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Saint Jean Chrysostome
Homélies Diverses

.HOMELIES TOME 4

 

 

HOMELIES TOME 4 *

HOMÉLIE SUR L'AUMONE (1). *

HOMÉLIE SUR LA FÉLICITÉ DE LA VIE FUTURE et sur le néant de la vie présente (1). *

HOMÉLIE SUR LE PROPHÈTE ÉLIE Sur la Veuve et sur l'Aumône. *

HOMÉLIE SUR CE TEXTE : JE LUI AI RÉSISTÉ EN FACE. *

HOMÉLIES SUR LE MARIAGE. *

PREMIÈRE HOMÉLIE. Sur ces paroles de saint Paul : " à cause de la fornication que chacun ait sa femme. " (I Cor. VII, 2.) *

DEUXIÈME HOMÉLIE. *

TROISIÈME HOMÉLIE. Sur le choix d'une épouse. *

HOMÉLIE SUR CETTE PAROLE DE L'APOTRE : " Je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, que nos pères furent tous sous la nuée , et qu'ils traversèrent tous la mer. " (I Cor. X, 1.) *
 

 

 

 

HOMÉLIE SUR L'AUMONE (1).
Improvisée par l'orateur pendant la saison rigoureuse, un jour qu'ayant traversé la place publique pour venir à l'église, il avait vu une multitude de pauvres et d'infirmes étendus par terre dans le plus pitoyable état.

ANALYSE.

Cette homélie a été prononcée certainement à Antioche, comme on le voit dans le cours même de l'homélie; mais on ne peut savoir en quelle année. Elle roule sur l'aumône; c'est une explication simple, noble et instructive des quatre premiers versets du seizième chapitre de la première épître aux Corinthiens. L'orateur y montre d'une manière également solide et touchante quel était le zèle de saint Paul pour faire l’aumône et pour engager à la faire; quelle était sa prudence et la générosité de ses sentiments, ce qu'il entendait par le mot de saints; il exhorte les fidèles, d'après l'avis de cet Apôtre, à mettre des deniers à part pour le soulagement des pauvres, et en général à secourir les indigents dans leurs besoins, sans examiner trop scrupuleusement quelle est leur personne. L'exorde de cette homélie est remarquable : il est plein d'une dignité imposante, en même temps qu'il respire un tendre intérêt pour les pauvres. Saint Jean Chrysostome a traversé une partie de la ville pour arriver à l'église : il se suppose député vers les riches par les misérables qu'il a vus étendus par terre dans une saison rigoureuse; il sollicite leur compassion par le spectacle de leurs misères dont il a été le témoin.

1. Je viens remplir une ambassade aussi convenable à mon ministère qu'elle est importante et digne de toute votre attention. Ce sont les pauvres de cette ville qui m'envoient aujourd'hui vers -vous; ils ne se sont point assemblés pour me nommer leur représentant le spectacle seul de leurs misères a parlé suffisamment à mon coeur. En traversant la place et les carrefours, empressé, selon ma coutume, de venir vous rompre le pain de la parole , j'ai vu une multitude d'infortunés étendus par terre, les uns privés de leurs mains, les autres de leurs yeux , d'autres tout couverts d'ulcères et de plaies incurables, étalant aux regards publics les membres qu'ils devraient cacher dans l'état d'horreur où la mal les a réduits. Il y aurait de l'inhumanité, mes frères, à ne point vous parler des pauvres, surtout quand la circonstance actuelle nous en fait une loi si pressante. Si nous devons en tout temps vous exhorter à l'aumône, parce qu'en tout temps nous avons besoin de la miséricorde du Maître commun qui nous a créés, combien plus ne le devons-nous pas dans le froid rigoureux qui

1 Traduction d'Auger, revue.

règne maintenant ? Pendant l'été , la saison même soulage les pauvres. Ils peuvent marcher nus sans péril; les rayons du soleil leur servent de vêtement. Ils peuvent coucher sur la terre, sans craindre que la fraîcheur des nuits les incommode. Ils n'ont besoin ni de chaussure, ni de vin, ni d'une nourriture abondante : une fontaine suffit à leur boisson; quelques herbes et quelques légumes, voilà leurs aliments, voilà les simples mets que la saison est toujours prête à leur servir. Un autre soulagement qui n'est pas moindre, c'est qu'ils ne manquent pas alors d'ouvrage. Ceux qui font bâtir des maisons, qui cultivent la terre , ou qui parcourent les mers, ont besoin de leurs bras. Les maisons, les champs, les héritages, sont la substance assurée des riches; les pauvres n'ont de revenus que ce qu'ils gagnent par leurs sueurs. Ainsi l'été, ils peuvent trouver encore quelque ressource; mais l'hiver, tout leur fait la guerre ; au dedans, la faim dévoré leurs entrailles; au dehors, le froid glace leurs membres, et rend leur chair presque morte. Il. leur faudrait plus de nourriture, des vêtements meilleurs, un toit, un lit, des (146) chaussures, et mille autres nécessités. Ce qu'il y a de plus triste dans leur situation, c'est que la rigueur du temps leur ôte tout moyen de travailler pour se nourrir.

Puis donc qu'à présent leurs besoins se multiplient, puisqu'ils n'ont pas la ressource du travail, puisque personne ne loue leurs services et ne les emploie à aucun ouvrage, suppléons à tous les moyens qui leur manquent, engageons les personnes charitables à leur tendre la main, et prenons pour collègue de notre ambassade le bienheureux Paul , ce père tendre, ce grand protecteur des pauvres. En effet, ce grand apôtre s'est occupé de l'aumône plus que personne. Aussi quoiqu'il eût partagé avec Pierre les peuples chez lesquels ils devaient porter la prédication, il ne partagea pas le soin des pauvres ; mais après avoir dit : Les apôtres nous donnèrent la main à Barnabé et à moi, pour marque de l'union qui était entre eux et nous, afin que nous prêchassions l'Evangile aux Gentils et aux circoncis, il ajoute : Ils nous recommandèrent seulement de nous souvenir des pauvres, ce que j'ai eu aussi grand soin de faire. (Galat. II, 9 et 10.) Partout dans ses épîtres, il parle de l'aumône, et il n'en est aucune où il ne recommande cette vertu. Il savait, oui, il savait combien elle a de pouvoir. C'est par là qu'il termine tous les avis qu'il adresse aux fidèles, c'est comme le faîte admirable dont il couronne un bel édifice. Ainsi, dans le passage que nous entreprenons d'expliquer , après avoir parlé de la résurrection, et avoir régla; tout le reste, il finit par l'aumône, et voici comme il s'exprime : Quant aux aumônes qu'on recueille pour les saints, suivez le même ordre que nous avons établi pour les Eglises de Galatie. Que le premier jour de la semaine chacun de vous.... (I Cor. XVI, et suiv.) Voyez la prudence de l'Apôtre, et combien il place à propos ses avis sur l'aumône. C'est après avoir parlé d'un jugement à venir, d'un tribunal redoutable, de la gloire dont les justes doivent être revêtus, et d'une vie immortelle, c'est alors qu'il s'occupe de l'aumône, afin que son auditeur, frappé par la crainte d'un jugement futur, animé et consolé par l'attente des biens que Dieu lui réserve, rempli d'heureuses espérances, reçoive ses discours avec plus d'empressement, Oui , sans doute, celui qui raisonne sur la résurrection; qui se transporte tout entier lui-même dans une autre vie, ne fera aucun cas des biens présents, ni des richesses, ni de l'opulence, ni de l'or, ni de l'argent, ni des délices, ni des habits magnifiques, ni des tables somptueuses; or, celui qui méprise tous ces avantages, se portera plus aisément à soulager les pauvres. C'est pour cela que saint Paul, après avoir bien préparé l'esprit des fidèles par des réflexions utiles sur la résurrection, leur donne ses avis sur l’aumône. Il ne dit pas : Quant aux aumônes qu'on recueille pour les pauvres, pour les indigents, mais : pour les saints, apprenant à ses auditeurs à respecter les pauvres lorsqu'ils sont vertueux, et à mépriser les riches lorsqu'ils méprisent la vertu. Il traite d'homme impur et pervers, même un empereur , lorsqu'il est ennemi de Dieu , et il nomme saints, même les pauvres, lorsqu'ils sont sages et bien réglés. Il appelle Néron un mystère d'iniquité : Le mystère d'iniquité, dit-il, agit dès à présent (II Thess. II, 7); et des hommes qui manquent de la nourriture nécessaire, qui l'attendent de la pitié publique, il les a appelés des saints. Il donne en même temps une leçon secrète aux riches; il leur apprend à ne pas concevoir d'orgueil, à ne point se prévaloir du précepte, comme s'ils soulageaient des êtres vils et méprisables, mais à se bien persuader eux-mêmes que c'est pour eux un très-grand honneur d'être jugés dignes de participer aux afflictions des pauvres.

2. Mais il est à propos d'examiner ce que saint Paul entend par le nom de saints; car ce n'est pas seulement ici qu'il en parle, mais encore ailleurs : Maintenant, dit-il aux fidèles de Rome, je m'en vais à Jérusalem porter aux saints les aumônes que j'ai recueillies. (Rom. XV, 25.) Saint Luc parle de ces mêmes saints dans les Actes, lorsqu'on était menacé d'une grande famine : Les disciples, dit-il, résolurent d'envoyer, chacun selon son pouvoir, quelques aumônes aux saints de Jérusalem, qui étaient dans l'indigence. (Act. II, 29.) Et dans le passage que nous avons cité plus haut : Ils nous recommandèrent seulement, dit saint Paul, de nous souvenir des pauvres , ce que j'ai eu aussi grand soin de faire. Lorsque nous nous fûmes partagés les peuples, que j'eus pris pour moi les Gentils, et que Pierre eut pris les Juifs, nous réglâmes, d'un commun accord, que ce partage ne s'étendrait pas sur les pauvres. Lorsqu'il s'agissait de prédication , l'un prêchait aux Juifs, l'autre aux Gentils; mais lorsqu'il fallait secourir les pauvres, ce n'était plus la (147) même chose : l'un n'était pas chargé spécialement des pauvres parmi les Juifs, et l'autre des pauvres parmi les Gentils, mais ils s'occupaient tous deux, avec un grand soin , des pauvres de la Judée. C'est ce qui faisait dire à saint Paul : Ils nous recommandèrent seulement de nous souvenir des pauvres, ce que j'ai eu aussi grand soin de faire. Quels sont donc les pauvres dont il parle ici, et dans l'épître aux Romains, et dans celle aux Galates, pour lesquels il exhorte encore lés Macédoniens ? ce sont les Juifs pauvres qui étaient à Jérusalem. Et pourquoi s'occupe-t-il d'eux avec tant d'attention? est-ce qu'il n'y avait pas de pauvres et d'indigents dans chacune des autres villes ? pourquoi donc n'envoie-t-il d'aumônes qu'aux pauvres de Jérusalem , et exhorte-t-il pour eux les fidèles des autres pays? Ce n'est pas sans motif et au hasard, ni. par acception de personne qu'il le fait, mais par raison d'utilité et de convenance.

Il est nécessaire de reprendre les choses d'un peu plus haut. Lorsque l'empire des Juifs fut tombé, lorsqu'ayant crucifié Jésus, ils eurent prononcé contre eux-mêmes cette sentence Nous n'avons de roi que César (Jean, XIX, 15), et qu'ils furent désormais soumis aux Romains, ils ne se gouvernaient plus par leurs propres lois comme auparavant, sans qu'ils fussent aussi assujettis que de nos jours; mais ils étaient au rang d'alliés, ils payaient tribut aux empereurs, et recevaient des gouverneurs choisis par eux. Cependant ils usaient de leurs propres lois dans plusieurs occasions, et punissaient leurs coupables suivant leurs anciennes ordonnances. Ce qui prouve qu'ils payaient tribut aux Romains, c'est que s'étant approchés de Jésus pour le tenter, ils lui firent cette demande : Maître, est-il libre ou non de payer le tribut à César? (Matth. XXII,17.) Jésus-Christ leur ayant fait montrer une pièce de monnaie, leur dit : Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Saint Luc dit expressément que le temple était occupé par des chefs de troupes romaines. Ce sont là des preuves très-fortes que les Juifs étaient soumis aux Romains. Mais ce qui prouve qu'ils usaient souvent de leurs propres lois, c'est qu'ils ont lapidé Etienne sans le mener devant un tribunal, qu'ils ont fait mourir Jacques, frère du Seigneur, qu'ils ont crucifié Jésus-Christ lui-même, quoique le juge le déclarât purgé de toute accusation, et lui permît de se retirer. Aussi Pilate se lava-t-il les mains en disant : Je suis innocent du sang de cet homme (Matth. XXVII, 24); et comme il se vit pressé par les Juifs, il se retira sans prononcer. Les Juifs, de leur propre autorité, le condamnèrent, et firent le reste. Ils ont aussi souvent attaqué saint Paul. Comme donc ils se jugeaient eux-mêmes, il arrivait de là que ceux d'entre eux qui croyaient en Jésus-Christ avaient plus à souffrir que partout ailleurs. Chez les autres peuples, il y avait des tribunaux, des lois, des magistrats; et il n'était pas permis aux Gentils de faire mourir, de lapider ceux d'entre eux qui s'écartaient des usages, ou de leur faire quelque autre mal, de leur propre autorité; mais si l'on en surprenait quelqu'un à commettre quelque acte de violence contre la volonté des juges, il était puni lui-même. Les Juifs, au contraire, avaient pour ces sortes de violences illégales une entière licence. Aussi, je le répète, ceux d'entre eux qui avaient embrassé la foi étaient plus persécutés que les chrétiens des autres nations; ils étaient comme des brebis au milieu des loups, et ils ne trouvaient personne qui vînt à leur secours. Les Juifs battirent souvent de verges saint Paul, comme nous l'apprenons de lui-même : J'ai reçu des Juifs, dit-il, en cinq fois différentes, trente-neuf , coups de fouet; j'ai été battu de verges par trois fois; j'ai été lapidé une fois. (II Cor. II, 24 et 25.) Et pour preuve que nous ne parlons point par conjecture, écoutez ce que saint Paul écrit aux Hébreux : Rappelez en votre mémoire ces premiers temps, auxquels, après avoir été éclairés par la foi, vous avez soutenu de grands combats dans les afflictions que l'on vous a fait souffrir, ayant été d'une part exposés devant tout le monde aux injures et aux mauvais traitements, et de l'autre ayant été compagnons de ceux qui ont enduré de pareils outrages; car vous avez vu avec joie tous vos biens pillés, sachant que vous aviez dans les cieux d'autres biens plus excellents et plus durables. (Héb. X, 32, 33 et 34.) Il exhorte ainsi les Thessaloniciens, en les produisant pour exemple : Mes frères, leur dit-il, vous êtes devenus les imitateurs des Eglises de Dieu, qui ont embrassé la foi de Jésus-Christ dans la Judée, ayant souffert les mêmes persécutions, de la part de vos concitoyens, que ces Eglises ont souffertes de la part des Juifs. (I Thess. II, 14.) Ainsi , comme les fidèles de Jérusalem avaient plus à souffrir que dans toute autre ville, qu'on les (148) persécutait sans pitié, qu'on enlevait tous leurs biens, qu'ils étaient pillés partout, chassés de tous les lieux, c'est avec raison que saint Paul excite tous les peuples à les secourir. C'est ici encore en leur faveur qu'il exhorte les Corinthiens par ces paroles : Quant aux aumônes qu'on recueille pour les saints, suivez le même ordre que nous avons établi pour les Eglises de Galatie.

3. J'ai prouvé suffisamment quels sont les saints que désigne saint Paul, et pourquoi il s'occupe d'eux avec une attention particulière; il faut montrer maintenant pour quelle raison il parle des Galates; car, pourquoi ne dit-il pas: Quant aux aumônes qu'on recueille pour les saints, suivez cet ordre : que le premier jour de la semaine chacun de vous mette à part chez soi quelque chose, amassant peu à peu, au lieu de dire: Quant aux aumônes qu'on recueille pour les saints, suivez le même ordre que nous avons établi pour les Eglises de Galatie ? Pourquoi s'exprime-t-il de la sorte? pourquoi ne parle-t-il pas d'une ou de deux villes, mais de tout un peuple? c'est pour que les Corinthiens montrent plus d'ardeur, et que les éloges donnés à d'autres soient pour eux un motif d'émulation.

Ensuite, il leur explique l'ordre qu'il voudrait établir : Que le premier jour de la semaine, dit-il, chacun de vous mette à part chez soi quelque chose, amassant peu à peu ce qu'il pourra, avec l'aide du Seigneur, afin qu'on n'attende pas à mon arrivée à recueillir les aumônes. Le premier jour de la semaine, c'est-à-dire le dimanche, le jour consacré au Seigneur. Et pourquoi a-t-il marqué ce jour pour les contributions de chacun? pourquoi n'a-t-il pas dit : le deuxième jour de la semaine, le troisième, ou le dernier? Ce n'est pas au hasard et sans raison : il voulait tirer du temps même un motif pour les faire contribuer, avec plus d'ardeur, au soulagement des pauvres. La circonstance du temps fait beaucoup en toute chose. Et que fait, direz-vous, la circonstance du jour pour engager à faire l'aumône? Dans le jour que marque l'Apôtre, on cesse tout travail; le repos rend l'âme plus gaie et plus contente. Mais, ce qu'il y a de plus important, c'est qu'en ce jour nous avons joui d'une infinité de précieux avantages. C'est en ce jour que la mort a été vaincue, la malédiction détruite, le péché aboli, les portes de l'enfer brisées, le démon enchaîné, une longue guerre terminée; c'est en ce jour que l'homme a été réconcilié avec Dieu, que notre race a recouvré son ancienne noblesse, ou plutôt est montée à un rang beaucoup plus sublime; c'est en ce jour que le soleil a vu un prodige merveilleux l'homme devenu immortel. C'est pour nous rappeler tous ces grands avantages, que saint Paul choisit le jour du Seigneur; il prend ce jour pour appuyer ses paroles, et il semble dire à chacun : Pensez, ô homme, de quels biens vous avez été comblé en ce jour, de quels maux vous avez été délivré; ce que vous étiez d'abord, ce que vous êtes devenu ensuite ! Si d'anciens esclaves honorent le jour où ils ont été mis en liberté; si nous honorons le jour de notre naissance; si les uns célèbrent des festins, si d'autres, plus généreux encore, font des présents; à plus forte raison devons-nous honorer le jour que l'on peut appeler le jour de la naissance de la nature humaine. Nous étions perdus, et nous avons été retrouvés; nous étions morts, et nous sommes ressuscités; nous étions ennemis, et nous avons été réconciliés. Nous devons donc honorer ce jour d'une manière spirituelle, non en célébrant des festins, non en nous livrant aux excès de la bouche et à des danses peu honnêtes, mais en tirant de la détresse nos frères indigents. Je ne vous fais pas ces réflexions afin que vous y applaudissiez, mais afin que vous agissiez d'après ce que je vous dis. Croyez que ce n'est pas seulement aux Corinthiens que s'adresse l'Apôtre, mais à chacun de nous et à ceux qui viendront après nous. Suivons l'ordre établi par saint Paul, et mettons à part, dans le jour du Seigneur, l'argent destiné pour le Seigneur. Faisons-nous en une loi et un usage invariable, et nous n'aurons pas besoin d'être animés ni exhortés. Une longue et ancienne habitude fait plus dans ces sortes de bonnes oeuvres que tous les discours et toutes les exhortations. Si nous nous faisons une règle de mettre quelque chose à part le dimanche pour le soulagement des pauvres, ce sera pour nous une loi que nous n'oserons enfreindre, quelque nécessité qui survienne.

Après avoir dit : Le premier jour de la semaine, l'Apôtre ajoute : chacun de vous. Je ne parle pas seulement, dit-il, aux riches, mais encore aux pauvres; non-seulement aux personnes libres, mais encore aux esclaves; non-seulement aux hommes, mais encore aux femmes. Que personne ne se dispense de cette bonne rouvre, que personne ne se prive du fruit qu'on peut en recueillir, mais que chacun (149) contribue selon son pouvoir. Non, la pauvreté ne peut être un obstacle à une pareille contribution. Quelque pauvre que vous soyez, vous n'êtes pas plus pauvre que cette veuve de l'Evangile, qui donna tout ce qu'elle avait. (Luc, XXI, 2.) Quelque pauvre que vous soyez, vous n'êtes pas plus pauvre que cette veuve de Sidonie, qui, ne possédant qu'une poignée de farine, pressée par la faim, n'ayant rien en réserve, se voyant entourée d'enfants, ne se dispensa pas, s'empressa au contraire de recevoir le prophète. ( III Rois, XVII, 11.)

Mais pourquoi saint Paul a-t-il dit : mette à part chez soi, amassant peu à peu, à la lettre, thésaurisant. Comme celui qui mettait à part aurait pu avoir honte d'offrir une somme modique, c'est pour cela qu'il dit : Gardez chez vous ce que vous mettez à part, et lorsque vous aurez grossi la somme en mettant à plusieurs reprises, alors venez nous l'offrir. Il se sert du mot thésaurisant, afin de vous apprendre que cette contribution est un revenu, que cette dépense est un trésor, et le plus précieux des trésors. Un trésor terrestre est sujet à être pris, à être diminué, perd souvent ceux qui l'acquièrent; un trésor céleste est bien différent : on ne peut le perdre, il ne peut être pris par les voleurs, il est le salut de ceux qui le possèdent, il ne diminue pas avec le temps, l'envie ne peut nous en dépouiller, il est à l'abri de toute rapine, il procure mille biens à ceux qui l'amassent.

4. Suivons donc le conseil de l'Apôtre, et, selon qu'il nous le recommande, ayons en réserve dans nos maisons un argent sacré, qui soit comme la sauvegarde de nos fortunes particulières; car de même que l'argent d'un particulier, déposé dans le trésor du prince, participe à la sûreté de ce trésor, ainsi l'argent des pauvres, amassé peu à peu dans votre maison pendant tous les jours consacrés au Seigneur, fera la sûreté du reste; et vous serez vous-même le dispensateur de vos propres fonds, nommé par le bienheureux Paul. Que dis-je? ce que vous aurez amassé d'abord sera pour vous un motif et une occasion d'amasser davantage. Lorsque vous aurez pris une heureuse habitude , vous pourrez vous exciter vous-même sans que personne vous exhorte. Que la maison de chacun devienne donc par là une église, en devenant dépositaire d'un argent sacré, puisqu'une des marques auxquelles on reconnaît les églises ce sont les trésors qui en dépendent (1). Tout lieu où est déposé l'argent des pauvres est inaccessible aux démons; et cet argent vaut mieux pour garder les maisons et pour les défendre que les troupes de soldats, que les piques, les boucliers et les épées.

Après avoir marqué le temps et la manière d'amasser cet argent, et les personnes qui doivent être chargées de cet office, l'Apôtre abandonne la quantité à la volonté de ceux qui contribuent ; car il ne dit pas : Contribuez de tant, pour que le précepte ne soit pas à charge, et que les pauvres ne puissent pas se rejeter sur leur impuissance; mais il règle la grandeur de la contribution sur le pouvoir de ceux qui contribuent : Que chacun de vous, dit-il, mette à part chez soi quelque chose, amassant peu à peu ce qu'il pourra avec l'aide du Seigneur, annonçant, par ces derniers mots, que le secours du ciel ne manquera pas ; car saint Paul ne cherchait pas seulement à faire secourir les pauvres, mais à les faire secourir avec joie. Il savait que c'est beaucoup moins pour le soulagement de l'indigence, que Dieu a ordonné l'aumône, que pour l'avantage de ceux qui la font. En effet, s'il n'eût pensé qu'aux pauvres, il eût simplement ordonné de les soulager, sans recommander de le faire avec joie; mais vous voyez que, dans plusieurs endroits, saint Paul insiste sur ce dernier point : Ne donnez pas, dit-il dans une de ses épîtres, ne donnez pas ce que vous avez envie de donner, avec tristesse et comme par force; car Dieu aime celui qui donne avec joie (II Cor. IX, 7) ; non simplement celui qui donne, mais celui qui donne avec plaisir. Que celui qui fait l'aumône, dit-il ailleurs, la fasse avec simplicité; que celui qui gouverne s'en acquitte avec vigilance; que celui qui exerce les œuvres de miséricorde, les exerce avec joie. (Rom. XII, 8.) La nature de l'aumône consiste à donner avec joie, et à croire qu'on reçoit plus qu'on ne donne. Aussi l'Apôtre emploie-t-il tous les moyens pour alléger le précepte, pour faire contribuer avec plaisir au soulagement du pauvre.

Et voyez en combien de manières il s'est efforcé d'ôter à l'aumône tout son fardeau. Premièrement, il ne fait pas contribuer une ou deux personnes, mais toute la ville; et le mot qu'il emploie signifie une contribution générale,

1 Chaque église avait un bâtiment qui lui était annexé, nommé en grec gazophilakion. On y déposait les deniers qui devaient être employés au soulagement des pauvres.

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où chacun donne pour sa part. Secondement, il fait valoir la dignité de ceux qui reçoivent; car il ne dit pas : les pauvres, mais les saints. En troisième lieu, il anime par un exemple : Suivez l'ordre, dit-il, que nous avons établi pour les Eglises de Galatie. Ajoutons qu'il marque un temps favorable : Que le premier jour de la semaine, dit-il, chacun de vous mette à part. Cinquièmement, il ne fait pas donner toute l'aumône à la fois, mais partiellement et peu à peu; car ce n'est pas la même chose de donner tout en un seul jour, ou de distribuer la dépense dans plusieurs intervalles de temps, ce qui empêche qu'on ne s'en aperçoive. Sixièmement, il ne détermine pas la quantité de la somme, mais il s'en rapporte à la volonté de ceux qui donnent, et il déclare qu'ils auront l'aide du Seigneur; car telle est la force du terme dont il fait usage. Il ajoute encore un septième moyen : Afin, dit-il, qu'on n'attende pas à mon arrivée à recueillir les aumônes. Il excite les fidèles de Corinthe en même temps qu'il les console, en leur faisant espérer qu'ils ne tarderont pas à le revoir, et en leur fixant le terme où ils le reverront.

Enfin, il emploie un dernier moyen; et quel est ce moyen? Lorsque je serai arrivé, dit-il, j'enverrai avec des lettres de ma part, ceux que vous aurez choisis pour porter vos charités à Jérusalem. Que si la chose mérite que j'y aille moi-même, ils m'accompagneront. Voyez combien cette âme sainte et généreuse est modeste et éloignée de tout faste, combien elle est tendre et attentive ! Saint Paul se dispense de nommer lui-même, et à son gré, les dispensateurs des aumônes, il en abandonne le choix aux Corinthiens; et loin de regarder comme une injure qu'ils fussent choisis par eux et non par lui, il jugeait au, contraire peu convenable que faisant eux-mêmes les aumônes, un autre en nommât les dispensateurs. Il leur en laisse donc le choix, annonçant par là sa modestie, en même temps qu'il éloignait toute ombre de mauvais soupçon. Quoiqu'il fût plus pur que le soleil, et au-dessus de tout soupçon défavorable, il ne croyait pas pouvoir prendre trop de précautions pour ménager les faibles, et ne donner aucune prise à la calomnie. C'est pour cela qu'il s'exprime, comme nous avons dit plus haut : Lorsque je serai arrivé, j'enverrai ceux que vous aurez choisis pour porter vos charités à Jérusalem. Quoi donc ! vous ne faites pas le voyage de Jérusalem, vous ne prenez pas l'argent, vous abandonnez cette fonction à d'autres ! Pour que cette idée ne pût pas ralentir leur ardeur, voyez comme il la prévient encore. Il ne dit pas simplement : J'enverrai ceux que vous aurez choisis; mais que dit-il? avec des lettres de ma part. Si je ne les accompagne pas en personne, je serai du moins avec eux par mes lettres, et je les seconderai dans leur ministère.

5. Serions-nous dignes de l'ombre de Paul, serions-nous dignes de dénouer sa chaussure, si lorsque cet apôtre, qui jouissait d'une gloire si étendue, a dédaigné de recevoir de la part des fidèles des marques de considération, nous sommes fâchés et indignés que les administrateurs de l'argent des pauvres ne soient pas de notre choix, ne soient pas agréés par nous, nous regardons comme une injure que ceux qui donnent de leurs deniers pour de bonnes oeuvres ne nous consultent pas dans la manière de les administrer?

Et voyez comme saint Paul est toujours d'accord avec lui-même, comme il ne se dément point. Le terme qu'il emploie pour exprimer les aumônes des Corinthiens est celui de grâce, annonçant par là que si ressusciter les morts, chasser les démons, guérir les lépreux, est une oeuvre de la grâce, soulager la pauvreté et tendre la main à l'indigence l'est beaucoup plus encore. Mais quoique ce soit une grâce, il faut le concours de notre zèle et de notre ardeur, nous devons y correspondre et nous en rendre dignes par notre volonté propre. Au reste, l'Apôtre console les Corinthiens; en chargeant de lettres de sa part les dispensateurs de leurs aumônes, et en faisant quelque chose de plus, en promettant de les accompagner dans leur voyage: Que si la chose, dit-il, mérite que j'y aille moi-même, ils m'accompagneront. Considérez encore ici sa prudence. Il ne refuse ni ne promet absolument de les accompagner; mais il abandonne encore ce voyage au choix de ceux qui font les aumônes, il les en laisse les arbitres, en leur faisant entendre que si ces aumônes sont assez considérables pour le déterminer, il se mettra volontiers en route. C'est là le sens caché sous ces mots : Que si la chose mérite que j'y aille moi-même. S'il avait refusé absolument, ou s'il n'avait promis que d'une manière équivoque et douteuse, il eût diminué le courage et ralenti l'ardeur des Corinthiens. C'est pour cela qu'il ne leur refuse ni ne leur promet absolument, mais qu'il les laisse (151) arbitres de son départ. Sachant que Paul pourrait porter lui-même leurs aumônes, ils en mettaient à part les deniers avec plus d'ardeur, dans l'espoir que ses mains saintes pourraient en avoir l'administration, et qu'il joindrait ses prières à leur sacrifice. Ils pensaient qu'un apôtre chargé du monde entier, et du soin de toutes les Eglises que le soleil éclaire, ne s'engagerait pas à administrer une somme trop modique, une somme qui n'en vaudrait point la peine. Mais si les Corinthiens, qui devaient remettre leurs aumônes entre les mains de Paul, pour- les porter à Jérusalem, en amassaient les deniers avec plus de zèle, quelle excuse vous restera-t-il, si vous balancez à faire l'aumône, lorsque vous devez donner votre argent au Maître de Paul, qui le reçoit lui-même par la main des pauvres?

Pénétrés de ces idées, soit que vous deviez donner aux pauvres en votre nom, ou leur distribuer les deniers d'autrui, ne le faites ni avec lenteur ni avec tristesse, comme si vous portiez atteinte à votre fortune. Le laboureur qui jette tout ce qu'il a de semence, loin d'être fâché et de s'affliger, loin de regarder cela comme une perte, le regarde au contraire comme un gain et un revenu , quoique ses espérances soient incertaines; et vous qui semez pour recueillir des fruits beaucoup plus précieux, vous qui confiez votre argent à Jésus-Christ lui-même, vous différez, vous balancez, vous prétextez le défaut de moyens ! cette conduite est-elle raisonnable ? Dieu ne pouvait-il pas ordonner à la terre de produire de l'or pur? Celui qui a dit : Que la terre produise de l'herbe verte (Gen. I, 11), et qui l'a montrée aussitôt revêtue de verdure, pouvait sans doute ordonner à tous les fleuves et à toutes les fontaines de rouler de l'or. Il ne l'a pas voulu, il a laissé beaucoup d'hommes dans l'indigence pour leur avantage et pour le vôtre; car la pauvreté est plus propre à la vertu que les richesses, et ce n'est pas une médiocre ressource pour ceux qui ont péché que les secours accordés aux indigents.

Dieu a si fort à coeur l'aumône, que lorsqu'il vint dans le monde, revêtu de notre chair et conversant avec les hommes, il ne regarda pas comme une honte, comme indigne de sa majesté, d'administrer lui-même les deniers des pauvres; cependant, lui qui avait créé assez de pains pour nourrir une grande multitude, qui n'avait qu'à ordonner pour faire ce qu'il voulait, qui aurait pu produire sur-le-champ d'immenses trésors, ne l'a pas voulu; mais il a ordonné à ses disciples d'avoir une bourse et de porter ce qu'on y mettait pour en secourir ceux qui étaient dans le besoin. Aussi, lorsqu'il parlait obscurément à Judas de sa trahison, les disciples, qui ne pouvaient comprendre ses paroles, crurent qu'il lui ordonnait de distribuer quelque argent aux pauvres, parce qu'il avait la bourse (Jean, XIII, 29), et que c'était lui qui portait ce qu'on mettait dedans. Dieu, oui, Dieu a fort à coeur la miséricorde, non-seulement celle qu'il nous témoigne à nous-mêmes, mais encore celle que nous devons montrer envers nos semblables. Il nous donne sur l'aumône une infinité de préceptes dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament; il nous commande de signaler notre amour pour les hommes par des actions, par des paroles , par d'utiles largesses. Moïse en parle fort souvent dans toutes ses lois; les prophètes nous crient, dans la personne de Dieu : Je veux la miséricorde et non le sacrifice. (Osée, VI, 6.) Les apôtres agissent et parlent conformément à ce principe. Ne négligeons donc pas l'aumône, qui est si utile aux pauvres, et encore plus à nous-mêmes, puisque nous recevons beaucoup plus que nous ne donnons.

6. Ce n'est pas sans motif que je fais maintenant ces réflexions, mais parce que j'en vois plusieurs examiner scrupuleusement les pauvres, s'informer de leur patrie, de leur vie, de leurs moeurs, de leur profession, de l'état de leur corps, leur faire mille reproches, leur demander mille comptes de leur santé. Aussi beaucoup d'entre eux contrefont-ils des corps estropiés et impotents, afin de fléchir notre cruauté par les faux dehors d'une infirmité apparente. Il est mal de leur faire des reproches, même dans la belle saison, quoique cela puisse se souffrir; mais pendant le froid le plus rigoureux , se montrer à leur égard un juge si dur et si cruel, ne leur point pardonner de rester oisifs, n'est-ce pas le comble de l'inhumanité? Pourquoi donc, dira-t-on, saint Paul donnait-il cette règle aux Thessaloniciens: Celui qui ne veut pas travailler ne doit pas non plus manger? C'est afin que vous la connaissiez vous-même, cette règle, que vous vous adressiez à vous-même les paroles de l'Apôtre, et non pas seulement aux pauvres; car les préceptes de saint Paul ne sont pas seulement pour (152) les pauvres, mais encore pour nous. Ce que je vais vous dire est un peu dur, et pourra vous déplaire; je vous le dirai toutefois, puisque je vous le dis pour vous corriger, et non pour vous offenser. Nous reprochons aux pauvres la paresse, vice souvent excusable ; et nous, nous avons souvent à nous reprocher bien plus que de la paresse. Mais moi, direz-vous, j'ai un patrimoine. Mais parce que ce misérable est pauvre, et qu'il est né de parents pauvres; qu'il n'a pas eu des ancêtres opulents , doit-il donc périr? je vous le demande. Ne doit-il pas, pour cela même, surtout trouver de la compassion dans le coeur des riches? Vous qui passez tous les jours dans les spectacles, dans des assemblées nuisibles, dans des sociétés d'où l'on ne retire aucun avantage, où l'on se permet mille traits de médisance et de calomnie, vous croyez ne rien faire de mal et n'être pas coupable de paresse, et un malheureux qui passe tout le jour à pleurer, à gémir, à supplier, à souffrir mille maux, vous le citez à votre tribunal, vous le jugez durement, vous lui demandez mille comptes ! est-ce là, je vous prie, un procédé humain? Ainsi, quand vous dites : Que répondrons-nous à saint Paul? adressez-vous les paroles de l'Apôtre à vous-même, et non pas aux pauvres. D'ailleurs, ne vous contentez pas de lire les menaces de saint Paul , lisez aussi ses paroles indulgentes. Le même apôtre qui dit : Celui qui ne veut pas travailler ne doit pas non plus manger, ajoute : Mais vous, mes frères, ne vous lassez pas de faire le bien. (II Thess. III, 12 et 13.)

Mais quel est encore un prétexte spécieux de nos riches impitoyables? ce sont, disent-ils, des esclaves fugitifs, des vagabonds, des étrangers, qui abandonnent leur patrie, et qui accourent dans notre ville. Eh quoi, mon frère ! êtes-vous donc fâché qu'on regarde généralement votre ville comme un port commun, qu'on la préfère à sa ville natale? voulez-vous lui ravir cette couronne? Vous devez vous réjouir et triompher de ce que tous les malheureux accourent dans nos bras comme dans un asile commun, de ce qu'ils regardent notre ville comme leur mère et leur protectrice. Ne privez pas votre patrie du plus beau de ses éloges, ne lui enlevez pas une gloire qu'elle tient de ses ancêtres. Dans les premiers jours du christianisme, lorsque toute la terre était menacée d'une grande famine, les habitants de notre ville envoyèrent une grande somme d'argent, par les mains de Barnabé et de Paul, aux fidèles de Jérusalem (Act. 11, 30), à ceux mêmes dont nous avons tant parlé dans ce discours. Serions-nous donc excusables, si, lorsque nos ancêtres secouraient de leurs deniers des hommes éloignés de leur pays, et qu'ils allaient les chercher eux-mêmes, nous repoussions des misérables qui accourent à nous d'ailleurs, nous leur demandions un compte rigoureux; et cela, sachant que nous sommes coupables de mille crimes, et que si Dieu nous examinait avec la même rigueur que nous examinons les pauvres , nous n'obtiendrions aucune indulgence, aucune pitié. Vous serez jugés, dit l'Evangile, selon que vous aurez jugé les autres. (Matt. VII, 2.) Soyez donc humains et doux envers votre semblable, pardonnez-lui beaucoup de fautes, ayez compassion de lui, afin .qu'on ait pour vous les mêmes égards. Pourquoi vous créer à vous-mêmes des embarras? pourquoi vous inquiéter vous-mêmes. Si Dieu vous eût ordonné d'examiner la vie de vos frères, de rechercher leurs moeurs, de leur demander des comptes, plusieurs n'auraient-ils pas été mécontents? n'auraient-ils pas dit : Assurément Dieu nous a chargés d'une fonction fort disgracieuse et très-difficile? Pouvons-nous parvenir à connaître la vie des autres? Pouvons-nous savoir les fautes que tel et tel a commises? Plusieurs n'auraient-ils pas tenu ces discours et d'autres semblables? Et lorsque Dieu nous dispense de ces recherches pénibles , lorsqu'il promet de nous donner une récompense abondante, soit que ceux que nous soulagions soient bons ou méchants, nous nous formons à nous-mêmes des embarras. Et qu'est-ce qui prouve, direz-vous, que nous recevrons toujours notre récompense, soit que ceux à qui nous donnons soient bons ou méchants? Ce sont les paroles mêmes du Fils de Dieu : Priez, dit-il, pour ceux qui vous persécutent et qui vous calomnient, afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. (Matth. V, 44 et 45.) Suivez donc l'exemple de votre Seigneur et de votre Maître. Quoiqu'une infinité d'hommes le blasphèment, quoiqu'une infinité d'hommes se livrent à la fornication, aux vols, aux rapines, soient souillés de vices et de crimes, il ne cesse de les combler de biens, il verse sur eux des rayons bienfaisants, des pluies fécondes, tous les fruits de la terre, (153), il leur donne mille marques de sa bonté et de son amour. De même vous, lorsque vous trouvez l'occasion d'exercer la miséricorde et de signaler votre bienfaisance, secourez le pauvre dans ses besoins, apaisez sa faim, délivrez-le de son affliction, n'examinez rien davantage. Si nous voulons rechercher la vie des malheureux, nous n'en soulagerons aucun; arrêtés sans cesse par des inquiétudes déplacées, par des recherches hors de saison, nous ne produirons aucun fruit de miséricorde , nous ne secourrons personne, et nous nous fatiguerons en vain. Je vous exhorte donc à renoncer à des peines inutiles, à des soins superflus, à soulager tous ceux qui sont dans la détresse, et à leur procurer d'abondants secours, afin que, dans les jours de la justice, nous éprouvions l'indulgence et la miséricorde de Dieu, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soient au Père et à l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur, l'empire, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE SUR LA FÉLICITÉ DE LA VIE FUTURE et sur le néant de la vie présente (1).
ANALYSE.

Cette homélie qui a été certainement prononcée à Antioche, quoiqu'on ignore en quelle année, roule sur différents objets de morale. L'orateur, après avoir loué ceux qui l'écoutent pour leur zèle à venir entendre la parole sainte, montre : 1° en quoi consistent la vraie grandeur et la vraie principauté. — 2° Combien les avantages spirituels l'emportent sur les avantages temporels. — 3° Quelle est la différence de la vie présente et de la vie future. — 4° Enfin (et c'est l'article sur lequel il s'étend davantage), comment Jésus-Christ nous a rendu faciles les préceptes les plus sublimes , en les pratiquant lui-même, et en nous mettant sous les yeux les prix et les récompenses. — 5° et 6° Exhortation.

1. La chaleur est excessive, les rayons du soleil sont brûlants; mais votre ardeur à entendre nos instructions n'en est pas ralentie. Tel est l'auditeur vigilant et attentif; fortifié par son amour pour la parole sainte, il supporte tout aisément pour satisfaire cette passion noble et spirituelle. Rien n'est capable de l'arrêter ni les excès de la chaleur, ni les embarras des affaires, ni tous les soins de la vie présente; tandis que l'auditeur négligent et lâche ne peut être animé ni par la douceur de la température, ni par la tranquillité du loisir, ni par la sécurité d'un état paisible. Vous, mes frères, vous êtes bien différents. Aussi je vous préfère à tous les habitants d'Antioche; je vous regarde comme la partie principale de cette ville célèbre : votre ardeur et votre vigilance sont toujours les mêmes, et vous suivez attentivement toutes nos instructions. Ce temple est pour moi plus auguste que les palais des princes. Les faveurs qu'on accorde dans ces palais, quelles qu'elles puissent être, se terminent avec la vie , elles sont sujettes à mille révolutions. Ici, au contraire, on jouit

1 Traduction d'Auger, revue.

de la plus grande sûreté; les honneurs sont à l'abri de tout changement , les pouvoirs ne finissent jamais, et loin d'être interrompus par le trépas, c'est alors qu'ils sont plus assurés.

Ne me parlez point d'un homme porté sur un char magnifique, avec une contenance fière, environné de gardes, et précédé d'un héraut dont la voix le proclame et l'annonce : ce n'est pas à ces marques que je reconnais le prince, mais à l'état de son âme. S'il commande à ses passions , s'il triomphe de ses vices, s'il se rend maître de sa cupidité, s'il règle ses désirs, s'il n'est pas consumé par l'envie, s'il n'est pas entraîné par la folle passion d'une vaine gloire, s'il ne redoute pas la pauvreté, s'il n'appréhende pas de revers fâcheux, si cette appréhension ne le glace pas d'épouvante : c'est à ces marques que je reconnais le prince, c'est là la vraie principauté. Si, commandant aux hommes, il obéit à ses passions, je prétends qu'il est le plus esclave de tous les esclaves. Et comme celui qui est dévoré par une fièvre intérieure, quoique rien ne paraisse au dehors, et que la plupart ne (155) s'en aperçoivent pas, est déclaré par les médecins attaqué d'une fièvre dangereuse; de même celui dont l'âme est asservie à ses passions, quoique tout au dehors annonce le contraire, je le déclare esclave, parce qu'il est dominé intérieurement par la tyrannie de ses mauvais désirs ; je le déclare malade, parce qu'il est brûlé intérieurement par la fièvre des vices. Celui qui a secoué le joug des passions, que ses mauvais désirs ne dominent pas, qui n'éprouve pas une crainte déraisonnable de la pauvreté, de l'infamie, de tout ce qu'on regarde comme triste dans le monde, fût-il revêtu de haillons, habitât-il une prison, fût-il chargé de chaînes, est à mes yeux le plus libre de tous les hommes libres, le plus prince de tous les princes. Les pouvoirs de cet empire ne s'achètent pas à prix d'or : ils ne sont exposés ni aux invectives d'un accusateur, ni aux attaques de l'envie, ni aux artifices de l'intrigue. Placés comme dans l'asile inviolable d'une philosophie sainte, ils sont stables et permanents, ne cèdent à aucune révolution, ni à la mort même. C'est ce qu'attestent les martyrs, dont les corps sont réduits en cendre, et dont le pouvoir augmente tous les jours, chasse les démons, dissipe les maladies, excite le zèle des villes, appelle ici les peuples. Ce pouvoir a une telle force, même après la mort des saints, que tous accourent en foule, non contraints par la nécessité , mais entraînés par une ardeur que le temps ne peut ralentir.

2. Vous le voyez, ce n'est pas à tort que j'ai annoncé ce temple comme plus auguste que les palais des princes. Les faveurs qu'on obtient dans ces palais ressemblent aux feuilles qui sèchent et aux ombres qui passent : les grâces qu'on reçoit ici sont plus fermes que le diamant, puisqu'elles sont immortelles, immuables, qu'elles ne cèdent à aucune révolution, qu'elles viennent d'elles-mêmes à ceux qui les désirent, qu'elles ne sont pas sujettes à être disputées, ni attaquées en justice, ni calomniées. Les avantages temporels trouvent une foule d'envieux; plus les avantages spirituels s'étendent sur un grand nombre de personnes, plus ils se multiplient et deviennent précieux. Vous pouvez vous en convaincre parle discours même que je vous adresse. Si je l'avais retenu au dedans de moi-même, je n'en aurais été que plus pauvre; en le répandant sur tous ceux qui m'écoutent, comme une bonne semence dans une bonne terre, je multiplie mes biens, j'augmente mes richesses , en même temps que je vous rends plus riches : cette profusion m'enrichit loin de m'appauvrir. C'est tout le contraire pour l'or : si j'en ai une grande quantité en réserve, et que je veuille en faire part à tous, ce partage diminuera ma possession, et je ne conserverai plus mon ancienne opulence.

3. Puis donc que les avantages spirituels ont une si grande supériorité, puisqu'ils se communiquent si facilement à tous ceux qui veulent les recevoir, recherchons-les avec ardeur, cessons de poursuivre des ombres, des précipices, des écueils. C'est afin d'augmenter notre ardeur pour les avantages spirituels que Dieu a fait les avantages temporels de nature à expirer avant la mort de celui qui les possède. Je m'explique. Ce n'est pas lorsque l'homme meurt que ces avantages meurent avec lui; mais ils se flétrissent et disparaissent entièrement lorsqu'il vit encore, afin que l'expérience lui apprenne que, par leur nature, ils sont plus fragiles que le verre, plus fugitifs que l'ombre, et que cette connaissance le guérisse de la fureur qui lui fait désirer et embrasser des objets qui lui échappent. Par exemple, les richesses abandonnent souvent le riche avant sa mort. La jeunesse n'attend point notre trépas, elle nous quitte au milieu de la route pour faire place à la triste vieillesse. La beauté expire du vivant même de la femme qui en est si fière, et à ses traits agréables succèdent des traits difformes. Il en est de même de la gloire, de la puissance, des honneurs, qui sont passagers, et plus mortels que les hommes qui les possèdent. On voit périr tous les jours des biens présents comme on voit mourir des corps. Or, cela arrive afin que nous nous attachions uniquement aux biens futurs, que nous soupirions après leur jouissance, et que, marchant sur la terre, nous vivions dans le ciel par le désir.

Dieu a fait deux vies différentes entre elles, l'une présente, l'autre future; l'une visible, l'autre invisible ; l'une sensible, l'autre spirituelle; l'une dont on jouit réellement, l'autre dont on ne jouit que par la foi ; l'une qui est entre nos mains , l'autre qui n'est qu'en espérance; l'une est la carrière, l'autre le prix; il a donné à l'une les combats et les travaux, il a réservé pour l'autre les couronnes et les récompenses; l'une est la mer, l'autre le port; l'une est courte, l'autre immortelle. Ainsi , comme beaucoup d'hommes préféraient les (156) choses sensibles aux choses spirituelles, il a rendu celles-là fragiles et passagères, afin de nous éloigner des choses présentes et de nous attacher fortement à l'amour des biens futurs. Ensuite, comme les choses invisibles et spirituelles n'existaient que par la foi et en espérance , que fait- il? Se revêtant de notre chair , et accomplissant ses desseins admirables, il paraît dans le monde, nous met sous les yeux les choses futures, et par là confirme dans la foi les esprits les plus grossiers. En effet, comme il nous apportait une vie angélique, qu'il faisait le ciel de la terre, qu'il donnait des préceptes qui devaient égaler aux puissances incorporelles ceux qui les pratiqueraient, que des hommes il faisait des anges, qu'il les appelait à des espérances célestes, qu'il multipliait leurs combats, qu'il leur ordonnait de prendre un essor plus sublime, de s'élever jusqu'au plus haut des cieux, de s'armer et de combattre contre toute la troupe des esprits impurs, d'étouffer le tumulte des passions , de porter un corps et de le mortifier, d'être revêtu d'une chair et d'être l'égal des puissances spirituelles comme il donnait, dis-je, ces préceptes, que fait-il? comment rend-il le combat plus aisé? Ou plutôt, si vous le trouvez bon, parlons d'abord de la grandeur des préceptes; voyons comment il nous fait prendre notre essor en haut, comment il nous a ordonné presque de nous dépouiller de la nature humaine pour nous transporter dans le ciel.

4. La loi ordonnait de prendre oeil pour oeil. Si quelqu'un, dit Jésus-Christ, vous frappe sur la joue droite, présentez-lui la gauche. (Matth. V, 39.) Il ne nous dit pas seulement: Supportez l'injure avec douceur et avec courage; mais Que votre modération aille plus loin, préparez-vous à souffrir plus encore qu'on ne veut vous faire souffrir, opposez un excès de modération à un excès d'injure, afin que celui qui vous insulte, respectant votre extrême douceur, soit touché et se retire. Priez, dit le même Jésus, pour ceux qui vous calomnient, priez pour vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. (Matth. V, 44.) Et lorsqu'il conseille la virginité : Que celui, dit-il, qui peut comprendre ceci, le comprenne. (Matth. XIX , 12.) Comme après la désobéissance d'Adam, la virginité s'était enfuie du paradis terrestre, et avait quitté le monde où nous vivons, Jésus-Christ l'a ramenée, après un long bannissement, dans son ancienne patrie, dont elle était exilée. Dès son entrée dans le monde, honorant la virginité et changeant les lois de la nature, il est né d'une femme qui est demeurée vierge en devenant sa mère. Ainsi , comme en venant sur la terre il nous donnait ces préceptes et qu'il rendait notre vie sublime, il nous offrait une récompense qui répondait à nos travaux, qui même leur était bien supérieure. Mais cette récompense-là même était invisible, elle n'existait qu'en espérance, par la foi, et dans l'attente des choses futures. Puis donc que les préceptes étaient relevés et pénibles , que les prix et les couronnes n'existaient que par la foi , voyez comment il procède, comment il rend la lutte aisée et les combats faciles.

5. Comment procède-t-il donc ? Il emploie deux moyens. Le premier, c'est de pratiquer lui-même ce qu'il ordonne; le second, c'est de nous montrer lui-même les récompenses et de nous les mettre sous les yeux. Dans ses paroles il offre le précepte et la récompense. Voici le précepte : Priez pour ceux qui vous calomnient et qui vous persécutent; voici la récompense : afin, que vous soyez les enfants de votre Père qui est dans les cieux. (Matth. V, 44 et 45.) Et encore : Vous êtes heureux lorsque les hommes vous chargeront de malédictions, qu'ils vous persécuteront, qu'ils diront faussement toute sorte de mal contre vous. Réjouissez-vous alors et tressaillez de joie, parce qu'une grande récompense vous est réservée dans les cieux. (Matth. V, 11 et 12.) Vous voyez encore ici le précepte et la récompense. Il ordonne le travail, et il prépare lui-même le salaire. Celui, dit-il encore, qui abandonnera sa maison, ses frères et ses sœurs, voilà le précepte , recevra le centuple et possédera la vie éternelle (Matth. XIX, 29), voilà le prix et la couronne. Ainsi, je lé répète, comme les préceptes étaient relevés, et que les récompenses n'étaient pas visibles , que fait-il ? Il nous montre lui-même les préceptes en exécution, et il nous met les couronnes sous les ,yeux. Et comme celui à qui on ordonne de marcher dans une route non battue, s'il voit quelqu'un marcher devant lui, entreprend plus aisément la chose et l'exécute avec plus d'ardeur : de même, dans les préceptes, quand nous nous voyons précédés, nous marchons facilement. Afin donc que notre faiblesse suivît avec moins de peine, Jésus-Christ, se revêtant de notre (157) chair et de notre nature, a marché lui-même dans la route, et nous a montré les préceptes en exécution. Ce précepte : Si quelqu'un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui la gauche, il l'a exécuté lui-même, quand il fut frappé par un serviteur du grand prêtre. Sans entreprendre de se venger, il se contenta de répondre avec douceur : Si j'ai mal parlé, faites voir le mal que j'ai dit; si j'ai bien parlé , pourquoi me frappez-vous ? (Jean, XVIII, 23.) Vous voyez une patience incroyable, une humilité merveilleuse. Il était frappé non par un homme libre, mais par un vil et méprisable esclave; et il répond avec une modération extrême. C'est ainsi que son Père disait aux Juifs: Mon peuple, que vous ai-je fait? en quoi vous ai-je affligé? quelle peine vous ai-je causée? répondez-moi. (Mich. VI, 3.) Jésus-Christ dit lui-même . Faites voir le mal que j'ai pu dire. Son Père avait dit : Répondez-moi. Jésus-Christ dit lui-même: Pourquoi me frappez-vous? Son Père avait dit : En quoi vous ai-je affligé? quelle peine vous ai-je causée? Et lorsqu'il enseigne la pauvreté, voyez comme il la montre lui-même dans sa personne : Les renards, dit-il, ont des tanières, et les oiseaux du ciel ont des nids; mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête. (Matth. VIII, 20.) Vous voyez son extrême pauvreté : il n'avait ni maison, ni table, ni siège, rien en un mot. Il nous enseignait à écouter patiemment les injures; et il nous a donné l'exemple de cette patience. Lorsque les Juifs l'appelaient possédé du démon et samaritain, il pouvait les punir de leur insolence et les faire périr; mais il ne leur faisait que du bien, il chassait leurs démons. Priez pour ceux qui vous calomnient, nous dit-il; et il l'a fait sur la croix. Lorsque les Juifs l'eurent crucifié, il disait à son Père du haut de la croix où ils l'avaient attaché : Pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font. Il faisait cette prière, non qu'il ne pût leur pardonner lui-même, mais il voulait nous apprendre à prier pour nos ennemis. Comme il voulait nous instruire par des actions, encore plus que par des paroles, voilà pourquoi il a ajouté une prière. Que les hérétiques n'abusent donc point de paroles qui annoncent sa bonté pour le taxer de faiblesse; car c'est le même qui a dit: Or, afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés. (Matth. IX, 6.) Mais comme il voulait nous instruire, je le répète, et que celui qui instruit offre son propre exemple sans se borner à des discours, c'est pour cela qu'il a ajouté une prière. C'est ainsi qu'il a lavé les pieds de ses disciples, non qu'il fût moindre qu'aucun d'eux, mais quoiqu'il fût leur Seigneur et leur Maître; il s'est abaissé à cette humble fonction, afin de leur enseigner l'humilité. C'est pour cela encore qu'il leur disait : Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur. (Matth. XI, 29.)

6. Voyons maintenant comment ce même Dieu nous offre et nous met sous les yeux les prix et les récompenses. Il nous a promis la résurrection des corps, l'incorruptibilité, l'enlèvement au milieu des nues et des airs pour aller au-devant de lui; et c'est ce qu'il nous a montré par des effets. Comment cela ? Il est ressuscité après sa mort, et il a conversé pendant quarante jours avec ses disciples, afin qu'ils fussent bien assurés quels doivent être nos corps après la résurrection. Il nous dit parla bouche de son Apôtre : Nous serons enlevés dans les nues pour aller à la rencontre du Seigneur au milieu des airs (I Thess. IV, 16) ; et c'est ce qu'il nous a encore montré dans sa personne. Lorsqu'après sa résurrection il devait monter dans le ciel, il s'éleva, en présence de ses disciples, et il entra dans une nuée qui le déroba à leurs yeux; les disciples étaient frappés d'étonnement en le voyant monter dans le ciel. (Act. I, 9.) Notre corps, comme tiré de la même masse que celui de Jésus-Christ, participera à la même gloire; les membres seront tels que la tête, et la fin telle que le commencement. C'est ce que saint Paul exprime plus clairement par ces mots : Il transformera notre corps, tout vil et abject qu'il est, afin de le rendre conforme à son corps glorieux. (Philip. III, 21.) Or, s'il est conforme à celui de Jésus-Christ , il prendra la même route , et il s'élèvera de même dans les nues. Attendez-vous donc aussi au même avantage dans la résurrection. Comme le nom de royaume céleste était obscur pour ceux à qui on le prononçait, c'est pour cela que Jésus-Christ, se transportant sur une montagne, se transfigura en présence de ses disciples, qu'il leur fit voir un échantillon de la gloire future, et comme une image imparfaite de ce que seraient un jour nos corps. Dans sa transfiguration, il se montra avec ses habits, ce qui ne sera pas dans la résurrection de nos corps. Ils n'auront besoin ni de vêtement, ni de toit, ni d'abri, en un mot, (158) d'aucune des commodités que nous leur procurons. En effet, si, avant son péché, Adam ne rougissait pas d'être nu, parce qu'il était revêtu de gloire; à plus forte raison nos corps n'auront-ils besoin de rien lorsqu'ils seront élevés à un état beaucoup plus parfait. Aussi Jésus-Christ en ressuscitant a-t-il laissé ses habits dans le tombeau, et a-t-il élevé dans les cieux son corps qui n'était revêtu que d'une gloire ineffable, et d'une splendeur immortelle.

Pénétrés de ces idées, mes très-chers frères, instruits par les oreilles et par les peux, par ce qu'on nous a dit et par ce que nous avons vu, menons une telle vie sur la terre, que, transportés un jour dans les nues, nous vivions éternellement avec Jésus-Christ, sauvés par sa grâce et jouissant des biens futurs. Puissions-nous tous obtenir ces avantages en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui soient, au Père et à l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur, l'empire, l'adoration, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

HOMÉLIE SUR LE PROPHÈTE ÉLIE Sur la Veuve et sur l'Aumône.
ANALYSE.

1° Cette homélie qui ne porte aucune marque du temps ni du lieu on elle fut prononcée a pour but d'exhorter à la pratique de l'aumône. Dignité de cette vertu pratiquée admirablement par deux veuves une de l'ancien, une du nouveau Testament. — 2° La famine désole la terre par l'ordre du prophète Elie qui se réfugie chez la veuve de Sarepta. — 3° Court et charmant tableau de l'habitation de cette veuve. — 4° Dieu avant de frapper les coupables prend toujours soin de les mettre publiquement dans leur tort. Exemple : Punition des Sodomites. — 5° Les prophètes et le Christ lui-même ont été souvent repoussés par les Juifs et accueillis par les Gentils. — 6° Elie fut lui-même soumis à la famine pour que les autres se souvinssent, pour qu'il se souvint lui-même qu'il était homme. — 7° Elie aborde la veuve. Sagesse de celle-ci. — 8°-9° La veuve offre l'hospitalité à Elie malgré tous les obstacles qu'elle rencontre à faire cette bonne oeuvre. — 10° Résumé et conclusion.

1. Dans ces jours qui étaient, pour nous tous, des jours de jeûne, j'ai souvent pensé à vous parler de l'aumône; le soir arrivait, qui interrompait notre entretien. C'était sans doute un effet de la sagesse de Dieu qui, recherchant notre avantage, différait jusqu'à cette heure nos exhortations sur ce sujet. Dieu ne voulait pas que la taule de l'aumône vous fût servie pendant que vous étiez divisés dans l'église. Ce n'est pas que nous ayons aujourd'hui quelque chose de bien relevé, de magnifique à vous dire, mais c'est que l'aumône est une vertu tout à fait relevée et magnifique; elle nous constitue dans l'intimité de Dieu; c'est une reine qui nous prend par la main et nous conduit, en toute confiance, dans les demeures du ciel, qui lui sont familières. Elle se montre les puissances qui font la garde aux portes célestes voient que c'est l'aumône qui entre; aussitôt, par égard pour l'aumône, elles font, même aux autres vertus, mille honneurs, en leur ouvrant les portes. Mais, si elles les voient venir sans l'aumône, elles ferment les portes; c'est ce que nous démontre l'exemple de ces vierges qui ne furent pas admises dans la chambre de l'époux sacré, parce qu'elles n'avaient pas toujours de l'huile dans leur lampe. (Math. XXV.) Remarquez bien ici la différence: l'aumône sans la virginité, introduit ses nourrissons dans le ciel; la virginité sans l'aumône n'a point ce pouvoir. Donc, puisque telle est la puissance de cette vertu, appliquons-nous, de toutes nos forces, à écouter les discours qui la recommandent. La meilleure recommandation et la plus courte sera de vous conduire auprès de la veuve de Sarepta, chez les Sidoniens. Ceux qui instruisent par leurs oeuvres sont des maîtres beaucoup plus dignes de confiance que ceux qui se réduisent à des conseils en paroles. C'est pourquoi la veuve dont je vous parle sera pour nous enseigner l'aumône, le meilleur de tous les docteurs. Pour nous, c'est par nos discours que nous vous exhortons; mais la veuve aura, de plus, le droit de vous instruire par ses oeuvres ; elle vous montrera aussi une compagne, douée comme elle, de la même vertu; car, il y a deux veuves: l'une, dans le Nouveau Testament, celle qui donna deux petites pièces de monnaie, l'autre dans l'Ancien ! qui mérita de recevoir le prophète. (160) Toutes les deux parvinrent à la même sagesse, montrèrent la même douceur charitable, et, par la conformité de leurs bonnes oeuvres, nous ont manifesté l'affinité des deux Testaments. Vous connaissez, au milieu des ports, ces tours, élevées à une grande hauteur, qu'on appelle des phares, portant une lumière qui brille toute la nuit sans s'éteindre; les marins errant en pleine mer, guidés par cette flamme éclatante, arrivent jusqu'au port, où ils trouvent la sécurité. Ces deux veuves par leur sérénité, furent deux ports qu'éclairait, dans les ténèbres les plus épaisses de la nuit, la lumière de leur âme généreuse. Car la vie de l'homme ressemble à la nuit, comme dit le bienheureux Paul : La nuit est déjà fort avancée et le jour s'approche. (Rom. XIII, 12.) Il en est qui, dans la nuit profonde, s'égarent sur la mer de l'avarice; ils sont près d'être engloutis; ces veuves les invitent à venir goûter leur sérénité tranquille, elles portent la flamme de la charité, qui brille toujours; elles conservent, elles ne laissent pas s'éteindre la lumière de l'aumône.

2. La veuve du Nouveau Testament nous occupera dans une autre occasion; aujourd'hui, c'est de la veuve de l'Ancien Testament que nous voulons vous parler. Tant qu'on célébrera cette veuve, on tressera aussi pour l'autre la couronne de louanges ; comme leurs bonnes oeuvres se ressemblent, elles se partagent aussi nos éloges. Donc, autrefois surgit une grande famine ; ce n'est pas que la terré fatiguée refusât ses productions, mais les péchés des hommes écartaient le présent de Dieu. Donc, autrefois surgit une grande famine, plus triste, plus difficile à supporter que toutes les famines. Cette famine-là, c'était le grand Elie qui l'avait amenée, comme on fait venir son serviteur, comme on fait venir un bourreau, pour châtier les serviteurs qui outrageaient le Maître commun. N'hésitons pas à dire que ce furent les péchés des Juifs qui appelèrent cette famine. Ce fut la bouche du prophète qui la produisit: Vive, dit-il, le Seigneur Dieu! il ne tombera de pluie que par ma bouche. (III Rois, XVII, 1.) Donc, le fléau ne se pouvait supporter, car cette voix terrible du prophète, non-seulement frappa la terre de stérilité, mais fit rebrousser les fleuves et dessécha tous les torrents. Et, de même qu'une fièvre ardente, brûlante, qui tombe sur le corps, n'en dessèche pas seulement la surface, mais le pénètre profondément et brûle les os; de même la sécheresse alors ne brûlait pas seulement la surface de la terre, mais descendait dans ses profondeurs, et tarissait, dans ses entrailles, tous les éléments liquides.

Donc, quelles paroles Dieu adressa-t-il au prophète? Allez à Sarepta, chez les Sidoniens; là, je commanderai à une vente de vous nourrir. (Ibid. IX.) Qu'est-ce que cela veut dire? N'a-t-il donc reçu dans sa patrie, nulle part, des preuves de bonté? Vous l'envoyez dans une contrée étrangère, auprès d'une veuve? Si elle était dans l'opulence, si elle était très-riche, si c'était l'épouse d'un roi, si elle avait des magasins remplis de l'abondance des fruits de la terre, là même alors, la crainte de la famine ne rendrait-elle pas sa volonté plus stérile que la terre elle-même? Pour que le prophète ne pût pas adresser à Dieu de telles paroles, ou seulement les penser, le Seigneur le nourrit d'abord par l'entremise des corbeaux. (Ibid. VI.) C'était presque lui dire : Si j'ai pu faire que des êtres sans raison exerçassent envers vous l'hospitalité, sans doute il me sera bien plus facile encore d'y porter des créatures qui ont reçu la raison en partage.

3. Voilà pourquoi la veuve ne vient qu'après les corbeaux. Et il fallait voir ce prophète à la merci d'une faible femme; cette âme qui s'élevait jusqu'au ciel, cette âme divine, ce généreux, ce sublime Elie, comme un vagabond, comme un mendiant, arrivant aux portes de la veuve; et cette bouche, qui avait fermé le ciel, faisait entendre les paroles de ceux qui mendient : donnez-moi du pain, donnez-moi de l'eau. C'est pour vous apprendre qu'il n'y a rien d'affectueux, de bon, de charitable comme la maison d'une veuve, comme un abri rempli par la pauvreté, d'où est bannie la richesse, et tous les vices que la richesse enfante. Ce séjour était pur; vicie de tout tumulte , plein de la perfection de la sagesse, plus tranquille que le port le plus paisible. Voilà les demeures faites pour les âmes des saints.

Donc, le prophète se dirigeait vers cette veuve, dont l'exemple allait confondre les Juifs, à qui les étrangers étaient odieux; il se dirigeait vers cette veuve, enseignant à tous combien les Juifs méritaient leur punition. Car lorsque Dieu doit punir, il ne se contente pas d'envoyer le châtiment, il ne lui suffit pas de son suffrage particulier; il s'excuse aussi, par (161) des faits réels, aux yeux des hommes , comme si, devant un tribunal, il discutait publiquement les soupçons dont le vulgaire le poursuit. Et de même que les juges qui vont prononcer le dernier supplice, assis sur leur tribunal, d'où ils dominent la foule, ordonnent d'ouvrir les tentures, de lever les rideaux, rassemblent auprès d'eux la cité tout entière , ils sont ainsi sur un théâtre public, et ils jugent, et sous les yeux de tous, qui les voient et qui les entendent, ils interrogent, celui qui est en cause; ils font lire les actes, les pièces où sont relatés les crimes commis par l'accusé ; ils font. en sorte que l'accusé s'accuse lui-même, et enfin ils portent, leur sentence; de même Dieu, comme assis au tribunal sublime de la prédication de l'Écriture qu'il préside, ordonne à l'univers de se rassembler autour de lui , sous les yeux de tous, qui écoutent; il institue l'enquête et l'examen des péchés ; il ne fait lire ni actes, ni pièces; il n'expose pas des tablettes au milieu de l'assemblée : ce sont les péchés mêmes des coupables qu'il expose à la contemplation des jeux.

4. Au moment de lancer ses foudres vengeresses contre les habitants de Sodome ; au moment d'exterminer villes et peuples sous cette flamme terrible, déluge étrange, inouï, beaucoup plus épouvantable que le premier, effrayante inondation, la première et la seule qu'ait jamais vue le soleil; avant d'infliger un châtiment de ce genre il révéla les fautes des coupables qu'il allait punir; il ne les révéla pas, comme je l'ai dit, en faisant lire des tablettes ; il fit comparaître en public les crimes des méchants. (Gen. XIX.) Voilà pourquoi, il envoya ses anges; ce n'était pas pour faire sortir Lotir; il voulait montrer aux yeux la dépravation des gens de Sodome, et c'est ce qui arriva. Quand Loth eut reçu les voyageurs, la maison où s'exerçait l'hospitalité fut assiégée par tous; ils étaient là, tout autour, en cercle, et le général qui commandait ce siège, c'était l'amour infâme, l'abominable désir d'un commerce contraire à la loi de Dieu; passion effrénée qui ne connaissait plus les bornes de l'âge et de la nature. Les jeunes gens n'étaient pas seuls à entourer la maison : on vit venir aussi des vieillards; les cheveux blancs ne calmèrent pas cette rage; la vieillesse n'éteignit pas cette flamme insensée; on put voir, dans le port même, le naufrage; dans un coeur de vieillard, un détestable désir, et cette abominable passion ne s'arrêta pas là. Loth eut beau promettre de leur livrer ses filles, ils ne se retiraient pas, ils s'obstinaient, ils disaient qu'ils ne s'en iraient pas tant qu'on ne livrerait pas ces hommes à leur brutalité , et ils menaçaient des plus grands malheurs, celui qui leur avait promis de leur abandonner ses filles, afin de ne pas manquer, envers ses hôtes, aux égards de l'hospitalité. Voyez-vous comme le Seigneur a montré par tous ces faits réels, la corruption des gens de Sodome, avant de leur faire subir le châtiment? C'est pour qu'à l'aspect du supplice qui les frappe, la grandeur du désastre ne brise pas votre coeur ; c'est afin que vous ne vous mettiez pas de leur côté, pour accuser Dieu, mais, du côté de Dieu, pour les condamner, parce qu'il a pris soin de montrer d'abord toute leur corruption , parce qu'il nous a enlevé tout sujet de miséricorde, parce qu'il a supprimé en nous toute compassion, toute pitié pour eux. C'est ce qu'il fait en ce moment à l'égard du prophète. Dieu ne veut pas que la famine qui consume les Juifs soit pour vous un sujet de douleur; il vous montre leur barbarie, leur cruauté, leur dureté envers les voyageurs. En effet, non-seulement ils n'accueillirent pas le prophète , mais ils menacèrent de le tuer, ce qui résulte des paroles de Dieu même. En effet, il ne dit pas seulement à son prophète : Retirez-vous ! mais il ajoute : Cachez-vous. ( III Rois, XVII, 3.) Il ne vous suffit pas de fuir, pour sauver votre vie, il faut, de plus, vous cacher avec le plus grand soin, parce que c'est le peuple juif, peuple altéré du sang des prophètes, et qui s'entend à égorger les saints; il a toujours les mains rouges du sang des prophètes; voilà pourquoi Dieu, l'envoyant hors de la Judée, lui dit: Allez et cachez-vous; mais quand il l'envoie vers la veuve: Je lui ai, dit-il, commandé. Voyez-vous comme il lui conseille de prendre beaucoup de précautions dans sa fuite, comme il lui ordonne, quand il entrera dans l'asile qu'il lui indique, de se montrer plein de confiance et de sécurité ?

5. Ce n'est pas tout; Dieu aune autre pensée encore, quand il envoie ce prophète à la veuve. Plus tard, on devait voir le Christ, après tant d'incomparables bienfaits dont il avait comblé 1a Judée, après tant et tant de morts ressuscités par lui, après tous ces aveugles auxquels il avait rendu la lumière; après ces lépreux purifiés; après ces démons chassés; après cet (162) admirable enseignement qui sauve, tourmenté par ceux à qui il avait fait tant de bien; honoré par les Gentils qui n'avaient rien vu, qui n'avaient rien entendu. Il y avait là un sujet d'étonnement, de doute, d'incrédulité. Voilà pourquoi, bien avant le temps, le Seigneur nous montre, par ses serviteurs, la perversité des Juifs, l'affabilité, la douceur des Gentils. Voyez l'exemple de Joseph ! ceux à qui lui-même venait distribuer des vivres entreprirent de le tuer; au contraire, un barbare l'éleva au faîte des honneurs. Voyez Moïse comblés de ses bienfaits, les Juifs le chassent; un barbare, Jothor, lui donne l'hospitalité, lui fait un accueil affectueux. Voyez David, que Saül chassa, après qu'il eut tranché la tête de Goliath, et délivré Saül, et la cité tout entière de mille pressants dangers : au contraire, Anchus, un roi barbare, accueillit David et le combla d'honneurs. De même, ici encore, Elie chassé par les Juifs est accueilli par une veuve. Donc, lorsque vous verrez le Christ repoussé par eux, accueilli par les nations, rappelez-vous les figures qui présagent dans le passé, l'avenir, et ne vous étonnez pas d'une vérité qui se manifeste elle-même. Vous avez aujourd'hui entendu la parole du Christ qui vous fait entrevoir cet événement. Dans ses entretiens avec ces Juifs, irrités contre lui, il leur disait : Il y avait beaucoup de veuves au temps d'Elie. Elie ne fut envoyé chez aucune d'elles, mais chez une veuve de Sarepta, dans le pays des Sidoniens. (Luc, IV, 25.) Mais, peut-être demandera-t-on, voilà un homme qui a montré pour la gloire de Dieu un zèle si ardent ; pourquoi Dieu souffre-t-il qu'on l'afflige, qu'on lui rende la vie pleine d'angoisses? pourquoi l'envoie-t-il, tantôt vers un torrent, tantôt chez une veuve, ailleurs encore, comme un exilé qu'il force à passer d'un lieu dans un autre? Ces afflictions, ces angoisses vous préoccupent? écoutez encore ce qu'en dit Paul : Ils étaient vagabonds, couverts de peaux de chèvres, manquant de tout, affligés, persécutés. (Héb. XI, 37.) Pourquoi donc Dieu a-t-il permis qu'il fût affligé? Car enfin, si le prophète avait infligé ce châtiment aux Juifs pour venger les torts dont ils s'étaient rendus coupables envers lui, on aurait raison de dire qu'il était lui-même rangé avec justice sous le coup d'une affliction destinée à le rendre plus humain, à le corriger de sa cruauté; mais, au contraire, ce n'est pas parce qu'il leur gardait rancune des mauvais traitements qu'il en avait reçus, c'est parce qu'il détestait leurs fautes contre Dieu, leur malignité, leur insolence; voilà pour quelles raisons il les frappait de cette famine. Comment donc se fait-il qu'il soit lui-même soumis au châtiment, qu'il le subisse avec eux? pourquoi ne jouit-il pas de l'abondance de tous les biens, sans avoir rien à craindre? C'est que, si le Prophète, pendant que les autres étaient frappés par le fléau, pendant que les autres périssaient par la faim, eût joui des délices d'une bonne table, on aurait pu l'accuser de cruauté. Qu'offrirait de merveilleux l'existence d'un homme qui a tout en abondance, et qui jouit des malheurs d'autrui? Dieu donc a permis qu'il eût sa part du, désastre, qu'il sentît par expérience les malheurs qui se réalisaient; qu'il eût sa part des tourments de la faim, pour vous apprendre que ce qu'il éprouvait le plus, ce n'était pas la faim, mais le zèle de Dieu. Et en effet, dans cette vie d'angoisses, pressé par ce manque absolu de ressources, tourmenté, affligé, rien ne put pourtant le contraindre à rapporter ses menaces, parce que l'ardeur d'un vrai zèle s'exprimait par cette voix bienheureuse. Aussi, trouvait-il plus de charmes à subir l'affliction lui-même, à regarder le châtiment des coupables, qu'à les voir affranchis du fléau et retombant dans leur première impiété.

6. Telles en effet se montrent partout les âmes des saints ; pour la correction des autres ils exposent volontiers eux-mêmes leur propre sécurité. Dieu n'a pas voulu qu'on pût dire qu'Elie, par un excès de cruauté, avait prolongé la famine, et Dieu permit que son serviteur en souffrît lui-même, afin de vous faire comprendre la vertu du Prophète. Autre raison d'ailleurs; souvent ceux qui opèrent des miracles cèdent à l'orgueil qui les emporte, et les témoins de ces miracles se persuadent facilement qu'il y a, dans ceux qui h s font, quelque chose de supérieur à la nature. Dieu a pourvu à ces deux dangers, en soutenant et corrigeant notre faiblesse. Que les choses se passent ainsi, c'est ce qu'il est facile de conclure des paroles de l'Apôtre. Ecoutez Paul, quand il déclare que le don des miracles provoque l'orgueil : De peur que la grandeur de mes révélations ne me causât de l'orgueil, j'ai ressenti dans ma chair un aiguillon, qui est l'ange de Salan, pour me donner des soufflets. (II Cor. XII, 7.) Quant aux témoins portés à (163) concevoir une trop haute opinion de ceux qui opèrent les miracles, c'est encore le bienheureux Paul qui nous les dénonce. Après avoir parlé de ses révélations, il ajoute : Si je voulais me glorifier, je le pourrais sans imprudence, car je dirais la vérité. (II Cor. XII, 6.) Pourquoi donc ne vous glorifiez-vous pas? Je me retiens, de peur que quelqu'un ne m'estime au-dessus de ce qu'il voit en moi, ou de ce qu'il entend dire de moi. Dieu donc, pour empêcher qu'il n'arrivât à Elie rien de pareil (c'était Elie, mais Elie était homme) a mêlé au miracle la défaillance de la nature. Voilà pourquoi celui qui maîtrisait le ciel n'a pas pu maîtriser sa faim; celui qui resserrait les entrailles de la terre a été impuissant à resserrer les siennes, il a dû avoir recours à une femme, à une veuve; c'est pour vous faire comprendre, et la puissance de Dieu et la faiblesse de l'homme. Et ce n'est pas là que se réduit l'utilité à recueillir de cette histoire. Il y a plus encore. Quoi donc? Il y a que, si l'on vous exhorte à muter le zèle du Prophète, vous ne devez pas vous décourager, vous désespérer, dire qu'il était d'une nature supérieure à la vôtre; que c'est là ce qui lui donnait, auprès de Dieu, tant de confiance. Et ce conseil que nous vous adressons, vous est insinué par un Sage : Elie était un homme sujet, comme nous, aux mêmes misères (Jacq. V, 17); comme s'il disait: ne croyez pas qu'il soit impossible d'atteindre, avec lui, au faîte de la sagesse; il avait la même nature que nous. Toutefois son incomparable, sa divine vertu l'a élevé de beaucoup au-dessus des autres hommes.

7. Mais il est temps de retourner à notre veuve. Elie, dit le texte , s'en alla à Sarepta, ville de Sidon, et il trouva une femme veuve qui ramassait du bois. (III Rois, XVII, 10.) Digne portique d'une maison qu'habite la pauvreté. Eh bien ! après? a-t-il rebroussé chemin, quand il a vu ces prémices de l'hospitalité annoncée ? Non, il avait entendu la parole divine; il cria donc, derrière cette femme , et lui dit: Apportez-moi un peu d'eau , et elle alla pour lui apporter de l'eau. Femme vraiment généreuse et vraiment sage, et, si l'expression ne paraît pas trop hardie , femme vraiment digne de la grande âme du prophète ! Mais non, cette expression n'est pas trop hardie; car, si cette femme n'eût pas été réellement digne, elle n'aurait pas été jugée digne de recevoir ce grand saint. De même que le Christ a dit à ses disciples: En quelque ville, ou en quelque village que vous entriez, informez-vous qui est digne de vous loger, et demeurez là. (Math. X, 14.) De même, ici, c'est parce que Dieu ?avait que cette femme était digne, entre tous les autres habitants, de recevoir le prophète, que, négligeant tous les autres, il l'a indiquée au prophète. Voyons, dans la réalité même de la conduite, la noblesse de son âme : Apportez-moi, dit-il, de l'eau dans un vase. Voilà, certes, de la part de cette femme, une grande preuve de sagesse. Comment, elle lui répond ? elle s'entretient avec lui? elle ne se jette pas sur lui ? elle n'appelle pas tout le peuple pour punir cet être exécrable? N'est-ce pas là une conduite étonnante, admirable? Qu'une pauvre femme poussée par la faim, ait pu , avec une apparente de raison , s'abandonner jusque-là à sa colère, c'est ce que va prouver un exemple emprunté aux Juifs. Elie avait un disciple, Elisée, un second Elie (car le disciple était la reproduction du maître). Elisée, après Elie, prédit une famine ; ce n'est pas lui qui l'envoya, comme l'avait fait Elie; la famine devait venir, Elisée la prédit. Eh bien ! que fit le roi qui régnait alors? Il se revêtit d'un sac; le fléau brisa son orgueil. Cependant, tout brisé qu'il était, lorsqu'il entendit les lamentations d'une femme qui déplorait la famine, il entra dans une telle colère, qu'aussitôt il s'écria et dit: Que Dieu me traite dans toute sa sévérité, et il ajoute encore, si la tête d'Elisée, fils de Saphat est sur ses épaules jusqu'à la fin du jour! (IV Rois, VI, 31.) Voyez-vous la colère du roi ? Voyez la sagesse de la femme. Elle rencontre celui , je ne dis pas qui a prédit la famine, mais qui a fait la famine; elle est tout pris de la ville, elle ne s'indigne point, elle ne s'abandonne pas à la colère, elle n'excite pas le peuple à le livrer au supplice; elle lui obéit avec une parfaite sagesse.

8. Or, vous savez bien ce qui arrive parfois, quand nous sommes préoccupés, nos amis mêmes nous importunent; nous ne pouvons pas les supporter. Maintenant, quand une affliction terrible comme la famine vient à fondre sur nous, la lumière même nous est à charge: c'est ce que prouve encore un exemple emprunté aux Juifs. Moïse arrivait, leur annonçait des biens sans nombre, l'affranchissement de la tyrannie, la liberté, le retour dans leur ancienne patrie : Mais ils ne l'écoutèrent point, à cause de leur extrême affliction et des (164) travaux qui les accablaient. (Exode, VI, 9.) A l'aspect d'un homme qui leur apportait de si heureuses nouvelles, ils se détournèrent. Cette femme vit le prophète, qui ne venait pas pour dissiper la famine, mais pour lui être à charge à elle-même; et elle n'éprouva rien de ce qu'on vit chez les Juifs. Ce qui les rendait moroses, c'était la fatigue de leurs travaux; cette femme, au contraire , ne souffrait pas de la fatigue; elle éprouvait la faim cruelle; certes, entre la fatigue et la faim, la différence est grande. Et non-seulement elle ne se détourna pas, elle fit plus: elle épuisa toute sa pauvreté, pour bien recevoir celui qui leur avait infligé la famine. Et elle s'en alla pour lui apporter de l'eau, dit le texte, et le prophète cria, et dit: apportez-moi aussi du pain, et je mangerai. (III Rois, XVII, 11.) Que fit la femme alors? même alors, elle consent à tout. Mais que dit-elle ? Vive le Seigneur votre Dieu!,je n'ai point de pain, je n'ai qu'une poignée de farine. Pourquoi jure-t-elle? C'est que le prophète a demandé du pain; du pain, elle n'en avait pas; donc, elle a eu peur que pendant qu'elle ferait cuire, qu'elle préparerait son pain, ce qui demandait du temps, le prophète, ne supportant pas ce retard, ne se retirât, et que la proie offerte à son hospitalité n'échappât de ses mains. Voilà pourquoi elle s'est empressée, sous la foi du serment, de lui apprendre que ce n'est pas la farine qui lui manque, mais le pain; qu'elle a de la farine; et il ne lui suffit pas de son serment, elle y ajoute la démonstration, par l'action qu'il lui voit faire. Voici, en effet, dit-elle, que je ramasse deux morceaux de bois, et je rentrerai, et j'apprêterai à manger à mes fils et à moi, et nous mangerons, et nous mourrons.

Entendez tous , constructeurs de palais magnifiques, acheteurs de somptueux domaines, qui promenez, par les places publiques, vos troupeaux de serviteurs, ou plutôt, riches et pauvres, écoutez tous : Il n'y a plus, pour personne, d'excuse depuis cette veuve; malgré tant d'embarras qui devaient l'arrêter, elle tranche tout, elle surmonte tout. Ecoutez , écoutez :C'était une étrangère, premier obstacle; du pays de Sidon, second obstacle; car, ce n'est pas la même chose que d'être, à quelque titre que ce soit, étranger, ou d'être originaire de Sidon, d'une ville infâme. Le Christ, dans les Evangiles, parle de cette ville comme d'une cité abominable. (Matth. XI, 21, 22.) Cette femme donc était étrangère , et du pays de Sidon; c'était une femme, par conséquent un être faible, ayant, à tous égards, besoin d'appui; elle était veuve, quatrième obstacle; cinquième obstacle, le plus grand de tous, des enfants à nourrir. Ecoutez, veuves, et vous toutes qui nourrissez des enfants : elle n'a pas trouvé là une excuse suffisante, légitime, pour ne pas faire l'aumône, pour écarter des étrangers. Elle n'avait plus qu'une poignée de farine, et après, c'était la mort qu'elle attendait. Pour vous, quand vous auriez tout dépensé, quand vous vous seriez mis à nu, encore pouvez-vous aller chez les autres, et là trouver quelque consolation : mais alors, nul moyen de mendier; tous les refuges étaient fermés; c'était la famine. Aucun obstacle ne l'arrêta, Je veux dire, maintenant, un sixième obstacle, à savoir, la personne même que cette femme allait accueillir. Ce n'était ni un ami, ni une connaissance, mais un voyageur, un étranger; ajoutez que la religion élevait comme un mur entre elle et lui. Et ce n'était pas seulement un voyageur, un étranger, c'était précisément celui qui avait appelé la famine.

9. Et cependant, aucun de tous ces obstacles ne prévalut, n'arrêta cette femme; elle offrit des aliments à cette bouche qui lui avait enlevé tous ces aliments; l'auteur de la famine fut nourri par cette femme des restes que lui laissait la famine. C'est toi, dit-elle, qui m'a fait perdre tout ce que j'avais; c'est grâce à toi que je n'ai plus que cette poignée de farine; eh bien ! jusqu'à cette pauvre poignée de farine, je la dépenserai pour toi; je m'exposerai moi-même, et mes enfants avec moi, je les exposerai à la mort, pour que toi, l'auteur de notre détresse, tu ne ressentes pas, de cette détresse, la moindre atteinte. Qui poussa jamais plus loin le culte de l'hospitalité? Je dis que celui-là est impossible à rencontrer. Elle voit 'un voyageur; et, tout de suite, elle ne sent plus qu'elle est mère; elle oublie les douleurs de l'enfantement ; elle voit ses enfants autour d'elle, et sa résolution tient bon. Je sais bien que l'on dit et que l'on répète: un tel a donné à un pauvre la seule tunique qu'il avait lui-même pour se couvrir; il s'en est dépouillé pour en revêtir celui qui était nu; il a emprunté un manteau, et il a pu se retirer ainsi; et cette action a paru belle et admirable. Assurément, c'est une belle action; mais ce qu'a fait cette veuve est bien plus beau encore. Celui (165) qui s'est dépouillé, qui a recouvert les membres nus du pauvre, pouvait du moins emprunter un manteau; mais cette veuve, après avoir dépensé sa poignée de farine, ne pouvait pas s'assurer une autre, poignée de farine; le danger, pour elle, ne se réduisait pas à la nudité, elle ne pouvait que s'attendre à la mort, pour elle et pour ses enfants. Eh bien ! quand nous voyons que, ni la pauvreté, ni ses enfants à nourrir, ni l'horreur de la famine, ni une telle indigence, ni la mort qui l'attend , rien ne l'arrête, quelle pourra être notre excuse, à nous qui sommes dans l'abondance ? quelle sera l'excuse des pauvres? Vive le Seigneur votre Dieu ! je n'ai point de pain, je n'ai qu'une poignée de farine, dans un pot, et un peu d'huile dans un petit vase; et voici que je ramasse deux, morceaux de bois, et, je rentrerai, et j'apprêterai à manger à mes fils et à moi, et nous mangerons, et nous mourrons. Plainte lamentable, ou plutôt parole bienheureuse et digne du ciel, qu'il faut que chacun de nous inscrive sur les murailles de sa maison, dans la chambre où nous dormons, dans la salle où nous prenons nos repas. Chez nous, hors de chez nous, sur la place publique, dans les réunions de nos amis, quand nous allons au tribunal, quand nous entrons, quand nous sortons, chacun de nous tous, méditons cette parole, et voici ce que je dis, ce que j'affirme, c'est qu'il n'est pas d'homme, eût-il un coeur de pierre, de fer, de diamant, qui, lorsqu'un pauvre s'approchera de lui , le renvoie encore les mains vides, si cet homme a inscrit cette parole, si cet homme tient ses regards fixés sur cette veuve.

Mais peut-être me dira-t-on : envoyez-moi un prophète, et vous verrez quel accueil je lui ferai, moi aussi. Formulez votre promesse et moi je vous amène un prophète; que dis-je, un prophète? je vous amène le Seigneur même des prophètes, Celui qui est, pour nous tous, notre Dieu, Notre-Seigneur Jésus-Christ. Car c'est lui qui prononce cette parole : J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger. (Matth. XXV, 35.) S'il y a des incrédules qui dédaignent cette parole et les devoirs de la charité, on les leur fera comprendre à l'heure des châtiments et des supplices. Attendu que c'est le Christ lui-même qu'ils auront dédaigné, ils s'en iront subir l'insupportable torture. Pour ceux qui nourrissent les pauvres, c'est au Christ lui-même qu'ils donnent leurs soins : à eux la royauté du ciel !

10. Peut-être avons-nous fait un trop long discours. Plût au ciel qu'il nous fût permis, tous les jours, de vous entretenir de l'aumône ! S'il vous semble que nous vous en avons assez dit, eh bien ! résumons toutes nos réflexions. J'ai dit pourquoi le prophète a, été envoyé à cette veuve; c'est pour que vous cessiez de mépriser la pauvreté, d'attacher tant de prix aux richesses, de vanter le bonheur du riche, de plaindre, de déplorer la condition de l'indigent; c'est pour que vous compreniez la malignité des Juifs. C'est la coutume de notre Dieu, quand il apprête un châtiment, de se justifier par des faits qui se réalisent : il ne veut pas que, voyant dans la suite des temps le Sauveur commun de tous les hommes, rejeté par ces Juifs, accueilli par les nations, vous soyez étonnés et incertains; voilà pourquoi il vous montre, longtemps d'avance, leur perversité, leur habitude de récompenser par des tourments ceux qui leur ont fait du bien; il ne veut pas que vous taxiez de cruauté la prière du prophète, le châtiment que cette prière suscite, mais que vous y reconnaissiez un zèle divin, une sage sollicitude ; apprenez que, même les plus vertueux ont besoin de correction, parce qu'ils sont des hommes comme nous; ne répondez pas, quand nous vous exhortons à montrer le même zèle que le prophète, qu'il vous est impossible de l'imiter. J'ai dit, en parlant de la veuve, comment, dans une si grande détresse, malgré la famine qui la tourmentait, elle n'a pas adressé une seule parole amère au Prophète, quoique sa colère eût été de circonstance, ce que j'ai prouvé par le caractère des Juifs : rien de pareil pourtant ne s'est montré en elle; avec une douceur, une charité parfaite, elle l'a accueilli; toute son indigence, elle l'a dépensée pour lui faire honneur, et, cependant, c'était une femme de Sidon, une étrangère; elle n'avait pas entendu les leçons de la sagesse, les prophètes recommandant l'aumône; elle n'avait pas entendu les paroles du Christ : J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger. Quel pardon pourrons-nous mériter, si, après tant d'exhortations, lorsque de si . hautes récompenses nous sont promises, lorsque l'on nous offre le royaume des cieux, nous ne parvenons pas, avec cette veuve, à la même perfection de la bonté, de la charité? C'était une femme de Sidon, c'était une étrangère, une femme, une veuve, chargée de nombreux enfants, et la famine était là, elle en voyait tous les dangers, (166) elle n'attendait plus que la mort, et elle allait accueillir un inconnu, l'auteur même du fléau, et, dans ces circonstances mêmes, elle n'épargna pas sa dernière poignée de farine ! eh bien ! nous, qui avons entendu les prophètes, qui jouissons des dogmes divins, qui pouvons sagement méditer sur le monde à venir, qui ne subissons pas la famine, qui sommes bien plus riches que cette femme, de quel prétexte, de quelle excuse, pourrons-nous nous couvrir, nous, avares de nos richesses, et gaspilleurs de notre salut? Donc, évitons à tout prix les châtiments terribles, montrons aux pauvres toute la tendresse de nos entrailles, afin de mériter, nous aussi, les biens à venir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. C. PORTELETTE.

 

HOMÉLIE SUR CE TEXTE : JE LUI AI RÉSISTÉ EN FACE.
AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

Comme on venait de lire ce passage de l'épître aux Galates : Lorsque Pierre vint à Antioche, je lui ai résisté en face, saint Chrysostome craignant qu'une dissension, si petite qu'elle fût, entre ceux qu'il nomme les colonnes de l'Eglise, ne troublât l'esprit des fidèles, entreprend d'expliquer cet endroit dans un long discours. — 1. Il revient au milieu de son auditoire comme un petit enfant revient dans les bras de sa mère. Le sujet qu'il va traiter étant d'une importance particulière, réclame aussi une attention particulière. — 2-3. L'orateur exagère à dessein la gravité des conséquences qu'entraînerait pour les deux apôtres cette dispute si elle était véritable. — 4-6. La réprimande de Paul supposerait de la faiblesse chez Pierre. Cependant Pierre a donné d'éclatantes preuves de courage et de zèle après comme avant la passion. — 7. Pierre est justifié ; mais il reste à justifier Paul. — 8. Paul respectait Pierre et l'aimait; comment donc expliquer le passage de l'épître aux Galates? — 9. L'orateur reprend la question de plus haut. Pierre était l'apôtre des Juifs, Paul celui des Gentils. — 10. Pourquoi Pierre est-il envoyé aux Juifs et Paul aux Gentils? — 11. Les Juifs avaient trop de haine contre Paul pour qu'il pût être leur apôtre. — 12. Pierre prêchant aux Juifs usait de condescendance et les détachait doucement de la loi de Moïse, Paul prêchant aux Gentils étrangers à la loi de Moïse n'avait pas tous ces ménagements à garder : voilà à quoi se réduit la différence de leur prédication, voilà à quoi se réduit cette divergence entre Pierre et Paul, si énormément exagérée par les rationalistes allemands, sous les noms barbares de Pétrinisme et de Paulinisme, une différence de conduite. — 13. Paul judaïsait aussi par politique, et quand la condescendance aux rits judaïques devenait dangereuse, Pierre savait s'en affranchir entièrement. Comment donc expliquer les reproches qu'il dit avoir adressés à Pierre? — 14. Exposé des faits qui donnèrent lieu à la réprimande. — 15. Quelques-uns prétendent que ce n'est pas de l'apôtre Pierre, mais d'un inconnu que veut parler saint Paul; cette opinion est inadmissible. —16. D'après saint Chrysostome, les reproches que Paul adresse à Pierre auraient été concertés d'avance entre eux. Cette opinion, dont Origène passe pour avoir été l'auteur, fut quelque temps soutenue par saint Jérôme, qui l'abandonna ensuite, pressé par les arguments de saint Augustin. — 17-20. L'orateur développe son opinion et la soutient.

1. Je ne vous ai quittés qu'un jour et je suis aussi triste et affligé que si j'avais été séparé de vous un an tout entier. Pour en juger, interrogez vos propres impressions. Un enfant à la mamelle, s'il vient à être arraché du sein maternel, partout où on l'emmène, regarde sans cesse à droite et à gauche, en cherchant des yeux sa mère; moi de même, emmené loin des bras maternels, je me retournais sans cesse, comme pour revoir votre sainte assemblée. Mais j'étais bien consolé en songeant que je vous quittais pour obéir au père qui nous chérit, et l'adoucissement de mon chagrin était la récompense de ma soumission. Je regarde, en effet, comme plus éclatant qu'un diadème, plus brillant qu'une couronne, l'honneur de voyager partout avec mon père spirituel; c'est ma parure et ma sécurité. C'est ma parure, car c'est ainsi que j'ai pu lui plaire et l'engager à m'aimer, au point qu'il ne se fasse jamais voir sans son enfant; c'est ma sécurité, car étant témoin et spectateur de mes luttes, il combat avec moi par l'efficacité de ses prières. Et de même que les efforts des matelots, le gouvernail et le souffle du zéphyr conduisent avec sécurité un navire dans le port, de même sa bienveillance, son affection et le secours de ses prières, plus puissantes que le zéphyr, que les matelots et que le gouvernail, font parvenir mon discours au port. J'avais encore une autre consolation, c'était de vous laisser devant une table somptueuse, tenue par un hôte libéral et magnifique. Je le savais, non-seulement par la renommée, mais par expérience; plusieurs auditeurs redisaient ce qu'ils avaient entendu, et j'ai pu juger du festin par ce qui (168) en restait. J'ai donc fait l'éloge de celui qui l'avait offert, j'ai admiré sa magnificence et sa richesse, mais je vous ai aussi félicités de votre zèle et de l'exactitude avec laquelle vous reteniez ses paroles, au point de pouvoir les rapporter à d'autres. C'est pourquoi nous avons plaisir nous-mêmes à parler devant un auditoire aussi zélé; car celui qui sème parmi vous ne jette point sa semence sur la route, ne la répand pas dans les épines, ne la laisse point tomber sur la pierre.; votre champ est tellement riche et fertile que toutes les semences qu'il reçoit multiplient dans son sein.

Mais si jamais vous avez montré du désir et de l'ardeur pour nous entendre, comme en effet vous en avez toujours montré, je vous prie de m'accorder aujourd'hui cette grâce. Il ne s'agit pas du premier sujet venu, mais de choses importantes. Aussi j'ai besoin que vous ayez le regard perçant, l'esprit ouvert, la réflexion pénétrante, le raisonnement suivi, l'âme éveillée et attentive. Vous avez entendu la lecture de l'Apôtre, et celui qui l'a. écoutée avec attention voit que nous nous sommes proposé pour aujourd'hui un sujet plein de difficultés et de fatigues. Lorsque Pierre, dit-il, vint à Antioche, je lui ai résisté en face. (Gal. II, 11.)

2. Chacun de vous n'est-il pas troublé quand il entend dire que Paul a résisté à Pierre, que les colonnes de l’Eglise se sont heurtées et précipitées rune sur l'autre? En effet, ce sont les colonnes qui soutiennent et maintiennent le toit, ce sont des colonnes et des remparts. Ce sont encore les yeux du corps de l'Eglise, les sources de tous ses biens, ses trésors, les ports où elle s'abrite, et toutes les comparaisons que l'on pourra faire seront toujours au-dessous d'eux. Mais plus grands sont leurs mérites, plus difficile est notre tâche. Soyez donc attentifs; nous parlons de vos pères, afin de réfuter ce que disent contre eux les étrangers qui vivent en dehors de la foi. Quand Pierre vint à Antioche, je lui ai résisté en face, parce qu'il était répréhensible. Ensuite il ajoute la raison de ce blâme : Avant que quelques disciples ne fussent venus de chez Jacques, il mangeait avec les Gentils; mais quand ceux-ci furent venus, il se retirait et se tenait à part, craignant ceux qui étaient circoncis. Les autres juifs partagèrent cette dissimulation, au point que Barnabé y fut entraîné lui-même. Mais quand j'ai vu qu'ils s'écartaient du droit chemin de l'Evangile, je l'ai dit à Pierre devant tout lemonde. Plus haut, il dit : en face, et ici : devant tout le monde. Notez bien ici cette expression : devant tout le monde. Si toi, qui es juif, lit vis comme les Gentils, et non comme les Juifs, pourquoi forces-tu les Gentils eux-mêmes à vivre comme des juifs. (Gal. II, 11,14.) Peut-être avez-vous applaudi à la franchise de Paul que personne n'a pu intimider et qui n'a pas rougi de soutenir la vérité évangélique devant tous les assistants. Mais cet éloge fait à Paul est une confusion pour nous. En effet, si Paul a eu raison, Pierre a eu tort, puisqu'il a quitté la bonne route. Quel avantage y a-t-il, si l'un des chevaux de l'attelage est boiteux? Ici je ne parle point d'après Paul, mais d'après les profanes; c'est pour cela que j'appelle votre attention. En effet, j'aggrave l'accusation, je l'exagère, afin de vous en préoccuper davantage. Car celui qui s'intéresse aux combattants veille au combat, et celui qui craint pour son père est attentif; celui qui connaît l'accusation désire aussi entendre la défense. Si donc je commence par insister sur l'accusation, vous ne devez rien en préjuger sur mon opinion. Je veux, dans ce discours, labourer votre esprit, sillonner votre âme, afin que mes pensées y restent profondément semées, et qu'elles y soient retenues pour toujours. Du reste, ce que nous disons est à la gloire de votre ville. C'est elle qui a été témoin de cette lutte, de ce combat; ou, du moins, de cette apparence de combat, plus utile que la paix elle-même. Car les parties de notre corps ne sont pas plus unies par les nerfs entrelacés que ne l'étaient les apôtres par les liens d'une affection mutuelle.

3. Vous avez applaudi Paul? Ecoutez maintenant comment les paroles de Paul constituent une accusation contre lui, à moins que nous ne trouvions un sens caché à ce qu'il a dit. Que dis-tu, ô Paul? Tu as réprimandé Pierre parce qu'il ne marchait pas suivant les vérités de l’Evangile. C'est bien. Alors, pourquoi ces mots: en face, ou bien : devant tout le monde? Ne valait-il il pas mieux faire ces reproches sans témoin? Pourquoi choisir le public pour juge et prendre tant de témoins de ton accusation ? Ne pouvait-on pas dire que tu agissais ainsi par haine, par envie ou par jalousie? N'es-tu pas celui qui a dit : je suis devenu faible pour les faibles? (I Cor. IX, 22.) Que signifie : faible pour les faibles? Cela montre la condescendance, le soin de cacher leurs blessures, de peur qu'ils ne soient tentés de les étaler impudemment. (169) Ainsi, toi qui as été si attentif et si bon avec tes disciples, tu serais devenu si inhumain avec ton confrère dans l'apostolat? N'as-tu pas entendu ces paroles du Christ : Si ton frère est en faute, va et fais-lui des reproches entre toi et lui seulement. (Matth. XVIII, 15.) Toi tu fais des reproches publics, puis tu t'en glorifies! Quand Pierre est venu à Antioche, je lui ai résisté en face.

Ce n'est pas seulement en public que tu le reprends, mais encore tu écris en toutes lettres l'histoire de cette lutte, comme sur une colonne monumentale, afin que le souvenir en soit immortel! afin que, non-seulement les assistants, mais tous les habitants futurs de la terre, l'apprennent par ton épître! Est-ce ainsi qu'en ont agi avec toi les apôtres à Jérusalem, lorsque, après quatorze ans, tu es allé pour conférer avec eux de l'Evangile ? Ne dis-tu pas : Quatorze ans après je suis venu et j'ai conféré de l'Evangile avec eux, en particulier avec ceux qui paraissaient les plus considérables? (Gal. II, 1, 2.) Quoi donc? les apôtres t'ont-ils empêché d'expliquer à part ton enseignement, t'ont-ils amené en public et forcé de paraître devant tout le monde? Non, sans doute. Ainsi tu exposes ta doctrine en particulier, et personne ne s'y oppose, et tu attaques un apôtre en public? N'avais-tu pas encore d'autres preuves de leur bonté? Quand il y avait tant (te milliers de juifs réunis, n'ont-ils pas eu à ton égard la même sagesse? ne t'ont-ils pas pris en particulier pour te dire : Tu vois, mon frère, combien de milliers de juifs se sont réunis; tous sont zélés pour leur loi et ils ont entendu dire que tu enseignes à se séparer de cette loi. Quel parti prendre? fais ce que nous allons te dire. Il y a parmi nous des hommes qui ont fait un voeu. Prends-les avec toi, fais-toi raser avec eux, et purifie-toi avec eux, afin qu'ils fassent savoir que tout ce qu'on a dit sur toi était faux. (Act. XXI, 20, 24.) Vois-tu comme ils veillent sur ta réputation, comme ils te couvrent sous le voile de cet artifice, comme ils te protègent par ce sacrifice et ces purifications? Pourquoi toi-même ne montres-tu pas la même sollicitude?

4. S'il s'agissait véritablement d'un combat, d'une dispute, toutes mes accusations seraient fondées; mais ce n'est point un combat, ce n'en est que l'apparence, et nous reconnaîtrons la grande sagesse de Paul et de Pierre, ainsi que leur bienveillance mutuelle. Commençons par voir en quoi consiste cette accusation apparente. Quand Pierre vint à Antioche, je lui résistai en face. Pourquoi? Parce qu'il était répréhensible. Quel blâme méritait-il? Avant l'arrivée de ceux qui étaient envoyés par Jacques, il mangeait avec les Gentils; quand ils furent venus il se relirait et se tenait à part, craignant ceux qui étaient circoncis. Que dis-tu? Pierre était donc timide et lâche ? N'a-t-il pas reçu ce nom de Pierre parce que sa foi était inébranlable? Que fais-tu donc? respecte ce nom que le Seigneur a donné à son disciple. Pierre faible et lâche? Qui pourra supporter ces paroles même de ta part? Ce n'est pas là ce que pourra. dire de lui Jérusalem, et le premier théâtre de son apostolat, cette Eglise, où il s'est élancé le premier et où il a prononcé le premier cette parole bienheureuse : C'est Dieu qui a ressuscité Jésus, et l'a délivré des étreintes de la mort. (Act. II, 24.) Il ajoute : David n'est point monté au ciel, mais il dit : Le Seigneur dit à mon Seigneur, assieds-toi à ma droite jusqu'à ce que je mette tes ennemis sous toi comme un marchepied. (Ibid. 34, 35.)

Etait-il donc, dis-moi, timide et lâche, celui qui, au milieu d'une si grande terreur, de dangers si imminents, est allé avec tant d'audace au-devant de ces chiens altérés de sang, bouillants de colère et respirant le meurtre, pour leur dire que celui qu'ils avaient crucifié était ressuscité, qu'il était au ciel, assis à la droite du Père, et qu'il écraserait ses ennemis de maux innombrables? Ne jugeras-tu pas plutôt qu'il mérite d'être admiré, couronné même, rien que pour avoir eu la force d'ouvrir la bouche, de desserrer las lèvres, de se tenir ou de paraître seulement devant ceux qui avaient crucifié son Maître? Quel discours, quelle intelligence pourra exprimer quelle fut dans ce jour son audace et la liberté de sa parole? Personne n'en serait capable. Si, même avant la passion, les Juifs avaient décidé que celui qui s'avouerait disciple du Christ serait expulsé de la synagogue (Jean, IX, 22), comment, après la passion, voyant un homme qui, non-seulement se disait disciple du Christ, mais qui proclamait toutes ses lois avec toute l'ardeur possible, comment ne l'ont-ils pas déchiré et coupé en morceaux, lui qui osait le premier résister à leur fureur?

5. Voilà donc une chose importante : il a non-seulement confessé le Christ, mais il l'a confessé avec audace devant les Juifs encore (170) furieux et ivres de carnage. De même que, dans la guerre, quand une troupe ennemie est en bon ordre, nous admirons surtout celui qui s'élance le premier et qui parvient à briser le front de cette phalange (ce n'est pas seulement dans cette circonstance, c'est aussi dans toutes les autres que l'on estime par-dessus tous celui qui a ouvert la route des belles actions en commençant à les exécuter) ; de même faut-il raisonner à l'égard de Pierre, parce qu'il s'est avancé le premier au combat, qu'il a rompu le front de la phalange juive, qu'il l'a vaincue par un long et admirable discours, frayant ainsi le passage aux autres apôtres. Et si Jean, Jacques, Paul ou tout autre, nous semble par la suite avoir fait quelque chose de grand , celui-la l'emporte sur tous qui leur a frayé le chemin par son courage, et leur a ouvert la route; il leur a permis d'avancer avec confiance, et comme un fleuve au cours impétueux , il entraîne ceux qui lui résistent et arrose doucement des ondes de sa doctrine les âmes dociles. Ne fut-il pas ainsi après la passion? Avant la passion n'était-il pas le plus ardent de tous ? Les apôtres n'empruntaient-ils pas sa voix? ne parlait-il pas quand les autres se taisaient ? Que dit-on de moi? que je suis le fils de l'homme? dit le Christ. (Mat. XVI, 13.) Les uns répondaient Elie, les autres Jérémie, d'autres un des prophètes. Et vous, dit-il, que dites-vous que je suis? Pierre lui répondit : Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant. Le Maître avait dit : vous, et de même que la langue parle pour tout le corps, de même Pierre a répondu au nom de tous. Est-ce alors seulement qu'il a paru ainsi, et son zèle s'est-il ralenti ailleurs? Nullement; toujours et partout il montra la même ardeur. Quand le Christ lui dit : On livrera le fils de l'homme, on le flagellera, on le mettra en croix (Marc, X, 33, 34), il dit lui-même : Pitié pour vous, Seigneur! que cela ne vous arrive pas! (Mat. XVI, 21.) Car il ne faut pas examiner si cette réponse était inconsidérée , mais voir qu'elle provenait d'un amour parfait et fervent. Lorsque le Christ se fut transfiguré sur la montagne, et apparut conversant avec Moïse et Elie; alors Pierre lui dit encore : Si vous voulez, nous ferons ici trois tentes. (Mat. XVII, 4.)

6. Voyez combien il aimait son maître, observez combien il avait de soin et de prudence. Après qu'une réponse inconsidérée lui eut fait imposer silence, il remet tout à la volonté de son Maître en lui disant : Voulez-vous ? Il peut arriver encore, dit-il, que l'amour me fasse parler d'une manière indiscrète. Aussi c'est pour éviter une nouvelle réprimande qu'il dit boulez-vous? La sainte cène fut encore pour lui un sujet de crainte ; quand Jésus dit : un de vous me trahira (Mat. XXVI, 21 ), il n'osa pas interroger son Maître à cause de la réprimande qu'il avait déjà encourue ; cependant son amour ne lui permettait pas de se taire. Il voulait à la fois s'informer et éviter de paraître téméraire et inconsidéré. Comment donc parvint-il à satisfaire son désir et à éviter le reproche? Son désir de s'informer montrait la violence de son amour; d'un autre côté, en ne parlant pas lui-même, et mettant un autre à sa place, il montrait son obéissance et sa docilité. Voici des écueils de toutes parts, disait-il. Il s'agit de trahir le Seigneur; le danger est grand, mais il y a un précipice de chaque côté. Si je nie tais, mon âme sera dévorée d'inquiétude; si je parle, je crains de me faire encore réprimander. Il prit donc une route intermédiaire, et lui, qui d'ordinaire se mettait en avant, eut besoin d'emprunter la voix de Jean pour savoir ce dont il s'agissait. En effet, il ne respirait que pour son Maître et n'avait pas d'autre pensée. Aussi, par la suite, il affrontait les prisons et mille genres de mort, et méprisait toute la vie présente. Lorsqu'il eut été flagellé pour son Maître, et que son dos était sillonné de meurtrissures, il disait à ceux qui le fouettaient : Il nous est impossible de ne pas dire ce que nous avons vu et entendu. (Act. IV, 20.) Voyez quel courage indomptable, voyez quelle confiance invincible, voyez cette âme toute pleine de désir et d'amour céleste ! Comment donc oserait-on dire qu'il craignait les circoncis, qu'il se retirait et se tenait à part pour les éviter? Je pourrais vous dire encore, au sujet de Pierre, bien des choses pour vous prouver son ardeur, son courage et l'amour qu'il eut pour le Christ, mais pour ne pas étendre inutilement ce discours, je me contenterai de ce que j'ai dit. Car ce que je me propose aujourd'hui n'est pas de faire son éloge, mais de résoudre la question qui se présente à nous et de la mener à bonne fin.

7. Voyez, d'un autre côté, combien cette accusation est peu probable. Quand il disait en commençant : Ce Jésus, que vous avez crucifié , Dieu l'a ressuscité, et l'a délivré des étreintes de la mort (Act. II, 24) ; il était au (171) milieu de ses ennemis , encore respirant le meurtre, encore bouillants de colère, encore avides de déchirer les disciples, car leurs passions étaient encore excitées , et leur fureur allumée. Mais quand Paul écrivait ainsi, il y avait dix-sept ans que la prédication de l'Evangile était commencée. Après avoir dit : Trois ans après je suis allé à Jérusalem (Gal. I, 18 ), il dit encore : quatorze ans après, je suis allé à Jérusalem. (Gal. II, 1.) Celui donc qui n'a rien craint au début de sa prédication aurait été effrayé si longtemps après? celui qui ne tremblait pas à Jérusalem aurait tremblé à Antioche ! Celui qui était resté impassible au milieu des ennemis qui l'entouraient, aurait eu peur au milieu d'un cercle, non plus d'ennemis, mais de fidèles et de disciples, et aurait quitté le droit chemin ! Qui pourrait s'imaginer qu'un homme capable d'affronter un bûcher élevé et embrasé, tremblât de crainte en le voyant éteint et réduit en cendres? Si Pierre avait été timide et faible, c'est au commencement de sa prédication, dans la capitale des Juifs, qui lui étaient tous hostiles, c'est alors qu'il aurait été effrayé, mais non pas si lontemps après dans une ville entièrement chrétienne, et au milieu de ses vrais amis. Ainsi, ni le temps, ni le lieu, ni l'entourage, ne nous permettent de croire aux paroles que nous avons rapportées, et d'accuser Pierre d'aucune crainte.

Ainsi vous ôtes de mon avis. Cependant, vous commenciez par admirer Paul, et par vous être charmés de sa franchise; notre discours a changé l'accusateur en accusé. Mais, comme je disais en commençant, que nous n'en étions pas plus avancé, si nous prétendions que Paul avait raison, parce qu'alors il serait clair que Pierre aurait eu tort, et que la honte de cette faute retomberait toujours sur nous, quel que fût le coupable ; de même, je vous le dis encore , nous ne gagnerons rien à écarter de Pierre toute accusation, puisque alors Paul semblerait avoir accusé son confrère dans l'apostolat avec une audace imprudente. Eh bien! délivrons aussi l'autre apôtre de tout blâme. Quoi donc? nous avons vu ce qu'était Pierre; Paul n'était-il pas tel que lui ! quoi de plus ardent que Paul, qui mourait tous les jours pour le Christ? Cependant, ne parlons pas de courage, car ce n'est pas ce dont il s'agit, mais il faut voir s'il avait de la haine contre l'Apôtre, ou si cette dispute est le résultat de la vanité et de la jalousie. En vérité, j'ai honte de parler ainsi ; laissons cela. En effet. Paul était le serviteur, non-seulement de Pierre, le chef de tous ces saints, mais il l'était aussi de tous les apôtres; et quoiqu'il les surpassât tous par ses travaux, il se regardait comme le dernier d'entre eux. Je suis, dit-il, le moindre des apôtres ; je ne mérite même pas le nom d'apôtre (I Cor. XV, 9) ; il ne dit pas cela, seulement pour les apôtres, mais pour tous les saints en général. Cette grâce m'a été accordée à moi, dit-il, qui suis le moindre de tous les saints. (Eph. III, 8.)

8. Voyez-vous cette humilité ? voyez-vous comme il se met au-dessous de tous les saints, et, à plus forte raison des apôtres ? Celui qui avait de pareilles dispositions envers tout le monde savait toutes les prérogatives de respect qui étaient dues à Pierre, il le respectait au-dessus des autres hommes ; en un mot, il avait pour lui les sentiments qu'il méritait. Et voici ce qui le prouve : Tous les yeux du monde étaient tournés vers Paul, de lui dépendaient les Eglises de toute la terre, chaque jour. il était accablé d'une foule de soins, de toutes parts il était assiégé par des procurations, des patronages, des réprimandes, des conseils, des exhortations, des enseignements ; enfin, par mille affaires dont il devait s'occuper. Eh bien ! laissant tout cela, il se rendit à Jérusalem, sans avoir d'autre motif pour ce voyage, que de voir Pierre, comme il le dit lui-même : Je vins à Jérusalem pour voir Pierre. (Gal. I, 18.) C'est ainsi qu'il l'honorait et le mettait au-dessus de tous. Eh bien! après l'avoir vu, le quitta-t-il aussitôt? nullement, car il resta quinze jours avec lui. Or, si vous voyez un officier brave et distingué, la guerre étant déclarée , l'armée disposée , le combat commencé, quand une foule de soins le réclament de tous côtés , si vous le voyez abandonner son poste et s'éloigner pour voir un ami, auriez-vous besoin, dites-moi, d'une autre preuve de son affection pour cet homme? Pour moi , je ne le crois pas. Pensez donc la même chose sur Pierre et sur Paul. Ici une rude guerre était engagée, l'armée disposée, le combat commencé, non-seulement contre les hommes, mais contre les principautés , contre les puissances, contre les chefs de ce monde de ténèbres (Eph. VI, 12), et c'était le combat du salut des hommes. Néanmoins, il avait tant de respect pour Pierre, qu'au milieu (172) d'obligations si imminentes et si pressantes, il courut le trouver à Jérusalem, et resta quinze jours avec lui avant de songer au retour. Vous avez vu le courage de Pierre, le dévouement de Paul pour tous les apôtres, et pour Pierre en particulier; il faut maintenant arriver à la solution de la question elle-même. Car, puisqu'il aimait Pierre, et que celui-ci n'était ni timide ni faible, puisqu'il n'y avait entre eux ni haine ni opposition, que signifie ce que je vous ai lu, et comment l'expliquer?

9. Ici, soyez attentifs, élevez et soutenez vos esprits pour me comprendre et bien voir le jour favorable que je vous présenterai. En effet, pendant que je fouille la terre avec tant de peine et que vous êtes sur le point devoir paraître l'or sans vous fatiguer, il serait absurde que vous perdissiez un pareil trésor par votre négligence. Il faut que je reprenne mon discours d'un peu plus haut, afin de vous éclaircir cette instruction. Quand Jésus fut monté au ciel, après avoir accompli sa mission pour le salut des hommes, il laissa à ses disciples la parole divine de sa loi; ainsi Paul dit : Il mit en nous la parole de la réconciliation; et aussi : Nous faisons la fonction d'ambassadeurs pour Jésus-Christ, comme si Dieu exhortait par notre bouche (II Cor. V, 19, 20), c'est-à-dire comme si c'était le Christ. Alors, quand ils prêchaient ainsi sur toute la terre, il n'y avait pas d'hérésies; la nature humaine n'avait que deux dogmes, l'un pur et l'autre corrompu. En effet, tous les hommes étaient gentils ou juifs. Il n'était pas encore question de Manès, de Marcion, de Valentin, ni d'aucun autre; car, que sert de compter toutes les hérésies? Mais, quand l'ivraie eut été. semée avec le froment, la corruption de l'hérésie vint à se répandre. Le Christ envoya Pierre aux Juifs et Paul aux Gentils. Et je ne parle pas ainsi de moi-même, mais vous pouvez entendre les paroles de Paul : Il confia à Pierre l'apostolat chez les circoncis et à moi chez les Gentils. (Gal. II, 8.) Ici, la circoncision désigne la nation. Et comment le voit-on? par ce qui suit. Car après avoir dit : il confia à Pierre l'apostolat chez les circoncis, il ajoute : il me l'a donné chez les Gentils, ce qui montre bien que le mot de circoncision indique ici la différence des nations. C'est donc de cette différence de nations qu'il s'agit, et non de la circoncision en elle-même, et ce sont les Juifs qu'il désigne en parlant de circoncision; c'est comme s'il disait : Il confia à Pierre l'apostolat chez les Juifs, et à moi chez les Gentils. De même, en effet, qu'un roi sage, qui sait discerner les différentes capacités, fait commander la cavalerie à un officier et l'infanterie à un autre ; de même aussi, le Christ, divisant son armée en deux parties, mit Pierre à la tête des Juifs et Paul à celle des Gentils. Cela faisait deux corps d'armée et un seul roi. De même que la différence de deux armées consiste dans l'équipement et non dans la nature des hommes, de même cette autre différence n'était représentée que par un petit morceau de chair, et non par une diversité de nature.

10. Ainsi, comme je le disais, ils avaient la conduite de ces deux armées. Si ce discours n'est pas trop long, si vous n'êtes pas fatigués, je vous dirai pourquoi les Juifs avaient été confiés à l'un et les Gentils à l'autre. En effet, il est intéressant de rechercher pourquoi Paul, qui avait étudié si exactement la loi de ses pères, qui avait vécu longtemps aux pieds de Gamaliel, qui était irrépréhensible selon la justice de la loi mosaïque, n'a pas été mis à la tête des Juifs, mais des Gentils : comment, au contraire , le pêcheur Pierre , illettré et sans instruction, a été choisi pour conduire les Juifs. Cette observation, si nous pouvons la bien expliquer, nous sera utile pour résoudre la question qui nous occupe. Il ne faut pas dire que le Christ voyant Paul hésiter, refuser et craindre de commander à ses frères, n'avait pas voulu le forcer et le contraindre. Le contraire est évident. Car non-seulement Paul n'a pas évité de diriger les Juifs, mais quand le Christ lui ordonne d'aller vers les Gentils, il désire se charger de la conduite des Juifs : après avoir souffert mille maux de leur part, après que l'enseignement des Gentils lui a été confié, il ne cesse de prier pour les Juifs, disant tantôt : Je désirais être anathème pour mes frères, pour mes parents suivant la chair (Rom. IX, 3); tantôt aussi : Mes frères, le souhait de mon coeur et ma prière à Dieu est pour le salut d'Israël. (Rom. X, 1.) Pourquoi donc, malgré sa bonne volonté, son désir de les instruire, ne lui a-t-il pas permis de les instruire, mais l'a-t-il plutôt envoyé enseigner sa loi aux Gentils? Ecoutons les paroles du Christ lui-même, et Paul qui nous lés rapporte. Pendant ma prière, dit-il, je fus ravi en extase, et j’ai vu le Christ qui me disait : Hâte-toi, et pars promptement, car ils ne recevront point le témoignage que tu (173) rendras de moi. (Act. XXII, 17,18.) Ainsi il explique la cause de son départ. Ils te haïront, dit le Seigneur, et te repousseront ; aussi ne recevront-ils pas tes enseignements. Et cependant, il suffisait, pour rendre sa prédication digne de foi et persuasive, que sa conversion fût évidemment surnaturelle comme elle l'était. En effet, quand un homme s'était montré , ainsi qu'il l'avait fait, bouillant de colère, respirant -le meurtre, ne croyant pas aux miracles du Christ ni à ceux des apôtres qui ressuscitaient les morts, aucun pouvoir humain n'aurait pu le convertir au milieu de sa fureur, ni le déterminer à déployer ensuite autant et même plus de zèle pour la prédication de la foi du Christ, qu'il n'avait d'abord montré d'emportement à la persécuter. Il n'y avait véritablement qu'une force divine qui pût opérer cette conversion et cette transformation.

11. C'était ce même motif que Paul mettait en avant quand il demandait à Jésus de lui confier l'apostolat des Juifs : Seigneur, ils savent que j'emprisonnais et que je persécutais ceux qui croyaient en votre nom, et quand on versait le sang d'Etienne, votre martyr, j'étais complice de sa mort. (Act. XXII, 19, 20.) Et cette fureur cruelle prouve que ce changement subit n'est point une couvre humaine, mais divine, et a été inspirée par le ciel. Que dit le Christ? Va, car je t'enverrai au loin chez les Gentils. (Act. XXII , 21.) Tout cela ne suffit-il point, dit l'Apôtre, pour convaincre les plus endurcis que cette prédication n'est pas une couvre humaine, mais qu'elle dépasse les forces de l'humanité, et que Dieu est vraiment l'auteur de ce changement et de cette conversion? Tout cela devrait suffire, ô bienheureux Paul, à ne considérer que les faits en eux-mêmes, mais les Juifs sont les plus aveugles des hommes; ils n'examinent point les faits, ni ce qui semble le plus raisonnable et le plus nécessaire à croire, ils ne songent qu'à satisfaire leur haine. Toi, tu considères l'enchaînement des événements, mais Dieu connaît le secret des cœurs. C'est pourquoi il te dit : Va, car je t'enverrai au loin chez les Gentils, pour que la haine soit affaiblie par la distance.

Aussi, tandis que, lorsqu'il écrit à tous les autres peuples, il met toujours son nom en tête de ses épîtres, quand il écrit aux Hébreux, il ne fait rien de semblable : tout simplement, sans dire qui il est, ni à qui il écrit, ainsi qu'il en a l'habitude, il commence ainsi : Dieu a parlé autrefois à vos pères bien souvent et de bien des manières. (Héb. I, 1.) Et c'est là un trait de sagesse de la part de Paul. De peur que la haine qu'on a contre lui ne rejaillisse sur sa lettre, il se cache comme sous un masque en supprimant son nom et leur présente en secret le remède de ses exhortations. Car, non-seulement les Juifs incrédules , mais même les croyants de cette nation avaient contre lui de l'aversion et de la haine. Aussi , quand il va à Jérusalem, écoutez ce qui lui est dit par Jacques et par tous les autres : Tu vois, mon frère, combien de milliers de juifs se sont réunis; tous sont zélés pour leur loi, et ils ont. entendu dire que tu enseignes à se séparer de cette loi. (Act. XXI, 20, 21). Voilà pourquoi ils avaient contre lui de l'aversion et de la haine.

12. Voilà donc pourquoi ce ne sont pas les Juifs, mais les Gentils qui lui ont été confiés. Lorsque plus tard les Juifs lui furent aussi confiés comme à Pierre, mais d'une autre façon, il les conduisait à la foi par une autre route. Quand je parle d'une autre route, ne pensez pas qu'il y eût de différence pour la prédication, car elle était la même pour les Juifs et pour les Gentils. Elle consistait, essentiellement, à dire que le Christ était Dieu, qu'il avait été crucifié, enseveli et qu'il était ressuscité; qu'il était assis à la droite du Père, et qu'il devait juger les vivants et les morts : ces dogmes et d'autres semblables étaient également prêchés par Paul et par Pierre. Où donc était la différence? Dans les prescriptions légales sur les aliments, dans la circoncision, dans les autres rits des Juifs. Car Pierre n'osait pas dire clairement et ouvertement à ses disciples qu'il fallait les abolir entièrement. II craignait, en effet, que s'il cherchait prématurément à supprimer ces habitudes, il ne détruisît en même temps chez eux la foi du Christ; l'esprit des Juifs, depuis longtemps imbu des préjugés de leur loi, n'était point préparé à entendre de tels conseils. Aussi saint Pierre les laissait suivre les traditions judaïques. Quand un bon jardinier greffe une jeune pousse à une vieille tige, il n'ose point arracher l'ancienne plante de peur de déraciner aussi la nouvelle, mais il attend que le jeune arbre soit bien implanté, et ait poussé ses racines dans le sein de la terre; alors il enlève sans crainte l'ancienne souche, ne redoutant plus rien pour la nouvelle : c'est (174) ce que faisait saint Pierre. Il laissait la nouvelle foi se bien implanter dans l'esprit de ses auditeurs, attendant qu'elle y eût poussé de profondes racines pour enlever aux Juifs tous leurs préjugés. Mais il n'en était pas de même pour Paul, qui n'était astreint à aucune de ces entraves, en prêchant chez les Gentils qui ne connaissaient aucunement la loi mosaïque et qui n'entendaient rien aux prescriptions des Juifs.

Nous devons donc croire que les deux apôtres ont agi comme ils ont fait, non pas qu'ils fussent opposés l'un à l'autre, mais par condescendance à 1a faiblesse de leurs disciples; cela se comprend, quand nous voyons Paul permettre ces pratiques aussi bien que Pierre, et non-seulement les permettre, mais y coopérer; quand nous voyons, d'un autre côté, Pierre sanctionner cette même liberté que Paul propageait chez les Gentils. Mais, dira-t-on, où peut-on voir tout cela? A Jérusalem même. C'est là que le docteur des Gentils a rasé sa tête, a sacrifié et s'est soumis à la purification. En effet la circonstance l'exigeait, ainsi que la présence d'une foule de juifs. Tu vois, mon frère, lui disait-on, combien de milliers de juifs se sont réunis; tous sont zélés pour leur loi, et ils ont entendu dire que tu enseignais a se séparer de cette loi.

13. Ainsi Paul était forcé de faire cette concession aux rits judaïques; il ne la faisait point par opinion, mais par politique. De même, Pierre, le maître des Juifs, admettait toujours la circoncision et les autres pratiques judaïques, pour se prêter à la faiblesse de ses disciples; mais quand il trouvait l'occasion de se soustraire à cette nécessité, quand ce n'était plus le moment de se livrer à cette indulgence, mais celui de proclamer les dogmes et les lois, écoutez ce qu'il disait. Lorsque Paul, Barnabas et quelques disciples furent venus d'Antioche à Jérusalem pour consulter les' apôtres, il y eut une grande discussion; Pierre se leva et dit : Mes frères, vous savez que depuis longtemps Dieu m'a choisi parmi nous pour que ma bouche fasse entendre et croire aux Gentils la parole de l'Evangile. (Act. XV, 7.) Il ajoute quelques mots, et dit encore: Pourquoi tentez-vous Dieu en imposant aux Gentils un joug que nos pères et nous n'avons pas eu la force de porter? C'est seulement par la foi en Jésus-Christ que nous croyons être sauvés, ainsi qu'eux-mêmes. Vous voyez donc que, si les circonstances exigeaient des concessions, Paul lui-même se prêtait aux habitudes judaïques; et, d'un autre côté, quand il ne fallait plus agir avec condescendance, mais établir des dogmes et des lois, Pierre savait s'affranchir de cette condescendance et proclamer les dogmes dans leur franchise et leur pureté. Observez que Paul était présent à cette conférence, qu'il a tout entendu, qu'il communiquait de tous côtés la lettre qu'il avait reçue et qu'il est impossible de prétendre qu'il ignorât l'opinion de Pierre. Pourquoi donc fait-il maintenant de pareils reproches à Pierre, prétendant qu'il redoute ceux qui sont circoncis?

14. Pour que vous compreniez mieux tout ce qui s'est dit, je vais remonter un peu au delà; mais soyez attentifs, je vous en supplie; car nous sommes arrivés au fond même de la question. Jacques, le frère du Seigneur, était d'abord évêque de l'Eglise de Jérusalem, c'est-à-dire à la tête de tous les juifs croyants. Mais il y avait à Antioche d'autres juifs qui croyaient aussi au Christ, mais qui, étant loin de Jérusalem et voyant que les fidèles, parmi les Gentils, vivaient sans se préoccuper d'observer les pratiques judaïques, insensiblement et peu à peu s'étaient laissés entraîner eux-mêmes à négliger ces habitudes judaïques et à suivre la doctrine de la foi, pure et sans mélange. Là-dessus, Pierre arrivant, et voyant que rien ne lui imposait ses condescendances habituelles, vivait dès lors à la manière des Gentils. Or, ce que Paul appelle vivre à la manière des Gentils, consiste à supprimer les pratiques judaïques, à ne pas observer les injonctions de cette loi; par exemple, la circoncision, le sabbat et autres prescriptions. Pendant que Pierre vivait ainsi, arrivèrent quelques juifs envoyés par Jacques, c'est-à-dire venant de Jérusalem, lesquels étant toujours restés dans cette ville, et n'ayant jamais connu d'autres mœurs, conservaient les préjugés judaïques et gardaient beaucoup de ces pratiques. Pierre voyant donc ces disciples qui venaient- de quitter Jacques et Jérusalem, et qui n'étaient pas encore affermis, craignit que s'ils éprouvaient un scandale ils ne rejetassent la foi; il changea donc encore de conduite, et cessant de vivre à la manière des Gentils, il revint à sa première condescendance et observa les prescriptions relatives à la nourriture. Les juifs qui vivaient à Antioche le voyant agir ainsi et ne comprenant pas le motif qu'il avait, furent entraînés eux-mêmes et (175) se crurent obligés de vivre à la manière des Juifs ainsi que le maître. C'est là ce que Paul relève; et, pour éclaircir mes paroles, je vous répéterai encore celles de l'Apôtre : Quand Pierre vint à Antioche, je lui ai résisté en face, car il était répréhensible. Avant que quelques disciples ne fussent venus de chez Jacques, c'està-dire de Jérusalem, il mangeait avec les Gentils, c'est-à-dire avec ceux d'Antioche. Mais quand ces disciples furent venus de Jérusalem (c'étaient ceux qui restaient attachés à l'ancienne loi), il se retirait et se tenait à l'écart, craignant ceux qui étaient circoncis. Qui cela? Ceux qui venaient de chez Jacques. Les autres juifs partagèrent cette dissimulation. Quels juifs? Ceux qui, avant l'arrivée des disciples de Jérusalem, habitaient Antioche et n'avaient conservé aucune pratique judaïque. De sorte que Barnabé lui-même fut entraîné à dissimuler. Voilà comment l'accusation paraît formulée.

15. Si vous le voulez, je vais d'abord vous exposer les différentes justifications que d'autres auteurs ont imaginées, puis j'essaierai de vous expliquer mon avis, afin que vous puissiez choisir entre ces opinions. Comment différents écrivains ont-ils cherché à résoudre cette question? Ce Pierre dont il s'agit ici, disent-ils, n'est pas le prince des apôtres, celui à qui les brebis du Christ furent confiées , mais un homme ordinaire et inconnu ; en un mot, le premier venu. Comment voient-ils cela? Les autres juifs ayant été entraînés, Paul ajoute, disent-ils: De sorte que Barnabé lui même fut entraîné à cette dissimulation. Ces mots : Barnabé lui-même montrent alors qu'il était bien plus étonnant de voir entraîner Barnabé que le Pierre en question; il semble donc regarder Barnabé comme le plus grand des deux , puisqu'il dit : non-seulement Pierre , mais Barnabé. Or Barnabé n'était pas supérieur à l'apôtre Pierre. Mais il n'en est pas ainsi; non certes, il n'en est pas ainsi ! Ce n'est point à cause de la supériorité de Barnabé qu'il s'étonne , mais pourquoi ? Parce que Pierre avait été envoyé chez les circoncis, tandis que Barnabé prêchait avec Paul chez les Gentils, et était toujours d'accord avec Paul. Aussi dit-il ailleurs : Ou n'y a-t-il que moi seul et Barnabé qui n'ayons pas le droit de ne pas travailler (I Cor, IX, 6); et encore : Je suis allé à Jérusalem avec Barnabé ; du reste, vous le voyez partout enseigner avec Paul. Ce n'est point parce que Barnabé était supérieur à Pierre que Paul s'étonne, mais c'est de voir que Barnabé qui prêchait toujours avec lui, qui n'avait pas affaire aux Juifs, mais enseignait les Gentils ait été lui-même entraîné. Du reste, ce qui précède et ce qui suit fait voir que c'est du véritable Pierre qu'il s'agit. Car pour dire qu'il lui a résisté en face, et pour regarder cela comme grave, il faut évidemment qu'il ait tenu tête à un personnage considérable; pour tout autre, il n'aurait pas dit : Je lui ai résisté en face, et n'aurait point regardé cela comme grave. De plus, si t'eût été un autre Pierre , son changement n'aurait pas eu assez d'influence pour entraîner tous les autres juifs. En effet, il ne les a ni exhortés, ni consultés, seulement il s'est séparé et s'est retiré; et cette séparation et cette retraite ont eu l'influence d'entraîner les disciples à cause du respect attaché à sa personne.

16. En voilà assez pour prouver que c'était Pierre lui-même. Voulez-vous connaître l'autre solution ? Quelle est-elle ? Paul avait raison de reprendre Pierre dont la condescendance était poussée trop loin. Car, de même que l'un, quand il venait à Jérusalem, se soumettait aux habitudes des Juifs, de même l'autre, venant à Antioche , devait laisser les moeurs juives pour prendre celles des Gentils. Ainsi, au milieu d'un peuple entièrement juif, Paul lui-même était forcé de vivre comme les Juifs ; de même, quand les Gentils étaient en majorité et que la ville ne réclamait nullement l'ancienne condescendance, il ne fallait pas scandaliser tant de Gentils par égard pour quelques Juifs. Mais ce n'est pas là résoudre, c'est grossir la question. Comme je l'ai dit en commençant ce discours, nous ne chercherons point à montrer que l'accusation de Paul était juste, car alors la question resterait tout entière , puisque Pierre aurait mérité ces reproches : ce que nous cherchons , c'est de faire voir que ni l'un ni l'autre n'étaient blâmable. Comment y parviendrons-nous? En apprenant dans quel esprit l'un a fait le reproche et l'autre l'a reçu, et en expliquant leur pensée. Quelle était cette pensée? Pierre lui-même désirait ardemment que les juifs envoyés de Jérusalem par Jacques abandonnassent les pratiques des Juifs. Mais si lui-même leur en avait donné l'idée et s'il avait dit : Cessez de vivre à la manière judaïque, il aurait eu l'air de blâmer lui-même tout ce qu'il avait fait jusque-là, et il aurait scandalisé ses disciples. De plus, si Paul leur (176) avait tenu ce langage, ils ne s'y seraient pas soumis et ne l'auraient pas écouté. Car eux qui déjà avaient conçu contre lui de l'éloignement et de l'aversion à propos d'un bruit de cette nature l'auraient encore plus haï s'ils en avaient reçu ces conseils. Qu'arriva-t-il? Personne ne réprimanda les juifs (lui venaient de chez Jacques, mais Pierre reçut les reproches que Paul lui adressait, afin qu'après avoir été réprimandé par son confrère dans l'apostolat, il pût aussi réprimander ses disciples : ainsi Pierre reçoit les reproches, et les disciples se corrigent. Cela se fait aussi dans les contrats séculiers. Par exemple , si les citoyens doivent encore un reste de leurs contributions, et si ceux qui sont chargés de les réclamer ne l'osent pas parce qu'ils rougissent de les trop pressurer, ils cherchent un moyen et une occasion de faire, des instances plus pressantes, et pour cela ils se font, en leur présence même, dépouiller par leurs compagnons d'armes, injurier et accabler de mille maux, afin qu'ils ne semblent pas exiger l'argent par leur propre volonté, mais forcés par une contrainte étrangère : ainsi les injures qu'ils reçoivent leur servent d'excuse..

17. C'est là ce qui arriva entre Paul et Pierre. Les Juifs avaient encore quelques obligations à remplir. Quelles obligations ? De s'éloigner complètement du judaïsme. Pierre désirait ardemment faire accomplir ces dernières obligations et exiger d'eux la foi dans toute sa pureté. Aussi voulant trouver une occasion favorable pour satisfaire cette exigence, il concerta avec Paul une réprimande énergique que celui-ci devait lui faire, afin que ces reprochés simulés lui offrissent une occasion facile de parler librement à ses disciples. Voilà pourquoi Paul dit en commençant: Je lui ai résisté en face, et aussi : J'ai parlé à Pierre devant tout le monde. S'il avait voulu corriger Pierre, il lui aurait parlé en particulier; mais comme telle n'était pas son intention (en effet, il savait pourquoi Pierre agissait ainsi), comme il voulait raffermir ceux qui avaient longtemps cloché, il lui adresse ses reproches devant tout le monde. Pierre les accepte , se tait et ne discute pas : il savait dans quelle intention Paul l'attaquait et Pierre achevait tout en ne répondant rien. Son silence était la meilleure leçon pour montrer aux Juifs que leurs rits ne devaient plus être observés. Car si le maître s'est tu, disaient-ils, c'est qu'il savait que ces reproches de Paul étaient justes. Mais écoutons encore ces reproches : J'ai dit à Pierre devant tout le monde : Toi qui es juif, tu vis comme les Gentils. Observez sa prudence; il ne dit pas : Tu fais mai de revenir à la vie juive, mais il relève son premier changement, de manière à faire voir que cette exhortation et ce conseil n'étaient point imaginés par Paul, mais semblaient dépendre d'une opinion que Pierre s'était déjà formée. Car s'il eût dit : Tu as tort d'observer la loi, les disciples de Pierre l'eussent condamné ; mais du moment qu'ils comprennent que Paul ne songeait pas à faire d'exhortation ni de réprimande , mais que Pierre était déjà habitué à vivre comme les Gentils, et que c'était là son opinion, ils devaient s'apaiser bon gré mal gré. Voilà pourquoi Pierre n'émet pas lui-même cette opinion, mais se laisse accuser par un autre, du moins par Paul, et il se tait pour que sa doctrine soit plus facilement acceptée.

18. Ce n'est point seulement par ce qui précède, que l'on peut remarquer la sagesse de Paul, mais aussi par ce qui suit. Il ne dit pas : Toi qui es juif tu vivais comme les Gentils et non comme les Juifs ; mais tu vis, c'est-à-dire : tu es toujours du même avis. Après avoir dit : Tu vis comme les Gentils, quoique tu sois juif, il n'a pas ajouté : Pourquoi forces-tu les Juifs de judaïser? mais au contraire : Pourquoi forces-tu les Gentils de judaïser? et tout en faisant semblant de ne vouloir que protéger ses disciples et montrer sa sollicitude pour les Gentils , il enseigne adroitement aux Juifs que leur devoir est d'abjurer leurs anciennes coutumes. Que la réprimande fût feinte, c'est ce qui ressort clairement de ses paroles elles-mêmes. En effet d'après ce qu'il nous rapporte lui-même, c'étaient les Juifs qui s'étaient laissé entraîner à la suite de Pierre et il dit ici : Pourquoi forces-tu les Gentils de judaïser? Cependant il aurait fallu dire : Pourquoi forces-tu les Juifs de judaïser? Car ceux qui avaient été entraînés ainsi n'étaient pas gentils, mais juifs. Cependant, s'il avait parlé ainsi, son discours aurait paru trop violent et inconvenant de la part du docteur des Gentils. Mais en paraissant s'inquiéter de ses propres disciples , il donne à sa réprimande plus d'indépendance et d'autorité. Mais pour que vous compreniez que ce discours n'était pas une réprimande adressée à Pierre, mais que cette apparence de réprimande donnée à (177) Pierre, n'était qu'un avertissement et un enseignement pour les Juifs, écoutez ce qui suit : Nous sommes Juifs de naissance et non pécheurs d'entre les Gentils. (Gal. II, 15.) Ici c'est le docteur qui s'adresse à tous pour les instruire, ce n'est plus Paul qui reprend Pierre; S'il avait commencé a parler en maître dès le commencement, les Juifs ne l'auraient pas toléré. Mais ayant débuté par une réprimande que Pierre semblait avoir justement méritée en attirant les Gentils à l'observation de la loi judaïque, il arrive enfin avec confiance aux avertissements et aux conseils, comme s'il y avait été conduit par la suite du discours. De peur que quelqu'un ayant entendu ces mots : Tu forces les Gentils à judaïser, crût que cela leur était défendu, mais était permis aux Juifs, il s'adresse aux maîtres eux-mêmes. Pourquoi parler, dit-il, des Gentils et des autres Juifs ? Pourquoi ne pas nous nommer, nous qui sommes docteurs et apôtres, je dis plus, nous qui sommes Juifs de race et qui n'en avons pas moins complètement abandonné la loi de nos ancêtres? Pourra-t-on nous pardonner quand nous engageons les autres à la suivre ? Voyez comme il s'empare doucement des Juifs et comme il établit la parfaite doctrine. Après leur avoir dit : Nous sommes Juifs de naissance et non pécheurs d'entre les Gentils, il donne une cause raisonnable pour expliquer comment lui et bien d'autres avaient quitté le judaïsme. Nous savions que l'homme ne se justifie pas par les oeuvres de la loi mais par la foi de Jésus-Christ. Nous aussi, nous avons cru en Jésus-Christ, pour être justifiés par la foi du Christ, et non par les oeuvres de la loi, car l'homme ne se justifie pas par les oeuvres de la loi, mais par la foi en Jésus-Christ. (Gal. 11, 16.)

19. Voyez comme il parle souvent de l'infirmité de la loi et de la justification que l'on trouve dans la foi. Il répète fréquemment ces mots, et ce n'est pas là le langage du blâme, mais celui de l'enseignement et du conseil. Mais, comme je le disais, s'il se fût adressé aux Juifs dans ces termes, tous ses efforts auraient été perdus et inutiles, puisqu'ils ne voulaient pas de lui pour maître; mais comme il s'adressait à Pierre, ceux-ci profitaient tacitement de cette réprimande infligée à Pierre qui la recevait en silence, car, l'opinion de Pierre était découverte, non par lui, mais par son confrère dans l'apostolat, et son premier changement devenait public. Ensuite afin qu'ils ne puissent se dire entre eux : Pierre et Paul ont peut-être tort, Paul donne des raisons justes et incontestables pour ne pas observer les rits judaïques, en disant que ce n'est pas la loi, mais la foi seule qui peut justifier. Il commence son discours avec modération, il le continue avec énergie et véhémence : Si en cherchant à être justifiés par le Christ, nous nous trouvions pécheurs nous-mêmes, le Christ serait donc le ministre du péché ? (Gal. II, 17.) Voici ce qu'il veut dire : La foi justifie et ordonne de quitter les rits judaïques, qui ont cessé d'exister; mais si, au contraire, cette loi nous gouverne et nous domine encore, si celui qui l'abandonne est jugé coupable, alors le Christ, qui nous a ordonné de l'abandonner, sera l'auteur de notre faute et non-seulement il ne nous aura pas délivrés du péché, mais il nous aura même entraînés au péché. C'est à cause de la foi que nous avons abandonné la loi; si donc l'abandon de la loi est un péché, il s'ensuit que la foi est la cause de notre péché. Après avoir ainsi réduit ses adversaires à l'absurde, il ne s'arrête plus à discuter, il se contente d'ajouter : A Dieu ne plaise! car l'absurdité est évidente. En effet, dit-il, si je reconstruis ce que j'ai abattit, je me rends moi-même prévaricateur (Gal. II, 18), il attaque à son tour et fait voir que le tort ne consiste pas à transgresser la loi, mais à ne pas l'abandonner; et quoiqu'il parle à la première personne, c'est encore Pierre qu'il a en vue. Pierre n'avait-il pas rompu les prescriptions sur la nourriture, en préférant vivre comme les Gentils? Donc en revenant ensuite aux habitudes des Juifs et vivant comme eux, il réédifiait ce qu'il avait abattu.

20. Vous voyez que partout il insiste sur , la conduite de Pierre ; et comme il fait remarquer sa première conversion , il ne semble point que ce soit par le discours de Paul, mais par l'opinion de Pierre, ainsi démontrée par ses actions' que les Juifs se trouvent avertis. C'est pour cela qu'il dit : Craignant ceux qui étaient circoncis; et : parce qu'il était répréhensible; et : parce qu'il ne marchait pas droit, suivant la vérité de l'Evangile. Il n'en était pas ainsi, à Dieu ne plaise! nous l'avons assez fait voir. Mais, de même qu'alors Paul faisait des réprimandes que Pierre écoutait en silence, pour ne pas contrarier les desseins de Paul, acceptant ces reproches comme s'il avait (178) eu tort, afin de s'en prévaloir auprès de ses disciples; de même, et avec la même intention , qui lui faisait accuser Pierre , nous voyons Paul écrire tout cela, dans son épître aux Galates. Car, s'il avait été utile aux Juifs, que Pierre fût accusé et gardât le silence, il était encore plus utile de tout raconter à ceux des Galates qui étaient corrompus. De même que ceux des Juifs qui vivaient à Antioche, voyant Pierre se taire, après une sévère réprimande, se corrigeaient par les reproches faits à leur maître, et par son silence; de même alors, les Galates infectés également d'habitudes judaïques , apprenant par Paul qu'il avait réprimandé Pierre, qui était répréhensible, et ne marchait pas droit, suivant la vérité de l'Évangile, et que Pierre n'avait répondu à ces reproches que par son silence; les Galates recevaient la meilleure leçon qui pût les faire renoncer aux rits judaïques. Voilà pourquoi Paul a fait alors ces reproches, et en a perpétué le souvenir; mais il n'en fart pas moins admirer Pierre qui les a acceptés : celui qui a accepté la correction, l'accusation même, et a su se taire, celui-là a tout redressé et réparé : c'est le fruit de la sagesse. Ainsi , ni l'un ni l'autre des apôtres n'est blâmable, tous deux méritent des louanges infinies, car leur zèle pour le salut des hommes leur a permis de tout dire et de tout entendre. Prions donc le Dieu de Pierre et de Paul, qui les a attachés par les liens de la concorde, de nous attacher aussi les uns aux autres, par une, charité plus étroite, afin que conservant tous ensemble notre union en Dieu, nous soyons dignes de voir ces grands saints, et de vivre dans leurs tentes éternelles, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur et adoration, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduction de M. HOUSEL.
 

 

 

 

 

HOMÉLIES SUR LE MARIAGE.
AVERTISSEMENT.

Les trois homélies suivantes, dont la première a pour texte les paroles de saint Paul : Propter fornicationes, etc., la seconde, roule sur la répudiation , la troisième sur le choix d'une épouse, ont évidemment été prononcées de suite. Un passage , au commencement de la seconde, montre qu'elle a suivi de près la première, dont le texte s'y trouve reproduit. La troisième dut pareillement être prononcée peu de jours après la seconde : nous en avons pour preuve le témoignage même du Saint dans son exorde. Il est principalement question , dans la première, de la célébration du mariage et de l'inconvénient des danses licencieuses, des chansons obscènes qui, au temps de Chrysostome, accompagnaient ordinairement cette cérémonie. L'orateur s'élève ensuite contre ceux qui persistent dans la fornication, même après le mariage, et aussi contre l'opinion mondaine qui réserve le nom d'adultère à l'infidélité des femmes mariées et à la complicité de leurs séducteurs. Dans le discours suivant, saint Jean Chrysostome traite de la répudiation, et conclut, contre les maximes et la pratique des Grecs de nos jours, qu'il n'est pas permis d'épouser une femme répudiée pour cause d'adultère. Enfin, le titre même de la troisième homélie, du choix d'une épouse dit assez quel en est le sujet. Chrysostome y fait l'éloge d'un Maxime, qu'il désigne en langage figuré comme son coadjuteur, et qui était peut-être cet évêque de Séleucie, en Isaurie, qui avait précédemment porté la parole à sa place : de ce même témoignage on peut inférer que saint Jean Chrysostome était alors évêque de Constantinople.

PREMIÈRE HOMÉLIE. Sur ces paroles de saint Paul : " à cause de la fornication que chacun ait sa femme. " (I Cor. VII, 2.)
ANALYSE.

1° Effets de la parole sacrée. — Qu'il faut savoir maîtriser sa langue.

2° De la célébration du mariage. — Des abus qui l'accompagnent.

3° Que le démon a part à ces abus. — A quoi tend l'institution du mariage.

4° Réfutation de l'erreur mondaine concernant l'adultère.

5° Châtiment de l'époux adultère en ce monde et dans l'autre.

1. Je veux encore aujourd'hui vous conduire par la main vers les sources de miel, le miel étant une chose dont on ne peut se lasser. Telle est la nature des paroles de Paul, et tous ceux qui s'abreuvent à ces sources, parlent sous l'inspiration du Saint-Esprit; ou plutôt, la douceur du miel n'est rien auprès du charme attaché aux paroles divines. Et c'est ce que le prophète exprime en ces termes : Que tes paroles sont douces à mon gosier; ma bouche les préfère au miel. (Ps. CXVIII, 103.) Mais ce n'est pas seulement le miel que passe en douceur le charme des célestes paroles, c'est l'or, ce sont les pierres les plus rares qui lui cèdent en valeur, c'est l'argent le plus raffiné qui lui cède en pureté. Les paroles du Seigneur, dit le même, sont des paroles pures, un argent passé au feu, purgé de sa terre, sept fois purifié. (Psal. XI, 7.) Voilà ce qui faisait dire à un sage : Il n'est pas bon de manger beaucoup de (180) miel ; mais il faut honorer les paroles glorieuses. (Prov. XXV, 27.) En effet, le miel peut causer une maladie à l'homme sain, tandis qu'à l'aide de ces paroles, l'homme infirme peut se guérir; de plus, le miel se corrompt dans la digestion, tandis que les paroles divines, lorsqu'on les digère, deviennent encore plus agréables et plus salutaires, et pour ceux qui les ont goûtées, et en même temps pour beaucoup d'autres. Enfin, celui qui s'assied à une table matérielle où règne le luxe, la quitte souvent avec des nausées qui le rendent incommode à tout ce qui l'entoure : au contraire, celui qui exhale l'odeur de l'instruction spirituelle, délecte ceux qui l'approchent par des parfums enivrants. Aussi David, qui goûtait sans cesse à ce festin béni, a-t-il pu dire : Mon coeur a exhalé le parfum de la bonne parole. (Ps. XLIV, 2.) En effet, il est aussi une mauvaise parole, dont on peut exhaler l'odeur. Et comme dans les festins du corps, la nature des aliments détermine la qualité de l'odeur qui revient à la bouche des convives; ainsi, quand il s'agit de paroles, la qualité de celles dont on s'est nourri se reconnaît généralement à l'arrière-goût qu'elles laissent après elles. Par exemple, vous allez vous asseoir sur les degrés d'un théâtre, vous entendez des chansons lubriques : vos conversations sentiront encore les propos que vous aurez entendus. Mais vous venez à l'église, vos oreilles participent aux discours spirituels; votre bouche en rendra le parfum. De là cette parole du prophète : Mon coeur a exhalé le parfum de la bonne parole, par où il veut nous faire entendre l'aliment dont il avait coutume de se nourrir. Et Paul, sur la foi du prophète, nous exhortait en ces termes : Qu'aucun discours mauvais ne sorte de votre bouche ; que s'il en sort quelqu'un, qu'il soit bon. (Ephés. IV, 29.) Et qu'est-ce qu'un discours mauvais ? dira-t-on; si vous apprenez ce que c'est qu'un bon discours, vous connaîtrez en même temps ce que c'est qu'un discours mauvais, car ces deux choses sont ici opposées l'une à l'autre. Ce que c'est qu'un bon discours ! il n'est pas besoin que je vous l'apprenne, car Paul lui-même nous en a expliqué la nature. En effet, après ces mots: qu'il soit bon, il ajoute, propre à édifier l'Eglise, montrant par là qu'un bon discours est celui qui édifie le prochain. Par conséquent, si le bon discours est celui qui édifie, le discours mauvais et condamnable est celui qui détruit.

Ainsi donc, mon cher auditeur, si tu as quelque chose à dire qui soit propre à rendre meilleur celui qui t'écoute, ne reste pas bouche close en cette occasion de salut: mais situ n'as rien de pareil, et seulement des propos répréhensibles et dissolus, tais-toi, ne parle point contre l'intérêt du prochain. Car, c'est là un discours mauvais, puisque non-seulement il n'édifie pas l'auditeur, mais encore fait tout le contraire. En effet, si cet auditeur pratique la vertu, de tels propos lui inspirent souvent de l'orgueil; et s'il est nonchalant pour le bien, il redouble son indifférence. Si tu dois prononcer quelque parole licencieuse et grossièrement risible, tais-toi. Car ce discours est mauvais qui rend plus déréglés et celui qui le profère et celui qui l'écoute et qui ravive en chacun les ardeurs coupables. Comme le bois est la matière et l'aliment de la flamme , ainsi les mauvaises pensées sont attisées par les paroles. Il ne faut donc pas dire indistinctement tout ce que nous avons dans l'esprit; mais travaillons sérieusement à bannir de notre esprit même, et les désirs coupables, et toute pensée honteuse. Que si par hasard, et à notre insu, nous laissons pénétrer en nous quelque sale imagination, gardons-nous de la produire indiscrètement, et plutôt étouffons-la sous le silence. Voyez, en effet, les animaux farouches et les reptiles pris au piége ; s'ils trouvent quelque issue pour s'échapper, ils deviennent plus féroces après leur évasion; si au contraire ils restent enfermés sans répit dans leur prison, bientôt, pour une cause ou une autre, ils sont détruits et exterminés. Ainsi des pensées coupables: notre bouche, nos discours leur offrent- ils quelque issue, leur flamme intérieure en reçoit de nouvelles forces. Mais si l'on ferme sur elles la porte du silence, elles s'affaiblissent, et, réduites par notre retenue à une sorte d'inanition, elles meurent emprisonnées dans notre âme. Par conséquent, alors même que tu éprouverais quelque honteuse convoitise, si tu sais t'abstenir de paroles honteuses, tu éteins dans ton coeur la convoitise elle-même. Ta pensée n'est point pure, du moins que ta bouche le soit; garde-toi de jeter ces ordures à ta porte, de peur de nuire à d'autres et à toi-même. En effet, les paroles honteuses souillent non-seulement ceux qui les prononcent, mais encore ceux qui les entendent. Je t'invite donc et t'exhorte à fermer, non-seulement ta bouche, mais encore (181) tes oreilles à tous propos de ce genre, et à rester attaché d'une manière inébranlable à la loi divine. Telle est la conduite de l'homme que proclame heureux le Prophète : Heureux l'homme qui n'a point marché dans le conseil des impies, qui ne s'est point tenu debout dans la voie des pécheurs, qui ne s'est point assis dans la chaire de pestilence; mais sa volonté est dans la loi du Seigneur, et dans sa loi il méditera le jour et la nuit. (Ps. I, 1, 2.)

2. Dans les conversations du siècle, s'il se glisse parfois quelques bonnes paroles, c'est au milieu de mille propos méprisables, qui laissent à peine de la place pour un discours sensé. Il en est tout autrement des saintes Ecritures : là, vous n'entendrez rien qui soit mauvais, rien qui ne soit salutaire et rempli d'une profonde sagesse : tel est, par exemple, le texte qui nous a été lu aujourd'hui. Ce texte, quel est-il ? Quant aux choses dont vous m'avez écrit, il est avantageux à l'homme de ne toucher aucune femme. Mais à cause de la fornication , que chaque homme ait sa femme et chaque femme son mari. (I Cor. VII, 1, 2.) Paul décrète en cet endroit, au sujet des mariages ; il n'en rougit pas, il n'en éprouve point de honte. En effet, si son Maître a daigné assister à un mariage, si, loin de s'en abstenir par pudeur, il a au contraire honoré la cérémonie de sa présence et de son cadeau (et nul ne se montra plus généreux que lui pour les époux, puisqu'il changea l'eau en vin), comment l'esclave aurait-il rougi de décréter au sujet des mariages? Ce n'est pas le mariage qui est une mauvaise chose , c'est l'adultère, c'est la fornication. Or le mariage est un remède contre la fornication.

Evitons donc de le déshonorer par des pompes diaboliques, et que, à l'exemple des mariés de Cana en Galilée, ceux qui prennent femme aujourd'hui aient pareillement entre eux Jésus-Christ. Mais comment, dira-t-on, cela peut-il se faire? Par le simple ministère des prêtres. En effet, il est écrit : Celui qui vous reçoit me reçoit. (Matth. X, 40.) Si donc vous chassez loin de vous le diable, les chansons lubriques, les poésies voluptueuses, les danses déréglées, les paroles obscènes, et tout cet appareil diabolique , et ce tumulte , et ces rires à gorge déployée; si vous bannissez enfin toute indécence et que vous introduisiez les saints serviteurs du Christ, le Christ lui-même, en leur personne, sera là, n'en doutez point, avec sa mère et ses frères. Car il est écrit : Quiconque fait la volonté de mon Père, celui-là est mon frère, et ma soeur et ma mère. (Matth. XII, 50.) Je sais que quelques-uns trouvent importunes et fatigantes ces exhortations, ainsi que nos efforts pour déraciner un antique usage. Je ne m'en inquiète nullement, car je n'ai pas besoin de vous plaire, mais seulement de vous être utile: je n'ai pas besoin de vos applaudissements ni de vos éloges, mais de votre avancement et de votre instruction. Qu'on ne vienne donc point me dire que c'est un usage : dès que le péché se commet, cessez de parler d'usage. Si l'usage ne vaut rien , détruisez-le , quelque ancien qu'il puisse être; s'il est innocent, vous fût-il inconnu d'ailleurs, il faut l'introduire et l'implanter. Mais la preuve que ces pratiques indécentes ne proviennent point d'un antique usage, et sont au contraire des nouveautés, vous la trouverez en vous rappelant la manière dont Isaac épousa Rébecca, dont Jacob épousa Rachel. En effet, l'Ecriture raconte leurs mariages; elle nous apprend comment les jeunes femmes furent conduites chez leurs époux, et elle ne mentionne rien de pareil. Seulement le festin fut plus brillant que le repas habituel, et les parents furent invités à la noce: quant aux flûtes, aux cymbales, aux danses d'ivrognes, à toutes les indécences qui sont à la mode aujourd'hui, elles furent laissées à la porte.

Chez nous, l'on danse en chantant des hymnes en l'honneur d'Aphrodite, on entonne des chansons où il n'est question que d'adultères, d'épouses séduites, d'amours illégitimes, d'accouplements monstrueux, enfin d'impiétés et d'infamies de tout genre, et cela dans un pareil jour ; et c'est en état d'ivresse, c'est à la suite de tous ces dérèglements, c'est au milieu de propos obscènes que l'on fait cortège publiquement à la jeune épouse. Et comment donc, dis-moi , peux-tu exiger d'elle la chasteté , quand , dès le premier jour, tu lui donnes de pareilles leçons d'effronterie; quand tu exposes à sa vue et à son oreille des spectacles, des propos dont le récit ferait horreur à des esclaves un peu réservés? Quand le père, conjointement avec la mère, a consacré si longtemps toute sa sollicitude à veiller sur sa fille vierge, à empêcher qu'elle ne dît rien, qu'elle n'entendît rien de pareil; quand il a multiplié pour cela les précautions : chambres particulières, appartements réservés, gardiens, portes, (182) verroux, soin de tout fermer le soir, défense de se laisser voir, même aux parents, que sais-je encore ? tu arrives, et dans un jour tu détruis tout cet ouvrage, tu dépraves toi-même ta femme par une ignoble cérémonie, tu ouvres son âme au langage de la corruption ! Et d'où viennent, si ce n'est de là, les maux dont on se plaint ensuite ? d'où viennent les adultères et les jalousies? d'où viennent les stérilités , les veuvages, les morts qui font de petits orphelins? Quand vous appellerez les démons par vos refrains, quand vous comblerez leurs désirs par vos discours licencieux, quand vous introduirez dans vos demeures des mimes, d'infâmes histrions et tous les scandales du théâtre ; quand vous remplirez votre maison de prostituées et que vous y mettrez en fête et en branle toute la troupe des démons, quel salut, dites-moi, pouvez-vous encore espérer? Mais pourquoi faire venir des prêtres , quand le lendemain c'est une pareille fête que vous devez célébrer?

Voulez-vous déployer votre munificence d'une manière profitable? Invitez des pauvres en guise de danseurs. Mais vous avez honte, je crois, vous rougissez? Et quelle pire déraison que d'attirer le diable chez vous comme s'il n'y avait rien là de honteux, et de rougir quand on vous parle d'y laisser entrer le Christ ! Car, de même que les pauvres, en entrant, sont accompagnés du Christ, de même, au milieu des danses que forment ces mimes et ces infâmes, le diable est là qui prend part à la fête. En outre , de tels frais ne rapportent rien, ou plutôt ils produisent un grand dommage, tandis que la dépense dont je vous parle ne vous laissera pas longtemps sans une riche récompense. — Mais personne dans toute la ville ne s'est comporté de la sorte. — Eh bien ! songe à donner l'exemple et à prendre l'initiative de cette noble coutume, afin que ceux qui viendront ensuite t'en reportent l'honneur. Si l'on t'imite, si l'on t'emprunte cette pratique, les petits-neveux et les enfants des petits-neveux pourront dire à ceux qui en rechercheront l'origine : Un tel, le premier, a mis en honneur ce bel usage. Voyez ce qui se passe dans le inonde au sujet des jeux publics : c'est à qui, dans les festins, célébrera ceux qui se sont acquittés avec munificence de ces stériles devoirs ,envers l'Etat. A plus forte raison cette fonction spirituelle vaudra-t-elle des éloges et des actions de grâces unanimes à celui qui en aura pris l'admirable initiative et elle lui vaudra, en même temps, une réputation de munificence et profit. En effet, si d'autres suivent ce bon exemple, c'est à toi, qui auras semé, que reviendra le prix de la moisson. Ce mérite fera que tu seras bientôt père; il protégera ensuite tes enfants et sera cause que l'époux vieillira aux côtés de son épouse. En effet, si Dieu ne cesse de menacer les pécheurs, s'il leur dit : Vos enfants seront orphelins et vos femmes seront veuves (Exod. XXII, 24) ; à ceux qui lui obéissent en toutes choses il promet et une vieillesse heureuse, et tous les biens avec celui-là.

3. Paul nous apprend encore que les morts prématurées résultent souvent du grand nombre des péchés. C'est pour cela, nous dit-il, qu'il y a parmi vous beaucoup d'infirmes et de languissants, et que beaucoup s'endorment. (I Cor. XI, 30.) Mais, que la nourriture donnée aux pauvres prévient ces accidents, ou, dans le cas d'un malheur imprévu, y porte promptement remède, c'est ce que vous prouvera l'exemple de la jeune fille de Joppé. Elle gisait privée de vie, mais les pauvres nourris par elle l'entouraient : leurs larmes la réveillèrent et la rendirent à la vie. (Act. IX, 36.) Tant il est vrai que la prière des veuves et des pauvres est préférable à tous les rires et à toutes les danses ! - Ici, un plaisir éphémère : là un profit durable et constant. Songe au prix que valent tant de bénédictions réunies sur la tête d'une jeune femme, au moment où elle entre dans la maison de son époux. Combien de couronnes ne faudrait-il point pour en effacer l'éclat ! Combien d'or pour en. égaler la valeur ! aussi vrai que la mode actuelle est insensée et absurde au suprême degré. En effet, en admettant que nulle punition, nul châtiment, ne soit le prix de pareilles indécences, songez si ce n'est pas déjà un cruel supplice, que de supporter ce torrent d'injures en public, devant une foule qui les entend, de la part d'hommes ivres qui n'ont plus l'usage de leur raison. Les pauvres bénissent la main qui leur fait l'aumône, et forment mille voeux pour leur bienfaiteur; au contraire, les gens dont je parle ne quittent la table où ils se sont enivrés et repus que pour lancer les quolibets les plus orduriers à la tête des époux, et apporter à ce jeu je ne sais quelle émulation diabolique : on dirait que les mariés sont des (183) ennemis, tant leurs parents semblent faire assaut à qui profèrera sur leur compte les plus inconvenants sarcasmes; c'est comme une bataille rangée : et cette lutte entre les invités a pour résultat de remplir l'époux et l'épouse de honte et de confusion.

Faut-il maintenant, dites-moi, chercher une autre preuve que ce sont les démons qui, agitant leurs âmes, leur font tenir cette conduite et ce langage? Et qui donc pourrait contester, désormais, que ce soit l'impulsion du démon qui les incite à parler et à agir de la sorte? Personne assurément, car ce sont bien là les rémunérations du diable : injures, ivresse, déraison. Si maintenant quelqu'un tire un présage de l'invitation adressée de préférence aux pauvres, et juge que ce serait entrer en ménage sous de fâcheux auspices, je veux lui apprendre à mon tour que ce n'est pas l'accueil fait aux pauvres et aux veuves, mais celui qu'on fait à des infâmes et à des prostituées qui présage des afflictions de tout genre et des milliers de maux. Plus d'une fois, en effet, ce jour même vit un jeune époux arraché à sa nouvelle famille par les mains d'une courtisane qui, du même coup, éteignit en lui tout amour pour son épouse, ruina l'harmonie du ménage, rompit ses liens avant qu'ils fussent formés, et y jeta les semences de l'adultère. Voilà ce que devraient craindre les parents, ne craignissent-ils rien autre chose ! et ce serait assez pour qu'on dût interdire l'accès des noces aux mimes et aux danseurs. Car le mariage n'a pas été institué dans l'intérêt de la débauche et de la fornication, mais dans celui de la chasteté. Voici du moins ce que dit Paul : A cause des fornications, que chaque homme ait sa femme et chaque femme son mari. En effet, il y a deux raisons pour lesquelles le mariage a été institué : c'est à savoir, afin que nous soyons chastes, et afin que nous devenions pères: mais de ces deux motifs, le plus important est celui de la chasteté. C'est du jour où s'est introduite la concupiscence que s'est introduit le mariage, qui coupe court à l'incontinence, et amène l'homme à se contenter d'une femme. Car pour la procréation, ce n'est point tant l'effet du mariage que de cette parole de Dieu qui dit : Croissez et multipliez, et remplissez la terre. (Gen. I, 28.) Témoins tant d'hommes qui ont usé du mariage et ne sont point devenus pères. En sorte que la raison dominante est celle de la chasteté, surtout aujourd'hui que notre espèce a couvert la terre habitable. Dans le principe, chacun devait désirer d'avoir des enfants, afin de laisser un souvenir et une trace de son existence. En effet, lorsqu'il n'y avait point encore d'espérances de résurrection, et que c'était le règne de la mort, et que les mourants pensaient être anéantis à l'issue de leur carrière terrestre, Dieu donna aux hommes cette consolation de la paternité, en. sorte que ceux qui partaient se survécussent dans de vivantes images, que notre race se conservât, et que ceux qui allaient mourir aussi bien que leurs familles eussent dans leurs rejetons un sujet incomparable de soulagement.

Et pour vous faire bien comprendre que c'était ce motif surtout qui faisait désirer des enfants, je vous citerai la plainte de la femme de Job à son mari, dans leur adversité : Voilà, dit-elle, que tout souvenir de toi a disparu de la terre, tes fils comme tes filles. (Job, XVIII, 17.) Et de même Saül dit à David : Jure-moi dans le Seigneur que tu n'extermineras pas ma race et mon nom après moi. (I Rois, XXIV, 22.) Mais puisque désormais la résurrection nous attend à la porte, que la mort ne compte plus pour rien, que nous nous acheminons de cette vie vers une vie meilleure, tout soin de ce genre est superflu. En effet, si tu souhaites des enfants, il en est de bien meilleurs, de bien plus souhaitables, dont il ne tient qu'à toi d'être le père, maintenant qu'il existe des gestations spirituelles, des enfantements d'un ordre supérieur, et des bâtons de vieillesse d'une espèce plus précieuse. En conséquence, le mariage n'a qu'une fin, empêcher la fornication : et c'est pour ce mal qu'a été inventé ce remède. Mais si tu devais, même après le mariage, te laisser aller à la fornication,'c'est en vain que tu aurais eu recours au mariage, c'est inutilement, c'est sans profit. Que dis-je? ce n'est pas seulement pour rien, c'est plutôt pour ton malheur. En effet, la faute n'est point la même à commettre la fornication quand on n'a point de femme, et à y retomber après le mariage : dès lors ce n'est plus fornication, c'est adultère. Ce que je dis peut paraître étrange c'est vrai pourtant.

4. Je le sais: beaucoup de gens s'imaginent qu'on ne se rend adultère que par la séduction d'une femme en puissance de mari. Et moi je prétends que quiconque, étant marié, a des rapports coupables et illicites avec une femme, (184) fût-ce une fille publique, une servante, une personne quelconque non mariée, commet un adultère. En effet, ce n'est pas seulement la personne déshonorée, c'est encore l'auteur de son déshonneur, dont la qualité constitue l'adultère. Et n'allez point, en ce moment, m'alléguer les lois du monde qui traînent les épouses séduites devant les tribunaux et leur font subir un jugement, tandis qu'elles ne demandent point de comptes aux hommes mariés qu'ont débauchés des courtisanes. Moi, je vous lirai la loi de Dieu, qui sévit également contre l'homme et contre la femme, et les déclare pareillement adultères. Après ces mots: Et que chaque femme ait son mari, viennent les suivants: Que le mari rende à sa femme l'affection qu'il lui doit. (I Cor. VII, 3.) Que veut-il faire entendre par ces mots? Qu'il faut avoir l'oeil à ses revenus? garder sa dot intacte? lui fournir de riches vêtements? une table somptueusement servie? une suite brillante? une nombreuse maison? Que veux-tu dire? quelle est cette affection que tu prescris? Aussi bien toutes ces choses sont-elles des preuves d'affection. Rien de tout cela, répondra Paul: je ne prescris que la continence et la chasteté. La personne de l'époux n'appartient plus à l'époux, mais à l'épouse, qu'il lui garde donc intacte cette propriété, qu'il n'en dérobe rien, qu'il ne la dissipe point. En effet, on dit qu'un serviteur a de l'affection pour ses maîtres, lorsque, chargé de gérer leurs biens, il n'en laisse rien se perdre. Puis donc que la personne du mari est la propriété de l'épouse, l'homme doit montrer son affection en veillant bien sur ce dépôt. Et la preuve que tel est le sens de ces paroles de Paul: Qu'il lui rende l'affection qui lui est due, c'est qu'il ajoute aussitôt: La femme n'a pas puissance sur son corps, c'est le mari; de même le mari n'a pas puissance sur son corps, c'est la femme. (I Cor. VII, 4.) Par conséquent, si vous voyez une courtisane vous tendre des piéges, chercher à vous attirer, s'éprendre de votre personne, dites-lui : Ce corps n'est pas à moi, mais à ma femme; je ne puis en abuser, ni le livrer à une autre femme. Et que de son côté la femme agisse de même. En effet, sur ce point, les droits des deux sexes sont égaux. D'ailleurs, Paul accorde dans le reste une grande prééminence au mari, comme l'attestent ces paroles: Que chacun de vous aime sa femme comme lui-même; mais que la femme craigne son mari (Ephés. V, 33); et ailleurs : L'homme est le chef de la femme et enfin: La femme doit être soumise à sort mari. (Ib., 22.) De même dans l'Ancien Testament : Ton recours est en ton mari, et il sera ton maître. (Gen. III, 16.) Comment donc a-t-il pu établir sur ce point une réciprocité parfaite d'esclavage et de, domination? En effet, cette maxime : La femme n'a pas puissance sur son corps, c'est le mari; de même le mari n'a pas puissance sur son corps, c'est la femme, annonce l'intention d'établir une complète égalité : et de même que l'homme est le maître du corps de la femme, de même la femme, à son tour, est maîtresse du corps de l'homme. D'où vient donc qu'il ait institué une égalité si parfaite? C'est que dans tout le reste la prééminence est indispensable. Au contraire, dès qu'il y va de la continence et de la chasteté, l'homme n'a plus aucune prérogative à l'égard de la femme, et encourt le même châtiment, s'il vient à enfreindre les lois du mariage. Cela s'explique parfaitement. En effet, si ta femme est venue à toi, si elle a quitté son père, sa mère, et toute sa famille, ce n'est pas pour que tu l'outrages, pour que tu lui substitues une vile courtisane, pour qu'elle soit en butte à une guerre perpétuelle : tu l'as prise pour qu'elle fût ta compagne, ton associée, pour qu'elle fût libre, et jouît des mêmes droits que toi-même. N'est -il pas étrange que la dot qu'elle t'apporte soit l'objet de toute ta sollicitude, que tu évites soigneusement d'en rien distraire: et que ces trésors, bien plus précieux qu'une dot, je veux dire la continence et la chasteté, et ta propre personne, qui est sa propriété, tu les prodigues et les corrompes? S'il t'arrive de toucher à la dot, c'est à ton beau-père que tu rends tes comptes. Mais si tu attentes à la chasteté, c'est Dieu qui te les demandera, Dieu qui a institué le mariage, et de qui tu tiens ton épouse. Si vous en voulez une preuve, écoutez ce que dit Paul au sujet des adultères : Celui qui méprise ces préceptes, méprise non pas un homme, mais Dieu, qui nous a donné son Esprit saint. (I Thess. IV, 8.)

Voyez-vous combien les preuves abondent à l'appui de notre proposition qu'il y a adultère, non-seulement quand on séduit une femme en puissance de mari, mais encore quand on a commerce avec une concubine quelconque, dès lors qu'on est marié? En effet, de même que nous appelons la femme adultère, soit que son complice soit un valet ou tout autre, dès qu'elle (185) est infidèle à son mari; ainsi nous devons donner le même nom à tout homme infidèle à son épouse, fût-ce avec une courtisane, ou la première venue des femmes publiques. Veillons donc à notre salut, et ne livrons point notre âme au diable par ce péché. De là les ruines, de là les guerres sans fin dans les ménages; par là fuit la tendresse, par là s'évanouit l'affection. En effet, s'il est impassible qu'un homme chaste dédaigne sa femme et la méprise jamais, il est également impossible qu'un homme livré à la débauche et à l'incontinence aime son épouse, quand bien même elle aurait des charmes incomparables. De la chasteté naît la tendresse, et de la tendresse des biens sais nombre. Considérez donc les autres femmes comme étant de pierre, dans la conviction qu'une fois marié, vous ne pouvez jeter un regard d'incontinence sur une autre femme, épouse ou fille publique, sans tomber sous le grief d'adultère. Répétez-vous chaque jour ces paroles au fond de vous-même; et si vous voyez que la convoitise d'une autre femme est éveillée pour vous, et que cela vous fait trouver votre épouse déplaisante, entrez dans votre chambre, ouvrez ce livre, et par la médiation de Paul, par la vertu de ces paroles constamment répétées, éteignez cette ardeur.

Par là vous reprendrez de l'amour pour votre femme, en l'absence de toute passion qui diminue votre attachement pour elle; et non-seulement votre femme vous semblera plus aimable, mais vous paraîtrez vous-même bien plus digne de respect et de considération. Car il n'est rien, non, rien de plus vil qu'un homme marié qui tombe dans la fornication. Ce n'est point seulement devant son beau-père, devant ses amis, devant ceux qu'il rencontre, c'est devant ses propres serviteurs qu'il est forcé de rougir. Que dis-je? ce n'est rien encore; mais sa maison même lui paraît plus affreuse que le plus odieux cachot, parce que ses regards et son imagination sont constamment tournés vers la concubine qu'il aime.

5. Voulez-vous vous faire une juste idée de cette misère ? Considérez l'existence que mènent ceux qui soupçonnent leurs femmes, combien ce qu'ils mangent, combien ce qu'ils boivent leur paraît insipide. On dirait que leur table est chargée de poisons mortels. Ils fuient comme la peste une maison où ils ne trouvent que chagrins. Plus de sommeil pour eux, plus de nuits tranquilles, plus de réunions d'amis; les rayons mêmes du soleil ne luisent plus pour eux; il n'est pas jusqu'à la lumière, dont ils ne se trouvent importunés, et cela, non-seulement lorsqu'ils ont surpris leurs femmes en flagrant délit, mais sur un simple soupçon. Eh bien ! songez que ces souffrances sont également celles de votre femme, si elle vient à apprendre de quelqu'un, ou seulement à soupçonner que vous vous êtes abandonné à une concubine. Que cette pensée vous fasse éviter non-seulement l'adultère, mais jusqu'au soupçon de ce crime; que si votre femme vous soupçonne injustement, calmez-la, persuadez-la. Car ce n'est point par haine ou par déraison, c'est par sollicitude qu'elle agit de la sorte, c'est par un excès de crainte pour sa propriété. Car, ainsi que je l'ai déjà dit, votre corps est sa propriété, et une propriété plus précieuse que tout ce qui lui appartient d'ailleurs. Craignez donc de commettre à son égard la plus grande des injustices, craignez de lui porter le coup mortel. Si vous la méprisez, à tout le moins, redoutez le Seigneur, qui punit les adultères, le Seigneur qui a prononcé contre les fautes de ce genre les plus terribles arrêts. Car pour cette classe de coupables, ainsi qu'il est écrit : Le ver ne mourra point et le feu ne s'éteindra pas. (Marc, IX, 47.)

Mais si vous vous mettez peu en peine de l'avenir, que le présent du moins vous épouvante. En effet beaucoup d'hommes après s'être livrés à des courtisanes ont succombé justement et misérablement aux intrigues dont les avaient circonvenus ces prostituées, jalouses de les détacher de leur constante et légitime épouse, et de les enchaîner complètement à leur propre amour; elles mettent en oeuvre les sortilèges, préparent des philtres, organisent mille enchantements, et souvent, par là , causent à leurs amants d'accablantes infirmités, les jettent dans la langueur et dans la consomption, les précipitent dans un abîme de maux où ils trouvent la fin de leur vie terrestre. Si tu ne crains pas la géhenne, toi qui m'entends, redoute les enchantements de ces femmes. Lorsque par ton incontinence tu t'es privé de l'appui du Seigneur, quand tu t'es dépouillé toi-même de sa céleste protection, c'est alors que ta concubine, te trouvant sans appui, peut impunément, avec l'aide de ses démons qu'elle invoque, des amulettes qu'elle fabrique, des embûches qu'elle dresse; c'est alors, dis-je, qu'elle peut sans nulle peine consommer ta perte, après avoir (186) fait de toi un objet d'opprobre et de risée pour toute la ville, au point qu'il ne te reste plus même la consolation d'être plaint. Car il est écrit : Qui donc aura pitié de l'enchanteur mordu par un serpent et de tous ceux qui approchent des bêtes féroces? (Eccli. XII, 13.)

Je passe sous silence les pertes d'argent, les défiances quotidiennes, l'arrogance, l'orgueil, l'insolence dont les courtisanes accablent leurs folles victimes, supplice mille fois plus douloureux que la mort. Tu ne supportais pas de ta femme une parole un peu vive, et tu courbes la tête sous les soufflets d'une prostituée. Et tu ne sens point de honte, tu ne rougis pas, tu ne souhaites pas que la terre s'entr'ouvre pour t'engloutir? Comment oseras-tu venir à l'église, et élever les mains vers le ciel ! Comment invoquer Dieu avec cette bouche souillée par les baisers d'une courtisane? Et tu n'as pas peur, tu ne trembles pas, dis-moi, que la foudre, tombant du ciel, n'embrase ce front sans pudeur? Tu as pu cacher à ta femme ta trahison, mais tu ne la cacheras pas à l'œil qui ne s'endort point; car, à cet adultère qui disait Les ténèbres et des murs m'entourent; qu'ai-je à craindre? Le Sage a répondu que les yeux du Seigneur ont mille fois plus de lumière que le soleil, pour regarder les oeuvres des hommes. (Eccli. XXIII, 26, 28.) Voilà pourquoi Paul a dit toutes ces choses: Que chaque homme ait sa femme, et chaque femme son mari; que le mari rende à sa femme l'affection qu'il lui doit, et pareillement la femme à son mari. (I Cor. VII, 2, 3.) Un miel, découle des lèvres de la courtisane, lequel, sur le moment, flatte ton gosier; mais plus tard tu le trouveras plus amer que le fiel, et plus acéré qu'un glaive à deux tranchants. (Prov. V, 3, 4.)

Il y a du poison dans le baiser de la courtisane, un poison secret et dissimulé. Pourquoi donc courir après un plaisir réprouvé, pernicieux, qui cause des plaies incurables, au lieu de vivre dans le bonheur et dans la sécurité? Auprès de ta femme légitime tu trouves à la fois plaisir, sûreté, délassement, respect, considération et bonne conscience; là, au contraire, tout est amertume, tout est dommage, et tu es sous le coup d'une accusation perpétuelle. Car, à supposer même que personne ne t'ait vu, ta conscience ne cessera de porter témoignage contre toi; vers quelque lieu gaie tu t'échappes, partout te suivront les reproches, les cris formidables de cet implacable accusateur. Si donc vous recherchez le plaisir, fuyez le commerce des courtisanes. Car il n'y a rien de plias pénible que cette fréquentation, rien de plus intolérable que ces rapports, rien de plus infâme que cette société. Qu'elle soit ta biche la plus chère, ton faon de prédilection; que ta fontaine soit la source où tu puises. (Prov. V, 19 et 15.) Quand tuas sous la main une source d'eau limpide; pourquoi courir à un marais fangeux qui exhale l'odeur de la géhenne et des inexprimables tourments? Quelle est ton excuse? ton titre à la miséricorde? Si ceux qui, tombent dans la fornication avant le mariage sont punis et expient leur faute, comme celui, qui était revêtu d'habits sordides, à plus forte, raison les fornicateurs mariés. Car, dans ce cas, le grief est double et triple, et parce que, les consolations dont ils jouissent ne les ont pas empêchés de se jeter dans de pareils désordres,. et parce que leur crime n'est plus compté seulement pour fornication, mais encore pour adultère, ce qui est le plus grave des péchés.

Ne cessons donc point de nous répéter à nous-mêmes et de répéter à nos femmes ces maximes; et c'est pourquoi je veux finir moi-même sur ces paroles: A cause de la fornication, que chaque homme ait sa femme, et chaque femme son mari. Que le mari rende à sa femme l'affection qui lui est due, et pareillement la femme à son mari. La femme n'a pas puissance sur son corps; c'est le mari. De même, le mari n'a pas puissance sur son corps, c'est la femme. Conservons précieusement ces paroles dans notre mémoire; sur la place publique, à la maison, le jour, le soir, à table, au lit, partout enfin; méditons-les, habituons nos femmes à nous les citer, à se les entendre citer par nous, afin qu'avant passé chastement, la vie présente, nous soyons admis au royaume des cieux, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui, gloire au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

 

 

DEUXIÈME HOMÉLIE.
La femme est liée à la loi aussi longtemps que vit son mari ; que si son mari s'endort, elle est libre de se marier à qui elle voudra, mais souvent dans le Seigneur, Cependant elle sera plus heureuse si elle demeure comme elle est. (I Cor. VII, 39, 40). Et de l'acte de répudiation.

ANALYSE.

1° Qu'il est défendu d'épouser une femme répudiée. — Les lois da monde ne peuvent prévaloir contre la loi divine.

2° Motifs;de la loi mosaïque concernant la répudiation. — Transition à la loi nouvelle.

3° Adultère de l'homme qui épouse une femme répudiée. — Adultère de l'homme marié qui commet la fornication avec une femme quelconque.

4° Sagesse de Paul : sa condescendance pour la faiblesse humaine. — Compensations attachées même, en ce monde, à la constance dans le veuvage.

5° Comment s'opère la purification de l'âme. — Exhortation.

1. L'autre jour, le bienheureux Paul nous formulait la loi du mariage, et nous en exposait les vrais principes ; vous avez entendu ce qu'il écrivait, ce qu'il disait aux Corinthiens : Quant aux choses dont vous m'avez écrit, il est avantageux à l'homme de ne toucher aucune femme. Mais, à cause de la fornication, que chaque homme ait sa femme, et chaque femme son mari. (I Cor. VII, 1, 2.) Aussi avons-nous consacré nous-même tout (entretien à ces paroles. Or aujourd'hui il faut encore que nous revenions sur le même sujet puisque Paul nous en parle encore aujourd'hui. En effet, vous avez entendu avec quelle force il nous crie : La femme est liée à la loi aussi longtemps que vit son mari; que si son mari s'endort, elle est libre de se marier à qui elle voudra, mais seulement, selon le Seigneur. Cependant elle sera plus heureuse si, selon mon conseil, elle demeure comme elle est : or, je pense que, j'ai, moi aussi, l'Esprit dit Seigneur. (I Cor. VII, 39, 40.) Attachons-nous donc à ses pas encore aujourd'hui, et entretenons-nous de ce sujet; car en marchant sur la trace de Paul, c'est vraiment le Christ que nous suivrons en sa personne, puisque l'Apôtre a écrit constamment , non par lui-même, mais sous la dictée du Seigneur. En effet, ce n'est pas une affaire de peu d'importance qu'un mariage selon les règles; et mille infortunes attendent ceux qui n'en usent point comme il convient. La femme, qui est une auxiliaire, devient parfois un ennemi secret. Le mariage, qui est un port, peut aussi devenir un écueil, non en vertu de sa nature propre, mais par la faute de ceux qui ne savent pas en faire un bon usage. En effet, l'époux qui se conforme aux lois conjugales trouve dans sa maison, dans sa femme, une consolation, un asile contre tous les maux, publics ou autres, qui peuvent le frapper. Au contraire, celui qui traite légèrement et sans réflexion, cette seule affaire, quand la place publique serait pour lui sans orages , ne verra plus en rentrant chez lui que récifs et rochers dangereux. Il faut donc, puisqu'il y va pour nous de si grands intérêts, apporter une grande attention à ces paroles; il faut que celui qui veut prendre femme commence par se conformer en cela aux lois de Paul, disons mieux, aux lois (188) du Christ. Je le sais, ce précepte paraît nouveau et extraordinaire à un bon nombre. Je ne me tairai point pour cela, mais, après vous avoir lu d'abord la loi, je m'efforcerai ensuite de lever la contradiction qu'on croit y trouver. Quelle est donc la loi que Paul nous impose? La femme, dit-il, est liée à la loi; donc, tant que son mari est en vie, elle ne doit pas s'en séparer, ni prendre un autre époux, ni convoler en secondes noces. Et voyez avec quelle exactitude, avec quelle justesse de termes il s'exprime ! Il ne dit pas : Elle doit habiter avec son mari tant qu'il est en vie; mais bien, la femme est liée à la loi aussi longtemps que vit son mari, de telle sorte que, à supposer même que son mari lui ait donné un acte de répudiation , qu'elle ait alors quitté la maison et soit allée habiter chez un autre, elle est liée à la loi, elle est coupable d'adultère.

Si donc le mari veut renvoyer sa femme, ou la femme quitter son mari, il faut que celle-ci se rappelle ce précepte, qu'elle se représente Paul la suivant et lui criant aux oreilles : La femme est liée à la loi. Ainsi que les serviteurs fugitifs traînent encore leur chaîne derrière eux après s'être évadés de la maison de leur maître, ainsi les femmes, même après qu'elles ont quitté leur mari, restent enchaînées par la loi qui les condamne, qui les accuse d'adultère, elles et leurs complices. Ton époux vit encore, dit-elle, et ton acte est un adultère. Car la femme est liée à la loi aussi longtemps que vit son, mari. Et, quiconque épouse une femme répudiée commet un adultère. (Matth. V, 32.) Mais, quand donc, dira-t-on, lui sera-t-il permis de convoler en secondes noces ? — Quand? lorsqu'elle sera délivrée de sa chaîne, lorsque son époux sera mort. Cependant voulant exprimer cela, il n'a pas dit si son mari meurt, elle est libre d'épouser qui elle voudra, mais si son mari s'endort, comme s'il voulait consoler la femme en son veuvage, et lui persuader de s'en tenir à son premier époux, de n'en pas prendre un second. Ton mari n'est pas mort, il dort seulement. Qu'est-ce qui n'attend pas un homme endormi ?Voilà pourquoi il dit : S'il s'endort, elle est libre de se marier à qui elle voudra. Il n'a pas dit qu'elle se marie, pour ne point paraître la forcer, la contraindre. Il ne l'empêche pas de contracter, si elle le veut, un second mariage, il ne l'y engage pas si elle ne le veut point; il se borne à lui lire la loi : Elle est libre de se marier à qui elle voudra. Mais , en disant qu'elle est devenue libre par la mort de son mari, il montre qu'avant cela, et de son vivant, elle était esclave; or, tant qu'elle est esclave et soumise à la loi, quand même elle ' aurait reçu mille actes de répudiation, elle tombe sous le coup de la loi qui concerne l'adultère. Les serviteurs peuvent quitter leurs maîtres pour d'autres du vivant des premiers, mais les femmes ne peuvent changer de maris tant que leur premier époux est en vie, car c'est un adultère. Ne viens donc pas me lire les lois qui sont à l'usage du monde , les lois qui prescrivent de donner un acte de répudiation, et de divorcer ensuite. Car ce n'est point d'après ces lois-là que Dieu doit te juger au grand jour, mais d'après celles que lui-même a promulguées. Que dis-je? les lois mêmes du siècle n'établissent point cela d'une manière absolue, ni comme article principal; elles-mêmes punissent ce péché, ce qui témoigne assez qu'elles le réprouvent. Elles dépouillent de tous ses biens et chassent, sans lui laisser de ressources, l'épouse qui a mérité d'être congédiée, et punissent de la perte de sa fortune celui qui a été l'occasion du divorce; et certes, si elles statuent ainsi sur ce fait, c'est qu'elles ne l'approuvent point.

2. Et Moïse? il a statué de même pour un pareil motif; mais écoutez ce que dit le Christ: Si votre justice n'est pas plus abondante que celle des Scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. (Matth: V, 20.) Ecoutez encore cette autre parole. Quiconque renvoie sa femme, hors le cas d'adultère, la rend adultère; et quiconque épouse une femme renvoyée commet un adultère. (Ib., 32.) Si le Fils unique de Dieu est venu sur la terre, s'il a pris la forme d'un esclave, s'il: a versé son précieux sang, s'il a détruit la mort, s'il a éteint le péché, s'il a répandu plus libéralement le bienfait de l'Esprit, c'est pour vous initier à une sagesse plus profonde. Et d'ailleurs, si Moïse a porté cette loi, ce n'est. Point comme une loi fondamentale; c'est parce qu'il était forcé de condescendre à la faiblesse des siens. Les voyant prêts au meurtre, accoutumés à souiller leurs foyers du sang des, leurs, à n'épargner ni parents ni étrangers, et craignant qu'ils n'égorgeassent leurs femmes, s'ils étaient forcés de les garder contre, leur gré, il leur a permis de les renvoyer, afin d'empêcher un mal plus grand, les meurtres (189) multipliés. Ce qui prouve que les Juifs étaient homicides, ce sont ces paroles des prophètes eux-mêmes : Edifiant Sion dans le sang, et Jérusalem dans les iniquités (Mich. III, 10) ; et encore : Ils mêlent le sang au sang (Osée, VI, 2); et ailleurs : Vos mains sont pleines de sang. (Isaïe, I, 15.) Et ce n'est pas seulement contre les étrangers, c'est encore contre leurs poches que se déchaînait leur fureur, comme le montrent ces mots du Prophète : Et ils ont immolé leurs fils et leurs filles aux démons (Ps. CV, 37) ; or ceux qui n'épargnaient pas leurs enfants n'auraient pas davantage épargné leurs femmes. C'est donc afin d'empêcher Cela qu'il accorda cette permission; aussi le Christ, lorsque les Juifs lui demandèrent : Comment donc Moïse a-t-il permis de donner à sa femme un acte de répudiation ? voulant montrer que la loi de Moïse ne contredisait point la sienne, répondit à peu près en ces termes : Moïse a parlé ainsi à cause de la dureté de vos coeurs; mais au commencement il n'en fut pas ainsi; Celui qui fit l'homme au commencement les fit mâle et femelle. (Matth. XIX, 8 et 4.) Si cela était honnête, veut-il dire, Dieu n'aurait pas fait un homme et une femme seulement; après avoir fait un seul homme, Adam, il aurait créé deux femmes, pour le cas où celui-ci aurait voulu renvoyer l’une et prendre l'autre; mais, par le mode même de sa création, il a établi la loi que je promulgue maintenant. Quelle est donc cette loi? c'est que l'homme conserve jusqu'à la fin la femme qui lui est échue d'abord; cette loi ? c’est plus ancienne que l'autre, et cela, de toute la distance qui sépare Adam de Moïse. Par conséquent je n'innove point, je n'introduis point de dogmes étrangers, mais des dogmes anciens et antérieurs à Moïse.

Mais il faut entendre la loi même de Moïse sur ce sujet : Si quelqu'un, dit-il, a pris une femme et qu'il ait habité avec elle; si elle ne trouve pas grâce devant lui, parce qu'il aura trouvé en elle un fait d'ignominie, il lui écrira un acte de répudiation, et le lui donnera entre les mains. (Dent. XXIV, 1.) Voyez ! Il n'a pas dit qu'il écrive, qu'il lui donne : que dit-il donc? Il lui écrira un acte de répudiation et le lui donnera entre les mains. C'est bien différent. En effet, dire qu'il écrive, qu'il ;donne, c'est un ordre, une injonction. Mais dire: Il écrira un acte de répudiation, et le lui donnera entre les mains, c'est annoncer un fait, et non pas introduire une loi qu'on a imaginée. Si quelqu'un, dit-il encore, a congédié sa femme, et l'a renvoyée de sa maison, et qu'après l'avoir quitté elle ait appartenu à un autre homme, et que ce dernier homme aussi l'ait prise en haine, et qu'il lui ait écrit un acte de répudiation, et qu'il le lui ait remis entre les mains, et qu'il l'ait renvoyée de sa maison, ou que l'homme soit mort qui l'avait prise pour femme, l'homme qui l'aura précédemment renvoyée ne pourra la rappeler et la prendre pour épouse. (Ib. V, 2-4.) Ensuite, voulant montrer qu'il n'approuve pas cette conduite , que ce n'est pas ainsi qu'il entend le mariage, et qu'il ne fait que condescendre à la faiblesse des Juifs, après ces mots: L'homme qui l'aura précédemment renvoyée ne pourra la prendre pour femme, il ajoute : Après qu'elle aura été souillée (Ib. V, 4) : façon de parler qui indique suffisamment que ce second mariage, contracté du vivant du premier époux, est une souillure plutôt qu'un mariage. Voilà pourquoi il n'a pas dit: Après qu'elle se sera remariée. Voyez-vous comme ses paroles concordent avec celles du Christ? Après cela, il ajoute la raison : Parce que c'est une abomination devant Dieu. (Ib. V, 4.) Voilà pour ce qui regarde Moïse. Mais le prophète Malachie indique la même chose bien plus' explicitement, ou plutôt ce n'est point Malachie, c'est Dieu par la bouche de Malachie; et voici ses paroles: Est-il convenable de jeter les yeux sur votre sacrifice, ou d'agréer quelque chose sortant de vos mains ? (Malach. II, 13.) Puis, après la réponse : Pourquoi as-tu abandonné la femme de ta jeunesse? (Ib. 14.) Enfin, faisant voir l'énormité de cette faute, et refusant toute miséricorde à celui qui l'a commise, il renforce encore l'accusation par ce qu'il ajoute : Et celle-ci était ta compagne, et la femme de ton pacte, et le reste de ton esprit, et ce n'est pas une autre qui l'a faite. (Ib.) Voyez que de titres il allègue ! d'abord l'âge, la femme de ta jeunesse; puis l'intimité : Et celle-ci était ta compagne; puis le mode de création : Le reste de ton esprit.

3. Mais à la suite de tout cela, vient quelque chose de bien plus considérable, la majesté de celui qui l'a faite. Car c'est là ce que signifie: ce n'est pas un autre qui l'a faite. Tu ne peux objecter, veut-il dire, que tu as été fait par Dieu, tandis qu'elle n'a pas été faite par lui, mais par quelque être inférieur; c'est un même et unique créateur qui vous a donné l'existence (190) à tous deux; de telle sorte que, par égard pour ce titre, sinon pour les autres, tu dois lui garder ta tendresse. En effet, si l'an voit souvent des esclaves, après une querelle, se réconcilier par cette seule raison qu'ils doivent obéissance à un seul et même maître, à plus forte raison doit-il en être ainsi de nous, quand nous n'avons, à nous deux, qu'un créateur et qu'un maître.

Vous voyez comment l'Ancien Testament lui-même prélude déjà, pour ainsi dire, aux règles de la nouvelle sagesse. En effet, lorsque les Juifs vivaient depuis longtemps sous l'ancienne loi; qu'il fallait les amener à des préceptes plus parfaits, que leur constitution approchait déjà de sa fin, dès lors le prophète, profitant des circonstances, les achemine à cette nouvelle sagesse. Obéissons donc à cette belle loi, affranchissons-nous de tout ce qui nous déshonore, interdisons-nous et de renvoyer nos femmes, et de recevoir celles que d'autres auront renvoyées. Et de quel front, verras-tu le mari de cette femme ? de quel œil lés amis de cet homme, ses serviteurs? Si celui qui épouse la femme d'un mort éprouve un sentiment de peine et de dépit pour peu qu'il ait vu l'image du défunt, quelle sera l'existence de celui qui aura sous les yeux l'époux, encore vivant, de sa femme? Dans quelles dispositions rentrera-t-il chez lui? Avec quels sentiments, avec quels yeux verra-t-il cette femme d'un autre qui est devenue la sienne?

Mais plutôt ne l’appelons ni l'épouse d'un autre ni la sienne; une prostituée n'est la femme de personne. Elle a foulé aux pieds le pacte qui l'unissait à son premier mari; et elle est venue à toi sans l'aveu des lois qui l'obligeaient. Quelle folie ne serait-ce pas d'introduire chez vous un si dangereux fléau ? Est-ce qu'il y a disette de femmes? Pourquoi, lorsqu'il y en a tant que nous pouvons épouser sans enfreindre les lois ni porter le trouble dans nos consciences, courons-nous à celles qui nous sont interdites, pour causer la ruine de nos maisons, y introduire la guerre civile, exciter de toutes parts des haines contre nous, déshonorer notre propre vie, et, ce qui est bien plus terrible que tout le reste, nous préparer une punition sans appel au jour du jugement? En effet, que répondrons-nous à celui qui doit nous juger, quand, après avoir mis la loi sous nos yeux et l'avoir lue, il nous dira : Je t'ai enjoint de ne pas prendre une femme renvoyée, ajoutant que cette action est un adultère. Comment donc as-tu osé contracter un mariage défendu ? que dire alors et que répondre? Il ne s'agira point là-bas d'alléguer les décrets des législateurs du siècle: muets, enchaînés, il faudra nous voir emmener au feu de la géhenne avec les adultères et ceux qui n'ont pas respecté chez les autres les droits du mariage. Car celui qui a répudié sauf le motif indiqué, celui d'adultère, et celui qui épouse une femme répudiée , du vivant de son mari, sont punis pareillement, ainsi que la femme répudiée. la vous avertis donc, je vous prie et vous conjure, hommes, de ne point renvoyer vos femmes, femmes, de ne point quitter vos maris, mais de prêter l'oreille à la parole de Paul: La femme est liée à la loi aussi longtemps que vit son mari; que si son mari s'endort, elle est libre de se marier à qui elle voudra, mais seulement selon le Seigneur.

En effet, quelle indulgence peuvent espérer ceux qui, lorsque Paul autorise les secondes noces après la mort de l'époux, et donne de si grandes facilités, osent passer outre avant cette époque? Quelle excuse reste-t-il, soit à ceux qui, épousent les femmes d'hommes vivants, sait aux hommes mariés qui fréquentent les filles; publiques? Car c'est encore une espèce d'adultère d'avoir commerce avec des courtisanes, quand on a une femme à soi. Et de même que la femme mariée, si elle se livre à un homme, libre ou esclave, qui soit célibataire, n'en tombe pas moins sous le coup de la loi qui concerne l'adultère , de même le mari quand bien même il pèche avec une fille publique ou avec toute autre femme non marié est réputé coupable dû même crime. Fuyons donc aussi cette forme de l'adultère. En effet , qu'aurons-nous à dire, à alléguer après une pareille faute? Quel prétexte spécieux pourrons-nous produire? Les appétits de la nature? Mais la femme qui nous est échue est là, près nous, et nous ôté ce moyen de défense. Si le mariage a été institué, c'est pour prévenir fornication. Mais ce n'est pas seulement la femme, ce sont tant d'autres créatures d'une nature pareille à la nôtre qui nous interdisent cet appel à l’indulgence. Lorsque ton compagnon d'esclavage, dont le corps ressemble au tien, dont les passions sont les tiennes, dont les besoins ne diffèrent point de ceux qui te poussent, ne jette les yeux sur aucune autre femme que la sienne et lui reste fidèles en quoi les (191) passions que tu allègues pourront-elles servir ta justification? Et encore je ne parle que des hommes mariés. Mais songe un peu à ceux qui passent leur vie tout entière dans le célibat, qui n'ont jamais connu le mariage et se sont montrés parfaitement chastes. Quand d'autres sont chastes sans être mariés, quelle miséricorde obtiendras-tu, toi qui vis, étant marié, dans la fornication? Hommes et femmes, veuves et les épouses, écoutez tous ces paroles : car c'est à tout le monde que s'adressent Paul et la loi qui dit : La femme est liée à la loi aussi longtemps que vit son mari; que si son mari s’endort, elle est libre de se marier à qui elle voudra, mais seulement selon le Seigneur. Les épouses, les filles, les veuves, les femmes remariées, toutes enfin ont profit à tirer de ces paroles. L'épouse ne voudra pas, du vivant de son mari, être à un autre, sachant qu'elle est liée tant que son époux est en vie. Celle qui, après avoir perdu son mari, voudra convoler en secondes noces, ne formera pas cette union à la légère ni sans réflexion, mais elle se conformera aux lois de Paul qui dit : Elle est libre de se marier à qui elle voudra, mais seulement selon le Seigneur, c'est-à-dire suivant les règles de la pudeur et de la chasteté. Que si par hasard elle préfère demeurer fidèle à ses engagements envers le défunt, elle apprendra quelles couronnes lui sont réservées, et sera encouragée par là dans sa résolution; car elle sera plus heureuse, dit Paul, si elle demeure comme elle est.

4. Voyez-vous comment ce langage est profitable à tous, en ce que d'une part il condescend à la faiblesse de certaines femmes, tandis qu'il ne frustre pas les autres des éloges qui leur sont dus? Paul, au sujet du premier et du second mariage , tient ici la même conduite qu'à l'égard du mariage et de la virginité. Il n'interdit point le mariage, de peur de surcharger les faibles; il n'en fait point non plus une obligation, afin de ne point priver de leurs futures couronnes ceux qui préfèrent garder leur virginité; mais il montre d'un côté que le mariage est une belle chose, et, de l'autre, fait voir que la virginité est encore préférable. De même, dans cette nouvelle matière, il pose encore des degrés; il nous montre qu'il y a plus de grandeur et d'excellence dans le veuvage, mais qu'à la seconde place et à un rang plus bas viennent les secondes noces; de cette façon, il augmente la vigueur des forts, de ceux qui veulent rester où ils sont, tout en prévenant la chute des faibles. Car, après qu'il a dit : Cependant elle est plus heureuse si elle demeure comme elle est, de peur que vous ne voyiez là une loi humaine, en l'entendant dire : selon mon conseil, il ajoute : Or, je pense que j'ai, moi aussi, l'Esprit du Seigneur. Ainsi vous ne pouvez dire que ce soit là la pensée d'un homme : c'est une révélation due à l'Esprit, c'est une loi divine. N'allons donc pas croire que c'est Paul qui nous parle ainsi : c'est le Paraclet qui promulgue cette loi à notre usage. Que s'il dit je pense, ce n'est point par ignorance qu'il parle ainsi, mais par modestie et par humilité. Il dit donc que la femme sera plus heureuse clans le veuvage; mais comment sera-t-elle plus heureuse? c'est ce qu'il ne dit pas, parce qu'il a donné une preuve suffisante en montrant que c'est l'Esprit qui lui a dicté son affirmation. Voulez-vous maintenant vérifier cela par la réflexion ? Les preuves ne vous manqueront point, et vous trouverez que la veuve est plus heureuse, non-seulement dans l'éternité d'outre-tombe, mais encore dans la vie présente. Paul savait parfaitement cela, lui qui fit entendre la même chose encore en parlant des vierges. Voulant recommander et conseiller la virginité, il s'exprime à peu près en ces termes : Je pense qu'il est avantageux à l'homme d'être ainsi à cause de la nécessité pressante. (I Cor. VII, 26.) Et ailleurs : Si une vierge se marie, elle ne pèche pas. (Ibid. V, 28.) Par ce mot : vierge, il entend ici non point celle qui a renoncé, mais seulement celle qui n'est point mariée, sans s'être assujettie par un voeu à l'obligation d'une virginité perpétuelle. Toutefois ces personnes auront les tribulations de la chair; pour moi, je voudrais vous les épargner. (Ibid.)

Par cette seule et simple parole, il laisse aux auditeurs à repasser dans leur âme les maux de l'enfantement, lés soins de la maternité, les inquiétudes, les maladies, les morts prématurées, les brouilles les querelles, l'obéissance à mille caprices, la responsabilité des fautes d'autrui, les chagrins sans nombre appesantis sur une seule âme. Elle échappe à tous ces maux, celle qui fait choix de la continence, et, outre l'exemption de ces ennuis, une magnifique récompense lui est réservée dans la vie future. Tâchons donc, nous qui savons tout cela, de nous en tenir au premier mariage. Que si néanmoins nous avons le dessein d'en contracter un second, que ce soit suivant les (192) formes et les règles prescrites, suivant les lois de Dieu. Voilà pourquoi Paul a dit: Elle est libre de se marier à qui elle voudra, et, tout de suite après : mais seulement selon le Seigneur. Par là, en même temps qu'il donne une permission, il la protégé contre l'abus; en même temps qu'il accorde une faculté, il la circonscrit entre les limites des lois dont il l'enceint de toutes parts; de sorte que, par exemple, la femme n'introduise point dans la maison des hommes dissolus et sans moeurs, des histrions, des fornicateurs; mais qu'elle observe les règles de la pudeur, de la chasteté, de la piété, afin que toutes choses tournent à la gloire de Dieu. C'est parce qu'on avait vu souvent des femmes, rendues libres par la mort de leurs époux, lesquelles, précédemment adultères, persistaient, en s'unissant à d'autres, dans ce genre de liaison , et imaginaient d'autres pratiques abominables; c'est pour cela, dis-je, que Paul ajoute : Mais seulement dans le Seigneur. Cela, afin que le second mariage n'offre rien de pareil : car, à cette condition seule, il pourra être innocent. En effet, le mieux est d'attendre le mort, de rester fidèle à ses engagements envers lui, de garder la continence, de rester auprès des enfants qu'il a laissés, et de mériter ainsi une plus abondante part dans les bontés de Dieu. Si l'on veut cependant s'unir à un second époux, que ce soit suivant les règles de la chasteté, de la pudeur, suivant les lois établies; car cela est permis, il n'y a d'interdit que la fornication et l'adultère.

Fuyons donc ces crimes, que nous soyons ou non mariés; 'ne déshonorons point notre vie, n'exposons point notre existence au mépris, ne souillons point notre corps, n'introduisons aucun remords dans notre conscience. Et comment oserais-tu entrer dans l'église en sortant de chez les prostituées? Comment élever au ciel ces mêmes bras dont tu étreignais une courtisane, comment remuer cette langue, comment prononcer une invocation avec cette bouche qui touchait ses lèvres? De quel oeil regarderas-tu ceux de tes amis qui ont quelque pudeur? Que dis-je? tes amis! Quand bien même personne ne connaîtrait ta faute, c'est devant toi surtout qu'il te faudra rougir de confusion, et rien ne t’inspirera plus de dégoût que ton propre corps. Sinon pourquoi courir au bain après ce péché? N'est-ce point que te juges toi-même plus impur que le plus immonde bourbier? Quelle autre preuve plus convaincante veux-tu de l'impureté de ton asti et quel verdict dois-tu attendre du Seigneur quand toi-même, toi, le coupable, tu portes pareil jugement sur ta conduite?

Ils ont raison de se trouver impurs :,c'es merveille, et je les approuve; mais ils ne recourent point au vrai moyen de se purifier; c'est pourquoi je les blâme et les accuse. Si la souillure était corporelle, c'est avec raison que vous chercheriez à vous en purifier par le bain ; mais c'est votre âme que vous avez souillé que vous avez rendue impure : cherchez donc un moyen de purification qui soit propre à laver sa tache. Or, quel est le bain qui convient pour un tel péché? Un torrent de larmes brûlantes, des gémissements sortis du fond de poitrine, une perpétuelle componction, des prières assidues, des aumônes, d'abondantes aumônes, le repentir du péché commis, l'attention à n'y point retomber : c'est ainsi que se lave le péché, c'est ainsi que l'âme se purifie de ce qui la souille. Si nous négligeons ces moyens, c'est en vain que nous traverserions le courant de tous les fleuves: nous n'y laisserions pas la moindre parcelle de notre péché. Le mien sans doute, est de ne plus s'exposer à commettre cet abominable péché. Mais si par hasard le pied nous a manqué, employons ces remèdes, après avoir fait voeu d'abord de ne point retomber dans la même faute. Car, si au moment du péché nous condamnons ce que nous venons de faire, et qu'ensuite nous recommencions, c'est en vainque nous aurons voulu nous purifier. Se baigner pour retourner ensuite à se rouler au même bourbier, détruire ce qu'on a édifié, et réédifier ensuite, cela ne sert à rien qu'à perdre son temps et sa peine. Et nous, notre côté, si nous ne voulons prodiguer inutilement notre vie, purifions-nous de nos péchés précédents, et passons tout le reste de notre vie dans la chasteté, dans la réserve, dans toutes les vertus enfin : afin qu'ayant Dieu favorable, nous obtenions le royaume des cieux, par grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

 

TROISIÈME HOMÉLIE. Sur le choix d'une épouse.
ANALYSE.

Le titre ci-dessus annonce le véritable sujet de cette homélie. Les mots : Eloge de Maxime, dont on le fait précéder généralement, nous ont paru devoir être supprimés : outre qu'ils manquent dans deux manuscrits, il n'est question de Maxime que dans le premier paragraphe du discours; c'est tout à fait accidentellement, comme on le verra, que saint Jean Chrysostome fait l'éloge de son collègue avant d'entrer en matière.

1° Eloge de Maxime, collègue de saint Jean Chrysostome.

2° Que le repentir est une partie de la justification.

3° Entrée en matière : Longues réflexions qu'exige le mariage.

4° Les lois du mariage sont écrites chez saint Paul. — De l'amour qu'on doit à son épouse

5° La patience, obligation du mari.

6° Comparaison entre Eve et l'Eglise.

7° Qu'il faut préférer sa femme à ses parents.

8° Destination de la femme : elle doit être l'auxiliaire de son époux. — Contre les mariages d'argent. — But de l'institution du mariage.

9° Exemple tiré du mariage d'Isaac. — Commentaire sur le récit de l'Écriture sainte. — Abraham proposé comme exemple aux parents, Rébecca, aux vierges et aux jeunes femmes..

10° Exhortation aux parents et aux jeunes gens à marier.

1. J'ai manqué à votre précédente réunion, et j'en ai été fâché : mais le festin n'en a été que plus somptueux et je m'en suis réjoui. Celui qui partage avec moi le soin de cultiver vos âmes est celui qui l'autre jour a ouvert le sillon: sa riche éloquence a versé la graine; son infatigable sollicitude a fait l'oeuvre du laboureur. Vous avez vu la pureté de ce langage, vous avez ouï l'élégance de cette diction; vous avez été abreuvés de l'eau qui jaillit vers la vie éternelle; vous avez vu la source qui lance des torrents d'or pur. On cite un fleuve qui porte des paillettes d'or aux habitants de ses rives, non que les eaux aient la vertu de donner naissance à l'or; mais comme les sources de ce fleuve traversent par hasard des montagnes renfermant des mines, le courant, dans son trajet, s'enrichit aux dépens de cette terre fortunée, et devient un trésor pour les riverains qui n'ont qu'à recueillir ces présents du hasard. Pareil à ce fleuve, le maître qui vous a parlé l'autre jour, en parcourant la mine des saintes Écritures, y a recueilli les pensées, incomparablement plus précieuses que l'or, dont il a fait largesse à vos âmes. Les miennes, je le sais, vous paraissent aujourd'hui bien peu de chose. L'homme habitué à une table indigente s'est-il vu admettre par hasard à un banquet moins frugal: s'il lui faut maintenant retourner à son ancien régime, il n'en sentira que mieux sa pauvreté.

Néanmoins je ne reculerai point devant ma tâche. Car vous savez, pour l'avoir appris de Paul, manger et souffrir la faim, avoir du superflu et manquer du nécessaire, admirer lo riche et ne point mépriser le pauvre. Et de même que ceux qui aiment à boire font fête au bon vin, sans dédaigner celui qui ne le vaut pas; de même, dans votre passion pour la céleste parole; vous prisez le talent chez vos maîtres, mais ceux qui sont moins habiles n'en rencontrent pas moins en vous une ardeur et un zèle peu communs. En effet, l'homme indolent et dissolu manque d'appétit, même (194) devant une table bien servie; au contraire, l'homme actif et sobre, celui qui a faim et soif de la justice, court avec joie s'asseoir à un repas frugal. Et que mes paroles ne sont point flatterie, c'est ce que vous-mêmes avez bien fait voir dans notre précédent entretien. Nous vous parlions longuement du mariage: nous vous montrions que c'est un véritable adultère que de répudier sa femme, ou d'épouser une femme répudiée, du vivant de son premier mari; nous vous lisions la loi du Christ ainsi conçue: Quiconque épouse une femme répudiée se rend coupable d'adultère; quiconque répudie sa femme, hormis le cas de prostitution, la rend adultère. (Matth. V, 32.) Je vis alors beaucoup d'entre vous baisser la tête, se frapper le visage, n'oser lever les yeux; alors, portant mes regards au ciel, je n'écriai: Loué soit le Seigneur de ce que notre voix ne frappe point des oreilles privées de vie, de ce que nos paroles saisissent les esprits de nos auditeurs, et les ébranlent si fortement ! Le mieux sans doute est de ne point pécher du tout: mais c'est quelque chose encore, à l'égard du salut, que d'être contristé après le péché, de porter condamnation contre son coeur, de flageller sa conscience avec un scrupule acharné; untel repentir fait partie de la justification, et c'est le chemin qui mène à ne plus jamais pécher. Voilà pourquoi Paul se réjouissait quand il avait affligé ses auditeurs, non de les avoir affligés, mais de les avoir corrigés en les affligeant: Je me réjouis, dit-il, non de vous voir affligés, mais de vans voir dans cette affliction qui mène au repe2zlir; car toute affliction selon Dieu produit usa repentir de salut. (II Cor. VII, 9, 10:) Que ce soient vos péchés ou ceux des autres qui vous aient jetés dans la tristesse, le ne puis dire combien vous méritez d'éloges. Pleurer sur le sort d'autrui, c'est montrer des entrailles apostoliques, c'est imiter l'Esprit-Saint dont voici les paroles: Qui peut souffrir, sans que je souffre? Qui peut être scandalisé sans que je sois dans les angoisses? (II Cor. XI, 29.) Avoir du regret de ses propres péchés, c'est éteindre la flamme préparée pour le châtiment de ses fautes antérieures, c'est se rendre pour l'avenir, grâce à ce chagrin, moins sujet à tomber. Et c'est pour cela que moi-même, vous voyant baisser la tête, sangloter, vous frapper le visage, je me réjouissais en songeant au fruit de cette douleur: c'est pour cela qu'aujourd'hui encore, je vous entretiendrai du même sujet, afin que ceux qui veulent entrer en ménage réfléchissent mûrement à ce qu'ils vont faire. En effet, s'agit-il pour nous d'un achat de maisons ou de serviteurs, nous prenons mille peines, nous tournons autour du possesseur actuel, des précédents propriétaires. Il nous faut connaître dans un cas l'état du mobilier, dans l'autre la constitution physique et les principes moraux. A plus forte raison, avant de se marier, doit-on prendre autant et bien plus de précautions.

On peut revendre une maison dont on est mécontent; on peut renvoyer un serviteur incapable à la personne qui s'en est défaite, mais une épouse, on ne peut la rendre à ceux dont on la tient; de toute nécessité il faut la garder chez soi pour toujours, ou, si l'on s'en débarrasse en la chassant, être convaincu d'adultère selon les lois de Dieu. Ainsi, quand tu voudras te marier, ne te bornes pas à lire les lois qui sont faites pour le monde: lis d'abord, lis celles qui ont force parmi nous. Car c'est d'après celles-ci, et non pas sur les autres, que dans le grand jour Dieu te jugera: en négligeant ces dernières, c'est une perte d'argent que souvent l'on encourt, mais celles dont je parle appellent sur leurs transgresseurs les supplices éternels et la flamme inextinguible de l'enfer.

2. Cependant quand vous voulez vous marier, vous n'avez rien de plus pressé que de courir chez les jurisconsultes du siècle; là, vous vous installez, vous vous enquérez minutieusement de ce qui arrivera si la femme meurt sans enfants, ou, au contraire, si elle . laisse un, deux, trois enfants ; due deviendront ses biens selon qu'elle aura encore son père, ou qu'elle l'aura perdu ? quelle part de son héritage doit revenir à- ses frères, quelle part à son mari? Dans quel cas celui-ci aura. t-il droit à la totalité, et pourra-t-il s'opposer à ce qu'il en soit rien distrait en faveur de personne? et mille autres questions pareilles dont vous harcelez des légistes : démarches, pré.. cautions, rien ne vous coûte- pour empêcher les parents de la femme de s'immiscer à aucun titre dans ses affaires; et pourtant, comme je l'ai dit plus haut, dût-il advenir quelque accident imprévu, il ne s'agirait que d'une perte d'argent, ce qui ne vous empêche pas de mettre en oeuvre toute votre vigilance. Eh bien ! si pour éviter un préjudice pécuniaire, nous déployons tant d'activité , ne serait-il pas absurde, quand il est question du péril de notre âme et des comptes qui se règlent (195) là-haut, de ne donner aucun soin à une affaire qui réclame, avant toute autre, notre zèle, notre empressement et notre sollicitude?

En conséquence, j'invite et j'exhorte ceux qui veulent se marier à prendre conseil du bienheureux Paul , à lire lés lois qu'on trouve chez lui au sujet des mariages, à s'instruire d'abord des recommandations qu'il adresse à l'homme auquel est échue une femme vicieuse, corrompue, adonnée au vin , acariâtre, sans jugement, ou frappée de quelque autre imperfection ; et alors seulement à entrer en pourparlers au sujet du mariage. Si tu vois que Paul te permet , pour peu que tu découvres chez ta femme un de ces défauts, de la répudier -et d'en prendre une autre, il n'y a plus aucun risque et tu peux te rassurer. Mais s'il te refuse ce droit et t'ordonne au contraire de tout endurer chez ta femme, hormis la prostitution, et de la garder chez toi, quels que soient ses défauts , alors affermis-toi dans cette pensée qu'il te faudra subir tous les vices de ta femme; que si cette obligation te paraît rigoureuse et intolérable, n'épargne ni tes soins, ni ta peine pour te pourvoir d'une épouse bonne, sage et docile, et ne perds point de vue cette alternative imposée au mari d'une femme vicieuse, ou de supporter les ennuis qu'elle lui cause, ou, s'il s'y refuse et la répudie, d'avoir à répondre d'un adultère. Car il est écrit : Quiconque répudie sa femme, hormis le cas de prostitution, la rend adultère; et quiconque épouse une femme répudiée se rend coupable d’adultère. (Matth. V, 32.) Une fois bien pénétrés, avant le mariage, de ces réflexions et bien instruits de ces lois, nous mettrons tous nos soins à faire choix, tout d'abord, d'une femme vertueuse et bien assortie à notre humeur; cela fait, nous n'y gagnerons point seulement de ne la répudier jamais, mais encore de l'aimer avec une profonde tendresse, ainsi que Paul le recommande. En effet, il ne se borne pas à dire : Hommes, aimez vos femmes (Ephés. V, 25) ; mais il indique encore le degré de cette affection en ajoutant: Comme le Christ a aimé l'Église. Mais comment, dis-moi, le Christ l'a-t-il aimée ? Jusqu'à se sacrifier pour elle. Ainsi, fallût-il mourir pour ta femme, ne marchande point. Si le Seigneur a aimé son esclave au point de se donner pour elle, à plus forte raison dois-tu le même amour à ta compagne d'esclavage. Mais peut-être est-ce la beauté de l'épouse qui a entraîné l'époux, ou les vertus de son âme? On ne saurait le prétendre, car la suite montre qu'elle était laide et sordide; écoutez plutôt : Il s'est sacrifié pour elle, vient-il de dire, et il ajoute: Afin de la sanctifier en la purifiant par l'eau. Par ce mot purifier, il fait entendre qu'elle était impure et souillée, et non point d'une souillure comme une autre, mais d'une extrême impureté ; ce n'était que graisse, que fumée, que sang; que taches de toute espèce. Et cependant il n'a pas eu dégoût de sa laideur, il a remédié à ses disgrâces, il a changé sa figure, corrigé ses formes, réparé ses imperfections; c'est l'exemple que tu dois suivre. Quelques fautes que ta femme puisse commettre à ton égard, oublie tout, pardonne tout. A-t-elle un mauvais caractère, réforme-le à .force de douceur et de bonté, comme a fait le Christ à l'égard de l'Église. Car, non content de laver ses taches, il l'a encore débarrassée de la vieillesse, en lui faisant dépouiller le vieil homme, ce composé d'iniquités. Et c'est à quoi Paul encore fait allusion, en disant : Afin de se faire une Eglise glorieuse, qui n'eût ni taches, ni rides. (Ephés. V, 27.) En effet, c'est peu de l'avoir embellie; il l'a rajeunie, non selon le corps et la nature, mais selon l'âme et la volonté. Et ce qu'il faut admirer, ce n'est pas seulement que, l'ayant reçue laide, repoussante, difforme et décrépite, loin de prendre en dégoût sa laideur, il se soit livré lui-même au trépas et l’ait transformée par là au point de la rendre admirablement belle; c'est que, dans la suite, en dépit des taches et des souillures qui reviennent souvent la ternir, il ne la répudie point, ne s'en sépare point, et qu'il persiste à l'entourer de ses soins et à la corriger. Combien, dites-moi, ont péché après avoir reçu la foi? Et pourtant il ne les a point repoussés avec dégoût. Par exemple ce fornicateur connu des Corinthiens était membre de l'Église, cependant le Christ n'a point coupé ce membre : il l'a redressé. L'Église des Galates tout entière s'emporta hors de la voie et tomba dans le judaïsme, néanmoins il ne l'a pas rejetée non plus : il lui a donné ses soins par le ministère de Paul et l'a ramenée ainsi dans sa première famille. Et nous aussi, de même que, si nous tombons malades , nous ne coupons pas le membre, mais travaillons à chasser la maladie ; c'est ainsi que nous devons agir à l'égard d'une épouse. Si elle a quelque défaut , au lieu de la répudier, c'est son vice qu'il faut (196) tâcher d'expulser. D'ailleurs on peut amener une femme à s'amender, tandis qu'il est bien des cas où un membre attaqué ne peut se guérir. Néanmoins, bien que nous connaissions le membre infirme pour incurable, nous ne le retranchons point pour cela. Combien d'hommes ont un pied de travers, une jambe boiteuse, un bras paralysé et perclus, un mil privé de lumière, qui né se font point extraire cet mil, couper cette jambe, amputer ce bras, et qui, sans méconnaître que ces parties de leur corps lui sont désormais inutiles et ne servent qu'à le défigurer, les gardent néanmoins par égard pour la solidarité qui les attache aux autres. Mais si, quand la guérison est impossible et que l'utilité est nulle, nous montrons tant de circonspection à abandonner le malade, alors qu'il reste de l'espérance et des chances nombreuses de changement, n'est-ce pas le comble de l'absurdité? Les infirmités naturelles laissent l’homme sans recours; mais une volonté pervertie est susceptible d'amélioration.

3. En vain tu objecterais que le mal de ta femme est incurable, qu'en dépit de tes soins elle s'obstine à suivre ses propres penchants ce n'est pas encore une raison suffisante pour la répudier; car, de ce qu'on ne peut guérir .un membre, il ne s'ensuit pas qu'on doive le couper. Or c'est un de tes membres que ta femme : Ils seront deux dans une chair, dit l'Écriture. (Gen. II, 24.) Mais quand c'est d'un membre qu'il s'agit, il n'y a nul profit à le .soigner, une fois que les progrès de la maladie ont rendu la médecine impuissante. Au contraire, si le malade est ta femme, quand bien même sa maladie serait incurable, compte que tu seras bien récompensé de tes leçons et de tes soins paternels. Et dût-elle n'en recueillir aucun fruit, Dieu saura bien rémunérer notre patience., parce que c'est sa crainte qui nous aura excités à montrer tant de persévérance à supporter avec douceur les défauts de notre compagne, à diriger ce membre de nous-mêmes: Membre de nous-mêmes, dis-je, et membre inséparable : aussi devons-nous l'aimer avec prédilection. C'est ce que nous enseigne encore le même Paul en disant : Les hommes doivent aimer leurs femmes comme ils aiment leurs corps. Car jamais personne n'a haï sa propre chair; mais il la nourrit et l'entoure de soins comme a fait le Christ pour l'Eglise, car nous sommes membres de son corps, de sa chair, de ses os. (Ep. V, 28-30.)

Il veut dire que, comme Eve est née de la côte d'Adam, ainsi nous sommes nés de la côte du Christ. En effet, c'est ce que signifie De sa chair et de ses os. Mais, pour ce qui est d'Eve, nous savons tous qu'elle est née de la côte d'Adam, et l'Écriture dit clairement que Dieu envoya le sommeil sur Adam, prit une de ses côtes, et en façonna la femme. Maintenant, sur quoi se fonder pour prétendre que l'Église aussi est formée de la côte du Christ? C'est encore l'Écriture qui nous l'indique. En effet, lorsque le Christ fut élevé sur la croix, y fut attaché et mourut, un des soldats s'approchant lui perça le flanc, et il en sortit du sang et de l'eau. (Jean, XIX, 34.) Eh bien! c'est de ce sang et de cette eau que toute l'Église est formée. Jésus lui-même l'atteste par ces paroles : Quiconque ne sera point régénéré par l'eau et l'esprit, ne pourra entrer dans le royaume des cieux. (Jean, III, 5.) Le sang, c'est l'esprit. Nous naissons grâce à l'eau du baptême, et c'est par le sang que nous sommes nourris. Voyez-vous comment nous provenons de ses os et de sa chair, enfantés, nourris par son sang, par son eau? Et de même que, pendant le sommeil d'Adam, la femme fut façonnée, ainsi, le Christ mort, l'Église fut formée de son côté. Mais, s'il faut aimer sa femme, ce n'est pas seulement parce que notre femme est membre de nous-mêmes, et que nous avons fourni la matière dont elle a été créée : c'est encore parce que Dieu a promulgué à ce sujet une loi que voici : L'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à s'a femme, et ils seront deux dans une chair. (Gen. II, 24.) C'est pour cela que Paul aussi nous a lu cette loi, afin de nous pousser de toutes parts à cet amour. Observez ici la; sagesse apostolique ! ce n'est point exclusivement au nom des lois divines, ni des lois humaines, qu'il nous invite à aimer nos épouses; mais il fait parler les unes et les autres tour à tour : de telle façon que les esprits élevés et philosophiques soient amenés à aimer par les motifs célestes, les esprits faibles au contraire par les raisons terrestres et naturelles. Dans cette vue, il s'appuie d'abord sur la sagesse du Christ et commence son exhortation en ces termes : Aimez vos femmes ainsi que le Christ a aimé l'Église. Mais ce qui vient après est humain : Les hommes doivent aimer leurs femmes autant que leurs propres corps. La suite est du Christ: Nous sommes membres (197) de son corps, de sa chair, de ses os. Mais ceci vient des hommes : L'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme. Et après avoir lu cette loi, il ajoute : Voilà le grand mystère. En quoi, grand? Demanderez-vous. En ce qu'une jeune fille, enfermée jusque-là dans sa chambre, peut aimer et chérir du premier jour, comme son propre corps, l'époux qu'elle n'avait jamais vu auparavant; en ce que l'homme qu'elle n'a jamais vu préfère du premier jour à toutes choses, une femme avec laquelle il n'avait pas précédemment échangé un propos, qu'il la préfère, dis-je, à ses amis, à ses proches, à son père et à sa mère... Parlons maintenant des parents : viennent-ils, hors ce seul cas, à éprouver quelque perte d'argent, les voilà dans le chagrin; dans la peine ; ils traînent devant les tribunaux celui qui leur a fait tort: et voici qu'un homme que souvent ils n'ont jamais vu, qu'ils ne connaissent pas, reçoit d'eux avec leur fille une dot considérable. Que dis-je? c'est une fête pour eux, bien loin qu'ils imputent cet événement à la mauvaise fortune. Au moment où ils se voient enlever leur fille, ils n'éprouvent ni regret de l'intimité passée, ni dépit, ni douleur : loin de là, ils rendent grâces, et jugent leurs voeux exaucés, quand il leur est donné de voir leur fille quitter leur maison, et avec elle s'en aller une partie de leur fortune. Paul remarquant tout cela, considérant que les deux époux quittent leurs parents pour s'attacher l'un à l'autre, et qu'une si longue habitude a dès lors moins d'empire gué cette liaison fortuite, réfléchissant de plus que ce n'est pas là un fait humain, et que c'est Dieu qui sème ces amours dans les âmes, qui inspire cette joie aux parents des époux, comme aux époux eux-mêmes, Paul, en conséquence, a écrit : Voilà le grand mystère. Et, pour prendre un exemple chez les enfants, comme le petit enfant qui vient de naître reconnaît tout d'abord ses parents en les voyant, avant de savoir parler : ainsi l'époux et l'épouse, sans que personne les rapproche, les exhorte, les instruise de leurs devoirs, n'ont qu'à se voir pour être unis. Puis, observant que la même chose est arrivée pour le Christ , et principalement pour l'Église , il s'étonne, il admire. Et comment donc la même chose est-elle arrivée pour le Christ et pour l'Église ? De même que le mari quitte son père pour aller trouver sa femme, de même le Christ a quitté le trône paternel pour allez vers son épouse. Au lieu de nous appeler là-haut, il est descendu lui-même vers nous. (D'ailleurs par ces mots il a quitté, n'allez pas entendre un déplacement , mais bien une condescendance; en effet, même étant avec nous, il était encore avec son Père.) Aussi Paul dit-il : Voilà le grand mystère. Grand sans doute, même à ne regarder que les hommes. Mais quand je vois que cela est encore vrai à l'égard du Christ et de l'Église, alors je m'étonne, alors j'admire. Lui-même après ces mots : Voilà le grand mystère, ajoute ceci : Je parle à l'égard du Christ et de l'Église. Tu sais maintenant quel mystère c'est que le mariage; tu sais de quelle grande chose il est le symbole songes-y donc mûrement et avec circonspection; et ne cherche pas la richesse quand tu voudras prendre femme. Ne regarde pas le mariage comme un trafic, mais comme l'association de deux existences.

4. J'ai souvent ouï dire : Un tel était pauvre son mariage l'a enrichi, il a épousé une femme riche : il vit maintenant dans le luxe et l'opulence. Que dis:tu là, mon ami? Tu veux que ta femme te rapporte de l'argent? Tu peux dire cela sans avoir honte, sans rougir? Et tu ne vas pas te cacher au fond de la terre, toi, qui peux imaginer de pareilles spéculations? Est-ce là le langage d'un époux? Tu n'as rien à demander à ta femme que de veiller sur tes épargnes, d'administrer tes revenus, d'avoir soin de ta maison. Dieu te l'a donnée pour t'aider en cela comme dans toutes les choses du même genre. Attendu que deux sortes d'affaires se partagent notre vie, les affaires publiques et les affaires privées, le Seigneur a divisé la tâche entre l'homme et la femme : à celle-ci il a départi le gouvernement de la maison, à celui-là toutes les affaires de l'État, toutes celles qui se traitent sur la place publique, jugements, délibérations, commandements d'armées, et le reste. La femme est incapable de diriger un javelot, de lancer un trait, mais elle est capable de manier la quenouille, de tisser une toile, de faire régner le bon ordre, dans toute la maison. Elle est incapable d'ouvrir un avis dans un conseil; mais elle est capable d'ouvrir un avis à la maison, et souvent, dans les soins domestiques que son mari partage avec elle, elle montre plus de clairvoyance que lui-même. Elle est incapable de bien gérer les deniers publics , mais elle est capable de bien élever ses (198) enfants, ce trésor précieux entre tous; elle est capable d'observer les manquements des servantes, de surveiller les mœurs des serviteurs, de procurer à son époux plus de sécurité, de la décharger de tous les soins qu'exige un ménage, j'entends ceux de l'office, du filage, de la cuisine, de la toilette : enfin, elle prend sur elle tous les travaux dont il ne serait ni convenable, ni facile à l'homme de s'occuper, quelque difficile à contenter qu'il puisse être. En effet, c'est un trait de la générosité et de la sagesse divines, que celui qui excelle dans les grandes choses, se montre dans les petites insuffisant et incapable, de telle sorte que l'homme ait besoin de la femme. En effet, si Dieu avait créé l'homme également propre aux deux emplois, le sexe féminin n'aurait été qu'un objet de mépris : et, d'autre part, s'il avait permis aux femmes des fonctions plus relevées et plus sérieuses, il leur aurait inspiré des prétentions extravagantes. Aussi, a-t-il évité de donner les deux aptitudes à la même créature, de peur que l'un des sexes ne fût éclipsé et ne parût inutile : et il n'a pas voulu non plus faire la part égale aux deux sexes, de peur que cette égalité n'engendrât des conflits, des querelles, et que les femmes n'élevassent leurs prétentions jusqu'à disputer aux hommes le premier rang; mais conciliant le besoin de paix avec les convenances de la hiérarchie, il a fait dans notre vie deux parts, dont il a réservé à l'homme la plus essentielle et la plus sérieuse, en assignant à la femme la plus petite et la plus humble : de telle sorte que les nécessités de l'existence nous la fassent honorer, sans que l'infériorité de son ministère lui permette d'entrer en révolte contre son mari.

En conséquence, cherchons tous désormais une seule chose, la vertu, un bon naturel, afin de jouir de la paix, de goûter les délices d'une concorde et d'une affection perpétuelles. Epouser une femme riche, c'est prendre un souverain plutôt qu'une femme. Par elles-mêmes, déjà, les femmes ont assez de vanité, assez de penchant à briller : s'il leur survient encore le renfort dont je parle, comment leurs maris pourront-ils y tenir désormais? Au contraire, celui qui prend une femme de sa condition, ou plus pauvre que lui, prend une auxiliaire; une alliée : et c'est vraiment le bonheur qu'il introduit dans sa maison. La gêne que cause à l'épouse sa pauvreté lui inspire toutes sortes de soins et d'attentions pour son mari, l'obéissance, une soumission parfaite, et supprime toutes les causes de disputes, de querelles, d'extravagances, de rébellion : elle unit les deux époux dans la paix, la concorde, la tendresse, l'harmonie. Ce n'est donc pas l'argent que nous devons chercher, niais la paix, si nous voulons trouver le bonheur. te mariage n'est pas fait pour remplir notre maison de luttes et de combats, pour nous faire vivre au milieu des disputes et des querelles, pour mettre la division dans le ménage et nous rendre l'existence insupportable, mais pour nous procurer une aide, pour nous ouvrir un port, un asile, pour nous consoler dans l'affliction, pour que nous trouvions de l'agrément dans la conversation de notre femme. Combien n'a-t-on pas vu de riches, enrichis encore par la dot de leurs femmes, mais privés du même coup, pour jamais, de la paix et de la félicité, par un mariage qui faisait de leur table une arène, un théâtre de querelles journalières ? Combien, au contraire, ne voit-on pas de pauvres, unis à des femmes plus pauvres encore, qui jouissent de la paix, et sont heureux de voir la lumière, tandis que plus d'un riche, au sein de l'abondance, souhaite la mort pour être délivré de sa femme, et ne demande qu'à déposer le fardeau d'une telle vie? tant il est vrai que l'argent ne sert. à rien, faute d'une compagne vertueuse! Mais, pourquoi parler de paix et de concorde? Celui-là même qui ne songe qu'à gagner de Urgent, se trouve mal, souvent, d'avoir épousé une femme plus riche que lui. Quand il a augmenté son luxe en proportion de la dot reçue, une mort prématurée n'a qu'à venir l'obliger de restituer la dot entière aux parents: alors, pareil à ces naufragés dont la personne seule échappe aux flots, ce malheureux, au bout de tant de querelles, de luttes, de révoltes, de procès, a grand peine à se tirer d'affaire avec ses quatre membres et sa liberté. Et comme on voit des trafiquants insatiables, pour avoir encombré leur vaisseau de marchandises et lui avoir imposé un fardeau au-dessus de ses forces, causer la submersion de leur équipage, et perdre toute leur cargaison : ainsi, ces ambitieux qui font des mariages démesurément riches, dans la pensée d'augmenter beaucoup leur avoir, grâce à leurs femmes, perdent souvent jusqu'à ce qu'ils possédaient en se mariant : il suffit d'un instant et du choc d'une vague pour faire enfoncer le navire; ainsi, la mort prématurée de la femme a suffi pour (199) apporter la ruine avec le deuil à son mari.

5. Considérons bien tout cela, et, au lieu de chercher la fortune, cherchons la vertu, l'honnêteté, la modestie. Une femme modeste, vertueuse et sage, fût-elle sans fortune, saura tirer parti de la pauvreté mieux qu'une autre de la richesse : au contraire, une femme gâtée, intempérante, acariâtre, trouvât-elle au logis des milliers de trésors, les aura bientôt dissipés avec la vitesse du vent, et précipitera son mari dans d'innombrables maux, outre la ruine. Ce n'est donc pas l'opulence que nous devons rechercher, mais une femme qui sache bien employer l'argent du ménage.

Apprends d'abord quelle est la raison du mariage , quel dessein l'a fait introduire dans notre existence, et n: en demande pas davantage. Quel est donc l'objet du mariage, et dons quelle vue Dieu l'a-t-il institué? Écoute ce que dit Paul : De peur des fornications, que chacun ait une femme à soi. (I Cor. VII, 2.) Il n'a pas dit : remédier à sa pauvreté ni pour se mettre dans l'aisance. Pourquoi donc? Afin que nous évitions les fornications, afin que nous réprimions notre concupiscence, afin que nous vivions dans fa chasteté, afin que nous nous rendions agréables à Dieu en nous contentant de notre propre femme. Voilà le présent que nous fait le mariage , et voilà le fruit, en voilà le bénéfice. Ne lâche donc pas le plus pour courir après le moins; car l'argent est peu de chose au prix de la chasteté. Le seul motif qui doive nous déterminer au mariage, c'est la résolution de fuir le péché, d'échapper à toute fornication ; tout le mariage doit donc tendre à ce but, de nous aider à la chasteté. Or il en sera ainsi, si nous épousons des femmes capables de nous inspirer beaucoup de piété, beaucoup de retenue, beaucoup de sagesse. En effet, la beauté du corps, quand elle n'a point la vertu pour compagne, peut bien retenir un mari vingt ou trente jours, mais au delà elle perd son empire, laisse voir les vices qu'elle cachait d'abord, et dès lors tout le charme est rompu. Au contraire, celles en qui reluit la beauté de l'âme , n'ont rien à craindre de la fuite du temps, qui leur fournit chaque jour de nouvelles occasions de découvrir leurs belles qualités; l'impur de leurs époux n'en devient que plus ardent, et l'attachement mutuel ne fait que se resserrer. Dans cet état de choses et devant l'Obstacle ale cette ardente et légitime affection, toute espèce d'amour impudique est rejetée bien loin; l'idée même de l'incontinence n'entrera jamais chez ce mari attaché à sa femme par l'amour; jusqu'à la fin il lui reste fidèle, et ainsi, par sa chasteté, appelle sur toute sa maison la bienveillance et la protection divines. Voilà les unions que formaient nos bustes des anciens temps, plus attentifs à la vertu qu'à la fortune. Pour le prouver par un exemple, je vous rappellerai un de ces mariages : Abraham déjà vieux et avancé en âge dit au plus âgé de ses serviteurs qui gérait tous ses biens : Pose ta main sous ma cuisse afin que je te fasse jurer au nom du Seigneur Dieu du ciel et de la terre, de ne pas donner pour femme, à mon fils Isaac une des filles des Chananéens, parmi lesquels j'habite, mais tu te rendras dans la terre où je suis né, au milieu de ma tribu, et tu choisiras là une épouse pour mon fils. (Gen; XXIV, 1-4.) Voyez-vous quelle sollicitude chez cet homme vertueux, chez ce juste, au sujet du mariage; il n'a pas recours, comme cela se pratique aujourd'hui, à des entremetteuses, à des négociatrices, à de vieilles conteuses de fables; c'est à son propre serviteur qu'il confie cette affaire. Et ceci même est une grande marque de la prudence de ce patriarche, qu'il ait su former assez bien un serviteur pour le rendre capable d'un pareil. ministère. Ensuite la femme qu'il lui faut n'est ni une femme riche, ni une belle femme , mais une femme vertueuse ; et c'est pour cela qu'il prescrit un aussi long voyage à son messager. Considérez aussi l'intelligence du serviteur: il ne dit point : quelle commission me donnes-tu là ! Quand nous sommes entourés d'un si grand nombre de nations, chez lesquelles se trouvent en grand nombre des filles d'hommes riches, distingués, illustres, tu m'envoies dans un pays aussi lointain, parmi des hommes inconnus? A qui m'adresser? qui me connaîtra? Et s'ils me tendent des embûches?.s'ils me trompent? Car il n'y a rien de si facile à prendre au piège qu'un étranger. Il ne fit aucune de ces objections,. mais négligeant toutes ces difficultés, il s'arrêta seulement au soupçon qui se présente tout d'abord à l'esprit : en ne résistant pas à son maître, il. avait montré son obéissance; en demandant seulement ce dont il fallait principalement s'informes, il manifesta son intelligence et sa prévoyance. A quoi fais-je allusion ? et quelle est donc cette question qu'il adressa à son maître ? Si la femme, dit-il, ne veut point partir avec moi, (200) ramènerai-je ton fils dans le pays d'où tu es sorti? Abraham répondit : Ne ramène pas mon fils en ce pays. Le Seigneur Dieu du ciel et de la terre qui m'a tiré de la maison de mon père et de la terre où je suis né, qui m'a parlé et m'a dit avec un serment ces paroles : Je donnerai cette terre à toi et à ta postérité, ce même Dieu enverra son ange devant toi, et t'aplanira le chemin. (Gen. XXIV, 4-7.) Voyez-vous la foi du patriarche? Au lieu de faire appel à ses amis, à ses parents, ou à toute autre personne , c'est Dieu même qu'il donne pour interprète et pour compagnon de route à son messager. Puis, voulant rassurer ce serviteur, au lieu de dire simplement le Seigneur Dieu du ciel et de la terre, il ajoute : qui m'a tiré de la maison de mon père. Souviens-toi, lui dit-il, comment nous avons fait ce long voyage, comment après avoir abandonné notre propre pays, nous avons trouvé sur la terre étrangère plus de ressources et de félicité, comment l'impossible est devenu possible. Et ce n'est pas seulement en ce sens qu'il dit : Qui m'a tiré de la maison de mon père; il veut encore indiquer que Dieu est son débiteur. Nous sommes ses créanciers, dit-il, il a dit lui-même : Je donnerai cette terre à toi et à ta postérité. De sorte que, tout indignes que nous sommes ; en considération de la promesse qu'il nous a faite de sa bouche, et dans la vue de l'accomplir, il nous assistera, aplanira devant nous tous les obstacles, et mènera à consommation ce.qui est l'objet de nos vieux. Cela dit, il congédia son messager.

Parvenu au pays qui lui avait- été désigné, celui-ci n'aborda aucun des habitants de la ville, il n'entra pas en conversation avec les hommes, il n'appela point les femmes; mais remarquez comment il resta fidèle, lui aussi, à l'intermédiaire qui lui avait été donné, comment i1 s'adressa à lui seul. Il se lève pour prier, et dit: Seigneur, Dieu de mon maître Abraham, aplanis, aujourd'hui le chemin devant moi. (Gen. XXIV, 12) Il ne dit pas : Seigneur mon Dieu; que dit-il donc? Seigneur, Dieu de mon maître Abraham. Je ne suis qu'un misérable, un objet de rebut; mais je me couvre de mon maître; car ce n'est pas pour moi que je viens, je ne suis que son ministre; aie donc égard à sa vertu, et aide-moi à accomplir jusqu'au bout la tâche prescrite. .

6. Maintenant, pour que vous n'alliez pas croire qu'il parle en créancier qui réclame ce qui lui est dû , écoutez les paroles qui suivent : Et prends en miséricorde mon maître Abraham. ( Gen. XXIV , 12. ) Quand nous aurions des milliers de mérites, nous voulons devoir à la grâce notre salut, et tenir . tout de ta bonté, rien à titre d'acquittement ou de restitution. Et que demandes-tu donc? Voici, répond-il, que je me tiens debout auprès de la fontaine, et les filles des habitants de la ville sortiront pour venir puiser de l'eau. Donc la jeune fille à qui je dirai : prête-moi ta cruche afin que je boive, et qui me répondra : bois,. et je donnerai de pliés à boire à tes chameaux jusqu'à ce qu'ils soient abreuvés, c'est celle que tu as préparée pour ton serviteur Isaac, et par là je reconnaîtrai que tu as pris -en miséricorde mon maître Abraham. Remarquez la sagesse du serviteur, au signe qu'il choisit. Il ne dit pas : si j'en vois une portée sur un char attelé de mules, traînant à sa suite un essaim d'eunuques , entourée de nombreux esclaves, belle et resplendissante de tout l'éclat de la jeunesse, c'est celle que tu as préparée pour ton serviteur. Que dit-il donc? Celle à qui je dirai: Prête-moi la cruche afin que je boive. Que fais-tu, mon ami? C'est une femme de cette sorte que tu cherches pour ton maître, une femme qui porte de l'eau, et qui daigne te parler? Oui, répond-il : car il ne m'a pas envoyé chercher la richesse, ni la noblesse de la naissance, mais les qualités de l'âme. On trouve souvent des porteuses d'eau qui possèdent une vertu parfaite, tandis que d'autres, nonchalamment assises dans de riches demeures, sont pleines de vices et très-mauvaises. —Mais à quoi reconnaîtra-t-il la vertu de cette femme? — Au signe qu'il a indiqué. Mais que vaut ce signe pour distinguer la vertu? — Il est excellent et infaillible. Car il manifeste clairement la charité, de façon à rendre toute autre preuve superflue. Ses paroles reviennent donc à ceci, bien qu'il ne le dise pas en propres termes : Je cherche une vierge tellement charitable, qu'elle rende tous les services dont elle est capable. Et ce n'est point sans réflexions qu'il cherchait une telle épouse : mais, étant d'une maison où florissait surtout l'hospitalité, il voulait avant toute chose trouver une femme assortie à l'humeur de ses maîtres. C'est comme s'il disait : Nous voulons faire entrer chez nous un femme dont les mains soient ouvertes pour les hôtes; afin qu'il n'y ait pas de guerre et de querelles lorsque le mari fera largesse de son bien à. l'exemple de son père, et accueillera (201) les étrangers : ce qui arriverait si la femme était regardante, et ne voulait pas laisser faire, comme c'est le cas dans bien des maisons; dès maintenant je veux m'assurer si elle est hospitalière, car c'est de là que viennent toutes nos prospérités.

C'est par là que mon maître a obtenu du ciel celui qu'il va marier, par là qu'il est devenu père. Il a sacrifié un veau, et il a reçu un enfant; il a pétri la farine, et Dieu lui a promis de lui donner des descendants aussi nombreux que les étoiles. Puis donc que c'est d'une telle source que découlent toutes nos prospérités, je recherche cette qualité avant toutes tes autres. Pour nous, ne nous arrêtons pas à ceci qu'il ne demandait que de l'eau : considérons plutôt que c'est la marque d'un coeur bien hospitalier, de ne pas se borner à donner ce qu'on demande, mais d'offrir plus que ce qui est demandé. Et il arriva ceci, dit l'Ecriture, qu'avant qu'il eût fini de parler, Rébecca sortait de la ville, et ainsi se trouva accomplie cette parole d u Prophète : Tu n'auras pas fini de parler que je dirai: me voici. (Isaïe, LVIII, 9.)

Voilà les prières des hommes vertueux: avant qu'elles soient finies, Dieu a, déjà consenti à les exaucer. Et toi aussi, par conséquent, lorsque tu voudras te marier, n'aie point recours aux hommes, ni à ces femmes qui font métier du malheur d'autrui, et ne se proposent qu'un but, à savoir, de gagner un salaire. Aie recours à Dieu. Il ne dédaigne point de présider lui-même à ton mariage. C'est lui-même qui en a fait la promesse en ces termes : Cherchez le royaume des cieux, et tout le reste vous sera donné par surcroît. (Matth. VI, 33.) Et garde-toi de dire: Mais comment puis-je voir le Seigneur? Est-ce qu'il peut m'adresser la parole, et s'entretenir avec moi visiblement, de telle .façon que je puisse aller à lui et l'interroger? Pensées d'une âme sans foi. Un instant suffit à Dieu, et la parole ne lui est pas nécessaire pour exécuter tout ce qu'il veut: et c'est justement ce qui eut lieu pour le serviteur d'Abraham. Il n'ouït aucune voix, ne vit aucune apparition. Debout auprès de la fontaine, il pria, et sur-le-champ fut exaucé. Il arriva ceci, qu'avant qu'il eût fini de parler, il vit sortir de la ville Rébecca, fille de Bathuel, fils de Melcha; portant une cruche sur l'épaule : cette vierge était très-belle; elle était vierge, aucun homme ne l'avait connue. Mais à quoi bon me parler de sa beauté? C'est afin que tu comprennes à quel point elle était chaste, et quelle beauté elle avait dans l'âme. C'est une chose admirable que la chasteté, mais bien plus admirable encore, quand elle est jointe à la beauté. C'est pourquoi l'Ecriture, avant de raconter l'histoire de Joseph et de sa chasteté, parle d'abord de ses avantages corporels : elle nous apprend qu'il était beau et dans tout l'éclat d'une jeunesse florissante, et c'est alors seulement qu'elle nous entretient de sa chasteté, et fait voir que cette beauté ne l'avait point précipité dans l'incontinence. En effet, la beauté ne provoque pas plus nécessairement la débauche, que la laideur ne fait ln chasteté. Beaucoup de femmes parées de tous les charmes du corps ont brillé, grâce à la chasteté, d'un éclat encore plus vif tandis que d'autres qui étaient difformes et repoussantes ont eu dans l'âme encore plus de difformité, et se sont souillées d'innombrables prostitutions. Ce n'est pas dans le corps, c'est dans l'âme et dans la volonté que résident les principes de ce vice comme de cette vertu.

7. Ce n'est pas sans intention qu'il lui applique deux fois le nom de vierge. Rappelez-vous qu'après avoir dit : Cette vierge était très-belle, il ajoute: Elle était vierge, aucun homme ne l'avait connue. C'est parce qu'il ne manque pas de vierges qui, tout en conservant leur corps intact, ouvrent l'accès de leur âme à tous les désordres, coquetteries, manéges pour attirer de toutes parts une foule d'amants autour d'elles, regards propres à enflammer les espérances des jeunes gens, gouffres et embûches de toutes sortes; c'est pour cela, dis-je, que Moïse, voulant indiquer que Rébecca n'était pas semblable à ces filles, mais qu'elle était vierge à la fois de corps et d'âme, prend soin d'ajouter : Elle était vierge, aucun homme ne l'avait connue. Cependant ce n'est pas faute d'occasions qu'aucun homme ne l'avait connue: je dis cela d’abord à cause de sa beauté ; et en second lieu, à cause de l'office qu'elle remplissait. Si elle était restée perpétuellement dans sa chambre, comme les jeunes filles d'aujourd'hui, si elle ne s'était jamais montrée sur la place, si elle n'était jamais sortie de la maison paternelle, l'éloge eût été moins grand à dire qu'aucun homme ne l'avait connue. Mais si vous vous la représentez allant sur la place, obligée de se rendre chaque jour à la fontaine, une fois, deux fois et plus, et que vous songiez ensuite qu'aucun homme ne la connut, c'est alors que vous comprendrez parfaitement la valeur de (202) l'éloge. On a vu plus d'une jeune fille qui n'était ni belle ni gracieuse, et qu'escortaient une quantité de suivantes, perdue néanmoins pour avoir passé une fois ou, deux sur la place publique. Que direz-vous donc de celle qui sort chaque jour seule de la maison paternelle, et cela, non-seulement pour aller sur la place, mais pour se rendre à la fontaine et rapporter de l'eau, courses qui l'exposent nécessairement à mille rencontres? N'est-elle pas vraiment digne de toute notre admiration, lorsque ni ces sorties, continuelles, ni les charmes qui l'embellissent, ni les passants qui s'offrent partout à sa vue, rien, en un mot, rte peut porter atteinte à sa pureté, lorsqu'elle sait maintenir son âme et son corps à l'abri de la corruption, garder plus strictement la chasteté que les femmes qui restent enfermées chez elles, se montrer enfin pareille à celle que Paul demande en ces termes : Qu'elle soit sainte de corps et d'esprit ? (1 Cor. VII, 34.) Etant donc descendue ci la fontaine, elle remplit d'eau sa cruche et remonta: Alors le serviteur courut à sa rencontre et lui dit: Laisse-moi boire un peu â ta cruche. Elle répondit: Bois, seigneur, et elle s'empressa de prendre sa cruche sur son bras, et elle lui donna à boire jusqu'à ce qu'il fût désaltéré. Puis elle ajouta : je puiserai aussi pour tes chameaux, jusqu'à ce que tous aient bu. Et elle s'empressa de vider sa cruche dans l'abreuvoir : et elle courut au puits afin de tirer de l'eau pour tous les chameaux. (Gen. XXIV, 16-20.)

Grande était la charité de cette femme, grande sa chasteté; ces deux points sont bien établis, tant par ses actions que par ses paroles. Vous avez vu comment sa chasteté ne nuisait point eh elle à la charité, comment d'autre part la charité ne compromettait point sa chasteté. Ne. s'être point précipitée au-devant de l'étranger, ne lui avoir point parlé la première, voilà pour la chasteté; n'avoir point,résisté par signes ou paroles à sa demande, c'est le fait d'une charité et d'une humanité lieu communes. En effet, de même qu'elle aurait fait paraître de l'effronterie et de l'impudence si elle était allée à sa rencontre ou lui avait parlé avant qu'il eût rien dit; de même, si elle l'avait repoussé quand il invoquait son assistance, elle se serait montrée dure et inhumaine. Mais elle sut éviter ces deux écueils: la chasteté ne l'a pas rendue infidèle aux lois de l'hospitalité; son hospitalité n'a pas su davantage diminuer les éloges dus à sa chasteté; c'est dans leur intégrité qu'elle a manifesté ces deux vertus: la, chasteté, en attendant la demande de l'étranger; l'hospitalité, une hospitalité au-dessus de toute louange, en lui fournissant ce qu'il demandait. Hospitalité au-dessus de toute louange, ai-je dit; comment nommer, en effet, celle qui, non contente d'accorder ce qu'on demande, offre encore quelque chose de plus. Sans doute, son présent n'était que de l'eau ; mais c'est tout ce qu'elle avait alors sous la main. Or l'usage est de mesurer la générosité des hôtes, non à la richesse de leur don, mais aux ressources sur lesquelles ils le prélèvent. C'est ainsi que Dieu a loué l'homme qui avait donné un verre d'eau fraîche, et a dit que la femme qui avait offert deux petites pièces de monnaie avait donné plus que personne, parce qu'elle avait sacrifié tout ce qu'elle possédait alors. De même Rébecca fit largesse à ce brave étranger de tout ce qu'elle avait à lui offrir. Ce n'est pas sans intention que le texte emploie ces expressions ; elle se hâta , elle courut, et autres semblables; c'est pour montrer le zèle avec lequel elle agit en personne qui n'est ni contrainte, ni forcée, qui agit sans hésitation ni répugnance. Ceci n'est pas insignifiant: n'avons-nous pas vu plus d'une fois un passant que nous prions de s'arrêter tin instant et de noir laisser allumer notre torche à la sienne, ou de nous donner, pour nous désaltérer, un peu de l'eau qu'il portait, s'y refuser et nous repousser avec brusquerie? Rébecca, au contraire, non contente d'incliner sa cruche en faveur de l'étranger, va jusqu’à prendre la peine de puiser de l'eau pour tous les chameaux, mettant ainsi avec la plus grande bonté, sa personne même au service de la charité. Ce n'est pas seulement son action, mais encore son empressement qui témoigne de sa vertu; elle appelle seigneur un inconnu qu'elle voit pour ta première fois. Et de même que son futur beau-père Abraham ne demandait pas aux voyageurs : qui êtes-vous? de quelle famille? où allez-vous? d'où venez-vous? et profitait sans retard de l'occasion offerte à sa charité; de même Rébecca ne demanda pas: qui es-tu? de quelle famille? quel est le motif qui t'amène? mais pressée de saisir l'aubaine qui se présentait à son zèle, elle négligeait toutes ces questions superflues. Ceux qui achètent des perles afin de les échanger contre de l'or ne songent qu'à s'enrichir aux dépens des acheteurs, et non à les importuner de questions curieuses. Ainsi Rébecca ne (203) pense qu'à recueillir le fruit de l'hospitalité, qu'à recevoir entière la récompense proposée. Elle n'ignorait pas que les étrangers pèchent moins que personne par excès d'audace; ils ont besoin d'un accueil empressé qu'un excès -de réserve ne vienne pas refroidir; si nous nous avisons de les obséder de questions indiscrètes, ils s'effarouchent, ils se dérobent, ils ne viennent plus à nous qu'à regret. Aussi s'en garda-t-elle bien dans cette occurrence, et son beau-père de même, quand il recevait des hôtes; il craignait trop d'effrayer le gibier; il se contentait de donner ses soins au voyageur, et quand il avait tiré d'eux le profit désiré, alors il les congédiait.

8. C'est pour cela qu'il reçut un jour des anges dans sa maison: s'il les avait pressés de questions, sa récompense eût été diminuée d'autant. En effet, ce que nous admirons en lui, ce n'est pas qu'il ait reçu des anges, c'est qu'il les ait reçus sans les connaître. S'il leur avait donné ses soins à bon escient, il n'y aurait là rien de surprenant; la dignité de tels hôtes aurait rendu courtois et humain l'homme le plus dur et le plus insensible. Ce qu'il faut admirer, c'est que, les prenant pour des voyageurs vulgaires , il leur ait prodigué des soins si empressés. Rébecca fut digne d'Abraham : elle ignorait le nom du serviteur, le but de son voyage, l'intention qu'il avait de la demander en mariage: elle ne voyait en lui qu'un voyageur et un étranger. Aussi la récompense de sa charité fut-elle d'autant plus grande, qu'elle avait accueilli avec une bienveillance parfaite un homme absolument inconnu, tout en restant fidèle aux lois de la chasteté. Ni effronterie, ni hardiesse, ni excès d'instances, ni mauvaise humeur: elle sut remplir son office sans se départir de la réserve convenable. C'est à quoi Moïse fait allusion en disant: L'homme la considérait en, silence, afin de s'assurer si le Seigneur avait béni son voyage. (Gen. XXIV, 21.) Que veut dire ceci: Il la considérait? Cela veut dire qu'il observait son maintien,. sa démarche, sa physionomie, son langage, tout enfin avec un grand soin, cherchant à lire dans ses gestes le secret de son âme. Ce n'est pas tout : il veut recourir encore à une autre épreuve. Lorsqu'elle l'eut désaltéré, il ne s'en tint pas là, et lui dit: Fais-moi savoir de qui tu es la fille: y a-t-il dans la maison de ton père un lieu où je puisse descendre ? ( Gen. XXIV, 23. ) Quelle est sa réponse? Avec beaucoup de patience et de douceur, elle dit le nom de son père. Elle aurait pu se fâcher et répondre. Mais toi, qui es-tu donc, indiscret, qui t'enquiers si. curieusement de notre maison? Au lieu de cela, elle répondit: Je suis fille de Bathuel, fils de Melcha, qui l'est de Nachor. Il y a chez nous de la paille et du fourrage en abondance, et un endroit pour les hôtes. (Ib, V, 24, 25.) Encore cette fois, comme lorsqu'il s'agissait de l'eau, elle lui donne plus qu'il ne demandait. Alors il ne demandait qu'à boire: elle lui offrit de désaltérer ses chameaux et les désaltéra en effet. C'est la même chose ici : il lui demandait seulement s'il y avait de la place pour les hôtes, elle lui apprend qu'il y a "de la paille, du fourrage et le reste , le tout afin de l'engager, de l'attirer -à la maison , et de recueillir ainsi le prix de l'hospitalité. N'écoutons pas ceci à la légère, ni par manière de distraction, mais songeons à nous-mêmes, mettons-nous à la place des personnages, c'est ainsi que nous apprécierons la vertu de Rébecca. Souvent, quand il nous faut héberger, des amis, des connaissances, nous nous y prêtons à regret, et si leur séjour se prolonge durant une ou deux journées, nous voilà de mauvaise humeur. Rébecca n'avait affaire qu'a, un étranger, un inconnu; cependant elle met tout son empressement à l'attirer dans sa maison, et cela, sachant bien qu'elle sera obligée de donner ses soins, non-seulement à lui , mais encore à ses chameaux. Le serviteur entre: remarquez une nouvelle et plus forte preuve de son intelligence. Elle lui offre du pain : Je ne mangerai pas, répond-il, avant d’avoir dit ce que j'ai à dire.

Voyez-vous cette activité, cette tempérance? On l'invite à parler: considérons le langage qu'il tient. Va-t-il leur dire qu'il a un maître de haut rang, universellement honoré, le premier personnage, sans contredit, de la contrée qu'il habite ; s'il eût voulu parler sur ce ton, il n'aurait pas été embarrassé. En effet, les gens du pays honoraient Abraham à l'égal d'un roi. Mais il ne dit rien de pareil; il passe sur ces titres humains, et c'est de la faveur divine qu'il décore Abraham en disant: Je suis serviteur d'Abraham, le Seigneur a comblé mon maître de ses bénédictions; et il a été exalté; et il lui a donné des brebis et des boeufs, de l'or et de l'argent. (Gen. XXIV, 34, 35.) S'il fait mention de ces richesses, ce n'est point pour montrer qu'Abraham est dans l'aisance, mais pour faire voir qu'il est aimé de Dieu; ce n'est pas de (204) les posséder qu'il le loue, mais de les avoir reçues de Dieu. Il arrive ensuite au jeune homme. Et Sara, femme de mon maître, lui a donné un fils alors qu'il était déjà vieux. Ici il veut appeler l'attention sur le miracle de cette naissance, en la représentant comme un bienfait de la faveur divine, en dehors des lois de la nature. Et pareillement, si quelqu'un de vous cherche une femme ou un mari, qu'il examine avant tout si la personne qu'il a en vue est aimée de Dieu, si la bonté céleste lui prodigue ses faveurs. Car si cela se trouve en elle, tout le reste s'ensuit: dans le cas contraire , possédât-elle la plus belle fortune et la mieux assurée, c'est comme si elle n'avait rien. Ensuite le serviteur, afin qu'on ne lui demande pas Pourquoi n'a-t-il pas épousé une femme de son pays? ajoute aussitôt après: Mon maître m'a fait prêter serment et il m'a dit: Tu ne donneras pas pour femme à mon fils une des filles des Chananéens; mais tu te rendras dans la maison de mon père, et dans ma tribu, et tu choisiras là une épouse pour mon fils. (Gen. XXIV, 37, 38.) Mais je ne veux pas vous rapporter ici toute l'histoire, de peur que vous ne me trouviez importun. Arrivons donc à la fin. Quand il eut raconté comment il s'était arrêté à la fontaine, comment il avait fait une prière à la jeune fille, comment elle lui avait donné plus qu'il ne demandait, comment Dieu avait été son. médiateur; enfin, quand il eut tout narré dans le plus grand détail, il finit alors de parler. Les autres , après avoir entendu ce récit, n'hésitèrent plus un instant, et sans faire attendre leur réponse, comme inspirés par Dieu lui-même, ils accordèrent leur fille sur-le-champ. Ceci est l'ordre de Dieu, répondirent Laban et Balhuel, nous ne pouvons donc disputer contre toi. Voici Rébecca , emmène-la et pars; et qu'elle soit la femme de ton maître, suivant la parole du Seigneur. (Gen. XXIV, 50, 51.) Qui ne s'étonnerait? qui ne resterait frappé de surprise, en songeant au nombre et à la gravité des obstacles levés ainsi dans un instant ? L'envoyé était un étranger, un serviteur; la distance à parcourir était considérable; ni le jeune homme, ni son père, ni aucun de ses parents n'était connu. C'était assez d'une de ces difficultés pour empêcher le mariage; rien ne l'empêcha pourtant, et comme si Isaac était un voisin, une connaissance, un ami du premier jour, ils lui donnent leur fille avec une entière confiance: c'est que le médiateur était Dieu. En effet, essayons-nous de faire quelque chose sans son appui, ce qui semblait tout simple et tout aisé ne nous offre plus que précipices, qu'abîmes, que chances contraires. Au contraire quand il est avec nous et qu'il nous assiste, le projet le plus difficile à exécuter réussit comme de lui-même. En conséquence, n'entreprenons rien, ne disons rien, sans avoir d'abord invoqué Dieu, et l'avoir prié de mettre la main lui-même à ce qui nous occupe, ainsi qu'a fait le serviteur.

9. Voyons maintenant, la demande accordée, comment se firent les noces. Traîna-t-il derrière lui des joueurs de cymbales, de flûte, des danseurs, des tambours, et tout cet appareil que l'on connaît? Rien de tout cela seule il avait reçu Rébecca, seule il l'emmena, sans autre compagnon que l'ange qui lui faisait escorte, en accomplissement de la prière qu'Abraham avait faite à Dieu, de protéger le voyage de son serviteur, quand il aurait quitté la maison. Et la jeune femme était conduite à son époux, sans qu'elle eût entendu ni flûte, ni lyre, ni autres instruments, mais la tête toute chargée de bénédictions célestes, couronne supérieure en éclat aux plus riches diadèmes. Elle était conduite à son époux, parée non de tissus d'or, mais de chasteté, de piété, de charité, de toutes les vertus enfin. Elle était conduite à son époux, non sur un char couvert, ni sur quelque autre siège d'apparat, mais sur le dos d'un chameau. C'est qu'alors, indépendamment de leurs vertus, les jeunes filles avaient un tempérament robuste. En effet, leurs mères ne les élevaient pas comme c'est la mode aujourd'hui, et ne compromettaient point leur santé à force de bains, de parfums, de fard, de vêtements moelleux, enfin par mille autres superfluités propres seulement à les amollir ; au contraire, elles les soumettaient aux plus rudes épreuves. Aussi avaient-elles une beauté florissante , et de bon aloi, attendu. qu'elle devait tout à la nature et rien à l'artifice. Aussi jouissaient-elles d'une santé à l'abri de toute atteinte, et leurs grâces étaient-elles incomparables, parce que leur corps n'était jamais incommodé par la maladie et que la mollesse leur était inconnue. En effet, les peines, les fatigues, l'habitude de faire tout par soi-même, en chassant la mollesse, donnent une force, une santé inébranlable. Par là on les rendait plus capables d'inspirer aux hommes la tendresse et l’amour; car (205) ils trouvaient en elles, non-seulement plus de perfections corporelles, mais encore plus de qualités morales et plus de sagesse. Elle était donc sur un chameau, ; arrivée dans le voisinage, avant qu'elle fût proche de la maison, elle leva les yeux, vit Isaac, et sauta à bas du chameau. Voyez-vous cette force? voyez-vous cette agilité ? elle saute à bas d'un chameau. Telle était la vigueur qui se joignait à la sagesse, chez les filles de ce temps ! et elle dit au serviteur : Quel est cet homme qui s'avance dans la plaine? Le serviteur répondit : Mon maître. Alors, prenant son voile, elle s'en enveloppa. (Gen. XXIV, 65.) Reconnaissez partout sa chasteté, contemplez sa pudeur et sa modestie. Et Isaac la reçut pour femme, et il la chérit, et elle adoucit le chagrin qu'il avait eu de la mort de sa mère Sara. (Gen. XXIV, 67.) Ces mots, il la chérit, elle adoucit le chagrin qu'il avait eu au sujet de sa mère, ce n'est pas pour rien que je les cite ; j'ai voulu vous faire entendre quels charmes Rébecca avait apportés de chez elle, pour mériter tant de tendresse et d'amour. Et qui aurait pu ne pas chérir une femme si sage, si réservée, si humaine, si charitable et si douce, une femme si virile par le coeur, si robuste par le corps? Ce que j'en ai dit n'est point pour me faire écouter, ni pour obtenir vos éloges, mais pour exciter votre émulation. Vous, pères, imitez la sollicitude que montra le patriarche, afin de faire épouser à son fils une femme vraiment vertueuse; il ne rechercha ni la fortune, ni la noblesse, ni la beauté, ni aucun autre avantage que l'excellence de l'âme. Vous, mères, c'est dans cette pensée que vous devez élever vos filles. Quant aux jeunes gens qui voudront les prendre pour femmes, qu'ils célèbrent leurs noces avec la même décence; loin d'eux les danses, les éclats de rire, les propos grossiers, les flûtes, et toute cette magnificence diabolique, et tout ce qui peut y ressembler: qu'ils prient seulement Dieu d'être leur médiateur dans toutes leurs démarches. Si nous menons toujours ainsi nos affaires, il n'y aura ni divorce, ni soupçon d'adultère, ni motif de jalousie, ni batailles, ni querelles, mais nous goûterons toutes les douceurs de la paix et de la concorde, auxquelles viendront nécessairement se joindre toutes les vertus. De même que, lorsque l'homme et la femme sont divisés, tout s'en ressent dans la maison, quand bien même toutes les autres affaires iraient à souhait : de même, lorsque la paix et la concorde règnent, tout prend du charme, quand bien même l'orage éclaterait cent fois par jour. Si l'on se marie comme je le demande, il sera bien facile d'amener les enfants à la pratique de la vertu. En admettant que la mère soit ce que j'ai dit: réservée, chaste, riche de toutes les vertus, certes elle sera bien en état de gagner son mari et de le maîtriser par la tendresse qu'elle lui inspirera; et quand elle l'aura gagné, elle trouvera en lui un auxiliaire plein de zèle pour l'éducation de ses enfants. Elle amènera ainsi Dieu lui-même à partager sa sollicitude. Alors, Dieu lui-même prêtant son assistance à ce ménage si bien dirigé, cultivant lui-même les âmes des enfants, tous les ennuis auront disparu ; tout sera pour le mieux dans la maison, comme dans l'âme des maîtres, et chacun pourra de la sorte, avec sa maison, j'entends avec sa femme, ses enfants et ses serviteurs, parcourir sans danger jusqu'au bout sa carrière terrestre, et entrer ensuite dans le royaume des cieux, bonheur que je vous souhaite à tous d'obtenir, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ , avec lequel gloire et puissance, au Père et à l'Esprit saint et vivifiant, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

HOMÉLIE SUR CETTE PAROLE DE L'APOTRE : " Je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, que nos pères furent tous sous la nuée , et qu'ils traversèrent tous la mer. " (I Cor. X, 1.)
AVERTISSEMENT.

Nous ne savons rien touchant la date de cette homélie. Seulement deux passages de l'exorde attestent qu'elle fut prononcée en été, et le lendemain du jour où Chrysostome avait loué saint Barlaam. C'est à Antioche que se célébrait particulièrement la fête de ce saint : d'où l'on peut induire que la présente homélie fut prononcée dans la même ville. S. Chrysostome s'y propose d'y démontrer que les événements accomplis sous l'ancienne Loi sont comme des figures et des présages de ce qui devait arriver sous l'empire de la Nouvelle. Il attaque incidemment les erreurs de Marcion, de Manichée, de Paul de Samosate, et termine en sollicitant l'intercession des saints.

ANALYSE.

1° Pourquoi saint Paul a recours à l'Ancien Testament, et non au Nouveau pour faire redouter aux pécheurs les châtiments qu'ils ont mérités. — Comment les prédictions peuvent être confirmées par les exemples empruntés au passé.

2° Que le Dieu de l'Ancien Testament et Celui du Nouveau sont un seul et même Dieu. — Réputation de Marcion et de Manichée.

3° Le passage de la mer Rouge, figure du baptême.

4° En quoi la figure ou le symbole diffère de la vérité.

5° Figure de la Sainte Table dans l'ancienne Loi. — Hérésie de Paul de Samosate.

6° Autres rapports entre la vie des Juifs dans le désert et ce qui se passe actuellement dans l’Eglise

7° Conclusion et exhortation.

1. Les mers que les marins préfèrent à toutes les autres sont celles où les ports et les îles se trouvent en abondance. Une mer sans port, quand bien même le calme y régnerait, est un sujet d'effroi pour ceux qui la sillonnent; mais s'ils aperçoivent des ports, des rivages, des plages de toutes parts, ils naviguent alors avec une entière sécurité. L'onde a beau s'émouvoir un instant, comme il leur suffit d'un moment pour trouver un abri, ils comptent échapper sans peine et sans retard aux maux suspendus sur leurs tètes. Par la. même raison, quand bien même le port est dans le lointain, et non dans le voisinage, il leur suffit de l'apercevoir pour éprouver un grand soulagement. Ce n'est pas, en effet, un médiocre encouragement pour eux, que l'apparition d'une .cime de montagne à l'horizon, qu'une fumée qui s'élève, un troupeau qui paît sur le penchant d'une colline. Néanmoins, c'est seulement quand ils arrivent au port qu'ils goûtent une joie sans mélange. Alors ils déposent la rame, alors ils arrosent d'une eau douce et pure leurs corps imprégnés du sel de l'onde amère, alors ils descendent sur le rivage, et une heure de sommeil sur terre leur fait oublier toutes les épreuves de la navigation. Or, de même que ces hommes se plaisent sur les mers dont j'ai parlé, à cause des fréquentes occasions dé repos qu'ils y trouvent; ainsi je sens, moi aussi, une préférence pour la saison où nous sommes; non point parce que nous sommes délivrés de l'hiver, ni (208) parce que l'été fait souffler sur nous la douce haleine du zéphyr, mais parce que les ports spirituels ne cessent de s'ouvrir à nous, j'entends par là les fêtes des saints martyrs. En effet, les ports ne relèvent pas tant le courage des nautoniers que les fêtés de ces saints ne raniment celui des fidèles. Le port ne délivre le marin que de la fureur des vagues et des fatigues de la rame; mais ceux qui assistent aux solennités en l'honneur des martyrs sont dérobés par cette commémoration aux esprits mauvais et impurs, aux pensées déréglées, aux tempêtes qui agitent l'âme. Les affaires publiques, celles de sa maison, l'accablent de tristesse; il est entré ici traînant après lui sa peine; il s'en va soulagé, tranquille, dispos; content, non d'avoir quitté la raine ou lâché le gouvernail, mais d'avoir déposé l'incommode et pesant fardeau des ennuis de la vie, et de sentir son âme se rouvrir à la joie.

Je vous en atteste, vous tous qui, dans la journée d'hier, avez joui des épreuves du bienheureux Barlaam. Pleins de sécurité, vous vous êtes jetés dans ce port, vous. vous êtes purifiés des amères souillures de la vie, et vous avez revu votre maison, allégés par le tableau de tant de vertus. Et voici que nous allons avoir bientôt d'autres martyrs à célébrer. Mais en attendant que nous courions nous abriter dans ce nouveau port, imitons les matelots; ils chantent pour charmer les ennuis de la traversée; de même, en attendant que nous soyons au port, échangeons entre nous quelques discours spirituels. Le bienheureux Paul sera notre guide dans ce pieux entretien, et nous le suivrons partout où il lui plaira de nous conduire. Quel est donc ce chemin qu'il nous indique? Le chemin qui traverse le désert, ce lieu illustré partant de miracles. Aujourd'hui même vous avez entendu Paul élever la voix et dire : Je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, que tous nos pères étaient sous la nuée et que tous ont traversé la mer, et que tous ont été baptisés en Moïse, et que tous ont mangé le même aliment spirituel, et que tous ont bu le même breuvage spirituel. Car ils buvaient à la pierre spirituelle qui les suivait; et cette pierre était le Christ. Mais Dieu ne se complut point dans la plupart d'entre eux, car ils furent terrassés dans le désert. Et ce sont là des figures pour que nous ne désirions pas les choses mauvaises, ainsi que ces hommes les ont désirées, et pour que nous ne devenions pas idolâtres, à l'exemple de quelques-uns d'entre eux, ainsi qu'il est écrit: Le peuple s'assît pour manger et pour boire, et ils se levèrent pour se divertir. Ne commettons pas la fornication, comme ont fait quelques-uns d'entre eux; et dans un seul jour il en tomba vingt-trois mille. Ne tentons pas le Christ, comme ont fait quelques-uns d'entre eux, et ils périrent par les serpents. Ne murmurons pas, comme ont murmuré quelques-uns d'entre eux, et ils ont été frappés par l'ange exterminateur. (I Cor. X, I, 10; Exod. XXXII, 6.)

Ces paroles semblent claires, et pourtant elles suggèrent certains doutes assez embarrassants à ceux qui réfléchissent. En effet, il y a lieu de rechercher d'abord pourquoi il a' rappelé ces vieilles histoires, par quelle association d'idées, parlant des sacrifices offerts, aux idoles, il se jette dans ce récit qui nous transporte au milieu du désert. En effet, ce bienheureux n'a pas l'habitude de parler à la légère ni au hasard; au contraire, il a toujours soin de mettre beaucoup de suite et un exact enchaînement dans ses discours. Que se propose-t-il donc, et d'où vient qu'il se jette dans, ce récit? Il réprimandait ceux qui allaient étourdiment et sans réflexion vers les idoles, et goûtaient aux victimes offertes sur leurs autels sacrilèges; et après avoir montré que ces imprudents encouraient double dommage, en scandalisant les faibles, et en se rendant eux-mêmes convives des démons, après avoir suffisamment humilié leur orgueil par ses premières paroles, après leur avoir montré que le fidèle ne doit pas songer à lui seulement, mais encore au grand nombre, afin d'augmenter encore leur effroi, il leur remet en mémoire des faits passés depuis longtemps. Voyant que les Corinthiens étaient très-fiers d'être fidèles, d'être délivrés de l'erreur, initiés à la doctrine, associés aux ineffables mystères, appelés au royaume des cieux, et voulant leur prouver que tout cela ne sert de rien, si leur conduite publique n'est pas en harmonie avec ces grâces exceptionnelles, il a recours, pour les en convaincre, à l'histoire des anciens temps.

2. Mais même ceci soulève encore de nombreuses questions. Pourquoi ne se sert-il pas avec eux des paroles du Christ consignées dans l'Evangile ? Pourquoi ne leur parle-t-il pas de la géhenne, des ténèbres extérieures, du ver venimeux, des chaînes éternelles, du feu allumé pour le diable et pour ses anges, des (209) grincements de dents, et autres supplices inexprimables? S'il voulait les effrayer, il aurait dû recourir à ces châtiments d'un ordre supérieur, et non pas à ceux qui furent infligés dans le désert. En effet, les coupables d'alors, s'ils furent punis, le furent avec moins de rigueur et sur le coup, et tout fut terminé dans un jour; au lieu que les damnés subiront des peines éternelles en même temps que plus rigoureuses. Pourquoi donc a-t-il choisi cet exemple afin d'effrayer, au. lieu de rappeler les paroles du Christ? En effet, rien ne l'empêchait de leur dire : Je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, les lois que. le Christ a édictées au sujet de ceux qui, ayant la foi, n'auront pas,, une vie sans reproche. Ne voyez-vous pas qu'il a exclu du royaume des cieux des gens qui avaient fait des miracles et se montraient prophètes, lorsqu'il a dit: Beaucoup me diront dans ce ,jour : Seigneur, Seigneur, n'est-ce pas en votre nom que nous avons chassé des démons, n'est-ce pas en votre nom que nous avons prophétisé, et que nous avons fait beaucoup de miracles ? Et alors je leur dirai hautement Retirez-vous de moi, je ne vous connais pas, artisans d'iniquité! (Matth. VII, 22-23.) Ce qu'il reprochait aux vierges, ce n'était pas de manquer de foi ou d'être infidèles aux dogmes; c'est à cause de leur vie dissolue, de leur inhumanité, de leur dureté, qu'il leur interdit la chambre nuptiale. (Matth. XXV, 10-12.) S'il a fait lier et mettre à la porte l'homme revêtu d'habits sordides (Matth. XXII, 11-13), ce n'est point comme manquant d'orthodoxie, mais comme vivant dans la fange de l'impureté. De même, ceux qu'il a condamnés au feu préparé pour le diable et ses anges , ne furent pas envoyés par lui à ce supplice comme ayant abandonné la foi, mais comme n'ayant jamais eu de pitié pour personne. Paul eût pu rappeler ces faits avec ceux qui s'en rapprochent, et dire : Je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, que tous ces gens-là avaient reçu le baptême, participé aux mystères, montré beaucoup de foi et acquis une science profonde; néanmoins comme leur vie ne répondait pas à leur foi, ils furent exilés du royaume et livrés au feu. Pourquoi. donc, au lieu de parler ainsi, au lieu de citer ces exemples, a-t-il mieux aimé dire quelque chose comme ceci : Je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, que nos pères ont tous été sous la nuée , et leur rappeler le récit de Moïse, en passant d'abord sous silence

les choses qui se rapportent au règne de la grâce? Ce n'est pas sans réflexion ni sans motif qu'il a pris ce parti-; car il était plein de sagesse, mais quel a pu donc être son motif ou son but? Il y en a deux : d'une part, il voulait rendre sa réprimande plus efficace, et, de l'autre, montrer la parenté des deux Testaments.

En effet, on voit beaucoup de gens qui ne croient pas à la géhenne, et n'admettent pas même l'existence du châtiment; ils croient que Dieu. n'a proféré ces menaces que pour nous faire peur et nous corriger; et de là, selon eux, le ver éternel, le feu inextinguible, les ténèbres extérieures; mais ils ne peuvent révoquer en doute les faits qui se sont passés. Car, comment prétendre que ce qui est arrivé n'est point arrivé eu effet? Les choses que personne n'a. vues, qui tic se sent point réalisées visiblement, rencontrent beaucoup d'incrédules. Mais les faits, les événements accomplis, il n'y a nos un être, si incapable et si stupide qu'il soit, qui puisse, quand il le voudrait, en nier la réalité. L'Apôtre part donc des faits bien reconnus, des faits accomplis, de ceux dont il reste beaucoup de traces, afin de convaincre les coupables de l'exacte justice de Dieu. C'est à peu près comme s'il dirait: Si tu doutes de la géhenne , du châtiment, du supplice, et que ce soient là, à tes yeux, de simples menaces de Dieu, repasse dans ton esprit les faits passés, et apprends ainsi à croire à ceux qui doivent arriver. En effet, si c'est le même Dieu qui régnait alors et qui règne aujourd'hui, au temps de la grâce, comme au temps de l'ancienne loi; comment admettre qu'il ait alors puni et livré au supplice Ics pécheurs, et qu'aujourd'hui il nous fasse grâce, à nous qui sommes encore plus criminels? Réponds-moi : Les Juifs ont forniqué, et ils ont été châtiés? Ils ont murmuré, et ils ont été punis. Il faut bien que tu m'accordes cela. Eh bien ! comment Celui qui a puni ces téméraires pourrait-il excuser chez toi des fautes analogues? Cela serait absurde. Mais tu n'as pas été puni ici-bas? Raison de plus pour que tu croies aux supplices de la géhenne, puisque tu n'as pas été puni dans ce monde. En effet, si quelque châtiment ne t'attendait pas dans l'autre vie, tu ne serais pas demeuré impuni , après avoir commis les mêmes fautes que ces anciens pécheurs.

Par conséquent, s'il t'arrive de rencontrer, un voluptueux, un libertin, un homme adonné sans nulle pudeur à tous les dérèglements, et (210) que tu l'entendes traiter le châtiment et la géhenne de pures fables, de simples menaces proférées par Dieu pour nous intimider, tiens-lui ce langage : Mon ami, tu ne crois pas à l'avenir, parce qu'il n'est pas visible , parce que nous ne l'avons pas sous la main, parce que nos regards ne l'atteignent pas. Mais quand il s'agit de faits passés et accomplis, le doute est-il encore possible ? Songe un peu à Sodome et à Gomorrhe. Si cette contrée fut condamnée à un châtiment si terrible, c'est simplement parce que les habitants de ces villes avaient donné l'exemple de habitants illégitimes, d'amours défendus, et avaient bouleversé les lois de la nature. Comment donc admettre que Dieu, toujours le même alors et aujourd'hui, ait alors châtié ces coupables sans miséricorde, et que toi , qui as péché après eux , toi bien plus condamnable et digne d'un bien plus grand châtiment, puisque tu as eu part au bienfait de la grâce, et que tu n'as pas été corrigé par cet épouvantable exemple, que toi, dis-je, tu échappes à la punition qui t'est due?

3. Voilà pourquoi Paul évite dé parler d'abord de la géhenne , parce que les choses futures sont loin de trouver toujours créance, et ne se sert que de faits passés et bien établis pour corriger ceux à qui il s'adresse. C'est que, si l'avenir est plus terrible , le passé est plus croyable aux yeux des hommes mal instruits, et, par conséquent,-plus propre à leur. inspirer de la crainte. Aussi il emprunte ses arguments à des faits contre lesquels le plus téméraire n'oserait s'inscrire en faux, et en même temps il porte un coup mortel à Marcion, à Manès et à tous ceux qui partagent leur infirmité. Je m'explique : Si le Dieu de l'Ancien Testament n'est pas le Dieu du Nouveau, si l'Auteur de la vieille loi n'est pas le même qui devait promulguer la nouvelle, ô Paul, tes paroles sont inutiles, tu n'inspires aucune crainte à tes auditeurs. Car celui qui t'écoute peut t'objecter que si ces dieux sont deux dieux différents , celui que nous servons ne nous jugera pas d'après,les décrets de l'autre et ne se conformera pas aux mêmes lois. En. quoi les châtiments qu'il a plu au Dieu de l'ancienne loi d'infliger au coupable peuvent-ils me faire peur à ta voix et me remplir d'épouvante? C'est un autre Maître qui doit me juger. On voit que, si le Dieu de la nouvelle loi diffère du Dieu de l'ancienne , Paul est allé tout à fait contre son but; car, loin d'effrayer l'auditeur, il l'a délivré de toute crainte et de toute angoisse. Mais le premier venu, le moins intelligent des hommes ne tomberait pas dans une fauté aussi grossière, à plus forte raison Paul, dont la sagesse était si grande. Il faut donc. reconnaître que c'est un seul et même Dieu qui a frappé les Juifs dans le désert, et qui punira un jour ceux d'entre nous qui auront péché. En effet, je le répète , si ce n'était pas un seul et même Dieu, Paul ne se fonderait pas sur les actes du Dieu de l'ancienne loi pour nous effrayer sur l'avenir qui nous attend ; mais, parce que c'est un même Dieu, il n'y a pas moyen de réfuter Paul quand il menace les coupables du châtiment et leur montre qu'ils doivent craindre et trembler : car, Celui qui a puni nos pères de leurs péchés ne fera pas grâce à leurs fils , coupables des mêmes infractions.

Mais il faut revenir au commencement même du récit et peser scrupuleusement chaque mot : Je ne veux pas que vous ignoriez, frères. Il appelle les disciples : frères , non en raison de leur dignité, mais en raison de sa charité. Il savait, en effet, il savait à merveille que rien n'égale cette vertu, et que la plus haute dignité réside dans la plus grande charité. Premier exemple offert à notre émulation. Quelque supériorité que nous puissions avoir sur ceux à qui nous parlons, donnons-leur des noms qui marquent notre sollicitude pour eux, qu'ils soient libres ou esclaves, riches ou pauvres. En effet, ce ne sont pas seulement les riches d'entre les Corinthiens, ni les hommes libres, ni les hommes éminents, ni les hommes distingués , mais encore les simples particuliers, les valets, tous les fidèles enfin, que Paul honore indistinctement de ce nom. C'est qu'il n'y a en Jésus-Christ ni esclave, ni homme libre, ni barbare, ni scythe, ni savant, ni ignorant; là, toute l'inégalité des conditions mondaines disparaît. Et qu'y a-t-il d'étonnant à ce que Paul ait ainsi dénommé ses compagnons d'esclavage quand son Maître lui-même a rendu le même honneur à notre nature en disant : J'annoncerai ton nom à mes frères, je te louerai au milieu de l'Église? (Ps. XXI, 23.) Et non-seulement il nous a appelés frères, mais encore il a voulu devenir -notre frère; il a revêtu, pour naître, une chair comme la nôtre, et participé à notre nature. Et cela même faisait dire à Paul, en son admiration . Nulle part Dieu ne prend les anges, (211) mais c'est la race d'Abraham qu'il prend; aussi a-t-il dû se rendre en tout semblable à ses frères (Hébr. II, 16, 17); et encore : Comme les enfants ont participé à h chair et ait sang, ainsi lui-même y a participé. (Ib. V, 14.)

Vous entendez ! Chassons (loue de nos âmes vanité, présomption et toute espèce d'orgueil, et apportons le plus grand soin à saluer notre prochain de noms qui l'honorent et témoignent de notre zèle à le servir. C'est là, dira-t-on, un petit et mince mérite; oui, mais c'est, le principe de grands biens, tandis que la conduite contraire entendre fréquemment quantité, de haines, de dissensions et de querelles. Mais ce n'est pas seulement cette parole, c'est la suivante qui mérite d'être examinée avec beaucoup d'attention, car ce n'est pas au hasard qu'il l'a écrite. Après avoir dit: Je ne veux pas que vous ignoriez, frères, il ajoute : Que tous nos pères; il ne dit pas les Juifs, ni ceux gui sont sortis d'Egypte, mais tous nos pères; et par là, tout à la fois, il montre Fort humilité, puisqu'il ne dédaigne pas de reconnaître les pécheurs comme ses parents, lui qui leur est si supérieur eu vertu, et il ferme la bouche aux impudents qui osent calomnier l'ancienne loi. En effet, s'il avait pris en haine l'Ancien Testament, il ne se serait point servi des plus honorables expressions pour parler de choses jurées indistinctement condamnables. Tous, ce mot là n'est pas mis au hasard ni accidentellement, mais dans une intention pleine de sagesse. La preuve, c'est qu'il ne s'est pas borné à s'en servir une fois, mais qu'il l'a répété deux fois, trois fois, et plus ; c'est afin de vous faire entendre l'importance qu'il y attache. Quand il a dit: Que tous nos pères ont été sous la nuée, il ajoute : Et tous ont traversé la mer, et tous ont été baptisés en Moïse; et tous ont mangé le même aliment spirituel, et tous ont bu le même breuvage spirituel. Voyez-vous combien de fois revient ce mot tous ? Paul ne l'eût pas employé si souvent s'il n'avait voulu faire allusion à quelque grand et admirable mystère. S'il n'avait pas eu d'intention particulière c'était assez d'une fois, et il aurait suffi de dire : Que tous nos pères ont été sous la nuée, ont traversé la nier, ont été baptisés en Moïse, ont mangé le même aliment spirituel, ont bu le même breuvage spirituel. Mais non , à chaque fait nouveau il a répété le mot tous, et par là il nous ouvre un grand jour sur sa pensée, un jour qui nous permet de sonder sa sagesse. Pourquoi donc cette perpétuelle répétition ? C'est qu'il veut nous montrer la parenté des deux Testaments et nous faire entendre que le premier était l'image du second, et comme une esquisse de l'avenir. Et voici par où il commence pour mettre en évidence cette harmonie. Il veut établir un rapport avec l'Eglise dans laquelle aucune distinction n'existe entre l'esclave et l'homme libre, entre l'étranger et le citoyen , le vieillard et le jeune homme, le savant et l'ignorant, le magistrat et le simple particulier, l'homme et la femme, et où tous les rangs, où les deux sexes vont pareillement se plonger dans les eaux du baptême, où le monarque et le mendiant sont admis à la même purification ; c'est en effet le plus grand signe de la générosité chrétienne que nous imitions également et le mendiant et l’homme revêtu de la pourpre, et que l'un n'ait aucune prérogative sur l'autre en ce qui concerne les mystères. — Afin de montrer ce rapport, Paul introduit le mot tous dans le récit de l'Ancient Testament. Et, en effet, on ne peut avancer que Moïse ait suivi la route de terre, tandis que les Juifs traversaient les flots, ni que les riches aient pris alors un chemin, les pauvres un autre, ni que les femmes aient passé au grand jour et les hommes sous la nuée; non, tous ont traversé la mer, et tous étaient sous la nuée, et tous ont été baptisés en Moïse. En effet, ce passage étant l'image du futur baptême, il fallait avant tout, pour que l’image fût parfaite, que tous eussent joui des mêmes bienfaits, de même qu'aujourd’hui tous participent également aux mêmes grâces. Plais, dira-t-on, comment ces événements peuvent-ils être une figure de ce que nous avons soirs les yeux? Apprenez donc d'abord ce que c'est que figure, ce que c'est que vérité, ensuite je vous rendrai compte de ce que je viens de dire.

4. Qu'est-ce donc qu'une figure? qu'est-ce qu'une vérité? Voyons, prenons pour exemple les portraits que font les peintres. Vous avez vu plus d'une fois un peintre reproduire les traits d'un monarque: le portrait est d'abord coloré d'une teinte d'azur, puis l’artiste, en traçant des lignes blanches, représente le monarque, son trône, et près de lui des chevaux, des gardes , enfin des ennemis enchaînés subjugués. Cette esquisse ne vous instruit pas complètement, et ne vous laisse pas complètement dans l'ignorance; vous entrevoyez qu'elle (212) représente un homme, un cheval; mais quel est ce monarque, quel est cet ennemi? Nous ne le devinez qu'à moitié, jusqu'à ce que la vérité des couleurs vienne éclaircir les objets et les rendre reconnaissables. Maintenant , ainsi que vous n'exigez pas de ce portrait une représentation parfaite, avant qu'il ait été revêtu de couleurs expressives, et que vous vous contentez d'y trouver une indication vague des choses, tant qu'il reste à l'état d'esquisse ; c'est ainsi que vous devez juger de l'Ancien et du Nouveau Testament, au lieu d'exiger de moi que je vous fasse voir sur le dessin la vérité dans toute son exactitude. Alors nous pourrons vous enseigner comment l'ancienne loi avait une certaine parenté avec la nouvelle, et comment le passage des Juifs a du rapport avec notre baptême. D'abord, ici et là, l'eau joue un rôle : d'une part, une piscine; de l'autre, la mer. Ici, tous se plongent dans l'onde; c'est la même chose là-bas. Voilà la parenté. Exigez-vous maintenant la vérité des couleurs? Là, ils s'échappaient de l'Egypte en traversant les flots; ici c'est de l'idolâtrie ; là le pharaon était submergé, ici c'est le diable; là les Egyptiens se noyaient, ici le vieil homme chargé d'iniquités est englouti. Considérez le rapport de l'image à la vérité, et la prééminence de la vérité à l'égard de l'image; l'image ne doit pas différer en tout de la vérité, autrement ce ne serait pas une image : par contre, elle ne doit pas non plus égaler la vérité, autrement elle se confondrait avec elle. Il faut qu'elle se tienne dans l'espèce de conformité qui lui appartient, qu'elle n'ait pas tout de la vérité, et qu'elle ne s'en écarte pas non plus en tout point; car clans le premier cas, elle serait elle-même vérité; dans le second , elle cesserait d'être image. Elle doit emprunter à la vérité certains traits, et lui laisser les autres. Ne me demandez donc pas de vous faire voir toute la nouvelle loi dans l'ancienne, et quand vous aurez trouvé dans celle-ci quelques allusions, si petites et si voilées qu'elles soient, tenez-vous pour contents. Dès lors, en quoi consiste le rapport de l'image à la vérité ? En ce qu'il s'agit de tous, là comme ici; en ce que là, comme ici, l'eau sert de chemin; en ce que les Juifs, aussi bien que nous, ont été délivrés de l'esclavage , bien que d'un autre esclavage; car ils étaient esclaves des Égyptiens, et nous des démons; ils l'étaient des barbares et nous du péché. Comme nous, ils ont été remis en liberté, bien que notre liberté diffère de la leur et soit bien plus glorieuse. Et si tout est plus grand chez nous que chez eux, que cela ne vous déconcerte point; c'est justement ce qui caractérise la vérité, de surpasser de beaucoup son image, sans qu'il y ait opposition ni contraste.

Mais que veut dire ceci : tous furent baptisés en Moïse? Peut-être cette parole est-elle obscure : je vais essayer de l'éclaircir. La mer s'étendait alors sous les yeux des Juifs, et ordre leur était donné de s'engager dans un chemin étrange, inouï, que jamais n'avait suivi aucun des mortels. Ils hésitaient, ils tergiversaient, se désespéraient. Moïse passa le premier, et tous n'eurent désormais qu'à marcher sans obstacle sur ses pas. Voilà ce que signifie: Ils furent baptisés en Moïse. C'est parce qu'ils eurent foi en lui, qu'ils osèrent entrer dans l'eau et passer à sa suite. La même chose s'est répétée à l'égard du Christ: après. nous avoir délivrés de l'erreur, affranchis de l'idolâtrie, nous conduisant comme par la matin au céleste royaume, il entra le premier dans la voie, le premier il monta au ciel.

Eh bien! de même que les Juifs, confiants dans Moïse, ne craignirent plus de passer, de même nous aussi, confiants dans le Christ, osons entreprendre ce voyage. Et que tel est le sens de l'expression : Ils furent, baptisés en Moïse, c'est ce que démontre l'histoire: car ils ne furent point baptisés au nom de Moïse. Mais, parce que non-seulement nous avons Jésus pour guide, mais que nous nous faisons encore baptiser en son nom, tandis que les Hébreux n'ont pas été baptisés au nom de Moïse, ceci n'est pas non plus une raison de nous inquiéter ; en effet, j'ai dit quelle supériorité immense et incalculable appartient à la vérité.

Voyez-vous maintenant, en ce qui concerne le baptême, quelle est l'image, quelle est la vérité? A présent, je vais vous montrer dans l'Ancien Testament une esquisse de la sainte Table et de la participation aux mystères, à condition qu'en ceci encore, vous n'exigerez pas de moi une conformité parfaite, et que vous examinerez les faits comme il est donné au dessin et aux images de les représenter.

Après avoir fait mention de la mer, de la nuée et de Moïse, il poursuit en ces termes: Et tous ont mangé le même aliment spirituel. Ainsi que toi, veut-il dire, tu sors du (213) baptistère pour courir à la Table, ainsi les Hébreux, en sortant de la mer, allèrent à un festin extraordinaire et singulier : c'est de la manne que je veux parler. Puis, de même que tu t'abreuves d'une boisson merveilleuse, le sang du Sauveur, de même ils eurent pour se désaltérer un breuvage inattendu, non l'eau des fontaines, ni celle des fleuves, mais celle qui jaillit à l'improviste et en abondance d'un aride rocher. C'est pour cela même qu'il appelle cette boisson spirituelle, non point que telle fût sa nature, mais parce que son origine la rendait telle : car ce n'est point selon l'ordre de la nature qu'elle leur fut donnée, mais bien selon la volonté toute-puissante de Dieu qui les commandait. C'est ce qu'il dit lui-même en se reprenant. Car après ces mots : Et tous burent le même breuvage spirituel, attendu que ce breuvage était de l'eau, voulant faire voir que s'il l'avait nommé spirituel, ce n'était pas à raison de sa nature, mais à raison de sa provenance, il continue en ces termes : car ils buvaient à la pierre spirituelle qui les suivait; et cette pierre était le Christ. Il veut dire par là que ces sources n'étaient point dues à la pierre, mais au pouvoir efficace de Dieu.

5..Par là, il extirpe en même temps l'hérésie de Paul de Samosate. Car, si le Christ était l'auteur de toutes ces choses, comment ces hommes peuvent-ils prétendre qu'il n'existait pas avant que Marie l'eût, enfanté ? En effet, si les aventures du désert ont précédé Marie, et si c'est le Christ qui y a présidé comme Paul le prétend, il existait donc avant cet enfantement, il existait avant la gestation: car, à coup sûr, s'il n'avait pas existé, il n'aurait pas opéré des miracles aussi surprenants. Ensuite , le saint auteur qui précédemment, en disant que tous ont traversé la nier, a montré dans le passé une image anticipée de la générosité de l'Eglise, en ajoutant plus bas : Ils ont mangé le même aliment spirituel, fait encore allusion à la même chose. En effet, ainsi que dans l’Eglise, il n'y a pas un corps pour le riche, un autre corps pour le pauvre, un sang pour le premier, un autre sang pour le second; de même dans le désert, la manne du riche ne fut point. autre que la manne du pauvre; la source où but le riche ne coula point moins abondante pour le pauvre: mais, comme parmi nous, la même table, la même boisson, la même nourriture sont offertes à quiconque entre ici : de même alors, la même manne, la même source était à la disposition de tous. II y a plus chose étonnante et incroyable ! quelques-uns des Hébreux essayèrent de recueillir plus qu'il ne leur était nécessaire, et ne gagnèrent rien à s'être montrés cupides. Tant qu'ils respectaient l'équité, la manne restait manne ; mais dès qu'ils voulurent accaparer, leur avarice transforma la manne en vers. Et pourtant cette avarice ne nuisait pas au prochain, puisqu'ils ne touchaient pas à la subsistance d'autrui pour augmenter leur provision : néanmoins, parce qu'ils avaient été insatiables, ils furent condamnés. Car, s'ils ne faisaient pas tort au prochain, ils se faisaient le plus grand tort à eux-mêmes, en s'habituant à l'avarice par la façon dont ils amassaient. Ainsi, en même temps qu'ils se nourrissaient, ils s'instruisaient dans la science divine ; en même temps qu'ils soutenaient leurs corps, leurs âmes étaient édifiées. Et non-seulement la manne les nourrissait, mais encore elle les exemptait de maint labeur. Ils n'avaient besoin ni d'atteler des boeufs, ni de tirer une charrue, ni d'ouvrir des sillons, ni d'attendre une année : ils avaient leur repas sous la main, repas extraordinaire, étrange et quotidien ; l'expérience les instruisait de ce précepte évangélique, qu'il ne faut pas songer au lendemain : un tel souci n'aurait été d'aucune utilité pour eux. En effet, ce que l'on amassait par précaution se gâtait, était perdu, et tout ce qu'on gagnait à cela, c'était d'être convaincu d'avarice. Maintenant, n'allez pas croire que cette pluie fût dans l'ordre de la nature : la preuve, c'est qu'au jour du sabbat, il ne se passait rien de pareil ; Dieu voulait faire savoir en même temps aux Hébreux, et que c'était lui qui, les jours précédents, faisait tomber cette pluie étrange et miraculeuse, et qu'il cessait ce jour-là, pour leur apprendre, même par contrainte, à garder le repos le jour du sabbat.

Mais ce n'est pas seulement en ce qui concerne la nourriture, c'est encore en ce qui touche les vêtements , les chaussures et le reste, que l'on pouvait voir réalisées dans les faits les prescriptions des apôtres. En effet, les Juifs n'avaient ni maison, ni table, ni lit, ni vêtement de rechange, ni chaussure, Dieu en ayant ainsi disposé. Voyez quelle analogie entre l'Ancien et le Nouveau Testament ! Le Christ imposait aux apôtres l'obligation de se réduire au nécessaire; telle était à peu près la manière de vivre des Juifs, et toute la création (214) se pliait à leur usage. Et pourquoi cela, direz-vous? Dieu devait les cantonner dans un endroit de la terre , et leur ordonner de l'y adorer constamment, de n'élever ailleurs ni temple ni autel, mais de lui apporter là leurs offrandes, leurs victimes, d'y célébrer leurs fêtes, d'y lire la loi, d'y accomplir enfin tous les autres rites de la sanctification. Afin donc que ce culte circonscrit ne les induisit pas à croire que sa Providence elle-même était resserrée entre les mêmes limites, et qu'il n'était que le Dieu d'un pays, pour prévenir cette erreur, il manifesta sa puissance sur la terre étrangère, en Egypte, au désert, où il n'avait ni fidèles ni adorateurs ; et la création se prêtait aux effets contraires par lesquels il agissait, forçant ainsi les incrédules eux-mêmes à reconnaître la nature pour l'ouvrage du Seigneur. En effet, la mer noyait les uns, sauvait les autres; l'air, ou bien précipitait la grêle et ruinait les barbares, ou bien laissait tomber la manne et nourrissait les Juifs. La terre à son tour produisait tantôt des insectes pour le châtiment de ennemis, tantôt des cailles pour le salut du peuple de Dieu. Pour les uns il faisait nuit en plein jour, les autres voyaient une lumière s'allumer dans la nuit. Les Egyptiens, riverains du Nil, succombaient à la soif et à la sécheresse; les Juifs, campés dans un désert sec et aride, avaient de l'eau en abondance. Ceux-là ne pouvaient résister à des grenouilles, ceux-ci bravaient l'attaque des géants.

6. Mais pourquoi le bienheureux Paul évoque-t-il devant vous ces souvenirs ? Par la raison que j'ai dite en commençant, pour vous convaincre que ni le baptême, ni la rémission des- péchés, ni la doctrine, ni la participation aux mystères, ni la sainte table, ni le droit de goûter du corps, ni celui de participer au sang, ni aucune autre de ces choses ne pourra nous être d'aucune utilité si nous n'avons une vie droite, honorable et exempte de tout péché. Et voici la preuve que telle fut son intention : après avoir expliqué la figure du baptême, cachée dans le passage de la mer et dans la nuée , il passe à celle des mystères représentés dans l'Ancien Testament par la manne et le rocher; puis, après avoir dit que tous ont mangé le même aliment spirituel, et ont bu le même breuvage spirituel , il poursuit en ces termes : Mais Dieu ne se complut point dans la plupart d'entre eux. Après tant d'éclatants prodiges, remarque-t-il, Dieu n'eut point d'amour pour eux. Ensuite : Ils furent terrassés dans le désert. Où veux-tu en venir, ô Paul ? Ce sont là des figures pour que nous ne désirions pas les choses mauvaises, ainsi que ces hommes les ont désirées, et que nous ne devenions pas idolâtres, à l'exemple de quelques-uns d'entre eux, ainsi qu'il est écrit : Le peuple s'assit pour manger et pour boire; et ils se levèrent pour se divertir.

Voyez la sagesse de Paul. Il a indiqué le péché, il a indiqué le motif du péché ; il a indiqué le châtiment infligé en punition du péché ; par là il nous avertit de ne pas imiter ces coupables. Le motif du péché fut la gourmandise : Le peuple s'assit pour manger et pour boire. Son péché fut son divertissement même. Voici maintenant le châtiment: Ils furent terrassés dans le désert. Mais il poursuit : Ne commettons point la fornication, comme ont fait quelques-uns d'entre eux. Ici il omet la cause, et ne parle que du châtiment. Ce châtiment, quel fut-il donc? Il en tomba vingt.-trois mille dans un seul jour. Mais pourquoi n'avoir rien dit des circonstances qui les excitèrent à la fornication ? il a laissé à ceux qui voudraient s'en enquérir le soin de recourir à l'histoire, et de retrouver le principe du mal, comme font les médecins qui révèlent l'origine des maladies, et y appliquent leurs remèdes. Aussi a-t-il soin de dire : Or toutes ces choses leur arrivaient en figure, et elles ont, été écrites pour nous servir d'avertissement. Ainsi l'Auteur de ces événements, Celui qui châtia ces coupables, est Celui qui nous avertit aujourd'hui, non-seulement par des paroles, mais enture par des faits; ce qui est la meilleure manière d'avertir. Voyez-vous comment Paul donne pour maître, à ceux qui vivent sous la loi de grâce, Celui qui faisait ces choses au temps de l'ancienne loi, en montrant que les actes accomplis alors, et les paroles actuellement dictées à lui-même doivent être rapportées à la même origine ! Car, si le vrai Dieu n'avait été pour rien dans ces actes, Paul n'aurait certes pas dit que c'étaient là des figures, ni que le récit en avait été fait pour nous servir d'avertissement; et il n'aurait pas eu recours à l'histoire de ces temps pour nous effrayer, comme si nous devions tomber entre les mains du Dieu des Hébreux. Mais afin de nous montrer que nous devons subir son jugement, et que l'un et l'autre peuple, celui d'alors et celui d'aujourd'hui, sont sujets à ces (215) lois, il a évoqué tous ces souvenirs, et a dit que cet endroit des Ecritures était destiné à nous servir d’avertissement. Instruits de ces choses, croyons à l'avenir comme au passé. Et s'il se rencontre des gens qui n’y veulent point croire, servons-nous du passé pour les amener à l'amour de la vertu : racontons-leur la ruine de Sodome, les calamités du déluge, les fléaux déchaînés sur l'Egypte, afin que, ramenés au bien par l'exemple des châtiments infligés à autrui , et vivant désormais comme il convient, ils admettent les dogmes de la géhenne et de la résurrection. En effet, ceux qui ne croient pas au jugement ne sont dans cette erreur que parce que leur vie est dissolue, et que leur conscience n'est pas tranquille.

Par conséquent, il suffit que nous nous lavions de nos péchés, et que nous nous instruisions par la peur, au souvenir des châtiments passés, pour résoudre notre esprit à croire au jugement futur. Car, si les mauvaises doctrines amènent souvent le dérèglement des moeurs, souvent aussi la corruption donne naissance à l'erreur. Répétons donc ces paroles, pour que .rien de pareil n'arrive ni à nous ni aux autres; restons dans le droit chemin de la foi, et vivons chrétiennement , puisqu'il a été démontré surabondamment que les dogmes ne servent à rien quand la vie n'est point vertueuse. Puissent les prières des saints et des bienheureux faire que nous conservions dans sa pureté la doctrine de vérité que nous avons reçue de nos pères, et que notre vie réponde à notre foi, par la grâce et la charité de Notre Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, honneur et puissance, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

Cette homélie, ainsi que les trois précédentes, a été traduite par M X***
 

 

 

 

 

 

 

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