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Saint Jean Chrysostome
Homélies Diverses

.HOMELIES TOME 4

 

 

 

 
HOMELIES TOME 4 *

HOMÉLIE SUR CE TEXTE : IL FAUT QU'IL Y AIT DES HÉRÉSIES PARMI VOUS, ETC. (ROM. VII, 20.) *

HOMÉLIES SUR CE TEXTE PARCE QUE NOUS AVONS UN MÊME ESPRIT DE FOI. *

PREMIÈRE HOMÉLIE. Sur ces paroles de l'Apôtre : " Parce que nous avons un même esprit de foi, selon qu'il est écrit (II Cor. IV, 13) ; et sur ces mots : J'ai cru ; c'est pourquoi j'ai parlé (Ps. CXVII, 10) ; et sur l'aumône. " *

DEUXIÈME HOMÉLIE. Contre les Manichéens et tous ceux qui calomnient l'Ancien Testament et le séparent du Nouveau, et sur l'aumône. *

TROISIÉME HOMÉLIE. Dieu a tenu envers les justes de l'Ancienne Loi la même conduite qu’envers tous les fidèles de la Loi nouvelle. De l'aumône. *

HOMÉLIE CONTRE CEUX QUI ABUSENT DE CETTE PAROLE DE L'APÔTRE : PAR OCCASION OU PAR VÉRITÉ LE CHRIST EST ANNONCÉ. (PHIL. I, 18.) et sur l'humilité (1). *

HOMÉLIE SUR LES VEUVES. Sur ce texte : " Que celle qui sera choisie pour être mise au rang des veuves, n'ait pas moins de soixante ans (I Tim. V, 9) " De l'éducation des enfants et de l'aumône. *

HOMÉLIE SUR CE SUJET: QU'IL NE FAUT PAS DIVULGUER LES DÉFAUTS DE SES FRÈRES NI PRIER POUR QU'IL ARRIVE DU MAL A SES ENNEMIS. *

HOMÉLIE SUR CE SUJET : QU'IL NE FAUT PAS DÉSESPÉRER DE SOI-MÊME NI PRIER CONTRE SES ENNEMIS ni se décourager quand la prière n'est pas exaucée, et que les maris doivent vivre en paix avec leurs femmes. *

HOMÉLIES SUR LA DISGRACE D'EUTROPE. *

PREMIÈRE HOMÉLIE. *

DEUXIÈME HOMÉLIE. Prononcée après qu’Eutrope, pris hors de l’église, eut été livré au supplice. — Des saintes Ecritures, et sur ce texte : " Adstitit regina a dextris tuis " (Ps. XLIV, 10.) *
 

 

 

HOMÉLIE SUR CE TEXTE : IL FAUT QU'IL Y AIT DES HÉRÉSIES PARMI VOUS, ETC. (ROM. VII, 20.)
AVERTISSEMENT et ANALYSE.

Nous ne pouvons rien dire, même par conjecture sur la date ni sur le lieu de cette homélie.

1° Le mot qu’il faut ne doit pas s’entendre dans le texte ci-dessus d'une nécessité quelconque ; mais c'est simplement une prédiction que fait l'Apôtre. Le mot grec ina du texte n'indique pas la cause mais l'événement. — 2° Dans ce passage de saint Paul, il ne s'agit pas des hérésies proprement dites, mais des scissions que l'orgueil faisait naître entre les riches et les pauvres de Corinthe. — 3° Charmante description de l'agape chrétienne dans les premiers temps de l'Église. — 4° Saint Paul reprend les riches fortement et doucement. Continuation du commentaire. — 5° Exhortation.

1. Une assez ardente émotion éclatait dernièrement dans ce théâtre spirituel, quand je vous montrais dans mon discours Jérusalem gémissant et annonçant ses propres malheurs: Alors je vis vos yeux se gonfler de larmes toutes prêtes à couler; je vis -les sentiments qui oppressaient mon âme, pénétrer dans les vôtres et les remplir de douleur et de trouble. Aussitôt je mis fin à cette tragédie; je dérobai mon sujet, et j'arrêtai les gémissements qui allaient s'échapper du fond de vos coeurs. Car l'esprit en proie à la douleur ne saurait proférer ni recevoir aucune parole salutaire. Mass pourquoi vous ai-je rappelé ce souvenir? Parce que le sujet que je dois traiter aujourd'hui tient de près à celui que je traitais en ce jour. Mes paroles d'alors réprimaient la mollesse de notre conduite et corrigeaient notre négligence du devoir. Ce que je vais dire maintenant vous donnera peut-être une connaissance plus sûre et plus exacte de nos dogmes. Il faut qu'en toutes choses nous soyons accomplis, que nous atteignions à la perfection de l'homme, à la mesure de l'âge (Eph. IV, 13) , selon l'expression du divin Apôtre. C'était votre corps que je soignais alors en parlant de morale; c'est votre tête que je guéris aujourd'hui en traitant du dogme; alors avec les paroles de Jérémie, aujourd'hui avec celles de Paul.

Que signifient donc les paroles de Paul qui me servent de texte aujourd'hui? Il faut qu'il y ait, dit-il, des hérésies parmi vous, de sorte qu'on découvrira ceux d'entre vous qui ont une vertu éprouvée. (I Cor. II,19.) Importante question. Car si c'est un conseil que donne Paul, et s'il faut vraiment qu'il y ait des hérésies, les hérésiarques sont innocents. Mais il n'en est ,point ainsi; bien loin de là. Ce n'est pas un conseil, c'est une prédiction que contiennent ces paroles. Quand un médecin voit un malade se livrer à la boisson, à la débauche et violer ses défenses, il faut, dit-il, que ces excès engendrent la fièvre. Ce n'est point une loi qu'il impose, un conseil qu'il donne; c'est une prévision de l'avenir que lui inspire le présent. De même le laboureur ou le pilote voyant les nuages amoncelés et sillonnés de tonnerres et d'éclairs, dit : Il faut que ces nuages amènent la pluie et de violents orages. Ce n'est point l'expression d'un désir, c'est une prédiction. C'est dans ce (217) sens que Paul a employé le mot : il faut. Et nous-mêmes, quand nous voyons des gens se disputer et s'accabler mutuellement d'injures, nous disons : Il faut que ces gens en viennent aux coups; ils ont besoin d'être surveillés. Ce n'est ni un conseil ni une exhortation (comment cela serait-il?), c'est une conjecture que nous inspire ce que nous voyons. Ainsi Paul ne donne point un conseil quand il dit : Il faut qu'il y ait parmi vous des hérésies; il prédit et prophétise l'avenir. Une preuve qu'il ne conseille point l'hérésie, c'est que c'est lui qui a dit : Quand un ange vous annoncerait un autre Evangile que celui que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème. (Gal. I, 8.) C'est lui-même qui; voyant la loi de la circoncision intempestivement observée et la pureté de sa prédication exposée aux calomnies, rejette la circoncision et dit : Si vous vous faites circoncire, Jésus-Christ ne vous servira de rien. (Gal. V, 2.) Mais pourquoi, me direz-vous, a-t-il indiqué cette cause des hérésies, que par elles on découvrira ceux qui ont une vertu éprouvée? Mais le mot "Iv", dans les Ecritures, est souvent employé, non pour indiquer une cause , mais la façon dont les choses arriveront. Par exemple le Christ vient et rend la vue à un aveugle : cet homme aussitôt l'adora; mais les Juifs; après cette guérison, tentèrent par tous les moyens d'ensevelir dans l'ombre ce miracle et chassèrent Jésus. Alors il dit : Je suis venu en-ce monde exercer un jugement,de sorte que ceux qui ne voyaient pas voient, et que ceux qui voyaient deviennent aveugles. (Jean, IX, 39.) Etait-il donc venu pour ôter la vue à quelqu'un? Non, il n'était point venu pour cela, mais cela est arrivé; et, pour désigner l'événement, il emploie la même expression qui eût indiqué une cause. Autre exemple : il donne une loi pour arrêter les pécheurs qui couraient à leur perte et modérer les passions de ceux qui la recevraient. Mais le zèle leur manque, et le contraire arrive; les péchés se multiplient. Paul dit alors : La loi est survenue, de sorte qu'elle a donné lieu à l'abondance du péché. (Rom. V, 20.) Or, ce n'est point pour cela qu'elle était survenue, mais pour diminuer le nombre des péchés. Mais les choses sont arrivées ainsi par la désobéissance de ceux qui l'avaient reçue. Ici encore, le mot ‘Ina ne désigne point la cause, mais l'événement. — Voulez-vous vous convaincre que ces hérésies ont eu d'autres causes; que ce n'est pas pour faire connaître les hommes d'une vertu éprouvée qu'elles ont éclaté, mais que d'autres raisons les ont fait naître? écoutez le Christ : Le royaume des cieux, dit-il, est semblable à un homme qui avait semé de bon grain dans son champ. Tandis que les hommes dormaient, vint l'ennemi qui sema l'ivraie. (Matth. XIII, 24, 25.) Voyez-vous que les hérésies ont éclaté parce que les hommes dormaient, parce qu'ils manquaient de zèle? Parce qu'ils ne s'attachaient pas exactement aux paroles de Dieu ? Quelqu'un aurait pu dire : Mais pourquoi le Christ l'a-t-il permis? Paul a répondu d'avance : Il l'a permis, mais, quel mal cela vous fait-il? Si vous êtes un homme d'une vertu éprouvée, vous n'en serez que plus en lumière. Il n'y a point le même mérite, quand personne ne vous attaque, ne vous tend de piéges, à conserver sa foi, qu'à rester ferme et inébranlable quand éclatent mille tempêtes. De même que les arbres exposés à la furie de tous les vents deviennent plus solides quand ils ont poussé de bonnes racines; de même les âmes fortement enracinées dans le sol de la foi résistent à tous les assauts des hérésies et en reçoivent plus de fermeté. Que dirons-nous des faibles, qu'un souffle ébranle et renverse? Ce ne sont point les attaques des hérésies, mais leur propre faiblesse qu'ils doivent accuser. Et je ne parle point de leur faiblesse naturelle, mais de leur faiblesse volontaire, faiblesse coupable, qui mérite peines et châtiments, et qu'il est en notre pouvoir de corriger; d'où vient qu'en la corrigeant nous méritons des louanges, en ne la corrigeant point, nous encourons des punitions.

2. A qui veille, rien ne peut nuire; j'essayerai de vous le démontrer autrement. Est-il un être plus malin, plus scélérat que le démon? Cependant cet être malin et scélérat, dont la force est si redoutable, dressa contre Job toutes ses batteries, épuisa sur la maison et sur la personne de ce juste tous les traits de son carquois, et non-seulement il ne l'abattit point, mais il donna un éclat nouveau à sa vertu. Le démon ne put faire aucun mal à Job; Judas, au contraire, qui était faible et sans zèle,.ne gagna rien à son commerce avec le Christ; malgré. ses exhortations et ses conseils, il ne fut qu'un traître. Pourquoi? c'est que Dieu ne fait violence à personne et ne lui fit point violence. Veillons donc, et le démon ne nous pourra point nuire; si nous ne veillons pas, si nous sommes lâches, nous ne tirerons (218) aucun fruit même des choses utiles, et nous nous exposerons aux plus sensibles dommages, tant la mollesse est dangereuse. C'est ainsi que les Juifs, non-seulement ne profitèrent point de la venue du Christ, mais en souffrirent. Toutefois ils ne peuvent point accuser le Christ, la faute est à leur faiblesse et à leur méchanceté. Jésus-Christ le dit lui-même : Si je ne fusse point venu et ne leur eusse pas parlé, ils n'auraient point de péché; mais maintenant ils n'ont pas d'excuse de leur péché. (Jean, XV, 22.) Voyez ! la venue de Jésus-Christ les a privés du pardon et leur a enlevé toute excuse, tant il y a de mal à ne pas veiller sur soi-même, à ne pas songer comme on doit à ses intérêts! La même chose arrive au corps : si quelqu'un a les yeux malades, le soleil l'offusque et l'aveugle, tandis que les ténèbres même ne peuvent nuire à des yeux sains. Ce n'est point sans motif que j'insiste sur ces pensées; tant d'hommes devraient accuser leur mollesse , corriger leur malice , secouer leur torpeur, qui s'en vont cherchant de vaines excuses et disant : s'il n'y avait point de démon nous ne péririons pas; si la loi n'existait pas, nous ne pécherions pas; s'il n'y avait point d'hérésies, nous n'y tomberions pas ! Mensonges et vains prétextes que tout cela ! Je le répète : à qui veille, rien ne peut nuire; à qui s'endort mollement et trahit son, salut, rien ne peut servir. C'est ce que Paul lui-même fait entendre quand il dit : On découvrira par là ceux d'entre vous qui ont une vertu éprouvée. C'est-à-dire ne vous troublez pas, ne craignez point; les hérésies ne peuvent vous nuire. Ainsi, quand même il parlerait des hérésies dogmatiques , le texte ne donnerait lieu à aucune question difficile puisqu'il renferme une prophétie et non un conseil , une prédiction et non une exhortation , et que le mot ‘Ina indique non une cause, mais l'événement. Mais ce n'est point du dogme qu'il veut parler; c'est des, pauvres et des riches, de la bonne chère et de l'abstinence, de la luxure et de la débauche des riches, du mépris qu'ils font des pauvres; permettez-moi, pour vous le prouver, de remonter un peu plus haut; je ne saurais sans cela vous le montrer clairement. Quand les apôtres commencèrent à semer la parole de foi, aussitôt se joignirent à eux trois mille hommes, plais cinq mille, et tous ces hommes n'avaient qu'un coeur et qu'une âme. Ce qui faisait leur concorde, les liait par l'amour et réunissait tant d'âmes en une seule, c'était le mépris des richesses. Personne, en effet, dit l'Apôtre, ne prétendait posséder en propre aucune chose; mais tout était commun entre eux. (Act. IV, 33.) L'avarice, source de tous Les maux, étant supprimée, les biens étaient venus en foule, et ces hommes étaient liés les uns aux autres parce que rien ne les séparait. Le mien et le tien, funestes paroles qui ont causé mille guerres dans le inonde , étaient bannis de cette sainte Église, et ils habitaient la terre comme les anges font le ciel; les pauvres n'enviaient point les riches, car il n'y avait point de riches;, les riches ne méprisaient pas les pauvres, car il n'y avait point de pauvres; c'était une vraie communauté. Personne ne prétendait posséder en propre aucune chose; ce n'était pont ce. qu'on voit aujourd'hui. Maintenant ceux qui possèdent donnent aux pauvres. Alors il n'en était point de même; ils renonçaient à la propriété de leurs richesses, les mettaient en commun, et dès lors on ne distinguait plus parmi les autres le riche de la veille ; de sorte que l'orgueil même qui pouvait naître du mépris des richesses était effacé dans cette communauté, dans ce mélange des fortunes. Et ce n'est point par là seulement, mais par la manière dont ils renonçaient à leurs richesses qu'on peut voir toute leur piété. Tous ceux qui. avaient des terres ou des maisons les vendaient et en déposaient le prix aux pieds des apôtres. (Act. IV, 34.) Il ne dit point dans leurs mains, mais à leurs pieds, ce qui prouve le respect, la vénération, la crainte que leur inspiraient les apôtres; car ils ne. croyaient pas donner plus qu'ils ne recevaient. Et c'est là vraiment mépriser les richesses, c'est là nourrir le Christ, de le faire sans orgueil ni ostentation, de se montrer plus obligé que celui qui reçoit. Si telles ne sont point vos dispositions, ne donnez pas si vous ne croyez pas recevoir plus que vous ne donnez; gardez vos richesses; c'est ce que Paul vous témoigne dans d'autres paroles: Il faut, mes frères, que je vous fasse savoir la grâce que Dieu a faite aux Églises de Macédoine, qui est que leur profonde pauvreté a répandu avec abondance les richesses de leur charité sincère. Je leur rends ce témoignage qu'ils se sont portés d'eux-mêmes à donner autant qu'ils pouvaient, et même au delà de ce qu'ils pouvaient, nous conjurant avec beaucoup de prières de recevoir leurs aumônes et de souffrir qu'ils eussent (219) part à la charité qu'on fait aux saints de Jérusalem. (Il Cor. VIII, 1-4.) Voyez-vous qu'il les admire davantage, parce que ce fut avec. reconnaissance, avec prières et supplications qu'ils firent paraître leur générosité?

3. Et si nous admirons Abraham , ce n'est point seulement parce qu'il immola un veau let pétrit la farine, mais parce qu'il reçut ses hôtes avec une joie et une humilité profonde, courant au-devant d'eux, les servant, les appelant ses maîtres, persuadé qu'il avait trouvé un trésor inépuisable, quand il voyait un hôte chez lui. En effet, l'aumône est double quand nous donnons et que nous donnons avec empressement. Dieu aime ceux qui donnent avec joie (II Cor. IX, 7), dit l'Apôtre. Vous donneriez dix mille talents, si c'est avec orgueil, jactance et vaine gloire, c'est autant de perdu : ainsi, le pharisien qui donnait la dîme de son bien, mais avec orgueil et vanité, avait perdu le fruit de ce don en sortant du temple. II n'en était point ainsi du temps des apôtres : c'était avec joie, avec allégresse qu'on donnait ses richesses , et dans la pensée qu'on s'enrichissait ainsi; et l'on s'estimait heureux quand les apôtres daignaient les recevoir. Et de même que les hommes appelés aux plus hautes magistratures et obligés d'aller habiter les grandes villes du royaume, s'y transportent après avoir réalisé toute leur fortune; ainsi faisaient ces hommes appelés au ciel, à la patrie d'en-haut, au céleste royaume. lis savaient que c'était là leur vraie patrie; ils réalisaient tous leurs biens et les y envoyaient devant eux par les mains des apôtres. C'est en effet la dernière folie de laisser ici-bas la moindre de nos possessions, puisque nous devons sitôt partir nous-mêmes ! Tout ce que nous y laissons après nous est perdu. Envoyons donc tous nos biens au lieu où nous devons habiter nous-mêmes. C'était dans, ces pensées qu'ils renonçaient à leur fortune, et faisaient ainsi deux fois le bien: car ils soulageaient la misère des pauvres, et s'assuraient une fortune plus grande et plus certaine en faisant passer au ciel leurs possessions.

De cette loi et de cette coutume naquit alors dans l'Eglise un usage admirable: les fidèles assemblés , après les instructions, les sermons et la participation aux mystères, quand finissait la sainte réunion, ne se retiraient point aussitôt chez eux; les plus riches et les plus opulents portaient de chez eux des aliments et des mets, et appelaient les pauvres. Ils s’asseyaient avec eux à table ; c'étaient des repas et des festins communs dans l'Eglise même; 1a communauté de la table, la sainteté du lieu, tout enfin resserrait les liens de la charité, c'était pour tous un plaisir en même temps qu'un avantage. Les pauvres étaient efficacement consolés, les riches s'attiraient l'amour de ceux qu’ils nourrissaient, celui de Dieu pour qui ils le faisaient, et s'en retournaient pleins de grâces. De là découlaient mille biens, et d'abord l'amour croissant à chaque réunion entre les bienfaiteurs et les obligés; assis à la même table. Les Corinthiens, avec le temps, perdirent cette coutume: les riches mangeaient à part, ils dédaignaient- les pauvres, ils n'attendaient pas les retardataires, ceux que retenaient les nécessités où sont soumis les pauvres et qui n'arrivaient point à temps. Et quand ils venaient enfin , la table était levée, ils se retiraient tout honteux. Les uns s'étaient trop hâtés, les autres avaient trop tardé. Paul, voyant les maux qu'avait causés cette désunion et ceux qu'elle devait causer encore, car les riches méprisaient et dédaignaient les pauvres, les pauvres souffraient et détestaient les riches, et tous les maux enfin qui devaient sortir de cette source, essaya de corriger cette vicieuse et funeste coutume. Et voyez avec quelle prudence et quelle modération il entreprend cette correction: Voici ce que je vous dis d'abord: je ne puis vous louer de ce que, dans vos assemblées , vous vous conduisiez de manière qu'elles vous nuisent au lieu de vous servir. (I Cor. II, 17.) Qu'est-ce à dire: au lieu de vous servir? Vos ancêtres, dit-il, et vos pères vendaient leurs biens, leurs domaines, leurs possessions, mettaient tout en commun et s'aimaient les uns les autres; et. vous, qui devriez rivaliser avec eux, non-seulement vous ne les imitez point, mais vous avez perdu le seul bien que vous eussiez, la coutume des repas en commun après ces réunions. C'est pourquoi il dit : Vos assemblées vous nuisent au lieu de vous servir.

Ils abandonnaient toutes leurs richesses aux pauvres, et vous, vous les avez chassés de la talle qu'ils partageaient avec. vous. Car, premièrement, j'apprends que quand vous vous assemblez dans l'église, il y a des divisions entre vous, et je le crois en partie. (I Cor. XI, 18.)

4. Remarquez de nouveau la prudence de cette correction. Il ne dit ni : Je le crois, ni : je ne le crois pas; il prend un. moyen terme : je (220) le crois en partie, c'est-à-dire je ne le crois pas entièrement, mais je ne refuse pas entièrement de le croire. Il dépend de vous que je le croie ou que je ne le croie point. Si vous vous corrigez je ne le crois point, si vous persistez je le crois. Ainsi, sans les accuser, il les accuse. Ce n'est point une accusation complète : il leur laisse l'espoir du retour et leur ouvre le chemin du repentir; mais ce n'est point une absolution, il craindrait de les voir persister dans le mal. Je ne l'ai pas définitivement cru, dit-il ; car c'est là ce que signifie : je le crois en partie. Il les engageait ainsi à se corriger et à s'amender, à l'empêcher lui-même de croire semblable chose, même en partie. Car il faut, dit-il, qu'il y ait même des hérésies parmi vous, de sorte qu'on découvre par là ceux d'entre vous qui ont une vertu éprouvée. (I Cor. XI, 19.) Quelles hérésies? Soyez attentifs à cet endroit ; ce n'est point des dogmes qu'il parle en disant : il faut qu'il y ait parmi vous des hérésies, mais de la désunion, qui avait aboli la table commune. Après avoir dit : il faut qu'il y ait des hérésies parmi vous, il fait connaître les hérésies dont il parle : Lorsque vous vous assemblez comme vous faites, ce n'est pas pour manger la cène du Seigneur. (Ibid. 20) Ce n'est pas, dit-il , pour manger la cène du Seigneur : il fait allusion à ce repas qu'institua le Christ dans sa nuit dernière, quand tous ses disciples étaient avec lui. A ce repas les serviteurs eurent place auprès du Maître, et vous, qui êtes tous des serviteurs de Dieu, vous êtes séparés et divisés1 Jésus n'éloigna pas même les traîtres, car Judas était là avec les autres, et- toi, tu chasses ton frère ! Ce n'est point pour manger la cène du Seigneur, dit-il; il appelle cène du Seigneur ces repas où la concorde appelle tous les fidèles. En effet, chacun de vous prend son repas pour le manger en particulier, l'un souffre de la faim, tandis que l'autre est ivre. (Ibid. 21.) Il ne dit point : l'un a faim tandis que l'autre mange; le mot d'ivresse les doit toucher. davantage : de part ni d'autre, dit-il, nulle mesure, tu te gorges de nourriture, tandis qu'un autre meurt de faim; tu manges plus qu'il ne faut, tandis qu'un autre n'a pas même le nécessaire, Ce double mal qu'engendre la ruine de l'égalité, voilà ce qu'il appelle hérésies, divisions et luttes entre des hommes dont l'un était ivre, tandis que l'autre mourait de faim. Et il a bien dit : Quand vous vous assemblez. Pourquoi mous assembler? A quoi sert cette réunion commune puisque vous n'avez pas de table commune? Nos biens nous viennent du Seigneur, et ceux qui le servent avec nous les doivent partager. N'avez-vous pas vos maisons pour y boire et pour y manger? ou méprisez-vous l'église de Dieu et voulez-vous faire honte à ceux qui sont pauvre ? (Ibid. 22.) Vous croyez, dit-il, que l'injure n'atteint que votre frère ! Elle atteint aussi le lieu saint. C'est l'église entière que vous méprisez. Il dit l'église, parce que l'église reçoit en commun tous les fidèles. Pourquoi traitez-vous l'église avec aussi peu de respect que votre maison? Si vous méprisez votre frère, respectez du moins le lieu saint, car c'est l'église qui est insultée. Et il n'a pas dit : vous privez ceux qui sont pauvres, ou vous n'avez pas pitié des pauvres; il dit : vous faites honte à ceux qui sont pauvres. C'est la manière la plus sensible de leur reprocher leurs dérèglements. Le pauvre a moins de souci, dit-il, de sa nourriture, que des affronts qu'il reçoit. Voyez avec quelle gravité il défend la cause du pauvre et comme il redresse fortement les riches : Que vous dirai-je ? vous donnerai-je des louanges ? Non, je ne vous louerai point. Qu'est-ce à dire? Il leur démontre d'abord la folie de leur conduite et les blâme ensuite avec douceur. Il le fallait ainsi pour les empêcher de s'endurcir dans le mal. Avant de leur démontrer leur folie, il a énoncé toute sa pensée : D'abord je ne vous louerai point. Puis, quand il leur a montré combien ils sont répréhensibles, il adoucit l'expression de son blâme et laisse toute la force de l'accusation dans ses précédentes paroles et dans sa démonstration. Ensuite il parle de la table mystique pour leur inspirer plus de crainte : c'est du Seigneur que j'ai appris ce que je vous ai enseigné. Quelle est la suite logique de ce discours? Vous partiez des repas communs, et vous faites mention maintenant des plus redoutables mystères ! Oui, certes, dit-il. Car si cette table spirituelle, où s'accomplit un redoutable mystère, est commune à tous, au riche et au pauvre, si le riche n'y est pas mieux traité que le pauvre, ni le pauvre moins bien traité que le riche, s'ils y sont tous également hongrés et y trouvent une place égale; si, jusqu'à ce que tous aient pris part au festin, se soient assis à cette table spirituelle et sacrée, elle demeure servie, si les prêtres sont là attendant le dernier des pauvres, à plus forte raison en doit-il être ainsi à la table (221) matérielle. Voilà pourquoi j'ai parlé de la cène du Seigneur. C'est du Seigneur que j'ai appris ce que le vous ai enseigné, que le Seigneur Jésus, la nuit même qu'il devait être livré, prit du pain, le bénit, le rompit, et dit à ses disciples : ceci est mon corps, qui Est rompu pour beaucoup, pour la rémission des péchés. Faites cela en mémoire de moi. Il prit de même le calice après le repas, et dit : le calice est la nouvelle alliance en mon sang. (Ibid. 23-2G.)

5. Puis il parle longuement de ceux qui participent indignement aux mystères, il les saisit, les confond, et après avoir enseigné que ceux qui reçoivent le corps et le sang de Jésus-Christ sans réflexion ni conseil, subiront la même peine que les meurtriers de Jésus-Christ, il revient à son sujet, en disant: Ainsi, mes frères, lorsque vous vous assemblez pour manger, attendez-vous les uns les autres; et si quelqu'un est pressé de manger, qu'il mange chez lui, afin que vous ne vous assembliez pas pour votre condamnation. ( Ibid. 33, 34. ) Voyez comme il dissimule le reproche qu'il fait à leur intempérance. Il ne dit point : Si vous êtes pressés de manger, mais: si quelqu'un est, pressé de manger, afin que chacun, rougissant à la pensée d'être exposé à ce reproche, le devance et se corrige: C'est enfin sur la crainte du châtiment qu'il arrête son discours en disant: Afin que vous ne voue assembliez pas à un jugement, c'est-à-dire, à voire condamnation et à votre honte. Ce n'est point un repas ni une table, dit-il, si l'outrage fait à'un frère, le mépris de l'église, la gloutonnerie et l'intempérance y trouvent place. Ce n'est point une réjouissance, mais un châtiment et une peine. Vous vous attirez de redoutables vengeances en outrageant vos frères, en méprisant l'église, en faisant de ce lieu saint une maison ordinaire par les repas particuliers que vous y faites. Maintenant que vous avez aussi entendu ces leçons, mes frères, fermez la bouche à ceux qui font un usage irréfléchi des paroles et des enseignements de l'Apôtre. Redressez ceux. qui tournent les saintes Ecritures à leur perte et à la perte des autres. Car vous savez que ces paroles : Il faut qu'il y ait des hérésies parmi vous, ont été dites de la désunion qui s'était mise dans les repas communs, puisque l'Apôtre ajoute : L'un souffre de la faim, tandis que l'autre est ivre.

Avec une foi orthodoxe et une conduite en harmonie avec les dogmes; montrons un grand amour pour les pauvres, prenons le plus grand soin des indigents. Exerçons ce négoce spirituel, et ne cherchons rien au delà de nos besoins. Voilà la richesse, voilà le négoce, voilà l'inépuisable trésor, de faire passer tous ses biens dans le ciel et de se confier au gardien de ce dépôt. Nous retirons de l'aumône un double profit: d'abord nous ne craignons pas pour notre argent, ainsi mis en réserve, ni les voleurs, ni les brigands, ni les esclaves infidèles; de plus, il n'est pas. stérilement enfoui. Mais de même qu'un arbre planté dans un sol fertile porte chaque année des fruits en sa saison, de mêle l'argent semé dans les mains des pauvres nous rapporte, non point seulement chaque année, mais chaque jour, des fruits spirituels, la confiance en Dieu, le pardon des péchés, la compagnie des anges, la bonne conscience, la joie et le bonheur spirituel, une espérance légitime, et les biens admirables que Dieu réserve à ceux qui l'aiment, à ceux qui, dans le zèle et la ferveur de leur âme, implorent sa miséricorde et son règne. Puissions-nous tous, après avoir vécu selon sa loi, l'obtenir avec l'éternelle joie de ceux qui arrivent au salut, par la grâce et la miséricorde du vrai Dieu et de notre Sauveur Jésus-Christ, auquel appartiennent la gloire et la puissance, avec le père et-le Saint-Esprit , dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il,
 

 

 

 

HOMÉLIES SUR CE TEXTE PARCE QUE NOUS AVONS UN MÊME ESPRIT DE FOI.
AVERTISSEMENT.

On a formé quelques doutes sur les trois homélies qui expliquent ces paroles de saint Paul aux Corinthiens : Parce que nous avons un même esprit de foi. La première raison de douter si ces trois homélies sont de saint Jean Chrysostome, c'est que dans la première, l'auteur, en parlant du commencement de la foi, s'exprime d'une manière qui semble favoriser le semi-pélagianisme. Ni Dieu, dit-il, ni la grâce du Saint-Esprit ne préviennent notre dessein, et quoique Dieu nous ait appelés, il attend néanmoins que nous approchions librement de notre propre volonté, et, lorsque nous nous sommes approchés, il nous donne tout son secours. La seconde raison, c'est qu'au commencement de la troisième homélie, l'auteur compte cinq cents ans depuis saint Paul ce qui marque un auteur plus récent que saint Chrysostome. Mais ne sait-on pas que ce Père ayant vécu avant les controverses sur la grâce, a moins ménagé les expressions que s'il eût vécu depuis? D'ailleurs, on trouve dans ses écrits les plus assurés divers endroits où le saint évêque déclare que le secours de la grâce est nécessaire pour le commencement de la foi. A l'égard de l'anachronisme qui se trouve dans la troisième homélie, outre que les chiffres ont pu être corrompus, on voit, par plusieurs autres endroits, en particulier par le cinquième discours centre les Juifs, que saint Chrysostome n'était point exact dans la chronologie, puisqu'il y compte quatre cents ans depuis la dernière ruine de Jérusalem fautes qui sont pardonnables dans un auteur qui discourait souvent sans préparation. Au reste, pour péri qu'on soit accoutumé à la lecture de ses écrits, on reconnaîtra aisément son style et toutes ses façons de parler dans ces trois homélies. Il les prononça à Antioche, comme on le voit par ce qu'il dit de la vie austère des moines qui se retiraient sur les montagnes. (Dom Remy Ceillier.)

PREMIÈRE HOMÉLIE. Sur ces paroles de l'Apôtre : " Parce que nous avons un même esprit de foi, selon qu'il est écrit (II Cor. IV, 13) ; et sur ces mots : J'ai cru ; c'est pourquoi j'ai parlé (Ps. CXVII, 10) ; et sur l'aumône. "
ANALYSE.

1. Lorsque les médecins sont obligés d'employer le fer, ils ne le font pas sans compatir à la douleur quels causent à leurs malades; saint Paul, obligé de corriger les Corinthiens, éprouve de la peine en songeant à c Ile qu'il leur cause. — 2 Faiblesse naturelle à la raison raffermie par la fonte de la foi. — 3. Imbécillité de la philosophie séparée de la foi. — 4. Le mot foi a deux significations dans les Ecritures : il signifie cette vertu par laquelle les apôtres opéraient des miracles, il signifie encore ce qui conduit à la connaissance de Dieu. — 5. Dans ce chapitre, saint Chrysostome parle de la grâce d'une manière qui parait favoriser !e semi-pélagianisme. — 6. Les bonnes oeuvres font demeurer en nous l'Esprit-Saint. La virginité a besoin d'être unie à la charité. — 7. Dieu a particulièrement à coeur le précepte de la charité. — 8-10. Exhortation à la pratique de l'aumône.

1. Quand les habiles médecins voient qu'une plaie a besoin du fer, ils pratiquent des incisions, mais ils ne le font point sans peine ni pitié. Ils souffrent et se réjouissent autant que leurs malades. Ils souffrent de la douleur qu’ils causent dans l'opération, et se réjouissent à la pensée qu'ils rendent ainsi la santé à ceux qui l'avaient perdue. C'est aussi ce que fit Paul, ce sage médecin des âmes. Les Corinthiens eurent un jour besoin d'un blâme sévère , il les (224) blâma, et se réjouit en s'affligeant. Il s'affligeait. de la peine qu'il leur causait, et se réjouissait du bien que produisaient ses paroles. Ce sont ces deux sentiments qu'il exprime en disant : Car encore que je vous aie attristés par ma lettre, je n'en suis plus fâché, quoique je l'aie été auparavant. (II Cor. VII, 8.) Pourquoi en avais-je été fâché, pourquoi n'en suis-je plus fâché-? j'étais fâché de vous avoir si sévèrement blâmés : je n'en suis plus fâché parce que j'ai corrigé votre erreur. Et pour vous convaincre qu'il en était bien ainsi, écoutez la suite : C'est que je voyais qu'elle-vous avait attristés pour un peu de temps; mais maintenant j'ai de la joie, non de ce que vous avez été contristés, mais de ce que votre tristesse vous a portés à la pénitence. (Ibid. 9.) Je vous ai attristés pour un moment, votre chagrin n'a point été de longue durée, et le bien que vous en avez retiré ne passera point. Permettez à l'amour que j'ai. pour vous d'employer les mêmes paroles. Si je vous ai attristés dans ma précédente instruction, je n'en suis point fâché, quoique j'en fusse fâché auparavant. Car je vois que cette instruction et mes conseils, en vous attristant pour un moment, m'ont causé une grande joie, non de ce que vous avez été contristés, mais de ce que votre tristesse vous a portés à la pénitence. Voyez ! pour avoir été attristés selon Dieu; quel zèle en vous aujourd'hui ! une assemblée plus belle, ce théâtre spirituel plus brillant, la réunion de nos frères plus nombreuse! Ce zèle est le fruit de votre tristesse.

C'est pourquoi, autant je souffrais alors, autant je me réjouis aujourd'hui, que je vois notre vigne spirituelle couverte de fruits. Si dans les festins matériels, il y a plus d'honneur et de plaisir pour l'hôte à mesure qu'il y a plus de convives, à plus forte raison en doit-il être ainsi dans ces festins spirituels. Dans les premiers, toutefois, un plus grand nombre d'invités consomme plus de mets; et cause plus de dépense; dans les autres, au contraire, un plus grand nombre d'invités, au lieu d'épuiser les tables, y amène l'abondance. Et, si dans les uns on trouve plaisir à dépenser, n'en trouvera-t-on pas davantage dans les autres à gagner, et à s'enrichir? Car telle est la nature des biens spirituels; plus on en distribue, plus ils s'augmentent. Et puisque je vois notre table pleine, j'espère que la grâce du Saint-Esprit aura un écho dans nos âmes. Car plus il y a de convives, plus la table est abondamment servie; ce n'est point que Dieu dédaigne le petit nombre, c'est qu'il désire le salut de beaucoup d'hommes. C'est pourquoi, tandis que Paul ne faisait que traverser les autres villes, le Christ lui apparut et lui ordonna de séjourner à Corinthe, disant : Ne crains point; parle sans te taire, car j'ai dans cette ville un grand peuple. (Act. XVIII, 9, 10.) En effet, si pour une brebis le berger parcourt les montagnes, les bois , les lieux inaccessibles , comment ne prendrait-il pas plus de peine encore quand il faut arracher un grand nombre de brebis à l'indifférence et à l'erreur? Et pour vous assurer que Dieu ne méprise point le petit nombre, écoutez Jésus : Ce n'est point la volonté de mon Père qu'aucun de ces petits périsse, Ni le petit nombre , ni l'intimité ne peuvent faire qu'il néglige notre salut.

2. Puisque la Providence prend tant de soin , des petits et du petit nombre, tant de soin du grand nombre, confions-nous entièrement à ce secours, et examinons les paroles de Paul que je viens de vous lire. Nous savons, dit-il, que si cette maison de terre où nous habitons vient à se dissoudre. ( II Cor. V, 1.) Mais remontons plus haut, au principe même de cette pensée. Comme ceux qui cherchent une source, s'ils trouvent un terrain humide, ne se contentent pas de remuer la terre à la surface, mais suivent la veine et pénètrent plus avant, jusqu'à ce qu'ils aient trouvé la source même des eaux, ainsi ferons-nous. Nous avons trouvé la fontaine spirituelle qui découle de la sagesse de Paul : suivons la veine et remontons à la source même de la pensée. Quelle est cette source ? Mais parce que nous avons le même esprit de foi, selon qu'il est écrit : J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé; et nous aussi, nous croyons, et c'est pourquoi nous parlons. Que dites-vous? si l'on ne croit, l'on ne parle point, on reste muet? Oui, répond l'Apôtre. Je ne puis sans la foi ouvrir la bouche, ni remuer la langue, ni desserrer les lèvres. Malgré la raison dont je suis doué, je reste muet si la foi ne me dicte mes paroles. De même que si l'arbre n'a point de racines, il ne porte point de fruit, de même sans le fondement de la foi, la parole, de la doctrine demeure stérile. C'est pourquoi il dit ailleurs : Il faut croire de coeur pour obtenir la justice et confesser la foi par ses paroles pour obtenir le salut. (Rom. X, 10.)

Qu'y a-t-il de préférable ou de comparable à (225) cet arbre dont la racine, aussi bien que les rameaux, porte son fruit? car de la racine vient la justice, des rameaux le salut. C'est pourquoi il dit : Nous croyons, et c'est pourquoi nous parlons. De même qu'un corps tremblant et affaibli par la vieillesse, s'il s'appuie sur un bâton qui affermisse ses pas, ne peut chanceler ni tomber; ainsi notre âme, chancelante et défaillante par la faiblesse de la raison, en s'étayant de la foi, le plus sûr de tous les appuis, acquiert assez de force pour ne jamais tomber, parce qu'il y a dans la foi une surabondance de force qui compense l'imbécillité de la raison. La foi dissipe les ténèbres dont l'âme est entourée, dans l'obscure demeure qu'elle habite au milieu des troubles de la raison, et l'éclaire de sa propre lumière. Aussi ceux qui en sont privés, semblables aux infortunés qui vivent dans les ténèbres, qui se heurtent aux murs et à tous les obstacles, se laissent choir dans les fossés et les précipices, et ne peuvent se servir de leurs yeux que la lumière n'éclaire point, ceux qui sont privés de la foi se heurtent les uns aux autres, se choquent aux murailles, et se précipitent enfin dans quelque gouffre où ils trouvent la mort.

3. Témoins ceux qui s'enorgueillissent de la sagesse profane, qui se font gloire de leur longue barbe, de leurs haillons et de leur bâton. Après de longs et d'interminables raisonnements, ils ne voient point les pierres qui sont devant leurs pieds; car s'ils les voyaient,, ils ne les prendraient pas pour des dieux. Ils se heurtent les uns aux autres, se plongent dans le gouffre sans fond de l'impiété, uniquement parce qu'ils se confient tout entiers à leurs raisonnements. C'est ce que fait entendre Paul quand il dit: Ils se sont égarés dans leurs vains raisonnements, et leur coeur insensé a été rempli de ténèbres; ainsi ils sont devenus fous en s'attribuant le nom de sages. (Rom, I, 21, 22.) Ensuite, pour faire voir leur aveuglement et leur folie, il ajoute : Ils ont transféré l'honneur qui n'est dû qu'au Dieu incorruptible à l'image d'un homme corruptible, à des figures d'oiseaux, de quadrupèdes et de serpents. (Ibid. 23.) Toutes ces ténèbres , la foi les dissipe en pénétrant dans l'âme qui la reçoit. Ainsi qu'un vaisseau que ballottait la tempête et qu'inondaient les vagues, quand on jette l'ancre, reste ferme, et prend, pour ainsi dire, racine au milieu de la mer; notre âme, bouleversée parles pensées profanes, quand elle s'attache à la foi, la. plus ferme de toutes les ancres, se sauve du naufrage et trouve un abri tranquille dans la certitude de sa conscience. C'est ce que nous fait entendre Paul par ces paroles : Dieu nous a donné des apôtres, afin qu'ils travaillent à la perfection des saints, jusqu'à ce que nous parvenions tous à l'unité d'une même foi et d'une même connaissance du Fils de Dieu, et que nous ne. soyons plies comme des insensés flottant à tous les vents des opinions. (Eph. IV, 11-14.) Vous voyez la vertu de la foi ; comme une ancre solide, elle nous affermit dans la tempête. C'est ce que Paul écrit encore aux Hébreux : C'est pour notre âme comme une ancre ferme et assurée, qui pénètre jusqu'au sanctuaire qui est ait dedans du voile. (Héb. VI, 19.) Et ne croyez pas que cette ancre vous attache à la terre ! l'Apôtre parle d'une ancre toute nouvelle, qui au lieu de vous retenir ici-bas, élève votre âme, la porte au ciel, et la fait entrer dans le sanctuaire que cache le voile; car c'est le ciel qu'il appelle de ce nom. Comment et pourquoi ? c'est que de même que le voile se parait de l'extérieur du tabernacle le Saint des saints, ainsi le ciel, jeté comme un voile au milieu de la création, sépare de l'extérieur du tabernacle, c'est-à-dire du monde visible, le Saint des saints, le monde céleste placé au-dessus de lui, et où le Christ nous a précédés. pour nous en ouvrir les voies.

4. Voici le sens de ses paroles: La foi, dit-il, élève notre âme au ciel, ne la laissant accabler par aucun des maux présents et soulageant ses misères par l'espérance de l'avenir. Car celui qui regarde l'avenir, qui vit dans l'espoir du ciel, et dirige là-haut les yeux de l'âme, ne sent même pas les maux présents, que Paul ne sentait point. Et il nous indique les causes de sa philosophie: Le moment si court et si léger des afflictions que nous souffrons en cette vie produit en nous le poids éternel d'une souveraine et incomparable gloire. Comment et de quelle manière? Si nous ne considérons pas les choses visibles, mais les invisibles. (II Cor. IV, 17, 18.) Et cela, avec les yeux de la foi. Car, de même que les yeux du corps ne voient point ce qui est intelligible, de même les yeux de la foi ne voient point ce qui est sensible. Mais de quelle foi parle Paul ? Car le mot foi a deux significations. Il appelle foi cette vertu par laquelle les apôtres opéraient des miracles, (226) et dont le Christ disait : Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne: transporte-toi, et elle se transporterait. (Matth. XVII, 19.) tin jour que les disciples ne pouvaient délivrer du démon un possédé, et qu'ils voulaient savoir la cause de leur impuissance, il leur fit entendre que la foi leur manquait: C'est à cause de votre incrédulité. C'est encore de cette foi que parlait Paul, quand il disait : Si j'ai la foi qui transporte les montagnes. (I Cor. XIII, 2.) Et quand Pierre, marchant sur la mer, se crut en danger d'être englouti, le Christ lui adressa le même reproche : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? (Matth. XIV, 31.) On appelle donc foi cette vertu qui produit les miracles et les prodiges. On appelle encore foi ce qui nous conduit à la connaissance de Dieu et qui fait de chacun de nous des fidèles: c'est dans ce sens qu'il dit aux Romains: Je rends grâces à mon Dieu par Jésus-Christ de ce que votre foi est annoncée dans tout l'univers. (Rom. I, 8.) Et aux Thessaloniciens : Non-seulement vous êtes cause que la parole du Seigneur s'est répandue dans la Macédoine et dans l'Achaïe, mais même la foi que voies avez en Dieu est devenue célèbre partout. (I Th. I, 8.) De quelle foi. parle-t-il en cet endroit? C'est évidemment de la foi de connaissance ; la suite le prouve : Nous croyons, dit-il, et c'est pourquoi nous parlons. Que croyons-nous ? Que celui qui a ressuscité le Christ, nous ressuscitera nous-mêmes par sa vertu. (II Cor. IV, 14.) Mais pourquoi l'appelle-t-il esprit de foi et la compte-t-il au nombre des grâces? En effet, si la foi est une grâce, un don du Saint-Esprit, si elle n'est point notre conquête, les incrédules ne seront as punis, ni les fidèles récompensés. Car, telle est la nature des grâces, qu'elles ne sont suivies, ni de récompenses, ni de punitions. Un don n'est point un mérite chez celui qui le reçoit, c'est un effet de la munificence de celui qui le donne. C'est pourquoi Jésus défendit à ses disciples de se réjouir du pouvoir qu'ils avaient dé chasser les démons, et beaucoup d'entre ceux qui avaient prophétisé en son nom et fait de grands miracles furent exclus par lui du royaume des cieux, parce qu'ils ne se sentaient aucun mérite propre et voulaient se sauver par les dons qu'ils avaient reçus.

5. Mais si la nature de la foi est telle que nous n'en devions rien à nous-mêmes, que nous la tenions tout entière de la grâce du Saint-Esprit, si c'est d'elle-même qu'elle entre en nos âmes, si elle ne nous doit procurer aucune récompensé, pourquoi l'Apôtre a-t-il dit: Il faut croire de coeur pour obtenir la justice et confesser la foi par ses paroles pour obtenir le salut ? (Rom. X,10.) C'est que chez l'homme qui croit, la foi devient un mérite de sa vertu. Paul le ferait-il entendre ailleurs par ces paroles : La foi d'un homme qui, sans faire des oeuvres, croit en celui qui justifie le pécheur, lui est imputée à justice (Rom. IV, 5), si tout dans la foi nous venait de la grâce du Saint-Esprit? Pourquoi, à cause de cette même foi, comblerait-il de louanges le patriarche Abraham, qui, méprisant le présent, eut la foi et espéra contre toute espérance? Pourquoi donc dit-il l'Esprit de foi? Pour marquer que notre premier pas dans la foi dépend de notre bonne volonté, de notre docilité à la voix de Dieu; mais que, quand la foi est entrée en nos, âmes, nous avons besoin du secours du Saint-Esprit pour la garder ferme et inébranlable. Car, ni Dieu, ni la grâce du Saint-Esprit ne préviennent notre volonté; Dieu, il est vrai, nous appelle, mais il attend que nous venions librement et de notre gré, et quand nous sommes. venus, il nous prête tout son secours (1). Comme, en effet, le démon, dès que nous nous sommes rendus à la foi, se glisse en nos âmes pour en arracher cette précieuse semence et y répandre l'ivraie afin d'étouffer le bon grain, nous avons alors besoin du secours du Saint-Esprit, qui, semblable à un laboureur actif s'établit en nos coeurs et par ses soins prévoyants, protège contre toutes les atteintes la Plante naissante de la foi. Aussi Paul écrivait-il aux Thessaloniciens : N'éteignez pas l'Esprit (I Thess. V,19), leur montrant ainsi qu'avec la grâce de l'Esprit-Saint ils. seraient désormais invincibles au démon et à l'abri de ses -pièges. Car, si personne ne peut dire Seigneur Jésus si ce n'est en l'Esprit-Saint, à plus [;orle raison ne pourra-t-il avoir sans lui une foi ferme et assurée.

6. Mais comment nous attirer le secours de l'Esprit-Saint et le persuader de rester en nous Par les bonnes oeuvres et l'honnêteté de notre vie. De même que la lumière de la lampe se conserve par l'huile, et que, l'huile épuisée, la lumière s'éteint, de même la grâce du Saint-Esprit, tant que nous faisons de bonnes couvres et . que nous répandons sur nos

1. Voyez l'avertissement.

227

âmes la céleste rosée de l'aumône, reste en nous comme la flamme que conserve l'huile. Mais sans ces pratiques elle nous quitte et se retire de nous. C'est ce qui arriva aux cinq vierges. Après beaucoup de fatigues et de sueurs, privées du secours qu'assure à l'homme la charité, elles ne purent conserver la grâce de l'Esprit-Saint; elles furent chassées de la chambre nuptiale, et entendirent ces effrayantes paroles : Retirez-vous, je ne vous connais point (Matth. XXV, 12), paroles plus terribles que la géhenne même. C'est encore pour cela que Jésus les nomme folles, et à juste titre. Elles avaient vaincu les plus tyranniques passions et elles cédèrent aux moins impérieuses. Voyez ! elles avaient triomphé de la nature, comprimé la furie des sens et calmé les désirs charnels; sur la terre elles avaient mené une vie angélique; êtres corporels, elles avaient rivalisé avec les créatures célestes; et, parvenues à ce point, elles ne surent point vaincre l'amour de l'argent.; folles, insensées ! C'est pourquoi elles furent jugées indignes de pardon. Leur faute, en effet, rie venait que de leur manque de zèle. Elles avaient pu éteindre la flamme ardente des désirs corporels, dépasser les limites des devoirs auxquels elles étaient soumises (car il n'y a pas de loi qui commande la virginité, la volonté des fidèles est la seule règle) ; et ensuite elles se laissèrent vaincre par l'amour des richesses, et pour un peu d'argent (est-il rien de plus misérable?) elles jetèrent la couronne de leur front ! Je ne parle point ainsi pour décourager les vierges , ni pour détruire la virginité, mais pour qu'elles ne courent point inutilement, pour qu'elles ne se voient pas après bien des fatigues; privées de la couronne, couvertes de confusion et exclues de la lice. C'est une belle chose que la virginité, c'est un mérite surnaturel; mais ce mérite si beau, si grand, si surnaturel, ne saurait, sans la charité, donner l'accès du vestibule même de la chambre nuptiale. Et considérez la force de la charité et la vertu de l'aumône ! La virginité sans la pratique de l'aumône ne peut donner l'accès du vestibule de la chambre nuptiale; et l'aumône sans la même virginité conduit ceux qui la pratiquent au sein du royaume glorieux qui leur était préparé avant la création du monde. Parce que ces vierges n'avaient pas donné une large aumône, elles entendirent ces mots : Retirez-vous, je ne vous connais pas ! Et ceux qui ont

donné à boire et à manger à Jésus, qui avait soif et qui avait faim, quoiqu'ils n'eussent point à se faire gloire de la virginité, ont entendu ces paroles : Venez, les élus de mon Père, clans le royaume qui vous est préparé depuis le commencement du monde. (Ibid. 34.) Et c'est à juste raison, car quiconque jeûne et garde la virginité se sert lui-même, mais celui qui exerce la charité est comme un port pour les naufragés; car il soulage la pauvreté de son prochain et subvient aux besoins d'autrui. Et, parmi nos bonnes actions, les plus estimées de Dieu sont celles dont les autres retirent le fruit.

7. Ce qui vous convaincra que Dieu a ce précepte plus à coeur que tous les autres, c'est que, lorsque Jésus parle du jeûne et de la virginité , il nous promet pour récompense le royaume du ciel; mais quand il parle de l'aumône et de la charité, quand il nous commande d'être miséricordieux, il nous propose un prix bien plus considérable que le royaume des cieux : Vous serez, dit-il, semblables à votre Père qui est dans les cieux. Car ce qui est le plus capable de rendre l'homme semblable à Dieu, autant que l'homme peut être semblable à Dieu, c'est l'observance des lois qui ont rapport au bien commun. C'est cela même que vous enseigne le Christ quand il dit : Il fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. (Matth. V, 45.) Et vous, travaillez selon vos forces à l'utilité commune et imitez Dieu qui fait de ses biens un égal partage à tous les hommes. Le mérite de la virginité est grand, et je veux qu'on lui prodigue les louanges. Car le mérite de la virginité ne consiste point seulement à s'abstenir du mariale, mais à faire paraître de la bonté, de la charité, de .la miséricorde. Que sert la virginité avec la dureté du coeur? Que vaut la tempérance unie à l'inhumanité? Tu n'as point cédé aux passions charnelles, mais tu as cédé à la passion de l'argent. Tu as vaincu l'ennemi le plus redoutable pour te laisser dompter et terrasser par le plus faible, et ta défaite est d'autant plus. honteuse. Aussi n'es-tu point digne de pardon, toi qui as vaincu le plus redoutable ennemi, qui as lutté contre la nature même et qui as succombé à l'amour de l'argent, que souvent des esclaves et des barbares ont surmonté sans peine.

8. Ce que sachant, mes frères, et ceux qui contractent le mariage et ceux qui pratiquent (228) la virginité, montrons le plus grand zèle pour l'aumône, puisque ce n'est point autrement qu'on obtient le royaume des cieux. Car si la virginité sans l'aumône ne peut ouvrir l'entrée de ce royaume, quelle autre vertu le pourra, aura assez de force sans elle? Il n'en est aucune. Donc, de toute notre âme et de toutes nos forces, versons de l'huile dans nos lampes, qu'elle soit abondante, qu'elle coule toujours, afin que la lumière soit vive et bien nourrie. Et ne considérez pas le pauvre qui reçoit, mais Dieu qui rend; non celui à qui vous donnez l'argent, mais celui qui se fait caution de la dette. L'un la contracte et l'autre la paye, parce qu'il faut que le malheur et la misère du pauvre qui reçoit l'aumône vous poussent à la pitié et à la miséricorde, et que les richesses du Dieu qui promet de payer cette dette avec usure vous rassurent sur le principal et l’intérêt, et vous engagent à faire de plus larges aumônes. Car, je vous le demande, quel homme sachant qu'il recevra le centuple et entièrement sûr du paiement, ne donnerait tous ses biens?

Ainsi n'épargnons point nos richesses, ou plutôt épargnons-les; car celui-là épargne sa fortune qui la confie aux mains des pauvres; il en fait ainsi un inviolable dépôt que les voleurs, ni les esclaves infidèles, ni les traîtres, ni les malfaiteurs, ni les ruses des hommes ne peuvent atteindre. Que si, après ces paroles, vous hésitez à donner vos biens, si d'espoir de recevoir au centuple, ni les misères des pauvres, ni aucune autre considération ne vous peut fléchir, comptez vos péchés, entrez dans la conscience de vos fautes, examinez toute votre vie sans rien omettre, et connaissez vos erreurs. Seriez-vous le plus dur des hommes, tourmenté sans cesse par la crainte du châtiment, et n'ayant d'espoir de vous racheter que par l'aumône, vous donnerez non-seulement vos biens, mais votre corps même. Si nous avions des plaies ou des maladies corporelles, pour les guérir nous n'épargnerions rien, nous donnerions notre vêtement même pour nous en délivrer : les maladies de l'âme sont plus dangereuses et nous pouvons les guérir, nous pouvons fermer par l'aumône les blessures du péché. Faisons donc l'aumône de tout notre coeur. Et pour se délivrer des maladies du corps, il ne suffit pas de donner son argent sans hésiter; .il faut, souvent souffrir des incisions, des brûlures, boire d'amers breuvages; endurer la faim, la soif, se soumettre à des ordonnances plus dures encore. Mais il n'en est point ainsi des maux de l'âme. Il suffit de verser son argent entre les mains des pauvres pour être aussitôt lavé de toutes ses souillures sans douleur ni souffrance. Car le médecin des âmes n'a besoin ni de l'art ni des instruments, ni du fer, ni du feu. Il n'a qu'un signe à faire, et le péché sort de nos coeurs et s'évanouit dans le néant.

9. Voyez ces moines qui embrassent là vie solitaire et se retirent sur le faîte des montagnes : quelle dure existence ! Ils couchent sur la cendre, sont vêtus d'un sac, se chargent de chaînes, s'enferment dans le cloître, luttent sans trêve contre la faim, vivent dans les pleurs et dans d'intolérables veilles, pour se délivrer d'une petite partie de leurs péchés. Vous n'avez pas besoin de toutes ces rigueurs; la voie de. la piété vous est plus aisée et plus douce. Car, est-ce une peine, dites-moi, de jouir de vos biens, et de donner aux pauvres le superflu? Ne vous proposerait-on point un prix si relevé, une récompense si belle, la nature de la chose suffirait à persuader aux coeurs les plus cruels d'user de. leur superflu pour soulager les misères des pauvres. Mais alors, que l'aumône nous procure tant de couronnes, de récompenses, une complète rémission de nos fautas, quelle excuse, dites-moi, auront ceux, qui sont avares de leurs richesses et perdent leurs âmes dans le gouffre du péché? Si rien ne vous peut émouvoir, ni volts porter à la miséricorde, considérez du moins l'incertitude du terme de votre vie; songez que, quoique vous ne donniez pas votre argent aux pauvres, quand viendra la mort il faudra, bon gré mal gré, le laisser à d'autres, et devenez ainsi charitable dès à présent. Ce serait le comble de la démence de ne point partager volontairement avec d'autres ces biens dont nous devons nous séparer, et cela, sachant que nous devons retirer les plus grands fruits de notre charité. Que votre abondance, dit l'Apôtre, soulage leur détresse. (II Cor. VIII, 14.) Que dit-il par ces paroles? Vous recevez plus que vous ne donnez; vous donnez des biens matériels et vous recevez des biens spirituels et célestes; vous donnez de l'argent, et vous recevez le pardon de vos fautes ; vous délivrez le pauvre de la faim, et Dieu vous délivre de sa, colère. Dans cette affaire, le gain surpasse de beaucoup ha dépense. Car vous ne dépensez que des (229) richesses et sous gagnez non point des richesses, mais la rémission de vos péchés, la paix devant Dieu, le royaume du ciel et des biens que les yeux mortels ne peuvent voir, ni les oreilles entendre, ni la pensée concevoir. N'estil pas absurde que les marchands n'épargnent pas leur avoir pour acquérir, non point des biens d'Une nature supérieure, mais des biens semblables, et que nous, Pour échanger des biehs périssables et passagers contre des biens impérissables et éternels, nous ne sachions point comme eux dépenser nos richesses? Non, mes frères, ne soyons pas ennemis de notre salut : laissons-nous toucher à l'exemple des vierges folles et de ceux qui se précipitent dans le feu préparé pour le démon et ses anges rebelles, pour n'avoir pas donné à manger et à boire à Jésus-Christ; conservons le feu de l'Esprit-Saint par une abondante charité et de larges aumônes, afin que notre foi ne fasse point naufrage. Car la foi a besoin du secours et de la présence de l'Esprit-Saint, pour rester inébranlable; et ce qui nous assure le secours de l'Esprit-Saint, c'est la pureté de la vie et la bonne conduite. Si nous voulons que la foi jette en nous de profondes racines, nous devons mener, cette vie pure et sage qui conserve en nous la grâce et la vertu de l'Esprit-Saint. Car celui qui ne mène point une vie pure ne saurait garder sa foi à l'abri des orages.

10. Les insensés qui parlent de la destinée et n'ont point la salutaire croyance de la résurrection sont poussés, par leur mauvaise conscience et leurs moeurs impures , dans cet abîme d'impiété. Et de même quo les gens pris de fièvre, pour en apaiser l'ardeur, se jettent dans l'eau froide, et, après un léger soulagement, sentent s'aviver la flamme qui les dévore, de même ces hommes, en proie à leur mauvaise conscience, cherchant le repos, mais ne voulant pas le trouver dans le repentir, ont recours à l’aveugle tyrannie du destin et à l'incroyance en la résurrection. Ils se reposent un temps en de froids raisonnements, mais ils allument ainsi dés flammes plus dévorantes; ils se plongent de plus en plus dans l'indifférence, et, quand ils- descendront aux enfers, ils verront chacun expier ses fautes. Et pour vous convaincre que les actions mauvaises ébranlent la solidité de la foi, écoutez ce que Paul dit à Timothée : Acquittez-vous de tous ces devoirs de la milice sainte, conservant la foi et la bonne conscience. (Or, la bonne conscience est le fruit d'une vie pure et des bonnes oeuvres). Quelques-uns y ont renoncé, et leur foi a fait naufrage. (I.Tim. I, 18, 19.) Ailleurs il dit : L'amour des richesses est la cause de tous les maux; quelques-uns en étant possédés se sont égarés de la foi. (Ibid. VI, 10.) Vous voyez que, pour une cause, les uns ont fait naufrage, les autres, pour une autre cause, se sont égarés; les premiers, pour avoir renoncé à la bonne conscience, les seconds, pour avoir succombé à l'amour des richesses. Ce que considérant avec soin, appliquons-nous à bien vivre pour nous assurer une double récompense , celle que nous procurera la rétribution de nos oeuvres, et celle qui nous viendra de la fermeté de notre foi. Car la bonne vie est à la foi ce que la nourriture est au corps, et de même que notre corps ne saurait vivre sans aliments, notre foi ne saurait vivre sans les couvres. La foi sans les oeuvres est une foi morte: (Jacq. II, 20.) Il me reste une chose à dire. Que signifient ces mots : Le même esprit de foi? car l'Apôtre n'a pas dit simplement : l'esprit de foi: J'avais intention d'expliquer cette parole, mais je vois que les pensées jailliraient à flots de ce seul mot; je crains que le nombre des choses qu'il faudrait dire ne déborde de vos âmes et que l'instruction ne souffre de ces longueurs. C'est pourquoi je m'arrête, en vous priant et vous suppliant d'observer avec soin les préceptes que je vous ai donnés sur la pureté de la vie, sur la foi, la virginité, la charité et l'aumône, de les retenir exactement pour être prêts à entendre ce que je dois vous dire encore. Car l'édifice qu'élèvent mes paroles sera ferme et inébranlable si mes premiers enseignements, étant bien assis dans vos âmes, y donnent aux suivants de solides fondements. Et que Dieu, qui m'a fait la grâce de vous dire ces choses, et à vous de les écouter avec zèle, nous rende dignes de produire quelque fruit par nos oeuvres, par les mérites et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ , à qui appartient la gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

DEUXIÈME HOMÉLIE. Contre les Manichéens et tous ceux qui calomnient l'Ancien Testament et le séparent du Nouveau, et sur l'aumône.
ANALYSE.

1° Résumé de la dernière homélie. — 2° L'antienne loi et la nouvelle sont du même législateur, du même Dieu. — 3° ces deus lois sont différentes, mais non pas opposées.— 4° Jérémie montre clairement qu'il n'y a qu'un Dieu pour l'Ancien et le Nouveau Testament. Contre les Juifs et les sectateurs de Samosate, son témoignage est décisif. — 5° Abraham eut deux fils, un de la servante, l'autre de la femme libre. C'est une allégorie, ce texte, admis par les Manichéens, les condamne. — 6° Les deux épouses d'Abraham figurent les deux testaments. Elles n'ont qu'un époux; donc aussi les deux testaments n'ont qu'un même Dieu. — 7° -10° Exhortation à la pratique de l'aumône.

1. Je vous dois depuis longtemps l'explication des paroles de l'Apôtre. Peut-être mon retard vous a-t-il fait oublier cette dette , mais je n'ai pas oublié mon affection pour vous, car tel est l'amour : il veille et s'inquiète. Et non-seulement ceux qui aiment portent partout dans leur coeur ceux qu'ils aiment, mais ils se souviennent de leurs promesses plus que ceux qui en doivent recevoir l'accomplissement. Ainsi une tendre mère conserve les débris d'un festin pour ses. enfants; ils oublient peut-être, mais elle s'en souvient, leur sert ces reliefs qu'elle a gardés avec soin, et rassasie leur faim. Que si les mères ont pour leurs enfants pareille tendresse , nous devons vous prouver notre amour par une sollicitude plus soigneuse encore et plus attentive, car la parenté spirituelle est plus forte que la parenté selon la chair; Quel est donc le festin dont nous vous avons conservé les restes ? C'est la; parole de l'Apôtre, qui nous a déjà fourni la nourriture spirituelle en abondance, et dont nous avons déposé une partie dans vos âmes en réservant l'autre pour aujourd'hui, afin de ne pas fatiguer votre mémoire par. de trop longs discours. Quelle est cette parole? Parce que nous avons le même esprit de foi, selon qu'il est écrit : J'ai cru c'est pourquoi j'ai parlé; et nous aussi nous croyons, et c'est pourquoi nous parlons. (II Cor. IV, 43.) De quelle foi est-il question ? De celle qui opère les miracles, et dont le Christ a dit : Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : Transporte-toi, et elle se transporterait ? (Matth. XVII, 19.) ou de celle qui nous donne la connaissance et qui fait de nous des fidèles. Pourquoi? l'Apôtre a-t-il dit l'Esprit de foi et ce qu'est cette foi ? Ce sont toutes choses que je vous ai expliquées selon mes forces, en vous parlant de l'aumône en même temps. J'avais encore à chercher le sens de ce mot : le même Esprit de foi, mais la longueur de mon discours me défendait d'examiner à fond cette parole; c'est pourquoi je la réservai pour ce jour, et je suis venu payer ma dette. Pourquoi donc l'Apôtre a-t-il dit : le même Esprit de foi? C'est pour montrer l'intime-union de l'Ancien Testament et du Nouveau. Il nous remet en mémoire une prophétie, en disant : Parce que nous avons le même esprit de foi, et en ajoutant : Selon qu'il est écrit . J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé. (Ps. CXV, 10.) Cette parole, David l'avait autrefois prononcée; Paul la répète aujourd'hui pour montrer que c'est par la même grâce du (231) Saint-Esprit que la foi s'est solidement établie, et dans l'âme du prophète, et dans les nôtres. C'est comme s'il disait : C'est le même esprit de foi qui a parlé en lui et agi en nous.

2. Où sont maintenant ceux qui calomnient l'Ancien Testament, qui déchirent le corps des Ecritures et attribuent à deux dieux différents l'Ancien Testament et le Nouveau? Qu'ils entendent comme Paul ferme leurs bouches impies, met un frein à leurs langues qui s'attaquent à Dieu, et montre par cette seule parole que le même Esprit règne dans l'Ancien Testament et dans le Nouveau. Car ce seul nom de Testament nous donne l'idée d'une entière harmonie. On appelle l'un Nouveau, pour le distinguer de l'Ancien ; et l'autre Ancien, pour le distinguer du Nouveau, comme Paul le dit lui-même : En disant le Nouveau Testament, il a marqué l'ancienneté du premier. (Hébr. VIII, 13.) Or, s'ils ne venaient tous deux du même Maître , on ne pourrait appeler l'un Nouveau, l'autre Ancien. Cette différence de noms elle-même marque leur parenté, et la différence qui sépare l'un de l'autre n'est pas dans leur essence, mais dans le temps où ils ont paru; ce n'est qu'en cela que le Nouveau Testament est opposé à l'Ancien. Au reste cette différence des temps n'implique nul changement de Maître, nulle diminution de pouvoir. C'est ce que le Christ a lui-même fait entendre en disant : C'est pourquoi je vous le dis : Tout docteur instruit de ce qui regarde le royaume des cieux est semblable un père de famille qui tire de son trésor des choses nouvelles ét des choses anciennes. (Matth. XIII, 52.) Vous voyez des biens différents aux mains du même maître: S'il se peut qu'un même maître dispense des biens nouveaux et des biens anciens, rien n'empêche que l'Ancien Testament et le Nouveau soient du même Dieu. Cela même indique l'abondance de ses trésors qu'il fait paraître quand il dispense, non-seulement des biens nouveaux , mais encore des biens depuis longtemps amassés.

Il n'y a dans les deux Testaments que des différences de nom ; du reste, nulle opposition, nulle contradiction. Car l'ancien devient ancien par le nouveau : or, ce n'est point là une opposition, une contradiction, mais une simple différence de nom. Mais j'irai plus loin. Les lois du Nouveau Testament et celles de l'Ancien seraient-elles différentes, j'affirmerais résolument qu'il n'y aurait nulle nécessité de les attribuer à deux dieux différents. Si dans ce même temps, pour les mêmes hommes, ayant les mêmes soins et les mêmes devoirs, Dieu avait fait des lois contradictoires, ce sophisme aurait peut-être une ombre de raison. Mais si ces deux Testaments ont été écrits pour des hommes différents, vivant dans des temps divers, et dans des circonstances diverses, la différence des lois implique-t-elle deux législateurs? Pour moi, je rie le vois pas; que nos adversaires parlent s'ils le peuvent, mais que pourraient-ils dire? Le médecin emploie souvent des remèdes contraires, sa science cependant n'est pas contradictoire : elle est une et constante. En effet, il brûle ou ne brûle pas, incise ou n'incise pas le même corps; tantôt il prescrit des breuvages amers, tantôt des breuvages doux: ces traitements sont opposés, la science qui les dicte est une et constante, elle n'a qu'un but unique, la santé du malade. N'est-il pas absurde de ne point blâmer un médecin qui emploie des remèdes contraires sur le même corps, et de condamner Dieu pour avoir donné à des hommes différents, et qui vivaient dans des temps différents, des lois différentes?

3. Ainsi , les lois seraient-elles contraires, il ne faudrait point accuser Dieu: je viens de le prouver. Mais elles ne sont point contraires, elles sont seulement différentes ; faisons-les comparaître devant nous. Ecoutez, dit Jésus, ce qui a été dit aux anciens: Vous ne tuerez pas. Voilà l'ancienne loi ; voyons la nouvelle : Et moi je vous dis : quiconque s'irritera sanas motif c6ntre son frère méritera d'être condamné au feu de l'enfer. (Matth. V, 21, 22.) Sont-ce là; dites-moi, des lois contraires. Est-il un homme, si peu de raison qu'il ait, qui le puisse prétendre? Si l'ancienne loi défendait le meurtre, et si la nouvelle le commandait, on pourrait dire qu'elles sont opposées. Mais quand l'une ordonne de ne point tuer, et que l'autre prescrit de ne pas même s'irriter, c'est une défense plus sévère, et non une défense contraire. L'une retranchait l'effet du mal, le meurtre; l'autre en arrache, la racine en proscrivant la colère; la première arrêtait le cours du vice, l'autre en dessèche la source même, car la racine et la source du crime sont dans la colère et le ressentiment. L'ancienne loi nous a préparés à recevoir la nouvelle, et la nouvelle a complété l'ancienne: Où est la contradiction? l'une retranche l'effet du mal, l'autre le (232) principe. L'une veut que nos mains soient pures de sang, l'autre ferme aux desseins pervers l'accès de nos âmes. Ces lois sont donc en harmonie, et non en opposition, comme s'efforcent à tout propos de l'établir les ennemis de la vérité, qui ne voient pas qu'ils jettent sur ce Dieu du Nouveau Testament la plus grave accusation de négligence et d'incurie. Car il serait convaincu (que ce blasphème retombe sur la tête de ceux qui me forcent de le proférer), et d'avoir mal réglé ce qui nous touche. Je vais dire comment: L'enseignement élémentaire de l'Ancien Testament est semblable au lait; la philosophie du Nouveau est une nourriture solide. Donnerait-on à l'enfant, avant le lait, de la nourriture solide ? C'est là ce qu'aurait fait ce Dieu du Nouveau Testament, s'il n'avait commencé par donner l'Ancien. Avant de nous donner le lait, avant d'instruire notre enfance dans la loi, il nous aurait donné une nourriture solide. Et ce n'est point la seule accusation qu'on fasse peser sur lui, il en est une plus grave. Il serait coupable de n'avoir songé à notre génération qu'au bout de cinq mille ans. Si ce n'est point le même Dieu qui par ses prophètes, ses patriarches et ses justes, a pris soin de nous, si c'est un autre Dieu, sa Providence a été bien lente et bien tardive; on dirait que le repentir l'a porté a se souvenir de nous. Or, il serait indigne non-seulement d'un Dieu, mais du dernier des hommes, de laisser tant de temps périr tant d'âmes et de songer au bout des siècles à s'occuper du petit nombre qui survit:

4. Voyez-vous les blasphèmes sans nombre de ces hommes qui assignent à deux dieux différents l'Ancien Testament et le Nouveau ? Tous ces blasphèmes s'évanouissent, si nous accordons que les deux Testaments émanent du même Dieu. On verra alors que sa Providence a toujours disposé selon la sagesse les affaires des hommes, d'abord par la loi, aujourd'hui par la grâce, et que ce n'est pas depuis peu ni tout récemment, mais depuis le premier jour du monde, qu'il a pris soin de nous. Mais pour mieux fermer la bouche aux impies, appelons en témoignage les paroles mêmes des prophètes et des apôtres dont la voix proclame hautement que le législateur du Nouveau Testament est le même que celui de l'Ancien. Appelons Jérémie, le prophète sanctifié dès le sein de sa mère, qu'il nous montre clairement qu'il n'y a qu'un Dieu dans l'Ancien Testament et dans le Nouveau. Que dit-il? Que proclame-t-il du chef-même du législateur? Je vous donnerai un Testament Nouveau, autre que celui que je donnai à nos pères. (Jérém. XXXI, 31.) Ainsi, le Dieu qui donne le Nouveau Testament est le même Dieu qui avait jadis donné l'Ancien. Cela ferme aussi la bouche aux sectateurs de Paul de Samosate, qui nient l'existence du Fils je Dieu avant les siècles. Car s'il n'était pas avant l'enfantement de Marie, s'il n'existait pas avant de se revêtir de la chair et de paraître à nos yeux, comment aurait-il. pu porter une loi sans exister? Comment aurait-il dit : Je vous donnerai un Testament Nouveau, autre que celui que je donnai à vos pères ? Comment avait-il pu donner un Testament à leurs pères, puisqu'il n'existait pas, à ce que prétendent ces hérétiques? Contre les Juifs et contre les sectateurs de Paul qui sont attaqués du même mal, le témoignage du prophète suffit. Mais pour fermer aussi la bouche aux Manichéens, prenons des témoignages dans le Nouveau Testament, puisque l'Ancien ne compte point à leurs yeux, sans toutefois qu'ils fassent plus d'honneur au Nouveau; car, tout en paraissant lui rendre hommage, ils l'insultent aussi bien que l'Ancien: Premièrement, quand ils l'en séparent, ils ébranlent par cela seul son autorité. Car la vérité s'éclaire de la lumière des prophéties qui l'ont précédée, et à laquelle ces hommes ferment leurs yeux, sans comprendre qu'ils font plus d'injure aux apôtres qu'aux prophètes eux-mêmes. Voilà donc la première injure qu'ils font au Nouveau Testament. La seconde, c'est, qu'ils en retranchent une grande partie. Mais telle est la force des choses qui y sont contenues, que ce qu'il en reste suffira à mettre au jour leur malice. Car ces membres mutilés crient, redemandent et réclament sans cesse d'être réunis aux membres dont ils ont été violemment séparés et avec lesquels ils composaient un tout harmonique; un corps vivant.

5. Comment donc montrerons-nous que le législateur est le même dans l'Ancien Testament et dans le Nouveau? Par les paroles mêmes des apôtres que nos adversaires admettent, et qui paraissent au premier regard accuser l'Ancien Testament, mais qui le défendent au contraire, et prouvent qu'il contient une révélation divine et venue d'en-haut. C'est la sagesse du Saint-Esprit qui a voulu que, se trompant aux apparences, ceux qui calomniaient la loi admissent malgré eux et sans s'en douter la défense même de la loi (233) afin que s'ils voulaient voir la vérité, ils eussent des paroles où ils se pussent attacher, et que, s'ils persistaient dans leur incrédulité, ils n'eussent aucun espoir de grâce, ne croyant pas, pour leur malheur, aux choses mêmes auxquelles ils paraissent croire. En quel endroit donc le Nouveau Testament témoigne-t-il que l'auteur de ses lois est aussi le législateur de l'Ancien Testament? En bien des passages. Mais nous ne voulons en citer qu'un que les Manichéens ont conservé. Quel est-il.? Dites-moi, vous qui voulez être sous. la loi, n'avez-vous point lu la loi ? Car il est écrit qu'Abraham eut deux fils, l'un de la servante, l'autre de la femme libre. (Gal. IV, 21-22.) A ces mots, l'un de la servante, les hérétiques d'accourir, et, comptant que ces paroles renferment une accusation contre la loi, ils retranchent le reste, ils en font un appui à leur calomnie. Montrons par ce passage même qu'il n'y a qu'un législateur : Abraham eut deux fils, l'un de la servante, l'autre de la femme libre. C'est, dit l'Apôtre, une allégorie. (Ibid.24.)Comment est-ce une allégorie? Ce qui est arrivé au temps de la loi est la figure de ce qui arrive au temps de la grâce. De même qu'il y a deux épouses, de même il y a deux Testaments. Mais la parenté de l'Ancien Testament et du Nouveau apparaît d'abord en ce que l'un est la figure de l'autre. Car la figure n'est pas l'opposé de la vérité: elle est de même nature. Or, si le Dieu de l'Ancien Testament n'était point le Dieu du Nouveau, il n'aurait point, dans la figure des deux femmes, proclamé l'excellence. du Nouveau Testament; et en admettant qu'il l'eût figurée, Paul n'aurait eu garde d'user de la figure. Et si l'on dit qu'il l'a fait pour condescendre à-la faiblesse des Juifs, il devait donc aussi, quand il prêchait aux Grecs, employer des figures grecques, et faire mention des faits que contient l'histoire des Grecs. Il ne l'a point fait, et ce n'est pas sans cause. Car il n'y là rien de commun avec la vérité ; ici, il y a les lois de Dieu et sa révélation. Il y a donc manifestement parenté entre l'Ancien Testament et le Nouveau.

6. Ce premier argument prouve donc le profond accord des deux Testaments. J'en trouve un second dans l'histoire même. De même que les deux épouses n'avaient qu'un mari, de même les deux Testaments n'ont qu'un législateur. S'il y en avait deux; l'un pour l'Ancien, l'autre pour le Nouveau , il n'était pas nécessaire de recourir à l'histoire. Car Sara et Agar n'avaient point deux maris différents, mais un seul. Ainsi en disant . Ces deux femmes figurent les deux Testaments (Gal. IV, 244), l'apôtre ne veut rien dire autre chose sinon qu'il n'y a qu'un législateur, de même que les deux épouses n'avaient qu'urr mari, Abraham. Mais l'une était esclave , l'autre femme libre. — Qu'importe? la question était seulement de savoir si elles eurent le même maître. Que les hérétiques admettent d'abord ce point, nous leur répondrons ensuite sur l'autre. Qu'ils soient forcés de s'y rendre, et leur dogme tombe en poussière. Car lorsqu'il sera démontré que le législateur de l'Ancien Testament est le même que celui du Nouveau, comme il l'est en effet, notre discussion est terminée. Mais sans nous "laisse troubler par leur objection, attachons-nous exactement à la parole de l'Apôtre. Il n'a pas dit : L'une était esclave, l'autre libre, mais: L'une engendrant pour la servitude. De ce qu'elle engendrait pour la servitude, il ne s'ensuit point qu'elle soit esclave; être engendré pour la servitude n'est point la faute de la mère, mais celle des enfants. C'est parce qu'ils se privèrent eux-mêmes de leur liberté par leur malice , et perdirent les droits de leur naissance que Dieu les traita comme des esclaves ingrats , les instruisant par une crainte incessante, les corrigeant par des peines et des menaces. Ne voit-on pas aujourd'hui encore grand nombre de pères traiter leurs fils, non en fils, mais en esclaves, et les contenir par la crainte? La faute n'en est point aux pères, mais aux enfants qui ont forcé leurs pères à traiter en esclaves des hommes libres. C'est ainsi que Dieu lui-même contenait en ce temps les peuples par la crainte et les châtiments, .comme il eût fait un esclave ingrat. Il ne faut accuser ni Dieu ni la loi de ces sévérités, mais seulement les Juifs indociles au joug et qui .avaient besoin d'un frein plus solide. Dans cet Ancien Testament, nous trouvons bien des hommes qui n'ont point été traités ainsi : Abel, Noé , Abraham , Isaac, Jacob, Joseph, Moïse, Elie, Elisée et bien d'autres qui s'élevèrent jusqu'à la philosophie du Nouveau Testament. Ce ne furent ni la crainte, ni les châtiments, ni les menacés, ni les punitions, mais l'amour divin, leur zèle ardent pour Dieu, qui les firent ce qu'ils ont été. Ils n'eurent besoin ni de préceptes, ni de commandements, ni de lois, pour pratiquer la vertu et fuir le vice; ces âmes bien (234) nées, généreuses, ayant conscience de leur dignité, sans terreur, ni châtiments embrassèrent la vertu, tandis que le reste des Juifs suivit la pente du mal et eut besoin du frein de la loi. Quand ils fabriquèrent le veau d'or et adorèrent des statues, ils entendirent ces mots: Le Seigneur ton Dieu est le seul Seigneur. (Dent. VI, 4). Quand ils commirent des meurtres et des adultères, ils entendirent ces mots : Tu ne tueras point, tu ne seras point adultère, et ainsi des autres commandements.

7. Ce n'est donc pas la condamnation de la loi qu'elle ait employé la crainte et les châtiments comme on fait pour instruire et corriger des esclaves méchants : c'est sa plus belle louange, sa gloire la plus rare d'avoir arraché les hommes au mal où ils se livraient, de les avoir par sa force propre, délivrés du crime, corrigés et rendus dociles à la grâce, de leur avoir ouvert un chemin vers la philosophie du Nouveau Testament. Car c'était le même Esprit qui dictait les lois de l'Ancien Testament et celles du Nouveau, malgré leurs différences. C'est ce que Paul faisait entendre quand il disait: Parce que nous avons le même esprit de foi, selon qu'il est écrit : J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé.

Et ce n'est point seulement pour cela qu'il disait : le même Esprit, mais pour une cause non moins importante. Je l'aurais expliqué aujourd'hui, mais je crains que mes enseignements répandus à flots trop abondants ne s'échappent de votre mémoire. Je réserve donc cette explication pour un, prochain entretien , vous exhortant seulement à garder de celui-ci un entier souvenir, à observer exactement mes conseils et à joindre la sagesse pratique à la pureté du dogme. Il faut que l'homme de Dieu soit parfait et disposé à. toute sorte de bonnes oeuvres. (II Tim. III, 17). A rien ne vous servirait la pureté du dogme si votre vie était impure, de même qu'une vie irréprochable vous serait inutile sans la pureté de la foi. Afin donc de nous assurer de parfaits avantages, affermissons-nous des deux côtés, que notre vie se pare des nobles fruits de toutes vertus, mais principalement de celui de l'aumône dont je vous ai déjà parlé, et qu'il faut pratiquer avec zèle , avec abondance. Quiconque sème peu, dit l'Ecriture, récolte peu; et celui qui sème dans les bénédictions récoltera dans les bénédictions. (II Cor. IX, 6.) Que signifient ces paroles, dans les bénédictions ? c'est-à-dire avec abondance. Dans les choses matérielles, la semence et la moisson sont de même nature. Car celui qui sème répand dans la terre du froment, de l'orge ou. d'autres sentences pareilles, et quand il fait la moisson, il récolte les mêmes grains. Il n'en est point de même de l'aumône. Vous semez l'argent et vous récoltez la paix devant Dieu; vous donnez des richesses et vous recevez en échange-le pardon de vos fautes; vous distribuez du pain et des vêtements, et en récompense vous vous préparez le royaume du ciel et mille biens que l'oeil de l'homme ne peut voir, ni son oreille entendre, ni sa pensée concevoir. Le premier de ces biens est que vous devenez semblables à Dieu, autant qu'il est possible à l'homme. Car c'est de l'aumône et de la charité que le Christ avait parlé quand il ajoutait : Afin que vous deveniez semblables à votre Père qui est. dans les cieux, qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants et fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. ( Matth. V, 45.) Vous ne pouvez faire luire le soleil, ni faire tomber la pluie, ni répandre vos bienfaits sur toute la face de la terre. Mais il suffit que vous employiez les biens que vous avez en bonnes oeuvres pour devenir semblables à Dieu qui fait luire le soleil autant qu'il est possible à l'homme de devenir semblable à Dieu.

8. Ecoutez bien toutes ces paroles : sur les bons et sur les méchants, a-t-il dit. Agissez de même. Quand vous ferez l'aumône, ne recherchez point la vie passée, ne demandez pas compte de la conduite. Aumône signifie commisération ; elle est ainsi appelée, parce qu'il n'en faut point priver même ceux qui en sont indignes. Car celui qui est miséricordieux accorde sa commisération non au juste, ruais au pécheur. Car le juste est digne de louanges et de couronnes; le pécheur. a besoin de commisération et de pardon. Ainsi, nous imiterons Dieu, en donnant aussi aux méchants. Songez en effet combien il y a sur la terre de blasphémateurs, de scélérats, de fourbes, d'hommes souillés de tous les vices! Dieu leur donne leur pain de chaque jour, pour nous apprendre à étendre notre charité sur tous les hommes. Mais nous faisons tout le contraire. Car, non-seulement nous repoussons les méchants; les pervers; mais qu'il se présente un homme en bonne santé, que sa probité, son amour de la liberté, sa paresse même, s'il faut le dire, (235) condamnent à la pauvreté, il ne trouve qu'injures, outrages, railleries sans nombre ; nous le renvoyons les mains vides, nous lui objectons sa bonne santé, nous lui reprochons sa paresse, nous lui demandons des comptes. Dieu vous a-t-il commandé de ne prodiguer que le blâme et les reproches à ceux qui sont dans le besoin? Dieu veut qu'on ait pitié d'eux, qu'on porte remède à leur pauvreté, et non qu'on leur en demande compte et qu'on les injurie. — Vous voulez, dites-vous, porter remède à leurs vices, les délivrer de la paresse, et pousser au travail ceux qui vivent dans l'oisiveté. — Donnez-leur d'abord, corrigez-les ensuite; ainsi, loin de vous faire accuser de dureté et d'inhumanité, vous ferez croire à votre bonté; car, celui qui, pour toute aumône, distribue le reproche, s'attire l'aversion et la haine; le pauvre ne peut supporter sa vue, et à juste raison; car il croit que ce n'est point par intérêt, mais par le désir de se dispenser de l'aumône qu'on lui fait des reproches, ce qui est la vérité; mais celui qui ajoute ses reproches à l'aumône, dispose le pauvre à entendre des conseils que dicte, non la dureté, mais la bonté d'âme. C'est ainsi que faisait Paul. Après avoir dit: Que celui qui ne travaille point ne mange point (II Thess. III, 10), il ajoute ce conseil :Pour vous, ne cessez point de faire le bien. (Ibid. 13.) Il y a une apparente contradiction dans ces paroles. Si ceux qui ne travaillent point ne doivent pas manger, pourquoi conseillez-vous aux autres de persévérer dans la bienfaisance? Il ne saurait y avoir de contradiction. Si j'ai dit, nous répond l'Apôtre, que celui qui ne travaille point ne mange pas, ce n'est point pour détourner de l'aumône ceux qui sont disposés à la faire, mais pour détourner de là paresse ceux qui y consument leur vie. Ces paroles : qu'il ne mange point, excitent les uns au travail par la crainte que leur donne cette menace; et ces mots : Ne cessez point de faire le bien, invitent les autres à faire l'aumône et sont poux eux une exhortation salutaire. Quelques mains auraient pu se fermer devant la menace faite aux paresseux; mais l'Apôtre les ouvre à l'aumône en disant : Ne cessez pas de faire le bien. Car, donner à un paresseux est encore faire le bien.

9. Ce dessein de l'Apôtre se manifeste dans la suite de son épître. Après avoir dit : Si quelqu'un ferme l'oreille aux paroles que contient cette lettre, notez-le et ne faites point société avec lui (II Thess. III ; 15) ; après avoir ainsi chassé l'incrédule du sein de l'Eglise, il l'y ramène et le fait rentrer en grâce auprès de ceux qui l'avaient rejeté, en ajoutant : Ne le considérez point néanmoins comme votre ennemi, mais comme votre frère. (II Thess. III, 15.) De même qu'après avoir dit: Que celui qui ne travaille point, ne mange pas, il engage ceux qui le peuvent à prendre grand soin d'eux; de même en ce passage, après avoir dit: Ne faites point société avec eux, il n'engage point ses auditeurs à abandonner le soin de ce malheureux, mais- au contraire, il leur ordonne de veiller attentivement sur lui, en ajoutant : Ne le considérez point comme un ennemi, mais comme un frère. Vous avez cessé de faire société avec lui, mais ne cessez point de prendre soin de lui. Vous l'avez exclu de l'Eglise, ne l'excluez point de vôtre amour. Car c'est dans mon amour pour lui que je vous ai donné ces ordres. J'ai voulu, en le séparant de vous, le corriger et le guérir, pour le rendre ensuite au corps de l'Eglise. On voit des pères renvoyer leurs enfants de leur maison, mais ce n'est point pour qu'ils n'y rentrent jamais; c'est pour qu'ils se corrigent dans cet exil et reviennent meilleurs. Ce que j'ai dit suffit à confondre ceux qui reprochent aux pauvres leur paresse.

Mais il en est beaucoup d'autres qui ont recours pour se défendre, à des excuses pleines de dureté et d'inhumanité. Je vais les réfuter aussi, non pour leur enlever tout moyen de défense, mais pour les décider à abandonner de vains et inutiles prétextes, et à préparer par leurs couvres là défense vraie, la seule qui leur puisse servir au tribunal du Christ.

Quels sont donc ces prétextes vains et inutiles où se réfugient tant de gens? J'ai des enfants à élever, disent-ils, une maison à soutenir, une femme à nourrir, mille dépenses nécessaires. Je n'ai pas assez pour soulager tous les pauvres que je rencontre en mon chemin. Que dites-vous? Vous avez des enfants à nourrir et c'est pour cela que vous ne soulagez point les pauvres? Mais c'est pour cela même qu'il les faut soulager , pour ces enfants que vous élevez, afin de leur rendre favorable, au prix de quelques deniers, le Dieu qui vous les a donnés, afin de leur laisser, après votre mort, ce Dieu pour protecteur, afin de leur assurer la grâce et la faveur d'en-haut, par ces richesses (236) mêmes que vous dépensez pour Dieu. Ne voyez-vous pas que souvent les mourants inscrivent dans leurs testaments les riches et les grands qui ne sont point de leur famille, et les donnent pour cohéritiers à leurs enfants, pour assurer leur sort par de faibles dons, et cela sans savoir quels seront, pour ces enfants, après la mort du père, les sentiments de ceux qu'il a appelés à prendre part à son héritage. Et vous, qui connaissez la bonté, l'amour, la justice de votre Seigneur, vous ne l'inscrirez pas dans votre testament? vous ne le donnerez pas pour cohéritier à vos enfants? Est-là, dites-moi , de l'amour paternel? Si vous aimez ces enfants que vous avez mis au monde ; laissez-leur des créances dont Dieu soit le garant. Voilà leur plus bel héritage, voilà leur richesse, voilà leur sécurité. Appelez-le avec eux au partage de vos biens d'ici-bas, afin qu'en retour il vous appelle avec vos enfants à partager l'héritage céleste. C'est un héritier généreux, humain, bon, puissant et riche : vous n'avez à suspecter en rien sa société. On donne encore à l'aumône le nom de semence, parce qu'elle n'est point une dépense, mais un revenu. Quand vient le temps des semailles, vous videz sans difficulté vos greniers pleins du blé des récoltes passées; vous ne songez qu'à la moisson qui en doit sortir, mais que vous n'avez point encore, et cela sans savoir aucunement ce qui adviendra. Car la nielle, la grêle, les sauterelles, les intempéries, mille fléaux enfin viennent parfois briser l'espoir de la saison prochaine. Et quand il faut semer dans le ciel des moissons qui ne craignent point les intempéries, où vous n'avez à redouter ni malheur ni déception, vous hésitez, vous reculez? Quelle excuse aurez-vous, vous qui semez dans la terre sans crainte ni hésitation, et qui, lorsqu'il faut semer dans la main de Dieu, doutez et différez? Si la terre rend ce qu'on lui confie, la main de Dieu ne rendra-t-elle pas avec usure tout ce que vous y aurez déposé ?

10. Ce que sachant, ne considérons point la dépense quand nous faisons l'aumône; considérons le revenu qu'elle rapporte, les espérances qu'elle nous donne pour l'avenir, et même le gain qu'elle nous assure aussitôt. Car non-seulement l'aumône nous ouvre le royaume des cieux, mais elle nous procure dans là vie présente la sécurité et l'abondance. Qui nous l'assure ? Celui qui est maître de dispenser ces biens. Celui qui donne aux pauvres, dit-il, recevra le centuple en ce monde, et aura en partage la vie éternelle. (Matth. XIX, 29.) Voyez-vous qu'une large rémunération nous est promise, dans l'une et l'autre vie? N'hésitons donc point, ne différent point, mais chaque jour recueillons les fruits de l'aumône, afin de jouir de la prospérité en ce monde et d'obtenir la vie éternelle. C'est ce que je souhaite à nous tous, par la grâce et la. bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, la gloire, l'honneur et la puissance, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

TROISIÉME HOMÉLIE. Dieu a tenu envers les justes de l'Ancienne Loi la même conduite qu’envers tous les fidèles de la Loi nouvelle. De l'aumône.
ANALYSE.

1° Résumé de la dernière homélie. — 2° Ce n'est pas seulement pour nous montrer l'accord des deux testaments, que saint Paul a dit : Parce que nous avons le même esprit de foi, c'est pour une autre raison, qui fera le sujet de la présente homélie. — 3°-5° Etat du monde dans les premiers temps de la prédication chrétienne. — 6° Souffrances de saint Paul. — 7° Utilité des souffrances en général. — 8° Même dans l'Ancien Testament, on trouve des justes dont la récompense est différée à l'autre vie. Voilà la seconde raison pour laquelle saint Paul a dit : Parce que nous avons le même esprit de foi. Il veut encourager les fidèles de son temps. — 9°-10° La conduite de Dieu n'a point été la même envers les saints qu'envers la multitude, dans l'Ancien Testament. — 11°-12°. Exhortation à l’aumône.

1. Dans la précédente réunion et dans l'avant-dernière, nous avons pris pour texte une parole de l'Apôtre, et nous avons consacré à l'expliquer notre discours tout entier. Nous voulons encore l'examiner aujourd'hui. Nous le faisons à dessein, pour vous être utile, et non par ostentation. Je ne songe point à faire montre d'abondance et de fécondité. C'est pour vous révéler la sagesse de Paul et exciter votre zèle, que je reviens sur le même sujet. La profondeur de son esprit sera plus manifeste, si une seule de ses paroles nous ouvre une si féconde source de pensées; et quand vous verrez que d'un seul mot de l'Apôtre on peut tirer d'ineffables trésors de sagesse , vous ne vous contenterez pas d'effleurer négligemment ses lettres, mais vous pénétrerez plus avant, et dans l'espoir d'y trouver ces richesses, vous examinerez avec le plus grand soin chacune de ses paroles. Car si une seule nous fournit la matière de trois entretiens, quel trésor nous ouvrirait un passage entier, exactement étudié ? Ne nous lassons donc point avant d'avoir épuisé cette pensée. Car si ceux qui creusent les mines d'or, quelques richesses qu'ils aient tirées, ne s'arrêtent point avant d'avoir pisé la veine, ne devons-nous point montrer plus d'ardeur et de zèle dans la recherche de la sagesse divine ? Nous aussi nous extrayons de l'or, non de l'or matériel, mais de l'or spirituel ; nous creusons, non point les mines de la terre,. mais les mines de l'Esprit-Saint. Car les lettres de Paul sont les mines et les sources de l'Esprit-Saint; les mines, car elles nous donnent une richesse plus précieuse que tout l'or de la terre; les sources, car jamais elles ne tarissent: plus on y puise, plus elles sont abondantes. J'en prends à témoin le temps écoulé. Depuis l'époque où vivait Paul, cinq cents ans sont passés, et tout ce temps, mille écrivains, docteurs et commentateurs ont tiré de ses lettres des richesses sans nombre, sans épuiser le trésor qu'elles contiennent. Ce trésor. n'est point matériel ; c'est pourquoi, au lieu de s'épuiser sous les mains qui le creusent, il s'augmente et s'enrichit. Je parle de nos devanciers; mais après nous, combien d'autres parleront, et après eux combien encore, sans que la source se dessèche, sans que la raine s'appauvrisse ! C'est une miné spirituelle et dont on ne trouvera point le fond. Quelle était donc la parole de l'Apôtre qui faisait le sujet de mes derniers discours ? Parce que nous avons le même esprit de foi, selon qu'il est écrit : J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé.

2. Nous avons cherché pourquoi l'Apôtre (238) avait dit: Le même esprit de foi, et nous en avons exposé une cause. C'était afin de montrer l'accord de l'Ancien Testament et du Nouveau. Car si l'on fait voir que c'est le même Esprit qui parlait parla bouche de David quand il disait: J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé (Ps. CXV, 10), et qui agissait dans l'âme de Paul, on aperçoit aussitôt la parenté qui unit les prophètes et les apôtres, et il suit de là qu'il y a parfait accord entré l'Ancien Testament et le Nouveau. Mais je m'abstiens de redites fastidieuses, et vais exposer la seconde cause qui a fait dire à l'Apôtre : Le même esprit de foi. Car je vous ai promis de vous faire connaître cette seconde cause. Prêtez-moi toute votre attention. La pensée que je vais vous développer est profonde, et demande de la perspicacité et de la pénétration. C'est pourquoi je vous engage à écouter sans en rien perdre ce que je vais vous dire. A moi la peine, à vous le bénéfice. Mais je rie dois pas dire : à moi la peine, car le Saint-Esprit me donnera la grâce, et quand c'est,lui qui nous révèle la sagesse, il n'y a de peine ni pour l'orateur, ni pour les auditeurs, mais pour tous la tâche est facile. Soyez donc attentifs ; car entendriez-vous la plus grande partie de mes paroles, si votre attention sommeille un moment, vous ne saisirez pas la beauté de l'ensemble , ayant une fois perdu le fil de mon discours. De même que ceux qui ne connaissent point leur chemin et ont besoin d'un guide, seraient-ils allés très-loin à sa suite, si, par négligence, ils le perdent de vue un, moment, l'office qu'on leur a rendu leur devient inutile, ils s'arrêtent et ne savent où se diriger; ainsi des auditeurs qui écoutent une instruction, s'ils se relâchent un moment de leur attention , perdent la suite des pensées et ne peuvent point parvenir à la conclusion. Pour qu'il ne vous advienne point ainsi , prêtez une constante attention à mes discours, jusqu'à ce que nous arrivions ensemble à la conclusion.

3. L'Apôtre a dit : Parce que nous avons le même esprit de foi, voulant montrer que dans l'Ancien Testament, comme dans le Nouveau, la foi est la mère de tous les biens. Pour le prouver, remontons un peu plus haut. La cause nous paraîtra ainsi plus manifeste. Quelle est donc cette cause? Au moment où parlait l'Apôtre, la guerre entourait les fidèles, guerre terrible et sans trêve. Des villes entières, des peuples divers se levaient contre eux; les tyrans leur dressaient des embûches, les rois s'apprêtaient à la guerre, les armes s'agitaient, les épées s'aiguisaient, on préparait des soldats, on imaginait mille châtiments, mille supplices : pillage et confiscations, prison, exécutions quotidiennes, tourments, chaînes, bûchers, glaives, bêtes féroces, gibets, roues, précipices, abîmes, il n'était rien qu'on n'inventât pour exterminer les fidèles. Et là ne s'arrêtait point la guerre. Car non-seulement les ennemis l'attisaient , mais la rature était divisée contre elle-même. Les pères faisaient la guerre aux enfants, les filles. haïssaient leurs mères, les amis détestaient leurs amis, dans toutes les familles, dans toutes les maisons se glissait la discorde, et le trouble était grand sur la terre. Et de même qu'un navire au milieu des vagues soulevées , des nuées qui s'entr'ouvrent, des tonnerres qui éclatent, des ténèbres qui couvrent tout d'une épaisse nuit, de la mer en fureur, des monstres qui se dressent, des pirates qui attaquent, des dissensions de l'équipage, ne saurait échapper au danger, si une main d'en-haut, forte et puissante, ne détournait la guerre, n:apaisait la tempête, et ne rendait le calme aux navigateurs; ainsi advint-il dans les commencements de la prédication. Car non-seulement au dehors la tempête se déchaînait, mais souvent au dedans régnait la discorde. Qui nous rapprend? c'est Paul lui-même quand il écrit : au dehors la lutte, au dedans les terreurs. (II Cor. VII, 5.) Et pour vous prouver la vérité de ce que j'avance, et que maîtres et disciples étaient entourés de mille maux et victimes d'une guerre universelle, j'appellerai encore Paul en témoignage. Souvenez-vous de toutes mes paroles, et lorsque vous connaîtrez les dangers, les épreuves et les malheurs sans nombre où étaient exposés les fidèles en ce temps, vous rendrez plus d'actions de grâces à Dieu qui conjura tous ces dangers, donna aux hommes une paix profonde, éloigna la guerre et rétablit dans le monde le calme et la tranquillité ; que désormais les indifférents ne comptent pas échapper au châtiment, et que les justes relèvent la tête !

4. En effet, il n'y a point un égal mérite à montrer le même zèle au milieu des attaques et des orages, ou dans le calme et la sécurité du port. Or , les fidèles alors n'étaient pas moins agités que des matelots ballottés par les flots en courroux, tandis qu'aujourd'hui nous (239) sommes sans trouble , comme le navire au port. Prenons donc garde de nous enorgueillir de notre foi, de succomber aux tentations, ou d'abuser, pour nous relâcher, de la paix de l'Eglise. Ne cessons point de jeûner et de veiller, car nous avons encore à lutter contre les passions de notre nature. Nous n'avons plus d'ennemis dans les hommes, mais nous en trouvons dans les plaisirs de la chair ! Les tyrans et les rois ne nous font plus la guerre , mais la colère, la vanité, l'envie, la jalousie, et les autres sentiments coupables nous la font encore. A peine délivrés d'une épreuve, il s'en. présente de nouvelles où if faut triompher. Si je vous ai rappelé les malheurs de ces temps, c'est afin que ceux d'entre vous qui sont éprouvés aujourd'hui soient efficacement consolés, et que ceux qui vivent dans le calme et ne sont point exposés à ces périls, mettent tout leur zèle à combattre les pensées déraisonnables. C'est pour nous instruire, nous consoler, nous soutenir, que toutes ces choses ont été écrites. Je vais vous les faire connaître, et vous montrer la grandeur des dangers que couraient alors, non-seulement les maîtres, mais les disciples; écoutez ce que Paul écrit aux. Hébreux :rappelez en votre mémoire ce temps auquel, après avoir été illuminés par le baptême, vous avez soutenu de grands combats et de terribles persécutions. (Hébr. X, 32.) Car il n'y eut pas le plus petit intervalle de temps : dès le premier jour que fut prêchée la doctrine, les fidèles furent éprouvés, et, dès le baptême, tombèrent dans les périls. Et voici comment : D'une part, vous avez servi de spectacle au monde par les outrages et les tribulations que vous avez endurés. (Ibid. 33.) Ils étaient conspués , injuriés, moqués, bafoués; on les appelait fous, insensés , parce qu'ils avaient renoncé à la religion de leurs pères 'et adopté de nouveaux dogmes. Ces outrages pourraient certes ébranler une âme où la foi n'aurait pas poussé de profondes racines. Car rien ne blesse une âme aussi cruellement que l’outrage, rien n'anéantit l'esprit et la raison comme la moquerie et la raillerie. Bien des hommes ont succombé au sarcasme. Je vous dis ces choses afin que nous nous attachions avec confiance à notre foi. Car, si dans le temps que le monde entier outrageait les fidèles, ils ne succombèrent point, à plus forte raison devons-nous, avec une entière confiance, nous attacher à la vérité révélée, quand toute la terre a embrassé notre foi. Or, non-seulement les fidèles supportèrent alors les accusations , les injures et les outrages, mais ils eurent de la joie à les souffrir; la suite des paroles de l'Apôtre nous le prouve : Vous avez vu avec joie tous vos biens pillés. (Ibid. 34.) Voyez-vous qu'autrefois on confisquait les biens des fidèles, et qu'on les livrait en proie à quiconque leur voulait nuire ? Voilà donc ce que Paul écrit aux Hébreux,

5. Il rend aux Thessaloniciens le même témoignage : Vous êtes devenus, leur dit-il, nos imitateurs et les imitateurs du Seigneur, ayant reçu la parole de l'Evangile parmi de grandes afflictions. (I Thess. I, 6.) Vous voyez que ce peuple avait aussi des afflictions, et de grandes afflictions. Les tentations étaient violentes, et continuels les dangers; ni repos, ni trêve pour ceux qui luttaient alors. Mais parmi ces maux, ils ne s'indignaient point, ils ne perdaient point courage ; au contraire , ils se réjouissaient. Comment le savons-nous ?. par les paroles mêmes de Paul. Après avoir dit : Parmi de grandes afflictions, il ajoute : Avec la joie du Saint-Esprit. (Ibid.) De la tentation naissaient les afflictions, mais ils se réjouissaient en songeant à la cause de la tentation. Ce leur était une suffisante consolation de savoir qu'ils souffraient pour le Christ. Aussi, je les admire moins d'avoir en ces temps supporté les afflictions, que de s'être réjouis de souffrir pour Dieu. Car une âme généreuse et pleine de l'amour de Dieu, sait supporter les afflictions et les peines ; mais supporter dignement la tentation et rendre grâces à Celui qui permet qu'on soit éprouvé, c'est-là le signe du plus excellent courage, d'une âme zélée et qui s'élève au-dessus de toutes les choses terrestres.

Ce n'est point seulement en ce passage, mais dans d'autres encore que l'Apôtre nous enseigne tout ce que les fidèles de ce temps avaient à souffrir de leurs proches et de leurs parents, et c'étaient les plus terribles maux. Vous êtes devenus, dit-il, les imitateurs des Eglises de Dieu qui sont dans la Judée. En quoi sont-ils devenus leurs imitateurs ? En ce que vous avez souffert les mêmes persécutions de la part de vos concitoyens que ces Eglises ont souffrances de la part des Juifs. (Ibid. II, 14.) Voilà encore la guerre, mais la guerre civile, surcroît de douleurs. Si un ennemi m’avait outragé, je l'aurais souffert, dit le prophète; mais c'est toi qui vivais dans un merde esprit (240) avec moi, qui étais te chef de mes conseils, mon plus cher confident. (Ps. LXXXIV, 13, 44.) Cette figure étais alors réalisée. Aussi les hommes avaient besoin de grandes consolations. Ce que voyant Paul, et que ceux qu'il avait mission de conduite souffraient et faiblissaient sous le poids des maux et des douleurs qui se succédaient sans nombre , il s'ingénie à relever leurs courages. Tantôt il leur dit : Il est bien juste devant Dieu qu'il. afflige à leur tour ceux qui vous affligent maintenant, et qu'il vous console avec nous, vous qui êtes comme nous dans l'affliction. (II Thess. I, 6, 7.) Tantôt : Le Seigneur est proche, ne soyez point inquiets. (Phil. IV, 5, 6.) Ne perdez point votre confiance : car la patience vous. est nécessaire, afin qu'en faisant la volonté de Dieu, vous puissiez obtenir les biens qui vous sont promis. (Hébr. X, 35, 36.) Et pour les engager à la patience, il ajoute : Car, encore un peu de temps, et Celui qui doit venir viendra, et, ne tardera point. (Ibid. 37.) Quand un petit enfant pleure, s'irrite et demande sa mère, on s'assied près de lui, et pour le consoler, on lui dit : attends encore un peu de temps, ta mère va venir assurément; de même Paul, voyant les fidèles de ces temps en proie à la douleur, se plaindre et demander, dans l'intolérable excès de leurs maux, la venue du Christ, il leur dit pour les consoler : Encore un peu de temps; et Celui qui doit venir viendra et ne tardera point.

6. Les disciples étaient donc affligés, entourés de maux, et, comme des agneaux au milieu des loups, poursuivis et persécutés, vous l'avez vu. Ceux qui les instruisaient ne souffraient pas de moindres maux, mais des maux plus grands; car plus ils confondaient les ennemis de la foi, et plus ils en étaient tourmentés. L'Apôtre, à qui nous empruntions les précédentes citations, nous l'apprendra encore. Il écrivait aux Corinthiens : Nous prenons garde aussi nous-même de ne donner à personne aucun sujet de scandale, afin que notre ministère ne soit point déshonoré. Mais en toutes choses Nous nous montrons ministre de Dieu, par une grande patience dans les maux, dans les nécessités, dans les extrêmes afflictions, dans les plaies, dans les prisons, dans les séditions, dans les travaux, dans les veilles, dans les jeûnes. (II Cor, VI, 3, 6.) Vous voyez combien de maux il a comptés, que d'épreuves et, d’orages ! Il leur écrit encore : Sont-ils ministres de Jésus-Christ? quand je devrais passer pour imprudent, j'ose dire que je le suis plus qu'eux. (II Cor. XI, 23.) Ensuite, pour nous convaincre que le don des miracles est d'un moindre prix que la patience à souffrir pour Jésus-Christ, et faisant valoir sa qualité d'apôtre pour montrer qu'il vaut mieux que les autres, je ne dis point les autres apôtres, mais les faux apôtres, ce ne sont point ses miracles qu'il doue comme des preuves de sa supériorité, mais les continuels dangers où il a vécu. J'ai plus souffert de travaux, dit-il, plus reçu de coups, plus enduré de chaînes. Je me suis souvent vit tout près de la mort. J'ai reçu des Juifs, en cinq différentes fois, trente-neuf coups de fouet. J'ai été trois fois battu de verges, lapidé une fois; j'ai fait naufrage trois fois, j'ai passé un jour et une nuit au fond de la nier, j'ai été souvent exposé dans les voyages : périls sur les fleuves, périls des voleurs, périls de la part de ceux de ma nation, périls au milieu des villes, périls au milieu des déserts, périls sur la mer, périls entre les faux frères. Enfin j'ai souffert toute sorte de travaux et, de fatigues, les veilles fréquentes, la faim, la soif, les jeûnes réitérés, le froid, la nudité, et d'autres maux outre ces maux extérieurs. ( Ibid. 23, 29.) Telles sont les vraies marques de l'apostolat. Bien d'autres ont fait des prodiges et n'en ont tiré , d'autre fruit que d'entendre ces paroles : Retirez-vous, je ne vous connais pas, ouvriers d'iniquité! (Matth. VII, 23.) Ceux qui peuvent, comme Paul , énumérer leurs souffrances, n'entendront ces paroles, mais avec confiance ils monteront au ciel pour y jouir de tous les biens réservés. aux élus.

7. Mon discours vous semble long peut-être, mais soyez sans crainte, je n'oublie point ma promesse, et j'y reviens aussitôt. Ce n'est point sans dessein que je me suis étendu; c'est pour vous donner plus de preuves et rendre ma démonstration plus claire, et ensemble pour relever les âmes affligées, pour que chacun de ceux qui sont dans les tentations et les dangers emporte une consolation efficace, en sachant que ces souffrances le mettent en compagnie de Paul, et même du Christ , le Roi des anges. Car celui qui participe ici-bas à ses douleurs participera là haut à sa gloire : Si nous souffrons ensemble, dit-il, c'est pour être glorifiés ensemble (Rom. VIII, 17) ; et encore : Si nous supportons les mêmes maux, c'est pour partager la même couronne. (II Tim. II, 12.) (241) Il faut de toute nécessité que les fidèles soient éprouvés: Tous ceux qui voudront vivre dans la religion du Christ souffriront la persécution. (III Tim. III, 12.) Ailleurs il est écrit Mon fils, si tu veux servir Dieu, prépare ton âme à la tentation; sois juste et fort. (Eccl. II, 4.) — Voilà d'encourageantes promesses ! Tout d'abord les tentations! Est-ce donc une puissante exhortation, une sensible consolation, pour qui se consacre au service de Dieu, de trouver des dangers dès les premiers pas? Oui, c'en est une puissante, admirable, féconde. Et comment? Écoutez la suite : Comme on éprouve l'or dans le feu, de même Dieu éprouve ses élus au creuset de la tentation. (Eccl. II, 5.) Voici le sens de ces paroles : de même que l'or soumis au feu devient plus pur, de même l’âme éprouvée par les afflictions et les traverses du sort plus brillante et plus belle, et se purifie de toutes ces souillures du péché. C'est pourquoi Abraham disait au riche : Lazare a souffert, et ici il est consolé. (Luc, XVI, 25.) Et Paul écrit aux Corinthiens : C'est pour celte raison qu'il y a parmi vous beaucoup de faibles et de malades, beaucoup d'autres qui sommeillent. Car il est certain que si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas ainsi jugés de Dieu, et même lorsque nous sommes jugés de la sorte, c'est le Seigneur qui nous châtie, afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde. (I Cor. XI, 30- 32.) Et s'il livre le fornicateur à la mortification de la chair, c'est afin que son âme soit sauvée (I Cor. V, 5); montrant ainsi que la tentation présente fait nôtre salut, et que les traverses, pour qui les supporte en rendant grâces à Dieu, sont la plus efficace purification de l'âme. Ainsi les fidèles étaient éprouvés; maîtres et disciples étaient exposés à mille dangers ; ils n'avaient point de trêve dans les guerres de toute espèce qu'ils soutenaient de tous côtés. — Mon discours l’a suffisamment montré; et après ce que j'ai dit, ceux qui se plaisent à l'étude des saintes Écritures y pourront trouver de nouvelles preuves.

8. Revenons enfin à notre sujet. Quel était-il? Pourquoi Paul a-t-il dit : ayant le même esprit de foi? C'est que les fidèles de ces temps étaient troublés de ne trouver que des maux dans la vie présente, et de ne voir de bonheur qu'en espérance ; des maux actuels, des espérances éloignées; d'un côté la réalité, de l'autre l’attente. Se faut-il étonner qu'au commencement de la prédication quelques âmes fussent découragées, lorsqu'aujourd'hui que la prédication s'est étendue sur toute la terre, qu'on a vu tant de preuves de la vérité des promesses de l'Évangile, tant de fidèles tombent néanmoins dans le découragement? Et ce n'était point cette seule cause qui les jetait dans le trouble; il en était une autre tout aussi puissante. Laquelle? Ils faisaient réflexion que dans l'Ancien Testament les choses n'étaient point ainsi réglées, mais que les prix et les récompenses de la vertu ne se faisaient point attendre à ceux qui vivaient dans la justice et la sagesse. Ce n'était point après la résurrection, ni dans la vie future, mais dans la vie présente qu'ils voyaient s'accomplir les promesses de Dieu. Si vous aimez le Seigneur votre Dieu, dit l'Écriture; vous serez heureux. Dieu fera prospérer vos troupeaux de boeufs et de brebis; il n'y en aura point d'infécondes ni de stériles, vous n'aurez à craindre ni langueur, ni maladie. (Deut. VII, 13, 15.) Dieu enverra sa bénédiction sur vos greniers. (Deut. XXVIII, 8, 12.) Il ouvrira le ciel et vous enverra la pluie le matin et le soir. (Ibid. XI, 14.) Il y aura abondance de blé sur votre aire et de semence dans vos sillons. (Lévit. XXVI, 4, 5.) Et bien d'autres promesses encore, qu'il accomplissait dans la vie présente. Ceux qui ont quelque perspicacité peuvent déjà voir la solution. Ainsi la santé du corps, la fertilité de la terre, une nombreuse et sainte postérité, une vieillesse heureuse, des saisons bien réglées, l'abondance des moissons, l'opportunité des pluies, la fécondité des troupeaux de boeufs et de brebis, tous les biens enfin leur arrivaient en cette vie, ils n'avaient point à les espérer, à attendre le jour qu'ils quitteraient la terre. Les fidèles, songeant que leurs pères voyaient les biens naître sous leurs pas et qu'eux-mêmes devaient attendre la vie future pour recevoir les prix et les couronnes promises à leur foi, ils souffraient et se laissaient abattre par les maux où ils devaient . passer leur vie tout entière.

Paul voyant leur découragement et les maux terribles qui le devaient suivre, qu'aux uns Dieu avait promis après la mort le prix de leurs travaux, et qu'aux autres il avait accordé leur récompense dans la vie présente; prévoyant que ces pensées les jetteraient dans le relâchement, il veut ranimer leur zèle et leur enseigner qu'au temps de leurs pères les choses étaient réglées comme elles sont aujourd'hui, (242) et que beaucoup d'hommes alors furent récompensés en espérance et non par la réalité. C'est pourquoi il leur cite la parole du prophète : J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé. En effet, la foi se rapporte aux choses qu'on espère et non à celles qu'on voit, car ce qu'on voit, on ne saurait l'espérer. Or, si le prophète croyait aux choses qu'il espérait , et si ce qu'on espère on ne le voit point, il s'ensuit qu'il n'avait point encore en sa possession lesbiens auxquels il croyait. Voilà pourquoi Paul a dit: Parce que nous avons le même esprit de foi, c'est-à-dire, la même foi que celle de l'Ancien Testament. Il dit ailleurs, en parlant des saints de ces temps: Ils étaient vagabonds, couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvres, abandonnés, affligés, persécutés, eux dont le monde n'était pas digne. (Hébr. XI, 37, 38.) Et pour nous enseigner qu'ils supportèrent tous les maux sans en recevoir la récompense, il dit: Tous sont morts dans la foi, sans avoir reçu l'effet des promesses de Dieu, mais seulement. les ayant vues et saluées de loin. (Hébr. XI,13.) Mais comment outils pu voir ce qui n'était point accompli? Avec les regards de la foi, qui pénètrent dans le ciel et contemplent tout ce qu'il renferme.

9. Considérez la sagesse de Dieu ! il leur montre de loin les récompenses, et ne les leur donne point sur-le-champ, afin d'exercer leur patience ; mas il les leur montre de loin , afin que, soutenus par cet espoir, ils supportent, sans même les sentir, les maux de la vie présente.

Peut-être les plus attentifs d'entre vous nous accuseront-ils de contradiction. Si nos pères eux-mêmes, diront-ils, ne recevaient pas sur-le-champ les prix et les récompenses, pourquoi nous avez-vous si longuement énuméré les saisons bien réglées, la santé du corps, une nombreuse et sainte postérité, l'abondance des moissons et des fruits de la terre , la fécondité des troupeaux de boeufs et- de brebis, tous les biens de la vie? Que répondrai-je à ces paroles? Que Dieu, dans ce temps, traitait le vulgaire et le peuple, encore mal affermi dans le bien, autrement que ces âmes nobles et qui s'étaient par avance initiées à la philosophie du Nouveau Testament. A la multitude qui rampait à terre, dont les yeux ne noyaient point ce qui est grand, et qui ne pouvaient élever leur âme a jouir en espérance des biens à venir, il promettait les biens de la vie présente pour soutenir leur faiblesse, pour les conduire à pratiquer la vertu et à aimer le bien. Mais Elie, Elisée, Jérémie, Isaïe, et tous les prophètes en un mot, et tous ceux qui appartenaient au choeur des saints et des forts, il les appelait au ciel et au partage des biens qu'il y réserve aux élus. Aussi, Paul n'a-t-il point parlé de tous les hommes. Il a cité ceux qui voyageaient couverts de peaux de brebis et de chèvres, ceux qui périssaient dans. les fournaises, dans les prisons, sur les chevalets, sous les pierres, par la faim et fa misère, ceux qui vivaient dans les' déserts, dans les cavernes, dans les souterrains , et qui souffraient mille maux. Ce sont ces hommes qu'il dit être morts dans l'espérance et sans avoir vu se réaliser les promesses de Dieu : il ne parle point du commun des Juifs, mais des hommes qui ressemblaient à Elie.

Et si l'on demande pourquoi ces hommes n'ont point encore reçu les couronnes qu'ils méritent, Paul nous répondra. Après avoir dit : Tous ces hommes sont morts dans la, foi, sans avoir reçu l'objet des promesses de Dieu , il ajoute: Dieu ayant voulu, par une faveur singulière, qu'il nous a faite, qu'ils ne reçussent qu'avec nous l'accomplissement de leur bonheur. (Hébr. XI, 13, 40.) C'est une fête commune et plus joyeuse, dit l'Apôtre, que celle qui nous réunit tous dans le triomphe. De même aux jeux olympiques, les athlètes de la lutte, du pugilat, du pancrace , soutiennent leurs combats en divers temps, et tous les vainqueurs sont proclamés ensemble; de même dans les festins, quand certains convives viennent de meilleure heure et que d'autres tardent, l'hôte, pour faire honneur aux absents, prie ceux qui sont arrivés d'attendre un moment ceux qui manquent. C'est aussi ce que fait Dieu. Il a invité à une fête commune et spirituelle les justes qui ont vécu en divers temps dans toute la terre, et il veut que les premiers arrivés attendent ceux qui doivent venir après eux, pour les rassembler tous et leur faire partager le même honneur et la même joie.

10. Quel surcroît d'honneur ! Paul et les saints de son temps; Abraham et les hommes de son âge; tous ceux qui, tant de siècles avant lui ont lutté et vaincu, assis au ciel, et attendant que nous y soyons appelés ! Car Paul n'a point encore reçu sa couronne, ni aucun de ceux qui, depuis le commencement du monde ont été élus de Dieu, et ils ne la recevront point que tous ceux qui doivent être couronnés ne soient arrivés au ciel. Ecoutez les paroles de (243) Paul: J'ai bien combattu, j'ai achevé ma course; j'ai gardé la foi. Il ne me reste plus qu'à attendre la couronne de justice qui m'est réservée, et que le Seigneur me donnera comme un juge équitable. Quand? Au jour du jugement, en même temps qu'à tous ceux qui aiment son avènement. (II Tim. IV, 7, 8.) Et ailleurs, pour nous marquer que ces biens seront donnés le même jour à tous les justes, il dit aux Thessaloniciens : Il est bien juste devant Dieu qu'il afflige à leur tour ceux qui vous affligent maintenant et qu'il vous console avec nous, vous qui êtes dans l'affliction. (II Thessal. I, 6, 7.) Et ailleurs encore: Nous qui vivons et qui sommes réservés pour l'avènement du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui sont déjà dans le sommeil de la mort. (I Thess. IV, 15.) Par toutes ces paroles, il nous apprend que nous recevrons tous ensemble et en commun les honneurs célestes, Cela même est pour les premiers arrivés une joie nouvelle, de jouir de ces indicibles biens avec ceux qui sont leurs propres membres. Un père, assis à une table riche et splendide, ressent plus de bonheur quand tous ses enfants partagent son bonheur et sa richesse. Ainsi, Paul et tous les saints qui vécurent en son temps , jouiront d'une félicité plus grande quand ils verront leurs membres la goûter avec eux. Car les pères ont moins d'amour pour leurs enfants que n'en ont les saints pour les hommes qui les ont suivis dans la voie de la vertu. Pour être au nombre de ceux qui seront honorés en ce jour, efforçons-nous d'imiter les saints. Et comment, dites-vous, pourrons-nous y arriver? qui nous montrera la route? Le Maître de ces saints; il nous enseigne non-seulement à les imiter, tuais encore le moyen de devenir leurs compagnons dans leur céleste demeure. Faites-vous des amis, dit-il, avec les trésors d'iniquité, afin que lorsque vous viendrez à manquer, ils vous reçoivent dans les demeures éternelles. (Luc, XIV, 9.) Il a bien dit Eternelles. Car eussiez-vous en ce monde un splendide palais, il faut qu'il périsse de vétusté. Et avant qu'il tombe en ruines sous l'effort du temps, la mort surviendra qui vous chassera de cette somptueuse demeure ; et avant la mort peut-être, les malheurs, les attaques des calomniateurs, les embûches des ennemis vous en feront sortir. Mais là-haut, vous n'aurez rien à craindre, ni la mort, ni la ruine, ni les calomniateurs, ni les autres fléaux: vous habiterez une demeure impérissable, immortelle. Voilà pourquoi Paul l'appelle immortelle : Faites-vous, dit Jésus, des amis avec les trésors d'iniquité.

11. Admirez toute la bonté du Maître, son humanité, sa douceur. Ce n'est point sans dessein qu'il a prononcé ces paroles; mais voyant que bien des riches ne doivent leurs trésors qu'à la fraude et à la rapine, il ne fallait point, dit-il, amasser des biens par le crime; mais puisque tu les as amassés injustement, mets un terme à tes vols et à tes rapines, et sers-toi pour le bien des trésors que tu possèdes. Je ne te dis point d'être à la fois nique et miséricordieux; je te conseille de te départir de ton avidité et d'employer tes biens eu aumônes et en bonnes oeuvres. Car celui qui ne met point fin à ses rapines ne saurait faire une fructueuse aumône. Jetterait-il d'innombrables richesses dans les mains des pauvres, s'il vole celles des autres et satisfait son avidité, il sera traité par Dieu à l'égal des homicides. Il faut donc qu'il renonce à son amour de l'or avant de secourir les malheureux. Oui, la puissance de l'aumône est grande. Je vous en ai parlé dans un précédent entretien, je vous en parlerai aujourd'hui encore. Mais que nul d'entre ceux qui m'écoutent ne prenne cette insistance pour une accusation. Dans les luttes, les spectateurs excitent ceux d'entre les coureurs qu'ils voient près d'atteindre le prix, ceux qui ont le plus d'espoir de vaincre. Ainsi fais-je moi-même. Je vois que vous écoutez toujours avec une attention nouvelle ce que je vous dis sur l'aumône, c'est pourquoi je m'étends d'autant plus volontiers sur ce sujet. Les pauvres sont les. médecins de nos âmes, nos bienfaiteurs, nôs protecteurs. En effet, vous leur donnez moins que vous ne recevez d'eux; vous leur donnez .de l'argent, et vous recevez le royaume des cieux; vous éloignez d'eux la pauvreté et vous vous réconciliez le Seigneur. Voyez -vous que t'échange n'est point égal? Les biens que vous donnez sont terrestres, ceux que vous recevez sont célestes : les uns passent, les autres demeurent; les uns périssent, les autres soit à .l'abri de tout accident. Vos pères ont placé les pauvres à la porte des églises, afin que les plus durs et les plus inhumains, à la vue des pauvres, fassent un retour sur eux-mêmes et soient portés à l'aumône. En présence d'une foule de vieillards courbés par l'âge, couverts de misérables haillons appuyés sur des bâtons et se (244) soutenant à peine, aveugles souvent et estropiés de tous leurs membres , quel coeur de pierre ou d'airain serait insensible à leur vieillesse, à leur faiblesse, à leurs infirmités, à leur pauvreté, à leur méchant vêtement, en un mot, à ce spectacle de pitié, et ne se sentirait fléchir? Voilà pourquoi ils se tiennent à nos portes, où leur aspect, plus puissant que toutes les paroles, entraîne et provoque à la pitié ceux qui en franchissent le seuil. De même qu'il est établi par la loi qu'il doit y avoir des fontaines devant les oratoires, afin de purifier ses. mains avant de les lever vers Dieu, les pauvres furent placés comme les fontaines, devant les portes des églises, afin que nous puissions purifier nos âmes par la charité, de même que nous purifions nos mains par l'eau, avant d'adresser à Dieu nos prières.

12. Car l'eau a moins de puissance pour laver les taches du corps que l'aumône pour effacer les souillures de l'âme: Vous n'osez point aller prier sans avoir lavé vos mains; ce serait cependant une faute assez légère; de même n'allez jamais prier sans avoir fait l'aumône. Quoique nos mains soient pures, nous ne les levons jamais vers Dieu sans les avoir lavées, car telle est la coutume établie ; faisons de même . pour l'aumône. N'aurions-nous conscience d'aucune faute grave , purifions cependant notre âme par l'aumône. La, place publique vous a fait tomber dans plusieurs fautes; un ennemi vous a irrité ; un juge vous a forcé de faire quelque action peu honnête ; vous avez dit des paroles déplacées; pour ménager un ami vous avez fait quelque injustice, votre âme enfin a reçu ces souillures qu'un homme doit recevoir quand il vit sur la place publique, siégeant aux jugements, administrant les affaires de la cité; c'est pour toutes ces fautes que vous allez prier Dieu et implorer son pardon. Versez donc l'aumône aux mains des pauvres, purifiez-vous de vos souillures, afin d'invoquer avec confiance celui qui peut vous remettre vos péchés. Si volis vous habituez à ne franchir jamais ce seuil sacré sans avoir fait l'aumône, bon gré mal gré vous accomplirez toujours cette bonne oeuvre. Telle est la force de l'habitude ! de même que jamais vous n'allez prier sans avoir lavé vos mains, parce que vous en avez n ne fois pris l'habitude; de même, si vous vous imposez la loi de l'aumône, bon gré mal gré vous la pratiquerez tous les jours, par la force de l'habitude.

La prière est un feu, surtout quand elle sort de l'âme de celui qui veille et qui jeûne. Mais ce feu a besoin d'huile pour s'élever jusqu'aux hauteurs du ciel; l'huile qui l'entretiendra n'est autre chose que l'aumône : versez donc l'huile en abondance, afin que, dans l'allégresse de cette bonne oeuvre, vous adressiez à Dieu vos prières avec plus de confiance et d'ardeur. De même que ceux qui n'ont conscience d'aucune bonne action ne peuvent pas même prier avec confiance, de même ceux qui, après avoir fait le bien, s'en,vont prier, heureux du souvenir de leurs bonnes oeuvres, offrent à. Dieu leur prière avec plus d'ardeur. Afin donc que nos prières soient plus efficaces, pour que notre âme ne soit excitée par le souvenir du bien que nous aurons fait, donnons l'aumône avant la prière. Souvenez-vous exactement de toutes mes paroles, et surtout retenez toujours l'image que je vous ai présentée en disant crue les pauvres, à la porte de nos églises, font pour notre âme le même office que les fontaines pour notre corps. Si nous gardons toujours ce souvenir, si nous purifions nos âmes, nous pourrons adresser à Dieu des prières pures; nous aurons ainsi la paix devant Dieu, et nous obtiendrons le royaume des cieux, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la puissance et la gloire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

HOMÉLIE CONTRE CEUX QUI ABUSENT DE CETTE PAROLE DE L'APÔTRE : PAR OCCASION OU PAR VÉRITÉ LE CHRIST EST ANNONCÉ. (PHIL. I, 18.) et sur l'humilité (1).
AVERTISSEMENT ET ANALYSE. .

Cette homélie a été prononcée à Antioche quelques jours après la cinquième contre les Anoméens, c'est-à-dire dans les derniers jours de l'année 386. C'est en effet dans la cinquième homélie contre les Anoméens, que se trouve commentée l'histoire du publicain et du pharisien mentionnée au début de celle-ci. L'occasion de cette homélie fut l'abus que certains hérétiques faisaient des paroles de saint Paul : Que ce soit par occasion ou par vérité que le Christ est annoncé, je m'en réjouis, prétendant qu'elles signifiaient qu'il importait peu que les dogmes fussent vrais ou faux pourvu que le Christ fût annoncé.

1. Le cinquième discours contre les Anoméens est mentionné. — 2. L'humilité est la seule pierre solide sur laquelle doit être fondé l'édifice de notre salut. — 3. La simplicité, la pureté, l'unité de foi exigée par saint Paul et par Notre-Seigneur Jésus-Christ. — 4-9. Saint Chrysostome raconte en quelles circonstances saint Paul a prononcé les paroles dont on abusait; il était dans les fers, et ses ennemis prêchaient l'Evangile pour irriter Néron et le porter à faire mourir l'Apôtre; néanmoins, la prédication faisait des progrès, voilà pourquoi saint Paul disait les paroles en question. — 10. Après cela ces paroles s'expliquent d'elles-mêmes. — 11-12. Exhortation à la prière.

1. En vous parlant naguère du pharisien et du publicain, je pris pour exemple deux chars attelés, l'un de la vertu, l'autre du vice, et vous fis voir ce qu'on gagne par l'humilité et ce qu'on perd par l'arrogance. Je vous montrai comment l'arrogance, attelée avec la justice, les jeûnes et les dîmes, se laissa devancer tandis que l'humilité, attelée avec le péché, dépassa le char du pharisien, quoique conduite par un mauvais cocher. Y eut-il plus grand coupable que le publicain ? Cependant, par la contrition de son âme et l'aveu de ses péchés, il l'emporta sur le pharisien, qui pouvait se faire un mérite de ses dîmes et de ses jeûnes,

1 On trouvera à la fin du volume l'homélie.: Utinam sustineretis modicum, etc.

et n'était souillé d'aucune iniquité. Comment et pourquoi? C'est que, s'il n'était souillé ni d'avarice ni de rapines, il avait laissé germer en son âme la vanité, l'arrogance, mère de tous les vices. C'est pourquoi Paul nous exhorte par ses paroles : Que chacun examine bien ses actions : il trouvera ainsi sa gloire en lui-même, et non dans les autres. (Gal. VI, 4.) Or, ce pharisien se fait l'accusateur du monde entier, et se prétend meilleur que tous les hommes. Se fût-il préféré à dix seulement, à cinq, à deux, à un seul, Dieu ne l'aurait pu souffrir. Or, non-seulement il se préfère au monde entier, mais il accuse tous les hommes. C'est pourquoi il fut devancé. Et, semblable à un vaisseau qui , ayant traversé les flots agités, (246) échappé à mille tempêtes, vient, à l'entrée même du port, se heurter à un écueil, et laisse échapper tous les trésors qu'il contenait, ce pharisien , qui avait enduré les fatigues du jeûne et des autres oeuvres de vertu, parce qu'il ne sut point modérer sa langue, fit naufrage au port. Car, tirer de la prière, au lieu du fruit qu'il y fallait trouver, un semblable dommage, c'est véritablement faire naufrage au port.

2. Ainsi, mes chers-frères, serions-nous arrivés au faîte. de la vertu, estimons-nous les' moins parfaits des hommes, sachant que l'arrogance peut précipiter du ciel même celui qui ne veille point sur soi, et que l'humilité peut élever du fond de l'abîme du péché celui qui sait être modeste. L'une mit le publicain au-dessus du pharisien; l'autre, c'est l'arrogance, la fierté que je veux dire, vainquit même l'invisible puissance du démon. L'humilité, au contraire, l'aveu de ses fautes conduisirent le coupable au ciel avant les apôtres eux-mêmes. Or, si les pécheurs, en avouant leurs fautes, peuvent s'assurer ainsi la paix devant Dieu , que de couronnes. attendent ceux qui ont conscience de leurs bonnes oeuvres, et qui humilient leurs âmes? Le péché, attelé avec l'humilité, court assez légèrement -pour dépasser et devancer la justice jointe à l'arrogance. Or, si vous unissez l'humilité à la justice, où n'arrivera-t-elle point, à quelle hauteur des cieux ne s'élèvera-t-elle point? Elle vous portera assurément au trône même de Dieu, au milieu des anges, et vous y assoira dans une entière confiance. D'autre part, si l'arrogance, jointe à la justice, peut, par l'excès et-le poids de sa malice propre, entraîner dans l'abîme la confiance que donne la vertu, cette même croyance jointe au péché, ne précipitera-t-elle point dans la géhenne même celui qui en est possédé ?

Si je vous dis ces paroles, ce n'est point pour vous porter à négliger la justice, mais à fuir l'arrogance ; il ne faut point être pécheurs, mais être modestes. Le fondement de notre philosophie est l'humilité. Elèveriez-vous vers les cieux un immense édifice d'aumônes, de prières, de jeûnes, de vertus, sans ce fondement, c'est en vain que vous bâtissez : l'édifice tombera au premier souffle, parce qu'il repose sur le sable. Il n'est point une seule de nos bonnes couvres qui n'ait besoin de l'humilité, une seule qui puisse subsister sans elle. Auriez-vous et la continence, et la virginité, et le mépris des richesses, ou d'autres vertus, ce n'est que souillure et abomination sans l'humilité. Qu'elle soit donc dans nos paroles, dans nos oeuvres, dans nos pensées, ne bâtissons point sans elle.

3. Mais c'est assez parler de l'humilité, non pour l'excellence de cette vertu , car personne ne la pourrait dignement célébrer, mais pour votre instruction, mes chers frères. Ca'r je sais que le peu de paroles que je vous ai dites vous engageront à l'embrasser avec zèle. Mais puisqu'il faut expliquer la parole de l'Apôtre que. je vous ai lue aujourd'hui, qui paraît fournir à quelques hommes une occasion de relâchement, et d'où ils pourraient tirer de vaines excuses pour négliger leur salut, je passe à ce nouveau sujet. Quelle est cette parole? Que ce soit par occasion ou par vérité qu'on annonce Jésus-Christ. (Phil. I,18.) Cette parole, bien des gens la vont répétant à la légère, sans avoir lu ce qui précède ni ce qui suit. Ils retranchent la , suite des pensées, et, pour la perdition de leur âme, ils l'offrent comme un appât aux plus relâchés. Car tandis qu'ils tendent de les détourner de la véritable foi, les voyant craintifs et tremblants- devant le danger qu'ils y aperçoivent, pour les délivrer de leurs terreurs, ils leur citent la parole de l'Apôtre, et leur disent : Paul permet cela, puisqu'il dit : par occasion ou par vérité, que le Christ soit annoncé. Mais il n'en est , point ainsi, loin de là ! D'abord Paul n'a pas dit soit annoncé, mais : est annoncé, ce qui est bien différent; en effet, dire soit annoncé, c'est porter une loi; dire est annoncé, c'est signaler, un fait. Paul n'autorise point l'hérésie, il en détourne tous ses auditeurs ; écoutez ses paroles : Si quelqu'un vous annonce un autre évangile que , celui que vous avez reçu , qu'il soit anathème, serait-ce moi, serait-ce un ange du ciel! (Gal. 1, 8, 9.) Il n'aurait pas anathématisé et lui-même et l'ange, s'il avait cru la chose sans danger. — Il dit ailleurs : J'ai pour vous un amour de jalousie, et d'une jalousie de Dieu, parce que je vous ai fiancés à cet unique époux comme j'eusse fait une vierge pure. dais j'appréhende qu'ainsi que le serpent séduisit Eve par ses artifices, vos esprits aussi ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité qui est en Jésus-Christ. (II Cor. XI, .2, 3. ) Vous voyez qu'il fait de la simplicité une loi , et qu'il n'accorde point qu'on s'en éloigne. S'il l’accordait, il n'y (247) aurait point de danger; s'il n'y avait point de danger, Paul n'aurait pas eu de craintes; et le Christ n'aurait pas ordonné de brûler l'ivraie s'il était indifférent d'écouter celui-ci ou celui-là, en un mot le premier venu.

4. Que signifie cette parole? Je prendrai les choses d'un peu plus haut : il faut que vous sachiez dans quelle situation se trouvait Paul au moment qu'il écrivait cela. Dans quelle situation était-il? En prison, dans les chaînes, dans les plus grands dangers. Comment le savons-nous? Par sa lettre même, car il dit plus haut : Or je désire que vous sachiez, mes frères, que ce qui m'est arrivé a servi au progrès de l'Evangile; en sorte que mes liens sont devenus célèbres à la cour, dans les autres lieux de la ville, à la gloire de Jésus-Christ; et ainsi plusieurs de nos frères en Notre-Seigneur ont pris confiance en mes liens et conçu une hardiesse nouvelle pour annoncer sans crainte la parole de Dieu. (Philipp. I, 12, 14.) C'était Néron qui l'avait jeté dans les fers. De même qu'un voleur qui entre dans une maison pendant que tout le monde dort, et la dévalise, s'il voit quelqu'un allumer une lampe, il éteint la lumière et tue celui qui la porte, afin de pouvoir en liberté achever le pillage; ainsi l'empereur Néron , semblable à un voleur et à un brigand, pendant que tous les hommes étaient plongés dans un profond et insensible sommeil, pillait les biens, souillait les mariages, ruinait les maisons, commettait tous les crimes. Quand il vit Paul porter la lumière dans le aronde entier; je dis la parole de la doctrine, et confondre sa scélératesse, il voulut étouffer la prédication et mettre à mort celui qui instruisait les hommes, afin de pouvoir en liberté commettre tous les excès; il enchaîna le saint, et le jeta en prison. C'est alors que Paul écrivit les paroles que vous avez entendues.

Qui ne serait frappé d'étonnement et d'admiration, ou plutôt qui serait assez étonné, qui admirerait assez cette âme noble et vraiment céleste? A Rome, dans les fers, du fond. de sa prison, de si loin, il écrit aux Philippiens! Vous savez quelle distance sépare la .Macédoine de Rome. Mais ni la distance, ni le temps, ni les difficultés, ni les dangers, ni les malheurs sans fin, ne purent faire sortir de son âme l'amour ni le souvenir de ses disciples. Ils étaient toujours présents à sa pensée. Moins solides étaient les liens qui enchaînaient ses mains que l'amour qui attachait son coeur à ses disciples. C'est ce qu'il fait paraître au commencement de sa lettre : Car je vous ai tous dans le coeur, à cause de la part que vous avez prise à mes liens, à ma défense, et à l'affermissement de l'Evangile. (Philip. 1, 7.) Et comme un roi qui le matin monte sur son trône, s'assied sur le siége royal, et reçoit de toute part d'innombrables lettres, Paul, assis dans sa prison comme dans un palais, recevait et envoyait plus de lettres qu'un roi, car toutes les nations en appelaient à sa sagesse; il avait plus de soins que l'empereur même, car un empire plus grand lui était confié. Ce n'était pas seulement le monde romain, mais encore le monde barbare, la terre et les mers, que Dieu avait mis en ses mains. C'est pourquoi il disait aux Romains : Je ne veux pas, mes frères, que vous ignoriez que j'avais souvent proposé de vous aller voir pour faire quelque fruit parmi vous, comme dans les autres nations; mais je me dois aux Grecs et aux Barbares, aux sages et aux simples. (Rom. 1, 13, 14.) Chaque jour donc, il s'inquiétait de ce que faisaient les Corinthiens, les Macédoniens, de la vie que menaient les Philippiens, les Galates, les Athéniens, les habitants de Pont, et tous les hommes. Cependant, quoique la terre entière lui fût confiée , il ne s'inquiétait point seulement des nations, mais aussi de chaque homme. Tantôt il envoyait une lettre à l'occasion d'Onésime, tantôt à l'occasion de celui qui avait commis chez les Corinthiens le péché de fornication. Car il ne songeait point que ce n'était qu'un pécheur qui avait besoin de direction, mais que c'était un homme, un homme aux regards de Dieu la plus précieuse des créatures, et pour laquelle il n'a point hésité à donner son Fils unique.

5. Ne me dites point que c'est un esclave fugitif, un voleur, un brigand chargé de tous les crimes; que c'est un mendiant, un homme méprisé, sans prix ni valeur. Mais songez que pour cet homme, comme pour-les autres, le Christ est mort, et cela suffit pour que Vous lui donniez tous vos soins. Songez au prix que vaut cette créature que le Christ a estimé assez haut pour ne point épargner son sang. Si un roi se sacrifiait pour un homme, nous ne demanderions pas d'autre preuve de la valeur de cet homme ni de l'état que le roi faisait de lui, je pense. Car cette mort suffirait pour démontrer l'amour qu'avait pour lui celui qui aurait (248) donné sa vie. Mais, ce n'est point un homme, ni un ange, ni un archange, c'est le Maître des cieux lui-même, le Fils unique de Dieu fait homme qui s'est donné pour nous. Ne ferons-nous point tous nos efforts pour que des hommes qui ont reçu pareil honneur ressentent les effets de notre plus vive sollicitude? quelle défense aurions-nous, quelle excuse ? C'est ce que vous faisait entendre Paul quand il disait : Ne faites point périr par votre manger celui pour qui Jésus-Christ est mort. (Rom. XIV,15.) Voyant des hommes, qui méprisent leurs frères et dédaignent les faibles, il veut les faire rougir, leur inspirer l'amour du prochain, les engager à prendre soin des autres; pour toute exhortation il leur présente la mort du Christ. Ainsi, du fond de sa prison, il écrivait aux Philippiens, malgré la distance. Car , tel est l'amour selon Dieu; les choses humaines jamais ne lui font obstacle, parce qu'il a dans les cieux sa source et sa récompense. Et que leur dit-il? Je veux que vous sachiez., mes frères. (Philip. I, 12.) Voyez-vous comme sa pensés se porte vers ses disciples? voyez-vous la sollicitude du Maître ? Entendez aussi les témoignages de l'amour que les disciples avaient pour le Maître, afin que vous appreniez que s'ils étaient fermes et invincibles c'était par l'effet de ce mutuel attachement. Car, un frère soutenu par un frère est comme une ville fortifiée. (Prov. XVIII, 19.) A plus forte raison un si grand nombre d'hommes, unis par les liens de l'amour, sont capables de repousser toutes les attaques du démon. L'attachement de Paul pour ses disciples n'a plus besoin d'être démontré; vous l'avez vu, dans les fers mêmes, ne point cesser de prendre soin d'eux, et chaque jour mourir pour eux, le coeur enflammé de l'amour du prochain.

6. Quant aux disciples de Paul, ils étaient liés à leur maître par le plus entier attachement, et non-seulement les hommes, mais les femmes. Ecoutez ce qu'il dit de Phébé : Je vous recommande notre soeur Phébé, diaconesse de l'Eglise de Corinthe, qui est au port de Cenchrée, afin que vous la receviez, au nom du Seigneur, comme on doit recevoir les saints, et que vous l'assistiez dans toutes les choses où elle pourra avoir besoin de vous, car elle en a assisté elle-même plusieurs, et moi en particulier..(Rom. XVI, 1, 2.) Paul ne témoigne que de l'assistance qu'il dut au zèle de Phébé. Mais Priscille et Aquila affrontèrent pour lui la mort même; voici ce qu'il écrit d'eux : Aquila et Priscille vous saluent : pour sauver ma vie ils ont exposé leur tête. (Rom. XVI, 3, 4.) C'est évidemment à la mort qu'ils se sont exposés. Et, parlant d'un autre de ses disciples, il écrit : Il s'est vu tout proche de la mort pour avoir voulu servir à l'œuvre de Jésus-Christ, abandonnant sa vie, afin de suppléer par son assistance à celle que vous ne pouviez me rendre vous-mêmes. (Philip. II, 30.) Vous voyez comme ils aimaient leur maître, comme ils négligeaient le soin de leur vie pour ne songer qu'à sa sûreté ! C'est la cause qui les empêcha d'être jamais vaincus. Si je rappelle ces faits, ce n'est pas seulement pour que nous en entendions le récit, mais pour que nous les imitions. Et j'adresse mes paroles non point seulement à ceux qui sont gouvernés, mais aussi à ceux qui. gouvernent. Je veux que les disciples fassent paraître la plus grande sollicitude pour leurs maîtres, et que les maîtres montrent à ceux qu'ils conduisent tout l'amour que Paul avait pour ses disciples, de loin comme de près. Car Paul considérait comme une habitation unique la terre tout entière, et, oubliant ses chaînes, ses douleurs, ses plaies, ses angoisses, il s'inquiétait et s'informait chaque jour de l'état où étaient ses disciples. Et souvent, pour cette seule cause, il envoyait tantôt Timothée, tantôt Tychicus ; c'est de lui qu'il dit : Il vient s'informer de ce qui vous touche et, consoler vos cœurs. (Ephés. VI, 22.) Et de Timothée : Je l'ai envoyé vers vous, car je ne contenais plus mon inquiétude, pour savoir si le tentateur ne vous a point tentés. (I Thess. III, 5.) Ailleurs il envoie Titus, ailleurs d'autres encore. Comme il était souvent lui - même retenu par ses chaînes dans le même lieu, et ne pouvait se trouver parmi ceux qui étaient son sang et ses entrailles, il les allait trouver dans la personne de ses disciples..

7. Il est donc dans les fers quand il écrit aux Philippiens : Je veux que vous sachiez, mes frères... (Philipp. I, 12.) Il appelle ses disciples du nom de frères. Tel est l'amour : il efface toute inégalité; il ne connaît ni prééminence, ni dignités; par lui, le plus grand des hommes s'abaisse jusqu'au plus humble, à l'exemple de Paul. Mais que leur veut-il faire savoir? Que tout ce qui m'est arrivé, dit-il, a servi au progrès de l'Evangile. (Ibid.) Comment, et de quelle manière? Avez-vous donc été délivré de vos liens? Avez-vous déposé vos chaînes, et (249) prêchez-vous sans trouble l'Evangile dans Rome? Avez-vous fait dans l'église de longs discours sur la foi, et gagné bon nombre de disciples? Avez-vous ressuscité les morts et fait éclater des miracles? Avez-vous guéri des lépreux et étonné la multitude? Avez-vous chassé des démons, et le peuple a-t-il célébré vos louanges? Rien de pareil, répond l'Apôtre. Quel est donc ce progrès de l'Evangile? C'est que mes liens sont devenus célèbres à la cour de l'empereur et dans tous les lieux de Rome. (Ibid. 13.) Que dites-vous? Est-ce là ce progrès, cette extension, cet accroissement de la prédication, que tous les hommes aient appris que vous êtes dans les fers? Oui, dit-il. Et la suite va vous montrer que ces fers, loin d'être un obstacle à la. prédication, étaient un nouveau sujet de confiance : Ainsi, plusieurs de nos frères en Notre-Seigneur ont, pris confiance en mes liens, et conçu une hardiesse nouvelle pour annoncer sans crainte la parole de Dieu. (Ibid. 14.) Que dites-vous, Paul? Au lieu de jeter le doute dans leur âme, vos liens leur ont inspiré la confiance, et, au lieu de la crainte, l'ardeur? Il n'y a nulle raison dans ces paroles ! — Je le sais. Mais ce n'est point la raison humaine qui peut expliquer ces événements, dit-il. Ils surpassent la nature et viennent de la grâce céleste. Voilà pourquoi ce qui ébranlait les autres inspirait la confiance aux fidèles. Quand l'ennemi fait captif un général, le charge de chaînes et fait connaître son sort, il met en fuite tous ses soldats; quand les voleurs se saisissent d'un berger, ils enlèvent le troupeau sans coup férir. Mais il n'en était point ainsi de Paul, et le contraire arrivait : le général était aux fers, et les soldats, pleins d'une ardeur nouvelle, s'élançaient au combat avec plus de confiance; le berger était chargé de chaînes, et le troupeau n'était ni détruit, ni dispersé.

8. Qui jamais a vu, qui jamais a out dire que les afflictions des maîtres aient consolé les disciples? Comment ne furent-ils pas saisis de crainte et ne dirent-ils point à Paul : Médecin, guéris-toi toi-même? (Luc, IV, 23.) Délivrez-vous des maux et de leurs chaînes, et vous nous procurerez ensuite tous les biens que vous nous promettez. Comment ne lui parlèrent-ils point ainsi? Comment? C'est qu'ils étaient instruits, par la grâce du Saint-Esprit, que tous ces maux n'arrivaient point par la faiblesse de leur maître, mais par. la permission du Christ, afin de donner à la vérité un nouvel éclat, et de lui procurer, par ces chaînes, cette prison, ces douleurs et ces angoisses, accroissement et grandeur. C'est ainsi que la puissance du Christ paraît. d'une manière plus accomplie dans la faiblesse. (II Cor. XII, 9.). Si Paul n'eût trouvé dans ses liens que découragement et timidité, c'est alors que lui-même et ceux qui s'étaient attachés à lui auraient eu de justes sujets de crainte; mais, s'il y puisait plus de confiance et voyait s'accroître sa gloire, il faut s'étonner et admirer qua de l'ignominie le maître ait tiré de la gloire, et qu'un effrayant supplice ait apporté aux disciples confiance et consolation: Car, quel homme n'était point frappé d'étonnement à la vue de Paul chargé de chaînes? Les démons fuyaient plus vite en le voyant dans sa prison. C'est que le diadème donne moins d'éclat à une tête couronnée, que n'en donnaient aux mains de l'Apôtre ces fers, qui ne sont point un ornement de leur nature, mais qui brillaient des splendeurs de la grâce. C'est elle qui prodiguait aux fidèles les consolations : ils voyaient les mains de Paul enchaînées, mais sa langue libre; ses bras chargés de chaînes, mais sa parole sans entraves parcourir, plus rapide qu'un rayon de soleil, la terre tout entière. Et ils se consolaient en apprenant, par les oeuvres, qu'il n'y a rien de considérable dans les choses présentes; car une âme vraiment pleine de l'amour de Dieu ne jette ses regards sur aucune des choses présentes. Mais, comme les insensés courent sans hésiter au feu, au fer, aux bêtes sauvages, à la mer, ces hommes, saisis d'un délire sublime, délire spirituel engendré par la sagesse, se riaient de toutes les choses terrestres. Aussi; en voyant leur maître dans les fers, ils faisaient éclater une joie plus vive, témoignant pat leurs œuvres, à leurs adversaires, qu'ils étaient de toutes parts imprenables, invincibles.

9. A ce moment et dans ces circonstances , quelques ennemis de Paul , pour attiser la guerre, et aviver la haine que le tyran nourrissait contre lui, entreprirent de feintes prédications , où ils enseignaient la véritable foi pour faire progresser la doctrine. Mais ce n'était point dans le dessein de répandre la foi dans le monde. Ils voulaient que Néron fût instruit du progrès de. la prédication et de l'accroissement de la doctrine, et se hâtât de faire périr l'Apôtre. Il y avait donc deux enseignements : celui des disciples de Paul, et celui de ses ennemis; les uns prêchant pour rendre (250) témoignage à la vérité, les autres par esprit de discorde, et par haine contre l'Apôtre. C'est ce qu'il marquait lui-même en disant : Quelques-uns prêchent Jésus-Christ par esprit de discorde et de haine (Phil. I, 15), et par ces mots, il désigne ses ennemis; d'autres le prêchent par bonne volonté (Ibid.), c'est de ses disciples qu'il parle. Plus loin il dit encore : Les uns prêchent Jésus-Christ par jalousie, ce sont des ennemis, dont les intentions ne sont ni pures, ni justes, comptant ajouter une nouvelle affliction à celle que je souffre dans les fers; les autres, par charité. (Ibid. 17, 16.) Il dit encore de ses disciples : Parce qu'ils savent que j'ai été établi pour la défense de l'Évangile. (Ibid. 16.) Mais que m'importe ? puisque de toute manière par occasion ou par vérité Jésus-Christ est annoncé ? (Ibid. 18.) C'est donc inutilement qu'on s'efforce d'appuyer l'hérésie de ces paroles. Car ceux qui prêchaient alors ne prêchaient point une doctrine corrompue ; ils enseignaient une foi saine, et droite. En effet, s'ils avaient prêché une doctrine corrompue , et différente de celle de Paul, ils n'auraient jamais atteint leur but. Quel était leur but? d'étendre la for, d'accroître le nombre des disciples de Paul, et de pousser ainsi Néron à faire aux chrétiens une guerre plus acharnée. S'ils eussent prêché une doctrine différente , ils, n'auraient pas gagné des disciples à l'Apôtre, et sans cela, ils n'auraient pas excité la colère du tyran. Aussi Paul ne dit-il point que leur doctrine fût corrompue. il ne condamne que la cause qui les poussait à Il prédication. Autre chose est de condamner la cause de la prédication, autre chose d'accuser la prédication elle-même de n'être pas pure. Car elle ne l'est point lorsque les. dogmes enseignés sont pleins d'erreurs; la cause de la prédication est blâmable lorsque, quelle que soit la pureté de la doctrine, elle n'est point prêchée en vue de Dieu, mais par haine ou par tout autre motif.

10. Aussi Paul ne dit-il point que ces hommes causèrent des hérésies; mais que le motif de leurs prédications était coupable, et qu'ils ne prêchaient point par piété. Car ils n'avaient point dessein de propager l'Évangile, mais de lui faire la guerre et de le faire tomber dans de plus grands dangers. Voilà pourquoi l'Apôtre les accuse. Et voyez quelle exactitude dans ces mots : Comptant ajouter une affliction à celle que je souffre dans mes liens. (Phil. I, 17.) Il ne dit pas ajoutant, mais comptant ajouter, c'est-à-dire, pensant, pour montrer qu'ils le peuvent croire, mais qu'il rie pense point de même; qu'au contraire, il se réjouit du progrès de la prédication. Aussi ajoute-t-il : Mais je m'en réjouis; et m'en réjouirai toujours. (Ibid. 18.) Si la doctrine de ses ennemis eût été erronée, si elle eût causé des hérésies, Paul ne se fût point réjoui. C'est parce que leurs dogmes étaient purs et sans altération qu'il a pu dire : Je m'en réjouis et m'en réjouirai toujours. Que m'importent mes ennemis, si leur haine tourne contre eux-mêmes? cette haine servira ma cause. Voyez-vous la puissance de Paul, et qu'il ne se laisse surprendre à aucune des ruses du démon? et. non-seulement il ne se laisse point surprendre, mais il le fait tomber dans ses propres pièges. Grande était la fourbe du démon, grande aussi la malice de ses serviteurs : sous ombre de partager la même foi, ils voulaient étouffer la prédication. Mais Celui qui perce les ruses des habiles (I Cor. III, 19), ne le permettait point; t'est ce que montrait Paul dans ces paroles : Il est plus utile pour votre bien que je demeure encore en cette vie;. c'est pourquoi j'ai une confiance qui me persuadé que je demeurerai encore avec nous, et que j'y demeurerai même assez longtemps. (Phil. I , 24, 25.) Mes ennemis me veulent faire perdre la vie, et pour y parvenir, il n'est rien qu'ils n'osent tenter, mais Dieu ne le permettra point à cause de vous.

11. Souvenez-vous exactement de toutes mes paroles, afin que si vous trouvez des gens qui, à la légère et sans réflexion, abusent de l'Ecriture pour perdre le prochain, vous les puissiez redresser en toute connaissance de cause. Or, nous conserverons fidèlement le souvenir de ces instructions et nous pourrons redresser les autres, si nous avons recours à la prière, si nous prions le Dieu qui donne la parole de sagesse, de nous donner aussi l'intelligence pour la recevoir, et la grâce de conserver intact et inviolable ce dépôt spirituel. Car souvent ce que nos propres fonces sont impuissantes à faire, s'accomplit sans peine avec le secours de la prière, je dis la prière assidue. En effet, il faut prier toujours, prier sans cesse dans les traverses et dans la paix, dans les malheurs et dans la prospérité; dans la paix et la prospérité, pour que ces biens s'affermissent, ne passent ni ne périssent point; dans les traverses et les malheurs, afin qu'il survienne un heureux changement, et que le (251) trouble se tourne en calme et en consolations. Vous vivez dans le calme? priez donc Dieu, afin que ce calme dure. Vous avez vu la tempête s'élever contre-vous? priez, suppliez Dieu d'apaiser les flots et de vous rendre le calme après l'orage. Vous avez été entendu ? remerciez Dieu qui vous à exaucé. Vous ne l’avez point été? Insistez pour qu'il vous exauce. Si jamais Dieu diffère ses grâces, ce n'est point qu'il vous haïsse ou volis repousse ; il veut par ce retard vous retenir plus longtemps auprès de lui; comme font les pères qui aiment leurs `enfants. Quand l'affection de leurs fils n'est pas assez vive, pour les retenir toujours auprès d'eux, ils tardent à dessein à se rendre à leurs prières. Vous n'avez pas besoin de chercher des intermédiaires auprès de Dieu ni de gagner à grand'peine, à force de flatteries, le bon vouloir des autres hommes; seriez-vous seul, sans protecteur, seul avec vous-même, invoquez Dieu, et vous obtiendrez assurément. Il cède moins volontiers aux prières qu'on lui adresse pour nous qu'à celles que nous lui faisons nous-mêmes dans nos besoins, fussions-nous mille fois pécheurs.. Aurions-nous fait mille offenses à un homme, s'il nous voit venir à lui le matin, à midi, le soir, pour tenter d'adoucir sa colère, notre continuelle présente, notre assiduité calme sans peine son ressentiment. Cela ne doit-il pas être plus aisé encore auprès de Dieu?

12. Mais, dites-vous, vous êtes indigne des dons de Dieu. Rendez-vous en digne par l'assiduité de vos prières: Oui, le plus indigne petit mériter des grâces par l'assiduité de ses prières. Dieu cède plutôt à nos prières qu'à celles qu'on lui fait pour nous, il tarde souvent à nous exaucer, non pour nous décourager ou nous renvoyer les mains vides, mais pour nous procurer plus de biens que nous n'en demandons. Je veux vous démontrer ces trois vérités en me servant de la parabole que je vous ai lue aujourd'hui. Le Christ vit venir à lui la Chananéenne qui le priait pour sa fille possédée du démon, et qui s'écriait: Ayez pitié de moi, Seigneur : ma fille est tourmentée par le démon. (Matth. XV, 22.) Voilà une femme de nation étFangère , én dehors de la loi des Juifs. Devait-elle être aux yeux de Jésus-Christ plus qu'un chien! était-elle digne d'être exaucée? Il n'est pas bon, dit Jésus lui-même, de prendre le pain de ses enfants et de le donner aux chiens. (Ibid. 26.) Cependant l'assiduité de ses prières lui fut un mérite. Non-seulement Jésus traita comme on traite ses enfants celle que la loi abaissait au rang des animaux, mais il la renvoya comblée d'éloges : Femme, lui dit-il, ta foi est grande; qu'il te soit fait comme tu veux. (Ibid. 28.) Le Christ a dit : Ta foi est grande. Ne cherchez point d'autre preuve de la noblesse d'âme de celle femme; vous avez vu comme elle devint digne des grâces du Seigneur,-elle qui en était d'abord indigne. Voulez-vous aussi vous convaincre que Dieu se rend plutôt à nos prières qu'à celles qu'on lui fait pour nous? La Chananéenne criait, tt les disciples s'approchant de Jésus, lui dirent: Accordez-lui ce qu'elle demande, car elle crie après nous. (Ibid. 23). Et il leur répondit: Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël. (Ibid. 24.) Mais elle s'approcha elle-même et insista disant : Mais, Seigneur, les chieras mangent ait moins les miettes de la table de leur maître. (Ibid. 27.) Alors Jésus lui accorda sa demande et lui dit: Qu'il soit fait comme tu veux. (Ibid. 28.) Voyez-vous que Jésus repousse la prière des disciples, mais qu'il cède aux prières et aux cris de la mère? Il répond aux uns: Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël; et à la Chananéenne : Ta foi est grande, qu'il soit fait comme tu veux. A sa première demande, Jésus n'accorde point, mais la voyant revenir à lui trois fois, il exauce sa prière, nous enseignant, que s'il différait cette grâce qu'il lui accorde à la fin, ce n'était point pour la repousser, mais pour nous donner en exemple sa patience. Car s'il eût différé pour la repousser, il ne l'eût pas exaucée même à la tin. Mais comme il n'attendait que pour faire paraître la sagesse de cette femme, il gardait d'abord le silence. S'il lui avait dès l'abord accordé la grâce qu'elle demandait, nous n'aurions point connu sa vertu. Accordez, disent les disciples, car elle crie après nous. Que répond le Christ? Vous entendez sa voix, mais je lis dans sa pensée ; je ne veux pas que le trésor qu'elle contient demeure caché, j'attends en silence pour le découvrir à tous les regards, pour le faire briller aux yeux du monde. Ainsi, serions-nous pécheurs, indignes des grâces de Dieu, ne désespérons point, et assurons-nous que par la persévérance nous pouvons nous en rendre dignes. Serions-nous seuls, sans protecteurs, ne perdons point confiance, sachant que c'est une puissante protection que de s'adresser soi-même (252) à Dieu, le coeur plein de zèle. S'il tarde, s'il diffère, ne nous laissons point détourner, certains que ces retards sont une preuve de sa sollicitude et de sa bonté. Si nous avons cette persuasion, si avec un coeur contrit, plein d'amour, avec une ardente volonté, comme la Chananéenne; nous allons au Seigneur, serions-nous des chiens, des pécheurs chargés de crimes, nous nous délivrerons de nos misères, et deviendrons assez purs pour servir aux autres de protecteurs. C'est ainsi que la Chananéenne emporta non-seulement la confiance devant Dieu et mille louanges; mais qu'elle arracha sa fille à d'intolérables tortures. Rien, je vous le dis, rien n'est plus puissant que la prière ardente et pure. Car elle seule nous peut délivrer des maux présents et des châtiments que nous méritons en cette vie. C'est pourquoi, si nous vouions passer avec moins de peine la vie présente, et la quitter avec confiance, prions avec zèle, avec ardeur, avec persévérance. Ainsi nous obtiendrons les biens qui nous sont réservés et nous goûterons les plus douces espérances. C'est ce que je souhaite pour nous tous, par la grâce, la bonté et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui partage, avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, l'honneur et la puissance, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. WIEREYSKI.
 

 

 

 

 

HOMÉLIE SUR LES VEUVES. Sur ce texte : " Que celle qui sera choisie pour être mise au rang des veuves, n'ait pas moins de soixante ans (I Tim. V, 9) " De l'éducation des enfants et de l'aumône.
AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

Cette homélie fut prononcée la même année que l'homélie sur les Calendes et que les homélies sur Lazare. On le voit par l'exorde où saint Chrysostome dit qu'il avait parlé dernièrement sur ce texte : Au sujet de ceux qui dorment, je ne veux pas vous. laisser ignorer. C'est le sujet du cinquième discours sur Lazare. Donc l'homélie sur les Calendes, les sept sur Lazare et celle-ci furent faites par l'orateur, au commencement de la même année, à Antioche. Quelle est cette année? c'est ce que l'on n'a pas encore découvert.

1-2. Dignité de la veuve. Deux sortes de veuves, les veuves pauvres que l'Eglise nourrit, et les veuves opulentes. Desquelles l'Apôtre exige-t-il qu'elles aient soixante ans? évidemment des dernières. Là où il s'agit de secours à donner, il n'y a pas d'âge à déterminer. Quiconque souffre veut être soulagé 'à tout âge et dans n'importe quelle condition. — 3. Il y avait autrefois des choeurs de veuves. comme il y a maintenant des choeurs de vierges. Dans la composition de ces choeurs, l'on ne pouvait agir avec trop de prudence; de là ce conseil de n'admettre que celles qui étaient d'un âge à ne plus vouloir retourner dans le monde. — 4. Le conseil de se remarier jeunes, ne regarde que les veuves qui ne supporteraient pas l'épreuve du veuvage. Celle qui veut être admise à la dignité de veuve doit d'abord en montrer les oeuvres. — 5-6. Des inconvénients des secondes noces. — 7-11. Oeuvres de la veuve; premièrement : bien élever ses enfants. — 12-14. Deuxièmement, exercer l'hospitalité. — 15. Il faut servir les pauvres. —16. Exhortation à la pratique de l'aumône.

1. Reconnaissons l'à propos dans la grâce que l'Esprit-Saint vous a ménagée par la lecture de la lettre apostolique de ce jour.; on y trouve, avec ce que nous disions naguère, un rapport de parenté; vous verrez que ce sont des pensées de la même famille, si vous vous attachez moins aux paroles qu'au sens des expressions. En effet, notre lecture de l'autre jour, c'était : Touchant ceux qui dorment, je ne veux pas que vous ignoriez, mies frères (I Thess. IV, 12), et alors nous avons parlé avec développement de la résurrection, du courage à montrer dans les jours de funérailles, des grâces qu'il faut rendre à Dieu, quand il nous prend ceux qui sont nos proches. Voici aujourd'hui notre lecture: Que celle qui sera choisie pour être mise au rang des veuves, n'ait pas moins de soixante ans. Puisque c'est la mort qui fait le veuvage; puisque c'est là ce qui excite le plus la douleur,. et rend le deuil plus amer, rappelez-vous les consolations naguère adressées par nous à ceux qui sont dans le deuil; vous les avez recueillies avec toute l'ardeur d'un vrai zèle; gardez-les où vous mettez en réserve les bonnes pensées. Certes, quand on dit veuvage, il semble que l'on dise malheur; il n'en est pas ainsi pourtant; le veuvage est une dignité, c'est un honneur, c'est la gloire la plus belle; ce n'est pas un opprobre, mais une couronne. Si la veuve n'a plus de mari dont elle partage l'habitation, elle partage l'habitation du Christ, qui écarte tous les maux déchaînés contre nous. En effet, il suffit à la veuve qu'on outrage et qu'on tourmente, d'entrer, de fléchir les genoux, de gémir dans l'amertume de son coeur, de verser des larmes, et elle repousse loin d'elle tous les assauts; car voilà les armes de la veuve: les pleurs, les gémissements, les prières assidues; par là, elle n'écarte pas seulement les injures que lui font les hommes, mais les assauts que lui livrent les démons. Affranchie des affaires du siècle, elle n'a plus qu'à suivre son chemin vers le séjour d'en-haut; le zèle qu'elle (254) témoignait à son mari, le culte qu'elle avait pour lui, elle pourra le convertir aux choses spirituelles. Si vous. me dites que le veuvage était un malheur autrefois, voici ce que je vous répondrai: La mort aussi a été une malédiction, et la mort est devenue une dignité pour qui sait noblement la braver. Voilà comment les martyrs conquièrent leur couronne , voilà de même comment la veuve s'élève à un rang si haut.

2. Voulez-vous comprendre la grandeur de la veuve, de quel honneur elle est digne auprès de Dieu, quel amour Dieu a pour elle, de quelle protection puissante elle peut couvrir auprès de Dieu ceux qui sont déjà condamnés; les désespérés qui n'osent pas murmurer une parole, qui sont détestés de Dieu, privés de tout espoir d'indulgence; comme elle peut les délivrer, les réconcilier, non-seulement obtenir leur pardon, les arracher au supplice, mais leur conquérir la confiance dans l'affection du Seigneur, la gloire; leur rendre une splendeur plus pure que les rayons du soleil, quand ils seraient les plus souillés . parmi tous les hommes? Entendez Dieu lui-même parlant ainsi aux Juifs : Lorsque vous étendrez vos mains vers moi, je détournerai mes yeux de vous, et lorsque vous multiplierez vos prières, je né vous écouterai point, parce que vos mains sont pleines de sang. (Isaïe, I, 15.) Eh bien ! pourtant, à ces scélérats, à ces homicides, à ces infâmes souillés de toute espèce d'ignominie, il promet de se réconcilier avec eux s'ils portent secours aux veuves à qui l'on fait une injustice. Car après avoir dit : Je détournerai mes yeux de vous, et je ne vous écouterai point, il dit: faites justice â l'orphelin, défendez la veuve et venez, et soutenez votre cause contre moi. Quand vos péchés seraient comme l'écarlate, je les rendrai blancs comme la neige. (Ibid. XVII, 18.) Voyez-vous quelle grande puissance possède la veuve, non pas auprès d'un prince ou d'un roi de la terre, mais auprès du Roi même qui règne dans les cieux? quelle colère elle apaise ! comme il lui est donné de calmer le Seigneur irrité contre ceux que possède un mal incurable ! quel pouvoir elle a pour les arracher à l'insupportable supplice ! ce qu'elle fait d'une âme que le péché a souillée et rendue immonde! Elle la purifie, elle lui rend tout l'éclat de la plus parfaite pureté. Gardons-nous donc de mépriser la veuve, entourons-la de toute notre sollicitude, de tout notre zèle; pour nous quelle patronne, celle qui est vraiment une veuve, ? Mais il est utile de considérer ici, avec soin, de quelles veuves parle le texte sacré. On entend par veuves, celles qui, tombées dans la plus grande indigence, et portées sur les registres, sont nourries aux frais. de l'Enlise, comme cela se pratiquait au temps des apôtres. Il s'éleva, dit l'Écriture, un murmure parmi les Juifs grecs, parce que leurs veuves étaient méprisées dans la dispensation de ce qui se donnait chaque jour. (Act. VI, 1.) On appelle aussi de ce nom les femmes qui ne connaissent nullement l'indigence; qui, au contraire, sont, riches, à la tête de leur maison, et n'ont perdu que,leur mari seulement. Voyons donc, de quelles veuves, le texte parle ici, en disant, que celle qui sera choisie pour être mise au , rang des veuves, n'ait pas moins de soixante ans. Est-ce de celle qui a besoin de secours, qu'il faut nourrir aux frais de l'Église; ou de celle qui n'est nullement dans l'indigence, qui, au contraire, possède de grandes richesses? Il est évident qu'il est question de la dernière; car, lorsqu'il parle de l'autre, qui est tourmentée par la faim, il ne se préoccupe ni d'âge, ni de bonnes moeurs, mais il dit, d'une manière absolue : Si quelqu'un des fidèles ou si quelqu'une des fidèles a des veuves, qu'il leur donne ce qui leur est nécessaire, et que l'Église n'en soit pas chargée. (I Tim. V, 16.) Il ne dit pas : Pourvu qu'elle ait soixante ans; il ne dit pas : Si elle a exercé l'hospitalité, si elle a lavé les pieds des saints (Ibid. V, 10) ; et c'est avec raison que le texte n'apporte pas ces restrictions. En effet , où il faut remédier: à l'indigence, on ne doit pas s'occuper de l'âge. Qu'importe qu'elle n'ait que cinquante ans, si elle meurt de faim? qu'importe qu'elle soit jeune, celle dont le corps est mutilé ? Faudra-t-il qu'elle dorme, attendant qu'elle ait soixante ans? Ce serait le comble de la cruauté. Ainsi, quand il faut calmer la faim, il ne s'inquiète pas curieusement de l'âge ou des bonnes moeurs. Mais, quand il n'y a plus à secourir l'indigence, quand il s'agit d'un honneur, d'une dignité à conférer, il institue, et il a raison , une enquête qui se rapporte aux moeurs.

3. C'est que, comme il y a des choeurs de vierges, il avait aussi des choeurs de veuves; et il n'était pas permis d'en former les listes indifféremment. Il n'est donc pas question; (255) ici, de la veuve qui vit dans l'indigence, qui a besoin de secours, mais de celle qui veut prendre le titre de veuve. Pourquoi maintenant pose-t-il, au sujet de celle-ci, une question d'âge? C'est qu'il savait bien que la jeunesse est comme un bûcher, comme une mer aux innombrables flots, tourmentée par mille tempêtes; donc, ce n'est qu'après qu'elles étaient affranchies, par le bénéfice de l'âge, après qu'elles étaient parvenues au port de la vieillesse, ce n'est qu'après que le feu des passions ne couvait plus en elles, qu'il les admettait, sans défiance, dans ce choeur des veuves. Quoi donc ! n'a-t-on pas vu, dira-t-on, nombre de veuves, des veuves de vingt ans, briller d'un pur éclat jusqu'à leur dernière heure, porter longtemps le joug, et montrer, sans jamais se démentir, un noble spécimen de la vie apostolique? eh bien ! donc, je vous le demande, les écarterons-nous? et, quand elles veulent conserver le titre de veuves, les forcerons-nous à contracter un second mariage? Est-ce là une conduite digne du conseil de l'Apôtre? Que signifient donc ses paroles? Prêtez-nous toute votre attention, mes bien-aimés; comprenez , bien le sens du texte. Il ne dit pas : qu'il n'y ait pas de veuve âgée de moins de soixante ans, mais que celle qui sera choisie pour être mise au rang des veuves; et, d'un autre côté, il ne dit pas : que les veuves plus jeunes ne soient pas choisies, mais : évitez les veuves plus jeunes. (I Tim. V, 11.) Ce sont là les paroles qu'il écrit à Timothée. Les détracteurs, les médisants abondent toujours, leurs langues sont aiguisées contre ceux qui dirigent les Eglises. Paul veut mettre un chef d'église à l'abri des accusations; il lui prescrit la loi qu'il exprime à peu près ainsi : Pour ce qui est de toi, ne choisis pas. Si, d'elle-même, si, de son propre mouvement, la veuve. tient à. entrer dans cette compagnie, qu'elle y entre; toi cependant, ne l'admets pas encore. On pourrait dire : elle était jeune, elle voulait se marier, rester à la tête de sa maison; c'est un tel qui l'a forcée; voilà pourquoi elle a succombé; de là, ses fautes. Toi, ne la choisis pas, afin que, si plus tard elle succombe, tu sois à l'abri des accusations; et afin que, si elle demeure ferme, tu puisses la choisir, au temps convenable; avec plus de sécurité. Si le texte dit : Je veux que les jeunes veuves se marient, qu'elles aient des enfants (I Tim. V, 14), comprenez ce qu'il entend par jeunes veuves. Ce sont celles qui, ayant secoué le joug du Christ, veulent se remarier; des bavardes, des curieuses, des coureuses, disant ce qu'on ne doit pas dire, qui se sont mises de la suite de Satan. Et, en effet, après avoir dit : Je veux que les jeunes veuves se marient, il ne s'est pas arrêté, mais il dit ce qu'il entend par jeunes veuves, et il raconte leurs faux pas. Quels sont-ils, ces faux pas ? Parce que la mollesse de leur vie, les portant à secouer le joug de Jésus-Christ, elles veillent se remarier ; des fainéantes , des causeuses, des curieuses, des coureuses, disant ce qu'on ne doit pas dire, des femmes perverties. ( Ibid. 11, 13, 15), pour voir qui? pour voir Satan. Donc, puisqu'après avoir embrassé le veuvage et continue toute cette vie de honte, elles veulent contracter un second mariage, mieux vaut qu'elles le contractent avant d'être devenues les épouses du Christ, et d'avoir violé leur contrat avec lui. S'il est une veuve qui ne ressemble pas à celles-ci, le texte ne lui impose pas la nécessité d'un second mariage.

4. Et voici la preuve que c'est là la vérité. Si, en effet, on eût prescrit, comme par une loi, à toutes les femmes de se marier, de rester à la tête de leur maison, l'enquête suivante eût été superflue : Si elle a bien élevé ses enfants, si elle a lavé les pieds des saints, si elle a secouru les affligés, si elle s'est appliquée à toutes sortes de bonnes oeuvres. (Ibid. V, 10.) Il est aussi inutile de dire : qu'elles n'aient eu qu'un mari. (Ibid. 9.) En effet, si vous ordonnez à toutes les jeunes veuves de se marier, comment pourra-t-il arriver qu'une des veuves qui vous occupent n'ait eu qu'un mari ? Donc, le texte considère les veuves dont on doit se défier. Telle est encore la pensée du texte sur le commerce conjugal. En effet, après avoir dit : Ne vous refusez point l'un à l'autre ce devoir, si ce n'est du consentement de l'un et de l'autre, pour un temps, afin de vous exercer au jeûne et à la prière, et ensuite vivez ensemble comme auparavant (I Cor. VII, 5); pour que vous n'alliez pas regarder cette parole comme une loi, comme un précepte, il en donne aussitôt la raison, en disant : De peur que le démon ne vous tente, ce que je vous dis comme une chose qu'on vous conseille et nos pas qu'on vous commande à cause de votre incontinence. Donc, de même que, dans ce passage, il ne s'adresse pas. à tous les hommes, mais seulement aux plus incontinents, à ceux qui succomberaient (256) facilement; de même, à présent, il a en vue, parmi les femmes, celles dont la chute est trop facile, celles qui ne supporteraient pas le veuvage;c'est à elles qu'il donne le conseil de se marier une seconde fois. C'est qu'en effet le veuvage est chose double. Comment cela, double? C'est un spécimen de bonnes oeuvres, c'est une très-haute dignité. De même donc qu'une magistrature, aussi, est chose double; en effet, i1 y faut considérer les oeuvres et la dignité: la dignité c'est la puissance du magistrat, les honneurs que le peuple lui rend, c'est la magistrature en elle-même. Quant aux oeuvres de la magistrature,c'est de secourir ceux à qui l'on fait injustice de réprimer les auteurs de l'injustice, de commander aux villes, de veiller, de passer les nuits pour les affaires communes de la république, ce sont mille autres soins; de même pour le veuvage, il faut distinguer la dignité et les oeuvres : la plus grande dignité, c'est d'être veuve, nous l'avons déjà démontré; quant aux oeuvres, c'est de ne pas faire venir un second mari, mais de se contenter du premier; de bien élever ses enfants, d'exercer l'hospitalité, de laver les pieds des saints, de secourir les affligés, de s'appliquer à faire le bien, de toutes les manières. Aussi, Paul, en parlant de ces oeuvres, permet aux veuves de les accomplir toutes, mais il ne permet pas d'élever à la dignité de veuve, de faire entrer dans la compagnie, de mettre au rang des veuves; celle qui n'a pas soixante ans accomplis; c'est comme s'il disait: Qu'elle fasse toutes les oeuvres qui conviennent aux veuves; quant à la dignité, qu'elle ne l'obtienne que quand, après avoir accompli tontes ces bonnes oeuvres, elle devra au bénéfice de l'âge toute sécurité; et, à ses oeuvres, la démonstration et le témoignage extérieur de sa vertu. Que nul n'aille s'imaginer que ce discours ne convienne qu'aux femmes, car les hommes y trouveront aussi de quoi profiter. lis doivent, eux aussi, s'en tenir à la femme qu'ils ont perdue; ils ne doivent pas vouloir que des lionnes habitent avec leurs enfants, que des belles-mères, introduites dans leur maison, en ruinent toute la sécurité.

5. Ce que nous disons, ce n'est pas pour vous prescrire la haine d'un second mariage, mais nous vous conseillons de vous contenter du premier. Autre chose est l'exhortation, autre chose le commandement. L'exhortation, le conseil, laissent à la discrétion de l'auditeur le choix; dans ce qu'on lui conseille; le précepte, au contraire, supprime ce pouvoir de choisir. L'Église ne fait pas, ici , de précepte; elle exhorte seulement; Paul a permis les seconds mariages, quand il a dit : La femme est liée à la loi du mariage tant que son mari est vivant; mais si son mari meurt, elle est libre; qu'elle se marie à qui elle voudra, pourvu que, ce soit selon le Seigneur. Cependant elle sera plus heureuse si elle demeure en cet état. (I Cor. VII, 39, 40.) Ainsi, comme le mariage est bon, mais la virginité vaut mieux; de même, le second mariage est bon, mais le premier, l'unique mariage, vaut mieux. Nous ne rejetons donc pas le second mariage; nous ne prescrivons rien non plus sur ce point, mais nous exhortons :Que celui qui veut conserver la chasteté se contente du premier mariage. Et, maintenant, pourquoi nos exhortations et nos conseils? Pour assurer la sécurité de la maison. Souvent le second mariage est une occasion de luttes et de combats de tous les jours. Assurément, bien souvent, if arrive qu'assis à table, le mari, au souvenir de sa première femme, pleure en silence; mais l'autre, tout à coup, prend feu, bondit comme une bête fauve, et lui demande raison de sa tendresse pour celle qui n'est plus. S'il veut louer la femme qui est partie, c'est un prétexte de guerre; un éloge est un sujet de combat. Et, voyez, quand nos ennemis particuliers sont morts, nous ne sentons plus rien contre eux; la même heure a terminé leur vie et notre haine. Chez les épouses, ce qui se montre, c'est tout le contraire; la femme qu'elle n'a pas vue, la femme qu'elle n'a pas entendue, la femme qui ne lui a fait aucun mal, celle-ci la déteste, l'a en horreur, et la mort même n'éteint pas sa haine. Qui donc a jamais vu, qui donc a jamais entendu dire que la poussière fût un objet; de jalousie, qu'on fit la guerre de la cendre?

6. Mais ce n'est pas là que s'arrête le mal; soit que la seconde épouse ait des enfants, soit qu'elle n'en, ait pas, nouveaux combats, toujours la guerre. Si elle n'en a pas, son chagrin est plus amer, et, pour cette cause, elle regarde comme des ennemis, qui lui font le plus grand outrage, les enfants de la première femme; elle les regarde comme un reproche, qui lui . rend plus sensible sa stérilité; si, au contraire, elle a des enfants, le mal n'est pas moindre. En effet, souvent le mari, par tendresse pour, (257) l'épouse qu'il a perdue, embrasse ses enfants, et, par l'affection, par la compassion qu'il éprouve, il souffre de les voir orphelins. Mais l'autre veut que toujours et partout on préfère ses enfants à elle, et, à ses yeux, les autres ne sont pas des frères, mais de vils esclaves; voilà qui est de nature à bouleverser la maison, à .rendre pour l'époux la vie insupportable. Aussi, nous vous exhortons à garder, s'il est possible, la continence, à vous contenter du premier mariage. Nous conseillons, aux maris, de ne pas prendre une nouvelle femme; aux femmes, de ne pas prendre un 'nouveau mari, de ne pas jeter leur maison dans un tel bouleversement.

Mais maintenant, pourquoi Paul, parlant de la viduité, ne s'est-il pas contenté de cette première condition : Pourvu qu'elle n'ait eu qu'un mari ? C'est afin de vous faire comprendre que ce qui constitue la veuve, ce n'est pas seulement de ne jamais épouser un second mari, mais d'abonder en bonnes oeuvres, en aumônes, en douceur, en soins pour les étrangers. Car, si la virginité n'a servi de rien aux vierges (et cependant la virginité est bien supérieure à la viduité), si les vierges dont la lampe s'est éteinte sont tombées dans le mépris pour n'avoir pas pu montrer les fruits de la charité et de l'aumône (Matth. XXV) , c'est ce qui est encore bien plus vrai des veuves. Quand Paul entend cette parabole, effrayé pour les veuves, il étudie leur cause avec le plus grand soin; il ne veut pas que la modération qui les porterait à s'en tenir à un seul mariage leur fasse négliger les autres vertus. Voilà pourquoi il dit : Qu'on puisse, rendre témoignage de ses bonnes oeuvres. (I Tim. V, 10.) En effet, de même que la virginité, quoiqu'étant un bien, ne produit toute seule arien n fruit, et rie peut ouvrir là chambre de l'époux; de même la viduité est un bien, mais, sans les autres vertus, elle est vaine et superflue. Aussi le conseil de Paul ne se réduit pas à ce qu'elles s'abstiennent d'un second mari, mais il réclame, de la veuve, d'autres vertus, en grand nombre, et des vertus considérables. Il faut que des soldats d'élite soient des soldats bien constitués; de même, Paul choisissant les soldats du Christ, veut des âmes bien constituées, vaillantes, ardentes pour toutes les bonnes pauvres, et il prononce ces paroles : Si elle a bien élevé ses enfants; si elle a exercé l'hospitalité; si elle a lavé les pieds des saints; si elle a secourut les affligés; si elle s'est appliquée à toutes sortes de bonnes oeuvres. Chacune de ces paroles ne semble qu' un petit mot, sans valeur, et pourtant contient eu soi ce qui constitue la vie.

7. S'il vous paraît bon, étudions d'abord ce que Paul a mis au premier rang : Si elle a bien élevé ses enfants. Il indique par là l'éducation , non pas cette éducation , simple, vulgaire, qui consiste, lorsque les enfants meurent de faim , à s'en apercevoir. Il suffit de la nature pour veiller toujours aux soins de ce genre; d'où il arrive qu'il ne faut ni commandement, ni loi, pour obtenir que les veuves élèvent, leurs enfante. Mais Paul entend ici le soin de les élever, dans la justice et dans la piété. Celles qui n'élèvent pas ainsi leurs enfants, sont des infanticides plutôt -que des mères. Ce que je dis, je ne l'adresse pas aux femmes seulement; je l'adresse en même temps aux hommes. Il ne manque pas de pères qui, pour donner à leur fils un bon cheval, des demeures magnifiques, un domaine d'un grand prix, font. tout, remuent tout; quant à obtenir que leur fils ait l'âme bonne, et se tourne vers la piété, ils n'y pensent pas. Et c'est là ce qui produit le chaos sur la terre entière. Noirs n'avons pas soin de nos enfants; de leurs possessions, de leur fortune, nous prenons grand souci; noirs négligeons leur âme, et voilà le comble de la démence. En effet, multipliez tant que vous voudrez les riches humaines, si le possesseur n'a ni vertu ni zèle de l'honnêteté, tout s'en via, tout s'évanouit avec lui; et ces richesses causent, à celui qui les possède, un préjudice affreux. Au contraire, une âme généreuse et sage, quand elle n'aurait aucun bien en réserve, est assurée de jouir de tous les trésors. Nous devons donc nous proposer de rendre nos enfants, non pas riches d'argent et d'or, ni des choses de ce genre, mais riches, le plus possible; par la piété, par la tempérance, par l'acquisition de toutes les vertus, nous proposer de les préserver de mille habitudes qui deviennent des besoins; de leur faire prendre en mépris les choses du siècle, les passions succédant toujours aux passions , pour surprendre l'âme. Où entrent-ils? d'où sortent-ils? voilà ce qui doit exciter notre curiosité, éveiller tous nos soins. Quelles sont leurs connaissances ? quels sont leurs amis ? et comprenons bien que , si nous négligeons cette surveillance, nous n'obtiendrons, de Dieu, aucun pardon. S'il est vrai que notre (258) négligence pour les intérêts d'autrui, nous attire des châtiments, que personne ne cherche sa propre satisfaction, de l'Apôtre, mais le bien des autres (I Cor. X, 24) ; quel châtiment bien plus terrible nous frappera, si nous négligeons nos enfants. N'ai-je pas mis ton enfant dans ta maison, dès le commencement, dit le texte? ne t'ai-je pas établi son précepteur, son maître, son protecteur, son juge? ne t'ai-je pas remis entre les mains tout pouvoir sur lui? Je t'ai confié le soin de pétrir, de façonner cette âme molle et délicate? quel pardon mérites-tu si, pour quelque résistance, tu l'abandonnes? que pourrais-tu dire? que c'est une nature rétive, qui ne supporte pas le frein? Mais c'est tout d'abord ce qu'il fallait prévoir; quand il supportait le frein, quand il était dans la première jeunesse, il fallait prendre le soin de le brider, l’habituer, le façonner au devoir, châtier les vices dont son âme est malade. La culture était facile; c'était alors qu'il fallait arracher les épines; dans un âge encore tendre, on les eût plus facilement extirpées; on n'aurait pas vu les passions grandir, par la négligence du surveillant, et défier qui les veut combattre. Voilà pourquoi, dit le Sage : Fléchis-lui le cou, quand il est jeune (Eccl. VII, 23); c'est-à-dire, à l'heure où il est plus facile de le former par l'éducation. Et l'Ecriture ne se contente pas du précepte, elle Se met à l'oeuvre avec vous. Comment? Celui qui aura maudit son père ou sa mère, sera puni de mort. (Exod. XXI, 17.) Voyez-vous quelle crainte elle inspire? quel redoutable rempart elle construit pour vous? quelle force elle vous donne? Quelle excuse pourrons-nous donc alléguer? Comment! si nos enfants nous outragent, Dieu n'épargne pas même leur vie; et nous, quand nous les voyons outrager Dieu, nous sommes sans colère, et nous les supportons ! Moi, dit le Seigneur, je ne refuse pas de mettre à mort qui t'outrage, et toi, tu ne veux même pas qu'on attriste d'un mot celui qui foule aux pieds mes lois ! Eh ! quelle pourrait être l'excuse d'unetelle conduite? Vous voyez qu'on outrage son Créateur, et vous ne vous indignez pas, répondez-moi, et vous ne tremblez pas, et. vous n'avez pas de réprimande pour l'enfant, et cela quand vous savez qu'il enfreint la loi de Dieu ! ce n'est pas que l'outragé en reçoive aucun préjudice (Dieu n'a rien à perdre), mais l'enfant n'est-il pas à sauver? qui se livre contre Dieu à des outrages insensés, à bien plus forte raison, insultera son père, et dégradera son âme.

8. Donc soyons vigilants, puisque nous savons que, s'ils rendent à Dieu ce qui lui est dû, nos enfants jouiront, même dans la vie présente, d'un brillant et glorieux nom. A l'homme vertueux et modeste les respects de tous, tous les honneurs; fût-il le plus misérable de tous les . pauvres ; le méchant, le pervers n'excite que répulsion et que haine, vît-il abonder chez lui les richesses à grands flots. Et non-seulement votre enfant sera, pour les autres, un sujet de vénération, mais vous-même, son père, vous , le chérirez plus encore; car, à l'amour qui résulte de la, nature , se joindra l'amour non moins vif qui s'attache à la vertu, et non-seulement vous. le chérirez plus, mais ce cher. objet vous sera plus utile, vous honorant, vous servant, vous soutenant dans votre vieillesse. De même que les ingrats envers Dieu; méprisent leurs parents, de même ceux qui honorent leur Créateur entourent leurs parents d'hommages et de vénération. Donc voulez-vous être considéré de Dieu et des hommes, assurer le doux bonheur de votre vie, vous préserver des châtiments à venir, faites. de votre enfant l'unique objet de vos soins. Ceux.. qui négligent leurs enfants, fussent-ils d'ailleurs honnêtes, tempérants et sages, subiront, pour cette négligence, le plus terrible des châtiments, ce que prouve une vieille histoire, que je vais vous raconter.

Il y avait chez les Juifs un prêtre honnête d'ailleurs et sage que l'on nommait Héli. Cet Héli avait deux fils, tombés dans les derniers excès de la dépravation ; il ne les réprimandait pas, il les laissait faire: c'est-à-dire il les réprimandait bien, il cherchait. à les retenir, mais il n'y mettait pas le soin suffisant, il manquait de sévérité. (I Rois, II, 11). Il aurait dû employer les verges, il aurait dû les chasser de la maison paternelle, user de tous les moyens de correction ; eh bien ! non, il se contentait de leur adresser des exhortations, (tes conseils; il leur disait : Ne faites pas cela, mes enfants, ne faites pas cela, car je n'ai pas les oreilles flattées de ce qui vient à mes oreilles à cause de vous. (I Rois, II, 2I). Que dis-tu? Ils ont outragé Dieu et tu les appelles tes enfants? Ils ont méconnu leur Créateur et tu les reconnais? Voilà pourquoi l'Ecriture dit qu'il ne les réprimandait pas, c'est que la réprimande n'est pas un conseil quelconque, c'est un moyen énergique, mordant, qui mesure, à la gravité de la (259) blessure, la rigueur du traitement, du coup qu'il faut frapper. Il ne suffit pas de prononcer des paroles; des exhortations, il faut aussi de la fermeté, de la force, inspirer une terreur qui secoue l'indolence de la jeunesse. Donc; comme il les exhortait, mais rie les exhortait pas dans la mesure qui convenait, il les livra aux coups des ennemis, et, quand la bataille s'engagea, ils périrent clans la mêlée ; incapable de supporter cette nouvelle, le père tomba à la renverse, se brisa la tête et mourut. Avais-je raison de les appeler meurtriers de leurs enfants, les pères qui les négligent, qui ne les châtient pas sévèrement, qui ne les forcent pas à rendre le culte qu'ils doivent à Dieu ? C'est ainsi qu'Héli a été le meurtrier de ses fils. Sans douté, ce sont les ennemis qui ont tué ses fils, pourtant c'est lui qui a été l'auteur de leur mort violente, parce que sa négligence à l'égard de ses fils, a détourné d'eux le secours du Seigneur, les a livrés, nus, privés de tout appui, à qui les voulait tuer. Et non-seulement il les a perdus, mais il s'est perdu lui-même avec eux.

9. C'est justement ce qui arrive, maintenant encore, à un trop grand nombre de pères. Ils ne veulent pas punir par les verges, ni même châtier en paroles, ni attrister leurs enfants , .qui vivent dans les désordres et violent les lois; qu'arrive-t-il ? souvent ils les voient convaincus des plus grands crimes , traînés en jugement, décapités par les bourreaux. Puisque tu ne les châties pas, puisque tu ne. les corriges pas, puisque tu t'en vas toi-même te mêler à des scélérats; à des hommes perdus ; puisque tu te fais le complice de leurs crimes, on les traite d'après la rigueur des lois, et, sous les yeux du publie, on les châtie; et, au malheur, se joint un surcroît d'infamie, quand tous montrent du doigt le père, dont le fils n'existe plus , et lui rendent impossible l'accès de la place publique. Comment ses yeux pourraient-ils supporter ceux qu'il rencontre, après une telle ignominie , après le malheur de son enfant? Aussi , je vous en prie , je vous en conjure ; ayons bien soin de ces enfants qui sont nôtres, et toujours, et partout appliquons-nous au salut de leurs âmes. Le maître, le docteur de toute la famille, c'est toi; et ta femme , et tes enfants, Dieu te les confie, pour les instruire toujours. Et, en tel endroit, Paul, en parlant des épouses, dit : Si elles veulent s'instruire de quelque chose, qu'elles le demandent, dans leurs maisons, à leurs maris. (I Cor. XIV, 30); et, en tel autre endroit, parlant des enfants: Elevez-les en les instruisant et les avertissant, selon le Seigneur. (Ephés. VI, 4.) Dites-vous que vous avez des statues d'or dans vos maisons, vos enfants; et, tous les jours, polissez-les, ne vous lassez pas de les observer avec le plus grand soin, et employez tous les moyens, pour les embellir, pour les former. Imitez le bienheureux Job , qui redoutant les suites de leurs péchés, offrait, pour eux, des sacrifices, et ne cessait, pour eux, de s'inquiéter, de tout prévoir. (Job. I, 5.) Incitez Abraham , peu soucieux de ses trésors, de toutes ses possessions ; ce dont il se souciait, c'était de la loi de Dieu, c'était d'en recommander, à ses descendant; l'observance exacte. Dieu rend témoignage de la vertu de ce juste, par ces paroles : Je sais qu'Abraham ordonnera, à ses enfants, d'agir selon l'équité et la justice. (Gen. XVIII, 19.) David aussi, en mourant, fit venir son fils, et lui légua comme un bel héritage ces recoin mandations, sans cesse renouvelées : Si vous voulez, mon fils, vivre conformément à la loi de Dieu, aucun malheur imprévu ne fondra sur vous, et-vous jouirez d'une grande sécurité ; mais si vous perdez ce puissant secours, toute votre royauté, toute votre puissance ne vous servira de rien. Voilà ce qu'il lui disait, telles étaient ses exhortations, sinon ses paroles mêmes. .

10. Répétons-les, nous aussi, et pendant tout le temps de notre vie, et au moment de partir, à nos enfants; persuadons-leur que c'est une grande richesse, et un héritage infaillible, et un trésor, le plus assuré de tous, que la crainte de Dieu : soyons moins jaloux de leur laisser une fortune périssable, que cette piété durable qui ne se dissipe jamais. Sans la piété, la fortune s'évanouit, ne vous laissant que les dangers et la honte ; avec la piété , la fortune arrive. Elevez bien votre fils, un autre en fera autant de son fils, et après cet autre, un autre encore ; c'est unie chaîne, une filiation excellente de chastes enseignements, qui s'étendra sur tous, et vous en serez le principe, la racine, et tous les fruits, récoltés de cette bonne éducation des enfants, se moissonneront pour vous. Si les pères appliquent tous leurs soins à bien élever leurs enfants, c'en est fait, il n'est plus besoin, ni de lois, ni de jugements, ni de peines, ni de supplices, ni d'expiations publiques par le sang; car : Ce n'est pas pour le juste, dit l'Apôtre, que la loi est faite. (I Tim. I, 9.) (260) Mais, comme nous n'en prenons pas soin, nous les précipitons dans les plus grands malheurs; nous les livrons aux mains des bourreaux; trop souvent, c'est nous qui les jetons dans les gouffres. Car, dit l'Ecriture, Celui qui évente son fils , pansera ses plaies. ( Eccl. XXX, 7.) Que signifient ces paroles, Celui qui évente ? c'est-à-dire, celui qui cherche, outre mesure, à soulager, celui qui flatte, qui prodigue des soins serviles. Car ce qu'il faut à l'enfant, c'est un soin austère, sévère, qui inspire la crainte. Ce que j'en dis, ce n'est pas pour que nous soyons durs et farouches avec les enfants, mais pour éviter de devenir méprisables à leurs yeux. Si la femme doit craindre son mari, à bien plus forte raison, le fils doit-il craindre son père. Et ne me dites pas que la jeunesse est indomptable. Car si Paul demande à une veuve, à une femme, de prendre soin de ses enfants , à bien plus forte raison, le demande-t-il aux hommes; et s'il y avait impossibilité, il n'aurait pas exprimé un commandement. Voici la vérité: toute perversité provient de notre négligence, provient de ce que, dès le principe, dès l'âge le plus tendre, nous n'avons pas formé nos enfants à la vertu. Nous avons grand soin de les mettre à l'étude des sciences profanes, de les initier à la milice, et nous dépensons de l'argent, et nous assiégeons nos amis de nos prières; et à droite, à gauche, à chaque instant nous nous mettons en course : mais, pour que nos enfants soient en honneur auprès du Roi des anges, nous nous donnons fort peu de mouvement. Nous leur permettons souvent d'aller aux spectacles; mais nous ne les poussons jamais, pour qu'ils viennent à l'église ; si une fois, deux fois, un tout jeune enfant vient ici; c'est un hasard sans conséquence, sans aucune utilité ; c'est parce que cela l'amuse, qu'il se trouve en ce lieu. C'est le contraire que nous devrions voir quand nous envoyons nos enfants aux écoles, nous leur demandons qu'ils nous rendent compte de leurs leçons, ce que nous devrions faire en les envoyant à l'église, ou plutôt en les y conduisant. Car ce n'est pas à des mains étrangères que nous devons les confier; c'est à vous de les amener ici, d'y entrer vous-même, afin de leur demander ensuite s'ils se souviennent bien de ce qu'ils ont entendu, de ce qu'ils ont appris. Cette conduite nous rendrait bien plus facile et plus expéditive la tâche de redresser vos enfants. Car si, dans l'intérieur de la maison, ils entendaient toujours; de votre bouche, les discours de la sagesse , les bons conseils, auxquelles se joindraient les paroles qui se prononcent ici, ils nous montreraient bien vite , heureux fruits de ces généreux germes, une riche moisson. Mais nous ne faisons rien de semblable; nous négligeons ce qui est de première nécessité; faites des exhortations à ce sujet, tout de suite on rit de vous, et de là le bouleversement; les pères négligent de corriger leurs enfants à la maison; au dehors, on s'en charge, et les enfants subissent la correction. des lois.

11. N'avez-vous pas de honte, ne rougissez-vous pas, répondez-moi, quand ce fils, qui est votre fils, vous est pris par le juge pour le châtier; pour le rendre plus sage; quand il faut la correction du dehors à cet enfant, qui, depuis si longtemps, depuis sa naissance, a demeuré avec vous? Ne vous cachez-vous pas, né rentrez-vous pas sous la terre? avez-vous le courage, répondez-moi, de supporter qu'on vous nomme son père, vous qui avez ainsi trahi votre enfant, quine lui avez pas donné tous les soins nécessaires, qui l'avez négligé, quand la corruption pénétrait dans son âme? A la vue d'un esclave qui bat voire enfant, vous vous indignez, votre colère s'allume, votre fureur éclate ; plus terrible qu'une bête féroce, vous bondissez à la vue de celui qui a frappé votre . enfant; et, à l'aspect du démon, qui le soufflette chaque jour sous vos yeux, des anges déchus qui l'attirent dans toutes lès fautes, vous dormez, et vous ne vous indignez pas, et vous n'arrachez pas, au plus redoutable des monstres, 'votre enfant? Si votre fils est démoniaque,. vous courez vers tous les saints, vous troublez le repos de ceux qui résident au sommet des montagnes; vous voulez le voir délivré de, cette maladie sinistre, et, quand c'est le péché, le péché, plus funeste que tous les démons ensemble, qui le trouble sans relâche, vous restez les bras croisés.

Etre possédé du démon, ce n'est rien; cette possession ne peut pas jeter dans l'enfer, Si nous voulons pratiquer la sagesse, cette épreuve nous vaudra de brillantes , d'éclatantes couronnes; sachons bénir Dieu dans de telles épreuves. Mais celui qui passe sa vie entière dans le péché ne peut être sauvé; il est absolument nécessaire, et qu'il subisse, sur la terre, tous les opprobres, et qu'en partant d'ici, il endure les éternels supplices. C'est pourtant (261) ce que vous savez ; mais voilà : pour éviter les malheurs moindres, nous montrons tout notre zèle; pour les plus grands, nous ne voulons pas nous réveiller. A la vue d'un démoniaque, nous gémissons; à la vue d'un pécheur, nous ne sentons rien ; c'est alors pourtant qu'il faudrait se frapper la poitrine et gémir; mais non, il ne suffit pas de gémir, il faut contenir, il faut réprimer, employer le frein, conseiller, exhorter, faire trembler, réprimander, user de tous les moyens de guérison, pour chasser ce mal funeste. Il faut imiter cette veuve, dont parle le bienheureux Paul : Si elle a bien élevé ses enfants; car ce n'est pas d'elle seulement. qu'il parle. C'est à tous sans exception qu'il adresse son discours ; c'est à tous qu'il donne ce conseil : Elevez vos enfants dans l'esprit du Seigneur. (Ephés. VI, 4.) Voilà la première, la plus grande de toutes les bonnes oeuvres, la première aussi qu'il demande à la veuve; ensuite il ajoute : Si elle a exercé l'hospitalité. Que dites-vous, répondez-moi ? C'est d'une veuve que vous réclamez l'hospitalité ? Ne lui suffit-il pas d'élever ses enfants? Non, dit-il, il faut encore qu'elle y ajoute ce devoir; qu'à la surveillance de ceux qui lui appartiennent, elle joigne le soin des autres; qu'elle ouvre sa maison aux étrangers; ton mari est parti, le culte que tu avais pour lui, déploie-le envers les étrangers. Quoi. donc ! me répond-on, et si elle est pauvre ? elle ne l'est pas plus que cette pauvre femme qui, avec un peu de farine, un peu d’huile, a reçu le grand prophète Elie ; elle aussi avait des enfants; mais, ni son indigence, ni la famine qui pesait sur elle, ni la mort qu'elle attendait, ni ses inquiétudes pour ses enfants, ni son veuvage, ni quoi que ce puisse être, rien n'a été un obstacle pour cette femme, attachée aux devoirs de l'hospitalité.

12. Vous le voyez, ce qu'il faut partout, ce n'est pas la juste mesure de la fortune, mais la juste mesure de la sagesse; quiconque a la grandeur de l'âme, la richesse des sages pensées, fût-il le plus pauvre de tous les hommes, parce que l'argent lui manque, peut surpasser les plus riches, par l'hospitalité, par l'aumône, par toutes les autres vertus. Celui dont l'âme est petite, dont la pensée est pauvre, celui qui rampe à terre, aurait beau être le plus opulent de tous les hommes, il est le plus pauvre de tous et le plus indigent. Voilà pourquoi, dans l'exercice des vertus hospitalières, il hésite, il succombe. Et, de même que le pauvre ne rencontre, dans sa pauvreté, aucun obstacle pour l'aumône, parce que son âme est riche; de même le riche ne trouve, dans son abondance, aucun ressort pour la sagesse; parce que son âme est pauvre. Et les exemples ne sont pas loin. Cette veuve , avec un peu de farine, accueillit le prophète; Achab, au sein d'une si grande opulence, convoita le bien d'autrui: Ce n'est donc pas la richesse de l'argent ou de l'or, mais la richesse de l'âme, qui nous rend l'aumône facile, puisque cette veuve, avec deux oboles seulement, a surpassé des milliers de riches ; puisqu'elle n'a pas trouvé d'obstacle dans sa pauvreté. Donc, cette pauvreté même rend l'aumône plus considérable. C'est ce que dit le bienheureux Paul : Leur profonde pauvreté a répandu avec abondance, les richesses de leur charité sincère. (II Cor. VIII, 2.) Il ne faut pas considérer ceci, qu'elle a donné deux oboles, mais que possédant uniquement ces deux oboles, elle ne les a pas ménagées ; elle à donné toute sa fortune ; il faut l'admirer et la couronner. Ce n'est pas de fortune que nous avons besoin ; c'est un zèle empressé qu'il nous faut, quand nous recevons les étrangers: De même que, si ce zèle nous anime, la pauvreté ne nous porte aucun préjudice ; de même, si ce zèle nous manque, nous ne retirons, de notre abondance, aucune utilité. Que m'objectez-vous? Cette veuve a ses enfants à soigner, et, pour cette raison, elle ne pourrait pas s'occuper des étrangers ? Pour cette raison même, il lui sera plus facile de rendre aux étrangers ses devoirs. Elle associera ses enfants aux soins qu'elle prendra d'eux. Ses enfants partageront sa tâche, s'attacheront à elle, dans cette occupation si noble. Ainsi, ce n'est pas un obstacle, c'est un secours, dans l'exercice de l'hospitalité, que le grand nombre des enfants ; le grand nombre des mains à l'ouvrage, facilitera le ministère: Ne me parlez pas d'un table somptueuse; si elle reçoit l'étranger dans sa maison, si elle lui offre ce qu'elle a, si elle lui montre tout le zèle d'une affection charitable, elle a recueilli, sans que rien y manque, le fruit de l'hospitalité. S'il suffit d'un verre d'eau pour ouvrir le royaume du ciel; l'accueil qui admet sous le même toit, qui fait asseoir l'étranger à la même table, qui le fait se reposer, quel fruit ne recueillera-t-il pas, répondez-moi? Remarquez bien jusqu'où va le précepte de Paul: il ne demande (262) pas simplement, ici, qu'on accueille les étrangers, mais qu'on leur fasse accueil, de tout coeur, avec une âme que brûle le feu de la charité. Après avoir dit : Si elle a exercé l'hospitalité, il ajoute : Si elle a lavé les pieds des saints. Il ne faut pas qu'assise superbement, elle abandonne, à des servantes, le soin de l'étranger; elle doit le servir elle-même, ravir elle-même ce fruit de vertu; elle ne doit céder à personne ce trésor si beau. Et comment cela se ferait-il, me dit-on, si elle est de bonne famille, issue de nobles et illustres ancêtres; elle ira laver elle-même les pieds de l'étranger? Comment, ne serait-ce pas une honte? Une honte ! si elle ne les lave pas, entendez bien ; fût-elle mille et mille fois de plus noble famille, issue de plus nobles, de plus illustres ancêtres, elle est du même sang que celui dont elle lave les pieds; esclave, comme celui qu'elle soigne, et qui est son égal.

13. Méditez, considérez quel est Celui qui a lavé les pieds de ses disciples, et ne me parlez plus de noblesse, et ne me parlez plus de noble naissance. Le Maître, le Seigneur qui commande à la terre entière, le Roi des anges, il a lavé leurs pieds ! Il s'est mis un linge autour des reins, et il n'a pas lavé seulement les pieds de ses disciples, mais aussi les pieds de celui qui le trahissait ! Comprenez-vous, entre celui qui lavait et ceux qui étaient lavés, quelle distance il y avait ? Le Seigneur pourtant n'a rien voulu voir de toute cette distance, et le maître a lavé son esclave, afin que la femme esclave ne rougisse pas d'en faire autant à celui qui est esclave comme elle ; et, si le Seigneur a lavé les pieds du traître, c'est pour que vous ne disiez pas de l'étranger qu'il est trop vil, trop méprisable pour que vous lui donniez vos soins. Je veux qu'il soit vil et méprisable : il ne l'est pas autant que Judas; il ne vous a pas fait ce que Judas a fait à son Maître : après tant de bienfaits, il a été le trahir. Le Seigneur prévoyait tout cela, et il lui a lavé les pieds, pour montrer à nos yeux, dans la pratique, les lois qu'il nous impose, pour nous apprendre que, quel que soit notre rang et notre dignité, et quand les derniers de tous les hommes devraient venir chez nous demander l'hospitalité , ce n'est pas une raison pour nous de nous soustraire aux soins qu'ils réclament; ne rougissons pas de leur bassesse. Que fais-tu, ô femme ! à la vue d'un homme qui te porte . secours dans les affaires de la vie, qui t'assiste devant les juges ou dans quelque autre circonstance? Tu lui fais un accueil plein d'affection et tu lui baises les mains, et tu dépenses de l'argent, et tu partages les soins des servantes. A la vue du Christ qui t'arrive, tu recules et tu renonces à le servir! Si tu ne reçois pas l'étranger comme le Christ, ne le reçois pas; mais, si tu le reçois comme le Christ, ne rougis pas de laver les pieds du Christ. Et ne vois-tu pas combien de victimes de l'injustice se sont réfugiées aux pieds de ses images? Matière insensible, pourtant, bronze inanimé ! Mais, comme ce sont de royales images, on prend confiance; on s'assure que, de ces pieds que l'on touche, on recueillera quelque utilité. Et toi, quand tu vois non des pieds insensibles, non une matière sans âme, mais une image qui porte le Roi en elle; quand cette image vient vers toi, tu ne cours pas à sa rencontre ! Réponds-moi. Tu ne t'attaches pas à ses pieds, tu ne l'entoures pas de tous tes soins? Quelle pourrait être l'excuse de cette indifférence? Comment n'en pas rougir? Considère quel commerce exalte, ton orgueil, transporte ta vanité, toi qui rougis de prendre soin d'un étranger. Ce , commerce, c'est le commerce avec le démon; car le vain orgueil, voilà sa maladie. Si, au contraire, tu cours au-devant de l'étranger, considère quel est Celui dont tu suis l'exemple : tu imites ton Seigneur, tu fais l'action du Christ. Quelle honte, quel opprobre y a-t-il à faire comme le Seigneur? Réponds-moi. La honte ! je sais bien ce qui la produit : c'est d'avoir honte de ces soins, ç 'est de regarder comme un opprobre ce qu'a fait le Christ. Les pieds des saints ont un grand pouvoir quand ils entrent dans une maison : ils sanctifient le sol, ils introduisent dans la maison un trésor de biens innombrables; ils corrigent l'aveuglement de la nature; ils dissipent la famine ; ils amènent l'abondance. C'est ce que firent les pieds d'Elie entrant dans la maison de la veuve, où ils introduisirent une incroyable, une admirable abondance. La maison de la veuve devint un champ fertile; son vase devint un grenier. On vit alors une semence nouvelle, une moisson inouïe: la veuve semait dans la bouche du juste, et elle moissonnait dans son vase, avec une merveilleuse abondance, ce qu'elle avait semé; elle semait la farine, et elle moissonnait la farine. Elle n'a eu. besoin ni de boeufs, ni d'attelage, ni de charrue, ni de sillons préparés, ni de pluie, de (263) température favorable, de faux, de greniers, de gerbes, de van pour séparer le grain de la , . paille, ni de meule pour moudre; en un instant, dans son vase, elle a trouvé le couronnement de tous ses travaux: deux fontaines intarissables, une de farine, une d'huile, ont jailli à la voix du Prophète.

14. Tels sont les présents des saints : ils sont . abondants et ne coûtent aucune peine. Les fruits de la terre se consument; les fontaines où la veuve puisait chaque jour étaient inépuisables; la dépense et l'abondance luttaient à armes égales. Voilà les présents qu'apportent les pieds des saints, ou plutôt ils en procurent de bien plus considérables. Si ce n'était la crainte de trop allonger ce discours, je pourrais passer en revue un grand nombre de présents du même genre. De même que ceux qui les traitent avec honneur obtiennent d'eux de tels dons, de même ceux qui les méprisent s'attirent un redoutable supplice, la flamme, à laquelle on ne peut échapper. Qui le prouve? Ecoutez le Christ lui-même parlant à ses disciples : En quelque ville ou en quelque village que vous entriez, informez-vous qui est digne de vous loger, et demeurez là, et, en entrant, dites : Que la paix soit dans cette maison! (Matth. X, 11, 12.) Et, afin que vous ne disiez pas : de dépense de l'argent, je dissipe ce que j'ai en servant des repas aux étrangers, le Seigneur fait que celui qui entre dans votre maison est le premier à vous donner les présents de l'hospitalité, présents magnifiques, qui surpassent toutes les richesses. Quels sont-ils? La plénitude de la paix. Rien n'est comparable à la paix. Voyez avec quelle abondance de biens le saint fait son entrée dans une maison: la paix, ce n'est qu'un mot bien petit, mais qui renferme des, biens infinis. Quoi de plus sûr qu'une maison qui jouit de la paix? Les saints souhaitent la paix à ceux qui les reçoivent : ce n'est pas seulement la paix avec les autres, mais la paix avec nous-mêmes. En effet, il arrive souvent que nous sentons la guerre dans nos pensées; personne ne nous interpelle et nous sommes dans le trouble; les passions mauvaises se lèvent contre nous. Ce combat intérieur s'apaise à cette parole des saints, qui produit en nous une profonde tranquillité; car, aussitôt que le saint a prononcé cette parole, toute pensée inspirée par le démon, tout mauvais conseil est banni de notre âme. Et voilà comment vous recevez bien plus que vous ne donnez. Si cette maison volts reçoit, votre paix viendra sur elle; si elle ne volts reçoit pas, secouez la poussière de vos pieds. Je vous dis, en vérité, au jour du jugement, Sodome et Gomorrhe seront traitées moins rigoureusement. (Ibid. XIII, 15.) Voyez quel feu vengeur appellent, attisent les pieds des saints. Voilà pourquoi Dieu nous commande de laver ces pieds c'est afin que le soin que nous en aurons pris nous concilie la faveur de Dieu. Et,-en même temps, il nous avertit d'exercer par nous-mêmes tous les devoirs de l'hospitalité. Imitez Abraham, ô veuve ! devenez une fille d'Abraham. Il avait trois cent dix-huit esclaves, et lui-même partagea avec son épouse le fruit de l'hospitalité; lui-même apportait le veau, Sara pétrissait la farine. Empressez-vous de les imiter. Ce n'est pas seulement l'argent que l'on donne, mais lé soin que l'on prend en servant soi-même les pauvres, qui mérite de grandes récompenses. Voilà pourquoi les apôtres confièrent ce ministère aux sept parmi lesquels on comptait Etienne. (Actes, VI.) Sans doute, ils ne donnaient d'eux-mêmes rien aux pauvres; mais ils distribuaient sagement ce que les autres avaient donné, et ils ont mérité une grande récompense pour avoir distribué avec sagesse, avec une parfaite diligence, les dons qui provenaient des autres.

15. Devenez donc, vous aussi, les sages dispensateurs de vos biens , afin de recueillir un double fruit, et parce que vous donnez, et parce que vous distribuez vos dons avec sagesse. Ne rougissez pas de servir le pauvre, de vos propres mains; le Christ ne rougit pas de vous tendre la main, lui-même, en prenant la figure du pauvre; il ne rougit pas de recevoir; et vous rougiriez, vous, de tendre la main pour accorder le don ? ne serait-ce pas le comble de la démence? Je ne connais qu'une home, la pensée mauvaise, la cruauté qui n'a pas d'entrailles; mais, la tendresse du coeur, l'aumône, la charité, le soin que l'on prend des pauvres, voilà ce qui nous assure la gloire. Plus vous serez riches et opulents, plus vous vous acquerrerez toutes les louanges, quand vous vous abaisserez jusqu'au mendiant, jusqu'au pauvre qu'on méprise. Vous n'aurez pas seulement les louanges des hommes, mais celles de l'ange et du Dieu des anges ; et le Seigneur ne se contentera pas de vous louer, il vous décernera , en- retour, des présents, qui vaudront deux fois les vôtres; il ne se (264) contentera pas de récompenser en vous l'aumône, mais il récompensera largement l'humilité. Donc, ne rougissons pas de nous faire les serviteurs des pauvres; ne refusons pas de laver les pieds des étrangers; car nos mains se sanctifient par un tel ministère; et, quand votre prière les relève vers le ciel, après qu'elles se sont abaissées à ces soins, Dieu les voit, et il s'émeut plus facilement, et il accorde ce qui lui est demandé. Il est facile de donner de l'argent ; mais se faire le serviteur des pauvres, et les servir avec l'allégresse de l'amour et de la charité, avec une affection fraternelle, c'est là ce qui suppose une âme grande et vraiment sage; et c'est là ce que Paul demande à tous, avant toutes choses, quand il nous ordonne de compatir au sort des affligés, des pauvres, de ceux qui sont dans la tribulation, de nous représenter que nous-mêmes, nous sommes frappés comme eux: Souvenez-vous de ceux qui sont dans les chaînes, comme si vous étiez enchaînés avec eux. (Hébr. XII, 3.) Aussi ne se borne-t-il pas à ces paroles; mais, autre part, il dit encore : Si elle a secouru les affligés, en les servant; si elle s'est appliquée à toutes sortes de bonnes couvres. (I Tim. V, 10.). Que signifie, si elle s'est appliquée à toutes sortes de bonnes couvres? Si elle est entrée dans les prisons, si elle a visité ceux qui étaient dans les fers; si elle a été voir les malades, réconforter les affligés, consoler ceux qui sont dans la tristesse, et, si elle a fait tout ce qui dépendait d'elle, ne refusant absolument rien de ce qui a pour but le salut et la consolation de nos frères. S'il réclame , d'une veuve; tant de bonnes oeuvres, quelle sera notre excuse, à nous, qui nous appelons des hommes, de ne pas faire ce que Paul a prescrit à des femmes? Mais, peut-être me dira-t-on, comment réclame-t-il enfin, d'une veuve, d'une femme, tant de zèle, lui qui, quand il écrivait au sujet des vierges, n'a rien dit de pareil ? Il exige d'elles une vertu plus grande encore, car après avoir dit : Il y a celle qui est mariée, et celle qui est vierge. La vierge s'occupe du soin des choses du Seigneur, elle s'inquiète de lui plaire; il ajoute : Je vous dis ceci pour votre avantage, pour vous donner un moyen plus facile de prier Dieu, sans empêchement. (I Cor. VII, 31, 35.) Ce qui veut simplement dire, qu'il faut qu'une vierge, une fois qu'elle a renoncé à toutes les affaires de ce monde , se consacre à Dieu tout entière; n'ait plus rien qui l'attache à la terre; ne vaque pas, tantôt à certaines occupations, tantôt à d'autres occupations; mais, après avoir absolument renoncé à toute affaire, applique toute son âme,, aux- choses spirituelles. C'est évidemment ce que nous montre la parabole des dix vierges. Pourquoi sont-elles exclues de la chambre de l'époux? c'est parce qu'elles n'ont pas d'huile; or, l'huile n'est pas autre chose que la compassion, l'aumône, la bienfaisance, le soulagement apporté aux douleurs des victimes de l'injustice , la consolation donnée à ceux qui sont clans la tristesse. Et comme ces vierges n'avaient pas cette huile, elles ont dû se retirer sans honneur, loin de la chambre nuptiale.

16. Donc, puisque nous sommes instruits de toutes ces vérités, épouses, époux, vierges, femmes mariées, veuves, tous tant que nous sommes, appliquons-nous, de toutes nos forces, à l'aumône, et ne disons pas : Voilà un méchant, qui ne mérite pas un bienfait; voilà un être vil, voilà un être méprisable. Ne regardez pas aux mérites de celui qui a besoin . d'assistance et de secours; ne voyez que son indigence; il est, tant que vous voudrez, vil, méprisable, abject; quoi qu'il en soit pourtant; le Christ vous est aussi reconnaissant de votre bienfait, que s'il l'avait reçu lui-même, par la main du malheureux. Voici qui prouve que nous ne devons pas considérer les mérites de ceux qui reçoivent les bienfaits; écoutez la parole du Christ : J'ai eu faim, et vous m'avez donné et manger. (Matth. XXV, 35.) Et comme on lui disait : Quand donc avez-vous eu faim, et vous avons-nous donné à manger? Il ajoutait ces paroles : Autant de fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits, de mes frères, c'est à moi-même que vous l'avez fait. (Ibid., XXXVII, 40.) Ainsi, plus de prétexte! Pour prévenir notre résistance, nos paroles de ce genre: Où donc trouverons-nous, maintenant, un homme qui ressemble à Elie? un homme qui ressemble à Elisée? ou bien encore : Amenez-moi de tels hommes, et vous verrez avec quelle ardeur je les accueillerai; comme je ne refuserai pas de leur laver les pieds; de leur rendre toute espèce de soins; pour prévenir ces discours, voici que le Maître d'Elie, d'Elisée, et, de tous les prophètes, le Seigneur nous promet de venir vers nous, lui-même, sous la figure des pauvres, il nous dit : Autant de fois que vous l'avez. fait à l'un de ces plus petits, de mes frères, c'est à moi-même que vous l'avez fait.

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Mais gardez-vous de passer encourant sur ce qui a été dit; remarquez que cette parole, J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, contient quatre nécessités de l'aumône : la confiance que mérite celui qui demande, parce que c'est le Seigneur qui demande; la nécessité qui le presse, parce plue c'est la faim ; la facilité de lui donner ce qu'il demande, parce qu'il ne cherche que de la nourriture, il ne demande que du pain, et non des choses délicieuses; la grande récompense à attendre, puisque, pour si peu de chose, ce qui est promis, c'est la royauté. Etes-vous un homme sans entrailles, sans pitié, un être cruel? respectez, redoutez la dignité de celui qui demande. La considération de cette dignité ne vous suffit pas? Soyez du moins fléchi par le, malheur. Niais le malheur ne vous fléchit pas, n'excite pas vôtre pitié? il est si facile d'accorder ce qu'on demande, donnez. Mais, ni la dignité, ni la nécessité pressante, ni la facilité de donner ne peuvent vous persuader? Eh bien alors, ne voyez que la grandeur des biens qui nous sont annoncés, et donnez à l'indigent. Comprenez-vous qu'il y a quatre causes? fussiez-vous des pierres, des avares, des êtres sans yeux et sans coeur, les plus stupides de tous les hommes, quatre causes suffisantes pour voua exciter? Quel pardon pourrait mériter ceux qui, après tant d'exhortations et de conseils, mépriseraient les indigents? Je veux dire, je veux ajouter encore, à ces considérations, une considération nouvelle; écoutez, vous qui êtes initiés. Lui-même, Lui, quand il faut vous nourrir, n'épargne pas sa propre chair; quand il faut vous abreuver, n'épargne pas son propre sang; il ne vous le refuse pas, et vous, vous ne donnerez pas, même un peu de pain, pas même un verre d'eau? Quel pardon enfin obtiendrez-vous, vous qui avez reçu tant de biens, si précieux, et qui êtes, pour de si petites choses, si avares? Prenez garde, qu'en refusant, trop souvent, de faire, avec le Christ, une dépense qui profite, vous ne fassiez, avec le démon, une dépense lui (larme. Ce que nous ne donnons pas aux pauvres; nous le donnons aux esprits menteurs; la plupart du temps, les voleurs, ou des serviteurs malfaisants, nous emportent nos richesses, et s'en vont; ou c'est encore quelqu'autre coup du hasard, qui nous ravit notre bien. Supposez que nous évitions tous ces accidents, la mort survient, qui nous emmène, nus. Evitons ces malheurs; hâtons-nous de donner au Christ, qui nous demande; mettons notre fortune en réserve dans un trésor qu'aucun brigand ne menace; qui nous assure que la fortune est bien gardée, et rapporte. Car, il ne suffit pas au Christ, de garder avec soin ce qu'il a reçu, il veut vous le rendre encore, avec. un ample profit; gardons-nous donc de croire que nous diminuons nos ressources, quand nous faisons l'aumône. Elles ne diminuent pas, elles croissent; elles ne se dissipent pas, elles multiplient; c'est un commerce à gros bénéfices; ce sont des semailles avant la moisson; ou plutôt, plus que toute semaille, plus que tout commerce, voilà qui est profitable et assuré. Le commerce est exposé aux vents, aux flots, aux naufrages sans nombre ; il faut craindre, pour les semences, la sécheresse, la pluie, toutes les intempéries, toutes les variations funestes de l'air; mais l'argent déposé dans la main du Christ, est à l'abri de tous les dangers. Nul ne peut le ravir à. cette main divine, une fois qu'elle a reçu ce qu'on lui a confié. L'argent reste là, produisant des intérêts ineffables, une moisson, qui se montre, quand le temps arrive, d'une ineffable magnificence. Celui qui sème peu, moissonnera peu, celui qui sème avec abondance, moissonnera aussi avec abondance. (II Cor. IX, 6.) Semons donc avec abondance, afin de recueillir aussi des moissons abondantes, afin de jouir de- la vie éternelle; puissions-nous tous l'obtenir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dais les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. C. PORTELETTE.
 

 

 

 

 

HOMÉLIE SUR CE SUJET: QU'IL NE FAUT PAS DIVULGUER LES DÉFAUTS DE SES FRÈRES NI PRIER POUR QU'IL ARRIVE DU MAL A SES ENNEMIS.
AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

L'homélie qu'il ne faut pas divulguer les défauts de ses frères, précéda d'un jour celle qui a pour sujet qu'il ne faut paf désespérer de soi-même. La date est incertaine.

1° et 2° L'Eglise guérit les âmes; elle. ne vend pas ses remèdes; ceux-ci conservent une efficacité qui est toujours la même; ils agissent sur toutes les personnes de bonne volonté, sur les pauvres mieux encore que sur les riches. — 3°- 4° La richesse et la pauvreté, choses en soi indifférentes, deviennent bonnes ou mauvaises par l'usage que l'on en fait. — 5° Le démon redouble la vigueur de ses attaques contre nous lorsque nous prions. — 6°- 9° Je vous parlais hier de la puissance de la prière et voici que la lecture d'aujourd'hui nous fournit une preuve de cette même puissance. La prière a donné un enfant à Isaac dont la femme était stérile. Isaac pria vingt ans. Sarra, Rébecca, Rachel, Elisabeth enfantèrent malgré leur stérilité naturelle afin de préparer .lés hommes à la foi dans l'enfantement, beaucoup plus miraculeux, d'une vierge. — 10° - 11° C'est faire outrage à Dieu que de demander la punition de nos ennemis.

1. Je vous félicite, mes bien-aimés, du zèle qui vous fait tous accourir dans la maison de votre Père ; ce zèle que vous témoignez, est un garant de la santé de votre âme, et nous sommes rempli de confiance; c'est qu'aussi c'est une admirable médecine, que l'enseignement de l'Eglise ; médecine, non du corps, mais de l'âme; médecine spirituelle, qui ne guérit pas les blessures de la chair, mais les péchés de l'esprit. Quel est, pour ces péchés, pour ces blessures, le remède? la doctrine. Ce remède ne se compose pas de plantes arrachées à la terre; mais de paroles descendues du ciel: ce ne sont pas des mains de médecins qui le préparent, c'est la langue des prophètes. Aussi son efficacité se manifeste sans relâche; la longueur du temps ne l'affaiblit pas; la violence des maladies n'en triomphe pas. Les remèdes des médecins sont défectueux de deux manières: au moment où on les applique, ils montrent leur énergie; après un long temps, semblable à des corps que brise la vieillesse, ils deviennent sans force; bien plus, très-souvent, la maladie triomphe des remèdes, qui ne sont que des produits de l'homme. Il n'en est pas de même de la médecine de Dieu; après un long intervalle de temps, le remède conserve toute son énergie propre. Depuis les temps de Moïse (car c'est à lui que commencent les Ecritures), depuis tant d'hommes que le remède a guéris, il conserve encore l'efficacité qui lui est propre. Jamais maladie n'en a triomphé; ce remède ne se vend pas; celui qui montre une volonté sincère, une sainte affection, emporte chez lui le remède dans toute sa vertu. C'est pourquoi riches et pauvres jouissent également de cette médecine. Quand il faut dépenser de l'argent, le riche est seul admis à profiter du remède. Il faut souvent que le pauvre s'en prive , faute de ressources pour se le procurer. Mais ici, comme il n'y a pas à faire de dépense d'argent, qu'il suffit de la foi et de la bonne volonté, celui qui peut faire cette dépense , et se plaît à la faire, tire du remède la plus grande utilité. (268) C'est là le paiement qu'on exige pour cette médecine; et le riche et le pauvre sont admis également à en profiter, ou plutôt ils ne sont pas admis également à ce profit : bien souvent le pauvre en retire une utilité plus grande. Pourquoi? c'est que le riche est préoccupé de mille soucis, l'orgueil le gonfle, son opulence le rend superbe, il passe sa vie dans une majestueuse indolence; il n'a ni application ni zèle; il reçoit d'un air indifférent le remède que lui offre l'Ecriture ; au contraire, le pauvre, qui ne connaît ni les délices, ni le luxe, ni la vie indolente et relâchée, qui passe tous ses jours dans le travail des mains, dans dés fatigues légitimes, en retire un accroissement considérable de sagesse ; il devient plus attentif, plus fort ; il recueille avec plus de soin la parole. Aussi, comme il paye un plus grand prix, il emporte; en se retirant , un profit plus considérable.

2. Mon intention n'est pas, en parlant ainsi, de blâmer, quels qu'ils soient, tous les riches, de vanter quels qu'ils soient, tous les pauvres; car les richesses ne sont pas un mal , ce qui est un mal, c'est l'abus; la pauvreté n'est pas un bien, ce qui est un bien, c'est le bon usage de la pauvreté. Ce riche du temps de Lazare, n'a pas été tourmenté parce qu'il était riche, mais parce qu'il était cruel et sans entrailles. Ce pauvre , porté dans le sein d'Abraham, n'a pas été célébré parce qu'il était pauvre, mais parce qu'il supportait sa pauvreté, en rendant à Dieu des actions de grâces. En effet, parmi les choses (faites attention, je vous en prie, soyez bien appliqués à suivre ce discours; vous pourrez y trouver la sagesse dont vous avez besoin; il pourra chasser loin de vous les pensées mauvaises, vous apprendre à bien juger ce que sont les choses en réalité); donc, parmi les choses, les unes sont naturellement bonnes ; les autres, naturellement mauvaises : il en est qui ne sont ni bonnes, ni mauvaises, mais indifférentes par elles-mêmes. C'est une bonne chose en soi que la piété; une mauvaise chose, que l'impiété; une bonne chose que la vertu, une mauvaise chose que la perversité. Quant à la richesse, quant à la pauvreté, elles ne sont, en soi, ni bonnes ni mauvaises. C'est la volonté des riches ou des pauvres; qui les fait ou bonnes ou mauvaises. Si vous vous servez de votre fortune,"pour pratiquer la charité, elle devient, pour vous, la matière d'une chose essentiellement bonne; si, au contraire, vous l'employez à faire des rapines , à vous agrandir sans mesure, à commettre des injustices, vous en avez corrompu l'usage; ce n'est pas la faute de la richesse, mais de celui qui l'emploie pour commettre des injustices. Même observation sur la pauvreté. Si vous la supportez noblement, en bénissant le Seigneur, elle devient pour vous une occasion, un moyen d'acquérir des couronnes; si, au contraire, parce que vous êtes pauvres, vous blasphémez le Créateur, si vous accusez sa providence, vous faites servir à mal la pauvreté. Et ici, ce n'est pas à la pauvreté que nous imputerons le blasphème, mais à celui qui ne la supporte pas sagement; car, il est toujours vrai que l'éloge et le blâme ne sont dus qu'à notre intention, à notre volonté. Les richesses sont un bien, mais non d'une manière absolue, un bien, seulement pour celui qui est sans péché. Et maintenant, la pauvreté est un mal, mais non d'une manière absolue: un mal, pour l'impie, parce qu'il ne s'y résigne pas, parce qu'il s'indigne, parce qu'il accuse son Créateur.

3. Donc, n'accusons pas la richesse, ne blâmons pas la pauvreté d'une manière absolue; blâmons seulement ceux qui ne savent pas s'en servir. Quant aux choses, elles sont, d'elles- mêmes , indifférentes. Nous disions donc (il est bon de reprendre notre première pensée), que le riche et le pauvre jouissent avec une égale abondance, avec une égalé con. fiance, de nos remèdes; nous ajoutions que souvent le pauvre se les applique avec un plus grand zèle. La première vertu de ces remèdes, ce n'est pas de guérir les âmes, ce n'est pas de conserver longtemps leur efficacité, ce n'est pas de triompher des maladies, ce n'est pas, d'être gratuitement utiles, également offerte aux riches et aux pauvres; ils ont encore une autre vertu qui ne le cède en rien à ces autres, avantages , si précieux. Quelle est donc cette vertu ? C'est que ceux qui viennent chercher leur guérison, nous ne les faisons pas connaître au public ; les malades qui vont trouver les médecins du monde, ont un grand nombre de spectateurs qui voient leur plaie ; il faut que le médecin la découvre, avant d'y appliquer le remède : ici, on ne procède pas de la même manière, nous voyons des malades sans nombre, et notre cure est secrète. Et en effet; nous ne faisons pas comparaître les pécheurs pour divulguer leurs péchés; nous proposons, à tous, la doctrine qui leur est commune, et nous laissons à la conscience des auditeurs le (269) soin. de dégager, des paroles entendues, la médecine qui convient, pour chacun , à sa propre blessure. De la langue de l'orateur jaillit la doctrine, qui blâme le vice, célèbre la vertu, réprimande la luxure, recommande la chasteté, accuse l'orgueil, exalte la modestie; c'est comme une médecine variée et multiple, composée de toutes les espèces de remèdes. Maintenant, que chacun prenne ce qui lui convient, ce qui lui est utile, c'est la tâche de chacun des auditeurs. Le discours se montre .donc ouvertement, il entre dans la conscience de chacun, il fait, d'une manière latente, la cure qu'on espère, et plus d'une fois, avant que la maladie ait été divulguée, il a rendu la santé.

4. Hier, assurément, vous avez entendu l'éloge que j'ai fait de la vertu de la prière, le blâme, que j'ai adressé à ceux qui la négligent, et cependant je n'ai montré du doigt personne, d'où il est arrivé, clac tous, ceux d'entre vous qui ont conscience de leur zèle pour prier, se sont appliqué l'éloge qui a été fait de la prière ; et que cet éloge a ranimé leur zèle : que ceux, au contraire, qui ont la conscience de leur négligence, se sont appliqué le reproche, et ont renoncé à leur négligence. Cependant ni les uns ni les autres ne nous sont connus, et ce fait que nous ne les connaissons pas, est utile pour les uns comme pour les autres. J'explique comment : Celui qui a entendu l'éloge de la prière, et qui a la conscience de son exactitude à prier, s'il voyait un grand nombre d'hommes témoins des éloges qu'on lui adresse, tomberait dans l'orgueil ; mais, comme il reçoit l’éloge en secret, il est à l'abri de toute ostentation. D'un autre côté, celui qui a conscience de sa négligence, et qui entend le reproche, se corrige par ce reproche, parce qu'il ne voit aucun témoin de la réprimande qu'il subit; ce qui n'est pas pour lui d'un médiocre avantage. Nous sommes assujettis à l'opinion du vulgaire, et, tant que nous croyons nos fautes ignorées, nous nous sentons le goût de devenir meilleurs; mais , une fois que nos fautes sont connues de tous, que nous perdons la consolation d'être vicieux en secret, alors notre impudence, notre négligence. grandit. Et, de même que les plaies mises à découvert , toujours exposées à l'air froid, s'enveniment; de même l'âme coupable, réprimandée publiquement pour ses fautes, devient plus éhontée. Malheur que notre discours s'est encore secrètement proposé de prévenir. Voulez-vous comprendre toute l'utilité de cette médecine secrète? Ecoutez la parole du Christ : Si votre frère a péché contre vous, représentez lui sa faute; il ne dit pas : En prenant la cité, ni en prenant le peuple à témoin, mais : En particulier, entre vous et lui. (Math. XVIII, 15.) Que l'accusation se produise sans témoin , dit-il, afin que la conversion soit facile. C'est donc un grand bien, que l'exhortation ne soit pas publique; il suffit de la conscience , il suffit de ce juge incorruptible. Vous ne pouvez réprimander le pécheur, comme fait sa propre conscience (car c'est là son accusateur le plus sévère) ; vous ne pouvez non plus connaître aussi exactement ses fautes; n'ajoutez donc pas, aux blessures, une blessure nouvelle, en allant dire partout qu'un tel a péché ; mais exhortez le pécheur, en l'absence de tout témoin. C'est ce que nous faisons nous-mêmes, en ce moment, imitant la conduite de Paul, lorsqu'il accuse, auprès des Corinthiens, un pécheur, en l'absence de tout témoin. Soyez attentifs , voyez comment. Au reste , mes frères, j'ai proposé ces choses sous mon nom, et sous celui d'Apollo. (I Cor. IV, 6.) Or, ce n'était ni lui ni Apollon qui avaient partagé le peuple, qui avaient divisé l'Eglise. Il enveloppe et dissimule l'accusation ; son nom et celui d'Apollo sont comme des masques dont il se sert pour couvrir les coupables, et leur permettre de se corriger de leur méchanceté. Et encore : De peur que Dieu ne m'humilie, et que je ne sois obligé, lorsque je serai revenu chez vous, d'en pleurer plusieurs qui ont déjà péché, et qui ne se sont pas repentis de leurs impuretés, et de leurs fornications. (II Cor. XII, 21.) Voyez comme il désigne d'une manière générale et indéterminée les pécheurs, ne voulant pas qu'une accusation manifeste les expose à montrer plus d'impudence. Eh bien donc ! Si nous administrons les réprimandes en gardant tous ces ménagements, vous, à votre tour, je vous y exhorte, recevez, de votre côté, avec un zèle parfait, la correction qui vous redresse; appliquez-vous, avec soin, à écouter la Parole.

5. Hier, nous vous avons entretenus de la vertu de la prière, je vous ai montré comment, lorsque nous prions, le démon, n'écoutant que sa malice, nous dresse des piéges. En effet, comme il voit due nous retirons de la prière le plus grand profit, c'est alors qu'il nous livre (270) l'assaut le plus formidable, parce qu'il veut nous enlever notre justification, parce qu'il veut nous renvoyer chez nous les mains vides. Voyez ce qui se passe auprès des princes ! si les satellites, si ceux qui font escorte au prince détestent les personnes qui viennent trouver le prince, ils les écartent à coups de verges, leur défendent d'approcher, de lui faire entendre leurs plaintes, d'éprouver les effets de sa clémence. C'est la conduite que tient le démon à l'aspect des hommes qui s'approchent de leur juge; il les en écarte, non à coups de verges, mais en leur inspirant une lâche indolence. Car il sait, il sait parfaitement que, si notre prévoyance, notre vigilance nous approchent du souverain Juge, que si nous confessons nos péchés, que si, dans la ferveur qui nous anime, nous versons des larmes sur nos fautes, nous obtiendrons une grande miséricorde. Dieu est si bon ! voilà pourquoi le démon prend les devants, et pourquoi il nous empêche de nous rencontrer avec Dieu, de l'entretenir; il ne veut pas que nous obtenions rien de ce que nous demandons.

C'est avec violence que les satellites- des magistrats écartent les personnes qui veulent s'approcher d'eux; le démon, au contraire, n'est pas violent, mais trompeur, et c'est à la négligence qu'il nous pousse. Aussi, sommes-nous impardonnables de nous priver nous-mêmes de notre vrai bien. L'ardente prière, c'est la lumière de l'esprit, c'est la lumière de l'âme, lumière qui ne s'éteint pas, lumière éternelle. Aussi le démon jette-t-il dans nos esprits d'innombrables pensées qui nous souillent, des pensées que nous n'avons jamais eues; il choisit le temps de la prière pour les rassembler, pour les verser dans notre âme. Et de même que fréquemment des vents contraires éteignent la lumière d'une lanterne, ainsi, quand le démon voit la flamme de la prière allumée en nous, il ne prend pas de repos qu'il ne l'ait éteinte. Faisons comme ceux qui allument ces lanternes. Que font-ils donc? quand ils voient le vent souffler avec violence, ils mettent le doigt sur le trou de la lanterne pour intercepter l'air. En effet tant que le démon s'élancera sur nous du dehors, nous pourrons résister; mais, si nous lui ouvrons les portes de notre pensée, si nous introduisons l'ennemi dans la place, impossible alors d'opposer la moindre résistance. Notre mémoire complètement éteinte par le démon est comme la lanterne qui n'éclaire plus, qui fume; notre bouche n'exhale plus que des paroles vaines ; mais de même qu'on met le doigt sur le trou de la lanterne, de j même, protégeons notre pensée par la raison, interceptons le passage au malin esprit, pour qu'il n'éteigne pas là lumière de notre prière. Vous êtes-vous bien mis dans la tête ce double exemple, d'une part, des soldats (lui escortent les magistrats; d'autre part, de la lanterne? Si nous vous proposons ces exemples, ici, à là place où nous sommes, c'est afin que, quand vous serez partis d'ici, rentrés chez vous, les objets que vous aurez sous la main, vous rappellent nos paroles. C'est une grande arme que la prière, c'est une grande sécurité.

6. Hier, vous avez entendu comment les trois jeunes hommes chargés de chaînes, ont réprimé la violence du feu, ont foulé aux pieds la flamme, ont vaincu la fournaise, ont triomphé des éléments. Ecoutez maintenant comment ce généreux et grand Isaac a vaincu, par la prière, la nature même de notre corps. Ces trois jeunes hommes ont réduit à néant l'énergie du feu; Isaac aujourd'hui a rompu les lieus qui mutilaient la nature. Apprenez comment il s'y est pris. Isaac,dit le texte, priait pour son épouse , parce qu'elle était stérile. ( Gen. XXV, 21.) C'est la lecture d'aujourd'hui; l'entretien d'hier était sur la prière, et, aujourd'hui, voici que se rencontre la démonstration de la vertu de la prière. Voyez-vous, comme, par la grâce de l'Esprit qui dispose toutes choses, il arrive que la lecture d'aujourd'hui se rapporté à la lecture d'hier? Isaac priait, dit le texte, pour son épouse Rébecca, parce qu'elle était stérile. Avant tout, ce qu'il faut chercher, c'est pourquoi elle était stérile. Sa vie était admirable, sa chasteté exemplaire, et son mari lui ressemblait. Nous ne pouvons pas censurer la' vie des personnes justes, nous ne pouvons pas dire que la stérilité soit un effet du péché. Rébecca ne fut pas seule stérile, la mère d'Isaac aussi avait été stérile, Sarra, qui le mit au monde, et non-seulement sa mère, non-seulement son épouse, mais sa belle-fille aussi, Rachel, épouse de Jacob. Que signifie cette foule de femmes stériles? tous ces personnages étaient justes, tous étaient doués de vertus, tous approuvés par le témoignage de Dieu. C'est d'eux en effet qu'il dit : Je suis le Dieu d'Abraham et le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob. (Exode, III, 6.) Paul; en parlant d'eux, s'exprime ainsi : Aussi Dieu ne rougit point d'élire appelé leur (271) Dieu. (Hébr. XI, 10.) Leur éloge se trouve souvent dans le Nouveau Testament, souvent dans l'Ancien. lis étaient à tous égards nobles, illustres, et tous avaient des femmes stériles, et ils ont vécu longtemps sans enfants. Donc, quand vous voyez un mari et une femme passant leur vie dans les prescriptions de la vertu, dans la religion, dans la piété, et sans enfants, gardez-vous de croire que la stérilité soit une punition des péchés. Il y a beaucoup de raisons de la Providence divine que nous ne connaissons pas; nous devons toujours rendre à Dieu des actions de grâces, et il ne faut regarder comme malheureux que ceux qui se souillent par leurs vices, et non ceux qui n'ont pas d'enfants. Souvent Dieu se propose notre utilité même dans les choses qui nous paraissent désavantageuses, mais nous, nous ne voyons pas la cause des événements, c'est pourquoi il faut toujours célébrer sa sagesse. et glorifier son ineffable bonté.

7. Les réflexions présentes peuvent être utiles à nos moeurs, il nous faut toucher ici la cause de la stérilité de ces femmes. Quelle en fut donc la cause? Dieu a. voulu que, quand vous verriez une Vierge enfanter notre Dieu; notre commun Seigneur, vous ne refusiez pas votre foi. Exercez donc votre pensée, réfléchissez sur cette stérilité quand vous voyez celles qui n'étaient pas fécondes, que la nature avait condamnées, démentir la nature et devenir mères, ne vous étonnez pas qu'une Vierge soit devenue mère aussi, disons mieux, soyez toujours pénétrés d'admiration, admirez avec stupeur, mais ne refusez pas votre foi aux miracles. Quand un juif vous dira : comment une vierge est-elle devenue mère? répondez-lui, vous: comment est-elle devenue mère celle qui était stérile et accablée par la vieillesse? Deux obstacles alors; l'âge avancé, l'incapacité de la nature. Dans la Vierge, il n'y avait qu'un obstacle, c'est qu'elle ne connaissait pas le mariage. La femme stérile ouvre donc la voie à la Vierge. Et ce qui vous prouve que c'est là le motif qui fait que l'Ecriture montre d'avance aux hommes, des femmes stériles,que l'Ecriture a voulu assurer votre foi à l'enfantement par une Vierge, écoutez les paroles que lui adresse Gabriel; il vient, et lui dit : Vous concevrez dans votre sein et vous enfanterez un fils à qui vous donnerez le nom de Jésus. (Luc, I, 31.) La Vierge s'étonna , admira, et dit : Comment cela se fera-t-il, car je ne connais point d'homme? Que répond l'ange alors? Le Saint-Esprit surviendra en vous. (Ibid. XXXIV, 35.) Ne vous inquiétez pas de la nature, lui dit-il; puisque ce qui se passe est supérieur à la nature; ne considérez pas le mariage ordinaire, les douleurs de l'enfantement; le mode de la génération présente est supérieur à tous les mariages. Comment cela se fera-t-il, dit-elle, car je ne connais point d'homme? Eh bien ! cela se fera justement parce que vous ne connaissez point d'homme. En effet, si vous aviez connu un homme, vous n'auriez pas été jugée digne de servir à ce ministère. Croyez donc précisément par la raison même qui vous porte à ne pas croire. Quant à ce que je dis, que vous n'auriez pas été digne de servir à ce ministère, ce n'est pas que le mariage soit un mal, mais c'est que la virginité vaut mieux. Il convenait à Notre-Seigneur de prendre, pour son entrée dans le monde, la route la plus auguste; c'est un roi, le roi fait son entrée par la route la plus auguste. Il fallait qu'il fût engendré, et engendré d'une manière différente. Cette double nécessité est satisfaite ici; il naît des entrailles d'une mère, voilà ce qu'il a de commun avec nous; il naît sans qu'il y ait eu mariage, voilà ce qui dépasse notre condition. Etre porté; être conçu dans le sein d'une femme c'est ce qui appartient à la nature humaine, mais maintenant qu'aucun commerce charnel n'ait suscité la conception, c'est un privilège auguste, supérieur à la nature humaine. Voilà donc pourquoi ces deux caractères se montrent dans cette naissance, c'est afin que vous appreniez combien l'enfant qui naît est supérieur à notre nature, et combien, entre notre nature et lui, se rencontrent de liens communs.

8. Et maintenant, considérez la parfaite sagesse qui se manifeste ici; ni cette supériorité si haute n'altère en rien la ressemblance, la parenté qui l'unit à. nous; ni cette parenté que nous avons avec lui, n'obscurcit en rien l'éclat de cette supériorité; ressemblance et supériorité ont parti en toutes choses; d'une part, ressemblance parfaite, d'autre part, complète différence. Quant à ce que j'ai dit, que les femmes stériles ont précédé , afin que l'enfantement d'une Vierge fut accepté par la foi, afin que cette Vierge fût conduite comme par la main, à croire à la promesse qu'elle entendait de la bouche de l'ange : Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre; c'est ainsi, dit-il, que vous (272) enfanterez. Ne regardez pas la terre, c'est du ciel que vient la vertu efficace, c'est la grâce de l'Esprit qui opère ; oubliez la nature et les lois du mariage. Toutefois, comme ces paroles dépassaient son esprit, il ajoute une autre démonstration. Considérez comme la stérilité lui sert à produire la foi nécessaire ici. Les paroles qu'il avait prononcées n'étant pas comprises de la Vierge, voyez comme il abaisse son discours pour la conduire à la foi qu'il réclame d'elle, comme il se sert de choses sensibles: Sachez, dit-il, qu'Élisabeth, votre cousine, a conçu aussi elle-même un fils dans sa vieillesse, et voici le sixième mois de la grossesse de celle qui est appelée stérile: (Luc, t, 36.) Comprenez-vous bien que cette stérilité n'a eu lieu qu'en vue de la Vierge? Car pourquoi lui parle-t-il de la grossesse de sa cousine? pourquoi dit-il dans sa vieillesse? pourquoi ajoute-t-il de celle qui est appelée stérile. ? Il employait tous ces moyens pour obtenir la foi due à l'Annonciation. Voilà pourquoi il parle et de l'âge, et du défaut de la nature; voilà pourquoi il a attendu qu'un certain temps se fût écoulé depuis le jour de la conception. En effet, il ne la lui a pas annoncée tout de suite, il a attendu six mois, de manière que la grossesse indiquât la conception , et que la démonstration de cette conception fût incontestable. Et maintenant , considérez encore la sagesse de Gabriel ; il ne lui parle pas de Sarra, ni de Rébecca, ni de Rachel, quoique ces femmes eussent été stériles et fort avancées dans la vieillesse, et que leur fécondité ait été un miracle; mais c'étaient d'anciennes histoires. Or, les faits nouveaux ci de date récente qui arrivent de nos jours, ont beaucoup plus de force que les anciens pour nous persuader à croire au miracle. Voilà pourquoi, laissant de côté ces vieux exemples, Gabriel lui propose celui de sa cousine, pour l'amener à conclure de ce fait ce qui devait lui arriver à elle-même de l'enfantement de sa cousine, le mystère redoutable et vénérable de l'enfantement qui devait, elle aussi, la rendre mère. Cet enfantement d'Élisabeth tient le milieu entre l'enfantement ordinaire et l'enfantement qui produisit le Seigneur; moins merveilleux que l'enfantement virginal, mais plus merveilleux que l'enfantement de nos mères. De sorte qu'Élisabeth était comme un pont qui lui servait à faire passer l'esprit de la Vierge de l'enfantement naturel à l'enfantement qui surpasse la nature.

9. J'aurais bien voulu ajouter encore d'autres réflexions, et vous donner d'autres raisons de la stérilité de Rébecca et de Rachel; mais le temps me presse, et je me hâte de vous montrer la vertu de la prière; car toutes nos digressions ont eu pour but de vous faire comprendre l'efficacité des prières d'Isaac pour faire cesser la stérilité de son épouse, et la longueur du temps qu'ont duré ces prières. Isaac, dit le texte, priait pour Rébecca son épouse, et Dieu l'exauça. (Gen. XXV, 21.) N'allez pas croire qu'il invoqua Dieu et qu'aussitôt il fut exaucé. Il employa beaucoup de temps à prier Dieu. Si vous voulez savoir combien de temps, je vous le dirai d'une manière précise : Vingt ans bien comptés, employés à prier Dieu. Qui le prouve? La suite même des événements. Car l'Écriture, voulant nous montrer la foi, la patience et la sagesse de l'homme .juste, a révélé jusqu'au temps, quoique un peu à mots couverts, pour réveiller nos esprits engourdis. Toutefois, elle n'a pas voulu que l'on pût s'y tromper. Écoutez donc, voyez de quelle manière elle nous a révélé le temps, à mots couverts. Or, Isaac avait quarante ans lorsqu'il épousa Rébecca, fille de Bathuel, le Syrien. (Gen. XXV, 20.) Avez-vous entendu l'âge qu'il avait, quand il se maria? Quarante ans, dit le texte, quand il épousa Rébecca. Maintenant que nous savons son âge, quand il se maria, apprenons aussi à quel âge il eut des enfants, combien d'années il avait quand il engendra Jacob; ce qui nous montrera: combien de temps sa femme est demeurée stérile, et nous fera voir aussi, que; pendant tout ce temps-là, il priait Dieu. Combien d'années donc avait-il quand il engendra Jacob? Jacob, dit le texte, sortit, tenant de sa main le pied de son frère. C'est pourquoi il l'appela Jacob, et l'autre Ésaü. Isaac avait soixante ans lorsque ces deux enfants lui naquirent. (Gen. XXV, 25, 26.) Donc, s'il avait quarante ans quand il épousa Rébecca, et soixante ans, quand ses fils lui naquirent, il est clair que son épouse est demeurée stérile pendant vingt ans, et que, pendant tout. ce temps-là, Isaac priait Dieu.

10. Eh bien! ne rougissons-nous pas, ne sommes-nous pas confondus, quand nous voyons ce juste, pendant vingt ans, attendre, sans perdre l'espoir, tandis que nous, trop souvent, après une ou deux demandes, nous nous décourageons, nous nous indignons; et cependant cet homme juste était en grande faveur auprès de (273) Dieu il se résignait à voir le don différé; il attendait avec patience; mais nous, souillés de péchés sans nombre, nous en qui habite une conscience tourmentée, nous qui n'avons aucune affection pour le Seigneur, si nous ne sommes pas exaucés avant d'avoir parlé, nous perdons courage, nous nous indignons, nous renonçons à la prière; ce qui fait que, nous nous en allons toujours les mains vides. Quel homme a prié Dieu pendant vingt ans, faisant toujours . la même prière, comme a fait ce juste ? Disons mieux, quel homme a prié Dieu vingt mois seulement?

Hier, je vous disais qu'il y a beaucoup de personnes qui prient négligemment, en s'étirant les bras, en se retournant sans cesse, montrant, tonte espèce d'inattention lorsqu'elles prient. Mais aujourd'hui, je découvre un autre vice .dans les prières, et bien plus funeste que la négligence. Beaucoup de personnes se prosternent, se jettent par, terre, frappant le sol de leur front, pleurant à chaudes larmes, poussant, du fond de leur poitrine, d'amères gémissements, étendant les mains, montrant un zèle ardent, et se servant de cette ferveur , de cette ardeur passionnée , d'une manière contraire à leur salut. C'est que ce n'est pas parce qu'elles ont péché, que ces personnes prient Dieu ; ce n'est pas le pardon de leurs propres fautes qu'elles lui demandent; ce zèle, elles le déploient tout entier, uniquement contre leurs ennemis, comme ferait celui qui, après avoir aiguisé le glaive, au lieu de l'employer comme il convient, l'en, foncerait dans sa propre poitrine. De même, ces gens-là ne demandent pas que leurs propres péchés leur soient remis; c'est à obtenir la punition de leurs ennemis qu'ils font servir leurs prières, ce qui est tourner le glaive contre soi-même. C'est une invention du démon, qui veut que nous nous perdions nous-mêmes par tous les moyens, et par notre négligence, et par notre zèle. Car, tandis que les. uns, négligeant la prière, irritent Dieu, parce que leur négligence montre leur mépris, les autres témoignent d'un grand zèle, mais ce zèle, ils l'emploient contre leur propre salut. Un tel, dit le démon, cède à l'indolence, cela me suffit; il n'obtiendra jamais aucun bien; cet autre est plein de zèle, toujours éveillé, que va-t-il arriver de lui ? Je ne peux pas éteindre son zèle, ni le précipiter dans le mépris de la prière; j'emploierai un autre moyen pour le perdre. Quel est donc enfin ce moyen? Je ferai eu sorte qu'il emploie son zèle à violer la loi; car, prier pour qu'il arrive du mal â ses ennemis, c'est violer la loi. Il s'en ira donc de l'église, non-seulement n'ayant tiré aucun profit de son zèle, mais encore ayant subi un plus grand dommage que celui qui résulte de la négligence; voilà les artifices du. démon. Les uns, il les perd par leur négligence; les autres, parleur zèle même, lorsqu'ils n'emploient pas ce zèle conformément à la loi de Dieu.

11. Mais il convient de les entendre un peu, ces prières, ces prières puériles, vraies prières d'enfant; j'ai honte, je l'avoue, de les réciter, mais il est absolument nécessaire de les dire, d'imiter ce langage d'un ignorant mal élevé. Quelles sont donc ces prières? Vengez-moi de mes ennemis, montrez-leur que j'ai Dieu pour moi, moi aussi. Mauvaise manière de montrer, ô homme, que nous avons Dieu pour nous, que de céder ainsi, nous livrer à la fureur, à la colère, à la bile. Si Dieu est avec nous, montrons-le, par notre modestie, par notre douceur, par la perfection de notre sagesse. C'est ainsi que Dieu nous dit : Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres, et qu'ils glorifient votre Père, qui est dans les cieux. (Matth. V, 16.) Ne voyez-vous pas que vous faites injure à Dieu, quand, pour nuire à vos ennemis, vous osez prier Dieu? Et comment est-ce lui faire injure, me dit-on? C'est parce que Dieu lui-même a dit : Priez pour vos ennemis. (Ibid. 44.) C'est lui qui nous a donné ce précepte divin. Donc, quand vous priez le Législateur de violer les lois qu'il a faites, quand "vous l'invoquez, afin qu'il- porte des lois contraires à ses propres lois; quand vous adressez à Celui qui vous a défendu de prier contre vos ennemis, votre prière contre vos ennemis, ce n'est pas une prière que vous faites alors, vous ne l'invoquez pas, vous outragez le Législateur, vous irritez Celui qui allait vous accorder lesbiens que l'on recueille de la prière. Et comment; je vous en prie, peut-il se faire que votre prière soit écoutée, quand elle irrite celui qui l'écoute? Car, en prononçant cette prière, c'est votre salut que vous jetez dans un gouffre ; vous tombez dans le précipice, vous qui frappez votre ennemi, sous les yeux mêmes de votre roi. Si vos mains ne le frappent pas, vos paroles le frappent; ce que vous n'osez pas faire contre ceux qui sont des serviteurs comme vous. Essayez, montrez (274) la même audace sous les yeux d'un prince de ce monde; quand vos bonnes œuvres ne se pourraient compter, il vous fera aussitôt conduire à la mort. Comment ! vous n'osez pas, en présence d'un magistrat, outrager votre égal; et vous qui faites cela, en présence de Dieu, dites-moi, vous ne frissonnez pas, et c'est sans crainte que vous prenez précisément le temps de l'oraison et des prières, pour vous abandonner à cette fureur, à ce délire, pour-vous montrer plus pervers que celui qui réclamait les cent deniers? Oui, plus pervers, plus violent; en voulez-vous la preuve, écoutez. Un serviteur devait dix mille talents à ion maître; il ne pouvait pas les lui rendre; il pria son maître de patienter, de ne pas vendre sa femme, sa maison, ses enfants, pour éteindre la dette. (Matth. XVIII, 24 et suiv.) Le maître fut touché de ses gémissements, et lui remit les dix mille talents. Ce serviteur sortit, et en rencontra un .autre, qui lui devait, à lui-même, cent deniers; il le prit à la gorgé, et tes, lui réclama avec une cruauté barbare. Le maître, informé de cette conduite, le fit jeter en prison, et cette dette des dix mille talents qu'il lui avait remise, il l'exigea de nouveau,. et cet homme cruel fut ainsi puni de sa rigueur barbare envers son compagnon.

12. Mais vous, voyez donc. combien vous êtes plus insensés encore, et plus dépourvus de tout sentiment, quand vous priez contre vos ennemis. Cet homme ne demandait pas à son maître de réclamer, il réclamait lui-même les cent deniers; vous, au contraire, vous invoquez le Seigneur,: pour cette réclamation impudente, impie. Cet autre, ce n'était pas sous les yeux de son maître, mais, hors de ses regards, qu'il étouffait son compagnon; vous, an contraire, c'est au moment même de la prière, c'est en la présence de votre roi; que vous commettez une pareille action. Et maintenant, si cet homme qui n'avait pas prié son maître de soutenir sa réclamation, qui l'avait faite, hors de sa présence, n'a obtenu aucun pardon; vous, qui excitez le Seigneur à servir lui-même, votre rigueur sacrilège; vous, qui faites, sous ses yeux, une telle action, quel châtiment n'encourrez-vous pas, répondez-moi? Mais, à la pensée de votre ennemi, votre âme s'embrase, votre poitrine se gonfle, votre coeur se soulève, et il vous est impossible, quand vous vous rappelez le tort qu'on vous a fait, de réprimer votre colère? A ce feu qui vous brûle, opposez le souvenir de vos fautes, et la crainte du jugement à venir. Rappelez-vous tous les comptes que vous devez au Seigneur; les châtiments auxquels ces comptes vous exposent, et la crainte triomphera pleinement de cette colère, car c'est là une affection bien autrement puissante. Rappelez-vous la, géhenne, les peines, les supplices; évoquez ces pensées, dans vos prières, et la pensée de votre ennemi ne vous viendra même pas. Faites-vous un coeur contrit ; humiliez votre esprit, par la conscience de vos fautes, et la colère ne pourra pas vous troubler. Mais voici la cause de tous les vices : nous relevons, avec le soin le plus rigoureux, les péchés des autres, nous ne jetons, sur les nôtres, que des regards nonchalants. C'est tout le contraire qui convient : ne jamais oublier ses fautes, ne jamais penser à celles du prochain. Si nous tenons cette conduite, nous nous rendrons Dieu favorable, nous abjurerons l'immortelle haine contre le prochain; c'en est fait, nous n'avons plus un ennemi; que si, parfois, peut-être, nous en, rencontrons un, vite, nous éteindrons cette haine, et nous obtiendrons, également vite, le pardon de nos propres fautes. Car, de même que celui qui garde le souvenir des injures qu’il a reçues d’autrui, s'oppose, par là, à ce qu'on lui remette les châtiments de ses fautes; de même, qui s'affranchit de sa colère, s'affranchit également, et vite, de ses péchés. Car si nous, méchants, esclaves .de la colère, nous oublions, pour obéir au commandement de Dieu, tous les péchés commis envers nous, à plus forte raison, le Dieu qui nous aime, le Dieu de bonté, le Dieu de pureté, le Dieu qu'aucune passion ne trouble, fermera les yeux sur nos fautes, et nous récompense de notre charité envers le prochain, en nous accordant notre pardon. Puissions-nous tous l'obtenir, par la grâce, et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire et la puissance, dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

Traduction de M. C. PORTELETTE.
 

 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE SUR CE SUJET : QU'IL NE FAUT PAS DÉSESPÉRER DE SOI-MÊME NI PRIER CONTRE SES ENNEMIS ni se décourager quand la prière n'est pas exaucée, et que les maris doivent vivre en paix avec leurs femmes.
ANALYSE.

1° L'orateur éprouve de la joie en voyant les fruits de componction produits par son dernier discours. — 2° Pour bien prier il faut se souvenir de ses péchés et ne pas se souvenir de ses bonnes actions. — 3° Quand Dieu veut faire un grand miracle, il prépare le monde par des figures. Ainsi des femmes stériles enfantent pour disposer les esprits à croire l'enfantement virginal ; ainsi Jonas rejeté par la baleine figure le Christ sortant vivant des entrailles de la mort. La mort avait avalé la pierre angulaire, elle n'a pu la digérer, elle l'a rejetée et avec elle tout le genre humain. — 4° Sarra, figure de l’Eglise. — 5°- 6° Déductions morales à tirer de ses dogmes. — 7° - 8° Une épouse doit être tolérée malgré ses défauts. Puissance de la prière.

1. Je vous suis très-reconnaissant du bon accueil que vous avez fait à mon sermon sûr la prière; vous m'avez rendu bienheureux, car bienheureux est l'orateur à qui l'on prête l'oreille. (Eccl. XXV, 12.) Ce ne sont pas seulement vos applaudissements et vos éloges qui m'ont prouvé votre attention, mais c'est la conduite que je vous ai vu tenir. En effet, quand je vous défendais de prier contre vos ennemis, ajoutent que ceux qui le font irritent Dieu et vont à l'encontre de sa loi (car, puisqu'il a dit : Priez pour vos ennemis (Math. V, 44), si nous prions contre eux, nous lui demandons de violer lui-même sa loi ; pendant .que je parlais ainsi, je voyais beaucoup d'entre vous qui se frappaient la figure et la poitrine, en versant des larmes amères, et qui levaient les mains au ciel pour implorer le pardon de semblables prières. Alors, levant moi-même mes regards vers Dieu, je lui ai rendu grâces des fruits si rapides qu'avait produits mon discours. En effet, telle est la semence spirituelle, elle n'a pas besoin d'années, de temps ni de jours, mais quand elle pénètre une âme généreuse; elle donne sans retard des épis vigoureux et parfaits; voilà ce, qui s'est passé hier pour vous. J'avais semé la componction et j'ai recueilli les gémissements de la confession, gémissements qui sont les richesses des gens de bien. Car, si ce publicain en se frappant la poitrine et en disant : Soyez propice à un pécheur comme moi (Luc, XXV, 25), se retira plus justifié que le pharisien, quelle indulgence. ne devons-nous pas:attendre pour avoir montré tant de componction en si peu de temps? Observez qu'il n'est rien de pire qu'un publicain, c'est la limite du mal; aussi, quand le Christ vent indiquer ce qu'il y a de plus mauvais, il cite toujours la courtisane et le publicain. En lui, en effet, se trouvent la violence sans crainte, la rapine sans répression, l'avarice sans honte, le trafic sans raison, le négoce sans pudeur. Cependant, celui qui avait (276) vécu au milieu de toutes ces infamies, a pu les réparer avec quelques mots seulement, et recevoir même plus qu'il n'avait demandé. Car, il avait dit : Soyez propice à un pécheur comme moi, et Dieu non-seulement lui a été propice, mais l'a justifié plus que le pharisien. Aussi, Paul dit-il : Il peut tout faire de manière à dépasser nos prières et nos pensées. (Eph. III, 20.) Cependant, le pharisien avait prié, il s'était tenu dans le temple, il avait invoqué le même Dieu, il avait dit plus de paroles et commencé sa prière par une action de grâces. D'où vient, cependant, qu'il a perdu les biens qu'il possédait, tandis que l'autre a obtenu la grâce qui lui manquait? C'est que la manière de prier n'était pas la même. L'une des prières était pleine d'arrogance, de faste et d'orgueil, l'autre de franchise. Ainsi celui qui succombait sous le poids d'innombrables péchés, s'en est vu complètement délivré; celui qui arrivait avec un navire chargé de bonnes actions, d'aumônes, de jeûnes; se brisant sur l'écueil de l'orgueil et de la vaine gloire a fait naufragé dans le port: car se perdre par une prière c'est échouer au port. Cependant cela n'arrive point par la nature de la prière , mais par la faute ,de notre volonté.

2. Vous voyez donc que pour notre salut la prière ne suffit pas, mais encore qu'il faut prier suivant les lois que le Christ a établies. Or, quelles lois a-t-il établies? De prier pour nos ennemis, même pour ceux qui nous affligent le plus. Faute de le faire, nous nous perdons entièrement, comme le prouve l'exemple du pharisien. Eh bien! si cet homme, qui n'avait point prié contre ses ennemis, mais qui n'était coupable que de vanité, a été ainsi puni, quel supplice attend ceux qui 'ne tarissent pas lorsqu'ils parlent contre leurs ennemis ! Que fais-tu donc, mon ami? Tu viens pour demander pardon de tes péchés et tan âme est pleine de colère ? Lorsque nous devrions être plus doux que jamais, puisque nous parlons au Seigneur, que nous implorons pour nos péchés sa miséricorde, sa clémence et son pardon, c'est alors que nous nous irritons, que nous ressemblons à une bête furieuse, et que notre bouche se remplit de fiel? Et comment pourrons-nous, dis-moi, obtenir notre salut si, tout en prenant une attitude suppliante, nous proférons des paroles insensées, et si nous irritons le Seigneur contre nous? Tu es venu pour guérir tes blessures et non pour envenimer celles de ton prochain : c'est le moment de l'expiation, de la prière et des gémissements, non celui de la colère; celui des larmes, et non de la fureur; celui de la componction et non de l'indignation. Pourquoi tout bouleverser? pourquoi te faire la guerre à toi-même? pourquoi détruire ta propre maison? L'homme qui prie doit avant tout avoir l'âme adoucie, l'esprit apaisé, le coeur contrit : ruais celui qui crie contre ses ennemis, ne retirera aucun fruit de sa prière; il ne pourra jamais s'y appliquer avec le calme nécessaire.

Ainsi nous ne devons pas prier contre nos ennemis, mais nous ne devons pas non plus nous souvenir de nos bonnes actions, de peur qu'il ne nous arrive la même chose qu'au pharisien. Car s'il est bon de nous rappeler nos péchés, il n'est pas moins bon d'oublier nos bonnes actions. Pourquoi cela? Parce que le souvenir de nos bonnes actions nous entraîne à l'orgueil, tandis que le souvenir de. nos péchés nous inspire le mépris de nous-mêmes et l'humilité : ainsi l'un nous rend plus négligents et l'autre plus diligents. Car ceux qui pensent n'avoir aucun bien, deviennent plus actifs pour en acquérir : ceux qui croient posséder beaucoup se fient à leur richesse, ne montrent guère d'empressement pour en acquérir davantage.

3. Oubliez donc vos bonnes actions afin que Dieu s'en souvienne. Il dit, en effet : Confesse le premier tes fautes, afin que tu sois justifié. (Is. XL, III, 26); et aussi : J'oublierai tes fautes, mais ne les oublie pas (Ibid.).

Mais pourquoi Dieu a-t-il exaucé si promptement le publicain, tandis qu'il a laissé Isaac le prier pendant vingt ans et l'implorer pour son épouse, et que seulement alors il a exaucé les prières de ce juste? Il faut ici que je complète l'instruction que je vous ai donnée hier. Pourquoi., dis-je, cela s'est-il passé ainsi? Afin que l'exemple du publicain montre la bonté du Seigneur si prompt à exaucer, et que celui d'Isaac fasse voir la patience du serviteur dont la satisfaction est tardive, mais qui ne cesse de prier : afin que le pécheur ne désespère pas et que le juste ne se glorifie pas. Ce ne sont pas les personnes bien portantes, mais les malades qui ont besoin de médecin. (Matth. IX , 12.) Le publicain était malade, aussi Dieu s'est empressé de lui tendre la main : Isaac était plus affermi, aussi Dieu a semblé (277) l'abandonner pour faire valoir sa patience. Mais ce n'est là qu'une considération accessoire. Pourquoi cette femme était-elle stérile? Il faut le dire : c'est afin que la foi ne vous manquât pas en voyant une vierge mère; c'est afin que, si un juif vous dit : comment a enfanté Marie? vous puissiez lui répondre. Comment ont enfanté Sarra, Rébecca et Rachel? En effet, quand un miracle inouï doit se manifester, il est précédé de signes précurseurs. Quand l'empereur doit passer, les soldats courent en avant pour que la foule soit prête à le recevoir; de même, quand un prodige éclatant va paraître, il est annoncé par des faits figuratifs qui avertissent le mondé de l'attendre: et nous préparent à son arrivée, en prévenant l'excès de notre étonnement.

Cela se voit aussi pour la mort du Christ. Jonas l'a précédé et a préparé notre esprit. Ainsi, la baleine l'a vomi après trois jours, né trouvant pas en lui l'aliment naturel qui lui convenait. Comparez, et voyez que l’aliment naturel qui convient à la mort est le péché; c'est là qu'elle a pris naissance , là qu'elle a pris racine, là qu'elle prend sa nourriture. Nous même, quand nous avons par imprudence avalé une pierre, notre estomac cherche d'abord à la digérer, mais bientôt il reconnaît que cette nourriture ne lui convient pas; il a beau faire, sa force digestive s'épuise sans résultat; alors ne pouvant plus supporter ce fardeau, il le vomit avec douleur. C'est ce qu'on a vu pour la mort elle-même. . Elle a avalé la pierre angulaire et n'a pu la digérer; toute sa force s'y est épuisée : elle a rejeté en même temps cette nature humaine qu'elle avait également absorbée: Aussi sera-t-elle obligée à la fin de la rendre tout entière. Si donc il y a eu jadis des femmes stériles, c'était pour nous avertir d'avoir foi dans l'enfantement virginal : ou plutôt ce n'était- pas seulement pour nous inspirer cette foi, c'était encore et surtout, si nous y réfléchissons profondément, pour nous faire voir que cette stérilité est la figure de la mort.

4. Mais écoutez bien ; car ce que nous avons à vous dire est du peu subtil. Nous allons expliquer comment la stérilité de Sarra nous conduit par la main au dogme de la résurrection. Comment nous y conduit-elle ainsi? De même que Sarra, qui était morte au point de vue de la génération, a été régénérée par un bienfait de Dieu pour faire croître et vivre le corps d'Isaac; de même. aussi le Christ étant mort a ressuscité par sa propre puissance. Et pour prouver que cette explication n'a rien de forcé, écoutez Paul, voici ce qu'il dit à propos d'Abraham. Il ne considéra pas que la vertu de concevoir était éteinte chez Sarra, mais il se confirma dans la foi en rendant gloire à Dieu, sachant bien que tout ce qu'il promettait il pouvait aussi le faire. (Rom. IV, 19-21.) C'est-à-dire qu'un fils pouvait lui naître par la fécondation d'un corps stérile.. De plus, afin de nous conduire d'une croyance à l'autre, Paul ajoute : Cela n'a pas été seulement écrit pour Abraham, en faveur de qui ce miracle a été accompli, mais aussi pour nous. (Rom. IV, 23, 24.) Pourquoi? Cela s'accomplira aussi pour les hommes qui croient à celui par lequel Jésus Notre-Seigneur est ressuscité des morts. Voici ce qu'il veut dire. Dieu a fait naître Isaac d'un corps aussi froid qu'un cadavre ; de même il a fait renaître son Fils, qui était devenu cadavre lui-même.

Mais voulez-vous trouver encore un autre symbole dans cette stérilité ? L'Eglise était destinée à produire une multitude innombrable de fidèles : or, pour que vous conceviez comment elle a pu enfanter après avoir été si longtemps inféconde, infructueuse , stérile, une stérilité naturelle w précédé sa stérilité volontaire et Sarra a été la figure de l'Eglise : l'une a enfanté dans sa vieillesse, l'autre a enfanté dans les derniers temps. Pour le démontrer, écoutez Paul. Nous sommes les fils de la femme libre. (Gal. IV, 31.) Comme Sarra, qui était libre, était la figure de l'Eglise, voilà pourquoi il dit : Nous sommes les fils de la femme libre. Et il ajoute : Nous sommes les fils de la promesse à l'exemple d’Isaac. (Gal. IV, 28.) Qu'entend-il par cette promesse ? De même que ce n'est pas la nature qui a fait naître Isaac, de même ce n'est point la nature, mais la grâce de Dieu qui nous a engendrés. Et il dit encore : La Jérusalem céleste est libre, c'est elle qui est notre mère (Gal. IV, 26) ; cela signifie l'Eglise. Vous êtes parvenus, dit-il, à la montagne de Sion , à la cité du Dieu vivant, à la Jérusalem céleste et à l'Eglise des premiers-nés. (Héb. XII, 22.) Du reste si la Jérusalem céleste est l'Eglise, Sarra représente cette Jérusalem céleste, puisqu'il dit: Elles sont deux, l'une qui engendre dans la servitude, c'est Agar: l'autre, la Jérusalem d'en-haut est libre; c'est elle qui est notre mère. (Gal. IV, 24-26.) Il est clair que Sarra, par sa stérilité, puis par son (278) enfantement, représente cette Jérusalem céleste.

5. Je sais que tout cela est bien subtil, mais avec de l'attention, nous pourrons tout saisir. Nous avons envisagé le côté mystérieux et dogmatique, mais, si vous le voulez, j'entrerai dans des considérations plus pratiques. Rébecca était stérile, afin de faire éclater la pureté de son mari: il ne la répudia point; bien qu'alors aucune loi ne s'y opposât, il ne prit pas une autre femme pour remplacer son épouse de race libre. Cependant c'est ce que font bien des gens sous prétexte d'avoir des enfants et en réalité pour satisfaire leur libertinage : ils renvoient les unes, appellent les autres, excitent contre elles les concubines et rem plissent leurs maisons de mille discordes. Mais ce juste n'en agit pas ainsi : content de la femme que Dieu lui avait donnée, il priait le Maître de la nature d'étendre pour lui les bornes de la nature, et il ne reprochait rien à sa femme. Comment prouver qu'il ne lui reprochait rien? Par l’Ecriture elle-même. S'll lui eût fait des reproches, l'Ecriture l'aurait aussi raconté et ne l'aurait point passé sous silence. En effet, elle raconte les .bonnes et les mauvaises actions des justes afin que nous imitions les unes et que nous évitions les autres. Aussi quand sa bru Rachel se plaignait à son mari, fils d'Isaac, et que celui-ci répondait durement, l'Ecriture a tout rapporté et n'a rien caché, quand elle lui dit : Donne-moi des enfants, ou je meurs. Que répond-il? Je ne suis pas Dieu, c'est lui qui t'a privée du fruit de tes entrailles. (Gen. XXX, 1-2.) Cette demande que fait la femme, donne-moi des enfants, manque de raison. Tu dis à ton mari : donne-moi des enfants, sans tenir compte du Maître de la nature. Aussi le mari, par sa réponse sévère, repoussa sa demande insensée et lui montra à qui elle devait être faite. Mais Isaac ne dit rien de semblable et aussi sa femme ne lui fit ni plainte, ni lamentations.

Ces exemples nous enseignent en même temps la chasteté et la foi. Le mari retrouve sa foi en priant Dieu; sa pureté éclate en ce qu'il ne répudie point sa. femme; enfin, quand il ne lui reproche rien et qu'il ne désespère point, il met en évidence sa patience et sa modération, ainsi que sa bonté et son amour pour sa femme. Il n'a point agi comme bien des personnes maintenant qui, en pareilles circonstances, ont recours aux philtres et aux sortilèges, toutes choses superflues, inutiles, nuisibles, et qui ne servent qu'à perdre l'âme, il négligea toutes ces ressources, et, dédaignant tous les secours humains, il ne s'adressa qu'au Seigneur de la nature qui peut seul accomplir de tels voeux.

6. Ecoutez cela, maris et femmes, étudiez-le, et imitez tous ce juste. Que la femme ne respecte rien plus que son mari; que le mari n'aime rien plus que sa femme. La sauvegarde de l'existence,. c'est l'accord du mari et de la femme, c'est là ce qui conserve l'univers. De même qu'un édifice s'écroule quand les fondements sont ébranlés, de même la discorde entre les époux bouleverse toute la vie. Voyez en effet ! le Monde est fait de villes, les villes de maisons, et chaque maison contient un mari et sa femme. Si donc la concorde n'existe pas dans les ménages, le désordre s'étendra jusqu'aux villes; si les villes sont troublées,-l'univers entier sera plein de séditions, de guerres et de combats. C'est pour cela que Dieu fait de cette concorde une recommandation toute particulière, c'est pour cela qu'il défend de répudier sa femme, excepté pour cause d'adultère.

Mais, direz-vous, si elle est insolente, prodigue et luxueuse, si elle a une foule d'autres défauts? Supportez cela avec constance, et ne la renvoyez pas à casse de ses vices, mais corrigez ces vices eux-mêmes. Vous êtes à la tête du ménage, c'est pour en guérir le corps. En effet, notre corps aura beau avoir mille plaies, jamais,. nous ne le séparerons de la tête. Da nomme ne vous séparez pas de votre femme, car elle est comme votre corps. Aussi saint Paul disait : un mari doit aimer sa femme comme si c'était son propre corps. (Eph. V, 28.) La même loi s'étend aussi aux femmes. De même que tu entretiens et que tu cultives ta tête, ô femme, de même tu dois soigner ton mari : et ce n'est pas sans raison que nous insistons sur cette nécessité. Je sais combien d'avantages procure la concorde entre mari et femme, je sais combien la discorde entraîne de maux. Alors la richesse, le bonheur d'avoir des enfants nombreux et vertueux, les magistratures et la puissance, la gloire, les honneurs, les délices, le luxe et toutes les félicités imaginables, ne peuvent réjouir un mari et une femme qui sont en querelle.

7. Voilà donc quelle doit être notre principale étude. Votre femme a un défaut? faites ce qu'a fait Isaac : priez Dieu. S'il a pu, par la (279) puissance de la prière, suppléer à l'impuissance de la nature, nous pourrons à plus forte raison, corriger les vices de la volonté; si nous invoquons Dieu assidûment. Si Dieu voit que par amour pour sa loi, vous supportez avec constance les défauts de votre femme, il vous aidera à la corriger et vous récompensera de votre patience. Comment savez-vous si vous sauvez votre femme ? Comment savez-vous si vous sauvez votre mari? (I Cor. VII, 16.) Ne vous découragez pas, ne désespérez pas. Elle peut se corriger, et quand même elle ne se corrigerait pas, votre patience est toujours méritoire. Mais si vous la répudiez, vous êtes pécheur tout le premier, puisque vous transgressez la loi, et vous êtes adultère au jugement de Dieu. Quiconque, dit-il, renverra sa femme, autrement que pour adultère, l'entraîne à l'adultère. (Matth. V, 32.)

Souvent vous prenez une femme plus difficile que la première, vous n'avez fait que changer un mal pour un pire et votre repos n'y gagne rien. Si la seconde vaut mieux que la première, vous ne pouvez pas goûter avec elle des plaisirs purs, en songeant que vous êtes regardé comme adultère à cause de celle que vous avez renvoyé; et, en effet, ce divorce est un adultère. Ainsi, quand vous voyez se présenter une difficulté dans le mariage ou dans toute autre chose, ayez recours à Dieu; lui seul peut nous tirer des embarras de la vie; en effet, la prière est Une arme bien puissante. Je l'ai dit souvent, je le dis maintenant, et je ne cesserai point de le dire : Si pécheur que wons soyez, considérez le publicain qui a été exaucé, qui s'est purifié de tant de péchés. Voulez-vous savoir ce que peut la prière ? Auprès de Dieu même , l'amour ne suffit point sans la prière. Ce n'est pas moi qui parle, car je n'oserais pas vous dire de moi-même une; chose aussi grave. Apprenez de l'Ecriture même que là où l'affection seule échoue, la prière réussit. Un de vous, ayant un ami, vient et lui dit Mon ami, prête-moi trois pains; l'autre ré pond: La porte est fermée, les enfants sont couchés, ne me tourmente pas. Eh bien!, je vous le dis; ce qu'il aurait refusé à l'amitié, il l'accordera à l'importunité et donnera tout ce qu'il faudra. (Luc, XI, 5, 8.) Vous voyez ainsi que l'affection n'a, point suffi sans la persévérance. Car le solliciteur était ami, mais pour qu'on ne croie pas que cela lui ait suffi; l’Ecriture dit : Ce qu'il aurait refusé à l'amitié, il l'accordera à l'importunité. Ainsi, dit-elle, l'amitié était impuissante, mais alors la persévérance réussira. Et sur qui cela s'est-il vérifié sur le publicain. Il n'était pas l'ami de Dieu , mais il l'est devenu : ainsi, même si vous. êtes son ennemi, la persévérance vous rendra son ami. Voyez encore la Chananéenne et écoutez ce que le Christ lui dit d'abord : Il n'est pas ton de prendre le pain des enfants pour le jeter aux chiens. (Matth. XV, 26.) Cependant comment l'a-t-il fait, si ce n'était pas une bonne action ? Cette femme l'a rendue bonne par sa persévérance; ce qui nous enseigne que l'homme le moins digne d'un bienfait finit par le devenir En persévérant.

8. Si je parle ainsi, c'est pour vous empêcher de dire: Je suis un pécheur, je n'ose parler, je ne puis prier. Celui-là est écouté qui croit ne pas l'être; celui, au contraire, qui est sûr de lui devrait craindre, tel que le pharisien : tandis que celui qui se regarde comme repoussé et indigne d'attention, est écouté plus qu'un autre; tel que le publicain. Voyez combien d'exemples vous en avez: la Chananéenne, le publicain, le voleur sur la croix, l'ami que la parabole nous représente mandant trois pains et les obtenant, non par amitié, mais par importunité. Si chacun d'eux avait dit :je suis un pécheur, couvert de tant de honte que je ne dois pas me présenter; cela n'aurait servi à rien. Mais comme chacun d'eux n'a pas considéré la grandeur de ses péchés , mais l'inépuisable bonté de Dieu, il a été confiant et audacieux : tout pécheur qu'il était, il a demandé plus qu'il ne croyait mériter, et il a réussi à l'obtenir.

Songeons à tous ces exemples et gardons-en la mémoire : prions sans cesse avec vigilance, avec; confiance, avec un bon espoir, avec un zèle infatigable. Toute cette ardeur que d'autres mettent à faire des voeux contre leurs ennemis, mettons-la à prier pour. nos ennemis, .pour leurs frères, et nous obtiendrons en même temps la satisfaction de nos désirs personnels. Car notre. bienfaiteur est si bon pour nous qu'il désire encore plus donner que nous ne désirons recevoir. Ainsi, bien pénétrés de tous ces exemples, quand même nous serions tombés au plus profond abîme de la perversité, ne désespérons pas, même alors, de notre salut, mais présentons-nous avec une bonne,espérance, et persuadons-nous que nous obtiendrons tout ce que nous demanderons, pourvu (280) que nous le demandions en observant la loi portée par celui qui peut tout faire de manière à dépasser nos prières et nos pensées. (Eph. III, 20.)

Au Christ, Souverain tout-puissant, notre Dieu, appartient gloire, honneur et adoration, ainsi qu'au Père éternel et au Saint-Esprit, principe de toute vie, maintenant et toujours,

et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduction de M. HOUSEL.
 

 

 

HOMÉLIES SUR LA DISGRACE D'EUTROPE.
PREMIÈRE HOMÉLIE.
AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

L'eunuque Eutrope, homme de la plus basse extraction et sans aucun mérite réel, à force d'intrigues et de souplesse, était devenu tout-puissant auprès de l'empereur Arcadius, qui l'avait comblé d'honneurs et de richesses, et qui même venait de l'élever au consulat. Abusant de son crédit, il avait vexé le peuple et persécuté l'église; entre autres lois injustes, il en avait porté une pour abolir le droit d'asile dont jouissaient alors les temples. Il trouva dans saint Jean Chrysostome une âme ferme qui s'opposa à toutes ses entreprises, qui le reprit avec force de tous les abus qu'il faisait de son pouvoir, et qui lui représenta avec sincérité les périls que lui faisaient courir les excès auxquels il se livrait. Tout le peuple et tous les soldats auxquels se joignit l'impératrice, demandèrent à grands cris la déposition de cet odieux ministre, à l'empereur, qui, honteux lui-même de sa faiblesse, et ouvrant enfin les yeux, lui fit donner ordre de sortir sur-le-champ de la cour, avec défense d'y reparaître. Abandonné du prince et chargé de la haine publique, Eutrope ne trouva de ressource que dans la pieuse générosité de saint Jean Chrysostome qu'il avait souvent maltraité, et dans l'asile sacré des autels qu'il s'était efforcé d'abolir, et où il se réfugia dans sa disgrâce. L'empereur envoie plusieurs de ses gardes pour l'en arracher par force ; Chrysostome s'oppose à leur violence, il défend un ennemi mortel dont il s'était attiré la haine par sa vertu, et obtient du prince qu'Eutrope puisse demeurer en sûreté dans l'enceinte de l'église. Tous les soldats qui se trouvaient alors à Constantinople, s'assemblent aussitôt autour du palais; ils poussent de grands cris, font retentir leurs armes, et veulent qu'on leur livre Eutrope pour en faire justice. Arcadius se présente à cette multitude mutinée ; ses ordres ne sont pas écoutés, il faut qu’il ait recours aux prières : il les conjure de respecter l'asile sacré des autels ; et ce n'est qu'à force de larmes qu'il vient à bout de calmer leur. fureur. Le lendemain, jour destiné à la célébration des saints mystères, le peuple accourut en fouie pour voir humilié et abattu celui qu'il avait vu si insolent dans la prospérité. La plupart étaient animés contre lui; ils étaient fâchés qu'on lui eût ouvert l'église, ils auraient voulu ou l'immoler eux-mêmes à leur vengeance, ou qu'on l'eût livré à la haine publique.

Saint Jean Chrysostome entreprend de les toucher et de les attendrir en faveur de ce malheureux, de faire succéder dans leur âme les sentiments de la douceur et de la compassion à ceux de l'indignation, et de la haine, et de les engager même à demander sa grâce à l'empereur. Sans chercher à justifier Eutrope , il montre dans sa personne un exemple frappant de l'instabilité des grandeurs humaines et de la fragilité des biens de ce siècle, et il le montre d'une manière si vive et si touchante , il mêle avec tant d'art les divers mouvements dont il fait usage, qu'il change absolument la disposition de son auditoire et lé fait fondre en larmes. Abondance d'images , variété et gradation de sentiments, richesse de pensées et d'idées douces et simples, grandes et sublimes; voilà ce que nous offre l'homélie sur la disgrâce d'Eutrope, un des plus beaux discours, sans douté, qui nous soient venus de l'antiquité.

On pourra être choqué dans ce discours des paroles un peu dures que l'orateur lance contre un malheureux étendu à ses pieds, et qu'il lui adresse souvent à lui-même ; mais, il ne faut pas oublier que le peuple extrêmement animé contre cet homme auquel S. Chrysostome avait donné refuge, et qu'il fallait en quelque sorte flatter d'abord le ressentiment populaire pour le calmer ensuite.

Le discours de saint Jean Chrysostome eut son effet; il sauva pour le moment la vie d'Eutrope, qui, quelques jours après ayant eu l'imprudence de sortir de l'église pour se sauver, fut pris et banni en Chypre. On le tira de cette île pour le ramener à Chalcédoine, où on lui fit son procès, et où il fut condamné à avoir la tête tranchée.

1°- 2° Admirable amplification. de ce texte : Vanité des vanités, etc. — 3° - 4° Eutrope, obligé de se réfugier dans l'église à laquelle il avait enlevé le droit d'asile. — 5° Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.

1. Eternelle vérité, vérité actuelle surtout : Vanité des vanités, et tout est vanité! (Eccl. I, 2.) Où est-elle maintenant la pompe brillante du consulat? où sont les splendides lumières? Où sont, et les applaudissements, et, les choeurs, et les banquets, et les fêtes ? où sont les (281) couronnes et les draperies? et le bruyant frémissement de la ville; et, avec les courses du cirque, les acclamations triomphantes; et, avec les spectateurs, leurs flatteries ? De toutes ces joies, plus rien : le vent, d'un souffle, a jeté sur la terre tout le feuillage, nous a montré l'arbre nu, ébranlé jusqu'à la racine ; car tel a été le choc de la tempête, qu'elle menace d'arracher jusqu'à la racine de l'arbre, maintenant qu'elle a brisé tous les liens qui l'attachaient à la terre. Où sont-ils maintenant les amis fardés? où sont-ils ceux qui se rassemblent autour des coupes, autour, des tables? où est-il l'essaim des parasites ? et le vin sans mélange , versé tant. que le jour dure; et les cuisiniers industrieux, et les courtisans de l'homme puissant, concertant pour lui plaire toutes leurs actions, tous leurs discours? C'était la nuit que tout cela, un songe; le jour a paru, évanouissement ! c'étaient dies fleurs du printemps; le printemps passé, tout s'est flétri; c'était une ombre, et l'ombre a disparu; c'était un fruit qui s'est gâté; c'étaient des bulles d'air qui n'ont pu tenir; c'était une araignée, on a marché dessus. C'est pourquoi nous répétons cette parole de l'Esprit-Saint, sans nous lasser de la redire : Vanité des vanités, et tout est vanité! Car, cette parole, il faut l'inscrire, et sur les murs, et sur les vêtements, et dans la place publique, et dans les maisons, et dans les rues, et sur les portes, et dans les vestibules; et. surtout, et toujours, c'est dans la conscience de chacun de nous, qu'il la faut incruster, pour la méditer sans relâche. Puisque les affaires, qui ne sont que tromperie, et les visages qu'hypocrisie et mensonge, paraissent aux yeux du grand nombre la vérité, cette parole, il n'est pas de jour qu'il ne soit nécessaire de la faire entendre ; au moment du dîner, au moment du souper, dans tous les entretiens, chacun doit dire à son voisin, et, en même temps, le voisin doit dire Vanité des vanités, et tout est vanité! Me suis-je lassé de te répéter, que l'or est un esclave fugitif? Mais, toi, tu ne voulais pas nous écouter. Ne te disais-je pas que c'est un domestique ingrat? Mais, toi, tu ne voulais rien entendre. Et voici que les affaires, l'expérience te montrent que ce n'est pas seulement un fugitif, un ingrat, mais, de plus, un meurtrier : car c'est ton or, c'est lui qui fait maintenant que tu trembles et que tu as peur. Ne te disais-je pas, quand tes reproches continuels s'indignaient de ma véracité : je suis ton ami, moi, plus que tes flatteurs? je suis, moi qui te blâme, plus jaloux de tes intérêts que ceux qui veulent te complaire? N'ajoutais-je pas à ces paroles : crois-en plus les amis qui te blessent gire les ennemis t'apportant leurs baisers ? Si tu avais supporté mes blessures, leurs baisers n'auraient pas enfanté cette mort pour toi : mes blessures produisent-la santé, taudis que leurs baisers t'ont causé une maladie incurable. Où sont maintenant les échansons? où sont-ils, les appariteurs, écartant la foule au milieu des places sur ton passage? et ces milliers de panégyristes chantant partout tes louanges? Ils ont pris la fuite, désavoué ton amitié; des périls où te jette leur abandon, ils se sont fait leur sûreté. Mais nous, nous ne sommes pas de ces hommes; mais nous, malgré ton aversion,. nous ne t'abandonnons pas, et, dans ta chute, nous t'enveloppons de nos soins. Oui, traitée par toi en ennemie, l'Eglise a étendu son voile; l'a déployé sur toi, et t'a reçu; taudis que ces théâtres, chers objets de tes soins, qui, tant de fois, ont suscité ta haine contre nous, t'ont trahi, perdu. Cependant, nous te disions toujours et sans cesse : que fais-tu ? Pourquoi cette fureur contre l'Eglise? ce délire qui te pousse toi-même aux précipices? tu courais, sourd à tous nos cris. Et taudis que le cirque qui t'a gris tout ton or aiguise contre toi le glaive, l'Église, qui n'a jamais joui que de ta colère insensée, s'agite pour toi de toutes parts, autour de ces filets dent elle veut t'arracher.

2. Et ces choses, je ne les dis pas pour fouler sons mes pieds celui que je vols renversé, mais pour affermir ceux qui sont encore debout, je ne fais pas à l'homme meurtri de nos vielles blessures, mais ceux qui sont jusqu'à présent sans blessures, je les veux conserver dans un état de santé que rien n'ébranle; je n'enfonce pas sous la vague l’homme déjà saisi par le tourbillon, mais aux. navigateurs que poussent les vents prospères j'enseigne ce qu'il faut savoir pour ne pas sombrer. Comment éviter ce malheur? Pensons à l'inconstance des choses humaines. Oui, si l'homme qui est devant vous avait craint cette inconstance; il ne subirait pas cette inconstance. Mais, puisque ni! chez lui, ni dehors, les conseils n'ont pu je corriger, vous, du moins, qui vous parez de vos richesses, faites votre profit de son infortune, car rien n'égale les choses humaines en fragilité. Quelques mots que vous employiez (283) pour faire entendre que cela n'a pas de valeur, ,vous serez au-dessous de la vérité. On a beau dire une fumée, un brin d'herbe, un songe, des fleurs du printemps : de quelque nom qu'on désigne les choses humaines, caduques périssables, elles le sont plus encore, plus néant que le néant même. Et maintenant qu'il y ait à la fois dans les choses de ce monde néant et précipice, en voici la preuve. Quel homme fut plus élevé que celui-ci ? La terre entière vit-elle rien d'égal à ses richesses? N'était-il pas monté au faîte des honneurs? N'est-il pas vrai que tous tremblaient, frémissaient devant lui? Mais, voici qu'à présent les prisonniers sont moins affligés que lui, les esclaves sont moins misérables, les mendiants, les affamés sont moins indigents; chaque jour, il voit les glaives aiguisés, et la fosse des criminels, et les bourreaux, et la mort au bout du supplice; il. n'a pas même le souvenir de sa grandeur passée ; il ne jouit pas même des rayons du soleil ; la pleine clarté du jour est comme la nuit la plus épaisse pour ce captif environné de murailles et privé de l’usage de ses yeux. Inutiles efforts d'un discours impuissant à exprimer l'angoisse d'un homme qui attend d'heure en heure le coup de la mort ! Qu'est-il besoin de nos paroles, quand il s'est lui-même comme dessiné à nos yeux, nous montrant de son âme une si claire image? Hier, quand il vit venir à lui les gens du palais de l’empereur qui voulaient l'arracher violemment de ces lieux, quand il courut vers les vases sacrés, son visage était, voyez-le encore, absolument le visage d'un cadavre ; ajoutez à cela le grincement de ses dents et le craquement de. ses membres, et le tremblement de tout son corps, et ses cris inarticulés, et sa langue engourdie, et tout son aspect enfin, n'eût-on pas dit, à le voir, que son âme s'était comme pétrifiée.

3.Etsi je parle ainsi, ce n'est pas que je veuille l'outrager, je lie foule pas sous mes pieds son infortune; au contraire, je veux vous fléchir, vous résoudre à la pitié, vous persuader qu'il doit vous suffire du châtiment qui a eu lieu. Puisqu'il y a parmi nous un grand nombre d'hommes qui nous accusent, nous. aussi, et nous reprochent de l'avoir recueilli près de l'autel, c'est pour attendrir leur âme insensible que j'étale les souffrances de cet infortuné.

Voyons, d'où vient ton indignation, parle, mon ami, mon frère ? C'est que, me répond-il, celui qui s'est réfugié dans le sein de l’Eglise, a combattu l'Eglise sans relâche. Eh bien ! c'est précisément pour cette raison qu'il faut ,surtout rendre. gloire à Dieu. Dieu a permis que cet homme fût forcé de reconnaître et la puissance de l'Eglise et sa mansuétude: sa puissance, pare que l'homme précipité de si haut ne l'a été que pour avoir combattu l'Eglise; sa mansuétude, parce que l'Eglise combattue par lui étend sur lui maintenant son bouclier, et le reçoit sous ses ailes, et le met à l'abri de tous les périls; et, oubliant les injures passées; ouvre son sein pour le recevoir avec affection, avec amour. Voilà le plus glorieux de tous les trophées, voilà la victoire la plus éclatante, voilà ce qui ouvre les yeux des Gentils, voilà ce qui confond les Juifs ! voilà ce qui met au visage de -l'Eglise de. splendides rayons; voyez ! son ennemi est chargé de chaînes; elle le prend, elle lui fait grâce; autour de l'infortuné, la solitude ; tous le dédaignent: seule, comme une mère affectueuse, l'Eglise l'a caché sous ses voiles, et à la fierté du ressentiment impérial, et à la colère du peuple, et à une haine implacable, elle tient tête ! voilà, par excellence, l'ornement du sanctuaire.

Quel ornement ! me réplique-t-on : le monstre qui a tant à expier, ce cupide, ce pillard, on lui permet de toucher le sanctuaire ! Ne prononcez pas ces paroles, puisque aussi bien la femme de mauvaise vie a touché les pieds du Christ, cette femme . qui avait tant à expier, cette impudique; et il n'y avait pas là une raison d'accuser Jésus. Mais ce qui arriva fut un prodige digne d'être célébré dans des cantiques de gloire ; car le Dieu pur n'a pas été souillé par la femme impure; mais celle qui avait tant à expier, la femme de mauvaise vie, au contact de l'être pur et sans reproche, a reconquis la pureté. Ne garde pas le souvenir des injures, ô homme ! Nous sommes les serviteurs de Celui qui, sur la croix, disait : Pardonnez-leur, car ils ne savent pas. ce qu'ils font. (Luc, XXIII, 34.): Mais, me réplique-t-on, entre ce refuge et lui, lui-même amis un mur, que ses édits, que ses lois ont élevé. Mais, voyez donc ! l'expérience lui a montré ce que valait ce qu'il a fait; et sa loi, il a été le premier à l'enfreindre, grâce à ce qu'il a fait; et le voilà le spectacle de la terre,.et du lieu où il se trouve, sen silence même est une voix qui avertit ainsi l'univers: Ne faites pas ce que j'ai fait, pour ne pas souffrir ce (284) que je souffre. Il nous instruit du haut de la tribune où l'a porté son malheur, et une grande clarté illumine l'autel, redoutable aujourd'hui surtout, et triomphant, parce qu'il tient le lion enchaîné. Car s'il est vrai que la splendeur impériale consiste à être assis sur le trône, revêtu de la pourpre et le front ceint du diadème, quel éclat n'ajoutent pas à la majesté de l'empereur les barbares qu'on voit à ses pieds, les mains liées au dos, la tête inclinée vers la terre ! Mais ce qui prouve qu'il n'est pas besoin ici de la persuasion' des discours, c'est l'empressement qui vous fait tous accourir. Car voici que le spectacle est brillant pour nous aujourd'hui , et l'assemblée est magnifique, et toute cette foule que j'ai vue, à la fête de Pâques, réunie dans le temple, je la revois encore ici à cette heure; le silence de cet homme, plus retentissant que les trompettes, a convoqué le peuplé tout entier au cri qui s'échappe de la réalité de son malheur. Les jeunes filles ont laissé vides leurs chambres ; les femmes, leurs gynécées; les hommes, la place publique, et, tous ensemble, vous vous êtes empressés d'accourir pour voir ici la nature humaine confondue, la fragilité des choses du siècle mise à nu, cette courtisane qui se nomme la foraine, avant-hier, hier, si resplendissante encore, aujourd'hui nous montrant un visage (car la prospérité fille de la rapine a des rides plus hideuses que la plus difforme décrépitude), d’où l'adversité, comme avec l'éponge, a fait disparaître le fard, le plâtre, tout l'éclat emprunté..

4. Car voilà jusqu'où s'étend la puissance du coup que l'on vient de frapper: l'homme glorieux, l'homme illustre est devenu le plus vil de tous les misérables. Pour lé riche qui se rend à ce spectacle, le profit est grand: car, à contempler la chute qui précipite d'un faite si élevé, celui qui d'un sine remuait le monde; à le voir ramassé sur lui-même ; à voir que le lièvre timide, que la grenouille craintive connaissent moins que lui la terreur; à le voir, sans liens qui le retiennent, rivé à cette colonne où, à défaut de chaînes, l'épouvante l'étreint; à voir l'effroi, le tremblement qui l'agite , l'arrogance tombe, l'orgueil se dissipe, l'âme se prend à méditer ce qu’il est nécessaire de méditer des choses humaines, et l'on emporté dans son coeur, en se retirant, les paroles de l'Écriture, démontrées par la réalité, à savoir que, toute chair est une herbe des champs; toute gloire humaine comme une fleur des champs: l'herbe s'est desséchée, la fleur est tombée. (Isaï. XL, 6, 7.) Autres paroles : Comme l'herbe des champs, ils seront vite séchés; comme les plantes de nos jardins, ils seront vite tombés. (Ps. XXXVI, 2.) Autres paroles encore : Ses jours sont une fumée (Ps. CI, 4), et tous les exemples du même genre. Pour le pauvre, à son tour, qui entre et qui vient voir, il ne se prend plus en pitié; il ne gémit plus de son indigence; au contraire, il remercie sa pauvreté, qui est pour lui un sûr asile, un port sans tempêtes; un solide rempart: et, plus d'une fois, devant un tel spectacle, il lui arrivera de préférer sa condition présente à la courte possession de tous les biens de ce monde, inséparables du danger de voir bientôt son sang répandu. Comprenez-vous de quel rare profit, et pour les riches et pour les pauvres, et pour les petits et pour les grands, et pour les esclaves et pour les hommes libres; est le spectacle de ce réfugié? Comprenez-vous quel remède chacun doit emporter dans son coeur, s'il suffit de voir pour être guéri? Ai-je fléchi vos ressentiments, éteint votre colère, attendri votre dureté? Vous ai-je attirés à la compassion? Je n'en doute pas, j'en suis assuré, j'en crois vos visages, et vos larmes que je vois jaillir. Eh bien ! puisque chez vous le roc s'est transformé en une terre fertile, en une grasse campagne, courage ! quand le fruit de la miséricorde sera sorti de son gemme, quand le riche, épi de la sympathie et de l'amour se dressera devant nous, nous tomberons aux pieds de l'empereur, ou plutôt nous prierons le Dieu de mansuétude de fléchir la colère de l'empereur, d'attendrir son coeur, pour que nous obtenions tout entière la grâce de cet infortuné: Déjà, depuis le jour qu'il est venu chercher un refuge, les dispositions ont bien changé: Car aussitôt que l'empereur eut appris qu'i s'était précipité dans cet asile, que l'armée l'avait suivi, que les soldats, aigris par ses faute demandaient son supplice, il parla longtemps pour faire tomber leur colère; il ne voulait qu'on se bornât à rappeler les égarements mais qu'on se ressouvînt aussi de ses services, et qu'on tînt en compte, et, il disait que sa connaissance ne les oubliait pas, que pour ! torts de l'homme,.il les pardonnait. Cependant l'indignation se réveillait, l'empereur avait été outragé; les soldats criant, trépignant, réclamant l'arrêt de mort, agitaient leurs lances ; (285) des larmes coulèrent alors des yeux du plus clément des princes, il parla de la table sainte, refuge du malheureux, et c'est ainsi qu'il apaisa les colères.

5. A nous maintenant d'ajouter les paroles qui conviennent à notre ministère. Quel pardon pourrez-vous mériter, si, quand l'empereur outragé oublie son injure, vous, qui n'avez rien eu à souffrir, vous persistez dans votre haine implacable? Comment, au sortir de cette assemblée, prendrez-vous votre part de nos mystères ? Comment pourrez-vous prononcer cette prière qui nous prescrit de dire : Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons nous-mêmes à ceux qui nous doivent (Matth. VI, 12), s'il vous faut le supplice de vôtre débiteur? Il vous a prodigué les injustices et les outrages? Nous ne voulons pas ;en disconvenir. Cependant nous ne sommes pas à l'heure de la justice, mais de la pitié; ce n'est pas l'heure des comptes sévères, mais de la clémence; l'heure de l'examen, mais du pardon; l'heure de la sentence et du jugement, mais de la compassion et de l'indulgence. Plus de fureurs, plus de haines, mais bien plutôt prions le Dieu de clémence d'ajouter à ses jours, de l'arracher au supplice qui le menace, qu'il revienne lui-même de ses égarements; rendons-nous ensemble auprès du clément empereur; au nom de l'Eglise, au nom du sanctuaire, demandons-lui pour un seul homme, pour que cet homme vive, sa grâce, comme un présent offert. à la table sainte. Si nous le faisons, l'empereur accueillera notre prière, et Dieu, avant l'empereur , agréera notre conduite, et récompensera magnifiquement notre humanité. Car, autant il hait et déteste l'homme cruel, autant il aime et chérit celui qui est doux et miséricordieux. Si c'est un juste , Dieu lui tresse de plus brillantes couronnes; si c'est un pécheur, Dieu ne voit plus ses péchés, et la sympathie, l'amour montré par ce pécheur aux compagnons de son exil sur la terre, est la mesure de l'amour que. le Seigneur lui réserve en échange. Car, c'est la miséricorde que je veux, dit le Seigneur, et non le sacrifice. (Osée, VI, 6.) Et partout l'Écriture nous montre Dieu recherchant la miséricorde et nous la représentant comme le meilleur moyen d'effacer les péchés. C'est donc ainsi qu'à notre tour nous nous rendrons notre Dieu favorable; c'est ainsi que nous réparerons nos fautes; c'est ainsi que nous serons la parure de l'Eglise ; c'est ainsi que nous mériterons, comme je vous l'ai dit, les louanges d'un prince clément et les applaudissements de tout le peuple, et les extrémités de la terre admireront notre clémence et notre douceur, que toutes les bouches vont célébrer à l'envi: Hâtons-nous donc de jouir de ces grands avantages; à genoux, implorons, prions; arrachons à ses dangers le captif, le fugitif, le suppliant, pour qu'il nous soit donné à nous-mêmes d'obtenir les biens qui nous attendent, par la grâce et la miséricorde de Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soient la gloire et la puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

DEUXIÈME HOMÉLIE. Prononcée après qu’Eutrope, pris hors de l’église, eut été livré au supplice. — Des saintes Ecritures, et sur ce texte : " Adstitit regina a dextris tuis " (Ps. XLIV, 10.)
AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

On ne retrouve plus dans cette homélie le style de saint Chrysostome. Ce n'est plus cette éloquence facile, coulante, familière, et élégante. C'est un langage dur, pénible, saccadé, embarrassé. L'ordre logique est souvent interrompu. Ses idées se succèdent et ne se lient pas. La seconde partie, sur les noces de l'Eglise, a surtout paru à Tillemont indigne de saint Chrysostome, du resté c'est le même style partout.

1° Combien la lecture de la sainte Ecriture est en même temps utile et agréable. — Magnifique éloge de la stabilité de l'Eglise. — 2° Le chrétien ne craint pas les puissances de ce monde. — 3° Saint Chrysostome attaque souvent les riches parce que les riches attaquent toujours les pauvres, d'ailleurs il distingue toujours entre les bons et les mauvais riches. — 4° Ne craignons ; que le péché, ayons la conscience pure et tout sera sauf. Adam est tombé dans le paradis, Job s'est sauvé sur son fumier, imitons celui-ci. — 5° La vie présente est un séjour dans une hôtellerie. — 6° Ne ravissez pas les biens terrestres, ravissez le royaume du ciel. Attachez-vous à l'Eglise. L'orateur célèbre les louangea de l'Eglise. — 7° Comment il faut interpréter les passages où l'Ecriture semble attribuer, à Dieu des passions. — 8° Des différents noms que Dieu prend dans les Ecritures. — 9° Encore l'Eglise et Dieu. — 10 ° Dieu né se montre pas aux créatures tel qu'il est, mais il modère son éclat. Transfiguration de Jésus-Christ. — 11° Que les comparaisons les plus sublimes que puisse employer le langage humain sont toujours fort au-dessous de l'infinie beauté de Dieu. — 12° Le vrai trésor. La dot de l'épouse du Christ. — 13° La totalité de la dot ne sert payée que dans la vie future, dans ce monde nous ne recevons que des arrhes. — 14° La dot sera d'un prix infini. — 15° -17° Commentaire de ces paroles du psaume XLIV, 10 : Adstitit regina a dextris tuis, etc. —

1. Agréable est la prairie et le jardin, mais bien plus agréable la lecture de l'Ecriture sainte. Là-bas on voit les fleurs se flétrir; ici fleurir les pensées; là-bas souffle le zéphyr; ici l'Esprit divin ; là-bas des haies formées d'épines; ici la divine Providence est nôtre rempart , là-bas le chant des cigales, ici la voix retentissante des prophètes; là-bas le plaisir des yeux; ici l'utilité de la lecture. Le jardin n'occupe qu'une place, les Ecritures sont partout répandues sur la terre; le jardin est nécessairement assujetti aux influences des saisons, les Ecritures ne connaissent ni l'hiver, ni l'été, toujours riches de feuillage, et surchargées de fruits. Appliquons-nous donc à la lecture de l'Ecriture sainte, car cette application à l'Ecriture chasse le découragement, engendre le plaisir, détruit la perversité, affermit les racines de la vertu, qu'elle préserve de toute agitation, de toute secousse. La mer est en fureur, mais ton navire s'avance tranquille; c'est que tu as pour pilote l'Ecriture; c'est que tu tiens un câble que ne peut rompre l'assaut, des choses humaines. Et je ne mens pas; j'ai pour témoin la réalité même des choses. Il y a peu de jours que l'église était assiégée; vinrent des soldats, une armée entière; leurs yeux lançaient des flammes, et l'olivier ne s'est pas desséché; les glaives sont sortis des fourreaux et nul n'a reçu de blessure; les portes du palais de l'empereur s'agitaient et tremblaient, et l'église n'était pas ébranlée ; cependant c'était ici, que se ruait le flot de la guerre. Car c'était ici qu'on recherchait le fugitif, et nous nous tenions devant lui, pour le défendre, sa craindre-la fureur des soldats. Pourquoi? c'est que nous avions pour gage de notre inébranlable fermeté ; la parole : Tu es Pierre, et sur (287) cette pierre j'édifierai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. (Matth. XVI, 18.) Et quand je dis l'Église, ce n'est pas le lieu seulement, mais surtout le Dieu; je ne parle pas des murs matériels d'une église, mais des lois de l'Église. Quand tu te réfugies dans une église, ne demande pas ton refuge à un lieu, mais à ton propre coeur: Car l'Église n'est pas un mur, un toit, mais une foi; une règle de vie.

Ne dis pas que c'est l'Église qui a livré celui qui a, été livré. S'il n'avait pas abandonné l'Église, il n'aurait pas été pris. Ne dis pas qu'il s'est réfugié et qu'il a été livré. Ce n'est pas l'Eglise qui t’a abandonné, chais c'est lui-même qui a abandonné l'église. Ce n'est pas dans l'église qu'il a été livré, mais dehors. Pourquoi donc a-t-il abandonné l'église? Tu voulais être sauvé? Tu devais ne pas lâcher l'autel. S'il n'y avait pas là des murailles, il y avait , pour te 'mettre en sûreté, la providence de Dieu. Tu étais un pécheur? Dieu ne te repousse pas : Car il n'est pas venu pour appeler les justes, mais les pécheurs à la pénitence. (Matth. IX, 13.) La femme de mauvaise vie a été sauvée pour avoir touché les pieds du Seigneur. Avez-vous entendu la lecture de ce jour? — Ce que je vous dis, c'est pour que vous n'hésitiez jamais à vous réfugier dans le sein de l’Eglise. Demeurez dans l'Église, et vous ne serez pas trahis par l'Église. Mais si vous vous enfuyez loin de l'Église, la faute n'en est pas à l'Église. Car, tant que vous restez au dedans, le loup ne s'approche pas; mais une fois sortis, vous devenez la proie de la bête féroce; n'en accusez pas la bergerie, mais votre démence. — Non, il n'est rien d'égal à l'Église: Ne me parlez ni d'armes, ni de murailles; les murailles, le temps les détruit, mais l'Église ne sait pas vieillir. Les murailles sont démolies par les barbares, mais l'Église défie jusqu'aux démons. Je ne fais pas d'étalage de paroles; mes preuves, c'est la réalité: Combien d'ennemis ont combattu l'Église, et combien sont morts, tandis que sa tête s'est élevée au-dessus des cieux ! Voici quelle est la grandeur de l'Église ses combats sont des victoires; ses dangers des triomphes; les outrages rehaussent sa gloire; ses blessures la trouvent indomptable; les tourbillons ne l'engloutissent pas; les tempêtes ne lui font jamais un naufrage; c'est un lutteur invincible; c'est uni athlète qu'on ne terrasse pas. Pourquoi donc a-t-elle consenti à cette guerre ? pour avoir à montrer un trophée plus glorieux. Vous avez vu ce jour fameux, et tant d'armes qui s'agitaient, et cette armée furieuse, plus violente. que l'incendie, et nous nous empressions de nous rendre au palais de l'empereur. Qu'est-il arrivé? Par la grâce de notre Dieu rien ne nous frappa de terreur.

2. Ce que je dis, c'est pour que, vous aussi, vous fassiez comme nous. Pourquoi n'avons-nous vas été frappés de terreur? C'est que; de tous ces objets de terreur, nous n'en redoutions aucun. Car qu'y ,a-t-il de terrible? la mort? elle n'a rien de terrible; elle nous mène rapidement au port qui ne connaît pas de tempêtes. Mais tes biens seront confisqués? Nu je suis sorti du ventre de ma mère, nu je m'en retournerai. (Job. I, 21.) Mais les exils? C'est au Seigneur qu'appartient la terre, et ce qui la remplit. (Ps. XXIII, 2.) Mais les calomnies? Réjouissez-vous et soyez pleins d'allégresse quand on dira de vous toute espèce de mal en mentant, parce que votre récompense est considérable dans les cieux. (Matth. V, 12.) Je, voyais les glaives; et je pensais au ciel; j'attendais la mort, et je me rappelais la résurrection; je voyais ici-bas les souffrances, et j'énumérais les récompenses d'en-haut ; je remarquais les attaques, et je méditais la céleste couronne; car la raison de rues combats suffit pour me donner. le courage et la consolation. J'étais certes un homme qu'on emmène, mais il n'y avait pas là, pour moi, de déshonneur : car, en fait de déshonneur, il n'en est qu'un, le péché. Quand la terre entière vaudrait ton déshonneur , si tu ne te déshonorés pas toi-même, tu ne seras pas déshonoré. Il n'est de trahison que celle qui livre la conscience. Ne trahis pas ta conscience , et nul ne peut te. trahir. J'étais emmené, et je voyais la réalité, ou plutôt mes paroles devenues fine réalité; l'homélie faite par moi en paroles, prêchée sur la place publique, par la réalité: Quelle homélie? celle que j'ai sans cesse répétée : le souffle du vent a dispersé le feuillage; l'herbe s'est -desséchée, la fleur est tombée. (Isa. XL, 8.) La nuit s'en est allée, et le jour a paru; l'ombre a été rejetée, et l'on a vu paraître la vérité. — Ils sont montés jusqu'aux cieux et sont descendus jusque dans les plaines. L'orgueil des flots a été rabattu parla réalité des choses humaines. — Qu'est-ce à dire? C’est un enseignement que ce qui s'est passé. Oui, je me disais à moi-même : cette leçon de (288) sagesse profitera-t-elle à nos descendants? la leçon que donne l'expérience sera-t-elle, en moins de deux jours, livrée à l'oubli? L'avertissement retentissait encore; je parlerai de nouveau, je ferai de nouveau des discours. Quelle utilité? la voici, l'utilité. Si tous n'entendent pas la moitié entendra; si la moitié n’entend pas, le tiers entendra; si ce n'est pas le tiers, ce sera le quart; si ce n'est pas le quart, mettons dix auditeurs; s'ils ne sont pas dix, mettons-en cinq; à défaut de cinq, un seul; à défaut d'un seul, eh bien ! c'est moi qui ai mon salaire tout prêt. L'herbe s'est desséchée, la fleur est tombée; mais la parole de Dieu demeure éternellement. (Isa. XL, 8.)

3. Avez-vous vu le néant des choses humaines?avez-vous vu la fragilité de la puissance? avez-vous bien vu que cet or, qu'on appelait toujours un fugitif, n'est pas un fugitif seulement mais un meurtrier? Car il ne lui suffit pas d'abandonner ses maîtres, il faut qu'il les égorge. C'est quand vous l'entourez de plus de soins qu'il est surtout prompt à vous trahir. A quoi bon tant de soins pour cet or qu'on ne peut jamais retenir? Et bien , veux-tu lui prodiguer tes soins, veux-tu le retenir? ne l'enfouis pas dans la terre, mais livre-le entre les mains des pauvres. Les richesses sont des bêtes sauvages; si on veut les retenir, elles prennent la fuite; dispersez-les, elles restent. Il a dispersé ses trésors, dit le Psalmiste, il a donné aux pauvres. (Ps. CXI, 9) ; sa justice demeure dans l'éternité. Disperse-les , pour qu'ils demeurent; ne les enfouis pas, pour qu'ils ne t'échappent pas: Où sont-elles ses richesses? j'aimerais à l'apprendre de ceux -qui se sont retirés de lui. Et ce que j'en dis, ce n'est pas pour lui faire outrage, non; ni pour irriter ses blessures, mais je veux, par les naufrages des autres, vous ménager le port. Quand on voyait les soldats et les glaives, quand la ville était en feu, quand le diadème avait perdu son prestige, quand la pourpre était insultée, quand la fureur remplissait tout, qu'étaient devenus la richesse, les vases d'argent, les lits d'argent , les serviteurs ? Déroute universelle ! les eunuques? tous en fuite; les amis? plus de masques; ses palais? fermés à la clef; ses trésors? il fuyait, le maître de ces trésors. — Mais enfin, où étaient-ils, ces trésors? enfouis. Où donc se cachaient-ils? Je vous suis à charge, n'est-ce pas, et je vous importune, n'est-ce pas, en vous répétant sans relâche que les richesses trahissent le possesseur qui en use mal? Le temps est venu, qui a montré la vérité de mes paroles. Pourquoi retenir ces richesses, qui ne te sont d'aucun secours au moment des épreuves? Si elles ont quelque puissance, eh bien ! dans un besoin pressant, qu'elles t'assistent; mais si alors elles prennent la fuite, à quoi te servent-elles? Les choses parlent d'elles-mêmes. Quelle est l'utilité des richesses? Les glaives aiguisés, la mort menaçante, une armée furieuse, l'attente d'un sort si cruel, et, en même temps, plus d'or pour toi nulle part. Où a-t-il pris sa course, le fugitif? C'est lui qui t'a préparé toute cette catastrophe, et, dans cette crise, il prend la fuite.

Cependant de nombreuses voix m'accusent toujours d'attaquer les riches; c'est que les riches attaquent toujours les pauvres. Oui j'attaque les riches, c'est-à-dire non pas les riches, mais ceux qui ne savent pas se servir de leurs richesses. Car je ne cesse de dire que ce n’est pas le riche que j'attaque, mais le ravisseur. Bien différents sont le riche et le ravisseur; bien différents l'homme opulent et l'avare. Faites la distinction entre les choses, ne confondez pas ce qui doit être séparé. Etes-vous riche? à la bonne heure. Etes-vous un ravisseur? je vous accuse. Possédez-vous des biens qui sont votre propriété? jouissez-en. Vous emparez-vous du bien d'autrui? je ne me tairai pas. Voulez-vous me lapider : je suis prêt à verser mon sang, je ne veux que repousser le péché. Peu m'importe la haine, peu m'importe la guerre; ce qui m'importe uniquement, ce sont les progrès de ceux qui m'écoutent. Les riches sont mes enfants, et les pauvres aussi sont mes enfants; les uns et les autres, le même sein, les a portés, les mêmes douleurs les ont enfantés. Si donc tu attaques, le pauvre, je t'accuse, parce que ton attaqué est moins préjudiciable au pauvre qu'à toi même, car le pauvre ne subit jamais un grand,dommage; c'est à ses biens que l'on en veut; mais toi, c'est ton âme que tu meurtris. Me frappe du glaive, qui voudra; me lapide, qui voudra; me déteste, qui voudra : les assauts. contre moi m'assurent autant de couronnes; vous comptez mes récompenses; en comptant mes blessures.

4. Je ne crains donc pas la haine qui veut nuire; ma seule crainte, c'est le péché. Que personne ne puisse me convaincre de péché, (289) et que la terre entière me déclare la guerre. Car cette guerre-là me couvrira de gloire. Ce sont là les enseignements que je veux vous donner. Ne redoutez pas les attaques de l'homme puissant, mais redoutez la puissance du péché. L'homme ne pourra vous nuire, si vous ne vous frappez pas vous-même. Si vous êtes sans péché, quand les glaives par milliers se dresseraient contre vous, Dieu vous sauvera dans ses bras; mais si le péché vous tient, quand vous seriez dans le paradis, votre chute s'apprête. Adam était dans le paradis, et il est tombé; Job était sur le fumier, et il a été couronné. De quoi a servi à celui-là le paradis? quel mal a fait à celui-ci son fumier? L'un n'avait aucun ennemi, et il a été supplanté; l'autre a été assailli par le démon, et il a été couronné. Le démon ne s'est-il pas emparé de ses richesses ? mais sans pouvoir lui ravir sa piété. Ne lui a-t-il pas arraché ses enfants? mais sans pouvoir ébranler sa foi. Ne lui a-t-il pas déchiré tout le corps? mais sans pouvoir trouver son trésor. N'a-t-il pas armé sa femme contre lui? mais il n'a pas fait trébucher le soldat de Dieu. Ne l'a-t-il pas couvert de ses traits, de ses flèches? mais sans pouvoir lui faire de blessures. Il a mis en mouvement les machines de guerre; mais la tour n'a pas branlé. Il a soulevé les flots, mais le navire n'a pas sombré. Que ce soit là votre exemple et votre loi, je vous en prie; je m'attache à vos genoux, que mes mains ne touchent pas, mais que j'embrasse par la pensée, et je vous dis, les yeux mouillés de larmes, que ce soit là votre exemple et votre loi, et nul ne peut vous nuire. Ne dites jamais, heureux le riche ! ne regardez jamais comme malheureux que le pécheur; dites, heureux le juste! Car ce n'est pas la nature des choses, mais la pensée de l'homme qui fait l'heureux et le malheureux. Ne redoutez jamais les épées si votre conscience ne vous accuse pas; ne redoutez jamais l'état de guerre si votre conscience est pure. Où sont-ils ceux qui ont disparu? répondez-moi. Est-ce que les peuples ne se tenaient pas inclinés devant eux? est-ce que les plus grands en dignité n'étaient pas ceux qui tremblaient le plus devant eux, qui leur rendaient le plus d'hommages? Le péché est venu, et tout cela s'est trouvé confondu : les serviteurs sont devenus des anges; les flatteurs des bourreaux; ceux qui baisaient ses mains ont été les premiers à le traîner hors de l'église; qui lui baisait hier la main est aujourd'hui sou ennemi. Pourquoi? c'est que les baisers d'hier étaient mensonge. Le temps est venu, et les masques sont tombés. Est-ce qu'hier tu ne lui baisais pas les mains? est-ce que tu ne l'appelais pas ton sauveur, ton protecteur, lori bienfaiteur? est-ce que ta ne lui tressais pas la plus belle couronne de louanges que tu pouvais? Pourquoi donc aujourd'hui l'accuses-tu? Hier tu chantais ses louanges, et aujourd'hui tu l'appelles en jugement; hier les éloges, et aujourd'hui les accusations ! quel est ce changement? quelle est cette transformation?

5. Mais moi, je ne suis pas de ces hommes; mais moi qu'il attaquait, je suis devenu son défenseur. J'ai souffert de lui des maux sans nombre, je ne lui ai pas rendu la pareille. Car je suis l'exemple de mon Dieu, qui, sur la croix, disait : Pardonnez-leur, car ils ne savent, pas ce qu'ils font. (Luc, XXIII, 31.) Et je vous le dis, pour que les conjectures des méchants ne troublent pas votre jugement. Que de révolutions depuis que je suis à la tête de cette ville, et personne n'est. revenu à la sagesse! Quand je dis personne, loin de moi la pensée de vous condamner tous. Non, il n'est pas possible que cette grasse campagne, qui a reçu les semences ne porte pas les épis. Mais c'est que je suis insatiable; je ne veux pas vous . sauver en petit nombre, mais tous. Si un seul de vous se perdait, je suis bon, et je veux être ce berger des quatre-vingt-dix-neuf brebis, qui court à la centième égarée. (Luc, XV, 4.) Combien de temps encore les richesses? combien de temps encore l'argent, et l'or, et le vin répandu, et les flatteries des serviteurs, et les cratères couronnés, et les banquets sataniques, remplis de l'oeuvre du démon?

Ne savez-vous pas que la vie présente est un voyage, que vous n'êtes pas des citoyens? vous êtes des voyageurs. Comprenez-vous ce que je dis? vous n'êtes pas des citoyens, mais des voyageurs et des passants. Ne dites pas telle ou telle ville est ma cité. Personne n'a de cité à soi. La cité est en haut. Le présent est un voyage. Nous sommes, tous les jours de notre vie, des voyageurs, jusqu'à ce que la nature ait achevé sa course. Voit-on des voyageurs mettre des trésors en réserve? voit-on des voyageurs enfouir de l'or? quand vous entrez dans une hôtellerie, répondez-moi, vous amusez-vous à orner l'hôtellerie? Non, mais vous mangez, vous buvez, et vous vous hâtez (290) de sortir. La vie présente est une hôtellerie. Nous y sommes entrés, nous dépensons la vie présente; prenons soin d'en sortir avec une belle espérance, ne laissant rien ici, afin de ne pas être là-bas sans ressources. Quand vous entrez dans une hôtellerie, que dites-vous à votre serviteur? Voyez bien où vous mettez les bagages; ne laissez rien ici, n'égarez rien de si petit, du si mince que ce soit, que nous puissions tout remporter à la maison. Faisons de même quant à la vie présente; regardons la vie comme une hôtellerie, et ne laissons rien dans l'hôtellerie , mais emportons tout dans la cité, dans la métropole. Vous êtes des voyageurs, des passants, disons mieux, vous êtes moins que des voyageurs. Comment cela? je vais vous le dire. Le voyageur sait quand il entre dans l'hôtellerie; et quand il en part, car .il est le maître d'en sortir comme d'y entrer mais moi qui entre dans l'hôtellerie, c'est-à-dire dans la vie présente, quand dois-je en sortir? je l’ignore. Et parfois je me ménage pour longtemps des provisions, et voilà le Seigneur qui tout à coup m'appelle : Insensé ! pour qui ce que tu as amassé? car, cette nuit même, on te prend ton âme. (Luc, XII, 20.) Incertaine l'heure du départ.; mal assurée la possession; des précipices sans nombre; partout les flots grondants. Quelle fureur de s'attacher à des ombres? pourquoi, abandonnant la vérité, cours-tu après des ombres?

6. Je dis ces choses, et je ne cesserai pas de les redire , au risque de vous causer de la douleur, je veux porter les mains sur ces plaies , non pour ceux qui sont tombés , mais pour ceux qui sont debout. Ceux -là ont disparu; il n'en est plus question; mais ceux qui sont restés debout se sont affermis au spectacle de ces malheurs. Eh bien ! me dit-on, que devons-nous faire? une seule chose , détestez les richesses, et embrassez ce qui vous fait vivre. Rejetez lès biens de ce monde, je ne dis pas tous, mais retranchez le superflu. Ne désirez pas le bien d'autrui , ne dépouillez pas la veuve, ne pillez pas l'orphelin, ne volez pas sa maison. J'oublie les personnes, mes paroles ne font en ce moment que proclamer des vérités. Si quelqu'un se sent attaqué par sa conscience, à lui la faute, non à mon discours. A quoi bon ravir ce qui excite la basse envie? Ravissez ce qui assure la couronne. Ne soyez pas un ravisseur de la terre, mais du ciel. C'est à la violence qu'appartient le royaume des cieux, c'est la violence qui le ravira. (Matth. XI, 12.) Pourquoi ravir lesbiens du pauvre qui vous accuse? Ravissez les trésors du Christ qui vous approuve. N'avez-vous pas compris ce qu'il y a d'insensé dans cette fureur? Vous ravissez au pauvre le peu qu'il possède ? Le Christ vous dit: c'est à moi qu'il faut ravir, et je vous saurai gré de votre tapine ; ravissez-moi mon royaume parla violente. La royauté d'en-bas, si vous voulez la ravir, si vous avez seulement la pensée de la ravir, le châtiment est sur vous; mais la royauté d'en-haut, si vous ne voulez pas la ravir, c'est alors aussi que vous serez châtiés. Où sont les biens de la terre, là s'exerce l'envie; mais où sont les biens spirituels, c'est là que règne la charité. Faites de ces pensées vos méditations de chaque jour, et, pour avoir vu un homme porté sur un char, couvert d'un vêtement de soie, fier et triomphant, ne soyez pas, deux jours encore après ce spectacle tourmenté, bouleversé, troublé. Ne louez pas le riche, mais seulement le juste ; ne maltraitez pas le pauvre, mais apprenez à porter sur toutes choses un jugement droit et que rien ne fausse.

Ne vous séparez pas de l'Eglise, car l'Eglise a une puissance sans égale. Votre espérance, c'est l'Eglise ; votre salut, l'Eglise; votre refuge, l'Eglise. Elle s'élève plus haut que le ciel, elle s'étend plus au large que la terre. Jamais vieillissante, toujours jeune. C'est pour quoi l'Ecriture, considérant sa solidité inébranlable, l'appelle une montagne; son incorruptibilité , une vierge ; sa magnificence; une reine; à cause des liens qui l'unissent à, Dieu, elle la nomme sa fille; à cause de la fécondité de son sein, elle lui compte sept enfants; elle a des termes sans nombre pour exprimer sa noblesse. Car, de même que son maître et Seigneur a beaucoup de noms, qu'off l'appelle le Père, qu'on l'appelle la voie, qu'on l'appelle vie, lumière, bras, propitiation, fondement, porte; qu'on l'appelle impeccable; trésor, Seigneur, Dieu, Fils, Fils unique, forme de Dieu, image de Dieu; un seul nom ne suffit-il donc pas pour comprendre le tout? nullement; nous avons besoin de ces millier de termes pour apprendre sur Dieu bien peu de chose; de même ! Eglise a aussi des nome en foule. On l'appelle vierge, elle qui avait été une impudique: car le prodige accompli pat l'époux, c'est qu'il a fait d'une courtisane une vierge. O nouveauté, ô étrangeté ! Les hymens (291) de la terre sont la fin de la virginité; l’hymen qui vient de Dieu est la résurrection de la virginité: Chez nous, la vierge qui reçoit un époux cesse d'être une vierge; avec le Christ, la courtisane qui le prend pour époux devient une vierge.

7. Je voudrais demander une explication seulement à l'hérétique qui se donne tant de peine pour comprendre la suprême génération, et qui se dit: Comment le Père a-t-il engendré?Demandez-lui donc comment l'Eglise, qui était d'abord une courtisane, est-elle devenue une vierge? comment celle qui a enfanté est-elle restée vierge ? Car je suis jaloux de vous de la jalousie de Dieu, dit Paul, car j'ai conclu vos fiançailles avec l' Epoux unique, afin que vous soyez une chaste vierge pour le Christ. (II Cor. XI, 2.) O sagesse, ô intelligence ! Car je suis jaloux de vous de la jalousie de Dieu. Que signifient ces paroles? Je suis jaloux, dit-il. Tu es jaloux, toi, qui mènes la vie spirituelle ? C'est que je suis jaloux, dit-il, à la manière de Dieu. Eh quoi ! Dieu est jaloux? Certes, il est jaloux, non par vice de nature, mais par amour, par la jalousie de l'amour ardent. Car je suis jaloux de vous de la jalousie de Dieu.

Vous dirai-je comment il est jaloux? Il a vu la terre corrompue par les démons, et il a livré soli propre Fils. Les paroles qu'on applique à Dieu n'ont plus la même énergie. Par exemple, la jalousie de Dieu, la colère de Dieu, Dieu se repent, Dieu déteste. Ces paroles sont; empruntées à la langue des hommes; ce qu'elles signifient dans l'Ecriture n'appartient qu'à la nature de Dieu. Comment Dieu peut-il être jaloux? C'est que je suis jaloux de vous de la jalousie de Dieu. La colère s'empare de Dieu ? Seigneur, ne me reprenez pas dans votre fureur. (Ps. VI, 1.) De sorte que l'on peut dire même le sommeil de Dieu ? Levez-vous , pourquoi dormez-vous , Seigneur ? (Ps. XLIII, 23.) Dieu se repent? Je me repens d'avoir fait l'homme. (Gen. VI, 7.) Dieu déteste? Vos fêtes et vos néoménies, mon âme les déteste. (Is. I, 14.) Mais ne considérez pas les paroles, elles sont chétives, mais concevez les pensées d'une manière digne de Dieu. Dieu est jaloux, parce qu'il aime. Dieu s'irrite, non parce qu'il est impatient, mais parce qu'il est la réparation et le châtiment. Dieu dort, non parce qu'il sommeille, mais parce qu'il est la longanimité qui attend. Sachez discerner le sens des paroles. Ainsi, quand vous entendrez dire que. Dieu engendre, ne concevez pas une séparation quelconque, mais la consubstantialité. Car Dieu noirs a emprunté beaucoup de termes de notre langage, et nous, à notre tour, nous tenons à honneur de lui emprunter des termes pour les employer comme lui.

8. M'avez-vous compris ? Soyez attentif, mon ami, mon frère. Il y a des noms divins, il y a des noms humains. Il m'a pris des noms qui sont à moi, et il m'en a donné d'autres qui sont de lui. Donne-moi tes noms, et prends les miens, dit-il. Tu as besoin des miens; ce n'est pas moi qui en ai besoin, mais toi, attendu que ma substance est sans mélange, mais que toi, tu es un homme, mêlé à un corps, et qu'il te faut des paroles en rapport avec ton corps, pour que toi, mêlé à un corps, tu puisses, grâce aux manières de parler qui te sont connues, concevoir les pensées qui dépassent ta nature. Quels noms m'a-t-il pris, et quels noms m'a-t-il donnés? C'est lui qui est Dieu, et il m'a appelé Dieu ; là-haut est la réalité; ici l'honneur du nom. J'ai dit, vous êtes des dieux, et tous les fils du Très-Haut. (Ps. LXXXI, 6.) Les mots sont pour la terre, mais là-haut est la réalité. II m'a appelé Dieu , c'est-à-dire qu'il m'a fait un honneur. Il a été lui-même appelé homme, appelé Fils de l'Homme, appelé la voie, appelé porte, appelé pierre. Voilà les noms qu'il m'a pris; les autres sont des expressions qui lui sont propres et qu'il m'a attribuées. Pourquoi s'est-il appelé la voie? Pour vous apprendre que c'est par lui que nous montons vers le Père. Pourquoi, pierre? Pour vous apprendre la nécessité, la solidité de la foi: Pourquoi, fondement? Pour vous apprendre que tout est supporté par lui. Pourquoi, racine? Pour vous apprendre que c'est en lui que nous portons des fleurs. Pourquoi, berger? Parce que c'est lui qui nous mène dans les pâturages. Pourquoi, brebis? Parce qu'il a été sacrifié pour nous, et qu'il est devenu la propitiation. Pourquoi, la vie ? Parce que nous étions morts, et qu'il nous a ressuscités. Pourquoi, lumière? Parce qu'il a dissipé nos ténèbres. Pourquoi, bras? Parce qu'il est consubstantiel au Père. Pourquoi, Verbe? Parce qu'il a été enfanté par le Père; car, de même que ma parole vient de mon âme, de même le Fils a été enfanté par le Père. Pourquoi, vêtement? Parce que j'ai été revêtu de lui par le baptême. Pourquoi, table? Parce que je me nourris de lui quand je participe aux mystères. Pourquoi, maison? Parce (292) que je demeure en lui. Pourquoi, habitant? Parce que nous sommes son temple. Pourquoi, tête? Parce que nous sommes ses membres. Pourquoi, fiancé? Parce qu'il m'a voulu pour son épouse? Pourquoi , chaste? Parce qu'il a choisi ma virginité. Pourquoi, maître? Parce que je suis sa servante.

9. Voyez les divers noms donnés à l'Eglise, comme je vous le disais, tour à tour, épouse, fille, vierge, servante, reine, femme stérile, montagne, jardin, mère féconde, lis, fontaine. C'est pourquoi, si vous avez entendu, n'attachez pas à tous ces mots un sens matériel; faites un effort de pensée : de tels mots ne peuvent pas avoir un sens matériel. Par exemple, une montagne n'est pas une vierge; une vierge n'est pas une épouse; une reine n'est pas une servante. L'Eglise est tout cela. Pourquoi ? C'est qu'il n'y a là rien de matériel, tout est pour l'âme. Un objet matériel ne pourrait contenir à la fois tout cela; mais, dans Pâme, tous les flots de la mer s'entendraient à leur aise. La Reine se tenait à ta droite. (Ps. XLIV, 10.) Une reine? Celle qu'on foulait aux pieds, la mendiante, comment est-elle devenue une reine? où est-elle montée? En haut se tenait cette reine. Comment cela? Parce que le roi est devenu esclave; il ne l'était pas, mais il l'est devenu. Apprenez donc les choses de la Divinité; méditez-en l'économie. Apprenez ce qu'il était, et ce qu'il est devenu pour vous, et gardez-vous de confusion; et, de ce qui prouve sa bonté pour les hommes, ne faites pas l'occasion d'un blasphème. Il était élevé, et celle-ci ôtait dans la bassesse. Son élévation ne lui venait pas du lieu, mais de sa nature. Il était sans mélange; indestructible substance; nature incorruptible, incompréhensible, invisible, insaisissable, éternelle; existence identique; au-dessus des anges,"au-dessus des puissances d'en-haut;surpassant la raison; les yeux sont, pour l'atteindre, sans pouvoir; ce pouvoir n'appartient qu'à la foi. Les anges la voyaient et tremblaient; les chérubins se couvraient de leurs ailes, et tous étaient dans la crainte. Son regard faisait trembler la terre ; il menaçait la mer et la desséchait; du désert, il tirait des fleuves; les montagnes, il les mettait dans la balance, et il pesait les vallées et leurs bois. Où trouver des paroles, des images pour vous les montrer? Sa grandeur n'a pas de limites; s'a sagesse défie la, mesure et le nombre; ses jugements ne peuvent être sondés; ses voies sont impénétrables. Telle est sa grandeur, telle est sa nature, si, toutefois, l'on ose dire: Telle -est sa grandeur, et telle est sa nature. Mais, moi, qu'ai-je voulu? Je suis homme, et je parle le langage de l'homme; ma langue est d'argile; j'implore le pardon du Seigneur. Ce n'est pas uni témérité insensée qui m'a fait me servir de ces paroles, mais la pénurie de mon infirmité, l'indigence naturelle de notre langage. Soyez moi propice, Seigneur; ce n'est pas une témérité insensée qui m'a fait prononcer ces paroles, c'est que je n'en ai pas d'autres; et, cependant, je ne m'arrête pas à ta bassesse de ces paroles chétives, mais je m'élève sur les ailes de la pensée. Telle est sa grandeur, telle est sa nature. Je dis ces mots pour que, vous aussi, sans vous arrêter à ces paroles, à l'indigence de notre langage, vous appreniez à faire ce que. je tente. Pourquoi vous étonner, que je fasse ce que fait quiconque veut montrer des choses au-dessus de l'homme? Il faut bien, quand. on s'entretient avec des hommes, se servir d'images à la portée des hommes, insuffisantes à montrer ce qu'on dit, impuissantes à exprimer, toute l'étendue de la, pensée, suffisantes pourtant, eu égard à l'infirmité de ceux qui écoutent.

10. Faites un effort de pensée; ne vous fatiguez pas de la longueur de ce discours. Car, comme il arrive, lorsque Dieu se fait voir, qu'il ne fait pas voir ce qu'il est; que son essence ne se fait pas voir à nu : (car personne n'a jamais vu Dieu, ce qu'il est, lui; car, bien qu'il usât de condescendance, les chérubins tremblaient; il condescend, et pourtant les montagnes fument; il condescend, et pourtant la mer se dessèche; il condescend, et pourtant le ciel est bouleversé : s'il n'usait de condescendance, qui pourrait le supporter?) donc, comma il arrive que Dieu ne fait pas voir ce qu'il est, mais seulement ce que peuvent supporter de lui les yeux qui le voient, pour cette raison, il se montre tantôt en vieillard , tantôt en jeune homme, dans le feu, dans l'air, dans l'eau; quelquefois il est en armes, il ne change pas sa substance, seulement il prend, pour les yeux, des formes qui varient selon les circonstances ! de même aussi, quand il veut nous apprendre de lui quelque chose, il se sert de figures humaines. Exemple : il monta sur la montagne Et il se transfigura en leur présence, et son visage resplendissait comme la lumière, et ses vêtements étaient blancs comme la neige. (Matth. XVII, 12.) Il laissa voir, veut dire l'évangéliste, un peu de sa divinité; il leur montra le Dieu caché sous cet extérieur, Et il se transfigura en leur présence. Faites bien attention à la parole. L'évangéliste dit : Et il se transfigura en leur présence, et ses vêtements resplendissaient comme la lumière, et son visage comme le soleil. Puisque j'ai dit : Telle est sa grandeur et telle est sa nature, et que j'ai ajouté Soyez-moi propice, Seigneur, je veux que vous sachiez,que c'est Ecriture qui m'a enseigné ce langage. L'évangéliste a donc voulu montrer sa splendeur, et il dit : Il resplendissait. Comment resplendissait-il, réponds-moi? Vivement. Et comment dis-tu : Comme le soleil? Comme le soleil, dis-tu ? Sans doute. Pourquoi? Parce que je me sais pas d'astre plus brillant. Et il était blanc comme la neige ? Pourquoi, comme la neige? Parce que je ne sais pas d'autre matière plus blanche. Car la preuve qu'il ne resplendissait pas de cette manière vient tout de suite après. Et les disciples tombèrent parterre. S'il eût resplendi comme le soleil, les disciples ne seraient pas tombés ; car ils voyaient le soleil chaque jour, et ils ne tombaient pas; mais, comme il resplendissait plus que le soleil, plus que la neige, c'est pour cette raison que, ne pouvant pas supporter sa splendeur, ils tombèrent.

11. Dis-moi donc, ô évangéliste ! il resplendissait plus que le soleil, et tu dis comme le soleil? Sans doute, je veux vous représenter cette lumière, et je ne connais pas d'astre plus grand, je ne connais pas d'autre image régnant au milieu des astres. J'ai dit ces paroles avec la pensée que vous ne vous arrêtiez pas à la faiblesse de l'expression. Je vous ai montré les disciples tombant. Ils tombèrent par terre et ils furent plongés dans un lourd sommeil, et ils y étaient ensevelis. Relevez-vous! leur dit-il, et il les réveilla, et ils étaient appesantis. (Matth. XVII, 7.) C'est qu'ils n'avaient pu supporter l'excès de la splendeur, et leurs yeux s'assoupirent; ainsi la lumière qui parut surpassait le soleil. Si l'évangéliste a dit, comme le soleil, c'est que cet astre nous est connu et surpasse tous les autres astres sans exception. Mais celui dont-je disais telle est sa grandeur et telle est sa nature, a recherché l'impudique. Une, impudique recherchée par Dieu ? Oui, une impudique. Je parle de notre nature. Une impudique recherchée par Dieu? Mais l'homme qui recherche une impudique est condamné, et Dieu recherche une impudique? Rien n'est plus vrai. L'homme recherche l'impudique, pour devenir impudique lui-même; Dieu, au contraire, recherche l'impudique, pour faire, de l'impudique, une vierge ; de sorte que le désir de l'homme est la perte de celle qu'il désire; mais le désir de Dieu est le salut de celle qu'il a désirée. Telle est sa grandeur et telle est sa nature, et il a désiré l'impudique. Et pourquoi? pour devenir son époux. Que fait-il? Il. ne lui envoie pas un de ses serviteurs; il n'envoie pas son ange à l'impudique; il ne lui envoie pas son ange; il ne lui envoie pas les chérubins; il ne lui envoie pas les séraphins; c'est lui-même qui se rend auprès d'elle, auprès de celle qu'il aime. Encore une fois en entendant parler d'amour, n'allez pas vous figurer qu'il, s'agit de l'amour des sens. Recueillez les pensées, détachez-les des paroles, imitez , modèle. excellent, l'abeille qui voltige sur les fleurs, prenant le miel et la cire, et laissant tout le reste. Il a désiré l'impudique; et que fait-il? il ne la fait pas monter jusqu'à lui, car il ne voudrait pas d'une impudique au ciel; mais c'est lui qui descend. Comme elle ne pouvait pas 's'élever jusqu'à lui, c'est lui qui est descendu jusqu'à elle. Il va vers l'impudique, et il n'en rougit pas. Il se rend où elle se cache. Il la voit dans l'ivresse.. Et comment se rend-il auprès d'elle? Son essence ne se dépouille pas de tout voile, mais il devient ce qu'était l'impudique. Il ne prend pas sa corruption, mais sa nature, pour que sa vue ne la trouble pas, ne la fasse pas se débattre et s'enfuir. Il se rend auprès de l'impudique, et devient homme. Et comment le devient-il? Il est porté dans des entrailles, il grandit peu à peu, et il prend la route que je peux suivre moi-même. Qui donc? C'est le Dieu fait homme, ce n'est pas la divinité seulement. C'est la forme de l'esclave, ce n'est pas la forme du Maître; c'est ma chair à moi, ce n'est pas son essence à Lui; il grandit peu à peu, et il se mêle parmi les hommes. Il a beau la trouver remplie d'ulcères, furieuse, accablée par les démons, que fait-il? Il s'approche d'elle. Celle-ci le voit et s'enfuit. Il appelle les mages. Que craignez-vous? Je ne suis pas un juge, mais un médecin. Je ne suis pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde. (Jean, XII, 47.) Il appelle aussitôt les mages. O étranges et incroyables choses ! Les prémices apparaissent aussitôt, les mages. Le (294) voilà couché dans une crèche, Celui qui porte la terre, et le voilà dans des langes, Celui qui enveloppe l'univers. Ce qui est couché, c'est le temple, et celui qui l'habite, c'est Dieu. Et les mages arrivent, et l'adorent aussitôt; arrive le publicain, et il devient évangéliste; arrive la courtisane, et elle devient une vierge; arrive la Chananéenne, et elle éprouve sa charité. C'était le propre d'un coeur plein d'amour de ne pas réclamer les comptes sévères des péchés, mais de pardonner les délits et les fautes. Eh bien ! que fait-il? Il prend l'humanité, il fait ses fiançailles avec elle. Et que lui donne-t-il? Un anneau: Lequel? l'Esprit-Saint. Ecoutez Paul: Le Dieu qui affermit notre société avec vous, le Dieu qui nous a scellés de son sceau, et qui nous a donné les arrhes de l'Esprit. (II Corinth. I, 21, 22.) C'est l'Esprit qu'il lui donne. Ensuite, il lui adresse ces mots : Ne t'ai-je, pas plantée dans le paradis? Elle répond, oui. Et comment en es-tu déchue? Le diable est venu, et il m'a prise, et il m'a tirée du paradis. Tu avais été plantée dans le paradis, et il t'en a chassée ; voici que je te plante en moi, c'est moi qui te porte. Comment? il n'ose pas s'approcher de moi. Je ne te fais pas monter dans le ciel, mais, ici, tu seras plus grandement qu'au ciel : c'est en moi-même, en moi, le Maître du ciel, que je te porte. Le berger porte la brebis, et le loup n'approche plus; ou plutôt je lui permets d'approcher. Il porte notre nature, et le diable s'approche, et il est vaincu. Je t'ai plantée en moi. Voilà pourquoi il dit : Moi, je suis la racine, et vous, les sarments (Jean, XV, 5), et il l'a implantée en lui. Et après? Mais je suis un pécheur, dit l'homme, et un être immonde. Ne t'inquiète pas, je suis médecin. Je connais mon vase, je sais comment il a été détérioré. Il était d'argile d'abord, et il a été détérioré. Je le renouvelle par un baptême de régénération, et je lé livre au feu. Voyez bien ! il a pris de la terré et il en a -fait l'homme; il l'a façonné. Le diable est venu, il l'a détérioré. Il est venu, Lui, et, de nouveau, il l'a repétri, et il lui a donné une nouvelle forme dans le baptême, et, cette fois, il n'a pas voulu que son corps fût simplement d'argile , niais il l'a fait de terre cuite. Il a livré l'argile au feu de l'Esprit : Lui-même vous baptisera. dans l’Esprit-Saint et dans le feu (Matth. III, 11); dans l'eau, pour réformer; dans le feu, pour consolider. C'est pourquoi le Prophète, inspiré d'en-haut, disait longtemps d'avance : Comme les vases d'un potier, vous les briserez. (Ps. II, 9.) Il ne dit pas, comme les vases de terre cuite (1), que chacun possède : car les vases du potier sont ceux que le potier fabrique sur sa roue; et les vases du potier sont d'argile, candis que les nôtres sont de terre cuite. Donc le Prophète, annonçant la recomposition par le baptême, comme les vases d'un potier, dit-il, vous les briserez. Nouvelle forme, dit-il, corps de nouveau pétris. Je me plonge dans les eaux du baptême; et ma forme est renouvelée, le feu de l'Esprit la reconstitue , et de là la terre cuite. Et ce qui prouve qu'il n'y a pas là un étalage de paroles, écoutez Job : Il nous a faits d'argile. ( Job, X, 9. ) Voici Paul : Gardant ce trésor dans des vases de terre cuite. (II Corinth. IV, 7.) Considérez la force de la terre cuite, ici :-c'est qu'il n'est pas question de la terre cuite dans le feu, mais dans l'Esprit. Comment, vases de terre cuite? Ecoutez : Cinq fois, j'ai reçu trente-neuf coups de fouet; trois fois j'ai été frappé de verges; une fois j'ai été lapidé (II Corinth. XI, 24, 25), et le vase de terre cuite n'a pas été brisé. Un jour et une nuit, je suis resté au fond de la mer. Il est resté au fond de la mer, et le vase de ferre cuite ne s'est pas dissous; il a fait naufrage, et le trésor n'a pas été perdu. Le navire a été englouti, et le. chargement a surnagé. Gardant ce trésor. Quel trésor? Les provisions de l'Esprit, la justice, la sanctification, la rédemption. Quel trésor? Répondez-moi. Au nom de Jésus-Christ, lève-toi et marche. (Act. III, 6.) Aenéée, Jésus-Christ te guérit. (Act. IX, 34. ) Je te le dis, esprit impur, sors de ce corps. (Act. XVI, 18.)

12. Avez-vous compris ce trésor, plus magnifique que tous les trésors des rois? Car quelle perle royale a le pouvoir des paroles de l'Apôtre? Mettez mille et dix mille diadèmes sur des morts, vous ne les réveillez pas; une seule parole est sortie de l'Apôtre, et la nature rebelle est devenue docile, et la voilà rétablie en son premier état. Gardant ce trésor. O trésor, non-seulement conservé dans la maison, mais conservant la maison qui le possède ! Avez-vous compris? Lés rois, les princes de la terre quand ils ont des trésors, construisent de grands édifices; il leur faut des murailles, des verroux, des portes, des gardes, des serrures, pour conserver le trésor; le Christ a fait tout

1 Le vase de potier, c'est le vase qui n'a pas encore passé par le feu ; le vase de terre cuite c'est le même vase que le feu a duret, Cette même distinction est déjà dans la première catéchèse.

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le contraire : ce n'est pas à une construction de pierre qu'il confie le trésor, il le met dans un vase de terre cuite. Si le trésor est grand, pourquoi ce vase fragile? Eh ! le vase est fragile, justement parce que le trésor est grand; j'est qu'il n'est pas conservé par le vase, mais c'est lui qui conserve le vase. C'est moi qui dépose le trésor, qui donc peut le voler? Le diable est venu , la terre est venue , des milliers d'hommes sont venus, et ils n'ont pas volé le trésor; on a flagellé le vase , et le trésor n'a pas été livré ; la mer a tout englouti, et il n'y a pas eu naufrage ; il y a eu mort, et le trésor demeure. Il a donc donné son gage. Où sont-ils les blasphémateurs de l'Esprit ? Faites attention : Le Dieu qui affermit notre société avec vous dans le Christ, et qui nous a donné les arrhes de l'Esprit. (II Cor. 1, 21-22.) Volis savez tous ce qu'on appelle arrhes, une partie peu importante du tout; comment cela? Ecoutez : Un homme va acheter une maison d'une valeur considérable, et il dit : Donnez-moi des arrhes, pour ma sûreté. Un homme va conclure un mariage , il convient de la dot et de tous les arrangements, et il dit : Donnez-moi des arrhes. Soyez attentifs ! dans l'achat d'un esclave, des arrhes, et dans tous les marchés qu'on passe, des arrhes. Eh bien donc ! dans le contrat que le Christ a fait avec nous (car il devait me prendre pour son épouse), il stipule une dot aussi en ma faveur, apport, non d'argent, mais de sang. Or la dot qu'il stipule pour moi, c'est la richesse des biens, que l'oeil n'a pas vus, que l'oreille n'a pas entendus, et qui ne sont pas entrés dans le coeur de l'homme. (I Corinth. II, 9.) Il m'a donc stipulé en dot, l'immortalité, le bonheur de le louer, au milieu des anges , d'être affranchi de la mort, délivré du péché; l'héritage de sa royauté (quelles richesses !) la justice, la sanctification, l'affranchissement qui vous arrache au monde présent, et fait trouver les biens à venir. C'était pour moi une dot considérable. Soutenez votre attention. Voyez ce qu'il fait. Il est venu prendre la courtisane. Si je vous parle de l'impureté de la femme, c'est pour vous faire comprendre l'amour de l'époux. Il est venu, il me prend, il me stipule une dot; il me dit : Je te donne ma fortune. Comment? Tu avais perdu, dit-il, le paradis? reprends-le. Tu avais perdu, dit-il, la beauté ? reprends-la; reprends tout cela. Mais la dot ne m'a pas été donnée pour en jouir ici.

13. Attention ! pourquoi cette dot annoncée d'avance? Il a stipulé pour moi, dans ma dot, la résurrection des corps, l'incorruptibilité. C'est que la résurrection n'a pas pour conséquence nécessaire l'incorruptibilité; mais c'étaient deux faits distincts. Il y a eu beaucoup de morts ressuscités, lesquels sont morts de nouveau ; exemples, Lazare et les corps des saints. Mais lui n'agit pas de même; il nous promet résurrection, incorruptibilité, notre admission dans le choeur des anges, la venue du Fils au milieu des nuages, et il nous dit que : Nous serons toujours avec le Seigneur. (I Thess. IV, 17.) II nous promet encore l'affranchissement de la mort, la délivrance du péché, la destruction de la mort. Que signifie cette fin ? Les choses que l'oeil n'a pas vues , et que l'oreille n'a pas entendues , et qui ne sont pas entrées dans le coeur de l'homme, et que Dieu a préparées pour ceux qui l'aiment. ( I Corinth. II, 9.) Me donnez-vous donc des biens que je ne connais pas? Oui, répond-il : c'est ici que je t'épouse, c'est ici que tu dois m'aimer. Pourquoi ne me donnez-vous pas ma dot ici? Quand tu seras venu vers mon Père; quand tu seras venu dans mon palais. C'est moi qui suis venu vers toi ; est-ce que c'est toi qui es venu me trouver? Je ne suis pas venu pour que-tu continues à demeurer ici, mais je suis venu pour te prendre et remonter. Ne cherche pas ici ta dot: tout; en espérance; tout, par la foi. Et vous ne me donnez rien ici ? Reçois des arrhes, .répond-il, pour ajouter foi à l'avenir que je t'annonce; prends des nantissements, prends les gages des fiançailles. Aussi Paul dit : Je me suis fiancé avec vous. (II Corinth. XI, 2.)

Comme on donne des gages aux fiançailles, ainsi Dieu nous a donné les biens présents; ce sont des gages de fiançailles, les biens présents ; ce sont des arrhes. La dot tout entière est là-haut. Comment cela? je vais vous le dire ici, je vieillis; là-haut, je ne vieillis pas; ici, je meurs; là-haut, je ne meurs pas; ici, je m'afflige; là-haut, pas d'affliction; ici, pauvreté, maladie, perfidies; là-haut, rien de pareil ; ici, les ténèbres et la lumière; là-haut, la lumière seule; ici, les trames insidieuses ; là-haut, la liberté; ici, la maladie; là-haut, la santé; ici, la vie qui a une fin.; là-haut, la vie sans fin; ici, le péché; là-haut, la justice, mais le péché jamais ; ici, l'envie , là-haut, rien de pareil. Donnez-moi cela. — Attends pour (296) que tes compagnons d'esclavage soient sauvés avec toi, attends. Celui qui nous affermit, nous a aussi donné les arrhes. Quelles arrhes? L'Esprit-Saint, les provisions de l'Esprit. Je parle de l'Esprit. Il a donné aux apôtres son anneau, avec ces paroles : Prenez et donnez à tous. Est-ce que l'anneau se partage ? On le partage et on ne le divise pas; on le partage et on ne le consume pas. Apprenez les dons de l'Esprit. Pierre a reçu, et Paul aussi a reçu l'Esprit-Saint. Il parcourait la terre, délivrait les pécheurs du péché, redressait les boiteux; donnait des vêtements à ceux qui étaient nus, ressuscitait les morts, purifiait les lépreux, fermait la bouche au diable, suffoquait les démons, s'entretenait avec Dieu, faisait fleurir l'Eglise, renversait les temples, détruisait les autels, dissipait la malice, plantait la vertu dans les coeurs, et, des hommes, il faisait des anges.

14. Voilà quelle était notre condition. Les arrhes célestes ont rempli la terre entière. Entière, cela veut dire, tout ce que voit le soleil, la terre, la mer, les îles , les montagnes, les vallées, les collines. Planant partout comme un oiseau, sans autres armes que lé bruit de sa voix, Paul a paru, ce fabricant de tentes, ce corroyeur, qui cousait des peaux; et cette industrie n'a pas été un obstacle à la vertu, mais le fabricant de tentes s'est trouvé plus fort que les démons; celui qui n'avait pas d'éloquence, était plus philosophe que. les philosophes. Comment cela? Il avait reçu les arrhes; il portait l'anneau et le faisait voir autour de lui. Tous les regards contemplaient notre nature fiancée au roi : le démon vit les fiançailles, et se retira; il vit les divines arrhes, et il trembla, il recula; il vit les vêtements nouveaux, et il prit la fuite. O puissance de l'Esprit ! ce n'est pas seulement à l'âme qu'il a donné le pouvoir, seulement au corps, mais aussi au vêtement ; et non-seulement au vêtement, mais à l'ombre. Pierre allait et venait, et son ombre mettait en fuite les maladies, et chassait les démons, et réveillait les morts. Paul allait et venait parcourant la terre, retranchant les épines de l'impiété,, répandant les semences de la piété, agriculteur excellent, poussant devant lui la charrue de la doctrine. Et quels furent les hommes qu'il visita? Des Thraces, des Scythes, des Indiens, des Maures, des Sardes; des Goths, des bêtes farouches, et il renouvela tout cela. Par quelle vertu? par la vertu des arrhes divines. Comment put-il suffire à cette tâche? par la grâce de l'Esprit. C'était un homme d'ailleurs dépourvu de tout, nu, déchaux, celui qui distribuait les arrhes de l'Esprit. Ce qui lui fait dire : Et qui est capable d'un tel ministère? (II Cor. II, 16.) Si nous en sommes capables, c'est par Dieu, qui nous a rendus capables d'être les ministres de la nouvelle' alliance; non pris de la lettre, mais de l'esprit. (II Cor. III , 5, 6.) Voyez ce qu'a fait l'Esprit ! il a trouvé la terre pleine de démons, et il en a fait le ciel. N'arrêtez pas votre pensée aux choses présentes, mais reprenez les autres, par vos conceptions. C'était le deuil, partout des autels, partout de la fumée, partout l'odeur des graisses brûlées, partout des fornications, partout des initiations, partout des sacrifices, partout les transports des démons, partout la citadelle de l'enfer; partout la fornication recevant la couronne, et Paul était tout seul. Comment n'a-t-il pas été englouti? Somment n'a-t-il pas été mis en lambeaux? Comment a-t-il pu ouvrir la bouche ? Il est entré dans là Thébaïde; les peuples sont devenus ses prisonniers. Il est entré dans les palais des rois, et voilà que celui qui était roi est devenu son disciple. Il est entré où siègent les juges, et voilà que le juge lui dit: Vous me persuadez presque de devenir chrétien (Act. XXVI, 28) ; et le juge est devenu son disciple. Il est entré dans la prison et il a conquis le geôlier. (Act. XVI, 29 et suiv.) Il s'en est allé dans une île des barbares, et, d'une vipère, il a fait un docteur. (Act. XXVIII et suie.) Il s'en est allé chez les Romains, et il a gagné le sénat à sa cause. Il s'en est allé vers les fleuves, il s'en est allé dans tous les lieux déserts. Pas une terre, pas une mer, que sa voix n'ait redressée; car il a donné les divines arrhes de l'anneau, et celui qui les donne prononce ces paroles : voici ce que je vous donne dès ce moment; le reste, je vous le promets. De là, ces paroles que lui adresse le Prophète : La reine se tenait à ta droite avec un vêtement enrichi d'or. (Ps. XLIV, 40.) Ce n'est pas le vêtement qu'il désigne, mais la vertu. De là, ces autres paroles de l'Ecriture : Comment es-tu entré ici sans robe nuptiale? (Matth. XXII, 12). Ce n'est pas la robe qu'il désigne, mais la fornication, la vie souillée, l'impureté. Semblable à un vêtement souillé, tel est le péché; pareille à des vêtements enrichis. d'or, telle est la vertu. Mais ce costume appartenait au roi, et le roi l'a donné à sa fiancée; (297) car elle était nue, nue et défigurée. La reine se tenait à ta droite avec un vêtement enrichi d’or. Ce n'est pas le vêtement qu'il désigne, mais la vertu. Il ne dit pas, vêtue d'or; attention ! L'expression est riche et profonde. Il ne dit pas, vêtue d'or, mais avec un vêtement enrichi d'or. Comprenez bien. Un vêtement d'or, est tout entier d'or ; mais un vêtement enrichi d'or, a des parties d'or, d'autres, de soie. Pourquoi donc ne donne-t-il pas à la fiancée un Vêtement d'or, mais un vêtement enrichi d'or? Soutenez avec soin votre attention. Le Prophète entend par là la constitution de l'Eglise, constitution variée. En effet, notre vie à tous n'est .pas uniforme; à l'un la virginité, à l'autre le veuvage, à cet autre les exercices de la piété le vêtement de l'Eglise, c'est la constitution de l’Eglise.

15. Donc Notre-Seigneur, sachant bien que, s'il nous proposait une seule et même route, un grand nombre vivraient dans une molle langueur, nous a proposé des routes diverses. Tu ne peux pas suivre la virginité ? prends la route du mariage unique. Tu ne peux pas te contenter d'un mariage unique? eh bien ! suis la route où se trouvent les deux mariages. Tu ne peux pas suivre la continence? suis la route de l'aumône. Tu ne peux pas suivre l'aumône? suis la route du jeûne. Tu ne peux pas aller .par ce chemin ? viens par celui-ci. Celui-ci ne te va pas? viens par cet autre. Voilà pourquoi le Prophète n'a pas dit un vêtement d'or, mais enrichi d'or. Un vêtement est de soie, ou de pourpre, ou d'or. Vous ne pouvez pas être vêtu d'or, portez un vêtement de soie. Je vous accueille, seulement soyez vêtu. Voilà pourquoi Paul dit à son tour : Si l'on élève sur ce fondement un édifice d'or, d'argent, de pierres précieuses. (I Cor. III, 12.) Vous ne pouvez pas être pierre précieuse ? soyez de l'or. Vous ne pouvez pas être de l'or? soyez de l'argent, seulement montrez-vous sur un fondement. Et maintenant ailleurs : Autre est l'éclat du soleil, autre l'éclat de la lune, autre encore, l'éclat des étoiles. (I Cor. XV, 41.) Vous ne pouvez pas être le soleil? soyez la lune. Vous ne pouvez pas être la lune? soyez une étoile. Vous ne pouvez pas être une grande étoile? Eh bien, soyez-en une petite, seulement montrez-vous dans le ciel. Vous ne pouvez pas être vierge? Mariez-vous avec la continence, seulement soyez dans l’Eglise. Vous ne pouvez pas vous passer de richesses? faites l'aumône, seulement soyez dans l'Eglise, seulement soyez vêtu, seulement soyez soumis à la reine. Vêtement enrichi d'or, vêtement varié. Je ne vous ferme pas la route; car l'abondance des vertus a rendu facile l'administration du roi. Recouverte d'un vêtement enrichi d'or, d'une robe variée. La variété est dans son costume. Pénétrez, si vous le voulez bien, dans la profondeur de cette expression, considérez le vêtement enrichi d'or. Voyez : les uns sont des moines, les autres, sous les lois d'un mariage austère , ne le cèdent pas de beaucoup aux premiers; d'un côté sont maintenant ceux qui n'ont connu qu'une fois le mariage, d'un autre, les veuves dans la fleur de l'âge. Pourquoi dit-on le paradis.? pourquoi ce jardin varié? C'est qu'on y trouve la diversité des fleurs et des arbres, les perles en grand nombre. Il y a un grand nombre d'étoiles, mais un seul soleil; un grand nombre de vies, mais un seul paradis; un grand nombre de temples, mais un seul paradis; un grand nombre de temples, mais une seule mère. On appelle telle chose le corps, telle autre chose les yeux, telle autre chose encore le doigt, mais tous nous ne faisons qu'un. Car c'est la même chose, le petit, le grand, le moindre. La vierge a besoin de celle qui a connu le mariage, car la vierge vient du mariage, qu'elle ne méprise donc pas le mariage. La vierge est la racine du mariage. Tout est ensemble lié, les petites choses aux grandes, les grandes aux petites. La reine se tenait à ta droite, avec un vêtement enrichi d’or, avec une robe variée. (Ps. XLIV, 10.) Le reste maintenant : Ecoute, ma fille. Celui qui te conduit à ton époux, te dit que tu sors pour aller trouver l'époux qui t'est supérieur par la substance, supérieur par la nature. C'est moi qui te conduis à ton époux. Ecoute, ma fille. Est-elle donc tout de suite devenue son épouse? oui, assurément. Car il n'y a rien ici pour le corps. Il se l'est fiancée comme une épouse; il la chérit comme une fille; il en a soin comme d'une servante, il la. conserve comme une vierge; il l'entoure d'un mur comme un jardin ; il est le membre qui la sert; la tête, qui prévoit pour elle; la racine qui la, rend féconde; le berger gui la conduit dans les pâturages; l'époux qui s'attache à elle; le propitiateur plein d'indulgence; la brebis qui se laisse immoler; l'époux qui conserve la beauté de son épouse, le mari qui veille à tous ses intérêts. Ici les pensées abondent, sachons (298) mettre à profit la moindre partie des biens qui nous sont ménagés. Ecoute, ma fille, et vois, et considère les avantages de l'alliance nuptiale, les avantages spirituels. Ecoute, ma fille. Cette fille était d'abord la fille des démons, fille de la terre, indigne de la terre, et la voilà maintenant devenue la fille du roi, c'est là ce qu'a voulu celui qui l'aime. Car celui qui aime, s'inquiète peu de la forme; l'amour ne voit pas la difformité. Voilà pourquoi les grecs l'appellent eros, parce que souvent il aime ce qui est difforme. Ainsi a fait le Christ lui-même; il a vu un objet sans beauté (car je ne dirai certes pas qu'il avait vu la beauté), il l'a aimé, et il lui donne la jeunesse, il en fait disparaître les taches et les rides. O l'époux qui embellit la difformité de celle qu'il épouse ! Ecoute, ma fille, écoute et vois. Il dit deux choses : Ecoute, et aussi, vois, deux choses à faire, qui dépendent de toi, l'une de tes yeux; l'autre de tes oreilles. Donc, vu que sa dot était dans ce qu'elle avait entendu — (s’il en est parmi vous qui devinent plus vite que les autres, il leur faut attendre ceux dont l'esprit va plus lentement : je loue ceux d'entre vous qui devancent le discours, et je n'en veux pas à ceux qui le suivent) ; — vu que sa dot était dans ce qu'elle avait entendu — (qu'est-ce à dire, dans ce qu'elle avait entendu? dans la foi : Car la foi vient de ce qu'on a entendu. (Rom. X, 17.) Dans la foi, non dans la jouissance, non dans l'expérience faite de toute chose), — j'ai commencé par dire qu'il avait divisé sa dot en deux parts, l'une qu'il lui avait donnée à titre d'arrhes , l'autre qu'il lui avait promise pour le temps à venir. Que lui a-t-il donné? il lui a donné le pardon des péchés, la rémission du châtiment, la justice, la sanctification, la rédemption, le corps du Seigneur, le banquet divin, spirituel, la résurrection des morts. Car tous ces dons furent faits aux apôtres. Donc certains présents ont été donnés, d'autres promis; les uns livrés à l'expérience pour en jouir; les autres livrés à l'espérance, à la foi. Ecoutez encore : Qu'a-t-il donné? le baptême, le sacrifice pour en jouir actuellement. Voyez maintenant, qu'a-t-il promis? La résurrection, l'incorruptibilité, l'union avec les anges, l'entrée dans le choeur des archanges , l'admission auprès de lui dans sa cité, la vie sans mélange, les biens que l'oeil n'a pas vus, et que l'oreille n'a pas entendus, et qui ne sont pas entrés dans le coeur de l'homme, et que Dieu a préparés pour ceux qui l'aiment. (I Cor. II, 9.)

16. Comprenez bien ce qui vous est dit, ne laissez pas les paroles se perdre, je me fatigue afin que vous compreniez. Il y avait donc deux parts de sa dot; l'une pour le présent, l'autre pour l'avenir; l'une pour ce que voient les yeux, l'autre pour ce que les oreilles entendent; l'une pour les dons effectués, l'autre pour ceux que la foi attend; l'une pour l'expérience, en même temps la jouissance, l'une pour la vie présente, l'autre pour les temps après la résurrection. L'une, vous la voyez, l'autre vous l'entendez annoncer. Voyez doge ce qu'il lui dit, pour qu'elle ne s'imagine pas qu'elle n'a reçu que la part présente; toutefois cette part même était grande, d'un prix ineffable, au dessus de toute pensée. Ecoute, ma fille, et vois; écoute ce qu'on te dit des biens à venir, et vois ces biens présents; je ne veux pas que tu dises : Encore espérer? encore attendre par la foi? encore des biens à venir? Tiens, regarde: ces biens-ci, je te les donne; ces autres, je te les promets; donc ces autres biens sont en espérance, mais prends ceux-ci comme gages, ceux -ci à titre d'arrhes, ceux-ci comme échantillon. Je te promets un royaume ; crois-en les gages que tu tiens à présent, crois en moi. — Vous me promettez un royaume ? — Oui , je t'ai donné plus encore , je t'ai donné le Maître du royaume : Celui qui n'a pas épargné son propre Fils, mais l'a livré pour nous tous; comment ne nous donnera-t-il pas toutes choses avec lui ? (Rom. VIII, 32.) — Vous accordez la résurrection des corps? oui, je t'ai donné plus. Quoi donc? d'être délivrée du péché. En quoi est-ce un plus grand don? c'est que c'est le péché qui a enfanté la mort. Le mal a mis au monde le châtiment. J'ai tué la mère, et je ne tuerais pas le fils ! j'ai séché là racine, et je ne supprimerais pas le fruit! Ecoute ma fille, et vois. Que puis-je voir? Les morts réveillés, les lépreux purifiés, la mer soumise à un frein, le paralytique dont les membres se remuent, le paradis ouvert, les pains mue pliés, les péchés remis, le boiteux qui saute, le larron devenu citoyen du paradis, le publicain devenu évangéliste, la femme impudique de. venue plus respectable qu'une vierge. Ecoute. et vois; écoute les choses qui doivent venir, et vois les choses présentes. Prends celles-ci pour preuves; je t'ai donné des gages de mes promesses, des gages plus grands que les promesses. (299) Eh ! que vas-tu dire? voilà quels sont mes biens à moi : Ecoule ma fille, et vois. Voyons la. dot; quel est l'apport de l'épouse? voyons. Toi aussi, femme, apporte quelque chose; qu'apportes-tu, afin de ne pas te présenter sans dot? — Moi, que pourrais-je, répond-elle, vous apporter des autels des faux dieux ? de la fumée, de la graisse des sacrifices, du culte des démons? quelle; dot puis-je vous offrir? quelle dot? la bonne volonté et la foi. — Ecoute, ma fille, et vois. — Et que voulez-vous que je fasse? Oublie ton peuple. (Ps. XLIV, 11.) Quel peuple ? les démons, les idoles, la fumée, la graisse des sacrifices sanglants. Et vois, et oublie ton peuple, et la maison de ton père. Quitte ton hère, et viens à moi. J'ai bien quitté mou Père, moi, et je suis venu auprès de toi, et. toi tu ne quitterais pas ton père? Il est bien entendu que quand le Fils dit, j'ai quitté mon Père, il ne faut pas l'entendre comme d'un délaissement réel, c'est comme s'il disait, j'ai condescendu à la faiblesse, j'ai opéré un mystère, je me suis incarné. Voilà ce que fait l'époux, voilà ce que fait l'épouse, tous deux abandonnent leurs parents; et ils s'unissent. Ecoute, ma fille, et vois, et oublie ton peuple, et la maison de ton père. Et que me donnez-vous, si je l'oublie? et le roi désirera voir ta beauté. Tu as pour amant le Seigneur. Si tu l'as pour amant, tu as aussi ce qui lui appartient; je suppose que vous pouvez comprendre l'entretien; c'est que la pensée en est délicate, et je veux coudre ensemble ici des lambeaux de la langue des Juifs.

Soutenez bien votre attention. Soit qu'on m'écoute , soit qu'on ne m'écoute pas , je creuse, je laboure. Ecoute, ma fille, et vois. et oublie ton peuple, et la maison de ton père, et le roi désirera de voir ta beauté. La beauté que le juif entend ici , c'est la beauté sensible; ce n'est pas la beauté de l'esprit, mais celle du corps.

17. Soyez attentifs; apprenons quelle est la beauté du corps, et quelle est la beauté spirituelle. Il y a l'âme , il y a le corps, il y a deux substances; il y a la beauté du corps, et il y a la beauté de l'âme. Qu'est-ce que la beauté du corps? Des sourcils étendus, des regards souriants, l'incarnat des joues, la pourpre des lèvres, le cou droit, la chevelure flottante, les doigts d'une belle longueur, le buste bien porté, la blancheur des lis. Cette beauté du corps est-elle un effet de la nature ou de notre volonté? On s'accorde à l'attribuer à la nature. Attention, pour apprendre les pensées des philosophes. Cette beauté, la beauté du visage, des yeux, de la chevelure, du front, ne peut être qu'un effet de la nature ou de notre volonté. Evidemment c'est un effet de la nature. Ce qui le prouve, c'est que la laide a beau recourir à mille et mille artifices pour s'embellir, impossible à elle de devenir belle , quant au corps; car les choses de la nature matérielle ne changent pas, restent fixées dans des limites infranchissables. Donc la belle , est toujours belle , même sans chercher à s'embellir; et ni la laide ne peut s'embellir, ni la belle s'enlaidir. Pourquoi? c'est que ces effets dépendent de la nature. Avez-vous bien compris la beauté du corps? Faisons-la comparaître devant l'âme; la servante devant la maîtresse. Conduisons-la devant l'âme. Voyez cette autre beauté, ou plutôt, écoutez-la; car vous ne pouvez pas la voir; car elle est invisible. Ecoutez cette autre beauté. Qu'est-ce donc que la beauté de l'âme ? La modération, la convenance, l'aumône, la charité , l'amour pour ses frères , la bienveillance , l'obéissance à Dieu, l'accomplissement de la loi, la justice, la contrition. Voilà les parures de l'âme. Et certes voilà des beautés qui ne dépendent pas de la nature, mais de notre volonté. Oui, celui qui ne les possède pas, peut se les procurer, tandis que celui qui les possède, les perd en se négligeant. Je vous. disais, en ce qui concerne le corps, que la laide ne peut pas devenir belle; quant à l'âme, c'est le contraire que je vous dis, la laideur de l'âme peut se changer en beauté. En effet, quelle âme fut moins belle que celle de Paul blasphémateur, insulteur, et quelle âme fut plus belle que la sienne, quand on l'entendait dire, j'ai bien combattu, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi? (II Tim. IV, 7.) Quelle âme fut moins belle que celle du larron , et quelle âme fut plus belle que la sienne, quand il entendit ces paroles, En vérité je vous le dis, aujourd'hui vous serez avec moi dons le paradis ? (Luc, XXIII, 43.) Quelle âme fut moins belle que celle du publicain rapace , et quelle âme fut plus belle que la sienne, quand il prononça sa propre sentence? Vous voyez que vous ne pouvez changer la beauté du corps, car ce n'est pas un effet de notre volonté, mais de la nature. Au contraire, la beauté de l'âme nous vient de notre volonté. Vous avez entendu les principes qui (300) la constituent. Quels principes? A savoir que la beauté de l'âme vient de l'obéissance à Dieu. Car si l'âme frappée de laideur obéit à Dieu, elle se dépouille de sa laideur, et devient belle. Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous ? Il répondit : qui êtes-vous, Seigneur ? Je suis Jésus. (Act. IX, 4, 5.) Et il obéit, et son obéissance changea la laideur de son âme en beauté. Autre parole , adressée au publicain : Venez, suivez-moi. (Matth. IX, 19.) Le publicain se leva, et devint un apôtre : son âme, dépouillant sa laideur, devint une belle âme. En vertu de quoi? de l'obéissance. Autre parole, adressée aux pécheurs : Venez, suivez-moi et je vous ferai pécheurs d'hommes (Matth. IV, 19), et l'obéissance leur donna la beauté de la pensée. Voyons ici quelle est la beauté qu'il exprime. Ecoute, ma fille, et vois, et oublie ton peuple, et là maison de ton père, et le roi désirera de voir ta beauté. Quelle beauté désirera-t-il voir? la beauté de l'âme. Pourquoi? Parce qu'elle a oublié son peuple. Il dit: Ecoute donc, et oublie. Ce sont là. des actes de notre volonté. Ecoute, dit-il. Celle qui était laide, écoute, et sa laideur ne s'en va pas, la laideur du corps. Dites à la pécheresse, écoute; et si elle obéit, voyez quelle ne sera pas la beauté de son âme. C'est pourquoi, comme la laideur de l'épouse n'était pas celle qui vient de la nature, mais celle qui vient de la volonté ( attendu qu'au lieu d'écouter le Seigneur, elle avait prévariqué), pour cette raison, il lui applique un nou. veau remède. Ta laideur était donc l'effet, noir de la nature, mais de ta volonté, et tu es devenue belle par l'obéissance. Ecoute, ma fille, et vois, et oublie ton peuple, et la maison de ton père, et le roi désirera de voir la beauté. Ensuite, pour vous faire bien comprendre, qu'il ne veut exprimer par ces paroles rien de ce qui frappe les sens , pour que ce mot de beauté ne vous représente ni l'oeil, ni le nez, ni la bouche , ni le cou , mais la piété, la foi, la charité, les dons qui se trouvent au dedans de nous, il ajoute : Car toute la gloire de la fille du roi lui vient du dedans. (Ps. XLIV, 14.) Pour toutes ces grâces, glorifions le Seigneur à qui nous sommes redevables de ces dons, à qui seul appartient la gloire, l'honneur, la souveraineté, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il (1).

1. Il y a dans ce morceau tant de mauvais goût qu'il est impossible de croire qu'il soit de saint Jean Chrysostome.
 

 

 

 

 

 

 

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