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Saint Jean Chrysostome
Homélies sur la Genèse (3)

.HOMELIES TOME 5

 

 

 

 

HOMELIES TOME 5 *

TRENTE-TROISIÈME HOMÉLIE. " Abram était très-riche en troupeaux, en argent et en or. Et il revient au lieu d’où il était parti, au au désert jusqu’à Béthel, jusqu’à la place où était auparavant sa tente entre Béthel et Angi à la place de l’autel qu’il avait dressé là autrefois. " (Gen, XIII, 2-4.) *

TRENTE-QUATRIÈME HOMÉLIE. " Le Seigneur dit à Abram après qu'il se fut séparé de Loth : Lève les yeux à partir de la place où tu es maintenant, au nord et au midi, à l'orient et vers la mer, car toute cette terre que tu vois, je te la donnerai. " . (Gen. XIII, 14, 15). *

TRENTE-CINQUIÈME HOMÉLIE. " Il arriva pendant le règne d'Amarphath, roi de Senaar, qu'Arioch, roi; d'Elasar et Chodolgomor roi d'Elam, et Tarthac, roi des Nations, firent la guerre contre le roi de Sodome. " (Gen. XIV, 1, 2.) *

TRENTE-SIXIÈME HOMÉLIE. Après ces paroles, la voix du Seigneur fut adressée à Abram pendant une vision dans la nuit, disant : " Ne crains rien, Abram, je te protège, ta récompense sera grande. " (Gen. XV, 1.) *

TRENTE-SEPTIÈME HOMÉLIE. Dieu dit à Abram : " Je suis le Dieu qui t'ai tiré du pays des Chaldéens, pour te donner cette terre, afin que tu la possèdes. — Et il répondit : Seigneur, mon Maître, à quoi reconnaîtrai-je que je dois la posséder ? " (Gen. XV, 7.) *

TRENTE-HUITIÈME HOMÉLIE. Sara, la femme d'Abram ne lui donnait pas d'enfant, mais elle avait une servante égyptienne, nommée Agar. (Gen. XVI. 1) *

TRENTE-NEUVIÈME HOMÉLIE. Quand Abraham eut quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui apparut (Gen. XVII, 1.) *

QUARANTIÈME HOMÉLIE. Et Dieu dit à Abraham : " Sara ta femme ne *

s'appellera plus Sara, mais Sarra sera son nom. " (Gen, XXII, 1.) *

QUARANTE-UNIÈME HOMÉLIE. " Dieu apparut à Abraham, près du chêne de *

Mambré, lorsqu’il était assis à la porte de sa tente à midi. " (Gen. XVIII, 1). *

QUARANTE-DEUXIÈME HOMÉLIE. Ces hommes s'étant donc levés de ce lieu, tournèrent les yeux vers Sodome et Gomorrhe. (Gen. XVIII, 18.) *

QUARANTE-TROISIÈME HOMÉLIE. Les deux anges vinrent à Sodome, le soir. (Gen. XIX, 1.) *

QUARANTE-QUATRIÈME HOMÉLIE. Or, Abraham s'étant donc levé le matin vint au lieu où il avait été auparavant avec le Seigneur. (Gen. XIX, 27,1) *

QUARANTE-CINQUIÈME HOMÉLIE. " Abraham étant parti de là pour aller du côté du midi, habita Cadés et Sur, et il alla à Gérara, pour y demeurer quelque temps. " (Gen. XX, 1) *

QUARANTE-SIXIÈME HOMÉLIE. Sara dit : " Qui annoncera à Abraham que Sara nourrit, un enfant de son lait; que j’ai enfanté un fils dans ma vieillesse ? " (Gen. XXI, 7.) *
 

 

 

 

 

 

TRENTE-TROISIÈME HOMÉLIE. " Abram était très-riche en troupeaux, en argent et en or. Et il revient au lieu d’où il était parti, au au désert jusqu’à Béthel, jusqu’à la place où était auparavant sa tente entre Béthel et Angi à la place de l’autel qu’il avait dressé là autrefois. " (Gen, XIII, 2-4.)
ANALYSE.

1. Après la 32e homélie, le commentaire sur la Genèse aurait été interrompu à l'occasion des fêtes de la semaine sainte et dés fêtes subséquentes, l'orateur reprend donc le fil rompu de ses instructions en résumant la 32° homélie et se dispose à continuer. — 2. Séparation d'Abraham et de Lot causée par l'excès de leurs richesses. Douceur d'Abraham. — 3-4. Il cède à son neveu le choix de la contrée où il voudra s'établir, pour lui il prendra celle qu'il lui laissera. — 5. Exhortation.

1. Quand je vois aujourd'hui votre concours empressé et votre ardent désir de m'entendre, je veux acquitter la dette que j'ai contractée envers votre charité. Peut-être l'avez - vous oubliée depuis le temps qui s'est écoulé et parce que, dans l'intervalle, je vous ai parlé d'autre chose; car les fêtes les plus saintes ont interrompu l'ordre de nos discours. En effet, quand on célébrait la croix de Notre-Seigneur, il, n'était pas convenable de traiter un autre sujet le festin spirituel devait être approprié à la circonstance. Aussi quand est venu le jour où il s'agit de la trahison de Judas, nous nous sommes pliés à l'occasion, pour laisser de côté la suite de nos instructions, et nous nous sommes déchaînés contre le traître, puis nous avons parlé de la croix. Ensuite, lorsqu'est arrivé le jour de la résurrection, il fallait signaler à votre charité. la résurrection de Notre-Seigneur et vous la démontrer les jours suivants par les miracles qui l'ont accompagnée. Puis ayant pris le commencement des Actes (225) des Apôtres, nous vous en nourrissions chaque jour en exhortant par des instructions fréquentes et quotidiennes ceux qui avaient reçu récemment la grâce du baptême.

Maintenant, je dois me rappeler ma dette et vous satisfaire. Vous-mêmes pourriez n'y plus songer, distraits que vous êtes par mille soins, à propos de votre femme, de vos enfants, de la nourriture quotidienne et d'une foule d'autres intérêts de la vie; mais nous, qui n'avons aucun de ces embarras, nous vous rappelons cette dette et nous nous préparons à la payer. Ne vous étonnez pas si nous le faisons avec tant de bonne volonté. Une obligation de cette nature diffère des obligations pécuniaires, que le débiteur n'acquitte jamais de bon coeur, sachant qu'il diminue ses biens et augmente ceux du créancier. Il n'en est pas de même pour une dette spirituelle telle que celle-ci; plus le débiteur paye, plus il s'enrichit en même temps que les créanciers. Voilà pourquoi d'un côté on ne montre guère de bonne volonté, tandis que de l'autre côté il y a tout profit à payer comme à être payé. C'est ce que saint Paul dit sur la charité : Ne soyez redevables à personne, si ce n'est de vous aimer les uns les autres. (Rom. XIII, 8.) Cela veut dire qu'une pareille dette dure toujours, même après avoir été payée.

Vous devez aussi vous tenir prêts à recevoir ce paiement, car cela enrichira vos débiteurs et leur permettra de vous être plus utiles. Ainsi, puisque la nature de cette dette est telle que plus on dépense plus l'on devient opulent soi-même, achevons de nous acquitter, écoutez avec la même bonne volonté que nous mettrons à parler, pour que votre attention soit notre récompense. En quoi consiste donc cette dette? Vous savez et vous vous rappelez, quand nous avons parlé du patriarche, que nous vous avons raconté son arrivée en Egypte à la suite d'une famine, l'enlèvement de Sara par Pharaon, l'indignation de Dieu ainsi que l'affliction dont il frappa Pharaon et sa maison pour protéger le juste, et le retour glorieux du patriarche en quittant l'Egypte. En effet, Pharaon ordonna à ses gens de conduire Abram et son épouse avec tout ce qu'il possédait, et Loth avec eux. Abram sortit donc d'Egypte, lui et sa femme et tout ce qu'il possédait, et Loth avec lui, pour aller dans le désert. Après ce discours nous avons interrompu ces instructions pendant quelque temps pour traiter des sujets exigés parles circonstances. Il faut donc maintenant nous rattacher à ce qui précède et le réunir en un seul corps avec ce qui nous reste à dire, afin de conserver à ces instructions le caractère de l'unité. Mais, pour tout éclaircir, il faut exposer à votre charité l'origine et l'enchaînement de la lecture qui vous a été faite. Abram était très-riche en troupeaux, en argent et en or. Il revint d'où il était parti, au désert, jusqu'à Béthel, jusqu'à la place où il avait dressé sa tente autrefois, entre Béthel et Agga, à l'endroit où il avait d'abord élevé un autel : et là Abram invoqua le nom du Seigneur Dieu. Ne passons point légèrement sur cette lecture, mais voyons clairement l'exactitude des saintes Ecritures qui ne nous racontent rien de superflu. Abram était très-riche. Voyez d'abord que cette indication ne nous est pas donnée inutilement et sans raison, car c'est la première fois que l'on signale sa richesse et il n'en a pas encore été question. Pourquoi cela ? Pour montrer la prudence et la sagesse de Dieu, et la puissance infinie qu'il déploya en faveur du juste. Celui-ci, forcé de voyager en Egypte à cause de la famine qu'il ne pouvait plus supporter au pays de Chanaan, devint subitement riche et même extrêmement riche, et non-seulement en troupeaux, mais en or et en argent.

2. Remarquez-vous quelle est la providence de Dieu? Le juste est parti pour se soustraire à la famine et il est revenu, non-seulement délivré de la famine , mais comblé de richesse et de gloire, et tout le monde put voir qui il était. Par la suite les habitants de Chanaan ont mieux connu ses vertus, en observant un changement si subit et en voyant revenir avec tant de trésors celui qui était parti pour l'Egypte comme un étranger, un fugitif et un vagabond. Considérez encore que l'opulence et la prospérité ne lui inspirèrent ni vanité ni paresse : il retourna à l'endroit même qu'il habitait avant d'aller en Egypte. Il alla au désert jusqu'à l'endroit où il avait dressé sa tente autrefois, à la place où il avait d'abord élevé un autel, et invoqua le nom du Seigneur Dieu. Réfléchissez, je vous prie, combien il aimait la paix et la tranquillité, et quel zèle il avait pour le culte de Dieu. Il se rendit au même endroit où il avait élevé un autel et où il avait invoqué le nom de Dieu, accomplissant ainsi, bien des siècles à l'avance, ce qui a été dit par David: J'ai choisi d'être humilié dans la maison de (227) mon Dieu, plutôt que d'habiter les terres des pécheurs. (Ps. LXXXIII, 11.) Il aimait mieux,pour invoquer le nom de Dieu, les déserts que les cités. Il savait, en effet, il savait que la grandeur des villes ne consiste pas dans la beauté des édifices, ni dans la multitude des citoyens, mais dans la vertu des habitants; dans la vertu qui faisait qu'un désert, honoré de la présence du juste, valait mieux que toutes les villes, et brillait plus que les pays les plus peuplés de la terre.

Loth, qui accompagnait Abram, avait aussi des brebis, des boeufs et des troupeaux : et le pays ne pouvait les contenir ensemble : ce qu'ils possédaient était trop considérable pour qu'ils pussent vivre ensemble. Non-seulement les biens du patriarche étaient augmentés, mais Loth aussi avait des brebis, des boeufs et des troupeaux. Peut-être en devait-il une partie à la libéralité d'Abraham, et d'autres lui avaient donné le reste par égard pour le patriarche. Et le pays ne pouvait les contenir ensemble parce que ce qu'ils possédaient était trop considérable. Vous voyez que l'excès même de la richesse devint bientôt une cause de séparation et un instrument de division capable de troubler la concorde et de rompre les liens de parenté. Il survint une dispute entre les bergers d’Abram et ceux de Loth. Les Chananéens et les Phérézéens habitaient le pays. Voyez comment commence la division entre parents. Tout le mal vient de la méchanceté des serviteurs. Il survint une dispute entre les bergers. Ils furent l'occasion de la dissension, ils détruisirent la concorde par leur imprudence et leur stupidité. Les Chananéens et les Phérézéens habitaient ce pays. Pourquoi ce renseignement? Après avoir dit : le pays ne pouvait les contenir ensemble, la sainte Ecriture a voulu aussi nous en dire la raison : le pays ne pouvait les contenir, parce qu'il était déjà occupé par ces peuples. Mais nous voyons comment ce pieux patriarche éteint par sa douceur l'incendie prêt à s'allumer. Abram dit à Loth : Qu'il n'y ait pas de dispute entre toi et moi, ni entre les bergers et les miens, car nous sommes frères. Voyez quel excès de modestie, quelle conduite sublime ! Lui, le plus âgé, le plus respectable, appelle frère le fils de son frère, il l'élève à sa hauteur et en fait son égal, en disant : Qu'il n'y ait pas de dispute entre toi et moi, ni entre tes bergers et les miens. Cela serait indigne de nous, dit-il, puisque nous sommes frères. Vous voyez qu'il accomplit cette loi de l'Apôtre : C'est déjà un tort de votre part d'avoir des procès. Pourquoi n'endurez-vous pas plutôt quelque injustice, quelque dommage? Mais vous-mêmes causez des injustices et des dommages, et cela à vos frères. (I Cor. VI, 7.) Le patriarche réalisait tout cela par ses actions; quand il disait : Qu'il n'y ait pas de dispute entre tes bergers et les miens, parce que nous sommes frères. Est-il une âme plus pacifique? C'est avec raison que je disais en commençant qu'il aimait le calme et le repos, et cette raison lui avait fait préférer le désert aux pays habités. Observez maintenant que, du moment où il voit les bergers se quereller, il cherche à éteindre, dès son origine, l'incendie qui allait s'allumer, et apaise la dispute. Il devait, lui qui avait 'été choisi pour être un exemple de sagesse aux peuples de la Palestine, ne donner prise sur lui dans aucune occasion, mais se faire entendre à tous d'une manière plus éclatante que le son de la trompette, au moyen de sa douceur, et les forcer tous à imiter sa vertu. Qu'il n'y ait pas de dispute entre toi et moi, ni entre tes bergers et les miens, car nous sommes frères. Quoi de plus doux que ces mots : Entre toi et moi?

3. Observez comment il parle comme d'égal à égal. Cependant je pense que la dispute avait commencé parce que les bergers du patriarche se regardaient comme ayant plus de droits que ceux de Loth. Mais le juste fait tout avec impartialité, montrant jusqu'où va sa sagesse, afin de prouver, non-seulement à ses contemporains, mais à toute la postérité, qu'on ne devait jamais laisser se répandre et se fortifier des disputes de cette nature. Car cette querelle entre serviteurs est honteuse pour les maîtres; on ne s'en prend pas aux domestiques, les maîtres sont responsables de tout. Est-il raisonnable que des hommes qui sont frères, de la même nature, de la même famille, qui ne sont ici-bas qu'en passant, s'abandonnent à de pareilles hostilités, lorsqu'ils devraient tous se donner, les uns aux autres, l'exemple de la bienveillance, de la douceur et de la sagesse : Je dis cela pour ceux qui se croient à l'abri de tout reproche lorsqu'ils permettent à ceux qui leur appartiennent, sous prétexte de cette liaison, de piller, de tromper, de causer mille maux dans les villes et dans les campagnes et d'enlever aux voisins un champ ou une maison, en montrant pour dé tels hommes une faveur particulière. Quoique cette oeuvre (228) d'iniquité ait été accomplie par un autre que par vous, cependant vous y avez participé, non-seulement parce que vous y avez applaudi, croyant que votre puissance et vos richesses s'en augmenteraient, mais parce que vous n'avez pas empêché de commettre ces injustices. Car celui qui peut empêcher une injustice et qui ne le fait pas est aussi coupable que celui qui la commet.

Ainsi, je vous en supplie, ne nous faisons point illusion à nous-mêmes, mais évitons nous-mêmes les rapines et les fraudes, et habituons nos serviteurs à ne rien faire de semblable. En effet, leurs fautes ne nous laissent point innocents, mais nous rendent, au contraire, plus coupables; c'est pour nous plaire qu'ils compromettent leur salut et qu'ils sont audacieux dans leurs méfaits : aussi nous entraînent-ils dans leur perte. Au contraire, si nous voulons être vigilants et attentifs, nous éviterons ces cruelles conséquences en les détournant de leurs mauvais desseins. N'usez donc pas de ces excuses frivoles : cela ne me regarde pas. Ai-je rien dérobé? Je ne sais rien; c'est la faute d'un autre,. je ne m'en suis pas mêlé. Ce sont là des prétextes et du verbiage. Si vous voulez prouver que vous n'avez trempé en rien dans cette iniquité, que vous n'avez pas favorisé cette oeuvre de spoliation, revenez sur ce qui s'est fait, donnez satisfaction à celui qui a été dépouillé, rendez ce qu'on a pris. Alors vous serez à l'abri de tout reproche, vous donnerez une leçon salutaire à celui qui a commis la faute, en lui montrant qu'il a agi contre vos intentions, et vous sauverez la victime du désespoir et de la ruine.

Qu'il n'y ait pas de dispute entre toi et moi, ni entre tes bergers et les miens, parce que nous sommes frères. Voyez quelle douceur, quelle bonté ! Ecoutez la suite, afin de savoir jusqu'où elles pouvaient aller. Toute la terre est devant toi; sépare-toi de moi: si tu vas à droite, j'irai à gauche; si tu vas à gauche, j'irai à droite. Voyez quelle modération, quel excès d'abnégation chez le juste ! Mais avant tout, mes bien-aimés, considérez quelles sont les suites funestes des richesses et comme elles donnent facilement naissance à la discorde ! Ses troupeaux s'étaient multipliés, ainsi que tous ses biens, et tout à coup la concorde est rompue : la paix et les liens de l'amitié font place aux querelles et à la haine. En effet, où l'on discute du tien et du mien, là se trouvent les querelles et la haine : là où l'on n'y songe pas sont la paix et la concorde. Pour vous en assurer, écoutez ce que dit saint Luc à propos des nouveaux convertis: Ils n'avaient qu'un coeur et qu'une âme. (Act. IV, 32.) Ce n'est point qu'ils n'eussent qu'une seule âme, puisqu'ils avaient des corps différents, mais c'est pour nous montrer combien leur concorde était étroite. Si le juste n'avait pas eu beaucoup de :patience et de sagesse, il se serait fâché et aurait dit à Loth : Quelle est cette extravagance? Tes serviteurs ont osé ouvrir la bouche contre ceux qui exécutaient mes ordres? Ils n'ont donc pas songé à la différence qu'il y a entre nous? D'où te vient l'abondance dont tu jouis? ne m'en es-tu pas redevable? N'est-ce pas moi qui t'ai présenté aux yeux des hommes, qui ai été tout pour toi, qui t'ai tenu lieu de père ? Et voilà comment tu me récompenses de mes bienfaits 1 Est-ce là ce que je devais attendre en t'emmenant partout avec moi? A défaut de reconnaissance, n'aurais-tu pas dû respecter ma vieillesse et mes cheveux blancs? Mais tu as laissé tes bergers attaquer les miens, sans réfléchir que ces insultes retombent sur moi, et tu es responsable de ce que font tes serviteurs.

4. Mais il ne conçut même pas une seule de ces pensées; il les écarta toutes sans songer à autre chose qu'à éteindre l'incendie que cette querelle devait faire naître et à se séparer à l'amiable. Toute la terre, dit-il, n'est-elle pas devant toi? Sépare-toi de moi; si tu vas â gauche, j'irai à droite; si tu vas à droite, j'irai à gauche. Vous voyez quelle est la douceur du juste. Il prouve par ses actions qu'il n'agit pas ainsi de lui-même et qu'il ne se sépare point volontairement, mais qu'il y est forcé par cette dispute , afin que sa maison ne soit pas en guerre perpétuelle. Voyez comment il calme la colère de son neveu, lui laisse choisir ce qu'il veut et lui propose toute la terre, en lui disant : Toute la terre n'est-elle pas devant toi? Choisis à ton gré, et je prendrai avec grand plaisir ce dont tu ne voudras pas. Le juste montre ici une grande modération: il craint, avant tout, d'être à charge à son neveu; c'est comme s'il lui disait : Puisque tout cela est arrivé malgré moi, il faut que nous nous séparions pour faire cesser les disputes; aussi je te laisse le maître de choisir, je te donne tout pouvoir pour prendre la terre que tu estimeras la meilleure et me laisser l'autre. Jamais (229) un frère a-t-il agi avec son frère jumeau comme le patriarche avec le fils de son frère? S'il avait commencé par choisir pour lui, et qu'ensuite il eût abandonné le reste à son neveu, n'aurait-ce pas été déjà un grand bienfait? Mais il voulait donner un grand exemple de vertu et satisfaire les désirs du jeune homme, pour ne lui laisser aucun regret de cette séparation ; aussi en lui donnant toute facilité, il lui dit : Toute la terre est devant toi, sépare-toi de moi, et choisis la terre que tu voudras. Son neveu , ainsi comblé de ses bontés, aurait dû lui rendre la pareille et l'engager à choisir lui-même. En effet, il est naturel à tous les hommes , quand ils voient que leurs adversaires s'efforcent d'arriver au premier rang, de ne pas vouloir rester au-dessous; mais si quelqu'un paraît céder et semble, par la modestie de son langage , nous laisser tout pouvoir, nous abandonnons nous-mêmes nos prétentions comme par égard pour tant de douceur, et nous lui laissons à notre tour tout pouvoir, quand même nous discuterions avec un inférieur. Voilà donc ce que Loth aurait dû faire avec le patriarche Noé; mais comme il était plus jeune et plus ambitieux, il accepta l'offre qu'on lui faisait et il fit son choix.

Loth, levant les yeux, vit toute la plaine du Jourdain, qui était, avant que Dieu eût détruit Sodome et Gomorrhe, arrosée comme le jardin de Dieu et comme l'Egypte, jusqu'à Zogora. Loth choisit toute la terre autour du Jourdain et s'en alla vers l'Orient, et les deux frères furent séparés l'un de l'autre. Vous avez vu quelle était la vertu du juste; il ne laisse pas même pousser la racine du mal, mais dès qu'elle paraît il l'arrache et la détruit; tout cela avec beaucoup de douceur, en montrant qu'il méprisait tout excepté la vertu, et en déclarant à tous qu'il préférait la paix et la concorde à toutes les richesses. Pour que personne ne pût accuser le juste d'agir mal à l'égard de Loth en refusant d'habiter avec un homme qu'il avait fait sortir de sa maison et de son pays, pour que personne ne crût qu'il prenait ce parti par inimitié plutôt que, par amour pour la paix, il lui permit de choisir et ne trouva pas mauvais que celui-ci profitât de la permission, afin que tout le monde pût comprendre qu'il n'avait pas d'autre but que la paix et la charité ! Du reste, il se préparait encore un autre mystère, également instructif, et qui devait, par les événements eux-mêmes, prouver à Loth qu'il s'était trompé dans son choix, montrer aux gens de Sodome la vertu de Loth et accomplir, après cette séparation, la promesse faite au patriarche : Je te donnerai cette terre, à toi et à ta race; c'est ce que nous verrons bientôt et que l'Ecriture sainte nous éclaircira.

Et Abram, dit-elle, habita la terre de Chanaan. Loth alla dans la ville, sur le fleuve , et mit sa tente parmi les Sodomites. Les gens de Sodome étaient extrêmement pervers et pécheurs en face de Dieu. Vous voyez que Loth considérait seulement la nature de la terre , sans s'inquiéter de la perversité des habitants. Cependant, quel bien peut-on attendre , dites-moi, même dans un pays riche et fertile, si les habitants ont des moeurs infâmes? Au contraire, quel mal peut-on craindre, même dans un désert stérile ,. si les habitants sont vertueux ? Le premier de tous les biens est la bonté des habitants. Mais Loth ne regarda qu'une chose, la fertilité de la terre. Or, l'Ecriture sainte, voulant nous indiquer tout ce qu'il y avait de mauvais chez ce peuple, nous dit : Les gens de Sodome étaient extrêmement pervers et pécheurs en face de Dieu. Non-seulement pervers, mais pécheurs, et non-seulement pécheurs, mais encore en face de Dieu, c'est-à-dire que leurs péchés étaient innombrables et leur iniquité immense; aussi elle ajoute: extrêmement pécheurs en face de Dieu. Voyez-vous l'étendue de leur méchanceté? Voyez-vous le danger qu'il y a à choisir légèrement et à ne pas considérer ce qui convient? Voyez-vous enfin combien il est avantageux d'être modéré, de céder la première place et de se contenter de la seconde ? Nous reconnaîtrons par la suite de ces instructions que celui qui avait choisi le premier n'en a retiré aucun profit, et que celui qui a pris la dernière part a vu sa prospérité s'accroître de jour en jour, que ses richesses se sont augmentées de tous côtés et que toute la terre a eu les yeux sur lui.

5. Mais, pour ne pas prolonger cette explication, je m'arrête ici et je la continuerai dans le prochain discours, en vous suppliant d'imiter le patriarche et de ne jamais désirer la première place. Obéissez à saint Paul qui nous dit : Honorez-vous les uns les autres (Rom. XII, 10) , afin d'être supérieurs à vous-mêmes ; mais cherchez à être toujours au dernier rang. En effet, c'est là ce qui nous élève au premier, comme le dit le Christ : Celui qui s'abaisse sera (230) élevé. (Luc, XVIII, 11, et XIV, 11.) Vérité incomparable ! Si nous cédons la meilleure part à un autre, nous en sommes plus glorifiés; si nous préférons les autres à nous , c'est ce qui nous honore le plus. Aussi, je vous en conjure, efforçons-nous d'imiter l'humilité du patriarche, et cherchons, nous qui vivons dans la grâce, à suivre les traces d'un homme qui a montré tant de sagesse, même avant la loi. C'était une véritable humilité, celle que cet homme admirable montra envers celui qui lui était bien inférieur, non-seulement au point de vue de la vertu, mais encore de l'âge et de tout le reste. Songez que le vieillard a cédé au jeune homme, l'oncle au neveu, l'homme que Dieu avait comblé de faveurs à celui que ne recommandait aucune grande action: Voici encore ce qu'il faut ajouter: ce que le jeune homme aurait dû dire au vieillard, à son oncle, c'est le patriarche qui l'avait dit au jeune homme. Apprenons donc à honorer d'autres personnes que nos supérieurs ou nos égaux. Cela ne serait point de l'humilité: faire ce qu'il faut faire, ce n'est pas de l'humilité; mais un devoir. La véritable humilité consiste à céder à ceux qui sont au-dessous de nous, et à préférer à nous ceux qui paraissent nos -inférieurs. Si nous réfléchissons, nous penserons que personne ne nous est inférieur, mais nous croirons que tout le monde nous surpasse. Et je ne parle pas ainsi seulement pour nous, qui sommes plongés dans une infinité de péchés, mais celui-là même qui aurait conscience d'avoir fait mille bonnes actions, s'il ne se regardait pas en même temps comme le dernier des hommes, toutes ses bonnes actions ne lui serviraient à rien. La véritable humilité consiste à s'effacer, s'abaisser et se modérer quand on a des occasions de s'élever. C'est le moyen de s'élever à 1a véritable grandeur, d'après la promesse du Seigneur : Celui qui s'abaisse sera élevé. (Luc, XIV, 11.) Efforçons-nous donc, je vous prie, de nous élever jusque-là par notre humilité, afin d'obtenir du Seigneur les mêmes grâces que ce juste, et de mériter les mêmes biens ineffables, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

 

TRENTE-QUATRIÈME HOMÉLIE. " Le Seigneur dit à Abram après qu'il se fut séparé de Loth : Lève les yeux à partir de la place où tu es maintenant, au nord et au midi, à l'orient et vers la mer, car toute cette terre que tu vois, je te la donnerai. " . (Gen. XIII, 14, 15).
ANALYSE.

1. Eloge de la douceur. — 2. Explication du passage de l'Ecriture qu'on vient de lire. Dieu est si satisfait de la conduite qu.Abram a tenue à l'égard de Loth, qu'à peine Loth s'est-il éloigné que Dieu vient donner à Abram sa récompense. — 3. Imitons Abraham ; voici un pauvre, ne perdons pas une si belle occasion, donnons-lui l'aumône et Dieu nous rendra un "royaume dans le ciel. Dieu diffère l'accomplissement de sa promesse pour exercer la vertu du juste ; avant de donner un enfant à Sara; il attend qu'elle ait humainement perdu l'espoir d'en avoir, pour mieux faire éclater sa puissance. — 4. Grandeur de la promesse que Dieu vient de faire à Abram. Abram va planter sa tente au pied du chêne de Membré. — 5-6. Exhortation à la constance dans la foi.

1. Vous avez appris hier, mes bien-aimés, combien le patriarche avait d'humilité et de douceur. En effet, il était extraordinaire de voir ce vieillard, auquel Loth devait tant de bienfaits, si favorisé du Maître de l'univers, traiter d'égal à égal avec un jeune homme, avec son neveu, au point de lui céder l'avantage, de prendre ce qu'il laissait, afin de tout faire pour éviter la guerre et supprimer toute cause de dispute. Cherchons tous à l'imiter, ne publions jamais nos louanges , ne tombons jamais dans l'orgueil. Ne nous distinguons que par notre modestie, efforçons-nous de passer pour inférieurs aux autres, en oeuvres et en paroles, ne combattons jamais ceux qui nous ont fait tort quand même nous les aurions comblés de nos bienfaits (c'est là le comble de la sagesse) : ne nous fâchons d'aucune injure, même si elle vient de la part des inférieurs, mais apaisons toute colère par notre calme et notre douceur. Il n'y a rien qui montre plus de puissance et de force. C'est ainsi que notre âme parvient à être parfaitement tranquille , c'est là ce qui la maintient au port, pour ainsi dire, et facilite notre bonheur et notre repos. Voilà pourquoi le Christ nous donne ce divin précepte: Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez du repos pour vos âmes. (Matth. II, 29.) Car rien ne rend mieux à l'âme le repos et la tranquillité que la douceur et la modestie. Un- diadème honore moins celui qui le porte; l'illustration et la gloire n'ont rien qui vaille autant. Est-il, en effet, un plus grand avantage que d'être délivré d'une guerre civile? L'extérieur a beau être en paix avec nous, ou même nous être soumis, si le trouble dé nos pensées cause à l'intérieur des tumultes et des séditions, à quoi nous servira la paix extérieure? de même, que peut-il arriver de plus déplorable pour une ville, malgré tous ses murs et ses retranchements, que d'avoir des traîtres dans son sein? Je vous conjure donc, de songer avant tout à calmer le trouble de votre âme, à la mettre en repos et à la délivrer de tous ses dégoûts, afin que vous-mêmes puissiez être tranquilles et doux pour ceux qui vous approchent. En effet, on reconnaît surtout un homme raisonnable à ce qu'il est calme, facile à vivre, doux, modeste et tranquille; s'il ne se laisse pas entraîner comme un esclave par la (232) colère ou par d'autres passions; si la raison tempère son impétuosité naturelle, et l'empêche de tomber au rang des bêtes privées de sens. Et pour vous faire comprendre quelle est la force de la tranquillité et de la douceur, vertu qui peut à elle seule, si elle est pratiquée convenablement, mériter des louanges infinies, considérez que c'est elle qui est le plus célébrée chez le bienheureux Moïse et qui lui tresse la plus belle couronne. Moïse était le plus doux des hommes de la terre. (Nomb. XII, 3.) Vous voyez qu'un si grand éloge ne laisse aucun homme au-dessus de lui et même le met au-dessus des autres hommes. L'Écriture dit encore de David: Souvenez-vous, Seigneur, de David et de toute sa douceur. (Ps. CXXXI, 1.) C'est par là que notre patriarche a encore obtenu plus de bienveillance d'en-haut, et qu'en cédant ce qu'il possédait, il en a été récompensé et au delà, par la bonté de Dieu. Vous le saurez bientôt, quand vous aurez entendu la suite de l'instruction d'hier, et que nous aurons exposé à votre charité l'explication de la lecture qui vous a été faite. En effet, le patriarche, ayant eu l'extrême condescendance de laisser Loth choisir la meilleure part, se contente de la moins bonne afin d'éviter toute discussion; voyez maintenant quelle récompense Dieu lui donne, et comment il l'indemnise des richesses qu'il avait méprisées en lui rendant bien plus encore. Car tel est pour nous le Seigneur. Si nous lui sacrifions la moindre chose, il nous la rendra avec usure, et sera si libéral que tout ce que nous avons fait ne sera rien en comparaison de ses bienfaits.

2. Voilà ce que chacun peut observer à l'occasion de tout acte de vertu qu'il accomplit. Estil, dites-moi, rien de moins précieux que deux oboles? Cependant pour avoir mis deux oboles dans le tronc des aumônes, cette veuve est restée célèbre depuis cet instant jusqu'à présent. (Luc, XXI, 3. ) Mais pourquoi parler de deux oboles? Celui qui offre un verre d'eau froide en sera grandement récompensé, car Dieu couronne toujours l'intention de la vertu. Cela se voit encore à propos de l'assiduité dans les prières. S'il voit quelqu'un qui l'approche avec ferveur, il lui dit aussitôt : Je viens à toi tandis que tu parais encore. (Isaïe, LXV, 24.) Si cette assiduité ne se ralentit pas, si les prières sont faites avec un saint désir et une véritable ferveur, il les exauce et les couronne avant qu'elles soient formulées; c'est ce que le Seigneur a fait à l'égard de la Chananéenne. Quand il vit son énergie et sa persévérance infatigable, il l'exalta et la couronna, pour ainsi dire, par ses éloges, au point de la rendre illustre aux yeux de toute la terre, et dépassa encore ses prières par sa générosité. Car après avoir dit O femme, ta foi est grande! il ajouta : Qu'il soit fait comme tu le désires. (Mat. XV, 28.). Et si nous voulions prendre tous les exemples que nous offrent les saintes Écritures, nous y trouverions partout les preuves de la bonté dif Seigneur. Aussi le patriarche, sachant bien que celui qui cède quelque chose obtient davantage , ainsi que vous l'avez vu hier, accorda tout à Loth et prit le pays le moins avantageux pour supprimer toutes les occasions de dispute, et faire renaître, par la force de sa vertu, le calme dans la maison. Mais voyons, par ce que l'on vient de lire, quelles récompenses il a reçues de Dieu pour tant de douceur.

Dieu dit à Abram, après qu'il se fut séparé de Lot : Lève les yeux à partir de la place où tu es maintenant, au nord, au midi, à l'orient et vers la mer : car toute cette terre que tu vois, je te la donnerai, ainsi qu'à ta race, jusqu'à la fin des siècles. Voyez avec quelle promptitude Dieu protège et récompense le juste. Voulant nous montrer combien la bonté de Dieu appréciait l'humilité du patriarche, l'Écriture sainte, après avoir dit que Loth s'était séparé de lui, pour aller dans le pays qu'il avait choisi comme plus avantageux, ajoute immédiatement: Le Seigneur dit à Abram. Ensuite, pour nous bien faire comprendre qu'il est récompensé de sa conduite avec Loth, elle dit encore : Dieu dit à Abram, après qu'il se fut séparé de Loth; comme s'il lui eût parlé ainsi: Tu as eu assez de condescendance pour laisser à ton neveu la terre la plus avantageuse tu as montré une grande humilité, et tu as assez tenu à la paix pour tout faire dans le but d'éviter les disputes ; reçois donc les preuves de ma munificence : Lève tes yeux à partir de l'endroit où tu es maintenant, du côté de l'aquilon et du midi, de l'orient et de la mer toute cette terre que tu vois, je te la donnerai, ainsi qu'à ta race, jusqu'à la fin des siècles. Voyez-vous combien cette -récompense est encore supérieure aux actions qui l'ont méritée? Le Dieu de bonté répète les mêmes paroles qu'avait employées le patriarche en cédant ses droits. Car celui-ci avait dit : Ne vois-tu pas (233) toute la terre devant toi? Sépare-toi de moi; si tu vas à droite, j'irai à gauche, et si tu vas à gauche; j'irai à droite. De même le Seigneur dit : Lève tes ,yeux à partir de l'endroit où tu es maintenant; toute cette terre que tu vois, le te la donnerai à toi ainsi qu'à -ta race, jusqu'à la fixa des siècles.

Voyez, je vous prie, quel excès de bienfaisance ! Tu lui as, dit le Seigneur, laissé le choix, tu lui as laissé prendre la terre qu'il a voulue, et tu t'es 'contenté de ce qu'il abandonnait. Mais moi, je serai si bienfaisant avec toi, que toute cette terre qui est là devant tes yeux, de tous les côtés, du nord au midi et de l'orient au couchant, toute cette terre que tu vois t'appartiendra; et non-seulement à toi, mais à ta race jusqu'à la fin des siècles. Voyez-vous quelle munificence digne de la bonté divine? Voyez-vous ce qu'il avait cédé et ce qu'il reçoit maintenant? Apprenons par là à faire de larges aumônes afin de mériter une plus grande récompense au moyen d'une offrande qui sera toujours petite. En effet, cela peut-il se comparer? Donner un peu d'argent et obtenir la rémission de ses péchés? Nourrir un homme qui a faim, et être justifié dans ce jour terrible et entendre ces paroles préférables à un empire : J'avais faim, et vous m'avez donné à manger. (Mat. XXV, 35.) Celui qui vous a procuré tant d'abondance n'aurait-il pas pu soulager la misère de cet indigent? Mais il a permis que cet homme fût pauvre pour qu'il pût être généreusement récompensé de sa patience, et que vous-mêmes fussiez justifiés par l'aumône.

3. Admirez la bonté du Seigneur ! n'a-t-il pas tout disposé pour notre salut? Aussi quand vous songez que c'est pour vous, dans votre intérêt que ce malheureux lutte avec la faim et la misère, ne passez point sans pitié , mais soyez un intendant fidèle des biens que le Seigneur vous a confiés, afin qu'en soulageant cet infortuné vous attiriez sur vous toutes les grâces d'en-haut. Glorifiez alors le Seigneur de ce qu'il a permis la pauvreté de cet homme pour vous donner l'occasion de laver vos péchés, et qu'après avoir bien administré ce que le Seigneur vous avait prêté, vous méritiez son approbation qui est au-dessus de tout langage et de toute pensée. Il vous dira : Courage; serviteur bon et fidèle ; tu as été fidèle à propos de petites choses; je t'en donnerai de plus importantes ;entre dans la joie de ton Dieu. (Mat, XXV, 23.) Si nous faisons ces réflexions, nous regarderons les pauvres comme des bienfaiteurs qui peuvent nous donner les occasions de faire notre salut; il faut donc les secourir abondamment et de bon coeur, ne jamais les refuser, mais leur parler avec beaucoup de bienveillance et de douceur. Prêtez l'oreille au pauvre et répondez-lui avec douceur et bonté (Eccl. IV, 8); alors, même avant d'avoir fait l'aumône , vous aurez relevé par votre bienveillance l'âme abattue du pauvre. La parole vaut encore mieux que le bienfait. (Eccl. XVIII, 16.) Tant il est vrai que l'âme est fortifiée et consolée par de bonnes paroles !

Aussi quand nous faisons l'aumône , ne considérons pas seulement celui qui la reçoit, mais songeons à celui qui recueille ce que l'on donne au pauvre, et qui promet de nous le rendre; songeons à lui sans cesse, pour exciter notre zèle charitable, et semons avec abondance, tandis qu'il en est encore temps, afin d'avoir plus tard une riche moisson. Celui qui sème peu, récoltera peu. (II Cor. IX, 6.) Répandons avec profusion ces semences, pour avoir une moisson opulente quand le jour sera venu. Maintenant c'est le jour des semailles, ne l'oublions pas, je vous en conjure-; quand viendra celui de la rétribution, nous recueillerons les fruits de ce que nous aurons semé, et nous obtiendrons la miséricorde du Seigneur. En effet, il n'est aucune de nos bonnes actions, aucune aussi capable d'éteindre l'incendie de nos péchés que l'abondance des aumônes; c'est elle qui efface nos fautes, qui nous justifie devant Dieu, et qui nous prépare pour récompense des biens ineffables. Mais je vous en ai dit assez pour vous y exhorter et pour vous montrer que les moindres dons sont magnifiquement récompensés par le Seigneur. En effet, nous sommes arrivés à recommander l'aumône en disant que le patriarche, pour avoir laissé à Loth la meilleure terre et gardé la moins bonne, s'était rendu Dieu si favorable, qu'il en avait obtenu une promesse au-dessus de tout ce que la pensée pouvait concevoir. Lève tes yeux à partir de l'endroit où tu es maintenant, du côté de l'aquilon et du midi; toute cette terre que tu vois, je te la donnerai à toi et à ta race, jusqu'à la fin des siècles. Tu as cédé une portion de terre à ton neveu ; moi je te promets toute la terre, et non-seulement à toi, mais à ta race jusqu'à la fin des siècles, c'est-à-dire à perpétuité ! Voyez-vous quelle lutte de bienfaits? Dieu sachant que le patriarche ne (234) désirait rien davantage, et que rien ne pouvait mieux corroborer sa constance, lui dit: Je multiplierai ta race comme le sable de la terre. Si quelqu'un peut compter le sable de la terre, il comptera aussi ta race. En vérité, une pareille promesse dépassait la nature humaine; non-seulement il lui donne l'assurance de le rendre père, malgré tout ce qui semblait s'y opposer, mais aussi de multiplier ses enfants comme le sable de la terre, voulant, par cette hyperbole, indiquer qu'ils seraient .innombrables.

Voyez comment la bonté du Seigneur exerce peu à peu la vertu du juste! Il lui a dit tout à l'heure : Je donnerai cette terre à ta race; maintenant il dit encore : Je la donnerai à ta race jusqu'à la fin des siècles et je multiplierai ta race comme le sable de la terre. Voilà de belles promesses, mais ce ne sont encore que des paroles ! Il se passe beaucoup de temps entre la promesse et son accomplissement, afin de nous montrer la piété du patriarche et l'infinie puissance de Dieu. Il en diffère et en recule la réalisation, afin que ceux qui en avaient reçu l'assurance, étant parvenus à l'extrême vieillesse, et ayant perdu toute espérance humaine, puissent éprouver la faiblesse de leur nature et la puissance incomparable de Dieu.

4. A ce sujet, réfléchissez, je vous prie, à la fermeté d'esprit du patriarche, pendant un si long espace de temps; tout était perdu au point de vue humain, mais songeant à la puissance de Celui qui lui avait fait cette promesse, il n'avait ni trouble, ni crainte. Vous savez que d'ordinaire nous finissons par ne plus croire aux promesses souvent répétées, quand elles tardent à s'accomplir: nous pouvons avoir raison, s'il s'agit d'un homme. Mais quand il s'agit de Dieu, qui dirige notre existence avec sa prudence parfaite, s'il a une fois promis quelque chose, nous devons nous y fier, malgré des obstacles innombrables, nous devons ne songer qu'à sa puissance absolue, raffermir notre raison et savoir que toutes ses paroles s'accompliront n'importe comment. Rien ne peut retarder l'effet de ses promesses, puisque c'est Dieu à qui tout est possible; mais il les recule quand il veut: s'il n'y a pas de chemins, il sait en trouver et nous rendre l'espérance au milieu de notre désespoir, afin de faire briller encore mieux à nos regards sa puissance et sa sagesse.

Il dit : Lève-toi et promène-toi en long et est large sur la terre que je te donnerai. Voyez comme il s'empresse toujours de maintenir le juste en sécurité ! Il dit: lève-toi, promène-toi, mesure la longueur et la largeur, pour que tu apprécies la terre dont tu jouiras et qu'avant même d'en jouir, tu te repaisses d'espérance pour premier bonheur. Car je te donnerai toutes les terres à l'entour pour te montrer que tu n'as pas abandonné autant que tu dois recevoir. Ne crois pas maintenant avoir eu la plus mauvaise part, quand ton neveu est allé occuper ce qu'il avait préféré. Les événements te prouveront bientôt que cet avantage ne lui a servi à rien; et lui-même apprendra quel inconvénient on trouve à rechercher la meilleure part. En attendant, recueille la récompense de la modération et de la condescendance que tu as eues pour ton neveu, reçois ma promesse, visite cette terre dont tu es le maître, et que tu posséderas bientôt, ainsi que ta race, jusqu'à perpétuité : Je la donnerai à ta race jusqu'à la fin des siècles. Quelle révélation de Dieu, quelle générosité du souverain Maître, quelle immense récompense accordée, par sa bienveillance et sa miséricorde, à ce juste et à toute la race qui devait sortir de lui !

En l'entendant, le patriarche, frappé de l'ineffable bonté de Dieu, leva sa tente et habita auprès du chêne de Membré, qui est au pays de Chèbron. Ainsi , après avoir reçu cette promesse et s'être séparé de Loth, il transporta sa tente au chêne de Membré. Voyez quelle résignation et quelle élévation dans l'esprit! comme il se transporte facilement et n'é-, prouve aucune difficulté à passer d'un lieu à un autre. Jamais vous ne le trouverez retenu ni embarrassé par aucune habitude, ce qui arrive souvent à bien des gens qui se prétendent parvenus au faite de la sagesse et supérieurs aux misères du monde. Si pourtant ils sont appelés par quelque circonstance à changer de place, souvent même, pour une affaire spirituelle, ils deviennent chagrins, tristes et supportent avec peine ce déplacement, parce qu'ils sont prévenus par l'habitude. Il n'en était pas ainsi de ce juste , qui avait déjà toutes les qualités de la sagesse chrétienne : comme un voyageur ou un étranger, il se transportait tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, et s'empressait partout de déployer sa piété par ses actions. Car après avoir placé sa tente près du chêne de Membré, il y construisit un autel au Seigneur. Voyez quelle reconnaissance ! Aussitôt qu'il a placé sa tente, (235) il s'empresse d'offrir au Seigneur des actions de grâces pour sa promesse. Et dans tous les endroits où il place sa tente, vous trouvez qu'il songe avant tout à dresser un autel pour y offrir ses prières et accomplir le précepte de l'Apôtre qui nous ordonne de prier partout, et d'élever au ciel des mains pures. (I Tim. II, 8.) Voyez les ailes que l'amour prête à son âme pour voler à Dieu, et le remercier de toutes choses ! Il n'attendit pas que les promesses fussent accomplies; il le remercia de sa promesse, et il fit tout pour engager, par ses actions de grâce anticipées, le Seigneur à en précipiter l'accomplissement.

5. Imitons-le donc et ayons confiance dans les promesses divines. Que notre ardeur ne se. ralentisse pas avec le temps, que les obstacles répandus sur notre route n'affaiblissent pas notre courage; mais, toujours confiants dans la puissance de Dieu, comme si nous pouvions déjà voir ses promesses se réaliser, montrons toujours une foi sincère. Car Dieu nous a fait des promesses considérables, immenses même, et qui confondent notre raison, puisqu'elles consistent à nous faire entrer dans son royaume et participer avec les anges à des biens ineffables, en nous délivrant de l'enfer. Gardons-nous de douter, sous prétexte qu'il nous est impossible de voir avec les yeux du corps , mais songeons que Celui qui a fait ces promesses ne peut mentir ; songeons à l'étendue de sa puissance, regardons tous ces biens avec les yeux de la foi, et d'après ce qu'il nous a déjà accordé, ayons bonne espérance pour l'avenir. En effet, c'est pour cela que nous avons déjà reçu mille bienfaits qui doivent nous conduire vers ces biens et nous en donner l'espoir; car Celui qui nous a donné son Fils par amour pour nous,, comment ne nous donnerait-il pas tout le reste? Aussi, Paul dit-il: Celui qui n'a pas épargné son propre Fils, et qui l'a livré pour nous tous, comment ne nous donnerait-il pas tout en même temps ? (Rom. VIII, 32.) S'il a livré son Fils pour nous autres pécheurs, s'il nous a accordé la grâce du baptême, s'il nous adonné la rémission des péchés qui l'ont précédé, s'il nous a ouvert la route de la pénitence, et s'il a encore -travaillé pour notre salut de bien d'autres manières, il est clair qu'il nous réserve un avenir bienheureux. Car lui, dont la bonté nous a préparé tous ces trésors avant que nous fussions au monde, comment ne nous permettrait-il pas d'en jouir? Pour voir qu'il les avait préparés d'avance, écoutez ce qu'il dit à ceux qu'il met à sa droite : Venez, les bien-aimés de mon Père, recevez pour héritage le royaume qui vous a été préparé avant la création du monde. (Mat. XXV, 34.)

Voyez l'excès de bonté, la bienveillance qu'il a eue pour notre race, puisqu'il nous préparait la jouissance de ce royaume même avant la: création du monde! Ne soyons donc pas ingrats, je vous en conjure, ne nous. rendons pas indignes de pareils bienfaits, mais chérissons, comme nous le devons tous, notre Maître et ne faisons rien qui puisse diminuer sa bienveillance pour nous. Est-ce nous qui avons fait les premiers pas? C'est lui, qui de lui-même nous a ouvert le trésor inépuisable de sa charité. Combien 'ne serait-il pas insensé de ne point aimer de toutes nos forces celui qui nous aime ainsi ! Son amour pour nous lui a fait tout supporter avec plaisir; il a voulu prendre, en quittant le sein de son Père, pour ainsi dire, la forme d'un-esclave, subir toutes les misères de l'humanité, supporter les injures et les- opprobres des Juifs, et enfin le supplice de la croix, la mort la plus ignominieuse, afin que nous, qui nous traînions à terre, écrasés du poids de mille péchés, la foi pût en lui nous en affranchir. Aussi en y réfléchissant, saint Paul, dont l'amour pour le Christ était si ardent, qui parcourait l'univers comme avec des ailes, et qui, malgré son corps, agissait presque comme un être incorporel, s'écriait-il : La charité du Christ nous possède. (II Cor. V, 14.) Voyez quelle reconnaissance , quel excès de vertu , quelle ferveur de zèle ! La charité du Christ nous possède, c'est-à-dire nous presse , nous pousse, nous excite.

Ensuite, voulant expliquer ce qu'il vient de dire, il ajoute : Nous jugeons que si un seul est mort pour tous, c'est que tous étaient morts. Et il est mort pour tous, afin que les vivants ne vécussent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui était mort et ressuscité pour eux. Vous voyez dans quel sens il a dit : T a charité du Christ nous possède. S'il est mort pour nous tous, il est donc mort afin que nous ne vivions plus pour nous, mais pour lui qui est mort et ressuscité pour nous. Mais, dira-t-on; comment pourrons-nous ne plus vivre pour nous-mêmes? Ecoutez encore les paroles de l'Apôtre : Je ne suis plus vivant, c'est le Christ qui vit en moi. (Gal. II, 20.) Vous voyez que, tout en (236) restant sur terre et dans les liens de la chair, il vivait cependant comme un habitant du ciel et assimilé aux puissances immatérielles. Il dit encore ailleurs : Ceux qui sont au Christ ont crucifié leur chair ove ;ses passions et ses désirs. (Gal. V, 24.) C'est là ne plus vivre pour soi-même, mais pour Celui qui est mort et ressuscité pour nous, afin d'être comme mort à cette vie présente et de ne plus être sensible à rien de visible. Car Notre-Seigneur a été crucifié pour que nous échangions la vie actuelle pour la vie future; ou plutôt pour que l'une nous fasse acquérir l'autre. La vie actuelle, si nous voulons être attentifs et vigilants, nous conduit au bonheur de la vie éternelle; pour peu que nous ayons de soin, et que nous cherchions à ouvrir l'oeil de l'esprit, nous saurons, ici-bas, nourrir sans cesse la pensée de ce bonheur, négliger et dédaigner le présent, pour ne songer qu'à l'avenir éternel, et suivre les leçons de ce saint qui nous dit : Maintenant je vis dans la chair, mais je vis dans la foi du Fils de Dieu qui m'a aimé, et qui s'est livré pour moi. (Gal. II, 20.)

6. Vous voyez quelle âme de feu, à quelle hauteur plane cet esprit, quel amour pour Dieu dans ce coeur enflammé ! Je vis maintenant, mais je vis dans la foi. Ne croyez pas, dit-il, que je fasse rien pour ce qui regarde la vie présente. Quoique je sois enveloppé de chair et soumis aux nécessités de cette nature, cependant je vis dans la foi, dans celle du Christ, c'est à lui que je songe sans cesse, l'espoir que j'ai en lui me fait devancer l'avenir et mépriser le présent. Enfin, pour vous montrer toute la perfection de son amour, il dit : Je vis dans la foi du Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi. Quelle preuve d'extrême reconnaissance ! Que dis-tu, ô saint Paul? Tu disais un peu avant : Dieu n'a pas épargné son propre Fils, et l'a livré pour nous tous (Rom. VIII, 32) ; et maintenant tu dis : il m'a aimé, et tu sembles considérer comme particulier à toi un bienfait général. Oui, dit-il, car bien que ce sacrifice ait été offert pour tout le genre humain, cependant mon amour me le fait considérer comme s'il m'était particulier. C'est l'usage des prophètes de dire, ô Dieu, mon Dieu (Ps. XXI, CXVII et CXLI), quoique ce soit le Dieu de tout l'univers; mais l'amour a cela de particulier qu'il particularise ce qui est général. La foi du Fils de Dieu qui m'a aimé. Que dis-tu? Es-tu le seul qu'il ait aimé? Il a aimé toute la nature humaine, mais je lui rends grâces comme s'il m'avait aimé seul. Et qui s'est livré pour moi. Quoi donc? est-ce pour toi seul qu'il a été crucifié? Ne dit-il pas: Quand je serai élevé, j'attirerai tout à moi? (Jean, XII, 32.) N'as-tu pas dit toi-même: Il s'est livré pour nous tous? Oui, j'en conviens, mais je cherche à nourrir mon amour. — Voyez ce qu'il nous apprend encore sur ces paroles. Après avoir plus haut dit du Père Il l'a livré pour nous tous, il dit ici : Il s'est livré lui-même. C'est pour montrer l'accord et l'égalité entre le Père et le Fils et pour faire allusion au mystère de la croix; aussi dit-il ailleurs : il a été obéissant jusqu'à la mort (Phil. II, 8), prouvant partout sa foi pour cette union. Ici il a dit : Il s'est livré lui-même, pour montrer qu'il a supporté la passion volontairement, non par force et par violence, mais qu'il avait désiré et voulu souffrir sur la croix pour le salut de tout le genre humain.

Comment notre amour pourra-t-il jamais être digne d'une si abondante charité? Quand même nous sacrifierions notre existence pour obéir à ses lois et pour maintenir les préceptes qu'il nous a donnés, nous ne serions pas encore à la hauteur de cette charité qu'il a déployée pour notre nature. C'est Dieu qui a souffert pour les hommes, le Maître pour les esclaves; et non-seulement pour des esclaves, mais pour des ingrats qui lui montrent une haine implacable. C'est lui qui a offert de lui-même ses généreux bienfaits à des hommes indignes et tombés mille fois; tous nos efforts ne pourront jamais récompenser dignement une pareille bienfaisance. Tout ce qui vient de nous est une obligation, un tribut; de lui viennent des largesses immenses et gratuites. Méditons sur ces vérités, aimons le Christ comme Paul l'a aimé, sans nous inquiéter des choses présentes, et conservant son amour constant et inébranlable dans notre âme. C'est ainsi que nous prendrons en pitié la vie actuelle et que nous habiterons la terre comme si nous étions déjà au ciel, sans ralentir notre zèle dans la prospérité, sans nous abattre dans l'adversité. Oublions tout pour courir vers notre Maître adorable, ne nous affligeons point pendant l'attente, mais disons comme notre saint : Maintenant nous vivons dans la chair, mais nous vivons dans la foi du Fils de Dieu, qui nous a aimés et s'est livré pour nous. Ainsi nous passerons sans affliction notre vie actuelle, et nous mériterons (237) les biens à venir, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit soient gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

TRENTE-CINQUIÈME HOMÉLIE. " Il arriva pendant le règne d'Amarphath, roi de Senaar, qu'Arioch, roi; d'Elasar et Chodolgomor roi d'Elam, et Tarthac, roi des Nations, firent la guerre contre le roi de Sodome. " (Gen. XIV, 1, 2.)
ANALYSE.

1-2. Exortation à l'étude des saintes Ecritures ; exemple de l'eunuque éthiopien. — 3. Défaite des cinq rois, captivité de Loth qui se trouve ainsi puni de s'être séparé de son oncle. — 4. Victoire d'Abraham dans laquelle parait avec éclat la protection dont le eouvre le Tout-Puissant. — 5. Melchisédech, figure de Jésus-Christ. — 6. Abraham confesse le Dieu, créateur du ciel et de la terre, en présence du roi de Sadome et donne une nouvelle preuve de son désintéressement. — 7-8. Exhortation à l’aumône.

1. C'est une excellente chose, mes bien-aimés, que la lecture des saintes Ecritures. Elle donne à notre âme la véritable philosophie, elle élève notre esprit au ciel, elle rend l'homme reconnaissant; elle nous empêche de rien admirer des choses présentes et en détourne sans cesse notre pensée, afin que la vue des récompenses promises par le Seigneur nous engage à tout faire pour les mériter et à mettre tous nos efforts et tout notre zèle à la poursuite de la vertu. Elle nous fait connaître la providence d'un Dieu promptement secourable, le courage des justes, la bonté du Seigneur et la grandeur de ses récompenses. Elle excite notre zèle à imiter la sagesse de ces hommes généreux, pour que nous ne faiblissions point dans les efforts qu'exige la vertu, mais pour que nous prenions confiance aux promesses divines, même avant qu'elles soient réalisées. Aussi, je vous en conjure, livrons-nous avec ardeur à la lecture des saintes Ecritures, dont l'étude assidue nous donnera la science céleste. En effet, celui qui s'y applique avec zèle et ferveur ne peut jamais être négligé d'en-haut ; quand même l'instruction humaine nous manquerait, Dieu, descendant dans nos coeurs, illumine notre esprit, éclaire notre raison, nous dévoile ce qui était caché et nous enseigne ce que nous ignorions; il suffit que nous fassions tout ce qui dépend de nous. Ne donnez à personne sur terre le nom de Maître. (Mat. XXIII, 8.) Quand nous ouvrons ce livre spirituel, préparons notre pensée, recueillons notre esprit, chassons toutes les idées du monde et livrons-nous à cette lecture avec une attention et une piété profondes, afin d'être conduits par le Saint-Esprit à l'intelligence des Ecritures et d'en recevoir les fruits précieux. Ce barbare, cet eunuque de la reine d'Ethiopie, qui voyageait en grande pompe et sur son char (Act. VIII), ne négligeait pas cette lecture, même en voyage. Il avait dans ses mains le livre d'un prophète et s'appliquait tout entier à cette lecture sans avoir cependant l'intelligence de ce qu'il lisait; mais comme il apportait tout ce qui dépendait de lui, le zèle, l'ardeur et l’attention, il rencontra un guide spirituel. Songez en effet, je vous prie, combien il était difficile (238) de s'occuper à lire en voyage et surtout assis sur un char. Je recommande cet exemple à ceux qui ne peuvent s'y décider, même chez eux, qui croient ne pas en avoir le temps, parce qu'ils vivent avec une femme, qu'ils sont au service militaire, qu'ils sont embarrassés d'enfants et de domestiques, et s'imaginent que leur état les dispense de lire les saintes Ecritures. Cependant voici un eunuque, un barbare que ces mêmes motifs auraient pu rendre négligent, sans compter sa puissance et ses richesses; ajoutez à cela qu'il était en voyage et sur un char, position peu commode et même très-gênante pour la lecture; cependant son ardeur et son zèle le faisaient passer par-dessus tous ces obstacles; il s'absorbait dans sa lecture et ne disait pas comme tant d'autres : Je ne comprends pas ce qui est écrit, je ne puis pénétrer la profondeur des Ecritures; pourquoi me livrer à un travail stérile et inutile, puisque je n'ai personne pour me l'expliquer? Il ne pensait rien de semblable, car s'il était barbare de nation, il était sage d'esprit; il s'appliquait donc à cette lecture en pensant qu'il ne méritait pas le mépris, mais la grâce d'en-haut, s'il faisait tout ce qui dépendait de lui. Aussi le Seigneur bienveillant, voyant son désir, ne le méprisa point, ne l'abandonna pas et lui envoya aussitôt un guide spirituel. Réfléchissez, je vous prie, à la sagesse de Dieu qui attendit que l’eunuque eût fait tous ses efforts et qui alors lui envoya un aide. Quand celui-ci eut accompli et terminé ce qui était en son pouvoir, un ange du Seigneur apparut à Philippe lui disant : Lève-toi et va sur la route qui descend de Jérusalem à Gaza, qui est déserte. Et voici qu'un Ethiopien, un eunuque, ministre de la reine d'Ethiopie Candace, était venu pour adorer à Jérusalem, il s'en retournait assis sur son char et lisait te prophète Isaïe. (Act. VIII, 26-28.) Voyez avec quel soin le lecteur est décrit : c'est un Ethiopien, ce qui nous fait voir qu'il est barbare; c'est un ministre, ce qui indique beaucoup d'honneur et de puissance. Il était venu pour adorer à Jérusalem. Vous voyez que la cause même de son déplacement prouvait sa piété; car voyez combien de chemin il avait fait pour adorer le Seigneur. On croyait encore alors que le culte divin était renfermé dans un seul endroit et l'on faisait un long voyage pour y apporter ses prières. Il était donc venu là où était le temple et le culte des Juifs pour adresser son adoration au Seigneur. Et après avoir accompli son désir, il s'en retournait assis sur son char et lisait.

2. Ensuite , Philippe s'approche et lui dit : Crois-tu comprendre ce que tu lis ? Voyez combien son âme était avide de savoir, puis qu'il s'attachait à cette lecture qu'il ne comprenait pas, tout en désirant de trouver un maître qui la lui expliquât. En effet, la question de l'Apôtre éveille aussitôt son désir, et sa réponse même fait voir qu'il était digne de rencontrer ce maître capable d'expliquer ce qu'il lisait. L'Apôtre, en lui disant : Crois-tu comprendre ? s'était approché de lui, couvert de pauvres habits; cependant l'eunuque n'en fut point choqué ni irrité, il ne se crut point injurié, comme cela arrive à ceux qui ont la sottise de vouloir rester dans leur ignorance parce qu'ils rougissent de l'avouer et d'apprendre de ceux qui savent. Il n'eut aucune idée semblable; il répond avec douceur et piété, sans cacher l'état de son âme : Comment pourrai-je comprendre si quelqu'un ne me guide ! Et de plus, après avoir répondu avec cette politesse, il ne continua pas son chemin, mais il donna encore une grande preuve de vertu : ce ministre; ce barbare, monté sur-ce char brillant, appela cet homme si mal vêtu, qui semblait si peu de chose, et le fit monter avec lui ! Voyez quelle âme fervente, quelle extrême dévotion ! Voyez comme la piété de ce barbare lui fait accomplir. les paroles du Sage: Si vous trouvez un homme sage, que vos pas usent les marches de sa porte. (Eccl. VI, 36.) Voyez combien il était juste de ne pas le mépriser, voyez comme il méritait la protection divine ! Après avoir ainsi trouvé ce guide spirituel, il apprit toute la puissance de ces écrits, et son intelligence s'éclaira.

Vous avez vu quel avantage il y a à lire les saintes Ecritures avec zèle et attention. C'est pour cela que je vous ai rapporté l'histoire de ce barbare, afin qu'on ne rougisse point d'imiter cet Ethiopien , cet eunuque qui ne négligeait pas, même en voyage, de lire les Ecritures. Ce barbare peut être notre maître à tous, hommes privés ou militaires, même aux plus haut placés, à tous les hommes enfin, et aussi aux femmes qui vivent sans cesse à la maison. Il peut encore être un enseignement pour ceux qui ont choisi la vie monastique, afin de leur montrer qu'aucune circonstance ne peut les détourner de cette lecture. Elle est (239) toujours possible , non-seulement chez soi, mais en promenade , en voyage , dans le monde, au milieu des affaires; en un mot, faisons tout ce qui dépend de nous, dans l'espérance de trouver bientôt un guide spirituel; car le Seigneur, voyant nos désirs à ce sujet, ne nous abandonnera pas; il nous accordera son assistance céleste et éclairera notre esprit. Ne négligeons donc pas cette lecture, je vous en supplie; que nous en sentions ou non toute la force, il faut nous en abreuver sans cesse. Une méditation continuelle grave en nous l'Ecriture d'une manière ineffaçable : souvent, ce que nous n'avons pu saisir aujourd'hui , nous le comprenons demain quand nous y songeons de nouveau; c'est que Dieu a bien voulu, à notre insu, pour ainsi dire, éclairer notre âme. Nous faisons cette. observation à propos de la lecture fréquente des saintes Ecritures; mais il vous sera facile de voir que c'est aussi l'usage du Seigneur, même dans toute autre circonstance, de nous accorder des secours abondants, sitôt que nous avons fait ce qui dépendait de nous. A propos des Ecritures, vous avez vu avec quelle promptitude Dieu avait envoyé à ce barbare un guide spirituel ; si vous voulez un exemple de ce qu'il fait en faveur de ceux qui veulent pratiquer la vertu, rappelez-vous le passage que l'on vient de lire. Pour parler plus clairement , nous continuerons ce qui se rapporte à notre patriarche, et nous allons poursuivre ce que nous avions commencé hier. Vous avez vu, d'après ce qui précède, que la condescendance qu'il montra à l'égard de Loth, en lui accordant le choix de la meilleure part, reçut comme récompense d'en-haut la promesse de biens infiniment supérieurs à ceux qu'il abandonnait. La lecture d'aujourd'hui va nous faire encore reconnaître la vertu du juste, ainsi que l'ineffable protection de Dieu sur lui. Commençant à nous instruire par la sagesse du patriarche, il lui donne différentes occasions de manifester sa piété, puis il l'en récompense, afin que nous cherchions d'abord, en imitant le patriarche, à supporter les épreuves de la vertu, et ensuite à en attendre la récompense.

3. Mais il est temps que je vous parle de la lecture d'aujourd'hui ; à peine a-t-elle besoin d'explication, car elle suffit pour montrer l'excellence de la vertu du juste: Il arriva, pendant le règne d'Amarphath , roi de Sennaar , que Arioch, roi d'Elasar, et Chodologomor, roi d’Elam, et Thartac, roi des Nations, firent la guerre à Balac, roi de Sodome, à Barsac, roi de Gomorrhe, à Sennaar, roi d'Adama, à Simobor, roi de Seboïn, et au roi de Balac, ou Ségor. Tous se réunirent dans la. vallée Salée, où est la mer de sel. Voyez la précision de l'Ecriture, comme elle rapporte tous ces noms de rois et de peuples ! ce n'est pas sans raison, c'est pour montrer, par ces noms mêmes, tout ce qu'ils avaient de barbare. Tous ceux-là, dit-elle, firent la guerre au roi de Sodome et à d'autres encore. Ensuite elle nous apprend la cause et l'origine de cette guerre : Ils avaient été asservis douze ans à Chodologomor, roi dElam, et la treizième année ils s'étaient révoltés. Dans la quatorzième année, Chodologomor vint avec les rois qui l'accompagnaient, et ils tuèrent les géants à Astaroth et Carnaïm, et des nations puissantes avec eux , les Omméens dans la ville de Save, et les Chorréens qui étaient dans les montagnes de Séir, jusqu'au pin de Pharan, qui est dans le désert. Et en revenant, ils arrivèrent à la fontaine du Jugement, oie est Cadès, et ils tuèrent tous les princes dAmalec, les Amorrhéens et les habitants d’Asasonthamar. Ne passons point légèrement sur ces paroles, mes bien-aimés, et ne pensons pas que cette narration soit inutile. L'Ecriture sainte a jugé utile de tout raconter avec exactitude pour nous faire connaître la force et le courage de ces barbares, et leur fureur belliqueuse, puisqu'ils avaient vaincu des géants , c'est-à-dire des hommes d'une grande force de corps, et qu'ils avaient mis en fuite toutes les peuplades du pays: Comme un torrent impétueux, qui emporte et détruit. tout, ces barbares avaient tout envahi, tout massacré, par exemple les chefs des Amalécites, et dispersé tous les autres. Mais, l'on dira peut-être : Que me sert de connaître la puissance de ces barbares ? Ce n'est pas au hasard, ni sans raison, que l'Ecriture mêle cette narration à l'histoire, et ce n'est pas en vain que nous vous avons rappelé leur courage; c'est pour vous donner lieu de comprendre par la suite toute la puissance de Dieu et la vertu du patriarche.

Pour combattre ces hommes si terribles, qui avaient battu tant de nations, s'avancèrent les rois de Sodome et de Gomorrhe, ceux d Adama, de Séboïm et de Balac, qui est Ségor, et ils disposèrent leur armée dans la vallée Salée (240) contre Chodologomor, Thartac, Amarphath et . Arioch, quatre rois contre cinq; dans la vallée Salée; il y avait des puits de bitume. Nous voyons combien ils furent frappés de la force et de la puissance de leurs ennemis, car ils furent mis en fuite. Les rois de Sodome et de Gomorrhe s'enfuirent et tombèrent dans ces puits; les autres se sauvèrent sur les montagnes. Vous voyez quelle était la valeur guerrière des barbares, comme ils terrifiaient leurs ennemis par leur seul aspect et comment ils les mettaient en fuite. Voyez ensuite comme ils revinrent après avoir tout pillé chez les fugitifs. Ils pénétrèrent dans les montagnes, prirent tous les chevaux des gens de Sodome et de Gomorrhe et tous leurs vivres, et s'en allèrent. Ils enlevèrent aussi Loth, neveu dAbram, et tous ses bagages, et s'en allèrent. Il habitait au pays de Sodome. Vous voyez arriver ce que je vous disais hier : il ne servit de rien à Loth d'avoir choisi ce qu'il y avait de mieux; l'événement lui enseigne à ne pas désirer de choisir. Car, non-seulement il n'en retire aucun profit, mais il est emmené captif et, il apprend par le fait même qu'il aurait mieux valu continuer à vivre avec lé juste que dose séparer et d'acheter son indépendance par tant de calamités. En quittant le patriarche il croyait être plus libre, avoir la meilleure part et devenir riche; au contraire, le voilà prisonnier, sans demeure, sans fortune et sans foyer. Cela nous, apprend tous les inconvénients des discussions et tous les avantages de la concorde; c'est aussi une leçon pour ne pas chercher toujours le plus profitable, mais se contenter de ce qui le paraît le moins. Ils enlevèrent Loth et son bagage. Combien il aurait mieux valu vivre avec le patriarche et tout supporter pour ne pas rompre l'union, que de choisir un pays pour y vivre séparément, et de tomber tout à,coup dans de pareils dangers, sous la puissance des barbares! Un de ceux qui s'étaient sauvés vint raconter tout cela à Abram, l'étranger, qui habitait près du chêne deMambré, au pays d'Omori, frère d'Eschol et frère d Aunan qui avaient fait alliance avec Abram. Comment le patriarche avait-il pu ignorer qu'une guerre si terrible s'était élevée? Peut-être à cause de la distance. On vint raconter tout cela à Abram, l'étranger. Ce , mot nous rappelle que celui qui reçoit cette nouvelle était venu de Chaldée; comme il avait habité au delà de l'Euphrate, on l'appelait étranger. Dès, l'origine ses parents lui avaient donné ce nom, ce qui prédisait qu'il devait voyager. On l'appela Abram parce qu'il devait quitter l'autre côté de l'Euphrate, et venir en Palestine.

4. Ainsi, quoique ses parents fussent infidèles, la sagesse de Dieu les avait dirigés dans le choix du nom de leur fils, comme Lamech pour Noé. C'est, en effet, un exemple de la bonté divine de prédire l'avenir éloigné, même au moyen des infidèles. Le voyageur apprit ainsi tout ce qui s'était passé, la captivité de son neveu, la puissance de ces rois, la dévastation de Sodome et la fuite honteuse de ses habitants. Il habitait près du chêne de Mambré, au pays d'Omori, frère dEschol, frère d'Aunan, qui avaient fait alliance avec Abram. Ici l'on pourra demander : pourquoi, parmi les habitants de Sodome, Loth qui était un juste, fut-il seul emmené en captivité? Ce n'est pas sans raison et inutilement; c'était pour faire connaître à Loth toute la vertu du patriarche et en même temps pour sauver les autres habitants; mais c'était aussi pour lui apprendre à ne plus chercher la première place, mais à céder, à ceux qui valaient mieux que lui. Ecoutons maintenant ce qui va suivre pour apprécier la vertu du juste et l'incomparable assistance de Dieu. Mais prêtez une oreille attentive et recueillez vos esprits. Nous pourrons en retirer un grand profit et conclure de ce qui est arrivé à Loth qu'il ne faut jamais s'offenser de voir les justes souffrir des épreuves auxquelles échappent les méchants, qu'il ne faut jamais chercher les premières places, ni préférer quoi que ce soit à la fréquentation des gens vertueux, enfin que l'indépendance ne vaut pas la soumission à un homme de bien. Apprécions aussi la clémence du juste; son extrême affection pour Loth , son mépris des richesses, et la force inouïe que lui donna le secours de Dieu. Quand Abram apprit que son neveu Loth était prisonnier, il réunit: trois cent dix-huit serviteurs nés à sa- maison, et suivit la trace des ravisseurs jusqu'à Dan; il tomba sur eux avec ses serviteurs pendant la nuit et les chassa jusqu'à Chobal, qui est à la gauche de Damas. Et il ramena tous les chevaux des Sodomites; et il ramena Loth et tout ce qui lui appartenait, les hommes et les femmes qui dépendaient de lui. Songez ici, rues bien-aimés, au courage et à la grandeur d'âme du juste, confiant dans la puissance de Dieu, il ne s'étonna point de la force des ennemis en (241) apprenant toutes leurs victoires, quand ils s'étaient jetés sur tant de nations, qu'ils avaient défait les Amalécites et tous les autres peuples, qu'enfin ils avaient attaqué les Sodomites, les avaient mis en fuite et avaient pillé tout ce qui leur appartenait. Voilà pourquoi l’Ecriture nous a raconté tout cela plus haut en signalant leur courage pour nous apprendre que le patriarche ne le savait pas vaincus parla force corporelle,mais par sa confiance en Dieu, dont le secours céleste avait tout fait. Il n'eut pas besoin d'armes, de flèches, de lances, d'arcs, de boucliers, il ne lui fallut que ses domestiques.

Mais, dira-t-on, pourquoi prendre trois cent dix-huit domestiques ? Pour montrer qu'il n'emmenait pas tous ses serviteurs indistinctement, mais ceux qui étaient nés dans la maison, avaient été nourris avec Loth, afin qu'ils fussent plus portés à le venger, tout en combattant pour leur maître. Voyez, je vous prie, comme l'infinie puissance de Dieu leur donne une victoire rapide. Il tomba sur eux, la nuit, avec ses domestiques, il les battit et les chassa. La main d'en-haut agissait et combattait avec eux. Aussi n'eut-il pas besoin d'armes ni de machines : à peine se . fut-il montré avec ses gens qu'il battit les uns, chassa les autres, sans crainte et sans obstacle , ramenant les chevaux du roi de Sodome, et son neveu Loth avec tout ce qui lui appartenait et les femmes qui dépendaient de lui. Vous voyez pourquoi Dieu a permis que Loth fût seul fait prisonnier tandis que les autres s'étaient enfuis. C'était pour faire éclater la vertu du patriarche et aussi pour sauver, par lui, bien des personnes. Il revint, remportant un trophée glorieux , ramenant Loth, les chevaux, les femmes, toutes les richesses, disant à haute voix et de manière à se faire mieux entendre qu'une trompette que ce n'était point une puissance humaine ni une force corporelle qui avait défait les ennemis et lui avait donné la victoire, mais que le bras d'en-haut avait tout fait. Vous voyez que tous les événements servent à l'illustration du juste, et que toutes les circonstances montrent la Providence dont il est honoré. Voyez encore comme sa piété sert de leçon aux habitants de Sodome. Le roi de Sodome arriva à sa rencontre quand il revenait de battre Chodologomor et les rois qui l'accompagnaient. Voyez quelle importance lui donnent la vertu et l'aide de Dieu ! Le roi vient au-devant de ce vieillard, de cet étranger, et lui rend toute espèce d'honneurs. En effet, il avait déjà appris que le trône ne servait à rien sans le secours céleste, et que rien ne résiste à celui qui est soutenu par Dieu. Et Melchisédech, roi de Salem, lui apporta le pain et le vin : c'était un prêtre du Dieu Très-Haut.

5. Que veut dire cette union de mots : Le roi de Salem et prêtre du Dieu Très-Haut? C'était le roi de Salem. Saint Paul en parle dans sa lettre aux Hébreux convertis; en étudiant son nom et celui de sa ville, il les explique au moyen d'une étymologie, en disant : Melchisédech, roi de justice. (Héb. VII, 2.) Car en hébreu, Melchi veut dire royaume, et Sédec justice. A propos du nom de la ville, il dit: Roi de paix; car Salem signifie paix. Quant à son sacerdoce, il s'était sans doute consacré lui-même, comme faisaient alors les prêtres. Cet honneur avait pu lui être accordé à cause de son âge , ou bien lui-même avait songé à remplir ces fonctions; ainsi Abel, Noé et Abraham avaient offert des sacrifices; Du reste, il devait être la figure du Christ, c'est ainsi que Paul le considère quand il dit : Melchisédech... sans père, sans mère , sans généalogie, n'ayant ni commencement de ses jours, ni fin de sa vie, est ainsi l'image du Fils de Dieu, et demeure prêtre pour toujours. (Héb. VII, 3.) Et comment, direz-vous, un homme peut-il être sans père ni mère, et n'avoir ni commencement de ses jours, ni fin de sa vie? Vous avez vu que cet homme était une figure : ne vous étonnez donc pas, et n'exigez pas que tout soit dans la figure, car ce ne serait plus une figure, si elle possédait en effet tout ce qu'elle représente. Quel est donc le sens de ces paroles ? De même que Melchisédech est dit sans père, sans mère, sans généalogie, parce que l’Ecriture ne mentionne ni son père, ni sa mère, ni sa généalogie; ainsi, comme le Christ n'a pas de mère dans le ciel, ni de père sur la terre, on dit qu'il n'a pas de généalogie, et c'est la vérité. Voyez comme les honneurs rendus au patriarche nous préparent à un mystère. Melchisédech lui présente le pain et le vin. En voyant le symbole, songez à la réalité, et admirez comment l’Ecriture sainte nous fait prévoir l'avenir dès l'origine. Il bénit Abram et lui dit : Qu'Abram soit béni par le Dieu Très-Haut qui a créé le ciel et la terre. Et le Très-Haut soit béni parce qu'il a livré tes ennemis dans tes mains. Non-seulement il le bénit mais il glorifie Dieu; car en disant : Abram est béai du Très-Haut qui a créé le ciel et la (242) terre, il montre la puissance de Dieu par celle de ses créatures. Puisque c'est ce Dieu qui a créé le, ciel et la terre, ceux qu'adorent les autres hommes ne sont pas des dieux. Ces dieux qui n'ont point fait le ciel et la terre, qu'ils soient détruits. (Jér. X, 11.) Béni soit Dieu ! dit Melchisédech, qui a livré tes ennemis entre tes mains. Observez comment non-seulement il célèbre le juste, mais reconnaît et confesse le secours de Dieu. Sans un pareil secours, il n'aurait jamais pu triompher de puissances si terribles. Il t'a livré tes ennemis; c'est lui qui a tout fait, c'est lui qui a rendu les forts impuissants, c'est lui qui a vaincu les hommes armés par des bras sans armes, c'est son appui qui a fait toute ta force. Il a livré tes ennemis entre tes mains. Comme ce mot prouve l'affection qui l'unissait à Loth, comme il montre que le patriarche regardait les ennemis de Loth comme ses propres ennemis ! Il lui donna la dîme de tout. Paul dit à ce sujet: Voyez quelle était l'importance de Melchisédech, puisque le patriarche Abraham lui donna la dîme des prémices. C'est-à-dire qu'avec toutes les dépouilles qu'il avait rapportées, il rémunéra Melchisédech et lui donna la dîme de tout ce qu'il avait gagné : montrant ainsi à tout le monde qu'il convient de témoigner sa reconnaissance à Dieu en lui offrant les prémices des biens qu'il accorde. Ensuite étonné de la grandeur d'âme du patriarche, le roi de Sodome lui dit : Rends-moi les hommes, mais prends les chevaux pour toi. C'est une grande reconnaissance de la part du roi ; mais voyez la modération du juste : J'étends la, main vers le Très-Haut qui a fait le ciel et la terre, et j'atteste que je ne prendrai rien de ce qui est à toi, depuis un fil jusqu'à un sphérotère de chaussure, pour que tu ne puisses pas dire J'ai enrichi Abram. Quel mépris des richesses chez le patriarche ! Mais pourquoi dit-il avec serment : J'étends la main vers le Très-Haut qui a créé le ciel et la terre ?

6. Il veut faire savoir deux choses au roi de Sodome : d'un côté, qu'il est au-dessus de tous les biens qu'on peut lui offrir; de l'autre, par sa grande modération, il cherche à lui enseigner la piété, comme s'il lui disait: Celui que je prends à témoin pour ne rien accepter de ce qui est à toi, c'est le Créateur de toutes choses, afin que tu connaisses le Dieu de l'univers, et que tu ne croies plus à ces dieux fabriqués par la main des hommes. C'est le Créateur du ciel et de la terre, c'est lui qui nous a donné dans cette guerre la victoire et le triomphe. Ne t'attends donc pas à ce que j'accepte aucun de tes dons. Ce n'est point pour le profit que j'ai fait cette entreprise, c'est d'abord à cause de l'affection paternelle que je porte à mon neveu; ensuite, c'est pour l'amour même de la justice, afin de retirer des mains des barbares ceux qu'ils avaient enlevés injustement. Je ne prendrai rien de ce qui est à toi, depuis un fil, jusqu'à un sphérotère de chaussure, c'est-à-dire, je n'accepterai pas même le moindre objet, sans aucune valeur. Car on appelle sphérotère, un bout de chaussure terminé en pointe comme en portent les Barbares. Comme raison qui lui défend d'accepter, il dit: Pour que tu ne dises pas: j'ai enrichi Abram. J'ai un Dieu qui me comble de biens infinis, je m'appuie sur sa force céleste, je n'ai pas besoin de tes richesses, je ne réclame point l'abondance qui vient des hommes , je me contente de la protection divine , je sais que ses dons sont inépuisables. J'ai cédé à Loth à propos d'intérêts petits et méprisables et j'ai reçu des promesses immenses et inexprimables.: maintenant je me ménage encore une plus grande richesse, et je me concilie une nouvelle bienveillance en refusant tes présents. Voilà pourquoi, je pense, il a proféré ce serment, en disant: J'étends la main vers le Très-Haut, afin que le roi ne pût pas prendre cela pour une feinte, comme cela pouvait être, mais pour qu'il sût que le patriarche était bien décidé à ne rien prendre pour lui-même. Ainsi il accomplis. sait d'avance l'ordre donné par le Christ à ses disciples: Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. (Matth. X, 8.) Ai-je contribué au succès de la guerre, disait-il, autrement que par mon zèle et ma bonne volonté? Quant à la victoire et aux trophées, c'est Dieu qui a procuré tout cela par sa force invisible. Ensuite, pour que le roi ne pût pas croire qu'il refusait ses offres par orgueil ou mépris, il montre après sa douceur et sa sagesse. Je ne recevrai rien, excepté ce que mes jeunes gens ont mangé, et la part des hommes qui sont venus avec moi: Eschol, Aunan et Mambré; ceux-là prendront leur part. Je les laisserai, dit-il, prendre leur part, parce qu'ils m'ont donné une grande preuve d'amitié. Ceux-là étaient associés avec Abram, c'est-à-dire liés d'amitié, car on voit par là qu'ils avaient partagé les dangers de cette guerre. Aussi, voulant les récompenser, il leur (243) fait réserver une part, accomplissant ainsi la loi apostolique: L'ouvrier mérite sa nourriture. (Matth. X, 10; Luc, X, 7.) Du reste, il ne laisse prendre que ce qu'il faut : Excepté ce que mes jeunes gens ont mangé, et la part de ceux qui sont venus avec moi, Eschol, Aunan et M1ambré; ils recevront leur part. Voyez toute la probité et la délicatesse du juste, comment il prouve sa sagesse par son mépris des richesses et sa modération, et comme il fait tout pour qu'on ne puisse attribuer sa conduite à l'arrogante ou au mépris, ni à l'orgueil de la victoire.

7. Nous aussi imitons un pareil homme, je vous en conjuré, cherchons à rester irrépréhensibles, à ne point nous enorgueillir sous prétexte de notre vertu, et à ne point négliger la vertu sous prétexte de modestie; conservons en tout la juste mesure, et prenons l'humilité pour base et pour fondement de toutes nos bonnes ceuvres, afin d'y asseoir solidement l'édifice de notre vertu ; car la vertu n'est véritable que si elle est jointe à l'humilité. Avec une base pareille, on pourra élever le monument aussi haut que l'on voudra. C'est la puissante fortification, le mur inébranlable, la tour inexpugnable qui soutient tout l'édifice et l'empêche d'être renversé parla force des vents, l'impétuosité des tempêtes et la violence des ouragans: elle le rend inaccessible et invincible à toutes les attaques, comme s'il était bâti en diamant, et nous fait obtenir pour récompense les grands bienfaits de la largesse de Dieu. C'est par elle que le patriarche reçoit l'immense honneur de tant de promesses divines. Vous saurez, avec la permission de Dieu , d'après ce qui va suivre, comment, en méprisant actuellement les présents du roi de Sodome, il a obtenu de Dieu de grands et d'ineffables bienfaits. C'est ainsi que, non-seulement lui, mais tous les justes ont mérité leur gloire: tous ceux d'entre vous qui lisent assidûment les saintes Ecritures, en trouveront partout la preuve. Dieu, dans sa bonté, lorsqu'il nous voit mépriser les biens de la terre, nous prodigue ces mêmes biens et nous prépare en même temps les biens du ciel. Vous pouvez le reconnaître dans les richesses du patriarche, dans la gloire de sa vie, et dans toute son existence terrestre. Méprisons donc les richesses présentes, afin d'être capables d'obtenir les richesses véritables; dédaignons cette vaine gloire pour acquérir celle qui est vraie et solide; prenons en pitié la prospérité actuelle, afin d'atteindre ces biens inexprimables; ne comptons le présent pour rien et ne désirons que les biens de l'avenir. Il n'est pas possible qu'un homme attaché uniquement aux choses de la terre conçoive le désir de ces biens ineffables. De même qu'une taie voile les yeux du corps, de même le désir des choses présentés obscurcit le jugement des hommes et les empêche de voir ce qu'il leur faudrait. Mais il est pareillement impossible que celui qui chérit ces biens solides et immuables s'abaisse jamais à désirer les biens périssables qui disparaissent ou se flétrissent sitôt qu'on y touche. Celui qui est frappé des traits de l'amour divin et qui aspire au bonheur éternel, voit la terre avec d'autres yeux; il sait que la vie présente n'est qu'une figure et une illusion, et qu'elle ne diffère point des songes. Aussi, comme le dit saint Paul: Ce monde est une image qui passe. (I Cor. VII, 31.) Faisant voir ainsi que les choses humaines ne sont que des apparences fugitives, comme une ombre ou comme un songe, et n'ayant rien de vrai et de solide. Ne serait-il pas puéril de poursuivre une ombre, de s'enorgueillir d'un songe et de s'attacher à des objets fugitifs? Ce monde est une image qui passe. Puisque vous savez qu'il passe, pourquoi le chercher encore ? puisque vous savez que la vie humaine n'est qu'un fantôme sans réalité, pourquoi vous tromper volontairement? puisque vous savez combien les choses d'ici-bas sont changeantes et périssables, pourquoi ne pas les laisser, et ne pas mettre tous vos désirs dans les choses éternelles, inébranlables, impérissables et immuables ?

8. Pour connaître la sagesse de ce docteur du monde , voyez comment , pour prouver le néant de toutes les splendeurs de cette vie, il dit dans un autre endroit : Les choses visibles ne durent qu'un temps. (II Cor. IV, 18.) La richesse, la gloire, la renommée, les dignités, là puissance, l'empire même, avec le diadème et le trône au-dessus de tous les autres, tout cela ne dure qu'un temps, tout cela subsiste un instant , et cesse bientôt de paraître à nos yeux. Que devons-nous donc chercher, si tout ce qui est visible ne dure qu'un temps? Nous devons chercher, dit l'Apôtre, non plus ce qui est visible, mais ce qui est invisible, ce qui échappe aux yeux du corps. Mais, lui direz-vous, d'où vient ce conseil de négliger ce que l’on peut apercevoir, pour rechercher ce que l'on n'aperçoit pas? De la nature même de ces (244) objets, ceux que nous apercevons nous échappent rapidement; quant à ceux que nous ne pouvons apercevoir maintenant, ils subsistent perpétuellement, durent dans l'éternité, n'ont point de limites, ne finissent et ne changent jamais, et demeurent immuables et inébranlables. Peut-être vous paraîtrai-je fatigant en vous donnant inutilement chaque jour les mêmes conseils; mais qu'y faire? La perversité est bien odieuse, les richesses sont bien tyranniques , la vertu est bien rare. Aussi, je veux multiplier mes exhortations pour guérir vos maladies , et rendre à la santé tous ceux qui se réunissent ici. C'est pour cela que nous mettons tant de zèle à vous expliquer les Ecritures et à vous exposer les vertus des justes; peu nous importe de répéter souvent les mêmes choses, pourvu que ces vertus excitent votre émulation.

Commençons donc, quoiqu'il soit bien tard, à nous occuper de notre salut, faisons un bon usage du délai qui nous est accordé jusqu'à l'échéance de notre vie, et, pendant qu'il en est encore temps, empressons-nous de faire pénitence et de corriger nos défauts, employons le superflu de nos biens pour le salut de nos âmes, c'est-à-dire, dépensons ce superflu pour les indigents. Pourquoi donc, dites-moi, laisser rouiller votre or et votre argent ? ne vaudrait-il pas mieux le verser dans l'estomac du pauvre, comme dans la caisse la plus sûre, et surtout au moment où vous pouvez en retirer tant de consolation, tant de secours; ceux que vous aurez nourris vous ouvriront, dans le grand jour, les portes du salut, et vous recevront dans leurs tentes éternelles. Ne laissons point nos habits se manger aux vers, ou se pourrir dans nos armoires, quand il y a tant de gens qui en manquent, et vont presque nus. Plutôt que de nourrir les vers, couvrons la nudité du Christ, et vêtissons celui qui est resté nu, pour nous offrir l'occasion de notre salut, afin que dans .ce grand jour, une voix nous dise : J'étais nu, et vous m'avez couvert. (Mat. XXV, 36.) Ces préceptes sont-ils pénibles, sont-ils au-dessus de nos forces? ces vêtements usés, rongés aux vers, qui se perdent pour rien, hâtez-vous de les employer utilement, afin d'éviter votre châtiment, et d'en retirer un profit immense. Il y a excès d'inhumanité chez les riches à renfermer leur superflu dans des armoires et des murailles, au lieu de soulager les besoins de leurs semblables, et de mieux aimer s'exposer aux peines les plus terribles, en abandonnant leurs biens à la rouille, aux vers et aux voleurs, que d'en faire l'usage qu'il faut, pour en être récompensé. Je vous en supplie , ne négligeons pas à ce point le salut de nos âmes, donnons notre superflu à ceux qui manquent de tout, et nous y gagnerons nous-mêmes l'assurance de mériter les biens ineffables, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ , auquel , ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, soient gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduction de M. HOUSEL.
 

 

 

 

 

TRENTE-SIXIÈME HOMÉLIE. Après ces paroles, la voix du Seigneur fut adressée à Abram pendant une vision dans la nuit, disant : " Ne crains rien, Abram, je te protège, ta récompense sera grande. " (Gen. XV, 1.)
ANALYSE.

1. Cette homélie parlera encore d'Abraham, tant la vie de l'admirable patriarche est une source intarissable de beaux exemptes. Il obéit sans murmure à Dieu qui, par deux fois, lui ordonne de quitter son pays et sa famille. — 2. Abraham en Egypte; la protection de Dieu ne lui manque jamais dans les circonstances critiques. — 3. Abraham refuse les présents du roi de Sodome et accepte ceux du prêtre Melchisédech. — 4-5. Nouvelle promesse de Dieu à Abraham. La foi du patriarche, lui est imputée à justice. — 6. Exhortation à la foi, à la charité, à la paix.

1. La vertu des justes ressemble à un trésor qui renferme une richesse immense. Celui qui peut s'emparer même d'une faible portion du trésor en retire une suffisante opulence; il en est de même pour, celui qui peut acquérir quelque chose de la vertu du patriarche. Presque chaque jour, depuis quelque temps, notre instruction roule sur son histoire, et, malgré l'abondance avec laquelle nous vous offrons ce festin spirituel, nous n'avons pu vous raconter qu'une faible partie de ses belles actions, tant est grande l'abondance de ses vertus. Lorsqu'une fontaine s'épanche en larges ruisseaux, tout le monde s'y abreuve sans pouvoir tarir ses ondes, si bien que, plus on y puise, plus s'augmente l'abondance des eaux; c'est aussi ce que nous observons pour notre admirable patriarche. Depuis son époque jusqu'à la nôtre, combien se sont abreuvés à cette source de belles actions, et non-seulement ils ne l'ont pas tarie, mais ils en ont fait jaillir les actions saintes à flots plus abondants. Nous trouvons son histoire développée comme une chaîne d'or dans l'Ecriture sainte; dans chaque occasion, nous le voyons montrer toute sa sagesse, aussitôt suivie des récompenses de Dieu. Polir que vous en soyez convaincus, il faut résumer ce que nous avons déjà dit, vous rappeler la foi profonde du juste dans les promesses du Ciel et tous les bienfaits que Dieu lui prodigue en échange. Ce juste, à lui seul, suffit pour nous apprendre à tous à ne pas redouter les efforts que nous coûte la vertu, à nous confier dans les récompenses d'en-haut, afin que, connaissant toute la bonté du Seigneur à notre égard, nous supportions sans peine tout ce qui nous paraît affligeant dans cette vie, en aspirant à la rémunération céleste. Remarquez, je vous prie, que dès sa jeunesse il fit tin bon usage de ses facultés et de ses notions naturelles; car, personne ne l'avait instruit, et il avait été élevé par dés parents infidèles; mais sa foi le fit honorer d'une apparition divine. Comme dans son jeune âge il ne suivit point l'erreur de son père, mais qu'il montra sa piété envers-la Divinité, il eut une vision céleste étant encore en Chaldée ; ce que saint Etienne nous explique clairement en disant : Le Dieu de gloire apparut à notre père Abraham, comme il était encore en Mésopotamie, avant qu'il habitât Charran. (Act. VII, 2.) Vous savez que cette vision lui ordonna de voyager. Il faut croire que la piété envers Dieu se joignait en lui au respect pour ses parents et qu'il s'était tellement concilié l'affection de son père, que celui-ci consentit, par amour pour son fils, à quitter son pays pour habiter une terre étrangère. Remarquez, je vous prie, comment cette visite que Dieu lui accorda à cause de sa vertu, fit encore briller davantage celle-ci. Il (246) était résolu à laisser le pays de ses pères, et à en habiter un autre, afin d'obéir à Dieu; il était même résigné à voyager sans parents, à ce qu'il semblait; mais, comme je l'ai dit, sa vertu et son amour pour ses parents furent cause que son père l'accompagna.

Arrivés à Charran, ils y dressèrent leur tente; après la mort de Tharra (c'était le nom de son père), Dieu lui ordonna encore de voyager. Quitte, lui dit-il, ta terre et ta famille, et viens dans la terre que je te montrerai. (Gen. XII, 1.) Comme ils avaient émigré à Charran avec toute leur famille et leur maison, Dieu ajoute, dans ce nouvel ordre : Quitte ta terre et ta famille, voulant ainsi qu'il voyageât seul sans emmener son frère Nachor, ni personne autre. Il dit ta terre parce que sa famille l'habitait déjà depuis quelque temps et que ce domicile était pour elle comme une patrie. Malgré la perte récente de ses parents, malgré toutes les difficultés du voyage, il obéit de tout son coeur à l'ordre du Seigneur, et cela, sans savoir où devaient s'arrêter ses courses. Va, disait Dieu, non pas dans tel ou tel pays, mais dans la terre que je te montrerai. Cependant, malgré le vague d'un pareil ordre, il entreprit sans hésitation de l'exécuter; il emmena son neveu, montrant encore en cela sa vertu. Il avait peu à peu captivé ce jeune homme qui cherchait à imiter ses vertus, et qui, pour ne pas le quitter, voulut être son compagnon de voyage. Si mon père, disait-il, tout infidèle qu'il était, a consenti, pour l'amour de moi et pour m'accompagner, à quitter la maison paternelle où nous sommes nés et où nous avons grandi, puis à mourir sur la terre étrangère, à plus forte raison je ne laisserai pas ici le fils de mon frère, dont la jeunesse annonce tant de progrès dans la vertu.

2. En toute occasion il faisait preuve de piété; ainsi quand il fit ce voyage qui le conduisit eu Palestine et aux frontières des Chananéens, Dieu lui apparut pour fortifier son zèle et lui tendre la main, et lui dit : Je donnerai cette terre à ta race. (Gen. XII, 7.) Ce qu'il souhaitait et désirait surtout, c'est-à-dire des fils pour lui succéder, cette récompense de tant de travaux lui est permise aussitôt. La nature ne lui avait pas donné d'enfant et son âge ne lui en laissait plus espérer, mais la promesse de Dieu relève le courage de l'athlète, le rajeunit et le prépare aux luttes à venir. Voyez après cette promesse quel combat le juste eut à soutenir.

Menacé par la famine et la disette qui régnait au pays de Chanaan, il se rend en Egypte, et pour fuir la famine il s'expose aux plus grands dangers. Près des frontières de l'Egypte, et sur le point d'y entrer, il dit à sa femme : Je sais que tu es belle (Gen. XII, 11), je connais l'éclat de ta beauté et je crains le libertinage des Egyptiens. S'ils te voient, et s'ils savent que c'est ma femme que je mène avec moi, ils te laisseront la vie pour assouvir leur fureur impudique, mais ils me tueront afin de se livrer sans obstacle au crime, afin qu'il ne reste personne pour les accuser d'adultère. Par conséquent, dis que je suis ton frère. Voyez quelle âme, mieux trempée que l'acier, aussi dure que le diamant ! Le malheur qu'il attendait n'a pu le troubler; il ne faisait pas en lui-même ces réflexions : N'ai-je montré tant d'obéissance en quittant mon pays pour une autre terre, qu'afin de tomber dans un pareil malheur? N'ai-je pas reçu cette, promesse : je donnerai cette terre à ta race? et maintenant je suis tourmenté par la crainte de l'adultère et par celle de la mort. Il ne donnait accès dans son coeur à aucune de ces pensées, il ne songeait qu'à jouer cette douloureuse comédie,, afin d'échapper du moins à l'un des dangers qui le menaçaient.

Quand il eut fait tout ce qui dépendait de lui par son courage et sa sagesse, sa femme aussi coopéra à ses projets par affection et par obéissance, et aida à ce qu'ils avaient décidé. Puis quand ils eurent fait tout ce qui dépendait d'eux, que tout fut désespéré humaine ment, et que l'oeuvre d'iniquité était presque consommée, alors Dieu déploya sur Abraham sa providence. Non-seulement il sauva la femme de l'outrage par la colère qu'il fit éclater sur le roi et toute sa maison, mais il fit retourner le patriarche d'Egypte en Palestine, avec de grands honneurs. Voyez comment, au milieu de toutes ces épreuves, le Seigneur, dans sa bienveillance, le soutient de sa force, et prépare son athlète à toutes les luttes à venir; jamais il ne le prive de son assistance, mais-il dispose tout si bien, que la moindre coopération apportée par le patriarche à l'oeuvre de Dieu est récompensée par des bienfaits qui dépassent la nature humaine.

Vous connaissez la résignation du juste. Voyez maintenant, après son retour, jusqu'où vont son humilité et sa douceur ! En revenant d'Egypte, il avait une grande richesse que partageait son neveu qui vivait avec lui. Mais le (247) pays ne pouvait pas les contenir à cause de leurs grandes richesses (Gen. XIII, 6) ; aussi une rixe s'éleva entre les bergers de Loth et ceux d'Abram. Alors le juste montrant la douceur de son âme et l'excès de sa sagesse, appela Loth et lui dit : Qu'il n'y ait pas de dispute entre toi et moi, ni entre tes bergers et les miens, car nous sommes frères, c'est-à-dire, rien de meilleur que la paix, rien de pire que les disputes. Pour supprimer toute cause de contestation, choisis le pays que tu voudras et laisse-moi l'autre, afin d'écarter de nous toute querelle, toute contention. Voyez quelle vertu ! Il laisse le choix au plus jeune et se contente du rebut. Mais, après cela, voyez quelle récompense il reçoit. Aussitôt après, Dieu lui dit, quand il s'est séparé de Loth : Lève les yeux et considère cette terre de côté et d'autre; toute cette terre que tu vois, je te la donnerai à toi et â ta race pour toujours. Voyez quelles largesses lui sont prodiguées pour le désintéressement qu'il a montré envers son neveu; ce qu'il a abandonné était peu de choix, ce qu'il obtient est bien plus considérable.

Au contraire, celui qui avait choisi à son gré, se trouva bientôt en danger : non-seulement son choix ne lui profita pas, mais il se vit tout à coup captif sans feu ni lieu; tout cela lui apprit à apprécier la vertu du juste, et à ne plus se conduire de même qu'auparavant. En effet, après qu'il eut commencé à habiter Sodome, il s'éleva une guerre terrible; les rois des nations voisines se levèrent avec de grandes forces, dévastèrent tout le pays, massacrèrent les géants, expulsèrent les Amalécites, mirent en fuite le roi de Sodome et celui de Gomorrhe, envahirent toutes les montagnes, enlevèrent la cavalerie du roi de Sodome, et s'en allèrent en emmenant Loth captif, avec les femmes et tout le butin.

3. Mais admirez encore ici toute la providence de Dieu. Voulant délivrer Loth et illustrer le patriarche, il excite celui-ci à secourir son neveu. Sachant ce qui se passait, le juste, avec ses domestiques, fond sur les rois, les défait sans peine et ramène Loth et les femmes, ainsi que la cavalerie du roi. Des trophées si brillants montraient à tous que Dieu le protégeait, car il n'avait pu remporter une pareille victoire avec ses propres forces, mais appuyé sur le secours d'en-haut. Du reste, le patriarche cherchait encore à faire connaître la vraie religion aux gens de Sodome, comme on le voit par les paroles qu'il dit à leur roi. Le roi vient au-devant de lui pour lui rendre grâce et lui offrir les chevaux en se contentant des hommes : voyez avec quelle grandeur d'âme le juste lui prouve sa sagesse, Iui montre qu'il est au-dessus de tous ces présents et lui fait connaître la vraie religion. Il ne lui dit pas simplement : je ne consens à rien recevoir de toi; je n'ai pas besoin d'un pareil paiement; mais il dit : J'étends ma main, vers le Très-Haut, ce qui revient à dire : ce ne sont pas des dieux que tu adores, mais des pierres et du bois : il n'est qu'un Dieu , maître de l'univers. Il a créé le ciel et la terre :je le prends à témoin que je ne prendrai rien de toi depuis un cordon jusqu'à une courroie de chaussure, afin que tu ne puisses croire due c'est pour cela que j'ai tiré cette vengeance, ni dire que tu m'as enrichi. Car celui qui m'a donné la victoire et a triomphé avec moi, c'est lui qui me procure d'abondantes richesses.

Vous voyez que, si le roi avait voulu, il aurait profité des paroles du patriarche. Il avait appris à ne plus se fier à sa force, mais à connaître l'Auteur de toutes choses, à rire des dieux faits par la main des hommes et à n'adorer que le Dieu de l'univers, le Créateur de toutes choses, la source de tout bien. L'exemple du patriarche lui dévoilait toutes les vertus. Celui-ci, pour ne pas laisser croire qu'il refusât toutes ces offres par orgueil et arrogance, disait au roi : Je ne prendrai rien, car je n'ai besoin de rien; je ne tiens pas à ce que d'autres augmentent ma richesse . je laisserai seulement ceux qui ont partagé mes dangers prendre leur part, afin qu'ils aient quelque récompense de leurs peines. Voilà ce que le juste répondit au roi de Sodome.

Lorsque Melchisédech, roi de Salem , lui offrit le pain et le vin, (c'était, dit l'Ecriture, un prêtre du Très-Haut) le patriarche accepta cette offre, ci, en reconnaissance de sa bénédiction, lui donna la dîme du butin; en effet, Melchisédech lui avait dit : Abram est béni par le Très-Haut qui a livré tes ennemis dans tes mains. Voyez comme le juste montre partout sa piété , du roi de Sodome il ne voulait rien recevoir, depuis un cordon jusqu'à une courroie; mais il accepte l'offrande de Melchisédech, et lui donne en échange ce dont il peut disposer, ce qui nous montre qu'il faut avoir du discernement et ne pas recevoir de toutes mains. Les dons du roi prouvaient sa (248) reconnaissance, mais du reste, c'était un infidèle qui avait besoin qu'on lui enseignât la vertu; aussi le juste refusa-t-il ses présents, mais par son refus et par ses discours, il chercha à lui inspirer la piété. Il accepte avec raison l'offrande de Melchisédech, dont l'Ecriture sainte nous fait connaître la vertu en disant : C'était un prêtre du Très-Haut. Du reste, c'était là une figure du Christ et ces offrandes présageaient le mystère : aussi le patriarche, loin de les refuser, les accueillit et y répondit à son tour d'une manière qui prouvait toute sa vertu : il lui donna la, dîme, ce qui faisait bien voir ses pieuses intentions. Je m'étends peut-être là-dessus, mais ce n'est pas sans raison. Nous avons résumé rapidement ce qui avait été dit depuis le commencement de ces instructions jusqu'à celle d'aujourd'hui sur le courage du juste, sa magnanimité, sa foi parfaite, la sagesse de ses pensées, l'excès de son humilité et de son mépris pour les richesses, enfin la bienveillance et la providence constante de Dieu à son égard; vous avez vu comment, dans chaque occasion, cette divine assistance le rendit plus célèbre et plus illustre. Maintenant, si vous y consentez et si vous n'êtes pas fatigués, arrivons à la lecture que l'on vient de vous faire : nous allons vous en développer quelque chose pour terminer ce discours, et vous verrez comment il est récompensé d'avoir refusé les dons du roi de Sodome. Que dit l'Ecriture? Après ces paroles, la voix du Seigneur fut adressée à Abram. Pourquoi commencer ainsi? après ces paroles. De quelles paroles s'agit-il, dites-moi? n'est-il pas clair qu'il est question de celles qu'il a dites au roi de Sodome? Après son mépris des richesses, après qu'il eut refusé ses offres, après cet enseignement qu'il joignit à son refus pour amener le roi à reconnaître et à adorer le Créateur de toutes choses, après ces paroles, après qu'il eut offert la dîme à Melchisédech, enfin, quand il eut fait tout ce qui dépendait de lui, alors après ces paroles, la voix du Seigneur fut adressée à Abram pendant une vision dans la nuit, disant : Ne crains pas, Abram, je te protège; ta récompense sera très-grande.

4. Voyez la bonté du Seigneur; comme la couronne suit de près l'athlète pour le récompenser et le préparer à affronter d'autres luttes avec une nouvelle vigueur. La voix du Seigneur fut adressée pendant une vision dans la nuit. Pourquoi dans la nuit ? Pour qu'elle fût plus distincte au milieu du silence et du repos. Elle dit : Ne crains pas, Abram. Voyez jusqu'où Dieu porte l'attention. Comme le patriarche avait repoussé tant de richesses et dédaigné les présents d'un roi, cela signifie: ne crains pas qu'après avoir refusé tout cela, tu sois réduit à voir diminuer ta fortune, ne crains pas. Ensuite, pour réveiller encore mieux; son esprit, la voix ajoute encore son nom, et dit : Ne crains pas, Abram. En effet, le meilleur moyen d'éveiller quelqu'un, c'est de l'appeler par son nom. Puis elle ajoute: Je te protégerai. Voilà un mot qui signifie beaucoup. Moi qui t'ai fait venir de Chaldée.. moi qui t'ai amené ici, moi qui t'ai délivré des dangers de l'Egypte et qui t'ai promis plus d'une fois de donner cette terre à ta race, moi je te protége ! Moi qui, de jour en jour, le fais briller davantage aux yeux de tous, je te protège : c'est-à-dire, je suis ton bouclier, je lutte et combats avec toi, je veille sur toi, je rends facile pour toi tout ce qui est difficile, je te protège. Ta récompense sera très-grande. Tu n'as pas voulu recevoir de rétribution pour lés fatigues que tu avais subies, pour les dangers où tu t'étais exposé, tu as dédaigné ce roi et ces présents. Je te donnerai ta récompense, non-seulement telle que tu l'aurais reçue, mais grande et très-grande. Ta récompense sera très-grande. Admirez la libéralité du Seigneur, et concevez l'importance de ses Paroles : voyez comme elles soutiennent la piété de l'athlète, et comme elles fortifient son âme. Lui qui connaît les secrets des coeurs savait que le juste avait besoin d'une pareille consolation, car voici ce qu'il répond après avoir été encouragé par ces paroles. Abram dit: Seigneur, que me donnerez-vous ? Je vais partir de cette vie sans enfants. Après avoir reçu cette promesse d'une grande récompense; il montre toute la tristesse de son âme et le regret qu'il éprouve depuis longtemps en se voyant sans enfants et il dit : Seigneur, accomplirez-vous, ce désir? Me voici au terme de la vieillesse et je vais partir de cette vie sans enfants.

Voyez quelle philosophie le juste montrait dans ces temps reculés, puisqu'il appelait la mort un départ. Ceux qui ont mené une vie honnête et vertueuse, quand ils quittent ce monde sont affranchis de leurs luttes et délivrés de leurs liens : la mort n'est pour ceux qui ont bien vécu qu'un passage à un état (249) meilleur, de la vie périssable à une existence éternelle et immortelle. Le juste dit : Je vais partir de cette vie sans enfants. Et. pour toucher encore le coeur de Dieu, il ne s'arrête pas là; mais que dit-il? Le fils de Masec, ma servante, sera mon héritier puisque tu ne m'as pas donné de progéniture. Ces paroles montrent toute la douleur de son âme ; c'est comme s'il disait à Dieu : Je n'ai pas été aussi heureux que mon esclave, je mourrai sans enfant et sans postérité; un esclave héritera des biens que tu m'as donnés, et cela après que tu m'as renouvelé cette promesse : Je donnerai cette terre à ta race. Remarquez ici, je vous prie, la vertu du juste qui, malgré ces pensées dont son âme était remplie; ne s'impatiente pas et ne dit aucune parole offensante. Maintenant, excité par ce que le Seigneur lui a dit, il lui parle avec franchise, lui montre le trouble de ses pensées et lui dévoile la plaie de son âme; aussi en reçoit-il promptement le remède. Aussitôt la voix de Dieu lui fut adressée. Voyez comme l'Ecriture explique tout exactement! aussitôt, dit-elle. Dieu ne laisse pas le juste un seul instant dans la peine, il se hâte de le consoler, et calme son chagrin parles paroles suivantes : Aussitôt la voix de Dieu lui fut adressée, disant : Ce n'est pas celui-là qui sera ton héritier, mais celui qui sortira de toi, celui-là sera ton héritier. Voilà, dit-il; ce que tu as craint? voilà ce qui trouble ton esprit, et ce qui te décourage? apprends donc que ce ne sera point là ton héritier, mais celui qui sortira de toi, celui-là sera ton héritier. Ne songe point aux difficultés de la nature humaine, ni à ta vieillesse, ne t'inquiète pas de la stérilité de Sara, mais aie confiance en la puissance de Celui qui te fait ces promesses, cesse d'être abattu et reprends tout ton courage, enfin, sois persuadé que ton héritier sera celui qui naîtra de toi.

Comme une pareille prédiction dépassait la nature et la raison humaine (en effet, il songeait avec effroi aux obstacles de la nature, à sa vieillesse , à la stérilité de Sara, dont les entrailles étaient mortes pour la maternité), Dieu développe encore cette prédiction afin que le juste prenne confiance dans la libéralité de celui qui peut prédire ainsi. Il l’emmena dehors et lui dit : Regarde le ciel et compte les astres, si tu peux les compter. Et il dit : Telle sera ta postérité. Et Abram crut au Seigneur, et sa foi lui fut imputée à justice. Pourquoi faire observer qu'il l'emmène dehors? parce qu'il a été dit plus haut que Dieu se montra pendant la nuit dans une vision, et parla au patriarche; maintenant il veut lui montrer combien les étoiles sont innombrables; il l'emmena dehors et lui dit : Lève les yeux au ciel et compte les astres, si tu peux les compter. Et il dit : Telle sera ta postérité. Quelle admirable prédiction ! quelle grande promesse ! mais si nous songeons à la puissance de Celui qui parle, rien ne nous paraîtra grand. Celui qui a fait un corps avec de la terre, Celui qui a tiré l'être du néant, et qui a créé tout ce que nous voyons, Celui-là peut bien accorder des grâces surnaturelles.

5. Vous voyez la libéralité du Seigneur. Le patriarche lui dit : Je vais partir de cette vie sans enfants, comme s'il était aux portes du tombeau, et s'il ne pouvait plus avoir d'enfant; aussi ajoute-t-il : Le fils de Masec , ma servante, sera mon héritier. Aussi Dieu voulant relever son esprit et fortifier son âme, le délivre de la crainte qui le possédait, raffermit sa pensée par la grandeur de sa promesse, et en lui montrant la multitude des astres, enfin en lui annonçant une nombreuse postérité, il lui rend l'espérance. En voyant la prédiction du Seigneur, le sage ne s'arrête plus aux considérations humaines, il ne songe plus à son impuissance ni à celle de Sara, et ne s'inquiète pas des obstacles naturels; sachant que Dieu peut accorder des dons surnaturels, il a foi dans ses paroles, il n'admet plus aucun doute et croit fermement que tout s'accomplira. Voilà la véritable foi, celle qui se fie dans la puissance de l'auteur des promesses, même quand ces promesses sont extraordinaires et ne peuvent s'accomplir que d'une manière surhumaine. La foi, comme dit saint Paul, est le fondement des choses qu'on espère, et la preuve des choses invisibles (Héb. XI, 1) ; et il dit aussi : Quand une fois on a vu que reste-t-il à espérer? (Rom. IV, 3.) Ainsi nous avons la véritable foi quand nous croyons à ce que nous ne voyons pas, en considérant l'autorité de celui qui nous fait la promesse. C'est ce qu'a fait notre juste, qui montra une foi sincère et parfaite à ce qui lui était annoncé; aussi l'Ecriture sainte fait-elle son éloge en ajoutant aussitôt : Abram crut au Seigneur, et sa foi lui fut imputée à justice. Vous voyez comment, même avant l'accomplissement des promesses , il fut récompensé de sa croyance. Car sa foi dans les (250) prédictions de Dieu lui fut imputée à justice, parce qu'il ne s'était pas arrêté aux raisonnements humains à propos des paroles divines.

Apprenons donc, nous aussi, je vous en conjure, d'après l'exemple du patriarche, à croire aux paroles de Dieu, à ajouter foi à ses promesses, à ne pas écouter uniquement la raison humaine, et à montrer une grande droiture d'esprit. C'est là ce qui nous mettra au nombre des justes et hâtera l'accomplissement des promesses divines. Dieu annonça à Abraham que sa race serait innombrable, et cette prédiction dépassait la nature humaine, aussi sa foi lui fut-elle imputée à justice. Les promesses qu'il nous a faites, si nous y réfléchissons, sont encore bien plus grandes et dépassent encore davantage la nature humaine; croyons seulement à la puissance qui nous fait ces promesses, afin d'être justifiés par notre foi, et de jouir des biens qui nous sont annoncés. En effet, tout ce qui nous est prédit est supérieur à la raison humaine et dépasse notre pensée, tant ces promesses sont immenses : elles ne s'étendent pas seulement au présent, à la vie d'ici-bas et à la jouissance des choses visibles; mais quand nous aurons quitté la terre après la corruption de nos corps, quand nos corps auront été réduits en cendres et en poussière, il nous a prédit que nous ressusciterions dans une gloire nouvelle. Il faut donc, dit saint Paul, que ce qu'il y a de corruptible en nous revête l'incorruptibilité, que ce qu'il y a de mortel revête l'immortalité. (I Cor. XV, 53.) Dieu nous a promis qu'après la résurrection de nos corps, il nous donnerait son royaume pour récompense, avec la société des saints, un repos éternel et des biens ineffables que l'oeil n'a pas vus, que l'oreille n'a pas entendus, et qui n'ont jamais pénétré dans le coeur humain. (Ibid. XI, 9.) Voyez quelles promesses immenses, quels dons infinis !

6. Méditons à ce sujet, et sachant que Celui qui annonce tout cela ne peut mentir, supportons avec plaisir toutes les luttes de la vertu, afin de jouir des biens qui nous sont annoncés; ne préférons pas des avantages passagers à notre salut et à un pareil bonheur, et songeons aux récompenses de la vertu plutôt qu'aux efforts qu'elle coûte : ne regrettons pas nos richesses quand il faut en faire part aux pauvres, mais songeons au profit que cet abandon nous procure. Aussi t'Ecriture sainte compare l'aumône à une semence pour montrer que nous devons la répandre de bon coeur et avec joie. En effet, ceux qui confient la semence à la terre, l'enfouissent avec joie et sont pleins d'espérance, croyant déjà voir les gerbes remplir leur grenier : à plus forte raison, ceux qui peuvent répandre cette semence spirituelle doivent se réjouir et tressaillir d'aise, puisqu'ils moissonnent dans le ciel après avoir semé sur la terre. En dépensant un peu d'argent, ils obtiendront la rémission de leurs péchés et un motif de confiance devant Dieu; car grâce à ceux qui reçoivent leurs dons, ils jouiront d'un repos éternel et de la société des saints. Si nous choisissons la continence, n'examinons pas les efforts que coûte la vertu et,ne nous disons pas que la virginité exige bien des luttes, songeons seulement à quelle fin nous sommes destinés; et grâce à cette pensée constante, nous mettrons un frein à la rage des mauvais désirs, nous résisterons aux révoltes de la chair, et l'espoir de la récompense adoucira nos peines. En effet l'espoir du bien suffit pour nous faire affronter les dangers; ne doit-il pas, à plus forte raison, nous faire supporter les fatigues qu'entraîne la vertu? Si vous réfléchissez que vos combats dureront peu de temps, si vous conservez dans tout son éclat la lampe de votre virginité, vous obtiendrez le bonheur éternel et vous entrerez avec l'époux. Il suffit de garder sa lampe allumée et d'avoir une suffisante provision d'huile, je veux dire de bonnes oeuvres : comment alors ne franchirez-vous pas facilement tous les obstacles, en songeant à ces paroles de saint Paul : Vivez en paix avec tout le monde, et recherchez la sanctification, sans laquelle personne ne verra le Seigneur. (Héb. XII, 14.) Observez-vous qu'il joint la paix à la sanctification? C'est parce que Dieu ne demande pas seulement la pureté du corps, mais aussi la paix. L'Apôtre nous le rappelle avec raison et nous avertit sur ces deux points, nous recommandant le repos de la pensée, afin d'éviter le trouble et le tumulte de nos âmes, afin que notre vie soit calme et tranquille, que nous vivions en paix avec tout le monde, enfin, que nous soyons pleins de douceur, de mansuétude et de modération : alors on verra fleurir sur notre visage toutes les couleurs de la vertu. Nous pourrons dès lors mépriser la gloire de la vie présente en travaillant pour la véritable gloire, ne songez qu'à vous affermir dans l'humilité en dédaignant le bonheur d'ici-bas, afin de (251) jouir du bonheur véritable et solide, et pour que la vue du Christ soit notre récompense. Bienheureux ceux qui sont purs de coeur, car ils verront Dieu! (Matth. V, 8.) Purifions donc notre conscience, réglons notre existence avec soin, afin qu'après avoir marché pendant cette vie dans le sentier de toutes les vertus, nous méritions de recueillir la récompense de nos efforts actuels dans l'éternité future, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

TRENTE-SEPTIÈME HOMÉLIE. Dieu dit à Abram : " Je suis le Dieu qui t'ai tiré du pays des Chaldéens, pour te donner cette terre, afin que tu la possèdes. — Et il répondit : Seigneur, mon Maître, à quoi reconnaîtrai-je que je dois la posséder ? " (Gen. XV, 7.)
ANALYSE.

1. Différence entre la Bible et les livres profanes : la Bible renferme beaucoup de pensées en Peu de mots, c'est le contraire pour les livres profanes. — 2. Gage que Dieu donne à Abraham de l'accomplissement de ses promesses. — 3. Dieu prédit à Abraham la captivité de ses descendants dans la terre d'Egypte. — 4. Confirmation de l'alliance. Dieu indique à Abraham les limites qu'atteindra l'empire qui sera un jour fondé par sa postérité. — Exhortation. Il faut plutôt s'occuper d'orner l'âme que le corps.

1. La puissance de l'Ecriture sainte est immense et ses paroles renferment un trésor de pensées. Il faut donc nous appliquer à l'étudier avec soin pour en retirer des avantages étendus. Aussi le Christ nous a donné ce précepte : Sondez les Ecritures (Jean, V, 39) ; c'est-à-dire, ne nous bornons pas à une simple lecture, mais scrutons profondément les Ecritures pour en saisir le vrai sens. Tel est l'usage de l'Écriture; elle présente beaucoup d'idées dans peu de mots. Ce sont des instructions divines et non humaines, aussi diffèrent-elles complétement de la sagesse humaine, et je vais vous dire comment. D'un côté, c'est-à-dire dans la sagesse humaine, on ne songe,qu'à l'arrangement des mots; de l'autre côté, c'est tout le contraire. L'Écriture ne tient aucun compte de la beauté des expressions ni de leur disposition : toutes ses paroles tirent leur beauté de l'épanouissement de la grâce divine. D'un côté, au milieu d'un immense bavardage, on rencontre à peine quelques idées; de l'autre, comme vous le savez, une phrase très-courte est souvent un texte suffisant pour tout un sermon. Aussi hier, après avoir lu notre texte et en avoir commencé l'explication, nous avons trouvé une telle richesse de pensées que nous n'avons pas pu aller plus loin pour ne pas surcharger votre mémoire et de peur que la fin du sermon ne vous en fit oublier le commencement. Aussi je vais revenir sur ce sujet et rattacher le discours d'hier à celui d'aujourd'hui, afin que vous ne sortiez pas d'ici sans avoir entendu développer toute la lecture. Mais, je vous en prie, accordez-nous toute votre attention : car si la peine est pour nous, le profit est pour (252) vous; ou plutôt, il nous est commun à tous. Mais que parlé ,je de notre peine? Non certes ! il n'y a ici qu'un don de là grâce divine. Recueillez donc avec soin ce que Dieu vous donne, afin que vous ne partiez d'ici qu'après en avoir fait votre profit pour le salut de votre âme. Si nous vous offrons chaque jour ce festin spirituel, c'est pour que nos fréquentes exhortations et la méditation des saintes Ecritures vous préservent des piéges du malin esprit. Car s'il voit en nous un grand zèle pour les occupations spirituelles, non-seulement il ne nous attaquera point, mais il n'osera même nous regarder, sachant que ses manoeuvres seront inutiles, et que les coups qu'il osera frapper retomberont sur sa tête.

Reprenons donc le sujet que nous traitions hier, et achevons de le développer. Hier de quoi avons-nous parlé? De la promesse que Dieu fit à Abram en lui disant de lever lesyeux au ciel et de regarder la multitude des étoiles. Compte, lui dit-il, les étoiles si tu peux les compter. Et il lui dit : Ta race sera aussi nombreuse. Ensuite l'Ecriture sainte nous montrant la piété du patriarche, et sa foi aux promesses de Dieu dont il considérait le souverain pouvoir, dit : Abram crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice. C'est là que nous en sommes resté hier et il nous a été impossible d'aller plus loin : maintenant il faut continuer. Que dit l'Ecriture? Le Seigneur dit à Abram : Je suis le Dieu qui t'ai retiré du pays des Chaldéens, pour te donner cette terre, afin que tu la possèdes. Voyez comme Dieu se prête à la faiblesse humaine, comme il veut fortifier la foi et persuader de l'effet de ses promesses, comme s'il disait : Souviens-toi que c'est moi qui t'ai fait sortir de ton pays! Ces paroles de Dieu s'accordent avec celles de saint Etienne qui dit que le Seigneur ordonna à Abraham de quitter la Chaldée et sa maison. (Act. VII.) Le père d'Abraham, comme nous l'avons dit, partagea son destin, quoiqu'il fût lui-même infidèle; entraîné par son amour pour son fils, il fut son compagnon de voyage. Aussi Dieu rappelle ici à Abraham la protection dont il l'a toujours entouré, lui disant que s'il l'a fait ainsi voyager, c'était pour son avantage et pour accomplir ses promesses envers lui. Je suis le Dieu qui t'ai retiré du pays des Chaldéens, pour te donner cette terre, afin que tu la possèdes. Est-ce sans raison que je t'en ai appelé? est-ce en vain que je t'en ai retiré? Je t'ai fait venir en Palestine, je t'ai fait quitter la maison de ton père et t'établir clans cette terre, afin que tu la possèdes. Songe combien je t'ai protégé depuis ton départ de Chaldée jusqu'à présent; songe que de jour en jour tu es devenu plus illustre par mon appui, par mes soins, et fie-toi à mes paroles. Voyez quel excès de bonté ! voyez comme Dieu s'abaisse jusqu'à l'homme, comme il fortifie son âme et affermit sa foi, pour qu'il ne songe, plus aux obstacles de la nature, mais qu'il se confie à Celui qui fait ces promesses, comme si elles étaient déjà accomplies.

2. Voyez aussi comme le patriarche, enhardi par ces paroles, demande une assurance plus parfaite. Il dit : Seigneur, mon ?Maître, à quoi reconnaîtrai-je que je posséderai cette terre? L'Ecriture sainte a commencé par lui rendre ce témoignage qu'il crut aux paroles de Dieu et que cela lui fut imputé à justice ; cependant, après avoir entendu ces mots : Je t'ai retiré du pays des Chaldéens, pour te donner cette terre, afin que tu la possèdes, il répond il m'est impossible de ne pas croire à ta parole ; cependant je voudrais apprendre de quelle manière je deviendrai possesseur de cette terre. Je me vois parvenu à l'extrême vieillesse; jusqu'à présent j'ai erré comme un vagabond, et la raison humaine ne peut me faire concevoir comment tout s'accomplira, quoique j'aie ajouté foi sans hésiter à tes paroles, toi qui peux tirer l'être du néant, tout créer et tout transformer. Si je t'interroge, ce n'est donc point par incrédulité : mais puisque tu me promets de nouveau la possession de cette terre, je voudrais un signe plus matériel et plus évident pour soutenir la faiblesse de mon intelligence. Que fait alors ce Maître si bon? Plein de condescendance pour son serviteur, il veut fortifier son âme quand il le voit avouer sa faiblesse, et malgré sa foi dans les promesses divines, en réclamer une confirmation ; il lui dit : Prends une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans et un bélier, et une tourterelle et une colombe. Vous voyez que Dieu fait un traité avec un homme à la manière humaine. Quand nous promettons quelque chose à quelqu'un et que nous cherchons à lui donner confiance en nos promesses, afin qu'il ne doute point de notre bonne volonté, nous lui laissons une preuve et une marque dont la seule vue lui donne la certitude que nous ferons tout pour dégager notre parole. Ainsi, à cette question : Comment le (253) reconnaîtrai-je? ce bon Maître répond : en voici le moyen. Prends une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, et un bélier, et une tourterelle et une colombe.

Remarquez, je vous prie, à quelle condescendance matérielle arrive ce doux Maître pour rassurer le patriarche. Comme c'était l'usage des hommes de faire et de confirmer ainsi leurs traités , Dieu même agit comme eux. Il prit ces animaux, dit l'Ecriture , et les partagea par la moitié. Ce n'est pas sans raison que leur âge est indiqué : il fallait les prendre à trois ans, c'est-à-dire adultes et à leur taille. Il les partagea par la moitié et mit les deux parties en face l'une de l'autre; mais il ne partagea point les oiseaux. Il s'assit et veilla pour que les oiseaux qui volaient autour de ces animaux partagés ne pussent y toucher, et il resta ainsi tout le jour. Les oiseaux descendirent auprès de ces animaux ainsi partagés près desquels s'était assis Abram. Vers la chute du jour, Abram tomba en extase, et il fut saisi d’un grand effroi et enveloppé de ténèbres. Pourquoi vers le coucher du soleil, quand vient le soir? C'est que Dieu veut rendre le patriarche plus attentif : cette extase et cet effroi ténébreux l'envahissent pour que tout lui fasse comprendre la présence de Dieu. Du reste c'est ce que le Seigneur fait toujours. Plus tard quand il donna à Moïse, sur le mont Sinaï, la loi et les préceptes, l'obscurité et les ténèbres régnaient et la montagne était couverte de fumée. (Ex. XIX, 18.) Aussi l'Ecriture dit: Il touche les montagnes et elles fument. (Ps. CIII, 32.) Comme les yeux charnels ne peuvent voir le Dieu immatériel, c'est ainsi qu'il se manifeste à nous. Aussi après avoir frappé l'esprit du juste et l'avoir rempli de crainte par cette extase, il lui dit : Tu m'as demandé une confirmation de mes paroles, tu as voulu avoir une preuve que tu dois posséder cette terre. Je te la donne, car il te faut beaucoup de foi pour comprendre que je puis faire réussir ce qui semble désespéré. Et il dit à Abram : Sache certainement que la race habitera dans une terre étrangère, qu'elle sera soumise aux gens du pays qui la maltraiteront et l'humilieront pendant quatre cents ans. Ce peuple auquel elle sera asservie, je le jugerai, et elle sortira de ce pays avec un grand appareil. Voilà des paroles bien graves; elles réclament un esprit énergique, capable de s'élever au-dessus de toutes les considérations humaines. Car si l'âme dû patriarche n'avait pas été forte, courageuse et bien trempée, il y avait de quoi la troubler. Sache certainement que ta race habitera dans une terre étrangère, qu'elle sera soumise aux gens du pays qui la maltraiteront et l'humilieront pendant quatre cents ans. Ce peuple auquel elle sera asservie, je le jugerai, et elle sortira de ce pays avec un grand appareil.

3. Ne t'étonne point, dit le Seigneur, de ta vieillesse, de la stérilité de Sara, de ses entrailles desséchées, et ne regarde point comme extraordinaire ce que je t'ai dit : Je donnerai cette terre à ta race. Non-seulement je te le prédis, mais j'ajoute qu'avant cela ta race ira dans une terre étrangère. Il ne lui dit pas que c'était l'Egypte et ne nomme point le pays;, mais il dit : Dans une terre étrangère; elle subira la servitude et l'humiliation, et ses souffrances ne seront point courtes et bornées à peu d'années, mais dureront quatre cents ans. Sans doute j'en tirerai vengeance, je jugerai ce peuple oppresseur et je ferai revenir ici ta race et j'environnerai son retour de beaucoup d'éclat. Ainsi l'exactitude de cette prédiction sur la servitude des Juifs dévoile leur descente en Egypte, la haine des Egyptiens contre eux et leur glorieux retour. Elle montre au patriarche que ce n'est pas seulement à lui que doivent arriver des choses surnaturelles, c'est-à-dire l'accomplissement des promesses de Dieu malgré tant d'obstacles, mais que toute sa race sera également favorisée. Je te l'ai déjà dit, ajoute-t-il, afin que tu puisses, avant la fin de ta vie, connaître le sort de ta postérité. Tu iras rejoindre tes pères, après avoir prospéré dans une heureuse vieillesse. Il ne dit pas : tu mourras, mais, tu iras, comme on dit à un voyageur qui va quitter son pays pour une autre patrie: Tu iras rejoindre tes pères : il ne parle point des pères selon la chair. Comment serait-ce possible? puisque son père était infidèle et que le patriarche fidèle ne pouvait habiter le même séjour. Il y a, dit l'Ecriture, un grand abîme entre vous et nous. (Luc, XVI, 26.) De qui donc est-il dit rejoindre tes pères? Il s'agit des justes, tels qu'Abel, Noé et Enoch. Prospérant dans une heureuse vieillesse. Mais, dira-t-on, comment cette vieillesse peut-elle être heureuse après toute une existence de tribulations? Ne les considérez point; songez seulement à la gloire qui l'a suivi en toute occasion , pensez à l'éclat (254) dont a toujours brillé ce voyageur sans feu ni lieu et à la protection que Dieu lui a constamment accordée.

Il ne faut point juger d'après l'opinion actuelle, et dire qu'une belle vieillesse est celle qui se passe dans le luxe et la débauche an milieu d'immenses richesses, d'une foule de courtisans et d'un troupeau d'esclaves. Ce n'est pas là une belle vieillesse; au contraire, tout cela sert à condamner l'homme qui n'est pas continent, même dans sa vieillesse, qui, même à son dernier soupir, ne songe pas à ses vraies besoins , qui sacrifie tout à son ventre et passe sa vie dans les festins et dans l'ivresse au moment où il va rendre compte de ses actions. Celui qui a marché dans le sentier de la vertu, celui-là seul termine sa vie par une belle vieillesse et reçoit plus haut la récompense de ses travaux d'ici-bas. Aussi Dieu dit au patriarche: Voilà ce qui arrivera à tes descendants, mais tu quitteras la terre après avoir joui d'une heureuse vieillesse. Ici remarquez encore que si le juste n'avait pas eu un grand courage et une extrême sagesse , ces prédictions auraient pu troubler son esprit. A sa place, le premier venu aurait dit: Pourquoi me promettre une postérité si nombreuse puisque mes descendants supporteront tant de souffrances et tant d'années de captivité? quel avantage poissé-je y trouver? Le juste n'eut point cette pensée; il accepta en fidèle serviteur tout ce qui venait de Dieu, dont il préféra la volonté à la sienne. Du reste le Seigneur lui indique l'époque à laquelle ils reviendront de leur captivité : Ils reviendront ici à la quatrième génération.

Là-dessus on pourra demander pourquoi quatre cents ans de captivité sont prédits aux Hébreux, tandis qu'ils n'en ont point passé la moitié en Egypte. Aussi Dieu ne dit pas qu'ils doivent passer quatre cents ans en Egypte, mais dans une terre étrangère, si bien que l'on peut joindre aux années passées en Egypte, le temps même de la vie du patriarche, à partir du moment où il reçut l'ordre de quitter Charran. L'Ecriture nous montre évidemment qu'elle compte les années depuis cette époque, lorsqu'elle dit qu'il avait soixante-quinze ans quand il partit de Charran. (Gen. XII, 4.) Depuis cet instant jusqu'au retour d'Egypte, si l'on fait le calcul, on trouve le nombre juste. D'un autre côté, l'on peut dire que le Seigneur plein de bienveillance , et qui proportionne toujours nos épreuves à notre faiblesse, voyant les Hébreux accablés de peines et cruellement traités par les Egyptiens, les vengea et les délivra avant l'époque qu'il avait fixée. En effet, c'est l'usage de Dieu qui cherche toujours no. tre salut; s'il menace de ses punitions, nous pouvons, en faisant preuve de conversion, le faire revenir sur ses arrêts; en revanche, s'il nous promet quelque avantage et que nous ne fassions point-ce, qui dépend de nous, il n'accomplit point ce qu'il avait annoncé, de peur de nous rendre pires que nous n'étions. Ceux qui étudient attentivement les saintes Ecritures pourront aisément s'en convaincre. Ils reviendront ici à la quatrième génération; car les iniquités des Amorrhéens ne sont pas encore au comble. Alors, en effet, il sera temps que les uns reviennent en liberté et que les autres, en punition de leurs nombreux péchés, soient chassés de cette terre. Tout arrivera en temps convenable, l'établissement des uns et l'expulsion des autres, Leurs iniquités ne sont pas encore au comble, c'est-à-dire ils n'ont pas encore assez péché pour mériter une pareille punition. En effet, Dieu dans sa bonté ne punit jamais plus , mais toujours moins qu'on ne mérite. Aussi montre-t-il une grande patience à l'égard des Amorrhéens, pour ne leur laisser aucune excuse , puisqu'ils seront eux-mêmes les auteurs de leur châtiment.

4. Voyez comme le patriarche est exactement renseigné, comme sa foi doit se fortifier et quelle confiance les prédictions qui le regardent doivent lui inspirer pour celles qui sont relatives à sa postérité ; l'accomplissement des unes lui montrera la certitude des autres. Ensuite, quand la prédiction fut terminée, il vit un signe analogue à ceux qu'il avait déjà aperçus. Quand le soleil se coucha, il parut une flamme, une fournaise fumante et des lampes de feu qui passèrent à travers les animaux coupés en deux. La flamme, la fournaise et les lampes paraissaient pour faire connaître au juste l'indissolubilité de l'alliance, et la présence de l'énergie divine. Ensuite, quand tout fut terminé et accompli , quand le feu eut dévoré toute l'offrande, le Seigneur fit en ce jour une alliance avec Abram, en disant: Je donnerai à ta race cette terre depuis le fleuve d’Egypte jusqu'au grand fleuve de l'Euphrate, les Cinéens, les Cenézéens et les Cedmoniens; les Chettéens, les Phérézéens, ceux de Raphaïm et les Amorrhéens, les Chananéens, les Eviens, les Gergésiens et les Jébuséens. Voyez comme il confirme encore ce qu'il avait annoncé. Il fit une alliance, disant : Je donnerai à ta race celle terre.

Ensuite pour faire comprendre toute l'étendue des limites du pays donné à cette race, il ajoute: Du fleuve d'Egypte au fleuve Euphrate, là s'étendra ta race. Voyez comme il veut ainsi en indiquer la multitude innombrable. Il a déjà dit qu'on ne pourrait pas plus la compter que les étoiles; maintenant il indique les limites de son territoire pour faire voir jusqu'où doit s'étendre cette multitude. De plus, il donne la liste des peuples sur lesquels s'étendra la domination de cette race, afin que le juste soit bien informé de tout. Après tant de promesses Sara restait toujours stérile, la vieillesse s'étendait sur eux, afin qu'en donnant de leur foi la plus grande preuve possible, ils reconnussent la faiblesse de la nature humaine et l'immensité de la puissance divine.

Pour ne pas trop prolonger cette instruction, nous allons terminer en vous suppliant d'imiter le patriarche. Songez, mes bien-aimés, à ce qu'il disait au roi de Sodome, et, en général, à toutes ces autres vertus qu'il a montrées pendant toute sa vie , aux récompenses dont il a été honoré et à la condescendance de Dieu pour lui : Songez que le Seigneur nous a ainsi montré à tous, par ses bienfaits envers le patriarche, combien sa libéralité était immense. Pour peu que nous lui fassions offrande de quelques bonnes oeuvres, il enchérit au delà de toute expression et nous prodigue des récompenses infinies, pourvu que nous lui fassions voir, comme le juste, une foi sincère, et que loin de chanceler dans notre esprit,,nous conservions une fermeté inébranlable. C'est ainsi que le patriarche a mérité tant d'éloges; écoutez saint Paul célébrant la foi qu'il a montrée dès l'origine : Abraham appelé à la foi, obéit et s'en alla dans un pays qu'il devait posséder, et. partit sans savoir où il allait. (Héb. II, 8.) Il fait allusion à ces paroles de Dieu : Sors de ton pays et va dans la terre que je te montrerai. (Gen. XII, 1.) Voyez quelle fermeté dans la foi, quelle sincérité dans l'esprit ! Imitons ces vertus, quittons par nos pensées et nos désirs les affaires de la vie présente et faisons route vers le ciel. Nous pouvons, si nous le voulons, nous y acheminer même ici-bas , si nos actions le méritent, si nous dédaignons les choses du monde, et si nous négligeons la vaine gloire pour élever nos regards vers la gloire véritable et éternelle; si nous mettons de côté le luxe des habits et l'ornement du corps, si nous laissons toute cette parure extérieure pour embellir notre âme dont la vertu doit être le vêtement; si nous méprisons la mollesse, si nous fuyons la gourmandise et si, loin de rechercher les festins et les banquets nous gardons la frugalité, d'après le précepte de l'Apôtre : Contentons-nous d'avoir la nourriture et le vêtement. (I Tim, VI, 8.) Quel besoin, dites-moi, a-t-on de ces superfluités? pourquoi se gonfler l'estomac d'un excès de nourriture et perdre la raison dans l'ivresse? n'en résulte-t-il pas une foule de maux pour le corps et l'âme ? D'où viennent tant de maladies, tant de lésions dans nos organes ? n'est-ce pas de ce que l'estomac est plus chargé qu'il ne faudrait? D'où viennent l'adultère , le libertinage, le vol, l'avarice, le meurtre, le brigandage et toutes les corruptions de l'âme? n'est-ce pas d'une convoitise exagérée? Aussi Paul a dit que l'avidité était la racine de tous les maux. (I Tim. VI,10.) De même l'on peut dire avec raison que cette absence de modération, ce désir de dépasser la limite du besoin est la source de tous nos maux. Si nous voulions, en fait de nourriture, d'habits, de logement et de tout ce qui regarde le corps, n'aller jamais trop loin et nous contenter du nécessaire, l'espèce humaine serait délivrée de bien des maux.

5. Mais je ne sais comment il se fait que chacun de nous est avide à sa manière et franchit toujours les bornes du besoin, malgré le précepte de l'Apôtre: Contentons-nous d'avoir la nourriture et le vêtement : nous faisons tout le contraire, sans songer que nous aurons à rendre compte d'avoir dépassé le nécessaire et abusé des biens du Seigneur. Car ces biens ne nous sont pas accordés seulement pour notre avantage, mais pour le soulagement de nos semblables. Quel pardon peuvent donc mériter ceux qui se parent des vêtements d'une noblesse extrême, qui recherchent les étoffes filées, par des vers et qui, ce qu'il y a de plus déplorable, s'en glorifient, tandis qu'ils devraient se cacher, craindre et trembler, puisqu'ils ne les portent point par nécessité, mais par mollesse et fausse gloire, afin de se faire admirer du monde. Cependant leur semblable passe à moitié nu, sans avoir même un vêtement grossier: et eux, qui sont de la même nature, n'éprouvent aucune pitié , la conscience ne les porte point à secourir leur semblable ; la (256) pensée du jour terrible, la crainte de l'enfer, la grandeur des promesses, l'idée que le Seigneur commun de tous considérera comme fait à lui-même tout ce qu'ils auront fait pour leurs semblables, tout cela ne peut rien. Comme si leur coeur était de pierre et qu'ils fussent étrangers à notre nature, ils se regardent, à cause du luxe de leurs habits, comme supérieurs aux autres hommes, sans songer à toutes les peines qu'ils encourent en faisant un mauvais usage des biens que le Seigneur leur a confiés et qu'ils ne songent pas à partager avec leurs frères : ils aiment voir les vers ronger ce qu'ils possèdent et allumer pour eux-mêmes le feu de l'enfer. Si les riches distribuaient aux indigents tout ce qu'ils tiennent inutilement renfermé, cela ne suffirait pas encore pour leur faire éviter les peines qu'ils méritent pour le luxe de leur table et de leurs habits. Quelle punition méritent donc ceux qui mettent tous leurs soins à se montrer en public avec des vêtements de soie brodés d'or ou de diverses couleurs, et qui méprisent la nudité et l'indigence du Christ privé même du nécessaire? C'est surtout aux femmes que je m'adresse. C'est surtout chez elles que se trouve le désir et l'excès de la parure; l'or brille sur leurs habits, leur tête, leur cou et tout leur corps; et elles en tirent vanité ! Combien d'affamés pouvaient être rassasiés , combien de nudités pouvaient être couvertes, rien qu'avec le prix de leurs pendants d'oreilles qui ne servent à rien qu'à perdre leur âme ! Aussi le docteur de la terre, après avoir dit . Contentons-nous de la nourriture et du vêtement, s'adresse-t-il encore aux femmes : Qu'elles n'aient point de coiffures recherchées, d'or, de perles, ni d'habits somptueux. (I Tim. II , 9. ) Vous voyez qu'il leur interdit ces ornements d'or, les perles et les habits somptueux : il veut qu'elles ne considèrent comme véritable parure que celle de l'âme; c'est aux bonnes oeuvres qu'il commande de l'emprunter. Il sait bien que celle qui a en tête ces vanités ne peut avoir qu'une âme souillée, flétrie , déguenillée, affamée, transie de froid ! Car cette ardeur pour parer le corps montre la laideur de l'âme, cette avidité sensuelle prouve qu'elle est affamée, et ce luxe de vêtements laisse voir sa nudité. Si l'on veille sur son âme et si l'on en cultive la beauté, on rie peut désirer cette parure extérieure ; de même , si l'on s'occupe de sa toilette, de ses brillants habits et de ses ornements dorés, il est complètement impossible de veiller sur son âme. Comment pourrait-on avoir une bonne pensée et s'occuper des choses spirituelles, si l'on s'est une fois livré aux choses d'ici-bas, si l'on ne fait que ramper à terre, pour ainsi dire, sans jamais relever la tête et accumulant toujours le fardeau de ses péchés? Il serait trop long maintenant de dire tous les maux qui en résultent : il me suffit de rappeler à tontes les personnes qui se sont livrées à ces goûts tous les désagréments qu'elles en éprouvent chaque jour. Il est tombé quelque chose d'une parure en or : aussitôt tempête et tumulte dans la maison : un domestique a dérobé un objet, tous sont fouettés, battus, emprisonnés: des larrons ont tout pillé en un clin d'oeil : chagrin immense et insupportable. Un revers survient qui réduit à une misère extrême, et alors la vie est plus pénible que la mort : qui pourrait dire tous les accidents auxquels on est exposé? En résumé une âme de cette nature ne sera jamais en repos ; de même que les vagues de la mer sont incessantes et innombrables, de même les agitations de cette âme ne peuvent se compter. Aussi, je vous en conjure, fuyons en toute chose l'avidité et l'abus. La véritable richesse, le trésor inépuisable, consistent à ne désirer que le nécessaire et à faire un bon usage du superflu. Celui qui agit ainsi ne peut craindre la pauvreté, n'éprouve ni accident ni trouble: il est au-dessus de la calomnie et des piéges; en un mot, il est toujours tranquille et vit dans le calme et le repos. Enfin, ce qui est le grand le souverain bien , il est protégé de Dieu, et soutenu de la grâce d'en haut, comme un intendant fidèle des richesses du Seigneur. Heureux le serviteur que son maître trouvera agissant ainsi quand il le visitera ! (Luc, XVIII, 43.) C'est-à-dire qu'il distribue ce qu'il faut à ses frères, au lieu de le renfermer dans des armoires et derrière les portes pour le laisser ronger aux . vers : il soulage la misère des indigents et se montre bon et fidèle dispensateur des biens que le Seigneur lui a confiés, afin que, par cette largesse il reçoive une grande et juste récompense, et mérite les biens qui lui ont été promis , par la, grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

TRENTE-HUITIÈME HOMÉLIE. Sara, la femme d'Abram ne lui donnait pas d'enfant, mais elle avait une servante égyptienne, nommée Agar. (Gen. XVI. 1)
ANALYSE.

1-2. Après un court exorde, l'orateur entame l'explication du texte ci-dessus. Il nous fait admirer la conduite de Dieu sur Abram et Sara; ainsi que la sagesse, la résignation, la docilité aux ordres de Dieu, de ces deux époux. — 3. Dieu différa d'accomplir les promesses qu'il avait faites à Abraham, pour donner occasion à sa foi et à sa vertu de briller davantage. Il a tenu la même conduite avec la Chananéenne. — 4. Sara dit à Abraham : je reçois une injure de toi; j'ai mis ma servante dans tes bras, et maintenant qu'elle se voit grosse, elle me méprise en face. Sage réponse que fait Abraham à ce reproche. — 5. Devoirs des époux. — 6. Utilité des épreuves. — 7. Exhortation à la patience, à la mansuétude, à la concorde. Comment la femme est l'aide de son mari.

1. La lecture d'aujourd'hui nous engage encore à vous parler du patriarche : ne soyez pas surpris que depuis tant de jours consacrés à son histoire, nous n'ayons pu l'achever hier. L'abondance de ses vertus est immense, et l'étendue de ses bonnes oeuvres est au-dessus de toute langue humaine. Quel homme pourra louer dignement celui que Dieu couronnait du haut du ciel et qu'il couvrait de gloire? Cependant, malgré notre insuffisance, nous vous exposons suivant nos forces ce qui a été écrit sur lui, afin de vous inspirer l'émulation et l'imitation de ses vertus, car la sagesse d'un pareil homme suffit pour instruire toute l'espèce humaine et pour engager dans la voie de la vertu ceux qui l'écoutent avec soin. Du resté, je vous prie de faire attention aux enseignements qui peuvent résulter de la dernière lecture sur le patriarche. Les hommes et les femmes peuvent y apprendre à vivre dans l'union et à respecter le noeud indissoluble du mariage. Le mari ne doit pas être inflexible envers sa femme, mais montrer de la condescendance pour sa faiblesse; la femme ne doit pas résister à son mari ni disputer contre lui, mais tous deux doivent s'aider mutuellement à porter le fardeau et préférer la paix domestique à tous les biens. Mais il faut entendre les paroles elles-mêmes, afin que l'instruction soit plus claire. Sara, la femme d'Abram, ne lui donnait pas d'enfants, mais elle avait une servante égyptienne, nommée Agar.

Observez ici, mes bien-aimés, l'extrême patience de Dieu et l'excès de la foi et de la reconnaissance du juste pour les prédictions qui lui avaient été faites. Dieu lui avait promis bien des fois qu'il donnerait la terre à sa race et que le nombre de ses descendants égalerait la multitude des étoiles ; cependant, voyant que rien ne se réalisait de ce qui était annoncé et que toutes les promesses s'arrêtaient à des paroles, sa raison , n'était pas troublée, son esprit n'était pas agité, il resta inébranlable dans sa foi et confiant dans la puissance de Celui qui lui avait parlé. C'est ce que l'Ecriture sainte rappelle ici , en disant : Sara, la femme d'Abram, ne lui donnait pas d'enfants ; ce qui nous donne à entendre qu'après des alliances si souvent répétées, après cette promesse d'une multitude innombrable qui devait (258) sortir de lui, il ne s'affligeait point et ne doutait point en voyant que ces paroles ne s'accomplissaient pas, et qu'au contraire tout semblait les démentir. Aussi est-il dit : Sara, sa femme, ne lui donnait pas d'enfants. Pour nous apprendre que tant de promesses n'avaient abouti à rien, tandis que la stérilité de Sara et son sein desséché par l'âge pouvaient décourager le patriarche. Mais celui-ci , loin de s'arrêter aux obstacles de la nature, savait que rien n'est impossible au Seigneur, qui est le Créateur de cette nature et rend possible ce qui était impossible; en fidèle serviteur, il ne s'informait pas comment les choses devaient arriver, mais il s'abandonnait à l'incompréhensible providence du Seigneur et croyait à sa parole.

Ainsi, après tant de promesses, Sara ne lui donnait pas d'enfants, mais elle avait une servante égyptienne nommée Agar. Ce n'est pas sans raison que l'Ecriture sainte fait ainsi mention de cette servante, c'est pour que l'on sache comment Sara l'avait chez elle. Il est dit qu'elle était égyptienne, ce qui nous rappelle un fait précédent: elle faisait partie des présents offerts par Pharaon quand il eut été sévèrement puni parle Tout-Puissant ;,alors elle suivit Sara, et c'est pour cela que l'Ecriture nous fait connaître son nom et son pays. Mais voyer. maintenant la sagesse de Sara et l'excès de sa continence ; voyez aussi la complaisance et la condescendance du juste. Sara dit à Abram, dans la terre de Chanaan : Dieu a fermé mes entrailles pour que je n'enfante pas, mais viens vers ma servante afin que tu en aies des enfants. Elle ne dit point, comme plus tard Rachel à Jacob : Donne-moi des enfants, ou je meurs. (Gen. XXX, 1.) Mais que dit-elle? Dieu a fermé mes entrailles pour que je n'enfante pas. Puisque le Créateur m'a rendue stérile et me prive d'avoir des enfants, pour que ma stérilité ne te prive point de voir tes fils dans ton extrême vieillesse, viens vers ma servante, afin que tu en aies des enfants. Quelle femme aurait le courage d'agir ainsi, de donner ce conseil à son mari et de céder le lit conjugal à une servante?

2. Considérez combien ils étaient dégagés de toute passion : leur seul but était de ne pas mourir sans enfants; mais ils songeaient à y parvenir sans trouble et en conservant le lien conjugal. Observez aussi la continence du patriarche et son extrême douceur. Il n'en voulut point à sa femme de ne pas avoir d'enfants, comme font quelques insensés; son amour pour elle n'en fut pas affaibli. Vous savez, en effet, vous savez que la plupart des hommes en prennent occasion de mépriser les femmes, de même qu'ils les apprécient par la raison contraire : il y a beaucoup de légèreté et d'irréflexion à mettre sur le, compte des femmes la stérilité ou la fécondité; ils ne savent donc pas que tout dépend du Créateur, et que l'union des sexes, jointe à toutes les ressources imaginables, ne peut donner des enfants si la main d'en-haut n'excite la nature à les faire naître. Le juste le savait bien; aussi, n'imputait-il point à sa femme sa stérilité et l'honora-t-il toujours également. Celle-ci, par compensation et pour montrer combien elle chérissait son mari, s'oublia elle-même, et, cherchant à le consoler de cette stérilité, prit, pour ainsi dire, sa servante égyptienne par la main et la conduisit dans son propre lit. Du reste, elle fit bien voir dans quelle intention elle agissait ainsi, en disant : Le Seigneur a fermé mes entrailles pour que je n'enfante pas. Voyez quelle résignation ! Elle ne dit rien d'amer, elle ne déplore point sa stérilité; elle déclare seulement que, le Créateur l'ayant voulu ainsi, elle le supporte avec douceur et courage, préférant la volonté de Dieu à ses désirs, et qu'elle cherche seulement à consoler son mari, puisque, dit-elle, le Seigneur a fermé mes entrailles pour que je n'enfante pas. Voyez le sens de ces paroles; comme elles montrent la providence et la puissance infinies de Dieu ! Nous fermons et nous ouvrons notre maison : Dieu en fait autant avec la nature; son ordre ferme quand il veut et rouvre lorsqu'il lui plaît; la nature obéit toujours à ses commandements. Puisque le Seigneur a fermé mes entrailles pour que je n'enfante pas, viens vers ma servante, afin que tu en aies des enfants. C'est à cause de moi que tu n'en as pas; je ne veux point te priver de cette consolation. Peut-être Sara soupçonnait-elle que sa stérilité ne provenait pas d'elle seule, mais aussi du patriarche; aussi, voulant s'en convaincre par des faits, elle cède la place à sa servante et la conduit dans son lit, afin que l'événement lui montre si la stérilité dépendait d'elle seule.

Abram fit ce que voulait Sara. Remarquez la sagesse du juste. Je répète ce que j'ai déjà dit : ce n'est pas lui qui a eu le premier cette idée, quoiqu'il fût déjà bien vieux; mais quand (259) Sara lui fait cette offre, il l'accepte, montrant que, s'il y consent, ce n'est point par désir et libertinage, mais pour laisser de la postérité. Sara, femme d'Abram, prit Agar, sa servante égyptienne, après, dix ans d'habitation avec Abram, son mari, dans le pays de Chanaan, et la donna pour femme à Abram, son mari. Voyez combien l’Ecriture est précise ! elle veut nous apprendre que le juste ne s'est pas empressé aussitôt que Sara lui eut parlé, et elle dit: Sara, femme d'Abram, prit Agar, sa servante égyptienne. L'Ecriture sainte nous fait ainsi comprendre que le juste ne fait rien que par complaisance pour sa femme et par condescendance à sa volonté. Pour bien nous apprendre la continence du juste et son extrême modération, il est écrit . Après dix ans d'habitation avec Abram, son mari, dans le pays de Chanaan. Si cet intervalle de temps est précisé, ce n'est pas sans raison; c'est pour que nous sachions pendant combien d'années le juste a supporté sans murmure cette stérilité, et a fait voir une continence supérieure à toutes les passions; c'est encore pour nous apprendre autre chose. Quand l'Ecriture ajoute : Après dix ans d'habitation avec Abram, son mari, dans le pays de Chanaan, ce n'est pas là tout le temps de leur cohabitation, mais seulement celui qu'ils ont passé dans la terre de Chanaan. Pourquoi cela? Parce que, dès leur arrivée au pays de Chanaan, Dieu dit dans sa bonté : Je donnerai cette terre à ta race. Ensuite il renouvelle plus d'une fois ces promesses, pour nous faire comprendre, mes bien-aimés, que, malgré l'intervalle que Dieu a mis avant de remplir ces promesses,. l'esprit du patriarche ne s'est point troublé et n'a point mis les raisonnements humains au-dessus des paroles divines. Aussi l'Ecriture dit: Après qu'ils eurent habité ensemble pendant dix ans dans le pays de Chanaan. Voyez quel courage, quelle sagesse ! voyez aussi comme le Seigneur temporise et retarde pour le rendre plus illustre ! Car s'il a des serviteurs qu'il chérisse particulièrement, il ne se contente pas de leur être favorable, mais il les couvre de gloire pour faire éclater leur foi à tous les yeux. Après avoir dit qu'il donnerait cette terre à sa race, s'il avait aussitôt ouvert les entrailles de Sara `et s'il avait procuré des enfants au patriarche, le miracle n'aurait pas été si grand et la vertu du juste n'aurait pas été si brillante aux yeux de tous. Sans doute, la puissance de Dieu se serait manifestée dès cet instant, car il aurait fertilisé par son ordre le laboratoire de la nature, de venu incapable de reproduction; mais la couronne de gloire n'aurait pas été complète sur la tête du patriarche, comme à cette époque plus tardive. où sa vertu fut éprouvée de nouveau et devint chaque jour plus éclatante.

3. Pour vous faire voir que Dieu ne se contente pas de prodiguer ses bienfaits, mais qu'il cherche d'ordinaire à illustrer ceux qui les reçoivent, voyez sa conduite à l'égard de la Chananéenne, comme il diffère et temporise; cependant, il finit non-seulement par accueillir sa prière, mais par rendre cette femme elle-même célèbre dans le monde entier. Quand elle le suppliait en disant: Seigneur, ayez pitié de moi! ma fille est tourmentée, par le démon (Matth. XV, 22); ce Dieu de clémence et de bonté ne daigne cependant pas lui répondre, quoique toujours il prévienne nos demandes. Ses disciples, ignorant ce qui devait arriver, qu'il s'intéressait à cette femme, et que, s'il ne répondait pas, c'était pour lui donner occasion de découvrir le trésor de sa foi, ses disciples, comme par pitié, s'approchaient de lui et le suppliaient en disant : Renvoyez-la, parce qu'elle crie après nous, laissant voir ainsi qu'ils ne pouvaient plus supporter son importunité. Renvoyez-la satisfaite, disaient-ils, non parce qu'elle est malheureuse, non parce que ses prières sont raisonnables, mais parce qu'elle crie après nous. Que fait alors le Seigneur? Voulant dévoiler peu à peu le trésor de la foi que possédait cette femme, et montrer à ses disciples combien ils étaient loin de sa bonté, il répond enfin de manière à troubler le jugement de la suppliante, si elle avait eu moins de fermeté dans l'esprit ou moins d'ardeur dans le zèle, et de façon à empêcher les apôtres de prier pour elle : Je ne suis envoyé, lui dit-il, que vers les brebis égarées de la maison d'Israël. En effet, ces mots suffisent pour empêcher les disciples d'intercéder en faveur de cette femme; mais elle-même ne cessa point ses prières et les redoubla avec plus d'instance. C'est le propre d'une âme souffrante et possédée d'une vive affection : elle ne s'inquiète pas de ce qu'on lui dit et songe seulement au but de ses désirs. C'est ce que fit cette femme. Après avoir entendu ces paroles, elle se prosterna en disant Seigneur, ayez pitié de moi ! Elle connaissait la bonté du Seigneur, et aussi sa persévérance est infatigable. Mais voyez quelle prudence et (260) quelle sagesse il montre lui-même ! Il n'accorde rien, et même il répond d'une manière encore plus sévère et plus rude. Il connaissait le courage de cette femme et ne voulait pas que son bienfait restât caché, pour que ses disciples, ainsi que les autres hommes, apprissent la raison qui l'avait porté à différer : le pouvoir de la persévérance et de l’assiduité, et la vertu de cette femme. Il dit, en effet : Il n'est pas bon de prendre le pain des enfants et de le jeter aux chiens.

Ici, je vous prie, remarquez l'énergie de cette femme, l'ardeur du désir qui l'embrase et la puissance de sa foi en Dieu, comme ses entrailles étaient déchirées, pour ainsi dire, de compassion pour les souffrances de sa fille; elle ne riposte point à l'injure, elle accepte le nom de chien et consent à être mise au rang des chiens, pourvu qu'elle- obtienne d'être délivrée de son irrationabilité pour monter au rang des enfants de Dieu. Ecoutez enfin la réponse de cette femme, c'est le fruit du retard que le Seigneur avait apporté à l'exaucer. Non-seulement la sévérité du Seigneur n'a pas rebuté la femme, mais elle a surexcité son zèle, puisqu'elle dit : Oui, Seigneur; car les chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres.

Voyez-vous pourquoi il a été si longtemps à l'exaucer? C'était pour nous apprendre jusqu'où allait la foi de cette femme. Voyez comme aussitôt le Seigneur la vante et la récompense, en disant : O femme, ta foi est grande ! Il renvoie avec éloges et admiration celle à qui d'abord il n'accordait point de réponse. Ta foi est grande. Elle était grande, en effet, puisque cette femme, après avoir vu ses prières repoussées une première et une seconde fois, ne s'est point découragée ni retirée, et que, par l'énergie de sa persévérance, elle a engagé Dieu à l'exaucer. Qu'il soit fait, dit-il, comme tu le désires! Vous voyez qu'il comble de ses bienfaits celle que d'abord il n'honorait pas d'une réponse. Non-seulement il l'exauce, mais il la glorifie et la couronne. Ces mots : ô femme, montrent combien il est frappé de sa foi; ceux-ci: ta foi est grande, dévoilent toute l'étendue de ce trésor, et enfin cette parole : Qu'il soit fait comme tu le désires, signifie.: tout ce que tu peux vouloir ou désirer, je te l'accorde; une pareille persévérance t'a fait mériter ce que tu souhaitais.

Vous avez vu la constance de cette femme; vous avez vu que, si Dieu avait tardé à l'exaucer, c'était pour la rendre plus digne d'admiration. Revenons maintenant, s'il vous plait, à notre récit, et apprenons que si Dieu a différé pendant tant d'années à accomplir les promesses qu'il avait faites au patriarche, c'était pour le rendre plus illustre et faire mieux éclater sa foi. Aussi l'Ecriture dit: après qu'ils eurent habite ensemble dix ans dans la terre de Chanaan, afin de montrer le temps qui s'était écoulé depuis la prédiction. Sitôt que le juste arriva dans ce pays, Dieu lui dit : Je donnerai cette terre à ta race. Cependant i1 restait depuis lors sans enfants; la stérilité de Sara augmentait, et elle donna Agar pour femme à son mari Abram.

4. Voyez quelle était la sagesse des anciens, Les hommes étaient tempérants, très-attachés à la continence, et les femmes n'étaient pas jalouses. En effet, l'Ecriture montre un exemple souvent utile, quand elle dit : Sara prit Agar sa servante et la donna pour femme a Abram ; cela nous montre quel était en pareille occasion le sang-froid des femmes et la réserve des hommes. Et il vint vers Agar et elle conçut. Comme vous le voyez, Sara apprend alors que ce n'était pas la faute du juste s'il n'avait pas d'enfants, mais que sa propre stérilité en était la seule cause; car l'union du patriarche avec la servante avait été aussitôt féconde. Eh bien ! observez maintenant l'ingratitude de cette servante et la faiblesse de la nature féminine, afin d'apprendre encore ici l'admirable douceur du patriarche. Elle vit qu'elle était grosse et méprisa sa maîtresse en face. Voilà l'habitude des domestiques : au moindre avantage qu'ils ont, ils ne se tiennent plus à leur place, ils oublient leur position et deviennent ingrats: c'est l'histoire de cette servante. Quand elle se vit enceinte, elle ne songea pas à l'admirable résignation de sa maîtresse ni à l'infériorité de sa position, mais, dans l'ivresse de sou orgueil, elle dédaigne sa maîtresse, qui lui avait montré assez de bienveillance pour la conduire dans le lit de son mari. Que fait alors Sara? Elle dit à Abram : Je reçois une injure de toi: j'ai mis ma servante dans tes bras; maintenant qu'elle est .grosse, elle me méprise en face. Que Dieu juge entre toi et moi!

Ici, considérez l'extrême patience du juste et le respect qu'il montre à Sara en l'excusant d'une accusation si peu méritée. Elle, qui lui avait mis sa servante dans les bras, en disant: (261) Viens vers ma servante, elle, qui l'avait. entraîné à cette liaison , change tout à coup pour dire : Elle m'insulte à cause de toi. O femme ! est-ce lui qui a couru après ta servante? ses désirs l'ont-ils entraîné à cette union? C'est pour suivre tes avis et tés conseils qu'il a tout fait. Quelle injure t'a donc fait ton mari ? J'ai mis, dis-tu, ma servante dans tes bras. Si tu avoues que tu la lui as donnée et qu'il ne l'a pas prise de lui-même, que parles-tu d'injure? Oui, disait-elle, je té l'ai donnée, mais en voyant son orgueil tu devais réprimer son insolence. Voyant qu'elle était grosse, elle m'a méprisée en face; que Dieu juge entre toi et moi! Ce sont là des paroles de femme et qui tiennent à la faiblesse de sa nature ; c'est comme si elle lui disait : j'ai voulu te consoler de ne pas avoir d'enfants, je suis allée jusqu'à mettre ma servante dans tes bras pour qu'elle me remplaçât. Maintenant, voyant qu'elle est fière de sa grossesse et qu'elle s'en enorgueillit outre mesure, tu aurais dû réprimer et punir ses insolences à mon égard, et tu ne l'as pas fait. Tu sembles oublier toute notre vie passée, et me mépriser toi-même, moi qui ai vécu tant d'années avec toi et qui ai ramené d'Egypte cette servante qui est à moi et qui me dédaigne. Que Dieu juge entre toi et moi! Songe, dit-elle, à tout ce que j'ai fait pour te consoler ; afin de te rendre père dans ta vieillesse, j'ai élevé ma servante jusqu'à moi : et toi, voyant son ingratitude, tu ne m'as pas vengée , tu n'as rien fait pour me récompenser de ma bonne volonté à ton égard. Que Dieu juge entre toi et moi! Lui qui connaît les secrets des coeurs sera notre juge, j'ai mis ta satisfaction au-dessus de tous mes désirs, j'ai conduit ma servante dans ton lit: et toi, tu n'en as conçu aucune reconnaissance, tu permets à cette servante de se révolter contre ma bonté, et tu ne réprimes pas son audace, et tu ne punis point son ingratitude !

Que fit alors cet homme inébranlable, cet invincible athlète de Dieu, qui trouvait partout l'occasion de mériter de nouvelles couronnes? Il montre encore ici sa vertu et dit à Sara : Voici ta servante dans tes mains : fais-en ce que tu voudras. Le juste montre ici beaucoup de sagesse et une extrême patience. Non-seulement il ne se fâche point des paroles de Sara, mais il lui répond avec douceur et lui dit : Tu me crois la cause de l'injure que tu as reçue et tu penses que je suis d'accord avec ta servante, parce qu'elle a une fois partagé mon lit : apprends d'abord que je n'aurais jamais consenti à l'y recevoir, si ce n'avait été par complaisance pour toi : afin que tu en sois convaincue, je la remets dans tes mains; fais-en ce que tu voudras. Ta puissance est-elle diminuée? as-tu perdu ton autorité sur cette femme? Malgré les rapports que j'ai eus avec elle, tu en es toujours maîtresse, la voilà entre tes mains, tu peux la punir, la châtier, la gourmander: fais-en ce que tu voudras et ce qu'il te plaira. Seulement ne t'irrite pas et une m'attribue point ses insolences. Comme ce n'est point la passion qui m'a porté vers elle, je n'y prends pas assez d'intérêt pour la défendre quand elle a tort. Je sais le respect qui t'est dû, je n'ignore pas l'ingratitude des domestiques. Cela ne m'inquiète ni ne me regarde, je n'ai qu'un désir, celui de te voir heureuse, tranquille, comblée d'honneur et délivrée de tout chagrin.

5. Voilà une véritable union, un mari prudent qui né discute pas trop rigoureusement les paroles de sa femme, mais condescend à la faiblesse de son sexe, songeant seulement à lui épargner des chagrins et à vivre avec elle en paix et en bonne intelligence. Que les maris y fassent attention pour imiter la douceur du juste, pour qu'ils aient envers leurs femmes autant de considération et de respect et qu'ils soient pleins d'indulgence pour ces êtres faibles, afin de resserrer les liens de la concorde. La véritable richesse, l'opulence inestimable consistent à ce que le mari et la femme soient d'accord et unis comme s'ils n'étaient qu'un seul corps. Ils seront deux dans une même chair. (Gen. II, 24.) De pareils époux, même dans la pauvreté, même dans la position la plus humble, sont les plus heureux de tous, ils goûtent le vrai plaisir et vivent dans une tranquillité constante. Ceux, au contraire, qui n'ont pas le même bonheur, mais souffrent de la jalousie et perdent les avantages de la paix, ceux-là, malgré d'immenses richesses, une table somptueuse, la noblesse et l'illustration, sont les plus malheureux des hommes; tous les jours s'élèvent entre eux des orages et des tempêtes, ils se suspectent mutuellement et ne goûtent aucun plaisir : une guerre intérieure trouble tout chez eux et les remplit d'amertume. Ici, rien de pareil; le patriarche calma par sa douceur la colère de la maîtresse et, en lui remettant sa servante, ramena la paix à la maison. Sara la maltraita et elle s'enfuit de devant elle. Quand la maîtresse eut, châtié son (262) insolence, la servante s'enfuit. C'est l'habitude des domestiques : quand ils ne peuvent faire ce qu'ils veulent, quand on s'oppose à leurs prétentions, ils rompent leur chaîne et prennent la fuite. Du reste, observez que la protection du ciel s'étend sur la servante, par égard pour le juste. Comme elle portait la race du juste, elle fut honorée de l'apparition d'un ange. L'ange du Seigneur la trouva près d'une fontaine dans le désert, sur la route de Sur.

Voyez la bonté du Seigneur qui ne dédaigne personne, même l'esclave ou la servante, et les couvre de sa providence sans regarder à la différence des rangs, mais à la disposition de l'âme. Ici, du reste, ce n'est point pour le mérite de la servante que l'ange se présente, c'est par considération pour le juste. Car, comme je l'ai déjà dit, elle était digne d'être protégée, parce qu'elle avait été digne de porter la race du juste. Quand l'ange l'eut trouvée, il lui dit : Agar, servante de Sara, d'où viens-tu et où vas-tu? Voyez comme les paroles de l'ange lui rappellent sa condition. Pour la rendre attentive, il commence par prononcer son nom, et dit : Agar. En effet, nous avons coutume de prêter l'oreille à l'appel de notre nom. Ensuite il dit : servante de Sara, pour la faire souvenir de sa maîtresse et lui faire savoir que, bien qu'elle ait partagé la couche de son maître, elle a toujours Sara pour maîtresse. Voyez maintenant comment l'ange l'interroge pour la forcer à répondre. D'où es-tu venue, dit-il, dans ce désert et où vas-tu? L'ange apparaît dans ce désert afin qu'elle ne croie pas que celui qui l'interroge est un voyageur ordinaire c'était un désert, et personne que lui ne paraissait en ce lieu. Voilà donc pourquoi il se montra dans cette solitude, lui faisant comprendre ainsi que son interlocuteur n'était pas le premier venu, et il la questionna. Et elle dit : Je fuis ma maîtresse Sara. Vous voyez qu'elle avoue sa sujétion et qu'elle convient de tout. Celui qui m'interroge, pense-t-elle; n'est pas tan homme que je puisse tromper. Il m'a d'abord dit mon nom et celui de ma maîtresse; je dois donc lui répondre la vérité. Je fuis ma maîtresse Sara. Voyez comme elle parle de sa maîtresse sans colère. Elle ne dit point : elle m'a fait souffrir, elle m'a maltraitée, je ne puis supporter sa persécution et je me suis enfuie; elle ne dit rien d'amer et s'accuse elle-même comme fugitive : voyez quelle franchise ! Remarquez aussi ce que l'ange lui dit encore : L'ange du Seigneur lui dit : Retourne vers ta maîtresse et humilie-toi sous sa main. A ces paroles : Je fuis ma maîtresse, il répond : Retourne, et ne sois pas ingrate envers une maîtresse qui a tout fait pour toi. Ensuite, comme elle avait irrité sa maîtresse par son insolence et son orgueil, il dit: Humilie-toi sous sa main, sois-lui soumise, c'est ton avantage. Reconnais ta servitude, ne méconnais pas son autorité, n'aie pas de trop hautes pensées et ne t'estime pas plus que tu ne vaux. Humilie-toi sous sa main, obéis-lui toujours. Ainsi, les paroles de l'ange suffirent pour adoucir son âme, abaisser son orgueil, apaiser sa colère et calmer son esprit.

6. Ensuite, pour qu'elle ne croie pas que la Providence s'exerçait sur elle au hasard et sans une raison déterminée, afin qu'elle sache qu'une pareille bienveillance s'attachait à la race du juste, voyez de quelle nature sont les consolations que l'ange lui donne pour relever son esprit et de quelle manière il y parvient. L'ange du Seigneur lui dit : Je multiplierai ta race, qui sera un peuple innombrable. Ainsi, je te prédis que ta race ne pourra se compter. Ne succombes donc pas au découragement, que ton esprit ne se trouble pas, mais reste dans l'obéissance. Tu es grosse, et tu enfanteras un fils, et tu l'appelleras Ismaël. Ainsi, je t'annonce d'avance ton enfantement, et je donne dès à présent un nom à ton fils encore à naître, afin qu'après cette assurance, tu reviennes et tu te corriges de tes fautes, parce que le Seigneur t'a écoutée dans ton abaissement.

Apprenons par là tout l'avantage des afflictions, toute l'utilité des malheurs. Après une si grande prospérité, après. s'être vue sur le même rang que sa maîtresse, elle s'était enfuie, accablée de douleur, entourée d'afflictions, au milieu de la solitude, du désert et des souffrances. Aussi le secours ne s'est pas fait attendre. Voici, dit l'ange, ce que je te promets: tu enfanteras un fils, et ta postérité sera innombrable, parce que le Seigneur t'a écoutée dans ton abaissement.

Ainsi ne nous chagrinons point si les circonstances nous abaissent. Rien ne convient mieux à notre nature que la soumission et l'abaissement de notre esprit, ainsi que l'humiliation de notre orgueil. Jamais le Seigneur ne nous écoute mieux que si nous l'invoquons l'âme, affligée et le coeur contrit, en (263) renouvelant nos prières avec plus d'assiduité. Le Seigneur t'a écoutée dans ton abaissement, dit l'ange. Ensuite il montre l'intérêt attaché à l'enfant qui doit naître. Ce sera un homme sauvage : sa main sera contre tous, et la main de tous contre lui : il habitera en face de tous ses frères. Cela fait prévoir qu'il sera courageux, belliqueux, et s'occupera à cultiver la terre. Voyez, d'après ce qui arrive à cette servante, quelle considération s'attachait au patriarche ! Tout ce qui est fait pour elle, montre la bienveillance du Seigneur pour le juste. Après avoir adressé à Agar ces conseils et ces prédictions, l'ange disparut. Mais voyez encore la franchise de la servante. Elle invoqua le nom du Seigneur qui lui parlait. Tu es le Dieu qui m'a vue, car elle dit : J'ai vu en face celui qui m'est apparu. Aussi elle appela ce puits, le puits où j'ai vu en face. Il est entre Cadès et Barach. Voyez comme elle veut laisser de cet endroit un éternel souvenir, en lui imposant un nom; en effet, elle l'appela le puits où j'ai vu en face. Ainsi les afflictions de cette servante l'ont amenée peu à peu à se corriger, à montrer sa reconnaissance pour sa bienfaitrice, et à remercier la puissance qui l'avait tellement protégée. Et Agar enfanta un fils à Abraham, qui donna au fils d'Agar le nom d'Ismaël.

7. Apprenons par là quel est l'avantage de la douceur, et quel profit l'on peut tirer même des afflictions. La douceur que montra le patriarche à Sara en apaisant sa colère et en lui donnant tout pouvoir sur sa servante, ramena la paix dans la maison; et de son côté, cette servante nous montre l'utilité dés afflictions. Pleine de chagrin, elle avait fui sa maîtresse et était restée bien malheureuse; mais, dans la douleur de son âme, elle appela le Seigneur et elle fut aussitôt honorée de la présence d'un envoyé céleste. Pour lui montrer que son humiliation et son affliction l'avaient rendue digne d'une pareille assistance, l'ange lui dit : Tu es grosse, tu enfanteras un fils, et tu l'appelleras Ismaël, parce que le Seigneur t'a écoutée dans ton abaissement.

Comprenons donc, mes bien-aimés, que si nous veillons sur nous-mêmes, nos afflictions nous rapprocheront du Seigneur, et que nous obtiendrons surtout son appui quand nous nous présenterons devant lui l'âme souffrante et pleurant des larmes amères. ne nous chagrinons donc pas, dans nos tribulations, mais pensons que ces tribulations mêmes peuvent nous tourner à bien, si nous les supportons avec douceur. Apprenons à être humains et indulgents envers tout le monde, surtout envers nos femmes. Ayons surtout bien soin, quand elles nous accusent, soit à tort, soit à raison, de ne pas tout juger avec rigueur, et songeons seulement à écarter de nous toute cause de contrariété et de rendre inébranlable la paix domestique. La femme alors aura toujours recours à son mari, et le mari viendra près de sa femme comme dans un port tranquille, chercher un refuge dans toutes les affaires et les agitations extérieures, sûr d'y trouver une consolation à toutes ses peines. En effet, la femme a été donnée au mari comme un secours qui lui permette de résister à tous les coups du sort. Si elle est bonne et douce, non-seulement elle procurera à son mari les consolations de la vie à deux, mais elle lui sera encore utile de mille manières, elle rendra pour lui toute chose facile et légère, et l'empêchera de souffrir des difficultés qui naissent chaque jour dans l'intérieur de la maison ou à l'extérieur. Semblable à un bon pilote, elle changera par sa sagesse toute tempête de l'âme en calme, et sa prudence saura tout adoucir. Ceux qui seront bien unis ne trouveront, même dans la vie présente, rien qui trouble leur bonheur. Quand la concorde, la paix et le lien de l'affection existent entre le mari et la femme, tous les biens leur surviennent, rien ne peut leur nuire, un mur inexpugnable les entouré, je veux dire l'union en Dieu. Ce rempart les rendra plus invincibles que le diamant, plus solides que le fer, ils seront comblés de richesses et d'opulence; enfin, ils jouiront de la gloire céleste , et obtiendront de Dieu les bénédictions les plus abondantes. Aussi, je vous en conjure, ne préférons rien à ce trésor, mais employons toutes nos actions et tous nos efforts à obtenir ce calme et ce repos de l'intérieur. Alors les enfants imiteront les vertus de leurs parents, les serviteurs en feront autant, et la vertu sera la règle de la maison, qui se verra comblée de prospérité ! Si nous préférons ce qui vient de Dieu, tout le reste s'en suivra, nous n'éprouverons aucune peine, et la bonté divine nous fournira tout en abondance. Ainsi , pour passer sans tristesse la vie d'ici-bas et obtenir de plus en plus la bienveillance du Seigneur, pratiquons la vertu, cherchons à faire régner chez nous (264) la concorde et la paix, soignons l'éducation des enfants et les moeurs des serviteurs; alors, par notre reconnaissance pour tant de largesses, nous mériterons les biens qui nous ont été annoncés, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

 

TRENTE-NEUVIÈME HOMÉLIE. Quand Abraham eut quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui apparut (Gen. XVII, 1.)
ANALYSE.

1. Quand Dieu parle et promet, l'homme doit lui accorder tonte confiance. Nous ne devons point mesurer ses oeuvres à notre faiblesse. — 2. Pourquoi Dieu, en temporisant, a-t-il éprouvé Abraham? Comment doit s'entendre ce mot : apparut ? — 3. Etymologie des noms d'Abraham et de Noé. Les infidèles prophétisent. — 4. Raison de la circoncision. Que la circoncision ne confère aucun bien spirituel. — 5. Exhortation.

1. Vous avez vu, mes bien-aimés, qu'il n'y a rien d'inutile dans l'Ecriture sainte, et que nous avons tiré hier un grand profit de l'histoire d'Agar fugitive. Nous, avons connu la grande douceur du patriarche, l'excès de sa continence, le respect qu'il montra à Sara, et l'estime qu'il faisait de la concorde au-dessus de tous les autres biens. Nous avons vu la bonté infinie de Dieu qui, par égard pour le patriarche, non-seulement ramène Agar errant dans le désert où elle s'était enfuie par crainte de sa maîtresse, mais la rend mère d'Ismaël, afin de consoler le juste et de le récompenser de sa patience. Quand Ismaël fut venu au monde, l'Ecriture sainte , voulant nous donner l'âge du Patriarche, et nous indiquer le nombre de ses années, nous dit Quand Ismaël vint au monde, Abram avait quatre-vingt-six ans. (Gen. 16.) Voyons ici, comme nous le vérifierons par la suite, l'admirable patience du juste, et la bonté inouïe et infinie du Seigneur. Nous en serons convaincus, si nous pouvons calculer l'âge du juste; nous reconnaîtrons que la bonté de Dieu dispose tout en sa faveur et le met à l'épreuve en toute occasion pour mieux faire éclater sa piété. Il prévoyait la reconnaissance de son serviteur, appréciait toute la beauté de son âme et la pureté de cette perle si précieuse, mais il voulait la faire briller maintenant même, devant nos yeux, pour que la vertu du juste laissât à la postérité un modèle à imiter pour notre émulation. Aussi nous dévoile-t-il peu à peu le trésor de vertu de juste, pour que nous apprenions nous-mêmes à ne jamais manquer de confiance dans les prédictions divines, à ne pas nous décourager dans l'attente, mais à mettre moins d'espoir dans les choses que l'on voit et que l'on touche, que dans les choses invisibles, dès que c'est Dieu qui les a promises. Nous comprenons ainsi que les prédictions divines ne peuvent jamais manquer de s'accomplir; si pendant longtemps elles ne se réalisent pas, nous ne devons point nous en embarrasser l'esprit, mais penser à la puissance irrésistible et invincible de celui qui les a faites, et nous dire (265) que tout ce qu'il voudra se fera, puisque tout lui cède et lui obéit. En effet, puisqu'il est le Maître et le Créateur de la nature, il peut aussi nous accorder des choses surnaturelles.

N'allons point mesurer les oeuvres de Dieu à notre faiblesse et nous,tourmenter des lois de la nature; mais, en fidèles serviteurs, reconnaissons le pouvoir immense de Notre-Seigneur, croyons à ses promesses et mettonsn-ous au-dessus de notre faiblesse naturelle pour jouir des faveurs qui nous sont annoncées, mériter sa bienveillance et l'honorer de toutes nos forces. Car le plus grand honneur que nous puissions lui rendre, c'est de nous confier à sa puissance, quand même les yeux de notre chair nous feraient voir le contraire. Et comment s'étonner que le plus grand hommage rendu à Dieu soit de rejeter le doute? Avec nos semblables, lorsqu'ils nous font des promesses sujettes au changement des choses périssables, si nous n'en doutons point, si nous y avons confiance, cette absence de doute, cette confiance sont regardées comme le plus grand honneur que nous puissions leur faire. S'il en est ainsi à l'égard des hommes si changeants et si impuissants, ne devons-nous pas croire bien mieux encore à ce qui nous est annoncé par Dieu, même quand ses promesses ne doivent se réaliser qu'après un long intervalle de temps? Ce n'est pas sans raison que je vous parle ainsi, c'est afin de vous mettre à même, lorsque nous aborderons la lecture d'aujourd'hui, de comprendre comment le bon Dieu, voulant illustrer le patriarche, - exerce sa patience pendant tant d'années durant lesquelles celui-ci ne s'abandonnait point au chagrin, à l'indifférence, au désespoir, mais nourrissait toujours sa piété par son espérance. Or, pour apprécier toute la vertu du patriarche, il est bon de savoir combien il a vécu. C'est ce que nous dit clairement le bienheureux Moïse, inspiré du Saint-Esprit. Que dit-il donc? Quand le juste eut obéi aux ordres de Dieu et quitté Charran pour aller dans la terre de Chanaan, il avait soixante-dix ans. Aussitôt qu'il fut venu dans cette terre, Dieu lui promit qu'il la donnerait tout entière à sa race, laquelle se multiplierait 'au point d'être innombrable comme le sable et les étoiles. Après cette promesse, il arriva au juste bien des aventures, sa descente en Egypte à cause de la famine, l'enlèvement de Sara, suivi aussitôt d'un effet de la divine providence, son retour d'Egypte, la nouvelle insulte que reçoit Sara du roi des Gérariens et le secours que Dieu leur donne encore. Eh bien! le juste voyant que tant d'événements contraires succédaient à cette promesse, n'avait aucune inquiétude et ne se demandait point pourquoi toutes ces assurances ne le préservaient pas de mille contrariétés, et pourquoi il restait si longtemps sans enfants. Rempli de piété, il ne voulait pas soumettre les actions de Dieu à la raison humaine, mais il s'y résignait et acceptait avec plaisir tout ce qui plaisait à Dieu.

2. Dix ans après il regarda Ismaël comme l'enfant pour lequel la prédiction devait s'accomplir. Car le patriarche, à la naissance d'Ismaël, avait quatre-vingt-six ans. Mais le bon Dieu exerce encore sa patience pendant treize ans, jusqu'à l'accomplissement de sa promesse. Il savait, en effet, que, l'or se purifiant avec le temps dans la fournaise, la vertu du juste prenait aussi plus de gloire et d'éclat. Quand Abram eut quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui apparut de nouveau. Et pourquoi cette longue attente? Pour nous faire connaître, non-seulement la vertu du juste et sa patience, mais aussi la grandeur de la puissance divine. Mais il faut entendre les paroles mêmes de Dieu. Quand il eut quatre-vingt-dix-neuf ans, Dieu lui apparut et lui dit : Par ces mots lui apparut, n'entendez rien de matériel, et ne croyez pas que les yeux de la chair puissent voir la puissance divine et immuable, mais considérez tout religieusement. Dieu lui apparut, c'est-à-dire, daigna communiquer avec lui, et le jugea digne de sa providence, en s'abaissant jusqu'à lui parler : Je suis ton Dieu, cherche à me plaire et à être irréprochable; je mettrai mon alliance entre toi et moi, et je te multiplierai abondamment. Et Abram tomba sur sa face. Quelle reconnaissance de la part du juste, quelle bonté de la part de Dieu ! Je suis ton Dieu. C'est comme s'il disait : c'est moi qui ai veillé sur toi jusqu'à présent; c'est moi qui t'ai amené de ton pays jusqu'ici, qui t'ai soutenu dans tous les temps, et qui t'ai rendu vainqueur de tes ennemis : c'est moi qui ai fait cela ! Il ne dit pas je suis Dieu, mais je suis ton Dieu. Voyez quelle immense bonté ! comme par l'addition de ce mot, il exprime son amour pour le juste ! C'est le Dieu de toute la terre, l'ouvrier dont la main a tout fait, le Créateur du ciel et de la terre, c'est lui-même qui dit . Je suis ton (266) Dieu ! quel honneur pour le juste ! c'est ainsi qu'il parle aux prophètes. Sans douté, alors et maintenant, il est le Seigneur de tous, et néanmoins il daigne se désigner par le nom d'un serviteur, et nous l'entendrons dire encore : Je suis le Dieu d' Abraham , le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob. (Exod. III, 6.) Aussi les prophètes disent d'ordinaire : Dieu, mon Dieu, non pour restreindre dans les limites de leur propre personne , la domination de Dieu, mais pour montrer jusqu'où allait leur amour. Cela ne doit pas nous étonner de la part des hommes, mais de la part de Dieu lui-même cela peut nous paraître étrange et extraordinaire. N'en soyons pas surpris , mes bien-aimés, mais écoutons les paroles du Prophète : Mieux vaut, un seul homme qui observe la volonté du Seigneur, que mille qui la transgressent (Eccl. XVI, 3); écoutons,aussi les paroles de saint Paul : Ils portaient des peaux de brebis, de chèvres, ils étaient indigents, tourmentés , affligés, et le monde n'était pas digne de les posséder. (Héb. XI, 37, 38.)

Ainsi le Prophète dit qu'un seul homme faisant la volonté de Dieu vaut mieux que mille qui s'en écartent, et saint Paul, le docteur de la terre, rappelant tous les hommes de bien dont il connaît les souffrances, dit encore : Le monde n'était pas digne de les posséder. D'un côté il met le monde entier , de l'autre ceux qui souffrent pour nous apprendre toute la puissance de la vertu. Aussi le Créateur dit au patriarche : Je suis ton Dieu; cherche â me plaire et à être irréprochable. Je te tiendrai compte des efforts de ta vertu ; je ferai une alliance entre toi et moi, et je te multiplierai abondamment. Non-seulement je te multiplierai, mais, abondamment, ce qui indique une grande postérité : ce qu'il avait exprimé antérieurement par la comparaison du sable et des astres, il l'exprime maintenant par ce mot abondamment. Ce serviteur pieux et reconnaissant, voyant que Dieu s'abaissait jusqu'à prendre un soin pareil, fut ému en songeant à la faiblesse de sa nature, à la bonté de Dieu, et à sa puissance infinie. Il tomba sur sa face; ce qui montrait bien toute sa reconnaissance. Une pareille faveur ne lui inspira pas d'arrogante ni d'orgueil, mais une nouvelle humilité Il tomba sur sa face. Telle est la véritable reconnaissance qui honore Dieu d'autant plus qu'elle en est plus favorisée. Il tomba sur sa face. Le juste n'osait plus jeter les yeux sur lui-même et sur la faiblesse de sa nature; il n'osait se relever, mais son abaissement montrait son respect : voyez maintenant combien Dieu l'appréciait. Dieu lui parla, disant : J'ai fait une alliance avec toi et tu seras le père d'une multitude de nations: tu ne t'appelleras plus Abram, mais Abraham, parce que je t'ai établi pour être le père de plusieurs peuples, et je te ferai croître : je ferai sortir de toi des nations et même des rois.

3. Considérez, mes bien-aimés, la clarté de ces prédictions faites au juste; voyez que pour les confirmer, il ajoute une lettre à son nom, et dit : Tu seras le père d’une multitude de nations : tu ne t'appelleras plus Abram , mais Abraham, parce que je t'ai établi pour être le père de plusieurs peuples. En effet, son premier nom indique ses voyages ( car Abram signifie voyageur, comme le savent ceux qui connaissent l'hébreu); ses parents l'avaient appelé ainsi quand il partit pour la terre de Chanaan. On dira peut-être : ses parents étant infidèles, d'où leur venait cette prescience d'indiquer l'avenir parle nom qu'ils donnaient ? C'est là une ressource de la sagesse de Dieu, qui agit souvent par l'entremise des infidèles et nous en trouvons bien d'autres exemples. Le premier qui nous vient à l'esprit est le nom de Noé. Ce n'est pas sans raison, ni au hasard que ses parents lui avaient donné ce nom; ils présageaient que, dans cinq cents ans, devait venir le déluge. Ce n'est pas que son père fût lui-même un juste parce qu'il a donné ce nom à son fils, car l'Ecriture sainte nous apprend que dans cette génération, Noé seul fut un juste accompli. (Gen. VI, 9.) Si son père Lamech lui avait offert le modèle des vertus, l'Ecriture ne l'aurait point passé sous silence, et n'aurait pas dit : Noé seul était juste. Voulant donner un nom à son fils, il dit : Il s'appellera Noé; il nous donnera le repos après nos travaux et la fatigue de nos mains, sur cette terre que le Seigneur Dieu a maudite. (Gen. V, 29.) D'où venait, dites-moi, cette prescience d'un avenir si éloigné? Il s'appellera Noé; il nous donnera le repos, Noé, en hébreu , signifie, repos. C'était lui, lorsque la terre serait envahie par le déluge, qui devait seul se sauver et renouveler la race humaine aussi est-il dit : il nous donnera le repos; ce mot de repos signifiant ici le déluge. En effet, la terre était comme fatiguée par la perversité (267) de ses habitants qu'elle supportait avec peine , lorsque le déluge, par la terrible invasion des eaux, mit fin à cette perversité , délivra la terre de la souillure de ses habitants et les punit en lui donnant le repos : Car la mort est le repos pour l'homme. (Job, III, 23.) Vous voyez donc que Dieu fait souvent prédire même par les infidèles. Quant au nom que les parents du patriarche lui avaient donné , on en sait la cause dès l'origine, lorsqu'il passa le fleuve pour aller dans une terre étrangère.

Maintenant Dieu lui dit : tes parents t'ont donné ce nom pour présager que tu devais venir ici : j'y ajoute une lettre pour t'apprendre que tu seras père d'une multitude de nations. Voyez quelle précision dans ces paroles. Il ne dit pas de toutes les nations, mais : d'une multitude de nations. Comme d'autres peuples devaient être mis à l'écart, pour que la race du juste eût seule part à son héritage , Dieu dit : Je t'ai établi pour être père dune multitude de nations; connaissant toute ta vertu je me servirai de toi pour instruire le monde: je te multiplierai de plus en plus et je ferai sortir de toi des peuples et même des rois. Arrêtons-nous sur ces paroles, mes bien-aimés. En songeant à l'âge du juste et à son extrême vieillesse, nous admirerons sa foi et la puissance de Dieu d'un homme déjà mort, pour ainsi dire, et impuissant en apparence, qui devait avoir toujours la mort devant les yeux , Dieu prédit qu'il sortira une race innombrable et plusieurs nations , même jusqu'à des rois.

Voyez l'étendue de ces promesses : Je te multiplierai de plus en plus. Ce mot est répété pour indiquer l'immense multitude qui doit naître du juste. Ainsi l'addition d'une lettre est comme une colonne où Dieu inscrit sa promesse, et il dit de nouveau : Je ferai une alliance entre toi et moi, et avec ta postérité après toi dans toutes les générations; comme une alliance éternelle, pour que je sois ton Dieu. Non-seulement je t’accorderai ma protection, mais aussi à ta race et après ta mort. Voyez comme il relève d'esprit du juste en lui promettant qu'il soutiendra toujours ses descendants. Et pourquoi cette alliance? Pour que je sois ton Dieu, et celui de ta race après toi. Ce sera pour toi et ta race le comble de l'honneur. Je te donnerai à toi et à ta race la terre que tu habites, toute la terre de Chanaan, en possession perpétuelle, et je serai leur Dieu. Grâce à ta vertu, tes descendants jouiront de ma providence et je leur donnerai en possession perpétuelle cette terre de Chanaan, et je serai leur Dieu. Que veut dire, je serai leur Dieu? Cela signifie : J'étendrai sur eux mes soins et ma protection et je combattrai toujours avec eux. Seulement tu garderas mon alliance, toi et ta postérité après toi dans toutes les générations. Je ne vous demande rien que l'obéissance et la reconnaissance, et j'accomplirai toutes mes promesses.

4. Voulant se faire un peuple à lui des fils du patriarche et les empêcher de se mêler, après qu'ils se seraient multipliés, aux nations dont ils devaient recueillir l'héritage; voulant aussi éviter ce mélange en Egypte, où, d'après sa prédiction, ils devaient être asservis, il ordonne au juste la circoncision, comme signe de reconnaissance, et lui dit : Voici mon alliance que tu garderas entre moi et toi, ainsi que ta race pendant toutes les générations. Que chaque mâle soit circoncis. Vous circoncirez la chair de votre prépuce. Ensuite pour leur enseigner, ainsi qu'à nous tous, la raison de cet ordre, qui n'avait d'autre cause que de se faire un peuple réservé et mis à part, il dit : Ce sera la marque de l'alliance entre moi et vous. Après cela, il indique le temps où cela doit se faire : Circoncisez le garçon de huit jours, le serviteur né dans la maison, ou l'esclave acheté; en un mot, tous ceux qui sont avec vous recevront cette marque. Celui qui n'aura pas été circoncis dans le temps prescrit périra, parce qu'il aura violé mon alliance.

Voyez la sagesse du Seigneur ! comme il connaissait l'imperfection des hommes à venir, il leur impose comme un frein cette marque de la circoncision, pour dompter leurs mauvais penchants et les empêcher de se mêler aux autres nations. Il connaissait leur penchant au mal, et savait que, malgré une foule d'avertissements, leurs mauvaises passions ne seraient point enchaînées. Aussi, comme souvenir impérissable, il leur imposa ce signe de la circoncision, comme un lien qui les soumît à des lois infranchissables, pour rester fidèles à leur nation et ne jamais se mêler aux autres peuples, afin que la race du patriarche restât pure et reçût l'accomplissement des promesses divines. De même qu'un homme doux et sage qui a une servante portée à désobéir, lui donne l'ordre précis de ne point quitter la maison, et que quelquefois même il l'enchaîne pour contenir son instinct vagabond; de même Dieu, dans sa bonté, leur imposa le signe de la circoncision (268) comme une entrave, afin que cette marque particulière les empêchât d'aller rien chercher chez les autres.

Mais les Juifs ingrats et insensés veulent garder encore la circoncision dont il n'est plus besoin, et montrent ainsi leur puérilité. En effet, pour quelle raison, dites-moi, veulent-ils maintenant être circoncis ? Alors ils avaient reçu ce précepte pour ne pas se mêler aux nations impies, mais maintenant que la grâce de Dieu les a toutes amenées à la lumière de la vérité, à quoi sert la circoncision ? Cet enlèvement d'un morceau de chair peut-il servir à délivrer notre âme? N'ont-ils donc pas compris que si Dieu leur disait : ce sera le signe de l'alliance, il voulait dire que leur faiblesse réclamait une marque particulière? C'est ce qui arrive d'ordinaire dans les choses humaines. Quand nous doutons de quelqu'un, nous réclamons une preuve qui nous assure de sa bonne foi. De même le Tout-Puissant, connaissant l'inconstance de leur esprit, exigea d'eux ce signe, non pour le conserver toujours, mais pour qu'il disparût quand la loi antique aurait pris fin et que ce signe serait devenu inutile. Ceux qui ont réclamé une preuve de bonne foi la laissent de côté quand l'affaire est terminée ; de même ici , cette marque avait été introduite parmi vous pour distinguer la postérité du patriarche ; mais après que ces nations dont vous étiez ainsi séparées ont été, les unes détruites, les autres appelées au grand jour de la vérité, cessez de porter la preuve de votre faiblesse et revenez à votre nature primitive. Songez en effet que cet homme admirable, c'est-à-dire le patriarche, avant d'avoir reçu l'ordre de la circoncision (il était alors âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans), avait été agréable à Dieu et avait été mille fois loué par le Seigneur. Maintenant que les promesses allaient s'accomplir, qu'Isaac allait venir au monde, que la race allait s'accroître et que le patriarche approchait de sa fin, il reçoit le précepte de, la circoncision, et lui-même s'y soumet à son âge, afin que son exemple devienne une règle pour ses descendants.

5. Les faits eux-mêmes vous montreront, mes bien-aimés, que cet usage ne sert en rien à l'âme. Que dit Dieu? Le garçon de huit jours sera circoncis. Je crois qu'il a eu deux raisons de prescrire ce terme; l'une parce que, dans un âge si tendre, l'opération est moins douloureuse; l'autre, pour indiquer que ce n'est qu'une marque, sans utilité pour l'âme. L'enfant nouveau-né, qui ne connaît et ne comprend rien, quel avantage peut-il en recevoir? Ce qui peut être bon pour l'âme lui arrive par son propre choix. Ce qui est bon pour l'âme, c'est de préférer la vertu au vice, c'est de ne désirer que le nécessaire, et de distribuer le superflu aux indigents; ce qui est bon pour l'âme, c'est de ne pas s'attacher au présent et même de le mépriser, en pensant toujours à l'avenir. Quel bien peut-il y avoir dans un signe charnel? Mais les Juifs ingrats et insensés, quand la vérité a passé, restent encore dans l'ombre; tandis que le Soleil de la justice s'est levé et a répandu partout ses rayons, ils ne s'éclairent qu'à la lueur de leur lampe; lorsqu'il est temps de goûter des aliments solides, ils se nourrissent encore de lait et ne veulent pas entendre la voix de saint Paul, qui leur dit d'une manière si puissante, au sujet de leur patriarche : Il reçut la marque de la circoncision comme le signe de la justice qu'il avait eue par la foi. (Rom. IV, 11.)

Voyez comme l'Apôtre nous montre que ce n'était qu'un signe, et que cette circoncision montrait que sa foi l'avait justifié. Qu'un juif n'ose pas nous dire: n'est-ce point la circoncision qui l'a justifié? le même saint, élevé par Gamaliel (Act. XXII, 3) et, connaissant si profondément la loi, lui dira : Ne croyez pas, juifs impudents, que la circoncision fasse quelque chose pour justifier, car, avant ce temps, Abraham crut à Dieu et sa foi lui fut réputée à justice. (Rom. IV, 3.) C'est donc après avoir été justifié par sa foi qu'il reçut la circoncision. Dieu commence par ajouter une lettre à son nom, puis lui ordonne de se circoncire, ce qui montre que le Seigneur l'a adopté pour sa vertu, ainsi que sa postérité. De même que celui qui a acheté un esclave, change souvent son nom et son costume, pour constater qu'il en est le maître et qu'il peut lui commander; de même le Seigneur de toutes choses, voulant distinguer le patriarche des autres hommes, ajoute une lettre à son nom pour faire voir qu'il sera père d'une multitude infinie, puis il le fait circoncire pour le séparer, ainsi que son peuple, des autres nations. Ceux dont l'aveuglement veut encore la conserver, n'écoutent pas ces autres paroles de saint Paul : Si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien.. (Galat. V; 2.) En effet, le Seigneur est (269) venu pour supprimer cette pratique, et la loi étant accomplie, l'observation de la loi doit finir; aussi saint Paul dit-il : Si vous vous justifiez par la loi, vous perdez la grâce. (Gal. V, 4.) Obéissons donc à ce saint, et ne pratiquons plus la circoncision, car il a dit : Vous avez été circoncis, non point dans la chair, mais par le retranchement des péchés de la chair; c'est la circoncision du Christ. (Colos. II,11.)

Ce signe de la circoncision séparait les Juifs des autres nations, et montrait que Dieu les avait choisis en particulier; de même notre circoncision parle baptême montre mieux-la séparation des fidèles et des infidèles. Nous ne sommes point circoncis dans la chair, mais par le retranchement des péchés de la chair. Car ce que faisait la circoncision de la chair, le baptême le fait en supprimant nos péchés. Une fois que nous nous en sommes dépouillés et que nous avons revêtu la robe de pureté, persévérons, mes bien-aimés, dans cette pureté, et restons supérieurs aux affections de la chair, en embrassant la vertu. Et nous, qui sommes sous la grâce, prenons pour modèle celui qui a vécu sous la loi et même avant la loi. En dirigeant notre vie d'après la sienne, nous mériterons de nous retrouver dans son sein et de jouir des biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

QUARANTIÈME HOMÉLIE. Et Dieu dit à Abraham : " Sara ta femme ne s'appellera plus Sara, mais Sarra sera son nom. " (Gen, XXII, 1.)
ANALYSE.

1. Résumé de l'homélie précédente. Bénédiction de Dieu sur Sara qui se nommera désormais Sarra. — 2. La fidélité d'Abraham amplement récompensée. Naissance miraculeuse d'Isaac nettement prédite. — 3 et 4. Exhortation morale.

1. Nous allons vous présenter les restes de la table d'hier, et terminer aujourd'hui ce (lue nous avions à dire sur la bénédiction .et la promesse dont le Tout-Puissant honora le patriarche. Mais dans ces restes de table ne comprenez point dés restes matériels : ceux-ci ne ressemblent en rien à ceux d'un festin spirituel. Les uns, quand ils sont refroidis, n'ont plus 1a même saveur pour les convives, et si on les garde un jour ou deux, ils ne peuvent plus servir. Les autres, lorsqu'on les garde un jour ou deux, et tant qu'on veut, servent toujours aussi bien et donnent autant de plaisir. C'est qu'ils sont divins et spirituels, qu'ils ne souffrent rien du temps, qu'ils deviennent de jour en jour plus agréables et causent plus de joie à ceux qui veulent en profiter. Puisque ces restes ont tant d'efficacité, préparez-vous à là recevoir de tout votre coeur, et nous mêmes, confiants dans leur puissance, offrons-les à votre recueillement.

Mais pour que cette instruction vous paraisse plus claire, il faut vous rappeler celle d'hier pour exposer avec ordre ce que nous devons développer. Nous avons parlé hier du précepte de la circoncision, et ces paroles que (270) Dieu adresse au patriarche : Tout mâle sera circoncis chez vous, et ce sera le signe de l'alliance entre moi et vous. Le garçon de huit jours sera circoncis. Et si quelqu'un n'est pas circoncis, son âme périra, parce qu'il aura violé mon alliance. Nous avons terminé là ce que nous avons dit de la circoncision; et, afin de ne pas vous fatiguer l'esprit par trop de paroles, nous ne sommes pas allé plus loin. En effet, notre seule intention n'est pas de parler beaucoup et puis de partir; nous voulons mesurer à vos forces l'instruction contenue dans nos discours, afin que vous rapportiez chez vous quelque fruit de nos paroles. Voici donc les restes de ce discours; nous allons voir, après le précepte de la circoncision, ce que le Dieu de bonté dit au patriarche. Et Dieu, dit à Abraham : Sara ta femme ne s'appellera plus Sara, mais Sarra sera son nom. De même qu'en ajoutant une lettre à ton nom, j'ai montré que tu serais père de beaucoup de nations, de même- j'ajoute une lettre à celui de Sara, afin de faire voir que le temps approche où les promesses que je t'ai faites autrefois seraient accomplies. Sarra sera son nom. Je la bénirai et je te donnerai un fils d'elle, et je le bénirai, et il sera le chef d'une nation, et les rois des nations sortiront de lui. J'ai ajouté une lettre pour t'apprendre que toutes mes paroles vont se réaliser. Ne te décourage pas en songeant à la faiblesse de la nature, mais considère plutôt jusqu'où va ma puissance et prends confiance à ce que j'ai dit : Je la bénirai et je te donnerai un fils d'elle, et je le bénirai, et il gouvernera les nations, et les rois des nations sortiront de lui.

Une pareille prédiction dépassait la nature humaine; c'était comme si l'on avait promis de faire des hommes avec des pierres. Car ils ne différaient en rien des pierres au point de vue de la génération. La vieillesse du patriarche le rendait presque impuissant et incapable d'avoir des enfants; quant à Sara, outre sa stérilité, elle était beaucoup trop avancée en âge. Mais le juste, lorsqu'il entendit ces paroles, était persuadé que Dieu avait déjà réalisé sa promesse à, propos d'Ismaël. En effet, dans ces paroles : Je donnerai cette terre à toi et à ta race , Dieu n'indiquait pas d'une manière précise le fils que Sara devait avoir, Abraham croyait donc que la promesse était déjà accomplie. Maintenant, quand le Seigneur lui dit : Je bénirai Sarra et je te donnerai un fils d'elle, et je le bénirai, et il gouvernera les nations; puis, de plus : les rois des nations sortiront de lui; ne sachant que dire (car un homme aussi pieux ne pouvait douter des paroles de Dieu ), songeant à sa vieillesse et à la stérilité persistante de Sara, anéanti et stupéfait par la promesse de Dieu, il tomba sur sa face et se mit à rire.

2. Devant cette promesse inouïe, devant la puissance de celui qui la faisait, il tomba sur sa face et se mit à rire, c'est-à-dire qu'il fut rempli de joie. Il cherchait dans ses réflexions comment il pouvait s'accorder avec l'ordre des choses humaines qu'un centenaire eût un fils et qu'une femme stérile, et nonagénaire devînt tout à coup féconde. Telles étaient ses pensées, mais sa langue n'osait les énoncer; seulement il montra sa reconnaissance en priant pour Ismaël, comme s'il disait : Seigneur, vous m'avez assez consolé et vous avez changé en joie par la naissance d'Ismaël la douleur que j'avais d'être sans postérité. Après sa naissance je n'ai jamais cru ni même imaginé que j'aurais un fils de Sara; elle-même ne s'y attendait pas et en avait abandonné toute espérance, puisqu'elle m'avait donné Agar. Nous avons eu tous deux une grande consolation par la naissance d'Ismaël. Que ce fils, qui m'a été donné par vous, vive devant votre face, et. nous aurons assez de bonheur; et sa présence consolera notre vieillesse. Que répond à cela ce Seigneur si bon? Comme il avait éprouvé depuis longtemps la piété du juste et la foi de Sara, comme il voyait qu'ils n'attendaient rien d'eux-mêmes, l'un à cause de sa vieillesse, l'autre à cause de son âge et de sa stérilité, il dit, cela vous paraît complètement impossible: c'est pour cela que j'ai attendu si longtemps; vous saurez ainsi que les faveurs dont je dispose sont bien au-dessus de la nature humaine; tout le monde saura comme vous par ces prodiges que je suis le Maître de la nature, qu'elle obéit à toutes mes volontés et cède à tous mes ordres. Moi qui ai tiré l'être du néant, je puis, à bien plus forte raison, corriger la nature quand elle est imparfaite. Pour te donner confiance, écoute et rassure-toi , reçois un gage certain de ma parole. Voici ta femme Sara, que tu crois incapable d'enfanter à cause de sa stérilité et de sa vieillesse : elle te donnera un fils, et pour que tu n'en doutes pas, je te dirai même son nom d'avance. Ton fils encore- à naître s'appellera Isaac. Je ferai alliance avec (271) lui pour toujours et avec sa race après lui. C'est lui que je t'ai promis d'abord et dès le commencement, et c'est en lui que mes promesses seront accomplies. Je te préviens de tout cela, non-seulement parce qu'il doit naître, mais pour que tu saches comment tu l'appelleras et que j'ai fait alliance, non-seulement avec lui, mais avec sa race après lui. Ensuite ce Dieu dont les bienfaits dépassent toujours nos prières, ayant ainsi fortifié l'esprit du juste et l'ayant presque rajeuni par ses promesses, puisqu'il l'avait pour ainsi dire ramené, par ses paroles, de la mort à la vie et même à la fécondité , lui dit pour comble de libéralité: J'accomplirai toutes ces promesses et je t'accorderai en outre ce que tu m'as demandé pour Ismaël , car j'ai entendu ta prière. Je le bénirai ; je l'accroîtrai et le multiplierai de plus en plus. Il engendrera douze nations et je l'établirai sur un grand peuple. Puisqu'il est ta race, je l'accroîtrai et je le multiplierai abondamment, au point de faire sortir de lui douze nations. Mais je ferai mon alliance avec Isaac, que Sara t'enfantera â cette même époque, dans un an.

Ici, je vous prie, voyez, mes bien-aimés, comment le juste reçut en un instant la récompense de toute sa vie, et comment fut accompli en lui ce que le Christ disait à ses disciples : Celui qui laissera père, mère, famille et frères en mon nom, recevra le centuple et gagnera la vie éternelle. (Matth. XIX, 29.) Songez, je vous prie, à notre juste qui obéit sans retard à l'ordre du Seigneur et préféra une autre terre à sa patrie, voyez comme sa résignation continuelle l'éleva peu à peu au comble de la vertu, comme il devint illustre et célèbre et comment le nombre de ses descendants put être comparé à celui des étoiles. Si l'on pouvait calculer à la rigueur, on trouverait que le juste n'a pas été récompensé cent fois, mais dix mille fois. S'il a été honoré jusqu'à présent de tant de bienfaits, quelle voix pourra jamais raconter ceux qui vont suivre? Le mieux est de le dire; autant que possible, d'un seul mot. Si l'on vous dit que tous les justes, depuis cette époque jusqu'à la nôtre et jusqu'à la consommation des temps, n'ont eu et n'auront d'autre désir que de reposer dans le sein du patriarche, que peut-on dire de plus glorieux pour lui ? Vous avez apprécié sa résignation, sa vertu, sa piété et toute, sa reconnaissance pour les bienfaits du Seigneur. Quand il le fallait, il fit tout ce qui dépendait de lui, il accepta tout de bonne grâce, le plaisir et le déplaisir; aussi le Dieu de bonté lui accorda enfin le premier de tous les biens, celui qu'il désirait par-dessus tout. Remarquez, en effet, qu'il a éprouvé pendant vingt-quatre ans la vertu du juste ! Car lorsqu'il sortit de Charran pour obéir au Seigneur, il avait soixante-quinze ans, et maintenant, quand Dieu lui parla encore, il ne lui fallait qu'un an pour être centenaire.

3. Que cette histoire, mes bien-aimés, nous apprenne à être toujours résignés, et à ne jamais nous laisser abattre ni décourager par les épreuves de la vertu ; comprenons par là toute la bonté et la générosité du Seigneur qui, pour une petite offrande, nous accorde une grande récompense, non-seulement par les biens immortels de l'avenir, mais en nous comblant de ses faveurs pour soulager notre faiblesse dans ce monde. Ainsi notre patriarche, pendant cet espace de temps, eut sans doute à supporter de rudes épreuves, mais ses adversités étaient toujours entremêlées de moments heureux. Car le Tout-Puissant, indulgent pour notre faiblesse, ne nous abandonne pas au milieu des adversités qu'il nous serait impossible de supporter; il se bâte de venir à notre secours, il ranime notre courage et rappelle notre raison ; de même il ne nous laisse pas trop longtemps dans la prospérité qui nous rendrait négligents et favoriserait nos mauvaises inclinations. En effet, la nature humaine, au milieu de la prospérité, s'oublie quelquefois, et sort des bornes qui lui conviennent; aussi notre Père qui nous aime, tantôt nous favorise et tantôt nous éprouve, afin de veiller,de toute manière à notre salut. De même qu'un médecin, lorsqu'il soigne un malade, ne le soumet pas toujours à la diète et ne lui laisse pas toujours satisfaire sa faim, de peur que son avidité n'augmente sa fièvre ou que la privation ne l'affaiblisse; il ménage les forces du malade, et il emploie tout son art à lui être utile. C'est ainsi que le bon Dieu, sachant ce qui convient à chacun de nous, tantôt nous fait jouir de la prospérité, tantôt nous soumet à des épreuves pour nous exercer à la vertu. Ceux dont le mérite est déjà digne d'éloges brillent d'un nouvel éclat au milieu des épreuves et reçoivent une nouvelle grâce d'en-haut; en même temps les pécheurs qui acceptent de bon coeur ces épreuves, sont délivrés du fardeau de leurs péchés, et obtiennent leur pardon. Aussi (272) je vous en supplie, connaissant l'intelligence et la sagesse du médecin de nos âmes, ne discutons jamais les soins qu'il nous donne. Si notre esprit ne peut les comprendre, c'est une raison de plus pour admirer les desseins de Dieu et de glorifier le Seigneur, dont notre raison et la pensée humaine ne peut apprécier la sagesse. Nous ne savons pas aussi bien que lui ce qui nous convient; nous ne veillons pas à notre salut comme il y veille lui-même, car il fait tous ses efforts pour nous attirer à la vertu et nous sauver des mains du démon. S'il voit que la prospérité ne nous est pas avantageuse, il fait comme un bon médecin qui nous soigne dans l'obésité produite par notre gourmandise et qui nous guérit par la sobriété. De même cet admirable médecin de nos âmes permet que nous soyons un peu éprouvés pour nous faire comprendre les dangers de la prospérité, mais quand il voit que nous sommes revenus à la santé, il nous délivre de nos épreuves et nous accorde ses faveurs avec abondance. Si donc des personnes vertueuses sont soumises à quelques épreuves, qu'elles ne s'en troublent pas, mais qu'elles en conçoivent une meilleure espérance , et qu'elles les regardent comme l'origine de couronnes et de récompenses nouvelles. Si des pécheurs tombent dans l'adversité qu'ils ne se révoltent point, sachant que les péchés sont purifiés par le malheur, pourvu qu'on accepte tout de bonne grâce. En effet, un serviteur reconnaissant doit remercier son maître, non-seulement quand il en reçoit tout à souhait, mais aussi dans les privations. C'est ainsi que le patriarche devint illustre et fut honoré de la faveur de Dieu qui lui prodigua des bienfaits au-dessus de la nature humaine.

4. Il faut maintenant reprendre la suite de notre discours et remarquer l'obéissance du juste . qui exécuta l'ordre de Dieu sans en rechercher la raison et sans en demander la cause, comme font tant d'insensés qui discutent les oeuvres de Dieu, ét disent pourquoi ceci ? pourquoi cela? à quoi sert ceci, à quoi sert cela? Tel n'était pas le juste; comme un serviteur dévoué, il accomplit l'ordre sans chercher au delà, vous allez encore le voir par ce qui suit. Après que le Seigneur lui eut fait la promesse et eut achevé de lui parler, le juste fit aussitôt ce qui lui était commandé, et cette marque exigée par Dieu, c'est-à-dire la circoncision, il la fit aussitôt subir à Ismaël et à tous les serviteurs nés à la maison ou achetés à l'étranger. Lui-même fut circoncis. Il avait quatre-vingt-dix-neuf ans, quand il coupa la chair de son prépuce. Ismaël avait alors treize ans. Ce n'est pas sans raison que l'Ecriture rapporte ici le nombre de ses années; c'est pour montrer la grande obéissance du juste qui était alors dans l'extrême vieillesse et qui supporta volontiers la douleur pour accomplir l'ordre de Dieu; aussi on compte non-seulement lui, mais Ismaël et tous ses serviteurs; l'opération dut être pénible. Ce n'est pas la même chose, . mes bien-aimés, de couper une chair saine et une chair malade; quand les médecins coupent un membre malade la douleur n'est pas si grande, car ce membre, déjà mort pour ainsi dire, n'a plus qu'un reste de sensibilité au moment de l'amputation. Or, ce vieillard si avancé en âge, car il touchait à ses cent ans, supporta volontiers cette douleur, afin d'obéir à Dieu; en même temps il disposa son fils et ses serviteurs à montrer sans hésitation la même obéissance. Voyez, quelle vertu chez cet homme, et comme il engage toute sa maison à suivre ses traces. Ce que je disais hier, je le répète aujourd'hui; à partir de ce moment Dieu voulut que cette opération fût pratiquée sur les enfants en bas-âge, afin qu'elle fût moins douloureuse.

Considérez, mes bien-aimés, la bonté de Dieu et son ineffable bienfaisance à notre égard. Cette circoncision entraînait de la douleur et de la gêne; du reste elle n'avait d'autre avantage que de faire reconnaître ceux qui l'avaient reçue et de les séparer des autres na.. tions. Notre circoncision, je veux dire la grâce du baptême, nous guérit sans douleur et nous procure des biens innombrables; elle nous remplit de la grâce du Saint-Esprit et peut se faire à toutes les époques. On peut pratiquer dans l'enfance, dans l'âge mûr et dans la vieillesse cette circoncision immatérielle et inoffensive qui nous délivre de nos péchés et nous fait obtenir la rémission de ceux de toute notre vie.. Le bon Dieu, voyant l'excès de notre faiblesse, et reconnaissant que nos maux incurables réclamaient un remède héroïque, ainsi qu'une suprême indulgence, prit soin de notre salut et nous accorda de laver ainsi nos péchés et de régénérer notre âme ; par là, nous dépouillons le vieil homme, c'est-à-dire les oeuvres du mal , et nous revêtons l'homme nouveau, en marchant dans la route de la vertu. Mais, je vous en conjure, ne restons pas inférieurs (273) aux Juifs, ingrats et insensés. Ceux-ci, ayant reçu la marque de la circoncision, avaient grand soin de ne pas ressembler aux autres nations; du moins de ne pas avoir- de relations avec elles; car, quant à l'impiété, ils les dépassaient quelquefois. Pour nous, quand nous avons reçu le baptême, au lieu de circoncision, veillons avec soin sur notre conduite. Sans doute nous pouvons nous mêler aux infidèles, mais en restant- fidèles à nos vertus, et nous ne devons communiquer avec eux que pour les attirer à la. piété et afin que l'exemple de nos bonnes oeuvres soit un enseignement pour eux. Aussi le Tout-Puissant a permis ce mélange des bons et des méchants, des hommes pieux et des impies, afin que les méchants profitent avec les bons et que les impies soient amenés à la piété; car Dieu n'a rien tant à coeur que le salut de notre âme. Aussi, je vous en conjure, ne négligeons pas notre salut, ni celui du prochain; faisons tout ce qui dépend de nous pour que notre conduite plaise à Dieu; quant au prochain, faisons tellement éclater notre vertu que, même en gardant le silence, notre exemple soit une leçon pour tous ceux qui peuvent nous voir. Si nous sommes vertueux, nous en retirerons un grand avantage, et en même temps nous serons utiles aux infidèles ; de même, si nous négligeons notre conduite, nous en serons sévèrement punis, et nous deviendrons pour les autres une occasion de scandale. Ainsi, lorsque nous pratiquons la vertu, nous en sommes deux fois récompensés par Dieu, d'abord pour notre compte et ensuite à cause de ceux que nous engageons à la pratiquer aussi; de même, si nous faisons le mal, nous serons punis, non-seulement pour nos propres péchés, mais pour ceux où nous entraînons les autres. A Dieu ne plaise qu'aucune des personnes présentes se trouve dans cette situation; mais réglons notre conduite de manière à édifier ceux qui nous voient, afin de pouvoir nous présenter avec confiance devant le tribunal du Christ et mériter ses biens infinis ; puisse-t-il en être ainsi pour nous tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

QUARANTE-UNIÈME HOMÉLIE. " Dieu apparut à Abraham, près du chêne de Mambré, lorsqu’il était assis à la porte de sa tente à midi. " (Gen. XVIII, 1).
ANALYSE.

1-2. Saint Chrysostome se plaint amèrement à ses auditeurs de ce qu'ils fréquentent les théâtres et l'hippodrome. S'il en était de la culture des âmes comme de celle des terres, il devrait cesser de cultiver un fonds qui reste stérile malgré ses efforts. Mais la récompense ne manque jamais à celui qui sème dans les âmes, soit que la semence donne des fruits , soit qu'elle n'en donne pas. C'est la raison qui le détermine à continuer ses instructions. Si le docteur qui néglige d'annoncer la parole mérite une punition, l'auditeur qui néglige d'en profiter en mérite une également. — 3-6. Hospitalité exemplaire d'Abraham. Le patriarche exerce l'hospitalité avec empressement, il l'exerce par lui-même, il l'exerce pour plaire à Dieu. — 7. Exhortation morale.

4. C'est avec l'hésitation et le découragement dans l'âme, que je me présente aujourd'hui pour faire l'instruction. Quand je songe que, malgré nos discours et nos exhortations quotidiennes, malgré ce festin spirituel que nous vous présentons, beaucoup des personnes qui assistent à ces instructions et qui s'approchent de la table mystérieuse et terrible, perdent leurs journées à l'hippodrome, sans s'inquiéter de nos conseils; mais comme s'ils obéissaient à une habitude invincible , au premier signe du démon, ils courent d'eux-mêmes à ce spectacle impie et se laissent prendre volontairement dans les filets du malin esprit; ils ne songent plus à nos avertissements, au danger qu'ils courent et à l'inutilité de l'instruction qu'ils viennent recevoir ici; quand je songe à cela, puis-je, de bon coeur, continuer d'offrir l'aliment de la doctrine à ceux qui n'en veulent pas profiter? Ne vous étonnez pas de mon découragement. Un laboureur dont le champ reste stérile, malgré toutes ses peines et tous ses soins, n'ose plus l'ensemencer et répugne à le cultiver. Lorsqu'un malade, rebelle aux ordonnances, semble vouloir chaque jour aggraver sa maladie, son médecin l'abandonne quelquefois à ses souffrances pour que l'expérience lui serve de leçon. De même les précepteurs, voyant les enfants négliger leurs premières études et oublier ce qu'ils ont appris, ne trouvent pas de meilleur moyen pour corriger leur paresse et les ramener au travail que de les abandonner quelque temps.

Du reste, le laboureur a souvent raison de se décourager quand il voit ses pertes s'accroître avec ses fatigues et sa dépense, quand il travaille beaucoup et qu'il ne récolte rien, Le médecin a souvent raison d'abandonner son malade : car c'est le corps qu'il soigne, et il peut espérer qu'en le laissant à lui-même le sentiment de la douleur lui fera comprendre sa maladie et l'empêchera de repousser la médecine. Le précepteur rencontre trop souvent, dans les défauts du jeune âge, une juste occasion de châtier les enfants. Aujourd'hui nous chercherons à- les surpasser tous en montrant une affection paternelle à ceux qui sont en faute et en leur prouvant que s'ils y restaient, ce serait pour eux un nouveau sujet de condamnation. En effet, ce qui détourne le laboureur d'ensemencer, c'est qu'il craint que ses frais ne soient encore inutiles : mais nous n'avons pas la même inquiétude. Après avoir jeté cette semence spirituelle, si votre négligence nous empêche de rien recueillir, nous (275) n'en perdrons rien, car nous ne dépensons que l'argent qui nous est confié; et nous agis sons au nom du Seigneur. C'est aux auditeurs à rendre leurs comptes à celui qui leur redemandera ce dépôt avec usure. Mais nous ne songeons pas seulement à éviter tout reproche en faisant ce qui dépend de nous; notre désir est aussi de vous voir profiter de ce dépôt pour vous éviter la punition du serviteur qui avait caché son talent, et qui, loin de multiplier l'argent de son maître, l'avait enfoui en terre. Tels sont ceux qui écoutent ces instructions (car c'est1à ce que signifie le talent d'argent), et qui ne songent pas à le faire fructifier et multiplier. On me dira peut-être que cette parabole des talents regarde les prédicateurs : j'en conviens. Mais si nous l'examinons avec attention, nous observerons que les prédicateurs sont seulement responsables du paiement ; quant aux auditeurs, ils doivent non-seulement conserver l'argent, mais le faire valoir. Pour vous en convaincre, il faut vous rappeler cette parabole : Le maître de maison, en partant, appela ses serviteurs et leur donna à l'un cinq talents, à l'autre deux, à un troisième un seul. Longtemps après, il revint, et ses serviteurs parurent devant lui : celui qui avait reçu cinq talents, s'approcha en disant Seigneur, tu m'avais confié cinq talents; en voici cinq autres que j'ai gagnés. (Mat. XXV, 14, 15, 19; 20.) Voilà un serviteur honnête; aussi le Seigneur le récompense-t-il abondamment. Que dit-il? Allons, bon et loyal serviteur : comme tu as été fidèle pour une petite somme, je t'en confierai de plus grandes entre dans la joie de ton maître. (Mat. XXV, 21.) Puisque tu as montré ta probité à propos d'un premier dépôt, tu mérites qu'on t'en remette un plus considérable. Celui qui avait reçu deux talents s'approcha aussi, disant : ne m'as-tu pas confié deux talents? En voici deux autres que je t'ai gagnés ! (Ibid. 22.) Celui-ci avait aussi bien administré l'argent de son maître, car il reçoit la même récompense que le premier. Et pourquoi celui qui rapporte deux talents a-t-il le même mérite que celui qui en a fait gagner cinq? C'est avec justice; car si l'un donne plus et l'autre moins, cela ne tient pas à l'inégalité du zèle déployé de part et d'autre, mais à la différence des sommes confiées. Quant au soin, tous deux ont été égaux; aussi reçoivent-ils la même récompense.

2. Le troisième avait agi tout indifféremment. Qu'avait-il fait? Il s'approcha en disant : Je sais que tu es un homme dur, moissonnant où tu n'as pas semé et recueillant où tu n'as rien mis : aussi, comme je te craignais, je suis allé cacher ton argent dans la terre. Voilà ce qui est à toi. (Ibid. V, 24, 25.) O méchant serviteur ! ô comble d'ingratitude ! au lieu d'avoir fait fructifier le talent, il n'apporte qu'une accusation. C'est l'effet de la perversité : elle obscurcit le jugement et entraîne dans le précipice celui qui s'est une fois écarté de la bonne route. Tout cela regarde les prédicateurs qui ne doivent pas enfouir leur dépôt, ruais au contraire mettre tout leur zèle à l'offrir à leurs auditeurs : ruais la suite va vous apprendre, mes bien-aimés, que les auditeurs aussi ont, des comptes à rendre et qu'on leur demande non-seulement le capital, ruais encore les intérêts; c'est ce que fait voir l'indignation même du maître contre le serviteur. Que lui dit-il? Méchant serviteur! (Ibid. V, 26.) Voilà une colère terrible et des menaces bien capables d'épouvanter. Tu savais que je moissonne où je n'ai pas semé, et que je recueille où je n'ai rien mis : tu devais donc placer raton argent entre les mains des banquiers, et, en venant, je l'aurais retrouvé avec usure. Cet argent signifie les discours édifiants, et les banquiers représentent les auditeurs qui les écoutent. Tu n'avais, dit le maître au serviteur, qu'à leur remettre l'argent; ensuite, c'était à moi à leur redemander, non-seulement cet argent remis, mais aussi l'intérêt qu'il aurait rapporté. Voyez, mes bien-aimés, combien ces paroles sont terribles. Que pourront dire ceux qui auront perdu le capital, lorsqu'on leur redemandera même des intérêts?

Voyez la bonté du Seigneur. Dans les affaires matérielles il a défendu que l'argent rapportât de l'intérêt. Pourquoi, par quelle raison? Parce que c'est une convention fâcheuse aux deux parties. Le débiteur est ruiné, et le gain du créancier ne fait qu'accroître le fardeau de ses péchés. Voilà pourquoi, dès l'origine, Dieu a donné aux Juifs grossiers ce précepte : Tu ne prendras pas d'intérêt à ton père et à ton frère. (Dent. XXIII, 19). Quelle excuse peuvent donc avoir ceux qui sont plus inhumains que les Juifs, et qui, après avoir reçu du Seigneur tant de grâces et de bienfaits, ne s'élèvent pas si haut que ceux qui vivaient sous l'ancienne loi, ou, pour mieux dire, descendent plus bas?

276

Mais pour les choses spirituelles Dieu autorise l'usure. Pourquoi cela? Parce que les biens spirituels diffèrent complètement des biens temporels. Les uns, quand on les réclame avec rigueur, réduisent à une misère complète celui qui en est privé; les autres, quand le débiteur les paye de bon coeur, attirent d'autant mieux sur lui la récompense céleste, que l'usure est plus considérable. Aussi , mes bien-aimés , quand nous vous offrons ce qui nous a été confié, vous contractez l'obligation d'une double peine à prendre, d'une double vigilance à déployer : d'abord il faut garder vous-mêmes ce dépôt et le conserver fidèlement; ensuite il faut vous empresser de le communiquer aux autres pour en amener le plus possible dans la route de la vertu; ainsi, votre profit sera double par votre propre salut et par l'avantage d'autrui.

En faisant cela, vous nous rendrez bienheureux, car bienheureux est celui qui touche les oreilles de ses auditeurs (Eccl. XXV, 12), et vous ferez régner plus, d'abondance sur cette table spirituelle. Ainsi, ne négligez point vos frères et ne vous inquiétez pas seulement de ce qui vous regarde. Que chacun s'occupe d'arracher son prochain au gouffre de l'enfer, le détourne de ces spectacles impies et le ramène à l'Eglise, en lui montrant avec beaucoup de douceur et de bonté l'excès du mal qu'entraînent les uns, et tout le bien qu'on retire de l'autre; ne faites pas cela seulement une fois ou deux, mais toujours. Car s'il ne vous écoute pas aujourd'hui, il peut le faire plus tard; s'il n'écoute pas votre second avertissement, du moins, en voyant que vous le pressez de nouveau, peut-être rougira-t-il, et, redoutant votre zèle, s'abstiendra-t-il enfin de cette habitude pernicieuse. Ne vous dites pas: je l'ai averti une, deux, trois, plusieurs fois, et je n'ai rien obtenu. Ne cessez pas de l'avertir; plus vous montrerez de persévérance, plus vous aurez de mérite. Ne voyez-vous pas avec quelle patience Dieu nous supporte, quoique tous les jours nous négligions ses préceptes, et qu'il ne cesse pas de veiller sur nous, puisqu'il nous comble des biens de la nature, qu'il fait lever le soleil, tomber la pluie, et mille autres bienfaits? De même montrons à nos frères toute notre bonne volonté, et luttons contre le malin esprit pour déjouer ses artifices. Si chacune des personnes présentes pouvait obtenir seulement une conversion, songez combien notre Eglise aurait de joie à montrer le nombre de ses enfants, et quelle honte aurait le démon en voyant qu'il a tendu ses piéges en vain. Si vous y parvenez, Dieu vous dira aussi dans ce grand jour : Courage, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle pour une petite chose; je t'en donnerai de plus grandes.

3. Du reste, vous le ferez, j'en suis bien persuadé. Je lis sur vos visages, je crois que vous avez reçu avec plaisir mon exhortation, et j'espère que vous ferez tout ce qui dépendra de vous. Aussi nous terminerons ici cet avertissement et nous vous offrirons un festin simple et frugal, afin que vous retourniez chez vous après avoir reçu l'instruction ordinaire. Il faut vous parler aujourd'hui du patriarche Abraham, et vous apprendre comment Dieu le récompensa de son hospitalité. Dieu lui apparut près du chêne de Mambré, comme il était assis à la porte de sa tente, à midi. Examinons avec soin chaque parole , et après avoir ouvert le trésor, étudions les richesses qu'il renferme. Pourquoi ce commencement? Dieu lui apparut. Admirez la bonté de Dieu, et considérez la reconnaissance de son serviteur. Quand Dieu lui était déjà apparu et lui avait, entre autres choses, donné le précepte de la circoncision , cet homme admirable s'était toujours empressé d'accomplir les ordres de Dieu. Sans mettre aucun retard, il exécuta le commandement en pratiquant la circoncision sur lui-même, sur Ismaël et tous ses serviteurs; quand il eut ainsi montré sa profonde obéissance, Dieu lui apparut encore. Le bienheureux Moïse commence ainsi : Dieu lui apparut auprès du chêne de Mambré, pendant qu'il était assis devant sa tente à midi. Observez ici la vertu du juste. Il était assis devant sa tente. Il pratiquait tellement l'hospitalité qu'il ne laissait à aucun de ses inférieurs le soin de recevoir les étrangers. Ce vieillard qui avait trois cent dix-huit domestiques, qui était accablé par l'âge, puisqu'il était parvenu à cent ans, était assis devant sa porte pour attendre des hôtes. Il y mettait toute son attention, sans trouver d'obstacle dans sa vieillesse ni dans le soin de son repos; il ne se tenait point couché à l'intérieur, mais assis à la porte. Bien d'autres, loin d'avoir un pareil soin, cherchent au contraire à fuir la vue et l'approche des étrangers, de peur d'être forcés de les recevoir malgré eux. Tel n'était pas le juste qui restait assis à sa porte à midi. Car (277) son hospitalité et sa vertu sont d'autant plus admirables qu'il se tenait ainsi à midi. C'était avec raison; il savait, en effet, que ceux qui sont forcés de voyager ont, surtout à cette heure, besoin de secours; aussi, choisissait-il cet instant de la journée et guettait-il les passants, mettant son repos à soulager la fatigue des voyageurs. Il cherchait à abriter sous sa tente ceux que brûlait la chaleur, sans examiner les passants et sans leur demander s'ils étaient connus ou inconnus. Car l'hospitalité n'admet point une pareille perquisition, elle exige avec tous une libéralité bienveillante, et, comme il avait déployé le filet de l'hospitalité, il mérita de recevoir le Tout-Puissant avec ses anges. Aussi saint Paul disait : Ne négligeons point l'hospitalité; c'est en la pratiquant que quelques-uns ont reçu pour hôtes des anges, sans le savoir (Héb. XIII, 2) ; il est clair que c'est une allusion au patriarche. Aussi le Christ disait: Celui qui recevra un des plus petits en mon nom, me reçoit moi-même. (Mat. XVIII, 5.)

Méditons cela, mes bien-aimés, et quand il s'agit de recevoir un hôte , ne demandons jamais qui il est et d'où il vient. Si le patriarche avait fait ces questions, peut-être aurait-il eu tort. Mais, direz-vous, il savait quels étaient ces visiteurs. Où voyez-vous cela? En quoi son action aurait-elle été admirable? Son hospitalité aurait été bien moins méritoire, si elle avait commencé par des questions; maintenant, ignorant ceux qui viennent, il leur montre autant de zèle et de respect qu'un serviteur à son maître; il les enchaîne, pour ainsi dire, à force de prières, en les suppliant de ne pas refuser et de ne pas lui causer une pareille affliction. Il savait ce que vaut l'hospitalité, de là son empressement à en recueillir les fruits abondants. Mais écoutons les paroles de l'Ecriture elle-même et remarquons, dans un âge si avancé, l'ardeur renaissante de ce vieillard rajeuni, qui semblait trouver un trésor dans l'arrivée de ces hôtes. Levant les yeux, il regarda, et voici : trois hommes se tenaient devant lui; en les voyant, il se leva de la porte de sa tente, pour courir à leur rencontre. Ce vieillard court et vole ; il a trouvé sa proie, il ne songe plus à sa faiblesse et court à la chasse sans appeler ses serviteurs , sans donner d'ordres à son fils, il court lui-même sans retard, comme s'il disait : voilà un grand trésor, une grande affairé, je veux m'en charger par moi-même, pour n'en pas perdre le mérite. Voilà ce que faisait le juste, croyant recevoir des hommes et des voyageurs inconnus.

4. Méditons à ce sujet, et imitons les vertus du juste; c'est le moyen de parvenir nous-mêmes à faire une aussi bonne chasse, car on peut toujours ce que l'on veut. Voilà pourquoi le Seigneur bienveillant, pour nous encourager à faire bon accueil aux étrangers et à ne pas les examiner de trop près, nous dit : Celui qui recevra un des plus petits en mon nom me reçoit moi-même. (Matth., XVIII, 5.) Ne considérez pas le peu d'importance réelle ou apparente de celui qui passe, mais songez qu'en l'accueillant vous accueillez votre Seigneur. Car si vous le secourez en son nom, vous serez récompensé comme si vous l'aviez reçu lui-même. Si cet homme ne mérite point votre bienveillance et néglige d'en profiter, ne vous en inquiétez point; vous serez pleinement récompensé si vous agissez pour la gloire du Seigneur, et si vous imitez les vertus de notre patriarche. En les voyant, il se leva de la porte de sa tente et courut à leur rencontre. Ce mot courut, montre bien qu'ils passaient comme des inconnus et qu'ils ne sont pas entrés d'eux-mêmes dans la tente.

Aussi, pour ne pas perdre ce bénéfice spirituel, ce vieillard aux cheveux blancs, ce centenaire accourt, et par son empressement fait preuve de son zèle. Et les ayant vus , il se prosterna contre terre, et dit: Mon seigneur, si j'ai trouvé grâce devant toi, ne passe pas devant ton serviteur. Qu'on prenne de l'eau et qu'on lave vos pieds, et rafraîchissez-vous sous cet arbre : j'apporterai du pain et vous mangerez, et après cela vous continuerez le chemin qui vous a fait passer devant votre serviteur. Les paroles du juste sont bien frappantes. Ce qui doit étonner, ce n'est pas qu'il ait désiré recevoir ces hôtes, mais c'est qu'il l'ait fait avec tant de zèle et qu'il n'ait pas tenu compte de leur âge ni du sien, car ils lui semblaient peut-être jeunes; c'est qu'il n'ait pas cru pouvoir se borner à leur parler. Il se prosterna contre terre, presque en suppliant, et les exhorta de toutes ses forces pour que sa demande n'eut pas l'air d'une simple politesse. Aussi l'Ecriture sainte, voulant nous montrer toute l'étendue de la vertu du juste, dit : Il se prosterna contre terre, et par ses gestes, ainsi que par la chaleur de ses paroles, il montrait beaucoup d'humilité, son zèle hospitalier et son extrême sollicitude. S'étant prosterné contre terre, il dit : (278) Seigneur, si j'ai trouvé grâce devant toi, ne passe point devant ton serviteur. Comment pourrait-on louer dignement ce juste? et comment des milliers de bouches suffiraient-elles pour faire son éloge? Le mot de Seigneur n'a rien d'extraordinaire; mais dire : Si j'ai trouvé grâce devant toi, voilà qui est étrange. Il leur dit : C'est moi qui suis l'obligé et non le bienfaiteur. Telle est la véritable hospitalité : elle a tant d'ardeur, qu'elle croit recevoir plutôt que donner. Que personne ne songe à diminuer la vertu du juste, et ne suppose qu'en parlant ainsi il savait qui étaient ces voyageurs : en effet, s'il l'avait su, ces paroles, comme on l'a dit souvent, n'auraient eu rien d'extraordinaire; mais, ce qui les rend extraordinaires et admirables, c'est qu'il croyait les adresser à des hommes.

Ne vous étonnez pas qu'en voyant trois voyageurs, le juste parle comme à un seul et dise : Seigneur. C'est sans doute que l'un d'eux paraissait supérieur aux autres, et c'est à lui qu'il s'adresse. Ensuite il continue en parlant d'une manière plus générale, et dit: Qu'on prenne de l'eau et qu'on lave vos pieds; et aussi : Rafraîchissez-vous sous cet arbre, vous mangerez du pain et vous continuerez le chemin qui vous a fait passer devant votre serviteur. Vous voyez que sans savoir qui ils sont, il leur parle comme à des voyageurs ordinaires, les engage tous ensemble et s'appelle deux fois leur serviteur. Voyez aussi comme il les prévient de la simplicité de sa table, ou plutôt de son abondance. Qu'on prenne de l'eau et qu'on lave vos pieds, et rafraîchissez-vous sous cet arbre. Comme vous êtes fatigués et que vous avez supporté une grande chaleur, daignez entrer chez votre serviteur. Voilà ce que je puis faire pour vous. Je peux seulement vous procurer de l'eau pour laver vos pieds pendant que vous vous reposerez sous cet arbre. Ensuite il leur donne une idée de sa table. Ne croyez pas, dit-il, qu'elle soit splendide, qu'il y ait une foule de mets et d'assaisonnements : vous mangerez du pain, et vous continuerez le chemin qui vous a fait passer devant votre serviteur.

5. Voyez de combien de manières il cherche à retenir ces voyageurs par ses actions, ses paroles, et tous ses efforts. D'abord il se prosterne devant eux, ensuite il les appelle seigneurs et lui-même serviteur : puis il leur dit ce qu'il va faire pour eux, mais sans se vanter et en montrant que c'est peu de chose. J'ai, dit-il, de l'eau pour laver vos pieds, du pain et un abri sous cet arbre. Ne dédaignez pas ma. tente, ne méprisez pas ma vieillesse, ne repoussez pas ma demande. Je sais quelle fatigue vous avez subie, je devine quelle chaleur vous avez éprouvée; aussi je veux vous soulager un peu. Le père le plus tendre montre-t-il à son fils autant de bonté que le patriarche en montrait à: des étrangers inconnus et qu'il n'avait jamais vus. Comme il fit preuve de beaucoup de zèle et d'activité, il réussit dans sa poursuite et par. vint à prendre sa proie dans ses filets. Et ils dirent : Nous ferons comme tu as dit. Le vieillard se trouva rajeuni. J'ai, dit-il, un trésor sous la main; j'ai gagné une fortune, je ne songe plus à ma vieillesse. Voyez comme il se réjouit d'une pareille circonstance; il saute presque de joie et il est aussi heureux que s'il tenait dans ses mains toutes les richesses du monde. Abraham s'en alla en hâte dans la tente. Quand il allait les guetter, l'Ecriture sainte nous montre sa joie et son empressement, en nous disant : Il courut à leur rencontre. Maintenant qu'il a vu ces voyageurs et' qu'il a obtenu ce qu'il désirait, son ardeur ne s'affaiblit pas; elle devient, au contraire, plus ardente quand il est certain d'avoir réussi. Il nous arrive souvent d'être tout de feu en commençant; mais, quand l'affaire est en train, nous nous relâchons. Tel n'était pas le juste. Que fait-il? Il se hâte et s'empresse de nouveau; tout vieux qu'il est, il court dans la tente chercher Sarra, et lui dit : Dépêche-toi et prends trois mesures de fleur de farine. Voyez comment il prend Sarra pour complice de sa chasse, et comment il lui apprend à imiter sa vertu. Il l'excite à faire promptement son devoir, et lui dit : Dépêche-toi. Une heureuse aventure nous est survenue; ne perdons pas cette bonne occasion : Dépêche-toi et prends trois mesures de fleur de farine. Comme il savait l'importance d'une oeuvre de cette nature, il voulait faire partager la récompense à la compagne de sa vie. Pourquoi, dites-moi, ne donna-t-il cet ordre à aucune de ses servantes; mais à sa femme, si avancée en âge, car elle avait quatre-vingt-dix ans? Du reste, Sarra ne résiste pas à cet ordre et montr6la même joie. Maris et femmes, retenez bien cela. Que les maris habituent leurs femmes, s'il se présente quelque gain spirituel, à ne pas agir par leurs. domestiques, mais à tout faire par elles-mêmes; que les femmes s'empressent à aider leurs maris dans leurs (279) bonnes oeuvres, et ne rougissent pas d'exercer l'hospitalité et d'en accomplir tous les devoirs; qu'elles imitent la vieillesse de Sarra, qui se chargeait, à son âge, d'un pareil travail avec plaisir et remplissait l'office des servantes.

Mais je sais que presque personne ne m'écoutera. Maintenant, tout le monde fait le contraire, la mollesse des femmes est extrême et elles mettent tous leurs soins dans les beaux habits, dans les parures d'or, les colliers, le luxe extérieur, sans songer le moins du monde à leur âme. Elles n'entendent pas la voix de saint Paul qui leur crie : Qu'elles n'aient point de cheveux frisés, d'or, de perles, ni d'habits somptueux. (I Tim. II, 9.) Vous voyez que cette âme, qui touchait le ciel, n'a pas dédaigné de vous parler de frisure : il avait raison, car il s'inquiétait de tout ce qui pouvait servir à l’âme. Il savait que la parure est ce qui nuit le plus à l'âme; aussi ne craint-il pas de donner les meilleurs conseils aux personnes qui ont cette faiblesse; il leur dit : si vous voulez vous parer, prenez la véritable parure , celle qui convient aux femmes pieuses, celle des bonnes oeuvres. C'est elle qui fait l'ornement de l'âme, qu'aucune ordonnance ne peut réprimer, qu'aucun voleur ne peut ravir et qui reste toujours inaltérable. La parure extérieure engendre mille maux: je ne parle pas seulement de ceux de l'âme, l'arrogance qui en résulte, le mépris du prochain, l'orgueil de l'esprit, la corruption du coeur, une foule de plaisirs défendus; mais ces toilettes splendides peuvent être dérobées par les domestiques ou pillées par les voleurs; elles vous exposent à des accusations calomnieuses, enfin on n'y trouve que des peines infinies et des amertumes perpétuelles. Telle n'était pas Sarra qui possédait la véritable parure-; aussi fut-elle digne du patriarche : il s'empressa et courut dans la tente; elle s'empressa d'accomplir son ordre et prit trois mesures de fleur de farine. Comme il y avait trois hôtes, le juste avait dit de prendre trois mesures pour faire promptement les pains. Après cet ordre, il courut aussitôt vers les boeufs. Quelle jeunesse dans cette vieillesse ! quelle énergie dans cette âme ! Il court aux boeufs et n'y laisse aller aucun de ses serviteurs : dans sa conduite tout fait voir à ses hôtes de quel plaisir il était pénétré, combien il appréciait leur présence et quel trésor c'était pour lui qu'un tel honneur. Il prit un veau tendre et délicat. Ainsi , il fait son choix lui-même, il confie l'animal à un serviteur qu'il engage à se presser, pour servir le plus. tôt possible.

6. Voyez avec quelle rapidité, quel zèle ardent, quelle joie, quel bonheur, quel plaisir il fait tout cela. Le vieillard ne se repose pas et fait de nouveau l'office de serviteur. Il prit du beurre, du lait et le veau qu'il avait tué et leur servit tout cela. Ainsi il fait tout et sert tout lui-même. Et il ne s'est pas trouvé digne de s'asseoir avec eux, mais pendant que ceux-ci mangeaient il restait debout près de l'arbre. O culte de l'hospitalité ! ô excès d'humilité ! ô piété parfaite ! ce centenaire restait debout pendant leur repas. Il me semble que son ardeur et son zèle ont suppléé à sa faiblesse et 1ui ont donné de la force. Souvent, en effet, l'excitation d'une âme énergique triomphe de la faiblesse du corps. Ainsi le patriarche restait debout comme un serviteur, regardant comme un grand honneur de servir ses hôtes et de soulager les fatigues de leur voyage. Voyez jusqu'où allait l'hospitalité du juste! Ne vous dites pas seulement qu'il leur avait offert des pains et un veau; remarquez encore avec quelle humilité et quel respect il pratique l'hospitalité. Il ne faisait pas comme ceux qui, s'ils accueillent des hôtes, en tirent vanité et méprisent même ceux qu'ils ont reçus, parce qu'ils ont pourvu à leurs besoins. Cela ressemble à ce que ferait un homme qui recueillerait et amasserait des richesses, et qui, tout à coup, jetterait à pleines mains tout ce qu'il aurait gagné. Celui qui rend un service avec orgueil et qui croit donner plus qu'il ne reçoit, celui-là ne sait ce qu'il fait : il perd tout ce qu'il en pouvait attendre. Mais le juste sachant ce qu'il faisait montrait en tout sa bonne volonté.

Après avoir répandu avec joie et abondance cette semence d'hospitalité, il en recueillit aussitôt une copieuse moisson. Quand il eut fait tout ce qui dépendait de lui, sans manquer à rien et qu'il eut accompli tous les devoirs de l'hospitalité, et montré jusqu'où allait sa vertu; alors, pour que le juste connût ceux qu'il avait reçus et tous les avantages qu'entraîne l'hospitalité, son visiteur se dévoile et lui montre peu à peu toute l'étendue de sa puissance. Car le voyant debout près du chêne, en signe d'honneur et de respect pour ses hôtes, il lui dit : Où est Sarra ton épouse ? Cette question montre aussitôt que ce n'est pas le premier venu, puisqu'il sait le nom de cette femme. Abraham (280) répond: la voici dans la tente. Comme l'hôte va lui promettre, étant Dieu lui-même, des événements surnaturels, cette promesse, jointe à la connaissance qu'il avait du nom de Sarra fut une preuve que cet hôte reçu sous la tente était supérieur à l'humanité. Je reviendrai ici dans un an à la même époque, et Sarra ta femme aura un fils. Voyez les fruits de l'hospitalité, la récompense de la bonne volonté, la compensation des peines de Sarra. Celle-ci écoutait près de la porte de la tente derrière laquelle elle se tenait. Et agant entendu cela, elle rit en elle-même, disant : cela ne m'est pas arrivé jusqu'à présent et mon seigneur est vieux. Pour excuser Sarra, l'Ecriture sainte nous a d'abord avertis que Abraham et Sarra étaient avancés dans leurs jours; et de plus elle ajoute: Sarra n'avait plus ce qu'ont les femmes. La fontaine était desséchée, l'oeil avait perdu la lumière, l'organe était désormais impuissant. Sarra considérant tout cela, songeait à son âge et à la vieillesse du patriarche. Mais pendant qu'elle réfléchissait ainsi dans la tente, Celui qui connaît les secrets du coeur, voulant montrer toute sa puissance et faire voir qu'il n'y avait rien de caché pour lui, dit à Abraham : Pourquoi Sarra a-t-elle ri en elle-même, disant est-il vrai que j'enfanterai, moi qui suis si vieille ? En effet, voilà ce qu'elle pensait. Est-il rien, dit-il, d'impossible à Dieu ? Ici le visiteur se dévoile ouvertement. Vous ne savez pas, dit-il, que je suis le Maître tout-puissant de la nature, que je puis, si je le veux, ranimer des entrailles desséchées et les rendre fécondes. Rien n'est impossible à Dieu. N'est-ce pas moi qui fais et transforme tout? ne puis-je pas donner la vie et la mort ? Est-il rien d'impossible à Dieu ? ne l'ai-je pas déjà promis ? mes paroles manquent-elles jamais de s'accomplir? Ecoute maintenant : dans un an je reviendrai à pareille époque et Sarra aura un fils. Lorsque je reviendrai à pareille époque, Sarra aura appris par l'événement même que sa vieillesse et sa stérilité n'étaient pas des obstacles : ma parole ne pouvait être vaine, et cette naissance lui prouvera mon pouvoir. Du reste, quand elle vit que ses pensées même ne pouvaient rester cachées, elle nia, en disant: je n'ai pas ri; car la frayeur lui avait troublé l'esprit. Aussi l'Ecriture attribue tout à s faiblesse, et dit : elle fut effrayée. Mais 1e patriarche lui répond : non, mais tu as ri. Ne crois pas, lui dit-il, quoique tout se soit passé dans ton esprit, et que tu n'aies ri qu'en toi-même, ne crois pas échapper au pouvoir de notre hôte. Aussi ne va pas nier ce que tu as fait, n'aggrave pas ta faute. L'hospitalité que nous avons exercée aujourd'hui nous sera bien avantageuse.

7. Imitons-le tous, et mettons un grand zèle à pratiquer l'hospitalité, non pas dans le seul but d'en recevoir une rémunération passagère et corruptible, mais pour être récompensés par des biens éternels. Si nous le faisons, nous recevrons ici-bas le Christ, et lui-même nous recevra dans les demeures qu'il a préparées à ses élus, où il nous dira : Venez, vous qui êtes bénis par mon Père, et recevez le royaume que je vous ai préparé depuis l'origine du monde. (Mat. XXV, 34, 36.) Pourquoi et par quelle raison? J'avais faim et vous m'avez donné à manger; j'avais soif et vous m'avez donné à boire; j'étais étranger et vous m'avez recueilli; j'étais prisonnier et vous m'avez visité. Quelle difficulté y a-t-il à tout cela? Nous a-t-il dit de faire des enquêtes et de rechercher ceux que nous devions soulager? Fais ce qui dépend de toi; dit-il, si vil et si abject que te paraisse l'indigent; je prends pour moi ce qui est fait pour eux. Aussi a-t-il ajouté : Ce que vous avez fait pour le moindre de vos frères, vous l'avez fait pour moi. (Ibid. V, 40.)

Puisque l'hospitalité offre de tels avantages, ne la dédaignons pas, mais cherchons à en trouver chaque jour l'heureuse occasion; sachant que Notre-Seigneur considère la bonne volonté plutôt que la quantité des mets; le bon accueil, plutôt que la magnificence de la table; un mot de charité d'un coeur sincère, plutôt que des protestations verbeuses. Voilà pourquoi le Sage dit : la parole vaut mieux que le présent. (Eccl. XVIII,16.) Souvent un mot de bonté touche plus l’indigent que le bienfait lui-même. Puisque nous le savons, ne soyons pas désagréables à ceux qui: nous approchent; si nous pouvons adoucir leur misère, faisons-le de bonne grâce et de,bon coeur pour qu'ils reçoivent encore plus que nous ne donnons: si cela nous est impossible, ne les affligeons pas; soulageons-les, du moins en paroles, et rée pondons-leur doucement. Pourquoi repousser le pauvre avec rudesse? Est-ce qu'il use de contrainte et de violence? Il prie, il implore, il conjuré; avec tout cela, on ne mérite pas d'outrages. Que dis. je, il prie? il implore et demande mille faveurs pour nous, et tout cela (281) pour une obole due nous ne lui donnons même pas. Quel pardon méritons-nous? Quelle excuse donnerons-nous? Chaque jour nous sommes à une table abondante où souvent nous dépassons le besoin, et nous ne voulons pas leur en abandonner la moindre chose quand nous obtiendrions ainsi des biens immenses. O déplorable négligence ! quelle perte nous faisons ainsi, quels gains nous laissons échapper ! Nous voyons fuir l'occasion que Dieu nous présentait pour notre salut, et nous n'y songeons pas! Nous ne réfléchissons point au peu qu'il faudrait donner et à l'immensité des récompenses. Nous aimons à renfermer l'or dans des armoires pour que la rouille le consume ou que des voleurs le dérobent; nous aimons mieux laisser nos habits de toutes couleurs se manger aux vers, et nous ne voulons même pas faire un bon usage de ceux qui ne peuvent plus nous servir en les donnant à ceux qui les garderaient pour nous, afin de nous mériter des biens ineffables. Puissions-nous les obtenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
 

 

 

 

QUARANTE-DEUXIÈME HOMÉLIE. Ces hommes s'étant donc levés de ce lieu, tournèrent les yeux vers Sodome et Gomorrhe. (Gen. XVIII, 18.)
ANALYSE.

1. La vertu dépend de la volonté. Le secours de Dieu ne fait pas défaut à celui qui fait tout ce qui dépend de lui. — 2. On remédie plus facilement aux maux de l'âme qu'à ceux du corps. Dieu admet Abraham dans la confidence de ses desseins, tant il honore le juste. — 3-4. Le bruit des impuretés de Sodome est monté jusqu'à Dieu, qui vient les voir d'abord, pour les punir ensuite. Ne condamner personne sans l'entendre; épargner la réputation du prochain. — 5. Les pécheurs qui n'auront subi aucune punition ici-bas, seront plus sévèrement punis dans l'autre monde. Dieu supporte les méchants à cause des justes. — 6-7. Exhortation morale.

1. La lecture d'hier nous a appris, mes bien-aimés, l'admirable manière dont ce juste exerçait l'hospitalité. Voyons aujourd'hui la suite des événements; apprenons ce qu'il y avait dans ce patriarche , de bonté et d'affection compatissante; car ce juste a possédé en perfection toutes les vertus. Il n'avait pas seulement pour lui la bonté, le respect des devoirs de l'hospitalité, l'affection qui compatit aux douleurs, mais de plus, il a montré toutes les autres vertus. S'il fallait prouver sa patience, vous verriez qu'il s'est élevé sur la plus haute cime du courage; s'il fallait prouver son humilité,vous verriez encore que pour l'humilité il ne le cède à personne, qu'il surpasse tous les hommes; s'il fallait prouver sa foi, c'est par là surtout, qu'il mérite plus que tous les hommes, un nom glorieux. Son âme est comme une image vivante où brille la diversité des couleurs de la vertu. Quand nous voyons un seul homme les réunir toutes en lui, quelle pourra être notre excuse à nous , qui en sommes si dépourvus que nous n'en pratiquons pas une seule? ce n'est pas faute de pouvoir, mais faute de vouloir, que nous sommes ainsi dépourvus de tous les biens de l'âme; et ce qui le démontre d'une manière manifeste , c'est qu'on trouve un grand nombre d'hommes de la même nature que nous, brillants de l'éclat de la vertu. Considérez ceci encore, que ce (282) patriarche a vécu avant la grâce, avant la loi; c'est de lui-même, par les seules ressources de sa propre nature, par la science qui était en lui, qu'il est parvenu à ce faîte de la vertu; et c'est là ce qui nous enlève toute excuse. Mais, peut-être, dira-t-on, il a joui auprès de Dieu des plus grandes faveurs; Dieu a pris de ce patriarche, de toutes ses affaires un soin tout particulier. Vérité que je reconnais; mais, s'il n'avait pas été le premier à faire ce qui dépendait de lui, il n'aurait pas obtenu du Seigneur de si grands dons. C'est pourquoi ne remarquez pas seulement les dons qu'il a reçus, mais remarquez, observez bien chaque instant de sa vie, et vous verrez qu'il a été le premier à prouver sa vertu, et que c'est par là qu'il a mérité le secours divin. Nous avons souvent mis cette vérité sous vos yeux; quand ce patriarche sortait de son pays, il n'avait pas reçu comme un héritage de ses ancêtres, la semence de la foi; c'est de lui-même qu'il montra une âme remplie de l'amour de Dieu. Cet homme qui vient d'être transporté hors de la Chaldée, et qui reçoit tout à coup l'ordre de se diriger dans un autre pays, de préférer à sa patrie, une contrée étrangère, il n'hésite pas, il ne diffère pas; aussitôt que l'ordre est donné, il l'accomplit, et cela sans savoir où s'arrêtera sa course errante; et il fait diligence; et il se presse, et il regarde des choses qui sont tout à fait incertaines comme certaines, parce que l'ordre de Dieu lui paraît toujours ce qui mérite avant tout d'être respecté.

Voyez-vous comme dès le commencement, dès les premiers préludes de sa vie, il contribue de ce qu'il a en lui, et mérite parce qu'il met du sien, d'obtenir chaque jour l'abondance des fruits du Seigneur. Faisons de même nous aussi, mes bien-aimés, si nous voulons jouir de la grâce d'en-haut; imitons le patriarche, n'hésitons pas à marcher où se montre la vertu ; pratiquons-la toujours, de manière à charmer cet oeil qui ne connaît pas le sommeil, et à nous concilier la bienveillance qui décerne les larges salaires. Celui qui connaît nos secrètes pensées, en voyant que nous avons l'âme saine, que nous nous dépouillons avec ardeur pour les luttes de là vertu, nous fournit aussitôt la force qui vient de lui, qui rend nos fatigues légères, qui soutient notre infirmité, la réconforte et nous assure les glorieuses couronnes. Dans les joutes que l'on va voir à Olympie, certes on ne rencontre rien de pareil : le gymnasiarque est là, simple spectateur de ceux qui luttent, sans pouvoir les aider d'aucune manière; il ne fait qu'attendre que la victoire se déclare. Notre-Seigneur, au contraire, n'agit pas de même; il partage avec nous la lutte; il nous tend la main à côté de nous, il combat aussi, et on dirait qu'il s'efforce par tous les moyens, de nous livrer notre adversaire; qu'il fait tout pour nous assurer la supériorité dans le combat, la victoire, qui mettra sur notre tête la couronne qui ne se flétrit,pas. En effet, dit le texte : Tu mettras sur ta tête une couronne de grâces. Voyez encore : dans ces combats à Olympie, qu'est-ce que la couronne après la victoire ? quelques feuilles de laurier , quelques applaudissements, quelques cris du vulgaire , toutes choses qui , le soir, venant, se flétrissent et meurent. Mais la couronne; comme récompense de la vertu et des sueurs généreuses , n'a rien de commun avec les choses des sens, avec les choses du siècle; elle ne connaît pas la destruction comme nos corps; couronne impérissable, immortelle, dont la durée s'étend à travers les siècles des siècles. Fatigue d'un instant bien court, récompense infinie, sur laquelle le temps ne peut rien, et qui ne se flétrit jamais. Et ce qui le prouve, voyez que d'années se sont passées, que de générations depuis qu'on a vu ce patriarche parmi les vivants; et on croirait qu'il vivait hier, qu'il vit encore. Tel est l'éclat des couronnes que sa vertu lui a méritées; et jusqu'à la consommation des temps, il est, pour tous les sages, le sujet d'un éternel enseignement.

2. Eh bien donc ! puisque telle. est la vertu de cet homme, imitons-le, réveillons-nous; il est bien tard, mais enfin reconnaissons la noblesse que nous portons en nous; imitons le patriarche, pensons à notre salut; appliquons tous nos soins, non-seulement à la santé de notre corps, mais à guérir les diverses maladies de notre âme. Si nous voulons pratiquer la sagesse, si nous voulons nous réveiller, il nous sera plus facile de guérir les maladies de notre âme que celles de notre corps. Toutes les fois qu'une affection nous trouble, représentons-nous dans un saint recueillement , le jour. du jugement redoutable ; ne nous contentons pas de regarder la volupté présente; considérons les tortures dont elle sera suivie; et aussitôt notre âme chassera, (283) expulsera la volupté. Donc, plus de négligence; comprenons bien que la vie est une lutte, un combat; qu'il faut, comme dans une mêlée, que nous affrontions l'ennemi; faisons-nous chaque jour une âme nouvelle; rendons à notre âme sa jeunesse, retrempons sa vigueur; méritons le secours d'en-haut, qui nous donnera la force de briser aussitôt la tête du monstre, je veux dire de l'ennemi de notre salut. C'est le Seigneur lui-même qui nous a fait cette promesse : Vous voyez que je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds les serpents et les scorpions, et toute la puissance de l'ennemi. (Luc, X, 19.) Soyons donc vigilants, je vous en conjure, suivons les traces de ce patriarche qui nous mène à la vertu, afin de mériter les mêmes couronnes, de nous réunir dans son sein, de fuir la gêne éternelle, d'obtenir les biens ineffables. Mais maintenant , pour rendre votre émulation plus active, pour vous provoquer davantage à imiter ce juste, voyons, mes bien-aimés, nous allons vous entretenir encore de son histoire ; attaquons la suite des événement. Donc, après cette large et généreuse hospitalité qu'il pratiqua, non pas en servant à ses hôtes des mets somptueux se succédant sans relâche, mais en leur montrant le généreux empressement de son coeur, il reçut aussitôt le salaire de l'hospitalité; il apprit quel était ce personnage qu'il voyait en sa présence, et combien grand était son pouvoir. Les hôtes se retirent, se préparant à renverser Sodome ; le patriarche les suit, les accompagne pour leur faire honneur , dit le texte; voyez la clémence du Seigneur, combien est grande son indulgence et sa bonté. Il honore le juste, et en même temps, il met à découvert la vertu cachée de son âme. Ces hommes s'étant donc levés, dit le texte, de ce lieu, ils tournèrent les yeux vers Sodoihe et Gomorrhe.

C'est des anges qu'il est question. Dans le lieu dont il s'agit, dans la tente d'Abraham, parurent, en même temps, et des anges et leur Seigneur, Dieu. Ensuite, ces anges furent envoyés comme des ministres pour renverser ces villes; mais le Seigneur demeura, et, comme un ami qui converse avec un ami, il confia à Abraham ce qu'il était sur le point de faire. De là vient qu'après le départ des anges Alors, dit le texte, le Seigneur dit : Je ne cacherai pas à Abraham, mon serviteur, ce que je vais faire. (Ibid. XVII.) Grande condescendance de la part de Dieu; honneur pour le juste, honneur insigne au-dessus de tout discours. Voyez en effet, comme il lui adresse la parole. On dirait un homme parlant à un homme. Dieu nous montre par là de quel honneur il juge digne les hommes vertueux; et ne croyez pas que cet honneur insigne, accordé à l'homme juste, ne soit qu'un effet de la Divine Bonté; remarquez : la sainte Ecriture nous enseigne que le juste lui-même est la première cause de l'honneur qui lui est fait, parce qu'il a accompli, avec un grand zèle, les commandements divins. En effet, une fois que Dieu a dit : Je ne cacherai pas à Abraham, mon serviteur, ce que je ferai, il ne dit pas tout de suite ce qui arrivera. Or, il était conséquent de ménager une transition pour ne pas dire brusquement qu'il allait incendier Sodome. Attention ! ne passons pas ici légèrement, il n'y a pas une syllabe, pas une lettre dans la divine Ecriture qu'il faille passer légèrement. Quel honneur, dites-moi, pour Abraham , dans ces paroles que Dieu prononce : Abraham, mon serviteur! Quelle affection, quelle tendresse ! Voilà ce qui rehausse le plus l'honneur fait au juste, ce qui donne le plus de prix à cet honneur. Ensuite, comme je viens de le dire, après que le Seigneur a dit : Je ne cacherai pas, il ne dit pas tout de suite ce qui allait arriver, mais que dit il? Pour nous apprendre que ce n'est pas sans raison, à la légère, qu'il lui montre tant d'affection, Dieu dit : Abraham doit être le chef d'un peuple très-grand et très-nombreux, et toutes les nations de la terre seront bénies en lui. Car je sais qu'il ordonnera à ses enfants, et à toute sa maison, après lui, de garder les voies du Seigneur et d'agir selon l'équité et la justice, afin que le Seigneur accomplisse en faveur d'Abraham tout ce qu'il lui a promis. (Ibid. 18, 19.) Ah ! quelle grandeur de la bonté du Seigneur ! comme il était sur le point de détruire Sodome, il commence par rassurer le patriarche; il lui inspire la confiance, il lui promet une très-grande bénédiction; il lui annonce que lui-même sera le père d'un grand peuple; il lui apprend que ce sera là la récompense de sa piété. Considérez, en effet, combien est grande la vertu du patriarche, puisque Dieu dit de lui : Je sais qu'il ordonnera à ses enfants de garder les voies du Seigneur. C'est là un grand accroissement ajouté à la vertu. En effet, il n'est pas récompensé (284) seulement pour la vertu qu'il a pratiquée lui-même; mais, comme il l'a recommandée à ses enfants, il est récompensé encore à ce titre, et largement, et c'est avec raison, puisqu'il est devenu, pour tous les descendants, le maître, le docteur de la vertu. En effet, celui qui donne les commencements, qui fournit les prémices, est aussi la cause de ce qui se produit plus tard.

3. Et voyez la bonté du Seigneur : il ne le récompense pas seulement pour sa vertu passée, mais encore pour sa vertu à venir. Car je sais, dit le texte, qu'il ordonnera à ses fils. Je connais par avance, dit-il, l'âme de cet homme juste; voilà pourquoi je le récompense aussi par avance. Dieu connaît, en effet, les secrètes pensées de nos coeurs; et quand il voit que nous n'avons que des pensées sages, que notre âme est saine, il nous tend la main; avant le travail, il nous récompense, afin de nous encourager. Vous verrez que c'est la conduite qu'il tient à l'égard de tous les justes. Il connaît la faiblesse de la nature humaine; il ne veut pas que l'homme se décourage dans les difficultés, et, au milieu des fatigues, il lui apporte son secours, et il lui donne les récompenses qu'il lui réserve, afin de soulager sa fatigue, et de raviver son zèle. Car je sais, dit le texte, qu'il ordonnera à ses fils, et ils garderont les voies du Seigneur. Il ne prédit pas seulement la vertu du père, il ordonnera, mais aussi la vertu des enfants, et ils garderont les voies du Seigneur; montrant, par là, Isaac et Jacob; les voies du Seigneur, c'est-à-dire les préceptes et les commandements. De telle sorte qu'ils vivront selon l'équité et la justice : préférant la justice à tout, s'abstenant de toute injustice. La justice, en effet, c'est la plus grande de toutes les vertus; voilà pourquoi se réaliseront toutes les choses prédites par le Seigneur.

Ce n'est pas tout, je crois que le texte veut insinuer encore une autre pensée, quand il dit : Abraham doit être le chef d'un peuple très-grand et très-nombreux. C'est comme s'il disait: Toi, qui embrasses la vertu, qui te soumets à mes ordres, qui. montres ton obéissance, tu seras le chef d'un peuple très-grand et trèsnombreux; mais ces impies qui habitent le pays de Sodome, périront tous. Car, de même que la vertu opère le salut de ceux qui la pratiquent; de même la malignité leur attire la mort. Maintenant, après ces bénédictions, après ces éloges pour inspirer de la confiance à l'homme juste, il commence ce qu'il voulait dire, et il dit : Le cri de Sodome et de Gomorrhe s'augmente de plus en plus, et leur péché est monté jusqu'à son comble. Je descendrai et je verrai si leurs oeuvres répondent à ce cri qui est venu jusqu'à moi, pour savoir si cela est ainsi, ou si cela n'est pas. (Ibid. 20, 21.) Paroles terribles: Le cri, dit-il, de Sodome et de Gomorrhe. D'autres villes aussi ont péri en même temps, mais c'étaient là les plus célèbres; pour cette raison il les nomme seules. S'augmente de plus en plus, et leur péché est monté jusqu'à son comble. Voyez que de maux amoncelés. Il ne s'agit pas ici seulement de beaucoup de clameurs et de cris, mais de l'excès de l'iniquité; car ces paroles : Le cri de Sodome et de Gomorrhe s'augmente de plus en plus, signifient, je crois que les habitants, outre cette perversité inexprimable, impossible à excuser qui a flétri leur nom, commettaient encore mille autres actions coupables ; que les plus forts s'entendaient pour écraser les plus faibles; les riches pour écraser les pauvres. Ce n'était pas seulement un grand cri de douleur, mais leurs péchés n'étaient pas des péchés ordinaires, ils étaient grands, ils étaient énormes; car ces hommes avaient imaginé une étrange manière de transgresser toutes les lois, des nouveautés incroyables dans des commerces criminels. Et tel était l'entraînement de la corruption, que tous étaient remplis de toute espèce de vices, qu'il n'y avait. plus d'espoir de les corriger; il ne restait plus qu'à les faire disparaître, qu'à les supprimer. Leur maladie était incurable; les médecins n'y pouvaient rien. Le Seigneur ensuite veut montrer aux hommes, que, si grands, si manifestes que soient les péchés, la sentence toute. fois ne doit pas être prononcée avant que la preuve ait été faite en toute évidence. De là ces paroles : Je descendrai donc, et je verrai si leurs oeuvres répondent à ce cri, qui est venu jusqu'à moi; je descendrai pour voir si cela est ainsi, ou si cela n'est pas.

Que signifient ces paroles ? Pourquoi cette réserve : Je descendrai, dit-il, et je verrai? Le Dieu de l'univers se transporte-t-il donc d'un lieu dans un autre? Loin de nous cette pensée ! Ce n'est pas là ce qu'il veut faire entendre; mais, comme je l'ai dit, il veut, dans un langage approprié à la grossièreté de notre esprit, nous apprendre qu'il faut beaucoup de soin en ces sortes de choses; que les pécheurs ne (285) doivent pas être condamnés seulement par ouï dire; que la sentence ne doit être portée qu'après que la preuve a été faite. Ecoutons cette leçon, tous tant que nous sommes. Elle ne regarde pas seulement les juges qui siègent sur leur tribunal; ils ne sont pas seuls soumis à cette loi, mais personne parmi nous, ne doit, sur une accusation sans preuve, condamner le prochain. Voilà pourquoi le bienheureux Moïse, inspiré de l'Esprit-Saint, nous donne cet avertissement : Vous ne recevrez point une parole vaine. (Exode, XXIII, 1.) Et le bienheureux Paul écrivait: Pourquoi juges-tu ton frère? (Rom. XIV,10); et le Christ, en donnant ses préceptes à ses disciples, et faisant la leçon à la multitude des Juifs, à leurs scribes et à leurs pharisiens Ne jugez point, leur disait-il, afin que vous ne soyez point jugés. (Matth. vii, 1.) Pourquoi donc, dit-il, avant le temps, te saisis-tu de la prérogative du juge? Pourquoi fais-tu venir d'avance le jour de la suprême épouvante? Tu veux exercer les fonctions de juge? Sois donc ton juge à toi-même, le juge de tes fautes. Personne ne t'en empêche; par là tu corrigeras tes péchés, et il n'y aura pour toi aucun inconvénient. Que si, négligeant tes propres affaires, tu trônes et juges les autres, c'est que tu ne sens pas que tu rends plus lourd, pour toi, le fardeau de tes péchés. C'est pourquoi, je vous en prie, rejetons bien loin de nous l'habitude de condamner les autres. Sans doute vous n'êtes pas officiellement un juge; mais vous vous êtes fait juge par la pensée ; et vous êtes tombé sous le coup du péché, lorsque, sans aucune preuve, et souvent sur un simple soupçon et sur une accusation sans valeur, vous portez une condamnation. Aussi, le bienheureux David s'écriait : Je persécutais celui qui médisait en secret de son prochain. (Ps. C, 5.)

4. Voyez-vous la perfection de la vertu? non-seulement il n'accueillait pas les paroles, mais il chassait loin de lui celui qui voulait médire de son frère. Eh bien ! donc, nous aussi, si nous voulons diminuer le nombre de nos péchés, observons; avant toutes choses, cette règle; ne condamnons pas nos frères, n'accueillons pas leurs détracteurs, ou plutôt, imitant le Prophète, chassons-les, montrons-leur toute notre aversion. C'est là, je crois, ce qu'insinuait le prophète Moïse, en disant : Vous ne recevrez point une parole vaine. Voilà aussi pourquoi le Seigneur, en cette occasion, a employé un langage approprié à la grossièreté de notre esprit, et cela pour le plus grand profit de nos âmes. Il dit en effet : Je descendrai et je verrai. Pourquoi donc? il avait besoin de connaître? Il ne savait pas la grandeur des péchés? ii ignorait que la corruption était impossible à corriger? Loin de nous cette pensée. Mais, c'est comme une justification qu'il apporte à ceux qui auraient plus tard l'audace de l'accuser. II montre l'obstination dans le vice, le manque absolu de vertu, la grandeur de sa patience. Peut-être y a-t-il encore un autre dessein : il veut fournir, au juste, l'occasion de faire paraître sa miséricorde, sa bonté, son affection pour les autres hommes. Les anges en effet, je vous l'ai dit, étaient partis pour Sodome; le patriarche était resté en la présence du Seigneur: Et s'approchant, dit le texte, Abraham lui dit : Perdrez-vous le juste avec l'impie? (Ibid. 23.) O confiance de l'homme juste ! Disons mieux, ô grandeur de sa miséricorde ! c'est comme un homme que le vin de la miséricorde enivre, et qui ne sait ce qu'il dit. Et la divine Ecriture, nous montrant l'excès de sa crainte, le tremblement avec lequel il verse ses prières, dit : Et s'approchant, Abraham lui dit : Perdrez-vous le juste avec l'impie? Que faites-vous, ô bienheureux patriarche? est-ce que le Seigneur a besoin d'être prié par vous, pour ne pas commettre une injustice ? En vérité, gardons-nous de telles pensées. Quant à lui, il ne parle pas comme si le Seigneur était capable d'une telle action, mais c'est qu'il n'osait pas plaider ouvertement pour le fils de son frère. Il fait donc entendre, dans l'intérêt de tous, une prière commune, parce qu'il veut sauver celui-ci, avec les autres; avec celui-ci, sauver aussi les autres; et il commence son plaidoyer, et il dit : S'il y a cinquante justes dans cette ville, est-ce que vous les perdrez? Ne pardonnerez-vous pas à la ville entière, à cause de cinquante justes, si on les y trouve? Non, sans doute, vous êtes bien éloigné d'agir de la sorte; de perdre le juste avec l'impie; de confondre les bons et les méchants. Non, sans doute : vous, qui jugez toute la terre, vous ne feriez pas un jugement ? (Gen. XVIII, 24, 25.) Voyez comme cette prière révèle la piété, l'amour de Dieu; il reconnaît celui qui est le juge de la terre entière, et il le prie, pour que le juste ne périsse pas avec l'injuste. Alors le Seigneur, plein de douceur et de bonté, accepte sa demande et lui dit : Je fais ce que tu as dit, (286) et je consens à ta demande : Si je trouve cinquante justes dans la ville, je pardonnerai, à cause d'eux, à toute la contrée; j'accorderai cette grâce, dit-il, à cinquante justes, si on les trouve; j'accorderai, aux autres, leur grâce; j'accomplirai ce que tu demandes.

Mais voyons cet homme juste . il s'enhardit, et, reconnaissant la clémence de Dieu, lui présente, de nouveau, une autre prière en ces mots : Maintenant que j'ai commencé à parler à mon Seigneur, moi, qui ne suis que terre et que cendre. (Ibid. 27.) Ne croyez 'pas, dit-il, Seigneur, que j'ignore qui je suis; que je veuille dépasser la mesure; abuser d'une si grande confiance; je sais bien que je suis terre et cendre; mais, de même que je sais cela, je sais, ce qui est pour moi manifeste aussi, je n'ignore pas l'abondance, la grandeur de votre . clémence, la richesse de votre bonté; je sais que vous voulez que tous les hommes soient sauvés. Car , après les avoir tirés du néant, après les avoir faits, comment voudriez-vous les perdre, n'était le grand nombre de leurs péchés? C'est pourquoi je vous prie, et vous supplie encore : S'ils ne se trouvaient pas ait nombre de cinquante, s'ils n'étaient que quarante-cinq justes dans la ville; est-ce que vous ne sauveriez pas la ville? Et le Seigneur dit : Si on en trouve quarante-cinq, je ne la perdrai pas. Qui saurait dignement louer le Seigneur, le Maître de l'univers ; célébrer, comme il convient, tant de patience , tant d'indulgence? Qui pourrait louer dignement ce bienheureux juste, qu'une telle confiance anime? Et, dit le texte, Abraham lui dit encore : Si on y trouve quarante justes? Et Dieu dit : Je ne perdrai point la ville si j'y trouve quarante justes. (Ibid. 28, 29.) Ensuite Abrabam ayant peur, pour ainsi dire , de lasser l'ineffable patience de Dieu, et craignant aussi, peut-être, que sa prière ne parût par hasard dépasser les justes bornes : Oserai-je, dit-il, Seigneur, parler encore? Si on y trouve trente justes? Il voit Dieu disposé à la miséricorde; il cesse alors de diminuer graduellement; il ne se contente pas de retirer cinq justes, il en supprime dix, et il continue ainsi son plaidoyer : Si on en trouve trente? et le Seigneur dit : Je ne perdrai point la ville, si j'y trouve trente justes. Remarquez la constance d'Abraham; on croirait qu'il est lui-même sous le coup de la sentence, à voir avec quelle chaleur il cherche à soustraire au châtiment le peuple de Sodome ; et il dit : Puisqu'il m'est permis de parler à mon Seigneur, si on y trouve vingt justes ?et Dieu dit : Je ne perdrai pas la ville, si j'y trouve vingt justes. (Ibid. 30, 31.) Au-dessus de tout discours, au-dessus de toute pensée, est la bonté du Seigneur. Qui de nous, au milieu des vices sans nombre qui le travaillent, voudrait, quand il condamne le prochain, qui lui ressemble, user d'une telle indulgence, d'une si affectueuse douceur?

5. Cependant ce juste, qui voit que le Seigneur est riche en bonté , ne s'arrête pas là; il recommence à parler: Seigneur, si je vous parlais encore une fois ? (Ibid. 32.) C'est qu'il voyait une patience ineffable, et il avait peur de provoquer contre lui l'indignation de Celui qu'il implorait; donc il dit : Seigneur, si je.... je suis téméraire ? Je montre, peut-être, trop peu de respect ? Je mérite, peut-être, une condamnation si je parle encore une fois? Vous qui m'avez montré tant de bonté, encore une seule prière; accueillez-la : Si, dans cette ville, on en trouve dix?-et Dieu dit: je ne perdrai pas la ville si j'en trouve dix. Et, comme il avait commencé par dire : Si je vous parlais encore une fois : Le Seigneur, dit le texte, s'en alla après avoir cessé de parler à Abraham, et Abraham retourna, chez lui. (Ibid. 33.) Voyez-vous la complaisance du Seigneur, à s'abaisser à notre infirmité ?Voyez-vous la charité de l'homme juste? Comprenez-vous la force de ceux qui marchent dans la voie de la vertu? Si on trouve, dit-il, dix justes, par égard pour eux j'accorde, à tous, la rémission de leurs péchés. Avais-je tort de vous dire que tout cela se faisait, pour enlever à l'impudence des contradicteurs tout prétexte dans l'avenir? Il ne manque pas en effet d'insensés, à la langue sans frein, pour critiquer le Seigneur, et qui osent dire: Pourquoi cet incendie de Sodome? Si on les avait attendus , peut-être se seraient-ils convertis. Voilà pourquoi l'Ecriture nous montre le débordement de la corruption, et, dans une si grande multitude, une, telle pénurie de vertu qu'il fallait un autre déluge, aussi énergique que le premier qui avait saisi la terre. Mais la promesse de Dieu est formelle ; un supplice de ce genre ne sera plus infligé. Voilà pourquoi Dieu invente un autre mode de châtiment, qui lui sert, à la fois, de punition pour ces infâmes, et d'éternel. enseignement pour tous les âges à venir. Comme ils avaient bouleversé les lois de la nature, inventé des commerces (287) étranges, contraires à toute loi, Dieu leur inflige un supplice, étrange comme leur iniquité; il frappe de stérilité les entrailles de leur terre; il laisse aux générations à venir un monument éternel, qui leur crie de ne pas recommencer les mêmes attentats , pour ne pas encourir la même expiation. Permis à qui voudra, d'aller voir ces lieux sinistres, d'entendre, pour ainsi dire, la terre même jetant un grand cri, de la voir, après tant d'années, montrant les traces de son supplice, qui,semble d'hier ou d'aujourd'hui, tant se manifeste encore aux yeux l'indignation du Seigneur. Aussi, je vous en conjure, que le supplice d'autrui nous serve à nous rendre la sagesse et la vertu.

Mais peut-être dira-t-on , eh bien ! pourquoi ont-ils été punis? N'y a-t-il pas, de nos jours encore, un grand nombre de pareils criminels que l'on ne punit pas? Oui, mais, l'antique supplice aggravera le châtiment de ceux qui renouvellent ces infamies. Si le sort des pécheurs d'autrefois ne parle pas assez haut pour nous corriger, si nous ne mettons pas à profit la patience de Dieu, considérez quelle rigueur nous ajoutons, pour nous-mêmes, à la flamme inextinguible ; quel ver cruellement rongeur nous nous apprêtons. Cependant , comme la grâce de Dieu permet qu'il y ait de nos jours encore un grand nombre d'hommes vertueux pour apaiser le Seigneur, ainsi que l'a fait alors ce patriarche;. quelle que soit , quand nous nous replions sur nous-mêmes , quand nous voyons notre engourdissement, l'idée que nous concevons de l'étrange rareté de la vertu, il n'en est pas moins vrai que c'est ït la vertu de ces hommes que nous devons la patience manifestée par Dieu envers les autres. Vous faut-il une preuve, que nous devons à la faveur dont ces hommes jouissent auprès de Dieu, la patience qui nous supporte? écoutez, dans notre histoire d'aujourd'hui, les paroles que le Seigneur adresse au patriarche : Si je trouve dix justes, je ne perdrai pas la ville. Et que parlé-je de dix justes ?.On ne trouva pas, dans ce lieu, un seul homme, pur de la corruption, excepté Loth, le seul juste, et ses deux filles. Pour sa femme, par égard pour lui, peut-être, elle échappa au châtiment de la ville, mais ce fut pour subir bientôt la juste punition de son indolence. Il n'en est pas de même de nos jours, grâce à la miséricorde de Dieu; aujourd'hui que la piété a grandi, un nombre considérable de personnes, même au milieu des villes, de personnes qu'on ignore, peuvent apaiser le Seigneur. Il en est d'autres, sur les montagnes, et dans les cavernes, et ces vertus de quelques saints peuvent couvrir la malignité des peuples. La bonté du Seigneur est grande, et souvent il accorde, même en faveur d'un petit nombre, le salut à des multitudes. Et que dis-je, à cause d'un petit nombre de justes? Souvent, lorsqu'il ne se trouve pas dans la vie présente un juste, il regarde la vertu des morts, et il s'émeut pour les vivants, et sa voix leur crie : Je protégerai cette ville, ci cause de moi, et de David, mon serviteur. (Rois, XIX, 34.) Paroles qui reviennent à dire : quoiqu'ils soient indignes du salut , qu'ils n'aient aucun droit d'y prétendre, toutefois parce que j'aime la miséricorde, parce que je suis prompt à la piété, prompt à écarter le malheur, à cause de moi-même, et à cause de David mon serviteur, je les protégerai ; et celui qui est mort depuis tant d'années, est, pour eux, l'auteur du salut qu'ils avaient perdu par leur propre mollesse. Comprenez-vous la clémence du Seigneur; l'estime qu'il fait des hommes vertueux? il les honore, il les distingue, un seul à ses yeux, balance toute une multitude. Voilà pourquoi Paul, à son tour, disait: Ils étaient vagabonds, couverts de peaux de brebis, et de peaux de chèvres, abandonnés, affligés, persécutés, eux dont le monde n'était pas digne. (Hébr. XI, 37, 38.) Le monde entier, dit-il, l'univers entier, ne mérite pas d'être comparé à ces vagabonds, qui vont de côté et d'autre , en proie aux afflictions, aux persécutions, montrant leur nudité , vivant dans des cavernes, tout cela pour Dieu.

6. Donc, mon bien-aimé, quand vous voyez un homme, des haillons sur le corps, mais dont l'âme s'est fait de la vertu, un manteau, ne méprisez pas ce qui se montre aux yeux; reconnaissez le luxe de l'âme, la gloire du dedans; attachez vos regards à la vertu resplendissante en lui. Tel était le bienheureux Elie, qui n'avait pour vêtement qu'une peau de mouton ; et la pourpre d'Achab avait besoin de cette peau de mouton. Voyez l'indigence d'Achab, et la richesse d'Elie ? Voyez, entre leur pouvoir, la différence. Cette peau de mouton a fermé le ciel, a défendu à la pluie de descendre; la langue du prophète a été pour le ciel un frein; et, pendant trois ans et six mois, il n'y a pas eu de pluie. Ce roi, au contraire, avec son (288) manteau de pourpre, le diadème au front, allait partout, cherchant le prophète, et à ce roi son royal pouvoir ne servait Ae rien. Et maintenant, considérez la bonté du Seigneur. Comme il vit le zèle ardent de son prophète, et le rigoureux châtiment qui frappait toute la terre, pour le soustraire à ces douleurs, pour qu'il ne partageât pas la punition due à la malignité, il lui dit : Allez à Sarepta, chez les Sidoniens, là je commanderai à une femme veuve de vous nourrir. Elie aussitôt s'en alla à Sarepta. (III Rois, XVII, 9, 10.) Voyez, mon bien-aimé, la grâce de l'Esprit : hier, tout notre entretien a été consacré à l'hospitalité; aujourd'hui cette veuve hospitalière sera le complément de notre discours. Et il alla, dit le texte, auprès de cette veuve, et il l'aperçut ramassant du bois, et il dit : donnez-moi un peu d'eau et je boirai; cette femme obéit. Et il lui dit encore: Faites-moi des pains sous la cendre, et je mangerai. (Ibid. 11.) Cette femme lui découvre son extrême indigence, disons mieux, son ineffable opulence. Car la grandeur de sa pauvreté révèle la grandeur de ses richesses. Et elle lui dit : Votre servante n'a plus qu'une poignée de farine et un peu d'huile, dans un vase; et nous mangerons, mes enfants et moi; et nous mourrons. (Ibid. 12.) Paroles d'une tristesse touchante, qui attendriraient une pierre. Nous n'avons plus, dit-elle, aucun espoir de salut; à nos portes, la mort; nous n'avons plus, pour nous soutenir, que ce qui suffira, à peine, à mes enfants et à moi; j'ai fait ce que je pouvais; je vous ai donné de l'eau. Mais maintenant, voulez-vous comprendre tout ce qu'il y a, dans cette femme, de vertu hospitalière, et tout ce qu'il y a de sainte confiance,dans l'homme juste, voyez ce qui arrive. Quand le prophète eut bien tout reconnu (or rien ne se faisait, qu'afin de nous révéler la vertu de cette femme, car Dieu qui avait dit : Je commanderai à une femme de vous nourrir, c'était lui, qui, en ce moment opérait par l'entremise de son prophète), l'homme de Dieu dit : Faites pour moi d'abord, et je mangerai; et ensuite, pour vos fils.

Ecoutez toutes, ô femmes, vous chez qui les richesses abondent, et qui dépensez votre opulence à tant de choses inutiles, et qui, après avoir bien joui de vos frivolités, ne pouvez pas vous décider à donner deux oboles à l'indigent, ou à l'homme vertueux et pauvre, qui sous implore au nom de Dieu. Cette veuve ne possède rien de votre luxe ; elle n'a qu'une poignée de farine, et déjà elle croit assister à la mort de ses enfants. A ces mots du prophète : Faites pour moi d'abord, et ensuite pour vous et pour vos enfants, elle ne s'indigne pas, elle n'hésite pas, elle fait ce qui lui est commandé; elle nous montre à tous, que nous devons pré• férer, à notre bien-être, le soin des serviteurs de Dieu; que nous devons nous appliquer à mériter le salaire considérable dont nous serons récompensés quand nous aurons accompli ce devoir. Contemplez cette veuve; pour une poignée de farine, pour un peu d'huile, quel grenier inépuisable elle s'est construit! (III Rois, XVII, 14.) Après qu'elle eut nourri le prophète, elle vit que rien ne manquait, ni à sa poignée de farine, ni à l'huile qu'elle avait dans son vase; et cependant la famine dévorait toute la terre. Or, voilà qui est un sujet d'admiration, d'étonnement, c'est que, dès cet instant elle n'avait plus que faire de se fatiguer; elle trouvait toujours sous sa main, et la farine et l'huile; elle n'avait pas besoin de cultiver les champs, d'associer les boeufs à ses travaux: pas besoin d'aucun autre labeur; il lui était donné de jouir de cette merveilleuse abondance qui démentait la nature. Et il y avait un roi, couronne en tête, qui s'inquiétait, qui soutirait de la faim, tandis que cette veuve, privée de toutes ressources, mérita, pour avoir accueilli le prophète, et obtint un inépuisable trésor. Voilà pourquoi le Christ disait: Celui qui reçoit un prophète en qualité de prophète, recevra la récompense du prophète. (Math. X, 41.) Vous avez vu hier ce qu'a valu au patriarche l'hospitalité généreusement pratiquée par lui, et l'empressement et l'ardeur de son zèle; voyez maintenant cette femme de Sidon, possédant tout à coup de grandes richesses; c'est que la langue du prophète, qui commandait au ciel, fit en sorte que cette poignée de farine et ce vase d'huile devinssent des sources d'une intarissable richesse.

7. Hommes et femmes, imitons donc cette veuve; je voudrais, oui, je voudrais vous conduire, vous élever jusqu'à ce prophète, vous enflammer de son zèle, vous inspirer le désir d'égaler sa vertu. Mais cette vertu vous paraît lourde à portes ; ce n'était pourtant qu'un homme, revêtu de chair comme nous, de la même nature que nous; mais il contribua largement des ressources de son âme; il sut ce que c'est que d'embrasser la vertu; par là il obtint la grâce d'en-haut. Tournons ailleurs (289) nos regards en attendant ; imitons si vous voulez, cette femme, et par ce moyen, peu à peu nous parviendrons jusqu'à l'imitation du prophète. Imitons donc son hospitalité généreuse; à l'avenir plus de prétextes tirés de notre indigence. Si indigent 'qu'on soit, on ne le sera jamais plus que cette femme, qui n'avait d'aliments que pour un jour, et qui, même dans cette extrémité, accorda au prophète, sans hésiter, ce qu'il lui demandait, s'empressa d'obéir, et tout de suite, reçut sa récompense. Car voilà la conduite de Dieu; il donne beaucoup, après avoir peu reçu. Car enfin, parlez, je vous en prie, a-t-elle donné autant qu'elle a reçu? Mais Notre-Seigneur ne regarde pas à -la quantité dans le don; il ne voit que la munificence de la volonté. Voilà ce qui fait que de petites choses deviennent de grandes choses ; que souvent aussi, de grandes choses perdent tout leur prix, lorsque la vive ardeur de l'âme ne répond pas à la conduite. Voilà pourquoi cette veuve de l'Evangile, au milieu de tant de gens qui faisaient des offrandes, qui en apportaient tant dans le trésor, avec ses deux petites. pièces de monnaie, a vaincu tous les riches. (Luc, XXI, 3, 4.) Elle ne donna pas plus que les autres, mais elle montra plus que les autres la libéralité de la volonté; les autres, en effet, dit le Seigneur, faisaient l'aumône de leur superflu, cette veuve apporta tout ce qu'elle possédait, toute sa subsistance; tout ce qui la faisait vivre, dit le texte , elle le jeta dans le trésor.

Eh bien ! sommes-nous vraiment des hommes? imitons au moins ces femmes; qu'il ne soit pas dit que nous ne les valons pas; ne réduisons pas notre empressement à dépenser, pour nos jouissances particulières, tous ce que nous possédons ; sachons aussi montrer que nous prenons grand soin des indigents ; soignons-les avec ardeur , avec le zèle joyeux d'une affection sincère. Quand l'agriculteur jette les semences sur la terre , il ne le fait pas avec tristesse, mais gaiement et joyeusement, comme s'il voyait déjà les gerbes qu'il se promet, et il prend plaisir à jeter la semence dans le sein de la terre. Faites de même, mes bien-aimés, ne considérez pas seulement, ni le pauvre qui reçoit, ni la dépense que vous. faites; pensez donc que celui qui reçoit de vos mains, est un être visible, mais qu'il y en a un autre, qui regarde comme fait à lui-même ce que l'on fait au premier. Et cet autre n'est pas un personnage vulgaire , c'est le Maître du monde entier, le Seigneur de toutes les créatures, Celui qui a fait et le ciel et la terre. Et cette dépense produit de gros intérêts; et, non-seulement elle ne diminue pas votre avoir, mais elle l'augmente si vous avez la foi et l'allégresse de la charité; je veux dire, ce qui est de tous les biens le principal; ajoutez à ces revenus, à ces bénéfices que vous vaut votre dépense, ajoutez-y encore, que vos péchés vous sont pardonnés. Quel bien pourrait égaler celui-là ? Donc, si nous voulons devenir vraiment riches, ajouter à nos richesses la rémission de nos péchés, versons, dans les mains des indigents, tous nos trésors; envoyons-les avant nous dans le ciel, où il n'y a ni voleur, ni larron, ni bandit perçant les murailles, ni serviteur infidèle, ni quoi que ce puisse être qui nous enlève notre richesse. Car de cet heureux séjour, n'approche aucun de tous ces dangers; il suffit pour nous, de ne pas poursuivre la vaine gloire, mais de marcher, en suivant les lois du Christ, non pas pour obtenir les louanges des hommes, mais pour être loués par le commun Seigneur de tous les êtres; pour qu'il ne soit pas dit que nous ne faisons que des dépenses sans aucun profit. Voulons-nous mettre nos richesses à l'abri de toutes les convoitises? transportons-les au ciel, par les mains des pauvres. Ce n'est qu'un frivole désir de gloire qui les consume; et comme la teigne et les vers rongent les tissus, ainsi fait la vaine gloire des richesses; les richesses s'acquièrent par la miséricorde. C'est pourquoi, je vous en conjure, ne nous bornons pas à faire des aumônes, mais sachons prendre toutes nos précautions, pour nous assurer de grands biens, en échange de peu de chose, à la place du fragile, l'incorruptible, en retour de ce qui est temporaire, l'éternel; et de plus, avec tous ces biens, la rémission de nos péchés, et le bonheur qu'aucune expression ne peut rendre ; et puisse-t-il devenir pour nous tous, notre partage, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père et à l'Esprit saint et vivifiant, la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

 

QUARANTE-TROISIÈME HOMÉLIE. Les deux anges vinrent à Sodome, le soir. (Gen. XIX, 1.)
ANALYSE.

1. Loth, au milieu de Sodome, pratiquait l'hospitalité, comme Abraham au sein de la solitude. On peut être vertueux parlât, Ici-bas l'intercession des justes peut être utile aux autres hommes. — 2. Mais il n'en est pas de même dans le siècle futur. — 3-6. Arrivée des anges chez Loth. Exécrable infamie des habitants de Sodome, et leur punition. — 7. Exhortation morale.

1. Une riante prairie nous montre une variété de fleurs de toute espèce; ainsi la divine Ecriture nous montre les vertus des justes, non pas afin de nous faire jouir, pendant quelques instants bien courts , du parfum de ces fleurs , mais afin que nous en retirions une utilité durable. Les fleurs que notre main cueille dans les champs, se flétrissent bien vite, et perdent leur éclat; il n'en est pas de même des fleurs de l’Ecriture. Quand nous avons appris les vertus des justes,quand nous les avons mises en réserve, au sein de notre âme, nous pouvons toujours savourer ce parfum; il suffit de vouloir. Eh bien ! donc, puisque telle est, dans la divine Ecriture, la bonne odeur des saints,recherchons aujourd'hui le parfum de Loth; comprenons bien que ce qui a conduit ce juste sur la cîme d'une vertu si haute, c'est son commerce avec le patriarche, dont il suivit les traces, auquel il a dû particulièrement les vertus qu'il montra dans l'exercice de l'hospitalité. Pour donner plus de clarté à notre entretien, il est bon d'entendre les paroles de l'Ecriture : Les deux anges vinrent à Sodome, le soir. Pourquoi le texte commence t-il ainsi ? Pourquoi dit-il: Les deux anges vinrent à Sodome, le soir? C'est parce qu'après être restés sous la tente du patriarche, ils se levèrent et sortirent ; mais le Dieu de bonté, se manifestant, par sollicitude pour nous, sous une forme humaine, demeura auprès du patriarche, et lui parla comme vous l'avez entendu hier. Dieu voulait nous apprendre à tous, et la grandeur de sa patience, et la charité du patriarche. Quant aux anges, ils se dirigèrent alors du côté de Sodome. L'Ecriture, suivant l'ordre des faits, nous dit maintenant: Les deux anges vinrent à Sodome, le soir, pour faire ce qui était commandé. Voyez l'exactitude; le soin de la divine Ecriture. Elle nous montre le temps de leur arrivée. En effet, elle nous dit: Le soir. Pourquoi a-t-elle marqué le temps? Pourquoi les anges sont-ils arrivés le soir? L'Ecriture veut nous montrer la généreuse hospitalité de Loth ; de même que le patriarche, assis devant sa tente, au milieu du jour, observait les voyageurs qui pouvaient passer, les épiait, s'appliquant avec ardeur à cette chasse généreuse, et s'élançait sur eux, et que c'était une fête pour lui que de recevoir les étrangers; de même ce juste, qui connaissait la perversité des habitants de Sodome, ne sortait pas de chez lui, le soir, mais il demeurait assis de, vaut sa maison, afin de ne pas perdre un trésor qui aurait pu lui échapper, afin de s'assurer le fruit de l'hospitalité. Il est vraiment permis d'admirer la vertu de ce juste qui au milieu (291) d'hommes si impies, non-seulement ne s'est pas relâché, mais n'en a montré que plus de vertu. Et lorsque tous, pour ainsi dire , se ruaient dans le précipice , lui seul, dans une si grande multitude, suivit le droit chemin.

Où sont-ils maintenant ceux qui prétendent qu'on ne peut pas, au milieu d'une ville, conserver la vertu? qu'il est besoin de retraite, de séjour sur les montagnes? qu'on ne peut pas, quand on a une maison à conduire, quand on a une femme , des enfants à soigner, et des domestiques, et des serviteurs, pratiquer la vertu? Qu'ils voient donc cet homme juste, ayant à ses côtés femme, enfants et serviteurs, vivant au sein d'une ville, et pareil, au milieu de tous ces méchants, de tous ces impies, à une étincelle qui brille au milieu de la mer, qu'ils le voient donc persister, non-seulement sans s'éteindre, mais répandre une lumière chaque jour plus éclatante. Et ce que je dis, ce n'est pas pour empêcher qu'on ne cherche-la retraite hors des villes; ce n'est pas pour interdire le séjour des montagnes ou des solitudes; mais je montre que celui qui veut vivre dans la tempérance, pratiquer exactement, activement la vertu, ne trouve, hors de lui, rien qui l'en puisse empêcher. De même que l'indolent, que celui qu'un rien abat, ne retire aucun profit de la solitude; (en effet, ce n'est pas du lieu où l'on est que la vertu dépend, c'est le fruit de notre sagesse et de nos moeurs;) de même, l'homme sage et vigilant, n'a pas à souffrir du séjour des villes. Aussi je voudrais voir, comme ce bienheureux, les hommes vertueux vivre au sein des cités, où ils seraient comme un ferment qui attirerait les autres, qui les porterait à suivre leur exemple. Toutefois, comme la vie dans ces conditions semble difficile, nous permettons qu'on essaye l'autre genre de vie. En effet, la figure de ce monde passe. (I Cor. VII, 31.) La vie présente est courte; et, si nous ne profitons pas du moment que nous sommes encore dans le stade, pour entreprendre les travaux de la vertu, pour fuir les filets de la malignité, c'est en vain, plus tard, que nous prétendrons nous corriger, quand le repentir ne servira de rien. Tant que nous demeurons dans la vie présente, le repentir peut avoir son utilité; on y gagne l'expiation des premières fautes, on acquiert ainsi la miséricorde du Seigneur. Si nous laissons échapper le temps présent, si tout à coup nous sommes emportés, nous pourrons nous repentir, mais nous n'en retirerons aucune utilité. En voulez-vous l'assurance? écoutez ce que dit le Prophète: Qui est celui qui vous louera dans l'enfer ? (Psal. VI, 5.) Et ailleurs: Le frère ne rachète point son frère, l'étranger le rachètera-t-il ? (Psal. XLVIII, 8.) Il n'y aura là, dit le Psalmiste, personne, plus tard, pour délivrer celui qu'aura trahi sa négligence; il n'y aura là ni frère, ni père, ni mère; et que dis-je, ni frère, ni père, ni mère? les justes même , qui jouissent de l'intimité de Dieu, ne pourront alors nous être d'aucun secours, si, dans la vie présente, nous cédons à l'engourdissement. En effet, dit le Prophète , que Noé, Job et Daniel s'y trouvent en même temps, ils ne délivreront ni leurs fils, ni leurs filles. (Ezéch. XIV, 20.) Voyez quelle terrible menace ; quels justes l'Ecriture a nommés ! En effet, ces sages, quand ils vivaient, ont procure; même le salut des autres; Noé, quand l'épouvantable déluge saisit la terre, sauva son épouse et ses fils; Job, de même, fut, pour les autres, une cause de salut, Daniel aussi arracha un grand nombre d'hommes à la mort, quand ce barbare demandait des choses impossibles à la nature humaine, et voulait exterminer Chaldéens, Mages, et Gazaréniens.

2. Ne pensons pas qu'il en soit de même dans le siècle à venir, et que ceux qui ont passé leur vie dans la vertu, qui sont en faveur auprès de Dieu, puissent affranchir du supplice leurs amis, leurs parents, qui auront vécu ici-bas dans une molle négligence. Voilà pourquoi le texte nous a parlé de ces hommes justes; c'est pour nous inspirer la terreur, c'est pour nous montrer que chacun de nous doit fonder sur ses propres oeuvres, en même temps que sur la grâce divine, l'espérance de son salut; qu'il ne faut ni se glorifier des vertus de ses ancêtres, ni de quoi que ce soit hors de nous, ni bâtir sur ce fondement sa confiance, si nous persévérons dans le péché; mais qu'il faut se soucier uniquement, si nos pères ont brillé parla vertu, d'imiter leur vertu ; et, s'il leur est arrivé le contraire, si nous sommes nés de parents pervertis, nous ne devons pas croire qu'il y ait là rien qui nous soit nuisible, pour peu que nous nous exercions aux fatigues de la vertu. En effet, nous ne retirerons, de ce qui ne nous est pas personnel, aucun dommage; chacun n'est couronné ou condamné que pour ses propres oeuvres, comme dit le bienheureux Paul : Afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu'il aura faites, (292) pendant qu'il était revêtu de son corps. (II Cor. V, 10.) Et ailleurs, en parlant de Dieu: Il rendra à chacun selon ses oeuvres. (Rom. II, 6.) Parfaitement instruits de ees vérités, secouons toute négligence; attachons-nous, de toutes nos forces, à la vertu: profitons de ce que nous sommes encore dans le stade, de ce que c'est le temps de la lutte, et, avant que les spectateurs se séparent, inquiétons-nous de notre salut, afin qu'après avoir, dans la vie si courte qui nous est donnée, pratiqué la vertu, nous en recevions la récompense, dans la vie qui n'aura pas de fin. Semblables à ce juste qui, au milieu de tant de méchants, et ne trouvant personne pour imiter sa vertu, et ne voyant autour de lui que les moqueries de la perversité railleuse, non-seulement ne s'est pas arrêté, n'est pas devenu moins actif, mais a brillé d'un tel éclat de vertu , qu'il a mérité de recevoir, chez lui, les anges du Seigneur. Et, quand ces anges faisaient périr tous les habitants, lui seul, avec ses filles, a évité le châtiment qui leur était infligé, Revenons d'ailleurs à la suite de notre entretien: Les deux anges vinrent â Sodome le soir. Le moment de la journée montre surtout la parfaite vertu de ce juste, puisque, le soir arrivant, il resta devant sa maison et ne rentra pas. Car, comme il connaissait le profit de l'hospitalité, jaloux d'acquérir les richesses qu'elle donne, il y mettait beaucoup de soin; et le jour terminé, il continuait encore. Voilà la marque d'une âme où règne la ferveur d'un zèle actif; aucun obstacle ne l'empêche de manifester sa vertu ; bien plus; les plus grands obstacles ne font que l'exciter davantage, et l'embraser d'un plus vif désir.

Quand Loth, dit le texte, les aperçut, il se leva pour aller au-devant d'eux. Ecoutez ces paroles, vous qui, à l'aspect des étrangers, qui vous prient et vous supplient, et vont jusqu'à s'abaisser devant vous, leur montrez durement votre aversion et les repoussez. Voyez comment ce juste -n'attend pas qu'ils viennent jusqu'à lui; il fait comme le patriarche: ignorantquels étaient ces hôtes, les prenant pour de simples voyageurs, il semblait sauter de joie , parce qu'il avait obtenu la proie qu'il cherchait, et son désir ne le trompait pas. Loth les ayant vus, se leva, alla au-devant d'eux, et s'abaissa jusqu'en terre. (Gen. XIX, 1.) Il rendit grâces à Dieu, qui l'avait jugé digne de recevoir ces voyageurs. Remarquez la vertu de ce juste ; il regardait comme un grand bienfait de Dieu, d'avoir rencontré ces hommes, afin de satisfaire, en les recevant, son désir d'exercer l'hospitalité. Ne vous hâtez pas de dire, que c'étaient des anges; considérez plutôt que ce juste l'ignorait encore; il les reçoit comme des inconnus, comme de simples voyageurs; son âme était ainsi faite. Puis il leur dit : Venez, seigneurs, je vous prie, dans la maison de votre serviteur, et demeurez-y, et lavez vos pieds, et demain vous continuerez votre route. Ces paroles suffisent pour révéler la vertu cachée dans l'âme de ce juste. Comment s'étonner qu'on admire cette humilité parfaite, le zèle brûlant qu'il montre en exerçant l'hospitalité? Venez, dit-il, seigneurs, dans la maison de votre serviteur, et il les appelle seigneurs, et il s'appelle lui-même leur serviteur. Ecoutons avec attention ces paroles, mes bien-aimés, et nous aussi, apprenons à faire comme lui. Un homme qui avait le droit d'être fier, un homme d'un grand nom, si riche, le père d'une si belle famille, aperçoit des voyageurs, des étrangers, des inconnus, en apparence assez misérables; ils passent, ils ne lui sont rien, il les appelle seigneurs, et il dit: Venez dans la maison de votre serviteur et reposez-vous. C'est le soir, dit-il, accordez-moi cette grâce, reposez-vous de la fatigue du jour en venant dans la maison de votre serviteur. Est-ce que je vous fais une magnifique promesse? Vous laverez vos pieds, fatigués d'une longue marche, et demain vous continuerez votre route. Accordez-moi cette grâce, et ne refusez pas ma prière. Et ils lui répondirent, dit le texte, nous n'irons point chez vous, mais nous demeurerons sur la place. Même après leur refus, en réponse à une exhortation si pressante, il ne s'engourdit pas; il ne renonce pas à son dessein; il ne, fait pas ce que nous faisons quelquefois, quand il nous arrive d'adresser une exhortation à quelqu'un , si nous le voyons résister, si peu que ce soit, refuser, aussitôt nous nous arrêtons, ce qui provient de ce que nous n'avons ni affection, ni vrai zèle, et surtout, de ce que nous regardons comme une excuse suffisante, de pouvoir dire, j'ai fait ce que j'avais à faire.

3. Que dis-tu, que tu as fait ce que tu avais à faire? Tu chasses, et tu laisses la proie s'échapper. Tu t'en vas loin du trésor, et tu as fait ce que tu avais à faire ? Tu aurais fait ton devoir, si tu n'avais pas jeté le trésor due tu avais dans les mains; si, en chassant, tu (293) n'avais pas laissé échapper la proie; si tu n'avais pas, uniquement pour l'acquit de ta conscience, et seulement en paroles, montré les vertus de l'hospitalité. Ce juste, au contraire, n'agit pas de même: mais que fait-il? Il les voit, qui résistent à ses prières et qui veulent demeurer sur la place. Or, ce que les anges voulaient, c'était faire éclater la vertu de l'homme juste, et nous montrer, à tous, combien était grande en lui l'affection de l'hospitalité. Aussi bientôt ne se borne-t-il plus à des paroles, mais il leur fait violence. Le Christ aussi disait : Ce sont les violents qui emportent le royaume des cieux. (Matth. XI, 12.) En effet, où brille un gain spirituel, la violence est à propos, et la contrainte est louable. Et il les pressait, dit le texte, avec grande instance. Il me semble, à moi, qu'il les attirait malgré eux : bientôt, quand ils virent tout le zèle de l'homme juste, quand ils se virent contraints d'accéder à son désir. Ils consentirent, dit le texte, à ce qu'il voulait, et ils entrèrent dans sa maison, et il leur fit un festin, et il fit cuire des pains sans levain, et ils mangèrent avant d'aller se coucher. Voyez-vous, ici encore, que ce n'est pas dans la somptuosité de la table que l'hospitalité réside, que c'est la générosité de l'âme qui la constitue ? Aussitôt qu'il a pu les introduire dans sa maison, vite il s'empresse de remplir tous les devoirs envers les hôtes, et lui-même s'apprête à les servir. Il apporte ce qu'il faut pour le repas, il leur rend toute sorte d'honneurs, il entoure de soins ces hommes qu'il prend pour de simples voyageurs. Mais les habitants de Sodome entourèrent la maison, depuis les enfants jusqu'aux vieillards, tout le peuple s'y trouva, et ils appelèrent Loth et lui dirent: Où sont ces hommes qui sont entrés, ce soir, chez vous? faites-les sortir, afin que nous les connaissions. (Gen. XIX, 5.) Gardons-nous, mes bien-aimés, de passer légèrement sur ces paroles; ne nous bornons pas à voir l'abominable délire de ces hommes; réfléchissons, méditons sur la vertu de ce juste, qui, au milieu de ces bêtes sauvages, a montré l'excellence de la vertu; qui a supporté leur iniquité, qui ne s'est pas sauvé de leur ville; qui a soutenu leur entretien. Voici ce que je dis: Le Maître de toutes les créatures, prévoyant l'épouvantable corruption de ces hommes, a voulu que ce juste résidât parmi eux, pour être comme un excellent médecin qui guérirait leur maladie. Quand il vit que les soins ne servaient à rien, que leur mal était incurable, il n'a pas pour cela renoncé à la cure; c'est ce que font d'ordinaire les médecins. Ils ont beau voir que les maladies sont plus fortes que la médecine, ce n'est pas pour eux une raison de négliger leur devoir, parce que, s'il peut se faire, même au bout d'un long temps, que le malade se rétablisse, la guérison prouvera l'excellence de leur art; si, au contraire, leurs soins sont inutiles, on pourra d'autant moins leur adresser de reproches, qu'ils auront fait tout ce qui dépendait d'eux.

C'est, assurément, ce qui arriva ici. Ce juste au milieu de ces hommes, même dans ces circonstances, conserva la justice et montra l'étendue de sa sagesse. Quant aux habitants de Sodome, voilà précisément ce qui leur ôte toute excuse; non-seulement ils ne se sont pas corrigés de leur malignité, mais elle ne fit que s'accroître. Voyez en effet : Ils entourèrent la maison; depuis les enfants jusqu'aux vieillards, tout le peuple s'y trouva. Abominable conspiration de la corruption, violent désir du mal, inexprimable grandeur de la dépravation, criminelles tentatives que rien ne saurait excuser! depuis les enfants, dit le texte, jusqu'aux vieillards. Non-seulement, dit le texte, l'enfance recherchait cette violation sacrilége, mais on voyait là des hommes sur le déclin de l'âge, et tout le peuple s'y trouva. Et ils ne rougissaient pas d'une chose si infâme, d'une infamie si éhontée; et ils ne pensaient pas à l'OEil qui ne dort jamais ; et ils ne respectaient pas l'homme juste, ni ceux qu'ils prenaient pour des voyageurs dans la maison du juste, pour y recevoir l'hospitalité; ils n'avaient pour eux aucun égard; sans pudeur, et, comme dit le proverbe, sans masque, proférant les paroles de leur impudicité, ils approchèrent, ils appelèrent le juste, et lui dirent : Où sont ces hommes qui sont entrés chez vous? Faites-les sortir, afin que nous les connaissions. C'est, je pense, parce que le juste prévoyait cette criminelle tentative , cette perversité sacrilège , qu'il était resté assis devant sa porte jusqu'au soir, ne voulant pas que les voyageurs fussent surpris dans les filets de ces hommes. Et ce juste, avec la perfection de l'hospitalité, et, de plus, un grand sentiment de pudeur, a pris soin d'accueillir tous les voyageurs, de n'en laisser échapper aucun, quoiqu'il ignorât que ceux-ci fussent des anges, et qu'il les prit simplement pour des hommes. Quant à ces (294) impies, outre qu'ils ne faisaient rien qui ressemblât à la conduite de ce juste, ils n'avaient qu'un désir passionné, c'était de commettre une abomination surpassant, d'une manière incroyable, tout ce qui se peut concevoir d'infamie. Les anges voulaient donc demeurer sur la place, pour ménager au juste l'occasion de manifester son hospitalité, et pour montrer aussi, par la réalité même des choses, la justice des châtiments qui allaient frapper les pervers, se ruant dans de si effroyables désordres.

4. Mais voyons, dans ce qui suit, la grande vertu de l'homme juste. Loth sortit de sa maison, et, ayant fermé la porte derrière lui, il leur dit. (Ibid. 6.) Voyez la crainte du juste; il tremble pour ses hôtes, et il ne ferme pas seulement la porte derrière lui; mais, connaissant la fureur et l'audace des habitants, soupçonnant leur violence, il leur dit : Ne songez point, mes frères. O patience de l'homme juste ! O grandeur de l'humilité ! Voilà la vraie vertu; adresser des paroles si douces à de tels hommes ! On ne doit pas, en effet, quand on veut guérir un malade, quand on se propose la correction d'un insensé, employer la colère et la rudesse du langage. Et, voyez : ceux qui voulaient accomplir des actions inouïes, il les appelle ses frères, afin de toucher leur conscience, de les détourner de leur infamie sacrilège. Ne songez point, dit-il, mes frères, ne songez point à commettre un si grand mal. N'ayez point une pareille pensée, ne recevez point dans votre esprit l'idée d'un crime si affreux; ne trahissez pas la nature même; n'inventez pas de commerces illicites. Mais, si vous voulez assouvir la passion furieuse dont l'aiguillon vous donne le vertige , je vous procurerai, moi, ce qui rendra moins lourd le poids de votre crime : J'ai deux filles encore vierges , c'est-à-dire , qui , jusqu'à ce jour, dit-il, n'ont pas connu le mariage, intactes, jeunes, encore dans la fleur de l'âge; je vous les livre à tous; servez-vous-en comme il vous plaît, prenez-les, dit-il, satisfaites sur elles votre passion, assouvissez votre concupiscence, pourvu que vous ne commettiez point sur ces hommes une action coupable, parce qu'ils sont entrés dans ma maison. (Ibid. VIII.) Puisque, dit-il, je les ai forcés d'entrer sous mon toit, pour qu'on ne m'impute pas l’iniquité commise contre eux, pour qu'il ne soit pas dit que je suis l'auteur de l'outrage qui leur est fait, pour cette raison, je vous livre mes deux filles, afin de soustraire ces hommes à vos mains. Quelle grande vertu de l'homme juste ! Il a dépassé les plus hautes cimes de la vertu d'hospitalité; quelles louanges pourraient égaler la sagesse de ce juste, qui n'a pas voulu même épargner ses filles, pour faire honneur à ses hôtes, pour les délivrer de la perversité des Sodomites. Et cet homme a prostitué ses filles, pour délivrer des hôtes, des voyageurs, je veux le redire encore, qui lui étaient absolument inconnus; pour les soustraire à des affronts sacrilèges. Et nous, que de fois, voyant nos frères tombés dans l'abîme même de l'impiété, je dirai presque, voyant nos frères dans la gueule du démon, nous ne daignons pas leur parler, nous inquiéter pour eux, leur adresser des avertissements, les arracher à la malignité, les ramener à la vertu ! Quelle pourra être notre excuse, lorsque ce juste n'épargne pas même ses filles, afin de rendre à ses hôtes les soins qui leur sont dus? Nous, au contraire, nous sommes sans pitié pour nos frères, et, souvent, nous faisons entendre ces paroles, dépourvues de sentiment, et toutes remplies d'extravagance absurde : Qu'ai-je de commun avec un tel? Je ne prends de lui aucun souci; je n'ai avec lui aucune affaire. O homme, ô homme, que dis-tu? Tu n'as rien de commun. avec lui? C'est ton frère, de la même nature que toi; vous êtes soumis au même Seigneur, vous participez souvent à la même table, à la table spirituelle, entendez-vous bien, à cette table terrible, et tu dis : je n'ai rien de commun avec lui, et tu passes, sans pitié dans le coeur, ton chemin, et tu ne tends pas la main à celui que tu vois gisant!

Les Juifs avaient une loi qui leur prescrivait de prendre soin des bêtes de somme qu'ils voyaient tomber et qui appartenaient à leurs ennemis. (Exode, XXIII, 5.) Et vous qui, souvent, voyez votre frère blessé par le démon, étendu, je ne dis pas sur la terre, mais au bord du gouffre du péché, vous ne l'en retirez pas, par vos exhortations; vous ne l'avertissez pas; vous n'appelez pas les autres au secours pour retirer, s'il est possible, de la gueule du monstre, celui qui est un de vos membres, pour le faire remonter à son rang, afin que vous-mêmes, s'il vous arrive de tomber, loin de vous ce malheur, dans les filets de ce démon maudit, vous trouviez, à votre tour, des frères secourables, qui s'empressent de vous (295) délivrer? Dans cette pensée, Paul, voulant exciter les Galates, les porter à prévoir le sort de ceux qui sont leurs membres, leur écrivait : Faisant réflexion sur vous-mêmes, craignant d'être tentés, vous aussi (Gal. VI, 1), comme s'il leur disait : Si vous passez votre chemin, sans pitié, sans humanité pour votre frère tombé, peut-être arrivera-t-il qu'auprès de vous, si vous venez à tomber, un autre, comme vous, passera son chemin; donc, si vous voulez qu'on fasse attention à vous, qu'on vous relève, s'il vous arrive de tomber, ne négligez pas les autres; montrez la bonté parfaite, regardez, comme le plus riche trésor, de pouvoir sauver votre frère. Si vous considérez seulement que cet homme, que vous ne regardez pas, près duquel vous continuez votre chemin, sans vous arrêter; est tellement en honneur auprès de Dieu, que le Seigneur, n'a pas refusé de répandre, pour lui, jusqu'à son propre sang, comme le dit le bienheureux Paul : Et ainsi par votre science, vous perdrez votre frère, pour qui Jésus-Christ est mort ( I Cor. VIII, 11), comment ne rougirez-vous pas de votre indifférence au point de rentrer sous terre? Si le Christ, pour cet homme, a répandu son sang, qu'y aura-t-il de merveilleux à ce que vous montriez au même homme votre affection par des paroles qui l'exhortent, qui le relèvent quand il sera tombé; qui ramènent cet homme plongé, englouti peut-être au fond de l'abîme de la malignité; qui le rendent à la lumière de la vertu, et ne lui permettent pas de se replonger dans les ténèbres de la corruption?

5. Imitons donc, je vous en conjure, cet homme juste, et s'il faut même nous exposer au péril, pour sauver le prochain, ne reculons pas. Le péril ainsi affronté nous vaudra notre salut, l'intimité dans le sein du Seigneur. Considérez, en effet, je vous en conjure, comment cet homme juste a tenu tête à tout un peuple, à cette conspiration de ces êtres dépravés. Quelle douceur ! quel inexprimable courage il a témoigné, quoiqu'il n'ait pu, même par cette conduite, corriger; dompter ce furieux délire. En effet, après qu'il eut prononcé ces paroles, qu'il eut montré une douceur si rare, quand il eut, par ses paroles, livré ses filles, comme de ses propres mains, que lui disent-ils? Retirez-vous. (Ibid. IX.) O profondeur de l'ivresse ! ô excès du délire ! Voilà comme se comporte cette brute effrénée, cette détestable concupiscence. Quand elle a vaincu la raison, elle rte supporté plus l'aspect de la vertu et de l'honnêteté. Il lui faut les ténèbres, la nuit, pour livrer ses combats. Retirez-vous, disent-ils, vous êtes venu ici comme un étranger parmi nous; est-ce afin d'être notre juge? Eh bien ! nous vous traiterons vous-même, encore plus mal qu'eux. Voyez avec quelle douceur l'homme juste leur parle; avec quelle brutalité farouche ils lui répondent. C'est que- le démon leur à versé son ivresse; c'est le démon qui marché à leur tête, et, sous sa conduite, ils attaquent l'homme juste, et ils lui disent : Vous êtes venu ici comme un étranger parmi nous; est-ce afin d'être notre juge? Nous vous avons reçu, disent-ils, comme un étranger; êtes-vous donc devenu notre juge? O excès de la perversité ! Il fallait rougir, il fallait recevoir avec respect le conseil de l'homme juste; mais, semblables aux malades furieux qui veulent se jeter, même sur leur médecin, les voilà, eux aussi, qui lui disent: Eh bien! nous vous traiterons plus mal qu'eux. Si tu ne veux pas, lui disent-ils, te taire, demeurer en repos, tu vas apprendre que ta protection n'aboutira qu'à les soustraire au danger, pour t'y faire tomber toi-même. Et ils se jetèrent sur Loth avec une grande violence. Voyez le courage de l'homme juste, qui tâche de résister à une si grande multitude. Lorsqu'ils étaient déjà prés de rompre les portes. Vous savez qu'en sortant, prévoyant la rage insensée de ce peuple, il avait fermé sa porte derrière lui, et ces impies, ces scélérats, ne supportant pas les avertissements de l'homme juste, le pressaient avec violence, et se préparaient à briser la porte. Mais l'expérience avait assez montré, d'une part la vertu de l'homme juste, son désir d'exercer l'hospitalité envers ceux qu'il regardait comme de simples voyageurs; d'autre part, ce qu'il fallait attendre de tout ce peuple, ne conspirant que pour une infamie.

Les voyageurs à leur tour se révèlent, se manifestent. Ils ont vu que l'homme juste a rempli tout son devoir, ils font éclater leur puissance, et secourent ce juste qui subissait les violences d'une rage insensée. C'est pourquoi, dit le texte, ils prirent Loth par la main, et l'ayant fait rentrer dans la maison, ils en fermèrent la porte. Pour les hommes qui étaient dehors, ils les frappèrent de cécité, depuis le plus petit jusqu'au plus grand, de sorte qu'ils (296) ne purent plus trouver la porte. (Ibid. 10, 11.) Voyez-vous comme le juste reçoit tout de suite la récompense de son hospitalité; comme ces impies sont frappés de la peine qu'ils méritent ? En effet, dit le texte, ils prirent Loth et l'ayant fait rentrer dans la maison, ils en fermèrent la porte. Quant aux autres, ils les frappèrent de cécité, depuis le plus petit jusqu'au plus grand, de sorte qu'ils ne purent plus trouver la porte. Comme leur esprit était aveuglé, leurs yeux furent aveuglés aussi. C'est pour nous apprendre que les yeux du corps sont inutiles, quand les yeux de l'esprit sont frappés de cécité. Et, parce qu'ils avaient conspiré tous dans cette dépravation, parce que tous, vieillards et jeunes gens, avaient pris leur part de cette tentative criminelle, tous furent frappés de cécité; et non-seulement de cécité, mais ils perdirent les forces de leur corps; car puisqu'ils étaient affaiblis quant à l'âme, qui est la meilleure partie de l'homme, ils furent aussi affaiblis, quant au corps. Et ceux qui d'abord s'efforçaient de briser la porte et menaçaient l'homme juste, s'arrêtèrent tout à coup, sans pouvoir se servir de leurs membres; et la porte était devant leurs yeux, et ils ne la voyaient pas. Dès ce moment, le juste respira, voyant quels étaient ses hôtes, et la grandeur de leur puissance. En effet, Ils dirent ensuite à Loth : avez-vous ici un gendre, ou des fils, ou des filles, ou quelqu'autre de vos proches dans cette ville? (Ibid. 12.) Voyez comme ils récompensent l'hospitalité de l'homme juste, comme ils veulent lui faire un magnifique présent, du salut de tous ses parents. Si vous avez, lui diton, dans cette ville, quelqu'un que vous voulez voir sauvé, si vous connaissez quelqu'un qui ne partage pas leurs crimes, Faites-le sortir de cette ville, et de la contrée;. faites sortir tous ceux qui vous appartiennent, car nous allons détruire ce lieu. (Ibid. 13.) Ils donnent ensuite la raison de- cette extermination. Ils apprennent tout au juste, avec grand soin Parce que le cri des abominations de ces peuples s'est élevé devant le Seigneur, et le Seigneur nous a envoyés pour les perdre. C'était ce qui avait été dit au patriarche Abraham : Le cri de Sodome et de Gomorrhe s'augmente de plus en plus, et leur péché est monté jusqu'à son comble; leur cri, dit le texte, s'est élevé jusque devant le Seigneur. (Gen. XVIII, 20.)

6. La grandeur de leur perversité est inouïe, et, comme le mal est incurable, comme la plaie est impossible à guérir, Dieu nous a envoyés pour les perdre. C'est ce que disait David : Celui qui fait de ses anges des vents, et de ses ministres, des flammes ardentes. (Psal. CIII, 4.) Comme nous sommes venus, disent les voyageurs, pour détruire ce pays tout entier (en effet la terre même sera châtiée pour la malignité de ceux qui l'habitent), sortez d'ici. Aussitôt que l'homme juste eut entendu ces paroles et appris ce que venaient faire ceux qui semblaient des hommes, et qui étaient en réalité des anges, des ministres du Dieu de toutes les créatures : Loth étant sorti, parla à ses gendres, qui avaient reçu ses filles (Ibid. 14.) Auparavant, il disait à ces impies: J'ai deux filles qui sont encore vierges. Comment donc, le texte peut-il dire ici : A ses gendres qui avaient reçu ses filles? Ne croyez pas qu'il y ait ici une contradiction, avec ce quia été dit plus haut. C'était l'habitude chez les anciens, de faire longtemps d'avance, les fiançailles. Les fiancés habitaient chez les parents de la jeune fille; coutume qui subsiste de nos jours encore dans beaucoup d'endroits. Les fiançailles ayant été déjà faites, le texte nomme les gendres de Loth et dit: Qui avaient reçu ses filles, ce qui veut dire qu'il y avait mariages projetés d'un consentement mutuel. Et il dit: Sortez de ce lieu, parce que le Seigneur détruit cette ville. Mais ils s'imaginèrent qu'il délirait. Voyez le mauvais ferment qui travaillait aussi ces gendres de Loth. C'est pourquoi Dieu, voulant affranchir promptement le juste de toute alliance avec eux, ne leur permit pas de partager le sort de ses filles; il les perdit, eux aussi, avec les impies, afin que le juste, étant sorti avec ses filles, échappât à leur parenté. Donc, entendant les terribles menaces énoncées par l'homme juste, ils se moquaient, ils pensaient que ses paroles provenaient du délire. Cependant le juste insistait; comme il leur avait promis ses filles, il voulait les arracher au supplice. Mais eux ne voulurent pas; ils s'obstinèrent à lui résister, l'expérience leur fit comprendre que c'était à leur grand détriment qu'ils avaient rejeté le conseil du juste. A la pointe du jour, dit le texte, les anges pressaient vivement Loth de sortir, en lui disant: Levez-vous et emmenez votre femme et vos deux filles, de peur que vous ne périssiez aussi vous-mêmes dans la ruine de cette ville. Et ils jurent troublés. (Ibid. 15, 16.) Ne différez pas, disaient-ils, déjà la destruction s'apprête; (297) sauvez-vous, et votre femme avec vous, et sauvez vos filles; car ceux qui n'ont pas voulu obéir à vos avertissements, vont être bientôt frappés par la destruction commune. Ne différez donc pas, pour n'être pas atteints vous-mêmes par l'extermination de ces impies. Et ils furent troublés : c'est-à-dire Loth, et sa femme, et ses filles, en entendant ces mots. Ils furent troublés, dit le texte, c'est-à-dire étonnés, épouvantés, remplis d'angoisse, à cette menace. Aussi, les anges prenant soin de l'homme juste le saisirent, dit le texte, par la main.

Dès ce moment , la divine Ecriture n'en parle plus comme si c'étaient des hommes ; mais, parce qu'ils allaient faire tomber le coup terrible, elle les nomme des anges, et elle dit : Ils le prirent par la main, et sa femme, et ses filles, car le Seigneur voulait le sauver. C'était pour leur donner de la confiance, que les anges leur prenaient la main, et ils leur fortifièrent ainsi le coeur , pour que le saisissement de l'épouvante n'engourdît pas leurs membres. Voilà pourquoi le texte ajoute : Car le Seigneur voulait le sauver. Attendu que le Seigneur avait jugé qu'il méritait d'être sauvé, les anges, voulant les fortifier tous, les saisissent par la main. Et les ayant ainsi fait sortir de la maison, ils dirent : Sauvez votre vie, ne regardez point derrière vous, et ne vous arrêtez point dans tout le pays d'alentour; mais sauvez-vous sur la montagne, pour n'être pas enveloppés avec les autres. (Ibid. 17.) Comme nous vous délivrons de ces impies, disent-ils, ne regardez pas davantage derrière vous ; ne cherchez pas à voir ce qui va leur arriver; mais hâtez-vous; allez, au loin, devant vous, afin d'échapper au châtiment qui va leur être infligé. Ensuite le juste, craignant de ne pouvoir par hasard atteindre le lieu qu'ils lui désignent, et parvenir sur la montagne : Je vous prie, Seigneur, puisque votre serviteur a trouvé grâce devant vous, et que vous avez signalé envers lui votre grande miséricorde , en me sauvant la vie, je vous prie de considérer que je ne puis me sauver sur la montagne , étant en danger que le malheur ne me surprenne auparavant , et que je ne meure. Mais voilà ici près une ville où je puis fuir, elle est petite, je puis m'y sauver et je vivrai à cause de vous. (Ibid. 18, 19, 20.) Puisque, dit-il, vous avez décidé de me sauver, mais qu'il est au-dessus de mes forces d'atteindre au sommet de la montagne , accordez-moi une plus grande grâce, dans votre miséricorde; rendez ma fatigue plus légère, de peur que je ne sois saisi par la flamme qui tombe sur eux, que je ne meure avec eux; voici une ville qui est tout près , qui est petite , préservez-la , afin qu'elle soit mon séjour ; elle a beau être misérable et petite, je puis m'y sauver, y vivre , n'ayant plus rien à craindre. L'ange lui répondit : J'accorde cette grâce, à la prière, que vous me faites, de ne pas détruire la ville, de laquelle vous me parlez. (Ibid. 21.) J'accueille vos prières, dit-il, je ferai ce que vous voulez; je vous accorde ce que vous me demandez, et, par égard pour vous, j'épargnerai même la ville. Hâtez-vous donc de vous sauver en ce lieu. (Ibid. 22.) Car je ne ferai rien jusqu'à ce que vous y soyez arrivés : Car je ne pourrai pas, dit le texte, faire l'oeuvre avant que vous ne soyez entrés: votre salut m'intéresse, j'attendrai jusqu'à ce que vous arriviez-là , et c'est alors que j'infligerai aux autres leur châtiment. Le soleil se levait sur la terre, au même temps que Loth entrait dans Ségor. (Ibid. 23.) C'est au lever du soleil, dit le texte, qu'il arriva dans la ville; et aussitôt qu'il fut dans la ville , les autres reçurent leur châtiment. Alors le Seigneur, dit le texte, fit descendre une pluie de soufre et de feu lancée du haut du ciel, par le Seigneur sur Sodome et sur Gomorrhe, et il perdit ces villes, et tout le pays d'alentour, et tous ceux qui habitaient dans les villes, et dans le pays, et tout ce qui s'élevait de la terre. (Ibid. 24, 25.) Ne vous étonnez pas de ce langage, mon bien-aimé, c'est le propre de l'Ecriture de répéter ainsi souvent les mêmes mots indifféremment. Vous en voyez, ici, un exemple : Le Seigneur, dit le texte, fit descendre une pluie de soufre et de feu, lancée par le Seigneur du haut du ciel. C'est pour dire que c'est le Seigneur qui a opéré la punition, et non-seulement il a bouleversé les villes, et tout le pays d'alentour, et tous les habitants, mais encore il a détruit ce qui s'élevait de la terre. Attendu que les hommes qui l'habitaient avaient produit de nombreux fruits d'impiété, pour cette raison, dit Dieu, je supprime les fruits de la terre; je veux, par cette destruction, laisser un monument éternel aux générations à venir ; la seule stérilité de la terre leur apprendra combien fut grande la malice de ceux qui l'habitaient.

Voyez-vous combien la vertu est puissante, (298) combien la malice est funeste, comment le juste fut sauvé, comment les autres ont reçu la punition que méritait leur malignité. Et; de même que ce juste, par sa vertu, a sauvé ses filles avec lui, et empêché la destruction de cette petite ville; de même les autres, par la grandeur de leur malignité, non-seulement ont péri eux-mêmes, et ont été détruits, mais, ils ont rendu, pour l'avenir, leur terre stérile. La femme de Loth, dit le texte, regarda derrière elle, et elle fut changée en une statue de sel. (Ibid. 26.) Elle avait entendu les anges recommandant au juste que personne ne se retournât , que tout le monde se retirât, en toute hâte; elle méprisa ces paroles , ne tint aucun compte de l'ordre et elle porta la peine de sa négligence.

7. Et nous maintenant, instruits par cette leçon, appliquons-nous à notre salut, avec un zèle plus diligent; gardons-nous d'imiter de pareils vices; imitons ce juste, ses vertus hospitalières, ses autres vertus encore, afin d'écarter loin de nous la colère d'en haut. Non, il n'est pas possible, il n'est pas possible que celui qui pratique cette vertu, avec l'ardeur d'un vrai zèle, n'y gagne pas un grand trésor. C'est par là, en effet, que ces anciens justes ont obtenu la grâce d'en-haut; et le patriarche, et Loth, et tous ceux qui, croyant recevoir des hommes, ont mérité de recevoir des anges, et le Seigneur des anges. Nous aussi, de nos jours encore, nous n'avons qu'à le vouloir, nous pouvons le recevoir chez nous, car c'est lui-même qui a dit : Celui qui vous reçoit me reçoit.(Math. X, 40.) Dans cette pensée, recevons donc les, hôtes, et ne nous arrêtons pas à ce que l'apparence a de misérable. En vérité si nous exerçons, nous aussi, avec la même sagesse, l'hospitalité, nous mériterons; nous aussi, de recevoir de tels hôtes, qui paraissent des hommes, qui opèrent les oeuvre des anges. Mais pas de vaine curiosité, de recherches, d'enquêtes qui nous feraient perdre notre trésor. Sachez-le bien, Paul nous révèle les noms de ces justes et nous apprend comment ils recevaient de tels hôtes : Ne négligez pas, dit-il, d'exercer l'hospitalité; car c'est en la pratiquant que quelques-uns, sans le savoir, ont reçu, pour hôtes, des anges (Hébr. XIII,1); car c'est là ce qui les a surtout rendus dignes d'admiration; c'est qu'ils ont déployé l'hospitalité la plus affectueuse envers ceux qu'ils ne connaissaient pas. Eh bien donc! nous aussi, mettons-nous à cette oeuvre, avec une foi, avec une piété entière , afin de pouvoir obtenir le trésor. Puissions-nous tous, le recevoir en partage, par la grâce, et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père et au Saint-Esprit, l'honneur, la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

QUARANTE-QUATRIÈME HOMÉLIE. Or, Abraham s'étant donc levé le matin vint au lieu où il avait été auparavant avec le Seigneur. (Gen. XIX, 27,1)
ANALYSE.

1-3. De l'invocation et de l'intercession des saints. — 4. Les prières que d'autres font pour nous sont moins efficaces que celles que nous faisons nous-mêmes. — 5. Loth ni ses filles ne sont point à condamner. — 6. Exhortation morale. Comparaison de l’épreuve de Joseph tenté par l’Egyptienne avec la fournaise de Babylone.

1. Hier, l'histoire de la Samaritaine nous a fait voir assez l'ineffable patience du Seigneur, l'excès de sa sollicitude pour elle, la reconnaissance de cette femme; vous l'avez vue, elle venait puiser l'eau qui tombe sous nos sens, et c'est à la source spirituelle, c'est à la divine fontaine qu'elle a puisé, et elle s'en est retournée chez elle, accomplissant la parole du Seigneur: L'eau que je lui donnerai, deviendra en son âme une fontaine d'eau qui rejaillira jusque dans la vie éternelle. (Jean, IV, 14.) Elle s'est remplie de cette eau divine et spirituelle. Elle n'a pu en retenir les courants, qui ont débordé, pour ainsi dire, sur la ville, et elle a inondé les habitants de la grâce qui lui était accordée; elle est devenue tout à coup le héraut du Seigneur, cette samaritaine, cette étrangère. Quel trésor, voyez-vous, que la reconnaissance ! Vous voyez comment la bonté de Dieu ne dédaigne personne; comment, au contraire, si, même dans une femme, même dans un être absolument pauvre, en qui que, ce soit, si le Seigneur trouve la vigilance et la ferveur, aussitôt il communique les largesses de sa grâce. Imitons donc, je vous en conjure, imitons, nous aussi, cette femme, 'et recevons avec une grande attention les enseignements de l'Esprit; car les paroles que nous prononçons ne sont pas nos paroles. Ce n'est pas, à vrai dire, notre langue qui parle quand nous parlons; mais, conduits par la bonté du Seigneur, nous vous disons ce ,qu'il nous inspire, pour notre salut et l'édification de l'Eglise de Dieu. Ne fixez donc pas les yeux sur moi, mes bien-aimés ; ne considérez pas mon infirmité; mais, parce que je vous apporte ce que le Seigneur me donne, tenez vos pensées fixées sur celui qui m'envoie. Soyez attentifs ; soyez vigilants ; écoutez. Voyez ce qui se passe sur la terre; lorsque celui dont le front est ceint du diadème, l'empereur envoie un message , celui qui l'apporte n'a par lui-même aucune valeur; c'est un homme du commun, qui souvent ne pourrait dire quelle est sa famille; un homme obscur et de parents obscurs; mais ceuxà qui est destiné l'écrit impérial, ne s'arrêtent pas à considérer ce qu'est cet homme; attendu qu'il apporte un écrit de l'empereur, on lui fait un grand honneur, à lui aussi, et, quant au message, on l'écoute avec un respect plein de crainte; on l'écoute en silence. Eh bien ! si cet homme qui n'apporte que l'écrit d'un autre homme, qui n'apporte qu'un papier, est reçu avec honneur par tous, à plus forte raison devez-vous accueillir, avec l'extrême attention que le respect commande, ce que l'Esprit vous envoie, par notre entremise, afin que vous recueilliez une grande récompense de votre sagesse. Car, si le Seigneur de toutes les créatures voit une généreuse,ardeur échauffer vos âmes, il nous fera à (300) nous-même, pour votre édification, de plus riches présents, et il accroîtra en vous l'intelligence, pour comprendre la parole; car la grâce de l'Esprit est magnifique; elle se répand sur tous; elle ne décroît pas en se partageant; au contraire, en même temps qu'elle se distribue, elle grandit, et plus est considérable le nombre de ceux qui y participent, d'autant plus considérable est le bienfait communiqué à tous. Eh bien ! donc, si vous voulez, reprenons la suite de nos entretiens; voyons où nous nous sommes arrêtés, où il convient de recommencer aujourd'hui. Où avons-nous hier amarré notre barque ? Où avons-nous arrêté le cours de l'instruction ? Nous vous parlions de Loth , de l'incendie de Gomorrhe, et nous avons terminé notre discours au moment où le juste fut sauvé dans Ségor. Le soleil se levait sur la terre au même temps que Loth entra dans Ségor. Et alors la colère envoyée de Dieu saisit les habitants de Sodome, opéra la destruction de cette terre, et nous avons vu que la femme de l'homme juste, oubliant les paroles que les anges avaient dites, regarda derrière elle, et- fut changée en statue de sel, laissant aux générations à venir un monument éternel de sa coupable négligence. Il faut aujourd'hui, reprenant la suite de ces événements, vous montrer, en peu de mots, mes bien-aimés, vous montrer encore la charité, la compassion qui animait le patriarche, et la bienveillance de Dieu pour lui. En effet, au lever du soleil, le juste Loth fut sauvé dans Ségor ; ceux de Sodome, au contraire, subirent l'expiation. En même temps le patriarche était saisi de pitié, à la pensée de cette destruction que leur péché leur avait attirée, et il était troublé d'inquiétude pour le sort de l'homme juste; et le matin, il vint et il regardait ce qui était arrivé. Or, Abraham s'étant levé le matin, vint au lieu où il avait été auparavant avec le Seigneur, et regardant Sodome et Gomorrhe, et tout le pays d'alentour, il vit des cendres enflammées, qui s'élevaient de la terre comme la fumée d'une fournaise. (Ibid. 27 , 28.) Le texte marque le lieu où il s'était entretenu avec le Seigneur, où il l'avait imploré pour ceux de Sodome;. c'était là qu'il voyait les traces de cet épouvantable châtiment. Et il voulait savoir des nouvelles de l'homme juste. C'est là le caractère des saints; ils éprouvent vivement l'affection, ils savent compatir. L'Ecriture, pour nous apprendre que la grâce de l'Esprit fit aussitôt connaître au patriarche ce qu'il tenait tant à savoir, et le délivra de l'inquiétude que Loth lui causait : Lorsque Dieu, dit le texte, détruisait les villes de ce pays-là, il se souvint d'Abraham, et sauva Loua du milieu de cette destruction. (Ibid. 29.) Que signifient ces mots : Dieu se souvint d'Abraham? c'est-à-dire, de la prière qu'Abraham lui avait faite, en lui disant: Perdrez-vous le juste avec l'impie? (Gen. XVIII, 22.) Mais pourquoi donc, objectera-t-on,le juste a-t-il été sauvé à cause de la prière du patriarche, et non à cause de sa justice ? Assurément il a été sauvé pour sa justice; et, de plus, pour la prière du patriarche. En effet, quand nous apportons ce qui dépend de nous, l'intercession des saints, s'ajoutant à nos oeuvres, est encore pour nous la source des plus grands biens. Si nous nous négligeons nous-mêmes, si nous mettons en eux seuls toutes nos espérances de salut, nous n'en retirons aucune utilité. Ce n'est pas que les justes soient sans puissance, mais c'est que, par notre propre négligence, nous nous trahissons nous-mêmes.

2. Et voulez-vous avoir la preuve que, quand nous nous négligeons nous-mêmes, c'est en vain que les justes, si justes qu'ils soient, c'est en vain que les prophètes, si inspirés qu'ils soient, prient pour nous, qu'il n'en résulte pour nous aucune utilité ? (Ils montrent leur vertu par leurs prières, la vertu qui est en eux; mais cette vertu ne nous est d'aucun profit, à cause des moeurs que nous faisons paraître.) Ecoutez les paroles que le Dieu de toutes les créatures adresse à son prophète, sanctifié dès le ventre de sa mère, à Jérémie : Ne prie pas pour ce peuple , parce que je ne t'exaucerai point. (Jérém. XVI, 7.) Voyez la bonté du Seigneur; il avertit son prophète, parce qu'il ne veut pas, la prière ne devant pas être exaucée, que le saint attribue la rigueur de Dieu à ses propres fautes. Voilà pourquoi il lui dénonce , par avance, la corruption du peuple, et lui défend de prier. Il veut leur faire savoir, à tous en même temps, à lui, combien est grande la perversité des Juifs; à eux, que les prières du prophète ne leur servent de rien, s'ils ne sont pas les premiers à faire tout ce qui dépend d'eux.

C'est dans de telles pensées, mes bien-aimés, que nous devons recourir aux prières des saints, pour leur demander d'intercéder pour nous. Gardons-nous de mettre toute notre confiance dans leurs prières, faisons, de notre côté, les (301) oeuvres qui dépendent de nous; faisons-les comme il convient; efforçons-nous toujours de prendre la voie la meilleure, afin d'autoriser la prière qui s'épanche pour nous. C'est ce que dit, à un autre prophète, le Seigneur de toutes les créatures: Ne voyez-vous pas ce qu'ils font ? ils font brûler la graisse, pour faire des gâteaux d une armée du ciel. (Jérém. VII, 17, 18.) Ce qui revient à dire : Vous me priez pour ceux qui ne renoncent pas à leurs péchés, qui ne sentent pas le mal dont ils sont travaillés, qui n'ont plus de sentiment. Ne voyez-vous pas leur parfait dédain ? Ne voyez-vous pas l'excès de leur délire ? Comme, insatiables d'impiété, ils ressemblent à la truie dans la fange, se vautrant dans leurs iniquités. S'ils voulaient se convertir, n'écouteraient-ils pas les exhortations ? N'est-ce pas moi, par la voix des prophètes, qui leur crie : Et après qu'elle a fait tous ses crimes, je lui ai dit : après tous vos crimes revenez à moi, et elle n'est point revenue? (Jérém. III, 7.) Leur demandai-je autre chose que de s'arrêter, de ne plus pécher, de ne pas pousser plus loin leurs crimes? leur demanderais-je compte du passé, si je les voyais seulement manifester l'intention de se corriger? Ne leur criai-je pas chaque jour : Est-ce que je veux la mort du pécheur, comme je veux qu'il se convertisse et qu'il vive ? (Ezéch. XVIII, 23.) Est-ce que je ne fais pas toutes choses, pour les arracher à la mort, quand je les vois égarés? Quand je les vois convertis, est-ce que je me fais attendre ? Ne suis-je pas celui qui dit : Tu parles encore, me voici? (Isale, LVIII, 9.) Tiennent-ils à leur propre salut, autant que j'ai le désir de voir tous les hommes sauvés, de les voir arrivés tous à la connaissance de la vérité? (I Tim. II, 4.) Vous ai-je tirés du néant pour vous perdre ? Vous ai-je, sans aucun but, préparé le royaume à venir, et des biens innombrables ? Si j'ai menacé de la gêne, n'est-ce pas parce que cette crainte me sert pour introduire les hommes dans le royaume des cieux? Garde-toi donc, ô bienheureux prophète, de les abandonner pour m'apporter ta prière; ne prends plus qu'un seul souci, celui de les guérir, de leur faire sentir leur infirmité, de les ramener à la santé, et tous mes biens viendront d'eux-mêmes. Et je ne me fais pas attendre et je ne suis jamais en retard, quand je vois une âme bien disposée; je ne leur demande qu'une chose : la confession des péchés, et, c'en est fait, je ne punis pas les péchés. Est-ce donc bien lourd à porter , bien embarrassant , ce que je propose? Si je ne savais pas qu'ils deviennent plus mauvais , quand ils ne confessent pas leurs premières fautes, je ne leur demanderais pas même cette confession ; mais, parce que je sais que l'homme s'enfonce de plus en plus dans le péché, voilà pourquoi je veux qu'ils confessent leurs premières fautes, afin que cette confession les empêche d'y retomber.

3. Donc, dans ces pensées, mes bien-aimés, réfléchissant sur la bonté du Seigneur, secouons notre engourdissement ; soyons bien attentifs à nous-mêmes; lavons les taches de nos péchés, et hâtons-nous, ensuite, de demander l'intercession des saints. Si nous voulons être sages et vigilants, nous pourrons même par la seule vertu de nos propres prières, nous servir nous-mêmes, de la manière la plus efficace; car notre Dieu, qui, est un Dieu de clémence, accorde moins aux autres, le priant pour nous, qu'il ne nous accorde à nous-mêmes, quand c'est nous qui le prions. Voyez l'excès de bonté ; pour peu qu'il s'aperçoive que nous, qui l'avons. offensé, qui nous sommes rendus méprisables, qui n'avons plus aucun droit d'espérer en lui, nous nous réveillons un peu, nous avons, en nous, la pensée de recourir à son inépuisable clémence; aussitôt il agrée nos prières, il nous tend la main. Nous étions étendus et gisants, il nous relève, il nous crie : Est-ce que celui qui est tombé, ne se relèvera pas ? (Jérém. VIII, 4.) Mais la réalité même des choses vous montre quel grand nombre d'hommes, priant eux-mêmes pour eux-mêmes, ont mieux obtenu ce qu'ils désiraient, que par les prières des autres. Ceci vaut la peine que nous vous montrions les personnes qui ont eu ce bonheur, afin que nous les imitions, afin que nous nous animions d'un beau zèle. Apprenons donc comment cette Chananéenne, à l'âme si cruellement tourmentée, comment cette femme, cette étrangère, à la vue du médecin des âmes, du soleil de justice, levé pour ceux qui demeurent dans les ténèbres, s'approcha de lui, pleine de ferveur, animée d'un généreux zèle; et ce zèle ne se ralentit pas, quoique ce ne fût qu'une femme; quoique ce fût une étrangère. Repoussant tous les obstacles, elle s'approcha, et dit : Seigneur, ayez pitié de moi! ma fille est misérablement tourmentée par le démon. (Matth. XV, 22.) Celui (302) qui connaît les secrets des coeurs, garde le silence, ne lui répond pas, ne daigne pas s'entretenir avec elle , il n'a pas de pitié pour cette femme, qu'il voit si misérable, dont il entend les cris de douleur. Il diffère, parce qu'il veut rendre manifeste, aux yeux de tous, le trésor caché dans cette femme. Il savait bien qu'il y avait là une perle qu'on ne voyait pas, qu'il voulait montrer à nos regards. Voilà pourquoi il différait, ne daignant pas lui répondre ; c'était pour que le zèle de cette femme fût, pour toutes les générations à venir, un grand enseignement. Et voyez l'ineffable bonté de Dieu ; lui-même, dit le texte, ne lui répondait pas; quant aux disciples, pleins de compassion et de bonté, ils n'osent pas dire hier! haut donnez-lui ce qu'elle demande, ayez pitié d'elle, soyez clément pour elle; mais que disent-ils ? Accordez-lui ce qu'elle demande parce qu'elle crie derrière nous (Ibid. 23.) Comme s'ils disaient : délivrez-nous de cette importune ; délivrez-nous de ses cris. Que fait donc le Seigneur ? Pensez-vous, leur dit-il , que ce soit sans raison que j'ai gardé le silence, que je n'ai pas daigné lui adresser une réponse ? Ecoutez : Je n'ai été envoyé qu'aux brebis de la maison d'Israël qui se sont perdues (Ibid. 24.) Ignorez-vous, leur dit-il, que c'est une femme étrangère? Ignorez-vous, que je vous ai interdit tout commerce avec les étrangers ? Pourquoi donc, sans examen, montrer votre compassion pour elle ? Considérez l'industrieuse sagesse de Dieu; voyez comme en paraissant répondre à cette femme, il l'accablait plus que par son silence; comme il la frappait, pour ainsi dire, d'un coup mortel, voulant ensuite la ranimer peu à peu, afin que les disciples, qui ne se doutaient de rien, comprissent la grandeur de la foi qu'elle recelait dans son âme. Eh bien ! elle ne se ralentit pas, elle ne se découragea pas, en voyant. que les disciples n'avançaient à rien; elle ne se dit pas à elle-même : s'ils n'ont pu fléchir le Seigneur, en le priant pour moi, pourquoi continuerai-je une tentative inutile, pourquoi insister ? Au contraire, embrasée du feu qui brûle, qui dévore ses entrailles, elle s'approche, elle adore, elle dit : Seigneur, assistez-moi ! (Ibid. 25.) Mais lui refuse encore son secours à cette femme, il fait entendre une réponse plus sévère que l'autre : Il n'est pas juste, dit-il, de prendre le pain des enfants, et de le donner aux chiens. (Ibid.26.) Considérez, mes bien-aimés, admirez ici la vivacité du désir dans cette femme et la rare distinction de sa foi. Quand elle entendit ce nom de chiens, elle ne s'indigna pas, elle ne se retira pas, mais, avec une affection pieuse et profonde, elle dit: Il est vrai. Seigneur, mais les petits chiens mangent au moins des miettes qui tombent de la table de leur maître (Matth. XV, 27.) Eh bien dît-elle, j'avoue que je mérite d'être traitée, comme on traite les chiens; accordez-moi donc comme aux chiens des miettes de votre table. Comprenez-vous la foi, la vertu de cette femme? Elle a supporté la parole, et aussitôt elle a obtenu ce qu'elle demandait avec instance, et elle l'a obtenu, en s'attirant de plus, un éloge insigne. En effet, que lui dit le Christ? O femme, votre foi est grande, qu'il vous soit fait comme vous voulez ! (Ibid. 28.) O femme! c'est un cri d'admiration et d'éloge. Vous avez montré, dit le Seigneur, une grande foi ; aussi, vous obtiendrez tout ce que vous voulez. Voyez jusqu'où s'étend la générosité ; admirez la sagesse du Seigneur. Ne pensions-nous pas d'abord, quand il la repoussait ainsi, qu'il était sans pitié ? D'abord il ne daignait pas lui répondre. Ensuite, il lui fit une première, une seconde réponse, comme pour la chasser loin de lui; il repoussait cette femme, qui était venue auprès de lui, avec un désir si vif et si brûlant. Mais, que la fin vous montre la bonté de Dieu. C'était parce qu'il voulait rendre plus éclatante la vertu de cette femme, qu'il se fit tant prier pour lui accorder sa demande. En effet, s'il la lui eût accordée aussitôt, nous n'aurions pas connu ce qu'il y avait dans cette femme de constance et de foi ; mais, grâce à ce, petit retard, nous avons pu reconnaître l'ineffable bonté que le Seigneur a pour nous, et la foi si rare, qui distingue cette femme au plus haut degré.

4. Toute cette histoire que nous nous sommes efforcé de vous exposer, c'est pour apprendre à tous que les prières des autres pour nous, sont moins efficaces que ne le sont nos propres prières, si nous prions avec ardeur, avec un esprit bien éveillé. Vous le voyez : cette femme avait les disciples qui priaient pour elle; elle n'y gagna rien; c'est elle, par ses propres efforts, par sa persévérance, qui se concilia la clémence du Seigneur. Et c'est encore ce qu'indique cette parabole de l'ami qui vient au moment où on ne l'attend pas, pendant la nuit, et demande trois pains: Si néanmoins l'autre persévérait à frapper, je vous (303) assure que, quand il ne se lèverait pas pour lui en donner, parce qu'il est son ami, il se lèverait, du moins, à cause de son importunité, et il lui en donnerait. (Luc, XI, 8.) Eh bien ! puisque nous voyons l'ineffable clémence de Notre-Seigneur, allons à lui, déclarons-lui, mettons-lui, pour ainsi dire, sous les yeux, un à un séparément tous nos péchés; demandons-lui le pardon de nos fautes passées, afin de vivre dorénavant avec plus d'exactitude, et d'obtenir de lui une plus grande bienveillance. Mais revenons, s'il, vous plaît, à la suite de notre lecture. Loth, dit le texte, étant dans Ségor, monta et se retira sur la montagne, ainsi que ses deux filles avec lui, parce qu'ils avaient peur d'habiter dans Ségor, et Loth habita dans une caverne, et ses deux filles avec lui. (Gen. XIX, 30.) Le juste, sous le coup de la crainte que lui avait inspirée le désastre de Sodome, s'en va, et, dit le texte, il habitait sur une montagne avec ses filles. II vécut dans la solitude, dans un lieu tout à fait dévasté, avec ses filles, séjournant sur la montagne. Alors, suivant le texte, l'aînée dit à la cadette : Notre père est vieux, et il n'est personne sur la terre qui viendra vers nous, selon la coutume de tous les pays. Viens, donnons du vin à notre père et dormons avec lui, afin que nous puissions conserver de la race de notre père. (Ibid. 31, 32.) C'est avec un religieux respect , mêlé de tremblement et de crainte, mes bien-aimés , que nous devons écouter ces paroles de la divine Ecriture. Rien n'a été consigné à la légère et sans dessein dans nos saints Livres; tout ce qu'ils contiennent y a été mis pour notre utilité, et dans notre intérêt, même les choses que nous ne comprenons pas. En effet, nous ne pouvons pas savoir tout absolument, avec une parfaite exactitude; mais si nous essayons d'expliquer, selon la portée de notre esprit, les endroits difficiles, c'est qu'ils contiennent, même ainsi, un trésor caché, profondément caché, et difficile à découvrir. Considérez donc comme l'Ecriture, raconte tout , d'une manière parfaitement claire, et nous- montre le but que se proposent les filles de l'homme juste, d'une manière suffisante pour empêcher que qui que ce soit , considérant te fait , ne condamne , soit le juste, soit les filles du juste, comme si ce commerce était l'effet de l'incontinence. Comment donc l'Ecriture excuse-t-elle les filles glu juste? L'aînée, selon le texte, dit à la cadette : Notre père est vieux et il n'est personne sur la terre qui viendra vers nous selon la coutume de tous les pays. Considérez attentivement le but, et vous verrez qu'elles sont au-dessus de toute accusation. En effet, elles pensèrent qu'elles avaient assisté à une destruction générale du monde entier; qu'il n'y avait pas un seul survivant; elles virent ensuite la vieillesse de leur père. Donc, dit l'aînée, pour que notre race subsiste, pour que notre nom ne meure pas (c'était là en effet le plus grand souci des anciens hommes, d'étendre leur race par la succession de leurs enfants) ; donc, dit-elle, pour que notre race ne soit pas tout entière détruite, et cela surtout quand notre père. est déjà accablé de vieillesse, quand il n'y a pas un homme qui puisse s'unir à nous, de telle sorte qu'il nous soit possible d'étendre et de laisser, après nous, notre race : Viens, dit-elle, pour prévenir ce malheur, donnons du vin à notre père. C'est comme si elle disait : notre père ne supporterait pas nos paroles, trompons-le avec du vin. Elles donnèrent donc cette nuit-là du vin à leur père, et l'aînée dormit avec lui sans qu'il sentît, ni quand elle se coucha, ni quand elle se leva. (Ibid. 33.) Voyez-vous comment la divine Ecriture excuse le juste, non pas une fois seulement, mais deux fois. D'abord, en montrant que ses filles l’ont trompé par le vin, elle a déclaré qu'elles n'avaient pas d'autres moyens de décider leur père; et maintenant, je crois que c'est une disposition d'en-haut qui a permis qu'il fût assez appesanti par le vin pour ignorer absolument tout, de manière à demeurer innocent. En effet, les péchés qui nous condamnent, ce sont ceux que nous faisons sciemment et volontairement. Voyez le soin que prend l'Ecriture de rendre en faveur du juste le témoignage que lui, personnellement, ignora tout ce qui s'était passé. Mais ici une autre question s'élève, au sujet de l'ivresse. Il convient, en effet, de tout examiner, afin de ne laisser à la perversité impudente aucun prétexte de calomnie. Que dirons-nous donc de cette ivresse? elle ne résulta pas pour lui autant de l'intempérance, que de la tristesse et de l'abattement.

5. Que personne donc ne se permette de condamner, soit l'homme juste, soit les filles de l'homme juste. Quelle ne serait pas notre démence, notre délire, quand nous voyons la divine Ecriture les absoudre pleinement, bien (304) plus, les justifier avec un soin si jaloux, d'aller les condamner, nous qui sommes chargés de péchés sans nombre ? Ecoutons la voix de Paul : C'est Dieu qui justifie, qui osera condamner? (Rom. VIII, 33, 34.) Et ce qui prouve que cette action ne fut pas l'effet irréfléchi d'une passion ordinaire; que l'excès de la tristesse et le vin ne lui laissèrent aucun sentiment, écoutez l’Ecriture : Le jour suivant, l'aînée dit à la cadette : Vous savez que je dormis hier avec mon père; donnons-lui encore du vin à boire, cette nuit, et vous dormirez aussi avec lui, afin que nous conservions de la race de notre père. Voyez en quelle sûreté de conscience elle faisait cette action. Puisque j'ai pu, dit l'aînée, accomplir ce que je voulais, il est nécessaire que vous aussi vous fassiez la même chose; peut-être obtiendrons-nous ce que nous désirons, et notre race ne périra pas éternellement. Elles donnèrent donc encore, cette nuit-là, du vin à leur père, et sa seconde fille dormit avec lui, sans qu'il sentît non plus, ni quand elle se coucha, ni quand elle se leva. Considérez, mes bien-aimés, que tout ce qui s'est passé là, est l'oeuvre d'une disposition divine, comme il est arrivé pour le premier homme. Il dormait, on lui prit une côte, et il ne sentit rien; celui qui avait fait cette côte, en tira l'épouse d'Adam. Le fait d'aujourd'hui est de même nature. Si la côte fut enlevée dans un moment où la pensée, par l'ordre de Dieu, ne s'en aperçut pas, en l'absence de tout sentiment pour l'homme, à bien plus forte raison en fut-il de même, pour le fait qui nous occupe. La divine Ecriture dit : Le Seigneur Dieu envoya à Adam un profond sommeil, et il dormit. (Gen. II, 21.) Elle exprime un fait du même genre par ces paroles : Sans qu'il sentît., ni quand elle se coucha, ni quand elle se leva. Ainsi, dit le texte, elles conçurent. de leur père; l'aînée enfanta un fils, et elle le nomma Moab, c'est-à-dire de mon père; c'est le père des Moabites; la seconde enfanta aussi un fils, et elle l'appela Ammon, c'est-à-dire le fils de ma race; c'est le père des Ammonites. (Gen. XIX, 36, 37, 38.) Vous voyez qu'il n'y a pas là une oeuvre de l'incontinence, puisque, tout de suite, elles donnent à leurs fils des noms qui expriment le fait; elles inscrivent dans les noms de leurs fils, comme sur des colonnes, le fait qu'elles ont accompli; elles marquent d'avance les nations qui doivent sortir de leurs enfants; elles indiquent la propagation de leur race qui formera des peuples. L'un, en effet, sera le père des Moabites, l'autre celui des Ammonites.

6. Considérons maintenant qu'à cette époque, dans ces premiers temps, où commençaient les choses, on voulait conserver sa mémoire par la succession de sa race; de là la préoccupation si forte des filles de l'homme juste. Aujourd'hui, au contraire, par la grâce de Dieu, la religion a grandi, et, comme dit le bienheureux Paul : La figure de ce monde passe. (I Cor. VII, 31.) C'est par nos bonnes oeuvres que nous devons assurer notre mé. moire, afin qu'après notre départ d'ici-bas, l'examen attentif et minutieux de notre vie, soit un exemple, un enseignement, pour tous ceux qui tourneront sur nous leurs regards. C'est qu'en effet les hommes vertueux, les hommes chastes et purs, peuvent être utiles non-seulement dans cette vie, mais après leur départ de cette vie, à ceux qui les contemplent, Voyez-en la preuve, je vous en conjure, dans le grand nombre d'années qui se sont écoulées depuis Joseph jusqu'à nos jours; dans ce qui arrive toutes les fois que nous voulons porter les hommes à la continence. C'est Joseph que nous proposons, ce beau et gracieux jeune homme,.qui, dans ,la fleur de l'âge, montre une sagesse si virile, tant de chasteté, tant de pudeur. Voilà par quels moyens nous nous appliquons à provoquer, dans ceux qui nous écoutent, l'imitation des vertus que ce juste a montrées en lui. Qui n'admirerait pas en effet ce bienheureux? il est esclave; il est dans la fleur de la jeunesse; à l'âge où la concupiscence est une fournaise plus que jamais brillante ; il voit la femme de son maître, qui se lance sur lui dans le délire de la passion, et il montre un courage héroïque, et il s'est si bien exercé aux combats de la tempérance, qu'il s'échappe hors des étreintes de cette femme aux désirs effrénés. Il s'élance loin d'elle, dépouillé de ses vêtements, mais revêtu de sa chasteté qu'il conserve. Et, à cette heure, on pouvait voir, étrange, incroyable prodige, l'agneau au pouvoir du loup, disons mieux,. sous l'ongle de la lionne, et cependant l'agneau fut sauvé. Et, comme la colombe évite la serre de ,l'aigle, ainsi ce juste échappe aux mains de cette femme. Non, je n'admire pas autant la victoire des trois jeunes hommes, triomphant de la flamme au milieu de la fournaise de (305) Babylone; je n'admire pas leur chair restée intacte, autant que j'admire, que je suis frappé d'étonnement et de stupeur, en voyant ce juste dans cette fournaise, bien plus redoutable que la fournaise de Babylone, exposé à l'incontinence, je dis l'incontinence d'une Egyptienne, et demeurant intact jusqu'au bout, et conservant sans atteinte son manteau de chasteté. Mais ne soyez pas trop étonnés, mes bien-aimés; c'est parce qu'il contribua des ressources qui étaient en lui, qu'il obtint comme auxiliaire la grâce d'en-haut, pour éteindre cet incendie, pour faire pleuvoir au milieu de la fournaise la rosée de l'Esprit-Saint. Avez-vous bien compris comment les hommes doués de vertu sont pour nous, et pendant tout le temps qu'ils restent sur la terre au milieu de nous, et après leur départ de cette vie de la plus grande utilité? Et voilà pourquoi nous avons fait paraître ce juste au milieu de vous; c'est afin que nous suivions tous son exemple. Donc, imitons-le tous, et triomphons de notre concupiscence, instruits par ces paroles: Nous avons à combattre non contre la chair et le sang, mais contre les principautés,et les puissances, contre les princes du monde de ce siècle ténébreux (Ephés. VI, 12); et, dans la pensée que nous, revêtus de notre corps, nous sommes forcés de lutter contre des puissances incorporelles, fortifions-nous des armes de l'Esprit. Voilà pourquoi le Seigneur, parce qu'il est plein de bonté pour l'homme, et parce que nous sommes revêtus de chair, et parce qu'il nous faut soutenir un combat contre des puissances invisibles, nous a préparé à nous aussi des armes invisibles. Il veut que , par ce secours, nous triomphions de tous nos ennemis. Eh bien donc ! assurés de la vertu de nos armes, contribuons des ressources qui sont en nous, et il nous sera donné, grâce à ces armes spirituelles, de frapper le démon au visage, car il ne pourra pas supporter l'éclat de notre armure; quelques efforts qu'il fasse pour nous tenir tête, il sera bien vite aveuglé. Où se montre la continence, l'honnêteté, le concours de toutes les autres vertus, là se montre promptement aussi la grâce magnifique de l'Esprit-Saint. De là, ce que disait le bienheureux Paul : Tâchez d'avoir la paix avec tout le monde, et la sainteté. (Hébr. XII, 14.) Purifions donc, je vous en conjure, notre conscience; rendons à notre âme sa pureté, de telle sorte qu'affranchis de toute souillure, nous forcions l'Esprit à nous communiquer ses dons précieux , afin de triompher des perfidies du démon, et de mériter la jouissance des biens ineffables, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père et au Saint-Esprit, la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

QUARANTE-CINQUIÈME HOMÉLIE. " Abraham étant parti de là pour aller du côté du midi, habita Cadés et Sur, et il alla à Gérara, pour y demeurer quelque temps. " (Gen. XX, 1)
ANALYSE.

1. La bienveillancd des auditeurs est nécessaire à l'orateur. Genre de vie simple et modeste du patriarche Abraham. —2. La mort n'est rien autre chose qu'un sommeil. — 3. Que la concorde entre époux est un grand bien. — 4-5. Honorer les serviteurs de Dieu, c'est honorer Dieu. Tout est possible à Dieu. — 6. Exhortation.

1 . Je me réjouis quand je vous vois accourir, pour entendre la parole et recevoir avec plaisir l'enseignement que nous vous donnons.. Et voilà pourquoi, avec une ardeur qui redouble chaque jour, je vous sers mon pauvre et chétif repas. L'excès de votre faim vous empêche d'apercevoir combien le service est maigre, et ce qui est peu de chose, vous semble considérable. C'est ce qui arrive pour les repas du corps. Un homme reçoit des convives qui n'ont pas d'appétit; c'est en vain que le service est magnifique et somptueux; les convives dégoûtés n'apprécient pas la richesse du banquet, souvent des mets recherchés leur paraissent méprisables; c'est que les convives n'ont pas d'appétit. Au contraire, supposez des pauvres, des affamés, invités à une table, si mince qu'elle soit, elle leur paraît splendide, parce qu'ils mangent avec plaisir, avec avidité. Nous aussi, comme nous sommes assuré de votre, appétit spirituel, nous ne craignons pas, mes frères, de vous servir chaque jour ce maigre repas dont les mets ont peu de valeur. Ce qui faisait dire à un sage : Il vaut mieux être invité avec affection à manger des herbes, qu'à manger le veau gras, lorsqu'on est haï (Prov. XV, 17); paroles qui nous enseignent que les yeux de la charité transforment les mets qu'on lui sert, qu'elle trouve vil ce qui est somptueux, et petit, ce qui semble grand.

Quelle félicité plus douce pourrions-nous souhaiter, nous qui, devant de tels flots d'auditeurs, prononçons des paroles accueillies avec tant de zèle et d'affection ! Rien n'est si nécessaire à celui qui parle, que la bienveillance de celui qui écoute. A l'aspect d'un auditoire passionné , avide d'entendre, l'orateur prend courage, il se sent pour ainsi dire pénétré d'une force nouvelle, parce qu'il sait que plus sa table est riche des dons de l'Esprit, plus ses ressources propres s'accroîtront. Il n'en est pas des festins du monde comme des banquets spirituels. Chez les hommes; la magnificence de la table entraîne les dépenses; le festin diminue la fortune de celui qui le donne. Ici, au contraire, il en est tout différemment; plus il y a de convives, plus notre richesse s'accroît; et, en effet, nous ne vous disons pas ce qui vient de nous, mais ce que nous inspirent pour votre utilité la grâce et la bonté de Dieu. Eh bien ! donc, puisque vous venez avec tant d'empressement et de joie pour entendre la parole, examinons attentivement les passages qui viennent d'être lus et recueillons le fruit qu'ils contiennent. Car, selon cette grande exhortation que le Christ nous adresse, lisez avec soin les Ecritures (Jean, V, 39,) un grand trésor est caché dans les Ecritures; il y est dans les profondeurs; aussi, est-il convenable de l'y chercher avec (307) beaucoup de soin si nous voulons , après avoir reconnu la vertu que recelaient les profondeurs de l'Ecriture, en recueillir une grande utilité. Les vertus de tous les hommes justes ont été consignées par la grâce et par la disposition de l'Esprit-Saint dans les Ecritures, pour nous servir de continuel enseignement, pour exciter notre émulation, pour nous porter à conformer notre vie à la vie de ces justes. Ecoutons donc la divine Ecriture. Que nous raconte-t-elle aujourd'hui de notre patriarche? Abraham, dit le texte, étant parti de la pour aller du côté du midi, habita entre Cadès et Sur, et il alla à Gérara, pour y. demeurer quelque temps. Abraham, dit le texte, étant parti de là. D'où donc? de l'endroit où il avait fixé sa tente, où il lui. fut donné de recevoir le Créateur de tous les êtres, et de recevoir les anges. Etant parti de là, dit le texte : Il alla à Gérara pour y demeurer.

Voyez la manière de vivre de ces justes. Leur mobilier était peu de chose, ils n'admettaient pas le, superflu. Voyez la facilité des transports; c'étaient des voyageurs,- des pèlerins qui dressaient leurs tentes un jour . ici, l'autre jour là, comme on fait en pays étranger. Ils ne nous ressemblaient pas, à nous qui habitons une terre étrangère comme si c'était notre patrie, qui élevons des demeures splendides, et des portiques, et des lieux de promenade, et qui possédons des domaines, bâtissons des bains et mille autres constructions de tout genre. Voyez comment ce juste, dont toute la fortune consistait en esclaves et en troupeaux; qui ne s'arrêtait jamais dans le même lieu; qui plantait un jour sa tente à Béthel, un autre jour auprès du chêne de Mambré ; qui un autre jour descendait en Egypte, pose maintenant sa tente dans le pays de Gérara. Et il accepte tout, et dans tout ce qu'il fait se manifeste sa reconnaissance envers le Seigneur. Après tant de promesses que Dieu lui avait faites, il se voit au milieu de si grandes difficultés; il lui arrive des épreuves variées et diverses; comme un diamant que rien n'altère, il reste ferme, i1 montre toujours un zèle pieux qu'aucun obstacle ne ralentit. Voyez, en effet, maintenant, mon bien-aimé, quelle épreuve il subit dans le pays de Gérara, et admirez le courage et la vertu du juste. Voyez comme ce qui paraît insupportable à tous, ce que l'oreille même ne voudrait pas entendre, il l'a supporté sans se plaindre, sans demander aû Seigneur compte de ce qui arrivait; ce que font la plupart des hommes. Et ces hommes sont courbés sous le poids de péchés sans nombre; pour quelques difficultés qu'ils rencontrent, tout de suite ils murmurent, et leur curiosité inquiète demande pourquoi telle chose ou telle chose est-elle arrivée?-pourquoi telle chose a-t-elle été permise? Mais ce juste ne tient pas cette conduite; ce qui lui a valu une plus grande abondance des secours d'en-haut. En effet, c'est là le propre d'un bon serviteur de ne pas examiner curieusement ce que fait son maître; il se` tait, il reçoit tout en le bénissant.

2. Remarquez bien comment les épreuves mêmes qui suivent font éclater plus encore la vertu de l'homme juste, Dieu le glorifiant par tous les moyens. De même que, lorsqu'il descendit en Egypte, il était d'abord inconnu, voyageur, sans que personne sût qui il était, et bientôt, voilà que tout à coup il quitte l'Egypte, et il est comblé d'honneurs; ainsi maintenant encore, le voilà voyageur dans le pays de Gérara; il commença d'abord par faire tout ce qui dépendait de lui, ef bientôt il reçut de Dieu des secours qui le rendirent si puissant, que le roi du pays et tous les habitants de la contrée rivalisaient d'ardeur pour servir l'homme juste. Or, dit le texte, Abraham dit, parlant de Sara sa femme, qu'elle était sa sceur. Il eut peur en effet de dire que c'était sa femme, de peur que les gens de la ville ne le tuassent à cause d'elle. (Ibid. 2.) Voyez la violence des. sentiments qui attaquent l'âme de cet homme juste, la frayeur qu'il éprouve. Et quoique la première appréhension, celle de perdre sa femme, soit une émotion très-forte, cependant la crainte de la mort chasse cette première crainte. Car, pour se soustraire à l'horreur de la mort, il a supporté de voir, de ses propres yeux, la compagne de sa vie tomber dans les mains du roi. Combien cette situation est difficile à supporter, c'est ce que savent ceux qui ont des femmes. D'où vient qu'un sage disait : La jalousie et la fureur du mari ne pardonneront point au jour de la vengeance; pour aucun prix il ne renoncera à sa haine. (Prou. VI, 34, 35.) Eh bien ! cette douleur, insupportable pour tous les hommes, voyez comme ce juste l'a supportée, parce qu'il avait horreur de la mort. C'est évidemment ce qui arrive dans les indispositions du corps; quand deux maladies l'attaquent à la fois, les progrès de l'une font disparaître (308) l'autre; la plus forte s'empare de tout notre être, à tel point que, distraits par la plus grave, souvent nous ne sentons pas celle qui est moins dangereuse. De même, ce juste aussi, à l'aspect de la mort qui l'assiégeait, a trouvé tout le reste supportable.

Mais maintenant, gardez-vous, mes bien-aimés, en entendant ces paroles, d'accuser l'homme juste de pusillanimité, parce qu'il a craint la mort. Admirez plutôt la bonté du Créateur de tous les êtres envers nous. Cet objet si terrible pour ces hommes justes et pour ces saints, le Christ l'a rendu si misérable, que cette mort tant redoutée des anciens hommes, de ces hommes illustres par leurs vertus, pleins de confiance en Dieu, cette mort fait rire aujourd'hui de jeunes gens et de tendres vierges. La mort, en effet, n'est qu'un sommeil, qu'un voyage, qu'un passage, de la corruption à ce qui vaut bien mieux. La mort du Seigneur nous a apporté en présent l'immortalité; en descendant aux enfers, il l'a énervée, il a réduit cette force à néant, et ce qui était autrefois terrible, épouvantable, il l'a rendu méprisable à ce point qu'on voit des personnes tressaillir de joie, s'empresser de courir pour hâter ce voyage. Voilà pourquoi le bienheureux Paul nous crie : Etre dégagé de ces liens, être avec Jésus-Christ, c'est de beaucoup le meilleur. (Philip. I, 23.) Mais ces opinions sur la mort ont suivi l'avènement du Christ; il a fallu que les portes infernales, que les portes d'airain fussent brisées, que le soleil de justice brillât partout sur la terre. Dans ces anciens temps, la face de la mort était terrible; elle remplissait d'effroi l'âme des justes. Voilà pourquoi ils se résignaient à tous les autres maux, même à ceux qui paraissaient insupportables. De là vient que ce juste, redoutant les habitants de Gérara, et séjournant parmi eux, fit passer sa femme pour sa sueur. Et de même que, lorsque Dieu lui permit de descendre en Egypte, il employa ce moyen, pour faire connaître à ces hommes pervers et endurcis la vertu du juste; de même encore, ici, le Seigneur montre sa propre longanimité, pour que la patience de l'homme juste éclate en toutes choses, et que la bienveillance de Dieu pour lui se manifeste à tous. Abimélech, roi de Gérara, envoya donc des hommes pour enlever Sara. Réfléchissez ici, je vous en prie, sur l'orage de pensées qu'essuya l'homme juste, en voyant qu'on emmenait son épouse et qu'il ne pouvait rien pour la défendre. Il supportait tout en silence, parce qu'il savait bien que Dieu, loin de l'oublier, se bâterait de le secourir. Admirons aussi l'amour de Sara, qui voulut arracher l'homme juste à la mort; elle pouvait elle-même, en découvrant tout, échapper à un outrage certain. Mais elle supporta tout avec courage, afin de sauver son mari. Et alors fut accomplie cette parole : Ils seront deux dans une seule chair (Gen. II, 24), c'est-à-dire qu'on eût pu croire qu'ils n'étaient qu'une seule chair, tant ils avaient un mutuel souci l'un de l'autre. Leur concorde était si grande qu'on eût pu croire qu'ils n'étaient qu'un corps et qu'une âme. Ecoutez , ô hommes, écoutez, 8 femmes; celles-ci pour montrer à leurs maris un pareil amour, pour ne rien préférer à leur salut; ceux-là, pour témoigner à leurs épouses la même affection; pour tout faire comme s'ils n'étaient qu'une âme et qu'un corps.

3. Voilà en effet ce qui constitue la sincérité de l'union conjugale, la perfection de la concorde, la perfection de la charité qui les enchaîne l'un à l'autre. De même que le corps ne se tourne pas contre lui-même, ni l'âme contre elle-même; ainsi l'époux et l'épouse ne doivent pas se tourner l'un contre l'autre; il faut qu'ils soient unis. C'est alors seulement que l'abondance de tous les biens peut affluer sur eux. Où règne la concorde, là se rencontrent tous les biens : la paix, l'amour, la joie spirituelle; ni guerre, ni combat, ni haine, ni querelle; tous ces fléaux sont écartés; cette racine de tous les biens, j'appelle ainsi la concorde, a tout fait disparaître. Abimélech, roi de Gérara, envoya donc des hommes qui enlevèrent Sara; mais Dieu, pendant la nuit, apparut en songe à Abimélech, et lui dit: Vous serez puni de mort, à cause de la femme que vous avez enlevée, parce qu'elle a un mari. (Ibid. II, 3.) Voyez la clémence de Dieu il comme il vit que le juste, par crainte de la mort, supportait courageusement que Sara fût enlevée, et que le roi la regardait comme la soeur de l'homme juste, il déclara enfin sa providence, glorifia le juste, préserva Sara d'un outrage, et le roi d'un péché. Et Dieu, dit le texte, pendant la nuit, apparut en songe à Abimélech. C'est justement, dit le texte, pendant le sommeil, que Dieu voulant-le soustraire à l'iniquité, éclaira sa conscience, lui révéla ce qui était secret et provoqua sa crainte, en le menaçant de la mort. En effet, dit le texte : (309) Vous serez puni de mort, à cause de la femme que vous avez enlevée, parce qu'elle a un mari. Or, Abimélech ne l'avait point touchée. (Ibid. 4.) Toutes ces choses arrivèrent afin que la promesse de Dieu au patriarche eût son accomplissement. En effet, peu de temps auparavant, il lui avait promis qu'Isaac viendrait au monde, et le temps était proche. Pour que rien ne gênât l'accomplissement de la divine promesse, il frappa Abimélech d'une si grande terreur,. que ce roi n'osa point toucher Sara. Voilà pourquoi la diviné Ecriture a ajouté : Abimélech ne l'avait point touchée. Lui-même s'en défend et dit : Seigneur, punirez-vous de mort l'ignorance d'un peuple innocent? Savais-je, dit-il, que c'était son épouse? Ai-je voulu outrager un étranger? Quand j'ai enlevé cette femme, ai-je cru lui enlever son épouse? J'ai pensé la recevoir comme sa sueur, j'ai cru leur faire honneur, à elle et à lui. Punirez-vous donc de mort l'ignorance d'un peuple innocent? J'ai fait l'action d'un homme juste ; me punirez-vous de mort? Il explique ensuite sa pensée plus clairement : Ne m'a-t-il pas dit lui-même qu'elle était sa soeur, et elle-même aussi, ne m'a-t-elle pas dit qu'il était son frère ? Voyez, dans la conduite des époux, le consentement parfait: Quelle parfaite concorde ! Lui-même, dit-il, me l'a dit; elle-même a confirmé ses paroles. J'ai fait cela dans la simplicité de mon tueur et sans souiller la pureté de mes mains (Ibid. 5), dit-il. Je n'ai pas cru faire une mauvaise action, mais une action légitime, permise, irrépréhensible. Que répond à cela le Dieu de bonté? Dieu lui dit, pendant son sommeil. (Ibid. 6.) Voyez la condescendance du Dieu de toutes les créatures; voyez comme tout révèle sa bonté : Je sais que vous l'avez fait avec un coeur simple. Je sais, dit-il, qu'eux-mêmes vous ont inventé, pour vous, une histoire, et vous ont trompé par leurs paroles. Je n'ai pas voulu que cette tromperie vous induisît à pécher, c'est pour cela que je vous ai préservé, afin que vous ne, péchiez point contre moi. Quel ménagement dans ces paroles ! Quelle clémence dans le Seigneur ! Le péché, dit-il, aurait rejailli contre moi.

S'il arrive parmi les hommes qu'on fasse injure à un serviteur en grande estime auprès de son maître, le maître prend l'injure pour lui, et dit : C'est moi que vous avez outragé en outrageant mon serviteur. Le traitement qu'on lui fait, on me le fait à moi. La bonté de Dieu tient ici le même langage : Je vous ai préservé, dit-il, afin que vous ne péchiez point contre moi. Ce sont mes serviteurs, dit-il, et si recommandables à mes yeux, que ce qu'on leur fait, on me le fait à moi-même, soit en bien, soit en mal. Voilà pourquoi je ne vous ai pas permis de la toucher. Je m'intéresse à eux tout à fait, et, comme je savais que c'était par ignorance que vous alliez leur faire un outrage, je vous ai préservé afin que vous ne péchiez pas contre moi. Ne regardez pas simplement cet homme comme un homme vulgaire; apprenez qu'il est de ceux à qui je porte le plus grand intérêt, et qui me sont particulièrement chers. Rendez donc présentement cette femme à son mari, parce que c'est un prophète, et il priera pour vous et vous vivrez. (Ibid. 6.) Voyez comme il proclame la vertu de l'homme juste; il l'appelle prophète, il fait presque en sorte que le roi se montre son suppliant. En effet, il priera pour vous et vous vivrez. En effet, dit-il, ayant peur d'être tué par vous, il a bâti cette comédie; il a pour ainsi dire, coopéré à l'outrage préparé à Sara; mais sachez bien que ses prières vous procureront la vie. Ensuite, de peur qu'Abimélech, embrasé par la concupiscence, vaincu par la beauté de Sara, ne méprise ses commandements, il lui envoie la terreur , il le menace d'un grand châtiment. Si vous ne voulez point la rendre , dit-il, sachez que vous serez frappé de mort, vous et tout ce qui est à vous. Ce n'est pas vous seulement qui expierez votre désobéissance; mais la mort, à cause de vous, perdra tout ce qui est à vous. Si Dieu choisit le temps de la nuit pour lui adresser toutes ces paroles, c'est afin que l'avertissement reçu pendant l'heure du repos, soit plus efficace ; c'est pour que la crainte le décide à ,obéir au commandement. Et en effet, dit le texte, Abimélech se leva aussitôt, appela tous ses serviteurs, et leur dit tout ce qu'il avait entendu.

4. Voyez comme le roi devient le héraut de la vertu de l'homme juste , et le fait connaître à tous. En effet, dit le texte, ayant appelé tous ses serviteurs , il leur raconta tout ce que Dieu lui avait révélé, afin d'apprendre à tous, et la bienveillance de Dieu envers l'homme juste, et tout l'intérêt que Dieu lui portait à cause de ses moeurs et de sa vertu. Or ils furent tous saisis d'une grande crainte. Comprenez-vous maintenant que ce n'était pas sans raison, sans un dessein de (310) Dieu, que ce juste passait tant de fois d'un lieu dans un autre? S'il était resté sous sa première tente, comment tous les habitants de Gérara auraient-ils pu connaître l'insigne crédit dont jouissait le juste auprès de Dieu? Or ils furent tous saisis d'une grande crainte. Ils étaient pénétrés d'une frayeur qui les rendait fort inquiets de l'événement. Le texte continue : Abimélech manda Abraham. (Ibid. 9.) Considérez la gloire dont le juste jouit ensuite auprès du roi, lui qui, peu d'instants auparavant, était méprisé de tous comme un vagabond, un étranger. Donc, tout le monde est rassemblé, et aussitôt on mande le patriarche, qui ne savait rien et qui apprend ensuite, du roi lui-même , ce que Dieu avait fait pour lui. En effet, Le roi lui dit : Pourquoi nous avez-vous traités de la sorte? quel mal vous avions-nous fait, pour avoir voulu nous engager, moi et mon royaume, dans un si grand péché ? Vous avez fait faire à notre égard ce que vous n'auriez point dû ; que vouliez-vous en agissant ainsi? (Ibid. 10.) Pourquoi, dit-il, avez-vous voulu me faire tomber dans un si grand péché? dans quelle pensée avez-vous fait, cela? voyez comme ces paroles indiquent les menaces que Dieu lui a faites. Car Dieu lui avait dit : Si vous ne voulez point la rendre, sachez que vous serez frappé de mort, vous et tout ce qui est à vous. Ce sont ces paroles mêmes qu'Abimélech interprète en disant Quel mal vous avions-nous fait, pour avoir voulu nous engager, moi et mon royaume, dans un si grand péché? Est-ce que j'aurais été le seul puni? tout mon royaume aurait été perdu avec moi, par suite de la tromperie que vous avez faite. Que vouliez-vous en agissant ainsi? Considérez ici, mes bien-aimés, la prudente de l'homme juste; comment l'excuse qu'il présente, lui sert à les amener à la connaissance de Dieu. C'est que j'ai dit en moi-même, dit-il, il n'y a peut-être point de crainte de Dieu en ce pays-ci, et ils me tueront pour avoir ma femme. (Ibid. 11.) Comme s'il disait : J'ai été fort inquiet; j'ai craint que, toujours possédé par l'erreur, vous n'eussiez aucun souci de la justice. Voilà pourquoi j'ai imaginé cette feinte; c'était pour vous épargner un crime; de peur que, si vous compreniez qu'elle était mon épouse, saisi d'amour pour elle, vous ne cherchiez à me tuer. Voyez comme ce peu de paroles lui sert à les reprendre, et en même temps, à leur enseigner que celui qui a la pensée de Dieu ne doit commettre aucune injustice, mais redouter l'œil qui ne dort pas, éviter les châtiments dont Dieu menace quiconque ne prend pas le plus grand souci de lâ justice. Le patriarche voulant ensuite se défendre : Ne pensez pas, dit-il, que même en parlant ainsi j'aie menti : En effet, c'est ma soeur du même père que moi, mais non de la même mère; et elle m'a été donnée pour épouse. (Ibid. 12.) Comme elle a, dit-il, le même père que moi, je l'ai appelée ma soeur; donc ne me condamnez pas. Sans doute, c'est la crainte de la mort qui m'a réduit à dire ce que j'ai dit; j'ai eu peur que vous ne me fissiez mourir, à cause d'elle, et que vous ne fassiez d'elle votre. possession; toutefois je n'ai pas menti, même en ce que je vous ai dit. — Voyez quel soin prend le juste pour se disculper ici du mensonge. Et tenez, dit-il, je veux tout vous dire, écoutez le dessein que nous avons concerté entre nous Depuis que Dieu m'a fait sortir de la maison de mon père. (Ibid. 13.) Considérez, je vous en conjure, ici, l'industrieuse sagesse de l'homme juste; en suivant le fil de son discours, il leur apprend qu'il est, depuis le commencement, particulièrement attaché à Dieu ; que c'est Dieu qui l'a appelé hors de sa patrie, qui l'a amené dans ce lieu ; il veut que le roi sache qu'Abraham est du nombre de ceux qui ont en Dieu la plus grande confiance. Depuis que Dieu, dit-il, m'a fait sortir dé la maison de mon père, je lui ai dit : Vous me ferez cette grâce, dans tous les pays où nous irons, de dire que je suis votre frère. En effet, comme sil avait dit plus haut : J'ai dit en moi-même, iln'y a peut-être point de crainte de Dieu en ce pays, on aurait pu croire qu'il les réprimandait trop sévèrement; il veut donc adoucir cette peuple, et alors il dit : Ne croyez pas que je ne me sois ainsi conduit qu'avec vous. En effet, il s'empresse d'ajouter : Depuis que Dieu m'a fait sortir de la maison de mon père, je lui ai dit : Vous me ferez cette grâce dans tous les pays où nous irons; dans tous les pays, dit-il, de la terre, pour tous les peuples qui l'habitent, je lui ai fait cette recommandation. Et, en même temps il leur apprend que, dans cette feinte même, il n'y a pas de mensonge; c'est la crainte de la mort qui nous y a portés. Le juste, par ces paroles, apaisa leur colère, révéla sa vertu, et leur donna une connaissance suffisante de la vraie religion. Donc le roi, respectant la grande douceur de l'homme (311) juste, fait de magnifiques présents au patriarche. En effet, dit le texte, il reçut d'Abimélech mille pièces d'argent, et des brebis, et des veaux., et des serviteurs et des servantes, et il lui rendit Sara son épouse. (Ibid. 14.) Avez-vous bien compris, mes bien-aimés, la toute-puissance et la variété de l'industrie de Dieu? l'homme qui était en danger de mort, et qui faisait tout pour échapper à la mort, non-seulement y a échappé, mais il s'est trouvé en grande faveur, et, tout à coup a été glorifié.

5. Telle est la conduite de Dieu: non-seulement il sauve de tous les malheurs ceux qui résistent avec courage dans les moments d'épreuve, mais il sait tirer de l'adversité une félicité si grande, que l'on oublie tout dans l'abondance des biens dont on est comblé. Voyez encore les égards que le roi a pour cet homme juste. Non-seulement il l'honore en lui faisant de si magnifiques présents; mais, de plus, il lui accorde le pouvoir de fixer son séjour dans la contrée. Vous voyez devant vous toute cette terre, dit-il, demeurez où il vous plaira. (Ibid. 15.) En effet, comme il sait que ses vertus, que ses prières lui donnent la vie à lui-même, il ne le traite plus comme un voyageur, comme un vagabond, comme un homme que personne ne tonnait; il lui rend ses devoirs, comme à un bienfaiteur, comme à un protecteur. Il dit ensuite à Sara : J'ai donné mille pièces d'argent à votre frère. (Ibid. 16.) Voyez comme les paroles du juste ont profité, comme il ajoute foi à ce que le juste lui a enseigné; voici que lui-même appelle Abraham le frère de Sara. Ces pièces d'argent que j'ai données, dit-il, à votre frère, seront pour l'honneur de votre visage, et dites partout la vérité. Qu'est-ce que cela veut dire: pour l'honneur de voire visage, et dites partout la vérité? En considération de ce que j'ai entrepris par ignorance, en vous faisant venir dans ma maison, vous qui êtes l'épouse d'un juste, parce que je .vous ai fait outrage, uniquement. en considération de cet outrage, j'ai donné mille pièces d'argent; afin de réparer ce que j'ai fait contre vous. Mais dites partout la vérité. Que signifie : dites partout la vérité? Que tous, dit-il, apprennent de votre bouche que je n'ai pas fait une action injuste; que vous êtes sortie chaste de ma maison. Faites savoir, dit-il, à votre mari, que je suis pur du péché; qu'il apprenne de votre bouche que je ne vous ai rien fait. Pourquoi ces paroles? C'est afin que le ajuste, renseigné par Sara et parfaitement convaincu, offre pour lui ses prières au Seigneur. En effet, après ces paroles : Dites partout la vérité, c'est-à-dire faites savoir à votre mari ce qui a été fait, l'Écriture ajoute aussitôt : Abraham pria Dieu ensuite, et Dieu guérit Abimélech, sa femme et ses servantes, et elles enfantèrent. Car Dieu avait frappé de stérilité toute la maison d'Abimélech, à cause de Sara, femme d'Abraham. Voyez comment le Seigneur, voulant, par tous les moyens, glorifier le juste, accorde au patriarche le salut du roi et de toutes les personnes qui étaient dans sa maison. (Ibid. 17, 18.) Abraham, dit le texte, pria Dieu ensuite, et Dieu guérit Abimélech, sa femme et ses servantes, et elles enfantèrent; car Dieu avait frappé de stérilité toute la maison d'Abimélech, à cause de Sara, femme d'Abraham. Le roi était pur de tout péché; mais Dieu l'avait frappé afin d'accorder sa guérison aux prières du juste, et d'ajouter ainsi à sa gloire. Car le Seigneur ordonne toujours et dispose les choses de manière, que ceux qui le servent soient comme des flambeaux resplendissants, et que leurs vertus soient partout célébrées. Et voyez, je vous en conjure, mon bien-aimé, après que Dieu a délivré le juste de tous ces ennuis, comme il le comble encore une fois de tous les biens, comme il accomplit sa promesse. Voici maintenant l'accomplissement de ce que Dieu lui avait autrefois annoncé. Or, le Seigneur, dit le texte, visita Sara, ainsi qu'il l'avait promis, et fit à Sara selon qu'il avait dit; et elle conçut, et dans sa vieillesse enfanta un fils à Abraham, dans le temps que Dieu lui avait prédit. (Gen. XXI, 1, 2.) Que signifie : lui avait prédit et, ainsi qu'il l'avait promis? Cela veut dire, conformément à la promesse faite, quand il reçut l'hospitalité, avec les anges, auprès du chêne de Mambré. L'ancienne parole : En ce temps-là je reviendrai, et Sara aura un fils (Gen. XVIII, 14), se trouve accomplie maintenant. Ces bienheureux voyaient le démenti donné à la nature; et ce n'était pas le moyen ordinaire, mais la grâce divine qui opérait. Abraham donna le nom d'Isaac à son fils, qui lui était né de Sara. (Gen. XXI, 3.) Ce n'est pas sans raison que le texte ajoute : qui lui était né de Sara. Le texte ne se borne pas à dire Abraham donna le nom à son fils; mais il ajoute. qui lui était né de Sara, de cette femme stérile et avancée en âge. Et il le circoncit, dit le texte, le huitième jour, selon le (312) commandement du Seigneur. En effet, Dieu avait donné le commandement de circoncire , au bout de huit jours, ceux qui naîtraient dans la suite.

Avançons; exerçons-nous à comprendre la puissance ineffable de Dieu. L'impossible pour les hommes est possible pour lui. Voilà pourquoi la divine Ecriture nous apprend ici encore le temps. Après qu'elle nous a fait connaître l'enfantement, elle ajoute, pour notre instruction, ces paroles : Abraham avait cent ans quand lui naquit son fils Isaac, et Sara dit alors : Le Seigneur m'a donné un ris; quiconque l'apprendra se réjouira avec moi. Que signifie cette expression : Le Seigneur m'a donné un ris? Cet enfantement est pour moi un sujet de joie. Et qu'y a-t-il d'étonnant que je me réjouisse? Tous ceux qui l'apprendront viendront me féliciter, non pas de ce que j'ai enfanté, mais de ce que j'ai enfanté ainsi. Un enfantement si admirable, si rare, transportera tous les hommes d'admiration et redoublera leur joie, quand on saura que moi, qui n'étais qu'un cadavre quant à la génération, je suis tout à coup devenue mère, que les flancs desséchés ont produit un enfant, que la femme avancée en âge peut l'allaiter; que je verrai jaillir de mon sein des fontaines de lait, moi qui n'avais plus l'espoir d'enfanter. Et elle dit : Qui annoncera à Abraham que Sara nourrit de son lait un enfant? C'est que les sources de lait ont été accordées pour faire qu'on ajoute foi à l'enfantement, pour écarter l'idée d'un enfant supposé. Ces sources de lait disaient à tous que l'événement, qui dépassait l'attente des hommes, s'était accompli : Qui annoncera que Sara nourrit de son lait un enfant; que j'ai enfanté un fils dans ma vieillesse? Que moi, vieille, j'aie pu enfanter; que je puisse, à l'âge où je suis, nourrir un fils? Cependant, dit le texte, l'enfant grandit, et on le sevra, et Abraham fil un grand festin au jour qu'il fut sevré. (Ibid. 7, 8.)

6. Avez-vous bien compris l'ineffable industrie de Dieu; le complet témoignage qu'il donne de la patience du juste, lorsque, au moment même où et ce juste et tous ceux qui le voyaient, ne considérant que les forces de la nature humaine, n'osaient rien espérer, la pro. messe reçoit son parfait accomplissement? Eh bien donc ! nous aussi, mes bien-aimés, montrons la même patience que cet homme juste; pas de relâchement ; animons-nous d'une bonne espérance, par la pensée que ni la difficulté des choses, ni quelque obstacle humain que ce soit, ne peut nous priver des biens que la grâce du Seigneur daigne nous départir dans sa munificence. Chaque jour il exerce sa libéralité; tout lui cède, tout lui obéit: le difficile devient facile, l'impossible possible, pour peu que nous conservions la foi robuste en lui, Si nous ne considérons que la grandeur de son pouvoir, nous serons supérieurs à tout pouvoir humain. Celui qui a promis les biens à venir, les biens ineffables à ceux qui vivent dans la vertu, à combien plus forte raison nous accordera-t-il ce qu'il nous faut ici-bas, surtout si, n'ayant de désir que pour les biens invisibles, nous dédaignons les biens présents? Voulons-nous en jouir en abondance, sachons les mépriser. Donc, puisque nous sommes instruits de ces choses, désirons les biens durables, les biens qui ne changent pas, qui ne connaissent pas de fin, de telle sorte que nous traversions sans tristesse la vie présente, et que nous puissions conquérir le bonheur à venir et jouir de tous les biens qui nous sont promis, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

 

 

QUARANTE-SIXIÈME HOMÉLIE. Sara dit : " Qui annoncera à Abraham que Sara nourrit, un enfant de son lait; que j’ai enfanté un fils dans ma vieillesse ? " (Gen. XXI, 7.)
ANALYSE.

1. Sara demande à Abraham de renvoyer Agar et son fils. — 2. Agar est renvoyée. Obéissance d'Abraham. Providence de Dieu. — 3. Rien ne peut vaincre celui qui est muni du secours de Dieu. — 4. Portrait de l'envie. Exhortation à éviter ce défaut.

1. Eh bien ! aujourd'hui encore, mes bien-aimés, reprenons la suite de l'entretien d'hier.. Nous voulons vous servir ce banquet spirituel, pour mieux comprendre,. aujourd'hui encore, comme hier, l'ineffable bonté de Dieu, l'intérêt qu'il nous porte, la condescendance qu'il a pour nous, et la parfaite obéissance et la sagesse du patriarche. Avez-vous vu comme la naissance d'Isaac a réjoui Sara? Elle dit, en effet, selon le texte : Dieu m'a donné un.ris, quiconque l'apprendra s'en réjouira avec moi. Tous ceux qui l'apprendront, dit-elle, partageront ma joie; car c'est un grand don qui m'a été accordé par Dieu, et qui surpasse l'infirmité humaine. Car, dit-elle, qui ne sera pas frappé d'étonnement, à voir que moi je nourris de mon lait un enfant, dans mon extrême vieillesse, moi qui jusqu'à ce jour n'ai pas eu d'enfant? Et, dans l'admiration, dans l'étonnement dont elle est saisie, elle ajoute : Qui annoncera à Abraham que Sara nourrit un enfant de son lait; que j'ai enfanté un fils dans ma vieillesse ? C'est parce que le fait est surnaturel qu'elle ajoute : Qui annoncera, comme si elle disait, Qui croira cela? qui se mettra cela dans l'esprit? quelle pensée pourra comprendre? quel raisonnement expliquera ce fait? Le rocher du désert, duquel jaillissent des fontaines sous la verge de Moïse (Exode, XVII), est moins admirable que ces flancs desséchés, d'où naît un enfant; que ces fontaines de lait qui jaillissent. Car, ce qui rend l'enfantement manifeste, ce qui commande la foi, non-seulement de tous les spectateurs qui ont vu Sara, mais de tous ceux qui, depuis, ont entendu parler du miracle, c'est qu'elle-même nourrit son enfant ; c'est qu'elle veut le nourrir de son lait, et elle dit : Qui annoncera à Abraham que Sara nourrit un enfant de son lait? Ce fait étrange, admirable, ce présent, dit-elle, à moi accordé, en dehors de toute attente, que j'ai enfanté un tels dans ma vieillesse. Qu'est-ce à dire, Que j'ai enfanté un fils dans ma vieillesse? C'est qu'indépendamment de la stérilité, il suffisait de la vieillesse pour écarter tout espoir d'enfantement. Eh bien ! tous ces obstacles, le Seigneur les a fait disparaître, et il m'a accordé un enfant que j'ai enfanté, et des fontaines de lait. Mais voyons la suite : Sara, dit le texte, vit le fils d'Agar, l'Egyptienne, qui était né d'Abraham, jouant avec Isaac son fils, et elle dit à Abraham : Chassez cette servante, avec son fils, car le fils de cette servante ne sera point héritier avec mon fils Isaac. Ce discours parut dur à Abraham, à cause de son fils. (Ibid. IX, 10, 11.) Voyez ici, je vous en conjure, mon bien-aimé, Sara, une seconde fois, ne supportant pas la familiarité d'Ismaël, ne pouvant pas se faire à ce que le fils de sa servante vive dans la compagnie d'Isaac. De (314) même qu'une première fois, jalouse d'humilier l'orgueil d'Agar, emportée parla colère, elle l'a forcée à prendre la fuite; de même, ici encore, elle réprime tout de suite la familiarité d'Ismaël, elle ne supporte pas que le fils dont Dieu lui a fait un présent, vive en compagnie du fils de la servante égyptienne; elle dit à Abraham : Chassez cette servante avec son fils, car le fils de cette servante ne sera point héritier avec mon fils. C'est qu'elle se voyait elle-même tout à fait dans le déclin de l'âge. Le patriarche était arrivé à l'extrême vieillesse (tous les deux, dit le texte, étaient pleins de jours) ; craignant que, s'il venait à mourir tout à coup, Ismaël, né aussi du patriarche, ne voulût s'introduire dans l'héritage, le partager également avec Isaac, elle dit: Chassez cette servante avec son fils. Qu'elle apprenne, dit-elle, dès ce moment, que le fils de la servante n'aura rien de commun avec mon fils Isaac. Il n'est pas juste que le fils de la servante vive avec mon fils, le fils de la maîtresse. Sara, d'ailleurs , n'a pas agi sans motif; c'est avec raison, et à bon droit, qu'elle a tenu cette conduite, qu'elle a parlé ainsi, et c'est avec tant de raison que Dieu approuva ses paroles. Quant au patriarche, plein de tendresse et d'affection pour Ismaël, il entendait avec chagrin les paroles de Sara. En effet, dit le texte : Ce discours parut dur à Abraham à cause de son fils. Il s'inquiétait peu d'Agar, mais il aimait son fils qui d'ailleurs était déjà grand. Mais considérez, je vous conjure ici, l'admirable clémence de Dieu. Comme il vit que ce qu'éprouvait Sara était conforme à la nature humaine, qu'elle ne pouvait souffrir l'égalité d'honneur entre les fils d'Abraham, et qu'en cela elle avait raison; qu'Abraham, de son côté, se résignait, avec peine au renvoi d'Ismaël et de la servante (quoiqu'il ne luttât pas contre Sara, parce qu'il avait une grande douceur de caractère, cependant ce renvoi lui paraissait dur, c'est-à-dire pénible; c'était pour lui le sujet d'une douleur difficile à supporter) ; Dieu enfin, n'écoutant que sa clémence ordinaire , et resserrant , entre lés époux , les liens de la concorde, dit à Abraham : Que ce que Sara vous a dit touchant votre fils et votre servante ne vous paraisse point trop rude; faites tout ce qu'elle vous dira. (Ibid. 12.) C'est-à-dire ne vous affligez pas de ce qu'elle vous a dit, mais faites tout ce qu'elle vous dira.

2. Toutes les paroles, dit Dieu, que Sara vous fait entendre maintenant, au sujet d'Ismaël et d'Agar, acceptez-les et faites ce qu'elle vous dira. N'attristez pas, dit Dieu, celle qui, pendant si longtemps, vous a témoigné tant d'amour; celle qui, non-seulement une fois, mais deux fois, pour vous arracher à la mort, s'est exposée elle-même, et a été la, cause de cette gloire que vous possédez; c'est à elle que vous devez d'abord tant de trésors que vous avez rapportés à votre retour d'Egypte ; c'est encore à elle que vous devez d'avoir été traité avec tant d'honneur par Abimélech. Donc, ne songez pas à résister à ses paroles, car ce qu'elle veut s'accomplira. Isaac son fils, sera appelé votre sang, et il sera. vôtre héritier. Je ne laisserai pas néanmoins de rendre le fils de votre servante chef d'un grand peuple, parce qu'il est sorti de vous. (Ibid. 13.) Faites donc ce que vous dit Sara; conformez-vous à ses paroles. Réfléchissez ici, je vous en conjure, quelle concorde, quelle paix bienheureuse s'établit aussitôt sous leur tente, la bonté divine resserrant ainsi le lien qui les unissait. Abraham se leva donc, dit le texte, dès le point du jour, prit des pains et un vase plein d'eau, le mit sur l'épaule d'Agar, lui donna son fils, et la renvoya. (Ibid. 14.) Voyez, ici encore, la rare vertu de l'homme juste, et comme il montre, en toutes choses, la piété de son âme, car ces paroles de Sara : Chassez cette servante et son fils, lui paraissaient dures, parce qu'il avait de la tendresse pour Ismaël; mais, aussitôt que le Seigneur lui eut donné le commandement, il fit ce qui lui était commandé, oubliant même un amour naturel. On croit l'entendre dire : Dès que le Seigneur commande, que toutes les affections se taisent, parce que c'est le maître de la nature qui commande. Donc quand la servante, dit le texte, eut reçu les pains et le vase d'eau, elle sortit avec son enfant. Remarquez attentivement, je vous en prie, voyez encore comment la bienveillance que Dieu avait pour l'homme juste, s'étend sur cette femme; jugée digne, elle aussi, de la sollicitude d'en-haut. Donc quand elle fut partie, elle errait à travers la solitude, et son eau étant épuisée, ne trouvant aucune consolation : Elle laissa son fils couché sous un arbre. (Ibid. 15.) Ses entrailles étaient déchirées, elle souffrait dans l'excès de son amour pour son enfant. Elle s'assit, dit le texte, à distance de lui, de la portée d'un arc, en disant : Je ne verrai point mourir mon (315) enfant, et elle était assise vis-à-vis de l'enfant; et l'enfant se mit à pleurer. (Ibid. 16.) Mais maintenant le Dieu de miséricorde et de bonté, plus tendre pour nous qu'un père, qu'une mère : Entendit la voix de l'enfant, du lieu où il était. (Ibid. 17.) Il eut pitié de l'enfant, il eut compassion du malheur d'Agar, il lui permit de faire seulement l'épreuve de la solitude, et aussitôt il lui accorda son secours. Et un ange de Dieu, du haut du ciel, appela Agar et lui dit: Que faites-vous, Agar? Ne craignez point, car Dieu a entendu la voix de l'enfant du lieu où il est. Levez-vous, prenez l'enfant, et tenez l'enfant, parce que je le rendrai chef d'un grand peuple. (Ibid. 17, 18.) O miséricorde du Seigneur ! Quoiqu'elle ne fût qu'une servante, il ne l'a pas méprisée; mais, parce qu'il avait fait une promesse au patriarche , et parce qu'Ismaël était sorti de lui, il a montré, à cette mère aussi, sa grande sollicitude. Il lui dit Agar, que faites-vous-là ? Ne craignez point, car Dieu a entendu la voix de l'enfant. Levez-vous, prenez l'enfant, et tenez-le par la main, parce que je le rendrai chef d'un grand peuple. Cessez de vous affliger, dit-il, de ce qu'on vous â chassée; l'intérêt que je porte à l'enfant est si grand, qu'il sera, lui aussi, le chef d'un grand peuple. Et, en même temps, dit le texte : Dieu lui ouvrit les yeux. (Ibid. 19.) Ce n'est pas qu'elle fût aveugle auparavant, mais c'est qu'il ne lui servait de rien d'ouvrir, les yeux, avant la visitation d'en-haut. Voilà pourquoi, voulant manifester la providence du Seigneur, le texte dit: Dieu lui ouvrit les yeux, c'est-à-dire, éclaira son ignorance, réveilla sa pensée, lui montra là direction à prendre, lui fit voir un lieu où se trouvaient des sources d'eau vive. Et, dit le texte, ayant aperçu un puits plein d'eau vive, elle y alla, y remplit son vase, et en donna à boire à l'enfant. Dans les endroits sans chemin frayé, il lui montra le chemin; à cette âme inquiète, qui n'avait plus d'espoir de salut, Dieu montra sa généreuse clémence : il la consolait, et il prenait soin de l'enfant. Ainsi, toutes les fois que c'est la volonté de Dieu, fussions-nous dans la solitude, réduits aux plus cruelles afflictions, sans aucune espérance de salut, nous n'avons pas besoin d'autre aide; le divin secours nous fournit tout. Si nous avons conquis l'affection du Seigneur, rien ne prévaudra contre nous; nous serons supérieurs à tout. Et Dieu était avec l’enfant, dit le texte, et l'enfant grandit, et demeura dans la solitude. (Ibid. 20.) Ainsi, quand nous avons pour nous la bienveillance du Seigneur, fussions-nous dans un désert, nous vivons dans une sécurité bien plus grande que les habitants des cités; c'est que la plus grande des sûretés, le mur inexpugnable; c'est le secours de Dieu. Et voulez-vous la preuve, que l'habitant des solitudes est plus en sûreté, est plus puissant que ceux qui vivent au milieu des cités, forts de l'appui qu'ils attendent d'un grand nombre d'hommes? Voyons, d'une part, David, passant d'un lieu dans un autre, errant, vagabond, mais fort parce qu'il s'appuie sur le bras d'en-haut; Saül, au contraire, au milieu des cités, à la tête d'une armée si nombreuse, avec tant ale satellites et de gardes autour de lui, tremblait, redoutait chaque jour les piéges de ses ennemis. (I Rois, XVII.) Et celui qui était seul, sans personne à ses côtés, n'avait pas besoin de l'appui que prêtent les hommes; et cet autre, avec son diadème, avec sa pourpre, avait besoin du secours du vagabond; il fallait, au roi, le bras du berger; au front portant diadème, l'aide de l'homme obscur.

3. Mais, si vous voulez, reprenons d'un peu plus haut la suite de cette histoire. Voyons-là tout entière, afin d'apprendre qu'il n'y a rien de plus fort que l'homme qui s'est fait un rempart de la grâce d'en-haut; rien de plus faible que celui qui en est privé, fût-il entouré d'armées sans nombre. Eh bien ! donc, ce David encore tout jeune, que son âge retenait dans la maison de son père, le moment étant arrivé de révéler son courage,- fut envoyé par son père auprès de ses frères ; il obéit, et alla les trouver. Arrivé auprès d'eux pour les visiter, il vit la guerre qui se faisait contre l'étranger Goliath; tout le peuple frappé de terreur avec Saül, le roi lui-même dans le plus grand danger. Il voulut alors, comme simple spectateur, voir, et il s'en alla voir, étrange et incroyable spectacle, un seul homme tenant tête à tant de milliers d'hommes. Pour ses frères, ils ne supportèrent pas les élans de son courage, ils conçurent de l'envie: N'es-tu pas venu pour un autre motif que pour voir la guerre ? (I Rois, XVII, 28.) Il paraît que tu n'es pas venu pour nous voir? Attention, ici, remarquez sa sagesse et sa douceur. Aucune parole irréfléchie, nulle amertume dans la réponse qu'il leur fait; pour apaiser leur colère et calmer leur envie, il leur dit : Est-ce qu'il n'est pas permis de parler? (Ibid. 29.) M'avez-vous vu, leur dit-il, prendre les armes? Est-ce que (316) vous m'avez vu me mettre dans les rangs avec les autres ? J'ai seulement voulu voir , m'informer d'où vient à cet homme son audace excessive. Quel est donc cet étranger, qui insulte l'armée du Dieu vivant ? (Ibid. 26). Bientôt, quand il entend ses blasphèmes, quand il voit son arrogance, l'effroi de ceux qui étaient avec Saül, il dit: Que donnera-t-on à l'homme qui lui aura coupé la tête ? Ces paroles montraient une grande force d'âme et remplissaient tout le monde d'admiration. Quand Saül les eut entendues, il fit mander le jeune homme, qui ne savait rien, que garder ses troupeaux; en voyant sa jeunesse, il en fit peu de cas. Mais ensuite il apprit de lui comment il s'y prenait avec les ours qui s'élançaient sur ses troupeaux. En effet, ce berger admirable avait été contraint de faire ce récit, non pas pour s'attirer une vaine gloire; il y était forcé pour relever le courage du roi, pour que le roi ne s'arrêtât pas à l'extérieur méprisable de celui qu'il voyait, mais prît en considération la foi vivant dans le secret du coeur, et le secours d'en-haut qui avait rendu ce jeune homme sans armes, ce berger, plus fort que des hommes armés, que des soldats. Donc, le roi, voyant sa confiance, voulut le revêtir de ses armes; mais le jeune homme, couvert de ces, armes, n'avait pas la force de les porter. Ceci se passait pour montrer à tous que c'était la vertu de Dieu, qui opérait par ses mains, et qu'on ne devait pas attribuer aux armes ce qui allait arriver. En effet, comme le jeune homme était alourdi par ces armes qui gênaient la liberté de ses mouvements, il les déposa, prit sa besace de berger, des pierres, et marcha contre cette masse de chair qui ressemblait à une tour. Mais maintenant, voyez encore l'étranger qui ne regarde que sa jeunesse et qui la dédaigne, voyez-le mépriser ce juste, et pour ainsi dire se décider à ne combattre cet enfant chétif qu'avec des paroles. Quand il vit que son adversaire n'avait qu'une besace de berger, pour l'attaquer, lui, qu'il n'apportait que des pierres, il lui adressa à peu près ces paroles : Te crois-tu donc encore auprès de tes moutons, à la poursuite de quelques chiens? tu viens contre moi comme si tu faisais la chasse à un chien. Est -ce là ton équipement pour commencer le combat contre moi? L'expérience ne sera pas longue, qui t'apprendra que tu ne fais pas la guerre au premier venu. En faisant entendre ce grand fracas de paroles, il s'agitait, se donnait du mouvement, manoeuvrait toute sa panoplie et dirigeait ses armes en-avant. C'était, pour celui-ci, la confiance dans ses armes, qui l'animait au combat; David avait la foi en Dieu, et sa force était dans le secours d'en-haut. Et d'abord, rabattant l'orgueil de l'étranger, il lui dit : tu viens à moi couvert de toutes pièces, la lance à la main, et tu penses me vaincre, par la force qui est en toi. Je viens, moi, au nom du Seigneur Dieu. A ces mots, il prend dans sa besace de berger, une pierre seulement; à vrai dire, comme s'il s'agissait de chasser un chien tombant sur le troupeau. Avec sa fronde, il la lance, frappe à l'instant au front l'étranger, le jette par terre, et vite tirant son glaive, lui coupe la tête, la porte au roi, et la guerre est finie. Et grâce à ce berger, le roi fut sauf, et toute l'armée du roi respira. Et vous auriez vu alors une merveille incroyable. L'homme couvert de ses armes, renversé par celui qui est sans armes; le guerrier expérimenté, jeté par terre, par celui qui ne sait rien que garder ses moutons. D'on vient ce prodige et pourquoi? C'est que l'un marchait au combat ayant Dieu pour auxiliaire; l'autre était dépourvu de ce secours, c'est pourquoi il est tombé sous les coups de son ennemi. Mais , voyez ici combien l'en. vie est insensée ! quand le roi vit ce juste, escorté de tant de gloire, quand il vit qu'on trépignait d'allégresse , quand il entendit ces cris : Saül en a vaincu mille, David en a vaincu dix mille (I Rois, XVIII, 7), il ne put supporter ces paroles (bien que à faire un juste calcul elles fussent plus à son avantage qu'à l'avantage de David) ; vaincu par l'envie, il récompense par un crime celui qui est son bienfaiteur. Celui qu'il devait regarder comme son bienfaiteur, son sauveur, il cherchait à le tuer. O folie ! ô délire ! ô étrange engourdissement d'esprit! Celui qui lui avait sauvé la vie, qui avait affranchi toute son armée de la fureur de l'étranger, de Goliath, il le regardait comme un ennemi, il oubliait le bienfait, il était vaincu par l'envie qui plongeait sa pensée dans les ténèbres, qui l'enivrait pour ainsi dire à ce point qu'il regardait son bienfaiteur comme on regarde un ennemi.

4. Voilà ce que cette passion a de funeste, elle perd d'abord celui qui l'engendre en soi. Comme le ver que produit le bois, et qui d'abord s'attaque au bois lui-même, ainsi l'envie ronge d'abord l'âme où elle prend naissance. (317) Quant à celui qui l'inspire, elle lui fait tout le contraire du mal qu'elle veut lui causer. Ne considérez donc pas ce que sont d'abord les personnes à qui l'on porte envie, mais voyez comme elles finissent, et remarquez que la malice des envieux est un sujet de gloire pour ceux que poursuit leur jalouse colère. Ceux qu'attaque l'envie ont Dieu pour auxiliaire, ils jouissent de sa grâce; l'envieux, dépouillé de la grâce, est toujours facilement vaincu; ravagé par ses propres passions, avant de l'être par les ennemis du dehors, il se consume; de secrètes morsures le dévorent; il se plonge dans la malignité où, pour ainsi dire, il s'engloutit. Instruits de ces vérités, je vous en conjure, fuyons cette maladie funeste, et, de toutes nos forces, chassons-la de notre âme; car, de toutes les passions, c'est la plus destructrice, c'est la perte de notre salut. L'envie, c'est l'invention propre du démon. Voilà pourquoi un sage disait : C'est l'envie du démon qui a fait entrer la mort dans le monde. (Sap. II, 24.) Qu'est-ce à dire : C'est l'envie du démon qui a fait entrer la mort dans le monde ? Ce monstre vit d'abord l'homme immortel; par sa malice il le porta à la désobéissance, et cette désobéissance a été, pour le démon, un moyen d'assujettir l'homme à la mort. L'envie a donc opéré la déception; la déception la désobéissance, la désobéissance la mort; de là ces paroles L'envie du démon a fait entrer la mort dans le monde. Voyez-vous tout ce que cette passion a de funeste? L'être immortel, elle l'a rangé sous le joug de la mort. Toutefois, si l'ennemi de notre salut, n'écoutant que l'envie qui le tourmente, a fait , du premier homme , de l'être immortel, un condamné à mort, la miséricorde du Seigneur, le soin que le Seigneur prend de nous, l'a porté à mourir lui-même, pour nous faire une seconde fois le magnifique présent de l'immortalité. D'où il suit qu'après avoir tant perdu, nous avons retrouvé plus encore; le diable nous a chassés du paradis , Dieu nous a conduits au ciel ; le diable nous a fait condamner à mort , Dieu nous a gratifiés de l'immortalité; le diable nous a privés des délices du paradis, Dieu nous a ménagé le royaume du ciel. Comprenez-vous l'industrie du Seigneur? Comprenez-vous ce qu'il a fait de cet artifice de l'envie du démon, conspirant contre notre salut? Dieu l'a retourné contre la: tête du démon. Non-seulement il nous accorde des biens plus précieux, mais il le renverse lui-même sous nos pieds. Vous voyez que je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds les serpents et les scorpions. (Luc, X, 19.) Donc, méditons désormais toutes ces pensées, chassons l'envie de nos âmes, appliquons-nous à, conquérir l'affection de Dieu. Voilà nos armes, armes solides, armes invincibles, notre vraie richesse, notre force, notre incomparable puissance. C'est par là qu'Ismaël, que cet enfant, que cet abandonné, dans la solitude, privé de tout, manquant de tout, soudain a grandi et est devenu chef d'un grand peuple. C'est que, dit l'Ecriture : Dieu était avec l'enfant (Gen. XXI, 20) ; pensée qui nous a inspiré tout ce discours. Méprisons donc, je vous en prie; les choses présentes; ne désirons que les biens à venir; préférons à toutes choses la grâce de Dieu, et, par une vie excellente, préparons-nous, réservons-nous la pleine confiance, de manière à passer sans tristesse importune la vie présente, de manière à conquérir les biens de la vie future, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans tes siècles des siècles. Ainsi soit-il.
 

 

 

 

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