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Saint Jean Chrysostome
Homélies sur la Genèse

.HOMELIES TOME 5
 

HOMELIES TOME 5 *
Tome Vème AVERTISSEMENT. *

HOMÉLIES SUR LA GENÈSE. *

PREMIÈRE HOMÉLIE. *

DEUXIÈME HOMÉLIE. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. (Gen. I, 1.) *

TROISIÈME HOMÉLIE. Suite, de ces paroles : " Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ", jusques à celles-ci : " et du soir et du matin se fit le Premier jour, (Gen. I, 1…5.) *

QUATRIÈME HOMÉLIE. Dieu dit aussi : "Que le firmament soit fait au milieu des eaux ; et qu'il sépare les eaux d'avec les eaux " et cela se fit ainsi. (Gen. I, 6.) *

CINQUIÈME HOMÉLIE. Dieu dit : " Que les eaux, qui sont sous le ciel, se rassemblent en un seul lieu, et que l'aride paraisse. " (Gen, I, 9.) *

SIXIÈME HOMÉLIE. Et Dieu dit : " Que des corps de lumière soient faits dans. le firmament du ciel, et qu'ils éclairent la terre, afin qu'ils séparent le jour et la nuit et qu'ils servent de signes pour marquer les temps et les saisons, les jours et les années. " (Gen. I, 14.) *

SEPTIÈME HOMÉLIE. Et Dieu dit : " Que les eaux produisent des animaux vivants qui nagent dans l'eau, et, des oiseaux qui volent sur la terre, sous le firmament du ciel, et il fut fait ainsi. " Dieu créa donc les grands poissons, et tous les animaux qui ont la vie et le mouvement, que les eaux produisirent, chacune selon leur espèce (Gen. I, 20, 21.) *

HUITIÈME HOMÉLIE. Et Dieu dit : " Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance , et qu'il domine sur les poissons de la mer; et sur les oiseaux du ciel, et, sur les animaux, et sur toute la terre , et sur tous les reptiles qui se meuvent sur la terre." (Gen. I, 26.) *

NEUVIÈME HOMÉLIE. Suite de ces paroles : " Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. " *

DIXIÈME HOMÉLIE. Suite de ces paroles : "Faisons l'homme à notre image, et à notre ressemblance, " et Dieu créa l'homme et il le créa à l'image, de Dieu : " il les créa mâle et femelle. " (Gen. I, 26, 27.) *

ONZIÈME HOMÉLIE. Qu'il faut estimer la vertu, imiter les saints, qui, étant de même nature que nous, l'ont pratiquée excellemment : la négligence sera sans excuse. *

DOUZIÈME HOMÉLIE. Sur des paroles : " Ceci est le livre de la création du ciel et de la verre, quand ils furent créés , au jour que Dieu fit le ciel et la terre. " (Gen, II , 4.) *

TREIZIÈME HOMÉLIE. " Or le Seigneur Dieu avait dans Éden, vers l'Orient, un jardin de délices, et il y plaça l'homme qu'il avait formé. " (Gen. II, 8.) *

QUATORZIÈME HOMÉLIE. " Et le Seigneur, Dieu prit. l'homme qu'il avait formé, et le plaça dans le jardin de délices pour le cultiver et le garder. " (Gen. II. 25.) *

QUINZIÈME HOMÉLIE. " Mais il ne se trouvait point pour Adam d'aide semblable à lui : Dieu envoya donc à Adam un profond sommeil ; et pendant qu'il dormait, Dieu prit une de ses côtes et mit de la chair en sa place. Et Dieu produisit la femme de la côte qu’il avait ôtée à Adam. " (Gen. II, 21, 22.) *

SEIZIÈME HOMÉLIE. " Ils étaient nus et ils n'en rougissaient pas. (Gen, II, 25.) " *

DIX-SEPTIÈME HOMÉLIE. " Et ils entendirent la voix du Seigneur Dieu qui s'avançait dans le jardin, après le milieu du jour. " (Ge. III, 8) *

DIX-HUITIÈME HOMÉLIE. " Et Adam donna à sa femme le nom d'Eve, parce qu'elle est la mère de tous les vivants. Et le Seigneur Dieu fit à Adam et à sa femme des tuniques de peau, et il les en revêtit ; et il dit : Voici Adam devenu comme l'un de nous. " (Gen. III; 20, 21; 22.) *

 
Tome Vème AVERTISSEMENT.
Qu'il parle ou qu'il écrive, saint Jean Chrysostome ne fait guère que commenter la sainte Ecriture. Il ne pense, il ne sent, il ne raisonne que d'après le Livre sacré. C'est son élément, et il s'y tient si constamment qu'il semble ne pas connaître autre chose. Il le parcourt dans tous les sens avec une aisance et une agilité merveilleuses; sans cesse il vole de la Genèse à l'Evangile, de l'Evangile à la Genèse, de David et d'Isaïe à saint Paul et à saint Jean, de ceux-ci à ceux-là, comparant les textes, les complétant, les éclaircissant les uns par les autres, avec une éloquence toujours montée au ton de l'enthousiasme.

Dans ce perpétuel commentaire des Livres saints qu'offrent les oeuvres complètes du grand Docteur, on distingue néanmoins ce qu'on pourrait nommer les couvres de circonstance, Traités , Homélies, Lettres: elles remplissent les quatre premiers volumes de cet ouvrage; puis les commentaires suivis sur de grandes parties de l'Ecriture, ce qu'on peut nommer les commentaires proprement dits. Il y en a sur la Genèse, sur les Psaumes, sur les Prophètes, sur saint Matthieu, sur saint Jean, sur toutes les épîtres de saint Paul. C'est cette seconde catégorie , de beaucoup la plus considérable et la plus importante , des oeuvres de notre auteur, que nous abordons avec notre tome Ve : elle remplira tous les volumes suivants jusqu'au dernier, que Dieu nous fasse la grâce d'achever bientôt.

Le P. Montfaucon, à son ordinaire, fait précéder le commentaire sur la Genèse d'une dissertation aussi longue qu'érudite sur le nombre des homélies, sur le lieu et sur l'époque où elles furent prononcées, sur le style qui leur est propre, sur l'édition des Septante suivie par saint Chrysostome, sur ce que l'Orateur entend (2) par le centième dont il parle dans sa troisième homélie, sur la grande semaine, sur le jour dominical, et sur l'inégalité des heures chez les anciens.

Voici les conclusions de cette dissertation :

Le nombre des Homélies est de 67 : elles furent prêchées à Antioche pendant le carême, on ne sait de quelle, année. Selon Photius, le style de ces homélies est moins correct que celui des autres écrits de saint Chrysostome. Les parenthèses sont quelquefois si longues, que le saint Docteur perd totalement de vue son sujet. C'est qu'il parlait sans beaucoup de préparation et que souvent il se laissait entraîner par de nouvelles pensées qui le frappaient subitement. Cela n'empêche pas que l'on y remarque cette pureté de langage, cette clarté d'expression, cette abondance de similitudes, cette vivacité d'images qui caractérisent toujours saint Chrysostome. L'édition des Septante dont s'est servi saint Chrysostome diffère en quelques endroits de l'édition commune. Le centième dont il est fait mention à la troisième homélie exprime le taux ordinaire de l'usure chez les anciens, un pour cent par mois. Les habitants d'Antioche donnaient le nom de Grande semaine à la dernière semaine du carême.

Le jour dominical emera kuria, dont parle saint Chrysostome, n'est autre que le jour de Pâques. Les anciens, divisant le jour et la nuit chacun en douze parties égales, avaient nécessairement des heures plus ou moins longues suivant les différentes saisons de l'année.

 

 

 

 

HOMÉLIES SUR LA GENÈSE.
PREMIÈRE HOMÉLIE.
ANALYSE.

1. L'annonce du carême doit être accueillie avec joie, parce qu'il est un remède aux maux de notre âme. — Le jeûne et l’abstinence produisent une infinité de biens, tandis que l'intempérance a introduit dans le monde le péché et la mort. — 2. Exemple d'Adam et d'Eve, des habitants de Sodome et des Israélites dans le désert. —3. Au contraire, par le jeune, Elie a été enlevé au ciel, Daniel enchaîna la férocité des lions, et les Ninivites obtinrent le pardon (le leurs iniquités. — Jésus-Christ lui-même a voulu jeûner quarante jours ; et c'est à son imitation que l'Eglise a adopté ce nombre dans le saint carême. — 4. Influence salutaire du jeûne, et suites funestes de l'intempérance.

1. Je surabonde de joie et d'allégresse en voyant aujourd'hui la foule des fidèles remplir l'église de Dieu, et je loue le pieux empressement qui vous y rassemble. Aussi, le riant épanouissement de vos traits -m'est-il un signe certain du contentement de vos âmes : car le Sage a dit que la joie du cceur brille sur le visage. (Prov. XV, 13.) C'est pourquoi j'accours moi-même plein d'enthousiasme pour prendre part à la joie spirituelle de vous tous, et pour vous annoncer le retour de cette sainte quarantaine qui nous apporte la guérison des maux de l'âme. Et en effet, le Seigneur, comme un bon père, ne désire rien tant que de nous pardonner nos fautes anciennes; et c'est pourquoi il nous en offre dans le saint carême la facile expiation. Que personne donc ne paraisse triste et chagrin, et que tous au contraire, pleins de joie et d'allégresse, célèbrent le divin médecin de nos âmes qui nous ouvre cette voie de salut, et accueillent avec transport l'annonce de ces jours bénis. Que les Gentils soient confondus, et que les Juifs rougissent en voyant quel zèle éclate parmi nous à l'approche du carême, et qu'ils connaissent par leur propre expérience l'immense intervalle qui les sépare de nous. Ils appellent fêtes et féries ces jours que probablement ils passeront dans les excès de la table, du vin et des plaisirs; mais l'Eglise de Dieu pratique les vertus opposées à ces vices elle aime le jeûne et recherche les salutaires résultats de l'abstinence. Voilà ses fêtes. Et ne sont-ils pas en effet de véritables fêtes, ces jours où l'on s'occupe du salut de son âtre, et où la (4) paix et la concorde règnent dans la cité; alors on retranche presque toutes les préoccupations de la vie, le bruit du forum, le tumulte des marchés, l'empressement des cuisiniers et les sanglantes fonctions des bouchers. Mais comment dépeindre le repos et le calme, la charité et la joie, la paix et la douceur et tous les biens innombrables que nous promet le retour du carême !

Souffrez donc, mes chers frères, que je vous en dise quelques mots. Et d'abord je vous prie de recevoir ma parole avec bienveillance, afin que vous en rapportiez dans vos maisons d'heureux fruits. Car nous ne nous sommes point ici réunis comme au hasard, moi pour vous parler, vous pour m'applaudir, et ensuite nous retirer; mais je suis venu pour vous adresser une parole utile à votre salut, en sorte que vous ne quittiez point ce temple sans avoir recueilli de ma bouche d'importantes et salutaires instructions. L'église est le trésor des remèdes de l'âme; et ceux qui viennent ici ne doivent point se retirer qu'ils n'aient auparavant reçu les remèdes qui leur conviennent, et qu'ils ne les aient appliqués à leurs blessures. Et en effet, il sert peu d'écouter si l'on ne réduit en pratique ce que fon entend. Aussi saint Paul nous dit-il que ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi qui sont justes aux yeux de Dieu; mais que ce sont ceux qui la pratiquent qui seront justifiés. (Rom. II, 13.) Et le Sauveur lui-même nous parle ainsi dans son Evangile : Tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n'entreront pas dans le royaume des cieux; mais celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux. (Math. VII, 21.) C'est pourquoi, mes bien-aimés, puisque vous savez que l'audition de la parole sainte n'est vraiment utile qu'autant qu'elle se traduit en bonnes couvres, ne vous bornez pas à l'écouter, mais faites-en la règle de votre conduite, afin que, voyant les fruits salutaires de nos discours, nous vous parlions avec une confiance nouvelle. Déployez donc toute la bienveillance de votre âme pour entendre ce que j'ai à vous dire touchant le jeûne. Le fiancé qui doit épouser une vierge chaste et pudique orne sa maison de riches ameublements,; il y établit le bon ordre et la propreté, et il en chasse les servantes licencieuses et immodestes; alors seulement il introduit son épouse dans la chambre nuptiale; et de même je voudrais que, jaloux de purifier vos âmes, vous disiez adieu aux délices de la table et à l'intempérance des festins, et que vous réserviez au jeûne un bienveillant accueil, car il est pour nous la source et le principe de tous les biens, non moins que l'école de la chasteté et de toutes les vertus. Ce sera aussi le moyen de le commencer avec plus de joie et d'en retirer des fruits plus salutaires. Le médecin prescrit une diète sévère comme préparation à une énergique purgation; il veut ainsi que la force du remède ne soit énervée par aucun obstacle et qu'il agisse avec une entière efficacité. Mais n'est-il pas plus nécessaire encore de purifier nos âmes par une exacte sobriété, afin que le jeûne produise en nous tous ses salutaires effets, et que l'intempérance ne nous en fasse point perdre les heureux fruits?

2. Je ne doute pas que plusieurs ne taxent ce langage d'étrangeté ; mais je les prie de ne pas se rendre les esclaves de la coutume , et d'écouter paisiblement la voix de la raison. Ah ! quels avantages peut-il nous revenir de consumer cette journée dans les plaisirs de latable et les excès du vin ? Et que parlé-je d'avantages ! nous n'en saurions recueillir qu'une infinité de maux et d'inconvénients. Dès là que la raison se noie sous les flots du vin,, nous tarissons dans leur source et dans leur principe les grâces du jeûne et de l'abstinence. Et puis quel spectacle plus hideux et plus repoussant que celui de ces hommes qui ont passé la nuit entière dans les orgies de l'ivresse , et qui au lever de l'aurore et aux premiers rayons du soleil, exhalent la puante odeur du vin dont ils se sont remplis ? Quiconque les rencontre ne les aborde qu'avec dégoût, leurs serviteurs les regardent d'un oeil de mépris, et ils deviennent un objet de raillerie pour tous ceux qui conservent quelque décence: Mais ce qui est encore plus triste , c'est que par leurs excès et leur criminelle intempérance ils attirent sur eux la colère de Dieu; car les ivrognes, dit l'Apôtre, ne posséderont point le royaume de Dieu. (I Cor. VII, 10. ) Eh ! quel plus grand malheur que d'être exclu des parvis célestes pour un plaisir si court et si funeste ! A Dieu ne plaise qu'aucun de mes auditeurs soit adonné à cette honteuse passion ! je souhaite au contraire que tous passent cette journée dans une sage retenue, en sorte qu'à l'abri des orages et des tempêtes qu'excite l'ivresse, ils ouvrent au jeûne le port calme et paisible d'une âme sobre et tempérante. C'est ainsi qu'ils en recueilleront les fruits abondants.

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Et en effet, de même que l'excès des viandes et du vin entraîne pour l'homme une infinité de maux, le jeûne et l'abstinence lui produisent une infinité de biens. Aussi dès le commencement Dieu en fit-il un précepte au premier homme, car il savait que ce remède était nécessaire au salut de son âme. Tu peux manger , lui dit-il , de tous les fruits du jardin ; mais ne mange pas du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal. ( Gen. II, 16.) Or, dire mangez ceci, et ne mangez pas cela, n'était-ce point figurer la loi du jeûne ? Hélas ! Adam qui aurait dû garder ce précepte , le transgressa , il fut vaincu par le vice de l'intempérance, et à cause de sa désobéissance condamné à la mort. Le démon , cet esprit méchant, et ennemi dé l'homme , n'avait pu voir sans envie que dans le paradis terrestre nos premiers parents menaient une vie heureuse, et que dans un corps mortel ils conservaient une innocence angélique. C'est pourquoi il tenta de le faire déchoir de cet heureux état, et en lui promettant des biens plus excellents encore, il le dépouilla de ceux qu'il possédait, tant il est dangereux de ne point se resserrer en des bornes légitimes, et d'aspirer toujours au-dessus de soi ! Le Sage lui-même nous en avertit quand il dit que par l'envie de Satan la mort est entrée dans le monde. (Sag. II, 24. ) Vous voyez donc, mes chers frères, comment à l'origine des temps, l'intempérance a introduit la mort ; et maintenant j'appelle votre attention sur ces deux passages de la sainte Ecriture , où elle condamne les plaisirs et la bonne chère. Le peuple s'assit pour manger et pour boire, et tous se levèrent pour danser. Le peuple bien-aimé but et mangea; appesanti, rassasié, enivré, il a délaissé le Dieu son créateur. ( Ex. XXXII, 6 ; Deut. XXXII, 15. ) Ce fut aussi par ces mêmes excès joints à leurs autres crimes que les habitants de Sodome attirèrent sur eux les vengeances du Seigneur. Car le Prophète dit expressément que l'iniquité de Sodome a été l'intempérance et les voluptés de la chair. ( Ezéch. XVI, 49. ) Ce vice est donc la source, et comme la racine de tous les maux.

3. Mais à ces suites funestes de (intempérance opposons les heureux résultats du jeûne. Après un jeûne de quarante jours, Moïse mérita de recevoir les tables de la loi. Mais comme il vit, en descendant de la montagne, les sacrilèges iniquités du peuple juif, il jeta à terre et brisa ces mêmes tables qui lui avaient coûté tant, d'efforts et de privations. Car il lui paraissait absurde qu'un peuple prévaricateur et voluptueux reçût une législation divine. Cet admirable prophète eut donc besoin de jeûner une fois encore, quarante jours, pour recevoir de nouveau et apporter ces mêmes tables qu'il avait brisées en punition des crimes du peuple. C'est par un jeûne semblable que le grand Elie obtint d'échapper à la tyrannie de la mort. Enlevé au ciel sur un char de feu, aujourd'hui encore il est vivant. Et Daniel, l'homme de désirs, vit ses longs jeûnes récompensés par d'admirables révélations ; et changea la férocité des lions en la douceur des agneaux. Sans doute il ne détruisit pas en eux l'instinct de la nature, mais il en suspendit la voracité. Enfin les Ninivites désarmèrent par un jeûne rigoureux les vengeances du Seigneur, ils y assujettirent les animaux aussi bien que les hommes, et chacun quittant ses voies mauvaises, ils éprouvèrent les effets de la miséricorde divine.

Mais il est inutile de multiplier ici les exemples des serviteurs : et combien de traits ne me fourniraient pas l'Ancien et le Nouveau Testament ! il vaut mieux s'arrêter à la personne même de notre commun Maître. Or le divin Sauveur Jésus a voulu jeûner quarante jours afin de se préparer à la tentation, et de nous apprendre par son exemple qu'il faut comme lui, nous armer du jeûne, et y puiser les forces nécessaires pour lutter victorieusement contre le démon. Mais ici peut-être quelque bel esprit, ou quelque profond raisonneur me demandera pourquoi le Maître a jeûné exactement le même nombre de jours que les serviteurs , et pourquoi il n'a pas voulu dépasser ce nombre? Je leur réponds que cette conduite, bien loin d'être inutile et téméraire, est pleine de sagesse et d'une ineffable miséricorde. Il a voulu jeûner pour montrer que son corps était véritable et non 'point fantastique; et il a voulu se borner à quarante jours de jeûne pour prouver que `sa chair était semblable à la nôtre. C'est ainsi que par avance il réfutait l'insolence de ces esprits curieux et disputeurs. Et en effet si malgré cette disposition des choses et des faits, quelques-uns soulèvent de pareilles objections, que ne diraient-ils pas, si le Sauveur n'eût coupé court à tous les prétextes de leur incrédulité ? Oui, il a jeûné exactement le même nombre de jours que ses serviteurs, afin de nous convaincre qu'il s'est revêtu d'une chair (6) toute semblable à la nôtre et qu'il n'était pas étranger à notre nature.

4. Et maintenant que je vous ai montré quelle est l'excellence et l'utilité du jeûne, et que je vous ai mis sous les yeux l'exemple du divin Maître et de ses serviteurs, je vous conjure, mes chers frères, de ne point négliger les grands avantages qui y sont attachés. N'accueillez donc point avec tristesse le retour de ces jours de salut, mais réjouissez-vous, et soyez pleins d'allégresse, parce que, selon la parole de l'Apôtre, plus l'homme extérieur est affaibli, plus l'homme intérieur se renouvelle. (II Cor. IV, 16.) Le jeûne est en effet comme la nourriture de l'âme; et de même que les mets de nos tables entretiennent la santé du corps, le jeûne communique à l'âme une vigueur nouvelle. Il lui donne comme deux ailes légères qui l'élèvent, loin de l'horizon de la terre, jusqu'à la contemplation des plus sublimes mystères. Et c'est alors que cette âme plane au-dessus des plaisirs de cette vie, et de toutes les voluptés des sens. Nous voyons encore qu'un léger esquif sillonne aisément les flots, tandis qu'un vaisseau trop chargé périt par son propre poids. Ainsi le jeûne qui allége l'esprit, le rend plus agile pour traverser la mer de ce monde. Notre oeil se tourne vers le ciel et les choses du ciel, et notre pensée méprise les biens de la terre qui ne nous paraissent qu'une ombre et qu'un songe. L'ivresse au contraire et l'intempérance appesantissent l'esprit en surchargeant le corps. Elles rendent l'âme captive des sens, la pressent de toutes parts, et lui enlèvent le libre exercice du jugement et de la raison. Aussi cette âme s'égare-t-elle çà et là à travers des précipices, et court infailliblement à sa perte.

C'est pourquoi, mes chers frères, entrons avec une sainte ardeur dans la pratique salutaire du jeûne : et puisque nous n'ignorons point les maux que produit l'intempérance, fuyons-en les suites funestes. Sans doute l'Evangile, qui nous prescrit une morale plus épurée, qui nous propose une lutte plus difficile et des fatigues plus grandes, et qui nous promet une récompense plus belle et une couronne plus éclatante, nous interdit sévèrement les excès de la table. Mais la loi ancienne elle-même défendait également l'intempérance et cependant les Juifs ne voyaient encore toutes choses qu'en figures, et attendaient la véritable lumière. Ils étaient comme de jeunes enfants que l'on nourrit de lait. Peut-être m'accuserez-vous de parler ainsi au hasard, et sans preuve; écoutez donc le prophète Amos : Malheur à vous qui êtes réservés pour le jour mauvais, qui dormez sur des lits d'Ivoire et vous étendez mollement sur votre couche, qui mangez les agneaux choisis et les génisses les plus grasses, qui buvez les vins les plus délicats, et vous parfumez des essences les plus exquises, et qui considérez ces plaisirs comme un bien stable et permanent, et non comme un songe fugitif ! (Amos, VI, 3-6.) Voilà quel langage sévère le Prophète faisait entendre aux Juifs, peuple grossier, ingrat et adonné chaque jour aux plaisirs des sens. Il n'est pas inutile non plus de peser les expressions qu'il emploie, et d'observer qu'après leur avoir reproché leur penchant à l'ivrognerie et à la débauche, il ajoute qu'ils considéraient ces plaisirs comme un bien stable et permanent, et non comme un songe fugitif. N'est-ce pas nous avertir que ces voluptés s'arrêtent au gosier, et se bornent à flatter le palais?

Le plaisir est donc court et momentané, mais la douleur qu'il cause est longue et durable. Et cependant, dit le Prophète, malgré les leçons de l'expérience, les Juifs s'obstinaient à regarder le plaisir comme un bien stable et permanent, tandis qu'il n'est qu'une jouissance fugitive. Oui, le plaisir s'envole rapidement, et nous ne saurions le fixer même quelques instants. Car telle est la destinée des choses humaines et sensibles. A peine les possédons-nous qu'elles nous échappent. Telle est aussi la nature des délices, de la gloire du monde, de la puissance, des richesses et des prospérités de la vie. Elles ne nous offrent rien de solide ni d'assuré; rien de ;fixe ni de permanent. Elles s'écoulent plus rapidement que l'eau des fleuves, et laissent vides, et indigents tous ceux qui les recherchent avec un si vif empressement. Mais au contraire les biens spirituels nous présentent un caractère tout diffèrent. Ils sont fermes, assurés, constants et éternels. Ne serait-ce donc pas une étrange folie que d'échanger une jouissance passagère contre des biens immuables , des plaisirs momentanés contre un bonheur immortel, et des voluptés frivoles et rapides contre une félicité vraie et éternelle ? Enfin, les uns nous exposent aux supplices affreux de l'enfer, tandis que les autres nous rendront souverainement heureux dans le ciel. Ainsi donc, mes très-chers frères, (7) que ces vérités sérieusement méditées nous fassent donner à notre salut toute notre attention , mépriser les plaisirs des sens, plaisirs vains et dangereux , et embrasser avec joie le jeûne et ses pratiques salutaires. Montrons par tout l'ensemble de notre conduite que nous sommes véritablement changés, et hâtons-nous de multiplier chaque jour nos bonnes oeuvres. C'est ainsi qu'après avoir , durant le saint temps du carême, grossi nos richesses spirituelles, et augmenté le trésor de nos mérites, nous atteindrons heureusement le saint jour du Seigneur. Dans ce jour il nous sera donné de nous asseoir avec confiance à la table redoutable du banquet divin, d'y participer avec une conscience pure aux délices ineffables, et d'y recevoir les biens éternels et les grâces abondantes que le Seigneur nous a préparés. Puissions-nous obtenir cette grâce par les prières et l'intercession des saints qui ont plu eux-mêmes à Jésus-Christ notre divin Sauveur, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'empire et l'honneur, maintenant, et dans tous les siècles des siècles! — Ainsi soit-il.

 

 

DEUXIÈME HOMÉLIE. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. (Gen. I, 1.)
ANALYSE.

1. Le carême avec ses pratiques de pénitence est un temps très-favorable pour la prédication. — C'est pourquoi l'orateur se propose de l'employer à l'explication du livre de la Genèse. — 2. Le Seigneur, qui parlait aux patriarches, a voulu révéler à Moïse la création du monde, et nous la faire connaître par lui. —Écoutons donc ses paroles comme un oracle divin. — 3. Ici une raison trop curieuse deviendrait téméraire, et elle doit se soumettre humblement à la parole du Seigneur. — 4. Ces mots : "Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, " réfutent par avance les erreurs de Marcion et de Valentin ; et s'ils ne veulent pas s'en rapporter à l'Écriture, il faut les éviter et les fuir. — Moïse dit encore que la terre était informe et toute nue, afin de nous montrer Dieu comme l'auteur des biens qu'elle nous prodigue. — 5. L'orateur termine par quelques réflexions morales, et exhorte ses auditeurs à faire de ses instructions le sujet de leurs entretiens.

1. La vue de vos visages aimables me comble aujourd'hui de joie. Le père le plus tendre se réjouit moins au sein d'une nombreuse famille qui l'entoure de gloire, d'hommages et de fêtes, que je ne le fais moi-même en voyant cette belle réunion de chrétiens si pieux et si bien disposés. Vous brûlez d'un tel désir d'entendre la parole divine, que vous abandonnez les plaisirs de la table pour accourir à ce festin spirituel ; et c'est ainsi que vous réalisez cette parole du Sauveur : L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. (Matth. IV, 4.) Imitons donc la conduite des laboureurs. Lorsqu'ils ont bien préparé un champ, et qu'ils en ont arraché les mauvaises herbes, ils y sèment le bon grain en abondance. Mais vos âmes ne sont-elles point un champ mystique, et la grâce divine ne les a-t-elle point épurées de toutes ces affections déréglées qui y entretenaient le trouble et le désordre? aujourd'hui vous avez étouffé tout désir des plaisirs de la table, et vous avez calmé les orages et les tempêtes du coeur et de la pensée, en sorte que la sérénité et la paix règnent dans votre esprit. Vous méprisez donc les jouissances sensuelles pour ne songer qu'aux biens spirituels, et sur les ailes de la pénitence vous vous élevez jusqu'au ciel. C'est pourquoi tout nous engage à vous adresser la parole, et à (8) vous développer le sens caché de quelques passages de nos saintes Ecritures. Si nous n'abordions ce sujet aujourd'hui que le jeûne et l'abstinence maintiennent l'âme dans le calme des bonnes pensées, quand pourrions-nous le faire? Serait-ce dans les jours de plaisirs, de bonne chère et de nonchalance ? Mais il y aurait alors imprudence de notre part; et vous-mêmes ne retireriez aucun fruit de nos discours , parce que votre esprit serait comme submergé sous d'épaisses ténèbres.

Quel temps au contraire plus favorable à nos instructions que ces jours où le corps ne s'insurge point contre l'âme qui est sa maîtresse, et où il se soumet facilement au joug ! Aujourd'hui il est plus docile et plus obéissant; il modère les appétits déréglés des sens, et se contient dans les bornes légitimes du devoir. Et en effet le jeûne produit la paix de l'âme, honore la vieillesse, instruit la jeunesse, enseigne la continence, et pare tout âge et tout sexe comme d'un riche diadème. Aujourd'hui ont cessé le tumulte et les cris, l'empressement des bouchers et les courses des cuisiniers. Nous sommes délivrés de toutes ces importunités, et la cité ressemble à une vertueuse et honnête mère de famille. Quand je réfléchis donc sur un changement si subit, et quand je me rappelle le mouvement et le tracas qui, hier encore, régnaient dans la ville, j'admire et je proclame la force et la puissance du jeûne. Comment a-t-il pu pénétrer ainsi dans la conscience de nous tous, transformer nos pensées et purifier nos âmes? tous reconnaissent ses lois, le magistrat et l'homme privé, le citoyen et l'esclave, l'homme' et la femme, le riche et le pauvre, le grec et le barbare. Mais pourquoi parler des magistrats et des citoyens lorsque l'empereur lui-même fléchit sous sa puissance non moins que le dernier de ses sujets? Aujourd'hui il n'y a aucune différence entre la table du riche et celle du pauvre; tous pratiquent également la frugalité, et bannissent le luxe et l'appareil des festins. Bien plus, on prend aujourd'hui un modeste repas avec plus de plaisir que l'on ne s'asseyait hier à une table chargée de mets exquis et de vins délicats.

2. Ces heureux préludes vous montrent, mes chers frères, quelle est là puissance du jeûne; et moi-même je commence aujourd'hui ce cours d'instructions, plein d'une nouvelle et plus grande joie, parce que je sais que je répandrai la bonne semence dans un champ fertile et bien préparé, en sorte que cette semence produira au centuple. Examinons donc, s'il vous plaît, quel est le sens du passage de la Genèse qui vient d'être lu. Mais prêtez-moi, je vous en conjure, une bienveillante attention; car ce ne seront ni mes pensées, ni ma parole, mais celles que l'Esprit-Saint m'inspirera pour votre utilité que vous entendrez.

Au commencement, dit Moïse, Dieu créa le ciel et la terre. Ici on demande avec raison pourquoi ce saint prophète, qui n'a vécu que plusieurs siècles après la création du monde, nous en raconte l'histoire. Certes il ne. le fait point au hasard et sans de graves motifs. Il est vrai que dans les premiers temps, le Seigneur, qui avait créé l'homme, parlait lui-même à l'homme en la manière que celui-ci pouvait l'entendre. C'est ainsi qu'il conversa avec Adam, qu'il reprit Caïn, qu'il donna ses ordres à Noé, et qu'il s'assit sous la tente hospitalière d'Abraham. Et même, lorsque le genre humain se fut précipité dans l'abîme de tous les vices, Dieu ne brisa pas toute relation avec lui, mais il traita dès lors les hommes avec moins de familiarité, parce qu'ils s'en étaient rendus indignes par leurs crimes; et lorsqu'il daigna renouer avec eux des rapports de bienveillance, et comme faire une nouvelle alliance, il leur parla par lettres, ainsi que nous le faisons à un ami absent. Or Moïse est le porteur de ces lettres, et voici quelle en est la première ligne. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre.

Mais considérez, mon cher frère, combien ce saint prophète est grand et admirable. Les autres prophètes n'ont prédit que des événements .qui devaient se réaliser dans un temps fort éloigné, ou assez proche; celui-ci au contraire qui n'a vécu que plusieurs siècles après la création du monde, a été inspiré d'en-haut de nous raconter l'œuvre du Seigneur. C'est pourquoi il entre ainsi en matière : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Ne semble-t-il pas nous dire à haute et intelligible voix : Sont-ce les hommes qui m'ont appris ce que je vais vous révéler? nullement, mais Celui-là seul qui a opéré ces merveilles, conduit et dirige ma langue pour vous les apprendre : je vous conjure donc d'imposer silence à tout raisonnement humain, et de ne point écouter ce récit comme s'il n'était que la parole de Moïse. Car c'est Dieu lui-même qui nous parle, et Moïse n'est que son interprète. Les raisonnements de l'homme, dit l'Ecriture, sont timides, et ses (9) pensées incertaines. (Sag. ix, 14.) Accueillons donc la parole divine avec une humble déférence, sans dépasser les bornes de notre intelligence, ni rechercher curieusement ce qu'elle ne saurait atteindre. Mais les ennemis de la vérité ne connaissent point c'es règles, et ils veulent apprécier toutes les oeuvres du Seigneur selon les seules lumières de la raison. Insensés ! ils oublient que l'esprit de l'homme est trop borné pour sonder ces mystères. Et pourquoi parler ici des oeuvres de Dieu, quand nous ne pouvons même comprendre les secrets de la nature et des arts? car dites-moi comment l'alchimie transforme les métaux en or, et comment le sable devient un cristal brillant. Vous ne sauriez me répondre; et lorsque vous ne pouvez expliquer les merveilles que la bonté divine permet à l'homme d'opérer sous vos yeux, vous présumeriez, ô homme, de scruter curieusement les ouvrages du Seigneur !

Quelle serait votre défense, et quelle excuse alléguer, si vous vous flattiez follement de comprendre des choses qui surpassent toute intelligence humaine ? car soutenir que la matière a donné l'être à toutes les créatures, et nier qu'un Dieu créateur les a tirées du néant, ce serait le comble de la folie. Aussi le saint prophète, pour fermer la bouche de l'insensé, commence-t-il son livre par ces mots Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Dieu créa : arrêtez donc toute curieuse recherche, humiliez-vous, et ajoutez foi à celui qui vous parle. Or c'est Dieu qui a tout fait, qui prépare toutes choses et qui les dispose selon sa sagesse. Et voyez comme l'écrivain sacré se proportionne à votre faiblesse; il omet la création des esprits invisibles, et il ne dit point : au commencement Dieu créa les anges et les archanges. Mais il n'agit ainsi que par prudence, et pour mieux nous disposer à recevoir sa doctrine. Et en effet il parlait au peuple juif qui ne s'attachait qu'aux biens présents et terrestres, et qui ne pouvait concevoir rien d'invisible et de spirituel. C'est pourquoi il le conduit par la vue des choses sensibles à la connaissance du Créateur, et lui apprend à contempler l'Ouvrier suprême dans ses couvres, en sorte qu'il sache adorer le Créateur, et ne point se fixer, ni s'arrêter à la créature. Malgré cette condescendance, ce même peuple n'a point laissé de se faire des dieux mortels, et de rendre les honneurs divins aux plus vils animaux. Mais jusqu'où n'eût-il point porté sa folie, si le Seigneur ne l'eût prévenu de tant de bontés et de ménagements?

3. Et ne vous étonnez point, mon cher frère, si Moïse en a usé de la sorte dès le principe, et dès les premiers mots, puisqu'il parlait à des juifs grossiers et sensuels. Car nous voyons saint Paul, sous l'ère nouvelle de la grâce, et alors même que l'Evangile avait fait de rapides progrès, adopter la même méthode dans son discours aux Athéniens, et les amener à la connaissance du vrai Dieu par le spectacle de la nature. Le Dieu, dit-il, qui a fait le monde et tout ce qui est dans le monde, étant le Seigneur du ciel et de la terre, n'habite point dans les temples bâtis par les hommes. (Act. XVII, 24.) Il suivait ici ce genre d'enseignement, parce qu'il s'adaptait au caractère de ses auditeurs; et c'était par l'inspiration de l'Esprit-Saint qu'il leur proposait ainsi la doctrine céleste. Mais il savait également varier sa parole selon la diversité des personnes, et leur instruction plus ou moins avancée. Considérez-le en effet écrivant aux Colossiens : il n'observe plus la même marche, et son langage est tout différent... En le Verbe, dit-il, tout a été créé dans le ciel et sur la terre, les choses visibles et invisibles, les trônes, les dominations, les principautés, les puissances; tout a été créé par lui et pour lui. (Col. I, 16.)

Jean, le fils du tonnerre, s'écrie : Tout a été fait par le Verbe, et sans lui rien n'a été fait. (Jean, I, 3.) Mais Moïse débute moins solennellement, et il a eu raison de le faire. Car il ne convenait point d'offrir des viandes solides à ceux qu'il fallait nourrir encore de lait. Les maîtres expliquent d'abord aux enfants qu'on leur confie, les premiers éléments des sciences; et puis ils les conduisent progressivement à des connaissances plus élevées. C'est aussi cette méthode qu'ont suivie Moïse, le Docteur des nations, et Jean, fils du tonnerre. Moïse, qui dans l'ordre des temps, est le premier instituteur de l'humanité, ne lui a proposé que les premiers éléments de la doctrine; Jean au contraire, et Paul qui lui ont succédé, ont pu développer à leurs disciples un enseignement plus parfait.

Nous comprenons donc les motifs qui ont porté Moïse à condescendre à la faiblesse de son peuple. Sous l'inspiration de l'Esprit-Saint, il parlait aux Juifs le langage qui leur convenait; mais il ne laissa pas d'étouffer par ces mots : (10) Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, toutes les hérésies qui, comme un mauvais, grain, devaient pulluler dans l'Eglise. C'est pourquoi, quand un manichéen vous dit que la matière préexistait, et quand Marcion, Valentin ou un païen vous soutiennent la même, opinion, répondez-leur qu'au commencement Dieu créa le ciel et la terre; mais s'ils récusent l'autorité de l'Ecriture, traitez-les comme des extravagants et des insensés. Et, en effet, comment excuser celui qui refuse de croire le Créateur de l'univers et qui taxe de mensonge la Vérité suprême? Il se cache sous de belles apparences et feint les dehors de la douceur; mais il rien est pas moins un loup sous une peau de brebis. Ne vous laissez donc point séduire; et vous devez même d'autant plus le haïr qu'il affecte envers un homme une conduite pleine d'égards, et déclare la guerre au Dieu, souverain Maître de l'univers. Hélas ! il ne s'aperçoit pas qu'il expose le salut de son âme. Pour nous, attachons-nous à la pierre ferme, et revenons à notre sujet : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Et d'abord, observez comme l'Etre divin se manifeste dans le mode même de la création; car, à l'opposé de l'homme, il commence par le couronnement de l'édifice : il déroule premièrement, les cieux, et place ensuite la terre au-dessous; il pose le haut du temple avant que d'en avoir établi les fondements. S'est-il jamais vu rien de pareil? et qui a jamais entendu un semblable récit? Mais Dieu commande, et tout cède à ses ordres. C'est pourquoi, loin de soumettre les couvres du Seigneur à la critique de notre raison, laissons-nous conduire, par la vue de ses ouvrages, jusqu'à l'admiration de l'ouvrier; car les perfections de Dieu sont devenues visibles, depuis la création du monde, par tout ce qui a été fait. (Rom. I, 20.)

4. Mais, si les ennemis de la vérité persistent à soutenir que le néant ne peut rien produire, adressons-leur cette question : Le premier homme a-t-il été formé de la terre ou de toute autre matière? - De la terre, répondront-ils unanimement. Qu'ils nous disent donc comment la chair de l'homme a pu se former de la terre ! Nous la pétrissons pour en façonner des briques,-des tuiles et des vases; mais est-ce ainsi que l'homme a été formé? Et comment, d'une seule et même matière, tirer tant de substances diverses : les os, les nerfs et les artères, la chair, la peau, les ongles et les cheveux? Ici, ils ne sauraient donner aucune réponse raisonnable. Et si, du corps, je passe aux aliments qui le nourrissent, je leur demanderai comment le pain que nous mangeons chaque jour, et qui est une substance homogène, se convertit en sang et en chyle, en bile et en diverses humeurs; car le pain conserve la blancheur de la farine, et le sang est rouge ou purpurin. Mais, si nos adversaires ne peuvent expliquer ces phénomènes qui chaque jour s'accomplissent sous leurs yeux, combien plus difficilement encore rendraient-ils raison des autres ouvrages du Seigneur ! C'est pourquoi, s'ils continuent à rejeter ces nombreuses démonstrations et s'ils persistent dans leur incrédulité, nous nous contenterons de leur opposer la même réponse et de redire : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Ce seul mot nous suffit pour renverser tous les retranchements de nos adversaires, et pour ruiner dans leur fondement tous leurs vains raisonnements. S'ils voulaient du moins cesser enfin cette opiniâtre résistance, ils pourraient rentrer dans la voie de la vérité.

Or, la terre était invisible et informe. Pourquoi le Seigneur, je vous le demande, a-t-il créé le ciel lumineux et parfait, et la terre informe? Certes, il n'a point agi sans raison, mais il a voulu nous révéler, par ce chef d'eouvre de la création, qu'il en a produit également les autres parties, et que ce n'est point impuissance de sa part si elles sont moins parfaites. Une autre raison de ce qu'il a créé la terre informe, c'est qu'elle est la mère et la nourrice du genre humain : nous naissons de son sein et nous vivons de ses productions; elle est la patrie et la sépulture de tous. les hommes, le centre qui nous réunit tous et la source qui nous enrichit de mille biens. Mais, de peur que le sentiment du besoin ne portât les hommes à lui rendre un culte idolâtrique, Moïse nous la montre informe et toute nue, afin que nous ne lui attribuions point sa fécondité, et que nous en rapportions la gloire à Celui qui l'a tirée du néant. Voilà pourquoi l'Ecriture dit que la terre était invisible et informe:

Mais peut-être vous ai-je fatigué, dès le commencement, par des raisonnements trop subtils; c'est pourquoi je crois utile de terminer ici ce discours, et néanmoins je conjure votre charité de conserver le souvenir de mes paroles et de les méditer souvent. Un repas frugal vous attend au sortir de cette réunion; eh bien ! (11) associez la nourriture spirituelle de l'âme à la nourriture matérielle du corps ! Que le mari répète quelque chose de nos instructions; que la femme écoute, que les enfants apprennent et que les serviteurs s'instruisent. Alors, chaque maison sera véritablement lin temple d'où s'éloignera le démon, cet esprit mauvais et ennemi de notre salut, et où reposeront, sur tous ceux qui l'habitent, la grâce de l'Esprit-Saint, la paix et l'union. Si je vois que vous n'oubliez point mes premières instructions et que vous en attendez impatiemment la suite, je . serai moi-même plus empressé de vous communiquer largement tout ce que le Saint-Esprit m'inspirera. Je verrai en effet ma parole germer heureusement dans vos âmes; et c'est ainsi que le laboureur, en voyant naître le grain qu'il a semé, contemple ses champs avec un nouveau plaisir et s'encourage lui-même à leur confier de nouvelles semences.

5. Voulez-vous donc augmenter en. nous le zèle de la parole sainte, faites-nous connaître que vous en gardez un souvenir fidèle et que vous vous appliquez à régler vos moeurs sur votre croyance. Que votre lumière, dit Jésus-Christ, luise devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes œuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. (Matth. V,16.) Ainsi, notre vie doit s'accorder avec les dogmes de notre religion; car la foi sans les oeuvres est morte (Jacq. II, 26), et les oeuvres sans la foi sont également mortes. Et, en effet,, une saine doctrine ne nous servira de rien si nous ne sanctifions notre conduite; et, de même, une vie régulière avec une croyance erronée ne nous sera point comptée pour le ciel. Il faut nécessairement joindre la bonne doctrine à une bonne vie, et l'homme prudent, dit le Sauveur, est celui qui écoute ma parole et la met en pratique. (Matth. VII, 24.) Vous voyez comme il veut et que nous écoutions sa parole et que nous la suivions avec soumission et fidélité. Aussi, déclare-t-il sage et prudent celui qui se distingue par des moeurs conformes aux préceptes de l'Evangile; celui, au contraire, qui se contente d'entendre la parole divine et qui n'en fait point la règle de sa conduite, est à juste titre appelé insensé. Et en effet, il bâtit sa maison sur un sable mouvant; c'est pourquoi cette maison s'écroule sous le choc des vents. Telles sont ces âmes lâches qui ne s'appuient point sur la pierre ferme. Car ici il n'est question ni de maison, ni d'édifice matériel, mais de notre âme et des tentations qui l'ébranlent; ce sont ces tentations que l'Evangile désigne, sous les noms de pluies, de vents et d'inondations. L'homme constant, sobre et vigilant les surmonte aisément, et plus les afflictions sont grandes, plus aussi s'augmentent sa force et son courage; mais l'homme faible et indécis plie au moindre souffle de la tentation : il vacille, se trouble et succombe, bien moins par suite de la violence des attaques que par l'effet d'une volonté molle et chancelante.

C'est pourquoi il importe que nous soyons sobres, vigilants et préparés à tout, modestes et retenus dans la prospérité, et soumis et prudents dans l'adversité; en sorte que dans toute situation nous baisions amoureusement la main miséricordieuse du Seigneur. Ces dispositions attireront sur nous l'abondance des grâces divines, et celles-ci nous feront traverser heureusement le cours de l'existence et acquérir de grands trésors pour la vie éternelle. Je vous la souhaite, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire, l'empire et l'honneur, avec le Père et l'Esprit-Saint, maintenant, toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

TROISIÈME HOMÉLIE. Suite, de ces paroles : " Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ", jusques à celles-ci : " et du soir et du matin se fit le Premier jour, (Gen. I, 1…5.)
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1. L'Ecriture ressemble à une fontaine qui répand ses eaux sans jamais s'épuiser, aussi l'instruction précédente n'a-t-elle pas suffi à l'explication du premier verset de la Genèse. — 2. L'orateur continue donc cette explication, et puis ii dit, en parlant de l'Esprit de Dieu qui était porté sur les eaux, que ces paroles désignent le mouvement et l'activité de l'élément humide. —3. Il nous fait ensuite admirer la puissance divine dans la création et les divers phénomènes de la lumière, et observe que le Seigneur, en déclarant que la lumière était bonne, s'est accommodé à l'usage commun des hommes qui louent un ouvrage fait avec soin. —4. La séparation de la nuit et du jour est, de la part de Dieu, un bienfait qui suffirait seul pour obliger les incrédules à se soumettre à l'autorité de l'Ecriture. — 5. L'orateur s'élève alors contre ceux qui prétendent que tout a été fait fortuitement, et que la Providence ne parait point dans la création. — 6. Il les combat par divers raisonnements tirés de cette création même, et termine par une vive exhortation à résister au démon, et à pratiquer toutes les vertus, et spécialement la charité envers les pauvres.

1. La lecture des divines Ecritures se compare à un riche trésor. Et en effet, celui qui a un trésor à sa disposition, peut facilement s'enrichir. Et de même, une seule ligne des saintes Ecritures, nous offre une rare fécondité de pensées et d'immenses richesses. Mais la parole du Seigneur ne ressemble pas seulement à un trésor; elle est encore une fontaine qui s'épanche toujours abondante et inépuisable. Hier, nous avons pu nous en convaincre, puisque l'explication de ces premières paroles de la Genèse : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, a pris tout le temps de l'instruction, sans que nous l'ayons achevée. C'est que ce trésor est riche, et cette fontaine intarissable. Au reste, ne vous étonnez point, mes frères, de notre impuissance , car ceux qui nous ont précédé sont venus, eux aussi, boire à cette source, et ne l'ont point épuisée; ceux qui nous suivront y viendront également , et ne la tariront point. Tout au contraire, elle croît et grossit à mesure qu'on y puise. Telle est, en effet, la nature des eaux spirituelles de la grâce, qu'elles coulent d'autant plus abondantes qu'on y puise plus fréquemment. Aussi le Sauveur disait-il : Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive. Qui croit en moi, suivant ce que dit l'Ecriture, des fleuves d'eau vive couleront de son sein. (Jean, VII, 37, 38.) Ces paroles nous montrent quelle est l'abondance des eaux de la grâce, et puisque ces eaux ne sont pas moins salutaires qu'inépuisables, préparons le vase de notre âme pour les recueillir, et le reporter plein à la maison. Mais comme l'Esprit-Saint épanche plus libéralement les richesses de ses grâces, lorsqu'il trouve un coeur fervent et un esprit attentif, délivrons-nous des inquiétudes de la vie présente, et arrachons les épines qui étoufferaient en nous les germes des bonnes pensées. Notre âme pourra alors se livrer tout entière aux saintes affections de la piété, en sorte que nous ne quitterons point ce temple sans y avoir recueilli d'utiles leçons et de salutaires instructions.

Au reste, pour me faire mieux comprendre, j'ai besoin, mes chers frères, de revenir un peu sur le sujet que je traitai hier, ce sera comme un trait d'union entre ces deux discours. Je vous disais donc, si vous vous en souvenez, que Moïse, en nous racontant l'oeuvre de la création, s'exprimait ainsi : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre; or la terre était invisible et informe. Je vous expliquai ensuite pour quels motifs Dieu avait ainsi créé la terre informe et privée de toute parure. (13) Vous n'avez point, je le pense, oublié cette explication; aussi puis-je aujourd'hui pour suivre le récit de Moïse. Après avoir dit que la terre était invisible et informe, il nous en donne la raison, en ajoutant que les ténèbres couvraient la face de l'abîme, et que l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux. Mais observez avec quel soin le saint Prophète retranche ici tout détail inutile. Il ne nous raconte point toutes les diverses particularités de la création; mais parce que le ciel et la terre contiennent tous les éléments, il se contente de les mentionner, et passe les autres sous silence. C'est ainsi que sans décrire la formation des eaux, il dit simplement que les ténèbres couvraient la face de l'abîme , et que l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux. Ainsi les ténèbres et l'abîme couvraient la terre; et il était nécessaire qu'un sage ouvrier, corrigeant toute cette difformité, pût donner à celle-ci quelque beauté. Or, les ténèbres, dit Moïse, couvraient la face de l'abîme, et l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux; mais que signifie cette parole l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux? Il me semble qu'elle nous révèle que les eaux possédaient une vertu efficace et vitale. Elles n'étaient donc point stagnantes et immobiles, mais elles se mouvaient avec une certaine activité. Car tout corps qui repose dans une entière immobilité est complètement inutile, tandis que le mouvement le rend propre à mille usages.

2. C'est pourquoi le saint Prophète dit que l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux, afin de nous apprendre qu'elles possédaient une force énergique et secrète, et ce n'est point sans raison que l'Ecriture s'exprime ainsi; car elle veut nous disposer à croire ce qu'elle nous dira plus tard que les animaux ont été produits de ces eaux par le commandement de Dieu, créateur de l'univers. Aussi Moïse ne se contenta-t-il pas de dire que Dieu créa les eaux, mais il ajoute qu'elles se mouvaient, se répandaient et couvraient l'espace. Lors donc que la terre était encore informe et submergée sous l'abîme, le divin Ouvrier corrigea d'une seule parole cette difformité. Il produisit la lumière, dont l'éclatante beauté dissipa soudain les ténèbres extérieures et illumina l'univers. Car Dieu dit que la lumière soit, et la lumière fut. Il dit, et la lumière parut; il commanda, et les ténèbres s'enfuirent à la présence de la lumière. Quelle n'est donc point la puissance du Seigneur !

Mais quelques-uns, séduits par l'erreur et l'hérésie, ne font aucune attention à ce contexte de Moïse : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, et la terre était invisible et informe, parce qu'elle était couverte par les ténèbres et les eaux. Car c'est en cet état que Dieu. a voulu la créer. Aussi affirment-ils que la matière et les ténèbres préexistaient avant la création. Mais cette folie est-elle pardonnable? On vous dit qu'au commencement Dieu créa le ciel et la terre, et qu'il tira toutes choses du néant; et vous soutenez due la matière préexistait! Le simple bon sens fait justice de cette extravagance. Car le Dieu créateur est-il un homme qui ait eu besoin d'une matière pour exercer son art? il est le Dieu à qui tout obéit et qui a créé toute chose par sa parole et son commandement. Voyez plutôt : il a dit une seule parole et la lumière a été faite, et les ténèbres se sont retirées.

Et Dieu divisa la lumière d'avec les ténèbres, c'est-à-dire qu'il leur désigna une demeure séparée et qu'il leur fixa un temps spécial et déterminé. Il leur donna ensuite un nom particulier, car Dieu, dit Moïse, appela la lumière, jour, et les ténèbres, nuit. Observez comme une seule parole et un seul commandement réalisent cette heureuse séparation, et opèrent cette oeuvre admirable que notre raison ne saurait comprendre ! Voyez encore comme le saint Prophète s'est accommodé à la faiblesse de notre intelligence ! ou plutôt, c'est Dieu lui-même qui a daigné parler par sa bouche, afin d'apprendre aux hommes quel a été l'ordre de la création, quel est l'auteur de l'univers et de quelle manière il a produit toutes les créatures. Le genre humain était encore trop grossier pour comprendre un langage plus élevé. C'est pourquoi Moïse, dont l'Esprit-Saint dirigeait la parole, s'est proportionné à l'infirmité de ses auditeurs; il leur a donc expliqué toutes choses avec méthode, et, il est si vrai qu'il n'emploie que par condescendance ce tempérament de style et de pensées, que l’Evangéliste, fils du tonnerre, suit une route tout opposée. Il écrivait dans un temps ou les hommes étaient plus avancés dans l'intelligence de la vérité; aussi les élève-t-il soudain jusqu'aux plus sublimes mystères. Car, après avoir dit : Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu, et le Verbe était Dieu, il ajoute : Il était la véritable lumière qui illumine tout homme venant au (14) monde. (Jean, I, 1, 9.) Et, en effet, de même que dans la création cette lumière sensible qui se produisit à la parole du Seigneur, dissipa les ténèbres matérielles, de même la lumière spirituelle chasse les ténèbres de l'erreur, et ramène à la vérité ceux qui s'égarent.

3. Recevons donc avec reconnaissance les instructions que nous donne la sainte Écriture, et ne nous opposons point à la vérité, de peur que nous ne demeurions dans les ténèbres. Mais au contraire, venons à la lumière, et opérons des couvres dignes du jour et de la lumière. Saint Paul nous y exhorte quand il dit : Marchons dans la décence comme durant le jour, et ne faisons point des actions de ténèbres. (Rom. XIII, 13.) Et Dieu, dit Moïse, appela la lumière, jour, et les ténèbres, nuit. Mais je m'aperçois d'une omission et je la répare. Après donc que Dieu eut dit: que la lumière soit, et la lumière fut, Moïse ajoute : et Dieu vit que la lumière était bonne. Considérez ici, mon cher frère, avec quel art l'écrivain sacré tempère ses expressions. Quoi ! Dieu ignorait-il que la lumière fût bonne avant qu'il ne l'eût créée; et sa vue ne lui en a-t-elle découvert la beauté que du moment où il l'eut produite? Mais quel homme sensé admettrait un tel doute ! car nous voyons qu'aucun ouvrier n'entreprend un ouvrage , ne le travaille et ne le polit sans en connaître d'avance le prix et l'usage; et vous voudriez que l'Ouvrier suprême qui a tiré toutes les créatures du néant, ne sût pas avant de la produire que la lumière était bonne ! Pourquoi donc Moïse emploie-t-il cette façon de parler? c'est que ce saint prophète s'abaisse et s'accommode à l'usage ordinaire des hommes. Quand ils ont travaillé avec grand soin un ouvrage important, et qu'ils l'ont heureusement achevé, ils l'examinent de près et l'éprouvent afin de mieux en connaître tout,le mérite. Et de même la sainte Écriture se proportionne à la faiblesse de notre intelligence en disant que Dieu vit que la lumière était bonne.

Et Dieu divisa la lumière d'avec les ténèbres; et il appela la lumière, jour, et les ténèbres, nuit. Il leur marqua ainsi un temps déterminé, et dès le commencement il fixa à la lumière, et aux ténèbres les limites qu’elles ne devaient jamais franchir. Il suffit en effet d'un peu de bon sens pour se convaincre que depuis ce moment jusqu'aujourd'hui, la lumière n'a point dépassé les bornes que Dieu lui a marquées, et que les ténèbres se sont également contenues dans leurs limites, sans amener aucun trouble ni aucune confusion. Mais cette simple observation ne devrait-elle pas obliger tous lés incrédules à croire ce que l'Écriture nous dit, et à pratiquer ce qu'elle nous commande? Ils imiteraient du moins ces éléments qui poursuivent invariablement leur course, sans en dépasser jamais les limites, ni méconnaître les bornes de leur nature. Mais après que Dieu eut séparé la lumière d'avec les ténèbres, et qu'il leur eut donné un nom particulier, il voulut les réunir sous une commune dénomination. Aussi Moïse ajoute-t-il que du soir et du matin se fit le premier jour. C'est ainsi que le jour comprenant l'espace que parcourent alternativement les ténèbres et la lumière, maintient entre elles l'ordre et l'harmonie, et empêche toute confusion.

L'Esprit-Saint nous a donc révélé, par l'intermédiaire de notre illustre prophète, l'œuvre du premier jour de la création; et il nous révèlera également les couvres des autres jours. Or, cette création successive est de la part de Dieu une preuve de condescendance et de bonté ; car sa main était assez puissante, et sa sagesse assez infinie pour achever la création dans un seul et même jour. Que dis-je ? dans un jour ! un seul instant lui suffisait; mais puisqu'il n'a pu, n'ayant besoin de rien, créer le monde pour sa propre utilité, il faut dire qu'il n'a produit tant de créatures que par son extrême bonté. Et c'est encore cette même bonté qui l'a porté à ne produire ces créations que successivement, et à nous faire connaître, par notre saint prophète, l'ordre et la suite de ses ouvrages. Il a voulu que cette connaissance nous empêchât de nous laisser séduire aux erreurs de la raison humaine. Et, en effet, plusieurs soutiennent encore, malgré une révélation si expresse, que le hasard a tout fait. Mais si Moïse ne nous eût instruits avec tant de condescendance et de netteté , que, n'eussent point osé ceux qui ont la hardiesse d'avancer de semblables propositions, et de tenir une conduite si préjudiciable à leur salut 1

4. Et, en effet, n'est-ce pas le comble du malheur, comme de la folie, que d'affirmer que le hasard a tout fait et que la Providence divine est étrangère à la création? Car peut-on raisonnablement admettre, je vous le demande, que le hasard ait produit ce vaste univers avec sa brillante décoration, et qu'il la conserve et (15) la régisse? Un vaisseau sans pilote ne traverse point les flots, une armée ne fait rien de grand et d'éclatant sans un général , une famille ne s'administre point sans un chef :.et l'on voudrait que ce vaste univers, et l'ensemble des éléments qu'il renferme, se soient produits fortuitement ! Mais ce serait nier l'existence d'un Etre supérieur qui a tout créé par sa puissance, de même qu'il maintient et dirige tout par sa sagesse ; au reste, est-il besoin de nouveaux arguments pour prouver à ces aveugles des vérités qui sautent aux yeux? Cependant je ne négligerai point de leur proposer l'explication de nos saints livres, et j'y emploierai même tous mes soins, afin de les arracher à leurs erreurs et les ramener à la vérité. Car, malgré leur égarement, ils sont nos frères, et à ce titre ils ont droit à toute notre sollicitude. C'est pourquoi je m'appliquerai avec zèle et selon mes forces à leur présenter de salutaires remèdes : et peut-être un jour reviendront-ils à la saine doctrine. Rien en effet n'est plus cher à Dieu que le salut des âmes. Il veut, comme l'Apôtre nous l'assure, que tous les hommes soient sauvés, et qu'ils viennent tous à la connaissance de la vérité. (I Tim. II, 4.) Et le Seigneur lui-même nous dit: Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive. (Ezéch. XXVIII, 23.) Il n'a donc créé l'univers qu'en vue de notre salut; et il nous a fait naître, non pour nous perdre et nous précipiter dans les supplices de l'enfer, mais pour nous sauver, nous délivrer de l'erreur et nous rendre participants de son royaume. C'est ce royaume qu'il nous a destiné longtemps avant notre naissance , et avant même qu'il eût jeté les fondements du monde, comme Jésus-Christ nous l'apprend par ces paroles : Venez, les bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé avant la création du monde. (Matth. XXV, 34.) Oh ! combien est grande la bonté du Seigneur ! il n'avait as encore créé le monde ni formé l'homme que déjà il nous préparait les biens infinis du ciel. Pouvait-il mieux montrer ses soins à l'égard de l'homme, et son désir. de notre salut.

Mais puisque nous avons un Maître si plein de miséricorde, de bonté et de douceur, travaillons à sauver et notre âme et celles de nos frères; car une voie facile et assurée de salut est de ne point concentrer sur soi-même toute sa sollicitude, et de l'étendre jusqu'à ses frères, en sorte qu'on leur soit utile et qu'on les ramène dans les sentiers de la vérité. Mais voulez-vous connaître combien il nous est avantageux de sauver nos frères en nous sauvant nous-mêmes ? écoutez ces paroles qu'un prophète nous adresse au nom du Seigneur : Si vous séparez ce qui est précieux de ce qui est vil, vous serez comme ma bouche (Jér. XV, 19) ; c'est comme si Dieu disait : Celui qui fait connaître la vérité à son prochain, ou qui le ramène du vice à la vertu, m'imite autant qu'il est possible à la nature humaine. Et en effet, le Verbe éternel, tout Dieu qu'il est, a pris notre nature et s'est fait homme pour nous sauver; mais ce n'est pas dire assez que d'affirmer qu'il a pris notre nature et qu'il s'est soumis à toutes les infirmités de notre condition, puisqu'il a même souffert le supplice de la croix, afin de nous racheter de la malédiction du péché. Jésus-Christ, dit l'Apôtre, nous a rachetés de la malédiction de la loi , s'étant rendu lui-même malédiction. (Gal. III, 13.) Mais si un Dieu, quoique impassible en son essence, n'a point dédaigné, dans son ineffable bonté, de tant souffrir pour notre salut, que ne devons-nous pas faire à l'égard de ceux qui sont nos frères et nos membres, afin de les arracher de la gueule du démon et de les ramener en la . voie de la vertu? Car, puisque l'âme est bien supérieure au corps, l'aumône corporelle, qui distribue nos richesses aux pauvres, est moins excellente que l'aumône spirituelle qui, par de salutaires avis et de continuelles exhortations, remet dans le bon chemin les âmes tièdes et paresseuses en leur faisant connaître la difformité du vice et l'admirable beauté de la vertu.

5. Fortement convaincus de ces vérités, plaçons le salut de notre âme au-dessus de tous les intérêts de la vie, et cherchons à exciter dans nos frères une égale sollicitude. Car, que pouvons-nous souhaiter de plus désirable que de retirer une âme, par nos fréquentes exhortations, de cet abîme de maux où nous sommes tous plongés, et de lui enseigner à réprimer ces passions tumultueuses qui nous agitent incessamment. C'est pourquoi nous avons besoin d'être toujours sur nos gardes, parce qu'il nous faut soutenir une guerre qui n'admet ni trève, ni relâche. Aussi l'Apôtre écrivait-il aux Ephésiens : Nous avons à combattre non contre la chair et le sang, mais contre les principautés, contre les puissances, contre les princes (16) de ce monde de ténèbres, contre les esprits de malice. répandus dans l'air. (Eph. VI, 12.) C'est comme s'il nous disait : ne vous persuadez point que vous n'ayez à livrer que de légers combats. Nos adversaires ne sont point .de même nature que nous, et il n'y a point égalité entre les combattants. Nous qui sommes appesantis par le poids du corps, nous devons entrer en lice et nous mesurer contre des puissances spirituelles. Mais ne craignez point, car quoique la lutte soit inégale, nos armes ne laissent pas d'être fortes et puissantes. Et maintenant que vous connaissez, continue-t-il, le génie et le caractère de vos ennemis,, ne perdez point courage, et n'engagez point lâchement le combat : mais revêtez-vous de toutes les armes de Dieu, pour pouvoir vous défendre des embûches du démon. (Eph. VI,11.)

Cet ennemi implacable multiplie ses ruses, c'est-à-dire les moyens qu'il emploie pour surprendre les chrétiens négligents. Il nous importe donc beaucoup de les connaître afin d'échapper à ses coups, et de ne point lui donner entrée dans nos coeurs. C'est pourquoi nous devons veiller avec soin sur notre langue, captiver nos regards, purifier notre âme, et toujours nous tenir prêts à combattre, comme si une bête féroce nous attaquait, et cherchait à nous dévorer. Aussi saint Paul, cet homme apostolique, ce docteur des nations, cet oracle de l'univers n'omet-il rien pour le salut de ses disciples. Après leur avoir dit : Revêtez-vous de toutes les armes de Dieu; il poursuit ainsi pour achever de les rendre invincibles. Soyez donc fermes : que la vérité soit la ceinture de vos reins; que la justice soit votre cuirasse; et que vos pieds aient une chaussure qui vous dispose â suivre l'Evangile de la paix. Servez-vous surtout du bouclier de la foi, afin de pouvoir éteindre tous les traits enflammés de l'esprit mauvais, et prenez encore le casque du salut, et l'épée spirituelle, . qui est la parole de Dieu. (Eph. VI, 14, 17.)

Vous voyez donc comme l'Apôtre nous revêt d'une armure complète, ainsi que des soldats qui s'avancent au combat. Il veut d'abord que nos reins soient ceints pour que nous soyons plus disposés à courir, et il nous couvre ensuite d'une cuirasse, afin de nous protéger contre les traits de notre ennemi. Il munit même nos pieds, et surtout il nous arme de la foi comme d'un bouclier qui puisse repousser et éteindre les traits enflammés de notre ennemi. Quels sont donc ces traits de Satan? Ce sont les désirs mauvais, les pensées impures, et les affections déréglées; l'emportement, l'envie, la jalousie, la colère, la haine, l'avarice et tous les vices. Le glaive de l'esprit, dit l'Apôtre, ;peut éteindre les feux de ces diverses passions, et même trancher la tête à notre ennemi. C'est ainsi qu'il fortifie ses disciples, et qu'il rend plus durs que le fer des hommes qui étaient plus mous que la cire. Et parce que nous n'avons pas à combattre contre la chair et le sang, mais contre dés puissances spirituelles, il ne nous revêt point d'une armure matérielle, et nous remet entre les mains des armes spirituelles et flamboyantes, en sorte que le démon ne puisse même en supporter l'éclat.

6. Revêtus de telles armes, nous ne devons ni craindre ses attaques, ni fuir sa rencontre, ni le combattre lâchement. La vigilance chrétienne ne permet point à l'esprit mauvais de résister à la force de nos armes, et elle déconcerte toutes ses ruses. Mais si nous étions lâches et timides, ces mêmes armes nous deviendraient inutiles, car l'ennemi de notre salut ne dort jamais, et il n'épargne rien pour nous perdre. Soyons donc toujours sous les armes, et abstenons-nous des paroles, non moins que des actions qui blesseraient notre conscience. Joignons aussi à l'exercice de l'abstinence la pratique de toutes les vertus, et spécialement de la charité envers les pauvres, n'ignorant point quelles grandes récompenses sont attachées à l'aumône. Car celui qui donne au pauvre prête au Seigneur. (Prov. XIX, 17.) Et voyez comme ce genre de prêt est extraordinaire et admirable ! L'un reçoit et i n autre se porte garant et caution. Bien plus, et cette considération est importante, nous n'avons ici à craindre ni un défaut de reconnaissance, ni perte aucune. Et en effet, on ne nous assure pas seulement sur la terre le centième; mais le centuple, et après la mort, la vie éternelle. Si quelqu'un nous promettait aujourd'hui de nous rendre le double de notre argent, nous lui offririons notre fortune entière, quoique bien souvent l'on ne rencontre que des ingrats, ou des débiteurs de mauvaise foi. Plusieurs en effet qui passent pour des gens probes et honnêtes, manquent à leurs engagements ou par malice, ou par impuissance. Mais avec Dieu il n'y a rien à craindre : le capital est en sûreté entre ses mains; et quant aux intérêts, il nous donne (17) le centuple dès cette vie, et nous réserve après la mort le bonheur du ciel. Quelle serait donc notre excuse, si une coupable négligence nous empêchait de faire fructifier notre argent au centuple, et d'échanger quelques biens présents et périssables contre les richesses futures et immuables de l'éternité ! Mais on conserve tranquillement son or sous une double clé; et il repose inutilement dans nos coffres-forts, tandis que si nous en faisions part aux pauvres, il nous assurerait leur concours pour la vie future. Employez, dit Jésus-Christ, les richesses injustes à vous faire des amis, afin que quand vous viendrez à manquer, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels. (Luc, XVI, 9.)

Cependant, je le sais, plusieurs, loin de se rendre à mes instances, traitent mes paroles de fables et de rêveries, et ils n'y donnent aucune attention. C'est ce qui m'afflige et me contriste profondément : car je vois que ni l'expérience de la vie, ni les promesses solennelles de Dieu, ni la crainte d'un avenir malheureux, ni mes exhortations de chaque jour ne peuvent les ébranler. Et néanmoins, je ne cesserai point de les poursuivre de mes reproches jusqu'à ce qu'enfin l'importunité de mes avis triomphent de leur dureté. Poissé-je donc les amener à la pratique sincère de l'abstinence, et dissiper ainsi les ténèbres dont les offusquent l'abondance des viandes, le vin et l'avarice ! J'espère en effet, oui, j'espère que ma parole, vivifiée par la grâce divine et l'exercice du jeûne les guériront enfin de cette dangereuse maladie, et les rendront à une parfaite santé. Ils n'auront donc plus à redouter les menaces des feux éternels, et nous-même, délivré de toute inquiétude, nous glorifierons- en leur nom Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit, maintenant, toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

QUATRIÈME HOMÉLIE. Dieu dit aussi : "Que le firmament soit fait au milieu des eaux ; et qu'il sépare les eaux d'avec les eaux " et cela se fit ainsi. (Gen. I, 6.)
ANALYSE.

1. Joie de l'orateur en voyant le concours et l'empressement de ses auditeurs. — Il peut donc espérer que ses instructions produiront des fruits abondants, et d'avance il en rapporte tout l'honneur à l'heureuse efficacité du jeûne. — 2. C'est ainsi par la force des armes spirituelles dont nous revêt l'Esprit Saint que nous vaincrons le démon, soyons donc toujours munis de ces aimes. — 3. 4. L’orateur poursuit ensuite son explication de l'oeuvre des six jours, et après avoir montré la puissance de Dieu dans !a création du firmament, il évite de rien décider sur la nature de ce corps, et engage les auditeurs à se contenter de ce que l'Ecriture nous en apprend. — Le nom de ciel donné au firmament le conduit à réfuter l'opinion de la pluralité des cieux, et il montre que dans les psaumes celte expression les cieux des cieux, doit être interprétée selon le génie de la langue hébraïque qui admet le pluriel pour le singulier. — 5. Il s'étend beaucoup sur la beauté du firmament, sa vaste étendue, et son admirable utilité. — 6. 7. 8. Cette description lui fournit le sujet de diverses moralités, et il termine par une vive exhortation au jeûne et à l'amour des ennemis.

1. En voyant croître chaque jour, mes très-chers frères, votre concours et votre empressement, je suis pénétré de joie, et je ne cesse de remercier le Seigneur de vos progrès en la vertu. Car si un bon appétit est le signe d'une bonne santé, le zèle et l'ardeur pour entendre la parole sainte est la. marque infaillible d'une âme pieuse. C'est pourquoi Jésus-Christ, dans le (18) sermon de la montagne, et l'énumération des béatitudes, proclame : Heureux, ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés. (Matth. V, 6.) Qui peut donc vous louer dignement, vous que le Seigneur a déclarés bienheureux, et qui en attendez encore les plus riches faveurs? Car tel est notre divin Maître. Lorsqu'il trouve une âme qui se porte vers les biens spirituels avec un violent désir, et une vive ardeur, il l'enrichit libéralement de ses grâces et de ses dons. J'espère aussi qu'il m'accordera pour votre avantage et votre édification une parole plus facile et plus abondante. C'est pour vous, et pour votre avancement spirituel que j'ai entrepris ce travail, afin que vous arriviez promptement au faite des vertus chrétiennes. Vous deviendrez alors au sein de la famille et de l'amitié les prédicateurs des saintes maximes; et nous-même, nous vous parlerons avec plus de confiance, en voyant que nos labeurs ne sont point vains, ni stériles. Chaque jour la semence spirituelle croît en vos coeurs; et je suis bien plus heureux que le semeur de la parabole évangélique. Il perdit les deux tiers de son grain dont une partie seule fructifia : car celui qui tomba sur le grand chemin ne germa point, celui qui tomba parmi les épines fut étouffé, et celui qui, jeté sur la pierre, demeura sur la superficie du sol ne produisit aucun fruit. (Matth. XIII, 4-7.) Ici au contraire, j'espère que la semence de la parole sainte sera reçue dans une terre bien préparée, et que, par le secours de la grâce, elle produira dans les uns cent pour un, et dans les autres, soixante ou trente.

Cette espérance ranime mon ardeur, et excite mon zèle : car je sais que je ne parlé point inutilement, et que vous me prêtez une oreille attentive, et de bienveillantes dispositions. Ce langage n'est point en ma bouche celui de la flatterie ; et il exprime seulement la joie qu'hier mon discours parut vous causer. Je vous voyais en effet comme suspendus à mes lèvres, et soigneux de ne perdre aucune de mes paroles. Bien plus, vos continuels applaudissements me prouvaient assez que vous les accueilliez avec une véritable satisfaction. Or un discours qui est écouté avec plaisir fait en nous une profonde impression. Il se grave au plus intime de la mémoire; et celle-ci en garde un impérissable souvenir. Qui pourrait donc et vous louer dignement, et assez nous féliciter nous-même de votre bienveillante attention? Car le Sage a dit : Heureux celui qui parle à des hommes qui l'écoutent! (Eccli. XXV, 12.) Mais j'en réfère tout l'honneur au jeûne; et si dès les premiers jours il produit de tels fruits dans nos âmes, quelle ne sera pas, dans le cours de la sainte quarantaine, sa divine efficacité ! Je ne vous demande donc qu'une seule chose c'est d'opérer votre salut avec crainte et tremblement (Phil. II, 12), et de ne donner aucun accès à l'ennemi de vos âmes. Il écume de rage et de fureur à la vue de vos richesses spirituelles, et comme un lion rugissant, il tourne autour de vous, cherchant quelqu'un à dévorer. (I Pierre, V, 8.) Mais si nous sommes sur nos gardes, il ne pourra, par la grâce de Dieu, nuire à personne.

2. Et en effet l'armure dont nous revêt l'Esprit-Saint, comme je vous le disais hier, est véritablement une armure invincible, et si nous avons soin de toujours nous en couvrir, aucun des traits de notre ennemi ne pourra nous atteindre. Ils retomberont sur lui, sans nous frapper. Car la grâce divine nous rend plus solides que le diamant , et même , si nous le voulons, entièrement invulnérables. Celui qui frappe un diamant ne l'ébrèche point et ne fait que se fatiguer et s'épuiser lui-même. Le coursier qui résiste à l'éperon se met les flancs tout en sang; et c'est ce qui arrive à l'égard de l'ennemi de notre salut, lorsque nous sommes toujours couverts des armes que nous offre la grâce de l’Esprit-Saint. Leur vertu est si grande que le démon ne saurait en soutenir l'éclat, et que ses yeux en sont tout éblouis. Soyons donc toujours munis de ces armes, et nous pourrons paraître avec sécurité dans la place publique, ou au milieu de nos amis, et vaquer à nos différentes occupations. Mais que parlé-je de la place publique? C'est revêtus de ces armes que nous devons venir à l'église, et retourner dans nos maisons. Bien plus, nous ne devons les quitter, durant toute la vie, ni le jour, ni la nuit; car elles sont les compagnes de notre voyage, et nous aideront puissamment à atteindre notre destinée. Elles ne surchargent point le corps comme une armure matérielle, mais elles le rendent plus dispos, plus agile et plus robuste. Seulement ayons soin de les tenir nettes et brillantes, afin que leur éclat éblouisse les yeux de nos ennemis, qui emploient mille moyens pour nous perdre.

Mais c'est assez parler de cette armure spirituelle, et il convient maintenant de vous servir (19) le festin accoutumé. Reprenons donc le récit de la création à l'endroit ou nous l'avons laissé hier, et, sous la conduite de Moïse, notre saint prophète, asseyons-nous à la table d'une bonne et solide doctrine. Voyons donc ce qu'il veut aujourd'hui nous apprendre, et prêtons à ses paroles une oreille attentive. Car il ne parle point de lui-même, et il n'est que l'organe de l'Esprit-Saint qui par sa bouche instruit tous les hommes. Après nous avoir donc raconté la création de la lumière, il a terminé l'œuvre du premier jour en disant que du soir et du matin se fit le premier jour. Puis il a ajouté : Et Dieu dit: que le firmament soit fait ait milieu des eaux, et qu'il divise les eaux d'avec les eaux. Considérez ici, mes frères, la suite et l'enchaînement de cette doctrine. Moïse nous a d'abord révélé la création du ciel et de la terre; il nous a appris ensuite que celle-ci était invisible et informe, et il nous en donne la raison. C'est qu'elle était couverte par les ténèbres et les eaux, car il n'y avait encore que les eaux et les ténèbres. Alors la lumière se produisit au commandement du Seigneur, qui la sépara des ténèbres, et qui appela la lumière, jour, et les ténèbres, nuit. Et maintenant Moïse nous enseigne que de même que le Seigneur, après avoir créé la lumière, l'avait séparée des ténèbres, et les avait distinguées par un nom spécial, il ordonne ici que les eaux soient divisées.

3. Mais voyez combien est grande la puissance divine; et combien elle surpasse toute intelligence humaine ! Dieu commande, et soudain un élément nouveau se produit et un autre se retire... Et Dieu dit: que le firmament soit fait au milieu des eaux, et qu'il divise les eaux d'avec les eaux. Qu'est-ce donc que cette parole : Que le firmament soit fait? C'est à peu près comme si nous disions dans notre langage : qu'un mur soit établi entre deux éléments pour leur servir de séparation. Et afin de nous faire mieux comprendre et la prompte obéissance des éléments , et le souverain pouvoir du Seigneur, Moïse ajoute immédiatement : Et il fut fait ainsi. Dieu parla et l'œuvre fut achevée... Dieu fit le firmament, et sépara les eaux qui étaient sous le firmament de celles qui étaient au-dessus du firmament. Après donc que Dieu eut créé le firmament, il ordonna qu'une moitié des eaux resterait sous le firmament, et que l'autre moitié demeurerait suspendue au-dessus. Mais enfin qu'est-ce que le firmament? Dirons-nous qu'il est une eau condensée, un air étendu, ou quelque autre élément? Nul homme prudent n'oserait l'affirmer : et il nous convient de recevoir les paroles de l'Ecriture avec une humble reconnaissance, sans franchir les bornes naturelles de notre savoir, ni approfondir des mystères qui surpassent notre intelligence. Il nous suffit donc de savoir et de croire que Dieu, par sa parole, a créé le firmament pour séparer les eaux, et qu'effectivement les unes sont au-dessus et les autres au-dessous.

Et Dieu appela le firmament, ciel. Considérez la suite et l'enchaînement de l'Ecriture. Hier elle s'exprimait ainsi : Que la lumière soit, et la lumière fut; et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres, et il appela la lumière, jour. Aujourd'hui elle nous dit que le firmament a été fait au milieu des eaux; et de même qu'elle nous a révélé l'usage de la lumière, elle nous apprend ici celui du firmament. Qu'il sépare, dit-elle, les eaux d'avec les eaux. Enfin comme Dieu, après avoir déclaré le but et les fonctions de la lumière, lui avait donné un nom, il en donne également un au firmament. Et Dieu appela le firmament, ciel, c'est-à-dire cette voûte éthérée que nous voyons. Comment donc quelques-uns, direz-vous, peuvent-ils soutenir que plusieurs cieux ont été créés? certes, une telle doctrine ne repose point sur l'Ecriture, elle n'existe que dans leur imagination. Car Moïse ne nous apprend que ce que nous venons de dire; il nous a dit d'abord : Qu'au commencement Dieu créa le ciel et la terre, et que la terre était invisible, parce qu'elle était cachée sous les ténèbres et les eaux. Il nous a ensuite raconté la création de la lumière; et puis la suite du récit l'amenait à nous parler du firmament. Et Dieu dit : que le firmament soit. Mais à quel usage est-il destiné? c'est ce que Moïse a soin de nous apprendre, en disant : Qu'il sépare les eaux d'avec les eaux. Enfin il nous fait connaître que ce même firmament qui séparait les eaux, fut appelé ciel. Qui pourrait donc, après une explication si claire et si lucide, supporter ces esprits qui parlent d'eux-mêmes, et qui contre l'autorité de l'Ecriture, soutiennent la pluralité des cieux? mais ils objectent que le saint prophète David a dit dans ses psaumes : Louez le Seigneur, cieux des cieux. (Ps. CXLVIII, 4.) Eh bien ! ne vous troublez point, mes frères, et ne croyez point que (20) l'Ecriture se contredise jamais. Tout au contraire reconnaissez sa véracité, attachez-vous à sa doctrine, et fermez l'oreille aux cris de l'erreur.

4. Ecoutez donc avec beaucoup d'attention ce que je vais vous dire, et ne vous laissez point facilement ébranler par ceux qui vous débitent toutes leurs rêveries. Tous les livres sacrés de l'Ancien Testament ont été originairement composés en hébreu, personne ne le contredit. Or, quelques années avant la naissance de Jésus-Christ, le roi Ptolémée, curieux de réunir une riche bibliothèque, voulut joindre nos Livres saints à tous ceux de divers genres qu'il avait déjà rassemblés. C'est pourquoi il fit venir de Jérusalem quelques juifs pour les traduire en grec, ce qu'ils exécutèrent heureusement. Et voilà comment il arriva, par une disposition particulière de la Providence, que non-seulement ceux qui entendaient l'hébreu, mais généralement tous les peuples, purent profiter de nos saints Livres. N'est-il pas aussi bien surprenant que ce dessein ait été conçu par un prince idolâtre, et qui, loin de suivre la religion des Juifs, observait un culte tout opposé? Mais c'est ainsi que le Seigneur dispose toutes choses, afin que les ennemis de la vérité soient les premiers à la faire éclater.

Au reste cette digression historique était nécessaire , pour vous rappeler que l'Ancien Testament n'a pas été écrit en grec, mais en hébreu. Or les hébraïsants les plus distingués nous apprennent que dans cette langue on emploie toujours le mot ciel au pluriel. Les docteurs syriens en conviennent eux-mêmes; et ainsi un hébraïsant ne dira jamais le ciel, mais les cieux. Le psalmiste a donc eu raison de dire les cieux des cieux. Et ce n'est point qu'il y ait plusieurs cieux, car. Moïse ne vous le dit pas; mais c'est le génie de la langue hébraïque qui emploie le singulier pour le pluriel.

S'il y avait en effet plusieurs cieux, l'Esprit-Saint nous en aurait appris par Moïse l'existence et la formation. Retenez avec soin cette observation, afin que vous puissiez fermer la bouche à tous ceux qui avancent des dogmes contraires à l'enseignement de l'Eglise, et que vous demeuriez convaincus de la véracité de nos saintes Ecritures. Car vous ne vous réunissez ici fréquemment, et nous ne vous faisons d'amples instructions que pour vous mettre en état de rendre raison de votre foi. (I Petr. III,115.)

Mais revenons, s'il vous plait, à notre sujet. Et Dieu appela le firmament, ciel; et il vit que cela était bon; observez comme Moïse se proportionna à notre faiblesse. Il a dit de la lumière : et Dieu vit qu'elle était bonne; et maintenant il dit du firmament ou du ciel, et Dieu vit qu'il était bon. Cette parole nous donne une juste idée de sa beauté : et n'y a-t-il pas lieu de s'étonner que depuis tant de siècles, il la conserve dans tout son éclat? Il semble même qu'elle augmente avec le cours des années. Au reste, quelle n'est point la splendeur du firmament, puisque Dieu lui-même l'a loué ! Quand on nous présente quelque chef-d'oeuvre de l'art, une statue, par exemple, nous en admirons les traits, la pose, la délicatesse, les proportions, l'élégance et les autres qualités, mais qui pourrait célébrer dignement les couvres de Dieu, surtout lorsqu'il les a lui-même louées? Moïse ne s'exprime donc ainsi que par condescendance pour notre faiblesse; et il répète le même éloge après chaque création partielle, afin de réfuter par avance ceux qui, dans le cours des siècles, devaient critiquer l'œuvre divine, et aiguisant leur langue, demander pourquoi le Seigneur a fait telle et telle créature. Il les prévient et les confond par cette seule parole : et Dieu vit que cela était bon. Mais lorsqu'on vous dit que Dieu vit et loua son ouvrage, il faut entendre qu'il l'a loué d'une manière digne de lui. Car Celui qui a créé le ciel, en connaissait la beauté avant que de le produire; et néanmoins, parce que nous autres hommes, nous sommes si peu intelligents, que nous ne saurions comprendre autrement les choses, il a proportionné les paroles de Moïse à notre faiblesse, et lui a inspiré pour notre instruction ce langage imparfait et grossier.

5. Quand vous élevez donc vos regards vers les cieux et que vous en contemplez la magnificence , l'étendue et la beauté , remontez jusqu'au Créateur, selon ce que dit le Sage que la grandeur et la beauté de la créature peut faire connaître, et rendre en quelque sorte visible le Créateur. (Sag. XIX, 5.) Comprenez aussi, par la création de tant d'éléments divers, quelle est la puissance de votre Maître. Et en effet si l'homme voulait appliquer son intelligence à l'étude de chacune des merveilles de la nature, ou même s'il se bornait à l'examen de sa propre formation, il ne lui en faudrait pas davantage pour proclamer l'ineffable et (21) immense puissance du Seigneur. Mais dès lors que les créatures visibles célèbrent ainsi la grandeur et la puissance du Créateur, que sera-ce quand vous vous élèverez jusqu'aux créatures invisibles? Oui, atteignez par la pensée les phalanges célestes, les anges et les archanges, les vertus et les trônes, les dominations et les principautés, les puissances, les chérubins et les séraphins, et dites-moi quel génie, et quelle langue pourraient expliquer l'ineffable magnificence des oeuvres du Seigneur !

Le saint prophète David s'écriait, à la vue des merveilles de la création : ô Dieu, que vos oeuvres sont magnifiques! vous avez tout accompli avec sagesse. (Ps. C, 24.) Mais si ce prophète, rempli du Saint-Esprit qui lui révélait les mystères de la Sagesse éternelle, faisait entendre ces accents d'admiration, que dirons-nous, nous qui ne sommes que cendre et poussière ! Nous ne pouvons que tenir nos regards humblement abaissés, et notre esprit continuellement, ravi des ineffables bontés du Seigneur. Et maintenant, après le Psalmiste, écoutons le bienheureux Paul. Cet apôtre, élevé dans un corps mortel jusqu'au plus haut des cieux, et qui sur la terre rivalisait d'amour avec les esprits angéliques, parcourant un jour avec la vive ardeur de l'esprit la vaste étendue des cieux, s'arrêta sur les secrets de la prédestination divine. Il s'agissait des juifs et des gentils, dont les uns ont été rejetés et les autres substitués en leur place; et comme il hésitait, et que sa vue se troublait, il s'écria: O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu! que ses jugements sont incompréhensibles, et ses voies impénétrables! (Rom. II, 33.)

Mais ici j'interrogerais volontiers ceux qui veulent curieusement approfondir la génération du Verbe, ou qui tentent de diminuer la dignité de l'Esprit-Saint, et je leur dirais: d'où Nous vient cette audacieuse témérité, et qui peut vous inspirer cette extravagante folie ? Car si Paul, avec tout son génie et ses lumières, déclarait que les jugements du Seigneur, c'est-à-dire l'ordre et l'économie de sa providence, sont impénétrables et incompréhensibles, en sorte que nul ne doit se permettre de les approfondir; et s'il proclame que ses voies, c'est-à-dire ses commandements et ses préceptes, se dérobent à toutes nos recherches, comment osez-vous discourir curieusement sur la nature du Fils unique de Dieu, et rabaisser, autant qu'il est en vous, la dignité de l'Esprit-Saint?

Voyez donc, mes chers frères , combien il est malheureux de ne pas s'attacher au vrai sens des saintes Ecritures ! Et en effet, si ces hérétiques avaient reçu leur divin enseignement avec un esprit droit et un coeur bon , ils ne se fussent point ainsi égarés dans leurs propres raisonnements, et jamais ils ne fussent tombés dans cette extrême folie. Cependant nous ne cesserons de leur opposer les témoignages de nos livres saints, ni de fermer l'oreille à leurs funestes doctrines.

6. Je ne sais comment l'impétuosité de la pensée et de la parole m'a entraîné bien loin de mon sujet : je me hâte donc d'y revenir. Et Dieu, dit Moïse, appela le firmament, ciel, et Dieu vit que cela était bon; et du soir et du matin se fit le second jour. Ainsi après que Dieu eut donné un nom au firmament et qu'il eut approuvé son ouvrage, il termina le second jour de la création, et il dit : Et du soir et du matin se fit le second jour. Remarquez ici quelle précision Moïse met dans son enseignement. Il nomme soir la fin du jour, et matin, la fin de la nuit, puis il appelle jour la durée comprise entre l'une et l'autre; en sorte qu'il prévient toute erreur et ne nous permet pas de considérer le soir comme la fin du jour, car nous savons manifestement que le jour se compose du soir et du matin. Ainsi l'on parle exactement en disant que le soir est la disparition de la lumière, le matin celle de la nuit, et que la durée de l'une et de l'autre forme le jour. C'est ce que l'Écriture a voulu nous faire entendre par ces mots : Et du soir et dit matin se fit le second jour.

Je me suis peut-être plus étendu que je ne voulais, et je me suis laissé entraîner par le Pot des idées, comme l'on est quelquefois emporté par le courant d'un fleuve. Vous en êtes la cause, vous qui nous écoutez avec tant de dé plaisir. Car rien n'excite plus un orateur et ne féconde mieux sa pensée que la joie et l'empressement de ses auditeurs. Au contraire quand ils sont froids et indifférents, ils frappent de stérilité la bouche la plus éloquente. C'est pourquoi je vous rends ce témoignage, que, par la grâce de Dieu, lors même que je serais plus muet qu'une pierre, vous me forceriez à secouer cette léthargie et à dissiper cette somnolence, pour vous adresser des paroles qui vous conviennent et qui soient (22) propres à vous édifier. Mais puisque vous êtes si bien disposés et si éclairés de Dieu même,. que vous pouvez, selon la pensée de l'Apôtre, instruire les autres, je vous conjure de travailler à la sanctification de vos âmes, principalement pendant ces jours de jeûne. Et alors vous ne vous lasserez point de m'entendre traiter souvent les mêmes sujets : car, selon le mot de saint Paul, il ne m'est pas pénible, et il vous est avantageux que je vous dise les mêmes choses. (Philip. III, 1.) Notre âme, qui est naturellement paresseuse, a besoin d'être sans cesse excitée ; et de même que nous nourrissons chaque jour notre corps, de peur que la faiblesse ne le rende incapable de tout service, nous devons à notre âme une nourriture spirituelle et une sage direction qui lui fasse contracter l'habitude de la vertu, qui la rende victorieuse de ses ennemis et qui la préserve de leurs embûches.

7. Appliquons-nous donc chaque jour à exercer les forces de cette âme, et ne négligeons point l'examen de notre conscience. Tenons comme un registre exact de ce que nous recevons et de ce que nous dépensons : avons-nous toujours parlé utilement et à propos? ne nous est-il point au contraire échappé quelque parole oiseuse, et nos entretiens ont-ils été utiles ou nuisibles? Il convient aussi de nous prescrire là-dessus certaines règles et de nous fixer certaines limites, en sorte que toujours la réflexion précède en nous la parole. Quant à notre pensée elle-même, elle doit être si bien dirigée que jamais elle ne s'arrête sur le mal; et s'il lui arrivait de s'échapper au dehors par quelques mots peu convenables, nous devons sur-le-champ les condamner comme inutiles et dangereux. Il importe aussi de chasser par une bonne pensée toute impression mauvaise, et d'être bien persuadés qu'il ne suffit pas, pour être sauvés, de jeûner jusqu'au soir. Et en effet le Seigneur, par la bouche du prophète, adressait ces reproches aux Juifs corrompus : Quand vous avez jeûné le cinquième et le septième mois pendant soixante et dix. ans, est-ce pour moi que vous avez accompli ce jeûne? et quand vous avez mangé et quand vous avez bu, n'est-ce pas pour vous que vous avez mangé et que vous avez bu ? Voici donc ce que dit le Seigneur, le Dieu des armées : Jugez selon la justice, et usez de clémence et de miséricorde les uns envers les autres ; n'opprimez point la veuve, ni l'orphelin, ni l'étranger, ni le pauvre, et que nul ne médite dans son coeur le mal contre son frère. (Zach. VII, 5, 6... 9, 10.)

Mais si le jeûne seul ne servait de rien aux Juifs qui étaient assis à l'ombre de la mort et plongés dans les ténèbres de l'erreur, parce qu'ils n'y joignaient pas la pratique des bonnes oeuvres et qu'ils n'arrachaient point de leurs coeurs les pensées mauvaises contre leurs frères, quelle excuse pourrons-nous alléguer, nous qui sommes appelés à une vertu bien plus sublime, nous qui devons et pardonner à nos ennemis et les aimer et leur faire du bien? Que dis-je? ce n'est pas encore assez nous devons prier Dieu pour eux et lui recommander leur salut. Ces sentiments de charité et de bienveillance à l'égard de nos ennemis seront notre principale défense au grand jour du jugement, et ils nous obtiendront la rémission de nos péchés. Sans doute l'amour des ennemis est un précepte grand et difficile; mais si nous considérons quelle récompense est attachée à son exacte observation, il nous paraîtra léger, quelque ardu qu'il soit en lui-même. Et en effet, que nous dit le Sauveur? Si vous faites cela, vous serez semblables ci votre Père qui est dans les cieux; et pour mieux nous manifester sa pensée, il ajoute qui fait luire le soleil sur les bons et sur les méchants, et qui fait pleuvoir sur les justes et les injustes. (Matth. V, 45.) Ainsi en aimant ses ennemis, on imite Dieu autant que la faiblesse humaine peut le permettre. Car de même qu'il fait luire le soleil sur ceux qui commettent le mal non moins que sur les justes, et qu'il dispense selon les saisons la pluie et la rosée sur les champs de l'homme de bien et du méchant, vous, en aimant non-seulement ceux qui vous aiment, mais vos ennemis eux-mêmes, vous vous montrez le digne émule du Seigneur.

Vous voyez donc que l'amour des ennemis nous élève jusqu'au faîte de la vertu. Mais ne vous arrêtez pas, mon cher frère, à ne considérer que la difficulté du précepte; réfléchissez aussi à l'honneur qui vous en reviendra, et cette pensée vous rendra léger tout ce qu'il renferme de lourd et de pénible. N'est-ce pas une grâce insigne que de trouver, en faisant du bien à son ennemi, l'occasion de s'ouvrir vers Dieu les portes de la confiance, et de racheter ses péchés ? Mais peut-être voulez-vous aujourd'hui vous venger de votre ennemi, et lui rendre avec usure le mal qu'il vous a fait? eh bien ! quelle utilité en (23) retirerez-vous ? Vous n'y gagnerez rien; et quand vous paraîtrez devant le redoutable tribunal, votre jugement n'en deviendra que plus rigoureux, parce que vous aurez méprisé et violé les lois du Juge suprême. Dites-moi encore: Si un roi imposait, sous peine de mort, l'amour des ennemis, tous, par la crainte seule du supplice, s'empresseraient à observer cette loi. Mais quels reproches ne mérite donc pas celui qui, disposé à tout entreprendre pour sauver une vie que la nature doit inévitablement lui arracher, néglige la pratique des préceptes divins, quoiqu'on le menace d'une mort qui n'aura ni fin, ni consolation?

8. Mais je m'oublie en parlant ainsi à des chrétiens qui négligent envers leurs bienfaiteurs les devoirs mêmes de la reconnaissance. Qui pourra donc nous garantir des supplices éternels puisque, loin d'aimer nos ennemis, nous en faisons moins que les publicains. Si vous aimez, dit Jésus-Christ, ceux qui vous aiment, quel effort faites-vous ? Les publicains ne le font-ils pas aussi? (Matth. V, 45.) Mais puisque nous n'allons pas même jusque-là, quelle espérance de salut nous reste-t-il encore? C'est pourquoi je vous exhorte à vous montrer miséricordieux les uns envers les autres, à réprimer toute pensée contraire à la charité, et à ne rivaliser entre vous que de bienveillance et d'amitié: chacun doit aussi, selon la parole de l'Apôtre, croire les autres au-dessus de soi (Philip. II, 3), et ne point se laisser vaincre en bons offices. C'est ainsi que nous nous surpasserons mutuellement en charité, et que nous témoignerons à ceux qui nous aiment plus de zèle et d'affection. La charité est en effet le plus ferme appui, et la plus grande consolation de notre vie; et ce qui distingue éminemment l'homme de la brute, c'est qu'il ne tient qu'à nous, si nous le voulons, d'entretenir la paix et l'union avec nos frères, et de leur montrer la plus cordiale bienveillance. Il suffit pour cela de conserver entre nous l'ordre convenable et la bonne harmonie, et d'enchaîner notre colère, qui est véritablement une bête féroce. Traînons-la en esprit au pied du redoutable tribunal, afin de la plier à aimer nos ennemis soit par l'espoir des plus magnifiques récompenses, soit par la crainte des plus affreux supplices, si elle persévère dans son ressentiment.

Le temps ne nous est point donné pour que nous le perdions en des occupations inutiles et frivoles. Mais nous devons chaque jour, et à chaque heure du jour, nous remettre sous les yeux les jugements du Seigneur, afin de mieux connaître ce qui alors nous donnera plus de confiance, ou nous inspirera plus de crainte. Cette pratique et ces réflexions nous aideront beaucoup à dompter nos mauvaises inclinations, et à réprimer les mouvements de la concupiscence. Faisons mourir en nous, comme parle l'Apôtre, les membres de l'homme terrestre, la fornication, l'impureté, les passions déshonnêtes, les mauvais désirs, l'avarice, la colère, la vaine gloire et l'envie. (Coloss. III, 5.) Si ces affections mauvaises sont réellement mortes en nous, et si elles ne s'y font plus sentir, nous mériterons de recevoir les fruits de l’Esprit-Saint, qui sont la charité, la joie, la paix, la patience, la bénignité, la bonté, la foi, la douceur et la chasteté. (Gal. V, 22.) Tel est le caractère qui doit distinguer le chrétien de l'infidèle, et telles les marques qui doivent le faire reconnaître. Ne nous parons donc pas d'un nom vide et stérile, et ne nous enflons point d'un vain orgueil, parce que nous étalons les apparences extérieures de la piété. Mais quand même nous posséderions toutes les vertus que je viens d'énumérer, loin d'en tirer vanité, ne songeons qu'à nous humilier davantage, selon cette parole du Sauveur : Lorsque vous aurez fait tout ce qui vous a été commandé, dites: nous sommes des serviteurs inutiles. (Luc, XVII, 10.) Cette sollicitude pour notre salut nous sera utile à nous-mêmes, puisqu'elle nous garantira des supplices éternels; elle ne sera pas moins avantageuse à nos frères qui s'instruiront en voyant nos bonnes couvres. Enfin, après une vie vraiment chrétienne, nous obtiendrons de la bonté divine ces récompenses éternelles que je vous souhaite, par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire, l'empire et l'honneur dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

CINQUIÈME HOMÉLIE. Dieu dit : " Que les eaux, qui sont sous le ciel, se rassemblent en un seul lieu, et que l'aride paraisse. " (Gen, I, 9.)
ANALYSE.

1. L’Ecriture sainte est une mine d'or riche et précieuse, et les trésors que nous en retirons ne soit point exposés, comme ceux de la terre, à la rapacité des voleurs. — Mais nous devons les préserver des attaques du malin esprit qui voudrait nous les ravir. — 2. Nous sommes sur la terre des voyageurs qui amassent des provisions pour retourner en leur patrie : et ces provisions, qui nous ouvriront l'entrée du ciel, sont l'aumône et la pénitence. — Une vie vraiment chrétienne donne aux justes une douce confiance de paraître devant le Juge suprême, et elle est pour les méchants un reproche. de leurs vices, et une exhortation à la vertu. — 3. Ce long exorde conduit l'orateur à expliquer le neuvième verset de la Genèse ; et il dit que Dieu ne voulut nommer l'élément aride, terre, et la réunion des eaux , mer, qu'après avoir dégagé l'un des flots de l'abîme, et réuni les autres dans le lieu qui leur était destiné. — 4. Sur ces autres paroles : " Que la terre produise les plantes verdoyantes avec leurs semences, " il observe que de même que la terre se couvrit alors, sans le secours de l'homme ni des animaux, de moissons et de fruits, aujourd'hui encore elle tire sa fécondité bien plus de cet ordre du Seigneur que de nos travaux. — Il réfute aussi ceux qui attribuaient cette fécondité à l'influence des astres. — 5. Il remarque que Moïse répète souvent ces expressions : " et du soir et du matin se rit le premier, le second et le troisième jour, " afin que nous comprenions mieux l'ordre et la distribution du temps. — 6. Il termine ensuite par une exhortation à mépriser la gloire humaine.

1. Aujourd'hui encore, les paroles de Moïse me fourniront le festin spirituel que je veux servir à votre charité, en vous expliquant avec soin l'oeuvre du Seigneur au troisième jour de la création. Ceux qui travaillent aux mines ne cessent point, quand ils ont rencontré un riche filon, de creuser profondément; ils écartent tous les obstacles, et ne craignent point de descendre jusque dans les entrailles de la terre pour en retirer la plus grande quantité possible de ce précieux métal. Et nous qui ne recherchons point des veines d'or, mais un trésor ineffable, ne devons-nous pas chaque jour poursuivre nos travaux, afin de rentrer dans nos maisons les mains pleines de ces richesses spirituelles. Trop souvent les biens de la terre deviennent pour leurs possesseurs la cause de grands malheurs; et, après quelques instants d'une rapide jouissance, ils leur sont enlevés par la fraude des flatteurs, la violence des voleurs ou la ruse des esclaves, qui s'enfuient chargés d'un précieux butin. Mais aucune perte de ce genre ne menace nos richesses spirituelles; ce trésor ne peut nous être dérobé, et dès que nous le cachons dans notre coeur, il y est à l'abri de toute rapine: il suffit que notre lâcheté n'y donne point entrée à l'ennemi, qui ne désire que de nous dépouiller. Et, en effet, quand cet ennemi, ce démon, veux-je dire, voit que nous sommes riches en biens de la grâce, il frémit de rage, grince des dents, et épie attentivement l'occasion favorable de nous enlever nos richesses. Or, le temps qui lui est le plus propice est celui où il nous surprend lâches et négligents; c'est pourquoi nous avons besoin de veiller sans cesse pour déjouer toutes ses embûches. Car, s'il attaque une ou deux fois ceux qu'il trouve actifs et vigilants, il les laisse bientôt en paix, honteux de voir ses efforts inutiles, et assuré qu'il ne remportera point la victoire tant que nous nous tiendrons sur nos gardes. Mais, puisque nous n'ignorons pas que la vie est une lutte continuelle, soyons toujours armés comme en présence d'un ennemi qui nous épie sans cesse, et craignons que la moindre négligence de notre part ne lui facilite l'occasion de nous surprendre.

Voyez avec quel soin les gens riches veillent à leurs affaires, dès que l'approche de l'ennemi est annoncée : les uns munissent leurs portes de serrures et de verroux pour mieux protéger leur argent, et les autres l'enfouissent sous (25) terre, afin que personne ne sache où il est caché. C'est. ainsi qu'à leur exemple nous devons conserver le trésor de nos vertus et le dérober à tous les regards, en le renfermant dans le secret de notre coeur; c'est ainsi encore que nous devons repousser les attaques de ceux qui voudraient nous le ravir, en sorte que, le préservant de toute main déprédatrice, nous nous en servions comme d'un utile viatique pour le voyage de l'éternité. Ceux qui vivent dans un pays étranger et qui désirent revoir leur patrie, s'occupent longtemps à l'avance de réunir peu à peu autant d'argent qu'il leur en faut pour suffire à la longueur du chemin et ne pas s'exposer à mourir de faim. Cette conduite doit être aussi la nôtre, car nous sommes sur la terre des étrangers et des voyageurs. Ayons donc soin de réunir et de mettre en réserve d'abondantes provisions, afin qu'au moment où le Seigneur nous ordonnera de retourner dans notre patrie, nous soyons prêts à partir, emportant avec nous une partie de nos richesses et ayant déjà envoyé l'autre devant nous. Car telle est la nature de ce viatique : il nous est loisible de nous faire précéder d'une multitude de bonnes oeuvres; et celles-ci en nous devançant, nous ouvriront les portes d'une juste confiance pour paraître devant Dieu, nous faciliteront l'accès de son trône, et nous permettront d'aborder sans crainte un Juge dont elles nous auront concilié la bienveillance.

2. Mais pour vous convaincre, mes chers frères, de la certitude de cette doctrine, il me suffit de vous rappeler qu'au sortir de ce monde, le chrétien qui aura largement dispensé l'aumône et mené une vie pure, trouvera miséricorde auprès du Juge suprême, et entendra avec tous les élus ces consolantes paroles : Venez, les bénis de mon Père; possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde : car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger. (Matth. XXV, 34, 35.) Il en est de même des autres vertus, de la confession des péchés et de l'assiduité à la prière. Et en effet, lorsque pendant la vie nous avons eu soin d'effacer nos péchés par la confession, et que nous avons pu en obtenir de Dieu le pardon, nous quittons la terre purs de toute souillure, et nous paraissons devant le Seigneur pleins d'une entière confiance; mais ceux qui auraient négligé de mettre à profit le temps présent pour expier leurs péchés, ne trouveront après la mort aucune consolation. Car, Seigneur, dit le Psalmiste, qui confessera votre nom dans le sépulcre? (Ps. VI, 6.) Parole bien vraie, puisque la vie est le temps de la lutte, de la guerre et des combats, et que l'éternité est celui des couronnes, des prix et des récompenses. Ainsi, combattons généreusement tandis que nous sommes encore dans la carrière, de peur qu'au grand jour des couronnes et des récompenses, nous ne soyons du nombre de ceux qui n'auront en partage que la honte et la confusion. Puissions-nous, au contraire, nous mêler aux élus qui se présenteront avec confiance pour être couronnés !

Ce n'est pas sans raison que je vous parle ainsi, mes bien-aimés; et j'espère que mes paroles ne vous seront point inutiles. Oui, je veux tous les jours vous avertir de multiplier vos bonnes oeuvres, afin que vous paraissiez aux yeux de tous, consommés en perfection, et ornés de toutes les vertus. Enfants de Dieu, irrépréhensibles, purs et immaculés, vous brillerez alors dans le monde comme des astres, et possédant la parole de vie, vous serez un jour notre gloire devant le Christ. Et cependant votre présence seule aura déjà été pour vos frères un salutaire avertissement, et le parfum de vos vertus non moins que vos sages entretiens les auront attirés à imiter vos bons exemples. Car si les méchants se nuisent les uns aux autres par leurs mutuelles relations, selon ce mot de saint Paul : les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs (I Cor. XV, 33) ; il n'est pas moins vrai que la société des gens de bien est d'un grand secours à ceux qui la cultivent. C'est donc par bonté que Dieu permet le mélange des bons et des méchants, afin que ceux-ci profitent des exemples de ceux-là, et ne demeurent pas toujours dans leur iniquité. Et en effet parce qu'ils ont continuellement sous les yeux de beaux modèles de vertu, il est comme impossible qu'ils n'en profitent pas. Car tel est le pouvoir de la vertu, que ceux même qui ne la pratiquent pas, ne peuvent lui refuser leurs respects et leurs hommages. Les méchants, au contraire, désapprouvent le vice et le condamnent, et vous n'en trouverez presque aucun qui se fasse gloire d'être vicieux. Mais ce qui est plus étonnant encore, c'est que leurs paroles flétrissent leur propre conduite, et qu'ils recherchent les ténèbres pour commettre le mal. Car l'homme porte au fond de sa conscience, et par un effet de la miséricorde divine, (26) un discernement incorruptible qui lui fait distinguer le mal d'avec le bien. Aussi sommes-nous absolument inexcusables, puisque nous ne péchons point par ignorance, mais par paresse, et mépris de la vertu.

3. Si ces vérités nous sont présentes à chaque heure du jour, nous opérerons notre salut avec une grande sollicitude, et nous craindrons, comme un réel dommage pour nos âmes, de laisser le temps s'écouler inutilement. Mais terminons ce long exorde, et écoutons, s'il vous plaît,ce qu'aujourd'hui l'Esprit-Saint veut nous enseigner par la bouche du saint prophète Moïse. Et Dieu dit : que les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent en, un seul lieu, et que l'aride paraisse. Et il fut fait ainsi. Considérez ici, mes chers frères, l'ordre et la suite des couvres divines. Moïse nous avait dit dès le commencement que la terre était invisible et informe, parce qu'elle était couverte par les ténèbres et les eaux. C'est pourquoi au second jour Dieu sépara les eaux par le firmament qu'il appela ciel, et au troisième il ordonna que les eaux qui étaient sous le ciel, c'est-à-dire le firmament, se rassemblassent en un seul lieu, afin que leur retraite laissât la terre à découvert. Et cela se fit ainsi. C'est parce que les eaux couvraient toute la surface de la terre que le Seigneur leur commanda de se réunir en un seul lieu; et alors l'aride put se montrer. Voyez comme l'historien sacré nous découvre graduellement la beauté de l'univers! Et il fut fait ainsi, dit-il. Comment? Selon les ordres du Seigneur. Il dit, et la nature obéit soudain. Car il appartient à Dieu de régler toutes les créatures selon sa volonté.

Et les eaux qui étaient sous le ciel se réunirent en leur bassin, et l'aride parut. Déjà Moïse avait dit en parlant de la lumière que Dieu la créa lorsque les ténèbres couvraient toute la nature, et que les séparant de la lumière il avait assigné celle-ci au jour, et les ténèbres à la nuit; et ici, il dit également que Dieu, après avoir créé le firmament, plaça au-dessus de lui une partie des eaux, et établit les autres au-dessous. Il ajoute ensuite qu'à (ordre du Seigneur celles-ci se rassemblèrent dans un même lieu, en sorte que l'élément aride parut. C'est alors que Dieu donna un nom à l'élément aride, ainsi qu'il l'avait fait pour la lumière et les ténèbres. Les eaux qui étaient sous le ciel, dit l'Ecriture, se rassemblèrent en un seul lieu, et l'aride parut; et Dieu appela l'aride, terre. Voilà donc, mes chers frères, comment Dieu déchira le voile qui rendait la terre invisible et informe; car elle était couverte par les eaux, comme par d'épaisses ténèbres. Mais dès qu'elle put montrer sa face, il lui donna un nom.

Et Dieu appela la réunion des eaux, mer. Les eaux ont donc leur nom; et le Seigneur, semblable au potier qui façonne un vase, et ne lui donne un nom qu'après l'avoir achevé, ne voulut imposer un nom aux éléments qu'après les avoir distribués dans les lieux qu'il leur assignait. La terre reçut donc son nom dès qu'elle parut sous la forme qu'elle devait revêtir; et de même les eaux reçurent alors une dénomination spéciale. Car Dieu, dit l'Ecriture, appela la réunion des eaux, mer; et il vit que cela était bon. C'est parce que l'homme est trop faible pour louer dignement les couvres divines, que l'Ecriture nous prévient, et nous apprend que le Seigneur les a louées lui-même.

4. Ainsi, quand vous apprenez que le Créateur a trouvé bonnes ses créatures, vous devez les admirer souverainement, mais vous ne pouvez rien ajouter aux louanges qu'elles ont déjà reçues; car telle est la puissance de Dieu et telle est la perfection de ses ouvrages, que nous ne saurions les louer autant qu'ils le méritent. Mais est-il étonnant que l'homme faible et ignorant ne puisse jamais ni louer dignement, ni célébrer les oeuvres du Seigneur? La suite du récit nous montre également l'ineffable sagesse du divin Ouvrier. Il vient de mettre à découvert la surface de la terre et il se hâte de l'embellir; aussi voyons-nous qu'à sa parole, les plantes et les fleurs l'émaillent dé leurs riches variétés. Et Dieu dit : Que la terre produise les plantes verdoyantes avec leur semence, et les arbres avec des fruits qui, chacun selon son espèce, renferment en eux-mêmes leur semence, pour se reproduire sur la terre. Et il fut fait ainsi. Que signifient ces derniers mots : " Et il fut fait ainsi? " Ils nous apprennent qu'à l'ordre du Seigneur, la terre se hâta d'épancher ses productions et de faire éclore le germe de toutes les plantes. La terre produisit donc, dit Moïse, des plantes qui portaient leur graine suivant leur espèce, et des arbres fruitiers qui renfermaient leur semence en eux-mêmes, chacun suivant son espèce. Et qui n'admirerait ici, mon cher frère, comment la parole divine a tout opéré sur la terre? Et en effet, il n'y avait point encore d'homme qui la (27) cultivât et qui, pour la couvrir de sillons, pliât le bœuf au joug de la charrue; mais elle entendit le commandement du Seigneur et soudain produisit les plantes et les arbres. D'où nous apprenons qu'aujourd'hui encore, ce sont bien moins les soins, les travaux et les fatigues du laboureur qui fertilisent la terre, que les ordres que le Seigneur lui intima dès le commencement.

Au reste, l'Ecriture, pour rendre d'avance l'ingratitude des hommes vraiment inexcusable, nous révèle avec soin l'ordre et la suite des oeuvres de la création. Elle veut ainsi réprimer la témérité et l'extravagance de ceux qui nous donnent leurs rêveries pour des réalités, et qui soutiennent que la coopération du soleil était nécessaire à la production des plantes et des fruits. D'autres attribuent ces effets à l'influence des astres; mais l'Esprit-Saint nous enseigne que, bien avant la création du soleil et des astres, la terre, obéissant à la parole divine, avait, sans nul concours étranger, produit d'elle-même les plantes et les arbres; il lui avait suffi d'entendre cette parole : Que la terre produise les plantes verdoyantes. Suivons donc les traces de la sainte Ecriture, et condamnons hautement ceux qui s'élèvent contre ses divins enseignements. Quoique les hommes cultivent la terre, et, à l'aide d'animaux domestiques, s'appliquent à l'agriculture; quoique les saisons leur soient favorables et que tout concoure à satisfaire leurs désirs, si Dieu ne répand sa bénédiction, ils s'épuiseront en d'inutiles travaux. Oui, ni les sueurs, ni les fatigues du laboureur ne deviennent fécondes si le Seigneur, du haut du ciel, n'étend sa main et ne leur donne un heureux accroissement. Mais, qui ne serait ravi d'étonnement et d'admiration en voyant comment cette parole : Que la terre produise des plantes verdoyantes, pénétra jusque dans les profondeurs de la terre et l'émailla comme d'un riche tapis parla variété des fleurs qui en couvrit la surface. Ainsi la terre qui naguère était brute et inculte, se revêtit soudain d'une brillante parure, et rivalisa de beauté avec le firmament. Et en effet, de même que celui-ci devait bientôt resplendir du feu des astres, la terre s'embellissait par la variété des fleurs ; en sorte que le Créateur lui-même loua son propre ouvrage. Et Dieu, dit l'Ecriture, vit que cela était bon.

5. Moïse a soin, comme vous pouvez le remarquer, de nous rappeler, après chacune des oeuvres de la création, que Dieu loue son propre ouvrage, afin d'apprendre aux hommes à remonter de la créature au Créateur. Car si les créatures sont au-dessus de toutes nos louanges, que dire de l'Ouvrier divin qui les a produites? Et Dieu vit que cela était bon; et du soir et du matin se fit le troisième jour. C'est pour mieux nous inculquer ces choses, que l'écrivain sacré nous les répète ici. Il lui suffisait en effet d'énoncer que le troisième jour fut fait; mais il reprend les mêmes termes qu'il a déjà employés, et il nous dit que du soir et du matin se fit le troisième jour. Certes, ce n'est point de sa part oubli ou inadvertance; il veut que nous ne confondions pas l'ordre des choses et que nous ne regardions pas l'approche de la nuit comme la fin du jour; car le soir n'est que la fin de la lumière et le commencement de la nuit, tout comme le matin est la fin de la nuit et le complément du jour. C'est ce que veut nous enseigner le saint prophète Moïse, quand il nous dit : Et du soir et du matin se fit le troisième jour. Et ne vous étonnez pas, mon cher frère, que la sainte Ecriture nous redise si souvent les mêmes choses; car, malgré ses soins et ses précautions, quelques Juifs persistent dans leur erreur et soutiennent, avec l'entêtement d'un esprit aveuglé, que le soir est le commencement du jour suivant. Ils se trompent eux-mêmes, et sont encore assis dans les ténèbres, quoique la vérité se soit manifestée à tous les regards. Ils cherchent encore la lumière, quand le Soleil de justice s'est levé sur le monde. Mais, après que Moïse nous a instruits de tous ces détails avec une telle exactitude, qui pourrait supporter l'opiniâtreté de ces esprits indociles !

Leur malice recevra son juste châtiment; mais nous, qui avons été éclairés des rayons du Soleil de justice, soyons soumis et dociles aux enseignements de la sainte Ecriture. En suivant cette règle, nous renfermerons dans le secret de notre cœur une foi pure et orthodoxe, et nous mettrons tous nos soins à la conserver. Nous travaillerons également avec zèle à l'oeuvre de notre salut, et nous fuirons comme un poison mortel tout ce qui pourrait blesser la sainteté de notre âme; car la perte de la grâce sanctifiante est d'autant plus grande que l'âme l'emporte sur le corps. Le poison ne peut tuer que le corps, tandis que l'erreur entraîne pour l'âme la mort éternelle. Et quels sont donc ces poisons si dangereux? Le nombre en est grand (28) et varié, mais le plus funeste est celui qui nous incline à aimer la vaine gloire et nous empêche de la mépriser; car ce péché entraîne avec lui mille désordres : il dissipe les richesses spirituelles que nous avons pu amasser et nous enlève tout le profit que nous en pourrions retirer. Est-il un mal plus dangereux, puisqu'il nous ravit même les biens que nous croyons posséder? Et n'est-ce pas ainsi que le pharisien fut rabaissé au-dessous du publicain? (Luc, XVIII.) Il ne sut point maîtriser sa langue, et, en se louant lui-même, il jeta toutes ses richesses par la fenêtre, tant la vaine gloire est un poison funeste !

6. Mais, je vous le demande, pourquoi recherchez-vous si avidement la gloire humaine? ne savez-vous pas que les louanges des hommes sont moins qu'une ombre, et qu'elles se dissipent comme une vapeur légère? Ajoutez encore que telle est l'inconstance et la mobilité de l'homme qu'il ne tarde pas à censurer celui que naguère il comblait d'éloges. Mais rien de semblable n'est à craindre de la part de Dieu. Ne soyons donc point si insensés que de nous séduire nous-mêmes; car, si dans la pratique des bonnes oeuvres, notre intention ne se rapporte pas uniquement à Dieu et à l'observation de sa loi, et si nous cherchons à être connus de tout autre que de lui seul, nous perdons le fruit de nos peines et nous nous privons nous-mêmes des avantages que nous en pouvions retirer. Et en effet, celui qui fait le bien pour capter l'estime des hommes, que gagne-t-il, soit qu'il réussisse ou qu'il échoue dans ses projets? Souvent la gloire humaine nous échappe, même quand nous faisons tout pour l'acquérir; et toujours, soit que nous parvenions à l'obtenir, ou qu'elle nous échappe, nous recevons ici-bas notre récompense, en sorte que nous ne pouvons espérer celle du ciel. Eh pourquoi? Parce que celui qui préfère le présent à l'avenir, et la louange des hommes à l'approbation du juste Juge, se rend indigne d'être honoré par ce juge. Si, au contraire, nous pratiquons la vertu pour plaire uniquement au Dieu dont l'oeil ne se ferme jamais, et devant qui tout est à nu et à découvert., notre trésor sera en sûreté et nos richesses spirituelles se conserveront intactes. Bien plus, l'assurance où nous serons que ces richesses ne peuvent nous être enlevées, nous comblera d'une douce consolation, et nous ne serons pas même privés de l'estime des hommes.

Et, en effet, nous en jouissons avec une plénitude d'autant plus grande que nous la méprisons, que nous ne la recherchons pas, et que nous ne la désirons point. Et faut-il s'étonner que telle soit la conduite d'un philosophe chrétien, puisque nous voyons les partisans enthousiastes du monde, mépriser eux-mêmes ceux qui ambitionnent le plus la gloire du monde. Oui, vous trouverez toujours que ceux qui paraissent trop avides des honneurs ne s'attirent que du mépris. Quel malheur ne serait donc pas le nôtre, si nous, qui faisons profession de religion et de piété, désirions comme eux les louanges des hommes, et s'il ne nous suffisait pas d'obtenir l'approbation de Dieu, à l'exemple de l'Apôtre, qui tirait sa gloire non des hommes, mais de Dieu! (Rom. II, 29.) N'avez-vous pas observé, mon cher frère, que ceux qui disputent les prix de l'hippodrome ne donnent aucune attention aux cris, ni à la faveur du peuple qui leur applaudit? C'est qu'ils ne voyent que le prince qui préside les courses et qu'ils sont entièrement préoccupés du désir de lui plaire. Aussi, dédaignant les vains suffrages de la multitude, ils sont ivres de bonheur quand ils reçoivent de ses mains le prix et la couronne. Imitez-les, et n'estimez pas à une haute valeur les applaudissements des hommes : ne les recherchez point dans la pratique de la vertu, mais attendez le jugement qu'en portera le juste Juge, et ne soyez attentif qu'à lui obéir. En un mot, réglez tellement votre vie, que déjà vous possédiez en espérance ces biens éternels que nous donnent d'acquérir la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

SIXIÈME HOMÉLIE. Et Dieu dit : " Que des corps de lumière soient faits dans. le firmament du ciel, et qu'ils éclairent la terre, afin qu'ils séparent le jour et la nuit et qu'ils servent de signes pour marquer les temps et les saisons, les jours et les années. " (Gen. I, 14.)
ANALYSE.

1. L'orateur se plaint amèrement de l'empressement qui, la veille, avait entraîné tous les auditeurs au cirque pour voir des courses de chevaux. — Il rougit pour eux de celte funeste curiosité qui leur fait perdre tout le fruit du jeûne et des instructions qu’ ils entendent. — Encore, s'ils péchaient par ignorance, mais ils connaissent leurs devoirs, et ils n'en sont que plus coupables. — Le démon seul se réjouit de ce fatal entraînement , puisque par là il les a dépouillés des richesses spirituelles qu'ils avaient amassées. — 2. Mais ces spectacles ne sont-ils pas sans danger pour les moeurs ? L'orateur répond à cette objection par le tableau vif et animé de tous les périls que l'innocence et la pureté de l'âme y rencontrent ; et comme il voit que ses reproches sont vivement sentis, il espère que désormais il n'aura plus sujet de les faire entendre. — 3 et 4. Il aborde alors l'explication du quatorzième verset de la Genèse, et, après une brillante description du soleil, il observe que cet astre fut créé le quatrième jour, afin qu'on ne lui attribuât point la fécondité de la terre, et qu'on ne le considérât point comme la source première de la lumière. — 5. Il signale ensuite, d'après le texte sacré, les divers usages du soleil et de la lune. — 6. Il termine en exhortant ses auditeurs à reconnaître les bienfaits de Dieu par une vie sainte et régulière, et surtout par la fuite des spectacles profanes.

1. Je voudrais poursuivre le cours de nos instructions, et je ne sais quel sentiment de répugnance m'en empêche , car un nuage de tristesse offusque ma vue, et trouble mon esprit. Encore si cette tristesse n'allait pas jusqu'à la colère ! Mais, véritablement, je ne sais que faire, tant mes pensées sont incertaines. Et en effet, quand je vois que le moindre souffle de Satan vous a fait oublier les maximes de piété et les sages avis que je vous donne chaque jour, pour courir aux courses diaboliques de l'hippodrome, puis-je avec joie continuer des instructions que vous avez si promptement rendues inutiles? Mais ce qui surtout m'irrite, et m'émeut jusqu'à la colère, c'est que méprisant mes exhortations, et oubliant le respect dû à la sainte quarantaine, vous vous êtes laissé prendre aux piéges du démon. Qui pourrait donc, serait-il plus dur qu'un rocher, supporter sans indignation une telle conduite? Aussi je rougis de honte et de douleur, en voyant que je m'épuise inutilement, et que je ne sème qu'en une terre pierreuse. Au reste, que vous écoutiez ma parole, ou que vous la méprisiez, je n'en suis pas moins assuré de ma récompense, car j'aurai fidèlement rempli mon devoir, je vous aurai fait connaître les richesses de la piété, et je ne vous aurai pas épargné les remontrances. Mais je crains bien , et je tremble que tout mon zèle ne vous accuse plus fortement. Car le serviteur , dit l'Evangile, qui connaît la volonté de son maître et qui ne l'exécute pas, sera frappé de plusieurs coups. (Luc, XII, 47.) Et qui d'entre vous pourrait alléguer son ignorance, puisque chaque jour je vous mets sous les yeux et les pièges du démon et la grande facilité de la vertu, si vous voulez être attentifs et vigilants ?

Ignorez-vous donc que l'Ecriture compare à des chiens ces chrétiens qui négligent ainsi leur salut, qui viennent aujourd'hui dans nos temples, et demain se laissent prendre aux piéges du démon? L'homme, dit le Sage, qui se relève de son péché, et qui le commet de nouveau, est semblable au chien qui retourne à son vomissement. (Prov. XXVI, 11.) Voyez-vous à quels animaux ressemblent ceux d'entre vous qui ont assisté à ces spectacles illicites? et avez-vous oublié cette sentence du Sauveur : Tout homme qui entend mes paroles, et ne les (30) accomplit pas, sera semblable â l'insensé qui a bâti sa maison sur le sable; les fleuves sont venus, et les vents ont soufflé, et se sont précipités sur cette maison, et elle est tombée, et sa ruine a été grande? (Matth. VII, 26.) Mais ceux que l'on a vus accourir à l'hippodrome sont plus insensés encore. Car, selon l'Evangile, la maison de l'insensé n'est tombée qu'à la suite de fortes secousses. C'est ce que nous donnent à entendre ces expressions fleuves et vents, qui ne désignent point l'inondation et la tempête, mais la violence des tentations. Et de même la ruine de cette maison ne marque point le renversement d'un édifice matériel, mais la chute d'une âme qui succombe sous le poids des graves afflictions auxquelles elle n'a pu résister. Contre vous, au contraire, les vents ne se sont point déchaînés, et les fleuves ne se sont point précipités; un léger souffle du démon a suffi pour vous renverser tous.

Est-il folie plus impardonnable ! A quoi vous sert le jeûne ! Je vous le demande; et à quoi bon venir ici? Qui ne déplorerait donc votre malheur et le mien? Le vôtre, puisque vous avez perdu dans un instant ces trésors de piété si laborieusement amassés et que vous avez vous-mêmes ouvert votre âme au démon, comme pour lui faciliter le vol de vos richesses spirituelles; et nous, qui ne nous plaindra de parler à des oreilles insensibles, et d'être si malheureux que de semer chaque jour, et de ne rien récolter ! Croyez-vous donc que je ne sois zélé à vous annoncer la parole sainte que pour flatter vos oreilles, et rechercher vos louanges? Non, non; et si vous ne retirez aucun fruit de mes discours, il vaut mieux que désormais je me taise : car je ne veux pas être pour vous la cause d'une plus sévère condamnation. Le marchand quia frété un navire l'a chargé d'une riche cargaison, et qui le voit périr corps et biens par la violence des vents et des tempêtes, nous présente le douloureux spectacle d'un homme échappé nu au naufrage, et tombé d'une immense opulence dans la plus affreuse indigence. Voilà aussi ce que le démon a fait à votre égard. Il a vu que votre âme, comme un navire spirituel, était remplie de précieuses richesses, et que vous aviez réuni un véritable trésor par vos jeûnes et votre assiduité à venir entendre la parole sainte. Aussi s'est-il hâté de déchaîner l'orage, c'est-à-dire ces courses inutiles et dangereuses de l'hippodrome, et par cette fatale curiosité, il vous a dépouillés de tous vos biens.

2. Ces reproches sont trop véhéments, je le sens; mais pardonnez-les à mon zèle, et souffrez que je soulage ainsi ma douleur. D'ailleurs ce n'est point la haine qui inspire mes paroles, mais un coeur qui vous aime, et qui ne cherche que votre salut. C'est pourquoi je me relâche de ma sévérité, et, content d'avoir pu arrêter les progrès du anal, je veux, mes chers frères, ranimer en vous une bonne espérance, en sorte que vous ne vous abandonniez pas au désespoir, et que vous ne perdiez pas entièrement courage. Car il y a cette différence entre les malheurs temporels et les pertes spirituelles, qu'on ne peut dans un instant se relever d'une extrême indigence, et retrouver son opulence première, tandis que la miséricorde divine nous offre toutes facilités de recouvrer promptement notre ancien état. Il suffit que nous voulions détester nos fautes, et secouer désormais une coupable inaction. Tel est en effet le Maître que nous servons, et telle est sa bonté et sa libéralité. Aussi nous assure-t-il lui-même par la bouche d'un prophète : Qu'il ne veut point la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive. (Ezéch. XVIII, 23.) Je sais en outre que vous êtes bons, et que vous sentez l'indignité de votre conduite. Or, c'est déjà un grand pas fait pour revenir à la vertu que de connaître la grandeur de sa faute.

Mais ne m'alléguez point cette excuse mensongère et diabolique, et ne me dites pas quel mal y a-t-il d'aller voir des courses de chevaux? Car si vous voulez observer attentivement tout ce qui s'y passe, vous demeurez convaincus que tout s'y fait à l'instigation du démon. On n'y voit pas seulement courir des chevaux, mais on y entend des cris, des blasphèmes et des discours inconvenants. Des courtisanes éhontées s'y montrent publiquement, et de jeunes efféminés y étaient leur mollesse. Est-ce donc là un mal léger, et ne suffit-il pas pour séduire et captiver les âmes? trop souvent une rencontre fortuite surprend et précipite dans l'abîme l'imprudent qui n'est pas sur ses gardes; et qu'éprouveront donc ceux qui accourent volontairement à l'hippodrome, qui rassasient leurs regards de ces spectacles lascifs, et qui en reviennent les yeux pleins d'adultères ? Le Seigneur savait bien que l'homme n'est que trop exposé à la tentation, et il n'ignorait pas la malice et les ruses du démon; aussi a-t-il voulu nous prémunir contre (31) notre faiblesse, et nous rendre invincibles contre les attaques de notre ennemi, en promulguant cette loi : Quiconque aura regardé une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère dans son coeur. (Matt. V, 28.) Ainsi, selon l'Evangile, un regard trop curieux est un adultère consommé.

Ne dites donc plus quel mal y a-t-il à fréquenter le cirque ! puisque la vue seule des courses des chevaux suffit pour causer à notre âme de nombreux dommages. Et en effet, n'est-ce pas véritablement perdre son temps que de le consacrer à 'des spectacles inutiles, et qui, loin de servir à notre salut, ne peuvent que lui devenir dangereux? On s'y dispute, on s'y échauffe, et l'on s'y répand en paroles peu décentes. Comment donc mériter notre pardon, et quelle excuse alléguer ! Dois-je ajouter que si je prolonge un peu mes instructions, plusieurs s'irritent et se fâchent? Ils prétextent la délicatesse d'un tempérament qui ne peut supporter la fatigue d'un long discours, quoique la structure admirable de ce temple nous préserve de tout inconvénient, et nous abrite contre le froid, la pluie et le vent. Mais dans le cirque, malgré des torrents de pluie, malgré la violence de l'ouragan et les rayons d'un soleil brûlant, ces mêmes personnes demeurent une heure, deux heures, et même presque tout le jour. Le vieillard oublie le respect qu'il doit à ses cheveux blancs, et le jeune homme n'y rougit point d'imiter ce scandaleux exemple. L'aveuglement est même si grand, que tous boivent avec délices à cette coupe empoisonnée; et nul ne réfléchit sur la courte durée de ce funeste plaisir que doit suivre un éternel remords, et la voix accusatrice de la conscience. Mais je lis sur vos visages le trouble de vos âmes, et la sincérité de votre repentir. Je vous conjure donc de ne plus retomber dans les mêmes fautes, et, après cette sévère admonition, de ne plus fréquenter ces spectacles et ces assemblées diaboliques. Il n'est pas toujours expédient de n'employer que des remèdes doux et légers; et quand la plaie résiste à ce premier traitement, il faut prévenir la gangrène par des curatifs violents et énergiques.

3. Que les coupables sachent donc que si, après ce solennel avertissement, ils négligent de se corriger, nous cesserons de les tolérer. Oui, nous emploierons la sévérité des lois de l'Eglise, et toute la véhémence de notre zèle pour réprimer ces désordres, et empêcher ce mépris de la parole sainte. Sans doute cet avertissement ne concerne pas tous ceux qui sont ici, et il ne regarde que les coupables. Mais je parle en général, et je laisse à chacun le soin de se faire l'application de mes paroles. Le coupable doit sortir de son péché, et ne plus y retomber. Il doit également s'armer de zèle contre lui-même pour revenir à la piété, et réparer ses fautes. Celui au contraire qui n'a rien à se reprocher, ne négligera point de se tenir mieux encore sur ses gardes, et il craindra de tomber dans le péché. Au reste, les faits eux-mêmes vous prouvent, mes chers frères, que mon coeur n'exhale ainsi sa douleur que parce qu'il vous aime, et qu'il se préoccupe de vous. C'est notre ardente sollicitude pour votre salut qui seule a inspiré nos paroles, et parce que notre âme est pleine en ce moment des meilleures espérances, nous allons reprendre le cours de nos instructions. Mais en vous donnant cette marque de mon affection toute paternelle, je vous prie de m'écouter attentivement, afin que vous reportiez dans vos maisons des fruits plus abondants.

Et d'abord il convient de vous rappeler ce qui vient d'être lu. Et Dieu dit: Que des corps de lumière soient faits dans le ciel et qu'ils éclairent la terre, afin qu'ils séparent le jour et la nuit et qu'ils servent de signes pour marquer les temps et les saisons, les jours et les années , qu'ils luisent dans le firmament dit ciel et qu'ils éclairent la terre. Et cela fut fait ainsi. (Gen. I, 14, 15.) Hier le saint prophète Moïse nous apprit de quelle manière le Créateur de l'univers avait embelli la terre qui d'abord était brute et informe. Il la para d'une infinité de plantes, de fleurs et d'arbres; et aujourd'hui l'écrivain sacré va nous parler de la décoration du ciel. Car, de même que la terre s'embellit par ses propres productions, le Seigneur a donné au firmament un éclat plus vif et plus brillant par la variété des astres dont il l'a parsemé, et surtout par la création de deux grands corps lumineux, le soleil et la lune. Et Dieu fit, dit l'Ecriture, deux grands corps lumineux, l'un plus grand pour présider au jour, et l'autre moindre pour présider à la nuit; et il fit aussi les étoiles. (Gen. I, 16.) Admirez ici la sagesse du divin Ouvrier. Il dit une parole, et soudain le soleil est créé; le soleil, cet astre admirable que Moïse appelle un grand luminaire, et qu'il dit avoir été fait pour présider (32) au jour. C'est en effet de cet astre que le jour emprunte ses clartés, et c'est de ses rayons et de sa splendeur qu'il ruisselle lui-même d'éclat et de lumière. Chaque jour il déploie à nos regards sa ravissante beauté, et dès qu'il paraît à l'horizon, il invite tous les hommes à reprendre leurs travaux.

Le saint roi David, parlant de cette beauté du soleil, compare cet astre à un époux qui sort de son lit nuptial. Il s'élance, dit-il encore, comme un géant dans sa carrière; il part des extrémités de l'aurore et il s'abaisse aux bornes du couchant. (Ps. XVIII, 6, 7.) Quelle sublime image de la splendeur du soleil et de la rapidité de sa course ! Car en nous disant qu'il part des extrémités de l'aurore et qu'il s'abaisse aux bornes du couchant, le Psalmiste nous marque qu'il parcourt l'univers comme en un instant et qu'il répand sa lumière et ses bienfaits d'une frontière du monde à l'autre. Tantôt il échauffe la terre et en dissipe l'humidité, et tantôt il la dessèche et la brûle; en un mot, les services qu'il nous rend sont aussi nombreux que variés, et telle est l'excellence de ce corps céleste que nous ne saurions le louer dignement. Mais ni mes paroles, ni ce pompeux éloge n'ont pour but de concentrer votre admiration sur cet astre. Je veux, au contraire, mes chers frères, que vous vous éleviez plus haut, et que de la créature vous remontiez jusqu'au Créateur. Car plus le soleil est brillant, et plus est excellent Celui qui a créé le soleil.

4. Mais les Gentils, qui admiraient comme nous cet astre, n'ont point porté leurs vues plus haut et n'ont point loué le Créateur; ils se sont arrêtés à la créature et lui ont rendu les honneurs divins. C'est pourquoi l'Apôtre a dit: Qu'ils ont adoré et servi la créature plutôt que le Créateur. (Rom. I, 25.) C'étaient de véritables insensés qui n'ont pu reconnaître le Créateur en ses créatures, et qui sont tombés dans un si étrange égarement qu'ils ont mis la créature à la place du Créateur.

C'est pourquoi l'Esprit-Saint, qui savait combien l'homme est enclin à l'erreur, vous enseigne que le soleil n'a été créé que le troisième jour; mais déjà la terre avait fait germer ses diverses productions et s'était revêtue de ses riches ornements : et Dieu l'avait ordonné, afin qu'on ne pût dire plus tard que les moissons et les fruits ne sauraient mûrir sans le soleil. Ainsi l'Ecriture vous apprend qu'avant la création du soleil, les plantes et les fruits existaient, de peur que vous ne lui attribuiez cette heureuse fécondité; elle appartient tout entière au divin Ouvrier qui, dès le commencement, prononça cette parole : Que la terre produise les plantes verdoyantes. Direz-vous que la coopération du soleil favorise la maturité des fruits et des moissons? je ne le nie point. Car, quoique le laboureur aide à la fécondité de la terre, il ne s'ensuit pas qu'il soit l'auteur de cette fécondité; out au contraire, quand il multiplierait même ses soins et ses travaux, il se fatiguerait inutilement, si le Seigneur, dont la parole rendit dès le commencement la terre propre à produire les fruits, ne lui continuait cette merveilleuse disposition; oui, ni les travaux du laboureur, ni l'influence du soleil et de la lune, ni le concours des saisons ne nous seraient d'aucune utilité si la main du Seigneur ne leur prêtait son puissant secours. Mais lorsque Dieu leur donne sa bénédiction, les éléments eux-mêmes contribuent beaucoup à la fertilité de la terre. Imprimez donc profondément ces vérités dans votre mémoire, et en retenant ceux qui voudraient encore s'égarer, ne leur permettez pas de rendre aux créatures l'honneur qui n'appartient qu'au Créateur.

Observez, en effet, que la sainte Ecriture, qui nous dépeint la beauté du soleil, sa grandeur et son utilité sous cette belle image : Semblable à un époux, il s'élance comme un géant dans sa carrière, nous parle aussi de sa faiblesse et de ses défaillances : Quoi de plus brillant que le soleil, dit-elle, et cependant le soleil s'éteindra. (Eccli. XVII, 30.) C'est comme si elle nous disait : Ne vous laissez point séduire par cet admirable spectacle; car si le Créateur l'ordonnait, cet astre si beau disparaîtrait à l'instant et rentrerait dans le néant. La connaissance de ces vérités eût préservé les païens de leurs monstrueuses erreurs, et ils eussent compris que la vue des créatures devait les élever jusqu'au Créateur. Le soleil ne fut aussi créé que le quatrième jour, afin que l'homme ne le considérât point comme l'auteur et le principe de la lumière. Car, ce que j'ai dit de la production des plantes, je puis bien le redire de la lumière, savoir que trois jours ont précédé la création du soleil. Le Seigneur a voulu seulement que cet astre augmentât la clarté du jour; il faut en dire autant de la lune, qui est un corps lumineux moins (33) grand, car trois nuits s'écoulèrent avant sa création. Ce n'est pas qu'elle ne nous soit merveilleusement utile; puisqu'elle dissipe les ténèbres de la nuit et remplit,presque les mêmes fonctions que le soleil : celui-ci a été créé pour présider au jour et la lune, pour présider à la nuit. Or que signifie, celte expression : présider au jour et présider à la nuit? elle marque, selon l'Écriture , que le soleil illumine le jour du feu de ses clartés, et que la lune, en dissipant les ténèbres de la nuit, aide les hommes par sa douce lumière dans l'accomplissement de leurs travaux. Et en effet le voyageur poursuit sa route avec plus de confiance, le pilote dirige mieux son navire sur l'immensité des mers, et chacun vaque sans crainte à ses travaux et ses occupations. Après vous avoir fait ainsi connaître l'utilité de ces deux grands luminaires, l'écrivain sacré ajoute que Dieu fit aussi les étoiles et qu'il les plaça dans le ciel pour luire sur la terre, pour présider au jour et â la nuit, et pour séparer la lumière d'avec les ténèbres. (Gen. I, 17, 18.)

5. Ces paroles nous font connaître quel a été le dessein de Dieu en créant les étoiles. Il les a placées, dit Moïse, dans le firmament du ciel. Qu'est-ce à dire ? Est-ce qu'il les y a clouées ? Non certes ; puisque nous les voyons franchir en un instant des espaces immenses, et accomplir par un mouvement incessant les diverses révolutions que le Seigneur leur a tracées. Quel est donc le sens de cette expression : il les plaça ? Elle signifie qu'il leur assigna le ciel pour demeure. — C'est ainsi que l'Écriture nous dira également que Dieu plaça Adam dans le paradis terrestre. ( Gen. II, 8. ) Il ne l'y fixa pas immuablement, mais il l'y plaça pour qu'il l'habitât ; et de même nous disons que le Seigneur a voulu que les étoiles fussent comme attachées à la voûte du firmament, afin que du haut du ciel elles pussent éclairer la terre. Or, je vous le demande, mon cher frère, l'émail de nos prairies, et les fleurs de nos jardins sont-ils aussi beaux que le ciel , lorsque au milieu de la nuit il scintille du feu des étoiles. La brillante variété de ces astres l'embellit et le parsème de fleurs étincelantes qui nous envoient une abondante lumière. Car les étoiles ont été créées pour éclairer la terre , et pour présider au jour et à la nuit. Déjà cette observation a été faite spécialement au sujet du soleil et de la lune; mais ici Moïse, après nous avoir révélé la création de ces deux grands corps de lumière, et celle des étoiles, ajoute, en. parlant de tous, que Dieu les fit pour présider au jour et ci la nuit, et pour séparer la lumière d'avec les ténèbres. Si les étoiles ne paraissent point pendant le jour., c'est que l'éclat du soleil les voile à nos regards; et de même le soleil ne brille point pendant la nuit, parce que la lumière de la lune suffit pour dissiper les ténèbres. Au reste tous les astres demeurent dans les limites qui leur sont tracées; ils ne s'en écartent point, et chacun d'eux obéit docilement aux ordres du Seigneur, et remplit son ministère.

Mais qui expliquerait tous les autres avantages que procurent à l'homme le soleil, la lune et les étoiles ? Ils servent de signes, dit l'Ecriture, pour marquer et les temps, et les jours, et les années. Que signifient donc ces paroles : et les temps , et les jours, et les années ? L'écrivain sacré a voulu nous apprendre que le cours des astres règle pour nous celui des temps, ou saisons, que leur révolution journalière amène pour nous le jour et la nuit, et que leur périodicité désigne celle des années. Ces observations suffisent à pus nos besoins. Et en effet, le pilote, qui connaît le cours des astres et qui observe le ciel , s'embarque sur la foi de ses calculs, traverse les mers, et dans une nuit profonde se guide sur la vue des étoiles , en sorte que par elles il conduit à bon port son navire et tous les passagers. Ainsi encore le cours des astres indique au laboureur la saison propice de ses travaux. Il sait quand il doit ensemencer la terre, lui donner les divers labours, et préparer sa faucille pour moissonner ses grains. Ajoutons aussi que la connaissance des temps , le, calcul des jours et le cycle des années nous sont d'un usage journalier et infini, et les secours que nous en retirons pour notre bien-être sont si nombreux qu'il serait impossible de les énumérer exactement. Le peu que j'en ai dit suffit à nous en donner une haute idée; et après avoir admiré les créatures, ne négligeons point d'adorer et de célébrer le Créateur. Oui, louons son ineffable bonté envers nous, puisqu'il n'a créé le monde que pour l'homme , et que bientôt il va l'y introduire comme le roi et le maître de toutes les créatures.

Et Dieu vit, dit l'Écriture, que cela était bon. A chaque jour de la création l'écrivain sacré observe que Dieu approuva son couvre , afin d'ôter tout prétexte à ceux qui osent la (34) critiquer. Tel est, en effet, comme le prouve le contexte, le but de Moïse ; autrement il eût suffi de dire en général que Dieu vit que tout ce qu'il avait fait était bon. Mais parce que le Seigneur connaît l'infirmité de l'esprit humain, il a voulu louer séparément chacun de ses ouvrages , afin de nous faire connaître la souveraine sagesse et l'ineffable bonté qui ont présidé à leur création. Et du soir et du matin se fit le quatrième jour. Dieu, qui avait d'abord placé dans le ciel deux grands corps de lumière, en acheva l'ornementation en le décorant du feu des étoiles. Telle fut l'œuvre du quatrième jour , comme Moïse nous l'indique en disant que du soir et du matin se fit le quatrième jour. Mais s'il se répète ainsi à chaque jour de la création, c'est pour mieux graver dans nos esprits ses divines instructions.

6. Il nous importe donc de les graver, au plus profond de nos cœurs, et de secouer noire négligence habituelle, afin que, mieux instruits des dogmes de notre religion, nous puissions en tout esprit de douceur, éclairer les gentils, et dissiper leurs erreurs. Empêchons-les de confondre l'ordre des choses, et d'adorer au lieu du Créateur , les créatures qui n'ont été faites que pour notre salut et notre utilité. Oui, dût ma parole soulever tous les gentils, je publierai à haute voix que le monde n'a été créé que pour l'homme. Car Dieu se suffit à lui-même, et il n'a besoin d'aucun de ces biens extérieurs. Mais la création de l'univers nous manifeste sa bonté; et il a entouré l'homme de tant d'honneur et d'estime qu'il lui a donné les créatures pour le conduire à la connaissance et à l'adoration du Créateur. Et en effet, n'est-il pas absurde de s'extasier , et de se prosterner devant ces créatures si belles , et de ne point élever sa pensée jusqu'à Celui qui les a faites ! Pourquoi ne croirions-nous pas à cette parole de l'Apôtre : Les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du monde, par tout ce qui a été fait? (Rom. I, 20.) Répondez-moi, ô homme ! Lorsque vous contemplez le ciel, n'admirez-vous pas cette beauté qui résulte de la variété, de l'élévation et de la splendeur des astres ? Mais ne vous arrêtez pas à ces objets sensibles, et atteignez par la pensée l'Auteur de tant de merveilles. L'éclat du soleil vous ravit d'étonnement, les divers phénomènes de sa lumière vous surprennent , et la splendeur de ses rayons., qui éblouit vos yeux, vous transporte d'admiration. Mais n'en demeurez pas là ; en voyant qu'une simple créature est si excellente qu'elle échappe à toute appréciation humaine, comprenez combien est grand et puissant Celui qui l'a produite par une seule parole. Appliquez le même raisonnement à la terre. Lorsque vous la voyez émaillée de mille fleurs, comme d'un vêtement parsemé de broderies, et couverte de fruits et de moissons, ne lui attribuez point cette admirable fécondité, et gardez-vous bien aussi d'en faire hommage à la coopération du soleil et de la lune; mais souvenez-vous qu'avant la création de ces deux astres le Seigneur avait dit Que la terre produise les plantes verdoyantes, et que soudain la terre revêtit ses riches ornements.

Si nous faisions chaque jour ces réflexions , nous serions pénétrés de reconnaissance envers le Seigneur , et nous le louerions autant qu'il le mérite , ou du moins autant que nos forces nous le permettraient. Mais le meilleur moyen de le glorifier, est de mener une vie sainte, et de ne point retomber dans nos anciens péchés. C'est pourquoi ne nous laissons plus séduire par les illusions du démon, et méritons la grâce et la miséricorde divine par une vigilante attention sur nous-mêmes , un grand zèle , et l'assiduité aux devoirs de la prière publique. Car le Seigneur est à notre égard si miséricordieux, qu'il se contente de nos efforts pour éviter le péché, et nous facilite lui-même la pratique des bonnes oeuvres. Que nul d'entre vous, je vous en conjure, ne paraisse dore dans les jeux du cirque , et ne consume une partie du jour en des réunions et des entretiens inutiles; que nul d'entre vous ne se livre à la passion des jeux de hasard, et ne se mêle aux cris indécents et aux mille désordres qui les accompagnent. Eh ! de quoi vous sert-il, je vous le demandé; de jeûner et de ne prendre jusqu'au soir aucune nourriture, si vous passez toute la journée à jouer aux dés, si vous vous permettez de folâtres amusements, et si enfin vous ,prononcez des jurements et des blasphèmes ? Ah ! ne soyons plus si indolents pour tout ce qui concerne notre salut, et que tous nos entretiens roulent sur des matières spirituelles. Il serait même bon que chacun eût entre les mains quelqu'un de nos livres saints, et que, réunissant ses amis , il pût s'édifier avec eux par une pieuse lecture. Ces pratiques nous aideront puissamment à éviter les piéges du démon, et à recueillir de notre jeûne des fruits abondants. Elles nous mériteront également la grâce du Seigneur, par l'ineffable bonté; de Dieu le Fils, à qui soient, avec, le Père et l'Esprit Saint, la gloire, l'empire et l'honneur , maintenant , et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

SEPTIÈME HOMÉLIE. Et Dieu dit : " Que les eaux produisent des animaux vivants qui nagent dans l'eau, et, des oiseaux qui volent sur la terre, sous le firmament du ciel, et il fut fait ainsi. " Dieu créa donc les grands poissons, et tous les animaux qui ont la vie et le mouvement, que les eaux produisirent, chacune selon leur espèce (Gen. I, 20, 21.)
ANA LYSE.

1. L'orateur regrette la véhémence de ses précédents reproches, et annonce qu'il tiendra aujourd'hui un langage plus doux. — 2. Il exhorte de nouveau ses auditeurs à ne plus fréquenter le cirque, et à cause du tort qu'ils se font à eux-mêmes, et surtout du scandale qu'ils donnent aux Juifs et aux païens. — Il prend de là occasion de parler du scandale et de montrer quelle est la grièveté de ce péché. — 3. Il passe ensuite à l'explication du verset vingtième et vingt-unième de la Genèse, et décrit la puissance et l'efficacité de la parole divine dans la création des poissons et des oiseaux. — 4. Il fait aussi observer que l’Esprit-Saint a eu pour but, dans le récit si détaillé de toute la création, d'empêcher les hommes de tomber dans l’idolâtrie. — 5. La bénédiction que Dieu donne aux poissons et aux oiseaux, amène l'orateur à glorifier la bonté et la puissance du Seigneur. — L'oeuvre du cinquième jour étant ainsi terminée, il explique la création des animaux terrestres, et prouve quelles en sont, à notre égard, la convenance et l'utilité. — 6 et 7. Au moment d'aborder la création de l'homme, il s'interrompt pour ne pas trop allonger son discours et termine par quelques réflexions morales sur la folie de l'idolâtrie, à laquelle il oppose l'heureuse influence d'une vie pieuse et chrétienne.

1. J'adressai hier de vifs reproches à ceux qui avaient assisté aux courses de l'hippodrome, et je leur ai exposé la grandeur du dommage qu'ils avaient éprouvé. Et en effet

, ils ont dissipé le trésor spirituel qu'ils avaient amassé par le jeûne, en sorte que de riches ils sont tombés soudain dans une extrême indigence. Mais je veux aujourd'hui employer un remède plus doux, et panser les plaies de leur âme, comme je panserais mes propres blessures. Hier, je l'avoue, j'appliquai un remède violent, non certes pour vous contrister et augmenter votre douleur, mais afin de pénétrer jusqu'au vif de- l'ulcère par la violence du remède. C'est ainsi qu'agissent les médecins et les pères. Les premiers font usage d'un onguent énergique pour forcer la tumeur à s'ouvrir, et ils la traitent ensuite par des pommades adoucissantes. Et les seconds également, lorsqu'ils voient leurs enfants tomber en des fautes graves, les corrigent d'abord sévèrement, et puis leur adressent de tendres reproches et de douces exhortations. Et moi aussi, parce que hier je vous parlai avec force et véhémence, je ne vous tiendrai aujourd'hui qu'un langage plein de douceur, car je vous considère comme une partie de moi-même. Je me sens donc porté à vous parler avec d'autant plus de franchise que j'ai un plus grand désir de votre salut. Eh ! quel est mon trésor spirituel, si ce n'est votre avancement dans la piété? C'est pourquoi je suis heureux, lorsque je vous vois riches en vertus, et attentifs à éviter tout ce qui pourrait nuire à vos âmes. Mais aussi quand je vois que vous succombez au péché, et que vous vous laissez séduire par les illusions du démon, je m'afflige profondément, et la confusion couvre mon visage, car je m'applique ce mot de l'Apôtre : Nous vivons maintenant, si vous demeurez fermes dans le Seigneur. (I Thes. III. 8.)

Agissez donc en hommes parfaits et remplis (36) de l'Esprit de sagesse, oubliez ce qui est derrière vous, et efforcez-vous d'avancer vers ce qui est devant vous. Et puisque vous renouvelez aujourd'hui vos premiers engagements avec Jésus-Christ, conservez-les fermes et inviolables. Que la prudence chrétienne ferme désormais l'entrée de vos coeurs à toutes les séductions du démon; et n'oubliez rien pour réparer vos négligences passées, et effacer de votre âme la tache du péché. Ainsi corrigez-vous de la mauvaise et funeste coutume d'assister aux courses de l'hippodrome; et soyez bien persuadés que ceux qui y courent avec tant d'empressement, se nuisent beaucoup, et par leur coupable curiosité, et par le scandale qu'ils donnent aux juifs et aux païens. Et en effet lorsque ceux-ci voient pêle-mêle avec eux dans le cirque des chrétiens qui viennent chaque jour à l'église, et qui y reçoivent la doctrine sainte, que peuvent-ils penser de nos mystères? ne les prendront-ils pas pour des illusions, et nous-mêmes pour des imposteurs? N'entendez-vous pas le bienheureux Paul qui nous crie à haute voix : Ne donnez point occasion de scandale. Mais à qui? aux chrétiens seulement, et à ceux de notre croyance ? non certes ; mais d'abord aux juifs, puis aux païens, et enfin à l'Eglise de Dieu. (I Cor. X, 32.) Car rien n'est plus nuisible et plus funeste à notre religion que de scandaliser les infidèles. Et en effet lorsqu'ils voient des chrétiens se signaler par leurs vertus, et prendre comme en pitié du haut des cieux la vie humaine; ses intérêts et ses préoccupations, les uns s'extasient d'admiration, et les autres sont muets d'étonnement, parce que, hommes comme nous, ils ne peuvent s'élever à cet héroïsme. Mais aussi dès qu'ils surprennent dans les fidèles quelque relâchement, ou quelque négligence, ils aiguisent soudain leur langue contre nous tous, et jugent de tous les chrétiens d'après la faute d'un seul. Que dis-je? ils font rejaillir leurs blasphèmes sur notre divin Chef lui-même, dont ils critiquent la religion, et ils nous opposent la lâcheté de quelques mauvais chrétiens comme une légitime excuse de leurs erreurs.

2. Mais voulez-vous connaître combien sont coupables toux qui donnent occasion à ce scandale? écoutez le prophète Isaïe qui nous dit, au nom du Seigneur : Malheur à vous, parce que mon nom est blasphémé à cause de vous parmi les gentils! (Is. LII, 5.) Cette parole est terrible, et bien propre à nous remplir d'effroi. Car ce mot : malheur, est comme une exclamation de douleur à la vue du supplice inévitable auquel s'exposent ceux par qui arrive le scandale. Mais s'ils ne peuvent éviter une condamnation sévère, et d'affreux châtiments, parce que leur négligence a fait blasphémer le nom du Seigneur, disons aussi que le zèle de la vertu et du bon exemple devient un titre aux plus belles récompenses. C'est ce que Jésus-Christ lui-même nous enseigne, quand il nous dit: Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. (Matth. V, 16). Car si les païens se scandalisent de la conduite de quelques chrétiens, et en prennent occasion d'aiguiser leurs langues contre Dieu, par un effet contraire, dit le Sauveur, les hommes qui admireront en vous la pratique de toutes les vertus, ne pourront d'abord que vous louer; et puis en voyant l'éclat de vos bonnes oeuvres, et la splendeur qui en rejaillit sur vous, ils se sentiront portés à glorifier votre Père qui est dans les cieux; et cette gloire que nous aurons ainsi procurée au Seigneur augmentera nos mérites, et lui-même nous en récompensera par les plus riches faveurs. Il nous l'assure en ces termes : Je glorifierai ceux qui me glorifieront. (I Rois, II, 30.)

N'épargnons donc rien, mes chers frères, pour faire glorifier le Seigneur, notre Dieu, et ne donner à personne occasion de scandale. Le docteur des nations, le bienheureux Paul, nous le recommande sans cesse, et il nous dit Si ce que je mange scandalise mon frère, je ne mangerai jamais aucune viande; et même il avait dit précédemment que : péchant de la sorte contre nos frères, et blessant leur conscience faible, nous péchons contre Jésus-Christ. ( I Cor. VIII, 12, 13.) Ces menaces sont terribles, et entraînent une sévère condamnation. C'est comme si l'Apôtre nous disait : Gardez-vous bien de croire que le scandale n'atteigne que votre frère, il rejaillit jusque sur le Christ qui a été crucifié pour votre frère. Mais si votre Maître n'a point dédaigné de souffrir à cause de lui la mort de la croix, pouvez-vous prendre trop de précautions pour ne point le scandaliser?

Tels sont les conseils qu'il donne en toute circonstance à ses disciples, et qu'il leur recommande comme un excellent moyen de conserver (37) en eux la vie de la charité. C'est pourquoi il écrit aux Philippiens : Que chacun ait en vue non ses propres intérêts, mais ceux des autres; et parlant aux Corinthiens, il dit : Tout m'est permis, mais tout n'édifie pas. (Philip. II, 4... I Cor. X, 23.) Admirez la sagesse de l'Apôtre ! Quoiqu'il me soit libre, dit-il, de faire certains actes qui ne sauraient m'être préjudiciables, je m'en abstiendrai, si mon frère doit en être .mal édifié. Voyez donc combien le coeur de Paul nous aime, et comme il oublie ses propres intérêts afin de nous prouver de mille manières que la première de toutes les vertus. est de nous appliquer à édifier le prochain. Instruits à l'école d'un: tel maître, observons ses préceptes, je vous en conjure, et évitons tout ce qui pourrait être pour nos frères une occasion de perdre leurs richesses spirituelles. Oui, ne faisons jamais rien qui cause à nos frères le moindre dommage. Car le mauvais exemple rend notre péché plus grave, et nous expose à de plus rigoureux supplices. Ne méprisons personne, serait-ce le dernier de. nos frères; et ne disons jamais cette, froide parole : Peu m'importe qu'un tel se scandalise. Comment ! peu m'importe, dites-vous? Mais Jésus-Christ ne veut-il pas que nos bonnes oeuvres luisent au dehors afin que ceux qui les voient en soient édifiés et qu'ils glorifient le Seigneur? Et vous,tout au contraire, bien loin de procurer la gloire de Dieu, vous êtes cause qu'on la blasphème, et vous n'en avez aucun souci ! Cette conduite est-elle digne d'un chrétien pieux et instruit de sa religion ?

3. Au reste que ceux qui jusqu'ici se sont abandonnés à cette pernicieuse coutume, se corrigent aujourd'hui sur nos pressantes invitations, et s'abstiennent désormais de toute parole peu édifiante. Que chacun s'étudie donc à ne rien faire dont l'oeil du Seigneur, oeil toujours ouvert et toujours vigilant, soit blessé, ou que sa propre conscience lui puisse reprocher comme une occasion de scandale et de blasphème pour tous ceux qui en seraient témoins. Si nous agissons en toutes choses avec ces précautions, nous attirerons sur nous les miséricordes du Seigneur, et nous éviterons, les embûches du démon. Car en nous voyant ainsi attentifs et vigilants, il perdra toute espérance de nous vaincre, et se retirera honteusement. Mais cet exorde est assez long, et il est temps de servir à votre charité comme un festin spirituel en vous expliquant,le passage de la Genèse qui vient d'être lu. Voyons donc ce que Moïse veut aujourd'hui nous apprendre, ou plutôt l'Esprit-Saint qui nous parle par sa bouche.

Et Dieu dit : que les eaux produisent des animaux vivants qui nagent dans l'eau, et des oiseaux qui volent sur la terre, sous le firmament du ciel; et il fut fait ainsi. Admirez ici avec quelle bonté le Seigneur nous fait connaître l'ordre et la suite des oeuvres de la création. D'abord il nous a révélé comment, à son ordre, la terre avait épanché de son sein ses diverses productions; puis il .nous a raconté la formation de ces deux grands corps lumineux, auxquels il joignit la variété des étoiles qui ornent le ciel de leur brillant éclat; et aujourd'hui, passant à l'élément des eaux, il nous apprend qu'à sa parole et son commandement elles produisent elles-mêmes des animaux, vivants : Que les eaux, dit-il, produisent des animaux vivants qui nagent dans l'eau, et des oiseaux qui volent sur la terre, sous le firmament du ciel. Mais quelle parole, je vous le demande, pourrait raconter dignement ce prodige ! et quelle langue suffirait à louer cette oeuvre d'un Dieu créateur ! il avait dit seulement : que la terre produise des plantes, et soudain la terre s'était couverte des plus riches productions; et aujourd'hui il dit: que les eaux produisent. Ces deux commandements furent suivis des mêmes effets; là il avait dit : que la terre produise des plantes; et ici il dit : que les eaux produisent des animaux vivants. Mais de même qu'à son premier ordre : que la terre produise, la terre avait enfanté les plantes et les fleurs, les moissons et toutes les autres productions si variées et si nombreuses; ainsi à ce second ordre : que les eaux produisent des animaux vivants qui nagent dans l'eau, et des oiseaux qui volent sur la terre, sous le firmament du ciel, on vit apparaître les poissons et les oiseaux en si grand nombre qu'on ne saurait les compter. Mais autant la parole du Seigneur est brève et concise, autant les espèces des poissons et des oiseaux sont nombreuses et variées. Et ne vous en étonnez pas, mon cher frère, puisque c'était la parole de Dieu, et que cette parole est toujours efficace et créatrice.

Vous voyez maintenant comment toutes les créatures ont été tirées du néant; vous voyez aussi avec quelle bonté Dieu nous révèle la suite de ses oeuvres, et avec quelle condescendance il se proportionne à notre faiblesse. (38) Et en effet, eussions-nous pu jamais connaître tous ces détails de 1a création, si le Seigneur n'eût daigné les révéler aux hommes par la bouche de son prophète. Nous savons donc aujourd'hui quel ordre Dieu a observé dans la création, nous voyons les effets de sa puissance, et nous admirons cette parole créatrice qui commande au néant, et qui donne l'être à tant de créatures différentes.

4. Et cependant il se rencontre quelques insensés qui, après ces belles instructions, osent encore se dire incrédules, et qui ne veulent pas reconnaître que Dieu a créé le monde ! ils disent, les uns que le hasard a tout fait, et les autres qu'une matière préexistante a tout produit. Mais voyez combien cette illusion du démon est dangereuse, et comment il abuse de la simplicité de ceux qui se laissent séduire! c'est pour nous préserver d'un semblable malheur que le saint prophète, inspiré par l'Esprit-Saint, nous raconte avec tant d'exactitude tout l'ensemble de la création, en sorte que nous en connaissons manifestement l'ordre et la suite, et que nous savons comment chaque créature a été produite. Mais ai Dieu n'eût pas eu un soin aussi spécial de notre salut, et s'il n'eût dirigé lui-même la langue de son prophète, celui-ci se fût contenté de dire : Dieu créa le ciel et la terre, la mer et les animaux ; et il n'eût pas jugé nécessaire de distinguer les jours de la création, ni de marquer séparément les oeuvres de chacun d'eux. Mais pour ôter toute excuse aux hommes ingrats et aveuglés par leurs préjugés, Moïse distingue clairement l'ordre des faits et le nombre des jours; et il nous instruit avec tant de soin qu'il nous est comme impossible de méconnaître la vérité, et de tomber dans l'erreur des païens. Ceux-ci ne débitent que les rêves de leur imagination, tandis que nous savons combien le Seigneur, notre Dieu, est grand et puissant.

Il avait dit : Que les eaux produisent des animaux vivants qui nagent dans l'eau, et des oiseaux qui volent sur la terre, sous le firmament du ciel; et soudain l'élément, docile à la parole du Créateur, accomplit son commandement. Aussi Moïse ajoute-t-il : Et il fut fait selon que Dieu l'avait ordonné. Et Dieu créa les grands poissons, et tous les animaux qui ont la vie et le mouvement, que les eaux produisirent chacun selon son espèce; et il créa aussi des oiseaux, chacun selon son espèce. Et Dieu vit que cela était bon; et il les bénit en disant : croissez et multipliez, remplissez la mer, et que les oiseaux se multiplient sur la terre. (Gen. I, 21, 22.) Considérez, je vous prie, quelle est la sagesse de l'Esprit-Saint. Déjà Moïse avait dit : et il fut fait ainsi; et voilà qu'il lui inspire de nous révéler tous les détails de cette oeuvre. Et Dieu créa les grands poissons, et tous les animaux qui ont la vie et le mouvement, que les eaux produisent chacun selon son espèce; et il créa aussi des oiseaux, chacun selon son espèce ; et Dieu vit que cela était bon. Ces paroles répriment de nouveau une téméraire critique. Et en effet, afin que nul ne puisse dire: pourquoi les monstres marins ? quelle est leur utilité , et quels avantages l'homme peut-il retirer de leur création ? Moïse nous apprend d'abord que Dieu créa, avec les grands poissons, tous les animaux qui ont la vie et le mouvement, ainsi que les oiseaux; et puis il ajoute : que Dieu vit que cela était bon.

C'est comme s'il nous disait : parce que vous ignorez la raison des oeuvres divines, ne vous hâtez point de blâmer le Créateur. Vous avez entendu la parole du Seigneur, parole qui proclame qu'elles sont bonnes; et, pleins d'une folle témérité, vous osez demander pourquoi elles existent, comme si elles n'étaient dans la création qu'une superfluité ? Et toutefois si vous étiez doués d'un sens droit, elles vous feraient connaître la puissance et l'ineffable bonté du Seigneur. Sa puissance paraît en ce qu'il lui a suffi d'une parole et d'un commandement. pour produire ces monstres marins, et sa bonté en ce qu'après les avoir créés, il les a relégués dans le vaste abîme de l'Océan, en sorte qu'ils ne peuvent nuire à l'homme. Ainsi ces géants des mers nous font admirer la puissance suréminente du Créateur, et ils sont inoffensifs. Cette double utilité n'est-elle donc pas une grande preuve de la bonté divine, puisque la vue de ces monstres conduit tout esprit sage à la connaissance du Seigneur, et que lui-même, par un prodige de bienveillance, les empêché de nous faire aucun mal? Car toutes les créatures n'ont pas été produites pour la seule utilité de l'homme; et quelques-unes sont destinées à publier la magnificence du Créateur. Oui, les unes ont été faites pour notre usage, et les autres pour manifester la grandeur de Dieu, et proclamer sa puissance. Aussi lorsque vous entendez l'écrivain sacré vous dire que Dieu vit que tout cela était bon, (39) n'ayez pas la témérité de contredire l'Ecriture, ni d'émettre curieusement cette imprudente parole : pourquoi Dieu a-t-il fait telles ou telles créatures? Et Dieu les bénit, en disant: Croissez et multipliez, remplissez la mer; et que les oiseaux se multiplient sur la terre.

5. L'effet de cette bénédiction a été l'accroissement prodigieux des poissons et des oiseaux. Et parce que Dieu voulait qu'ils se perpétuassent en leurs générations, il les bénit, en disant : croissez et multipliez. C'est ainsi qu'ils se sont conservés jusqu'aujourd'hui, et qu'à travers tant de siècles nulle espèce n'a péri. Car par la bénédiction de Dieu, et par cette parole : Croissez et multipliez, il leur a été donné de se multiplier et de subsister toujours. Et du soir et du matin se fit le cinquième jour. L'Ecriture nous apprend ainsi quelles espèces parmi les animaux furent créées le cinquième jour. Mais attendez un peu, et vous verrez de nouveau éclater la bonté du Seigneur. Car il n'a pas seulement rendu les eaux fécondes pour produire les poissons et les oiseaux, mais il a commandé aussi à la terre d'enfanter les animaux terrestres. C'est pourquoi la suite du' récit nous engage à aborder foeuvre du sixième jour.

Et Dieu dit : Que la terre produise des animaux vivants, chacun selon son espèce : les animaux domestiques, les reptiles et les bêtes sauvages de la terre, selon leurs différentes espèces. Et cela se fit ainsi. (Gen. I, 24.) Considérez donc quel nouveau service nous rend la terre, et comment elle obéit à ce second ordre du Seigneur. D'abord elle avait produit les germes de toutes plantes, et maintenant elle enfante les animaux vivants, les quadrupèdes et les reptiles, les animaux domestiques et les bêtes sauvages. Mais ici se confirme ce que je vous avais déjà déclaré, à savoir, que dans les oeuvres de la création, le Seigneur s'est proposé tantôt notre utilité et tantôt sa propre gloire : il a voulu que la vue de tant de créatures nous fît admirer la puissance du Créateur, et nous révélât que sa bonté et sa sagesse infinies les ont faites pour l'homme, qu'il devait bientôt créer.

Dieu fit donc les bêtes de la terre selon leurs espèces; les animaux domestiques et tous ceux qui rampent sur la terre, chacun selon. son espèce. Et il vit que cela était bon. (Gen. I, 25.) Où sont aujourd'hui ceux qui osent demander pourquoi Dieu a créé les bêtes sauvages et les reptiles dangereux? Qu'ils écoutent cette parole de l'Ecriture : Et Dieu vit que cela était bon. Quoi ! le Créateur lui-même loue son oeuvre, et vous oseriez la blâmer ! Mais n'est-ce pas une extrême folie? Tous les arbres que la terre nourrit ne produisent point des fruits, et nous comptons parmi eux des espèces sauvages et stériles; toutes les plantes elles-mêmes ne sont point utiles: il en est qui nous sont inconnues, et d'autres qui sont malfaisantes. Et cependant, qui oserait les condamner? car elles n'ont point été créées au hasard et sans intention. Oui, elles n'auraient point été louées par le Créateur lui-même, si elles eussent dû être entièrement inutiles. Outre les arbres fruitiers, nous en possédons un grand nombre qui, quoique stériles, nous sont aussi utiles que les premiers, parce qu'ils servent aux différents usages de la vie et aux besoins de l'homme. Et, en effet, nous les employons ou dans la construction des bâtiments, ou dans la confection de meubles nécessaires et commodes. Ainsi, nulle créature n'a été faite sans raison, quoique l'esprit de l'homme ne puisse en découvrir toute l'utilité. Mais ce que je dis des arbres s'applique également aux animaux, dont les uns servent à notre nourriture, et les autres à nos travaux. Il n'est pas jusqu'aux bêtes féroces et aux reptiles qui ne nous soient utiles; et, quoique depuis la désobéissance de nos premiers parents nous ayons perdu sur eux l'empire et l'autorité, quiconque y réfléchira sérieusement se convaincra que nous en retirons encore de précieux avantages. Et, en effet, les médecins en tirent plusieurs remèdes pour la guérison de nos maladies. Au reste, en quoi la création des animaux féroces pouvait-elle être blâmable, puisqu'ils devaient, comme les animaux domestiques, être soumis à l'homme, que Dieu allait créer? Et c'est ce sujet que j'aborde.

6. Mais d'abord, considérons dans son ensemble la bonté du Seigneur à l'égard de l'homme. Il étendit les cieux, créa la terre, et plaça le firmament pour diviser les eaux supérieures d'avec les eaux inférieures; il réunit ensuite les eaux dans un bassin qu'il appela mer; il nomma terre l'élément aride, et l'orna d'arbres et de plantes; il passa ensuite à la formation de ces deux grands corps de lumière et de cette multitude d'étoiles qui embellissent le ciel; enfin, il acheva l'oeuvre du cinquième jour en ordonnant aux eaux de produire les (40) poissons qui nagent dans leur sein, et les oiseaux qui volent sur la terre, au-dessous du firmament. Mais, parce qu'il convenait que la terre elle-même fût peuplée, il créa les divers animaux, tant ceux qui servent à notre nourriture que ceux qui nous aident dans nos travaux, et même les reptiles et les bêtes féroces. C'est ainsi que Dieu, après avoir produit toutes les créatures, chacune en son rang et sa perfection, dressa l'univers comme une grande table chargée de toutes sortes de mets et resplendissant d'un luxe princier et d'une magnificence vraiment royale. C'est alors aussi qu'il créa l'homme, qui devait jouir de toutes ces richesses. Il lui donna autorité sur toute la création visible; et, pour montrer combien il surpassait en dignité toutes les autres créatures, il les soumit à son empire et à sa puissance.

Mais, pour ne point prolonger ce discours outre mesure, je remets à demain tout ce qui concerne l'admirable formation de l'homme, cet être doué de vie et de raison, et je términe, comme d'habitude, par une instruction morale. Retenez donc. fidèlement mes paroles, afin que la vue des créatures vous, excite à glorifier le Créateur. Sans doute, nous ne pouvons ni pénétrer les secrets divins, ni comprendre toutes les merveilles de la création; mais cette impuissance même, loin de nous être une occasion d'incrédulité, doit nous animer davantage à célébrer la gloire du Seigneur. La faiblesse de notre raison et la petitesse de notre esprit ne peuvent qu'accroître en nous l'idée de la grandeur divine, et la puissance du Créateur nous paraît d'autant plus souveraine que ses oeuvres nous sont incompréhensibles.

Cet aveu est à la fois le témoignage d'un coeur reconnaissant et d'un esprit sage. Mais les gentils se sont égarés parce qu'ils ont tout permis à leurs pensées; ils n'ont point assez connu la faiblesse de notre raison, et, voulant pénétrer dés mystères impénétrables à l'homme, ils ont franchi les bornes du possible et se sont dégradés eux-mêmes. C'est ainsi que, doués de raison, et par cette admirable prérogative élevés au-dessus de toutes créatures visibles, ils sont tombés dans une telle absurdité, qu'ils ont adoré le chien, le singe, le crocodile et d'autres animaux plus méprisables encore. Eh! que parlé-je de brutes et d’animaux ! Qui ne sait que des peuples ont été assez stupides et insensés pour adorer des oignons et des légumes? Ce sont ces peuples que désignait le Prophète, quand il disait: L'homme a été comparé aux bêtes qui n'ont aucune raison, et il leur est devenu semblable. (Ps. XLVIII, 21.) Comment l'homme, doué de raison et orné de sagesse, est-il devenu semblable à la brute? et même, comment est-il descendu au-dessous d'elle? L'animal ne peut être responsable de cette monstrueuse idolâtrie, puisqu'il est un être irraisonnable; mais l'homme qui tombe dans cet excès d'impiété sera rigoureusement puni, parce qu'après tant de bienfaits, il ne sait être qu'ingrat. Les païens ont donc appelé dieux la pierre et le bois, et ils ont érigé en divinités les plus grossiers éléments; car, du jour où ils s'éloignèrent du sentier de la vérité, ils se précipitèrent dans un profond abîme de malice et d'impiété.

7. Cependant il ne faut pas désespérer de leur salut, et nous devons les instruire en toute charité et en toute patience. Montrons-leur et l'absurdité de l'idolâtrie, et les malheurs auxquels ils s'exposent; mais surtout, ne cessons jamais de travailler à leur conversion. Il est probable, en effet, qu'avec le temps nous les amènerons à la vérité, principalement si notre conduite ne leur est pas une occasion ou un prétexte de s'en éloigner. Car plusieurs, parmi les païens, en voyant que nous, qui nous appelons chrétiens, sommes comme eux, avides, avares et envieux, vindicatifs, traîtres, dissolus et voluptueux, plusieurs, dis-je, repoussent nos avis, se persuadent que notre religion n'est qu'une tromperie, et pensent que tous les chrétiens sont coupables des mêmes vices.

Considérez donc sérieusement, je vous en conjure, de quels supplices. se rendent dignes ceux qui attisent ainsi pour eux-mêmes les feux éternels de l'enfer, et qui sont cause qu'un grand nombre de païens persévèrent dans leurs erreurs. Ces derniers ferment l'oreille à la voix de la vérité; mais les premiers leur donnent occasion de calomnier la vertu, et, ce qui est un péché énorme, de blasphémer le saint nom de Dieu. Comprenez donc les suites funestes du scandale : certes, ceux qui le répandent, ne s'exposent pas à de vulgaires châtiments; mais ils se préparent les plus affreux supplices, puisqu'ils seront punis, et pour leurs propres péchés, et pour ceux qu'ils auront fait commettre, soit en retenant parleurs scandales les païens dans l'idolâtrie, soit en les (41) autorisant à soupçonner la vertu des gens de bien, et à continuer leurs blasphèmes contre le Seigneur.

Pénétrés de ces vérités, ne négligeons point notre salut, mais appliquons-nous à vivre selon les maximes de l’Evangile, car nous ne pouvons ignorer qu'elles seront pour nous un sujet de condamnation, ou un titre aux plus magnifiques récompenses. Conduisons-nous donc avec tant de prudence que notre conscience ne nous fasse aucun reproche, que nos bons exemples ramènent à la vérité, par de douces insinuations, ceux qui sont dans l'erreur, et que tous nos frères jouissent de toute l'estime que méritent leurs vertus. Mais surtout ayons soin que le Seigneur soit glorifié, afin que lui-même redouble à notre égard ses soins paternels. Et en effet, lorsque notre conduite édifiante encourage le prochain à la vertu et l'anime à louer Dieu, nous obtenons des grâces plus abondantes. Eh ! n'est-il pas véritablement heureux celui qu'on ne peut voir sans admiration et sans s'écrier : gloire vous en soit rendue, Seigneur? Quels hommes que ces chrétiens ! quelle sagesse reluit en eux, et quel détachement des biens de la terre ! ils les regardent comme une ombre et un songe; et, indifférents à tout ce qui passe, ils vivent comme voyageurs sur une terre étrangère, et souhaitent impatiemment de quitter la vie. Mais quelles faveurs divines, même ici-bas, n'attirent pas ces discours sur ceux qui y donnent occasion ! Et, nouveau prodige non moins admirable, les païens qui s'expriment ainsi ne tardent guère à reconnaître leurs erreurs et à revenir à la vérité. Mais, qui ne comprend combien s'augmente alors l'assurance de notre salut ! Puisque nous serons jugés sur le bien ou le mal que nous aurons fait à nos frères par nos exemples, réglons notre vie de telle sorte que nous n'ayons rien à nous reprocher et que le prochain en soit édifié. C'est ainsi que sur la terre nous mériterons l'abondance des grâces divines, et que dans le ciel nous jouirons largement des récompenses éternelles, parla grâce et la miséricorde de Jésus-Christ, Fils unique du Père, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

HUITIÈME HOMÉLIE. Et Dieu dit : " Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance , et qu'il domine sur les poissons de la mer; et sur les oiseaux du ciel, et, sur les animaux, et sur toute la terre , et sur tous les reptiles qui se meuvent sur la terre." (Gen. I, 26.)
ANALYSE.

1. Après quelques paroles de félicitation sur l'empressement de ses auditeurs à venir l'entendre. — 2. L'orateur aborde la création de l'homme, et observe que si toutes les autres créatures ont été produites par le seul commandement du Seigneur, celui-ci emploie, pour la formation de l'homme, un langage tout autre, qui atteste déjà l’excellence. de ce nouvel être. — 3. Il prouve ensuite aux juifs par ces mots : " Faisons l’homme à notre image, " l’existence du mystère de la Trinité, et aux ariens la consubstantialité du Verbe , puisque Dieu s'adresse à une personne divine., et que cette personne lui est égale en toutes choses. — 4. Quand Moise dit que l'homme a été créé à l'image de Dieu, il ne veut point dire que Dieu ait la forme humaine, mais que le Seigneur en établissant l'homme roi de la nature, l'a fait entrer en participation de son autorité. — 5. De là, l'orateur fait une brillante description des nobles prérogatives de l'homme, et combat l'absurdité de l'idolâtrie qui n'est que la dégradation de l'homme. — 6. Il termine ensuite par l’énumération des qualités du véritable jeûne, et exhorte ses auditeurs à la pratique de l'aumône et de l'humilité.

1. L'empressement que vous témoignâtes hier m'encourage, mes très-chers frères, à vous expliquer aujourd'hui les paroles de la Genèse que l'on vient de lire. Mais en vous priant d'écouter avec attention ce présent entretien , je vous demande de ne pas oublier ceux des jours précédents, afin que mon travail ne soit pas inutile. Car je m'efforce de vous faire parfaitement saisir le sens et la force de chaque verset de l'Ecriture, en sorte que vous les reteniez vous-mêmes, et qu'en les communiquant à vos frères, vous puissiez, selon le précepte de saint Paul, vous édifier les uns les autres. (I Thess. V, 11.) Car si vous faites quelques progrès dans la piété, et si vous retirez quelques fruits de ces instructions, ma joie sera grande. N'êtes-vous pas en effet tout mon bonheur, et toute mon allégresse! Oui, quelle est notre espérance, notre joie, et notre couronne de gloire ? n'est-ce pas vous, et votre progrès selon Dieu? ( I Thess. II, 19.) Le maître qui voit que ses disciples retiennent ses leçons, et les mettent en pratique, continue à les instruire avec une nouvelle ardeur. Et moi aussi, plus je vois que votre attention est grande, que votre désir est vif, et que votre intelligence déploie ses ailes au souffle de ma parole, plus je me sens pressé de vous ouvrir tous les trésors de la saine doctrine. Car ces trésors spirituels augmentent entre mes mains dans la même proportion que je vous les communique. Tel est l'heureux effet de ces entretiens qui vous édifient, et qui servent à l'utilité de vos âmes. Il n'en est pas de ces richesses comme de l'argent: plus nous donnons à nos frères, et plus nous diminuons notre trésor; plus nous sommes généreux, et plus nous nous appauvrissons, mais ici c'est tout le contraire. Nos richesses s'accroissent, et notre opulence s'augmente en proportion que nous répandons la saine doctrine dans les âmes qui ont soif de la posséder. Puisque la parole divine est ainsi pour nous une mine féconde, et pour vous un aliment spirituel, dont vous êtes saintement avides, recueillons aujourd'hui les instructions que nous donne Moïse dans le passage qui: vient d'être lu, ou plutôt celles que l'Esprit-Saint nous communique par son intermédiaire.

Et Dieu dit : faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. Mes chers frères, ne (43) passons point légèrement sur ces paroles, mais examinons-les en détail, et cherchons à les approfondir, afin d'y trouver le sens riche et abondant qu'elles renferment dans leur brièveté. Elles sont courtes, il est vrai ; et néanmoins elles cachent un précieux trésor, et il convient que nous apportions tous nos soins et toute notre application à le découvrir. Voyez-vous ceux qui exploitent une mine d'or. Ils ne se bornent pas à effleurer le sol, mais ils creusent profondément, et pénètrent jusque dans les entrailles de la terre. Ce n'est que par ce moyen qu'ils lui arrachent ce métal précieux; et souvent même après bien des travaux et des fatigués, ils n'en recueillent que quelques grains. Ici au contraire le travail est moindre, et le résultat toujours abondant. Telle est la loi de toutes les choses spirituelles.

2. Ne soyons donc pas moins actifs que ceux qui cherchent des trésors périssables, mais travaillons avec ardeur à découvrir le trésor spirituel qui est caché dans les paroles de la Genèse. Et d'abord considérons ce qu'elles renferment de nouveau, et de vraiment admirable : puis nous examinerons tous les termes divers que choisit l'écrivain sacré, ou plutôt que Dieu lui-même lui inspire. Et Dieu dit: faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. Lorsqu'il eut créé le ciel et la terre, il dit : que la lumière soit: que le firmament soit entre les eaux ; que les eaux se réunissent dans un seul bassin, et que l'élément aride paraisse; et encore : que des corps de lumière soient, et que les eaux produisent des animaux vivants qui nagent. C'est ainsi que pendant cinq jours toutes les créatures furent formées par la seule parole du Seigneur. Mais aujourd'hui quel langage différent ! Il ne dit point : que l'homme soit, mais faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. Quel sera donc cet ouvrage nouveau, et quelle merveille va se produire ! quel est cet être dont la formation semble exiger du Créateur tant de prudence et de circonspection? Ne vous en étonnez point, mes très-chers frères: car l’homme surpasse en dignité toutes les créatures visibles qui n'ont été créées que pour lui. Oui, le ciel, la terre et la mer; le soleil, la lune et les étoiles; les reptiles, les animaux domestiques et les bêtes féroces, tout en un mot n'a été créé que pour l'homme.

Mais puisque l'homme surpasse en dignité toutes les créatures, pourquoi a-t-il été créé le dernier? Certes, c'est avec raison. Car, lorsqu'un roi doit entrer dans une ville, il y envoie d'abord ses gardes et ses officiers, afin qu'ils disposent le palais pour son arrivée. Et de même, le Seigneur, qui devait établir l'homme roi et souverain de l'univers, voulut d'abord l'orner et l'embellir, et puis il créa l'homme auquel il a donné l'empire du monde. C'est ainsi qu'il montre combien il honore l'homme.

Interrogeons maintenant les Juifs, et demandons-leur de répondre à cette question. A qui le Créateur dit-il : Faisons l'homme à notre image ? Les Juifs se vantent de croire à Moïse qui a écrit ces paroles; mais réellement ils n'y croient pas, comme le leur reprochait Jésus-Christ. Si vous croyiez à Moïse, leur disait-il, vous croiriez aussi à moi (Jean, V, 46); ils sont, il est vrai, les dépositaires des saintes Ecritures, mais les chrétiens seuls en possèdent le sens. A qui donc le Seigneur dit-il . Faisons l'homme? Et auprès de qui prend-il conseil? Ce n'est pas que Dieu ail besoin de prendre conseil, et d'agir avec circonspection : non sans doute. Mais ces expressions figurées attestent toute l'excellence de l'être qu'il allait produire. Que répondent enfin ceux qui ont un voile sur les yeux, et qui ne veulent point comprendre l'Ecriture? Dieu, disent-ils, parle à un ange, ou à un archange. O folie ! ô impudence ! peut-on dire avec quelque apparence de raison, ô pauvre homme, que Dieu prenne conseil de ses anges, et le Créateur, de ses créatures? L'office des anges n'est point de donner des conseils, mais d'entourer le trône du Seigneur et d'exécuter ses ordres. En doutez-vous? écoutez cette magnifique vision du prophète Isaïe : J'ai vu des chérubins qui se tenaient à la droite du Très-Haut, et des séraphins qui se voilaient, de leurs ailes le visage et les pieds. (Isaie, VI, 2.) Ils se voilaient ainsi, parce qu'ils ne pouvaient soutenir l'éclat de la majesté divine. Aussi le Prophète les a-t-il vus tremblants et pénétrés de crainte. C'est en effet le devoir et l'office de ces intelligences célestes de se tenir près du Seigneur.

3. Les Juifs qui ne veulent point comprendre le sens des Ecritures nous répondent au hasard, et sans réflexion. Ainsi, après avoir réfuté leurs erreurs, exposons aux enfants de l'Eglise la vérité des paroles de Moïse. A qui donc le Créateur dit-il : Faisons l'homme? Mais à quel autre qu'à Celui qui est l'Ange du (44) grand .conseil, le Conseiller :par excellence, le Dieu puissant, le Prince de la,paix,le Père du siècle futur, le Fils unique de Dieu, qui est consubstantiel au Père, et par qui tout a. été créé? C'est à lui que le Seigneur dit : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. Ce passage suffit pour confondre les ariens. Car Dieu le Père ne commande point à son Fils comme à un sujet et un serviteur, ni même comme s'il lui était inférieur en substance; mais il lui parle comme à son égal, en disant : Faisons l'homme, et il proclame sa parfaite consubstantialité en ajoutant : Faisons l'homme à notre image et ressemblance.

Ici s'élèvent d'autres hérétiques qui combattent l'enseignement de l'Eglise, et qui concluant de cette parole à notre image que Dieu aune. forme humaine. Mais n'est-ce point le dernier degré de la folie que de donner une forme humaine à l'Etre qui est un, simple et immuable, et d'attribuer un corps et des membres à Celui qui est un pur esprit? Peut-on rien inventer de plus extravagant, et qui blesse d'une manière plus choquante l'inspiration et le sens des divines Ecritures? Ces hérétiques ressemblent à des personnes dont l’estomac est malade, ou dont les yeux sont faibles. L'infirmité de leur vue les empêche de soutenir l'éclat du soleil, et leur mauvaise complexion les porte à repousser tes meilleurs et les plus salutaires aliments. C'est ainsi que ces hérétiques qui ont l'âme malade, et es yeux de l'esprit mal affectés, ne peuvent supporter la lumière de la vérité. Mais notre ministère nous oblige à leur tendre la main, et à leur parler avec la plus bienveillante douceur. Tel est l'avis que nous donne l'Apôtre. Instruisez, dit-il, avec douceur ceux qui résistent à la vérité, dans l'espérance que Dieu pourra leur donner et l'esprit de pénitence pour la leur faire connaître, et la sobriété de l'esprit pour qu'ils sortent des piéges du démon qui les tient captifs, et en fait ce qu'il lui plaît. (II Tim. II, 25,26.) Voyez-vous comme il nous es représente abrutis par l'ivresse, et plongés dans un profond abîme, lorsqu'il dit que Dieu leur donnera de recouvrer la sobriété de l'esprit? Il dit encore qu'ils vivent sous l'esclavage du démon, c'est-à-dire qu'ils sont pris et enveloppés dans ses filets. Nous ne pouvons donc les en retirer que par beaucoup de patience et beaucoup de douceur. C'est pourquoi disons-leur amicalement : Réveillez-vous un peu, ouvrez les yeux aux clartés du Soleil de justice, et pesez avec nous les expressions de l'Écriture. Car après avoir rapporté cette parole : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, elle s'empresse d'ajouter les suivantes, qui nous font manifestement connaître dans quel sens elle prend le mot image. Que l'homme domine sur les poissons de la mer, et sur les oiseaux du ciel, et sur tous les reptiles qui se meuvent sur la terre. Ainsi le mot image ne signifie qu'un rapport d'autorité et d'empire, et ne peut recevoir un autre sens. Et en effet, Dieu a établi l'homme roi de l'univers. Rien sur la ferre ne l'égale en dignité, et toutes les créatures lui sont soumises.

4. Nos adversaires veulent-ils encore, même après une explication si catégorique, entendre ce mot image d'une forme corporelle? nous leur dirons que Dieu n'est pas. seulement homme, mais femme aussi, puisque la forme humaine se retrouve dans les deux sexes. Mais ce serait vraiment trop absurde ; et il suffit pour s'en convaincre de lire ce passage de l'Apôtre : L'homme ne doit point se couvrir la tête, parce qu'il est l'image et la gloire de Dieu; au lieu que la femme est la gloire de l'homme. (I Cor. II, 7.) Et en effet, l'homme commande et la femme lui est soumise, ainsi que Dieu le lui a signifié dès le commencement. Tu seras sous la puissance de ton mari, et il te dominera. (Gen. III, 16.) Ainsi l'homme a été fait à l'image de Dieu parce qu'il entre en participation de son autorité, et non point parce que Dieu a une forme humaine. L'homme commande donc à toutes les créatures, et même à la femme qui lui est assujettie. C'est pourquoi saint Paul a dit de l'homme qu'il est l'image et la gloire de Dieu, et de la femme, qu'elle est la gloire de l'homme. Mais si les paroles de l'Écriture devaient s'entendre de la forme et de la figure, la distinction . que fait ici l'Apôtre serait inutile, puisque la nature humaine est la même dans l'homme et dans la femme.

Tel est le véritable sens de ce passage de la Genèse, et il ne laisse aucun prétexte ,à ceux qui s'obstinent aveuglément à le rejeter. Mais, quoiqu'il en soit, ne cessons point de les traiter avec douceur, car peut-être le Seigneur leur donnera-t-il l'esprit de pénitence qui les amènera à reconnaître la vérité. (II Tim. II, 25.) Ainsi donnons à notre zèle une nouvelle activité, et efforçons-nous par notre douceur de les arracher aux pièges du démon. Citons-leur (45) encore l'autorité de l'Apôtre, qui disait aux Athéniens que nous ne devons pas croire que la divinité soit semblable à l'or ou à l'argent, ou à la pierre dont l'art et l'industrie des hommes a fait des figures. (Act. XVII, 29.) Et observez ici avec quelles précautions ce sage docteur sape dans leur base les raisonnements de l’hérétique; car il dit que non-seulement la divinité ne peut avoir une forme corporelle, mais il ajoute même que l'imagination de l'homme ne saurait la représenter.

Citez-leur donc ces paroles, et employez tous vos soins pour les détromper et les faire revenir de leurs erreurs. Au reste, si vous devez toujours les instruire avec bonté, vous devez également connaître à fond les dogmes de l'Eglise, ainsi que le sens des Ecritures. Quand vous disputerez contre des juifs, dites-leur que ces paroles de la Genèse ne s'adressent point aux anges, qui sont les serviteurs de Dieu, mais à son Fils unique; et quand vous combattrez contre des ariens, prouvez-leur par ces mêmes paroles que le Fils est égal au Père en nature et en dignité; enfin, citez l'autorité de saint Paul contre ceux qui soutiennent que Dieu a une forme humaine. C'est ainsi que, par la gaine exposition de votre croyance, vous arracherez ces pernicieuses erreurs qui pullulent au milieu de nous, comme l'ivraie parmi le bon grain; et que, par votre zèle, la bonne doctrine s'enracinera dans les âmes et s'y fortifiera. Oui, je veux que vous soyez tous des docteurs, et qu'après avoir écouté nos instructions, vous puissiez, vous aussi, instruire les autres, et que, devenant des pêcheurs d'hommes, vous rameniez, les hérétiques dans les voies de la vérité. L'Apôtre nous y exhorte lorsqu'il nous dit Edifiez-vous les uns les autres ! et opérez votre salut avec crainte et tremblement. (I Thes. V, 11; Philip. II, 12.) Par là l'Eglise verra s'augmenter le nombre de ses enfants, et vous-mêmes vous obtiendrez des grâces plus abondantes, comme récompense de votre zèle à l'égard de vos frères.

5. Et en effet, le Seigneur ne veut point qu'un chrétien se contente de travailler à son salut, mais il lui ordonne d'édifier son prochain par une saine doctrine, et surtout par sa vie et sa conduite. C'est là le moyen le plus puissant pour ramener les pécheurs dans les voies de la vérité; car ils considèrent bien plus nos actions que nos paroles. Ce n'est que trop vrai. Aussi, serait-ce en vain que nous disserterions éloquemment sur le pardon des injures si , dans l'occasion, nous n'en donnions l'exemple. Nos discours n'auraient jamais alors autant d'efficacité pour le bien que notre conduite pour le mal. Mais si l'exemple précède et accompagne nos paroles, on nous croira, parce que nous pratiquerons nous-mêmes les leçons que nous donnerons aux autres. C'est de ces chrétiens que Jésus-Christ a dit : Heureux celui qui fera et qui enseignera ! (Matth. V, 19.) Et observez comme il met l'action avant la doctrine. Et en effet, quand même la parole ne suivrait point l'exemple , celui-ci suffirait pour instruire tous ceux qui le voient.

Appliquons- nous donc à édifier nos frères par nos bonnes oeuvres, et puis nous leur adresserons de bons discours; autrement on pourrait nous appliquer cette parole de l'Apôtre : Vous qui instruisez les autres, vous ne vous instruisez pas vous-mêmes. (Rom. II, 21.) Lorsque nous voudrons donner à quelqu'un des avis utiles à son salut, commençons à les mettre d'abord en pratique. Nous pourrons alors parler et instruire avec plus d'assurance. C'est ainsi que nous travaillerons avec zèle et avec succès au salut des âmes et que, réprimant les mouvements de la chair, nous observerons le vrai jeûne, celui qui consiste à s'abstenir du péché; car l'abstinence des viandes n'a été établie que pour dompter la chair et en faire un coursier soumis et docile. Le chrétien qui jeûne doit, avant tout, réprimer les saillies de la colère, et acquérir la patience et la douceur; il doit ensuite` s'exciter à la contrition du coeur et arrêter les mouvements de la concupiscence, et puis ne jamais perdre de vue cet oeil du Seigneur qui veille sans cesse, ni ce tribunal où siège un Juge incorruptible. Il doit enfin se montrer supérieur à l'amour des richesses, généreux envers les pauvres et attentif à écarter toute pensée qui blesserait la charité envers le prochain. Tel est le véritable jeûne que Dieu lui-même nous prescrit par la bouche du prophète Isaïe : Est-ce là le jeûne choisi par moi ? nous dit-il, que l'homme courbe sa tête comme un roseau, et qu'il dorme dans un cilice et sur la cendre, est-ce là un jeûne agréable au Seigneur? Non sans doute; mais déchirez les contrats injustes, partagez votre pain avec celui qui a faim, et recevez sous votre toit le pauvre qui est sans abri. Si vous faites ces choses, votre lumière brillera comme l'aurore, et je vous rendrai la santé. (Isaïe, LVIII, 5, 6, 8.)

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6. Vous comprenez maintenant, mon cher frère, quel est ce véritable jeûne que nous devons observer; car il serait absurde de nous borner, comme la plupart des chrétiens, à différer notre repas jusqu'au soir. Ce que l'Eglise veut, c'est que nous joignions à l'abstinence de la viande celle du péché, et que nous nous appliquions avec soin aux exercices spirituels. Il faut donc que le chrétien qui jeûne se montre doux et humble, soumis et pacifique. Il faut aussi qu'il méprise la gloire humaine et qu'il la dédaigne autant qu'il a précédemment négligé le salut de son âme. Il doit également fixer ses regards sur Celui qui sonde les reins et les coeurs, répandre devant Dieu de ferventes prières et l'aveu de ses fautes et, selon son pouvoir, s'aider lui-même du secours de l'aumône; car l'aumône est surtout efficace pour effacer le péché et nous délivrer des peines de l'enfer, quand elle est faite généreusement et sans aucune vue de gloire et de vanité.

Mais pourquoi parler ici de gloire et de vanité, puisqu'à l'exclusion même des récompenses que Dieu nous réserve, la raison seule nous dit de ne considérer dans l'aumône que la beauté de l'action, et le plaisir de soulager nos frères: Si , nous ne. pouvons nous élever jusqu'aux motifs sublimes de la religion, faisons du moins l'aumône pour elle-même, et non en vue de l'estime des hommes. Autrement nous perdrions et le fruit de cette bonne oeuvre, et la récompense qu'elle mérite. Mais ce que je dis de l'aumône, je l'applique également à toute autre oeuvre spirituelle. Car nous ne devons jamais nous y proposer la louange ni l'honneur. Aussi le jeûne, la prière, l'aumône, et toutes les bonnes oeuvres en général, ne nous sont-elles d'aucune utilité dès que nous n'agissons pas uniquement pour Celui qui connaît le secret des cœurs, et qui pénètre jusqu'aux plus intimes profondeurs de la pensée.

Mais si vous agissez pour Dieu, comment, mon cher frère, recherchez-vous les louanges d'un homme semblable à vous? que dis-je, les louanges? au lieu de vous louer, souvent il vous déchire. Car il se rencontre des esprits si malicieux, qu'ils interprètent en 'mauvaise part toutes nos bonnes oeuvres. D'où vient donc, dites-le moi, que vous estimiez tant des juges si prévenus? mais l'oeil du Seigneur ne se ferme jamais, et aucune de nos actions ne peut échapper à son active vigilance. C'est pourquoi cette pensée doit nous porter à régler notre conduite avec autant de soin que s'il nous fallait à chaque instant rendre compte de nos paroles, de nos actions et de nos sentiments. Ne négligeons donc point l'oeuvre de notre salut. Car, mon cher frère, rien n'est plus grand ni meilleur que la vertu. C'est elle qui après la mort nous garantit des supplices de l'enfer, et qui nous introduit dans le royaume des cieux. Mais dès cette vie, elle nous établit au-dessus des mauvais desseins des hommes et des démons, et nous fait triompher de l'ennemi de notre salut.

Eh ! que comparer donc à la vertu qui y met ainsi ses disciples à l'abri des embûches de l'homme, et qui-les rend vainqueurs des démons eux-mêmes ! Mais la véritable vertu méprise le monde, songe, à l'éternité, et ne s'enthousiasme pour aucun bien de la terre car elle sait que toutes ses prospérités sont plus fugitives qu'une ombre et qu'un songe. La véritable vertu est, à l'égard des plaisirs de la vie, aussi insensible qu'un cadavre; et à l'égard du péché qui souillerait l'âme, elle est morte et inactive, parce que toute sa vie et toute son action se concentrent dans les pensées et les exercices de la foi. C'est ainsi que l'Apôtre disait : Je vis, ou plutôt, ce n'est pas moi qui vis, c'est Jésus qui vit en moi. (Gal. II, 20.) A son exemple, mes très-chers frères, agissons nous-mêmes comme revêtus de Jésus-Christ, et gardons-nous de contrister l'Esprit-Saint. Lors donc que nous nous sentirons troublés par la concupiscence, ou par quelque affection déréglée, par la colère, l'emportement, ou par l'envi;, songeons que Dieu habite en nous, et éloignons toutes ces pensées. Conservons avec un soin respectueux les grâces éminentes que le Seigneur nous a départies, et réprimons les désirs mauvais de la chair. Puissions-nous ainsi, après avoir, pendant cette vie fragile et passagère, légitimement combattu, mériter les brillantes couronnes de l'éternité, et paraître sans crainte à ce jugement qui sera si terrible pour les pécheurs, et si consolant pour les justes ! Oui, puissions-nous obtenir ces biens ineffables, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'empire et l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

NEUVIÈME HOMÉLIE. Suite de ces paroles : " Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. "
ANALYSE.

1. Après avoir rappelé à ses auditeurs que le temps du carême est un temps favorable à l'étude des saintes Ecritures, saint Chrysostome reprend en peu de mots le récit de la création. — 2. Puis, résumant l'homélie précédente, il explique cette parole rc Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, non d'une égalité de nature, mais d'une participation d'autorité. " — 3 et. 4. Il réfute ensuite cette objection des païens, que l'homme n'a point. un domaine souverain sur tous les animaux, quoique Dieu le lui ait. donné, et il dit que le péché originel a sans doute affaibli ce domaine; mais ne l'a pas entièrement détruit, car l'homme sait se faire craindre de tous les animaux et dompte les plus farouches. — 5 et 6. Il termine en exhortant ses auditeurs à reconnaître les bienfaits du Seigneur par le sacrifice d'un coeur contrit, l'aveu de leurs péchés et la pratique des vertus chrétiennes.

1. Le laboureur diligent multiplie la semence dans une terre grasse et bien cultivée, et chaque jour il examiné soigneusement si quelque herbe mauvaise ne menace point d'étouffer le bon grain et de rendre ses travaux infructueux. C'est ainsi qu'en voyant votre empressement et votre zèle pour entendre la parole sainte, je m'applique chaque jour à vous, développer quelques versets de l'Ecriture ; tuais je n'oublie point de vous signaler l'ivraie qui nuirait à la bonne semence, et je vous prémunis contre les dangers de l'erreur et de l'hérésie, car plusieurs s'efforcent de substituer leurs rêveries à l'interprétation de l'Eglise. De votre côté, vous devez retenir ces explications avec soin et les graver dans votre mémoire, afin d'en saisir plus facilement l'ordre et la suite.

Voici un temps favorable pour entrer dans les plus profonds mystères de l'Ecriture et pour captiver l'attention de l'esprit. Pendant ces jours de jeûne, le corps est plus dispos pour nager dans ces eaux spirituelles, le regard de l'âme est plus vif, parce qu'il n'est point troublé par les flots impurs du plaisir, et l'esprit lui-même est plus dégagé et plus libre pour se tenir au-dessus des vagues. Mais si nous ne. nous appliquons aujourd'hui à cette étude, quand pourrons-nous le faire plus commodément? Sera-ce lorsque régneront parmi nous les délices de la table, l'ivresse , la gloutonnerie et tous les désordres qu'entraîne l'intempérance? Voyez-vous les plongeurs qui pêchent les perles au fond de la mer, s'asseoir tranquillement sur le rivage et compter les flots? Ils s'enfoncent sous l'eau, descendent, pour ainsi dire, dans les entrailles de l'abîme, et à force de peine et de travail obtiennent une pêche abondante. Et cependant cette industrie n'est pas d'une grande utilité pour la vie; plût au ciel même qu'elle ne fût pas extrêmement nuisible ! car le désir de posséder ces pertes excite des maux innombrables et allume la soif et comme la rage des richesses. Néanmoins la vue et la certitude de tous ces malheurs ne ralentissent point l'activité des pêcheurs ; ils bravent mille dangers et supportent mille fatigues pour pêcher ces belles perles. S'agit-il, au contraire, de recueillir, dans le champ des saintes Ecritures, des perles spirituelles et bien autrement précieuses, il n'y a ni danger à courir, ni travaux à supporter, et nous sommes assurés d'un gain immense pour peu que, de notre part, nous y mettions quelque empressement. Et en effet la grâce s'offre d'elle-même à tous ceux qui la cherchent de bonne foi; car tel est le Seigneur, notre Dieu : s'il voit en nous l'activité, le désir et la ferveur, il nous distribue largement ses richesses, et il nous les prodigue même avec une munificence qui surpasse nos demandes.

2. Instruit de ces vérités, appliquez-vous donc, mon très-cher frère, à purifier votre coeur des affections du monde; dilatez les facultés de votre âme, et recevez avec une grande joie cette bonne semence que l'Esprit-Saint répand en vous. C'est ainsi que cette semence, confiée à une terre grasse et fertile, rendra tantôt cent pour un, et tantôt soixante ou trente. Et maintenant rappelez-vous le sujet de nos derniers entretiens : je vous y ai fait admirer l'ineffable sagesse de Celui qui a créé toutes les créatures visibles, et je vous ai dit comment il les avait créées par un seul acte de sa volonté et par une seule parole; car il a dit Qu'elles soient, et aussitôt elles ont été produites. Cette seule parole les appela soudain du néant, parce que ce n'était point la parole d'un homme, mais la parole d'un Dieu. Vous vous souvenez aussi de quelle manière j'ai réfuté ceux qui soutiennent que l'univers a été tiré d'une matière préexistante, et qui ne craignent point de substituer ainsi leurs rêveries aux dogmes infaillibles de l'Eglise. Vous savez enfin pourquoi le ciel a été créé tout d'abord brillant et parfait, tandis que la terre fut primitivement brute et informe. Et je vous ai dit que Dieu en avait agi ainsi pour deux raisons principales. D'abord , il a voulu nous montrer sa puissance dans les splendeurs dont il a paré le premier de tous les éléments, en sorte que nous ne doutions point qu'il ne pût également embellir la terre. Mais parce que cette terre est la mère et la nourrice de l'homme, que, pendant la vie, elle lui fournit ses aliments, lui prodigue ses richesses, et, après la mort, le reçoit en son sein, Dieu nous l'a présentée au commencement brute et informe, dans la crainte que la vue des grands avantages que nous en retirons ne nous en fissent concevoir des idées trop relevées. Ce premier état de la terre nous instruit donc à ne point lui attribuer ses diverses productions et à les rapporter toutes à la vertu du Créateur.

Je vous ai ensuite exposé comment Dieu avait séparé les eaux, étendu entre elles, par une seule parole, le firmament visible, et peuplé la terre et les eaux d'animaux vivants. Mais ce n'est point sans raison, ni sans motif que je vous rappelle toutes ces choses; je veux d'abord les mieux imprimer dans votre esprit, et puis les apprendre à ceux qui n'ont pu assister à nos premières réunions , afin que cette absence ne leur nuise point; c'est ainsi qu'un bon père réserve quelques plats de sa table pour les offrir comme consolation à ceux de ses enfants qui étaient absents à l'heure du repas. Vous savez aussi que tous ceux qui se pressent en foule dans cette enceinte ne me sont pas moins chers que les membres de mon corps; je désirerais donc que tous soient consommés en sainteté pour l'honneur de Dieu, la louange de l'Eglise, et ma propre gloire. Aussi voudrais-je, si je ne craignais de vous fatiguer, reprendre brièvement le sujet de notre dernier entretien. Je vous y fis donc observer quelle différence existe entre la création de l'homme et celle des autres créatures, et en quel rang d'honneur Dieu l'a établi. Et en effet, la sublimité seule des paroles que Dieu prononça en le formant nous révèle toute la dignité de l'homme, car Dieu dit : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. Je vous expliquai ensuite le sens de ce mot : à notre image, et je vous dis qu'il ne fallait point l'entendre d'une égalité de nature, mais seulement d'une participation d'autorité et de souveraineté; c'est pourquoi Dieu ajoute immédiatement : Et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur les animaux et les reptiles de la terre.

3. Ici les païens nous attaquent, et ils nous objectent que cette parole n'est qu'un mensonge, puisque l'homme ne maîtrise point les animaux féroces, comme Dieu le lui avait' promis,'et qu'au contraire il leur est soumis. Mais d'abord cette objection n'est rien moins que vraie, car à la vue de l'homme tous les animaux prennent la fuite. Si quelquefois pressés par la faire, ou excités par nos attaques, ils se jettent sur nous, et nous blessent, c'est bien plus par notre faute que par suite de leur prétendu empire sur l'homme. Des voleurs nous attaquent, et nous nous défendons les armes à la main. Faut-il en conclure qu'ils ont sur nous quelque autorité? Non sans doute, seulement nous veillons à notre conservation. Mais expliquons de nouveau ces paroles: Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance. Ce mot image indique dans l'homme une pleine autorité sur les animaux, et le mot ressemblance marque les efforts qu'il doit faire pour se rendre, autant qu'il lui est possible; semblable à Dieu par la douceur, la bonté et toutes les (49) autres vertus. C'est ce que Jésus-Christ nous recommande, quand il dit : Soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux. (Matth. V, 45.) Et en effet, de même que sur l'immense étendue de la terre il existe. des animaux doux et privés, et des animaux sauvages et féroces; il y a aussi sur le vaste domaine de l'âme des pensées irraisonnables et brutales, des pensées féroces et farouches. Ce sont ces pensées qu'il nous faut dompter et assujettir à l'empire de la raison.

Mais comment maîtriser des pensées féroces? Que dites-vous, ô homme? nous savons apprivoiser les lions et les rendre doux et familiers; et vous douteriez s'il vous est possible de changer en douceur la férocité de vos sentiments ? Observez encore que ces animaux sont féroces par nature, et qu'ils ne s'adoucissent que par une violence faite à leur instinct, tandis que l'homme est naturellement doux, et qu'il ne devient féroce que contrairement à sa nature. Eh quoi ! l'homme transforme dans un animal la férocité de l'instinct en des qualités tout opposées, et il ne pourrait conserver en lui-même celles qu'il tient de la nature ! Mais combien ne serait-il pas coupable ! Et ici ce qui est plus étonnant encore et plus merveilleux, c'est que les lions sont dépourvus de raison, et par conséquent moins faciles à instruire. Néanmoins on en voit plusieurs qui se laissent mener sur nos places publiques comme des animaux apprivoisés; nous jetons même des pièces de monnaies à ceux qui les conduisent, comme pour les payer de leur art et de leur industrie. Et vous, ô homme, vous avez une âme douée de raison, la crainte de Dieu, et mille secours, en sorte que vous ne sauriez opposer ni prétextes, ni excuses; oui, si vous le voulez, vous pouvez devenir doux, juste et affable, car Dieu a dit : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance.

4. Revenons maintenant à l'objection proposée. Les paroles de la Genèse prouvent que dans le principe l'homme avait sur les animaux un empire absolu. Et en effet, Dieu a dit : Qu'il domine sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les animaux et les reptiles de la terre. Mais puisqu'aujourd'hui les animaux féroces nous épouvantent, et que nous les craignons, nous sommes donc déchus de cet empire; je l'avoue. Et néanmoins cette déchéance ne prouve rien contre les promesses divines. Car il n'en était pas ainsi au commencement. C'étaient les animaux qui craignaient l'homme, qui le redoutaient, et qui respectaient son autorité. Mais quand, par sa désobéissance, il perdit la grâce et l'amitié de son Dieu, il vit son empire sur les animaux s'affaiblir et décroître. L'Écriture nous les montre soumis à l'homme au commencement, car elle nous dit que Dieu fit venir devant Adam tous les animaux de la terre, et tous les oiseaux dit ciel, afin qu'Adam vît comment il les nommerait. Or, Adam ne s'enfuit point à leur vue,, ni à leur approche; et il donna à chacun un nom propre et particulier, 'ainsi qu'un maître nomme ses esclaves. Et le nom, ajoute l'Écriture, qu'Adam, donna à chaque animal, est son propre nom. (Gen. II, 19.) Mais n'est-ce pas là un grand acte d'autorité? et Dieu le lui réserve comme témoignage de sa puissance et de sa dignité.

Cette preuve, seule suffirait pour montrer qu'au commencement l'homme ne s'effrayait point des animaux. Mais je puis en apporter une seconde plus convaincante encore. Et laquelle? L'entretien de la femme avec le serpent. Et en effet si l'homme eût tremblé devant les animaux , nous ne verrions point Eve attendre l'approche du serpent, recevoir ses conseils, et entrer en conversation avec lui. Mais à son aspect, elle eût pris la fuite craintive et épouvantée. Cependant elle lui parle sans effroi ; donc elle ne le redoutait pas alors. Mais le poché, qui dépouille l'homme de sa dignité, lui ravit également son empire sur les animaux. Dans une maison les mauvais serviteurs craignent ceux que leur fidélité fait plus estimer de leurs maîtres. C'est ce qui est arrivé par rapport à l'homme. Tant qu'il demeura fidèle au Seigneur, il se faisait craindre de tous les animaux : et dès qu'il devint pécheur, il trembla lui-même devant les derniers de ses esclaves.

Peut-être n'approuvez-vous pas mon raisonnement : eh bien ! montrez-moi qu'avant le péché l'homme ait craint les animaux. Mais vous ne le pourrez. Sa frayeur actuelle est une suite de son péché, et nous y voyons même reluire un admirable effet de la bonté divine. Car si l'homme, après sa désobéissance, eût été maintenu dans toute l'intégrité de ses privilèges, il se serait peu soucié de se relever de sa chute. Si le prince honorait également ses sujets rebelles et ses sujets fidèles, les premiers persisteraient dans leur révolte, et on ne les (50) soumettrait que difficilement. C'est ainsi qu'aujourd'hui les menaces , les châtiments et les supplices de l'enfer ne convertissent pas toujours les pécheurs. Mais que seraient-ils donc si Dieu laissait leurs crimes impunis? Aussi nous a-t-il ôté l'empire sur les animaux; et cette privation est de sa part un grand acte de miséricorde et de bonté.

5. Voulez-vous, mon cher frère, mieux apprécier encore l'ineffable bonté du Seigneur? Considérez d'un côté comment Adam a violé le précepte divin, et transgressé toute la loi, et de l'autre comment Dieu a daigné surpasser notre malice par l'excès de ses miséricordes. Car il n'a point dépouillé l'homme de tousses honneurs, et il ne lui a point retiré toute autorité sur les animaux. Mais il n'a soustrait à sa domination que ceux qui lui sont le moins utiles. Quant aux espèces qui peuvent le plus nous soulager, et qui nous sont réellement utiles et nécessaires, elles nous sont restées soumises et obéissantes. Ainsi le Seigneur nous a laissé le boeuf pour traîner la charrue, et pour nous aider dans le labourage et la culture des champs. Il nous a laissé les genres nombreux des bêtes, de somme, qui tirent les chariots, et nous soulagent dans nos travaux. Il nous a laissé les diverses espèces de bêtes à laine qui nous fournissent nos vêtements, et une multitude d'autres animaux qui nous rendent de grands services.

C'est en punition de sa désobéissance que Dieu a dit à l'homme : Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. Mais pour que cette sueur ne nous fût pas trop amère, ni ce travail trop pénible, il a daigné en adoucir la fatigue par le secours de ces nombreuses bêtes .de charge qui partagent nos peines et nos labeurs. Le père de famille bon et prudent châtie un serviteur coupable, mais il ne laisse point que d'en prendre soin. Ainsi le Seigneur, qui a porté contre l'homme pécheur une sentence de condamnation, a voulu lui adoucir les rigueurs du châtiment. C'est pourquoi il lui a donné l'aide des animaux domestiques pour ménager ses sueurs, et alléger ses fatigues. Nous ne saurions donc méditer sérieusement la conduite du Seigneur à notre égard, soit qu'il accorde à l'homme un empire absolu sur les animaux, soit qu'il l'en dépouille, et le rende craintif devant eux, sans y reconnaître une providence pleine de sagesse, de clémence et de bonté.

Ne négligeons donc point de lui rendre grâces pour tant de bienfaits. Il n'exige en cela rien de bien pénible, ni de bien difficile, et il demande seulement que nous avouions sincèrement ses libéralités, et que nous lui en soyons reconnaissants. Ce n'est point qu'il en ait besoin, puisqu'il se suffit à lui-même. Mais il veut que nous nous concilions ainsi la bienveillance de l'Auteur de tout bien, que nous ne soyons point ingrats envers lui, et que nos vertus répondent à ses bienfaits et à sa providence. Ce sera aussi le moyen d'attirer sur nous de nouvelles grâces. Je vous en conjure donc, remplissez ce devoir avec zèle; et selon vos forces, renouvelez en vous, à chaque heure du jour, le souvenir de ses bienfaits, tant généraux que particuliers. Oui, rappelez-vous non-seulement ceux que tous avouent, et qui éclatent aux regards de tous, mais encore ces grâces secrètes qui ne sont connues que de vous seul. Vous contracterez ainsi l'heureuse habitude d'une continuelle reconnaissance. Or ces sentiments sont le grand sacrifice et l'oblation parfaite que Dieu exige, non moins que le principe et le témoignage de notre confiance en lui. Comment? je vais le dire. C'est que ce fréquent souvenir des bienfaits de Dieu développe en nous la conscience de notre faiblesse, produit la connaissance de son éminente bonté, et nous montre comment, dans les soins de sa providence envers nous, il oublie ce que mériteraient nôs péchés, et ne suit que les attraits de sa miséricorde. Or à cette vue l'homme, s'humilie, et il est contrit dans son coeur. Il réprime au dedans de lui le faste et l'arrogance, et il agit modestement en toutes choses. Il méprise donc la gloire du monde, et il se rit de son éclat futile et éphémère; parce que sa pensée s'attache aux biens futurs, et à cette vie immortelle qui ne finira jamais. Mais de tels sentiments ne sont-ils pas ce vrai sacrifice dont parle le Prophète, et que Dieu agrée toujours. Le sacrifice, dit-il, que Dieu demande, est une âme brisée de douleur; et il ne dédaigne jamais un coeur contrit et humilié. (Ps. I, 49.) Ne voyons-nous pas en effet que les châtiments retiennent bien moins dans le devoir les serviteurs qui ont un. bon coeur, que le souvenir des bienfaits et celui de l'indulgence avec laquelle on punit leurs fautes ?

6. Brisons donc nos cœurs, je vous en supplie, et humilions nos âmes, aujourd'hui (51) surtout que le jeûne nous en facilite les moyens. Ces dispositions nous permettront de prier avec plus de recueillement, et d'obtenir par la confession de nos péchés des grâces plus abondantes. D'ailleurs le Seigneur nous a révélé lui-même combien ces âmes lui sont agréables. Sur qui fixerai-je mes regards, nous dit-il, si ce n'est sur l'homme humble, pacifique et obéissant à ma parole? (Isa. LXVI, 2.) C'est pourquoi Jésus-Christ, nous dit également Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes. (Matth. II, 29.) Et en effet, le chrétien sincèrement humble ne saurait s'abandonner à la colère, ni à la vengeance, parce qu'il ne s'occupe que de la considération de son néant et de sa misère. Mais qui est plus heureux que ce chrétien? il est dans le port à l'abri de la tempête, et il se complaît en son repos et sa sécurité. Aussi Jésus-Christ nous assure-t-il que c'est le moyen de trouver le repos de nos âmes.

Le chrétien qui réprime les saillies de ses passions, jouit donc d'une paix abondante; mais celui qui est lâche et négligent, et qui ne sait point les modérer, vit nécessairement dans le trouble et l'agitation. Sa conscience est le théâtre d'une guerre intestine, et il se trouble en présence de lui-même. Son coeur devient le jouet des orages, qui y soulèvent les vagues d'une mer féconde en naufrages. Et quand les esprits mauvais y déchaînent les tempêtes, trop souvent, par l'inhabileté du pilote , le vaisseau périt corps et biens. Ainsi c'est pour nous un devoir d'être attentifs et vigilants, afin de ne perdre jamais de vue le soin et la préoccupation de notre salut. Car tout chrétien doit lutter sans cesse contre les révoltes de la chair, et garder fidèlement les préceptes de la loi divine. Il doit s'en environner comme d'un rempart, et ne point abuser de la miséricordieuse bonté du Seigneur. Mais surtout il ne doit point attendre pour s'humilier que sa colère éclate, car l'on pourrait dire de lui comme des Juifs: Lorsque le Seigneur les frappait, ils revenaient à lui. (Ps. LXXVII, 34.)

Et puisque ces jours de jeûne sont pour nous des jours de salut, hâtons-nous, mes bien-aimés, de confesser nos péchés; évitons toute action mauvaise, et exerçons-nous à la pratique de toutes les vertus. C'est le conseil du Psalmiste: Éloignez-vous du mal, nous dit-il, et faites-le bien. (Ps. XXXVI, 27.) Si notre conduite se règle sur ces maximes, et si nous joignons la fuite du vice à la privation des viandes, nous jouirons d'une confiante sécurité, et nous obtiendrons pour la vie présente les grâces les plus abondantes. Bien plus, les prières et l'intercession des saints, qui sont les amis de Dieu, nous mériteront les effets de sa miséricorde au jour terrible du jugement. Qu'il en soit ainsi, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant, toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

DIXIÈME HOMÉLIE. Suite de ces paroles : "Faisons l'homme à notre image, et à notre ressemblance, " et Dieu créa l'homme et il le créa à l'image, de Dieu : " il les créa mâle et femelle. " (Gen. I, 26, 27.)
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ANALYSE.

1. L’orateur combat d'abord les scrupules de certaines personnes qui ne pouvant, par faiblesse de tempérament, différer leur repas ,jusqu'au soir, n'osaient ensuite venir à l'église; et il les avertit que l'essentiel est bien moins de supporter toute la rigueur du jeûne que de s'abstenir du péché. — 2. Rien donc ne doit les empêcher de venir entendre la parole sainte, et de donner ainsi à leur âme la nourriture dont elle a besoin. — 3-6. Il reprend ensuite l'explication de ces mots: " Dieu fit l’homme à son image, " et après avoir brièvement rappelé ce qu'il avait déjà dit,-il expose le sens de ceux-ci : " il les créa mâle et femelle, " et décrit les prodigieux effets de la bénédiction que le Seigneur leur donna. — 7 Quant à ce que dit l'écrivain sacré que : " Dieu se reposa le septième jour, " cela n'implique aucune contradiction avec cette parole de Jésus-Christ : " que son Père ne cesse point d'agir. " Moïse affirme seulement que Dieu ne produisit pas d'autres créatures, et Jésus-Christ parle des soins par lesquels Dieu gouverne et conserve toutes choses. — 8. Il termine en exhortant ses auditeurs à faire part à leurs frères absents de la doctrine qu'ils ont entendue, et à en conserver eux-mêmes un fidèle souvenir.

1. Aujourd'hui l'assemblée est moins nombreuse et le concours de mes auditeurs a diminué : duel en est le motif et la cause? Peut-être quelques-uns ont-ils craint, après avoir pris la. nourriture du corps, de venir ici chercher celle de l'âme, et telle est la raison de leur absence.. Mais je veux leur rappeler cette parole du Sage : Il y a une honte qui amène le péché, et il y a une honte qui attire la gloire et la grâce. (Ecclés. IV, 25.) Or, en quoi peut rougir celui qui s'asseoit d'abord à une table grossière et matérielle, et qui vient ensuite prendre part à ce festin spirituel? Car les exercices de la piété ne sont pas, comme les affaires humaines, assujettis à des temps réglés: ils peuvent se faire à toute heure du jour. Que dis-je, du jour? la nuit elle-même n'est point un obstacle à la diffusion de la sainte doctrine. Aussi l'Apôtre écrivait-il à Timothée : Annoncez la parole; pressez les hommes à temps et à contre-temps; reprenez, suppliez, menacez. (II Tim. IV, 2.) Nous apprenons également de saint Luc que Paul étant à Troade, et devant partir le lendemain, parla aux disciples et les entretint jusqu'au milieu de la nuit. (Act. XX, 7.) Vous voyez bien que l'heure, quoique avancée, n'arrêta point l'Apôtre et ne l'empêcha point de prêcher l'Évangile. Comprenons donc qu'un auditeur attentif et vigilant est digne de s'asseoir à cette réunion spirituelle, quoiqu'il sorte de table, et qu'au contraire, fût-il encore à jeûn, il n'en retirera aucun profit s'il est lâche et assoupi.

Je parle ainsi non pour déprécier la rigueur du jeûne : à bien ne plaise ! car je loue et j'approuve ceux qui en observent toute la sévérité, mais je veux vous apprendre que nous devons apporter aux exercices spirituels un esprit sobre et vigilant, et ne point y paraître uniquement par habitude. Il n'y a point de honte à prendre d'abord sa nourriture et à venir ensuite assister à nos entretiens; mais il est honteux d'y porter un esprit lâche et distrait et un coeur troublé par les passions et asservi aux attraits de la chair. Quel mal y a-t-il à manger? aucun; l'excès seul est criminel, et l'on doit condamner ceux qui prennent au delà du nécessaire et qui ne pensent qu'à rassasier leur ventre. Le moindre inconvénient qui en résulte est d'émousser en eux la jouissance du goût. Ainsi encore il n'y a aucun péché dans l'usage modéré du vin, mais l'on ne peut trop blâmer l'ivresse qui va jusqu'à troubler la raison. La faiblesse de votre tempérament vous empêche, mon cher frère, de prolonger votre jeûne jusqu'au soir, quel homme sensé peut vous en faire un crime ! Car le Maître que nous servons est bon et (53) indulgent, et il n'exige rien au-dessus de nos forces. Ce n'est donc point précisément l'abstinence et le jeûne qu'il nous demande, et il n'est point satisfait, par cela même que nous différons notre repas jusqu'au soir. Mais il veut que, moins appliqués aux affaires de la terre, nous don nions plus de soin à celles de notre âme. Car, si toute notre vie s'écoulait dans, la pratique de là tempérance chrétienne et si nous accordions aux exercices de la piété tous nos loisirs; si nous ne prenions que la nourriture absolument nécessaire, et si nous dépensions toutes nos journées en une suite de bonnes oeuvres, nous n'aurions aucun besoin du jeûne. Mais l'homme est naturellement lâche et négligent; il se complaît dans les plaisirs et il recherche la mollesse. Aussi, le Seigneur, comme un bon père qui aime ses enfants, a institué le salutaire correctif du jeûne. C'est ainsi qu'il coupe court à toutes nos délicatesses; en sorte qu'il nous est facile de consacrer à la piété le temps prélevé sur les préoccupations de la terre. Si quelques-uns ne peuvent donc, par faiblesse de tempérament, observer le jeûne dans toute sa rigueur, je les exhorte à s'accorder un soulagement nécessaire , et surtout à ne point manquer à nos réunions. Car, en venant ici après leur repas, ils n'en seront que mieux disposés et plus attentifs.

2. Et en effet, il est, en dehors de l'abstinence et du jeûne, d'autres voies qui nous conduisent sûrement à Dieu. Ainsi, que celui qui est obligé d'avancer l'heure de son repas, compense cette infraction à la loi du jeûne par des aumônes plus abondantes, des prières plus ferventes et un zèle plus assidu à écouter la parole sainte. La faiblesse du tempérament ne peut être ici une excuse. Je lui demande encore de se réconcilier avec ses ennemis et de bannir de son coeur tout sentiment de haine. La pratique de ces vertus constitue ce jeûne vrai et sincère que le Seigneur exige. Car il ne nous prescrit l'abstinence que comme un moyen de réprimer les passions de la chair, et de la soumettre à l'esprit, qui en deviendra lui-même plus obéissant à la loi divine. Si nous négligeons donc l'utile secours du jeûne, sous le spécieux prétexte d'une santé mauvaise, mais en réalité par lâcheté, nous sommes des insensés et nous nous exposons à de graves dommages. Car, puisque le jeûne ne sert de rien sans la pratique des autres vertus, combien ne serons-nous pas coupables, si, ne pouvant user de l'appui du jeûne, nous abandonnons en outre l'exercice des bonnes oeuvres.

Je vous parle ainsi pour vous engager, vous tous qui pouvez jeûner, à le faire avec tout le zèle et toute la ferveur dont vous êtes capables. Car autant l'homme extérieur se détruit en nous, autant l'intérieur se renouvelle. (II Cor. IV, 16.)

Et en effet, le jeûne affaiblit le corps et réprime les mouvements de la concupiscence il purifie l'âme et lui donne comme des ailes pour s'élancer vers le ciel. Quant à ceux de vos frères qu'une mauvaise santé empêche de jeûner, exhortez-les à ne point se priver de nos festins spirituels, et en leur rapportant mes paroles, dites-leur bien que celui qui boit et mange modérément n'est point indigne de prendre place dans cette enceinte, et qu'elle n'est fermée qu'aux auditeurs lâches et intempérants. Il sera également utile de leur rappeler cette parole de l'Apôtre : Celui qui mange, le fait pour le Seigneur; et celui qui s'abstient, le fait en vue du Seigneur, et il rend grâces à Dieu. (Rom. XIV, 6.) Jeûnez-vous, bénissez le Seigneur qui vous donne la force de soutenir les rigueurs du jeûne ; êtes-vous obligé d'anticiper votre repas, bénissez, et vous aussi le Seigneur, parce que si vous le voulez, cette infraction à la loi ne vous sera point nuisible, et elle ri' apportera aucun préjudice au salut de votre âme. Car il est impossible de compter toutes les voies que la bonté du Seigneur nous;ouvre et qui dirigent vers lui notre bonne volonté. En parlant ainsi, j'ai en vue les absents et je me .propose de leur ôter tout prétexte de honte. Car, sachez-le bien, il n'y a rien dans leur conduite qui doive les faire rougir. On ne doit rougir que du péché, et non d'avoir pris quelques aliments.

Le péché mérite seul qu'on en soit honteux; et quand nous l'avons commis, nous avons raison de rougir et de nous cacher. Nous devrions alors ne pas noua estimer moins malheureux que ceux qui ont fait naufrage, et néanmoins ne point perdre courage. Il faut seulement nous hâter de recourir au repentir et à , la confession. Et en effet, lorsque nous avons péché par faiblesse, le Seigneur notre Dieu n'exige rien autre chose sinon que nous confessions nos fautes et que nous fassions un ferme propos de n'y plus retomber. Mais nous n'avons aucune raison de rougir quand nous mangeons modérément. Car c'est Dieu (54) qui nous a donné notre corps : et pour se soutenir, ce corps a besoin de nourriture. L'essentiel est de ne pas trop lui accorder ; d'ailleurs, la sobriété chrétienne est le meilleur moyen de le conserver en santé et en bonne disposition. Eh ! ne voyez -vous pas chaque jour qu'une table délicate et qu'une gloutonne intempérance engendrent une infinité de maladies? D'où nous viennent la goutte, la migraine, l'abondance des humeurs et mille autres maladies ? N'est-ce pas de l'intempérance et de l'ivresse? Le navire qui fait eau de toutes parts, s'enfonce soudain. Ainsi la raison de l'homme se noie dans l'excès du vin et des viandes. Alors cet homme n'est plus qu'un cadavre vivant. Il peut encore faire le mal, mais il est aussi. incapable d'opérer le bien que s'il était réellement mort.

3. Je vous le demande donc avec l'Apôtre Ne cherchez pas à contenter les désirs de la chair. (Rom. XIII, 14.) Mais soyez toujours en état de vous appliquer avec ardeur aux exercices de la piété. Dites-le bien à vos frères et persuadez-leur de ne point se priver de vos festins spirituels; ainsi qu'ils s'empressent de venir chercher ici, même après leur repas, cette nourriture sainte qui les fortifiera contre les attaques du démon. Quant à moi, je continuerai à vous la servir chaque soir, pour récompenser votre bienveillante attention , et acquitter ma promesse. Vous n'avez certainement pas oublié que j'avais commencé à vous parler de la formation de l'homme, et que, pressé par l'heure, je ne pus qu'indiquer l'utilité qu'il retira du service des animaux. J'ai prouvé aussi que sa désobéissance seule lui a fait perdre sur eux l'empire qu'il avait d'abord possédé. Aujourd'hui j'achèverai ce sujet et vous renverrai ensuite.

Mais pour rendre ma parole plus intelligible, il est utile de commencer cet entretien en nous rappelant la fin du précédent et en le complétant. Je vous expliquais donc ces versets de la Genèse : Et Dieu dit: Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, et qu'ils dominent sur les poissons de la mer et sur les oiseaux du ciel. Cette matière est si vaste et elle me fournit une telle abondance de pensées qu'il me fut impossible de passer outre. Ainsi je m'arrêtai à ce passage, sans toucher à celui qui suit immédiatement. C'est pourquoi il est nécessaire de le relire, afin que vous en compreniez mieux le développement. Or l'Ecriture ajoute : Et Dieu créa l'homme; il le créa à l'image de Dieu, et il le créa mâle et femelle. Dieu les bénit, disant : croissez et multipliez; remplissez la terre, et vous l'assujettissez; dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux dit ciel, sur toits les animaux, sur toute la terre et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. (Gen. I, 27, 28.)

Ces paroles sont courtes, mais elles renferment un riche trésor, et l'esprit divin qui parlait par la bouche de Moïse, veut nous y révéler de grands secrets. Le Créateur, après avoir dit : Faisons l'homme, semble se recueillir et prendre conseil comme pour nous montrer la dignité de l'homme dans l'acte même de sa création. Car l'homme n'existait pas encore; mais déjà Dieu révélait toute l'éminence de l'empire qu'il lui donnerait : C'est pourquoi, après avoir dit: Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, il ajoute, en parlant au pluriel, qu'ils dominent sur les poissons de la mer. Voyez donc comme dès le principe un riche trésor nous est ouvert ! — le saint prophète, éclairé d'une lumière divine, parle d'un fait non encore existant, comme s'il était réalisé. Car pourquoi ici cette parole au singulier,.faisons l'homme, et là cette parole au pluriel, qu'ils dominent ? Evidemment, il y a là un secret et un mystère, et cette façon de parler indique par avance la formation de la femme. Ainsi tout dans nos saintes Ecritures a sa raison et son motif, et un mot qui semble mis au hasard renferme une précieuse instruction.

4. Et ne vous étonnez point, mon cher frère, de ce langage, car tous les prophètes parlent des événements futurs comme s'ils étaient déjà accomplis: ils voient en esprit ce qui ne doit arriver que dans la suite des siècles, et ils le racontent comme s'ilse réalisait sous leurs yeux. Pour vous en convaincre, écoutez cette prophétie de la passion du Sauveur, prophétie que tant de siècles à l'avance prononçait le saint roi David. Ils ont percé mes pieds et mes mains, et ils se sont divisé mes vêtements. (Ps. XXI, 17, 19.) Il parle d'un événement futur et lointain, comme si déjà il s'était accompli.

C'est ainsi que Moïse nous insinue tout d'abord, sous le voile de l'énigme et du mystère, la formation de la femme, quand il dit : qu'ils dominent sur les poissons de la mer. Mais bientôt il en parle plus clairement, et il ajoute : et Dieu créa l'homme ; il le créa à l'image de Dieu; il les créa mâle et femelle. Et observez (55) ici avec quel soin l'écrivain sacré répète deux fois le même fait afin de mieux le graver dans la mémoire de ses lecteurs. Si telle n'eût pas été son intention, il se fût contenté de dire : et Dieu créa l'homme. Mais il ajoute : il le créa à son image. Précédemment il nous avait expliqué le sens de ce mot image, et ici il le répète à dessein, et il nous dit : et Dieu le créa à son image. Il a voulu aussi ne laisser aucun prétexte d'excuse à ceux qui attaquent les dogmes de l'Eglise ; c'est pourquoi il a expliqué plus haut le sens de ce mot image, qu'il entend de l'empire que l'homme devait exercer sur tous les animaux. Mais poursuivons le récit de la Genèse. Et Dieu créa l'homme; il le créa à l'image de Dieu; il les créa mâle et femelle. Ce qu'il n'avait qu'insinué précédemment, en disant au pluriel : qu'ils dominent, Moïse l'annonce ici plus clairement, et néanmoins encore sous le voile du mystère, car il n'a point parlé de la formation de la femme, et il n'a pas indiqué d'où elle a été tirée. Il se contente donc de dire : et Dieu les créa mâle et femelle.

La femme n'a pas encore été formée, et déjà Moïse en parle comme d'un fait accompli. Tel est le privilège de la vision spirituelle; et les yeux du corps ont moins de force pour saisir les objets sensibles, que ceux de l'âme pour fixer les personnes et les faits qui n'existent pas encore. Après avoir dit que Dieu les créa mâle et femelle, Moïse rapporte en ces termes la bénédiction commune que Dieu leur donna. Et le Seigneur, dit-il, les bénit, disant : croissez et multipliez; remplissez la terre, et vous l'assujettissez, et, dominez sur les poissons de la mer. Quelle éminente bénédiction ! Cet ordre: croissez, multipliez et remplissez la terre avait été intimé, il est vrai, aux animaux et aux reptiles ; mais il n'a été dit qu'à l'homme et à la femme commandez et dominez. Admirez donc la bonté du Seigneur ! La femme n'existe pas encore , et il la fait entrer en participation de l'autorité de l'homme , et des privilèges de la bénédiction divine. Dominez , leur dit-il, sur les poissons de la mer, et sur les oiseaux du ciel, et sur tous les animaux, et sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui se meuvent sur la terre.

5. Mais qui pourrait mesurer l'étendue de ce pouvoir, et apprécier la grandeur de cet empire ! Eh ! ne voyez-vous pas que toute la création a été soumise au sceptre de l'homme? Ainsi vous ne devez avoir de cet animal raisonnable aucune idée petite et médiocre. Car ses honneurs sont grands, la bonté du Seigneur à son égard est immense, et ses bienfaits aussi étonnants qu'ineffables. Et Dieu dit : voilà que je vous ai donné toutes les plantes répandues sur la surface de la terre, et qui portent leurs semences, et tous les arbres fruitiers qui ont leur germe en eux-mêmes, pour servir à votre nourriture. Et il fut fait ainsi. (Gen. XXIX, 30. ) Considérez, mes chers frères , la souveraine bonté du Seigneur , pesez attentivement les paroles de l'Ecriture, et n'en perdez pas une syllabe. Et Dieu dit : voilà que je vous ai donné toutes les plantes. Il continue ainsi à s'adresser à l'homme et à la femme, quoique celle-ci n'eût pas encore été formée. Admirez également l'excellence de cette bonté qui se montre éminemment libérale et généreuse non-seulement envers l'homme, et envers la femme qui n'existait pas, mais aussi envers tous les animaux. Car après avoir . dit : Voilà que je vous ai donné les plantes de la terre pour servir à votre nourriture, le Seigneur ajoute : et à celle de tous les animaux de la terre. Ici se déclare un autre abîme de bonté, puisque le même Dieu qui pourvoit aux besoins des animaux qui servent à nos besoins, à nos travaux, et à notre nourriture , n'en exclut point les animaux sauvages et féroces.

Eh ! qui parlerait dignement de cette infinie bonté ! Voilà, dit le Seigneur, que toutes les plantes serviront à votre nourriture, et à celle de tous les animaux de la terre, de tous les oiseaux du ciel, et. de tous les reptiles qui rampent sur la terre , et de tout ce qui est vivant et animé. ( Gen. I, 30. ) Ces paroles nous montrent la paternelle providence du Seigneur à l'égard de l'homme qu'il vient de créer. Car après l'avoir créé, il lui donne un empire souverain sur tous les animaux, et de peur qu'il ne s'effraie à la vue d'une si grande multitude qu'il lui faudrait nourrir , il prévient jusqu'à la. pensée de cette inquiétude , et lui déclare. qu'il a ordonné à la terre de pourvoir, par sa fertilité, à sa nourriture et à celle de tous les animaux. Voilà donc, dit-il, que les plantes serviront à votre nourriture, et à celle de tous les animaux de la terre, et des oiseaux du ciel, et des reptiles qui rampent sur la terre, et de tout ce qui est vivant et animé. Et il fut fait ainsi. Or tous les commandements du Seigneur furent immédiatement exécutés , et toutes les créatures se trouvèrent disposées dans le rang et l'ordre qui leur avaient été assignés. C'est (56) pourquoi Moïse ajoute immédiatement: et Dieu vit toutes ses oeuvres, et elles étaient très-bonnes.

6. On ne peut assez louer l'exactitude de la sainte Ecriture. Car par cette seule parole : et Dieu vit toutes ses oeuvres, elle ferme la bouche à tous les contradicteurs. Dieu vit donc toutes ses oeuvres , et elles étaient très-bonnes : et du soir et du matin se fit le sixième jour. Moïse a dit après chaque création particulière : et Dieu vit que cela était bon. Mais. quand l'ensemble de la création a été achevé, et l'oeuvre du sixième jour complétée par la formation de , l'homme pour qui l'univers était fait , il observe que Dieu vit toutes ses oeuvres, et qu'elles étaient très-bonnes. Ce mot toutes ses oeuvres comprend l'universalité des créatures , et les renferme toutes dans le même éloge. Et observez qu'ici Moïse dit expressément toutes les oeuvres de Dieu, et non pas seulement toutes choses; de même qu'il ne dit pas qu'elles étaient bonnes, mais très-bonnes , c'est-à-dire qu'elles étaient éminemment bonnes. Mais puisque le Seigneur, qui a tiré toutes les créatures du néant, les trouve très-bonnes, et éminemment bonnes , quel est l'insensé qui oserait ouvrir la bouche pour le contredire !

C'est lui qui parmi les créatures visibles a créé la lumière et les ténèbres, qui lui sont opposées, le jour et la nuit qui en est la négation. C'est lui qui a commandé à la terre de produire les plantes bienfaisantes et les herbes vénéneuses, les arbres fruitiers, et les arbres stériles, les animaux doux et familiers , et les animaux sauvages et farouches. C'est lui qui a peuplé les eaux des plus petits poissons , non moins que des baleines et des monstres marins, qui a rendu certaines contrées de la terre habitables, et d'autres inhospitalières; qui a étendu les plaines , et qui a soulevé les collines et les montagnes ; c'est lui qui parmi les oiseaux a créé les espèces domestiques qui servent à notre nourriture, et les espèces sauvages et immondes , comme le vautour et le milan ; et parmi les animaux terrestres il a produit et ceux qui nous sont utiles, et ceux qui nous sont nuisibles, les serpents, les vipères et les dragons, les lions et les léopards. Enfin c'est lui qui, dans les régions de l'atmosphère, enfante également la pluie et les vents bienfaisants , la neige et la grêle. C'est ainsi qu'en parcourant tout l'ordre de la création, nous trouvons toujours le mauvais à côté du bon , et cependant il ne nous est pas permis de déverser le blâme sur aucune créature, et de dire: pourquoi une telle créature, et pour quel but ? Ceci est bien fait, et cela est mal fait. Car l'Ecriture prévient et réprime toutes ces critiques en disant qu'à la fin du sixième jour, Dieu ayant achevé la création, vit toutes ses oeuvres , et qu'elles étaient très-bonnes.

Quel raisonnement, je vous le demande, pourrait contrebalancer un témoignage d'une telle autorité? Car c'est le Créateur lui-même qui, énonce son appréciation, et qui déclare que toutes ses oeuvres sont bonnes et très-bonnes. Ainsi, lorsque vous entendrez quelqu'un blâmer la création, et s'élever contre l'Ecriture sainte, fuyez-le comme un insensé; ou plutôt ne le fuyez point, mais prenez en pitié son ignorance, et citez-lui ces paroles de nos Livres saints : Dieu vit toutes ses oeuvres, et elles etaient très-bonnes. Peut-être parviendrez-vous à corriger l'indiscrétion de son langage. Car dans les choses humaines, nous nous en rapportons à l'avis d'hommes sages et judicieux, en sorte que, loin de les contredire, nous souscrivons à leur jugement, et leur soumettons nos propres lumières. Mais à plus forte raison devons-nous en agir ainsi envers le Dieu, Créateur de l'univers. Dès qu'il a prononcé, il ne nous reste plus qu'à réprimer toute critique et à nous taire; car il nous doit suffire de savoir et d'être certains orne sa sagesse et sa bonté ont présidé à toutes ses oeuvres, et que rien dans la création n'a été fait sans raison et sans motif. Sans doute notre intelligence est trop faible pour que nous pénétrions l'utilité de chaque créature, et néanmoins il n'en est pas une seule qui ne soit l'ouvrage d'une sagesse infinie, et d'une bonté ineffable.

7. Et du soir, et du matin se fit le sixième jour : et comme en ce jour Dieu cessa de produire de nouvelles créatures, Moïse ajoute : Ainsi furent achevés le ciel, la terre et tous leurs ornements. (Gen. II,1.) Quelle simplicité dans ces paroles ! et comme l'Ecriture sainte retranche toute expression vaine et superflue ! Elle se borne à énoncer que l'ensemble de la création fut achevé le sixième jour, et sans répéter de minutieux détails, elle se contente de dire que le ciel et la terre furent achevés avec tous leurs ornements; c'est-à-dire avec tout ce qu'ils renferment. Or, les ornements de la terre sont ses diverses productions, les (57) plantes, les moissons, les arbres fruitiers, et toutes les richesses dont le Seigneur a daigné l'embellir. Les ornements du ciel sont le soleil, là lune, la variété des étoiles, et toutes les créatures intermédiaires. C'est pourquoi la sainte Ecriture ne mentionne ici que le ciel et la terre, parce qu'elle comprend sous ces deux éléments tout l'ensemble de la création.

Et Dieu acheva le sixième jour toute son oeuvre. L'écrivain sacré le répète ici afin que nous sachions bien que la création fut entièrement accomplie dans cet espace de six jours. Dieu acheva donc le sixième jour toute son oeuvre, et se reposa le septième de tous les ouvrages qu'il avait faits. Qu'est-ce à dire que Dieu se reposa le septième jour de tous les ouvrages qu'il avait faits? Evidemment l'Ecriture s'exprime d'une façon humaine, et se proportionne à notre faiblesse. Sans cette condescendance, il nous eût été impossible de comprendre sa pensée. " Et Dieu, dit-elle, se reposa le septième jour de tous les ouvrages qu'il avait faits : c'est-à-dire qu'il s'arrêta dans l'oeuvre de la création, et qu'il cessa de tirer du néant de nouvelles créatures. Et en effet, il avait produit toutes et chacune des créatures, et il avait formé l'homme qui devait en-jouir.

Et Dieu bénit le septième jour, et le sanctifia, parce qu'il s'était reposé en ce jour de tous les ouvrages qu'il avait faits. Le Seigneur cessa donc de créer, parce que dans l'espace de six jours il avait produit toutes les créatures auxquelles sa bonté destinait l1existence. Il se reposa donc le septième jour, ne voulant plus rien créer; car selon ses desseins, l'oeuvre de la création était achevée. Mais pour que ce septième jour eût, lui aussi, quelque prérogative, et qu'il ne fût pas inférieur aux autres jours, puisqu'il ne devait éclairer aucune production nouvelle, il daigna le bénir. Et Dieu, dit l’Ecriture, bénit le septième jour, et le sanctifia. Quoi donc ! Est-ce que les six autres jours n'avaient pas été bénis? Sans doute, ils l'avaient été, puisque en chacun d'eux le Seigneur avait produit différents ordres de créatures. Voilà pourquoi l'Ecriture ne dit. pas expressément que Dieu les bénit, tandis qu'elle mentionne ici la bénédiction du septième jour. Et il le sanctifia, dit-elle encore. Que signifie ce mot : et il le sanctifia? Il nous apprend que Dieu distingua ce jour de tous les autres; et l'Ecriture nous en révèle la raison, quand elle ajoute : Que Dieu sanctifia le septième jour parce que dans ce jour il se reposa de tous les ouvrages qu'il avait faits.

C'est ainsi que dès le commencement un grand mystère nous est révélé, et que nous apprenons à sanctifier un jour de la semaine, en le consacrant aux exercices de la piété. Ce repos du septième jour nous rappelle que Dieu daigna le bénir après avoir achevé dans six jours l'ensemble de la création, et qu'il le sanctifia parce que dans ce jour il s'était reposé de tous les ouvrages qu'il avait faits. Mais ici les pensées se présentent à flots pressés, et je me reprocherais de ne pas vous les communiquer. Camelles me paraissent riches, et je veux vous faire part de leurs richesses. Et d'abord, voici une première question. Dans la Genèse, Moïse nous dit que Dieu se reposa de ses oeuvres, et dans l'Evangile, Jésus-Christ nous dit : Mon Père agit toujours, et moi aussi. (Gen. V, 17.) Ne semble-t-il pas, au premier coup-d'oeil, qu'il y ait ici une contradiction manifeste? Mais à Dieu ne plaise que l'Ecriture soit opposée à l'Ecriture ! quand elle nous dit dans la Genèse que Dieu se reposa des ouvrages qu'il avait faits, elle nous enseigne que le septième jour il cessa de créer, et de tirer du néant de nouvelles créatures. Lorsqu'au contraire Jésus-Christ nous dit : Mon Père agit toujours, et moi aussi; il nous manifeste l'action incessante de la Providence; et il nomme action, ou opération ce soin qui dirige l'univers, le maintient et le conserve. Eh ! comment subsisterait-il si la main du Seigneur cessait un seul instant de soutenir et de conduire les hommes, les animaux et les éléments ! Au reste, il suffit de réfléchir sérieusement sur les bienfaits dont le Créateur nous comble chaque jour, pour reconnaître combien est immense l'abîme de ses miséricordes. Et pour n'en citer qu'un seul trait, quelle parole et quelle pensée pourrait exprimer cette ineffable bonté qui, toujours généreuse envers l'homme, fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, qui fait pleuvoir sur les justes et les pécheurs, et qui fournit abondamment à tous leurs besoins.

Peut-être ce discours se prolonge-t-il outre mesure ? Et toutefois il: me semble que ce n'est point inutilement. Car les absents connaîtront mieux le tort qu'ils se font, en se privant, par condescendance pour le corps, des grâces de ce festin spirituel. Mais votre (58) bienveillante leur adoucira cette privation, si elle leur rapporte cet entretien. Ce sera même de votre part un sincère témoignage de charité. Car si un ami se plaît à partager sa table avec ses amis, combien est-il mieux encore de partager avec eux les joies de ces festins spirituels ! Nous y trouverons nous-mêmes un grand profit puisque le zèle qui nous porte à instruire nos frères, leur est utile, et devient également pour nous un titre aux plus belles récompenses. Nous y faisons ainsi un double profit. Car Dieu nous tiendra compte de notre charité, et puis en instruisant les autres, nous gravons plus profondément en notre esprit le souvenir des leçons que nous avons entendues.

8. Ne refusez donc point à vos frères un service dont vous retirerez vous-mêmes de si grands avantages, et redites-leur les instructions de ce soir. Mais afin qu'ils ne vous soient pas toujours redevables de ce bienfait, amenez-les ici, et dites leur bien que d'avoir anticipé l'heure du repas n'est pas une raison,pour s'abstenir de nos conférences. Car tous les temps sont propres pour nous instruire. Et en effet, qui nous empêche, dans l'intérieur de nos maisons, avant, ou après nos repas, de prendre en mains les saintes Ecritures, et de donner à notre âme une bonne et utile nourriture. Car si le corps réclame des aliments matériels, l'âme a également besoin chaque jour d'une nourriture spirituelle qui la fortifie, et lui permette de résister aux attaques de la chair. Autrement nous succomberions à cette guerre que nous déclarent les ennemis de notre salut, et ils réduiraient notre âme en un triste esclavage, si nous cessions un seul instant d'être forts et vigilants. C'est pourquoi le Psalmiste appelle heureux le juste qui médite nuit et jour la loi du Seigneur; et Moïse recommande aux Juifs qu'après avoir bu et mangé, et s'être rassasiés, ils se souviennent du Seigneur, leur Dieu. (Ps. I, 2... Deut. VIII, 10).

Vous voyez donc combien il est utile de donner à notre âme sa nourriture spirituelle; après avoir accordé au corps celle qu'il réclame. Autrement le corps se maintiendrait frais et dispos, et l'âme affaiblie et- languissante ferait quelque chute, et succomberait aux attaques du démon. Car celui-ci épie toutes les occasions de nous entraîner au péché mortel. C'est pourquoi le même Moïse nous donne cet avis : Avant de dormir et ci votre réveil, souvenez-vous du Seigneur votre Dieu. (Deut. VI, 7.) Ainsi ce souvenir ne doit jamais s'effacer de notre mémoire, mais nous être toujours présent, et nous établir dans une continuelle vigilance. Nous devons aussi nous tenir sans cesse sur nos gardes, car nous ne pouvons ignorer combien est grande la fureur de notre ennemi. Il est donc nécessaire que nous soyons toujours attentifs et vigilants à lui fermer toute entrée, et à donner chaque jour à notre âme sa nourriture spirituelle. C'est là un moyen assuré de salut, et un trésor de richesses célestes. Si chaque jour nous nous fortifions ainsi par la lecture, l'audition de la parole sainte et de pieux entretiens, nous deviendrons invincibles aux attaques du démon, nous éviterons ses pièges, et nous obtiendrons le royaume des cieux, par la grâce et la bonté dé Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

ONZIÈME HOMÉLIE. Qu'il faut estimer la vertu, imiter les saints, qui, étant de même nature que nous, l'ont pratiquée excellemment : la négligence sera sans excuse.
ANALYSE

1.- 2. Dans cette homélie, prononcée un des deux jours de la semaine où l'on ne jeûnait pas; c'est-à-dire le samedi ou le dimanche, saint Chrysostome interrompt l'explication de la Genèse, et traité un sujet tout moral : l'estime de la vertu et l'imitation des saints. — 3.- 4. Il prouve à ses auditeurs que le jeûne et l'audition de la parole sainte ne sont utiles qu'autant qu'on y joint la pratique des vertus chrétiennes, et que l'essentiel est de dompter ses passions. — 5.– 6. Il leur propose ensuite l'exemple de saint Paul qui, quoique recommandable par tant de vertus, ne laissait pas que de se rendre chaque jour plus parfait. — 7. Et il termine en les exhortant à se rendre, comme l'Apôtre, des temples dignes de recevoir l'Esprit-Saint.

1. Je vous ai entretenus, ces jours derniers, de matières profondes qui ont peut-être fatigué votre esprit et votre attention; c'est pourquoi je veux aujourd'hui traiter un sujet plus facile , car, si le corps abattu par le jeûne, a besoin de quelque soulagement, pour reprendre avec une nouvelle ardeur cet exercice de pénitence, l'âme réclame elle-même quelque relâche et quelque repos. Sans doute il ne s'agit point ici de tenir toujours l'esprit bandé ou toujours relâché, mais de savoir tour à tour le distraire et le rendre attentif; c'est le véritable moyen de conserver les forces de l'âme et de réprimer les révoltes de la chair : car un travail trop assidu engendre l'ennui et le dégoût, et un repos trop prolongé conduit à la paresse ; l'expérience nous le dit assez, et pour l'âme et pour le corps, en sorte qu'il faut de la modération en toutes choses.

Tel est encore l'enseignement que Dieu nous donne parles créatures qu'il a faites pour notre usage : ainsi, pour rie parler que du jour et de la nuit, c'est-à-dire de la lumière et des ténèbres , il a destiné les jours au travail de l'homme, et-la nuit à son repos; aussi a-t-il fixé à l'un et à l'autre, des bornes et des limites qui nous en doublent l'utilité; et d'abord, le jour est le temps du travail, le Psalmiste nous le dit: l'homme sort alors pour faire son ouvrage et travailler jusqu'au soir. (Ps. CIII, 23.) C'est avec raison qu'il dit: jusqu'au soir, car les ténèbres qui surviennent, assoupissent l'homme, et font succéder le repos au travail; alors, en effet, la nuit, comme une tendre nourrice, calme l'activité de nos sens, et elle verse sur nos membres fatigués le repos et le sommeil; mais, dès que les heures de la nuit se sont écoulées, les premiers rayons du jour réveillent l'homme; ses sens, qui ont repris une vigueur nouvelle, se raniment aux clartés du soleil, et lui-même reprend ses travaux accoutumés avec plus d'ardeur et de facilité. Nous observons la même sagesse dans le cours périodique des saisons

le printemps succède à l'hiver et l'automne à l'été, et ce changement de saison et de température est pour nos corps un véritable repos. Un froid trop intense les gêlerait, et les chaleurs trop excessives les énerveraient; mais l'automne nous dispose insensiblement à l'hiver et le printemps à l'été.

J'ajoute même que l'homme sensé et judicieux qui étudiera la nature à ce point de vue, y découvrira aisément un ordre admirable; aussi avouera-t-il que rien dans la création n'a été fait sans raison et au hasard. Les plantes que produit la terre nous en offrent un bel exemple, car la terre ne les enfante pas toutes à une époque unique, de même que tous les temps ne sont pas propres à la culture; mais le laboureur connaît les diverses saisons que la (60) sagesse divine a marquées pour les divers travaux des champs : il sait quand il doit semer le blé, planter les arbres et confier au sein de la terre les racines de la vigne; il sait également quand il doit mettre la faucille dans la moisson, dépouiller la vigne de son fruit, et recueillir les baies de l'olivier; qui n'admirerait donc ici sa science et son expérience !

Si de la terre ferme nous nous élançons sur l'Océan, quelles merveilles nouvelles ! Le pilote distingue les vents favorables pour lever l'ancre, quitter le port et traverser les mers, et c'est principalement en lui que se révèle ce don d'intelligence que Dieu a départi à l'homme : car les courriers ne connaissent pas mieux les relais et les hôtelleries que les pilotes les ports et les rivages. Aussi la sainte Ecriture, parlant de la divine sagesse, dit-elle avec un vif sentiment d'admiration: le Seigneur a tracé à l'homme usa chemin sur les mers, et une route assurée au milieu des flots. (Sag. XIV, 3.) Quelle intelligence humaine pourrait comprendre toutes ces merveilles ! Nous trouvons encore ce même ordre et cette même variété dans les aliments qui forment la base de notre nourriture : car le Seigneur nous les diversifie selon les saisons et les époques de l'année, et de son côté, la terre, comme une bonne nourrice, ne manque point de nous prodiguer ses bienfaits aux temps précis que Dieu lui a marqués.

2. Mais je craindrais de trop m'étendre sur ces détails, et il vaut mieux les abandonner à vos réflexions. Donnez une occasion au sage, dit l'auteur des Proverbes, et il deviendra plus sage encore. (Prov. IX, 9. ) Au reste, ce n'est point seulement dans les aliments dé l’homme, mais encore dans ceux des animaux, et dans une multitude d'autres phénomènes que nous pouvons reconnaître l'ineffable sagesse du Seigneur, admirer sa souveraine bonté et proclamer le bel ordre et l'harmonie de l'univers. Le carême lui-même nous offre cet admirable tempérament de sévérité et de douceur. Sur les routes publiques, les voyageurs fatigués trouvent des stations et des hôtelleries où ils peuvent se délasser et reprendre ensuite leur voyage; les rivages de la mer offrent également aux nautoniers des ports tranquilles , où ils peuvent se reposer d'une longue navigation et des secousses de la tempête, et puis achever heureusement leur course. C'est ainsi que ceux qui ont commencé le jeûne du carême rencontrent aussi des stations et des hôtelleries, des rivages et des ports hospitaliers car le Seigneur nous dispense du jeûne deux jours de la semaine, afin que le corps se remette de ses fatigues , que l'âme se repose de ses préoccupations, et que nous puissions ensuite poursuivre gaiement le cours de nos exercices.

Mais aujourd'hui se rencontre un de ces jours de relâche; nous vous en conjurons, mes chers frères, conservez avec soin les fruits que vous avez déjà retirés du jeûne. Demain, après avoir pris de nouvelles forces, vous augmenterez ces trésors spirituels, vous ferez dans ce saint négoce des gains abondants, en sorte qu'au jour du Seigneur, votre navire, chargé d'une riche cargaison, entrera à pleines voiles dans le port de la grande solennité : car toutes les oeuvres du Seigneur, comme le marque l'Ecriture, et comme l'expérience nous le révèle, portent le sceau d'une souveraine sagesse, et d'une éminente utilité, et c'est ainsi que dans toute notre conduite rien ne doit être l'effet de la légèreté ou de l'irréflexion; toutes nos actions, au contraire, doivent tendre à l'avantage et au succès de notre salut. Dans le monde on n'entreprend guère d'affaires. si d'abord on ne prévoit qu'elles seront lucratives; et n'est-il pas bien juste que nous imitions cette prudence? C'est pourquoi il ne suffit pas que les semaines du carême s'écoulent; mais il est nécessaire que chacun examine sa conscience, et qu'il se rende compte de ce qu'il a fait de bien dans la semaine présente et dans celle qui a précédé; il appréciera ainsi les progrès qu'il a faits dans la vertu, et reconnaîtra les vices dont il se sera corrigé.

Ces règles de conduite et ce soin de notre salut peuvent seuls nous rendre utiles le jeûne et l'abstinence. Eh ! combien peu faisons-nous en comparaison du zèle que déploient les marchands pour augmenter leurs richesses : car vous n'en trouverez aucun qui ne travaille avec une. continuelle assiduité, qui ne cherche à grossir chaque jour son gain, et qui jamais paraisse satisfait; aussi plus son commerce devient lucratif , et plus s'accroissent ses soins et son zèle; mais si les hommes montrent tant d'activité dans des choses où le succès est incertain, et où le gain est souvent dangereux pour le salut, que ne devons-nous point faire dans ce négoce spirituel, où le profit correspond toujours au travail, et où nous sommes assurés de recueillir d'ineffables récompenses (61) et d'immenses avantages ! Sur la terre rien de moins stable et rien de plus incertain que la possession des richesses; et, d'abord, de quelle utilité nous sont elles à la mort, puisqu'elles demeurent en deçà du tombeau? Mais sans nous accompagner, elles ne laissent pas que d'être la matière d'un rigoureux jugement. Souvent encore il arrive que, même avant la mort et après mille travaux, mille peines et mille fatigues, l'adversité, comme un ouragan subit, les engloutit entièrement, en,sorte que d'un état d'opulence on tombe dans une extrême indigence; chaque jour nous en voyons de tristes exemples ; mais, dans ce négoce spirituel, nul revers semblable n'est à craindre, notre gain est assuré et certain, et plus nous aurons travaillé à la grossir, plus aussi nous en recevrons de joie et de consolation.

3. C'est pourquoi, tandis que nous en avons, le temps et la facilité, apportez du moins, je vous en conjure, dans l'acquisition des richesses spirituelles, le même zèle que tant d'autres déploient pour des trésors périssables. Bien plus, nous ne devons jamais nous relâcher dans notre activité, lors même que déjà nous aurions fait quelque profit, et que, par notre vigilance, nous aurions surmonté quelque défaut. Car c'est à ce prix que mous goûterons les solides plaisirs que procure le bon témoignage de la conscience. Ce que je vous demande donc, ce n'est pas de vous borner à venir ici chaque jour, pour y entendre la parole sainte, ni même à jeûner tout le carême; et en effet si ces fréquents entretiens, et si ce jeûne ne servent à votre avantage spirituel, loin de vous être utiles, ils vous deviendront le sujet d'une plus sévère condamnation. Ce sera justice, puisque malgré tous nos soins, vous serez demeurés, par rapport au salut, dans le même état d'indifférence. Ainsi l'homme colère et irascible doit devenir doux et pacifique, l'envieux charitable, l'avare désintéressé dans l'amour insensé des richesses, généreux dans ses aumônes et prodigue de ses biens envers les pauvres; ainsi encore le voluptueux doit se montrer chaste et réservé, l'ambitieux s'accoutumer à mépriser la vaine gloire du monde, et à ne rechercher que la gloire solide du salut, et celui gui négligeait envers ses frères les devoirs de la charité doit s'exciter lui-même à ne point paraître inférieur aux publicains : Car, dit Jésus-Christ, si vous n'aimez que ceux qui vous aiment, que faites-vous de plus? les publicains ne le font-ils pas aussi ? (Matth. V, 46.) C'est pourquoi il doit arriver à cette disposition de coeur qu'il accueille ses ennemis d'un bienveillant regard, et qu'il leur témoigne une tendre charité.

Si nous nous laissons toujours dominer par ces passions, et mille autres qui naissent en nous, et cela lorsque nous venons ici chaque jour, et que nous ajoutons à la vertu du jeûne, les secours de l'instruction et de la doctrine, quelles seront notre excuse et notre défense? Car, dites-le moi, si vous voyiez votre enfant fréquenter assidûment l'école, et après plusieurs années ne faire aucun progrès, seriez-vous toujours patient et indifférent ? Vous châtiriez l'enfant, et vous blâmeriez le maître. Mais qu'on vous prouve ensuite que celui-ci a rempli tous ses devoirs, et qu'il n'a rien omis à l'égard de votre enfant, dont il ne faut accuser que la paresse et l'indolence, et soudain vous tournerez vers ce dernier toute votre indignation, et vous ne condamnerez plus le maître.

Appliquez-vous cette parabole. La vocation divine m'a appelé au ministère de la parole sainte, et, comme mes fils spirituels; je vous réunis ici. chaque jour pour vous distribuer une salutaire instruction. Au reste, ce ne sont point mes propres pensées que je vous développe et que je cherche à vous inculquer, ruais c'est lot doctrine que le Seigneur nous a révélée dans ses divines Ecritures. Et si maintenant malgré tous mes soins, et tout mon zèle pour vous faire chaque jour avancer dans la voie de la vérité, vous persévérez dans vos erreurs et vos vices, pensez quelle sera ma douleur, et, sans employer un terme plus dur, quelle sera votre propre condamnation ! sans doute je serai à l'abri de tout reproche, puisque je n'aurai rien négligé pour assurer vos progrès dans la vertu, et néanmoins, comme je désire beaucoup votre salut, je ne pourrai que m'attrister profondément de votre lâcheté. Eh ! quel est le maître qui, voyant son disciple ne retirer aucun fruit de ses leçons, ne s'afflige et ne gémit amèrement, parce qu'il sent que sa peine et ses soins sont perdus?

4. Mon intention, en vous parlant ainsi, n'est point de vous contrister, et je ne veux que réveiller votre ardeur, afin que vous ne fatiguiez pas inutilement votre corps par un jeûne rigoureux, et que vous n'acheviez pas infructueusement le cours de cette sainte quarantaine. Mais pourquoi limiter notre zèle au (62) carême, puisqu'il ne devrait pas y avoir,un seul jour dans toute notre existence où nous ne fissions quelque profit spirituel par la prière, la compassion, l'aumône et autres pratiques de la piété? Et en effet, le grand apôtre à qui le Seigneur avait découvert des secrets que nul autre jusqu'aujourd'hui n'a connus, écrivait aux Corinthiens : Je meurs chaque jour pour votre gloire. (I Cor. XV, 31.) Il nous révélait ainsi que dans son désir de procurer l'avancement spirituel des fidèles, il s'exposait. à de si grands périls que chaque jour il affrontait la mort. Mais cet héroïsme est au-dessus de la nature qui ne nous permet de mourir qu'une seule fois; et cependant l'Apôtre bravait généreusement- mille morts, quoique le Seigneur dans sa bonté lui conservât une vie nécessaire au salut de ses frères. Or si Paul, élevé au faîte des vertus et de la sainteté, et qui était moins un homme qu'un ange, s'efforçait chaque jour d'avancer dans la piété, de combattre pour la vérité, et de braver mille périls pour la justice: et s'il se faisait un devoir de grossir chaque jour ses richesses spirituelles et de ne jamais se .reposer, comment excuser notre lâcheté? hélas ! nous sommes dénués de vertus et enclins à une multitude de vices, dont un seul suffirait à notre perte éternelle, et. encore nous n'apportons aucun zèle à l'oeuvre de notre conversion.

Dois-je ajouter que presque toujours le même homme est sujet à plusieurs défauts, et qu'il est à la fois colère et intempérant, avare, jaloux et violent? Mais s'il ne veut ni se corriger de ces vices, ni s'exercer aux vertus opposées, quelle espérance peut-il avoir de son salut ! Au reste, je ne cesserai point de vous répéter ces maximes, afin que chacun de mes auditeurs y trouve un remède à ses maux, et qu'il éloigne les affections mauvaises qui troublent son âme. Alors il pourra s'appliquer avec zèle à la pratique des vertus chrétiennes. Car il est inutile que le médecin entreprenne le traitement d'un malade qui repousse ses soins, et qui, impatient et exaspéré par la douleur, rejette tous les remèdes qu'on lui présente. Quel homme sensé accuserait alors le médecin comme n'ayant point rempli son devoir et le rendrait responsable de ce quç le malade né guérirait pas? C'est ainsi que je vous présente la doctrine sainte comme un remède spirituel, mais votre devoir est de le prendre, quelque amer qu'il soit, afin qu'il vous devienne réellement utile et qu'il vous rétablisse dans une santé parfaite. Quels immenses avantages vous en retirerez ; et, moi-même, combien je me réjouirai de voir ceux qui étaient faibles et malades recouvrer leurs forces et leur vigueur !

Je vous en conjure donc, que désormais chacun d'entre vous s'applique à déraciner son défaut dominant et qu'il se serve de quelque pieuse pensée comme d'un glaive spirituel pour le couper et l'extirper. Car Dieu nous a donné la raison, et, si nous voulons un peu la seconder, elle peut facilement étouffer tous nos vices. De plus, l'Esprit-Saint nous a laissé dans l'Ecriture la vie et les exemples des suints qui, étant hommes comme nous, n'ont point laissé de s'illustrer par la pratique de toutes les vertus. Comment. leur exemple ne nous, empêcherait-il pas d'être lâches et négligents dans la pratique de ces mêmes vertus?

5. L'apôtre saint Paul était-il d'une autre nature élue nous? Je l'avoue, je l'aime passionnément , et c'est pourquoi son nom se place si souvent sur mes lèvres. Je le considère donc comme le modèle achevé de la plus haute perfection, et, quand je contemple ses vertus, j'admire en lui la mortification entière de toutes les passions, l'excellence du courage et la ferveur de l'amour divin. Hélas ! me dis-je, Paul réunit en lui et fait briller toutes les vertus; et moi, je n'ai pas le courage d'opérer le moindre bien. Eh ! qui nous arrachera aux supplices inévitables de l'enfer ? L'Apôtre , homme comme nous et sujet aux mêmes faiblesses, vivait en des temps bien difficiles, et chaque jour il était persécuté, battu et publiquement maltraité par ceux qui s'opposaient à la prédication de l‘Evangile. Souvent même ses ennemis pensaient qu'il avait expiré sous leurs coups et ils le laissaient comme mort. Ah ! où trouver parmi nos chrétiens mous et énervés ces grands exemples de fermeté ? Au reste, ce n'est pas de ma bouche, mais de la sienne qu'il vous faut apprendre quelles furent ses oeuvres éclatantes et son courage pour la diffusion du christianisme.

Lorsque les calomnies des faux apôtres l'obligèrent à raconter ses propres ,vertus, il ne le fil qu'avec la plus grande répugnance; et, bien loin de s'y prêter complaisamment, il n'avait de hardiesse que pour se nommer un blasphémateur et un persécuteur. Mais, enfin, contraint de parler pour fermer la bouche à (63) de vils imposteurs et pour consoler un peu ses disciples, il s'exprime ainsi : Quant aux avantages qu'ils osent s'attribuer, je veux bien faire une imprudence en me rendant aussi hardi qu'eux. Quelle leçon dans ces paroles ! L'Apôtre appelle la louange qu'il va se donner une hardiesse et une imprudence; et il nous apprend ainsi que, sans une pressante nécessité, il ne faut jamais divulguer nos bonnes oeuvres, si toutefois nous en avons fait quelqu'une : Quant aux avantages qu'ils s'attribuent, je veux bien faire une imprudence en me rendant aussi hardi qu'eux, c'est-à-dire, je cède à la nécessité et je consens à faire acte de hardiesse et d'imprudence. Sont-ils Hébreux ? je le suis aussi; sont-ils Israélites? je le suis aussi; sont-ils de la race d'Abraham ? j'en suis aussi. Ils se glorifient, dit-il, et ils s'enorgueillissent de ces avantages, mais je n'en suis point dépourvu, je les possède comme eux. Il ajoute ensuite : Sont-ils ministres de Jésus-Christ? quand je devrais passer pour imprudent , je le suis plus qu'eux. (II Cor. II, 21, 22, 23.)

6. Ah ! voyez ici, mon cher frère, combien est grande la vertu de l'Apôtre; déjà il avait qualifié. et d'imprudentes les louanges qu'il s'était données par nécessité, mais peu content de ce premier acte d'humilité, il le renouvelle au moment où il va prouver qu'il surpasse infiniment ses détracteurs. C'est pourquoi, de crainte qu'on ne pense que l'orgueil le fait parler, il veut de nouveau se taxer lui-même d'imprudence. C'est comme s'il disait : Je sais bien que mes paroles en choqueront plusieurs et qu'elles paraîtront étranges dans ma bouche, mais je suis véritablement contraint de parler; veuillez donc excuser mon imprudence. Ah ! que nous sommes éloignés d'imiter même l'apparence de cette modestie ! Si, malgré tous les péchés dont nous sommes chargés, il nous arrivé de faire le moindre bien, nous ne pouvons le tenir caché,dans le trésor de notre coeur, mais nous le divulguons pour obtenir un peu de gloire auprès des hommes; et, par notre imprudente vanité, nous nous privons des récompensés célestes. Ce n'est pas ainsi qu'agissait l'Apôtre : il avoue d'abord qu'il est imprudent en disant qu'il est plus qu'eux ministres de Jésus-Christ; et puis il aborde les vertus et les mérites que ne pouvaient montrer ces faux apôtres.

Eh ! faut-il s'en étonner? Ils ne savaient que combattre la vérité, s'opposer aux progrès de l'Evangile et corrompre les esprits simples et faciles. C'est pourquoi, après avoir dit: Je suis plus qu'eux ministres de Jésus-Christ, il énumère les éclatantes preuves de sa vertu et de son courage. J'ai essuyé, dit-il, plus de travaux, j'ai reçu plus de coups, et je me suis vu plus souvent comme mort. (II Cor. XI, 23.) Que dites-vous, ô grand Apôtre ! Et cette dernière parole n'est-elle pas un vrai paradoxe? Car, est-il possible de mourir plusieurs fois? Oui, cela est possible, me répondez-vous; non, en réalité, mais par le désir et la résolution. Puis il nous apprend comment il a bravé mille fois la mort pour la prédication de l'Evangile, et comment, pour l'utilité des fidèles, le Seigneur en a délivré son invincible athlète. Je me suis vu souvent comme mort, j'ai reçu des juifs, jusqu'à cinq fois, trente-neuf coups de fouet, j'ai été battu de verges par trois fois, j'ai été lapidé une fois, j'ai fait naufrage une fois, j'ai passé un jour et une nuit au fond de la mer; souvent ,j'ai été, dans les voyages, en péril sur les fleuves, en péril parmi les voleurs et au milieu des miens, en péril parmi les païens et parmi les faux frères, en péril dans les villes, dans les déserts et sur la mer. (II Cor. XI, 24, 26.)

Ne passons point légèrement sur ces diverses circonstances, car chacune nous révèle comme un abîme de souffrances. Et, en effet, l'Apôtre ne dit pas, seulement qu'il a été une fois en péril dans un seul voyage, mais que plusieurs fois il a couru mille dangers sur les fleuves, et que toujours il ,y a déployé la plus grande fermeté. Enfin, il conclut son récit par ces paroles : J'ai été dans les travaux et les chagrins, souvent dans les veilles, dans la faim et la soif, dans les jeûnes, dans le froid et la nudité, et, en outre, j'ai les maux qui me viennent du dehors. (II Cor. XI, 27.)

7. Sondez donc, si vous le pouvez, ce second abîme de souffrances, car en disant . en outre, j'ai les maux qui me viennent du dehors, Îl nous fait entendre que ses tribulations ont été plus grandes et plus nombreuses qu'il ne l'avoue. Cependant il veut bien nous révéler quelques-unes des adversités et des conspirations auxquelles il a été exposé, en nous parlant de l'accablement quotidien où le retenait Ia sollicitude de toutes les églises. Ce zèle seul serait bien suffisant pour nous faire comprendre tout l'héroïsme de sa vertu ; car j'ai, dit-il, la sollicitude, non d'une, de deux, ou de trois églises, mais de toutes celles qui sont (64) répandues dans le monde entier. Ainsi les soins et la sollicitude de l'Apôtre embrassaient, comme les rayons du soleil, l'immensité de l'univers.

Quel cœur large ! et quelle grande âme ! Mais les paroles suivantes effacent tout le reste par leur sublimité : Qui est faible, dit-il, sans que je m'affaiblisse avec lui, et qui est scandalisé sans que je brûle ? (II Cor. II, 29.) Ah ! quelle tendresse de père pour ses enfants ! quelle charité ! quelle vigilance et quelle inquiétude ! Le coeur d'une mère souffre-t-il autant près du lit où les ardeurs de la fièvre retiennent son fils, que celui de Paul qui s'affaiblissait avec tout chrétien faible, n'importe en quel lieu il habitât, et qui brûlait avec tout fidèle qui était scandalisé ? Et en effet, considérez la force et l'énergie de l'expression; il ne dit pas : qui est scandalisé sans que je m'attriste, mais, sans que je brûle; il nous indique ainsi toute la vivacité de sa douleur; c'était comme un feu ardent qui le dévorait; telle était sa compassion pour tous ceux qui étaient scandalisés.

Mais je m'aperçois que cet entretien se prolonge indéfiniment , quoique j'eusse résolu d'être court, afin de ne pas vous aggraver la fatigue du jeûne. C'est que mon sujet m'a conduit à parler des éminentes vertus de l'Apôtre ; et alors mes paroles ont coulé comme un fleuve impétueux. Je termine donc en vous priant, mes chers frères, de vous souvenir souvent de saint Paul, et surtout de ne pas oublier qu'il était homme comme nous, et soumis aux mêmes faiblesses. Il exerçait, en outre, un métier vil et peu relevé, celui de faire des tentes, et passait une partie de sa vie dans les boutiques : et cependant, parce qu'il le voulut sincèrement, il posséda toutes les vertus et devint le temple de l'Esprit-Saint, qui le remplit de la plénitude de ses grâces. Et nous aussi, si nous voulons taire ce qui dépend de nous, nous pouvons obtenir les mêmes avantages. Car notre Dieu est généreux, et il veut que tous les hommes soient sauvés, et qu'ils parviennent à la connaissance de la vérité. (I Tim. II, 4.) Il ne nous reste donc qu'à nous rendre dignes de ses bontés, et à embrasser avec zèle, quoique un peu tard, la pratique des vertus chrétiennes. Nous devons également travailler à dompter nos passions, afin que nous devenions, comme l'Apôtre, les temples de l'Esprit-Saint. Puissions-nous y parvenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint , la gloire, l'honneur. et l'empire, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

DOUZIÈME HOMÉLIE. Sur des paroles : " Ceci est le livre de la création du ciel et de la verre, quand ils furent créés , au jour que Dieu fit le ciel et la terre. " (Gen, II , 4.)
ANALYSE.

1.- 2. Dans cette homélie saint Chrysostome reprend l'explication de la Genèse, et, de nouveau, développe sommairement l'histoire de la création. — 3. Il explique ensuite comment la terre demeure suspendue au-dessus des eaux, et il y reconnaît un acte de cette puissance divine , qui préserva de la flamme les trois jeunes Hébreux et qui dessécha la mer Rouge pour laisser passer les Hébreux. — 4. Il revient ensuite à son sujet, et traite de la formation de l'homme. — 5. Notre corps, dit-il, formé de limon et de poussière, nous doit inspirer une sincère humilité, et notre âme, créée à l'image de Dieu, mérite que nous lui conservions sa noblesse, en la maintenant toujours pure , et toujours sainte. — Nous pouvons y parvenir, si nous voulons imiter le zèle et les vertus de saint Jean-Baptiste et de saint Paul.

1. Je viens aujourd'hui remplir ma promesse, et reprendre la suite de nos précédents entretiens. Vous savez bien que telle avait toujours été mon intention, et que je me disposais à le faire, lorsque le soin de votre salut m'a obligé de traiter un sujet plus approprié à vos besoins. Et en effet, quelques-uns de nos frères prenaient occasion de leur faiblesse pour s'absenter de nos conférences spirituelles , et ils altéraient ainsi les joies de nos pieuses réunions. Je me suis donc efforcé de les ramener au bercail, par mes avis et mes exhortations, en sorte que désormais ils ne se séparent plus du troupeau de Jésus-Christ. Unis à nous par le nom et la qualité de chrétiens, ils étaient en réalité attachés aux Juifs, qui sont encore assis dans l'ombre et les ténèbres, quoique le Soleil de justice luise sur le monde. J'ai également engagé les catéchumènes qui assistent à nos réunions à se rendre dignes de la grâce du baptême , et je les conjure de secouer toute somnolence et toute paresse, afin que, par de vifs désirs et un grand empressement, ils se disposent à recevoir le don royal de la régénération. C'est ainsi qu'ils mériteront d'arriver jusqu'au Dieu qui nous accorde la rémission de nos péchés, et qui y ajoute libéralement les plus précieuses faveurs.

Je me suis encore appliqué avec un soin tout spécial à instruire ceux qui erraient touchant la célébration de la Pâque, et qui se font un grand tort en considérant ces erreurs comme peu importantes. J'ai donc placé l'appareil sur, la blessure, et j'ai prémuni nos catéchumènes contre cette fausse doctrine. Maintenant il ne me reste plus qu'à vous offrir le festin accoutumé de nos instructions. Certes je n'eusse pu, sans être vraiment répréhensible, négliger le salut de mes frères, et pour ne pas interrompre la suite de mes explications, mépriser leur faiblesse, et laisser passer le moment favorable de les reprendre. Mais aujourd'hui j'ai satisfait, selon la mesure de mes forces, à toute l'étendue de mon devoir : je leur ai distribué la parole de la doctrine; je leur ai fait connaître le trésor de la vérité, et j'ai ainsi jeté dans leurs coeurs la bonne semence. Il convient donc que j'aborde l'explication du passage de la Genèse que l'on vient de nous lire : cette explication ne pourra que vous être utile, et vous en rapporterez dans vos maisons quelques heureux fruits.

Or, voici ce passage : Ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, quand ils furent créés, au jour que Dieu fit le ciel et la terre, et, toutes les plantes des champs, quand il n'y (66) en avait point sur la terre, et toutes les herbes de la campagne, quand la terre n'en produisait point; car Dieu n'avait point encore répandu la pluie sur la terre, et il n'y avait point d'homme pour la cultiver. Mais il s'élevait de la terre une source qui en arrosait la surface. (Gen. II, 4, 5, 6.) Considérez ici, je vous le demande la sagesse admirable de l'écrivain sacré, ou plutôt celle de l'Esprit-Saint qui l'inspirait; car d'abord, il nous a raconté séparément chaque partie de la création, il nous a décrit les oeuvres des six jours, la formation de l'homme et le pouvoir que Dieu lui donna sur toutes les créatures, et maintenant il résume tout son récit en ces mots : Ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, quand ils furent créés.

Peut-être ne sera-t-il pas sans intérêt d'examiner pourquoi l'Écriture appelle la Genèse le livre de la création du ciel et de la terre, quoiqu'il comprenne tant d'autres choses. Et en effet ce livre qui raconte les vertus des anciens justes, nous instruit aussi de plusieurs points de doctrine, et en particulier de la bonté de Dieu, et de son indulgence envers le premier homme et tous ses descendants. Il traite également d'un grand nombre d'autres sujets qu'il est inutile de spécifier ici. Mais ne vous en étonnez pas, mon cher frère; car habituellement l'Écriture sainte n'entre point dans de minutieux détails. Elle se contente d'exposer sommairement les principaux faits, et abandonne le reste au zèle et aux recherches de ses lecteurs. Le passage qu'on vient de lire, en est une preuve frappante. Car après nous avoir précédemment raconté en détail toutes les oeuvres des six jours, elle n'en parle plus que pour dire en général: ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, quand ils furent créés, au jour que Dieu fit le ciel et la terre.

2. Vous voyez donc que Moïse, en ne nommant ici que le ciel et la terre, nous engage à y contempler tout l'ensemble des créatures. Et en effet il les comprend toutes sous cette désignation, tant celles qui sont dans le ciel, que celles qui sont sur la terre. Désormais il ne reprendra plus le détail de la création, et se bornera à la rappeler sommairement. C'est ainsi qu'il nomme la Genèse entière le livre de la création du ciel et de la terre, quoiqu'elle contienne beaucoup d'autres choses. Il veut donc nous apprendre à les découvrir sous ce

titre général, puisqu'en effet toutes les créatures qui existent soit dans le ciel, soit sur la terre, sont nécessairement comprises dans ce livre. Au jour, dit l'Écriture, que Dieu fit le ciel et la terre, et toutes les plantes des champs, quand il n'y en avait point sur la terre, et toutes les herbes de la campagne, quand la terre n'en produisait point. Car Dieu n'avait point encore répandu-la pluie sur la terre, et il n'y avait point d'homme pour la cultiver. Mais il s'élevait de la terre une source qui en arrosait la surface. Ces quelques paroles contiennent un trésor précieux, et je dois vous les expliquer avec beaucoup de circonspection, afin que par le secours de la grâce divine, je puisse vous faire profiter de ces richesses spirituelles.

L'Esprit-Saint qui prévoit toute la suite des siècles, a voulu dès le principe empêcher que la raison humaine ne contredît les dogmes de l'Église, et ne pervertît le véritable sens de l'Écriture. C'est pourquoi il reprend ici tout l'ordre de la création, et nous rappelle d'abord les oeuvres du premier et du second jour; et puis il nous dit comment au troisième la terre, par l'ordre du Seigneur, fit éclore ses diverses productions sans le concours du soleil qui n'existait pas, et sans l'influence de la pluie, ni le travail de l'homme. Car celui-ci n'avait pas encore été formé. Ainsi la répétition de ces détails a pour but de réprimer l'audace de nos imprudents critiques. Relisons donc ce passage : Au jour que Dieu fit le ciel et la terre, et toutes les plantes des champs, quand il n'y en avait point sur la terre, et toutes les herbes de la campagne, quand la terre n'en produisait point. Car Dieu n'avait point encore répandu la pluie. sur la terre, et il n'y avait point d'homme pour la cultiver: Mais il s'élevait de la terre une source qui en arrosait la surface.

L'Écriture nous révèle donc que soudain, à la parole et à l'ordre du Seigneur, toutes les créatures sortirent du néant, et reçurent l'existence. Alors la terre enfanta les plantes des champs, et sous ce nom sont comprises toutes ses diverses productions; mais au sujet de la pluie, la même Écriture observe que Dieu ne l'avait pas encore répandue sur la terre, c'est-à-dire qu'il ne l'avait pas encore fait tomber du haut du ciel. Enfin elle nous prouve que la terre ne devait point sa fécondité au travail de l'homme, puisqu'il n'y avait point d'homme pour la cultiver. Apprenez, nous dit-elle, et n'oubliez point quelle est l'origine de toutes (67) les productions de la terre, et ne croyez pas qu'elles soient le résultat des soins de l'homme, ni le fruit de ses travaux. La terre les a enfantées à la parole et à l'ordre du Créateur. Concluons donc que pour faire germer les herbes et les plantes, la terre n'a nul besoin du concours des autres éléments, et que le commandement du Créateur lui suffit.

Mais voici un nouveau prodige plus étonnant encore. Le même Dieu dont la parole a communiqué à la terre une si merveilleuse fécondité, et dont la puissance surpasse toute intelligence humaine, a établi au-dessus des eaux la masse immense et le poids énorme du monde. C'est ce que nous apprend le Psalmiste par ces mots : Il a étendu la terre sur les eaux. (Ps. CLXXV, 6.) L'homme peut-il percer ce mystère? Car dans la construction d'un édifice, on creuse d'abord les fondements, et si l'on rencontre quelques veines d'eaux, on les épuise avant que d'asseoir les premières assises du bâtiment. Mais le Créateur agit tout différemment pour montrer son ineffable puissance, et nous prouver qu'à son ordre les éléments produisent des effets contraires à leurs phénomènes habituels.

3. Je m explique par un exemple, afin que vous compreniez mieux ma pensée, et puis jè reprendrai la suite de mon sujet. Sans doute il est contre la nature des eaux de porter un poids aussi pesant que celui de la terre; et il est contre la nature de-la terre de reposer solidement sur un corps fluide. Mais pourquoi nous en étonner? quelle que soit en effet la créature que vous étudiez avec soin, vous y découvrirez l'action de la puissance immense du Créateur, et vous vous convaincrez qu'il gouverne toutes choses par sa volonté. Voyez le feu : cet élément dévore tout, et il consume aisément les corps les plus durs : le bois, les pierres et le fer. Mais quand Dieu l'ordonne, il ne blesse même pas les corps les plus tendres : et c'est ainsi qu'il respecta les trois jeunes hébreux dans la fournaise ardente. .(Dan. III.) Mais le prodige s'étendit encore, car cet élément privé de raison se montra envers eux plus obséquieux qu'on ne saurait le dire. Non-seulement il ne toucha pas à leur chevelure, mais il semblait encore les entourer et les presser amicalement; il retint donc son activité naturelle pour ne déployer que sa pleine et entière obéissance aux ordres du Seigneur, et il conserva sains et saufs ces admirables enfants qui marchaient au milieu des flammes avec autant de sécurité que dans une prairie émaillée de fleurs.

Au reste, afin que l'on ne crût pas que ce feu matériel fût dénué de toute action, le Seigneur voulut bien lui conserver son activité. Seulement il la suspendit à l'égard de ses serviteurs qui en triomphèrent, et qui n'en furent nullement atteints. Quant aux soldats qui avaient jeté les jeunes hébreux dans la fournaise, ils connurent combien est grande la puissance du Seigneur, car le feu exerça à leur égard toute sa violence; et le même élément, qui, au dedans de la fournaise, se courbait doucement au-dessus des trois enfants, sévit au dehors et consuma les satellites du tyran. Vous voyez donc comment Dieu change à son gré les propriétés des éléments. C'est qu'il les a créés, et qu'il en dispose selon sa volonté. Voulez-vous encore que je vous montre le même prodige par rapport aux eaux ? Le feu, je l'ai dit, respecta les trois enfants de la fournaise, et ne leur fit aucun mal. oubliant ainsi à leur égard toute sa violence, Mais il dévora leurs bourreaux, et déploya contre eux son inflexible activité; et de même les eaux de la mer submergent les uns , et se retirent devant les autres pour leur laisse: un libre passage. Je fais ici allusion d'un côté à Pharaon et aux Egyptiens, et de l'autre aux Israélites. Ceux-ci, selon l'ordre du Seigneur, et sous la conduite de Moïse, traversèrent la mer Rouge à pied sec; et ceux-là, qui voulurent avec Pharaon s'engager dans la même voie, furent engloutis sous les flots. C'est ainsi que les éléments respectent les serviteurs de Dieu, et que pour eux ils suspendent leur activité naturelle.

Instruisons-nous donc, nous, hommes irascibles et violents, et nous aussi qui, lâchement assujettis à mille autres passions, compromettons le succès de notre salut. Nous avons la raison en partage, et nous ne saurions imiter l'obéissance de ces éléments irraisonnables. Car si le feu, le plus actif et le plus violent de tous, a bien pu respecter des corps tendres et délicats, quelle sera l'excuse de l'homme qui, dédaignant les préceptes divins , refuse de dompter sa colère, et d'étouffer à l'égard de ses frères les sentiments d'un coeur ulcéré. Mais ici, ce qui est vraiment étonnant, c'est que le feu, qui brûle avec tant de violence, suspende son activité, et que l'homme, être (68) raisonnable, doux et bienveillant, agisse contre sa nature, et par sa négligence, imite dans ses mœurs la férocité des bêtes farouches.

Aussi l'Écriture, pour désigner les diverses passions qui dominent en nous, donne-t-elle à l'homme doué de raison le nom de différents animaux. C'est ainsi que, dans son langage, le mot chien indique l'impudence et la violence. Ce sont des chiens muets, et qui ne savent pas aboyer. (Is. LVI, 10.) Le cheval représente l'effervescence de la volupté : Ils sont devenus comme des chevaux qui courent et qui hennissent après les cavales : chacun d'eux a poursuivi la femme de son prochain. (Jérém. V, 8.) Quelquefois l'âne marque la grossièreté et la stupidité du pécheur : L'homme est comparé aux animaux qui n'ont aucune raison, et il leur est devenu semblable. (Ps. XLVIII, 13.) Tantôt elle nomme les hommes lions et léopards par allusion à leurs appétits féroces et voraces, et tantôt aspics à cause de leur esprit fourbe et trompeur. Leurs lèvres, dit le Psalmiste, recèlent le venin de l'aspic. (Ps. CXXXIX, 4.) Enfin elle les assimile au serpent et à la vipère, en raison du poison caché de leur malignité. Aussi. 1e saint précurseur disait-il aux pharisiens : Serpents, et race de vipères, qui vous a montré à fuir la colère qui s'approche ? (Matth. III, 7.) L'Écriture donne encore aux hommes d'autres noms, afin de caractériser leurs différentes passions, et les rappeler par une honte salutaire au sentiment de leur noblesse. Ah! Puissent-ils ne pas dégénérer de leur origine, et préférer la loi du Seigneur à ces passions criminelles qui les ont entraînés dans le péché !

4. Mais je ne sais comment je me suis écarté de mon sujet. J'y rentre donc, et j'aborde les diverses instructions que renferme le récit de l'écrivain sacré. Après avoir dit : Ceci est le livre de la création du ciel et de la terre, il nous raconte en détail la formation de l'homme; sans doute, il nous avait déjà appris que Dieu avait fait l'homme, et qu'il l'avait fait à son image; mais ici il s'exprime plus explicitement : Dieu, dit-il, forma l'homme du limon de la terre, et il répandit sur son visage un souffle de vie, et l'homme eut une âme vivante. (Gen. II, 7.) Combien ces paroles sont grandes et admirables ! et combien elles surpassent notre intelligence ! et Dieu forma l'homme du limon de la terre. En parlant de toutes les créatures visibles, je vous disais que souvent le Créateur, pour montrer sa toute-puissance, agissait contrairement aux lois de la nature, et nous trouvons la même conduite dans la création de l'homme. C'est ainsi qu'il a établi la terre au-dessus des eaux, ce qu'en dehors de la foi notre raison ne saurait concevoir. C'est ainsi encore qu'à son ordre tous les éléments produisent des effets opposés à leur nature. L'Écriture nous apprend quelque chose de semblable dans la formation de l'homme, en nous disant que Dieu le forma du limon de la terre.

Que dites-vous? quoi ! Dieu a pris un peu de terre, et en a formé l'homme l Oui, il en est ainsi; Moïse nous l'assure; et même il ne se contente pas de dire que Dieu prit de la terre, mais du limon, c'est-à-dire tout ce qu'il y a de plus vil et de plus méprisable. Véritablement, on serait tenté de taxer ce récit de fable et de paradoxe; mais dès qu'on se rappelle quel est l'auteur de ces merveilles, on les croit aisément, et l'on adore humblement la puissance du Créateur. Car si vous voulez mesurer les oeuvres divines à la faiblesse de vos pensées, et les scruter curieusement il vous paraîtra bien plus naturel qu'on forme du limon de la terre une brique ou un vase que le corps de l'homme. Vous le voyez donc, pour comprendre toute la sublimité du langage de Moïse, il nous faut le méditer attentivement, et réprimer l'infirmité de la raison. Car, l'oeil de la foi peut seul découvrir ces merveilles, quoique l'historien sacré ait proportionné sa parole à la faiblesse de notre intelligence. Et en effet, lorsqu'il nous dit que Dieu forma l'homme, et qu'il répandit sur lui un esprit de vie, ne semble-t-il pas descendre dans un détail indigne de la majesté divine? mais l'Écriture s'exprime ainsi par condescendance pour notre faiblesse, et elle s'abaisse jusqu'à la petitesse de notre esprit pour l'élever ensuite jusqu'à la sublimité de ses révélations.

Et Dieu , prenant du limon , en forma l'homme. Certes , si nous voulons la comprendre, voilà une grande leçon d'humilité. Car, si nous réfléchissons sur l'origine de l'homme l'orgueil le plus superbe s'abaisse soudain, et la pensée de notre néant nous enseigne la modestie et l'humilité. Aussi, est-ce par un effet de- sa providence à l'égard de notre salut que Dieu a inspiré à Moïse ce style et ce langage. Car déjà il avait dit que Dieu (69) avait formé l'homme à son image, et qu'il lui avait donné l'empire sur toutes les créatures visibles. Mais ici, craignant que ce même homme ne s'enflât d'orgueil, et qu'il ne transgressât les limites d'une humble dépendance, s'il ignorait entièrement son origine, l'Ecriture reprend le récit de sa création, et décrit en détail la manière dont il a été formé. Elle lui apprend donc qu'il a été formé de la terre, et de la même matière que les plantes et les animaux, au-dessus desquels il ne s'élevait que par l'âme, substance simple et immatérielle. Mais il tenait cette âme de la bonté divine, et elle était en lui le principe de la raison, et celui de son empire sur toutes les autres créatures. Malgré cette connaissance si explicite de son origine, le premier homme se laissa tromper par le serpent, et il s'imagina que lui, qui avait été formé du limon de la terre , pourrait devenir semblable à Dieu. Mais si Moïse n'eût ajouté à son premier récit des détails aussi précis, dans quelles extravagances ne serions-nous pas tombés !

5. C'est ainsi que l'histoire de notre origine est pour nous une grande leçon d'humilité. Et Dieu, dit l'Ecriture, forma l'homme du limon de la terre; et il répandit sur son visage un souffle de vie. Moïse parlait à des hommes qui n'eussent pu le comprendre, s'il ne se fût servi d'un langage aussi simple et aussi grossier. Il nous apprend donc que cet homme, formé du limon de la terre, reçut de la libéralité divine une âme essentiellement raisonnable, et qu'il devint ainsi un être parfait. Et Dieu, dit-il, répandit sur le visage de l'homme un souffle de vie. C'est ainsi qu'il désigne l'âme qui est dans l'homme, formé du limon de la terre, le principe de la vie, de l'action et du mouvement. Aussi, ajoute-t-il immédiatement: Et l'homme devint vivant et animé; cet homme, dit-il, formé du limon de la terre, reçut un esprit de vie, et devint vivant et animé. Qu'est-ce à dire, vivant et animé? C'est dire que l'homme était maître de ses actions, et qu'en lui les membres du corps étaient soumis à la volonté de l'âme.

Mais je ne sais comment nous avons renversé ce bel ordre. Hélas ! notre malice est si grande que nous forçons notre âme à obéir aux passions de la concupiscence. Cette âme née pour régner et pour commander est donc détrônée de nos propres mains, et nous la courbons sous l'esclavage des plaisirs de la chair, méconnaissant ainsi sa noblesse et son éminente dignité. Car, je vous en prie, reportez vos souvenirs sur la formation de l'homme, et demandez-vous ce qu'il était. avant que Dieu eût répandu sur lui un esprit de vie, et qu'il fût devenu vivant et animé. Il n'était qu'un corps inerte, pesant et inutile. C'est donc uniquement ce souffle de vie que Dieu répandit sur lui, qui l'éleva à l'honneur de devenir un être vivant et animé. Au reste, il est facile de le comprendre, et par ce récit de la Genèse, et par ce qui arrive chaque jour sous nos yeux. Dès que l'âme est séparée du corps, celui-ci devient un objet hideux et repoussant. Que dis-je, hideux et repoussant? il est effrayant, fétide et difforme. Et cependant, lorsque l'âme y réside, ce même corps est beau, agréable et aimable. De plus, il participe à la prudence de l'âme, et exécute ses ordres avec une rare dextérité.

Convaincus de ces vérités et pénétrés du sentiment de la dignité de notre âme, évitons tout ce qui pourrait la déshonorer. Craignons donc de la souiller par le péché, et ne la réduisons pas sous l'esclavage de la chair. Ah ! ce serait être trop cruel et trop inhumain envers une créature si élevée en noblesse et en honneur. C'est par notre âme que, malgré les entraves du corps, nous pouvons, avec une volonté ferme et le secours de la grâce, ressembler aux vertus célestes et immatérielles. Oui, quoique attachés à la terre, nous pouvons vivre en quelque sorte dans le ciel, égaler ces pures intelligences, et même les surpasser. Mais comment y parvenir? Le voici : lorsque dans un corps mortel nous réalisons une vie tout angélique, nous nous élevons devant Dieu à un degré de mérite supérieur à celui des anges, parce qu'au milieu des tristes nécessités du corps, nous conservons intacte la noblesse de notre âme.

Eh ! qui jamais, me direz-vous, est arrivé à cette perfection? je ne m'étonne pas que la chose nous paraisse impossible, tant notre vertu est faible ! mais voulez-vous vous convaincre du contraire, rappelez à votre souvenir les saints qui, depuis l'origine du monde jusqu'aux temps présents, se sont rendus agréables aux yeux du Seigneur. Faut-il nommer ici Jean-Baptiste, l'enfant de la stérilité et l'habitant du désert, ou Paul, le docteur des nations, et cette fouie innombrable d'élus qui étaient de même nature que nous, et sujets (70) aux mêmes infirmités du corps. Leurs exemples vous prouvent que cette haute vertu ne nous est pas impossible, et ils nous animent à profiter pour l'acquérir de toutes les occasions que le Seigneur nous ménage. Et en effet, il connaît notre faiblesse, et le penchant qui nous entraîne vers le mal. C'est pourquoi il nous a laissé dans les saintes Écritures des remèdes aussi efficaces qu'abondants, et il ne dépend que de nous de les appliquer sur nos blessures. De plus, il met sous nos yeux la vie des saints . comme une pressante exhortation à la vertu. Gardons-nous donc de négliger nos devoirs; mais fuyons le péché, et ne nous rendons point indignes des biens ineffables du ciel. Puissions-nous les obtenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'empire et l'honneur, maintenant, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
 

 

 

TREIZIÈME HOMÉLIE. " Or le Seigneur Dieu avait dans Éden, vers l'Orient, un jardin de délices, et il y plaça l'homme qu'il avait formé. " (Gen. II, 8.)
ANALYSE.

1. Saint Chrysostome se réjouit de l'empressement de ses auditeurs, et leur promet d'y répondre par un zèle nouveau. — 2. Il reprend ensuite brièvement le récit de la formation de l'homme; et réfute en passant l'erreur de ceux qui regardaient l’âme comme une partie de la divinité. — 3. Abordant les paroles de son texte, il dit que le mot planté qu'emploie l'Écriture, exprime qu'à l'ordre du Seigneur là terre produisit les différents arbres du jardin de délices; et il ajoute que Moïse en détermine le lieu pour confondre par avance les fables dé quelques hérétiques. — 4. Le Seigneur y plaça l'homme afin qu'il jouit de toutes ses beautés et de tous ses agréments, et il lui défendit de toucher au fruit de l'arbre de vie, pour éprouver son obéissance, et lui rappeler sa dépendance.

1. Votre empressement et votre ardeur, votre attention et votre concours me ravissent d'admiration ; aussi, malgré le sentiment de ma faiblesse, je me propose de dresser chaque jour pour vous la table d'un festin spirituel. Sans doute cette table sera pauvre et frugale; mais j'ai confiance en votre zèle, et je sais que vous écouterez ma parole avec plus de joie que l'on n'en témoigne pour un repas grossier et matériel. Ne voyons-nous pas en effet que l'appétit des convives supplée à la frugalité de la table et à la pauvreté de l'hôte, en sorte qu'un maigre repas est mangé avec grand plaisir; tout au contraire, si on n'apporte qu'un faible appétit à un somptueux festin, la variété et l'abondance des mets deviennent inutiles, parce que personne ne peut en user pleinement? Mais ici, par la grâce de Dieu , vous vous approchez de cette table spirituelle pleins de ferveur et d'une pieuse avidité , et de mon côté je ne suis pas moins empressé à vous distribuer la parole sainte , parce que je sais que vous l'entendez avec une oreille bien disposée.

Le laboureur qui a trouvé un champ gras et fertile, le cultive avec le plus grand soin; il travaille le sol , le laboure et en arrache les épines ; il l'ensemence ensuite largement, et, tout rempli de confiance et d'espoir, il attend chaque jour le développement du grain qu'il a confié à une terre féconde. Cependant, il base ses calculs sur la fertilité du sol, et s'apprête à recueillir le centuple de ce qu'il a semé. C'est .ainsi qu'en voyant chaque jour votre ferveur s'accroître, votre empressement s'augmenter (71) et votre zèle se développer, je conçois les meilleures espérances; aussi, suis-je animé d'une ardeur nouvelle pour vous instruire , afin d'avancer quelque peu votre perfection , la gloire de Dieu et l'honneur de l'Eglise. Mais rappelons d'abord, s'il vous plaît, le sujet de notre dernier entretien, et puis nous passerons à l'explication du passage qui vient d'être lu. Voici donc ce que je vous disais, et ce que je vous développais en terminant notre dernière conférence; il est nécessaire d'y revenir brièvement : et Dieu forma l'homme du limon de la terre; et il répandit sur son visage un souffle de vie, et l'homme devint vivant et animé.

Or, je vous faisais observer, comme je le fais encore en ce moment, et comme je ne cesserai de le dire, que Dieu a donné à l'homme des marques d'une bonté extrême; il s'est occupé de notre salut avec un soin tout particulier, et il a comblé l'homme des plus grands honneurs. Bien plus, sa parole et ses actes ont déclaré hautement qu'à ses yeux l'homme était au-dessus de toutes les autres créatures: aussi, ne sera-t-il pas inutile de revenir sur ce sujet; car de même que les aromates rendent plus de parfum, selon qu'on les pétrit davantage, nos saintes Ecritures offrent à nos méditations profondes et multipliées, des trésors nouveaux, et elles présentent à notre piété des richesses immenses. Et Dieu forma l'homme du limon de la terre. Remarquez ici, je vous prie, combien ce langage diffère de celui que Dieu employa pour produire les autres créatures. Il dit, selon Moïse : Que la lumière soit, et la lumière fut; que le firmament soit, que les eaux se réunissent, que des corps lumineux soient, que la terre produise les plantes, que les eaux produisent les animaux qui nagent, et que la terre enfante les animaux vivants. C'est ainsi qu'une seule parole tira du néant toutes les créatures; mais s'agit-il de l'homme, Moïse dit : Et Dieu forma l'homme; cette expression, qui se proportionne à notre faiblesse, désigne également le mode de notre création et sa supériorité sur les créations antérieures. Car, pour parler un langage tout humain, elle-nous montre le Seigneur formant de ses propres mains le corps de l'homme; aussi, le bienheureux Job a-t-il dit:Vos mains m'ont formé et elles ont façonné mon corps. (Job, X, 8.) Nul doute que si Dieu eût commandé à la terre de produire l'homme, celle-ci n'eût exécuté cet ordre, mais il a voulu que le mode même de notre création nous fût une leçon d'humilité, et que ce souvenir nous retînt dans la dépendance qui convient à notre nature. Voilà pourquoi Moïse décrit si explicitement cette création, et nous dit que Dieu forma l'homme du limon de la terre.

2. Mais observez aussi combien ce mode de création nous est honorable; car Dieu ne prit pas seulement de la terre pour en former l'homme, mais du limon, de la poussière, tout ce qu'il y a de plus vil; et c'est ce limon et cette poussière qui, à son ordre, devint le corps de l'homme. Sa parole avait précédemment tiré la terre du néant, et, alors il voulut qu'un peu de limon se changeât en le corps de l'homme. Aussi, est-ce avec délices que je répète cette exclamation du Psalmiste : Qui racontera la puissance du Seigneur, et qui publiera toutes les louanges qui lui sont dues ? (Ps. CV, 2.) Et en effet, à quel degré d'honneur n'a-t-il pas élevé l'homme formé du limon de la terre ! et de quels bienfaits ne le comble-t-il pas tout aussitôt, lui donnant ainsi des témoignages d'une bonté toute spéciale! Car, dit l'Ecriture : Dieu répandit sur le visage de l'homme un souffle de vie; et il devint vivant et animé.

Mais ici, quelques- insensés qui ne suivent que leurs propres raisonnements, qui n'ont aucunes pensées dignes de Dieu, et qui né comprennent point la condescendance du langage de l'Ecriture, osent affirmer que notre âme est une portion de la divinité. O démence ! ô folie! combien sont nombreuses les voies de perdition que le démon ouvre devant ses sectateurs ! Car, voyez par quels chemins différents ils courent tous à leur perte. Les uns s'appuient sur ce mot : Dieu répandit un souffle, et ils en concluent que nos âmes sont une portion de la divinité; et les autres disent même qu'après la mort l'âme passe dans le corps des plus vils animaux. Quelle doctrine extravagante et dangereuse ! c'est que leur raison, obscurcie par d'épaisses ténèbres, ne peut comprendre le sens de l'Ecriture; aussi, semblables à des aveugles, ils tombent tous dans différents précipices; car les uns élèvent l'âme au-dessus de sa dignité, et les autres l'abaissent au-dessous.

S'ils veulent donner à Dieu une bouche parce que l'Ecriture dit qu'il répandit un souffle de vie sur le visage de l'homme, il faut donc également qu'ils lui donnent des mains puisque la même Ecriture dit qu'il forma l'homme. Mais il vaut mieux taire de pareilles extravagances (72) que s'exposer soi-même à tenir un langage insensé; évitons donc de suivre ces hérétiques dans les sentiers multipliés de leurs erreurs et attachons-nous à l'Écriture qui s'explique par elle-même; seulement la simplicité de ses expressions ne doit point nous arrêter, parce que cette simplicité n'a pour cause que la faiblesse de notre intelligence. Eh ! comment l'oreille de l'homme pourrait-elle recueillir la parole de Dieu, si cette parole ne s'accommodait à son infirmité? Convaincus de notre impuissance et de la véracité de Dieu, nous ne devons interpréter l'Écriture que dans un sens qui soit digne de lui; c'est pourquoi il faut écarter de Dieu toute idée de membres et de formes corporelles, et ne rien imaginer qui le déshonorerait; car, il est un être simple, immatériel, et qui ne tombe point sous les sens; et si nous lui donnons un corps et des membres, nous nous engagerons soudain dans les erreurs grossières du paganisme.

Quand vous lisez donc dans l'Écriture que Dieu forma l'homme, élevez-vous jusqu'à l'idée de cette puissance créatrice qui avait dit précédemment que la lumière soit. Et lorsque vous lisez encore que Dieu répandit surie visage de l'homme un souffle de vie, pensez également que ce même Dieu qui avait créé les anges , intelligences spirituelles, voulut unir au corps de l'homme, formé du limon de la terre, une âme raisonnable qui fit mouvoir les membres de ce corps. Et en effet, on peut dire que ce corps, l'oeuvre par excellence du Seigneur ; gisait sur la terre comme un instrument qui a besoin d'être touché. Oui, il était comme une lyre qui attend une main habile ; et l'âme, en imprimant à ces membres un mouvement harmonieux, leur fait rendre des sons qui sont agréables au Créateur. Et Dieu répandit sur le visage de l'homme un souffle de vie; et l'homme devint vivant et animé. Que signifie cette parole : il répandit un souffle de vie ? Elle nous apprend que Dieu unit au corps de l'homme une âme vivante qui lui communiqua la vie et le mouvement , et qui se servit des membres de ce même corps pour exercer ses propres facultés.

3. Mais je reviens encore sur la différence qui existe entre la création des animaux et celle de cet être raisonnable que nous appelons l'homme. Au sujet des premiers, Dieu avait dit : que les eaux produisent les animaux qui nagent; et soudain les eaux enfantèrent les poissons. Et de même il avait dit : que la terre produise des animaux vivants; mais il n'en est pas ainsi de l'homme. D'abord son corps fut formé du limon de la terre, et il reçut ensuite une âme raisonnable qui lui donna la vie et le mouvement. Aussi Moïse dit-il en parlant des animaux : leur vie est dans le sang. (Lév. XVII, 11.) Notre âme au contraire est une substance spirituelle et immortelle, et elle surpasse le corps de tout l'intervalle qui sépare une pure intelligence d'un corps brut et grossier. Mais peut-être me ferez-vous cette question : si l'âme est plus noble que le corps, pourquoi a-t-il été créé le premier, et l'âme la dernière? Eh ! ne voyez-vous pas, mon cher frère, que ce même ordre a été suivi dans la création ? Car le Seigneur fit d'abord le ciel et la terre, le soleil et la lune, lés animaux et toutes les autres créatures, et il forma ensuite l'homme qui devait leur commander. C'est ainsi que dans la création de l'homme, le corps a été formé le premier et l'âme la dernière, quoiqu'elle soit plus noble et plus excellente.

Observez encore que les animaux, étant destinés au service de l'homme, devaient être créés avant lui, pour qu'il pût tout d'abord les employer. Et de même le corps fut formé avant l'âme, afin que dès l'instant où elle existerait, par un acte de l'ineffable sagesse du Seigneur, elle pût agir au moyen du corps. Et Dieu, dit l'Écriture , planta un jardin de délices, dans Eden, vers l'Orient, et il y plaça l'homme qu'il avait formé. Oh ! combien le Seigneur se montre-t-il bon et généreux envers l'homme ! il avait créé l'univers pour lui, et voici que dès le premier instant de son existence, il le comble de nouveaux bienfaits. Car c'est pour lui qu'il planta un jardin de délices, dans Eden , vers l'Orient. Mais ici, mon cher frère, si l'on n'interprétait ces paroles dans un sens digne de Dieu, on tomberait dans l'abîme de l'extravagance. Et en effet que diront ceux qui prennent à la lettre et dans un sens humain tout ce que l'Écriture dit de Dieu ? il planta un jardin de délices : eh quoi ! eut-il besoin pour embellir ce jardin de travailler la terre, et d'y employer ses soins et son industrie ? A Dieu ne plaise ! Et cette expression, le Seigneur planta, signifie seulement qu'à son ordre la terre produisit le jardin de délices que l'homme devait habiter. C'est en effet pour l'homme que ce jardin fut planté ; et l'Écriture le marque expressément. Dieu, dit-elle, planta un jardin de délices dans (73) Eden, vers l'Orient, et il y plaça l'homme qu'il avait formé.

Je remarque aussi que Moïse spécifie le lieu où ce jardin était placé, afin de prévenir les vains discours de ceux qui veulent abuser de notre simplicité. Ils nous affirment que ce jardin était dans le ciel , et non sur la terre, et nous débitent mille autres fables semblables. L'extrême exactitude de l'historien sacré n'a pu les empêcher de s'enorgueillir de leur éloquence, et de leur science toute profane. Aussi osent-ils combattre l’Ecriture, et soutenir que le paradis terrestre n'existait point sur la terre. C'est ainsi qu'ils adoptent un sens tout contraire à celui de l’Ecriture, et qu'ils suivent une route semée d'erreurs en entendant du ciel ce qui est dit de la terre. Mais dans quel abîme ne seraient-ils point tombés, si, par l'inspiration divine, Moïse n'eût employé un langage simple et familier ! Sans doute l’Ecriture interprète elle-même ses enseignements, et ne donne aucune prise à l'erreur ; mais parce que plusieurs la lisent ou l'écoutent bien moins pour y chercher la doctrine du salut que l'agrément de l'esprit, ils préfèrent les interprétations qui les flattent à celles qui les instruiraient. C'est pourquoi je vous conjure de fermer l'oreille à tous ces discours séducteurs, et de n'entendre l’Ecriture que conformément aux saints canons. Ainsi quand elle nous dit que Dieu planta à l'orient d'Eden un jardin de délices, donnez à ce mot, mon cher frère, un sens digne de Dieu, et croyez qu'à l'ordre du Seigneur un jardin se forma dans le lieu que l’Ecriture désigne. Car on ne peut, sans un grand danger pour soi et pour ses auditeurs, préférer ses propres interprétations au sens vrai et réel des divines Ecritures.

4. Et Dieu y plaça l'homme qu'il avait formé. Voyez ici combien le Seigneur honora l'homme dès le premier instant de son existence. Il l'avait créé hors du paradis , mais il l'y introduisit immédiatement, afin d'éveiller en son coeur le sentiment de la reconnaissance, et de lui faire apprécier l'honneur qui lui était accordé. Il plaça donc dans le paradis l'homme qu'il avait formé; ce mot : il plaça, signifie que Dieu commanda à l'homme d'habiter le paradis terrestre, pour qu'il goûtât tous les charmes de ce séjour délicieux , et qu'il s'en montrât reconnaissant envers son bienfaiteur. Et en effet ces bontés du Seigneur étaient toutes gratuites , puisqu'elles prévenaient dans l'homme jusqu'au plus léger mérite. Ainsi ne vous étonnez point de cette expression : il plaça, car l’Ecriture ici, comme toujours, emploie un langage tout humain , afin de se rendre plus accessible et plus utile. C'est ainsi qu'en parlant des étoiles, elle avait dit précédemment que Dieu les plaça dans le ciel. Certes, l'écrivain sacré n'a point voulu nous faire croire que les astres sont attachés fixement à la place qu'ils occupent , puisqu'ils ont chacun leur mouvement de rotation; il s'est proposé seulement de nous enseigner que le Seigneur leur ordonna, de briller dans les espaces célestes, de même qu'il commanda à l'homme d'habiter le paradis terrestre.

Et Dieu, continue l’Ecriture, fit sortir de la terre toute sorte d'arbres beaux à voir, et dont les fruits étaient doux à manger : et au milieu du jardin étaient l'arbre de vie et l'arbre de la science du bien et du mal. (Gen. II, 9.) Voici, de la part du Seigneur un nouveau bienfait qui se rapporte tout spécialement à l'homme. Il lui destinait le paradis terrestre pour habitation: aussi fit-il sortir de la terre toutes sortes d'arbres dont l'aspect était agréable à la vue, et le fruit doux au goût. Toutes sortes d'arbres, dit expressément l’Ecriture, qui étaient beaux à voir, c'est-à-dire qui réjouissaient le regard de l'homme, et dont les fruits étaient doux à manger, c'est-à-dire qui lui fournissaient une nourriture délicieuse. Ajoutez encore que le nombre et la variété de ces arbres produisaient pour l'homme des charmes nouveaux; car vous ne sauriez nommer une seule espèce qui ne s'y trouvât pas. Mais si l'habitation de l'homme était si gracieuse, sa vie n'était pas moins admirable. Il vivait sur la terre comme un ange, et quoique revêtu d'un corps il n'en souffrait point les dures nécessités. C'était le roi de la création, portant la pourpre et le diadème; et parmi l'abondance de tous les biens, il coulait dans, le paradis terrestre une douce et libre existence.

Et au milieu du jardin étaient l'arbre de vie, et l'arbre de la science du bien et du mal. Après nous avoir appris qu'à l'ordre du Seigneur, la terre produisit toute sorte d'arbres beaux à la vue et dont les fruits étaient doux au goût, Moïse ajoute : qu'au milieu du jardin étaient l'arbre de vie, et l'arbre de la science du bien et du mal. C'est que le Créateur, dans sa prescience divine, n'ignorait point que par la suite l'homme abuserait de sa liberté et de sa (74) sécurité. Aussi plaça-t-il au milieu du paradis l'arbre de vie, et l'arbre de la science du bien et du mal, parce qu'il se proposait d'en défendre l'usage à l'homme. Et le but de cette défense devait être d'abord de rappeler à l'homme que Dieu lui donnait par bonté et par générosité l'usage de tous les autres arbres, et puis, qu'il était son Maître, non moins que celui de toutes les créatures. La mention de ces deux arbres amène naturellement celle des quatre fleuves qui sortaient d'une seule et même source, et qui se divisant ensuite en quatre branches, arrosaient les diverses contrées du globe, et en marquaient la séparation.

Mais il est possible qu'ici ceux qui ne veulent parler que d'après leur propre sagesse soutiennent que ces fleuves n'étaient point de véritables fleuves, ni ces eaux de véritables eaux. Laissons-les débiter ces rêveries à des auditeurs qui leur prêtent une oreille trop crédule; et pour nous, repoussons de tels hommes, et n'ajoutons aucune foi à leurs paroles. Car nous devons croire fermement tout ce que contiennent les divines Ecritures, et en nous attachant à leur véritable sens, nous imprimerons dans nos âmes la saine et vraie doctrine. Mais nous devons également régler notre vie sur leurs maximes, en sorte que nos moeurs rendent témoignage à la sainteté de la doctrine, et que la doctrine soit elle-même la règle de nos moeurs. Et en effet il est essentiel, si nous voulons éviter l'enfer et gagner le ciel, que nous brillions de la double auréole d'une foi orthodoxe et d'une conduite irréprochable. Eh ! dites-le-moi, peut-on appeler utile l'arbre élancé qui se couvre de feuilles, et ne se couronne jamais de fruits? Ainsi sont ces chrétiens orthodoxes dans leur foi, et hérétiques dans leur conduite.

D'ailleurs Jésus-Christ ne déclare heureux que celui qui fait et qui enseigne. (Matth. V, 19.) Car l'enseignement qui repose sur les actions est bien plus sûr et bien plus persuasif que celui qui ne s'appuie que sur de vaines paroles. Et en effet, le silence et l'obscurité n'empêchent point que nos bonnes oeuvres n'édifient nos frères, soit par nos exemples, soit par le récit qui leur en est fait. De plus, nous y trouvons nous-mêmes une source de grâces parce que, selon la mesure de nos forces, nous sommes cause que ceux qui nous voient glorifient le Seigneur. C'est ainsi que les bons exemples d'un chrétien sont autant de langues qui se multiplient comme à l'infini pour remercier et louer le Dieu de l'univers. Car non-seulement les témoins de sa vie l'admirent, et glorifient le Seigneur, mais les étrangers eux-mêmes, quelle que soit la distance des lieux qui les séparent; et les ennemis, non moins que les amis, s'édifient de sa vertu, et vénèrent son éminente sainteté. Telle est en effet la puissance de la vertu, qu'elle ferme la bouche à ses plus opiniâtres contradicteurs ; et de même qu'un oeil faible ne peut supporter l'éclat du soleil, le vice ne saurait sans honte contempler la vertu en face, il est contraint de se cacher, et de s'avouer vaincu. Convaincus de ces vérités, embrassons donc le parti de la vertu, et pour mieux régler notre vie, et assurer notre salut, évitons avec soin jusqu'aux péchés les plus légers dans nos paroles et nos actions; car nous ne tomberons point en des fautes graves, si nous sommes en garde contre les moindres, et, avec le secours de la grâce, nous pourrons, en avançant en âge, avancer aussi en sainteté. C'est ainsi que nous échapperons aux peines de l'enfer, et que nous acquerrons les biens éternels du ciel, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

QUATORZIÈME HOMÉLIE. " Et le Seigneur, Dieu prit. l'homme qu'il avait formé, et le plaça dans le jardin de délices pour le cultiver et le garder. " (Gen. II. 25.)
ANALYSE.

1. Saint Chrysostome exhorte d'abord ses auditeurs à rechercher les divers sens profonds et mystérieux de l’Ecriture en leur rappelant avec quelle ardeur les plongeurs se livrent à la pèche des perlés. — 2. Puis il aborde l'explication de son texte, et observe que cette expression, le Seigneur Dieu; n'indique point, entre le Père et le Fils, comme le pensaient certains hérétiques, quelque différence d'attribut ou de souveraineté. — 3. Il remarque ensuite que le travail fut imposé à l'homme comme un préservatif contre l'oisiveté, mais que ce travail n'était qu'une douce occupation, et non une pratique. — La défense que le Seigneur fit à Adam A manger du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, avait pour objet d'exercer son obéissance et de le tenir dans la dépendance et la soumission; et quoique la femme ne fùt pas encore créée, Dieu la comprit dans cette défense, afin qu'Adam la lui fît ensuite connaître. — 4. Au sujet de la création de la femme, l'orateur observe qu'ici, comme dans la création de l'homme, Dieu s'adresse à son Fils, et qu'il révèle la dignité de la femme en disant qu'elle fut formée pour être la compagne de l'homme. — 5. Il explique ensuite comment Adam nomma les divers animaux par un acte d'autorité, ainsi qu'un maître nomme ses serviteurs, et. termine en priant ses auditeurs de garder le souvenir de ses instructions.

1. Aujourd'hui encore, si vous le trouvez bon, je reprendrai le sujet de notre dernier entretien , et je vous en développerai de nouveau la doctrine spirituelle : car le texte sacré, qui vient d'être lu, renferme de grands mystères, et il est nécessaire, pour en retirer quelque fruit, de les approfondir, et de les étudier avec attention, Les pécheurs qui s'occupent de la pêche' dés perles, ne les recueillent qu'au prix de grandes fatigues, et en bravant les flots et les abîmes de l'Océan; mais combien plus devons-nous appliquer notre esprit à sonder les profondeurs des saintes Ecritures, et à y chercher les véritables pierres précieuses. Toutefois, ne vous effrayez point, mon cher frère, lorsqu'on vous parle d'abîmes et de profondeurs : car il ne s'agit pas ici d'explorer une mer orageuse. La grâce de l'Esprit-Saint, qui nous dirige par ses divines clartés, facilite notre travail et nous le rend fructueux. Les pêcheurs de perles font rarement fortune, et souvent même cette pêche leur devient funeste et cause leur perte; du moins le plaisir du succès n'en égale jamais les suites fâcheuses, puisque la vue de ce trésor excite contre eux les regards de la cupidité, et arme le bras de l'avarice. Et, en effet, la possession de quelques perles, loin de nous être véritablement utile, ne produit trop souvent que la discorde et-la mort, car elle irrite l'avarice et enflamme la cupidité, en sorte qu'elle met en péril la vie même de celui qui a trouvé ce trésor.

Mais les pierres précieuses que renferment nos saintes Ecritures ne nous offrent aucun danger semblable ; si leur prix est au-dessus de toute estimation, la joie de les posséder est inaltérable, et bien supérieure à toutes les joies humaines; c'est ce que nous apprend le Psalmiste quand il s'écrie : Seigneur, vos paroles sont beaucoup plus désirables que l'or et les pierres précieuses. (Ps. XVIII, 11.) Mais s'il met ainsi la loi divine en regard des matières les plus estimées, il sait aussi l'apprécier bien au-dessus d'elles en disant que cette loi leur est de beaucoup supérieure : Seigneur, dit-il, vos paroles sont beaucoup plus désirables que l'or et les pierres précieuses. Certes, ce n'est point là, dans la pensée du Psalmiste, une comparaison de parfaite égalité ; mais parce que l'or et les pierreries sont parmi nous les objets les (76) plus estimés, il les indique pour marquer l'excellence de la loi divine, et nous faire connaître que nous devons désirer ces oracles de l'Esprit-Saint avec plus d'ardeur que les hommes ne recherchent l'or et les pierres précieuses. L'Écriture ne compare, en effet, les choses spirituelles aux choses sensibles qu'afin de relever l'utilité et la supériorité de ces dernières; ainsi le Psalmiste ajoute qu'elles sont plus douces que les rayons du miel. Ici encore il ne veut pas établir une comparaison exacte, ni dire que le miel et la loi divine peuvent nous causer un égal plaisir, mais c'est qu'il n'a pu trouver dans la nature d'autres objets plus propres à nous faire comprendre la douceur de cette loi. Il cite donc l'or, les pierreries et le miel pour nous faire mieux apprécier l'excellence des oracles sacrés, et nous apprendre que l'intelligence des dogmes divins apporte plus de joie que la possession de ces trésors périssables.

Dans l'Évangile Jésus-Christ emploie la même méthode; et comme un jour ses apôtres lui demandèrent l'explication de la parabole du bon grain et de l'ivraie, que l'homme ennemi avait semée parmi le froment, il daigna leur en expliquer en détail toutes les parties. Ainsi il leur, dit quel était ce champ et ce père de famille qui avait semé le bon grain, ce que, signifiait l'ivraie et quel était l'homme ennemi qui l'avait répandue; il leur dit quels étaient les moissonneurs et ce que représentait la moisson , et il termina toutes ses explications par ces mots : Alors les justes resplendiront comme le soleil dans- le royaume de leur père. (Matth. XIII, 43.) Sans doute leur éclat surpassera celui de cet astre, et néanmoins le Sauveur dit qu'ils égaleront sa splendeur, parce que la nature n'offre rien de plus brillant que le soleil. Dans ces sortes de comparaisons il faut donc bien moins s'arrêter au terme lui-même que s'en servir pour s'élever, des objets sensibles et matériels , jusqu'à l'éminente supériorité des choses spirituelles. Or, nous ne saurons jamais rechercher celles-ci avec trop d'empressement, car elles découlent de Dieu, et remplissent l'âme d'une joie ineffable: c'est pourquoi prêtez , à mes instructions , une oreille avide et attentive, afin que vous y trouviez les vrais richesses du salut, et que vous rentriez dans vos maisons tout remplis des principes de la sagesse qui est selon Dieu.

2, écoutons donc l'explication du passage de la Genèse, qui vient d'être lu, et rejetons toute pensée profane. ou indifférente; car l'Écriture est un code descendu du ciel pour notre salut. Quand on donne lecture d'un rescrit impérial, le silence le plus profond s'établit et soudain cesse le moindre bruit et la plus légère agitation ; toutes; les oreilles sont attentives et tous sont impatients de connaître les volontés du prince. Celui-là s'exposerait donc à un grand danger, qui même, par un léger bruit, interromprait cette lecture; mais l'Église nous commande une crainte bien plus respectueuse et un silence plus,profond encore. Nous devons également réprimer le tumulte des pensées profanes et étrangères , si nous voulons bien comprendre ces instructions et mériter, par notre docilité , que le Roi des cieux. nous approuve et qu'il nous récompense en nous accordant des grâces nouvelles et plus abondantes.

Mais il est temps d'entendre les instructions, que nous donne l'écrivain sacré, qui parlait bien moins de lui-même que par l'inspiration du Saint-Esprit : Et le Seigneur Dieu, dit-il, prit l'homme qu'il avait formé; il joint ensemble , dès le commencement de la phrase, les mots : Seigneur Dieu, pour nous indiquer qu'il y a ici un secret et un mystère, et que ces deux termes signifient une seule et même chose. Au reste je ne fais point cette remarque sans motif ; c'est afin qu'entendant l'Apôtre nous dire : Il n'y a qu'un seul Dieu, le Père , d'où procèdent toutes choses, et un seul Seigneur, Jésus-Christ par qui toutes choses ont été faites (I Cor. VIII, 6 ) , vous ne pensiez point qu'il existe quelque différence entre ces termes, et qu'ils marquent l'un, un caractère de supériorité, et l'autre, un caractère d'infériorité. L'Écriture les emploie donc indifféremment, et elle prévient ainsi toute dispute qui tendrait, par une fausse interprétation, à altérer nos dogmes sacrés. L'examen même du texte que je cite prouve, en effet, que l'Écriture n'attache à ces deux mots aucune signification spéciale et distincte ; car à quelle personne de la Trinité l'hérétique veut-il rapporter cette phrase : Et le Seigneur Dieu prit l’homme ? Au Père seul, soit. Mais écoutez l'Apôtre qui nous dit: Il n'y a qu'un seul Dieu, le Père, d’où procèdent toutes choses, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui toutes choses ont été faites. Ne voyez-vous pas qu'il nomme le Fils Seigneur ? et pourquoi donc dire que le mot Seigneur signifie quelque chose de plus grand que le mot Dieu ? c'est une absurdité et un affreux blasphème: mais dès que l'on s'écarte des règles d'une saine interprétation de l'Ecriture, et que l'on ne suit que son propre raisonnement , on déraisonne, et l'on soulève contre la vraie doctrine mille disputes inutiles et oiseuses.

Et le Seigneur Dieu prit l'homme qu'il avait formé, et il le plaça dans le jardin de délices, pour qu'il le cultivât et qu'il le gardât. Admirez ici les soins de la Providence à l'égard de l'homme : hier, l'écrivain sacré nous disait gaie Dieu avait planté un jardin de délices, et qu'il y avait placé l'homme pour qu'il y demeurât et qu'il y jouît de ses divers agréments; mais voici qu'aujourd'hui Moïse revient encore sur cette ineffable bonté du Créateur, et il nous (lit une seconde fois que le Seigneur Dieu prit l'homme qu'il avait formé, et qu'il le plaça dans un jardina de délices; et observez qu'il ne dit pas seulement : et Dieu le plaça dans un jardin, mais : dans un jardin de délices, pour nous faire entendre combien cette demeure était agréable. Après avoir ainsi rapporté que Dieu plaça l'homme dans un jardin de délices, il ajoute afin qu'il le cultivât et qu'il le gardât. C'est ici encore le trait d'une amoureuse Providence. Et en effet, au milieu des délices de ce jardin, où tout réjouissait sa vue et flattait ses sens, l'homme eût, pu s'enorgueillir de l'excès de son bonheur; car l'oisiveté enseigne tous les vices. (Eccli. XXXIII, 29.) Aussi le Seigneur lui commanda-t-il de cultiver ce jardin et de le garder.

Mais, direz-vous, le paradis terrestre avait-il donc besoin des soins de l'homme? Non sans doute;. et cependant, le Seigneur voulut que la garde et la culture de ce jardin offrissent à l’homme une occupation douce et modérée. Supposez-le entièrement oisif, et cette grande oisiveté n'eût pas tardé à le rendre paresseux et négligent. Une occultation douce et facile le maintenait au contraire dans une humble dépendance. Et en effet, ce mot : pour qu'il le cultivât, n'est point mis ici sans motif, et il signifie que l'homme ne devait pas oublier que Dieu était son maître, et qu'il ne lui avait donné la jouissance de ce jardin de délices qu'à la condition d'en avoir soin; car le Seigneur fait toutes choses pour l'utilité de l'homme, soit qu'il le comble de bienfaits, soit qu'il lui donne la liberté d'en abuser. Nous n'existions pas encore, que déjà son immense bonté nous avait préparé les biens ineffables du ciel. C'est ce que nous apprennent ces paroles de Jésus-Christ: Venez, les bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé avant la création du monde. (Matth. XXV, 34.) Mais, à plus forte raison, cette même bonté nous fournit-elle abondamment les biens de la vie présente.

3. Rappelons, en quelques mots, les bienfaits du Seigneur à l'égard de l'homme. D'abord il le tira du néant, et il forma son corps du limon de. la terre; il répandit ensuite sur son visage un souffle divin, et lui communiqua ainsi le don inestimable d'une âme spirituelle; enfin, il créa pour lui un jardin de délices, et il l'y plaça. Peu satisfait encore , comme un bon père qui aime son enfant, Dieu semble craindre qu'au sein d'un. entier repos et d'une pleine liberté, l'homme, jeune et inexpérimenté, ne s'enfle d'orgueil et de vanité; c'est pourquoi il songe à lui donner une occupation douce et modérée. Le Seigneur commanda donc à Adam de cultiver et de garder le paradis terrestre, afin qu'au milieu des délices de ce séjour et de la sécurité d'un paisible repos, ce double soin le retînt dans les limites d'une humble dépendance. Tels sont les premiers bienfaits que le Seigneur accorde à l'homme immédiatement après sa création; et ceux qui vont suivre n'attesteront pas moins son extrême bonté et sa souveraine bienveillance.

Or, que dit l'Ecriture? Et le Seigneur Dieu fit une recommandation à Adam. Ici encore l'écrivain sacré, selon son habitude, joint ces deux mots : Seigneur et Dieu, afin de mieux nous inculquer la vraie doctrine et confondre ceux qui, osant établir entre eux quelque distinction, attribuent l'un de ces noms au Père, et l'autre au Fils. Et le Seigneur Dieu fit une recommandation à Adam. Quel trait de bonté dans ce seul mot : Dieu fit une recommandations! Qui ne l'admirerait! et quelle parole pourrait dignement l'exprimer! Car voyez comme, dès le principe, Dieu respecte la dignité de l'homme : il ne lui intime ni un ordre absolu, ni un commandement exprès; mais il lui fait une simple recommandation. Comme un ami traite avec son ami d'une affaire importante, ainsi le Seigneur traite avec Adam. On dirait qu'il veut l'engager, par un sentiment d'honneur, à se montrer soumis et obéissant.

78

Et le Seigneur Dieu fit une recommandation à Adam, et il lui dit: mangez de tous les fruits des arbres du paradis; mais ne mangez point du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, car le jour même où vous en mangerez, vous mourrez très-certainement. (Gen. II, 17.) L'observation de ce précepte était bien facile. Mais, comprenez, mon cher frère, combien la paresse est un grand mal : elle rend difficiles les choses les plus aisées; et au contraire, l'ardeur et l'activité rendent aisées les choses les plus difficiles. Eh ! dites-le moi, Dieu pouvait-il faire à l'homme une recommandation plus simple et plus facile, et pouvait-il le combler de plus d'honneur ! Il lui permettait d'habiter le paradis terrestre et de récréer ses regards par la beauté des objets qu'il renfermait. Combien douce et agréable était cette vue, et combien exquis les fruits dont il se nourrissait l Et en effet, quel plaisir de voir la fertilité des arbres fruitiers, la variété des fleurs, la diversité des plantes, le feuillage qui pare les arbres comme d'une belle chevelure, et ces mille autres beautés que renfermait vraisemblablement un jardin que Dieu lui-même avait planté. C'est ce que l'Ecriture nous a précédemment insinué quand elle nous a dit que Dieu fit sortir de la terre toute sorte d'arbres beaux à voir, et dont les fruits étaient doux à manger. Aussi pouvons-nous comprendre combien a été coupable la négligence et l'intempérance de l'homme qui, au sein d'une telle abondance, transgressa le commandement du Seigneur.

Représentez-vous l'honneur et la dignité dont le Seigneur environna le premier homme. II le plaça dans le paradis terrestre et lui dressa une table séparée et particulière, afin qu'il ne pût même soupçonner que le Créateur lui avait destiné la même nourriture qu'aux animaux. Mais il était comme le roi de la nature, et il jouissait dans le paradis terrestre de mille délices; il avait aussi, en sa qualité de maître des animaux, une demeure séparée et une habitation meilleure. Et le Seigneur Dieu fit une recommandation à Adam et il lui dit : mangez de tous les fruits des arbres du paradis; mais ne mangez point du fruit de l'arbre de la science du bien et du mal, car le jour même où vous en mangerez, vous mourrez certainement. C'est comme s'il lui eût dit : est-ce que je vous impose une obligation grave et difficile? non sans doute, puisque je vous abandonne les fruits de tous les arbres, à l'exception d'un seul; et si je sanctionne ma défense par la menace des plus terribles châtiments, c'est pour que du moins la crainte vous retienne dans l'obéissance. Le Seigneur en usait donc envers le premier homme, comme un maître généreux et magnifique qui nous céderait un superbe. palais, à la condition que nous reconnaîtrions son droit de suzeraineté pour une modique redevance; et de même le Seigneur, toujours bon et miséricordieux, permit à Adam l'usage des fruits de tous les arbres, et n'en excepta qu'un seul, afin de lui rappeler qu'il dépendait de Dieu et qu'il devait obéir à tous ses commandements.

4. Mais qui pourrait dignement, exprimer, combien fut grande alors la bonté du Seigneur l Adam ne pouvait encore présenter aucun mérite, et quelles faveurs néanmoins ne reçut-il pas ! Car ce n'est ni. la moitié des fruits que le Seigneur lui abandonne, ni un grand nombre d'arbres qu'il se réserve, en lui permettant l'usage des autres ; il veut au contraire qu'il mange de tous les fruits des arbres du paradis, et s'il en excepte un seul, c'est uniquement pour que l'homme le reconnaisse comme l'auteur et le principe de tous ces biens. Considérez encore ici quelle fut envers la femme la. bonté du Seigneur, et de quels honneurs il la combla. Elle n'existait pas encore, et déjà il la comprenait dans ce commandement : Ne mangez pas de ce fruit, car au jour où vous en mangerez vous mourrez certainement. Ainsi dès le commencement Dieu déclare que l'homme et la femme ne sont qu'un, et que l'homme, selon la parole de l'Apôtre, est le chef de la femme. (Eph. V, 23.) Il s'adresse donc à tous deux, afin que plus tard, lorsque la femme aura été formée de l'homme, elle reçoive de celui-ci la connaissance de cette défense.

Je n'ignore point les questions que l'on propose d'ordinaire touchant cet arbre, ni les objections de certains hérétiques qui parlent avec une téméraire audace, et qui s'efforcent de rejeter sur Dieu le péché de l'homme. Pourquoi, disent-ils, le Seigneur a-t-il fait cette défense, sachant bien que l'homme ne la respecterait pas? Pourquoi encore a-t-il planté cet arbre dans le paradis? La réponse à ces questions et à beaucoup d'autres m'entraînerait à parler avant le temps de la faute originelle, et il vaut mieux attendre que le récit de Moïse nous y conduise. Quand nous serons donc arrivés à cet endroit de la Genèse, je vus dirai plus à propos ce que m'inspirera la grave divine pour (79) vous développer le véritable sens de l'Écriture. Vous acquerrez ainsi la vraie connaissance des choses, et vous rendrez à Dieu la gloire qu'il mérite sans lui imputer une faute dont l'homme seul est coupable. C'est pourquoi abordons, si vous le voulez bien, l'explication des versets qui suivent immédiatement.

Et le Seigneur Dieu dit : il n'est pas bon que l'homme soit seul. L'Écriture répète ici cette expression qu'elle a déjà employée : le Seigneur Dieu, afin que nous la retenions bien, et que nous ne préférions pas à ses enseignements-là nos vaines interprétations. Et le Seigneur Dieu dit: il n'est pas bon que l'homme soit seul. Voyez comme le Dieu bon ne cesse d'accumuler sur l'homme bienfaits sur bienfaits, et comme dans sa généreuse libéralité il entoure de nouveaux honneurs cet être doué de raison. Son but est de lui rendre la vie plus douce et plus agréable. Et le Seigneur Dieu dit : il n'est pas bon que l'homme soit seul; faisons-lui une aide semblable à lui. Ici Dieu emploie pour la seconde fois cette expression : faisons. Au moment de créer l'homme, il avait dit : faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance ; et sur le point de former la femme , il dit également : faisons. Mais à qui adresse-t-il cette parole ? Certes ce n'est point à quelque puissance créée, mais à celui qu'il a engendré, à ce fils unique qui est l'ange du grand conseil et le prince de la paix. Et afin qu'Adam sût que la femme qui allait être formée lui serait égale en dignité , Dieu répète les mêmes termes qu'il avait employés pour sa création, et dit : faisons à l'homme une aide qui lui soit semblable.

Ces deux mots aide et semblable renferment un sens qu'il faut peser mûrement. Je ne veux pas, dit le Seigneur, que l'homme soit seul, et il convient de lui donner une compagne qui le console, et qui lui vienne en aide. Telle est la mission de la femme. Aussi après avoir dit faisons-lui une aide , il ajoute immédiatement : " qui soit semblable à lui. " Or cette dernière parole ne doit point s'entendre des animaux, ni des oiseaux que le Seigneur va amener devant Adam. Et en effet, quoiqu'ils lui soient d'un grand secours dans ses travaux, ils sont privés de raison, et par conséquent bien inférieurs à la femme qui en est douée. Aussi l'écrivain sacré rapporte d'abord cette parole une aide semblable à lui, et puis il ajoute : le Seigneur après avoir formé de la terre tous les animaux de la terre et tous les oiseaux du ciel, les fit venir devant Adam, afin qu'Adam vît comme il les nommerait; et le nom qu'Adam donna à chaque animal est son propre nom. Tout ceci ne fut pas fait au hasard , mais en prévision de l'avenir. Car Dieu, qui n'ignorait pas que bientôt l'homme deviendrait prévaricateur, a voulu par là nous montrer de quels trésors de science il l'avait enrichi en le créant. Aussi lorsqu'Adam viola le commandement du Seigneur, gardons-nous bien de penser qu'il pécha par ignorance, tandis qu'il agit sciemment et par malice.

5. Le récit de Moïse nous révèle en effet combien était étendue la science du premier homme. Le Seigneur, dit-il, fit venir devant Adam tous les animaux, afin qu'Adam vît comme il les nommerait. Dieu en agit ainsi pour lui donner occasion de faire usage de ses vastes connaissances. Aussi l'Écriture ajouta-t-elle que le nom qu'Adam donna à chaque animal est son propre nom. Mais ici, outre la science d'Adam, nous voyons dans cette imposition du nom une preuve de son domaine sur les animaux. Car c'est ainsi, qu'en signe de son autorité, un maître change le nom de l'esclave qu'il achète. Le Seigneur amena donc à Adam tous les animaux afin qu'il les nomma comme étant leur maître. Ne passez pas légèrement sur ce fait, mon cher frère; mais considérez combien devait être vaste et profonde la science d'Adam pour qu'il donnât un nom propre et convenable aux oiseaux et aux reptiles, aux bêtes féroces et aux animaux domestiques ou sauvages, aux poissons qui vivent dans les eaux et aux insectes que produit la terre. L'Écriture nous dit en effet que le nom qu'Adam donna à chaque animal, est son propre nom.

N'est-ce pas ici un acte formel de puissance et de suprême autorité? Mais observez encore que les lions et les léopards, les vipères et les scorpions, les serpents et tous les monstres s'étant présentés humblement devant Adam pour rendre hommage à son empire, et en recevoir un nom, celui-ci n'en parut nullement effrayé. Evitons donc d'accuser le Dieu qui ses a créés, et de proférer contre lui , ou plutôt contre nous-mêmes cet imprudent blasphème pourquoi Dieu a-t-il créé ces animaux ? Car tous alors, les bêtes féroces comme les animaux domestiques, reconnurent leur dépendance; et Adam, en leur donnant un nom, fit (80) manifestement acte d'autorité. Or ils conservent aujourd'hui encore le nom qu'il leur imposa, et Dieu l'a permis, afin de perpétuer le souvenir des faveurs dont il avait comblé l'homme. Aussi, en voyant que dans le principe les animaux lui étaient soumis , ne pouvons-nous attribuer à une autre cause qu'à son péché l'affaiblissement et presque la ruine de ce souverain domaine.

Et Adam donna leurs noms aux animaux domestiques, aux oiseaux du ciel, et aux bêtes sauvages. Ces paroles nous apprennent, mon cher frère, combien grande était dans Adam la liberté de la volonté, et l'étendue de la science. Ainsi nous ne saurions dire qu'il ne connaissait pas le bien et le mal. Car n'était-il pas profondément instruit et savant celui qui put donner un nom propre et convenable aux animaux domestiques, aux oiseaux du ciel et aux bêtes sauvages , sans confondre les espèces, et sans imposer aux animaux domestiques des noms qui eussent convenus aux bêtes sauvages, ou à celles-ci des noms qui eussent convenu aux premiers? Conjecturez de là quelle est la puissance de ce souffle de vie que le,Seigneur répandit dans l'homme, et quelle est la science de cette âme spirituelle qu'il lui donna. Et en effet, l'homme est un animal raisonnable, qui se compose de deux natures, d'une âme spirituelle, et d'un corps matériel. Or celui-ci est, par rapport à l'âme, comme un instrument entre les mains d'un excellent artiste. Mais en considérant l'excellence d'un être si parfait, admirez la sagesse du Créateur. Oui, si la beauté des cieux, quand on y réfléchit attentivement, nous porte à célébrer les louanges d'un Dieu créateur, combien plus encore l'étude de l'homme, doué de raison, comblé d'honneurs dès le premier instant de sa création , et enrichi des dons les plus merveilleux, ne doit-elle pas nous exciter à célébrer par de continuelles louanges l'Auteur de ces merveilles, et à rendre gloire à Dieu selon nos forces !

Je voudrais aborder l'explication des versets suivants, mais je crains d'avoir déjà, par ce long entretien, fatigué votre attention; aussi vaut-il mieux ne pas le prolonger. Car l'important n'est pas que je vous dise beaucoup de choses, mais que vous reteniez ce que je vous dis ; il ne suffit même pas que vous sachiez pour vous seuls le sens des saintes Écritures; mais il faut encore que vous puissiez le faire connaître à vos frères et le leur expliquer. Je vous engage donc à vous entretenir, au sortir de cette assemblée, du sujet que je viens de traiter, et à vous communiquer mutuellement vos souvenirs. Ce sera un excellent moyen de vous rappeler l'ensemble: et le détail de cet entretien, en sorte qu'arrivés dans vos maisons, vous pourrez en méditer la céleste doctrine. D'ailleurs, cette attention à écouter la parole divine, et cette application à la méditer, vous faciliteront les moyens de calmer le tumulte de vos passions, et d'éviter les embûches du démon.

Et en effet, quand cet esprit mauvais voit une âme tout occupée des choses de Dieu, et comme tout absorbée en de saintes pensées, il n'ose s'en approcher, et il s'en éloigne promptement. Car l'action de l'Esprit-Saint en cette âme est un feu qui le met en fuite. Appliquons-nous donc à ce pieux exercice, afin d'en retirer de si précieux avantages, de vaincre l’ennemi de notre salut, et de mériter des grâces plus abondantes. Par là tout nous succédera heureusement, les difficultés s'aplaniront, le mal lui-même se changera en bien, et les, malheurs de la vie présente ne pourront nous attrister. Car si nous nous occupons exclusivement des choses de Dieu, il prendra soin lui-même de notre existence. Sous sa conduite nous traverserons sans naufrage la mer orageuse de ce monde, et sa main nous dirigera heureusement vers le port du salut. C'est à lui seul qu'appartiennent la, gloire et l'empire, maintenant et .toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

 

QUINZIÈME HOMÉLIE. " Mais il ne se trouvait point pour Adam d'aide semblable à lui : Dieu envoya donc à Adam un profond sommeil ; et pendant qu'il dormait, Dieu prit une de ses côtes et mit de la chair en sa place. Et Dieu produisit la femme de la côte qu’il avait ôtée à Adam. " (Gen. II, 21, 22.)
ANALYSE.

1. Saint Chrysostome, après avoir félicité ses auditeurs de leur zèle à entendre la parole divine, preuve l'excellence de la femme par ces paroles : " Il ne se trouvait point pour Adam d'aidé semblable à lui ; " et il en fait ressortir sa supériorité sur les animaux qui ne sont que les serviteurs de l'homme, tandis que la femme est sa compagne. — 2. Il explique ensuite le sommeil mystérieux envoyé à Adam, et la manière dont le Seigneur forma la femme. — 3. Le mode seul de cette formation montre, selon la parole de l'Apôtre, que la femme a été créée pour l'homme; aussi en la voyant. Adam s'écria-t-il par suite d'une révélation prophétique : " Voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! " — 4. L'orateur explique ensuite comment Adam et Eve ne rougissaient pas de leur nudité en disant qu'ils étaient revêtus d'innocence et de- pureté, et que leur vie, avant le péché, était tout angélique. — 5. En terminant, il ramène l'attention de ses auditeurs à la manière, dont ils ont passé la première moitié du carême, et les engage à éviter les différents péchés qui se commettent par la langue.

1. Je vous suis bien reconnaissant de ce que trier vous m'avez écouté avec tant de bienveillance. La longueur de notre entretien n'a point paru vous fatiguer, et votre attention s'est soutenue depuis le commencement jusqu'à la fin. Aussi suis-,fie fondé à espérer que vous mettrez mes conseils en pratique. Car celui qui écoute 7a parole sainte avec tant de plaisir témoigne bien qu'il veut y conformer sa conduite; et `d'ailleurs le nombreux concours de ce soir suffirait seul pour me garantir vos heureuses dispositions. Un bon appétit est un signe de bonne santé, et de même la faim de la parole divine est l'indice d'une âme très-bien disposée. Mais puisque votre zèle me promet des fruits abondants, et qu'il me garantit que vous vous conformerez à mes enseignements , comment ne pas vous donner, mes chers frères, la récompense que je vous promis hier ? J'entends cette doctrine spirituelle que je vous distribue sans m'appauvrir, et qui néanmoins vous rend plus riches. Telle est en effet la nature des biens spirituels , qui sous ce rapport sont fort différents des biens temporels. Car à l'égard de ces derniers, on ne saurait en être prodigue,ni enrichir les autres qu'à ses dépens ; ici au contraire on augmente ses propres trésors en les distribuant , et l'on multiplie les richesses de ses frères.

De mon côté , je suis tout disposé à vous communiquer ces biens spirituels, et du vôtre les âmes s'ouvrent et se dilatent pour les recevoir; il faut donc que je vous donne de ma plénitude, et que je m'acquitte de ma dette en vous expliquant les versets de la Genèse qui viennent d'être lus. Oui je veux , mes chers frères en faire le sujet de cet entretien, en rechercher avec soin le sens caché , et vous enrichir de leurs abondants trésors. L'Ecriture nous dit : Mais pour Adam il ne se trouvait point d'aide qui lui fût semblable; que signifie cette parole, mais pour Adam ? et pourquoi employer ici cette conjonction? ne suffisait-il pas de dire : pour Adam il ne se trouvait pas d'aide ? ce n'est point sans raison , ni par simple curiosité que j'entre dans ce détail, et je me propose de vous apprendre par ce minutieux examen due dans l'Ecriture il ne faut passer légèrement ni sur un mot, ni sur une syllabe. Car ce ne sont point ici (82) des paroles jetées au hasard, mais le langage de l'Esprit-Saint. Aussi peut-on y découvrir de précieux trésors même sous une seule syllabe. Veuillez donc, je vous en conjure , m'écouter avec soin , et ne faites paraître ni lâcheté, ni nonchalance. Soyez au contraire attentifs, et ne vous laissez point distraire par les préoccupations des affaires, ou les soucis des choses temporelles. Car chacun doit être touché de la dignité de cette sainte assemblée , et ne pas oublier que c'est Dieu lui-même qui nous parle par la bouche de son prophète. Ainsi qu'en vous l'oreille et l'esprit soient ouverts et éveillés afin que vous ne perdiez pas un seul mot, et que la semence de la parole divine ne tombe point sur la pierre, ou le long du chemin, ni parmi les épines. Puisse-t-elle au contraire se répandre sur une bonne terre ! je veux dire en des coeurs bien préparés, alors elle se multipliera et vous produira des fruits abondants.

Expliquons donc le sens de cette phrase : Mais pour Adam, il ne se trouvait point d'aide qui lui fût semblable; et voyez d'abord avec quelle exactitude s'exprime la sainte Écriture ! Après nous avoir dit: Mais pour Adam, il ne se trouvait point d'aide, elle poursuit et ajoute ces mots : qui lui fût semblable. Cette addition nous fait comprendre le sens de la conjonction. Je pense que , parmi vous , quelques esprits plus éclairés devinent presque ce que je vais dire ; mais il est de mon devoir d'instruire tous mes auditeurs, et de me faire comprendre de chacun d'eux. C'est pourquoi je vous expliquerai les raisons qu'a eues Moïse de parler ainsi, mais il faut un peu de patience. Vous vous souvenez que l'écrivain sacré a précédemment rapporté cette parole du Seigneur : Faisons à Adam une aide qui lui soit semblable, et qu'ensuite il est revenu sur la création des bêtes, des reptiles et de tous les animaux. Et Dieu, dit-il, avait formé de la terre tous les animaux et tous les oiseaux du ciel, et il les fit venir devant Adam, afin qu'Adam vît comment il les nommerait. Ainsi Adam leur imposa à tous un nom, comme étant le maître de tous ; et selon la sagesse qu'il avait reçue du Seigneur, il donna aux bêtes féroces , aux oiseaux et aux animaux domestiques, le nom qui est resté leur propre nom. Mais quoique les animaux servent aux usages de l'homme , et qu'ils lui aident dans ses travaux, néanmoins par cela seul qu'ils sont privés de raison, ils lui sont bien inférieurs. C'est pourquoi nous ne saurions penser que c'est d'eux que le Seigneur a voulu parler quand il a dit: faisons une aide à Adam.

Sans doute les animaux nous prêtent leur secours, et ils nous sont utiles en bien des choses; -mais ils n'en sont pas moins privés de raison. Qu'ils nous soient utiles , l'expérience le prouve, car nous employons les uns à tirer des fardeaux et les autres à cultiver la terre. Ainsi le boeuf traîne la charrue, ouvre les sillons et opère les divers travaux de l'agriculture. L'âne est très-propre à porter des fardeaux, et la plupart des autres animaux servent aux besoins de notre existence. La brebis nous donne la laine pour nous vêtir, et le poil de la chèvre se prête à mille usages; de plus elle nous nourrit de son lait. Ainsi, pour que nous ne puissions appliquer aux animaux cette parole : faisons à Adam une aide, l'écrivain sacré commence son récit par ces mots : Mais pour Adam il ne se trouvait point d'aide qui lui fût semblable. C'est comme s'il nous disait: tous les animaux ont été créés pour le service de l'homme, et ils ont reçu de lui leur nom, mais aucun n'est digne d'être son aide. Aussi voulant nous raconter la formation de la femme, a-t-il soin d'introduire le Seigneur qui prononce cette parole : faisons à Adam une aide qui lui soit semblable, qui soit digne de lui, produite de la même substance et son égale. C'est pourquoi Moïse dit : Mais pour Adam il ne se trouvait point d'aide qui lui fût semblable; et il nous indique par là que quelque grands que soient à l'égard de l'homme les services des animaux , l'aide de la femme sera pour Adam bien plus excellente en toutes manières.

2. Aussi n'est-ce qu'après avoir. créé tous les animaux, et les avoir conduits au premier homme pour qu'il leur donnât un nom , que Dieu s'occupe de lui former une aide qui lui soit semblable. Déjà l'homme avait été le but de toute la création, et il avait produit pour lui toutes les créatures. Mais Dieu voulut alors y ajouter l'aide de la femme, et observez ici avec quelle précision de détails l'Écriture décrit la formation de la femme. Elle nous avait déjà appris que le Seigneur se proposait de donner à l'homme une aide qui lui fût semblable, car elle nous avait rapporté cette parole : faisons à Adam une aide selon lui; et encore celle-ci : Mais pour Adam il ne se trouvait point d'aide (83) qui lui fût semblable. Maintenant elle va nous apprendre que Dieu forma la femme de la substance même de l'homme. Et le Seigneur Dieu, dit-elle, envoya à Adam un profond sommeil, et pendant qu'il dormait, il prit une de ses côtes et mit de la chair à la place. Et le Seigneur Dieu produisit la femme de la côte qu'il vivait ôtée à Adam et l'amena devant Adam. (Gen. 21, 22.) L'énergie de ces paroles est grande, et elles surpassent l'intelligence de l'homme. C'est pourquoi l'on ne saurait les comprendre qu'en les approfondissant avec l’oeil de la foi.

Dieu, dit Moïse, envoya à Adam un profond sommeil , et pendant qu'il dormait. Quelle exactitude de doctrine et quelle sublimité de langage ! L'écrivain sacré, ou plutôt l'Esprit-Saint, par sa plume, nous apprend ici deux choses, le profond sommeil d'Adam , et les suites de ce sommeil. Mais ce sommeil ne ressemblait en rien au sommeil ordinaire. Car le Dieu créateur, sage et puissant, voulait éviter qu'Adam ressentît la moindre douleur , de crainte que ce souvenir pénible ne l'aigrît contre la femme qui devait être formée d'une de ses côtes. C'est pourquoi il lui envoya un profond sommeil, ou plutôt un profond assoupissement qui le priva de l'usage de ses sens. Alors, le Seigneur, comme un habile ouvrier, ôta à Adam une de ses côtes, mit de la chair en sa place, et de la côte enlevée forma dans sa bonté le corps de la première femme. Il envoya donc à Adam un profond sommeil, et pendant qu'il dormait, il lui enleva une de ses côtes, et il prit de la chair à la place. C'était pour qu'à son réveil Adam ne s'aperçût pas de ce qui était arrivé. Car il devait plus tard en être instruit, quoique dans le moment même il n'en eût aucune connaissance. Aussi le Seigneur disposa-t-il toutes choses afin de lui ôter tout sentiment de douleur et de tristesse. Il enleva donc une de ses côtes sans qu'il en ressentît aucune souffrance, et il mit de la chair à la place, pour qu'il ne s'aperçût de rien. Or c'est de cette côte que Dieu forma la femme. Récit admirable, et qui surpasse de beaucoup l'intelligence de l'homme. Au reste, tel est le caractère de toutes les oeuvres de Dieu; et ce n'est pas ici un moindre miracle que d'avoir formé Adam d'un peu de poussière et de boue.

Mais observez encore comme l'Écriture s'accommode à notre faiblesse. Et Dieu, dit-elle; prit une des côtés d'Adam, Gardons-nous bien d'interpréter ces paroles d'une manière toute humaine, et ne voyons, dans leur humble simplicité, qu'une pure condescendance envers notre infirmité. Car si l'Écriture ne se fût ainsi exprimée, comment aurions-nous pu comprendre ces profonds mystères? Arrêtons-nous donc bien moins au sens littéral, qu'à des pensées dignes de Dieu. Ainsi cette parole : Et Dieu prit et toute autre semblable ne sont que pour se proportionner à notre faiblesse. Au reste, l'Écriture emploie ici les mêmes expressions dont elle s'était servie en parlant d'Adam. Elle avait dit précédemment : Le Seigneur Dieu prit l'homme; le Seigneur Dieu fit à Adam ce commandement; et encore Le Seigneur Dieu dit : raisons-lui une aide qui lui soit semblable. De même ici elle dit : Le Seigneur Dieu forma la femme de la côte qu'il avait ôtée à Adam; et un peu auparavant elle avait dit : Et le Seigneur Dieu envoya à Adam un profond sommeil. Ainsi ces expressions n'indiquent aucune différence entre le Père et le Fils, et l'Écriture les emploie indifféremment, parce que ces deux personnes divines n'ont qu'une seule et même nature. Aussi retrouvons-nous la même façon de s'exprimer quand il s'agit de la formation de la femme : Et le Seigneur Dieu forma la femme de la côte qu'il avait ôtée à Adam.

Que diront ici les hérétiques, qui veulent tout examiner curieusement, et qui se flattent de connaître même la génération du Créateur? Mais quelle parole expliquerait ce mystère ! et quelle intelligence pourrait le comprendre : Le Seigneur, dit l'Écriture, prit une des côtes d'Adam, et de cette seule côte il forma la femme tout entière. Eh ! pourquoi ne parler que de ce second miracle ? Car dites-moi d'abord comment Dieu ôta cette côte, et comment Adam ne ressentit aucune douleur ? Ce sont autant de mystères que vous ne sauriez expliquer, et que le Créateur seul qui les a opérés peut comprendre. Mais puisque nous ne pouvons concevoir des choses qui sont sous nos yeux, ni comprendre la création de la femme qui a été formée de la substance de l'homme, il n'appartient qu'au délire et à la folie de rechercher curieusement l'essence du Créateur, et de se vanter d'en avoir l'intelligence. Les esprits célestes ne peuvent eux-mêmes sonder cet abîme, et ils se contentent de glorifier le Seigneur avec crainte et tremblement.

3. Et le Seigneur Dieu produisit la femme (84) de la côte qu'il avait ôtée à Adam. Admirez l'exactitude de l'Ecriture ! Elle ne dit pas, Dieu forma, mais produisit, parce qu'il prit une portion d'une chair déjà formée, et qu'il ne fit que l'augmenter, Dieu produisit donc la femme, non par l'acte d'une création nouvelle, mais en ôtant à Adam une portion de chair, et produisant de cette faible portion un être complet en toutes ses parties. Combien donc est grande la puissance du Créateur qui, avec si, peu de matière, a formé les membres souples et élégants de la femme, et a produit cet être si parfait, qui est doué d'une exquise sensibilité et qui procure à l'homme une douce société et une grande consolation! Car c'est pour la consolation de l'homme (lue la femme a été formée; aussi l'Apôtre dit-il que l'homme n'a pas été créé pour la femme, niais la femme pour l'homme. (I Cor. II, 9.)

Voyez donc comment toutes choses sont faites pour l'homme ! L'univers était créé, ainsi que les animaux qui devaient servir à sa nourriture, ou l'aider en ses travaux ; mais il lui manquait une compagne qui pût converser avec lui, et qui étant de la même nature, pût embellir son existence. C'est pourquoi Dieu prit une de ses côtes, et par un acte de sa suprême sagesse en forma un être doué de raison, en tout semblable à l'homme, et capable de lui venir en aide dans les besoins, comme dans les douceurs de la vie. Or c'est Dieu lui-même qui dans son infinie sagesse a ainsi disposé et arrangé toutes ces choses, et quoique notre esprit soit trop faible pour les comprendre; nous ne laissons pas de les croire, parce que tout est soumis à sa volonté et à son commandement.

Et le Seigneur Dieu produit la femme de la côte qu'il avait ôtée à Adam, et il l'amena devant Adam. Comme la femme n'avait été formée que pour Adam, le Seigneur la lui amène, et semble lui dire : La création entière ne pouvait vous offrir une aide qui vous fût semblable, aussi vous avais-je promis une compagne digne de vous. J'acquitte aujourd'hui ma promesse en vous présentant ce nouvel être parfait et accompli. Le Seigneur amena donc la femme devant Adam, et Adam dit: Voilà maintenant l'os de mes os, et la chair de ma chair. Cette parole nous montre qu'Adam reçut alors de Dieu l'esprit de prophétie, de même qu'il en avait reçu le don admirable de la science. Ce fut en effet par suite de ce don qu'il imposa à chacune des espèces si nombreuses des animaux leur nom propre et véritable. Mais ici l'écrivain sacré a eu bien soin de nous avertir qu'Adam avait été plongé dans un profond assoupissement, en sorte qu'il n'avait eu aucune sensation de ce qui s'était passé en lui. Aussi, lorsqu'à la vue de la femme il se montre instruit de tout, nous ne pouvons douter qu'il n'ait reçu l'esprit prophétique, et qu'il n'ait parlé par l'inspiration du Saint-Esprit.

Adam ignorait humainement la création de la femme, et cependant dès que Dieu la lui amène, il dit : Voilà maintenant l'os de mes os, et la chair de ma chair. Un autre interprète, au lieu du mot, maintenant, écrit une fois; comme si Adam eût déclaré que pour cette fois-ci seulement la femme était formée de cette manière , et que ce mode de génération ne se renouvellerait plus. C'est comme s'il eût dit : maintenant la femme a été formée de l'homme, mais dorénavant l'homme naîtra de la femme, ou plutôt de l'union des deux sexes. Car, dit l'Apôtre, l'homme n'a point été tiré de la femme, mais la femme a été tirée de l'homme; et l'homme n'a pas été créé pour la femme, mais la femme l'a été pour l'homme. (I Cor. II, 8, 9.) Eh! direz-vous en m'interrompant, ces paroles montrent que la femme est formée de l'homme. Attendez donc un peu, et admirez avec quelle exactitude s'exprime l'Apôtre. Cependant, continue-t-il, ni l'homme n'est point sans la femme, ni la femme sans l'homme (Ibid. 2), voulant dire que depuis la formation de la première femme, et l'homme et la femme naissent de la même manière, par. l'union des sexes. Tel .est le sens de cette parole qu'Adam dit de la femme : Voilà maintenant l'os de me os, et la chair de ma chair.

4. Mais voulez-vous mieux connaître encore la certitude de cette prophétie, et son éclatant accomplissement qui durera jusqu'à la fin du monde? écoutez ces autres paroles d'Adam : Celle-ci s'appellera d'un nom pris du nom de l'homme, parce qu'elle a été tirée de l'homme. C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme, et ils seront deux dans une même chair. Voyez-vous avec quel soin Adam lui-même nous explique sa pensée, et comme il pénètre l'avenir de son regard prophétique? Celle-ci, dit-il, s'appellera d’un nom pris du nom de l’homme, parce qu'elle a été tirée de l'homme. Cette première parole nous rappelle que Dieu prit une des (85) côtes d'Adam pour en former la femme, et la suivante nous révèle l'avenir. C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et s'attachera à sa femme; et ils seront deux dans une même chair. Mais qui lui avait appris toutes ces choses? d'où pouvait-il connaître l'avenir, et le mode de la propagation du genre humain? Quelle idée surtout pouvait-il se former de l'union des deux sexes, puisque cette union n'exista qu'après la chute de nos premiers parents? jusqu'à ce moment ils vécurent dans le paradis terrestre d'une vie tout angélique, et ne connurent ni les feux de la concupiscence, ni la révolte des passions. Ils ignorèrent également les maladies, et les divers besoins du corps, car ils avaient été créés incorruptibles, et immortels.

Quant à l'usage des vêtements, l'Ecriture nous dit qu'ils étaient nus et qu'ils n'en rougissaient pas. C'est qu'avant le péché et la désobéissance, la grâce divine était comme leur vêtement; aussi ne rougissaient-ils point de leur nudité. Mais dès qu'ils eurent violé le précepte du Seigneur, ils connurent qu'ils étaient nus, et ils en rougirent. Qui suggéra. donc à Adam les paroles qu'il prononça alors ? et n'est-il pas évident qu'il reçut le don de prophétie, et qu'il découvrit l'avenir du regard de l'intelligence? Ce n'est pas sans raison que j'appuie sur ces détails, car ils nous montrent l'immense bonté du Seigneur envers le premier homme. Il menait dans le principe la vie des anges, était enrichi de mille bienfaits, et possédait même l'esprit prophétique. Aussi lorsque vous le voyez, après tant de grâces et de faveurs, devenir prévaricateur, gardez-vous de rejeter la faute sur Dieu, et n'en accusez que l'homme. C'est lui seul, comme je le dirai plus tard, qui s'est privé. de tant de biens par sa désobéissance , et qui a été légitimement condamné pour son péché.

Rappelons-nous donc l'état d'innocence où le Seigneur l'avait établi, et les bienfaits sans nombre dont il l'avait comblé. Et d'abord avant même que l'homme existât, il avait produit pour lui l'univers et toutes les créatures; il le créa ensuite lui-même afin qu'il en jouît pleinement, et lui donna pour demeure le paradis terrestre. Bien plus , il l'éleva au-dessus de tous les- animaux qu'il soumit à sa puissance, et voulut qu'il nommât chacun d'eux comme un maître nomme ses esclaves. Enfin, parce que l'homme était seul, et qu'il avait besoin d'une aide qui lui fût semblable, le Seigneur n'omit point de lui donner cette satisfaction ; et, après avoir créé la femme selon le type de sa divine sagesse, il la remit entre ses mains. Enfin le Seigneur couronna ces immenses bienfaits par l'honneur du don de prophétie et le privilège de régner en souverain sur l'univers entier. Il voulut même qu'Adam frit exempt de toute inquiétude comme de tout souci par rapport aux besoins du corps et à l'usage des vêtements : en sorte que sur la terre il menait la vie des anges. Oui, au seul souvenir de ces ineffables bienfaits, je ne sais qu'admirer la bonté du Seigneur , et je m'étonne de voir l'homme si ingrat, et le démon si rempli d'une noire jalousie. Car cet esprit mauvais ne put supporter que dans un corps mortel l'homme fût l'égal des anges.

5. Mais je m'arrête ici pour ne pas trop prolonger ce discours, et je remets à demain l'explication des embûches que le démon tendit à nos premiers parents. Je termine donc en vous priant de retenir mes paroles d'aujourd'hui, et d'en faire le sujet de vos entretiens, afin que vous les graviez plus profondément dans votre mémoire. Car le souvenir habituel (les grâces dont Dieu combla le premier homme ne peut que nous porter à une juste reconnaissance, et nous exciter puissamment à la vertu. II est certain en effet que celui qui nourrit en son coeur la pensée des bienfaits du Seigneur, s'efforcera de ne pas s'en montrer indigne. Bien plus, il s'appliquera à mériter par sa reconnaissance que Dieu lui en accorde de nouveaux. Eh ! notre Dieu n'est-il pas généreux ! et s'il soit que nous lui sommes reconnaissants de ses premières grâces, il nous en donnera de plus abondantes encore. Soyons donc toujours attentifs à l'affaire de notre salut, et ne laissons point nos journées s'écouler dans une lâche oisiveté. Préoccupons-nous beaucoup moins d'avoir passé la moitié du carême, que de savoir si nous avons avancé dans la vertu, et si nous nous sommes corrigés de quelque défaut.

Et en effet, si, nourris chaque jour de la parole sainte, nous restons toujours les mêmes, sans croître en vertus, et sans déraciner de notre coeur aucun germe de péché, le jeûne nous deviendra plus nuisible qu'utile; car celui qui rend infructueux tant de secours spirituels se prépare de rigoureux châtiments. Je vous conjure donc de bien employer ce qui nous (86) reste du carême; et pour cela, chaque semaine, ou plutôt chaque jour, rentrons en nous-mêmes, purifions notre âme de tout péché, et appliquons-nous à la pratique des bonnes oeuvres. C'est le conseil que nous donne le Psalmiste quand il dit : Eloignez-vous du mal, et faites le bien (Ps. XXXVI, 27); et telle est l'essence du véritable jeûne. Ainsi l'homme violent et emporté doit modérer sa colère par de pieuses pensées, et devenir doux et patient; ainsi encore l'intempérant et le paresseux doivent se montrer sobre et laborieux; et le voluptueux, trop épris d'une beauté mortelle, doit chasser de son coeur tout désir criminel, et graver dans son esprit cet oracle du divin Sauveur : Celui qui aura regardé une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère dans son coeur. (Matth. V, 28.) Cette pensée l'aidera à fuir l'incontinence et à pratiquer la chasteté.

J'exhorte également ceux dont la parole précipitée et téméraire s'épanche au hasard, à dire avec le Psalmiste : Seigneur, mettez une garde à ma bouche, et une porte à mes lèvres (Ps. CXL, 9) ; désormais, ils ne devront plus proférer que des paroles sages et utiles, selon ce précepte de l'Apôtre : Que toute aigreur, tout emportement, toute colère, toute querelle, toute médisance et toute malice soit bannie d'entre vous; et encore : Que toute parole soit bonne, utile, édifiante et propre à donner la grâce à ceux qui l'écoutent. (Eph. IV, 31, 29.) Quant à l'habitude du jurement, il faut absolument l'extirper du milieu de nous, car Jésus-Christ a dit : Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne te parjureras point; et moi, je vous dis de ne jurer en aucune sorte. (Matth. V, 33, 34.) Ne m'objectez donc point que vous jurez pour une cause légitime, puisqu'il n'est jamais permis de jurer , que la chose soit juste ou injuste. Mais afin que notre bouche ne prononce aucun jurement, sachons modérer notre langue, nos paroles et même nos pensées; car, en empêchant que des (86) pensées mauvaises se produisent en notre esprit, nous éviterons de les traduire au dehors par des paroles coupables. Enfin, ayez soin aussi de fermer l'oreille à tout discours vain et médisant, selon cet avis de Moïse : N'écoutez point la voie du mensonge. Le Psalmiste nous dit également : J'éloignais celui qui médisait secrètement de son prochain. (Exod. XXIII, 1 ; Ps. I, 5.)

Concluez de tout ceci, mon cher frère, que l'acquisition des vertus chrétiennes exige de généreux efforts et une vigilance continuelle. La moindre négligence suffit quelquefois pour tout perdre; et c'est le reproche que le saint roi David adressait aux Juifs. Tranquillement assis, leur disait-il, vous parlez contre votre frère, et vous préparez un piège au fils de votre mère. (Ps. XLIX, 20.) Cette attention à régler tous nos sens nous facilitera beaucoup les divers exercices de la piété. Ainsi, notre langue louera et glorifiera le Seigneur, nos oreilles s'ouvriront à la parole sainte et à ses salutaires instructions, et notre esprit s'appliquera à méditer les vérités de la foi; nos mains, pures de tout acte d'avarice ou de rapine, s'exerceront aux bonnes oeuvres et à l'aumône, et nos pieds ne nous conduiront point au théâtre et à ses dangereux spectacles, ni au cirque et aux courses des chars; mais aux églises, aux maisons de la prière, et aux tombeaux des martyrs, afin que, parleur intercession, nous obtenions les bénédictions du ciel et la grâce de ne pas succomber aux embûches du démon. Cette active sollicitude pour notre salut fera encore que le jeûne du carême nous sera grandement utile, que nous éviterons les piéges du tentateur, et que nous obtiendrons les miséricordes divines; puissent-elles se répandre sur nous tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

SEIZIÈME HOMÉLIE. " Ils étaient nus et ils n'en rougissaient pas. (Gen, II, 25.) "
ANALYSE.

1. Après un court exorde, l'orateur aborde l'histoire de la chute de nos premiers parents, et prouve, par le fait seul de l'entretien d'Eve avec le serpent que tous les animaux étaient soumis à l'homme. — 2. Il réfute ensuite l'opinion de ceux qui prétendaient que ce serpent était doué de raison, et établit qu'il ne fut que l'organe et l'instrument du démon. — 3. Il décrit alors longuement le colloque de celui-ci avec la femme, et reproché amèrement à cette dernière son imprudente confiance. — 4. Il n'est pas moins sévère pour Adam qui préféra se montrer complaisant envers son épouse plutôt qu'obéissant envers Dieu. — 5. Le premier effet du péché ayant été de faire connaître à Adam et à Eve leur nudité, saint Chrysostome explique en quel sens l'Écriture dit que leurs yeux furent ouverts; il combat à cette occasion ceux qui soutenaient qu'avant sa désobéissance Adam n'avait pas la connaissance du bien et du mal, et explique pourquoi l'Écriture nomme l'arbre fatal, l'arbre de la science du bien et du mal. — 6. Il montre la sagesse de Dieu dans la facile défense faite à l'homme, et termine par un éloquent parallèle entre l'arbre du paradis terrestre et l'arbre de la croix.

1. Je veux aujourd'hui, mes chers frères, mettre à votre disposition un trésor spirituel qui ne se vide jamais, quoiqu'on y prenne à pleines mains: il possède même le double privilège d'enrichir tous ceux qui se l'approprient et de se remplir de nouveau, lorsqu'on le croit épuisé. Souvent une légère portion d'un trésor matériel suffit pour nous rendre puissamment riches; et à plus forte raison les moindres paroles de l'Écriture contiennent d'excellentes vérités qui sont comme d'abondantes richesses. Le propre de ce trésor est d'enrichir tous ceux qui le trouvent , et d'être lui-même inépuisable, parce qu'il s'alimente sans cesse aux sources de l'Esprit-Saint. Il faut donc que de votre côté vous reteniez mes explications avec soin, et que du mien, je m'efforce de vous les rendre plus intelligibles, car la grâce est toute prête, et ne demande que des coeurs sur lesquels elle se puisse largement répandre. Au reste, l'explication du passage qui vient d'être lu, sera bien propre à nous montrer l'immense bonté du Seigneur, et son extrême bienveillance à l'égard de notre salut.

Et ils étaient tous deux nus, Adam et la femme, et ils n'en rougissaient pas. (Gen. II, 25.) Considérez, je vous y invite, l'éminent bonheur de nos premiers parents. Combien ils étaient élevés au-dessus de toutes les créatures sensibles et grossières ! ils habitaient moins la terre que le ciel; et quoique revêtus d'un corps , ils n'en sentaient pas les infirmités, puisqu'ils n'avaient besoin ni de toit, ni d'habits, ni d'aucun autre secours extérieur. Or ce n'est point sans raison et sans motif que la sainte Écriture entre dans ce détail, et nous apprend que leur vie était exempte de. douleur et de tristesse, et que leur état était presque celui des anges. Elle veut qu'en les voyant ensuite dépouillés de tous ces privilèges, et tombés d'une haute opulence dans une profonde misère, nous n'attribuions leur chute qu'à leur propre négligence. Au reste, il est important de faire attention à ce passage entier de la Genèse. Car Moïse a dit d'abord qu'Adam et Eve étaient nus, et qu'ils n'en rougissaient pas. Eh ! comment eussent-ils connu leur nudité, puisque la gloire céleste les parait comme d'un superbe vêtement ! Puis il ajoute que le serpent était le plus rusé de tous les animaux que (88) le Seigneur Dieu avait créés sur la terre, et le serpent dit à la femme: Pourquoi Dieu vous a-t-il dit: ne mangez pas du fruit de tous les arbres qui sont dans le paradis ?

Voyez-vous la noire jalousie du démon, et ses embûches multipliées ! il ne put souffrir que l'homme fût placé dans un rang d'honneur qui l'égalait presque aux anges. Et en effet, le Psalmiste dit de l'homme: Seigneur, vous l'avez un peu abaissé au-dessous des anges (Ps. VIII , 6) ; et encore, cette expression, un peu abaissé se rapporte-t-elle à l'état qui a suivi le péché de la désobéissance, puisque David parlait après la chute de l'homme. Le démon voyait donc que l'homme était un ange sur la terre, et la vue de son bonheur faisait sécher d'envie cet auteur de tous les maux. Car lui-même avait fait partie des choeurs célestes , mais sa volonté mauvaise et sa grande malice l'avaient précipité du plus haut des cieux. C'est pourquoi il tenta de rendre l'homme désobéissant, afin que lui faisant perdre la grâce divine, il pût le dépouiller des biens dont le Seigneur l'avait enrichi. Comment s'y prit-il? Il se servit du serpent, qui était le plus rusé de tous les animaux, ainsi que nous l'apprend :Moise : Or, le serpent était le plus rusé de tous les animaux que le Seigneur Dieu avait créés sur la terre. Ce fut l'instrument qu'il mit en oeuvre pour tromper la femme, et pour la séduire par une insidieuse familiarité, comme étant plus faible et plus simple que l'homme. Et le serpent dit à la femme. Cet entretien nous montre que dans le principe, ni l'homme, ni la femme n'avaient frayeur des animaux, et que ceux-ci reconnaissaient tous leur empire et leur autorité. Les bêtes sauvages et féroces étaient alors aussi soumises que le sont aujourd'hui les animaux domestiques.

2. Ici peut-être me demandera-t-on si le serpent était doué de raison. Assurément non et le sens de l'Ecriture est que ce fut le démon qui emprunta son organe, et qui trompa l'homme par un effet de sa noire jalousie. Le serpent ne fut donc que l'instrument docile de sa malice, et il s'en servit pour tenter d'abord la femme, comme étant plus faible, et ensuite pour entraîner, par elle, le premier homme. Ainsi, il dressa ses embûches par l'intermédiaire du serpent, et, par son organe, il entra en conversation avec la femme : Pourquoi lui demanda-t-il, Dieu vous a-t-il dit: ne mangez pas du fruit de tous les arbres qui sont dans le paradis ? Mais, considérez la malice de cet esprit artificieux. On dirait qu'il ne veut qu'insinuer une bonne pensée, et qu'il n'interroge la femme sur cette défense que par le motif d'un tendre intérêt. C'est ce que montre lien cette parole : Pourquoi Dieu vous a-t-il dit : Ne mangez pas du fruit de toits les arbres qui sont dans le paradis? " Cet esprit mauvais semble lui dire : Pourquoi Dieu vous a-t-il interdit une si douce jouissance? et pourquoi ne vous a-t-il pas accordé l'usage de tous les fruits que produit ce jardin ? il ne vous en a permis la vue que pour vous en rendre la privation plus pénible et plus amère. Pourquoi Dieu vous a-t-il dit? Eh quoi ! ajouta-il encore, y a-t-il réellement pour vous avantage d'habiter ce jardin, puisque vous ne pouvez jouir de ses productions ? ou plutôt n'est-ce pas un véritable supplice que de voir ces beaux fruits, et de ne pouvoir en manger?

Observez comme des paroles insinuèrent le poison dans le coeur de la femme. Elle devait dès le début soupçonner la malice de son interlocuteur, car il lui mentait sciemment, et ne semblait lui porter intérêt que pour connaître le commandement du Seigneur , et l'engager ensuite à le transgresser. Eve pouvait donc apercevoir facilement l'imposture; et elle devait soudain repousser les paroles de l'esprit mauvais et ne point devenir le jouet de sa malice : mais elle ne le voulut pas. Il fallait, dis-je, que dès le principe elle rompît l'entretien, et que, désormais, elle se bornât à parler à l'homme pour qui seul elle avait été formée, et dont elle était la compagne et l'égale, non moins que l'aide et la consolation. Mais elle se laissa, je ne sais comment, engager dans ce funeste colloque, et elle écouta les insidieuses paroles que le démon lui adressait par l'organe du serpent. Du moins il lui était aisé de reconnaître que ces paroles n'étaient que tromperie et mensonge, puisqu'elles affirmaient tout le contraire de ce que Dieu leur avait commandé. C'est pourquoi à l'instant même elle eût dû prendre la fuite, rompre toute relation et maudire cet esprit méchant qui osait censurer les ordres du Seigneur. Mais Eve fut si légère et si irréfléchie que, loin de fuir, elle révéla au démon le précepte divin, et, selon l'expression de l'Evangile , elle jeta des pierres précieuses devant un pourceau. Ainsi elle agit contre ce commandement du Sauveur : Ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu'ils (89) ne les foulent aux pieds, et que se retournant, ils ne vous déchirent. (Matth. VII, 6.)

C'est ce qui arriva alors : Eve jeta devant le démon, ce pourceau immonde et cette bête farouche, les perles du précepte divin; et cet esprit mauvais, qui agissait par l'organe du serpent, les foula indignement par ses audacieux mensonges; bien plus, se retournant ensuite contre la femme, il la fit tomber, ainsi que l'homme, dans l'abîme de la désobéissance , tant il est dangereux de révéler indistinctement les secrets divins ! Avis à ceux qui causent de religion indifféremment avec tous ! Car Jésus-Christ, dans cet endroit de l'Evangile, désigne bien moins des pourceaux véritables que ces hommes dont les moeurs sont dépravées, et qui se plongent, comme de vrais pourceaux, dans la fange du péché. Il nous enseigne donc à observer les personnes et les moeurs de ceux auxquels nous expliquons les enseignements de la religion, de peur que ces entretiens ne nous soient mutuellement nuisibles. Car, outre que des esprits de ce caractère ne profitent guère de nos paroles, ils entraînent souvent dans l'abîme ceux qui, sans nulle discrétion, répandent devant eux ces perles divines. Ainsi, soyons en cela prudents et réservés, afin de ne pas nous laisser séduire comme nos premiers parents. Car si la femme n'eût point jeté les perles devant ce pourceau, elle n'eût point désobéi elle-même à Dieu et n'eût point entraîné l'homme dans son péché.

3. Mais écoutons la réponse de la femme. Le tentateur demande : pourquoi Dieu vous a-t-il dit : Ne mangez pas de tous les fruits des arbres du Paradis? et la femme lui répond: Nous mangeons du fruit de tous les arbres de ce jardin; mais pour le fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu nous a dit : N'en mangez point et n'y touchez point, de peur que vous ne mouriez. Voyez-vous la malice du démon ? il avait avancé un mensonge, afin d'engager la conversation et d'apprendre ainsi quel était le commandement du Seigneur. Et, en effet, la femme trop confiante en sa prétendue bienveillance, lui découvrit, avec le précepte, toute l'économie des, décrets divins; mais elle s'enleva ainsi tout moyen de défense. Eh! que pouviez-vous, ô femme, répondre à une telle parole: Le Seigneur a dit : Ne mangez pas de tous les fruits des arbres du Paradis? vous deviez soudain chasser cet insolent, qui osait parler autrement que Dieu, et lui dire : Retire-toi, imposteur; tu ignores l'importance du commandement qui nous est fait, et tu ne connais ni les biens dont nous jouissons, ni l'abondance où nous sommes de toutes choses. Tu oses dire que Dieu nous a défendu l'usage des fruits de ce jardin ! mais, tout au contraire, le Dieu créateur a daigné, dans son immense bonté, nous permettre de jouir de toutes choses et de manger de tous les fruits, à la réserve d'un seul, qu'il a excepté dans notre intérêt, de peur que nous ne mourions.

C'est ainsi que la femme eut dû repousser le tentateur, et la plus légère prudence lui conseillait de rompre l'entretien et de ne point le prolonger. Mais, peu contenté d'avoir révélé au démon le précepte et le commandement divin, elle prêta l'oreille à ses perfides et dangereux conseils; la femme avait dit : Nous mangeons du fruit des arbres de ce jardin , mais pour le fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu nous a dit: Ne mangez pas de ce fruit et n'y touchez point, de peur que vous ne mouriez; et voilà que l'esprit mauvais lui souffle un conseil tout opposé à celui de Dieu. C'était par un trait de providence envers l'homme, et pour le soustraire à la mort, que le Seigneur lui avait fait cette défense; mais le démon dit à Eve : Vous ne mourrez pas. Comment excuser une telle imprudence? et comment Eve put-elle prêter l'oreille à un si audacieux langage? Dieu avait dit : Ne mangez point de ce fruit, de peur que vous ne mouriez ; et le démon ose lui dire : Non, vous ne mourrez point. En outre , il ne lui suffit pas de contredire la parole divine, il accuse encore le Créateur d'agir par esprit de jalousie, et il conduit sa fourberie avec tant d'adresse qu'il séduit la femme et réalise ses iniques projets. Non, vous ne mourrez point, dit-il, mais Dieu sait que le jour où vous aurez mangé de ce fruit, vos yeux s'ouvriront et que vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. (Gen. III, 5.)

Voilà donc l'appât funeste et le poison mortel que le démon présente à la femme, et celle-ci ne soupçonne pas le danger, quoique, dès le principe, il lui soit bien facile de le reconnaître. Mais en apprenant que si Dieu leur avait fait cette défense, c'était parce qu'il savait que leurs yeux seraient ouverts, et qu'ils seraient eux-mêmes comme des dieux, connaissant le bien et le mal, elle s'enorgueillit de cette flatteuse espérance et conçut de superbes pensées, (90) Tel est aujourd'hui encore l'artifice du démon il nous élève par ses trompeuses suggestions et nous laisse ensuite tomber dans un profond abîme. C'est ainsi qu'Eve, rêvant déjà l'égalité avec Dieu, se hâta de cueillir le fruit défendu; ses yeux, son esprit et son coeur s'y arrêtèrent, fixement et elle ne songea qu'à épuiser la coupe empoisonnée que le démon lui avait préparée. Telles furent certainement ses dispositions depuis l'instant où elle écouta les pernicieux conseils du démon, et l'Écriture nous l'atteste. Car la femme, dit-elle, vit que le fruit était bon à manger, et beau à voir, et d'un aspect délectable; et elle en prit et en mangea.

Véritablement, comme le dit l'Apôtre, les mauvais entretiens corrompent les bonnes moeurs. (I Cor. XV, 33.) Eh ! d'où vient qu'avant le conseil du démon, la femme n'avait point eu de pareilles pensées, et qu'elle n'avait ni fixé particulièrement cet arbre, ni considéré la beauté de son fruit? c'est qu'elle respectait la défense du Seigneur, et qu'elle redoutait le châtiment dont il menaçait sa désobéissance. Mais dès qu'elle eut écouté cet esprit pervers et méchant, elle crut et qu'ils n'avaient rien à craindre en mangeant du fruit défendu, et que même ils deviendraient égaux à Dieu. Cette espérance l'excita donc à cueillir le fruit, et, se flattant de s'élever au-dessus de l'humanité, elle ajouta plus de foi aux perfides insinuations de l'ennemi de notre salut qu'aux paroles de Dieu. Mais son expérience lui apprit bientôt les funestes suites de ce pernicieux conseil et les effroyables malheurs qui allaient l'envelopper. Car, dès qu'elle vit, dit l'Écriture, que le fruit était bon à manger, et beau à voir, et d'un aspect délectable, elle suivit l'impulsion de l'esprit mauvais qui lui parlait par l'organe du serpent, et raisonna ainsi en elle-même : Si ce fruit paraît bon à manger, s'il charme le regard et s'il est d'un aspect délectable, et s'il doit, en outre, nous élever aux suprêmes honneurs et nous rendre aussi grands que le Créateur, pourquoi hésiterais-je à le cueillir?

4. Voyez-vous avec quel art le démon captiva la femme, et comment il troubla sa raison? Elle osa donc porter ses espérances au-dessus de sa condition, et l'orgueilleux espoir d'obtenir des biens imaginaires lui fit perdre ceux qu'elle possédait réellement. Ainsi, elle prit ce fruit et en mangea, et elle en donna à son mari, et ils en mangèrent, et leurs yeux furent

ouverts, et ils connurent qu'ils étaient nus. Qu'avez-vous fait, ô femme ! Cédant à de perfides conseils, vous avez foulé aux pieds la loi du Seigneur et méprisé ses commandements ! Eh quoi ! par un excès d'intempérance, l'usage de tous ces fruits si nombreux et si variés ne vous a pas suffi, et vous avez osé cueillir celui-là même dont Dieu vous avait défendu de manger ! Enfin, vous avez ajouté foi aux paroles du serpent, et vous avez estimé ses conseils plus salutaires que les ordres du Créateur ! Hélas ! votre présomption rend ce crime irrémissible. Mais celui qui vous parlait était-il votre égal? Non, sans doute; c'était un de vos sujets : il vous était soumis et il était votre esclave. Pourquoi donc vous dégrader jusqu'à abandonner l'homme pour qui vous avez été formée et dont vous avez été créée l'aide et la consolation? Vous partagez la dignité de sa nature et la noblesse de sa parole, et vous avez bien pu causer familièrement avec le serpent, qui devenu l'organe du démon, vous a insinué des conseils manifestement contraires aux ordres du Seigneur. Vous deviez le repousser; mais, flattée de ses vaines promesses, vous avez cueilli le fruit défendu.

Eh bien, soit ! vous avez voulu vous précipiter dans l'abîme et descendre du faîte des honneurs ; mais pourquoi entraîner votre époux dans le même malheur? Vous deviez être son secours, et vous lui tendez des embûches. Quoi ! pour un misérable fruit, vous perdez l'un et l'autre la grâce et l'amitié de Dieu ! Quelle étrange folie vous a inspiré cette audace? Ne vous suffisait-il pas de mener une vie douce et d'être revêtue d'un corps, sans en éprouver les faiblesses ? Vous jouissiez de tous les fruits du paradis terrestre, à l'exception d'un seul, et, reine de l'univers, vous commandiez à toutes les créatures; et voilà que, séduite par de vaines promesses, vous vous flattez de vous élever jusqu'aux honneurs suprêmes de la divinité ! Hélas ! vous apprendrez par une dure expérience que, loin d'obtenir ces biens si enviés, vous perdrez, vous et votre époux, tous ceux dont le Seigneur vous avait comblés. Mais, lorsque le repentir aura rendu votre douleur profonde et amère, l'esprit mauvais qui vous a suggéré ce funeste conseil rira de vos maux ; il insultera votre chute et s'applaudira de vous avoir entraînés dans son malheur. Car c'est parce que, enflé d'orgueil, il a voulu s'élever au-dessus de sa condition, (91) qu'il a été dépouillé de sa dignité et précipité du ciel sur la terre; et de même il a voulu vous faire encourir, par votre désobéissance, l'anathème de la mort, et satisfaire ainsi sa noire jalousie, selon cette parole du Sage : Par l'envie de Satan, la mort est entrée dans l'univers. (Sag. II, 24.)

La femme prit donc du fruit et en donna à son mari; et ils en mangèrent, et leurs yeux furent ouverts. Combien l'homme fut coupable ! car, quoique la femme fût une portion de sa substance et même son épouse, il devait préférer le précepte du Seigneur à ses vains désirs, et ne point se rendre complice de sa désobéissance. Un plaisir si frivole méritait-il qu'il se privât lui-même des plus excellents avantages, et qu'il offensât le Maître qui l'avait enrichi de tant de biens et qui lui avait accordé une existence exempte de douleurs et de fatigues? Est-ce qu'il ne lui était pas permis de jouir abondamment de tous les fruits du paradis terrestre? Pourquoi donc, ô homme ! n'as-tu pas voulu, et toi aussi, observer cette légère défense? C'est que, sans doute, tu as connu par ton épouse la promesse de l'esprit tentateur; et soudain, enflé de la même présomption, tu as mangé du fruit défendu. Aussi tous deux serez-vous cruellement punis et apprendrez-vous, par une dure expérience, qu'il valait mieux obéir à Dieu que suivre les conseils du démon.

5. La femme prit donc le fruit et en donna à son mari, et ils en mangèrent; et leurs yeux furent ouverts, et ils connurent qu'ils étaient nus. Ici se présente la question importante dont je vous parlais hier; car on peut demander avec raison quelle vertu avait cet arbre, dont le fruit ouvrait les yeux de ceux qui en mangeaient, et pourquoi il est appelé l'arbre de la science du bien et du mal. Attendez un peu, s'il vous plaît, et je satisferai votre juste curiosité. Et d'abord, observons qu'une étude droite et éclairée des saintes Ecritures en résout facilement les difficultés. Ainsi, ce n'est point précisément parce qu'Adam et Eve mangèrent de ce fruit que leurs yeux furent ouverts, puisque auparavant ils avaient l'usage de la vue; mais, parce que cet acte d'intempérance était en même temps un acte de désobéissance aux ordres du Seigneur, on lui attribue la privation de la gloire qui les entourait et dont ils s'étaient eux-mêmes rendus indignes.

C'est pourquoi l'Ecriture dit, selon son langage ordinaire, qu'ils en mangèrent, et que leurs yeux furent ouverts, et qu'ils connurent qu'ils étaient nus. Oui, le péché, en les dépouillant de la grâce céleste, leur donna le sentiment de leur nudité; en sorte que cette honte qui les saisit soudain leur fit voir dans quel abîme leur désobéissance les avait précipités. Avant cette désobéissance, ils vivaient dans une parfaite sécurité et ne se doutaient pas qu'ils étaient nus; du reste, ils ne l'étaient point, puisque la gloire céleste les couvrait bien mieux que tout vêtement. Mais, quand ils eurent mangé du fruit défendu et qu'ils eurent ainsi violé le précepte du Seigneur, ils furent réduits à une si profonde humiliation que le sentiment de la honte les porta à chercher un voile à leur nudité. C'est que la transgression du précepte divin les avait dépouillés de la gloire et de la grâce céleste qui les revêtaient comme d'un splendide vêtement; et, en leur faisant connaître leur nudité, elle les avait pénétrés d'un vif sentiment de honte.

Et ils entrelacèrent des feuilles de figuier et s'en firent des ceintures. Mesurez, mon cher frère, je vous y invite, la profondeur de l'abîme où, du faîte de la gloire, le démon fit tomber nos premiers parents. Naguère ils étaient revêtus d'un éclat céleste, et maintenant ils sont contraints d'entrelacer des feuilles de figuier et de s'en faire des ceintures. Tel fut le résultat des tromperies du démon et des embûches qu'il leur tendit. Certes, il ne se proposait point de leur procurer quelques avantages nouveaux, mais il ne voulait que les dépouiller de ceux qu'ils possédaient, et les réduire ainsi à une honteuse nudité. Et, parce que leur désobéissance eut pour occasion le fruit défendu, l'Ecriture dit qu'ils en mangèrent et que leurs yeux furent ouverts, ce qui doit s'entendre de la perception de l'esprit bien plus que de l'organe de la vue; car, après leur péché, Dieu leur fit ressentir des impressions que, par un effet de son extrême bonté, ils ignoraient auparavant. Cette expression leurs yeux furent ouverts signifie que Dieu leur fit sentir la honte de leur nudité et la privation de la gloire dont ils jouissaient. Au reste, ce langage est ordinaire à l'Ecriture, comme lé prouve cet autre passage de la Genèse : Agar, esclave fugitive, errait dans le désert, et, ayant placé son enfant Sous un palmier, elle s'éloigna pour ne point le voir mourir. Alors, Dieu lui ouvrit les yeux. (Gen. XXI, 19.) Ce n'est pas (92) qu'elle ne vît auparavant, mais c'est que Dieu éclaira son intelligence; en sorte que ce mot ouvrit doit s'entendre plutôt de l'esprit que de l'organe de la vue.

Je donnerai la même solution à une seconde difficulté. Car quelques-uns disent : pourquoi cet arbre est-il appelé l'arbre de la science du bien et du mal ? Et l'on en voit même qui s'opiniâtrent à soutenir qu'Adam n'eut le discernement du bien et du mal qu'après avoir mangé du fruit de cet arbre, mais c'est une pure extravagance. Déjà même, et comme pour y répondre par avance, j'ai parlé longuement de la science. infuse d'Adam; or, cette science se révéla par la justesse des noms qu'il imposa à tous les oiseaux et à tous les animaux, et par le don de prophétie qui en fut le radieux couronnement. On ne saurait donc affirmer que celui qui nomma tous les animaux, et qui énonça au sujet de la femme une si admirable prophétie, ignorât le bien et le mal. D'ailleurs une telle, supposition ferait, ce qu'à Dieu ne plaise ! rejaillir sur Dieu même un horrible blasphème. Car eût-il pu donner des ordres à l'homme, si celui-ci eût invinciblement ignoré que la désobéissance était un mal ? Mais il n'en a pas été ainsi ; et Adam savait parfaitement bien ce qu'il faisait, puisque dès le principe il posséda le libre arbitre. Dans le cas contraire, sa désobéissance n'eût pas été plus digne de châtiment que sa soumission de louange. Il est au contraire évident, et par les paroles mêmes du précepte, et par la suite des événements, que l'acte seul de leur désobéissance soumit nos premiers parents à la mort. C'est ce que la femme elle-même dit au serpent : Pour le fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : N'en mangea point, de peur que vous ne mouriez. Ainsi avant leur péché ils étaient immortels, autrement leur prévarication n'eût pu être punie du supplice de la mort.

6. Peut-on donc soutenir que c'est en mangeant du fruit défendu que l'homme acquit la connaissance du bien et du mal? Mais n'avait-il pas déjà cette connaissance, lui qui était rempli de sagesse et orné du don de prophétie? et comment pourrait-on raisonnablement admettre que les chèvres, les brebis et les autres animaux herbivores savent distinguer les plantes utiles des plantes nuisibles pour brouter les unes et s'éloigner des autres, et que l'homme, doué de raison, ne sût pas discerner 1e bien d'avec le mal? Mais il n'est pas moins vrai, direz-vous, que cet arbre est nommé dans l'Écriture l'arbre de la science du bien et du mal. J'en conviens; et toutefois il suffit d'être un peu familiarisé avec le style dé l'Écriture pour se rendre compte de cette expression. Il a été ainsi appelé, non qu'il ait donné à l'homme la science du bien et du mal, mais parce qu'il a été l'occasion de sa désobéissance et qu'il a introduit la connaissance et la honte du péché. Et en effet. souvent l'Écriture désigne les faits par les circonstances qui les accompagnent; et comme cet arbre devait être pour l'homme une occasion de péché ou de mérite, elle l'appela l'arbre de la science du bien et du mal.

Le Seigneur voulut dès le principe faire connaître à l'homme que le Dieu qui avait créé l'univers lui avait aussi donné l'être. Il lui fit donc ce léger commandement afin qu'il reconnût son titre de Maître et de Seigneur. C'est ainsi qu'un généreux propriétaire qui accorde à son intendant l'usufruit d'un magnifique palais, en exige une légère redevance, comme témoignage de son droit de propriété. L'intendant sait ainsi que ce palais ne lui appartient point, et qu'il n'en jouit que par la bonté et la libéralité de son maître. Et de même le Créateur, qui avait établi l'homme roi de la nature; et qui l'avait placé dans le paradis terrestre dont il jouissait pleinement, voulut éviter que, séduit par ses propres pensées, il ne crût que l'univers existait par lui-même , et qu'il ne s'enorgueillît de sa supériorité. C'est pourquoi il lui interdit le fruit d'un seul arbre, et le menaça, en cas de désobéissance; des plus graves châtiments, pour l'obliger à reconnaître un Maître, et à proclamer qu'il tenait tous ses avantages de sa pure libéralité. Mais la présomptueuse témérité d'Adam le précipita avec Eve dans une ruine effroyable; ils transgressèrent le commandement, et mangèrent du fruit défendu. Voilà pourquoi cet arbre a été appelé l'arbre de la science du bien et du mal. Ce n'est pas qu'ils ne connussent auparavant le bien et le mal, comme le prouvent ces paroles de la femme au serpent : Dieu nous a dit : Ne mangez point de ce fruit, de peur que vous ne mouriez. Ils savaient donc bien que la mort serait la punition de leur désobéissance; aussi est-ce après avoir mangé d fruit défendu qu'ils furent dépouillés de leur vêtement de gloire, et qu'ils ressentirent la honte de leur nudité. Cet arbre est donc appelé l'arbre de la science du (93)

bien et du mal, parce qu'il était destiné à éprouver leur obéissance.

Vous comprenez maintenant dans quel sens l'Ecriture dit que leurs yeux furent ouverts, et qu'ils connurent qu'ils étaient nus. Vous comprenez également pourquoi cet arbre a été appelé l'arbre de la science du bien et du mal. Mais appréciez, s'il est possible, quelle fut leur honte, lorsqu'après avoir mangé du fruit défendu, et transgressé le précepte du Seigneur, ils entrelacèrent des feuilles de figuier et s'en firent des ceintures. Voyez comme du faîte de la gloire ils furent précipités dans la plus profonde humiliation ! Ceux qui auparavant vivaient sur la terre comme des anges, en sont réduits à se couvrir de feuilles de figuier, tant le péché est un grand mal ! Car il nous prive d'abord de la grâce et de l'amitié divine, et nous couvre ensuite de honte et de confusion. Bien plus, après nous avoir dépouillé des biens que nous possédions, il nous ôte jusqu'à l'espérance de les recouvrer.

Mais je me reprocherais de terminer cet entretien par les si tristes considérations que me fournit l'intempérance de l'homme, sa désobéissance et sa chute. C'est pourquoi, s'il vous plaît, à l'occasion de cet arbre, je parlerai de l'arbre de la croix, et aux maux que le premier a enfantés, j'opposerai les biens que le second nous a produits. Toutefois ce n'est point proprement l'arbre qui a causé ces désastres, mais la volonté de l'homme pécheur et son mépris du précepte divin. Je dirai donc que le premier arbre a introduit la mort dans le monde, car la mort a suivi le péché, et que le second nous a rendus à l'immortalité. L'un nous a chassés du paradis, et l'autre nous a ouvert l'entrée du ciel. Celui-ci a fait peser sur Adam, pour une seule faute, le dur fardeau des misères humaines, et celui-là nous a délivrés du poids de nos péchés, et nous a donné une douce et pleine confiance au Seigneur.

Armons-nous donc, mes frères, je vous en conjure, armons-nous de la vertu de ce bois vivifiant, et par son secours, mortifions les affections mauvaises de nos âmes. Tel est le conseil de l'Apôtre, quand il nous dit que ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié leur chair avec ses passions et ses désirs déréglés. (Gal V, 24.) Le sens de cette parole est que ceux qui se sont entièrement dévoués à Jésus-Christ ont dompté cette concupiscence de la chair qui ne tend qu'à corrompre en nous les opérations de l'esprit. Imitons ces généreux chrétiens, et à leur exemple réduisons notre corps en servitude, afin que nous puissions résister aux suggestions de l'esprit mauvais. Ce sera aussi le moyen le plus assuré de traverser heureusement la mer orageuse de la vie présente, et d'aborder au port tranquille du salut. Puissions-nous ainsi obtenir les biens que Dieu a promis à ceux qui l'aiment en Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soit la gloire, avec le Père et l'Esprit-Saint, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

DIX-SEPTIÈME HOMÉLIE. " Et ils entendirent la voix du Seigneur Dieu qui s'avançait dans le jardin, après le milieu du jour. " (Ge. III, 8)
ANALYSE.

1. L'orateur, après avoir expliqué qu'il ne faut point entendre ce passage dans un sens grossier et matériel, dit que le sentiment et le remords de leur péché, forcèrent Adam et Eve à se cacher, et il décrit éloquemment la force et. la puissance de la conscience. il montre ensuite la bonté du Seigneur qui, le premier, vient au-devant de l'homme coupable, et ne l'interroge que pour lui donner occasion de s'humilier, et d'obtenir son pardon. — 2.- 4. Il développe alors admirablement cette parole de Dieu : " Adam, où es-tu? " et montre toute la faiblesse de l'excuse qu'il apporte, en rejetant la faute sur la femme. — 5. La question que le Seigneur adresse ensuite à celle-ci, et sa réponse qui accuse le serpent, fournit à l'orateur cette judicieuse réflexion qu'Eve était libre dans le consentement qu'elle a donné aux insinuations du serpent. — 6. Mais Dieu qui avait parlé avec bonté à Adam et à Eve, maudit le serpent, sans lui adresser la parole, pour lui témoigner toute son indignation, et mêle à cette malédiction la première révélation dit mystère de la rédemption. — 7.-8. Il prononce ensuite à la femme l'arrêt qui la condamne aux douleurs de l'enfantement, et à la soumission envers l'homme ; et l'orateur met ici dans la bouche de Dieu un langage à la fois doux et sévère, rigoureux et paternel. — 9. Enfin, Adam lui-même entend sa sentence : la terre sera maudite en son oeuvre; il ne la rendra féconde qu'à la sueur de son front; et cela durant tous les jours de sa vie, jusqu'à ce qu'il retourne en la poussière d'où il a été tiré. — 10. Après quelques réflexions sur cette sentence, et ses effets, l'orateur exhorte ses auditeurs à conserver le souvenir de ces grandes vérités, et à se rendre dignes, par leur conduite chrétienne, d'obtenir les biens éternels que le Fils de Dieu nous a mérités par le mystère de l'incarnation.

1. Je pense que hier je vous expliquai suffisamment et selon mes forces ce qui concerne l'arbre de la science du bien et du mal, en sorte que maintenant vous comprenez , mes très-chers frères, pourquoi l'Ecriture lui donne ce nom. Je vais donc aborder la suite du récit de la Genèse, afin de vous faire mieux connaître encore l'ineffable bonté du Seigneur, et cette admirable providence avec laquelle il prend soin de tout ce qui nous concerne. Il avait, dans le principe, créé et disposé toutes choses pour que l'homme, cet être raisonnable sorti de ses mains, fût comblé d'honneurs; et, voulant l'égaler aux anges, il lui avait formé un corps doué de gloire et d'immortalité. Toutefois il ne retira pas entièrement dé dessus lui sa miséricorde, lorsqu'il le vit transgresser ses ordres et braver les menaces qui devaient le retenir. Mais alors même, toujours semblable à lui-même, il se souvint que l'homme était sa créature. Quand le fils d'un patricien, oubliant son rang, se dégrade par ses vices, et du faîte des honneurs, tombe dans un profond avilissement, son père sent ses entrailles s'émouvoir; mais toujours bon envers cet indigne enfant, il ne l'abandonne point et ne cesse de l'assister de ses secours et de ses conseils pour le retirer de l'abîme et lui rendre sa dignité première. Et de même, le Dieu bon et miséricordieux s'attendrit sur l'homme qui, avec son épouse, s'était laissé séduire par le démon et avait cru aux pernicieux conseils du serpent. Aussi le voyons-nous accourir vers lui comme un charitable médecin s'empresse auprès d'un malade dont les maux et la détresse réclament ses soins et son art.

Mais si nous voulons comprendre mieux encore toute l'étendue de cette bonté, il ne sera pas inutile de reprendre le passage qui vient d'être lu. Et ils entendirent la voix du Seigneur Dieu qui s'avançait dans le jardin, après le milieu du jour; et Adam et son épouse se cachèrent parmi les arbres du jardin pour éviter la présence de Dieu. Ici, mes chers frères, il ne faut ni passer légèrement sur ces paroles, ni s'arrêter comme à l'écorce des mots; mais (95) nous devons considérer avec quelle condescendance l'Ecriture se proportionne à notre faiblesse, et donner à ces paroles un sens digne de Dieu et de notre salut. Et, en effet, ces paroles prises à la lettre seraient indignes de Dieu, et n'offriraient-elles pas, je vous le demande, un sens absurde? Car que lisons-nous dans ce passage de la Genèse ? Ils entendirent la voix du Seigneur, qui s'avançait dans le jardin, après le milieu du jour, et ils se cachèrent. Que dites-vous, ô Moïse? est-ce que Dieu marche? croirons-nous qu'il ait des pieds, et n'aurons-nous de lui aucune idée plus sublime? mais comment marcherait Celui qui remplit l'univers de sa présence ? et comment Celui dont le ciel est le trône et la terre le marchepied serait-il renfermé dans l'espace d'un jardin? Il faudrait être insensé pour le dire. Que signifient donc ces paroles : Ils entendirent la voix du Seigneur, qui s'avançait dans le jardin, vers le milieu du jour ? Elles nous apprennent que le Seigneur voulut leur faire sentir leur faute en les amenant à une extrême angoisse d'esprit et de coeur. C'est ce qui arriva ; car ils furent tellement saisis de honte, qu'à l'approche de Dieu ils se cachèrent. Ils avaient donc, à la suite de leur péché et de leur désobéissance, connu le remords et la confusion.

Et, en effet, ce juge incorruptible, que nous nommons la conscience , se soulève contre l'homme et l'accuse à haute voix; il lui met ses péchés devant les yeux et lui en représente toute la grièveté. Voilà pourquoi Dieu, en créant l'homme, établit au dedans de lui-même ce censeur qui ne se tait jamais et qu'on ne saurait tromper. Sans doute, on peut dérober ses fautes et ses crimes à la connaissance des hommes, mais il est impossible de les cacher à la conscience; et, en quelque lieu que se transporte le coupable , il porte en lui-même cette conscience qui l'accuse, le trouble, le déchiré et ne se repose jamais. Elle s'attaque à lui dans l'intimité du foyer domestique, sur le forum et dans les réunions publiques, et le poursuit durant les festins, pendant son sommeil et à son réveil. Elle ne cesse ainsi de lui demander compte de ses fautes, et de lui en remettre sous les yeux la grièveté et le châtiment. Tel, un charitable médecin se rend assidu auprès d'un malade, et, malgré ses rebuts, persiste à lui offrir ses remèdes et ses bons offices.

2. Au reste, le principal devoir de la conscience est de nous rappeler nos fautes et de protester contre leur coupable oubli; elle nous en présente donc le tableau, ne serait-ce que pour nous retenir et nous empêcher d'y retomber. Et cependant, malgré l'appui et le secours de la conscience, et malgré ses reproches violents et les remords qui déchirent notre tueur, et qui sont pour notre âme autant de cruels bourreaux, la plupart des hommes ne peuvent vaincre leurs passions; aussi dans quel abîme ne tomberions-nous pas, si elle n'existait point? Ce furent donc les reproches de la conscience qui révélèrent à nos premiers parents l'approche du Seigneur; et soudain ils se cachèrent. Pourquoi le firent-ils? je vous le demande. Parce que la conscience, comme un accusateur sévère, leur reprochait leur crime. Et en effet, ils n'avaient d'autre censeur, ni d'autre témoin de leur péché que celui qu'ils portaient en eux-mêmes; toutefois aux reproches de la conscience se joignait encore la privation de la gloire qui les revêtait. Ainsi, le sentiment de leur nudité les avertissait de là grièveté de leur faute, et, parce qu'ils furent saisis de honte à la suite de leur grave désobéissance, ils tentèrent de se cacher. Ils entendirent, dit l'Ecriture, la voix du Seigneur Dieu, qui s'avançait dans le jardin, après le milieu du jour; et Adam et son épouse se cachèrent parmi les arbres du paradis, pour éviter la présence de Dieu.

Rien n'est donc plus funeste que le péché, mes très-chers frères, car, dès que l'homme le commet, il le remplit de confusion, et il rend insensés ceux qui brillaient auparavant par la solidité du jugement. Eh ! voyez Adam ! c'est la conduite d'un insensé; et cependant il était doué du don de prophétie et de cette haute sagesse qui avait éclaté dans ses oeuvres. Mais il entend la voix du Seigneur qui s'avançait dans le jardin, et il se cache, ainsi que son épouse, parmi les arbres du paradis, pour éviter la présence de Dieu. N'est-ce pas là un trait véritable de folie? Quoi ! Dieu est présent partout, il a tiré du néant toutes les créatures, et nulle n'est cachée à ses yeux; il a formé le coeur de l'homme, et il en connaît toutes les secrètes affections; il scrute les reins et les coeurs, et il pénètre jusqu'aux plus intimes pensées de l'âme. Et voilà celui aux regards duquel Adam et Eve tentent de se cacher. Mais ne vous en étonnez point, mon cher frère telle est la méthode du pécheur. Il sait bien (96) qu'il ne peut éviter la présence de Dieu, et cependant il essaye de s'y soustraire.

La conduite de nos premiers parents eut aussi pour principe la honte qui les saisit, lorsque le péché les eut dépouillés de leur glorieuse immortalité. C'est ce que prouve le choix même de leur retraite, puisqu'ils se cachèrent parmi les arbres du paradis terrestre. Les serviteurs fripons ou paresseux cherchent, sous l'impression de la crainte et du châtiment, à se cacher dans tous les coins de la maison, quoiqu'ils sachent bien qu'ils n'éviteront point l’oeil d'un maître irrité. Et de même Adam et Eve, ne sachant où se réfugier, couraient çà et là dans le paradis terrestre. Ce n'est pas non plus sans raison que l'Ecriture désigne l'heure : Ils entendirent, dit-elle, la voix du Seigneur Dieu qui s'avançait dans le jardin, après le milieu du jour. Elle veut ainsi nous faire connaître l'extrême bonté du Seigneur. Il ne différa donc pas un seul moment à secourir l’homme pécheur, et, dès qu'il le vit tombé, il se hâta d'accourir; du premier coup d'oeil il sonda toute la profondeur de sa blessure, et pour en prévenir les suites et les progrès, il s'empressa d'y porter un bienfaisant appareil. C'est ainsi que sa bonté ne lui permit pas de laisser, même un seul instant, l'homme privé de tout secours.

L'ennemi de notre salut avait donné un libre cours à sa rage; et parce qu'il enviait à l'homme les biens qu'il possédait, il lui avait tendu des piéges pour le faire déchoir de cet heureux état. Mais le Seigneur, dont la providence et la sagesse règlent nos destinées, a vu et la malignité du démon et la faiblesse de l'homme c'est cette faiblesse qui fit céder celui-ci aux insinuations de son épouse et tomber dans le honteux abîme du péché. Aussi le Seigneur paraît-il soudain, et, comme un juge bon et indulgent, il s'asseoit sur son tribunal, qu'environnent la crainte et l'horreur, et il instruit l'affaire avec la plus grande attention. Il nous apprend ainsi à ne point condamner nos frères sans avoir bien examiné leur conduite.

3. Ecoutons donc, s'il vous plaît, ce solennel interrogatoire les demandes du Juge et les réponses des coupables, la sentence qui les frappe, et la condamnation du tentateur qui leur a tendu ces perfides embûches. Mais apportez ici toute votre attention , et frémissez en assistant à ce jugement. Lorsqu'un juge mortel se place sur son tribunal, cite devant lui les coupables et les soumet à la torture, un frisson dé terreur saisit les spectateurs. Tous veulent entendre les demandes du juge et les réponses des accusés. Quelles seront donc nos pensées, lorsqu'en notre présence, le Dieu, créateur de l'univers, va entrer en jugement avec ses créatures ! Et toutefois vous observerez combien, même ici, la clémence divine l'emporte sur la sévérité des juges de la terre.

Le Seigneur Dieu appela donc Adam, et lui dit: Adam, où es-tu? Dans cette interrogation elle-même, nous trouvons une marque étonnante de la suprême bonté de Dieu; non-seulement il appelle Adam, mais il l'appelle lui-même, en personne : or c'est ce que dédaignent de faire les juges de la terre pour les coupables qui sont hommes comme eux et de la même nature qu'eux. Vous savez en effet que lorsqu'assis sur leur tribunal, nos juges font rendre compte aux malfaiteurs de leur conduite, ils ne leur adressent pas directement la parole, mais qu'ils se servent d'un intermédiaire qui communique à l'accusé les questions du jugé et au. juge les réponses de l'accusé; on en use ainsi à peu près partout pour faire sentir aux malfaiteurs jusqu'à quel point ils se sont dégradés en commettant le, crime. Dieu n'agit pas de même, il interroge directement : Le Seigneur Dieu appela donc Adam et. lui dit

Adam, où es-tu ? Ces quelques mots renferment une grande énergie de pensées. Car. d'abord c'était en Dieu une immense et ineffable bonté quo d'appeler lui-même ce grand coupable qui rougissait de honte, et qui n'osait ni ouvrir la bouche, ni: articuler une seule parole. Oui, l'interroger, et lui donner ainsi l'occasion d'implorer son pardon, atteste une infinie miséricorde. Adam, où es-tu? Oh ! que cette seule question est à la fois pleine de force et de douceur ! C'est comme si Dieu lui eût dit: Qu'est-il donc arrivé ? Je t'avais laissé dans un état, et je te retrouve dans un autre. Je t'avais laissé revêtu de gloire, et je te retrouve dans une honteuse nudité. Adam, où es-tu ? quelle est donc la cause de ton malheur? et qui t'a plongé dans cet abîme de maux ? quel est le scélérat ou le voleur qui t'a enlevé tous tes biens, et qui t'a réduit à cette extrême indigence ? qui t'a fait connaître la nudité, et qui t'a dépouillé de ce splendide vêtement dont je t'avais revêtu? quel changement subit ! et quelle tempête a soudain englouti toutes tes richesses ? qu'as-tu donc fait, que tu veuilles éviter celui qui t'a comblé des plus grands bienfaits et qui t'a élevé à tant d'honneur? et que crains-tu, pour chercher ainsi à te cacher? est-ce qu'un accusateur te poursuit, et que des témoins te confondent? enfin, d'où vient cette crainte et cette terreur?

Mais Adam répondit : J'ai entendu votre voix dans le jardina, et, comme l'étais nu, j'ai été saisi de crainte, et je irae suis caché. (Gen. III, 10.) Alors Dieu lui dit : Eh ! qui t'a appris que tu étais nu? quel est ce langage nouveau et inouï? et qui t'eût fait connaître ton état, si toi-même n'étais l'auteur de cette ignominie? tu as donc mangé du fruit du seul arbre dont je t'avais défendu de manger. — Voyez-vous quelle est la bonté et la patience du Seigneur?, II pouvait, sans adresser une seule parole à ce grand coupable, le punir sur-le-champ comme il l'en avait menacé; mais il agit patiemment, il l'interroge, et il écoute sa réponse. Bien plus, il l'interroge une seconde fois, comme pour lui faciliter une défense qui lui permettrait d'user envers lui de clémence et de miséricorde. Grande leçon ! qui apprend aux juges que dans l'exercice de leurs fonctions, ils ne doivent ni parler inhumainement aux coupables, ni les traiter avec une cruauté qui ne convient qu'à des bêtes féroces. Il faut alors leur témoigner quelque indulgence et quelque bonté, et en prononçant sur leur sort, ne pas oublier qu'ils sont nos frères. Cette pensée que notre origine est commune attendrira nos coeurs et adoucira les rigueurs de la justice. Ce n'est donc point sans motif que la sainte, Ecriture se proportionne ici à notre faiblesse, et emploie ce langage simple et familier. Elle nous invite à imiter, selon nos forces, l'ineffable bonté du Seigneur.

4. Et le Seigneur dit d Adam : qui t'a appris que tu, étais nu, si ce n'est que tu as mangé du fruit du seul arbre dont je t’avais défendu de manger? Oui, comment aurais-tu connu ta nudité, et serais-tu saisi de honte, si par intempérance, tu n'avais transgressé mon commandement? Appréciez, mon cher frère, toute l'excellence de la bonté divine. Le Seigneur parle à Adam comme à un ami, et il traite ce grand coupable avec une douce familiarité

Qui t'a appris que tu étais nu, si ce n'est que tu as mangé du fruit du seul arbre dont je t'avais défendu de manger ? Observons aussi l'emphase, et l'ironie secrète de cette expression : le fruit du seul arbre, c'est comme s'il lui eût dit : est-ce que je t'avais étroitement restreint l'usage des fruits de ce jardin ? ne t’avais-je pas au contraire placé au sein d'une riche abondance ? et ne t'avais-je pas abandonné tous les fruits du paradis terrestre, à l'exception d'un seul? Cette défense n'avait pour but que de te rappeler que tu avais un Maître, et que tu devais lui obéir. Elle est donc insatiable cette intempérance, qui, peu satisfaite de tant de biens, ne s'est point abstenue de ce seul fruit ? Et comment as-tu pu courir à une désobéissance qui devait te précipiter dans un tel abîme de maux? que te revient-il maintenant de ton péché? Ne vous ai-je pas avertis l'un et l'autre, et n'ai-je pas voulu vous retenir par la crainte du châtiment ? Je vous ai prédit toutes les suites de votre péché, et je vous avais fait cette défense pour vous prémunir contre l'esprit séducteur. Et aujourd'hui, une si noire ingratitude ne rend - elle pas votre faute irrémissible ? Comme un bon père instruit un fils chéri, je vous ai clairement précisé mes ordres; et en vous permettant l'usage de tous les autres fruits, j'ai formellement excepté celui-là, afin que vous puissiez conserver tous les biens dont je vous avais comblés. Mais vous avez cru le conseil d'un autre meilleur et plus respectable que mon commandement. C'est pourquoi vous l'avez méprisé, et vous avez mangé du fruit défendu. Eh bien ! que vous est-il arrivé ? Aujourd'hui une dure expérience vous révèle toute la malice de ce pernicieux conseil.

Voyez-vous la clémence du juge, sa douceur et sa patience inaltérable ? Entendez-vous ce langage si plein de condescendance, et si élevé au-dessus de nos idées et de nos pensées ? Enfin comprenez-vous comment le Seigneur ouvre à l'homme pécheur la porte du repentir, en lui disant : Qui t'a appris que tu étais nu, si ce n'est que tu as mangé du fruit du seul arbre dont je t'avais défendu de manger ? N'était-ce pas lui déclarer que, malgré sa grave désobéissance, il était encore prêt à lui pardonner. Mais écoutons la réponse du coupable. Et Adam dit : la femme que vous m'avez donnée pour compagne, m'a présenté du fruit de cet arbre, et j'en ai mangé. Cette réponse est en elle-même En cri de détresse et de douleur; et il semble au premier abord qu'elle est un appel à cette miséricorde divine qui toujours surpasse en bonté et en indulgence la malice de nos péchés. Et en effet, le Seigneur (98) venait, par son ineffable patience, de toucher le coeur d'Adam et de lui faire sentir la grièveté de sa faute; et voilà que celui-ci cherche à s'excuser en disant: la femme que vous m'avez donnée pour compagne m'a présenté du fruit de cet arbre et j'en ai mangé. C'est comme s'il eût dit : J'ai péché, je le sais, mais la femme que vous m'avez donnée pour compagne, et dont vous avez dit vous-même : faisons à l'homme une aide qui lui soit semblable, a été la cause de ma chute. Pouvais-je soupçonner que cette femme que vous m'aviez donnée pour compagne me serait un sujet de honte et d'ignominie? je savais seulement que vous l'aviez formée pour être ma consolation. Vous me l'avez donnée, vous me l'avez amenée, et j'ignore quel motif l'a portée à me présenter le fruit que j'ai mangé.

Cette réponse semble donc au premier abord justifier Adam; mais en réalité sa faute était inexcusable. Car comment excuseras-tu, pouvait lui repartir le Seigneur, 'l'oubli de mon commandement, et l'assentiment accordé à la femme plutôt qu'à mes paroles? Celle-ci t'a offert le fruit; soit, mais le souvenir de ma défense, et la crainte du châtiment devaient suffire pour te détourner d'en manger. Ignorais-tu mes ordres, et ne connaissais-tu pas mes menaces? Dans ma prévoyante tendresse je vous avais avertis l'un et l'autre afin que vous évitassiez ces malheurs. Aussi quoique la femme soit à ton égard l'instigatrice du péché, tu ne saurais être innocent. Eh ! ne devais-tu pas te montrer fidèle à mon commandement , repousser le présent fatal et même représenter à la femme l'énormité de sa faute. Tu es le chef de la femme; et elle n'a été formée que pour toi. Mais tu as interverti l'ordre, et, au lieu de la retenir, tu t'es laissé entraîner par elle. Les membres devaient obéir à la tête, et, par une coupable interversion, ce sont les membres qui ont commandé, en sorte que les rangs et l'ordre ont été renversés. Et voilà comment tu es tombé dans cette profonde humiliation, toi qui étais revêtu de gloire et de splendeur.

Qui pourrait donc assez déplorer ton infortune et la perte de biens si précieux ? Toutefois seul tu as fait ton malheur, et tu ne saurais en attribuer la cause qu'à ta propre faiblesse. Car si tu n'y avais consenti, jamais la femme ne feût entraîné dans cet immense désastre. A-t-elle employé à ton égard les prières, le raisonnement ou la séduction? Il lui a suffi de te présenter le fruit, et soudain avec une complaisance extrême tu en as mangé, sans te souvenir de ma défense. Tu as donc cru que je t'avais trompé, et que je ne t'avais interdit l'usage de ce fruit que pour te priver, par jalousie, d'un état plus glorieux encore. Mais comment aurais-je pu te tromper, moi qui t'avais comblé de tant de biens ! et n'était-ce point déjà une grande bonté que de t'avoir à l'avance prévenu des suites qu'entraînerait ta désobéissance. Je voulais donc que tu évitasses le malheur où tu es tombé. Mais tu as tout méprisé, et aujourd'hui, qu'une dure expérience te fait sentir l'énormité de ta faute, il ne te reste plus qu'à t'en reconnaître coupable, sans en accuser ton épouse.

5. C'est ainsi que le Seigneur reprochait à Adam la grièveté de son péché; et celui-ci, tout en l'avouant, cherchait à se justifier en le rejetant sur la femme. Mais voyons maintenant avec quelle bonté ce même Dieu s'adresse alors à celle-ci. Et Dieu, ajoute l'Ecriture, dit à la femme : Pourquoi as-tu fait cela ? tu as entendu ton époux qui t'accuse de toute cette désobéissance, et qui en fait peser la responsabilité sur toi qui lui avais été donnée pour lui venir en aide, et qui n'avais été tirée de sa propre substance que pour être sa consolation. Pourquoi donc, ô femme, as-tu commis ce péché, et pourquoi as-tu attiré sur lui et sur toi cette profonde humiliation ? Quels avantages te procure aujourd'hui cette criminelle intempérance, et quels fruits retires-tu de ce coupable égarement ? Tu as été séduite par ta faute, et tu as rendu ton époux complice de ton péché.

Mais, que répond la femme? Le serpent m'a trompée, et j'ai mangé du fruit. Voyez-vous comment, elle aussi, cherche dans son effroi à excuser sa désobéissance ? Adam avait rejeté sa faute sur la femme, en disant : elle a cueilli le fruit et me l'a présenté, et j'en ai mangé. Et de même celle-ci avoue son péché, et ne trouve nulle autre excusa que de dire : le serpent m'à trompée, et j'ai mangé du fruit. Ce maudit animal a été la cause de ma chute, et ce sont ses pernicieux conseils qui m'ont entraînée dans cette profonde humiliation. Il m'a trompée, et j'ai mangé du fruit.

Ne passons point légèrement sur ces paroles, mes très-chers frères; car un examen attentif nous y fera découvrir d'utiles instructions. Les jugements du Seigneur sont terribles et (99) effrayants; mais si nous les méditons avec soin, ils seront salutaires à notre âme. Ecoutons donc Adam qui dit à Dieu : La femme que vous m'avez donnée pour compagne m'a présenté le fruit, et j'en ai mangé. Ainsi il reconnaît qu'il n'y a eu,à son égard, ni contrainte, ni violence, et qu'il a agi volontairement, et avec une entière liberté. Eve lui a seulement présenté le fruit, et elle n'a exercé sur lui aucune pression, ni aucune violence. Et de même celle-ci ne dit point, pour s'excuser, que le serpent fa portée à manger malgré elle du fruit défendu. Elle se borne à dire : le serpent m'a trompée. Or il dépendait d'elle de repousser la séduction comme d'y succomber : le serpent m'a trompée, dit-elle. Il est donc vrai que l'ennemi de notre salut, parlant par l'organe de ce maudit animal, donna un conseil funeste, et trompa la femme. Mais il ne la violenta point et ne la contraignit point : il usa seulement de fraude pour accomplir ses pernicieux desseins, et s'il s'adressa de préférence à la femme, c'est qu'il la crut plus susceptible de se laisser séduire et de commettre une faute irrémissible.

Le serpent m'a trompée, et j'ai mangé du fruit. Voyez combien le Seigneur est bon. Il se contente de ce seul aveu, et il ne presse ni Adam ni Eve de nouvelles questions. Et certes, quand il les interrogeait, ce n'était point qu'il ignorât leur crime : il le connaissait et en savait toutes les circonstances; aussi ne s'abaissait-il jusqu'à entrer en discussion avec eux, qu'afin de faire mieux éclater sa miséricorde, et les engager à un humble et sincère aveu; c'est pourquoi il ne leur adresse point de nouvelles questions. Sans doute il convenait que Dieu nous fît connaître le genre de séduction qui avait été présenté à nos premiers parents; mais pour montrer qu'il ne les interrogeait point par ignorance du fait, il se contente d'une première réponse. Et, en effet, en disant que le serpent l'avait trompée, et qu'elle avait mangé du fruit défendu, la femme laissait facilement deviner la fatale espérance dont le démon l'avait flattée par l'organe du serpent, en lui promettant qu'ils deviendraient des dieux.

Avez-vous bien observé avec quel soin le Seigneur interroge Adam, et avec quelle indulgence il traite la femme? Avez-vous également remarqué la manière dont ils se justifient? Appréciez donc maintenant l'ineffable miséricorde de ce Juge suprême. La femme a dit : Le serpent m'a trompée, et j'ai mangé du fruit défendu; et cependant le Seigneur ne daigna point interroger cet animal, ni lui donner lieu de se défendre. Il ne lui adressa aucune question, ainsi qu'il l'avait fait à l'homme et à la femme; mais dès que ceux-ci eurent présenté leur justification, il déchargea toute sa colère sur le serpent, comme sur l'auteur du péché. Car le Seigneur, aux yeux duquel rien n'est caché, n'ignorait point que le serpent avait été l’instrument du piège où la noire jalousie du démon avait fait tomber nos premiers parents. Voyez donc comme il use envers ceux-ci de miséricorde et de bonté. Il savait tout, et cependant il dit à Adam : Où es-tu ? et qui t'a appris que tu étais nu ? Il dit également à Eve : Pourquoi as-tu fait cela? Mais il tient au serpent un langage bien différent: Et le Seigneur Dieu dit au serpent : Parce que tu as fait cela. Voyez-vous la différence? Dieu dit à la femme : Pourquoi as-tu fait cela ? Et, au serpent : Parce que tu as fait cela. Oui, parce que tu t'es prêté à ce crime, et que tu as insinué ce perfide conseil; parce que tu as favorisé la jalousie du démon, et que tu as secondé sa malice contre ma créature, tu es maudit entre tous les animaux et toutes les bêtes de la terre; lu ramperas sur le ventre, et tu mangeras la poussière durant tous les jours de ta vie. Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et la sienne. Elle t'écrasera la tête, et tu la blesseras insidieusement au talon. (Gen. III, 14-15.)

6. Remarquez, je vous prie, l'ordre et l'arrangement de ce passage, et vous y trouverez à l'égard de l'homme un précieux témoignage de la bonté divine. Le Seigneur interrogea d'abord Adam, et puis Eve; et quand celle-ci eut désigné son séducteur, il dédaigna d'en écouter la défense, et fulmina contre lui un châtiment qui durera autant que sa vie. Désormais donc la vue seule du serpent rappellera aux hommes qu'ils doivent repousser ses perfides conseils et éviter ses trompeuses embûches. Mais peut-être demanderez-vous pourquoi le serpent est puni, tandis qu'il n'a été que l'instrument du démon qui seul a causé tout ce désastre? Ici encore éclate l'ineffable bonté du Seigneur. Car, de même qu'un,bon père, non content de poursuivre le meurtrier de son fils, brise et met en pièces le glaive ou le poignard qui a servi au crime, le Seigneur punit le serpent qui a été l'instrument de la malice du démon, et veut que la vue de ce châtiment (100) proclame la sévérité avec laquelle il a traité le de mon lui-même. Car si l'instrumenta été châtié si rigoureusement, quel supplice n'a pas été infligé à celui qui l'a mis en œuvre !

Au reste, Jésus-Christ nous en révèle quelque chose dans son Evangile, lorsqu'il nous apprend qu'au jour du jugement il dira à ceux qui seront placés à sa gauche : Retirez-vous de moi, maudits; allez au feu éternel qui été préparé au diable et à ses anges. ( Matth XXV, 41.) C'est donc pour le démon qu'a été préparé ce feu qui ne s'éteindra jamais; et quelle destinée plus affreuse que celle de ces malheureux qui négligent leur salut, et s'exposent ainsi à partager les supplices réservés au diable et à ses anges ! Si nous voulons au contraire embrasser la vertu et observer les lois de Jésus-Christ, nous nous assurerons ce royaume, dont il dit : Venez, les bien-aimés de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. (Matth. XXV, 34.) Ainsi d'un côté sont les feux éternels de l'enfer, et de l'autre, si nous sommes pieux et fervents, le royaume du ciel. Puissent ces pensées nous encourager à travailler au salut de notre âme, à fuir le péché, et à éviter les embûches du démon !

Mais, si vous n'êtes pas trop fatigués, je parlerai encore du châtiment infligé au serpent, afin de vous montrer de plus en plus comment la miséricorde divine' s'y exerce envers nous. Au reste, chaque jour, un concours nombreux entoure le tribunal d'un juge qui instruit la cause de quelques criminels; on y passe des journées entières, et l'on ne se retire pas avant que la séance ne soit levée. A plus forte raison est-il convenable que nous attendions avec un saint empressement l'énoncé du jugement que le Seigneur va prononcer contre le serpent. Il lui infligera un terrible châtiment, parce qu'il a été l'instrument du crime; et la vue de cette peine nous fera comprendre quels supplices éternels le même Dieu réserve au démon. Nous y verrons également avec quelle miséricorde il châtie Adam et Eve, auxquels il adresse plutôt une sévère remontrance qu'il n'inflige une grave punition; et nous en concluerons que nous ne saurions assez admirer la bonté divine ni louer son indulgente providence à notre égard. Ecoutons donc l'écrivain sacré : Et le Seigneur Dieu dit au serpent Parce que tu as rait cela, tu es maudit entre tous les animaux et toutes les bêtes de la terre; tu ramperas sur le ventre, et tu mangeras la poussière durant tous les jours de ta vie. Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et la sienne : elle te brisera la tête, et tu la blesseras insidieusement au talon.

7. La colère et l'indignation éclatent dans ces paroles : mais aussi il est grand et énorme le péché dans lequel le démon, par l'organe du serpent, entraîna nos premiers parents. Or, le Seigneur Dieu dit au serpent : parce que tu as fait cela; parce que tu as été le ministre du démon dans ses projets homicides, et que tuas secondé sa malice en servant d'organe à ses mauvais conseils et ses flatteries empoisonnées; parce que tu as fait cela, et que tu as contribué à déshériter mes créatures de mes grâces et de ma bienveillance, en te prêtant aux perfides desseins de l'ange rebelle qui, en punition de son orgueil et de sa noire jalousie, a été précipité du ciel sur la terre ; parce que, dans toutes ces horribles machinations, tu t'es montré son docile instrument, je t'inflige un châtiment qui durera toujours. Il suffira donc au démon de te voir, pour qu'il sache quels supplices lui sont réservés, et aux hommes, pour qu'ils apprennent à éviter ses piéges et à se garantir de ses embûches, s'ils ne veulent un jour partager ses tourments. Ainsi tu es maudit entre tous les animaux, parce que tu as fait un perfide usage de la finesse qui te distinguait entre eux tous, et que tu n'as usé de ce don que pour causer les plus grands maux.

N'oublions pas en effet cette parole de l'Ecriture : Le serpent était le plus rusé de tous les animaux qui étaient sur la terre. C'est pourquoi le Seigneur lui dit : Tu seras maudit entre tous les animaux et toutes les bêtes de la terre. Mais comme cette malédiction eût échappé à nos sens et à nos yeux, Dieu voulut lui infliger un châtiment visible qui nous rappelât sans cesse son crime et son supplice. Aussi ajoute-t-il : Tu ramperas sur le ventre, et tu mangeras la poussière durant tous les jours de ta vie. Tu as abusé de tes qualités naturelles, et tu as bien osé entrer en conversation avec l'homme raisonnable que j'avais créé : tu as donc imité le démon, auquel tu as servi de complaisant ministre, et qui a été chassé du ciel, parce qu'il affecta des pensées au-dessus de sa condition. Et de même je t'inflige un châtiment qui va changer ta nature. Tu ramperas sur la terre, et tu te nourriras (101) de la poussière. Ainsi, tu ne pourras jamais t'élever vers le ciel, ruais tu demeureras toujours dans cet état d'humiliation, et seul de tous les animaux, tu te nourriras de la poussière. Bien plus : Je mettrai inimitié entre toi et la femme; entre ta postérité et la sienne. Car peu content de te voir ramper sur la terre, je ferai de la femme ton ennemie irréconciliable, en sorte que la guerre subsistera toujours entre ta postérité et la sienne. Enfin elle t'écrasera la tête, et tu la blesseras insidieusement au talon. Oui, je lui donnerai la force de te marcher sur la tête, et tu t'agiteras vainement sous ses pieds.

Cette punition du serpent nous manifeste, mon cher frère, la grande bonté du Seigneur à l'égard de l'homme. Mais ce que l'Ecriture dit ici du serpent matériel, peut surtout, et dans un sens véritable, s'entendre du serpent spirituel, et s'appliquer au démon. Et en effet, pour humilier cet esprit superbe, Dieu le contraint à ramper sous nos pieds, et il nous donne le pouvoir de lui marcher sur la tête. N'est-ce pas là ce que signifient ces paroles de Jésus-Christ : Foulez aux pieds les serpents et les scorpions? Et de peur que nous ne les entendions d'un serpent matériel, il ajoute : Et toute puissance de l'ennemi. (Luc, X, 19.)

C'est ainsi que. l'ineffable bonté du Seigneur éclate dans le châtiment qu'il inflige au serpent, complice et organe du démon. Mais revenons à la femme, s'il vous plaît. Le serpent a été puni lé premier, parce qu'il a été l'instigateur du péché : et maintenant la femme qui s'est laissée séduire, et qui a entraîné l'homme, entendra avant lui sa sentence, et ce terrible avertissement: Et le Seigneur dit à la femme : Je multiplierai tes calamités et tes gémissements : tu enfanteras dans la douleur; tu seras sous la puissance de ton mari, et il te dominera. (Gen. IX, 16.) Admirez ici encore la bonté du Seigneur, et voyez avec quelle indulgence il traite la femme, même après un si grand crime. Je multiplierai, lui dit-il, tes calamités. Je te destinais dans le principe une existence qui eût été exempte de douleur et d'affliction, et qui, affranchie de tout chagrin et de toute tristesse, n'aurait connu que la joie et le plaisir. Revêtue d'un corps mortel, tu n'aurais ressenti aucune de ses tristes nécessités; mais parce que tu n'as pas su user de ces précieuses faveurs, et que l'excès même du bonheur t'a rendue ingrate, je t'imposerai un frein qui te retiendra dans le devoir, et je te condamne désormais aux pleurs et aux gémissements.

Je multiplierai donc tes calamités et tes gémissements, et tu enfanteras dans la douleur. La joie que tu éprouveras de devenir mère commencera donc par la douleur; et cette douleur, qui se renouvellera à chaque enfantement, te rappellera incessamment la grièveté de ta faute et de ta désobéissance. Mais de peur que la suite des années n'en affaiblisse le souvenir, et afin que tu n'oublies point que c'est là le châtiment de ton péché, je multiplierai tes calamités et tes gémissements, et tu enfanteras dans la douleur.

8. Cette sentence fut comme une prophétie des souffrances et des maux auxquels la femme est assujétie : une grossesse de neuf mois, pénible et laborieuse, et des douleurs intolérables qu'il faut avoir ressenties pour les comprendre. Cependant le Seigneur, toujours bon et miséricordieux, a voulu adoucir pour la femme ces peines si cruelles par les joies de la maternité. Ainsi elle oublie, à la naissance d'un fils, toutes les douleurs qui ont précédé et accompagné, cette naissance. Aussi voyons-nous que la femme, au milieu même des souffrances inouïes qui mettent sa vie en péril, n'est pas plutôt devenue mère, qu'elle s'épanouit à la joie, et qu'oubliant toutes ses angoisses, elle ne songe qu'à allaiter son enfant. Reconnaissons en cela une bienfaisante disposition du Seigneur, qui pourvoit à la conservation du genre humain. Car toujours l'espoir d'un bien à venir rend plus légers les maux présents. C'est ainsi que les marchands traversent l'immensité des mers, affrontent les tempêtes et lés pirates; et lorsqu'échappés à mille dangers, ils voient s'évanouir toutes leurs espérances, ils ne laissent pas néanmoins d'entreprendre une nouvelle navigation. Ainsi encore, le laboureur défonce profondément son champ, 1e cultive avec soin, et lui confie une abondante semence; et trop souvent la sécheresse, ou la pluie, et même la rouille et la nielle font périr ses moissons au moment où il va les recueillir; toutefois il ne se rebute point, et il recommence ses travaux dès que la saison le lui permet.

Cette observation s'applique à tous les divers genres d'industrie, et se vérifie également dans la femme. Elle a donc supporté pendant neuf mois d'intolérables douleurs, des nuits sans sommeil et des tortures affreuses; quelquefois (102) par suite d'un accident, elle est accouchée avant terme, et a donné le jour à un foetus informe, ou bien elle a mis au monde un enfant estropié, idiot ou mort-né; et à peine est-elle échappée à ces graves dangers, qu'elle oublie tous ses maux, et s'expose de nouveau aux périls de la maternité. Que dis-je ! elle en affronte même de plus grands encore, car il n'est pas rare de voir des mères mourir de suites de couches; et néanmoins ces exemples n'épouvantent point les autres femmes, et ne les détournent point du mariage, tant le Seigneur a mélangé leurs douleurs de joie et de contentement ! Voilà pourquoi il dit à Eve : Je multiplierai tes calamités et tes gémissements; et tu enfanteras dans la douleur. C'est à cette parole que faisait allusion Jésus-Christ, lorsqu'il comparait l'excès des tribulations de la mère avec la plénitude de ses joies. Quand une femme, dit-il, enfante, elle est dans la tristesse, parce que l'heure est venue. Voilà bien la douleur; et puis il ajoute, pour nous montrer que cette douleur passe, et que la joie et l'allégresse lui succèdent : Mais après qu'elle a enfanté un fils, elle ne se souvient plus de son affliction, à cause de sa joie, parce qu'un homme est né au monde. (Jean, XVI, 21.)

Voyez-vous donc comme se manifestent à notre égard la bonté du Seigneur et sa providence , et comme cette parole : Tu enfanteras dans la douleur, est pour la femme une punition et un sévère avertissement. Dieu ajoute Tu seras sous la puissance de ton mari, et il te dominera. Ne semble-t-il pas qu'ici Dieu cherche à s'excuser? et c'est comme s'il disait à la femme : dans le principe je t’avais assigné le même rang d'honneur et de gloire qu'à l’homme ; je t'avais communiqué tous les privilèges, et je t'avais donné comme à lui l'empire de l'univers ; mais puisque tu as abusé de ta dignité, je te soumets à l'homme. Tu seras sous la puissance de ton mari, et il te dominera. Tu as abandonné celui dont tu partageais la gloire et la nature , et pour qui tu avais été formée, afin de lier des relations avec le serpent, et de recevoir par lui les perfides conseils du démon : eh bien ! je te soumets à l'homme, et je l'établis ton maître; tu reconnaîtras son autorité, et parce que tu n'as pas su commander, tu apprendras à obéir. Ainsi tu seras sous la puissance de ton mari, et il te dominera. Car il vaut mieux pour toi de lui être soumise et de reconnaître son autorité, que de vivre libre de tout joug, et exposée à te précipiter dans le mal. C'est ainsi qu'il est plus utile au cheval d'obéir au frein, et de marcher d'un pas sûr et réglé, que de s'élancer çà et là d'une course aventureuse et désordonnée. Je te soumets donc à l'homme pour ton propre avantage, et je veux que tu lui obéisses sans contrainte, comme dans le corps les membres obéissent à la tête.

9. Mais je m'aperçois que la longueur de ce discours vous fatigue; et néanmoins je vous demande encore quelques instants d'attention. Car il serait indécent de nous retirer quand le juge est encore assis sur son tribunal, et de ne pas entendre l'énoncé entier du jugement. Au reste nous touchons à la fin. Ecoutons donc la sentence que Dieu, après avoir parlé à la femme, prononça à l'homme, et le châtiment qu'il lui infligea. Et Dieu dit à Adam : Parce que tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé du seul fruit dont je t'avais ordonné de ne pas manger, la terre est maudite dans ton oeuvre; et tu ne mangeras de ses fruits, durant tous les jours de ta vie, qu'avec un grand travail. Elle ne produira pour toi que des épines et des chardons, et tu te nourriras de l'herbe de la terre. Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front, jusqu'à ce que tu retournes dans la terre d'où tu as été tiré; car tu es poussière et tu retourneras en poussière. (Gen. VII, 17, 18, 19.)

Ces paroles renferment de nombreux traits de bonté et de providence à notre égard : mais pour bien les apprécier, il faut approfondir chaque mot. Or Dieu dit à Adam : tu as écouté la voix de ta femme, et tu as mangé du seul fruit dont je t'avais ordonné de ne pas manger; tu as donc, en écoutant sa voix, et en mangeant de ce fruit, préféré ses insinuations â mon commandement, et tu n'as pas voulu t'abstenir du seul fruit dont je (avais ordonné de ne point manger, car ma défense se bornait à cette exception : cependant tu né l'as pas respectée , et tu as enfreint mes ordres pour obéir à ton épouse : aussi tu vas connaître toute l'énormité de ta faute.

Ecoutez , ô hommes ! écoutez, ô femmes ! que ceux-ci ne souffrent point de semblables insinuations, et que celles-là ne se les permettent pas! Car si Adam ne put se justifier en rejetant son péché sur la femme, il servirait peu à un mari de dire : j'ai commis cette faute par complaisance pour mon épouse. La femme (103) a été placée sous la puissance de l'homme, et il en a été établi le maître, afin de s'en faire obéir. Les pieds ne doivent point commander à la tête. Et néanmoins nous voyons trop souvent que celui qui par son rang devrait être la tête, s'abaisse à devenir les pieds, et que celle qui devrait être les pieds, s'attribue les fonctions de la tête. C'est cette confusion que prévoyait le grand Apôtre, le Docteur des nations, quand il s'écriait: Femme, savez-vous si vous sauverez votre mari ? et vous, mari, savez-vous si vous sauverez votre femme? (I Cor. VII, 15.) Cependant il appartient à l'homme de repousser vivement tout mauvais conseil que la femme se permettrait de lui donner; et celle-ci ne doit jamais oublier le châtiment dont Eve fut punie pour avoir suggéré à Adam cette funeste désobéissance. Elle doit encore, loin d'imiter Eve, et de reproduire ses criminelles insinuations, s'instruire à son malheur, et ne jamais donner à son mari un conseil qui ne serait pas salutaire et utile à l'un et à l'autre. Mais revenons à notre sujet.

Or Dieu dit à Adam :Parce que tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé du seul fruit dont je t'avais ordonné de ne point manger; parce que tu as négligé d'observer mon commandement, et que ni la crainte, ni les menaces des châtiments qui suivraient ton péché, n'ont pu te retenir, et parce que tu as commis la faute énorme de toucher au seul fruit que j'avais excepté, en t'abandonnant l'usage de tous les autres, la terre est maudite dans ton oeuvre. Reconnaissons ici la bonté divine dans la manière différente dont il punit le serpent, animal irraisonnable , et l'homme, être doué de raison. Il dit au premier : tu es maudit sur la terre; et au second : la terre est maudite dans ton oeuvre. Et c'est à juste titre : car elle avait été créée pour l'homme, afin qu'il jouît de ses productions. Mais parce que l'homme a péché, elle est maudite; et l'effet de cette malédiction sera de troubler le repos et la tranquillité de l'homme.

Voilà donc, dit le Seigneur, que la terre est maudite dans ton oeuvre; et pour nous apprendre les effets de cette malédiction, il ajoute : et tu ne mangeras de ses fruits, durant tous les jours de ta vie, qu'avec un grand travail. Ne voyez-vous pas ce châtiment traverser tous les siècles, et après avoir été utile au premier homme, apprendre encore à ses descendants quelle est l'origine de leurs malheurs. Mais écoutons les paroles suivantes qui spécifient mieux encore le genre de cette malédiction, et la cause de ce pénible travail. Et Dieu dit : la terre ne te produira que des épines et des chardons. Ce seront là comme les monuments de ma malédiction; et tu ne rendras la terre féconde qu'à force de soins et de labeurs. Ainsi toute ta vie s'écoulera dans la tristesse et le travail, afin qu'ils soient un frein qui réprime l'arrogance de ton orgueil, et te ramène forcément à la pensée de ton néant; tu ne seras donc plus tenté de te bercer de coupables illusions, car tu te nourriras de l'herbe de la terre, et tu mangeras ton pain d la sueur de ton front.

Mais avant d'expliquer ces paroles, observons comment le péché de l'homme a changé pour lui toutes les conditions premières de la vie. Car c'est comme si Dieu lui disait : je t'avais préparé, en te créant, une existence exempte de douleurs, de travail, de fatigues et d'inquiétudes. Tu eusses joui d'un bonheur parfait, et sans connaître aucun des tristes assujettissements du corps, tu aurais pleinement goûté toutes les délices de la vie. Mais tu n'as pas su apprécier cet heureux état, et voici que je maudis la terre. Désormais, si tu ne l'ensemences et si tu ne la cultives , elle ne te donnera plus, comme auparavant, ses diverses productions; je joindrai même à ces travaux, et à ces pénibles labeurs, les maladies et de continuelles fatigues, en sorte que tu ne réussiras en quelque chose qu'au prix de tes sueurs, et ainsi cette dure existence te sera une continuelle leçon d'humilité, et un souvenir de ton néant.

En outre, cette malédiction ne se bornera pas à quelques années, mais elle s'étendra à tout le cours de ta vie; et tu mangeras ton pain à la sueur de ton front jusqu'à ce que tu retournes dans la terre d'où tu as été tiré, car tu es poussière , et tu retourneras en poussière. Oui, telle sera ta destinée , jusqu'à la fin de tes jours, et jusqu'à ce que tu retournes dans la terre d'où tu as été tiré. Car c'est du limon de la terre qu'a été formé le corps que je t'ai donné dans ma bonté, et c'est en ce même limon qu'il se résoudra. Tu es poussière, et tu retourneras en poussière. En vain pour te faire éviter tous ces maux, j'avais dit : Ne mangez pas de ce fruit, et le jour où vous en mangerez, vous mourrez certainement ; je ne voulais donc point ta mort, et de mon côté, je n'ai rien négligé de tout ce que je pouvais faire ; (104) mais tu t'es précipité toi-même dans cet abîme de maux, et tu ne dois en accuser que ta propre négligence.

Ici se présente une question que je vais résoudre en peu de mots, et qui mettra fin à cet entretien. Dieu dit à nos premiers parents : Le jour où vous mangerez du fruit défendu, vous mourrez certainement. Or il est indubitable qu'après leur péché et leur désobéissance, ils ont vécu un grand nombre d'années. Cette difficulté n'en est une que pour ceux qui lisent superficiellement l'Ecriture sainte; car un lecteur attentif l'explique aisément, et découvre sans peine le sens de ce passage. Sans doute Adam et Eve vécurent encore bien des années, et néanmoins le jour où ils entendirent cette parole: Vous êtes terre, et vous, retournerez en terre, une sentence de mort leur fut prononcée, en sorte qu'on peut dire que dès ce moment ils subirent la mort. Ainsi le sens de ce passage : Le jour où vous mangerez du fruit, défendu, vous mourrez certainement , est que dès ce moment ils surent qu'ils étaient soumis à la mort. Eh ! ne voyons-nous pas que dans les tribunaux, le criminel condamné à mort est reconduit en prison, et que même il y reste assez longtemps. Cependant on le regarde déjà comme mort, parce qu'une sentence capitale a été rendue contre lui. Et de même depuis le jour où le Seigneur prononça contre nos premiers parents un arrêt de mort, ils furent sous le coup de cet arrêt, quoique l'exécution en ait été différée pendant bien des années.

Cet entretien s'est prolongé au delà des bornes ordinaires; mais puisque j'ai pu, par la grâce de Dieu, et selon mes forces, terminer l'explication du passage de la Genèse qui avait été lu, je conclus immédiatement. Sans doute il serait facile de développer encore ce sujet, et de montrer que la miséricorde divine surnage même au-dessus de ces flots de mort qui submergent tous les hommes. Cependant je n'en dirai rien pour ne pas trop fatiguer votre mémoire, et je vous prie. seulement de ne point, au sortir de cette assemblée, vous rendre à d'insipides réunions, ni vous amuser à de frivoles conversations. Le sujet d'un intéressant entretien serait de résumer en soi-même, ou de vous réciter les uns aux autres les principaux points de cette instruction : les questions du luge suprême, et les réponses des coupables; la justification d'Adam, qui rejette sa faute sur la femme, et l’excuse de celle-ci qui accuse le serpent; la punition de cet animal, et son châtiment éternel, châtiment qui atteste la colère du Seigneur contre lui, et sa miséricordieuse bonté envers ceux qu'il a séduits. Et en effet, puisque Dieu punit si sévèrement le séducteur, c'est une preuve qu'Adam et Eve, victimes de ses fourberies, lui étaient agréables, et qu'il s'intéressait encore à leur bonheur. Rappelez-vous ensuite la sentence prononcée à la femme, la punition, et le sévère avertissement qu'elle reçut, et enfin n'oubliez point cet arrêt prononcé à Adam : Tu es terre, et tu retourneras en terre.

Ces diverses réflexions vous feront admirer de plus en plus l'ineffable miséricorde du Seigneur. Car quoique nous ne soyons que poussière, et que nous devions retourner en poussière, nous pouvons, par la pratiqué de la vertu et la fuite du vice, obtenir ces biens ineffables qu'il a préparés à ceux qui l'aiment, et dont il est écrit : 1'œil n'a point vu, l'oreille n'a point entendu, et le coeur de l'homme n'a point compris. (I Cor. II, 9.) Il est donc juste que nous offrions au Seigneur d'éternelles actions de grâce pour tant de bienfaits, et que }fous n'en perdions jamais le souvenir. Nous devons également nous appliquer, par l'exercice des bonnes oeuvres, et par la fuite constante du péché, à calmer sa colère, et à nous le rendre propice. Eh ! ne serait-ce pas une monstrueuse ingratitude si nous venions à oublier que Dieu, immortel et impassible de sa nature, n'a pas dédaigné, pour nous délivrer de la mort, de prendre notre chair mortelle et terrestre, de l'élever au plus haut des cieux, de la faire asseoir à la droite de son Père, et de lui assurer les adorations des anges? Mais nous, hélas ! nous tenons une conduite tout opposée; nous ensevelissons dans la chair et la boue notre âme qui est immortelle, nous l'assujettissons à la terre et à la mort, et nous la rendons incapable, de rien faire pour le ciel et la vie éternelle. Ah ! je vous en conjure, ne nous montrons pas ingrats jusqu'à ce point envers un tel bienfaiteur; et soyons au contraire obéissants à ses préceptes, et empressés à faire tout ce qui peut lui plaire, afin qu'il nous rende lui-même dignes des félicités célestes. Fuissions-nous tous les obtenir, par la grâce et la bonté de J.-C. N.-S., à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

 

 

DIX-HUITIÈME HOMÉLIE. " Et Adam donna à sa femme le nom d'Eve, parce qu'elle est la mère de tous les vivants. Et le Seigneur Dieu fit à Adam et à sa femme des tuniques de peau, et il les en revêtit ; et il dit : Voici Adam devenu comme l'un de nous. " (Gen. III; 20, 21; 22.)
ANALYSE.

1. Saint Chrysostome rappelle d'abord que la punition de nos premiers parents doit nous rendre attentifs et vigilants à éviter le péché, puis il explique pourquoi Adam donna à son épouse le nom d'Eve. — 2.-3. Les habits de peaux dont le Seigneur les revêtit, attestent sa bonté, et nous avertissent d'éviter le luxe et la somptuosité des vêtements. — L'orateur prend l'occasion d'une sévère leçon aux riches, puis il explique, comme un ironique accomplissement des promesses du démon, cette parole : " Voilà qu'Adam est comme l'un de nous. " Ce fut aussi par un effet de miséricorde que Dieu chassa Adam du paradis terrestre, avant qu'il eût mangé du fruit de l'arbre de vie; parce que l'immortalité l'eût conduit toujours à pécher. — Il l'obligea aussi à demeurer vis-à-vis du paradis terrestre, afin que la vue de ce lieu lui rappelât sa faute , et il l'assujettit à un dur travail pour qu'il ne s'attachât pas trop à la vie. — 4. Au sujet de ces mots : " Adam connut son épouse, " saint Chrysostome fait observe que la virginité fut le premier état d'Adam et d'Eve, et il en relève l'excellence. — 5. Il dit ensuite que si Dieu agréa les présents d'Abel, et rejeta ceux de Caïn, ce fut par suite de leurs dispositions intérieures, et il s'étend longuement sur la bonté avec laquelle le Seigneur parla à Caïn et chercha à lui inspirer de meilleurs sentiments. — 6. Il termine enfin par quelques mots sur le: soin que bous devons avoir de fuir le péché dans lequel tomba Caïn.

1. Hier, vous avez pu apprécier l'indulgence du juge supérieur, et la bienveillance de ses paroles. Vous avez vu également la diversité des châtiments infligés aux coupables. Ainsi le tentateur a été puni tout autrement que ceux qu'il avait séduits; et la miséricorde divine a éclaté éminemment même dans la sentence rendue contre nos premiers parents. Il nous a donc été utile d'assister à ce solennel jugement, et d'en suivre tous les détails. Car nous avons connu de quels biens Adam et Eve se sont eux-mêmes privés par leur désobéissance; et nous avons appris comment le péché les a dépouillés d'une gloire. toute céleste et d'une existence tout angélique. Enfin, nous avons admiré la patience du Seigneur, et nous avons compris quel grand mal est la faiblesse puisqu'elle a entraîné pour l'homme la perte de si précieux avantages, et l'a plongé dans une humiliante dégradation. C'est pourquoi je vous en supplie, veillons sur nous-mêmes, afin que cette chute nous soit un salutaire avertissement, et que ce châtiment nous retienne dans une sage défiance. Nous serons en effet punis très-sévèrement, si ce terrible exemple ne nous détourne pas d'offenser Dieu. Car tout péché de rechute mérite d'être châtié plus rigoureusement. C'est ce que nous apprend l'illustre docteur des nations, le bienheureux Paul, quand il nous dit que tous ceux qui ont péché sans la loi, périront sans la loi, et que tous ceux qui ont péché sous la loi, seront jugés par la loi. (Rom. II, 12.) Le sens de ce passage est que ceux qui ont péché avant la loi évangélique seront traités avec plus d'indulgence que nous qui vivons sous cette loi, et qui mériterons un plus rigoureux châtiment parce que nous péchons après l'avoir reçue. Car tous ceux qui ont péché sans la loi, périront sans la loi; et ce leur sera un avantage par rapport au châtiment de n'avoir reçu ni la connaissance, ni les secours de la loi... Mais tous ceux qui ont péché sous la loi, seront jugés parla loi; parce qu'elle leur enseignait, (106) dit l'Apôtre, ce qu'ils devaient faire, et qu'ils n'ont point voulu suivre ses prescriptions. Aussi seront-ils, pour les mêmes péchés, punis plus sévèrement que les infidèles.

Mais expliquons le passage qui vient d'être lu. Et Adam donna à sa femme le nom d'Eve, qui signifie vie, parce qu'elle est la mère de tous les vivants. Observez ici le soin que prend, l'écrivain sacré de nous transmettre ces détails. Nous apprenons ainsi qu'Adam donna un nom à son épouse, et qu'il l'appela Eve, c'est-à-dire vie, parce qu'elle est la mère de tous les vivants. Elle est en effet la tige du genre humain et comme la racine et le principe de toutes les générations. Mais après nous avoir instruit de quelle manière Adam donna un nom à son épouse, Moïse nous fait connaître de nouveau la bonté de Dieu qui n'abandonna pas ses créatures dans la honteuse nudité où elles s'étaient plongées. Et le Seigneur Dieu, dit-il, fit à Adam et à sa femme des tuniques de peau, et il les en revêtit. Le Seigneur agit alors comme un bon père se conduit envers un enfant prodigue. Ce fils de famille était doué d'un bon naturel et avait été élevé avec soin. Il jouissait dans la maison paternelle d'une riche abondance, portait des vêtements de soie, et avait à sa disposition un opulent patrimoine. Mais voilà que l'excès même de la prospérité le précipite dans le mal; et alors son père lui retranche tous ces divers avantages, le retient de plus près sous sa dépendance, et remplace ses somptueux vêtements par un habit simple et commun qui cache seulement sa nudité. C'est ainsi qu'Adam et Eve s'étant rendus indignes de cette gloire brillante qui les couvrait et qui les affranchissait de tous les besoins du corps, Dieu leur retira cet éclat ainsi que la possession de tous les biens dont ils jouissaient avant cette épouvantable chute. Cependant, il eut compassion d'une si grande infortune, et les voyant honteux d'une nudité qu'ils ne pouvaient ni couvrir, ni cacher, il fit des tuniques de peau et les en revêtit.

Voilà donc où aboutissent les artifices du démon. Dès que nous prêtons l'oreille à ses suggestions, il nous séduit par l'amour de quelque plaisir passager, et nous entraîne dans l'abîme du péché. Puis il nous abandonne, tout couverts de honte et de confusion, à la pitié et aux regards de tous. Mais le Seigneur, qui s'intéresse toujours au salut de nos âmes, ne détourna point ses yeux du triste état où nos premiers parents étaient réduits, et il leur donna un vêtement dont la simplicité seule était un souvenir de leur chute. Et le Seigneur Dieu fit donc à Adam et à son épouse des tuniques de peau, et il les en revêtit. Observez ici, je vous le demande, avec quelle condescendance l'Ecriture se proportionne à notre faiblesse. Mais, je l'ai dit, et je le répète, il faut toujours lui donner un sens digne de Dieu. Ainsi ce mot : Dieu fit des tuniques, doit être pris dans ce sens qu'il commanda que ces tuniques existassent; et il voulut que nos premiers parents s'en couvrissent, afin que ce vêtement leur rappelât sans cesse leur désobéissance.

2. Ecoutez, ô riches ! ô vous qui vous enorgueillissez du travail des vers à soie, et qui vous parez des plus superbes étoffes ! écoutez cette leçon de modestie que le Seigneur nous a donnée dès les premiers jours de la création. L'homme avait mérité la mort par son péché, et il avait besoin d'un vêtement pour cacher sa nudité; et voilà que Dieu se borne à le revêtir d'une tunique de peau. Il voulut ainsi nous apprendre à fuir une vie molle et voluptueuse, et à embrasser de préférence une vie dure et austère. Mais peut-être les riches, rebutés de cette morale sévère, me diront-ils Eh quoi ! voulez-vous que nous nous habillions de peaux de bêtes? Je ne dis point cela; et nos premiers parents eux-mêmes n'ont pas toujours porté cette sorte de vêtements, car la bonté divine ne cesse jamais de se montrer généreuse et bienfaisante. C'est ainsi que du jour où Adam et Eve furent soumis aux besoins de la nature, et qu'ils perdirent cette douce et angélique existence dans laquelle ils avaient été créés, le Seigneur leur permit de tisser la laine pour s'en faire des vêtements. Il convenait en effet que l'homme, être raisonnable, fût vêtu, et qu'il ne vécût point, comme un animal, dans la honte et la nudité. Nos habits nous rappellent donc les biens que nous avons perdus, et le châtiment que, par leur désobéissance, Adam et Eve, ont attiré sur tout le genre humain.

Mais comment excuser ce luxe effréné qui rejette l'usage de la laine, pour ne porter que de la soie, et qui même pousse l'extravagance jusqu'à la rehausser de broderies d'or. Ce sont principalement les femmes qui s'adonnent à ces vanités; et moi, je leur dis : pourquoi parer ainsi votre corps? et pourquoi vous (107) enorgueillir de ce pompeux attirail? Vous oubliez donc que les habits sont une suite du châtiment infligé à nos premiers parents. Aussi l'Apôtre nous dit-il : Ayant de quoi nous nourrir et de quoi nous couvrir, nous devons être contents. (I Tim. 6, 8.) Ainsi il faut borner notre sollicitude au strict nécessaire; et il suffit que notre corps soit couvert, sans nous inquiéter de la beauté, ni de la variété des habits. Mais poursuivons le récit de la Genèse.

Et le Seigneur Dieu dit : Voici Adam devenu comme l'un de nous, sachant le bien et le mal; maintenant donc craignons qu'il n'avance la main et ne prenne aussi de l'arbre de vie, et qu'il n'en mange et ne vive éternellement. Et le seigneur Dieu le mit hors du jardin de délices, pour qu'il cultivât la terre d'où il avait été tiré. (Gen. III, 22, 23.) Ici encore le Seigneur use d'expressions proportionnées à notre faiblesse : Et le Seigneur Dieu dit : voici Adam devenu comme l'un de nous, sachant le bien et le mal. Quelle simplicité de langage ! mais comprenons-le dans un sens digne de Dieu. Il nous rappelle donc de quelle manière le démon, par l'organe du serpent, trompa nos premiers parents. Il leur avait dit : Si vous mangez de ce fruit, vous serez comme des dieux; et ils en mangèrent dans le fol espoir de s'égaler à la divinité. C'est pourquoi Dieu, voulant de nouveau leur faire sentir la grièveté de leur faute, et l'illusion de leurs espérances, dit ironiquement: Voici Adam devenu comme l’un de nous.

Cet amer reproche était tout personnel et ne pouvait que jeter Adam dans une extrême confusion. C'est comme si le Seigneur lui eût dit : tu as transgressé mon commandement pour t'égaler à moi. Eh bien! ce que tu as désiré est arrivé, ou plutôt ce que tu ne désirais pas, mais ce que tu méritais justement. Car tu es devenu comme l'un de nous, sachant le bien et le mal. Le démon avait encore dit à Eve, par l'organe du serpent : Vos yeux seront ouverts, et vous serez comme des dieux, sachant le bien et le mal. Aussi le Seigneur ajouta-t-il : Et maintenant craignons qu'il n'avance la main, et ne prenne de l'arbre de vie, et qu'il n'en mange et ne vive éternellement. Ici encore se manifeste la miséricorde divine; mais il nous faut approfondir chacune de ces paroles pour n'en rien perdre, et en découvrir toutes les richesses cachées. Lorsque Dieu fit un commandement à Adam, il lui permit l'usage de tous les fruits, à l'exception d'un seul, le menaçant de mort, s'il osait y toucher. Mais en lui faisant ce commandement et cette menace, il ne lui dit rien de l'arbre de vie. Adam, créé immortel, pouvait donc, selon moi, et autant que je comprends ce passage, manger du fruit de cet arbre, comme de tous les autres; et ainsi il eût pu s'assurer l'immortalité, puisqu'il n'avait reçu aucune défense touchant cet arbre.

3. Si l'on me demandait curieusement pourquoi cet arbre est appelé l'arbre de vie, je répondrais que la raison humaine est incapable par elle-même de comprendre toutes les oeuvres de Dieu. Nous savons seulement qu'il a plu au Seigneur que, dans le paradis terrestre, l'homme eût comme une matière à la vertu d'obéissance et au péché de désobéissance. C'est pourquoi il planta ces deux arbres, l'un de vie et l'autre de mort, pour ainsi parler. Car c'est pour avoir mangé du fruit de ce dernier contre l'ordre de Dieu, que l'homme a été assujetti à la mort. Mais dès l'instant ou il toucha au fruit défendu, le péché entra dans le monde et l'homme devint sujet à la mort, et à toutes les infirmités de la nature. Cependant cette mort était dans les conseils divins une grâce plus encore qu'un châtiment; aussi le Seigneur ne voulut-il plus qu'Adam habitât le paradis terrestre. Il l'en chassa donc, lui prouvant, par cette rigueur même, qu'il n'agissait que par bonté et dans son intérêt. Mais cette doctrine exige un examen plus approfondi de ce passage.

Et maintenant, dit le Seigneur, craignons qu'Adam n'avance la main, et ne prenne aussi du fruit de l'arbre de vie, et qu'il n'en mange et ne vive éternellement. C'est comme s'il eût dit : Un excès d'intempérance a porté l'homme à transgresser mon commandement, et son péché l'a soumis à la mort. Aujourd'hui donc, s'il osait toucher au fruit de l'arbre de vie, il acquerrait l'immortalité et ne cesserait de pécher. C'est pourquoi il lui est avantageux que je le chasse du paradis terrestre; et je lui donnerai en cela plutôt une marque de bonté que de colère et de vengeance. Ainsi parla le Seigneur; et il est vrai de dire que ses châtiments comme ses bienfaits font éclater sa miséricorde. Ainsi ce dur exil devint pour Adam une salutaire leçon. Car si Dieu n'eût prévu que l'impunité rendrait les hommes plus coupables, il n'eût point chassé Adam du paradis terrestre. (108) Mais ce fut pour empêcher en eux les progrès du vice et fermer la voie à une malice qui n'aurait point su s'arrêter, qu'il châtia Adam dans une pensée toute de miséricorde; et c'est ce qu'il fait encore chaque jour à l'égard des pécheurs.

Il ordonna donc, par bienfaisance et par bonté, que l'homme fût chassé du paradis terrestre. Et le Seigneur Dieu, dit l'Ecriture, mit Adam hors du jardin de délices, pour qu'il labourât la terre d'où il avait été tiré. Remarquez ici l'exactitude de l'écrivain sacré. Il nous apprend que le Seigneur Dieu mit Adam hors du jardin de délices, pour qu'il labourât la terre d'où il avait été tiré. L'arrêt divin reçoit dès lors son exécution, et l'homme, chassé du jardin de délices, fut contraint de travailler la terre. Ce n'est pas non plus sans raison que l'Ecriture ajoute : d'où il avait été tiré. Car ce travail devait être pour lui une leçon continuelle d'humilité, en lui rappelant que son corps avait été formé du limon de la terre. Aussi est-il dit expressément : Pour qu'il travaillât la terre d'où il avait été tiré. C'est encore comme la conséquence de cette autre parole du Seigneur : Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front , qu'Adam reçut alors l'ordre de travailler la terre d'où il avait été tiré.

L'Ecriture nous apprend ensuite à quelle distance du paradis terrestre Dieu l'établit, puisqu'elle ajoute que le Seigneur Dieu chassa Adam, et le fit habiter en face du jardin de délices. Mais ici observons comme dans toutes ses couvres Dieu se montre plein de miséricorde, même quand il nous châtie. Ainsi c'est par bonté et par miséricorde qu'il châsse Adam du paradis terrestre; et s'il l'établit ensuite en face de ce même séjour, c'est afin que chaque jour il conçoive un nouveau regret de son ancien état, et une douleur nouvelle de ses malheurs présents. Sans doute cette vue lui était bien triste et bien amère, et toutefois il y trouvait une utile leçon; car elle le rendait plus sage et plus vigilant, et l'empêchait de pécher. Il n'est en effet que trop ordinaire à l'homme d'abuser des biens dont il jouit, et de ne se corriger que quand il les a perdus. Car l'expérience lui révèle sa faute, et son infortune lui fait apprécier le bonheur dont il est déchu et ressentir les maux qui l'environnent. Ce fut donc de la part de Dieu un trait de providence et de bonté que d'établir Adam en face du paradis terrestre, puisque la vue de ce lieu devait entretenir en lui de salutaires remords. Enfin pour l'empêcher que par un trop grand attachement à la vie, il n'essayât de rentrer dans le jardin de délices et de manger du fruit de l'arbre de vie, le Seigneur, selon le récit de l'Ecriture, récit proportionné à notre faiblesse, le Seigneur plaça un chérubin avec un glaive flamboyant qui s'agitait toujours, pour garder la voie de l'arbre de vie.

La négligence de nos premiers parents à observer le commandement divin, fut cause que le Seigneur fit garder avec tant de précaution l'entrée du paradis. Et il est juste d'observer que si sa bonté et sa miséricorde avaient déjà paru lorsqu'il bannit Adam, elles n'éclatèrent pas moins quand il plaça un chérubin avec un glaive flamboyant qui s'agitait sans cesse pour garder l'entrée du jardin de délices. Ce n'est pas sans raison aussi qu'il est dit de ce glaive qu'il s'agitait sans cesse. Car nous comprenons par là que tous les chemins qui pouvaient conduire à ce jardin étaient fermés, et que ce glaive flamboyant en défendait toutes les approches. Mais quels souvenirs il rappelait, et quelle terreur il inspirait à Adam !

4. Or, Adam connut Eve, son épouse. (Gen. IV, 1.) Remarquez la date précise de ce fait. Ce ne ne fut qu'après leur désobéissance et leur exil qu'Adam et Eve eurent commerce ensemble. Auparavant ils vivaient comme des anges, et ils ignoraient les plaisirs de la chair. Ah ! comment les eussent-ils connus, puisqu'ils n'étaient point assujettis aux besoins du corps ! Ainsi, dans l'ordre des temps, la virginité possède la palme de la priorité; mais lorsque la faiblesse de l'homme eut introduit la désobéissance et le péché, elle se retira, parce que la terre n'était plus digne de la posséder; et alors s'établit la loi de la concupiscence. Comprenez donc, mon cher frère, quelle est la dignité de la,virginité. Elle est une vertu bien élevée et bien sublime, et sa possession est trop au-dessus des forces humaines pour que nous puissions l'acquérir sans un secours tout spécial de la puissance divine. Et, en effet, Jésus-Christ lui-même nous déclare que les vierges sont dans un corps mortel les émules des anges. Les Sadducéens l'interrogèrent un jour surfa résurrection et lui dirent : Maître, il y avait parmi nous sept frères; et le premier ayant épousé une femme, est mort, et, n'ayant point eu d'enfants, il laissa sa femme à son frère. Il en fut de même du second, du troisième, et de tous jusqu'au septième. Au jour de la résurrection, duquel des sept sera-t-elle femme ? car (109) tous l'ont eue pour épouse. Mais Jésus-Christ leur répondit : Vous êtes dans l'erreur, ne sachant ni les Ecritures, ni la puissance de Dieu. Car au jour de la résurrection les hommes n'auront point de femmes, ni les femmes de maris; mais ils seront comme les anges. (Matth. XXII, 25-30.) Comprenez-vous maintenant que ceux qui, par amour pour Jésus-Christ, embrassent la sainte virginité, mènent sur la terre et dans un corps mortel la vie des anges? Mais plus cet état est grand et élevé, et plus brillantes sont les couronnes, plus magnifiques les récompenses et plus abondants les biens qui sont promis à tous ceux qui joignent à la chasteté la pratique des autres vertus.

Or, Adam connut son épouse qui conçut et enfanta Caïn. Le péché était entré dans le monde par la désobéissance de nos premiers parents, et l'arrêt divin les avait soumis à la mort. C'est pourquoi le Seigneur, qui veillait à la conservation du genre humain, permit qu'il se propageât par l'union de l'homme et de la femme. Et Eve dit : J'ai possédé un homme par la grâce de Dieu. Voyez-vous comme le châtiment infligé à la femme l'a rendue meilleure et plus réservée? Car elle n'attribue point aux seules lois de la nature la naissance de cet enfant; mais elle la rapporte à Dieu et lui en fait hommage. Ainsi le châtiment a été pour elfe une utile leçon. Car J'ai possédé un homme, dit-elle, par la grâce de Dieu, et je le tiens plutôt de sa bonté que de la nature.

Et de nouveau elle enfanta Abel, son frère. La naissance de ce second fils fut la récompense de sa vive reconnaissance pour celle du premier. Car c'est ainsi que le Seigneur nous traite; et quand nous le remercions d'un premier bienfait, il paie nos hommages par de nouvelles faveurs. Eve devint donc mère une seconde fois, parce que dans la première elle avait reconnu la main du Seigneur. Or, cette fécondité, depuis que le péché l'avait soumise à la mort, lui était une bien grande consolation. Aussi Dieu voulut-il dès le principe diminuer pour nos premiers parents la sévérité du châtiment, et comme effacer l'image de la mort sous le tableau de générations nouvelles. Et, en effet, ces générations qui se succèdent les unes aux autres, sont un emblème de l'immortalité. Et Abel, dit l'Ecriture, fut pasteur de brebis, et Caïn laboureur. Nous apprenons ainsi que chacun des deux frères exerça un art différent; l'un embrassa la vie pastorale, et l'autre s'adonna à l'agriculture.

Mais il arriva, longtemps après, que Caïn offrit au Seigneur un sacrifice des fruits de la terre. (Gen. IV, 3.) Observez ici quelles lumières le Créateur avait répandues dans la conscience de l'homme. Car qui avait révélé à Caïn la notion du sacrifice? La voix de sa conscience ; il offrit donc au Seigneur un sacrifice des productions de la terre, parce qu'il ne pouvait méconnaître qu'il devait lui faire hommage des fruits de son travail. Ce n'est pas que Dieu eût besoin de ses sacrifices; mais il convenait que, recevant ses bienfaits, il lui témoignât sa reconnaissance. Et en effet, Dieu, qui se suffit à lui-même et qui ne réclame rien de nous, veut bien, dans son extrême bonté, s'abaisser jusqu'à notre pauvreté, et permettre par intérêt pour notre salut, que la connaissance de ses attributs nous soit une école de vertus.

Et Abel offrit aussi les premiers-nés de son troupeau. Ce n'est pas sans raison que dans notre précédent entretien je vous disais que Dieu, qui ne fait acception de personne, sonde les volontés et récompense l'intention du coeur. Cette remarque trouve ici sa juste application. C'est pourquoi ce passage de la Genèse mérite un profond examen, et il convient de s'y arrêter sérieusement pour bien comprendre ce qui est dit de Caïn et d'Abel. Car il n'y a rien d'inutile dans l'Ecriture, et une syllabe, une lettre même recèle un riche trésor, puisqu'on peut toujours en tirer un sens moral. Or que nous dit-elle? Et il arriva, longtemps après, que Caïn offrit au Seigneur un sacrifice des fruits de la terre, et Abel offrit aussi les premiers-nés de son troupeau et les plus gras.

5. Un esprit pénétrant comprend à la simple lecture le sens de ce passage. Mais je me dois à tous, et la doctrine évangélique s'adresse également à tous; je vais donc entrer dans quelques explications, afin que vous en soyez mieux instruits. Caïn, dit l'Ecriture, offrit au Seigneur un sacrifice des fruits de la terre. Quant à Abel il choisit pour matière du sien les productions de l'art pastoral. Et il offrit les premiers-nés de son troupeau et les plus gras. Déjà ces seuls mots nous montrent toute la piété d'Abel, car il n'offre pas seulement quelques brebis prises au hasard dans son troupeau, mais les premiers-nés, c'est-à-dire les plus beaux et les plus précieux; et même parmi ceux-ci les (110) plus gras, c'est-à-dire tout ce qu'il y avait de meilleur et de plus excellent. Mais à l'égard de Caïn , l'Écriture n'entre dans aucun détail ; elle se contente de nous dire qu'il offrit un sacrifice des fruits de la terre et nous laisse ainsi supposer qu'il prit les premiers qui lui tombèrent sous la main, et qu'il dédaigna de choisir les plus beaux.

Je l'ai déjà dit, et je ne cesserai de le redire. Si Dieu reçoit nos sacrifices, ce n'est pas qu'il en ait besoin. Il veut seulement nous faciliter les moyens de lui témoigner notre reconnaissance. C'est pourquoi l'homme qui offre en sacrifice les biens mêmes qu'il tient de Dieu, doit, pour remplir ce devoir religieux, choisir tout ce qu'il a de meilleur. Autrement, il ne comprendrait pas combien Dieu lui est supérieur et combien il est lui-même honoré de remplir ces fonctions sacerdotales. Observez aussi, mon cher frère , et concluez de cet exemple quels rigoureux châtiments mérite le chrétien qui, par lâcheté, néglige son salut. J'ajoute que nul docteur n'instruisit Caïn et Abel et que nul conseiller ne leur suggéra l'idée d'offrit un sacrifice : leur conscience seule les en avertit, et les lumières que le Seigneur avait répandues dans l'esprit de l'homme. Ce fut aussi la pureté de l'intention qui fit agréer le sacrifice de l'un et la malice de la volonté qui fit rejeter celui de l'autre.

Et Dieu, dit l'Écriture, regarda Abel et ses dons. Voyez-vous comme s'accomplit ici cette parole de l'Évangile: les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers? (Matth. XIX, 30.) Car celui qui avait le privilège du droit d'aînesse, et qui le premier offrit son sacrifice, fut mis au-dessous de son frère, parce que son intention n'était pas droite. Tous deux offrirent un sacrifice; mais c'est seulement d'Abel que l'Écriture dit : le Seigneur regarda Abel et ses dons. Que signifie ce mot , regarda ? il marque que Dieu approuva l'action d'Abel , loua son intention, couronna sa bonne volonté et, en un mot, fut satisfait de sa conduite. Car si nous osons dire quelque chose de Dieu et ouvrir la bouche pour parler de cet Etre éternel, nous ne pouvons le faire, parce que nous sommes hommes , que dans un langage humain. Mais, ô prodige ! Dieu regarda Abel et ses dons, c'est-à-dire l'offrande qu'il lui fit de ses brebis les plus grasses et les meilleures. Ainsi Dieu regarda Abel, parce que son sacrifice partait d'un coeur pur et sincère. Il regarda aussi ses dons, parce que les brebis étaient sans tache et précieuses, soit par rapport à l'intention de celui qui les offrait, soit en elles-mêmes, puisqu'elles avaient été prises parmi les premiers-nés du troupeau, et qu'elles en étaient les plus grasses, c'est dire qu'elles étaient un choix fait dans tout ce qu'il y avait de meilleur.

Et Dieu regarda Abel et ses dons; mais il ne regarda ni Caïn ni ses sacrifices. (Gen. VII, 5.) Le sacrifice qu'Abel offrit, avec un coeur pur et une volonté droite, fut donc agréable au Seigneur,qui l'agréa et qui daigna même le. louer. Ainsi il appela dons l'offrande d'Abel pour mieux honorer la sincérité de son intention. Mais il ne regarda ni Caïn ni ses sacrifices. Observez ici avec quelle exactitude s'exprime l’écrivain sacré. En disant que Dieu ne regarda point Caïn, il nous apprend qu'il rejeta ses présents, et en appelant ceux-ci du nom de sacrifices, il nous donne une utile leçon. L'action et la parole divine nous apprennent donc que le Seigneur exige nos sacrifices comme un témoignage extérieur des sentiments de notre âme et comme une protestation publique que nous le reconnaissons pour notre Maître et pour le Créateur qui nous a tirés du néant. Et en effet, l’Ecriture, qui nomme dons l'offrande de quelques brebis, et sacrifices celle de quelques fruits de la terre, nous enseigne que le Seigneur recherche la pureté de l'intention bien plus qu'il ne se soucie qu'on lui offre des animaux ou des fruits. C'est donc cette pureté qui rendit le sacrifice d'Abel agréable à Dieu; et c'est une disposition toute contraire qui fit rejeter celui de Caïn.

Il faut également entendre dans un sens digne de Dieu ces paroles : Le Seigneur regarda Abel et ses dons; mais il ne garda ni Caïn, ni ses sacrifices. Elles signifient que le Seigneur fit comprendre à l'un qu'il approuvait sa bonne volonté, et à l'autre qu'il repoussait son ingratitude. Telle fut la conduite de Dieu; et maintenant expliquons le verset suivant. Et Caïn fut violemment attristé, et son visage fut abattu. D'où provenait cette violente tristesse ? d'un double principe : Le Seigneur avait rejeté son sacrifice, et il avait agréé celui d'Abel. Voilà donc pourquoi Caïn fut violemment attristé, et pourquoi son visage fut abattu. Ces deux causes se réunissaient pour aggraver sa tristesse; le Seigneur avait repoussé son offrande, et il avait reçu celle d'Abel. Or, (111) puisqu'il avait péché, il devait faire pénitence et se corriger, car notre Dieu est toujours plein de miséricorde, et il hait en nous moins le péché que (endurcissement dans le péché. Mais Caïn n'en tint aucun compte.

6. Au reste, la conduite du Seigneur montra bien alors toute la grandeur de sa miséricorde, non moins que l'excellence de sa bonté, et même l'excès de sa patience. Et en effet, quand il vit Caïn violemment attristé, et comme submergé par les flots de la douleur , il ne détourna point ses regards de dessus lui, mais il se souvint qu'il avait agi envers Adam avec une tendre compassion, qu'il lui avait facilité après son crime l'occasion d'en obtenir le pardon, et qu'il lui avait comme ouvert la porte d'un humble aveu par cette interrogation : Adam, où es-tu? Aussi le voyons-nous témoigner à cet ingrat la même bonté, et lui tendre, sur le bord de l'abîme, une main secourable. C'est ainsi que pour lui aplanir les voies de la pénitence et du repentir, il lui adressa ces paroles : Pourquoi es-tu triste, et pourquoi ton visage est-il abattu ? Ton offrande était bonne en elle-même, mais n'as-tu pas péché dans le choix des fruits ? apaise donc ton irritation; son recours sera en toi et tu le domineras. Considérez ici, mon cher frère, l'indulgente et ineffable bonté du Seigneur. Il vit que Caïn était en proie à un mal violent, et qu'une noire jalousie l'assaillait fortement; et voilà qu'il se hâte, dans sa miséricordieuse tendresse, de lui présenter un salutaire remède. Bien plus, il lui tend une main secourable pour l'arracher aux flots qui menacent de le submerger.

Pourquoi es-tu triste, lui dit-il; et pourquoi ton visage est-il abattu? D'où vient cette tristesse si grande qu'on lit sur ton front les signes d'un profond chagrin ? Pourquoi ton visage est-il tout abattu ? et quelle est la cause de cette mélancolie ? Pourquoi n'as-tu pas réfléchi à ce que tu faisais ? et croyais-tu offrir tes sacrifices à un homme qu'on peut tromper ? Enfin ignores-tu que je n'ai nul besoin des présents de l'homme, et que je ne considère dans le sacrifice que l'intention de celui qui l'offre ? Pourquoi donc es-tu triste ? et pourquoi ton visage est-il abattu ? ton offrande était bonne en elle-même; mais n'as-tu pas péché dans le choix des fruits? Oui, la pensée de m'offrir un sacrifice était louable; et le choix mauvais des fruits offerts m'a seul fait rejeter ce sacrifice. L'oblation d'un sacrifice exige de grandes précautions, et la distance infinie qui sépare le Dieu qui le reçoit de l'homme qui le lui présente, commande à. celui-ci une sévère attention dans le choix de la matière. Mais tu n'as fait aucune de ces réflexions, et tu m'as offert les premiers fruits que tu as trouvés sous ta main. Aussi n'ai-je pu agréer ton sacrifice.

Les dispositions mauvaises avec lesquelles tu as offert ton sacrifice, me l'ont fait rejeter; et au contraire la pureté du coeur et le choix exquis des victimes m'ont fait accepter celui de ton frère. Toutefois je ne me hâte pas de punir ton péché, et je ne veux en ce moment que te le remettre sous les yeux, et te donner un bon conseil. Si tu le suis, tu obtiendras ton pardon, et tu éviteras d'affreux malheurs. Quel est donc ce conseil ? tu as péché, et grièvement; mais je punis moins le crime que l'endurcissement dans le crime, car je suis bon, et je neveux point la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive. (Ezéch. XVIII, 27.) Aussi parce que tu as péché, apaise ton ressentiment, rends le calme à tes pensées, bannis de ton esprit le trouble et l'inquiétude, et arrache ton âme aux flots tumultueux qui menacent de l'engloutir, mais surtout garde-toi de tomber dans un péché plus grave encore, et de te précipiter dans un désespoir irrémédiable. Tu as péché, apaise donc ta colère.

Le Seigneur savait bien que Caïn s'élèverait contre son frère, et c'est pourquoi il s'efforçait de prévenir en lui cette coupable résolution. Car tous les secrets de nos coeurs lui sont connus, et il découvrait les mouvements qui agitaient celui de Caïn. Aussi cherche-t-il à le guérir par de paternels avis, et par un langage plein de condescendance pour ses coupables dispositions. Il n'omet donc nulle tentative qui eût pu ramener Caïn à de meilleurs sentiments; mais le malheureux repoussa le remède, et se précipita dans l'abîme du fratricide. Tu as péché, lui disait le Seigneur, apaise donc ta colère. Sans doute j'ai rejeté ton sacrifice à cause de tes mauvaises dispositions, et j'ai agréé celui de ton frère par suite de son intention pure et droite; mais ne pense pas que je veuille pour cela te priver de l'honneur et des privilèges du droit d'aînesse. Apaise ta colère, car quoique j'aie honoré Abel, et reçu ses dons; tu n'en seras pas moins son aîné, et il te sera soumis. Ainsi, même après ton péché, je (112) maintiens à ton égard les privilèges du droit d'aînesse, et je veux que ton jeune frère reconnaisse ta supériorité et ton autorité.

Admirez donc avec quelle bonté le Seigneur cherche à modérer la fureur et l'irritation de Caïn, et par quelles douces paroles il s'efforce de calmer l'emportement de sa colère ! Il voit le trouble et l'agitation de son coeur, et il n'ignore pas ses projets cruels et homicides; c'est pourquoi il essaie d'éclairer sa raison; et pour ramener dans son âme le calme et la sérénité, il l'assure que son frère lui sera soumis, et qu'il ne perdra rien de son autorité. Mais tant de bontés et de prévenances furent inutiles; Caïn n'en profita point, et il s'opiniâtra dans sa malice et son obstination.

7. Je m'arrête, car je craindrais qu'un plus long discours ne fatiguât vos oreilles, et que mes paroles ne devinssent un fardeau et peut-être un ennui pour votre bienveillante attention. Je termine donc en vous exhortant à ne point imiter ce malheureux. Notre devoir est de renoncer au péché, et d'observer fidèlement les préceptes divins, surtout après ces grands et fameux exemples. Car désormais qui pourrait s'excuser sur son ignorance ! Caïn n'avait sous les yeux aucun exemple précédent qui pût le retenir, et néanmoins il fut condamné à ce terrible et affreux châtiment que nous connaissons tous. Quel sera donc celui des chrétiens qui, comblés de grâces, commettent les mêmes péchés, et de plus énormes encore ! Ne méritent-ils pas le feu éternel, le ver qui ne meurt point, le grincement des dents, les ténèbres extérieures, les flammes de l'enfer, et tous les supplices qui nous sont inévitablement réservés? Eh ! de quelles excuses pourrions-nous pallier notre négligence et notre lâcheté ! Ne savons-nous pas ce que nous devons faire, et ce que nous devons omettre? D'ailleurs, ignorons-nous que ceux qui pratiquent la vertu, obtiendront des couronnes immortelles, et que ceux qui commettent le mal, sont destinés a des supplices éternels? Je vous en conjure donc, ne rendez pas nos assemblées inutiles, mais traduisez en actions les paroles que vous y entendez. C'est ainsi que, rassurés par le bon témoignage de notre conscience, et appuyés sur l'espérance chrétienne, nous traverserons la mer orageuse de cette vie, et arriverons au port de l'heureuse éternité. Puissions-nous y jouir de ces biens ineffables que le Seigneur a promis à ceux qui l'aiment ! Et puissions-nous les obtenir, par la grâce et la miséricorde de son Fils unique, à qui soient, avec son saint et adorable Esprit, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par DUCHASSAING.
 
 

 

 

 

 

 

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