www.JesusMarie.com
Saint Jean Chrysostome
Homélies Diverses

.HOMELIES TOME 4

 

 

 

 

HOMELIES TOME 4 *

HOMÉLIE. LORSQUE SATURNIN ET AURÉLIEN FURENT ENVOYÉS EN EXIL. *

HOMÉLIE . APRES LE RETOUR DE SAINT CHRYSOSTOME DE SON VOYAGE D'ASIE. *

DISCOURS DE SÉVÉRIEN SUR LA PAIX après qu'il eût été accueilli par le bienheureux Jean, évêque de Constantinople. *

DISCOURS DE SÉVÉRIEN SUR LA PAIX après qu'il eût été accueilli par le bienheureux Jean, évêque de Constantinople. *

AVANT QUE SAINT JEAN CHRYSOSTOME PARTIT EN EXIL. *

PREMIÈRE HOMÉLIE. *

DEUXIÉME HOMÉLIE. Saint Jean Chrysostome au moment de partir pour l'exil. *

PREMIÈRE HOMÉLIE DE SAINT J. CHRYSOSTOME APRÈS SON RETOUR DE L'EXIL. *

DEUXIÈME HOMÉLIE DE SAINT J. CHRYSOSTOME APRÈS SON RETOUR DE L'EXIL. *

HOMÉLIE SUR LE RENVOI DE LA CHANANÉENNE *

HOMÉLIE SUR CETTE PAROLE DE L'APÔTRE : PLUT A DIEU QUE VOUS VOULUSSIEZ SUPPORTER MON IMPRUDENCE *

HOMÉLIE SUR LA FÊTE DE PAQUES. *

ÉLOGE DE DIODORE, EVÊQUE DE TARSE, en réponse à des paroles élogieuses que le même Diodore avait prononcées à l'adresse de saint Jean Chrysostome L’AN 392. *

FRAGMENT DE LA 2e HOMÉLIE SUIS LE COMMENCEMENT DES ACTES. *

HOMÉLIES SUR DAVID ET SAUL (1). *

PREMIÈRE HOMÉLIE. Sur l'histoire de David et de Saül, oui la patience, sur l’obligation de ménager ses ennemis, et de ne les point injurier. même en leur absence. *

DEUXIÈME HOMÉLIE. Que c'est un grand bien, non-seulement de s'attacher à la pratique de la vertu, mais encore de louer la vertu ; que David gagna un plus beau trophée par sa clémence envers Seul, que par la mort de Goliath ; qu’ en agissant ainsi, il se fit plus de bien à lui-même qu'il n'en fit à Saul ; et sur la manière dont il se justifia devant celui-ci. *

TROISIÈME HOMÉLIE. Qu'il est périlleux d'aller dans les théâtres ; que c'est une école d'adultère et que de là proviennent les afflictions et la discorde ; — que David, dans sa conduite à l'égard de Saül , se montra en tout d'une incomparable patience; — et que supporter un vol sans se plaindre est autant que donner l'aumône. *
 

 

 

 

HOMÉLIE. LORSQUE SATURNIN ET AURÉLIEN FURENT ENVOYÉS EN EXIL.
AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

Gaïnas, général des Goths, un de ceux qui avaient sollicité la disgrâce d'Eutrope, fier d'avoir causé la chute d'un ministre puissant, 'abusa de la faiblesse d'un prince paresseux et timide. Il menaça Arcadius de tout ravage& avec ses troupes, si on ne lui livrait Aurélien, Saturnin et le comte Jean. C'étaient les premiers hommes de la cour et les principaux personnages de l'empire. Gainas les craignait tous les trois, et il ne cachait pas le dessein qu'il avait de leur donner la mort. Ils furent sacrifiés à la haine du barbare; ou plutôt ils se dévouèrent généreusement eux-mêmes au salut de l'État, et partirent pour aller se livrer à Gainas. Saint Chrysostome partit avec eux; et son éloquence adoucit tellement le coeur d'un ennemi cruel, qu'il leur laissa la vie et se contenta de leur exil.

1° Au retour de son voyage, le saint évêque parle à son peuple suivant sa coutume; il lui annonce pourquoi il s'est absenté et pourquoi il est revenu; il profite de la circonstance pour l'entretenir de l'incertitude des choses humaines, et lui apprendre combien peu on doit compter sur les hommes dans le siècle présent. — 2° et 3° Il expose tous les inconvénients des grandes richesses et les avantages de la pauvreté, pour faire mépriser les, unes et aimer les autres. — 4° Il ajoute que si l'on n'a pas le courage de renoncer à ses biens dans la prospérité , on doit prévoir les disgrâces et s'y attendre. — 5° Il exhorte à cette sage prévoyance par l'exemple de Job dont il développe et dont il loue la résignation courageuse. Il conclut en disant qu'on ne doit se laisser ni abattre par la pauvreté ai enfler par les richesses.

1. J'ai gardé un long silence; longtemps absent, je reviens à votre fraternelle assemblée : n'accusez ni mon âme d'indifférence, ni mon corps d'indolence paresseuse, j'apaisais les tumultes, je calmais les flots, je modérais la tempête, je tirais des abîmes les passagers engloutis, je travaillais avec ardeur pour les amener au port où règne la tranquillité. Car je suis le père commun de tous, et je dois prendre souci, non-seulement de ceux qui sont restés debout, mais aussi de ceux qui sont tombés; non-seulement de ceux qui ont lès vents favorables, mais de ceux qui sont battus par les flots agités; non-seulement de ceux qui voguent sans avoir rien à craindre, mais des malheureux qu'entourent les dangers. Voilà pourquoi je vous ai quelque temps quittés; j'allais et venais, j'exhortais, je priais, je suppliais, pour préserver du malheur les maîtres de ce monde. Une fois le terme arrivé de ces choses sinistres, je suis revenu auprès de vous qui n:avez riels à craindre, qui naviguez sur les ondes parfaitement tranquilles. J'ai été les trouver, pour dissiper la tempête, et je suis revenu vers vous, pour qu'il ne s'élève pas de tempête. J'ai été les trouver, pour les délivrer de leurs épreuves, et me voici de retour auprès de vous, pour que vous ne tombiez pas dans les malheurs. Donc, comme il ne convient pas de prendre souci seulement de ceux qui sont restés debout, mais aussi de ceux qui sont tombés, de même il ne faut pas s'inquiéter seulement de ceux qui sont tombés , mais aussi de ceux qui sont restés debout ; des premiers, pour qu'ils sé relèvent, des autres, pour qu'ils ne tombent pas; des premiers, pour les délivrer des maux qui les possèdent, des autres, pour les préserver des maux qui les menacent. Car il n'y a rien de ferme, rien d'inébranlable dans les choses humaines; c'est la (302) mer furieuse, tous les jours féconde en naufrages, qui produisent l'étonnement et la désolation.

Tout est plein de tumulte et de trouble; partout, des écueils et des précipices; partout des brisants et des récifs; partout des craintes, et des dangers, et des soupçons, et des tremblements, et des angoisses. Personne ne se fie à personne, et chacun a peur de celui qui est à son côté. C'est que peut-être le temps est proche, que lis Prophète a décrit par ces paroles: Ne vous fiez pas en vos amis, ne mettez pas dans les princes vos espérances. (Mich. VII, 5.) Ecartez-vous, chacun de vous, de votre plus proche voisin. Garde-toi de ton épouses ne lui confie rien. C'est que les jours sont mauvais, c'est que tout frère tend des embûches â son frère, et tout ami a la marche tortueuse. (Jérém. IX, 4.) Pas d'ami sur qui l'on puisse compter, pas de frère qui soit sûr. La charité, cette belle chose a disparu ; tout est la proie de la guerre civile, et ce n'est pas la guerre civile en plein jour, mais sévissant dans l'ombre. Partout, des milliers de visages masqués: On voit beaucoup de toisons de brebis; mais ce sont autant de loups qui se cachent dessous; et il y aurait plus de sûreté à vivre au milieu d'ennemis déclarés, qu'auprès de ceux qui se disent nos amis. Les courtisans d'hier , les flatteurs qui vous baisaient les mains, tous aujourd'hui sont vos ennemis déclarés; ils ont jeté leurs masques, il n’y a pas d'accusateurs plus acharnés; ce qui vous méritait hier leurs unanimes actions de grâces, aujourd'hui, vous attire leurs accusations, leurs calomnies.

2. Quelle est la cause unique de ce vertige? La cause, c'est l'amour des richesses, la soif de l'argent, cette maladie incurable, cette fournaise qui ne s'éteint jamais, cette tyrannie qui s'est partout répandue sur la terre. Aussi, ce que nous avons déjà dit, nous le- redirons encore sans relâche, en dépit de tous les reproches qu'on nous adressait dernièrement: Ne cesserez-vous pas de vous escrimer de la langue contre les riches? ne cesserez-vous. pas de leur faire continuellement la guerre? Est-ce que je leur fais la guerre? est-ce que c'est contre eux que je m'escrime? n'est-ce pas,. au contraire, pour eux que je dis tout, que je fais tout, tandis qu'eux-mêmes ont aiguisé les glaives que l'on dirige contre eux? L'expérience n'a-t-elle pas montré que moi, le perpétuel grondeur, le perpétuel accusateur; je ne m'étais proposé que ieur intérêt; que leurs vrais ennemis sont bien plutôt ceux qui me reprochent ma conduite? Vous avez vu les événements confirmer nos paroles. N'ai-je pas toujours dit que l'or est un fugitif, qui abandonne celui-ci pour aller à celui-là? Et plût au ciel qu'il n'eût fait que passer de l'un à l'autre, que ce ne fût pas un meurtrier, et plût au ciel que ce transfuge ne fût pas un exterminateur ! Que voyons-nous aujourd'hui? il abandonne, et il livre an glaive, et il conduit vers les précipices; c'est un traître dangereux, ennemi surtout de ceux dont il est aimé. Esclave fugitif, ingrat, homicide, implacable, bête sauvage, qu'on n'apprivoise pas; précipice de toutes parts béant, écueil continuellement battu de flots sans nombre; mer agitée par tous les souffles de tous les vents; tyran cruel, plus barbare que tous les bourreaux; irréconciliable ennemi, acharné, implacable, dont la haine jamais ne pardonne à qui le possède.

3. La pauvreté n'a rien de pareil; c'est le contraire de tout ce qui vient d'être dit. C'est un asile sûr, un port tranquille, une sécurité continuelle, une volupté sans périls, une joie pure, une, existence que rien ne trouble, une vie qu'aucun flot ne tourmente, une abondance qui défie tous les assauts; la pauvreté, c'est la mère de la sagesse, c'est le frein des emportements, c'est la suppression des châtiments, c'est la racine de l'humilité. Pourquoi donc, répondez-moi, fuyant la pauvreté, poursuivez-vous ces richesses ennemies, homicides, plus redoutables que toutes les bêtes féroces? Car voilà ce qu'est l'avarice; voilà ce qu'est la soif insensée des richesses. Pourquoi loger continuellement votre ennemi avec vous? Pourquoi irriter la bête qu'if faut apprivoiser? Mais comment, me dites-vous, s'apprivoiserait-elle? Si vous supportez mes discours; en ce moment même que les désastres éclatent autour de vous, que les malheurs sont à leur comble, que toutes les âmes sont dans le trouble et dans la consternation. Comment donc la bête féroce pourrait-elle n'être plus une bête féroce? C'est que je puis changer sa nature, si, de votre côté, vous le voulez bien; car telle est la force du discours. Comment donc la nature de la bête féroce pourrait-elle être changée? si nous arrivons à savoir comment lui vient sa férocité. Les lions, les panthères, les ours qu'on renferme, qu'on retient captifs dans l'obscurité, sentent se réveiller, s'irriter leur colère; il en (303) est de même de l'or qu'on renferme, qu'on enfouit; ce sont des rugissements plus forts que ceux du lion, et des sauts en tous sens avec des menaces; lâchez vos trésors à la lumière du jour, dispersez-les, remplissez-en les pauvres qui ont faim; la bête féroce est maintenant une brebis; l'embuscade est devenue un renfort; l'écueil, un port; le naufrage, la tranquillité ! Chacun sait ce qui arrive aux embarcations : le vaisseau trop chargé coule à fond; si le chargement n'excède pas la mesure, le vaisseau vogue sans encombre. Eh bien ! il en est de même dans nos maisons les richesses amassées au delà du nécessaire, c'est, au moindre. souffle, au premier choc d'un hasard imprévu, le. vaisseau qui coule à fond, qui sombre corps et biens; mais si vous ne mettez en réserve que le nécessaire, narguant la tempête, vous sillonnez heureusement les flots. Cessez donc de désirer plus que le nécessaire, pour n'avoir pas à craindre de perdre tout; n'amassez pas de superflu, de peur que vous ne perdiez. le nécessaire; ne dépassez pas les limites qui vous sont fixées, de peur que vous ne soyez. dépouillés de tout à la fois; mais retranchez le superflu, afin de devenir riche du nécessaire. Ne voyez-vous pas que les agriculteurs taillent la vigne, afin que toute sa force ne soit pas dans les feuilles, dans les branches, mais paraisse dans la racine? Faites ainsi, de votre côté : coupez les feuilles, et tout ce due vous avez de zèle, dépensez-le pour produire des fruits. Si vous ne le voulez pas dans les jours prospères, attendez les jours du malheur; dans la tranquillité , voyez venir la tempête; dans la santé, pensez d'avance à la maladie; dans la richesse, attendez la pauvreté, l'indigence. Car souvenez-vous, dit l'Ecclésiaste, de la famine dans l'abondance, de la pauvreté et de l'indigence quand vous êtes dans l'opulence. (Eccl. XVIII, 25.) Dans ces dispositions, vous administrerez votre richesse avec une sage économie, et si la pauvreté survient, vous la supporterez avec un ferme courage. Car l'imprévu tombant sur vous, vous bouleverse et vous trouble; au contraire, l'arrivée d'un événement attendu ne cause pas de perturbation. Ce sera donc un double profit, d'éviter l'enivrement, l'insolence de la prospérité, d'éviter ainsi le bouleversement, le trouble produit par la fortune qui devient contraire, et cela surtout si toujours vous attendez les contraires; car, à la place de l'expérience, il suffit de l'attente. Voilà donc ce que je dis : vous êtes riche? Attendez la pauvreté chaque jour. A cause de quoi et dans quel but? C'est que cette attente pourra vous être d'une très-grande utilité. En effet, celui qui attend la pauvreté a beau être riche, il ne s'enorgueillit ni ne se livre, soit à la mollesse, soit à la prodigalité, ni ne désire le bien d'autrui; car la crainte qui accompagne l'attente, est comme un précepteur dont la présence modère et réprime les pensées, prévient le développement des mauvaises branches de l'avarice, et les fait disparaître, la crainte des contraires étant comme une faux qui les arrête et les coupe.

4. Voilà donc, d'un côté, un très-grand profit; il en est un autre non moindre, qui consiste, quand la pauvreté vient, à ne pas la craindre. Ainsi, que l'attente des malheurs qui écrasent l'homme, vous servent, à en prévenir la douloureuse expérience , car ce qui fait venir l'expérience, c'est que l'attente fait défaut; car si l'attente avait redressé, l'homme, l'expérience devenait inutile. Témoin de cette vérité, le prophète Jonas auprès des habitants de Ninive. (Jonas, III.) Ceux-ci, prévenus par le prophète, s'attendant à tomber dans un malheur sans remède, grâce à cette alerte des maux qui allaient venir, détournèrent loin d'eux la colère divine; au contraire, les Juifs, pour n'avoir pas cru au prophète qui leur prédisait la prise de Jérusalem, eurent à subir une terrible calamité. Car le sage qui a craint le mal, s'en est détourné, mais l'insensé s'y engage parce qu'il a confiance. (Prov. XIV, 16.) Celui qui attend la pauvreté, quoiqu'il vive dans l'abondance, ne tombera pas facilement dans la pauvreté ; c'est qu'il faut que le profit que vous n'avez pas voulu retirer de l'attente, vous le retiriez tout entier de l'expérience. Donc, au sein de la richesse, attendez-la pauvreté ; quand il se trouve que vous êtes dans l'abondance, attendez la faim; dans la gloire, attendez l'infamie; dans la santé, la maladie. Ne cessez jamais de considérer la nature des choses humaines, qui n'a rien de plus solide que les eaux courantes; qui s'évanouit plus vite que la fumée dans l'air; plus vaine que l'ombre qui payse et disparaît. Si vous faites ces réflexions, ni la prospérité ne pourra gonfler vos pensées, ni l'adversité, abattre votre courage; si vous ne vous attachez pas (304) avec trop d'amour aux biens présents, l'absence de ces biens ne sera pas pour vous une amère douleur. Si vous habituez votre âme à l'attente des contraires, il arrivera souvent que les contraires ne se montreront pas, et supposé même qu'ils se montrent, il arrivera que vous n'en serez pas fortement troublés.

5. Et pour vous convaincre que je ne parle pas ici par conjecture, je vous veux raconter une vieille histoire. Il y avait un homme admirable, grand, célébré par toute la terre, un homme heureux, Job, l'athlète de la piété, le vainqueur couronné, connu de tous les peuples, qui avait livré toute espèce de combats, érigé des milliers de trophées pour ses victoires sur le démon. Il fut riche, et -pauvre; couvert de gloire et méprisé; père d'innombrables enfants, privé de tous ses enfants; il fut admis dans les palais des rois, il fut gisant sur le fumier; il porta une robe éclatante, et ensuite il porta sur lui la vermine qui rongeait ses chairs; il eut des serviteurs innombrables, et ensuite, il lui fallut supporter d'innombrables outragés de la part des gens de sa maison soulevés contre lui, de la part de ses amis qui lui adressaient des insultes, de la part de son épouse aux discours insidieux. Tous les biens d'abord affluaient auprès de lui, comme épanchés d'une source heureuse, l'abondance des richesses, la grandeur de la puissance, l'éclat de la gloire, la paix, la sécurité, les honneurs, les services empressés, la santé du corps, un beau peuple d'enfants, et il n'y avait rien, au milieu de tout cela, pour la douleur; la richesse paraissait là établie sur un fondement solide, le bonheur, semblait inébranlable, et à juste titre, car Dieu l'avait fortifié de toutes parts. Mais ensuite tout s'écroula, et d'innombrables fléaux envahirent sa demeure; et tous successivement et continuellement; et tous, sans exception, dépassant toute mesure. Car tous ses biens, d'un seul coup, lui furent ravis; les gens de sa maison, ses enfants, tous à la fois périrent violemment avant le temps, à la table où ils étaient assis, au milieu du même festin, victimes non du poignard, non du glaive, mais de l'esprit marnais qui renversa la maison. Alors son épouse s'arma, fit mouvoir contre le juste toutes les machines d'une guerre impie ; et ses serviteurs, et ses amis, les uns lui crachèrent au visage, comme il le dit lui-même, ils n'ont pas craint de me cracher au visage (Job, XXX, 10) ; les autres s'élancèrent sur lui, et le jetèrent hors de sa mai• son, au loin, et dès ce moment il traîna sa vie sur le fumier, et les vers jaillirent de ses chairs, et sur tous ses membres, l'humeur mêlée de sang coula de cet homme qui était un diamant précieux, et avec un tesson il enlevait l'écoulement impur, et il était lui-même son propre bourreau; c'étaient douleurs sur douleurs, insupportables torturés, la nuit plus cruelle que le jour, le jour plus épouvantable que la nuit, comme il le dit lui-même : Si je m'endors, je dis, à quand le soir? quand je me lève, je dis, au contraire, à quand le soir? je suis rempli de douleurs depuis le soir jusqu'au matin. (Job, VII, 4.) Oui, tout est précipices, écueils, et personne pour consoler; pour vous insulter, on accourt en foule. Cependant, au milieu d'une si affreuse tempête, battu par des flots qu'il était si difficile de sur. porter, il conserva la générosité de son âme, il demeura contre tous inébranlable. La cause le cette constance fut -celle que je viens d'exposer : dans la richesse, il attendait la pauvreté ; dans la santé, il attendait la maladie; quand il se voyait le père de si nombreux enfants, il se préparait à se voir tout à coup privé de tous ses enfants. Et il sut se revêtir toujours de cette crainte, et entretenir toujours cette anxiété, connaissant bien la nature des choses humaines, réfléchissant toujours sur l'instabilité des prétendus biens. Aussi disait-il: Ce que je craignais, m'est arrivé, le danger que je redoutais, m'a rencontré. (Job, III, 25.) C'est que toujours ses réflexions le portaient au-devant de ce qu'il attendait, de ce qu'il se préparait à recevoir; ce qui fait que l'arrivée du malheur ne l'a pas troublé. Je n'ai goûté ni la paix, ni le repos, ni la quiétude, mais là colère d'en-haut est venue sur moi. (Job, III, 26.) Il ne dit pas au présent, je ne goûte ni la paix, ni le repos, mais, je n'ai pas goûté la paix, au temps passé. En effet, quoique la prospérité semblât me conseiller la fierté, l'ai tente des malheurs ne me laissait pas goûter le repos. Quoique l'abondance de tous lesbiens m'invitât à mener une vie délicieuse, l'inquiétude, compagne de l'attente, écartait loin de moi la tranquillité; quoique la félicité présente me forçât à jouir de tues biens, le souci, la crainte de ce qui pouvait arriver, corrompait mon plaisir. C'est pourquoi, le jour où ses réflexions furent justifiées par la réalité des événements,il supporta avec courage les épreuves (305) auxquelles il s'était exercé longtemps d'avance; et les malheurs que son attente avait prévus, devinrent visibles à ses yeux, sans lui causer de trouble. Ce qui prouve qu'il ne s'était pas attaché avec trop d'amour aux biens présents, ce sont les paroles qu'il prononce; écoutez-les: Si j'ai mis ma joie dans mes grandes richesses, si j'ai regardé l'or comme étant ma force, si les pierres précieuses ont fait ma confiance, si j'ai travaillé pour posséder des trésors sans mesure. (Job, XXXI, 24, 25.) Que dis-tu, ô homme? N'as-tu pas joui de l'abondance de tes richesses? Nullement, dit-il. Pourquoi ? C'est parce que j'en connaissais l'instabilité, je savais combien la possession en est variable et fugitive. Et je vois bien, dit-il, que le soleil brille et cesse de briller, que la lune meurt, car le pouvoir n'est pas en eux-mêmes. (Job, ibid. 26.) Ce qui revient à dire : si les astres du ciel, qui brillent toujours, sont sujets,à un certain changement; si le soleil s'éclipse; si la lune périt, n'est-ce pas le comblé de la démence de, regarder les choses de la terre comme fixes et durables? Voilà pourquoi les biens présents ne lui causèrent pas une joie démesurée, pourquoi la disparition de ces biens ne le jeta pas dans une douleur excessive: il en connaissait la nature. Nous aussi, à notre tour, instruits par ces leçons, mes bien-aimés, ne nous laissons ni abattre par la pauvreté, ni enfler par les richesses : dans l'instabilité des choses humaines, conservons la constance, sachons recueillir ce fruit de la sagesse, afin de jouir ici-bas du plaisir que la terre comporte, et de posséder un jour les biens à venir; et puissions-nous tous obtenir ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ !
 

 

 

HOMÉLIE . APRES LE RETOUR DE SAINT CHRYSOSTOME DE SON VOYAGE D'ASIE.
AVERTISSEMENT.

Nous n'avons que le latin des trois opuscules suivants. Le texte est perdu ou caché quelque part. Ils sont néanmoins authentiques, ainsi que le prouvent les sujets, J'ordre des matières et le style. Saint Chrysostome fit le premier de ces discours sur la fin d'avril de l'an 409, le lendemain du jour où il revint de son voyage en Asie , voyage qui avait duré cent jours et qu'il avait entrepris pour arranger les différends de l'Eglise d'Ephèse et chasser les évêques simoniaques. Pendant son absence il avait été extrêmement regretté de son peuple qui le chérissait. Les habitants de Constantinople auraient désiré qu'il fût du moins de retour pour célébrer avec eux la fête de Pâques ; mais il ne put revenir qu'après ; c'est pourquoi il les console : " La Pâque, leur dit-il, se célèbre toutes les fois que nous participons au corps et au sang de Jésus-Christ. "

Voici à quelle occasion fut prononcé le deuxième discours :

Sévérien, évêque de Gabales, se trouvant à Constantinople, s'était, par de faux dehors, concilié l'amitié de saint Jean Chrysostome. Pendant le voyage que le saint archevêque fit en Asie, Sévérianus, croit-on, voulut profiter de son absence, pour s'attacher le peuple, en le détournant de celui qui avait son admiration et son amour. Saint Jean Chrysostome, averti par Sérapion, retrouva, à son retour d'Asie, une foule heureuse de le revoir, empressée à le féliciter ; et il ne parait pas s'être fort préoccupé de cette affaire. Mais voici qu'un jour la colère de Sévérianus contre Sérapion éclata en paroles impies ; le peuple s'agita, s'irrita, et l'évêque des Gabales fut chassé de Constantinople. Rappelé par les soins de l'impératrice Eudoxie, de l'empereur lui-même, il fut admis, quoique à contre-coeur, même par celui qu'il avait voulu supplanter. Le peuple était toujours furieux; saint Jean Chrysostome pouvait seul le calmer; de là les paroles qu'il lui adressa. Le lendemain Sévérien monta en chaire et fit un éloge de la paix ; c'est le troisième des discours sur lesquels roule cet avertissement.

Moïse, ce grand serviteur de Dieu, le prince des prophètes, qui i;e fit un chemin au sein de la mer, agita les espaces de l'air, dressa la table pour son peuple; Moïse, exposé à la mort par celle qui lui donna le jour, recueilli par une femme qui était son ennemie (vous savez que sa mère ne lui donna que le jour, ce fut une Egyptienne qui le prit et le nourrit), Moïse, qui recevait en Egypte sa nourriture; et qui conversait dans le ciel; cet homme, qui érigea un si grand trophée, vous savez quel trophée; cet homme, ce grand homme, après avoir quitté son peuple, pour quarante jours, le trouva fabriquant les idoles et respirant les séditions. Moi, je ne vous ai pas quittés pour quarante jours seulement, mais pour cent cinquante et plus, et je vous retrouve dans la joie, dans la sagesse, persévérant dans la crainte de Dieu. Suis-je donc plus élevé que Moïse? Loin de moi cette pensée ! l'exprimer, ce serait le comble de la démence.

Mais ce peuple que je vois, a des pensées plus hautes que le peuple ancien; aussi le grand Moïse, descendant de la montagne, réprimandait Aaron à cause de la sédition du peuple, et laissait tomber sur lui sa colère, parce qu'il avait acquiescé à leur volonté. Moi, au contraire, à mon retour, je vous adresse des éloges, et je veux vous tresser des couronnes. Car,, si la prévarication nécessite l'accusation et la réprimande, au contraire, l'amendement des moeurs veut des éloges et des couronnes; voilà pourquoi, quelque prolongée qu'ait été mon absence, je n'en éprouve aucun chagrin; j'étais sûr de votre charité, de l'intégrité de votre foi; je savais bien que mon épouse avait sa chasteté pour rempart, comme il arrive même entre les époux de la terre. En effet, l'homme qui sait que son épouse manque de pudeur, ne lui permet pas seulement de regarder hors de la maison; est-il parfois contraint de (308) voyager, vite il se sent forcé de revenir; le soupçon, pour ainsi dire, l'aiguillonne; tandis que l'époux qui sait avoir une épouse sobre et chaste, s'attarde sans inquiétude hors de sa maison; pour veiller soir son épouse, pour la protéger, il lui a laissé une garde suffisante, ses moeurs. Voilà donc ce qui nous est arrivé, à moi, à Moïse. Il avait une épouse incorrigible, la synagogue; il la laissa un moment seule, elle se livra à la fornication. Alors Dieu dit à Moïse : Allez, descendez, car votre peuple a péché. (Exod. XXXII, 7.) Mais moi, je n'ai reçu aucun ordre de ce genre; et, quand il m'est survenu une légère indisposition, je ne me suis pas inquiété à vous savoir loin de moi, et, tranquille à votre sujet, j'ai attendu la guérison de mon mal. En effet, ce ne sont pas ceux qui se portent bien, qui ont, besoin de médecin, mais les malades. (Matth., IX, 12.)

Si je suis resté un peu de temps loin de vous, mon absence ne vous a causé aucun détriment; au contraire, elle vous a servi, je pense, à augmenter vos richesses; car ce que vous avez corrigé, grâce à mon zèle, ou plutôt par la grâce de Dieu, voilà votre couronne, voilà votre profit, votre avancement. Aussi, je suis dans la joie et je trépigne d'allégresse, et il me semble que j'ai des ailes, et la grandeur du ma joie, je ne puis l'exprimer. Que ferai-je donc? Comment indiquerai-je le transport de mon âme? J'en appelle au témoignage de votre conscience, puisque je vois que mon arrivée la remplit de joie : cette joie, c'est ma couronne et ma gloire. En effet, si ma présence, la présence d'un seul homme remplit un si grand peuple d'un tel plaisir, comprenez, si vous le pouvez, celui qui me vient de ce que je vous vois tous. Jacob ne voyait qu'un seul de ses fils, Joseph ! et le vieillard se réjouissait, et son esprit était récréé; mais moi, je ne vois pas seulement un Joseph, mais je vous vois tous, qui lui ressemblez, et je m'en réjouis; j'ai recouvré mon paradis , l'autre paradis ne le valait pas : vous savez bien que, dans celui-là , il y avait le serpent, toujours occupé à suggérer le mal ; ici, le Christ célébrant les mystères; là, il y avait Eve exerçant ses séductions; ici, c'est l'Eglise couronnant ses fidèles; là, il y avait Adam qui se laissait séduire; ici est le peuple qui demeure attaché à Dieu; là, des arbres de diverses espèces ; ici, la variété des dons du Seigneur ; dans le paradis , des arbres se flétrissant ; dans l'Eglise, des arbres fructifiant; dans cet ancien paradis, chaque plante persiste en son état; dans ce paradis que vous me faites, si je trouve une vigne sauvage, je la rendrai une vigne fertile; si je trouve un olivier sauvage, je le rendrai un bon olivier : car telle. est la nature de cette terre où Jésus-Christ vous a plantés. Aussi je me réjouis, et j'oublie de vous rendre les comptes que je vous dois : mais comment se fait-il qu'un si longtemps m'ait tenu séparé de vous? recevez ici mes comptes, ô mes bien-aimés. Quand vous avez envoyé quelque part un esclave qui a fait attendre son retour, vous exigez de lui les causes de ce retard; il doit vous dire où il a séjourné si longtemps; et moi, je suis l'esclave de votre charité; car vous m'avez acheté, non pas en donnant une somme d'argent, mais en montrant votre charité. Je me réjouis d'un tel esclavage, je ne veux pas en être affranchi; cet esclavage, qui m attache à vous, est pour moi plus beau que la liberté; cet esclavage a marqué ma place à ce tribunal heureux; cet esclavage n'est pas le joug de la nécessité, mais le choix de ma volonté. Qui hésiterait à se faire l'esclave de votre dilection, de votre affection si noblement belle ? J'aurais une âme de pierre, que vous l'auriez rendue plus tendre que la cire.

Que dirai-je de ces touchants souhaits, de cet empressement, de cet amour qu'hier vous m'avez montré; de vos voix, de votre allégresse pénétrant jusque dans le ciel? Vous avez sanctifié l'air, vous avez fait de la cité une église j'étais honoré, Dieu était glorifié, les hérétiques confondus, l’Eglise couronnée : car c'est pour la mère une vive joie quand ses fils sont dans l'allégresse. C'est un grand plaisir pour le pasteur, lorsque les agneaux du troupeau bondissent. J'ai goûté les joies de vos vertus; j'ai appris que vous avez lutté avec les hérétiques, et comme ils ont mal agi à l'occasion du baptême, vous les avez repris et réfutés. Avais-je tort de dire qu'en l'absence de son époux, l'épouse chaste repousse les adultères; qu'en l'absence du berger, elle chasse les loups; que les matelots, sans le pilote, ont sauvé le navire: que les soldats sans leur général ont remporté la victoire; que les disciples sans leur maître ont fait des progrès; que les enfants sans leur père se sont fortifiés? Je me trompe, il ne faut pas dire sans leur père : car votre avancement c'est ma joie; votre glorification, ma couronne.

309

Mais nous désirions, dites-vous, faire avec vous la Pâque. Je veux satisfaire votre affection, puisque votre mécontentement s'est éteint du moment que mon retour a contenté vos yeux. Car, si le père en recevant l'enfant prodigue, se réconcilie aussitôt avec lui , ne réclame pas contre lui de châtiment , mais l'embrasse à l'instant même; ainsi font, à bien plus forte raison, des enfants qui reçoivent leur père. Cependant je veux répondre même à ce que vous désiriez : c'est la Pâque que vous vouliez faire avec moi; or personne ne vous empêche aujourd'hui de faire avec moi la Pâque. Mais peut-être me direz-vous : est-ce que nous ferons deux Pâques? Non, mais une seule et la même, un grand nombre de fois. En effet, le soleil se lève toujours, et nous ne disons pas qu'il y a beaucoup de soleils, mais qu'il y a un soleil qui se lève chaque jour; il en est de même de la Pâque : nous aurons beau la consommer toujours, la célébrer toujours, ce n'en. est pas moins une seule et même solennité pour nous. Nous ne ressemblons pas aux Juifs, nous ne sommes pas esclaves de tel ou tel lieu, ni soumis à la nécessité du temps, affermis que nous sommes par la parole du Seigneur. Toutes les fois, dit-il, que vous mangerez ce pain et que vous boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur. (I Cor. XI, 26.) En effet, nous annonçons aujourd'hui la mort du Christ. Mais c'est que la fête était à telle époque : eh bien ! aujourd'hui aussi, c'est la fête. Car où la charité se réjouit, là est la fête; et où j'ai recouvré mes enfants qui se réjouissent, je célèbre la plus grande de toutes les fêtes. Et en effet, cette fête-là, c'est encore la charité, car Dieu, dit l'Apôtre, a tellement aimé le monde, qu'il a donné soit Fils unique pour lui. (Jean, III, 16.)

Mais beaucoup de personnes, me dit-on, ont été baptisées en votre absence. Eh bien, après? La grâce n'en est pas moins la grâce; le don de Dieu n'en est pas infirmé : ces personnes n'ont pas été baptisées en ma présence, mais c'est en la présence du Christ qu'on les a baptisées. Est-ce que c'est l'homme qui baptise? L'homme étend la main, mais c'est Dieu qui gouverne la main. Ne doutez pas de la grâce, mon très-cher frère, c'est le don de Dieu. Appliquez avec soin votre attention aux paroles qui se disent quand, par hasard , pour un motif quelconque, il faut expliquer un rescrit de l'empereur; après avoir présenté vos prières, après avoir reçu la communication de l'empereur, vous ne recherchez pas la qualité de la plume dont il s'est servi, ni la qualité du papier, ni la qualité ou la nature de l'encre, mais voici uniquement ce que vous tenez à savoir, l'empereur a-t-il signé? de même, en ce qui concerne le baptême, le papier, c'est la conscience; la plume, c'est la langue du prêtre, la main, c'est la grâce du Saint-Esprit. En effet, soit par moi, soit par celui qui exerce les fonctions sacerdotales, c'est la même main, la main du Saint-Esprit qui écrit, nous ne sommes que des ministres, nous ne sommes pas les auteurs du mystère. Paul lui-même n'est qu'un ministre : Que les hommes nous considèrent comme les ministres du Christ, et les dispensateurs, des mystères de Dieu. Car qu'avez-vous que vous n'ayez reçu? (I Cor. IV, 1, 7.) Si j'ai quelque chose, je l'ai reçu; or si je l'ai reçu, cela n'est pas de moi, mais de celui qui m'a octroyé le don. Ainsi ne doutez pas, mon très-cher frère; car la grâce de Dieu a reçu son accomplissement. Le lieu n'est pas un empêchement, que vous soyez baptisé, soit ici, soit sur un vaisseau, soit chemin faisant. Philippe a baptisé dans la rue; Paul, en prison; le Christ, sur la croix, le larron crucifié à côté de lui, et aussitôt il a mérité d'ouvrir la porte du paradis.

De là, ma joie et mes transports, et je vous demande vos prières avec lesquelles j'ai fait le voyage d'Asie , avec lesquelles je suis revenu, avec lesquelles j'ai franchi les flots, vos prières qui m'ont aidé à obtenir une heureuse traversée; je ne me suis pas embarqué sans vous; je ne suis pas parti sans vous, je ne suis pas dans une cité quelconque sans vous; dans une église, sans vous; on m'avait, par le corps, arraché à vous, mais je vous restais joint parla charité. Car je voyais votre Eglise, même en fendant la ruer, et mon âme tressaillait de joie. Car c'est là ce que montre la charité qui ne se laisse pas emprisonner : j'entrais dans une église, je m'approchais de l'autel, j'offrais mes prières et je disais : Seigneur, conservez l'Eglise que vous m'avez confiée. Sans doute j'en suis absent par le corps, mais votre miséricorde y est présente; c'est elle qui m'y a conduit, et qui m'a accordé plus que je ne méritais. Et la preuve que le Seigneur l'a agrandie cette Eglise, c'est la multitude de ceux que je vois présents. Je vois fleurir 1s, vigne, et nulle part je n'aperçois (310) d'épines, nulle part aucunes ronces; les brebis bondissent, et pas un loup. Que si quelque part on en a découvert un, il se change en brebis. Car si grande est votre foi, si grande votre charité, que vous provoquez l'émulation. C'est le Seigneur lui-même qui vous a conservés, lui-même qui m'a ramené; dans mon infirmité, j'ai senti le secours de vos prières, dont je vous demande pour chaque jour les suffrages. Mon voyage a été pour votre cité l'occasion d'une couronne: L'amour que vous me portiez dès le commencement, est maintenant manifeste pour tous. Absent, j'ai été pour vous comme si j'étais présent. Quand j'étais dans l'Asie, occupé à corriger les Eglises, des voyageurs venus d'ici, me disaient en arrivant là-bas : vous avez embrasé la cité. On le sait bien pourtant, à la longue l'affection se fane; au contraire votre attachement pour moi augmentait chaque jour. Et celui que vous aimiez ainsi pendant son absence, je crois bien qu'il vous arrive de l'aimer encore plus présent auprès de vous. Voilà le trésor que je vous dois, voilà mes richesses. Et aussi je vous demande vos prières. Vos prières sont pour moi un mur et un renfort. Ne dites pas, je suis languissant, comment pourrai-je prier pour le prêtre ? Ecoutez la parole de l'Ecriture : Or la prière était continuelle. (Act. XII, 5.) Et la prière de l'Eglise a brisé les liens de Pierre et dilaté la confiance de Paul pour la prédication. La prière a éteint la fournaise; la prière a fermé les gueules des lions; la prière a calmé la sédition; la prière a ouvert' le paradis; la prière a fait tourner sur leurs gonds, pour les ouvrir, les portes du ciel; la prière a fécondé celle qui était stérile; la prière de Corneille a pénétré dans les dieux; la prière a justifié le publicain. Voilà le renfort que je requiers de vous; voilà la grâce que je demande : et puisse le Dieu de gloire, accueillant vos prières, mettre dans ma bouche un discours capable de fortifier le peuple qui m'a été confié et de le pousser dans les voies du salut, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui appartient, comme à Dieu le Père, comme au Saint-Esprit, l'honneur, la gloire, la puissance dans les siècles des siècles Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

DISCOURS DE SÉVÉRIEN SUR LA PAIX après qu'il eût été accueilli par le bienheureux Jean, évêque de Constantinople.
A l'avènement du Seigneur notre Sauveur, quand il parut présent, en corps, sur la terre, les choeurs des anges du ciel évangélisaient les bergers, en leur disant: Nous vous apportons aujourd'hui une nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple. (Luc, II, 10.) Nous voulons emprunter les paroles des saints anges eux-mêmes, nous vous annonçons aujourd'hui une grande joie. Aujourd'hui, l'Eglise est dans la paix, et les hérétiques sont livrés à la colère. Aujourd'hui, le vaisseau de l'Eglise est dans le port, et la fureur des hérétiques est ballottée par les flots. Aujourd'hui, les pasteurs de l'Église sont dans la sécurité, et les hérétiques sont dans le Trouble. Aujourd'hui, les brebis du Seigneur sont en sûreté et les loups, en proie à la rage. Aujourd'hui, la vigne du Seigneur est dans l'abondance, et les ouvriers de l'iniquité dans le besoin. Aujourd'hui, le peuple du Christ est exalté, et les ennemis de la vérité sont humiliés. Aujourd'hui, le Christ est dans la joie, et le démon est dans le deuil. Aujourd'hui, les anges sont dans l'allégresse, et les puissances de l'enfer dans la confusion. Et qu'est-il besoin de tant de paroles? Aujourd'hui, le Christ, qui est le roi de paix, s'avançant avec sa paix, a mis en fuite tout dissentiment, en déroute les dissensions, chassé, exterminé la discorde. Et, comme la splendeur du soleil illumine le ciel, ainsi l'Église s'illumine des douces clartés de la paix. La paix ! ô combien désirable est ce nom; quel stable fondement de la religion des Chrétiens; quelle armure céleste pour la défense de l'autel du Seigneur ! Et quelles premières paroles pouvons-nous consacrer en l'honneur de la paix? La paix, c'est le nom du Christ lui même , comme dit l’Apôtre : Car le Christ est notre paix, lui qui des deux peuples n'en a fait qu'un (Ephés. II, 14) ; ce n'était pas la différence de la foi, mais la haine du démon qui les divisait. Mais, comme on voit, quand an roi. s'avance, les places se nettoyer, la cité tout entière se couronner de fleurs, se parer de divers ornements, afin que tout soit digne des regards du roi; de même, en ce jour où s'avance le Christ, le roi de paix, faisons disparaître tout ce qui afflige les yeux; qu'à la lumière de la vérité, le mensonge prenne la fuite; que la discorde disparaisse au loin, la concorde resplendit. Nous avons vu souvent, dans des tableaux représentant des rois ou des frères, le peintre figurer leur unanimité par une femme, que l'on aperçoit derrière eux; c'est la concorde qui les tient tous les deux dans ses bras; elle montre ainsi que ceux qui forment deux corps distincts, ne sont qu'un par l'accord des pensées et de la volonté: de même, en ce jour, la paix du Seigneur au milieu de nous, nous serrant tous les deux sur son coeur plein d'amour, montre à tous que ceux qu'elle réunit dans ses bras ne font, de deux corps, qu'une seule âme. En elle s'accomplit manifestement la parole du Prophète: Et il y aura entre eux une alliance de paix. (Zach. VI 13.)

Hier, notre père commun a fait entendre. avec une bouche évangélique, les préliminaires de la paix ; aujourd'hui, c'est à notre tour de publier les paroles de la paix. Hier, nous tendant les mains, il nous a accueilli avec un langage (313) pacifique; à notre tour aujourd'hui , de dilater notre cœur, d'ouvrir les bras, de nous présenter au Seigneur, avec les offrandes de la paix. Maintenant, c'en est fait de toute guerre; la beauté de la paix a prévalu. Maintenant, le démon est dans le deuil, et toute l'armée des enfers se lamente; maintenant la joie est dans le ciel, et l'allégresse transporte les anges, ces amis naturels, ces plus chers amis de la paix. En effet , les vertus célestes elles-mêmes admirent ce bien dont elles possèdent la source éternelle,. intarissable, de laquelle nous vient goutte à goutte, sur la terre, une divine rosée. Aussi, quoique nous ne goûtions que la paix de la terre, la splendeur de cette paix rejaillit jusqu'au ciel; les anges du ciel l'exaltent et s'écrient : Gloire à Dieu, dans les hauteurs du ciel et sur la. terre, paix aux hommes de bonne volonté! (Luc, II, 14.) Voyez comme tous, dans le ciel, sur la terre, s'envoient réciproquement les présents de la paix ! Les anges du ciel annoncent la paix à la terre ; les saints, sur la terre , s'accordent pour louer ensemble le Christ, qui est notre paix, le Christ assis au milieu des choeurs célestes; et leurs voix œ joignent à ces choeurs mystiques, pour crier: Hosanna au plus haut des cieux! (Mat. XXI, 9.) Disons donc, nous aussi : Gloire à Dieu, au plus haut des cieux! il a humilié le démon, il a exalté son Christ. Gloire à Dieu au plus haut des cieux! il met en fuite la discorde, et il établit la paix. Je vous parle ici des artifices du démon, vous n'en ignorez pas l'astuce. Satan a vu la fermeté de votre foi, les dogmes établis dans l'enceinte inébranlable de la piété, il a vu l'abondance des fruits, des bonnes oeuvres et alors , à ce spectacle , sa rage s'est enflammée; dans le délire brûlant de sa fureur, il a voulu déchirer l'amitié, arracher des coeurs la charité, rompre tous les liens de la paix, mais puisse la paix du Seigneur être toujours avec nous, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui, comme à Dieu le Père et au Saint-Esprit, appartient la gloire dans les siècles des siècles! Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

DISCOURS DE SÉVÉRIEN SUR LA PAIX après qu'il eût été accueilli par le bienheureux Jean, évêque de Constantinople.
A l'avènement du Seigneur notre Sauveur, quand il parut présent, en corps, sur la terre, les choeurs des anges du ciel évangélisaient les bergers, en leur disant: Nous vous apportons aujourd'hui une nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple. (Luc, II, 10.) Nous voulons emprunter les paroles des saints anges eux-mêmes, nous vous annonçons aujourd'hui une grande joie. Aujourd'hui, l'Eglise est dans la paix, et les hérétiques sont livrés à la colère. Aujourd'hui, le vaisseau de l'Eglise est dans le port, et la fureur des hérétiques est ballottée par les flots. Aujourd'hui, les pasteurs de l'Église sont dans la sécurité, et les hérétiques sont dans le Trouble. Aujourd'hui, les brebis du Seigneur sont en sûreté et les loups, en proie à la rage. Aujourd'hui, la vigne du Seigneur est dans l'abondance, et les ouvriers de l'iniquité dans le besoin. Aujourd'hui, le peuple du Christ est exalté, et les ennemis de la vérité sont humiliés. Aujourd'hui, le Christ est dans la joie, et le démon est dans le deuil. Aujourd'hui, les anges sont dans l'allégresse, et les puissances de l'enfer dans la confusion. Et qu'est-il besoin de tant de paroles? Aujourd'hui, le Christ, qui est le roi de paix, s'avançant avec sa paix, a mis en fuite tout dissentiment, en déroute les dissensions, chassé, exterminé la discorde. Et, comme la splendeur du soleil illumine le ciel, ainsi l'Église s'illumine des douces clartés de la paix. La paix ! ô combien désirable est ce nom; quel stable fondement de la religion des Chrétiens; quelle armure céleste pour la défense de l'autel du Seigneur ! Et quelles premières paroles pouvons-nous consacrer en l'honneur de la paix? La paix, c'est le nom du Christ lui même , comme dit l’Apôtre : Car le Christ est notre paix, lui qui des deux peuples n'en a fait qu'un (Ephés. II, 14) ; ce n'était pas la différence de la foi, mais la haine du démon qui les divisait. Mais, comme on voit, quand an roi. s'avance, les places se nettoyer, la cité tout entière se couronner de fleurs, se parer de divers ornements, afin que tout soit digne des regards du roi; de même, en ce jour où s'avance le Christ, le roi de paix, faisons disparaître tout ce qui afflige les yeux; qu'à la lumière de la vérité, le mensonge prenne la fuite; que la discorde disparaisse au loin, la concorde resplendit. Nous avons vu souvent, dans des tableaux représentant des rois ou des frères, le peintre figurer leur unanimité par une femme, que l'on aperçoit derrière eux; c'est la concorde qui les tient tous les deux dans ses bras; elle montre ainsi que ceux qui forment deux corps distincts, ne sont qu'un par l'accord des pensées et de la volonté: de même, en ce jour, la paix du Seigneur au milieu de nous, nous serrant tous les deux sur son coeur plein d'amour, montre à tous que ceux qu'elle réunit dans ses bras ne font, de deux corps, qu'une seule âme. En elle s'accomplit manifestement la parole du Prophète: Et il y aura entre eux une alliance de paix. (Zach. VI 13.)

Hier, notre père commun a fait entendre. avec une bouche évangélique, les préliminaires de la paix ; aujourd'hui, c'est à notre tour de publier les paroles de la paix. Hier, nous tendant les mains, il nous a accueilli avec un langage (313) pacifique; à notre tour aujourd'hui , de dilater notre cœur, d'ouvrir les bras, de nous présenter au Seigneur, avec les offrandes de la paix. Maintenant, c'en est fait de toute guerre; la beauté de la paix a prévalu. Maintenant, le démon est dans le deuil, et toute l'armée des enfers se lamente; maintenant la joie est dans le ciel, et l'allégresse transporte les anges, ces amis naturels, ces plus chers amis de la paix. En effet , les vertus célestes elles-mêmes admirent ce bien dont elles possèdent la source éternelle,. intarissable, de laquelle nous vient goutte à goutte, sur la terre, une divine rosée. Aussi, quoique nous ne goûtions que la paix de la terre, la splendeur de cette paix rejaillit jusqu'au ciel; les anges du ciel l'exaltent et s'écrient : Gloire à Dieu, dans les hauteurs du ciel et sur la. terre, paix aux hommes de bonne volonté! (Luc, II, 14.) Voyez comme tous, dans le ciel, sur la terre, s'envoient réciproquement les présents de la paix ! Les anges du ciel annoncent la paix à la terre ; les saints, sur la terre , s'accordent pour louer ensemble le Christ, qui est notre paix, le Christ assis au milieu des choeurs célestes; et leurs voix œ joignent à ces choeurs mystiques, pour crier: Hosanna au plus haut des cieux! (Mat. XXI, 9.) Disons donc, nous aussi : Gloire à Dieu, au plus haut des cieux! il a humilié le démon, il a exalté son Christ. Gloire à Dieu au plus haut des cieux! il met en fuite la discorde, et il établit la paix. Je vous parle ici des artifices du démon, vous n'en ignorez pas l'astuce. Satan a vu la fermeté de votre foi, les dogmes établis dans l'enceinte inébranlable de la piété, il a vu l'abondance des fruits, des bonnes oeuvres et alors , à ce spectacle , sa rage s'est enflammée; dans le délire brûlant de sa fureur, il a voulu déchirer l'amitié, arracher des coeurs la charité, rompre tous les liens de la paix, mais puisse la paix du Seigneur être toujours avec nous, en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui, comme à Dieu le Père et au Saint-Esprit, appartient la gloire dans les siècles des siècles! Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

AVANT QUE SAINT JEAN CHRYSOSTOME PARTIT EN EXIL.
PREMIÈRE HOMÉLIE.
AVERT1SSEMENT.

Le conciliabule du Chêne ayant prononcé une sentence de déposition contre saint Chrysostome en 403, l'empereur Arcade, qui l'avait confirmée, donna ses ordres pour le faire chasser de la ville. Dès que les fidèles en furent informés, ils se soulevèrent avec beaucoup de chaleur et veillèrent pendant trois jours à la garde de leur pasteur, passant tout ce temps en prières, et oubliant même le soin de leur corps. Le saint évêque, à qui on avait signifié l'ordre d'Arcade, refusa les deux premiers jours d'y, obéir, attendant qu on lui fit violence. Le second jour, il fit à son peuple réuni un discours plein d'édification et de consolation pour tous ceux qui souffrent pour la justice. Nous l'avons encore en grec, mais on y a ajouté plusieurs choses qui ne sont point dignes de saint Chrysostome, et dans lesquelles on ne reconnaît point son style ; elles sont plutôt de quelque mauvais déclamateur, et d'ailleurs elles n'ont aucune liaison avec ce qui précède.

Ces choses indignes de saint Chrysostome remplissent les deux derniers numéros du texte grec , nous n'en donnons pas la traduction.

1. Les flots s'amoncèlent et la tempête devient sinistre; mais nous ne craignons pas d':être engloutis, car c'est sur la pierre que nous sommes établis. Que la mer se livre à ses fureurs, elle ne peut pas dissoudre la pierre; que les flots redoublent de violence, les flots n'ont pas assez de force pour faire Sombrer la barque de Jésus. Que pouvons-nous craindre? répondez-moi. La mort? Ma vie, à moi, c'est le Christ; et mourir est mon gain. (Philip. I, 21.) Est-ce l’exil? répondez-moi. C'est au Seigneur qu'appartient la terre, et tout ce qui la remplit. (Ps. XXIII, 1.) Est-ce la confiscation de nos biens? Nous n'avons rien apporté en venant au monde, il est évident que nous n'en pouvons rien emporter (I Tim. VI, 7), et ce que le monde trouve de terrible excite mon mépris, et ses biens sont pour moi un objet de risée. Je ne crains pas la pauvreté; je ne désire pas la richesse; je ne m'effraye pas de la mort; je ne souhaite pas la vie, à moins que ma vie ne serve à votre avancement. Aussi, en vous parlant des choses présentes, j'exhorte votre charité à la confiance. Personne ne peut nous séparer; car ce que Dieu a joint, l'homme ne peut le désunir. En effet, si au sujet de la femme et de l'homme, Dieu a dit : Pour leur union, l'homme quittera son père et sa mère; et il s'attachera a sa femme; et à eux deux, ils ne seront qu'une seule chair. (Gen. II, 24.) Ce que Dieu a joint, que l'homme ne le sépare pas. (Matth. XIX, 5, 6.) Si vous ne pouvez pas rompre le mariage, combien vous est-il, à plus forte raison, impossible de rompre l'union de l’Eglise de Dieu avec son pasteur? Sachez bien que vous la combattez sans pouvoir nuire en rien à celui que vous combattez. Sachez bien que vous ne faites qu'ajouter à ma gloire, et (316) que vous brisez votre propre force en luttant contre moi; car il vous est dur de regimber contre l'aiguillon. (Act. IX, 5.) Vous ne pouvez rien contre l'aiguillon, mais vous ensanglantez vos pieds; les flots ne peuvent pas dissoudre la pierre, ils se décomposent eux-mêmes en écume,

Rien n'a plus de force que l'Eglise, ô homme. Mets un terme à ta guerre, si tu ne veux pas voir le terme de ta puissance; n'entreprends pas de guerre contre le ciel. Si tu combats un homme, tu peux être ou vainqueur ou vaincu. Mais si tu combats l'Eglise, que tu sois vainqueur, c'est impossible; car Dieu est toujours le plus fort. Est-ce que nous rivalisons avec le Seigneur? Est-ce que nous sommes plus forts que lui? (I Cor. X, 22.) C'est Dieu qui a fondé, qui tentera d'ébranler? Vous ne connaissez pas sa puissance. Il jette un regard sur la terre, et il la fait trembler (Ps. CIII, 32); il commande, et ce qui tremble s'est raffermi. S'il a rétabli dans le calme la ville agitée, à bien plus forte raison, l'Eglise, il peut la rendre solide. L'Eglise est plus forte que le ciel. Le ciel et la terre passeront, mais les paroles que je dis ne passeront pas. (Matth. XXIV, 35 .) Quelles paroles? Tu es Pierre, et sur cette pierre qui m'appartient, j'édifierai mon Eglise, et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. (Ibid. XVI, 18.)

2. Si vous n'en croyez pas la parole, croyez-en l'expérience. Que de tyrans ont voulu dominer l'Eglise ! Comptez les chaudières, les fournaises, les bêtes féroces, les glaives aiguisés ! et ils ne l'ont pas dominée. Où sont-ils ceux qui lui ont fait la guerre ? Ils ont été réduits au silence, livrés à l'oubli. Au contraire, du est l'Eglise ? Elle efface le soleil par sa splendeur. Ses ennemis, avec tout ce qui tenait à eux, sont éteints; à tout ce qui tient à l'Eglise, l'immortalité. Si les chrétiens, en petit nombre, n'ont pas été vaincus, aujourd'hui que leur religion remplit la terre, comment pouvez-vous les vaincre? Le ciel et la terre passeront, mais les paroles que je dis ne passeront pas. Et c'est justice; car pour Dieu l'Eglise a plus de charmes que le ciel. A n'a pas pris le corps du ciel, mais il a pris la chair de l'Eglise; le ciel est pour l’Eglise et non l'Eglise pour le ciel. N'éprouvez aucun trouble de ce qui est arrivé. Accordez-moi cette grâce, une foi invariable. Ne savez-vous pas que si Pierre, marchant sur les eaux, se vit, pour un moment de doute, sur le point d'être submergé, ce n'était pas l'impétuosité furieuse des flots, mais parce, que sa foi était faible? Sont-ce les volontés humaines qui nous ont amenés au point où nous sommes? Est-ce que c'est un homme qui nous a faits ce que nous sommes pour que ce soit un homme qui nous brise ? Ce n'est pas dans le délire de l'orgueil que je parle ainsi, loin de moi l'arrogance, mais je veux consolider ce que je vois d'ébranlé en vous. La cité était calme et forte, alors le démon a voulu ébranler l'Eglise. Esprit impur, abîme d'impureté, tu n'as pas pu, ô démon, renverser les murailles, et tu crois pouvoir,ébranler l'Eglise? Est-ce que l'Eglise réside dans des murailles? C'est dans la foule des fidèles que réside l'Eglise. Voyez, que de colonnes solides; ce n'est pas le fer qui en lie les parties, c'est la foi qui les cimente. Je ne dis pas qu'une si grande foule a plus d'impétuosité que le feu, mais n'y eût-il qu'un fidèle, tu n'en viendrais pas à bout, ô démon! Vois donc quelles blessures t'ont faites les martyrs. On a vu souvent venir une jeune vierge, molle et délicate, elle était plus molle que la cire, et elle devenait plus solide que la pierre. Tu lui perçais les flancs, sans pouvoir lui ravir sa foi. La chair était vaincue, et la foi triomphait; le corps était consumé, la pensée reprenait toute sa jeunesse, la substance se dissipait, mais la piété persistait toujours. Tu n'as pas pu vaincre une femme seule, et tu crois vaincre un si grand peuple? N'entends-tu pas la voix du Seigneur : En quelque lieu que deux ou trois soient rassemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux? (Matth. XVIII, 20 .) Combien plus ne sera-t-il pas où se trouve un si grand peuple uni par la charité? J'ai son gage. Est-ce que ma confiance me vient d'une force particulière? J'ai son écrit. Voilà mon bâton, voilà ma force, voilà mon. port à l'abri des tempêtes. Quand toute la terre serait bouleversée, j'ai son écrit; je le lis; ces caractères que je lis, ces paroles, voilà mon mur d'appui; voilà ma sûreté. Quelles paroles? Je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la consommation des siècles. (Matth. XXVIII, 20.) Le Christ est avec moi, qui donc craindrai-je? quand les flots se soulèveraient contre moi, et la mer, et les fureurs des princes, tout cela est plus mince à mes yeux que les toiles de l'araignée. Sans la charité qui nie fait vivre pour vous, aujourd'hui même j'aurais consenti à partir. Car je dis toujours, Seigneur que votre volonté soit faite (Ibid. VI, 10), nonce que veut un tel ou un tel, mais ce que vous voulez. Voilà ma tour, mon roc, qui ne bouge pas, mon bâton qui tient ferme. Si c'est la volonté de Dieu que telle chose arrive, eh bien, qu'elle arrive ! S'il me veut ici, je le bénis; partout où il me voudra, je le bénis.

3. Que personne ne vous trouble : priez. Le démon a fait ces choses pour interrompre votre application à la prière. Mais il s’agite en vain; au contraire, nous vous trouvons plus zélés, plan fervents. Demain je viendrai me joindre à vos prières. Où je suis, vous êtes; où vous êtes, je suis; nous ne sommes qu'un même corps; le corps ne se sépare pas de la tête; la .tête ne se sépare pas du corps. Les lieux nous divisent, mais la charité nous unit; la mort même ne pourra pas nous désunir. Quand mon corps viendrait à mourir, mon âme vit, elle garde le souvenir de mon peuple. Vous êtes mes pères, comment puis-je vous oublier? vous êtes mes pères, vous êtes ma vie; vous êtes ma gloire. Vos progrès sont ma gloire, si bien que ma vie, ma richesse, réside dans ce trésor qui est le vôtre. Je suis prêt à subir pour vous mille morts, et je ne vous fais en cela aucune faveur, je vous paire une dette : Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis (Jean, X,11), il se laisserait mille fois égorger, mille fois trancher la tête. Cette mort, c'est le fondement de l'immortalité; ces assauts, c'est la voie qui mène à la vie pour jamais tranquille. Ce n'est pas l'amour des richesses qui m'expose à ces attaques, pour que je m'afflige; ce ne sont pas mes péchés, pour que je verse des larmes. Est-ce là ce qui cause mes épreuves? C'est l'amour que j'ai pour vous; je fais tout pour vous maintenir inébranlables, pour prévenir toute invasion dans la bergerie, pour conserver mon troupeau intact. La cause de mes combats me suffit pour la couronne. Que ne souffrirais-je pas pour vous? Vous êtes mes concitoyens, vous êtes mes pères, vous êtes mes frères, vous êtes mes enfants, vous êtes mes membres, vous êtes mon corps, vous êtes ma lumière, ou plutôt, vous êtes plus doux pour moi que cette lumière. Les rayons du soleil ont-ils pour moi une douceur égale à celle de votre amour? Ces rayons me servent pour la vie présente, mais votre amour me tresse une couronne pour l'avenir. Je dis ces paroles pour les oreilles de ceux qui m'écoutent. Qu'y a-t-il de plus prompt à écouter que vos oreilles? Il y a tant de jours que vous veillez, sans que rien ait pu votas abattre, ni la longueur du temps vous amollir, malgré les sujets de crainte, malgré les menaces ; devant tous les dangers, vous êtes devenus des hommes forts. Que dis-je? Vous êtes devenus ce que j'ai toujours désiré, vous avez méprisé les choses du siècle, vous avez dit adieu à la terre, vous vous êtes élancés jusqu'au ciel. Vous vous êtes affranchis des liens du corps, vous combattez pour atteindre à cette sagesse qui est la félicité ! Voilà mes couronnes, voilà ce qui m'encourage, voilà ma consolation, voilà l'onction polir moi, pour moi la vie, pour moi le fondement de l'immortalité. Voilà ce dont nous rendons grâces à Dieu, à qui appartient la gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

DEUXIÉME HOMÉLIE. Saint Jean Chrysostome au moment de partir pour l'exil.
AVERTISSEMENT.

Ce qu'il y a de bon dans ce discours se trouve déjà dans le précédent. Le reste ne parait pas digne de saint Chrysostome. Une chose cependant semble prouver l'authenticité de cette homélie. Dans son premier discours après son retour de l'exil saint Chrysostome dit : Vous vous souvenez que j'ai fait paraître au milieu de vous le bienheureux patriarche Job... Or, le patriarche Job figure en effet dans le discours qu'on va lire. Mais le faussaire pourrait avoir tiré le passage du discours authentique qui existait encore. Quoiqu'il en soit, ceux qui soutiennent que la pièce suivante est de saint Chrysostome sont obligés d'avouer qu'elle a subi de graves altérations de la part des copistes.

1. Heureux sujet d'entretien pour nous, mes frères, brillante réunion ! c'est la mer, vaste et spacieuse, aux flots pressés, mais que n'agitent pas les vents impétueux. Car elle est venue celle qui enfante la paix, qui éteint l'impétuosité des vents, La mère de Sion dira : un grand nombre d'hommes sont nés dans elle; et le Très-Haut lui-même l'a fondée. (Ps. LXXXVI, 5.) Mes chers petits enfants, on veut ma mort ! Et pourquoi craindrais-je la mort? Ma vie à moi, c'est le Christ, et mourir est mon gain. (Philip. I, 21.) Mais ils vous enverront en exil? C'est au Seigneur qu'appartient la terre, et tout ce qui la remplit. (Ps. XXIII, 1.) Mais la confiscation de mes biens? Nous n'avons rien apporté en venant au monde, il est évident que nous n'en pouvons rien emporter. (I Tim. VI, 7.) Mais vous savez bien, mes frères, pourquoi ils veulent me déposer. C'est que je n'ai pas déployé de tapisseries; c'est que je n'ai pas encouragé leur gourmandise qui engloutit tout; c'est que je ne leur ai offert ni or, ni argent. Or, ils me disent que j'ai mangé, que j'ai bu, que j'ai baptisé. Si j'ai fait cela, que l'anathème soit sur moi; que je sois retranché du nombre des évêques; que je ne sois pas admis parmi les anges, que je ne sois pas agréable à Dieu ! Mais si j'ai mangé, si j'ai baptisé, je n'ai rien fait qui ne fût de circonstance et à propos. Qu'ils déposent donc aussi l'apôtre Paul, pour avoir, après souper, conféré le baptême .au geôlier; qu'ils déposent donc le Seigneur lui-même, pour avoir, âpres souper, distribué la communion à ses disciples. Les flots s'amoncèlent et la tempête devient sinistre, et je vois les lances toutes prêtes; je suis comme un pilote, au milieu d'une grande tourmente; je suis assis à deux poupes, car le navire en a deux, l'Ancien et le Nouveau Testament, et, avec mes rames, je repousse les vagues furieuses; je ne dis pas avec des rames faites de bois, c'est avec la croix adorable du Seigneur que je change l'agitation en tranquillité. Le Seigneur commande, et l'esclave est couronné; voilà pourquoi il le laisse un moment à la merci du démon. Les hommes ne savent-ils pas que c'est par le moyen de ce qui est impur que le vase est rendu brillant de la plus grande pureté? Mes frères, je vous donne trois fondements de la sanctification; la foi, la tentation, la continence. Si vous dites que c'est la foi qui est le soutien, imitez le bienheureux Abraham, qui recueillit, dans une grande vieillesse, la maturité des fruits. Si vous dites que c'est la tentation qui est le soutien, imitez le bienheureux Job. Vous connaissez ses moeurs, vous avez appris sa patience, et vous n'ignorez pas sa foi. Si vous préférez dire que c'est la (319) continence qui est le soutien, imitez le bienheureux Joseph, qui fut vendu pour être conduit en Egypte ; ce pays était désolé par la famine, il l'en délivra. Il eut à subir la tentation que lui offrit une courtisane de l'Egypte, esclave de l'amour qu'elle éprouvait pour lui, assise à ses côtés : Dors, lui dit-elle, avec moi. (Gen. XXXIX, 7.) Elle voulait le dépouiller de sa continence sur cette terre d'Egypte, l'Egyptienne. Ici aussi il y a un Egyptien (1). Mais ni cette femme n'a supplanté le saint, ni l'Egyptien votre évêque; au contraire, on a vu se manifester à la fois la continence de l'homme libre, la noblesse des enfants et le dérèglement de la femme barbare.

2. Mes frères, le voleur ne va pas où il n'y a que de la paille, du foin et du bois, mais où se trouvent l'or, ou l'argent, ou les perles : de même le démon n'entre pas où se trouve un débauché, un impie, un ravisseur, un avare ; il cherche ceux qui vivent dans la solitude. Mes frères, est-ce que nous voulons donner à notre langue toute sa liberté en ce qui touche l'impératrice? Mais que dirai-je? Jézabel fait le tumulte, Elie prend la fuite; Hérodiade se réjouit, et Jean est dans les fers; l'Egyptienne ment, et Joseph est gardé en prison. S'ils m'exilent, j'imiterai Elie; s'ils me jettent dans la boue, je serai comme Jérémie; s'ils me précipitent dans la mer, je ferai comme le prophète Jonas; dans un lac, comme Daniel; s'ils me lapident, je serai comme Etienne; s'ils me tranchent la tête, je serai comme Jean le précurseur; s'ils me frappent de verges, ils feront de moi un autre Paul; si leur volonté est de me scier, un autre Isaïe. Qu'ils me scient donc avec une scie de bois, pour que je jouisse de l'amour de la croix. Celle qui est ensevelie dans son corps attaque l'homme affranchi de son corps; celle qui se plonge dans les baisas, dans les parfums, dans les embrassements d'un homme, combat la pureté immaculée de l'Eglise. Mais voici que cette femme va s'asseoir solitaire, veuve, du vivant même de l'homme à qui elle s'est livrée. Ainsi, toi, qui n'es qu'une femme, tu veux rendre veuve l'Eglise ! Hier, elle m'appelait le treizième apôtre, et

1. Théophile, évêque d'Alexandrie.

aujourd'hui elle m'a appelé Judas; hier, en toute liberté, elle s'est assise auprès de moi, et aujourd'hui, comme une bête sauvage, elle a bondi sur moi. Il vaudrait mieux voir le soleil s'éteindre, ne plus apercevoir la lune, que d'oublier les paroles de Job. En effet, lorsque Job souffrit un si grand coup, il se borna à s'écrier : Que le nom du Seigneur soit béni dans tous les siècles ! (Job, I, 21.) Quand sa femme lui cria : Maudissez Dieu, et mourez (Ibid. 11, 9, 10), il la réprimanda par ces paroles : Pourquoi parlez-vous comme une femme insensée? O ingratitude de la femme ! ô émollient des douleurs ! Est-ce que, quand tu étais malade toi-même, ô femme ! tu as entendu de telles paroles de la bouche de Job? Est-ce que, au contraire, par ses prières, par ses bons soins, il ne t'a pas enlevé ta maladie? Quand il vivait dans les palais des rois, quand il avait des richesses, quand il avait un train royal, tu ne disais rien de semblable; et maintenant que tu le vois assis sur le fumier, en proie aux vers, tu lui dis : Maudissez Dieu, et mourez. Ne lui suffisait-il pas de cette leçon dans le temps? Tu veux, par tes paroles, lui procurer un châtiment éternel! Mais que répond le bienheureux Job? Pourquoi parlez-vous comme une femme insensée? Si nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, ne supporterons-nous pas aussi les maux qu'il nous envoie ? Mais que veut cette femme qui viole les lois? cette détestable, cette nouvelle, ou, je le dirai, cette nouvelle Jézabel, est-ce qu'elle ne crie pas en disant (1)........ Mais elle m'envoie consuls et tribuns, et elle ne fait que menacer. Et que m'envoie-t-elle? Des araignées de la part d'une araignée. O mes frères ! ô vous tous ! si les épreuves donnent la victoire, si les combats méritent la couronne, ainsi que le disait tout à l'heure Paul, inspiré d'en-haut : J'ai bien combattu, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi; ce qui me reste, c'est â attendre la couronne de justice qui m'est réservée, que me décernera, au grand jour du jugement, le Seigneur, le juste Juge (II Tim. IV, 7), à qui appartiennent la gloire et l'empire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1. Il y a une lacune dans ce texte.
 

 

 

 

PREMIÈRE HOMÉLIE DE SAINT J. CHRYSOSTOME APRÈS SON RETOUR DE L'EXIL.
AVERTISSEMENT.

Saint Jean Chrysostome était parti pour son exil; mais bientôt l'impératrice Eudoxie, qui avait contribué à le faire exiler, effrayée des cris et des gémissements du peuple qui redemandait son évêque , et par un tremblement de terré qu'éprouva la ville de Constantinople, sollicita elle-même son rappel. On envoie de tout côté pour le chercher, et le Bosphore. se couvre de barques qui passent en Asie. Le saint Pontife est reçu dans la ville en triomphe, accompagné d'un peuple nombreux, qui, portant des flambeaux et chantant des hymnes, le conduit an temple des Apôtres, où- il prononce son premier discours. Il y rend grâces à Dieu de son retour, comme il l'avait béni à son départ, acceptant de sa main le bien et le mal avec reconnaissance, à l'exemple de Job. Il se félicite de l'amour de son peuple, auquel il est resté uni de coeur pendant son éloignement. Ses ennemis lui ont rendu un grand service en croyant lui nuire : ils lui ont fait connaître combien il était aimé. Il fait l'éloge de son troupeau : sous la figure d'une chaste épouse qui, séparée de son époux, lui reste fidèle, il le loue du vif attachement qu'il lui a témoigné ; il prie le Seigneur de le récompenser comme il le mérite ; le Seigneur auquel ils doivent tous rendre des actions de grâces.

Dans un second discours, prononcé le lendemain, saint Jean Chrysostome s'étend davantage sur les circonstances de son départ et sur celle de son retour. Il compare son église à Sara, et son ennemi, l'évêque d'Alexandrie, à Pharaon, qui enleva Sara des mains d'Abraham, mais qui fut bientôt obligé de la lui rendre. Il loue la fidélité de son église; il s'élève contre les violences de son persécuteur, qui n'ont servi qu'à prouver combien l'évêque de Constantinople était aimé dans sa ville. Les fidèles, les hérétique les juifs mêmes, lui ont donné des marques d'attachement. Il félicite le peupla de n'avoir opposé que des prières aux violences atroces de leurs ennemis. Il décrit l'empressement et les transports avec lesquels il a été reçu. Il rapporte quelques circonstances dé son retour, et cite, les propres paroles de la lettre dé l'impératrice, sur laquelle il fait des réflexions à la louange de cette princesse. Un nouvel éloge de son peuple pour lequel il est prêt à sacrifier sa vie, des plaintes contre son clergé qui s'est ligué avec ses ennemis, des louanges adressées aux princes, qui témoignent tant de zèle pour l'Eglise, des exhortations à son troupeau pour qu'il reste uni au pasteur, pour qu'il travaille à affermir la paix, et pour que, de concert avec lui, il remercie Dieu des bienfaits qu'ils en ont reçus; voilà ce qui termine le second discours de saint Jean Chrysostome après son retour.

1. Quel discours, quelles paroles ferai-je entendre? Dieu soit béni ! Ce que j'ai dit à mon départ, je le dis à mon retour, ou plutôt, dans mars séjour au foin, je n'ai pas cessé de le répéter. Vous vous rappelez que j'ai fait paraître au milieu de vous le bienheureux Job disant Le nom du Seigneur soit béni dans tous les siècles ! (Job, 1, 21.) Voilà les gages que je vous ai laissés en partant comme actions de grâces, je les reprends . Le nom du Seigneur soit béni dans tous les siècles! Diversité dans les événements; unité dans la glorification. Chassé, je rendais grâce, je reviens, je rends grâce encore. Diversité dans les événements; mais la fin de l’hiver est la même que celle de l'été, fin unique, la prospérité du champ cultivé. Béni soit Dieu qui a permis que je partisse; béni soit Dieu qui a voulu mon retour; béni soit Dieu qui a permis la tempête; béni soit Dieu qui a dissipé la tempête et fait la tranquillité ! Ces paroles sont pour vous fortifier dans l'habitude de bénir Dieu. Des biens te sont accordés? bénis Dieu, et tes biens te restent. Les malheurs sont venus? bénis Dieu, et les malheurs disparaissent. Vous voyez bien que Job au sein des richesses rendait grâce à Dieu; devenu pauvre, il rendait encore gloire à Dieu. Ni ravisseur d'abord, ni blasphémateur après. Il y eut pour lui diversité de (322) positions, unité de volonté. Le calme de la mer n'engourdit pas l'énergie du pilote, la tempête ne l'engloutit pas. J'ai béni Dieu quand j'ai été séparé de vous, je le bénis quand je vous ai recouvrés. Ces deux états divers sont l'effet de la même Providence. Mon corps a été loin de vous, jamais ma pensée. Voyez quelles grandes choses ont faites les intrigues de nos ennemis. Ils ont donné plus de force à l'amour qui nous unit, ils ont donné à l'amour de mon peuple l'occasion d'éclater comme un incendie, ils m'ont procuré des milliers d'hommes qui s'attachent à moi; avant ce jour les miens m'aimaient, à présent voici que les Juifs en plus m'honorent. Ils espéraient me séparer des miens, et ils n'ont fait que me concilier des étrangers. Mais ce n'est pas à eux, c'est au nom de Dieu que j'en dois rendre grâce; il a fait servir leur perversité à notre honneur, car les Juifs ont crucifié Notre-Seigneur, et le monde a été sauvé, et ce n'est pas aux Juifs que j'en rends grâce, mais au Crucifié. Qu'ils voient donc comme voit notre Dieu, quelle paix ont enfantée leurs trames, quelle gloire elles nous ont acquise. Auparavant l'église seule était remplie, aujourd'hui la place publique tout entière est devenue une église. De là-bas jusqu'ici, ce n'est qu'une même âme, une seule tête qui remplit tout l'espace. Personne n'a imposé silence à votre choeur, et cependant tous étaient dans le silence, tous étaient saisis de componction. Les uns chantaient des psaumes, les autres trouvaient bienheureux ceux qui chantaient. les psaumes du Seigneur. Aujourd'hui ce sont les jeux du cirque et personne ne s'y trouve; mais tous se sont précipités à grands flots dans l'église, on dirait des torrents; oui, votre assemblée est un torrent, et vos voix sont des fleuves qui rejaillissent au ciel et qui témoignent de votre amour pour un père. Vos prières ont plus d'éclat pour moi qu'un diadème. Je m'adresse à 1a fois aux hommes et aux femmes : Car en Jésus-Christ, il n'y a ni homme ni femme (Gal. III, 23.) Comment parlerai-je des puissances du Seigneur? Vous connaissez toute la vérité de ce que je veux vous dire : celui qui supportera fortement les tentations, en recueillera un grand fruit...

2. Voilà pourquoi je vous ai convoqués auprès des apôtres. Chassés, nous sommes venus auprès de ceux qui ont été chassés. Nous avons été attaqués par des menées insidieuses; ils ont été chassés. Nous sommes venus auprès de Timothée, nouveau Paul. Nous sommes venus auprès des saints corps qui ont porté les stigmates du Christ. Ne crains jamais la tentation, si tu as une âme généreuse : tous les saints ont été ainsi couronnés. L'affliction des corps est grande, irais plus grande la tranquillité des âmes. Puissiez-vous être toujours sous le fardeau. C'est ainsi que le pasteur lui-même se réjouit quand il subit le travail pour ses brebis. Que dirai-je? où jetterai-je la semence? Je ne trouve pas une place vide. Où travaillerai-je? Ma vigne n'est point dégarnie. Où édifierai je? le temple est achevé; mes filets rompent à cause de la multitude des poissons. Que ferai je? Ce n'est pas le temps du travail. Aussi je vous exhorte, non pas parce que vous avez besoin d'enseignements, mais parce que je veux, vous montrer mon affection toute naturelle. Partout les épis dans toute leur richesse. Tant de brebis, et pas un loup; tant d'épis, et pas l'ombre d'une épine; tant de vignes, et pas de renard. Les bêtes dévorante sont submergées; les loups ont fui. Qui les a poursuivis? ce. n'est pas moi, le berger, mais vous, les brebis. O noble nature des brebis! . En l'absence du pasteur, elles ont mis les loups en déroute. O beauté de l'épouse, ou plutôt chasteté ! en l'absence de l'époux, elle a chassé les adultères. O beauté et chasteté de l'épouse! elle a montré sa beauté, elle a montré aussi sa probité. Comment as-tu chassé les adultères? C'est que tu aimais ton époux. Comment as-tu chassé les adultères? Par la grandeur de la chasteté. Je n'ai point pris les arrhes, point de lances, point de boucliers; je leur ai montré ma beauté. Ils n'ont pu soutenir mon éclat. Où sont-ils, maintenant ? dans la honte. Où sommes-nous? dans l'allégresse. Avec nous les empereurs, avec nous les princes. Quels discours, quelles paroles ferai-je entendre? Que le Seigneur vous comble de nouveaux biens, vous et vos enfants (Ps. CXIII, 14), et recueille votre allégresse comme dans un filet pour la tirer à lui. Mettons ici fin à nos paroles, rendant en toutes choses des actions de grâce au Dieu de bonté, à qui est la gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

DEUXIÈME HOMÉLIE DE SAINT J. CHRYSOSTOME APRÈS SON RETOUR DE L'EXIL.
1. Lorsque Sara, l'épouse d'Abraham, lui fut ravie par Pharaon; cette belle et noble femme par ce méchant, ce barbare, cet Egyptien ; lorsque les regards de l'homme injuste puisèrent dans la contemplation dé cette beauté un désir adultère, si, à l'heure même, à l'instant, tout de suite, Dieu n'a pas infligé le châtiment, c'était pour qu'on vît bien et la vertu de l'homme juste, et la chasteté de la femme, et l'incontinence du barbare, 'et la divine Bonté : la vertu de l'homme juste, parce qu'il souffrit et bénit Dieu; la chasteté de la femme, parce que, tombée entre les mains du barbare, elle se conserva pure; l'incontinence du barbare, parce qu'il envahit la couche d'un autre; la divine Bonté, parce qu'après avoir attendu que tout fût désespéré humainement. Dieu alors couronna le juste. Ce qui s'est fait contre Abraham jadis, s'est fait, de nos jours, contre l'Eglise. Aujourd'hui encore, un Egyptien (1), comme autrefois, un Egyptien; il avait, celui-là, des satellites; celui-ci a eu des valets. L'ancien a enlevé Sara ; le nôtre, l'Eglise Pharaon n'a possédé sa proie qu'une seule nuit; celui-ci, qu'uni seul jour, et un seul jour même ne lui a pas été accordé. Il ne l'a possédée que ce qu'il fallait pour révéler la chasteté de l'épouse; il entre de force, et l'honneur de la chaste épouse n'a pas souffert d'atteinte. Il avait cependant tout préparé pour le faux mariage : le contrat était en règle ; grand nombre de ses familiers avaient signé; la machine était dressée; elle a manqué son effet.

1. La Théophile d'Alexandrie.

perversité de l'homme a paru, et, en même temps, a paru la bonté de Dieu. Le barbare d'autrefois reconnut son péché, avoua sa faute; il dit à Abraham : Pourquoi avez-vous fait cela? Pourquoi m'avez-vous dit : C'est ma sœur? Vous m'avez exposé au péché. (Gen. XII, 18, 19.) Notre barbare à nous, après son infraction à la loi, y a persisté. Misérable ! malheureux ! Tu as péché, tiens-toi en repos. N'ajoute pas le péché au péché. Sara sortit d'Egypte, enrichie de l'or des Egyptiens : l'Eglise est sortie de son épreuve, enrichie des biens de l'amitié, et plus belle de sa continence. soyez la démence du barbare. Tu as chassé le pasteur, pourquoi as-tu dispersé le troupeau? Tu as renversé le pilote, pourquoi as-tu brisé le gouvernail? Tu as chassé le vignerons pourquoi as-tu ravagé les vignes? Pourquoi as-tu dévasté les monastères? Tu as fait ton invasion à la manière des barbares.

2. Tout ce qu'il a fait, c'est pour qu'on vît paraître votre vertu; tout ce qu'il a fait, c'est pour montrer à tous qu'il y a ici une bergerie, avec le Christ pour berger. On chasse le berger, et le troupeau est compacte, et la parole de l'Apôtre s'est accomplie : Ayez soin, non-seulement lorsque je suis présent, mais aussi en mon absence, d'opérer votre salut avec crainte et tremblement. (Philipp. II, 12.) Vous savez quelles étaient leurs menaces, parce qu'ils redoutaient votre vertu, votre charité, votre affection pour moi. Nous n'osons rien, disaient-ils, dans l'intérieur de la ville; livrez-le-nous dehors. Prenez-moi donc dehors, si vous (323) voulez connaître la générosité de mes enfants, l'énergie de mes soldats, la puissance de mes oplites, la splendeur de nos diadèmes, la surabondance de nos richesses; la grandeur de notre charité, ce qu'endure la constance, ce qu'est la liberté dans sa fleur, ce qu'a d'illustre notre victoire, ce que votre défaite a de ridicule. O surprise, ô prodige ! Le berger qu'on chasse, et le troupeau dont l'ardeur bondit ! le général au loin, et les soldats qui prenaient leurs armes ! L'Eglise n'avait pas seulement pour elle son armée; la cité entière était devenue l'Eglise. Les carrefours, les places, l'air se sanctifiaient, les hérétiques se convertissaient, les Juifs s'amendaient, des prêtres s'attiraient leur condamnation; oui, les Juifs bénissaient Dieu et accouraient vers nous. C'est ce qui arriva pour le Christ. Caïphe le mit en croix, et un brigand le confessa. O surprise, ô prodige ! Des prêtres assassinèrent, et des mages adorèrent ! Ces choses. ne doivent .pas étonner l’Eglise. Si ces choses n'étaient pas arrivées, notre trésor ne se fût pas montré ; trésor réel; il ne se fût pas montré. C'est ainsi. que Job était juste; on n'aurait pas vu qu'il était juste sans ses blessures, sans les vers qui le rongeaient. Il en est ainsi de notre trésor; sans les perfides attaques, il ne se fût pas montré. Dieu, se justifiant, dit à Job: Pensez-vous qu'en vous répondant, j'aie pu avoir d'autre pensée que de faire paraître votre justice? (Job, XL., 8.) Ils ont ourdi leurs trames contre nous, ils nous ont fait la guerre et ils ont été vaincus. Comment nous ont-ils fait la guerre? Avec des bâtons. Comment ont-ils été vaincus? Par des prières. Si quelqu'un vous a frappé sur la joue droite, tournez-lui encore l'autre. (Matth. V, 39.) Tu apportes îles bâtons dans l'église, et tu lui fais la guerre? Où règne la paix pour tous, tu excites la guerre? Tu n'as pas de respect pour le lieu, ô malheureux, ô misérable ! ni pour la dignité du sacerdoce, ni pour la majesté du Chef? Le baptistère a été rempli de sang. Où Se fait la rémission des péchés, s'est faite l'Effusion du sang. Quelle bataille a vu ces. excès ! L'empereur entre et jette bouclier et diadème; toi, tu es entré, et tu as brandi les bâtons ! L'empereur laisse aux portes de l'église les emblèmes de l'empire; toi, tu apportes dans l'église les emblèmes de la guerre ! Mais tu n'as pas fait de mal à mon Epouse; elle me reste, et l'on admire sa beauté.

3. C'est pourquoi je me réjouis, non pas que vous ayez vaincu, mais qu'en mon absence vous ayez vaincu. Si j'eusse été là, j'aurais revendiqué, auprès de vous, ma part de victoire; mais, comme j'étais au loin, le trophée n'appartient qu'à vous seuls. Que dis-je? Cela même est une gloire pour moi. Je me reprends, et voici que je revendique, auprès de vous, ma part de la victoire. C'est moi qui vous ai élevés de telle sorte que vous puissiez, même en l'absence de votre père, montrer la noblesse que vous portez en vous. Comme on voit les athlètes généreux, même en l’absence du gymnasiarque, prouver leur vigueur; ainsi la vigueur généreuse de votre foi, même en l'absence de votre maître, s'est montrée dans sa beauté. A quoi bon les discours? Les pierres poussent des cris, les murailles font entendre leur voix. Allez au palais de l'empereur, et aussitôt vous entendez : les peuples de Constantinople. Allez aux rivages de la mer, dans les déserts, aux sommets des montagnes, dans les demeures habitées, votre éloge y est inscrit. A quoi devez-vous la victoire? Non à vos richesses, mais à votre foi. O peuple, ami de son docteur! ô peuple, qui chérit son père ! ô ville bienheureuse, non à cause de ses colonnes et de ses lambris d'or, mais à cause de votre vertu! Tant d'attaques insidieuses, et vos prières les ont vaincues, et j'est justice, et c'est raison; car les prières. étaient continuelles, et les larmes coulaient comme des fontaines. Ils avaient des armes, vous aviez vos pleurs; ils avaient leur rage, et vous, votre douceur. Fais ce que tu veux : vous priez. Et ceux qui parlaient contre nous maintenant, où sont-ils? Est-ce que nous avons agité des armes, tendu des arcs, lancé des traits? Nous priions et ils fuyaient. Comme fa toile de l'araignée, ils ont été dissipés, et vous êtes restés solides comme. la pierre. Je suis. bien heureux, à cause de vous; je savais bien, même auparavant, quel trésor je possédais ; je l'admire pourtant aujourd'hui. On m'éloignait, et la cité changeait de place. Pour un seul homme, la mer devenant une ville ! Les femmes, les hommes, de tout jeunes enfants, des mères portant leurs enfants dans leurs bras, affrontaient les vagues, méprisaient les flots; l'esclave ne craignait plus son maître; la femme avait oublié sa naturelle faiblesse; la place publique était changée en église; plus de place publique, plus rien qu'une église; transformation partout, à cause de nous. Qui n'avez-vous pas rempli (325) de vos sentiments? Vous avez reçu l'impératrice (1), confondue avec vous. Je ne veux pas cacher le zèle qu'elle a montré pour moi. Ce n'est pas en flatteur de l'impératrice que je parle; c'est sa piété que je célèbre. Je ne veux pas cacher le zèle qu'elle a montré pour moi. Elle n'a pas pris des armes; elle s'est couverte de ses glorieuses vertus. On m'éloignait alors, vous savez comment. Il faut bien dire ce qui afflige, pour vous faire comprendre ce qui fait du bien. Comprenez donc comment on m'éloignait, et comment je suis revenu. Ceux qui sèment dans les larmes moissonneront dans la joie. Ils marchaient et s'en allaient en pleurant, et jetaient leurs semences sur la terre; mais ils reviendront avec des transports de joie, en portant les gerbes de leur moisson. (Ps. CXXV, 5, 6.) Ces paroles sont devenues la réalité. C'est avec joie que vous avez accueilli celui dont vous escortiez te départ avec douleur. Et il ne s'est pas écoulé un long temps; en un seul jour, tout a été terminé. Ce retard, n'était que pour vous ; car Dieu, dès le principe, avait tout terminé.

4. Je vous dis maintenant une. chose secrète Je traversais la mer, seul, portant dans mes bras l'Eglise, car la charité n'est jamais étroite. Le navire n'était pas trop petit. Mes entrailles ne se sont point resserrées pour vous. (II Cor. VI, 12.) Je m'éloignais, plein de soucis pour vous, séparé de vous par le corps, joint à vous par la pensée, je m'éloignais, suppliant Dieu, déposant dans son coeur mon affection pour vous; je m'éloignais, j'étais assis, solitaire, plein de soucis pour volis, méditant sur mon exil, j'étais seul; tout à coup, après cette nuit malheureuse, au point du jour, je reçois de la plus pieuse des femmes, une lettre où je vois ces paroles. Car il faut que je vous cite textuellement les paroles : Que votre Sainteté se garde de croire que j'eusse connaissance de ce qui s'est passé; je suis innocente de votre sang. Des hommes pervers, des scélérats ont dressé cette machine ; j'ai pour témoin de mes larmes ce Dieu à qui je sacrifie. Quelles libations a-t-elle répandues? ses larmes étaient des libations. A qui je sacrifie. Voyez-vous cette prêtresse, qui s'était ordonnée elle-même, qui offrait à Dieu ses larmes, la confession et la pénitence, non pour le prêtre, mais pour l’Eglise, pour le peuple qu'on déchirait. Elle se souvenait, oui, elle se souvenait, et de ses fils,

1. L'impératrice Eudoxie.

et de leur baptême. Je me souviens que c'est par vos mains que mes fils ont été baptisés. Telle s'est montrée pour moi l'impératrice; quant aux prêtres, que la jalousie aveuglait tous, ils ignoraient en quel lieu je m’étais retiré. Admirez ce que je vais vous dire: Celle-ci, comme si elle eût tremblé pour un fils, m'escortait partout, non de sa personne, mais par les soldats qu'elle avait envoyés en particulier. Elle ne savait pas lion plus où jè m'étais retiré; mais partout elle envoyait, dans la crainte que le pasteur ne fût égorgé traîtreusement et qu'elle ne perdît la proie à qui elle faisait la chasse, pour la sauver. Je ne veux qu'une chose, faire le peu que je puis; je ne veux qu'une chose, c'est que ses ennemis ne s'en emparent pas. Les ennemis allaient, circulaient partout., étendant leurs filets pour me prendre, pour me remettre dans les mains des méchants. Cette pieuse femme s'adressait aussi à l'empereur, et touchant ses genoux, s'efforçait de l'associer à sa chasse généreuse. Comme Abraham cherchait Sara, ainsi elle cherchait son époux. Nous avons perdu le prêtre, dit-elle, mais il faut le ramener. Nous n'avons plus d'espoir pour l'empire, si nous ne pouvons pas le ramener. Il m'est impossible d'avoir aucun commerce avec aucun de ceux qui ont fait ces choses; et elle versait des larmes, et elle adressait à Dieu ses prières, et il n'était pas de ressort qu'elle ne fît jouer. Vous savez vous-mêmes avec quelle bienveillance elle nous a accueillis,nous a pris dans ses bras comme ses propres membres, les paroles qu'elle nous a dites, pour vous montrer qu'elle partageait votre inquiétude; ces paroles ont touché votre affection; vous avez vu en elle, la mère des Eglises; la nourrice des moines, la patronne des saints, le bâton des pauvres. Son éloge est devenu la gloire de Dieu, la couronne des Eglises. Dirai-je l'ardeur de son amour?. Dirai-je son zèle pour moi ? Hier soir elle m'a envoyé ces mots: Dites-lui de ma part: " Ma prière a été exaucée, ce que je demandais, je l'ai obtenu. J'ai reçu une couronne plus belle que mon diadème, j'ai recouvré le pontife; j'ai rendu au corps sa tête, au navire son pilote, au troupeau son pasteur, au lit nuptial l'époux. "

5. Les adultères ont été couverts de honte. Que je vive, que je meure, peu m'importe. Voyez l'issue glorieuse de l'épreuve. Que puis-je faire pour vous payer d'un juste retour? Comment donner à votre affection une récompense qui (326) l'égale? qui l'égale, c'est impossible. Mais ce que je puis je vous le donne; je vous aime et je suis prêt à verser tout mon sang pour votre salut. Non, jamais. personne n'a possédé de tels fils; personne, un tel troupeau, personne, un champ si fertile. Je n'ai pas besoin de pratiquer de culture, moi je m'endors, et les épis jaunissent. Je n'ai pas besoin de travail; je me repose et les brebis sont victorieuses des loups. Quel nom vous donnerai-je ? brebis, bergers, pilotes, soldats, chefs,d'armée, tous ces noms vous conviennent. Quand je vois votre bon ordre, je vous appelle brebis; quand je vois votre prévoyance, je dis: Vous êtes des bergers; quand je vois votre sagesse, je vous donne le titre de pilotes; quand je vois votre, courage, votre constance, je vous appelle tous, et soldats et chefs d'armée. O travail, ô prévoyance du peuple ! Vous avez chassé les loups, et vous avez gardé votre prévoyante sagesse. Les matelots qui étaient avec vous se sont tournés contre vous; ils ont déclaré la guerre au navire. Criez donc; au loin ce clergé! un autre clergé pour l'Eglise ! mais qu'avez-vous besoin de crier? Ils sont partis, on les a chassés , sans que personne les poursuive , ils ont pris la. fuite. Qui les accuse? personne; c'est leur conscience qui les accuse. Si mon ennemi m'avait chargé de malédictions, je l’aurais souffert. (Ps. LIV, 12.) Ceux qui étaient avec nous, se sont tournés contre nous; ceux -qui, avec nous, gouvernaient le navire, ont voulu faire sombrer le navire. J'ai admiré ce qui s'est passé en vous ; ce que j'en dis, ce n'est pas pour vous exciter à la sédition; la sédition, ce sont eux qui l'ont faite. Ce qui a paru, de vous, c'est le zèle de la foi. Vous n'avez pas demandé qu'on les mit à mort, mais qu'on prévînt le malheur, pour vous, pour l'Eglise, d'être de nouveau submergés. Votre courage a conjuré la tempête; leur pensée perverse a suscité la rage des flots. Mais je ne veux pas apprécier l'événement par l'issue, je ne veux y voir que le crime de. leur pensée. Comment toi, un assistant de l'autel, à qui on avait confié le soin d'un si grand peuple, qui devais réprimer les désordres, tu as irrité, la tempête, tu as poussé le glaive coutre toi-même, tu as perdu tes enfants; tu as voulu les perdre , si, en réalité, tu n'es pas parvenu à les perdre. Mais Dieu t'en a empêché; et je vous admire, et vous méritez mes louanges, parce que la guerre terminée, la paix étant faite, vous méditez. les moyens d'assurer cette paix. Il faut que pilotes et matelots soient unis d'un même coeur , car si le désaccord survient, le navire est submergé. C'est à vous à cimenter, à rendre, avec la grâce de Dieu, cette paix solide. Vous jouirez tous, j'y ferai rues efforts, de la parfaite sécurité; je ne ferai rien sans vous, et sans la très-pieuse et très-sainte Augusta. Elle aussi, n'a qu'une pensée; qu'une inquiétude, qu'un tint de toutes ses actions, c'est que ce qui a été planté, demeure ferme, c'est que l'Eglise demeure inébranlable, hors de l'atteinte des flots. Ainsi, j'ai eu raison de célébrer et les sentiments que vous avez montrés, et la prévoyance de nos princes; car ils se préoccupent moins de la guerre que de l'Eglise, de la cité que de l'Eglise. Adressons donc à Dieu nos prières, à la famille impériale nos voeux et nos désirs, et continuons, persistons à prier. Les dangers ont disparu, ne laissons pas pour cela se ralentir notre zèle. Voilà pourquoi, jusqu'à ce jour, nous prions, pour être délivrés des dangers. Bénissons le Seigneur, nous avons été pleins de courage et nous sommes, aujourd'hui encore, pleins d'ardeur. Pour tous ces biens, rendons des actions de grâces au Seigneur, à qui appartiennent la gloire et la puissance, ainsi qu'au Fils et à l'Esprit-Saint et vivifiant, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

HOMÉLIE SUR LE RENVOI DE LA CHANANÉENNE
AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

Les critiques reconnaissent tous que cette homélie est écrite un peu négligemment , comme beaucoup de celles que saint Chrysostome a prononcées à Constantinople. Elle a beaucoup de choses communes avec la 528 sur saint Matthieu. Saville et Tillemont, ainsi que Montfaucon, la regardent comme authentique. Fronton-du-Duc seul la range parmi les spuria. Montfaucon estimé qu'on ne peut contester l'authenticité, sinon de toute la pièce, au moins des trois premiers numéros jusqu'à miratur Evangelista.

1° Saint Chrysostome exalte la. fidélité de ses diocésains. Ses ennemis ont disparu. L'Église est Indestructible. — 2° Saint Matthieu le publicain, devenu évangéliste , va fournir la matière de l'instruction, c'est lui qui va dresser la table spirituelle ; qu'est-ce qu'un publicain? 3° Si grand pécheur que l'on soit, on peut devenir un saint. Voyez le publicain Matthieu. — 4° La Chananéenne, après s'être adressée aux apôtres, aborde Jésus lui-même. Elle confesse la divinité du Christ et le mystère de l'incarnation. — 5° Mais Jésus ne lui répondit pas un seul mot. — 6° Le Christ est venu pour sauver indistinctement tous les hommes. — 7° Vineum plantavi et sepem ipsi circumdedi. — 8. Le Christ a accompli la loi de Moise avant que de l'abroger. — 9° Jésus, en maintes circonstances avait égard aux préjugés de sa nation. — 10° Il faut persévérer dans la prière. — 11° On peut prier en tout lieu.

1. La tempête a redoublé sans abattre vos courages et vous êtes venus ; les tentations ont redoublé, sans éteindre votre ferveur. Toujours assaillie, l'Eglise ne se lasse pas de remporter des victoires. On la veut ruiner, elle triomphe; plus on fait d'efforts pour assurer sa ruine, plus elle grandit; les flots ont été dissipés, le roc demeure inébranlable. Le jour, les .enseignements de la doctrine; là nuit, les veilles; . c'est un combat du jour avec la nuit. Ici des collectes, et là, des collectes encore. La nuit fait du forum une église, et votre ardeur est plus vive que le feu. Vous n'avez pas besoin d'exhortations, tant vous montrez de zèle. Qui ne serait pas frappé d'étonnement et d'admiration ? Non-seulement ceux qui nous appartiennent, ne sont pas restés en arrière, mais ceux qui n'étaient pas avec nous, se sont joints à nous. Voilà ce qu'on . gagne aux épreuves: comme la pluie réveille les germes, ainsi l'épreuve, en s'infiltrant dans l’âme, y réveille la bonne volonté. Dieu l'a dit : L'Eglise est inébranlable : Les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle. (Matth. XVI; 18.) Celui qui lui fait la guerre, se détruit lui-même, quant. à l'Eglise, il la rend plus puissante; qui lui fait la guerre, perd ses propres forces , et rend plus glorieux nos trophées. Job était un noble coeur avant la lutte; il parut, après la lutte, plus généreux encore. Il était moins noble et moins grand, dans son corps plein de santé et de vie, qu'à l'heure où. ses ulcères lui faisaient une couronne. Gardez-vous de redouter jamais les épreuves si vous avez une âme bien préparée. L'affliction ne nuit pas, elle opère la patience. (Rom. V, 3.) La fournaise ne peut nuire à la vertu de l'or ; l’affliction, de même, ne détruit pas la vertu d'un coeur noble. Que fait la fournaise à l'or ? Elle le rend d'une pureté parfaite. Qu'opère l'affliction dans celui qui l'endure ? elle y opère la patience. Elle l'exalte, elle retranche la nonchalance, elle rassemble toutes les forces de l'âme, elle ravive la sagesse. Ils ont envoyé les (328) épreuves pour dissiper les brebis, et c'est le contraire qui est arrivé; les épreuves ont fait accourir le pasteur.

Où en sommes-nous? en possession de notre gloire. Où en sont nos ennemis? à subir leur honte. Où sont-ils donc? on ne les voit plus. Je parcours la place publique, je n'aperçois personne. Il y avait des feuilles, le vent a soufflé, elles sont tombées; il y avait de la paille, et elle s'est dispersée, et le froment a paru dans sa maturité.; il y avait du plomb, qui a fondu, et l'or est resté, l'or pur. Quel est donc celui qui les chasse? personne, mais ils ont un ennemi secret, la conscience, qu'ils portent dans leur coeur à côté du péché. Ils savent ce qu'ils ont fait. Caïn voulait tuer son frère (Gen. IV) ; tant qu'il voulut le tuer, son mauvais désir ne s'éteignit point dans son coeur; le péché une fois commis, gémissant, tremblant, le meurtrier ne fut plus qu'un vagabond sur la terre. Ceux-ci, pour n'être pas des meurtriers de fait, n'en sont pas moins des meurtriers, par (intention. Le meurtre a été consommé autant qu'il. a dépendu de leur' scélératesse : la vie conservée, ne l'a été que par la bonté de Dieu. Ce que j'en dis, c'est pour donner à vôtre ardeur l'huile fortifiante , c'est pour que les épreuves ne vous causent jamais d'épouvante. Etes-vous pierre ? regardez sans épouvante les flots. Sur cette pierre j'édifierai mon Eglise, et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle. (Matth. XVI, 18.) Dieu l'a dit. Tantôt guerres du dehors, tantôt guerres du dedans, mais nul ne peut submerger le navire.

2. Je ne voudrais pourtant pas dépenser tout notre temps à rappeler leurs crimes ; abandonnons-les aux terreurs de leur conscience, laissons leur bourreau torturer ces âmes aux 'pensées déréglées, aux désirs sans frein, laissons ces fugitifs que personne ne poursuit, ces infâmes que nul ne veut combattre, quant à nous, préparons la table accoutumée. Il n'est pas juste de perdre le temps à parler de leurs crimes, et de négliger nos enfants que la faim tourmente. Hier donc, c'est Paul qui nous a servi notre table ; aujourd'hui, c'est Matthieu qui va la dresser; hier, le faiseur, de tentes; aujourd'hui le publicain; hier le blasphémateur ; aujourd'hui l'homme à la main rapace; hier le persécuteur; aujourd'hui l'avare. Mais-ce blasphémateur n'est pas resté blasphémateur, il est devenu un apôtre; et l'homme de rapines n'a pas toujours vécu dans les rapines, il est devenu un évangéliste. Je constate et la perversité première, et la vertu qui l'a suivie, afin que vous appreniez toute l'efficacité du repentir, afin que vous ne désespériez jamais de votre salut. Nos docteurs furent d'abord illustres dans le péché, mais bientôt ce fut dans la justice que s'illustrèrent, jet le publicain et le blasphémateur, ces deux sommets de la perversité. Cap qu'est-ce que la profession de publicain? la rapine au nom de la loi, la violence pleine de confiance, l'injustice soutenue parla loi ; les brigands sont moins durs que le publicain. Qu'est-ce que la profession de publicain? la violence qui se fait un rempart de la loi, qui transforme le médecin en bourreau. Comprenez-vous mes paroles? Les lois, voilà. nos médecins, et il arrive que ces médecins deviennent des bourreaux, car parfois ils ne guérissent pas la blessure, ils l'enveniment. Qu'est-ce que la profession de publicain? un péché sans pudeur, une rapine sans prétexte, plus détestable que le brigandage. Le brigand, du moins , rougit en commettant le vol, mais l'autre, c'est avec une pleine assurance qu'il pille, Eh bien ! ce publicain tout à coup est devenu un évangéliste. Comment et de quelle manière? Chemin faisant, dit-il, Jésus vit Matthieu assis au bureau des impôts, et il lui dit : Suivez-moi. (Matth. IX, 9.) O puissance de la parole ! l'hameçon est entré, et voilà le soldat captif, la boue est devenue de l’or ; l'hameçon est entré , Et aussitôt se leva et il le suivit. Il était au fond de l'abîme de la perversité, et il s'est élevé sur la cime de la vertu. Que personne donc, mes bien-aimés, ne désespère de son salut. La perversité n'est pas le propre de la nature; nous avons reçu en privilège le choix volontaire et la liberté. Tu es publicain? tu peux devenir évangéliste. Tu es blasphémateur ? tu peux devenir apôtre. Tu es un brigand? tu peux voler le paradis. Tu es livré à la magie? tu peux adorer le Seigneur. Il n'est pas de vice de l'âme, qui ne puisse être dissipé par le repentir. Voilà pourquoi le Christ s'est choisi ceux qui habitaient les sommets de l'iniquité , il n'a voulu nous laisser pour le dernier jour aucun subterfuge.

3. Ne me dites pas : Je suis perdu, que me . reste-t-il? Ne me dites pas, je suis un pécheur, que ferai-je ? Vous avez un médecin plus fort que votre mal, vous avez un médecin qui sait vaincre la nature de votre maladie, vous avez un médecin à qui il suffit d'un signe pour (329) guérir, vous avez un médecin à qui il suffit de vouloir pour vous rendre la santé, qui peut, qui veut vous la rendre. Vous n'étiez pas, il vous a appelés; maintenant vous êtes, et l'erreur vous tient, à bien plus forte raison, il pourra vous redresser. N'avez-vous pas entendu dire comment, au premier jour, il prit de la poussière de la terre, et forma l'homme? comment, avec de la terre, il fit de la chair? il fit des nerfs? il fit des os? Il fit une peau? il fit des veines? il fit un nez? il fit des yeux, des paupières, des sourcils, une langue, une poitrine, des mains, des pieds, tout le reste? De la terre pour matière, une seule substance; et l'art vint et il fit une oeuvre variée. Pouvez-vous dire de quelle manière vous avez été créés ? De même, impossible à vous de dire comment les péchés se purifient. Si le feu qui tombe, sur les épines les consume, à bien plus forte raison la volonté de Dieu met à néant nos fautes, en arrache et en disperse-les racines, et met le pécheur dans le même état que celui qui n'a pas, péché. Ne recherchez pas le comment, ne scrutez pas ce qui est arrivé, croyez au miracle. J'ai péché, dites-vous, et souvent et grandement péché. Et qui est donc sans péché? Mais, me répond celui-ci, mes péchés sont considérables, énormes, dépassant toute mesure. Voici ce qui te suffit pour le sacrifice : Sois le premier à dire tes iniquités, pour être justifié. (Isaïe XI, XLIII, 26.) Reconnais que tu as péché , et ce sera pour toi un commencement de correction. Afflige-toi, abaisse-toi, verse des pleurs. La femme adultère a-t-elle fait autre chose? Rien autre chose que de verser des pleurs de repentie; elle a pris le repentir pour guide, et s'est approchée de la fontaine

4. Que dit le publicain évangéliste ? écoutons: Jésus étant parti de ce lieu, se retira du côté de Tyr et de Sidon, et voici qu'une femme. L'évangéliste s'étonne : Voici qu'une femme, l'ancienne arme du démon, celle qui m'a chassé du paradis, la mère du péché, la première tête de la prévarication,c'est cette même première femme qui vient, c'est la nature même; merveille étrange, incroyable; les Juifs fuient le Sauveur, et une femme le suit. Et voici qu'une femme, qui était sortie de ce pays-là, s'écria en lui disant : Seigneur, fils de David, ayez pitié de moi! (Matth. XV, 21, 22.) Une femme devient évangéliste et proclame la divinité et l'incarnation Seigneur, elle reconnaît la puissance; Fils de David, elle confesse l'incarnation; ayez pitié de moi; voyez la sagesse. Ayez pitié de moi; je n'ai pas de bonnes oeuvres par devers moi, je n'ai pas ia confiance que donne une bonne vie, j'ai recours à la pitié, je me réfugie dans le port ouvert aux pécheurs, je me réfugie auprès de la miséricorde, où il n'y a pas de tribunal, où se trouve, sans examen, le salut; et ainsi malgré ses péchés, malgré ses infractions à la loi, elle a osé s'approcher. Voyez encore la sagesse de la femme ! Elle ne s'adresse pas à Jacques, elle ne fait pas de prières à Jean, elle ne s'approche pas de Pierre, elle ne fait pas de distinction dans le choeur des apôtres. Je n'ai pas besoin d'intermédiaire, le repentir parle pour moi, et je vais droit à la source même. S'il est descendu, s'il a revêtu- notre chair, c'est pour que moi aussi je m'entretienne avec lui. En haut, les chérubins tremblent près de lui, et, sur la terre, la femme impudique s'entretient avec lui. Ayez pitié de moi. Courte parole, mais elle a découvert l'immense mer d'où le salut découle. Ayez pitié de moi. C'est pour cela que vous êtes venu près de moi; c'est pour cela que vous lavez revêtu ma chair, c'est pour cela que vous êtes devenu ce que je suis. En haut, le tremblement; en bas, la confiance Ayez pitié de moi. Je n'ai pas besoin d'intermédiaire. Ayez pitié de moi. Qu'avez-vous? Je cherche la pitié. Que souffrez-vous? Ma fille est misérablement tourmentée par le démon. La nature est torturée, la commisération s'exerce. Elle est sortie dans la pensée de parler pour sa fille : elle n'apporte pas la malade, ce qu'elle apporte, c'est sa foi. Il y a un Dieu qui voit tout. Ma fille est misérablement tourmentée par le démon. Deuil cruel; l'aiguillon de la nature a déchiré le sein maternel, la tempête est dans ses entrailles.. Que ferai-je? Je suis perdue. Et pourquoi ne dis-tu pas, ayez pitié de ma fille, mais, ayez pitié de moi. C'est qu'elle est insensible à son mal, elle n'a pas conscience de ce qu'elle souffre, elle ne sent pas la douleur, ellë a comme un voile qui lui dérobe son mal, c'est l'absence de la douleur, ou plutôt l'absence du sentiment. C'est de moi, de moi qu'il faut que vous ayez pitié; de moi, qui vois ces maux de chaque jour; j'ai chez moi un spectacle continuel de malheur. Où aller? dans le désert? Mais je n'ose pas la laisser seule. Rester à la maison ? Mais j'y trouve l'ennemi chez moi, les flots grondent dans le port, chez moi , un spectacle de malheur. Quel nom lui donner? Est-elle morte? mais je la (330) vois se mouvoir. Est-elle vivante? mais elle n'a pas la conscience de ce qu'elle fait. Je ne saurais trouver le mot qui exprime sa souffrance. Ayez pitié de moi. Si ma fille était morte, je ne souffrirais pas ce que je souffre; j'aurais déposé son corps dans le sein de la terre, et, avec le temps, l'oubli serait venu, la blessure se serait cicatrisée; mais maintenant j'ai toujours un cadavre sous les yeux, qui fait à mon coeur une continuelle blessure, qui toujours accroît ma douleur.. Comment puis-je voir des yeux bouleversés par la convulsion, des mains qui se tordent, des cheveux en désordre , l'écume qui sort de la bouche, le démon intérieur qui se manifeste sans se montrer? Le bourreau qui flagelle est invisible; mais les coups, je les vois. Je suis là contemplant ces douleurs hors de moi; je suis là, et la nature me perce de son aiguillon. Ayez pitié de moi. Affreuse tempête, douleur épouvantable; douleur qui vient de la nature, épouvante qu'inspire le démon. Impossible à moi de l'approcher, impossible à moi de la toucher. La douleur me pousse auprès d'elle, l'épouvante me repousse loin d'elle. Ayez pitié de moi.

5. Méditez bien la sagesse de la femme. Elle ne va. pas trouver les sorciers, elle n'appelle pas les devins, elle g'a pas recours aux amulettes, elle n'a pas la pensée de payer des femmes qui vendent des sortilèges, qui évoquent les démons, qui ne font qu'aigrir la maladie; elle quitte l'officine du démon,elle se rend près du Sauveur de nos âmes. Ayez pitié de moi, ma fille est misérablement tourmentée par le démon. Vous comprenez sa douleur, vous tous qui êtes pères; venez en aide à mon discours, vous toutes qui êtes mères. Je ne peux pas décrire la tempête qu'a supportée cette pauvre femme. Ayez pitié de moi: ma fille est misérablement tourmentée par le démon. Avez-vous compris la sagesse de la femme ? avez-vous compris sa constance? avez-vous compris sa force virile? avez-vous compris sa patience? Mais il ne lui répondit pas un seul mot. Chose étrange ! elle le prie, le conjure, déplore auprès de lui son malheur, développe cette tragique histoire, lui raconte son affliction, et lui, plein de bonté pour les hommes, il ne répond pas. Le Verbe se tait, la source demeure fermée, le médecin garde ses remèdes. Quelle nouveauté surprenante ! Tu cours auprès des autres, cette malheureuse accourt auprès de toi, et. tu la chasses ! Mais considérez la sagesse du médecin. Mais il ne lui répondit pas un seul mot. Pourquoi ? c'est qu'il ne considérait pas ses paroles, il remarquait les secrets de sa pensée. Mais il ne lui répondit pas un seul mot. Et les disciples? la femme n'obtenant pas de réponse, ils s'approchent de lui et lui disent : Accordez-lui ce qu'elle demande, parce qu'elle crie derrière nous. (Matth. XV, 23.) Mais tu n'entends, toi, que le cri du dehors; j'entends, moi, le cri du dedans : grande est la voix de la bouche; plus grande, celle de la pensée. Accordez-lui ce qu'elle demande, parce qu'elle crie derrière nous . Un autre évangéliste dit, devant nous (1). Les paroles se contredisent, mais il n'y a pas de mensonges; la femme fit les deux. D'abord elle cria derrière; ensuite, n'obtenant pas de réponse, elle alla devant, comme un chien qui lèche les pieds de son maître. Accordez-lui ce qu'elle demande. Elle était là en spectacle, elle, rassemblait le peuple ; les disciples ne considéraient que d’une façon tout humaine la douleur de la femme, le Maître, au contraire, considérait en outre le salut de cette femme. Accordez-lui ce qu'elle demande, parce qu'elle crie, derrière nous. Que fait donc alors le, Christ? Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël qui se sont perdues. (Matth. XV, 21.) Par cette réponse, il irrita sa blessure : c'était le médecin qui coupe, non pour diviser, mais pour réunir.

6. Ici accordez-moi toute votre attention. Je veux traiter une question profonde. Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la maison d’Israël qui se sont perdues. Est-ce là toute votre mission? vous vous êtes fait homme, vous vous êtes incarné, vous avez fait de si grandes choses pour ne sauver qu'un coin du monde, et qui périr sait. La terre entière n'est-elle donc qu'un désert dans le pays des Scythes, des Thraces, des Indiens, des Maures, en Cilicie, en Cappadoce, en Syrie, en Phénicie, dans tous les lieux .que voit le soleil? C'est pour les seuls Juifs que vous êtes venu ? toutes les n nions, vous les négligez? et peu vous importe la graisse des sacrifices, la fumée, votre Père outragé, les idoles adorées, les démons qui reçoivent un ' culte? Cependant les prophètes ne nous disent vas cela; votre aïeul selon là chair, que dit-il? Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage, et j'étendrai votre possession jusqu'aux extrémités de la terre. (Ps. II, 8)

1 Saint Marc (VII, 25) dit : Elle se jeta devant ses pieds; de là vient que saint Chrysostome qui cite de mémoire, dit . devant nous.

331

II, 8.) Et maintenant Isaïe, qui a contemplé les séraphins : Le rejeton de Jessé se lèvera pour commander à tous les peuples; les nations espéreront en lui. (Isaïe, XI,10.) Et Jacob : Le sceptre ne sera point ôté de Juda; ni le prince de sa postérité jusqu'à ce que Celui qui doit être envoyé soit venu, et c'est lui qui est l'attente des nations. (Gen. XLIX, 10.) Et Malachie .: Parce qu'en vous seront fermées les portes d'airain, et elles ne changeront pas ce qui est proposé, parce que, du levant jusqu'au couchant, votre nom est glorifié parmi les nations, et en tons lieux on offre l'encens au Seigneur, et un sacrifice pur. (Malach. I, 10,11.) Et David encore : Nations , frappez des mains toutes ensemble : témoignez à Dieu votre ravissement par des cris d'allégresse. Car le Seigneur est élevé et terrible; il est le roi suprême qui a l'empire sur toute la terre. Dieu est monté au milieu des cris de joie, et le Seigneur au bruit de la trompette. (Ps. XLVI , 1, 2, 5.) Et un autre : Nations, réjouissez-vous avec son peuple. (Deut. XXXII, 43.) Et vous-même, à votre avènement , ne vous êtes-vous pas empressé d'appeler à vous les mages, la citadelle des nations, la tyrannie de Satan, la vertu des démons? en descendant sur la terre, n'en avez-vous pas fait des prophètes? c'est vous qui appelez les mages ; les prophètes parlent des nations. Après être ressuscité de l'enfer, Nous dites aux disciples : Allez, instruisez toutes les nations, les baptisant au nom du Père,du Fils, et du Saint-Esprit (Matth. XXVIII, 19) ; et quand vient cette malheureuse, cette infortunée, vous implorant pour sa fille, vous conjurant de la délivrer, vous lui dites : Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la maison d’Israël qui se sont perdues; au centenier qui s'approche, vous dites : J'irai, et je le guérirai (Matth. VIII, 7) ; au larron : Aujourd'hui, vous serez avec moi dans le paradis (Luc, XXIII, 43) ; au paralytique : Levez-vous , emportez votre lit , et allez (Matth. IX , 6 ) ; à Lazare : Lazare , venez ici, sortez (Jean, XI, 43) ; et au bout de quatre jours qu'il était mort , il sortit. Vous purifiez les lépreux , vous ressuscitez les morts, vous rendez la force au paralytique , vous guérissez les aveugles; vous sauvez les brigands, vous rendez la courtisane plus chaste qu'une vierge, et à celle-ci vous ne répondez rien ? Quelle étrange conduite ! qu'elle est étonnante ! incroyable !

7. Faites bien attention ! comprenez la force virile de cette femme et la sagesse et la sollicitude du Seigneur; comprenez le profit du retard qu'elle supporta, le trésor que- lui ménageait un refus; et si vous priez, vous aussi, sans recevoir, ne vous désistez jamais. Attention, faites bien attention. Quand les Juifs furent affranchis de la tyrannie des Egyptiens, et qu'ils s'échappèrent des mains de Pharaon, ils se dirigèrent. vers le désert, pour entrer sur la terre des Chananéens; idolâtres, impies, qui adoraient des pierres, des morceaux de bois, et manifestaient une grande impiété. Dieu alors imposa aux Juifs cette loi : Vous ne prendrez pas de leurs fils pour vos gendres, vous ne leur donnerez pas votre fille pour bru. N'échangez pas l'or. avec eux, ne vous asseyez pas à la même table, n'habitez pas avec eux, n'ayez aucun autre rapport semblable, parce que ce sont des peuples injustes, et je vous mène dans leur pays pour qu'il devienne votre partage. (Exod. XXIII , 24 ; Deut. VII, 3.) Telles étaient à peu près les prescriptions de la loi : n'achetez pas , ne vendez pas , ni mariages, ni contrats; quoique voisins, soyez séparés par les moeurs. N'ayez rien de commun avec eux, ni pactes, ni ventes, ni achats, ni mariages : il pourrait se faire que les liens de la parenté vous fissent glisser dans l'impiété; la réciprocité des dons vous rendrait amis; soyez, au contraire, toujours leurs ennemis. Qu'il n'y ait rien de commun entre vous et les Chananéens; ne recevez ni leur or, ni leur argent, ni leurs vêtements, ni leurs filles, ni leurs fils, ni rien de semblable; vivez à part vous. Vous avez une langue qui vous sépare, et je vous ai donné une loi, voilà pourquoi la loi s'appelle une baie. Car, de même qu'on entoure la vigne d'une baie, de même les Juifs sont entourés et défendus par la loi pour éviter qu'en la franchissant ils ne se mêlent avec les Chananéens. Ces peuples, en effet, avaient des commerces illégitimes; les lois naturelles étaient perverties; ils adoraient des idoles; ils rendaient un culte à des morceaux de bois; Dieu était outragé; on égorgeait les enfants; on méprisait les pères; on insultait les mères; tout était confondu, tout était bouleversé, c'était une vie de démons. Aussi les Juifs n'avaient aucun commerce avec eux, ils ne leur vendaient rien; la loi interdisait aux Juifs, sous des peines sévères, tout mariage tout pacte, tout marché; les Juifs n'avaient (332) rien de commun avec eux. La loi avait donc pourvu à ce que les Juifs ne fissent aucun pacte avec les Chananéens, à ce qu'ils ne leur livrassent point d'or, ni rien autre chose, de peur que l'amitié ne devînt une occasion d'impiété. La loi était comme une haie autour d'eux. J'ai planté une vigne, dit-il, et je l'ai environnée d'une haie, c'est-à-dire, je l'ai environnée avec la loi, qui n'a pas d'épines, mais des prescriptions,. pour protéger, pour séparer. Donc les Chananéens étaient abominables; dignes d'exécration, des impies, des criminels, des infâmes, des êtres immondes, et, pour cette raison les Juifs ne voulaient même pas les entendre, jaloux d'ailleurs d'observer la loi. Or cette femme était chananéenne. Et voici qu'une femme, qui était sortie de ce pays-là, dit l’Evangéliste. C'est parce que cette femme était chananéenne , et s'était approchée du Christ, que le Christ dit : Qui de vous me convaincra de péché? Est-ce que j'ai transgressé la loi? Car s'étant fait homme, il remplissait les devoirs de l'homme.

8. Attention, maintenant. Donc, cette femme était chananéenne; elle sortait d'un pays où les fureurs, la rage, l'impiété, la tyrannie de Satan, tous les transports des démons foulaient aux pieds la nature, où l'on ne voyait que l'aveugle brutalité des brutes, les fureurs infernales; de plus , la loi avait dit : Entre toi et les Chananéens, rien de commun, ne leur donne rien, ne reçois rien d'eux, ni femme, ni gendre; ni pactes, ni contrats; car c'est pour cela que j'ai planté la haie tout autour de mon peuple; maintenant le Christ est venu, s'est fait homme, et tout d'abord a subi la circoncision légale, a offert les sacrifices, a présenté les offrandes d'usage, s'est en tout conformé à la loi, lui qui venait pour abroger la loi. On aurait pu lui dire que c'était, parce qu'il ne pouvait pas satisfaire à la loi, qu'il l'abrogeait: il commence par y satisfaire, et ensuite, il l'abroge, parce qu'il ne veut pas que vous pensiez qu'il ne pouvait pas y satisfaire; tout au contraire, il y satisfait en tout, selon l'usage. Voilà pourquoi il s'écrie: Qui de vous me convaincra de péché ? Donc, .la loi interdisant tout rapport avec les Chananéens, les Juifs pouvant accuser le Christ et lui dire : Voilà pourquoi nous ne croyons pas en vous, c'est que vous transgressez la loi, vous avez violé la loi, vous êtes allé dans le pays des Chananéens, vous avez eu commerce avec les Chanéens, malgré la loi qui dit, tu n'auras aucun commerce ; pour cette raison, au premier moment, le Christ n'adresse aucune parole à cette femme. Attention, voyez comme il satisfait à la loi, en différant d'accorder à cette femme la guérison, comme il ferme la bouche aux Juifs, et ranime cette femme : Mais il ne lui répondit pas un seul, mot, dit l'évangéliste. Ne vous saisissez pas de prétextes; voyez, je ne dis rien; voyez, je ne lui parle pas; voyez, le malheur est là, et je ne me montre pas; voyez le naufrage, et moi, le pilote, je ne lutte pas contré la tempête, parce que vous êtes là, méchants, et que je ne veux pas vous fournir de prétextes. Voyez, cette femme a rassemblé autour de moi le peuple qui me regarde, et elle n'a pas encore une réponse; je ne veux pas que vous me disiez, vous vous êtes livré aux Chananéens, vous avez- transgressé la loi, nous nous emparons de ce prétexte pour ne pas croire en vous. Ainsi vous le noyez, s'il n'a pas répondu à la femme, c'est pour mieux répondre aux Juifs; son silence envers la femme, était une parole qui accusait la méchanceté des Juifs.

9: Or, en cela il ne consultait pas sa dignité, il trouvait un tempérament pour condescendre à leur infirmité. Quand il purifia le lépreux, il lui dit : Allez, offrez le don prescrit par Moïse. (Matth. VIII, 4.) Tu l'as purifié, et tu le congédies en lui recommandant la loi de Moïse. Oui. Pourquoi? Pour les Juifs, pour qu'ils ne commencent pas à m'accuser d'avoir transgressé la loi. Aussi, quand il guérit le lépreux, il le fit d'une manière inaccoutumée; apprenez comment : Et, en même temps, un lépreux vint à lui, et lui dit : Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir. Jésus, étendant la main, le toucha, et lui dit: Je le veux, soyez guéri. (Matth. VIII, 2, 3.) La loi ; défendait de toucher un lépreux. Quand Naaman, un général, couvert de la. lèpre, vint trouver le prophète Elisée (IV Rois, V, 9, 10), son disciple lui dit : Il y a, à la porte, un général, couvert de la lèpre. Le prophète envoie son disciple au dehors pour lui dire : Allez vous laver dans le Jourdain. Il n'osa pas sortir lui-même, voir, toucher le lépreux. Elisée donc purifia le lépreux; pour que les Juifs ne pussent pas dire que le Christ avait opéré la purification de la même manière qu'Elisée, celui-ci n'ose pas toucher le malade; le Christ, au contraire, le touche et dit : Je le veux, (333) soyez guéri; étendant la main, il le toucha. Pourquoi le toucha-t-il? Pour vous apprendre qu'il n'est pas un esclave assujetti à la loi, mais le Seigneur , supérieur à la loi. Comment donc a-t-il observé la loi? Quand il a dit : Je le veux, soyez guéri, au lieu de toucher le lépreux tout de suite. La parole a précédé, la maladie a disparu, ensuite il a touché le malade, et il a dit: Je le veux, soyez guéri. Comment? A l'instant il fut guéri. L'évangéliste n'a pu trouver une expression (car, à l'instant, n'est pas assez rapide) capable de rendre la vitesse de l'action. A l'instant. Comment? En même temps que la parole sortit, la maladie avait disparu, s'était enfuie.; plus de lèpre, c'était un homme, désormais purifié que ce lépreux. Aussi dit-il: Allez, montrez-vous au prêtre, et offrez le don prescrit par Moïse, afin que cela leur serve de témoignage. A qui? Aux Juifs, afin qu'ils ne disent pas que j'enfreins la loi. C'est moi qui ai opéré la guérison, et je dis: Offrez le don, conformément à la loi, afin qu'en ce jour le lépreux accuse les Juifs par ces paroles : il m'a prescrit d'offrir le don selon la loi. Et comme le Christ taisait beaucoup de choses, à cause des Juifs, afin de leur ôter absolument toute excuse, il agit de même, en la présente occasion. Ayez pitié de moi, car ma fille est, misérablement tourmentée par le démon. Mais il ne lui répondit pas un seul mot. Or les disciples. s'approchèrent de lui, et fui dirent : Accordez-lui ce qu'elle demande, parce qu'elle crie derrière nous. Que répond Jésus ? Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël qui se sont perdues. Il fait cette réponse, pour que les Juifs ne disent pas, vous nous avez abandonnés, vous êtes allé chez les étrangers, et voilà pourquoi"nous n'avons pas. cru en vous. Voyez, dit-il, des Gentils viennent auprès de moi, et je ne les reçois pas; pour vous, même quand vous me fuyez, je vous appelle, Venez à moi, vous tous qui souffrez (Matth. XI, 28), et vous ne venez pas; celle-ci, je la rejette loin de moi, et elle persiste. Un peuple que je n'avais point connu, dit le Psalmiste, m'a été assujetti, il m'a obéi aussitôt, qu'il a entendu ma voix. (Ps. XVII ; 43, 44. Et ailleurs : J'ai apparu à ceux quine me cherchaient pas, et j'ai été découvert par ceux qui ne m'interrogeaient, pas. (Isaïe, LXV, 1.) Accordez-lui ce qu'elle demande, parce qu'elle crie derrière nous. Voyons donc ce que dit le Christ : Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël qui se sont perdues. N'étaient-ce pas là des paroles de refus ? C'est à peu près, comme s'il lui disait, va-t-en, il n'y a rien de commun entre nous; je ne suis pas venu pour toi, mais je suis venu pour les Juifs. Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël qui se sont perdues. A ces mots cette femme dit : Seigneur, assistez-moi; et elle l'adorait en lui parlant. ( Matth. XV, 25.) Mais il ne lui répondait pas. Voyez ce qu'il répondit: Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants, et de le donner aux chiens. (Ibid. 26.) O sollicitude du médecin ! Il la réduit au désespoir. Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants : quels sont ces enfants ? Les Juifs ; et de le donner aux chiens, c'est-à-dire, à vous.

10. En réalité, ces paroles ont été prononcées pour la honte des Juifs, par le Seigneur; ceux qu'il appelait des enfants, sont devenus des chiens. De là, ce que dit Paul : Gardez-vous des chiens, gardez-vous des mauvais ouvriers, gardez-vous des faux circoncis. Car c'est nous qui sommes les vrais circoncis. (Phil. III, 2, 3.) Les Gentils qu'on appelait des chiens, sont devenus des enfants. Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous. (Gal. IV, 19.) Cet éloge accuse les Juifs. Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants et de le donner aux chiens. Que fait la femme ? Il est vrai, Seigneur, Oui. O énergie de la femme ! O noble combat ! Le médecin dit, non, et celle-ci dit, oui. Le Seigneur dit: non, et elle dit, il est vrai, oui. Il n'y a pas d'accusation dans ses paroles; d'impudence dans sa conduite; elle attend le salut. Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants, et de le donner aux chiens. Il est vrai, Seigneur, oui. Vous m'appelez chien; et moi je vous appelle Seigneur; vous me couvrez d'opprobres, et moi je vous glorifie. Il est vrai, Seigneur, oui; mais les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. (Matth. XV, 27.) Q adresse de la femme ! elle tire de l'exemple proposé une réponse qui s'y adapte avec. justesse. Vous m'appelez chien, je me nourris comme un chien. Je ne rejette pas l’opprobre, je ne refuse pas le nom; je prends la nourriture d'un chien, et elle cite l'exemple que le chien donne. Quant à vous, confirmez vos paroles: puisque vous m'avez appelée du nom de chien, je veux des miettes: vous vous êtes fait l'avocat de ma demande, en me refusant; soyez d'accord avec (334) vous-même. Il est vrai, Seigneur, oui; mais les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. Eh bien ! que fait maintenant celui qui refusait, qui repoussait, qui chassait loin de lui cette femme qui lui disait: Il n'est pas juste de prendre le pain des enfants et de le donner aux chiens? Celui qui disait encore: Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël qui se sont perdues? O femme, grande est votre foi! (Ibid.28.) Comment, vous voilà devenu tout à coup son panégyriste ! vous publiez sa gloire ! N'est-ce pas vous qui la repoussiez, qui la rejetiez loin de vous? Rassurez-vous; je sais bien pourquoi je l'ai fait attendre. Si je l'avais écoutée tout d'abord, vous n'auriez pas connu sa foi. Si elle avait été exaucée tout d'abord, vite elle se serait retirée , personne n'aurait deviné son trésor. J'ai donc différé, pour montrer à tous la foi qu'elle porte en son coeur.

O femme! Dieu dit, ô femme! Ecoutez tous, vous qui ne savez pas encore bien prier. Quand je dis à quelqu'un , priez Dieu, conjurez-le, suppliez-le; on me répond: je l'ai prié une fois, deux fois, trois fois, dix fois, vingt fois, et je n'ai jamais rien reçu. Ne cessez pas, mon frère, jusqu'à ce que vous ayez reçu; la fin de la prière, c'est le don reçu. Cessez, quand vous 'avez reçu , ou plutôt ne cessez pas, même alors persévérez encore. Si vous n'avez pas reçu, demandez pour recevoir; si vous avez reçu, rendez grâces pour ce que vous avez reçu. Une foule de personnes entrent dans l'Eglise, y récitent par milliers les vers en guise de prière et s'en vont, ne se doutant pas de ce qu'elles ont dit : ce sont les lèvres qui remuent, mais le coeur n'entend pas. Comment ! tu n'entends pas toi-même ta prière, et tu veux que Dieu l'entende? J'ai fléchi , dis-tu, les genoux ; mais ta pensée s'était envolée dehors : ton corps était dans l'église , mais ton esprit, par la ville; ta bouche récitait la prière, mais ta pensée supputait des intérêts d'argent , s'occupait de contrats, d'échanges, de terrains, de domaines à acquérir , de réunions avec des amis. Le démon est malin, il sait que la prière est ce qui avance le plus nos progrès, c'est alors qu'il fond sur vous. Souvent nous sommes étendus sur le dos dans notre lit, sans penser à mal; mais si nous venons pour prier, c'est alors qu'il nous envoie mille et une pensées, pour nous chasser de l'Eglise, les mains vides.

11. Averti de ce gui se passe dans les prières, mon bien-aimé, imitez la Chananéenne; imitez, vous qui êtes un homme, cette femme étrangère, infirme, abjecte, vile. Mais vous n'avez pas de fille tourmentée par le démon? Mais vous avez une âme possédée par le péché. Que dit la Chananéenne ? Ayez pitié de moi! ma fille est misérablement tourmentée par le démon : Dites aussi, vous, ayez pitié de moi ! mon âme est misérablement tourmentée par le démon. C'est un grand démon que le péché. Le démoniaque excite la compassion; le pécheur est détesté ; le premier, on lui pardonne, le second est sans excuse. Ayez pitié de moi. Courte parole, mais elle a découvert un océan de bonté; car où réside la miséricorde, là tous les biens abondent.

Quoique vous soyez hors de l'Eglise, dites, criez: Ayez pitié de moi! ne vous contentez pas de remuer les lèvres, criez par la pensée; ceux mêmes qui se taisent sont entendus de Dieu.. Ce qui importe, ce n'est pas le lieu mais un commencement de correction. Jérémie était dans la boue, il a attiré Dieu près de lui; Daniel était dans la fosse aux lions, et il s'est rendu Dieu propice; les trois jeunes hommes étaient dans la fournaise et ils ont fléchi Dieu, en le célébrant; le larron était crucifié, la croix ne l'a pas empêché de s'ouvrir le paradis; Job était sur le fumier, et il s'est attiré la clémence de Dieu ; Jonas était dans le ventre de la baleine, et sa voix a été entendue de Dieu. Vous êtes au bain, priez; en voyage, dans votre lit,. en quelque endroit que vous soyez, priez. Vous êtes le temple de Dieu, ne vous préoccupez pas du lieu ; la volonté seule est nécessaire. En présence du juge, priez; le juge s'irrite, priez. La mer devant lui, les Egyptiens derrière lui , Moïse entre les deux, l'espace était bien resserré pour la prière; au contraire; le champ de la prière était large: Par derrière, les Egyptiens qui poursuivaient en face la mer; au milieu, la prière; et Moïse ne disait rien, et Dieu lui dit : Pourquoi cries-tu vers moi? (Exod. XIV, 15.) Sa bouche était muette, c'était sa pensée qui criait. Et vous, de même, mon bien-aimé, en présence du juge furieux, du tyran qui vous adresse les plus terribles menaces, et des autres bourreaux, qui font comme lui, priez Dieu, et votre prière calmera les flots.

Le juge vous presse ? réfugiez-vous auprès de Dieu. Le prince est là? invoquez le Seigneur, (335) Est-ce que le Seigneur est un homme, pour qu'il vous soit nécessaire de vous rendre dans un lieu déterminé? Dieu est toujours près de vous. Si vous demandez une personne, vous cherchez à savoir ce qu'elle fait, si elle dort, si elle est de loisir, et le serviteur ne vous répond pas. Avec Dieu , rien de pareil ; partout où vous allez, où vous l'invoquez, il vous entend ; ni occupation, ni intermédiaire, ni serviteur pour barrer le chemin, Dites : Ayez pitié de moi, et aussitôt Dieu est présent. Vous n'aurez pas cessé de parler, dit-il, que je vous répondrai, me voici. (Isaïe, LVI11, 9.) O parole, pleine de douceur ! Il n'attend pas la fin de la prière; tu n'as pas encore fiai ta prière, et tu reçois le don. Ayez pitié de moi. Irritons cette Chananéenne, je vous en prie : Ayez pitié de moi! ma fille est misérablement tourmentée par le démon. Et le Seigneur lui dit : O femme, grande est votre foi! qu'il soit fait comme vous voulez. Où est l'hérétique? A-t-il dit, j'invoquerai mon père? A-t-il dit, je supplierai celui qui m'a engendré? A-t-il eu, ici, besoin de prière ? Nullement. Pourquoi? Comme la foi était grande,.comme le vase était grand, la grâce y a été versée abondamment. Quand la prière est nécessaire pour opérer le miracle , c'est que le vase, c'est-à-dire la foi, est faible. O femme ! grande est votre foi! Vous n'avez pas vu le mort ressuscité, le lépreux purifié, vous n'avez pas entendu les prophètes, vous n'avez pas médité la loi, vous n'avez pas vu séparer les eaux de la mer, vous n'avez vu aucun autre signe opéré par moi; bien plus vous avez été couverte d'opprobre et repoussée; malgré votre affliction, je vous ai rejetée, et vous ne vous êtes pas retirée, mais vous avez persisté recevez désormais de moi un digne et juste éloge : O femme ! grande est votre foi. La femme est morte, et son éloge subsiste, plus brillant qu'un diadème. Partout où tu iras, tu entendras la parole du Christ : O femme ! grande est votre foi. Entre dans l'Eglise des Perses, et tu entendras la parole du Christ: O femme! grande est votre foi; dans l'Eglise des Goths, dans l'Eglise des Barbares, des Indiens, des Maures, partout où le soleil regarde la terre : le Christ a dit une parole, une seule, et cette parole retentit toujours, et à haute voix proclame la foi de cette femme : O femme ! grande est votre foi, qu'il soit fait comme vous voulez. Il ne dit pas : que votre fille soit guérie, mais, comme vous voulez. C'est à vous à la guérir, c'est à vous à lui servir de médecin, c'est à vous que je confie le remède, allez, servez-le, qu'il soit fait comme vous voulez. Que votre volonté soit ce qui la guérisse. La Chananéenne a guéri par sa volonté, et ce n'est pas le Fils de Dieu qui opère de lui-même la guérison. Qu'il soit fait comme vous voulez. La femme n'a rien ordonné, rien prescrit au démon, mais elle n'a eu qu'à vouloir, et la volonté de la femme a opéré la guérison et expulsé les démons. Où sont-ils ceux qui osent dire que le Fils a opéré par la prière? Qu'il soit fait comme vous voulez. Voyez encore la beauté de l'expression. Il imite son Père. En effet, lorsque Dieu créa le ciel, il dit : Que le ciel soit fait, et le ciel fut fait; que le soleil soit fait, et le soleil fut fait; que la terre soit faite, et la terre fut faite; ce fut par un ordre qu'il produisit là substance. De même, à son tour, le Christ : Qu'il soit fait comme vous voulez. L'affinité des expressions prouve ce qu'il y a de commun au fond des choses. Et sa fille fut guérie. Quand donc ? à l'heure même (Matth. XV, 28) ; non pas quand la mère rentra dans la maison, mais avant qu'elle y fut arrivée. Elle revenait pensant trouver une démoniaque, elle trouva sa fille guérie, que sa volonté avait tendue à la santé. Pour tous ces bienfaits, rendons grâces au Dieu à qui convient la gloire dans. les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

HOMÉLIE SUR CETTE PAROLE DE L'APÔTRE : PLUT A DIEU QUE VOUS VOULUSSIEZ SUPPORTER MON IMPRUDENCE
ANALYSE.

1° Différence entre l'amour charnel et l'amour spirituel. — 2° Si nous ne voyons pas saint Paul des yeux du corps, ne l'en aimons pas moins; si nous n'avons pas sa présence, nous avons ses oeuvres, nous avons ses écrits dont nous devons chercher à pénétrer le sens. — 3° Que veulent dire ces paroles : Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence? Elles s'expliquent d'elles-mêmes si l'on fait attention à la circonstance où elles furent dites. — 4° Précautions multipliées que prend saint Paul avant de faire son propre éloge. — 5° humilité de saint Paul, s'il a été sauvé, dit-il, c'est pour que personne ne désespère de son salut. — 6° Avouer ses fautes et oublier ses mérites. — 7° Les saints savent se taire quand il n'y a point nécessité de parler et rompre le silence quand la nécessité les contraint. Exemple de David. — 8° - 9° Exemple de Samuel. — 10° Conclusion. On ignore le lieu et la date de cette homélie.

1. J'aime tous les saints, mais j'aime entre tous saint Paul, le vase d'élection, la trompette céleste, celui qui fiance les âmes au Christ. Je vous dis ces paroles, je vous fais connaître l'amour que j'ai pour lui, afin de vous le faire partager. Ceux qui aiment d'un amour charnel rougissent de l'avouer, parce qu'ils se couvrent eux-mêmes de honte et nuisent à ceux qui les entendent; mais ceux qui sont enflammés de l'amour spirituel ne le doivent point taire un moment. Car eux-mêmes et ceux qui les entendent retireront du fruit de ce noble aveu. L'un est une honte, l'autre un honneur; l'un est une maladie de l'âme, l'autre est sa joie, sa félicité, son plus bel ornement. Le premier porte la guerre dans le coeur où il pénètre, l'autre y apaise les luttes et y établit une paix profonde. L'une ne procure nul avantage; c'est la perte des richesses, la dépense effrénée, le bouleversement de la vie, la ruine des maisons; l'autre nous ouvre un trésor de bonnes oeuvres, une source féconde de vertus. En outre, ceux qui aiment un beau corps, qui s'éprennent d'un beau visage, s'ils sont eux-mêmes laids et difformes, ne trouvent pas dans leur passion un remède à leur propre difformité; au contraire, leur laideur semble s'accroître. Dans l'amour spirituel il en est tout autrement. Celui qui aime une âme sainte, belle, glorieuse, parfaite, serait-il laid et difforme , devient par le constant amour des saints, semblable à celui qu'il aime. Car c'est un effet de la bonté de Dieu qu'un corps difforme et mutilé ne puisse point être corrigé, mais qu'une âme dégradée et hideuse puisse devenir belle et glorieuse. Car, de la beauté du corps il ne vous peut revenir aucun avantage, mais la beauté de l'âme vous peut procurer fa jouissance de tous les biens qui sont dus à ceux qui prennent Dieu pour objet de leur amour. C'est de cette beauté que parle David dans sais psaumes : Ecoute, ma fille, et vois, et incline l'oreille, et oublie topa peuple et la maison de ton père, et le Roi s’éprendra de ta beauté. (Ps. X, LIV, 11, 12) (536) C'est la beauté de l'âme, qui consiste dans la vertu et la piété.

2. Puisqu'on retire tant d'avantages de la communion des saints, unissez-vous à moi pour aimer ce saint avec la plus extrême ardeur. Si cet amour entre dans nos coeurs et y allume sa brillante flamme, trouverait-il dans les voies de notre pensée des épines et des pierres, la dureté, l'insensibilité, il consumera les épines, amollira les pierres, et fera de notre âme une terre profonde et fertile, prête à recevoir la semence divine. Et qu'on ne dise point : Paul n'est point ici, il n'est pas visible à nos yeux; or, comment aimer ce qu'on ne voit pas? — L'absence n'est point un obstacle à cet amour. On peut aimer un absent, un ami qu'on ne voit pas, surtout quand on a chaque jour devant les yeux tant de témoignages de sa vertu, si nombreux et si manifestes, les Eglises établies sur toute la terre, l'impiété détruite, les moeurs coupables changées en moeurs pures, l'erreur abattue, les autels des faux dieux renversés, leurs temples fermés, les démons réduits au silence. Tous ces cultes mensongers cédèrent à la puissance de Paul, à sa parole inspirée par la grâce du ciel et qui alluma partout le flambeau de la religion. Après ses couvres, ses lettres sacrées nous peignent exactement le caractère de celte âme sainte. Comme si nous parlions à Paul, comme s'il était sous nos yeux, au milieu de nous, attachons-nous à ses paroles, développons-en le sens profond et caché, cherchons ce qu'il veut dire aujourd'hui quand il s'écrie : Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence! Car j'ai pour vous un amour de jalousie et d'une jalousie de Dieu. (II Cor. XI, 1, 2.) Que dites-vous, Paul? Vous qui ordonnez à vos disciples de marcher dans la sagesse aux regards des profanes, vous qui dites : Que vos paroles soient toujours assaisonnées du sel de la grâce, afin que vous sachiez comment vous devez répondre à chaque personne (Coloss. IV, 6) ; vous qui recommandez à tous les hommes de se pénétrer de la sagesse de l'Esprit-Saint, c'est vous qui demandez qu'on supporte un peu votre imprudence? II ne vous suffisait pas d'avoir prononcé une parole imprudente; vous la faites encore entendre à vos disciples, vous la faites connaître à tous ceux qui , dans la suite, liront votre lettre? Ces paroles, si on les lit sans les expliquer, sont dangereuses pour les auditeurs; si on les développe, elles montrent la profonde sagesse de Paul, son ineffable charité.

3. Quel en est donc le sens?Il y avait chez les Corinthiens grand nombre de faux apôtres qui corrompaient le peuple, accusaient Paul, minaient sourdement la réputation qu'il s'était acquise auprès de ses disciples, le raillaient, le traitaient d'imposteur. C'est à eux qu'il s'adresse en plusieurs passages de sa lettre. Quand il dit : Nous ne sommes pas comme plusieurs qui altèrent la parole de Dieu. (II Cor. II, 17.) Et ailleurs : J'ai pris garde de ne vous être à charge en quoi que ce soit (Ibid. XI, 9); et quand il promet de maintenir la loi immuable : La vérité de Jésus-Christ est en moi, et on ne me ravira point cette gloire dans toute l'Achaïe. (Ibid. XI, 9.) Et quand il fait connaître ses motifs, il désigne ces impies, en disant: Et pourquoi? Est-ce parce que je ne vous aime pas? Dieu le sait. Non, je fais cela et le ferais encore afin d’ôter une occasion de se glorifier à ceux qui la cherchent. (Ibid. XI, 12.) Plus haut, il prie ses disciples de ne le point mettre dans la nécessité de montrer son pouvoir : Je vous prie, qu'étant présent, je ne sois point obligé d'user envers vous avec confiance de celte autorité et de cette hardiesse avec laquelle on m'accuse d'agir envers quelques hommes qui s'imaginent que nous mous conduisons selon la chair. (Ibid. X, 2.) Ces hommes dont il parle l'accusaient et le raillaient, disant que les lettres de Paul étaient pleines d'orgueil et d'arrogance, mais qu'il était lui-même sans valeur, sans mérite, un objet de dédain; que lorsqu'on le verrait, on s'apercevrait qu'il n'en faisait faire aucun cas. C'est ce qu'il nous apprend lui-même quand il dit : Je crains de paraître vouloir vous étonner par des lettres, parce qu'à la vérité, disent-ils, les lettres de Paul sont graves et fortes, mais lorsqu'il est présent, il paraît bas en sa personne et méprisable en ses discours. (II Cor. X, 9-10.) Et plus loin, il accuse les Corinthiens qui se sont laissé persuader : Ai-je fait une faute, dit-il, lorsqu'afin de vous élever, je me suis abaissé moi-même? (II Cor. XI, 7.) Et ensuite, répondant à l'accusation de ses ennemis, il dit: Etant présent, nous nous conduisons de la même manière que nous parlons dans nos lettres étant absent. (II Cor. X, 11.) Il y avait donc chez les Corinthiens beaucoup de faux apôtres qu'il appelle artisans d'erreurs : Ceux-là, dit-il, sont de faux apôtres, artisans d'erreurs, qui se transforment en envoyés de Jésus-Christ. Et on ne s'en doit pas étonner, puisque (537) Satan même se transforme en ange de lumière. Il n'est donc pas étrange que ses ministres aussi se transforment en ministres de justice. (II Cor. XI, 13-15.) Comme ils inventaient contre lui mille calomnies, et nuisaient à ses disciples en leur donnant de leur maître une fausse opinion, il est forcé de faire son propre éloge, car son silence en ce point eût été dangereux. Au moment de nous entretenir des luttes qu'il a soutenues, des révélations qu'il a eues, des travaux qu'il a endurés, pour nous montrer qu'il le fait malgré lui, et pressé toutefois par la nécessité, il taxe cependant ses paroles d'imprudence et dit : Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence. Je commets une imprudence, dit-il, d'entreprendre de me louer moi-même; mais la faute n'en est pas à moi, elle est à ceux qui m'ont réduit à cette nécessité; c'est pourquoi je vous prie de souffrir ce que je fais et de n'en demander compte qu'à mes ennemis.

4. Et voyez ta profonde sagesse de Paul ! après avoir dit : Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence. Supportez-la, car j'ai pour vous un amour de jalousie et d'une jalousie de Dieu, il n'entre pas aussitôt dans le récit de ses oeuvres méritoires, mais ce n'est qu'après avoir dit d'autres choses qu'il reprend : Je vous le dis encore une fois, que personne ne me juge imprudent; ou au moins, souffrez-moi comme imprudent. (II Cor. XI,16.) Et encore ne commence-t-il pas son récit sans avoir ajouté : Ce que je dis, je ne le dis pas selon le Seigneur, mais je fais paraître de l'imprudence dans ce que je prends pour matière à me glorifier. (Ibid. 17.) Il n'ose point encore commencer, il diffère, il dit : Puisque plusieurs se glorifient selon, la chair, je puis bien me glorifier comme eux. Car étant sages comme vous êtes, vous souffrez sans peine les imprudents (Ibid. 18, 19.) Après ces mots, il hésite encore, il dit autre chose et reprend ensuite : Je veux bien faire une imprudence en rue rendant aussi hardi que les autres. (Ibid. XXI.) Et ce n'est qu'après s'être ainsi excusé d'abord qu'il commence ses propres louanges. De même qu'un cheval sur le point de franchir un précipice, s'élance comme pour bondir, mais voyant la profondeur de l'abîme, il s'arrête, il recule; ensuite, se sentant pressé par son cavalier, il essaye encore, de nouveau recule, et pour témoigner qu'on lui fait violence, il se tient au bord du gouffre, il hennit, il cherche à se rassurer, à prendre de l'audace. Ainsi saint Paul, comme s'il allait s'élancer dans un abîme en faisant son propre éloge, recule une fois, deux fois, trois fois et plus souvent encore, disant Plût à Dieu que vous voulussiez supporter mon imprudence; et ensuite : Que personne ne me juge imprudent, ou au moins souffrez-moi comme imprudent; et : Ce que je dis, je ne le dis pas selon le Seigneur, mais je fais paraître de l'imprudence dans ce que je prends pour matière à me glorifier; et plus loin : Puisque plusieurs se glorifient selon la chair, je puis bien me glorifier comme eux. Car étant sages comme vous êtes, vous souffrez sans peine les imprudents; et encore : Je veux bien faire une imprudence en me rendant aussi hardi que les autres. Il se donne mille fois les noms d'imprudent et d'insensé, et c'est à peine s'il ose ensuite commencer ses propres louanges. Ils sont Hébreux ? je le suis aussi; Israélites? je le suis aussi; de la race d'Abraham? j'en suis aussi; ministres du Christ? je le suis comme eux. (Ibid. XXII, 23.) Mais, même en disant ces mots, il est sur ses gardes; il ajoute, en manière de correction : Devrais-je passer pour imprudent, j'ose dire que je le suis plus qu'eux. (Ibid.) Et cela ne lui suffit point; après avoir énuméré ses mérites, il dit : J'ai été imprudent en me louant de la sorte, mais c'est vous qui m'y avez contraint. (Ibid. XII, 11.) C'est comme s'il disait : Je n'aurais eu nul souci de ces calomnies si vous eussiez été forts, inébranlables, invincibles. Eusse-je été sans cesse attaqué, la malice de mes ennemis ne me pouvait point nuire. Mais quand j'ai vu mon troupeau atteint, et mes disciples s'enfuir, je n'ai plus hésité à me rendre déplaisant et malséant, à me montrer imprudent par nécessité, en vous faisant mon propre éloge dans votre intérêt et pour votre salut.

5. Car telle est la manière des saints : font-ils quelque chose de mal? ils le disent tout haut, le déplorent chaque jour, le font savoir à tous, mais les actions grandes et nobles, ils les cachent et les ensevelissent dans l'oubli. C'est ainsi que saint Paul, sans y être forcé, avouait fréquemment et divulguait ses fautes : Jésus-Christ, dit-il, est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, et je suis le plus grand pécheur. (I Tim. I, 15.) Ailleurs il écrit : Je rends grâces au Christ qui m'a affermi, m'a compté au nombre des fidèles, et m'a établi dans son ministère, moi qui étais auparavant un (538) blasphémateur, un persécuteur outrageux. Mais j'ai obtenu miséricorde, parce que j'agissais dans l'ignorance et l'incrédulité. (Ibid. 12, 13.) Et ailleurs: Après tous les autres, le Seigneur s'est fait voir â moi-même, être misérable, car je suis le plus infirme des apôtres et même je ne suis pas digne d'être appelé apôtre, parce que j'ai persécuté l'Eglise de Dieu. (I Cor. XV, 8, 9.) Ailleurs encore : J'ai reçu cette grâce, moi qui suis le plus petit d'entre les saints. (Ephés. III, 8.) Voyez-vous comme il se déclare le plus petit non-seulement des apôtres, mais même des fidèles ! J'ai reçu, dit-il, cette grâce, moi qui suis le plus petit d'entre les saints. Ce salut même qu'il a obtenu, il déclare qu'il n'en est point digne: après avoir dit: le Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs et je suis le plus grand pécheur, il nous dit la cause de son salut : Si j'ai reçu miséricorde, c'est afin que je fusse le premier en qui Jésus fit éclater son extrême miséricorde et que j'en devinsse comme un modèle et un. exemple; afin que ceux qui croiront en lui espèrent la vie éternelle. (Ibid. 16.) Voici le sens de ces paroles : ce n'est pas à cause de mon retour au bien que Dieu m'a fait miséricorde, ne le croyez point. C'est afin de préserver du désespoir tous ceux qui ont mal vécu, ceux même qui ont été les ennemis de Jésus-Christ, en leur montrant le dernier des hommes, le plus grand adversaire du Christ, sauvé par sa bonté. Le Christ dit lui-même : C'est un instrument que j'ai choisi pour porter mon nom devant les gentils et les rois. (Act. IX, 15.) Mais Paul ne s'enorgueillit point de ces louanges; il est en paix devant Dieu, mais il ne cesse point de déplorer le malheur de ses fautes, il s'appelle le dernier des pécheurs, et déclare qu'il n'a été sauvé qu'afin que le plus criminel des hommes ne désespère point de son salut en voyant la grâce que Dieu lui a faite.

6. Ainsi sans y être contraint, il confesse et divulgue ses fautes chaque jour clans ses lettres, les affichant, les dévoilant aux yeux non seulement de ceux qui vivaient alors, mais aux yeux de tous les hommes à venir; quant à ses mérites, malgré la nécessité manifeste, il hésite, il recule à les exposer. Ce qui le prouve, c'est qu'il se nomme mille fois imprudent; ce qui le prouve encore, c'est le long espace de temps qu'il tient secrète sa révélation merveilleuse et céleste : car il n'y avait pas deux ou trois ans qu'il l'avait eue, mais bien davantage. Il en marque l'époque dans ces paroles : Je connais un homme qui fut ravi. il y a quatorze ans, au troisième ciel. (II Cor. XII, 2.) Il veut vous apprendre que, même alors, il n'eût point parlé sans une extrême nécessité. S'il eût voulu faire son propre éloge, il aurait, aussitôt après l'avoir eue, fait connaître sa révélation, ou du moins au bout d'un an, de deux ans, ou trois ans. Mais il garde pendant quatorze ans le silence, sans livrer son secret à personne. Il ne le dévoile enfin qu'aux Corinthiens. Et à quel moment? Quand il vit les faux apôtres s'élever: encore déclare-t-il qu'il n'aurait point parlé, s'il n'avait vu la contagion gagner ses disciples. Mais nous ne l'imitons point, au contraire: nos fautes en un jour s'effacent de notre mémoire, et si les autres en parlent, nous nous irritons, nous nous indignons, nous crions à l'outrage, nous les accablons d'injures. Mais avons-nous fait le moindre bien, nous en parlons sans cesse; nous rendons grâce à ceux qui le prônent et des regardons comme nos amis. Cependant le Christ a ordonné le contraire, c'est-à-dire d'oublier le bien qu'on a fait et de ne se souvenir que de ses fautes. Il nous donne manifestement ce précepte quand il dit à ses disciples: Quand vous aurez tout fait, dites nous sommes des serviteurs inutiles. (Luc, XVI, 10), ainsi que dans la parabole du pharisien, auquel il préfère le publicain. L'un se souvient de ses fautes, et il est justifié: l'autre se souvient de ses bonnes oeuvres, et il est condamné. Dieu fait aux Juifs le même commandement quand il dit : Je suis celui qui efface vos péchés et ne dois point m'en souvenir; mais vous, gardez-en la mémoire. ( Isa. III, 25.)

7. Telle, fut la conduite des apôtres, des prophètes et de tous les justes. David se souvenait toujours de ses fautes, et jamais de ses bonnes oeuvres, à moins d'y être contraint. (I Rois, V, 17.) Lorsque les étrangers. portèrent la guerre en Judée, et la remplirent de dangers, il était jeune encore et n'avait point vu les combats; il quitte ses troupeaux, vient à l'armée, et trouve partout la frayeur, l'épouvante, la terreur. Il ne fut plus homme alors: au milieu de son peuple abattu par la crainte, il n'eut point peur. La foi l'éleva au-dessus des choses terrestres, jusqu'au Roi des cieux, et le remplit d'ardeur. Il s'avance vers les soldats, vers ses frères, et leur annonce qu'il va les délivrer du péril qui les menace. Ses frères se moquèrent de ses paroles, car ils ne voyaient (539) point Dieu qui excitait son courage, ils ne voyaient point cette âme généreuse, céleste, et pleine de la divine sagesse ; il les quitte et s'adresse à d'autres. On le conduit au roi, qu'il trouve mourant de crainte. Il ranime d'abord ses esprits en lui disant : Que le coeur de mon seigneur ne soit point abattu ; car ton serviteur ira et combattra contre cet étranger. (I Rois, XVII, 32.) Mais comme le roi désespérait et disait : Tu ne pourras marcher contre lui tu n'es qu'un enfant, tandis qu'il connaît la guerre depuis sa jeunesse (Ib. 33). David alors, ne sachant comment exécuter son projet, est obligé de faire son propre éloge. Il ne lè voulait point faire; car nous voyons qu'auparavant il ne parle de ses actes de courage ni à ses frères, ni aux soldats, ni au roi lui-même, si ce n'est quand il le voit manquer de confiance, s'opposer à ses desseins et l'empêcher de marcher contre l'ennemi. Que pourrait-il faire? taire ses louanges? Mais il n'eût point obtenu la permission de combattre et de délivrer son peuple du péril qui le menaçait. Il garde le silence aussi longtemps qu'il faut; mais quand la nécessité triomphe, il parle, il dit au roi: Je gardais les troupeaux, moi, ton serviteur, dans les pâturages de mon père, et quand survenait un lion ou un ours qui enlevait une brebis de mon troupeau, je le poursuivais, je le frappais, j'arrachais la proie à ses dents, je le saisissais à la gorge et le tuais. Ton serviteur a frappé le lion. et l'ours. Cet étranger incirconcis périra comme eux. (I Rois, XVII, 34-36.) Vous voyez comme il montre la cause qui lui fait entreprendre sa propre louange? Alors seulement le roi prit confiance et lui permit d'aller combattre. Il alla, combattit et vainquit. S'il n'eût point fait son propre éloge, le roi n'aurait pas eu confiance en ce combat; n'y ayant point confiance, il ne lui eût pas permis de descendre en lice; lui refusant cette permission, il eût empêché un succès; le succès empêché, Dieu n'eût point alors été glorifié, ni le peuple délivré du danger qu'il courait. Ainsi ce fut pour empêcher tant d'événements d'arriver contre l'ordre souverain que David fut obligé de faire son propre éloge. Car les saints savent se taire quand il n'y a point nécessité de parler, et rompre le silence quand la nécessité les contraint.

8. Nous voyons non-seulement David, mais encore Samuel se conduire de même sorte. Pendant longues années, par la volonté de Dieu, il gouverna le peuple juif, sans jamais parler de ses grandes actions, quoiqu'il en eût beaucoup à proclamer s'il l'avait voulu: l'éducation de son enfance, son séjour dans le temple, le don de prophétie qu'il reçut au berceau, ses guerres, les victoires qu'il remporta moins par la force des armes que par la bonté du Seigneur qui combattit avec lui. Il s'abstint de vanter ces mérites jusqu'au moment où il quitta le pouvoir et le transmit aux mains d'un successeur. Alors il fut obligé de faire son propre éloge, et avec quelle discrétion! Il appela le peuple, fit venir Saül, et dit : Voici que j'ai entendu votre voix et que je vous ai donné un roi. J'ai vécu devant vous depuis ma jeunesse jusqu'à ce jour, et j'ai vieilli. Déclarez maintenant devant le Seigneur et devant son Christ si j'ai reçu le veau ou l'âne de personne d'entre vous, si j'ai opprimé quelqu'un par la violence, si j'ai accepté de quelqu'un des présents, des chaussures et fermé les yeux sur ceux qui me les donnaient ? Portez témoignage contre moi et je vous rendrai ces présents. (I Rois, XII, 1-3.) Et quelle nécessité de parler ainsi, dites-vous! Elle est grande et pressante. Sur le point de mettre Saül à la tête du peuple, il veut, par son apologie, lui apprendre comme il faut régner et prendre soin de ses sujets, et c'est pourquoi il appelle ses sujets à témoigner de la sagesse de son gouvernement. Et il ne le fait point tant qu'il conserve le pouvoir, car on pourrait dire que la crainte et la terreur ont fait porter de faux témoignages. C'est du moment que son autorité cesse et passe en d'autres mains, au moment qu'on peut en sécurité porter une accusation contre lut, qu'il se fait juger au tribunal de ceux qui ont été ses sujets. Et s'il eût été autre, il aurait montré du ressentiment contre les Juifs, et n'aurait pas engagé son successeur à être juste et modéré, non-seulement pour satisfaire son ressentiment, mais pour gagner plus de louanges à la comparaison.

9. Car c'est une dangereuse maladie des rois; de souhaiter que leurs successeurs soient méchants et pervers. Ont-ils été grands princes, ils s'imaginent que leurs vertus auront plus d'éclat si leurs successeurs ne leur ressemblent pas. Ont-ils été méchants et corrompus, ils espèrent trouver leur défense dans la perversité de celui qui règne après eux. Tel n'était pas ce saint homme. Il voulait, il souhaitait, il (540) désirait que son peuple lui préférât son successeur, tant il était bon, tant il était pur de tout sentiment de jalousie et de vanité ! Il ne cherchait qu'une chose, le salut des hommes. C'est pourquoi, dans son apologie, il instruisait le roi qu'il avait choisi. S'il eût appelé le roi, et lui eût dit : Sois doux, modéré, incorruptible ; ne commets ni violence, ni injustice , garde-toi de la cupidité, ses conseils auraient blessé celui qui les aurait reçus ; garder le silence eût été trahir son peuple. Sous ombre de faire son apologie, il évite un double inconvénient; il enseigne au roi ses devoirs et lui fait accepter sans peine ses conseils. Il semble ne parler que pour lui-même, mais il fait voir à son successeur de quelle manière il doit prendre soin de ses sujets. Et voyez comme il prouve incontestablement qu'il n'est point coupable d'avoir reçu des présents, il ne dit point Ai-je reçu vos champs ou votre or? il cite des objets de la plus mince valeur : Ai je reçu , dit-il, des chaussures? il nous fait paraître ensuite une autre grande vertu. Beaucoup de princes dépouillent leurs sujets, et se montrent après , doux et cléments : ce n'est point leur nature qui les y porte, mais leur remords; la conscience de leurs déprédations leur ôte leur liberté d'action. D'autres , au contraire, repoussent les présents et se montrent durs et tyranniques ; ce n'est point non plus leur nature qui les y porte, c'est une certaine vanité qu'ils font d'être incorruptibles. Mais ces deux qualités se rencontrent rarement réunies chez le même prince. Le saint homme Samuel, pour montrer qu'il savait vaincre à la fois, et l'amour des richesses, et l'esprit de tyrannie, après avoir dit : Ai-je pris le veau de quelqu'un? ajoute : Ai-je opprimé quelqu'un par la violence ? c'est-à-dire, ai-je tyrannisé quelqu'un? Voici le sens de ses paroles : Personne ne pourra dire que je n'ai point, à la vérité, reçu de présents, mais que, me sentant incorruptible, j'ai été dur, tyrannique, cruel et sanguinaire. C'est pourquoi il dit : Ai-je opprimé quelqu'un par la violence? Que répondent ses sujets? Tu ne nous as ni opprimés, ni tyrannisés, tu n'as point reçu de présents de nos mains. Et pour que cous sachiez que ses paroles étaient pour le roi un enseigne ment, il ajoute : Devant Dieu et devant son Christ. (Ibid. 5.) Et afin de montrer clairement qu'il ne veut point d'un témoignage de complaisance, il prend à témoin Celui qui connaît les secrets de la pensée, ce qui est le signe d'une conscience pure. Car personne , si ce n'est un fou, un insensé, ne prendra Dieu à témoin s'il n'a sur lui-même la plus entière assurance. Quand le peuple a confirmé de son témoignage la vérité de ses paroles, il nous fait connaître encore une de ses vertus. Après avoir rapporté tous les prodiges autrefois accomplis en Egypte par la protection de Dieu, et les guerres qui suivirent, il mentionne le combat livré sous sa conduite, et la victoire remportée contre toute attente; il rapporte à son peuple que souvent, en punition de ses fautes, il fut livré aux ennemis; que lui-même invoqua le Seigneur, et délivra les Juifs, et mêlant les faits anciens aux faits nouveaux, il dit : Le Seigneur envoya Jérobaal et Gédéon, et Barac, et Jephté, et Samuel; il vous délivra des mains de vos ennemis qui vous entouraient et vous établit dans une pleine sécurité. (I Rois, XII, 11.)

10. Voyez-vous que les saints ne racontent leurs oeuvres méritoires que dans la dernière nécessité ? Paul se conforme sur eux, s'instruit par leur exemple , et, sachant qu'il pourra déplaire en parlant de lui-même, il a soin de dire : Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence! Ce n'est point beaucoup, c'est un peu seulement.. Car, malgré la nécessité, il n'a point dessein de faire au long son propre éloge; il le fait à la hâte, en quelques mots, et encore n'est-ce que pour le salut de ses disciples. Car de même que faire son propre éloge sans nécessité, est le comble de la démence, de même, quand le besoin devient pressant, c'est commettre une trahison que de garder le silence sur le bien qu'on a fait. Cependant, malgré la contrainte, Paul hésite, appelle la chose une imprudence, afin de nous montrer sa prudence, sa sagesse, son assurance. Après avoir dit : Ce que je dis, je ne le dis pas selon le Seigneur, il ajoute : En ce que j'ai pris pour matière à faire mon éloge. (II Cor. XI, 7.) Ne croyez pas, dit-il, que je parle en général. Aussi je loue ce saint, je l'admire, je l'appelle sage par excellence, pour avoir regardé comme une imprudence, l'éloge qu'il fait de lui-même. Mais si-, pressé par la nécessité, il se donnait encore le nom d'imprudent, quelle excuse auront ceux qui, sans besoin, font d'eux-mêmes un pompeux éloge, ou forcent les autres à le faire? Qu'il ne nous suffise donc point de louer les paroles du saint : (541) imitons-le, rivalisons avec lui ; oublions nos actions méritoires pour ne nous souvenir que de nos péchés, afin que nous vivions dans la modestie, et que, nous efforçant d'atteindre ces récompenses qui nous sont proposées, nous emportions le prix de l'élection céleste, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui partage, avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, la puissance et l'honneur, aujourd'hui et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduction de AL WIEREYSKI.
 

 

 

 

HOMÉLIE SUR LA FÊTE DE PAQUES.
AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

Dans cette homélie, saint Jean Chrysostome célèbre les grands avantages et les heureux effets de la résurrection, il montre la joie que cette fête doit causer dans le ciel parmi les puissances incorporelles, la joie qui doit éclater sur la terre parmi les hommes, parmi les pauvres, comme parmi les riches; il exhorte les fidèles à ne pas déshonorer cette tète, à prendre des sentiments et à tenir une conduite qui soient dignes de la solennité sainte qu'ils célèbrent; enfin il adresse la parole aux néophytes, c'est-à-dire à ceux qui étaient nouvellement baptisés; il leur rappelle les prodiges qu'opèrent les eaux du baptême; il les engage à montrer beaucoup de vigilance pour honorer et conserver les faveurs qu'ils ont reçues.

Fronton du Duc a rejeté cette homélie parmi les ouvrages supposés, parce que, sans doute, plusieurs morceaux en sont pris d'une autre homélie sur la résurrection et de celle sur le mot Coemeterium et sur la croix : mais d'autres savants ont pensé différemment, fondés sur ce que saint Jean Chrysostome se répète quelquefois lui-même.

1. C'est aujourd'hui qu'il faut nous écrier tous avec le bienheureux David : Qui racontera les œuvres de la puissance du Seigneur et qui fera entendre toutes ses louanges ? (Ps. CV, 2.) Nous voici arrivés à une fête désirable et salutaire : c'est le jour de la Résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ, jour qui a vu finir la guerre, conclure la paix, sceller notre réconciliation, jour dans lequel la mort a été détruite et le démon vaincu. C'est aujourd'hui que les hommes se sont réunis aux anges, et que les mortels revêtus d'un corps chantent désormais des hymnes avec les puissances incorporelles. C'est aujourd'hui que l'empire du démon est aboli, que les liens de la mort sont rompus, que le triomphe de l'enfer est anéanti. C'est aujourd'hui qu'on peut répéter ces paroles du prophète : O mort, où est ton aiguillon? enfer, où est ton triomphe? (I Cor. XV, 55.) Aujourd'hui Jésus- Christ Notre-Seigneur a brisé les portes d'airain, et a fait disparaître les horreurs de la mort. Que dis-je, les horreurs de la mort? il a même changé son nom. La mort n'est plus appelée mort, mais repos et sommeil. Avant la naissance de Jésus-Christ et le bienfait de la croix, le nom même de la mort était redoutable. Le premier homme entendit prononcer cette sentence comme l'arrêt d'un grand supplice : Le jour où vous mangerez du fruit de cet arbre, vous mourrez de mort. (Gen. II, 17.) Le bienheureux Job l'appelle de ce nom : La mort, dit-il, est un repos pour l'homme. (Job, III, 23.) Le prophète David disait : La mort des méchants est funeste. (Ps. XXXIII, 22.) Non-seulement la séparation de l'âme et du corps était appelée mort, mais enfer. Ecoutez le patriarche Jacob qui dit : Vous conduirez avec douleur mes cheveux blancs dans L'ENFER. ( Gen. XLII, 38.) L'ENFER, dit encore un prophète, a ouvert son abîme. (Is. V, 14.) Il me délivrera, dit encore un autre prophète, de L'ENFER le plus profond. (LXXXV, 13.) Enfin, vous trouverez plusieurs passages de l'Ancien Testament, où le départ de cette vie est appelé mort et enfer; mais depuis que Jésus-Christ Notre-Seigneur s'est offert pour nous en sacrifice, depuis qu'il s'est ressuscité lui-même, ce bien plein de bonté a anéanti ces noms, il a introduit parmi les hommes un genre de vie nouveau et extraordinaire. Le (541) départ de ce monde n'est plus appelé mort, mais repos et sommeil. Qu'est-ce qui le prouve? écoutez Jésus-Christ lui-même qui dit : Notre ami Lazare dort, mais je vais le réveiller (Jean, XI, 11) ; car il était aussi facile au Maître commun de tous les mortels de le ressusciter, qu'à nous de réveiller un homme qui dort. Et comme cette expression était étrange et nouvelle, les disciples rie la comprirent pas, jusqu'à ce que le Fils de Dieu, condescendant à leur faiblesse, leur eût parlé un langage plus clair. Le docteur des nations , le bienheureux Paul, écrivant aux Thessaloniciens, leur dit . Je ne veux pas que vous ignoriez ce que vous devez savoir touchant ceux qui dorment, afin que vous ne vous attristiez pas comme font les autres hommes qui n'ont point d'espérance. (I Thess. IV, 12.) Et encore ailleurs : Ceux qui dorment en Jésus-Christ sont-ils perdus sans ressource? (I Cor. 15, 18) Et encore : Nous qui vivons et qui sommes réservés pour son avènement, nous ne préviendrons pas ceux qui sont endormis. (I Thess. IV, 15.) Et encore : Si nous croyons que Jésus est mort et ressuscité, nous devons croire aussi que Dieu amènera avec Jésus ceux qui seront endormis.

2. Vous voyez que partout la mort n'est plus appelée que repos et sommeil, et que cette mort, dont l'aspect était si terrible avant Jésus-Christ, est devenue méprisable depuis sa résurrection. Vous voyez le triomphe éclatant de cette résurrection glorieuse. Par elle, nous avons recueilli une infinité d'avantages; par elle, les ruses du démon ont perdu tout leur effet; par elle, nous méprisons la mort; par elle, nous nous mettons au-dessus de la vie présente; par elle nous marchons à grands pas vers le désir des biens futurs ; par elle, quoique revêtus d'un corps, nous pouvons jouir des mêmes privilèges que les puissances incorporelles. Aujourd'hui nous avons remporté une victoire éclatante; aujourd'hui Notre-Seigneur, après avoir érigé un trophée contre la mort, et avoir détruit la puissance du démon, nous a ouvert, par sa résurrection, la voie du salut. Ainsi réjouissons-nous, tressaillons et triomphons. Quoique Notre-Seigneur ait triomphé seul , quoiqu'il ait érigé seul un trophée, la joie et l'allégresse doivent nous être communes.

C'est pour notre salut qu'il a opéré tous ces prodiges, et il a triomphé du démon par les moyens mêmes avec lesquels le démon nous avait vaincus ; il a pris ses propres armes pour le combattre. Ecoutez comment: Une vierge, le bois, la mort, avaient été les moyens et les instruments de notre défaite. La vierge était Eve, qui n'avait pas encore connu Adam, lorsqu'elle fut trompée par le démon; le bois était l'arbre, et la mort, la peine imposée au premier homme. Voyez-vous comme une vierge, le bois et la mort ont été les moyens et les instruments de notre défaite? voyez comme ils sont devenus ensuite les principes et les causes de notre victoire. Marie a remplacé Eve; le bois de la croix, le bois de la science du bien et du mal ; la mort de Jésus-Christ, la mort d'Adam. Vous voyez que le démon a été vaincu par les moyens mêmes avec lesquels il avait triomphé. Le démon avait renversé Adam avec le bois de l'arbre, Jésus-Christ a terrassé le démon avec le bois de la croix. Le bois de l'arbre a jeté les hommes dans l'abîme, le bois de la croix les en a retirés. Le bois de l'arbre a dépouillé l'homme de ses privilèges, et l'a enfermé comme un vaincu et un captif dans l'obscurité d'une prison; le bois de la croix a élevé Jésus-Christ, et l'a montré à toute la terre, nu , cloué, et vainqueur. La mort d'Adam s'est étendue sur ceux qui sont venus après lui ; la mort de Jésus-Christ a rendu la vie à ceux qui étaient nés avant lui. Qui racontera les couvres de lu puissance du Seigneur, et qui fera entendre toutes ses louanges? Lorsque nous étions tombés, nous avons été relevés , de vaincus nous sommes devenus victorieux, nous avons passé de la mort à l'immortalité.

3. Tels sont les bienfaits signalés de la croix, telles sont les preuves frappantes de la résurrection. Aujourd'hui les anges tressaillent, toutes les puissances célestes triomphent, et se réjouissent du salut de tout le genre humain. En effet, si l'on se réjouit dans le ciel et sur la terre pour un seul pécheur qui fait pénitence, à plus forte raison l'on doit s'y réjouir pour le salut du inonde entier. Aujourd'hui le Fils de Dieu a délivré la nature humaine de l'empire du démon , et l'a rétablie dans son ancienne dignité. Sans doute, quand je vois que mes prémices ont triomphé de la mort, je ne crains plus, je ne redoute plus la guerre, je ne considère point ma faiblesse, mais j'envisage la puissance de celui qui doit me secourir. Eh ! s'il a triomphé de l'empire de la mort, s'il lui a ôté toute sa force, que ne fera-t-il pas (545) désormais pour des hommes dont il n'a pas dédaigné, par un effet de sa bonté infinie, de prendre la nature, et de lutter dans cette nature contre le démon ? Aujourd'hui règne par toute la terre une joie et une allégresse spirituelle. Aujourd'hui la troupe des anges et le choeur de toutes les puissances célestes tressaillent et triomphent pour le salut des hommes. Considérez donc, mes frères. combien doit être grand le sujet de réjouissance, puisque les dominations célestes elles-mêmes s partagent notre fête. Oui, elles se réjouissent de nos avantages ; et si la grâce dont nous a favorisés le Seigneur nous est propre, la joie leur est commune avec nous. Voilà pourquoi elles ne rougissent pas de partager notre fête. Que dis-je? des créatures ne rougissent pas de partager notre fête! leur Seigneur lui-même et le nôtre ne rougit pas ! je dis plus, il désire de célébrer avec nous la fête que nous célébrons. Qu'est-ce qui le prouve? Ecoutez-le lui-même qui dit: J'ai désiré ardemment de manger avec vous cette pâque. (Luc, XXII, 15.) Mais s'il a désiré de manger avec nous la pâque, sans doute il a désiré de la célébrer avec nous. Lors donc que vous voyez non-seulement les anges, et toute la troupe des puissances célestes, mais le Seigneur lui-même des anges, partager notre fête, quelle raison auriez-vous de ne point prendre des sentiments d'allégresse?

Ainsi , qu'en ce jour l'indigence ne soit pas un sujet d'humiliation, puisque c'est une fête spirituelle; que l'opulence ne soit pas un motif d'orgueil, puisque les richesses ne sont d'aucune utilité pour la fête présente. Dans les fêtes profanes, dans les fêtes du monde, que l'on célèbre avec tout l'appareil d'un faste superbe, le pauvre doit être chagrin et mortifié, le riche doit être content et satisfait. Pourquoi? c'est que l'un peut se revêtir d'habits magnifiques, et faire servir des repas somptueux, tandis que l'indigence du pauvre le met hors d'état d'étaler tout ce faste. Ici, au contraire, il n'y a rien de tel ; toute distinction est bannie; la même table est servie au pauvre et au riche, à l'esclave et à l'homme libre. Etes-vous riche , vous n'avez aucun avantage sur le pauvre ; êtes-vous pauvre , vous n'aurez pas moins de privilège que le riche : votre indigence ne diminue rien de la joie que fait goûter un festin spirituel, où domine la grâce céleste, cette grâce qui ne connaît pas la distinction des personnes. Que dis-je? la même table est servie au riche et au pauvre ! la même table est servie au prince dont le front est ceint du diadème, qui est revêtu de la pourpre, qui commande à toute la terre, et à l'indigent même qui attend les effets de la pitié publique; car, telle est la nature des dons spirituels, qu'ils ne se distribuent pas selon la dignité du rang, mais suivant les dispositions du coeur. L'indigent et le prince participent aux divins mystères avec la même confiance et le même avantage. Que dis-je? avec le même avantager le pauvre y apporte souvent plus de confiance. Pourquoi? c'est que le prince, obsédé de mille affaires qui le distraient, investi de soins et d'embarras, au milieu d'une mer orageuse dont les flots viennent sans cesse l'assaillir, est exposé à commettre une infinité de péchés; au lieu que le pauvre, affranchi de tous ces liens, occupé seulement de sa nourriture journalière , menant une vie tranquille et paisible, placé comme dans un port où il jouit du plus grand calme, approche de la table sainte pénétré de sentiments religieux. ? Mais il est encore d'autres sources d'humiliation et de peine pour l’indigent dans les fêtes de ce siècle. Non-seulement l'abondance et la délicatesse de la table, mai; encore le luxe et la magnificence des habits, inspirent au riche une satisfaction qui mortifie le pauvre. Lorsque le pauvre voit un riche superbement vêtu, c'est pour lui une grande douleur : il se trouve malheureux, il maudit mille fois son sort. On ne tonnait pas cette tristesse dans les fêtes de la religion, parce qu les chrétiens sont tous revêtus du même habit spirituel et sacré : Vous tous, s'écrie saint Paul, qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous avez été revêtus de Jésus-Christ. (Gal. III, 27.)

4. Ne déshonorons donc pas cette fête,je vous en conjure; mais prenons des sentiments dignes des faveurs dont nous comble la grâce de Jésus-Christ. Ne nous livrons pas aux excès du boire et du manger; mais, considérant la libéralité du Maître commun, qui honore également les pauvres et les riches, les esclaves et les hommes libres, qui répand ses dons également sur tous, tâchons de reconnaître les bienfaits d'un Dieu qui nous témoigne tant d'amour. Et nous ne pouvons mieux les reconnaître que par une vie qui lui soit agréable, par beaucoup d'attention et fie vigilance. Il n'est pas besoin, dans la solennité que nous célébrons, de richesses et de grands frais, mais d'une volonté (546) droite et d'un coeur pur. On ne retire d'ici aucun avantage corporel, tout est spirituel; la prédication de la parole sainte, les prières antiques, les bénédictions des prêtres, la participation aux divins mystères, la paix et la concorde, enfin tous les dons spirituels dignes de la libéralité d'un Dieu. Célébrons donc avec joie le jour où le Seigneur est ressuscité. Oui, il est ressuscité, et avec lui il a ressuscité toute la terre. Il est ressuscité après avoir brisé les liens de la mort; il nous a ressuscités après avoir rompu les chaînes de nos crimes. Adam a péché, et il est mort; Jésus-Christ n'a point péché, et il est mort : chose étrange et extraordinaire. Eh ! pourquoi Jésus-Christ est-il mort, puisqu'il n'a point péché? C'est afin que celui qui a péché et qui est mort pût être délivré des liens de la mort par celui qui est mort, quoiqu'il n'ait point péché. C'est ce que nous voyons souvent arriver dans les débiteurs de sommes d'argent. Un homme doit à un autre, et, hors d'état de payer, il est retenu en prison; un autre, qui ne doit pas, et qui est en état de; payer, délivre le débiteur en payant. La même chose a eu lieu par rapport à Adam et a jésus-Christ. Adam était redevable de la mort, et il étaie retenu par le démon; Jésus-Christ, qui n'était pas redevable, et qui n'était pas retenu, est venu dans le monde, et a payé la mort pour celui qui était retenu, afin de le délivrer des liens de la mort.

Vous voyez les bienfaits de la résurrection; vous voyez la bonté de notre divin Maître, vous voyez l'excès de sa tendresse. Ne soyons donc pas ingrats envers un pareil bienfaiteur, et ne nous relâchons pas, à présent que nous sommes parvenus à la fin du jeûne; mais prenons soin de notre âme encore plus qu'auparavant, de peur que, le corps étant engraissé, elle ne s'affaiblisse; de peur que, nous occupant trop de l'esclave, nous ne négligions la traîtresse. Eh ! à quoi bon, je vous le demande, charger votre estomac outre mesure, et passer les bornes? l'intempérance détruit le corps et dégrade l'âme. Fidèles aux lois de la sobriété, ne prenons que les aliments nécessaires, afin de pourvoir en même temps à la santé du corps et à la dignité de l'âme, afin de ne pas perdre à la fois tous les fruits du jeûne. Je ne vous interdis pas l'usage des nourritures, ni les plaisirs honnêtes d'une table frugale : non, je ne m'oppose pas à ces plaisirs, mais je vous exhorte à supprimer tout excès, à vous en tenir au besoin, à ne pas nuire à la santé,et à la sérénité de l'âme, en passant les bornes. Celui qui passe les limites du besoin, ne trouvera plus de satisfaction dans le boire et dans le manier. C'est ce que ne savent que trop ceux qui l'ont éprouvé par eux-mêmes, ceux dont l'intempérance leur a attiré une foule d'infirmités désagréables, de dégoûts et d'ennuis.

5. Mais je connais assez votre docilité pour croire que vous ne manquerez pas de suivre mes conseils; je ne vous parlerai donc point davantage sur cet objet, et je vais adresser la parole aux fidèles qui, dans cette nuit éclatante, ont reçu la grâce du divin baptême, à ces nouvelles plantes de l'Eglise, à ces fleurs spirituelles d'un champ mystique, à ces nouveaux soldats de Jésus-Christ. Il y a trois jours que le Seigneur est mort sur la croix, mais aujourd'hui il est ressuscité glorieux. Il y a trois jours que ces néophytes étaient retenus dans les liens du péché, mais ils sont aujourd'hui ressuscités avec le Sauveur. Jésus-Christ est mort corporellement, et il est ressuscité; ces néophytes étaient morts spirituellement par le péché, et ils sont ressuscités en sortant du péché. La terre, dans cette saison, se ranime, elle produit des fleurs de toute espèce; les eaux du baptême font naître aujourd'hui des prés plus brillants que les prés terrestres. Et ne vous étonnez pas, mes chers frères, si les eaux enfantent des prés émaillés de fleurs. Ce n'est point par sa propre vertu que la terre, dans le principe, a produit différentes espèces de plantes, mais parce qu'elle obéissait aux ordres du souverain Etre. Les eaux ont montré, dans leur sein, des animaux vivants, lorsqu'elles eurent entendu ces paroles : Que les eaux produisent des animaux vivants et rampants. (Gen. I, 20.) Le Créateur a ordonné, et l'effet a suivi; un élément inanimé a engendré des êtres animés. Les ordres du même Dieu opèrent les prodiges que nous voyons. Il dit alors : Que les eaux produisent des animaux vivants et rampants; aujourd'hui elles nous donnent, non des animaux rampants, mais des dons spirituels. Alors elles ont produit des animaux dépourvus de raison; aujourd'hui elles enfantent des poissons raisonnables et spirituels, pêchés par les apôtres : Venez après moi, dit Jésus-Christ, et je vous ferai pêcheurs d’hommes. (Matth. IV, 19.) Nature de pêche absolument nouvelle. Les pêcheurs tirent de l'eau les poissons, et causent ta mort à tout ce qu'ils en (547) font sortir. Nous, nous jetons dans l'eau les poissons, et tout ce qui en sort trouve la vie. Il y avait anciennement chez les Juifs une piscine; mais apprenez quelle était sa vertu, afin que vous puissiez comparer l'indigence des Juifs avec notre opulence : Un ange descendait dans la piscine, dit l'Evangéliste, il en remuait l'eau; et le premier malade qui y entrait après que l’eau avait été remuée, obtenait sa guérison. (Jean, V, 4.) Le Maître des anges est descendu dans le fleuve du Jourdain, et en sanctifiant la nature des eaux, il a guéri toute la terre. Alors, celui qui descendait le second dans la piscine n'était plus guéri, parce que c'était une grâce accordée à des Juifs faibles et encore attachés à la terre. Aujourd'hui, quand un second entrerait dans les eaux spirituelles, quand il y entrerait un troisième, quand on y ferait descendre dix mille personnes, ou même tous les peuples de la terre, il est impossible que la faveur tarisse, que la grâce s'épuise, que les eaux se souillent, que la libéralité divine diminue.

Admirez donc, mes frères, la grandeur du bienfait; admirez-la principalement, vous qui cette nuit (1) avez été mis au nombre des citoyens de la Jérusalem céleste. Montrez une vigilance qui réponde à l'excellence des grâces que vous avez reçues, afin d'en attirer de plus abondantes; car la gratitude pour les bienfaits déjà accordés sollicite la libéralité du Seigneur. Il ne vous est plus permis, mon cher frère, de vivre au hasard; vous devez vous prescrire des lois et des règles, afin d'agir en tout avec exactitude, et de montrer la plus grande attention dans les choses même regardées comme indifférentes. La vie présente est un combat perpétuel, et il faut que ceux qui sont une fois entrés dans cette lice de la vertu gardent en tout une tempérance scrupuleuse. Un athlète qui dispute le prix, dit saint Paul, doit garder en tout une exacte tempérance. (I Cor. IX, 25.) Ne voyez-vous

1 Cette nuit, la nuit du samedi-saint à Pâques. On sait que cette nuit était un des temps où l'on baptisait le plus de catéchumènes.

pas, dans les combats gymniques, combien les athlètes sont attentifs sur eux-mêmes, quoiqu'ils n'aient à lutter que contre des hommes? ne voyez-vous pas quel régime austère ils observent en exerçant leur corps? Nous devons les imiter, d'autant plus que nous n'avons pas à combattre contre des hommes, mais contre les esprits de malice répandus dans l'air. Notre tempérance et nos exercices doivent être spirituels, puisque les amies dont le Seigneur nous a revêtus sont spirituelles. Les yeux doivent avoir leurs bornes et leurs règles, pour qu'ils ne se jettent pas indistinctement sur tous les objets; la langue doit avoir une garde, pour qu'elle rie prévienne pas la réflexion; les dents et les lèvres ont été mises devant la langue, pour qu'elle ne franchisse point légèrement ces barrières, mais pour qu'elle ne produise des sons que quand nous aurons réglé ce qu'elle doit dire, et qu'alors, s'expliquant avec sagesse, elle ne profère que des paroles qui puissent satisfaire et édifier ceux qui les écoutent. Il faut éviter absolument les ris immodérés; notre démarche doit être paisible et tranquille, nos habits décents et honnêtes. Quiconque est inscrit pour la lice de la vertu ne peut être trop régulier et trop modeste dans tout son extérieur, parce que la décence du corps est un indice des dispositions de l'âme. Si nous contractons de bonne heure ces heureuses habitudes, nous marcherons sans peine dans le chemin de la vertu et nous le parcourrons tout entier; les routes s'aplaniront de plus en plus devant nous, et nous obtiendrons de grands secours d'en-haut. Ainsi, nous pourrons traverser sans crainte les flots de la vie présente, et, triomphant de toutes les ruses du démon, acquérir les biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire, l'honneur et l'empire sont au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

ÉLOGE DE DIODORE, EVÊQUE DE TARSE, en réponse à des paroles élogieuses que le même Diodore avait prononcées à l'adresse de saint Jean Chrysostome L’AN 392.
1. Ce sage et généreux maître (1), vous l'avez vu naguère, oubliant ses infirmités corporelles, monter à cette chaire, insérer mon éloge dans l'exorde de son discours, m'appeler un autre Jean-Baptiste, et la voix de l'Eglise, et la baguette de Moïse, et me combler de toutes sortes de louanges les plus pompeuses. Et il me louait et vous applaudissiez, et moi assis au loin, je soupirais amèrement. Il me louait, mu par sa tendresse pour un fils, vous applaudissiez par charité pour un de vos frères, et moi je soupirais accablé du poids de tant d'éloges. Les grandes louanges non moins que les grands péchés ont coutume d'exciter le remords dans la conscience. Lorsque l'on ne se sent aucun mérite et que l'on entend les autres dire le plus grand bien de soi, alors on compare l'opinion actuelle des hommes et le jugement de ce dernier jour où tout sera mis à nu et découvert : alors on songe que le Juge suprême prononcera sa sentence non d'après l'opinion du grand nombre , mais selon la vérité des choses : Ce n'est pas d'après la

1 Diodore avait été le maître de saint Jean Chrysostome. Prêtre à Antioche, il avait courageusement, et non sans péril, lutté contre les Ariens, alors puissants.

renommée et la rumeur qu'il accusera, dit le prophète (Isaïe, XI, 3) ; ces réflexions me font trouver amères la louange et la bonne renommée, tant je vois qu'elles s'éloignent de la sentence qui sera portée un jour. Maintenant nous sommes cachés sous notre réputation comme sous un masque : mais en ce jour, c'est la tête nue, et tout masque arraché, que nous comparaîtrons devant le tribunal redoutable; quelque bonne réputation dont nous jouissions ici elle ne nous servira de rien en ce moment-là, que dis-je ? nous serons même plus sévèrement punis, lorsque ces éloges publics et cette brillante renommée n'auront pas contribué à nous rendre meilleurs.

2. Je soupirais donc amèrement, plongé dans ces réflexions. C'est pourquoi je me hâte aujourd'hui de détruire dans vos esprits l'opinion trop favorable que ce que vous avez entendu, a pu vous donner de moi; une couronne trop grande pour la tête qui la reçoit, ne s'adapte pas bien aux tempes, ne reste pas fixée sur la tête; mais son trop de grandeur la rendant lâche, elle descend sur les yeux et finit par tomber sur les épaules laissant a tête nue et dépouillée de sa parure. C'est ce qui nous est arrivé à nous (550) lorsqu'on a déposé sur notre tête cette couronne de louanges trop grande four notre mérite. Mais en dépit de notre indignité, notre père, poussé par sa tendresse, ne s'est pas arrêté qu'il n'ait eu posé d'une manière telle quelle cette couronne sur notre tête. C'est ainsi que les rois en agissent quelquefois, ils prennent ce diadème qui ceint leur tête et le posent sur la tête de leurs petits enfants, puis voyant la disproportion entre ce chef d'enfant et la couronne, et contents de ce couronnement sans conséquence essayé tant bien que mal, ils reprennent ce diadème qui leur appartient et qui pare si bien leur front.

3. Mais puisque notre père ne se résoudrait jamais à mettre sur son chef cette couronne qu'il a essayée sur le nôtre et qui a paru trop grande, prenons-la nous-même et déposons-la sur le chef vénérable de notre père, à qui elle siéra admirablement. De Jean-Baptiste, nous n'avons nous que le nom, notre père en a le coeur; nous avons reçu le nom de Jean, et notre père possède la vertu de Jean-Baptiste. Et ce nom de Jean lui appartient à plus juste titre qu'à nous, car ce qui fait l'homonyme c'est la ressemblance non point du nom mais de la conduite ; quand les actions se ressemblent , la différence des noms n'est pas un obstacle : sur cette matière la sainte Écriture suit une autre philosophie que les philosophes profanes ; pour ceux-ci il faut que la communauté de substance concorde avec la communauté de nom pour qu'il y ait homonymie. La sainte Ecriture en décide autrement. Tous ceux en qui elle remarque une grande ressemblance de sagesse et de conduite, elle leur impose la même appellation , quelque différence qu'il y ait d'ailleurs entre les noms. Et la preuve de ceci, je n'irai pas la chercher bien loin, ce même Jean fils de Zacharie me la fournit. Les disciples ayant demandé si Elie devait. revenir, Jésus leur répondit : Voulez-vous le recevoir ? Jean est cet Elie qui doit venir. (Matth. 11, 14.) Et cependant il s'appelait Jean, mais comme il avait la vertu d'Elie, c'en est assez pour que le Seigneur lui donne le nom d'Elie. Il avait l'esprit d'Elie, c'est pourquoi il est appelé Elie. L'un et l'autre habitèrent le désert; l'un était couvert d'une peau de brebis, l'autre d'un vêtement de poil de chameau , leur nourriture à tous deux était également simple et frugale. L'un a été le précurseur du premier avènement, l'autre sera celui du second. Comme donc leur genre de vie, leurs vêtements, leurs demeures et leurs ministères sont semblables, c'est pour cela que le Seigneur leur donne le même nom à tous les deux, et il montre par là que la différence du nom n'empêche pas que l'on soit l'homonyme de celui de qui l'on imite les vertus.

4. Puisque cette règle est incontestable et que telle est très-certainement la manière dont la sainte Ecriture entend l'homonymie, montrons comment notre sage père a imité la vie de Jean-Baptiste, et comment par suite il mérite mieux que personne de porter le nom du saint précurseur. Jean n'avait ni table, ni lit, ni maison sur terre ; or, notre père n'en a jamais eu non plus. Vous m'en êtes témoins, vous tous qui savez de quelle manière il a vécu de la vie des apôtres, n'ayant rien en propre, vivant de la charité des fidèles et ne s'occupant que de la prière et de la prédication de la parole. Celui-là prêchait au delà du fleuve, attirant la foule au désert, celui-ci, un jour, a entraîné toute la cité au delà du fleuve et l'a édifiée par ses salutaires enseignements. Celui-là fut mis en prison et eut la tète tranchée à cause de sa franchise dans la défense de la loi de Dieu ; mais celui-ci a été plus d'une fois banni de sa patrie, pour son courage à confesser la vraie foi, je dirai même qu'il a donné plusieurs fois sa tête pour la même cause, sinon de fait au moins par la résolution. Les ennemis de la vérité, ne pouvant supporter la force de sa parole, lui ont mille fois tendu des embûches, et s'il n'y a pas succombé, c'est que le Seigneur l'a toujours délivré. Parlons maintenant de cette langue par laquelle il fut tant de fois mis en péril et toujours sauvé. On pourrait sans se tromper dire d'elle ce que Moïse a dit de la terre promise; Moïse a dit : Terre où coulent le lait et le miel. (Exod. III, 8.) Disons que de sa langue coulent le lait et le miel. Mais afin que nous puissions nous abreuver de lait et nous rassasier de miel, arrêtons ici notre discours et prêtons l'oreille à cette lyre, à cette trompette apostolique. Lorsque je songe au charme de sa parole, je dis que c'est une lyre, lorsque je veux exprimer la force de ses pensées, je dis que c'est une trompette guerrière, telle que celle qu'avaient les Hébreux lorsqu'ils firent tomber les murs de Jéricho. De même qu'en cette circonstance le son des trompettes frappant les pierres avec plus de violence qu'un feu dévorant, consuma et détruisit les remparts de la cité; de même la voix de celui-ci non moins puissante contre les retranchements des hérétiques, détruit tous les sophismes où ils s'enferment, et fait tomber toute hauteur qui s'élève contre la science de Dieu. Mais vous apprendrez mieux ces choses de sa langue que de la nôtre, cessons donc de parler, après avoir rendu gloire à Dieu qui a donné de tels docteurs à son Eglise, à Dieu à qui appartient la gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. JEANNIN.
 

 

 

 

 

FRAGMENT DE LA 2e HOMÉLIE SUIS LE COMMENCEMENT DES ACTES.
AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

A la fin du troisième volume des Oeuvres complètes de saint Chrysostome, édition des Bénédictins, l'on trouve un texte intitulé Sur l'Ascension de Notre-Seigneur Jésus-Christ et sur le commencement des Actes. Ce n'est pas une homélie, ce n'est qu'un centon où se trouvent juxtaposés plusieurs fragments d'homélies différentes et même de différents auteurs. Dans l'édition Bénédictine, cette compilation est distribuée en 16 numéros. Les numéros 8, 9 et 10 contiennent une notable partie d'une homélie dont nous avons regretté la perte, c'est la 20 sur le commencement des Actes. Voyez dans ce même volume l'avertissement placé en tète des homélies sur le commencement des Actes Il est à peu près certain que ce fragment est de saint Jean Chrysostome, mais il ne l'est pas moins que tous les autres sont indignes de mi et ne sauraient en aucune façon lui être attribués. Voilà pourquoi on trouve ici la traduction des numéros 8, 9 et 10 du texte In ascensionem Domini, et pourquoi nous n'avons pas jugé à propos de traduire le reste.

1. Je veux donc aborder le livre des Actes et le suivre pas à pas dès le commencement; il faut que je puise avec vous à cette source divine, il faut que nous allions ensemble à la découverte des trésors de la sainte Ecriture, cherchant l'or de la vérité, avides de nous enrichir des biens de la piété. Actes des Apôtres, tel est ce titre, et ce titre montre toute l'importance du sujet, et le début est l'annonce de tout l'ouvrage. Dans ce livre toutefois ne sont pas racontés les Actes de tous les apôtres. A l'exception de quelques mots seulement sur le compte des autres apôtres, la première partie tout entière est consacrée à raconter les miracles de Pierre ainsi que son enseignement, puis dans le reste de l'ouvrage il n'y a de place que pour Paul. Pourquoi donc ce titre d'Actes des Apôtres donné à un livre qui ne fait l'histoire que de Pierre et de Paul? C'est que, comme l'affirme Paul lui-même, lorsqu'un membre est glorifié, tous les autres membres sont glorifiés avec lui; voilà pour quelle raison l'historien n'a pas intitulé son livre Actes de Pierre, Actes de Paul, mais Actes des Apôtres, estimant que les oeuvres de ces deux apôtres sont à la gloire de tout le choeur apostolique.

Nous recherchons donc quel est l'auteur du livre des Actes. Sur cette question, l'ignorance a produit la diversité des sentiments; les uns ont dit que c'était Clément le Romain, les autres ont prétendu que c'était Barnabé , d'autres enfin soutiennent que c'est Luc l'Evangéliste. Dans une telle divergence d'opinions, il ne nous reste qu'à consulter l'auteur lui-même. Demandons-lui donc qui il est, et ce qu'il fait, voyons ce qu'il dit de lui-même : J'ai fait, dit-il, un premier discours de tout ce que Jésus a fait et enseigné. Ces termes : un premier discours, nous avertissent aussitôt de nous enquérir de quel discours il est ici question. Si l'auteur n'avait fait que les Actes des Apôtres, évidemment il ne dirait pas : (553) J'ai fait un premier discours. Il se trouve donc que le livre des Actes ne vient qu'en seconde ligne après un autre ouvrage du même auteur. Quel est cet autre ouvrage qui a précédé celui qui nous occupe? L’auteur n'a pas oublié de nous le dire : J'ai fait un premier discours, ô Théophile , de tout ce que Jésus a fait et enseigné. (Act. I, 1.) Ce texte nous montre dans l'auteur des Actes un homme qui avait composé un évangile avant de composer les Actes. L'Evangile d'abord, les Actes ensuite; en effet, il ne dit pas : j’ai fait un premier discours de tout ce que Pierre et Paul ont fait et enseigné, mais bien de tout ce que Jésus a fait et enseigné. N'est-il pas évident que l'auteur des Actes ne peut être que l'évangéliste Luc?

Mais appliquons-nous et voyons de plus près si c'est bien lui. J'ai fait un premier discours de tout ce que Jésus a fait et enseigné jusqu'au jour où confiant au Saint-Esprit l'instruction des apôtres qu'il avait choisis, il s'éleva ait ciel, c'est-à-dire j'ai raconté les actes du Sauveur et ses enseignements jusqu'au jour de son Ascension. Soutenez votre attention. Mon premier ouvrage, dit-il, embrasse les œuvres du Seigneur et ses enseignements, et il va jusqu'à l'Ascension. Or il est aisé de constater que ni Matthieu, ni Marc, si ce n'est incomplètement, ni Jean, n'ont conduit le récit évangélique jusqu'à l'Ascension. Luc seul l'a fait. Saint Matthieu termine ainsi son évangile. Les onze disciples s'en allèrent sur la montagne de Galilée, selon que leur avait commandé Jésus. Il leur apparut, et ils l'adorèrent, et il leur dit : Allez, enseignez toutes les nations. Et voici que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation des siècles. Il s'arrête là et ne dit rien de l'Ascension. Saint Marc dit : Les femmes sortirent du tombeau, et ne dirent rien à personne, car elles craignaient. Puis après quelques autres paroles, il s'exprime ainsi, en bref, sur le sujet de l'Ascension : Le Seigneur, après leur avoir parlé, s'éleva dans le ciel et s'assit à la droite de Dieu. Pour eux, ils s'en allèrent et prêchèrent partout, le Seigneur coopérant avec eux et confirmant leur parole par les miracles qui la suivaient. Amen. Telle est la fin de l'évangile de saint Marc, donc pas de récit développé de l'Ascension dans saint Marc. Saint Jean raconte l'apparition du Sauveur sur le bord du lac de Tibériade, apparition dans laquelle le Seigneur dit à Pierre : Pierre, m'aimes-tu? etc., vous savez la suite. Saint Jean s'arrête là, il ne mentionne même pas l'Ascension, voici ses dernières paroles : Jésus a fait encore d'autres miracles, et en si grand nombre que si on voulait les raconter tous en détail, le monde, je crois, ne contiendrait pas tous les livres que l'on écrirait. Ainsi donc saint Matthieu et saint Jean ne parlent en aucune façon de l'Ascension, saint Marc ne le fait qu'en abrégé. Saint Luc seul a poussé sa narration d'une manière développée jusqu'à l'Ascension. Voilà pourquoi il dit : J'ai fait un premier discours de tout ce que Jésus a fait et enseigné, jusqu'au jour où confiant au Saint-Esprit l'instruction des apôtres qu'il avait choisis, il s'éleva au Ciel.

2. Quel est ce Théophile? C'était un gouverneur de province qui se convertit étant en charge. De même que le proconsul de l'île de Chypre avait, dans l'exercice de sa charge, reçu la foi de la bouche de saint Paul, de même le gouverneur Théophile avait, étant encore en fonction, embrassé la foi de Jésus-Christ à la voix de saint Luc. Et le disciple pria son maître de composer pour son usage un récit des actes des Apôtres. Vous m'avez enseigné les oeuvres du Sauveur, enseignez-moi encore les oeuvres de ses disciples : c'est pourquoi saint Luc lui dédia son second livre, comme il avait déjà fait du premier, car l'évangile selon saint Luc est adressé à Théophile. Il n'en faut pas chercher loin la preuve, saint Luc lui-même la fournit : Plusieurs ont entrepris de composer le récit des événements accomplis au milieu de nous, comme nous les ont transmis ceux qui dès le principe ont été témoins oculaires et ministres de la parole; néanmoins, il m'a semblé bort, moi aussi, d'écrire pour toi, excellent Théophile, le récit exact et suivi de ces événements, en remontant jusqu'à l'origine, afin que tu voies la certitude des enseignements que tu as reçus. (Luc, I, 1-4.)

Très-excellent équivaut à illustrissime, telle était alors la formule en usage. En voulez-vous la preuve? Le gouverneur Festus dit à saint Paul: Tu délires, Paul, et celui-ci répond : Je ne délire pas, très-excellent Festus; c'est donc à une personne de la même qualité que saint Luc s'adresse ici, en disant : Très-excellent Théophile. Ayant donc rappelé son évangile et la dédicace qu'il en avait faite à Théophile, saint Luc parle de son second ouvrage (554) et le dédie encore à Théophile. Quel est ce second ouvrage? J'ai fait mon premier discours sur toutes les choses que Jésus a faites et enseignées. Et jusqu'où l'as-tu conduit ce premier discours? Jusqu'au jour où, confiant aux enseignements du Saint-Esprit les apôtres qu'il avait choisis, il s'éleva au ciel. Il y a une hyperbate dans le texte original. Cela revient à dire : J'ai écrit l'Évangile depuis le commencement jusqu'au jour où Jésus s'éleva après avoir prescrit à ses apôtres, soutenez votre attention, je vous prie, ses apôtres, auxquels il se présenta vivant après sa passion. Remarquez l'exactitude de l'évangéliste, cri écrivant les Actes des Apôtres, il se souvient qu'il a écrit l'Évangile, il ne dit pas auxquels il apparut, ruais se présenta vivant. — Détruisez ce temple, avait dit le Sauveur, et en trois jours je le relèverai. — Auxquels il se présenta vivant après sa passion, en beaucoup de preuves, se faisant voir à eux pendant quarante jours, et les entretenant du royaume de Dieu.

3. Soutenez votre attention, je vous prie; en beaucoup de preuves, se faisant voir à eux pendant quarante jours, et les entretenant du royaume de Dieu. Il ne se faisait pas voir tous les jours pendant cet espace de quarante jours. Après sa résurrection, il avait donné à sa chair une vertu très-efficace pour produire la conviction, afin de n'avoir pas à se montrer constamment, ce qui aurait pie diminuer, dans l'esprit des apôtres, le prestige de sa grandeur. Il souvenait qu'une fois ressuscité il se montrât avec les marques de la divinité, sans se manifester trop fréquemment aux regards: c'est pourquoi l'auteur dit : En beaucoup de preuves pendant quarante jours. Il ne se rendait pas toujours invisible aux yeux du corps, ruais il y avait parfois des signes qui attestaient sa présence. Il prenait une autre voix, une autre forme, un autre extérieur. Il se présenta plus d'une fois aux apôtres sans être reconnu. Ainsi il vint trouver Pierre et ses compagnons, qui péchaient, et il leur dit : Mes petits enfants, n'avez-vous rien à manger? (Jean, XXI, 5.) Et. ils ne reconnurent ni sa figure ni sa voix. Puis il leur dit encore : Jetez le filet du côté droit de la barque et vous trouverez. Ils jetèrent le filet et tirent une pêche abondante. Alors celui que leurs yeux ne voyaient pas, se manifesta par ces marques de sa puissance, et l'évangéliste Jean dit à Pierre: c'est le Seigneur, une marque de puissance et non sa vue le lui avait montré. Voilà ce que signifie cette parole de saint Luc, se manifestant par beaucoup de signes pendant quarante jours. Il ne se rendait pas seulement visible aux yeux , mais il trouvait sa présence de beaucoup d'autres manières. En comptant très-exactement, nous constatons que le Sauveur se fit voir onze fois aux saints apôtres depuis sa résurrection, après quoi il monta vers son père. Pourquoi onze fois? parce qu'il avait onze disciples, depuis que Judas, par son infâme trahison, avait perdu sa place et sa dignité: il apparaît donc onze fois aux onze apôtres, non pas chaque fois à tous ensemble, mais tantôt aux uns, tantôt aux autres; par exemple, il apparaît aux dix en l'absence de Thomas, puis il leur apparaît, Thomas étant présent. Mais ne nous contentons pas de dire qu'il se montra onze fois parce que le nombre des apôtres était de onze; constatons la vérité de ce nombre. Premièrement il apparut à Marie, qui venait visiter le sépulcre, ainsi qu'aux autres femmes. Ce furent cri effet les femmes qui le virent les premières; aussi le prophète Isaïe leur adresse-t-il la parole en s'écriant : Femmes qui venez de voir, venez, annoncez-nous ce que vous avez vu. (Isaïe, XXVII, 11.) Suivez bien de peur que noms ne nous trompions sur le nombre. Première apparition à Marie et aux autres femmes; deuxième à Pierre; troisième à Cléopas et à sort compagnon, sur le chemin d'Emmaüs, lesquels le reconnurent à la fraction du pain. Par où voyons-nous qu'il s'était montré à Pierre, avant de se manifester aux deux disciples d'Emmaüs? le voici : Cléopas et son compagnon se mirent en route dès le soir même pour venir annoncer aux disciples qu'ils avaient vu le Seigneur; or ils trouvèrent les apôtres qui disaient que le Seigneur était réellement ressuscité, et qu'il s'était montré à Simon Pierre. (Luc, XXIV, 34.) Le bruit de l'apparition à Pierre avait donc précédé la nouvelle que les disciples d'Emmaüs apportaient de ce qu'ils avaient vu eux-mêmes. Paul marque la même chose lorsqu'il dit : Je vous ai transmis à vous parmi les premiers ce que j'ai appris, savoir que le Christ est mort pour nos péchés, conformément aux Ecritures, qu'il est ressuscité, qu'il s'est fait voir à Céphas, puis ensuite aux onze. (I Cor. XV, 3.-5.) D'abord à Pierre, puis aux autres apôtres. Reprenons et comptons. Premièrement il est apparu aux femmes , deuxièmement à Pierre, troisièmement à Cléopas, quatrièmement (555) aux onze, les portes étant fermées et Thomas absent; cinquièmement aux onze , Thomas étant présent; sixièmement, à cinq cent frères assemblés comme saint Paul nous l'apprend : Ensuite il s'est montré une fois ci plus de cinq cents frères assemblés dont la plupart sont encore vivants; septièmement, aux sept qui pêchaient sur le lac de Tibériade; huitièmement à Jacques, comme le témoigne Paul; neuvièmement, aux soixante-dix; dixièmement sur la montagne de Galilée; onzièmement sur la montagne des Oliviers.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIES SUR DAVID ET SAUL (1).
AVERTISSEMENT.

Les trois homélies suivantes, aussi bien que celles dont Anne est le sujet (voir l'avertissement en tète de ces cinq discours), ont été prononcées dans l'année 387. En effet, au commencement du premier discours de cette nouvelle série, saint Jean Chrysostome rappelle qu'il a parlé récemment de l'homme qui devait mille talents, et montré combien est criminel le ressentiment des injures. Or, cette homélie sur le débiteur, a été prononcée l'année même où saint Jean consacra tout le carême à prêcher contre l'abus du serment, c'est-à-dire en 387, comme on l'a dit dans l'avertissement. — Il reprend dans les trois discours suivants, le sujet qu'il avait entamé dans l'homélie sur le débiteur, c'est à savoir l'obligation de pardonner les injures, en s'appuyant cette fois sur l'exemple de David. Il paraît, par le second de ces discours, que la pathétique éloquence du Saint arracha en cette occasion les larmes à ses auditeurs : il paraît même qu'il réussit à ramener les habitants d'Antioche à la pratique du précepte évangélique : Aimez vos ennemis, comme déjà, dans le dernier carême, il les avait corrigés de l'abus du serment.

PREMIÈRE HOMÉLIE. Sur l'histoire de David et de Saül, oui la patience, sur l’obligation de ménager ses ennemis, et de ne les point injurier. même en leur absence.
ANALYSE.

1° Nécessité des instructions suivies. — David, modèle d'humanité.

2° Enumération des services rendus à Saül par David.

3° Modestie de David après ses succès. — Jalousie non justifiée de Saül; sa fureur; il veut tuer David.

4° Saül tombe entre les mains de David qui lui pardonne, et résiste aux mauvais conseils de ses soldats.

5° Raison religieuse du respect dû aux rois. — Imiter à l'égard de ses ennemis le respect de David pour Saül.

6° Qu'il faut étudier les vies des saints, méditer sur ce sujet et en conférer ensemble, au lien de se laisser aller aux conversations frivoles.

1. Lorsqu'une tumeur enflammée s'est développée dans un corps et que le temps l'y a durcie, il faut beaucoup de temps, de peine et des remèdes bien habilement appliqués pour en débarrasser sans danger le malade. On peut remarquer la même chose au sujet de

1. Ces trois homélies, dans l'édition bénédictine, placées ainsi que les homélies sur Anne, font suite au commentaire sur la Genèse ; comme il nous était plue commode de tes mettre ici, nous avons cru pouvoir les transposer sans inconvénient pour notre Oeuvre.

l'âme. Lorsqu'on veut extirper un mal enraciné et depuis longtemps acclimaté dans l'âme, il ne suffit pas d'une exhortation d'un, ni de deux jours pour opérer une pareille cure, il faut revenir souvent sur le même sujet et y consacrer plusieurs journées: si du moins l'on n'a pas en vue de briller ni de plaire, mais d'être utile à son auditeur et de lui rendre service. — En conséquence, comme pour ce qui regarde les (558) serments, nous avons employé plusieurs journées de suite à vous entretenir de la même matière, ainsi voulons-nous faire pour la colère, touchant laquelle nous vous adresserons des exhortations suivies autant qu'il sera en notre pouvoir. — En effet, la meilleure manière d'enseigner, selon nous, c'est de ne pas cesser de répéter un conseil, quel qu'il soit, avant de l'avoir vu suivi et mis en pratique. Celui qui parle aujourd'hui de l'aumône, demain de la prière, ensuite de la douceur, et puis de l'humilité, ne pourra convertir à aucune de ces choses ses auditeurs, tandis qu'il sautera ainsi d'un sujet à un autre, de celui-ci à un troisième, et ainsi de suite. Celui qui veut inspirer à ses auditeurs les vertus dont il leur parle, doit ne pas se lasser de revenir sans cesse aux mêmes exhortations, aux mêmes avis, et ne point se jeter dans une autre matière, qu'il n'ait vu sa première leçon dûment enracinée dans les esprits. Ainsi se comportent les maîtres: ils ne font point passer tés enfants aux syllabes, avant que ceux-ci ne possèdent parfaitement leurs lettres. L'autre jour nous vous lisions la parabole des cent deniers et des dix mille talents, et. nous vous faisions voir quel mal c'est que le ressentiment (1). En effet,celui dont les mille talents n'avaient point causé la perte, succomba à cause de cent deniers; ils firent révoquer la grâce qui lui avait été accordée, le privèrent du bienfait reçu, le ramenèrent devant le tribunal, après qu'il avait été dispensé de rendre ses comptes, de là, le jetèrent en prison, et le livrèrent enfin au supplice éternel. Mais aujourd'hui nous amènerons le propos sur un autre sujet. Il faudrait, pour bien taire, que celui qui vous parle de la douceur et de l'humanité vous offrit des exemples de ces vertus empruntés à sa propre vie et tirés de son fonds, de façon à vous diriger par sa conduite en même temps qu'il vous instruirait par ses discours. Mais comme nous sommes bien éloignés de tant de vertus, nous produirons un des saints devant vous, nous le mettrons sous vos yeux par là nous vous donnerons un enseignement sensible et efficace, en vous exhortant, aussi bien que nous-même, à imiter comme un modèle tout tracé, la vertu de ce juste.

Quel modèle mettrons-nous donc sous vos yeux, dans cet entretien relatif à l'humanité ? Et quel autre pourrions-nous choisir que celui

1. Voy. tom. IV, pag. 1.

que nous désigne un témoignage d'en-haut, et qui a dû à cette vertu une gloire toute spéciale? J'ai trouvé, dit l'Ecriture, David, fils de Jessé, homme selon mon coeur. (II Rois, 13-14; Act. 13-22.) Lorsque Dieu donne son avis, il n'y a plus matière à contradiction. — Car c'est l'arrêt d'un juge incorruptible qui ne consulte, pour prononcer, ni la faveur, ni l'animosité, et , dont la vertu toute seule obtient le suffrage. Mais, si nous l'offrons ici en spectacle, ce n'est pas seulement parce qu'il a été honoré de ce suffrage divin, c'est encore parce qu'il a vécu sous l'ancienne loi. En effet, que sous la loi de grâce, on rencontre un homme pur de colère, miséricordieux envers ses ennemis, clément à l'égard de ses persécuteurs, cela n'aurait rien d'étonnant après la mort du Christ, après un tel pardon, après tant de prescriptions pleines de sagesse : mais qu'au temps de l'Ancien Testament, alors que la loi accordait ceil pour ceil, dent pour dent, et autorisait la peine du talion, un homme ait paru qui ait outrepassé les bornes de l'obligation, et se soit élevé d'avance jusqu'à la philosophie apostolique; qui pourrait entendre cela sans admiration? Et qui, faute de s'attacher à un tel modèle, ne se priverait pas de toute excuse, de tout titre à l'indulgence? Mais, afin que nous connaissions plus à fond la vertu de David, permettez-moi de revenir un peu en arrière, et de rappeler les services rendus à Saül par ce bienheureux. Car le simple fait de ne pas se venger de la persécution d'un ennemi, n'a rien d'étonnant : mais tenir entre ses mains un homme qu'on a comblé de bienfaits, et qui, pour prix de ces bienfaits a tenté une, deux fois et plus, de faire périr celui dont il les a reçus, devenir maître de sa vie, le laisser échapper, le dérober aux desseins meurtriers des autres, et cela, quand il doit ensuite persister dans ses entreprises criminelles, n'est-ce pas atteindre au plus haut degré où puisse s'élever la sagesse ?

2. Quels services David avait rendus à Saül, comment, en quelles circonstances, souffrez qu'un court récit vous le rappelle. Les Juifs étaient en butte à une guerre terrible; partout régnaient la peur et l'épouvante; nul n'osait lever la tête ; l'Etat tout entier était réduit à la dernière extrémité, chacun avait la mort devant les yeux, tous s'attendaient chaque jour à périr, et vivaient plus misérables que les criminels qu'on mène au dernier supplice. Alors (559) David, quittant ses troupeaux pour le combat, bien que son âge et sa profession l'exemptassent des travaux militaires , se chargea , lui seul, du commun fardeau de la guerre, et remporta des succès au delà de toute espérance. Et quand bien même le succès lui aurait fait défaut, il eût mérité encore des couronnes pour prix de son zèle et de sa résolution. Car s'il avait été soldat et en âge de combattre , sa conduite n'aurait rien eu d'admirable; il n'eût fait qu'obéi r à la loi qui régit les camps. Mais David ne cédait à aucune contrainte, que dis-je? beaucoup de personnes lui suscitaient des obstacles; ainsi son frère le blâma, et le roi considérant sa jeunesse, et la difficulté qu'éprouve cet âge à braver les périls, le roi le retenait et lui prescrivait de rester: Tu ne pourras marcher, lui disait-il, parce que tu es un petit enfant, et que cet homme est verrier depuis sa jeunesse. (I Rois, XVII , 33.) Néanmoins, sans qu'aucune raison l'encourageât, si ce n'est le zèle divin et l'amour de la patrie qui échauffait intérieurement son coeur, comme s'il avait devant lui des brebis et non des hommes, comme s'il devait faire la guerre à des chiens, et non à une formidable année, il marcha plein de sécurité, contre les barbares; et il montra tant de sollicitude pour le roi en cette occurrence, que celui-ci qui avant le combat et la victoire était prosterné la face contre terre sentit se relever son courage. En effet, ce n'est point seulement par ses actes qu'il lui fut utile, c'est encore par ses paroles d'encouragement, en l'exhortant à reprendre confiance, à espérer bien de l'avenir Que le coeur de mon maître ne s'affaisse point sur lui-même, lui dit-il, parce que ton serviteur marchera et combattra avec cet étranger. (Ibid. v, 32.) Est-ce peu de chose, dites-moi, que d'exposer ainsi sa vie sans nulle nécessité, et de bondir au milieu des ennemis pour rendre service à des gens auxquels on n'a aucune obligation ? Ne fallait-il pas après cela lui décerner le titre de Maître , le proclamer sauveur de l'État, lui qui avait garanti, après la grâce de Dieu, et la dignité royale, et les fondements des villes, et la vie de tous? Quel autre service aurait-il pu rendre qui surpassât celui-là? Ce n'est point à la fortune de Saül, ni à sa gloire, ni à sa puissance , c'est à sa vie même qu'il rendit service; il le rappela des portes du tombeau; c'est grâce à lui, autant que la chose dépendait des hommes, que, ce roi vécut désormais, qu'il jouit de la puissance. Comment donc Saül répondit-il à ce bienfait? Si l'on considère la grandeur des mérites, en ôtant la couronne de son front pour la poser sur celui de David, il ne se serait point encore acquitté, il n'aurait payé que la moindre partie de sà dette. En effet, il devait à David la vie et la royauté; et c'est la royauté seule qu'il lui aurait cédée. Mais voyons sa reconnaissance à l'oeuvre. Comment la témoigna-t-il? Il vit dès lors David avec défiance, et à partir de ce jour il le soupçonna. Pourquoi ? par quelle raison? Car il faut bien dire le motif de cette défiance. Aussi bien, quoi que l'on dise, elle ne saurait le justifier. Quel motif peut nous autoriser à soupçonner un homme à qui nous devons la vie et le bienfait de l'existence ? Mais voyons la vraie cause de cette haine, vous verrez que David méritait, et ceci n'est pas au-dessous de sa victoire, d'être honoré pour ce qui le faisait soupçonner et persécuter. Quel était donc ce motif? Il avait pris la tête du barbare et s'en était allé chargé de ses dépouilles. Les femmes sortirent, dit le texte, chantant et disant : Saül a frappé mille ennemis pour sa part, et David dix mille. Et Saül se mit en colère et il voyait David avec défiance à partir de ce jour et dans la suite. (I Rois, XVIII, 8-9.) Pourquoi cela? dites-moi? A supposer que l'on eût tort de parler ainsi, ce n'était pas une raison pour en vouloir à David ; mais connaissant sa bonne volonté par ce qui s'était passé, sachant que sans que rien l'y forçât ni l'y contraignît, il s'était exposé de gaieté de coeur à un pareil danger, il fallait se défendre désormais de tout mauvais soupçon contre lui. Mais ces éloges étaient justes; et s'il faut le dire au risque d'étonner, c'est Saül que les femmes favorisaient en parlant ainsi, plutôt que David ; et le premier aurait dû se tenir pour content de ce qu'on lui avait fait tuer mille ennemis. Pourquoi donc s'indigner, de ce qu'on en avait fait tuer dix mille à David? Si Saül avait contribué à la guerre, s'il y avait pris une faible part, c'est été lui faire honneur que de dire : Saül a frappé mille ennemis, David en a frappé dix mille. Mais s'il était resté tremblant, effrayé, enfermé, immobile, s'attendant chaque jour à mourir, et si David avait tout fait à lui seul, n'était-il pas absurde que celui qui n'avait aucunement partagé ces périls s'indignât de ne pas avoir le (560) plus grand lot dans les éloges? Si quelqu'un devait s'indigner, certes c'était David, qui, seul auteur de la victoire, en partageait la gloire avec un autre.

3. Mais quittons ce point; j'arrive à autre chose. Supposons que les femmes aient eu tort, et qu'elles aient mérité le reproche et le blâme; en quoi cela atteignait-il David ? Ce n'est pas lui qui avait composé ces chants, qui avait persuadé aux femmes de parler ainsi, qui leur avait dicté ces louanges. Si donc il y avait lieu de s'indigner, il fallait s'indigner contre elles, et non contre le bienfaiteur de l'Etat tout entier, contre un homme qui avait mérité des milliers de couronnes. Mais Saül fait grâce aux femmes, c'est à David qu'il s'attaque. Et si encore le bienheureux exalté par ces louanges, était devenu jaloux de son roi, l'avait offensé, avait foulé aux pieds son pouvoir, peut-être la jalousie du roi lui-même aurait-elle quelque excuse; mais s'il devint seulement plus doux et plus modéré, s'il garda fidèlement son rang de sujet, quelle juste raison alléguer en faveur de ce dépit? Lorsque celui qui est comblé d'honneurs s'élève en face de son supérieur, et ne cesse de faire servir à l'humiliation de celui-ci ses propres honneurs, alors cette passion trouve occasion de naître; mais quand il persiste à l'honorer ou plutôt quand il le sert avec un redoublement de zèle, et qu'il lui cède en toutes choses, quel prétexte peut encore alléguer la jalousie?

Quand bien même David n'aurait pas eu d'autre mérite, Saül devait encore le chérir d'autant plus que, avant sous la main une si belle occasion de s'emparer de la tyrannie, il restait fidèle à la modération qu'il lui convenait de garder. En effet, ce n'est point seulement ce que nous avons rappelé, ce sont les circonstances qui suivirent, encore bien plus honorables pour David, qui ne purent enfler son coeur. Quelles sont donc ces circonstances? David, rapporte l'Ecriture, était prudent en toutes ses démarches, et le Seigneur tout-puissant était avec lui, et tout Israël et Juda chérissaient David, parce qu'il entrait et sortait en présence du peuple. Et Melchol, fille de Saül (comme tout Israël) le chérissait. Et il surpassait en sagesse tous les serviteurs de Saül : et son nom était en grand honneur. Et Jonathas, fils de Saül, chérissait grandement David. (I Rois, XVIII, 14,16, 20, 30, 2.) Néanmoins, bien qu'il eût conquis tout le peuple et la maison du roi, bien qu'il fût partout victorieux dans la guerre, que jamais il n'éprouvât d'échec, bien que ses services eussent été payés d'un pareil retour, il ne levait point séditieusement la tête, il ne convoitait point la royauté, et au lieu de se venger de son ennemi, il continuait à lui rendre service et à triompher en son nom sur les champs de bataille. Quel mortel féroce et sauvage, voyant cela, n'a irait point renoncé à sa haine, n'aurait pas été guéri de sa jalousie? Mais cet homme dur et inhumain résista à tout cela; plongé dans un complet aveuglement, tout entier à sa jalousie, il entreprend de faire périr David et à quel moment (car c'est là ce qu'il y a de plus fort et de plus surprenant)? au moment où David jouait du luth pour le soulager dans sa démence. David, dit l'Ecriture, jouait du luth chaque jour, et la lance était dans la main de Saül, et Saül leva la lance et dit : Je frapperai David, et il en frappa la muraille, et David, deux fois la détourna de son visage. (Ib. V, 11.) Pourrait-on citer un plus grand excès de scélératesse ?Oui, peut-être ce qui suivit. Les ennemis venaient d'être repoussés, les habitants revenaient à eux, tous célébraient la victoire par des sacrifices, et le bienfaiteur, le sauveur, auquel étaient dues toutes ces félicités, Saül essaie de le tuer pendant qu'il joue du luth, et l'idée du service rendu ne suffit point à calmer la rage de ce furieux qui à deux reprises le vise afin de le tuer. Et c'est ainsi qu'il le récompensa des dangers courus. Que dis-je ? il recommença et ce ne fut point assez pour lui de ce jour. Mais le saint, en dépit de tout, persistait à le servir, à exposer sa vie pour la sienne, à combattre dans toutes ses guerres, à défendre son assassin au péril de ses jours:loin d'offenser, soit par ses paroles, soit par ses actions cette bête féroce, il lui cédait, lui obéissait en tout; privé de la récompense due à sa victoire, frustré du salaire mérité par tant de périls, il ne fit pas même entendre une plainte, ni aux soldats, ni au roi : car ce n'est point pour une récompense humaine qu'il se signalait ainsi, mais bien en vue de la rémunération céleste. Et ce qu'il faut admirer, ce n'est pas seulement qu'il ne réclama point sa récompense, c'est encore qu'il la refusa alors qu'on la lui offrait, par un prodige d'humilité. Saül, en effet, ne pouvant venir à bout de le tuer en dépit de toutes ses intrigues et de ses machinations, recourt pour le perdre à l'artifice d'un (561) mariage et imagine un présent de noces d'une nouvelle espèce : Le roi ne veut pas d'autre présent que cent prépuces enlevés à ses ennemis. (I Rois, XVIII, 23.) Voici le sens de ces paroles Fais-moi périr cent hommes et ce sera ton présent de noces. Il parlait ainsi, afin de le livrer aux ennemis sous prétexte d'un mariage.

4. Néanmoins David, considérant cette proposition avec sa modestie accoutumée, refusa le mariage, non à cause du péril, ni par crainte des ennemis, mais parce qu'il se jugeait indigne d'entrer dans la famille de Saül; et voici les paroles qu'il adressa aux serviteurs du roi Est-il facile à vos yeux que je devienne gendre du roi? mais je suis un homme obscur et de basse condition? (I Rois, XVIII, 23.) Et cependant ce qu'on lui offrait lui était dû; c'était le prix, la rémunération de ses peines; mais il avait tant de contrition dans le coeur, qu'après tant d'exploits, une si brillante victoire, une parole donnée , il se croit indigne de recevoir la récompense qui lui est due; et cela quand il allait s'exposer à de nouveaux périls. Mais lorsqu'il eut vaincu les ennemis, et reçu en mariage la fille du roi, la même chose arriva encore : David jouait du luth, et Saül cherchait à le frapper avec sa lance, et il la lança; mais David se détourna et la lance frappa la muraille. (I Rois, XIX, 9, 10.) Qui donc parmi les plus versés dans la sagesse, ne se serait point alors mis en courroux, et, sinon, pour tout autre motif, au moins dans l'intérêt de sa propre sûreté, n'aurait cherché à tuer cet injuste agresseur? Ce n'était plus un meurtre ; et même, s'il eût frappé, sa douceur fût encore allée au delà des bornes de la loi. En effet la loi accordait oeil pour oeil ; or, en égorgeant son ennemi, il ne lui eût rendu qu'un meurtre pour trois, pour trois meurtres dénués de toute excuse admissible. Néanmoins il n'en fit rien, il préféra prendre la fuite, s'exiler de la maison paternelle, devenir un vagabond , un fugitif, et gagner sa vie à grand'peine, que de se rendre auteur de la mort du roi. En effet ce qu'il voulait, ce n'était point se venger de lui, mais le guérir de sa maladie, Ainsi il s'esquive loin des yeux de son ennemi , afin de calmer chez celui-ci l'inflammation de sa blessure, et d'amortir l'ardeur de sa jalousie. Il vaut mieux, dit-il, que je sois malheureux et en butte à l'infortune, que de le, laisser se charger devant Dieu d'un meurtre injuste. Ceci n'est point seulement à écouter, tuais encore à imiter; résignons-nous à tout faire et à tout souffrir pour délivrer nos ennemis de leur haine contre nous, et ne nous enquérons point si cette haine est juste ou injuste, mais cherchons seulement le moyen de l'apaiser. En effet le médecin s'occupe de guérir le malade, et non de rechercher si le mal lui est venu justement ou injustement. Et vous aussi, vous êtes les médecins de vos persécuteurs; inquiétez-vous d'une seule chose, des moyens de faire disparaître leur infirmité. Ainsi se comporta ce bienheureux; il préféra la pauvreté à la richesse, l'isolement à la patrie, les fatigues et les dangers au luxe et à la sécurité, un perpétuel exil au séjour de sa maison, pour guérir Saül de son animosité et de sa haine contre lui. Saül, néanmoins, n'y gagna rien; il allait poursuivant, cherchant de tous côtés cet homme innocent à son égard, autant que lui-même était coupable envers lui, que dis-je? cet homme qui avait reconnu sa persécution par mille bienfaits, et, sans le savoir, voici qu'il tombe justement dans les filets de David. Là était une caverne, dit l'Ecriture, et Saül y entra pour se soulager. Or David avec ses compagnons était assis à l'intérieur de la caverne. Et les gens de David lui dirent Voici le jour dont le Seigneur a dit : Je te livrerai ton ennemi entre les mains, et tu lui feras ce qui sera agréable à tes yeux. Et David se leva, et il déroba furtivement un morceau du manteau de Saül. Et après cela le coeur de David lui battit, parce qu'il avait dérobé ce morceau de manteau, et David dit à ses gens : A Dieu ne plaise que je fasse ceci à mon maître, à l'oint du Seigneur, de porter la main sur lui, parce qu'il est l'oint du Seigneur. Vous avez vu les filets tendus, le gibier pris au piège, le chasseur averti, et tous l'exhortant à plonger l'épée dans le sein de son ennemi.

Considérez maintenant sa sagesse ; considérez sa lutte, sa victoire, sa couronne. Car c'était un stade que cette caverne, et une lutte s'y passait, étonnante, inouïe. David était le lutteur, contre lui la colère tenait le ceste, Saül était le prix, le juge était Dieu. Mais plutôt ce n'est pas seulement contre lui-même, ce n'est pas contre sa passion qu'il avait une guerre à soutenir: c'était encore contre les soldats présents. En effets quel que fût son désir de rester modéré et d'épargner son persécuteur, il devait redouter ces hommes et craindre qu'ils ne vinssent à le massacrer lui-même dans cette caverne, comme un traître, infidèle au soin de leur (562) salut pour sauver leur commun ennemi. Il était naturel, en effet, que chacun d'eux dît en lui-même avec colère : Nous nous sommes faits exilés, vagabonds, nous avons quitté notre maison, notre patrie et tout le reste, nous nous sommes associés à toutes tes épreuves; et toi, quand tu as entre les mains l'auteur de ces maux, tu songes à le relâcher, afin que nous ne respirions jamais de tant de souffrances, et, dans ton empressement à sauver ton ennemi, tu veux trahir tes amis? Et comment justifier cela? Si tu ne tiens nul compte de ta propre conservation, respecte du moins notre vie. Le passé ne t'irrite point? Tu ne te souviens plus du mal qu'il t'a fait? A cause de l'avenir, tue-le, afin que nous n'ayons point à subir des infortunes encore plus grandes. S'ils ne disaient pas ces choses en propres termes, du moins ils les pensaient, et bien d'autres encore.

5. Mais le juste dont je parle ne faisait aucune de ces réflexions; il songeait seulement à ceindre son front de la couronne de patience, à faire preuve d'une sagesse nouvelle et singulière. Il n'y aurait pas tant lieu de s'étonner s'il avait été seul et livré à lui-même quand il épargna son persécuteur, qu'il y a lieu de l'admirer pour avoir tenu cette conduite devant d'autres hommes. En effet, la présence des soldats mettait un double obstacle à ce vertueux dessein. Il arrive souvent que, décidés par nous-mêmes à sacrifier notre courroux et à pardonner les fautes d'autrui, si nous voyons d'autres personnes nous exciter, nous stimuler, nous annulons notre décision, nous nous rendons à leurs conseils. Rien de pareil chez le bienheureux David; après l'exhortation et le conseil, il persista dans la sentence qu'il avait. rendue. Et ce qu'il faut admirer, ce n'est pas seulement que les conseils des autres ne purent l'ébranler, c'est encore qu'il ne les craignit pas, que même il les amena à penser aussi sagement que lui. En effet, si c'est une grande chose que de surmonter ses propres -passions, c'en est une bien plus grande que de savoir en outre persuader aux autres d'embrasser la même résolution, sans compter que ces autres n'étaient point des hommes sages, modérés, mais des soldats nourris dans la guerre, poussés au désespoir par l'excès de leurs maux, soupirant après un peu de repos, sachant enfin que la fin de leurs maux résidait toute dans le meurtre de leur ennemi; et non-seulement la fin de leurs maux, mais encore la conquête des plus grands biens; car rien n'empêchait, Saül égorgé, que la royauté ne passât aux mains de David. Néanmoins, quand des raisons si puissantes animaient les soldats, le généreux David fut assez fort pour triompher de tout, et persuader à ses compagnons d'épargner leur ennemi.

Mais il est à propos d'écouter les propres paroles des soldats qui lui donnaient ce conseil; car ce qu'il y a de pervers dans cette exhortation, montre la fermeté inébranlable de la résolution de notre juste. Ils ne lui dirent pas. Voilà celui qui t'a fait mille maux, celui qui a eu soif de ton sang, celui qui nous a plongés dans d'irrémédiables infortunes; voyant qu'il était insensible à toutes ces raisons, et tenait peu de compte des fautes commises à son égard, ils invoquent l'autorité d'en-haut, Dieu l'a livré, disent-ils, afin que par respect pour un arrêt émané de cette source, il marche au meurtre avec résolution. Est-ce là te venger toi-même? lui disent-ils. C'est obéir à Dieu, le servir, c'est mettre à exécution son arrêt. Mais plus ils parlaient, plus David était porté à la clémence. Car il savait que si Dieu lui avait livré Saül, c'était pour lui fournir la matière d'une plus grande gloire. Vous donc , de votre côté , si votre ennemi vient à tomber entre vos mains, ne voyez pas là une occasion de vengeance, mais une occasion de salut. S'il faut épargner nos ennemis, c'est surtout lorsque nous les tenons-en notre pouvoir. Mais peut-être quelqu'un dira : Et qu'y a-t-il de grand et de merveilleux à épargner un homme que l'on tient en son pouvoir? On a vu plus d'une fois des rois, maîtres, après leur élévation, de leurs anciens persécuteurs, trouver indigne d'eux et du rang suprême qu'ils occupaient, de tirer vengeance de ces coupables, et ainsi l'étendue de leur pouvoir les amenait elle-même à oublier l'injure.

Mais ici rien de pareil, David n'était pas sur1e trône, il n'avait. pas. encore occupé la royauté, quand ayant Saül entre les mains, il lui pardonna de la sorte : de façon qu'on ne peut dire que la grandeur de son pouvoir désarma son courroux : au contraire il savait que Saül ne lui échapperait que pour recommencer ses tentatives et le jeter dans de plus grands périls : et néanmoins il ne le tua pas. Gardons-nous de le comparer à ces autres rois généreux. Il est naturel que ceux-ci pardonnent, quand ils ont un gage assuré de sécurité pour (563) l'avenir : mais David , qui allait déchaîner son ennemi contre lui-même, le sauver pour qu'il lui fît la guerre, David néanmoins ne l'extermina pas, et, cela malgré les nombreux motifs qui le poussaient à ce meurtre. En effet l'absence de tout secours auprès de Saül, les exhortations des soldats, le souvenir du passé, la crainte de l'avenir, la certitude d'échapper à tout jugement quand il aurait égorgé son ennemi, la pensée qu'après ce meurtre même il serait encore plus miséricordieux que la loi, bien d'autres pensées encore l'excitaient, le poussaient à percer Saül de son glaive. Mais rien ne put l'ébranler , et il resta comme un bronze , invariablement attaché à la loi de la sagesse. Maintenant pour que vous ne veniez pas me dire qu'il n'éprouva rien des sentiments que l'on pourrait supposer, et que ce fut en lui insensibilité, et non vertu, voyez à quelle colère il sut résister. Que les flots du courroux se soulevèrent dans son coeur, qu'un orage troubla ses pensées, et qu'il refréna cet ouragan par la crainte de Dieu, qu'il étouffa le cri de son coeur, c'est ce qui résulte des faits. Il se leva, dit l'Ecriture, et déroba furtivement un morceau du manteau de Saül. Voyez-vous quel orage de colère. Mais il n'alla pas plus loin, il ne consomma pas le naufrage : car aussitôt le pilote, je veux dire la piété, venant à être avertie, ramena le calme où régnait la tempête. Le coeur lui battit : et comme on fait pour un cheval rétif et emporté, il serra la bride à son courroux.

6. Voilà les âmes des saints : avant que de choir, elles se redressent, avant que de tomber dans le péché, elles relèvent la tête, parce qu'elles sont maîtresses d'elles-mêmes et que leur vigilance ne s'endort jamais. Cependant quelle était la distance du vêtement au corps? Néanmoins David eut la force de ne point aller plus avant, et il s'accusa même avec sévérité du peu qu'il s'était permis. Son coeur battit, dit le texte, parce qu'il avait dérobé le morceau du manteau, et il dit à ses compagnons : Dieu me préserve!.. Qu'est-ce à dire, Dieu me préserve? C'est-à-dire, que le Seigneur me soit propice , et que alors même que je le voudrais, Dieu ne tolère point que je commette cette action, ne souffre point que je tombe dans ce péché. En effet sachant qu'un tel effort de sagesse dépasse presque la nature humaine, et nécessite l'assistance d'en-haut, songeant que lui-même avait été près de se laisser entraîner au meurtre, il prie que Dieu lui conserve les mains pures. Peut-on rien trouver de plus humain que cette âme? Appellerons-nous encore du nom d'homme celui qui montra dans une enveloppe humaine cette conduite angélique? Les lois divines ne le permettraient pas. Car, dites-moi , qui voudrait, de gaieté de coeur, adresser à Dieu une semblable prière ? Que dis-je, une prière semblable? Qui se résignerait facilement même à ne pas faire de voeux contre son persécuteur? En effet, la plupart des hommes en sont arrivés à ce point de férocité que lorsqu'ils sont faibles et ne peuvent point faire de mal à celui dont ils ont à se plaindre, ils appellent Dieu même au secours de leur vengeance , et sollicitent de lui la faculté de tirer raison de leur injure. David, au contraire, par une prière directement opposée, le conjure de ne pas lui permettre la vengeance, en disant : Le Seigneur me préserve de porter la main sur lui! comme si cet ennemi était son fils , son enfant légitime.

Mais ce n'est point assez de l'avoir épargné; il va jusqu'à le défendre ; et voyez avec quelle prudence et quelle sagesse. Comme en examinant la vie de Saül il n'y trouvait rien de bon, comme il ne pouvait dire : il ne m'a pas fait tort, il ne m'a causé aucun mal (les soldats qui étaient présents auraient démenti ces paroles, eux qui connaissaient par expérience la méchanceté de Saül), il va de tous côtés cherchant une excuse. qui fût spécieuse. Alors ne trouvant nulle ressource dans la vie, dans les actions du roi, c'est à sa dignité qu'il a recours en disant : Il est l'oint du Seigneur. Que dis-tu? que c'est un criminel, un scélérat, chargé de forfaits, qui nous a fait subir les pires traitements? Mais c'est un roi, c'est un souverain, il a été investi du droit de nous commander. Et le mot roi n'est pas celui dont il se sert : C'est, dit-il, l'oint du Seigneur; invoquant ainsi non sa dignité terrestre, mais l’élection divine pour le rendre vénérable. Tu méprises, dit-il, ton compagnon d'esclavage ? Respecte ton Maître. Tu foules au pied l'élu ? Redoute l'Electeur. En effet si nous éprouvons crainte et tremblement devant les magistrats élus par un monarque, quand bien même ce sont des hommes vicieux, des voleurs, des brigands, des prévaricateurs, que sais-je encore? si, au lieu de les mépriser à cause de leur perversité, nous respectons en eux la dignité de celui qui les a choisis, à plus forte raison devons-nous tenir la même (564) conduite envers les élus de Dieu. Dieu ne l'a pas encore dégradé, dit-il, il ne l'a pas réduit au rang des particuliers. Gardons-nous donc de bouleverser l'ordre, de nous révolter contre Dieu, et sachons pratiquer le précepte apostolique : Qui résiste à la puissance, résiste à l'ordre de Dieu. Or ceux qui résistent attirent sur eux-mêmes la condamnation. (Rom. XIII, 2.) Mais il ne se borne pas à le nommer l'oint, il l'appelle encore son seigneur. Or ce n'est pas le fait d'une sagesse commune, que de donner à son ennemi des titres d'honneur et de respect. Et ceci encore sera plus facile à apprécier si l'on en rapproche la conduite d'autres personnes. — Beaucoup de gens ne se résignent point à désigner leurs ennemis uniment et simplement par leurs noms, il faut qu'ils y ajoutent des termes de violent reproche, le scélérat, l'insensé, le fou, l'idiot, le coquin, et mille autres termes pareils dont ils entremêlent leurs propos quand ils parlent de leurs ennemis. — Pour le prouver, je n'aurai pas besoin de chercher un exemple bien loin : j'en trouve un tout près de moi, chez Saül lui-même. L'excès de son animosité lui défendait d'appeler notre saint par son nom : c'est ainsi que dans une fête, comme il le cherchait, il demanda : Où est le fils de Jessé? S'il l'appela de la sorte, c'est d'un côté, parce que le nom de David lui faisait horreur, de l'autre, parce qu'il espérait nuire à la gloire du juste en rappelant l'homme obscur dont il était fils : ignorant que ce qui fait la gloire et la renommée, ce n'est point l'éclat de la naissance, mais bien la vertu. Le bienheureux David agit autrement. Il ne désigna point Saül par le nom de son père, bien que celui-ci fût également un homme obscur et de basse condition : il ne l'appelle point d'autre part, par son nom pur et simple, mais bien par celui de son rang, par le titre de maître. Tant son âme était pure de toute animosité. — Suis donc son exemple, mon très-cher frère, et d'abord apprends à ne pas désigner ton ennemi par des termes injurieux, mais au contraire par des titres d'honneur. Car si tu exerces ta bouche à donner à celui qui t'a fait du mal des titres honorables et qui marquent la déférence, ton âme, à force d'entendre ce langage, apprendra, en s'y habituant, à consentir à une réconciliation. Car les paroles, à elles seules, sont un excellent remède contre l'inflammation qui a son siège dans le coeur.

7. Ce que je viens de dire a pour but de signaler David, non-seulement à nos éloges , mais encore à notre émulation. Que chacun donc grave cette histoire dans son coeur; qu'il y retrace avec la pensée, comme il ferait avec la main, cette double caverne. Saül dormant dans l'intérieur, et comme enchaîné dans les liens du sommeil, à la portée, à la merci de celui qu'il avait si injustement traité: David debout auprès du roi endormi à ses côtés, les soldats qui l'excitent à frapper, ce bienheureux livré à ses méditations, occupé à réprimer son courroux et celui des siens, et prenant la défense de ce grand coupable. Et ne nous bornons point à retracer cette image dans notre pensée ; dans nos réunions, conféronsen longuement les uns avec les autres; avec notre femme, avec nos enfants, ne cessons point de ramener ce récit.. Si tu veux parler d'un roi, en voilà un; si tu veux parler de soldats, d'affaires de maison, d'affaires publiques, les Ecritures t'offriront une ample matière. Rien n'égale l'utilité de ces récits. Il est impossible, je dis impossible, qu'une âme versée dans ces histoires puisse jamais se laisser dominer parla passion. Ainsi donc, si nous ne voulons pas dépenser le temps en pure perte, consumer inutilement notre vie en bagatelles inutiles et superflues, étudions l'histoire des grands hommes, ne cessons point de les redire et d'en conférer. Et si une des personnes réunies se met à parler de théâtres, de courses de chevaux, ou d'affaires qui ne vous intéressent point, faites-lui quitter un tel sujet, et embarquez-la dans ce propos, afin qu'après avoir purifié nos âmes, goûté un bonheur sans alarmes , après nous être rendus doux et humains pour tous ceux qui nous ont offensés, nous quittions cette terre sans y laisser un seul ennemi, et que nous obtenions les biens éternels, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire dans les siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

DEUXIÈME HOMÉLIE. Que c'est un grand bien, non-seulement de s'attacher à la pratique de la vertu, mais encore de louer la vertu ; que David gagna un plus beau trophée par sa clémence envers Seul, que par la mort de Goliath ; qu’ en agissant ainsi, il se fit plus de bien à lui-même qu'il n'en fit à Saul ; et sur la manière dont il se justifia devant celui-ci.
ANALYSE.

1° Qu'il est utile et bon de louer les hommes vertueux. — Sacrifice qu'offre David à Dieu, en lui immolant sa colère.

2° Triomphe de David, après cet acte d'humanité.

3° Comment il se justifie auprès de Saül, et fournit à celui-ci même l'occasion de se justifier. 4° Sage précaution de David, afin de prouver à Saül qu'il avait pu le tuer et l'avait épargné.

5° Sa douleur à la mort de Saül. — Larmes de l'auditoire : d'où saint Jean Chrysostome tire un sujet d'exhortation,

1. Vous avez applaudi, l'autre jour, à la patience de David, et moi, d'autre part, je vous ai félicités en moi-même de ce zèle 'de cette prédilection pour David. En effet, ce n'est pas seulement l'ardeur à poursuivre, à pratiquer la vertu, c'est encore l'admiration pour ceux qui la pratiquent , et l'empressement à les louer, qui nous procure une récompense digne d'ambition : de même que ce n'est pas seulement une conduite vicieuse, mais encore la louange accordée aux hommes vicieux qui nous expose à un redoutable châtiment, plus redoutable même. s'il faut le dire, au risque d'étonner, que celui dont sont menacés les gens adonnés au vice. La vérité de ce que j'avance est prouvée par le langage de Paul Après avoir énuméré toutes les espèces de vices, et avoir condamné tous ceux qui foulent aux pieds les lois du Seigneur, il poursuit en ces termes au sujet de ces mêmes personnes qui, ayant connu l'arrêt de Dieu , à savoir que ceux qui font ces choses sont dignes de mort, non-seulement les font, mais encore approuvent ceux qui les font : c'est pourquoi , ô homme! Tu es inexcusable. (Rom.I, 32 et II, 1.) Voyez-vous que s'il parle ainsi, c'est pour montrer que ce dernier crime est moins pardonnable que l'autre. Oui, il est moins grave, à l'égard du châtiment, de pécher que de louer les pécheurs, et cela se conçoit: car un pareil suffrage atteste une âme corrompue et atteinte d'un mal incurable. En effet, celui qui, tout en péchant, condamne la faute, pourra un jour, avec le temps, revenir à lui; mais quiconque approuve le vice, s'est ravi à lui-même le remède du repentir. Paul a donc raison de faire voir qu'il y a plus de gravité dans ce dernier cas que dans l'autre. Mais si les gens qui font l'éloge des actions criminelles encourent le même châtiment, ou un châtiment encore plus grave que ceux qui les commettent; ceux qui admirent et célèbrent les hommes vertueux participent aux couronnes promises à ceux-ci. Et c'est ce dont on peut voir encore la preuve dans l'Écriture. Dieu, en effet, dit à Abraham : Je bénirai ceux qui te bénissent, et je maudirai ceux qui te maudissent. (Gen. XII, 3.) On peut voir quelque chose de pareil jusque dans les jeux d'Olympie. En effet, ce n'est point seulement à l'athlète ceint de la couronne, ni à celui qui endure les fatigues et les sueurs, c'est encore au panégyriste de ce vainqueur que profite le chant de triomphe. Aussi, en louant ce généreux David de sa vertu, je vous loue aussi (566) du zèle que vous témoignez pour lui. C'est lui qui a lutté, qui a vaincu, qui a ceint la couronne; mais vous, par les éloges donnés à sa victoire, vous avez mérité d'emporter une bonne part des fleurs de cette couronne. Afin d'ajouter encore à votre plaisir et à votre richesse, je vais donc m'acquitter avec vous du reste de l'histoire. L'historien, après avoir rapporté les paroles, par lesquelles David demande la grâce de Saül, ajoute qu'il ne leur permit pas de se lever et de tuer Saül (I Rois, XXIV, 8), . faisant voir à la fois et l'ardeur de ces hommes à commettre le meurtre, et le courage de David. Cependant combien d'ennemis, même parmi ceux qui sont réputés sages, tout en répugnant eux-mêmes au meurtre, ne se décideraient pas à empêcher d'autres mains de l'accomplir. Tels ne furent point les sentiments de David: mais comme s'il avait entre les mains un dépôt, et qu'il dût en rendre compte, non-seulement il ne porte pas la main sur son ennemi, mais encore il arrête ceux qui voulaient le tuer, comme s'il n'était plus lui-même son ennemi, mais son garde-du-corps, son satellite fidèle: de sorte que l'on ne se tromperait pas en disant que David courut alors plus de danger que Saül. En effet, il n'engageait point un mince combat, en faisant tous ses efforts pour le dérober aux mauvais desseins des soldats: et il ne craignait pas tant d'être tué lui-même que de voir un de ces hommes se laisser emporter par la colère à frapper le roi. voilà pourquoi il entreprit l'apologie dont j'ai parlé. Les soldats étaient les accusateurs; Saül endormi, l'accusé; son ennemi le défendait; Dieu était juge, et son arrêt confirma l'opinion de David. En effet, sans l'assistance de Dieu, il n'aurait pu triompher de ces furieux mais la grâce de Dieu résidait sur les lèvres du prophète, et donnait un charme insinuant à ses paroles. D'ailleurs, David lui-même ne contribua point pour urne faible part au succès c'est parce que, de longue date, il avait inspiré ces sentiments à ses compagnons qu'au moment de la lutte il les trouva préparés et obéissants, car il ne s'était pas montré pour ses soldats un général, mais un prêtre: et dans ce jour la caverne était une église.

A la façon d'un évêque, il leur adresse une homélie: et après cette homélie, il offre un sacrifice merveilleux, inouï, non point en immolant un veau, en égorgeant un agneau, mais, ce qui était bien plus précieux, en faisant au Seigneur une offrande de douceur et de modération, en immolant son courroux déraisonnable, en tuant sa colère, en mortifiant ses membres terrestres. Lui-même, il fut la victime, le prêtre, l'autel. En effet, et la raison qui faisait cette offrande de douceur et de modération, et la modération et la douceur, et le coeur où cette offrande se célébrait, toutes ces choses étaient en lui.

2. Enfin, quand il eut offert ce glorieux sacrifice, consommé sa victoire, et que rien ne manqua à son trophée, le sujet de ces luttes, Saül, se leva, et sortit de la caverne, ignorant tout ce qui s'était passé. Et David sortit après lui ( I Rois , XXIV, 9 ), élevant au ciel des regards désormais assurés, et plus joyeux alors, qu'après avoir abattu Goliath , et avoir coupé la tête de ce barbare. En effet, cette dernière victoire était plus belle , le butin en était plus précieux, les dépouilles plus superbes, le trophée plus glorieux. Alors, il lui avait fallu une fronde, des pierres , une bataille rangée; cette fois la raison lui a suffi, sans armes il a remporté la victoire, sans avoir versé de sang il a érigé le trophée. Il revenait donc rapportant non plus la tête d'un barbare, mais un coeur mortifié, mais une colère vaincue : et ce n'est point dans Jérusalem qu'il consacra ces dépouilles, mais dans le ciel, dans la cité d'en-haut. On ne voyait plus les femmes s'avancer à sa rencontre en dansant, en le saluant de leurs acclamations: mais le peuple des anges lui applaudissait là-haut, admirant sa sagesse et sa vertu. Car il revenait après avoir fait mille blessures à son adversaire, non à Saül, qu'il avait sauvé, mais à son véritable ennemi, le diable, qu'il avait percé de mille coups. Car ainsi que nos colères , nos luttes, nos chocs mutuels réjouissent et charment le diable: ainsi la paix, la concorde , les victoires remportées sur la colère, l'abattent au contraire et l'humilient, attendu qu'il déteste la paix, qu'il est l'ennemi de la concorde, et le père de la jalousie. David sortait donc de la caverne, une couronne sur la tête, une couronne aussi dans cette main qui valait un monde. En effet, de même que ceux qui se sont signalés au jeu du pancrace ou du pugilat, reçoivent souvent des juges une couronne dans la main, avant d'en recevoir une sur la tête: ainsi Dieu couronnait cette main qui avait eu la force de rapporter son épée sans tache, de montrer à Dieu une lame pure de sang, et de résister à un pareil assaut (567) de colère. Ce n'est pas le diadème de Saül, c'est la couronne de justice qui le décorait; ce n'était point la pourpre royale, c'était une sagesse supérieure aux forces humaines qui le revêtait d'un éclat devant lequel aurait pâli la robe la plus magnifique.

Il sortit de la caverne avec la même gloire que les trois enfants sortirent de la fournaise. Le feu ne les consuma point : l'incendie de la colère ne put l'embraser. Le feu qui venait du dehors ne leur fit point de mal : mais lui, qui portait en lui-même des charbons ardents, et qui voyait le diable attiser du dehors le feu de la fournaise, sut résister et à la vue de son ennemi, et aux exhortations des soldats, et à la facilité du meurtre , et au délaissement de celui qu'il avait entre les mains, et au souvenir du passé, et aux angoisses de l'avenir; et certes, les sarments, la poix, les étoupes, et tous les combustibles entassés dans la fournaise de Babylone, ne donnaient pas une plus vive flamme : il n'en fut point consumé, il n'éprouva rien de ce qu'on devait présumer; il sortit pur, et la vue de son ennemi fut ce qui l'éleva au plus haut point de sagesse. Le voyant endormi, immobile, impuissant, il se dit : Où est maintenant cette colère? où est cette scélératesse? où sont tant d'artifices et de trames perfides? Tout a disparu, tout a fui devant un moment de sommeil; le roi repose enchaîné, sans que nous ayons eu recours pour cela à aucun complot, à aucun manège. Il le voyait endormi et il méditait sur la mort qui nous attend tous également. Car, qu'est-ce que le sommeil, sinon une mort temporaire, un trépas quotidien? Il n'est point hors de propos ici de rappeler encore l'histoire de Daniel. Daniel sortait de la fosse, après avoir triomphé des bêtes carnassières . de même David quittait la caverne, vainqueur d'autres monstres plus redoutables. Les lions entouraient de tous côtés cet autre juste : ainsi le nôtre était en butte aux attaques de lions sans égaux en férocité, je veux dire des passions : d'un côté, le ressentiment du passé, de l'autre, la crainte de l'avenir : David, néanmoins, sut apaiser, brider ces bêtes féroces, faisant voir par sa conduite qu'il n'y a rien de plus sûr que d'épargner ses ennemis, rien de plus dangereux que de vouloir se venger et se faire justice. Car, celui qui avait voulu tirer satisfaction était là, nu, désarmé, sans secours, à la merci d'autrui comme un prisonnier : au contraire, celui qui lui cédait et lui obéissait constamment, celui qui n'avait pas voulu poursuivre même une juste réparation, celui-là, sans stratagèmes, sans armes, sans chevaux, sans armée, voyait son ennemi tomber entre ses mains : et ce qui surpassait tout, il se rendait plus agréable à Dieu.

3. En effet, si je proclame heureux notre saint, ce n'est point pour avoir vu son ennemi gisant à ses pieds, c'est pour l'avoir épargné lorsqu'il le tenait en son pouvoir. Car c'est la puissance de Dieu qui lui valut cette rencontre : mais il ne dut le reste qu'à sa propre sagesse. Comment doit-on supposer que ses soldats se comportèrent désormais à son égard ? Quelle affection ne durent -ils pas éprouver pour lui? S'ils avaient eu mille vies, n'auraient-ils pas été tout prêts à les sacrifier pour leur chef, instruits par l'exemple de sa sollicitude envers un ennemi, du dévouement qui devait l'animer pour les siens? Humain et charitable pour ses persécuteurs, comment n'aurait-il pas eu les mêmes dispositions pour ceux qui lui étaient attachés? C'étaient pour eux la plus forte garantie de sécurité. Mais ils ne lui étaient pas seulement plus attachés, ils étaient encore plus ardents à marcher contre les ennemis, sachant que Dieu combattait pour eux, ne cessait d'assister leur général et de seconder toutes ses entreprises. Ce n'est plus un homme, c'est un ange qu’ils voyaient en David. Et en attendant la rémunération divine, ici-bas même, celui-ci gagna plus à sa propre clémence que celui qu'il avait sauvé, et remporta une plus éclatante victoire, que s'il avait immolé Saül. En effet, quel profit comparable à celui de sa miséricorde lui aurait valu le meurtre de son ennemi? Songez donc, vous aussi, si jamais votre persécuteur tombe en votre pouvoir, qu'il est bien plus grand et bien plus avantageux de faire grâce que de tuer. Celui qui a tué se condamnera plus d'une fois lui-même, il aura la conscience troublée, poursuivi chaque jour, à toute heure, par son péché. Au contraire, celui qui a fait grâce, qui a su se maîtriser un instant, est ensuite dans la joie et la béatitude; il vit dans une heureuse espérance, comptant que Dieu récompensera sa patience. Si jamais il lui survient quelque calamité, avec une entière confiance, il demandera à Dieu son salaire : c'est ainsi que tous ces biens échurent à David et qu'il reçut plus tard de Dieu d'amples et merveilleuses récompenses , pour prix de sa (568) sollicitude envers cet ennemi. Mais voyez la suite. David, dit l'Ecriture, sortit de la caverne derrière Saül, et il cria derrière lui, disant Roi, mon seigneur. Et Saül regarda derrière lui, et David tomba la face contre terre et il l'adora. Voilà qui ne fait pas moins d'honneur que d'avoir sauvé son ennemi. Car ce n'est point le fait d'une âme commune que de ne pas se laisser enfler par les services rendus au prochain, on plutôt de ne pas faire comme le grand nombre, qui montrent à leurs obligés le dédain qu'on a pour des esclaves, et les regardent avec hauteur.

Bien loin de se comporter ainsi, le bienheureux David, après son bienfait, n'en était que plus modeste et cela, par la raison qu'il ne faisait honneur d'aucune de ces bonnes oeuvres à son propre zèle et qu'il rapportait tout à la grâce divine. Voilà pourquoi ce sauveur adore celui qu'il a sauvé, le salue ensuite du nom de roi et s'appelle lui-même serviteur afin de vaincre par cette attitude l'altier ressentiment de Saül, d'apaiser son courroux, de guérir sa jalousie. Mais écoutons dans quels termes il se justifie : Pourquoi prêtes-tu l'oreille aux propos du peuple, disant : Voici que David recherche ta vie? (I Rois, XXIV, 10.) Cependant le narrateur a dit plus haut que tout le peuple était avec David, qu'il agréait aux yeux des serviteurs du roi, que le fils du maître et toute l'armée lui étaient attachés de coeur. Comment donc peut-il dire ici qu'il v avait des gens qui le dénonçaient, le calomniaient et qui excitaient Saül? En effet, que Saül ne cédait point à l'impulsion d'autrui, mais bien à la méchanceté innée dans son coeur en persécutant le juste, c'est ce que montre l'écrivain sacré en disant que les éloges donnés à David firent naître l'envie chez Saül et que cette envie ne faisait que croître et progresser chaque jour. Pourquoi donc David rejette-t-il la faute sur d'autres personnes, en disant : Pourquoi prèles-tu l'oreille aux propos du peuple, disant : Voici que David recherche ta vie? C'est pour lui donner la faculté de revenir à de meilleurs sentiments. Souvent les pères agissent de la sorte avec leurs enfants : viennent-ils à s'apercevoir que leur fils est perverti, qu'il a commis beaucoup de mauvaises actions, quand bien même ils se seraient assurés que c'est son propre instinct, sa propre volonté qui l'a poussé au vice,cela n'empêche pas que souvent ils ne rejettent le tort sur d'autres en disant : Je sais que ce n'est pas ta faute; d'autres t'ont séduit et gâté, c'est d'eux que vient tout le tort. En effet, il est plus facile à celui qui s'entend tenir ce langage de détourner ses yeux du vice et de revenir à la vertu, parce qu'il aurait honte et rougirait de paraître indigne de l'opinion qu'on a sur son compte. Paul emploie aussi ce moyen dans son épître aux Galates. Après les longs et nombreux avertissements, les reproches inouïs dont cette lettre est remplie, quand il arrive au bout, voulant les décharger de ces accusations, afin qu'ils eussent le temps de respirer après cette énumération de griefs et le moyen de se justifier, il s'exprime à peu près en ces termes : J'ai en vous cette confiance que vous n'aurez point d'autres sentiments; mais celui qui vous trouble en portera la peine, quel qu'il soit. (Gal. V, 10.) Ainsi fait David en cette occurrence. En disant : Pourquoi prêtes-tu l'oreille aux propos du peuple, disant : Voici que David recherche ta vie? il, fait entendre qu'il y a d'autres personnes qui excitent Saül, d'autres personnes qui le corrompent dans son empressement à lui fournir un moyen de justification. Puis, entamant sa propre apologie, il ajoute : Et voici que tes yeux ont vu aujourd’hui que le Seigneur t'a livré entre mes mains dans la caverne, et je n'ai pas voulu te tuer, et je t'ai épargné, et j'ai dit: Je ne porterai pas la main sur mon seigneur parce qu'il est l'oint du Seigneur. (I Rois, XXIV, 11.) Ces personnes m'accusent par des paroles, veut-il dire; mais moi, je me justifie par des actes, c'est par ma conduite que je réfute l'accusation. Je n'ai pas besoin de discours; l'issue même des événements suffit à démontrer plus clairement que tout discours ce que c'est que ces gens, ce que je suis moi-même et qu'enfin tout est mensonge et calomnie dans les accusations dirigées contre moi. Et pour le certifier je n'invoque pas d'autre témoin que toi-même, toi que j'ai obligé.

4. Et comment, dira-t-on, Saül pouvait-il en témoigner, puisqu'il était endormi tandis que ces choses se passaient, qu'il n'avait pas entendu ce qui s'était dit, qu'il ne s'était pas aperçu de la présence de David, ne l'avait pas vu s'entretenir avec les soldats? Mais comment prévenir cette objection de telle sorte que la démonstration devienne évidente? Si David avait produit en témoignage les personnes qui étaient alors avec lui, Saül aurait suspecté leur déclaration, il aurait cru qu'ils parlaient (569) ainsi pour faire plaisir au juste. D'autre part, si David avait appelé le raisonnement et les probabilités à son secours, il aurait excité encore bien plus de défiance chez ce juge partial et prévenu. Comment, en effet, lui qui après tant de services rendus s'acharnait contre un innocent, aurait-il pu croire que la victime tenant en ses mains son persécuteur, l'avait épargné? Car la loi générale est que la plupart des hommes jugent les autres d'après eux-mêmes : ainsi l'ivrogne d'habitude se persuadera difficilement qu'il existe un homme vivant dans la tempérance; celui qui fréquente les prostituées prête son incontinence à ceux même qui vivent chastement; de même encore, celui qui prend le bien d'autrui ne se laissera pas facilement convaincre que des hommes ont été jusqu'à faire le sacrifice de leurs biens. Ainsi Saül, une fois en proie à son ressentiment, aurait eu peine à croire qu'il existait un homme assez maître de cette passion, non-seulement pour ne pas infliger de mauvais traitements, mais encore pour sauver celui qui l'avait maltraité. Aussi David, sachant que le juge était gagné, et que les témoins qui pourraient être produits seraient nécessairement en butte au soupçon, David avisa à se munir d'une preuve capable de fermer la bouche aux plus impudents. — Quelle preuve donc? Le morceau du manteau il le présenta à Saül, et lui dit: Voici dans ma main le morceau du manteau, que j'ai dérobé, et je ne t'ai point donné la mort. (I Rois, XXIV, 12.) Témoin muet, mais plus éloquent que ceux qui ont la parole. C'est comme si David avait dit : Si je n'avais été près de toi; si je n'avais été à portée de ta personne, je n'aurais pas coupé ce lambeau de ton vêtement. Voyez-vous quel bien résulta pour David, du trouble qu'il avait éprouvé d'abord? S'il n'avait pas ressenti un mouvement de colère, il nous eût été impossible de comprendre sa sagesse ; car la plupart auraient attribué sa modération, non à la sagesse, mais à l'insensibilité; et il n'aurait pas non plus entamé le manteau : or, faute de l'avoir fait, il n'aurait eu aucun gage à produire aux yeux de son ennemi. Mais grâce à cette colère et à cette précaution, il donna une preuve irréfragable de sa prévoyance. Quand donc il a produit ce témoignage vrai, irrécusable, c'est Saül désormais, c'est son ennemi lui-même qu'il prend pour juge et pour témoin de son dévouement, en lui disant : Connais et vois aujourd'hui qu'il n'y a sur ma main ni iniquité ni irrévérence et toi, tu tends des piéges à ma vie, afin de me la ravir. (Ib.) C'est en ceci particulièrement qu'il faut admirer sa magnanimité, qu'il se sert uniquement des événements de ce jour pour se défendre. C'est à quoi il fait allusion en disant : Connais et vois aujourd'hui. Je ne dis rien du passé, veut-il faire entendre; la présente journée suffit à ce que je veux établir. Cependant il n'aurait pas manqué de grands services à énumérer, s'il avait voulu retourner en arrière : il pouvait rappeler à Saül le combat singulier que lui-même avait soutenu contre le barbare, et dire : — Quand l'armée barbare allait inonder, comme un déluge, et dévaster tout le royaume, quand vous étiez plongés dans la stupeur et dans la crainte et que chaque jour vous vous attendiez à mourir, j'ai paru : rien ne m'y forçait, au contraire tu me retenais, tu m'arrêtais, en me disant : Tu ne pourras marcher, parce que tues un jeune enfant, tandis que cet homme est guerrier dès sa jeunesse; j'ai résisté, j'ai bondi au premier rang, j'ai attendu l'ennemi, je lui ai coupé la tête; j'ai réprimé l'invasion de ces barbares, pareille à un torrent ; j'ai raffermi l'Etat ébranlé; c'est grâce à moi que tu as conservé la couronne et la, vie, c'est à moi que tous les autres doivent, outre la vie, la ville, les maisons qu'ils habitent, leurs enfants et leurs femmes. Et après ce triomphe, il aurait eu à citer bien d'autres victoires non moindres. Il aurait pu dire qu'une, deux fois et plus, Saül avait essayé de le tuer, et avait dirigé la lance contre sa tête, sans lui laisser de rancune; qu'après cela, lui devant la récompense de son précédent exploit, il lui avait demandé pour présent de noces, non de l'or et de l'argent, mais un carnage, une extermination; et que cela encore, il l'avait obtenu. Il aurait pu dire tout cela, et bien d'autres choses encore plus importantes : mais il n'en fit rien. Car il ne voulait pas reprocher ses bienfaits à Saül, mais seulement le convaincre, qu'il était pour lui un ami dévoué, et non pas un traître ni un ennemi.

Voilà pourquoi il laisse de côté tous ces arguments, pour faire figurer seulement dans son apologie l'événement de ce jour même. Tant il était exempt d'orgueil et pur de toute vanité , tant il est vrai qu'il n'avait en vue qu'une chose la volonté de Dieu. — Il dit ensuite: Que le (570) Seigneur soit juge entre nous deux (I Rois, V,13) : non qu'il souhaitât la punition de Saül, ni qu'il voulût en tirer vengeance, mais afin de l'effrayer en lui remettant en mémoire le futur jugement, et non-seulement de l'effrayer, mais encore de justifier sa propre conduite. Les faits eux-mêmes, veut-il dire, me fournissent toutes les preuves désirables: si pourtant tu conserves un doute, je prends Dieu lui-même à témoin, Dieu qui connaît les mystères de la pensée de chacun, et qui sait sonder la conscience.

5. En disant cela, il voulait faire entendre qu'il n'aurait pas osé invoquer l'infaillible Juge, et appeler le jugement sur sa tête, s'il n'était pas bien assuré de sa parfaite innocence. Et que ce n'est point ici une conjecture, que David, en faisant mention du grand jugement, voulait et se justifier lui-même, et ramener Saül à la raison, c'est ce que les faits précédents seraient déjà suffisants à prouver; mais ceux qui suivirent n'en fournissent pas un moins fort témoignage. En effet, Saül étant retombé ensuite entre ses mains, après avoir reconnu le bien fait de son salut par de nouvelles entreprises contre la vie de son sauveur, David, qui pouvait le massacrer avec toute son armée, le relâcha, saris lui avoir infligé aucun des traitements qu'il méritait. Alors, voyant que la maladie du roi était incurable, désespérant de jamais fléchir la haine que lui-même lui inspirait, il se déroba aux regards de son ennemi, et vécut chez les barbares, esclave, obscur, honteux, se procurant par le travail et la peine ce qui était nécessaire à sa subsistance. Et ce n'est pas là tout ce qu'il faut admirer en lui, c'est encore qu'en apprenant la mort de Saül, tué dans un combat, il ait déchiré sa robe, qu'il se soit couvert de cendres, et qu'il ait éclaté en gémissements comme s'il avait perdu un fils unique et légitime, ne cessant de répéter à haute voix et son nom et celui de son fils, chantant ses louanges, poussant des cris plaintifs, restant jusqu'au soir sans nourriture, et maudissant jusqu'aux lieux teints du sang de Saül: Montagnes de Gelboé, dit-il, que ni rosée, ni pluie ne tombe sur vous, montagnes de mort, parce que là sont tombés les boucliers des forts. (II Rois, I, 21.)

Comme ces pères en deuil qui prennent leur demeure en aversion, qui considèrent avec douleur la rue par laquelle ils ont conduit la pompe funèbre de leur fils, David maudit les montagnes mêmes que e meurtre avait ensanglantées. Je hais jusqu'à l'endroit, dit-il; à cause de ceux qui y sont tombés morts. Que les pluies d'en-haut cessent donc de vous arroser; il suffit que vous ayez été arrosées, hélas ! du sang de mes amis; et à chaque instant, il fait revenir leurs noms : Saül et Jonathan, ces hommes aimables et beaux, n'avaient pas été séparés durant leur vie, et ils ne le furent pas dans la mort. Faute d'avoir auprès de lui leurs cadavres pour les serrer dans ses bras, il les embrasse par leurs noms, afin d'apaiser par ce moyen, autant qu'il était en lui, sa propre douleur, et de tromper l'excès de son infortune. Beaucoup regardaient comme un irréparable malheur la mort du père et du fils dans une seule journée ; David trouve en cela même un sujet de consolation. Car ces mots: Ils n'avaient pas été séparés durant leur vie, et ils ne le furent pas dans la mort, ne sont pas dits dans une autre intention. On ne peut dire, veut-il faire entendre, que le fils ait à pleurer son père, le père à gémir sur son fils; ce qui n'arrive à personne est arrivé pour eux, c'est en même temps, c'est dans la même journée que la vie leur a été arrachée, il n'y a pas eu de survivant. Car il pensait qu'une séparation aurait rendu la vie insupportable à celui qui l'aurait conservée. Vous êtes attendris, vous pleurez, l'émotion trouble vos pensées, vos yeux sont devenus prompts aux larmes? Eh bien ! que chacun de vous songe maintenant à son ennemi, à l'auteur de ses peines, tandis que la douleur palpite encore dans son sein. Veillez sur lui sa vie durant, prenez le deuil après sa mort, non par ostentation, mais du fond de l'âme et dans la sincérité du coeur ; et, quand il faudrait souffrir quelque chose pour ne pas affliger celui qui vous a fait tort, sachez tout faire et tout endurer, dans l'espérance d'être amplement récompensé par le Seigneur. Voyez David : il obtint la royauté, et sans tremper ses mains dans le sang, la droite toujours pure, il ceignit la couronne, il monta sur le trône, avec un titre de gloire plus éclatant que la pourpre et le diadème, sa clémence envers un ennemi, les pleurs que lui avait arrachés la mort de Saül. Aussi, maintenant qu'il n'est plus, célèbre-t-on encore sa mémoire. Ainsi donc, si tu veux, toi aussi, jouir même ici-bas d'un perpétuel renom, et posséder là-haut les biens éternels, homme, irrite la vertu de ce geste, prends sa sagesse pour modèle, fais preuve en ta conduite de la même patience, afin qu'ayant supporté les mêmes épreuves (571) que David, tu sois jugé digne des mêmes biens; lesquels je souhaite à nous tous, tant que nous sommes, d'obtenir, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

TROISIÈME HOMÉLIE. Qu'il est périlleux d'aller dans les théâtres ; que c'est une école d'adultère et que de là proviennent les afflictions et la discorde ; — que David, dans sa conduite à l'égard de Saül , se montra en tout d'une incomparable patience; — et que supporter un vol sans se plaindre est autant que donner l'aumône.
ANALYSE.

1° Réprimande sévère à l'adresse de ceux des fidèles qui se sont laissé entraîner an théâtre.

2° Contre les spectacles en général : combien ils doivent faire horreur à un chrétien.

3° Retour à l'histoire de David. — Haine acharnée de Saül : qu'elle ne nuisit qu'à lui-même. — Que la patience vaut l’aumône.

4° Profit qu'on peut retirer des injures de ses ennemis. Exemple du pharisien et du publicain. Qu'il suffit de s'accuser d'une faute pour en obtenir la rémission.

5° Que le démon lui-même ne peut rien contre l'homme, tant que l'homme ne se nuit pas à lui-même : à plus forte raison les ennemis. —Saül désarmé par l'humanité de David.

6° Que l'aveuglement produit par la haine, peut être dissipé par la mansuétude. Puissance de la parole, quand Dieu lui vient en aide. — De la civilité chrétienne.

7° Miracle opéré par la voix de David. Puissance de la douceur. — Qu'il ne tient qu'à nous de désarmer nos ennemis.

8° Que le persécuteur est plus à plaindre que sa victime : témoin Saül et David. — Que Dieu répare les injustices des hommes.

9° Confiance de Saül : magnanimité de David. Exhortation au pardon des injures.

Bon nombre de ceux qui nous ont délaissés l'autre jour, et qui ont déserté l'Eglise pour les spectacles d'iniquité, sont présents si je ne me trompe, aujourd'hui. — Je voudrais les connaître parfaitement, afin de les exclure du sacré parvis, non pour qu'ils demeurassent indéfiniment dehors, mais pour qu'ils nous revinssent corrigés : c'est ainsi que des pères chassent souvent de la maison des enfants coupables, et leur interdisent la table, non pour qu'ils en restent constamment exilés, mais afin qu'amendés par cet avertissement, ils viennent reprendre au foyer paternel la place qui leur convient. Ain si font encore les bergers, ils écartent les brebis galeuses de celles qui sont saines, de telle sorte qu'une fois guéries de cette redoutable infirmité, elles puissent rejoindre sans danger leurs compagnes ; autrement, la contagion de leur mal infecterait tout le troupeau. Voilà pourquoi, nous aussi, nous voudrions connaître ces personnes : du moins, si nous ne pouvons les distinguer avec les yeux du corps, la parole saura bien les découvrir, et, s'adressant à leur conscience, les déterminera sans peine à s'en aller volontairement, attendu qu'il n'y a de place dans cette enceinte, que pour celui qui y apporte des dispositions dignes des pratiques auxquelles on s'y livre : au contraire, celui qui prend part à ces saintes réunions, quand sa conduite est dépravée, présent de corps, en est exclu néanmoins, et les excommuniés qui ne peuvent pas encore reprendre place à la table sainte sont moins rejetés que lui. En effet, ceux qui ont été bannis selon les lois de Dieu, et qui restent dehors, conservent toujours bonne (572) espérance; car, s'ils veulent réparer les fautes qui les ont fait exiler de l'Eglise, ils pourront y rentrer une fois que leur conscience sera purifiée. Mais ceux qui se sont souillés, et qui, après avoir reçu l'injonction de ne point reparaître avant d'avoir lavé la tache que leur ont imprimée leurs péchés, osent enfreindre cette défense, ceux-là ne font qu'envenimer leur blessure et qu'élargir leur plaie. En effet, ce n'est pas tant le péché qui est grave, que l'obstination dans le péché, et la désobéissance aux prêtres qui ont prononcé la défense. — Mais quel péché si affreux ont-ils donc commis, objectera quelqu'un, pour qu'on les expulse de cette enceinte consacrée? Et quel autre péché plus grand demandez-vous, quand des hommes, qui sortent tout formés d'une école d'adultère, osent ensuite impudemment, comme des chiens égarés par la rage, se jeter sur ce sacré festin? Et si vous voulez savoir comment ils sont adultères, au lieu de parler en mon nom, je vous citerai les paroles de Celui même qui doit juger toute notre vie : Quiconque, dit-il, aura regardé une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère dans son coeur. (Matth. V, 28.) Or, si fréquemment la rencontre faite par hasard, sur la place, d'une femme vêtue avec négligence, et un regard distrait jeté sur sa personne suffisent pour séduire : ceux qui vont au théâtre, non point par hasard, ni sans réflexion, mais avec un empressement assez vif pour leur faire négliger l'Eglise, et sous l'empire d'une curiosité libertine, qui passent en cet endroit leur journée, les yeux attachés sur des femmes perdues d'honneur, comment pourraient-ils dire qu'ils n'ont pas regardé avec convoitise? là, où se rencontrent ensemble propos dissolus, chansons licencieuses, voix séduisante, fard autour des yeux, fard sur les joues, costumes arrangés avec coquetterie, attitudes enchanteresses et mille autres sortilèges, combinés comme des amorces pour leurrer les spectateurs; puis le laisser-aller du public, le relâchement général, un lieu où tout invite à l'incontinence, tant les propos des assistants, avant la représentation, qu'ensuite ceux des acteurs; la mélodie perfide des flûtes de toute espèce, et des autres instruments, qui amollit tout ce qu'il y a de ferme dans un coeur, qui livre toute une assemblée aux séductions des courtisanes, et la leur offre désarmée. Si dans ce lieu même, où retentissent les psaumes, les prières, les divines paroles, où règnent la crainte de Dieu et la piété profonde, souvent, comme un adroit voleur, se glisse en secret la concupiscence; comment des hommes assis sur les degrés d'un théâtre, où ils ne voient que des spectacles, n'entendent que des propos corrupteurs, respirant la mollesse ou l'obscénité, attaqués ainsi de tous côtés, par les oreilles comme par les yeux, pourraient-ils triompher de cette pernicieuse concupiscence? Et s'ils ne le peuvent point, comment sauraient-ils échapper à l'imputation d'adultère? Mais ceux qui n'échappent point à l'inculpation d'adultère, comment pourront-ils sans remords, gravir les degrés de ces saints portiques, et prendre part à cette. auguste réunion ?

2. Je vous conseille donc et vous conjure de commencer par vous laver, au moyen de la confession, du repentir et de toutes les ressources qui vous restent, du péché que vous avez commis en assistant à ce spectacle, avant d'écouter la parole divine. Votre faute n'est point une faute légère; des exemples vous le feront voir clairement. Si un serviteur s'avisait de déposer dans le coffre où son maître enferme des vêtements précieux et brochés d'or un sordide haillon d'esclave, tout plein de vermine, prendriez-vous en patience une pareille témérité, dites-moi ? Et si, dans un vase d'or accoutumé à renfermer des parfums, un autre s'avisait de répandre de la fiente et des ordures, ne donneriez-vous pas des coups à celui qui aurait commis cette faute? Mais quoi ! si nos coffres, nos vases, nos vêtements, nos parfums, nous inspirent tant de sollicitude, compterons-nous pour moins notre âme ? et là, où a été versé le parfum de l'esprit, irons-nous introduire des pompes diaboliques, de sataniques propos, des chansons qui respirent la luxure? Et comment Dieu supporterait-il cela, je vous le demande? Certes il n'y a pas autant de différence entre les parfums et les ordures, entre des vêtements de maître et des vêtements d'esclave, qu'il n'en existe entre la grâce spirituelle et ces perverses pratiques. Tu ne trembles pas, mon ami, à la pensée de regarder avec les mêmes yeux et ce lit de l'orchestre, où se jouent les drames abominables de l'adultère et cette table sacrée où les redoutables mystères se célèbrent ? d'écouter avec les mêmes oreilles les immondes propos d'une courtisane et les révélations d'un prophète ou d'un apôtre? de recevoir dans le même coeur de (573) mortels poisons, et l'hostie redoutable et sainte. N'est-ce point de là que proviennent les ruines, les mariages malheureux, les guerres et les luttes domestiques? Quand tu t'es abandonné ail charme de ces spectacles, quand tu es devenu plus enclin au désordre, au libertinage, que toute chasteté te fait horreur, si tu reviens alors chez toi et que tu revoies ta femme, certes ce ne sera pas sans un certain dégoût, quelle qu'elle soit d'ailleurs. Enflammé de la concupiscence qu'allument les théâtres; séduit par les enchantements de ce spectacle étranger, tu n'as plus que dédains, outrages, insultes pour la pudique et chaste compagne de ta vie entière : non que tu aies rien à lui reprocher, mais rougissant de confesser la passion , de montrer la blessure que tu rapportes de là-bas, tu arranges d'autres prétextes, tu vas chercher d'absurdes sujet d'inimitié; tout ce qui est chez toi ne t'inspire que du mépris ; la criminelle et impure concupiscence qui t'a blessé enchaîne seule ta pensée ; gardant obstinément dans ton âme et le son de cette voix, et cette posture , et ces regards, et ces gestes et toutes ces images de luxure, tu ne trouves plus aucun attrait à rien de ce qui est dans ta maison. Que dis-je, ta femme, ta maison? L'église même n'a plus de charme à tes yeux, et tu ne saurais plus entendre sans murmure parler de la chasteté, de la pudeur. Ce qu'on dit ici ne sera plus désormais pour toi une instruction, mais une accusation ; et peu à peu entraîné au désespoir, tu finiras par renoncer brusquement à cet enseignement si précieux pour tous les fidèles. — Ainsi donc, je vous exhorte tous, tant à fuir ces détestables loisirs du théâtre, qu'à y arracher ceux qui s'y sont abandonnés. Ce n'est pas un divertissement, c'est une ruine, un châtiment, un supplice que tout ce qui se passe en ce lieu.

En effet, que rapporte ce plaisir d'un moment, quand il enfante un long chagrin, quand il allume une concupiscence qui, nous aiguillonnant jour et nuit, nous rend incommode et insupportable à tous? Regarde en toi-même, vois ce que tu es en revenant de l'église, ce que tu es en sortant du théâtre, fais la comparaison de ces deux journées, et tu n'auras plus besoin de nos paroles. Il te suffira de mettre ces deux journées dans la balance, pour te montrer combien il y a d'avantage ici, et là-bas, de dommage. J'ai déjà entretenu de ce sujet votre charité, et je ne me lasserai jamais d'y revenir. Par là nous donnerons nos soins à ceux qui sont atteints de pareilles maladies, et nous raffermirons la santé de ceux qui en sont exempts, car ces deux classes d'hommes profitent également de la parole : les uns pour guérir, les autres pour ne pas tomber malades. Mais comme il faut garder une,mesure jusque dans le reproche, nous arrêterons ici cette exhortation, et nous épuiserons ce que nous a laissé à dire notre précédente matière, en revenant encore à David. En. effet, c'est un usage des peintres, lorsqu'ils veulent tracer une image ressemblante, de faire asseoir devant eux, rut, deux, trois jours, ceux qui désirent se faire peindre, afin que cette contemplation assidue du modèle leur permette d'obtenir une reproduction d'une fidélité parfaite. De même, puisqu'il s'agit pour nous aussi, de peindre, non l'image d'une forme corporelle, mais la beauté d'une âme et des charmes tout spirituels, nous voulons encore aujourd'hui appeler David à s'asseoir devant vous, afin que dirigeant tous sur lui vos regards, chacun de vous s'applique à reproduire en son âme l'empreinte de la beauté de ce juste, sa douceur, son humanité, sa grandeur d'âme et toutes ses vertus. En effet, si les images qui représentent le corps offrent quelque charme à ceux qui les considèrent, à plus forte raison les images de l'âme. De plus, les premières ne sont point visibles partout, il est nécessaire qu'elles restent toujours immobiles au même endroit; tandis que celles-ci, rien ne t'empêche de les promener partout où il te plaira. En effet, si tu as mis en réserve une telle image au fond de ta pensée, en quelque lieu que tu te trouves, tu pourras l'avoir continuellement sous tes yeux , et en tirer le plus grand profit. Et de même que ceux qui souffrent des yeux, s'ils tiennent à la main des éponges ou des morceaux d'étoffes teints en azur sur lesquels ils ont les yeux constamment fixés, procurent, au moyen de cette couleur, un soulagement à leur infirmité : ainsi vous-mêmes, si vous avez l'image de David devant les yeux, si vous ne cessez de la considérer avec attention, quand bien même la colère vous susciterait mille épreuves, et obscurcirait le regard de votre intelligence, vous n'aurez qu'à porter la vue sur ce modèle de vertu, pour rentrer en pleine possession de la santé et de la pure sagesse.

3. Que l'on ne vienne pas me dire : J'ai pour ennemi un scélérat , un pervers, un homme (574) perdu, incorrigible. Quoi que vous puissiez dire, il n'est point pire que Saül qui , sauvé par David une fois, deux lois et plus, ne cessa de conspirer contre sa vie; qui ensuite, comblé de nouveaux bienfaits en retour, resta obstinément dans sa perversité. Qu'avez-vous à dire, en effet? qu'il a dévasté votre terre, empiété sur vos champs, pénétré dans l'enceinte de votre maison, enlevé vos esclaves , qu'il vous a outragé, frustré, réduit à la misère? mais il ne vous a pas encore ôté la vie, ce que Saül cherchait à faire; et quand il aurait entrepris de vous ôter la vie, c'est urge fois peut-être qu'il l'aurait essayé, et non deux, trois fois et plus, ainsi que Saül : et quand ce. serait une, deux, trois fois et plus, du moins ce ne serait pas après avoir reçu de pareils bienfaits, ce ne serait pas après être tombé une et deux fois dans vos mains, et avoir été épargné : et quand bien même tout cela serait, je dis que David conserverait encore l'avantage. En effet, ce n'était point la même chose d'agir avec une pareille sagesse au temps de l'ancienne loi, ou de se signaler par de pareilles bontés, aujourd'hui que la grâce nous a été donnée. David n'avait pas entendu la parabole des dix mille talents et des cent deniers ; David n'avait pas entendu la prière qui dit : Remettez aux hommes leurs dettes, ainsi que votre Père céleste. (Marc, XI, 25.) David n'avait pas vu le Christ mis en croix , son sang précieux répandu ; il n'avait pas entendu tant de préceptes de sagesse; il n'avait pas goûté à une telle victime, ni pris sa part du sang du Maître; élevé dans des lois imparfaites et qui n'exigeaient rien de pareil, il sut atteindre la cime de la sagesse suivant la grâce. Souvent on voit votre colère et votre ressentiment s'allumer au souvenir du passé : David, qui craignait pour l'avenir, qui savait parfaitement que sa patrie lui deviendrait inhabitable, que l'existence lui serait intolérable, s'il sauvait son ennemi, David néanmoins ne s'écarta pas de ses devoirs envers lui, mais il s'en acquitta pleinement, et ne craignit pas de se ménager un ennemi. Qui pourrait citer un plus grand exemple de patience? Mais les faits mêmes qui se passent sous vos yeux vont vous faire voir qu'il vous est possible, si vous le voulez, de ramener à vous un homme animé de sentiments hostiles à votre égard. Qu'y a-t-il de plus sauvage que le lion? néanmoins il y a des hommes qui l'apprivoisent; l'art fait violence à la nature, et rend plus doux qu'un mouton le plus farouche et le plus fier de tous les animaux féroces, qui désormais traverse la place publique sans effrayer personne. Quelle excuse nous reste-t-il donc, que pouvons-nous dire pour nous justifier, nous qui apprivoisons les bêtes féroces, et qui nous prétendons incapables d'adoucir jamais des hommes, de les rendre jamais bienveillants à notre égard? Cependant c'est en dépit de la nature qu'une bête féroce s'apprivoise , et c'est en dépit d'elle qu'un homme est farouche. Si donc nous triomphons de la nature, comment nous justifier, quand nous affirmons notre impuissance à corriger la volonté? Que si vous résistez encore, j'ajouterai un dernier argument : c'est que, à supposer même le malade incurable, plus la peine sera grande, plus la récompense sera belle pour le médecin qui, au lieu de l'abandonner, continuera à prodiguer ses soins à ce malade désespéré.

En conséquence , ne songeons qu'à une chose : non à n'endurer aucun mauvais traitement de la part de nos ennemis, mais à ne pas nous faire de mal à nous-mêmes : de cette façon, quelques épreuves qu'il nous faille subir, nous ne serons pas bien à plaindre : ainsi David poursuivi, fugitif, en butte à des entreprises qui menaçaient jusqu'à sa vie, loin d'être à plaindre pour cela, était aux yeux de tous plus glorieux, plus auguste, plus aimable que Saül, et cela non-seulement aux yeux des hommes, mais encore aux yeux de Dieu même. En effet, quel tort fit à ce saint la persécution dirigée alors contre lui par Saül? Ne le célèbre-t-on pas encore aujourd'hui? n'est-il pas glorieux sur la terre, plus glorieux dans le ciel? Les biens ineffables, le royaume des cieux ne lui sont-ils pas réservés? Que gagna, au contraire, ce malheureux, ce misérable, à tant de complots? N'a-t-il pas été précipité du trône, n'a-t-il pas péri tristement avec son fils, n'est-il pas l'objet d'accusations universelles, et ce qui est plus grave, n'est-il point maintenant livré aux châtiments éternels? Mais voyons enfin quel est le grief qui t'empêche de te réconcilier avec ton ennemi. Il t'a ravi de l'argent? Eh bien ! si tu supportes noblement ce préjudice, tu recevras une récompense égale à celle que tu aurais méritée en déposant la même somme entre les mains des pauvres. Car celui qui donne aux pauvres, et celui qui ne poursuit ni de ses entreprises ni de ses imprécations son spoliateur, agissent également l'un et (575) l'autre en vue de Dieu. Le motif du sacrifice étant donc le même, il est clair que la couronne est la même pareillement. Mais il en a voulu à tes jours, il a essayé de te faire mourir? Eh bien! ton action te sera comptée pour un martyre, si tu mets au rang de tes bienfaiteurs cet assassin, cet ennemi mortel, et si tu ne cesses de prier pour lui, d'appeler sur sa tête la faveur divine.

4. Ne considérons donc pas que Dieu empêcha le meurtre de David : songez seulement que David ceignit une triple et quadruple couronne de martyre, grâce aux homicides projets de Saül. En effet, celui qui, en vue de Dieu, sauve son ennemi, un ennemi qui, une fois, deux fois et plus, a dirigé la lance contre sa tête, celui qui ensuite, maître de le tuer, lui a fait grâce, et cela, sachant bien que cet acte de clémence serait le signal de nouvelles tentatives, il est clair que cet homme s'est fait égorger mille fois, autant qu'il était en lui : or, égorgé mille fois à cause de Dieu, il a droit, à bien des couronnes de martyre et, selon ces paroles de Paul: Chaque jour je meurs en vue de Dieu. (Rom. VIII, 26), il subit, lui aussi, en vue de Dieu, le même sort. Il pouvait faire mourir son assassin: mais, à cause de Dieu, il ne le voulut pas: il aima mieux être chaque jour en danger, que d'échapper à tant de morts en commettant un meurtre permis. Mais s'il ne faut pas se venger de celui qui s'en prend même à notre vie, s'il ne faut pas le haïr, à bien plus forte raison en est-il ainsi quand notre grief est différent et moindre.

Il semble à beaucoup de personnes que les injures d'un ennemi, que le tort qu'il fait à notre réputation sont choses plus intolérables que mille morts. Voyons donc encore à examiner ce point. On a dit du mal de toi, on t'a nommé adultère, débauché? si c'est la vérité, corrige-toi ; si ce sont des calomnies, il faut t'en moquer; si tu te reconnais à ces paroles, deviens sage: si tu ne te reconnais pas, réponds par le mépris: ou plutôt ne te borne pas à te moquer, à mépriser, il faut te réjouir, et tressaillir de joie, selon la parole et le précepte du Seigneur: Lorsque les hommes, dit-il, vous injurient, et disent faussement toute sorte de mal de vous, réjouissez-vous et soyez heureux, parce que votre récompense est grande dans les cieux (Matth. V, 11 et 12); et encore. Réjouissez-vous et tressaillez de joie, lorsque les hommes rejetteront à tort votre nom compte mauvais. (Luc, VI, 22 et 23). Si au contraire il dit la vérité, et que tu supportes avec douceur ses paroles, et qu'au lieu de lui rendre injure pour injure , outrage pour outrage, tu gémisses amèrement, que tu condamnes tes fautes, la récompense que tu recueilleras ne sera pas moindre que la précédente: c'est ce que j'essayerai de vous montrer par le moyen des Ecritures, afin de vous faire comprendre qu'autant sont inutiles les amis flatteurs et complaisants, autant sont utiles les ennemis qui font des reproches, ces reproches fussent-ils fondés, pourvu que nous voulions user à propos de leurs accusations. En effet, il arrive souvent que les amis nous flattent pour nous être agréables; nos ennemis au contraire exposent nos péchés au grand jour. Tandis que l'amour-propre nous empêche de voir nos fautes, la haine de nos ennemis leur donne souvent la clairvoyance qui nous manque: souvent par leurs reproches ils nous mettent dans la nécessité de nous corriger, et ainsi leur inimitié devient pour nous un grand principe d'utilité, non-seulement parce que leurs avertissements nous font souvenir de nos péchés, mais encore parce qu'ils nous en déchargent. En effet, si ton ennemi te reproche un péché dont ta conscience te reconnaisse coupable, et qu'entendant cela, au lieu de l'injurier, tu gémisses amèrement et invoques le Seigneur, du même coup, te voilà déchargé complètement de ta faute. — Quoi de plus heureux ! Quel moyen plus facile de se laver de ses péchés? Et pour que vous ne nous soupçonniez point de vous faire illusion par des paroles hasardées, j'invoquerai sur ce sujet le témoignage des divines Ecritures, qui ne vous laissera plus aucun doute. Il y avait un pharisien et un publicain, l'un plongé dans tous les vices, l'autre pratiquant une rigoureuse équité: car il avait fait l'abandon de ses biens, il ne cessait de jeûner, et il était pur de cupidité; l'autre avait passé toute sa pie dans les rapines et les violences. Tous deux montèrent pour prier dans le temple. Puis le pharisien debout, se mit à dire : Je vous rends grâces, Seigneur, de ce que je ne suis pas comme les autres hommes qui sont voleurs, injustes, ni comme ce publicain. (Luc, XVIII, 11.) Mais le publicain qui se tenait plus loin ne releva pas cette injure, ne rendit pas outrage pour outrage, ne dit pas comme font tant d'autres : C'est toi qui oses parler de ma vie, reprendre mes actions? Est-ce que je ne vaux pas mieux que toi ? (576) Veux-tu que je dise tes fautes, et que par là je te ferme à jamais l'accès de ce sacré portique? Il ne dit aucune de ces sottes paroles que nous prodiguons chaque jour dans nos invectives mutuelles; mais ayant gémi amèrement et frappé sa poitrine, il se contenta de dire : Ayez pitié de moi qui suis un pécheur (Ib.V, 13), et il s'en retourna justifié.

Voyez-vous quelle promptitude ? Il accepte l'injure, et il se lave de l'injure ; il reconnaît ses péchés, et il se décharge de ses péchés l'accusation portée contre sa faute a pour résultat de l'effacer, et son ennemi, malgré lui, devient son bienfaiteur. Combien aurait-il fallu de mortifications à ce publicain, de jeûnes, de sommeils sur la dure, de veilles, de distributions aux indigents, pour pot voir se décharger de ses péchés ? Et voici que sans avoir rien l'ait de tout cela, au moyen d'une simple parole il se purifie de tous ses vices; les insultes, les affronts de celui qui. avait cru l'outrager lui procurent une couronne de justice, sans sueurs,,1sans fatigues, sans dépense de temps. Voyez-vous que lorsqu'une personne dirige contre nous des imputations véridiques, dont notre conscience elle-même reconnaît la justesse, si au lieu d'outrager le médisant, nous pleurons amèrement, et que nous implorions Dieu pour nos péchés, nous pourrons par là nous décharger de toutes nos fautes ? C'est ainsi du moins que le publicain, par exemple, fut justifié : attendu que loin de répondre par une insulte à l'insulte du pharisien, il avait gémi sur ses propres péchés, il s'en retourna mieux justifié que cet homme.

5. Voyez-vous de quel profit peut être pour nous l'insolence de nos ennemis, si nous savons nous y résigner avec sagesse ? Or, s'ils nous sont utiles en tout cas, soit qu'ils mentent, soit qu'ils disent la vérité, de quoi nous plaignons-nous, qu'est-ce qui nous afflige ? Si tu ne. te nuis pas à toi-même, mon cher auditeur, ni ami, ni ennemi, ni le diable lui-même ne pourront te nuire. En effet si l'on nous rend service en nous outrageant, en nous proscrivant, en attentant même à notre vie, si par là les uns, ainsi que nous l'avons montré, nous tressent une couronne de martyre, tandis que les autres allégent le fardeau de nos péchés et font de nous des justes, comme il advint pour le publicain, pourquoi dès lors serions-nous exaspérés contre eux ? Ainsi donc ne disons point : Un tel m'a provoqué, un tel m'a poussé à lui dire des paroles injurieuses : la faute en est toujours à nous-mêmes. — Si nous voulons être sages, le démon lui-même ne saurait nous pousser à la colère ; c'est ce qui résulte et de bien d'autres choses et de l'histoire même qui nous occupe en ce moment, celle de David, sur laquelle il est bon d'appeler encore aujourd'hui vos regards, après avoir remémoré d'abord à votre charité, où nous en sommes resté l'autre jour. Où donc en sommes-nous resté ? A l'apologie de David. Nous devons donc aujourd'hui rapporter les paroles de Saül, et voir ce qu'il répondit à la justification de David. Car ce n'est point seulement par les discours de David, c'est encore par les propos de Saül, due nous connaîtrons la vertu de David : en effet si nous remarquons quelque douceur et quelque aménité dans son langage nous en ferons honneur à celui qui sut changer cet homme, qui sut former et redresser son âme. Voyons donc ce que répond Saül ? Après avoir entendu David lui dire : Voici dans ma main le morceau de ton manteau, et se défendre comme on sait: C'est ta voix, s'écrie-t-il, mon fils David! (I Rois, XXIV, 17.)

Quel changement opéré tout à coup ! Celui qui jadis ne se résignait pas même à l'appeler par son simple nom, qui haïssait jusqu'à ce nom, voici qu'il l'introduit dans sa famille en l'appelant son fils! Quel plus heureux sort que celui de David, qui se fit un père de son assassin, qui changea ce loup en brebis, qui sut éteindre, à force de l'arroser, cette fournaise de colère; qui fit succéder le calme à la tempête et guérit toute (inflammation de ce coeur ! Les paroles de David, en pénétrant dans la pensée de cette bête féroce, avaient opéré tout le changement dont témoigne cette réponse. Saül ne dit pas, en effet : C'est toi qui parles, mon fils David ! mais bien : C'est ta voix, mon fils David! car le seul son de cette voix suffisait désormais à l'attendrir. Et comme un père qui entend, après une longue absence, retentir la voix de son enfant, n'a pas besoin de le voir pour être en éveil : il lui suffit de l'entendre; de même Saül, après que les paroles de David, en pénétrant dans son coeur, en eurent chassé la haine, reconnut alors le saint, et, guéri de sa passion, sentit une autre passion l'envahir : la colère avait disparu, la joie, l'affection lui succédèrent. Et de même que, dans l'ombre de la nuit, il nous arrive de ne pas nous apercevoir de la présence d'un ami, tandis que le (577) jour venu, du plus loin que nous le voyons, nous l'avons déjà reconnu : souvent la même chose arrive aussi pour la haine. Tant que nous sommes mal disposés mutuellement, nous entendons avec partialité la voix l'un de l'antre et nous nous voyons avec un esprit prévenu; mais, une fois que nous sommes guéris de notre colère, cette voix, naguère odieuse et ennemie, nous paraît douce et. délicieuse; ce visage odieux et importun devient aimable et charmant à nos yeux.

6. Voyez l'orage : les nuages amassés ne permettent pas à la beauté du ciel de se montrer, et quand bien même nos yeux seraient mille fois plus perçants, nous ne saurions alors atteindre à la sérénité d'en-haut; mais, quand la. chaleur du rayon réussit enfin à déchirer la nue et découvre le soleil, elle découvre en même temps la magnificence du ciel. La même chose arrive quand nous sommes en colère d'abord, la haine étendue devant notre ouïe et notre vue, comme un épais nuage, nous fait paraître tout autres et les sons de la voix et les traits du visage; mais du moment où, par un effort de sagesse, nous avons guéri notre haine et déchiré le nuage de notre mauvaise humeur, alors notre regard, notre oreille jugent de tout avec impartialité. C'est ce qui advint alors à Saül. En effet, le nuage de la haine une fois déchiré, il reconnaît la voix de David et s'écrie : C'est ta voix, mon fils David! Qu'était-ce donc que cette voix? C'était celle qui avait abattu Goliath, qui avait arraché l'Etat de ses périls, qui avait rendu au calme et à la liberté tant d'hommes exposés à l'esclavage et à la mort; c'était celle qui avait apaisé la fureur de Saül, celle qui lui avait rendu tant de services éclatants.

En effet, c'est bien la voix de David qui triompha de Goliath : car avant la pierre, la force de la prière avait triomphé de ce barbare : David n'avait pas simplement lancé sa pierre, il avait commencé par dire : Tu viens contre moi au nom de tes dieux : moi je marche contre toi au nom du Seigneur Sabaoth, que tu as insulté en ce jour (l Rois, XVII, 45), et c'est seulement alors qu'il lâcha sa fronde. C'est cette voix qui dirigea la pierre, c'est elle qui jeta l'angoisse au cœur du barbare, c'est elle qui abattit l'audace de l'ennemi. Et pourquoi t'étonner que la voix d'un juste apaise la colère, et extermine l'ennemi, quand elle met en fuite jusqu'aux démons? Les apôtres ne faisaient que parler , et toutes les puissances contraires prenaient la fuite. La voix des saints dompta plus d'une fois les éléments et plus d'une fois changea leurs propriétés. Jésus fils de Navé n'eut qu'à dire que le soleil et la lune s'arrêtent: et ils s'arrêtèrent ; de même encore Moïse contint la mer, et la déchaîna ; de même les trois jeunes gens éteignirent l'ardeur du feu par des hymnes et par la voix. Voilà pourquoi Saül ému au seul son de cette voix, s'écrie : C'est ta voix, mon fils David? Et David , que dit-il ? Ton esclave, Roi, mon seigneur. C'est une dispute et un combat, à qui fera le plus d'honneur à l'autre. Saül a traité David en parent, David l'appelle son maître. Voici ce qu'il veut dire : je ne cherche qu'une chose, ton salut, et puis, à faire des progrès dans la vertu. Tu m'as appelé ton fils, moi je suis content et satisfait, si tu me tiens pour ton esclave, à condition toutefois que tu abjures ta colère, à condition que tu ne conçoives sur mon compte aucun mauvais soupçon , et que tu ne me prennes point pour un traître et pour un ennemi. Il accomplissait ainsi ce précepte de l'Apôtre qui nous enjoint de nous honorer les uns les autres en nous prévenant et nous surpassant à l'envi ; et de ne pas faire comme beaucoup de gens , moins bien dressés que des bêtes de somme, qui ne se résignent pas même à adresser les premiers la parole au prochain, croyant se faire injure et se ravaler, s'ils offraient à quelqu'un une simple salutation.

Quoi de plus ridicule qu'une telle démence ? quoi de plus honteux que cet orgueil, et cette présomption? C'est quand tu attends la salutation du prochain que tu te ravales, mon ami, que tu te fais injure, que tu te déshonores. Cary a-t-il rien de pire que la démence? de plus ridicule que l'orgueil et la vanité? Situ adresses le premier la parole, Dieu te louera, ce qui passe avant tout, et les hommes aussi t'approuveront; et pour le salut adressé au prochain; c'est toi seul qui seras récompensé: mais si tu as attendu pour lui rendre hommage qu'il eût pris les devants, tu n'as rien fait que d'ordinaire. C'est celui qui aura pris vis-à-vis de toi l'initiative des hommages, c'est celui-là qui seul sera récompensé, même de la courtoisie que tu lui auras témoignée. En conséquence, l’attendons pas que les hommages d'autrui préviennent les nôtres. Empressons-nous au-devant du prochain pour l'honorer, donnons-lui toujours l'exemple des salutations, et ne (578) croyons pas que ce soit un mince et vulgaire mérite, que de se montrer affable et courtois. La négligence en ce point a brisé bien des amitiés, a engendré bien des haines : au contraire, l'empressement à remplir ce devoir a mis fin à de longues guerres, et resserré nombre d'amitiés. Ne néglige donc pas, mon cher frère, de remplir avec zèle cette obligation : bien au contraire, s'il est possible, prévenons tous ceux que nous rencontrons, quels qu'ils soient, tant en paroles qu'en hommages de tout genre. Que si l'on te rend les devants, réponds par un surcroît d'hommages. En effet, c'est le conseil que nous donne Paul en disant: Croyez les autres au-dessus de vous-mêmes. ( Philipp. II, 3.) Ainsi agit David : il prévint Saül, et à son hommage il répondit par un hommage plus grand : Ton esclave, Roi, mon seigneur. Et voyez quel bénéfice il retira de sa conduite. Lorsqu'il l'eut entendu parler ainsi, Saül ne fut plus maître désormais d'entendre cette voix sans pleurer : il gémit amèrement, montrant par ses larmes, et la guérison de son âme et la sagesse que David lui avait inspirée.

7. Quel plus heureux sort que celui de ce prophète, qui dans l'espace d'un instant transforma a ce point son ennemi, qui, ayant devant lui une âme altérée de sang et de carnage, la jeta aussitôt dans les gémissements et les lamentations ? Je n'admire pas tant Moïse, pour avoir fait jaillir des fontaines d'une roche escarpée, que je n'admire David pour avoir arraché des larmes à des yeux secs ainsi que la pierre. Moïse vainquit la nature, mais David triompha de la volonté; Moïse frappa la pierre de sa baguette, David toucha avec sa parole le cœur de son ennemi, non pour lui faire mal, mais pour le purifier et pour l'adoucir : ce qu'il fit en effet, rendant ainsi à Saül un service plus signalé que le précédent. — Sans doute on ne peut trop le louer et l'admirer de n'avoir point percé Saül de son glaive, de n'avoir point coupé cette tête ennemie ; mais il faudrait encore bien plus de couronnes pour le récompenser d'avoir transformé cette volonté même, de l'avoir améliorée, et d'avoir communiqué à cet homme sa propre vertu. — Ce dernier bienfait est supérieur à l'autre. En effet., ce n'est pas la même chose de faire don de la vie, ou d'inspirer la sagesse; ce n'est pas la même chose de dérober quelqu'un à un courroux homicide, de le sauver du fer, ou de le guérir de la démence qui peut le porter à de pareils excès. — En empêchant se, gardes de tuer le roi, Saül lui avait rendu service quant à l'existence présente; mais en chassant le crime de son âme par la douceur de ses propres paroles, c'est la vie future, ce sont des biens immortels qu'il lui procura, autant qu'il était en lui. — Par conséquent, lorsque vous le louerez de sa propre humanité, admirez-le encore davantage à cause de la conversion de Saül. Car la victoire qu'on remporte sur ses passions est encore bien loin du triomphe qu'on obtient sur la folie des autres, en apaisant l'irritation de leur coeur, en opérant un pareil calme après une pareille tempête, en remplissant de larmes brûlantes des yeux où brillait une ardeur homicide. Voilà ce qui doit exciter toute notre surprise, toute notre admiration. Si Saül avait été un homme vertueux et modéré, ce n'eût pas été un bien grand succès pour David que de lui inspirer sa propre vertu. Mais, quand il avait devant lui un homme farouche, plongé dans une extrême perversité, et animé de la passion du meurtre, l'amener, dans un si court espace de temps, à se guérir de toute cette férocité, n'est-ce pas éclipser tous les maîtres qui se sont jamais fait un nom dans l'enseignement de la philosophie?

Et vous aussi, par conséquent, si votre ennemi vient à tomber en votre pouvoir, ne songez pas aux moyens de vous venger de lui, et de le renvoyer tout abreuvé d'insultes; songez aux moyens de le guérir, de le ramener à la vertu ; et rie cessez pas de recourir à tous les expédients, à toutes les paroles, jusqu'à ce que votre douceur ait triomphé de son âpreté. En effet, rien n'est plus puissant que l'humanité. — Et c'est en ce sens qu'on a pu dire: De douces paroles briseront des os. (Prov. XXV, 13.) Et cependant, quoi de plus dur qu'un os? Néanmoins, quelle qu'en soit la dureté, la raideur, celui qui saura le manier sans brusquerie en triomphera sans peine. Ailleurs encore : Une réponse soumise détourne la colère. (Prov. XV, 1.) D'où il résulte que l'irritation de ton ennemi ou sa réconciliation dépend moins de lui-même que de toi. — En effet, c'est à nous; et non à ceux qui sont en colère, qu'il appartient d'éteindre leur courroux, au lieu de l'attiser. — Et c'est encore ce qu'a fait voir par un simple exemple l'auteur des maximes citées plus haut. Si, dit-il, en soufflant sur une étincelle, tu en fais jaillir la flamme, tandis qu'en crachant tu l'éteins, et si tu es maître de produire ces deux (578) effets, ou pour citer le texte même, si ces deux choses sortent de la bouche (Eccli. XXVII, 14), il en est de même de la haine du prochain; si tu lui fais sentir le souffle d'un fol orgueil, tu ravives le feu, tu allumes les charbons; si au contraire, tu as recours à des paroles douces et circonspectes, avant que l'incendie se soit déclaré, voilà toute sa colère éteinte. Ne va donc pas dire : J'ai souffert tel et tel traitement, j'ai reçu telle ou telle injure; tout cela dépend de toi seul. — Comme l'étincelle que tu es libre d'éteindre ou d'allumer, ainsi tu peux à ton gré, soit apaiser soit aviver celte colère. Lorsque tu vois ton ennemi, ou encore, que ton esprit se représente les choses désagréables qu'il t'a fait entendre ou subir, oublie tout cela : et si tu t'en souviens, impute au diable cette pensée. Recueille, au contraire, tout ce qu'il a pu te dire de bon, tout le bien qu'il a pu te faire. Et si tu conserves précieusement ce souvenir, tu auras bientôt désarmé la haine. Veux-tu faire des reproches à ton ennemi, avoir avec lui un entretien? Commence par bannir la passion, par éteindre ton courroux, et alors seulement demande-lui compte, et tâche de le confondre : de cette manière, il te sera facile d'avoir l'avantage. Car, dans la colère, il nous est impossible de rien dire, de rien faire qui soit raisonnable: mais, dès que nous serons affranchis de cette passion, aucune parole dure ne sortira plus, ni de notre bouche, ni de celle des autres. — En effet, ce n'est point tant la nature des propos qui cause généralement notre irritation, que la prévention suggérée par la haine. Souvent il nous arrive d'entendre les mêmes injures proférées soit par des amis, en forme de badinage, soit par des bouffions, soit par de petits enfants, sans qu'elles nous causent aucune impression pénible, aucune irritation, ou fassent autre chose que nous porter à rire et nous égayer; c'est que nous les avons entendues sans parti pris, et sans aucune prévention inspirée par la colère. Par conséquent, lorsqu'il s'agira de tes ennemis, il te suffira d'éteindre ton courroux, de bannir ta haine, pour qu'aucune de leurs paroles ne puisse te chagriner.

8. Que dis-je, de leurs paroles? Je devrais ajouter, ni de leurs actes, comme le prouve l'exemple de notre bienheureux: Voyant son ennemi armé pour sa perte, et ne négligeant rien pour la consommer, non-seulement il n'en conçut point d'animosité, mais il ne fit que lui témoigner plus de compassion : plus Saül s'acharnait dans ses tentatives homicides, plus David versait de larmes sur lui. C'est qu'il savait, oui, il savait à merveille, que ce n'est pas la victime, mais le persécuteur qui mérite des larmes et des gémissements à cause du mal qu'il se fait à lui-même.

Voilà pourquoi il se justifie longuement auprès de Saül, et ne s'arrête point avant de l'avoir amené lui-même à se défendre non sans pleurer et sans gémir. Saül, en effet, commença par sangloter, par pousser des exclamations de douleur, et des gémissements déchirants; après quoi, écoutez comment il parle : Tu es plus juste que moi, parce que tu m'as rendu du bien, et que moi, je ne t'ai rendu que du mal. (I Rois, XXIV, 18.) Voyez-vous comment il condamne sa propre perversité, comment il exalte la vertu du juste, comment il plaide pour lui sans y être nullement contraint. Imitez cet exemple. Quand votre ennemi est devant vous, au lieu de l'accuser, défendez-le, si vous voulez qu'il s'accuse lui-même. En effet, si c'est nous qui l'accusons, il. se lâche; si au contraire nous prenons sa défense, il aura égard à notre modération , et deviendra dès lors son propre accusateur. Et par là, tout à la fois, il est démontré coupable sans qu'aucun doute subsiste, et il est guéri entièrement de sa méchanceté. C'est ce qui arriva dans cette occasion; c'est le coupable qui soutient l'accusation avec énergie, tandis que la victime garde le silence. Car Saül ne se borne pas à dire : Tu m'as fait du bien,, il dit : Tu m'as rendu du bien; en d'autres termes: A mes desseins meurtriers, à mes tentatives homicides, à tant de persécutions, tu as répondu par de grands bienfaits. Et moi, malgré tout cela, je ne suis pas devenu meilleur; même après ces bienfaits, je me suis obstiné dans ma méchanceté; toi, même alors, tu n'as pas changé, tu es resté fidèle à ton caractère, tu as persévéré dans ta générosité envers moi, ton assassin.

Combien de couronnes David ne mériterait-il pas pour chacune de ces paroles? En effet, si c'est la bouche de Saül qui les prononça, c'est la sagesse, c'est l'habileté de David qui les lui inspira. Et tu m'as révélé aujourd'hui, continue Saül, le bien que tu m'as fait, lorsque le Seigneur m'a livré aujourd'hui entre les mains, et que tu ne m'as pas tué. Voici encore une nouvelle vertu qu'il attribue à David par ce témoignage : le bienfaiteur n'a pas gardé le (580) silence, il n'a pas dédaigné devenir révéler son bienfait, non par ostentation, mais pour montrer et prouver par ses actes, qu'il était au nombre des fidèles dévoués au roi, et non pas au nombre des traîtres et des malfaiteurs. En effet, c'est quand il y a un grand profit à espérer, qu'il est permis de parler de ses bienfaits. Celui qui en fait mention et les proclame, sans avoir de raison pour cela, ne vaut pas mieux que celui qui les reproche; mais celui qui agit ainsi pour convaincre un ennemi partial et prévenu, celui-là fait un acte de bonne volonté et de bienfaisance. C'est ce que fit David ; non qu'il fût jaloux du suffrage de Saül, mais parce qu'il voulait arracher le ressentiment enraciné dans le coeur de ce roi. Et c'est pourquoi Saül le remercie à la fois et de lui avoir rendu un service, et de le lui avoir révélé.

Ensuite cherchant un moyen de témoigner sa reconnaissance et n'en trouvant point qui fût à la hauteur des services reçus, il transfère sa dette au nom de Dieu même, en disant : Si quelqu’un trouve son ennemi dans la tribulation, et qu'il le remette dans la bonne voie, que Dieu récompense ce bienfait; c'est ce que tu as fait aujourd'hui. (I Rois, XXIV, 20.) En effet, comment Saül aurait-il pu reconnaître dignement les bienfaits de David, quand bien même il lui aurait donné la royauté et toutes les villes de ses Etats?

Ce ne sont point seulement des villes, ce n'est pas la royauté, c'est la vie même qu'il devait à David, et Saül n'avait pas une autre vie à lui donner en échange. Voilà pourquoi il le renvoie à Dieu, et le gratifie des récompenses d'en-haut, tout à la fois le remerciant par là et enseignant à tous les hommes qu'il nous est permis d'espérer de Dieu de plus grandes rémunérations, alors qu'en échange de mille services rendus à nos ennemis, nous n'obtenons en retour que dès traitements contraires. Puis il ajouté : Voici que je comprends que tu régneras et que la royauté d'Israël sera dans ta main. Et maintenant jure-moi par le Seigneur que tu n'extermineras point ma race après moi, et que tu n'effaceras point mort nom de la maison de mon père. (Ib. V, 21, 22.) Et qu'est-ce qui te fait deviner cela, dis-moi? Dans ta main sont les armées, dans ta main les trésors, les armes, les villes, les chevaux, les soldats, tout ce qui compose un appareil royal : David au contraire est seul et sans appui, sans patrie, sans foyer, sans maison. Qu'est-ce qui te fait parler ainsi, dis-moi? C'est simplement sa manière d'agir. En effet un homme sans défense, sans armes, sans appui, n'aurait pas triomphé de moi qui suis armé et entouré d'une si grande puissance, s'il n'avait pas eu Dieu à ses côtés; et celui qui a Dieu à ses côtés n'a pas d'égal en puissance. Voyez-vous quelle est maintenant la sagesse de Saut, de ce persécuteur? Voyez-vous comment il n'y a pas de méchanceté dont on ne puisse se guérir et se corriger, pour revenir au bien?

9. Il ne faut donc point désespérer de notre salut. Quand bien même nous serions plongés au fond des abîmes du vice, il nous est possible de revenir à nous, de nous amender, et de nous débarrasser de toutes nos iniquités.

Après cela, que dit Saül : Jure-moi par le Seigneur, que tu n'extermineras point ma race après moi et que tu n'effaceras point mon nom de la maison de mon père. Un roi adresse une requête à un simple particulier; un homme dont le front est ceint du diadème, prend en main un rameau de suppliant, afin de fléchir un fugitif en faveur de ses propres enfants. Encore un signe de la vertu de David, que son ennemi ait osé lui faire une pareille demande. Quant au serment qu'il réclame, ce n'est point qu'il se défie des sentiments de David, c'est qu'il se rappelle tous les maux qu'il lui a causés. Jure-moi que tu n'extermineras point ma race après moi. Il confie à son ennemi la tutelle de ses enfants, il lui remet entre les mains ses propres rejetons; on croirait, à l'entendre, qu'il prend par la main tuteur et pupilles, avec Dieu pour médiateur. Mais David? Est-ce qu'il n'accueille point cette demande, au moins avec un peu d'ironie? Nullement sans hésiter, il y fait droit, et accorde la faveur demandée: et, après la mort de Saül, non content d'épargner sa race, il fit plus qu'il n'avait promis. Saül laissait un fils boiteux, infirme d'une jambe; il le fit entrer dans sa maison, asseoir à sa table, et le combla d'honneurs; et loin d'en rougir, loin de s'en cacher, loin de croire la table royale déshonorée par l'infirmité de cet enfant, il s'en faisait bien plutôt honneur et gloire. En effet chacun de ses convives quittait sa table muni d'une grande leçon de sagesse. En voyant le rejeton de Saül, cet acharné persécuteur de David, en si grand honneur auprès de ce dernier, il n'y en avait point, fût-il plus inhumain que le plus féroce des animaux, quine se hâtât, honteux et confus, (581) de se réconcilier avec tous ses ennemis. C'eût été déjà beaucoup que de pourvoir d'une manière quelconque à la subsistance de cet enfant, que de ne le laisser manquer de rien; mais l'avoir admis à sa propre table, c'est le comble de la vertu. Vous n'ignorez pas sans doute combien il est malaisé d'aimer les fils de ses ennemis. Que dis-je ? de les aimer ?Je devrais dire de ne point les haïr, de ne point les persécuter. Combien de gens, après la mort de leurs ennemis, ont déversé leur ressentiment sur les enfants que ceux-ci avaient laissés! Bien loin de faire comme eux, le généreux David, après avoir protégé les jours de son ennemi, tandis qu'il était en vie, reporta, quand il eut cessé d'exister, sa sollicitude sur les enfants qu'il avait laissés.

Quoi de plus auguste qu'une pareille table, entourée des enfants d'un ennemi, d'un meurtrier ? quoi de plus spirituel qu'un tel banquet, où abondaient tant de bénédictions? C'était le festin d'un ange plutôt que celui d'un homme. En effet accueillir, fêter les enfants d'un homme qui avait tant de fois attenté à ses jours, et qui, là-dessus, avait perdu la vie, c'en est assez pour lui assurer une place dans le choeur céleste. Suis cet exemple, mon cher auditeur , et durant la vie de tes ennemis, comme après leur mort, aie soin de leurs enfants: pendant leur vie, afin de regagner par ce moyen l'affection des pères: après leur mort, afin d'attirer sur toi une abondance de faveurs divines, d'avoir mille couronnes à poser sur ton front, d'obtenir de tous mille bénédictions; non-seulement de tes obligés, mais encore des témoins de ta bienfaisance. Au jour du jugement ce sera ton recours, les ennemis que tu auras comblés de bienfaits seront alors pour toi de puissants défenseurs ; par là tu te feras pardonner bien des fautes, et tu pourras réclamer ta récompense, et quand bien même tes péchés seraient innombrables, tu n'auras qu'à te couvrir de cette prière: Pardonnez à vos ennemis, et votre Père vous pardonnera vos fautes (Matth. VI, 14), pour obtenir en toute sécurité rémission de toutes tes fautes en même temps que tu vivras ici-bas au sein de l'espérance, et que tu rencontreras partout la bienveillance autour de toi. En effet, ceux qui verront comment tu aimes tes ennemis et leurs enfants, ne voudraient-ils pas aussitôt devenir tes amis dévoués, et tout faire, tout souffrir pour toi? Mais lorsque tu jouiras d'une si grande part dans la faveur divine, lorsque, de tous côtés, on te souhaitera tous les biens, quelle peine éprouveras-tu désormais, quelle vie sera plus fortunée que la tienne ? Cela n'est point fait seulement pour exciter en ce lieu une admiration passagère : en sortant d'ici , gardons-en le souvenir, mettons-nous en quête partout de tous nos ennemis, réconcilions-les avec nous, faisons-nous-en des amis sincères. Que s'il faut nous justifier, solliciter leur indulgence, ne reculons pas, quand bien même nous serions les offensés. Par là , nous rendrons notre récompense plus belle , notre confiance plus grande ; par là., nous gagnerons certainement le royaume des cieux, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

FIN DU QUATRIÈME VOLUME.
 

 

 

 

 

 

 

 

Bravo à  http://www.abbaye-saint-benoit.ch/bibliotheque.htm pour l'édition numérique originale des oeuvres complètes de Saint Jean Chrysostome - vous pouvez féliciter le père Dominique qui a accompli ce travail admirable  par un email à portier@abbaye-saint-benoit.ch  pour commander leur cd-rom envoyez  11 Euros  à l'ordre de Monastère saint Benoit de Port-Valais Chapelle Notre-Dame du Vorbourg CH-2800 Delémont (JU)

www.JesusMarie.com