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Saint Jean Chrysostome
Homélies Diverses

.HOMÉLIE DIVERSES CONTENUES DANS LE TOME VI.

 

 

 

 

 

 

HOMÉLIES Sur cette Parole du Prophète David : "NE CRAIGNEZ POINT, EN VOYANT UN HOMME DEVENU RICHE, ET SA MAISON COMBLÉE DE GLOIRE " (PS. XLVIII, 17), ET SUR L'HOSPITALITÉ. *

AVERTISSEMENT ET ANALYSE. *

PREMIÈRE HOMÉLIE. *

SECONDE HOMÉLIE *

HOMÉLIE SUR LA GRANDE SEMAINE. " D'OÙ VIENT CE NOM DE GRANDE SEMAINE ; " SUR CE VERSET : " O MON AME, LOUEZ LE SEIGNEUR (PS. CXLV, 2); " SUR LE " GARDIEN DE LA PRISON, " DANS LES ACTES DES APÔTRES. *

AVERTISSEMENT. *

HOMÉLIE SUR CETTE PAROLE DU PROPHÈTE : MOI, LE SEIGNEUR DIEU, J'AI FAIT LA LUMIÈRE ET LES TÈNÈBRES , FAISANT LA PAIX ET CRÉANT LES MAUX. *

HOMÉLIE SUR CE TEXTE DE JÉRÉMIE SEIGNEUR., LA VOIE DE L'HOMME N'EST PAS EN LUI. L'HOMME NE MARCHERA et NE CONDUIRA POINT SES PAS PAR LUI-MÊME. *

HOMÉLIES SUR L'OBSCURITÉ DES PROPHÉTIES *

AVERTISSEMENT. *

PREMIÈRE HOMÉLIE. COMMENT IL ÉTAIT AVANTAGEUX QUE LES PROPHÉTIES CONCERNANT LE CHRIST LES GENTILS ET LA RÉPROBATION DES JUIFS FUSSENT OBSCURES. *

DEUXIÈME HOMÉLIE. ENCORE SUR L'OBSCURITÉ DE L'ANCIEN TESTAMENT, SUR LA BONTÉ DE DIEU; ET QU'IL NE FAUT PAS S'ACCUSER LES UNS LES AUTRES. *

HOMÉLIE PRONONCÉE DANS LA GRANDE ÉGLISE, APRÈS QUELQUES PAROLES SUR CE PASSAGE DE L'ÉVANGILE : LE FILS NE FAIT RIEN DE LUI-MÊME, QU'IL N'AIT VU FAIRE A SON PÈRE. (JEAN, V, 19.) *

AVERTISSEMENT ET ANALYSE. *

HOMÉLIE SUR MELCHISÉDECH. *

HOMÉLIE CONTRE CEUX QUI ONT ABANDONNÉ L'ÉGLISE, POUR ALLER AUX JEUX DU CIRQUE ET DU THÉÂTRE. *

HOMÉLIE SUR CETTE PAROLE APOSTOLIQUE : SACHEZ QUE DANS LES DERNIERS JOURS IL Y AURA DES TEMPS REDOUTABLES. (II TIM. III, 1.) *

HOMÉLIE SUR JOSEPH ET LA CONTINENCE. *

SERMONS SUR LA CONSOLATION DE LA MORT *

PREMIER SERMON. *

SECOND SERMON. *

HOMÉLIE POUR LA NATIVITÉ DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST. *
 

 

 

 

 

HOMÉLIES Sur cette Parole du Prophète David : "NE CRAIGNEZ POINT, EN VOYANT UN HOMME DEVENU RICHE, ET SA MAISON COMBLÉE DE GLOIRE " (PS. XLVIII, 17), ET SUR L'HOSPITALITÉ.
 

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.
Les deux homélies qui suivent, titrent prononcées toutes deux à Constantinople, sous l'influence des grandes catastrophes, des révolutions soudaines qui étonnaient si souvent ta cité; elles se ressemblent encore parce qu'elles commentent également le même verset du même psaume : Ne craignez point, en voyant un homme devenu riche, et sa maison comblée de gloire. (Ps. XLVIII, 17.)

Quelle bonne terre j'ai à cultiver, quel plaisir de vous faire entendre la parole! Après avoir ainsi salué les fidèles présents dans l'église, le saint orateur demande vivement: les absents, où sont-ils? que font-ils? Ah! oui, au forum, ou ailleurs, à la poursuite de la fortune! De là, sur les richesses, la vanité, l'instabilité des biens de la terre; les vaines préoccupations; les prétextes insensés pour négliger le salut; les flatteurs du riche, qui le trompent; les déceptions méritées; les douleurs de ce monde, sans cesse tourmenté parce qu'il ne poursuit que des ombres; la distinction de la richesse prétendue, et de la richesse vraie; sur ta vertu, sur la simplicité des moeurs, sur l'hospitalité, une conversation animée, variée, piquante, naïve, élevée, où se retrouvent les beaux mouvements qu'on admire dans les discours sur la disgrâce d'Eutrope, et l'inépuisable abondance d'une éloquence, toujours nouvelle et toujours jeune, parce que, si les pensées sont les mêmes, le sentiment que ces pensées inspirent est toujours, dans l'âme de l'orateur, vrai et profond, toujours jeune et toujours nouveau. On remarquera, dans cette première homélie, les vifs retours que l'orateur fait sur lui-même, sa manière aimable, originale, saisissante, de témoigner de son zèle.

La seconde homélie contient le développement d'une pensée singulièrement chère à saint Jean Chrysostome : voulez-vous, pour vos capitaux, nu bon placement? placez-les dans les mains des pauvres.

PREMIÈRE HOMÉLIE.
1. Il est doux pour l'agriculteur, quand la charrue a purgé la terre, quand le sillon est tracé, quand les épines ont été arrachées, de jeter la semence, de n'avoir pas à craindre des épines qui étoufferaient les germes. Il est bien plus doux, pour celui qui vous parle, de jeter les pensées divines dans des âmes que rien ne trouble. Aussi quel plaisir pour nous de commencer à vous entretenir le champ est purifié, nous le voyons bien. Sans doute notre regard ne pénètre pas dans votre pensée; mais vos yeux bien ouverts et votre attention qui se dresse, nous manifestent la tranquillité de votre intérieur. Je ne puis entrer dans votre conscience , mais vos yeux fixes et brillant d'une flamme céleste ont une voix pour rite dire : il n'y a pas de trouble au dedans; on plutôt votre ferveur me crie: jetez-nous les semences; ce que vous jetez, nous le recueillons, clans l'espérance du fruit; toute inquiétude terrestre , nous l'avons chassée. Et voilà pourquoi je m'attache toujours à des pensées (314) de plus en plus profondes, et j'ai confiance; j'ai une si bonne terre !

L'Ecriture ne demande pas seulement un docteur habile, elle veut aussi un auditeur intelligent. Et voilà pourquoi je vous trouve bien heureux, et je me trouve bien heureux moi-même. " Bienheureux, " dit l'Ecriture, " celui qui parle , et dont la voix pénètre dans les oreilles de ceux qui l'écoutent ! " (Eccl. XXV, 12.) Et: " Bienheureux ceux qui ont faim et qui ont soif de la justice! " (Matth. V, 6.) C'est donc à vous, que votre zèle amène auprès de nous, c'est à vous que nous enverrons les divines pensées; tous les autres sont maintenant sur la place publique, ils se souillent au contact impur des choses du siècle ; mais vous, supérieurs à la terre, vous accueillez les pensées spirituelles. Les autres , esclaves de la servante, n'ont de souci que pour la chair; mais vous, c'est la noble dame, l'âme libre que vous prenez soin d'embellir, et en l'ornant vous la sauvez. Où t'arrêtes-tu, maintenant, ô homme ? Sur la place publique. Que veux-tu y recueillir? De la fange et de. la boue. Viens donc, et, de ma main, reçois un parfum. A quoi bon recueillir des richesses périssables, courtiser l'avarice, ce cruel tyran, rechercher des magistratures, périssables encore, l'abondance des choses du siècle, que l'on possède aujourd'hui, que demain l'on ne possède plus? A quoi bon cueillir les fleurs, en négligeant les fruits? Pourquoi cours-tu après une ombre , au lieu de saisir la vérité? Pourquoi rechercher ce qui est périssable, et non ce qui demeure? " Toute chair n'est que de l'herbe, et toute gloire humaine est comme la fleur des champs ; l'herbe se sèche et la fleur tombe, mais la parole de Dieu demeure éternellement." (Isaïe, XL, 6, 8.) Tu possèdes d'abondantes richesses; et qu'importe pour l'âme? Dans l'opulence que donnent les richesses , dans la pauvreté de l'âme, tu te pares avec des feuilles, et tu n'as pas de fruits. Quel profit, je te le demande, as-tu fait? Tu as obtenu des richesses , qu'il te faudra abandonner ici; tu as obtenu des dignités, qui ne te produisent que des haines; viens, jouis avec nous des discours de la vraie sagesse; expie tes péchés; rejette le fardeau de tes iniquités; purifie ta conscience ; élève tes pensées , deviens un ange, et sois un homme. Dépouille la chair, prends des ailes, sépare-toi des choses visibles ; attache-toi aux invisibles , monte au ciel; mêle-toi au choeur des anges; approche-toi du tribunal d'en-haut, du tribunal suprême ; abandonne la fumée , l'ambre pure, l'herbe vile, les toiles d'araignée. Impossible à moi de trouver un mot qui exprime comme il faut cette misérable inconsistance. Mais voici ce que je dis, ce que je ne cesserai pas de redire : viens, et sois un homme; qu'on ne dise pas que ton titre naturel est un faux titre. Comprenez-vous ce qui vous est dit? Un homme souvent n'a de l'homme que le nom; il ne l'est pas, dans le sens qu'il faut attacher à ce nom. Quand je te vois vivre sans écouter la raison , comment veux-tu que je t'appelle un homme, et non un boeuf? Quand je te vois te conduire en ravisseur, comment veux-tu que je t'appelle un homme et non un loup? Quand je te vois dans la fornication, comment veux-tu que je t'appelle un homme, et non un porc? Quand je te vois tramer des ruses, comment veux-tu que je t'appelle un homme, et non un serpent? Quand je te vois infecté de venin, comment veux-tu que je t'appelle un homme, et non une vipère? Quand je te vois sans intelligence , comment veux-tu que je t'appelle un homme, et non un âne? quand je té vois adultère , comment veux-tu que je t'appelle un homme, et non un étalon? Quand je te vois indocile et stupide, comment veux-tu que je t'appelle un homme et non une pierre? Tu as reçu de Dieu une noble origine, pourquoi trahis-tu la générosité de ta nature? A quoi travailles-tu , réponds-moi ? Il y a des hommes qui ont le talent de transformer les animaux, autant que possible , de manière qu'ils participent à la noblesse de notre nature. On apprend aux perroquets, à reproduire la voix humaine, et l'art fait violence à la nature; on apprivoise des lions que l'on conduit sur la place publique. Un lion , un animal féroce, tu peux l'apprivoiser, et tu te montres plus féroce qu'un loup? Et ce qu'il y a de plus triste, c'est que chaque animal n'a qu'un vice:, le loup est rapace ; le serpent, perfide; la vipère, venimeuse; l'homme, devenu méchant, ne se montre pas de même: trop souvent, en effet, ce n'est pas un seul vice qui le travaille, mais il est tout à la fois rapace , perfide, venimeux, et il rassemble en son âme les vices de plusieurs animaux. Comment veux-tu que, je t'appelle un homme, toi qui n'as ni les insignes de la royauté, ni le diadème, ni la (315) pourpre ? " Faisons l'homme, " dit Dieu, " à notre image et ressemblance. " (Gen. I, 26.) Pense, ô homme, à l'image de qui tu as été fait, et ne te ravales pas à la vile condition des animaux. Si tu vois un roi, rejetant la pourpre et le diadème, confondu avec les soldats, abdiquant son autorité , comment l'appelleras-tu un roi? Tu es un homme, ne me dis pas que tu as l'âme d'un homme, montre-moi que tu en as la sagesse. Tu commandes aux animaux sans raison, et tu ne rougis pas d'être l'esclave de tes passions sans raison ?

2. Et comment, me dis-tu, deviendrai-je un homme ? Maîtrise les pensées de la chair, pensées dépourvues de raison; chasse loin de toi la fornication; chasse l'amour immodéré des richesses; chasse ce détestable tyran, purifie-toi. Mais comment deviendras-tu un homme ? Viens ici où l'on fabrique des hommes. Quoi que tu sois, je ferai de toi un homme : Cheval? je ferai de toi un homme; loup? je ferai de toi un homme; serpent? je ferai de toi un homme ; je ne transformerai pad ta nature, mais ta volonté. Mais quoi ? me dira-t-on, j'ai des enfants, une maison à conduire; une femme, dont je dois prendre soin; la pauvreté me presse; il me faut gagner le pain du jour. Prétextes que tout cela, et vaines raisons. Si je te retenais ici , sans jamais te quitter; si je ne t'accordais aucun relâche; si tu ne pouvais plus vaquer, au dehors, à tes affaires, à la bonne heure, tu pourrais te défendre, et t'excuser, et me dire : j'ai des enfants et une maison à conduire ; et tu aurais raison de parler ainsi; ou plutôt, tu n'aurais même pas besoin de parler ainsi; car Dieu est assez fort, quand même tu resterais ici pour accroître ta fortune. Mais moi je ne t'impose aucune nécessité de ce genre; je ne te dis pas de venir ici tous les jours, mais seulement deux fois dans la semaine. Qu'y a-t-il de pesant, qu'y a-t-il de si lourd à porter dans ce que je demande? Il ne s'agit pas de journées entières, mais de quelques instants bien courts à passer dans l'église ; reçois les divines pensées, afin de te préserver des blessures ; non pas pour en faire aux autres, mais pour convertir la place publique en église. Viens, ô homme, reçois ton armure, afin que cette armure te protège contre toute blessure funeste; tiens-toi à ta place, au milieu des soldats du Seigneur., mais tiens-toi armé ; tiens-toi dans le sanctuaire, mais avec des yeux purs; pousse ton vaisseau dans le port, mais manoeuvre avec prudence ; c'est ce que tu peux apprendre ici et tu ne veux pas, et au milieu des armées du siècle, sans être revêtu de la loi de Dieu, tu te jettes tout nu. Vois donc quel trésor on remporte de l'église ! le mépris de toutes les choses humaines; la force qui foule aux pieds les chagrins; qui se montre supérieure à tous les biens de ce monde; la vertu toujours modeste, jamais abattue. Ainsi se montra Job : la pauvreté ne ruina pas son courage ; l'opulence ne l'exalta pas ; dans la variété des événements, des conditions, il conserva l'égalité de son âme.

Tiens, reçois de moi ton armure. Quelle armure? celle qui plus d'une fois t'assurera ton salut. Tu sors, et tu vois un homme tout fier sur un coursier au frein d'or: autour de lui de nombreux satellites ; et voici qu'en même temps, tu aperçois un misérable abattu sous le malheur. Alors l'envie te saisit à propos de ce riche, et te voilà pris par la haine qui ronge le pauvre. David s'approche de toi, pour te garder, pour te dire : " Ne craignez point, en voyant un homme devenu riche. " Sors avec le Prophète et ne crains point; va où je te dis, avec le Prophète, avec le docteur, avec ce bâton pour soutien, avec ce héraut de Dieu. " Ne craignez point en voyant un homme devenu riche. " Mais, dira- t-on ; c'est un avertissement; c'est un conseil, c'est une parole honnête; toutefois, dites-moi aussi le moyen de ne pas craindre cet homme. C'est que la richesse est de la même nature que celui qui est riche. Comment cela ? je vais le dire. Qu'est-ce que l'homme? Un animal misérable, fragile, qui ne vit qu'un temps; dé de même sont les richesses; ou plutôt il ne faut pas dire de même, mais bien plus fragiles. Souvent, en effet, elles, ne disparaissent pas avec l'homme, mais avant l'homme. Vous avez vu d'innombrables exemples de cette vérité ; sans sortir de cette ville, vous avez vu les richesses inopinément perdues; vous avez souvent été à même de voir périr les possessions du vivant du possesseur; car la fin des richesses, c'est la révolution qui produit la pauvreté. Réfléchissez donc sur le peu de durée de la possession. Car le possesseur survit à la possession perdue. Et plût au ciel que la possession ne fût jamais que perdue sans perdre du même coup le possesseur! On a donc raison de dire que la richesse est un serviteur (316) ingrat, sanguinaire, homicide; un serviteur qui récompense son maître en l'égorgeant. Et, ce qu'il y a de plus triste, ce n'est pas seulement en abandonnant l'homme, que la richesse le jette dans les périls, c'est même avant l'abandon qu'elle le précipite, le bouleverse, le trouble. Cessez donc de regarder cet homme aux vêtements de soie, inondé de parfums, escorté de serviteurs ; ouvrez sa conscience, percez à jour l'âme de ce riche opulent ; vous y découvrirez l'agitation turbulante et désordonnée. Quand vous serez témoins de quelque chute éclatante, comprenez le malheur attaché à la fortune.

3. Car, quoi de plus trompeur que les choses humaines? je l'ai souvent dit, c'est un fleuve qui coule; ce sont des eaux que l'on voit et qui passent ; que l'on tient, et qui s'échappent. " Ne craignez point, en voyant un homme devenu riche ; " recueillez cette parole, ce cantique spirituel. Lorsque l'envie entre dans votre coeur, si cette parole y fait en même temps son entrée, voilà qui suffira pour bannir un mauvais sentiment. " Ne craignez point; en voyant un homme devenu riche; " voilà mes remèdes à moi, non pour de l'argent, mais pour le ciel. Je ne soigne pas les corps, je suis le médecin de l'âme. Je ne parle pas seulement de votre âme , mais de la mienne; si je vous fais la leçon, je n'en suis pas moins un homme, entre nous communauté de nature, communauté d'enseignement.

" Ne craignez point, en voyant un homme devenu riche. " Prenez ce verset du psaume, comme un trésor et comme un sujet de pensées ; prenez-le comme une racine de richesse et d'opulence. Ce n'est pas d'être riche, c'est de ne pas vouloir être riche, qui constitue la richesse. Comprenez-vous? qui veut être riche a besoin de possession, a besoin d'argent; au contraire, qui ne veut pas être riche, est toujours dans l'opulence. " Ne craignez point, en voyant un homme devenu riche, et sa maison comblée de gloire. " " Ne craignez point; " à quoi bon, dites-moi, craindre les riches? Comme le riche paraît redoutable, le Prophète explique ce que c'est qu'un riche. Craindre un homme dont tout l'équipement est un feuillage sans fruit ! craindre un homme, qui vit dans l'amertume! craindre un homme, toujours tremblant! craindre un homme, qu'accompagne continuellement l'épouvante ! Ton esclave ne te craint pas, en ton absence; le riche porte partout le maître qui réside en lui; en quelque endroit qu'il se rende, l'amour de l'argent le suit; ses parents, ses domestiques, ses amis, ses envieux, ses obligés, tous sont en même temps ses ennemis. Car la haine qu'il réveille est grande. Le pauvre passe sa vie sans craindre personne, attendu que la sagesse et la patience sont toutes ses richesses. Le riche, ne respirant que pour l’accroître ce qu'il a, est odieux à tous, et, dans les réunions publiques, on le voit comme un ennemi ; les visages le flattent, les coeurs le détestent. Et ce qui prouve qu'il en est ainsi; c'est la chute des feuilles quand le vent a soufflé ; c'est-à-dire, quand il s'est accompli une révolution dans sa fortune; alors se découvrent les amis fardés ; alors tombent lès masques des flatteurs; alors les comédiens, quittant leurs rôles, se montrent ce qu'ils sont, l'illusion de la scène tombe et laisse voir la réalité. Toutes les bouches se font entendre ce misérable, ce pervers, cet infâme ; que dites-vous? hier, ne le flattiez-vous pas? ne lui baisiez-vous pas les mains? — Je jouais un rôle. L'heure est venue, et j'ai jeté mon masque, et je montre ce que j'avais dans l'âme. Pourquoi donc craindre, répondez-moi, celui que poursuivent tant de voix accusatrices? à que dis-je? Plût au ciel que le riche ne s'accusât pas lui-même !

Ce que j'en dis, ce n'est pas pour flétrir la richesse; j'ai protesté maintes et maintes fois, mais j'accuse l'usage mauvais de ce qui, en soi, est bon. Les richesses et les bonnes oeuvres ensemble, voilà qui est bien. Comment cela est-il bien ? Si les richesses soulagent la pauvreté, soutiennent l'indigence ; écoutez Job : " J'ai été l'œil de l'aveugle, le pied du boiteux ; j'étais le père des pauvres. " — (Job, XXIX, 15,16.) Voilà les vraies richesses, exemptes de péché, jointes à l'amour des pauvres. " Ma maison a été ouverte à tout venant. " (Job XXXI, 32.) Voilà le véritable usage de la richesse, non pas de la prétendue richesse, mais de la vraie richesse. La prétendue richesse este l'esclave de la vraie richesse ; la première n'est qu'un nom, rien de plus; l'autre, à la vérité du nom, joint la réalité de la chose. Cette réalité, où est-elle? Dans la vertu, dans la pratique de l'aumône. Comment cela? Je vais le dire. Il y a un riche ravisseur de tous les biens et il y a un riche qui donne au pauvre (317) ce qu'il possède. Le premier est riche par ce qu'il amasse ; le second, par ce qu'il dépense; l'un ensemence la terre, l'autre cultive le ciel. Et, autant le ciel est au-dessus de la terre, culant l'opulence du second est plus solide que celle du premier. Le vrai riche a des amis en foule ; l'autre ne voit partout que des accusateurs; et, chose admirable, le ravisseur, l'avare est détesté, non-seulement de ceux qu'il a blessés ; il l'est en outre de ceux qui n'ont reçu de lui aucun mal, mais qui plaignent les victimes; l'homme miséricordieux , au contraire, n'est pas aimé seulement de ceux qui ont éprouvé sa miséricorde ; ceux même qui ne l'ont point ressentie, le chérissent. C'est que la vertu vaut mieux que le vice, mes frères. Le vice a pour ennemis ceux même qui n'en ont point souffert ; l'aumône a pour amis ceux même qui n'en ressentent point les bienfaits. Tous s'écrient que Dieu le récompense, cet homme bienfaisant. Toi qui parles ainsi , quels biens as-tu reçus ? Ce n'est pas moi, mais mon frère; ce n'est pas moi, mais un de ceux qui sont mes membres. Le bienfait à lui accordé, je te renarde comme mien. Voyez - vous quels trésors accompagnent la vertu ; comme elle est aimable , comme elle est désirable , comme elle est belle ! Le miséricordieux est un port ouvert à tous, un père pour tous ; c'est le bâton qui soutient les vieillards. Vienne le jour où quelques malheurs affligent le miséricordieux; tous se mettent en prière, pour que Dieu le prenne en pitié, lui fasse (lu bien, lui conserve sa fortune. Considérez au contraire le ravisseur, voici ce que vous entendrez : Maudit, pervers, scélérat. Qu'avez-vous souffert? Moi? Rien, mais c'est mon frère. Et tous les jours, ce sont des clameurs et des cris sans nombre. Qu'il vienne à tomber, tous se ruent sur lui. Est-ce là une vie? Est-ce là de l'opulence? Cette condition n'est-elle pas pire que celle des condamnés? Le condamné a des liens qui enchaînent son corps; celui-ci se sent l'âme garrottée. Vous le voyez dans les fers et vous ne le prenez pas en pitié ? Je le hais parce que ce n'est pas la nécessité qui l'a mis dans les fers, mais sa volonté, c'est lui qui s'est mis à la chaîne.

4. Encore contre les riches? me dira-t-on; et vous, encore contre les pauvres ? encore à parler contre les ravisseurs? et vous, encore contre ceux dont les biens sont ravis ? Vous ne vous rassasiez pas de manger, de dévorer les pauvres; ni moi je ne me rassasie pas de vous corriger. Toujours acharné contre les riches? toujours acharné contre les pauvres? Eloigne-toi de mes brebis, éloigne-toi de mon troupeau; n'y touche pas; si tu y portes la main, me feras-tu un reproche de te chasser? Si j'étais un berger qui garde des moutons, ne me reprocherais-tu pas de ménager le loup qui viendrait se jeter sur mon troupeau? Les brebis dont je suis le pasteur ont en partage la raison, je ne m'arme pas de pierres contre toi, mais de la parole ; ou plutôt je ne m'arme pas contre toi, mais je t'appelle; deviens une brebis, approche, viens faire partie de mon troupeau. Pourquoi veux-tu détruire la bergerie, toi qui devrais augmenter le troupeau? Ce n'est pas toi que je poursuis, mais le loup; si tu n'es pas un loup, je ne te poursuis pas: si tu es un loup, n'accuse que toi-même. Je ne suis pas contre les riches, mais pour les riches; ce que je dis, c'est dans ton intérêt que je le dis, quoique tu ne me comprennes pas. Et comment parles-tu dans mon intérêt? En t'affranchissant du péché, en te délivrant de la rapine, en faisant de toi celui que tous chérissent , celui que tous désirent. Je te répète toujours, as-tu été un ravisseur? as-tu été un avare cupide ? viens, je te changerai. Les haines qui t'entourent, j'en ferai des amitiés;., tes périls, je les changerai en sécurité. Voilà ce que je te donnerai pour la vie présente, et dans l'autre vie encore , je te donnerai le royaume du ciel, je te préserverai des éternels supplices, je te ferai obtenir les biens.: " Que l'oeil n'a pas vus, que l'oreille n'a pas entendus, que le coeur de l'homme n'a pas conçus. " (I Cor. II, 9.) Est-ce là la conduite d'un ennemi qui chasse, ou d'un ami qui donne des conseils utiles ? Est-ce là de la haine? N'est-ce pas plutôt de l'amour? Mais, tu me hais? Mais non, je ne te hais pas, je t'aime; j'exécute le précepte de mon Dieu : " Aimez vos ennemis. " (Matth. IV, 44.) Je ne me retire pas de toi, mais je te guéris.

Notre-Seigneur était sur la croix et il disait: " Pardonnez-leur, mon Père, car ils ne savent pas ce qu'ils font. " (Luc, XXIII, 34.) Est-ce toi que je poursuis? C'est ton mal que je mets en fuite. Est-ce à toi que je fais la guerre? Je ne la fais qu'à tes vices. Ne comprends-tu pas que c'est ton bien que je veux; à toi, que je m'intéresse; que je veux, avant tout, te (318) protéger? Quel autre que moi te parlera de ces choses? Les magistrats? ce ne sont pas là leurs affaires; ils te parleront de citation, d'accusation. Ta femme ? elle t'entretiendra de toilette et de parures d'or. Ton fils? d'héritages, de testaments, de capitaux. Le serviteur de ta maison ? de service, de servitude, de liberté. Mais peut-être les parasites? déjeûners, soupers, dîners. Les gens de théâtre? ils t'occuperont de leurs rires honteux, de leur concupiscence effrénée. Mais les gens. de loi? testaments, héritages, immunités, c'est leur métier. Qui donc peut te parler de ces choses, si ce n'est moi ? tous te craignent, mais tu ne me fais pas peur. Tant que je te verrai dans cet état, je te braverai, je te regarderai du haut en bas, je braverai ton mal, je te fais l'amputation, et tu cries? mais je ne m'épouvante pas de ta voix ; je veux ton salut, je suis médecin. Si, pour te guérir d'un ulcère, tu appelais le médecin, en le voyant aiguiser le fer, ne lui dirais-tu pas: taillez, quelle que soit ma souffrance; tu parlerais ainsi dans l'attente de ta guérison, et tu me fuis, moi qui ne te fais pas d'amputation avec le fer; qui ne me sers que de la parole, pour purifier ton âme. Or, que fait le médecin ? Souvent il coupe et il envenime la plaie; moi, je ne l'envenime pas, mais je la guéris. Le corps en effet est d'une nature peu fertile en ressources, et les remèdes n'ont qu'une faible puissance; mais sur l'âme, la parole est toute-puissante. Le médecin ne te promet pas le salut; et moi, je te promets le salut, écoute-moi. Si le Fils unique de Dieu est descendu sur la terre, c'est pour nous faire remonter avec lui, c'est pour nous placer au plus haut des cieux.

Je ne crains qu'une chose, le péché; que tout le reste disparaisse, richesse, pauvreté, puissance; et quoi que ce soit. Ce que je dis, je ne me lasserai pas de le redire, parce que je ne veux perdre aucune des brebis de mon troupeau. Eh quoi ! Est-il donc possible qu'un riche obtienne le salut? sans doute; Job était riche, Abraham était riche. Avez-vous remarqué ses richesses? remarquez son hospitalité. Avez-vous remarqué sa table? remarquez son affabilité. Mais quoi, Abraham? il était riche. Ai-je dit le contraire? Abraham était-il riche? oui, Abraham était riche. Vous avez remarqué sa richesse? remarquez sa conduite. Vers l'heure de midi le Seigneur lui apparut, pendant qu'il était assis auprès du chêne de Mambré. Or, voici trois hommes. Il se leva (il ne pensait pas que ce fût Dieu qui était présent; comment aurait-il pu s'en douter?); il adora, et dit: " Si j'ai trouvé grâce devant vos yeux, entrez dans ma tente couverte de bois. " (Gen. XVIII, 1, 3.) Voyez-vous ce que faisait ce vieillard à midi ? Il n'était pas assis sous son toit, mais ii attirait les voyageurs, les passants, qu'il ne connaissait pas; et il se leva, et il adora, lui, l'homme riche, et de noble race. Il avait des richesses en abondance, et il laissait là sa maison, sa femme, ses enfants, ses domestiques, au nombre de trois cent dix-huit; il laissait tout pour aller à sa pêche; il étendait le filet de l'hospitalité, de manière qu'aucun passant, qu'aucun étranger ne pût aller plus loin que sa maison. Voyez ce que fait le vieillard ; il ne demande rien à un serviteur; il en avait trois cent dix-huit; mais il savait bien que les serviteurs sont négligents ; il craignait que le serviteur ne s'endormît; ce qui fait que le voyageur aurait passé outre, et ainsi le patriarche aurait perdu sa proie. Voilà ce qu'était Abraham ; voilà ce qu'était ce riche. Eh bien ! vous, daignez-vous seulement regarder un pauvre, lui répondre, lui adresser la parole? S'il vous arrive, parfois, de donner, c'est par l'intermédiaire d'un serviteur. Mais il n'en était pas de même de cet homme juste; il demeurait assis, exposé à l'ardeur des rayons du soleil; mais, au milieu de là chaleur, il sentait sur lui la rosée; c'était pour lui un ombrage. que le désir d'exercer l'hospitalité; il demeurait assis, cueillant le fruit de- l'hospitalité. Et cela, quand il était riche. Comparez-moi un peu, avec ce juste, les riches d'aujourd'hui ; à l'heure de midi, où sont-ils assis dans l'enfer. Où sont-ils assis? dans la mort de l'ivresse. Où sont-ils assis? sur la place publique, renversés, ivres, aveuglés; sans coeur, plus stupides que les animaux stupides. Il n'en était pas de même de ce juste.

5. Voulez-vous imiter Abraham ? imitez-le de cette manière ; je ne vous en empêche pas, au contraire , je vous le conseille , quoiqu'où exige encore de nous de plus grandes vertus: car, dit l'Ecriture, " Si votre justice n'est pas plus abondante que celle des scribes et des pharisiens , vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux. " (Matth. V, 20.) Toutefois, en attendant, atteignez seulement Abraham. Qu'avait-il fait pour lui, Abraham? Il pratiquait l'hospitalité, il se levait, il s'inclinait (319) avec respect, sans savoir quels étaient ceux qui passaient près de lui. En effet, s'il l'avait su, quoi d'étonnant qu'il eût entouré Dieu de ses soins? mais l'ignorance où il était de la qualité de ceux qui se présentaient à lui, manifeste avec plus d'évidence, le zèle qu'il apportait à l'hospitalité. Il était assis et il reçut les voyageurs. Comment? d'une manière généreuse; il immole le veau, il appelle Sara, il associe son épouse aux soins qu'il prend de ses hôtes; et Sara ne se cachait pas dans sa chambre à coucher, elle était debout sous le chêne. Ce festin de l'hospitalité rendit la fécondité à ses entrailles; la stérilité naturelle disparut, il. sacrifia le veau et, en échange , il reçut Isaac. Il fit une dépense de farine , et il reçut en échange une postérité aussi considérable que les étoiles du ciel, que les grains de sable de la mer. Mais, évidemment, vous allez me dire : accordez-moi, à moi aussi, une postérité d'autant de fils sortis de moi. Malheureux! misérable ! abaissé, profondément abaissé! ce sont les choses de la terre qu'il vous faut, quand je vous donne et le ciel, et la compagnie des anges , et l'éternelle félicité, et vous ne cherchez que la corruption et la mort ! Je vous donne la vie qui n'a pas de fin; votre rémunération est plus grande , votre rétribution plus magnifique : faites attention à mes paroles et comprenez le changement dans la nature des choses. Au moment où il fallait prouver l'empressement de l'hospitalité, que dit Abraham à son épouse Sara: " Pétrissez vite trois mesures de farine." (Gen. XVIII, 6.) Ecoutez ces paroles, ô femmes : " Pétrissez vite a trois mesures de farine. " Le spectacle qui s'offre à nous aujourd'hui , est un enseignement pour les deux sexes; écoutez ces paroles, ô femmes ! et vous, hommes, écoutez aussi et imitez cet exemple. " Pétrissez vite, " dit-il, " trois mesures de farine, " et il courut lui-même à son troupeau de boeufs ; ils se partagent le travail afin d'avoir aussi, tous les deux, leur part de la couronne. Tout est commun entre époux, que les vertus soient communes. Je t'ai prise, ô femme, pour m'aider dans les affaires relevées; aide-moi aussi, vite, vite. Il presse sa femme , il ne veut pas qu'un retard puisse contrarier ses hôtes. " Pétrissez vite trois mesures de farine. " Il lui prescrit de prendre de la peine, il lui ordonne de se fatiguer. " Pétrissez vite trois mesures de farine. " Elle ne lui répond pas : Qu'est-ce que cela veut dire? Est-ce que je me suis mariée avec vous pour moudre de la farine et pour cuire le pain, moi, une femme si riche? vous avez trois cent dix-huit esclaves, et, au lieu de leur donner vos ordres, c'est moi que vous pressez de travailler à ce service ? elle ne lui dit rien de pareil, elle n'eut même pas une pareille pensée; mais, comme elle était l'épouse d'Abraham, non pas seulement de son corps, mais, de plus, la compagne de sa vertu, Abraham lui dit : " Vite ", et aussitôt elle s'empresse, elle saisit l'ordre avec ardeur, parce qu'elle savait que c'est un fruit généreux , que celui de l'hospitalité. " Pétrissez vite. " Il connaissait l'activité de sa femme.

Où en sont-elles nos femmes d'aujourd'hui? Comparons-les avec Sara: Consentent-elles à recevoir de pareils ordres, à faire de tels ouvrages? montrez-moi la main d'une femme avide de parures, vous la voyez, à l'extérieur, toute dorée; à l'intérieur, on dirait une ville assiégée. Réponds-moi un peu, de combien de pauvres portes-tu les dépouilles dans ta main ? étends ta main, montre-la, de quoi est-elle revêtue? de rapines. Etends la main de Sara, de quoi est-elle revêtue ? d'hospitalité, d'aumônes, de charité, d'amour des pauvres. O la belle main ! voyez, quelle main et quelle main! mais l'une n'a d'une main que la forme, au fond, la différence est grande: dans l'une, des sources de larmes; dans l'autre, des couronnes et des récompenses. Ce que j'en dis, c'est pour que les femmes ne demandent pas à leurs maris de pareilles richesses; c'est pour que les maris ne supportent pas, de la part de leurs femmes , de pareilles demandes. Voyez Sara , voyez cette femme riche , elle a pétri trois mesures de farine. Quel travail l mais elle ne le sentait pas, le travail, dans l'espérance de recueillir le fruit et la récompense. " Pétrissez vite trois mesures de farine. " Que fais-tu? tu te pares, tu t'embellis, ô femme; pour plaire à qui? à ton mari ! mauvais désir, si tu dois plaire ainsi à ton mari, si c'est de cette manière que tu tiens à lui plaire. Comment donc lui plairai-je? par la modestie. Mais par quel moyen lui plairai-je? par la décence, par la sagesse, par la douceur et par l'affection, par la sympathie et par la concorde. Ce sont là tes parures, ô femme! ces vertus, qui te sont propres, opèrent la concorde. Mais tous ces autres ornements ne font pas que tu plaises, au contraire, tu te rends à charge à ton mari. En effet, quand tu lui dis: (320) enlève, pille et apporte-moi, pendant quelques instants bien courts tu peux plaire; mais, bientôt tu as en lui un ennemi. Et, ce qui te montrera que ces ornements ne te rendent pas agréable pour ton mari, c'est. que tu les quittes à la maison; c'est dans l'église que tu portes ces parures. Si tu plaisais , par là, à ton mari, c'est à la maison que tu les porterais; mais, comme je l'ai dit, c'est dans l'Eglise que tu entres toute dorée, sur les mains et sur le cou. Si Paul entrait, ce Paul terrible, aimable tout ensemble, terrible pour les pécheurs, aimable pour ceux qui vivent dans la piété, il ferait entendre ce cri pour vous dire : " Que les femmes ne se parent ni d'ornements d'or , ni de perles, ni d'habits somptueux." (I Tim. II, 9.) Et maintenant, si un gentil entrait au milieu de nous. et voyait, en haut, ces femmes portant ces ornements, et en bas, Paul prononçant ces paroles, ne dirait-il pas qu'il y a ici une comédie,? non, non, nous ne jouons pas de comédie, quoi qu'il arrive; mais le gentil a les regards blessés, et il dit :je suis entré dans une église chrétienne, j'ai entendu Paul qui disait : " ni or, ni perles, " et j'ai vu cette femme dont la conduite contredit ces paroles.

6. A quoi te sert l'or, ô femme? à paraître belle et jolie? mais cet or ne fait rien pour la beauté. de ton âme. Deviens belle par l'âme, et tu seras aimable, par le corps. " La sagesse de l'homme illuminera son visage. " (Eccl. VIII, 1). Or, la sagesse appartient à l'âme. Rien n'engendre l'amour et le désir, comme la charité. Si ton mari t'aime, quoique tu n'aies pas de beauté, tu lui parais désirable; mais s'il te hait, quelle que soit ta beauté, il refuse de te voir. La haine qui remplit l'âme ne permet pas aux yeux d'apercevoir la beauté. Quand tu vas lui demander des ornements et de l'or, il est prêt de te haïr, comme celui qui, sur la place publique vient lui demander quelque chose. Seulement, celui-là, il peut le fuir, tandis qu'il ne peut pas t'éviter, toi qui es toujours dans la maison pour lui adresser des demandes que la raison désavoue. O femme, ne te contente pas de prêter l'oreille à ces paroles, mais change ton coeur. Mes paroles sont des remèdes qui brûlent quelque temps, pour produire un soulagement, un plaisir sans fin. Je suis médecin, et je fouille les plaies; je préviens les progrès du mal, si la blessure dure trop longtemps; j'exerce la médecine, et c'est par la parole que je rends la santé. Les autres ne s'occupent que de la vie présente, éphémère, mal assurée, misérable. Mais, je parlais d'Abraham (il ne faut pas que j'oublie mon texte) : " Pétrissez vite; " voilà des paroles que chaque femme doit graver dans sa pensée, que chaque homme doit mettre en réserve dans sa conscience.

Pourquoi portez-vous des habits de soie? Pourquoi vos chevaux ont-ils des freins d'or, et vos mules, de si beaux ornements? Une mule a des ornements par en bas: de l'or, pour la couvrir; des fortunes sont employées à revêtir des mulets, des êtres sans raison ; ils ont des freins d'or; des mulets, des êtres sans raison, vous les voyez parés, ornés; et le pauvre, que la faim dessèche, est assis à votre porte, et c'est le Christ que dessèche la faim. O comble du délire ! et quelle excuse, quelle chance pie pardon lorsque le Christ est là, devant vos portes, sous la forme d'un mendiant? et vous, rien ne vous touche. Qui vous délivrera des supplices qui vous attendent? J’ai fait l'aumône, dites-vous; mais ne vous bornez donc pas à donner seulement ce que le pauvre vous demande; donnez tout ce que vous pouvez donner. Que direz-vous un jour, répondez-moi, lorsque les insupportables châtiments, les supplices à venir, les voix menaçantes, les puissances terribles, le fleuve de feu, lorsque ce bruit retentira autour de vous, lorsque devant ce tribunal épouvantable, ce juge incorruptible, l'Etre incréé, dans l'évanouissement de toutes les choses humaines, ni père, ni mère, ni voisins, ni rois, ni voyageurs, ni étrangers, rien ne pourra vous secourir, à cet heure où l'homme sera seul avec ses oeuvres, pour être condamné ou couronné par elles. que direz-vous alors ? Alors vous vous rappellerez mes discours; mais de quoi vous serviront-ils? de rien. Ce riche d'autrefois avait aussi la mémoire et il redemandait le temps accordé au repentir; mais sa prière fut inutile. Il disait " Envoyez-moi Lazare, afin qu' il trempe le bout de son doigt dans l'eau, pour me rafraîchir la langue, parce que je souffre d'extrêmes douleurs. " (Luc, XVI, 24.) Mais, on ne lui envoya pas Lazare. Ce n'est pas qu'une goutte d'eau, dérobée aux sources abondantes du paradis, eût été une perte pour le ciel ; mais c'est qu'entre la moindre goutte de l’aumône et la dureté du coeur, tout mélange impossible. A l'heure des couronnes, Lazare (321) n’apporta point de consolations à celui qui, au temps de la lutte, n'avait eu pour lui que du mépris; ainsi le voulait la justice.

7. Ce que j'en dis, c'est pour que, ni le pauvre ne déplore sa pauvreté , ni le riche ne se réjouisse de ses richesses. Etes-vous dans l'opulence? Périsse votre fortune, si vous n'apportez pas en commun la part qu'on attend de vous ! " Pétrissez vite trois mesures de farine. " Il courut ensuite, lui-même , à ces boeufs, et il immola le veau. Il devint un coureur, ce vieillard; la vigueur des membres ne lui faisait pas défaut, mais il avait surtout le nerf quo donne la sagesse, et l'ardeur de l'âme triompha de la nature. Ce maître de trois cent dix-huit domestiques ne pliait pas sous le poids du veau qu'il portait; l'ardeur dont son âme était pleine, rendait le fardeau plus léger. Ce vieillard courait, remplissait nu ministère fatigant, et sa femme s'associait à se s peines et à ses fatigues. Il ne leur suffisait pas de prodiguer l'argent, d'étaler une table somptueuse; on les voyait s'assujettir à ce service, et c'était en servant les étrangers, de leurs propres mains, qu'ils honoraient leurs hôtes. Ils n'exerçaient pas l'hospitalité par l'entremise de leurs serviteurs ; ils soignaient leurs hôtes eux-mêmes , employant à ce service leurs mains et leurs membres , et l'on voyait l'épouse qui prenait les allures d'une servante. Et ils ne connaissaient pas leurs hôtes. Car je ne veux pas me lasser de le dire ; ils les prenaient pour des pauvres quelconques; ou plutôt ils n'avaient pas cette pensée, ils ne voyaient en eux que des hôtes. Et tous les deux vendangeaient le raisin de l'hospitalité; ils récoltaient la grappe que méritaient leur sagesse, leur amour de servir, leur affabilité envers les hôtes, leur activité, leur bon vouloir plein d'empressement, leur charité, leur zèle bien entendu , une attention qui n'oublie rien. Et la femme se tenait auprès de l'arbre; un arbre était sa chambre ; le feuillage son toit ; et elle ne rougissait pas de paraître en public, car elle était là, belle de sa vraie parure, et récoltant le fruit de son service empressé. Or que e dit l'hôte d'Abraham ? " Je vous reviendrai voir en ce même temps, et Sara aura un fils. " (Gen. XVIII, 10.) Quel fruit de cette table hospitalière ! quel beau fruit, et comme il est venu vite! comme la grappe a vite montré la maturité parfaite ! Cette parole, pénétrant dans les entrailles de Sara, y porta la fécondité ; voilà quels sont les fruits de l'hospitalité : attention à ce que je vais dire. Ensuite cet enfant grandit, le fruit de cette table. Lorsqu'il fut devenu un homme, ce fruit de l'hospitalité (car ce qui l'a produit, ce ne sont pas ces entrailles dont je parle; ce qui l'a produit, c'est la table hospitalière; avant tout, c'est la parole de Dieu); lors donc qu'il eut grandi, qu'il fut devenu un homme, quand vint le temps de le marier (faites bien attention à ce que je dis), le bienheureux patriarche Abraham, pensant que sa fin approchait, et voyant la dépravation des femmes, dans le pays corrompu qu'il habitait, fit venir son serviteur et lui dit : Les femmes de ce pays sont perverties, ces femmes des Chananéens. — Que demandez-vous donc? — Allez-vous-en dans le pays où je suis né , et amenez, de ce pays-là, une épouse pour mon fils. Conduite nouvelle , étrange ! Vous savez tous et certes, s'il est une chose que vous sachiez parfaitement, c'est que, quand on veut marier son fils, le père et la mère ont ensemble des conversations , et on s'en va daru. les maisons étrangères ; on flatte celui-ci; on entoure de soins celui-là, et les femmes, et les hommes qui s'entremettent pour le mariage , sont en nombre infini ; promesses d'argent, grands soucis , de la part du père, de la mère , qui veulent traiter l'affaire eux-mêmes, et qui ne rougissent pas de prendre tarit de peines, et qui ne s'en rapportent pas à des serviteurs; au contraire, si un hôte arrive: va, conduis-le en bas, va le recevoir. Abraham s'y prenait tout autrement: Quand il fallait faire une de ces actions élevées, que la sagesse commande , c'est lui-même qu'on voyait à l’oeuvre. L'hospitalité , il ne la confie pas à un serviteur; il en fait son affaire, et celle de sa femme , mais, quand il s'agit de choisir une épouse, et d'arranger un mariage : va, dit-il à son serviteur. Les femmes aujourd'hui agissent au rebours; veulent-elles parler avec l'orfèvre, sans rougir elles y vont elles-mêmes; elle vont le trouver, pour qu'on ne leur soustraye pas de l'or; c'est l'avarice qui les porte ainsi à mépriser la décence, à oublier leur dignité. Abraham ne faisait pas de même: quand il voulait recevoir des hôtes, c'était lui qui les recevait; lui, et sa femme; quand il s'agissait d'un mariage, il employait son serviteur. — Mais pourquoi nous parler ainsi d'Abraham? — C'est qu'il était riche; pensez à Abraham, et vous ne mépriserez personne. (322) Mais d'où vient que j'ai fait cette digression ? C'est que je me suis jeté sur le prophète, sur ce bâton qu'il nous donne : " Ne craignez point, en voyant un homme devenu riche. " C'est ce verset qui a tout enfanté, et. de là vient que nous avons trouvé un trésor rempli d'or. " Ne craignez point, en voyant un homme devenu riche. " Prenez ce bâton, bien fait pour maintenir droits les corps tremblants. Je dis qu'un bâton ne redresse pas aussi bien les corps tremblants des vieillards, appesantis par les années, que ce verset ne redresse la pensée tremblante des jeunes gens et des vieillards, qu'assiégent la concupiscence et tous les péchés. " Ne craignez point, envoyant un homme a devenu riche. " Qu'avez-vous à craindre un homme qui n'est pas un homme, mais un loup? Qu'avez-vous à craindre un homme rempli d'impiété, et que l'or assiège? Qu'avez-vous à craindre un homme qui, par ses iniquités, livre ce qui lui appartient, et qui souvent porte son ennemi dans son intérieur? Eh bien ! c'est entendu, le Prophète nous dit : " Ne craignez point, en voyant un homme devenu riche. " Mais, expliquez-moi la suite ; pourquoi je ne dois pas craindre le riche : " Et sa maison comblée de gloire. "

8. O noblesse de la parole, et comme l'expression et le précepte respirent la sagesse ! " Ne craignez point, en voyant un homme devenu riche, et sa maison comblée de gloire. " Le Psalmiste ne dit pas, en voyant un homme comblé de gloire; mais " Sa maison comblée de gloire. " En effet, vous entrez dans la maison d'un riche; vous voyez des colonnes d'une grandeur prodigieuse, des chapiteaux d'or, les murailles incrustées de marbre; des aqueducs, des fontaines, des promenades, des arbres agités par le vent; partout, des mosaïques; la troupe des eunuques resplendissant d'or, des serviteurs en foule ; le sol recouvert de tapis; la table où l'or brille ; tous les appartements magnifiquement ornés; toute cette gloire appartient à la maison, non à l'homme; la gloire de l'homme, c'est la piété, l'équité, l'aumône, la douceur, l'humilité, la paix, la justice, la charité envers tous, sans hypocrisie; voilà tout ce qui constitue la gloire de l'homme. Pourquoi donc craignez-vous le riche? Craignez donc plutôt sa maison; c'est la maison qui est riche , et non celui qui l'habite. — En vérité, je ne la crains pas, me répond-on. Pourquoi? parce que l'or est une matière inanimée. Mais vous craignez l'homme? Sans doute. Pourquoi? Est-ce que ces richesses lui appartiennent? La splendeur est dans la maison; les marbres , c'est le mur qui les possède; mais qu'importe, à l'habitant? Ce sont les lambris qui sont dorés : qu'importe au possesseur? Les chapiteaux des colonnes sont d'or ; qu'importe, à la tète de l'homme plongé dans la fange des péchés? Mais son plancher est si beau ! mais son âme est si laide! Mais il a des vêtements de soie, mais son âme n'a que des haillons. C'est la maison qui est riche, mais le possesseur en est pauvre. " Et sa maison comblée de gloire. " Eh bien! je veux vous apprendre que la gloire est la gloire de la maison, et non la gloire de l'homme, et je vous condamne par vos propres paroles. Très-souvent, vous entrez dans de riches maisons, ensuite vous en sortez: que dites-vous? J'ai vu de beaux marbres; dites-vous : j'ai vu un bel homme ? d'admirables colonnes, de belles fenêtres; dites-vous : un maître admirable? Il y a beaucoup d'or sur les lambris; dites-vous l'aumône est grande? beaucoup de fontaines, une grande magnificence; dites-vous : grande est la magnificence du possesseur? Jamais vous ne parlez que des murailles, des marbres, des fontaines, des eaux. Vous voyez encore un cheval, qui a un frein d'or resplendissant, et vous dites: voilà un beau frein. Eh bien ! vous faites l'éloge de l'ouvrier qui a travaillé l'or; voilà un vêtement distingué. Eh bien! vous faites l'éloge du tisserand; de beaux esclaves; eh bien ! vous faites l'éloge de celui qui les vend ; le propriétaire demeure sans recevoir aucune couronne, tandis que vous décorez ce qui lui appartient. Mais maintenant, quand vous voyez un homme vertueux, vous dites voilà un homme vertueux; il est beau, il est modeste, admirable, miséricordieux. bienfaisant; c'est un coeur contrit, toujours en prières, toujours dans les jeûnes, toujours dans l'église; ne s'écartant jamais de la divine parole. Ces louanges-là sont bien à lui, ces couronnes, bien à lui. Apprenez donc à distinguer les richesses de l'homme et les richesses de la maison. Ne craignez point; une fois que vous saurez faire la distinction des richesses, vous ne craindrez plus. Comprenez-vous bien que celui que vous preniez pour un riche, n'est qu'un pauvre et un indigent? " Ne craignez point, en voyant un homme devenu riche." Tenez, voici qui vous fera comprendre cette (323) vérité, quelle que soit l'erreur où le riche vous jette. Considérez-le au moment de la mort. Prend-il avec lui quelque partie de toutes ses richesses, pour se mettre en route? Le voilà mort, le voilà nu, celui qui avait des vêtements de soie; le voilà nu dans son tombeau; et ses serviteurs s'éloignent, et ils s'en vont, et nul d'entre eux ne se soucie de lui, car ils n'étaient pas à lui, ces serviteurs. Il est parti, et désormais il n'a plus rien; sa femme se frappe la poitrine, délie sa chevelure; tous l'appellent, ce mort; il n'entend rien; ses enfants sont orphelins, sa femme est veuve ; tous sont dans l'abattement, les échansons, les bouffons, les parasites, les flatteurs, les eunuques; de tout ce mobilier superbe, il ne peut rien emporter en s'en allant; mais quoi? On l'emporte lui, tout seul. Mais on célèbre ses louanges. Et après ? Que lui fait cela? Mais une vaine gloire célèbre son nom ? Et pourquoi ? Peut-il en retirer quelque chose? De tout cela, rien ne peut lui servir, au jour suprême; il s'en va dans le tombeau, cet homme qui ravissait tout; un espace de trois coudées, et là dedans, on l'ensevelit, et c'est tout; et la terre sur son visage, et le couvercle de la bière. Sa femme se relire. Où est sa richesse? Où sont ses esclaves ? Qu'est devenue cette pompe ? Que sont devenues ces magnifiques et somptueuses demeures? elles l'abandonnent. Son épouse aussi l'abandonne, de gré ou de force; la mauvaise odeur la chasse, et la vermine, qui jaillit du mort, la repousse bien loin. Est-ce tout? Oui; il n'emporte rien, en se retirant, de ce qu'il avait. Et ce qui vous fera comprendre qu'il est parti, sans rien emporter de ce qu'il avait, c'est que les bienheureux martyrs emportent, eux, tout, ce qu'ils ont; ce qui fait que nous ne quittons pas leur sépulture. Quant à ce riche, sa femme même ne reste pas près de lui. Auprès du martyr, au contraire, l'empereur même dépose son diadème, et il demeure, et il prie; il supplie pour être délivré de ses maux, pour devenir vainqueur de ses ennemis. Donc, "Ne craignez point, envoyant un homme devenu riche. " Après nous être emparés de ce verset, mettons-nous à chanter, en l'honneur du Seigneur, et rendons-lui, pour toutes choses , nos actions de grâces, bénissons le Père et le Fils et le Saint-Esprit, à qui appartiennent la gloire et l'empire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

SECONDE HOMÉLIE
Prononcée à Constantinople, dans la grande église, après le discours d'un autre orateur, en présence d'un petit nombre de fidèles.

1. Un petit fruit, mais bien mûr, voilà le discours que vous venez d'entendre. La corde est mince, mais le retentissement en est grand, les paroles sont brèves, mais les pensées, riches. Des éloges, adressés au peuple tout entier, ont donné des ailes à sa vertu, de la ferveur à sa piété ; l'orateur a célébré celui qui cultive nos âmes; il lui a décerné les hymnes et les paroles de bénédiction conformément au précepte des apôtres, et son discours s'est terminé par la glorification du Seigneur. S'il a vite enlevé la table, ce n'est pas par indigence, mais par humilité ; ce n'est pas l'impossibilité d'en dire plus, qui l'a fait rentrer dans le silence, mais il a voulu se retirer devant nous, et nous céder la parole qui vous instruit. Eh bien ! donc, puisque nous voilà délivrés de ces troubles qui nous ont assaillis comme une tempête, purifions-nous, comme on se purifie dans les fleuves, en nous plongeant dans la lecture de l’Ecriture sainte. C'est l'habitude des marins échappés aux tempêtes; ayant parcouru de vastes mers, parvenus à un port paisible, ils ferlent les voiles, déposent les rames, sortent du navire et demandent aux bains, aux festins, aux rafraîchissements, au sommeil, aux plaisirs, le repos qui rend le corps plus vigoureux, et le retrempe pour d'autres voyages.

Faisons donc, comme les marins. Nous voilà débarrassés des derniers troubles, des flots soulevés contre nous; appliquons-nous à la lecture de l'Ecriture sainte ; portons-y nos âmes comme vers un port tranquille. Voilà en effet un port à l'abri des flots ; un mur, que rien ne peut détruire; une tour inébranlable; une gloire, que nul ne nous arrachera; une armure impénétrable; une tranquillité, hors de toute atteinte ; un plaisir durable. Essayez d'énumérer tous les biens, les divines Ecritures les rassemblent; elles bannissent le découragement, elles conservent la tranquillité de l'âme, elles rendent le pauvre plus riche que ceux qui sont dans l'opulence; aux riches, elles donnent la solidité; aux pécheurs, la justice; aux justes, un puissant secours; elles dissipent les maux, elles ramènent les biens; elles chassent la perversité, elles vous reconduisent à la vertu, et non-seulement elles vous y reconduisent, mais elles l'enracinent dans vos âmes, pour qu'elle y demeure à jamais; c'est un remède spirituel, c'est un enchantement divin, ineffable, qui extermine les passions. L'Ecriture sainte arrache les épines des péchés: elle purifie le champ, elle y jette les semences de la piété , elle en développe le fruit qu'elle rend d'une vigoureuse saveur. Donc, ne négligeons pas de si grands biens; ne nous absentons pas des réunions, courons-y sans cesse, afin d'obtenir toujours les soins qui nous sont nécessaires; et que nul, à la vue d'un riche, ne se laisse blesser par l'envie, ni fouler aux pieds par la pauvreté, afin d'être toujours tous bien pénétrés de la vraie nature des choses, de négliger les ombres pures, pour n'embrasser que la vérité. L'ombre a beau paraître plus grande que le corps, ce n'en est pas moins une ombre ; et d'ailleurs elle n'est réellement. pas plus grande, mais elle paraît ainsi, et elle ne nous semble plus grande que parce que les rayons du soleil s'éloignent de nous ; à midi, lorsque le soleil brûlant envoie ses rayons sur nos têtes, l'ombre est raccourcie de toutes parts et devient plus petite, ce que l'on peut voir, par analogie, dans les choses de la vie humaine. En effet, aussi longtemps que l'on se tient séparé de la vertu, les choses de la vie paraissent grandes; mais une fois que l'on s'est placé dans l'éclatante lumière des Ecritures, alors combien viles, combien courtes, combien misérables, paraissent ces choses, et chétives et caduques; avec quelle facilité on comprend, qu'elles n'ont rien de plus que les eaux des fleuves qui ne font que paraître et s'écouler. Voilà pourquoi le Prophète, exposant les leçons de la sagesse et réprimandant ces âmes faibles et vouées à l'infortune, ces esprits rampant sur la terre, que saisit la pompe des richesses, et qui ont peur, et qui tremblent à la vue des riches, voilà pourquoi le Prophète, afin de nous affranchir de cette crainte, de nous inspirer le mépris des trésors prétendus, nous disait : " Ne craignez point, en voyant un homme devenu riche, et sa maison comblée de gloire ; parce que, lorsqu'il sera mort, il n'emportera point tous ces biens." (PS.XLVIII, 17.) Remarquez-vous le choix minutieux des expressions, et la parfaite clarté qui distingue tous les mots? Il ne dit pas: en le voyant comblé de gloire, lui, mais: " Sa maison comblée de gloire. " Il indique que la gloire de l'homme n'est pas la même chose que la gloire de sa maison. Quelle est donc la gloire de l'homme, et qu'est-ce que la gloire de sa maison? Il importe ici d'établir bien clairement la distinction, afin de ne pas embrasser des songes, au lieu de la vérité. Eh bien ! la gloire de la maison, ce sont les portiques, les lieux de promenade, les lambris dorés, le pavé incrusté de pierres, les prés, les jardins, les troupeaux d'esclaves, le mobilier somptueux; rien, dans tout cela, ne se rapporte à l'homme. La gloire de l'homme, c'est la pureté de la foi, le zèle de Dieu, l'affection, la douceur, la modération, l'assiduité à la prière, la générosité qui fait l'aumône, la chasteté, la modestie, toutes les autres vertus. Et ce qui prouve que cette distinction est fondée, c'est que le possesseur de ces biens étrangers, n'en retire aucune gloire; jamais on ne regardera comme illustre, celui qui a de magnifiques demeures, un beau jardin, un beau pré, un grand nombre d'esclaves ou de riches vêtements; la gloire qu'il y a là-dedans, est pour les ouvriers qui ont fait ces choses matérielles et non pour celui qui les a acquises; tout au contraire c'est une preuve de perversité.

2. Donc la possession de ces prétendus biens est si loin de donner de la gloire aux possesseurs, qu'au contraire leur réputation en est fortement amoindrie. En effet, ceux qui mettent là-dedans leurs richesses, et qui les étalent, on les regarde universellement comme des êtres cruels, n'ayant rien d'humain; des infâmes, des fous. Et en effet, ces biens ne contribuent en rien à la gloire de l'homme, c'est la gloire de la maison; mais ceux qui vivent dans la chasteté, dans la modestie, dans la douceur, dans la modération, appliqués tout entiers au service de Dieu, nous les admirons, nous les louons, nous les célébrons, parce que ces vertus surtout constituent la gloire de l'homme. Ces vérités étant bien comprises, ne regardez jamais comme heureux l'homme riche, de ces biens qui n'ont rien de commun avec lui. Vous voyez un homme assis sur un char ; le sourcil haut, il se dresse, il touche aux nuages; ce qui n'est pas vrai en réalité (car c'est impossible), mais je dis qu'il y touche, par l'arrogance de ses pensées, ou plutôt par l'absence de ses pensées. Ne dites pas que voilà un homme couvert de gloire, un homme sublime, un homme grand; ce qui vous rend sublime, ce ne sont pas des mulets qui tirent votre char, c'est la perfection de votre vertu, qui vous élève au ciel. Vous voyez un homme (326) à cheval, beaucoup de licteurs l'escortent pour écarter le peuple devant lui, sur la place publique; ne dites pas pour cela : voilà un homme heureux, secouez le fond de son âme, déployez son âme, et bornez-vous au jugement que vous suggérera la beauté de cette âme. Tout ce que nous voyons aujourd'hui, est le comble du ridicule. — Ah ça ! pourquoi, je t'en prie, sur la place publique, écartes-tu la foule ? Et pourquoi chasses-tu ceux que tu rencontres, et mets-tu en fuite un homme, toi, qui es un homme? Que signifie ce faste? Que signifie cette arrogance? Est-ce que tu es devenu un loup ou un lion, toi, dont l'entrée dans la ville fait que tout le monde se sauve ? Mais que dis-je? Un loup ne chassera jamais un loup, non plus qu'un lion ne chassera un lion ; ils se rassemblent entre eux, ils respectant ce que la nature leur a donné en commun. Et toi, qui, outre la communauté de nature, as tant de motifs pour pratiquer la douceur, l'humilité, le respect de l'égalité, d'où vient que tu es plus féroce que les bêtes féroces? Pour être monté sur un animal sans raison, tu méprises les êtres doués de raison? Lu Seigneur ton Dieu a transporté l'homme dans lu ciel, et toi, tu ne peux pas le souffrir, avec toi, dans la place publique? Mais que dis-je, dans le ciel? Il l'a placé sur le trône même de sa royauté ; toi, tu le chasses de la ville?

Et maintenant que signifie ce frein d'or qui orne le cheval? Et que diras-tu pour ta défense, et quel pardon obtiendras-tu, toi qui ornes au delà du nécessaire ce qui n'a pas la raison, ni le sentiment de cette magnificence (car c'est bien la même chose pour le cheval que le frein soit d'or ou de plomb), et quand tu vois le Christ desséché par la faim , tu ne lui fournis pas la nourriture nécessaire? Et que signifie : quand tu es un homme, que tu dédaignes le commerce des hommes, et, qu'au milieu des villes, tu cherches la solitude, et qu'il ne te vienne pas à l'esprit, que ton Seigneur a mangé avec des publicains, a conversé avec une courtisane, a été mis en croix avec des voleurs, a eu commerce avec des hommes, tandis que toi, délirant par le faste et par l'orgueil, tu arrives à perdre jusqu'au titre qui fait de toi un homme ? Voilà la grande source de notre dédain pour ceux qui souffrent de notre avarice ardente, de notre cruauté, de notre barbarie. Quand tu mets un frein d'or à un cheval, un collier d'or à un esclave; quand tu enchâsses les pierres dans l'or, quand tu as des tissus d'or, des vêtements d'or, un baudrier d'or, et, de même , des chaussures, et que tu t'imposes la nécessité si grande de satisfaire tes désirs pervertis, d'assouvir ton insatiable cupidité, de faire brouter la bête la plus vorace de toutes, j'entends par là l'avarice, alors tu dépouilles les orphelins, tu mets à nu les veuves, et te voilà l'ennemi commun de tous, et tu entreprends un vain travail, et tu commences un chemin qui ne peut aboutir à aucune bonne issue. Car, qu'est-ce que cela veut dire que tu donnes à un barbare, ton esclave, de l'or pour le parer? Quel gain, quelle utilité y a-t-il là pour ton âme ; quel avantage pour ton corps, quel revenu pour ta maison ? parlons mieux, c'est tout le contraire que manifestent de pareilles mœurs. Magnificence hors de propos, dépenses que la raison condamne , matière pour la luxure, enseignement de corruption, occasion de prodigalité et de dissolution, peste pour l'âme, chemin qui conduit à des maux sans nombre. Des lits rehaussés d'argent, brillants d'or, des sièges, des bassins forgés avec de l'or, les éclats de rires multipliés, en quoi cela peut-il servir à la correction des moeurs, en quoi cela peut-il servir à te rendre meilleur, toi, ou ton épouse, ou quelqu'un de tes domestiques? Est-ce que ce n'est pas là plutôt ce qui fait les voleurs, et la foule de ceux qui percent les murailles? N'est-ce pas là ce qui fait les esclaves fugitifs? Et, en effet , de quelque côté qu'ils tournent les yeux, ils voient briller l'argent, et leur cour malade nourrit des pensées de vol. Car, si toi, qui es un homme libre et à qui la noblesse de ton origine inspire un grand orgueil, si, à la vue de l'argent qui brille dans le forum , tu te sens porté à des désirs coupables , à bien plus forte raison , en arrivera-t-il autant à des serviteurs. Et, ce que j'en dis, ce n'est pas pour absoudre les esclaves fugitifs, ni ceux qui commettent de pareils crimes, mais pour vous exhorter à ne pas fournir des aliments à leur maladie. Mais , me dira-t-on , où mettrons-nous nus trésors ? les enfouirons-nous au sein de la terre? Nullement, bien loin cette pensée. Mais si vous voulez m'écouter, je vous donnerai les moyens de faire, de l'esclave fugitif, un serviteur honnête et fidèle.

3. C'est un esclave fugitif que l'or. Aujourd'hui, à celui-ci ; demain , à celui-là; et c'est qu'il n'est pas fugitif tout seul, mais il rend les autres fugitifs, il fait souvent que ceux qui (327) le gardent, prennent la fuite. Par quel moyen ce fugitif pourrait-il donc être retenu ? Il faut chercher un moyen tout contraire à celui qu'on emploie pour les autres fugitifs. Les autres, quand on les retient, demeurent; celui-ci quand on le retient, s'enfuit ; qu'on l'envoie au contraire, à droite et à gauche, il demeure. Ce que je vous dis, peut vous paraître étrange; voyez ce que font les agriculteurs! S'ils gardent le froment chez eux, enfermé , entassé, les teignes et les vers s'y mettent, tout est perdu. Si, au contraire, ils l'envoient, à droite, à gauche, dans les champs, non-seulement ils le conservent mais ils le multiplient. Il en est de même de l'or : est-il enfermé dans des coffres, gardé entre des portes, sous des verroux ; enfoui dans la terre ; vite, il prend la fuite. Mais si, comme l'agriculteur jette le blé sur la terre de labour, vous jetez votre or aux ventres affamés, non-seulement il ne prend pas la fuite, mais, par ce moyen, il fructifie.

Pénétrés de cette vérité, ne le livrez donc plus à vos serviteurs, ménagez-vous des milliers de mains qui le retiennent; les mains pies veuves, les mains des orphelins, les mains des mutilés, les mains des prisonniers. Votre or ne peut pas échapper à tant de mains qui le tiennent , mais , retenu sûrement , il demeure et fructifie. — Mais que laisserai-je à mes enfants, me dit ce père? — Je ne vous force pas le moins du monde à tout répandre, quoique pourtant, quand vous répandriez tout, vous ne feriez par là que mieux assurer la fortune de vos enfants, à qui, au lieu de richesses, vous légueriez la faveur d'un Dieu propice, la fortune qui vient de l'aumône, des milliers de protecteurs parmi les hommes, d'innombrables bienfaiteurs. En effet, de même que nous détestons les avares, qui ne nous ont fait aucun mal, de même ceux qui font des aumônes et dont nous n'éprouvons pas personnellement ta bonté, nous les respectons, nous les chérissons et avec eux nous chérissons leurs enfants. Considère donc cette beauté, que tes fils aient des milliers d'âmes pour les aimer; que tous les hommes, en échange de l'or dépensé pour le soutien dies indigents, puissent dire . celui-ci est le fils d'un homme plein de bonté, le fils d'un homme miséricordieux. Quant à toi, voici ce que tu fais, tu embellis ce qui est insensible. Une pierre est insensible, et tu l'entoures de milliers de talents d'or ; au contraire, voici un être sensible que la faim fait mourir et tu ne partages pas avec lui, même la nourriture qui lui est nécessaire. Eh bien ! quand le redoutable tribunal apparaîtra, quand tes yeux verront les fleuves de feu, quand on nous demandera compte de nos actions, que répondras-tu pour une telle négligence, pour un tel délire, pour tant de cruauté et de barbarie? Quelle sera l'excuse légitime?

Chaque homme a son but et sa raison; l'agriculteur à qui tu demanderas compte , te dira pourquoi il a attelé ses boeufs, creusé son sillon, tiré sa charrue ; le marchand, pourquoi il s'est embarqué, il a enrôlé des ouvriers, fait des dépôts d'argent; et l'architecte, et le cordonnier, et l'ouvrier en bronze, et le pâtissier, tous les artisans, un à un, quelle que soit leur industrie, peuvent rendre leurs comptes. Eh bien ! toi aussi, qui couvres d'argent ton lit, qui dores un cheval et une pierre, qui prépares des peaux, telles que nous les voyons, si l'on te demande des explications, des comptes, que diras-tu ? De quelle manière t'y prendras-tu ? Est-ce que sur un lit, tel que tu le fais, le sommeil est plus doux? Tu ne saurais le soutenir? Et au contraire, si étrange que cela paraisse, il faut dire que le sommeil est moins agréable, parce que l'inquiétude est plus grande, plus grande l'anxiété. Est-ce que l'or donne plus de solidité aux objets qui en sont formés ? Mais nullement. Est-ce que la bonté du cheval résulte du frein fait de cette matière, ou encore, la bonté de l'esclave en dépend-elle? C'est précisément le contraire qui se remarque. Pourquoi donc montrez-vous tant d'extravagance dans cet emploi de l'argent et de l'or ? Voici ce que vous direz : c'est que vous rehaussez par là votre considération; vous n'avez donc pas entendu le commencement de ce discours? Que la richesse ne constitue pas la gloire de l'homme ; que c'est tout le contraire, qu'elle lai prépare le déshonneur, les reproches, les accusations, le ridicule; delà, l'envie et des maux sans nombre. Et plus les richesses persistent, plus les accusations s'obstinent et sont interminables. Ces magnifiques et splendides demeures sont des accusateurs implacables dont la voix accuse amèrement, même les possesseurs qui ont cessé de vivre. Le corps est confié à la terre, mais la vue des édifices superbes ne laisse pas ensevelir avec le corps, le souvenir de la cupidité; chaque passant qui considère la hauteur, les vastes proportions de l'édifice, se dit en lui-même ou dit à son voisin (328) Combien y a-t-il de larmes dans la construction de cette maison ? Combien d'orphelins ont-ils été dépouillés? Combien de veuves ont-elles subi l'injustice? combien d'ouvriers ont-ils été dépouillés de leur salaire? C'est pourquoi ce qui t'arrive, c'est juste le contraire de ce que tu veux. Tu veux la gloire pour en jouir de ton vivant et même après ta mort, tu n'échappes pas aux accusations. Semblable à une colonne d'airain, ta maison montre ton nom afin de t'exposer aux mille outrages de ceux qui, de ton vivant, ne te connaissaient pas même de vue.

4. Eh bien ! donc, puisque cette superfluité de richesses ne nous donne pas même cet avantage, fuyons, mes bien-aimés, fuyons cette maladie; ne nous montrons pas plus féroces que les animaux les plus dépourvus de raison. Chez eux tout est commun, la terre, les sources, les pâturages, les montagnes, les bois; aucun d'eux n'a rien dé plus que l'autre ; et toi, ô homme, le plus doux des animaux, tu deviens plus féroce que les bêtes sauvages; tu renfermes la subsistance de milliers de pauvres, et souvent, cette subsistance de plusieurs milliers dans une seule et même maison. Et cependant , ce n'est pas la nature seule qui nous est commune, mais avec la nature, beaucoup d'autres choses encore; le ciel nous est commun à tous, et le soleil, et la lune, et le choeur des astres, et l'air, et la mer, le feu, l'eau, la terre, la vie, la cessation de l'existence, l'accroissement, la vieillesse, la maladie, la santé, le besoin de nourriture, le besoin de vêtements.

Les choses de l'esprit nous sont communes aussi, la même table sainte, le corps du Seigneur, le sang vénérable, la promesse de la royauté, le bain de la régénération, la purification des péchés, la justice, la sanctification, la rédemption, les biens ineffables, " que l'œil n'a pas vus, que l'oreille n'a pas entendus, que le coeur de l'homme n'a jamais conçus. " (I Cor. II, 9.) N'est-il donc pas absurde que nous, que réunissent tant de liens communs, la nature, la grâce, les promesses, les lois, nous nous montrions, en ce qui concerne les richesses, avides outre mesure, incapables de conserver l'égalité du droit, plus cruels que les animaux féroces, et cela, quand il faut, au bout d'un temps si court, quitter ces trésors; et non-seulement les quitter, mais à cause de ces trésors, compromettre le salut de notre âme, car la mort nous en sépare pour nous conduire aux châtiments, aux éternels supplices. Evitons ces douleurs et pratiquons pleinement l'aumône, car voilà la reine des vertus, qui nous donnera toute confiance là-bas, qui nous délivrera du châtiment et du supplice; nul ne fera obstacle à qui se présentera escorté de l'aumône dans le ciel, car son aile est légère ; son crédit dans le ciel est immense, elle s'avance jusqu'auprès du trône royal, elle conduit, sans crainte, auprès de Dieu ses nourrissons. " Vos prières, " dit l'Ecriture, " et vos aumônes sont montées jusqu'à la présence de Dieu, et il s'en est souvenu. " (Act. X, 4.) Qui nous empêche de nous élever, nous aussi, à cette hauteur et de nous affranchir de cette avarice importune, de ces délices, de cet orgueil inutile? Rendons utile ce qui était superflu ; dépensons ces grandes richesses ; confions-les à la droite du Juge qui saura les garder, les mettre en sûreté, qui s'en souviendra au jour du jugement, pour nous être bienveillant et propice. Fussions-nous couverts de péchés sans nombre, il nous pardonnera, il nous justifiera. Puissions-nous tous obtenir cet effet de la miséricorde, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l'empire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE SUR LA GRANDE SEMAINE. " D'OÙ VIENT CE NOM DE GRANDE SEMAINE ; " SUR CE VERSET : " O MON AME, LOUEZ LE SEIGNEUR (PS. CXLV, 2); " SUR LE " GARDIEN DE LA PRISON, " DANS LES ACTES DES APÔTRES.
AVERTISSEMENT.
On ne saurait établir ni la date de cette homélie, ni le lieu où elle fut prononcée. Ce qui ressort de l'homélie même, c'est qu'elle fut donnée au moment où cesse le jeûne, au grand jour de la grande semaine, que nous appelons aujourd'hui la semaine sainte. Outre les développements indiqués par le titre même de l'homélie, on remarquera, sur cette pensée, comment notre corps est une lyre harmonieuse qui bénit et glorifie le Seigneur; sur l'efficacité du jeûne et de la prière, sur la nécessité, le devoir de bénir Dieu, en tout temps et pour toutes choses, des accents pathétiques, entraînants, dignes de saint Jean Chrysostome.

1. Nous avons achevé la navigation du jeûne et nous voici, par la grâce de Dieu, arrivés au port. Mais ne nous négligeons pas, parce que nous sommes arrivés au port; au contraire redoublons de zèle, parce que nous avons atteint le terme du voyage. Ainsi font les pilotes; au moment de faire entrer dans le port un vaisseau chargé de blé et d'un poids énorme de marchandises, ils sont inquiets, ils prennent mille soins pour empêcher que le navire, après avoir traversé de si vastes mers, ne se brise contre un écueil, et ne sombre avec toutes les marchandises. Voilà les inquiétudes, les craintes que nous devons ressentir, nous aussi; au terme de la traversée gardons-nous de perdre le prix de nos fatigues. Voilà pourquoi nous devons redoubler de zèle. Ainsi font les coureurs encore : quand ils se voient arrivés au moment de recevoir leurs prix, c'est alors qu'ils redoublent de vitesse. Ainsi font les athlètes encore ; après les luttes et des victoires sans nombre, quand ils touchent au moment des couronnes, c'est alors qu'ils se dressent plus vivement, qu'ils font de plus généreux efforts. Faisons donc de même, nous aussi, maintenant. En effet, ce qu'est le port pour les pilotes, le prix, pour les coureurs, la couronne, pour les athlètes, la semaine où nous sommes est tout cela pour nous. C'est la source de nos biens, et il s’agit maintenant de se disputer les couronnes; et voilà pourquoi la présente semaine s'appelle la Grande Semaine. Ce n'est pas que les jours y soient plus longs que dans les autres; d'autres semaines, en effet, ont des jours plus longs. Ce n'est pas que les jours y soient plus nombreux; car, dans toutes les semaines, le nombre des jours est le même; mais c'est que, dans cette semaine, Dieu a fait des choses particulièrement glorieuses, c'est dans cette Grande Semaine que la longue tyrannie du démon a été brisée, que la mort a été éteinte, que celui qui était fort, a été enchaîné; ses vases ont été pillés; le péché enlevé; la malédiction effacée; le paradis s'est ouvert; le ciel est devenu accessible, les hommes se sont mêlés aux anges; le mur qui séparait (330) tout; a disparu; le voile a été enlevé; le Dieu de paix a étendu la paix dans le ciel et sur la terre. Aussi l'appelle-t-on la Grande Semaine, et, de même qu'elle est la première des autres semaines, de même le grand jour du sabbat est le premier de ces jours, et ce que la tête est pour le corps, le sabbat l'est pour cette semaine. Aussi, dans cette semaine, un grand nombre de personnes montre un zèle plus ardent; les unes ajoutent à l'austérité de leur jeûne ; les autres prolongent leurs veilles sacrées ; d'autres font des aumônes plus abondantes, et le zèle qu'elles montrent pour les bonnes oeuvres, et leur application à la piété, attestent la grandeur du bienfait que Dieu nous a accordé. De même qu'au jour où. le Seigneur ressuscita Lazare, tous les habitants tic Jérusalem coururent au-devant de lui, et leur grand nombre attestait qu'il avait ressuscité un mort ( car l'empressement de tous ceux qui accouraient, était une preuve du miracle) ; de même, aujourd'hui, le zèle que fait éclater cette Grande Semaine, est un témoignage, une démonstration des grandes choses qui s'y sont opérées. Et en effet, nous ne sortons pas d'une seule cité, nous qui courons aujourd'hui au-devant du Christ . ce n'est pas la seule Jérusalem, c'est la terre entière qui envoie au-devant de Jésus ses églises, riches de peuples qui ne tiennent pas, qui ne secouent pas dans leurs mains des rameaux de palmier, niais qui portent l'aumône, l'humanité, la vertu, le jeûne, les larmes, les prières, les veilles, toutes les fleurs de la piété, pour les offrir à Notre-Seigneur, au Christ.

Et nous ne sommes pas les seuls à vénérer cette semaine; les empereurs, qui commandent à notre terre, l'honorent aussi d'une manière toute spéciale, et ils décrètent la suspension de toutes les affaires publiques dans les cités, afin que, libres de soins, tous les chrétiens Honorent ces jours d'un culte spirituel. Voilà pourquoi ils ont fermé les portes des tribunaux. Trêve, disent-ils, à tous les procès, querelles, contentions, supplices ; que les mains des bourreaux se reposent un peu. Les merveilles du Seigneur sont pour tous; faisons aussi, nous, les esclaves du Seigneur, quelque bien qui s'étende; à tous. Et ce n'est pas seulement ce zèle; cet hommage qui témoigne de leur vénération et de leur respect; ils en donnent une autre preuve, non moins considérable ; des lettres impériales sont envoyées pour ordonner de délier, dans les prisons, les chaînes des détenus. De même que Notre-Seigneur, descendu aux enfers, a délivré tous ceux qui étaient au pouvoir de la mort, de même les serviteurs de Dieu, faisant ce qui est en leur pouvoir, imitent la bonté du Seigneur, et délivrent des chaires sensibles, s'ils ne peuvent pas faire tomber les chaînes spirituelles.

2. Et nous aussi, nous vénérons cette Semaine; et moi, sorti avec vous, portant en guise de rameau la parole qui nous instruit, j'ai déposé mes deux petites pièces de monnaie, à l'exemple de la veuve de l'Evangile (Luc, XXI, 2.) " Ils sortirent alors, portant des branches d'arbres et ils criaient: Hosanna au plus haut des cieux, béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! " (Matth. XXI, 9.) Sortons donc, nous aussi, et, au lieu de branches d'arbres, montrons les dispositions d'une âme en fleurs, et crions ce que nous avons chanté aujourd'hui : " O mon âme, louez le Seigneur! je louerai le Seigneur pendant ma vie. " (Ps. CXLV, 2.) C'est David qui prononce la première parole, et celle qui suit est également de lui; je me trompe, ni l'une ni l’autre ne sont de David, niais l'une et l'autre appartiennent à la divine grâce. C'est le Prophète qui a parlé; mais ce qui a fait parler la langue du Prophète, c'est l'Esprit consolateur. Aussi, dit le Psalmiste, " ma langue est la plume de l'écrivain, qui écrit très-vite. " (Ps, XLIV, 2.) De même que la plume n'écrit pas de son propre mouvement, niais par la vertu de la. main qui la fait mouvoir; ainsi la langue des prophètes ne parlait pas d'elle-même, niais parla grâce de Dieu. Maintenant, pourquoi le Psalmiste n'a-t-il pas dit seulement: Ma langue est la plume d'un écrivain, mais: " La plume de l'écrivain, qui écrit très-vite ? " C'est pour vous apprendre que la sagesse est chose spirituelle; de là sa facilité, sa rapidité. En effet, quand les hommes parlent d'eux- mêmes,. ils composent, ils délibèrent, ils hésitent,, ils emploient beaucoup de temps; le Prophète, au contraire, sentait les parons jaillir pour lui comme d'une source; il n'éprouvait aucun obstacle; les pensées coulant à flots surpassaient la rapidité de sa langue; de là ce qu'il dit : " Ma langue est la plume de l'écrivain, qui écrit très-vite. " Ce sont comme des flots dont ma langue est inondée; de là, la vitesse, la rapidité. Nous n'avons besoin, nous, ni de réflexions, ni de méditation, ni de travail.

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Mais voyons ce que signifie, " O mon âme, louez le Seigneur! " Chantons, nous aussi, avec David, ces paroles en ce jour; si le corps de David n'est pas présent au milieu de nous, son esprit est présent. Voulez-vous la preuve que les justes sont présents au milieu de nous, qu'ils chantent avec nous ? Ecoutez la réponse d'Abraham au riche. En effet, " celui ci lui disait: envoyez-moi Lazare, afin que mes frères, apprenant ce qui se passe dans l'enfer, se corrigent. Abraham lui répond : ils ont Moïse et les prophètes. " (Luc, XVI, 24, 28, 29.) Or, il y avait longtemps que Moïse et les prophètes étaient morts, quant à leurs corps; mais, par leurs écrits, ils se trouvaient au milieu des Juifs. Si l'image inanimée d'un fils ou d'un ami vous fait croire à !a présence de celui qui n'est plus, si cette image inanimée vous le montre, à bien plus forte raison, jouissons-nous, par les saintes Ecritures, du commerce des Saints; nous n'avons pas leurs û)i lis, mais nous avons les images de leurs âmes; les paroles dites par eux, sont les images de leurs âmes. Voulez-vous la preuve que les justes sont vivants et présents? On ne prend jamais les morts à témoin. Eh bien ! le Christ les a pris à témoin de sa divinité, et particulièrement David, afin de vous apprendre que David est vivant. Les Juifs doutaient de la divinité du Christ: il leur dit: " Que vous semble du Christ? De qui est-il fils ? Ils lui répondent: De David. Et comment donc, " leur dit-il, " David l'appelle-t-il, en esprit, son Seigneur par ces paroles: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite? " (Matth. XXII, 42, 44; Ps. CIX, 1.) Comprenez-vous que David est vivant? S'il n'était pas vivant, Jésus-Christ ne l'aurait pas pris comme témoin de sa divinité. Jésus-Christ ne dit pas : Et comment donc David l'a-t-il appelé en esprit son Seigneur? Mais. " l'appelle-t-il son Seigneur? " pour montrer qu'il est encore présent, et qu'il parle par ses écrits. Il chantait autrefois ses psaumes ; chantons avec David aujourd'hui; David avait une cithare, faite de cordes inanimées; l'Eglise a une cithare, faite de cordes vivantes; nos langues sont les cordes de la cithare, elles font entendre avec la diversité des sons, l'harmonie de la piété; les femmes, les hommes, les vieillards, les jeunes gens se distinguent par l'âge; mais non par le chant des hymnes ; l'Esprit-Saint, modifiant chaque voix une à une, ne compose, de toutes les voix, qu'une seule mélodie, ce qu'a exprimé David lui-même, en appelant tous les âges, les deux sexes à ce concert. " Que tout esprit loue le Seigneur; ô mon âme, louez le Seigneur. " Pourquoi a-t-il oublié la chair? pourquoi ne s'adresse-t-il pas du tout au corps ? A-t-il fait deux parts de l'être vivant ? Nullement; mais il excite d'abord l'artiste. Ce qui prouve qu'il n'a pas fait deux parts, l'une du corps, l'autre de l'âme, c'est ce qu'il dit, écoutez : " Mon Dieu, mon Dieu, je veille, et j'aspire vers vous, dès que la lumière paraît; mon âme brûle d'une soif ardente pour vous, et en combien de manières nia chair se sent-elle aussi pressée de cette ardeur! " (LXII, 2.) Mais montrez-moi, me dit-on, que le Psalmiste, convie la chair aussi à faire entendre des hymnes : " Mon âme, bénissez le Seigneur, et que tout ce qui est au-dedans de moi, bénisse son saint nom. " (Ps. CII, 1.) Voyez-vous que la chair aussi prend part au concert? Que signifient ces paroles: " Et que tout ce qui est au dedans de moi, bénisse son saint nom? " Le Psalmiste entend par là les nerfs, les os, les veines, les artères, et toutes les parties à l'intérieur.

3. Mais comment les parties, qui sont dans notre corps, peuvent-elles bénir Dieu ? elles n'ont pas de voix, elles n'ont pas de bouche, elles n'ont pas de langue; l'âme a ce pouvoir, mais les parties, intérieures de notre corps, comment l'auraient-elles ? comment pourraient-elles, sans voix, sans langue, sans bouche, bénir le Seigneur? De la même manière que " les cieux racontent la gloire de Dieu. " (Ps. XVIII, 1.) De même que le ciel n'a ni langue, ni bouche, ni lèvres, mais, par la beauté du spectacle qu'il présente, saisit les spectateurs, des merveilles qu'il étale, et les porte à bénir Celui qui l'a créé ; de même, les parties intérieures de notre corps étonnent la pensée qui considère tant de fonctions diverses, d'opérations, de force, d'harmonie, et toutes les beautés de forme, de position; les lois mathématiques qui gouvernent le tout avec tant d'ensemble, et l'on s'écrie comme le Prophète : " Que vos ouvrages sont magnifiques, ô Seigneur ! vous avez tout fait avec sagesse. " (Ps. CIII, 24.) Voyez-vous comme nos entrailles, sans voix, sans bouche, sans langue, bénissent le Seigneur? Pourquoi donc le Psalmiste s'adresse-t-il à son âme? C'est pour empêcher, pendant que la langue fait entendre des sons, (332) que l'âme ne s'égare, ne se laisse distraire, ce qui nous arrive souvent lorsque nous prions, que nous chantons des hymnes. Le Psalmiste veut le concert de l'âme et du corps. Quand vous priez sans écouter les paroles divines, comment voulez-vous que Dieu écoute votre supplication ? Donc, si le Psalmiste dit : " O mon âme, louez le Seigneur, " c'est pour faire entendre ceci : les supplications doivent partir du dedans de notre être, des profondeurs de notre coeur. C'est ainsi que Paul dit : " Je prierai de coeur, et je prierai aussi avec intelligence. " (I Cor. XIV, 15.) L'âme est un musicien excellent, c'est un artiste; son instrument, c'est le corps qui lui tient lieu de cithare, de flûte et de lyre. Les autres musiciens n'ont pas toujours tous leurs instruments; tantôt ils les prennent, tantôt ils les mettent de côté ; ils ne font pas entendre perpétuellement leur mélodie; et par conséquent, ils n'ont pas toujours leurs instruments entre les mains. Mais Dieu, qui veut t'apprendre que toi , tu dois toujours le glorifier et le bénir, a pris soin de te donner un instrument; d'attacher à ta personne un instrument qui ne te quitte pas. Ce qui prouve qu'il faut le louer toujours, ce sont ces paroles de l'Apôtre : " Priez sans cesse, rendez grâces à Dieu en toutes choses. " (I Thess. V, 17, 18.) Donc, comme il faut le prier sans cesse, sans cesse l'instrument se trouve attaché à l'artiste. " O mon âme, louez " le Seigneur; " il n'y avait d'abord qu'une voix qui faisait entendre ces paroles, la voix de David; mais maintenant qu'il est mort, d'innombrables langues répètent ces paroles, non-seulement chez nous, mais par toute la terre. Comprenez-vous bien qu'il n'est pas mort, qu'il est vivant? Comment serait-il mort, celui qui a tant de langues, et qui parle par tant de bouches? En -vérité c'est une grande chose que l'hymne de la louange ; c'est l'âme qui se purifie, c'est la ferveur qui se saisit de nous.

Voulez-vous comprendre l'efficacité des hymnes qui s'élèvent vers Dieu? Erg chantant des hymnes, les trois jeunes gens ont éteint la fournaise de Babylone; disons mieux, ils ne l'ont pas éteinte, mais ce qui est bien plus merveilleux , ils ont foulé sous leurs pieds, comme si c'était de la boue, la flamme brûlante ; l'hymne faisant son entrée dans la prison de Paul, a fait tomber ses liens , a ouvert les portes de son cachot, a ébranlé les fondations de l'édifice, a rempli le geôlier d'épouvante. " Au milieu de la nuit, " dit l'Ecriture, " Paul et Silas chantaient des hymnes. " (Act. XVI, 25.) Et ensuite, qu'est-il arrivé? Vous le demandez ? Ce qui surpasse toute attente, toute croyance; les liens sont tombés, et ceux qui étaient liés, ont enchaîné ceux qui n'avaient pas de liens. Cependant, à quoi servent les liens ? A tenir fortement enchaîné celui qu'ils serrent, à l'assujettir à ses gardiens. Or, voyez, le geôlier, qui n'était pas enchaîné, est venu se mettre aux pieds de Paul, chargé de liens. Les liens sensibles contiennent celui qui est lié ; les liens du Christ, au contraire, ont la vertu de soumettre ceux qui rie sont pas enchaînés à ceux qui sont chargés de fers. Le geôlier avait jeté les captifs dans l'intérieur de la prison, et ces prisonniers de l'intérieur, ont ouvert les portes du dehors ; le geôlier, avec du bois (1), avait fait des entraves à leurs pieds, et ces pieds, chargés d'entraves, ont rendu libres des mains captives. " Enfin, " dit l'Ecriture, " le geôlier tomba à ses pieds, saisi de crainte, tremblant, gémissant, tourmenté, versant des larmes. " (Act. XVI, 29.) Que se passe-t-il donc? Ne l'avais-tu pas enchaîné? Ne l'avais-tu pas mis en un lieu dont tu étais sûr? Et pourquoi t'étonner, ô homme, qu'il ait ouvert la porte de la prison, celui qui a reçu la puissance d'ouvrir le ciel? " Tout ce que vous lierez sur la terre, sera lié aussi dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre, sera aussi délié dans le ciel. " (Matt. XVIII, 18.) Il a fait tomber les liens des péchés, pourquoi t'étonner qu'il ait fait tomber des liens de fer? Il a fait tomber les liens des démons, il a affranchi les âmes enchaînées par eux, pourquoi t'étonner qu'il ait délivré les prisonniers? Et voyez, le miracle est double : il a délié et il a enchaîné, il a délié les liens et il a enchaîné les coeurs. Les prisonniers ne savaient pas qu'ils étaient déliés ; il a ouvert et il a fermé; il a ouvert les portes de la prison, et il a fermé les yeux des prisonniers, de telle sorte qu'ils ne s'aperçurent pas que les portes étaient ouvertes, et qu'ils n'en profitèrent pas pour prendre la fuite. Avez-vous bien compris ce miracle qui lie et délie, qui ouvre et qui ferme ?

4. Ce qui s'est passé pendant la nuit, afin que l'affaire ne fît pas de bruit, ne causât

1. Il s'agit ici de l'instrument de torture, nommé cep, qui était en bois et servait à garrotter les prisonniers.

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aucune espèce de tumulte; car, les apôtres ne faisaient rien pour s'étaler en spectacle, ni pour acquérir de la gloire. Donc, le geôlier se jeta à ses pieds. Eh bien, que fait Paul ? Avez-vous bien compris le miracle? Avez-vous bien compris ce qu'il y a là d'étonnant, d'étrange? Considérez maintenant la sollicitude, considérez la bonté de Paul. " Il lui cria : Ne vous faites point de mal, car nous sommes tous ici. " (Act. XXI, 28.) Le geôlier l'avait enchaîné cruellement; l'Apôtre ne le laissa pas mourir d'une manière cruelle; il oublia son injure : " Nous sommes tous ici, " dit-il. Voyez la modestie ! il ne dit pas : ces choses merveilleuses, c'est aloi qui les ai faites; mais, que dit-il ? " Nous sommes tous ici. " Il se compte au nombre des prisonniers, notre Paul. Le geôlier, à cette vue, fut saisi d'admiration; le miracle le frappa de stupeur; il bénit Dieu, c'était une âme vraiment digne de la sollicitude et de la bonté de l'Apôtre, que ce geôlier; il ne considéra pas ce qui s'était passé, comme un prestige. Et pourquoi ne crut-il pas à un prestige? C'est qu'il les entendit chantant des hymnes au Seigneur; et un faiseur de prestiges ne chante jamais d'hymne au Seigneur. Il avait reçu beaucoup de faiseurs de prestiges en sa qualité de geôlier; mais jamais aucun d'eux n'avait fait chose pareille, n'avait fait tomber des liens, ni montré la même sollicitude. C'est que Paul voulait être enchaîné, et il ne prit pas la fuite, ne voulant pas causer la mort du geôlier.

Cet homme s'était élance;, tenant dans ses mains un glaive et un flambeau; le démon voulait lui faire commettre un meurtre, pour prévenir sa conversion. Mais la voix retentissante de Paul conquit bien vite le salut de son âme; car, non-seulement il cria, ruais il lui dit d'une voix retentissante : " Nous sommes tous ici. " Le geôlier admira cette sollicitude, et celui qui n'était pas enchaîné, tomba aux pieds de celui qui était chargé de chaînes ; et que lui dit-il? " Seigneur, que faut-il que je fasse pour être sauvé? " (Act. XVI, 30.) Comment! c'est toi qui l'as enchaîné, et c'est toi qui te trouves dans l'embarras ? C'est toi qui lui as mis ses pieds dans une entrave de bois, et voilà que tu cherches la manière de te convertir et de te sauver? Voyez-vous la ferveur? voyez-vous !e zèle empressé ? Pour cet homme, pas de délai; libre de crainte il ne se croit pas libre à l'égard de son bienfaiteur, mais tout de suite, il s'élance, il se jette sur le salut de son âme. C'était le milieu de la nuit; il ne dit pas : délibérons, laissons venir le jour, mais, tout de suite, il court à son salut. Cet homme est grand, se dit-il; il surpasse la nature humaine; j'ai vu la merveille qu'il a faite; j'ai admiré sa sollicitude pour moi; il a souffert, de moi, des maux sans nombre; exposé aux derniers malheurs, et me tenant dans ses mains, moi qui l'ai enchaîné, il peut me tuer; et, non-seulement il n'en fait rien, mais, au moment où je m'apprête à m'égorger moi-même, ou déjà je me perce de mon glaive, c'est lui qui m'arrête. Ce geôlier a eu raison de dire : " Seigneur, que faut-il que je fasse " pour être sauvé? " Car, ce n'étaient pas seulement les miracles qui attiraient auprès des apôtres de nouveaux croyants, mais, avant leurs miracles, leur vie opérait sur les hommes. Voilà pourquoi l'Écriture dit : " Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu'ils " voient vos bonnes oeuvres, et qu'ils glorifient votre Père, qui est dans les cieux. " (Matth. V, 16.)

Avez-vous bien vu la ferveur du geôlier? Voyez maintenant la ferveur de Paul; il ne diffère pas; son zèle ne se ralentit pas; il est dans les fers, chargé d'entraves, couvert de blessures, et vite il l'instruit des mystères, et il instruit, avec lui, toute sa famille, et, après l'ablution spirituelle, après la table spirituelle, il lui sert aussi les aliments de la chair (1). Mais pourquoi a-t-il fait trembler la prison? pour réveiller l'âme du geôlier par le spectacle de ce qui arrivait. Il a fait tomber les liens sensibles de ceux qui étaient enchaînés avec lui, pour faire tomber les liens spirituels du geôlier. Le Christ a fait tout le contraire : Un homme s'approcha de lui, qui souffrait d'une double paralysie; de la paralysie du péché, de la paralysie du corps. Le Christ guérit d'abord la paralysie du péché, par ces paroles : " Mon fils, vos péchés vous sont remis. " (Marc, II, 5.) Et, comme on disputait sur ces paroles ; comme on blasphémait; comme on disait : " Personne ne peut remettre les péchés, que Dieu seul (Ibid. 7) ; " le Christ, voulant montrer qu'il est véritablement Dieu, voulant aussi se ménager les moyens de luger ses contradicteurs d'après leur propre bouche, afin de pouvoir dire : " Je vous juge d'après votre

1 Confusion : ce n'est pas Paul qui offre des aliments au geôlier, c'est le geôlier qui convie Paul à en prendre chez lui (Act. XVI, 34.)

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propre bouche (Luc, XIX, 22), " c'est toi-même qui viens de dire, que nul ne peut remettre les péchés que Dieu seul; eh bien ! voici, dit-il, que je remets les péchés, confesse donc ma divinité ; c'est, d'après ta manière de juger, que je porte moi-même la sentence. Nous voyons ici l'action spirituelle d'abord, et ensuite, l'action sensible. Paul nous montre ici le contraire, il fait tomber d'abord les liens sensibles, et ensuite les liens spirituels.

Avez-vous bien compris la force des hymnes, la puissance de la bénédiction, la puissance de la prière? Certes l'efficacité de la prière est toujours grande; mais, quand le jeûne se joint à la prière, c'est alors que l'âme est doublement puissante ; c'est alors que nous avons la tempérance dans les pensées; c'est alors que l'âme se réveille et contemple les choses d'en-haut. Aussi l'Ecriture joint-elle toujours le jeûne à la prière. Comment cela? Dans quel passage ? " Ne vous refusez point l'un à l'autre ce devoir, " dit l'Apôtre, " si ce n'est du consentement de l'un et de l'autre , afin d'être libres pour le jeûne et pour la prière." (I Cor. VII, 5.) Et encore ailleurs : " Mais cette sorte de démon ne se chasse que par la prière et le jeûne. " (Matth. XXII, 20.) Et ailleurs encore : " Et après qu'ils eurent prié et jeûné, ils leur imposèrent les mains. " (Act. I, 33.)

5. Voyez-vous le jeûne partout uni à la prière ? C'est alors en effet qu'il s'échappe de la lyre une mélodie plus agréable, plus digne du Seigneur. Les cordes ne sont pas humides, relâchées par l'ivresse ; la raison est bien tendue ; l'intelligence, bien éveillée ; l'âme vigilante; c'est ainsi qu'il convient de s'approcher de Dieu, de s'entretenir avec lui, seul à seul. Si nous avons une affaire grave à communiquer à nos amis, nous les prenons à l'écart: à bien plus forte raison , faut-il se conduire de même avec Dieu, entrer, avec un calme parfait, dans la chambre où il se retire. Et nous obtiendrons absolument tout de lui, si nous lui demandons ce qui est utile. C'est un grand bien que la prière, quand elle part d'une âme reconnaissante et sage. Et maintenant, comment la prière montrera-t-elle notre reconnaissance? Si nous nous faisons une loi, non-seulement quand nous recevons, mais, de plus, quand nous ne sommes pas exaucés, de bénir le Seigneur. En effet, tantôt le Seigneur accorde, tantôt il n'accorde pis; mais, dans l'un et dans l'autre de ces deux cas, il agit utilement pour nous ; de sorte que, soit que vous receviez, soit que vous ne receviez pas, vous recevez cela même que vous n'avez pas reçu ; et si vous avez réussi , et si vous n'avez pas réussi, vous avez réussi en ne réussissant pas. C'est qu'en effet il y a des circonstances où il est plus utile pour nous de ne pas recevoir que de recevoir ; s'il n'était pas souvent de notre intérêt de ne pas recevoir , Dieu nous accorderait toujours; quand il est de notre intérêt de ne pas réussir, l’insuccès est un succès. Voilà pourquoi Dieu diffère souvent de nous accorder nos demandes; ce n'est pas pour nous faire languir ; quand il nous force à attendre le don, il nous exerce, et il fait bien, à l'assiduité dans la prière. Souvent nous recevons, et après avoir reçu, nous négligeons la prière; or Dieu , qui veut nous tenir constamment en éveil, diffère de nous accorder ce que nous désirons. C'est la conduite des bons pères, dont les enfants paresseux ne montrent d'ardeur que pour de puérils plaisirs ; les pères les retiennent auprès d'eux, en leur promettant un très-grand présent, et, pour les retenir, tantôt ils diffèrent, tantôt ils refusent absolument de donner. Il arrive aussi que nous voulons des choses nuisibles , et Dieu , qui comprend mieux que nous nos intérêts, n'écoute pas nos prières , aimant mieux nous procurer ce qui nous est utile, même à notre insu. Et qu'y a-t-il d'étonnant que nous ne soyons pas exaucés, quand la même chose est arrivée à Paul? Lui aussi souvent, n'a pas obtenu ce qu'il demandait, et, non-seulement il ne s'est pas affligé, mais encore il a rendu à Dieu des actions de grâces. " C'est pourquoi, " dit-il, " j'ai prié trois fois le Seigneur. " (II Cor. XII, 8. ) Cette expression " Trois fois " signifie souvent. Si Paul, après de fréquentes prières, n’a pas réussi , à bien plus forte raison nous convient-il, à nous, de persévérer. Mais voyons ce qu'il éprouvait, après avoir souvent demandé sans obtenir; non-seulement il ne s'affligeait pas, mais encore il se glorifiait de ce qu'il n'avait pas reçu. " J'ai prié trois fois le Seigneur, et il m'a répondu : Ma grâce vous suffit, car ma puissance éclate dans la faiblesse. " (II Cor. XII, 9. ) Et il continue: " Je prendrai donc plaisir à me glorifier de mes faiblesses."

6. Comprenez-vous la reconnaissance, du serviteur? il demande à être affranchi de ses (335) faiblesses ; Dieu ne lui accorde pas sa prière; et, non-seulement Paul ne s'afflige pas, mais il se glorifie de ses faiblesses. Faisons de même, nous aussi, disposons nos âmes de cette manière, et, que Dieu nous accorde ou ne nous accorde pas nos demandes, sachons dans les deux cas, le bénir, car, dans les deux cas, il agit selon nos intérêts. S'il a le pouvoir de donner, il s'ensuit qu'il a le pouvoir, et de donner, et de donner ce qu'il veut, et de ne pas donner. Vous ne connaissez pas vos intérêts aussi clairement que Dieu les tonnait; souvent vous demandez des choses nuisibles et funestes ; mais Dieu, plus jaloux que vous-mêmes de votre salut, ne regarde pas votre prière; avant votre prière, il regarde partout ce qui vous est utile. Si les pères selon la chair, n'accordent pas à leurs enfants tout ce qu'ils leur demandent, ce qui ne prouve pas qu'ils dédaignent leurs enfants, mais, au contraire, qu'ils ont pour eux la plus grande sollicitude, à bien plus forte raison, Dieu, qui nous aime davantage, qui connaît, mieux que personne, ce qui nous est utile, suit toujours la même conduite. Donc ne cessons pas de nous livrer à la prière, non-seulement pendant le jour, mais pendant la nuit. Ecoutez ce que dit le Prophète : " Je me levais au milieu de " la nuit, pour vous louer des jugements de " votre justice. " (Ps. CXVIII, 62.) Un roi, assiégé de tant de soucis, qui avait entre les mains le gouvernement de tant de peuples, de villes et de nations; qui avait à prendre soin de la paix, à terminer des guerres ; qui voyait toujours auprès de lui un tourbillon inexprimable d'affaires; qui n'avait pas le temps de respirer, non-seulement consacrait les jours, mais jusqu'aux nuits à la prière. Si un roi, fait pour mener une vie de délices, ayant tant de soucis, enveloppé dans tant d'affaires, ne trouvait pas de repos, même pendant la nuit, mais se livrait sans cesse à la prière, avec un soin plus scrupuleux que les moines des montagnes , quelle sera , répondez-moi , notre excuse, à nous, qui avons une liberté complète: qui nous sommes fait une vie indépendante, vide d'affaires, et qui non-seulement nous ensevelissons les nuits entières dans le sommeil, mais ne trouvons pas, même pendant le jour, des moments où notre âme s'éveille, pour la prière que nous devons au Seigneur? C'est une grande arme due la prière, c'est une belle parure que la prière, et une sûreté, et un port, et un trésor de biens, et une richesse que rien ne peut ravir. Quand nous avons besoin des hommes, nous avons besoin de faire des dépenses, et d'employer des flatteries serviles; et d'aller, et de venir, et de prendre beaucoup de peines et de soins ; car souvent nous ne pouvons pas nous adresser directement à ceux de qui dépend ce que nous demandons. Il faut d'abord aller trouver les ministres, les dispensateurs des grâces, et ceux qui sont chargés de répondre pour les hommes puissants ; et il faut, avec de l'argent, avec des paroles, par tous les moyens possibles, les adoucir, afin d'obtenir, par leur entremise, ce que nous demandons. Au contraire, avec Dieu, il n'en est pas de même; en le priant par les autres, nous obtenons moins vite ses faveurs qu'en les lui demandant nous-mêmes. Et, avec Dieu, celui qui reçoit, et celui qui ne reçoit pas, profitent; avec les hommes, au contraire, dans les deux cas, souvent, nous avons à nous plaindre. Eh bien ! donc, puisqu'il y a plus d'avantage, et plus de facilité, à s'approcher de Dieu, ne méprisons pas la prière. Voulez-vous trouver Dieu plus propice ? voulez-vous obtenir plus facilement ce que vous désirez ? invoquez-le vous-mêmes, avec la pureté des intentions, avec la sagesse de l'âme; ne le priez pas, par acquit de conscience, ce que font beaucoup de personnes, dont la langue prononce les paroles de la prière; dont la pensée , en même temps, reste souvent dans leur maison, ou se promène sur la place publique, à travers les rues, ce qui est un artifice du démon ; car, comme il sait qu’au moment de la prière, nous pouvons obtenir le pardon de nos péchés, jaloux de nous fermer ce port, il s'élève alors contre nous; il chasse notre pensée loin des paroles que nous prononçons, afin qu'au sortir de l'église , nous en retirions plus de perte que de profit.

Pénètre-toi, ô homme, de ces vérités, et, quand tu t'approches de Dieu, songe auprès de qui tu t'approches ; et il suffit, pour tenir ton esprit éveillé, de croire en Celui qui te donne ce que tu demandes; lève les yeux au ciel, et pense à qui ton discours s'adresse. Quand on parle à un homme, tant soit peu élevé aux honneurs de ce monde, le plus négligent s'excite de toutes manières, et se tient l'esprit en éveil; à bien pics forte raison, ferons-nous de même si nous pensons que nous nous adressons au Seigneur des anges; voilà qui suffira pour (336) nous rendre attentifs. Voulez-vous un autre moyen, pour vous tirer de votre engourdissement? En voici un: souvent nous avons fait notre prière, et nous n'avons pas entendu un seul des mots que nous avons prononcés, et nous nous en allons; pensons à cela, et, tout de suite, reprenons notre prière. Et si la même distraction nous arrive deux fois, trois fois, quatre fois, reprenons autant de fois notre prière, et ne nous retirons pas avant de l'avoir dite tout entière d'un esprit bien attentif. Quand le démon comprendra que nous ne voulons pas nous retirer avant de l'avoir dite avec soin, avec un esprit constamment en éveil, il cessera de nous assaillir, puisqu'il verra que ces attaques ne servent qu'à nous forcer de recommencer souvent la même prière. Nous recevons tous les jours, mes bien-aimés, de nombreuses blessures, des gens de notre maison, des étrangers, sur la place, chez nous; de la part des hommes publics, de la part des particuliers; des voisins, des amis; à toutes ces blessures, appliquons les remèdes qui leur sont propres, la prière. Car Dieu, si nous le prions d'un esprit vigilant, d'une âme embrasée, d'un coeur ardent, peut nous accorder notre pardon, la rémission de toutes nos fautes. Puissions-nous l'obtenir tous, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. PORTELETTE.

 

 

 

HOMÉLIE SUR CETTE PAROLE DU PROPHÈTE : MOI, LE SEIGNEUR DIEU, J'AI FAIT LA LUMIÈRE ET LES TÈNÈBRES , FAISANT LA PAIX ET CRÉANT LES MAUX.
AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

On ne sait si cette homélie a été prononcée à Antioche ou à Constantinople. Tillemont penche pour Constantinople, sur cet unique fondement que Chrysostome parait, en cette occasion, avoir parlé après un autre prédicateur. — Retrouvée dans la bibliothèque du duc de Bavière, cette homélie a été traduite en latin par Fronton du Duc.

1. Magnificence et harmonie de la création.

2. Que le monde rend hommage au Créateur par la bouche de l'homme.

3. Distinction entre les biens, les maux, les choses indifférentes.

4. La richesse et la pauvreté, la santé et la maladie, la vie et la mort, la joie et la peine : choses indifférentes.

5. La vertu et le vice, seul bien et seul mal, au sens absolu du mot.

6. Prétendus maux qui n'en sont point en réalité. Lutte des prophètes contre les faux prophètes.

7. En quel sens doivent être prises les paroles du Prophète. Exhortation morale.

1. Elle est courte, cette parole; mais c'est une délicieuse source de miel, d'un miel dont on ne se dégoûte jamais. Le miel d'ici-bas finit par blaser notre palais, et corrompre notre goût. Mais le miel de la doctrine demeure en réserve dans notre conscience, pour nous procurer une joie perpétuelle, et nous acheminer à l'immortalité. L'un est composé avec le suc des plantes, les rayons de l'autre proviennent des divines Ecritures. Vous venez de vous en nourrir, grâce aux excellentes paroles de Celui que vous venez d'entendre : et votre docilité a couronné ses efforts : il a fait voir la force de la charité, la noblesse de la foi. C'est à notre tour maintenant, d'apporter tout notre zèle à vous offrir le repas accoutumé. Car nous sommes bienheureux de voir que la magnificence des jeux qui se célèbrent ne vous ait pas empêchés d'accourir en foule auprès de nous. Mettons-nous donc, nous aussi, en dépense, pour faire circuler parmi vous non la coupe d'où l'ivresse jaillit, mais celle qui donne la sagesse. Tel est, en effet, le vin des Ecritures, tels sont les mets de ce festin : ils n'engraissent point la chair. Si nous parlons ainsi, ce n'est point pour ravaler la chair, mais bien pour proclamer l'excellence de l'âme : ce n'est pas l'usage que nous rejetons, c'est l'abus que nous voulons réprimer. Telle doit être notre philosophie, à nous, pour ne pas (438) donner prise aux propos des hérétiques (1). Le corps est une chose inférieure à l'âme, et non point une chose contraire. L'âme est simple; mais elle se plie aux appétits du corps. Dieu, le grand ouvrier, n'a point composé l'univers d'une, de deux, de trois substances : il y a introduit les essences les plus diverses, faisant paraître dans cette variété, l'inépuisable riche•se de son industrie. Il n'a pas fait le ciel seulement, mais encore la terre; pas seulement la terre, mais encore le soleil ; pas seulement le soleil, mais encore la lune ; pas seulement la lune, mais encore les étoiles ; pas seulement les étoiles, mais encore l'air ; pas seulement l'air, mais encore les nuées ; pas seulement les nuées, mais encore l'éther ; pas seulement l'éther, mais encore les lacs , les fontaines, les fleuves, les montagnes, les bois, les collines, les prairies, les jardins, les graines, les plantes, mille espèces de végétaux, mille formes, mille vertus, mille natures diverses, dont il faudrait parcourir tout l'univers pour se faire une idée : et alors, revoyant en esprit toute la surface de la terre habitée, on s'écrierait avec le Prophète : " Que vos ouvrages sont magnifiques, Seigneur ! Vous avez fait toutes choses avec sagesse. " (Ps. CIII, 24.)

Si donc il vous faut des spectacles, laissez là le théâtre de Satan, et accourez à ce théâtre spirituel; si vous désirez entendre le son de la lyre, laissez-là les mélodies profanes, et quand vous aurez bien affermi votre attention, venez en écouter une autre qui réveillera votre âme et la fortifiera. Ici des sons divers, des cordes variées unissent leurs dissonances dans une harmonie unique pour les offrir au Seigneur, à l'incomparable ouvrier. C'est un concert de voix différentes qui s'accordent dans un même hommage à l'adresse de Celui qui les a créées : autant de cordes qui rendent chacune un son particulier et se répondent néanmoins entre elles. Voulez-vous savoir comment elles rendent chacune un son particulier : faites vibrer, en esprit, la corde du ciel : vous l'entendrez résonner fortement à la louange de Dieu. De là cette parole du Prophète : " Les cieux racontent la gloire de Dieu, le firmament proclame l'oeuvre de ses mains. " (Ps. XVIII, 2.) Passez maintenant de cette corde à celle de la nuit et du jour : de là encore vous entendrez sortir des sons plus

1 Les Manichéens.

doux que ceux de la lyre et de la cithare la plus mélodieuse ; surtout si vous êtes de ceux qui savent jouer de cet instrument.

Et comment le faire retentir ? dira-t-on. Le ciel ne remue ni bouche, ni langues, ni mâchoires, ni dents, ni lèvres. Comment donc sort cette voix ? Comment résonne le jour ? Ce ne sont pas là des instruments de musique: le ciel est la carrière du soleil et de la lune, le jour et la nuit ne sont que le temps qui passe. De peur que cette objection n'ébranle et ne déconcerte quelque esprit grossier, écoutez comment le Prophète appuie son dire. Après avoir dit : " Les cieux racontent la gloire " de Dieu, " et encore : " Le jour en parle au jour, et la nuit en instruit la nuit, " il ne s'en tient pas là, et ajoute : " Il n'y a pas de langage ni de paroles, parmi lesquelles leurs voix ne soient pas entendues. " (Ib. V, 3, 4.) Voici le sens de ses paroles : non-seulement le jour et la nuit ont une voix, ainsi que le ciel, mais cette voix est plus claire, plus distincte, plus forte que la voix humaine. Comment expliquer cela? Ecoutez seulement le texte : " Il n'y a pas de langage, ni de paroles parmi lesquelles leurs voix ne soient pas entendues. " Qu'est-ce que cela ? Un éloge de cette voix, une glorification de ce bruit. Ma voix, à moi, se fait, entendre de celui qui parle ma langue, elle est muette pour un étranger. Par exemple, si je parle en langue grecque, celui qui comprend cet idiome m'entendra : mais il n'en sera pas de même d'un Scythe, d'un Thrace, d'un Maure, d'un Indien : la différence de nos langages empêchera que mes discours ne soient clairs pour eux.

2. D'autre part, si celui qui me parle est un Scythe ou un Thrace, je serai incapable de l'entendre, et des hommes de ces deux nations ne s'entendront pas davantage entre eux. Il n'en est pas ainsi du ciel, de la nuit et du jour leur voix est telle qu'elle se fait entendre de tous les peuples, quel que soit leur idiome, leur langage, qu'elle est claire et distincte pour eux. Voilà pourquoi après ces mots : " Les cieux racontent la gloire de Dieu, " et " Le jour en parle au jour, " il ajoute : " Il n'y a pas de langage ni de paroles, parmi lesquelles leurs voix ne soient pas entendues; " c'est-à-dire : tel est le langage, telle est la voix du jour, de la nuit, du ciel et de toutes les créatures, que toutes les nations, quelle que soit leur langue ou leur idiome, (439) les entendent. Il n'y a pas de pays étranger, il n'y a pas de contrée barbare où ne se fasse pas entendre la voix du ciel. Scythe, Thrace, Maure, Indien, Sarmate, tous, en quelque langue qu'ils s'expriment, sont en état d'entendre cette voix. Comment, de quelle façon? Ecoutez donc comment il se fait que le ciel parle dans son silence.

Quand vous considérez sa beauté , sa grandeur, sa position, sa durée, son éclat, et qu'après avoir repassé toutes ces choses en vous-mêmes vous glorifiez le Créateur, vous bénissez l'auteur de ces merveilles, c'est le ciel qui prend une voix, qui par votre bouche rend hommage à Dieu. Tel est le sens de cette parole : " Les cieux racontent la. gloire de Dieu. " En quelle façon ? En éveillant un sentiment d'admiration pour le Créateur chez celui qui en contemple l'éclat et la beauté. En effet, quand à la vue d'un si grand ouvrage, vous vous écriez: Gloire à vous, ô Dieu, pour ce corps immense que vous avez formé et offert à nos regards ! ce sont les cieux qui prononcent cet hommage par le ministère de votre langue, et en frappant vos yeux pour exciter votre admiration. C'est ainsi que, dans leur silence, ils glorifient Dieu et que tous les hommes entendent leur voix. Comme ce n'est pas à l'ouïe que ce langage s'adresse, mais à la vue et aux regards, et que la vue est la même chez tous, quand bien, même le, langage est différent, comme les Barbares, les Scythes; les Thraces, les Maures, les Indiens, entendent également cette voix , en d'autres termes, contemplent également ces prodiges, admirent également tant de beauté, de grandeur, de magnificence, enfin tout ce qui distingue Je ciel, tout ce qui est dans son bon sens rend pareillement hommage au Créateur. On peut dire la même chose du jour et de la nuit.

Si le ciel par sa beauté, sa position, sa grandeur, son éclat, sa durée, par les services qu'il nous rend, par les propriétés qui le distinguent, que sais-je encore ? provoque l'admiration de celui qui le contemple, et l'invite à glorifier le Créateur, la nuit et le jour ont la même vertu. Considérez-vous l'ordre qui préside à cette distribution du temps, comment le jour, exact à remplir sa carrière, s'abstient d'empiéter sur le domaine de la nuit, reste scrupuleusement enfermé entre ses propres limites, et au lieu de se prévaloir de son éclat plus vif pour usurper le temps tout entier, se retire pour faire place aux ténèbres; comment la nuit, de son côté , quand elle a terminé sa course, cède la place au jour; comment enfin celte succession se reproduit depuis tant d'années sans confusion, sans désordre, sans que la nuit ait fait tort au jour, sans que le jour, malgré sa lumière plus intense, ait envahi le domaine de la nuit? Ici encore, en retrouvant l'ordre, ne vous sentez-vous pas porté dans votre admiration à glorifier le Seigneur ? Comme on voit deux tendres sueurs respecter fidèlement les droits mutuels que leur assure le partage, fait avec poids et mesure, de l'héritage paternel : ainsi la nuit et le jour restent chacun à la place que lui assigne la répartition du temps, et se gardent bien de toucher l'un à la part de l'autre, ainsi que l'expérience a dû vous en convaincre.

Ecoutez, spoliateurs, écoutez, vous qui frustrez vos frères de leur héritage : rougissez en voyant tant de symétrie dans le partage du temps, tarit d'égalité entre le jour et la nuit; et guérissez-vous de votre infirmité. C'est de cette manière que le " jour parle au jour, que la nuit instruit la nuit : " non que le jour ou la nuit ait un langage, à proprement parler mais l'ordre, l'harmonie, l'égalité, la symétrie invariable qui président à leur succession, rendent au Créateur un hommage plus éclatant que le son de la trompette, non dans un coin du monde, mais dans tous les lieux que visite le soleil. Ces voix retentissent dans tous les lieux de l'univers, attendu que partout on voit le ciel, partout le jour, partout la nuit: et cet enseignement se propage sur la terre et les flots. — Voilà pourquoi le Prophète, au lieu de dire simplement que les cieux révèlent la gloire de Dieu, dit qu'ils la racontent: c'est un enseignement qu'ils donnent; le genre humain, voilà leurs disciples; ils ouvrent une immense école où, au lieu de livres et de textes, ils offrent à l'étude de tous, ignorants ou doctes, la beauté de leur nature ; où l'on peut lire ce qu'ils enseignent au sujet de la sagesse et de la puissance divine. C'est ainsi que les hommes n'ont pas besoin de parler, et célèbrent Dieu jusque dans leur silence par la bouche d'autrui. " Que votre lumière lune devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. " (Matth. V, 16.)

De même que la vue d'une belle vie nous porte à louer Dieu, quand bien même celui (440) que nous admirons garderait le silence : de même les beautés du ciel nous invitent, par leur seul aspect, à en glorifier l'auteur. De là ces paroles : " Les cieux racontent la gloire de Dieu : " entendez, par la bouche de ceux qui les contemplent. " Le jour en parle au jour, et la nuit en instruit la nuit: " En, c'est-à-dire de leur auteur. — Si le jour appelle l'homme au travail, la nuit qui vient ensuite, le repose de ses fatigues innombrables, le délivre de ses inquiétudes; en assoupissant ses yeux lassés, en fermant ses paupières, elle répare ses forces pour la prochaine visite de l'aurore. Loin d'être inutile, elle nous rend donc, au contraire, le plus grand service. Si elle ne venait pas à sien tour soulager l'homme épuisé de lassitude, c'est en vain que le jour ramènerait pour lui le moment du travail: sa nature succomberait à la continuité de la fatigue, il dépérirait, il mourrait: de quoi lui serviraient les rayons du soleil? La nuit, qui rend le jour profitable à l'homme est aussi ce qu'il y a de plus propre à acheminer par ses bienfaits, à la connaissance de Dieu, l'être admis à jouir de ce spectacle. En réfléchissant quelle est l'utilité du jour, quelle est celle de la nuit, comment la nuit succède au jour, comment tour à tour, dans leur cours périodique et régulier, l'un et l'autre se relaient pour le salut de notre espèce, le plus stupide des hommes n'aura pas de peine, pour peu qu'il consulte sa raison, à comprendre la sagesse que le divin artiste a déployée en faisant le jour et la nuit, le premier destiné au travail, l'autre réservée pour le repos.

3. Toute cette digression nous a été suggérée par le début du Prophète. Mais comme il y a peut-être dans ce qui vous a été lu aujourd'hui des paroles qui ont pu scandaliser quelques auditeurs inattentifs ou peu versés dans les Ecritures, faisons diligence afin d'y arriver. Vous avez entendu l'histoire de l'hémorrhoïsse qui arrêta, par un simple contact, ses pertes de sang; le pouvoir de la foi la fit réussir dans cet heureux larcin: car c'était bien un larcin, mais un larcin glorieux, et celle qui l'avait commis obtint des éloges quand elle eût été surprise. C'est Jésus lui-même, en effet, c'est la victime du vol qui en loue l'auteur. Vous avez entendu la flétrissure imprimée à Paul, ses blessures, ses emprisonnements, ses comparutions en justice, ses naufrages, ses fers, ses chaînes, les piéges de tout genre auxquels il ne cessa d'être en butte, ses supplices quotidiens, la faim, la soif, la nudité, les complots journaliers qui le menaçaient. Mais où me laissé-je entraîner? Hâtons-nous de fuir, de peur que Paul à son tour ne nous arrête, ne nous détourne de notre objet. Bien des fois, vous le savez, quand je marchais dans une autre route, il m'a suffi de le rencontrer sur mes pas pour m'arrêter au milieu de mon discours, et rester sous le charme au point de ne plus parler que de lui seul. Pour éviter aujourd'hui pareille mésaventure, mettons un frein à nos paroles, dirigées vers un autre but, et ramenons-les de force au texte du Prophète.

Quel. est donc ce texte? " Moi le Seigneur " qui ai fait la lumière et les ténèbres, qui fais " la paix et crée les maux. " Vous le voyez ce n'est pas sans raison que nous nous sommes hâté d'arriver à cet endroit, et avons négligé tout le reste afin d'y parvenir. En effet, cette parole est faite pour scandaliser le lecteur inattentif. Faites donc attention, prêtez-moi une oreille vigilante, et rejetez loin de vous tous les soucis mondains, pour ne songer qu'à ce qui nous occupe. C'est ainsi que je veux vous récompenser de votre présence en ce lieu : je veux vous rassasier des aliments spirituels, de telle sorte que les absents puissent se convaincre du tort qu'ils se sont fait à eux-mêmes. ils en seront informés si, non contents d'écouter avec soin nos paroles, vous savez en outre leur en faire part. " Moi le Seigneur Dieu qui ai fait la lumière et les ténèbres, qui fais la paix et crée les maux. " Je reviens incessamment sur ce texte pour le bien graver dans vos esprits, avant de vous l'expliquer. Ce n'est pas Isaïe seul qui parle de la sorte. Un autre prophète a dit dans le même sens : " Y a-t-il dans la ville quelque mal que le Seigneur n'ait pas fait? " (Amos, III, 6.) Qu'est-ce que cela signifie ? Car tous ces passages doivent être expliqués de la même manière. Comment donc expliquer ces mots? En nous rendant compte du sens des termes employés. Mais prêtez-moi une exacte attention. Si nous ne cessons de vous faire cette recommandation, ce n'est point là une vaine formule c'est que les pensées que nous allons aborder . sont des plus profondes. Parmi les choses, il y en a de bonnes, de mauvaises et d'indifférentes : entre ces dernières, un certain nombre passent pour mauvaises aux yeux de la multitude : elles ne le sont point cependant, (441) autrement que dans le langage et l'imagination.

Mais afin de rendre mes paroles plus claires, soumettons nos paroles à l'épreuve des exemples. La pauvreté est un mal aux yeux de la multitude : il n'en est rien pourtant : dans une âme sage et bien réglée, elle est au contraire un remède aux maux. La richesse passe généralement pour un bien : mais elle n'est un bien, à vrai dire, due pour celui qui en fait un bon usage. En effet, si c'était un bien , à parler absolument, que la richesse, il faudrait que ceux qui la possèdent fussent bons également : mais si l'on peut être riche sans être vertueux, si cette dernière qualité appartient uniquement à ceux qui font un bon usage de la richesse, il est clair que la richesse n'est pas un bien en soi, qu'elle n'est pour ainsi dire qu'une matière à vertu, par elle-même indifférente. Voyez plutôt. On remarque dans le corps certaines qualités dont le nom se communique à ceux en qui elles se rencontrent. Par exemple, le blanc n'est pas une substance, mais une qualité, un accident attaché à la substance : celui en qui cette qualité se trouve, nous disons qu'il est blanc. La maladie, voilà encore une qualité, un accident : l'homme qui en est affecté, nous disons qu'il est malade. Par conséquent, si la richesse était une vertu, le riche serait nécessairement vertueux et il faudrait le nommer ainsi : or, il n'en est rien : donc la richesse n'est point absolument une vertu, ni un bien cela dépend de la volonté de celui qui en fait usage. Par contre, si la pauvreté était un mal, il faudrait que tous les pauvres fussent méchants. Que si beaucoup de pauvres sont parvenus au ciel, c'est que la pauvreté n'est pas un mal.

4. Mais, dira-t-on, pourquoi donc tant de plaintes proférées contre la pauvreté? Cela ne tient point à la pauvreté, mais à la démence, à la faiblesse d'esprit de ceux qui l'accusent. 'témoin le bienheureux Job qui, vivant dans une détresse extrême et au fond d'un abîme d'indigence, loin de blasphémer ne cessait de bénir Dieu, en disant : " Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté : comme il a plu au Seigneur, ainsi il est advenu. Soit le nom du Seigneur béni dans tous les siècles, " (Job, I, 21. ) Mais , dira-t-on encore , combien d'hommes la richesse ne pousse-t-elle pas au vol et aux rapines? La cause n'en est point la richesse, mais leur propre aveuglement : j'en atteste encore ce même Job qui, au fort de son opulence, non content de respecter le bien d'autrui, allait jusqu'à répandre le sien et à offrir un asile aux étrangers : " Ma maison, " dit-il, " était ouverte à tout étranger qui arrivait. " (Job, XXXI, 32.) Abraham, cet homme si riche, prodiguait sa fortune à tout venant. L'opulence ne fit pas plus un spoliateur d'Abraham ou de Job que la pauvreté ne fit de Job ni de Lazare des blasphémateurs : ces deux hommes, en dépit de leur indigence extrême, brillèrent d'un tel éclat que Dieu même rendit témoignage à l'un (Dieu qui sait tous les secrets) : et que l'autre, transporté là-haut à la suite des anges, partagea la demeure du patriarche et participa aux mêmes biens que lui.

Tout cela donc est indifférent : richesse et pauvreté, santé et maladie, vie et mort, gloire et honneurs, servitude et liberté, que sais-je encore? Car je craindrais d'allonger trop mon discours en complétant cette énumération : je me borne à vous en fournir l'occasion, et j'arrive à ce qui m'appelle. " Donne au sage une occasion, " est-il écrit, " et il deviendra plus sage. " (Prov. IX, 9.) Ainsi donc il n'y a rien dans toutes ces choses que d'indifférent : et il appartient à ceux qui en disposent de les faire tourner au bien ou au mal. La preuve que ces prétendus biens parmi lesquels on compte la richesse, sont indifférents, elle nous est fournie d'un côté par Abraham, qui sut faire un bon usage de sa fortune, de l'autre par le riche de l'histoire de Lazare, lequel usa de la sienne pour sa propre perte. La richesse n'est donc, par elle-même, ni un bien ni un mal. Si elle était un bien et non une chose indifférente, le riche de l'histoire de Lazare ne serait pas en butte à un pareil supplice : si elle était un mal, Abraham, qui était riche, n'aurait pas acquis tant de gloire. Il en est de même pour la maladie.

Si la maladie était un mal, il faudrait que celui qui en est affecté fût mauvais lui-même dans cette hypothèse, t'eût été un méchant que Timothée, en proie à une maladie cruelle " Bois un peu de vin, " lui dit Paul, " à cause de ton estomac et de tes fréquentes maladies." (I Tim. V, 23.) Que si, loin d'être un méchant par ce motif, il dut encore à sa maladie, par suite du courage avec lequel il la supporta, un surcroît de rémunération, il est évident (442) que la maladie n'est point un mal. Un autre, un prophète souffrait continuellement des yeux : il n'en était pas plus méchant pour cela : loin de là, il prophétisait, il prédisait l'avenir; la maladie n'apportait aucun obstacle à sa vertu. Mais ce n'est pas à dire que la santé soit un bien, à parler absolument, et si, au lieu de s'en servir comme il convient, on en use pour de mauvaises pratiques, ou pour une imbécile oisiveté. — Pour cela aussi, l'on a des comptes à rendre. De là ces mots de Paul : " Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus. " (II Thess. III,10.) Encore des choses indifférentes, qu'il appartient à ceux qui en usent de rendre bonnes ou mauvaises.

Et, à quoi bon m'étendre sur la santé, la mort, la richesse, la pauvreté. Prenons ce qui résume pour le vulgaire tous les biens, ce qui lui paraît le comble des maux; je veux dire la vie et la mort : eh bien ! ce sont encore des choses indifférentes, qui changent de caractère selon l'usage qu'on en veut faire. Par exemple, vivre est un bien, quand on fait de la vie un bon usage : en use-t-on pour pécher, pour faillir, ce n'est plus un bien, la mort est dès lors préférable. Et ce coup qui inspire tant de craintes à la multitude devient une source de biens innombrables, quand on le reçoit pour,un noble motif. J'en atteste les martyrs, dont la mort a fait les plus heureux des hommes. Voilà pourquoi Paul désirait vivre dans le Christ : il voyait là le prix de ses travaux. " Je ne sais que choisir, " dit-il, " car je me sens pressé des deux côtés, désirant d'être dégagé des liens du corps et d'être avec Jésus-Christ. Car cela est bien préférable. Mais demeurer dans la chair est plus nécessaire à cause de vous. " (Philipp. I, 22-24.) De là aussi cette parole du Prophète : " Précieuse devant le Seigneur est la mort de ses saints. " (Ps. CXV, 15.) N'entendez point la mort en général, mais une telle mort. Ailleurs vous lisez, au contraire : " La mort des pécheurs est mauvaise. " (Ps. XXXIII, 22). Voyez-vous, ici encore , une de ces choses indifférentes qui varient du bien au mal, au gré de ceux qui les éprouvent. Aussi le sage Salomon peut-il compter parmi les biens ces choses indifférentes, cri raisonnant à leur sujet, en montrant que s'il est faux d'en faire absolument des maux ou des biens, l'opportunité en fait des biens, quelle qu'en puisse être l'apparence, et que le contraire arrive dès que l'opportunité fait défaut : " Il y a un temps pour pleurer, " dit-il, " et un temps pour rire; il y a un temps " pour vivre et un temps pour mourir. " C'est que la joie même n'est point un bien dans tous les cas ; il en est, au contraire, où elle devient funeste. Pareillement, la souffrance n'est pas toujours un bien; elle devient quelquefois pernicieuse et mortelle. C'est encore ce que montre Paul, en disant : " La tristesse qui est selon Dieu produit pour le salut une pénitence stable ; mais la tristesse du siècle produit la mort. " (II Cor. VII, 10.)

5. Voyez-vous que ceci encore est une chose indifférente? Par conséquent le contraire, je veux dire la joie, sera chose également indifférente. Aussi ne nous est-il pas recommandé de nous réjouir purement et simplement, mais bien de nous réjouir dans le Seigneur. Mais nous avons assez éclairci ce sujet de choses indifférentes, au moins pour des auditeurs attentifs : il faut en venir maintenant aux choses qui ne sont pas indifférentes, aux choses bonnes qui ne sauraient devenir mauvaises, aux choses mauvaises qui ne peuvent jamais devenir bonnes. Celles dont nous avons parlé sont susceptibles de prendre tour à tour ces deux qualités : par exemple, la richesse est un mal, lorsqu'on s'en sert pour dépouiller autrui ; un bien, quand on la répand en aumônes ; et tout le reste suit la même règle. Mais il y a des choses qui ne sauraient devenir mauvaises; d'autres, contraires aux précédentes, qui sont invariablement mauvaises et hors d'état de devenir bonnes: par exemple, l'impiété, le blasphème, l'incontinence, la cruauté, l'inhumanité, la gourmandise, et tout ce qui a le même caractère.

Je ne veux pas dire qu'un homme méchant ne puisse devenir bon, ni qu'un homme bon ne puisse devenir méchant : je dis seulement que les choses mêmes ne comportent point un pareil changement. Ici , il y a des bornes infranchissables; d'un côté est le bien, de l'autre, le mal. Quant à l'homme, il est bon ou méchant, selon qu'il se porte d'un côté ou de l'autre. — Voilà donc trois catégories : des biens qui ne sauraient devenir maux, comme la chasteté, l'aumône, que sais-,je encore? des maux qui ne sauraient devenir biens , par exemple , l'incontinence , l'inhumanité , la cruauté; enfin des choses qui sont susceptibles (443) de prendre ces deux caractères, à la volonté de ceux qui en ont la disposition ; la pauvreté, par exemple, qui tantôt sert au blasphème, tantôt aux bonnes paroles et à la sagesse. Mais il ne manque pas d'hommes déraisonnables (il faut bien arriver à notre explication), qui, au lieu de réserver le nom de maux aux maux qui ne sauraient changer de nature, l'appliquent en outre à certaines choses indifférentes, comme la pauvreté, la captivité, la servitude, que nous avons exclues du nombre des maux et rangées dans une catégorie mixte. Beaucoup, dis-je, appellent maux des choses qui n'en sont pas. Eh bien ! le Prophète parle justement ici de ces prétendus maux qui ne sont tels qu'aux yeux du vulgaire, la captivité, la servitude, la famine, et autres choses pareilles.

Pour montrer que ces choses-là, loin d'être des maux, sont au contraire susceptibles de nous délivrer des maux véritables, prenons d'abord l'exemple de la famine, de cette épreuve qui inspire tant de crainte et de terreur. Ecoutez comment ce n'est point un mal, et recevez une leçon de sagesse. Quand le peuple hébreu se fut précipité dans les derniers excès, alors Elie,,ce grand homme, destiné au ciel, voulant guérir la maladie du relâchement et en délivrer sa patrie, dit : " Vive le Seigneur, devant lequel je suis ! il n'y aura pas de pluie, sinon sur une parole de moi. " (III Rois, VII, 1.) — Et celui qui ne possédait qu'une peau de mouton ferma le ciel; tel était son crédit auprès de Dieu. Voyez-vous bien que la pauvreté n'est pas un mal? Sans cela, le plus pauvre des hommes n'aurait pas pu, sans quitter la terre, manifester un pareil pouvoir. — En prononçant ces paroles, il appela la famine, comme un excellent maître, capable d'apporter remède aux maux dont on était affligé. Et comme il arrive pour un corps saisi par une fièvre violente, les veines de la terre se desséchèrent, les torrents se tarissent, les plantes moururent, les flancs de la terre cessèrent de produire. Et ce ne fut pas un médiocre bienfait pour le peuple qui fut ainsi guéri de son entraînement vers le crime, qui revint à la modération, à la retenue, à la docilité, vis-à-vis du Prophète. Ces hommes qui couraient aux pieds des idoles, qui sacrifiaient leurs fils aux démons, virent tuer en grand nombre les prêtres de Baal, sans colère, sans chagrin; ils endurèrent tout en silence et avec tremblement, parce que la disette les avait corrigés.

6. Vous le voyez: loin d'être un mal, la famine peut guérir les maux, et servir de remède contre les infirmités. Voulez-vous maintenant vous convaincre que la captivité elle-même n'est point. un mal? Représentez-vous quels étaient les Juifs avant la captivité, et ce qu'ils furent une fois captifs, et vous verrez que ni la liberté n'est absolument un bien, ni la servitude absolument un mal. Quand les Juifs étaient en liberté et qu'ils habitaient leur patrie, ils se conduisaient de manière à s'attirer chaque jour les accusations de leurs prophètes, témoins de la violation des lois, des égarements de l'idolâtrie, de la transgression des divins commandements: mais une fois transportés sur la terre étrangère, une fois relégués en pays barbare, ils se reconnurent, s'amendèrent, revinrent au respect de la loi, comme le montre un psaume qu'il faut que je vous cite, afin de vous mettre sous les yeux le fruit de la captivité. — Voyons donc ce psaume : " Nous nous sommes assis sur le bord des fleuves de Babylone : et là nous avons pleuré en nous souvenant de Sion. Nous avons suspendu nos instruments de musique aux saules qui sont au milieu de Babylone. Car là ceux qui nous avaient emmenés captifs, nous demandaient de chanter des cantiques, disant : " Chantez-nous quelqu'un des cantiques de Sion. Comment chanter un cantique du Seigneur dans une terre étrangère?" (Psaume CXXXVI, 1-5. )

Voyez-vous comment la captivité les avait fait rentrer en eux-mêmes ?Auparavant, quand les prophètes leur répétaient de ne pas enfreindre la loi, ils ne voulaient pas les écouter : une fois captifs, quand les barbares les opprimaient, quand leurs maîtres leur faisaient violence, et voulaient les forcer à pécher, ils refusaient de leur obéir, ils disaient : Nous ne chanterons pas le cantique du Seigneur sur une terre étrangère, parce que la loi nous l'a défendu. Considérez encore les trois enfants: loin de leur causer aucun dommage, la captivité ne fit qu'ajouter à leur gloire . De même pour Daniel. Et Joseph ? Quel mal eut-il à endurer, étranger, esclave, prisonnier? Ne fut-ce pas là justement le principe de son élévation? Au contraire, cette femme barbare qui vivait dans l'opulence, le luxe, et la liberté, quel fruit lui revint-il de tous ces avantages? Ne fut-elle pas la plus malheureuse des créatures, faute d'avoir voulu en user comme il faut? — Nous avons donc bien établi quels sont les maux, les biens, les choses indifférentes: et aussi que le Prophète a en vue ces dernières, c'est-à-dire des maux prétendus qui ne sont pas tels en réalité, la captivité, la servitude, l'exil. Pourquoi il tient ce langage, c'est ce qu'il est nécessaire de dire à présent.

Dieu étant bon, prompt à la miséricorde, lent à frapper et à punir, afin de ne pas livrer les Juifs aux supplices, leur envoya des prophètes, chargés de les effrayer par des menaces, afin qu'il n'eût pas à sévir, comme il fit aussi à l'égard des Ninivites. Il menaça aussi de détruire Ninive, non pour la détruire, mais pour n'avoir point à la détruire: et c'est, en effet, ce qui arriva. Telle fut sa conduite en ces nouvelles conjonctures : il envoya des prophètes, pour menacer les Juifs d'invasions barbares, de guerres, de captivité, de servitude, de supplices, d'exil. Pareil à un tendre père qui pour corriger un fils indocile ou nonchalant, va chercher une courroie, montre des cordes, en disant : Je t'attacherai, je te fouetterai, je te tuerai, et se montre terrible en paroles afin de guérir ainsi les défauts de ce jeune homme ainsi Dieu ne cessait de menacer, afin de corriger les Juifs par la crainte. Le diable voyant cela et voulant mettre obstacle à l'amendement que devaient produire ces menaces, envoya de faux prophètes: et tandis que les prophètes menaçaient le peuple de captivité, de servitude, de famine, ces émissaires tenaient un langage tout contraire, promettant paix, abondance, prospérités de tout genre. Aussi les prophètes les accusaient-ils en disant: " Paix, paix: et où est la paix? " (Jér. VI, 14.) Tous les hommes instruits connaissent cette histoire et possèdent à fond toute cette lutte des prophètes contre les faux prophètes qui endormaient la vigilance du peuple. Voyant que ces discours engendraient parmi son peuple le relâchement et la corruption, Dieu dit alors par la bouche de ses prophètes: " Je suis le Dieu " qui fait la paix et qui crée les maux. " Quels maux? Ces maux dont il était question, la captivité, la servitude, et autres de ce genre : mais non pas la fornication, l'incontinence, la convoitise, ni rien de pareil. En conséquence, l'autre prophète, en disant: " Y a-t-il dans la ville un mal que le Seigneur n'ait pas fait?" a justement en vue ce genre de maux, la disette, la maladie, les fléaux envoyés du ciel. De même encore le Christ, en disant. " A chaque jour suffit son mal (Matth. VI, 34), " veut parler des fatigues, des prières, des souffrances.

7. Voici donc le sens des paroles du Prophète : Que les faux prophètes ne vous jettent point dans le relâchement. Dieu peut vous donner la paix et vous précipiter dans la captivité : c'est ce que signifie " faisant la paix et créant les maux. " Et pour mieux vous en convaincre, pesons exactement le sens de ces expressions. — Il vient de dire : " Je suis celui qui a fait la lumière et les ténèbres, " et il ajoute maintenant: " Faisant la paix et créant les maux. " Il a opposé précédemment deux contraires: ici encore, ce sont deux contraires qu'il oppose : n'allez donc pas vous figurer qu'il s'agit de fornication, par exemple: il n'est question que de simples accidents. En effet, quel est l'opposé de la paix? Evidemment la captivité, et non l'incontinence, ou la fornication, ou la convoitise. Plus haut il a mis en regard deux termes opposés : il en est de même ici : or le contraire de la paix, ce n'est point la fornication, ni l'adultère, ni l'incontinence, ni aucun des autres vices, mais bien la captivité, la servitude. Mais nous éprouvons à l'égard des choses la même illusion qu'à l'égard des éléments. Par exemple, Dieu a fait la lumière et les ténèbres ; et la plupart des hommes trouvent des charmes à la lumière, et sont importunés par les ténèbres : ils accusent la nuit comme si elle était malfaisante : et il en est de même pour les choses: Néanmoins il ne faut accuser ni la nuit ni les ténèbres, ni, à parler absolument, la servitude ou la captivité. Quel mal, dites-moi, font donc les ténèbres ? Ne sont-elles pas le délassement de nos fatigues, le soulagement de nos inquiétudes, la consolation de nos douleurs, la réparation de nos forces? Sans les ténèbres, sans la nuit, comment jouirions-nous de la lumière? L'être que nous sommes ne serait-il pas détruit, exterminé. — Eh bien ? de même que la nuit passe aux yeux des sots pour un mal, sans que ce nom lui convienne, attendu qu'elle est une auxiliaire du jour, et qu'en nous délassant, elle nous rend plus propres aux travaux de la journée: de même ce n'est pas davantage un mal que la captivité, dont le Prophète voulait parler en disant: "Celui qui fait la paix, et crée les maux; " elle est plutôt utile à ceux qui en usent comme il faut: elle les rend meilleurs et plus sages en guérissant leur esprit égaré.

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En effet la vertu est à l'abri de la servitude, et rien ne saurait en triompher, ni l'esclavage, ni la captivité, ni ta pauvreté, ni la maladie, ni la mort, ce tyran impérieux entre tous. C'est ce que prouve l'exemple de tant d'hommes qui ont passé par toutes ces épreuves, et leur ont dû une gloire plus éclatante. Quel tort fit à Joseph sa servitude (car rien ne nous empêche de revenir encore sur cet exemple) ? Quel tort son emprisonnement, ses chaînes, la fausse accusation portée contre lui, les piéges qui lui furent dressés, son exil? Quel tort fit à Job la perte de ses troupeaux, ou la mort violente et prématurée de ses enfants, ou la plaie qui frappa son corps, la vermine qui le rongea, ses intolérables souffrances, son abandon sur un fumier, la trahison de sa femme, les injures de ses amis, les outrages de ses serviteurs? Et Lazare ? Fût-ce un malheur pour lui que de vivre couché sous un portique, d'être léché par les chiens ? Un malheur, que sa perpétuelle détresse, que les mépris du riche, que les ulcères, qu'une insupportable maladie, que le délaissement, l'indifférence de tous ceux qui auraient pu le protéger? Et Paul? Le plaindrons-nous pour avoir enduré tant d'emprisonnements, de jugements, de supplices, de naufrages, d'épreuves de tout genre qu'il serait impossible d'énumérer?

Remplis de ces souvenirs, fuyons le vice, courons après la vertu: et prions afin de ne pas être induits en tentation : que si nous venons à y tomber, ne perdons point courage, ne désespérons pas : les tentations même deviennent des instruments de vertu aux mains de ceux qui savent en user : et si nous sommes sages, rien ne pourra nous empêcher de jouir de la gloire et des biens éternels, auxquels puissions-nous tous parvenir en Jésus-Christ Notre-Seigneur, a qui gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE SUR CE TEXTE DE JÉRÉMIE SEIGNEUR., LA VOIE DE L'HOMME N'EST PAS EN LUI. L'HOMME NE MARCHERA et NE CONDUIRA POINT SES PAS PAR LUI-MÊME.
AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

L'authenticité de cette homélie n'est pas douteuse : le saint Orateur y rappelle, comme récent, son discours sur la discussion de saint Pierre et de saint Paul, suivi, dit-il, d'un panégyrique de saint Eustathe, et en dernier lieu d'un éloge de saint Romain, martyr. Ces indications nous font connaître approximativement la date relative de ces homélies sans nous permettre d'en fixer la date absolue. Nous savons seulement qu'elles furent toutes prononcées à Antioche. Le texte de celle-ci est emprunté à un passage de Jérémie dont quelques-uns s'autorisaient pour nier le libre arbitre.

1. Nécessité d'aborder tour à tour, dans la prédication, les matières faciles et les sujets épineux.

2. Danger des citations tronquées ou inexactes : exemples.

3. Autres exemples.

4. Circonstances qui expliquent le texte de Jérémie. Part de la grâce et part du libre arbitre.

5. Que les hommes de bonne volonté doivent avoir bonne espérance.

1. Cette voie publique que vous apercevez d'ici, tantôt descend ou s'étend en plaine, tantôt monte et devient difficile; il en est de même des saintes Ecritures : elles offrent des endroits que tout le monde embrasse d'un coup d'oeil, d'autres qui réclament , au contraire, beaucoup de soin et de méditation. Quand nous suivons une route plane et unie, nous n'avons pas besoin d'une grande attention; mais quand notre chemin est montueux, étroit, escarpé, bordé de précipices, c'est alors que tout notre sang-froid, toute notre vigilance nous deviennent nécessaires , attendu que la difficulté des lieux ne comporte point le laisser-aller. Pour peu qu'on regarde de côté, le pied peut glisser, et voilà le voyageur précipité dans les abîmes; pour peu que l'on regarde au fond des gouffres, on est pris de vertige et l'on tombe. De même, dans les divines Ecritures, les pensées simples et faciles sont accessibles à l'esprit le moins recueilli ; mais il n'en est pas de même pour les endroits scabreux. Il faut donc faire appel à tout notre sang-froid, à toute notre vigilance au moment de traverser ces passages difficiles , si nous ne voulons pas nous exposer aux plus grands dangers. Que si nous vous proposons quelquefois, pour exercice, des textes faciles, et vous en soumettons d'autres fois de plus épineux, c'est, d'une part, pour vous reposer, de l'autre, pour vous préserver de la nonchalance. Car si une facilité continue est propre à engendrer la mollesse, les exercices violents, trop répétés, peuvent provoquer le découragement. Il faut donc (447) entremêler ces deux genres d'instruction et faire succéder l'un à l'autre, de telle sorte que notre pensée ne s'abandonne pas à un excès de relâchement, et que, d'un autre côté , elle ne succombe pas à une tension continuelle au point de se refuser désormais au travail.

Voilà pourquoi , dans ces derniers temps , après vous avoir entretenus de Paul et de Pierre, de la discussion qu'ils eurent ensemble à Antioche, et vous avoir montré comment aucune paix ne saurait donner d'aussi beaux fruits que cette guerre apparente, vous voyant fatigués de cette excursion sur une matière difficile, nous vous avons amenés le jour suivant sur un terrain plus uni, en vous faisant l'éloge du bienheureux Eustathe, puis en vantant les mérites du généreux martyr Romain, devant une assemblée plus nombreuse et plus enthousiaste que jamais. De même qu'un voyageur fatigué , parvenu à une prairie, se réjouit, se délecte, en voyant qu'il était au bout de ses peines, et que tout est désormais pour lui repos, plaisir, contentement : ainsi vous-mêmes, au sortir d'une instruction hérissée de difficultés, vous vîtes arriver le panégyrique des martyrs avec un profond contentement et une joie. sans mélange. Il ne s'agissait plus, en effet, d'arguments ni de réfutations, d'attaque ni de défense : en l'absence de tout adversaire et de tout obstacle , le discours parcourait sa carrière en toute liberté. Il n'en fut que plus solennel, plus approprié à .la fête, et plus approuvé : car les auditeurs, quand ils n'ont pas de peine à suivre l'orateur, et que rien ne fatigue leur attention, sont plus disposés à louer le prédicateur. Aujourd'hui, que nous nous sommes suffisamment assuré la faveur de vos charités , en évitant de leur proposer aucune question difficile, il faut que nous en revenions à notre premier genre d'exercices , que nous vous ramenions aux passages plus épineux et vraiment difficiles à comprendre des Ecritures, non pour vous fatiguer, mais pour vous exercer à vous tirer sans péril de ces endroits escarpés.

De même que dans notre premier discours nous croyons voir d'abord une division, une lutte entre les apôtres, et qu'après avoir franchi cette difficulté, nous avons pu reconnaître enfin , de la hauteur où nous étions montés, les fruits spirituels qui résultèrent de ce débat, charité, joie, paix, de sotte que notre travail, loin d'être stérile et vain, aboutit à la plus heureuse conclusion ; de même aujourd'hui je m'attends, avec le secours de vos prières, si nous savons franchir avec patience et persévérance la route qui s'ouvre devant nous, et gravir cette pente escarpée , à trouver tout uni, aisé, accessible, une fois que nous serons au sommet. Quel est donc le sujet qui nous est proposé? La parole du Prophète qui vous a été lue aujourd'hui : " Seigneur, la voie de l'homme n'est pas en lui ; l'homme ne marchera point et ne conduira point ses pas par lui-même. " Voilà le problème : veuillez me prêter la même attention que vous m'avez montrée précédemment : ce problème-ci n'est pas moins important que l'autre, et même il demande encore plus de méditation.

Comment cela? C'est que la discorde apparente et non réelle de Pierre et de Paul n'est point fort connue, de sorte qu'il n'était pas probable que cette histoire mal comprise dût faire un grand mal : notre texte, au contraire, on le colporte en tous lieux, dans les maisons, sur les places, à la ville, à la campagne, sur terre , sur mer et dans les îles : en quelque lieu que vous portiez vos pas, vous entendrez mille bouches redire : il est écrit : " La voie de l'homme n'est pas en lui. " Et l'on ne se contente point de commenter cette parole : il y en a d'autres qu'on y rattache , celle-ci, par exemple : " Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court (Rom. IX, 16) ; " et cette autre encore : " Si le Seigneur ne bâtit pas une maison, ceux qui la bâtissent ont perdu leurs peines." (Ps. CXXVI.) Et si l'on cite ces passages, c'est pour mettre sa propre négligence à l'abri derrière les saintes Ecritures, c'est afin de percer à jour notre salut et nos espérances. Ce qu'on veut établir par là, c'est simplement que nous ne sommes maîtres de rien. Dès lors, tout est fini pour nous : adieu la promesse du royaume, adieu la menace de l'enfer, adieu lois, châtiments, supplices, conseils.

2. En effet, à quoi bon conseiller un être qui ne dispose de rien? et que promettre à une créature dénuée de toute liberté? ni celui qui a bien agi n'est,digne de louange, ni celui qui a faibli n'encourt peine ou châtiment, dès que notre conduite ne dépend plus de nous-mêmes. Si les hommes concevaient jamais une pareille idée, personne ne voudrait pratiquer la vertu ni fuir le vice. Nous ne laissons point un jour se passer sans vous parler de l'enfer , du (448) royaume des intolérables supplices, des récompenses que la pensée humaine ne saurait se représenter : promesses, conseils, menaces, moyens de tout genre, aboutissent à peine à déterminer quelques-uns d'entre vous à souffrir pour la vertu, à s'abstenir des joies du vice. Retranchez maintenant cette ancre sainte, ne verrez-vous pas aussitôt la barque entière submergée, tous les passagers précipités au fond des abîmes, ne compterez-vous pas chaque jour de nouveaux naufrages ? Car il n'est rien, non, rien que le diable ait à coeur comme de nous persuader que les péchés ne nous font encourir aucuns châtiments, et que d'autre part les bonnes oeuvres ne nous rendent dignes ni d'éloges ni de couronnes : c'est là-dessus qu'il compte pour paralyser les hommes de bonne volonté et éteindre leur zèle, comme pour redoubler la négligence, accroître la mollesse des hommes sans vertu.

Il faut donc peser bien attentivement ces paroles. Des deux côtés un précipice, un abîme s'ouvre pour nous, si nous lisons étourdiment ce passage. Que devons-nous dire? Que le Prophète a menti? Voilà un danger : car un prophète ne ment pas, puisqu'il ne fait qu'énoncer les paroles de Dieu. Mais si le Prophète n'a pas menti, il faut donc admettre qu'il ne dépend pas de nous de faire notre devoir? Non : il dépend de nous de faire notre devoir, et cependant le Prophète n'a pas menti : nous établirons ces deux points, si vous nous prêtez attention. Si j'ai pris soin de vous montrer ces deux abîmes ouverts à droite et à gauche, c'est afin que nous apportions tout notre sang-froid à effectuer le passage. Nous ne devons pas nous borner à examiner cette parole

" La voie de l'homme n'est pas en lui ; " nous devons embrasser toute la suite du texte, voir de qui il s'agit; quel est celui qui parle, à qui il s'adresse, le but, le temps, les circonstances dans lesquelles il tient ce langage. En effet, ce n'est pas assez de dire qu'une chose se trouve dans les saintes Ecritures, d'en détacher au hasard certaines paroles, d'en mutiler le texte inspiré, et d'en présenter quelques lambeaux sans liaison sur lesquels on s'acharne tout à son aise : trop de doctrines empoisonnées ont pénétré dans l'Eglise, par la faute de quelques étourdis qui, à l'instigation du diable, faisaient violence aux paroles des Ecritures, y ajoutaient ou en retranchaient, de manière à obscurcir la vérité.

Il ne suffit donc pas de dire: Cette parole est dans l'Ecriture; il faut lire le texte en son entier : car si nous nous avisions de rompre le lien et l'enchaînement qui en unissent les parties, ce serait l'origine d'une foule de doctrines pernicieuses. Ne lit-on pas dans l'Ecriture : " Il n'y a point de Dieu (Ps. XIII, 1)? " et encore : " Il a détourné son visage, pour ne pas voir jusqu'à la fin; " et pareillement " Dieu ne cherchera point? " (Ps. X, 13.) Est-il vrai? il n'y a point de Dieu? Il ne surveille point ce qui se passe sur la terre? Et qui pourrait tenir ou tolérer chez autrui un pareil langage? Pourtant, cela se trouve dans l'Ecriture : mais apprenez comment cela s'y trouve " L'insensé a dit dans son cœur : il n'y a point de Dieu. " Ce n'est point l'avis, le jugement. de l'Ecriture, mais celui du coeur de l'impie l'Ecriture n'exprime point sa propre pensée, mais bien celle d'autrui. Passons à l'autre exemple : " Jusques à quand l'impie a-t-il irrité Dieu? Car il a dit dans son coeur : il ne recherchera pas. Il a détourné son visage pour ne pas voir jusqu'à la fin. " Ici encore l'Ecriture ne fait qu'exposer l'avis et l'opinion de l'impie.

Ainsi font les médecins : ils racontent aux personnes bien portantes les égarements des fous et des insensés, afin de leur inspirer plus de circonspection. Comme la piété est la santé de l'âme, comme la pire des maladies et des infirmités est de ne pas connaître Dieu, l'Ecriturc nous cite les paroles des impies, non pas seulement pour que nous les entendions, trais pour que nous nous gardions de les proférer. Elle vous dit quel est le langage de l'insensé, afin que vous deveniez sensé, et que vous n'appreniez point un pareil propos : elle vous dit quel est le langage de l'impie, afin que vous fuyiez l'impiété. Mais ce n'est pas assez de dire qu'il ne faut pas isoler le texte: il faut encore le citer exactement et n'y rien ajouter.

Il y a dans les Ecritures d'autres passages que l'on cite souvent en les dénaturant. Par exemple, on prétend qu'il est écrit : " Si tu brûles, marie-toi. " Mais nulle part vous ne trouverez la chose exprimée en ces termes. Ecoutez plutôt le texte véritable : " Je dis aux célibataires et aux veuves qu'il leur est avantageux de rester ainsi comme moi-même. Que s'ils ne peuvent se contenir, qu'ils se marient. Car il vaut mieux se marier que de brûler. " (I Cor. VII, 8, 9.) Eh bien ! (449) répondra-t-on, n'est-ce pas la même chose que de dire : si tu brûles, marie-toi? D'abord, quand bien même ce serait la même chose, on aurait tort néanmoins de défigurer le vrai texte de l'Écriture, et de prêter au sens du texte sacré ses propres expressions. Mais, de plus, ce n'est pas du tout la même chose, et nous allons le montrer. En effet, dire simplement: si tu brûles, marie-toi, ce serait donner le droit à tous ceux qui ont fait voeu de célibat, pour peu qu'ils fussent tourmentés parla concupiscence de rompre leurs engagements avec Dieu, et de courir se marier, au mépris de leur promesse.

3. Si au contraire vous savez à qui Paul s'adresse, et que ce n'est pas à tous indistinctement, mais seulement à ceux qui n'ont jamais contracté d'engagement, vous saurez alors faire justice de cette liberté pernicieuse et funeste. Je parle, dit Paul, pour les célibataires et les veuves, non pour celles qui ont fait voeu de viduité, mais pour celles qui ne se sont arrêtées à aucun parti et sont encore dans l'indécision à cet égard. Par exemple, une femme a perdu son mari, elle n'a pas encore résolu ni décidé en elle-même si elle doit rester fidèle à la viduité ou prendre un autre époux. Je lui fais savoir, dit Paul, qu'il est mieux qu'elle reste ainsi. Mais si elle ne peut résister à un tel fardeau, qu'elle se marie. Quant à celles qui ont déjà pris un parti et se sont enrôlées parmi les veuves fidèles, quant à celles qui ont des engagements avec Dieu, il ne dit nullement qu'elles soient libres de convoler en secondes noces. Aussi écrivant à Timothée il s'exprime à peu près comme il suit : " Écarte les jeunes veuves; car après s'être dégoûtées du Christ, elles veulent se marier, s'attirant ainsi la condamnation, puisqu'elles ont violé leur première foi. " (I Tim. V, 11, 12.) Voyez-vous comment ici il les punit, les châtie, les menace de condamnation, pour avoir enfreint leurs engagements à l'égard de Dieu, et trahi leur promesse ? Il est donc clair que ce texte ne s'applique pas à celles qui ont fait des voeux. Par conséquent, il ne faut plis le citer purement et simplement, mais savoir encore quelles personnes les Écritures ont eu en vue.

Il y a encore un texte que l'on colporte, non plus en l'altérant dans sa forme, mais en y introduisant quelque chose qui ne s'y trouve pas. Telle est la malice du diable : additions, retranchements, changements, altérations des textes, tout lui est bon pour introduire les doctrines de perdition. Quelle est donc cette parole? La voici : A moi est l'argent et à moi l'or; et à qui je voudrai, je les donnerai. Une partie de cette phrase est prise dans l'Écriture, l'autre ne s'y trouve pas : c'est une pièce étrangère qu'on y a rajustée. " A moi est l'argent et à moi l'or " est en effet, une parole du prophète. Quant à " Et à qui je voudrai , je les donnerai , " ceci n'est plus dans le texte, c'est une addition imputable à l’ignorance de ceux qui le citent. Et quel mal résulte-t-il de cette nouvelle altération ? Une foule de scélérats, de fourbes, de libertins qui ne sont pas dignes même devoir la lumière du soleil, de vivre, de respirer, se procurent une grande opulence, en bouleversant tout, en pillant les maisons des veuves, en dépouillant les orphelins, en opprimant les faibles. En conséquence, le diable, voulant persuader aux hommes que toute richesse vient d'en-haut et de la munificence divine, afin d'exciter par là de nombreux blasphèmes contre le Seigneur, a pris dans l'Écriture cette parole : " A moi est l'argent, et à moi l'or, " et y a ajouté ceci qui n'est plus dans le texte : Et à qui je voudrai, je les donnerai. Le prophète Aggée ne dit point cela. A leur retour du pays des barbares, les Juifs avaient à relever leur temple et à lui rendre son ancienne splendeur. Mais ils étaient dans l'embarras, pressés par l'ennemi, par la disette, et manquant de ressources. Alors voulant leur rendre la confiance et leur faire espérer une heureuse issue, Aggée leur dit, au nom du Seigneur : " A moi l'argent, et à moi l'or ! la gloire de cette dernière maison sera encore plus grande que celle de la première. " (Aggée, II, 9, 10.)

Et qu'est-ce que cela fait à notre objet? Cela prouve qu'il faut se garder de traiter légèrement les textes des Écritures, de les isoler de ce qui les explique et s'y enchaîne, de les priver de la lumière que leur prêtent ce qui précède et ce qui suit pour en médire étourdiment et les calomnier. Si devant un tribunal qui statue seulement sur des choses mondaines, on a soin de produire toutes les raisons pour et contre, lieux, circonstances, motifs, personnes, que sais-je encore? comment ne serait-il pas absurde, lorsqu'il s'agit pour nous de la vie éternelle, de citer inconsidérément lés textes de l'Écriture? On se garde bien (450) de lire étourdiment une loi promulguée par un monarque : faute d'avoir indiqué la date, le nom du législateur, d'avoir cité enfin le texte exactement et dans son intégrité, on est puni, condamné au dernier supplice: et nous, quand nous lisons, non pas une loi humaine, mais une loi divine et descendue des cieux, nous pousserons la négligence au point de la mettre en pièces, en lambeaux? Comment justifier, excuser une pareille conduite? Peut-être me suis-je étendu démesurément sur ce point : ce n'est pas sans intention : j'ai voulu vous corriger d'une détestable habitude. Ne nous lassons donc point, jusqu'à ce que notre but soit atteint : en effet, si nous sommes au monde, ce n'est pas pour boire, manger ou nous vêtir, c'est pour fuir le vice, et pratiquer la vertu, grâce aux lumières de la sagesse révélée. Voulez-vous vous convaincre qu'en effet nous ne sommes pas nés pour manger et pour boire, mais pour des choses bien plus grandes et bien meilleures? écoutez Dieu lui-même qui va vous dire pour quelle fin il a créé l'homme. Au moment où il le façonne, il prononce ces paroles : " Faisons l'homme à a notre image et à notre ressemblance. "

4. Or ce n'est pas en mangeant, en buvant, en nous habillant que nous devenons semblables à Dieu; car Dieu ne mange, ni ne boit, ni ne s'habille. C'est en pratiquant la justice, en montrant de la charité, en faisant preuve de sagesse et de probité, en compatissant aux maux du prochain , en cultivant toutes les vertus. Quant au boire et au manger, ces choses nous sont communes avec les brutes, et nous n'avons en ce point aucune supériorité sur elles. En quoi donc réside notre excellence ? En ce que nous sommes faits à l'image et à la ressemblance de Dieu. Ne nous lassons donc point de conférer au sujet de la vertu, et puisque nous avons cité ce texte du prophète, examinons-le scrupuleusement; demandons-nous qui a prononcé cette parole, pour qui il parlait, quand, à qui, dans quelles circonstances; en un mot ne négligeons rien de ce qui peut nous mettre sur la voie.

D'abord cette parole est du prophète Jérémie : il ne priait point alors pour lui-même, mais pour autrui, je veux dire pour les Juifs, ce peuple ingrat, ce peuple grossier, incorrigible, ce peuple réservé à un châtiment, à un supplice exemplaire. Dieu lui disait au sujet des Juifs : " Ne prie pas pour ce peuple, parce que je ne l'écouterai pas. " (Jérémie, VII, 16.) Quelques-uns pensent qu'il s'agit en cet endroit de Nabuchodonosor: ce barbare allait attaquer les Juifs, détruire leur ville, les emmener en captivité. Alors voulant les convaincre tous que ce n'était pas la puissance, les forces du roi qui l'avaient fait triompher, mais bien les égarements de ses ennemis, et la volonté de Dieu qui guidait ses pas et l'avait conduit comme par la main vers sa propre cité, Jérémie dit : " Je sais, Seigneur, que la voie de l'homme n'est pas en lui, que l'homme ne marchera point et ne conduira point ses pas vers lui-même. " Voici le sens de ces paroles Cette voie que le barbare a suivie pour nous attaquer, il n'y est pas entré de lui-même, ce n'est pas lui qui a remporté la victoire ; si vous ne nous aviez pas livrés entre ses mains, il n'aurait pas été vainqueur, il n'aurait pas triomphé. Je vous prie donc et vous conjure, puisque vous avez statué de la sorte, que la vengeance reste entre certaines limites. "Châtiez-nous, mais selon le jugement et non selon la colère. "

Mais comme il y a des gens qui contestent cela et prétendent qu'il est question ici non du barbare, mais de la nature humaine en général, il est nécessaire de les réfuter. Voyons donc ce que nous avons à leur répondre. Jérémie priait pour des pécheurs, pour lesquels souvent il lui avait été interdit de prier. En conséquence, il commence par représenter la ville en pleurs, attendu que Dieu ne cessait de lui répéter : Ne prie pas pour eux ; il prosterne d'abord la cité qui avait besoin de la bonté divine, afin de tirer de là une occasion, un prétexte spécieux pour supplier Dieu en sa faveur. Il s'adresse premièrement à elle, en lui disant: " Hélas ! quel est ton malheur ! ta plaie est douloureuse. " Alors elle répond : " Cette blessure est bien la mienne, ma tente a péri, mes peaux ont été déchirées en lambeaux, mes fils et mes brebis se sont éloignés de moi et ne sont plus. Mes bergers ont perdu l'esprit et ils n'ont pas cherché le Seigneur. Le bruit d'une rumeur et d'un grand ébranlement vient du côté de l'Aquilon, pour réduire les villes de Juda en un désert et en faire un nid de passereaux ."

Ensuite, après avoir déploré sa propre infortune, elle ajoute : " Seigneur, la voie de l'homme n'est pas en lui. " Qu'est-ce à dire? Parce que Jérémie pleure et a pu introduire (451) dans le monde une doctrine de perdition, nous Ôter le libre arbitre et dire qu'il ne nous appartient pas de faire notre devoir? Nullement; ses gémissements mêmes contiennent la confirmation de notre liberté; après avoir dit que la voie de l'homme n'est pas en lui, Jérémie ne s'en tient pas là, mais il ajoute: " L'homme ne marchera point et ne guidera point ses pas par lui-même. " Il veut dire par là que tout ne dépend pas de nous , que certaines choses sont en notre pouvoir, d'autres au pouvoir de Dieu. Prendre le meilleur parti, vouloir faire effort, affronter toutes les fatigues, voilà le domaine de notre libre arbitre; mais mener à fin ces louables projets, empêcher qu'ils n'échouent, faire que nos bonnes oeuvres arrivent à consommation, c'est le fait de la grâce d'en-haut. Dieu a partagé la vertu entre lui-même et nous, il n'a pas voulu, qu'elle nous appartînt pleinement, de peur que nous ne nous laissions emporter à l'orgueil; il n'a pas pris tout, pour lui non plus, de peur que nous ne tombions dans le relâchement, il a laissé quelque chose à notre activité et s'est réservé à lui-même la plus forte part. La preuve que si tout dépendait de nous, l'orgueil s'emparerait de nous et nous pousserait à notre perte, ce sont les paroles du pharisien, l'orgueil, la jactance que révèlent ses paroles, cette présomption avec laquelle il se met au-dessus du monde entier. Si Dieu n'a pas tout remis entre nos mains et s'est borné à livrer certaines choses à notre libre arbitre, c'est afin d'avoir un prétexte spécieux de nous couronner sans enfreindre la justice. Et c'est ce qu'il a fait voir dans la parabole où il dit qu'ayant trouvé des hommes vers la onzième heure, il les envoya travailler à sa vigne. Et que pouvaient faire des ouvriers arrivés si tard ? Mais ce moment suffit à Dieu pour leur donner un plein salaire.

Et pour bien vous convaincre que c'est là, en effet, ce que dit le Prophète, qu'il ne détruit pas le libre arbitre , qu'il n'a en vue , dans cet endroit, que l'issue des événements, écoutez ce qui suit. Après ces mots :"La voie de l'homme n'est pas en lui, " il se hâte d'ajouter : " Châtiez-nous, Seigneur, mais selon le jugement, et non selon la colère." Si rien absolument ne dépendait de nous, que signifieraient ces mots : " Châtiez-nous, mais selon le jugement ? "

En effet, quelle plus grande injustice que de châtier des êtres qui ne sont pas maîtres de leurs actions, d'infliger une peine à des hommes qui ne disposent pas eux-mêmes de leur voie, de leur conduite. Par conséquent, lorsque Jérémie sollicite Dieu de ne pas rendre le châtiment trop sévère, il indique implicitement que ce châtiment, ce supplice est mérité : or c'est là établir nettement l'existence du libre arbitre. Car, si les Juifs n'étaient pas maîtres de leurs actions, ce n'est pas un adoucissement de leur peine qu'il fallait demander pour eux, ruais bien la complète impunité : ou plutôt il n'était pas besoin de la demander, car Dieu n'a pas besoin d'être sollicité pour ne pas punir les innocents. Que dis-je, Dieu? je devrais dire tout homme sensé. Ainsi donc, quand le prophète intercède pour les Juifs, il est clair qu'il croit intercéder pour des pécheurs : et il y a péché, lorsque dans notre liberté de ne pas transgresser la loi, nous la transgressons. De sorte que tout nous prouve que nos bonnes couvres dépendent à la fois de nous-mêmes et de Dieu. Tel est encore le sens de ce passage : " Cela ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. "

Et pourquoi donc courrais-je , dira-t-on, pourquoi voudrais-je, si tout ne dépend pas de moi? Afin d'attirer sur vous par votre course et par votre volonté la faveur, la bienveillance de Dieu, de telle sorte qu'il vous aide, vous tende la main et vous conduise au but. Renoncez à cela, cessez de courir et de vouloir, Dieu ne vous tendra plus la main : et lui-même s'éloignera. Qu'est-ce qui le prouve ? Ecoutez le langage qu'il tient à la ville de Jérusalem : " Combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, et vous ne l'avez pas voulu? Voici que votre maison est laissée dans l'abandon. " (Matth. XXII, 37.) Voyez-vous comment Dieu lui-même se retire, en voyant qu'ils ne veulent point? Si nous avons besoin de vouloir et de courir, c'est afin de nous concilier Dieu. Le prophète veut donc dire, qu'opérer le bien ne dépend point de nous, mais de l'assistance divine ; mais que vouloir le bien, cela est de notre ressort et de celui de notre libre arbitre.

Ainsi donc, dira-t-on, l'opération dépendant de l'assistance divine, quand bien même je ne l'effectuerais point , je ne mériterais aucun reproche : dès que j'ai donné tout ce qui est en moi, ma volonté, mon ferme propos, mes efforts, si Celui qui est maître de l'événement ne (452) m'assiste point, ne me tend pas la main, je suis déchargé de tout grief. Mais cela est impossible, oui, impossible. Une fois que nous avons pris un parti, conçu une volonté, formé un propos, Dieu ne saurait nous abandonner. S'il exhorte, s'il avertit ceux à qui la volonté fait défaut, afin qu'ils veulent et prennent une résolution, à plus forte raison ne délaisse-t-il point les hommes tout déterminés. Il est écrit: " Considérez les anciennes générations et voyez. Qui a espéré dans le Seigneur et a été confondu? Qui a persévéré dans ses commandements et a été négligé par lui. " ( II, 11 , 12. ) Paul dit ailleurs : " L'espoir " ne confond point," à savoir l'espoir en Dieu. Il ne saurait manquer d'arriver à son but, celui qui espère en Dieu de tout son coeur et qui fait tout son possible. Ailleurs : " Dieu est fidèle et il ne souffrira pas que vous soyez tentés au-dessus de vos forces, mais il vous fera tirer profit de la tentation même, afin que vous puissiez persévérer. " (I Corinth., X, 13. ) De là ce conseil du sage : " Mon fils, lorsque tu entreras au service de Dieu, prépare ton âme à la tentation. Dirige ton coeur et patiente, et ne te hâte point au temps de l'obscurité. Attache-toi à Dieu et ne le quitte pas. " (Eccli. II, 1, 2.) Et voici encore un autre conseil : " Celui qui aura persévéré jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé. " (Matth. X, 22.)

Toutes ces choses sont des règles, des lois, des dogmes immuables, et il faut que cette opinion reste solidement implantée dans votre âme, à savoir, qu'un homme zélé, préoccupé de son salut et faisant tout son possible, ne saurait jamais être abandonné de Dieu. Ne savez-vous pas ce que Jésus dit à Pierre: " Simon, Simon, combien de fois Satan vous a demandés pour vous cribler comme le froment, et moi j'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point? " Dieu donc, lorsqu'il voit que le fardeau est au-dessus de nos forces , nous tend la main et allége la tentation. Mais quand il voit que nous abandonnons le soin de notre salut par notre faute et par négligence, et que nous ne voulons pas être sauvés, alors il nous lâche et nous délaisse. Il ne nous force pas, ne nous contraint pas; il agit comme dans le temps où il prêchait la doctrine. Alors il ne faisait pas violence à ceux qui s'éloignaient et refusaient de l'entendre, il se bornait à résoudre les difficultés, à éclaircir les énigmes pour ceux qui lui prêtaient attention. Il agit de même en ce qui concerne la conduite; il ne force ni ne contraint les insensés et les rebelles, il attire seulement à lui, avec une grande force, les hommes de bonne volonté. De là ces paroles de Pierre : " En vérité, je vois que dans toute nation, celui qui craint Dieu et pratique la justice lui est agréable. " (Act. X, 34, 35.) Et le prophète nous donne le même avertissement par ces paroles : " Si vous voulez et que vous m'écoutiez, vous mangerez les biens de la terre ; mais si vous ne voulez pas et que vous ne m'écoutiez pas, le glaive vous dévorera. " (Isaïe, I, 19, 20.) Instruits de ces vérités, bien persuadés qu'il dépend de nous de vouloir et de courir, que par là nous nous assurons la protection divine, et que cette protection assure à son tour le succès de nos couvres, réveillons-nous, mes très-chers frères et déployons tout notre zèle pour le salut de notre âme, afin qu'après un court temps passé ici-bas dans les épreuves, nous jouissions au sein de l'éternité des biens impérissables, auxquels puissions-nous tous parvenir, par la grâce et la bonté de N.-S. J. C., avec qui gloire au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

 

HOMÉLIES SUR L'OBSCURITÉ DES PROPHÉTIES
AVERTISSEMENT.
Ces deux homélies ont été prononcées à Antioche : Il résulte, en effet, d'un passage de la seconde que saint Jean Chrysostome n'était pas alors évêque de la ville où il prêchait. Quant à la date, elle est incertaine. On voit seulement que la seconde homélie fut prononcée mi dimanche quelques jours après la première, et peu de temps avant l'homélie sur ce sujet : Que les démons ne gouvernent point le monde : en ce qui concerne le dernier point, la preuve est un résumé contenu dans ce dernier discours. On a voulu tirer une indication chronologique du passage où saint Chrysostome annonce un discours sur Melchisédech : mais comme il est revenu plusieurs fois sur ce sujet, l'indice est insuffisant.

L'authenticité de ce discours a été contestée sur ce fondement que l'orateur fait de Sennachérib, un roi des Perses. Mais cette confusion est fréquente chez saint Jean Chrysostome, et ne prouve rien par conséquent contre l'attribution consacrée de ces dent; homélies qui comptent d'ailleurs parmi les plus célèbres et les plus intéressantes.

PREMIÈRE HOMÉLIE. COMMENT IL ÉTAIT AVANTAGEUX QUE LES PROPHÉTIES CONCERNANT LE CHRIST LES GENTILS ET LA RÉPROBATION DES JUIFS FUSSENT OBSCURES.
ANALYSE.

1. Difficultés attachées à l'explication des prophètes.

2. Texte de saint Paul relatif à Melchisédech. Double mystère de la double génération du Christ.

3. Obscurité des prophéties. Raison tirée du caractère des Juifs et de leur fureur contre les prophètes qui les menaçaient.

4. Que les Juifs seraient allés, dans leur fureur, jusqu'à détruire les saints Livres. Exemple tiré de l'histoire de Jérémie et de Baruch, et, à ce propos, conciliation de la liberté humaine avec la prescience divine.

5. Fin de la même histoire.

6. Que l'Ancien Testament n'est obscur que dans la partie qui concerne la réprobation des Juifs, la vocation des Gentils et l'abrogation de la loi.

7. Accord de la loi et de la grâce.

1. Je veux aujourd'hui vous servir un festin, prophétique ; je me dispose à lancer ma parole sur l'océan de la sagesse d'Isaïe. Mais comment m'y prendre? J'ai peur, je tremble qu'une fois sortis du port, et parvenus aux pensées du prophète, tant de profondeur ne nous donne le vertige, accident fréquent chez les navigateurs novices. Ceux-ci n'ont pas plus tôt (454) quitté la terre, vu les flots entourner leur vaisseau, et tout disparaître, hors la mer et le ciel, que le vertige les saisit, et qu'ils croient voir leur esquif tourner avec la mer. — Mais ces illusions ne sont pas produites par la mer ; elles n'ont d'autre cause que l'inexpérience du nautonnier. On voit d'autres matelots se jeter tout nus dans la mer et plonger, sans rien éprouver de pareil: au fond de l'océan ils se trouvent plus en sûreté que ceux qui restent sur le pont, et bien que l'eau salée leur entre dans la bouche, dans les yeux, dans tout le corps, ils ne se trouvent point gênés. Tels sont les avantages que procure l'exercice , tels sont les inconvénients de l'inexpérience: tant il est vrai que le premier nous apprend à braver jusqu'aux périls , tandis que l'autre nous met en défiance et en crainte, même en l'absence de tout danger. Les uns, assis sur le tillac, n'ont qu'à regarder pour être pris de vertige : les autres conservent leur sang-froid même au milieu des vagues. Il en est de même pour notre coeur : lui aussi, il subit souvent les assauts de vagues plus terribles que les tempêtes de la mer: c'est l'orage de la colère qui bouleverse notre âme jusque dans ses profondeurs; c'est le souffle de la concupiscence qui jette le désordre dans notre entendement. Mais l'homme sans expérience, celui qui ne s'est pas exercé, perd la tête dès que l'orage a commencé, se trouble, laisse la passion submerger, le naufrage engloutir son âme: au contraire, l'homme expérimenté, celui qui s'est habitué à supporter noblement les épreuves de ce genre, élève sa raison au-dessus des passions, l'assied , comme un pilote, au gouvernail, et ne se lasse point de faire tous ses efforts qu'il n'ait dirigé son esquif vers le port tranquille de la philosophie. Ce qui se passe sur mer, ce qui est vrai également du coeur, se rencontre également dans l'interprétation des Ecritures une fois embarqués sur cette mer , nous sommes inévitablement troublés, déconcertés; non que la mer soit redoutable, mais parce que nous, les passagers, nous manquons d'expérience.

Voulez-vous vous convaincre qu'un discours naturellement très-simple, peut devenir difficile pour des auditeurs inexpérimentés? Ecoutez le témoignage de Paul. Après avoir dit que le Christ a été pontife selon l'ordre de Melchisédech, il poursuit, sur la question de savoir ce que c'est que Melchisédech : "Sur quoi nous " aurions beaucoup de choses à dire, et difficiles à expliquer. " (Hébr. V, 11.) Qu'est-ce à dire, ô bienheureux Paul? Vous auriez de la peine à expliquer ces choses , vous investi de la sagesse spirituelle, vous qui avez ouï les secrètes paroles, vous qui avez été ravi au troisième ciel ? Si vous avez de la peine à les expliquer, qui donc les comprendra? Si j'ai de la peine à les expliquer, répond-il, ce n'est pas qu'elles soient, eu elles-mêmes, difficiles, c'est à cause du peu d'intelligence des auditeurs. En effet, après ces mots : " Difficiles à expliquer, " il ajoute: " Parce que vous êtes devenus peu capables d'entendre. " Voyez-vous bien que ce n'est pas la nature des paroles, mais l'inexpérience des auditeurs qui fait toute la difficulté ? Et non-seulement elle rend difficile ce qui était aisé, mais elle rend long ce qui était court: voilà pourquoi Paul ne dit pas seulement que ce sujet est difficile, ruais encore qu'il est long, et rejette ces deux inconvénients, la longueur comme la difficulté, sur l'incapacité de ceux qui l'écoutent. S'il est nécessaire d'offrir au malade des mets variés, et non pas seulement quelques aliments préparés à la hâte, afin qu'il puisse laisser celui qui ne lui plaît pas , et en prendre un autre, ou, si cet autre ne lui agrée pas davantage, se rabattre sur un troisième, ou, sur un quatrième , s'il n'en est pas d'autre qui lui convienne; afin, dis-je, que nous triomphions de ses dégoûts à force de diversité, et que la facilité de choisir ait raison de ses répugnances, on est quelquefois obligé à la même conduite dans les apprêts d'un festin spirituel. Quand nous sommes faibles, il faut multiplier et varier les discours qui nous sont destinés, y semer des paraboles , des exemples , des artifices, des circonlocutions, que sais-je encore ? afin qu'il nous soit aisé de choisir dans le nombre ce qui peut nous convenir. D'ailleurs quelle que fût la difficulté et la longueur de la matière, Paul n'a point voulu priver pour cela ses auditeurs de savoir ce qu'était Melchisédech: En disant " Beaucoup de choses difficiles à expliquer, " il a voulu seulement réveiller leur zèle et raviver leur attention: ce qui ne l'empêche pas de contenter leur avidité en leur offrant le festin désiré.

2. Suivons cet exemple: quelque immense que soit l'océan des prophètes quelques profonds abîmes qu'il recèle, hasardons-nous sur cette mer, autant qu'il est en nous, ou plutôt, (455) autant que nous le permettra la grâce d'en haut: ce n'est point par confiance en nous-mêmes, c'est pour votre intérêt que nous affrontons ces périls , suivant en cela même l'exemple de Paul. — Je disais qu'il ne frustra pas ses auditeurs de l'instruction concernant Melchisédech. Ecoutez plutôt ce qui suit. Après avoir dit : " Beaucoup de choses difficiles à expliquer, " il ajoute : " Melchisédech, c'est-à-dire roi de justice, et ensuite aussi roi de Salem , c'est-à-dire roi de paix : sans père, sans mère, sans généalogie; n'ayant ni commencement de jours ni fin de vie; ressemblant ainsi au Fils de Dieu, il demeure prêtre à perpétuité. " (Hébr. VII, 4.) Est-ce que vos oreilles n'ont pas été choquées d'entendre Paul dire, en parlant d'un homme: " Sans père, sans mère ? " Et que dis-je, en parlant d'un homme ? Quand il s'agirait du Christ, est-ce que ces mots ne provoqueraient pas une longue recherche? Car si le Christ n'a pas de père, comment est-il le Fils ? S'il n'a pas de père, comment est-il le Fils unique? Un fils doit avoir un père: sans quoi il ne serait pas fils. Mais il est bien vrai : le Fils de Dieu n'a ni père ni mère. Et comment cela? Il est sans père, selon la génération terrestre, sans mère selon la génération d'en-haut : ici-bas il n'a pas eu de père, il n'a pas eu de mère au ciel. " Sans généalogie. " Ecoutez, vous qui disputez sans fin sur son essence. Cependant quelques-uns pensent que cette expression : " Sans généalogie " concerne la génération céleste. Pour les hérétiques, ils n'admettent pas même cela ; cette génération même est l'objet de leurs recherches, de leur curiosité indiscrète. D'autres, plus réservés, cèdent sur ce point, mais n'admettent pas que cette expression : " Sans généalogie, " concerne aussi la génération d'en-bas. Montrons donc; que Paul en parlant ainsi, a eu en vue les deux générations, celle d'en-haut et celle d'ici-bas.

En effet, si celle-là est redoutable, celle-ci est également mystérieuse. De là cette parole d'Isaïe : " Sa génération, qui la racontera? " (LIII, 8.) Mais, dira-t-on, il s'agit ici de la génération céleste. Alors , que dirons-nous à Paul, qui rappelle les deux générations, et ajoute ensuite " sans généalogie? " Car c'est après avoir dit " sans père, sans mère, " qu'il poursuit en disant " sans généalogie , " afin que vous le considériez comme privé de généalogie , à la fois selon la génération suivant laquelle il n'a point de mère, et selon celle suivant laquelle il est sans père , je veux dire la génération d'ici-bas. Voilà pourquoi ce n'est qu'après avoir fait mention de l'une et de l'autre, qu'il ajoute : " sans généalogie. " En effet, celle d'ici-bas est elle-même incompréhensible, afin que nous n'osions pas même porter nos regards sur l'autre. Car si le portique du temple est si majestueux, si redoutable, comment oserait-on pénétrer dans le sanctuaire ? Que Jésus a été engendré par le Père, je le sais : comment? je l'ignore. Qu'il a été enfanté par une vierge, je le sais : comment cela s'est fait, c'est ce que je ne comprends pas davantage. Nous confessons la génération des deux natures, et gardons le silence sur la manière dont l'une et l'autre ont été engendrées. Et si je reconnais, en ce qui regarde la terre et la Vierge, que Jésus a été mis au jour par une vierge, sans rien comprendre à un pareil enfantement mon ignorance sur ce point ne m'induit pas à nier le fait même. Il faut faire de même en ce qui regarde le Père : quand bien même vous ignorez comment la génération a eu lieu, confessez qu'elle a eu lieu. Que si un hérétique vient vous dire : Comment le Fils a-t-il été engendré par le Père? rabattez vers la terre, son orgueil; dites-lui : Descends des cieux, fais-moi comprendre comment il a été enfanté par la Vierge, et alors tu me renouvelleras ta question. Retenez-le bien, pressez-le de toutes parts, ne le laissez pas échapper, ni chercher une retraite dans le labyrinthe des raisonnements. Retenez-le , prenez-le à la gorge, non avec la main, ruais avec la parole, ne lui permettez ni dissertations, ni échappatoires, car c'est ce qu'il désire. S'ils réussissent à nous scandaliser par leurs discours, c'est parce que noirs consentons à les suivre, au lieu de les ramener sous la loi des divines Ecritures. Faites-vous donc un rempart, tout autour de vous, des témoignages des Ecritures, et il ne pourra pas même ouvrir la bouche. Demandez à l'hérétique : Comment a-t-il été enfanté par la Vierge? Je ne sors pas de là. Je ne quitte pas ce terrain. Il ne saura que vous dire, quelle que puisse être sa rage de disputer. Ce que Dieu a fermé qui l'ouvrira ? La foi seule sait admettre les choses de cet ordre. Que si vous résistez, et voulez des raisonnements, je vous dirai ce que le Christ dit à Nicodème : " Si je vous dis les choses de la terre, et que vous ne croyiez point, comment (456) croirez- vous, si je vous dis les choses du ciel? " (Jean, III, 12.) Je vous parle de l'enfantement de la Vierge, et vous ne savez pas, et vous restez muet ! et voici que vous voulez sonder le ciel! que dis-je ? plût à Dieu que votre curiosité s'attaquât au ciel et non au Maître des cieux : " Si je vous dis les choses de la terre, et que vous ne me croyiez point. " Il ne dit pas : vous n'êtes pas persuadés , mais bien " vous ne croyez point, " afin de vous faire voir que la foi est nécessaire, même à l'égard des choses terrestres.

Mais si la foi est nécessaire pour les choses terrestres, à plus forte raison l'est-elle pour les choses célestes. Cependant Jésus en cette occurrence parlait à Nicodème d'un enfantement bien moindre: il s'agissait du baptême de la génération spirituelle: eh bien ! il disait que ces choses mêmes ne sont accessibles qu'à la foi. Il les appelait terrestres, non qu'elles aient ce caractère, mais parce qu'elles s'accomplissent ici-bas, et qu'en comparaison de l'ineffable et sublime génération céleste, elles sont véritablement telles. Ainsi donc, s'il est impossible de comprendre comment l'eau peut me régénérer, s'il n'appartient qu'à la foi d'admettre la réalité de ce mystère, sans s'inquiéter de la façon dont il s'accomplit, quelle folie, alors qu'il s'agit de la génération céleste du Fils unique, de recourir aux raisonnements humains, et de demander compte de la manière dont s'est opéré ce miracle.

3. Nous avons suffisamment fait voir comment le Fils unique de Dieu est en effet sans père et sans mère, et comment il est sans généalogie selon les deux générations: revenons maintenant à ce qui presse: remettons à un autre jour ce qui touche Melchisédech, et prêtons une oreille attentive, afin d'entendre les énigmes prophétiques. Les prophéties ressemblent, en effet, à des énigmes: les difficultés abondent dans l'Ancien Testament, et les livres dont il se compose ne sont pas aisés à comprendre: le Nouveau est plus clair et plus simple. Et d'où vient, dira-t-on, cette différence? Cependant le Nouveau Testament nous entretient d'objets plus importants, du royaume des cieux, de la résurrection des corps, des biens ineffables qui surpassent l'intelligence humaine? Quelle est donc la raison de l'obscurité des prophéties? Les prophéties prédisent beaucoup de maux aux Juifs, comment ils seront rejetés, tandis que nous, nous serons appelés; comment le temple sera détruit et ne sera point relevé; comment Jérusalem tombera et sera foulée aux pieds; comment les Juifs, réduits à errer, seront dispersés dans tous les endroits du monde habités; comment, exilés, ils ne conserveront plus leurs anciens usages, et perdront tout ce qu'ils avaient eu jusque là, prophéties, sacrifices, sacerdoce, royauté. En outre, les prophètes leur annonçaient bien d'autres malheurs dont la prédiction remplit leurs livres. Afin donc que les Juifs, entendant trop bien ce langage, ne fissent pas mourir tout d'abord ceux qui le leur tenaient, les prophètes eurent soin de voiler leurs prédictions sous les difficultés de l'interprétation, et de répandre une grande obscurité sur les faits dont ils parlaient: de cette manière l'ambiguïté des paroles devint un abri pour ceux qui les faisaient entendre. Qu'est-ce qui le prouve? Car nous avons vies comptes à rendre, bien que nous parlions devant des amis: qui sait si dans le nombre, il n'y a pas aussi beaucoup de personnes animées d'autres sentiments? Qu'elles s'instruisent donc, elles aussi, afin de prendre rang, à leur tour, parmi nos amis.

Je disais que si les Juifs avaient su les maux qui devaient fondre sur eux, la prise de Jérusalem, cette éternelle et irréparable vengeance du Christ, s'ils avaient entendu les prophètes s'exprimer clairement à ce sujet, ils se seraient hâtés de les faire périr. Comment le prouverons-nous? D'abord par leur caractère qui était passionné et féroce. C'était un peuple toujours altéré du sang des prophètes, et dont les mains. étaient exercées an massacre des saints. C'est ce que leur reproche le grand Hélie, en disant " Seigneur, ils ont tué vos prophètes, ils ont ruiné vos autels. " (III Rois, XIX, 10. ) Le Christ dit encore : " Jérusalem, Jérusalem, qui as tué les prophètes, et lapides ceux qui ont été envoyés vers toi. " Isaïe profère une accusation pareille, quand il s'écrie: " Vos mains sont pleines de sang. " (Isaïe, I, 15. ) Et voici une autre parole du Christ: " Vos pères ont tué les prophètes, et vous, vous bâtissez leurs monuments : comblez la mesure de vos pères. " (Matth. XXIII, 31, 32.) Voyez-vous comment et le Maître et les serviteurs attestent cette humeur sanguinaire ? Mais qu'est-ce à dire: " Comblez la mesure de vos pères? " C'est-à-dire, tuez-moi aussi : au meurtre des serviteurs ajoutez le sang du maître. Leurs homicides se comptaient par milliers ; mais ils (457) n'avaient égorgé que des frères en esclavage c'est quand ils eurent porté la main sur le Maître, que la mesure fut comblée. Cela se conçoit : tant qu'ils n'avaient pas tué le Maître, ils avaient l'espoir d'être sauvés et ils comptaient que l'Agneau de Dieu prendrait sur lui les péchés du monde. Mais une fois qu'ils eurent fait périr le médecin, qu'ils eurent attenté au propitiatoire même, qu'ils se furent détournés de Celui qui était venu pour remettre les péchés , ils furent déchus de toutes leurs espérances. De là cette parole : " Comblez la mesure de vos pères. "

Je l'accorde, dira-t-on: que les Juifs étaient homicides et sanguinaires, c'est ce qu'établissent bien des témoignages: mais où voyez-vous qu'ils n'auraient pas épargné les prophètes , s'ils avaient été informés par eux de la ruine future de Jérusalem, de la fin de la loi, de la modification de l'Ancien Testament ? D'abord, cela résulte manifestement de ce qui précède mais je veux encore rendre la chose plus évidente, en m'appuyant sur les Ecritures mêmes. Un prophète venait-il à leur dire que Jérusalem était menacée d'une destruction temporaire, au lieu de se convertir, et de détourner d'eux la colère divine , ils déchargeaient leur courroux sur le prophète. L'histoire même va vous montrer la vérité de ce que j'avance. Les Perses, une fois, assiégeaient leur ville; l'armée barbare la bloquait : le péril n'avait rien de problématique, Jérusalem était comme prise au filet, environnée de toutes parts d'hommes armés. Néanmoins, malgré l'évidence du danger, lorsque Jérémie vint dire aux Juifs que la ville serait livrée aux Chaldéens (ce qui n'était pas même une prophétie, car l'avenir apparaissait à tous les yeux), lorsqu'il annonça cette vérité sensible et manifeste, ces pervers, ces fous, ces ingrats, s'emportèrent à un tel excès de démence, qu'ils le considérèrent comme un traître,un ennemi public, et l'accusèrent de paralyser les bras du peuple. (Jérémie, XXXIII, 4. ) Et pourtant il les fortifiait, il réveillait leur zèle, il s'efforçait de les ramener à Dieu, et de mettre autour d'eux ce solide et inexpugnable rempart : mais eux, sans faire attention à tout cela, voulaient qu'on le fît mourir. C'est ainsi qu'ils avaient coutume de rémunérer leurs bienfaiteurs. — Et le pardon même du roi n'adoucit point leur colère: ne pouvant faire périr Jérémie, ils le jetèrent dans un marais fangeux.

4. Mais s'ils rie supportaient pas la prédiction d'une captivité temporaire, comment auraient-ils écouté l'annonce de leur perpétuelle servitude. S'ils ne voulurent pas écouter Jérémie qui leur disait : Vous irez à Babylone, et le punirent d'avoir prononcé ces paroles, qu'aurait-ce été, si les prophètes leur avaient dit, non pas, Vous irez à Babylone; mais : Vous serez disséminés dans tout l'univers et vous ne reviendrez plus? N'auraient-ils pas bu le sang de ces téméraires? Mais peut-être ne voyez-vous là qu'une conjecture : Eh bien ! je vais vous donner une preuve irréfutable que les prophètes ne pouvaient sans danger révéler aux Juifs l'avenir, je veux dire leur chute et notre élévation.

Dites-moi : Etienne, le premier des martyrs, pourquoi l'ont-ils lapidé? N'est-ce pas cela qu'ils lui reprochaient ? Ne disaient-ils pas : " Cet homme profère des paroles de blasphème ? " Et encore: " Il a dit que Jésus détruirait ce temple, et changerait les traditions que nous a données Moïse. " (Act. VI, 11-14.) Et voilà pourquoi ils l'ont lapidé. Que si alors ils ne souffraient point qu'on leur tînt ce langage, et cela, en présence de la confirmation donnée par les faits eux-mêmes, comment auraient-ils pu se résigner à entendre pareille prédiction sortir de la bouche des prophètes ? Vous avez entendu, mon cher auditeur, que c'est à cause du temple et du changement des institutions qu'ils ont lapidé Etienne. Ecoutez maintenant comment le Christ même a reçu d'eux le même reproche. Il a dit : " Détruisez ce temple et dans trois jours je le relèverai. " (Matth. XXVI, 61 ; Jean, II, 19.) Voyez-vous comment c'était toujours à propos de la destruction du temple et de la réforme des institutions qu'ils s'irritaient? Voilà pourquoi, si les prophètes parlaient de ces choses ils n'en parlaient pas ouvertement.

De même, si les Juifs voulaient faire périr Paul, c'est parce qu'il cherchait à leur persuader de renoncer à leurs institutions. " Tu vois, mon frère. combien de milliers de Juifs ont cru, et ils ont tous entendu dire de toi, que tu enseignes le renoncement à la loi. " (Act. XXI, 20.) Les fidèles ne voulaient pas qu'on leur parlât de renoncer à la loi comment donc ceux qui ne croyaient pas encore auraient-ils pu se laisser dire que la loi aurait une fin ? Que les Juifs auraient tué les prophètes, s'ils avaient prédit clairement une chose pareille, c'est ce que nous avons fait voir par des témoignages, celui du bienheureux (458) Jérémie, celui du premier martyr Etienne, celui dit Christ lui-même , ainsi que de l'apôtre Paul. C'est sur les mêmes griefs qu'ils les condamnèrent tous. Mais qu'ils seraient allés jusqu'à brûler les livres prophétiques, s'ils en avaient compris le sens , c'est ce que j'avais essayé de vous prouver à l'aide d'une histoire qui sera d'abord obscure pour vous , mais ne tardera point à s'éclaircir, tant je ferai d'efforts pour vous l'expliquer. Quelle est donc cette histoire? Ecoutez.

" Et il arriva, dans la quatrième année de Joachim , fils de Josias , roi de Juda, que le Seigneur dit à Jérémie : Ecris tous les discours que je t'ai tenus depuis le temps de Josias jusqu'à ce jour. (Jérém. XXXVI, I, 2); " c'est-à-dire tous les maux que je me propose de leur faire. Observez la conduite de ce Dieu plein de bonté et de sollicitude. Les Juifs ne voulaient pas entendre les prophéties séparément: Eh bien ! réunis-les toutes, dit-il, et augmente leur terreur, afin que la peur au moins les corrige. Rappelez-vous ce que je veux prouver: qu'ils auraient été jusqu'à détruire les saints Livres, s'ils avaient eu connaissance de ce qui est aujourd'hui réalisé. " Peut-être ils entendront " (il faut continuer l'histoire) " les maux que je me propose de leur faire, et ils se détourneront de leur voie de perdition. " Peut-être? Et c'est Dieu qui parle? Est-ce donc, dites-moi , qu'il ignore l'avenir? Est-ce qu'il ne sait pas si les Juifs entendront ou non , Lui qui sait toutes choses avant qu'elles n'arrivent, Lui qui sonde les reins et les coeurs, Lui qui peut juger les pensées et les projets, Lui aux yeux de qui tout est à nu, à découvert? D'où vient donc qu'il dit: Peut-être ils entendront? Il faut bien vous rendre compte de ce point aussi , à cause de ceux qui accusent d'ignorance le Fils unique. Voici que le Père , également, parle en cet endroit comme un ignorant: car ce mot " Peut" être, " est un signe d'ignorance: mais cette ignorance n'est qu'apparente. Ainsi donc quand vous entendrez faire au sujet du Fils quelque objection pareille , confondez leur cause, à tous deux. Il est le Fils, et il imite constamment le Père.

Mais remettons à un autre temps ces discussions, de peur de nous écarter de notre objet, et disons l'origine de cette expression : " Peut-être ils entendront. " Si Dieu avait dit: " Ils entendront, " sans .ajouter . " Peut-être , " il eût dit une chose fausse ; car les Juifs ne devaient pas entendre. S'il avait dit, ce qui était vrai , à savoir qu'ils n'entendraient pas , c'est inutilement qu'il eût dépêché le prophète à des sourds. Et ce n'est pas seulement pour cette raison qu'il a employé des expressions ambiguës, c'est encore afin que sa prescience ne fût pas considérée comme prédéterminant fatalement l'obéissance: sans cela quelques-uns auraient pu dire que Dieu avait prédit, et qu'ainsi l'événement n'était pas douteux: c'est ce qui arrive pour Juda. Dieu avait prédit, diton, qu'il trahirait, et voilà pourquoi il a trahi. Folie ! impudence ! La prescience, entendez-vous, ne saurait être la cause du crime : à Dieu ne plaise ! Elle n'est pas prédéterminante à l'égard des événements futurs, elle est seulement prévoyante. Ce n'est point parce que le Christ avait prédit , que Juda devint traître; c'est parce que Juda devait devenir traître, que le Christ l'a prédit. C'est pour empêcher qu'on ne vînt dire, Dieu a dit, qu'ils n'entendraient pas et leur a fermé la porte du repentir , c'est pour prévenir une pareille objection, que Dieu a dit au prophète: " Peut-être ils entendront."

5. Souvenez-vous de ce que je veux établir: Si je ne cesse de vous le rappeler, c'est afin que vous n'oubliiez pas, quand je serai arrivé à la solution, la question que nous nous sommes posée en commençant. Quelle est donc notre proposition ? C'est que si les Juifs avaient pressenti les malheurs qui devaient fondre sur eux (je parle de ceux auxquels ils sont maintenant en proie), ils seraient allés jusqu'à détruire les livres, et n'auraient pas même respecté les saintes Ecritures. Mais revenons à notre histoire. " Ayant ouï cela, Jérémie appelle son disciple Baruch, fils de Nérias , et lui dit : " Ecris sur un livre tous les maux qui doivent leur arriver. (Jér. XXXVI, 4.) " Qu'est-ce à dire? Dieu t'a donné une commission et tu envois ton disciple? Est-ce que tu trembles? Est-ce que tu as peur? Est-ce que tu es intimidé? Et si tu as peur, comment ton disciple aura-t-il assez de courage ? mais ce n'est rien de tout cela ; la raison est. tout à côté. Après avoir dit : Ecris et lis , il ajoute : " Car pour moi je suis retenu en prison. " O grandeur d'âme ! Il était en prison, et il ne renonçait pas pourtant à prophétiser. Contemplons le courage de ce juste , admirons la sagesse de son âme.

Il ne dit pas : Tous mes malheurs sont une (458) conséquence de ma franchise ; j'ai prodigué en vain mes paroles, sans aucun profit ni pour les autres , ni pour moi ; des chaînes, voilà tout ce que j'y ai gagné; et Dieu ne m'a pas encore affranchi de mes liens, qu'il me renvoie vers ces bêtes féroces. Il ne dit, ne pensa rien de pareil ; il ne songeait qu'à une chose : au moyen d'exécuter l'ordre du Seigneur ; et attendu que par lui-même il en était incapable, il employa son disciple à cette oeuvre : " Dis-leur, " dit-il , " et dis-leur tous les maux; car pour moi je suis retenu en prison. " Jérémie dit, et Baruch écrivit. sur un livre. C'était temps de jeûne, quand ces choses se passaient, une fête approchait qui attirait tout le monde à la métropole; la réunion devait être générale, car l'assemblée avait à s'occuper d'affaires pressantes. " Baruch entra devant les magistrats , et il lut aux oreilles des magistrats toutes ces paroles. " Il en dit, de plus, la raison : " Peut-être votre miséricorde tombera-t-elle devant la face du Seigneur. " C'était pour qu'ils ne crussent point qu'il parlait en accusateur , et qu'ils s'adoucissent en apprenant qu'il venait à eux pour leur intérêt.

Que font alors ces hommes? Au lieu de le remercier, de le louer, de l'admirer comme ils auraient dû le faire , ils vont rapporter au roi ce qui était écrit dans le livre, et déposent ce livre dans la maison d'Elisama. Et le roi ayant " envoyé Judi " (un des hommes de son entourage), " ordonna que le livre lui fût apporté ; et le roi était assis dans sa demeure d'hiver. " On était, en effet, dans le neuvième mois, c'est-à-dire en novembre, Jérémie comptant à commencer par mars. Ceci même est à remarquer, car s'il avait compté à partir de septembre , on n'aurait pas été en hiver. Mais à quoi bon ce détail ? La suite vous en fera voir clairement l'utilité. " Et un foyer était devant lui ; " c'est-à-dire un brasier, parce qu'il faisait froid. Voyez-vous comme la divine Ecriture n'omet rien ? Un brasier allumé était devant le roi; autour de lui, ses officiers; on apporta ce livre précieux (prédire les maux n'est-ce pas y apporter remède?), et on en fit lecture. Veuillez ne pas oublier, je vous prie, où j'en veux venir. " Et quand trois pages furent lues , ayant pris le canif, il coupa le livre et le jeta dans le brasier allumé , jusqu'à ce que le livre eût péri tout entier. "

Eh bien! voyez-vous comment ils n'épargnent pas même les livres, ne respectent pas même les saintes Ecritures? Parce qu'il était question de l'asservissement de Jérusalem , ce livre fut déchiré, et le rôt, faute d'avoir sous sa main le prophète, déchargea sa colère sur ce qu'il avait écrit. Celui qui sévissait ainsi contre un objet inanimé, qu'aurait-il fait à un être vivant, s'il l'avait tenu en son pouvoir? Les bêtes féroces qui ont saisi ceux qui les assaillent, voient-elles ceux-ci leur échapper en laissant entre leurs dents les peaux dont ils sont couverts, elles assouvissent leur colère en rongeant ces vêtements : ainsi fit le roi. Faute d'avoir trouvé le possesseur du livre, il déchira le livre même ; et il ne se contenta pas de le déchirer, il alla jusqu'à le jeter dans le brasier allumé, afin qu'il ne restât pas un vestige des choses qui y étaient écrites. Mais vous ne connaissez pas encore toute sa fureur : vous en serez instruits, si vous suivez bien cette relation.

Jérémie ne dit pas que le roi brûla le livre après l'avoir lu, mais " après en avoir lu trois ou quatre pages, il le déchira. " Il n'attendit pas même la fin de la lecture , le préambule même suffit déjà pour l'exaspérer. Voilà pourquoi il n'eût pas été sûr, pour les prophètes juifs, de révéler clairement tous les malheurs futurs. Si ce roi ne put supporter la prédiction d'une captivité temporaire, comment aurait-il enduré l'annonce de la captivité perpétuelle? Que dis-je? le roi ne s'en tint pas là : il fit chercher partout le prophète, dit l'Ecriture; mais il ne le trouva point : car Dieu le cacha. Il le cacha dans une retraite; quant aux autres prophètes, il les abrita derrière l'obscurité de leur langage.

6. Mais ce n'est pas cette histoire seule qui prouve clairement qu'il était téméraire et périlleux, chez les Juifs , de prédire la gloire et les honneurs réservés aux Gentils, et la déchéance dont les Juifs eux-mêmes étaient menacés : ce sont encore les paroles de Paul. Paul, voyant un prophète toucher un mot de cette prédiction et annoncer , dans un langage plus clair que celui des autres, notre fortune et l'infortune des Juifs , demeure étonné et confondu de son audace , et s'exprime ainsi : " Mais Isaïe ne craint pas de dire : J'ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas, je me suis montré à ceux qui ne me demandaient pas. J'ai dit me voici, à la nation qui n'avait pas invoqué mon nom." (460) (Rom. X, 20; Isaïe, LXV, 1.) Si la prophétie n'avait pas été périlleuse, comment s'expliqueraient ces mots de Paul : " Isaïe ne craint pas de dire : " J'ai été trouvé par ceux qui ne me cherchaient pas? " Grande accusation contre les Juifs, en vérité; ceux qui ne cherchaient pas trouvèrent, et ceux qui cherchaient ne réussirent pas; ceux qui n'avaient pas entendu crurent, et ceux qui avaient entendu crucifièrent. Voilà pourquoi Paul appelle Isaïe audacieux. C'était, en effet, une marque d'audace extrême, de faire entendre, sans ménagement, les accusations, au milieu des accusés; de prononcer une prophétie qui les dépouillait de leurs honneurs, et admettait d'autres à la gloire due à eux-mêmes. Ceux qui l'écoutaient cessaient d'être ses juges et devenaient tous ses accusateurs. Or comment se soustraire au péril, quand, pour juges, on n'a que des ennemis ? Voilà pourquoi Paul a dit : " Il ne craint pas de dire. "

Mais je veux rendre ce point encore plus évident pour vous. Si les Ecritures n'ont parlé de nous et des Juifs qu'avec ambiguïté, c'est afin que les Juifs n'en comprissent pas le langage avant le temps fixé. — J'en atteste la grande voix de Paul, cet organe du ciel, cette trompette des cieux, ce vase d'élection, ce paranymphe du Christ. " Je vous ai fiancés, " dit-il, " à un époux unique, au Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure." (II Cor. XI, 2.) Voilà le témoin que je produis devant vous pour vous attester clairement que telle est la raison qui a fait jeter de l'obscurité sur certaines, parties de l'Ancien Testament, non sur la totalité: car si tout avait été obscur, c'est en vain qu'un tel langage aurait été tenu aux hommes d'alors. Il est question dans les prophéties des guerres temporaires qui éclatèrent alors, de pestes, de famines : elles contiennent encore ce qui est accompli aujourd'hui, la vocation de l'Eglise, le rejet de la synagogue, l'abrogation de la loi. Quant aux choses dont nous parlons, Dieu ne voulait pas que les Juifs les connussent, mais' celles-là seulement qui se réalisèrent dans leur temps. Voilà justement ce que je veux prouver: à savoir qu'il a rendu obscur seulement ce qui nous concerne ainsi que la synagogue, ce qui regarde les événements aujourd'hui réalisés, et l'abrogation de la loi : ces dernières choses, il ne fallait pas qu'elles leur fussent connues dès lors. En effet, s'ils avaient su tout d'abord que la loi était temporaire, ils n'auraient pas manqué de la mépriser: voilà pourquoi ce point seul a été laissé dans l'ombre.

Maintenant, si vous voulez vous convaincre que toutes les prophéties n'étaient pas obscures, et que cette partie seule était enveloppée, écoutez Paul qui établit clairement ces deux vérités, à savoir que la loi était laissée dans l'ombre ; mais pour cette partie seulement, écrivant aux Corinthiens, il leur tient à peu près ce langage: " Ayant donc une telle espérance, nous usons d'une grande liberté; et non comme Moïse, qui mettait un voile sur son visage, pour que les enfants d'Israël ne regardassent pas ce qui devait disparaître; aussi leurs esprits se sont hébétés. Car jusqu'à ce jour le même voile demeure sans être levé, lorsqu'ils lisent l'Ancien Testament, parce que c'est par le Christ qu'il s'enlève. " (II Corinth. III, 13, 15.) Peut-être ce texte est-il obscur : il faut donc l'éclaircir, en vous rappelant l'histoire à laquelle il fait allusion. Quand Moïse, après avoir reçu les tables de la loi sur la montagne, était sur le point de redescendre, une gloire ineffable et merveilleuse rayonnait de sa face, tellement que personne, dans la multitude, n'osait l'aborder ni lui adresser la parole. Alors, afin de ne pas rester toujours inaccessible au peuple, il mit un voile sur son visage, et permit ainsi aux Juifs de l'approcher sans crainte. Il conservait ce voile pour converser avec le peuple, et le déposait pour ses entretiens avec Dieu. Le but de tout cela, c'était d'une part que le législateur parût digne de foi à ceux qui devaient recevoir la loi de ses mains, et d'autre part qu'une figure de la vérité fût esquissée à l'avance dans sa personne, que la raison de l'Incarnation fût manifestée longtemps à l'avance. — En effet, attendu que certaines personnes devaient dire Pourquoi le Christ n'a-t-il point paru ici-bas dans la simplicité de sa divine nature, au lieu de se revêtir de chair? Il a répondu à l'avance à toutes ces objections parle voile dont il couvrit son serviteur : si les Juifs ne purent plus dès lors contempler la gloire du serviteur, comment auraient-ils supporté plus tard l'aspect de la divinité toute nue?

7. Ce voile nous donne encore un autre enseignement: c'est que les Juifs voient la loi de la même manière qu'ils voyaient alors Moïse. Ainsi qu'alors ils ne pouvaient apercevoir le glorieux visage du législateur derrière le tissu qui le couvrait, de même aujourd'hui la gloire (461) de la loi échappe à leurs regards. Enfin, ce même voile nous est encore nécessaire pour que nous l'opposions aux hérétiques. Ceux-ci, voyant dans le texte cité une condamnation de la loi, se sont armés de ce passage de l'Epître : en y trouvant que la loi porte un voile, qu'elle est abrogée, ils ont vu là une accusation portée contre elle, et ont renoncé aux Ecritures, mais pour succomber à leurs propres raisonnements. Cela même, en effet, prouve la grandeur de la loi. Si le voile mis alors sur la face de Moïse ne compromettait en rien sa majesté, et témoignait seulement de la, faiblesse des Juifs, que dis-je? s'il rendait à Moïse le plus magnifique hommage, à Moïse, dont le visage rayonnait d'une gloire telle, qu'il ne pouvait plus se montrer sans voile aux autres serviteurs de son Maître, il en est de même pour la loi. Si la loi n'eût pas été revêtue d'une gloire inaccessible, elle n'aurait pas eu besoin d'un voile.

Ainsi donc lorsque Paul nous dit "qu'un voile demeure sur la lecture de l'Ancien Testament, " il fait allusion à son obscurité; mais quand il ajoute, " Sans être levé, parce que c'est par le Christ qu'il s'enlève, " il nous indique quelle est la partie de la loi qui est obscure. Ce qui est obscur dans la loi, ce n'est pas ce qui regarde la conduite et les institutions ; sans cela, elle eût été octroyée inutilement; les parties obscures sont seulement celles qui pouvaient nous instruire de l'abrogation qui devait être opérée parle Christ. En effet, c'est encore un trait de la sagesse divine, que d'avoir fait prédire par la loi même qu'elle serait abrogée par la venue du Christ, et que ce temps marquerait sa fin. C'est justement cette partie de la loi où est prédite cette abrogation, qui seule était obscure. Le grand Paul n'indique pas autre chose, lorsqu'il ajoute : " Sans être levé , parce que c'est par le Christ qu'il s'enlève. " Comme en entendant dire qu'un voile est sur la lecture de l'Ancien Testament, vous pourriez croire qu'il est obscur et ambigu dans son entier, Paul a soin de vous prémunir aussitôt contre ce faux soupçon. Il vient de dire : "Un voile reste sur la lecture de l'Ancien Testament; " il ajoute : "Sans être levé, parce que c'est par le Christ qu'il s'enlève." Ce qui n'a pas été révélé, c'est justement cette abrogation par le Christ: cela n'a pas été révélé à ceux qui ne s'approchaient pas dans un esprit de foi. Quant à celui qui s'approche muni de la grâce du Saint-Esprit, il voit la loi sans voile, il en contemple la gloire toute nue. Or la gloire de la loi, sachez-le bien, c'est d'avoir pu enseigner qu'il appartient au Christ de l'abroger. Sa vraie gloire, c’est d'avoir été en état de vous initier au Christ ; or, elle vous initie, en indiquant sa propre abrogation.

De sorte que nous trouvons ici l'occasion de porter un coup mortel aux hérétiques. Si la loi était hostile et contraire au Christ, au lieu d'être son ouvrage, Paul n'aurait point parlé de sa gloire, en souvenir de ce qu'elle a pu instruire ceux qui la suivaient, qu'il appartenait au Christ de l'abroger.

Si la loi était mauvaise, il ne fallait pas que son voile tombât; même le temps de la grâce venu, elle devait rester voilée et obscure. Mais si c'est. une vertu de la grâce de rendre ses fidèles plus perspicaces quand il 's'agit de comprendre la loi, si bien qu'ils n'y trouvent que motifs et raisons de croire dans le Christ; y a-t-il une preuve plus frappante de la parenté qui existe entre la grâce et la loi, que d'une part, cette clairvoyance donnée par le Christ à ses disciples, pour comprendre le régime de la loi , et d'autre part, le secours que prête celle-ci, bien connue et bien comprise, à ceux qui sont initiés à la doctrine du Christ, pour les acheminer à la vie éternelle? Cela ne montre point que le Christ soit en opposition avec la loi, ni la loi en guerre avec le Christ; on y voit tout le contraire : la loi, d'un côté, frayant la voie à la sublime sagesse chrétienne, de l'autre, le Christ, prenant l'homme à ce degré pour le conduire au plus haut sommet. Pour tant de bienfaits, rendons grâces au bon Dieu qui règle chaque chose suivant l'opportunité, dont l'industrie se multiplie pour notre salut, et, autant qu'il est en nous, montrons une conduite digne de sa bonté et de son inépuisable providence, afin d'obtenir les biens éternels, auxquels puissions-nous tous parvenir, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire, honneur, puissance, au Père et au Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !
 

 

 

 

 

DEUXIÈME HOMÉLIE. ENCORE SUR L'OBSCURITÉ DE L'ANCIEN TESTAMENT, SUR LA BONTÉ DE DIEU; ET QU'IL NE FAUT PAS S'ACCUSER LES UNS LES AUTRES.
ANALYSE.

1. Félicitations aux auditeurs. Que les prophéties restent naturellement obscures jusqu'à leur accomplissement.

2. La traduction : autre cause d'obscurité.

3. Unité de la langue primitive : que la confusion des langues n'est pas impossible à Dieu, mais à l'homme.

4. Problème du langage. Que les plus grands saints ont en besoin de prières. Efficacité de la prière faite en commun

5. Double nature de l'homme.

6. La considération de notre nature, leçon d'humilité.

7. Mélange de la beauté et de la faiblesse dans les ouvrages de Dieu : raison de, ce mélange.

8. Taire ses mauvaises pensées, afin de les étouffer. — S'accuser soi-même au lieu d'accuser autrui.

9. Exemples tirés des deux Testaments.

10. Exhortation à fuir la médisance et à fermer la bouche aux médisants.

1. Le bouvier se réjouit, quand il voit son troupeau vigoureux et bien portant; le laboureur se réjouit en voyant grandir les moissons; mais ni le cultivateur n'éprouve autant de joie à la vue de ses champs, ni le bouvier à l'aspect de ses troupeaux, que je conçois , moi, d'allégresse et de contentement, envoyant cette aire auguste se remplir de gerbes spirituelles. Quand tant de pieuses oreilles sont réunies pour recevoir le grain de la parole sacrée, on ne peut manquer de voir bientôt l'épi d'obéissance pulluler et mûrir. Quand on a ouvert le sillon dans une terre grasse et fertile , il n'est pas besoin d'y répandre la semence d'une main bien libérale pour obtenir une abondante récolte : la nature du sol suffit, par elle-même, à multiplier les grains qu'on lui confie. De même lorsqu'on sème dans les âmes religieuses et dociles, épargnât-on même la semence de l'instruction, on verra surgir une riche moisson, grâce à la sagesse des auditeurs qui prévaudra sur le peu de ressources de l'orateur. La même chose est encore vraie de la pêche. Quelque inexpérimentés que puissent être les pêcheurs, s'ils jettent leurs filets dans une anse où les poissons abondent, ils ne restent pas longtemps sans capture, parce que la foule des poissons réunis fait contre-poids à leur inexpérience. Mais, s'il est vrai que dans ce genre de pêche, la multitude du poisson rend souvent la confiance au pêcheur le plus inhabile, à plus forte raison cela sera-t-il vrai pour notre pêche spirituelle. En effet, les poissons ne voient pas plus tôt lancer l'engin dans les flots, qu'ils s'écartent et s'enfuient ; votre conduite, à vous, est toute différente. Voyez-vous quelqu'un se lever et déployer le filet de la prédication; loin de vous éloigner ou de fuir, vous accourez de tous les points afin de vous rapprocher, chacun pousse et coudoie son voisin, afin de se jeter, de tomber avant lui dans le filet. Si jamais nous n'avons retiré notre filet vide, c'est grâce à votre empressement et non à notre expérience. L'autre jour, une langue qui distille un flot d'or pur et raffiné, une bouche d'où le miel découle, nous a bien régalés : je veux parler du bienheureux Paul : mais que dis-je? et quel miel égalerait la douceur de son enseignement spirituel ?

463

Cependant, puisque votre philosophie ne dédaigne pas même ma pauvreté, ma misère ; puisque, tout en admirant ce qui est sublime, vous ne refusez pas d'entendre le langage de notre faiblesse, je me lève, jaloux d'acquitter la dette que j'ai contractée ce jour-là envers vous, la promesse que la longueur de mon dernier sujet m'a empêché de tenir. Quelle est cette dette? Il faut vous rappeler l'origine de cette obligation, afin que le sujet de mon discours en éclaircisse les développements. Nous recherchions pour quel motif l'Ancien Testament est plus obscur que le Nouveau vous vous en souvenez peut-être : nous en avons déjà donné une raison, à savoir, la férocité de ceux à qui il s'adressait: et nous vous avons produit à l'appui le témoignage de Paul qui dit : " Le même voile reste sur la lecture de l'Ancien Testament, sans être levé, parce qu'il appartient à Jésus-Christ de l'enlever. " Nous avons montré que si le législateur Moïse avait eu un voile, la loi en avait un. autre dans son obscurité : mais ce voile n'est pas plus compromettant pour la loi que l'autre pour le législateur : il atteste seulement la faiblesse de ceux à qui la loi s'adressait. Si Moïse portait un voile, la raison n'en était pas en lui-même, mais chez les Juifs, incapables de soutenir la gloire dont rayonnait son visage. Aussi ôtait-il ce voile pour converser avec Dieu. De même la loi, attendu qu'on ne pouvait pas encore comprendre les dogmes sublimes de la religion parfaite, ceux qui concernent le Christ, ceux d u Nouveau Testament ; attendu que tout cela restait en réserve et comme en dépôt dans l'Ancien Testament; la loi, dis-je, portait un voile, par condescendance pour les Juifs, et pour ménager notre trésor, à nous, afin que ce voile fût enlevé quand le Christ aurait paru et que nous nous serions donnés à lui.

Vous voyez à quel degré d'élévation nous a portés la venue du Christ, qui nous a égalés à Moïse en dignité. Mais peut-être on dira : Pourquoi donc parler aux Juifs, si ce que l'on disait n'était pas clair pour eux? C'était dans l'intérêt de ceux qui devaient venir ensuite. En effet, la dignité de la prophétie consiste, non à rapporter les faits présents, niais à prédire les événements futurs. Or, une prophétie énoncée obscurément s'éclaircit quand elle est réalisée, mais demeure obscure jusque-là. Ainsi donc, les prophéties étaient obscures, à l'époque où elles parurent sous cette forme énigmatique; mais une fois qu'elles furent accomplies, l'événement les rendit plus claires. Vous allez comprendre qu'une prophétie ; quoique bien antérieure à l'événement, si elle est énoncée obscurément, reste ambiguë en attendant l'événement : les disciples, eux-mêmes, vont vous rendre cette vérité sensible. " Détruisez ce temple, " disait le Christ aux Juifs (Jean, II,19). Car, attendu qu'ils chassaient ceux qui profanaient le temple par leur trafic, les Juifs lui dirent : " Par quel signe nous montres-tu que tu peux faire ces choses? " A cela il répondit : " Détruisez ce temple et je le relèverai en trois jours. Or il parlait du temple de son corps. " Voilà une prophétie : la croix, la destruction du temple, la résurrection au bout de trois jours: tout cela était encore dans l'avenir. Et voyez quelle allusion frappante il fait à ces deux choses en même temps ! leur audace à eux, sa puissance à lui. Néanmoins ils ne comprirent point ces paroles. Que les Juifs ne les aient pas comprises, cela ne doit pas nous étonner; mais il est dit que les disciples mêmes ne comprirent pas, jusqu'à ce que Jésus ressuscita d'entre les morts : " Et alors ils crurent à l'Ecriture et à la parole qu'avait dite Jésus. "

2. Voyez-vous comment ils eurent besoin des événements réalisés pour l'éclaircissement de la prophétie, et comment les Juifs étaient excusables de ne pas comprendre les prophéties concernant le Christ, avant la venue du Christ? C'est cette venue qui devait les rendre claires et intelligibles. Ecoutez plutôt le Christ lui-même : " Si je n'étais pas venu et que je ne leur eusse point parlé, ils ne seraient pas en faute." (Jean, XV, 21.) Et comment n'étaient-ils pas en faute, quand les prophéties les avertissaient? C'est que, si elles les avertissaient, elles manquaient de clarté et ne devaient être éclaircies qu'à la venue de celui qu'elles annonçaient. En effet, si dès l'origine elles avaient été intelligibles et claires, il est manifeste qu'ils auraient été en faute dès avant sa venue; mais s'ils n'étaient point alors en faute, il est évident que c'est à cause de l'obscurité, des ténèbres dont les prédictions étaient enveloppées. On ne leur demandait pas de croire au Christ avant que le Christ eût paru.

Alors à quoi bon les prédictions? Afin que, dès l'apparition du Christ, ils trouvassent, sans sortir de chez eux, des maîtres pour les (464) initier; afin qu'ils pussent se convaincre que ce qui se passait n'était point une nouveauté, que l'incarnation n'était point une chose improvisée, mais une chose annoncée de loin et depuis beaucoup d'années, ce qui n'était pas peu propre à les gagner à la foi. Voilà une cause d'obscurité que nous avons fait valoir, dans notre précédent entretien, à l'aide de nombreux témoignages. Pour ne point vous fatiguer en vous répétant les mêmes choses, il faut quitter ce point et passer à une autre raison qui rend l'Ancien Testament, non point obscur ou inintelligible, mais difficile pour nous. Car autre chose est de ne rien comprendre à un texte, et de n'apercevoir que le voile qui le cache; autre chose, d'en trouver le sens, bien qu'avec difficulté.

Quelle est donc cette seconde raison qui rend l'Ancien Testament plus difficile que le Nouveau? C'est que l'Ancien Testament n'est pas écrit dans notre langue nationale ; il est rédigé dans un idiome, on nous le lit clans un autre. Il a été écrit, à l'origine, en hébreu, et c'est par l'intermédiaire de la langue grecque qu'il arrive à notre connaissance : or, la traduction d'une langue dans une autre est une entreprise pleine de difficultés. Ils ne l'ignorent pas, ceux qui sont versés dans plusieurs langues; ils savent qu'il est impossible de faire passer dans un autre langage toute l'énergie de l'expression originale. Voilà une nouvelle cause de la difficulté de l'Ancien Testament. Trois cents ans avant Jésus-Christ, sous Ptolémée, roi d'Égypte, l'Ancien Testament fut traduit en grec : oeuvre bien utile et nécessaire. Car, tant qu'il s'adressait au seul peuple juif, il pouvait rester en langue hébraïque : personne alors ne songeait à ce livre, le reste des hommes étant plongé dans la plus extrême barbarie. Niais aux approches de la venue du Christ, au moment où il allait appeler à lui tout l'univers, non-seulement par les apôtres, mais encore par les prophètes (car les prophètes aussi nous acheminent à la connaissance de la doctrine du Christ), alors Dieu voulut que les prophéties, ces voies, ces avenues jusque-là fermées par l'obstacle d'une langue inconnue, fussent complètement ouvertes au moyen de la traduction, afin que les Gentils, affluant de toutes parts, et suivant sans peine ces chemins, pussent arriver par là jusqu'au roi des prophètes, et adorer le Fils unique de Dieu.

Voilà pourquoi tous les livres de ce Testament ont été traduits avant l'apparition du Christ s'ils étaient restés écrits seulement en hébreu, c'est en vain que David aurait dit : " Demande-moi, et je te donnerai les nations pour ton héritage, et je mettrai les frontières de la terre en ta possession. " (Ps. II, 8.) Comment cette parole aurait-elle été intelligible pour un Syrien, un Galale, un Macédonien, un Athénien, si l'Écriture était demeurée dans son obscurité primitive ? De même, Isaïe s'écrie " Comme une brebis, il a été conduit pour être égorgé : comme un agneau sans voix devant celui qui le tond (53, 7). " Et ailleurs: " On verra la racine de Jessé, et celui qui se lève pour commander aux nations; en lui les nations espéreront (11, 10.) " Et encore " La terre sera remplie de la connaissance du Seigneur, comme la mer des eaux dont elle est couverte. " (Ibid. V, 9.) David dit encore: " Le Seigneur est monté eu jubilation; le Seigneur, à la voix de la trompette (Ps. XLVI, 6); " et aussi : " Le Seigneur a dit à mon Seigneur : " Assieds-toi à ma droite, jusqu'à ce que j'aie fait de tes ennemis un escabeau pour tes pieds. " (Ps. CIX, 11.)

3. En conséquence, comme l'Ancien Testament renfermait des prophéties au sujet de la Passion, de la Résurrection, de l'Ascension, de la place assignée à droite, de la seconde venue du Christ, en un mot de tout ce qu'on trouve dans le Nouveau, afin que ces choses ne demeurassent pas ignorées des peuples futurs, et qu'ils ne méconnussent pas la vertu de la prophétie, la grâce de Dieu pourvut à ce que les Écritures fussent traduites avant la venue du Christ, à l'usage non-seulement des Gentils, mais encore de ceux des Juifs qui, dispersés dans toutes les contrées de la terre, auraient oublié la langue hébraïque. Voyez en effet : le Gentil a cru, à la vue des signes destinés aux Juifs. Comment les apôtres, maintenant, auraient-ils pu gagner les Juifs, s'ils n'avaient pu les instruire par la voix d'un de leurs prophètes? Si Paul, entrant dans Athènes, eut besoin d'une inscription gravée sur un. autel et partit de là pour instruire les habitants de cette ville, comptant les réduire plus facilement avec leurs propres armes, ce qui arriva en effet : à bien plus forte raison, quand il parlait aux Juifs, avait-il besoin de l'appui des prophètes pour qu'ils ne l'accusassent pas, eux aussi, de leur (465) prêcher des doctrines étrangères et nouvelles.

Et pourquoi, dira-t-on, n'y avait-il pas une seule langue : cela nous aurait épargné toutes ces difficultés. Il n'y avait qu'une langue autrefois, mon ami; la langage de l'homme était un comme sa nature. A l'origine, il n'y avait point de peuples distincts par leur langue, point d'Indien, de Thrace, de Scythe : tous parlaient le même idiome. Eh bien ! qu'est-il donc arrivé? direz-vous. Il est arrivé que nous nous sommes montrés indignes de ce langage unique, ingrats que nous sommes. Que dites-vous? Nous avons perdu nos droits à un langage? Mais il n'est point d'animal qui n'ait le sien : les brebis bêlent, les- chèvres ont leur cri, le taureau beugle, le cheval hennit, le lion rugit, le loup hurle, le serpent siffle chacune des bêtes a gardé sa voix : moi seul, j'ai été déshérité du langage qui m'appartenait? Bêtes sauvages ou domestiques; animaux apprivoisés ou farouches, tous ont conservé le cri qui leur avait été assigné à l'origine : et moi, leur maître, je suis déchu? leurs prérogatives restent immuables, et moi je me suis vu retirer les présents de Dieu? Et quel crime si énorme ai-je donc commis? N'était-ce pas assez des peines précédemment infligées? Dieu m'avait donné le paradis, et il m'en a chassé. Je menais une vie exempte de peines et de soucis : il m'a condamné aux sueurs et à la fatigue. Sans semer, sans labourer, j'obtenais tout de la terre : il lui a ordonné de produire des ronces et des épines, et il m'a fait retourner dans son sein : il m'a puni de mort; il a puni le sexe féminin en l'assujettissant aux peines et aux douleurs de l'enfantement. Et cela n'a pas suffi pour mon châtiment! Il a fallu encore m'ôter mon langage, me retirer ce privilège, afin que je me détourne de mes parents, de mes frères, comme de sauvages, et que la différence des langues mît obstacle à notre commerce !

J'ai grossi l'objection à dessein, afin que, la solution une fois donnée, la victoire soit plus éclatante. Si Dieu voulait, dites-vous, me dépouiller de tous ces avantages, pourquoi m'en a-t-il investi à l'origine? Voulez-vous que je m'arme de cela même, de l'objection pure et simple pour résoudre la difficulté? Il est si facile. en effet de justifier Dieu, qu'il n'y a besoin de rien ajouter aux objections de notre contradicteur, pour réfuter ses accusations. Pourquoi il m'a donné tous ces biens à l’origine, puisqu'il voulait me les retirer? Je le demande comme vous : s'il voulait vous ôter tout cela, pourquoi vous le donnait-il ? C'est donc parce qu'il ne voulait pas vous ôter ces choses, qu'il vous les a données dans le principe. Qu'est-il donc arrivé? Ce n'est pas Dieu qui vous a repris ses dons, c'est vous qui les avez perdus. Admirez la bonté de Celui qui vous les a faits; et accusez votre propre négligence, à vous qui n'avez pas su conserver ce que vous aviez reçu. Il est donc évident que le coupable n'est pas celui qui a confié le dépôt, mais celui qui a laissé le dépôt périr entre ses mains. Dieu a montré son amour pour vous, sa bonté, son désir de vous obliger, et cela sans y être aucunement forcé ni contraint, sans y être sollicité par vos bonnes oeuvres, sans avoir lieu de récompenser vos efforts; dès qu'il vous eut formé, il se bâta de vous conférer cette prérogative, afin de montrer que ce présent n'était pas une rétribution, mais une pure faveur. Que si vous n'avez pas su garder ce qu'il vous avait octroyé, c'est vous-même qu'il faut accuser, et non votre bienfaiteur.

Est-ce tout ce que nous avons à dire pour la justification du Seigneur? Cette raison, sans doute est suffisante ; mais son infinie bonté, son ineffable charité, nous offrent encore bien d'autres considérations à faire valoir. Nous n'avons pas seulement à alléguer que le présent venait de lui, et que la perte vous est imputable; par là, sans doute, l'auteur du bienfait est déchargé de toute accusation, ou plutôt, il mérite l'admiration la plus grande pour ne pas vous avoir refusé un présent qu'il savait que vous deviez perdre. Mais il y a une autre raison bien plus forte à produire. Quelle est-elle? C'est que, cette perte causée par votre propre négligence, il l'a réparée; ou plutôt, il ne vous a pas restitué seulement ce que vous aviez perdu, il vous l'a encore rendu avec usure. Vous aviez perdu le paradis, il vous a donné le ciel. Voyez-vous de combien le profit surpasse la perte, combien ce trésor est supérieur à l'autre ? Il vous a donné le ciel, d'une part, afin de faire éclater sa propre bonté, de l'autre afin d'affliger le diable, en lui montrant que, quelques piéges qu'il puisse tendre à l'espèce humaine, il n'y saurait rien gagner, puisque Dieu ne cesse de nous faire monter en dignité. Vous aviez donc perdu le paradis, et Dieu vous a ouvert le ciel, vous (466) aviez été condamné à une peine temporaire, - et vous avez été gratifiés d'une vie éternelle; la terre avait reçu l'ordre de porter des ronces et des épines, et le fruit de l'Esprit a germé dans votre âme.

4. Examinez maintenant à quel degré de condescendance la bonté divine a daigné s'abaisser. Voyez ceux qui ont perdu quelque objet : quand bien même ils en reçoivent d’autres plus précieux et plus magnifiques, ils sont portés à rechercher toujours celui qu'ils ont perdu, et à ne pas se tenir pour contents, jusqu'à ce qu'ils en soient rentrés en possession. Aussi, quand vous eûtes perdu le paradis, Dieu, non content de vous donner le ciel, vous donna à la fois et le ciel et le paradis. " Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis, " dit-il, (Luc, XXIII, 43), afin de consoler votre âme affligée, non-seulement par de nouveaux dons plus magnifiques, mais encore par la restitution de ceux que vous aviez perdus. Maintenant, si vous le voulez, arrivons à notre sujet, et voyons comment nous avons perdu notre langage. Cette histoire n'est pas d'une médiocre importance pour le salut. Car un pareil exemple est propre à nous rendre plus circonspects à l'avenir. Il faudrait ici tout vous dire : comment à l'origine tous les hommes n'avaient qu'un langage; comment ce langage unique fit place à des langues diverses; jusques à quand dura l'unité, et quand la diversité commença; si l'antique idiome disparut, et fut chassé par d'autres, ou s'il subsista, à côté de ceux qui furent introduits postérieurement; pourquoi, pour quels motifs eut lieu la confusion; ensuite dans laquelle de ces nombreuses langues fut écrit l'Ancien Testament (car c'est pour en arriver là que nous remuons tous ces problèmes) , si ce fut dans la langue ancienne et originelle, ou dans les langues qui s'étaient introduites plus tard. Mais ne craignez rien : si nous ne pouvons acquitter pleinement notre dette aujourd'hui, de toute tisanière nous nous libérerons plus tard.

Pourquoi donc, si nous ne devons pas remplir tous nos engagements dès aujourd'hui, 'tous avoir lu en détail le compte que nous avons à régler? C'est afin que l'attente du paiement entretienne perpétuellement notre souvenir dans vos âmes. L'homme qui a prêté une somme d'argent, et qui a une dette à réclamer, celui-là, à table, à la maison, sur la place publique, au lit, partout, songe et rêve à son débiteur; l'amour de l'argent est cause que cette image est toujours présente à l'esprit du créancier, avec celle de son argent. De même, c'est afin que l'espérance d'être soldés nous maintienne toujours présents à votre esprit, à la maison, sur la place, en quelque lieu que vous soyez, que nous avons fait le compte de nos dettes, sans vouloir nous libérer entièrement dans ce jour, afin de laisser en vous, avec la pensée du paiement à venir, une occasion de reporter vers nous votre souvenir. Car c'est pour nous un grand motif de confiance, que la perpétuité de votre attachement, que la fidèle affection d'un peuple pareil et aussi nombreux. Celui qui a l'affection, en effet, peut compter sur les prières

et quel trésor que les prières ! vous allez en juger.

Paul, ce grand Paul, qui fut ravi ait troisième ciel, qui entendit les paroles ineffables, qui sut fouler aux pieds toutes les attaches de la nature, Paul, vivant déjà dans une sûreté parfaite, avait encore besoin des prières des disciples, et disait : " Priez pour moi, afin que je sois délivré des infidèles. " (Rom. XV, 30, 31.) Et encore : " Priez, afin que la parole me soit donnée, lorsque j'ouvrirai la " bouche. " (Ephés. VI, 19.) Partout vous le voyez demander les prières des disciples, et leur rendre grâces après les avoir obtenues. Et il ne faut pas me dire que c'est par humilité qu'il recourt aux prières des disciples : il en montre le pouvoir en disant : " Celui qui nous a délivrés de si grands périls, et qui, comme nous l'espérons de lui, nous en délivrera encore, surtout vous nous aidant en priant pour nous, afin qu'un grand nombre rendent grâces pour nous du don qui nous a été fait. " (II Cor. I, 11.)

Si Paul a échappé à des dangers, grâce aux prières de la multitude, comment ne fonderions-nous pas, nous, un grand espoir sur une pareille assistance? En effet, c'est parce que rions sommes faibles, quand nous prions isolément, et plus forts quand nous sommes réunis, que nous nous unissons pour fléchir Dieu, à un grand nombre d'auxiliaires. De même un roi qui vient de condamner un homme à mort, ne se laisse pas facilement désarmer par l'intercession d'une seule personne ; mais si toute une ville vient le supplier, il cède; celui qu'on menait au supplice échappe à sa peine, grâce au nombre de ceux (467) qui sollicitent pour lui, et il est rendu à la vie. Tel est le pouvoir d'une multitude suppliante. Ici même, si nous nous réunissons tous ensemble, c'est afin d'incliner Dieu plus efficacement à la miséricorde. C'est parce que, comme je l'ai dit, nous sommes faibles quand nous prions seuls, que nous nous joignons par un lien de charité pour apaiser Dieu et le rendre propice à nos demandes. Ce n'est pas sans motif que je parle ainsi, et ce n'est pas seulement pour mon intérêt : c'est pour que toujours vous vous empressiez à nos réunions, pour que vous ne disiez pas : Eh quoi ! ne puis-je pas prier chez moi? Sans doute, vous pouvez prier : mais votre prière a plus de pouvoir, lorsque vous êtes uni aux autres membres, lorsque le corps entier de l'Église élève au ciel sa prière d'un seul coeur, les prêtres étant là pour offrir les voeux de la multitude réunie.

5. Voulez-vous savoir quel pouvoir a la prière faite à l'église? Pierre était un jour enchaîné dans une prison et chargé de liens. " Mais l'Église ne cessait de prier pour lui (Act. XII, 5), " et il fut délivré promptement de sa captivité. Qu'y a-t-il donc de plus puissant que la prière, puisqu'elle a rendu service aux colonnes, aux tours de l'église? Paul et Pierre, en effet, étaient pour l'Église des tours et des colonnes : eh bien ! la prière rompit les liens de l'un, et ouvrit la bouche de l'autre. Mais afin que ce ne soit pas seulement tes événements passés, mais encore les faits quotidiens, qui vous fassent connaître la double vertu de la prière, c'est de la prière même adressée par le peuple que je vais maintenant vous entretenir. Si le premier venu s'avisait de vous recommander de prier en votre particulier pour le salut de votre évêque, chacun de vous s'excuserait comme si ce fardeau surpassait ses forces; mais lorsque, réunis tous ensemble, vous entendez le diacre vous adresser la même invitation et vous dire : " Prions pour l'évêque et pour sa vieillesse, et pour qu'il soit assisté, et pour qu'il marche droit dans la parole de vérité, et pour ceux qui sont ici, et pour ceux qui sont partout, " vous ne refusez pas de vous rendre à cette injonction, et vous offrez au ciel une prière fervente, connaissant le pouvoir de votre réunion. Les initiés savent ce que je dis : car la prière des catéchumènes n'a pas à s'occuper de cela, attendu qu'ils n'ont pas encore assez. de crédit : mais vous, c'est pour l'univers, c'est pour l'Église étendue jusqu'aux extrémités de la terre, c'est pour tous les évêques chargés de l'administrer, que le diacre préposé aux prières vous prescrit d'offrir les vôtres; et vous lui obéissez avec zèle, témoignant par votre obéissance même, combien est grande la vertu d'une prière offerte dans l'église par un peuple unanime. Mais revenons à notre proposition, à savoir qu'il n'y avait primitivement qu'un seul idiome.

Qu'est-ce qui prouve cette unité? " Et toute la terre était une lèvre. " (Gen. XI, 1.) La phrase est obscure. Est-ce que la terre a une lèvre? Aucunement. Que signifie donc ce texte, et de quoi parle-t-il? Il ne parle pas de la terre prise comme une chose inanimée, immobile: c'est l'ensemble de l'espèce humaine qu'il désigne par ce nom, par cette allusion à sa nature propre, à la mère de qui elle est sortie. Car cet être double (c'est l'homme que je veux dire), composé de deux substances, l'une sensible, l'autre immatérielle, à savoir, d'une âme et d'un corps, tient à la fois à la terre et au ciel. Par son essence immatérielle il est allié aux puissances d'en-haut, par sa nature matérielle il est uni aux choses de la terre : c'est véritablement le lien qui joint les deux parties de la création. Fait-il ce qui plaît à Dieu : alors on le nomme spirituel, d'un, nom qui n'est point celui de l'âme, mais rappelle une prérogative encore plus glorieuse , l'influence de l'Esprit-Saint. En effet, notre âme ne suffit point aux bonnes oeuvres, si elle est dénuée de cette assistance. Voulez-vous la preuve de ce que j'avance? et que dis-je, elle ne suffit pas aux bonnes couvres? elle ne suffit pas même à comprendre ce qu'elle entend. "L'homme animal ne perçoit pas ce qui est de l'Esprit de Dieu. " (I Cor. II, 14.) De même que le nom " de charnel " est donné à l'homme esclave de la chair, ainsi celui " d'animal " est donné à l'homme qui se remet de tout aux raisonnements humains, et ne reçoit pas l'influence de l'Esprit. Mais, comme je le disais, nous sommes appelés spirituels quand nous faisons de bonnes couvres : au. contraire, quand nous péchons, quand nous commettons des fautes, quand nous manquons à la noblesse de notre nature, alors nous prenons te nom de terre qui est celui de notre nature inférieure.

Ici donc, attendu les accusations qui vont suivre contre les constructeurs de la tour, contre ceux qui se laissèrent aller à l'orgueil, (468) qui présumèrent trop d'eux-mêmes, attendu 1a condamnation qui va être prononcée contre ces hommes, nous sommes désignés en cet endroit par le nom de notre nature inférieure "Toute la terre était une seule lèvre. " Et la preuve que Dieu nous appelle ainsi, lorsque nous avons péché, c'est qu'il donne ce nom à Adam après sa faute : " Tu es terre et tu t'en iras en terre. " Et cependant il n'était pas terre seulement, il avait encore une âme immortelle. Pourquoi donc ce nom? Parce que Adam avait péché. Du moins ce n'est pas ainsi que Dieu l'appela lorsqu'il le forma, écoutez plutôt : " Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance; et qu'ils règnent sur les poissons de la mer et sur les animaux de la terre. Et ils inspireront une crainte et un tremblement qui s'étendra sur toute la terre." Voyez-vous quelles prérogatives attachées à sa nature, quels honneurs, quelles louanges? Mais cela se passait avant le péché : après le péché tout change : " Tu es terre et tu t'en iras en terre. " Ecoutez encore cette allusion de Malachie, ou plutôt de Dieu par la bouche de son prophète : " Voici que je vous dépêche le prophète Elie. " Et pourquoi donc le dépêche-t-il ? " Pour tourner le coeur du père vers son fils. " (Malach. IV, 5, 6.) C'est à cause du terrible, du formidable jugement qui doit arriver : de peur que le juge ne surprenne certains hommes sans défense contre les accusations et ne les condamne ; afin que cette visite et l'annonce de la venue prochaine rende les hommes plus sages. Comme d'ailleurs on néglige volontiers des avertissements donnés il y a longtemps, ce prophète arrive pour nous rafraîchir la mémoire. Mais il nous faut montrer maintenant comment les pécheurs sont appelés " Terre. "

6. Après avoir dit : " Pour tourner le coeur du père vers le fils, " il ajoute : " De peur que, venant, je ne frappe toute la terre " or, ce sont les pécheurs qu'il frappe. Voyez-vous que les pécheurs sont appelés " Terre? " Ailleurs le prophète, parlant du Christ, s'exprime ainsi : " Il aura les reins ceints de justice, et les flancs enveloppés de vérité. " (Isaïe, XI, 5.) Non que Dieu ait des reins, des flancs la Divinité est incorporelle. Mais le prophète nous fait voir par là l'incorruptibilité, l'infaillibilité du juge : et comment il n'y a autour de lui ni calomniateurs, ni hommes hostiles, comment, il est inaccessible et à la corruption et à l'erreur. Dans les tribunaux de la terre on voit frapper des innocents, et des coupables échapper, car la justice est souvent séduite. Mais quand arrivera le juge équitable et infaillible, celui dont les reins sont ceints de justice et les flancs enveloppés de vérité, tous recevront exacte justice.

" Et il frappa la terre avec la parole de sa bouche " (Ib. 4.). Et pour vous faire entendre qu'il veut parler non de la terre, mais des pécheurs, il ajoute : " Et avec le souffle qui passe par ses lèvres il exterminera les impies. " Voyez-vous qu'ici encore par le mot " terre, " il désigne les pécheurs? En conséquence, quand vous entendez lire que " Toute la terre était une seule lèvre, " il faut vous représenter encore l'espèce humaine : c'est un moyen de nous rappeler notre néant : c'est un grand avantage, en effet, que de considérer de quelle famille on sort, et de savoir de quoi l'on est formé. La considération de notre nature, voilà une suffisante leçon d'humilité; c'en est assez pour étouffer toutes nos passions et faire le calme dans notre coeur. De là ce conseil d'un sage : " Fais attention à toi-même Eccl. XXIX, 27); " songe à ta nature, à ta constitution, cela suffit pour rabattre à jamais ta présomption. Aussi Abraham, ce juste, avait-il toujours cette pensée dans l'esprit, et ne se laissait-il jamais emporter à l'orgueil. Celui qui conversait avec Dieu (tel était le crédit dont il jouissait), celui à la vertu duquel Dieu même rendit hommage, ne craignait pas de dire : " Je suis terre et cendre. " (Genèse, XVIII, 27.)

Un autre, voulant réprimer l'enflure du cœur humain, ne cherche pas pour cela de longs discours, il se borne à nous rappeler notre nature, et il nous réprimande fortement en ces termes : " Pourquoi se glorifier quand on est terre et cendre? " (Eccli. X, 9.) Vous me parlez des enseignements de la mort ? Niais humiliez cet homme pendant qu'il est en vie. Il ne sait pas maintenant qu'il est terre et cendre. Il voit la beauté de son corps, il voit sa puissance, les hommages de ses flatteurs, l'assiduité de ses parasites. Il est revêtu d'habits magnifiques, environné de tout l'appareil du pouvoir; tout cela lui fait illusion et le porte à oublier sa nature. Nous savons que nous sommes terre et cendre ; oui, nous qui sommes dans notre bon sens ; mais lui, il ne s'attend pas à la démonstration que la mort lui (469) réserve, il ne va pas voir les bières, les cercueils de ses ancêtres, il voit. le présent, il ne songe pas à l'avenir. Dès maintenant, instruisez-le qu'il n'est que terre et cendre. Attendez, reprend le Sage . ce n'est pas tout ce que j'enseigne, je veux le rabaisser encore bien davantage, afin qu'il apprenne, lui le présomptueux, à connaître sa bassesse; afin que, dès son vivant, il reçoive un remède. Après ces mots " Pourquoi se glorifier, quand on est cendre? " il ajoute : " Dans sa vie même ses entrailles sont réduites à rien. "

Qu'est-ce à dire? Peut-être cet endroit n'est-il pas clair. Il parle de ces entrailles, de ce ventre plein d'ordures, d'impureté, de puanteur, non pour accuser notre nature , mais pour nous inspirer l'humilité : " Dans sa vie " même ses entrailles sont réduites à rien. " Voyez-vous la bassesse, la fragilité de notre essence? N'attendez pas le dernier jour pour vous convaincre de votre faiblesse. Scrutez l'homme, pendant qu'il est en vie, pénétrez par la pensée dans ses entrailles, et vous verrez tout son néant. Mais ne vous découragez pas : Dieu, n'a pas agi ainsi par haine, mais par ménagement pour nous, afin de nous fournir de grandes raisons d'humilité. Si un homme, bien qu'étant terre et cendre, a osé dire . " Je monterai dans le ciel (Isaïe, XIV, 13), " où son coeur ne se serait-il pas laissé emporter, s'il n'avait été retenu par le frein de sa nature? Ainsi donc, lorsque vous verrez un homme enflé d'orgueil, portant la tête haute , fronçant le sourcil, monté sur un char, menaçant, jetant en prison, envoyant à la mort, persécutant, dites-lui : " Pourquoi u se glorifier quand on est terre et cendre ? Dans sa vie même, ses entrailles sont réduites à rien. "

Cela ne s'applique pas seulement au simple particulier, ruais à celui-là même qui siège sur un trône royal. Ne considérez point sa robe de pourpre, son diadème, ses vêtements dorés mais scrutez sa nature, et vous verrez qu'elle ne le distingue en rien du vulgaire : ou plutôt, si vous le voulez, passez en revue toutes ces choses, robe de pourpre, diadème, habits dorés, et le reste de l'appareil , et vous verrez que la terre encore est la matière de tout cela. " Toute gloire humaine est comme la fleur du foin." Voilà que tous ces ornements paraissent à leur tour encore plus vils que la terre. Voyez-vous comme notre orgueil est humilié ? Comment toute notre présomption est rabattue parla simple considération de notre nature ? Il suffit de réfléchir à ce que nous sommes, de quoi nous sommes formés, et voilà toute la vanité de nos pensées à terre. Car si Dieu nous a composés de deux substances, c'est afin que la bassesse de la chair rabaisse celui qui se laisse emporter par l'orgueil; et afin que, d'autre part, si nous venons à concevoir quelque pensée indigne des privilèges que Dieu nous a conférés, la noblesse qui est le caractère de l'âme réveille en nous l'ambition d'égaler les puissances célestes.

7. Mais la considération de notre nature n'est pas bonne seulement pour détruire l'orgueil : qu'une autre passion vienne à nous troubler, avarice, amour coupable et désordonné, cela suffit pour en réprimer les ravages. — Par conséquent, lorsque vous voyez une belle femme, aux yeux brillants et doux, aux joues fraîches, au visage empreint d'un charme inexprimable, si elle enflamme vos désirs et excite votre convoitise, songez que c'est de la terre que vous admirez, que c'est de la cendre qui vous enflamme, et le délire sortira de votre âme; dépouillez-la de cette peau qui recouvre son visage, et alors vous verrez le néant de ses charmes. Ne vous arrêtez point à l'apparence, pénétrez plus avant par la peusée, et vous ne trouverez pas autre chose que des os, des nerfs et des veines. Mais ce n'est pas assez. Il faut vous la représenter changée; vieillie, malade, les yeux enfoncés, les joues creuses, et toute cette fleur fanée. Songez à ce que vous admirez, et rougissez de votre goût. Vous admirez de la boue, de la cendre; une poussière vous embrase. Ce n'est pas pour accuser notre nature que je parle ainsi : à Dieu ne plaise ! Ce n'est pas pour la maltraiter, pour la ravaler. C'est pour fournir des remèdes aux malades. Si Dieu l'a faite ce qu'elle est, aussi vile, c'est pour faire éclater et sa propre puissance, et sa sollicitude à notre égard. Il a voulu, d'une part, nous inspirer l'humilité par l'imperfection de notre nature, et réprimer ainsi toutes nos convoitises; de l'autre, montrer sa sagesse, capable de tirer de la fange une pareille beauté: de sorte que, au moment même où je mets si bas notre essence, je dévoile l'industrie du Créateur. En effet, si un sculpteur nous paraît surtout admirable, non quand il expose à nos yeux une belle statue d'or, mais- quand il façonne avec l'argile une (470) image parfaite et accomplie : ainsi rien n'est plus propre à nous faire admirer et louer l'habileté du souverain Artiste, que la beauté imprimée par lui à la cendre, à la boue, que l'art ineffable qui éclate dans la création de nos corps.

Et ce qu'il a fait pour son corps, il l'a fait également pour toute la création. Employant souvent les plus viles essences, il y a mis le signe manifeste de sa propre sagesse, et en même temps il y a mêlé un témoignage de leur originelle infirmité : de telle sorte que tant d'art et de beauté vous fasse admirer le Créateur, et qu'en même temps cette infirmité, cette imperfection de nature vous préserve d'adorer son ouvrage. C'est une belle chose que le soleil dans son éclat; toute la terre en est illuminée; mais la nuit venue, il disparaît. " Qu'y a-t-il de plus brillant que le soleil ? est-il écrit. Et pourtant lui-même disparaît." (Eccli. XVII, 30.) Et cela peut arriver même pendant le jour. S'il est advenu plus d'une fois que le soleil a disparu en plein jour, c'est afin que vous admiriez en lui l'art du Créateur, sans pourtant adorer un ouvrage sujet à ces défaillances. Vous voyez le ciel, ce corps immense : qu'il est grand, beau, resplendissant, supérieur en éclat à nos propres corps? Mais il n'a pas d'âme. 'Voyez-vous à la fois, la marque de l'artiste, et le signe de l'infirmité ? Voyez-vous comment vous êtes préservé des deux côtés? Dieu a fait de belles choses, afin que vous ne le soupçonniez pas d'impuissance mais pour que vous n'adoriez pas les créatures comme des dieux, il les a rendues faibles par un côté. N'oubliez jamais cela.

Si nous expliquons les Ecritures, ce n'est pas seulement pour que vous compreniez les Ecritures, c'est encore afin que vous redressiez votre conduite. Si vous ne le faites point, nos lectures sont inutiles, nos explications superflues. Comme un athlète qui fréquente la palestre, se frotte d'huile et se fait styler par les mains d'un maître, pourrait s'épargner cette peine si, au moment de la lutte, il doit faire honte à l'enseignement qu'il a reçu : de même vous qui venez ici, apprendre à lutter par tous les moyens contre le diable, si le moment des combats doit être pour vous celui de la chute, pour peu que vous voyiez un beau visage, ou que l'orgueil s'empare de vous, ou que quelque autre mauvaise pensée vous assiège, c'est inutilement que vous êtes venus ici. Souvenez-vous donc de ce qui vous a été dit, non contre notre nature, mais contre les dérèglements de la passion. Ce n'est pas la nature, c'est la passion que nous avons accusée. Par là réprimez en vous la colère, modérez la concupiscence, déracinez l'orgueil.

" Et toute la terre était une seule lèvre, n et il n'y avait qu'un langage pour tous. Nous voici revenus à notre problème. Il ne s'agissait pas, en effet, de la terre, mais de ce fait que tous les hommes avaient le même langage. Mais d'où vient cette expression : " Une seule lèvre? " pour désigner le langage. C'est l'usage de l'Ecriture de nommer ainsi les paroles, le langage. Ce point encore est à éclaircir à cause des hérétiques, de ceux qui accusent la création divine, qui prétendent que le corps est mauvais. L'Ecriture emploie les noms des membres du corps pour désigner les mouvements coupables de la pensée. Par exemple : " Ils ont aiguisé leur langue comme celle d'un serpent; leur langue est une épée tranchante. " (Ps. CXXXIX, 4 et LVI, 5.) Quelques-uns croient que c'est de la langue qu'il s'agit. A. Dieu ne plaise ! il ne s'agit pas de la langue, ouvrage de Dieu, mais de ces paroles meurtrières , homicides , qui blessent plus cruellement que le glaive. " Leur langue est une épée tranchante. Des lèvres trompeuses sont dans leur coeur, et dans leur coeur elles ont dit du mal. " Il n'est pas question ici d'un organe, mais de propos perfides. De même, dans notre passage " Et toute la terre était une seule lèvre, " ne signifie pas que tous les hommes n'avaient qu'une lèvre : " lèvre, " ici, veut dire langage. Car après ces mots : "toute la terre était une seule lèvre, " viennent aussitôt ceux-ci : " Et il n'y avait " qu'un langage pour tous. De même quand l'Ecriture dit : " Leur gosier est un sépulcre ouvert (Ps. V, 11.) ", elle n'a pas en vue le gosier, mais les mauvaises paroles, les doctrines de mort auxquelles il livre passage. Car un tombeau est un réceptacle d'ossements et de cadavres. Telles sont, par exemple les bouches de ces hommes qui accusent le Créateur; telles encore les bouches de ceux qui profèrent des paroles obscènes, des invectives, de ceux qui font sortir de leur gosier des propos coupables et empestés.

8. C'est de parfums qu'il faut le remplir, mon cher auditeur, et non de miasmes; il faut en faire un trésor royal, et non un sépulcre (471) de Satan. Si c'est un sépulcre, du moins, fermez-le, afin que la puanteur n'en sorte pas. Vous avez de mauvaises pensées: ne les proférez pas; laissez-les dormir au fond de vous-mêmes, et bientôt elles seront étouffées. Nous sommes mortels, nous concevons souvent bien des pensées coupables, déréglées, impures ; du moins ne permettons pas à ces pensées de se faire jour en paroles, afin que, refoulées, elles languissent et meurent. — Si l'on jette dans une fosse des bêtes féroces d'espèce différente, et qu'ensuite on referme la fosse, elles sont bien vite étouffées; mais pour peu qu'on laisse un faible jour, une issue, on les ranime, on les sauve, on ne fait que les irriter davantage; il en est de même pour les mauvaises pensées. Une fois qu'elles ont pris naissance en nous, si nous avons soin de leur fermer toute issue vers le dehors, nous en avons bientôt raison ; si au contraire nous les laissons s'échapper en paroles, nous les fortifions en leur permettant de respirer par ce canai, et nous tombons de l'habitude des mauvaises paroles dans le gouffre des actions criminelles. Voilà pourquoi le prophète, au lieu de dire simplement:'" Un sépulcre, " a dit : " Un sépulcre ouvert. " C'est la faute dont je parlais tout à l'heure. Non-seulement celui qui profère des paroles honteuses se déshonore lui-même, mais il fait encore le plus grand tort à son prochain, à tous ceux qui le fréquentent. Et de même que, si nous ouvrions les sépulcres, nous remplirions les villes de pestilence; de même si nous laissons les bouches impures s'ouvrir, elles infecteront tous ceux qui seront à leur portée. Il faut donc mettre à la bouche une porte, un verrou et un levier.

Nous avons suffisamment .montré qu'il n'y avait qu'une langue à l'origine : il nous reste à dire d'où vient qu'un si grand nombre aient été plus tard introduites. Mais d'abord appliquons-nous à un sujet plus important pour la conduite : apprenons à notre langue à porter un frein et à fie pas exprimer indistinctement tout ce qui nous passe par l'esprit; à ne pas médire de nos frères, à ne pas mordre; à ne pas déchirer le prochain. Ceux qui mordent le corps sont moins redoutables que ceux qui mordent par les paroles. Ceux-là blessent le corps avec leurs dents; ceux-ci par leurs propos, blessent l’âme et font d'incurables plaies. Mais plus la morsure est cruelle, plus le châtiment et le supplice seront rigoureux. D'ailleurs, ce n'est pas seulement pour cela que le médisant se verra refuser miséricorde, c'est encore parce qu'il n'aura aucun prétexte, vrai ou faux, à produire pour justifier sa méchanceté. Les autres péchés ont des excuses, mauvaises sans doute, mais enfin, ils en ont; par exemple, le fornicateur satisfait sa concupiscence, le voleur remédie à sa pauvreté, l'homicide contente sa colère, le médisant n'a rien à dire pour sa justification. En effet, quel profit se procure-t-il? dites-moi; quel appétit satisfait-il? Le seul principe de sa faute, c'est une jalousie sans excuse, mauvaise ou bonne. — Voilà pourquoi il perd tout titre à l’indulgence. Vous voulez accuser? Je vais vous donner une bonne occasion. Vous voulez médire? Eh bien! dites du mal de vos péchés. " Dis le premier tes péchés, " est-il écrit, " afin que tu sois justifié. " (Isaïe, XLIII, 26.) — Voyez-vous ce genre de médisance couronné, loué, justifié ? Et ailleurs: " Le juste s'accuse lui-même le premier (Prov. XVIII, 17) ; " lui-même et non autrui. Si vous accusez autrui, vous êtes châtié; si vous vous accusez vous-même, vous êtes couronné. Et pour vous faire bien entendre combien il v a de gloire à accuser ses propres fautes, le Sage dit : " Le juste s'accuse lui-même tout le premier. " Mais s'il est juste, comment est-il accusateur? et s'il est accusateur, comment est-il juste? Le juste ne tombe pas sous le coup de l'accusation. Si le Sage parle ainsi, c'est pour vous apprendre que le pécheur lui-même devient juste, du moment où il accuse ses fautes. Qu'est-ce à dire, Tout le premier? Ecoutez-moi bien.

Dans les jugements il y a deux parties, 1e plaignant et le prévenu; l'accusateur et l'accusé; le suspect et celui qui est hors de cause et la parole est donnée d'abord à l'accusateur, à celui qui est hors de cause. Ici c'est le con . traire. Vous, le coupable, emparez-vous du premier tour de parole, afin d'être justifié n'attendez pas l'accusateur. Bien que votif, ayez rang de prévenu, néanmoins, avant que l'autre partie élève la voix contre vous, hâtez-vous d'accuser vous-même vos fautes. C’est un glaive qu'une langue acérée : ne nous en servons pas pour blesser les autres, mais pour amputer nos chairs malades. Voulez-vous vous convaincre que les justes avaient coutume de médire d'eux-mêmes, et non des autres? Ecoutez Paul qui s'écrie: " Je rends grâces à Celui qui m'a fortifié, au Christ, de ce qu'il m'a estimé fidèle en m'établissant dans son (472) ministère, moi qui étais auparavant blasphémateur, persécuteur et téméraire. " Voyez-vous comment il médit de lui-même? Et encore: " Le Christ est venu en ce monde pour sauver les pécheurs, entre lesquels je suis le premier. Et ailleurs enfin: Je ne suis pas digne d'être appelé apôtre, parce que j'ai persécuté l'Eglise de Dieu. " (I Tim. I, 12-15; I Cor. XV, 9.)

9. Voyez-vous de quelle façon il s'accuse partout lui-même ? C'est qu'il sait ce que rapporte ce genre d'accusation, et qu'elle produit la justice. Sachant donc qu'il faut s'accuser, il ne se ménage pas les accusations: mais voit-il les autres faire le procès aux défauts d'autrui, considérez avec quelle sévérité il leur ferme la bouche : " C'est pourquoi ne jugez pas avant le temps, jusqu'à ce que vienne le Seigneur, qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres, et manifestera les pensées des coeurs. " (I Cor. IV, 5.) Laissez le jugement à celui qui tonnait les secrets du coeur. Peut-être croyez-vous connaître ceux du prochain: votre jugement est en défaut. " Qui sait les choses de l'homme, sinon l'esprit de l'homme qui est en lui? " (I Cor. II, 11.) Combien parmi ceux qu'on ravale et qu'on méprise brilleront d'un éclat plus vif que le soleil? Combien parmi les grands et les illustres, seront reconnus pour être de la cendre et des sépulcres blanchis? Vous avez entendu comment Paul médit de lui-même, comment il ne cesse de rappeler, d'exagérer, de grossir des péchés pour lesquels il ne devait pas être accusé? Il était, cela est vrai, blasphémateur, persécuteur et téméraire avant le baptême mais le baptême avait effacé ces péchés. Néanmoins il les rappelle, non qu'il dût en rendre compte, mais pour montrer la bonté de Dieu, qui l'avait métamorphosé à ce point, qui, d'un persécuteur, avait tait un apôtre. Que si Paul rappelait ses fautes effacées, à plus forte raison (levons-nous rappeler celles qui ont suivi notre baptême. En effet, quel recours, quelle excuse nous restera-t-il si, tandis que Paul ne cesse do faire mention des péchés qui ne lui sont plus imputables, nous passons sous silence, nous, ceux-là mêmes dont nous avons à rendre compte, et si nous négligeons nos propres fautes, pour nous enquérir curieusement de celles d'autrui. Ecoutez Pierre disant: " Eloignez-vous de moi, parce que je suis un homme pécheur. " Ecoutez comment Matthieu, lui aussi, incrimine sa vie passée, se déclare publicain, et ne rougit pas de divulguer la conduite qu'il avait tenue d'abord. N'ayant aucun reproche à s'adresser depuis le baptême, ces hommes remontaient plus hala, afin de nous apprendre à ne pas nous occuper des misères d'autrui, et à songer aux nôtres, à les repousser constamment dans notre esprit.

Car il n'y a pas, non, il y a pas, pour le rachat des péchés, un remède comparable à cette mention, à cette accusation perpétuelle. C'est par là que le publicain put se décharger de ces fautes innombrables qui lui faisaient dire " Seigneur, soyez-moi propice, à moi , pécheur. " Par là, le pharisien se priva de toute justification, lui qui, au lieu de se représenter ses péchés, accusait l'univers, en disant: " Je ne suis pas comme le resté des hommes qui sont voleurs et injustes, ni comme ce publicain. " De là aussi ce conseil de Paul : " Que chacun éprouve ses propres oeuvres, et alors il trouvera sa gloire en lui-même et non dans un autre. " (Galat. VI, 4.) — Voulez-vous voir comment, dans l'Ancien Testament même, les justes s'accusent? Ecoutez leurs paroles : elles s'accordent parfaitement avec les précédentes. On lit chez David : " Mes iniquités ont dépassé ma tête : comme un lourd fardeau, elles se sont appesanties sur moi. " (Ps. XXXVII, 5.) Isaïe s'écrie : " Hélas ! Malheur à moi, homme, ayant les lèvres impures. " (VI, 5.)

Les trois enfants, dans la fournaise, ceux qui avaient livré leurs corps au supplice à cause de Dieu, se comptaient eux-mêmes parmi les derniers des pécheurs: " Nous avons péché, nous avons enfreint la loi (Dan. III, 29), " disaient-ils : et pourtant quoi de plus glorieux, quoi de plus pur que ces victimes ! Eussent-ils commis quelques péchés, il eût suffi de cette flamme pour les effacer. Mais ils ne considéraient pas leurs bonnes couvres, ils ne songeaient qu'à leurs fautes. lie même Daniel, après la fosse aux lions, après les innombrables supplices qu'il eut à endurer, continuait à s'accuser lui-même ; mais aucun de ces hommes n'incriminait le prochain. Pourquoi? Parce que celui qui médit d'autrui , irrite le Seigneur; tandis que celui qui médit de soi-même, se le rend propice et miséricordieux; le juste devient plus juste ; le pécheur est mis hors d'accusation et devient digne de pardon.

Instruits de ces vérités, ne nous enquérons (473) point des défauts d'autrui, mais des nôtres; scrutons notre conscience, passons en revue toute notre existence, interrogeons-nous sur chacun de nos péchés ; et loin (le dire du mal des autres, n'écoutons pas ceux qui voudraient en dire. En effet., à cela aussi un grief , un châtiment redoutable est attaché: " Tu n'accueille" ras pas un propos léger, " est-il écrit. (Exod. XXIII, 1.) On ne vous dit pas : Tu ne croiras pas un propos léger, mais: Tu ne l'accueilleras pas bouche-toi les oreilles, ferme tout passage à la médisance; montre que tu n'es pas moins que l'accusé, toi qui entends l'accusation, armé et en guerre contre celui qui la prononce. Imite le Prophète qui dit: " Celui qui médisait en secret de son prochain , je le chassais. " (Ps. C, 5.) Il ne dit pas : Je ne croyais pas mais je ne le laissais pas même parler, je le chassais , comme un ennemi dangereux.

10. Mais on voit des gens qui se rassurent en tenant ce langage ridicule : Seigneur, ne m'imputez point à péché ce que je n'ai fait qu'entendre. A quoi bon cette apologie? A quoi bon cette excuse? Taisez-vous, et vous êtes déchargé de tout grief; ne dites rien, et vous n'avez rien à craindre. Pourquoi vous créer des embarras, et avec Dieu et avec les hommes ? pourquoi vous exposer à être accusé? pourquoi ajouter à votre fardeau ? Ne vous suffit-il pas d'avoir à répondre de vos propres fautes? faufil que vous vous chargiez encore des péchés d'autrui ? Votre excuse est superfine : ce n'est pas d'avoir entendu que vous rendrez compte, vous êtes responsable de la médisance elle-même. En effet, quand vous ne gardez pas le silence après avoir entendu, vous n'êtes pas punissable seulement pour avoir entendu, vous l'êtes encore comme si vous aviez médit. " D'après vos discours vous serez justifié, " est-il écrit, " et d'après vos discours vous serez condamné. " (Matt. XXII, 37.)

Si je parle ainsi , si j'insiste sur ce point, ce n'est pas dans l'intérêt de ceux dont on médit, mais dans celui des médisants. Celui qu'on diffame n'éprouve aucun dommage, aucun préjudice :au contraire, s'il est calomnié, un dédommagement lui est réservé ; si le propos est vrai, ce n'est pas votre médisance qui lui fait tort : car ce n'est pas sur vos invectives que le juge le jugera. Et même disons-le, au risque d'étonner, il en retirera un grand profit, s'il sait les endurer courageusement, comme le publicain, par exemple; le médisant au contraire, que ses propos soient vrais ou faux, se fait le plus grand tort. Qu'il est perdu, s'il calomnie, c'est ce qu'il n'est pas besoin de démontrer; ruais que même s'il dit la vérité, il rend le juge plus sévère pour lui, en étalant les infirmités du prochain, en causant des scandales, en dévoilant à tous les yeux ce qu'il faudrait cacher, en proclamant les péchés d'autrui, c'est ce dont tout le monde aussi est peut-être convaincu. En effet, si celui qui a scandalisé une seule personne doit être châtié sans rémission, celui qui en scandalise des milliers pas ses mauvais propos, quel châtiment n'encourra-t-il pas? Le pharisien ne mentait pas, il disait la vérité, en appelant publicain le publicain, néanmoins il fut puni.

Pénétrés de cette pensée , mes chers frères , fuyons la médisance: il n'y a pas de péché plus grave, ni qui se commette plus aisément. Comment cela? Parce que rien n'est plus facile que d'enfreindre la loi en ce point; parce que, si l'on n'y prend garde, on s'y laisse promptement entraîner. Pour les autres péchés il faut du temps, de l'argent, de la persistance, des complices, et souvent le temps qui s'écoule en empêche la consommation. Par exemple, quelqu'un a résolu de tuer, de voler, de commettre une injustice; il lui faut beaucoup de travail pour arriver à ses fins, et souvent, grâce à ce retard, il guérit de sa colère, revient de sa passion. criminelle, réprime sa volonté corrompue, renonce à exécuter son projet : il n'en est pas de même pour la médisance: si nous n'avons pas tout notre sang-froid, nous nous y laissons facilement emporter; et nous n'avons besoin ni de temps, ni de délais, ni d'argent, ni d'efforts pour médire : c'est assez de le vouloir, et voilà notre volonté réalisée. Car le ministère de la langue suffit à cela.

Ainsi donc puisque ce mal est si facile à faire, ce péché si obstiné à nous circonvenir, puisque la punition, le châtiment en sont si rigoureux , et le profit nul, ni grand, ni petit, évitons soigneusement cette infirmité, et soignons les misères d'autrui au lieu de les divulguer. Répétons aux pécheurs cette recommandation divine : " Si ton frère a péché contre toi, va et reprends-le entre toi et lui seul (Matth. XVIII , 15) ; " ainsi plus le reproche sera tenu secret, plus la guérison sera facile. Ne mordons point , et ne suçons point les plaies d'autrui : n'imitons pas les mouches, mais les abeilles. Les mouches se posent sur les plaies (474) et mordent: les abeilles volent sur les fleurs. Aussi les unes font des rayons, tandis que les autres causent des maladies aux corps sur lesquels elles se posent: les unes sont un objet de dégoût, les autres un objet d'amour et de louanges. Et nous aussi , par conséquent, préparons notre âme à voler vers la prairie de la vertu des saints, enivrons-nous du parfum de leurs bonnes couvres, et ne mordons point les plaies du prochain; que si nous voyons d'autres personnes tomber dans cette faute, fermons-leur la bouche, dressons devant elles l'épouvantail du supplice, et rappelons-leur les liens qui les unissent à leurs frères. Si elles ne veulent pas céder, appelons-les mouches, afin qu'au moins la honte de s'entendre nommer ainsi les arrache à leur détestable habitude , et que, revenues de cette occupation perverse, elles s'appliquent de tous leurs soins à sonder leurs propres infirmités. De cette manière, ceux qui ont failli se relèveront au souvenir de leurs fautes non divulguées; ceux qui se représenteront constamment leurs propres misères s'en déchargeront facilement, parce que le souvenir de leurs péchés précédents les rendra plus lents à en commettre de nouveaux: enfin , ceux qui auront toujours devant les yeux, le mérite des saints, contracteront un grand empressement à les imiter; et quand nous aurons ainsi redressé tout le corps de l'Eglise, nous pourrons, avec tous ceux qui sont ici , entrer clans le royaume des cieux, auquel puissions-nous tous parvenir, par la grâce et, la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec lequel gloire au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

Traduit par M. X***
 

 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE PRONONCÉE DANS LA GRANDE ÉGLISE, APRÈS QUELQUES PAROLES SUR CE PASSAGE DE L'ÉVANGILE : LE FILS NE FAIT RIEN DE LUI-MÊME, QU'IL N'AIT VU FAIRE A SON PÈRE. (JEAN, V, 19.)
AVERTISSEMENT ET ANALYSE.
Cette magnifique homélie a été pour la première fois tirée de l'oubli par le savant Eric Benzel, et publiée par lui à Upsal, en 1708, d'après un manuscrit anglais, vicieux en beaucoup de passages Nous avons eu le bonheur de la retrouver dans un manuscrit du cardinal Ottoboni à Rome, et nous avons pu combler les lacunes et corriger les fautes.

Cette homélie, qui est toute de controverse fut prononcée à l'occasion d'une objection des Anoméens. Saint Chrysostome, dan: son discours précédent avait cité ce mot de l'Evangile : Mon Père agit toujours et moi j'agis également; il avait démontré par là que le Fils est égal au Père, ainsi, ajoute-t-il , que le déclare l'Evangélisle en ces termes : C'est pourquoi ils le poursuivaient davantage, non-seulement parce qu'il rompait le sabbat , niais encore parce qu'il nommait Dieu sort Père , se faisant légal de Dieu; c'était par là qu'il avait terminé son discours. Mais les hérétiques Anoméens opposèrent à ce raisonnement un autre passage de saint Jean (5, 19.) : Le Fils ne fait rien de lui-même, qu'il n'ait vu faire ù sali Père. L'objection pouvait troubler ses auditeurs; il fallait donc réfuter ces subtilités des Anoméens : aussi l'évêque Flavien prononça-t-il quelques paroles, et sachant le peuple désireux d'entendre Chrysostome, comme le plus capable de repousser vigoureusement une telle attaque, il se tut bientôt et lui confia le soin de réfuter les hérétiques.....

Il est donc certain que ce discours fut prononcé à Antioche, dans la grande église, comme le dit le titre, et en présence de Flavien, lorsque Chrysostome était déjà en haute estime auprès des habitants d'Antioche... Les dix premières homélies contre les Anoméens sont de l'année même où il fut fait prêtre et commença à prêcher (386 et 387). Celle-ci et celle qui en fut l'occasion, furent prononcées plus tard, quand des prédications continuelles eurent donné à Chrysostome un grand nom à Antioche. Nous ignorons l'année.

1. Hommage à l'évêque Flavien. — Appel à l'attention des auditeurs. — Importance du sujet.

2. II expose l'objection des Anoméens, qui s'appuie sur une fausse interprétation du texte cité. — Il la réfute, parla nature même du Christ, par la théorie de la responsabilité humaine.

3. Par ses conséquences pour la création, et pour l'incarnation.

4 et 5. Par le témoignage de Jésus-Christ lui-même, et par des exemples de puissance tirés de sa vie terrestre.

6. Il établit le vrai sens du texte, qui est une preuve de consubstantialité : le fils ne peut rien sans le Père, le l'ère sans le Fils, parce qu'ils ne sont qu'un. — Preuves de cette interprétation tirées de l'Evangile et des paroles mêmes du Christ.

7. Conclusion : le Père et le Fils ont une égale puissance.

1. O violence ! ô tyrannie ! notre maître, qui vient de parler avant moi , ne nous a permis, alors qu'il avait sa coupe pleine , d'y tremper que le bout des lèvres; et ce n'est pas faute d'instruction à nous verser : les paroles ne découlent-elles pas toujours de sa bouche comme d'une source abondante? Mais, compte je le disais en commençant, il a voulu, mes

Nous renvoyons le commentaire sur le prophète Daniel à notre dernier volume, afin de pouvoir le traduire sur un meilleur texte, récemment découvert.

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chers frères, mettre dans tout son jour la tyrannie dont vous faites preuve si souvent envers votre serviteur indigne. Voilà pourquoi il a été si prompt à se taire, à terminer son discours : il a voulu satisfaire à vos désirs, et pour cela il m'a remis l'obligation d'achever le paiement de sa dette. Puis donc qu'il m'a cédé la parole et que je vous vois suspendus à mes lèvres, il faut enfin que je me dispose pour la lutte; mais venez à mon aide, tendez-moi la main : que vos prières délient rua langue , et qu'une attention intelligente rende votre instruction plus facile; puisque le prophète ne demande pas seulement la sagesse chez qui conseille, mais aussi l'intelligence chez qui écoute. (Isaïe, III, 3.) Car nous n'avons pas aujourd'hui à engager un combat de peu d'importance : mais il réclame de tous, beaucoup de prières; de vous qui écoutez beaucoup d'attention ; de moi qui parle, beaucoup d'efforts, pour que ma parole soit exacte et juste, et qu'elle pénètre dans vos âmes, mes chers frères, et s'y fixe solidement. Il vous faut non-seulement m'entendre , mais vous instruire, non-seulement vous instruire, mais enseigner; non-seulement recevoir vous-mêmes la vérité, mais la transmettre. Nous aurons en effet un plus brillant théâtre ; une plus nombreuse réunion, quand ce que vous aurez entendu vous aura servi à amener de nouveaux fidèles.

Dans notre précédente assemblée, vous ayant. cité cette parole de l'Évangile : " Mon Père agit toujours, et moi j'agis également (Jean, V, 17), " je vous ai montré partant de là que le Fils est l'égal du Père, conséquence que l'Evangéliste avait déjà explicitement énoncée, en disant : " Ils le poursuivaient davantage, non-seulement parce qu'il rompait le sabbat, mais parce qu'il appelait Dieu son père, se faisant l'égal de Dieu (Jean, v, 18) , " et j'ai ainsi terminé mon discours. Aujourd'hui il me faut ruiner les objections que soulèvent les hérétiques à ce propos. Car, quoique en face d'une foule amie , je dois parler avec assez de justesse pour que mon langage soit irréprochable, inattaquable, fût-ce même par devant des ennemis. En effet, comme je vous l'ai dit déjà, je ne veux pas seulement que vous m'écoutiez, mais aussi que vous instruisiez vos frères. Aussi me suis-je efforcé de vous abriter de toutes parts sous des armes spirituelles, pour qu'aucun de vos membres n'apparaisse à découvert, et ne reçoive une blessure mortelle. Oui, la parole nous est une arme : elle garantit les nôtres, et frappe nos adversaires; elle les frappe non pour les abattre, ruais pour les relever de terre , dans les combats que noirs livrons, c'est pour le salut de l'ennemi que s'élèvent nos trophées. Pour obtenir cet heureux triomphe , prêtez-moi donc votre attention ; rejetez toute pensée mondaine; tenez votre esprit en éveil, et suivez-moi d'un mil pénétrant. Que le riche ne se laisse pas énerver par la noblesse; que le pauvre ne plie pas sous les soucis de sa misère; mais que chacun, bannissant de sa pensée les inégalités du monde, se prépare à entendre : car le sujet que nous avons à traiter est grave.

Et si je reviens sur ces recommandations, c'est que je sais sur quel abîme nous nous avançons. Mais ne tremblez pas à ce mot d'abîme : avec l'Esprit-Saint pour guide, plus de ténèbres sur les eaux, mais partout une route facile, si du moins vous suivez la voie où je vous appelle. Pas de trouble, pas d'effroi. Assurément la question que nous devons agiter aujourd'hui peut commencer par troubler un auditeur d'un esprit superficiel, et par soulever en lui des doutes; mais s'il attend la fin, quand il verra une solution d'accord avec sa foi, il jouira d'une heureuse paix) et il pourra faire aborder son âme dans un port saris orages. Donc, pour qu'il en soit ainsi, pas de trouble, pas d'effroi; mais suivez en toute patience , en toute assurance, la voie que vous enseigne ma parole.

Quelles sont les objections de nos contradicteurs? "Le Fils ne peut rien de lui-même, disent-ils, qu'il n'ait vu faire à son Père. " (Jean, 5, 9.) Tel est bien le texte de l'Écriture. Comment donc nous opposent-ils ces paroles? C'est qu'ils ne les citent pas dans le sens de l'Écriture. En effet, que veulent-ils en conclure? Voyez-vous, disent-ils, comme le Fils de Dieu repousse toute pensée d'égalité? Comme les Juifs le soupçonnaient de se prétendre l'égal de Dieu, il leur répond par ces mots: " le Fils ne peut rien de lui-même. "

2. Avais-je tort de dire que ces paroles pouvaient vous troubler, et tout d'abord inquiéter qui les entend? Mais attendez et vous verrez nos adversaires accablés sous leurs propres armes. Avant tout il ne s'agissait pas d'un soupçon des Juifs; c'est ce que je vous ai démontré en toute évidence dans notre précédent (477) entretien; pour ne pas remettre ce point en avant, je vous renvoie à mon dernier discours, et je vais m'efforcer de réfuter ce qu'on nous objecte aujourd'hui, en montrant que Jésus parle ainsi, non pour repousser ce soupçon des Juifs, mais pour confirmer leur opinion de tous points, et nous fournir la preuve de sa ressemblance, de sors union étroite, de son entente parfaite avec son Père. Oui, je m'appuie avec tant de confiance sur cette parole, que j'y vois une démonstration de sa communauté de nature avec le Père, de sa consubstantialité. Ne soyez pas troublés par les raisonnements des hérétiques. Des épées, des lances, des javelots en peinture ne sauraient épouvanter un guerrier à l'aspect redoutable, à la mine résolue. Tout cela n'est qu'ombre et vaine image, et non pas réalité. Ainsi des raisonnements des hérétiques : pour les réfuter, attachons-nous au texte lui-même; retournons-le sans relâche, et demandons-leur comment ils le veulent interpréter.

Car il ne suffit pas de lire. Si c'était assez, pourquoi Philippe disait-il à l'eunuque: "Comprends-tu ce que tu lis?" (Actes, VIII, 30.) Par où l'on voit qu'il lisait, mais sans comprendre ce qui était écrit. Aussi répondit-il "De qui, je te prie, parle le prophète? De lui-même, ou d'un autre?" (Ibid., V. 34.) S'il suffisait de lire, comment se fait-il que les Juifs, en lisant l'Ancien Testament, et les prédictions sur la naissance du Christ, sur les signes et les miracles qui l'accompagneraient, le lieu, le temps, la croix, l'ensevelissement, la résurrection, l'ascension, la place à la droite de son Père, la descente du Saint-Esprit, la dispersion des Apôtres, la réprobation de la synagogue, la noblesse de l'Eglise, ne croient pas encore aujourd'hui? Il ne suffit donc pas de lire, si l'on ne comprend de surcroît. Qu'un homme mange sans digérer, il ne peut vivre; de même, qu'un homme lise sans comprendre, il ne rencontrera pas ta vérité. Ne me présentez donc pas seulement le texte de l'Evangile, ruais interprétez-le. Voilà ce que je leur demande, afin d'écarter leurs fausses interprétations, et de jeter ensuite les fondements de la vérité. Ainsi font les architectes, ils ne jettent pas les fondations, avant d'avoir enlevé tout ce qui est mouvant, afin de bâtir avec solidité. Imitons-les.

Répondez-moi donc : ainsi le Fils ne peut absolument rien faire de lui-même ? Car il n'a pas dit qu'il pût faire des hommes, mais non des anges; ou bien des anges, mais non des archanges; il a dit : rien. C'est donc un aveu d'impuissance? puisqu'à votre sens, il ne peut rien, enchaîné qu'il est par une sorte de force invincible; puisqu'il ne fait rien de lui-même, mais seulement ce qu'il a vu faire à son Père. Voyez quelle nouvelle doctrine, en complet désaccord avec sa substance pure, immortelle, inénarrable, inexplicable, incompréhensible ! Et pourquoi parler du Christ? Moi chétif, moi misérable, moi ver de terre, nul ne saurait dire de moi que je ne puis rien par moi-même ; nul ne le saurait dire de vous, ni d'aucun homme. Car, s'il en était ainsi, l'enfer, l'expiation, le châtiment, vains mots ! vains mots, les couronnes, les récompenses, la félicité ! Non, nous ne serons pas punis pour nos fautes, nous ne serons pas récompensés pour nos bonnes actions, si nous ne faisons rien de nous-mêmes ! La récompense n'est pas promise à l'action elle-même, mais à l'intention. Ainsi, quand un homme fait de lui-même une bonne action, il est félicité, il est récompensé : non pas s'il la fait purement et simplement, irais avec intention, de dessein prémédité.

Et voyez la vérité de mes paroles : " Il y a des eunuques, dit saint Matthieu, qui ont été faits eunuques par les hommes; et il y a des eunuques, qui se sont faits eunuques eux-mêmes en vue du royaume des cieux." (Matth. XIX, 12.) Il entend ici par eunuques, non ceux qui retranchent leurs membres, mais ceux qui se défont des pensées mauvaises et déréglées, non avec le fer, mais avec le raisonnement, et la sagesse et l'aide de Dieu. Ainsi il y a deux sortes d'eunuques, les uns mutilés par l'homme en leurs corps, les autres mutilés par la piété en leurs mauvaises pensées. Mais quoique leur mutilation diffère dans ses causes, ils n'en vivent pas moins également les uns et les autres loin du commerce de la femme. Egalement, ai-je dit, non par l'intention, mais par le fait matériel. Ni l'eunuque ne peut voir une femme, ni le moine, qui s'est fait eunuque lui-même. Le fait est le même, non pas la fin. Ceux que l'Evangéliste a dit mutilés par la main des hommes, il ne leur accorde aucune récompense; c'est pour eux affaire d'incapacité physique, et non de lutte. Mais tes autres, il leur décerne la couronne céleste, en disant " en vue du royaume des cieux. " Pourtant ni l'un ni l'autre n'a commerce avec la femme, (478) mais l'un s'abstient forcément par impuissance ; l'autre est chaste par la puissance de sa volonté, il veut et il triomphe.

Et, quand les hommes peuvent par eux-mêmes de telles choses, quand ils peuvent raisonner, parler, accomplir tant d'autres actes, le Maître des anges ne pourra par lui-même absolument rien? Qui supporterait un pareil langage? N'entendez-vous pas saint Paul disant: " Dans une grande maison ne se troua vent pas seulement des vases d'or et d'argent, mais il y en a de bois et de terre, les uns pour l'honneur, les autres pour l'ignominie; si quelqu'un se garde pur de ces choses, il sera un vase d'honneur, sanctifié et propre au service du Seigneur. " (II Tim. 20, 21.)

3. Voyez-vous encore que c'est par eux-mêmes qu'ils se corrigent? Car c'est là le sens du mot : " Si quelqu'un se garde pur. " Que signifie donc l'objection qui nous est faite? Si je ne m'adressais qu'à des frères, j'aurais déjà tiré la conclusion ; mais puisque ,j'ai affaire à des adversaires, à des ennemis, il me faut encore renverser leurs arguments. Examinons derechef la parole évangélique, pour en rendre le sens manifeste.

Que nous puissions par nous-mêmes et agir et parler, c'est ce que le raisonnement a assez démontré. Car s'il n'en était ainsi, nous ne serions pas récompensés pour nos bonnes oeuvres. Interrogeons de nouveau l'hérétique. Que veut-il dire : " S'il n'a vu son Père faire quelque chose, il ne peut rien faire de lui-même? " De cette parole prise à la lettre, mais non de son interprétation, ou plutôt non pas même de cette parole, mais de la fausse interprétation qu'en donnent les hérétiques, il résulte nécessairement qu'il a dû y avoir deux créations. — Comment? Pourquoi? — S'il n'a vu son Père faire quelque chose, disent-ils, il ne peut rien faire. Il faut donc de toute nécessité que les oeuvres du Père aient été d'abord achevées, et puis qu'il y en ait d'autres du Fils, qu'il crée après avoir vu les premières. Car s'il n'a vu faire, il ne fau pas, disent-ils.. Or, pour qu'il voie, il faut qu'il y ait des oeuvres.

Hé bien, je vous prie, répondez-moi ! Je ne vois qu'un soleil, pourriez-vous m'en montrer deux, afin que j'attribue l'un au Père, l'autre au Fils? Montrez-moi deux lunes, deux terres, deux mers, et ainsi du reste ? Vous ne le pourriez. Car il n'y a qu'un soleil. En quel sens donc ne fait-il rien, qu'il n'ait vu faire à son Père? De qui voulez-vous que le soleil soit l'ouvrage? Du Père? Où est le soleil du Fils? Du Fils? Où est le soleil du Père, le modèle sur lequel le Fils en a fait un semblable? Comment maintenir ce mot : " Tout a été fait par lui et sans lui rien n'a été fait? " (Jean, I, 3.) Car si tout a été fait par lui, quel moment assigner à cette division de l'oeuvre? Voyez-vous quels raisonnements ! Comme vous vous percez de vos propres armes ! Comme le mensonge se dénonce lui-même !

Voilà comment, en exposant leur interprétation, je l'ai montrée se ruinant elle-même. Mais je leur demanderais volontiers encore Lequel a revêtu notre chair, et est descendu dans le sein d'une vierge? Le Père ou le Fils? Répondez. N'est-il pas clair pour tous que c'est le Fils unique de Dieu? Paul dit : " Soyez dans le même sentiment où a été Jésus-Christ qui ayant la forme de Dieu, n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu, mais il s'est anéanti lui-même en prenant la forme de serviteur. " (Philip. CI, 5-7.) Et : " Dieu a envoyé son "Fils unique, né d'une femme, né sous la " loi. " (Cal. iv, 4.) Toute l'Ecriture, Ancien et Nouveau Testament, est remplie de témoignages à ce sujet, et les faits crient que le Fils unique s'est fait chair, et non pas le Père. Est-ce donc après avoir vu son Père prendre un corps, que le Fils unique a pris un corps? Car il ne l'aurait pu s'il ne l'avait vu le faire. " Il ne peut rien faire de lui-même qu'il ne " l'ait vu faire à son Père. " Quand donc aurait-il vu son Père prendre un corps? Vous ne le pourriez dire. Et ne prétendez pas que ce soit là peu de chose. Car le fondement de notre salut est l'incarnation du Fils unique, sa descente au milieu de nous. Avant qu'il se fût fait homme, le mal régnait sur le inonde, la nuit la plus profonde enveloppait tout, de tous côtés ce n'étaient que temples et autels pour les idoles, qu'odeur et fumée de sacrifices, que torrents de sang, et de sang non-seulement de brebis et de boeufs, mais même d'hommes. " Ils sacrifiaient leurs fiels et leurs filles aux démons. " (Ps. CV, 3.) Et ces crimes, qui les commettait? Le peuple qui possédait des prophètes, qui connaissait la loi, qui avait joui de la vue de Dieu, qui avait été nourri au milieu de miracles sans nombre. (479) S'il en était ainsi du peuple privilégié, demandez-vous ce qu'étaient les autres contrées de la terre, possédées des démons, soumises au mal, esclaves de toutes les passions, elles qui honoraient des morceaux de bois, adoraient des pierres, des montagnes, des collines, des forêts, des arbres, des lacs, des sources, des fleuves? A quoi bon en dire davantage? Les crimes des Juifs suffisent à nous faire juger du débordement du mal chez les autres nations. " C'étaient des chevaux en "rut, et chacun d'eux hennissait après la femme de son voisin. " (Jér. V, 8.) " Le boeuf a reconnu son possesseur, l'âne l'étable de son maître, mais Israël ne m'a pas reconnu. " (Isaïe, I, 3.) " Des chiens muets, qui ne pouvaient aboyer. " (Isaïe, LVI, 10,) " Tu as pris la figure d'une courtisane ; tu as dépouillé publiquement toute pudeur. " (Jér. III, 3.) " Il n'en est pas un qui comprenne, pas un qui cherche Dieu : tous ont détourné leurs regards, et aussitôt ils sont devenus "inutiles. " (Ps. XIII, 2, 23.) Et un autre : " En vain le fondeur fond l'argent au creuset leurs iniquités n'ont pas disparu. " (Jér. VI, 29.) Un autre encore : " L'imprécation, le mensonge, le vol, le meurtre, l'adultère se sont répandus sur la terre, et le sang se mêlé au sang. " (Osée, IV, 2.) Un autre encore : " Si l'Ethiopien change sa peau, la panthère son pelage tacheté, ce peuple aussi pourra juger, ayant appris. à discerner le mal. " (Jér. XIII, 23.) Et celui-ci : "Malheur, ô mon âme ! L'homme pieux a disparu de la terre, et le juste ne se rencontre plus parmi les hommes : tous jugent les mains dans le sang. " (Mich. VII, 2.) Puis c'est Dieu : " Je hais, je repousse vos fêtes, et je n'accepterai pas l'odeur des victimes que vous immolez dans vos assemblées." (Amos, V, 4.) Elie dit : " Ils ont renversé tes autels, et tué tes prophètes, et je suis resté seul, et ils me cherchent pour me tuer. " ( III Rois, XIX, 10.) Et Dieu encore : " J'ai quitté ma maison, j'ai abandonné mon héritage, j'ai remis ma vie aux mains de mes ennemis. " (Jér. XII, 7.) fuis David : " Ils ont immolé leurs fils et leurs filles aux démons, et ils ont versé un sang innocent, le sang de leurs fils et de leurs filles. " (Ps. CVI, 37, 36.)

4. Avez-vous vu la tyrannie du mal? Ils sont devenus semblables à des chiens, à des chevaux, plus déraisonnables que des ânes, plus inintelligents que des boeufs, et leur folie a outragé la nature même. Mais après l'Incarnation du Christ, que dit l'Ecriture : "Notre Père, qui êtes dans les cieux. " (Matth. VI, 9.) Auparavant elle disait: " Va-t-en vers la fourmi; paresseux (Prov. VI, 6) ; " mais après nous avons été élevés au rang, de fils, inscrits au ciel, et nous nous mêlons aux choeurs des anges, et nous prenons part à leurs chants, et nous rivalisons avec les puissances incorporelles. Les autels ont disparu, les temples ont été détruits. Les pierres nous ont paru des pierres, le bois, du bois; les arbres, des arbres; les sources, des sources. Le soleil de la justice a brillé (Mal. IV, 2) ; il nous a dévoilé la nature, ensevelie jusque-là dans la nuit par les ténèbres de l'erreur, et les ombres profondes de l'ignorance, qui troublaient et offusquaient notre vue. Depuis que de ses rayons le Soleil de la justice a dissipé les nuages épais de l'erreur, partout, règnent la lumière et le jour, ou plutôt l'étincelante clarté du plein midi. Les Perses, qui épousaient leurs mères, observent maintenant la virginité ! Ceux qui méconnaissaient leurs enfants et les égorgeaient, sont devenus des modèles de bonté, d'humanité ! Les loups ont pris la douceur des brebis ! Oui, et ceux mêmes qui étaient plus cruels que des loups ! Car le loup ne renie pas la nature: il reconnaît son petit; or les hommes étaient plus féroces que les loups. Mais depuis l'Incarnation du Fils unique, et la dispensation de ses grâces, ils ont dépouillé leur férocité, et sont revenus à leur ancienne noblesse ; que dis-je, ils se sont élevés à la vertu des anges ! Auparavant les villes étaient pleines d'impiété: aujourd'hui le désert même apprend la sagesse avec les cabanes des moines, qui, dans les montagnes et les forêts, imitent la vie des anges, après avoir dépouillé la vie du siècle. Et qu'est-il besoin de paroles étudiées, quand les faits parlent eux-mêmes, et montrent avec une lumière plus éclatante que le soleil, les bienfaits qui ont inondé la terre après ce miraculeux et saint enfantement d'une vierge, après la rédemption du genre humain et l'Incarnation du Sauveur.

Eh bien ! cette œuvre si grande et si belle, il l'a faite de lui-même, et Paul nous le proclame, en disant: "Jésus-Christ, qui ayant la forme de Dieu n'a pas cru que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu ; mais il s'est anéanti lui-même, en prenant la (480) forme de serviteur. " (Phil. II, 6, 7.) Entendez-vous, hérétiques? " Il s'est anéanti lui-même. " Et dans un autre passage: " De même que le Christ nous a aimés, et s'est livré lui-même pour nous comme victime offerte à Dieu en odeur de suavité. " (Ephés. V, 2.) Et il a été crucifié de sa propre volonté, et il s'est immolé lui-même ; aussi disait-il : " J'ai le pouvoir de déposer ma vie, et j'ai le pouvoir de la reprendre. Personne ne me l'enlève: je la dépose de moi-même. " (Jean, X, 18.) Que répondez-vous à cela, hérétiques, vous qui détournez du vrai sens le mot de l'Evangile : " Le Fils ne peut rien de lui-même?" Le voilà en personne disant: " Je dépose la vie de moi-même, et je la reprends de moi-même. " Parole non de grande valeur, mais du plus grand poids ! Et du Père aussi, il est dit qu'il a pouvoir sur la vie et sur la mort. Voyez-vous comment vous êtes tombés dans vos propres filets? Qu'avez-vous à répondre à ce mot: " Je la dépose de moi-même, et je la reprends de moi-même. " Comment donc entendez-vous qu'il ne fait rien de lui-même ?

Certes, comme je l'ai dit, si j'avais seulement à discuter avec les hérétiques, après les avoir ainsi mis dans l'embarras et pris dans leurs filets, je me retirerais, avec une victoire assez belle et un triomphe assez éclatant, dans la démonstration complète de leurs folies ! Mais je ne veux pas me borner à fermer la bouche à nos contradicteurs, je veux aussi instruire nos frères et fortifier les membres de notre Église : je ne m'en tiendrai donc pas là , je m'efforcerai d'aller plus avant; je produirai un nouveau fait pour confondre l'impudence de nos adversaires. Que lisons-nous en effet? " Le Père ne juge personne, c'est le Fils qui juge tous les hommes. " (Jean, V, 22.)

5. Je le demande donc aux hérétiques, si le Père ne juge personne, si c'est le Fils qiù juge, comment juge-t-il? Car s'il ne peut rien faire par lui-même, qu'il n'ait vu faire auparavant à son Père, si d'autre part, le Père ne jugeant pas, le Fils juge tous les hommes, comment peut-il faire ce qu'il n'a pas vu ? Et ne passons pas légèrement sur ce point : ce n'est pas une considération sans importance, mais un argument de la plus haute valeur. Songez en effet quelle oeuvre immense ! Tous les pommes depuis Adam jusqu'à la consommation des siècles , Grecs, Juifs, hérétiques, fidèles égarés, les faire comparaître tous au jour suprême, et découvrir tout ce qu'ils ont tenu secret, actions, paroles, ruses, perfidies, et jusqu'à leurs plus mystérieuses pensées : et cela non par des témoignages, ni par des preuves, ni par dès figures, ni par des renseignements, ni par rien de ce genre : mais ne recourir qu'à sa propre puissance pour les confondre! Et pourtant cette oeuvre immense, il l'accomplit lui-même, sans avoir vu l'exemple de son Père, sans l'imiter; car " le Père ne juge personne. "

Voyez-le encore en d'autres circonstances agir de sa propre autorité, soit pour opérer des miracles, soit pour porter des lois, soit pour tant d'autres choses. Quand il est monté sur la montagne, au moment de donner le Nouveau Testament, il dit : " Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : vous ne tuerez pas; et celui qui aura tué méritera d'être, condamné par le jugement. Mais moi, je vous le dis : Tout homme qui se sera mis en colère sans raison contre son frère, méritera d'être condamné par le jugement. Vous avez appris qu'il a été dit oeil pour oeil, dent pour dent" " Mais moi je vous dis de ne pas rendre la pareille au méchant; si quelqu'un vous a frappé sur la joue droite, tendez-lui l'autre. " ( Matth. V, 21, 22, 38, 30.) Qu'est-ce que ce langage ? — Celui qui ne fait rien par lui-même, redresse les paroles de soir Père, et améliore ses lois? Et quand je dis : améliore, ne voyez pas dans ce, mot un blasphème, une atteinte à la puissance de Dieu. Si la loi première est moins bonne, ce n'est pas du fait de Dieu, mais du l'ait de ceux- qui ont reçu la loi. Du reste l'Ancien Testament est aussi l’oeuvre du Fils unique, comme le Nouveau est aussi celle du Père : comment, dites-moi, ne fait-il rien de lui-même, lui qui ajoute à l'Ancien Testament et qui déploie une telle puissance ?

En vérité, y a-t-il rien de plus faible que l'hérésie! Les Juifs demeuraient frappés de , stupeur, parce qu'il leur donnait ses enseignements : " comme ayant la puissance, et non à la manière des scribes et des pharisiens. " ( Matth. VII, 28.) Ainsi les Juifs rendent témoignage de sa puissance, et les hérétiques viennent protester qu'il rie peut rien de lui-même. Et les Juifs n'ont pas dit, comme devant avoir la puissance, mais bien : " comme ayant la puissance. " Car la puissance ne lui est pas venue dans la suite, mais il l'avait (481) entière, sans qu'il y manquât rien. Aussi, interrogé sur son règne, disait-il : " Je suis né pour régner. " (Jean, XVIII, 37.) Une autre fois on lui présente le paralytique, et, après lui avoir remis ses fautes : " Pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a la puissance de remettre les péchés sur la terre, prends toit lit, lui dit-il, et va-t-en dans ta demeure. " (Matth. IX, 6.) La foule disait : il fait tout, comme ayant la puissance; mais lui.: " Le Fils de l'homme a la puissance de remettre les péchés sur la terre, " et encore . " J'ai la puissance de déposer ma vie, et la puissance de la reprendre. " (Jean, X, 18.)

Ainsi, il a la puissance de porter des lois, il a la puissance de remettre les péchés, il a la puissance sur la vie et sur la mort, et vous prétendez qu'il ne peut rien par lui-même ? — Est -il rien de plus éclatant que notre triomphe ?

6. Maintenant que nous en avons fini avec les hérétiques , si vous le voulez , arrivons à la conclusion : je veux vous montrer tout d'abord que ce mot : " Il ne peut, " appliqué à Dieu, est une preuve, non de faiblesse, mais de force. Quelque surprenante que vous paraisse cette assertion , je ne vous en donnerai pas moins une démonstration éclatante. Si je dis que Dieu ne peut faillir, je ne l'accuse pas de faiblesse , mais je porte témoignage de sa puissance infinie. Si je dis que Dieu ne peut mentir, c'est encore même témoignage. Ainsi, Paul disait: " Si nous persévérons, nous règnerons avec lui; si nous cessons de croire , lui-même demeure fidèle, car il ne peut se démentir. " (II Tim. 11, 12, 13. ) Voyez-vous que ce mot : " il ne peut " est une marque de sa puissance.

Et pourquoi parler de Dieu? Les choses matérielles elles-mêmes viennent à l'appui de mon raisonnement. Si je dis que le diamant ne peut se briser, est-ce de sa faiblesse ou de sa grande force que je témoigne ainsi? Alors donc que vous entendez dire que Dieu ne peut faillir, que Dieu ne peut mentir ni se démentir, ne voyez pas dans cette parole une accusation de faiblesse, mais l'aveu d'une puissance infinie : c'est dire que son essence n'admet pas le mal, qu'elle est incorruptible, immaculée , supérieure.

Puisque voilà cette difficulté bien tranchée, tournons maintenant, sur notre propre sujet, l'effort de notre discours. " Le Fils ne peut rien faire par lui-même. " Que veut dire ce " par lui-même? " Si vous l'entendez en son vrai sens , vous y verrez l'étroite union de Jésus avec son Père, l'identité de leur substance, en un mot la consubstantialité du Père et du Fils. Que. signifie donc " Il ne peut rien par lui-même? " Qu'il ne peut rien faire qui lui soit propre en dehors de son Père, rien de personnel, de distinct, rien d'étranger au Père, rien d'autre enfin que ce que fait le Père : car ce que fait l'un, l'autre le fait aussi. Donc le mot, il ne peut rien faire par lui-même, n'est la négation ni de sa liberté, ni de sa puissance, mais la manifestation de l'union du Père et du Fils , le témoignage de leur accord, de leur étroite union , le signe enfin de leur identité.

Car, comme il rompait le sabbat, et que les Juifs l'accusaient de violer la loi, en disant le Seigneur a ordonné une chose, et tu en fais une autre , il abat leur impudence par ces mots : Je n'ai rien fait que n'ait fait mon Père, je ne lui suis ni opposé, ni ennemi. S'il ne s'est pas exprimé en ces termes, s'il a revêtu. sa pensée d'une enveloppe plus terrestre et plus épaisse, songez qu'il parlait à des Juifs, qui le prenaient pour l'ennemi de Dieu. Aussi pour qu'on ne pût le croire tel, ajoute-t-il aussitôt : " Les actes qu'il fait, le Fils les fait également. " (Jean, V, 19.) Or, s'il ne fait rien par lui-même , comment les fait-il également ? Faire n'est rien ; les apôtres faisaient à son exemple, ils réveillaient les morts, ils guérissaient les lépreux , ruais non pas également, comme lui. Comment donc faisaient-ils ? Pourquoi vous attacher à nous, disent-ils, comme si nous avions fait marcher cet homme de notre propre autorité, par notre propre puissance? (Act. III, 12.) Et Jésus? " Afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a la puissance de remettre les péchés sur la terre (Marc, II, 10 ; Luc, V, 24), " et quand il s'agit de la résurrection des morts : " Comme le Père réveille les morts et les ressuscite , de même aussi le Fils ressuscite ceux qu'il veut. " (Jean, V, 21.) Il aurait suffi de dire : " de même; " mais de surcroît pour rabaisser l'impudence de ses contradicteurs, il ajoute: " ceux qu'il veut, " comme preuve de sa pleine puissance. C'est pour cela qu'après avoir dit : " Les actes que fait le Père, " il n'ajoute pas, " le Fils les fait également. " " Car tout a été fait par lui, et sans lui rien ne s'est fait. " (Jean, I, 3.) (482) Voyez-vous comme Jésus s'applique à faire comprendre l'accord, la liaison, l'union parfaite du Père et du Fils, en disant, non pas " des choses semblables, " mais " les mêmes " que le Père, et " également. "

Aussi, même lorsqu'il a voulu se représenter sous un langage modeste, s'est-il encore exprimé avec les plus grandes précautions. Car il n'a pas dit, " S'il ne l'a appris de son Père, " afin que vous n'alliez pas croire qu'il apprenne; il n'a pas dit non plus, " S'il n'en a reçu l'ordre, " afin que vous ne le soupçonniez pas d'avoir rang de serviteur, mais " s'il n'a vu son Père le faire. " Et cette parole même indique une étroite union avec le Père. Car s'il peut voir son Père agir, et comprendre comment il agit, il a la même substance. Nous avons bien souvent déjà démontré que nul ne peut voir une substance, ni la connaître pleinement, s'il n'est de même nature. Un ange apparaissant dans sa pure substance , est demeuré invisible à un homme, et encore était-ce un homme d'une grande vertu, Daniel. Aussi Jésus proclamait-il la vision de Dieu comme un privilège de sa nature. " Nul n'a jamais vu Dieu, le Fils unique, qui est dans le sein du Père, voilà celui qui a raconté Dieu. " (Jean, I, 18.) Et ailleurs : " Car personne n'a vu le Père, si ce n'est celui qui vient de Dieu, et celui-là l'a vu. " (Jean, VI, 46.) Et pourtant combien d'autres, des prophètes , des patriarches, des justes, des anges l'ont vu ; mais il parle d'une vue parfaite.

Ne disons donc pas qu'il agit, lorsqu'il voit le Père agir : car que signifierait: " Tout a été fait par lui, et sans lui rien ne s'est fait? (Jean, I, 3 .) " et ceci : " Ce qu'il fait, le Fils le fait également?" (Jean, V, 19.) Car s'il le fait également, comment ne le fait-il qu'après avoir vu le Père? Il faudra donc, d'après votre raisonnement, que le Père lui-même ne fasse , qu'après avoir vu faire un autre : mais c'est le comble de la déraison et de la folie.

7. Mais pour ne pas prolonger notre discours à réfuter ces misérables absurdités, voici ce que nous ajouterons : C'est parce qu'il parlait à des Juifs qui l'accusaient d'être l'ennemi de Dieu et l'adversaire de ses lois, et qui tiraient cette accusation de ses actes, qu'il a donné à son langage une figure plus terrestre et plus matérielle, laissant aux oreilles intelligentes à y trouver un sens digne de Dieu, et redressant ceux qui comprenaient d'une manière plus grossière: Voilà pourquoi il a dit: "Les actes " qu'il fait, le Fils les fait également. " Ce n'est pas qu'il attende pour agir, jusqu'à ce qu'il ait vu agir son Père; ce n'est pas qu'il ait besoin d'apprendre; mais il voit l'essence même de son Père, et il la connaît complètement: " Comme mon Père me connaît, moi je connais mon Père. " (Jean, X, 15.) Et il fait et exécute tout de sa propre autorité, par l'intelligence et la sagesse qui lui appartiennent, sans avoir besoin d'apprendre ni de voir d'abord. Comment en aurait-il besoin, lui, l'image parfaite de son Père, lui qui fait tout de même que son Père, également, avec la même puissance? Car en parlant de sa puissance, il a dit: " Mon Père et moi, nous sommes un. " (Jean, X, 30.) Ainsi instruits et éclairés par tout ce qui a été dit, évitons donc les réunions des hérétiques, demeurons à jamais attachés à la vraie foi, règlons avec soin notre vie et notre conduite sur les enseignements de la religion, pour obtenir les biens de la vie future, par la grâce et les bontés de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Fils, soient la gloire et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !
 

 

 

HOMÉLIE SUR MELCHISÉDECH.
AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

Cette homélie a été également retrouvée par EricBenzel dans les manuscrits anglais et publiée par lui à Upsal, elle ressemble en grande partie à la précédente. En effet, quoiqu'elle traite comme l'indique le titre, de Melchisédech, il y en a une bonne part contre les Anoméens. Mais il discute aussi contre les Melchisédécites, qui disaient Melchisédech plus grand que le Fils ; d'autres croyaient qu'il était le Saint-Esprit. Il ne faudrait pas prendre ce discours pour l'homélie sur Melchisédech, dont parle Chrysostome dans son homélie sur le psaume 41. Celle dont il est question en ce passage est la septième contre les Juifs.

Nous n'avons pu trouver de renseignements sur l'époque où fut prononcée cette homélie; elle ne renferme rien qui l'indique. On ne sait pas davantage si ce fut à Antioche ou à Constantinople : nous pencherions pour Antioche, parce que c'est là qu'il a livré le plus d'assauts aux Anoméens.

1. Trouble causé par l'inexpérience, et sur mer, et dans les orages des passions, et de même dans la lecture des Livres saints - Leur difficulté attestée par saint Paul ; nécessité de les expliquer longuement.

2. Contre les Anoméens : le Christ n'a ni père, ni mère, ni généalogie, c'est-à-dire que ses deux naissances terrestre et céleste, et par suite sa double nature sont insondables.

3. Contre les Melchisédécites : Melchisédech n'est pas plus grand que te Christ, puisqu'il est dit que tout genou fléchira devant le Christ; il n'est pas le Saint-Esprit, parce que l'incarnation du Christ eût été inutile, si le Saint-Esprit s'était déjà fait homme il est dit sans généalogie, parce qu'il est l'image du Christ ; et le Christ appelé pontife selon l'ordre de Melchisédech, parce que Melchisédech honorait Dieu par le pain et le vin, à l'imitation du Christ qui devait venir plus tard.

1. Je veux vous faire asseoir aujourd'hui à la table des apôtres; je me dispose à diriger ma course sur une vaste mer, sur la doctrine de l'apôtre Paul. Mais que m'adviendra-t-il ? Je crains, je redoute que, sortis du port et lancés sur l'abîme des paroles apostoliques, nous ne soyons pris de vertige, comme il arrive aux navigateurs novices. Quand ils ont quitté la terre, et que des deux côtés du vaisseau ils ne voient que la mer, et rien autre chose que les flots et le ciel, le vertige s'empare d'eux, et ils s'imaginent que leur vaisseau tournoie avec la mer. Or ce n'est pas de la mer, mais de l'inexpérience des navigateurs que viennent ces étourdissements. D'autres en effet se plongent tout nus dans ses eaux, et n'éprouvent rien de tel: mais descendus dans ses profondeurs, ils y sont plus à l'aise que ceux qui sont établis sur la terre ferme, et, la bouche, les yeux, tout le corps exposé à l'eau salée, ils ne souffrent pas : tant l'inexpérience est un grand et étrange mal ! tant l'expérience est un grand bien ! Celle-ci enseigne à mépriser même ce qui est redoutable; celle-là dispose à soupçonner et à craindre , même ce qui est inoffensif. Les uns en effet, sur le haut du pont, ont le vertige à la vue seule des flots: les autres, au milieu des eaux, ne se troublent pas. Ainsi arrive-t-il de notre esprit. Souvent il est envahi par les flots des passions, plus terribles que les flots de la mer, et qui, comme une tempête, bouleversent notre âme sous le souffle dés désirs coupables, en jetant le désordre dans toutes nos pensées. L'homme inexpérimenté, ignorant, aux premiers orages de la passion, se trouble, se frappe, se tourmente. Il voit son âme envahie par les flots faire naufrage ! Mais l'homme instruit et prévenu par l'expérience, supporte ces assauts le front haut: comme le pilote au gouvernail, il maintient son esprit ferme (484) au-dessus des passions, et ne cesse de faire effort, jusqu'à ce qu'il ait rendu sa barque au port tranquille de la sagesse.

Ce qui arrive sur mer et dans la conduite de nos pensées, doit se rencontrer aussi dans l'explication de l'Ecriture : le trouble, la crainte peuvent nous saisir, quand nous arrivons en pleine mer, non que la mer soit dangereuse, mais parce que nous sommes des navigateurs inexpérimentés. Un discours facile à comprendre par lui-même , peut devenir difficile par suite de l'inexpérience des auditeurs, et je vais en tirer de saint Paul un exemple. Après avoir dit que le Christ a été pontife selon l'ordre de Melchisédech, alors qu'il recherche ce qu'est Melchisédech, il ajoute . " Nous avons sur lui à dire des choses nombreuses et difficiles à expliquer. " (Héb. V, 11. ) Que veux-tu dire, ô saint Paul? Difficile à expliquer pour toi, qui es doué de la sagesse d'en-haut ? pour toi, qui as entendu les mystères? pour toi, qui as été ravi au troisième ciel? Si tu ne peux les expliquer, qui les comprendra ? — Difficiles à expliquer, dit-il, non à cause de ma propre faiblesse, mais à cause de l'ignorance de ceux qui m'écoutent. Car, après avoir dit, " difficiles à expliquer, " il ajoute, " parce que vous avez l'esprit lent à m'entendre. "

Voyez-vous que ce n'est pas la nature de saparole, mais bien l'ignorance des auditeurs, qui rend cette parole difficile à comprendre quand elle ne l'est pas par elle-même? La même cause la rend encore longue, bien que par elle-même elle soit courte. Aussi ne se borne-t-il pas à dire " des choses difficiles à expliquer; " il dit encore " des choses nombreuses, " imputant à la fois et la longueur et la difficulté à l'esprit lourd de ceux qui l'écoutent. De même, en effet, qu'il ne faut pas servir aux malades une table sans variété et sans apprêt, mais leur présenter des mets de toute sorte, afin que s'ils ne veulent pas de l'un, ils prennent d'un autre (1), s'ils refusent celui-ci ils acceptent celui-là; s'ils en repolissent un, ils portent la main sur un autre, afin que la variété triomphe de leur peu d'appétit, et que la diversité des plats finisse par vaincre leur dégoût; ainsi faut-il faire souvent pour notre esprit, quand nous sommes faibles, il faut alors nous offrir des discours abondants, pleins de comparaisons et d'exemples variés, de démonstrations et de périodes, de mille choses, enfin, parmi lesquelles nous

1 Le texte parait avoir été altéré par des répétitions.

pourrons facilement choisir ce qui nous est utile. Quelque long et difficile à expliquer que dût être son discours, Paul n'a pas renoncé à enseigner à ses disciples ce qu'était Melchisédech ; en disant " long et difficile à expliquer," il a éveillé leur attention, il les a empêchés d'écouter avec indifférence; mais il ne leur présente pas moins la table chargée, et il donne satisfaction à leur désir.

2. Faisons donc de même. Quoique nous ne puissions mesurer l'immense étendue, ni atteindre aux dernières profondeurs de la pensée de l'Apôtre, risquons-nous sur les flots, nous assurant, non dans notre force, mais dans la grâce qui nous est donnée d'en-haut; risquons-nous sur les flots, non par confiance en nous-même, mais pour votre salut, et imitons en cela saint Paul. Car il n'a pas privé ses frères de ses instructions sur Melchisédech; écoutez plutôt la suite. Après avoir dit: "nous aurons sur lui à dire des choses nombreuses et difficiles à expliquer," il ajoute : " Car ce Melchisédech, roi de justice est aussi roi de Salem, c'est-à-dire roi de paix, qui n'a ni père, ni mère, ni généalogie, ni commencement, ni fin, est l'image du Fils de Dieu, et demeure pontife à jamais. " (Héb. VII, 1-4.) Vos oreilles n'ont-elles pas été blessées de l'entendre dire d'un homme " qu'il n'a ni père, ni mère, ni généalogie? " Et que dis-je, d'un homme? Quand ce serait du Fils, ne soulèverait-il pas encore une grave question? Car s'il n'a pas de Père, comment est-il le Fils? S'il n'a pas de mère, comment est-il le Fils unique? Il faut bien qu'un fils ait un père, ou bien il ne serait pas fils. Mais le Fils de Dieu n'a ni père, ni mère; pas de père, par sa naissance terrestre; pas de mère, par sa naissance céleste. Non, sur terre il n'a pas de père, et dans les cieux il n'a pas de mère. " Il n'a pas de généalogie. " Que ceux qui examinent curieusement sa substance l'entendent ! Il en est pourtant qui admettent que ces mots. " Il n'a pas de généalogie, " s'appliquent à sa naissance céleste.

Certains hérétiques ne le veulent même pas: car ils recherchent et scrutent indiscrètement cette naissance : les plus modérés cependant cèdent sur ce point, et prétendent que ce mot: "Il n'a pas de généalogie," est dit de sa naissance terrestre. Montrons donc que Paul l'a dit du l'une et de l'autre, et de la céleste et de la terrestre. Car l'une est d'une majesté accablante, et l'autre est un mystère insondable. Aussi Isaïe (485) dit-il : " Qui racontera sa naissance?" (Isaïe, LIII, 8. ) Vous m'objectez qu'il ne parle que de sa naissance céleste? Mais Paul, qui, après avoir parlé des deux naissances, ajoute : " Il n'a pas de généalogie?... " C'est pour que vous croyiez qu'il n'en a ni selon cette première naissance , dans laquelle il n'a pas de mère; ni selon sa naissance terrestre, dans laquelle il n'a pas de père; qu'après les avoir rappelées toutes les deux, il a dit : " Il n'a pas de généalogie. " Et en effet, si sa naissance ici-bas est incompréhensible, oserions-nous seulement lever les yeux sur sa naissance de là-haut? Si le vestibule du temple est aussi redoutable, aussi inaccessible, qui entreprendra de pénétrer dans le sanctuaire? Il a été engendré parle Père, je le sais. Mais comment? je l'ignore. Il a été enfanté par la Vierge, je le sais. Mais comment? je ne le comprends pas davantage. Sa double naissance est un fait reconnu, mais la manière dont elles se sont opérées l'une et l'autre est un mystère. Sans doute je ne sais pas comment il est né de la Vierge, mais je n'en reconnais pas moins qu'il est né d'elle, et ne me fais pas une arme de ce que j'ignore; pour supprimer le fait, agissez de même à l'égard du Père. Vous ne savez pas comment Jésus est né du Père, reconnaissez cependant qu'il est né de lui. Et si les hérétiques vous disent : " Comment le Fils est-il né du Père? abaissez leur orgueil vers cette terre, et dites-leur : Descendez des cieux et expliquez-nous comment il est né de la Vierge et puis vous pourrez regarder plus haut. Retenez-les, enfermez-les, ne leur permettez pas de reculer et de faire retraite dans le labyrinthe des raisonnements; retenez-les, serrés, non pas sous votre main, mais sous votre parole; ne leur donnez pas le loisir d'échapper par où ils voudront. Car, s'ils nous embarrassent dans les discussions, c'est que nous les suivons sur leur terrain, au lieu de les amener au pied des lois des saintes Ecritures. Tenez-les assiégés de toutes parts par les témoignages de l'Ecriture, et ils ne pourront pas même ouvrir la bouche. Dites-leur : Comment est-il né de la Vierge? Je ne vous lâche pas, je ne recule pas. Ils ne sauraient vous le dire, quand ils l'essayeraient mille fois ! Lorsque Dieu nous cache un secret, qui le découvrira? La foi seule peut alors nous instruire. Si vous ne pouvez comprendre et que vous cherchiez à raisonner, je vous dirai comme le Christ à Nicodème : " Je vous ai parlé des choses terrestres et vous ne me croyez pas ; comment me croirez-vous, si je vous parle des choses célestes? " (Jean, III, 12.) Je vous ai parlé de l'enfantement d'une Vierge, et vous ne savez que dire, et vous n'osez ouvrir ta bouche, et voilà que vous avez la curiosité de rechercher la naissance du Christ dans les cieux? Et encore s'il ne s'agissait que des cieux ! Mais c'est le Maître même des cieux que vous prétendez pénétrer ! — " Je vous ai parlé des choses terrestres et vous ne me croyez pas. " Il ne dit pas, vous n'êtes pas persuadés, mais " vous ne me croyez pas, " me montrant par là que si les choses terrestres mêmes exigent la foi, à plus forte raison les choses célestes l'exigeront-elles. Et pourtant il parlait alors à Nicodème d'un genre de naissance bien inférieur : c'était du baptême et de la régénération spirituelle; et il est bien évident que ce sont choses intelligibles pour la foi seule. Et s'il les appelait terrestres, ce n'est pas qu'elles le soient vraiment, mais c'est qu'elles se consomment sur la terre, et qu'en comparaison de cette divine naissance, de cette; naissance inénarrable et au-dessus de toute intelligence, elles sont véritablement terrestres. Si donc notre régénération par les eaux du baptême ne peut être comprise, mais que la foi seule la puisse entendre, sans avoir à rechercher comment elle s'opère , quelle folie ne serait-ce pas que de mettre en oeuvre les raisonnements humains pour découvrir la naissance céleste du Fils unique et de vouloir s'en rendre compte? — Non, le Fils de Dieu n'a ni père, ni mère, ni généalogie: nous avons bien démontré comment.

3. Mais puisqu'il en est beaucoup qui , ne comprenant pas ce qui est écrit de Melchisédech, l'ont proclamé plus grand que le Christ, puisqu'ils ont suscité une hérésie, sous le nom de Melchisédécites , et qu'ils disputent avec nous, prétendant montrer qu'il est plus grand que le Christ, et s'appuyant sur ces mots : " Tu es pontife à jamais selon l'ordre de Melchisédech (Ps. CIX, 4) , " il faut leur répondre. Voici leur raisonnement: Comment ne serait-il pas plus grand que le Christ, quand le Christ est pontife à son image et selon son ordre ? Mais nous , nous disons qu'il est un homme de notre espèce, si loin d'être plus grand que le Christ, qu'il n'est pas même plus grand que Jean-Baptiste : car, " il n'en a pas paru un seul plus grand que Jean-Baptiste , " (486) a dit le Christ, a parmi ceux qui sont nés d'une " femme. " (Matth. II, 11.)

D'autres tombent dans une autre erreur et déclarent que Melchisédech est le Saint-Esprit; nous le nions également. Quel besoin y aurait-il eu pour le Verbe de Dieu de se faire homme si l'Esprit-Saint s'était déjà incarné? — Mais puisqu'il n'est pas plus grand que le Christ, puisqu'il n'est pas non plus le Saint-Esprit, qu'ils nous disent donc le lieu où ils le placent? Est-ce au ciel , ou sur la terre? ou dans les régions situées sous la terre ? Que ce soit au ciel ou ailleurs, nous allons leur faire entendre qu'il fléchit le genou devant le Christ incarné dans le sein de Marie, mère de Dieu. Car l'Apôtre dit: " Tout genou fléchira devant lui, " et la suite. (Phil. II, 10.) Si donc tout genou fléchit devant le Christ, Melchisédech doit être moins grand que lui: car il adore le Christ, et le Christ est adoré. Si ces malheureux hérétiques regardent ce qui suit, où il est dit, " Est l'image du Fils de Dieu (Héb. VII, 3) , " il leur faudra bien comprendre que Melchisédech a été fait comme nous à l'image et à la ressemblance de Dieu.

Les Juifs disent qu'il était né de la fornication, et que c'est pour cela qu'il est dit sans généalogie; nous leur répondrons aussi qu'ils se trompent. Salomon, né de la femme adultère d'Urie, a une généalogie. Mais comme Melchisédech était la figure du Seigneur, et qu'il représentait une image du Christ, de même que Jonas, l'Écriture a passé son père sous silence , afin de nous faire voir en lui , comme en une image fidèle, le Christ qui n'a . vraiment ni père, ni généalogie. — Mais ces Melchisédécites nous font encore cette objection : Que signifie donc ce que le Père dit au Christ: " Tu es pontife à jamais selon l'ordre " de Melchisédech ? v (Ps. ciz, 4.) Nous leur répondons que Melchisédech a été un homme juste , et véritablement l'image du Christ, mu par l'esprit prophétique, comprenant le sacrifice qui. devait être offert pour les nations; il a honoré Dieu avec le pain et le vin , à l'imitation du Christ qui devait venir. Et comme la synagogue juive, selon l'ordre d'Aaron, offrait en sacrifice à Dieu, non du pain et du vin , mais des génisses et des agneaux, et honorait Dieu avec des victimes sanglantes, Dieu parlant à Celui qui doit naître de la vierge Marie, à Jésus-Christ, à son propre Fils, proclame ceci: " Tu es pontife à jamais selon l'ordre de Melchisédech ; " Non pas selon l'ordre d'Aaron, qui adore Dieu avec des génisses et des agneaux; mais: " Tu es pontife à jamais selon l'ordre de Melchisédech " présentant à jamais, par le pain et le vin l'offrande des fidèles. Par lui gloire sait à Dieu et à l'Esprit-Saint, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE CONTRE CEUX QUI ONT ABANDONNÉ L'ÉGLISE, POUR ALLER AUX JEUX DU CIRQUE ET DU THÉÂTRE.
AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

Voir la vie de saint Jean Chrysostome, tome I, page 3-29-330.

1. Indignité de la conduite de ceux qui ont quitté l'Eglise pour aller au théâtre.

2. Leur ingratitude après la preuve éclatante qu'ils viennent de recevoir de la bonté de Dieu.

3. Comment se justifieront-ils au tribunal de Dieu. — Immoralité et dangers du théâtre.

4. Nécessité de ramener les coupables par de bons conseils, et s'ils résistent par la rigueur et même l'excommunication. — Il réclame le concours de tous les fidèles en vue de leur propre salut.

1. Peut-on supporter, peut-on souffrir pareille chose ? Je veux vous prendre pour juges contre vous-mêmes. Ainsi Dieu fit autrefois avec les Hébreux, il les prit pour juges contre eux-mêmes, en leur disant: " Mon peuple, que t'ai-je fait, en quoi t'ai-je affligé, en quoi t'ai-je constristé ? Réponds-moi. " (Mich. VI, 3.) Et ailleurs : " Quelle faute tes pères ont-ils eu a à me reprocher ? " (Jérém. II, 5.) Je l'imiterai, et je vous demanderai encore : Peut-on supporter , peut-on souffrir pareille chose? Après que ma voix a tant de fois fourni sa carrière, après un si long enseignement, plusieurs m'ont abandonné, pour aller voir courir des chevaux, et ils se sont livrés à de tels excès, qu'ils ont rempli la ville entière de bruit et de clameurs désordonnées, et provoqué les rires ou plutôt la tristesse. Pour moi, renfermé dans ma demeure, au bruit de ces voix retentissantes, je souffrais plus cruellement que les malheureux battus par la tempête. Ceux-ci, quand les flots se brisent contre les flancs de leur navire, se sentent en péril de mort et tremblent : plus effrayants encore retentissaient en moi ces cris furieux, et je baissais les yeux à terre, et je me voilais la face : quoi ! les uns, dans les places élevées, s'afficher aussi honteusement ! les autres, dans le bas, au milieu de la foule, applaudir ainsi les cochers, et crier plus fort qu'eux ! Que répondrons-nous donc? Comment nous disculperons-nous, si quelque étranger vient à nous accuser et à dire: Est-ce ainsi que se conduit la ville des apôtres? La ville dans l'Eglise a eu un fondateur si illustre? Est-ce là ce peuple ami du Christ, ce peuple théâtre de vérité, théâtre de spiritualité.? — Vous n'avez pas même respecté le jour où s'est accompli ce :mystère de notre salut : mais au moment où Notre-Seigneur était crucifié pour le monde, où s'offrait un tel (488) sacrifice, où le paradis s'ouvrait, et où le larron était rétabli dans son ancienne patrie; au moment où la malédiction disparaissait, où le péché était effacé, où cessait un long état de guerre , où Dieu se réconciliait avec les hommes, où tout changeait de place; en ce jour où vous deviez jeûner, glorifier le Seigneur, et adresser de pieuses actions de grâces à Celui qui comblait de biens le monde ; vous avez abandonné l'église, le sacrifice spirituel, l'assemblée de vos frères, la solennité du jeûne, pour vous donner à Satan, et, sous sa garde, courir à ce spectacle ! Peut-on supporter, peut-on souffrir pareille chose? Je ne cesserai de répéter continuellement ces mots, et d'adoucir ma douleur, en ne la comprimant pas en silence, mais en l'exposant, en l'étalant à vos yeux. Comment pourrons-nous désormais nous rendre Dieu propice ? Comment apaiser son courroux ? Il n'y a pas trois jours éclate une pluie violente, qui dévaste tout sur son passage et, enlevant, pour ainsi dire, le pain de la bouche des laboureurs , renverse les épis presque mûrs, et gâte ce qu'elle laisse en déposant derrière elle une humidité funeste : aussitôt ce sont des processions suppliantes, des prières; toute notre ville court comme un torrent aux temples des apôtres, et nous implorons l'intercession de saint Pierre et du bienheureux André, et de ce couple sacré d'apôtres, de Paul et de Timothée. Puis, la colère céleste apaisée, nous traversons la mer, nous bravons les flots , nous accourons aux princes des apôtres: Pierre, le fondement de la foi ; Paul, le vase d'élection, célébrant une fête, toute spirituelle , chantant leurs combats , et leurs triomphes; et leurs victoires contre les démons. Et, sans être épouvantés par la crainte des malheurs passés, sans être instruits par la merveilleuse assistance des apôtres, sur-le-champ, après un seul jour d'intervalle, voilà des trépignements, des cris; voilà votre âme enchaînée par les passions et traînée au mal ! Mais si vous vouliez voir une course d'êtres sans raison, pourquoi n'avez-vous pas attelé vos passions déraisonnables, la colère et la concupiscence ? Pourquoi ne les avez-vous pas mises sous le joug de la sagesse, ce joug si doux et si léger, avec la droite raison pour les conduire, et n'avez-vous pas couru vers le but de votre céleste vocation, dirigeant votre course, non de crime en crime, mais de la terre vers le ciel? Voilà une course qui joint à l'attrait du plaisir une haute utilité ! Mais laissant aller vos propres affaires au gré du hasard et de la fortune, vous étiez assis à contempler la victoire d'un autre, et vous consumiez un jour, un si grand jour dans des vanités et des riens, que dis-je ? dans le mal !

2. Ne savez-vous pas que, si nous réclamons de nos serviteurs, quand nous leur remettons de l'argent, un compte exact et jusqu'à la dernière obole, Dieu, lui aussi, nous demandera compte des jours de notre vie, et de la manière dont nous avons dépensé chacun d'eux ? Que répondrons-nous? Comment nous justifierons-nous, quand il nous demandera compte de ce jour ? Four vous le soleil s'est levé, la lune a éclairé la nuit, et le choeur infini des étoiles a Brillé; pour vous les vents ont soufflé et les fleuves ont coulé ; les semences ont germé, les plantes ont poussé, et la nature a suivi son cours ordinaire : le jour a lui et la nuit a suivi et tout cela s'est fait pour vous; et vous, ainsi servis par toute la création, vous en profitez pour combler les voeux du démon ! Dieu vous a loué cette splendide demeure, qu'on appelle le monde, et vous ne le payez pas ! — Et il ne vous a pas suffi d'un jour de désordres ! mais le lendemain, quand vous deviez prendre quelque répit après l'infamie de la veille, vous retourniez au théâtre; vous couriez de la fumées au feu, vous vous jetiez dans un nouveau gouffre plus effroyable ! Des vieillards souillaient leurs cheveux blancs, des jeunes gens ruinaient leur jeunesse, des pères amenaient leurs fils, se hâtant de plonger des enfants innocents dans l'abîme de l'iniquité, bien dignes certes de recevoir, au lieu du nom de pères, celui d'assassins de leurs fils, pour tuer ainsi dans le vice l'âme de ceux qu'ils ont engendrés! - Et dans quel vice, dites-vous? — Ah ! je souffre de ce que, malades, vous ne voyez pas votre mal, pouf appeler au moins le médecin ! Vous vous êtes remplis d'adultère; et vous demandez quel vice? N'avez-vous pas entendu le Christ dire : " Celui qui a jeté sur une femme un regard de convoitise, a déjà commis l'adultère avec elle. " (Matth. V, 28) ? Eh bien ! Et si je n'ai pas jeté sur elle un regard de convoitise, dites-vous? Mais comment pourrez-vous me le faire croire ? Celui qui ne sait pas résister à l'attrait du spectacle, qui se montre si empressé à y courir, comment, après avoir rassasié ses yeux, pourra-t-il rester chaste ? Votre corps est-il donc une pierre, un (489) morceau de fer? Ton enveloppe est de chair, de chair humaine, plus facile à enflammer que l'herbe sèche au feu de la concupiscence.

Et que vais-je parler du théâtre? Rencontrons-nous souvent une femme sur la place publique ? nous voilà troubles. Et vous, dominant la scène, assis à une place où tout excite à la débauche, vous voyez une femme perdue entrer tête nue, avec la dernière impudeur, couverte de vêtements tissus d'or, faisant des gestes efféminés et déshonnêtes, chantant des chansons lascives, des vers obscènes, lançant des paroles infâmes, en un mot, se permettant toutes les ignominies que vous, spectateurs, vous pouvez concevoir, et encore vous vous penchez pour n'en rien perdre ! et vous osez' dire que vous n'éprouvez aucun mouvement de la chair? Votre corps est-il donc une pierre? un morceau de fer? Car je ne me ferai pas faute de répéter. les mêmes termes. Seriez-vous plus sages que ces grands et nobles coeurs qu'un regard seul a perdus? N'avez-vous pas entendu Salomon : " Qui marchera sur des charbons ardents sans se brûler les pieds? Qui appliquera du feu sur son sein , sans brûler ses vêtements ? Tel est l'homme qui va voir une femme étrangère ! " (Prov. VI, 28, 27, 29.) Si vous n'avez pas possédé cette misérable, vous êtes unis à elle de désir, et en pensée vous avez commis la faute. Et ce n'est pas pour cet instant seulement; mais la représentation finie, elle partie, vous gardez son image dans votre âme, et ses paroles, et ses gestes, et ses regards, et sa démarche, et la cadence de sa voix, de sa danse, et ses chants obscènes, et vous vous retirez percés de mille blessures. N'est-ce pas là ce qui perd les familles? ce qui raine la pudeur? ce qui dissout les mariages? ce qui soulève tant de disputes, et de querelles, et de dégoûts sans cause? Quand, tout pleins d'elle, vous rentrez déjà vaincus et pris, vous trouvez votre femme déplaisante, vos enfants insupportables, vos serviteurs odieux, votre maison, ennuyeuse, vos occupations habituelles, le soin de vos affaires vous importunent, et tous ceux qui vous approchent vous sont à charge et vous pèsent.

3. Et la raison, c'est que vous ne rentrez pas seul dans votre demeure, ruais que vous y ramenez cette courtisane, non pas ouvertement, visiblement; le mal serait moindre: la femme légitime la chasserait bientôt; mais elle y entre cachée dans votre coeur, dans votre conscience, et elle allume en vous la flamme de Babylone, que dis-je ? une flamme bien plus terrible: car ce ne sont ni les étoupes, ni la naphte, ni la poix, mais toutes ces infamies dont j'ai parlé, qui alimentent le feu, et portent partout leurs ravages. De même que les fiévreux, sans rien avoir à reprocher à ceux qui les servent, sont, à cause de fa force de leur mal, désagréables. à tous, repoussent les aliments, se fâchent contre les médecins, s'emportent contre leurs amis, se mettent en fureur contre leurs serviteurs ainsi ceux qui sont en proie à cette cruelle maladie s'agitent et s'irritent, parce qu'ils voient toujours leur mal sous leurs yeux. O conduite indigne ! Le loup, le lion, les autres bêtes sauvages, attaquées à coups de flèches, fuient le chasseur; et l'homme, cet être raisonnable, une fois blessé, suit celle qui l'a blessé, en sorte qu'il reçoit un trait bien plus dangereux, et se complaît dans sa blessure; et, pour comble d'opprobre, il rend sa maladie incurable. Comment en effet celui qui ne hait pas sa blessure et ne désire pas en être guéri, chercherait-il un médecin ? Aussi suis-je accablé de douleur et d'amertume, quand je vous vois sortir delà infectés d'un tel mal, et exposés pour un instant de plaisir à de perpétuels tourments ! Oui, avant même l'enfer et ses supplices, vous vous soumettez aux peines les plus rigoureuses. N'est-ce pas le dernier des supplices,.dites-moi, que de nourrir une telle passion, de brûler sans cesse, de porter en tous lieux les flammes d'un amour insensé, et de plus les remords de votre conscience? Comment oserez-vous approcher de ce seuil sacré? comment vous asseoir à la céleste table? comment entendre des discours sur la continence, quand vous êtes pleins de blessures saignantes, de plaies ouvertes, et que votre âme est asservie par la passion ? A quoi bon en dire davantage ? Avoir ce qui se . passe ici, chacun peut comprendre ces souffrances des âmes. Je vois, tandis que je vous parle, des fidèles se frapper le front, et je vous sais gré de votre sensibilité. Mais je ne puis m'empêcher de le penser, ce sont ceux qui n'ont fait aucun mal, qui pleurent la chute de leurs frères. Aussi suis-je moi-même accablé de douleur et d'amertume, en voyant un troupeau pareil dévasté par le démon. Mais si vous le voulez, nous l'arrêterons bien vite. Comment, et par quelle conduite? En ramenant à la santé ceux qui sont malades; en déployant les filets de là vérité, et cherchant (490) de toutes parts ceux qui ont été pris par les bêtes sauvages, et les arrachant de la gueule même du lion. Ne me dites pas: Ceux qui ont été enlevés au troupeau, sont peu nombreux; ne fussent-ils que dix, ce serait une perte énorme; ne fuissent-ils que cinq, que deux, n'y en eût-il qu'un ! Le divin Pasteur a abandonné ses quatre-vingt-dix neuf brebis, pour courir après la centième, et il n'est pas revenu avant de la ramener, et il a complété la centaine entamée, en y faisant rentrer celle qui s'était égarée. Ne dites pas qu’il n'y en a qu'un, mais songez que pour cette âme, tout ce qui se voit a été fait; que pour elle lois, châtiments, supplices ont été édictés; que pour elle se sont accomplis tant de miracles, et toutes les opérations de Dieu; que pour elle il a sacrifié jusqu'à son Fils unique. Réfléchissez au prix qu'il a été payé même pour un seul, et ne dédaignez pas son salut,. mais allez, ramenez-le à nous, exhortez-le à ne plus retomber en pareille faute, et nous avons une justification suffisante.

Mais s'il n'écoute ni mes conseils, ni vos exhortations, je finirai par me servir de la puissance que. Dieu m'a donnée non pour détruire, mais pour édifier.

4. Je vous préviens donc, et je le proclame hautement, si l'un de vous, après cette exhortation, cette leçon, déserte l'Église pour courir se perdre à ce gouffre du théâtre, je ne le recevrai plus dans cette enceinte, je ne l'admettrai plus à nos mystères, je ne lui permettrai plus de s'approcher de la sainte table; mais à l'exemple du -pasteur qui isole les brebis galeuses des brebis saines, de peur qu'elles ne leur communiquent leur mal, je les éloignerai moi aussi. Si jadis le lépreux devait se tenir hors du camp, et, fût-il roi, était rejeté avec son diadème, à combien plus forte raison écarterons-nous une âme infectée de la lèpre de notre camp sacré. J'ai commencé par recourir aux exhortations et aux conseils : après tant de leçons et d'avis, il me faut désormais arriver à amputer les membres malades. Il y a un an que je suis entré dans votre ville, et je n'ai pas négligé de vous exhorter sans cesse. sur ce sujet. Puisque plusieurs s'obstinent à croupir dans cette pourriture, voyons donc à trancher dans le vif. Car, à défaut de fer, j'ai à non service une parole qui tranche mieux que le fer; à défaut du feu, j'ai une doctrine plus brûlante que le feu, et qui cautérise plus profondément que lui.

Ainsi ne bravez pas notre sentence. Quoique indigne et misérable, j'ai reçu de la grâce de Dieu autorité pour agir ainsi. Loin de ces lieux donc de tels hommes, afin que ceux qui sont saints deviennent plus forts, et que les malades se relèvent de ce mal terrible. Si vous tremblez à cette menace, car je vous vois tous sombres et confondus, que les coupables viennent à résipiscence, et ma sentence est levée. Car si j'ai reçu le pouvoir de lier, j'ai aussi celui de délier, et de faire rentrer dans l'Église. Loin de moi la pensée de rompre avec nos frères, mais je veux écarter de l'Église la. honte et l'opprobre. Aujourd'hui les Grecs nous raillent, les Juifs nous tournent en ridicule, en voyant notre extrême tolérance pour le mal. Mais alors ils nous respecteront, ils admireront l'Église, et la sainteté de ses lois. Ainsi que pas un de ceux qui persistent dans cette fornication, n'entre à l'Église; châtiez-les. Traitez-les en ennemis. " Si quelqu'un n'obéit pas à notre parole exprimée par cette épître, notez-le, et ne le voyez plus. " (II Thess. III, 4.) Voici la conduite que vous devez tenir : n'échangez pas un mot avec eux, ne les accueillez pas dans votre maison, ne vous asseyez pas à la même table, ne soyez avec eux ni quand ils entrent, ni quand ils sortent, ni sur la place publique, ainsi ils nous reviendront plus vite, de même que les chasseurs, lorsqu'ils poursuivent des bêtes difficiles à prendre, ne les chassent pas d'un seul côté, mais les traquent de toutes parts, et les font tomber ainsi dans leurs filets : de même poursuivons ensemble ceux qui sont devenus semblables à des bêtes fauves et poussons-les dans les filets du salut,, moi d'un côté, vous d'un autre. Pour réussir dans ce projet, indignez-vous avec moi, ou plutôt gémissez sur la loi de Dieu violée, et détournez-vous quelque temps de ceux de vos frères qui sont dans le mal et qui transgressent la loi, pour les ramener à vous à jamais. Car vous ne serez pas sous le coup d'une accusation légère, si vous êtes indifférents à leur perte, mais vous recevrez les plus grands châtiments. Si dans les demeures des hommes, un serviteur vole de l'or ou de l'argent et est pris, on ne châtie pas seulement le voleur, mais ceux qui ont connu le vol et ne l'ont pas dénoncé ; ii combien plus forte raison dans l'Église. Dieu vous dira vous avez vu enlever de ma demeure, non pas de l'argent; non pas un vase d'or, mais un (491) trésor de continence ; vous avez vu celui qui reçoit ce corps précieux, qui participe à un tel sacrifice, s'en aller dans le séjour du démon : et vous n'avez rien dit? Et vous l'avez supporté? Et vous rie l'avez pas dénoncé au prêtre ? Et ce sera un compte sévère que l'on vous demandera. Aussi moi-même, quelque douleur que je doive vous causer, n'épargnerai-je pas les châtiments les plus sévères. Car il vaut beaucoup mieux vous affliger maintenant pour vous sauver, au jugement futur, que m'exposer ainsi que vous, par des paroles trop indulgentes, à la damnation: or, il n'est ni sûr, ni prudent pour moi, de passer sous silence de tels excès : car chacun de vous doit compte de lui-même, et moi je dois compte du salut de tous. Aussi ne cesserai-je de parler et d'agir, fallut-il vous affliger, vous tourmenter, vous devenir odieux, afin de pouvoir me présenter à ce tribunal redoutable sans tache, sans souillure, sans faute à me reprocher. Puissent les prières des saints nous ramener bientôt les coupables, et faire avancer ceux qui sont restés purs, dans la voie de la continence et de la chasteté, pour que sous soyez sauvés, que je sois heureux, et que Dieu soit glorifié maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

HOMÉLIE SUR CETTE PAROLE APOSTOLIQUE : SACHEZ QUE DANS LES DERNIERS JOURS IL Y AURA DES TEMPS REDOUTABLES. (II TIM. III, 1.)
AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

Cette homélie tirée du manuscrit 559 de la bibliothèque du Vatican, paraîtra authentique à quiconque n'est pas étranger aux ouvrages de saint Jean Chrysostome. Le style, l'expression, les idées, tout a bien sa marque.

Il la prononça après avoir été retenu chez lui quelques jours par sa santé ; il n'était pas encore guéri que son amour pour les fidèles le ramenait déjà à l'église : il le dit lui-même au commencement et surtout à la fin de son discours. Comme il a été souvent malade, nous ne pouvons guère savoir à quelle époque il prononça ce discours, ni si ce fut à Antioche ou à Constantinople. Cependant le début même où il avoue combien il a peu l'expérience de la prédication semble indiquer que ce fut à Antioche.

1. Il remercie les fidèles de leur attention ; ils en seront récompensés par la vue des choses nuisibles.

2. En effet, les yeux de la foi voient les choses invisibles : exemple d'Abraham, exemple contraire aux Juifs !

3. Que faut-il donc voir dans le texte du jour? — Ces paroles prouvent d'abord la sollicitude de saint Paul et de tous les apôtres pour les hommes dans le présent et dans l'avenir.

4. Autre exemple de cette sollicitude chez saint Pierre.

5. Pourquoi saint Paul annonce-t-il ainsi à ses disciples, et sans préciser le temps, un danger futur ?

6. C'est afin que les hommes se tiennent toujours sur leurs gardes , mais en même temps pour ne pas les effrayer, il rappelle qu'après lui l'Esprit-Saint leur restera, et il les supplie de se souvenir de lui-même et de son exemple. — Le Christ avertit de même ses disciples de malheurs qui n'arriveront qu'après eux. — Il faut donc que l'homme se tienne toujours prêt à comparaître devant Dieu.

7. La faiblesse de la santé de Chrysostome l'oblige de se taire, mais il est heureux d'être revenu au milieu de son troupeau.

1. Je suis faible, et pauvre, et sans expérience de la parole ; mais quand je jette les yeux sur cette assemblée, j'oublie ma faiblesse, je ne cognais plus ma pauvreté, je n'ai plus conscience de mon incapacité, tant est grande la tyrannie de votre charité. Aussi ai-je plus d'empressement que ceux qui vivent dans l'abondance à vous offrir ma table frugale. C'est vous-mêmes qui m'inspirez cette libéralité, vous dont l'attention ardente réveille ceux qui se laissent aller, vous qui dévorez mes paroles et demeurez suspendus à mes lèvres. De même que les petits de l'hirondelle, lorsqu'ils voient leur mère voler vers eux, se penchent hors du nid et tendent leur cou, pour recevoir d'elle leur nourriture; de même, les yeux attachés sans cesse sur moi, tandis que je parle, vous recevez l'enseignement que vous apporte ma bouche, et avant même que les mots ne sortent de mes lèvres, votre pensée les saisit. Qui donc ne nous féliciterait, vous et moi, de ce que je parle " à des oreilles qui entendent ? " (Eccl. XXV, 12.) Le travail nous est commun, commune aussi sera la couronne, commun le (493) profit, commun le salaire. Le Christ a déclaré bienheureux ses disciples, en disant: " Bienheureux vos yeux, parce qu'ils voient, bienheureuses vos oreilles, parce qu'elles entendent. " (Matth. XIII , 16.) Permettez- moi d'user des mêmes termes, puisque vous montrez le même empressement : "Bienheureux vos yeux, parce qu'ils voient, bienheureuses vos oreilles, parce qu'elles entendent. " Que vos oreilles entendent, c'est chose évidente; mais que vos .yeux voient, comme voyaient les disciples du Christ, c'est ce que je vais m'efforcer de vous montrer, afin que vous ne soyez pas réduits à la moitié de leur béatitude, mais que vous l'ayez entière. Que voyaient donc les disciples? Des morts rappelés à la vie, des aveugles qui recouvraient la lumière, des lépreux purifiés, des démons chassés, des boiteux redressés, toutes les infirmités de la nature guéries. Tous ces miracles, vous les voyez aussi, sinon par les yeux du corps, au moins par ceux de la foi. Car, telle est la vertu des yeux de la foi : ils voient ce qui n'est pas visible, et ils se représentent ce qui n'est pas encore. Comment prouver que la foi est la vue et la révélation de ce qui n'est pas visible? Ecoutez les paroles de Paul : " La foi est le fondement des choses à espérer, la révélation de ce que l'on ne voit pas. " (Hébr. XI, 1.) Et regardez quelle merveille ! Les yeux du corps voient les choses visibles, mais non celles qui ne le sont pas; et les yeux de la foi, tout au contraire, voient ce qui n'est pas visible et non ce qui l'est. C'est ce que Paul a déclaré en ces termes : " Une tribulation momentanée et légère opère en nous au delà de toute mesure le poids éternel d'une sublime gloire parce que nous ne considérons point ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas. " (II Cor. IV, 17.) Et comment voir ce qui ne se voit pas? Comment, sinon par les yeux de la foi ? Il le dit ailleurs : " Par la foi nous comprenons l'enchaînement ces siècles. " (Hébr. XI, 3.) Comment? Car nous ne le voyons pas. " Parce que ce qui n'était pas visible nous apparaît. " Voulez-vous un autre témoignage encore, que les yeux de la foi voient ce qui est invisible? Paul écrivant aux Galates leur dit: " Vous dont les yeux ont vu Jésus-Christ crucifié au milieu de vous. " (Gal. III, 1.)

2. Que dites-vous, bienheureux Paul? Les Galates l'ont-ils vu crucifié en Galatie? Ne savons-nous pas tous que Jésus a souffert sa passion en Palestine, en pleine Judée? Comment donc les Galates l'ont-ils vu crucifié? Par les yeux de la foi et non par ceux du corps. Voyez-vous que les yeux de la foi voient ce qui n'est pas visible? A une telle distance, après un si long temps, ils ont vu Jésus-Christ crucifié. C'est ainsi que volis aussi, vous voyez les morts rappelés à la vie, c'est ainsi que vous voyez aujourd'hui le lépreux guéri, et, le paralytique rétabli sur ses jambes , et plus clairement que les Juifs qui étaient là. Ils étaient présents, mais ils ne crurent pas au miracle; vous êtes éloignés, mais vous avez la foi. Aussi ai-je eu raison de vous dire : " Bienheureux vos yeux, parce qu'ils voient. "

Voulez-vous encore une autre preuve que les yeux de la foi voient ce qui est invisible et laissent échapper ce qui se voit? Car ils ne verraient pas les choses invisibles, s'ils ne se détournaient des autres :'écoutez Paul nous dire d'Abraham qu'il a vu par les yeux de la foi ce fils qui lui devait naître et qu'il en a reçu ainsi la promesse. Que dit l'Apôtre en effet? " Et il ne fut pas ébranlé dans sa foi et il ne songea pas à son corps frappé de mort. " (Rom. IV, 19.) Quelle foi puissante ! De même en effet que " les pensées des hommes sont timides et faibles (Sap. IX, 14) ; " de même la foi est forte et puissante. " Il ne songea pas à son corps frappé de mort. " Sentez-vous comme il se détourne des choses visibles? Comme il ne jette pas un regard sur sa vieillesse ! Et pourtant elle était sous ses yeux, mais il voyait par les yeux de la foi et non par ceux du corps. Aussi n'a-t-il pas vu sa vieillesse, ni le sein " de Sara frappé de mort. " (Rom. IV, 19.)

Il veut dire par là sa stérilité. Car il y avait en elle double impuissance, celle de l'âge et celle de la nature. Non-seulement l'âge avait rendu son corps inhabile à enfanter, mais son sein, l'organe où se fait le travail de la nature était mort, même avant la vieillesse, par stérilité. Voyez combien d'obstacles ! Vieillesse du mari, vieillesse de la femme; stérilité, empêchement plus grand encore que la vieillesse, car la stérilité interdit absolument d'être mère. Eh bien ! il ne s'est arrêté à rien de tout cela, il a levé vers le ciel les yeux de la foi, rassuré sur l'exécution de la promesse parla puissance de celui qui promettait. Aussi " n'eut-il pas de doute sur la promesse de Dieu, mais il (494) fut fortifié par la foi. " (Rom. IV, 20.) Oui, ta foi est un appui solide, un port sûr, ou l’âme, revenue des écarts du raisonnement, se repose en paix. " Bienheureux vos yeux, parce qu'ils voient; " car Il nous faut revenir encore à cette même parole. Les Juifs pourtant voyaient aussi ce qui se passait. Mais ce n'est , pas cette vision extérieure qui est proclamée bienheureuse, ce n'est pas elle qui par ses organes voit les miracles, mais la vision intérieure. Ils ne voyaient que ténèbres et ils disaient : " C'est lui, ce n'est pas lui ; appelons ses parents. " (Jean, IX, 8, 9, 18.) Entendez-vous leur incertitude? Voyez-vous qu'il ne suffit pas des yeux du corps pour voir les miracles? Ceux qui étaient près de lui et le regardaient de leurs yeux, disaient : " C'est lui, ce n'est pas lui, " et nous qui- sommes loin, nous ne disons pas : " C'est lui, ce n'est pas lui; " mais c'est lui-même. Comprenez-vous qu'être loin, n'y fait rien, quand on a les yeux de la foi et qu'être, près ne sert de rien, quand on ne les a pas? Qu'ont-ils gagné à voir? Rien. Car nous avons une vision plus claire que la leur.

Puis donc que vos yeux voient et que vos oreilles entendent comme ceux que le Christ a proclamés bienheureux, je veux vous présenter les perles précieuses de l'Ecriture. Car de même que le Christ, loin de répondre aux questions des Juifs augmenta encore leur ignorance, parce qu'ils ne comprenaient pas; de même, puisque vous comprenez, vous devez avoir l'explication de ces mystères. Les disciples s'approchaient étonnés et lui disaient : " Pourquoi leur parlez-vous en paraboles? " (Matth. XIII, 10, 13.) Et il leur répondit : " Parce qu'ils voient sans voir. " Vous qui tout au contraire sans avoir vu alors, voyez maintenant, il ne faut pas que je vous parle en paraboles; et il ajoutait : " Ils entendent sans entendre; " vous qui, sans avoir entendu alors, n'entendez pas moins aujourd'hui que vous n'auriez entendu au moment même, il ne faut pas que je vous prive de vous faire asseoir à cette table. Car le Christ n'a pas proclamé moins heureux ceux qui sont comme vous que les autres : " Tu as vu, dit-il, et, tu as cru; bienheureux ceux qui n'ont pas vu et ont cru. " (Jean, XX, 29.) Ne soyez doue pas moins ardents au bien, pour n'avoir pas vécu alors, pour être venus au monde seulement aujourd'hui. Car si vous le voulez, vous n'en souffrirez pas, de même que beaucoup de ceux qui ont vécu au temps du Christ, parce qu'ils n'ont pas voulu , n'y ont rien gagné.

3. Qu'avons-nous donc lu aujourd'hui? " Sachez que dans les derniers jours il y aura des temps redoutables. " C'est de la seconde épître à Timothée que sont tirées ces paroles. Terrible menace ! mais relevons la tête : il laisse entendre sans préciser et les temps on nous sommes, et les temps futurs, et les temps jusqu'à la consommation des siècles. " Sachez que dans les derniers jours il y aura des temps redoutables. " Parole concise, et d'une grande force ! De même en effet que les aromates répandent leur parfum, non par leur masse, mais par leur vertu même : de même les saintes Ecritures nous sont utiles, non par l'abondance des paroles , mais par l'énergie du sens. L'essence même d'un aromate est son parfum : si vous en jetez une parcelle au feu, elle développe toutes ses enivrantes vertus; ainsi l'Ecriture sainte en elle-même est pleine de suavité : et quand elle descend dans notre âme, c'est comme si elle était jetée dans un vase à brûler les parfums elle en remplit tout le dedans d'une suave odeur.

" Or sachez que dans les derniers jours il y aura des temps redoutables. " Il parle de la consommation des siècles. Que vous fait à vous, bienheureux Paul, la consommation des siècles, ainsi qu'à Timothée, et à veut qui vous entendent? Dans peu d'années ils doivent mourir, échapper aux dangers futurs et au contact des méchants. Je ne borne pas mes regards au présent, répond-il, je les étends jusque sur l'avenir. Je ne veille pas seulement sur le troupeau qui m'entoure; je, crains, je tremble aussi pour celui qui doit naître. Nous autres nous ne songeons guère qu'aux hommes qui vivent à nos côtés, mais lui , il porte sa sollicitude jusque sur ceux qui ne sont pas nés encore. Le bon pasteur n'attend pas de voir le loup attaquer ses brebis et se jeter sur elles, pour les avertir, mais il signale l'ennemi au loin. De même Paul, à l'exemple du bon pasteur, placé sur une hauteur, au rang des prophètes, et voyant de loin d'un regard prophétique les bêtes cruelles qui menacent le troupeau, prédit et prophétise leur attaque lors de la consommation des siècles, pour préparer ceux qui ne sont pas (495) nés encore à la vigilance, et mettre lotit le troupeau à l'abri par ses avertissements..Un père, dévoué aux siens, élève-t-il une maison, il la bâtit belle et grande, non pour ses fils seuls, riais pour leurs enfants et les enfants de leurs enfants. Ainsi- encore un roi entoure-t-il dé murailles une ville qu'il aime, il les fait solides et sûres, non pour garantir seulement la génération qu'il gouverne, mais pour protéger toutes celles qui doivent venir après; il les veut capables de résister non-seulement contre les entreprises du moment, mais contre les attaques futures. Ainsi a fait Paul. Comme les écrits des apôtres sont les remparts des Eglises, il met à l'abri derrière eux non-seulement ceux qui vivent de son temps, mais ceux qui doivent venir plus tard. Et il a formé une enceinte si solide, si inexpugnable, qui couvre et enferme si bien la terre entière, qu'elle défend et les hommes de son temps, et ceux qui ont suivi, et ceux d'aujourd'hui, et ceux qui suivent encore, contre tout assaut des ennemis. Telles sont , les âmes des saints : pleines de dévouement, de sollicitude, d'un amour qui dépasse les tendresses du sang, qui parle plus liant que les entrailles d'une mère : c'est l'amour inspiré par l'Esprit-Saint; parla grâce divine.

4. Voulez-vous que je vous montre encore autrement que les saints ne songent pas eux-mêmes, qu'ils ne s'inquiètent pas seulement de leurs frères vivants, mais aussi de ceux qui sont encore à naître? Jésus, nous dit l'Evangile, étant assis sur la montagne, ses disciples s'approchèrent de lui. Or- c'étaient des hommes déjà vieux et qui devaient bientôt quitter cette vie. Que lui demandent-ils donc? De quoi s'inquiètent-ils? Que craignent-ils? Sur quoi interrogent-ils leur maître? Sur ce qui devait arriver de leur vivant, ou peu après? Nullement. Ils négligent tout cela pour dire quoi? " Quel sera le signe de votre venue et de la consommation des siècles? " (Math. XXIV, 3.) Les voyez-vous eux aussi s'informant de la consommation des siècles, et se préoccupant des hommes qui vivront plus tard? C'est que les apôtres ne regardent pas ce qui les concerne, mais tous ensemble et chacun en particulier ce qui concerne les autres. Voyez Pierre, le maître du choeur apostolique, la voix des apôtres, le chef de cette famille, le souverain de toute la terre, le fondement de l'Eglise, l'ardent ami du Christ, lui à qui le Christ dit : " Pierre, m'aimes-tu plus que ceux-ci? " (Jean XXI, 2,"; et si je fais ainsi son éloge, c'est pour que vous voyiez qu'il aimait véritablement le Christ : et certes la plus grande preuve de l'amour qu'on a pour le Christ, c'est le soin qu'on prend de ses serviteurs; ce n'est pas moi qui le dis, c'est ce maître bien aimé : " Si tu m'aimes, lui dit-il, pais mes brebis. " Examinons s'il remplit son devoir de pasteur, s'il a soin des brebis, s'il les aime vraiment, s'il est dévoué au troupeau; pour apprendre de là s'il aime aussi le vrai pasteur car c'est le signe proclamé par Jésus même. Pierre donc, jetant tout ce qu'il avait, son filet, tous ses instruments de pêche et sa barque, abandonne la mer, son métier, sa. maison. Considérons non pas que tout cela était peu, mais que c'était tout ce qu'il avait, et louons son empressement. Car la veuve qui donna deux deniers, ne déposa pas un bien gros poids d'argent; mais elle montra un grand trésor de bonne volonté, de même que l'apôtre, au sein de la pauvreté, fit voir un grand trésor d'empressement. Ce que sont à d'autres des terres, des esclaves, des maisons, de l'or, tout cela, était pour lui dans son filet, dans la mer, dans son métier, dans sa barque. Ne cherchons donc pas s'il a peu abandonné, mais s'il a tout laissé. Ce que l'on demande, ce n'est pas de donner peu ou beaucoup, mais de ne pas offrir moins qu'on ne peut. Il a donc tout quitté, patrie, maison, amis,-famille, et jusqu'à sa tranquillité ; car il s'est ainsi aliéné le peuple juif : " Déjà, est-il dit, les Juifs s'étaient entendus pour que quiconque confesserait qu'il était le Christ, fût chassé de la Synagogue. " (Jean, IX, 22). Ce qui nous montre qu'il ne douta pas, qu'il n'hésita pas à espérer le royaume des cieux, mais qu'il crut pleinement, et sur l'évidence même des faits, et, avant l'évidence des faits, sur la parole du Sauveur, qui s'engageait à lui en assurer la possession. Comme Pierre lui avait dit

" Nous avons tout abandonné, et nous vous avons suivi ; " qu'aurons-nous? Le Christ lui répondit : " Vous siègerez sur douze trônes, jugeant les douze tribus d'Israël. " (Math. XIX, 27, 28.)

J'ai établi ce point, afin qu'au moment où je vous le montrerai, craignant pour les autres serviteurs; vous ne disiez pas qu'il craint pour (496) lui-même. Comment craindrait-il, quand Celui qui doit le couronner, a lui-même annoncé et la couronne et les récompenses? Hé bien ! ce Pierre, qui avait tout laissé, qui espérait fermement le royaume des cieux, un jour qu'un riche s'était approché et avait demandé au Christ: " Que dois-je faire pour obtenir la vie éternelle ? (Matth. XIX, 16) ; " et que le Christ lui avait répondu : " Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres, et suis-moi (Ibid. 21) ; " comme le Christ, voyant ce riche tout triste, disait à ses disciples: " Regardez comme il est difficile aux riches d'entrer dans le royaume des cieux; en vérité, en vérité je vous le dis, il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille, qu'à. un riche de pénétrer dans le royaume de Dieu (Matth. XIX, 24) ; " Pierre, ce Pierre, dépouillé de tout, sûr d'avoir le royaume céleste, qui n'avait rien à craindre pour son propre salut, qui savait de source certaine quels honneurs lui étaient réservés là-haut, entendant ces mots dit: " Qui pourra se sauver? " (Ibid. 25.) Que crains-tu, ô bienheureux Pierre? Que redoutes-tu ? Pourquoi trembles-tu ? Tu as tout dépouillé, tu as tout abandonné ; c'est des riches que parle le Christ, ce sont eux qu'il accuse, et toi tu vis dans le dépouillement et la pauvreté. Mais ce n'est pas à moi que je songe, répond-il, c'est le salut des autres qui m'occupe. Voilà pourquoi, assuré pour lui-même, il s'inquiète des autres, demandant: " Qui pourra se sauver? "

.5. Vous voyez la sollicitude des apôtres. Et comme ils ne forment qu'un seul corps? Vous voyez comment Pierre craint et pour ceux qui vivent en même temps que lui , et pour ceux qui sont à naître? Il en est de même de Paul. Aussi a-t-il dit : " Sachez que dans les derniers jours il y aura des temps redoutables. " Il y revient encore ailleurs. Sur le point de quitter l'Asie, pour être transporté à Rome , et de là monter aux cieux (car la mort des saints n'est pas une mort mais une migration de la terre au ciel, d'un séjour moins bon à un séjour meilleur, c’est l'échange de compagnon d'esclavage contre le Seigneur, de la société des hommes contre celle des anges), comme il allait partir vers Dieu le souverain Maître, il règle avec soin toutes ses affaires. En effet tout le temps qu'il fut avec ses disciples, il leur distribua l'instruction avec le plus grand zèle; aussi déclare-t-il : " Je suis pur du sang de tous (Act. XX, 26) ; " je n'ai rien négligé de ce. que je devais leur apprendre pour leur salut. Mais quoi? après s'être mis en sûreté lui-même, puisque Dieu ne devait l'accuser sur rien de ce qui se rapportait au temps de sa vie, a-t-il donc négligé les âmes qui devaient venir plus tard? Nullement; mais comme s'il avait à rendre compte aussi de celle-là, il a eu soin de leur adresser les paroles que nous avons lues, et celles que nous allons lire: " Veillez, " dit-il , " sur vous-mêmes et sur tout le troupeau. " (Act. XX, 28.) Voyez-vous de quelle sollicitude il était travaillé pour tous? Chacun de nous s'inquiète de sa propre personne, mais lui, le chef, il s'inquiète de tous. Aussi dit-il de ceux qui sont chargés d'enseigner: " Ceux qui veillent sur nos âmes, comme s'ils avaient à en rendre compte. " (Héb. XIII, 17.) Redoutable jugement en vérité, quand il faut rendre compte d'un si grand peuple ! Mais comme je vous le disais, il les appelle et leur dit : " Veillez sur vous-mêmes et sur tout le " troupeau, dont l'Esprit-Saint vous a faits pas" leurs et gardiens. " ( Act. XX, 28.) Qu'est-il arrivé ? Pourquoi ces exhortations ? Quel danger .prévois-tu? Quelle épreuve devines-tu? Quel péril, quelle calamité , quelle guerre? Réponds : car tu es placé plus haut que nous: et tu ne vois pas seulement le présent, mais aussi l'avenir. Dis-nous donc pourquoi ces avertissements, ces recommandations? " Je sais, dit-il, qu'après mon départ des loups redoutables se jetteront au milieu du troupeau. " Voyez-vous ce que je disais, qu'il ne craint pas et ne tremble pas seulement pour son temps, mais aussi pour les temps qui suivront son départ? " Des loups se jetteront, " dit-il, et non pas simplement des loups , mais " des loups redoutables qui n'épargneront pas le troupeau. " Ainsi double danger : l'absence de Paul, et l'attaque des loups; le maître ne sera plus là, et les ennemis surviendront. Et examinez la cruauté de ces bêtes sauvages, et la malice des méchants ! ils ont guetté l'absence du maître, et alors ils se sont jetés sur le troupeau. Hé quoi ? nous abandonnes-tu sans chef et sans protecteurs; te bornes-tu à annoncer les dangers, sans nous adresser la moindre exhortation? Mais si tu agis ainsi, tu vas augmenter l'effroi, abattre les âmes de ceux qui t'entendent, les énerver, les paralyser. Aussi leur a-t-il d'abord rappelé l'Esprit-Saint à la pensée : " Dont l'Esprit-Saint vous a faits pasteurs et (497) gardiens. " C'est-à-dire, si Paul vous quitte, l'Esprit-Saint vous reste. Voyez-vous comme il a relevé leur âme, en leur rappelant ce Maître divin, qui lui donnait à lui-même la force? Pourquoi donc les a-t-il effrayés ? Pour chasser l'indolence. Qui donne un conseil a deux devoirs à remplir : ne pas laisser une confiance trop grande qui mènerait à l'indolence; ne pas se borner non plus à effrayer, de crainte de pousser au découragement; donc en leur rappelant l'Esprit-Saint, il a chassé le découragement , et en leur parlant des loups , l'indolence. " Des loups redoutables, qui n'épargneront pas le troupeau. Veillez sur vous-même. Je ne vous ai rien caché, "dit-il: souvenez-vous de moi. Il suffit en effet de se souvenir de Paul pour reprendre courage. Et encore il ne parle pas de se souvenir de lui seulement, mais plutôt de ses actions. Et la preuve qu'il ne s'agit pas simplement de lui , mais qu'il veut les exciter par ce souvenir à l'imiter, c'est qu'il dit à tous ceux qui pourront l'entendre : " Souvenez-vous de moi, qui trois jours et trois nuits n'ai cessé de pleurer et de gémir pour avertir chacun de vous. " (Act. XX, 31.) Je ne veux pas que vous vous souveniez seulement de moi , mais aussi du temps, et de rues conseils, et de mon dévouement, et de mes larmes , et de tous mes gémissements; de même que les parents des malades , quand après de longs efforts ils ne peuvent leur persuader de prendre les aliments et les remèdes convenables à leur santé, se mettent à pleurer pour les toucher davantage ; ainsi fait Paul avec ses disciples: quand il voit ses paroles et l'enseignement impuissant, il a recours aux larmes pour remède.

6. Quel homme ne serait touché de voir Paul pleurer et gémir, fût-il plus insensible que les pierres? Voyez-vous comme là encore il prédit ce qui doit arriver? C'est ce qu'il fait aussi en disant: "Sachez que dans les derniers jours il y aura des temps redoutables. " Pourquoi donc s'adresse-t-il à Timothée, au lieu de dire : " Que ceux qui doivent venir sachent qu'il y aura des temps redoutables ? " Sache, dit-il, sache toi-même, et il le dit pour lui apprendre que le disciple comme le maître doit s'inquiéter de l'avenir. Autrement, il ne lui aurait pas imposé une sollicitude semblable à la sienne. Ainsi fait également le Christ. Quand les disciples se sont approchés pour s'informer de la consommation des siècles, il leur dit : "Vous entendrez parler de guerres." (Matth. XXIV, 6.) Or ils ne devaient pas eux-mêmes en entendre parler. C'est que les fidèles ne forment qu'un même corps. Et de même que les hommes de son temps entendaient ce qui ne devait être que plus tard, de même nous aussi nous apprenons ce qui a été en ce temps-là. Comme je vous le disais, en effet, nous ne formons qu'un même corps, eux et nous, étroitement liés les uns aux autres, quoique nous occupions l'extrémité des membres; et ce corps n'est divisé ni par le temps, ni par ;l'espace; car nous sommes unis, non par les ligaments des nerfs, mais par les liens de la charité qui nous enserrent de toutes parts. Aussi leur parle-t-il de nous, et nous-mêmes pouvons-nous entendre ce qui les regarde.

Il est utile de rechercher encore pourquoi, en toutes circonstances, l'Apôtre parle de malheurs terribles qui doivent s'accumuler vers la fin de cette vie présente. Ailleurs, en effet, il dit: "Dans les derniers jours quelques-uns renonceront à la foi (I Tim. IV, 1)," et ici il dit encore : "Dans les derniers jours il y aura des temps redoutables. " Et le Christ , d'accord " avec ces prédictions, disait : " A la consommation des siècles vous entendrez parler de guerres, et de bruits de guerres, et de famines et de pestes." (Matth. XXIV, 6, 7.) Pourquoi donc à la consommation des siècles ce concours de tant de calamités épouvantables? Certains disent que la création, fatiguée, épuisée, de même qu'un corps vieilli contracte une foule de maladies, dans sa vieillesse, elle aussi se chargera d'une foule de misères. Mais le corps, c'est en vertu de son infirmité naturelle, des lois de sa nature, qu'il arrive à la caducité. Les pestes, au contraire, les guerres, les tremblements de terre, ne viennent pas de la vieillesse de la création. Non, ce n'est pas à la vieillesse des choses créées qu'il faut attribuer ces maux, "famines, pestes, tremblements de terre, en certaines régions; " mais à la corruption qui doit envahir les âmes des hommes; car ce sont tous châtiments du péché, et moyens de remédier aux iniquités humaines. Car les iniquités humaines grandissent alors. Et pourquoi grandissent-elles, me dites-vous? C'est, à ce qu'il me semble, que le jugement tarde, que la vérification est reculée, que le Juge se fait attendre, et qu'alors ceux qui ont à rendre leurs comptes se relâchent. Ainsi du mauvais (498) serviteur, qui, comme le dit le Christ, devint moins vigilant. Mon maître ne vient pas, se dit-il, et sous ce prétexte il battait les autres serviteurs, et dissipait la fortune de son maître. Aussi le Christ, quand les disciples le vinrent trouver et voulurent savoir le jour de la consommation, ne le leur dit-il pas, pour que l'incertitude de l'avenir nous tînt toujours en émoi : de la sorte chacun de nous, sans cesse songeant à l'avenir et vivant dans l'attente de la venue du Christ, aurait plus de zèle. Ecoutez cet avertissement: " Ne remets pas à te tourner vers le Seigneur, et n'attends pas de jour en jour, de peur d'être brisé au milieu de tes lenteurs. " (Eccli. V, 8, 9.) C'est-à-dire le jour de la mort est incertain, et il l'est, pour que toujours tu te tiennes en éveil. Le jour du Seigneur arrivera, comme un voleur de nuit, non pour dérober, mais pour assurer notre salut. Car celui qui s'attend à la venue d'un voleur, ne cesse de veiller, et allumant un flambeau, il reste debout toute la nuit. Ainsi vous-mêmes, ayant allumé le flambeau de la foi et de la sagesse, entretenez la lumière de vos lampes, dans une veille continue. Puisque nous ne savons quand doit venir l'époux, il faut être toujours prêts, afin qu'à son arrivée il nous trouve veillants.

7. Je voulais vous parler plus longuement; mais à peine la faiblesse de ma santé m'a-t-elle permis d'arriver jusqu'ici, après m'avoir si longtemps séparé de vous. Oui, le temps m'a paru long, non par le nombre des jours, mais à la mesure de mon affection. Pour ceux qui aiment, le plus court instant de séparation paraît un siècle. Aussi saint Paul, après avoir été séparé quelques jours des fidèles de Thessalonique, leur dit-il: " Privé de vous, mes frères, pour un instant, j'ai eu d'autant plus de hâte de voir en face et non plus de coeur votre visage. " Saint Paul, le plus sage des hommes, ne pouvait supporter l'absence un instant, comment la supporterons-nous tant de jours ? Il (1) [ne l'a pu supporter un instant; et moi ne pouvant plus longtemps supporter une absence de tant de jours], encore tout malade, je suis accouru à vous, persuadé que je trouverais le remède le plus efficace dans votre vue, mes frères bien-aimés. Oui, jouir de votre affection, voilà qui m'est meilleur que les soins des médecins, plus salutaire que tous leurs secours: puissé-je jouir longtemps de ce bonheur, par les prières et l'intercession de tous les saints, pour la gloire de Jésus-Christ Notre-Seigneur, par qui et avec qui gloire, honneur, puissance, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

1 Les mots renfermés entre crochets ne sont pas dans le texte grec ; ils ont été rétablis par conjecture dans la traduction latine.
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE SUR JOSEPH ET LA CONTINENCE.
AVERTISSEMENT.

On ignore si cette courte homélie, qui parait avoir été adressée à de récents prosélytes fut prononcée à Antioche ou à Constantinople. L'original en est perdu, sauf quelques lignes. Pour le reste, nous n'avons qu'une ancienne traduction latine.

En tout temps, c'est un sujet d'entretien très-utile et très-séant à des serviteurs du Christ que la chasteté : mais c'est aujourd'hui surtout qu'il est à propos de vous en parler, aujourd'hui que les enfants de l'Eglise, revêtus du Christ, doivent s'appliquer par-dessus toute chose à acquérir la chasteté. — Celui qui, en voyant des athlètes, désignés pour disputer la palme aux jeux olympiques, descendre tout frottés d'huile dans le stade, leur parlerait alors de luttes, de persévérance, de victoire, semblerait à tout le inonde avoir bien choisi son moment. Ainsi quand nous voyons les athlètes du Sauveur, fortifiés par l'Esprit, grâce aux divins sacrements, il est naturel que nous leur parlions de la chasteté pour les préparer aux combats spirituels. Dans les combats du monde le couronnement suit la victoire : il la précède dans les combats du Christ. Pourquoi donc le Christ nous envoie-t-il couronnés au combat? C'est pour épouvanter nos adversaires, pour relever notre courage ; c'est afin qu'attentifs à l'honneur que Dieu nous confère, nous ne disions, nous ne fassions rien qui soit indigne du Seigneur. Qu'un roi vêtu de pourpre et ceint du diadème, vienne, dans l'emportement des passions, à compromettre en lui la majesté royale, il lui suffit de jeter les yeux sur son manteau royal pour rentrer en lui-même, et travailler à ne plus se laisser vaincre par les passions honteuses. Et vous aussi, vous qui êtes revêtus du Christ, fuyez la honteuse concupiscence, et jetez promptement les yeux sur votre divin vêtement : aussitôt vous deviendrez :teilleurs, et vous n'aurez plus rien à craindre des artifices du malin. Il est donc beau de vanter la continence, plus beau de la posséder. Et certes, ce n'est pas une médiocre excitation à la pratiquer que d'en parler souvent, d'en entendre souvent parler. Si Dieu a voulu que les vertus des saints fussent célébrées dans les divines Ecritures, c'est pour que tous les hommes soient animés à suivre leur exemple, à marcher sur leurs traces, à pratiquer la continence conformément à leurs leçons. Souvent, aux combats gymniques, des spectateurs, enflammés par la vue des couronnes décernées aux athlètes, se dépouillent à leur tour de leurs vêtements, et endurent sueurs et fatigues pour ceindre, eux aussi, l'olivier ou le laurier. Mais (509) nous, avec quel enthousiasme ne devons-nous pas tout endurer pour la continence, quand nous la voyons couronnée par les mains de Dieu, et lutter à notre tour afin d'obtenir ces couronnes célestes, prix des bonnes oeuvres, des couvres de salut. Les athlètes cèdent à l'attrait de quelques feuilles de laurier ou d'olivier, de cette gloire éphémère qui est celle du monde : comment, dès lors, ne pas s'indigner, si les présents du Christ ne savaient pas nous arracher aux plaisirs, et nous déterminer à donner la préférence à la crainte de Dieu sur la concupiscence?

D'ailleurs ce ne sont point seulement les hommes qui imitent leurs semblables, nous trouvons la même chose chez les brutes. Souvent des colombes, en voyant une d'elles s'envoler, prennent toutes leur essor aussitôt; un poulain généreux, qui bondit au milieu d'une troupe de chevaux, l'entraîne après lui. Ainsi parmi vous, qui êtes le troupeau du Christ, il est un noble poulain, le chaste Joseph, dont les transports célestes appellent l'imitation de tous ses compagnons de servitude. Formons donc avec ce vertueux jeune homme comme une danse spirituelle; célébrons sa continence, non-seulement par des paroles, mais encore en suivant son exemple. — Il sut, ce grand homme, il sut rester un exact et fidèle gardien de la chasteté, quand il ne tenait qu'à lui de s'assujettir la reine elle-même, et de vivre au milieu des richesses, du luxe et de la volupté. Et pourtant, malgré la perspective d'une telle fortune, songeant que les richesses, la puissance, la gloire, n'ont qu'une durée limitée parles bornes de la vie présente, et ne procurent aucun avantage qui ne soit temporel, tandis que la vertu a devant elle un horizon infini, il sut mettre à ses passions un frein, la crainte du Christ. Richesses, délices, promesses de sa maîtresse, il méprisa tout, et préféra la prison et l'infortune au séjour des palais; et pourtant combien il est difficile à la beauté de résister aux tentations du plaisir ! Mais après un tel exemple de continence, la beauté de son âme éclipse celle de son corps : la beauté de son corps en faisait un astre brillant; les grâces de son âme en firent un ange. Pour nous, ce qu'il nous faut admirer, ce n'est pas seulement la continence de ce jeune homme, ce sont encore les périls qu'il brava pour la conserver, jugeant l'esclavage des passions plus pesant et plus redoutable que la mort.

Et cette admiration, on l'éprouvera si l'on considère attentivement sa vertu, et si l'on se rend bien compte des circonstances au milieu desquelles il sut garder la pureté de son âme. Avant qu'apparaît sur la terre le Maître et le Créateur de l'univers, il garda la liberté du coeur. Il vivait dans un séjour d'impies, il était entouré de dangereux conseillers, sans avoir auprès de lui un seul maître de continence. Ce n'étaient que voluptueux, gourmands, sans piété, sans vertu ; et cependant au milieu de cette multitude d'impies, voyant sa maîtresse s'abandonner à une passion effrénée, il ne délaissa point les célestes trésors, il préserva de toute atteinte le temple de l'Esprit, aimant mieux mourir que de tomber sous le joug des voluptés. II n'avait pas entendu Paul enseigner que nos corps sont les membres du Christ; il n'avait pas ouï la voix divine, et cela ne l'empêcha point de se montrer l'égal des hommes honorés des célestes promesses : exemple qui nous montre, à nous, enfants des églises, combien il est essentiel pour nous de lutter et de maintenir notre âme à l'abri de toute atteinte. Joseph, en effet, ne pourrait-il pas nous dire : Si moi qui ai vécu avant la naissance du Christ, moi qui n'ai pas entendu proclamer par le sublime apôtre Paul que nos corps sont les membres du Christ, j'ai jugé qu'il appartenait aux serviteurs de Dieu de maîtriser en eux la concupiscence; si je n'ai pas failli à la continence, en dépit de tous les dangers que je voyais suspendus sur ma tête, combien ne devez-vous pas davantage vivre dans la continence avec crainte et tremblement, afin de ne point paraître indignes d'un pareil honneur, afin que les membres du Christ ne deviennent point les membres d'une prostituée?

Voilà une parole capable d'armer de continence toutes les âmes, d'éteindre sans peine toutes les concupiscences. Une pluie qui tombe sur des flammes ne les éteint pas aussi facilement qu'un tel langage, en pénétrant dans l'âme, n'étouffe les mauvaises passions. Il pourrait encore nous tenir de pareils discours, ce grand Job, qui non -seulement pratiqua scrupuleusement la continence, mais qui encore imposa à ses regards la loi de ne pas s'arrêter sur un visage de jeune fille, de peur que l'attrait de la beauté ne séduisît son coeur. Qui ne resterait frappé d'étonnement et d'admiration en voyant ce vaillant ennemi du diable , ce vainqueur qui sut déjouer tous les (510) artifices du malin, interdire à ses yeux la vue d'une belle jeune fille? Le diable approche: il ne fuit pas, il tient bon, comme un lion confiant dans ses forces. Une jeune fille parait; il recule ; au lieu de s'arrêter à contempler sa beauté, il se hâte de battre en retraite. C'est qu'il savait que pour lutter avec succès contre les démons, les qualités requises sont l'audace et le courage: mais que, lorsqu'on se propose pour but la continence , la victoire n'est pas donnée à l'expérience, mais à la fuite. Vous tous qui faites profession de virginité, recevez donc les conseils de cet homme chaste entre tous qui demeura si fidèle à la continence même avant l'Incarnation. Ce n'est pas, en effet, une chose indigne d'attention, qu'il ait paru avant l'Incarnation des justes capables de si grandes marques de continence.

Moins de raisons plaidaient alors pour cette vertu : on ne faisait pas un crime, même aux vierges, de n'y pas être demeurées fidèles. Comment cela? C'est que si Dieu, si le sublime auteur de l'univers s'est revêtu de la forme humaine, c'était pour faire descendre du ciel la pureté des anges. Lorsque maintenant les hommes, après un tel honneur, se soumettent au joug de la volupté, on ne saurait représenter par des couleurs assez fortes une témérité qui assimile les membres du Christ à des membres de prostituée, qui attente à la miséricorde du Seigneur, et la rend stérile autant qu'il dépend de l'homme. Les démons savent, et ils eu sont effrayés, que Dieu, qui ne leur permet pas de s'unir à lui, nous accorde cette faveur. Et parmi les fidèles, on trouve des hommes qui osent se séparer du Christ, et s'unir à des prostituées ! Ce serait un moindre mal, de tomber du ciel dans la boue, que de déchoir, une fois membre du Christ, de ce divin honneur, et de devenir membre de prostituée.

Ainsi donc, quand la concupiscence s'allume dans votre âme, souvenez-vous aussitôt du Christ, figurez-vous que Paul est là qui vous exhorte et vous dit: " Ne savez-vous pas que vos corps sont membres du Christ? Portant les membres du Christ, en ferez- vous des membres de prostituée ? " (I Corinth. VI, 15.) Rappelez-vous ces paroles : et aussitôt vous verrez fuir la volupté. Car si une maîtresse chaste et réservée rappelle au devoir par son seul aspect des servantes débauchées, faut-il s'étonner que le souvenir du Christ apaise incontinent les chatouillements de la volupté? Ayez toujours devant les yeux le rayonnement de la croix, et toujours vous resterez pur de péché. Ainsi qu'une colonne de nuées, figure de notre croix, protégeait la foule des Hébreux contre toutes les attaques des Egyptiens : de même l'aspect de la croix suffit pour chasser loin de nous toute volupté coupable, voilà la sauvegarde de l'âme, voilà l'antidote des passions honteuses. Car si les médecins savent guérir les infirmités du corps, une âme malade est guérie sur-le-champ par les paroles du Christ.

Nous prions donc et nous conjurons les pécheurs qui sont encore asservis aux voluptés de la chair, de se réveiller, de revenir à eux, de ne pas se laisser vaincre par les passions, ni emporter par leurs mouvements déréglés, de ne pas se soumettre volontairement à une odieuse servitude, mais de lutter vaillamment, d'affermir leur âme par la crainte du Christ, et de chasser leur tyran de la forteresse qu'il occupe : afin que, lavés de toute souillure, purifiés de nos innombrables péchés, nous puissions approcher avec une âme sans reproche et sans tache des divins et augustes sacrements du grand Dieu et Sauveur Jésus-Christ: à qui gloire et puissance dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

SERMONS SUR LA CONSOLATION DE LA MORT
AVERTISSEMENT.

Ces deux opuscules ne nous ont été conservés que dans une traduction latine. Le premier porte en tète : " Sermon de saint Jean sur la consolation de la mort. " Le second réuni au premier n'a point de titre et se termine seulement par ces mots : " Fin du discours de la Résurrection. " Il est probable que le saint Jean désigné par le titre du premier de ces deux discours n'est autre que saint Jean Chrysostome, dont on croit d'ailleurs reconnaître l'éloquence à travers le voile de la traduction latine. II n'est pas impossible néanmoins que ces deux ouvrages soient de simples centons dont les éléments auraient été puisés dans les écrits du saint évêque. — Le commencement du second discours établit sa connexion avec le premier ; et le mot Libellas que porte le texte à cet endroit, permet de supposer que ni l'un ni l'antre n'a peut-être été prononcé. — Au point de vue littéraire, on remarquera la vive prosopopée qui se trouve au paragraphe 7 du second sermon.

PREMIER SERMON.
ANALYSE.

1. De la bonne et de la mauvaise tristesse.

2. Loi générale de la mort.

3. La mort peut être un bienfait.

4. Le deuil aboli par la loi nouvelle.

5. De la résurrection.

6. Qu'il faut répondre avec joie à l'appel de Dieu.

7. L'attente de la résurrection, fond du Christianisme.

1. Faites silence, mes frères, si vous ne voulez laisser perdre des paroles utiles et qui vous seront bien nécessaires en ce moment. Le besoin de la médecine ne se fait jamais mieux sentir, que lorsqu'une grave maladie se déclare : s'il y a lieu d'appliquer avec soin le collyre, c'est lorsque l'oeil est en souffrance. Vous qui êtes exempts de pareilles infirmités, écoutez-moi donc sans murmurer..: car l'homme en santé, lui-même, ne peut rien perdre à (512) connaître les médicaments salutaires: et vous dont le mal a gagné l'âme et obscurci la clairvoyance, n'en soyez que plus attentifs à ouvrir les yeux afin que le collyre de la parole de salut vous soit. appliqué, non-seulement pour votre consolation, mais encore pour votre guérison. Si la personne qui a mal aux yeux refuse de les ouvrir pour y recevoir le collyre versé par le médecin, le remède se répand au dehors de la pupille, et l'oeil demeure endolori : de même, si l'affligé, dans l'excès de sa tristesse, ferme son âme aux avertissements qui pourraient le sauver, il souffre encore davantage, et éprouvera peut-être la vérité de ces paroles de l'Ecriture : que la tristesse du monde opère la mort. (II Cor. VII, 10.) Le bienheureux apôtre Paul, ce docteur des fidèles, ce médecin de salut, a dit qu'il y a deux tristesses : l'une bonne, l'autre mauvaise ; l'une utile, l'autre funeste; l'une qui sauve, l'autre qui perd. Et pour que personne ne révoque en doigte ce que je dis, je vais citer ses propres paroles. Il dit : " La tristesse qui est selon Dieu produit pour le salut une pénitence stable; mais la tristesse du siècle produit la mort. " (Ibid.) Voilà la mauvaise tristesse.

2. Voyons donc, mes frères, si la tristesse présente, si celle qui dévore maintenant les coeurs et s'exprime dans le langage, est utile ou funeste, capable d'aider ou de nuire. Voilà un corps inanimé ; sur une table est étendu un homme qui n'est plus un homme, des membres privés de vie ; on crie, il ne répond pas; on l'appelle, il n'entend pas ; son visage est pâle, défiguré, d'une transparence qui laisse voir la mort : à ce spectacle vient se joindre l'idée du silence éternel qu'il va désormais garder, du plaisir qu'on a goûté dans son commerce, des services qu'il aurait pu nous rendre; le sang parle, les plus tendres paroles arrivent à notre coeur, avec le regret d'une longue familiarité. Voilà sans doute de quoi tirer des larmes, exciter des gémissements, et plonger l'âme entière dans une tristesse profonde. A cette douleur si forte, si bien armée, la première chose à opposer, c'est que tout ce qui naît ici-bas est condamné à mourir. Telle est la loi de Dieu, telle est l'immuable sentence qu'après sa faute le premier père du genre humain s'entendit signifier, quand Dieu lui dit : " Tu es terre, et tu iras en terre. " Qu'y a-t-il donc d'étonnant à ce qu'un homme, né pour ce destin, ait satisfait à la loi, à la sentence divine? Faut-il s'indigner de ce qu'un fils de mortels ait répondu à l'appel, à l'irrésistible appel de la nature qui est la sienne? Ce qui est si ancien n'a rien d'étrange, ce qui est quotidien n'a rien d'inouï, ce qui est commun à tous n'est particulier à personne.

Si nous savons que nos ancêtres et nos bisaïeux sont partis par ce même chemin de la mort, si les patriarches même, si les prophètes, à commencer par Adam ont dû mourir pour s'en aller de ce monde , retirons notre âme de cet abîme de tristesse : ce mortel n'a fait que payer sa dette. Et qu'y a-t-il de triste dans l'acquittement d'une dette ? Cette dette, on ne saurait s'en décharger à prix d'argent : cette dette, ni la vertu n'en dispense, ni la sagesse, ni la puissance ; et les rois mêmes sont contraints dé la payer. Ah ! je vous exciterais à redoubler de tristesse, si, pouvant empêcher ou retarder cet événement au prix de quelque sacrifice, votre négligence ou votre parcimonie l'eût laissé s'accomplir. Mais, puisque tout provient d'un éternel et immuable décret de la Divinité, c'est à tort que nous nous plaignons, à tort que nous recherchons en nous-mêmes les raisons de cette mort, quand il est écrit : " Au Seigneur Dieu appartiennent les dénouements de la mort. " (Ps. LXVII, 21.) Pénétrons-nous de cette condition imposée généralement à la vie : et les yeux de notre âme, grâce à ce premier remède, commenceront à éprouver quelque soulagement.

3. Mais; dites-vous que la mort est un malheur commun à tous, je le sais bien : je n'ignore pas que celui que j'ai perdu n'a fait que payer sa dette : mais je songe à l'attrait de son commerce, aux liens qui nous unissaient, à notre intimité : de là mes regrets. Si pour cette raison vous vous abandonnez à la tristesse, vous êtes le jouet de l'erreur et non le sujet de la raison. Vous devez savoir que Dieu qui vous avait donné ce bonheur, peut vous en donner un autre qui le surpasse; que celui qui vous a infligé cette perte, saura bien, dans une autre occasion, la réparer. Pour ce qui est de l'intérêt, si vous songez au vôtre, vous devez considérer aussi celui du défunt : peut-être est-ce un bonheur pour lui, suivant ce qui est écrit " Il a été enlevé, pour que la malice ne changeât point son intelligence. Son âme était agréable à Dieu, et pour cette raison il s'est hâté de le retirer du milieu de l'iniquité. " (Sag. IV, 11, 14.) Que dire de l'intimité que (513) le temps efface quelquefois, au point que la mémoire n'en garde aucune trace? Ce que le temps peut faire, à plus forte raison la sagesse et la réflexion doivent-elles l’opérer. Songeons surtout à cette sentence divine exprimée par la bouche de l'Apôtre: " La tristesse du siècle produit la mort. " Plaisir, intérêt présent, commerce intime, toutes ces choses sont du monde, toutes ces joies sont du siècle et passent avec lui : se décourager, se contrister pour cela, n'est-ce pas vraiment une maladie mortelle? Je ne puis que vous le répéter encore, vous le répéter sans cesse : " La tristesse du siècle produit la mort. " Pourquoi produit-elle la mort? Parce qu'une tristesse excessive nous conduit ou au doute ou au blasphème..

4. Mais, dira-t-on, nous interdis-tu de pleurer les morts? Quand on a pleuré les patriarches, et Moïse, ce ministre de Dieu, et tant de prophètes ; quand Job, le juste par excellence, a déchiré ses vêtements après avoir perdu ses fils; ce n'est pas moi qui défends de pleurer les morts, c'est l'Apôtre des Gentils, lequel parle ainsi : " Je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, au sujet de ceux qui dorment, que vous ne devez pas vous affliger comme ceux qui n'ont pas d'espérance. " (I Thessalon. IV, 12.) Ce texte si clair ne saurait être obscurci par les exemples de ceux qui avant la loi ou à l'ombre de la loi, ont pleuré leurs morts. Ils avaient raison de pleurer, parce que le Christ n'était pas encore venu du ciel sécher par sa résurrection cette source de larmes. Ils avaient raison de pleurer, parce que la sentence de mort portait encore ses effets. lis avaient raison de gémir: car la résurrection n'était pas encore prêchée. Les saints espéraient la venue du Seigneur: mais en attendant, ils pleuraient leurs morts, parce qu'ils n'avaient pas encore vu celui qu'ils espéraient. Siméon, un de ces saints de l'ancien temps, d'abord inquiet à la pensée de mourir, n'eut pas plutôt reçu entre ses bras Jésus Notre-Seigneur, encore enfant selon la chair, qu'il se félicita,de sa mort prochaine, en disant: " Maintenant vous laissez, Seigneur, votre serviteur s'en aller en paix parce que mes yeux ont vu le Sauveur qui vient de vous. " (Luc, II, 29-30.) O bienheureux Siméon ! Il avait vu l'objet de son espérance, et désormais il considérait la mort comme une paix, un repos. Mais vous direz : Ne lit-on pas dans l'Evangile que la fille du chef de la synagogue fut pleurée, que les soeurs de Lazare te pleurèrent. C'est que ces affligés restaient attachés à la doctrine de l'ancienne loi, attendu qu'ils n'avaient pas encore vu le Christ ressusciter d'entre les morts. Que dis-je ? Le Seigneur lui-même pleura Lazare enseveli, non certes, pour donner l'exemple de pleurer les morts, mais pour montrer par ses larmes qu'il s'était revêtu d'un corps véritable; ou encore, dans son humanité, il pleurait sur les Juifs qu'un pareil signe même ne devait pas faire croire en lui. En effet, ce n'est pas la mort de Lazare qui pouvait causer ses larmes, puisque Jésus lui-même l'avait déclaré endormi, et avait promis de le ressusciter, ce qui fut fait.

5. Les anciens gardèrent donc leurs usages et leur faiblesse jusqu'à la venue du Christ: Mais du jour où le Verbe fut fait chair et habita parmi nous, du jour où le dernier Adam abrogea la sentence portée contre le premier, du jour où le Seigneur anéantit notre mort par sa mort et ressuscita des enfers le troisième jour, la mort cessa d'être un objet d'effroi pour Ils fidèles . on ne craint plus le .déclin du jour, parce que le soleil levant paraît au ciel. Ecoutez plutôt la voix du Seigneur qui ne saurait mentir . "Je suis la résurrection et la vie: celui qui croit en moi, quand même il serait mort, vivra , et quiconque vit et croit en moi, ne mourra jamais." (Jean, XI, 25,26.) Elle n'a rien d'ambigu, mes très-chers frères, cette parole divine: Quiconque croit au Christ et garde ses commandements, vivra, même après sa mort. S'emparant à son tour de cette parole, et s'y attachant de toute la force de sa foi, l'apôtre sain!. Paul enseignait ce qui suit; "Je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, au sujet de ceux qui dorment, que vous ne devez pas être tristes. " (I Thessalon. IV, 12.) Admirable révélation de l’Apôtre ! Un mot lui suffit pour prêcher la résurrection, avant d'en enseigner le dogme. Il appelle les morts " Ceux qui forment," et fait entendre clairement par là qu’ils doivent ressusciter. " Vous ne devez pas être tristes au sujet de ceux qui dorment, ainsi que les autres. " Ceux qui n'ont pas l'espérance, qu'ils s'abandonnent à la tristesse: nous qui sommes fils de l'espérance, réjouissons-nous. Maintenant, quelle est cette espérance qui nous distingue, c'est ce qu'il nous apprend en disant: " Si nous croyons que Jésus est mort et ressuscité, Dieu amènera de même avec Jésus (514) ceux qui se seront endormis en lui." ( I Thessalon. IV, 13.) Jésus est pour nous, et le salut durant notre vie terrestre, et la vie à notre départ d'ici-bas. " Pour moi, dit l'Apôtre, vivre est le Christ, et mourir un gain. " (Philipp. I, 2-1.) Gain en effet, puisqu'une prompte mort nous dispense des peines et des tribulations attachées à une vie plus longue. Voici maintenant que le prophète nous fait savoir dans quel ordre et de quelle manière sera réalisée notre espérance : " Nous vous affirmons sur la parole du Seigneur que nous qui vivons et qui sommes réservés pour l'avènement du Seigneur, nous ne préviendrons pas ceux qui se sont déjà endormis. Car le Seigneur lui-même, au commandement et à la voix de l'archange, et au son de la trompette de Dieu, descendra du ciel; et ceux qui seront morts dans le Christ, ressusciteront les premiers. Ensuite, nous qui vivons, qui sommes restés, nous serons emportés avec eux dans les nuées au-devant du Christ dans les airs: et ainsi nous serons à jamais avec le Seigneur. " (I Thessalon. IV, 14-16.) Il veut dire par là que le Seigneur à son arrivée trouvera beaucoup de chrétiens encore vivants et non séparés de leur corps; ceux-ci, néanmoins, ne seront pas ravis au ciel avant que les saints morts, ressuscités par la trompette de Dieu et la voix de l'archange, soient sortis de leurs tombeaux. Mais une fois réveilles, ils seront enlevés dans les nuées, conjointement avec les vivants, pour aller au-devant de Jésus-Christ dans les airs : et dès lors ils règneront à jamais avec lui. Et certes l'on ne saurait révoquer en doute que les corps, malgré leur pesanteur, puissent être soulevés dans les airs: c'est ainsi qu'à la voix du Seigneur, le corps de Pierre put marcher sur les eaux. L'histoire d'Elie nous fournit encore une confirmation de notre espérance, dans ce fait qu'il fut ravi au ciel à travers les airs sur un char enflammé.

6. Mais vous demanderez peut-être : En quel état sera-t-on après la résurrection? C'est votre Seigneur qui vous l'apprend: " Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père." (Matth. XIII, 43.) Que dis-je, comme le soleil? Quand les fidèles doivent être transfigurés à l'image du Christ, comme l'atteste l'apôtre Paul : " Notre vie est dans les cieux: c'est de là aussi que nous attendons le Sauveur, Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui réformera le corps de notre humilité en le conformant à son corps glorieux. " (Philipp. III, 20, 21.) Sans nul doute cette chair mortelle sera transfigurée en conformité de là splendeur du Christ: ce qui était mortel se revêtira d'immortalité: car " Ce qui avait été semé dans l'infirmité, ressuscitera dans la force. " (I Corinth. XV, 43.) La chair ne craindra plus la corruption, elle ne sera plus sujette à la faim, à la soif, aux maladies, aux accidents. La paix profonde, une sécurité constante, peuvent se rencontrer dans cette vie. Autre est cette gloire céleste, où la joie même ne subira point d'éclipses.

7. Voilà ce que saint Paul avait dans l'esprit et sous les yeux, lorsqu'il disait : " Je désirais " d'être dissous et d'être avec Jésus-Christ, chose bien meilleure pour moi. " (Philipp. I, 23.) Ailleurs il parle explicitement : " Pendant que nous sommes dans ce corps, nous voyageons loin du Seigneur: car c'est par la foi que nous marchons, et non par une claire vue. Mais nous aimons mieux sortir de ce corps et aller jouir de la présence du Seigneur. " (II Corinth. V, 6-8.) Hommes de peu de foi, que faisons-nous donc, quand nous perdons le courage et la paix, pour peu qu'une des personnes qui nous sont chères s'en aille auprès du Seigneur? Que faisons-nous en préférant voyager en ce monde, plutôt que d'être transportés en présence du Christ? Oui, toute notre vie n'est qu'un voyage comme des étrangers en ce inonde, nous n'avons pas de séjour fixe, nous travaillons, prenons de la peine, marchant par des voies difficiles, hérissées de dangers : de toutes parts des piéges, des ennemis tant spirituels que corporels, de tous côtés des sentiers d'erreur. Et quand tant de périls nous assaillent, loin de faire des voeux pour notre délivrance, nous allons jusqu'à plaindre et pleurer ceux qui sont délivrés, comme s'ils étaient perdus! Quel service Dieu nous a-t-il donc rendu par son Fils unique, si nous redoutons encore le trépas? Pourquoi nous glorifier d'avoir été régénérés par l'eau et par l'Esprit, si le départ d'ici-bas nous afflige? Le Seigneur lui-même nous crie : " Si quelqu'un me sert, qu'il me suive, et où je suis, là sera aussi mon serviteur." (Jean, XII, 26.)

Supposez qu'un roi terrestre invite quelqu'un à visiter son palais ou à prendre place à sa table, l'invité ne s'empressera-t-il point d'accourir ? Combien ne devons-nous pas nous hâter davantage d'accourir vers le roi du ciel, qui appelle ceux qu'il reçoit, non-seulement à sa table, mais encore au partage de son trône : " Si nous mourons avec lui, dit l'Ecriture, nous vivrons avec lui; si nous souffrons, nous régnerons avec lui." (II Timoth. II; 12.) Je ne dis pas cela pour qu'on attente à sa vie, pour qu'on se donne la mort contre la volonté du Dieu créateur, pour qu'on chasse son âme de l'asile que lui offre le corps : je dis cela pour que, à l'heure où l'on est appelé soi-même ou voit appeler son prochain, on parte joyeux et content, ou qu'on félicite ceux qui partent. Le fond du .christianisme, en effet, c'est l'attente d'une vraie vie après la mort, d'un retour après le départ. Munis de la parole de l'Apôtre, remercions donc avec confiance Dieu qui nous a fait vaincre la mort, par le Christ, Notre-Seigneur, à qui gloire et puissance, maintenant et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

SECOND SERMON.
ANALYSE.

1. Résurrection de la chair, à démontrer seule contre les infidèles et les incrédules, celle de l'âme étant admise par tous.

2. Possibilité, analogies, vision d'Ezéchiel.

3. Promesse divine, témoigna;e des apôtres et des martyrs. Exemple de la mère des Macchabées, de David, d'un païen.

4. Prosopopée : le diable au jour du jugement, plaidant la cause de ce païen comparé aux chrétiens pusillanimes.

5. Bornes prescrites aux regrets.

6. Garder sa tristesse pour la pénitence.

7. Exhortation à la résignation.

1. Dans le discours qui précède nous avons traité brièvement des raisons qui doivent nous consoler d'être mortels, de l'espoir de la résurrection ; nous allons maintenant revenir avec plus de développements et plus de force sur le même sujet. Si les choses que j'ai dites sont certaines aux yeux des fidèles, elles paraissent des fables aux infidèles et aux incrédules, c'est à ceux-ci que nous nous adresserons d'abord en quelques mots. Tous vos doutes, à vous incrédules, portent sur la permanence du corps. Quelques-uns nient, en effet, qu'un corps réduit en poussière puisse ressusciter et revivre. D'ailleurs en ce qui concerne l'âme, la chose leur paraît indubitable; aussi bien, touchant l'immortalité de l'âme il n'y pas même de dissentiment parmi les philosophes , quoique païens. Qu'est-ce que la mort, sinon la séparation du corps et de l'âme? Au départ de l'âme qui vit toujours, qui ne petit mourir, parce qu'elle provient du souffle de Dieu, le corps seul périt, car il y a en nous une partie mortelle, une autre immortelle., Mais à son départ., l'âme, invisible aux yeux charnels, est recueillie par les anges, et établie, ou dans le sein d'Abraham, si elle est fidèle, ou dans la prison de l'enfer, si elle est pécheresse; jusqu'à l'arrivée du jour fixé pour qu'elle rentre en possession de son corps et rende compte de ses actes au tribunal du juge incorruptible, le Christ. Les hésitations ne regardent donc que la chair. En conséquence, c'est à son secours qu'il faut venir, c'est sa résurrection qu'il faut démontrer.

2. Que si quelque sceptique, quelque incrédule me demande : " Comment les morts ressusciteront-ils? ou avec quel corps reviendront-ils? " je leur répondrai par la bouche (516) et avec le langage de l'Apôtre : " Insensé, ce que tu sèmes n'est point vivifié, si auparavant il ne meurt. Et ce que tu sèmes n'est pas le corps même qui doit venir, mais une simple graine, comme de blé ou de quelque autre chose (I Cor. XV, 35-37), " une graine morte et desséchée ; et une fois tombée en putréfaction, elle se lève plus féconde, se revêt de siliques, s'arme d'épis. Comment donc celui qui fait renaître le grain de blé à cause de toi, serait-il incapable de te ressusciter en vue de lui-même ? Celui qui ressuscite chaque jour le soleil plongé dans le sépulcre de la nuit, qui renouvelle la lune presque éteinte, qui ramène pour nos besoins les saisons écoulées, pourrait ne pas nous rappeler, nous en faveur de qui il répare toutes choses, et laisser disparaître sans retour ceux qu'il a allumés de son souffle, animés de son Esprit? Il cesserait d'être à jamais, l'homme qui l'a connu, adoré pieusement?

Mais vous hésitez encore à croire que vous puissiez renaître après la mort, être rappelés à l'existence, quand vous ne serez plus qu'une cendre, qu'une poussière d'ossements? Mais dites-moi donc ce que vous étiez avant que votre mère vous conçût? Rien, assurément. Eh bien ! ne sera-t-il pas facile à Dieu qui tous a créés de rien, de vous refaire avec quelque chose? Croyez-moi, refaire ce qui fut sera aisé à qui a pu créer celui n'était pas. Celui qui, dans le sein de votre mère, a, de je ne sais quelle semence, fait sortir des nerfs, des veines et des os, celui-là pourra, n'en doutez point, vous retirer du sein de la terre pour une rie nouvelle. — Mais vous craignez que vos os desséchés ne puissent se revêtir désormais de la chair qui les couvrait autrefois ? Gardez-vous d'apprécier la majesté divine d'après votre propre impuissance. Ce Dieu, père de l'univers, qui vêt les arbres de feuilles et les prairies de fleurs, ce Dieu saura bien habiller vos os, quand sera venu le printemps de la résurrection.

Le prophète Ezéchiel en avait douté quelque temps, le Seigneur lui demandant si les ossements desséchés qui gisaient dans la plaine, vivaient, il répondit : " Vous le savez, Seigneur. " Mais après que Dieu lui ayant donné ses ordres et lui-même prophétisant, il eut tu ces os accourir à leurs places et rentrer dans leurs jointures, quand il eut vu ces os desséchés s'unir par des nerfs, se couvrir de chair, se sillonner de veines, se vêtir de peau ; après qu'il eut prophétisé en esprit et que l'esprit de chacun fut revenu et rentré dans ces corps gisants, qu'ils eurent ressuscité, qu'ils se tinrent debout; alors le Prophète, raffermi au sujet de la résurrection, mit par écrit sa vision, afin qu'une si grande chose parvînt à ta connaissance de la postérité. C'est donc justement qu'Isaïe s'écrie : " Les morts se relèveront, ceux qui sont dans les tombeaux ressusciteront, ceux qui sont dans la terre se réjouiront. Car la rosée qui vient de vous est la santé pour eux. " (Isaïe, XXVI, 19.) Au printemps, de même que la rosée fait germer et croître les semences humides, ainsi la rosée de l'Esprit fera germer les os des fidèles.

3. Doutez-vous maintenant qu'avec quelques débris d'ossements on puisse refaire l'homme tout entier? Une faible étincelle tous suffit, à vous, pour ranimer une grande flamme : et Dieu, avec un lieu de cendre ne pourrait refaire votre humble corps dans son intégrité? En vain vous diriez: nulle part les restes de la chair ne se retrouvent : peut-être ils ont été consumés par le feu ou dévorés par les bêtes mais sachez d'abord que tout ce qui est consumé retournera dans les entrailles de la terre, d'où il su lira d'an ordre de Dieu pour le faire sortir. Vous-même, quand vous manquez de feu , vous prenez une pierre et un peu de fer, et vous faites sortir des veines du caillou autant de feu qu'il vous est nécessaire. Ce que. vous faites par votre industrie et l'intelligence que Dieu vous a départie lui-même, quand vous amenez au jour ce qui était invisible, comment la majesté divine n'aurait-elle pas le pouvoir de l'opérer? Comment ne pourrait-elle pas faire paraître ce qui était caché jusque-là? Croyez-moi : Dieu peut tout.

4. Occupez-vous de savoir une seule chose, s'il a, promis d'opérer la résurrection : une fois assuré de la réalité de cette promesse par le témoignage de plus d'un grand pomme, que dis-je ? par l'infaillible garantie de Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, affermi dans la foi, cessez désormais de craindre la mort. Continuer de la craindre, en effet, c'est douter: et douter, c'est se charger d'un péché sans remède : car c'est accuser Dieu, par cette incrédulité téméraire, ou d'impuissance, ou, tout au moins, de mensonge. Mais ce n'est pas là ce qu'établissent les bienheureux apôtres, les saints martyrs. Les apôtres enseignent que le Christ est ressuscité pour répandre ce dogme (517) de la résurrection ; ils nous annoncent que les morts doivent être ressuscités en lui ; ils n'ont reculé ni devant la mort, ni devant les tortures, ni devant la croix. Si le témoignage de deux ou de trois personnes suffit en toute matière, comment révoquer en doute la résurrection des morts, établie par tant de témoignages si valables, et scelles du sang de ceux qui les ont prononcés?

Et les saints martyrs? ont-ils compté, oui ou non, sur la résurrection? S'ils n'y avaient pas compté, ils n'auraient certes pas accueilli comme le plus grand des bonheurs une mort aggravée par tant de souffrances et de tourments. C'est qu'ils ne songeaient pas aux supplices du moment, mais aux récompenses futures. Ils savaient qu'il est ait : " Les choses qui se voient sont pour un temps; mais celles qui ne se voient pas sont éternelles. " (II Corinth. IV, 18.) Ecoutez, mes frères, un trait de courage. Une mère exhortait ses sept fils, sans pleurer, que dis-je? avec joie : elle voyait ses fils écorchés, coupés en morceaux, brûles à petit feu : et elle ne pleurait pas, elle ne gémissait pas, elle encourageait instamment ses fils à la patience. Ce n'était point certes cruauté chez elle, mais bien fidélité elle aimait ses fils, non avec faiblesse, mais d'un amour viril. Elle exhortait ses fils au martyre qu'elle subit- elle-même avec joie. C'est qu'elle était sûre de sa résurrection et de celle de ses fils? Que dirai-je de tant d'hommes, de femmes, d'enfants, de jeunes filles? raconterai-je comment tous se jouèrent de la mort, comment tous s'enrôlèrent avec le plus vif empressement dans la céleste milice? Il n'aurait tenu qu'à eux, cependant, de rester dans la vie présente: car ils étaient libres ou de vivre en reniant le Christ, ou de mourir en le confessant : mais ils préférèrent sacrifier une vie temporaire, et conquérir la vie éternelle, quitter la terre et habiter le ciel.

5. Comment hésiter dans ce choix, mes frères? quel asile reste-t-il encore à la crainte de la mort? Si nous sommes les fils des martyrs, si nous voulons être reconnus pour leurs héritiers, ne nous affligeons pas devant la mort, ne pleurons pas les êtres chers à notre âme, qui s'envolent avant nous vers le Seigneur. Si nous étions tentés de porter leur deuil, les bienheureux martyrs nous réprimanderaient eux-mêmes, et nous diraient : O fidèles! ô vous qui aspirez au royaume de Dieu ! vous qui pleurez avec tant de marques d'affliction ceux que vous aimez, quand ils sont morts dans leurs lits, mollement couchés sur la plume, si vous les voyiez torturer et mettre à mort par les Gentils pour le nom de Dieu, que feriez-vous? L'histoire ne vous fournit-elle pas un exemple? Le patriarche Abraham, offrant son fils unique en sacrifice, l'égorgea par le glaive de son obéissance; il ne fit pas grâce à celui qu'il aimait d'un si profond amour, parce qu'il voulait prouver sa docilité aux ordres divins. Me direz-vous qu'il n'a agi ainsi qu'à cause de ce commandement d'en-haut? Eh bien ! à vous aussi, il vous est commandé de ne pas vous affliger au sujet des endormis. Ceux qui n'observeront pas les moindres préceptes, observeront-ils les plus grands ? Ignorez-vous que l'âme qui succombe à de telles épreuves, encourt la condamnation dans les épreuves plus redoutables? Si l'on a peur d'un ruisseau, se hasardera-t-on sur la mer? Celui qui pleure une perte si amèrement, est-il capable d'affronter la lutte du martyre? Car, pour celui qui se montre patient et magnanime en ces occurrences, il se fraye la voie pour monter plus haut.

6. En voilà assez, mes frères, pour vous inspirer le mépris de la mort, et confirmer vos espérances. Il me reste à mettre sous vos yeux l'exemple des anciens, exemple consolateur entre tous, auquel je souhaite que vous prêtiez tous l'attention du coeur. Le grand roi David voyait avec la plus vive douleur un fils chéri, qu'il aimait plus que sa propre vie, atteint d'une maladie : tout remède humain étant devenu impuissant, il recourut à Dieu; déposant tout l'appareil tic la majesté royale, il s'assit à terre, coucha sur un cilice, s'abstint de boire et de manger : et sept jours durant il pria Dieu de vouloir bien lui accorder la vie de son fils, Les vieillards de son palais vinrent le consoler, le prier d'accepter du pain, craignant que dans son zèle pour la vie de son fils, il ne le précédât lui-même au tombeau. Ils ne purent rien gagner, rien obtenir par leurs instances: une tendresse aussi vive brave le danger même. Il repose donc, ce roi, sur un sordide cilice, pendant que son fils est malade : les paroles ne peuvent le consoler; le besoin de nourriture ne saurait même le distraire. Son âme se repaît de tristesse, son coeur se nourrit de souffrances; ses yeux versent des larmes, et c'est son unique breuvage.

518

Sur ces entrefaites le décret de Dieu s'accomplit: l'enfant meurt. Voilà la mère en deuil, toute la maison dans les larmes; les esclaves tremblants, indécis, ne savent que faire : aucun n'osait annoncer au maître la mort de son fils : ils craignaient que ce père, si affligé quand son enfant vivait encore, ne mît fin à ses jours en apprenant qu'il n'était plus. Tandis que les serviteurs disputent entre eux, tandis que, dans leur trouble, ils se pressent ou se dissuadent mutuellement de parler, David comprend, il prévient le message, il demande si son fils a rendu l'âme. Ils ne peuvent dire non, leurs larmes révèlent la vérité. On accourt avec une hâte inusitée, on est dans l'attente et dans la crainte, de ce que peut tenter contre lui-même ce tendre père. Le roi David quitte aussitôt le cilice sur lequel il était couché; il le quitte, le visage serein, comme s'il avait appris que son fils était sauvé; il va au bain, se plonge dans l'eau; il va au temple, adore Dieu; il prend son repas avec ses amis, étouffant ses soupirs, mettant fin à ses lamentations, un air de contentement sur le front.

Les gens de la maison s'étonnent; ses amis demeurent stupéfaits de ce changement surprenant et subit: enfin ils osent lui demander d'où vient, qu'après avoir tant pleuré du vivant de son fils, il ne pleure plus maintenant qu'il est mort. Alors cet homme magnanime répondit: Tant que mon fils vivait encore, il fallait m'humilier, jeûner, pleurer sous les yeux du Seigneur: car je pouvais espérer la prolongation de sa vie : mais aujourd'hui que la volonté du Seigneur est accomplie, ce serait une folie et une impiété, de me tourmenter de lamentations inutiles. "J'irai vers lui," dit-il, " il ne reviendra pas vers moi. " Contemplez cet exemple de magnanimité, de courage. Si David, qui vivait sous le régime de la loi, à une époque où le deuil était, je ne dirai pas permis, mais imposé, sut interdire ainsi à son sueur un deuil déraisonnable, réprimer ainsi sa tristesse et celle des siens: nous qui vivons sous le régime de la grâce, nous qui sommes assurés de la résurrection, à qui toute tristesse est interdite, de quel front osons-nous pleurer nos morts à la façon des Gentils, pousser des hurlements insensés, comme font en d'autres circonstances les ministres de Bacchus, déchirer nos vêtements et mettre nos poitrines à nu , faire entendre de stériles chants de plainte autour du tombeau où repose le corps du défunt? Enfin pour quelle raison teindre en noir nos vêtements, sinon pour attester, non-seulement par nos pleurs, mais par nos vêtements mêmes que nous sommes de malheureux infidèles? Ce sont là, mes frères, des rites étrangers, empruntés, défendus , et messéants, lors même qu'ils seraient permis.

Mais quelquefois, quand il s'agit d'un frère ou d'une sueur, en dépit de la force qu'on peut puiser dans sa foi et dans la volonté du Seigneur, on se laisse vaincre, ébranler par l'opinion de ses parents, de ses voisins: on craint de paraître insensible et dur, en s'abstenant de toucher à ses vêtements, de s'abandonner aux orgies d'un deuil insensé. Eh : quelle vanité, quelle folie, que de songer à l'opinion de quelques hommes jouets de l'erreur, et de ne pas .craindre de faire tort par là à la foi qu'on a embrassée ! Pourquoi n'apprend-il pas plutôt la patience, celui qui est dans ce cas? Et pourquoi celui qui doute ne vient-il pas apprendre à croire auprès de moi ? Quelle que soit la douleur qui dévore son âme, il devrait ensevelir son deuil dans le silence de son coeur, au lieu de le publier dans un emportement indiscret.

7. Je veux encore citer un seul exemple afin de corriger ceux qui croient devoir pleurer les morts; cet exemple est emprunté à l'histoire païenne. Il y avait, parmi les païens, un grand personnage, qui avait un fils unique et l'aimait de tout son coeur. Il sacrifiait au Capitole, en l'honneur des idoles de sa nation , quand on vint lui annoncer que son fils unique était mort. Il ne quitta pas les objets consacrés qu'il tenait dans ses mains, ne pleura pas , ne soupira pas; et écoutez quelle fut sa réponse : Qu'on l'ensevelisse, dit-il; je sais que mon fils était mortel. Considérez cette réponse , considérez la vertu de ce païen , qui ne voulut pas même qu'on l'attendit pour inhumer son fils en sa présence. Que ferons-nous, mes frères, au jour du jugement, en présence du Christ, si le diable alors amène cet homme en face de nous et dit : Cet homme , mon adorateur, que j'abusais par mes prestiges , au point de lui faire rendre un culte à des images aveugles et sourdes; cet homme à qui je n'avais promis ni la résurrection d'entre les morts, ni le paradis, ni le royaume des cieux; cet homme, avec la fermeté d'un sage a vu sans se plaindre, sans gémir, la mort de son fils unique, et une pareille nouvelle n'a pu lui faire déserter mes autels: et vos chrétiens , vos fidèles, pour qui (519) vous avez enduré le crucifiement et la mort, afin de les délivrer eux-mêmes de la crainte du trépas, et de les rendre assurés de leur résurrection; non -seulement ils pleurent les morts et en portent le deuil, mais ils osent encore venir à l'église, et même quelques-uns de vos clercs, de vos pasteurs, interrompent leur ministère pour se livrer au deuil, comme s'ils voulaient braver votre volonté? Et pourquoi ? parce que vous avez tiré ceux qu'il vous a plu des ténèbres du siècle pour les appeler à vous.

A cela que pourrons-nous répondre, mes frères? Ne serons-nous pas saisis de confusion en nous voyant convaincus d'être inférieurs en ce point à des gentils ? Et cependant ils devraient pleurer, ces païens, qui, ignorant Dieu, ne sont pas plutôt morts qu'ils courent droit au supplice. Ils devraient pleurer, ces Juifs, qui en refusant de croire au Christ, se sont voués eux-mêmes à la perdition. Il faut plaindre aussi nos catéchumènes si, par défaut de foi ou par la négligence de leurs proches , ils ont perdu la vie avant d'avoir reçu le baptême salutaire. Mais pour celui qui s'en va du monde, sanctifié par la grâce, scellé de la foi , justifié par ses oeuvres ou protégé par son innocence , loin de le pleurer, il faut l'estimer heureux; regrettons-le, ne le pleurons pas; et regrettons-le avec modération, en songeant que nous-mêmes nous ne tarderons pas à le suivre.

8. Trêve donc à tes larmes, à tes soupirs, à tes gémissements, ô fidèle : bannis ta tristesse présente pour revêtir cette autre tristesse que l'Apôtre nomme tristesse selon Dieu, tristesse capable d'opérer notre salut durable: en d'autres termes, le repentir des péchés que tu as commis. Sonde torr coeur, interroge ta conscience; et si tu y trouves quelque sujet de repentir (ce qui ne peut manquer, puisque tu es homme) , soupire en te confessant, mêle des larmes à tes prières, tremble à la pensée de la mort véritable , du supplice de l'âme, à la pensée de ton péché, comme parle David : " Puisque je déclare mon iniquité, et que je serai troublé au sujet de mon péché : " et tu ne redouteras pas la dissolution de ton corps qui sera rajeuni et perfectionné en temps opportun, quand Dieu l'ordonnera. Voyez comment l'Ecriture proclame à la fois ces deux vérités , en disant: " L'heure vient où tous ceux qui sont dans les sépulcres, en sortiront. " Voilà pour la tranquillité d'âme , pour le mépris de la mort. Et la suite, maintenant? " Ceux qui auront fait le bien, pour ressusciter à la vie ; mais ceux qui auront fait le mal, pour ressusciter à leur condamnation." (Jean, V, 28, 29.) Voilà pour la différence des résurrections. Toute chair, da moins toute chair humaine , doit ressusciter nécessairement ; mais les bons ressusciteront à la vie , les méchants au supplice, ainsi qu'il est écrit: " C'est pourquoi les impies ne ressusciteront point dans le jugement, ni les pécheurs dans l'assemblée des justes. " (Ps. I, 5.) Ainsi donc, si nous ne voulons pas ressusciter à notre condamnation, bannissons toute tristesse au sujet de la mort, et livrons-nous à cette autre tristesse qui est celle de la pénitence ; songeons aux bonnes oeuvres, à l'amendement de notre vie, et si nous pensons aux cadavres, aux funérailles, que ce soit pour nous rappeler que nous sommes mortels, et nous empêcher par là de négliger notre salut, pendant qu'il est temps, qu'il nous est loisible de nous en occuper: c'est, à savoir, en donnant de meilleurs fruits , en réparant les fautes que nous avons pu commettre dans notre ignorance: autrement l'instant de la mort pourrait nous surprendre ; nous demanderions alors , mais en vain , du temps pour nous repentir; nous demanderions à faire des aumônes, à expier nos fautes, et nos souhaits ne seraient point exaucés.

9. Après vous avoir montré, mes frères , la nécessité commune de la mort, l'interdiction prononcée contre les larmes, la faiblesse des anciens, encore étrangers à l'influence fortifiante du christianisme, après avoir mis sous vos veux le sacrement du Seigneur et l'enseignement des apôtres au sujet de la résurrection, vous avoir rappelé les actes des apôtres, les souffrances des martyrs, vous avoir proposé en outre l'exemple de David, et y avoir ajouté celui d'un gentil; enfin après avoir insisté sur la différence des deux tristesses , l'une nuisible, l'autre utile; l'une pernicieuse, l'autre salutaire au moyen de la pénitence: que nous reste-t-il , mes frères , sinon à rendre grâces à Dieu notre Père , et à dire: " Que votre volonté soit faite sur la terre comme aux cieux ? " C'est vous qui nous avez donné la vie , vous qui avez institué la mort; vous nous introduisez dans le monde , vous nous en retirez, et après nous en avoir retirés, vous nous (520) sauvez, car rien ne périt de ce qui appartient aux vôtres, à ce point que vous avez dit qu'il ne périssait pas un sent cheveu de leur tête : " Vous leur ôterez leur souffle, et ils défailliront, et ils retourneront dans leur terre; " mais aussi: " Vous enverrez votre Esprit, et ils " seront créés, et vous renouvellerez la face " de la terre. n Voilà, mes frères, le langage qui convient à des fidèles, voilà le remède de salut; l'œil essuyé par cette consolation, imprégné du remède de ces réflexions, non-seulement ne tombera point dans la cécité, résultat du désespoir, mais ne sentira pas même les humeurs engendrées par la tristesse: bien au contraire, portant un clair regard sur le séjour de lumière, nous dirons avec le patient Job : " Le Seigneur a donné, et le Seigneur a ôté; comme il a plu au Seigneur, ainsi il est arrivé: soit le nom du Seigneur béni dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il. "
 

 

 

 

 

 

HOMÉLIE POUR LA NATIVITÉ DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST.
Tome VI, p. 579-585

AVERTISSEMENT.

L'homélie sur la fête de Noël est citée par saint Cyrille d'Alexandrie sous le nom de saint Chrysostome et une partie de ce que ce Père en a cité se trouve dans les actes du concile d'Ephèse. Malgré un témoignage si positif; on a cependant émis des doutes sur l'authenticité de cette homélie telle que nous l'avons. Ces doutes se fondent sur ce que saint Cyrille, dans sa citation, rapporte à la sainte Vierge les paroles suivantes : Elle embrasse le Soleil de justice qui ne peut être circonscrit, tandis que dans notre homélie, elles sont dites de Béthléem. C'est sur ce fondement que Tillemont ne veut voir dans le morceau suivant qu'un centon formé de passages empruntés tantôt à saint Chrysostome, tantôt à saint Athanase : quoi qu'il en soit, homélie ou centon, la pièce est fort belle et ne manque ni de suite dans les idées, ni d'unité dans le style.

Je vois un mystère nouveau et admirable ; la voix des pasteurs retentir à mes oreilles, non semblable aux accords agrestes du chalumeau, mais au chant des hymnes célestes. Les anges chantent, les archanges font entendre leurs accords et les chérubins leurs cantiques, les séraphins rendent gloire, tous célèbrent cette fête dans laquelle ils contemplent un Dieu sur la terre et l'homme dans les cieux, Celui qui était élevé abaissé par son incarnation et celui qui était abaissé élevé par la miséricorde. Aujourd'hui, Béthléem imite le ciel: les astres de son firmament sont les anges qui chantent leurs cantiques; son soleil est le Soleil de justice qui ne peut être circonscrit. Et ne cherchez pas comment cela a pu être accompli, car lorsque Dieu veut, l'ordre de la nature doit céder. Il a voulu , il a eu la puissance, il est descendu , il nous a sauvés : la volonté de Dieu s'accomplit en toutes choses.

Aujourd'hui, Celui qui est prend naissance, Celui qui est devient ce qu'il n'était pas. Etant Dieu, il devient homme et n'abandonne pas sa divinité. Car, ce n'est point par la perte de sa divinité qu'il devient homme, ni par addition de qualité que d'homme il devient Dieu ; mais il est le Verbe, et, sa nature demeurant la même à cause de son immutabilité, il s'est fait chair. Mais lorsqu'il vint à naître, les Juifs refusaient de croire à cet enfantement merveilleux, les pharisiens interprétaient à (580) contre-sens les livres sacrés, les scribes enseignaient le contraire de la loi, enfin Hérode cherchait Celui qui venait de naître non pour l'honorer, mais pour le faire périr.

Dans ce jour, tout ce qu'ils voyaient était contradiction. " Car, " ainsi que le dit. le Psalmiste, " ces choses n'ont point été cachées à leurs fils dans la génération suivante. " (Ps. LXXVII, 4.) Des rois arrivèrent, et c'était pour vénérer le roi céleste qui venait sur la terre, non pas accompagne des anges, des archanges, des trônes, des dominations, des puissances, des vertus; mais parcourant un chemin nouveau, une route non frayée, et sortant d'un sein immaculé. Cependant, il n'abandonnait pas le gouvernement des légions célestes, ni ne se dépouillait de sa divinité lorsqu'il se faisait homme : les rois vinrent l'adorer comme le céleste Roi de gloire; les soldats le reconnurent comme le Seigneur des armées ; les femmes le vénérèrent comme né de la femme et changeant les douleurs de la femme en joie et en allégresse ; les vierges le proclamèrent comme fils d'une vierge. admirant que Celui qui a fait le lait et les mamelles et qui a donné au sein de la femme d'être une source intarissable reçoive d'une mère vierge la nourriture des petits enfants; les enfants l'ont vu devenir petit enfant afin que de la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle sortît fa louange parfaite; les enfants ont vu en lui l'enfant qui s'est servi de la fureur d'Hérode pour donner à leur âge la gloire du martyre ; les hommes faits ont reconnu Celui qui s'est fait homme pour apporter remède aux maux de ceux qui vivaient sous le joug; pour les pasteurs, il est le bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis; pour les prêtres, il est le souverain Pontife selon l'ordre de Melchisédech (Hébr. VII, 17 ; Ps. CIX, 4) ; pour les esclaves, il est Celui qui a pris la forme (le l'esclave afin (le nous racheter de la servitude (Philip. II, 7) ; pour les pécheurs, il est Celui qui a tiré de leurs filets ceux qui ont été envoyés pour ramener les hommes; pour les publicains, Celui qui a choisi un publicain afin d'en faire un évangéliste; pour les femmes de mauvaise vie, Celui dont les pieds furent arrosés (les larmes d'une courtisane; et, pour tout dire en un mot, les pécheurs ont pu voir en lui l'Agneau de Dieu qui efface les péchés du inonde; les mages lui ont fourni sa garde royale, les pasteurs font environné de leurs bénédictions, les publicains ont annoncé son Evangile, les courtisanes l'ont embaumé avec la myrrhe, la Samaritaine a eu soif de la source de vie qu'il fait connaître, et la Chananéenne a montré envers lui sa foi inébranlable.

Puisque tous se réjouissent ainsi, je veux aussi me réjouir, je veux former des choeurs, je veux célébrer une fête, mais je formerai des choeurs non en pinçant la cithare, non en agitant le thyrse, non en m'accompagnant de la flûte, noir en portant (les torches allumées, je veux, ni lieu d'instruments de musique, porter les langes du Christ. Ces langes sont mon espérance, ma vie, mon salut; ils me tiennent lieu de flûte et de cithare. C'est pourquoi je m'avance en les portant, afin que leur puissance soit toute la force de mon discours et que je puisse, dire avec fange : " Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! " avec les pasteurs " Et la paix sur la terre aux hommes de bonne volonté! " (Luc, II, 14.)

Aujourd'hui, celui qui est né du Père d'une manière ineffable est né de la Vierge, pour l'amour de moi, (l'une manière inexplicable et merveilleuse. II est né du Père, avant les siècles, conformément aux lois de sa nature et Celui qui fa engendré le sait ; aujourd'hui, il est né en dehors des lois de la nature et la grâce de l'Esprit-Saint en est témoin. Sa génération céleste est légitime et la génération terrestre ne l'est pas moins; il est vraiment le Dieu engendré de Dieu, il est vraiment homme né d'une vierge. Dans le ciel, il est le seul Fils unique d'un seul; sur la terre, il est le seul Fils unique d'une vierge seule. De même que dans sa génération céleste il serait impie de lui chercher une mère, de même dans sa génération terrestre ce serait un blasphème de lui chercher un père. Le Père a engendré sans écoulement de sa substance et la Vierge a enfanté sans connaître la corruption. Dieu n'a point souffert d'écoulement de sa substance, car il a engendré comme il convenait à un Dieu, et la Vierge n'a point connu la corruption lorsqu'elle enfantait, parce qu'elle a enfanté spirituellement (1). D'où il suit que sa génération céleste. ne peut être expliquée par des paroles humaines et que sa venue dans le temps ne peut être le sujet de nos investigations. Je sais qu'une vierge a enfanté aujourd’hui, et je crois qu'un Dieu a engendré en

1 C'est-à-dire par l'opération du Saint-Esprit.

dehors du temps; mais j'ai appris que le mode de cette génération doit être honoré par le silence et ne peut être l'objet d'une curiosité indiscrète. Car, lorsqu'il s'agit de Dieu, il ne faut pas nous arrêter à la nature des choses, mais croire à la puissance de Celui qui agit. C'est une loi de la nature qu'une femme mette au monde après qu'elle a contracté mariage; mais si une vierge, sans connaître le mariage. enfante et ensuite reste vierge, ceci est au-dessus de la nature. Que l'on scrute ce qui est conforme à la nature, j'y consens; mais on doit honorer par le silence ce qui est au-dessus de la nature, non parce qu'if faut s'éloigner de tels sujets, mais parce qu'ils sont ineffables et dignes d'être célébrés autrement que par des paroles.

Mais accordez-moi , je vous prie, la permission de mettre fin à ce discours dès l'exorde. Car , je redoute de m'élever jusqu'à cette région des choses dont il n'est point permis de parler et je ne sais de quel côté ni comment diriger le gouvernail. Que dirai-je, ou comment pourrai-je parler? Je vois une mère qui enfante, je contemple un fils mis au monde, mais j'ignore le mode de cette génération lorsque Dieu veut , la nature est vaincue, les limites de l'ordre établi dans la nature sont franchies. Rien n'arrive ici selon l'ordre de la nature, mais un miracle s'accomplit au-dessus des lois de la nature. La nature n'a point agi ; la volonté du Seigneur a opéré. O grâce qui surpasse tout langage ! Le Fils unique, qui est avant tous les siècles, que le sens du toucher ne peut atteindre, qui est simple, incorporel, a revêtu un corps mortel et visible comme le mien ! Et pour quelle cause, sinon pour que son aspect nous enseigne, et qu'ainsi enseignés il nous conduise par la main vers les choses invisibles? Parce que les hommes ont plus de confiance dans ce que leurs yeux voient que dans ce que leurs oreilles entendent, et qu'ils hésitent lorsqu'ils n'ont point vu, il a voulu parler aux yeux par le moyen de son corps, de telle sorte que tout prétexte fût enlevé à l'incrédulité. Il naît d'une vierge qui ne connaît point ce qui a rapport à la génération, qui n'a point coopéré à ce qui s'accomplit, qui n'a eu rien contribué à ce qui est fait, ruais qui est un simple instrument de la puissance ineffable et qui sait seulement ce qu'elle a appris de Gabriel en l'interrogeant. " Comment cela se " peut-il faire puisque je ne connais point d'homme ? " (Luc, I, 34.) Ce à quoi il répond: Voulez-vous le savoir ? " L'Esprit-Saint descendra en vous et la puissance du Très-Haut vous couvrira de son ombre. " (Ibid. 35.) Or, comment le Seigneur était-il avec elle et, bientôt après, recevant d'elle la naissance? De même que l'artisan qui trouve une matière très-belle et parfaitement disposée en fabrique un vase merveilleux, ainsi le Christ trouvant le corps saint et l'âme de la Vierge se construit un temple animé, il forme dans son sein l'homme tel qu'il l'a résolu, se revêt de cette nature humaine et se manifeste aujourd'hui, n'ayant point rougi de la difformité de notre nature. Ce n'a pas été pour lui un opprobre de se revêtir de son propre ouvrage, et c'était pour son oeuvre une gloire éclatante que celle de devenir le vêtement de Celui qui l'avait faite. De même que dans la première formation il était impossible que l'homme existât avant que la terre dont il fut fait vînt entre les mains de son Créateur, ainsi il était impossible que le corps corruptible de l'homme reçût une nouvelle nature avant que Celui qui l'avait faite s'en fût revêtu.

Que dirai-je donc ou comment parlerai-je (1)? Ce mystère me frappe d'admiration. L'Ancien des jours devient enfant; Celui qui est assis sur un trône élevé et inaccessible repose dans la crèche; Celui que le sens du toucher ne peut connaître, qui est simple, sans composition de parties et qui n'a point de corps est touché par des mains humaines ; Celui qui brise les liens de. l'iniquité est retenu dans les liens que forment ses langes, parce qu'il l'a ainsi voulu. Il a résolu de changer l'ignominie en honneur, l'infamie en un titre de gloire, l'outrage extrême en une preuve de vertu. C'est pourquoi il a pris mon corps, afin que je puisse porter en moi son Verbe; et prenant ma chair, il m'a donné son Esprit, afin que donnant et recevant il puisse amasser pour moi un trésor de vie. Il a pris ma chair, afin de me sanctifier; il m'a donné son Esprit afin de me sauver.

Mais, encore une fois, que dirai-je ou comment parlerai-je? " Voici qu'une vierge concevra. " (Isaïe, VII, 14. ) Ce n'est plus désormais une chose à venir dont il est parlé; c'est une chose accomplie qui est proposée à notre admiration. C'est parmi les Juifs que s'est

1 Ce qui suit est cité par saint Cyrille dans son livre aux Reims.

582

accomplie cette parole prononce au milieu d'eux; c'est parmi nous qu'elle est crue, parmi nous qui n'en avions pas même entendu le premier mot: " Voici que la vierge concevra. " (Isaïe, VII, I4.) La synagogue gardait la promesse écrite ; l'Eglise possède l'objet de la promesse. L'une a possédé le livre et l'autre les trésors promis par ce livre ; l'une a su teindre la laine et l'autre a revêtu la robe de pourpre qui en a été tissue. La Judée l'a enfanté; la terre entière l'a reçu. La synagogue l'a nourri et élevé ; l'Eglise le possède et recueille les fruits de sa présence. Celle-là eut le cep de la vigne et près de moi sont les fruits mûrs de la vérité. Celle-là a vendangé les raisins ; mais les nations boivent le breuvage mystique. Celle-là a semé le grain du froment dans la Judée; mais les nations ont moissonné avec la faux la moisson de la foi. Les nations ont recueilli avec piété la rose , tandis que l'épine de l'incrédulité est demeurée parmi les Juifs. Le petit s'est envolé et les insensés restent assis auprès du nid demeuré vide. Les Juifs interprètent la lettre, qui est semblable à la feuille, et les nations recueillent le fruit de l'Esprit.

" La Vierge concevra. " Dis-moi clone le reste, ô juif ! dis-moi quel est Celui qu'elle a enfanté? Aie en moi autant de confiance qu'en Hérode. Mais tu manques de confiance, et je sais pourquoi. Tu ne penses qu'à tendre des embûches. Tu l'as dit à Hérode afin qu'il le mît à mort; tu ne me le dis pas, pour que je ne puisse l'adorer. Quel est donc Celui qu'elle a enfanté ? Quel est-il? C'est. le Maître de la nature. Lorsque tu gardes le silence, la nature crie. Elle a enfanté Celui qui a été mis au monde de la façon qu'il avait choisie pour naître. Ce n'est pas la nature qui avait réglé cet enfantement, mais c'est le Maître de la nature qui introduit ce mode inusité de naissance, afin de montrer, en se faisant homme, qu'il ne naît pas comme un homme, mais comme un Dieu.

Il naît aujourd'hui d'une vierge qui triomphe de la nature et qui remporte la victoire sur le mariage. Il convenait au Dispensateur de la sainteté qu'il naquît d'un enfantement pur et saint. Il est Celui qui forma autrefois Adam d'une terre vierge et ensuite lira la Lemme d'Adam sans le concours d'une mère. De même qu'Adam, sans mère, donna naissance à la femme, ainsi la Vierge enfante aujourd'hui un homme sans le concours de l'homme. Et parce que le sexe de la femme était redevable envers l'homme depuis qu'Adam avait donné naissance à la femme sans le secours d'une femme, aujourd'hui la Vierge paye à l'homme la dette contractée par Eve, puisqu'elle enfante sans le secours de l'homme. Afin qu'Adam ne puisse s'enorgueillir d'avoir produit la femme sans le secours d'une femme, la Vierge engendre un homme sans le secours de l'homme, de telle sorte que l'égalité résulte de la parité des merveilles opérées. Adam perdit une de ses côtes et n'en fut pas amoindri; d'autre part, le Seigneur s'est formé dans le sein de la Vierge un temple animé et il n'a point détruit sa virginité. Adam demeura sain et sauf après l'enlèvement de sa côte; la Vierge n'a point été flétrie après la naissance de son fils.

Le Seigneur n'a point voulu se construire un autre temple, ni se revêtir d'un corps formé d'une autre manière, pour faire connaître qu'il ne méprisait pas le limon d'Adam. Et, parce que l'homme trompé était devenu l'instrument de Satan, il a fallu qu'il prît comme un temple animé celui-là même qui avait été séduit, afin que par cette union avec son Créateur, il l'arrachât à l'union et au service de Satan. Et, toutefois, se faisant homme, le Christ n'est pas mis au monde comme un homme, mais comme un Dieu, parce que s'il était issu, comme l'un de nous, d'un mariage ordinaire , la foule n'eût pas voulu croire en lui. Mais il naît d'une vierge et, en naissant, il garde le sein de sa mère immaculé, et cette vierge elle-même sans souillure, afin que les circonstances inusitées d'un pareil enfantement nous inspirent une foi plus grande. Donc, si le Gentil m'interroge ou si le juif n'interroge pour savoir si le Christ, étant Dieu par nature, s'est fait homme en dehors des lois de la nature, je répondrai qu'il en est ainsi, et j'en donnerai pour preuves les marques d'une virginité qui n'a point été violée. Car il n'y à qu'un Dieu qui puisse vaincre l'ordre de la nature , il n'y a que Celui qui a fait le sein de la femme et lui a donné sa virginité qui ait pu préparer pour lui-même ce mode immaculé de sa naissance et se construire, selon son désir, un temple bâti d'une manière ineffable.

Dis-moi donc, ô juif, si la Vierge a enfanté ou non ? Si elle a enfanté, reconnais la (583) merveille de cet enfantement. Mais si elle n'a point enfanté, pourquoi as-tu trompé Hérode? C'est toi-même qui as répondu lorsqu'il demandait où devait naître le Christ : " A Béthléem, dans la terre de Juda. " (Matth. II, 5.) Est-ce que je connaissais cette bourgade ou ce lieu? Est-ce que j'étais informé de la dignité de Celui qui venait de naître? Est-ce que ce n'est pas Isaïe qui fait mention de lui comme d'un Dieu? "Elle enfantera un fils," dit-il, " et on l'appellera Emmanuel. " (Isaïe, VII, 14.) N'est-ce pas vous, adversaires sans bonne foi, qui nous avez appris la vérité? N'est-ce pas vous, scribes et pharisiens, observateurs exacts de la loi, qui nous avez instruits de toute cette affaire? (Matth. I, 23.) Est-ce que nous connaissions la langue hébraïque? Est-ce que vous n'avez pas été vous-mêmes les interprètes des Ecritures? Après que la Vierge eut enfanté, avant qu'elle enfantât, n'est-ce pas vous qui, interrogés par Hérode, afin qu'il fût clair que ce passage n'est pas interprété avec partialité, avez apporté en témoignage le prophète Michée, à l'appui de votre discours? " Et toi," dit-il, "Béthléem, maison de paix, tu n'es pas la dernière entre les principales villes de Juda; car c'est de toi que sortira le chef qui gouvernera mon peuple d'Israël." (Mich. V, 2; Matth. 2, 6.) Le prophète a dit avec raison : " De toi, " car c'est de vous qu'il est sorti pour être donné au monde.

Celui qui est se manifeste, mais celui qui n'est pas est créé ou formé. Mais lui, il était; il était auparavant; il était toujours. Il était de toute éternité comme Dieu, gouvernant le inonde. Aujourd'hui, il se manifeste comme homme afin de gouverner son peuple, mais comme Dieu il sauve toute la terre. O ennemis utiles ! O accusateurs bienveillants ! Vous dont l'imprudence a révélé le Dieu né dans Béthléem, vous qui avez fait connaître le Seigneur caché dans la crèche, vous qui sans le vouloir avez montré la retraite dans laquelle il repose, vous qui devenus nos bienfaiteurs contre votre gré avez découvert ce que vous vouliez laisser dans l'ombre ! Voyez-vous ces maîtres inhabiles? Ce qu'ils enseignent, ils l'ignorent: ils meurent de faim et ils nous nourrissent; ils ont soif et ils nous désaltèrent; ils sont dans l'indigence et ils nous enrichissent.

Venez donc et célébrons cette fête; venez et que ce soit pour nous un jour de solennité. Que la manière de célébrer cette, fête soit extraordinaire, puisque le récit de cette naissance est extraordinaire. Aujourd'hui, le lien antique est brisé, le diable est couvert de confusion, les démons se sont enfuis, la mort est détruite, le paradis est ouvert, la malédiction est effacée, le péché a été banni, l'erreur a été vaincue, la vérité est revenue, et la parole dé la piété est répandue et propagée en tous lieux. La vie du ciel est implantée sur la terre, les anges communiquent avec les hommes, les hommes ne craignent point de s'entretenir avec les anges. Et pourquoi? Parce qu'un Dieu est venu sur la terre et l'homme dans le ciel, et qu'ainsi tout a été uni et mêlé. Il est venu sur la terre, lui qui est tout entier dans le ciel, et, étant tout entier dans le ciel, il est tout entier sur la terre. Etant Dieu, il s'est fait homme, sans renoncer à sa divinité. Etant le Verbe, non sujet au changement, il s'est fait chair: il s'est fait chair afin d'habiter parmi nous. Il n'est point devenu Dieu, mais il était Dieu. Mais il s'est fait chair, afin qu'une crèche pût recevoir Celui que le ciel ne pouvait contenir. Il est donc posé dans la crèche, afin que Celui qui nourrit toute créature reçoive d'une vierge mère la nourriture qui convient à un petit enfant.

De la sorte, le Père des siècles à venir devient un enfant à la mamelle et repose sur les bras d'une vierge, afin d'offrir aux mages un accès plus facile. Car aujourd'hui les mages arrivent et donnent l'exemple de ne point obéir au tyran : le ciel se réjouit et indique le lieu où repose son Seigneur, et ce Seigneur porté sur le nuage léger du corps qu'il a choisi s'avance rapidement vers le pays d'Egypte. En apparence, il luit les embûches d'Hérode ; dans la réalité, il accomplit ce qui avait été dit par le prophète Isaïe : " En ce jour-là, " dit-il, " Israël sera le troisième, après l'Assyrien; parmi les Egyptiens sera mon peuple béni sur la terre que bénit le Seigneur Dieu des armées en disant: Béni sera mon peuple en Egypte, en Assyrie, et en Israël! " (Isaïe, XIX, 24.)

Que diras-tu, ô juif, toi, le premier, qui deviens le troisième? Les Egyptiens et les Assyriens sont mis avant toi, et Israël, le premier-né, est compté ensuite. Il en est ainsi à bon droit. Les Assyriens viendront d'abord, puisque les premiers, ils ont adoré en la personne des mages. Les Egyptiens après les Assyriens, parce qu'ils l'ont reçu fuyant les (584) embûches d'Hérode. Israël sera compté le dernier parce qu'après la sortie du Jourdain il l'a reconnu par la personne des apôtres. Il est entré en Egypte renversant les idoles de l'Egypte faites de la main de l'homme, après avoir fait mourir les premiers-nés des Egyptiens. (Isaïe, XIX, 1.) C'est pourquoi aujourd'hui il se présente en qualité de premier-né, afin de faire disparaître un deuil ancien. Qu'il soit appelé premier-né, c'est ce qu'atteste Luc l'évangéliste, en disant : " Et elle mit au monde son premier-né, et elle l'enveloppa de langes, et elle le plaça dans la crèche parce qu'il n'y avait point de place pour eux dans l'hôtellerie. " (Luc, II, 7.) Il entre en Egypte pour mettre fin au deuil antique, apportant la joie et non des plaies nouvelles, et au lieu de la nuit et des ténèbres la lumière du salut. Jadis, l'eau du fleuve avait été souillée par la mort des enfants enlevés avant l'âge. Maintenant, celui-là même entre en Egypte qui, autrefois, avait rougi ces ondes; il donne à l'eau du fleuve la vertu d'engendrer le salut, purifiant par la puissance de l'Esprit tout ce qu'il y avait en elle d'impur et de souillé. Les Egyptiens, frappés de diverses plaies et se laissant aller à leur fureur, avaient méconnu Dieu. Il entre en Egypte et remplit de la connaissance de Dieu les âmes religieuses qui sont dans cette contrée, en sorte que la terre arrosée par le Nil aurait bientôt plus de martyrs que d'épis.

A cause de la brièveté du temps, je terminerai ici mon discours. Je terminerai lorsque j'aurai dit comment le Verbe, qui est immuable, est devenu chair, sans changement de sa nature. Mais que dirai-je ou comment parlerai-je ? Je vois un artisan, une crèche, un enfant, des langes, (enfant né de la Vierge privé des choses nécessaires, de toutes parts la pauvreté, de toutes parts l'indigence. Avez-vous vu le riche dans une pauvreté profonde? Comment étant riche est-il devenu pauvre à cause de nous? Comment n'a-t-il point un lit, point de molle toison, mais la crèche toute nue sur laquelle il est jeté ? O pauvreté, source de richesses ! 0 richesses sans mesure, qui n'avez que l'apparence de la pauvreté ! Il repose dans la crèche et il ébranle le mande entier. Il est enveloppé dans les liens de ses langes et il brise les liens du péché. Il n'a pas encore fait entendre sa voix et il a instruit les mages et il les a disposés à la conversion.

Que dirai-je donc on comment parlerai-je? Voici l'enfant enveloppé de ses langes et couché dans la crèche ; Marie, vierge et mère est près de lui ; près de lui est Joseph, regardé comme son père. Celui-ci est appelé le mari, celle-là est saluée du nom de femme ; mais ces noms légitimes sont dépouilles de toute leur signification habituelle, ils doivent être compris comme une simple appellation, mais une appellation qui ne va point jusqu'à la nature des choses. Joseph est l'époux de Marie, mais l'Esprit-Saint l'a couverte de son ombre. Et c'est pour cela que Joseph hésite et ne sait quel nom donner à l'enfant. Il n'osait pas dire qu'il fût le fruit de l'adultère et ne pouvait proférer ce blasphème contre la Vierge, mais il ne pouvait pas dire qu'il fût son propre fils, car il savait qu'il ignorait comment et d'où l'enfant tirait son origine. C'est pour cela que, tandis qu'il doute, un oracle du ciel lui est apporté par la voix de l'ange : " Ne crains pas Joseph, car ce qui est né d'elle est de l'Esprit-Saint. " (Matth. I, 20.)

L'Esprit-Saint a couvert la Vierge de son ombre. Pourquoi donc est-il né de la Vierge, en conservant savirginité immaculée? Afin que, si jadis Satan trompa Eve encore vierge, Gabriel, à son tour, vint apporter un heureux message à Marie, elle-même vierge. Mais Eve trompée enfanta une parole qui introduisit la mort dans le monde, tandis que Marie, recevant un heureux message, enfanta dans la chair le Verbe qui nous donne la vie éternelle. La parole d'Eve indiqua le bois par lequel Adam fut chassé du paradis; le Verbe sorti de la Vierge montre la croix par laquelle il introduit le larron à la place d'Adam dans le paradis. Car comme les gentils, les juifs et les hérétiques ne voulaient pas croire que Dieu engendre sans écoulement de sa substance, en demeurant immuable, c'est pourquoi aujourd'hui, sorti d'un corps sujet au changement, il a conservé, dans son intégrité, ce corps sujet au changement, pour nous faire comprendre que, de même qu'il est né d'une vierge sans briser sa virginité, ainsi Dieu, sans changement ni écoulement de sa substance sainte., comme Dieu, a engendré un Dieu, ainsi qu'il convenait à un Dieu.

Et, parce que les hommes, ayant abandonné Dieu, se sont fait des statues de forme humaine auxquelles ils portaient leur culte, au mépris du Créateur; à cause de cela, (585) aujourd'hui, (585) le Verbe de Dieu, étant Dieu, apparaît sous la forme de l'homme, afin de détruire le mensonge et de transporter vers lui-même tout culte. A lui donc qui rétablit de la sorte toutes choses dans une voie meilleure, à Celui qui est le Christ Notre-Seigneur, gloire et honneur, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

Traduit par M. HORIOT.

FIN DU SIXIÈME VOLUME.
 

 

 

 

 

 

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