédemption à son peuple." (Ibid. 9). Dans le sens historique, le prophète veut parler de la liberté rendue aux Juifs; dans le sens anagogique, il s'agit de la délivrance du monde entier, comme nous le voyons dans les paroles suivantes : "Il a conclu avec lui une alliance éternelle." Il est ici question de la nouvelle alliance, le prophète a parlé de l'ancienne loi et de ses préceptes, mais comme elle n'a point été observée, et n'a fait que provoquer la Colère de Dieu, il ajoute : "Le Seigneur a envoyé la rédemption à son peuple." C'est ce que notre Seigneur proclamait Lui-même : "Je ne suis pas venu, disait-Il, pour juger le monde, mais pour le sauver." (Jn 12,47). La loi transgressée attirait nécessairement le châtiment. "La loi, dit saint Paul, produit la colère. Mais où il n'y a pas de loi, il n'y a point de prévarication de la loi." (Rm 4,15). Et dans un autre endroit : "Tous ont péché, et ont besoin de la Gloire de Dieu." (Rm 3,23). Voilà pourquoi le Roi-prophète nous dit ici : "Dieu a envoyé la rédemption à son peuple."

7. Ce n'est pas seulement la rédemption qu'Il nous envoie, Il impose une loi à ceux qu'Il a rachetés afin que notre vie soit digne d'une si grande grâce. "Son Nom est saint et terrible." Après avoir décrit cette providence, ce soin paternel dont Dieu a donné des preuves si éclatantes, tant dans l'Ancien que dans le Nouveau Testament, dans ses oeuvres, dans ses commandements, comme dans ses prodiges et ses miracles, le Roi-prophète, dans un transport tout divin, dans un sentiment profond d'admiration à la vue de la Grandeur de Dieu, termine ce psaume en célébrant la Gloire du divin Auteur de ces merveilles : "Son Nom est saint et terrible." C'est-à-dire qu'il inspire l'étonnement et l'admiration. Si son Nom est saint et terrible, combien plus sa Nature divine ! Dans quel sens son Nom est-il saint et terrible ? Les démons le craignent, les maladies le redoutent, et c'est par la vertu de ce Nom que les apôtres ont converti le monde entier. Ce Nom a été l'arme puissante avec laquelle David a terrassé le barbare Philistin; c'est par ce Nom que tant d'actions éclatantes ont été accomplies, c'est par lui que nous sommes initiés aux saints mystères. À la vue des prodiges étonnants opérés par ce Nom, des grâces dont il est la source, des victoires qu'il nous fait remporter sur nos ennemis, de la protection dont il entoure ceux qui l'invoquent, et en repassant dans son âme toutes ces merveilles qui surpassent de beaucoup tout ce que la nature peut faire, tout ce que l'intelligence humaine peut concevoir, il s'écrie : "Son Nom est saint et terrible." S'il est saint, il faut donc aussi pour le louer des bouches saintes, des lèvres innocentes et pures.

"La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse; une salutaire intelligence éclaire ceux qui la pratiquent." (Ibid. 10). Que faut-il entendre par ce commencement ? La source, la racine, le fondement. Après cette magnifique énumération des Oeuvres du Maître du monde, qu'il ne peut contempler sans être rempli d'une profonde admiration, le Roi-prophète ajoute ces paroles pour nous apprendre que la crainte du Seigneur remplit l'âme de toute sagesse et de toute prudence. Et n'allez pas vous imaginer que cette sagesse consiste dans une simple connaissance; non, le Roi-prophète ajoute : "Une salutaire intelligence éclaire ceux qui la pratiquent." En effet, la foi ne suffit pas, si notre vie n'est conforme à ses divins Enseignements. Mais comment la crainte du Seigneur est-elle le commencement de la sagesse ? Parce qu'elle nous délivre de tous les vices pour nous enseigner la pratique de toutes les vertus. Or, la sagesse dont parle ici le prophète n'est pas celle qui ne consiste qu'en paroles, mais la sagesse qui se manifeste par les actions. Les philosophes étrangers à la foi ont eux-mêmes défini la sagesse : la connaissance des choses divines et humaines. Cette science, c'est la crainte de Dieu qui nous l'enseigne en bannissant le vice de notre coeur, pour y déposer les germes de la vertu, nous inspirer le mépris des choses de la terre, et élever nos regards et nos coeurs jusqu'au ciel. Peut-on imaginer une sagesse plus grande ? Remarquez ici que le Roi-prophète ne veut pas qu'on se contente d'écouter, il faut aller jusqu'à la pratique. "Une salutaire intelligence éclaire ceux qui la pratiquent." C'est-à-dire ceux qui pratiquent la sagesse et qui la manifestent dans leur conduite, font preuve d'une véritable intelligence. "Ils ont une bonne intelligence," parce qu'il y a en effet une intelligence mauvaise, celle dont parle le prophète : "Ils sont habiles pour faire le mal, mais ils ne savent pas faire le bien." (Jr, 4,22). Ce que le Roi-prophète demande, c'est une intelligence qui se mette au service de la vertu. "Sa louange subsiste dans tous les siècles." Quelle est, dites-moi, cette louange ? L'action de grâces, la Gloire éternelle que Dieu S'est acquise par ses Oeuvres, et auparavant celle qui est inhérente à sa Nature divine. Dieu en effet, est immortel et digne par Lui-même de toute louange; Il ne l'est pas moins lorsque vous considérez en vous-même sa souveraine Grandeur; Il l'est également dans ses Oeuvres lorsqu'Il fait éclater sa Sagesse dans le spectacle visible des choses créées. Le prophète veut ici nous exhorter à rendre à Dieu nos actions de grâces, et nous apprendre que ceux qui trouvent à redire à la conduite de la Providence, ne sont dignes d'aucun pardon; puisqu'en effet, la louange, l'action de grâces, la gloire qui sont dues à Dieu, reposent sur des raisons si claires, si évidentes, si fortes et inébranlables, que cette gloire est à l'épreuve du temps et de la mort et qu'elle n'aura d'autres bornes que celles de l'éternité; ceux qui dans leur ignorance osent blasphémer contre elle, contredisent des faits plus éclatants que le soleil, et demeurent dans un aveuglement volontaire. Car ce n'est point là une gloire passagère qui pourrait servir d'excuse à leur ignorance, elle n'est environnée ni de ténèbres ni d'obscurité, elle est manifeste, durable, immortelle, et sa durée est égale à celle de l'éternité.

PSAUME 111

"Heureux est l'homme qui craint le Seigneur." (v. 1).

1. Le commencement de ce psaume me paraît se rattacher étroitement à la fin du précèdent, et ne former de ces deux psaumes qu'un seul corps dont toutes les parties sont parfaitement unies entre elles. Dans le psaume précédent, nous lisons : "La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse;" (Ps 110,10); dans celui-ci : "Heureux est l'homme qui craint le Seigneur." C'est la même vérité exprimée en d'autres termes, et qui de part et d'autre nous enseigne la crainte de Dieu. D'un côté, le psalmiste donne à cet homme le nom de sage; de l'autre, il le proclame heureux, et c'est là en effet le vrai bonheur, tandis que tout le reste n'est que vanité, ombre, vaine futilité, soit les richesses, soit la puissance, soit la beauté du corps ou l'éclat extérieur de la fortune. Qu'est-ce en effet, que des feuilles qui tombent, des ombres qui passent, des songes qui s'évanouissent ? La crainte du Seigneur est donc le bonheur véritable. Mais les démons eux-mêmes ont aussi la crainte de Dieu et tremblent devant Lui; le Roi-prophète nous avertit que cette crainte ne suffit pas pour nous sauver, et il fait ici comme dans le psaume précédent. Après avoir dit : "La crainte de Dieu est le commencement de la sagesse," il avait ajouté : "Tous ceux qui la pratiquent sont remplis d'une intelligence salutaire, joignant ainsi aux vérités qui sont l'objet de la foi, des règles sages de conduite. De même ici, après avoir proclamé le bonheur de cette crainte, il la distingue de celle qui a pour principe la connaissance et qui existe chez les démons eux-mêmes, en ajoutant : " Qui a une volonté ardente d'accomplir ses Préceptes." Il exige donc, comme on le voit, une vie et une conduite parfaitement réglées, et une âme remplie de l'amour de la sagesse. Remarquez qu'il ne dit pas : "Il observera ses Commandements," mais : "Il aura une volonté ardente de les accomplir." Ce qui est une disposition beaucoup plus parfaite.

Or, en quoi consiste cette disposition ? À observer les Commandements de Dieu avec un saint empressement, à les aimer passionnément, à en poursuivre l'exacte observation, à les aimer non pour la récompense promise, mais pour Celui qui les a établis, à faire ses délices de la pratique de la vertu, sans y être porté par la crainte de l'enfer, par les menaces des supplices éternels, mais par l'amour de Celui qui nous a donné ces lois. Le Roi-prophète lui-même nous en donne un exemple lorsque dans un autre psaume il nous décrit la douceur et le charme qu'il trouve dans l'observation des commandements. "Que tes paroles sont douces à mon palais !" s'écrie-t-il; le miel le plus exquis est moins agréable à ma bouche." (Ps 118,103). C'est cette même disposition que saint Paul exigeait lorsqu'il disait en termes allégoriques : "Comme vous avez fait servir vos membres à l'impureté et à l'injustice pour l'iniquité, de même faites-les servir maintenant à la justice pour votre sanctification." (Rm 6,19). C'est-à-dire vous avez déployé tant d'activité, tant d'ardeur dans la poursuite du vice qui ne vous promettait cependant aucune récompense, et ne vous montrait en perspective que la peine et le châtiment; faites donc pour la vertu ce que vous avez fait pour le vice. Et cependant l'Apôtre déclare qu'il est bien modéré dans ce qu'il demande, en commençant par dire : "Je parle humainement à cause de la faiblesse de votre chair;" (Rm 6,19); et en nous apprenant par là que nous devons nous donner à la pratique de la vertu avec une ardeur et une passion égales à celles que nous avons mises dans la poursuite du vice. Voici donc le sens de ces paroles : S'ils ne font pas autant pour la vertu qu'ils ont fait pour le vice, s'ils ne manifestent pas la même ardeur, quelle excuse pourront-ils apporter ? Quel pardon obtenir ? Voilà pourquoi le Roi-prophète s'exprime de la sorte : "Qui a une volonté ardente d'accomplir ses Commandements." Celui qui a pour Dieu la crainte qu'il doit naturellement inspirer, reçoit ses Commandements avec affection, avec amour, et cet amour pour Celui qui donne la loi en rend l'observation agréable et douce, bien qu'elle paraisse offrir quelque difficulté. Que personne ne me fasse un crime si j'emploie cette comparaison. Saint Paul m'y autorise : "Comme vous avez fait servir vos membres à l'impureté, faites-les servir maintenant à la justice." Voici un homme dominé par un amour impur, on l'insulte, on l'outrage, on le maltraite, on le couvre d'opprobres, on le chasse de son pays natal, il est exclu de l'héritage paternel, n'a plus droit à l'affection de son père, il est en butte à des épreuves plus pénibles encore, et cette passion déréglée lui fait tout supporter avec plaisir. Eh quoi, on supporte avec délices de semblables épreuves, avec quel amour donc devons-nous embrasser les commandements de Dieu, qui nous ouvrent le chemin du salut, de la gloire, de la plus haute sagesse, et qui rendent notre âme meilleure ? Peuvent-ils encore nous offrir quelque difficulté ? Ces difficultés viennent non pas de la nature des commandements, mais de la lâcheté d'un grand nombre. Recevez-les avec amour, ils deviendront aussitôt légers et faciles. Jésus Christ Lui-même nous en assure : "Mon joug est doux et mon fardeau léger." (Mt 11,30). Voulez-vous vous convaincre que c'est la lâcheté d'un trop grand nombre qui rend difficiles des choses naturellement aisées, tandis que la ferveur fait disparaître toutes les difficultés ? Voyez les Juifs : lorsque Dieu leur donnait la manne pour nourriture, ils en témoignaient du dégoût au point de souhaiter la mort. Saint Paul au contraire luttait avec la faim, et il était dans la joie, il tressaillait d'allégresse. Aussi, tandis que les Juifs faisaient entendre ces plaintes : "Notre âme languit à cause de cette manne; il n'y avait peut-être pas de tombeaux en Égypte, c'est pour cela que Tu nous as amenés, afin que nous mourrions au désert;" (Nb 11,6; Ex 14,11), saint Paul s'écriait : "Je me réjouis dans les souffrances que j'endure et j'accomplis dans ma chair ce qui manque à la Passion de Jésus Christ." Quelles sont ces souffrances ? La faim, la soif, la nudité et d'autres épreuves semblables. "Il a une volonté ardente d'accomplir ses Commandements." Comment établir en nous cette disposition ? En craignant Dieu, en L'aimant de tout notre coeur, et par une considération attentive de la nature de la vertu. Avant même qu'elle reçoive les couronnes qui lui sont réservées, elle trouve en elle-même sa récompense. Si vous fuyez la fornication, l'homicide, pensez à la douce satisfaction que vous goûterez de n'être point condamné par votre conscience, de n'avoir point à rougir devant vos parents ou vos amis, et de pouvoir jeter sur tous des regards purs et innocents. Il n'en est pas ainsi de l'adultère, il craint tous les hommes, il redoute leur approche, les ombres mêmes lui sont suspectes.

2. L'avare et l'envieux sont sujets aux mêmes châtiments. Mais que le sort de celui qui sait s'affranchir de ces vices est bien différent ! "Sa race sera puissante sur la terre." (Ibid. 2). Sous le nom de race, l'Écriture désigne souvent, non les enfants qui naissent par voie de génération, mais la filiation qui vient de la conformité de la vertu. Voilà pourquoi saint Paul expliquant ces paroles : "Je vous donnerai cette terre à vous et à votre postérité," ajoute : "Tous ceux qui descendent d'Israël ne sont pas tous Israélites, et ceux qui sont de la race d'Abraham ne sont pas tous enfants d'Abraham; mais c'est Isaac qui sera appelé votre fils." (Rm 9,7). Et ailleurs : "Toutes les nations seront bénies dans votre fils." (Ga 3,8). Il ne peut être ici question des Juifs, les faits seuls le prouvent suffisamment. Comment ceux qui sont sous le poids de la Malédiction divine pourraient-ils devenir pour les autres une source de bénédiction ? Dieu veut donc parler ici de l'Église qui est devenue la postérité d'Abraham par la communauté d'une même foi. Tels sont aussi les hommes vertueux et les enfants de ceux qui ont la crainte de Dieu en partage. "Sa postérité sera puissante sur la terre." Pourquoi dit-il : "Sur la terre ?" Pour nous apprendre que cette promesse s'accomplira avant qu'ils sortent de cette vie et qu'ils soient en possession des biens éternels. Car, comme je l'ai dit, la vertu trouve en elle-même sa récompense avant celles qui l'attendent dans l'autre vie. L'homme qui craint Dieu a donc une postérité puissante, et celui qui s'entoure de la vertu comme d'un rempart a lui-même une puissance sans égale; c'est ce que les apôtres et les prophètes enseignent à l'envi. Notre Seigneur vient Lui-même confirmer cette vérité, lorsqu'Il dit : "Tout homme qui entend mes paroles, et les accomplit, sera comparé à un homme sage qui a bâti sa maison sur la pierre, et la pluie est tombée, les fleuves se sont débordés et les vents ont soufflé, et ils ont fondu sur cette maison, et elle n'a pas été renversée, car elle était fondée sur la pierre." (Mt 7,24-25). Combien de fois les soulèvements des peuples, la colère des rois, les glaives, les lances, les traits, les fournaises, la dent des bêtes féroces, les précipices, les mers, les embûches, les calomnies, les complots de tout genre ont été mis en oeuvre contre les apôtres ! Rien cependant n'a pu les ébranler, ils ont été supérieurs à toutes ces épreuves, et ils se sont élevés comme sur des ailes au-dessus des flèches de leurs persécuteurs, qu'ils ont fini par attirer dans leurs rangs. C'est qu'en effet rien n'égale la puissance de la vertu, elle est plus ferme que la pierre, plus forte que le diamant; de même que le vice est ce qu'il y a de plus abject et de plus faible, malgré l'immensité de ses richesses et l'étendue de sa puissance.

Or, si telle est la puissance des justes sur la terre, jugez ce qu'elle sera dans le ciel. "La génération des justes sera bénie." Voyez de quel éclat resplendit cette puissance, et comme elle trouve partout des prédicateurs, des panégyristes et des admirateurs, non point parmi les premiers venus, mais parmi les sages. Ce ne sont donc point les hommes dont les affections sont basses et rampantes qui pourront en avoir l'intelligence, il n'y a que les âmes droites qui soient dignes de la louer, de l'admirer, de la célébrer. Considérez quelle doit être la grandeur d'un bien qui mérite d'être loué par les anges, par les apôtres, par des hommes vraiment admirables; car si tels doivent être les panégyristes de cette félicité, réfléchissez et jugez ce qu'elle doit être en elle-même. "La gloire et les richesses sont dans sa maison." Le Roi-prophète s'élève de nouveau des choses sensibles aux biens spirituels. L'Écriture, en effet, donne le nom de richesses aux fruits que produisent les bonnes oeuvres, comme dans ces paroles de l'Apôtre : "Faire le bien, être riche en bonnes oeuvres." (1Tm 6,18) Ce sont là, en effet, les vraies richesses; les autres n'en portent que le nom, sans en avoir la réalité. Veut-on cependant voir ici les richesses matérielles ? Ce que dit le Roi-prophète subsiste dans tout son entier. Car qui fut plus riche sous ce rapport que les apôtres, vers lesquels les trésors affluaient de tous côtés comme d'autant de sources abondantes ? "Tous ceux qui possédaient des champs ou des maisons les vendaient et en apportaient le prix, et ils le déposaient aux pieds des apôtres." (Ac 4,34). Voyez-vous quelles richesses immenses ? Ils possédaient les biens de tous, sans en avoir la sollicitude, car ils en étaient les économes plutôt que les maîtres. Ceux qui possédaient ces biens y renonçaient, ils se chargeaient eux-mêmes de les vendre et d'en recueillir le prix, et ils en abandonnaient aux apôtres la libre distribution. C'est ce qui faisait dire à saint Paul : "Nous sommes comme n'ayant rien, et nous possédons tout." (2Cor 6,10). C'est une chose admirable, en effet, qu'au milieu d'une si grande opulence, les apôtres surent tenir leur coeur élevé bien au-dessus de ces richesses, et qu'ils n'en furent jamais les esclaves. Voilà le riche par excellence, celui qui n'a pas besoin de richesses. "La gloire et les richesses sont dans sa maison." Le reste n'a point besoin d'explication. Ils ont eu la gloire qui vient de Dieu. Cette gloire les suivait, selon ces paroles de notre Seigneur : "Cherchez d'abord le royaume de Dieu, et tout le reste vous sera donné comme par surcroît." (Mt 6,33). Qui jamais fut l'objet d'une plus grande vénération ? Ils étaient reçus comme des anges de Dieu, les fidèles apportaient le prix de leurs biens et le déposaient à leurs pieds; disons-le, ils recevaient plus d'honneurs et de gloire que les têtes couronnées. Quel roi, en effet, fut jamais environné d'une gloire plus éclatante que saint Paul, dont la parole excitait partout l'admiration, qui ressuscitait les morts, guérissait les malades, mettait les démons en fuite, et opérait tous ces miracles par le simple contact de ses vêtements ? Il faisait de la terre un véritable ciel, et il amenait tous les hommes à la pratique de la vertu.

3. S'ils ont opéré de si grandes choses sur la terre jugez ce que sera la gloire qui les attend dans le ciel. Que signifie cette expression : "Dans sa maison" ? C'est-à-dire, avec lui. Les richesses matérielles ne sont pas à vrai dire avec celui qui les possède; que dis-je ? leur possession est loin d'être assurée, elles sont entre les mains des délateurs, dans les mains des flatteurs, dans les mains des magistrats, dans les mains des serviteurs. Le maître de ces richesses les dissémine de tous côtés, parce qu'il n'ose les garder toutes chez lui. Et encore les environne-t-il de gardes, de sentinelles, précautions inutiles et qui ne peuvent empêcher ces richesses de s'échapper. "Et sa justice demeure dans tous les siècles." Un autre interprète traduit : "Et sa miséricorde demeure dans tous les siècles" Le Roi-prophète veut parler ici de la vertu en général, ou de celle qui est directement opposée à l'injustice; ou bien selon la version d'un autre interprète, il entend par bonté la miséricorde, l'aumône. Telle est, en effet, la puissance de la miséricorde, elle est immortelle, impérissable, et rien ne peut jamais l'éteindre. Aucune des choses humaines ne peut échapper à sa destruction, les fruits de l'aumône seuls ne se flétriront jamais, et ils résistent à l'action des événements les plus contraires. Le corps lui-même tombe en dissolution, mais l'aumône est à l'épreuve de la mort, elle précède l'âme, et va lui préparer ces demeures dont Jésus Christ a dit : "Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père." (Jn 14,9). Ce qui lui assure une supériorité marquée sur toutes les choses humaines, c'est ce caractère de stabilité et de perpétuité qui n'est le privilège d'aucun des biens de la vie présente. Alléguerez-vous la beauté ? Une maladie suffit pour la flétrir et la vieillesse la détruit sans retour. La puissance ? À quelles vicissitudes n'est-elle pas sujette ? Les richesses, on quelqu'autre de ces biens qui ont plus de prix et d'éclat dans la vie présente ? Mais ces richesses, mais ces biens nous abandonnent de notre vivant, ou nous laissent à notre mort dépouillés de tout et privés de toute ressource. Il n'en est point ainsi des fruits de la justice, ils échappent à l'action du temps aussi bien qu'aux atteintes meurtrières de la mort, et au contraire, ils sont assurés à jamais, en entrant dans ce port que les flots ne peuvent agiter.

"Du sein des ténèbres la lumière s'est levée sur les coeurs droits." (Ibid. 4). Le Roi-prophète décrit ici le bonheur de l'homme qui craint Dieu, et il énumère les fruits de cette crainte dans la vie présente. Ses biens sont immortels, il sera comblé de gloire, élevé au-dessus de tous les autres hommes; il verra les imitateurs de ses vertus, devenus ses enfants, triompher de toutes les attaques, et au milieu des plus grandes calamités, il jouira d'une sécurité parfaite. Tel est le sens de ces paroles : "Du sein des ténèbres la lumière s'est levée sur les coeurs droits." C'est-à-dire qu'au milieu même de la plus profonde obscurité, Dieu fera briller sa lumière aux yeux des hommes ainsi disposés et qui marchent dans la voie droite. Que signifient ces paroles : "Dans les ténèbres ?" C'est-à-dire qu'au milieu de l'affliction, des angoisses, de la tentation et des dangers (car c'est ce que signifie le mot ténèbres), Dieu les comblera d'une joie ineffable. C'est ce que saint Paul exprimait en ces termes : "Je désire que vous n'ignoriez pas l'affliction qui nous est survenue en Asie, parce qu'elle a été au-dessus de nos forces, jusqu'à nous donner le dégoût de la vie." Voilà les ténèbres. " Or, si nous avons reçu en nous-mêmes cette réponse de mort, c'est afin que nous ne mettions point notre confiance en nous-mêmes, mais en Dieu qui ressuscite les morts et qui nous a délivrés de si grands dangers de mort." (2Co 1,8-10). Voyez-vous la lumière se lever ? Considérez la même vérité dans les trois enfants. Ils s'attendaient à être consumés, et une douce rosée descendit sur eux. (Dn 3,24.) Daniel et les autres prophètes ont éprouvé cette même protection. (Dn 6,22). Voulez-vous entendre ces paroles dans un sens figuré ? Vous verrez qu'elles ont eu leur accomplissement à l'égard du monde entier. Des ténèbres épaisses couvraient la terre et la mer, et l'erreur était répandue partout lorsque le Soleil de justice se leva du milieu des ténèbres. Comme les hommes, détournant leurs yeux du ciel, cherchaient Dieu sur la terre, c'est de la terre même qu'Il a voulu sortir pour apparaître à leurs yeux, et Il S'est abaissé jusqu'à eux, afin de les élever jusqu'à la hauteur infinie de la Divinité. "Le Seigneur est clément, miséricordieux et juste." Le prophète a déclaré que la Justice de Dieu était éternelle, et c'est un des motifs de consolation qu'il donne. Cependant, un grand nombre d'hommes au coeur droit et miséricordieux sont quelquefois atteints par l'infortune, il leur apporte donc un autre motif de consolation. "Le Seigneur est clément, miséricordieux et juste;" paroles d'où l'on peut tirer une double conclusion. Si Dieu est miséricordieux et pardonne si souvent aux pécheurs, pourra-t-Il, à plus forte raison, laisser la vertu sans récompense après cette vie ? Si elle ne reçoit pas cette récompense dès cette vie, Dieu la lui donnera infailliblement dans l'autre. Le Roi-prophète ajoute : "Il est juste." S'il est juste, comme il l'est en réalité, il rendra à chacun suivant ses oeuvres, quand même il ne l'aurait pas fait dans cette vie, preuve incontestable de la résurrection future. Combien d'hommes vertueux voyons-nous en proie à mille souffrances, tandis que les méchants mènent la vie la plus calme et la plus tranquille ? Or, comment chacun recevra-t-il suivant ses oeuvres, s'il n'y a point de résurrection, une autre vie, des récompenses éternelles ? Mais comme cette idée de la justice avait pu répandre l'effroi dans l'âme des auditeurs, en leur rappelant le compte qu'ils devraient rendre de leurs péchés, il s'empresse d'appliquer le remède en ajoutant : "Heureux l'homme qui a compassion et qui prête, il réglera tous ses discours dans le jugement." (Ibid. 5).

4. Voyez que de récompenses il promet à l'homme miséricordieux ! Le fruit de ses bonnes oeuvres est éternel, il sera délivré de toutes ses épreuves, il deviendra semblable à Dieu qui est Lui-même miséricordieux; enfin il obtiendra la rémission de ses péchés. Car tel est le sens de ces paroles : "Il réglera tous ses discours dans le jugement;" c'est-à-dire il trouvera un avocat, un défenseur assuré; et il n'a point à craindre de condamnation après que ses aumônes auront si éloquemment plaidé sa cause. Un autre interprète traduit : "Qui règle toutes ses actions avec jugement," c'est-à-dire, il jouira d'une prospérité sans égale, et la prudence qui le guide ne lui permettra aucune action contraire à la raison. L'homme dur, inaccessible à la compassion et à la miséricorde, est incapable de bien régler sa conduite. Quoi de plus triste, en effet, qu'un homme qui voit son âme en danger, et qui ne craint pas de la sacrifier à ses richesses ? Voilà pourquoi notre Seigneur Jésus Christ a fait l'éloge de cet économe qui, appelé par son maître et se voyant en danger, déchira les obligations des débiteurs et en diminua le montant. (Lc 16,8). N'est-ce pas en effet le comble de l'absurdité que des hommes sacrifient tous leurs biens pour échapper aux dangers qui les menacent dans la vie présente, et qu'ils refusent de faire le même sacrifice, alors que leur âme est menacée d'un supplice éternel ? Voilà pourquoi le Roi-prophète appelle l'homme miséricordieux un économe prudent qui sait à peu de frais se procurer d'immenses richesses, le ciel pour de l'argent, un royaume pour un vêtement, les biens éternels pour un morceau de pain et un verre d'eau froide. Peut-on imaginer une administration plus sage que celle qui sacrifie des biens fragiles, passagers et corruptibles pour entrer en possession des biens impérissables de l'éternité, et qui par cette espérance, donne à l'âme dès cette vie une tranquillité assurée ? Voilà pourquoi le psalmiste dit : "Il réglera ses discours dans le jugement," ou suivant une autre interprétation : "Il règle toutes ses actions avec le jugement." D quel jugement veut-il parler ? Évidemment du jugement dernier. Ou bien ces paroles signifient que cet homme soumet toute sa conduite à une règle fixe et immuable, qu'on n'y remarque aucune confusion, mais l'ordre le plus parfait, et que toutes ses actions se succèdent en suivant la voie droite qu'il s'est tracée. Il n'éprouve aucune agitation, aucun trouble, parce que la miséricorde aplanit pour lui toutes les difficultés. C'est ce qu'exprime plus clairement la version du second interprète : "Il réglera ses actions avec jugement." Celui qui règle ainsi ses actions est véritablement miséricordieux, tandis que celui qui s'affranchit de cette règle est frappé de stérilité.

"Parce qu'il ne sera jamais ébranlé." (Ibid. 6). Encore une fois, que peut-on comparer à cette sage administration qui ouvre à l'homme une voie qui le délivre de tous les dangers imprévus, le fait entrer dans un port où il est à l'abri des tempêtes de la vie, le soustrait à toutes les épreuves qui sont le partage de l'humanité, ou lui donne la force de ne pas y succomber ? N'est-ce pas une chose admirable, en effet, que de n'être ni ébranlé, ni renversé par la violence des tribulations ? Mais quoi ? N'a-t-on pas vu bien

des hommes miséricordieux qui chancelaient sous le poids de l'adversité ? Non jamais. On les a vus devenir pauvres, réduits à la dernière indigence, précipités dans toute sorte d'infortunes; mais ces épreuves ne les ont point abattus, parce qu'ils avaient toujours devant les yeux, le souvenir de leurs actions, qu'ils attiraient sur eux la Bonté et la Protection de Dieu ? et que le témoignage d'une bonne conscience était pour eux une ancre ferme et assurée. Le Roi-prophète ne dit donc pas : "Ils ne seront point en butte aux mauvais desseins de leurs ennemis," mais : "Ils n'en seront point ébranlés." C'est ainsi que Jésus Christ parlant de l'homme qui a bâti sa maison sur la pierre, ne dit pas qu'il ne sera point assailli par la tempête, mais qu'il en supportera l'effort sans qu'elle puisse le renverser. (Mt 7,27). En effet, ce qui est digne d'admiration, ce n'est point de faire preuve de calme et de sécurité en l'absence de toute tentation, mais de rester constamment inébranlable au milieu des assauts redoublés que nous livrent nos ennemis. Il est du reste impossible qu'une âme riche en oeuvres de miséricorde soit jamais submergée par les tempêtes de l'infortune. "La mémoire du juste sera éternelle." (Ibid. 7). Voyez, ce n'est pas seulement pendant sa vie, mais après sa mort que le juste continue d'en instruire un grand nombre et de leur donner d'utiles leçons. Que pourrait-il donc éprouver de fâcheux pendant sa vie, puisque même après sa mort il enseigne aux autres la confiance et la sécurité ? Le Roi-prophète le choisit comme exemple pour convaincre les plus incrédules qu'une récompense éternelle, fruit de ses bonnes oeuvres, l'attend dans les cieux. Son corps est enseveli dans la terre, à laquelle il est confié comme un dépôt, mais sa mémoire vit dans tous les coeurs.

Telle est la puissance de la vertu, le temps ne peut rien sur elle, et une longue succession de jours ne saurait la flétrir. Dieu le permet ainsi dans l'intérêt des méchants. Les justes n'ont point besoin des louanges des hommes, mais ces louanges qui leur sont données sont nécessaires aux méchants à qui elles inspirent l'amour de la vertu, et qu'elles détournent quelquefois du vice. Où sont donc ceux qui élèvent des tombeaux magnifiques et se construisent de somptueuses demeures ? Qu'ils apprennent le moyen d'immortaliser leur mémoire. Ce n'est point par ces constructions de pierre, ni par ces enceintes de murs, ni par ces tours, mais par le spectacle d'une vie toute de bonnes oeuvres. Le Roi-prophète parle de la sorte dans l'intérêt de ces incrédules de profession qui ne pensent jamais à l'éternité, et il cherche à les arracher à la séduction des biens présents et sensibles, pour les élever jusqu'aux biens de l'éternité, et comme je l'ai dit bien des fois, il montre qu'avant la récompense des cieux, la vertu trouve déjà en elle sa récompense. "Il ne redoutera point les bruits calomnieux." Suivant une autre version : "Il ne craindra pas les nouvelles fâcheuses." De même qu'il n'a point dit précédemment : Il ne sera point en butte aux attaques de ses ennemis, mais il n'en sera point ébranlé; de même ici il ne dit pas que les bruits fâcheux n'arriveront point à son oreille, mais qu'il les entendra sans en être effrayé.

5. Et comment sera-t-il inaccessible à la crainte ? Il verra les horreurs d'une guerre imminente, des villes entières renversées par des tremblements de terre, les voleurs et les brigands se livrer à un pillage général, des barbares envahir sa patrie, la maladie, la colère d'un juge mettre ses jours en péril, mille autres calamités enfin, et la crainte n'effleurera point son âme. Car il a déposé bien à l'avance toutes ses richesses dans un asile inviolable, et loin de craindre à l'approche de la mort, il s'empresse de partir pour ces régions où il doit retrouver toute sa fortune. "Là où est le trésor de l'homme, dit notre Seigneur, là est aussi son coeur." (Mt 6,21). Voyez les négociants qui ont envoyé devant eux dans leurs pays d'énormes cargaisons de marchandises, ils n'ont point de repos qu'ils ne soient de retour pour jouir du spectacle de leur fortune. À plus forte raison, le juste qui depuis longtemps a mis en dépôt dans le ciel toutes ses richesses doit-il désirer de rompre les liens qui l'attachent à la terre pour s'envoler librement vers les biens éternels. Rien donc n'est capable de l'effrayer : "Il a le coeur toujours préparé à espérer au Seigneur." Un autre interprète traduit : "Son coeur est ferme." C'est la même pensée et l'explication du mot a préparé." Voici donc le sens de ces paroles : Rien ne sera capable de l'ébranler ou d'attacher son coeur aux choses de la terre, il tend vers Dieu de tout son être et il attend l'accomplissement de son espérance, il s'appuie constamment sur cette espérance comme sur un ferme soutien sans se laisser ni amollir, ni distraire par les jouissances de la vie présente. Car c'est là l'effet naturel des préoccupations de la terre, elles divisent notre âme et détournent nos pensées des biens éternels. Il faut donc répéter de nouveau cette maxime de l'Évangile : "Là où est le trésor de l'homme, là est aussi son coeur." (Mt 6,21).

"Son coeur est puissamment affermi, il ne sera point ébranlé." (Ibid. 8) Voilà un homme qui a bâti sur la pierre. Que pourrait craindre, en effet, celui qui, dépouillé de tout, n'est embarrassé de rien, et ne donne prise à personne sur lui ? Que pourrait craindre celui qui est assuré de la Bonté et de la Protection de Dieu ? La sécurité dont il jouit a donc une double cause : la protection du ciel et l'heureuse disposition de son âme. Aussi rien n'est capable de l'ébranler, ni les revers de fortune, ni les outrages, ni les calomnies. Il est invulnérable à tous ces coups, parce qu'il habite une région inaccessible au crime et aux complots des méchants; car vous le savez, tous ces complots ont pour cause ou pour objet l'argent, et c'est là que viennent se concentrer tous les efforts des hommes. "Jusqu'à ce qu'il ait vu la ruine de ses ennemis." Quels sont ces ennemis ? Les esprits mauvais et le démon lui-même.

"Il a répandu ses biens avec libéralité sur les pauvres, sa justice demeure dans tous les siècles." (Ibid. 9). Le Roi-prophète a jusqu'ici rappelé le devoir de l'aumône et parlé du prêt charitable et de la miséricorde. Or, il y a plusieurs degrés dans l'aumône; l'un donne moins, l'autre avec plus de libéralité. Voyons donc quel est cet homme miséricordieux dont il parle. Est-ce celui qui donne de son superflu, ou celui qui distribue tous ses biens sans réserve ? Il est évident que c'est celui qui épuise toutes ses ressources, qui répand ses biens avec une pieuse profusion, et dont saint Paul parle en ces termes : "Celui qui sème dans les bénédictions, moissonnera aussi dans les bénédictions." (2Cor 9,6). Considérez la justesse des expressions du prophète. Il ne dit pas : Il a donné, il a distribué, mais :"Il a répandu," pour exprimer la libéralité de celui qui donne, libéralité qu'il compare à l'action de semer. C'est ce que font en effet ceux qui sèment. Ils répandent la semence qu'ils tenaient en réserve, et ils sacrifient un bien certain à l'espérance d'un bien à venir. En cela, ils font beaucoup mieux que d'amasser, et mieux vaut répandre de la sorte que d'accumuler sans cesse. Vous semez votre argent, mais vous recueillez la justice, vous répandez des richesses périssables pour acquérir des biens immortels. C'est ce que font aussi les laboureurs. Cependant, pour eux, l'espérance de l'avenir est incertaine, car c'est la terre qui reçoit leur semence. Vous, au contraire, vous semez dans la Main de Dieu, et il est impossible que votre semence soit perdue. Lors donc que considérant la beauté de l'or vous hésitez à vous en déposséder, rappelez-vous la conduite de ceux qui sèment, de ceux qui prêtent ou qui trafiquent de leur argent. Ils commencent tous par de grands frais et de grandes dépenses, et sur des espérances souvent bien incertaines; car les flots de la mer, le sein de la terre, les créances des débiteurs, n'ont rien de bien rassurant. Combien de fois voyons-nous celui qui prête perdre sans retour son capital ? Mais celui qui sème dans le ciel n'a rien à craindre de semblable, il est assuré de recueillir et son capital et ses intérêts, si toutefois on peut appeler intérêts une récompense qui leur est bien supérieure. En effet, le capital c'est l'argent, les intérêts, c'est le royaume des cieux. Voyez-vous la nature particulière de ce prêt qui produit des intérêts supérieurs au capital ? Voilà pour la vie future, et en attendant, dès cette vie vous jouirez d'une liberté sans égale, vous serez à l'abri de tous les complots. Vous éteindrez la convoitise des hommes fourbes et artificieux, tous les jours de votre vie s'écouleront dans la paix, car votre esprit, au lieu d'être accablé par les soucis des richesses de la terre, s'élèvera sur les ailes de l'espérance, jusqu'à la jouissance des biens éternels. "Sa force s'élèvera dans la gloire." Il revient sans cesse sur ce qui est l'objet des plus vifs désirs des hommes, l'éclat et la gloire dont ils seront environnés dans l'autre vie, et qui dès cette vie même leur seront libéralement accordés. Car il n'est point sur la terre de gloire plus éclatante que celle de l'homme miséricordieux.

6. Prenez, si vous le voulez, un homme qui prodigue follement ses richesses dans les cirques et les théâtres, mettez près de lui un homme miséricordieux, et vous verrez quel fruit chacun d'eux recueille de ses dépenses. L'homme charitable est l'objet constant de toutes les louanges, de l'admiration générale; on le proclame le père, le refuge de tous les malheureux. Pour l'autre, au contraire, après qu'on lui a prodigué un seul jour des applaudissements aussi ridicules que déplacés, on l'accuse d'être un homme sans entrailles, sans humanité, qui recherche la vaine gloire, se rend pour cela un instrument de libertinage, et se met au service de la corruption. Si dans les réunions, l'entretien tombe sur ce sujet, on ne parle des dépenses de ce dernier que pour les condamner; mais s'agit-il de l'autre, au contraire, il n'est pas d'hommes si impudents, si pervers, si cruels, si inhumains, qui lui refusent leurs éloges et leur admiration. Tel est le privilège de la vertu qu'elle force l'admiration de ceux mêmes qui n'ont pas le courage de la pratiquer, tandis que le vice est un objet d'horreur, de blâme et de condamnation pour ceux-là même qu'il tient asservis sous ses lois. Les hommes de folles dépenses n'obtiennent pas même les éloges des femmes de mauvaise vie, des conducteurs de chars, des danseurs qu'ils enrichissent, et qui sont les premiers à les diffamer, tandis que pour l'homme miséricordieux ce ne sont pas seulement les pauvres qu'il assiste, mais ceux mêmes qui sont en dehors de ses libéralités, qui l'admirent et qui l'aiment.

" Le pécheur le verra et en sera irrité, il grincera des dents et séchera de dépit." (Ibid. 10). La vertu est un spectacle fâcheux et importun pour le vice. De même que le feu embrase les épines, ainsi la bonté irrite les hommes cruels et inhumains, car elle est un reproche et une condamnation de leur méchanceté. Mais voyez comme le pécheur, tout rongé qu'il est par l'envie, n'ose formuler d'accusation contre l'homme juste, ni soutenir le regard pur et limpide de la vertu. La douleur qui le mine intérieurement se manifeste par des grincements de dents, mais il n'ose prononcer aucune parole et il renferme au dedans de lui le chagrin qui le déchire. Tels sont les tristes fruits du vice; quand même il franchirait les degrés du trône et se tiendrait auprès de ceux dont la tête est ceinte du diadème, il est toujours ce qu'il y a de plus vil, de plus craintif, de plus lâche. Il est toujours dans le trouble et dans l'agitation, comme une mer ballottée par l'orage, fût-il d'ailleurs élevé au faîte de la puissance. Il en est tout autrement de la vertu. Fût-elle réduite à la dernière indigence, plongée dans les cachots elle brille d'un plus vif éclat que les rois eux-mêmes, elle jouit d'une sécurité parfaite, elle est dans un fort inaccessible aux agitations de la tempête. Non seulement elle est à l'abri des attaques des méchants, mais son silence seul suffit pour en tirer vengeance et leur faire expier cruellement la peine de leurs crimes. Que peut-on imaginer de plus malheureux qu'un homme qui vit dans l'iniquité, qui est esclave de ses richesses, pour qui le spectacle de la vertu est un tourment et les louanges qu'on lui donne un véritable supplice; qui se torture lui-même par les déchirements de sa conscience et les douleurs intérieures de son âme, et qui devient son propre bourreau ? Avez-vous considéré d'un côté la supériorité et la puissance de la vertu, de l'autre la faiblesse et la misère du vice ? Là encore ne se borne pas son infortune, elle s'étend beaucoup plus loin, comme le psalmiste le déclare dans les paroles qui suivent : "Le désir des pécheurs périra." Qu'est-ce à dire : "Le désir des pécheurs périra ?" Il n'aura aucune fixité. Les biens que désire le pécheur sont fragiles et passagers, son désir partage le sort de ces biens périssables, il s'éteint, il périt, parce qu'il n'a point de racine. Si tel est ici-bas la déplorable condition des pécheurs, que sera-ce dans l'autre vie ? Évitons un si triste sort, et pour cela fuyons le chemin du vice pour prendre celui de la vertu, marchons constamment dans cette voie qui nous offrira le calme, la sécurité, la joie, la gloire, qui nous ouvrira le ciel, nous obtiendra l'Amitié de Dieu, nous inspirera l'amour de la sagesse, et nous comblera de tant de biens que la parole même est impuissante à les exprimer. Puissions-nous les obtenir par la Grâce et la Miséricorde, etc.

PSAUME 112

"Louez le Seigneur, vous qui le servez, louez le Nom du Seigneur. (v. 1).

1. Les saintes Écritures reviennent souvent sur ces louanges, car elles ne sont point une chose indifférente, mais une espèce de sacrifice et une offrande agréable à Dieu. "Le sacrifice de louange, nous dit Dieu, est le culte qui M'honore." (Ps 49,23). Et le psalmiste nous dit dans un autre endroit : "Je louerai le Nom de Dieu par mes cantiques, Je le glorifierai par mes louanges. Ce sacrifice sera plus agréable à Dieu que l'immolation d'un jeune taureau aux cornes naissantes et aux ongles déjà forts." (Ps 68,31-32). Les saints livres nous recommandent fréquemment ce devoir et nous voyons ceux qui ont échappé à quelque danger témoigner à Dieu leurs actions de grâces en lui offrant ce sacrifice de louanges. Et qu'y a-t-il en cela de difficile, me direz-vous ? Quel est l'homme si humble, si petit qu'il soit, qui ne puisse remplir ce devoir et louer Dieu ? En y réfléchissant sérieusement, vous verrez à la fois que ce devoir n'est pas sans difficulté, et que nous ne pouvons que gagner à le mettre en pratique. Premièrement, les justes seuls sont admis à offrir ce sacrifice, et il faut commencer par bien régler sa vie avant de venir offrir ses louanges à Dieu. "Car la louange n'est pas bonne dans la bouche du pécheur." (Si 15,9). En second lieu, ce n'est point seulement par nos paroles, mais par nos actions que nous devons louer Dieu, et Il demande surtout de nous cette louange qui doit tourner à sa gloire : "Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux." (Mt 5,16) Telles sont les louanges que les chérubins offrent à Dieu. Aussi le prophète, après avoir entendu cette mélodie mystique, reconnaît humblement sa misère en s'écriant; "Malheur à moi, parce que je suis un homme dont les lèvres sont impures, et que j'habite au milieu d'un peuple dont les lèvres sont également souillées !" (Is 6,5). Voilà pourquoi le psalmiste, lorsqu'il fait un devoir de louer Dieu, commence par les puissances des cieux : "Vous qui habitez les cieux, louez le Seigneur; louez-Le, vous qui résidez dans les hauteurs du firmament." (Ps 148,1-2). Il faut donc que nous devenions des anges avant d'offrir nos louanges à Dieu. Gardons-nous d'attacher peu d'importance à ce genre de louanges, et faisons en sorte que notre vie précède notre bouche et que toute notre conduite fasse entendre sa voix avant notre langue. Alors notre silence lui-même sera une louange agréable à Dieu, et lorsque nos lèvres s'ouvriront, leur mélodie s'harmonisera parfaitement avec notre vie.

Ce n'est pas la seule leçon que nous donne ce psaume, il veut encore nous amener tous à ne former qu'un seul choeur pour ne faire qu'un seul concert. Aussi, ne s'adresse-t-il pas à une ou deux personnes, mais au peuple tout entier. Notre Seigneur Jésus Christ, voulant unir les coeurs par les liens d'une même charité, nous ordonne d'entrer avec nos frères dans une véritable communion de prières, et il veut que 1'Église tout entière ne forme qu'une seule personne lorsqu'elle dit : "Notre Père;" et encore : "Donne-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour," et enfin : "Pardonne-nous nos offenses comme nous les pardonnons nous-mêmes, et ne nous laisse pas entrer en tentation, mais délivre-nous du mal." (Mt 6,9-13). Le Sauveur se sert continuellement du pluriel et commande à chaque chrétien, soit qu'il prie seul ou avec les autres, d'offrir sa prière en union avec ses frères. De même ici le Roi-prophète invite tous les hommes à ce concert de prières : "Louez le Nom du Seigneur." Pourquoi ajoute-t-il ici le Nom du Seigneur ? Pour nous faire comprendre les saintes ardeurs de son âme.

Il y a encore une autre raison. Quelle est-elle ? C'est de nous faire glorifier le Nom de Dieu, de montrer par notre vie qu'il est digne de louanges. La nature seule de ce Nom le rend digne de toute gloire et de toutes louanges, mais il veut que notre vie sainte et vertueuse vienne ajouter, s'il est possible, à l'éclat de cette gloire qui lui est propre. Si vous voulez vous en convaincre, voyez la suite. "Que le Nom du Seigneur soit béni, maintenant et dans tous les siècles." (Ibid. 9). Que dites-vous ? Est-ce que ce Nom attend, pour être béni, le souhait que vous exprimez ? Vous voyez que le Roi-prophète ne veut point parler ici de la bénédiction qui est essentielle à Dieu, et qui est une conséquence de sa Nature, mais de celle qu'Il reçoit des hommes. C'est de cette dernière bénédiction que saint Paul disait dans une de ses épîtres : "Glorifiez Dieu dans votre corps et dans votre esprit." (1Cor 6,20). Dieu par Lui-même est toute Grandeur, toute Élévation, et Il est digne de toutes louanges; mais la vérité de ces divins Attributs ressort avec plus d'éclat lorsque ses serviteurs, par le spectacle d'une vie sainte, excitent tous ceux qui en sont les témoins à louer et bénir le Seigneur. Jésus-Christ Lui-même nous a commandé d'exprimer à Dieu ce souhait dans nos prières en disant : "Que ton Nom soit sanctifié." (Mt 6,9). C'est-à-dire qu'il soit aussi glorifié par notre vie. De même qu'une vie criminelle déshonore ce saint Nom, ainsi une vie sainte le bénit, le sanctifie, et ajoute à sa gloire. Voici donc le sens de ces paroles du prophète : Fais-nous la grâce de vivre toujours saintement, afin que ton Nom reçoive aussi de nous les bénédictions qui lui sont dues. "Le Nom du Seigneur doit être loué depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher." (Ibid. 3). Voyez-vous comme le Roi-prophète prélude à l'établissement du nouveau royaume et découvre par avance la noblesse de l'Église ? Ce royaume n'est plus borné à la Palestine, à la Judée, il embrasse le monde entier. Or, quand cette prédiction s'est-elle vérifiée, sinon depuis les progrès surprenants de notre religion ? Autrefois, loin d'être béni même dans la Palestine, ce saint Nom était blasphémé, déshonoré par les crimes des Juifs qui l'habitaient. "Vous êtes cause, leur dit Dieu, que mon Nom est blasphémé parmi les nations." (Is 52,5) Maintenant au contraire, il est l'objet des louanges de toute la terre. C'est ce qu'un autre prophète prédisait en ces termes : "Dieu apparaîtra, Il anéantira les dieux des nations, et Il sera adoré par chaque homme dans chaque pays." (So 2,11) Et un autre : "Les portes seront fermées parmi nous et on n'allumera plus le feu sur mon autel gratuitement; car depuis le lever du soleil jusqu'au couchant, mon Nom est glorifié parmi les nations, et on lui offre en tout lieu un encens agréable et une oblation pure." (Mal 1,10-11) 2. Vous voyez comme il rabaisse les institutions religieuses des Juifs dont il annonce la fin, et comme au contraire il étend à toute la terre le règne de la religion chrétienne, et prédit l'objet principal de son culte. Le prophète qui parle ainsi vivait après le retour de la captivité de Babylone, et il fit alors cette prédiction pour empêcher les Juifs de l'appliquer à leur captivité et à l'abandon où ils furent réduits lorsqu'ils furent emmenés à Babylone. Depuis longtemps ces épreuves étaient passées, ils avaient repris leur ancienne forme de gouvernement, et c'est alors que l'envoyé de Dieu prédit cette désolation qui devait avoir lieu sous Vespasien et sous Tite, et qui devait être sans retour pour les Juifs. En effet, elle fut suivie de l'établissement de l'Église. C'est pour cela que le prophète dit : "Mon Nom est grand parmi les nations," c'est-à-dire il est béni, il est loué par la vie sainte des chrétiens dans le même sens que le Roi-prophète dit ici : "Que le Nom du Seigneur soit béni."-" Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations." (Ibid. 4). Voyez donc ici de nouveau les nations embrasser la religion du vrai Dieu, et non pas un, deux ou trois peuples, mais tous les peuples de la terre. Peut-on une prophétie plus claire ? Mais comment Dieu est-Il élevé au-dessus de toutes las nations ? Est-ce parce que nous Le glorifions sans pouvoir ajouter en rien à son élévation ? Non, mais c'est par les vérités que nous croyons, par le culte, l'adoration et les autres hommages que nous Lui rendons, en nous formant de sa Nature des idées beaucoup plus hautes et plus relevées que celles des Juifs. C'est qu'en effet, la loi nouvelle est aussi élevée au-dessus de l'ancienne que le ciel est élevé au-dessus de la terre. Voilà pourquoi le Psalmiste dit : "Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations." Lorsque nous disons que nous relevons Dieu par le culte que nous Lui rendons, nous savons parfaitement que c'est là un langage accommodé à notre faiblesse. Ce culte est plus parfait, il est vrai, que dans l'ancienne loi, mais il est encore bien au-dessous de la Majesté divine. Aussi l'apôtre saint Paul, voulant marquer la différence qui sépare la connaissance que nous avons maintenant, de celle qui sera le partage de l'autre vie, s'exprime en ces termes : "Quand j'étais enfant, je parlais en enfant, je jugeais en enfant, je raisonnais en enfant; mais lorsque je suis devenu homme, je me suis dégagé de tout ce qui était de l'enfance." (1Cor 13,11) Et il ajoute : " Ce que nous avons maintenant de science et de prophétie est très imparfait. Nous ne voyons maintenant Dieu que comme dans un miroir et sous des images obscures, mais alors nous Le verrons face à face." (1Cor 13,9-12). C'est-à-dire que la connaissance actuelle diffère autant de la connaissance future que l'enfant diffère de l'homme parvenu à la maturité de l'âge.

"Sa Gloire est au-dessus des cieux." Après nous avoir fait connaître comment nous pouvons louer, glorifier Dieu par nos bonnes oeuvres, et nous avoir pressé de Lui offrir ce tribut de louanges et de gloire; pour nous inspirer le désir d'une vertu plus éminente, il nous indique l'endroit où ce devoir s'accomplit dans toute sa perfection. Quel est-il ? C'est le ciel, qui est vraiment le séjour de sa Gloire. En effet, ce sont surtout les anges qui glorifient Dieu, non seulement par une conséquence de leur nature, mais par l'obéissance des hommes près de qui ils exercent leur ministère en accomplissant exactement la Volonté et les Ordres de Dieu. C'est ce que le psalmiste exprime ailleurs lorsqu'il dit : "Vous qui êtes revêtus de force, exécutez ses ordres." (Ps 102,20). Voilà pourquoi Jésus Christ, dans l'Évangile, nous ordonne de prier et de dire : "Que ta Volonté soit faite sur la terre comme dans les cieux." (Mt 6,10) C'est-à-dire que Dieu nous rend dignes de Le sanctifier comme le sanctifient les anges, par une vie pure de tout péché, et la pratique des plus sublimes vertus. Cette même vérité se trouve exprimée dans ces paroles : "Sa Gloire est au-dessus des cieux." Ne vous contentez donc pas de considérer le spectacle des créatures visibles ni l'ordre admirable des sphères célestes, mais élevez-vous par la pensée, des objets sensibles jusqu'aux choses intelligibles, jusqu'à la beauté des natures spirituelles, jusqu'à l'éclatante splendeur de ce royaume céleste, et vous comprendrez alors comment la Gloire de Dieu est dans les cieux. "Qui est semblable au Seigneur notre Dieu qui habite dans les lieux les plus élevés ?" (Ibid. 5) "Et qui abaisse ses regards sur ce qu'il y a de plus humble ?" (Ibid. 6) N'est-ce pas là une marque incontestable de grandeur ? Rappelez-vous quel est Celui dont parle le Prophète, et vous trouverez qu'il est ici bien au-dessous de la réalité. Il ne faut donc point, je l'ai recommandé plus haut, s'arrêter aux paroles seules, mais s'élever bien au-dessus de la pensée. Comment Dieu habite-t-Il dans les cieux, Lui qui remplit le ciel et la terre de son Immensité, qui est présent partout, et qui dit par son prophète : "Je suis le Dieu de près et non pas le Dieu de loin ?" (Jr 23,23) "Qui a mesuré le ciel de sa main et la terre dans la paume de sa main, et qui embrasse le tour de la terre ?" (Is 40,12-23). Le Roi-prophète s'adressait alors à des Juifs, et il parle de la sorte pour élever peu à peu leur intelligence, lui donner des ailes et la soulever insensiblement au-dessus de la terre. Aussi remarquez, il ne dit pas simplement : "Qui habite les lieux les plus élevés et qui regarde ce qu'il y a de plus humble ?", il commence par cette question : "Qui est semblable au Seigneur notre Dieu ?" avant d'ajouter : "Qui habite les lieux les plus élevés, et qui regarde ce qu'il y a de plus humble ?" et il fait ainsi connaître la raison de ces dernières paroles, c'est-à-dire la faiblesse des Juifs qui étaient pleins d'admiration pour les idoles et prodiguaient leurs adorations à des dieux enfermés dans des temples et dans des enceintes déterminées. Voilà pourquoi il procède par voie de comparaison, bien que Dieu soit sans comparaison au-dessus de tout ce qui existe. Mais il emploie ce langage pour s'accommoder à la faiblesse morale de ses auditeurs, comme je l'ai déjà dit et ne cesserai de le faire remarquer. Il cherchait moins à parler d'une manière digne de la Gloire de Dieu, qu'à se rendre intelligible pour les Juifs. Voilà pourquoi il ne relève leurs pensées qu'insensiblement, mais sans toutefois les laisser ramper a terre, et en leur découvrant des horizons plus élevés. Car après avoir dit : "Qui habite dans les lieux les plus hauts, et qui regarde ce qu'il y a de plus humbles ?" son langage s'élève à des considérations plus hautes et il ajoute : "Dans le ciel et sur la terre," paroles qui démontrent l'Immensité de Dieu, qui remplit le ciel et la terre. S'Il voit du haut du ciel tout ce qui se fait sur la terre, ce n'est pas comme d'un lieu où Il serait enfermé; Il est présent partout et Il est près de chacune de ses créatures. Voyez-vous comment il donne peu à peu des ailes à l'intelligence de ses auditeurs ? Puis après l'avoir soulevée au-dessus de la terre et élevée jusqu'au ciel, il lui propose de plus grandes pensées et passe à une autre preuve de la Puissance divine. "Il tire de la poussière celui qui est dans l'indigence, et il élève le pauvre de dessus le fumier." (Ibid. 7). C'est le caractère d'une puissance vraiment grande et ineffable de relever ce qui est petit. Un autre prophète donne une preuve contraire de la Puissance de Dieu qui abaisse ce qui est grand : "C'est Lui qui brise ce qu'il y a de plus fort, et qui renverse les plus hautes citadelles." (Am 5,9) Ici le Roi-prophète déclare que Dieu peut relever ce qui est petit; la proposition est générale. Si l'on veut entendre ces paroles dans un sens allégorique, on en trouvera l'accomplissement dans ce qui est arrivé aux nations, dans ce qui nous est arrivé à nous-mêmes lors de l'Avènement de Jésus Christ. Quelle pauvreté plus grande que celle de notre nature ? Et cependant Jésus Christ a élevé, a transporté dans les cieux les prémices de cette nature, et l'a fait asseoir sur le Trône de son Père. "Et Il élève le pauvre de son fumier pour le placer avec les princes, avec les princes de son peuple." (Ibid. 8). Le fumier figure ici l'abjection de la condition, et le changement subit dont elle est l'objet, preuve que pour Dieu toutes choses sont aisées et faciles. Mais voici quelque chose de plus grand encore. Qu'est-ce donc ? Non seulement Dieu peut opérer d'aussi étonnants changements et faire succéder la grandeur à la bassesse, mais Il peut même déplacer les bornes de la nature et donner la fécondité à celle qui était stérile. Le prophète continue : "Qui fait habiter dans sa maison l'épouse stérile, mère joyeuse de plusieurs enfants." (1R 1) C'est ce qui est arrivé pour Anne et pour une foule d'autres femmes. Vous le voyez, l'hymne est complète et rien n'y est oublié. Il a prédit les événements qui devaient apporter le bonheur à la terre, comment le judaïsme devait faire place aux vives lumières que jeta la loi nouvelle et l'établissement de l'Église, et il a annoncé l'oblation du sacrifice universel. Pour convaincre les esprits les plus rebelles de la vérité de ses prédictions, il en donne pour garant les événements accomplis sous leurs yeux. Voici le sens de ses paroles : Pourquoi douter de la vérité d'un aussi grand changement, pourquoi refuser de croire à la glorieuse élévation des peuples si humiliés jusqu'alors ? N'êtes-vous pas tous les jours témoins de ce spectacle ? Ne voyez-vous pas les petits sortir de leur humiliation pour s'asseoir à côté des princes ? Ne voyez-vous pas la nature guérie de son impuissance, et la fécondité donnée aux femmes jusqu'alors stériles ? L'Église a été l'objet d'un prodige semblable. Elle était stérile, elle est devenue la mère d'une multitude innombrable d'enfants. C'est cette glorieuse fécondité de l'Église que le prophète Isaïe célèbre en ces termes : "Réjouis-toi, stérile qui n'enfantes pas; chante des cantiques de louanges, pousse des cris de joie, toi qui n'avais pas d'enfants, car l'épouse abandonnée est devenue plus féconde que celle qui a un époux." (Is 54,1) Voilà pourquoi le Roi-prophète termine ici ce psaume après avoir confirmé la vérité de ses prédictions par les faits éclatants que la Grandeur de Dieu a opérés dans les siècles qui ont précédé. Lorsque Dieu veut quelque chose, toutes les difficultés s'aplanissent. Il peut changer les lois de la nature, tirer les hommes de la poussière pour les élever au premier rang et leur faire pratiquer les plus sublimes vertus. Instruits que nous sommes de ces vérités, ne négligeons rien pour arriver à jouir de cette gloire, pour atteindre ces hauteurs ineffables des cieux, par la Grâce de Dieu, à qui appartiennent la gloire et la puissance, au Père, au Fils, au saint Esprit, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 113

"Lorsqu'Israël sortit de l'Égypte, et la maison de Jacob du milieu d'un peuple barbare (v. 1.) Dieu consacra la Judée à son service, et Il établit son Empire dans Israël." (Ibid. 2).

1. Le Roi-prophète donne ici une preuve de la grande Bonté et de la Douceur infinie de Dieu. Quelle est-elle ? Il commence par manifester sa Puissance. Il demande ensuite aux hommes de L'adorer; tel est le sens de ces paroles : "Lorsqu'Israël sortit de l'Égypte, le peuple juif fut consacré à son service." Il fit éclater sa Puissance par les miracles qu'Il opéra soit dans l'Égypte, soit dans le désert, et c'est alors aussi qu'Il S'attacha au peuple juif par des liens particuliers. Il avait tenu la même conduite à l'égard d'Adam. C'est après qu'Il eut créé le monde et qu'Il eut manifesté dans toute leur étendue sa Sagesse et sa Puissance, qu'Il forma l'homme, et lui imposa la loi de L'adorer. C'est ainsi que le Fils unique de Dieu n'exigeait la foi qu'après avoir donné par des miracles nombreux et variés, des preuves de sa Mission divine. Aussi, ne demande-t-Il pas à ceux qui les premiers s'attachèrent à Lui sans avoir vu aucun signe, aucune preuve de sa Divinité : Croyez-vous que Je puisse faire ce miracle ? Il Se bornait à l'opérer sous leurs yeux. Mais lorsqu'Il eut laissé partout dans la Palestine des témoignages authentiques de sa Puissance, qu'Il eut rendu la santé aux malades, banni le vice, annoncé le royaume des cieux, établi les conditions du salut, alors Il exigea rigoureusement la foi de ceux qui voulaient s'attacher à Lui. Les hommes ne songent à faire du bien qu'après avoir établi leur domination, mais pour Dieu, Il commence par répandre ses Bienfaits. Et qu'ai-je besoin de les rappeler ici, lorsque le Fils de Dieu a voulu souffrir la mort de la croix, pour devenir le Maître du monde et prouver ainsi la grandeur de son Amour pour nous ? C'est cette même vérité que veut exprimer ici le psalmiste : "Lorsqu'Israël sortit de l'Égypte, et la maison de Jacob du milieu d'un peuple barbare, Dieu consacra la Judée à son service." C'est-à-dire lors de la sortie, du départ, de la délivrance de l'Égypte. Il ne Se contente pas de dire : "De l'Égypte," il ajoute : "Du milieu d'un peuple barbare," pour faire ressortir par le nom donné à ses ennemis, la Bonté de Dieu pour les Juifs. Jamais en effet, les Israélites n'auraient vu se briser les chaînes de ces Égyptiens durs, inhumains et cruels, sans la Main puissante et la Droite invincible de Dieu. Le peuple égyptien en effet, était plus farouche que les bêtes féroces, plus dur que les pierres, et les plaies multipliées qui le frappaient ne faisaient que l'endurcir. Cette dénomination de peuple barbare que lui donne le psalmiste, fait donc ressortir la grande Puissance de Dieu qui a su fléchir cette nation barbare et cruelle, l'a forcée de laisser partir malgré elle ceux qu'elle retenait en servitude, et a triomphé de sa résistance en engloutissant son armée dans les flots, et en délivrant ainsi son peuple. Que signifient ces paroles : "Israël a été comme le sanctuaire de Dieu ?" C'est-à-dire il est devenu un peuple dévoué à son culte, un peuple fidèle, un peuple consacré à son service. Le mot 'agíasma signifie proprement un temple, un lieu sacré, le Saint des saints. C'est dans ce sens que l'entend le prophète Zacharie, lorsqu'il nous représente les hommes qui lui adressent cette question : "Le sanctuaire de Dieu est entré ici, devons-nous jeûner ?" (Za 7,3) Ils veulent parler du retour de l'arche et des autres objets consacrés au culte de Dieu. "La Judée fut consacrée à son service"; c'était auparavant une contrée impure et abominable, mais lorsque le peuple juif en eut pris possession, elle devint le sanctuaire de Dieu, c'est-à-dire qu'elle fut sanctifiée et consacrée à son service par les observances légales, par les sacrifices, par l'ensemble du culte, des rites et des cérémonies que prescrivait la loi.

"Israël devint la Puissance de Dieu." Que signifient ces paroles ? Il fut soumis à sa Puissance. Sans doute l'univers entier reconnaissait sa Domination, mais les Israélites Lui étaient attachés par des liens plus particuliers, ils étaient les dépositaires des oracles prophétiques, Dieu daignait leur faire entendre sa Voix, et leur nation était l'objet d'une providence spéciale. On peut encore les appeler son peuple à un autre titre, car c'était souvent par l'Ordre de Dieu qu'ils marchaient au combat et qu'ils se dirigeaient dans la plupart de leurs entreprises. C'est donc pour les avoir délivrés des mains de leurs ennemis, affranchis de la tyrannie, de la servitude, des dangers les plus signalés et de leur propre impiété, qu'il était devenu leur Roi. C'est ce qu'Il fait ressortir en Se justifiant par la bouche d'un de ses prophètes, et en montrant qu'Il a commencé par les combler de bienfaits, avant d'exiger leur reconnaissance et leur amour : "Suis-Je devenu pour Israël un désert ou une terre inculte ?" (Jr 2,31). C'est-à-dire ai-je été pour vous comme une terre stérile ? N'ai-je pas répandu sur vous d'innombrables bienfaits ? changé pour vous l'ordre de la nature, assujetti les éléments à votre service ? Ne vous ai-Je pas nourris sans peine et sans fatigue de votre part ? Voilà le sens de ces paroles : "Suis-Je devenu pour Israël un désert ?" C'est-à-dire encore, n'ai-Je pas été pour vous d'une fécondité merveilleuse ? Rappelez-vous la délivrance de la servitude d'Égypte, l'affranchissement du joug des barbares, l'éclat des miracles, votre vie dans le désert, la Palestine que vous avez eue en héritage, l'asservissement des peuples qui l'habitaient, vos triomphes continuels, vos nombreuses victoires, les prodiges se succédant sans interruption, la fertilité prodigieuse de la terre, l'accroissement extraordinaire de votre nation, votre gloire répandue par tout l'univers, et mille autres faits semblables. Reconnaissez-vous les fruits de Dieu ? C'est ce qui Lui donne le droit de dire : "Est ce que J'ai été pour vous comme une terre inculte ?" En d'autres termes : "N'avez-vous pas recueilli de Moi des fruits innombrables ? N'ai-Je point béni votre entrée et votre sortie, vos brebis, vos troupeaux, le pain et l'eau dont vous faisiez usage ? Ne vous ai-Je pas fait jouir d'une tranquillité assurée, entouré comme d'un rempart impénétrable, rendus terribles et invincibles à tous vos ennemis ? Est-ce que tous les biens de la terre et du ciel ne coulaient pas sur vous comme d'une source intarissable ? Voilà en effet ce qui révèle le roi véritable, le soin qu'il prend de ses sujets et la constante sollicitude qu'il porte à leurs intérêts.

2. Aussi Jésus Christ disait du bon pasteur, non pas qu'il reçoit des honneurs ou des hommages, mais : "Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis." (Jn 10,11). Tel est le devoir de celui qui commande et toute la science du pasteur : sacrifier ses intérêts aux intérêts de ceux qu'il est chargé de conduire. Un roi est comme un médecin; pour parler plus vrai, il est plus qu'un médecin. Le médecin consacre les ressources de son art à la guérison de ses malades, un roi défend les intérêts de ses sujets aux dépens de sa vie même. C'est ce qu'a fait notre Seigneur Jésus Christ honteusement souffleté, attaché à une croix après avoir enduré mille autres souffrances, ce qui faisait dire à saint Paul : "Jésus Christ ne S'est pas recherché Lui-même, selon ce qui est dit dans l'Écriture : "Les outrages de ceux qui T' insultaient, sont tombés sur Moi." (Rm 15,3; Ps 67,10) Le psalmiste comprend donc dans ces paroles deux bienfaits, ou plutôt trois, et même une infinité d'autres. Il a délivré son peuple des barbares, Il l'a fait sortir d'une terre étrangère, Il a brisé les chaînes de son esclavage, mis fin à ses peines et à ses infortunes, opéré pour lui d'innombrables miracles. C'est alors qu'Il a voulu que les Israélites fussent consacrés à son service et soumis à ses lois. Car c'est là un de ses bienfaits les plus signalés de les avoir admis au nombre de ses sujets.

"La mer le vit et elle s'enfuit, le Jourdain retourna en arrière". (Ibid. 3) Voyez comme le langage du Roi-prophète s'élève pour faire ressortir la grandeur du bienfait : Pourquoi parler, dit-il, des barbares et des nations ennemies; les créatures elles-mêmes ont été forcées de céder la place, de suivre une marche contraire à leur nature, pour obéir à la parole d'un tel chef et d'un semblable conducteur. Ces événements avaient pour but de bien convaincre les Hébreux qu'il n'y avait rien ici de naturel ou d'humain, mais que tout était l'oeuvre admirable d'une Puissance divine et mystérieuse. Remarquez d'ailleurs l'énergie et la justesse de l'expression employée par le Prophète. Il ne dit pas : La mer a reculé, ou bien elle a cédé sa place, mais : "La mer Le vit et s'enfuit", expression qui fait ressortir la promptitude avec laquelle la mer s'est retirée, la grandeur de l'étonnement produit par ce prodige, et la facilité de l'Opération divine. Et afin qu'on ne crût pas que ce miracle avait eu lieu ou par suite d'un mouvement périodique, ou par un effet du hasard, il ne s'est jamais renouvelé depuis, il ne s'est produit qu'une fois sur l'Ordre de Dieu et avec des effets contraires, suivant la différence des personnes. Car la violente impétuosité des eaux, parut alors comme douée de discernement et d'intelligence. À la Voix de Dieu, elle sauva les uns et engloutit les autres, elle fut comme un char pour les Hébreux et un tombeau pour leurs ennemis. (Ex 14). Le même prodige eut lieu dans la fournaise de Babylone. Le feu qui de sa nature se répandait partout et sans distinction, suivit une marche déterminée pour obéir à l'Ordre de Dieu, il épargna ceux qui étaient dans la fournaise, et s'élança sur ceux qui étaient dehors et les consuma. "Le Jourdain retourna en arrière." Voyez-vous comme ces miracles ont eu lieu dans des temps et et dans des lieux différents ? Dieu voulait convaincre les Israélites que sa Puissance s'étendait partout et qu'elle ne pouvait être limitée par aucun lieu; voilà pourquoi Il semait partout ses prodiges, tantôt dans les contrées barbares, tantôt dans le désert, tantôt sur la mer et tantôt sur les fleuves; aujourd'hui sous Moïse et ensuite sous Josué. Partout les miracles les accompagnaient pour dissiper l'aveuglement de leur esprit, amollir la dureté de leurs coeurs et les préparer à recevoir la connaissance de Dieu ? Les montagnes sautèrent comme des béliers, et les collines comme les agneaux des brebis." (Ibid. 4). Ces paroles donnent lieu à une question importante, le doute s'élève dans quelques esprits qui nous disent : Nous savons que les événements dont il vient d'être question sont véritablement arrivés, L'histoire en fait foi, car nous y lisons que la mer Rouge en se divisant, a ouvert un chemin pour laisser passer les Hébreux, et que le Jourdain a retourné en arrière, lorsque l'arche le traversa. Mais nous ne voyons nulle part que les montagnes et les collines aient tressailli de joie. Que signifient donc ces paroles ? Le Roi-prophète veut nous faire comprendre à l'aide de comparaisons la joie du peuple et la grandeur des miracles, et il représente les créatures inanimées elles-mêmes, se livrant aux tressaillements et aux bondissements de la joie, à la manière de ceux qui sont transportés d'allégresse. Voilà pourquoi il ajoute : "Comme les béliers et comme les agneaux des brebis." En effet, ces animaux manifestent leur joie par des bondissements. De même qu'un autre prophète nous représente la vigne et le vin dans les pleurs au milieu des calamités, non pas que la vigne puisse s'attrister, mais parce qu'en associant par cette hyperbole les êtres inanimés au deuil général, il en fait ressortir plus vivement la grandeur; de même ici le Roi-prophète associe les créatures inanimées à la joie du peuple pour en faire comprendre toute l'étendue. Nous-mêmes nous associons tous les objets à notre joie, et lorsque nous recevons la visite d'un personnage célèbre, nous lui disons : Vous avez rempli notre maison d'allégresse; nous ne voulons point sans doute parler des murailles, mais montrer l'étendue de notre joie ? "Pourquoi, ô mer, vous êtes-vous enfuie ? Et vous, Jourdain, pourquoi êtes-vous retourné en arrière ? (Ibid. 5) Pourquoi, montagnes, avez-vous sauté comme des béliers ? Et vous, collines, comme les agneaux des brebis ?" (Ibid. 6). Il adresse cette question aux éléments et converse avec eux, dans le même sens qu'il nous les a représentés tressaillant d'allégresse; il ne leur supposait alors aucune intelligence, mais il voulait simplement montrer l'excès de la joie et la grandeur des événements. De même ici, il leur fait cette question sans leur supposer l'intelligence nécessaire pour lui répondre, mais pour rendre son langage plus énergique et faire ressortir tout ce que ces prodiges ont d'extraordinaire.

3. À cette question, le psalmiste fait lui-même la réponse, comme s'il s'agissait d'un fait inouï et qui n'a aucun antécédent dans les phénomènes ordinaires de la nature. "La terre a été ébranlée à la Présence du Seigneur, à la Présence du Dieu de Jacob." (Ibid. 7). Par cette expression figurée qui signifie la surprise, l'étonnement, la stupeur des habitants, le Roi-prophète veut nous montrer de nouveau la grandeur des événements accomplis. Il fait voir ensuite combien la vertu d'un seul homme est précieuse aux yeux de Dieu, en désignant le Seigneur par le nom de son serviteur. Au témoignage de saint Paul, c'est le plus grand honneur que Dieu ait accordé à ces saints patriarches, en récompense de leur détachement de toutes les choses de la terre. L'Apôtre ne se contente pas en effet de rappeler cette glorieuse prérogative, il en donne la raison, pour nous enseigner à nous-mêmes comment nous pouvons avoir part à cet honneur. En quoi consiste-t-il ? En ce que le Seigneur veut bien être appelé du nom de ses serviteurs. C'est ce qui faisait dire à saint Paul : "Aussi Dieu ne rougit point d'être appelé leur Dieu." (He 11,16) Et comment S'appelait-Il leur Dieu ? Lorsqu'Il disait : "Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, et le Dieu de Jacob." L'Apôtre avait donné plus haut le motif pour lequel Dieu avait voulu être ainsi appelé; "Tous ces saints, disait-il, sont morts dans la foi, n'ayant point reçu les biens que Dieu leur avait promis, mais les voyant et les saluant de loin, et confessant qu'ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre." (He 11,13) Et après avoir donné cette raison, il ajoute : "C'est pour ce motif que Dieu ne rougit point d'être appelé leur Dieu." (Ibid. 13) Quel est-il ? Parce qu'ils ont confessé qu'ils étaient étrangers et pèlerins ici-bas, qu'ils n'avaient rien de commun avec les choses de la terre, et qu'ils y passaient leur vie comme sur une terre étrangère, dans un détachement complet de tous les biens de ce monde ? "Qui changea la terre en torrents, et le rocher en sources d'eau vive." (Ibid. 8) Quel pardon peuvent obtenir, je vous le demande, ceux qui sont durs et que rien ne peut fléchir ? La pierre et les rochers amollissent leur dureté naturelle à la Voix de Dieu, et l'homme doué du privilège de la raison, le plus doux par nature des êtres créés, les surpasse tous en dureté ? Le rocher dont le psalmiste parle ici cède à peine à l'action du fer, et ne peut guère être entamé qu'à sa surface. Et cependant il a changé de nature, et a laissé couler de son sein des sources d'eau vive. Mais le Maître de la nature peut déroger aux lois de la nature, et changer l'ordre qu'Il a établi. Il l'a fait souvent et en plus d'un endroit pour montrer qu'Il est Celui qui a créé toutes choses de rien.

Après avoir rappelé les bienfaits des anciens temps, les miracles, les prodiges que Dieu a opérés, comment Il a délivré son peuple de la servitude d'Égypte, et lui a rendu sa liberté, comment Il a bouleversé l'ordre des éléments et rempli tous les coeurs d'allégresse, le psalmiste implore le Secours de Dieu au milieu de ses nécessités présentes et se réfugie en Lui comme dans un port assuré. Tous ces prodiges n'avaient point eu pour cause les mérites de ceux qui en étaient l'objet, mais la Bonté de Dieu et la gloire de son Nom, comme Il le déclare expressément : "C'est afin que mon Nom ne soit point déshonoré;" (Ez 20,9); afin que tous, à la vue de ces prodiges, reconnaissent la vertu, la puissance de ce Nom, et qu'ils y trouvent de graves et utiles leçons. Voilà pourquoi le psalmiste apporte cette nouvelle raison, et dit à Dieu : Quand même notre vie nous ferait défaut, quand même nos actions ne nous inspireraient aucune confiance, agis pour ton Nom, comme Moïse Te le demandait. Le Roi-prophète lui fait une prière analogue : "Ce n'est pas à nous, Seigneur, ce n'est pas à nous, mais à ton Nom qu'il faut donner la gloire." (Ibid. 9). Non, ce n'est point dans notre intérêt, ce n'est point pour nous donner plus de considération et de célébrité, mais pour faire éclater partout les effets de ta Puissance. Toutefois, si le Nom de Dieu est glorifié, lorsqu'Il prend en main notre défense et qu'Il vient à notre secours, Il l'est également par les vertus que nous pratiquons et par l'éclat de notre vie : "Que votre lumière, nous dit Jésus Christ, brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux." (Mt 5,16). De même donc que nos vertus tournent à sa Gloire, de même une vie criminelle devient un sujet de blasphèmes. C'est ce que Dieu reprochait à son peuple par son prophète : "À cause de vous, mon Nom est blasphémé parmi les nations." (Is 52,5). Au défaut d'autre raison qu'il puisse invoquer en leur faveur, le Roi-prophète a recours au même moyen que Moïse. Toutefois Dieu n'agit pas toujours de la sorte, et cela dans l'intérêt du salut des hommes. S'Il tenait toujours cette conduite, un grand nombre de chrétiens négligents le deviendraient encore davantage, et regarderaient comme un gage de sécurité la certitude que la Gloire de Dieu doit les préserver à jamais de tous maux. Mais il n'en est pas ainsi. La Gloire de Dieu Lui est moins à coeur que notre salut; s'il est des hommes qui méprisent la gloire, à plus forte raison Dieu n'en tient aucun compte, Lui qui n'a nul besoin de ce qui vient de nous. Mais comme je l'ai dit, le prophète qui a entrepris de plaider notre cause, la défend par les moyens qui sont à sa disposition, et les reproduit à deux reprises différentes : "Ce n'est pas à nous, Seigneur, ce n'est pas à nous," qui sommes souverainement indignes de ta Miséricorde; "c'est à ton Nom qu'il faut donner la gloire;" car pour nous, nous méritons toutes sortes de maux, mais Toi, Seigneur, sauve ton Nom de la profanation. "Pour faire éclater ta Miséricorde et ta Vérité." (Ibid. 10). Un autre interprète traduit : "À cause de ta Miséricorde." Vous voyez que le psalmiste savait parfaitement que souvent Dieu tenait peu compte des raisons tirées de sa Gloire, et n'avait en vue qu'une seule chose, la conversion des pécheurs; c'est pour cela qu'il ajoute : "Pour faire éclater ta Miséricorde et ta Vérité, c'est-à-dire viens à notre secours, au Nom de ta Miséricorde; la gloire qui vient des hommes Te touche peu, mais rappelle-Toi ta Miséricorde et ta Vérité. Tu peux, je le sais, faire tourner à ta Gloire, non seulement l'exercice de ta Miséricorde, mais celui de ta Justice. Ce n'est point au Nom de ta Justice que je T'implore, mais au nom de ta Miséricorde. C'était à nous de glorifier ton Nom par la sainteté de notre vie et de notre conduite, mais puisque nous avons failli à notre devoir, faites tout par votre protection, par ta Bonté, de peur que les nations ne disent : Où est leur Dieu ?"

4. J'en entends beaucoup qui s'expriment de la même manière dans leurs prières. Mais je crains que cette pensée : "Où est leur Dieu ?" ne leur vienne à la vue des nombreuses rapines, des injustices, des crimes de tout genre dont ils sont témoins ? Notre Dieu est dans le ciel, tout ce qu'Il a voulu, Il l'a fait." (Ibid., 14). Le psalmiste redresse ici l'erreur des insensés; il en est beaucoup parmi eux qui méconnaissent l'existence de Dieu, il combat un si déplorable égarement en leur disant : "Notre Dieu est dans le ciel, tout ce qu'Il a voulu, Il l'a fait." Si telle a été sa Puissance dans le ciel, que n'a-t-elle pas fait sur la terre ? Mais que signifient ces paroles : "Il a fait tout ce qu'Il a voulu dans le ciel ?" C'est-à-dire, ou Il a fait les puissances célestes et ces innombrables légions qui peuplent les cieux; ou bien tous ses ordres sont accomplis avec une merveilleuse facilité. Si donc vous voyez la confusion et le désordre régner sur la terre, n'en soyez point surpris. Le désordre a pour cause les vices des hommes et la perversité de ceux qui les favorisent, et non l'impuissance de Dieu; car tout ce que Dieu fait dans le ciel, témoigne assez de sa Force et de sa Puissance. S'il n'en est pas ainsi sur la terre, n'en accusez que ceux qui s'en affranchissent par leur indignité.

On peut encore entendre ces paroles dans un autre sens et dire que la Patience de Dieu est cause qu'un grand nombre de crimes ne reçoivent pas ici-bas le châtiment qui leur est dû. Pourquoi, par exemple, voyons-nous les justes opprimés par les méchants ? Parce que Dieu ne veut pas punir les iniquités des hommes aussitôt qu'elles se commettent. Si sa Justice était aussi prompte, il y a longtemps que le genre humain aurait cessé d'exister. Tel est donc le sens de ces paroles : "Sa Puissance, sa Force, pour punir le crime, sont incontestables, il n'en faut pour preuve que ce qu'il fait dans les cieux. Si donc Il n'en tire pas immédiatement vengeance, c'est par un motif de douceur et de bonté et pour attirer les pécheurs au repentir. "Les idoles des nations sont de l'argent, de l'or, et l'ouvrage des mains des hommes." (Ibid. 12) "Elles ont une bouche et elles ne parleront point; elles ont des yeux et ne verront point." (Ibid. 13) "Elles ont des oreilles et n'entendront point, des narines et ne sentiront point." (Ibid. 14) "Elles ont des mains sans pouvoir toucher, des pieds sans pouvoir marcher; aucun son ne s'échappe de leur gosier." (Ibid. 15) "Que ceux qui les font leur deviennent semblables." (Ibid. 16). Le Roi-prophète raconte dans le psaume cent-cinquième leurs égarements insensés, lorsqu'il dit : "Ils ont sacrifié leurs fils et leurs filles aux démons." (Ps 105,37) Il fait voir ici jusqu'où va leur stupidité qui leur fait adorer une matière inanimée. Il parcourt en détail tous les membres de ces idoles pour en faire plus à l'aise l'objet de ses justes moqueries. Puis il ajoute : "Que ceux qui les font et qui mettent en eux leur confiance leur deviennent semblables." C'est une gloire que de ressembler à Dieu, mais ici c'est une malédiction. Songez à ce que sont ces dieux, puisque le plus grand malheur qu'on puisse souhaiter est de leur ressembler. Le psalmiste emploie ce langage figuré pour tourner en dérision l'extrême folie des idolâtres, et faire voir le ridicule de leur conduite. Car n'est-il pas absurde, dites-moi, de se rendre l'esclave d'une statue qui offre le type de la dernière indécence ? Qui voudrait voir une femme dans un état de honteuse nudité ? Or, le démon tend également des pièges autour de cette statue qui vous en présente l'image. Ces statues vous représentent tantôt des scènes de fornications, tantôt des amours plus infâmes encore. En effet, que signifie cet aigle, ce Ganymède, cet Apollon qui poursuit une jeune fille, et tant d'autres tableaux licencieux ? Je ne vois partout que libertinage, impureté, des actions, des amours dont l'obscénité va jusqu'à la folie. Que sont en effet ces statues, ces fêtes, ces réunions, ces initiations mystérieuses, si ce n'est des preuves, des monuments, des écoles d'infâme libertinage ? Non seulement ce sont des écoles de vice, on y enseigne même l'homicide. Voilà les moyens qu'ils prennent pour apaiser les démons. On ne rencontre chez eux qu'impuretés, débauches, inhumanité, cruauté, homicide, tels sont les éléments dont se composent leurs fêtes. Après avoir tourné en dérision ces idoles inanimées et insensibles, aussi bien que la folie de ceux qui placent en elles leur confiance, il en revient aux louanges du vrai Dieu. "La maison d'Israël a espéré en Dieu, Il est leur Protecteur et leur Soutien." (Ibid. 17) "La maison d'Aaron a espéré au Seigneur, Il est leur Protecteur et leur Soutien." (Ibid. 18) "Ceux qui craignent le Seigneur ont mis en Lui leur espérance, il est leur Protecteur et leur Soutien." (Ibid. 19). C'est ainsi qu'il proclame à la fois la Puissance de Dieu et sa supériorité incomparable au-dessus de tout ce qui est créé. Il rappelle ce que Dieu a fait pour le peuple juif, et fait ressortir le double ou plutôt le triple bienfait dont ce peuple a été l'objet. Dieu a d'abord délivré les Israélites du culte des démons; en second lieu, Il S'est fait connaître à eux; en troisième lieu, Il les a couverts de sa Protection. Le psalmiste parle successivement du peuple d'Israël, de la race sacerdotale et de ceux des gentils qui embrassent le culte du vrai Dieu. Car on ne peut assimiler le simple fidèle au prêtre, qui lui est de beaucoup supérieur. Cette division est donc fondée sur les prérogatives d'honneur accordées à l'ordre sacerdotal.

5. Le Roi-prophète montre ensuite que l'action de la Providence divine n'a pas été limitée aux Juifs seuls, mais qu'elle s'est étendue à tous ceux qui sont venus du dehors se joindre à eux, et il fait voir que le Secours et la Bénédiction de Dieu sont devenus le patrimoine commun de tous. "Le Seigneur S'est souvenu de nous et nous a bénis; Il a béni la maison d'Israël, Il a béni la maison d'Aaron." (Ibid. 20) "Il a béni tous ceux qui craignent le Seigneur." (Ibid. 2). Qu'est-ce à dire : "Il les a bénis" ? Il les a comblés de biens innombrables. L'homme peut aussi bénir Dieu, lorsqu'Il dit avec le psalmiste : "Mon âme bénit le Seigneur." (Ps 102,1). Mais ses bénédictions n'ont d'utilité que pour lui, il augmente sa propre gloire sans rien ajouter à celle de Dieu; au contraire, lorsque Dieu nous bénit, c'est notre gloire qui s'en accroît, sans qu'Il y gagne rien pour Lui-même. Dieu, en effet, n'a besoin de rien, et dans ces deux hypothèses, tout l'avantage est

pour nous seul. Mais quelles sont donc les bénédictions qu'Il a répandues sur eux ? Il les a nourris d'un pain descendu du ciel, Il a fait jaillir l'eau du rocher, Il a protégé leur entrée et leur sortie, Il a multiplié leurs troupeaux et leurs brebis, Il en a fait son peuple de prédilection et un sacerdoce royal, Il leur a donné la loi et leur a envoyé des prophètes. Ce sont ces bienfaits que le psalmiste rappelle en ces termes dans un autre endroit : "Il n'a pas agi de la sorte avec toutes les nations et Il ne leur a pas manifesté ses décrets." (Ps 148,9) Nous lisons encore ailleurs : "Est-il une nation assez sage pour que Dieu daigne approcher d'elle ?" (Dt. 4,7). "Les petits aussi bien que les grands." Il n'est point une nation qui ait été exclue de cette bénédiction, elle s'est répandue sur tous sans exception.

"Que le Seigneur ajoute encore à ses Bénédictions sur vous, sur vous et sur vos enfants." (Ibid. 22) Voici une autre espèce de bénédiction, l'accroissement de leurs familles. Aussi un autre prophète regarde l'effet contraire comme un châtiment. "Nous sommes diminués plus que toutes les nations, et nous sommes réduits à un très petit nombre en comparaison des autres peuples de la terre." (Dn 3,37). Avant même leur sortie d'Égypte, cette bénédiction leur était accordée, malgré tant d'obstacles qui semblaient devoir en arrêter l'effet, leurs travaux, leurs souffrances et la cruauté de leurs maîtres. "Mais rien ne peut entraver l'action de la Parole de Dieu, et sa Bénédiction fut si efficace qu'en deux cents ans la population arriva au chiffre de six cent mille." (Ex 12,27). Telles étaient les bénédictions de l'Ancien Testament, mais celles du Nouveau leur sont de beaucoup supérieures. "Béni soit Dieu, dit saint Paul, qui nous a bénis en Jésus Christ de toutes sortes de bénédictions spirituelles par les biens célestes." (Ep 1,3). Et encore : "Que Celui qui par sa Puissance peut faire infiniment plus que tout ce que nous demandons et tout ce que pensons soit glorifié par l'Église." (Ep 3,20-21). Voilà pourquoi les prophètes souhaitaient cette bénédiction à ceux dont ils voulaient la prospérité et le bonheur. Elisée obtint de Dieu un fils à la femme qui lui avait donné hospitalité. (4R 4,16). Sous la nouvelle loi, c'est un nouveau genre de grâces et d'un ordre beaucoup plus élevé. Aussi n'est-ce pas ce que la marchande de pourpre prie les apôtres de lui accorder. Que leur demande-t-elle ? "Si vous ne me jugez pas indigne du Seigneur, entrez dans ma maison et demeurez-y." (Ac 16,15). Voyez-vous quelle différence dans les prières de l'Ancien Testament et dans celles du Nouveau ? Entendez encore Jésus Christ vous dire : "Réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans les cieux." (Lc 10,20). Et saint Paul : "Que Dieu vous comble de paix et de joie dans votre foi, afin que votre espérance croisse toujours de plus en plus par la Vertu du saint Esprit." (Rm 15,13). Voyez l'efficacité de cette bénédiction qui est pour nous la source de biens ineffables, et n'a rien de terrestre. Saint Paul dit encore : "Le Dieu de paix écrasera bientôt Satan sous vos pieds." (Rm 16,20) Sous l'Ancien Testament, au contraire, lorsque les hommes étaient encore dominés par les sens, les choses extérieures et sensibles formaient la matière des bénédictions, et on regardait comme une des grâces les plus précieuses d'avoir un grand nombre d'enfants. Comme la mort était entrée dans le monde à la suite du péché, Dieu, pour consoler le genre humain et lui montrer que loin de le détruire et de l'anéantir, Il voulait au contraire le multiplier et l'accroître, dit à nos premiers parents : "Croissez et multipliez." (Gn 9,1) Mais lorsqu'il fut reconnu que la mort n'était qu'un simple sommeil, la vertu de virginité devint en honneur. C'est ce qui faisait dire à saint Paul : "Je voudrais que vous fussiez tous en l'état où je suis moi-même." (1Cor 7,7). Et encore : "Il est avantageux à l'homme de ne s'approcher d'aucune femme." (Ibid. 1) Notre Seigneur nous dit Lui-même : "Il y en a qui se sont faits eunuques à cause du royaume des cieux." (Mt 19,12) Toutefois, même dans les anciens temps, Dieu avait déclaré, quoique d'une manière moins expresse, que ce qui était surtout nécessaire c'était la vertu, et non un grand nombre d'enfants. Que dit en effet le Sage ? "Ne désirez pas un grand nombre d'enfants inutiles, s'ils n'ont pas la crainte de Dieu, et ne mettez pas votre complaisance dans leur multitude. Car un seul enfant qui craint Dieu vaut mieux que mille, et il est plus avantageux de mourir sans enfants que d'en laisser après soi qui soient sans religion; un seul enfant qui fait la Volonté de Dieu vaut mieux que mille qui sont impies." (Si 16,1-4). Mais les Juifs, qui n'avaient aucune intelligence, aucun zèle pour la pratique de la vertu, et dont les inclinations étaient toutes charnelles, disaient : "Que recherche Dieu, si ce n'est la multiplication de la race ?" (Ml 2,15) Aussi, pour les convaincre que ce n'est pas là ce qu'Il demande, Dieu les a punis de mort parce qu'ils étaient stériles en vertus.

"Soyez bénis du Seigneur." (Ibid. 23). C'est avec dessein que le psalmiste ajoute : "Du Seigneur." Voilà en effet la bénédiction par excellence. Il en est qui reçoivent les bénédictions des hommes, mais l'objet de ces bénédictions est tout humain. Ici au contraire, c'est une bénédiction qui ne souffre point de comparaison. Les hommes donnent des bénédictions, c'est-à-dire qu'ils louent, qu'ils préconisent ceux qui se distinguent par leurs richesses, leur gloire, leur puissance. Mais ce sont là des bénédictions passagères et stériles au moment même où on les reçoit. Au contraire, la Bénédiction de Dieu est perpétuelle et d'une utilité sans égale, au milieu des affaires les plus importantes. "Qui a fait le ciel et la terre."

6. Quelle est puissante la Bénédiction de Dieu ! Les paroles de Dieu deviennent des faits accomplis. Le ciel n'a-t-il pas été fait par sa seule Parole ? "C'est par la Parole du Seigneur, dit le Roi-prophète, que les cieux ont été affermis." (Ps 32,6) C'est avec cette Parole si puissante qu'Il daigne vous bénir. "Les cieux des cieux sont pour le Seigneur, mais Il a donné la terre aux enfants des hommes." (Ibid. 24) Que dites-vous là ? Dieu a choisi le ciel pour son séjour, et après avoir fait choix de ces régions supérieures, Il nous a assigné cette terre pour l'habiter ? Non sans doute, Il n'en est pas ainsi, et le psalmiste ne veut ici que s'accommoder à l'intelligence de ceux à qui il s'adresse. S'il en était autrement, où serait la vérité de ces autres paroles : "Est-ce que je ne remplis pas le ciel et la terre, dit le Seigneur ?" (Jr 23,24). Car ces deux passages sont contradictoires, à ne les considérer que dans leur signification obvie et littérale, sans faire attention au sens caché qu'ils renferment. Que signifient donc ces paroles : "Les cieux des cieux sont au Seigneur, mais pour la terre Il l'a donnée aux enfants des hommes" ? Le psalmiste se sert ici d'un langage que je puis appeler de condescendance, sans prétendre confiner dans les cieux la Présence de Dieu. De même encore ces paroles : "Le ciel est son Trône, et la terre son Marchepied." (Is 66,1) Et ces autres : "Je remplis le ciel et la terre," ne sont pas dignes de la Majesté de Dieu, c'est un langage proportionné à l'intelligence de ceux à qui les prophètes s'adressent. Car Dieu embrasse toutes choses, supporte tout, n'est limité par aucun lieu, et il étend sa domination sur tout ce qui existe; si donc il est écrit que le ciel est son séjour, c'est parce que ce lieu est pur de toute iniquité. Ces paroles ne signifient donc point que Dieu ait choisi particulièrement le ciel pour lieu d'habitation. Dans cet autre endroit : "Il marquera les limites des peuples selon le nombre des anges de Dieu;" (Dt 32,8) ou dans cet autre : "Il a choisi la maison de Jacob", l'auteur sacré ne veut pas dire que les Juifs sont devenus son peuple choisi à l'exclusion des autres hommes qui ne seraient pas compris dans les soins de sa Providence et de son Gouvernement divin. Car Dieu est le Dieu de tous les hommes, et si la sainte Écriture s'exprime de la sorte, c'est pour marquer l'Amour particulier qu'Il avait pour les Juifs, qui paraissaient mériter cette faveur de préférence aux autres peuples.

S'il vous faut une preuve qu'Il n'a pas choisi les Juifs à l'exclusion des autres peuples, mais que sa Providence s'étend à tous les hommes, vous la trouvez dans les événements qui ont précédé Moïse, dans ceux qui ont eu lieu de son temps, comme dans les événements particuliers qui l'ont suivi. Dieu n'a-t-Il pas donné le soleil, la terre, la mer et tous les autres éléments, comme un bien commun à tous les hommes; n'a-t-Il pas gravé dans leurs coeurs sans distinction la loi naturelle ? Par amour pour Abraham qui était perse d'origine, Dieu le fit sortir de son pays, et Il Se servit de lui pour éclairer les Égyptiens, les habitants de la terre de Chanaan et les Perses eux-mêmes. Il Se servit également de son fils et de son petit-fils pour rendre meilleurs les peuples voisins autant du moins qu'il était en lui. Après la naissance de Moïse, les miracles dont les Juifs étaient l'objet avaient pour but d'amener à la connaissance de Dieu les Égyptiens, les peuples de la Palestine, et plus tard les habitants de Babylone. Lors donc que le psalmiste

nous dit : "Les cieux des cieux sont au Seigneur, il veut simple ment nous apprendre que Dieu Se repose de préférence dans les cieux, parce que l'iniquité n'y a point d'accès. Mais vous-mêmes, si vous ne vous attachez pas trop fortement à la terre, si vous vivez de la vie des anges, vous vous élèverez promptement jusque dans le ciel et dans la maison paternelle, et c'est ainsi qu'avant même le jour de la résurrection, vous quitterez la terre pour habiter les cieux et prendre possession des honneurs qui vous y attendent. Ne voyez-vous pas qu'un grand nombre de ceux qui font partie du sénat impérial conservent la dignité de sénateur, bien qu'ils habitent la campagne ? Si donc vous aussi vous voulez avoir droit de cité dans les cieux, vous pouvez en jouir bien qu'habitant encore sur la terre.

"Ce ne sont point les morts qui Te loueront, Seigneur, ni tous ceux qui descendent dans l'enfer." (Ibid. 25) "Mais nous qui vivons, nous bénissons le Seigneur maintenant et dans tous les siècles." (Ibid. 20) Les morts dont parle ici le psalmiste ne sont pas ceux qui avaient quitté cette vie, mais ceux qui étaient morts dans leurs impiétés ou qui avaient croupi dans le crime. En effet, Abraham, Isaac et Jacob étaient morts, et cependant ils vivaient toujours et leur souvenir était toujours présent à la mémoire des hommes. Aussi, lorsque Moïse prie Dieu en faveur du peuple dont il avait la conduite, il apaise sa Colère au nom de ces saints patriarches qu'il fait intervenir dans ses prières. (Ex 32,13) C'est également en leur nom que les trois enfants demandent à Dieu leur délivrance : "Ne détourne pas ta Miséricorde de nous à cause d'Abraham que Tu as tant aimé, à cause d'Isaac ton serviteur et d'Israël ton saint." (Dn 3,35) Puisqu'ils avaient une si grande puissance, comment supposer qu'ils fussent morts ? Entendez Jésus Christ vous dire.encore : "Laissez les morts ensevelir leurs morts." (Mt 8,22) Aussi saint Paul ne donne point le nom de morts à ceux qui ont quitté cette vie, mais il compare leur mort à un sommeil. "Je ne veux point vous laisser ignorer, mes frères, au sujet de ceux qui se sont endormis." (1Th 4,12) Non, la mort du juste n'est pas une mort, mais un sommeil, N'est-ce pas dormir en effet, que d'attendre le passage à une vie meilleure ? Mais pour celui qui n'a en perspective qu'une mort immortelle, dès cette vie même, il cesse d'être vivant, il est mort. Les uns descendent dans les enfers, les autres montent dans les cieux pour régner avec Jésus Christ. Aussi, le prophète ne dit pas en général ceux qui vivent, mais : "Nous qui vivons." Il s'exprime ici de la même manière que saint Paul dans ces paroles : "Nous qui vivons, nous qui restons, nous ne préviendrons point ceux qui sont dans le sommeil de la mort." (1Th 4,16)

L'apôtre en disant : "Nous qui vivons," ne permet pas d'appliquer ces paroles à tous les fidèles, et les restreint à ceux dont la vie est semblable à la sienne; de même ici ces paroles : "Nous qui vivons," doivent s'entendre de ceux qui comme David passent leur vie dans la pratique de la vertu. "Maintenant et dans les siècles des siècles." Vous voyez ici une nouvelle preuve de cette interprétation, c'est-à-dire que le psalmiste veut parler de ceux dont la vie a été une suite continuelle de bonnes oeuvres. Car personne ici-bas ne vit dans les siècles des siècles, c'est le privilège exclusif de ceux qui méritent la vie glorieuse et éternelle. Les pécheurs vivent aussi, il est vrai, mais dans les tourments, mais dans les supplices, mais dans les grincements de dents. Les élus au contraire vivent dans les splendeurs de la gloire, et de concert avec les puissances des cieux, chantent à Dieu des hymnes spirituels. Voulons-nous avoir part à cette joie ? Vivons ici-bas de cette même vie, et nous obtiendrons aussi cette récompense privilégiée que la parole ne peut expliquer, que l'esprit ne peut comprendre, dont rien ne peut nous donner une idée, mais dont l'expérience seule pourra nous révéler le bonheur. Que Dieu nous fasse la grâce d'obtenir un jour cette félicité par la Bonté et la Miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soit la gloire et la puissance, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 114

"J'ai aimé parce que le Seigneur a exaucé la voix de ma prière" (v.1.)

1. Mais quel est celui, me direz-vous, dont le coeur ne s'ouvre à l'affection, lorsqu'il est exaucé ? La plupart des hommes du monde. Ils ne veulent pas entendre parler de ce qui leur est utile et avantageux, ils demandent des choses qui ne peuvent leur être que nuisibles, et leurs voeux sont à peine exaucés qu'ils sont dans la tristesse et l'abattement. Les seules choses vraiment utiles sont celles que Dieu sait devoir nous être avantageuses, quand ce serait la pauvreté, la disette, la maladie ou quelqu'autre épreuve semblable. Dès lors que Dieu en juge de la sorte, et qu'Il nous donne ces choses, leur utilité ne peut être mise en doute. Écoutez ce qu'Il répond à l'apôtre saint Paul : "Ma grâce te suffit, car la force se perfectionne dans les infirmités." (2Cor 12,9) Voilà en effet ce qui était vraiment utile à l'Apôtre, les persécutions, les tribulations, les souffrances. Aussi, une fois instruit de cette vérité, il s'écrie : "C'est pourquoi je me complais dans les infirmités, dans les opprobres, dans les persécutions." Il n'appartient donc pas à tous indifféremment de se réjouir lorsque Dieu les exauce en leur accordant ce qui doit leur être utile. Il en est un grand nombre qui souhaitent des biens inutiles et qui s'y complaisent. La conduite du prophète est bien opposée, il aime parce que Dieu l'avait exaucé en lui accordant des biens d'une utilité incontestable. "Parce qu'Il a abaissé son Oreille vers moi." Le psalmiste se sert de cette figure pour exprimer le bon Plaisir de Dieu; cette même expression cache encore une autre vérité, et il semble dire : Je n'étais pas digne d'être exaucé, mais Dieu a daigné descendre jusqu'à moi. "Et je L'invoquerai dans mes jours." Que signifient ces paroles : "Dans mes jours"? N'allez pas croire, parce que Dieu m'a exaucé, que je cesserai désormais de Le prier et que je céderai à une négligence coupable; non, je serai fidèle à ce devoir tous les jours de ma vie. "Les douleurs de la mort m'ont environné, et les périls de l'enfer m'ont surpris. J'ai trouvé l'affliction et la douleur." (Ibid. 3). "Et j'ai invoqué le Nom du Seigneur." (Ibid. 4) Voyez-vous cette armure invincible ? Voyez-vous la consolation qui domine toutes les infortunes ? Voyez-vous une âme vraiment enflammée de l'Amour du Seigneur ? Tel est le sens de ces paroles : Il me suffit pour échapper aux maux qui m'environnent, d'invoquer le Nom de Dieu.

Pourquoi donc nous qui l'invoquons si souvent, ne sommes-nous point délivrés de nos épreuves ? C'est que notre prière laisse beaucoup à désirer; car pour Lui, Il est toujours prêt à nous exaucer, comme Il le déclare dans l'Évangile : "Quel est l'homme parmi vous, nous dit-Il, qui donne une pierre à son fils, lorsque celui-ci lui demande du pain ? Ou s'il lui demande un poisson, lui donnera-il un serpent ? Si donc, vous qui êtes mauvais, vous savez donner ce qui est bon à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux, donnera-t-Il ce qui est bon à ceux qui le Lui demandent." (M 7,9-11) Admirez l'étendue de la Bonté de Dieu, auprès de laquelle la nôtre n'est plus que méchanceté. Puisque donc nous avons un si bon Maître, réfugions-nous toujours auprès de Lui, invoquons-Le comme notre seul Protecteur, et nous Le trouverons toujours disposé à nous sauver. En effet, si de pauvres naufragés qui n'ont qu'une planche pour toute ressource, appellent à leur secours ceux qu'ils voient de loin et cherchent à émouvoir leur compassion, bien qu'ils n'aient rien de commun avec eux, et qu'ils n'en soient connus que par leur infortune; à combien plus forte raison, Dieu qui est clément et miséricordieux, et à qui la bonté est naturelle, viendra-t-Il au secours des malheureux, s'ils consentent à recourir à Lui, à L'invoquer en toute sincérité, en sacrifiant toute espérance humaine ? Si donc vous venez à tomber dans quelque malheur imprévu, ne vous laissez point aller à l'abattement, mais ranimez aussitôt votre courage, et cherchez un refuge dans ce port inaccessible à la tempête, dans cette tour imprenable qui n'est autre que le Secours de Dieu. Il n'a permis votre chute que pour vous forcer de L'invoquer. Cependant la plupart des hommes se laissent aller au découragement, et perdent jusqu'à la piété dont ils faisaient profession, alors qu'ils devaient faire tout le contraire. Dieu nous aime d'un amour extrême, Il veut que nous soyons étroitement unis; voilà pourquoi Il permet que nous tombions dans l'adversité. Ne voyons-nous pas les mères se servir de masques effrayants pour forcer leurs enfants indociles de se réfugier dans leur sein ? Leur intention n'est pas de leur causer du chagrin, mais de les forcer à se tenir près d'elles. Ainsi Dieu veut que nous Lui soyons constamment unis, et Il agit comme un amant passionné, ou plutôt avec un amour supérieur à celui de l'amant le plus passionné; c'est-à-dire qu'Il permet que vous tombiez dans de si douloureuses épreuves, que vous ne cessiez de Le prier, de L'invoquer, et que vous négligiez tout autre appui pour ne songer qu'à Lui.

"Ô Seigneur, délivre mon âme." Un autre interprète traduit : "Je T'en prie, Seigneur, délivre mon âme." Un autre : "Ô Seigneur, sauve mon âme." Voyez-vous la sagesse du Roi-prophète, comme il sacrifie tous les intérêts de cette vie pour ne demander qu'une seule chose, c'est que son âme n'éprouve aucun dommage, aucune atteinte qui puisse lui devenir mortelle. En effet, si notre âme va bien, nous serons nécessairement heureux dans toutes nos actions, mais si elle souffre, n'espérons rien de la prospérité qui peut nous entourer. Il nous faut donc consacrer toutes nos actions, toutes nos paroles au salut de notre âme. C'est ce que notre Seigneur veut nous faire entendre lorsqu'Il nous dit : "Soyez prudents comme des serpents." Le serpent sacrifie le reste du corps pour sauver sa tête; vous aussi, sacrifiez tout pour le salut de votre âme. Ni la pauvreté, ni la maladie, ni la mort que l'on regarde comme le plus grand de tous les maux, ne pourront jamais vous nuire, si la vie de votre âme est sauvegardée. Au contraire, la vie serait pour vous sans aucune utilité, si votre âme venait à périr ou à se corrompre. Aussi le Roi-prophète, laissant toute autre considération, ne s'occupe que de son âme, et demande à Dieu de ne point exiger de lui un compte trop sévère, et de Le délivrer des supplices intolérables de l'éternité. "Le Seigneur est miséricordieux et juste, et notre Dieu est porté à faire grâce." (Ibid. 5). Voyez-vous comme il nous apprend à nous tenir également éloignés du désespoir et du relâchement ? Ne désespérez point, nous dit-il, car Dieu est miséricordieux; gardez-vous de toute négligence, car Il est juste. C'est ainsi qu'il combat dans l'un le relâchement, dans l'autre, le désespoir, et qu'il assure doublement notre salut.

2. Il montre ensuite l'Inclination de Dieu à faire miséricorde, en ajoutant : "Et notre Dieu est porté à faire grâce." (Ibid. 5). Remarquez la justesse de cette expression : "Notre Dieu," qui a pour objet de Le distinguer des dieux dont il a parlé dans le psaume précédent. L'occupation de ces dieux est de verser le sang, de mettre à mort, de faire des guerres sourdes et implacables. Le caractère de notre Dieu est de faire miséricorde, de pardonner, de nous sauver constamment des dangers, et ces traits joints à beaucoup d'autres, prouvent que ces faux dieux ne sont que des démons qui ont conjuré notre perte, tandis que notre Dieu est un Dieu qui nous entoure de sa Sollicitude et de sa Protection, en un mot le vrai Dieu. "Le Seigneur garde les petits, j'ai été humilié et Il m'a délivré." (Ibid. 6). Voici un des actes les plus importants de la Providence divine. Le Roi-prophète vient de dire : "Dieu est miséricordieux, Il est juste, et Il est porté à faire grâce." Il donne immédiatement une des preuves les plus frappantes de cette souveraine miséricorde. Quelle est-elle ? La Conduite de Dieu à l'égard des petits enfants. Quant à nous, nous avons la raison qui nous apprend ce que nous devons éviter, ce que nous devons choisir, qui nous enseigne à éloigner les maux qui nous assaillent, à nous délivrer de ceux qui nous accablent; nous avons en partage la force et la ressource des expédients. Mais les enfants à qui tous ces moyens de défense font défaut seraient comme sans garde et sans appui, si la Providence de Dieu qui les environne d'une protection continuelle ne les sauvait ainsi d'une mort certaine. Sans cette Providence, les serpents, les oiseaux qui habitent sous notre toit, tant d'autres animaux qui se glissent dans nos demeures, mettraient à mort les enfants encore dans leurs langes. La sollicitude la plus tendre d'une nourrice, d'une mère, de toute autre personne que ce soit, est nécessairement impuissante, si la protection du ciel ne vient à leur secours. Il en est qui prétendent que ces paroles doivent s'entendre des enfants qui ne sont point encore sortis du sein de leur mère. "J'ai été humilié et Il m'a délivré." Le psalmiste ne dit pas : Il m'a préservé du danger, mais : Il m'en a délivré, lorsque j'y étais tombé. Après avoir décrit la conduite générale de la Providence, il en vient à ce qu'elle a fait pour lui, et selon sa coutume, il fait servir de preuves les événements généraux comme les faits particuliers. Ne recherchez donc pas une vie à l'abri de tout danger, ce ne serait pas un bien pour vous. Une telle vie n'était pas avantageuse pour les prophètes, elle le serait beaucoup moins pour vous. Non, elle n'était pas avantageuse pour les prophètes, écoutez ce que dit le psalmiste : "Il est bon que Tu m'aies humilié, afin que j'apprenne tes Ordonnances pleines de justice." (Ps 118,71). Il rend à Dieu une double action de grâces et d'avoir permis que le danger vînt l'assaillir, et de ne pas l'avoir abandonné au milieu de ses épreuves. Ce sont en effet deux bienfaits véritables; le premier n'est pas inférieur au second, et j'oserai même avancer quelque chose d'extraordinaire, il est plus grand. En effet, d'un côté Dieu vous a délivré de vos épreuves, mais de l'autre, il a fortifié dans votre âme l'amour de la sagesse.

"Rentre dans ton repos, ô mon âme, parce que le Seigneur t'a comblé de biens." (Ibid. 7). "Car Il a délivré mon âme de la mort, mes yeux des larmes, mes pieds de toute chute." (Ibid. 8) "Je serai agréable au Seigneur dans la terre des vivants." (Ibid. 9) Dans le sens historique, nous voyons ici une délivrance éclatante suivie du repos et de la liberté. Mais si l'on veut entendre ces paroles dans un sens anagogique, on peut appeler notre départ d'ici-bas une véritable délivrance, un véritable repos; c'est pour nous en effet, l'affranchissement de tous les maux imprévus, nous cessons d'être soumis à une cruelle incertitude, notre bonheur est assuré dès que nous avons quitté la vie le coeur plein de légitimes espérances. C'est par le péché, il est vrai, que la mort est entrée dans le monde, mais Dieu l'a fait servir à notre bien; et non content d'avoir permis la mort, il a voulu que notre vie fût laborieuse et pénible, pour nous convaincre qu'il n'aurait pas permis la mort, si dans sa Sagesse Il ne l'avait jugée avantageuse pour nous. Aussi après avoir dit au premier homme : "Le jour que tu mangeras de ce fruit, tu mourras;" (Gn 3,17); Il ne S'est pas contenté de ce châtiment, car c'était un véritable châtiment que ces paroles : "Tu es terre et tu retourneras en terre." (Gn 3,19) mais Il ajoute : "Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. Elle ne produira pour toi que des ronces et des épines et tu ne mangeras de ses fruits qu'avec un grand travail." (Gn 3,17-18). Et Il dit à sa femme : "Je multiplierai tes calamités et tes gémissements, tu enfanteras dans la douleur." (Gn 3,16). La mort seule n'eût pas suffi pour rendre les hommes plus sages. Combien en voyons-nous au contraire que les épreuves rendent meilleurs ? La mort éteint en nous tout sentiment, mais les souffrances nous rendent plus vertueux de notre vivant. Si la mort nous paraît une chose si terrible, n'en accusons que notre faiblesse. Oui, cette crainte vient de notre faiblesse, je n'en veux pour preuve que saint Paul qui désire la mort, qui s'en réjouit par avance, lorsqu'il dit : "Il est sans comparaison bien meilleur pour moi d'être dégagé des liens du corps et d'être avec Jésus Christ." (Ph 1,23). Et encore : " J'en ai de la joie et je m'en réjouis avec vous tous. Et vous devriez aussi vous-même en avoir de la joie, et vous en réjouir avec moi." (Ph 2,17-18). Entendez-le s'affliger au contraire de ce que ses désirs sont ajournés : "Non seulement les créatures mais nous-mêmes, nous gémissons au-dedans de nous dans l'attente de l'adoption des enfants de Dieu, qui sera la délivrance de nos corps." (Rm 8,23). Et dans un autre endroit : "Pendant que nous sommes dans ce corps comme dans une tente, nous gémissons sous sa pesanteur." (2Cor 5,4).

3. Voyez-vous quelle source de biens renferme l'amour de la sagesse ? Ce que les autres hommes regardent comme un juste sujet de larmes, est pour l'Apôtre l'objet des plus ardents désirs, et il ne trouve que de justes raisons de gémir là où les hommes du monde placent leur joie et leurs délices. N'est-ce pas en effet un juste sujet de larmes que d'habiter un pays étranger, et d'être exilé bien loin de sa patrie ? N'est-ce pas au contraire une cause bien légitime de joie que d'arriver promptement dans ce port tranquille, et d'entrer dans cette cité céleste d'où sont bannis la douleur, l'affliction, les gémissements ? Et que m'importe à moi qui suis pécheur ? me direz-vous. Mais ne voyez-vous pas que ce n'est pas la mort qui produit la douleur, mais la mauvaise conscience ? Cessez donc de pécher, et la mort deviendra l'objet de vos désirs. "Tu as délivré mes yeux des larmes;" langage plein de vérité, car il n'y a plus dans les cieux ni douleur, ni tristesse, ni larmes. "Et mes pieds de toute chute." Cette grâce est supérieure à la première. Comment cela ? Parce que non seulement nous sommes affranchis de toute douleur, mais de tous les dangers et de toutes les embûches. Celui qui sort de cette vie accompagné de ses bonnes oeuvres, est appuyé sur la pierre ferme, il est entré dans le port, il n'a plus à craindre pour l'avenir, ni obstacles. ni agitation, ni trouble; en mourant dans cet état, il entre en possession d'une tranquillité assurée pour l'éternité.

" Je serai agréable au Seigneur dans la terre des vivants." Un autre interprète traduit : "Devant le Seigneur." Un autre : "Je marcherai en sa Présence;" c'est ce que saint Paul annonce lui-même lorsqu'il dit : "Nous serons enlevés sur les nuées pour aller dans les airs au-devant de Jésus Christ, et ainsi nous serons éternellement avec le Seigneur." (1Th 4,16). Remarquez la justesse de ces expressions : "Dans la terre des vivants." C'est là en effet qu'est la véritable vie, qui n'est plus sujette à la mort et qui nous offre des biens purs et sans mélange. "Car, dit encore le même apôtre, lorsqu'Il aura anéanti tout empire, toute domination et toute puissance, la mort sera le dernier ennemi détruit." (1Cor 15,24-26). Et lorsque toutes ces choses seront détruites, il n'y aura plus ni chagrin, ni souci, ni peines; on ne verra partout que justes sujets de joie, de paix, d'amour, de confiance, d'allégresse; des biens véritables, d'un éclat pur, d'une durée permanente. Dans l'autre vie, il n'y a plus ni chute à craindre, ni colère, ni chagrin, ni amour de l'argent, ni désirs charnels, ni pauvreté, ni richesse, ni opprobre, ni rien de semblable. Que cette vie soit donc l'objet de nos désirs, et le but final de toutes nos actions. C'est pour cela qu'il nous est ordonné de dire dans notre prière : "Que ton Règne arrive." (Mt 6,10). Dieu veut que nous ayons toujours les yeux fixés sur ce jour de l'éternité. Celui dont le coeur est enflammé de cet amour et qui se nourrit de l'espérance des biens éternels, n'est jamais submergé par les orages de la vie présente, ni abattu par les douloureuses épreuves de ce monde. Voyez ceux qui se rendent dans la capitale de leur pays, ils ne se laissent arrêter par aucune des choses qu'ils rencontrent sur leur route, ni par les prairies, ni par les jardins, ni par les vallées, ni par les solitudes, ils sont indifférents à tout, et n'ont dans l'esprit qu'une seule chose, la patrie qui les attend. C'est ainsi que le chrétien qui tous les jours se représente les splendeurs de cette cité, et qui en nourrit le désir dans son coeur, ne verra plus rien de pénible dans les épreuves les plus pénibles, et il estimera sans éclat et sans gloire ce qu'il y a pour le monde de plus glorieux et de plus éclatant. Que dis-je, qu'il estimera ? Il n'arrêtera même pas ses regards sur les choses de la terre, car il a d'autres yeux, de ces yeux que saint Paul nous recommande d'avoir : "Nous ne considérons point, dit-il, les choses visibles, mais les invisibles; car les choses visibles sont passagères, mais les invisibles sont éternelles." (2Cor 4,48). Voyez-vous comme il nous montre la route en d'autres termes ? Attachons-nous donc à ces biens éternels, afin d'arriver à les posséder, et à jouir de cette vie immortelle. Que Dieu nous l'accorde par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ à qui soit la gloire et la puissance, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles.

PSAUME 115

"J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé, mais j'ai été profondément humilié." (v.1.)

1. Saint Paul cite ces paroles dans l'une de ses épîtres : "Parce que nous avons un même esprit de foi, dit-il, selon qu'il est écrit : J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé; nous croyons aussi, c'est pour cela que nous parlons." (2 Cor 4,13). Il nous faut d'abord expliquer le sens que l'Apôtre donne à ces paroles, et le sujet qu'il avait entrepris de traiter. Ce sera pour nous un moyen certain de connaître la pensée du prophète. La meilleure méthode d'interprétation n'est point de couper la suite du discours pour s'attacher exclusivement au point qu'on a choisi, mais de remonter au principe et à l'occasion même du discours. À quelle occasion donc saint Paul rappelle-t-il ces paroles du psalmiste ? En parlant de la résurrection, de la jouissance des biens futurs qui surpassent toute parole, toute intelligence, toute pensée. Comme la parole ç humaine était impuissante à expliquer ces vérités sublimes, et que la foi seule pouvait les faire saisir, les Juifs pouvaient s'étonner de ce discours, et dans les vaines espérances dont ils étaient si fiers, s'imaginer qu'on les trompait. Aussi, l'Apôtre s'empresse-t-il de redresser leur ignorance, en leur citant les paroles du Prophète, comme pour leur dire : Je n'exige pas de vous une chose nouvelle en vous demandant la foi, c'est une vertu bien ancienne. Tel est le but que se proposait saint Paul.

Quant au psalmiste, il était sur le point d'annoncer aussi aux Juifs les biens à venir, tout à fait en dehors du cours naturel des choses humaines. C'est donc pour prévenir tout sentiment d'incrédulité qu'il commence ce psaume par ces paroles : "J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé." En effet, Jérusalem était détruite, le temple n'était plus qu'un amas de ruines, tous les Juifs avaient été emmenés captifs, chargés de chaînes, dans une terre étrangère, les peuples barbares avaient pris possession de leur patrie avec obligation d'y planter des vignes, d'y construire des maisons et d'y contracter des mariages. Un si triste spectacle jetait les Juifs dans le désespoir, et ils se disaient en eux-mêmes : Si lorsque nous étions en possession de notre ville, que nous avions des armes, des forteresses, d'immenses ressources en argent, un temple, un autel, un culte, avec ses cérémonies et toutes nos autres institutions nationales, nous sommes tombés au pouvoir de nos ennemis, nous avons été emmenés en captivité et réduits en servitude; maintenant que nous habitons une terre étrangère que nous sommes dépouillés de tout, sans armes et sans liberté, comment pourrons-nous rentrer dans notre patrie ? Ces pensées étaient une cause de défiance et de trouble pour un grand nombre d'esprits faibles, qui ne faisaient nulle attention aux oracles prophétiques où leur retour se trouvait annoncé. Le langage que leur tient le psalmiste a donc pour objet de leur enseigner la nécessité de la foi à toutes les paroles de Dieu. D'autres prophètes, comme Isaïe, leur parlent en d'autres termes : "Rappelez-vous la pierre dont vous avez été taillés, la fosse profonde d'où vous avez été tirés." (Is 51,1) Et il ajoute : "Jetez les yeux sur Abraham votre père et sur Sara qui vous a enfantés. Il était seul lorsque Je l'ai appelé, Je l'ai sanctifié, et Je lui ai donné une nombreuse postérité" (Ibid. 2); paroles dont voici l'explication : Abraham n'était-il pas d'origine étrangère ? N'était-il pas sans enfants et fort avancé en âge ? Son épouse, autant par son âge que par sa constitution naturelle, n'était-elle pas condamnée à une stérilité perpétuelle ? Toutes ses espérances n'étaient-elles point détruites sans retour ? Mais quoi, dit Dieu, est-ce qu'avec ce seul homme sans enfants, et si avancé en âge, Je n'ai point peuplé la terre tout entière ? Pourquoi donc ce trouble, cette défiance ? Si avec un seul homme J'ai pu remplir le monde entier, ne Me sera-t-il pas plus facile de peupler Jérusalem avec vous, bien que vous soyez en petit nombre ? Voilà pourquoi Il s'exprime de la sorte : "Rappelez-vous la pierre dure dont vous avez été taillés." C'est d'Abraham qu'Il veut parler, et par "la fosse profonde dont vous avez été tirés," Il fait allusion à Sara. Une fosse en effet n'a point d'eau par elle-même, elle n'est alimentée que par les pluies du ciel. Ainsi Sara qui était naturellement stérile, reçut d'en haut le pouvoir de devenir mère. De même encore qu'une pierre ne peut naturellement produire de fruit, ainsi Abraham ne pouvait avoir d'enfants; et cependant c'est de cette pierre que Je vous ai taillés, et avec un seul homme J'ai peuplé d'immenses contrées. C'est dans le même but que Dieu conduit Ézéchiel dans une plaine, où Il lui montre des monceaux d'ossements qui se raniment à la parole du prophète. Il les montre alors aux Juifs et leur dit : "Si Je puis ressusciter des morts, combien Me sera-t-il plus facile de vous ramener dans votre patrie, vous qui vivez !" (Ez 37,13).

C'est ainsi que parlaient les prophètes, mais comment s'exprime le psalmiste ? "J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé." C'est-à-dire, il faut ajouter foi à ces promesses, car pour moi qui les repassais et les méditais dans mon coeur, ce n'est qu'à l'aide de la foi que j'ai banni le trouble de mon âme. Saint Paul exige la foi, même pour les biens sensibles et extérieurs. Or, si la foi est nécessaire pour les biens qui tombent sous les sens, combien plus pour les biens invisibles ? Si la foi fut nécessaire aux Juifs pour rentrer en possession de leur cité, ne l'est-elle pas beaucoup plus pour nous qui attendons le ciel ? Toutes les fois donc qu'il s'agit d'une grande vérité au-dessus de notre intelligence et de nos pensées, il faut faire usage de la foi et ne point juger de ces vérités d'après les règles ordinaires de l'esprit humain. Car les Oeuvres admirables de Dieu leur sont de beaucoup supérieures. Il faut donc imposer silence à la raison pour embrasser la foi et rendre ainsi gloire à Dieu. Car celui qui prétend trouver à l'aide de sa raison le secret des Oeuvres divines, est loin de rendre gloire à Dieu, puisqu'Il veut soumettre à la faiblesse de ses raisonnements les incompréhensibles desseins de la Providence de Dieu."

2. Aussi lorsque saint Paul nous parle d'Abraham dont la conduite fut toute différente, et qui imposa silence à sa raison pour ne considérer que la Puissance de Dieu qui lui faisait cette promesse, il fait ressortir en ces termes comment cette conduite du saint patriarche fut souverainement glorieuse pour Dieu : "Il n'hésita point, et il n'eut pas la moindre défiance de la promesse de Dieu, mais Il se fortifia par la foi, rendant gloire à Dieu, et pleinement persuadé qu'il est tout-puissant pour faire tout ce qu'Il a promis." (Rm 4, 20-21). Or, que signifient ces paroles : "Parce que nous avons un même esprit de foi, selon qu'il est écrit : J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé; nous croyons aussi, c'est pour cela que nous parlons ?" (2Cor 13). L'Apôtre nous révèle ici un grand mystère. Quel est-il ? C'est que l'Ancien et le Nouveau Testament n'ont qu'un seul et même Esprit, que l'Esprit qui a parlé dans l'Ancien parle encore dans le Nouveau, que la foi nous enseigne toutes choses, et que nous ne pouvons rien absolument sans elle. "Et nous aussi, dit l'Apôtre, nous croyons, et c'est pour cela que nous parlons." Ôtez la foi, vous ne pouvez plus même ouvrir la bouche. Mais pourquoi n'a-t-il pas dit : Parce que nous avons une même foi, mais : "Parce que nous avons un même esprit de foi ?" C'est pour la raison que nous voulons d'indiquer, et aussi pour vous apprendre que nous avons besoin de la conduite de l'Esprit saint pour monter sur les hauteurs de la foi, et mépriser la faiblesse des raisonnements humains. Voilà pourquoi le même Apôtre dit ailleurs : "Les dons du saint Esprit qui se manifestent au dehors, sont donnés à chacun pour l'utilité de 1'Église. L'un reçoit du saint Esprit le don de parler avec sagesse, l'autre reçoit du même Esprit le don de parler avec science. Un autre reçoit le don de la foi, un autre le don de guérir les maladies." (1Cor 12,7-9).

Mais peut-être me fera-t-on observer, et avec raison, que saint Paul veut parler ici d'une autre espèce de foi nécessaire pour opérer dos miracles. Je sais bien qu'il y a une autre espèce de foi que les apôtres demandaient à Jésus en lui disant : "Augmentez en nous la foi." (Lc 17,5). Mais je sais également qu'il en est une autre dont je parle en ce moment, qui nous rend tous chrétiens, en nous donnant non point le pouvoir de faire des miracles, mais la connaissance de la piété. Or, nous ne pouvons avoir cette foi sans le Secours de l'Esprit saint, au témoignage de saint Luc qui en parlant d'une femme nous dit : "Le Seigneur lui ouvrit le coeur pour la rendre attentive à ce que Paul disait" (Ac 16,14) et de Jésus Christ Lui-même : "Personne, dit le Sauveur, ne peut venir à Moi, si mon Père ne l'attire." (Jn 6,44). Mais si tout dépend ici de Dieu, en quoi sont coupables ceux qui ne croient point, puisque l'Esprit saint ne vient pas à leur secours, que le Père ne les attire pas, et que le Fils ne les met pas dans la voie ? Le Fils de Dieu parlant de Lui-même, ne dit-Il pas : "Je suis la voie." ? (Jn 14,6) Il veut nous faire comprendre par là le besoin que nous avons de Lui pour être amenés à son Père. Mais encore une fois, si le Père nous attire, si le Fils nous conduit, si le saint Esprit nous éclaire, en quoi sont coupables ceux qui ne sont ni attirés, ni conduits, ni éclairés ? Parce qu'ils ne cherchent pas à se

rendre dignes de recevoir cette lumière. Voyez ce qui est arrivé au centurion Corneille, ce n'est point en lui-même qu'il a trouvé le bienfait de la foi, mais c'est Dieu qui l'a appelé à la foi, parce qu'il s'en est rendu digne par les oeuvres de sa vie antérieure. (Ac 10) C'est ce qui faisait dire à saint Paul en parlant de la foi : "Cela ne

vient pas de vous, mais c'est un Don de Dieu." (Ep 2,8). Toutefois, Dieu ne vous laisse point entièrement vide de bonnes oeuvres. Il se réserve, il est vrai, de vous attirer, de vous conduire, mais Il a exige une âme docile à ses inspirations, pour lui accorder sa Grâce.

C'est encore pour cela que saint Paul dit dans un autre endroit : "À ceux qui ont été appelés conformément au Décret divin." (Rm 8, 28). Car ni la vertu, ni le salut de l'homme ne sont soumis à la nécessité. La plus grande part, pour ne pas dire le tout en revient à Dieu, cependant Il nous a laissé une petite part pour avoir l'occasion de nous récompenser. Voilà pourquoi saint Paul après avoir dit : "Parce que nous avons le même esprit de foi" (2Cor 4,13), c'est-à-dire celui qui a parlé dans l'Ancien Testament, ajoute : "Et nous aussi nous croyons, et c'est pour cela que nous parlons." La foi nous est du reste beaucoup plus nécessaire que sous l'Ancien Testament, à cause de la nature des biens promis qui sont invisibles, et ne peuvent être perçus que par l'intelligence, et à cause de l'ordre des temps auxquels ils sont réservés. Car ce n'est point dans la vie présente, mais dans l'autre vie que seront distribuées les récompenses. Nous allons plus loin et nous disons que la foi était nécessaire pour les grâces de la vie présente, car ces dons tels que la participation aux saints mystères et la grâce du baptême, ne pouvaient être revus sans la foi, tant la vertu de ces dons surpassait toute intelligence. Si donc la foi était nécessaire pour des biens sensibles et matériels, combien plus l'est-elle aujourd'hui ?

Nous avons suffisamment expliqué les paroles de l'Apôtre, il est temps de revenir au psaume qui nous occupe et d'expliquer ce que dit ici le psalmiste. Que veulent dire ces paroles : "J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé ?" Il n'avait encore rien dit, mais il fait allusion au langage intérieur qu'il s'était adressé à lui-même, et qui peut se traduire ainsi : En repassant en moi-même les calamités et les infortunes des Juifs, cette destruction entière et cet anéantissement sans retour de leur nation, loin de désespérer de voir pour eux des jours meilleurs, j'en ai fait l'objet de mon espérance, je les ai annoncés, j'en ai parlé publiquement. En effet, les psaumes précédents sont pleins de ces espérances, et je n'en ai parlé que sous l'inspiration de la foi.

3. En voici un autre qui n'a point été instruit à l'école de la foi, voyez comme il chancelle, comme son âme est troublée. Ce psaume est attribué à David, mais le Roi-prophète n'y parle pas en son nom propre, il raconte les troubles intérieurs de ceux qui chancellent dans les Voies de Dieu, lorsqu'il dit : "Que le Dieu d'Israël est bon à ceux qui ont le coeur droit ! Pour moi, mes pieds ont presque failli, mes pas ont presque été ébranlés." (Ps 72,2) Il ne veut point parler des pieds du corps et de la marche extérieure, mais des raisonnements d'un esprit chancelant. Il en donne la cause en ajoutant : "Parce que j'ai porté envie aux pécheurs," (Ibid. 3), en voyant le bonheur des barbares et les afflictions des Juifs. Et quelles étaient donc ces pensées chancelantes ? "Et j'ai dit : C'est donc en vain que j'ai purifié mon coeur et que j'ai lavé mes mains parmi les innocents." (Ibid. 13). Qui donc l'avait poussé à tenir ce langage ? "Parce que j'ai vu des impies qui étaient les heureux du siècle et qui possédaient d'immenses richesses." (Ibid. 12). Mais voyez comme il ne tarde pas à revenir à des sentiments plus justes. "Si je disais, je parlerai de la sorte, mes yeux n'ont vu qu'un grand travail, jusqu'à ce que je sois entré dans le sanctuaire de Dieu, et que j'aie compris la fin des impies." (Ibid. 15-17). Voici le sens de ces paroles : Je me tourmentais, je me consumais dans mes raisonnements, car tel est leur effet ordinaire. Mais j'ai réfléchi ensuite que j'entreprenais une oeuvre laborieuse. En effet, ces recherches ne peuvent aboutir à aucun résultat certain, avant que vous m'ayez reçu dans la patrie. Vous voyez combien il est dangereux d'abandonner les choses de la foi aux raisonnements humains, plutôt que de les confier à la foi elle-même. Si celui dont parle le psalmiste avait été affermi dans la foi, il n'eût point tenu ce langage, son âme n'eût pas été troublée, ses pieds n'eussent point failli lui manquer, et ses pas n'auraient pas chancelé. Que la conduite du Roi-prophète était bien différente ! Solidement établi sur la pierre, il était inaccessible au trouble. Il voyait le triste état des Juifs, la prospérité des peuples barbares, et il ne cesse dans un grand nombre de psaumes, de prédire à haute voix et avec une certitude entière le retour des Juifs. Sa confiance est si grande qu'il ne tient compte ni de la puissance de leurs ennemis, ni de l'humiliation extrême de son peuple, il n'a en vue que la Puissance de Dieu qui a permis ce retour. Aussi s'écrie-t-il : "J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé", mais j'ai été dans la dernière humiliation." Un autre interprète traduit : "J'ai été profondément affligé."

"J'ai dit dans l'excès de mon émotion : Tout homme est trompeur." (Ibid. 2). Suivant une autre version : "J'ai dit dans le trouble de mon esprit : Tout homme est menteur." La splendeur de la foi paraît encore ici dans tout son éclat, puisque les malheurs extrêmes ne sont point capables de jeter le prophète dans le désespoir. Telle est, en effet, la puissance de la foi, elle est comme une ancre sacrée qui soutient l'âme qui s'y attache, et cette puissance paraît surtout, lorsqu'au milieu des épreuves les plus difficiles de la vie, elle persuade à celui qui reçoit ses inspirations, d'attendre l'accomplissement des magnifiques espérances qu'elle lui donne, en rejetant les raisonnements humains qui ne peuvent que le troubler. C'est ce que le Roi-prophète veut nous faire entendre lorsqu'il dit : "Pour moi, j'ai été dans une profonde affliction". C'est-à-dire, malgré mon extrême affliction, je ne me suis laissé aller ni au désespoir, ni au découragement. Il nous fait voir ensuite toute l'étendue de cette affliction qui n'a point connu de bornes, en ajoutant : "J'ai dit dans l'extrêmité où je me trouvais : Tout homme est menteur." Que signifie cette expression : "Dans l'excès, dans l'extrêmité ?" Dans l'excès de ma douleur, dans l'extrêmité de mon infortune. L'épreuve qui est venue m'assaillir a été si violente qu'elle m'a jeté dans l'abattement et dans une espèce de léthargie. Il veut parler de cet anéantissement, de cette insensibilité que l'excès du malheur produit en nous. C'est cette même insensibilité que l'auteur sacré veut exprimer, lorsqu'il dit du premier homme que Dieu lui envoya un profond sommeil. (Gn 2,21). Car le mot eçkstasiv, extase, signifie être hors de soi. Or, Dieu avait envoyé à Adam ce sommeil qui fut comme une extase pour le rendre insensible à l'extraction de la côte qui lui était enlevée, ou à la douleur qu'il aurait pu en éprouver. Dieu lui déroba ainsi le sentiment de la douleur et de la peine que cette opération aurait pu lui faire ressentir. Nous lisons encore dans un autre endroit : "Il leur survint un ravissement d'esprit," (Ac 10,10), c'est-à-dire un sommeil extatique et une insensibilité complète. C'est ce que signifie partout le mot eçkstasiv, extase. Or, cet état se produit ou sous l'action de Dieu, ou sous le poids accablant du malheur qui plonge l'âme dans une espèce de léthargie. Car, c'est l'effet naturel des grandes calamités de produire cette insensibilité et cet anéantissement. Le Roi-prophète veut donc exprimer ici la grandeur des maux qui l'ont accablé. Mais que signifie ce qu'il ajoute : "Tout homme est menteur ?" N'y a-t-il donc personne qui soit véridique ? Comment donc Job nous est-il représenté comme "un homme vrai et craignant Dieu ?" (Jb 1,1). Que dirons-nous encore des prophètes ? S'ils ont été des menteurs et que leurs oracles soient autant de mensonges, il n'y a plus rien de solidement établi. Et Abraham et tous les autres justes ? Voyez-vous quel inconvénient de s'arrêter à la lettre seule sans chercher à en pénétrer le sens ? Que signifient donc ces paroles : "Tout homme est menteur ?" Ce que le même prophète dit ailleurs : "L'homme est devenu semblable au néant." (Ps 143,4). C'est cette même vérité qu'exprime un autre prophète : "Toute chair n'est que de l'herbe, et toute sa gloire est comme la fleur des champs" (Is 40,6), c'est-à-dire une chose de nul prix, éphémère, semblable à l'ombre, à un songe, à un fantôme.

4. Et cette interprétation n'est point fondée sur une simple conjecture, car un autre interprète traduit : "Tout homme est fausseté;" un autre : "Tout homme est trompé;" un autre : "Tout homme est sujet à défaillir." Ces interprétations sont bien différentes de la première. Car le mensonge est le produit d'un vice qui réside dans l'âme; mais défaillir, s'écouler rapidement comme un songe, comme une ombre, comme une fleur, c'est la suite de la bassesse de notre nature. C'est ce que nous lisons dans un autre endroit de l'Écriture : "Je ne suis que terre et cendre." (Gn 18,27); et ailleurs : "De quoi la terre et la cendre peuvent-elles s'enorgueillir ?" (Si 10,9). Le Roi-prophète exprime encore la même vérité lorsqu'il dit : "Qu'est-ce que l'homme pour que Tu Te souviennes de lui ?" (Ps 8,5). Partout il insiste sur la misère et le néant de notre nature. Ne disons-nous point nous-mêmes des moissons : Elles n'ont point tenu parole, c'est-à-dire elles ont trompé notre espérance et n'ont pas produit ce que nous attendions ? Nous disons encore : l'année a été trompeuse, pour exprimer la même vérité. C'est dans le malheur surtout que, dociles aux leçons de la sagesse, nous considérons la faiblesse, la misère et le néant de l'homme. Voilà pourquoi le prophète, plongé dans l'abattement, voyant sa nature confondue, sa bassesse et son néant se trahir de tous côtés, s'écrie : "Tout homme est menteur;" c'est-à-dire l'homme n'est que néant. C'est ce qu'il dit encore dans un autre psaume : "L'homme passe comme un fantôme." (Ps 38,7)

"Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu'Il m'a faits ?" (Ibid. 3). Voyez comme il fait ressortir le prix du bienfait, non seulement par sa grandeur naturelle, mais par l'indignité de celui qui le reçoit ? C'est en d'autres termes la même vérité qu'il exprime dans un autre psaume, lorsqu'il dit : "Qu'est-ce que l'homme pour que Tu Te souviennes de lui, et le fils de l'homme pour daigner le visiter ? (Ps 8,5). Ce qui double en effet le prix des bienfaits, c'est leur valeur intrinsèque et le néant de celui qui les reçoit, et cette circonstance qui grandit le bienfait doit augmenter aussi la reconnaissance. C'est ce que le Roi-prophète veut nous faire comprendre lorsqu'il s'écrie : "Que rendrai-je au Seigneur" qui a choisi l'homme, qui n'est que mensonge, misère et néant, pour le combler d'aussi grands bienfaits; "pour tous les biens que j'ai reçus de Lui ?" C'est le propre d'un coeur reconnaissant de chercher et de parcourir tous les moyens de témoigner sa gratitude à son bienfaiteur, en retour des bienfaits qu'il en a reçus et lorsqu'il a rempli ce devoir, de croire qu'il n'a rien fait. Nous avons vu le premier point réalisé dans la conduite du Roi-prophète, il nous apprend dans ce qui suit le désir qu'il a de s'acquitter à l'égard de Dieu. En effet, il lui témoigne doublement sa reconnaissance, et en lui offrant ce qu'il peut, et en regardant tout ce qu'il donne comme indigne de lui être offert. Que doit-il donc offrir à Dieu ? Écoutez, il va vous l'apprendre : "Je prendrai le calice du salut, et j'invoquerai le Nom du Seigneur." (Ibid. 4). Ceux qui interprètent ces paroles dans un sens allégorique les entendent de la participation aux saints mystères. Mais pour nous en tenir au sens historique, nous disons que le Roi-prophète veut parler de libations, de sacrifices et des hymnes d'actions de grâces prescrits par la loi. Il y avait, en effet, dans l'ancienne loi, divers sacrifices : le sacrifice de louange, le sacrifice pour les péchés, les holocaustes, les victimes pour le salut, les hosties pacifiques et un grand nombre d'autres. Voici donc le sens de ces paroles : Je ne puis pas reconnaître dignement les bienfaits que j'ai reçus, mais je fais ce que je puis. J'offrirai à Dieu un sacrifice d'actions de grâces, et je le ferai souvenir de mon salut. "Je m'acquitterai de mes voeux envers le Seigneur, devant tout son peuple." (Ibid. 5). Les voeux dont il parle ici sont les promesses qu'il a faites et les engagements qu'il a pris. Au milieu de ses malheurs, il se réfugiait auprès de Dieu, il se constituait par avance son débiteur, et lui promettant, s'Il le délivrait de ses épreuves, de Lui offrir ces sacrifices. "Je m'acquitterai de mes voeux envers le Seigneur, devant tout son peuple."

"La mort des saints est précieuse aux Yeux du Seigneur." (Ibid. 6). Suivant une autre version : "Elle est honorable aux Yeux du Seigneur." Quelle liaison et quel rapport ces paroles ont-elles avec ce qui précède ? Examinez-les sérieusement et vous y découvrirez une liaison très étroite. Le Roi-prophète venait de dire, pour célébrer la grande Libéralité de Dieu : "Que rendrai-je au Seigneur pour tous les bienfaits que j'en ai reçus ?" Il proclame ici que Dieu veille avec soin non seulement sur la vie, mais encore sur la mort des saints, sur la mort qui arrive d'après les lois de la nature, comme sur celle qu'ils endurent pour obéir à la Volonté divine. N'entendez-vous pas saint Paul vous dire : "Il est plus avantageux pour vous que je demeure en cette vie, et dans cette persuasion je ne doute point que je n'y demeure avec vous tous." (Ph 1, 24- 25). Et pourquoi vous étonner que la mort ne suive pas le cours de la nature, lorsque nous voyons que la naissance de quelques personnages a eu lieu en dehors de ses lois, comme la naissance d'Isaac et celle de Samuel. Aussi saint Paul les appelle non pas les enfants de la chair, mais les enfants de la promesse. (Gn 17;18; 1R 1,5-20; Rm 9,8; Dt 32,49-50). De même, la mort de Moïse n'a pas eu lieu suivant les lois de la nature, mais conformément à une volonté particulière de Dieu. Il en a été de même de la mort de Jean le Baptiste. La mort du saint Précurseur fut le prix d'une courtisane, mais elle n'en fut pas moins honorée. N'est-ce pas une chose admirable de voir les honneurs dont il fut l'objet après une telle mort ? Ah ! C'est qu'il était mort pour la défense de la vérité, et ces honneurs allèrent si loin qu'il inspira de la crainte à son meurtrier. En voulez-vous une preuve ? Écoutez ce que l'Évangéliste dit du roi Hérode : "Il disait : Jean le Baptiste est ressuscité des morts, et c'est pour cela que des miracles s'opèrent par lui." (Mc 6,14). Voyez encore comme la mort d'Abel fut précieuse et honorable devant Dieu : "Où est ton frère Abel ? La voix du sang de ton frère crie vers moi." (Gn 4,9-10).

5. Nous voyons la même vérité dans Lazare, que les anges conduisaient au ciel après sa mort. (Lc 16, 22). Considérez ces villes entières qui accourent au tombeau des martyrs, et tous ces peuples enflammés d'un saint amour pour eux. Tel est donc le sens des paroles du Roi-prophète : Dieu témoigne une sollicitude extraordinaire pour la mort de ses saints, et il en prend un soin extrême. Car leur mort n'est point seulement l'effet du hasard ou des lois de la nature, elle n'arrive que selon les desseins de la divine Providence. "O Seigneur, je suis ton serviteur, ton serviteur et le fils de ta servante" (Ibid. 7) Il ne veut point parler ici d'une servitude ordinaire, mais de celle qui a pour principe, comme dans le Roi-prophète, un grand amour, une vive affection et un désir ardent, ce qui est pour lui la plus belle couronne, une gloire plus éclatante que tous les diadèmes. Aussi, est-ce le plus beau titre de gloire que Dieu donne à Moïse : "Moïse mon serviteur est mort." (Jos 1,2) "Et le fils de ta servante." C'est-à-dire depuis bien des siècles et dans la personne de nos ancêtres, nous sommes consacrés à ton service. C'est aussi ce que saint Paul relevait dans son disciple Timothée, comme le plus bel ornement de sa vie. "Je me souviens de cette foi sincère qui est en toi, qui a été d'abord dans Loïde ton aïeule, et dans Eunice ta

mère, et je suis intimement persuadé qu'elle est également en toi et que tu as été instruit des saintes lettres dès ton enfance." (2Tm 1,5; 3,15) Et il dit aussi en parlant de lui-même : "Je suis né hébreu de père hébreu." (Ph 3, 5). Et dans un autre endroit : "Ils sont Hébreux, je le suis aussi; sont-ils Israélites, je le suis aussi."

(2Cor 11, 22). Les Hébreux avaient en effet quelque chose de plus que les prosélytes, parce qu'ils tenaient cette prérogative de leurs ancêtres. Et c'est pour cela que le psalmiste ajoute : "Et le fils de ta servante; Tu as rompu mes liens." Il ne dit pas : Tu as secoué; mais : "Tu as rompu mes liens," pour faire voir qu'ils étaient désormais complètement inutiles. Ces liens, ce sont les tribulations, les tentations, les dangers. Il y a d'autres liens qui sont utiles et dont il est désirable que nous soyons enchaînés. Ce sont les liens dont saint Paul dit : "Dans le lien de la paix." (Ep 4, 3). Et encore : "Qui est le lien de la perfection." (Col 3,14). Mais il y a des liens opposés à ceux-là, et dont l'auteur des Proverbes dit : "L'homme est enchaîné dans les liens de son péché." (Pr 5, 22). C'est ce que Jésus Christ Lui-même nous fait entendre lorsqu'Il dit : "Et ne fallait-il pas délivrer de son esclavage cette femme que Satan tenait enchaînée depuis dix-huit ans ?" (Lc 13,16) Et Isaïe ne dit-il pas du Sauveur Lui-même : "Je t'ai établi le Médiateur de l'alliance avec les nations, pour dire à ceux qui sont dans les fers : Sortez de votre esclavage." (Is 49, 9). Il ne S'est donc pas contenté de délier ces chaînes, Il a fait plus, Il les a brisées. On peut aussi, sans crainte de se tromper, prendre ces paroles dans un sens allégorique et entendre ces liens des liens du péché, et de tout ce qui a rapport au vieil homme. Il y a encore une autre chaîne, la plus belle de toutes, que saint Paul portait constamment et dont il parlait en ces termes : "Paul enchaîné pour l'amour de Jésus Christ." (Ep 3, 3). Et plus loin : "Pour lequel je suis chargé de chaînes." (Ibid. 6, 20; Ac 28, 20).

Voyez comme le Roi-prophète ne cesse dans tout le cours de ce psaume de payer à Dieu le même tribut de reconnaissance. Vous l'avez entendu dire plus haut : "Je prendrai le calice du salut, et j'invoquerai le Nom du Seigneur." Ici il continue : "Je Te sacrifierai une hostie de louange." (Ibid. 8). C'est-à-dire je Te rendrai grâce, je Te louerai. "Et j'invoquerai le Nom du Seigneur." Il y a donc aussi un sacrifice de louange. "Je m'acquitterai de mes voeux envers le Seigneur devant tout son peuple;" (Ibid. 9); "à l'entrée de la maison du Seigneur au milieu de toi, Jérusalem." (Ibid. 10) Ce n'est point ici de la part du Prophète un acte d'ostentation, il ne cherche point non plus à s'attirer de la gloire, il veut seulement inviter tous les hommes à l'imiter et à venir s'associer à sa reconnaissance. C'est ainsi qu'agissent les saints, ils invitent non seulement tous les hommes, mais toutes les créatures, à remercier Dieu avec eux des bienfaits qu'ils en ont reçus. Il n'y a rien en effet qui soit plus cher et plus agréable à Dieu que la reconnaissance, non seulement dans la prospérité, mais aussi dans les tribulations. C'est pour Lui la première des hosties, l'offrande la plus excellente. C'est ce qui a fait la gloire de Job, de saint Paul, de Jacob, de tous les justes qui témoignaient à Dieu leur reconnaissance, jusque dans les circonstances les plus difficiles. Imitons leur exemple, ne cessons de rendre grâces à Dieu pour mériter les biens éternels que Dieu nous donne de les obtenir par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soit la gloire et la puissance, maintenant et dans tous les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 116

"Nations, louez toutes le Seigneur, peuples, louez-Le tous." (v. 1) Parce que sa Miséricorde a été puissamment affermie sur nous, et que la Vérité du Seigneur demeure éternellement." (Ibid. 2)

Il est évident pour tous que ce psaume est une prophétie de l'établissement de l'Église chrétienne et de la prédication de l'Évangile, qui s'est étendue à toute la terre. En effet, ce n'est pas seulement une, deux ou trois nations, c'est la terre tout entière, c'est la mer que le psalmiste invite à louer Dieu. Cette prophétie s'est accomplie lorsque l'Avènement du Christ vint répandre sur le monde les plus vives lumières. Il indique ensuite la cause de notre salut; ce ne sont pas nos bonnes oeuvres, la sainteté de notre vie, notre confiance, c'est la Miséricorde de Dieu seule qui nous a sauvés. "Sa Miséricorde s'est puissamment affermie sur nous." C'est-à-dire elle s'est enracinée, elle s'est fortifiée, elle est devenue plus solide que la pierre. Car tous les jours elle reçoit de nouveaux accroissements. "Et sa Vérité demeure éternellement." C'est alors en effet que la Vérité a brillé de tout son éclat. Si le Roi-prophète s'exprime de la sorte, c'est parce que tous les événements de l'ancienne loi étaient des symboles et des figures, au témoignage de l'évangéliste : "La loi a été donnée par Moïse, mais la Grâce et la Vérité ont été faites par Jésus Christ." (Jn 1, 17).

PSAUME 117

"Rendez gloire au Seigneur, parce qu'Il est bon, parce que sa Miséricorde est éternelle." v.1

Le peuple a coutume de répéter après chaque verset de ce psaume ces paroles : "C'est ici le jour qu'a fait le Seigneur, réjouissons-nous et soyons pleins d'allégresse." Ce verset ranime la ferveur d'un grand nombre de fidèles, et le peuple a l'habitude de le chanter dans cette assemblée spirituelle et dans cette fête céleste. Pour nous, si vous le trouvez bon, nous parcourrons ce psaume dans son entier, en commençant notre explication non point par le verset que le peuple répète en choeur, mais par les premières paroles. Comme ce verset est plein d'harmonie et d'une doctrine sublime, nos pères avaient établi qu'il serait répété par le peuple qui, ne pouvant comprendre le psaume tout entier, trouvait dans ce verset une doctrine parfaite. Quant à nous, il nous faut expliquer ce psaume dans son ensemble, bien qu'il contienne vers le milieu une des prophéties les plus importantes. Nous lisons en effet au verset vingt-deux : "La pierre qui avait été rejetée par ceux qui bâtissaient a été placée à la tête de l'angle." C'est la vérité que notre Seigneur Jésus Christ rappelle aux Juifs. (Mt 21,42). Il le fait indirectement et en termes couverts, pour ne point enflammer davantage l'ardente colère qu'ils avaient contre Lui; car "Il ne devait point briser le roseau cassé, ni éteindre la mèche qui fume encore;" (Is 42); mais cependant Il le fait. Commençons donc l'explication de ce psaume par le premier verset, comme nous l'avons dit. Quel est-il ? "Rendons gloire au Seigneur parce qu'Il est bon, parce que sa Miséricorde est éternelle." Le prophète considère les bienfaits que Dieu a répandus sur le monde entier, sa Bonté qui se perpétue d'âge en âge et qui s'étend à tous les hommes, et il les invite tous à venir s'associer à sa reconnaissance en leur mettant sous les yeux la source principale de toutes ces grâces.

"Que la maison d'Israël dise maintenant : Il est bon, et sa Miséricorde est éternelle." (lbid., 2). Que dites-vous ? Quoi ! La maison d'lsraël qui a souffert des captivités innombrables, qui a été réduite en servitude dans l'Égypte, emmenée aux extrémités de la terre, et qui dans la Palestine a été en proie à des maux sans fin ? Oui certes, répond le psalmiste, personne ne peut rendre un meilleur témoignage des Bienfaits de Dieu, parce que personne n'en a reçu de plus nombreux et de plus importants. Leurs tribulations mêmes sont une preuve de son infinie Bonté. Je dirai plus, à examiner sérieusement les choses, ils doivent rendre à Dieu de grandes actions de grâces pour l'avènement de Jésus Christ. Cet avènement a été pour eux l'occasion de grands malheurs, mais il n'en est pas la cause, et ils ne peuvent les attribuer qu'à leur propre malice. C'est pour eux qu'Il venait, et Il leur répétait fréquemment : "Je ne suis envoyé que pour les brebis perdues de la maison d'Israël." (Mt 15,24). Il disait également à ses disciples : "N'allez point vers les nations, allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d'Israël."(Mt 10,5). Et à la Chananéenne : "Il n'est pas bon de prendre le pain des enfants pour le donner aux chiens." (Mt 15,26). Tant il est vrai que dans toutes ses Actions, dans toutes ses Démarches, Il ne se proposait que leur salut. S'ils ont été jugés indignes d'une si grande grâce, ils ne doivent l'imputer qu'à eux-mêmes et à l'excès monstrueux de leur ingratitude. "Que la maison d'Aaron dise : Il est bon, et sa Miséricorde est éternelle." (Ibid., 3). Il invite ici séparément les prêtres à chanter les louanges de Dieu pour nous faire voir l'excellence du sacerdoce. Car plus ils sont élevés au-dessus des autres, plus aussi ils ont reçu de gloire de la part de Dieu, non seulement à raison du sacerdoce lui-même, mais par tous les autres priviléges qui leur ont été accordés. Ainsi, lorsque le feu sortit du tabernacle, ce fut en leur faveur. (Lev 10,2). "C'est pour eux également que la terre s'entr'ouvrit, que la verge d'Aaron fleurit." (Nom 16, 32 et 17,18). Que dis-je ? Une multitude d'autres événements et tant de prodiges n'ont eu lieu que pour eux et dans leur intérêt. "Que tous ceux qui craignent le Seigneur disent : Il est bon et sa Miséricorde est éternelle." (Ibid., 4). Voilà ceux en effet qui peuvent surtout connaître sa Miséricorde et pénétrer tous les secrets de sa Bonté. Mais que signifient ces paroles : "Parce que sa Miséricorde est éternelle "? C'est-à-dire qu'elle s'exerce continuellement sans interruption et qu'elle brille dans tous les événements d'un éclat toujours constant. Il en est un grand nombre, il est vrai, qui ne la voient point, mais ils ne doivent en accuser que la faiblesse de leurs pensées. Voyez ceux dont les yeux sont malades, ils ne peuvent voir la lumière du soleil, et ceux mêmes qui ont les yeux sains ne peuvent continuellement le contempler dans sa splendeur. De même il est impossible à l'homme de connaître parfaitement les voies de la Providence divine, parce que la grandeur de ses Conceptions et de sa Sagesse surpasse de beaucoup toute intelligence humaine. Il est d'ailleurs un grand nombre de passions qui répandent des ténèbres sur l'esprit des insensés, et qui leur dérobent complètement la vue de cette divine Providence. La première, c'est l'amour des plaisirs qui ferme les yeux aux vérités les plus manifestes pour tous. Ajoutez en second lieu l'ignorance et le dérèglement de l'esprit. Est-il une absurdité semblable ? Vous voyez un père châtier son enfant, il obtient votre approbation et vos louanges. Mais que Dieu veuille punir l'homme de ses mauvaises actions, vous le trouvez mauvais, vous en êtes indignés ! Peut-on imaginer une perversité plus grande que de se révolter contre des choses diamétralement opposées, et se plaindre tantôt du châtiment, tantôt de l'impunité ? Lorsqu'ils voient des voleurs qui s'emparent du bien d'autrui, ils demandent qu'ils soient punis. Quand il s'agit de leurs propres fautes, ils ne veulent plus entendre parler de châtiment. N'est ce point là l'indice d'un esprit dépravé et corrompu ? Une troisième raison, c'est qu'ils ne peuvent discerner le bien du mal, et qu'ils se trompent dans le jugement qu'ils en portent, parce qu'ils se plaisent dans le mal et se laissent entraîner au vice. Une quatrième cause, c'est qu'ils ne tiennent aucun compte de leurs péchés. Une cinquième, c'est la distance infinie qui sépare Dieu des hommes. Une sixième enfin, c'est que Dieu ne veut pas toujours nous découvrir toutes les raisons de sa Conduite, parce qu'il nous suffit de connaître les événements particuliers qui se déroulent successivement.

Il faut donc se garder de ces efforts imprudents qui voudraient pénétrer trop avant dans la conduite du Gouvernement divin, car ce serait prétendre à la connaissance de choses infinies et qui surpassent de beaucoup toute intelligence créée. Quant à ceux qui désirent connaître une partie de ses Desseins, ils doivent se rendre libres de toutes les passions dont nous avons parlé, et ils la verront alors briller, sinon dans toute sa splendeur, au moins d'un éclat plus vif que celui du soleil, et cette faible partie qu'ils en découvriront leur fera rendre grâces pour la conduite générale de la Providence. "J'ai invoqué le Seigneur dans ma tribulation, et le Seigneur m'a exaucé et mis au large." (lbid., 5). Voyez-vous quelle miséricorde, quelle bonté de la part de Dieu. Le psalmiste ne dit pas : J'étais digne d'être exaucé; il ne dit pas : Je lui ai représenté mes bonnes oeuvres, non, je me suis contenté de l'invoquer, et ma prière a suffi pour éloigner de moi le malheur. C'est ce que Dieu Lui-même dit de son peuple parmi les Égyptiens : "J'ai vu l'affliction de mon peuple, et je suis descendu pour le délivrer." (Ex 3,7). Il ne dit pas : J'ai vu les vertus de mon peuple, j'ai vu qu'il revenait à de meilleurs sentiments; mais : J'ai vu son affliction, j'ai entendu ses cris et je les ai exaucés. Reconnaissez-vous à ces traits un père plein de bonté et de miséricorde qui s'empresse de porter secours par ce seul motif qu'on est dans le malheur ? Parmi les hommes, il ne suffit pas qu'on soit dans l'affliction pour qu'on mérite d'en être délivré. Tous les jours, nous voyons frapper de verges et torturer des esclaves, sans chercher à les arracher au supplice, parce que nous avons devant les yeux la grandeur de leurs crimes. Mais pour Dieu, l'affliction seule est un motif suffisant pour qu'Il nous en délivre, et non content de nous en délivrer, Il nous donne encore une sécurité parfaite. "Il m'a exaucé et m'a mis au large." Que dis-je ? L'affliction elle-même, dans les Desseins de Dieu, a pour but de rendre meilleurs et plus sages ceux qu'elle atteint.

"Le Seigneur est mon soutien, je ne craindrai point ce que l'homme pourra me faire." (Ibid., 6). Voyez quelle élévation d'esprit, quelle grandeur d'âme, comme il s'élève au-dessus de la faiblesse humaine pour mépriser de là toute la nature. Ne nous contentons pas de répéter ces paroles, mais traduisons-les dans notre conduite. Remarquez que le psalmiste ne dit pas : Je serai à l'abri de l'épreuve, mais : "Je ne craindrai pas ce que l'homme pourra me faire." C'est-à-dire que je serai sans crainte au milieu même des souffrances, en m'écriant par avance avec saint Paul : "Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ?" (Rom 8, 31). Et cependant que d'ennemis ligués contre ces deux saints personnages, mais ils ne pouvaient rien contre eux. Ne serait-ce pas en effet la marque d'une âme timide et pusillanime de craindre ses semblables, lorsqu'elle est assurée de l'amitié de son Dieu ? Tel n'est point le Roi-prophète, il domine comme d'un lieu élevé toutes les craintes qui peuvent l'assaillir. Imitons nous-mêmes son exemple, et ne perdons point le secours de Dieu par une trop grande appréhension des hommes, car ce serait là un véritable outrage fait à la Protection divine. Telle fut la cause des malheurs d'Ezéchias. Le soleil avait retourné en arrière et avait ensuite remonté les degrés par lesquels il était descendu; (IV Roi 20,11); et ce miracle suffisait pour remplir d'effroi ceux qui étaient venus dans le dessein de s'en instruire. Cependant Ézéchias craignant d'être un jour envahi par ses ennemis, voulut leur inspirer de la crainte non point par les faits miraculeux dont il venait d'être l'objet, mais par des moyens purement humains, et il leur montra tous ses trésors dans lesquels il mettait sa confiance. Aussi Dieu irrité de cette conduite lui dit : "Vos ennemis s'empareront de toutes ces choses, c'est-à dire de tous ces trésors dans lesquels vous placez toute votre espérance et votre force."(IV Roi 20,17). Dieu reproche aussi aux Israélites de se confier dans leurs trésors et dans leurs chevaux. C'est pourquoi le prophète leur conseille d'apaiser Dieu par une conduite toute opposée et de dire : "Nous n'attendrons plus notre salut de la vitesse de nos chevaux." (Os 14, 4). Eh quoi ! Dieu vous témoigne de l'honneur, et vous l'outragez ? Dieu vous honore à ce point de vous promettre son Secours, et vous cherchez un refuge dans les espérances humaines, et vous faites dépendre votre salut d'une matière inanimée, c'est-à-dire de votre argent ? Dieu ne se contente pas de vouloir vous sauver, Il veut le faire honorablement pour vous. Il vous aime d'un amour extrême, et c'est pour cela qu'Il veut vous séparer de tout pour vous attacher à Lui, vous ôter tout autre moyen de salut pour vous forcer d'avoir recours à sa Protection, et il semble vous dire par tout ce qu'Il fait : " Espérez en moi, et demeurez-moi constamment attachés."

"Le Seigneur est mon soutien, et je mépriserai mes ennemis." (Ibid., 7). Vous voyez, il ne cherche pas à se venger de ses ennemis par un châtiment mérité, il remet à Dieu le soin de la vengeance. "Mieux vaut se confier dans le Seigneur, que de mettre sa confiance dans l'homme." (Ibid ., 8). "Mieux vaut espérer dans le Seigneur, que de mettre son espoir dans les princes."( Ibid., 9). Le Roi-prophète ne veut point établir ici une comparaison, mais l'Écriture emploie ordinairement cette figure, même dans les choses qui n'admettent pas de comparaison, pour s'accommoder à la faiblesse de ceux à qui elle s'adresse. Ce n'est donc point ici une comparaison, mais un langage de condescendance. C'est dans le même sens qu'un autre prophète dit : "Maudit l'homme qui se confie dans l'homme." (Jer 17,5). Car rien n'est plus faible que cette espérance, elle est plus fragile qu'une toile d'araignée, et cette fragilité est encore pleine de dangers pour nous; j'en appelle ici au témoignage de ceux qui ont placé leur confiance dans les hommes, et qui ont été entraînés dans leur ruine. L'espérance en Dieu, au contraire, n'est pas seulement forte, elle est assurée, parce qu'elle est à l'abri de tout changement. Voilà pourquoi saint Paul s'écriait : "L'espérance ne nous trompe point;" (Rom 5,5); et un autre auteur inspiré : "Considérez les générations anciennes, et voyez si un homme qui a espéré en Dieu a été confondu." (Ec 2,10). Mais cependant, me direz-vous, j'ai espéré en Dieu et j'ai été trompé. Parlez plus sagement, je vous en prie, et ne vous mettez pas en contradiction avec l'Écriture. Vous avez été trompé, je le veux, mais votre espérance était défectueuse, elle n'a point été persévérante. Vous n'avez pas eu la patience d'attendre et vous avez perdu courage. Agissez tout différemment, et quand vous voyez le malheur prêt à tomber sur vous, gardez-vous de tout découragement; car le caractère particulier de l'espérance est de maintenir notre âme ferme et inébranlable au milieu des plus grands malheurs.

Quoi de plus misérable que les barbares habitants de Ninive ? Ils étaient déjà comme enlacés dans les filets de leurs ennemis, la destruction de leur ville était imminente, et cependant ils ne perdirent point confiance, ils donnèrent des preuves les plus certaines de repentir, et déterminèrent Dieu à revenir sur la sentence qu'il avait portée. Voyez-vous combien l'espérance est puissante. Et le prophète Jonas lui-même, est-ce que du sein de la baleine il ne pensait pas au temple et n'espérait pas son retour dans la ville de Jérusalem ? Lors même donc que vous toucheriez aux portes du tombeau, et que vous seriez sous le coup des plus grands dangers, ne perdez jamais confiance. Dieu est assez puissant pour vous faire triompher des plus extrêmes difficultés, ce qui a fait dire au Sage : "Du matin au soir il y aura de grands changements, et toutes choses sont faciles aux Yeux de Dieu." (Ec 17,26). Ne vous rappelez-vous point ce capitaine mourant de faim au milieu de la plus grande abondance, (IV Roi 7), et cette veuve au contraire qui fut dans l'abondance au milieu de la disette générale ? (III Roi 17). C'est lorsque votre situation vous paraîtra sans espoir que vous devrez le plus espérer. Dieu aime à manifester sa Puissance, non point au début de nos épreuves, mais lorsque les hommes regardent tout comme désespéré. C'est le temps que Dieu choisit pour venir à notre secours. Ainsi, Il ne délivra point tout d'abord les trois enfants, il attendit qu'on les eût jetés dans la fournaise. (Dan 3,93). Il ne délivra point non plus Daniel avant qu'il fût jeté dans la fosse aux lions, mais seulement sept jours après. (Dan 14,39). Ne vous arrêtez pas à la nature des choses qui ne peut que vous jeter dans le désespoir, mais considérez la puissance de Dieu qui à la situation la plus désespérée, sait faire succéder les meilleures espérances. C'est ce que le psalmiste veut nous prouver en nous montrant la grande facilité d'action de la Puissance de Dieu qui sait tirer les hommes, non seulement des premières épreuves, mais de l'abîme des maux où ils sont comme ensevelis.

Écoutez en effet ce qui suit : "Toutes les nations m'ont assiégé" Quel moyen je vous demande, d'échapper à ce danger ? Il ne s'agit pas en effet, d'en venir aux mains, de livrer bataille à des ennemis qui sont en présence; le Roi-prophète est littéralement cerné, enveloppé comme dans un filet, pris comme dans un piège, et cela non point par un, deux ou trois peuples ennemis, mais par toutes les nations réunies . Cependant tous ces liens sont brisés par la confiance en Dieu. "Au Nom du Seigneur, je les ai exterminés; elles m'entouraient, elles me serraient de près, au Nom du Seigneur je les ai anéanties." (Ibid., 11)." Elles m'entouraient comme des abeilles entourent un rayon de miel; leur fureur s'est allumée comme la flamme qui embrase un buisson; au nom du Seigneur, je les ai détruites." (Ibid., 12). Comme il nous dépeint au vif la grandeur de ses épreuves, il ne se contente pas de dire : "Ils m'ont entouré," mais : "Ils m'ont entouré comme des abeilles, comme la flamme qui embrase un buisson." Les abeilles figurent la vivacité de l'action, et les épines sont le symbole d'une colère extrême, et d'une fureur que rien ne peut comprimer. Qui peut éteindre en effet le feu qui prend à des épines ? Et cependant, bien que mes ennemis aient pris feu et soient tombés sur moi avec la violence et la rapidité de l'incendie, non seulement j'ai pu leur échapper, mais je les ai anéantis. Le même prodige s'est produit sur la matière inanimée; le feu brûlait le buisson dans le désert, et le buisson n'était pas consumé sans que le feu fût éteint, et ces deux substances demeuraient ensemble sans se détruire. (Ex 3). Et cependant qu'y a-t-il de moins consistant que le bois d'un buisson, comme aussi qu'y a-t-il de plus ardent que le feu ? Mais la Puissance admirable de Dieu qui opère des prodiges bien au-dessus de notre intelligence, voulut que ces deux substances demeurassent intactes. Ce même prodige se renouvela pour le Roi-prophète; ses ennemis accouraient avec la rapidité du feu, ils fondaient sur lui avec la vivacité des abeilles, ils le tenaient comme assiégé de tous côtés, et tous leurs efforts contre lui furent inutiles. Le nom de Dieu, comme une armure invincible, comme un secours auquel rien ne peut résister, les a tous anéantis. "J'ai été poussé avec violence et près d'être renversé, et le Seigneur m'a soutenu." Pour nous donner une idée de la grandeur de ses épreuves, il nous a décrit la multitude de ses ennemis, leur extérieur menaçant, la vivacité de leurs attaques, et leur acharnement contre lui; il ajoute maintenant ce qu'ils lui ont fait souffrir. Ils m'ont assailli avec une telle violence que j'ai été sur le point de tomber et d'être abattu. Ils m'ont poussé si violemment que j'en ai été ébranlé et qu'ils ont failli me renverser. Mais, au moment où mes genoux allaient fléchir, où ma chute paraissait inévitable, et où je n'avais plus aucune espérance, Dieu est venu à mon secours. Il en agit ainsi, afin que personne ne soit tenté de s'attribuer la gloire qui Lui appartient. C'est ce qu'il a fait déjà sous les Juges, du temps de Gédéon. (Jud 7). Voilà pourquoi sous le règne d'Ézéchias, Il choisit la nuit pour remporter un triomphe éclatant sur ses ennemis. (IV Roi 24, 25). Car si ce prince sans avoir pris part ni à la guerre, ni à la victoire, se laissa dominer par la vaine gloire, à quel excès d'orgueil se serait-il emporté s'il eût assisté au combat et qu'il eût vu de ses yeux la défaite et l'anéantissement de l'armée ennemie ? C'est donc lorsque toute espérance humaine est perdue, que Dieu déploie sa Main toute-puissante. Nous en avons un exemple dans la défaite de Goliath, (I Roi 17), comme aussi dans la personne des apôtres. C'est ce qui faisait dire à saint Paul : "Nous avons reçu en nous-mêmes une réponse de mort, afin que nous ne mettions point notre confiance en nous, mais en Dieu qui ressuscite les morts." (II Cor 1,9). "Le Seigneur est ma force et ma louange, et Il est devenu mon salut." (Ibid., 14). C'est-à-dire, Il a été ma force et mon secours. Mais que signifient ces paroles : "Il a été ma louange." ? Il a été ma gloire, mon éloge, mon ornement, ma lumière; car non content de délivrer les hommes de tout danger, Il les environne d'éclat et de splendeur, et nous le voyons partout joindre la gloire et la protection qui sauve. Ces paroles renferment encore une autre vérité; quelle est-elle ? Dieu sera l'objet continuel de mes chants, ma voix est à jamais consacrée à l'hymne de la reconnaissance, et tout mon devoir sera maintenant de le louer.

Quelle leçon pour ceux qui se laissent corrompre par des chants diaboliques. À quelle ruine ils s'exposent, et quel pardon peuvent mériter ceux qui se roulent dans la fange des chants consacrés au démon, tandis que le Roi-prophète célèbre à jamais son Sauveur ? "Les cris d'allégresse et de salut se font entendre dans les tentes des justes." (Ibid., 15). Lorsque, grâce à l'intervention divine, le succès est assuré, ceux qui jouissent des fruits de la victoire se livrent aux transports de l'allégresse, doublement joyeux d'être sauvés et de l'être par la Main de Dieu. Le principe de leur joie est celui-là même qui leur a fait remporter la victoire. Mais quel a été pour Dieu le motif déterminant d'accorder son Secours ? Ce qui suit l'explique : "Dans les tentes des justes." Le psalmiste ne dit pas : "Dans les maisons", mais : "Dans les tentes;" pour exprimer une habitation où l'on ne doit s'arrêter que quelques instants. Telle était la tente qu'habitait Abraham, lorsqu'il revenait vainqueur des rois barbares et couvert de la gloire qu'il devait à ses exploits. (Gen 14,16). Telle était encore la tente sous laquelle se reposait l'apôtre saint Paul, après avoir triomphé des démons, détruit les erreurs, et remporté les succès les plus éclatants. "La Droite du Seigneur a déployé sa Puissance, la Droite du Seigneur m'a élevé." (Ibid .,16). Vous voyez la cause de son allégresse, il répète ce qu'il a dit précédemment, et reconnaît hautement que Dieu seul est l'auteur d'un aussi grand triomphe. Remarquez-vous ici que la Bonté de Dieu ne se borne pas à nous délivrer des maux qui nous accablent, mais qu'elle nous met encore en possession d'une gloire éclatante ? En effet, après avoir dit : "La Droite du Seigneur a déployé sa Puissance," il ajoute : "La Droite du Seigneur m'a élevé," c'est-à-dire la gloire de l'action divine a rejailli jusque sur moi. Car cette expression : "Elle m'a élevé," signifie : elle m'a couvert de gloire. À la force, à la puissance, Dieu a donc voulu joindre l'éclat et la gloire.

"Je ne mourrai point, mais je vivrai, et je raconterai les oeuvres du Seigneur." (Ibid .,17). La mort se présentait à moi de tous côtés au milieu des dangers. "Cependant, je ne mourrai point, mais je vivrai;" et c'est-à-dire, la Puissance de Dieu s'est signalée par des prodiges si éclatants, que même sous l'ancienne loi, elle a délivre de la mort dans des extrémités désespérées pour donner une image de la résurrection future dont la translation d'Hénoc, dès l'origine du monde, avait déjà été le symbole. (Gen 5,24). Si vous doutez de la résurrection des corps, en voici une preuve frappante : Comment en effet, ce corps peut-il subsister aussi longtemps ? Car il y a une grande différence entre relever une maison qui est tombée en ruines, et conserver indéfiniment celle qui menace sans cesse de crouler. Avez-vous donc oublié que Dieu a créé l'homme en le tirant du néant ? Il lui sera donc beaucoup plus facile de lui rendre la vie. Vous avez encore une autre figure de la résurrection dans l'enlèvement d'Élie qui n'est point encore mort jusqu'à ce jour. (IV Roi 2,11). Pour Dieu, il n'y a ni difficultés, ni obstacles. "Il n'y a rien d'impossible à Dieu, dit l'ange à Marie." (Lc 1,3)7). Et le Roi-prophète lui-même dit dans un autre endroit : "Il a fait tout ce qui il a voulu." (Ps 113,11). Est-ce que le travail d'un artisan semblable à vous, ne vous offre pas quelquefois des difficultés ? Et cependant vous vous inclinez devant la connaissance qu'il a de son art. Ainsi vous soumettez votre raison à l'habileté d'un de vos semblables, et vous demandez compte à la Sagesse de Dieu de ses oeuvres, et vous refusez d'y ajouter foi ? N'est-ce pas le comble de la folie ? "Je ne mourrai point, mais je vivrai." On peut encore, sans se tromper, prendre ces paroles dans un sens anagogique. Le Prophète, il est vrai, veut parler ici de la résurrection, car cette expression : "Je ne mourrai point" signifie,que la mort n'est pas une mort véritable; cependant on peut l'entendre dans une autre acception. "Je ne mourrai point" de cette autre mort dont Jésus Christ a dit : "Celui qui croit en Moi, quand il serait mort, vivra, et quiconque vit et croit en Moi ne mourra jamais." (Jn 11,25).

"Et je raconterai les oeuvres du Seigneur." Voilà la véritable vie : louer Dieu et annoncer à tous les hommes les oeuvres de sa Puissance. Quelles sont ces oeuvres ? Celles qu'Il va faire connaître : "Le Seigneur m'a châtié pour me corriger, mais Il ne m'a point livré à la mort." Dites-moi, se peut-il rien de plus merveilleux, et en même temps de plus utile pour notre instruction ? Il rend grâces à Dieu non seulement de l'avoir délivré de ses tribulations, mais de ses tribulations elles-mêmes, qu'il met au rang des plus signalés bienfaits et dont il rappelle les avantages. Quels sont-ils ? "Le Seigneur m'a châtié pour me corriger." Voilà pour lui la grande utilité des épreuves, elles l'ont rendu meilleur. Voyez-vous briller d'un même éclat dans ces deux circonstances la Puissance de Dieu et sa Bonté ? Il a permis que David fût comme assailli par des maux de tout genre, et Il l'en a délivré. "Il ne m'a point livré à la mort," ou selon la traduction pleine de justesse d'un autre interprète : "Il ne m'a point donné à la mort," expression qui montre que tout dépend de la Puissance de Dieu. Le Roi-prophète est donc redevable à Dieu d'une double délivrance, de la délivrance de ses maux et de la délivrance du péché. C'est dans ce sens que saint Paul écrivait aux Hébreux : "Si vous n'êtes point châtiés, vous êtes donc des enfants bâtards, et non des enfants légitimes ?" (He 12,8). "Ouvrez-moi les portes de la justice, j'y entrerai et je rendrai grâces au Seigneur." Ces portes ne sont ouvertes qu'à ceux qui ont passé par les épreuves et qui se sont déchargés du fardeau de leurs péchés." (Ibid., 19).

Celui qui a été instruit à l'école du châtiment peut dire avec confiance : "Ouvrez-moi les portes de la justice." Il faut entendre ces paroles dans le sens anagogique, c'est-à-dire des portes du ciel qui demeurent fermées aux méchants et ne s'ouvrent qu'à la vertu, qu'à l'aumône, qu'à la justice. "Voilà la porte du Seigneur, c'est par cette porte que les justes entreront." (Ibid., 20). Il y a les portes de la mort, les portes de la perdition; il y a aussi les portes de la vie, les portes étroites et petites. C'est parce qu'il y a plusieurs portes que le psalmiste nous donne le signe distinctif de la porte du Seigneur en disant : "C'est là la porte du Seigneur" Quel est donc ce signe ? C'est qu'il n'y a que ceux que Dieu châtie, qu'Il éprouve, qui entrent par cette porte, car elle est bien étroite et bien resserrée. Si donc elle est étroite, ceux qui ont été foulés par la tribulation pourront entrer par cette porte. Au contraire, la porte qui ouvre sur la mort et la perdition est large et spacieuse. "Je Te rendrai grâces, Seigneur, de ce que Tu m'as exaucé et de ce que Tu es devenu mon salut." (Ibid., 21). Il ne se borne pas à dire :"Tu m'as exaucé," il ne rappelle cette faveur qu'après le châtiment qui l'a rendu meilleur. Il témoigne donc à Dieu sa reconnaissance pour cette double grâces non seulement d'avoir été exaucé, mais d'avoir été châtié. C'est en cela, en effet, que Dieu l'a exaucé, aussi voyons-nous ce genre d'action de grâces occuper une large place dans toutes ses prières. Car, comme je l'ai dit et comme je ne cesserai de le répéter, c'est le premier des sacrifices et la plus excellente victime. "La pierre que les architectes ont rejetée est devenue la pierre d'angle." (Ibid., 22). Il est évident aux yeux de tous que c'est de Jésus Christ qu'il est ici question. Car Lui-même S'applique cette prophétie dans l'Évangile, lorsqu'Il dit : "N'avez-vous jamais lu que la pierre qui avait été rejetée par ceux qui bâtissaient est devenue la pierre d'angle ?" (Mt 21,42); (Lc 20,17). Cette prophétie ne paraît pas se rattacher à ce qui précède et semble interrompre la suite de ce psaume. Il n'y a en cela rien d'étonnant, rien de nouveau, la plupart des prophéties de l'Ancien Testament se présentent de cette manière, et la raison c'est que sans cette espèce de voile dont elles étaient couvertes, les livres qui les contenaient auraient pu être détruits. La prophétie qui a pour objet la Naissance du Sauveur paraît se rattacher à un fait historique, sans avoir cependant rien de commun avec lui. "Voici, dit le prophète, qu'une vierge concevra et enfantera un fils, et on l'appellera Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous." (Is 7,14; Mt 1,23). "La pierre qui a été rejetée par ceux qui bâtissaient." Ce sont les Juifs, les docteurs de la loi, les scribes, les pharisiens, qui ont rejeté Jésus Christ en lui disant : "Tu es un Samaritain et un possédé du démon." (Jn 8, 48); et encore : "Cet homme ne vient pas de Dieu, mais il séduit le peuple." (Jn 7,12). Et cependant, cette pierre qu'ils ont rejetée a été jugée digne de devenir la tête de l'angle. Toute pierre, en effet, n'est point propre à cet usage, il faut pour cela une pierre d'une forme toute particulière et qui puisse relier ensemble les deux murs qu'elle rejoint. Voici donc le sens de ces paroles du prophète. Celui que les Juifs ont rejeté et traité avec mépris a brillé d'un si vif éclat, que non- seulement il a servi à construire l'édifice, mais qu'il est devenu la pierre qui réunit et supporte les deux murs. Quels sont ces deux murs ? Les Juifs et ceux qui parmi les Gentils embrassaient la foi, au témoignage de saint Paul lui-même : "C'est Lui, nous dit-il, qui est notre paix, c'est Lui qui des deux peuples n'en a fait qu'un, en détruisant dans sa propre Chair le mur de séparation, c'est-à-dire leurs inimitiés, abolissant par ses décrets la loi chargée de préceptes pour former en Lui-même un seul homme nouveau de ces deux peuples." (Ep 2, 14-15). Et plus loin : "Vous êtes comme un édifice bâti sur le fondement des apôtres et des prophètes, dont Jésus Christ est Lui-même la principale pierre de l'angle." (Ep 2,20). Ces paroles renferment une accusation capitale contre les Juifs qui n'ont pas su discerner la pierre convenable pour l'édifice qu'ils construisaient, et qui ont rejeté comme défectueuse la pierre qui était capable de le consolider. Voulez-vous savoir quelles sont ces deux murailles ? écoutez ce que vous dit Jésus Christ Lui-même : "J'ai encore d'autres brebis qui ne sont point de cette bergerie, il faut que Je les amène, et il n'y aura plus qu'un troupeau et qu'un pasteur." (Jn 10,16). Cette vérité avait été figurée bien longtemps auparavant dans la personne d'Abraham, qui fut le père de deux peuples, des incirconcis et de ceux qui avaient reçu la circoncision. Mais ce n'était qu'une figure, et nous avons ici la vérité. "Cette pierre a été placée à la tête de l'angle," c'est-à-dire qu'elle a réuni ces deux peuples.

"C'est le Seigneur qui a fait cette pierre." (lbid., 23). Que signifient ces paroles ? Ce n'était pas ici une oeuvre humaine, dit le Roi-prophète, aucun être privilégié soit même parmi les anges, soit parmi les archanges, ne pouvait faire la pierre qui forme cet angle. C'était une oeuvre impossible aux justes, aux prophètes, aux anges, aux archanges; Dieu seul pouvait opérer cette merveille qui Lui appartient en propre. Un autre interprète traduit : "C'est le Seigneur qui a fait cela," cette oeuvre admirable, extraordinaire. c'est-à-dire la pierre qui forme cet angle. Et c'est pour nos yeux un objet digne d'admiration. Quel est cet objet ? Cet angle, la réunion des deux peuples dans une même religion. Les Juifs, en effet, embrassèrent la foi par milliers, et les apôtres eux-mêmes avaient été choisis parmi eux. Remarquez la justesse de cette expression : "Pour nos yeux," car ce prodige n'a point frappé tous les regards avec le même éclat. Mais qui ne serait saisi d'étonnement et d'admiration en voyant le Christ adoré là même où Il avait été crucifié, l'ignominie devenir le partage de ses bourreaux, tandis que ses adorateurs sont couverts de gloire ? En effet, sa parole se répandit dans tout l'univers pour réunir tous les hommes dans les liens de la vérité. C'est donc un spectacle admirable pour tous, à quelque point de vue qu'ils le considèrent, mais qui brille d'une lumière beaucoup plus éclatante pour ceux qui ont embrassé la foi et que le Prophète désigne par ces paroles : "Pour nos yeux." -"C'est ici le jour qu'a fait le Seigneur, réjouissons-nous et soyons pleins d'allégresse." (lbid., 24). Ce jour ne doit point s'entendre du cours ordinaire du soleil, mais des prodiges dont il a été le théâtre. Lorsque nous disons d'un jour qu'il est mauvais, nous ne voulons point parler non plus du jour mesuré par le cours du soleil, mais des malheurs que sa lumière a éclairés. C'est ainsi que le Roi-prophète appelle un jour de bonheur celui qui a été témoin d'événements heureux, et voici le sens de ses paroles : Dieu est l'auteur des prodiges accomplis en ce jour, et sa Main puissante était seule capable de les opérer.

Qu'y a-t-il de comparable à ce jour ? Alors, en effet, Dieu s'est réconcilié avec les hommes, cette guerre qui durait depuis si longtemps a été terminée, la terre est devenue un véritable ciel, et les hommes qui étaient indignes d'habiter la terre sont devenus dignes du royaume céleste; les prémices de notre nature ont été élevées au dessus des cieux, le paradis nous a été ouvert, nous sommes entrés en possession de notre ancienne patrie, la malédiction a été anéantie, le péché détruit, ceux que la loi avait condamnés au supplice ont été sauvés sans la loi, la terre tout entière et la mer ont reconnu leur souverain Maître; sans parler de mille autres prodiges qu'il est inutile de rappeler en ce moment. Ce sont toutes ces merveilles que le Roi-prophète repasse dans son esprit, et dont il attribue toute la gloire à Dieu, en proclamant qu'il en est le seul et unique auteur. "Réjouissons-nous et livrons-nous à l'allégresse en ce jour." La joie dont il parle ici est une joie tout intérieure, la joie de l'esprit, la joie du coeur. "Réjouissons-nous et livrons-nous à l'allégresse en ce jour, en reconnaissance des bienfaits signalés dont Dieu nous a comblés." C'est en effet la marque d'une grande vertu de se livrer à la joie, de tressaillir d'allégresse au souvenir des grâces que Dieu nous accorde, et de faire ses délices des bienfaits que nous en recevons.

"Seigneur, sauve-moi, je T'en prie; Seigneur, je T'en supplie, aplanis la voie devant moi." (lbid., 25). Le Roi-prophète à la vue du bonheur dont la terre est en possession, des heureux changements et des transformations qui se sont accomplies, félicite ceux qui en sont l'objet, et dit à Dieu : "O Seigneur, conserve, je T'en prie, ô Seigneur, je T'en supplie, rends la route heureuse." C'est-à-dire conserve-les dans ce bonheur dont ils jouissent, afin qu'ils en soient remplis et qu'ils produisent des fruits dignes d'une si grande grâce; rends-leur le chemin facile afin qu'ils ne perdent jamais les biens qu'ils ont si heureusement obtenus. "Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur." (Ibid ., 26). Nos espérances en effet ne s'arrêtent pas aux grâces que nous avons reçues, elles s'élèvent à des dons plus sublimes, à la résurrection, au royaume, à l'héritage avec Jésus Christ. Ce sont toutes ces choses que le prophète veut exprimer par ces paroles : "Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur." C'est ce que Jésus Christ Lui-même annonçait aux Juifs lorsqu'il leur disait : "Je vous le dis, en vérité, vous ne Me verrez plus jusqu'à ce que vous disiez : "Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur." Ils ne cessaient de Lui objecter à tout propos qu'il n'était pas de Dieu, qu'il était l'ennemi de Dieu, il leur fait donc cette réponse : "Vous Me rendrez témoignage que Je ne suis pas l'ennemi de Dieu, lorsque vous Me verrez venant sur les nuées, et que vous vous écrierez" : "Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur." Mais ces acclamations et ces louanges leur ôteront en même temps toute excuse. Les événements qui s'accompliront alors brilleront d'un si vif éclat qu'ils Lui arracheront des cris de louange pour Dieu et tout à la fois d'accusation sévère contre eux-mêmes. "Nous vous bénissons de la maison du Seigneur. Le Seigneur est le vrai Dieu, Il a fait luire sa lumière sur nous." (Ibid., 97). Le psalmiste veut parler ici de tout le peuple fidèle qui a été comblé de bénédictions dans la maison du Seigneur. Nous voyons en effet les prophètes proclamer partout le bonheur de ceux qui doivent embrasser la foi. Mais quelle est la cause, quel est le principe de ces bénédictions ? "La grâce de Dieu notre Sauveur, dit saint Paul, s'est révélée à tous les hommes pour nous apprendre à renoncer à l'impiété, aux désirs du siècle, et à vivre avec tempérance, avec justice, avec piété; attendant toujours la félicité que nous espérons, et l'avènement glorieux du grand Dieu et de notre Sauveur Jésus Christ." (Tit 2,11-13). C'est donc l'Incarnation qui est ici l'objet de l'admiration du prophète, et il s'étonne qu'étant notre Dieu, notre Seigneur, d'une nature aussi relevée, Il ait daigné Se manifester à nous. Cette manifestation, c'est l'Incarnation du Fils de Dieu qui est descendu dans le sein d'une vierge, S'est fait homme et a vécu au milieu des hommes. Voilà pourquoi le prophète s'écrie : "Nous Te bénissons", d'avoir obtenu un bienfait aussi éclatant. C'est cette même vérité que Jésus Christ exprimait en disant à ses disciples : "Beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez et ne l'ont point vu, et entendre ce que vous entendez et ne l'ont point entendu."

"Rendez ce jour solennel en couvrant de branches tous les lieux, jusqu'à la cime de l'autel." Suivant une autre version : "Ramassez d'épais feuillages dans le lieu de vos réunions." Suivant une autre : "Sacrifiez en ce jour de fête de grasses victimes." Le psalmiste revient de la prophétie à l'histoire, et dit aux Juifs : "Célébrez cette fête, rassemblez-vous en grand nombre." Quel est le sens de ces paroles : "Rendez ce jour solennel en couvrant de branches tous les lieux." ? Suivant un autre interprète : "Sacrifiez des victimes choisies." Suivant un autre : "Ornez le temple de couronnes et de feuillage." Le texte hébreu porte : Esron ag baad oth thim. Quel que soit le sens qu'on donne à ces paroles, elles signifient évidemment un jour de fête, un jour de joie et une assemblée nombreuse. Le Roi-prophète descend de nouveau des choses spirituelles aux objets sensibles, et célèbres le retour des Israélites. "Tu es mon Dieu, et je Te rendrai mes actions de grâces, Tu es mon Dieu et j'exalterai ton Nom." (Ibid., 28). Je Te rendrai grâces de ce que Tu m'as exaucé et de ce que Tu es devenu mon salut. Il nous apprend ici à rendre grâces à Dieu en dehors même de ses Bienfaits, et à le glorifier par le seul motif de sa Majesté, de sa Nature divine, et de sa Gloire ineffable. C'est le sentiment qu'il veut exprimer après avoir énuméré toutes les grâces dont il a été comblé. Quand je n'aurais reçu aucun bienfait, semble-t-il dire, je rendrais grâces à Dieu, je célébrerais son Nom en reconnaissance de ce que j'ai un Dieu si grand, si élevé, si éloigné de nos yeux, si incompréhensible. Cette expression : "J'exalterai," signifie je glorifierai. "Louez le Seigneur, parce qu'Il est bon, parce que sa Miséricorde s'étend dans tous les siècles." (Ibid., 20). Ce n'est point assez pour lui d'offrir à Dieu ce sacrifice, il invite tous les hommes à venir s'associer à ses louanges et à sa reconnaissance, il proclame la Bonté de Dieu, et ne cesse de célébrer sa Durée et sa Grandeur. Instruits de ces vérités, rendons nous-mêmes à Dieu d'immortelles actions de grâces, ne cessons de Lui offrir ce sacrifice, afin de mériter les biens éternels par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soit la gloire avec le Père et le saint Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 119

Cantique des degrés; suivant une autre version : Chant de l'ascension,-

"J'ai crié vers le Seigneur dans ma détresse, et Il m'a exaucé." ,v.1.

1. Tous les autres psaumes ont des titres particuliers, ici au contraire plusieurs psaumes se trouvent réunis sous un seul et même titre : "Cantique des degrés;" ou suivant une autre version : "Chant de l'ascension." Quelques interprètes leur donnent même nom le nom de degrés. Pourquoi cette dénomination ? me demanderez-vous. À ne considérer que le point de vue historique, c'est parce qu'il est question dans ces psaumes du retour de Babylone et de la captivité du peuple de Dieu. Mais dans le sens anagogique ils sont ainsi appelés parce qu'ils conduisent dans le chemin de la vertu. C'est l'explication donnée par un grand nombre d'interprètes. En effet, le chemin qui mène à la vertu est semblable à des degrés qui élèvent peu à peu l'homme sage et vertueux jusqu'à ce qu'ils l'aient conduit jusqu'au ciel. D'autres, prétendent que ce titre fait allusion à l'échelle que Jacob vit en songe et dont une extrémité touchait aux cieux. C'est ainsi que les lieux trop élevés et qui sont inabordables deviennent accessibles au moyen de degrés et d'échelles. Mais ceux qui gravissent une côte élevée, arrivés à une certaine hauteur, sont ordinairement pris de vertige; il est donc nécessaire d'affermir non seulement ceux qui montent, mais ceux qui sont parvenus au sommet. Or, l'unique moyen de sécurité est de ne point considérer l'espace que nous avons franchi pour en concevoir de l'orgueil, mais de jeter les yeux sur celui qui nous reste à gravir, et de nous efforcer d'y arriver. C'est ce que saint Paul nous enseigne lorsqu'il disait : "Oubliant ce qui est derrière nous, et nous avançant vers ce qui est devant nous." (Ph 3,13). Telle est l'interprétation de ce titre dans le sens anagogique.

Revenons maintenant, si vous le voulez, au sens historique, il a pour objet ceux qui ont été délivrés de la captivité. Quelle a été la cause de cette délivrance ? Le désir qu'ils avaient de revoir la ville de Jérusalem. Aussi pour ceux qui n'avaient pas ce même désir, la grâce de Dieu fut complètement inutile, ils passèrent le reste de leur vie et moururent dans la servitude, et le même sort nous attend si nous imitons leur conduite. Oui, si au lieu d'être enflammés d'amour pour la céleste Jérusalem, nous restons attachés étroitement à la vie présente, et plongés dans la fange des sollicitudes de la terre, nous ne pourrons jamais arriver à la patrie. "J'ai crié vers le Seigneur lorsque j'étais dans l'affliction, et Il m'a exaucé." Voyez vous à la fois l'avantage de l'affliction et la promptitude du secours de Dieu ? L'avantage de l'affliction qui leur inspire de faire à Dieu de saintes prières, la promptitude avec laquelle Dieu vient à leur secours, puisqu'à peine L'ont-ils invoqué Il les exauce. C'est ce qu'il avait fait précédemment pour leurs ancêtres dans l'Egypte. "J'ai considéré attentivement, dit-Il, l'affliction de mon peuple, j'ai entendu ses gémissements, et Je suis descendu pour le délivrer." (Ex 3,7-8). Vous donc, mon très-cher frère, lorsque la tribulation vous atteint, ne vous laissez aller ni au désespoir ni à la négligence, mais redoublez bien plutôt de zèle, car c'est alors que vos prières sont plus pures et la bienveillance de Dieu pour vous plus grande. Faites en sorte que toute votre vie soit une vie laborieuse et pénible, et rappelez-vous que tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus Christ seront persécutés. (cf. II Tim 3,12), et que c'est par beaucoup de tribulations qu'il nous faut entrer dans le royaume de Dieu. (cf Ac 14,21). Ne désirez donc pas une vie molle et dissolue et ne cherchez pas à marcher par la voie large qui ne conduit pas au ciel, mais prenez bien plutôt la voie étroite et difficile. Voulez-vous parvenir dans les demeures célestes ? fuyez les plaisirs, foulez aux pieds la pompe extérieure de cette vie, méprisez les richesses, la gloire et la puissance, attachez-vous au contraire à la pauvreté, à la componction du coeur, aux larmes, et à tous les moyens qui peuvent assurer votre salut. Ces dispositions vous inspireront une sécurité parfaite, et donneront des ailes à vos prières. Soyez animés de ces sentiments, invoquez Dieu dans cet esprit, et vous serez infailliblement exaucé. C'est ce qui fait dire au Prophète : "Lorsque j'étais dans l'affliction, j'ai crié vers Dieu et Il m'a exaucé." Il veut vous apprendre à vous élever peu à peu, à donner pour ainsi dire des ailes à vos prières, afin de ne point vous laisser abattre par les tribulations, et de vous les rendre au contraire utiles et profitables.

Le prophète Élisée, qui n'était qu'un homme, ne permit pas à son disciple de repousser une femme qui venait le trouver : "Laissez-la lui dit-il, car son âme est dans l'amertume." (4 R 4,27). C'est-à-titre qu'aux yeux du prophète, son excuse et sa défense étaient son affliction. Comment donc supposer que Dieu vous repousse si vous vous approchez de Lui avec une âme plongée dans l'amertume ? Voilà pourquoi Jésus Christ Lui-même proclame bienheureux ceux qui pleurent, et malheureux ceux qui sont dans la joie. (cf. Lc 6,25). Aussi commence-t-il ses béatitudes par ces paroles : "Heureux ceux qui pleurent." (Mt 5,5). Si donc vous voulez monter ces degrés, retranchez de votre vie tout ce qui sent la mollesse et la nonchalance, astreignez-vous à un genre de vie sévère, séparez-vous de tous les soucis de la terre. C'est là le premier degré; car il est tout à fait impossible de franchir ce degré et de rester attaché à la terre.

2. Vous voyez combien le ciel est élevé, vous connaissez la brièveté du temps, vous savez combien la mort est incertaine. Ne différez donc point, ne tardez point d'un seul instant, mais entreprenez ce voyage avec un zèle ardent, afin que vous puissiez monter deux, trois, dix et même vingt degrés dans un seul jour.

"Seigneur, délivrez mon âme des lèvres injustes et de la langue trompeuse." (Ibid., 2). Voyez-vous ici la pratique évidente de ce précepte évangélique : "Priez, afin de ne point entrer en tentation?" (Lc 22,46). C'est qu'en effet, mon très-cher frère, il n'y a point de tentation plus dangereuse que d'être en butte aux attaques d'un homme trompeur. Un animal féroce est moins à craindre, car il se montre tel qu'il est, tandis que le trompeur cache si soigneusement son poison sous le voile de la douceur, qu'il est impossible de découvrir ses embûches, et que vous tombez sans défiance dans la fosse creusée sous vos pas. Aussi, le Roi-prophète ne cesse-t-il de prier Dieu de le délivrer de ces ennemis cachés. Or, s'il faut éviter les hommes fourbes et dissimulés, combien plus les trompeurs et ceux qui enseignent de fausses doctrines. Mais regardez surtout comme des lèvres trompeuses celles qui cherchent à attaquer la vertu et à entraîner dans le vice. Voilà pourquoi le Prophète demande à Dieu de délivrer son âme, car c'est contre elle que tous les traits sont dirigés. "Quel prix vous sera donné, quel fruit vous reviendra-t-il de votre langue trompeuse ?" (Ibid.,3). Une autre version porte : "Que vous donnera, que vous rapportera la langue trompeuse?" Une autre : "Que vous a donné, que vous a rapporté la langue qui est l'instrument de l'imposture ?" En s'exprimant de la sorte, le Roi-prophète veut nous montrer toute l'étendue, comme aussi toute la laideur de ce genre de méchanceté. Voyez en effet son indignation, sa colère même dans ces paroles : "Que recevrez-vous, et quel fruit vous reviendra-t-il de votre langue trompeuse ?" C'est-à-dire, quel supplice sera digne d'un tel crime ? C'est le langage qu'lsaïe tenait aux Juifs : "Comment vous frapper encore davantage, vous qui ne cessez d'ajouter à vos, prévarications ?" (Is 1,5); paroles qui reviennent à celles du Prophète : "Que recevrez-vous, et quel fruit vous reviendra-t-il de votre langue trompeuse ?" ou bien encore il veut dire que l'homme fourbe trouve son supplice dans son crime et qu'il prévient le châtiment qui lui est réservé par là même qu'il engendre le vice de son propre fonds. Il n'y a point en effet de plus grand supplice pour l'âme que le vice, avant même qu'il soit puni. Quel châtiment donc -serait digne d'un tel crime ? Il n'y en a point ici-bas, Dieu seul peut égaler ici le châtiment à la faute. L'homme resterait nécessairement en dessous, car ce genre de méchanceté est au-dessus de tout châtiment. Dieu seul peut le punir comme il le mérite, et c'est ce que le psalmiste veut faire entendre en ajoutant : "Des flèches aiguës, poussées par une main puissante, avec des charbons dévorants." (lbid., 4). Ces flèches sont ici le symbole du châtiment. Une autre version porte : "Les flèches du puissant sont aiguës avec des charbons amassés." Une autre : "Avec des charbons de genévrier," expressions métaphoriques qui ont pour but d'augmenter en nous la crainte du supplice. En effet, cette expression, "charbons amassés," et cette autre : "charbons de genévrier," ont le même sens. L'une fait ressortir la multitude des châtiments, et l'autre leur intensité. La traduction des Septante : "Avec des charbons dévorants," présente la même idée, c'est-à-dire avec des charbons qui dévastent, qui consument, qui anéantissent. Les saintes Écritures veulent nous représenter la Vengeance de Dieu sous ces images terribles pour nous, de flèches et de feu. Pour moi, il me semble voir ici une figure des peuples barbares, et c'est dans ce sens qu'un interprète a traduit : "Délivrez mon âme de la lèvre menteuse." Telles sont en effet leurs paroles, telles sont leurs rusés et leurs embûches, tout y respire la fourberie et le crime y abonde. "Malheur à moi, parce que mon exil s'est prolongé, j'ai habité sous les tentes de Cédar." (Ibid., 5). Une autre version porte : "Malheur à moi parce que j'ai prolongé mon séjour," Une autre : "Malheur à moi d'avoir été si longtemps dans une terre étrangère." C'est le cri de douleur des captifs de Babylone, mais saint Paul parlant de l'exil qui se prolonge sur cette terre, s'écrie aussi : "Pendant que nous sommes dans ce corps comme dans une tente, nous gémissons sous sa pesanteur," (II Cor 5,4). Et dans un autre endroit : "Non seulement les créatures gémissent, mais nous-mêmes qui possédons les prémices de l'Esprit, nous gémissons au dedans de nous." (Rom 8,23). Qu'est-ce en effet que la vie présente ? un véritable exil. Et que dis-je, un exil ? elle est mille fois plus triste qu'un exil. Aussi notre Seigneur Jésus Christ Lui-même l'appelle-t-il un chemin. "La porte de la vie est étroite, et le chemin qui y conduit est resserré," (Mt 7,14). La première chose confine la plus importante pour nous à savoir, c'est que nous ne sommes dans cette vie que des voyageurs. Les anciens patriarches le reconnaissaient hautement, et c'est ce qui les rend dignes de toute notre admiration. Vérité que saint Paul exprimait lorsqu'il disait : "C'est pour cette raison que Dieu ne rougit point d'être appelé leur Dieu," (Heb 11,16). Quelle est cette raison ? Parce qu'ils ont confessé qu'ils étaient étrangers et voyageurs sur cette terre. (lbid., 13). Voilà la racine et le fondement de toute vertu. Celui qui reste étranger au milieu des choses d'ici-bas, deviendra citoyen du ciel. Celui qui est étranger ici-bas ne mettra point sa joie dans les biens de ce monde, il n'aura aucun souci, ni de la maison qu'il habite, ni des richesses, ni des aliments nécessaires à la vie, ni d'autres choses semblables. Voyez ceux qui habitent un pays étranger, le but unique de toutes leurs pensées, de tous leurs efforts, c'est d'être rendus à leur patrie, et ils se hâtent chaque jour de se rapprocher de la terre qui les a vu naître.

Ainsi, celui qui est enflammé du désir des biens célestes ne se laisse ni abattre par les tribulations, ni enfler d'orgueil par les prospérités de la vie présente, il passe entre ces deux écueils comme celui qui ne songe qu'à continuer sa route. Voilà pourquoi notre Seigneur nous ordonne de dire dans vos prières : "Que ton règne arrive," (Mt 6,1; Lc 11,2). Il veut que nous

ayons toujours dans le coeur le désir et l'amour de ce jour heureux, et que l'ayant sans cesse devant les yeux, nous n'arrêtions même plus nos regards sur les choses présentes. Eh quoi ! les Juifs, tant était grand leur désir de revoir Jérusalem, pleurent encore au souvenir du passé, même après leur délivrance, quelle sera donc notre excuse, quelle sera notre défense, si notre coeur n'est embrasé d'un ardent amour pour la Jérusalem céleste ?

3. Voyez comment les Juifs eux-mêmes déplorent le malheur où ils sont réduits de vivre au milieu de leurs ennemis : "J'ai habité, disent-ils, sous les tentes de Cédar, trop longtemps j'ai demeuré en ces lieux." Ils ne gémissent pas seulement d'être retenus sur une terre étrangère, mais d'habiter au milieu de peuples barbares. C'est aussi ce que faisaient les prophètes dans leurs lamentations sur la vie présente. "Malheur à moi, disaient-ils, parce que le saint a disparu de la terre, et il n'y a plus de juste parmi les hommes." Mich 7,1-2). Et le psalmiste lui-même s'écrie : "Sauvez-moi, Seigneur, parce qu'il n'y a plus d'homme saint sur la terre." (Ps 11,2). En effet, ce qui rend cette vie un fardeau accablant, ce ne sont point seulement les nombreuses vanités et les soucis multipliés dont elle est remplie, mais le grand nombre de méchants qu'on y rencontre. Rien n'est plus désagréable, rien n'est plus pénible que de vivre avec de tels hommes. Ni la fumée, ni la vapeur ne fatiguent autant les yeux que le commerce avec les hommes pervers ne porte la tristesse dans l'âme. N'entendez-vous pas notre Seigneur Jésus Christ Lui-même vous apprendre combien il est pénible de vivre avec les méchants ? Lorsqu'Il s'écrie : "Jusques à quand serai-Je avec vous ? jusques à quand vous supporterai-Je ?" (Mt 17,17), n'est-ce pas dire en termes équivalents : "J'ai habité sous les tentes de Cédar ?" Ces peuples barbares qui n'ont que des tentes ou des huttes pour habitation, traitent ceux qu'ils ont vaincus avec la cruauté des bêtes sauvages dont ils semblent avoir pris les instincts féroces. "Trop longtemps j'ai demeuré en ces lieux." Comment le peuple juif peut-il dire "trop longtemps," puisque la captivité ne dura que soixante-dix ans ? Ce qui lui fait trouver long ce temps, ce n'est pas le nombre des années, mais les dures épreuves de l'exil. Le temps est court, il est vrai, mais il paraît long à ceux qui souffrent. Tels doivent être nos sentiments, et quelque courte que soit notre vie sur la terre, le désir des biens célestes doit nous la faire paraître bien longue. Si je parle de la sorte, ce n'est point pour accuser la vie présente, loin de moi cette pensée, car elle est l'oeuvre de Dieu; non, je voudrais seulement vous exciter à l'amour des biens éternels, détacher votre coeur des jouissances de la vie présente et l'affranchir de la servitude du corps. Je voudrais que vous ne soyez pas comme ces âmes basses et vulgaires qui regardent la vie la plus longue comme étant toujours trop courte. Quoi de plus déraisonnable ? mais aussi quoi de plus grossier que ces hommes à qui l'on offre le ciel et tous ces biens "que l'oeil n'a point vus, que l'oreille n'a point entendus," (I Cor 2,9), et qui soupirent ardemment après des ombres, et veulent traverser le détroit de cette vie, bien qu'ils soient continuellement le jouet des flots soulevés, des tempêtes et des naufrages ? Que les sentiments d'un saint Paul étaient bien différents. Il se pressait, il se hâtait d'arriver au ciel, une seule chose le retenait, le salut des hommes.

"J'étais pacifique avec ceux qui haïssaient la paix; lorsque je leur parlais, ils s'élevaient contre moi sans sujet." (lbid., 7). Voyez comme le prophète fait ressortir tout ce qu'une telle vie a de pénible. Il ne dit pas : J'étais pacifique avec ceux qui n'ont pas la paix, mais : "J'étais pacifique avec ceux qui haïssaient la paix." Voilà l'avantage de la tribulation, voilà les fruits de la captivité. Mais qui de nous aujourd'hui pourrait tenir ce langage ? C'est beaucoup pour nous d'être pacifiques avec les amis de la paix, pour lui, il l'était avec ceux qui haïssaient la paix. Comment pourrons-nous arriver à ce degré de vertu, si nous vivons ici-bas comme des étrangers (car j'en reviens de nouveau à cette condition nécessaire, comme des voyageurs qui ne se laissent arrêter par aucune des choses qui se présentent à leurs regards ? En effet, la cause principale des dissensions et des guerres, c'est l'amour des biens de la terre, la passion de la gloire, de l'argent et des plaisirs. Coupez tous ces liens, qu'aucun d'eux ne retienne votre âme enchaînée, vous verrez alors quel est le principe de ces guerres, et quel fondement il faut donner à la vertu. C'est pour cela que Jésus Christ nous recommande d'être comme des brebis au milieu des loups. (Mt 10,16). Il ne veut pas que vous puissiez dire : J'ai tant souffert, que mon caractère en est aigri. Vos souffrances fussent-elles mille fois plus nombreuses, vous dit-Il, conservez la douceur de la brebis, et vous triompherez facilement des loups. Vous êtes en lutte avec un homme pervers et corrompu, mais les forces dont vous disposez vous rendent supérieur à tous les efforts des méchants. Quoi de plus doux qu'une brebis ? Quoi de plus féroce qu'un loup ? Et cependant la brebis triomphe du loup, comme nous le voyons dans la personne des apôtres. Car rien n'égale la puissance de la douceur, ni la force de la patience. Et c'est pourquoi Jésus Christ veut que nous soyons comme des brebis au milieu des loups. Mais ce n'est pas assez de cette recommandation, et il semble que cette douceur de la brebis ne suffit pas à celui qui se déclare son disciple, il ajoute donc : "Soyez simple comme des colombes." C'est-à-dire qu'Il veut que nous réunissions la mansuétude des deux animaux les plus remarquables par leur douceur et leur simplicité, tant est grande la douceur dont nous devons faire preuve parmi les hommes d'un caractère violent. Ne dites donc pas : C'est un méchant homme, je ne puis le supporter; car s'il faut faire preuve de douceur, c'est surtout dans nos rapports avec les hommes sans humanité; c'est alors que cette vertu apparaît dans toute sa force, c'est alors qu'elle atteint son objet dans toute son étendue, et que ses fruits brillent de tout leur éclat. "Lorsque je leur parlais, ils s'élevaient contre moi sans raison." Une autre version porte : "Lorsque je leur parlais, ils me déclaraient la guerre" ou bien : "Lorsque, je leur parlais, ils combattaient contre moi;" c'est-à-dire, c'est au moment même que je m'entretenais avec eux, que je leur donnais des marques d'amitié, en leur adressant les paroles les plus bienveillantes, c'est alois qu'ils s'emportaient, et qu'ils ourdissaient leurs ruses, sans que rien fut capable de les arrêter. Et cependant en face de ces dispositions haineuses, ma douceur ne se démentait pas. Voilà quels doivent être nos sentiments; qu'ils ne répondent à notre amour que par des outrages et des mauvais traitements, qu'ils nous tendent des pièges, ne laissons pas de leur opposer la même vertu.,

Rappelons-nous la parabole qui nous commande d'être comme des brebis au milieu des loups, et nous leur inspirerons ainsi des sentiments plus doux, et nous mériterons les biens du ciel. Puissions-nous les posséder tous un jour, par la grâce et la miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ à qui soit la gloire dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 120

Cantique des degrés. Suivant une autre version : Cantique que l'on chantait lorsqu'on montait les degrés. - "J'ai levé les yeux vers les montagnes d'oit me viendra le secours." Suivant un autre interprète : "Je lève les yeux vers les montagnes d'où me viendra le secours." v,1.

1. Vous voyez une âme qui plongée dans un abîme de maux, sans trouver les moyens d'en sortir, jette ses regards vers Dieu pour qu'Il daigne la consoler. Voilà encore une fois les avantages et les précieux fruits des tribulations, elles tirent l'âme de son sommeil, elles lui donnent des ailes, elles lui font implorer le secours d'en haut, et la détachent de toutes les espérances de cette vie. Si les souffrances de la captivité ont rendu meilleurs les Juifs, et leur ont fait tourner leurs regards vers le ciel, malgré leurs inclinations grossières et leur attachement à la terre, n'est-il pas bien plus juste que nous imitions leur conduite en recourant à Dieu au milieu de nos malheurs, nous qui sommes tenus à une perfection beaucoup plus grande ? Ils étaient alors au milieu de leurs ennemis, sans ville, sans forteresses, sans aucun secours du côté des hommes, sans argent, sans aucune autre ressource; ils vivaient comme des captifs, comme des esclaves au milieu de leurs traîtres et de leurs ennemis. C'est alors qu'écrasés sous le poids de leurs infortunes, ils recouraient à la Main invincible de Dieu, et que privés de tout secours humain, ils trouvaient dans ce délaissement universel un motif de s'élever à la plus haute sagesse.

Voilà ce qui leur dictait cette prière : "J'ai levé les yeux vers les montagnes, d'où me viendra le secours." Tout ce que nous pouvions attendre des hommes nous fait défaut, tout nous manque, tout nous échappe, nous n'avons plus qu'une seule espérance de salut, celle qui vient de Dieu.

"Mon secours me viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre." (lbid., 2). Voyez comme ils cherchent Dieu dans tous les objets créés : la terre, le ciel, les montagnes, les déserts, tout leur rappelle son souvenir. Voyez encore comme leur âme s'élève et proclame en toutes circonstances la souveraine providence de Dieu. Car ce n'est pas sans motif que le psalmiste ajoute : "Qui a fait le ciel et la terre ?" Voici le raisonnement que renferment ces paroles : Si Dieu a fait le ciel et la terre, Il peut donc venir à notre aide dans une terre étrangère, et jusque dans ce pays barbare, nous tendre une main secourable, et sauver de pauvres exilés. Une seule parole Lui a suffi pour créer les éléments, Il pourra donc à plus forte raison nous délivrer de ce peuple barbare. Vous voyez à quelle haute sagesse s'élèvent dans la terre d'exil ceux qui avaient moins d'intelligence que les pierres. Ce n'est plus le souvenir du temple, c'est la pensée du ciel et de la terre qui se présente à leur esprit. Les entendez-vous en effet proclamer le Dieu Créateur, sa Sagesse et sa Providence ? Eux qui disaient auparavant au bois : "Vous êtes mon Dieu," et à la pierre : "Vous m'avez engendré;" (Jer 2,27), reconnaissant maintenant le Créateur de l'univers : "Mon secours me viendra du Seigneur," je ne l'attends ni des hommes, ni des chevaux, ni des richesses, ni des alliés, ni de la force des remparts. Notre secours viendra de Dieu; c'est un secours insurmontable, une protection invincible, et avec cela rien n'égale la facilité avec laquelle nous pouvons obtenir ce secours divin. Point de longs voyages à entreprendre, point de gardiens à flatter, point de dépenses à faire, point d'ambassadeurs à envoyer. Chacun peut sans sortir de chez soi se ménager ce secours, il suffit de se détacher de toutes les choses de la terre, d'être plein d'espérance, et de fixer constamment les yeux perçants de l'âme sur les hauteurs des cieux. Pourquoi l'homme est-il le seul parmi tous les êtres animés que Dieu ait créé droit, avec les yeux à la partie supérieure du corps ? N'est-ce pas pour lui apprendre à s'élever au-dessus des choses sensibles et à regarder le ciel ? L'homme seul a été créé de la sorte, tous les autres animaux marchent courbés, et leurs regards sont toujours fixés sui la terre. L'homme au contraire, porte la tête élevée vers le ciel, pour qu'il en fasse l'unique objet de ses pensées, de ses méditations, et qu'il exerce les yeux pénétrants de son âme à en contempler les richesses. C'est ce qui faisait dire à l'auteur du livre de la Sagesse : "Les yeux du sage sont à sa tête." (Ec 2,14). C'est-à-dire, il est affranchi de toutes les choses basses et terrestres, il parcourt les cieux pour en contempler les mystères sublimes.

"Ne laissez point ébranler votre pied, et que celui qui vous garde ne s'endorme point." (Ibid., 3). Voyez-vous la vigilance que ces paroles exigent de nous ? Les Juifs désirent qu'on vienne à leur secours, ils implorent la protection divine, et le Roi-prophète leur enseigne à peu près en ces termes, la conduite qu'ils doivent tenir, pour arriver à ce but : Voulez-vous obtenir le secours du ciel ? assurez-vous-le par vos propres efforts. Et que devons-nous faire pour cela ? "Ne laissez pas ébranler votre pied," c'est-à-dire ne vous laissez ni renverser ni abattre, et alors Dieu vous tendra la main, et vous n'aurez à craindre ni qu'Il vous abandonne, ni qu'Il s'éloigne de vous. C'est donc à nous à commencer, et le succès est en notre pouvoir. Puisqu'il en est ainsi, lorsque nous voulons obtenir quelque faveur divine, il nous faut, telle est la Volonté de Dieu, prêter, notre concours, concours bien faible et bien petit, mais absolument nécessaire. Gardons-nous donc de rester plongés dans la négligence, dans l'engourdissement, dans un lâche sommeil et dans la mollesse, mais travaillons activement à notre salut. Voilà pourquoi le père de famille loue des ouvriers jusqu'à la onzième heure. (Mt 20,6). Cependant que pouvaient-ils faire à cette heure avancée ? Tout simplement fournir à Dieu l'occasion et le motif de les récompenser. Voilà pourquoi David après avoir dit : "Ne laissez pas ébranler votre pied," ajoute; "Et celui qui vous garde ne s'endormira point," Faites tout ce qui dépend de vous, et Dieu fera le reste. Le psalmiste nous apprend encore que malgré tous nos efforts, nous avons besoin du secours de Dieu pour que notre tranquillité soit immuable et assurée.

2, Mais quel est celui dont le pied se laisse ébranler ? Celui qui se jette dans les choses passagères qui n'ont aucun fondement solide, comme l'amour des richesses et le désir des jouissances de la terre. Aussi, voit-on ces hommes chanceler et tomber et se créer les plus grands dangers; ces biens n'ont en effet rien de solide, rien de stable, ils sont sujets à des changement; à des mouvements continuels, ils sont plus agités que les flots, s'écoulent avec plus de rapidité que l'eau courante des fleuves, offrent moins de consistance et sont dispersées plus vite que le sable : "Non, il ne s'endormira pas, il ne sommeillera pas, celui qui garde Israël." (Ibid., 4.) S'il vous trouve ainsi disposé, il ne dormira ni ne sommeillera; c'est-à-dire ne craignez de lui ni abandon, ni délaissement, il ne vous laissera point seul à la merci de vos ennemis. Et n'est-ce point ce qu'il veut vous apprendre, lorsqu'il ajoute : "Celui qui garde Israël ?" Que signifient ces paroles ? Si depuis tant de siècles et dès le temps de vos ancêtres, tout son objet a été de veiller à votre sûreté, ne craignez pas de le voir jamais faillir à ce devoir, et cesser de veiller sur vous, à moins que vous ne laissiez ébranler votre pied. Que dis-je ? non seulement Dieu ne vous abandonnera point, mais il vous assure une protection qui vous mettra à l'abri de tout danger. Entendez ce que vous dit le Roi-prophète : "Le Seigneur vous garde; le Seigneur est sur votre droite pour vous donner sa protection." (Ibid., 5). Une autre version porte : "II est à votre droite." Il sera votre défenseur, votre allié, votre secours. Remarquez de nouveau que Dieu exige ici vos propres efforts. Empruntant cette figure aux combattants, le psalmiste vous représente Dieu qui se tient à votre droite pour vous rendre invincible, doubler votre action, votre force, votre puissance, vous assurer la victoire et vous faire remporter un triomphe éclatant, parce que la main droite est l'instrument de toutes les actions marquantes que nous faisons. Non content de vous défendre et de vous porter secours, il vous couvrira encore de sa protection. Je le répète, le prophète se sert des choses qui nous sont connues, pour nous représenter le secours de Dieu; et cette droite et cette protection nous fait comprendre la garde rigoureuse et le secours toujours prochain que nous avons droit d'attendre de lui.

"Le soleil ne vous brûlera point durant le jour, ni la lune pendant la nuit." (Ibid., 6). Ce prodige eut lieu en faveur des Israélites après leur sortie d'Egypte et pendant leur séjour dans le désert; ces paroles sont le symbole d'une sécurité parfaite. Il est vraisemblable qu'à leur retour de la captivité, les Israélites furent l'objet d'un miracle analogue. Par ce langage figuré, le psalmiste veut nous montrer toute l'étendue de la Providence divine, qui non seulement sait délivrer de tous les maux, mais garantit encore ses enfants des incommodités auxquelles les hommes sont naturellement sujets. Dieu, en effet, nous donne sa Protection avec une générosité sans égale, avec une bonté que rien ne peut exprimer. Il ne se contente pas de proportionner son secours à nos besoins, il nous l'accorde avec une libéralité qui surpasse de beaucoup nos désirs. "Le Seigneur vous préservera de tout mal, le Seigneur gardera votre âme." (Ibid., 7). Puisqu'Il vous affranchit des moindre incommodités, et qu'Il étend jusque-là les soins de sa Providence, Il saura bien vous préserver de tous les autres maux qui peuvent vous menacer. Tout ce qui peut nous arriver de fâcheux cède et disparaît devant un signe de la Volonté de Dieu, ce qui n'est pas au pouvoir des hommes. Ils vous ont délivré d'une épreuve, mais ils n'ont pu vous sauver d'une autre; ou bien s'ils l'ont pu, ils ne l'ont point voulu. Il n'y a que la Main souveraine et toute-puissante de Dieu qui puisse repousser tous les maux qui nous accablent, quels qu'ils soient, et nous procurer une délivrance complète. "Dieu protégera votre sortie et votre rentrée, maintenant et à jamais." (Ibid., 8). Une autre version porte : "Votre approche." Vous voyez que la Protection de Dieu vous suit dans toutes les circonstances de la vie, à votre entrée comme à votre sortie. Que peut-on comparer à cette charité, à cette miséricorde ? Les expressions dont se sert le psalmiste embrassent toute la vie, iront les deux termes extrêmes sont l'entrée et la sortie. Et pour exprimer plus clairement cette vérité, il ajoute : "Maintenant et à jamais." Il ne vous gardera pas seulement un, deux, trois, dix, vingt ou cent jours, mais toujours. Cette persévérance ne se rencontre pas chez les hommes, sujets à tant de retours, à tant de vicissitudes. Celui qui est aujourd'hui votre ami, devient demain votre ennemi, et celui qui vous prête secours en ce montent, vous abandonne l'instant d'après. Souvent même, non content de vous abandonner, il se déclare contre vous et devient un de vos ennemis les plus dangereux et les plus acharnés. Mais au contraire, les dons de Dieu sont immuables, sans interruption, immortels, stables, et n'ont d'autres limites que l'éternité. Faisons donc tous nos efforts pour obtenir ces biens, mériter cette paix assurée et ces jouissances éternelles en Jésus Christ notre Seigneur à qui soit la gloire dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 121

"Je me suis réjoui de ce qui m'a été dit : Nous irons dans la maison du Seigneur." v. 1.

1. Voilà une parole qu'on n'aime guère à entendre aujourd'hui. Qu'on vous invite aux plaisirs du cirque ou au spectacle de l'iniquité, vous y courez en foule. Si ou vous appelle à la maison de la prière, c'est le petit nombre qui répond à cet appel. Les Juifs se conduisaient bien différemment, et quelle honte qu'ils soient ici plus zélés que les chrétiens ! Mais d'où leur venaient donc ces sentiments ? Je le dis de nouveau, c'est la captivité qui les rendit meilleurs. Avant cette épreuve, ils n'affectaient que de l'indifférence et du dégoût pour le temple et pour la parole de Dieu, ils se répandaient sur les montagnes, dans les vallons, sur les collines, pour s'y livrer à toute sorte d'impiétés, et voici maintenant qu'ils renoncent à ce culte sacrilège et que cette promesse les enflamme, les ranime, les remplit de courage et de joie. (cf Am 8,11). Ils avaient souffert de la faim et de la soif, non pas de la faim du pain et de la soif de l'eau, mais de la faim et de la soif de la parole de Dieu; instruits par leurs propres châtiments, ils recherchent maintenant avec plus d'ardeur les biens qu'ils avaient perdus. Ils allaient même jusqu'à embrasser le sol en disant : "Vos serviteurs chérissent les pierres de Sion, ils pleurent sur sa poussière;" (Ps 101,11) Quand viendrai-je et quand paraîtrai-je devant la face de Dieu ?" et encore : "Je me souviendrai de vous dans la terre du Jourdain, et de la petite montagne d'Hermon;" et plus haut : "Je repassais ces paroles dans mon coeur, et je répandais mon âme en moi-même." (Ps 41,3,7,5). Mais quelles sont donc les choses qui se présentent à votre souvenir ? "J'entrerai dans le lieu du tabernacle admirable, jusqu'à la maison de Dieu." (Ps 41, 5). C'est-à-dire je ferai partie de ces choeurs nombreux, de ces grandes assemblées, qui rendent à Dieu le culte qui Lui est dû. "Nos pieds se sont autrefois arrêtés dans vos parvis, à Jérusalem.". (Ibid., 2). Une autre version porte : "Je me suis réjouis, lorsqu'ils me disaient : Nous sommes entrés dans la maison du Seigneur, nos pieds se sont arrêtés dans vos parvis, ô Jérusalem." Quelle joie extraordinaire ! Il semble qu'ils sont déjà en possession des biens qui leur sont promis, et cette seule promesse les remplit d'allégresse, tant est grand leur désir de revoir et d'embrasser le temple de Dieu et la ville sainte. Telle a toujours été la conduite de Dieu. Lorsque nous sommes insensibles aux biens que nous possédons, Il nous les arrache des mains, afin que la privation produise en nous ce que la jouissance n'a pu faire. C'est ce changement qui s'opère dans les Juifs, ils s'attachent étroitement à leur ville, à leur temple et rendent à Dieu d'éclatantes actions de grâces de ce qu'ils sont rentrés dans leur patrie.

"Jérusalem qui est bâtie comme une ville, et dont toutes les parties sont dans une parfaite union entre elles." (Ibid., 3). Ou ces paroles signifient d'après la version des Septante : Jérusalem sera bâtie comme une ville, et il s'agirait du temps qui a précédé sa construction; ou bien d'après une autre version : Nous sommes rentrés dans Jérusalem qui est bâtie comme une ville, ce qui doit s'entendre du temps qui a suivi la captivité. Jérusalem n'était alors qu'un vaste désert, et un amas de ruines, ses tours étaient abattues, ses murs renversés, tristes restes de l'ancienne patrie. A la vue de cette solitude, les Juifs revenant de la captivité, rappellent le souvenir de son ancienne prospérité et de son antique splendeur, et racontent comment cette ville dont la gloire était si éclatante, qui avait un temple, des princes, des rois et des pontifes, dont la richesse et la beauté étaient sans égales, est tombée dans un état aussi humiliant. Le texte même du psalmiste vient à l'appui de cette explication : "Jérusalem qui se bâtit comme une ville." Car alors ce n'était pas encore une ville. Ce qui suit confirme cette explication : "Dont toutes les parties sont dans une parfaite union entre elles." Il décrit ici ses nombreux édifices étroitement reliés entre eux sans la moindre interruption et se prêtant une sûreté mutuelle; partout des maisons compactes, parfaitement distribuées, unies entre elles et servant d'habitation à une population nombreuse. C'est cette idée que rend un autre interprète en traduisant : "Qui est parfaitement unie." A ce premier éloge, le Psalmiste en ajoute un autre : "C'est là que montaient toutes les tribus, les tribus du Seigneur, le témoignage d'Israël, pour y célébrer les louanges du nom du Seigneur." En effet, ce qui était le plus bel ornement de cette ville, c'était moins la grandeur et la magnificence de ces édifices, que la réunion de toutes les tribus qui s'y rendaient pour y tenir des conseils, des assemblées saintes, ou délibérer sur les intérêts du peuple de Dieu. C'est là en effet qu'était le temple et que s'accomplissaient toutes les cérémonies du culte divin. Là étaient les prêtres, les lévites, l'habitation royale, le sanctuaire, les portiques, les sacrifices, l'autel, les tètes et les assemblées solennelles, et pour tout dire en un mot, c'est là que se trouvaient le siège et la forme du gouvernement. Les tribus étaient obligées de s'y réunir trois fois dans l'année, aux fêtes publiques et solennelles de Pâques, de la Pentecôte, de la Scénopégie, ou de la fête des Tabernacles, car il leur était défendu de se réunir ailleurs. C'est donc pour relever cette glorieuse prérogative que le psalmiste dit : "C'est là que montaient les tribus." Une autre version porte : "C'est là que sont montés tous les sceptres;" il ne dit pas seulement les tribus, mais : "les tribus du Seigneur." Toutes les tribus appartenaient bien au Seigneur, mais il ne leur était pas permis d'accomplir ces grands actes de religion dans leur pays, c'était la métropole qui avait l'honneur et le privilège d'attirer et de réunir toutes les tribus dans son sein.

2. Ces grandes réunions avaient pour but de donner aux Juifs la véritable connaissance de Dieu, car en se dispersant de côté et d'autre, ils eussent été exposés à se laisser entraîner au culte des idoles. Voilà pourquoi Dieu leur fit une loi de se rendre à Jérusalem pour y sacrifier, pour y prier, pour y célébrer les grands jours de fête; il voulait ainsi renfermer dans les limites de la ville sainte, arrêter et réprimer leur esprit toujours disposé à s'égarer et à se perdre dans les voies de l'impiété. C'est cette vérité que le prophète exprime, lorsqu'il dit : "Les tribus d'Israël, témoignage du Seigneur." Que veulent dire ces paroles : "Témoignage d'lsraël ?" C'est-à-dire que c'était le plus grand, la preuve et la démonstration la plus forte de la Providence de Dieu, qui ne laissaient aucune excuse aux Juifs prévaricateurs et déserteurs des autels du vrai Dieu pour embrasser le culte des idoles. Dieu ne pouvait donner une preuve plus grande de sa Providence, de sa Puissance, de sa Sagesse. C'est là en effet, qu'était lue cette loi qui contenait l'histoire des faits éclatants, accomplis dans les temps anciens. Ces réunions resserraient encore les liens de la charité, par les rapports mutuels qu'elles établissaient entre eux. Ces fêtes qui se célébraient à Jérusalem étaient une occasion pour les différentes tribus d'entretenir des relations entre elles, et ces réunions générales dans la ville sainte étaient pour tous la source d'une crainte de Dieu plus grande, d'une piété plus vive, et d'autres biens innombrables"Pour célébrer le temple du Seigneur," c'est-à-dire pour rendre grâces à Dieu, pour L'adorer, pour Le prier, Lui faire des offrandes et des sacrifices qui les portaient à la piété, et les affermissaient dans l'observation des pratiques de leur religion.

"Car c'est là qu'ont été dressés les trônes pour rendre la justice, les trônes pour la maison de David." (Ibid., 5). Voici une autre prérogative de la ville sainte; c'est qu'elle était la ville royale, c'est le sens de ces paroles : "C'est là qu'ont été dressés les trônes pour rendre la justice, les trônes pour la maison de David." Suivant une autre version : "Les trônes de la maison de David." Jérusalem était en effet le siège d'une double souveraineté, la souveraineté des prêtres et celle des rois, unies entre elles par un lien étroit, et qui ornaient cette ville d'une double couronne et d'un double diadème. Là siégeaient les juges, à qui étaient déférées toutes les causes qui dépassaient la capacité des juges ordinaires. Ainsi, lorsqu'une sentence rendue dans les autres villes, soulevait quelque doute, la cause, comme cela se pratique dans les appels, était soumise à l'appréciation des juges qui siégeaient à Jérusalem, pour recevoir une solution définitive. Voilà ce qui existait dans les temps anciens; mais quel affligeant spectacle cette ville nous offre aujourd'hui. Une solitude profonde, un amas de ruines, quelques restes d'édifices échappés à la destruction et à l'incendie, et d'un aspect misérable, tristes et seuls vestiges qui peuvent à peine donner une faible idée de sa grandeur première. Aussi le psalmiste ne veut point que son discours se termine par un aussi triste tableau, et il donne aux Juifs des espérances plus consolantes.

"Demandez tout ce qui peut contribuer à la paix de Jérusalem." (lbid., 6). Que signifient ces paroles : "Demandez tout ce qui peut contribuer à la paix de Jérusalem ?" ou si l'on veut, priez, implorez. Une autre version porte : "Aimez Jérusalem d'un amour tendre." C'est-à-dire, demandez qu'elle soit rétablie dans son ancienne prospérité, délivrée de ces guerres si fréquentes, et à l'abri de tout danger. Ces paroles sont donc une prière, ou si l'on aime mieux, une prédiction : "Demandez tout ce qui peut contribuer à la paix de Jérusalem," c'est-à-dire la paix sera désormais son partage. "Et que ceux qui vous aiment soient dans l'abondance." Une autre version porte : "Qu'ils jouissent du repos," Une autre : "Qu'ils soient heureux, ceux qui vous aiment." Voilà en effet le comble du bonheur, Jérusalem ne sera pas la seule à jouir de tant d'avantages, ils sont également assurés à tous ceux qui l'aiment. C'est ce qui ne se voyait pas autrefois, car ses ennemis acharnés qui lui déclaraient la guerre, avaient en partage la force, la puissance, la gloire, et la victoire suivait partout leurs pas. Maintenant au contraire, ceux qui vous aiment jouissent d'une tranquillité assurée, ils seront à l'abri des mêmes remparts. Le psalmiste veut parler ici ou de ceux qui devaient faire cause commune avec la ville de Jérusalem, ou de ses habitants eux-mêmes, "vue la paix soit dans votre force." Une autre version porte : "Dans vos remparts." Une autre : "Dans votre enceinte." Que signifient ces paroles : "Dans votre force ?" C'est-à-dire dans ce qui fait votre constitution, dans vos habitants, dans votre prospérité. La guerre est une chose funeste et elle avait été cause de sa ruine; voilà pourquoi il lui souhaite la paix. "Et que l'abondance soit dans vos tours." Un autre interprète traduit : "Dans vos palais." Un autre : "Le bonheur". Un autre : "La tranquillité." Ce n'est pas seulement la délivrance de tous ses maux qu'il lui prédit, mais l'heureux assemblage de tous les biens, la paix, l'abondance, la fertilité. En effet, à quoi servirait la paix à ceux qui souffrent de la pauvreté, de l'indigence et de la faim ? Et de quelle utilité serait l'abondance au milieu des horreurs de la guerre ? Il lui prédit donc ces deux grands biens, l'abondance et la paix qui lui permettront d'en jouir. "C'est à cause de mes frères et de mes proches." (lbid., 8). Ou il veut parler ici des peuples voisins qui avaient applaudi à la ruine de Jérusalem, et il demande à Dieu la paix, afin de les humilier et de leur faire connaître la Puissance de Dieu; ou bien ces frères sont les habitants de Jérusalem. C'est donc dans l'intérêt de mes frères et de mes proches que je demande la paix pour qu'ils respirent enfin, puisqu'ils ont profité des dures leçons de l'adversité : "J'ai parlé de paix, en parlant de toi." "A cause de la maison du Seigneur notre Dieu, je fais des voeux pour ton bonheur." (lbid., 9). Une autre version porte : "Je parlerai de paix pour toi." Il vient de dire : "C'est à cause de mes frères et de mes proches." Mais ce n'est pas sur leurs mérites qu'il se fonde pour demander à Dieu la paix; il le prie de les combler de nouveaux bienfaits. C'est pour cela qu'il ajoute : "A cause de la maison du Seigneur notre Dieu;" c'est en vue de sa Gloire, c'est pour que son culte soit rétabli, et que ses divins enseignements se répandent de plus en plus. Parmi les Juifs en effet, les uns étaient nés pendant la captivité, les autres avaient été témoins du départ pour l'exil et du retour. Lors donc qu'ils avaient accompli leurs devoirs religieux, les anciens leur rappelaient les événements passés, leur prospérité, le cours fortuné de leurs entreprises, et la perte subite de tous ces avantages. Vous voyez comme il réprime en eux tout sentiment d'orgueil. Qu'ils ne s'imaginent pas que tant de biens sont comme la récompense des châtiments qu'ils ont soufferts pour leurs fautes, mais qu'ils sachent que la Gloire de Dieu est le seul motif de leur retour dans leur patrie, et que cette pensée soit à la fois pour eux un principe de sécurité parfaite, et un préservatif contre les crimes qui les exposeraient aux mêmes châtiment.s. Convaincus nous-mêmes de ces vérités, faisons tous nos efforts pour ne point faillir. Et s'il nous arrive de tomber dans le péché, hâtons-nous d'en sortir et de n'y plus retomber, pour ne point entendre ces paroles qui furent dites au paralytique : "Voilà que vous êtes guéri, ne péchez plus désormais, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pis." (Jn 5,14). En parlant de la sorte, notre Seigneur a voulu apprendre aux bons à conserver avec le plus grand soin leur innocence, et à ceux qui ont été délivrés de leurs péchés à persévérer dans l'heureux changement qui s'est opéré en eux, afin que tous ensemble ils arrivent à la possession des biens éternels. Puissions-nous tous les obtenir par la grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soit la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 122

"C'est vers Tous que je lève les yeux, vers vous qui habitez dans les cieux." v. l.

Vous voyez éclater en toutes circonstances les avantages de la captivité. Les Juifs étaient attachés étroitement jusque-là aux choses de la terre, et mettaient leur confiance dans les Assyriens et les Égyptiens, aussi bien que dans la force de leurs remparts et la multitude de leurs richesses. Ils renoncent à tous ces appuis, pour se jeter dans les Bras invincibles de Dieu en qui seul ils placent leur espérance; ils ne peuvent aller prier Dieu dans leur temple qui a été détruit, ils L'invoquent alors au plus haut des cieux. L'Écriture nous dit que Dieu habite dans les cieux, N'allons pas croire qu'il puisse être renfermé dans un espace quelconque, Lui qui remplit tout de son Immensité. Cette expression signifie simplement que Dieu se repose de préférence au milieu des puissances célestes. C'est dans le même sens que l'Écriture nous Le représente comme habitant au milieu des hommes : "J'habiterai en eux, et je marcherai au milieu d'eux." (Il Cor 6,16). C'est pendant leur séjour chez ces peuples barbares que les Juifs reçoivent les plus sublimes leçons, et que dans cette privation absolue de toutes les ressources de la vie, ils apprennent que Dieu, en quelqu'endroit qu'on L'invoque, exauce promptement nos prières.

Les premiers rayons d'une vie toute nouvelle allaient bientôt briller à leurs regards, aussi le prophète prélude à ce grand changement et sous le voile de la comparaison, il annonce que les observances des lieux prescrits par la loi, cesseront d'être obligatoires. "Comme les yeux des serviteurs sont fixés sur les mains de leurs maîtres, et comme les yeux de la servante sont attachés sur la main de sa maîtresse; ainsi nos yeux sont fixés vers le Seigneur notre Dieu, en attendant qu'Il ait pitié de nous." (Ibid., 9). Quelle piété vive et ardente ! Leur espérance n'est pas un sentiment passager, elle les tient constamment attachés à Dieu, objet de leurs aspirations et de leurs désirs. Que signifie en effet cette comparaison qu'ils apportent ? C'est qu'ils n'espèrent et qu'ils n'attendent d'aucun autre secours et protection. Car de qui le serviteur et la servante attendent-ils la nourriture, le vêtement et les autres choses nécessaires à la vie ? De leurs maîtres seuls; aussi ils ne se retirent point, mais ils restent en leur présence, jusqu'à ce qu'ils en aient reçu ce qui leur est nécessaire, et qu'ils leur en aient témoigné leur reconnaissance. Voilà ce qu'ils font invariablement. Si donc le psalmiste apporte cet exemple de la servante et des serviteurs, c'est pour nous montrer qu'ils ont les yeux constamment fixés sur Dieu, qu'ils n'ont point d'autre espérance, que l'attente de son secours est l'unique objet de leurs désirs, parce qu'ils Le regardent comme la source de tous les biens.

Quel admirable changement ! Il fallait auparavant les presser de recourir à Dieu, et ils ne répondaient que par l'indifférence et le dégoût. Mais aujourd'hui, l'adversité les a rendus meilleurs, ils ne veulent plus se séparer de bien, loin de là, ils Lui promettent une fidélité constante à son service, et le supplient d'avoir pitié d'eux; en effet, le psalmiste ne dit pas : En attendant qu'il nous ait donné notre récompense, ou le salaire qu'il nous doit; mais : "En attendant qu'il ait pitié de nous.") Vous donc, à homme, persévérez constamment dans la prière, que Dieu vous accorde ou non ce que vous Lui demandez; quand même Il ne vous exaucerait pas pour le moment, ne vous éloignez point de Lui, et vous recevrez infailliblement l'objet de votre prière. Eh quoi ! la persévérance d'une pauvre veuve a triomphé d'un juge inhumain, (Lc 18), quelle excuse donc pouvez-vous apporter, vous qui vous laissez gagner si facilement par le découragement, par la négligence, par la tiédeur ? Ne voyez-vous point dans quelle dépendance les servantes sont vis-à-vis de leurs maîtresses sur lesquelles elles tiennent constamment fixés leurs pensées comme leurs regards ? Imitez leur conduite, attachez-vous à Dieu seul, abandonnez tout le reste pour être au nombre de ses serviteurs, et vous obtiendrez de Dieu tout ce que vous Lui demanderez d'utile.

"Ayez pitié de nous, Seigneur, ayez pitié de nous, parce que nous sommes rassasiés d'opprobres outre mesure. (Ibid., 3). Oui notre âme est rassasiée à l'excès." (Ibid., 4). Entendez-vous le langage d'un coeur contrit ? C'est au nom de la miséricorde qu'ils demandent à être sauvés, que dis-je ? ils n'invoquent point cette miséricorde comme s'ils en étaient dignes, ils s'appuient sur les châtiments qui leur ont été infligés, comme le disait Daniel : "Nous sommes diminués plus que toutes les nations qui sont sur la terre. " (Dan 3,37). Les Juifs tiennent ici le même langage. Nous avons souffert des maux extrêmes, nous avons été dépouillés à la fois de notre patrie et de la liberté, nous sommes devenus les esclaves des barbares, en butte à leurs outrages, en proie aux dures privations de la faim, de la soif et de la misère, l'objet continuel des insultes de nos ennemis qui nous foulaient aux pieds; daignez donc nous épargner et avoir pitié de nous. Que signifient ces paroles : "Notre âme est remplie outre mesure?") C'est-à-dire notre âme est épuisée, consumée par la grandeur de nos maux. On en voit beaucoup qui au milieu des plus rudes souffrances montrent un courage à toute épreuve. Mais pour nous, cette ressource nous est ôtée, l'adversité nous accable et nous abat. Ils n'ont pas usé comme ils le devaient de la bonne fortune, Dieu les en punit par les levers de l'adversité, c'est la conduite que nous Lui voyons tenir constamment. Adam avait abusé des joies du paradis terrestre, Dieu l'en punit en le chassant dehors. L'égalité d'honneur que Diên avait accordée à Eve son épouse, fut cause de sa perte, Dieu lui fit trouver le remède à cette faute dans la soumission et la dépendance. Les Juifs eux-mêmes s'étaient laissé entraîner par la liberté et le calme d'une longue sécurité, dans des excès monstrueux de dérèglement, et de dissolution; Dieu les ramène à Lui par une voie tout opposée. Voici donc le langage qu'ils Lui tiennent pour implorer sa miséricorde : "Notre âme a été rassasiée outre mesure. Elle est devenue un sujet d'opprobre à ceux qui sont dans l'abondance, et de mépris aux superbes." Suivant une autre version : "Notre âme a été rassasiée outre mesure des discours de ceux qui sont dans l'abondance et des mépris des superbes." Suivant une autre : "Elle a été rassasiée des railleries des insolents." Suivant une troisième : "Elle a été rassasiée du mépris de ceux qui regorgent de biens." Ils reproduisent constamment la même pensée, et ils déplorent l'extrémité de leurs malheurs, lorsqu'ils disent : "Notre âme est rassasiée du mépris de nos ennemis." La version des Septante présente un autre sens : "Puissent nos maux passer à nos ennemis, leur faire éprouver ce qu'ils nous ont lait souffrir, et réprimer ainsi leur faste et leur arrogance." C'est ce que nous voyons fréquemment arriver, et c'est la conduite ordinaire de Dieu, il réprime les pensées des esprits superbes, et humilie les âmes orgueilleuses pour les retirer de la voie qui les conduirait à leur perte. L'orgueil, en effet, est le plus dangereux de tous les vices. Si donc Dieu a permis les tentations, les peines, la mort du corps, les malheurs sans nombre qui nous accablent, les infirmités et les maladies, c'est comme autant de freins destinés à réprimer les excès de l'âme superbe et enflée par l'orgueil. Gardez-vous donc de vous troubler, mon très-cher frère, lorsque l'épreuve vous atteint, rappelez-vous ces paroles du Prophète : "Il est bon que vous m'ayez humilié afin que j'apprenne vos jugements." (Ps 118,71). Recevez le malheur comme un remède, faites de la tentation un usage convenable, et vous arriverez ainsi à une tranquillité parfaite. Puissions-nous tous eu être trouvés digues par la grâce et la Miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soient la gloire et l'empire dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 123

"Si le Seigneur n'avait été avec nous." v. 1.

1. Je l'ai dit bien souvent, je le dis encore aujourd'hui et je ne cesserai de le répéter, les avantages de la captivité sont innombrables, et elle est de nature à ramener dans les voies de la sagesse tout esprit tant soit peu attentif. Voyez les Juifs qui couraient offrir leur encens aux idoles, méprisaient le vrai Dieu, et se livraient à tous les excès de l'impiété; entendez leur langage après la captivité, et en quels termes ils reconnaissent que Dieu seul est l'auteur de leur salut. Que dis-je ? le prophète comme un excellent conducteur les engage à proclamer souvent cette vérité. Il leur en donne le premier l'exemple, et il leur commande ensuite, comme un maître à ses disciples, de redire après lui : "Qu'Israël dise maintenant : Si le Seigneur n'avait été avec nous lorsque les hommes s'élevaient contre nous, ils nous auraient dévorés tout vivants." (Ibid., 2). Ils étaient, en effet, sans armes, sans ressources, misérables victimes de la captivité et de l'esclavage, à peine délivrés de leurs épreuves. Leur ville n'avait point de murailles, ou plutôt ce n'était pas une ville, et après leur retour ils étaient en proie à tous leurs ennemis; mais Dieu leur tint lieu de remparts et de forteresse. Disons donc aussi nous-mêmes : "Si le Seigneur n'avait été avec nous, ils nous auraient dévorés tout vivants." Car que n'aurait pas fait le démon, notre ennemi acharné, si Dieu n'eût été avec nous ? Écoutez ce que Jésus Christ dit à Pierre : "Simon, Simon, voilà que Satan a désiré vous passer au crible comme le froment, et moi, j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas." (Luc. 22,31). En effet, le démon est une bête cruelle et insatiable, et si on ne le reprenait continuellement, il répandrait partout la confusion et le désordre. Dieu abandonna tant soit peu à sa fureur le saint homme Job, et le démon renversa sa maison de fond en comble, mit sa chair en lambeaux, et, spectacle épouvantable, lui enleva toutes ses richesses, tua ses enfants, fit de son corps une fourmilière de vers, souleva contre lui sa femme, ses amis, ses ennemis, ses serviteurs, qui l'accablèrent d'outrages; dites-moi, ne détruirait-il pas tous les hommes, si Dieu par mille moyens ne mettait un frein à sa fureur ? Voilà ce qui fait dire ici au psalmiste : "Si le Seigneur n'était avec nous." Les Juifs, en effet, étaient en très petit nombre à leur retour, en butte au mépris et aux attaques de leurs ennemis. Dieu donnait ici une preuve de sa Sagesse; ce n'était pas tout d'un coup, mais peu à peu et par degrés qu'Il voulait leur donner la paix et la sécurité. Il agissait ainsi pour les maintenir dans la connaissance de son saint Nom, et les empêcher d'oublier les enseignements de la captivité. Les hommes, une fois délivrés de leurs épreuves, tombent facilement dans la négligence, que fait donc Dieu ? Il entremêle constamment les tentations avec les biens qu'Il leur accorde, pour leur faire trouver dans ces tentations un exercice continuel de sagesse.

Ainsi, Il ne laisse pas toujours les hommes dans l'affliction à laquelle ils finiraient par succomber, mais il ne veut pas non plus qu'ils jouissent d'une paix sans interruption qui les porterait au relâchement, il les sauve donc par un heureux mélange de ces deux éléments.

"Ils nous auraient dévorés tout vivants." Voyez sous quels traits il dépeint la cruauté de ses ennemis. Que d'hommes, en effet, aussi cruels, plus cruels même que les bêtes féroces à l'égard de leurs semblables ! Dès que la bête sauvage est tombée sur sa proie, sa fureur se calme et elle se retire, ou si elle est repoussée, elle ne revient plus à la charge. Les hommes, au contraire, lorsqu'ils ont échoué dans leurs desseins, redoublent leurs attaques, et vont jusqu'à désirer se nourrir de la chair de leurs semblables. Tel est le caractère de la colère, elle na raisonne pas, c'est une passion qui enflamme notre âme d'une ardeur impétueuse. Comment guérir cette maladie ? Réfléchissons sur ce que nous sommes, méditons sur la mort et sur ceux qu'elle frappe tous les jours à nos côtés, considérons notre nature qui n'est que cendre et poussière. Si la beauté de votre visage nous trompe encore et vous séduit, allez visiter les tombeaux et les cercueils de vos ancêtres, considérer le triste état de leurs restes mortels réduits en terre et en poussière; ce spectacle sera pour vous une grande leçon d'humilité. Ne dites pas que ce langage est trop sévère. Lorsque ceux 'qui ont été atteints de la fièvre entrent en convalescence, ils ont besoin de respirer un air pur; ainsi, ceux dont les passions troublent si souvent la raison, trouvent près des tombeaux, comme dans une campagne salutaire, un remède à tous leurs maux. La vue seule d'un cercueil suffit pour rabattre l'orgueil le plus insolent. Transportez-vous ensuite par la pensée à ce jour terrible du jugement à venir, songez à l'interrogatoire que vous subirez, au compte qu'il vous faudra rendre, aux supplices qui ne seront' jamais allégés. Ces considérations seront comme autant de chants qui apaiseront les passions de votre âme. Songez encore à ceux qui parmi les hommes tombent dès la vie présente, du faîte des richesses dans l'extrême pauvreté, de la gloire dans l'ignominie. Si donc vous voulez encore céder à la colère, que ce ne soit point contre votre semblable, mais contre l'esprit mauvais, c'est sur lui qu'il faut décharger votre colère, ne vous réconciliez jamais avec le démon, tournez, épuisez contre lui toute votre fureur, tendez-lui vos pièges, et ne cessez de lui faire une guerre acharnée. "Lorsque leur fureur était allumée contre nous, bientôt les eaux nous eussent engloutis." (Ibid., 3). "Notre âme a traversé le torrent, peu s'en est fallu que notre âme n'ait traversé une eau d'où elle n'aurait pu se tirer." (Ibid., 4). Ce torrent, cette eau, c'est la grande colère de leurs ennemis. L'eau, en effet, se précipite sans mesure 'avec une force et une impétuosité qui entraînent tout ce qu'elle rencontre sur son chemin. Remarquez que ces expressions métaphoriques ne figurent pas seulement la violente irruption, mais la courte durée de ces épreuves.

2. Gardons-nous donc de nous décourager lorsque le malheur vient fondre sur nous. Quel qu'il soit, c'est un torrent qui passe, c'est une nuée qui se dissipe. Oui, quelle que soit votre infortune, elle aura une fin; quelqu'amer que soit votre chagrin, il ne durera pas toujours. S'il devait toujours durer, la nature n'y suffirait pas. Mais un grand nombre, me direz-vous, sont entraînés par ce torrent ? La cause n'en est point dans la violence du mal, mais dans la faiblesse de ceux qui se laissent si facilement abattre. Voulons-nous n'être pas entraînés nous-mêmes ? descendons dans les profondeurs de ce torrent, considérons-en tous les endroits, et saisissons-nous de l'ancre divine pour n'avoir à redouter aucun naufrage. Un torrent n'est terrible que pour un temps, et il s'apaise ensuite au point de ne plus laisser aucune trace. "Encore un peu, l'eau nous aurait engloutis." Suivant une autre version : "Alors les eaux nous auraient inondés en passant sur notre âme comme un torrent, et notre âme aurait traversé une eau dont elle n'aurait pu se tirer." Suivant une autre : "Alors les superbes auraient passé sur notre âme comme un torrent." Voyez-vous la puissance du secours de Dieu qui n'a point permis qu'ils fussent submergés au milieu de ce déluge de maux ? Si donc il laisse ce torrent grossir, ce n'est point pour nous accabler, mais pour nous éprouver davantage et donner des preuves plus éclatantes de sa puissance. Les superbes dont parle ici le psalmiste sont les ennemis du peuple de Dieu qui se sont précipités sur lui avec la violence d'un torrent impétueux sans pouvoir lui faire aucun mal. Pourquoi ? parce qu'il avait pour lui la Protection de Dieu, une assistance toute céleste, un secours invincible.

Aussi, après avoir chanté sa délivrance, il proclame le nom du libérateur et célèbre ses louanges : "Béni soit le Seigneur qui ne nous a pas livrés en proie à leurs dents. (Ibid., 5). Notre âme s'est échappée telle que l'oiseau du filet de l'oiseleur." (lbid., 6). Voyez-vous d'un côté la faiblesse des Juifs, et de l'autre la puissance de leurs ennemis ? Ces derniers, semblables à des bêtes féroces, à des lions furieux, se jettent avec autant de force que de colère sur leur proie, tout prêts à la mettre en pièces et à la dévorer; les Juifs, au contraire, sont plus faibles que le passereau. Mais la Puissance de Dieu ne paraît jamais avec plus d'éclat que lorsqu'elle fait triompher la faiblesse de la force. Ce qui rendait les entreprises de ces ennemis plus dangereuses, ce n'est pas seulement leur puissance, la terreur qu'ils inspiraient, la fureur qui les animait, leur soif de sang et de carnage, et d'un autre côté la faiblesse des Juifs, leur petit nombre qui les exposait sans défense à toutes les attaques; mais les Juifs étaient surpris au milieu des plus grands malheurs, environnés de difficultés de toute espèce, et ne voyaient partout que des ennemis à combattre. Cependant celui qui a la souveraine puissance en partage, et qui peut sauver du milieu, même des plus affreux dangers, nous a délivrés avec une étonnante facilité. C'est le sens de ces paroles : "Notre âme a été délivrée comme un passereau du filet des chasseurs. Le filet a été rompu et nous avons été sauvés." De quelle manière, il nous l'apprend dans les paroles suivantes : "Notre secours est dans le Nom du Seigneur qui a fait le ciel et la terre." (Ibid., 8). Admirez la force et la puissance de celui qui est venu à leur secours. Il a fait disparaître tout ce qui pouvait servir d'appui aux embûches de leurs ennemis. On peut également entendre ces paroles dans le sens anagogique et les appliquer tant au démon qu'au genre humain. Le psalmiste nous montre comment il nous a délivrés de ses filets, comment il les a brisés et anéantis du jour où il a dit à ses disciples : "Marchez sur les serpents et les scorpions et sur toute la force de l'ennemi." (Luc. 10,19). Ce n'est donc plus une guerre ouverte qu'il vous fait, vous ne combattez plus à armes égales. Le démon est renversé et couché honteusement à terre, tandis que vous êtes debout, que vous le dominez et le frappez de haut. Il est épuisé, sans force, tandis que vous êtes plein de vigueur.

Comment donc expliquer ses fréquentes victoires ? Par notre lâcheté, par la négligence de ceux qui restent plongés dans un honteux sommeil. Essayez au contraire de lui résister, il n'osera vous attaquer de front. Si vous êtes vaincu pendant que vous dormez, n'en accusez pas sa puissance, mais votre négligence. Quel est celui, fût-il le plus faible de tous les hommes, qui ne pourrait vaincre un homme endormi ? Le fort a été enchaîné, toutes ses armes lui ont été enlevées, sa puissance a été brisée, sa demeure renversée, et ses glaives ont perdu toute leur force. Que voulez-vous davantage ? Pourquoi cette crainte, pourquoi cette appréhension ? On vous commande de fouler aux pieds un ennemi dont les forces sont épuisées, encore une fois, pourquoi cette frayeur, pourquoi cette anxiété ? Avez-vous donc oublié quel est celui qui nous prête son appui ? Considérez non seulement la faiblesse de votre ennemi, mais la grandeur du secours qui vous est donné. Les révoltes de la chair ont été comprimées, vous êtes déchargé du poids du péché, vous avez reçu la grâce de l'Esprit saint comme une onction fortifiante. "Car ce qui était impossible à la loi, parce qu'elle était affaiblie par la chair, Dieu l'a fait en envoyant son propre Fils revêtu d'une chair semblable à la chair du péché, et à cause du péché, Il a condamné le péché dans la chair, afin que la justice de la loi fût accomplie en nous qui ne marchons pas selon la chair." (Rom 8,3-4). Dieu vous a rendu maître de votre chair, Il vous a donné pour armes la cuirasse de la justice, la ceinture de la vérité, le casque du salut, le bouclier de la foi, le glaive de l'esprit. Il vous a donné des arrhes de la victoire, Il vous a nourri de sa Chair, abreuvé de son Sang; Il vous a remis entre les mains sa croix comme une lance qui ne plie jamais; enfin il a enchaîné notre ennemi, Il l'a terrassé. Vous n'avez donc plus d'excuse si vous êtes vaincu, et si vous laissez au démon la gloire du triomphe, vous n'avez plus de pardon à espérer, car vous avez mille moyens de remporter la victoire. "Le filet a été brisé et nous avons été délivrés. Notre secours est dans le Nom du Seigneur qui a fait le ciel et la terre." Vous le voyez, vous avez pour chef et pour roi le Créateur de l'univers, Celui qui par sa seule parole a tiré du néant tous ces corps que nous voyons, cette masse prodigieuse de la terre, cette grandeur presqu'infinie de l'univers. Ne vous laissez donc point abattre, mais combattez vaillamment, rien ne peut vous empêcher de remporter un triomphe éclatant. Convaincus de ces vérités, mes frères bien-aimés, soyons sobres et tempérants, combattons généreusement, ne nous laissons point aller au sommeil, mais préparons nos amies, affermissons notre courage et alors frappons notre ennemi sans relâche, afin qu'après avoir gagné sur lui une brillante victoire nous obtenions la glorieuse récompense du royaume des cieux. Puissions-nous l'obtenir par la Grâce et la Miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soient la gloire et le règne dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 124

"Ceux qui mettent leur confiance dans le Seigneur, sont comme la montagne de Sion." v, 1.

1. Pourquoi le psalmiste ne dit-il pas simplement : "Comme une montagne," mais ajoute-t-il : "De Sion ?" Que se propose-t-il en rappelant le souvenir de cette montagne ? Il veut nous enseigner à ne point nous laisser ni décourager, ni abattre par les épreuves, mais à mettre toute notre espérance en Dieu, et à supporter ainsi courageusement les guerres, les combats et les troubles. De même que cette montagne, après avoir été déserte et dépouillée de ses habitants, avait recouvré son ancienne splendeur et sa prospérité première par le retour de ceux qui l'habitaient, et par 1'éclat des prodiges que Dieu continuait d'y opérer; ainsi l'homme courageux ne se laisse jamais abattre, quelque multipliés que soient les malheurs qui viennent fondre sur lui. Ne désirez donc point une vie exempte de tout danger, de toute peine, de tout malheur, mais une vie où vous soyez toujours supérieur à tous les dangers. Il y a pour un pilote une grande différence entre demeurer tranquillement dans le port, et affronter une mer agitée. Dans le premier cas, on devient lâche, mou, sans énergie. Celui au contraire, qui mainte et mainte fois a dû lutter contre les rochers cachés sous les flots, contre mille écueils, contre la violence des vents, et qui est sorti victorieux de toutes ces épreuves, a donné à son âme une force bien supérieure à celle qu'il avait déjà. Si Dieu vous a donné cette vie, ce n'est point pour que vous la passiez dans l'oisiveté, dans la mollesse, à l'abri de toute adversité, mais pour vous conduire à la gloire par l'épreuve et la souffrance. Gardons-nous donc de chercher une vie de repos, une vie parsemée de plaisirs. Ce n'est point là le désir d'une âme courageuse, d'un être raisonnable, mais bien plutôt celui d'un ver de terre, d'un animal privé de raison. Demandez donc surtout à Dieu de ne point entrer en tentation, mais si elle vient à vous assaillir, ne vous laissez aller ni à la tristesse, ni à l'agitation, ni au trouble ; mais faites tous vos efforts pour en sortir avec gloire. Voyez ce que font les vaillants soldats, lorsque la trompette donne le signal du combat, ils ne voient plus que le triomphe, la victoire, et les nobles exemples de leurs ancêtres. Nous donc aussi, lorsque la trompette spirituelle se fait entendre, déployez plus de courage qu'un lion, et fallût-il affronter le fer ou le feu, avancez sans crainte. Les éléments eux-mêmes savent respecter les âmes courageuses. Les hommes de courage inspirent de la crainte jusqu'aux bêtes féroces. Malgré la faim qui les presse, malgré leur nature qui les excite, elles oublient tout à la vue d'un homme juste et mettent un frein à leur colère. Revêtez-vous donc de cette armure, et vous ne craindrez pas les flammes, quand même vous les verriez s'élever jusque dans les cieux. Vous avez un chef noble et courageux, dont la puissance n'a point de bornes, et qui d'un seul signe peut faire disparaître tout ce qui vous attriste. Il est le maître de tout ce qui existe, du ciel, de la terre, de la mer, des animaux, du feu, il peut donc tout changer et déplacer à son gré.

Quelle est donc, dites-le moi, la cause de toutes vos craintes ?

N'est-ce pas uniquement votre nonchalance et votre lâcheté ? La mort n'est-elle point le plus grand de tous les maux ? Et cependant elle est aussi une dette qu'il faut payer à la nature. Pourquoi donc ne pas travailler à nous rendre cette dette profitable ? Puisqu'il vous faut bon gré mal gré marcher dans cette voie, pourquoi ne pas le faire avec profit ? Aux dures épreuves de la vie présente, succéderont des biens éternels qui porteront avec eux une joie bien supérieure à toutes vos douleurs. Les peines de cette vie vous paraissent accablantes, considérez donc ceux qui sans aucune perspective de récompense sont consumés par une corruption lente, et ont à souffrir de privations continuelles, de maladies incurables et prolongées, qui leur font souvent désirer la mort. On en a même vu qui ont fini volontairement leur vie par le glaive ou par la corde. Pour vous au contraire, le ciel vous est proposé comme récompense avec les biens qu'il renferme, et vous ne craignez pas, et vous ne craignez pas à la vue de votre paresse, de votre lâcheté, vous surtout qui avez un protecteur si puissant ? N'entendez-vous pas ce que dit le prophète : "Ceux qui mettent leur confiance dans le Seigneur, sont comme la montagne de Sion ?" Cette montagne est le symbole d'une espérance ferme, invincible, inébranlable. Vous avez beau multiplier les machines, vous ne parviendrez jamais ni à renverser, ni à ébranler une montagne; ainsi celui qui attaque l'homme dont l'espérance est en Dieu, verra tous ses efforts inutiles, car l'espérance en Dieu est un appui bien plus assuré que ne peut l'être une montagne. "Celui qui habite autour de Jérusalem ne sera jamais ébranlé." Un autre interprète traduit : "Celui qui habite autour de Jérusalem est immuable à jamais." Quoi donc, est-ce que les trois enfants et Daniel lui-même, n'ont pas été ébranlés ? En aucune façon : ils ont été exilés de leur patrie, il est vrai, réduits en esclavage, mais jamais ils n'en firent ébranlés, et dans un si grand bouleversement de toutes choses, et au milieu de ces flots violemment agités, ils demeurèrent aussi calmes que s'ils étaient sur un rocher ou dans un port à l'abri de la tempête, sans éprouver rien de fâcheux. Être ébranlé n'est pas comme vous pourriez le penser, être soumis à la vicissitude des événements; non, c'est donner la mort à son âme et perdre la vertu. Or, jamais ce malheur n'arrive à ceux qui sont sages et vigilants, loin de là, les dangers les fortifient dans l'amour de la sagesse et les environne d'un nouvel éclat. Si vous voulez prendre dans le sens anagogique ces paroles : "Celui qui habite dans Jérusalem ne sera point ébranlé," représentez-vous le bonheur de la cité des cieux. Ceux qui y sont entrés, sont à l'abri de toutes les épreuves, et rien ne peut désormais les ébranler, ni les passions, ni les plaisirs, ni les occasions de péché, ni la douleur, ni les souffrances, ni les dangers, tout cela n'existe plus que dans le passé. "Jérusalem est environné de montagnes, et le Seigneur est tout autour de son peuple, maintenant et pour toujours." (Ibid., 2). Le psalmiste fait ressortir ici la force que la ville de Jérusalem tire de sa situation, mais il ne veut point qu'elle y place sa confiance, et il l'élève jusqu'au secours invincible de Dieu.

2. Il est vrai, dit le psalmiste, les montagnes lui servent de remparts, mais elle n'en a pas moins besoin d'un appui tout divin pour la rendre imprenable, comme l'indique plus clairement une autre version : "Le Seigneur environne son peuple." C'est-à-dire, ne vous confiez point dans la hauteur des montagnes, ce qui rend cette ville imprenable, le voici : "Dieu ne permettra pas que le sceptre des impies s'appesantisse sur l'héritage des justes." (Ibid., 3). Il leur fait connaître la véritable cause qui portera Dieu à venir à leur secours et qui doit être le légitime objet de leur confiance; quelle est-elle ? Dieu ne permettra pas que les biens des justes passent entre les mains des pécheurs. Le but du psalmiste est de leur inspirer une vive confiance dans le secours de Dieu, et la persévérance dans la vertu, s'ils veulent jouir à jamais de sa Protection et conserver les biens qu'Il leur a rendus. Il leur apprend ainsi que la tranquille possession de ces biens, dépend uniquement d'eux. Le sceptre des pécheurs c'est la domination de leurs ennemis. Voici donc le sens de ces paroles : Dieu ne permettra pas qu'ils retiennent l'héritage des justes. Il l'a permis pour un temps, afin de les corriger, de les châtier, de les instruire. "De peur que les justes n'étendent leurs mains vers l'iniquité." Une autre version porte : "C'est pour cette raison que les justes n'étendront point les mains vers l'iniquité." Quelle est cette raison ? Celle qui vient d'être indiquée, parce que Dieu se déclarera leur défenseur, leur vengeur, et qu'Il chassera et repoussera leurs ennemis de leurs possessions. En d'autres termes, les justes châtiés par les épreuves, et rendus meilleurs par les biens qui leur seront rendus, persévéreront dans la vertu, et cette double leçon les empêchera de porter leurs mains vers l'iniquité. Tout ce qui leur est arrivé avait donc pour fin le plus grand bien de leur âme, l'adversité devait les corriger de leurs vices, et les biens qui leur furent donnés, leur inspirer une nouvelle ardeur pour Dieu.

"Faites du bien, Seigneur, à ceux qui sont bons, et qui ont le coeur droit." (Ibid., 4). Suivant une autre version : "Accordez tes bienfaits." "Mais pour ceux qui se détournent dans des voies obliques, le Seigneur les joindra à ceux qui commettent l'iniquité." (Ibid.,15). Vous voyez qu'en toute circonstance, il dépend de nous dans le principe, d'obtenir les faveurs de Dieu ou d'encourir ses châtiments. Cependant, malgré la part que Dieu nous laisse prendre, sa Bonté n'en brille pas avec moins d'éclat, et sa libéralité à notre égard est bien supérieure à tout ce que nous pouvons faire. S'agit-il de nous punir de nos fautes, Il le fait avec la plus grande modération, tandis qu'Il nous récompense de nos bonnes actions bien au-dessus de ce qu'elles méritent. Les coeurs droits dont parle le psalmiste sont les coeurs ennemis de la dissimulation et de l'artifice, les âmes sans fard et sans détour. Telle

est aussi la vertu, simple et droite, tandis que le vice aime à suivre des voies détournées, toujours diverses et sans issue. Un exemple éclaircira cette vérité. Voyez celui qui cherche à mentir et à ourdir des manoeuvres artificieuses, que d'expédients, que de tentatives variées, que de discours trompeurs, quelle abondance de paroles ! Au contraire, celui qui dit la vérité n'éprouve ni peine ni difficulté, il n'y a chez lui ni dissimulation, ni feinte, ni rien de semblable, car la vérité brille de son éclat naturel. Les corps qui n'ont point la beauté en partage, ont recours à mille ruses, à mille artifices pour déguiser leur laideur naturelle; ceux au contraire à qui la nature a donné cette beauté, brillent d'eux mêmes sans avoir besoin d'un éclat emprunté. Ainsi en est-il de la vérité et du mensonge, de la vertu et du vice. Il résulte de là que le vice avant même d'être puni, porte avec lui son châtiment, et qu'avant le prix que Dieu lui destine; la vertu reçoit ici-bas sa récompense.

Oui, comme la vertu trouve en elle même le prix de ses efforts avant la couronne des cieux, le vice trouve en lui un châtiment qui devance le supplice éternel. Et quel supplice plus cruel que le péché ? Aussi, saint Paul parlant de ceux qui se livrent à des actes infâmes, déshonorent en eux-mêmes la fleur de l'âge, et outragent les lois de la nature, déclare que c'est là leur plus grand supplice, avant même le châtiment qui les attend. "Les hommes s'abandonnant avec les hommes à des turpitudes, et recevant en eux-mêmes la récompense due à leur égarement." (Rom 1,27). Cette récompense de leur péché, ce sont leurs infamies et leurs désordres. "Que la paix soit sur Israël." Le psalmiste termine par une prière, telle est la conduite ordinaire des saints; à l'exhortation, aux conseils ils joignent la prière pour faire descendre sur ceux qu'ils ont instruits le puissant secours du ciel. Or, la paix qu'il leur souhaite n'est point la paix extérieure, mais une paix d'un ordre plus élevé. Le psalmiste indique quelle en est l'origine; et il demande à Dieu que l'âme ne se divise pas contre elle-même en favorisant la guerre intérieure que lui font les passions. Cherchons nous-mêmes cette paix, afin de pouvoir obtenir les biens qui nous sont promis, par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soit la gloire et le règne dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 125

"Lorsque le Seigneur a fait revenir ceux de Sion qui étaient captifs, nous avons été comblés de consolations." Une autre version porte : "Lorsque le Seigneur aura fait revenir ceux qui sont captifs, nous serons consolés." v. 1.

1. Le mot de captivité est simple dans son expression, mais il renferme des significations différentes. Il y a, en effet, une captivité désirable, celle dont saint Paul dit : "Réduisant tous les esprits en captivité dans l'obéissance de Jésus Christ." (Il Cor 10,5). Il y a une captivité qui est mauvaise et que le même apôtre dépeint en ces termes : "Ils entraînent après eux comme captives des femmes chargées de péchés." (Il Tim 3,6). Il y a encore une captivité spirituelle dont parle Isaïe lorsqu'il dit : "Prêcher la délivrance aux captifs," (ls 61,1), et une captivité extérieure et sensible que les ennemis vainqueurs imposent aux vaincus; mais la première est mille fois plus dure. Ceux qui font des prisonniers en vertu des droits de la guerre, ont souvent des ménagements pour eux. Ils leur font transporter de l'eau, ou du bois, ou les chargent de donner aux chevaux leur nourriture, mais ils ne portent aucune atteinte à leur âme. Celui au contraire, qui est devenu l'esclave du péché a un maître impitoyable et cruel qui exige de lui les actions les plus déshonorantes. La tyrannie du vice ne connaît ni ménagements, ni compassion. Rappelez-vous, comme après avoir réduit en esclavage le malheureux et infortuné Judas, loin de l'épargner, elle en fit un traître et un sacrilège. Ce n'est pas tout : après qu'il eut consommé son crime, elle le fit paraître devant les Juifs, pour confesser sa faute, mais sans lui permettre de recueillir le fruit de son repentir; car avant qu'il en eut le temps, c'est elle qui lui inspira de se pendre. Oui, c'est un tyran cruel qui commande à ses esclaves des actions coupables et couvre d'ignominie ceux qui lui obéissent. Je vous en conjure donc, faisons tous nos efforts pour échapper à son empire, combattons ce tyran sans jamais nous réconcilier avec lui, et une fois délivrés de ses chaînes, sachons conserver notre liberté. Si ceux qui ont vu se briser les fers d'un peuple barbare, éprouvent une si douce consolation, quelle joie bien plus grande, quels transports d'allégresse devons-nous faire éclater, nous qui avons été délivrés de la captivité du péché ! Ce n'est pas assez, il faut conserver à jamais notre bonheur, en évitant de le perdre ou de le troubler par la rechute dans les mêmes fautes.

"Nous avons été consolés;" d'autres interprètes traduisent : "Nous avons éprouvé comme l'illusion d'un songe." Le texte hébreu porte : Chaolemim. Que veulent dire ces paroles : "Nous avons été consolés ?" Nous avons été remplis de calme, de joie et de plaisir. "Alors notre bouche a été remplie de joie, et notre langue d'allégresse." (Ibid., 2). "Alors on dira parmi les nations : le Seigneur a fait pour eux de grandes choses." (Ibid., 3). "Oui, le Seigneur a fait pour nous des prodiges." (Ibid., 4). Voyez comme la joie d'être délivré de la captivité contribue à leur inspirer de meilleurs sentiments. Mais, me direz-vous, qui ne se réjouirait d'un si grand bienfait ? Rappelez-vous la conduite de leurs ancêtres lorsqu'ils furent délivrés de la servitude d'Égypte, et qu'ils se virent en liberté. Par une souveraine ingratitude, ce bienfait signalé ne fit qu'exciter leurs murmures, leurs mécontentements, leurs plaintes. Il n'en est pas ainsi de nous, dit le psalmiste, nous sommes tout entiers aux transports de la joie la plus vive. Or, apprenez d'eux le sujet de leur joie. Ce n'est pas seulement, disent-ils, parce que nous avons été délivrés de nos chaînes, mais parce que tous les hommes connaîtront le soin providentiel que Dieu prend de nous. Alors, on dira parmi les nations : Dieu a fait de grandes choses en leur faveur, le Seigneur a fait pour nous des prodiges. Cette répétition a un but, c'est de faire ressortir l'excès de leur allégresse. Ce sont les nations qui parlent dans le premier membre de phrase; dans le second, ce sont les Juifs eux-mêmes. Or, remarquez qu'ils ne disent pas : Dieu nous a sauvés, ou il nous a délivrés; mais : "Il a fait pour nous de grandes choses." Ils veulent par là faire comprendre la grandeur des prodiges extraordinaires opérés en leur faveur. Vous voyez, et je vous l'ai dit souvent, que Dieu se servait de ce peuple pour instruire tout l'univers, soit qu'il fût emmené en captivité, soit qu'il revint de la terre d'exil. Son retour fut pour le monde entier comme une prédication. Le bruit de ce retour se répandait partout et rendait sensible aux yeux de tous la Bonté de Dieu qui avait opéré en faveur des Juifs des prodiges vraiment extraordinaires. En effet, Cyrus qui les retenait captifs, leur rendit la liberté, sans qu'il en fût prié, et en cédant à l'inspiration de Dieu qui avait touché son coeur. Et, non content de les renvoyer dans leur patrie, il les combla de ses dons et de ses largesses. "Nous en sommes remplis de joie." "Seigneur, faites revenir nos captifs; comme le torrent dans les plaines du midi." (Ibid., 4). Comment le psalmiste a-t-il pu dire au commencement du psaume : "Lorsque le Seigneur a fait revenir les captifs;" et ici : "Faites revenir ?" C'est qu'il annonce ce retour comme un événement futur. Cette explication se trouve confirmée par une autre version qui porte non pas : "Lorsqu'il faisait revenir," mais : "Quand il fera revenir." Le retour ne faisait que commencer, et ne s'accomplit point tout d'un coup; car il y eut plusieurs retours, et on en compte jusqu'à trois.

2. Outre cette explication, on peut encore dire que le prophète demande à Dieu que la délivrance soit pleine et entière. Un grand nombre de Juifs, en effet, voulaient demeurer dans ces contrées barbares, il désire donc vivement de voir s'accomplir cette délivrance, et il s'écrie : "Seigneur, faites revenir nos captifs, comme le torrent dans les plaines du midi." C'est-à-dire, en nous pressant, en nous poussant, avec une espèce de violence et une grande impétuosité. C'est cette même pensée qu'expriment d'autres interprètes en traduisant, l'un : "Comme des cours d'eau," l'autre : "Comme des canaux," un troisième : "Comme une eau qui s'écoule." "Ceux qui sèment dans les larmes, moissonneront dans la joie." (Ibid., 5). Le psalmiste parle ici des Juifs, toutefois ces paroles trouvent leur application dans beaucoup d'autres circonstances. La vertu peut compter en échange de ses travaux sur de magnifiques récompenses. Mais le travail, la souffrance doivent précéder le temps du repos. Cette vérité s'applique même à toutes les circonstances de la vie présente; c'est pour cela que le prophète y fait allusion dans son discours en prenant pour exemple le temps de la semence et celui de la moisson. Le laboureur qui sème doit supporter les travaux, les fatigues, les ardeurs du soleil comme les rigueurs de la saison. Il en est de même de celui qui veut pratiquer la vertu. L'homme est de tous les êtres celui qui est le moins fait pour le repos. Voilà pourquoi Dieu a voulu que la voie qui conduit à la vertu fût étroite et difficile. Mais ce n'est pas seulement à la vertu que le travail et la peine se trouvent attachés, toutes les professions de la vie y sont soumises et à un bien plus haut degré; celui qui sème comme celui qui bâtit, le voyageur, le charpentier, l'artisan, tout homme en un mot qui veut faire quelque profit, doit se résigner à une vie de travail et de fatigues. De même que les semences ont besoin des plaies pour être fécondes, les larmes nous sont également nécessaires. La terre encore, demande à être labourée, déchirée par le soc de la charrue, ainsi le soc des tentations et des tribulations doit labourer l'âme chrétienne, pour l'empêcher de produire de mauvaises herbes, amollir sa dureté et modérer les saillies de son orgueil. La terre elle-même, si elle n'est cultivée avec le plus grand soin, ne peut produire aucun fruit. Le prophète en parlant de la sorte, veut que les Juifs se réjouissent non seulement du retour de la captivité, mais de la captivité elle-même, et qu'ils rendent également grâces à Dieu pour ces deux événements; dont l'un est figuré par le temps de la semence, l'autre par celui de la moisson.

Ceux qui sèment dans le travail et les larmes, leur dit-il, recueillent ensuite le fruit de leurs peines. Ainsi, quand vous fûtes emmenés en captivité, vous étiez semblables à ceux qui répandent la semence. Vos jours étaient des jours de peines, de tourments et de tribulations, vous étiez exposés aux rigueurs de l'hiver, aux tempêtes, à la guerre, aux pluies, aux frimas, et vous répandiez des larmes abondantes ; car les larmes sont pour les âmes affligées ce que les pluies sont pour les semences. Mais aujourd'hui, poursuit-il, vous avez reçu la récompense de tant de travaux. Lors donc que le prophète ajoute : "Ils marchaient et s'en allaient en pleurant, en jetant leur semence; mais ils reviendront avec des transports de joie, en portant leurs gerbes dans leurs bras," il ne veut point parler de la semence du blé, mais des événements de la vie, et il nous apprend à ne point nous attrister au milieu des tribulations. Le laboureur qui sème ne se laisse point aller à la tristesse, malgré les fatigues sans nombre qu'il lui faut endurer, parce qu'il a devant les yeux l'espérance d'une riche et abondante moisson. Que celui donc qui est dans l'affliction, ne se laisse point abattre quelle que soit la grandeur de ses épreuves, mais qu'il se console dans l'attente de la moisson, et dans l'espérance des nombreux avantages dont l'affliction sera pour lui la source. Soyons nous-mêmes pénétrés de ces vérités et rendons également grâces à Dieu de la tribulation, comme du calme et du repos qu'il nous donne. Les événements de la vie sont divers, mais ils tendent tous à une même fin, comme la semence et la moisson. Supportons donc les afflictions avec courage, avec reconnaissance, jouissons du repos et du bonheur en rendant gloire à Dieu. Nous mériterons ainsi d'obtenir les biens éternels par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ à qui soient la gloire et le règne dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 126

"Si le Seigneur ne bâtit Lui-même la maison, ceux qui la construisent auront travaillé en vain. Si le Seigneur ne garde la ville, en vain la sentinelle veille pour la garder. v. l. C'est en vain que vous devancez l'aurore pour vous lever. Levez-vous après que vous vous serez reposés." (lbid. 2).

1. Ce psaume a pour objet l'état des Juifs après le retour de la captivité. Lorsque la liberté leur fut rendue et qu'ils revinrent de ces contrées lointaines, ils trouvèrent leur ville tout en ruines, ses murailles et ses tours renversées. Ils entreprirent donc de les relever, mais ils se virent attaqués de tous côtés par des ennemis, jaloux de leur bonheur et qui craignaient de les voir réussir. D'ailleurs ces constructions avançaient très lentement, et elles durèrent tant de temps qu'on mit plus de quarante années à reconstruire le temple, au témoignage des Juifs qui disent au Sauveur : "On a mis quarante-six ans à bâtir ce temple." (Jn 2,20). Ils ne veulent point parler du premier temple qui fut construit par Salomon, mais de celui qui fut rebâti après qu'ils furent délivrés de la domination des Perses. En présence de ce long espace de temps qu'exigeait la reconstruction de la ville, du temple et des murs car la reconstruction de la ville seule dura un nombre considérable d'années), le prophète enseigne aux Juifs à recourir à Dieu, en leur montrant l'inutilité absolue de leurs efforts; s'ils ne parviennent à attirer sur eux le secours divin.

Sans la protection divine, leur délivrance était impossible; sans cette même protection, il leur est également impossible de relever leurs murailles. Que dis-je, qu'ils ne peuvent ni relever leurs remparts, ni reconstruire leur ville ? Fût-elle entièrement terminée et toutes ses constructions achevées, il leur est impossible de la garder sans l'assistance divine. En leur tenant ce langage, le prophète leur donne les raisons les plus fortes pour leur persuader de mettre de nouveau leur confiance en Dieu, et de ne point L'oublier au milieu de la prospérité. C'est pour prévenir cet oubli que Dieu ne leur prodigua point tous ses biens d'une seule fois; Il ne les leur accordait que peu à peu et par partie, de peur qu'une délivrance trop prompte ne les fit retomber dans leurs anciennes iniquités. Et lors même qu'Il répandait sur eux ses bienfaits, Il ne cessait de les avertir, et les fréquentes attaques de leurs ennemis avaient pour but de réveiller leur négligence et leur tiédeur. Les paroles du psalmiste doivent donc être prises dans un sens général, bien qu'il les ait dites à l'occasion de cette circonstance particulière. Il faut nous les appliquer à tous non point pour autoriser notre négligence et notre tiédeur, mais pour nous déterminer à faire tout ce qui dépend de nous, et à tout remettre ensuite entre les Mains de Dieu, et à placer constamment en Lui toutes nos espérances. Sans l'assistance divine nous ne pouvons réussir en rien; de même, si nous ne répondons au secours de Dieu que par la négligence et l'oisiveté, le succès nous sera également refusé. "C'est en vain que vous vous levez avant le jour; levez-vous après que vous vous serez reposés." Suivant une autre version : "C'est en vain que vous tardez à vous reposer." Suivant une autre : "Que vous différez à vous reposer." Voici le sens de ces paroles : Vous avez beau multiplier vos veilles, vous lever de grand matin, retarder le moment de votre sommeil, passer tout votre temps dans le travail et la souffrance, sans le secours d'en haut, ces efforts purement humains n'aboutiront à rien et vous ne retirerez aucune utilité de tant de peines. "Vous qui mangez d'un pain de douleurs." Il dépeint ici la vie pénible des Juifs qui reconstruisaient leur ville, revêtus de leurs armes. D'une main ils portaient la corbeille ou des pierres, et de l'autre leur épée, se partageant ainsi pour construire et pour combattre, et chargés à la fois de leurs armes et des matériaux de construction. Comme la ville, en effet, était sans murailles et sans défense et qu'ils craignaient à chaque instant d'être attaqués à l'improviste par leurs ennemis, ils étaient obligés d'être revêtus de leurs armes en relevant les murs de la ville. On voyait là les épées, les boucliers, les glaives, et des sentinelles étaient placées au loin pour donner le signal de l'irruption soudaine des ennemis, et sonner de la trompette à leur première approche. Mais malgré toutes ces précautions, et bien que vous vous nourrissiez d'un pain de douleurs, tous vos efforts seront inutiles si vous n'attirez sur vous la protection de Dieu. Or, si cette protection leur était si nécessaire pour rebâtir leur ville et relever ses murailles, combien plus nous est-elle indispensable pour marcher dans la voie qui conduit au ciel ? "Après que Dieu aura donné le sommeil à ses bien-aimés. "Voilà quel sera l'héritage du Seigneur, des enfants." (Ibid., 3). Comment ces paroles se rattachent-elles à ce qui précède ? Le voici, et la liaison est vraiment admirable. Si Dieu nous refuse son secours, dit le prophète, tout est perdu sans retour; mais s'Il nous l'accorde, notre sommeil est plein de douceur, noire vie calme, exempte de tout danger, et notre tranquillité parfaite.

2. Lors donc que Dieu leur aura donné le sommeil et le repos et qu'il aura repoussé les attaques de leurs ennemis, non seulement alors ils pourront rebâtir leur ville et la garder sûrement, mais ils recevront des biens beaucoup plus précieux encore, ils deviendront les pères de nombreux enfants, et une brillante postérité croîtra sous leurs yeux. "La récompense du fruit de leurs entrailles." Suivant une autre version : "Leur récompense sera le fruit de leurs entrailles." C'est-à-dire qu'ils recevront pour récompense de nombreux enfants. Car, bien que ce soit l'oeuvre de la nature, la protection de Dieu vient augmenter sa fécondité. La nature, en effet, ne peut se passer du secours de Dieu, et c'est à Lui que la ville de Jérusalem devra la multitude de ses habitants.

Et toutefois leur bonheur ne se bornera pas à rebâtir la ville de Jérusalem, à la garder contre ses ennemis, à voir leurs enfants se multiplier, d'autres biens leur sont réservés. Quels sont-ils ? les voici : "Telles sont les flèches dans les mains d'un homme fort, tels sont les enfants de ceux qui ont été éprouvés par l'affliction." (Ibid., 4). Suivant une autre version : "De ceux qui ont été enchaînés." C'est-à-dire non seulement ils seront en sûreté dans l'enceinte de leurs murailles et dans l'intérieur de leur ville fortifiée, non seulement leur postérité sera nombreuse, mais ils deviendront redoutables à leurs ennemis, et redoutables comme des flèches. Ce n'est pas assez pour lui de dire : comme des flèches, il ajoute : "Comme des flèches dans la main des hommes forts" En effet les flèches ne sont point redoutables par elles-mêmes, elles ne sont à craindre que lorsque lancées par une main vigoureuse, elles portent avec elles une mort certaine. C'est ainsi qu'ils seront eux-mêmes redoutables. De qui le psalmiste veut-il parler ? "Des enfants de ceux qui ont été éprouvés dans l'affliction." C'est-à-dire de ceux qui ont été réduits à la dernière faiblesse et chargés des fers de l'esclavage. Il ne cesse de leur mettre sous les yeux, au temps de leur prospérité, le souvenir de leurs malheurs passés. Rien n'est plus propre en effet à leur inspirer de meilleurs sentiments que le souvenir de leurs épreuves, la vue de leur délivrance; et l'espérance des biens qu'ils attendent. "Heureux l'homme qui voit ses désirs accomplis en eux, ils ne seront point confondus, lorsqu'aux portes de la ville, ils répondront à leurs ennemis." (Ibid., 5). Une autre version porte : "Heureux celui qui en remplira son carquois." C'est-à-dire qu'ils auront à la fois en partage la force du corps, une vigueur redoutable à leurs ennemis, une belle et nombreuse postérité, une paix assurée, la splendeur de la cité, la victoire et les triomphes dans les combats. Aussi, le psalmiste proclame-t-il heureux ceux à qui est réservée cette félicité. Ils seront, dit-il, revêtus d'armes invincibles. Mais là ne se bornera point leur bonheur, Dieu les préservera de toute confusion. Ils ne seront point confondus, lorsqu'aux portes de la ville ils répondront à leurs ennemis : Quel est ce nouvel avantage ? C'est pour eux le sujet d'une gloire sans égale, d'une éclatante splendeur, d'une félicité souveraine. On ne leur reprochera plus que Dieu n'a pris aucun soin d'eux, ou qu'ils ont eu pour protecteur un Dieu impuissant, ou que leurs péchés ont entravé l'action de sa providence toute-puissante. Leur ville, son enceinte, la sûreté dont jouissent ses habitants, leurs nombreux enfants, leurs armes, leur puissance, contribueront à les couvrir de gloire. Loin d'avoir à rougir devant leurs ennemis, ils marcheront courageusement à leur rencontre, pleins de confiance, d'ardeur et de fierté, à la vue de la protection dont Dieu ne cesse de les environner. En effet, le comble du bonheur et de la félicité pour eux, c'est d'avoir pour ornement la protection de Dieu. Le prophète termine ce psaume par cette pensée pour nous apprendre à tous à rechercher cet ornement et à y placer toute notre gloire. Que ce soit là le but de nos efforts, afin que nous puissions mériter les biens éternels par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soit la gloire avec le Père et l'Esprit saint dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 127

"Heureux tous ceux qui craignent le Seigneur." v. 1.,

I. Le prophète, remarquez-le, commence ce psaume par la même pensée qui a terminé le précédent. (cf 126,5). Il proclamait bienheureux ceux qui n'avaient à craindre aucune confusion, et dont Dieu était le protecteur et l'appui, et il donne pour exorde à ce psaume la même vérité : "Heureux tous ceux qui craignent le Seigneur." Les Juifs sont comme le point de départ du psalmiste, mais sa proposition est générale. Rien de plus juste, en effet, que cette expression : "Tous ceux qui craignent le Seigneur." C'est-à-dire que tout homme, quel qu'il soit, maître ou esclave, pauvre ou privé de quelqu'un de ses membres, peut sans difficulté parvenir à ce bonheur dont il parle. Il est un autre bonheur faux et mensonger trop vanté par un grand nombre, et que le concours réuni d'une multitude d'éléments peut à peine garantir; et si un seul de ces éléments vient à faire défaut, on n'est point heureux, même aux yeux des hommes. Voici par exemple un homme qui a la richesse en partage, cela ne suffit pas pour son bonheur s'il n'a en même temps la santé. Ou bien s'il est riche, mais qu'il n'ait pas l'usage de quelqu'un de ses membres, son bonheur est encore imparfait et il est plus misérable que les indigents.

Combien de riches dont la vie est une lutte incessante avec les maladies, et qui estiment heureux ceux qui parcourent les rues en demandant leur pain, et qui se regardent comme les plus malheureux des hommes au milieu de leurs immenses richesses. Supposons maintenant un homme qui joint la santé aux richesses ! mais à qui la gloire fait défaut; nouvel obstacle à son bonheur. Il en est beaucoup, en effet, qui ont à la fois une immense fortune et une santé florissante, mais pour qui la vue de ceux qui occupent les premières places dans les armées ou dans l'État sont un supplice intolérable. Ils regardent comme le comble de l'infortune d'être exclus de tous les honneurs et obligés d'obéir à ceux qui souvent sont beaucoup moins riches que leurs propres esclaves.

Réunissez maintenant sur une seule tête les honneurs, les richesses, la santé, mais sans aucune sécurité. Cet homme est exposé à la fois à d'innombrables embûches, à l'envie, à la malveillance, à la haine, aux accusations, aux calomnies; dites-moi, n'est-il pas le plus infortuné des mortels, passant sa vie à trembler comme un lièvre, se défiant d'une ombre, et ne voyant dans tous les hommes qu'un sujet de crainte et d'effroi? Mais il a su échapper à tous ces chagrins, il est aimé de tous ses semblables, tout lui arrive à souhait, la gloire, les richesses, la sécurité, les honneurs, choses que l'on ne voit jamais, mais que nous supposons réunies dans un seul homme; il posséde donc tous les éléments de bonheur, rien ne s'oppose à ses desseins, il a tout ensemble la faveur du peuple, la santé du corps, une sécurité parfaite, il est à l'abri de toutes les attaques. Et cependant, avec tout cela, il ne faudra qu'une méchante femme pour le rendre plus malheureux que ceux qui sont privés de tous ces avantages. Mais non, sa femme est parfaite et selon ses désirs, ses enfants seulement sont vicieux, il est encore le plus infortuné des hommes. Ou bien, il n'a point d'enfants, nouvelle source de chagrins et de larmes. C'est-à-dire de quelque côté qu'on se tourne sur la terre, on ne voit que précipices. Pourquoi donc prolonger cette énumération ? Un méchant serviteur suffit souvent pour tout bouleverser, pour tout confondre, et rien n'est plus incertain que de placer sa gloire dans les hommes.

Il n'en est pas ainsi de celui qui craint Dieu; délivré des flots agités du monde, il jouit d'un calme pariait comme dans un port assuré, et goûte les fruits du véritable bonheur. Aussi le psalmiste laisse de côté tout le reste pour ne s'attacher qu'à proclamer le bonheur de celui qui craint Dieu. La félicité de la terre exige comme condition de son existence le concours de tous ses éléments réunis, et alors même elle est souvent ébranlée par les choses qui ont servi à la former. Combien de fois n'a-t-on pas vu les richesses devenir une cause de ruine, la mort frappe une épouse éclatante de beauté, des serviteurs traîtres à leur maître, des fils parricides ? En un mot, comme je l'ai dit, tout sur la terre n'est qu'incertitude et déception. Mais pour le bonheur de celui qui craint Dieu, réunissez contre lui tous les événements contraires, loin d'en recevoir la moindre atteinte, il n'en deviendra que plus fort et plus durable, oui, supposez la pauvreté, l'ignominie, un corps mutilé, une épouse querelleuse, des enfants vicieux, enfin tout ce que vous voudrez, rien n'est capable d'abattre ou d'ébranler cette félicité. Elle ne dépend point des événements de la terre, et n'a rien à craindre de leurs vicissitudes; sa racine est dans les cieux, et c'est ce qui la rend inébranlable. Prouvons, si vous le voulez, cette vérité par quelques exemples. Joseph n'était-il pas esclave, sur une terre étrangère, exilé loin de sa patrie, vendu aux barbares, aux Sarrasins d'abord, et puis aux Égyptiens plus cruels ? N'était-il pas regardé et accusé comme adultère, indignement calomnié, jeté dans une prison, chargé de fers ? Quelle atteinte reçut-il de toutes ces épreuves ? Elles ne firent que contribuer à son bonheur. Voilà, en effet, ce qu'il y a d'admirable : loin de compromettre sa félicité, ces épreuves lui donnèrent un nouvel éclat, une nouvelle splendeur; car, sans ce concours de circonstances malheureuses, Joseph ne fût jamais parvenu à un si haut degré de prospérité.

2. Citons maintenant, si vous le voulez, l'exemple de ceux qui étaient le plus enfoncés dans le vice, et que l'on vit se convertir tout d'un coup et se dépouiller de toutes leurs iniquités. Quoi de plus misérable que le larron ? et cependant un instant suffit pour en faire le plus heureux des hommes. Il était coupable de meurtres multipliés, puisqu'il était condamné au supplice de la croix et conduit à la mort; tous se réunissaient pour l'accuser, toute sa vie, toutes ses années n'avaient été qu'un long tissu de crimes, mais dans un seul instant il ouvrit son coeur à la crainte de Dieu, et il parvint au véritable bonheur. (cf Luc 23). Voyez encore cette femme pécheresse qui faisait trafic de sa beauté et s'abandonnait à toutes les infamies; elle était la plus malheureuse des créatures, mais elle recouvra le bonheur avec la crainte salutaire de Dieu. Il n'est point de crime que la crainte de Dieu ne puisse effacer. Présentez au feu le fer le plus courbé, le plus couvert de rouille, Il je rendra clair et brillant, enlèvera toute la rouille, et fera disparaître entièrement tout ce qu'il y avait de tortueux. Voilà les prodiges que la crainte de Dieu accomplit en un seul instant, et ceux qui en sont pénétrés sont invulnérables à tous les événements de la terre. Dites-moi, est-ce que Timothée n'était point d'une constitution faible, sujet à des maladies et à des souffrances continuelles? Fut-il cependant un homme plus heureux ? Et que direz-vous de Job ? N'était-il pas réduit à la dernière misère, privé de ses enfants, dévoré dans son corps par d'affreux ulcères, en butte aux reproches, aux outrages, aux insultes, en proie à la faim et à tous les maux qui peuvent accabler l'humanité ? Et malgré ces rudes épreuves, il était le plus heureux des hommes. Loin de l'accabler, elles ne firent que l'affermir davantage. Sa femme elle-même vint mettre le comble à ses maux en le poursuivant de ses invectives, et elle ne fit que faire éclater davantage sa vertu.

C'est à la vue de ces merveilles que le prophète s'écrie : "Heureux tous ceux qui craignent le Seigneur, et qui marchent dans ses voies." Ne croyez pas, semble-t-il dire, qu'il suffise d'avoir la crainte de Dieu, il faut encore marcher dans ses voies, et c'est pour cela qu'il réunit deux choses : la crainte et les oeuvres. Il en est beaucoup, en effet, dont la foi était parfaite, mais la vie criminelle et qui ont été les plus malheureux des hommes. C'est donc pour ne point exposer ses paroles au démenti qu'elles recevraient de ces exemples qu'il ajoute : "Qui marchent dans ses voies." Or, quelles sont les voies de Dieu, si ce n'est une vie conforme aux inspirations de la vertu ? Elle est le chemin le plus sûr pour monter au ciel, entrer dans la cité de Dieu, et voir Dieu Lui-même autant qu'il est possible à l'homme de contempler son visage. Il appelle ces voies les voies de Dieu, parce qu'elles conduisent sûrement dans le ciel et jusqu'à Dieu. Et il n'a point dit, la voie, mais "les voies"; pour nous apprendre qu'elles sont nombreuses. Dieu les a multipliées, afin que leur grand nombre nous permit d'y marcher avec plus de facilité. En effet, parmi les hommes, il en est qui se distinguent par la pratique de la virginité, d'autres qui mènent une vie sainte dans le mariage, d'autres enfin se sanctifient dans le veuvage. Ceux-ci se dépouillent de tous leurs biens, ceux-là n'en abandonnent qu'une partie; les uns ont toujours suivi la voie droite, les autres y sont rentrés par la pénitence. Vous le voyez, Dieu vous a ouvert un grand nombre de voies pour vous rendre le choix plus facile. Vous n'avez pu conserver à votre corps la pureté du baptême; mais vous pouvez lui rendre cette pureté par la pénitence, par le bon emploi de vos richesses, par vos aumônes. Vous n'avez point d'argent; vous pouvez au moins visiter les malades, porter des consolations aux prisonniers, offrir un verre d'eau froide, pratiquer l'hospitalité, donner deux oboles à l'exemple de la veuve, (cf Luc. 21) gémir des souffrances des affligés, car c'est là aussi faire l'aumône. Mais vous êtes dans la dernière détresse, et votre corps est si faible que vous ne pouvez vous remuer. Supportez avec courage et action de grâces cette triste situation, et une grande récompense vous est assurée.

C'est en cela que la conduite de Lazare fût admirable. Il n'assista personne de ses aumônes; comment l'aurait-il fait, lui qui manquait même du nécessaire ? Il ne descendit point dans les prisons, il ne pouvait même se lever et se tenir debout. Il ne visita aucun malade; comment l'eût-il pu faire, lui dont les chiens venaient lécher les ulcères ? Et cependant il obtint la magnifique récompense de la vertu, pour avoir supporté courageusement ses souffrances, pour avoir vu sans proférer le moindre murmure ce riche inhumain passer sa vie dans les honneurs et les plaisirs, tandis que lui était plongé dans un abîme de maux. Voilà pourquoi Abraham reçut dans son sein ce pauvre qui ressemblait plutôt à un mort qu'à un homme vivant, et dont la vie s'était écoulée inutile en apparence sous les portiques du riche, où il était étendu. Il fut proclamé vainqueur, reçut la même couronne que ce patriarche qui s'était rendu célèbre par tant d'actions éclatantes, et fut accueilli dans son sein. Cependant il n'avait fait aucune aumône, défendu aucun opprimé; il n'avait pratiqué ni l'hospitalité, ni aucune autre oeuvre semblable; il s'était contenté de rendre grâces à Dieu au milieu de ses souffrances, et il avait ainsi mérité la brillante couronne réservée à la patience. C'est une grande chose en effet que l'action de grâces, la sagesse et la patience, qui lutte contre des souffrances si nombreuses et si vives. C'est la vertu portée jusqu'à l'héroïsme. C'est cette vertu qui fut couronnée dans Job, et qui faisait dire au démon : "L'homme donnera peau pour peau et il abandonnera tout pour sauver sa vie; mais étendez ta Main, et frappe sa chair." (Job 11,4-5). Rien de plus cher en effet que d'imposer un frein à son âme en proie à la douleur, pour la préserver de tout péché. C'est un sacrifice comparable au martyre, c'est la plus méritoire de toutes les oeuvres.

3. Vous donc aussi, mon bien-aimé frère, lorsque vous êtes éprouvé par les maladies, par les fièvres, par les souffrances, et que la douleur est sur le point de vous arracher un blasphème, sachez vous maîtriser, remerciez Dieu, rendez-lui gloire, et la même récompense vous est assurée. Car pourquoi proférez-vous ces blasphèmes et ces paroles arrières ? En recevez-vous quelqu'adoucissement à votre douleur ? Quand même elle en deviendrait moins cuisante, vous ne devriez point vous permettre cette audace, et sacrifier le salut de votre âme au soulagement de votre corps. Mais bien loin d'en être adoucie, votre douleur n'en devient que plus vive. En effet, lorsque le démon voit qu'il a réussi à vous faire tomber dans les blasphèmes, il attise le feu qui vous dévore, il rend votre douleur plus insupportable pour vous amener à faire ce qu'il désire. Je le répète, quand même vos souffrances en seraient adoucies, vous ne devriez point vous permettre ces blasphèmes, mais puisque vous n'en retirez aucun profit, pourquoi vous donner ainsi gratuitement la mort ? Ne pouvez-vous garder le silence ? Rendez donc grâces à Dieu, et sachez glorifier Celui qui vous éprouve dans la fournaise de la souffrance. Au lieu de blasphémer Dieu, que votre bouche célèbre ses louanges. Vous mériterez ainsi une grande récompense et un adoucissement certain à vos douleurs. C'est ce que faisait le saint homme Job, lorsqu'il disait : "Dieu a donné, Dieu a ôté." (Job 1,21). Et encore : "Si nous avons reçu les biens de la Main de Dieu, pourquoi ne pas en recevoir les maux ?" (Job 2,10)

Mais, me direz-vous, il ne m'a jamais donné de richesses ? Votre blessure en est moins profonde. Il est bien plus pénible, en effet, de se voir dépouillé des richesses qu'on possède, que de vivre dans la pauvreté sans avoir jamais rien perdu. Un grand nombre de pauvres, en comparant leurs infortunes aux souffrances des autres, se regardent comme beaucoup plus malheureux par ce rapprochement. Mais, quand laissant de côté les autres, on ne se compare qu'avec soi-même, la douleur est d'autant plus profonde que le souvenir de la jouissance rend plus vif le sentiment de la privation actuelle. Ainsi il est beaucoup moins pénible de n'avoir jamais d'enfants que de perdre ceux que Dieu nous a donnés. En effet, il y a une grande différence entre ne point recevoir, et perdre ce qu'on a reçu. Supportez donc courageusement tout ce qui peut vous arriver, c'est là pour vous un vrai martyre. Lorsqu'on commande à un homme de sacrifier aux idoles, ce n'est pas le refus de sacrifier qui fait le martyre, mais le supplice sanglant qui est la conscience de ce refus. Ainsi lorsque la douleur met sur vos lèvres le blasphème, ce qui fait de vous un martyr, c'est la patience avec laquelle vous supportez vos souffrances plutôt que de laisser échapper une seule parole injurieuse à Dieu. Pourquoi Job fut-il couronné ? Ce n'est pas pour avoir refusé de sacrifier aux idoles sur l'ordre qui lui en était donné; mais parce qu'il a supporté son infortune avec un courage inébranlable. Paul lui-même a été proclamé vainqueur en récompense des coups de fouet, des tribulations, et de toutes les autres épreuves qu'il a endurées en rendant grâces à Dieu.

"Vous mangerez le fruit des travaux de vos mains, vous serez heureux et tout vous réussira." (Ibid., 2). Pourquoi donc proclame-t-il de nouveau ce bonheur ? Parce qu'il en connaît et qu'il aime à en contempler la grandeur. Et que signifient ces paroles : "Tout lui réussira. Votre épouse sera comme une vigne abondante dans les coins de votre maison." (Ibid., 3). Suivant une autre version : "Dans l'intérieur." Suivant une autre : "Dans les endroits les plus retirés de votre maison." Vos enfants seront autour de votre table comme de jeunes plants d'olivier. C'est ainsi que sera béni l'homme qui craint le Seigneur." (Ibid,, 4). Que dites-vous, je vous prie ? voilà donc l'objet de ce bonheur et les avantages que vous lui promettez ? L'abondance intérieure, la jouissance paisible de ses travaux, une épouse féconde, une nombreuse famille ? Non, tous ces biens n'arrivent que comme accessoires : "Cherchez le royaume de Dieu, nous dit le Sauveur, et le reste vous sera donné comme surcroît." (Luc 12,31). Le prophète s'adressait à des âmes encore imparfaites, et il les instruit comme des enfants par des choses sensibles; n'en soyez pas surpris. Saint Paul, au temps où il prêchait une sagesse si sublime, était oblige de tenir ce langage aux âmes encore rampantes qu'il instruisait, à plus forte raison le psalmiste prophète. Et dans quelles circonstances saint Paul parle-t-il de la sorte ? Dans une multitude d'endroits. Quand il traite de la virginité, il ne dit rien des avantages qu'elle réserve à ceux qui la pratiquent, il ne parle que de l'affranchissement des embarras du mariage. (cf I Cor 7,28). Il tient la même conduite lorsqu'il parle de l'honneur dû aux parents : "C'est, dit-il, le premier commandement auquel Dieu ait joint une promesse. Quel est ce commandement : Honorez votre père et votre mère afin que vous viviez longtemps sur la terre." (Ep 6,2). Lorsqu'il recommande la longanimité à l'égard des ennemis, il propose encore une récompense sensible : "En faisant cela, dit-il, vous amasserez des charbons ardents sur leur tête." (Rom 12,20). Jésus Christ n'en use pas ainsi, Il recommande la virginité et lui montre en perspective le royaume des cieux. (cf Mt 19,12); lorsqu'il fait un précepte de l'amour des ennemis, Il nous promet que nous serons semblables à Dieu, autant que les hommes peuvent le devenir. (cf Mt 5,44-45). Déjà dans l'Ancien Testament, où les hommes étaient instruits par des objets sensibles, les âmes plus élevées se conduisaient par des considérations plus sublimes. De là ces paroles de saint Paul : "Tous ces saints sont morts dans la foi, n'ayant point reçu les biens que Dieu leur avait promis, mais les voyant et les saluant de loin." (Heb 11,13). Gardons-nous donc de croire que la seule récompense de ceux qui craignent Dieu, soit la jouissance des biens de la terre, une épouse, des enfants, la prospérité dans les affaires domestiques. Ce sont là des récompenses accessoires et surajoutées. Les biens premiers et essentiels, c'est d'abord la crainte de Dieu, vertu qui porte avec elle sa récompense, et ensuite ces biens ineffables que l'oeil n'a point vus, que l'oreille n'a pas entendus, et que le coeur de l'homme n'a pas compris. "Que le Seigneur vous bénisse de Sion, afin que vous contempliez les biens de Jérusalem." (lbid., 5). Une autre version porte : "Voyez Jérusalem dans les biens." Ces biens, sont la jouissance de la cité, les richesses, la gloire, les lumières, la prospérité, l'abondance, la paix et la sécurité.

4. "Tous les jours de votre vie." Rien de plus juste que ces paroles : "Tous les jours de votre vie." La plus grande marque que Dieu était l'auteur de ces dons, et la preuve la plus éclatante de sa Providence, c'est qu'ils seraient à l'abri de tout événement fâcheux, de tout désastre, de toute vicissitude, tant que l'indignation de Dieu n'aurait pas elle-même interrompu le cours de ses bienfaits. "Et que vous voyiez les enfants de vos enfants." (Ibid., 6). Mais, me direz-vous, il en est un grand nombre qui, tout en craignant Dieu, n'ont jamais eu d'enfants ? Qu'est-ce que cela prouve ? Lorsque nous nous séparons de tout pour nous attacher à Dieu, est-ce en vue de la vie présente ? N'est-ce pas avant tout pour être agréable à Dieu, et parce que nous espérons des biens de l'éternité ? Les biens de la terre étaient alors les récompenses promises, mais pour nous, c'est le ciel et les biens qu'il renferme. Vous me dites, je craignais Dieu, et cependant je n'ai point eu d'enfants; mais savez-vous si Dieu ne vous a pas accordé des grâces bien plus précieuses ? Dans son immense Richesse Il ne répand pas ses Bienfaits d'une manière uniforme, mais il sait varier ses récompenses. Que de pères de famille ont envié le bonheur de ceux qui n'avaient pas d'enfants ! Combien de riches sont morts plus misérablement que les pauvres ! Combien d'autres à qui la gloire s'était donnée sans réserve, qui en ont été ensuite percés comme d'un glaive, et ont essuyé les plus tristes revers ! Ne cherchez donc pas la raison de ces divers événements, et gardez-vous de demander à Dieu compte de ses Actes, supportez tout dans un esprit de courage et d'actions de grâces. Je dirai plus, ne vous attachez à aucune des choses de la vie présente. C'est pour cela que la prière qu'il vous commande de lui adresser, ne renferme qu'une seule demande qui ait rapport aux biens extérieurs. Et encore cette demande entendue comme il faut a-t-elle une signification spirituelle. Toutes les autres demandes ont pour objet les cieux, le royaume des cieux, la perfection chrétienne, la rémission des péchés. Une seule demande a rapport aux nécessités temporelles. Quelle est-elle ? "Donnez-nous aujourd'hui notre pain suressentiel." (Mt 6,11), et voilà tout. C'est qu'en effet nous sommes appelés à posséder une autre patrie; nous sommes destinés à une vie meilleure, il faut donc que nos prières soient conformes à une fin aussi sublime, et quand même nous aurions tous les biens de la terre en abondance, nous devons nous en détacher avec le plus grand soin.

"La paix soit sur Israël." Une autre version porte : "Et voyez les enfants de vos enfants, la paix sur Israël." Cette prière est pour tout le peuple. En effet, la paix était l'objet des désirs les plus ardents des Juifs, épuisés par des guerres prolongées. Que pouvaient leur servir tous les autres biens sans la paix ? Le prophète leur promet donc le premier de tous les biens, celui qui leur en garantit la possession, c'est-à-dire la paix, et une paix perpétuelle.

C'est là l'oeuvre de la Providence divine qui en nous accordant ses Faveurs nous en assure la jouissance. Comme les choses humaines sont de leur nature si agiles et passagères, il veut les convaincre que ces biens ne leur viendront point du hasard, mais de la Protection divine et de la volonté de Dieu. C'est ce qu'il exprime par ces paroles : "Tous les jours de votre vie," et il leur promet en même temps une paix durable. Si elle a eu des interruptions, leurs iniquités en ont été cause. En effet, lorsque Dieu menace les hommes de les punir, ils peuvent fléchir sa Colère par leur repentir et il suspend alors ses châtiments. Ainsi, lorsqu'ils se rendent indignes des biens qu'Il leur a promis, Il revient sur ses promesses. De son côté Il leur a donc promis la paix pour tous les jours de leur vie, mais leurs injustices ont interrompu le cours de ses Bienfaits. En vous parlant de la sorte, je veux d'un côté que les Menaces de Dieu ne vous jettent point dans le désespoir; mais qu'elles vous portent à apaiser sa Colère par la pénitence; de l'autre que ses Promesses ne favorisent point votre négligence, mais que vous en méritiez l'accomplissement par une vie pleine de zèle pour votre perfection. Si nous n'agissons de la sorte, ne comptons pas sur les promesses de Dieu pour nous sauver. N'avait-il pas promis à Judas d'être assis sur un trône, comme les onze autres apôtres ? Cependant cette promesse n'eut point son effet, non par la faute de celui qui l'avait faite, mais par celle du traître qui s'en rendit indigne. Dieu nous a fait aussi la promesse de son royaume, gardons-nous donc d'y être indifférents, mais faisons tous nos efforts pour mériter les biens éternels par la Grâce et la Miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soient la gloire et le règne, dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 128

"Souvent, dès ma jeunesse, ils m'ont persécuté, peut dire Israël." v. 1.

"Souvent ils m'ont persécuté, c'est qu'en effet ils n'ont pu rien contre moi." (Ibid. 2). Un autre interprète traduit : "Mais ils n'ont rien pu contre moi."

1. Ce psaume se rattache encore au précédent. Comme la reconstruction du temple était interrompue, et que les travaux ne se terminaient point, le psalmiste ranime les espérances des Juifs et prévient leur découragement. Il veut que le passé soit pour eux le garant de l'avenir, et il leur met ces paroles à la bouche. Quelle est leur signification ? Les ennemis des Juifs les ont souvent attaqués, mais ils n'ont jamais pu les anéantir, ni remporter sur eux une victoire complète. Et cependant ils les ont emmenés captifs, ils les ont transportés dans une terre étrangère, et ont été leurs vainqueurs dans bien des combats. Il est vrai, mais ce n'est point à leurs propres forces, mais aux crimes des Juifs qu'ils étaient redevables de la victoire. D'ailleurs, ils n'eurent pas constamment le dessus; jamais ils ne purent anéantir la race des Juifs, ni détruire sans retour leur cité, ni perdre entièrement leur nation; mais à des victoires momentanées que Dieu leur accordait sur son peuple succédaient d'éclatantes défaites. Et comment les Juifs en devenaient-ils victorieux ? Par le retour à leur ancienne prospérité. C'est ce qu'un autre interprète traduit de la sorte : "Mais ils n'ont pu l'emporter sur moi," "Les pécheurs ont fait passer sur mon dos le soc de la charrue, ils y ont prolongé leurs iniquités." (Ibid., 3). Que signifient ces paroles ? Ce n'est pas comme au hasard qu'ils m'ont tendu des pièges, mais ils ne cessaient de former contre moi des complots combinés avec adresse, d'ourdir leurs trames artificieuses et de m'attaquer en secret. Ces paroles : "Sur mon dos," sont l'expression figurée ou de la dissimulation et de la perfidie, ou d'une violence qui ne connaît point de bornes. C'est-à-dire, ils ont essayé de briser ma puissance. Une autre version, au lieu de : "Ils travaillaient," porte : "Ils ont labouré," pour montrer le soin extraordinaire qu'ils mettaient à tendre des pièges au juste. "Ils ont prolongé leur iniquité. " Que veut dire ici le psalmiste ? A la violence inouïe de l'attaque, ils ont joint une grande persévérance. Ils ont employé un temps considérable, ils ont fait de ces embûches leur oeuvre capitale, et s'en sont occupés avec une constance opiniâtre. Mais tous ces efforts ne leur ont servi de rien, grâce non pas à mes propres forces, mais à la Puissance de Dieu. Aussi, le psalmiste se hâte-t-il de montrer celui qui élève le trophée et qui est l'auteur de la victoire. "Le Seigneur qui est juste, tranche la tête des pécheurs." (Ibid., 4). Une autre version, au lieu de : "La tête," porte : "Les cordes," c'est-à-dire, les ruses, les artifices, les perfidies. Remarquez qu'il ne dit pas : "Il a brisé, " mais : "Il a tranché," c'est-à-dire, son opération a été décisive, il a réduit à néant leurs complots. En effet, lorsqu'ils commencèrent à rebâtir la ville, ils furent assaillis par une foule d'ennemis qui voyaient leur entreprise d'un oeil profondément jaloux, et qui renouvelèrent leurs attaques non pas une ou deux fois, mais à plusieurs reprises différentes. L'Église a été soumise aux mêmes épreuves, elle ne faisait que de naître, et déjà elle se voyait de tous côtés l'objet d'attaques incessantes. D'abord, ce fut de la part des rois, des peuples et des tyrans, puis vinrent les attaques. insidieuses des hérétiques sous diverses formes. En un mot, de toutes parts on lui déclarait la guerre la plus violente et la plus acharnée. Mais tous ces efforts furent inutiles, ses ennemis furent honteusement défaits, et l'Église reste toujours florissante.

"Qu'ils rougissent, qu'ils retournent en arrière, tous ceux qui haïssent Sion." (Ibid., 5). Une autre version porte : "Qu'ils soient renversés en arrière." "Qu'ils deviennent comme l'herbe des toits qui se dessèche avant qu'on la recueille." (Ibid., 6). "Qui jamais ne remplit la main du moissonneur." Suivant une autre version : "La paume de la main." "Ni les bras de celui qui recueille les gerbes. (Ibid., 7). "Et dont les passants ne disent pas : La bénédiction du Seigneur soit sur vous, nous vous bénissons au nom du Seigneur." (Ibid., 8). Le psalmiste termine cette exhortation par une prière; le récit des événements passés, joint à cette invocation, a pour but d'inspirer de la confiance à l'auditeur, en lui montrant l'injustice de cette guerre. Elle avait pour cause en effet, l'envie et la haine, et c'est ce qui lui fait dire : "Qu'ils rougissent et qu'ils retournent en arrière, tous ceux qui haïssent Sion." C'est-à-dire, qu'ils soient non seulement vaincus, mais qu'ils le soient d'une manière honteuse et ridicule. Qu'ils deviennent, a-t-il dit, comme l'herbe des toits; il continue cette meule figure en les comparant non seulement à l'herbe, mais à l'herbe des toits. Sans doute, l'herbe qui croit dans un champ fertile passe bien vite; mais pour montrer le peu de valeur de ses adversaires, il les compare à l'herbe qui croit sur les toits, et tire ainsi une double preuve de leur fragilité, de la nature de l'herbe et du lieu où elle pousse. Telles sont, dit-il, les attaques de ces ennemis qui n'ont ni racine ni fondement, ils sont comme l'herbe qu'on voit presqu'en même temps fleurir, et puis tomber et se flétrir d'elle-même. Telle est aussi la prospérité de ceux qui passent leur vie dans le crime. Voilà ce que deviennent les choses les plus brillantes de cette vie, elles frappent un instant notre vue et puis elles s'évanouissent, parce qu'elles n'ont ni fondement, ni force. Gardons-nous d'y attacher notre coeur, mais que la considération de leur fragilité nous fasse désirer les biens éternels et immuables, qui sont à l'abri des vicissitudes du temps. Puissions-nous les mériter par la Grâce et la Miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, auquel soit la gloire avec le Père et le saint Esprit dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 129

"J'ai crié vers vous, Seigneur. Seigneur, exaucez ma prière." v. 1.

1. Que signifie cette expression : "Des profondeurs ?" C'est-à-dire, ce n'est pas seulement de ma bouche, ce n'est pas seulement de ma langue que sortent mes paroles, tandis que mon âme est errante, mais c'est du plus intime de mon coeur, c'est avec toute l'ardeur, tout le zèle dont je suis capable, c'est des profondeurs mêmes de mon âme. Voilà ce que produit la tribulation dans une âme, elle ébranle le coeur jusque dans ses fondements, et lui inspire une prière pleine d'une vive componction qui est nécessairement exaucée. De telles prières ont une grande puissance, car elles ne peuvent être ni abattues ni agitées, quand même le démon déploierait toute sa violence pour les attaquer. Voyez un arbre vigoureux qui a poussé de profondes racines dans la terre, et qui en embrasse tous les replis, il résiste à toute l'impétuosité des vents. Si au contraire, il ne tient qu'à la surface du sol, le moindre vent qui vient à souffler, l'ébranle, le déracine et le jette à terre. Ainsi les prières qui partent du coeur et qui ont dans l'âme des racines profondes, demeurent fermes, inébranlables et ne fléchissent jamais malgré la multitude des pensées qui viennent les assaillir, malgré toutes les attaqués du démon. Celles au contraire qui ne sortent que de la bouche et des lèvres, et ne viennent point du fond du coeur, ne peuvent monter jusqu'à Dieu, affaiblies qu'elles sont par la tiédeur de celui qui prie de la sorte. En effet, le moindre bruit, la moindre agitation suffit pour le troubler, pour le détourner de sa prière. La bouche fait entendre des sons, mais le coeur est vide, et l'esprit est absent. Ce n'est point ainsi que priaient les saints, leur prière était si fervente qu'elle allait jusqu'à plier leur corps tout entier. C'est ainsi que le bienheureux prophète Élie cherche d'abord la solitude pour prier, puis ayant mis son visage entre ses genoux, le coeur embrasé d'une grande ferveur, il adressait sa prière à Dieu. (Ill Roi 18,43). Voulez-vous le voir maintenant prier debout ? Considérez-le s'étendant, s'élevant jusqu'au ciel, d'où il fait descendre le feu sur la terre. (Ibid., 36-38). De même encore, lorsqu'il voulut ressusciter le fils de la veuve, il s'étendit tout entier sur l'enfant pour le rendre à la vie. Il ne priait pas comme nous, avec ennui et dégoût, mais avec attention, mais avec ferveur. (III Roi 17,19,22). Mais pourquoi citer ici l'exemple d'Elie et des saints ? j'ai vu des femmes dont le mari était en voyage, ou l'enfant malade, adresser à Dieu leurs prières du fond du coeur, et verser des larmes si abondantes qu'elles obtenaient ce qu'elles demandaient. Or, si ces femmes prient avec tant de ferveur pour un mari absent, pour un enfant malade, ne sommes-nous pas impardonnables de rester froids et indifférents, lorsque notre âme est plongée dans la mort ?

Aussi, qu'arrive-t-il ? C'est que nos prières restent sans effet. Considérez comme Anne priait du fond du coeur, quels torrents de larmes elle versait, et comme sa prière la transportait hors d'elle-même. (I Roi 1,10-11). Celui qui prie de la sorte, avant même d'avoir obtenu ce qu'il demande, recueille les plus grands avantages de sa prière; il impose silence à toutes les passions de son âme, apaise la colère, bannit l'envie, éteint la convoitise, affaiblit l'amour des biens de cette vie, établit son coeur dans un calme parfait et s'élève même jusqu'au ciel. De même que la pluie rend plus souple la terre desséchée qu'elle arrose; de même encore que le feu amollit la dureté du fer, ainsi une prière fervente assouplit et attendrit un coeur plus énergiquement que le feu, plus profondément que la pluie. Notre âme est molle et flexible, mais semblable à l'Ister dont les eaux durcissent sous l'influence de la gelée; notre âme aussi, sous la triste influence du péché et de la tiédeur, s'endurcit à l'égal de la pierre. Nous avons donc besoin d'une grande chaleur pour amollir cette dureté. C'est ce que produit surtout la prière. Lors donc que vous voulez prier, ne vous proposez pas seulement d'obtenir ce que vous demandez, mais faites en sorte que la prière rende votre âme meilleure; car c'est là aussi un des effets de la prière. Celui qui la fait dans ces conditions, devient supérieur à toutes les choses de la vie, son âme prend des ailes, sa pensée s'élève, sans qu'aucune passion soit capable de l'arrêter.

"Des profondeurs de mon âme, j'ai crié vers Toi, Seigneur." Remarquez, ici deux choses : le prophète a crié vers Dieu, et il a crié du fond de son âme. Ce cri n'est pas le son de la voix, mais la disposition du coeur. "Seigneur, exaucez ma prière." Recevons aussi ces deux leçons : premièrement que notre prière, pour être exaucée de Dieu, exige nécessairement nos efforts personnels. Aussi c'est après avoir dit : "J'ai crié vers Toi du fond de mon âme," qu'il ajoute : "Exaucez la voix de ma prière;" secondement, qu'une prière attentive et fervente, pleine des larmes de la componction, a sur Dieu une puissance toute particulière pour en obtenir ce qu'elle demande. En effet, il ajoute : "Seigneur, exaucez ma voix," comme un homme qui vient d'accomplir une oeuvre extraordinaire, et qui a fait tout ce qui dépendait de lui. "Que tes oreilles soient attentives à ma voix suppliante." (Ibid., 2). Le prophète se sert de l'expression figurée d'oreilles, pour exprimer le pouvoir que Dieu a de nous entendre; de même aussi, cette voix suppliante n'indique ni les efforts de l'esprit, ni le cris extérieur de la voix, mais la vive affection du coeur. "Si Tu tiens compte, Seigneur, nos iniquités, qui pourra, grand Dieu, subsister ?" (Ibid., 3). Le psalmiste détruit ici ce prétexte que plusieurs pourraient alléguer : Je ne suis qu'un pécheur, mes iniquités sont innombrables, je ne puis m'approcher de Dieu, Le prier, L'invoquer. "Seigneur, si Tu examine nos iniquités, répond-il, qui pourra, grand Dieu, subsister ?" Qui pourra ? C'est-à-dire, personne ne pourra; car si Dieu nous demande un compte sévère de ce que nous avons fait, il n'y a personne qui puisse jamais trouver grâce et miséricorde devant Lui.

2. Si je vous parle de la sorte, ce n'est point pour favoriser la tiédeur, mais pour consoler ceux qui tombent dans le désespoir. "Car qui peut se glorifier d'avoir an coeur pur, et qui peut dire avec confiance : je suis exempt de péchés ?" (Pro 20,9). Et pourquoi parler ici des autres hommes ? Prenons un saint Paul 1ui-même, et demandons-lui un compte exact de toute sa vie, il ne pourrait y résister. Il avait lu les prophètes, comme un observateur zélé de la loi de ses pères, il avait vu les prodiges qui s'accomplissaient sous ses yeux, et cependant il ne cessait de persécuter les chrétiens. Il ne s'arrêta dans cette voie qu'après cette vision merveilleuse dont Dieu le favorisa et cette voix terrible qu'il lui fit entendre. Jusque-là il continua de répandre partout le trouble et le désordre, et cependant Dieu oublie toute cette conduite coupable, Il l'appelle, et le juge digne de ses grâces les plus abondantes.

Que dirons-nous encore de Pierre le chef des apôtres ? Après les prodiges et les miracles sans nombre dont il avait été témoin, après tant d'enseignements et d'avertissements qu'il avait reçus, ne fut-il pas convaincu d'avoir fait une chute des plus graves ? Et Dieu daigna aussi oublier ce crime et il établit Pierre à la tête des autres apôtres. Voilà pourquoi Il lui parle en ces termes : "Simon, Simon, voilà que Satan a désiré vous passer au crible comme le froment. Et moi, j'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas." (Luc. 22,31-32). Et après ces prodiges de grâce, si Dieu venait juger les hommes sans indulgence et sans miséricorde et leur demander un compte sévère de leurs actions, Il trouverait tous les hommes coupables sans exemption. C'est ce qui faisait dire à saint Paul : "La conscience ne me reproche rien, mais je ne suis pas justifié pour cela." "Si tu examine les iniquités, Seigneur, Seigneur." Cette répétition n'est pas l'effet du hasard, c'est l'expression d'une âme frappée d'admiration et d'étonnement devant l'excès de la Miséricorde de Dieu, l'étendue de sa Grandeur, l'océan sans bornes de sa Bonté. "Qui pourra subsister ?" Il ne dit pas : Qui pourra échapper ? mais : "Qui pourra subsister ?" C'est-à-dire, qu'on ne pourra même soutenir la Présence de Dieu. "Auprès de Toi est le pardon. " (lbid., 4). Que signifient ces paroles : "Auprès de Toi est le pardon ?" Ce ne sera point au nom de nos mérites, mais en vertu de ta Bonté qu'il nous sera donné d'échapper au châtiment. Ta Miséricorde seule, peut nous faire éviter la justice. Si Tu nous la refuse, c'est en vain que nous comptons sur nos bonnes oeuvres pour nous soustraire à ta Colère.

3. C'est ce que Dieu nous enseigne lorsqu'Il nous dit par son prophète : "C'est Moi qui efface vos iniquités." (Is 43,26). C'est mon oeuvre, l'oeuvre de ma Bouté, de ma Miséricorde. Vos mérites ne suffiraient jamais pour vous arracher au supplice, si Je n'usais à votre égard de miséricorde, et il ajoute : "C'est Moi qui vous soutient." (Is 46). " A cause de ton Nom, je T'ai attendu, Seigneur. Mon âme s'est soutenue par ta parole. Mon âme a espéré au Seigneur. " (Ibid., 5). Une autre version porte : "A cause de ta loi. " Une autre : "Afin que ta parole soit connue." Or, voici l'explication de ces paroles : C'est en ta Miséricorde, c'est en ton Nom, c'est en ta loi que j'espère, pour arriver au salut. Si je n'avais pour appui que mes lèvres, il y a longtemps que le désespoir aurait fait place à l'espérance. Mais je considère ta loi, je me rappelle ta parole, et l'espérance rentre dans mon coeur. Quelle est cette parole ? Une parole de miséricorde; n'est-ce pas lui qui a dit en effet : "Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant mes Pensées sont au-dessus de vos pensées, et mes Voies au-dessus de vos voies ?" (Is 55,9). Et dans un autre endroit : "Autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre, autant sa Miséricorde s'affermit sur ceux qui Le craignent." (Ps 102,11). Et encore : "Autant le couchant est éloigné de l'aurore, autant Il a éloigné de nous nos iniquités." (Ibid., 12). C'est-à-dire, je n'ai pas sauvé seulement ceux dont les lèvres étaient irréprochables, mais J'ai aussi fait grâce aux pécheurs, et au milieu de tous vos crimes, J'ai fait éclater ma puissante Protection et ma Sollicitude paternelle. Un autre interprète a traduit : "C'est afin que tu te rends redoutable, que j'ai attendu le Seigneur. " A qui redoutable ? A mes ennemis, à ceux qui me tendent des pièges, et m'ont juré une haine mortelle. Que signifient encore ces paroles : "A cause de ton Nom ?" Je suis pécheur, il est vrai, et mon âme est pleine de misères innombrables; cependant, j'étais persuadé, que pour sauver ton Nom de la profanation, Tu ne nous laisseras point périr. C'est ce que bien Lui-même nous déclare dans Ézéchiel : "Ce n'est point pour vous que Je le fais, mais c'est pour mon Nom, afin qu'il ne soit point profané parmi les nations." (Ez 26,22). C'est-à-dire, nous ne sommes pas dignes d'être sauvés, nos lèvres ne peuvent nous donner aucune espérance, mais c'est en ton Nom que nous mettons notre confiance, et c'est la seule espérance de salut qui nous est laissée. Une autre version porte : "A cause de la crainte, j'ai attendu le Seigneur. " Un autre : "A cause de la loi, mon âme a espéré en ta parole." Suivant une autre version : "Mon âme a attendu sa parole." Suivant une autre : "Mon âme a espéré, et j'ai attendu sa parole." C'est-à-dire, ses promesses, ses déclarations réitérées de bonté et de miséricorde, ont été pour mon âme comme une ancre sacrée; et je n'ai point désespéré de mon salut,

"Que depuis la pointe du jour jusqu'à la nuit, Israël espère au Seigneur," (Ibid., 6), c'est-à-dire, toute la vie qui est figurée par le jour et la nuit. En effet, le moyen le plus assuré pour arriver au salut, est d'avoir les yeux constamment fixés sur Dieu, et de rester attaché à cette espérance malgré tant de circonstances fâcheuses qui peuvent nous jeter dans le désespoir. Dieu est un rempart indestructible, une forteresse ineprenable, une tour inattaquable. Lors même donc que par suite des événements vous seriez menacé de la mort, d'un danger sérieux, d'une ruine complète, ne cessez point d'espérer en Dieu, et d'attendre de Lui votre salut. Tout Lui est aisé et facile, et Il saura bien vous ménager une issue au milieu des dangers les plus inextricables. Ce n'est donc point seulement au temps de la prospérité que vous devez attendre la Protection divine, mais surtout lorsque vous avez à lutter contre la fureur des flots et la violence de la tempête, et que vous êtes menacé des derniers dangers. C'est le moment que Dieu choisit de préférence pour faire éclater sa Puissance. Le prophète nous engage donc ici à espérer constamment en Dieu, dans tout le cours de notre vie.

"Car dans le Seigneur est la miséricorde et une abondante rédemption." (Ibid., 7). "C'est Lui qui rachètera Israël de toutes ses iniquités." Que signifient ces paroles : "Dans le Seigneur est la miséricorde ?" C'est-à-dire, il y a en Dieu un trésor, une source de miséricorde qui ne cessent de jaillir sur les hommes, Or, à la miséricorde se trouve jointe la rédemption, et non pas une rédemption ordinaire, mais une rédemption abondante, et un océan immense d'amour. Quand bien même nos péchés nous auraient gravement compromis, ne nous laissons aller ni au découragement, ni au désespoir. Lorsqu'un tribunal est présidé par la clémence et la miséricorde, le juge n'exige pas un compte aussi rigoureux des crimes qui ont été commis, parce que l'inclination qui le porte à pardonner lui fait fermer les yeux sur une multitude de fautes. Telle est la conduite de Dieu, dont l'inclination et la propension naturelles sont de faire miséricorde et de pardonner. "C'est Lui qui rachètera Israël de toutes ses iniquités.· Si telle est la Nature de Dieu, et si la grandeur de sa Miséricorde doit s'étendre partout, il est évident qu'Il sauvera son peuple, et qu'Il le délivrera non seulement du châtiment, mais de ses péchés. Puisque nous sommes instruits de ces vérités, persévérons dans la prière, et ne cessons jamais de prier, que nous soyons exaucés ou non. Dieu est le maître de nous accorder ce que nous Lui demandons, mais Il est aussi le Maître de nous l'accorder quand Il le veut, et Il sait parfaitement quel est le moment favorable. Ne cessons donc de prier Dieu, de L'invoquer en nous confiant dans sa Bonté, dans son Amour. Ne désespérons jamais de notre salut, mais travaillons à l'assurer par nos oeuvres. Dieu alors ne nous fera point défaut, car il y a en Lui une miséricorde ineffable et une bonté infinie.

Puissions-nous tous en ressentir les heureux effets, par la grâce et la miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ à qui soit la gloire avec le Père et le saint Esprit, dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 130

"Seigneur, mon coeur ne s'est point enflé d'orgueil, et mes yeux ne se sont point portés en haut." Suivant une autre version : "Ils ne se sont point élevés. Je n'ai point marché sur les hauteurs ni dans des voies au-dessus de moi." Une autre version porte : "Dans les grandeurs." Une autre : "Dans les choses magnifiques et qui me surpassent." v. 1.

Que veulent dire ces paroles ? Saint Paul déclare que lors même qu'on y est forcé, c'est une folie de se louer soi-même. "J'ai fait une folie en parlant avantageusement de moi, c'est vous qui m'y avez contraint." ( II Cor 12,11). Comment donc le prophète semble-t-il ignorer cette vérité, et se glorifie-i-il non pas en présente de deux, trois, ou dix personnes, mais en face de l'univers entier ? Et en quels termes se glorifie-t-il ? Je suis, humble et plein de modération, d'une modestie et d'une simplicité excessive. C'est le sens de ces paroles : "Comme un enfant sevré sur le sein de sa mère." (Ibid., 2). Pourquoi doue tient-il ce langage ? parce qu'il n'est pas absolument défendu de se louer, quelquefois même cela est nécessaire, et dans certaines circonstances il serait déraisonnable non point de nous glorifier, mais de garder le silence. Voilà pourquoi saint Paul disait : "Que celui donc qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur." (II Cor 10,17). Celui en effet, qui ne se glorifie pas dans la croix, commet à la fois un acte de folie et un grand crime. Celui qui ne se glorifie pas dans la foi est le plus malheureux des hommes, et celui qui met ailleurs sa gloire et sa confiance, ne doit s'attendre qu'à une ruine certaine. Voilà pourquoi saint Paul s'écriait avec tant d'assurance : "À Dieu ne plaise que je me glorifie, si ce n'est dans la croix de notre Seigneur Jésus Christ." (Gal 6,14). L'Écriture dit encore ailleurs : "Que le riche ne se glorifie point dans ses richesses, ni le sage dans sa sagesse, mais que celui qui se glorifie, se glorifie de voir et de connaître le Seigneur." (Jer 9,23-24). Quand donc est-ce un mal de se glorifier ? Lorsque nous imitons la conduite des Pharisiens. (cf Luc. 18). Et pourquoi donc, me demanderez-vous, Paul disait-il aux Corinthiens : "Je suis devenu insensé en me glorifiant, c'est vous qui m'y avez forcé ?" (II Cor 12,16). Parce qu'il racontait les belles actions de sa vie, sur lesquelles il devait se taire, s'il n'y avait eu nécessité. Il dit encore ailleurs : "Si je voulais me glorifier, je ne serais pas un insensé, car je dirais la vérité." (II Cor 12,6). Celui qui dit la vérité lorsque les circonstances l'exigent, fait un acte raisonnable. N'accusons donc pas de folie le prophète qui se glorifie lui-même, car il dit la vérité. Mais quel motif l'a porté à tenir ce langage ? Il a voulu apprendre à ceux qui l'écoutaient qu'une fois délivrés de leurs maux, ils ne devaient point se laisser de nouveau dominer par l'orgueil, ni retomber dans les liens d'un autre esclavage après avoir vu briser leurs chaînes. Le récit de sa propre conduite devient ainsi une leçon salutaire pour les autres. Remarquez qu'il ne dit pas : Mon coeur s'est enflé d'orgueil, mais : J'ai maîtrisé cette passion. "Mon coeur ne s'est point enflé d'orgueil," C'est-à-dire, un coupable orgueil n'a même pas effleuré mon âme, Son âme en effet était comme un port inaccessible à la tempête, et fermé aux eaux de ce mal qui est la cause de tous les maux, et la racine des plus grands crimes. Que signifient donc ces paroles : "Seigneur, mon coeur ne s'est point enflé d'orgueil, et mes yeux ne se sont point portés eu haut ?" Je n'ai point froncé les sourcils, ni relevé fièrement la tête. Cette maladie débordant comme d'une source cachée, imprime jusque sur le corps les signes de la plaie dont l'âme est atteinte à l'intérieur. "Je n'ai point marché dans les grandes choses, ni dans des voies au-dessus de moi." Qu'est-ce à dire "Dans les grandes choses ?" parmi les hommes orgueilleux, parmi les riches du siècle, les hommes présomptueux et hautains. Quelle profonde humilité ! Ce n'est pas assez pour lui de se garantir de cette maladie, il fuit encore ceux qui en sont atteints, et il s'éloigne de leurs assemblées, tant est grande la haine qu'il a conçue contre l'orgueil. Cette haine est si forte, que non seulement il s'en garantit avec soin, et lui ferme toutes les entrées de son âme, mais que pour en fuir les dangereuses atteintes, il met une distance immense entre lui et les hommes que ce vice tyrannise.

Ne regardons pas du reste comme un acte peu méritoire de fuir le commerce des hommes fiers et hautains, de haïr les orgueilleux, de les avoir en horreur et de s'en éloigner. Il n'y a point de plus grande sécurité pour la vertu, point de garde plus sûre de l'humilité. "Ni dans des voies au-dessus de moi." Une autre version porte : "Ni dans des choses qui me dépassent." Si je n'avais pas des sentiments humbles, si au contraire j'ai élevé mon âme, de même qu'est un enfant lorsque sa mère l'a sevré, vous rendrez à mon âme le châtiment qu'elle mérite. Suivant une autre version : "Qu'il soit ainsi fait à mon âme." Il y a ici une inversion, et voici la marche naturelle de la proposition : Si je n'avais des sentiments humbles comme un enfant sevré sur le sein de sa mère, si au contraire j'ai élevé mon âme, qu'elle soit punie comme elle le mérite. C'est-à-dire, non seulement je me suis préservé du vice de l'orgueil, et tenu éloigné de ceux qu'il domine, mais je me suis appliqué fortement à la vertu contraire, c'est-à-dire à la pratique de l'humilité, de la modestie, des humiliations. C'est ce que Jésus Christ Lui-même recommandait à ses disciples en ces termes : "Si 'vous ne vous convertissez, et ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux." (Mt 18, 3). Mon humilité, dit le prophète, a été celle de l'enfant sur le sein de sa mère. Je me suis conduit à l'égard de Dieu comme l'enfant qui s'attache étroitement à sa mère, qui est humble et sans aucune prétention, et qui vit dans l'innocence et la simplicité, et je me suis toujours tenu attaché à lui. Ce n'est point sans dessein qu'il prend pour exemple un enfant qui vient d'être sevré, il veut exprimer par là son affliction, ses gémissements, sa douleur, et la grandeur de ses maux. L'enfant qu'on vient de sevrer, ne s'éloigne pas de sa mère, il pleure, il gémit, il s'impatiente, il s'agite, il pousse des cris, il s'attache à sa nourrice, et ne peut souffrir qu'on l'arrache de ses bras. C'est ainsi, dit le psalmiste, que dans ma tribulation, dans mes souffrances, au milieu de mes malheurs multipliés, je suis resté constamment attaché à Dieu; si telle n'a pas été ma conduite, que mon âne reçoive ce qu'elle a mérité; c'est-à-dire, qu'elle soit condamnée au dernier supplice. "Qu'Israël espère dans le Seigneur, maintenant et dans les siècles des siècles. " Vous voyez, comme je vous le disais en commençant, que même sans qu'il y ait de motif, nous devons continuellement mettre notre gloire dans les choses qui ont rapport à la foi et aux vérités de la foi, et qu'il y a danger extrême pour celui qui ne le fait pas. Vous voyez également qu'il ne faut pas refuser de se glorifier de ses bonnes oeuvres, lorsque les circonstances le demandent. Quelles sont ces circonstances ? Elles sont nombreuses et variées; j'en citerai une : c'est lorsque nous voulons instruire ceux qui nous écoutent. Le prophète le savait bien, et c'est pour montrer qu'il n'a point d'autre but en racontant ses vertus, que de porter ses auditeurs à les imiter, qu'il ajoute : "Qu'Israël espère dans le Seigneur, maintenant et dans les siècles des siècles." Quand les malheurs, les découragements, les guerres, les captivités, en un mot les calamités les plus imprévues, viendraient fondre sur vous, attachez-vous fortement à l'espérance en Dieu, attendez tout de Lui, et vous obtiendrez une fin heureuse, c'est-à-dire que Dieu récompensera votre espérance en vous délivrant de tous vos maux, en Jésus Christ notre Seigneur, à qui soit la gloire et le règne dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 131

"Souviens-Toi, Seigneur, de David et de toute sa douceur." v, 1.

1. Dans d'autres endroits, nous voyons les Juifs invoquer le souvenir de leurs ancêtres, comme un titre pour être sauvés; ici ils font appel à leurs mérites, et en particulier aux vertus de douceur, d'humilité, de mansuétude, vertus qui brillèrent aussi d'un vif éclat dans Moïse. Il était, dit l'Écriture, le plus doux de tous les hommes qui étaient sur la terre. Cependant quelques hérétiques ont cru devoir blâmer sa conduite, et s'inscrire en faux contre le témoignage qui lui est rendu. Comment, nous disent-ils, Moïse le plus doux des hommes, lui qui se jeta sur un Égyptien et le mit à mort, lui qui fut la cause de tant de meurtres et de tant de guerres parmi les Juifs; lui qui leur ordonna de tremper leurs mains dans le sang de leurs frères ? N'est-ce pas lui encore qui obtint par ses prières que la terre s'entr'ouvrît, et que la fondre descendît des cieux? N'est-ce pas lui qui a submergé les uns et livré les autres aux flammes ? Mais si c'est là être doux, que faudra-t-il faire pour être barbare et cruel ? Arrêtez, toutes ces paroles sont inutiles. Je le dis, et ne cesserai de le répéter. Moïse était doux, et le plus doux des hommes, et si vous le voulez, je ne vous donnerai d'autres preuves de sa douceur que les faits mêmes que vous objectez. Je pourrais sans doute alléguer et le langage qu'il tint à Dieu au sujet de sa soeur, et la prière qu'il fit pour le peuple, toutes ces paroles vraiment apostoliques et dignes du ciel, enfin la douceur avec laquelle il traitait le peuple. Voilà des témoignages sur lesquels je pourrais m'appuyer, ainsi que sur beaucoup d'autres encore, mais si vous le voulez, laissons-les de côté, et prouvons que Moïse fut le plus doux de tous les hommes par les mêmes faits que quelques-uns objectent pour établir qu'il était dur, cruel et inhumain.

Comment démontrer cette vérité ? En distinguant tout d'abord et en définissant bien ce qu'il faut entendre par douceur et par cruauté. Frapper un homme n'est pas nécessairement un acte de cruauté, de même que l'épargner n'est pas nécessairement un acte de douceur. L'homme vraiment doux est celui qui supporte patiemment les offenses qui lui sont personnelles, mais qui prend la défense des opprimés et se déclare le vengeur sévère de ceux qui sont victimes de l'injustice. Celui au contraire qui ne témoigne alors que de l'indifférence, de l'apathie, et qui n'agit pas plus que ne le ferait un mort, n'a rien de commun avec la douceur et la mansuétude. N'avoir que de l'indifférence pour ceux qui sont opprimés par l'injustice, n'éprouver pour eux aucune sympathie, ne point s'indigner contre leurs oppresseurs, ce n'est pas un acte de vertu, c'est une omission coupable; ce n'est pas de la douceur, c'est de la lâcheté. Une preuve invincible de la douceur de Moïse, c'est d'un côté cette ardeur qui le fait voler au secours des opprimés, cette colère qu'il ne peut réprimer, tant est grand son amour pour la justice; de l'autre, quand on l'outrage, cette patience qui ne lui permet ni de se venger, ni d'user de représailles et lui fait tout supporter avec une sage résignation. Or, s'il avait été si dur et emporté qu'on le suppose, cet homme si aident, bouillant pour la défense des autres, aurait-il pu rester aussi calme devant les outrages qui lui étaient personnels ? N'est-ce pas alors que sa colère n'eût point connu de bornes? Car vous savez que nos propres offenses nous sont bien plus sensibles que les offenses faites aux autres. Moïse, au contraire, tire vengeance de l'injustice faite à autrui, avec autant de vivacité que ceux qui en sont victimes, et il passe avec le plus grand sang-froid sur les offenses dont il est l'objet. Il nous montre ainsi réunies en lui ces deux qualités opposées, une haine prononcée contre l'iniquité et une longanimité à toute épreuve. Mais, dites-moi, que devait-il faire ? Laisser impunis l'injustice qui se commettait sous ses yeux et un crime qui pouvait gagner le peuple tout entier? Ce n'est point la conduite que devait tenir le chef du peuple de Dieu. Ce n'est là ni de la patience, ni de la longanimité, c'est de la faiblesse, c'est de la lâcheté. Vous ne songez point à blâmer le médecin lorsqu'il retranche un membre gangrené et qui menace d'infecter le corps tout entier, et vous accusez de cruauté celui qui par un acte sévère a retranché un mal plus dangereux que la gangrène et qui se répandait par tout le peuple ? C'est là un jugement souverainement inconsidéré. Le chef d'un si grand peuple, d'une nation d'ailleurs si dure, si indocile, si difficile à contenir, devait tout d'abord et dans le principe s'opposer au mal, le couper dans sa racine pour l'empêcher d'aller plus avant. Vous me direz encore : c'est à sa prière que la terre a englouti Dathan et Abiron. Que dites-vous ? Fallait-il donc leur laisser fouler aux pieds le sacerdoce, renverser les lois de Dieu, et détruire l'institution première et fondamentale de leur religion, c'est-à-dire la dignité sacerdotale ? Fallait-il ouvrir le sanctuaire à tous sans distinction , et par cette faiblesse sacrilège, laisser renverser à qui le voudrait les barrières sacrées, et autoriser ce désordre et le bouleversement dans les choses saintes ? Mais encore une fois, ce n'eût point été de la douceur, mais de l'inhumanité, mais de la cruauté, que de voir d'un oeil indifférent un mal qui prenait de si grandes proportions, et que d'épargner deux cents hommes pour en perdre des milliers. Car enfin, dites-le-moi, qu'aurait-il dû faire, lorsqu'il leur ordonna de massacrer leurs proches ? Dieu était irrité, l'impiété s'accroissait de jour en jour, et rien ne pourrait les garantir de la Colère divine. Devait-il laisser tomber le châtiment du ciel sur toutes les tribus, livrer sa nation à une destruction générale, et s'autoriser de ce supplice pour voir avec indifférence une faute devenue irréparable ? Ne valait-il pas beaucoup mieux que la punition et la mort d'un petit nombre d'hommes fit disparaître leur péché, détournât la Colère divine et rendit Dieu propice à ceux qui avaient commis de tels crimes ? Si vous vous placez à ce point de vue pour juger la conduite de cet homme juste, vous serez convaincu qu'il était vraiment le plus doux des hommes.

2. Mais laissons ces considérations à méditer à ceux qui aiment à les approfondir, et pour ne point donner à l'accessoire des proportions plus grandes qu'au fond même de ce psaume, revenons à notre sujet. Quel était-il ? "Souviens-Toi, Seigneur, de David et de toute sa douceur; comme il jura au Seigneur, et en fit le voeu au Dieu de Jacob." (Ibid., 2). Le psalmiste avait l'intention de parler de la douceur de David, il laisse donc de côté sa conduite à l'égard de Saül, de ses frères, de Jonathas; il ne dit rien de la patience dont il fit preuve envers ce soldat qui l'avait couvert d'outrages; il passe sous silence beaucoup d'autres faits encore, et s'arrête sur une circonstance qui fait ressortir le zèle ardent du saint roi. Pourquoi donc procède-t-il ainsi ? Pour deux raisons. La première, c'est que Dieu se complaît surtout dans cette vertu. "Sur qui jetterai-Je les yeux, nous dit-Il, si ce n'est sur l'homme doux et tranquille et qui écoute mes paroles avec tremblement ?" (Is 46,2). La seconde, c'est que l'oeuvre la plus pressante, c'était de reconstruire le temple, de rebâtir la ville, de rétablir leurs anciennes institutions. C'est donc sur ce point qu'il insiste, en laissant de côté la première considération comme évidente et avouée de tous, c'est-à-dire la douceur de David, et en s'attachant à la seconde comme nécessaire au but qu'il se propose. Quel était en effet le désir des Juifs ? C'était de voir leur temple reconstruit, et leurs saintes cérémonies rétablies, or, comme David s'était surtout rendu célèbre par son zèle pour le culte de Dieu, le psalmiste demande à Dieu la reconstruction du temple comme la récompense de ce zèle ardent. "Souviens-Toi, Seigneur, de David et de toute sa douceur" : il en a fait le serment au Seigneur, et le voeu au Dieu de Jacob.

Si j'entre dans l'intérieur de la maison, si je monte sur mon lit de repos. (Ibid., 3). Si je permets à mes yeux de dormir et à mes paupières de sommeiller. (Ibid., 4). Si je ne donne aucun repos à mes tempes, avant d'avoir trouvé un lieu pour le Seigneur, et un tabernacle pour le Dieu de Jacob. (Ibid., 5)." Mais quel rapport ce zèle de David a-t-il avec vous ? Parce que je suis descendant de David, et qu'en récompense de ce zèle qui vous fût agréable, vous avez promis d'affermir sa race et son trône. Nous venons donc réclamer l'effet de ces promesses. Remarquez, il ne dit pas : Avant d'avoir bâti (car cette faveur ne lui fut pas accordée), mais : "Avant d'avoir troué un lieu pour le Seigneur, et un tabernacle." Il ne dit rien de celui qui doit construire ce temple, et ne parle que de celui qui a promis de le bâtir, pour vous apprendre l'excellence d'une intention vertueuse et la récompense que Dieu accorde toujours aux efforts de la bonne volonté. Voilà pourquoi le prophète parle ici de préférence de David, parce que c'est lui plutôt que son fils qui a bâti le temple. David avait promis, tandis que Salomon reçut l'ordre. Voyez quelle sainte activité ! Non seulement il n'entrera point dans sa maison, il ne montera point sur son lit de repos, mais il ne veut même pas jouir librement du repos que la nature nous rend nécessaire, jusqu'à ce qu'il ait trouvé un lieu et un tabernacle au Dieu de Jacob. N'est-ce pas le contraste que Dieu reprochait aux Juifs, lorsqu'il leur disait : "Vous habitez dans des maisons ornées de lambris, quand mon temple est désert ?" (Agg 1,4).

"Avant d'avoir trouvé un lieu au Seigneur, un tabernacle au Dieu de Jacob. "Admirez de nouveau le zèle et la sollicitude extrême de David. C'est un roi qui parle ainsi : "Avant d'avoir trouvé un lieu pour le Seigneur, un tabernacle pour le Dieu de Jacob;" un roi qui voit tout marcher sous ses ordres. C'est qu'il n'avait pas seulement l'intention de bâtir un temple, mais qu'il voulait le faire dans le lieu le mieux choisi et le plus convenable à la sainteté du temple. Il fallait donc chercher, tant son âme déployait de vigilance. "Voici que nous 'avons ouï dire qu'elle était dans Ephrata, nous l'avons trouvée dans les champs de la forêt." (Ibid., 6). Le prophète raconte ici les faits anciens, et nous montre l'arche errante alors de longues années; et changeant continullement de place. Voilà pourquoi il dit : "Nous avons appris qu'elle était dans Ephrata," c'est-à-dire nos pères nous ont appris, et nous avons entendu leurs récits, que l'arche après avoir erré ainsi dans les champs et dans les campagnes, s'arrêta enfin dans une demeure certaine. Puisse la même chose s'accomplir encore aujourd'hui ! Ephrata figure ici la tribu de Juda au sein de laquelle l'arche fut portée après de longues pérégrinations. "Nous entrerons dans ses tabernacles, nous l'adorerons dans le lieu où il a posé ses pieds." (Ibid., 7). Vous le voyez, il se sert ici d'expressions matérielles et figurées, pour s'accommoder à l'intelligence grossière de ses auditeurs, et c'est pour cette raison qu'il leur parle du tabernacle de Dieu, de ses Pieds, du lieu où Il a posé les Pieds. Tous ces détails ont pour objet d'indiquer l'endroit où reposait l'arche, car c'est de là que Dieu faisait entendre ces oracles terribles sur les destinées des Juifs, oracles qui dissipaient les obscurités en même temps qu'ils prédisaient l'avenir. "Lève-Toi, Seigneur, pour entrer dans ton repos, Toi et l'arche de ta sainteté." (lbid., 8). Une autre version porte : "De ta Force." Une autre : "De ta puissance." Ces deux interprétations sont également conformes à la vérité. L'arche était pour les Juifs une source de sainteté, et les inscriptions qui s'y trouvaient gravées produisaient à la fois dans l'âme la sainteté et la force.

3. Rien de plus juste que ce langage du prophète, car Dieu se servit, non pas une ou deux fois, mais bien souvent de l'arche pour faire éclater sa Puissance; par exemple, lorsqu'elle fut prise par les habitants d'Azot et qu'elle renversa les idoles; quand elle frappa de mort ceux qui avaient osé la toucher; quand son retour fit cesser le fléau qui désolait les Philistins, et dans une foule d'autres prodiges opérés alors et où la Puissance de Dieu paraît avec le même éclat. Mais que signifient ces paroles : "Lève-Toi pour entrer dans ton Repos ?" C'est-à-dire, mets un terme à tes marches errantes, que l'arche cesse d'être portée de côté et d'autre, et qu'elle trouve enfin un lieu de repos. "Tes prêtres seront revêtus de justice." (Ibid., 9). Une autre version porte : "Qu'ils soient enveloppés." Une autre : "Qu'ils soient revêtus." Cette dernière version est plus claire, ce n'est point une prédiction, c'est une prière où l'on demande à Dieu la grâce de la vertu. Cette justice qu'il demande, c'est l'ensemble des rites sacrés du sacerdoce, du culte, des sacrifices, des offrandes, avec la sainteté de la vie, rigoureusement exigée des prêtres. "Et que tes saints tressaillent de joie," là où ces merveilles s'accomplissent. Vous le voyez, il ne demande ni la reconstruction de la ville, ni l'abondance des choses nécessaires à la vie, ni les autres genres de prospérité matérielle, mais il ne désire que la splendeur du temple, un lieu de repos pour l'arche sainte, la perfection de la vie dans les prêtres, les cérémonies sacrées, le culte, le sacerdoce. Mais comme en demandant à Dieu toutes ces choses, les Juifs étaient coupables d'un grand nombre de péchés, le psalmiste invoque encore le souvenir de son ancêtre."En considération de David, ton serviteur, ne repoussez pas le visage de ton Christ," (Ibid., 10). Que signifient ces paroles : "En considération de David, ton serviteur ?" Non seulement en considération de sa vertu, et du zèle qu'il a fait paraître pour Te construire un temple, mais parce que nous le Lui avez promis,"En considération de David, ton serviteur, ne repousse pas le visage de ton Christ." Quel est ce Christ ? Celui qui a reçu l'onction sainte et qui a maintenant la conduite et le gouvernement du peuple.

"Le Seigneur a fait à David un serment très véritable et Il ne le trompera point. J'établirai sur ton trône le fruit de tes entrailles." (Ibid,, 11). Après avoir invoqué le souvenir de David, sa vertu, son zèle pour le temple, rappelé les faits d'autrefois et demandé à Dieu de faire revivre les vertus des anciens jours, il apporte à Dieu le motif le plus déterminant, les promesses de Dieu. Qu'avait-il promis ? "Je placerai sur ton trône le fruit de tes entrailles." Toutefois ces promesses n'étaient point absolues, elles étaient soumises à une condition. Laquelle ? Écoutez la suite : "Si vos enfants gardent mon alliance, et ces préceptes que Je leur enseignerai, et que leurs enfants les gardent aussi pour toujours, ils seront aussi sur ton trône." (Ibid., 12). Non content de ces conventions verbales, Dieu leur en remit les titres entre les mains et ils lui répondirent : "Nous ferons et nous écouterons tout ce que Dieu nous a dit," (Ex 24,7). Mais une des deux parties fut infidèle à ces conventions, le psalmiste en revient donc au sujet de son discours, et met tout en oeuvre pour répandre la consolation dans leur âme : "Car le Seigneur a choisi Sion, Il l'a choisi pour sa demeure." (Ibid., 13). C'est là pour toujours le lieu de mon repos. C'est là que J'habiterai, parce que Je l'ai choisi. (Ibid., 14). C'est-à-dire, ce n'est pas l'homme qui a choisi ce lieu, c'est Dieu Lui-même qui l'a désigné pour condescendre à leur faiblesse. Voici donc le sens complet de ces paroles : Tu as choisi ce lieu, Tu l'as désigné Toi-même, Tu as jugé qu'il réunissait les conditions voulues, ne le laisse donc pas tomber en ruine, ne le laisse pas détruire, puisque Tu as dit : "C'est là que j'habiterai."

Mais à cette promesse se trouvaient jointes des conditions. Quelles étaient ces conditions ? "Si vos enfants gardent mon alliance." "Je donnerai à sa chasse une bénédiction abondante." (Ibid., 15). Une autre version porte : "Je bénirai sa nourriture." Cette chasse est ici le symbole de l'abondance des choses nécessaires à la vie, et de la fertilité de la terre, et le psalmiste demande à Dieu que tous ces biens coulent abondamment sur eux. En effet, telles étaient autrefois les conditions d'existence des Juifs. Ils ne ressentaient aucune des nécessités temporelles, tant que Dieu leur était favorable. On ne voyait chez eux ni disette, ni famine, ni peste, ni mort prématurée, ni aucun de ces accidents si fréquents parmi les hommes, mais tout coulait pour eux comme de source, sous la Main de Dieu qui suppléait Lui-même à l'impuissance des choses humaines. Voici donc ce que veut dire le psalmiste : Tu as promis de répandre tes Bénédictions sur sa chasse, c'est-à-dire de lui procurer l'abondance des choses nécessaires et de lui en assurer la jouissance. "Je rassasierai ses pauvres de pain, le revêtirai ses prêtres du salut, et ses saints seront transportés de joie. (Ibid., 16). C'est là que Je ferai paraître la puissance de David, J'ai préparé un flambeau pour mon Christ. (Ibid,, 17). Je couvrirai de confusion ses ennemis, et Je ferai éclater sur lui la gloire de ma sainteté." (Ibid., 18). Vous voyez réunis tous les éléments de la prospérité : Ils ne manquent point de choses nécessaires à la vie, les prêtres sont en sûreté, le peuple dans la joie, le roi revêtu de puissance. Ce flambeau, c'est ou le roi lui-même ou la Protection divine, ou le salut, ou la lumière, toutes choses qui emportent avec elles une prospérité incomparable, Quel est donc ce bonheur ? C'est de voir tous leurs ennemis réduits à se cacher, sans qu'un seul puisse les troubler dans la jouissance de ces biens. Il ne dit pas qu'ils seront anéantis, mais qu'ils seront couverts de confusion. Il veut les forcer à se cacher tout vivants, à s'ensevelir dans leurs retraites, et par cette triste nécessité à rendre témoignage à la force et au bonheur du peuple juif. "Je ferai éclater sur lui la gloire de ma sainteté." Qu'est-ce à dire sur lui ? "Sur mon peuple." Au lieu de "sainteté," une autre version porte "force." Une autre : "Sa distinction." Une autre : "Le caractère qui le distingue." Quel est le sens de ces paroles ? Le psalmiste veut parler ici du bonheur, de la sécurité, de la paix du peuple et de la royauté. Les biens que je lui ai réservés dès le commencement, seront toujours florissants, pleins de vigueur; on ne les verra jamais ni se flétrir, ni tomber. Ils seront immuables, mais aux conditions dont nous avons parlé plus haut. Quelles sont-elles ? "Si vos enfants gardent mon alliance." Les promesses de Dieu ne suffisent pas pour nous assurer ses grâces, nous devons encore faire tout ce qui est en notre pouvoir pour les obtenir, et nous garder de les attendre dans la négligence et la tiédeur. Beaucoup de promesses divines restent sans effet, parce que les hommes à qui Dieu les a faites s'en rendent indignes; de même aussi que beaucoup de menaces ne sont pas suivies du châtiment, si ceux qui avaient irrité Dieu se convertissent et apaisent sa Colère. Instruits de ces vérités, prenons garde que les promesses ne nourrissent en nous la négligence si nous ne voulons contribuer à notre ruine; prenons garde que les menaces ne nous jettent dans le désespoir, mais convertissons-nous à Dieu. Nous obtiendrons ainsi les biens éternels par la Grâce et la Miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soient la gloire et le règne dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 132

"Oh ! qu' il est beau, qu' il est doux (suivant une autre version : "Oh ! qu'il est bon, et qu'il est beau), pour des frères d'habiter ensemble ! " v. 1.

Il est bien des choses qui sont belles sans être agréables; d'autres sont agréables, mais dépourvues de la véritable beauté, et ces deux qualités se trouvent difficilement réunies. Ici, au contraire, l'agrément et la beauté morale se rencontrent dans un même objet. En effet, un des principaux caractères de la charité, c'est que féconde en fruits précieux, la pratique en est encore douce et facile. Le Psalmiste en fait donc ici l'éloge. Or le bonheur n'est pas seulement d'habiter une même maison, de demeurer sous un même toit, mais d'habiter ensemble, c'est-à-dire dans un véritable communauté de sentiments et d'affection, car voilà ce qui ne fait de tous qu'une seule âme. Voilà ce qui est beau, voilà ce qui est agréable, et le prophète cherche à rendre cette vérité frappante par des exemples, par des images sensibles placées pour ainsi dire sous les yeux des auditeurs. " C'est comme le parfum précieux qui de la tête d'Aaron se répandit sur sa barbe, (Ibid., 2), et qui descendit ensuite sur le bord de son vêtement. " (Ibid., 3). C'est en qualité de grand prêtre qu'Aaron répandait sur lui ce parfum qui découlait de toutes parts, et cette onction était comme un charme qui le rendait non seulement agréable, mais aimable à tous ceux qui le voyaient. Ce parfum répandu sur Aaron lui donnait un extérieur distingué, un visage brillant, une odeur des plus suaves, et un attrait qui charmait tous les yeux. Or, de même que ce spectacle n'est pas seulement agréable à la vue, mais réjouit les yeux, ainsi cette concorde mutuelle répand dans l'âme une joie véritable.

"C'est comme la rosée d'Hermon qui descend sur la montagne de Sion." (Ibid., 4). Le Roi-prophète apporte une autre comparaison non moins belle, et qui offre aux yeux un spectacle des plus gracieux. Ce n'est point sans motif qu'il emploie ce langage. Avant la captivité, dix tribus vivaient séparées des deux autres. Cette division fut la cause d'une multitude de crimes, et un principe de révoltes, de séditions et de guerres continuelles. Il cherche donc à prévenir le retour de ces luttes, de ces divisions intestines; il exhorte le peuple à vivre dans l'union, dans la concorde, dans l'obéissance à un seul chef, à un seul roi. Il veut que la charité s'étende dès maintenant et à jamais comme la rosée qui se répand partout. Il compare la charité à un parfum et à la rosée pour exprimer d'un côté l'odeur suave qu'elle exhale, de l'autre le repos et le charme qu'elle donne à la vue. "Car c'est là que Dieu attache la bénédiction et la vie." Que signifie cette expression : "Là" Dans cette maison, dans cette union, dans cette communauté de demeure et de sentiments. C'est là vraiment qu'est la bénédiction, comme la malédiction se trouve attachée aux dispositions contraires. Aussi l'Écriture fait ailleurs l'éloge de cette union mutuelle : "La concorde des frères, l'amour des proches, un mari et une femme qui n'ont qu'un coeur et qu'une âme." (Ec 25,2). Dans un autre endroit, elle fait ressortir la force de cette union à l'aide de ces expressions figurées : "Si deux dorment ensemble, ils s'échaufferont l'un l'autre. Un triple lien est difficilement rompu." (Ec 4,11-12). Vous voyez ici à la fois la douceur et la force de cette union, une grande douceur dans le repos, une force extraordinaire dans l'action. Nous lisons encore ailleurs : "Le frère qui est aidé par son frère est comme une ville forte."(Pro 12,49). Jésus Christ nous dit Lui-même : "Là où deux ou trois seront réunis en mon Nom,Je Me trouve au milieu d'eux." (Mt 18,20). Enfin la nature elle-même nous fait une loi de cette union. Aussi lorsque Dieu forma l'homme au commencement, Il dit : "Il n'est pas bon que l'homme soit seul." (Gen 2,8). Et lorsqu'Il créa l'être que nous appelons la femme, il l'unit à l'homme par des liens étroits, ceux de la nécessité, et nous rattacha de mille manières les uns aux autres.

Le prophète ajoute on ne peut plus heureusement : "Et la vie à jamais." Car où se trouve la charité se trouve aussi la sécurité la plus parfaite, et le secours assuré du ciel. La charité, c'est la mère, la source, la racine de tous les biens, c'est la cessation de toutes les guerres, I'anéantissement de toutes les dissensions. C'est ce que le Prophète veut nous faire entendre par ces paroles : "Et la vie à jamais." Car de même que les dissensions et les guerres soit un principe de mort, la charité, l'union des coeurs, sont une source de paix et de concorde, et la concorde et la paix sont toujours accompagnées d'une vie à l'abri de tout danger, pleine de confiance et de sécurité. Et qu'est-il besoin de parler des biens de la vie présente ? La charité nous met en possession du ciel et de ses biens ineffables, et elle est la reine des vertus. Instruits que nous sommes de ces précieux avantages, attachons-nous à la pratique de la charité, pour jouir par elle des biens de la vie présente et de ceux de la vie future. Puissions-nous tous les obtenir par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ avec lequel gloire soit au Père et au saint Esprit dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 133

"Maintenant donc bénissez le Seigneur, vous tous qui êtes les serviteurs du Seigneur, vous qui veillez pendant la nuit dans son temple." v, 1.

Le psalmiste termine ici dignement les psaumes intitulés Cantiques des degrés par un chant de louange et de bénédiction. Il veut que les serviteurs de Dieu honorent un si beau titre non seulement par leurs croyances, mais par la pratique fidèle des vertus. Voilà pourquoi il ajoute : "Vous qui veillez pendant la nuit dans la maison du Seigneur, dans les parvis de la maison de notre Dieu." Car il est défendu à celui qui est impur et souillé de crimes de franchir les barrières du sanctuaire. Celui, au contraire, qui est digne d'entrer, est digne aussi de chanter les louanges de Dieu. En effet, la maison de Dieu est semblable au ciel, et aussi bien que le ciel, cette maison sainte doit rester fermée à toute puissance ennemie. Considérez donc, ô homme, à quelle dignité vous êtes élevé, et quelle pureté Dieu exige de vous qui êtes devenu son temple. Or, en quoi consiste cette pureté ? A rejeter toute pensée mauvaise, à rendre la forteresse de votre âme inaccessible à toutes les attaques du démon, à demeurer dans votre coeur comme dans un inviolable sanctuaire, et à l'orner sans cesse. Rappelez-vous le temple juif, il n'était point permis à tous indifféremment d'y entrer. Il y avait des enceintes différentes et de nombreuses distinctions. Ici entraient les prosélytes, là les Juifs d'origine. Une autre enceinte était réservée aux prêtres, une autre au grand prêtre seul, et encore n'y entrait-il qu'une fois l'année. Quelle doit donc être votre sainteté, vous à qui Dieu a donné des sacrements plus augustes que les symboles contenus dans le Saint des saints.

Ce n'est point les chérubins, c'est le Dieu des Chérubins qui habite au milieu de vous. Vous avez non pas simplement l'urne, la manne, les tables de pierre, la verge d'Aaron, mais le Corps et le Sang du Seigneur, l'esprit au lieu de la lettre, une grâce que ne peut atteindre la pensée humaine, et un don qu'aucune langue ne peut exprimer. Mais plus sont grands les sacrements, plus sont augustes les mystères dont Dieu vous a honoré, plus aussi votre sainteté doit être éminente, et il faut vous attendre à un châtiment plus sévère, si vous transgressez les commandements qui vous sont donnés.

"Élevez vos mains durant les nuits vers le sanctuaire." Une autre version porte : "Saintement." Une autre : "D'une manière sainte, et bénissez le Seigneur." (Ibid., 2). Pourquoi le psalmiste dit-il : "Pendant les nuits ?)" Il veut nous apprendre qu'il ne faut point donner au sommeil la nuit tout entière, et que nos prières sont plus pares lorsque l'amie est moins chargée de soins, et le calme plus profond. Or, si c'est un devoir pour nous de fréquenter le lieu saint jusque durant la nuit, quelle excuse, dites-moi, pourra donner celui qui alors ne songe pas à prier même dans sa maison ? Le prophète vous engage à sortir de votre lit, il vous conduit dans le temple, il vous commande d'y passer toute la nuit, et vous ne remplissez pas le devoir de la prière même dans l'intérieur de votre demeure ? Remarquez cette expression pleine de justesse : "Saintement." C'est-à-dire que notre âme en priant doit être pure de mauvaises pensées, de haine, d'avarice et de tout péché qui lui donne la mort. "Et bénissez le Seigneur." La bénédiction parfaite est celle ou le langage de la vie vient s'unir à celui des paroles, et où vous glorifiez par vos actions le Dieu qui vous a créé, comme l'Évangile vous le recommande : "Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et glorifient votre Père qui est dans les cieux." "Que le Seigneur vous bénisse de Sion, Lui qui a fait le ciel et la terre;" (Ibid., 3). C'est-à-dire, si vous êtes fidèle à cette recommandation, si vous passez les nuits à offrir à Dieu de saintes prières, si vous êtes digne de paraître dans la maison du Seigneur, si vous êtes vous-même un temple digne de Dieu. Après ces sages exhortations, le prophète termine par une prière. Le devoir d'un docteur parfait est de diriger ses disciples par ses conseils et de les fortifier par ses prières. Que signifient ces paroles : "De Sion ?" C'était un nom agréable aux Juifs, car c'est là que s'accomplissaient tous les rites sacrés. Le prophète demande donc à Dieu qu'ils recouvrent le libre exercice de leur ancienne religion, qu'ils en observent toutes les cérémonies saintes et qu'ils obtiennent ainsi la bénédiction divine. Il les élève ensuite à de plus hautes pensées en leur rappelant que Dieu est partout. S'il leur a commandé de lui élever un temple, c'est pour condescendre à leur faiblesse, mais on doit L'invoquer partout, c'est ce qu'il leur enseigne en ajoutant : "Qui a fait le ciel et la terre." Les Juifs invoquaient alors Dieu dans Sion, mais pour nous, nous pouvons Le prier e·n tous lieux, dans la campagne, dans l'intérieur de nos maisons, sur la place publique, dans la solitude, sur la mer, dans les hôtelleries, en un mot, partout où nous sommes. Aucun lieu n'est de sa nature contraire à la prière, pourvu que notre vie ne s'oppose pas à son efficacité. Après que nous aurons apporté la préparation convenable, offrons donc à Dieu nos prières, n'importe dans quel endroit, et Il les exaucera, Il viendra à notre secours, Il aplanira devant nous toutes les difficultés, et daignera nous mettre en possession des biens éternels.

Puissions-nous tous les obtenir, par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soient la gloire et la puissance, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 134

"Louez le nom du Seigneur; louez le Seigneur, vous qui étés ses serviteurs. v. 1. Vous qui demeurez dans la maison du Seigneur, dans les parvis de la maison de notre Dieu, v. 2. Louez le Seigneur, parce qu'Il est bon. v. 3.

1.Le prophète invite de nouveau les Juifs à offrir à Dieu le sacrifice de louange; c'est là le sacrifice et l'offrande qui lui sont agréables. C'est ce qui fait dire ailleurs au psalmiste : "Je célébrerai le Seigneur dans mes cantiques; je Le glorifierai dans mes louanges. Ce sacrifice sera plus agréable au Seigneur que l'immolation d'un jeune taureau aux cornes naissantes et aux ongles forts." (Ps 68, 35-36). Il leur remet sans cesse devant les yeux le temple et ses parvis sacrés polir les attacher au lieu saint, sans, leur permettre de s'en éloigner. Lorsque Dieu leur donna dès le commencement l'ordre de Lui élever un sanctuaire, Il se proposa de détruire parmi eux l'impiété et l'idolâtrie, en les réunissant tous dans un seul lieu, on ne les verrait plus alors errer en liberté, au gré de leurs désirs. aveugles, chercher dans les bois, dans les fontaines, dans les montagnes, dans les collines, antan d'occasions de se livrer à leur impiété, en offrant dés sacrifices et en faisant des libations sur les hauts lieux. Aussi Dieu condamnait-Il à mort celui qui offrait un sacrifice en dehors du temple : "Celui qui n'aura point offert la victime à la porte du tabernacle pour être sacrifiée, le sang lui sera imputé." (Lev 17,4). Il les convoque donc de toutes les parties de la Judée, dans un même lieu, afin qu'ils puissent recevoir les leçons de la sagesse et se préserver de toute erreur. Il leur fait un devoir de louer Dieu, de chanter, de célébrer ses louanges, parce que les louanges de Dieu étaient l'aliment de leur piété. Ces louanges leur rappelaient le souvenir des anciens événements qui s'étaient accomplis dans l'Égypte, dans le désert, dans la terre promise, la promulgation de la loi, les scènes du mont Sinaï, les guerres qu'ils avaient soutenues. En même temps donc qu'ils célébraient les louanges de Dieu, ils trouvaient dans ces chants de précieux enseignements qui tout à la fois devenaient la règle de leur vie et leur donnaient une connaissance exacte de la vérité. "Louez le Seigneur, parce qu'Il est bon." Suivant une autre version : "Parce qu'Il est bienveillant. "Le psalmiste revient sans cesse sur les attributs que les hommes ont le plus à coeur, la bonté, la miséricorde, la bénignité : "Chantez à la gloire de son Nom parce qu'Il est plein de douceur." Vous le voyez, l'utilité se trouve ici jointe an plaisir. Le fruit le plus précieux que nous recueillons de ce saint exercice est de chanter les louanges de Dieu, de purifier notre âme, d'élever nos pensées, d'avoir une connaissance parfaite des vérités divines, et une idée juste du présent et de l'avenir. La mélodie donne d'ailleurs à ces chants un charme ineffable, qui console, repose l'âme et rend digne de vénération celui qui aime à chanter les hymnes sacrés. Un autre interprète fait ressortir plus clairement ces effets en traduisant : "Parce que cela est convenable." Un autre : "Parce que c'est une chose pleine de douceur." Tous deux sont dans la vérité. Supposez un homme livré aux plus-honteux excès, s'il chante les psaumes avec respect, il assoupit la tyrannie de ses passions; et fût-il accablé sous le poids de maux innombrables et en proie à une profonde tristesse, la douceur de ces chants allège sa douleur, élève ses pensées et enlève son âme jusqu'aux cieux.

"Le Seigneur a choisi Jacob pour être à lui, Israël pour être sa possession." (Ibid., 4). Le psalmiste ne rappelle point ici aux Israélites les bienfaits qui leur sont communs avec les autres hommes, il s'arrête à celui qui leur est personnel et qui surpasse tous les autres. Quel est-il ? C'est que Dieu a choisi Israël pour son peuple, qu'Il Se l'est consacré, et qu'Il lui a témoigné une bienveillance toute particulière. Les prophètes ne cessent d'évoquer les mêmes souvenirs, et leurs oracles ne sont qu'une longue émumération des Bienfaits de Dieu. Que signifient ces paroles : "Pour être sa possession ?" Pour en faire ses richesses, sa fortune. Ce peuple était bien peu considérable, il est vrai; cependant Dieu l'a choisi pour être sa richesse. Il ne considéra point son peu d'importance, mais la vertu à laquelle Il voulait élever cette nation choisie. C'est ainsi qu'Israël offrait à Dieu des ressources plus abondantes que les autres nations, grâce à la bonté de celui qui l'avait choisi, et qui voulait par ce peuple instruire les autres hommes. Saint Paul lui-même compare souvent aux richesses le salut des hommes, comme dans ces paroles : "Tous n'ont qu'un même Seigneur qui répand ses Richesses sur tous ceux qui L'invoquent." (Rom 10,12). Et dans ces autres : "S'il tombe ou s'il demeure ferme, c'est pour son maître." (Rom 14,4). Voilà comme en les appelant la possession de Dieu, il proclame l'Amour, la Providence, la Sollicitude de Dieu à leur égard. Cette providence toute particulière se révèle donc par ces deux faits que Dieu les a choisis et qu'Il en a fait sa possession. Avez-vous remarqué comme il fait ressortir la Bonté de Dieu dans les premières paroles de ce psaume : "Louez le Seigneur, parce qu'Il est bon. J'ai reconnu que le Seigneur est grand ?" (Ibid., 5). Voici un nouveau motif de louer Dieu : Quel est-il, dites-le moi, ô prophète ? Vous le connaissez. Est-ce que les autres l'ignorent ? Non, répond-il, ils le savent, mais ils ne le savent pas comme je le sais. C'est le privilège des saints et de ceux qui sont plus élevés en perfection, d'avoir une connaissance plus parfaite de la Majesté divine.Ils ne connaissent pas sa Nature tout entière (cela est impossible, mais ils en ont une connaissance plus claire que les autres hommes. "Et que notre Dieu est élevé au-dessus de tous les dieux." Mais quoi, me direz-vous, le prophète qui vient de proclamer la Grandeur de Dieu et d'affirmer qu'il la connaissait, affaiblit cette déclaration; il compare Dieu avec d'autres dieux, et ne lui accorde qu'une excellence relative. Non, mais il tient compte des dispositions de ceux qui l'écoutaient, et ce n'est que pas à pas qu'il les conduit à la vérité. Ce ne serait pas en effet une preuve bien forte de la Grandeur de Dieu que de Le déclarer supérieur à tous les autres dieux. Aussi, je le répète, le psalmiste proportionne son langage à la faiblesse de ses auditeurs. Car il leur était alors utile et avantageux qu'il leur fit entendre et comprendre cette vérité.

2. Dieu est donc sans comparaison au-dessus de tous les autres dieux, le prophète le démontre dans la suite du psaume, où il apporte la preuve la plus frappante de la Puissance divine, et nous fait voir ainsi que ce qu'il a dit précédemment, était un langage proportionné à la faiblesse de ses auditeurs. Ainsi, quand il ne fait qu'énoncer cette vérité, ses expressions paraissent faibles, mais quand il s'agit de l'expliquer, de la démontrer, de donner des preuves de la Majesté divine, son langage prend lui-même un caractère de grandeur et d'élévation. Quelle est donc cette grandeur. vraiment digne de Dieu, et qui ne convient qu'à Lui seul ? Écoutez la suite : "Le Seigneur a fait tout ce qu'Il a voulu, dans le ciel et sur la terre, dans la mer et dans tous les abîmes." (Ibid., 6). Voyez-vous cette puissance à laquelle rien absolument ne fait défaut ? voyez-vous cette source de vie ? Voyez-vous cette foi ce invincible ? voyez-vous cette supériorité incomparable ? Voyez-vous ce pouvoir qui ne connait point d'obstacles ? Comme tout lui est aisé, comme tout lui est facile ! "Il a fait tout ce qu'il a voulu." Dites-moi quel a été le théâtre de sa Puissance souveraine ? "Le ciel et la terre." C'est-à-dire non seulement la terre, mais le ciel, et avec le ciel, la terre et la mer et tous les abîmes. Les abîmes signifient les parties qui sont au-dessous de la terre, comme le ciel comprend tout ce qui est au-dessus des cieux. Ces régions immenses n'offrent aucun obstacle à sa Volonté, elle franchit tous ces espaces; et ce qu'il y a de plus admirable, tant de merveilles n'ont coûté à leur auteur ni travail, ni peine, ni commandement, elles sont l'oeuvre de sa Volonté seule, il n'a eu qu'à vouloir, et tout a été fait. Ainsi fait-il ressortir la facilité, la richesse des oeuvres de Dieu, et la grandeur de cette puissance à laquelle rien ne peut résister. Laissant ensuite de côté le ciel et la terre, il parle de quelques. uns des phénomènes qui s'y rapportent; il passe sur les merveilles admirables dont le ciel est le théâtre, pour s'arrêter à celles qui l'environnent. Pour quel motif ? Parce que les merveilles des cieux, si grandes qu'elles fussent, étaient inconnues du plus grand nombre, tandis que les autres phénomènes, bien que d'un ordre inférieur, étaient visibles, frappaient tous les regards. Il s'adressait à des hommes qui se laissaient beaucoup moins conduire par la foi à la pensée des choses invisibles que par le spectacle extérieur de la création. Il prend donc d'abord les choses visibles pour matière de son discours et de ses enseignements, et met ainsi lui-même en pratique le conseil qu'il donne aux autres. Quel est ce conseil ? C'est que celui qui connaît en détail les oeuvres de Dieu, doit en faire le sujet de ses louanges, et lui rendre gloire pour chacune d'elles. Il ne cesse de nous exhorter à louer Dieu; en répétant sans cesse : "Louez le Nom du Seigneur, louez le Seigneur, vous qui êtes ses serviteurs." Et il nous apprend en même temps comment nous devons remplir ce devoir, en parcourant la création tout entière, pour exalter dans un sentiment d'admiration mêlé d'effroi la Sagesse de Dieu, sa Providence, sa Puissance, sa Sollicitude. Le psalmiste nous apprend encore qu'indépendamment de la mer que nous voyons, il en est beaucoup d'autres dont l'étendue est immense : "Dans les mers, et dans tous les abîmes." En effet la mer Caspienne, la mer des Indes, la mer Rouge sont différentes de celle qui est sous nos yeux, aussi bien que l'Océan sont la terre est environnée. "Il fait venir les nues des extrémités de la terre." (Ibid., 7. Une autre version porte : "Il élève;" une autre : "Il attire les extrémités de la terre. "Une autre : "Des limites." Job proclame la même vérité : "Il enchaîne les eaux dans les nuées;" (Job 26,8); ainsi que Salomon, lorsqu'il dit : "Qui rassemble les eaux comme dans un vêtement." (Pro 30,4). Le psalmiste nous représente un autre prodige non moins admirable. Quel est-il ? C'est que l'air devenu plus lourd s'élève néanmoins et traverse les régions supérieures, et qu'un corps pesant suit une marche contraire aux lois de la nature. C'est une chose merveilleuse que l'air contienne de l'eau, mais il est bien plus étonnant que cette eau soit renfermée dans un élément plus léger, et ce qui est bien plus digne encore d'admiration, c'est que l'eau que contient cet air, une fois échappée du reste des nuées, n'est point arrêtée par la couche d'air qui suit, mais se répand partout et tombe sur la terre. Si cette eau était naturellement contenue dans les nues, elle devrait également être contenue dans l'air. Supposons qu'on laisse s'élever dans les airs une outre pleine d'eau, et que cette outre soit portée dans l'air; si cette eau vient à s'échapper de l'outre, l'air la portera nécessairement. Le même phénomène devrait se reproduire ici. Mais toutes les oeuvres de Dieu sont admirables et supérieures aux lois de la nature, il n'est donc pas étonnant qu'elles s'accomplissent contrairement à ces lois et aux prévisions de l'esprit humain. Ainsi, ce qui est contenu dans l'air au nuage, n'est point arrêté par la couche d'air qui est au-dessous du nuage. N'est-ce pas là un phénomène vraiment admirable, bien qu'il paraisse avoir à nos yeux une moindre importance ? Voici encore un autre prodige : "C'est des extrémités de la terre;" on si l'on veut des points des plus élevés de la terre qu'il fait venir les nuées. Non seulement ces nuées s'élèvent, mais elles traversent les airs, elles ne répandent pas la pluie dans les lieux où elles se sont formées, elles franchissent souvent de très grandes distances pour verser leurs eaux dans des contrées situées au delà des villes et des peuples. Et ce qu'il y a ici d'étonnant, c'est que, non seulement ces nuées s'élèvent dans les airs, mais qu'elles les traversent comme une surface solide, chargées qu'elles sont d'une masse d'eau si considérable.

3. "Il change les foudres en pluie." Nouveau prodige, deux natures contraires se réunissent. Quoi de plus brûlant que la foudre, quoi de plus froid que l'eau ? Cependant ces deux éléments s'unissent sans se confondre, sans se mêler et en conservant chacun ses propriétés naturelles. Le feu demeure dans l'eau et l'eau dans le feu, sans que le feu absorbe l'eau, sans que l'eau éteigne le feu. Cependant l'éclair est plus vif, plus éclatant, plus pénétrant que la lumière du soleil. J'en appelle au témoignage de nos yeux qui supportent tous les jours les rayons du soleil, mais qui ne peuvent endurer, ne fût-ce qu'un seul instant, la vivacité de l'éclair. Ajoutez qu'il faut un jour entier au soleil pour parcourir toute l'étendue du ciel, tandis que l'éclair traverse en un instant l'univers tout entier, suivant ces paroles de Jésus Christ : "Comme l'éclair qui part de l'orient et apparaît en occident." (Mt 14,27). "Il fait sortir les vents de ses trésors." Voici un autre phénomène naturel qui est pour nous d'une grande utilité, et renferme une multitude d'avantages; Il délasse et rafraichit nos corps fatigués et donne à l'air plus de légèreté. En effet, la propriété des vents est d'agiter en tous sens l'air qui se corromprait en restant immobile, de mûrir les fruits et de nourrir les corps. Comment énumérer les services qu'ils. rendent à la navigation, les époques périodiques où on les voit s'élever, se remplacer les uns les autres, et s'agiter comme en choeur sur la surface des mers, et transporter ainsi les matelots ? Tel vent pousse un vaisseau et le transmet à un autre vent qui le reçoit, tout en suivant des routes contraires. Ils sont à nos ordres, et la guerre qu'ils se livrent nous est utile. Les vents nous procurent encore beaucoup d'autres avantages, le prophète ne s'y arrête point, il laisse à l'auditeur le soin de les recueillir et se borne à nous faire voir la facilité avec laquelle ils sont produits. Cette expression : "De ses trésors" ne signifie pas; en effet, qu'il existe des réservoirs où les vents soient amassés, mais la facilité avec laquelle Dieu les produit et la prompte obéissance que les créatures apportent à ses ordres. En effet, celui qui possède un trésor, en tire à son gré tout ce qu'il veut et au moment qu'il veut. Ainsi le Créateur de l'univers, sans aucune peine, tire du néant tous les êtres, pour former ce que nous appelons la nature.

Vous voyez du reste dans l'air, autant de différences que le feu et l'eau nous offrent de variétés. Il y a les eaux des fontaines, les eaux de la mer, les eaux de l'air, les eaux des nuages, les eaux du ciel, celles des régions supérieures au ciel, et les eaux qui coulent des entrailles de la terre. De même, il y a le feu dont le soleil est le foyer, celui qui se trouve dans la lune, dans les étoiles, dans les éclairs, dans l'air; le feu qui vient du bois, celui qui nous environne; celui des lumières qui nous éclairent, celui de la terre. Il est un feu en effet qui jaillit de la terre, comme des sources d'eaux vives. Il y a encore un feu qui sort des cailloux par le frottement, un autre que l'on voit jaillir également des branches des arbres qui s'entrechoquent, enfin le feu produit par la foudre. Or, l'air nous offre les mêmes variétés : l'un, celui qui nous environne, est plus épais; l'autre, celui qui est au-dessus de nous, est plus subtil et contient plus de feu. Ces mêmes différences se remarquent aussi dans le vent, l'un est plus léger, l'autre plus épais; l'un est plus froid, l'autre plus chaud; celui-ci est plus humide, celui-là plus sec. Voyez encore l'air et les nuages, tantôt ils s'avancent lentement, tantôt ils volent comme un coursier rapide. Il en est de même des nuages et des vents, les uns ressemblent à de grandes urnes tantôt pleines d'eau, tantôt vides, les autres ressemblent à un éventail. À la vue de ce spectacle si varié, pouvez-vous ne pas admirer le Créateur de ces merveilles ?

Il a frappé les premiers-nés d'Égypte. (Ibid., 8). Après ces prodiges que j'appellerai généraux, et qui montrent que la Providence de Dieu s'étend à tout l'univers, les éclairs, les vents, l'air, les nuées, les pluies; après avoir confondu les raisonnements insensés de ceux qui prétendent que la Providence de Dieu ne s'étend pas plus loin que la lune, le prophète en vient aux prodiges particuliers que Dieu a opérés dans l'intérêt des Juifs. Il a prouvé suffisamment par tout ce qu'il vient de dire, que la Bonté de Dieu se fait sentir à la terre, au ciel, à toutes les créatures visibles; mais il veut réveiller dans le coeur des Juifs le sentiment de la reconnaissance et il leur rappelle les faits qui leur sont personnels, en leur montrant que le Dieu de l'univers, dont la Providence embrasse tous les êtres créés, les a comblés de bienfaits tout particuliers. Il est vrai de dire, que ces bienfaits personnels tournaient au profit du monde entier. Ainsi, les Juifs étaient choisis de préférence aux autres nations, mais c'était pour ces peuples un motif de sainte émulation, comme saint Paul le fait entendre lorsqu'il dit : "Leur chute est devenue le salut des Gentils, afin que l'exemple des Gentils leur donnât de l'émulation pour les suivre." (Rom 11,11). Lorsqu'un père voit ses enfants s'éloigner de lui, il prend l'un d'eux pour le faire asseoir sur ses genoux, non point par un sentiment d'affection plus particulière pour cet enfant, mais bien plutôt dans l'intérêt des autres, afin que cette préférence les excite à revenir au plus tôt vers leur père, pour recevoir les mêmes marques de tendresse; c'est ce que Dieu a fait à l'égard des Juifs, ce n'est point sur ses Genoux, mais sur ses Bras, comme dit le prophète, (cf Os 11,3), et sur ses Épaules que Dieu les a portés. Il leur a prodigué toutes les faveurs qu'ils pouvaient envier, un temple, des sacrifices, ( cf Dt 32,11), et ce qui était l'objet de leurs désirs les plus ardents, la protection. dans les combats, les victoires, les triomphes, l'abondance des biens de la terre, la fertilité de leurs champs. C'est ainsi qu'il les comblait de bienfaits, et qu'il excitait l'émulation des autres peuples. Mais comme les Juifs seraient devenus mauvais, si Dieu n'avait jamais interrompu le cours de ses Faveurs, il les rappelait aussi par les châtiments au sentiment du devoir, tant la Sagesse de Dieu est grande, et sait ménager une issue favorable au milieu des plus grandes difficultés.

4. Considérez ici la prudence du prophète, qui des considérations générales, descend à des faits particuliers. Il va au devant de cette opinion ridicule qui voudrait restreindre l'action de la Providence dans le cercle des choses individuelles. Aussi, ce n'est qu'après avoir retracé son action sur l'ensemble de la création, qu'il en vient au détail : "Qui a frappé les premiers-nés d'Égypte ?" Ne vous semble-t-il pas que c'est surtout pour les Juifs que Dieu a exercé cette juste vengeance ? Si donc je vous prouve qu'il a eu aussi en vue les autres peuples, que diront ceux qui osent avancer que la Providence de Dieu ne s'étend pas au monde tout entier ? Comment le démontrer ? Il suffit pour cela de rappeler la parole de Dieu qui exprime clairement cette vérité : "C'est pour faire connaître en toi ma Puissance, et afin que mon Nom soit publié par toute la terre." (Ex 9,16; Rom 9,17). Voyez-vous comment cette mort des premiers-nés a été une véritable prédication, et cette plaie envoyée du ciel, une parole éloquente qui s'est répandue par toute la terre pour y publier la Puissance de Dieu ? La Providence divine s'étend donc à l'univers tout entier, lors même qu'elle pourrait ne s'occuper que des intérêts des Juifs. Dieu avait déjà donné des preuves de sa Puissance aux temps anciens, dans la personne de Joseph et d'Abraham, mais Il l'a manifestée ici par des faits plus éclatants. Comment cela ? C'était alors par des bienfaits, maintenant c'est par des châtiments; car, comme je l'ai souvent répété, Dieu ne laisse passer aucune génération sans Se faire connaître, sans se manifester par ses oeuvres. Il ne fait pas toujours de la même manière, ses moyens sont variés jusqu'à l'infini. Tantôt c'est l'épouse d'Abraham qu'il frappe de stérilité, puis la famine, puis l'abondance, puis les fléaux qui se succèdent sans interruption. Les Égyptiens accusaient Dieu d'impuissance, ils furent ainsi cause de la mort de leurs premiers-nés et ensanglantèrent les eaux de leur fleuve. Dans ce même temps, Dieu leur manifesta encore sa Puissance quoique d'une manière moins éclatante. Les sages-femmes des Égyptiens, pour avoir refusé d'obéir aux ordres cruels du roi, et éludé ses décrets inhumains furent magnifiquement récompensées. Nous voyons ici un double effet de la Providence de Dieu, et dans ces femmes qui firent preuve d'une vertu beaucoup plus grande que ceux qui étaient couronnés du diadème, et dans la récompense que Dieu leur accorda en leur donnant une nombreuse famille; c'est ce que signifient ces paroles : "Dieu récompensa les sages-femmes." (Ex 1,20). C'est-à-dire, leur famille s'accrut, et Dieu leur donna une récompense en rapport avec les services qu'elles avaient rendus aux Juifs. Elles avaient refusé de mettre à mort leurs enfants; Dieu les en récompensa en leur donnant une nombreuse postérité. Cependant, comme les sujets de Pharaon persévéraient dans leur aveuglement insensé, Dieu les frappa d'un fléau plus terrible qui servit tout à la fois d'enseignement pour tous les autres peuples et pour les Égyptiens en particulier, pour les uns par ce qu'ils en apprirent, pour les autres par les calamités dont ils furent témoins et victimes, et par là triste expérience qu'ils firent de la Puissance de Dieu. Car Dieu prit soin de leur faire prédire ce châtiment, afin qu'ils ne fussent point tentés de n'y voir qu'un de ces coups que la mort frappe d'ordinaire, ou un accident fortuit. Nous pouvons donc appliquer ici les paroles que le Roi-prophète dit dans un autre endroit du Sauveur : "Domine au milieu de tes ennemis." (Ps 109,2), En effet, ce n'est point après les avoir fait sortir dans la solitude, ce n'est pas dans un lieu étranger, c'est au milieu même de leur ville que Dieu les frappa de ce coup terrible. Mais considérez la Bonté de Dieu jusque dans l'exercice de sa Vengeance; elle s'appesantit d'abord sur les animaux, avant de s'étendre sur les hommes. Qui n'admirerait ici la Bonté de Dieu, qui dans un même moment, dans une même action, sait concilier les droits de sa Bonté et ceux de son ineffable Sagesse ? Cette plaie, en effet, ne fut pas la première, elle fut précédée de beaucoup d'autres qui avaient pour but de les ramener à de meilleurs sentiments; comme aussi Dieu les avertit avant de les frapper de ce dernier fléau. Dans quelle intention ? Pour les fléchir par ces simples menaces et leur en épargner la triste expérience. Mais comme ils restèrent insensibles, Dieu voulut qu'il n'y eût aucun doute sur la nature du châtiment. Voyez que de circonstances réunies qui s'opposent à toute idée de maladie ou de peste fortuite. Premièrement, la mort les frappe dans une seule nuit; secondement, elle frappe les premiers-nés. Si c'eût été une peste, elle ne se serait pas contentée d'atteindre les premiers-nés en épargnant les autres; elle eût frappé indistinctement; troisièmement, la peste n'eût pas entièrement épargné les Juifs, en ne choisissant ses victimes que parmi les Égyptiens. Au contraire elle eût frappé de préférence des corps accablés par la fatigue, la misère et par une longue suite de maux de tout genre, épuisés depuis longtemps par la pauvreté, par la faim, et elle ne fût point tombée sur les rois, les princes, sur ceux qui étaient assurés contre ses coups, et vivaient entourés de soins multipliés. La peste encore ne se fût pas déclarée tout d'un coup, mais avant de foudre sur l'Égypte, elle eût été précédée de signes précurseurs de son arrivée. Que voyous-nous au contraire ? Le fléau éclate soudain, pour confondre l'endurcissement des Égyptiens qui, après une plaie où ils devaient reconnaître clairement les caractères d'un châtiment divin, se mirent à la poursuite des Juifs qui étaient partis; se peut-il une preuve plus forte de leur délire, et une justification plus éclatante de la Conduite de Dieu ? Dieu allait cesser d'opérer des miracles sous les yeux des Égyptiens, Il les couronne par un prodige qui à Lui seul était pour un esprit attentif une apologie de tous ceux qui l'avaient précédé. On aurait pu demander pourquoi tous les Égyptiens sont-ils punis, puisque le roi seul est coupable en retenant les Juifs ? Ce dernier fléau répond à cette difficulté. Comment cela ? Parce qu'après la mort de leurs premiers-nés, les Égyptiens pressaient les Juifs de partir malgré le roi lui-même. Si donc ils l'eussent voulu tout d'abord, leur volonté eût prévalu sur la sienne. Donc, s'ils n'ont point triomphé de ses résistances, ce n'est point un effet de leur impuissance, mais de leur mauvaise volonté. Ajoutez que leur acharnement à poursuivre les Juifs mit le comble à leurs crimes.

5. C'est ce qui arriva aussi du temps de Saül; lorsqu'il fut question d'arracher son fils à la mort, tout le peuple dans un sentiment de flatterie, s'empressa de demander sa grâce, bien qu'il eût transgressé la loi; (cf I Roi 14,45); mais lorsque Saül voulut mettre à mort un si grand nombre de prêtres, personne n'éleva la voix, personne ne prit leur défense. Dira-t-on qu'ils invoquaient, dans le premier cas, les lois de la nature ? mais ne devaient-ils pas invoquer dans le second, les lois de la justice ? Les victimes étaient des prêtres, leur meurtre était un crime, et la colère du roi n'avait aucun motif légitime. Mais la vraie cause de leur inaction était leur indifférence et leur insensibilité pour le sort de ces malheureux prêtres. Or, réfléchissez sur les calamités qui vinrent fondre sur eux, et sur le juste châtiment de leur négligence, lors donc qu'un crime se commet sous vos yeux, gardez-vous de rester indifférent, soyez plus ardent que le feu, ressentez l'injure aussi vivement que ceux qui en sont victimes, vous préviendrez ainsi bien des maux. "Depuis l'homme jusqu'à la bête," Pourquoi frapper aussi les animaux ? Ils ont été créés pour le service de l'homme, et en les frappant, c'est l'homme que Dieu veut atteindre pour lui inspirer plus de crainte, pour ajouter à l'intensité du châtiment, et faire voir que le fléau vient de Dieu et que c'est du haut du ciel que la guerre est déclarée.

"Il a fait éclater des signes et des prodiges au milieu du toi, ô Égypte !" (Ibid., 9). Que signifient ces paroles : "Au milieu de toi ?" Elles indiquent un lieu déterminé, où elles ont le même sens que le mot ouvertement. En effet, l'expression : "Au milieu" a partout le même sens que publiquement, comme dans ces paroles : "Il a opéré le salut au milieu de la terre." (Ps 78,12). Car le milieu est visible pour tout le monde. "Il a fait éclater des signes et des prodiges au milieu de toi, ô Égypte;" justement certes, car ces prodiges avaient pour objet de rendre les hommes meilleurs, et de mettre en évidence ceux qui devaient en profiter. Ces prodiges en effet, n'étaient pas l'oeuvre du hasard, le Doigt de Dieu y était visiblement empreint, et ce double caractère de châtiment et d'opération divine en faisait aussi ressortir la double utilité. "Contre Pharaon et contre tous ses serviteurs." Quelle puissance vraiment ineffable ! Ses sujets ne formaient tous qu'un même corps, le châtiment les atteignait donc tous indistinctement, avec cette différence que les uns n'en recueillaient que de la souffrance et que les autres le faisaient servir à leur profit. Mais pourquoi dire : "Et contre tous ses sujets," puisque tous n'avaient pas de premiers-nés ? Le psalmiste veut parler ici des autres prodiges opérés dans l'Égypte, et qui étaient un châtiment pour les Égyptiens et une leçon salutaire pour les Juifs; de même que dans le désert, ceux qui suivaient les Juifs participaient également aux bienfaits dont Dieu comblait sou peuple. Dieu châtiait les ennemis des Juifs, Il répandait ses bienfaits sur ces derniers et les châtiments comme les bienfaits étaient utiles aux uns comme aux autres.

Mais pourquoi Dieu n'a-t-Il pas étendu ses bienfaits jusque sur les Égyptiens ? Parce que la plupart des hommes sont bien plus facilement amenés à la connaissance de Dieu par les châtiments que sous l'impression de ses bienfaits. Or une preuve qu'il ne voulait pas les punir, c'est que nous le voyons différer autant qu'il peut de les frapper, et montrer ainsi par cette lenteur, et ensuite par les châtiments eux-mêmes, sa Puissance et sa Bonté. Il eût pu certes, après la première, la seconde, la troisième plaie, les regarder comme atteints d'une maladie incurable et les perdre sans retour; Il ne l'a point voulu, l'avenir Lui était connu, Il savait bien que ni la cinquième, ni la sixième, ni la dixième plaie ne les rendrait meilleurs, Il ne se départit point de la conduite qu'Il avait résolu de suivre à leur égard. N'est-ce point là une des plus fortes raisons pour nous, d'admirer sa Puissance, sa Providence, sa Sagesse, sa Bonté ? sa Puissance qui les a frappés, sa Providence qui a retardé le châtiment, sa Sagesse, qui malgré la connaissance qu'Il avait de l'avenir, Lui a fait suivre les inspirations de sa Nature, enfin son extrême Bonté qui Lui fait décharger d'abord ses Coups sur les êtres moins importants, sur les animaux privés de raison ? Le châtiment monta ensuite jusqu'au roi, parce que Dieu voulait lui donner ainsi un caractère plus évident de publicité. Les malheurs qui frappent un particulier, ont naturellement peu de retentissement, mais lorsqu'ils atteignent un grand de la terre, ils arrivent bientôt et sans difficulté à la connaissance du monde entier.

Le prophète nous a indiqué la cause de ces châtiments, il va maintenant nous les faire connaître. Toutefois son dessein n'est pas de les énumérer longuement et en détail, il les comprend tous dans cette seule proposition : "Il a envoyé des signes et des prodiges au milieu de toi, ô Égypte." Puis il va plus loin, et nous montre Dieu faisant sortir le peuple de l'Égypte pour le conduire dans le désert; il déclare ainsi qu'il n'est pas le Dieu d'une seule partie de la terre, et que son règne n'est pas restreint à une seule contrée, mais s'étend à l'univers tout entier. C'est pour cela qu'il ajoute : "Il a frappé plusieurs nations, Il a tué des rois puissants;" (Ibid., 10); c'est-à-dire, qu'Il n'a cessé de leur donner des gages variés de sa Puissance, et de les instruire par les faits qui s'accomplissaient sous leurs yeux. Ainsi les premières guerres leur avaient appris que ce n'était ni la nature de l'air, ni la puissance des éléments, ni aucune autre cause naturelle, qui combattait pour eux, mais la Main souveraine qui les gardait au milieu des dangers. Ces prodiges se rendaient ainsi mutuellement témoignage, les miracles de l'Égypte à ceux du désert, et les prodiges du désert à ceux dont l'Égypte avait été le théâtre. En effet, lorsque les Israélites mettaient leurs ennemis en fuite, sans armes, sans troupes rangées en bataille, sans combat, Dieu leur faisait voir clairement que s'il avait employé les éléments comme des instruments contre les Égyptiens, ce n'était pas qu'Il en eût besoin, mais parce qu'Il voulait diversifier les opérations de sa Puissance en faisant servir les créatures à la manifester, "Sehon, roi des Amorrhéens, et Og, roi de Basan." Le psalmiste n'énumère point les villes conquises, il n'entre pas dans le détail de chaque combat, mais il franchit avec grandeur d'âme une foule innombrable de miracles. Il aurait pu s'y arrêter, dépeindre sous de vives couleurs ces événements tragiques; il ne fait que toucher comme en courant, cette multitude de prodiges opérés par la Main de Dieu. Les peuples ennemis étaient armés, ils habitaient des villes fortifiées, ils étaient habiles dans l'art de la guerre; les Juifs au contraire, étaient comme des exilés, étrangers à la science des combats, délivrés à peine d'une longue servitude et d'une tyrannie de plusieurs siècles, épuisés par les privations et les souffrances, en butte à tous les outrages, mais la main qui les conduisait, les revêtait d'une puissance invincible à tous leurs ennemis.

6. D'ailleurs la guerre était juste. Les Israélites n'auraient point attaqué ces peuples, s'ils n'avaient donné des motifs de leur déclarer la guerre en interceptant le passage au peuple de Dieu, ce qui était de la dernière cruauté. Quant aux Iduméens, Dieu ne voulut point leur laisser prendre part à la lutte. Les Israélites auraient pu s'autoriser du Silence de Dieu pour entreprendre de nouvelles guerres, il leur fit donc connaître dans le désert les peuples qu'ils devaient combattre et ceux qu'ils devaient épargner, et c'est par les faits eux-mêmes qu'il leur prescrivit la conduite qu'ils devaient tenir à l'égard de ceux qu'ils rencontreraient sur leur passage. "Et tous les royaumes de Chanaan." Voyez-vous comme l'enseignement s'adresse ici à l'univers tout entier? Les Israélites tonnèrent sur tous ces peuples comme le feu tombe sur les épines, et aucun d'eux ne pouvait leur résister. Écoutez ici le témoignage de Balaam instruit non par les prophètes, ni par Moïse, mais par les événements eux-mêmes. "Ce peuple, dit-il, lèche la terre tout entière." (Num 22,4), Remarquez la justesse de cette métaphore. Le psalmiste ne dit point; cette nation fait la guerre, elle renverse, elle détruit, mais "elle lèche." Pouvait-il exprimer plus énergiquement avec quelle facilité ils remportaient la victoire, érigeaient des trophées sans verser de sang, et comment il leur suffisait de tomber sur leurs ennemis pour les mettre en déroute ? Ils n'ont besoin, dit-il, ni d'années rangées en bataille, ni d'en venir aux mains, il leur suffit de faire irruption dans un royaume pour que tout cède à leur approche. Dieu ne voulut pas que leurs victoires fussent seulement le résultat des lois de la guerre et de leur bon ordre de bataille, ils auraient pu s'en attribuer la gloire. Voilà pourquoi il soulevait les éléments contre leurs ennemis pour jeter l'épouvante dans leur esprit. La grêle en tombant sur eux en écrasa un grand nombre, le soleil suspendit sa course pour prolonger le combat, on vit mille autres prodiges du même genre, et le son des trompettes, plus violent que le feu, renverser les murailles. Cette Conduite de Dieu était utile aux uns comme aux autres; elle apprenait aux peuples ennemis que ce n'étaient point les hommes qui leur faisaient la guerre; elle enseignait aux Israélites à lever les yeux vers Dieu, à ne jamais se vanter ou s'enorgueillir de leurs exploits, mais à se conduire en tout avec modestie et humilité. De semblables victoires étaient plus glorieuses pour eux que s'ils les avaient remportées par les moyens ordinaires, elles les rendaient dignes de vénération aux yeux des autres peuples, et leur inspiraient en même temps des sentiments plus modestes. En effet, rien de plus propre à leur attirer la vénération que d'avoir lieu pour chef, et à étouffer en eux toute présomption que d'être dans l'impossibilité de s'enorgueillir de leurs triomphes ?

"Et il a donné terre en héritage, et pour être l'héritage d'Israël, son peuple," (Ibid., 12). Voici encore un des prodiges les plus surprenants : non seulement ils chassaient les peuples devant eux, mais ils s'emparaient de leurs pays, et se distribuaient leurs villes entre eux, ce qui leur donnait à la fois une grande joie, de la considération et une gloire éclatante. Ils en étaient encore redevables à la Puissance de Dieu. Ce n'était pas en effet une petite entreprise de s'emparer d'un pays ennemi, et il fallait pour cela un secours extraordinaire de Dieu. "Seigneur, ton Nom subsistera éternellement, et le souvenir de ta Gloire s'étendra de génération en génération." (Ibid.,13). Une autre version porte : "Ton souvenir." Le prophète interrompt la suite de son récit pour louer Dieu selon la coutume des saints. À peine ont-ils commencé à parler des merveilles de la Main de Dieu, que l'amour qui les embrase les force de s'interrompre pour bénir et louer l'auteur de ces prodiges et satisfaire ainsi le désir de leur coeur. C'est ce que saint Paul ne cesse de faire, surtout au commencement de ses épîtres, comme lorsqu'il écrit aux Églises de Galatie : "Que la grâce et la paix vous soient données par Dieu notre Père, et par Jésus Christ notre Seigneur, qui S'est livré Lui-même pour nos péchés, selon la Volonté de Dieu notre Père, à qui appartient la gloire dans les siècles des siècles. Amen." (Gal 1,3-5). Et dans l'Épître aux Romains : "Eux à qui appartiennent l'adoption des enfants, la gloire, le culte, les promesses; qui ont pour pères les patriarches, et de qui est sorti, selon la chair, Jésus Christ même le Dieu au-dessus de toutes choses, et béni dans tous les siècles. Amen." (Rom 9,4). Et dans un autre endroit : "Au roi des siècles, immortel, invisible, au seul Dieu sage, honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen." (I Tim 1,17). De même ici le prophète, qui vient de méditer sur la Providence universelle de Dieu, et de repasser dans son esprit les plaies de l'Égypte, les miracles du désert, les grâces si variées que Dieu n'a cessé de répandre sur les Israélites, les fléaux qu'il a fait tomber sur leurs ennemis, sent son coeur s'enflammer au souvenir d'une si grande bonté, et laisse échapper ce cri de louange : "Seigneur, ton Nom subsistera éternellement et ton Souvenir s'étendra de génération en génération." C'est-à-dire ta Gloire est éternelle. Elle ne peut souffrir aucun amoindrissement, aucune interruption, elle est toujours la même, toujours immuable, à l'abri de tout changement, toujours dans sa fleur et dans sa force. Que signifient ces paroles; "ton Souvenir s'étendra de génération en génération ?" Ton Souvenir est également éternel, et n'aura jamais de fin. "Car le Seigneur jugera son peuple et Se laissera fléchir aux prières de ses serviteurs:" (Ibid., 14. On peut appliquer au peuple de Dieu les deux parties de la proposition en ce sens que Dieu commencera par le châtier; et qu'à l'action de sa Justice succédera la consolation, on peut aussi la diviser, c'est-à-dire appliquer au peuple de Dieu l'exercice de la bonté, et restreindre à ses ennemis l'action de la Justice divine. Tel serait donc le sens de ce verset : "Il fera sentir sa Bonté aux uns," ce que signifie l'expression : "Il se laissera fléchir," et Il jugera les ennemis de son peuple, c'est-à-dire qu'Il à éprouveront les effets de sa justice.

7. Le prophète ne pouvait s'appuyer sur les bonnes oeuvres des Israélites, le seul titre qu'il invoque en leur faveur est donc qu'ils sont le peuple de Dieu et ses serviteurs. L'expression "Il Se laissera fléchir," nous montre que le principe de la réconciliation est dans la Bonté de Dieu, et non dans les mérites du peuple. La prière, la supplication, supposent qu'on a besoin du portion, et la nécessité du pardon exclut le mérite des bonnes oeuvres et ne laisse place qu'à la miséricorde. Il avait dit précédemment : "Ton Souvenir s'étendra de génération en génération." Or, les Israélites étaient alors les seuls parmi tous les peuples qui reconnaissaient le vrai Dieu, et tel est le sens de ces paroles : "Le salut de ton peuple fera éclater ta Gloire parmi toutes les nations." Il est en Dieu une gloire essentielle, indépendante de tout culte, de tout hommage, elle n'est sujette à aucune division, à aucune altération, à aucun changement. Mais la gloire qui lui vient des hommes recevra un nouvel éclat de l'action qui nous sauve, lorsque nous aurons recouvré notre ville, les édifices sacrés et le temple, et que nous serons rentrés en possession de nos anciennes institutions. "Les idoles des nations sont de l'argent et de l'or, et les ouvrages des mains des hommes." (Ibid., 15). Il avait, en commençant, proclamé cette vérité : "Notre Dieu est au-dessus de tous les dieux;" et il semblait ne reconnaître en Lui qu'une supériorité relative à cause du peu d'intelligence de ceux à qui il s'adressait; il développe ici la même pensée,. Il décrit tout d'abord la Puissance de Dieu, les merveilles qu'Il a opérées dans le ciel, sur la terre, dans les abîmes, en faveur des Juifs, dans leur pays, comme dans les régions étrangères, au milieu de leurs ennemis et parmi toutes les nations de la terre. Puis il a fait le tableau de sa Bonté, de sa Miséricorde, de sa Sollicitude, de sa Sagesse, de sa Puissance, et montré qu'il était le Dieu de l'univers tout entier et que sa Providence s'étendait à tout ce qui existe. Il se rit maintenant de la faiblesse des idoles, tourne en ridicule leur nature, et fait de leur nom le premier chef d'accusation. Qu'est-ce qu'une idole, en effet ? Ce qu'il y a de plus impuissant, de plus vil, et son nom seul est synonyme de faiblesse extrême. Voilà ce qui lui fait dire : "Les idoles des nations sont de l'or et de l'argent." Premièrement, ce sont des idoles; secondement, une matière inanimée; troisièmement, par là même que ce sont des idoles, non seulement ce sont des êtres vils, faibles et impuissants, mais ils sont l'ouvrage des hommes, comme l'ajoute le prophète : "Et les ouvrages de la main des hommes." Pouvait-il condamner plus fortement ceux qui les adorent ? Ces idoles sont l'oeuvre de leurs mains, et ils placent en elles l'espérance de leur salut !

"Elles ont une bouche et ne parleront point; elles ont des yeux et ne verront point; elles ont des oreilles et n'entendront point, car il n'y a point d'esprit de vie dans leur bouche. Que ceux qui les font leur deviennent semblables, et tous ceux aussi qui se confient en elles." (Ibid., 16-18), "Elles ont une bouche et ne parleront point." Voyez-vous comme il les poursuit de ses railleries, et comme il met à jour la fraude dont elles étaient les instruments. Comme les démons leur imprimaient quelquefois une apparence de vie, il dévoile le drame hypocrite qu'ils leur faisaient jouer en montrant que l'esprit de vie n'est pas dans leur bouche. Et comment se fait-il que le démon ne fait, ne dit rien que par elles ? Les statues de ces idoles sont les colonnes et le symbole de la fornication, de l'adultère, de tous les vices réunis; le démon se sert donc de la vue de ces idoles comme d'un moyen de séduction pour enseigner les vices qu'elles représentent, et c'est pour cela qu'il se tient près d'elles pour leur imprimer le mouvement et arriver ainsi à ses fins. Le psalmiste achève d'accabler ces idoles sous le ridicule en ajoutant : "Que ceux qui les font leur deviennent semblables." Jugez quels doivent être ces dieux, à qui l'on ne peut souhaiter de ressembler que par imprécation. Il n'en est pas ainsi parmi nous. La perfection de la vertu, ce qui nous élève au comble de tous les biens, c'est de devenir semblables à Dieu, autant que cela nous est possible. Pour eux, au contraire, leur culte et leurs dieux sont tels, que leur ressembler est le dernier des malheurs qu'on puisse souhaiter. Faire voir que ces idoles sont une matière inanimée, qu'elles sont l'oeuvre de ceux qui les adorent, et des monuments d'infamie, qu'elles n'ont aucun sentiment, et qu'on ne peut souhaiter de plus grand malheur que de leur ressembler, n'est-ce pas démontrer l'erreur souveraine des idolâtres ? Or, après avoir dévoilé la faiblesse des idoles, les fraudes dont elles sont l'instrument, la méchanceté des démons et la folie de ceux qui fabriquent ces statues, le prophète s'empresse de sortir de ces erreurs et termine son discours par les louanges de Dieu. Il ne continue pas le récit des merveilles que Dieu a opérées, il les a suffisamment exposées, il demande à tous ceux qui ont eu part à ses bienfaits, le tribut d'éloges que réclament ces prodiges que tous s'accordent à reconnaître. Voilà pourquoi tous, sans exception, sont appelés à célébrer la gloire de Dieu : "Maison d'Israël, bénissez le Seigneur. Maison d'Aaron, bénissez le Seigneur. Maison de Lévi, bénissez le Seigneur. Vous qui craignez le Seigneur, bénissez-le. Que le Seigneur soit béni de Sion, lui qui habite dans Jérusalem." (Ibid,, 19-21).

Mais pourquoi, au lieu de cette invitation distincte faite à chaque partie du peuple, ne pas inviter collectivement tous les Israélites ? Pour vous faire comprendre qu'il y a ici une différence dans la manière de bénir Dieu. Le prêtre ne le bénit pas comme le lévite, et le simple fidèle ne le bénit pas comme tout le peuple assemblé. Cette invitation : "Bénissez le Seigneur," a pour but de leur faire comprendre cette nature bienheureuse qui ne soufre aucun mélange. Bénissez Dieu, leur dit-il, de ce que vous êtes délivrés de vos ennemis, de ce que vous êtes dignes d'adorer un Dieu si grand, de ce que vous avez connu la vérité. Ah ! sans doute, il est béni parce qu'Il possède en sa Nature toute bénédiction, et qu'Il n'a point besoin des louanges des hommes; cependant ne laissez pas de Le louer, non pour ajouter quelque chose à sa Gloire, mais pour recueillir les fruits précieux que vous promet cette bénédiction. Oui, il est essentiellement béni de sa Nature, et cependant il veut encore que nous Le bénissions. Le psalmiste évoque de nouveau le souvenir de Sion et de Jérusalem. C'est là qu'était le siège de leur gouvernement et de leur religion, c'est là qu'ils venaient puiser les enseignements divins et les règles de la sagesse. Il veut donc leur inspirer pour ces lieux une vénération profonde en les couvrant du nom même de Dieu, afin que cette vénération accroisse leur désir et leur zèle pour ces saints lieux, que ce désir les y attire en plus grand nombre, et que profondément attachés par là au culte du vrai Dieu, ils puissent s'élever à une vertu plus parfaite, ce qui était la fin de tous les prodiges que Dieu avait opérés. Les Israélites avaient alors Jérusalem et Sion, nous avons aujourd'hui les cieux et les biens qu'ils renferment. Attachons-nous à ce bienheureux séjour, pour obtenir les biens éternels par la Grâce et la Miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soit la gloire dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 135

"Louez le Seigneur, car Il est bon, car éternelle est sa Miséricorde." v, 1.

1. Après avoir raconté les Bienfaits de Dieu envers les hommes, le psalmiste célèbre la grandeur de sa Miséricorde. Il n'entreprend pas de la mesurer (cela est impossible), mais il veut faire comprendre son étendue par son éternité, et il invite tous les hommes à chanter la Gloire de Dieu : "Louez le Seigneur," c'est-à-dire, rendez-Lui des actions de grâces, célébrez ses louanges, "parce que sa Miséricorde est éternelle." Que signifient ces paroles : "Est éternelle ?" C'est-à-dire qu'en Dieu on ne voit point l'oubli succéder à la bienfaisance, l'indifférence à la miséricorde, comme il arrive trop souvent parmi les hommes que leurs passions dominent, que leur condition enchaîne, que leur état dé dépendance arrête, et à qui les événements ne permettent pas d'agir comme ils le voudraient. Telle n'est point la Conduite de Dieu, jamais Il n'interrompt le cours de sa Miséricorde, jamais Il ne cesse de l'exercer, par des moyens variés à l'infini. Il est donc toujours miséricordieux et Il ne cesse de répandre ses Bienfaits sur les hommes. Après avoir proclamé que sa Miséricorde est éternelle, le prophète donne les preuves de son éternelle durée, et les emprunte au spectacle des choses visibles. Comme son dessein est d'inspirer l'autour de la vraie religion, il établit de nouveau une comparaison entre Dieu et les dieux des gentils, pour l'accommoder à la portée de ceux auxquels il s'adresse : "Louez le Dieu des dieux, s'écrie-t-il," (Ibid., 2), et il ajoute à chaque verset : "Parce que sa miséricorde est éternelle." Et encore : "Louez le Seigneur des seigneurs." (Ibid., 3). Dans le psaume précédent il avait enseigné qu'il était au-dessus de tous les autres dieux; (Ps 134,5); ici, il va plus loin et le proclame le Maître et le Seigneur des idoles, ou si vous le voulez, des démons. Eu effet, quoique les démons se soient couverts d'opprobre par leur révolte contre Dieu, ils ne laissent pas d'être ses serviteurs et ses sujets. Célébrez donc la Gloire de votre Dieu, s'écrie-t-il, parce qu'il est le Dieu souverain qui n'a point d'égal, et qui est le Maître et le Seigneur de tout ce qui existe. Or, Dieu S'appelle aussi le Dieu de ceux qui lui sont agréables, comme lorsqu'Il dit : "Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob." Comment donc le proclame-t-on ici le Dieu des démons ? Il est le Dieu des uns et des autres, mais d'une manière différente. Il est le Dieu des justes en ce sens qu'il leur est uni par les liens de l'amour le plus intime, il est le Dieu des démons, parce qu'Il est infiniment au-dessus d'eux.

"C'est Lui qui fait seul de grands prodiges, parce que sa Miséricorde est éternelle." (Ibid., 1). Il prouve maintenant ce qu'il vient d'avancer, que Dieu est le Maître et le Seigneur des dieux, et il démontre cette vérité, comme il l'a déjà fait, par les effets de sa Puissance, or, il ne dit pas : Qui a fait; mais "qui fait," parce que Dieu ne cesse de répandre ses grâces et d'opérer des prodiges qui surpassent l'intelligence humaine. Le prophète fait surtout ressortir ces deux caractères de l'opération divine : Dieu agit et Il agit seul, ou plutôt Il donne quatre caractères de sa supériorité : Dieu agit, Il fait des prodiges, ce sont de grands prodiges, et Il est le seul pour les opérer. Gardons-nous de croire que le prophète veuille ici rabaisser le Fils, son dessein est de montrer la distance infinie qui sépare Dieu des démons. Voyons maintenant quels sont ces prodiges extraordinaires qui sont du domaine exclusif de Dieu. En commençant ce psaume il n'était question, ce semble, que de la Bonté de Dieu, et non de sa Puissance : "Louez le Seigneur parce qu'il est bon." Pourquoi donc parler maintenant de sa puissance ? Parce que ces prodiges étaient à la fois des effets de sa Puissance et de sa Miséricorde. Quels sont ces prodiges ? les voici : "Qui a fait les cieux avec intelligence ? Qui a affermi la terre sur les eaux ?" Un autre interprète traduit : "Qui a condensé la terre dans les eaux ? Qui a fait seul de grands luminaires, le soleil pour présider au jour, et la lune et les étoiles pour présider à la nuit." (Ibid., 5-9). Ce sont là des actes de sa Puissance et de sa Sagesse, mais ce sont aussi des témoignages de sa Bonté. La grandeur, l'éclat, la stabilité de ces oeuvres divines proclament la Puissance et la Sagesse de leur Créateur, mais la destination que Dieu leur a donnée d'être à notre service, témoigne de son Amour et de son éternelle Bonté. Vous comprenez comment sa Miséricorde est éternelle; la durée de ses oeuvres n'est pas limitée à dix, vingt, cent, deux cent mille années, elle est égale à la durée de l'existence de l'homme sur la terre. Voilà pourquoi le psalmiste termine chaque verset en répétant : "Parce que sa miséricorde est éternelle." Prodige vraiment admirable. Dieu est l'auteur de ces merveilles; après les avoir créées, Il les a consacrées au service de l'homme, après son péché même il ne l'en a point dépossédé; Il lui a laissé après sa désobéissance, la jouissance des biens qu'Il lui avait donnés auparavant, et Il ne lui en a point retiré l'usage après un si grand crime. Et ce ciel visible n'est point le seul qu'il ait fait, Il en a créé un autre pour nous apprendre dès le commencement du monde qu'Il ne nous laisserait pas sur la terre, mais qu'Il nous transporterait dans cet autre ciel qu'il nous destine. Car si nous ne devions pas l'habiter un jour, pourquoi l'avoir créé ? Dieu n'en a que faire, il n'a besoin de rien; si donc il a préparé cette demeure, c'est pour nous y établir lorsque nous quitterons la terre.

2. Aussi, le prophète à qui Dieu a révélé ce secret, est saisi d'admiration et répète après chaque verset : "Parce que sa Miséricorde est éternelle." "Il a affermi la terre sur les eaux." Voici un nouveau témoignage de sa Bonté. Après que nous sommes devenus mortels et soumis à mille nécessités, Dieu ne nous a pas abandonnés, Il nous a donné eu attendant une demeure convenable, et Il a rempli la terre de tant témoignages de son Amour, que la parole est impuissante à les redire. Voilà pourquoi, le prophète à la vue de cet abîme de bienfaits et de cette mer sans rivages, s'écrie à haute voix : "Que tes oeuvres sont grandes, ô Seigneur, tu as fait toutes choses avec sagesse." (Ps 103,24). Considérez encore le soleil, la lune, la succession des saisons, et vous aurez une nouvelle preuve de son infinie Bonté. En effet, ces éléments flous sont de la plus grande utilité pour l'ornement et pour le soutien de notre vie. Ils donnent la sève et la maturité aux fruits qui sont les aliments nécessaires de la vie, ils délimitent les saisons, marquent les heures, déterminent la durée du jour et de la nuit, sont les guides des voyageurs sur terre et sur mer, et nous rendent encore mille autres services. Voyez-vous comment la Miséricorde de Dieu est éternelle, et que c'est avec raison que le psalmiste proclame cette vérité après chaque verset ? Un autre interprète au lieu de : "Pour présider au jour," traduit : "Pour dominer sur le jour." Un autre, au lieu de : "Pour présider à la nuit," traduit : "Pour exercer sa Puissance dans la nuit."

"Qui a frappé l'Égypte avec ses premiers-nés ? Qui a fait sortir Israël du milieu d'eux ? Avec une main puissante et un bras élevé." (Ibid., 10-12). Il revient continuellement sur les prodiges qui eurent lieu en Égypte, à cause de l'ingratitude des Juifs qui les oubliaient sans cesse, bien qu'on les rappelât continuellement à leur esprit. Vous avez ici un signe éclatant de la Miséricorde divine, qui par ce prodige, les a délivrés de la servitude, et a ménagé à leurs descendants la connaissance du vrai Dieu. Il y a encore ici un autre enseignement. Quel est-il ? C'est qu'après la plaie des premiers-nés, Dieu a fait éclater sa Puissance en rompant les chaînes de leur esclavage, en frappant d'épouvante les Égyptiens et en les ensevelissant dans la mer. or, le psalmiste rappelle cette circonstance pour prévenir l'interprétation irréfléchie de ceux qui verraient un acte de faiblesse dans le commandement fait aux Israélites de prendre l'or et les vases d'argent des Égyptiens. Dieu en agit ainsi pour Se rendre terrible à ses ennemis par tous les moyens, et les convaincre que toutes ses actions portent le caractère de sa Puissance et de sou Autorité, et qu'Il était aussi en son Pouvoir de les faire tomber dans le piège qu'Il leur tendait. Lorsqu'il agit ouvertement, ce n'est point qu'Il ne pût séduire et tromper ses ennemis; et s'Il leur tendit des pièges, ce n'était point par impuissance d'agir ouvertement, car d'un côté comme de l'autre, Il fait éclater également sa Puissance. Voulez-vous savoir l'effroi que cet événement inspira aux étrangers ? Écoutez ce que dirent plus tard les devins d'Azot : "C'est là ce Dieu terrible qui a frappé l'Égypte, et qui, après s'être joué de ses habitants, a délivré les Israélites." (I Roi 6,6). Vous voyez que la crainte de ces peuples a pour cause le vol, la tromperie dont les Égyptiens ont été victimes, et leur entière destruction. "Qui a divisé en deux parties la mer Rouge." (Ibid., 13). Suivant une autre version : "En deux sections." Suivant une autre : "En plusieurs ouvertures," Quelques interprètes en effet, affirment que la mer, en se divisant, ne laissa pas seulement une route unique, mais qu'elle ménagea autant de passages qu'il y avait de tribus. Tous ces prodiges n'avaient pas seulement pour but de faire éclater la Puissance de Dieu, sa Grandeur, et de montrer combien Il était redoutable. Ils étaient encore autant de preuves de son infinie Bonté non seulement pour ceux en faveur desquels Il opérait ces prodiges, mais aussi pour ses ennemis, s'ils avaient voulu se rendre attentifs. Si Dieu en effet, les ensevelit dans la mer, ce n'est pas sans raison, c'est lorsqu'après tant de miracles, ils poussent l'audace jusqu'à vouloir affronter la fureur des flots. Fussent-ils dépourvus de toute intelligence, leur devoir était, au souvenir des prodiges qui avaient précédé, et à la vue de ce qui s'accomplissait sous leurs yeux, d'admirer avec crainte, d'adorer la Puissance de Dieu, et de mettre fin à une lutte aussi déplacée. Loin de là, ils ont vu tous les éléments se transformer sous la Main de Dieu, au gré de sa Volonté, pour leur faire la guerre, et rien n'a pu triompher de leur opiniâtreté. Que dis-je ? ils sont témoins d'un prodige qui dépasse toute pensée humaine, et ils osent s'engager dans une route si nouvelle, si extraordinaire pour eux. Voilà pourquoi la mer devint leur tombeau. Ce n'était point là un effet des lois naturelles, le coup partait du ciel; aussi les phénomènes les plus opposés se produisent presqu'en même temps, et la mer se divise de manière à offrir non un seul passage, mais autant de routes qu'il y avait de tribus.

Or, la miséricorde se trouve mêlée à chacun de ces prodiges. En effet, comme Dieu se servait des éléments pour les opérer, il n'avait rien tant à coeur que de prévenir l'opinion qui les aurait regardés comme des oeuvres purement naturelles, et de leur imprimer le caractère de cette puissance céleste à qui seule il appartient de faire des miracles supérieurs aux lois de la nature. C'est ce qu'il fit alors dans la mer Rouge, et la preuve manifeste, c'est que jamais on ne vit un prodige semblable; tandis que les phénomènes naturels se reproduisent fréquemment et à des époques réglées. "Qui a fait passer Israël par le milieu de cette mer, parce que sa Miséricorde est éternelle." (Ibid., 14).

3. C'est donc à juste titre que le prophète répète après chaque verset : "Parce que sa Miséricorde est éternelle." Car ces prodiges sont un témoignage frappant de cette providence dont l'action ne s'épuise jamais. Ces événements sont passés, il est vrai, mais le souvenir en est resté, et a été pour les descendants des Israélites un moyen puissant d'arriver à la connaissance de Dieu. Ils étaient racontés de génération en génération, et inspiraient l'amour de la vraie sagesse. Ne croyons pas toutefois que l'action de cette providence paternelle se soit bornée à ces événements, et que la Bonté de Dieu pour son peuple ne se soit manifestée que dans les prodiges de l'Égypte; chaque époque, chaque période de l'histoire des Juifs a vu s'étendre jusqu'à elle les effets sensibles de la Bonté divine. C'est en admirant cette suite non interrompue de bienfaits que le prophète ne cesse de répéter : "Parce que sa Miséricorde est éternelle." Il ajoute avec raison : "Il a fait passer Israël par le milieu de cette mer;" car, c'est là encore un acte de sa Puissance. Il ne suffisait pas en effet que la mer se retirât et qu'elle offrît aux Israélites un passage facile. La vue de ce prodige inouï les aurait bien plutôt frappés d'étonnement, de crainte et d'épouvante et jamais ils n'auraient osé s'engager dans cette voie. Dieu donc manifesta sa Puissance, après que la mer se fut retirée, en leur inspirant le courage et la résolution nécessaires pour traverser une route aussi nouvelle, aussi extraordinaire pour eux. Les eaux se tenaient des deux côtés, comme deux montagnes élevées, il leur fallait donc avoir autant d'intrépidité que de courage pour oser traverser cette route sans craindre que ces deux montagnes d'eau ne vinssent à retomber sur eux, et à ensevelir l'armée tout entière. "Il a secoué Pharaon avec son armée dans la mer Rouge;" (Ibid., 15); expression qui nous fait comprendre avec quelle facilité ils ont été engloutis dans les flots. Considérez encore comment Dieu avec sa Puissance et sa juste Colère, manifeste également sa Patience. Il ne les a pas exterminés tout d'abord, malgré leur impudence et leur opiniâtreté; c'est d'eux-mêmes et de leur plein gré qu'ils se sont précipités dans l'abîme. C'est avec justice que l'armée elle-même fut détruite, elle avait participé aux crimes des princes et à la persécution du peuple de Dieu, elle devait également prendre part au châtiment et au supplice.

"Qui a conduit son peuple dans le désert, parce que sa Miséricorde est éternelle." (Ibid., 16). Ce prodige n'est pas moins surprenant que le passage de la mer Rouge. Ils étaient sur la terre ferme, il est vrai, et pouvaient y établir leurs campements; mais cependant que de difficultés, que de pénibles épreuves, capables de les faire périr de la mort la plus cruelle : la faim, l'épuisement, la soif, les rayons d'un soleil qui les dévorait, la multitude des bêtes féroces, et la privation absolue des choses nécessaires. Or, vous savez de combien d'éléments l'homme a besoin pour soutenir son existence. Tout leur manquait à la fois, aucun toit pour les abriter, point d'aliments, point de vêtements, point de chaussures, ni rien de ce que nous avons d'ordinaire; ils marchaient à travers la solitude, comme ceux qui exécutent des choeurs de danse au milieu des cités, or, remarquez combien de miracles opérés dans le désert, combien d'années de leur gouvernement le psalmiste passe sous silence. Il se borne à deux prodiges qui éclatèrent dans la guerre qu'ils soutinrent contre deux rois; il ne nous décrit ni cet aliment nouveau, ni cette tente merveilleuse, ni cette lumière qui ne cessait de briller, ni leurs vêtements qui duraient toujours, ni leurs chaussures qui ne s'usaient pas, ni les sources qui jaillirent des rochers, ni tant d'autres prodiges non moins nouveaux et non moins admirables qui avaient pour but d'aplanir pour eux les difficultés du voyage. Il n'en choisit que deux et rappelle comment Dieu extermina les rois barbares et fit remporter sur eux à son peuple de glorieuses victoires. Pour les autres prodiges, il laisse à ses auditeurs le soin de les recueillir en leur mémoire. "Il a frappé de grands rois. Il a fait mourir des rois puissants, Sehon, roi des Amorrhéens, et Og, roi de Basan." (Ibid., 17-20). Et le psalmiste ajoute à chaque victoire : "Parce que sa Miséricorde est éternelle,") pour montrer que les ennemis avaient beau se succéder sans interruption, ils ne pouvaient triompher du peuple de Dieu, parce que la Bonté de Dieu ne cessait de le défendre. C'est le sens de ces paroles qu'il rappelle continuellement : "Parce que sa Miséricorde est éternelle."

"Et il leur a donné leur terre en héritage; en héritage à Israël." (Ibid., 21,22). Il y a ici un double bienfait, ils triomphent de leurs ennemis, et ils s'emparent de leurs biens. Il fallait en effet, une puissance extraordinaire, non seulement pour expulser les habitants de cette contrée, mais pour s'emparer et se rendre maîtres d'un pays étranger. Le prophète met ensuite dans un plus grand jour cette vérité qu'ils sont redevables de ces bienfaits non point à leurs mérites, mais à la Bonté de Dieu. "Le Seigneur s'est souvenu de nous dans notre affliction. " (Ibid., 23). Ce ne sont donc point nos bonnes oeuvres, ce n'est point la prospérité, c'est l'affliction qui nous a mérité le souvenir de Dieu; c'est-à-dire, la vue de nos malheurs et de nos souffrances a suffi pour Le fléchir. En effet, lorsque Dieu voulut les délivrer de la servitude de l'Égypte, Il ne dit pas : J'ai vu qu'ils étaient revenus à de meilleurs sentiments, mais : "J'ai vu l'affliction de mon peuple dans l'Égypte." (Ex 3,7). "Et Il nous a délivrés de nos ennemis." (Ibid., 24). Son dessein n'est pas de faire une énumération détaillée des guerres, des attaques, des victimes, des trophées du peuple de Dieu; il résume en un seul mot la longue suite de leurs triomphes, passe sous silence les bienfaits particuliers aux Juifs, et finit par un trait de la Providence générale de Dieu sur le monde : "Il donne la nourriture à toute chair." Une autre version porte : "Qui donne le pain. Une autre : "Donnant le pain." Le principe producteur des fruits n'est donc ni la terre, ni les pluies, ni l'air, ni le soleil, ni quelqu'autre élément créé, c'est à Dieu seul qu'il faut tout rapporter. Admirez encore ici non seulement sa Puissance, mais sa Bonté ineffable. Car ces paroles du prophète : "Il donne la nourriture à toute chair," expriment la même pensée que celles du Sauveur : "Il fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes." (Mt 5,45). C'est-à-dire, qu'Il donne la nourriture non seulement aux hommes justes et vertueux, mais aux pécheurs et aux impies, et à la nature humaine tout entière, en un mot, à tous les hommes, ce qui proclame hautement le souverain domaine de Dieu. Voyez-vous comment l'ensemble et le détail de ce psaume a surtout pour but de nous amener à la connaissance de Dieu ? Le prophète a débuté et il finit aussi par des considérations générales. Il nous a décrit le soleil, la lune, les éclairs, la pluie, qui ne sont pas restreints à une seule partie de l'univers, et en terminant il parle de la nourriture commune de tous les êtres. Puis, lorsqu'il a ainsi établi par ces faits l'action générale de la Providence, il ajoute : "Louez le Dieu du ciel, parce que sa Miséricorde est éternelle." Rien ne prouve aussi plus clairement qu'Il est le Dieu des régions inférieures, comme des régions célestes, et que sa Providence et sa Sollicitude s'étendent à toutes les parties de la création. Offrons-Lui donc nos actions de grâces, pour les bienfaits communs, comme pour ceux qui nous sont particuliers, afin de reconnaître sa Bonté, son Amour, sa Puissance, sa Sollicitude. Soyons toujours fidèles à ce devoir, comme le psalmiste nous y engage : "Louez le Seigneur, parce que sa Miséricorde est éternelle." C'est là le vrai sacrifice, la véritable offrande; voilà ce qui nous rend Dieu propice, et nous assure sa Bienveillance.

Puissions-nous tous l'obtenir par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui soit la gloire et le règne dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 136

"Nous nous sommes assis sur le bord des fleuves de Babylone, et là nous avons pleuré au souvenir de Sion." v.1.

1. Quels vifs regrets de la cité qu'ils ont perdue, et quel ardent désir d'y rentrer ! Tant qu'ils furent heureux, on ne voyait en eux que dédain et insolence, mais lorsqu'ils furent dépouillés de tous leurs biens, ils se prirent à les désirer. C'était, du reste, pour réveiller ce désir, que Dieu les avait bannis de leur patrie. C'est la conduite qu'il tient ordinairement. Lorsque nous vivons dans l'abondance des biens qu'Il nous donne, nous y sommes comme insensibles. Que fait Dieu ? Il nous les retire, pour que cette privation nous rende plus sages, et nous les fasse rechercher de nouveau. Mais pourquoi les Israélites étaient-ils assis sur les bords des fleuves ? Parce qu'ils étaient captifs, renfermés dans un pays étranger, et qu'ils habitaient hors des murs des villes. "Aux saules de leur rivage, nous avons suspendu nos instruments." (Ibid., 2). Une autre version porte : "Nos harpes;" une autre : "Nos lyres." Pour quelle raison, en partant pour la captivité, emportèrent-ils avec eux ces instruments, dont ils ne devaient plus se servir ? C'était par un dessein providentiel de Dieu qui voulait, jusque dans ces contrées étrangères, leur mettre devant les yeux les souvenirs de leurs premières institutions, et réveiller leurs regrets par la vue de ces instruments, symboles de leurs cérémonies religieuses. "Là, ceux qui nous ont emmenés captifs, nous dirent de chanter, et ceux qui nous avaient arrachés de la patrie, nous ont dit : Chantez-nous des cantiques de Sion." (Ibid., 3). Ces instances des barbares qui désiraient entendre leurs cantiques avaient pour eux un immense avantage. Jugez de là, combien la captivité leur fut utile. Ils s'étaient joués de leurs rites sacrés, ils avaient renié leur religion, foulé aux pieds leur loi en mille manières. Et voici que dans une terre étrangère, ils portent la fidélité jusqu'à résister aux instances, aux menaces mêmes des barbares qui les entourent et qui désiraient les entendre. Ils refusent d'accéder à leurs désirs et préfèrent observer exactement leur loi. Au lieu de "ceux qui nous ont emmenés," un autre interprète traduit : "ceux qui nous traitaient insolemment." Tel serait donc le sens de ces paroles : Ceux qui s'emportaient contre nous, et qui nous opprimaient, sont devenus avec le temps si bons, si doux, si faciles, qu'ils désirent entendre nos cantiques. Et cependant les Israélites résistèrent. Voyez-vous quelle force leur donne l'affliction, quelle componction elle leur inspire, comme elle brise leur âme par le repentir ? Ils pleuraient et ils restaient fidèles à leur loi. Ils se riaient autrefois, ils se jouaient des larmes des prophètes, ils insultaient à leur douleur; et maintenant sans que personne les y excite, ils se livrent aux pleurs et aux gémissements. Ce spectacle avait pour leurs ennemis eux-mêmes de précieux avantages. Ils pouvaient se convaincre que ce n'était ni le joug de la captivité ni le poids de la servitude, ni le séjour dans une terre étrangère qui faisait couler leurs larmes, mais la privation du culte qu'ils rendaient à Dieu. Voilà pourquoi le prophète ajoute : "Au souvenir de Sion." Leurs gémissements ne sont pas sans motif, leur plus fréquente occupation était de verser des larmes. Voilà pourquoi ces expressions du prophète : "Nous nous sommes assis et nous avons pleuré;" c'est-à-dire qu'ils s'étaient assis pour se livrer aux gémissements et aux pleurs. Mais pourquoi leur était-il défendu de chanter dans une terre étrangère ? parce que des oreilles profanes n'étaient pas dignes d'entendre ces chants mystérieux. "Comment, hélas, chanterions-nous les cantiques de l'Éternel dans une terre étrangère ?" (Ibid., 4). Ce qui veut dire : il ne nous est pas permis de chanter. Nous avons, il est vrai, perdu notre patrie, mais nous restons inviolablement fidèles à notre loi, et nous l'observons avec une exactitude scrupuleuse. Aussi, bien que vous soyez les maîtres de nos corps, vous ne triompherez jamais des résolutions de notre âme. Voilà quelle sagesse l'affliction leur inspire, et comme leur âme est devenue supérieure à toutes les épreuves."

"Si je t'oublie, ô Jérusalem, que ma droite soit elle-même oubliée. (Ibid., 5). Que ma langue s'attache à mon palais." Quel admirable changement s'est encore opéré en eux ! Chaque jour ils entendaient avec une profonde indifférence les prophéties qui leur prédisaient qu'ils seraient chassés de leur cité; et aujourd'hui ils se dévouent aux plus grands malheurs, s'ils viennent à en perdre le souvenir. Or, que signifient ces paroles : "Que ma droite soit oubliée ?" Que ma force et ma puissance m'échappent, et que je demeure sans voix devant l'excès de mes maux. "Si j'oublie ton souvenir, si je ne mets Jérusalem la première dans mes cantiques de joie." (Ibid., 6). Qu'est-ce à dire, "Si je ne mets Jérusalem la première ?" Ce n'est pas seulement dans d'autres circonstances ordinaires, mais dans mes hymnes et dans mes cantiques que je me souviendrai de toi. Ces paroles : "Si je ne mets Jérusalem la première," signifient : "Si elle n'est pas le premier objet de mes cantiques," et c'est là l'expression d'une âme qui désire vivement, ou plutôt qui est embrasée d'un amour ardent. Soyons ici attentifs et instruisons-nous. Les Israélites se sentirent enflammés de vifs désirs pour Jérusalem, lorsqu'ils en furent bannis. Plusieurs d'entre nous éprouveront un jour les mêmes sentiments lorsqu'ils se verront exclus de la Jérusalem céleste. Mais les Israélites avaient du moins l'espérance de retourner dans leur patrie; pour nous, au contraire, quel espoir de rentrer dans la céleste patrie que nous aurons perdue ? "Le ver qui les ronge ne mourra pas, et le feu qui les brûle ne s'éteindra pas." (Mc 9,43). Veillons donc avec le plus grand soin sur toutes nos actions, et réglons ici-bas toute notre vie de manière à éviter la captivité, et à ne pas être exclus comme des étrangers de cette cité céleste. "Souviens-Toi, Seigneur, des enfants d'Edom au jour de Jérusalem, lorsqu'ils s'écriaient : "Détruisez, détruisez jusqu'à ses fondements." Une autre version porte : "Pour les enfants d'Edom." On reconnaît encore à ce langage le désir brûlant de leur patrie. Or voici le sens de ces paroles : Appesantissez votre bras sur ceux qui non contents de s'être emparés de la ville sainte, et de l'avoir renversée, poussaient plus loin leur fureur et disaient : "Creusez, détruisez-la jusque dans ses fondations." Ils voulaient détruire jusqu'aux appuis de la cité et arracher jusqu'à ses fondements.

2. Ces fils d'Édom étaient des Arabes qui s'étaient réunis aux Babyloniens pour attaquer les Juifs, et il en est souvent question dans les psaumes. Le prophète leur fait ici de violents reproches de ce que, malgré la parenté qui les unissait aux Israélites, ils ont été pour eux plus cruels que leurs ennemis. "Fille de Babylone, malheur à toi !" Une autre version porte : "Qui est dévastée; " une autre : "Qui sera dévastée." Nous voyons ici la Puissance de Dieu se manifester, non pas en délivrant son peuple de ses calamités, mais en exerçant sa juste Vengeance sur ses ennemis. Le prophète prédit donc les malheurs dont Babylone était menacée, et il la proclame misérable à cause des maux qui devaient fondre sur elle. C'est ainsi qu'il instruit les Juifs et montre que la Puissance de Dieu s'étend à toute la terre. "Heureux celui qui te rendra les maux que tu nous as fait souffrir." Suivant une autre version : "Ce que tu nous as fait." (Ibid., 8). "Heureux celui qui saisira tes enfants, et qui les brisera contre la pierre." (lbid., 9). Ces paroles sont pleines de colère, et font appel à des châtiments, à des supplices cruels. C'est un langage inspiré par la souffrance à ces malheureux captifs qui demandent à Dieu une vengeance rigoureuse, un supplice d'un genre nouveau et tout à fait extraordinaire. En effet, les prophètes n'expriment pas toujours leurs sentiments personnels, mais se rendent souvent les interprètes des impressions des autres. Si vous voulez connaître les véritables sentiments du psalmiste, écoutez-le vous dire : "Si j'ai rendu le mal à ceux qui m'en ont fait," (Ps 7,5), et aller ainsi bien au delà des prescriptions de la loi. Mais quand il exprime les sentiments des autres, il décrit leur colère, leur douleur; c'est ce qu'il fait ici en reproduisant l'esprit de vengeance qui animait les Juifs, et l'excès d'une colère qui n'épargnait même pas l'enfance. Tel n'est pas l'esprit de la nouvelle alliance, elle nous ordonne d'apaiser la soif de nos ennemis, de les nourrir et de prier pour ceux qui nous ont fait du mal. En agissant ainsi, nous obéissons à la loi qui nous est donnée. Quelle est cette loi ? "Si votre justice n'est pas plus parfaite que celle des Scribes et des Pharisiens, vous montrerez pas dans le royaume des cieux." (Mt 5,20). Appliquons-nous donc avec zèle à l'observation exacte de cette loi, nous deviendrons par là dès cette vie, habitants du ciel, nous ferons partie des choeurs des anges, et nous nous rendrons dignes des biens éternels.

Puissions-nous tous les obtenir par la Grâce et la Miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, à qui appartient la gloire et la puissance dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 137

"Je Te louerai, Seigneur, de tout mon coeur."

1. Je vous ai souvent expliqué ces paroles; laissons-les donc pour nous arrêter à celles qui suivent. Que veut dire le prophète : "Je célébrerai ta Gloire en présence des anges ?" Un autre interprète traduit : "Je chanterai ta Gloire avec confiance;" un autre : "Je célébrerai ta Gloire en présence des dieux." S'il est ici question des anges qui sont dans le ciel, le prophète veut dire : Je m'efforcerai de chanter avec les anges, de rivaliser de zèle avec eux, et de m'unir aux choeurs des puissances célestes. Je suis d'une nature différente, il est vrai, mais je m'efforcerai de les égaler par l'ardeur de mes désirs et de prendre place parmi eux. Si au contraire, nous préférons l'autre interprétation, il faut appliquer aux prêtres ce que le prophète dit ici des dieux. En effet, c'est la coutume de l'Écriture, de donner aux prêtres le nom d'ange et celui même de dieu; ainsi, tantôt elle dit : "Vous ne parlerez point mal des dieux, et vous ne maudirez point le prince de votre peuple;" (Ex 22,28); tantôt : "Les lèvres du prêtre garderont la science, et l'on recherchera la loi de sa bouche, parce qu'il est l'ange du Seigneur des armées. Si nous adoptons cette interprétation, voici donc quel sera le sens de ces paroles : C'est aux prêtres qu'il appartient de commencer à chanter les louanges de Dieu; quant à moi, je les suivrai et j'unirai mes chants aux leurs. "Parce que vous avez écouté les paroles de ma bouche." Voyez quelle vive reconnaissance, quelle attention soutenue dans la prière ? Le psalmiste ne ressemble pas à ces chrétiens sans force et sans énergie, qui avant d'être exaucés, paraissent pleins d'ardeur, et qui retombent dans leur tiédeur habituelle, lorsqu'ils ont obtenu ce qu'ils demandent. La même ferveur qui lui dicte sa prière, lui inspire aussi l'hymne de la reconnaissance. La preuve de la pureté, de l'excellence de ses prières, c'est que Dieu les a exaucées; car le succès de nos prières est assuré, lorsqu'elles sont agréables à Dieu.

Il dépend donc de nous d'être exaucés; demandons à Dieu des choses dignes de sa souveraine Majesté, prions-Le avec ferveur, rendons-nous dignes d'obtenir ce que nous demandons, et Dieu répondra à notre appel, et Se rendra à nos désirs.

"Je me prosternerai dans ton saint temple." C'est encore le signe d'une vertu éminente de pouvoir entrer dans le saint lieu et d'y venir pour y offrir à Dieu l'adoration d'un coeur pur. Ce que Dieu demande en effet, ce n'est point de fléchir les genoux, d'entrer simplement dans son temple, mais d'y venir avec une âme pleine de ferveur et de recueillement, d'y être présent non seulement de corps, mais d'esprit, et c'est aussi un privilège glorieux pour nous de pouvoir L'adorer d'une manière digne de Lui. On regarde comme un grand honneur d'approcher des rois de la terre; que sera-ce d'être admis en présence du Dieu du ciel et de la terre ? "Et je rendrai gloire à ton Nom à cause de ta Miséricorde et de ta Vérité." Que signifient ces paroles ? Je Te rendrai grâces du soin miséricordieux, que Tu as pris de moi. Car ce n'est point à mes propres mérites que je dois d'être rentré dans ma patrie, et de voir de nouveau le temple saint, mais à ta Miséricorde et à ta Bonté. Je T'adorerai donc, je Te louerai, parce que Tu T'es empressé de me ramener de la captivité, moi qui n'étais digne que de châtiment et qui méritais de passer ma vie entière dans une terre étrangère. "Car Tu as élevé au-dessus de tout ton saint Nom." (Ibid., 2). C'est-à-dire, je ne Te rendrai pas grâces seulement de tes Bienfaits, mais aussi de ta Gloire ineffable, de ta Grandeur infinie et de ta Nature, qu'aucune parole humaine ne peut exprimer, "Tu as élevé, dit-il, au-dessus de tout, ton saint Nom." Comment ? Par tes Bienfaits, par les éléments, par tout ce qui existe dans le ciel et sur la terre, par les effets de votre Justice, par ta Conduite si différente envers tes ennemis et à l'égard de tes amis. Il n'est point en effet de créature, si petite qu'elle soit dans le ciel et sur la terre, qui ne proclame la grandeur de ton Nom d'une voix plus éclatante que la trompette. Parcourez successivement les anges, les archanges, les démons, les créatures inanimées, les pierres, les semences, le soleil, la lune, la terre, les mers, les poissons, les oiseaux, les lacs, les fontaines, les fleuves, vous verrez la grandeur de son Nom éclater dans chacune de ces créatures. Une autre version porte au lieu de : "Tu as élevé au-dessus de tout ton saint Nom," "Tu as élevé au-dessus de tous les noms ta Parole." Une autre : "Tes Oracles. En quelque jour que je T'invoque, hâte-Toi de m'exaucer." suivant une autre version : "En quelque jour que je T'aie invoqué, Tu m'as exaucé." C'est la promesse que Dieu avait faite par son prophète : "En quelque jour que vous m'invoquiez, je vous exaucerai et à votre premier cri, je dirai : Me voici." (Is 58,9). C'est ce que demande le prophète, telles sont en effet les âmes que la douleur accable, elles veulent en être délivrées au plus tôt. "Tu augmenteras la force de mon âme." (Ibid., 3). Un autre interprète traduit : "Tu as établi les vertus dans mon âme," parce qu'au lieu de : "Exauce-moi," il avait traduit précédemment : "Tu m'as exaucé." Que signifient ces paroles ? Les Grecs donnent aux phénomènes qui se passent dans les régions supérieures le nom de météores, du verbe airesqai, élever; voilà pourquoi les flots soulevés s'appellent aussi metewrismoi élévations, de même verbe airaiqai. L'expression poluwrhseiv équivaut donc à celle-ci : "Tu m'exalteras, Tu m'éleveras." Le psalmiste s'est servi ailleurs de la même expression : "Tu as élevé (epolumrusav) les enfants des hommes en proportion de ta Grandeur." Le verbe poluwrhseiv a ici le même sens et il signifie : Tu me combleras de joie, Tu élèveras mon âme, et ce qui est bien plus désirable, Tu ne permettras pas que cette élévation, que cette joie soit passagère, Tu lui donneras de la force, de la puissance, la fermeté, Tu la rendras inébranlable. Tel est le sens de ces paroles : "Tu élèveras mon âme par ta Vertu."

2. Or, le prophète veut dire : Ta Puissance m'élèvera, ta Force m'exaltera, et Tu viendras à mon secours. Un autre interprète exprime la même pensée en traduisant : "Tu as établies les vertus dans mon âme." Remarquez cette expression : "Dans mon âme," parce qu'en effet, c'est le propre de Dieu de ranimer les âmes brisées par les tribulations, comme Il le fit pour les apôtres. Ils avaient été battus de verges, et ils s'en revenaient pleins de joie, tant leur âme était élevée au-dessus de la terre. (cf Ac 5,41). L'oeuvre particulière de la Puissance de Dieu, ce qui fait surtout éclater sa Force toute divine, c'est qu'au milieu des plus grandes épreuves, Il ne nous laisse pas tomber dans le découragement. "Que tous les rois de la terre Te louent, Seigneur, parce qu'ils ont entendu les paroles de ta Bouche." (Ibid., 4). Voyez quel profond sentiment de gratitude dans le prophète. Il ne lui suffit pas de rendre grâces à Dieu en son Nom, il invite les puissants de la terre, ceux qui portent le diadème, à venir s'associer à sa reconnaissance, Leur puissance est grande, il est vrai, semble-t-il dire, mais ils Te doivent cependant des actions de grâces pour les bienfaits que Tu as accordés aux autres hommes. C'est pour cela qu'il ajoute : "Parce qu'ils ont entendu toutes les paroles de ta Bouche," si donc ils accomplissent fidèlement ce devoir de la reconnaissance, ils en recueilleront les plus grands avantages, les fruits les plus précieux. En effet, la nature propice de tes grâces ô mon Dieu, est qu'elles sont offertes à tous les hommes, et que tous, s'ils le veulent, peuvent entrer en participation de vos Dons et en jouir. Jamais leur puissance royale ne leur procurera d'avantages comparables à celui d'entendre tes paroles. Voilà ce qui leur assurera tout à la fois de la sécurité de la force, de l'éclat, de la gloire. Voilà pour eux la vraie royauté; voilà ce qui donnera à leur autorité, autant de splendeur que de puissance. "Et qu'ils chantent dans les voies du Seigneur. ." Suivant une autre version : "Et qu'ils chantent les voies du Seigneur,". D'après la première version : "Dans tes voies," ces paroles signifient : conformément à tes lois, à tes ordres; d'après la seconde : "Tes voies," qu'ils proclament, qu'ils célèbrent, qu'ils annoncent tes oeuvres admirables, car tel est le sens de cette expression : "Qu'ils chantent, parce que la Gloire du Seigneur est grande." (Ibid., 5). C'est-à-dire, elle est manifeste, elle a un caractère d'évidence qui la rend sensible à tous les regards, elle est prête à répandre ses bienfaits sur tous les hommes, et tous lui doivent le tribut de leur reconnaissance. "Le Seigneur , est très élevé, et Il considère ce qui est humble." (Ibid., 6). Il est élevé par sa Nature, Il est élevé par son Essence. Le psalmiste se sert de ce langage figuré pour s'accommoder au culte des juifs et il le modifie dans ce qui suit, pour inspirer aux esprits humbles et petits des idées plus hautes. Mais que signifient ces paroles : "Il connaît de loin les choses élevées ?" Il veut parler de la Prescience qui est un des attributs particuliers de la Puissance divine; voilà pourquoi Dieu, par la bouche des prophètes, reproche si souvent leur erreur aux adorateurs des idoles. Un autre interprète traduit : "Et il connaît de loin ce qui est élevé;" un autre : "ce qui est sublime." Après avoir dit : "Le Seigneur est élevé, et Ii considère ce qui est humble," le psalmiste ajoute : "Et Il connaît de loin les choses hautes," pour nous apprendre que non seulement Dieu connait ces choses, mais qu'Ii les connaît longtemps d'avance, avant qu'elles arrivent, avant qu'elles s'accomplissent, avant qu'elles reçoivent leur exécution.

"Quand je marcherai au milieu des tribulations, Tu me sauveras la vie." (Ibid., 7). Il ne dit point : Tu éloigneras la tribulation, mais Tu me conserveras la vie au milieu même des plus rudes épreuves; c'est-à-dire, quand même je tomberais dans les plus grands dangers, Tu es assez puissant pour me sauver. Or, ce qui est vraiment admirable, ce qui surpasse toute pensée humaine, c'est que malgré les calamités et les ennemis qui m'assiègent de toutes parts, Tu me donne une sécurité parfaite. "Tu as étendu ta Main contre la fureur de mes ennemis." Voyez vous cette double preuve de la Puissance de Dieu ? Tu me sauveras, lui dit-il, au milieu des maux dont je suis environné; et en même temps Tu humilieras, Tu comprimeras la fureur, la rage de mes ennemis qui ne respirent que le feu de la vengeance. "Et ta Droite m'a sauvé," c'est-à-dire, tu Puissance, ta Force.

Dieu en effet, est riche en expédients, Il a des ressources à l'infini, et il peut nous sauver au milieu des situations les plus désespérées. "Le Seigneur paiera pour moi." Une autre version porte : "Il agira." Une autre : "Il achèvera." C'est-à-dire, Il me vengera de mes ennemis; cependant il ne dit point : "Il me vengera," mais : "Il paiera pour moi", pour m'apprendre que dans sa Bonté il paiera et acquittera les dettes que j'aurai contractées, on peut appliquer ces paroles à ce que Jésus- Christ a fait pour nous, car Il a payé ce que nous devions. "Seigneur, ta Miséricorde est éternelle, ne délaisse point l'oeuvre de tes Mains." Le prophète fait valoir ici deux titres à la Clémence de Dieu; le premier, c'est qu'Il est bon et miséricordieux, que l'action de sa Miséricorde est incessante et que sa Bonté ne se relâche et ne se ralentit jamais; le second, c'est qu'Il est notre Créateur et que c'est Lui qui nous a tirés du néant. Mais si nous voulons ressentir les effets de sa Miséricorde, efforçons-nous de nous en rendre dignes. "Je ferai miséricorde, nous dit-Il, à qui Il me plaira de faire miséricorde." (Ex 33,19; Rom 9,15). En effet, la Miséricorde de Dieu ne se répand pas indistinctement, elle agit avec une espèce de discernement. Si elle se faisait sentir à tous, sans distinction, aucun coupable ne serait puni. Ce n'est donc point seulement pour obtenir miséricorde qu'il nous faut faire le bien, mais aussi parce que nous sommes les créatures de Dieu. Celui que Dieu a tiré du néant et qui est l'ouvrage d'un si grand Artisan, d'un si puissant Roi, doit rendre sa vie digne de la Providence paternelle et de la Sollicitude de Dieu. Si telle est notre conduite, nous mériterons les biens éternels. Puissent-ils être un jour notre partage, par la Grâce et la Bonté de notre- Seigneur Jésus Christ, à qui soient la gloire et la puissance dans les siècles des siècles.

PSAUME 138

"Pour la fin, à l'auteur de la victoire. "Seigneur Tu m'as éprouvé et Tu m'as connu." v.1

1. Que dites-vous ? Dieu vous a connu après vous avoir éprouvé, et avant cette épreuve il ne vous connaissait point ? Gardons-nous de l'entendre de la sorte de Celui "qui connaît toutes choses avant qu'elles soient faites." (Dan 13,42). Ces paroles : "Tu m'as éprouvé," signifient donc : Tu m'as parfaitement connu. Lorsque l'Apôtre nous dit que Dieu sonde les coeurs, (Rom 8,27), cette expression indique, non pas de l'ignorance en Dieu, mais une science profonde. De même ici ces paroles : "Tu m'as éprouvé;" signifient une connaissance on ne peut plus claire, ou ne peut plus parfaite. "Tu as connu le moment de mon repos et celui de mon lever." (Ibid., 2). Par le repos et le lever, il faut entendre la vie entière qu'on peut ramener à ces deux situations, qui embrassent toutes nos actions, nos oeuvres, nos entrées, nos sorties. Comme le psalmiste a dit en commençant : "Tu m'as éprouvé," un esprit irréfléchi pourrait en conclure que Dieu a besoin d'éprouver, d'expérimenter pour connaître, d'autant plus qu'il ajoute : "Tu as connu le moment de mon repos et celui de mon lever;" il prévient cette interprétation dans les paroles qui suivent : "Tu as pénétré de loin mes pensées." Cette connaissance ne vient donc point de l'épreuve. Dieu n'a pas besoin de nous éprouver, mais il connaît tout en vertu de sa Prescience divine. Il connaît les pensées cachées dans notre coeur, qu'a-t-Il besoin des oeuvres pour nous éprouver ? Que dis-je ? Non seulement Il les connaît lorsqu'elles s'agitent dans notre esprit, mais avant même qu'elles y aient pris naissance, disons mieux encore, bien longtemps auparavant; vérité que le prophète exprime en disant : "Tu as pénétré mes pensées de loin." Or, si Dieu connaît les pensées de notre esprit, pourquoi semble-t-Il exiger l'épreuve par les oeuvres ? Ce n'est point pour ajouter à sa Connaissance, mais pour faire paraître la vertu de ceux qu'il éprouve. Il connaissait parfaitement Job avant de l'éprouver, puisqu'il lui rendait ce témoignage : "C'est un homme juste, aimant la vérité et craignant Dieu." (Job 2,3). Cependant, Il le mit à l'épreuve pour augmenter la force de son âme, confondre la malice du démon, et rendre les hommes meilleurs par l'exemple d'une si grande vertu. Qu'y a-t-il d'étonnant qu'il ait traité lob de la sorte, puisqu'il tient la même conduite à l'égard des pécheurs ? Dieu savait parfaitement que les Ninivites ne méritaient pas de périr sans retour, et que la pénitence les ramènerait à de meilleurs sentiments. Cependant Il les soumit également à l'épreuve; et c'est ainsi que partout, non content de la connaissance "qui lui est naturelle, il exige l'expérience qui ,vient des événements, et qu'il nous donne ainsi les preuves les plus évidentes de sa Providence paternelle et de sa Bonté pour nous. C'est ce qui faisait dire à Jésus, son Fils unique : "Si Je ne fais les oeuvres de mon Père, ne me croyez point. Mais si Je les fais, quand vous ne voudriez pas croire en Moi, croyez du moins aux oeuvres." (Jn 10,37-38).

Nous entendons souvent des gens d'un esprit grossier et presque sans intelligence, tenir ce langage : Dieu a choisi celui-ci, il en fait l'objet de son Amour, tandis qu'il n'a eu que de la haine pour celui-là, et voilà ce qui fait que l'un est devenu bon et l'autre mauvais. Le psalmiste se sert donc des faits pour redresser cette double erreur, et il en appelle en même temps à l'épreuve qui vient des oeuvres. Pour bien établir la Prescience divine, il déclare qu'avant tout événement, Dieu sait que tel homme sera vertueux. Puis afin qu'on ne vienne pas dire inconsidérément que c'est la Prescience divine qui a rendu cet homme vertueux, il ajoute l'épreuve qui vient de ses oeuvres, or, voici comment saint Paul exprime la même vérité : "Avant qu'ils fussent nés, et qu'ils eussent bien ou mal agi, afin que le décret de Dieu demeurât ferme selon son élection, et non à cause de leurs oeuvres, mais par la Volonté de celui qui les appelle, il lui fut dit : "L'aîné sera assujetti au plus jeune." (Rom 9,11-13). Dieu n'a pas besoin d'attendre l'issue des événements, Il sait tout d'abord celui qui sera vertueux. "Tu as remarqué le sentier par lequel je marche, et Tu as suivi la trace de toute ma vie." (Ibid., 3). "Et Tu as prévu toutes mes voies." Le psalmiste a comme résumé, suivant l'usage, toutes les actions dans ces expressions : "Être assis, être levé." C'est ainsi que souvent. nous disons : Un tel sait comment il est assis, comment il se lève, pour exprimer qu'il a une connaissance parfaite de ses actions; de même ici ce sentier, cette voie sont le symbole de la vie tout entière. C'est pour cela qu'il ajoute : "Et Tu as prévu toutes mes voies." Cette expression : "Tu as suivi la trace," n'indique pas que Dieu cherche, qu'Il sonde, mais qu'Il sait parfaitement. C'est ce qu'il explique plus clairement, par ce qui suit : "Tu as prévu." C'est-à-dire Tu as connu avant qu'elles aient lieu, toutes mes actions bonnes et mauvaises. "Et que la ruse n'est pas sur ma langue."Suivant une autre version : "la contradiction." Voilà la marque assurée d'une grande vertu, et le couronnement de toutes les bonnes oeuvres, et aussi une des recommandations les plus importantes du Sauveur. "Si vous ne vous convertissez, et ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux." (Mt 18,3). L'innocence, la simplicité, la droiture, la sincérité, voilà ce qu'il demande. C'est pour cela qu'Il a choisi pour apôtres des hommes simples, et qu'Il a dit :

"Je Te rends gloire, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre, parce que Tu as caché ces choses aux sages et aux prudents, et que Tu les as révélées aux petits." (Mt 12,25). Remarquez que le prophète ne dit pas : J'ai commencé par accueillir et puis j'ai rejeté la ruse, mais je ne l'ai jamais connue, ma langue n'a jamais été atteinte de ce mal et mon coeur est toujours resté fermé à ce vice. "Voici, Seigneur, que tout T'est connu, l'avenir et le passé." Ta science n'embrasse pas seulement mes pensées, mes actions, mes voies, mais elle s'étend à toutes les choses passées et futures. "C'est Toi qui m'as formé et qui as mis ta Main sur moi." ( Ibid., 5). Le psalmiste passe de la Prescience de Dieu à sa Puissance créatrice et de cette Puissance il revient à la Prescience divine. Non seulement Dieu nous a créés lorsque nous n'étions pas, mais après notre création, nous sommes soumis à son règne.

2. Ces deux attributs divins se trouvent réunis en Jésus Christ, au témoignage de saint Paul : "Dieu qui avait parlé autrefois à nos pères en diverses occasions et de différentes manières par les prophètes, nous a parlé dans ces derniers temps par son Fils, qu'Il a fait héritier de toutes choses." (Heb 1,1-2). Il reconnaît aussi en lui la puissance créatrice, en ajoutant : "Par lequel Il a créé les siècles." Après cette magnifique définition de sa nature : "Il est la splendeur de sa Gloire, et l'image de sa Substance." (Ibid., 3), il proclame aussi sa Prescience infinie, "Et il soutient tout par sa Parole puissante." Le même apôtre, dans son épître aux Colossiens, exprime la même vérité : "C'est par Lui que tout a été créé, dans le ciel et sur la terre, les trônes, les dominations, les principautés, les puissances, tout a été créé par Lui et pour Lui, et Il est avant tout." (Col 1,16-17). Voilà pour sa Puissance créatrice; saint Paul n'est pas moins explicite sur sa Prescience : "Et toutes choses subsistent en Lui," ajoute-t-il. (Ibid). Saint Jean lui rend à son tour le même témoignage : "Toutes choses ont été faites pour Lui, et rien n'a été fait sans Lui." (Jn 1,3). C'est l'oeuvre de la puissance créatrice. Il en vient ensuite à la prescience : "Il était la vie et la vie était la lumière des hommes." (Ibid., 4). Le psalmiste nous enseigne ici la même vérité : "C'est Toi qui m'as formé." Il rend hommage à la Puissance du Créateur. Il ajoute : "Tu as mis ta Main sur moi," et il reconnaît ainsi la Prescience divine. "Tu as mis ta Main sur moi." Tu me gouverne, Tu me discipline, Tu me porte. C'est ce que saint Paul exprime en d'autres termes, lorsqu'il dit : "C'est en Lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être." (Ac 18,28). Car non seulement nous ne pouvons sans lui sortir du néant; mais la conservation de notre être dépend essentiellement de sa puissance.

"Ta science est élevée d'une manière merveilleuse au-dessus de moi; elle est tellement forte que je ne pourrais jamais y atteindre." (Ibid., 6). Suivant une autre version : "Elle me surpasse." Au lieu de : "Elle s'est fortifiée," une autre version porte : "Elle s'est élevée d'une manière merveilleuse." Voici le sens de ces paroles : Je jouis, il est vrai, des soins de ta Providence, je sais que ta Prescience embrasse toutes choses, et que Tu m'as tiré du néant; cependant, je ne puis avoir de Toi une connaissance claire et parfaite. Ta science est devenue admirable, c'est-à-dire, elle me surpasse, elle est élevée au-dessus de moi, elle est trop forte pour que ma raison puisse la comprendre tant elle est merveilleuse, tant elle est grande. Mais quoi ? si toute merveilleuse et toute grande qu'elle est, elle peut être comprise ? Cela est impossible. C'est pour cela que le psalmiste ajoute : "Je ne pourrai y atteindre." or, quand il déclare n'avoir point cette connaissance, il ne veut pas dire : Je ne connais pas Dieu, mais : je n'ai pas de sa Nature une connaissance évidente et parfaite. C'est ce que saint Paul lui-même nous enseigne. Nous savons, dit-il, qu'il existe, mais nous ignorons quelle est sa Nature : "Car pour s'approcher de Dieu, il faut croire premièrement qu'il est." (Heb 11,6). Il ne dit pas : il faut connaître sa Nature, c'est un secret impénétrable à tous les hommes. Nous savons que Dieu est bon, clément, miséricordieux, mais nous ignorons l'étendue de ses divines perfections.

Le Prophète abandonne ces hautes considérations pour passer à des choses qui paraissent plus faciles, et cependant, il avoue ici encore son ignorance. Non seulement, poursuit-il, je ne puis expliquer quelle est sa Nature, ni l'étendue de sa Bonté, car chacun avoue qu'elles sont incompréhensibles; mais je ne puis même dire comment Il est partout, et cette connaissance surpasse de beaucoup notre intelligence. Aussi après avoir dit : "Ta science est élevée d'une manière merveilleuse au-dessus de moi," il ajoute: "où irai-je pour me dérober à ton Esprit, où fuirai-je devant ta Face ? Si je monte dans le ciel, Tu y es; si je descends dans les enfers, je T'y trouve encore; si je prends mon vol dès l'aurore, et que j'aille habiter aux extrémités des mers, c'est encore ta Main qui m'y conduit et ta Droite qui me soutient." (Ibid., 7-10). Cet Esprit, cette face, dont parle le Prophète, c'est Dieu Lui-même. C'est-à-dire, où irai-je pour me dérober à ta Présence ? Tu remplis tout, Tu es présent partout, non point partiellement, mais tout entier. Il parcourt tous les espaces au-dessus et au-dessous de lui, dans leur largeur, dans leur longueur, dans leur profondeur, dans leur hauteur, et il montre que Dieu remplit tout de sa Présence. Or, remarquez qu'il ne dit pas : Là où j'irai, Tu me suivras et Tu m'y retiendras; mais; Là où j'irai, Tu y es avant moi; c'est-à-dire je trouve que Tu m'y as prévenu. Voilà ce qui lui fait dire : "Ta Science est merveilleusement élevée au-dessus de moi," Mais si Tu ne la connais point parfaitement, dira-t-on, comment sais-Tu qu'elle est merveilleuse ? Parce qu'elle surpasse mes pensées; parce qu'elle est au-dessus de ma raison. Nous ne pouvons pas non plus connaître parfaitement la nature des rayons solaires, et c'est justement ce qui nous les rend admirables. Il en est de même de la Connaissance de Dieu. Nous ne sommes pas absolument étrangers à cette Connaissance, nous savons qu'il existe, qu'Il est bon, clément, doux, miséricordieux, et qu'Il est présent partout; mais quelle est sa Nature, jusqu'où s'étendent les Perfections que nous reconnaissons en Lui, voilà ce que nous ignorons. Après cette énumération des choses sur lesquelles s'exerce cette science merveilleuse de Dieu, après avoir proclamé sa Prescience infinie, sa Puissance créatrice, sa Providence, sa Nature qu'on de peut ni comprendre ni expliquer, il va parler d'une autre puissance pleine aussi d'incertitude pour la raison qui cherche à la pénétrer, car elle est également incompréhensible. Quelle est-elle ? "Ta Main elle-même m'y conduira, et ce sera ta Droite qui me soutiendra." C'est-à-dire, ta main puissante fera que les hommes tombés dans des dangers extrêmes n'en soient pas victimes et leur donnera la sécurité au milieu même des plus grands dangers.

3. C'est ce que le psalmiste explique dans les versets suivants : "Et j'ai dit : Peut-être que les ténèbres m'écraseront. Mais la nuit même devient toute lumineuse pour éclairer mes plaisirs. Car les ténèbres n'ont point d'obscurité pour Toi, la nuit brille comme le jour. Les ténèbres sont à ton égard comme la lumière du jour même." (Ibid., 11,12). Aux considérations qui précèdent, le psalmiste en a joint d'autres sur l'Immensité de Dieu, sur sa Puissance qui nous dirige, nous défend et nous protège; il va maintenant plus loin et nous fait voir un nouveau prodige : Dieu nous couvrant de sa Protection par un miracle supérieur à toutes les lois de la nature. Après avoir dit, en effet : "Ta Droite me soutiendra, elle me conduira," il ajoute : "Et j'ai dit : Peut-être que les ténèbres m'écraseront." Une autre version porte : "Si je dis : Peut-être les ténèbres me couvriront;" une autre : "me cacheront." Les ténèbres sont ici l'emblème de l'affliction, et tel est le sens de ces paroles : Je suis assiégé par les maux, et je me suis dit : Ils ne peuvent manquer de m'accabler. C'est ce que signifie cette expression : "Les ténèbres m'écraseront," où suivant une autre version; "Les ténèbres me couvriront, et la nuit vient éclairer mes plaisirs," ou suivant une autre version. : "La nuit est rayonnante autour de moi." Que veut dire le Prophète ? En tenant ce langage je raisonnais d'après le cours naturel des choses, mais l'adversité a tout d'un coup fait place au bonheur, ou plutôt sans aucun changement, sans que l'adversité disparût, j'ai ressenti les effets d'une bonté vraiment ineffable. Il ne dit pas : La nuit a disparu, mais"la nuit a été rayonnante." La nuit demeurant ce qu'elle était, c'est-à-dire les maux, les calamités dont la nuit est la figure, n'ont pu m'accabler; car la lumière est venue briller dans la nuit, c'est-à-dire Dieu a fait éclater sa Puissance. C'est qu'en effet, lorsque Dieu le veut, on voit naître et se reproduire les phénomènes les plus contraires à la nature des choses. N'avez-vous pas vu la fournaise ardente et en même temps la rosée qui tombait avec un doux murmure sans que la flamme en fût éteinte, sans que la rosée en fût desséchée ? N'avez-vous pas vu la grêle et la flamme s'accorder ensemble ? D'où vient, dites-moi, ce prodige ? Mais je veux savoir comment il s'est opéré; ou plutôt je veux l'ignorer, parce qu'il est impossible de le savoir. Je me contente de croire le fait et d'adorer Celui qui en est l'auteur, car beaucoup des oeuvres de Dieu sont mystérieuses et cachées. (cf Ec 16,22). Ne vous rappelez-vous pas encore qu'en plein jour les Égyptiens marchaient au hasard comme dans les ténèbres, et que les Israélites voyaient comme en plein midi tandis que tout était plongé dans l'obscurité la plus profonde, parce qu'en même temps que les ténèbres se répandaient partout, une lumière éclatante vint briller à leurs yeux ? Dieu demeure toujours le Maître de la nature des choses dont il est l'Auteur, et sans faire appel à de nouvelles substances; il peut produire des modifications sensibles dans les natures déjà existantes. "Car, par Toi, les ténèbres n'ont aucune obscurité." Suivant une autre version : "En Toi." "Et la nuit sera aussi claire que le jour." Une autre version porte : "La nuit paraîtra comme le jour, sa lumière sera comme ses ténèbres." Suivant une autre version : "Ses ténèbres sont semblables à sa lumière." Remarquez la justesse de cette expression : "Par Toi," c'est-à-dire en Toi, ce qui signifie : Si Tu le veux, les ténèbres cesseront d'être des ténèbres et produiront les mêmes effets que la lumière. Lorsque Dieu le veut, les éléments manifestent des propriétés contraires à leur nature avec autant de facilité que celles qui leur ont été communiquées dès leur création. Si donc telle est ta Volonté, il en sera ainsi de la nuit, elle fera briller la lumière qui lui est communiquée aussi facilement qu'elle répand les ténèbres. C'est ce que le Prophète veut exprimer en ajoutant : "Sa lumière sera comme ses ténèbres." Ces paroles, au littéral, doivent s'entendre des éléments, mais dans le sens figuré, elles s'appliquent aux choses humaines. Nous y voyons que Dieu peut répandre dans les âmes affligées autant de calme et de consolation que sait en donner la prospérité, parce que l'affliction a le privilège d'attirer ses regards. C'est là un fait admirable, extraordinaire, dont l'histoire de Joseph nous offre un exemple. Jamais, s'il fut resté dans la maison paternelle, il n'eût eu en partage autant de bonheur, autant d'honneurs qu'après avoir été vendu et élevé dans la maison d'un barbare. Ceux qui avaient tramé sa perte lui tressèrent son diadème, lui préparèrent la pourpre dont il fut revêtu, et l'état humiliant auquel ils le condamnèrent devint le principe de sa gloire et de sa puissance. Vous avez vu comment nous avons interprété ces paroles : "La nuit sera éclairée comme le jour;" il nous faut expliquer aussi celles qui suivent : "Sa lumière sera comme ses ténèbres." Ces deux phénomènes seront semblables, non seulement en apparence, mais en réalité sous la main de Dieu qui sait modifier la nature des choses.

"Tu as mes reins en ton Pouvoir, Tu l'as pris sous ta Protection dès le sein de ma mère." (Ibid.,13). Quel est le rapport de ces paroles avec celles qui précèdent ? Il est on ne petit plus étroit. Le Prophète vient de célébrer l'étendue de la Puissance de Dieu, il va montrer que Dieu ne fait usage de cette puissance que pour le bien et l'utilité des hommes. Des esprits insensés pouvaient dire : Que me fait à moi la Puissance de Dieu, sa Grandeur, sa Prescience, montrez-moi le profit que nous pouvons en retirer ? Le psalmiste les prévient et ajoute : "Tu as pris possession de mes reins," et la partie est ici pour le tout. Or quel motif plus puissant de louer la Providence divine, que d'être la Possession de Dieu lui-même ? Car celui qui possède veille sur ce qui lui appartient et en prend soin. C'est ce que le prophète exprime dans ces paroles : "Tu m'as reçu du sein de ma mère." C'est-à-dire Tu n'as cessé en toute circonstance de me protéger, de veiller sur moi, de me préserver de tout danger dès mes plus jeunes années, dès mon berceau, et Tu m'as enseigné par les faits eux-mêmes ce que j'ai dit à la louange de ta Providence, "Je Te louerai parce que ta Grandeur a éclaté d'une manière étonnante; tes ouvrages sont admirables, et mon âme en est toute pénétrée." (Ibid., 14). Que veut-il dire ? C'est Toi qui m'as formé, mais je ne puis dire comment; ta Providence veille sur moi, mais je ne puis en embrasser toute l'étendue dans mes pensées. Tu es présent partout, mais je ne puis comprendre ce mystère. Tu connais le passé, l'avenir, tous les secrets du coeur de l'homme, mais cette merveille est au-dessus de ma raison. Tu change la nature des choses, et tout en lui conservant son identité, Tu lui donne des propriétés contraires qui semblent être les propriétés naturelles qu'elle tient de son origine.

4. Après ce tableau si complet de la science et de la Providence divine, le prophète inspiré de Dieu s'écrie à haute voix : "Je Te louerai, parce que ta Grandeur a éclaté d'une manière étonnante," c'est-à-dire Tu as paru admirable et Tu es véritablement digne d'admiration. "Tes ouvrages sont admirables, et mon âme en est toute pénétrée." Et que puis-je dire de ta Nature divine ? tes oeuvres seules me ravissent d'admiration. Il laisse de côté toute autre considération, et se contente de proclamer la connaissance qu'il a de ces merveilles : "Et mon âme en est toute pénétrée." La connaissance qu'elle en a n'est pas ordinaire, elle est vive; elle est profonde. Mais si le prophète connaît les oeuvres de Dieu, comment a-t-il pu dire précédemment : "Ta Science est élevée d'une manière merveilleuse au-dessus de moi, elle me surpasse et je ne pourrai y atteindre ? Rien de plus facile à expliquer; d'un côté il parle de Dieu Lui-même, de l'autre de ses oeuvres. Si l'on veut même appliquer à la Nature divine ces dernières paroles, voici le sens qu'on pourrait leur donner : Le prophète sait que Dieu est admirable, qu'Il est grand, qu'Il est élevé, mais qu'elle est sa Nature (je ne crains pas de me répéter), quelle est l'étendue de sa Grandeur, comment tous ces attributs qu'il vient d'énumérer subsistent en Dieu, c'est ce qu'il ignore. Or, cet aveu de son ignorance prouve qu'il connait ces merveilles, bien que ce langage puisse paraître un paradoxe. C'est ainsi que nous ignorons quelle est la grandeur de là mer, et cependant nous pouvons dire que nous connaissons la mer, parce que nous en ignorons l'étendue et la profondeur. Celui qui prétendrait la connaître donnerait une preuve certaine de son ignorance. "Aucun de mes os ne T'est caché à Toi qui les as faits dans le secret, ni ma substance que Tu as formée comme dans les entrailles de la terre." (Ibid., 15). Le psalmiste en revient à la Science de Dieu, et montre de nouveau que rien n'échappe à cette science infinie. Ces paroles signifient donc ou que Dieu connait tous les secrets de la nature, ou qu'Il connaît en particulier la formation et la création de l'homme. Alors même que je n'étais qu'à l'état de formation, je n'échappais pas à ta Connaissance, Tu pénétras toutes les parties de mon être, alors que la nature formait successivement son oeuvre, bien que son travail s'accomplit dans le secret, et comme dans les entrailles de la terre. Tout est à nu et à découvert à tes Regards. Un autre interprète traduit : "Mes os qui ont servi à la formation secrète de mon corps, ne Te sont point cachés." Un autre : "La force que Tu m'as communiquée en me formant dans "le secret, ne T'est pas inconnue; j'ai été formé par des moyens variés comme dans les profondeurs de la terre." Un autre enfin : "Tu as connu ma puissance ou mes os, lorsque j'ai été formé dans le secret, j'ai été façonné dans les profondeurs de la terre." Ces différentes interprétations reviennent toutes à cette même pensée : Lorsque j'étais formé, Tu as connu distinctement toutes les parties de mon être; chacun de mes membres et son accroissement particulier ont été présents à tes Regards. Jésus Christ exprime cette même vérité, lorsqu'Il dit : "Tous les cheveux de votre tété sont comptés." (Luc 12,7). Nous voyous ici réunis dans une même proposition la science et la providence de Dieu.

"Tes Yeux m'ont vu lorsque j'étais encore informe." On peut entendre ces paroles des actions, c'est-à-aire, tes Yeux ont vu ce qui n'existait pas encore. "Et tous sont écrits dans ton livre. Les jours sont déterminés avant que nul n'y soit arrivé." (Ibid., 16). Ce verset est obscur, et il faut en chercher le sens dans le contexte et à l'aide d'un autre interprète. Voici donc ce que veut dire le psalmiste comme conséquence des paroles qui précèdent. Quelles sont-elles ? "Tes Yeux m'ont vu lorsque j'étais informe;" c'est-à-dire lorsque je n'avais aucune figure déterminée, lorsque j'étais en voie d'être formé et façonné, et ils m'ont vu aussi distinctement que celui dont la forme est achevée, dont la figure est parfaite, à qui rien ne manque, et qui n'a point besoin d'attendre du temps un nouveau degré de perfection. Voulez-vous une preuve que tel est le véritable sens, écoutez un autre interprète: "Tes Yeux m'ont vu lorsque j'étais informe, avec tous ceux qui sont écrits dans ton livre et qui doivent être formés sans qu'aucun jour leur manque. Tu m'as, dit le psalmiste, avec ceux qui reçoivent leur forme parfaite dans leurs jours, dans ces jours auxquels aucun jour ne manque. Ce n'est pas à dire, sans doute, qu'il y ait un livre dans les cieux, ou que certains noms s'y trouvent inscrits. Ce livre est le symbole de la science parfaite de Dieu, comme dans ces autres paroles : "Le Seigneur a écouté, et Il a écrit dans un livre," (Mal 3,16) et dans cet autres encore : "Les livres furent ouverts." (Dan 7,10). "J'ai honoré tes amis d'une façon toute particulière, ô mon Dieu." (Ibid,. 17). Suivant une autre version : "Vos amis oui été honorables à mes yeux." C'est le signe d'une vertu éminente de combler d'honneur les amis de Dieu. Ta Providence a veillé sur moi, dit le psalmiste, je n'existais pas, Tu m'as tiré du néant, Tu me conserve la vie; et moi pour Te témoigner ma reconnaissance j'honore tes amis. "Leur empire s'est affermi extraordinairement," c'est-à-dire, ils sont devenus puissants. Une autre version porte : "Combien leurs têtes se sont multipliées." Cette interprétation est plus claire et plus en rapport avec ce qui suit : "Je les compterai, et ils seront plus nombreux que le sable." Quant à moi, je leur témoigne de l'honneur, mais pour Toi, Tu les multiplie, Tu les rends plus nombreux que les grains de sable; Tu fais plus encore, Tu les rends forts et puissants. C'est ce que signifie cette expression : "Ils se sont affermis." Il relève ici un double élément de prospérité, leur nombre et leur force toujours croissante. "Je me suis levé et je suis encore avec Toi." (Ibid., 18). Suivant une autre version : "Je sortirai de mon sommeil, et je serai pour toujours avec Toi."

5. La marque évidente d'une grande vertu est de savoir conserver à Dieu sa fidélité dans la prospérité. Il en est beaucoup, dit le prophète, qui vous ont oublié lorsque le bonheur leur a souri. Je n'ai pas imité leur exemple, mais alors même que je me suis levé, c'est-à-dire après avoir été délivré de mes épreuves, je serai toujours avec Toi. "Si Tu fais périr, ô Dieu, les pécheurs. " Il ne veut pas dire : Si Tu les tue, je serai avec Toi; sa promesse est sans condition; il demande à Dieu non de détruire la nature des hommes, mais de faire succéder en eux la justice au péché. En effet, il ne dit pas : Si Tu détruis les hommes, mais : "Si Tu détruis les pécheurs." On lit dans une autre version, au lieu des pécheurs, "les transgresseurs," c'est-à-dire, les ennemis qui adorent les idoles. "Hommes de sang, éloignez-vous de moi." (Ibid., 19). Ces hommes de sang sont les homicides qui se plaisent dans le meurtre. Or, un des moyens les plus efficaces pour avancer dans la vertu, est de fuir tout commerce avec de tels hommes. Le psalmiste en donne la cause : "Parce que la contestation règne dans leurs pensées." Une autre version porte : "Leurs pensées s'élèvent contre Toi;" une autre : "Ils T'ont irrité par de coupables desseins." vous voyez qu'il ne cherche pas ses intérêts,et l'outrage fait à Dieu est le seul motif qui le porte à s'éloigner de ces hommes, et à rompre toute société avec eux. C'est le commerce avec les méchants qui a été la cause de la ruine des Juifs. Aussi, Dieu leur avait donné la loi comme un mur qui les en séparait, elle leur défendait toute union avec eux; et lorsqu'ils furent sortis de l'Égypte, Dieu les retint quarante ans dans le désert, isolés des autres peuples. Voilà pourquoi on donnait à la loi le nom de barrière ou de haie, parce qu'elle les entourait de toutes parts et qu'elle leur rendait impossible toute relation avec les méchants, précaution motivée sur leur caractère facile à séduire, et leur mutabilité naturelle. "C'est en vain qu'ils deviendront maîtres de vos villes." Une autre version porte : "C'est en vain que vos rivaux se sont élevés;" une autre : "Vos ennemis." Il se retire d'eux, il les fuit parce qu'ils se sont élevés contre la Gloire de Dieu, qu'ils ont transgressé la loi, et se sont rendus coupables de blasphème.

"Seigneur, n'ai-je pas haï ceux qui Te haïssaient, n'ai-je pas séché de douleur à la vue de tes ennemis ? Je les haïssais d'une haine parfaite, et ils sont devenus mes ennemis." (Ibid., 21-22). C'est ainsi que Dieu avait promis d'être l'ennemi des ennemis de son peuple, et de se déclarer contre ceux qui leur seraient contraires. On ne peut donner une preuve plus forte de son amitié. Le psalmiste dans ces deux circonstances paie Dieu d'un juste retour. Car il ne dit pas seulement : Je haïssais, mais : "Je séchais." Ô Dieu, éprouvez-moi et sonde mon coeur, interroge-moi, et connais mes sentiers. Vois si je marche dans la voie de l'iniquité, et conduis-moi dans les sentiers éternels." (Ibid., 23-24). Il disait en commençant : "Tu m'as éprouvé, et Tu m'as connu. Tu as connu le moment de mon repos et de mon lever. Tu as découvert de loin mes pensées, Tu as suivi la trace du sentier par lequel je marche, et toute la suite de ma vie. Tu as prévu toutes mes voies, tout T'es connu, l'avenir et le passé." Pourquoi donc fait-il de nouveau à Dieu cette demande : "Éprouve-moi," comme s'il ne l'avait pas encore été ? Le psalmiste, vous le voyez, emploie ici un langage tout humain, mais il ne faut pas nous arrêter à la pauvreté au sens littéral, appliquons-nous à y trouver un sens digne de Dieu, et élevons-nous à une intelligence plus haute de ces paroles. Il demande à Dieu de l'éprouver, de l'examiner, ce n'est point pour qu'il connaisse sou coeur, lui qui connaît toutes choses avant même qu'elles existent, mais c'est pour nous donner cette connaissance à nous qui ne pouvons l'acquérir que par l'expérience. Tel est le sens de ces paroles : "Éprouve-moi, vois si je marche dans la voie de l'iniquité, et conduis-moi dans la voie éternelle." Quelle est cette voie éternelle ? La voie spirituelle qui conduit au ciel, et qui n'a point de fin. Toutes les autres choses sont de courte durée, renfermées quelles sont dans l'espace si étroit de la vie présente. Le psalmiste laissé donc tous ces biens passagers, pour s'attacher à Toi qui est immortel, éternel, infini. Or, comment parvenir à cette Voie ? Il faut pour cela joindre au secours de Dieu ses efforts personnels, s'appliquer à la pratique de la vertu, de la sagesse, et chercher à se rendra supérieur à tous les événements de cette vie. Rien de ce qui a rapport à la vie éternelle n'est passager ou périssable. Le privilège de la vertu est d'avoir des fruits toujours pleins de vie, et qui ne se flétrissent jamais, des biens immortels et infinis en douceur autant qu'en durée.

Puissions-nous tous les obtenir par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui appartiennent la gloire et la puissance, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 139

"Délivre-moi, Seigneur, de l'homme méchant, sauve-moi de l'homme injuste." v. 1.

1. Où sont-ils, ceux qui nous demandent : Pourquoi les bêtes féroces ? À quoi bon les scorpions, à quoi bon les vipères ? Voici un animal d'une méchanceté plus grande, non de sa nature, mais par le libre choit de sa volonté, c'est l'homme. Aussi le prophète, sans se préoccuper dés autres dangers, demande à Dieu de le délivrer de l'homme méchant. Mais, dites-moi, je vous prie, parce que l'homme est méchant, valait-il mieux qu'aucun homme n'existât ? Ce serait une insigne folie de le dire, car rien ne peut nuire à l'homme que le péché. Ôtez le péché, tout devient facile, plus d'obstacles, une tranquillité parfaite; tandis qu'avec le péché, tout devient écueils, tempêtes, naufrages. Qu'on ne nous condamne pas, si nous disons que l'homme vicieux est plus méchant qu'une bête féroce. L'animal féroce n'a pas reçu de la nature la douceur en partage, mais il est facile de le tromper, et d'ailleurs, chacun voit ce qu'il est. Supposez au contraire, un homme qui médite le crime, et qui s'enveloppe de mille artifices, il est bien plus difficile de s'en garantit que d'une bête féroce, parce que souvent sous la peau de brebis, se cache le loup cruel. Aussi, que d'imprudents tombent dans les pièges que ces hommes leur tendent ! Or, c'est parce qu'il est difficile de se garantir de ces animaux féroces, que le prophète a recours à la prière et qu'il implore le secours de rien pour être préservé de leurs atteintes. Le démon se sert souvent de ces hommes comme d'instruments, pour frapper ses coups. Nous sommes donc environnés de pièges de toutes parts, L'homme méchant nous tend des embûches, le démon furieux nous déclare la guerre, et une tentation violente achève de nous accabler. Voilà pourquoi notre Seigneur nous a commandé de faire cette prière : "Ne nous induis- pas en tentation, mais délivre-nous du mal." (Mt 6,13). Que de combats variés, que d'ordres de bataille différents ! et il faut être prêt à tout, celui qui entreprend un long voyage sur mer, doit prévoir d'avance la fureur des flots soulevés, la violence, des vents déchaînés, le choc des nuages amoncelés, les rochers et les écueils cachés sous les eaux, les attaques des monstres marins, les incursions des pirates, la faim, la soif, tous les périls de la mer, les ports inhospitaliers, les disputes des matelots, le manque de subsistances, mille autres épreuves de ce genre, et se prémunir contre tous ces dangers. Ainsi, celui qui veut traverser le détroit si agité de la vie présente, doit se préparer à supporter courageusement tout à la fois, les souffrances du corps, les maladies de l'âme, les desseins perfides des hommes, les attaques de ses ennemis, les artifices de ses faux amis, la pauvreté, les épreuves, les outrages, les phalanges des esprits mauvais, la fureur du démon, s'il veut aborder dans la cité du grand roi, et faire entrer dans le port son vaisseau chargé de riches marchandises.

Le psalmiste appelle ici son ennemi, l'homme méchant, mais quand il parle du démon, il se contente de l'appeler le méchant. Pour quelle raison ? Parce qu'il est le père du mal, et c'est pour cela qu'on l'appelle le mauvais par excellence; cet adjectif qui fait l'office de nom propre, suffit pour exprimer l'excès de sa méchanceté qui ne vient point de sa nature, mais de sa volonté perverse. Voulez-vous savoir d'où vient le nom de méchanceté ? cette explication pourra vous être utile. Les Grecs appellent la méchanceté poniria", parce qu'elle n' apporte au méchant que de la peine ponon, et du chagrin. C'est ce que le Sage veut nous apprendre lorsqu'Il nous dit : "Si vous êtes mauvais, vous seul en porterez la peine; si vous êtes bon, vous le serez pour vous et pour vos proches." (Pro 9,12). Et dans quel sens, me direz-vous, le méchant ne l'est-il que pour lui-même ? Comptez-vous pour rien les nombreuses victimes de sa méchanceté ? Je réponds qu'il ne peut faire de mal qu'aux âmes lâches et sans énergie. Laissons, si vous le vouliez, l'homme méchant, et prenons pour exemple le méchant lui-même, le démon. Dites-moi, n'a-t-il pas épuisé toute sa méchanceté contre Job ? Quel mal lui a-t-il fait ? Il a donné un nouvel éclat à sa vertu, et s'est préparé à lui-même une chute plus humiliante. Prenons encore Caïn, est-ce qu'il n'a pas été seul victime de sa méchanceté ? Non, me direz-vous, Abel l'a été avec lui. Comment l'entendez-vous ? Est-ce parce qu'il est entré rapidement dans le port qu'aucune tempête ne vient agiter ? Mais la plus grande marque d'affection qu'il pût recevoir de Dieu était de mourir, après une vie sainte, et de payer la dette commune d'une manière aussi glorieuse. En effet, cette mort qui lui était commune avec le reste des hommes, et qu'il devait nécessairement subir un jour, fut pour lui le principe d'une magnifique récompense. Était-ce donc un malheur pour lui ? ou plutôt, n'était-ce pas ceindre son front d'une couronne éclatante ? Dites-moi encore, quel mal les frères de Joseph prirent-ils lui faire ? N'ont-ils pas été seuls victimes de leur cruauté ? Cependant, me dira-t-on, il fut vendu comme esclave. Que s'ensuit-il ? J'ajouterai moi, qu'il a été jeté dans les fers, car la question n'est pas de savoir s'il a été esclave ou dans les fers, mais s'il en est résulté pour lui quelque dommage, or, nous trouvons justement le contraire, rien ne lui fut plus avantageux que ces épreuves, elles lui inspirèrent une grande confiance en Dieu, et les événements qui semblaient devoir le perdre, devinrent pour lui dès cette vie, l'occasion d'une prospérité sans égale. Ne craignons donc point les méchants, ayons bien plutôt de la compassion pour eux. Ils pouvaient exciter une juste crainte, alors que la voie qui conduit à la sagesse n'était pas encore frayée; mais comment pourrions-nous les craindre aujourd'hui que les cieux nous sont ouverts, et que les hommes sont devenus des anges ? L'animal qui se précipite avec impétuosité sur la pointe d'une lance, paraît se venger de celui qui la lui présente, et il se fait au contraire une profonde blessure. De même celui qui regimbe contre l'aiguillon, ne fait que s'ensanglanter les pieds.

2. Voilà ce qu'est la vertu, un aiguillon, un glaive perçant, et les méchants sont pires et ont moins d'intelligence que les animaux dépourvus de raison. Lors donc qu'ils se jettent sur les gens de bien, ils se font à eux-mêmes de bien plus sanglantes blessures. Ils leur font souvent tort, je le veux, dans leur fortune ou dans leur corps, mais ils se blessent eux-mêmes dans leur âme, et c'est là le seul et véritable dommage. Si le tort qui nous est fait dans nos biens, pouvait atteindre notre vertu, saint Paul ne nous eût point recommandé de souffrir l'injustice, et de ne point nous en rendre coupable. Si c'était un mal d'être victime de l'injustice, celui qui ne nous ordonne que le bien, ne nous en aurait pas fait un précepte. Et cependant, quoi qu'il en soit ainsi, n'attaquons pas les méchants, ne cherchons pas à leur nuire, contentons-nous de fuir leur société, et de supporter courageusement leurs agressions. Voilà pourquoi notre Seigneur nous ordonne de prier, afin de ne point entrer en tentation. Ainsi, le prophète, après avoir dit à Dieu : "Délivrez-moi de l'homme méchant," ajoute : "Sauvez-moi de l'homme injuste," terme énergique qui exprime l'universalité des vices. L'homme injuste, suivant lui, n'est pas seulement celui qui se rend coupable d'un justice dans l'acquisition des richesses, mais celui qui pèche contre la justice à l'égard de tous les autres devoirs. Il demande donc à Dieu de le délivrer de l'homme injuste, de peur qu'il ne succombe et ne devienne semblable à lui. Or, il ne lui adresse cette prière qu'après avoir fait lui-même tout ce qui était en son pouvoir. Aussi, ce n'est qu'après avoir fui la société des méchants, comme il le déclare en terminant le psaume précédent, qu'il implore ici le secours de Dieu. Il commence par faire preuve de bonne volonté en disant : "Hommes de sang, retirez-vous de moi, parce que vos pensées ne sont que contradiction," et c'est alors qu'il demande à Dieu de le délivrer de leur méchanceté. Rien ne contribue davantage à la sécurité, à la liberté, au charme de la vie, comme d'être préservé de tout commerce avec les hommes vicieux et de se tenir bien loin de leur société; c'est là le comble du bonheur.

Le psalmiste nous fait ensuite le tableau de leur méchanceté. "Ils ont médité le mal dans leur c¦ur, ils me livraient tout le jour des combats." (Ibid., 3). Voyez-vous comme ils ressemblent à des bêtes féroces, dont il est difficile de se garder, parce qu'ils machinent leurs complots dans leur c¦ur et cachent dans le secret de leur âme leurs mauvais desseins. "Ils ont médité le mal dans leur c¦ur;" c'est-à-dire qu'ils ne l'ont pas produit au grand jour, ils ont agité en eux-mêmes ces mauvais desseins qu'ils avaient conçus, et ce qu'il y a de plus terrible, c'est qu'ils n'ont pas été emportés par un mouvement irréfléchi; ces desseins iniques sont l'¦uvre d'une profonde préméditation. C'est ce que signifie cette expression : "Ils ont médité;" c'est-à-dire, ils y ont déployé toutes les ressources, toute l'activité de leur esprit. "Ils me livraient tous les jours des combats." Le psalmiste embrasse toute la vie dans ces paroles. La guerre dont il veut ici parler n'est pas celle qui se fait avec des troupes rangées en bataille, et les armes à la main, mais cette guerre que les hommes se font sur la place publique et dans l'intérieur de leurs demeures, sans cuirasse pour les protéger, sans bouclier pour les défendre; ils n'ont pour toutes armes que leur méchanceté, et ils lancent leurs paroles plus acérées que les traits les mieux aiguisés. Or, ce qui démontre l'excès de leur perversité, ce n'est point qu'ils aient recours à la ruse, à la dissimulation, ni qu'ils ne respirent que lutte et combats, mais que toute leur vie se passe sans trêve aucune dans cette guerre homicide. S'ils aimaient tant à combattre, ils avaient d'ailleurs un noble et légitime sujet de guerre; ils pouvaient déclarer la guerre au péché, en finir aux mains avec l'esprit du mal, combattre contre les maladies de l'âme, aiguiser leurs glaives contre les démons. Mais la pensée d'une guerre semblable ne leur vient même pas à l'esprit, leur unique objet c'est de se lancer mutuellement des traits. "Ils ont aiguisé leurs langues comme celle du serpent, le venin des aspics est toujours sous leurs lèvres." (Ibid., 4). Voyez comme le vice est ignoble; il change les hommes en autant d'animaux venimeux, en aspics, en serpents, et il ravale jusqu'aux instincts les plus féroces cette langue créée pour être l'organe de la raison. Il renouvelle l'accusation qu'il a déjà portée contre eux. Quelle est cette accusation ? Le venin des aspics est constamment, c'est-à-dire toujours sous leurs lèvres. Il avait dit précédemment : "Ils me livraient tout le jour des combats," il développe ici la même pensée : "Ils ont aiguisé leur langue comme celle du serpent, le venin de l'aspic est toujours sous leurs lèvres." Tel est le sens du mot Diapsalma, en hébreu, Cel, et qui signifie "toujours," La méchanceté qui ne dure qu'un instant, est déjà un lourd fardeau, mais ici elle ne donne ni trêve, ni relâche, elle n'est jamais assouvie; quel pardon peuvent-ils espérer, quelle excuse présenter ? "Garde-moi, Seigneur, des mains du pécheur et préserve-moi des hommes iniques qui songent à ébranler mes pas. Les superbes m'ont dressé des pièges, ils ont tendu des cordes pour me faire tomber, ils ont placé leurs filets le long du chemin." (Ibid., 5-6). Il n'y a point d'injustice plus grande que celle des hommes qui se livrent au vice; avant de nuire aux autres, ils se font toujours de profondes blessures. Ils sont des auteurs de scandale, ils sont cause que des insensés outragent la Gloire de Dieu, et ils ne songent pas à s'acquitter envers Lui de ce qu'ils lui doivent. C'est de la Bonté de Dieu qu'ils ont reçu leur corps et leur âme, et loin d'être reconnaissants et de Lui rendre grâces pour tant de gloire et de bienfaits, ils ne le paient que d'un injuste retour. Se peut-il une iniquité plus grande, une plus noire ingratitude ? Et ce qui aggrave encore leur crime et lui donne des proportions inouïes, c'est qu'ils s'efforcent de faire du mal aux autres. "Ils ont songé, dit le psalmiste, à ébranler mes pas." S'ils n'ont pu réaliser leurs pensées, c'est à la souveraine Bonté de Dieu qu'il faut l'attribuer; c'est Lui qui a déjoué leurs injustes desseins.

3. Voyez comme le crime est profondément prémédité, les pièges savamment dressés. Ils les ont cachés, ils les ont tendus, et le long du chemin, afin que la longueur même du piège, le soin avec lequel il était caché et sa proximité y fissent tomber inévitablement celui qu'ils voulaient perdre. Ils ont été de véritables artisans de crimes, en dressant leurs pièges de tous côtés, dans l'unique dessein de perdre un homme. Or, voulez-vous voir comment le démon tend ses filets. Considérez ce qui est arrivé à Job.

Peut-on imaginer des pièges plus larges, plus longs et plus proches que ceux que le démon lui a tendus jusque dans la personne, de ses parents, de ses amis, de son épouse, que dis-je ? jusque dans son propre corps ? J'ai dit au Seigneur : "Tu es mon Dieu; exauce, Seigneur, la voix de mon humble supplication." (Ibid., 7). "Seigneur, Seigneur, qui es toute la force dont dépend mon salut." Suivant une autre version : "La puissance de mon salut." Le psalmiste nous a décrit, la guerre qui lui est faite, les pièges qui lui sont tendus, les maux insupportables qui l'accablent, il se réfugie dans le sein de son invincible protecteur, et implore le secours céleste qui peut l'affranchir de ses épreuves. C'est la marque d'une âme généreuse et sage, de ne point, au milieu des maux qui l'environnent, recourir à la protection des hommes, ni prendre conseil des pensées de la terre, mais de jeter les yeux vers le ciel, sans découragement, sans agitation, sans trouble, et d'invoquer le Dieu qui remplit tout de sa Présence. Or, considérez la convenance des termes qui composent sa prière, Il ne dit pas à Dieu : Ma conduite a été irréprochable dans telle ou telle circonstance, ou j'ai pratiqué telle ou telle vertu, mais : "Tu es mon Dieu." La seule raison qu'il apporte à l'appui de sa prière, c'est qu'il se réfugie dans le Sein de son Seigneur, de son Créateur, de son Roi. "Écoute, Seigneur, la voix de mon humble supplication, Seigneur, Seigneur, qui es toute la force de mon salut." Il appelle Dieu la force ou la puissance de son salut, pour montrer que la Puissance divine se manifeste aussi par les châtiments et les supplices. Mais quant à moi, dit-il, je n'ai ressenti que la Puissance du saint. Il est en ton Pouvoir de châtier et de faire mourir, mais ta Puissance n'a jamais servi qu'à me sauver. Voyez quel amour respire dans ces paroles, et comme en répétant, Seigneur, Seigneur, et en ajoutant : "De mon salut," il montre l'étendue de son affection. "Tu as mis ma tête à couvert au jour du combat." (Ibid., 8). Quelle âme profondément reconnaissante ! Il rappelle à son souvenir les bienfaits qu'il a reçus de Dieu, lorsqu'il l'a mis à couvert du danger. Ce n'est pas bien longtemps à l'avance, dit-il, c'est au jour même où le malheur me menaçait, lorsque mes ennemis allaient en venir aux mains, et que je courais les plus grands dangers, que Tu m'as mis en sûreté. C'est qu'en effet Dieu n'a besoin ni de préparatifs, ni d'exhortation, Lui qui connait le présent, l'avenir, le passé, et qui est toujours là prêt à venir à notre secours. La victoire qu'Il remporte est complète, la sécurité qu'Il donne est absolue, aussi le psalmiste ne dit pas simplement : "Tu m'as sauvé," mais : "Tu as mis ma tête à l'ombre;" c'est-à-dire Tu m'as mis à l'abri du plus léger péril, de la moindre chaleur. Grâce à Toi, j'ai goûté une sécurité, une joie, une tranquillité sans égale; loin de souffrir d'une chaleur importune, je me suis reposé sous ton Ombre avec délices, affranchi de tout danger, et libre de toute crainte. Cette expression : "Tu m'avez mis à l'ombre" signifie encore l'extrême facilité avec laquelle Dieu vient à notre secours. En empruntant cette image, il semble dire à Dieu : Il Te suffit d'être présent, et tout danger disparaît. "Seigneur, ne me livrez pas au pécheur, pour combler le désir qu'il a de me perdre." (Ibid., 9). Une autre version porte : "N'accomplis pas, Seigneur, les désirs de l'homme injuste;" c'est-à-dire, n'exauce pas son désir contre moi, ou, si l'on veut, ne permets pas qu'il puisse accomplir le désir qu'il a de me perdre. Or, remarquez qu'il ne dit pas : Les choses qu'il désire, mais "le désir qu'il a contre moi;" c'est-à-dire, ne lui accorde pas la plus légère partie de ce qu'il désire. Tels sont en effet les méchants, c'est avec un désir ardent qu'ils ourdissent des trames perfides contre leurs frères, semblables au démon, dont il est dit : "Il tourne autour de vous comme un lion rugissant, cherchant quelqu'un à dévorer." (I P 5, 8). C'est avec ce violent désir qu'il attaque le saint homme Job, et qu'il se préparait à attaquer Pierre lui-même, ce qui faisait dire au Sauveur : "Combien de fois Satan a désiré vous passer au crible comme le froment ?" (Luc 20,31). Voyez la vivacité de son désir, Il est aussi des hommes que la haine et l'envie rendent ses imitateurs, et qui mettent leur plaisir dans le mal, L'Écriture les proclame malheureux : "Malheur à vous, qui vous réjouissez dans le mal, et qui triomphez de la ruine des méchants;" et c'est à juste titre, car c'est la marque d'un esprit pervers et corrompu. En effet, si nous devons nous attrister, gémir et pleurer sur le sort de ceux qui périssent, quel pardon peuvent espérer, quelle excuse apporter ceux qui, loin de s'en affliger, s'en réjouissent ? N'avez-vous pas vu que Jésus Christ Lui-même, sur le point de punir Jérusalem, pleure sa ruine prochaine ? N'avez-vous pas vu Paul s'affliger, gémir et pleurer sur la perte de ses frères ? Mais il en est dont la perversité est si grande qu'ils regardent le malheur des autres comme une consolation de leurs propres douleurs. "Leurs pensées sont contre moi, ne m'abandonne pas, de peur qu'ils ne s'élèvent toujours." C'est ici le sens du mot Diapsalma. Une autre version porte : "Ne vous éloignez pas, de peur qu'ils ne s'élèvent." C'est le propre d'une âme profondément corrompue,de se préparer au crime avec réflexion, avec lenteur et préméditation. Ce n'est pas assez pour vous des emportements de la passion pour nous perdre, il faut y joindre de longues délibérations, un long examen pour assurer le succès de vos coupables desseins.

4. Encore une fois, quelle sera votre excuse, vous qui faites du vice toute votre étude, qui délibérez sur les crimes que vous projetez, et qui choisissez des complices ? Cependant admirez l'humilité du psalmiste. Il ne dit pas : Ne m'abandonne pas, parce que j'en suis digne; ne m'abandonne pas en considération de ma vie passée dans la pratique de la vertu. Quel motif donc nous apporte-t-il ? "De peur qu'ils ne s'élèvent," c'est-à-dire de peur qu'ils ne deviennent plus insolents, et que mon abandon ne leur inspire une plus grande arrogance. "Toute la malignité de leurs détours, et tout le mal que leurs lèvres s'efforcent de me faire, les accablera eux-mêmes." (Ibid., 10). Un autre interprète traduit : "Que la haine amère de ceux qui m'entourent, et que le travail de leurs lèvres les accablent." L'expression circuit, détours, kùklwma, veut dire ici leurs réunions, leurs conciliabules, leurs ateliers de crimes, leurs abominables desseins. Voici donc le sens des paroles du psalmiste. Leurs projets criminels, toute la malignité de leur esprit pervers et corrompu, les écraseront et les perdront sans retour. "Le travail de leurs lèvres." Le travail, c'est leur méchanceté. En effet la méchanceté est un véritable travail, elle devient un principe de ruine pour son auteur; elle écrase celui qui s'en rend coupable. C'est ce qui est arrivé aux ennemis de David. Ils espéraient le voir assiégé à la fois de mille dangers; sa gloire n'eu devint que plus éclatante. J'en conviens, me direz-vous, mais ce n'est pas ce que je demande. Montrez-moi comment ces hommes pervers ont été victimes de leurs coupables desseins, et dans quelle circonstance.

Les frères de Joseph nous en donnent un exemple. Ils avaient voulu lui ravir la liberté et la vie, ils se sont vus exposés eux-mêmes a un plus grands dangers. Car autant qu'il était en leur pouvoir, ils le précipitèrent dans la servitude et dans la mort. Et Absalom lui-même, qui avait usurpé la royauté et conspiré contre son père, ne fut-il pas victime de sa rébellion ?

"Des charbons ardents tomberont sur eux, Tu les précipite dans le feu" c'est-à-dire, le crime suffit pour perdre ceux qui le commettent, mais ils auront à supporter de plus les effets de la Colère divine. Ces charbons ardents, ce feu, c'est le châtiment qui descend du ciel. Souvent, en effet, on l'a vu accompagné d'un feu vengeur, comme dans la punition de Coré, de Dathan et d'Abiron, et de ceux qui se tenaient près de la fournaise de Babylone. "Ils ne pourront subsister dans les malheurs." Une autre version ajoute : "Ils remueront dans des fosses et ne pourront se relever." Une autre : "Promptement, et ils ne se relèveront pas." Suivant l'une de ces versions, le psalmiste veut dire : "Tus les perde, sans espérance de retour." suivant l'autre : "Leur ruine sera prompte," c'est ce que signifie l'expression espeusménwv, promptement. "L'homme à la langue perfide ne prospérera pas sur la terre." (Ibid., 12). Après ce tableau de la colère de Dieu, le psalmiste nous montre de nouveau que le vice est un principe suffisant de ruine pour ceux qui s'en rendent coupables. Or, une des formes les plus dangereuses de la méchanceté, c'est l'insolence et l'intempérance de la langue. Cet homme intempérant de langage, c'est l'homme arrogant, qui ne sait contenir sa langue, et qui, semblable au chien, poursuit tout ceux qu'il rencontre de ses aboiements et de ces outrages. Or quel sera le fruit d'une telle conduite ? "Cette homme ne prospérera point sur la terre." Suivant une autre version : "Il ne s'affirmira point;" c'est-à-dire il sera renversé, détruit, condamné à une ruine certaine. Voilà le fruit que recueille le médisant; c'est l'ennemi général, il est odieux et à charge à tout le monde, et personne ne peut le supporter. De même que l'homme doux, patient, et qui sait se taire, est solidement établi, dans une sécurité parfaite, aimé de tout le monde; ainsi celui qui ne sait contenir sa langue, mène une vie toujours incertaine, il se fait d'innombrables ennemis, et, avant tout, il remplit son âme d'agitation et ne lui laisse pas un moment de repos. Lors même que personne ne le tourmente, son âme est le théâtre de guerres et de troubles sans fin. "L'homme injuste se trouvera accablé de maux qui seront la cause de sa mort." C'est ce que dit un autre sage : "Les iniquités donnent la chasse au méchant." Voici une nouvelle preuve que le vice seul suffit pour perdre celui qui le porte dans son âme. Mais pourquoi cette expression figurée de chasse ? Pour vous apprendre qu'il s'agit d'un mal inévitable, et ne point favoriser une confiance téméraire, parce que votre iniquité n'est point punie aussitôt qu'elle a été commise. Vous savez les résultats de la chasse, elle n'atteint pas toujours et aussitôt ce qu'elle poursuit; mais bien que les animaux ne soient pas encore atteints et tombés dans les filets qui leur sont tendus, ils n'en sont pas pour cela plus en sûreté. Que l'âme donc qui commet le mal, ne se laisse point aller à une trop grande confiance, elle n'est pas encore prise, mais elle ne tardera pas à l'être. Voulez-vous être à l'abri de tout danger ? Cessez de faire le mal, et vous jouirez d'une tranquillité parfaite. Pourquoi le psalmiste dit-il : "Qui seront la cause de sa mort ?" Parce qu'il en est beaucoup qui sont pris pour être sauvés, comme ceux qui étaient pris par les apôtres et par les saints. Il n'en est pas ainsi des méchants, lorsque le vice les poursuit, c'est pour leur malheur et pour leur mort. Mais pourquoi le châtiment ne frappe-t-il pas aussitôt le coupable ? Par un effet de la Bonté divine. Si Dieu voulait punir les coupables aussitôt qu'ils ont péché, la plus grande partie du genre humain aurait disparu depuis longtemps.

"Je sais que le Seigneur fera justice à celui qui est affligé, et qu'il vengera les pauvres. Et ainsi les justes loueront ton Nom, et ceux qui ont le c¦ur droit habiteront avec ton Visage." (Ibid., 13-14). Une autre version porte : "Auprès de votre visage." Au lieu de : "Ils habiteront," un autre interprète traduit : "Ils demeureront;" un autre : "Ils seront assis;" et au lieu de : j'ai connu, il traduit : "Je sais." Le psalmiste vient de dire que les pécheurs seront poursuivis et qu'ils périront, mais sans préciser l'imminence prochaine du châtiment. Or, afin que ses paroles ne soient point pour les esprits grossiers, une occasion de négligence et de relâchement, il établit la certitude du châtiaient à venir. Ceux qui soutirent de l'injustice ne resteront point sans vengeur. Les pauvres dont il parle ici, ne sont point précisément les indigents, mais ceux qui sont profondément humiliés et qui ont le c¦ur brisé. Or, en parlant de la sorte, il console à la fois ceux qui sont victimes de l'injustice, et cherche à réprimer ceux qui s'en rendent coupables, et il prévient ainsi dans les uns le découragement, dans les autres la négligence où le délai du châtiment pouvait les faire tomber. Dieu suspend le châtiment pour amener les pécheurs au repentir, s'ils persévèrent dans leur péché, ils méritent un supplice plus rigoureux, et cela est de toute justice. Pourquoi ? Parce que malgré tous les efforts de la Bonté divine, ils n'en sont pas devenus meilleurs. Considérez donc la grandeur de la Bonté de Dieu qui laisse ses serviteurs aux prises avec la souffrance, sans venger leur cause, parce qu'il veut vous ramener au repentir et à la vertu. "Ainsi les justes loueront ton Nom." Qu'est-ce à dire ? Quels que soient les événements, ils vous rendront grâces, soient que les humbles soient éprouvés par l'injustice, soient que les méchants soient exaltés, ils ne vous demanderont pas la raison de cette conduite. Car le caractère distinctif des justes est de rendre grâces à Dieu en toute circonstance : "Et ceux qui ont le c¦ur droit habiteront en ta Présence." Grâce au secours qu'ils ont reçu de Toi, grâce à ton Souvenir toujours présent à leur esprit, et à l'union étroite qui existe entre eux et Toi, ils n'en seront jamais séparés. Quoi qu'il arrive, rien ne les contristera, et ils ne se plaindront jamais des événements, marque assurée d'une âme ferme et inébranlable qui ne veut point demander à Dieu compte de ce qu'Il fait. C'est ce qui faisait dire à saint Paul : "Mais qui es-tu, ô homme, pour contester avec Dieu ?" Un vase d'argile dit-il à celui qui l'a formé : "pourquoi m'as-tu fait ainsi ?" Soyons donc nous-mêmes constamment fidèles au devoir de la reconnaissance; ne cessons jamais, en toute circonstance, de témoigner à Dieu notre reconnaissance, parce qu'Il est digne de toute gloire, de toute action de grâces et de toute adoration, maintenant et toujours et dans la durée infinie des siècles des siècles. Amen.

PSAUME 140

"Seigneur, j'ai crié vers Toi, exauce-moi, écoute ma voix, lorsque je pousserai mes cris vers Toi."

1. Il n'est presque personne, pour ainsi dire, qui ne connaisse les paroles de ce psaume, on le chante à tous les âges de la vie, mais il en est peu qui en sachent le véritable sens. Or, ne mérite-t-ou pas de sévères reproches lorsqu'ou chante tous les jours, lorsqu'on a sur les lèvres des paroles dont ou ne cherche point à pénétrer le sens et la force ? Vous apercevez une eau pure et limpide, vous ne pouvez vous détendre d'eu approcher, d'y tremper vos mains, de vous y désaltérer. Celui qui se promène fréquemment dans une prairie ne veut point eu sortir sans avoir cueilli quelques fleurs, mais pour vous qui depuis vos plus jeunes années jusqu'à l'extrême vieillesse ne cessez de chanter ce psaume, vous n'en retenez que les paroles, vous êtes assis auprès d'un trésor caché, vous portez de côté et d'autre une bourse qui demeure fermée, et la curiosité ne vous inspire même pas le désir d'apprendre ce que signifie ce psaume; aucune recherche, aucune étude. Cependant vous ne pouvez point alléguer que ce psaume est si clair qu'il favorise la négligence, et qu'il n'y a pas lieu de rechercher un sens qui se présente de lui-même. Car, au contraire, ce psaume est très difficile, et son obscurité suffit pour réveiller non seulement celui qui se laisse gagner au sommeil, mais celui même qui est profondément endormi. Que signifient, en effet, ces paroles : "Ne laisse point aller mon coeur à des paroles de malice ?" (Ibid., 4), et ces autres : "Le juste me reprendra et me corrigera avec charité ?" (Ibid., 5). Et ce qui suit n'est-il pas, de votre aveu, plus obscur que les ténèbres elles-mêmes : "Ma prière ne cessera de s'opposer aux désirs de leur coeur. Leurs juges ont été précipités et brisés contre la pierre ?" (Ibid., 6). Cependant, malgré tant d'obscurités, un grand nombre passent légèrement sur ce psaume, comme sur un cantique ordinaire. Mais n'insistons pas davantage sur ces reproches pour ne point vous être désagréable, et abordons l'explication de ces difficultés. Prêtez ici toute votre attention. Ce n'est pas sans raison, je pense, que les Pères ont établi que ce psaume serait récité tous les jours, au soir; et la raison qui les a déterminés n'est point ce verset que nous y lisons : "Que l'élévation de mes mains soit comme le sacrifice du soir," car ces mêmes paroles se rencontrent dans d'autres psaumes: "Le soir, le matin et à midi, je raconterai et j'annoncerai," dit dans un autre psaume le Roi-prophète. (Ps 65,18). Et ailleurs : "Le jour T'appartient, et la nuit est à Toi;" (Ps 73,16), et dans un autre endroit : "Les gémissements se font entendre durant la nuit, le matin renaît l'allégresse." (Ps 29,6). On pourrait ainsi trouver beaucoup d'autres psaumes qui conviennent à la prière du soir. Ce n'est donc point pour ce motif que les Pères ont établi la récitation de ce psaume, ils l'ont ordonnée comme un remède salutaire, comme un moyen d'expiation, et ils ont voulu qu'arrivés à la fin du jour, nous effacions par le chant de ce psaume toutes les tâches que notre âme aurait pu contracter pendant le cours de la journée, soit sur la place publique, soit dans l'intérieur de nos habitations ou dans quelqu'autre lieu que ce fût; car c'est un remède des plus efficaces pour faire disparaître toutes ces souillures. 'Tel est aussi le psaume du matin, et rien ne s'oppose à ce que nous en disions quelques mots. Ce psaume a pour objet de nous enflammer d'amour pour Dieu, de réveiller notre âme, et de ne la laisser approcher de Dieu qu'après l'avoir embrasée d'un feu ardent, et inondée de joie et de charité. Voici les premières paroles de ce psaume et les enseignements qu'elles renferment: "Dieu, mon Dieu, je Te cherche dès l'aurore, mon âme a soif de Toi." (Ps 62,1). Sentez-vous l'amour ardent que respirent ces paroles ? Or, l'amour de Dieu met en fuite tous les vices, et devant le souvenir de Dieu, tous les péchés disparaissent tous les maux sont détruits, "Je me suis ainsi présenté devant Toi, dans ton sanctuaire, pour contempler ta Puissance et ta Gloire." (Ibid., 3). Que signifie l'expression "ainsi ?" Je me suis présenté avec ce désir, avec cet amour, pour contempler ta Gloire qui éclate par toute la terre. Mais il ne faut pas abandonner le psaume que nous avons entre les mains, pour lui en substituer un autre qui serait une espèce de hors-d'oeuvre. Nous renvoyons donc à l'explication que nous en avons donnée, pour nous attacher à celui qui fait l'objet de ce discours.

Quel est le début du psalmiste : "Seigneur, j'ai crié vers Toi, exauce-moi." Que dites-vous, je vous prie ? Parce que vous avez crié vous prétendez être exaucé, et vous fondez sur ce motif l'efficacité de votre prière ? Il faudra donc maintenant pour prier une voix forte et retentissante ? Quoi de plus absurde ? Car, en quoi, je vous le demande, est coupable celui dont la voix est grêle et faible, et la langue pesante et embarrassée ? Tel était Moïse, et qui plus que lui voyait ses prières exaucées de Dieu ? Est-ce que les Juifs ne poussaient pas dans leurs prières de plus grands cris que les autres, et cependant Dieu ne les écoutait pas ? La force ou la faiblesse de la voix sont des avantages ou des infirmités qui viennent de la nature. Elles ne sont donc cause ni de l'efficacité, ni de l'insuccès de nos prières, parce qu'il n'y a rien ici qui soit digne de louange ou de blâme. Que d'avantages naturels ne voyons-nous point dans des scélérats ? Quoi de plus beau, de mieux fait qu'Absalom dont les cheveux rehaussaient encore la beauté naturelle ? Au contraire, est-ce qu'Élisée n'était pas chauve au point d'être pour les enfants un objet de dérision ? Or, la beauté n'a servi de rien à Absalom, et la difformité du prophète Élisée ne lui a causé aucun dommage. Mais pourquoi parler ici d'une voix grêle ou d'une langue embarrassée ? Est-ce que Dieu n'écoutait pas Moïse sans qu'il dit un seul mot ? et Anne sans qu'elle proférât une seule parole ? Et, au contraire, Dieu disait aux Juifs : "Vous avez beau multiplier vos prières, Je ne vous exaucerai point." (Is 1,15). Pourquoi donc le psalmiste dit-il ici : "J'ai crié vers Toi, exauce-moi ?" Il veut parler du cri intérieur qui part d'une âme embrasée d'amour, d'un coeur contrit, et c'est le cri de Moïse que Dieu exauçait. Celui qui pousse des cris épuise toutes ses forces, ainsi celui qui crie du fond du coeur applique toutes les forces de son âme.

2. Tel est donc le cri que Dieu demande, un cri qui fasse impression sur le coeur, et qui ne permette pendant le chant des psaumes aucune négligence, aucune distraction. Ce n'est pas la seule chose que Dieu demande, Il veut encore qu'on Le prie. Il en est beaucoup, en effet, qui sont présents dans le temple, mais qui ne crient point vers Dieu. Leurs lèvres laissent échapper un cri, je le veux, elles font retentir le Nom de Dieu, mais leur esprit reste complètement étranger à ce que les lèvres prononcent. Se conduire de la sorte, ce n'est point crier, fit-on retentir les airs des éclats de sa voix; prier ainsi, ce n'est point véritablement prier, eût-on tout l'extérieur de la prière. Ce n'est point ainsi que se conduisait Moïse, il criait, et il était exaucé, comme Dieu le déclare en lui disant : "Pourquoi criez-vous vers Moi ?" (Ex 14,15). Ce ne firent pas seulement ses cris, son silence seul lui fit obtenir ce qu'il voulait, parce qu'il s'était montré digne que Dieu l'exauçât. Voulez-vous voir, même dans les pécheurs, la prière pleine de ferveur et de persévérance et les cris redoublés exaucés de Dieu ? considérez la femme pécheresse criant en silence, (Luc 7,38), considérez le publicain dont la prière a suffi pour le justifier. (Luc 18,13-14). Voilà le cri que pousse aussi le prophète et qui lui fait dire : "Seigneur, j'ai crié vers Toi, exauce-moi," et c'est pour cela qu'il demande à Dieu d'écouter sa prière.

"Lorsque je crierai vers Toi." Voici une autre vertu de la prière. S'il demande à Dieu de l'exaucer, ce n'est point pour récompenser sa ferveur, mais parce que la prière qu'il lui adresse est vraiment digne de ces yeux qui ne se ferment jamais. Quelle est donc cette prière ? Celle qui ne souhaite aucun mal aux ennemis, qui ne demande ni la fortune ni les richesses, ni la puissance, ni la gloire, ni aucune des choses périssables, mais uniquement les biens incorruptibles et immortels. "Cherchez, nous dit le Seigneur, le royaume de Dieu, et toutes ces choses vous seront données par surcroît." (Mt 6,33). "Lorsque je pousserai mes cris vers Toi." Vous voyez que Dieu exige de nous dans nos prières l'attention et la ferveur. C'est surtout alors, en effet, que le démon dresse des pièges. Il sait que la prière est une arme puissante, il sait que malgré nos péchés et nos infamies nous pouvons accomplir de grandes choses si nous prions avec ferveur et d'une manière conforme aux préceptes divins. Que fait-il ? Il s'efforce de nous faire tomber dans la tiédeur, de détourner l'attention de notre esprit, et de frapper ainsi notre prière de stérilité. Nous connaissons ses ruses, dirigeons donc contre lui tous nos efforts, n'adressons jamais à Dieu de prières contre nos ennemis, et imitons la conduite des apôtres. Après qu'ils eurent souffert mille espèces de persécutions, qu'ils eurent été jetés en prison, exposés aux derniers dangers, ils ne cherchent de refuge que dans la prière et disent à Dieu : "Regarde leurs menaces," (Ac 4,29). Et qu'ajoutaient-ils ? Brise leur puissance, détruis-les ? car voilà ce que l'imprécation suggère à un grand nombre, non, mais : "Donne à tes serviteurs d'annoncer ta parole avec toute confiance, (Ibid). Comment et par quels moyens ? Est-ce en mettant à mort nos persécuteurs, en les exterminant et en les livrant à une ruine complète ? Nullement. Comment donc ? "En opérant des miracles et des prodiges par ton saint fils Jésus," (Ibid., 30). Voyez-vous quelle prière pleine de sagesse ! Après tant de traitements indignes, ils ne demandent pas vengeance contre leurs ennemis. Tels étaient les sentiments des apôtres, alors qu'ils avaient encore la vie sauve. Mais voici Étienne qui alors que la mort allait trancher ses jours, ne souhaite aucun mal à ses bourreaux. Que dis-je ? au moment même où on le lapidait, où on le mettait à mort, il s'efforce, en priant, de les soustraire à la Colère divine qui devait s'appesantir sur eux en punition de ce crime : "Ne leur impute point ce péché," (Ac 7,59). Quel pardon, quelle excuse reste-t-il donc à ceux qui demandent à Dieu vengeance contre leurs ennemis ? Comment Dieu peut-Il exaucer une prière en opposition avec ses lois ? Gardons-nous donc de telles inspirations. Ne nous contentons pas de ne pas souhaiter de mal à nos ennemis, réprimons en nous-mêmes tout sentiment de vengeance contre eux, suivant la recommandation de l'Apôtre : "Je veux que les hommes prient en tout lieu, levant des mains pures, sans colère et sans contention." (Tim 2,8). C'est-à-dire, eussiez-vous un ennemi, réprimez tout sentiment de colère contre lui avant de vous présenter devant le Seigneur; qu'aucune parole de vengeance ne sorte de votre bouche, faites plus encore, et purifiez votre âme du venin qui la souille. Si vous priez dans ces conditions, et que vous invoquiez Dieu du fond de votre coeur, vous n'aurez pas fini votre prière que vous serez exaucé. C'est le voeu que forme le psalmiste : "Écoute ma voix, lorsque je pousserai mes cris vers Toi," En effet, il y a ici une promesse formelle de Dieu : "Vous parlerez encore, que je dirai : Me voici." (Ps 58,9). "Que ma prière s'élève vers Toi comme la fumée de l'encens." Suivant une autre version : "Qu'elle soit agréable comme l'encens qui vous est offert;" suivant une autre : "Qu'elle soit préparée. Que l'élévation de mes mains soit comme le sacrifice du soir." Une autre version porte : "Le don du soir;" une autre: "L'oblation du soir." Que veut nous enseigner le prophète en nous parlant du sacrifice du soir ? Rappelons-nous qu'il y avait dans le temple deux autels, l'un d'airain, l'autre d'or. Le premier était public et destiné à recevoir les victimes de tout le peuple, l'autre était placé dans le sanctuaire en dedans du voile. Pour répandre plus de clarté sur ce que nous devons dire, nous allons essayer de reprendre les choses dès le commencement. Il y avait donc autrefois chez les Juifs un temple, long de quarante coudées, large de vingt. Il était coupé dans sa longueur, et un espace de dix coudées en dedans du voile était réservé au Saint des Saints. Ce qui était en dehors s'appelait simplement le Saint. Le Saint des Saints était tout resplendissant d'or.

3. Quelques-uns prétendent que les poutres elles-mêmes étaient recouvertes de plaques d'or. Le grand prêtre seul entrait dans le Saint des Saints une fois l'année. Là se trouvait l'arche avec les chérubins, et l'autel d'or sur lequel on brûlait de l'encens, et qui ne servait qu'à l'oblation des parfums. Ce sacrifice ne s'offrait qu'une fois l'an. Dans la partie extérieure du temple était un autel d'airain sur lequel on offrait chaque jour un agneau en holocauste. C'est ce qu'on appelait le sacrifice du soir, car il y avait aussi le sacrifice du matin, et deux fois par jour le feu devait consumer cet holocauste sur l'autel, indépendamment des autres victimes offertes par le peuple. La loi prescrivait en effet aux prêtres, à défaut de victime offerte par quelqu'autre, d'offrir en leur nom et sur ce qui leur appartenait, un agneau en holocauste le matin et le soir; le premier s'appelait le sacrifice du matin, le second, le sacrifice du soir. Cette loi avait pour objet de rappeler le devoir de l'adoration perpétuelle lorsque le jour commence et quand il finit, or, ce sacrifice et le parfum qui l'accompagnait étaient toujours agréables à Dieu; tandis que le sacrifice pour le péché tantôt était accueilli favorablement, et tantôt était rejeté suivant les dispositions bonnes ou mauvaises de ceux qui l'offraient. Au contraire, les sacrifices qui n'étaient pas offerts pour les péchés, mais qui étaient prescrits par la loi comme une des formes du culte public, ne pouvaient manquer d'être agréables à Dieu. Le psalmiste demande donc que sa prière soit reçue comme ce sacrifice que les fautes de celui qui l'offrait ne pouvaient souiller, et comme l'encens pur et saint qui montait devant Dieu. Or, cette prière nous apprend combien nos prières à nous aussi doivent être pures et d'agréable odeur. Tel est en effet le parfum que répand la justice, tandis que le péché exhale une odeur fétide, et dont parle le prophète lorsqu'il dit : "Mes iniquités se sont élevées jusqu'au-dessus de ma tète, et elles se sont appesanties sur moi comme un fardeau insupportable. Mes plaies ont été remplies de corruption et de pourriture." (Ps 37,-6). L'encens est par lui-même d'une odeur agréable, mais c'est sous l'action du feu qu'il dégage tout son parfum. Ainsi, la prière est bonne de sa nature, mais elle devient bien meilleure, et exhale une odeur bien plus suave, lorsqu'elle part d'un coeur brûlant d'amour et de ferveur, lorsque notre âme est comme un encensoir rempli d'un feu ardent. Car on ne plaçait l'encens que sur le brasier allumé et sur les charbons ardents. Faites de même pour votre âme, commencez par l'embraser d'un amour ardent, avant d'y mettre votre prière. Le prophète demande donc à Dieu que sa prière soit comme l'encens, et l'élévation de ses mains comme le sacrifice du soir, Car ces deux choses sont également agréables à Dieu, or, comment ce voeu pourra-t-il être accompli ? Si les mains comme la langue sont pures et irrépréhensibles, si les mains ne sont point souillées par l'avarice et par les rapines, et la langue par des paroles coupables. De même que l'encensoir ne doit contenir rien d'impur et ne recevoir que le feu et l'encens; ainsi la langue ne doit proférer aucune parole qui puisse la souiller, et ne servir d'organe qu'à des paroles de sainteté et de bénédiction. Les mains aussi doivent être comme un encensoir. Que votre bouche soit donc un encensoir, mais prenez garde de la remplir de souillures. C'est ce que font ceux qui profèrent des paroles licencieuses et obscènes, or, pourquoi le psalmiste n'a-t-il pas dit : Comme le sacrifice du matin, mais : "Comme le sacrifice du soir ?" À mon avis, ces deux manières de parler sont équivalentes. S'il avait dit : Comme le sacrifice du matin, quelqu'esprit curieux aurait pu demander, pourquoi n'a-t-il pas dit : Comme le sacrifice du soir. Toutefois, si l'on veut mettre de côté toute curiosité indiscrète, je dirai que le sacrifice du matin attend celui du soir; tandis que le sacrifice du soir est le complément de tous les sacrifices, la fin et le couronnement des cérémonies du culte, prescrites pour chaque jour. Que signifie maintenant l'élévation des mains pendant la prière ? Les mains servent d'instrument à une infinité de crimes, aux coups, aux meurtres, aux vols, aux oeuvres de l'avarice et de la cupidité. Il nous est donc ordonné de les tenir élevées en priant, afin que ce ministère qu'elles prêtent à la prière, soit un lien qui les enchaîne pour l'iniquité, et les affranchisse du vice. Ainsi, vous êtes sur le point de ravir le bien d'autrui, d'assouvir votre avarice, ou de frapper votre prochain, vous vous rappelez que vous élèverez ces mains vers Dieu pour vous défendre, qu'elles vous serviront à offrir à Dieu un sacrifice spirituel; cette pensée vous empêche de les profaner et de leur ôter ainsi toute puissance auprès de Dieu, en les faisant servir à des oeuvres coupables. Purifiez-les donc par l'aumône, par la miséricorde, et en secourant ceux qui sont dans le besoin, alors vous pourrez les élever avec confiance vers Dieu. Vous ne voudriez pas les faire servir à la prière, sans qu'elles fussent lavées de toute souillure extérieure, n'est-il pas beaucoup plus juste de ne pas les souiller par le péché ? Vous craignez d'omettre un léger devoir, craignez davantage de manquer à une obligation beaucoup plus rigoureuse. Car, après tout, ce n'est pas un crime de prier sans s'être lavé les mains, mais les élever vers Dieu, souillées par mille iniquités, c'est provoquer sa juste colère.

4. Appliquons ces mêmes règles à notre bouche et à notre langue, gardons-les pures de toute iniquité, et nous pourrons ainsi les faire servir à notre prière. Une personne possède un vase d'or, il ne lui vient pas certes à l'esprit de l'employer à un usage grossier, à cause de la matière précieuse dont il est composé. Or, notre bouche est mille fois plus précieuse que l'or et les perles; combien plus donc faut-il nous garder de la profaner par des paroles licencieuses et impies ou par des médisances et des injures. Ce n'est point sur un autel d'or ou d'airain que vous offrez votre encens, c'est sur un autel bien plus précieux, dans un temple spirituel; d'un côté, c'est une matière inanimée, tandis que Dieu habite dans votre âme, et que vous êtes le membre et le corps de Jésus Christ. "Mettez, Seigneur, une garde à ma bouche." Le psalmiste vient de demander à Dieu de vouloir bien écouter sa prière, et de l'avoir pour agréable; remarquez quel est le premier désir qu'il exprime, et le premier objet de ses supplications. Il ne dit pas : Donne-moi des richesses, accorde-moi les honneurs qui viennent des hommes, fais-moi triompher de mes ennemis, donne-moi des enfants. Il ne s'abaisse à aucune de ces faveurs de la terre, et ne demande à Dieu que des grâces dignes de lui. Quoi donc me direz-vous, ne peut-on demander les biens sensibles ? On le peut faire, mais avec modération, à l'exemple de Jacob qui disait : "Pourvu que le Seigneur me donne du pain pour me nourrir, et un vêtement pour me couvrir." (Gen 28,20). C'est ainsi que Jésus Christ nous ordonne de faire à Dieu cette prière : "Donne-nous aujourd'hui le pain nécessaire à la subsistance de chaque jour," mais après que nous avons demandé les biens spirituels. C'est ce que fait aussi le prophète en disant à Dieu : "Place une garde à ma bouche." Voyez-vous quelle prudence, voyez-vous quelle sagesse, et quel est le premier objet de sa prière ? Il commence par la vertu la plus importante, par ce qui peut être sans une grande vigilance, la cause de tous les maux, et devenir au contraire pour une âme attentive, le principe de tous les biens. En effet, l'intempérance de la langue produit des maux innombrables, comme la réserve dans les paroles est la source de mille biens précieux. De même qu'il est tout à fait inutile d'avoir une maison, une ville, des remparts, des portes, des ouvertures, s'il n'y a en même temps des gardiens qui sachent quand il faut ouvrir et quand il faut fermer; de même la langue et la bouche ne sont d'aucune utilité, si elles ne sont dirigées par la raison à qui Dieu a confié le soin de les ouvrir et de les fermer avec toute la vigilance, toute la circonspection possible, et qui sait les paroles qu'elle doit laisser sortir, et celles qu'elle doit retenir. Le glaive en a fait périr beaucoup moins que la langue. (Ec 28,22). Jésus Christ nous dit encore : "Ce n'est point ce qui entre par la bouche qui souille l'homme, c'est ce qui sort de la bouche." (Mt 15,11). Nous lisons dans un autre livre : "Mettez à votre bouche une porte et des verroux." Mais comme le psalmiste sait qu'il est très difficile de mettre en pratique cette recommandation, il a recours à la prière, et demande à Dieu de lui venir en aide. Un auteur inspiré semble faire allusion à cette difficulté quand il dit : "Qui mettra sur mes lèvres un sceau inviolable ?" (Ec 22,33). Nous avons ici notre part d'action, et c'est pourquoi il nous donne comme un précepte cette recommandation : "Mettez à votre bouche une porte et des verroux." Mais il nous faut aussi implorer le secours de Dieu, si nous voulons que nos efforts soient couronnés de succès.

Plaçons donc une garde constante à notre bouche, que notre raison lui serve de clef, non pour la tenir toujours fermée, mais pour ne l'ouvrir qu'en temps convenable. Quelquefois le silence est plus utile que la parole, quelquefois aussi la parole est préférable au silence; c'est ce qui faisait dire à ce roi si sage : "Il y a un temps de se taire, et un temps de parler." (Ec 3,7). Si la bouche devait être constamment ouverte, il n'eut pas été besoin d'y mettre des portes; et si elle devait demeurer toujours fermée, quel besoin d'y mettre une garde ? À quoi bon garder ce qui demeure fermé ? Si donc il y a tout ensemble des portes et une garde, c'est afin que nous fassions chaque chose en temps opportun. La sainte Écriture nous dit encore ailleurs : "Fais un joug et une balance pour ta langue." (Ec 28,29). Voyez quelle vigilance elle demande, afin que non seulement nous ne disions que des paroles convenables, mais pour que nous les pesions avec un soin scrupuleux et une attention extraordinaire. Nous apportons ce soin rigoureux pour peser l'or qui est une matière périssable; combien est-il plus nécessaire pour régler nos paroles, de manière qu'il n'y ait en elles ni excès, ni défaut ! C'est pourquoi le même auteur nous dit : "Ne retenez point votre parole au jour du salut." (Ecc 4,28). Voilà le temps où elle doit sortir; mais dans un autre endroit il nous indique le temps du silence : "Si vous avez à parler, répondez, sinon que votre main soit sur votre bouche." (Ec 5,14). Et plus loin : "Celui qui se répand en paroles, se fera haïr." (Ibid., 20,8). Et encore : "Celui qui cache son insuffisance, vaut mieux que celui qui cache sa sagesse." (Ibid., 33). "Avez-vous entendu une parole contre votre prochain ? faites-la mourir en vous-même; soyez tranquille, elle ne vous fera point crever. L'insensé se presse d'enfanter une parole qu'il a entendue, comme une femme qui est en travail." (Ibid., 19,10-11). Il nous apprend ensuite comment nous devons parler : "Jeune homme, s'il est nécessaire, parle deux fois au plus; si on t'interroge, réponds en très peu de mots." (Ibid., 32,10-11). Il faut en effet, la plus grande attention de l'esprit, pour diriger avec sûreté la puissance de la langue. C'est ce qui fait dire au même auteur : "Il y a une répréhension qui n'est pas opportune, et tel se tait que l'on regarde comme prudent." (Ibid., 19,28). Il ne suffit pas de garder le silence et de ne parler qu'à propos, il faut encore parler sous l'inspiration de la grâce. "Que toutes vos paroles, dit saint Paul, soient accompagnées de grâce, et assaisonnées du sel de la sagesse, en sorte que vous sachiez répondre à chacun comme il convient." (Col 4,6). Pensez que la langue est l'organe avec lequel nous parlons à Dieu et nous célébrons ses louanges. C'est par cet organe que nous recevons la victime redoutable, les fidèles comprennent ce que je dis. Il faut donc qu'il soit pur de toute accusation, de toute parole injurieuse ou obscène, de toute calomnie. Si une pensée mauvaise veut nous faire violence, étouffons-la au dedans de notre âme, ne lui permettons pas de se produire au dehors par des paroles licencieuses; si l'envie ou l'impatience vous inspire des paroles de colère, desséchez cette racine, tenez la porte fermée, et mettez-y une garde fidèle. Ne laissez pas naître dans votre coeur des desseins coupables, mais s'ils viennent à se produire, étouffez-les aussitôt et détruisez-les jusque dans leur premier germe.

5. C'est ainsi que Job sut mettre une garde à sa bouche, et qu'il n'en laissa sortir aucune parole inconsidérée. Il garda presque toujours le silence, et quand il crut nécessaire de répondre à sa femme, ses paroles furent pleines de sagesse. En effet, nous ne devons nous déterminer à parler que lorsque les paroles sont plus utiles que le silence. Voilà pourquoi Jésus-Christ nous déclare que"les hommes rendront compte de toute parole inutile qu'ils auront dite," (Mt 12,36), et que saint Paul nous fait cette recommandation : "Qu'aucune parole mauvaise ne sorte de votre bouche." (Ep 4,29). Or, quel moyen de veiller soigneusement sur cette porte, et d'y mettre une garde sûre ? Écoutez un autre auteur inspiré : "Que tous vos entretiens soient dans les préceptes du Très Haut." (Ecc 9,23). Si vous prenez l'habitude de ne dire aucune parole inutile, si votre esprit comme votre bouche s'entoure continuellement des récits de la sainte Écriture comme d'un rempart, vous aurez une garde plus solide que l'acier le plus dur. De la bouche, partent bien des chemins qui conduisent à la mort; par exemple, quand elle profère des obscénités ou des bouffonneries, lorsqu'elle s'ouvre aux inspirations de la vaine gloire ou de la jactance. C'est ce que fit le pharisien, pour n'avoir pas mis une porte à sa bouche, il répandit au dehors en peu de paroles, tout ce qui était au dedans de lui-même; semblable à une maison qui n'a point de portes, il ne put conserver le trésor qui était caché dans son âme, et il fut tout d'un coup réduit à la dernière pauvreté.

En voici encore un autre que son langage superbe précipita dans l'abîme; c'est celui qui disait : "J'établirai mon trône au- dessus des astres du ciel." (Is 14,13). Quant aux Juifs, tantôt pour s'être réjouis des malheurs de leur prochain, ils ont mérité de s'entendre appliquer ces paroles : "Parce que vous avez dit : C'est bien, Israël est devenu comme les autres nations;" tantôt, ils ont été couverts d'opprobres pour avoir manifesté leur découragement et leur indignation en disant : "Tout homme qui fait le mal est bon aux yeux du Seigneur, voilà ceux qui Lui plaisent." Maintenant donc, nous estimons heureuses les nations étrangères qui s'élèvent en commettant le crime. Est-ce que toutes ces choses ne sont pas écrites dans le livre ? D'autres ont été victimes de leurs murmures. "Ne murmurons point, dit saint Paul, comme murmurèrent quelques-uns d'entre eux, qui furent frappés de mort par l'exterminateur." (1 Cor 10,10). Et quand donc eurent lieu ces murmures ? Lorsqu'ils disaient à Moïse : "Vous nous avez amenés dans le désert pour nous y faire mourir, comme s'il n'y avait pas de tombeaux en Egypte." (Ex 14,11). D'autres ont été punis pour s'être livrés à des plaisirs coupables : "Ils s'assirent pour manger et pour boire, et ils se levèrent pour danser." (Ex 32,6). D'autres, à cause de leurs paroles outrageantes : "Tout homme qui dit à son frère : Tu es un fou, sera condamné par le jugement." (Mt 5,22). D'autres enfin, en bien plus grand nombre, sont morts par suite d'autres péchés fruits de l'intempérance de leur langue.

"Voulez-vous maintenant des exemples de ceux pour qui le silence hors de propos a été mortel ? Je vais vous en donner : "Si vous n'avertissez pas le peuple, il mourra dans son péché, mais Je vous demanderai son sang." (Ez 3,20). Un autre sera puni pour avoir parlé sans discernement et révélé au premier venu, ce qui lui était confié contre la défense du Sauveur : "Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux." (Mt 7,6). Un autre pour ses folles joies : "Malheur à vous qui riez, dit notre Seigneur, parce que vous pleurerez." (Lc 6,25). Comprenez-vous comment la langue peut être une cause de mort, comment au contraire elle peut devenir un principe de vie ? Vous avez vu comment elle a perdu le pharisien, comment elle a sauvé le publicain ? Vous avez su le châtiment de ce barbare plein d'orgueil ? Entendez maintenant le Tangage humble et modéré du juste : "Je ne suis que terre et cendre."

(Gen 18,27). Vous avez vu la condamnation et le châtiment de celui qui se réjouit du mal de ses frères ? Considérez la récompense de l'homme qui a compati à leurs souffrances : "Mettez un signe sur le front de ceux qui pleurent et qui gémissent." (Ez 9,4). Voilà pourquoi saint Paul nous recommande "de nous réjouir avec ceux qui sont dans la joie, et de pleurer avec ceux qui pleurent." (Rom 12,15). Vous ne pouvez rien autre chose, nous dit-il, ce sera une grande consolation pour celui qui souffre, de voir que vous compatissez à ses douleurs. Vous avez vu la folle joie condamnée aux pleurs, considérez la consolation qui vient après les larmes : "Bienheureux ceux qui pleurent, dit le Sauveur, parce qu'ils seront consolés." (Mt 5,5). Vous avez vu les murmurateurs punis ? Voyez comment les coeurs reconnaissants ont été sauvés : "Tu es béni, Seigneur, et ton Nom est digne de louanges, parce que Tu es juste dans toutes les choses que Tu nous as faites." (Dan 3,26-27). Et un peu plus loin : "Et Tu as montré la vérité de tes Jugements par tout ce que Tu as envoyé sur nous." (Ibid., 28). Les uns disaient : "Tout homme qui fait le mal est agréable au Seigneur," (Mal 2,17), les autres au contraire : "Ton oeil est pur et ne peut souffrir le mal." (Hab 1,13). Ceux-ci proclamaient bienheureuses les nations étrangères au culte de Dieu, qui s'élèvent après avoir commis toute sorte de crimes; ceux-là le peuple à qui Dieu vient en aide : "Heureux le peuple dont le Seigneur est le Dieu;" (Ps 143,15); et encore : "Ne soyez point jaloux de la prospérité des méchants, et ne portez point envie à ceux qui commettent l'iniquité." (Ps 36,1). Avez-vous vu les saints qui prodiguent aux autres les encouragements, et qui demeurent eux-mêmes inébranlables au milieu des tentations ? Entendez le langage de Jacob : "Pourvu que Dieu me donne du pain pour me nourrir, et un vêtement pour me couvrir;" (Gen 28,20); et celui d'Abraham : "Je ne recevrai rien de ce qui est à vous, depuis le fil des vêtements, jusqu'à la courroie de la chaussure." (Gen 14,23). Lorsque son épouse était menacée de déshonneur, et qu'il souffrait lui-même de la famine, il ne prononça aucune parole déplacée, et encore lorsque son fils lui dit : "Mon père, voici le bois et le feu, où est la brebis ?" Voyez avec quelle douceur et quelle sagesse il lui répond : "Mon fils, Dieu se choisira Lui-Même sa victime." (Gen. 22,7-8). Il ne cède ni à la nature, ni à la pitié en entendant les paroles que son fils lui adressait seul à seul, quand tout se réunissait pour réveiller la vivacité de son amour. Et l'on ne peut dire que c'est le respect humain qui retenait ses larmes; c'est dans un lieu écarté, loin de tout témoin qu'il fait paraître cette sagesse ferme et inébranlable.

6. Vous avez vu le châtiment de ceux qui s'abandonnent à une folle joie ? Rappelez maintenant à votre souvenir les Ninivites qui ont trouvé le salut dans les larmes et dans les jeûnes. (Jon. 3). Vous avez vu enfin la punition de ceux qui avaient outragé Dieu par leurs paroles ? Considérez la récompense de ceux qui L'ont béni. "Béni soit celui qui Te bénira, maudit soit celui qui Te maudira." (Num 24,9). "Bénissez ceux qui vous persécutent, priez pour ceux qui vous outragent, afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux." (Mt 5,44-45). Vous voyez qu'il ne faut pas avoir sans discernement, la bouche ni toujours fermée, ni toujours ouverte, mais qu'il faut savoir distinguer les temps où il faut parler ou se taire. Voilà pourquoi le psalmiste fait à Dieu cette prière : "Seigneur, mets une garde à ma bouche, et une porte à mes lèvres pour les fermer exactement." Or, quelle est cette garde si ce n'est la pensée de ce juge redoutable qui a dans les mains le feu destiné à punir les intempérances de la langue ? Choisissez ce portier, ce gardien qui fera retentir les menaces dans votre conscience, et jamais cette porte ne sera ouverte à contre-temps; elle ne s'ouvrira que pour votre utilité et pour vous assurer des biens innombrables. C'est la recommandation que nous fait le Sage : "Souvenez-vous toujours de vos fins dernières, et vous ne pécherez jamais." Vous le voyez, c'est la même pensée. Pour moi, je l'ai rendue plus terrible, en rappelant non-seulement ce qui doit arriver à la mort, mais ce qui doit la suivre; c'est-à-dire le feu que le juge tient dans ses mains. Soyez fidèle à cette pratique, et aucune pensée mauvaise ne germera dans votre âme. À cette recommandation, joignez l'avertissement du Sauveur qu'au jour du jugement vous rendrez compte de toute parole inutile. (Mt 12,36). Rappelez-vous que c'est par une parole que la mort est entrée dans le monde. Si la première femme n'avait pas eu avec le démon l'entretien que vous savez, si elle n'avait pas ajouté foi à ses paroles, il ne lui aurait fait aucun mal, elle n'eût pas présenté le fruit de l'arbre à son mari, et celui-ci n'en eût point mangé. En parlant de la sorte, je fais retomber cette faute non sur la bouche ou sur la langue, mais sur l'usage coupable qu'ils en firent et qui est dû au défaut de vigilance de leur esprit.

La bouche devient encore une voie de perdition, lorsqu'elle se prête à des baisers ou lascifs et impurs, ou trompeurs et perfides. Il faut donc y placer également une garde. Tel fut le baiser de Judas, baiser plein de perfidie; mais saint Paul recommande aux fidèles de se donner mutuellement un baiser bien différent : "Saluez-vous les uns les autres par un saint baiser." (II Cor 13,12). Tel n'était point non plus le baiser que David donnait à Jonathas, baiser saint et chaste et qui partait d'une affection sincère. (1 Roi 20,41). C'est encore ce saint baiser que les fidèles donnaient à saint Paul en se jetant à son cou et en l'embrassant avec amour. Voilà donc pourquoi le psalmiste dit à Dieu : "Mets, Seigneur, une garde à ma bouche, et une porte;" et il ne se contente pas de dire : "Une porte," il ajoute : "Une porte qui la ferme exactement," de manière qu'elle l'entoure tout entière, et lui donne une sécurité parfaite.

La langue peut encore conduire à la mort d'une autre manière, lorsqu'elle ose dire : Pourquoi cela ? dans quel but cet événement est-il arrivé ? Saint Paul reprend ces discoureurs indiscrets, lorsqu'il leur dit : "Mais qui êtes-vous, ô homme, pour contester avec Dieu ?" (Rom 23,20). Or ce n'est pas seulement la bouche qu'il faut garder, il faut commencer par notre âme. C'est ce qui faisait dire au Sage : "Qui placera la réprimande dans ma pensée pour que mon ignorance ne soit pas épargnée ?" (Ecc 23,2). Voilà pourquoi notre Seigneur Jésus Christ réprime jusqu'aux mauvaises pensées, par ces paroles : "Quiconque regarde une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère dans son coeur." (Mt 5,28). Vous voyez qu'il ne laisse pas à ces pensées le temps de se développer, et qu'il réprime les premiers jets de la convoitise et de la colère. "Celui qui se mettra en colère contre son frère méritera d'être condamné au feu de l'enfer." (Mt 5,22). Une autre source de grande sécurité est encore de parler peu, ce qui a fait dire à l'auteur du livre des Proverbes : "La multitude des paroles ne sera point exempte de péché, mais celui qui est modéré dans ses paroles, est très prudent." (Pro 10,19). "Ne souffrez point que mon coeur se laisse aller à des paroles de malice, pour chercher des excuses à mes péchés." (Ibid., 4). Une autre version porte : "Ne permettez pas que mon coeur s'égare dans des discours mauvais, pour concevoir des pensées criminelles." Pourquoi intervertir ici l'ordre naturel, et parler de la bouche avant de parler du coeur ? Le psalmiste l'a fait avec dessein. Lorsque des prisonniers veulent s'enfuir, leurs geôliers cherchent avant tout à s'assurer des portes de la prison; c'est là leur premier soin, et une fois cette précaution prise, ils viennent facilement à bout du reste. Le psalmiste suit ici la même marche, et voici le conseil qu'il donne : Que les portes soient fermées, et vous aurez facilement raison des mauvaises pensées. C'est pourquoi il s'oppose tout d'abord à ce qu'elles pénètrent dans l'âme, et il en arrache jusqu'à la racine, en disant à Dieu : "Ne détournez pas mon coeur vers des paroles de malice." Ce n'est pas sans doute que Dieu porte notre coeur au mal, loin de nous cette pensée. Voici le sens de ces paroles : Ne souffrez pas que mon coeur se détourne et s'égare dans des pensées coupables, car c'est dans le coeur que se trouve la source de la vertu comme du vice. Mais quelles sont ces paroles de malice ? Elles sont nombreuses et de plusieurs sortes : Les paroles insidieuses et perfides, celles qui jettent l'outrage à Dieu, qui inspirent l'éloignement de la vertu et l'amour du vice; celles qui en répandant des doctrines mauvaises, en se rendant l'écho de moeurs coupables se font entendre avec plaisir, et beaucoup d'autres semblables, qui sont des paroles de malice et qui viennent d'un coeur profondément corrompu. Or, de même qu'il y a des pensées et des paroles mauvaises, il y a aussi des paroles de vie. Voilà pourquoi les disciples disaient à Jésus-christ : "À qui irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle." (Jn 4,69). Les paroles de vie sont celles qui donnent la vie, on les appelle aussi les paroles du salut, parce qu'elles nous font opérer notre salut. De là ce conseil du Sage : "Ne retenez pas la parole au jour du salut." (Ec 4,28). Les paroles de malice sont aussi celles qui rendent mauvais ceux qui les profèrent.

7. Un air pestilentiel engendre les maladies, les paroles mauvaises produisent le même effet. Les ravages que l'air fait dans le corps, ces paroles les portent dans l'âme qui les reçoit. Le prophète demande donc à Dieu de l'en préserver et il ajoute : Ne permettez pas que mon coeur reçoive jamais ces paroles, et qu'il y trouve de l'attrait. Remarquez-vous comme il établit l'existence du libre arbitre, et montre que le vice ne vient point de la nature, mais de la négligé.ente qui lui ouvre les portes de notre âme ? "Pour chercher des excuses à mes péchés." Une des voies qui conduisent le plus directement à la mort, c'est l'état d'une âme pécheresse, qui, s'affranchissant de toute crainte, cherche des excuses pour couvrir sa lâcheté. Je dirai la même chose d'un homme coupable d'adultère en qui un ami perfide veut étouffer le repentir, en lui disant : Est-ce que c'est votre faute ? n'en accusez que la convoitise. Le péché est un grand mal assurément, mais un mal beaucoup plus affreux, c'est de nier le péché après qu'il a été commis. Voilà une des armes les plus puissantes du démon. Nos premiers parents en firent la triste expérience. Adam, au lieu d'avouer son péché, comme c'était son devoir, le rejette sur Eve; Eve en accuse à son tour le démon. Ils n'avaient qu'une chose à faire, c'était de dire à Dieu : Nous avons péché; nous avons désobéi à ta Loi; mais au contraire, loin de confesser leur faute, ils cherchent à l'excuser. Le démon sait que la confession du péché est le moyen le plus puissant pour l'effacer, que fait-il ? Il suggère à l'âme de se conduire avec impudence. Pour vous, mon très-cher frère, lorsque vous avez commis une faute, dites : J'ai péché, c'est là votre légitime défense. C'est ainsi que vous vous rendrez Dieu propice, c'est ainsi que vous éloignerez la rechute dans les mêmes fautes. Mais, si vous n'avez d'autre soin que de chercher des excuses imaginaires et de bannir de votre coeur tout sentiment de crainte, vous donnez à votre âme une facilité bien plus grande pour retomber dans les mêmes liens, et vous irritez la colère de Dieu.

Il n'est point de pécheur qui ne trouve dans son impudence une excuse à ses péchés. L'homicide rejette son crime sur la colère, le voleur sur la pauvreté, l'adultère sur la passion, un autre sur sa puissance. Ce sont là de vaines et frivoles excuses, des justifications que la raison ne peut avouer. Là n'est point la véritable cause du péché, n'en accusez que la volonté seule des pécheurs. Je le prouve par un exemple analogue. Voici un homme dont la vie se passe dans la pauvreté, il a aussi des passions, la nature lui fait sentir ses exigences, et cependant son âme reste pure de tout péché, quel moyen de défense pourront-ils donc alléguer ? Aussi écoutez ces belles paroles du Sage : "Qui fera ressentir la réprimande à mes pensées afin qu'elle n'épargne point mon ignorance ?" (Ecc 23,2). Considérez David, il ne cherche aucune excuse au péché qu'il a commis; il s'avoue coupable : "J'ai péché contre le Seigneur." (2 Roi 12-13). Il aurait pu dire : Pourquoi cette femme s'est-elle exposée aux regards dans cet état de nudité, pourquoi se baignait-elle sous mes yeux ? Il savait que c'était là des excuses absurdes; aussi leur préfère-t-il une justification plus sûre en disant : "J'ai péché." Ce n'est point ainsi qu'avait agi Saül. Samuel lui reproche d'avoir consulté une pythonisse, et il répond : "Je suis dans l'angoisse; car les étrangers combattent contre moi." (I Roi 28,15). Aussi fut-il puni rigoureusement. Son devoir était de dire : J'ai péché, j'ai transgressé la loi de Dieu, mais loin de tenir ce langage, il s'en va recourir à des excuses frivoles et insensées. "Comme les hommes qui commettent l'iniquité." Le psalmiste ajoute cette circonstance parce que c'est le propre des hommes d'iniquité, de se justifier avec impudence. Voilà pourquoi David recommande constamment, comme un acte essentiel de vertu, d'éviter tout commerce avec eux, et qu'il commence le livre des psaumes par ces paroles : "Heureux l'homme qui ne s'est point laissé aller au conseil des impies, qui ne s'est point arrêté dans la voie des pécheurs et ne s'est point assis dans la chaire de contagion." (Ps 1,1). Aussi, toutes les fois qu'il se rend coupable, vous le verrez faire l'aveu sincère de ses fautes. Lorsqu'il eut fait le dénombrement de son peuple, il s'écrie : "C'est moi qui ai péché, c'est moi le pasteur qui suis coupable." (II Roi 24,7). Il ne dit pas : Quel mal ai-je commis en faisant ce dénombrement ? Il se condamne lui-même, et il obtient ainsi le pardon de sa faute. Rien, en effet, ne nous rend plus digne de la miséricorde de Dieu que l'aveu sincère de nos fautes. Mais il faut pour cela fuir ces réunions qui n'ont d'autre objet que de détruire la crainte du péché, et de jeter les âmes dans un relâchement funeste. Voilà pourquoi saint Paul et Jérémie insistent tant sur ce point, et nous font un devoir rigoureux d'éviter tout commerce avec les méchants et avec ceux dont la vie est molle et dissolue. Job lui-même met la fuite des méchants au nombre des vertus : " Si j'ai marché, dit-il, avec ceux qui tournent tout en dérision." (Job 31,5). Le psalmiste va plus loin et déclare qu'il ne s'est pas même assis au milieu d'eux : "Je ne me suis point assis dans l'assemblée des railleurs." Aussi saint Paul ne veut pas qu'un chrétien s'asseoie à la table des méchants, ni qu'il ait le moindre rapport avec eux : "Que si quelqu'un n'obéit point à ce que nous ordonnons par notre lettre, écrit-il, notez-le, et n'ayez point de commerce avec lui." (2 Thes 3,14). "Je ne communiquerai point avec les plus distingués d'entre eux." Suivant une autre version : "Je ne mangerai pas de leurs mets les plus exquis;" suivant une autre : "Je ne prendrai aucune part à ce qui fait leurs délices." Le psalmiste donne ici le même conseil que l'Apôtre, c'est qu'il faut fuir leurs plaisirs et leurs festins où se commettent des péchés plus graves, et où règne une plus grande licence.

8. Une des marques certaines d'une vertu solide, un des moyens les plus puissants pour réprimer nos fautes, c'est de fuir ces festins, ces réunions, sans aucun égard pour de semblables amitiés, de peur en devenant esclave de la sensualité, d'affaiblir la force de notre âme, et de paralyser en nous la vigueur de la sagesse. C'est ainsi que nous en voyons un grand nombre qui, par de timides ménagements pour l'amitié, se sont engloutis dans les flots de l'ivresse, sont tombés dans les liens de la fornication, et ont allumé en eux le feu de la volupté en fréquentant ces banquets et ces théâtres où abonde l'iniquité. "Le Juste me reprendra et me corrigera avec charité; mais l'huile du pécheur n'engraissera point ma tête." (Ibid., 5). Un autre interprète traduit : "Que le Juste ait pitié de moi et qu'Il me reprenne dans sa Miséricorde." Voici le sens des paroles du prophète : Je ne veux avoir aucun rapport avec ceux qui me tiennent un langage flatteur pour me perdre, je m'attache de préférence à ceux qui plus sévères m'adressent des remontrances utiles, me découvrent mes péchés et me reprennent de mes fautes. En effet une des plus grandes marques de miséricorde et de charité c'est de panser les blessures de l'âme. "L'huile du pécheur n'engraissera point ma tête." Voyez-vous comme cette âme est affermie dans la vertu ? Elle accepte volontiers les réprimandes sévères des justes, et elle repousse les paroles flatteuses des méchants. Pourquoi ? Parce que la fausse compassion des uns a été souvent mortelle, tandis que les vifs reproches des autres ont été pour l'âme un principe de vie. D'un côté, la miséricorde se trouve jointe aux réprimandes; de l'autre, la mort suit de près la fausse compassion. C'est ce qui fait dire au Sage : "Les blessures des amis sont plus salutaires que les baisers flatteurs des ennemis." (Pro 27,6). Or, l'Apôtre fait une recommandation analogue à son disciple, lorsqu'il lui dit : "Reprenez, menacez, exhortez." (II Tim 4,2). Telle est, en effet, la réprimande des saints. N'est-ce pas ce que font aussi les médecins ? Ils ne se contentent pas de couper les chairs, ils pansent les blessures. Aussi Notre-Seigneur Jésus-Christ, pour rendre la réprimande plus acceptable, ne veut point qu'elle soit d'abord publique : "Allez, dit-il, et reprenez-le entre vous et lui seul." (Mt 18,15). C'est ce que pratiquait aussi saint Paul qui mêlait toujours la tendre compassion au reproche, et disait tantôt : " Ô Galates insensés !" (Gal 3,1); tantôt : "Mes petits enfants, pour lesquels je souffre de nouveau les douleurs de l'enfantement." (Gal 4,19). Celui qui remplit le devoir de la correction doit prendre tous les moyens possibles pour faire recevoir volontiers sa réprimande. Il lui faut un grand discernement pour bien appliquer ce remède, et une plus grande prudence qu'à celui qui pratique une incision sur le corps. Comment cela ? C'est que d'un côté, ce qui est soumis au fer du médecin est différent de la partie qui en souffre, tandis qu'ici, c'est la même substance qui supporte l'incision et qui en ressent de la douleur. "L'huile du pécheur n'engraissera point ma tête." Qu'est-ce à dire ? Le pécheur, dit le psalmiste, ne se propose pas l'utilité de celui à qui il s'adresse, mais la sienne propre, il veut paraître agréable et plein d'affection. Le juste au contraire, sacrifie ses intérêts aux intérêts de celui qu'il reprend. Voilà ce qui établit entre les deux une différence immense. Or, si nous devons punir les méchants, lors même qu'ils nous témoignent de la compassion, quand nous sera-t-il permis d'entrer en rapport avec eux ? Dans aucune circonstance. Ainsi, lors même que le pécheur vous offrirait de vous enrichir, vous promettrait des plaisirs et des honneurs, repoussez-le, fuyez-le. Mais pour le juste, fussiez-vous l'objet de ses railleries et de ses amers reproches, attachez-vous à lui, vous avez en lui un véritable ami.

"J'opposerai même ma prière à toutes les choses qui flattent leur cupidité." Une autre version porte : "Ma prière sera contre leurs vices;" une autre : "Ma prière sera opposée à leurs iniquités." Nous voyons ici ce que le psalmiste demande à Dieu et le concours qu'il prête à la grâce de Dieu; il nous apprend ainsi à ne point nous endormir au sein d'une trop grande confiance, et à coopérer de notre côté à la grâce de Dieu. Or, quelle est ici la part du prophète ? Ce ne sont ni des brebis, ni des boeufs, ni de l'argent, mais des moeurs parfaitement réglées, et une attention extrême à fuir l'exemple des méchants. Non seulement, dit-il, je ne veux ni de leurs pernicieuses flatteries, ni de leurs réprimandes, mais je me déclarerai ouvertement contre leurs convoitises; et loin d'accepter leur fausse compassion, j'opposerai ma prière à leurs coupables désirs. Tel est le sens de ces paroles : J'opposerai ma prière aux choses qui leur plaisent. "Leurs juges ont été engloutis, attachés à la pierre." (Ibid., 6). Une autre version porte : "Ils seront comme brisés en mille pièces contre la pierre." Nous voyons ici combien il est facile de triompher du péché et dans quels abîmes précipite le vice. Leurs chefs, dit le psalmiste, qui livraient tout au pillage, n'ont pu éviter la mort. Il ne dit pas simplement : ils ont péri, mais "ils ont été engloutis," c'est-à-dire, leur ruine a été si complète qu'il ne reste d'eux la moindre trace, ce que le prophète dit ailleurs de l'impie : "J'ai passé, et il n'était plus; je l'ai cherché, et je n'ai pas trouvé sa place." (Ps 36, 36). Que signifie cette expression "attachés ?" elle a le même sens qu'auprès. Le psalmiste veut donc dire : De même qu'une pierre qu'on précipite dans la mer ne reparaît plus à sa surface, ainsi la prospérité des méchants s'est abîmée sans retour dans une ruine complète. Ou bien encore il veut dire que leur force, leur puissance, leur pouvoir, crouleront pour ne plus se relever. C'est ce que signifie cette version : "Ils seront brisés en mille pièces contre la pierre." Ils entendront mes paroles, parce qu'elles sont pleines de douceur. Une autre version porte : "Parce qu'elles sont accompagnées d'une garde puissante;" une autre : "Parce qu'elles sont agréables," c'est-à-dire, ils sauront par expérience quel est le charme de mes enseignements et de mes conseils. Comment cela ? Parce que c'est le fruit naturel de la réprimande des justes, et que leurs leçons sont pleines de douceur et de charme.

9. Telle est en effet la vertu : pour quelques moments de peine, elle nous procure une joie éternelle. "Comme une terre dure et serrée se renverse sur une autre terre, nos os ont été épars auprès de la tombe." (Ibid., 7). Un autre interprète traduit : "Comme le laboureur lorsqu'il fend la terre, nos os ont été dissipés sur le bord de la tombe;" un autre : "De même que le fer brise et fend la terre, nos os sont épars près du tombeau;" un autre enfin : "De même que celui qui cultive et creuse la terre, nos os ont été épars près de la tombe." Après avoir retracé le charme ineffable de ses paroles, il rappelle le souvenir des épreuves passées. Nous avons souffert des maux extrêmes, dit-il, comme une terre déchirée, labourée, creusée en tous sens, nous avons été dispersés, voués à une ruine certaine, nous avons touché aux portes du tombeau; cependant, malgré ces rudes épreuves, nous préférons la réprimande et les leçons des justes à la fausse compassion des pécheurs. Quoi qu'il arrive en effet, nous restons attachés à l'espérance que nous avons en Toi, et rien absolument ne pourra nous empêcher de tenir nos yeux fixés sur Toi. Voilà pourquoi il ajoute : "Parce que mes yeux se sont élevés vers Toi, Seigneur, ne m'ôte pas la vie." (Ibid., 8). C'est-à-dire, quand toutes les calamités réunies, les guerres, les combats, la mort, les puissances de l'enfer viendraient fondre sur nous, nous ne nous séparerons point de cette ancre sacrée, nous conserverons la ferme espérance que Tu viendras à notre secours, et que sans armes et sans combats, nous serons par Toi délivrés de nos ennemis. "J'ai espéré en Toi, ne m'ôte pas la vie." Une autre version porte : "Ne fais pas que ma vie soit vide;" c'est-à-dire, ne permets pas que je sorte de cette vie sans avoir fait aucune bonne oeuvre. "Garde-moi du piège qu'ils m'ont dressé et des embûches de ceux qui commettent l'iniquité." (Ibid., 9). Ce ne sont pas ici des embûches ordinaires, mais des perfidies secrètes et cachées qu'il est très difficile de découvrir et de connaître sans le secours du ciel. Le psalmiste termine ce psaume comme il l'a commencé, par la prière. Il retrace à la fois la part d'action qui lui est propre : son espérance en Dieu, ses regards constamment fixés sur Lui, la fuite des assemblées des méchants, sa haine pour leurs plaisirs coupables; et celle qui appartient à Dieu, le secours et la protection qui l'ont fait triompher des plus grands obstacles. La vertu en effet pour être parfaite, demande le concours de la grâce de Dieu et de nos propres efforts. "Les pécheurs tomberont dans ses filets. Pour moi, je suis seul, jusqu'à ce que je passe." (Ibid., 10). Dans quel filet tomberont-ils ? Dans celui de Dieu; c'est-à-dire, ils seront chargés de chaînes et réduits en captivité. En effet, c'est le propre des justes de corriger leurs défauts et de réveiller en eux l'amour de la sagesse, comme c'est le propre des pécheurs dont les plaies sont incurables, d'aller jusqu'au châtiment, jusqu'au supplice. "Je suis seul, jusqu'à ce que je passe." Suivant une autre version : "Je suis en même temps, jusqu'à ce que je passe;" suivant une autre : "En moi-même." C'est-à-dire, je serai comme ramassé, concentré en moi-même et non répandu au dehors; ou bien suivant les Septante, je serai délivré des méchants, pur de tout commerce avec eux, et habitant seul avec moi-même, ce qui est la marque d'une haute vertu. Et ce n'est pas pendant un, deux ou trois jours qu'il est fidèle à cette règle, mais pendant toute sa vie. Rien ne nous défend, rien ne nous protège comme un rempart, rien ne développe autant la vertu comme de fuir la société des méchants, de se recueillir en soi-même tant que dure la vie, et de vivre loin de tout commerce avec les corrupteurs. Il ne suffit pas de vivre dans la solitude pour être seul, il faut avoir un coeur pénétré de l'amour de la sagesse. Par la même raison, ceux qui habitent au milieu du bruit et de l'agitation des villes, pourront jouir de cette solitude, s'ils fuient les assemblées corrompues et recherchent la société des hommes vertueux. Dans cette voie, on marche avec sécurité. Que celui donc qui se sent la force de redresser les autres, se mêle à ceux qui sont disposés à recevoir le remède, pour les rendre meilleurs. Que celui au contraire qui est faible, fuie le commerce des méchants, s'il ne veut que ce commerce lui soit funeste. C'est ainsi que sa vie s'écoulera dans le calme et la paix, et qu'il méritera les biens éternels. Puissions-nous tous les obtenir par la miséricorde de notre Seigneur Jésus Christ, à qui appartiennent la gloire et l'empire, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles. Amen.

Psaume 141

"J'ai élevé la voix en criant vers Toi, j'ai élevé la voix en T'adressant ma prière." (v. 2).

1. Vous voyez comment le prophète, suivant sa méthode habituelle, commence ce psaume de la même manière et répète deux fois ces paroles : "J'ai élevé la voix, j'ai élevé la voix." Cette répétition n'est pas sans objet, elle nous apprend combien son âme était fervente, son esprit attentif et aussi que c'est vraiment sa voix qu'il fait entendre. Tous en effet, n'élèvent pas la voix en priant, tous ne la dirigent pas vers Dieu, tous ne font point entendre leur propre voix. Or, le concours de ces trois choses est nécessaire à la prière. Celui dont la prière est un cri contre ses ennemis, ne fait pas entendre une voix humaine, mais la voix d'une bête féroce et d'un serpent. En voici un autre, dont l'âme est pleine de tiédeur, et n'entend pas ce qu'elle dit; il ne crie pas vers Dieu, ce sont des paroles inutiles et perdues. Un autre enfin, n'apporte aucune attention à la prière, il a beau élever la voix, il ne crie pas vers Dieu. La voix, comme je l'ai dit, ne signifie pas ici la force du son, mais l'attention soutenue de l'esprit. Le prophète au contraire, réunit ces trois conditions, il élève la voix, c'est à Dieu qu'il s'adresse, et c'est sa propre voix qu'il fait entendre. Voilà pourquoi il dit et répète : "J'ai élevé la voix, j'ai élevé la voix." "Je répands ma prière en sa Présence, et j'exposerai devant Lui mon affliction." (Ibid., 3). Voyez-vous une âme vraiment dégagée de tons les soucis de la terre ? Ce n'est point auprès des hommes que le prophète va chercher refuge et protection, c'est un secours invincible, c'est la force qui vient des cieux qu'il implore. Il nous révèle ensuite toute l'application, toute la ferveur intérieure de son âme, en ajoutant : "Je répands" avec abondance ma prière. Apprenons ici combien les afflictions sont utiles pour développer en nous l'amour de la sagesse. C'est là le fruit propre de la tribulation, gardons-nous donc de nous y soustraire. Elle porte avec elle deux avantages, elle nous fait redoubler de vigilance et d'attention, et elle est une juste cause de l'efficacité de nos prières. Aussi le psalmiste ne dit pas : J'expose ma justice, mes bonnes oeuvres, mais : "J'expose mon affliction, parce que c'est un puissant appui pour ma prière." Voilà pourquoi Isaïe parlant au nom de Dieu, disait : "Prêtres, exhortez le peuple, parlez au coeur de Jérusalem, parce qu'elle a reçu de la Main de Dieu le double de ce que méritaient ses péchés." (Is 40,1-2). Saint Paul dit aussi : "Livrez cet homme à Satan, pour mortifier sa chair, afin que son âme soit sauvée." (I Cor 5,5). Il écrivait encore aux Corinthiens : "C'est pour cela qu'il en est beaucoup parmi vous qui sont malades, languissants et qui dorment. Si nous commencions par nous juger nous-mêmes, le Seigneur ne nous jugerait pas. Mais lorsque nous sommes jugés par le Seigneur, Il nous châtie, pour que nous ne soyons pas condamnés avec le monde." (1 Cor 9, 30-32). C'est le langage qu'Abraham tenait au mauvais riche : "Vous avez vécu vos biens dans votre vie, et Lazare a reçu ses maux; maintenant donc, il reçoit la consolation, et vous êtes dans les tourments." David exprimait la même vérité, lorsque Seméi le maudissait : "Laissez-le me maudire, c'est Dieu qui le lui a commandé, afin qu'il vît mon humiliation." Partout enfin, nous voyons dans les Écritures que ceux qui supportent les afflictions en esprit d'actions de grâces, non seulement effacent la multitude de leurs péchés, mais jouissent auprès de Dieu d'un accès facile, d'une grande confiance. "Lorsque mon esprit était prêt à défaillir, et Tu as connu mes voies." (Ibid., 4). Là où les esprits pusillanimes trouvent une occasion de chute et d'injustes récriminations, le psalmiste s'inspire de la plus haute sagesse, parce qu'il a été instruit à l'école de l'adversité. Lors donc que vous voyez un homme que l'affliction jette dans le découragement, ou qui laisse échapper des paroles amères, n'en accusez pas l'affliction, mais la pusillanimité de celui qui tient ce langage. L'affliction de sa nature produit des effets tout contraires, l'attention de l'esprit, la contrition du coeur, l'application de l'âme, un accroissement de ferveur. C'est ce qui faisait dire à saint Paul : "La tribulation opère la patience, et la patience l'épreuve." (Rom 5,3). Les Juifs murmuraient au milieu de leurs épreuves, ces murmures leur étaient inspirés non par leurs afflictions, mais par l'égarement de leurs pensées, car les tribulations donnent aux saints une vertu plus éclatante, un amour plus vif de la sagesse. Aussi, entendez le psalmiste vous dire dans un autre endroit : "Il est bon, Seigneur, que Tu m'aies humilié, afin que j'apprenne tes préceptes si justes;" (Ps 118,71); et saint Paul : "De peur que la grandeur de mes révélations ne me donnât de l'orgueil, j'ai ressenti dans ma chair un aiguillon, l'ange de Satan pour me souffleter. C'est pourquoi j'ai prié trois fois le Seigneur, et Il m'a dit : Ma grâce te suffit, car ma Puissance éclate dans l'infirmité. Je me plais donc dans les afflictions, dans les infirmités, dans les persécutions, car c'est lorsque je suis faible, que je deviens puissant." (2 Cor 12,7-10). L'affliction a donc pour effet d'exciter la ferveur du prophète, de lui faire chercher son refuge en Dieu, de l'attacher d'autant plus étroitement à Dieu, qu'il est tombé dans un abîme plus profond, et de le rendre plus attentif et plus vigilant. C'est ce que signifient ces paroles : "Lorsque je sentais défaillir mon âme." Un autre interprète traduit : "Et Tu as su," au lieu de : "Tu as connu mes sentiers." Ils m'ont tendu un piège caché dans la voie où je marchais. Je considérais à ma droite, et je voyais, et il n'y avait personne qui me connût. Il dépeint la grandeur de ses calamités, ses malheurs qui vont toujours croissant, les embûches de ses ennemis, comment ils se sont approchés de lui pour le renverser, et ce qu'il y a de plus affreux, non seulement aucun secours, aucune aide, mais personne qui le reconnût.

2. On ne peut imaginer un abandon plus complet, un délaissement plus absolu. Il en est bien peu en effet, qui portent secours et appui à ceux qui sont dans le malheur, lorsque ce malheur semble les menacer eux-mêmes. Cependant le prophète non seulement n'a point souffert de cet abandon, il en a recueilli le précieux avantage d'une familiarité plus intime avec Dieu. Vous donc aussi, mon très-cher frère, lorsque vous voyez vos maux s'accroître, ne vous découragez pas, mais redoublez bien plutôt de vigilance. Dieu ne permet à cet orage de s'élever que pour vous faire secouer votre négligence, et sortir de votre sommeil. Alors en effet, vous rompez avec toutes les choses superflues, tous les soucis de la vie présente perdent pour vous leur attrait, vous devenez plus appliqué à la prière, plus porté à l'aumône et au mépris des jouissances sensuelles, et grâce à l'affliction, vous triomphez plus facilement de tous les vices de votre âme. Si Dieu nous a imposé dès le commencement les chaînes du travail et de la douleur, ce n'est point pour nous punir, bien qu'Il ait déclaré qu'Il les regardait comme un châtiment; c'est pour nous corriger et nous rendre plus parfaits. En effet, si malgré le travail et la souffrance qui sont notre partage, le vice a sur nous tant d'empire, dans quels excès ne nous jetterait-il pas sans ce frein salutaire ? Pourquoi vous étonner que tel soit le régime qui est imposé à l'âme, lorsque la souffrance est avantageuse même au corps, tandis que l'excès des jouissances sensuelles lui est si funeste ? Ces pièges qui nous sont tendus de tous côtés, nous rendent plus attentifs, et cette vigilance nous rend invulnérables. C'est ce qui fait dire au sage : "Reconnaissez que vous marchez au milieu des filets, et que vous vous promenez sur les toits des cités," (Ec 9,13) (suivant la version grecque), et au psalmiste : "Ils m'ont tendu des pièges cachés dans la voie où je marchais." Si l'on veut prendre ces paroles dans le sens anagogique, on verra que le démon tient la même conduite, et que ce n'est pas au loin, mais de près qu'il nous tend les pièges qu'il dissimule avec soin. Aussi, nous faut-il la plus grande vigilance, pour découvrir ces pièges qu'il nous cache, la vaine gloire dans l'aumône, la fierté présomptueuse dans les jeûnes. Ce n'est point, vous le voyez, dans des chemins qui nous sont étrangers, mais dans ceux ou nous marchons, et c'est ce qui rend pour nous le danger beaucoup plus redoutable.

"La fuite m'est devenue impossible." Voyez ce nouveau surcroît de malheur. Non seulement des pièges dans le chemin, personne pour lui porter secours, personne pour le reconnaître; mais la seule ressource qui lui restait lui est ôtée, il ne peut chercher son salut dans la fuite. C'est ainsi que les dangers l'assiègent de toutes parts, sans aucun moyen pour lui d'y échapper, et cependant, il se garde bien de perdre confiance. "Et nul ne cherche à me sauver la vie;" c'est-à-dire, à me défendre, à me porter secours. Que va-t-il donc faire ? Dans une si grande extrémité, dans cette privation absolue de tous moyens de défense, désespère-t-il de son salut ? Non, il se réfugie aussitôt dans les Bras de Dieu et Lui dit : " J'ai crié vers Toi, Seigneur, j'ai dit : Tu es mon espérance et mon partage dans la terre des vivants." (Ibid., 6). Voilà une âme vraiment vigilante; ses malheurs loin de l'accabler, lui donnent des ailes pour s'élever, et jusque dans cette extrémité où toute espérance semble perdue, il reconnaît la Main invincible de Dieu, sa puissance souveraine, et la facilité avec laquelle Il nous arrache aux plus grands dangers. J'ai dit : "Tu es mon espérance." Tous les moyens humains sont impuissants, la tempête défie tellement tous les secours que le naufrage est inévitable. Et cependant, malgré cette situation désespérée et l'épuisement absolu de toutes nos forces, tout nous est possible et facile, et cette espérance nous soutient et nous anime. "Tu es mon partage dans la terre des vivants;" c'est-à-dire, Tu es la part qui m'est échue, mon trésor, mes richesses, Tu es tout pour moi. "Dans la terre des vivants." La terre des vivants c'est sa patrie, car il compare souvent la captivité de Babylone à l'enfer et à la mort. Il se trouvait d'ailleurs dans une terre étrangère, où il ne voyait s'accomplir aucun des actes de sa religion, tandis que toutes les cérémonies du culte divin se célébraient dans sa patrie, et c'est ce qui lui fait dire : "Tu es mon partage dans la terre des vivants." Tu m'as toujours protégé dans la terre des vivants, dit-il à Dieu, j'y ai vécu avec Toi dans l'intimité et dans l'union la plus étroite. "Prête l'oreille à ma prière, car je suis humilié à l'excès." (Ibid., 7). Il fait valoir de nouveau les titres qu'il a déjà exposés à Dieu : j'ai été humilié, dit-il, j'ai été puni outre-mesure pour les péchés que j'ai commis. En parlant de la sorte il n'accuse pas la conduite de Dieu à son égard, il cède à un sentiment de douleur et de faiblesse naturelles. Si Tu ne tiens compte que de ce que méritent mes péchés, mon humiliation n'est pas trop grande, mais si Tu considères la faiblesse de celui qui souffre, l'épreuve est trop forte et dépasse la mesure. En effet, Dieu ne nous inflige jamais un châtiment proportionné à nos fautes; s'il paraît accablant à ceux qui souffrent, la cause n'en est pas dans les châtiments eux-mêmes, mais dans l'infirmité de ceux qui en sont l'objet. "Délivre-moi de ceux qui me persécutent, parce qu'ils sont devenus plus forts que moi." Voici une autre raison qu'il invoque, ce sont les injustes complots de ses persécuteurs et son extrême faiblesse. "Tire mon âme de sa prison, afin que je loue ton Nom." (Ibid., 8). "Louer," signifie ici rendre grâces, et le prophète veut dire : Délivre-moi de mes épreuves, de ces malheurs extrêmes dont la prison est la figure.

3. C'est encore faire preuve de grande vertu que de ne pas oublier au sein de la prospérité les bienfaits qu'on a reçus. Il en est beaucoup en effet, que l'affliction rend attentifs et vigilants, mais qui dans la prospérité, se laissent aller à la négligence et au relâchement; d'autres qui s'endorment au sein de la prospérité, tombent dans le désespoir et l'inertie la plus grande, dès que le malheur les atteint. Le prophète au contraire, dans des circonstances si différentes, professe toujours les mêmes sentiments. L'affliction, loin de l'abattre, lui inspire de recourir à la prière, et la prospérité, au lieu de nourrir en lui la négligence, le porte à témoigner à Dieu sa reconnaissance. "Les justes sont dans l'attente de ce que Tu me rendras." Une autre version porte : "Les justes me couronneront lorsque Tu m'auras comblé de bienfaits." Que signifient ces paroles ? Ce spectacle sera utile aux justes eux-mêmes. Ils seront dans la joie, ils se livreront aux transports de l'allégresse, lorsqu'ils me verront délivrés de mes maux. Tel est le caractère des saints, ils compatissent à ceux qui souffrent, et loin de porter envie à ceux qui sont heureux, ils partagent leur joie et leur allégresse, et les félicitent sincèrement de leur bonheur. C'est ce que saint Paul recommande aux fidèles : "Se réjouir avec ceux qui sont dans la joie, pleurer avec ceux qui pleurent." (Rom 12,15). Ce n'est point là l'effet d'une vertu médiocre. Il en est beaucoup qui insultent au malheur, portent envie à l'infortuné qui se relève, et ces deux dispositions, sont le triste fruit d'une souveraine inhumanité et d'une excessive cruauté. Les justes agissent sous une impression bien différente, ils sont affranchis de ces deux vices, parce qu'ils possèdent les deux vertus de miséricorde et de bonté. De même donc que la cruauté produit dans les autres deux dispositions contraires, ainsi les justes, sous l'impulsion de la bonté et de la miséricorde qui les animent, s'associent à la douleur de ceux qui souffrent et à la joie de ceux qui sont heureux.

Mais pourquoi ces paroles que le psalmiste ajoute : "Dans l'attente de ce que Tu me rends ?" Une autre version porte : "Quand Tu m'auras comblé de bienfaits," une autre : "Lorsque Tu m'auras donné le prix et la récompense de mes travaux." Il n'a parlé précédemment que de ses épreuves, de ses humiliations, il n'a rien dit de ses bonnes oeuvres et de la confiance qu'elles pouvaient lui inspirer. Quel est donc l'objet de la récompense qu'il demande ? Les jours de ses humiliations. Il n'appartient qu'à une vertu éminente de supporter la tribulation en esprit d'actions de grâces, et c'est pour cela qu'il appelle un juste salaire l'état heureux qui la suit. Ne nous laissons donc point abattre par les afflictions, mais prions pour ne point entrer en tentation, et acceptons les épreuves qui peuvent nous arriver. C'est par là que nous purifierons notre âme de ses péchés; et s'il y a en nous quelque vertu, elle en deviendra plus resplendissante. Nous en avons un exemple dans la personne de Job, à qui ses malheurs donnèrent un nouvel éclat. Cette conduite sévère est un bien même à l'égard du corps, non-seulement pour les hommes, mais pour les animaux, non seulement pour les animaux, mais pour les plantes elles-mêmes. Voyez le laboureur, il ne permet ni à ses vignes, ni à ses autres arbres d'avoir un feuillage trop riche, il retranche avec le fer tout ce qui lui paraît trop abondant, et il ramène ainsi toutes les forces de l'arbre vers ses racines, afin qu'elles ne s'épuisent pas inutilement à produire des feuilles ou des fruits de médiocre valeur. Le même phénomène se reproduit dans les hommes. Si vous dépensez toute votre activité en efforts inutiles, votre esprit deviendra impuissant à faire produire à la piété des fruits d'une maturité et d'une saveur parfaites. C'est ce qui arrive encore pour les eaux. L'eau qui est stagnante et sans écoulement, est malsaine, tandis que celle qui est en mouvement, qui coule dans des canaux et dans des aqueducs, est non-seulement plus salubre, mais plus agréable à la vue, au toucher et au goût. Souvent l'affliction opère des effets qui dépassent les forces de la nature. Nous voyons des objets sans consistance, qui retombent d'eux-mêmes vers la terre, mais qui se redressent tout à coup sous une pression qu'on leur fait subir. Il en est comme pour les hommes. Ceux qui supportent facilement les afflictions, s'élèvent à une hauteur surprenante, quand même leur âme aurait été attachée à la terre, et leurs inclinations sans noblesse et sans générosité; la tribulation est pour eux la source de mille avantages. Instruits de ces vérités, supportons en esprit d'action de grâces les épreuves qui nous sont envoyées, afin qu'elles nous deviennent plus légères, et que par elles nous méritions les biens éternels. Puissions-nous tous les obtenir, par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui appartiennent la gloire et la puissance, maintenant et toujours et dans tous les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 144

"Je T'exalterai, ô mon Dieu, ô mon Roi; et je bénirai ton Nom dans les siècles et dans les siècles des siècles." (v.1).

I. Il est juste de porter une attention spéciale sur ce psaume. C'est celui qui renferme les paroles que redisent incessamment les initiés à nos divins mystères : "Vers Toi sont dirigés les yeux de tous les hommes, et Tu leur distribues la nourriture dans le temps opportun." (Ibid., 15). Quand on a la dignité de fils, quand on peut s'asseoir à la table spirituelle, c'est à bon droit qu'on glorifie son père. "Le père est glorifié par le fils, le maître est craint par le serviteur." (Mal 1,6). Vous avez acquis l'honneur de la filiation, vous avez votre place au banquet sacré, vous prenez pour nourriture la chair et le sang de Celui qui vous a régénéré; rendez-Lui donc grâces pour un si grand bienfait, glorifiez-Le de sa Munificence, et, quand vous lisez les paroles du texte, conformez-y vos pensées. Lorsque vous dites : "Je T'exalterai, ô mon Dieu, ô mon Roi," montrez à Dieu la plus vive tendresse, afin qu'Il dise de vous ce qu'Il a dit des patriarches : "Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac, le Dieu de Jacob." (Ex 3,6). En prononçant ces paroles : "Mon Dieu et mon Roi," si vous ne les prononcez pas seulement de bouche et qu'elles soient l'expression de vos sentiments, Lui-même dira de son côté : Mon serviteur et mon enfant; ce que du reste il a dit de Moïse. "Et je bénirai votre nom dans les siècles, et dans les siècles des siècles." Vous le voyez, Il vous montre là les récompenses de la vie future. La bénédiction dont il s'agit n'est pas celle qui se traduit par des paroles, mais bien celle qui se manifeste par les oeuvres. Voilà comment nous pouvons exalter Dieu, Le bénir. C'est ce qu'il nous est ordonné de dire dans la prière : "Que ton Nom soit sanctifié," ou bien glorifié. (Mt 6,9).

"Chaque jour je Te bénirai, je louerai ton Nom dans les siècles, et dans les siècles des siècles." (Ps 144,2). Une autre version porte : "Dans les siècles sans fin." Le propre d'une âme pieuse, c'est de s'abstraire des choses de la vie pour s'adonner aux saints cantiques. Il serait honteux que l'homme étant doué de raison et le plus élevé de tous les êtres visibles, fût le dernier de tous en ce qui concerne les divines louanges; ce ne serait pas seulement honteux, ce serait encore déraisonnable. Et comment pourrait-il en être autrement, puisque toute créature glorifie le Seigneur à chaque instant du jour ? "Les cieux, dit le même prophète, racontent la Gloire de Dieu, et le firmament annonce la puissance de ses Mains. Le jour transmet la parole au jour, et la nuit lègue à la nuit la science." (Ps 18,2-3). Le soleil, la lune, tous les choeurs des astres, cette magnifique harmonie de l'univers, célèbrent à l'envi l'Ouvrier suprême. Dès lors, si celui qui l'emporte sur tous ces êtres n'accomplit pas ce devoir, s'il vit même de manière à faire maudire son Créateur, comment serait-il digne de pardon, quel moyen de défense pourrait-il invoquer ? Il a reçu l'existence pour plaire à Dieu, à ce Dieu plein d'amour pour les hommes, et pour posséder le royaume des cieux; et voilà qu'il ne tient aucun compte de cette distinction, qu'il se plonge tout entier dans les affaires du temps et les sollicitudes du monde. Telle n'était pas la conduite de David; durant tout le cours de sa vie il rendait gloire à Dieu par ses paroles et par ses oeuvres.

Nous sommes en toutes choses les débiteurs de la Bonté suprême : elle nous a tirés du néant, elle nous a faits ce que nous sommes, elle dirige cette vie qu'elle nous a donnée, chaque jour elle pourvoit à nos besoins généraux ou particuliers, d'une manière ouverte ou secrète, que nous le sachions ou que nous ne le sachions pas. Est-il nécessaire de dire les bienfaits qui tombent sous nos yeux, les services que nous rendent toutes les créatures, l'organisation du corps, la noblesse de l'âme, l'ordre constant de la Providence, son action par les miracles, par les lois, par les châtiments même, par tant d'autres moyens que nous ne pouvons embrasser, tous les biens réunis dans un seul, Dieu n'épargnant pas son Fils unique par amour pour nous, ce que nous avons déjà reçu dans le baptême et les autres sacrements, les dons ineffables que nous avons à recevoir encore, l'éternel royaume, la résurrection, l'héritage de la complète félicité ? Qu'on parcoure chacune de ces choses, et l'on sera entraîné dans un immense océan de bienfaits, et l'on verra combien nous sommes redevables à la Bonté du Seigneur. Ce n'est pas seulement là-dessus que repose notre dette, elle est encore basée sur la grandeur de la Majesté divine, sur l'excellence de cette Nature qui subsiste à jamais; car sous ce rapport nous Lui devons aussi la gloire, la bénédiction, d'immortelles actions de grâces, l'adoration, une infatigable obéissance.

C'est également là ce que le prophète nous enseigne quand il dit : "Grand est le Seigneur, et digne à jamais de nos louanges; sa Grandeur ne connaît pas de bornes." (Ibid., 3). "Je Le bénirai et je Le louerai," avait-il dit; et maintenant il montre que Dieu n'a nullement besoin de nos louanges et de nos bénédictions, que les hymnes de ceux qui le servent ne peuvent rien ajouter à sa Gloire; car sa Substance est à l'abri de tout amoindrissement et de toute nécessité, et les louanges dont Il est l'objet tournent uniquement à notre gloire. Ce n'est donc pas seulement à cause du bien qu'Il nous fait, c'est encore et surtout à cause de sa Grandeur infinie que nous Lui devons nos louanges; c'est la pensée du prophète quand il dit : "Grand est le Seigneur, et digne éminemment d'être loué;" rien ne Lui manque; mais Il a droit à nos louanges, à nos hymnes d'adoration et d'amour. Il n'en est pas seulement digne, Il en est infiniment digne. Tel est le sens de ce verset. Puis, le prophète désespérant d'exprimer cette dignité, ajoute : "Et sa Grandeur n'a pas de bornes." Au lieu de grandeur, une autre version porte invention. Voici la leçon renfermée dans ces mots : Puisque vous avez un Maître si grand, soyez grand vous aussi, et dégagez-vous des choses de la vie présente. Prenez des sentiments qui s'élèvent au-dessus des grossiers intérêts de la terre, non certes, pour vous enfler et vous enorgueillir, mais pour donner à notre âme l'ampleur et l'élévation qui lui conviennent. Autre chose est l'arrogance de l'orgueil, autre chose la grandeur d'âme. L'orgueilleux arrogant est celui qui se glorifie de choses de néant et qui méprise ses semblables : une âme grande est celle qui possède la véritable humilité et qui regarde comme rien toutes les pompes du monde.

2. Où sont maintenant ceux qui prétendent connaître Dieu comme Dieu Se connaît Lui-même ? Qu'ils entendent le prophète, quand il dit : "Sa grandeur n'a pas de bornes;" et qu'ils rougissent de leur folie. "Chaque génération en passant admirera tes ‘uvres." (lbid., 4). Ce qu'il a coutume de faire David, le fait encore ici : Après avoir célébré la Grandeur et la Gloire de Dieu, il en vient à célébrer ses ‘uvres. Vous l'entendez maintenant : "Chaque génération en passant, admirera tes ‘uvres." Par les oeuvres, il donne à comprendre la Grandeur de l'Ouvrier. Ces oeuvres n'ont pas été faites pour subsister un temps seulement et disparaître ensuite; leur existence ne se borne pas à deux ou trois années, elles s'étendent à tout le siècle présent, de telle sorte que chaque génération puisse les contempler à son tour. "La génération et la génération," porte le texte; la génération actuelle et celle qui la suit, celle qui devra venir après, toutes les générations, en un mot, qui se remplaceront sur la terre. Et ces oeuvres qui doivent avoir la même durée sont le ciel, la terre, la mer, l'air, les lacs, les fontaines, les fleurs, les semences, les plantes, la végétation tout entière avec tous les bienfaits dont elle est la source, ce cours de la nature qui n'est jamais interrompu, les pluies, les changements de saisons si régulières dans leur marche, la nuit et le jour, le soleil et la lune, tous les astres et toutes les autres créatures du même genre; outre cela, ce qui s'accomplit chaque jour, en public ou en particulier, pour la conversion et le salut du genre humain tout entier, les signes et les prodiges constamment opérés chez les Juifs, les victoires que la Providence leur faisait remporter, les moissons abondantes qu'elle leur ménageait, toutes les autres faveurs dont elle a comblé les hommes, soit à l'Avènement du Christ, soit au temps des apôtres, soit à l'époque des persécutions, soit même dans la génération présente, quoique ses Bienfaits aient été beaucoup plus nombreux et signalés chez les anciens. Il n'est pas d'époque qui n'ait reçu quelque preuve éclatante de son Amour, indépendamment des grâces communes et ordinaires. "Elles publieront sa Puissance," cette puissance qui se manifeste par les châtiments aussi bien que par les bienfaits; car Dieu ne cesse dans aucun temps de pourvoir par tous les moyens au bien de notre nature.

"Elles rediront la magnificence et l'éclat de ta Sainteté, elles raconteront tes Merveilles." (Ibid., 5). On lit dans une autre version : "Elles raconteront la beauté de ta Gloire et les discours de tes Prodiges." À peine le prophète a-t-il nommé la Puissance divine, qu'il nous la montre comme infinie : elle n'agit pas en vain ni pour accomplir des choses vulgaires; son Action est toujours admirable et merveilleuse, elle renverse toutes nos idées en dépassant notre intelligence, elle éblouit nos regards par le rayonnement du miracle et de la gloire. Considérez ce qui s'est fait en Égypte et dans la Palestine, au temps d'Abraham, d'Isaac et de Joseph; en Égypte encore, au temps de Moïse, dans le désert, dans la Terre promise elle-même; puis, durant la captivité, sous Nabuchodonosor, dans la fournaise de Babylone, dans la fosse aux lions; au retour des Juifs dans la patrie, dans ce qui regarde les prophètes. Toutes ces choses proclamaient la Puissance, la Gloire et la Magnificence de Celui qui les avait accomplies; elles jettent dans l'étonnement, elles frappent de stupeur. "Elles annonceront ta Force redoutable, elles publieront ta Grandeur," (Ibid., 6). On voit là les deux effets principaux de la Puissance divine : elle se manifeste par les châtiments comme par les faveurs, et les faits énumérés portent ce double caractère. Et ce n'est pas dans les événements seuls qu'on peut le remarquer, il existe aussi dans les créatures, qui servent d'instruments pour l'un et l'autre de ces deux genres de bienfaits : il y en a de terribles, comme les éclairs, le tonnerre, la foudre, les tourbillons de feu, la peste, la grêle, les insectes, la gelée, les incendies, les inondations; parmi les reptiles, les dragons, les scorpions, les serpents venimeux; parmi les animaux qui volent dans l'air, les sauterelles, et dans un ordre plus vil encore, les mouches et les chenilles; car tout cela vient aussi de la Providence, qui s'en sert pour rappeler les hommes à la vertu, les réveiller de leur indolence et les arracher à ce léthargique sommeil qui les empêche de travailler à leur salut. Dans les choses contraires se révèle aussi son Action toute puissante. C'est donc pour nous montrer ce double aspect de son Amour, que le prophète dit : "Elles publieront ta Force redoutable et ta Magnificence."

"Elles rediront les abondantes effusions de ta Douceur (de ta Bonté, lisons-nous dans une autre version); elles tressailliront dans ta Justice." Un autre interprète dit : "Elles loueront tes Miséricordes." (Ibid., 7). Pour nous, après avoir passé en revue les choses capables d'inspirer la frayeur, nous devons parler aussi de celles qui nous inspirent un sentiment opposé : dans ce qui frappe nos yeux et nous touche de plus près, les diverses saisons, les jours, les jardins, les prairies, les fleurs sans nombre, l'eau si douce dont nous nous abreuvons, les pluies qui nous sont si profitables, les moissons, les divers fruits, les arbres de différentes espèces, le souffle agréable des vents, les rayons du soleil, la douce clarté de la lune, les choeurs variés des étoiles, le calme heureux de la nuit; dans les animaux domestiques, les brebis, les chèvres et les boeufs; dans les bêtes fauves, les chevreuils, les cerfs, les lièvres et tant d'autres; dans les oiseaux, ceux qui nous viennent de l'Inde. Dans les ‘uvres du Créateur, nous ne voyons donc pas seulement le châtiment qui s'exerce, nous voyons encore et surtout le bienfait qui se répand et se multiplie. Les premières ont pour objet de nous ramener à Dieu par la crainte, comme nous l'avons déjà dit; et, si parfois le châtiment est réellement infligé, c'est à cause de ceux qui sont assez insensibles pour que la crainte ne puisse les corriger. Dans les secondes, Il Se montre plein de Magnificence, d'une Magnificence sans bornes, puisqu'elle éclate également sur ceux qui en sont dignes et sur ceux qui n'en sont pas.

3. Cherchant notre salut par tous les moyens possibles, Il accomplit tantôt les oeuvres de la justice et tantôt celles de l'amour, mais plus souvent ces dernières, parce que ce sont les seules de son Choix. Il nous menace de la géhenne, non pour nous l'infliger, mais pour ne pas nous l'infliger au contraire; c'est pour le diable qu'Il l'a préparée : "Allez au feu, dira-t-il, qui a été préparé pour le diable." (Mt 25,41). Pour les hommes, c'est le royaume qu'Il a préparé, montrant ainsi que sa Volonté n'est pas qu'un homme tombe dans la géhenne. "Le Seigneur est miséricordieux et clément, Il est plein de patience et de mansuétude. Le Seigneur a pitié de tous ceux qui souffrent, et ses Miséricordes sont par dessus toutes ses ‘uvres." (Ibid., 8,9). Vous le voyez, le prophète s'arrête davantage sur ce qui regarde les bienfaits, il en parle avec prédilection; car il n'ignore pas que la Bonté divine aime surtout à se manifester de la sorte. Aucun espoir de salut, si l'Amour de Dieu pour les hommes n'eût pas été ce qu'il est; supposez sa Bonté moins grande, et nous ne subsisterions plus. C'est pour cela qu'Il disait : "C'est Moi qui efface tes iniquités et qui te protège dans tes péchés." (Is 43,25).

"Le Seigneur est miséricordieux et clément." Comme il fait ressortir l'ineffable Bonté de Dieu pour les hommes ! Non seulement Il a pitié de ceux qui pèchent, semble-t-il dire, mais encore, leur donnant une autre preuve non moins touchante de sa Clémence, II se montre envers eux plein de longanimité, en leur donnant le temps de venir à résipiscence, et de joindre ainsi le concours de leur zèle à l'action de sa Bonté pour accomplir l'oeuvre de leur salut, et par là même les élever à la noble confiance d'une vie vertueuse. Ce n'est pas inutilement qu'après avoir dit que le Seigneur est miséricordieux, le prophète ajoute qu'Il est plein de miséricorde; il veut nous enseigner que cet Attribut divin se refuse spécialement à toute mesure comme à toute expression. Lui-même cependant s'efforce de l'exprimer, autant qu'il est possible, dans la suite de ce texte : "Le Seigneur a pitié de tous ceux qui souffrent, et ses Miséricordes sont par-dessus toutes ses ‘uvres." Il a pitié de tous, sans en excepter les pécheurs, les hommes qui vivent dans le crime. En effet, les justes ne sont pas les seuls témoins de son Amour, ni ceux qui se corrigent et font pénitence; tous les hommes sans exception, par les souffrances mêmes qu'ils endurent, proclament sa Clémence et sa Bonté. Voulez-vous des exemples ? Je vous les donnerai. Ce n'est pas pour Abel seul, c'est aussi pour Caïn; ce n'est pas pour Noé seul et sa famille, c'est encore pour ceux qui furent engloutis par le déluge, que Dieu se montra bon; car tout ce qu'Il fait provient de sa Miséricorde. Soyez attentifs, et vous verrez comment Il se montra bon pour tous. Quelle bonté n'était-ce pas, je vous le demande, à l'égard de ce fratricide, d'un homme qui s'était rendu coupable d'un tel forfait, dont les mains s'étaient baignées dans le sang et qui s'était à ce point joué des lois divines, de lui infliger un châtiment ou l'on pouvait voir une leçon plutôt qu'une peine, puisqu'il avait pour but de donner au coupable le temps d'expier son péché, tout en instruisant les autres par la vue de son infirmité ? Quelle bonté n'était-ce pas, je vous le demande encore, à l'égard de cette génération si profondément corrompue et dont le mal était incurable, que n'avaient pu corriger ni les menaces ni les raisonnements, de l'arrêter dans le cours de ses désordres par la loi commune qui pèse sur le genre humain, par la plus douce de toutes les morts, en la faisant périr dans les eaux ? La pensée du prophète ne s'arrête pas même aux hommes, elle s'étend à tous les êtres visibles, à tous les genres d'animaux. Je dis plus, élevez-vous jusqu'aux rangs des anges et des archanges, et vous verrez éclater la même bonté, la même miséricorde : pas une ‘uvre de Dieu qui ne soit l'expression de son Amour infini.

David le remarque lui-même, quand il dit après cela : "Que toutes tes ‘uvres, Seigneur, Te louent, et que tes saints Te bénissent." (Ibid., 10). Qu'ils vous rendent grâces, qu'ils élèvent vers Toi une hymne d'adoration, et les êtres qui possèdent la parole, et ceux qui ne la possèdent pas. Chacun de ces derniers, en effet, est constitué de telle manière qu'il bénit Dieu, sans pouvoir élever la voix, par sa seule nature; il a pour interprètes les hommes qui le voient et qui Le font servir à leur avantage : les êtres insensibles louent Dieu parce qu'ils sont, et les hommes le louent par ce qu'ils font, par le caractère de leur vie. C'est la leçon que le prophète nous donne, en ajoutant : "Et que tes saints Te bénissent." Il appelle saints les hommes fidèles à la loi de Dieu, ceux qui repoussent le mal et dont le coeur est inaccessible à l'iniquité. "Ils publieront la gloire de ton royaume." (Ibid., 11). Que veut-il dire par là ? Ils proclameront que Tu n'as nul besoin des créatures, que Tu es plein d'amour et de sollicitude pour les hommes, que les êtres soumis à ton empire sont l'objet d'un amour gratuit et ne peuvent rien faire pour Toi, que ta Lumière se dérobe à leurs regards, qu'ils ne sauraient exprimer ni comprendre ta Substance. "Ils célébreront ton Pouvoir." Ils chanteront ta Force irrésistible, ta Puissance infinie; ce n'est pas que Tu aies besoin de ces hymnes et de ces louanges; c'est pour leur propre bien et pour l'instruction des autres qu'ils Te louent. Ils amèneront ainsi leurs semblables à Te chanter avec eux. Écoutez encore le prophète : "Pour manifester ta Puissance aux enfants des hommes, la gloire et les splendeurs de ton règne. " (Ibid., 12). C'est bien nous faire voir que le Seigneur accepte nos louanges pour que les autres soient instruits de sa Grandeur. Grande est donc la Puissance de Dieu, grande est sa Gloire, ineffable est sa Majesté; elle ne défie pas seulement toute parole, elle triomphe encore de toute pensée. Et cependant, toute grande, tout ineffable qu'elle est, il faut des bouches qui la proclament à cause de l'ignorance de la plupart des mortels. Le soleil est bien le plus éclatant de tous les astres; mais ceux dont les yeux sont malades ne jouissent pas de sa clarté : la Providence de Dieu l'emporte en éclat sur le soleil lui-même; mais ceux dont la raison est pervertie, dont les oreilles sont fermées, ne sauraient la reconnaître si le zèle ne les en instruit pas.

4. Voilà donc un enseignement qu'il faut sans cesse leur prodiguer. Après avoir parlé de la gloire et de la magnificence du règne de Dieu, le prophète juge qu'il n'en a pas assez dit; il y revient, il tâche d'exprimer, autant qu'Il est en lui, ce qu'est cette Gloire divine : "Ton règne, s'écrie-t-il, est un règne de tous les siècles." (Ibid., 13). Il ne se renferme pas dans le présent, il s'étend à l'avenir; car c'est un règne sans limites, infini, ayant pour domaine l'éternité. "Et ta Domination ira de génération en génération." Cela veut toujours dire qu'elle n'aura pas de fin, qu'elle embrasse tous les êtres et tous les siècles, qu'elle subsiste partout et à jamais. "Le Seigneur est fidèle dans toutes ses Paroles, et saint dans toutes ses ‘uvres." Après avoir proclamé la grandeur infinie et l'inébranlable stabilité de son règne, le prophète rend encore hommage à la stabilité de sa Parole. "Le Seigneur est fidèle;" rien ne saurait ébranler sa Vérité. Or, s'Il est ainsi fidèle, tout ce qu'Il a dit s'accomplira. Autant son règne est à l'abri de toute secousse et de tout changement, autant sa Parole est à l'abri de toute défaillance; ni celui-là, ni celle-ci ne chancelleront jamais; et dire que la parole ne chancelle pas, c'est affirmer tout ce qu'elle annonce. Pourrait-on citer une chose qui ne se serait pas réalisée, cela même est une preuve de sa Vérité : "Soudain, Je parlerai contre une nation et contre un royaume, pour annoncer leur renversement et leur totale destruction; mais, s'ils font pénitence de leurs désordres, Moi aussi Je me repentirai de mes Menaces." La même chose a lieu pour les bons : "Je leur annoncerai des biens, ajoute-t-Il, mais, s'ils changent de conduite, Moi aussi Je changerai ce que J'aurai dit." (Jer 18,7-10). "Il est saint dans toutes ses ‘uvres." Qu'est-ce à dire, saint ? Irréprochable, droit, pur, infiniment supérieur à toute accusation comme à toute souillure. "Le Seigneur relève tous ceux qui tombent et rétablit tous ceux qui sont brisés." (Ps 144,14). Le prophète a donc attesté la grandeur du règne de Dieu, la vérité de sa Parole, l'inaltérable pureté de sa Conduite, sa Gloire et sa Splendeur; maintenant il parle de nouveau de sa Clémence, qui fait par-dessus tout la gloire de son règne : il nous Le représente donc soutenant ceux qui sont encore debout, prévenant la chute de ceux qui sont sur le point de tomber, relevant enfin ceux qui sont déjà à terre; et, ce qu'il y a de plus admirable, ce n'est pas à celui-ci ou à celui-là, c'est à tous qu'Il accorde une telle grâce, à tous sans en excepter les esclaves, les pauvres, les hommes de la dernière condition. Il est le Seigneur de tous, Il ne saurait passer à côté d'un homme tombé, ni fermer les yeux sur celui qui chancelle. Ce qu'Il a fait pour l'humanité tout entière, Il le fait pour chaque homme en particulier. S'il en est parmi les déchus qui ne se relèvent pas, ce n'est pas que son Secours leur manque, c'est qu'ils ne veulent pas en profiter. Judas lui-même, après sa chute horrible, Dieu l'aurait relevé; Il ne négligea rien dans ce but; c'est le coupable qui ne voulut pas. La Main divine releva David et l'affermit dans la justice; elle retint Pierre qui menaçait de tomber. Voici de quelle manière : "Simon, Simon, Satan a demandé que vous lui fussiez livré pour vous passer au crible; mais J'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille jamais." (Luc 21,31-32).

Le prophète passe ensuite à un autre genre de bienfaits; car les soins de la Providence sont multiples et divers. "Les yeux de tous espèrent en Toi, Seigneur, et Tu donnes à tous leur nourriture dans le temps opportun." (Ps 144,15). Avez-vous remarqué toutes ses ‘uvres ? L'Évangile a dit : "Il fait lever son soleil sur les méchants comme sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes." (Mt 5,45). C'est la même pensée que nous voyons ici : "Et Tu donnes à tous leur nourriture dans le temps opportun." Ce n'est pas précisément la pluie, la terre ou l'air, c'est l'ordre même de Dieu qui produit les moissons et les fruits. "Dans le temps opportun," dit le prophète, pour nous rappeler que toute chose a son temps déterminé, que les productions de la terre changent avec les saisons. Rien ne manifeste d'une manière plus évidente la Sagesse de Dieu, que cette attention à ne pas nous donner tout en même temps, à distribuer nos ressources dans tout le cours de l'année, pour que le laboureur ait des moments de trêve et que les fruits de ses labeurs ne périssent pas. Cette expression, "dans le temps opportun," ou bien veut dire que chaque chose a son temps déterminé, comme nous l'avons interprété déjà, ou bien signifie que Dieu donne leur nourriture à ceux qui sont dans le besoin. Comment le prophète a-t-il pu dire, me demandera-t-on : "Les yeux de tous espèrent en Toi ?" Car enfin beaucoup prétendent que tout dépend du hasard : ainsi pensent et parlent les impies. Le prophète veut seulement parler de la nature même des choses, comme lorsqu'il dit ailleurs : "Aux petits des corbeaux qui L'invoquent," (Ps 146,9), bien que les êtres privés de raison ne puissent invoquer Dieu. Il dit encore ailleurs : "Les petits des lions rugissent, appelant la proie et demandant à Dieu leur nourriture." (Ps 103,21). Ils ne demandent rien, eux non plus, n'ayant pas la raison en partage. C'est toujours de la nature des choses que le prophète entend parler : il n'attribue pas aux animaux une pensée délibérée, il fait allusion à l'irrésistible instinct de la nature.

"Tu ouvres ta Main et Tu combles tout animal de tes Bienfaits." (Ps 144,16). Il appelle main l'Action par laquelle Dieu nous fournit son Secours; c'est toujours nous enseigner que les fruits de la terre proviennent, non de la force des éléments, mais de la divine Providence. Nous y voyons encore l'admirable facilité de cette action : "Tu ouvres ta Main," Tu n'as qu'à l'ouvrir. Comme les hommes d'alors, laissant de côté la cause première de tous les êtres, adoraient l'air et le soleil, parce qu'ils y reconnaissaient le principe de tous les fruits, le Roi-prophète s'efforce de les ramener au principe suprême, à la cause universelle, au Seigneur; et c'est pour cela qu'il revient sans cesse à de tels enseignements, qu'il nous montre tous les biens découlant de la Main de Dieu, de sa Bonté paternelle.

5. Il comble tout animal de ses Bénédictions ou de ses Bienfaits, est-il dit encore, parce qu'Il traite chaque animal selon les vues de sa Providence, de la manière qu'Il juge convenable; Il ne se borne pas à donner les aliments, Il les distribue selon la nature et les besoins des diverses espèces. Expliquons encore cela : Tu donnes aux bêtes, aux hommes, à tous, ce qui convient et suffit à chacun; Tu ne donnes pas seulement, Tu remplis, si bien que rien ne manque. Voilà le sens de ces mots : "Tu combles tout animal de tes Bienfaits." Puis il continue : " Juste est le Seigneur dans toutes ses Voies, et saint dans toutes ses ‘uvres." (Ibid., 17). Il appelle voies du Seigneur la conduite de sa Providence, la Sollicitude avec laquelle Il dispose tout l'univers. - Oui, toutes ses ‘uvres sont des hymnes de louange, des miracles d'amour; elles ne fournissent aucun prétexte au blasphème, bien qu'il y ait tant de furieux et d'insensés. - Les ‘uvres de Dieu sont donc telles, qu'elles brillent et resplendissent, qu'elles vont proclamant partout la prévoyante Bonté, la Clémence, la Justice et la Sainteté de celui qui les a faites.

"Le Seigneur est près de tous ceux qui L'invoquent, de tous ceux qui L'invoquent dans la vérité." (Ibid.,18). C'est ici une autre manifestation de la Providence divine et la source de tous les biens. Après avoir signalé ceux que Dieu répand sur tous les hommes en général, même sur les infidèles, comme les moissons et les pluies, l'auteur sacré parle des bienfaits accordés aux fidèles seuls. Quels sont ces bienfaits ? Que Dieu soit près de ceux qui Le servent, qu'Il les couvre de sa Protection, qu'Il ait pour eux des soins particuliers, une bienveillance spéciale, un amour de prédilection, des faveurs que les autres ignorent. "Il accomplira la volonté de ceux qui Le craignent, Il exaucera leurs prières, Il les sauvera." (Ibid., 19). Quelqu'un me dira peut-être : Mais Paul voulait que l'ange de Satan s'éloignât de lui, c'est-à-dire la tentation, les tribulations, les embûches; et Dieu ne se rendit pas à ses voeux. - Il fit mieux que cela : dès que l'Apôtre eut compris qu'il demandait des choses contraires à ses véritables intérêts, il se prit à désirer avec une ardeur extrême son bien réel; et ce nouveau sentiment était l'‘uvre de Dieu. De là cette parole : "Je me trouve heureux dans les infirmités, dans les peines, dans les persécutions." ( 2 Cor 22,10). La volonté qu'il exprimait auparavant n'était qu'un effet de son ignorance; mais, quand il eut reconnu la Volonté de Dieu, il y conforma désormais la sienne. Ce que Dieu veut, les âmes qui Le craignent le veulent aussi, et, s'il arrive qu'elles veuillent autre chose par suite de la faiblesse humaine, elles se hâtent de revenir à de meilleurs sentiments.

"Le Seigneur protège tous ceux qui L'aiment; Il dispersera tous les pécheurs." (Ps 144,20). Voilà le rôle important de sa Providence : conserver, défendre, pourvoir à tout. Les pécheurs dont il s'agit dans ce texte sont ceux dont le mal est incurable, ceux qui refusent de se corriger. Si Dieu permet quelquefois que la mort frappe ceux qui L'aiment, c'est encore un effet de sa Protection : Abel en est un exemple frappant. Leurs corps périssent; mais leurs âmes jettent un plus vif éclat; ils reprendront même leurs corps, qui seront alors devenus immortels. Quand il a donc exposé les diverses formes que revêt la Prévoyance divine, autant du moins qu'Il était en lui, quand il nous l'a montrée s'occupant de tous les hommes en général et de chaque homme en particulier, des justes et des pécheurs, de ceux qui chancellent et de ceux qui sont déjà tombés, la Patience que Dieu met à raffermir les uns comme à relever les autres; le prophète termine par un élan d'admiration et de louange : il appelle tout l'univers à bénir le Seigneur avec lui. "Ma bouche ne cessera de louer le Seigneur; et que toute chair bénisse son saint Nom dans les siècles, et dans les siècles des siècles." (lbid., 21). Dans la sainte ardeur qui l'anime, il convoque en même temps, et ceux qui sont comblés de bienfaits, et ceux qui subissent des châtiments, cette autre marque de la Bonté divine, et non seulement les hommes, mais encore les animaux, les éléments, toute la nature insensible, puisque tout est rempli de cette même bonté. Ne cessons donc jamais nous-mêmes de louer par nos paroles et par nos actes ce Dieu si bon, dont la Bienveillance et l'Amour embrassent tous les temps et tous les êtres; et nous obtiendrons les biens présents avec l'espérance des biens à venir, par la Grâce et la Bonté de notre Seigneur Jésus Christ, à qui gloire et puissance, dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 145

"Mon âme loue le Seigneur. Je louerai le Seigneur durant ma vie; je chanterai mon Dieu tant que je resterai sur la terre." v. 2.

1. Il commence encore comme il avait fini, par la louange. Au fond, rien ne saurait mieux purifier le coeur. Mais la louange dont il parle, est celle que les actes font éclater, comme je me plais à le redire. C'est bien celle que le Christ voulait aussi. "Que votre lumière brille aux yeux des hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux." (Mt 5,16). Paul dit à son tour : "Glorifiez Dieu dans votre corps et dans votre âme." (I Cor 6,20). Dans le psaume précédent le saint roi disait : "Je Te bénirai chaque jour de ma vie;" et maintenant il dit : "Je chanterai mon Dieu tant que je resterai sur la terre." Après cela, poussé par le désir de voir encore une fois tous les hommes participer à ses hommages, il entre dans le détail des Miséricordes du Seigneur; le feu dont il est enflammé lui fait parcourir l'univers entier pour les entraîner tous dans ses pieux cantiques, on ne saurait offrir à Dieu de plus magnifiques louanges, ni mieux le glorifier, qu'en cherchant de la sorte à sauver avec soi le plus d'hommes possible. "Ne mettez pas votre confiance dans les puissants, dans les enfants des hommes; en eux n'est pas le salut." (Ibid., 3). Une autre version porte : "En celui qui ne peut pas sauver." Qu'ils écoutent ce conseil, qu'ils profitent de cette leçon, ceux dont les regards s'attachent aux secours humains, si vains et si fragiles.

Que signifient ces mots : "En eux n'est pas le salut ?" Il n'est pas en leur pouvoir de se sauver eux-mêmes, ils n'ont pas la force de se défendre; sitôt que la mort survient, les voilà gisant plus muets que les pierres. Le prophète exprime cette pensée quand il ajoute : "L'esprit de l'homme s'évanouira, et lui-même retournera dans la terre. En ce jour périront toutes ses pensées," ou bien, d'après une autre version, "tous ses projets." Or, voici la portée de ce langage : Celui qui ne peut pas se défendre lui-même, combien pourrait-il arracher les autres au danger ? Rien n'est faible, rien n'est dénué de fondement comme une telle espérance. Nous le voyons par la nature même des choses. C'est pour cela que Paul disait de l'espérance qui repose sur Dieu : "Et l'espérance ne confond pas." (Rom 5,5). Mais ainsi ne vont pas les choses humaines; elles n'ont pas plus de consistance qu'une ombre.

Ne me dites donc pas : C'est un homme puissant. - Celui qui commande n'a rien de plus que le dernier des sujets; sa condition n'est pas moins incertaine, Devrais-je même vous étonner, j'ajoute que c'est précisément à cause de ce haut rang. que vous ne devez pas reposer en lui vos espérances. De telles positions sont toujours les plus périlleuses. Supposez que cet homme n'éprouve aucun revers, peut-être est-il sujet à la colère, peut-être aussi son pouvoir le rendra-t-il ingrat et lui fera-t-il perdre la mémoire des services qui lui furent rendus. S'il est juste et reconnaissant, il court par là-même plus de dangers qu'un simple particulier, il est entouré de pièges plus nombreux et plus funestes; sa défaite et sa chute sont d'autant plus probables qu'il a plus d'envieux. Que signifient donc les gardes qui l'entourent, tant de précautions pour sauvegarder sa vie ? Comment un homme qui n'a pas de sécurité dans un peuple où règnent cependant l'ordre et les lois, qui vit au milieu de ses concitoyens comme au milieu des ennemis, toujours en sollicitude pour lui-même, pourrait-il sauver les autres ? Comment un homme qui dans la paix éprouve de plus fortes terreurs qu'on n'en éprouve dans la guerre, pourrait-il mettre en sûreté l'existence d'autrui, la délivrer du danger ? Beaucoup qui par eux-mêmes eussent pu couler des jours calmes et tranquilles, ont été pris comme dans un piège en se reposant sur de tels appuis : ils sont tombés en même temps que tombaient leurs protecteurs, et c'étaient les gardes eux-mêmes qui souvent trahissaient ces derniers. Mais, plusieurs ayant le bonheur d'échapper à ces périls, le prophète laisse tout cela de côté pour rappeler une chose qui, celle-là, n'est pas douteuse, la mort. - Je veux que tout vous succède, que votre protecteur soit reconnaissant et généreux; s'il vient à mourir quand il n'a pas encore accompli ses promesses, c'est une cruelle déception qu'il vous a ménagée, du moment où la durée de sa vie n'était pas égale à l'étendue de ses voeux.

Puisqu'il en est ainsi et que cette disproportion n'est que trop évidente, avouez que vous avez mis votre espoir dans un bien faible auxiliaire. Ignorez-vous que beaucoup ont fait la triste expérience de cette vérité, que plus ils ont compté sur un secours aussi ruineux, plus leur chute a été désastreuse ? Ai-je besoin de dire que les promesses s'en vont en fumée, lorsque celui qui les a faites et qui seul pouvait les accomplir a lui-même disparu ? "Il retournera dans la terre d'où il est sorti." S'il périt, à plus forte raison tout le reste. Voilà pourquoi la parole qui suit : "En ce jour-là périront toutes leurs pensées;" ce qui signifie non seulement que les promesses seront sans effet, mais encore que l'auteur de ces promesses sera lui-même exterminé. Que fait après cela le prophète ? Quand il nous a détournés des secours humains, il nous montre un port assuré, une tour inexpugnable, et nous conseille de nous y réfugier. On ne saurait imaginer de conseil plus salutaire : éloigner des choses faibles pour conduire à celles que rien ne peut ébranler, détruire les illusions pour établir la vérité, repousser ce qui trompe pour présenter ce qui sert. "Heureux celui dont le Dieu de Jacob est le soutien, et dont l'espoir repose sur le Seigneur son Dieu." (Ibid., 5). Quelle effusion de lumière et d'amour ! La béatitude renferme ici tous les biens, elle est l'objet d'une espérance inébranlable. Après avoir proclamé heureux celui qui met son espoir dans le Seigneur, il dit la puissance d'un tel auxiliaire : d'un côté, c'est un homme de l'autre, c'est Dieu : celui-là va disparaître; celui-ci demeure à jamais. Il ne se borne pas à parler de Dieu, il nous donne encore ses oeuvres pour garant de notre espoir : "Qui a fait le ciel, la terre, la mer, et tout ce qu'ils renferment." (Ibid., 6).

Si les oeuvres de Dieu sont permanentes, à plus forte raison L'est-Il Lui-même, aussi bien que sa Puissance; et c'est par ses Oeuvres qu'il Se montre à nous sous ce même rapport. S'il a pour Lui la durée et la puissance, n'aurait-il pas la volonté ? C'est ce que beaucoup d'insensés osent dire. Mais voyez comme le prophète dissipe ce soupçon. À peine a-t-il dit : "Qui a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu'ils renferment," qu'il ajoute : "Qui maintient la vérité dans tous les siècles, et rend justice aux opprimés." (Ibid., 7). Voici le sens de ces paroles : II appartient à Dieu, c'est son Oeuvre par excellence, de venir au secours des opprimés, de ne pas oublier ceux qu'on persécute, de tendre la main à ceux qui sont entourés de pièges, et cela, pour toujours. C'est ce que signifie l'expression : "Dans tous les siècles."

Voici maintenant la suite du psaume : "Il donne la nourriture à ceux qui ont faim. Le Seigneur délie ceux qui sont chargés de fers, le Seigneur rend sages les aveugles." Une autre version dit : "Illumine. Le Seigneur relève ceux qui sont tombés, le Seigneur aime les justes, le Seigneur protège les étrangers, Il prendra la veuve et l'orphelin sous sa défense, il bouleversera la route des pécheurs." (Ibid., 7-9). Avez-vous remarqué d'abord comme le prophète nous montre la divine Providence s'étendant à tout, mais s'appliquant en particulier à secourir les malheureux, à soulager la faim, à briser les chaînes ? Tout cela cependant, les hommes le peuvent dans une certaine mesure; mais il n'en est plus ainsi de ce qui vient après : Il corrige les vices de la nature elle-même, Il relève ceux qui se sont brisés dans leur chute, Il glorifie ceux qui brillent par leur vertu, il sauve les malheureux qu'on délaisse, Il essuie les larmes et calme les douleurs des orphelins et des veuves. Eu ajoutant après cela : "Il aime les justes," le prophète nous fait voir que le Seigneur a porté secours aux autres uniquement à raison de leur malheur : ceux qu'Il nourrit, Il les nourrit parce qu'ils ont faim, ce qui certes n'a pas de rapport avec la vertu; Il délivre les captifs parce qu'Il a pitié de leurs chaînes, ce qui ne tient pas non plus à la vertu, mais à l'infortune; s'Il éclaire les aveugles, c'est encore pour guérir leur infirmité, non pour récompenser leurs bonnes oeuvres. Il en est de même de l'homme brisé par sa chute, de l'étranger, de l'orphelin et de la veuve. Or, si Dieu vient au secours des infortunés, à plus forte raison des amis de la vertu.

S'il est donc vrai que sa Bienveillance égale son Pouvoir, des tout est permanent en Lui, qu'Il accueille favorablement la vertu, qu'Il a pitié de l'infortune, pourquoi ne laissez-vous pas de côté l'être faible et sujet à la mort, pour chercher un asile auprès de Celui qui possède une force invincible, qui ne repousse jamais le malheur, qui le relève au contraire, qui peut tout ce qu'Il veut ? Examinez la fin de ce cantique, et voyez quelle en est la précision. Il ne dit pas que Dieu dispersera les pécheurs, mais bien qu'Il dissipera leurs voies, c'est-à-dire leurs actes. Ce n'est pas la nature, en effet, c'est le vice qu'Il a en horreur. "Le Seigneur régnera dans tous les siècles; ton Dieu régnera, ô Sion, d'âge en âge." La perpétuité de son règne, aussi bien que de son Existence, ne saurait être révoquée en doute; et, s'Il n'accorde pas ici-bas la récompense, Il la réserve pour un monde meilleur.

Ne nous laissons donc pas abattre et troubler dans les épreuves, quand nous n'en voyons pas de sitôt la fin; reposons-nous sur le Seigneur du soin de les terminer. Si nous faisons quelque bien, ne demandons pas aussitôt notre récompense; encore en cela conformons-nous au bon Plaisir de Dieu : plus il diffère, plus Il donne avec magnificence. En toute occasion rendons-Lui grâces et ne cessons de Le louer. Ainsi nous passerons avec une pleine sécurité le temps de la vie présente, et nous acquerrons les biens ineffables de l'éternité, par la Grâce et l'Amour de notre Seigneur Jésus Christ, à qui gloire et puissance, en même temps qu'au Père, principe sans principe, et au saint Esprit, source de vie, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 146

1. Plus haut, dans le cent quarante-quatrième psaume, le prophète a dit : "Grand est le Seigneur et digne de louanges infinies;" puis il a beaucoup parlé de la Gloire de Dieu. Ici, c'est l'acte même de la louange qu'il proclame un bien, c'est le psaume qu'il nous montre comme une source intarissable de grâces. Il détache l'âme de la terre, il lui donne des ailes embrasées, il la tient à d'incomparables hauteurs. Voilà pourquoi Paul disait : "Chantez dans vos coeurs des hymnes et des psaumes au Seigneur." (Ep 5,19). "Que la louange soit agréable à votre Dieu." Une autre version porte: "Alléluia, parce qu'il est bon de chanter Dieu." Pourquoi cette parole: "Que la louange soit agréable à votre Dieu ?" - Qu'elle soit favorablement accueillie; mais pour cela, pour que la louange soit réellement agréable à Dieu, il ne suffit pas que la voix chante, il y faut aussi la vie, la prière, la vigilance et l'amour. - Pour moi, j'ai la pensée que ce psaume s'applique au retour de la captivité; c'est ce que me paraissent montrer les paroles qui suivent: "C'est le Seigneur qui relève les murs, de Jérusalem, Il réunira les restes dispersés d'Israël." (Ps 146,2). C'est bien Cyrus qui les renvoya dans leur patrie, mais sans avoir conscience de ce qu'il faisait; tout arrivait par la Volonté divine. Un autre interprète dit simplement : "Le Seigneur bâtira...," et remplace ensuite l'idée de dispersion par celle d'expulsion. Tout cela s'explique : ils ne furent pas tous ramenés à la fois; après l'ordre du retour, ils se réunirent peu à peu.

"C'est Lui qui guérit ceux dont le coeur est broyé et qui bande leurs blessures." (Ibid., 3). Une autre version : "Toutes leurs fractures." Comme le prophète connaissait la fragilité de la vie, l'image du malheur et celle de la divine Miséricorde sont invoquées de nouveau par lui. C'est en quelque sorte la fonction propre de Dieu de consoler ceux qui sont humiliés; Paul le désigne comme étant celui "qui vivifie les morts," (Rom 4,17), et qui de plus appelle les choses qui ne sont pas, comme celles qui sont." C'est encore la fonction propre de Dieu qu'il désigne, comme le prophète quand il disait : "Qui guérit ceux dont le coeur est broyé," nous montrant par là que, malgré notre indignité, du moment où nous sommes son oeuvre, Dieu n'abandonnera pas ce qu'Il a lui-même créé et sera toujours semblable à Lui-même. Paul dit aussi : "Celui qui console les humbles, nous a consolés." (Il Cor 7,6). Isaïe avait dit avant lui : "C'est Lui qui donne la confiance à ceux dont l'âme est affaiblie." (Is 57,15). David lui-même s'exprime ailleurs en ces termes : "Dieu ne méprisera pas un coeur contrit et humilié." (Ps 50,19). Voulez-vous obtenir les divines consolations, humiliez-vous, courbez votre intelligence.

Ce qui précède regarde la Bienveillance de Dieu, sa Libéralité, son Amour pour les hommes; nous y voyons que c'est comme la fonction de sa Providence de secourir ceux qui sont dans le malheur. Ce qui suit regarde sa Puissance. "Il compte la multitude des astres;" (Ps 146,4); Il en sait le nombre. Comme il s'agissait d'une multitude dispersée et qui ne paraissait nulle part, c'est avec à-propos que l'auteur sacré choisit cet exemple, son intention étant de montrer que Dieu pouvait réunir sans peine son peuple dispersé, Lui qui relève et console les affligés, Lui qui compte exactement l'innombrable multitude des étoiles. Il pourra donc aussi nous ramener et nous réunir tous, quoique nous devions égaler ce nombre, selon qu'Il nous l'a promis. "Il leur donne à tous un nom." Une autre version supprime le mot "leur." Une autre encore porte : "Il les appellera tous par leur nom." J'ai la conviction qu'il parle là des Israélites, et que le Roi-prophète exprime la même pensée qu'exprimera plus tard Isaïe : "Ne crains pas, Israël. Je t'ai appelé des antres de la terre, et Je t'ai dit : Tu es mon enfant." (ils 41,9). Que signifie cette parole : "Il les appellera tous par leur nom ?" - Aucun d'eux ne périra, Il les ramènera tous jusqu'au dernier, comme lorsqu'on fait un appel nominal.

"Grand est le Seigneur que nous avons, grande est sa Puissance." (Ibid., 5). Il venait de dire une chose étonnante, à savoir que Dieu réunirait de nouveau tant de milliers d'hommes dispersés sur la surface de la terre; il parle donc maintenant de sa Puissance, afin de créer cette conviction dans l'âme des Juifs, que tout cela remplissait de trouble. "Et sa Sagesse est au-dessus de toute pensée." Ne demandez donc pas comment et par quels moyens Il agit; car sa Grandeur est infinie. C'est l'expression même d'un autre psaume : "Sa grandeur n'a pas de bornes." (Ps 144,3). Sa Sagesse n'est pas moins infinie que sa Grandeur. C'est pour cela qu'après avoir dit : "Grand est le Seigneur que nous avons," le prophète ajoute : "Et sa Sagesse est au-dessus de toute pensée." Sa Science est également admirable; et de là cette expression : "La connaissance que Tu as de moi m'étonne; elle me domine, et je n'y puis résister." (Ps 138,6). Ses Jugements aussi sont insondables; David le disait ailleurs : "Tes Jugements sont un abîme sans fond." (Ps 35,7).

2. En présence de cette grandeur, de cette puissance et de cette sagesse, ne cherchez donc pas comment s'accompliront ses dessins. "Le Seigneur accueille les hommes humbles et doux, il abaisse les pécheurs jusqu'à terre." (Ps 146,6). Pour que les insensés n'eussent pas à dire : Que nous importe à nous qu'il connaisse parfaitement tous les astres? le prophète expose à nos yeux le soin que Dieu prend des hommes. Il ne dit même pas : Le Seigneur vient en aide aux hommes humbles et doux; il dit quelque chose de bien plus fort : "Il les accueille;" Il les reçoit; c'est comme s'il parlait d'un tendre père; j'insiste sur cette expression : Il les réchauffe, Il les porte dans ses Bras. Voyez-vous, encore une fois, combien sa Puissance se montre irrésistible sous ce double aspect, et quand il s'agit d'élever les humbles, et quand il s'agit d'abaisser les superbes ? Il humilie ces derniers, non d'une manière quelconque, mais au suprême degré, "jusqu'à terre," selon l'expression du psalmiste. "Chantez au Seigneur un cantique de louanges." (Ibid., 7). Une autre version dit : "Racontez ses louanges." Après avoir donc signalé les Oeuvres de Dieu, le prophète nous appelle de nouveau à célébrer sa Gloire : "Chantez au Seigneur un cantique de louanges," dans une sainte ardeur, avec des transports de reconnaissance. "Chantez notre Dieu sur la cithare" D'après une autre version : "Sur la lyre." <"C'est Lui qui couvre le ciel de nuées et qui prépare la pluie pour la terre." (lbid., 8). L'auteur sacré n'a pas voulu qu'un insensé pût dire : Que me fait à moi ce qui se passe dans les régions célestes? Il se hâte donc d'ajouter ce qui touche à l'intérêt des hommes, en disant la raison pour laquelle Dieu couvre le ciel de nuées. - C'est pour toi, semble-t-il me dire, c'est pour te donner la pluie; car la pluie est bien pour toi, elle enrichit tes prairies. - Remarquez encore sa Sagesse : Il nous parle là des biens communs, de ceux qu'il donne à tous, et dont l'abondance doit certes fermer la bouche de l'impie. Or, s'il se montre aussi magnifique envers les infidèles, si pour eux il rassemble les nuées, fait tomber la pluie et féconde la terre, que ne fera-t-Il pas pour vous, son peuple particulier? "Il produit le foin sur les montagnes." Remarquez une fois de plus l'étendue de sa Providence : ce n'est pas seulement dans les terres cultivées, c'est encore sur les montagnes qu'il dispose une table abondante pour les animaux destinés au service de l'homme. Voilà pourquoi le prophète ajoute : "Il donne leur nourriture aux bêtes de somme ainsi qu'aux petits des corbeaux, qui L'invoquent." (Ibid., 9). Nous apercevons ici la Magnificence divine sous un autre aspect: ce n'est pas seulement aux animaux domestiques, à ces utiles serviteurs de l'homme; c'est encore aux bêtes sauvages que la nourriture est donnée: "Ainsi qu'aux petits des corbeaux, qui L'invoquent." Si la Providence étend ses soins sur tous les animaux, sans en excepter ceux qui vivent loin de l'homme et qui ne lui sont d'aucun secours, combien plus n'aura-t-elle pas soin des hommes eux-mêmes, et particulièrement des hommes qui louent et chantent le Seigneur, et qui par là-même sont appelés son peuple spécial, la portion de son héritage? Puis, comme le prophète parlait à des êtres faibles et désarmés, dénués de tout appui, voyez de quelle manière il les prémunit contre le trouble qui devait les saisir, et contre leur faiblesse même.

"Le Seigneur dédaigne celui qui se confie dans la force de son cheval ou dans la vitesse de ses pieds. Le Seigneur met sa complaisance en ceux qui Le craignent, en ceux qui comptent sur sa Miséricorde." ou bien, d'après une autre version : "Qui attendent sa Miséricorde." (Ibid., 10,11). Si vous avez ces deux choses, dit-il, la crainte et l'espérance selon Dieu, vous obtiendrez sa Bienveillance; et, cette bienveillance vous étant acquise, vous l'emporterez sur tous ceux qui possèdent des chevaux et des armes. Ce qu'on exige de vous, c'est que vous ne tombiez ni dans l'abattement, ni dans le trouble, et que vous espériez en sa Miséricorde; la véritable espérance consiste à ne pas se déconcerter, à ne pas se décourager, quand le secours se fait attendre. - C'est avec raison qu'il dit : "Sur sa Miséricorde;" car ils ne pouvaient pas compter sur leurs propres actions. - Quoique vous n'ayez donc pas de bonnes oeuvres à faire valoir, si vous espérez seulement en sa Miséricorde, vous serez l'objet de sa sollicitude et de sa protection.

Puissions-nous tous obtenir cette faveur, par la Grâce et l'Amour de notre Seigneur Jésus Christ, à qui gloire et puissance, dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 147

"Jérusalem, loue le Seigneur; Sion, loue ton Dieu." (v. 1).

"Ce n'est pas à la ville, c'est aux habitants que le prophète adresse évidemment la parole, agissant ici comme dans tout le reste de son livre. Il les conjure donc et les presse de rendre grâces à Dieu pour les bienfaits qu'ils ont reçus, et de mettre leur confiance, non dans la hauteur de leurs murailles ni dans la solidité de leurs bastions, mais dans sa prévoyante bonté. Ce principe posé, il poursuit en ces termes : "Car Il a consolidé les serrures de tes portes, Il a béni tes fils dans ton enceinte." (Ibid.,2). Que signifie cette expression : "Il a consolidé les serrures ?" Il t'a mise en sûreté, il t'a faite inexpugnable. "Il a béni tes fils," Il les a multipliés d'une manière admirable. Voilà un premier bienfait; en voici maintenant un second : "En toi, dans ton enceinte." Ils ne sont ni divisés, ni dispersés, veut-il dire, c'est dans ton sein, sans s'éloigner de toi, qu'ils se sont ainsi multipliés.

Vient après cela une autre manifestation de la divine Providence : "Il t'a donné la paix pour frontières." (Ibid.,3). Il serait possible qu'ils eussent la sécurité au dedans et qu'ils fussent en aussi grand nombre, tandis qu'ils auraient à supporter la guerre. Eh bien, non; il déclare qu'ils seront à l'abri de tels dangers, que la ville n'en sera pas seule délivrée, que les frontières elles-mêmes en seront exemptes. Voyez déjà que de bienfaits. Le premier de tous et le plus grand, se trouve renfermé dans cette parole : "Ton Dieu." Cela dit tout en quelque sorte : Il t'a mise dans son intimité, Il t'assure son héritage, et lui, Seigneur de tous les êtres sans exception, II veut être par excellence le tien; et c'est là, certes, la source de tous les biens. Celui qui vient immédiatement après, c'est la sécurité de la ville. Le troisième, c'est leur prodigieux accroissement. Le quatrième, c'est que non seulement la ville, mais encore la nation tout entière soit à l'abri des guerres et des séditions; et ce n'est pas dans une circonstance ou dans une autre que ce bienfait est accordé, il dure sans cesse, comme l'indique assez le temps du verbe, qui est au présent, pour marquer une action permanente. Si parfois ce peuple eut des guerres à subir, ce n'est pas que Dieu l'eût abandonné, c'est que lui-même s'était éloigné de Dieu; car la divine Providence veillait constamment sur lui pour le protéger et le défendre, pour éloigner de lui toute division intestine et toute guerre étrangère. A ce dernier bienfait le prophète en joint un autre, l'abondance des fruits de la terre, en saisissant encore cette occasion pour enseigner aux hommes qu'ils doivent attribuer cette abondance, non à la fécondité de la terre elle-même, ni à l'influence naturelle de l'air, mais à la prévoyante Bonté du Créateur. 0ù voyons-nous briller cette bonté ? Dans les mots qui suivent : "Il te rassasie de la graisse du froment." Remarquez cette expression. Il ne se borne pas à dire : Du froment; il ajoute à ce mot celui de graisse, pour mieux montrer la prospérité dont ils jouiront. En disant la graisse du froment, c'est le choix qu'il veut dire, ce qu'il y a de plus pur et de plus parfait; car telle est la nature des dons de Dieu. Il leur promet donc qu'ils auront en abondance le meilleur froment : Dieu ne se contentera pas de le leur donner, Il les en rassasiera.

"Il répand sa Parole sur la terre," (Ibid.,4). Selon sa coutume, le prophète passe des faveurs particulières aux bienfaits généraux, et réciproquement des bienfaits généraux aux faveurs particulières. Comme il avait dit : "Loue ton Dieu," pour que la folie ne pût pas en induire qu'Il était le Dieu des Juifs seuls, il se hâte de montrer comme le Dieu de l'univers, dont la providence s'étend à toutes les contrées de la terre; et c'est pour cela que le chantre inspiré passe du particulier au général et célèbre cette providence universelle. A peine a-t-il dit : "Il répand sa Parole sur toute la terre," qu'il ajoute : "Et sa Parole court avec rapidité." N'est-ce pas là nous apprendre que Dieu veille, non sur une seule contrée, mais sur la terre entière ? La parole est prise ici pour la volonté même, pour l'action providentielle. Il en fait après cela ressortir la promptitude et l'énergie en nous la représentant avec des ailes rapides; et c'est d'une manière formelle qu'il parle de cette rapidité. Voici le sens de ce verset : Tout ce qu'Il ordonne s'accomplit avec une merveilleuse célérité. Or Il commande à toutes les créatures. Et que commande-t-Il ? Tout ce qui concourt à la conservation de notre vie, et, par conséquent, tout ce qui concerne l'heureuse disposition de l'air, la succession régulière des saisons.

Aussi poursuit-il en ces termes : "Il répand la neige comme des flocons de laine, et les frimas comme la cendre." (lbid.,5). Un autre interprète dit : "La rosée condensée." L'hébreu porte Chephor, Chaëpher. David continue : "Il accumule la glace comme les pains entassés. Qui se soutiendra devant le froid qu'Il excite ?" Dans une autre version, le chaud remplace ici le froid. "Il enverra sa Parole, et les glaces se fondront; son Esprit soufflera, et les eaux couleront." (lbid.,5-7). Je vois là l'irrésistible, l'infinie Puissance du Seigneur, puisqu'Il crée ce qui n'existe pas encore et qu'Il transforme à son gré les oeuvres de ses Mains.

2. Un autre prophète exprime formellement cette même pensée : "Il crée toutes choses et les transforme." (Am 5,8). Quoique chaque chose soit renfermée dans les inflexibles limites de sa nature, quand il plaît à Dieu, ces limites sont renversées; tout cède à sa volonté. Parfois Il change les substances elles-mêmes; parfois, laissant intacte la substance, Il change simplement l'opération, de telle sorte que cette substance est dépouillée pour un instant des effets qui lui sont propres, et qu'elle produit des effets opposés. C'est ce que Dieu fit dans la fournaise de Babylone : il y avait là du feu, mais un feu qui ne brûlait pas, et qui semblait la plus douce rosée à ceux qu'on avait jetés dans la fournaise. C'était bien la mer que les Hébreux traversaient; mais, au lieu de les engloutir, les ondes se tenaient plus solides que la pierre. C'était bien la terre que foulaient Dathan et Abiron, et cependant elle ne soutint pas le poids de leurs corps, elle les engloutit avec plus de facilité que la mer elle-même. La verge d'Aaron n'était plus qu'un bois sec, et voilà qu'elle produisit un fruit beaucoup plus beau que tous ceux qu'on pouvait voir sur les arbres. L'ânesse de Balaam était par sa nature le plus stupide des animaux, et cela ne l'empêcha pas de se défendre avec plus de raison que n'aurait pu le faire l'homme le plus éclairé, auprès de celui qui la frappait. Daniel était entouré de lions, et ces lions se montrèrent aussi doux que des brebis, non que leur nature fût détruite, mais parce que leurs instincts étaient comprimés.

Nous voyons dans les créatures beaucoup d'autres changements non moins merveilleux. Parce qu'un prodige se reproduit tous les ans et s'offre communément à nos regards, n'allez pas le dédaigner. Quelle merveille n'est-ce pas, si vous savez le comprendre, qu'une même chose soit tantôt de la glace et tantôt de l'eau, que de telles transformations s'accomplissent d'une manière aussi rapide ? Ne voulant pas que l'ignorance puisse les attribuer à la force naturelle des éléments et n'y voir que l'action des causes matérielles, le prophète élève notre pensée vers Celui qui les prescrit, et son cantique dès lors nous manifeste la volonté supérieure à laquelle tout obéit : "Il enverra sa Parole, et la glace se fondra." Sa Parole, encore une fois, c'est l'expression de sa Volonté; le vent n'est donc que l'instrument, et Dieu, le Créateur des vents, est l'Auteur du phénomène. S'il parle des éléments et des changements qu'ils subissent, c'est pour apprendre aux Juifs, dont l'esprit grossier avait besoin d'être frappé par des objets sensibles, à remonter des phénomènes que la nature nous présente chaque année, à la Puissance même de Dieu, qui peut avec tant de facilité modifier à son gré la forme des créatures et les faire passer d'un extrême à l'autre. De même que, la tempête étant déchaînée et les frimas sévissant avec fureur, Il peut aisément ramener le calme et radoucir la température; de même Il peut sans effort rendre la paix à ceux qui sont tourmentés par la guerre et rendre à leur patrie, comme à leur ancienne prospérité, ceux qui gémissaient dans les fers. Là ne s'arrête pas la portée de ce texte; il renferme de plus un sens caché. Quel est-il ? C'est que les malheurs arrivés à ce peuple tournèrent à son avantage, furent pour lui la source d'un grand bien, comme les phénomènes dont nous parlons, tout pénibles qu'ils peuvent être, contribuent cependant au bonheur de notre vie. Le prophète ne s'appesantit pas même sur ces tristes images, il les tempère par de plus douces idées. Que signifieraient autrement les expressions qu'il emploie ? Au lieu de dire simplement : "Il répand la neige," voilà qu'il ajoute : "Comme des flocons de laine." Il ne dit pas non plus : "Et les frimas," sans ajouter : "Comme la cendre." Il ne se borne pas à dire enfin : "II accumule la glace," puisqu'il complète ainsi sa pensée : "Comme les pains entassés." C'est la facilité de l'action divine et le but qu'elle poursuit que j'aperçois dans de semblables expressions.

"Il annonce sa doctrine à Jacob." Un autre dit : "Ses décrets;" un autre encore : "Ses ordres." - "Ses Justices et ses Jugements à Israël. Il n'a pas agi de même (ou bien : Il n'a pas fait la même chose) envers les autres nations; Il ne leur a pas manifesté ses Jugements." (lbid.,8,9). Voyez comme des dispositions générales de la Providence, il revient à ce qui regarde spécialement les Juifs, voulant ranimer ainsi leur zèle. Au commencement du psaume il a parlé des biens qui tombent sous les sens et qui servent à notre vie corporelle, tels que la sécurité, l'abondance, la paix : ici sa parole prend un tout autre essor, il touche à l'établissement de la loi, et par là même au plus grand de tous les bienfaits, puisqu'il a pour objet d'éloigner du vice, de conduire à la vertu, d'illuminer l'intelligence. C'est ce qui faisait dire à Moïse, dont le regard avait fouillé ce sujet dans tous les sens : "Quel est le peuple comparable à celui-ci ? Quelle est la nation assez grande pour avoir un Dieu. qui vive au milieu d'elle, comme le Seigneur notre Dieu, dans toutes les circonstances où nous L'invoquons ?" (Dt 4,7). David dit à son tour : "Le Seigneur fait miséricorde et rend justice aux opprimés. Il a fait connaître ses Voies à Moïse, ses Volontés aux enfants d'Israël." (Ps 102,6-7). Voici comment parle Jérémie : "Celui-là est notre Dieu, et nul autre à part Lui ne sera compté pour rien. Il a découvert toutes les voies de la sagesse, et Il les a transmises à Jacob son fils, à Israël son bien-aimé. (Ba 3,36-37).

Quelqu'un dira peut-être : Mais puisqu'Il ne les a pas révélées aux autres hommes, comment ceux-ci sont-ils punis ? - A la vérité, que Dieu juge les hommes mêmes qui vécurent. avant la loi et ceux qui pèchent n'importe dans quelle contrée de la terre, les Paroles de Jésus-Christ ne nous permettent pas d'en douter : "La reine du Midi se lèvera, et condamnera cette génération." Il venait de dire : "Les.hommes de Ninive se lèveront, et condamneront cette génération." (Mt 12,41-42). C'est bien nous dire ouvertement qu'eux aussi seront jugés, et qu'ils le seront pour leur gloire, tandis que d'autres trouveront là leur châtiment. Or, s'ils n'avaient pas appris les devoirs imposés aux hommes, comment pourraient-ils condamner les prévaricateurs ? Comment le Sauveur aurait-il dit encore : "Le sang sera vengé, depuis le sang du juste Abel jusqu'au sang de Zacharie ?" (Mt 23,35). Et dans une autre circonstance : "Le sort des habitants de Sodome et de Gomorrhe sera moins intolérable ?" (Mt 11,24). Ce qui veut dire évidemment qu'ils auront un supplice à subir, mais un supplice moins terrible que celui dont il s'agit. Ceux-là furent néanmoins assez fortement châtiés : que deviendront alors les autres ?

3. Nous avons encore l'exemple des hommes engloutis par le déluge, et beaucoup d'autres, sans compter celui de Caïn. Paul enseigne ainsi la même doctrine : "La colère de Dieu éclate du haut du ciel sur toute impiété et sur l'iniquité des hommes qui retiennent la vérité dans l'injustice; car ce qu'on peut connaître de Dieu, ils le voient en eux-mêmes. Dieu le leur a manifesté. Ce qu'il y a d'invisible en Lui se révèle à notre intelligence par le spectacle de la création, qui est son oeuvre; là rayonnent son éternelle Puissance et sa Divinité, de telle sorte que ces hommes sont inexcusables." (Rom 1,18-20). Il en vient ensuite à caractériser leur vie, montrant encore là le compte rigoureux qu'ils auront à rendre; puis il poursuit : "Comme ils ont connu la justice de Dieu, ceux qui commettent de telles choses sont dignes de mort; et non seulement ceux qui les commettent, mais encore ceux qui donnent leur approbation aux coupables. Pensez-vous donc, ô homme, vous qui condamnez ceux qui se rendent ainsi coupables, et qui cependant commettez les mêmes actions, que vous échapperez au jugement de Dieu ? Méprisez-vous les richesses de sa Bonté, de sa Patience et de sa Mansuétude, au point d'ignorer que la Clémence de Dieu vous invite à faire pénitence ? Par votre insensibilité et par l'impénitence de votre coeur, vous amassez sur votre tête un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste Jugement de Dieu, qui rendra à chacun selon ses oeuvres : la vie éternelle à ceux qui par la persévérance dans les bonnes oeuvres cherchent la gloire, l'honneur et l'immortalité; et quant à ceux qui par esprit de contradiction n'obéissent pas à la vérité, mais se laissent guider par l'injustice, Il réserve sa colère et son indignation. Tribulation et angoisse sur l'âme de tout homme qui fait le mal, du Juif d'abord, du gentil ensuite." (Rom 2,3-9).

Tout cela nous montre clairement que tous les hommes qui furent jamais, même avant la loi, ont subi la peine de leurs péchés, et que tous ceux qui vécurent dans l'amour de la vertu et dans la fuite de l'impiété ont acquis la vraie béatitude. Or, comment ces deux choses auraient-elles été s'ils avaient ignoré quelles étaient leurs obligations ? - Et s'ils les connaissaient, m'objectera-t-on peut-être, d'où vient qu'il est dit : "Il n'a pas agi de même envers tontes les nations, et Il ne leur a pas manifesté ses Jugements ?" - Voulez-vous comprendre le sens de ces paroles, savoir ce que le Prophète a voulu dire, écoutez : Il n'a donné de loi écrite à aucun autre peuple; mais tous avaient la loi naturelle gravée au-dedans d'eux-mêmes et qui leur faisait connaître le bien et le mal. En effet, au moment même où Dieu créa l'homme, Il lui donna ce jugement incorruptible, cette lumière de la conscience qui doit guider la vie de chacun. Pour les Juifs, Il leur donna de plus, les distinguant ainsi du reste des hommes, cette loi morale qui mettait sous leurs yeux les préceptes que tous avaient dans leur coeur. Aussi le Prophète ne dit-il pas que Dieu n'ait rien fait pour les autres nations; il dit seulement qu'Il n'a rien fait de pareil : Il ne leur a pas donné les tables de la loi, des livres inspirés, un législateur comme Moïse, ni les autres choses qui s'accomplirent sur le mont Sinaï; les Juifs seuls en furent favorisés par un heureux privilège; le reste du genre humain dut se contenter des prescriptions dictées par la conscience. C'est ce que Paul déclare également en ces termes : "Comme les nations n'ayant pas la loi font par l'impulsion de la nature ce que la loi prescrit, les hommes privés de ce secours sont eux-mêmes leur loi." (Rom 2,14). Voilà pourquoi les Juifs devront subir une plus grave condamnation, puisqu'en méconnaissant la loi naturelle, ils ont encore violé la loi écrite; et ce bienfait si grand que Dieu leur avait accordé est devenu pour eux, à cause de leur négligence, l'occasion d'un plus terrible châtiment.

Nous en avons assez dit sur le sens littéral du psaume; si quelqu'un maintenant en désire l'explication anagogique, nous ne refusons pas d'entrer dans cette nouvelle voie, non certes pour ébranler la vérité historique, loin de nous cette pensée,mais pour offrir aux âmes zélées ce précieux avantage, autant du moins que le texte peut le comporter. "Jérusalem, loue le Seigneur; loue ton Dieu, Sion." Paul connaît la Jérusalem céleste, puisqu'il dit : "La Jérusalem qui est là-haut possède la vraie liberté, elle est notre mère." (Gal 4,26). Il sait aussi que l'Église est la véritable Sion; écoutez ses paroles : "Vous ne vous êtes pas approchés de la montagne visible que couvrent des tourbillons de feu et de fumée, qu'enveloppent le tonnerre et les éclairs; mais vous êtes venus à la cité de Sion, à l'Église des premiers-nés, dont les. noms sont inscrits dans les cieux." (Heb 12,18 et seq). On peut donc, dans le sens anagogique, dire à celle-ci : "Jérusalem, loue le Seigneur, loue ton Dieu, Sion; car Il a consolidé les serrures de tes portes, Il a béni tes enfants en toi." Il a fortifié l'Église bien mieux qu'Il n'avait fortifié Jérusalem; et ce n'est pas avec des portes et des verrous, c'est avec sa Croix elle-même, et par la manifestation de sa propre puissance. Voilà le rempart qu'Il élève. autour de la cité sainte, ce qui Lui fait dire : "Les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle."( Mt 16,18).

4. Au commencement, tous les monarques, les peuples et les cités, les phalanges des démons et le tyran des enfers à leur tête, mille autres ennemis se déchaînaient contre l'Église; mais tous s'y brisèrent et périrent, tandis qu'elle n'a cessé de grandir au point de dépasser la hauteur même des cieux. "Il a béni tes enfants en toi." De même que cette parole prononcée dès l'origine : "Croissez, multipliez-vous et remplissez la terre," (Gen 1,28), a parcouru l'univers pour le féconder, de même en a-t-il été de celle-ci : "Allez, instruisez toutes les nations, " (Mt 28,19), et de cette autre : "Cet évangile sera prêché dans le monde entier." (Mt 26,13). En effet, dans un très petit espace de temps, l'ordre s'est accompli jusqu'aux derniers confins de la terre. C'est dans cette vue que le Sauveur disait encore : "Si le grain de froment ne tombe pas dans la terre et n'y meurt pas, il reste seul; s'il meurt, au contraire, il produit des fruits abondants." (Jn 12,24). Il ajoutait : "Quand je serai élevé au dessus de la terre, j'attirerai tout à moi." (Ibid.,32). Tous les hommes sont primitivement venus d'un seul, et, la population augmentant selon les lois de la nature, ce fut l'affaire d'un grand nombre de siècles : au temps des apôtres, la multitude augmentait, non d'après les lois de la nature, mais selon le pouvoir de la grâce. Aussi, dans un jour trois.mille, une autre fois cinq mille, puis des foules innombrables, et puis encore l'univers entier reçurent la vie nouvelle et formèrent une immense famille par cette merveilleuse régénération; c'est par les faits que se manifestait la bénédiction qui leur avait été donnée : ils étaient nés de la grâce divine, "non du sang et par la volonté de la chair."

"Il t'a donné la paix pour frontière." C'est là surtout ce qu'on peut dire de l'Église. Chose qui frappe d'étonnement, elle jouissait de la paix au sein même de la guerre; entourée d'embûches, elle vivait dans la sécurité. Voilà pourquoi Jésus disait : "Je vous laisse ma paix, Je vous donne ma paix." (Jn 14,27). "Il te nourrit de la graisse du froment." En appliquant le psaume à l'Église, on peut entendre cette parole de l'aliment spirituel que nous y trouvons, du pain de vie qui nous est donné. "Il envoie sa Parole sur la terre, et sa Parole court avec rapidité." Quelle est la parole dont il est ici question, je vous le demande ? Celle dont les apôtres furent les ministres et qui parcourait l'univers comme portée sur des ailes rapides. C'est ce que David annonçait dans un autre psaume, quand il disait : "Le Seigneur donnera la parole aux infatigables messagers de la bonne nouvelle." (Ps 67,12). Si quelqu'un était assez insensé pour révoquer en doute une telle interprétation, qu'il examine ce qui se passe dans les éléments : il verra comment la neige s'entasse avec rapidité, couvre la terre en quelques instants et dérobe subitement à nos regards tous les objets qui nous entourent. Éclairé qu'il était de l'esprit prophétique et cherchant dans la nature un terme de comparaison pour mettre dans tout son jour le sens anagogique de sa prophétie, il devait insister sur ces phénomènes naturels.

Voici donc ce qu'il a voulu dire : Il arrivera que la terre entière soit inondée par la Parole de Dieu, mais de la manière la plus rapide, dans un temps extrêmement court. - Après cela, comme la seule nation des Juifs, à laquelle avaient été consacrés tant de soins et pendant tant de siècles, n'en était pas devenue meilleure, le prophète veut répondre à la difficulté qui pourrait naître d'une telle considération : pour montrer comment les habitants de la terre entière seront en peu de temps ramenés au bien, il prend des exemples dans les choses de l'ordre naturel, la neige, les nuées, la glace, si remarquables par la promptitude avec laquelle elles viennent. Ne refusez donc pas de croire, bien qu'on vous annonce un si rapide changement dans les esprits. - Mais il en est beaucoup qui résisteront ? - Ceux-là même finiront par céder et laisseront le champ libre à la pensée divine. On peut bien supporter un froid léger; mais, s'il acquiert un certain degré d'intensité, nul n'y résiste, tous sont domptés : à plus forte raison toutes les résistances devront-elles succomber devant la Parole et l'ordre de Dieu. Il dépend de lui de changer les substances, d'en produire de nouvelles, de communiquer une telle force aux éléments que toute résistance devienne impossible. "Il annonce sa Parole à Jacob, ses Justices et ses Jugements à Israël." Vous ne vous trompez pas non plus, en interprétant dans un sens spirituel ces noms de Jacob et d'Israël; entendez ce que dit l'Apôtre : "La paix sur vous et sur l'Israël de Dieu," (Gal 6,16), à qui gloire dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 148

"Louez le Seigneur du haut des cieux, louez-le dans les hauteurs célestes; louez-Le, vous tous ses anges." v. 1 et 2.

1. C'est la coutume des saints, à cause de leur profonde reconnaissance, de convoquer un grand nombre d'autres coeurs quand ils vont bénir la Miséricorde et célébrer les Louanges de Dieu, pour les engager à partager avec eux ce glorieux office. C'est ce que firent les trois enfants dans la fournaise : ils invitaient toutes les créatures à célébrer le bienfait qu'ils avaient reçu, à rendre gloire au Seigneur. Voilà ce que fait aussi notre prophète, en appelant à lui l'une et l'autre création, le monde supérieur et le monde inférieur, les êtres visibles et les êtres intellectuels. Isaïe en use de même, ainsi, quand il dit : "Que les cieux se réjouissent, que la terre tressaille; car le Seigneur a eu pitié de son peuple." (Is 49,13). Et David lui-même, chante ailleurs : "Lorsque Israël sortit de l'Égypte et la maison de Jacob, du milieu d'un peuple barbare, les montagnes bondirent comme des béliers, et les collines comme des agneaux." (Ps 113,14). Isaïe dit encore : "Que les nuées nous versent la justice." Sentant qu'ils ne suffiraient pas seuls à célébrer les louanges divines, ils se tournent de tous les côtés, pour que toutes les créatures prennent part à leurs pieux cantiques. C'est un trait qui se rencontre à chaque instant dans les psaumes : "Et que tous ses anges l'adorent," est-il dit dans un autre endroit; et dans un autre : "Ceux-ci qui possèdent la puissance, ceux qui accomplissent sa Volonté." (Ps 46,7; 102,20).

De là résulte un autre enseignement. Lequel ? Qu'il n'est pas possible, même aux insensés, d'admettre deux artisans du monde. Sans doute les créatures sont diverses, les substances ne se ressemblent pas; les unes sont matérielles et les autres spirituelles, celles-là visibles et celles-ci invisibles; il y a le monde des corps et le monde des esprits. Il ne faut pas cependant admettre deux artisans à cause de cette différence des oeuvres. C'est pour cela que le prophète ne forme qu'un choeur et qu'il donne à ce choeur un seul et même cantique : c'est aussi le même Dieu qui doit être loué par toute créature, par les voix réunies des deux créations, afin qu'on sache qu'Il est l'unique artisan de l'une et de l'autre.

Il commence par la création supérieure en disant : "Louez-Le, vous tous, ses anges; louez-Le, vous toutes ses vertus." Un exemplaire porte : "Ses armées." Ainsi sont désignés les chérubins et les séraphins, les dominations, les principautés et les puissances. C'est le propre d'une âme enflammée, c'est le signe d'un d'ardent amour, d'appeler tous les êtres à louer l'objet aimé : comment agit un coeur qui trouve sa joie dans la pensée de Dieu, qui ne cesse d'admirer et de célébrer sa Gloire, qui lui demeure toujours attaché. "Louez-Le, soleil et lune; étoiles et vous toutes célestes clartés, louez-Le." Dans une autre version, il est dit: "Astres de lumière." - "Louez-Le, cieux des cieux, et que toutes les eaux qui sont au-dessus du firmament louent le Nom du Seigneur. Car il a dit, et toutes ces choses ont été faites. Il a commandé, et toutes ont été créées. Il les a établies pour les siècles et pour les siècles des sièclesŠ" "Pour qu'elles restent à jamais," porte une variante. "Il a donné son ordre, et cet ordre ne passera pas." D'où vient qu'après avoir dit quelques mots à peine des puissances célestes, Il les abandonne aussitôt, et qu'en parlant des choses visibles, il prolonge volontiers son discours, il se plaît à les énumérer toutes, celles de là-haut et celles d'ici-bas ? C'est parce que cet ordre de créatures était mieux connu de ses auditeurs, accessible qu'il est à tous les regards.

C'est aussi pour cela que Moïse, dont le livre commence par l'‘uvre de Dieu, par la création du monde, ne dit rien, absolument rien, des créatures supérieures, et, partant du ciel et de la terre, parcourant ensuite le soleil, la lune, les plantes, les poissons, les oiseaux et les quadrupèdes, arrive enfin à l'homme. Les cieux des cieux ne signifient pas dans la langue du prophète qu'il y ait plusieurs cieux, puisque lui-même dit ailleurs "le ciel du ciel." C'est une locution consacrée dans l'hébreu; voici ce que vous lisons dans un autre psaume : "Le ciel du ciel est au Seigneur; il a donné la terre aux enfants des hommes." (Ps 113,16). Vous avez encore entendu Moïse disant que Dieu divisa les eaux, et plaça les unes au-dessous et les autres au-dessus du firmament, qu'Il avait établi au milieu de l'abîme, de telle sorte qu'une partie des eaux fut maintenue sur la voûte céleste. - Mais comment pourront louer Dieu, me dira-t-on peut-être, des créatures qui n'ont ni voix, ni langue, ni sentiment, ni pensée, à qui manquent à la fois l'organe et le principe de la parole ? - C'est qu'il y a deux manières de louer : on ne loue pas seulement par la Parole, ou loue aussi par la vue; ajoutons un troisième mode de louanges, les oeuvres et la vie. En effet, le silence parle quelquefois aussi haut que la parole elle-même, pour rendre gloire à Dieu. C'est ainsi que le Christ disait : "Que votre lumière brille aux yeux des hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux." (Mt 5,16). Il avait été dit : "Je glorifierai ceux qui me glorifient." (I Roi 2,30). Il est sans doute une glorification dont la langue est l'organe, et voilà comment Moïse glorifiait Dieu en disant avec Marie : "Chantons une hymne au Seigneur; car Il a magnifiquement fait éclater sa Gloire." (Ex 15,1).

Mais il est une glorification qui résulte de l'existence toute seule, selon ce que dit le prophète royal lui-même : "Les cieux racontent la Gloire de Dieu, et le firmament annonce la puissance de ses Mains." (Ps 18,1). De même ici, la créature loue par sa beauté, par sa position, par sa grandeur, par sa nature, par les services qu'elle rend, les biens intarissables dont elle est le ministre. Lors donc qu'il dit : Louez le Seigneur, anges, vertus, ciel et terre, soleil, lune, étoiles, eaux supérieures; il veut dire par là que chacune de ces oeuvres est digne de l'ouvrier divin, respire sa puissance et sa sagesse. C'est ce que Moïse exprime par un mot au commencement : "Dieu vit toutes les choses qu'Il avait faites, et toutes étaient très bonnes;" (Gen 1,31); tellement bonnes qu'elles publient à jamais la Gloire de leur Auteur, et qu'elles excitent à Le louer celui qui les contemple.

2. Il appelle donc une louange la beauté des oeuvres accomplies, parce que l'honneur en revient à celui qui les a faites. Voilà ce que Paul enseigne également: "Les choses invisibles de Dieu deviennent manifestes à notre intelligence par ses oeuvres, par la création du monde; c'est ainsi que nous voyons son éternelle Puissance et sa Divinité." (Rom 1,20). Notre prophète, après avoir parlé des créatures, en nous laissant le soin de comprendre par le seul aspect ce qu'elles renferment de beauté, de grandeur et d'utilité, remonte à la source même de ces avantages, quand il ajoute : "Il a dit, et toutes ces choses ont été faites; Il a commandé, et toutes ont été créées. Il les a établies pour les siècles, et pour les siècles des siècles, Il a donné son ordre, et cet ordre ne passera pas." Qu'elles soient belles et merveilleuses, c'est du ressort des yeux; qu'elles aient un créateur, qu'elles ne viennent pas d'elles-mêmes, qu'elles soient produites d'ailleurs, on pourrait le déduire du texte lui-même bien compris. Si quelqu'un toutefois, conservait à cet égard quelque doute, qu'il apprenne de moi qu'elles sont les résultats d'une pensée créatrice et qu'une providence attentive veille sur elles. - En effet, on peut distinguer là deux choses, ou plutôt trois, quatre même, à vouloir examiner le texte de près : qu'elles sont créées, qu'elles ont été tirées du néant, que Dieu les a faites sans aucun effort, qu'Il les gouverne enfin après les avoir faites. La facilité de la création brille dans cette parole : "Il a ditŠ" Voici comment Paul s'exprime à son tour : "Il vivifie les morts, Il nomme ce qui n'est pas, tout comme ce qui est."( Rom 4,17). Nommer, pour Lui, c'est assez; on ne saurait agir avec une facilité plus grande. Qu'Il gouverne ensuite ce qu'il a Lui-même créé, le prophète nous le déclare d'une manière non moins expresse en ajoutant : "Il les a établies pour les siècles, et pour les siècles des siècles. Il a donné son ordre, et cet ordre ne passera pas." Remarquez encore qu'elle puissance et quelle autorité respirent dans ces paroles; le décret porté par Dieu, cet ordre qu'Il donne, ce sont des expressions empruntées à notre langage humain pour rendre l'action divine. Il ne vous est pas plus facile de dire une chose ou de la commander, qu'à Dieu de tirer un être du néant et de le gouverner après l'avoir, fait. Que dis-je ? Cette comparaison est même trop faible; il n'est pas en notre pouvoir de dire avec quelle facilité l'acte créateur s'est accompli. Ce qu'il y a d'admirable encore, ce n'est pas seulement que Dieu gouverne tout, que les limites de chaque nature demeurent inébranlables; c'est aussi que les siècles s'écoulent sans y rien changer. Que de temps déjà ! Et nulle confusion ne s'est produite dans les créatures : la mer n'a pas envahi la terre, le soleil éclaire sans brûler, le firmament demeure inébranlable, ni le jour ni la nuit n'ont franchi les limites qui les séparent, il en est de même des saisons et de tout, en un mot. Chaque chose, soit là-haut, soit ici-bas, a gardé invariablement sa place, et parfaitement respecté les bornes qui lui furent imposées. Après avoir parlé des corps célestes, le prophète passe à ceux qui sont sur la terre : il poursuit la marche qu'il s'est tracée; car, des êtres qui sont au-dessus des cieux, il était d'abord descendu à ceux qui forment le ciel même, et maintenant il descend du ciel sur la terre.

Comme il y a des hommes qui prétendent que les choses qui brillent au ciel sont dignes à la vérité de l'Artisan suprême, mais qu'il n'en est plus ainsi de celles qui sont sur la terre et parmi les- quelles se trouvent les scorpions, les dragons et tant d'autres races de bêtes dangereuses, tout comme les arbres qui ne donnent aucun fruit; le prophète semble vouloir répondre à ces fausses idées, en donnant une telle direction à son cantique. Voyez ce qu'il fait : il laisse de côté les choses dont nul ne conteste l'utilité, les brebis et les boeufs, si nécessaires à l'homme comme l'expérience le prouve, les ânes, les chameaux et tous les animaux qui partagent ou prennent sur eux nos fatigues; il en vient immédiatement à ce qui ne semble nous procurer aucun avantage, et voilà qu'il met sous nos yeux l'image des dragons, la partie de la mer où ne s'aventurent pas les vaisseaux, les choses mêmes qui paraissent nuisibles, le feu, la grêle, la neige et la glace, puis les arbres stériles et les montagnes; il quitte les plaines fécondées par les travaux des laboureurs, qui se couvrent de moissons et de fruits, pour en appeler aux montagnes, aux lieux escarpés et déserts, à toute sorte de reptiles. Écoutez plutôt ses propres expressions.

Après avoir dit : "Il a donné son ordre, et cet ordre ne passera pas," il ajoute : "Louez le Seigneur, habitants de la terre; vous dragons, et vous abîmes, feu, grêle, neige, glace, souffle des tempêtes, instruments de sa parole." Dans une variante on lit : "Vent du Typhon," - "Montagnes et collines, vous tous, arbres fruitiers et cèdres, bêtes sauvages, troupeaux de toute espèce, reptiles, oiseaux qui volez dans l'air." (lbid., 7-10). D'où vient qu'il s'appesantit ainsi sur ce sujet ? C'est pour mieux nous montrer, par une telle abondance, la Bonté prévoyante de Dieu. Si les choses qui paraissent inutiles ou même nuisibles à la nature humaine, sont tellement utiles et bonnes, au fond qu'elles chantent la Gloire du Seigneur et publient ses Louanges par cela même qu'elles sont, que devez-vous penser des autres ? Mais, si vous le voulez bien, voyons chaque chose énumérée. "Vous dragons, dit-il, et vous abîmes," Ce sont les cétacés qu'il appelle ici dragons, comme du reste il l'avait fait dans un autre psaume : "Ce dragon que Tu as formé pour se jouer dans les eaux," (Ps 103,26), on peut voir en beaucoup d'autres endroits ce même nom appliqué de la même manière.

3. Et comment cet animal loue-t-il Celui qui l'a créé ? me dira-t-on peut-être. - Et pourquoi ne le louerait-Il pas ? En voyant la grandeur et l'organisation de son corps, que le livre de Job décrit d'une manière si parfaite, comment n'admireriez-vous pas l'Artisan suprême, l'auteur d'un tel animal ? Sa grandeur n'est pas la seule chose qui frappe; ce qui frappe encore, c'est qu'une partie de la mer lui soit réservée, où l'homme ne saurait conduire ses vaisseaux. Et lui-même, chose non moins admirable, ne sort pas des frontières de son empire, bien qu'il soit le plus indomptable et de beaucoup le plus grand des animaux; il se tient dans les régions qui lui furent assignées, et, non content de respecter la terre, les contrées habitables, il n'envahit même pas la partie navigable de la mer, il n'extermine pas les autres poissons; il sait jusqu'où vont ses droits et sa demeure. L'abîme avec ses mystérieuses profondeurs n'est pas moins digne de notre admiration. Ce que nous observons dans l'animal, nous pouvons l'observer aussi par rapport à la mer. Quelque impétueux que soient les vents qui la soulèvent, et malgré l'immensité de ses réservoirs, elle ne sort pas de ses bornes, elle n'envahit pas la terre voisine; on la dirait retenue par d'indissolubles liens, alors toutefois que les eaux sont indomptables de leur nature. Avec une telle immensité, avec une telle violence, comprenez-vous combien c'est une chose admirable qu'elle n'écoute pas les aveugles instincts de sa force irrésistible et qu'elle ne quitte pas le lieu qui lui fut assigné, qu'elle respecte aussi parfaitement l'ordre au sein même du désordre ? Réfléchissez là-dessus, et vous y trouverez un nouveau motif de louer Dieu, de célébrer sa Puissance et sa Sagesse, l'efficacité et l'étendue de son Règne. Les autres choses mentionnées nous offriraient un égal sujet de méditation; mais celui qui les a faites pourrait seul les expliquer. De là ce langage de l'Ecclésiastique : "Ne dites pas : Pourquoi ceci, à quoi bon cela ? Chaque chose a son but dans la pensée divine." (Ec 39,2). "Le feu, la grêle, la neige, la glace, le souffle des tempêtes, qui sont les instruments de sa Parole." Ceci présente un développement de ce qui a été déjà dit. Dans le psaume précédent, le prophète admirait la promptitude avec laquelle la neige couvrait toute la surface de la terre, la formation de la glace et les changements dont elle nous offre l'aspect. Ici nous voyons ce qui n'était pas arrivé à l'existence, s'y maintenir, remplir un office dans la création, et, quoique dénué de toute intelligence, accomplir avec une docilité parfaite les ordres du Créateur, souvent même un ordre contraire à la nature de l'agent, comme cela eut lieu dans la fournaise de Babylone, où le feu répandait une douce rosée sans cesser de brûler. - Est-ce que cela, me dira-t-on, mérite des actions de grâces ? - Et beaucoup certes. Dieu doit être également loué, qu'Il punisse ou qu'Il pardonne; car sa Providence et sa Bonté s'exercent également de ces deux manières. Les hommes sont guidés dans ce double office tantôt par la bonté, tantôt par la haine et la colère : Dieu l'est constamment par l'amour. Il faut donc Le louer avec la même effusion, et lorsqu'Il place Adam dans le paradis, et lorsqu'Il l'en rejette; il faut Le bénir non seulement parce qu'Il donne le royaume, mais parce qu'Il condamne à la géhenne; car Il l'a faite et Il nous a menacés pour nous éloigner du vice.

Nous respectons la conduite du médecin, soit qu'il permette la nourriture au malade, soit qu'il l'exténue par la privation, qu'il le laisse sortir sur la place publique ou qu'il le tienne renfermé dans sa maison, qu'il applique des liniments ou qu'il emploie le fer et le feu, par la raison que ces moyens, tout contraires qu'ils sont, tendent au même but : ainsi devons-nous louer Dieu en toutes choses, et beaucoup plus encore, puisqu'il est Dieu et que le médecin n'est qu'un homme. Ajoutez que celui-ci se trompe souvent dans ses prévisions, tandis que la Sagesse et la Bonté de Dieu ne manquent jamais leur effet. La grêle et le feu ne furent pas uniquement une punition; ils ont fréquemment délivré du supplice, mis fin à la guerre, repoussé les invasions des ennemis. Ne savez-vous pas quels miracles furent jadis opérés en Égypte par le moyen de ces éléments ? Et les Juifs n'ont pas été seuls à l'éprouver; notre génération elle-même en a fait l'expérience. Telle est la puissance de Celui qui le veut, que les merveilles dont les anges, ces esprits purs, ces puissances supérieures, ont quelquefois été les ministres, il les a souvent opérées par des instruments insensibles; de telle sorte que, lorsque l'ange intervient, ce n'est pas à lui qu'on peut attribuer l'action, mais bien à Celui dont il exécute les ordres. Un ange arrête une guerre ? La grêle l'arrête aussi. Un ange tue les premiers-nés? La mer en courroux extermine tout un peuple. Rendez donc grâces en toutes choses à la Bonté de Dieu. "Montagnes et collines, arbres fruitiers et cèdres, bêtes sauvages et troupeaux de tout genre, reptiles, oiseaux qui volez dans l'air." Voyez comme il se plaît à parler surtout des choses réputées les plus inutiles, des montagnes, des bois, des collines, des bêtes sauvages, des reptiles, des arbres qui ne donnent pas de fruit. Les arbres fruitiers sont évidemment utiles, comme le sont aussi les fertiles campagnes et les animaux domestiques; mais les autres arbres, les serpents et les montagnes, quelle en est l'utilité ? me direz-vous peut-être. - Une très grande, certes, et qui touche de près à notre vie. Les montagnes, les collines et les bois nous fournissent les matériaux nécessaires pour bâtir nos maisons; supposez que tout cela nous manque, et le genre humain viendrait à périr. Si les champs propres à la culture sont indispensables à notre alimentation, le bois et la pierre ne le sont pas moins pour la construction de nos demeures et tant d'autres usages qu'on ne peut énumérer.

4. Mais les serpents, dites-vous, les scorpions, les dragons et les lions, en quoi sont-ils utiles à notre vie, quel est le bien que nous en retirons ? - Un bien multiple, au-dessus de toute expression : ces animaux ne nous sont pas moins utiles que les animaux domestiques. Ces derniers servent à nos besoins corporels; les premiers nous inspirent une crainte salutaire, nous excitent à la pratique de la vertu, nous forment à la lutte, nous rappellent sans cesse le péché de nos premiers parents, nous montrent de quels maux la désobéissance est la cause. Primitivement l'homme ne tremblait pas devant ces animaux, et, bien loin de les fuir, il leur donnait ses ordres et ses caresses. Dieu les amena devant Adam, et celui-ci leur imposa le nom qui leur convenait. Le serpent s'entretient avec Eve, et la femme ne recule pas; mais, quand l'ordre divin fut transgressé, la désobéissance commise, l'homme perdit beaucoup de sa dignité. Donc, à la vue d'un lion, à la vue d'un serpent, souvenez-vous de ce qui vous fut enseigné, et ce n'est pas une légère leçon de philosophie que vous aurez puisée dans cette vue. Souvenez-vous aussi de Daniel et du mépris qu'il témoigna pour ces animaux terribles, l'homme primitif ayant en quelque sorte reparu en lui; rappelez-vous aussi Paul et la vipère : tout cela vous inspirera plus de vigilance et de zèle pour vos intérêts spirituels. Ces animaux nous offrent encore un autre genre d'utilité, en nous faisant admirer une attention spéciale de la divine Providence. En quoi consiste cette attention ? En ce que Dieu leur a fixé pour séjour des lieux éloignés de nos villes, les déserts : comme ils causent tant de frayeur, ils ne viennent pas au milieu de nos demeures, ils ne se précipitent pas sur les habitants des cités; ils auront leurs solitudes, cette sorte d'empire, si propre à leur genre de vie, qui leur frit assigné dès l'origine. Quand vous dormez, eux parcourent leur désert.

C'est l'image que le prophète nous présente dans un autre psaume : "Tu envoie les ténèbres, et la nuit se fait; à travers ses ombres passeront toutes les bêtes de la forêt." (Ps 103,20). Vous le voyez, il vous reste quelques vestiges de votre ancienne royauté, vestiges bien mutilés sans doute; mais qui parlent encore de votre noblesse. Ces animaux sont comme des serviteurs confinés dans un endroit à l'écart, et même séparés de nous par les heures; si vous n'allez pas les tourmenter, ils ne viendront pas contre vous, ils se tiendront dans leurs solitudes. Vous irriter et vous affliger de ce que les bêtes sauvages existent, ce serait de la folie. Ayez une conduite irréprochable, et vous n'en aurez rien à souffrir; si quelquefois cependant elles vous nuisent, reconnaissez que les hommes vous nuisent plus souvent et plus gravement encore. Oui l'homme est pire qu'une bête féroce : celle-ci du moins ne cache pas sa férocité, tandis que celui-là couvre sa malice du masque de la bonté, ce qui fait qu'on ne saurait se garder de ses atteintes. Du reste, je le répète, si vous possédez la vertu, ni la bête ni l'homme ne peuvent vous faire aucun mal, ils seront même pour vous l'occasion d'un grand bien. Et que dis-je, la bête ou l'homme ? Mais le diable lui-même, bien loin de nuire à Job, lui procura mille couronnes.

Que dis-je, encore une fois, la bête ou l'homme ? Mais les éléments mêmes dont vous êtes composé, les humeurs qui circulent dans votre corps vous seront beaucoup plus nuisibles, si vous ne prenez aucune précaution pour en corriger les excès ou la surabondance; tant est nécessaire en tout la vigilance de l'âme. Si vous êtes négligent, vous subirez les plus graves dommages; si vous êtes, au contraire, attentif et vigilant, vous obtiendrez de précieux avantages : tout dépend de votre libre choix. Ce que la neige, le feu, le vent sont dans le monde, le flegme, le sang, la bile le sont dans notre corps : il faut tout diriger avec intelligence, pour y trouver un bien et n'en éprouver aucun préjudice. Et que parlé-je du corps? l'âme elle-même est sujette à des passions qui deviennent de véritables maladies si vous leur abandonnez les rênes, et qui sont de puissants auxiliaires si vous les maîtrisez. La colère, par exemple, quand elle est bien dirigée, peut servir à notre salut; elle nous conduit à notre perte quand elle ne subit plus le frein. La concupiscence elle-même est un bien, pourvu qu'elle soit soumise à la conscience : c'est elle qui fonde une famille; mais elle la détruit par le désordre et la corruption, quand on s'abandonne à ses instincts. N'accusez donc jamais les choses; le mal n'est que dans vos sentiments. Si vous n'êtes pas maître de vous, c'est vous-même qui vous perdez et votre corps vous est un piège; si vous veillez sur vous-même, vous n'avez rien à redouter, je ne dirai pas des bêtes féroces, mais de la rage même des démons et de la puissance du diable. "Rois de la terre, et vous toutes nations ou tribus; princes, et vous tous juges du monde; jeunes hommes, jeunes filles, enfants et vieillards, que tous louent le Seigneur." (lbid., 11,12). Dans ce passage le prophète touche à une autre manifestation de la divine Providence, celle qui s'applique aux chefs des peuples; comme le fait aussi saint Paul dans son Épître aux Romains, déroulant là une admirable doctrine touchant le plan de la Sagesse de Dieu dans la complète organisation du pouvoir et de l'obéissance. L'homme investi du pouvoir "est le ministre de Dieu par rapport à vous et pour notre bien." (Rom 13,4). Otez cet instrument de la Providence et vous renversez tout. Si, dans l'état actuel des choses et lorsque parmi ceux qui gouvernent il en est tant de corrompus, l'institution néanmoins est tellement utile que nous en retirons les plus précieux avantages malgré la perversité des hommes; songez quel bonheur en résulterait pour le genre humain, dans le cas où tous les dépositaires du pouvoir l'exerceraient d'une manière digne. L'établissement du pouvoir, c'est l'oeuvre de Dieu; mais l'envahissement du pouvoir par la perversité et le fatal usage qu'elle en fait, c'est l'oeuvre de l'homme.

5. Le prophète veut donc nous faire entendre que l'existence même des souverains et des magistrats nous est un motif de reconnaissance envers Dieu; car c'est par là qu'il a pourvu à ce que les hommes vécussent dans l'ordre, et non à la façon des bêtes sauvages, comme la plupart l'auraient fait; c'est pour remplir les fonctions de conducteurs et de pilotes que les princes et les monarques nous ont été donnés. Si vous exercez donc une magistrature, rendez grâces à la divine Bonté de ce qu'elle vous fournit l'occasion de déployer une telle sollicitude; êtes-vous gouverné, rendez grâces encore de ce qu'il y a quelqu'un qui veille sur vous et qui ne laissera pas les méchants vous envelopper dans leurs pièges. Êtes-vous vieux, êtes-vous jeune, rendez grâces à Dieu. Le but essentiel et total de ce psaume est de nous montrer que nous devons louer le Seigneur en toutes choses, que nous soyons gouvernants ou gouvernés. "Tous les peuples," dit le prophète, c'est-à-dire, tous les hommes sans exception, jeunes gens ou vieillards, hommes ou femmes.

"Parce que son Nom est seul exalté, ou suréminent. Sa gloire est au-dessus de la terre et du ciel." Une variante substitue l'idée de louange à celle d'hommage. "Il a élevé la force de son peuple. Qu'une hymne retentisse donc au milieu de tous les saints, des enfants d'Israël, du peuple qui s'approche de Dieu." (Ibid., 13,14). Voici quel est le sens de ces paroles : J'ai montré par le spectacle des choses visibles la providence, la Gloire, la Magnificence du Seigneur; mais ce n'est pas pour cela seulement qu'il faut Le louer : indépendamment de cela, avant la création, en dehors de ce qu'Il a fait, Il a droit à tous nos hommages, à toute gloire, à la reconnaissance de tous les hommes. Et Lui seul en est digne, comme le dit expressément le psaume afin de le distinguer des faux dieux. Aussitôt après, nous inspirant des pensées plus hautes, il nous enlève à la terre pour nous transporter de nouveau dans le ciel. De même que dès le début, Il est descendu du ciel sur la terre; de même, du spectacle des créatures inférieures Il s'élance vers le monde supérieur, en disant : "Sa gloire est au-dessus de la terre et du ciel." Bien que les puissances célestes, qui se dérobent à nos regards et ne sont accessibles qu'à notre intelligence, ne cessent de Le louer et de Le bénir, ce Dieu si grand et si parfait daigne néanmoins nous appeler son peuple, et non seulement nous donne ce nom, mais encore nous élève à cette sublime hauteur. Voilà pourquoi le prophète ajoute : "Il a exalté la force de son peuple." C'est une raison de plus qu'il nous donne pour nous engager à le servir avec plus d'ardeur; c'est nous dire que Dieu n'a nul besoin de nos adorations, Lui qui possède par nature la gloire essentielle, un empire absolu sur toutes choses, et qu'Il a voulu par bonté pure se donner un peuple qui fût spécialement le sien et dont la gloire se répandrait partout dans l'univers, C'est le sens des paroles qui suivent : "Ses louanges doivent retentir au milieu de ses saints, des enfants d'Israël, du peuple qui s'approche de Lui." De peur que cette distinction même ne les fit tomber dans l'indifférence, et qu'ils ne missent uniquement leur confiance dans le nom dont il les honorait, négligeant ainsi la vertu véritable, il veut que ses louanges retentissent, non pas simplement au milieu des hommes, mais au milieu des saints; il ne se borne pas à les désigner comme les enfants d'Israël, ils sont en outre "le peuple qui s'approche de Lui. "Les variantes de l'Écriture expriment toutes la même pensée. Voici la leçon renfermée dans ce passage : Si vous êtes saints, si vous approchez de Dieu, vous obtiendrez une grande gloire; car en Lui tout est éternel, Il est la source de toute gloire comme de toute richesse. Nécessairement nous participerons alors à sa manière d'être, un rayon de sa Splendeur infinie tombera sur nous, par la Grâce et l'Amour de notre Seigneur Jésus Christ, à qui gloire et puissance, dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 149

"Chantez au Seigneur un cantique nouveau." v. 1.

1. Pris dans le sens anagogique, ce cantique nouveau dont il est ici parlé, c'est celui du Nouveau Testament; car toutes choses alors ont été renouvelées. Le testament, d'abord : "J'établirai pour vous un testament nouveau;" (Jer 31,31); la créature, ensuite : "Toute créature, quelle qu'elle soit, est renouvelée dans le Christ;" (II Cor 5,17; l'homme, enfin : "Dépouillant le vieil homme et revêtant le nouveau, celui qui se renouvelle dans la connaissance de la vérité, à l'image de son Créateur." (Col 3,9). C'est sur ce renouvellement de la vie et de toutes les choses que repose le Nouveau Testament, et dans ce psaume le prophète nous exhorte à chanter ce nouveau cantique. Au point de vue des faits, ce cantique est nouveau parce qu'il est destiné à célébrer d'une manière éclatante les victoires remportées, les oeuvres accomplies, les trophées et les triomphes. "Que sa Louange retentisse dans l'assemblée des saints." Voyez-vous comment, avant la louange de la parole, il demande celle des oeuvres et de la vie, quels sont ceux qu'il admet à former son religieux concert ? Il ne suffit pas que la voix chante une hymne d'actions de grâces, il faut que la vertu des oeuvres l'accompagne. "Que sa louange retentisse dans l'assemblée des saints." Il y a là un autre enseignement : nous voyons dans cette parole qu'il faut louer Dieu avec un accord parfait; car l'Église est une réunion où règne la plus complète harmonie.

"Qu'Israël se réjouisse en Celui qui l'a créé." (Ps 149,2). Avant les faveurs particulières il place un bienfait général, et, par ce qui va suivre, il semble nous adresser cette exhortation : Rendez grâces à Dieu de ce que, lorsque vous n'étiez pas, il vous a donné l'existence et soufflé une âme immortelle. C'est là sans doute un assez grand bienfait; mais le prophète en signale un plus grand encore : à l'existence vient rajouter l'intime union avec Dieu. Il veut donc que ses auditeurs lui rendent grâces, non seulement de ce qu'Il leur a donné la vie, mais encore de ce qu'Il les a faits son peuple particulier. Il leur fournit de la sorte, vous le voyez, un plus puissant motif de reconnaissance; et cette reconnaissance, Ii la veut pleine d'élan, d'ardeur et de joie. C'est tout cela qu'il exprime par un mot : "Qu'il se réjouisse." Avant tout Il exige donc le sentiment du coeur dans la reconnaissance, un vif désir du bien, un amour sincère, un abandon sans bornes envers le Dieu qu'on loue. Lui-même exprime ailleurs ce sentiment : "Comme le cerf altéré soupire après les sources des eaux, ainsi mon âme soupire après Toi, ô mon Dieu;" et puis encore : "Mon âme a soif du Dieu fort et vivant." (Ps 41,2-3). "Mon âme est dévorée par la soif; combien ma chair n'en est-elle pas tourmentée pour Toi, dans une terre déserte, impraticable, desséchée !" (Ps 62, 2). La terre elle-même éprouve la soif, suivant l'expression d'une variante. Le prophète ne peut mieux rendre l'amour qui consume son âme qu'en se comparant à une terre dévorée par le soleil, à un cerf tourmenté par la soif. Il poursuit en ces termes le développement de cette même pensée : "Quand viendrai-je, quand apparaîtrai-je devant la Face de mon Dieu ?" (Ps 41,3). Voilà ce que sont les âmes des saints; telle était l'âme de Paul, qui gémissait des entraves qui le retenaient sur la terre. (Il Cor 5,4). "Que les enfants de Sion tressaillent en leur roi." Il insiste sur cette union intime qui rattache ce peuple à Dieu, comme nous l'avons déjà dit. C'est le sens de cette parole : "En leur roi." Ce n'est pas simplement à cause de la création que le Seigneur est leur Roi, il l'est encore à cause de cette union.

"Qu'ils louent son Nom dans leurs concerts." Voici donc reparaître cette douce symphonie qui réunit dans un même choeur toutes les voix et toutes les âmes. Paul la recommande aussi quand il dit : "N'abandonnant pas leurs assemblées." (Heb 10,25). La prière que nous récitons tous en porte elle-même l'empreinte : "Notre Père qui êtes aux cieux..., remets-nous nos dettes...; ne nous laissez pas succomber à la tentation; mais délivre-nous du mal." (Mt 6,9-13; Luc 11,4). C'est toujours au pluriel que nous y parlons. L'ancien peuple n'était pas moins instruit à chanter la Gloire du Seigneur dans des choeurs symphoniques; rien n'était oublié pour lui inspirer la concorde et l'harmonie.

2. "Qu'ils le chantent sur le tambour et le psaltérion." Plusieurs, interprétant dans un sens anagogique le nom de ces instruments, disent que les tambours représentent l'obligation où nous sommes de mortifier notre chair, et que le psaltérion nous apprend à lever les yeux vers le ciel; car ce dernier instrument est mû par en haut au lieu de l'être par en bas comme la cithare. Pour moi, je dis simplement que de tels instruments étaient concédés à ce peuple parce que son intelligence était encore bien appesantie et qu'il venait à peine de quitter le culte des idoles. De même donc qu'il avait autorisé l'usage des sacrifices, Dieu tolérait celui de ces instruments, par condescendance pour la faiblesse des hommes.

Ainsi donc, le prophète exige qu'on chante avec joie; c'est ce qui respire dans cette parole : "Qu'ils louent son Nom par leurs concerts," par une agréable symphonie, par une vie pure. Puis, voulant exciter en eux une plus vive allégresse, il leur dit quel amour leur a témoigné Celui dont ils chantent les louanges; et voici, comment il poursuit : "Car le Seigneur a mis sa Complaisance dans son peuple." Quelle prospérité pourrait-on comparer à celle qu'on possède quand on a Dieu pour soi ? "Et il exaltera en les sauvant ceux qui pratiquent la douceur." (Ps 149,4). Observez comme il distingue ce qui vient de Dieu et ce qui vient des hommes. Comme il venait de demander aux hommes l'action de grâces, il fait ici la part de Dieu : "Car le Seigneur a mis sa Complaisance dans son peuple." Mais aussitôt qu'il a promis un bienfait divin, il rappelle un devoir à remplir par la nature humaine : "Il exaltera en les sauvant ceux qui pratiquent la douceur." Exalter, c'est l'‘uvre de Dieu; pratiquer la douceur, c'est l'obligation de l'homme. L'‘uvre de Dieu ne s'accomplit qu'autant que l'homme s'y trouve prédisposé. Or, voyez la grandeur du Don divin. Le prophète ne dit pas simplement : Il les sauve, mais bien : "Il les exaltera en les sauvant." Il ne se bornera pas à les éloigner du rital, il les entourera d'une éclatante lumière : avec le salut, il leur donnera la gloire. Le texte ne saurait être plus formel à cet égard : "Les saints se réjouiront dans la gloire." (Ibid., 5). Ce sont des hommes doux d'abord, et puis des saints qu'il réclame. Par, tout l'action de Dieu se manifeste par des miracles. C'est ainsi qu'il les retira de l'Égypte, ainsi qu'Il les ramena de Babylone : Il ne se contenta pas de les arracher au malheur, il les revêtit d'une splendeur nouvelle par la manière dont Il les délivra. "Ils seront heureux sur leurs sièges," ou bien sur leurs couches. C'est une image par laquelle il peint une profonde sécurité, une quiétude parfaite, la plénitude du bonheur et de la joie. En parlant de la sorte, il veut leur bien montrer que tout cela ne sera pas le résultat de leurs efforts ou de leur courage, qu'ils devront tout au Secours divin, et qu'ils sont dans l'obligation de l'attirer sur eux par leur douceur et leur humilité.

"Les louanges de Dieu seront dans leur bouche, et des glaives à double tranchant dans leurs mains, pour exercer ses Vengeances au milieu des nations et corriger en son Nom les peuples." (Ibid., 6, 7). C'est une guerre qui se fera par des chants religieux, c'est par leurs cantiques et leurs hymnes qu'ils triompheront; car voilà ce que signifient les Louanges de Dieu qui seront dans leur bouche : il faut entendre par là le chant des psaumes, les hymnes de la reconnaissance. Une variante le dit même expressément. "Pour exercer ses Vengeances au milieu des nations et corriger en son Nom les peuples." Que signifie cela ? Comme leurs dominateurs ne cessaient de les accabler d'outrages, Dieu S'engage à réprimer cette insolence par les faits, en leur montrant que ce n'est pas à sa propre faiblesse, mais aux péchés de son peuple qu'on devait attribuer ces revers. Aussi, quand le châtiment se fut assez prolongé, Dieu dans sa Bonté n'eut qu'à faire un signe, et les choses présentèrent aussitôt un changement merveilleux. Et voyez quelle étonnante victoire; car il ajoute aussitôt : "Pour mettre leurs rois dans les chaînes, pour charger leurs princes des fers." Quel triomphe complet ! Non seulement ils repoussent les attaques de leurs ennemis, mais encore ils s'en retournent les tenant en chaînés et faisant éclater à tous les yeux la Puissance divine. "Pour exercer sur eux le jugement prescrit." (Ibid., 9). Qu'est-ce donc qu'un jugement prescrit ? Un jugement manifeste, éclatant, à l'abri du doute et de l'oubli. Telles sont encore une fois les ‘uvres de Dieu : par la grandeur des faits accomplis, par l'éclat des miracles, elles s'étendent à tous les temps. Telle sera donc la victoire qu'ils remporteront, tel le trophée qu'ils érigeront, que le monde entier en sera frappé dans toute la suite des siècles, comme si cela était gravé sur une colonne d'airain.

"A tous les saints appartient cette gloire." Quelle gloire ? Celle d'avoir triomphé, non d'une manière quelconque, mais dans de telles conditions, avec le concours de la puissance céleste, ayant Dieu même pour auxiliaire. Voyez comme il leur remet sous les yeux l'exemple des saluts, afin d'exciter dans les âmes le zèle du bien et d'imprimer une bonne direction à la vie. Pour moi, je suis persuadé que ce n'est pas seulement à la gloire du ciel qu'il donne le nom de triomphe, qu'il désigne encore ainsi les chants religieux, les hymnes et les cantiques, voulant nous apprendre en toute occasion que chanter les Louanges de Dieu c'est acquérir de nouveaux droits à la gloire, c'est s'entourer d'un nouvel éclat, par la Grâce et l'Amour de notre Seigneur Jésus Christ, à qui gloire et puissance, dans les siècles des siècles. Amen.

PSAUME 150

"Louez Dieu dans ses saints." Un autre dit : "Dans son saint." Un autre. encore : "Dans sa sanctification."

C'est du peuple lui-même, ou de la vie sainte, ou des hommes saints que cela doit s'entendre. Voilà que ce livre encore va se fermer sur une hymne d'actions de grâces, afin de nous enseigner que ce doit être là le commencement et la fin de nos actions et de nos paroles. C'est ce que Paul nous dit : "Dans tout ce que vous ferez, dans tous vos discours comme dans toutes vos oeuvres, rendez constamment grâces à Dieu, et par Lui au Père." (Col 3,17). Tel est aussi le commencement de notre prière; car dire à Dieu : "Notre Père," c'est rendre grâces pour les bienfaits reçus : ils sont tous renfermés dans ce seul nom. Celui qui dit Père, proclame l'adoption des enfants, et proclamer cette adoption, c'est reconnaître aussi la justification, la sanctification, la rédemption, le pardon des péchés, la possession du saint Esprit. Nous ne pouvons pas, en effet, posséder la grâce de l'adoption en dehors de ces conditions préalables; nous ne pouvons pas autrement appeler Dieu, notre Père. Dans ma pensée, le prophète nous suggère là une autre leçon : "Dans ses saints" veut dire par ses saints. Rendez Lui donc grâces de ce qu'Il nous a fait un genre de vie si sublime, de ce qu'il a transformé les hommes en anges. De là vient qu'après avoir dit : "Dans ses saints," le prophète ajoute, conjure pour confirmer ma pensée : "Louez-Le dans le firmament de sa Vertu." L'une de ces choses est beaucoup plus chère à Dieu que l'autre; car le ciel est fait pour l'homme, et non l'homme pour le ciel. Au lieu de firmament, un interprète met : "L'incorruptible" un autre : "Dans le firmament de son Pouvoir." le vois encore là un autre sens, comme dans un précédent psaume. De même qu'il avait dit : "Louez-Le, vous ses anges;" (Ps 148,2); il dit ici : "Louez-le dans son firmament." C'est comme s'il disait : Vous qui habitez son firmament. Nous n'ignorons pas qu'il appelle sans cesse les puissances supérieures à partager ses louanges. "Louez-le dans ses vertus ou dans ses puissances." (Ps 150,2). L'hébreu porte : Begeburotkaü. Or, voici la portée de ce verset : Louez-Le à cause de sa Grandeur, à cause de sa Puissance, à cause de ses Prodiges, à cause de cette Vertu qu'Il a fait éclater en toutes choses, dans le monde supérieur et dans le monde inférieur, dans l'ensemble et dans le détail, sur chaque point de la durée et dans toute la suite des âges. "Louez-Le selon l'étendue de sa Grandeur." Et coururent pourraient nos louanges répondre à l'infinie Grandeur de Dieu ? Aussi n'est-ce pas là ce que le prophète demande; il se borne à dire : Autant que vous pouvez plonger par le regard de l'âme dans l'abîme de la Divinité, autant vous lui devez vos adorations et vos louanges. Un homme ne saurait aller que jusqu'aux limites de son pouvoir dans les hommages qu'il rend à ce Dieu dont la Grandeur est infinie et que nul ne peut honorer comme il le mérite. - Voyez-vous de quel désir cette âme est enflammée, quel mouvement elle se donne, comme elle fait effort pour surmonter la faiblesse de sa nature et s'envoler désormais au ciel pour s'unir d'une manière encore plus intime à l'objet de son amour ?

"Louez-Le au son de la trompette, louez-Le sur le psaltérion et la cithare, louez-Le dans vos chants avec l'accompagnement du tambour; louez-Le sur l'orgue et tous les instruments à cordes; louez-Le sur les cymbales aux sons retentissants, sur les cymbales de la joie. Que tout esprit loue le Seigneur." (Ibid., 4-6). "Tout ce qui respire," est-il dit dans une autre version. Il existe aussi quelque différence dans les noms des instruments; mais cela ne touche en rien à la forme même de la pensée. Ce que le prophète se propose, c'est de mettre en branle tous les instruments : que tout se réunisse pour célébrer la Gloire de Dieu, que tous les coeurs soient embrasés d'amour pour Lui. Or, de même qu'il est prescrit aux Juifs d'employer ainsi tous les instruments en l'Honneur de Dieu, de même nous est-il prescrit d'y faire servir tous nos membres, les yeux, la langue, les oreilles et les mains. Paul dit aussi quelque chose de semblable : "Offrez vos corps comme une hostie vivante, sainte, agréable à Dieu; que la raison préside à votre culte." (Rom 12,1). L'oeil glorifie le Créateur quand il s'abstient de tout regard impudique; la langue, quand elle fait entendre des chants pieux; l'oreille, quand elle repousse les chants impurs et les accusations contre le prochain; l'intelligence, quand elle n'ourdit pas d'artifices et ne respire que la charité; les pieds, quand ils ne courent pas dans la voie du mal et ne tendent qu'au bien; les mains, quand on ne s'en sert pas pour la rapine, l'injustice ou la violence, mais plutôt pour secourir les indigents et défendre les opprimés. L'homme tout entier devient alors un harmonieux et multiple instrument qui fait remonter vers Dieu une mélodie spirituelle pleine de puissance et de douceur. Les instruments matériels étaient permis aux anciens par égard pour leur faiblesse : c'était un moyen pour leur inspirer la concorde et la charité, pour exciter les âmes à l'amour des choses saintes et des oeuvres salutaires; le zèle et la ferveur devaient naître de ces suaves impressions. Sachant à quel point les hommes étaient plongés dans la torpeur et l'indifférence, Dieu voulait ainsi les ranimer et leur faire accepter par ces agréables et savantes modulations le travail de la prière et de la vertu.

Qu'entend le prophète par cette expression : "Sur les cymbales de la joie ou de la signification ?" car ce dernier mot se trouve dans une variante. Il entend par là les psaumes eux-mêmes. En effet, ce n'était pas au hasard et sans but qu'on faisait retentir le son des cymbales et de la cithare, l'harmonie de ces instruments divers rendait autant que possible la signification des psaumes, et de la sorte l'application qu'on apportait à cette harmonie devenait la source des plus précieux avantages. "Que tout esprit loue le Seigneur." Après avoir convoqué les habitants du ciel, réveillé le zèle du peuple, mis en branle tous les instruments, le prophète s'adresse à la nature entière, à tous les âges sans exception, il convoque dans un même choeur les vieillards et les jeunes gens, les hommes et les femmes, les petits enfants eux-mêmes, tous les habitants de l'univers, préludant ainsi à l'universelle effusion de la divine semence, qui s'accomplira dans le Nouveau Testament. Ne cessons donc de louer le Seigneur et de Le bénir en toutes choses, par nos paroles et par nos actions. Voilà quel est notre sacrifice, voilà le meilleur genre d'adoration, celui qui convient à la vie même des anges. Si nous persévérons dans ces pieux exercices, nous traverserons heureusement la vie présente et nous obtiendrons les biens à venir. Puissent-ils être notre partage à tous, par la Grâce et l'Amour de notre Seigneur Jésus Christ, à qui gloire, puissance, honneur, en même temps qu'au Père et au saint Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen.