.HOMÉLIES SUR LES ACTES DES APOTRES.
Tome VIII 557-595
HOMÉLIES SUR LES ACTES DES APOTRES. *
HOMÉLIE I. J'AI ÉCRIT UN PREMIER LIVRE, Ô THÉOPHILE, DE TOUT CE QUE JÉSUS A FAIT ET ENSEIGNÉ DEPUIS LE COMMENCEMENT, JUSQU'AU JOUR OU IL MONTA AU CIEL, INSTRUISANT PAR LE SAINT-ESPRIT LES APÔTRES QU'IL AVAIT CHOISIS. (CHAP. I, 1, 2.) *
HOMÉLIE II. OR, CEUX QUI ÉTAIENT PRÉSENTS, L'INTERROGEAIENT, DISANT : SEIGNEUR, SERA-CE DANS CE TEMPS-CI QUE VOUS RÉTABLIREZ LE ROYAUME D'ISRAEL? (ACT. I, 6.) *
HOMÉLIE III. ALORS LES APÔTRES RETOURNÈRENT A JÉRUSALEM, DE LA MONTAGNE APPELÉE DES OLIVIERS, ÉLOIGNÉE DE JÉRUSALEM DE TOUT LE *
CHEMIN QU'ON PEUT FAIRE UN JOUR DE SABBAT. (ACT. I, 12.) *
HOMÉLIE IV. QUAND LES JOURS DE LA PENTECÔTE FURENT ACCOMPLIS, LES DISCIPLES ÉTAIENT TOUS ENSEMBLE EN UN MÊME LIEU, ET SOUDAIN UN BRUIT S'ENTENDIT VENANT DU CIEL. (ACT. II, 1, 2.) *
HOMÉLIE V. HOMMES DE LA JUDÉE, ET VOUS TOUS QUI, HABITEZ JÉRUSALEM, APPRENEZ CECI ET PRÊTEZ L'OREILLE A MES PAROLES. (ACT. II, 44, JUSQU'AU VERS. 21.) *
HOMÉLIE VI. HOMMES D'ISRAEL, ÉCOUTEZ CES PAROLES. (ACT. II, 22, JUSQU'AU VERS. 36.) *
HOMÉLIE VII. A CES PAROLES ILS FURENT TOUCHÉS AU FOND DE LEUR COEUR, ET ILS DIRENT A PIERRE ET AUX AUTRES APÔTRES : FRÈRES, QUE FERONS-NOUS ? (CHAP. II, 37, JUSQU'A LA FIN.) *
HOMÉLIE VIII. OR, PIERRE ET JEAN MONTÈRENT ENSEMBLE AU TEMPLE, A LA PRIÈRE DE LA NEUVIÈME HEURE. (ACT. III, 1, JUSQU'AU VERSET 11.) *
HOMÉLIE IX. OR, PIERRE VOYANT, CELA, DIT AU PEUPLE : HOMMES D'ISRAEL , POURQUOI VOUS ÉTONNEZ-VOUS DE CECI, OU POURQUOI NOUS REGARDEZ-VOUS, COMME SI C'ÉTAIT PAR NOTRE VERTU, OU PAR NOTRE PIÉTÉ, QUE NOUS EUSSIONS FAIT MARCHER CE BOITEUX? (ACT. III, 12, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.) *
HOMÉLIE X. COMME ILS PARLAIENT AU PEUPLE, LES PRÊTRES ET LE CAPITAINE DES GARDES DU TEMPLE SURVINRENT. (CHAP. IV, 1, JUSQU'AU VERS. 23.) *
HOMÉLIE XI. AYANT ÉTÉ RENVOYÉS, ILS REVINRENT VERS LES LEURS ET LEUR RACONTÈRENT TOUT CE QUE LEUR AVAIENT DIT LES PRINCES DES PRÊTRES ET LES ANCIENS. (CHAP. IV, 23, JUSQU'AU VERS. 35.) *
HOMÉLIE XII. MAIS JOSEPH, QUI FUT SURNOMMÉ PAR LES APÔTRES BABNABAS (CE QUI EST INTERPRÉTÉ FILS DE CONSOLATION), LÉVITE, ORIGINAIRE,DE CHYPRE, AYANT UN CHAMP, LE VENDIT, EN APPORTA LE PRIX ET LE DÉPOSA AUX PIEDS DES APÔTRES. VERS. 36, 37, JUSQU'AU VERS. 16 DU CHAP. V.) *
HOMÉLIE XIII. LE PRINCE DES PRÉTRES SE LEVANT, LUI ET TOUS CEUX QUI ÉTAIENT DE SON PARTI ILS APPARTENAIENT A LA SECTE DES SADUCÉENS FURENT REMPLIS DE *
COLÈRE, ET ILS MIRENT LA MAIN SUR LES APÔTRES ET LES JETÈRENT DANS UNE PRISON PUBLIQUE. VERS. 17, 18, JUSQU'AU VERS. 33.) *
HOMÉLIE XIV. ALORS UN PHARISIEN, NOMMÉ GAMALIEL, DOCTEUR DE LA LOI, HONORÉ DE TOUT LE PEUPLE, SE LEVA DANS LE CONSEIL, ET ORDONNA DE LES FAIRE SORTIR UN INSTANT. VERS. 34, JUSQU'AU VERS. 7 DU CHAP. VI.) *
HOMÉLIE XV. MAIS ÉTIENNE, PLEIN DE GRACE ET DE FORCE, FAISAIT DES PRODIGES ET DES MIRACLES ÉCLATANTS PARMI LE PEUPLE (VERS. 8, JUSQU'AU VERS. 5 DU CHAP. VII.) *
HOMÉLIE XVI. TOUTEFOIS DIEU LUI PARLA ET LUI DIT QUE SA POSTÉRITÉ HABITERAIT EN UNE TETRE ÉTRANGÈRE OU ELLE SERAIT RÉDUITE EN SERVITUDE ET MALTRAITÉE PENDANT QUATRE CENTS ANS. MAIS LA NATION QUI L'AURA TENUE EN ESCLAVAGE : C'EST MOI QUI LA JUGERAI, DIT LE SEIGNEUR, ET APRÈS CELA ELLE SORTIRA ET ME SERVIRA EN CE LIEU-CI. (CHAP. 6, 7, JUSQU'AU VERS. 34.) *
HOMÉLIE XVII. CE MOÏSE, QU'ILS AVAIENT RENIÉ, DISANT : QUI L'A *
ÉTABLI CHEF ET JUGE SUR NOUS? FUT CELUI-LA MÊME QUE DIEU ENVOYA COMME CHEF ET LIBÉRATEUR PAR LA MAIN DE L'ANGE QUI LUI APPARUT DANS LE BUISSON. (CHAP. VII, 35, JUSQU'AU VERS. 53.) *
HOMÉLIE XVIII. EN ENTENDANT CELA, ILS FRÉMISSAIENT DE RAGE DANS LEUR CŒUR, ET ILS GRINÇAIENT DES DENTS CONTRE LUI. (CH. VII, 54, JUSQU'AU VERS. 25. DU CHAP. VIII.) *
HOMÉLIE XIX. CEPENDANT UN ANGE DU SEIGNEUR PARLA A PHILIPPE, ET LUI DIT : LÈVE-TOI ET VA VERS LE MIDI, SUR LE CHEMIN QUI DESCEND DE JÉRUSALEM A GAZA, CELLE QUI EST DÉSERTE. ET SE LEVANT IL PARTIT. (CHAP. XIII, 26, 27, JUSQU'AU VERS. 9 DU CHAP. IX.) *
HOMÉLIE XX. OR, IL Y AVAIT A DAMAS UN DISCIPLE NOMMÉ ANANIE,
A QUI LE SEIGNEUR DIT , DANS UNE VISION " ANANIE ". ET IL RÉPONDIT
: " ME VOICI, SEIGNEUR ". LE SEIGNEUR LUI DIT : " LEVEZ-VOUS, ET VOUS EN
ALLEZ DANS LA RUE QU'ON APPELLE DROITE, CHERCHER DANS LA MAISON DE JUDAS
UN NOMMÉ SAUL DE TARSE, CAR IL Y EST EN PRIÈRES ". ET IL
A VU, DANS UNE VISION, UN HOMME NOMMÉ ANANIE, QUI ENTRAIT ET LUI
IMPOSAIT LES MAINS, AFIN QU'IL RECOUVRAT LA VUE. (VERS. 10, 11, 12, JUSQU'AU
VERS. 25.) *
HOMÉLIE I. J'AI ÉCRIT UN PREMIER
LIVRE, Ô THÉOPHILE, DE TOUT CE QUE JÉSUS A FAIT ET
ENSEIGNÉ DEPUIS LE COMMENCEMENT, JUSQU'AU JOUR OU IL MONTA AU CIEL,
INSTRUISANT PAR LE SAINT-ESPRIT LES APÔTRES QU'IL AVAIT CHOISIS.
(CHAP. I, 1, 2.)
ANALYSE.
1. Saint Chrysostome annonce qu'il va expliquer le Livre des Actes, parce que ce Livre est peu connu, quoiqu'il renferme d'admirables instructions.
2. Il fait ensuite ressortir la modestie de saint Luc qui, parlant de son Evangile, l'appelle seulement un Livre, et il montre qu'on doit avoir toute confiance en un écrivain, témoin des faits qu'il raconte.
3. L'orateur entre ensuite dans l'explication détaillée des premiers versets, et observe que les apôtres ont eu soin de prouver principalement la résurrection du Sauveur, parce que ce point étant bien établi, il était facile d'en faire découler sa divinité.
4. Si Jésus-Christ voulut que les apôtres attendissent, à Jérusalem, la venue de l'Esprit-Saint, ce fut pour qu'ils ne s'élançassent pas au combat à demi-armés, et pour qu'ils donnassent à leurs concitoyens les prémices de leur mission.
5. L'Esprit-Saint lui-même ne descendit sur les apôtres que dix jours après l'Ascension, afin qu'ils se préparassent mieux à le recevoir comme Esprit de consolation.
6. Et saint Chrysostome infère de ce titre la divinité du Saint-Esprit, autrement il n'eût pu les consoler de l'absence du Fils de Dieu.
7 et 8. Et à l'occasion de ces paroles : Vous serez baptisés dans l'Esprit-Saint, il s'élève vivement contre la pernicieuse coutume de ne recevoir le baptême qu'à la dernière extrémité, et réfute les vains prétextes dont on colorait cette négligence.
1. Plusieurs ignorent l'existence même du livre des Actes, ainsi que le nom de son auteur. J'ai donc cru utile d'en entreprendre l'explication pour remédier à cette profonde ignorance, et vous révéler le riche trésor que ce livre renferme. Sa lecture ne nous sera pas moins avantageuse que celle de l'Evangile lui-
1 Pour l'avertissement, voir tome I, page 372.
même, tant il abonde en maximes de sagesse, en vérités dogmatiques et en récit de miracles, principalement de ceux que l'Esprit-Saint a opérés. Il mérite ainsi d'être lu avec attention et d'être commenté avec soin. Nous y voyons en effet l'accomplissement des prédictions que Jésus-Christ a faites dans son Evangile ; la vérité y brille de toutes les clartés de (588) l'histoire, et, après la descente du Saint-Esprit, les apôtres y paraissent des hommes tout nouveaux. Jésus-Christ leur avait dit : " Celui qui croira en .moi fera les oeuvres que je fais et en fera de plus grandes ". Il leur avait également prédit qu'ils seraient conduits devant les magistrats et les rois, flagellés dans les synagogues et exposés à mille cruels traitements. Mais il leur avait promis qu'ils sortiraient victorieux de toutes ces épreuves, et il avait annoncé que son Evangile serait prêché dans le monde entier. Eh bien ! le livre des Actes nous raconte le parfait accomplissement de ces diverses prédictions et de plu sieurs autres que les apôtres avaient recueillies de la bouche de Jésus-Christ. (Jean, XIV, 12; Matth. X, 18.)
Vous y verrez les apôtres parcourir d'un vol rapide les continents et les mers, et de timides et grossiers qu'ils étaient naguère, devenir soudain des hommes nouveaux. Ils méprisent les richesses et la gloire, et ils se montrent supérieurs à la colère, à la volupté et à~toutes les autres passions. Vous les verrez encore s'aimer comme des frères, étouffer tout souvenir de leurs anciennes rivalités et bannir tout désir comme toute dispute de prééminence. Mais surtout vous admirerez en eux le radieux épanouissement de la charité ; car ils cultivent avec un soin tout particulier cette vertu que Jésus-Christ leur avait tant recommandée, et dont il avait dit : " Tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres ". (Jean, XIII, 35.) Quant aux vérités dogmatiques, ce livre en renferme un certain nombre que sans lui nous ne connaîtrions que très-imparfaitement; et l'on peut dire en général qu'il éclaire d'un jour tout nouveau la vie, les exemples et la doctrine de Jésus-Christ, qui est le chef de tous les chrétiens.
Toutefois, la plus grande partie des Actes contient le récit des travaux de saint Paul, qui a plus travaillé que 'tous les autres apôtres; et la raison en est que l'auteur de ce livre est saint Luc, son disciple. Au reste, la fidélité de ce disciple à ne pas abandonner son maître est, entre mille preuves de sa haute vertu, une des plus éclatantes. C'est le témoignage que lui rend saint Paul,'lorsqu'il écrit à Timothée Démas et Hermogène m'ont quitté pour aller, l'un en Galatie et l'autre en Dalmatie, et " Luc est seul avec moi ". (II Tim. IV, 11.) Dans la seconde épître aux Corinthiens, il dit de lui que " son éloge se trouve, à cause de l'Evangile, dans toutes les églises " (II Cor. VIII, 18) ; et dans sa première épître aux mêmes Corinthiens, il avait déjà dit: " Jésus-Christ apparut à Pierre et ensuite aux onze, selon l'Évangile que vous avez reçu ". (I Cor. XV, 5, 1.) Or cet évangile est celui de saint Luc. Mais si Jésus-Christ a inspiré le premier ouvrage, il n'est pas moins évident qu'il a aussi inspiré le second. Et si l'on me demande pourquoi saint Luc, qui est resté auprès de l'apôtre jusqu'à son martyre, n'a pas prolongé son récit jusqu'à ce moment, je répondrai que le livre des Actes, tel que nous le possédons, remplit parfaitement le but de l'écrivain. Car les évangélistes ne se sont proposé que d'écrire le plus essentiel; et ils ont si peu ambitionné la gloire de beaucoup écrire, qu'ils nous ont laissé un grand nombre de traditions orales.
Toutes choses sont donc admirables en ce livre , mais principalement le langage simple et familier avec lequel les apôtres, sous la direction du Saint-Esprit, expliquent la divine économie de notre salut. Il faut observer aussi que, dans les questions élevées qui se rattachent à Jésus-Christ, ils ont peu parlé de sa divinité et se sont longuement étendus sur son humanité, sa passion, sa résurrection et son ascension. Car l'important, alors, était d'établir ces points de notre foi; en sorte que l'on crût en Jésus-Christ ressuscité et monté aux cieux. Nous voyons dans l'Évangile que le divin Sauveur se préoccupe surtout de prouver qu'il a été envoyé par le Père; et dans le livre des Actes, il insiste spécialement sur ces trois faits .. qu'il est ressuscité, qu'il est monté au ciel, et qu'il est revenu vers celui qui l'avait envoyé. Ce dernier article était celui qu'il fallait proposer le premier; autrement les dogmes de la résurrection et de l'ascension n'eussent rendu l'ensemble de la foi que plus incompréhensible aux Juifs. C'est pourquoi on les initie peu à peu et comme insensiblement aux plus sublimes vérités du christianisme. Aussi l'apôtre, annonçant Jésus-Christ dans Athènes, ne parle-t-il que de son humanité. Et c'était prudence de sa part; car lorsque le Christ lui-même révélait aux Juifs son égalité de nature avec Dieu le Père, ils le traitaient de blasphémateur et voulurent plusieurs fois le lapider; mais comment eussent-ils, après le supplice du calvaire, accueilli ce même (559) langage dans la bouche de pauvres pêcheurs?
2. Et pourquoi parler des Juifs, quand les apôtres eux-mêmes se troublaient et s'offensaient de la doctrine sublime que Jésus-Christ leur développait? Aussi leur disait-il : " J'ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent ". (Jean, XVI, 12.) Si tels étaient les apôtres qui avaient vécu plusieurs années avec lui; qui avaient vu ses miracles et qui avaient connu les secrets du royaume des cieux, des hommes tout récemment arrachés aux autels et aux sacrifices de l'idolâtrie, détrompés du culte des chats et des crocodiles, et éclairés à peine sur lés erreurs du paganisme , pouvaient-ils soudain comprendre les sublimes mystères de la foi? Quant aux Juifs, qui chaque jour répétaient ce précepte de la loi mosaïque : " Ecoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est le seul Seigneur, et il n'y a point d'autre Dieu que lui" (Deut. VI, 4), qui avaient vu Jésus-Christ attaché à la croix, qui l'avaient eux-mêmes crucifié et mis dans le tombeau, et qui ne l'avaient point vu ressuscité; s'ils eussent entendu tout d'abord proclamer que ce même Jésus était Dieu et égal à Dieu le Père, ils se seraient récriés contre cette doctrine et se fussent retirés. C'est pourquoi les apôtres ne leur révèlent que par degré la sublimité de nos dogmes, et se proportionnent à leur faiblesse. Remplis eux-mêmes de la plénitude de l'Esprit-Saint, ils opèrent des miracles plus grands que ceux dé Jésus-Christ; et ils les opèrent en témoignage de sa résurrection, et pour guérir ces infortunés paralytiques.
Ainsi saint Luc se propose, dans le livre des Actes, de prouver la résurrection de Jésus-Christ, parce que ce point gagné, tout le reste suit facilement; c'est le but de son livre, et comme le sommaire de tout son récit. Au reste, en voici la préface : "J'ai écrit un premier livre, ô Théophile, de tout ce que Jésus a a fait et enseigné ". Pourquoi rappeler son Evangile? Afin de montrer sa scrupuleuse véracité. Car au commencement de son Evangile, il a dit : " J'ai cru qu'après avoir été exactement informé de toutes choses, depuis leur commencement, je devais en écrire l'histoire avec ordre ". Bien plus, peu content de ses propres recherchés, il s'en réfère au témoignage des apôtres, et continue ainsi : " Comme nous les ont racontées ceux qui dès le commencement les ont vues, et qui ont été les ministres de la parole ". (Luc, I,1, 3.) Mais parce que, dans ce premier ouvrage, il s'est gagné la confiance de ses lecteurs, il n'a pas besoin dans celui-ci dé recourir à de nouveaux témoignages; Car Théophile est déjà persuadé, et de plus le livre lui-même porte tous les caractères d'une scrupuleuse véracité. Et en effet, nous ajoutons foi aux récits de saint Luc, quand il nous raconte ce que d'autres lui ont appris; mais ne devons-nous pas le croire plus encore, quand il écrit, non d'après les récits qui lui ont été, faits, mais d'après ce qu'il a vu et entendu lui-même? Aussi semble-t-il nous dire que si nous avons reçu son témoignage sur la vie de Jésus-Christ, nous ne saurions le récuser sur les apôtres. Mais quoi! le livre des Actes est-il purement historique, et ne renferme-t-il aucun sens spirituel? Nullement; et en voici la raison. C'est que les apôtres, qui avaient rapporté à saint Luc les actions du divin Sauveur, qui en avaient été les témoins, et qui avaient été les ministres de la parole, étaient eux-mêmes remplis de l'Esprit-Saint. Et pourquoi ne dit-il pas : comme nous ont rapporté les choses ceux qui avaient mérité de recevoir l'Esprit-Saint, mais. " qui les ont vues eux-mêmes dès le commencement? " Parce qu'un témoin oculaire inspiré toujours une plus grande confiance. D'ailleurs, un autre langage eût peut-être paru vain et orgueilleux à des esprits prévenus ou bornés.
C'est ainsi que le Précurseur disait aux Juifs " Je l'ai vu, et j'ai rendu témoignage qu'il est Fils de Dieu " (Jean, I, 34), et que le Sauveur lui-même éclairait par les paroles suivantes l'ignorance de Nicodème : " Ce que nous savons, nous le disons, et ce que nous avons vu, nous le témoignons, mais personne ne reçoit notre témoignage ". (Jean, III, 11.) C'est encore à ce même témoignage des yeux que Jésus-Christ faisait allusion, quand il disait à ses apôtres : " Vous me rendrez témoignage, parce que vous avez été avec moi dès le commencement ". (Jean, XV, 27.) Enfin les apôtres eux-mêmes tiennent souvent ce langage : " Nous en sommes tous témoins, ainsi que l'Esprit-Saint que Dieu a donné à ceux qui croient en lui ". (Act. II, 32.) Et saint Pierre, pour attester pleinement le fait de la résurrection de Jésus-Christ, dit : " Nous avons mangé et bu avec lui ". (Act. X, 4l.) Mais si les Juifs admettaient ainsi de (560) préférence le témoignage des apôtres qui avaient vécu avec le Sauveur, c'est qu'ils ignoraient complètement la nature et. les opérations de l'Esprit-Saint. Aussi saint Jean, pariant du sang et de l'eau qui découlèrent du coté de Jésus, dit-il dans son évangile, qu'il l'a vu; et il donne ce témoignage comme le plus certain de tous. Toutefois, l'inspiration de l'Esprit-Saint est pour tout autre qu'un infidèle, bien supérieure au témoignage des yeux. Au reste, saint Luc avait, lui aussi, reçu l'Esprit-Saint comme l'attestent les prodiges qu'opéraient alors tous les fidèles auxquels l'Esprit-Saint se communiquait indistinctement. Nous en avons encore une seconde preuve dans l'éloge que lui donne saint Paul, et dans la charge honorable que les églises lui avaient confiée. " Nous vous avons envoyé avec Tite ", écrit-il aux Corinthiens, " un de nos frères dont l'éloge se trouve à cause de l'Evangile dans toutes les églises, et qui de plus a été choisi par ces églises pour nous accompagner dans nos voyages et prendre part au soin que nous avons de procurer cette assistance à nos frères ". (Il Cor. VIII, 18, 19.)
3. Et maintenant, admirons tout d'abord la modestie et l'humilité de cet auteur. Il ne dit point: J'ai écrit un premier évangile, mais " un premier livre ", jugeant ce mot, évangile, trop beau pour son ouvrage; et cependant l'apôtre assure que " son éloge se trouve, à cause de cet évangile, dans toutes les églises ". Il s'exprime donc avec cette exquise modestie: " J'ai écrit un premier livre, ô Théophile, de tout ce que Jésus a fait et enseigné". Et pour mieux préciser l'époque qu'embrasse sa narration, il ajoute: " Depuis le commencement jusqu'au jour où il monta au ciel ". Mais l'évangéliste saint Jean nous déclare formellement qu'on ne saurait écrire toutes les actions et toutes les paroles de Jésus-Christ. " Si elles étaient rapportées en détail ", dit-il, " je ne crois pas que le monde pût contenir les livres où elles seraient écrites ". (Jean, XXI, 25.) Comment donc saint Luc dit-il qu'il a écrit un livre de tout ce que Jésus a fait et enseigné? Il suffit d'observer qu'il ne dit pas: J'ai écrit tout ce que Jésus a fait et enseigné , il dit seulement: " J'ai écrit un livre de tout ce que Jésus a fait et enseigné ", c'est-à-dire, comme un abrégé qui comprend ce que ses miracles , ses paroles et ses actes nous offrent de plus essentiel et de plus important.
Remarquons ensuite combien est humaine et apostolique l'âme de saint Luc. Il entreprit cette oeuvre pénible et difficile, la rédaction de son évangile, pour le salut d'un seul homme, " pour vous faire connaître ", dit-il, " la vérité " dès choses qu'on vous a enseignées ". (Luc, I, 4.) C'est qu'il avait médité cette parole du Sauveur Jésus : " Ce n'est pas la volonté de mon Père qu'un seul de ces petits périsse ". (Matth. XVIII, 14.) Mais pourquoi, au lieu de ne faire qu'un seul livre , adressé a un seul et même lecteur , a-t-il voulu diviser l'ouvrage en deux parties ? C'est d'abord calcul de prudence , pour ne pas trop fatiguer son lecteur, et puis C'est que les deux récits sont bien différents.
Mais , avant de poursuivre ce sujet, je veux vous faire observer comment Jésus-Christ lui-même a soin d'appuyer ses paroles de l'autorité de ses exemples; il exhorte ses disciples à la douceur, et il leur dit: " Apprenez de moi " que je suis. doux et humble de cœur ". (Matth. XI, 29 .) Il enseignait la pauvreté, et il la pratiquait si sévèrement qu-il pouvait dire: " Le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête ". (Matth. VIII, 20.) Il pria sur la croix pour ses bourreaux, et accomplit ainsi cette parole: " A celui qui veut disputer en jugement avec vous, et vous enlever votre tunique, abandonnez encore votre manteau". (Matth. V , 40.) Mais il a donné plus que ses vêtements , puisqu'il a donné tout son sang. C'est cette même règle de conduite qu'il a prescrite à ses disciples; aussi l'apôtre disait-il aux Philippiens : " Conduisez-vous selon le modèle que vous avez vu en nous ". (Philip. III, 17.) Et en effet, rien de plus froid qu'un docteur qui ne sait que discourir: il est moins un philosophe„ qu'un comédien. Les apôtres out donc voulu agir avant que de parler; et véritablement ils avaient d'autant moins besoin de parler, que leurs actions elles-mêmes étaient fané éloquente prédication. On peut aussi, en ce même sens, appeler la passion du Sauveur son oeuvre par excellence; car c'est en souffrant qu'il a réalisé l'oeuvre admirable de son triomphe sur la mort, et assuré notre rédemption.
" Jusqu'au jour où,il s'est élevé au ciel, instruisant, par le Saint-Esprit, les apôtres qu'il avait choisis ". " Les instruisant par le Saint-Esprit ", c'est-à-dire, leur révélant une doctrine toute spirituelle, et nullement humaine.
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Cette parole peut encore s'entendre dans ce sens qu'il leur enseignait ce que lui communiquait l'Esprit-Saint. Et c'est ainsi que Jésus-Christ, parlant humblement de lui-même, disait:," Je chasse les démons par l'Esprit de Dieu ". (Matth. XII, 28.) Et, en effet, l'Esprit-Saint opérait en lui comme dans son sanctuaire. Mais quelles instructions donnait-il à ses apôtres? " Allez ", leur disait-il, " enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit; leur enseignant à garder,tout ce que je vous ai confié ". (Matth. XXVIII, 19.) Combien est glorieuse cette mission des apôtres, qui reçoivent l'ordre d'évangéliser l'univers, et dont les paroles seront remplies de l'Esprit-Saint ! Car c'est ce qu'indique cette remarque de l'écrivain sacré : " Jésus les instruisait par l'Esprit-Saint " , c'est-à-dire, que les paroles qu'il leur adressait étaient esprit et vie.
Or, saint Luc ne s'exprime ainsi que pour concilier aux apôtres la pleine confiance de son lecteur, et pour exciter en celui-ci le désir de connaître les secrets que Jésus-Christ leur a confiés. Et en effet, les apôtres vont parler selon l'inspiration de l'Esprit-Saint, et ils nous révéleront les préceptes qu'ils reçurent du Sauveur " jusqu'au jour où il fut élevé dans le ciel ". Saint Luc ne dit pas: Jusqu'au jour où le Christ monta dans le ciel, parce qu'il ne parle encore de lui que comme homme. Sans doute Jésus-Christ., après sa résurrection, avait donné plusieurs instructions à ses apôtres ; mais aucun des évangélistes n'a écrit en détail et avec soin cette partie de sa vie. Saint Jean et saint Luc s'y arrêtent; il est vrai , un peu plus que -les deux autres; et néanmoins leur récit est loin d'être précis et complet, car ils se hâtaient vers un autre but. Ce sont donc les apôtres qui , en nous rapportant ce qu'ils avaient entendu, nous ont fait connaître les derniers enseignements de Jésus-Christ. " Auxquels il se montra vivant ". Après avoir parlé de l'ascension de Jésus-Christ, saint Luc mentionne sa résurrection; et parce qu'il avait dit: " Il fut élevé dans le ciel " , il ajoute aussitôt qu' " il se montra vivant à ses apôtres ", afin de prévenir ce doute qu'il ne se serait élevé dans le ciel que par un secours étranger. Car s'il s'est ressuscité lui-même , à plus forte raison a-t-il monté au ciel par sa propre vertu, puisque ce second miracle est moins étonnant que le premier.
4. Voyez-vous donc quels dogmes sublimes sont cachés sous cette simple parenthèse ! " Leur apparaissant durant quarante jours ". C'est que Jésus-Christ ne vivait pas au milieu d'eux comme avant sa résurrection. Aussi saint Luc ne dit-il pas : Leur apparaissant quarante jours, mais " durant quarante jours"; car il se montrait et disparaissait successivement. Et pourquoi? Parce qu'il voulait spiritualiser davantage leurs pensées, et rendre moins humain l'amour qu'ils lui portaient. Cette conduite attestait encore de sa part une profonde sagesse ; car elle disposait prudemment les apôtres à croire qu'il était ressuscité, et à confesser qu'il était plus qu'un homme. Or, le dogme de la résurrection de Jésus-Christ et celui de sa divinité semblaient se contredire ; car l'un s'appuyait sur des faits humains, et l'autre sur des faits tout opposés. Et cependant tous deux ont été établis en temps opportun.
Mais pourquoi Jésus-Christ ne s'est-il montré qu'aux apôtres, et non à tous les Juifs? Parce que le plus grand nombre, ignorant le mystère d'un Dieu homme, l'eussent pris pour un fantôme. Et en effet, si d'abord les apôtres eux-mêmes furent troublés et demeurèrent incrédules, et s'ils ne se rendirent qu'après avoir touché ses plaies; et après avoir mangé avec lui, quels eussent été les sentiments de la multitude? C'est pourquoi Jésus-Christ voulut confirmer par de nouveaux miracles celui de sa résurrection, mais ces miracles n'ont pas eu seulement pour but de convaincre les apôtres, et ils sont encore pour nous tous une preuve certaine de la résurrection de Jésus-Christ. Cette même conviction qu'ils portèrent alors dans l'esprit de ceux qui en furent les témoins, se transmettra d'âge en âge à tous ceux qui les croiront. De là ce dilemme dont nous poursuivons les incrédules : Si Jésus-Christ n'est pas ressuscité, et s'il est encore mort, comment les apôtres ont-ils fait des miracles, en son nom? Mais ils n'ont fait aucun miracle. Comment donc le christianisme s'est-il établi ? Car son établissement est un fait qui tombe sous les yeux et dont on ne peut ni contester, ni récuser la réalité.
Ainsi l'incrédule qui nie les miracles se confond lui-même, car ce serait le plus grand de tous les miracles, que, sans miracle, l'univers se soit converti à la voix de douze hommes pauvres et ignorants ; et en effet, ces pêcheurs (562) n'ont point vaincu l'idolâtrie par l'argent, l'éloquence ou tout autre moyen naturel. Il faut donc reconnaître forcément en eux une vertu divine puisque leur couvre est au-dessus de toute force humaine. Jésus-Christ resta donc sur la terre encore quarante jours après sa résurrection, et il se montra fréquemment à ses apôtres, afin qu'ils pussent bien s'assurer de la vérité, et bien se convaincre qu'il n'était point un fantôme; mais, à cette première preuve, il voulut en ajouter une seconde, et, comme nous le dit saint Luc, " il mangea avec eux ". Aussi les apôtres ont-ils toujours soin de citer ce fait comme un témoignage certain de sa résurrection. " Nous avons mangé ", disent-ils, " et nous avons bu avec lui ". (Act. X, 41.)
Mais quel était l'objet de ces fréquentes apparitions ? Saint Luc nous l'apprend par ces mots : " Il leur apparaissait et leur parlait du royaume de Dieu ". Les apôtres étaient découragés et troublés par tout ce qui était arrivé ; et, en outre, Jésus-Christ allait les lancer sur de terribles champs de bataille : il leur découvre donc l'avenir pour les fortifier, et " leur commande de ne point quitter Jérusalem, mais d'y attendre la promesse du a Père ". D'abord, dans le premier instant de leur crainte et de leur frayeur, il les avait amenés dans la Galilée, afin qu'ils pussent écouter sa parole avec plus d'assurance et de liberté; mais, après qu'ils eurent entendu cette parole, et joui de ses entretiens pendant quarante jours, " il leur commanda de ne point quitter Jérusalem " ; et pourquoi ? Le général retient ses soldats dans les rangs jusqu'à ce qu'ils soient complètement armés, et il ne lance point sa cavalerie avant que chaque cheval n'ait reçu son cavalier ; et ainsi Jésus-Christ ne veut point que ses apôtres affrontent le combat sans avoir reçu l'Esprit-Saint, de peur qu'ils ne succombent sous la multitude de leurs ennemis.
J'ajoute encore deux autres raisons : la première, qu'un grand nombre de Juifs devaient croire dans Jérusalem, et la seconde, pour qu'on ne dît pas qu'abandonnant leurs amis et leurs concitoyens, ils allaient par orgueil prêcher l'Evangile à des peuples étrangers. C'est 'pourquoi ils annonceront d'abord la résurrection de Jésus-Christ à ces mêmes Juifs qui l'ont mis à mort, qui l'ont crucifié et enseveli, et dans les lieux mêmes où ce déïcide a été commis. Disons aussi que rien ne frappa davantage les païens ; car, voyant la conversion (le ceux mêmes qui avaient crucifié Jésus-Christ, ils en conclurent la réalité de leur crime et la certitude des mystères de la croix et de la résurrection. Enfin, Jésus-Christ veut en dernier lieu prévenir cette objection que pouvaient lui faire les apôtres : Comment nous, qui sommes si peu nombreux et si faibles, pourrons-nous vivre au milieu de cette foule d'hommes pervers et homicides? Mais voyez comme le divin Sauveur aplanit d'avance et résout toutes les difficultés " en leur commandant d'attendre la promesse du Père, que vous avez ", dit-il, " entendue de ma bouche ". Et quand est-ce qu'ils l'ont entendue? Lorsqu'il leur avait dit : " il vous est avantageux que je m'en aille, car, si je ne m'en vais, l'Esprit consolateur ne viendra pas en vous "; et encore : " Je prierai mon Père et il vous enverra un autre Consolateur qui demeurera avec vous ". (Jean, XVI, 14, 16.)
5. Et maintenant pourquoi l'Esprit-Saint ne fut-il pas donné en présence même de Jésus-Christ, ou du moins immédiatement après son ascension. Car Jésus-Christ ne monta au ciel que le quarantième jour, et le Saint-Esprit ne descendit sur les apôtres que le cinquantième; en outre, puisque l'Esprit-Saint n'avait pas encore été donné, comment Jésus-Christ avait-il pu dire : " Recevez l'Esprit-Saint ? " (Jean, XX, 22.) Je réponds à cette dernière objection que, par cette parole, Jésus-Christ disposait et préparait ses apôtres à recevoir l'Esprit-Saint. Car si le prophète Daniel trembla à la vue d'un ange, combien plus l'approche d'une si grande grâce devait-elle troubler les apôtres ! On peut répondre aussi que le Sauveur parlait de ce qui devait arriver, comme d'une chose déjà faite. C'est ainsi qu'il avait dit à ces mêmes apôtres : " Foulez aux pieds les serpents et les scorpions, et toute la puissance de l'ennemi". (Luc, X, 19.)
Mais pourquoi la descente du Saint-Esprit n'eut-elle pas lieu immédiatement? C'est qu'il fallait que, par l'ardeur de leurs désirs, les apôtres méritassent de la recevoir. De plus, l'Esprit-Saint ne descendit sur eux que lorsque Jésus-Christ les eut quittés, car s'il fût venu pendant que le divin Sauveur était au milieu d'eux, ils l'eussent beaucoup moins désiré; et il différa même huit ou neuf jours après l'ascension, parce que rien ne nous porte plus à Dieu que le sentiment du besoin. Ainsi Jean (563) le précurseur n'envoie ses disciples à Jésus-Christ qu'au moment où sa captivité leur rendait ce secours nécessaire. D'ailleurs, il convenait que notre nature prît d'abord possession du ciel, et qu'ainsi fût accompli l'acte de notre réconciliation ; alors seulement la venue de l'Esprit-Saint pouvait inonder les coeurs d'une joie pure. Et en effet, si Jésus-Christ eût attendu pour se retirer la venue de l'Esprit-Saint, la présence de celui-ci eût apporté aux apôtres moins de consolation, car ils étaient si fortement attachés à leur divin Maître, qu'ils ne pouvaient s'en séparer qu'avec une peine extrême. Aussi leur disait-il lui-même pour les consoler : " Il vous est avantageux que je m'en aille ". (Jean, XVI, 17.) Il voulut donc retarder de quelques jours l'envoi de l'Esprit-Saint, afin que, pénétrés et de douleur pour son absence et du vif sentiment de leur faiblesse, ils éprouvassent, comme je l'ai dit, une joie pure et parfaite.
Mais si l'Esprit-Saint était inférieur au Fils, il n'eût pu être pour les apôtres une consolation suffisante; et comment Jésus-Christ leur eût-il dit : " Il vous est avantageux que je m'en aille? " C'est pourquoi il était réservé à ce divin Esprit clé répandre en eux les plus vives lumières de la science et de la doctrine, afin qu'ils ne le crussent pas inférieur au Fils. Il n'était pas moins nécessaire que Jésus-Christ leur commandât de rester à Jérusalem, en même temps qu'il leur promettait de leur envoyer le Saint-Esprit. Autrement ils se fussent dispersés après son ascension ; mais l'attente de ce divin Esprit fut comme un lien qui les retint dans Jérusalem. Ainsi, Jésus-Christ commanda à ses apôtres " d'attendre la promesse du Père , que vous avez ", dit-il , " entendue de ma bouche. Car Jean ", ajouta-t-il, " a baptisé dans l'eau; mais vous serez baptisés dans le Saint-Esprit sous peu de jours ". (Act. I, 5.) Le Sauveur déclare ici quelle distance le sépare du précurseur; et ce n'est point obscurément, comme quand il avait dit : " Le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui ". (Matth. XI, 11.) Mais il parle manifestement : " Jean ", dit-il, " a baptisé dans l'eau , mais vous serez baptisés dans le Saint-Esprit ". Ainsi, il n'allègue donc plus l'autorité du précurseur, et se contente de le nommer, rappelant ainsi les divers témoignages qu'il lui a rendus. Il révèle ainsi à ses apôtres leur propre supériorité sur Jean-Baptiste, parce qu'ils doivent être baptisés dans l'Esprit-Saint. Observez encore que Jésus-Christ ne leur dit ras : Je vous baptiserai dans l'Esprit-Saint; mais : " Vous serez baptisés ". Et cette parole est pour nous une leçon d'humilité : car il est évident, par le témoignage même du précurseur, que c'était Jésus qui baptiserait. " Il vous baptisera ", avait-il dit, " dans le Saint-Esprit et dans le feu ". (Luc, III, 16.) Aussi, le Sauveur se contente-t-il de nommer saint Jean.
L'Evangile nous raconte donc les actions et les discours de Jésus-Christ, et les Actes des Apôtres contiennent le récit des opérations diverses du Saint-Esprit. Sans doute, ce divin Esprit n'avait point cessé d'agir, de même que le Christ continue encore sa puissante action; mais il avait agi jusqu'alors par l'humanité sainte du Sauveur, en laquelle il résidait, comme dans son sanctuaire, et maintenant il agit par ses apôtres. Il s'était reposé dans le sein virginal de Marie, et y avait formé le corps du Sauveur Jésus, en qui il habitait, comme dans son tempe; mais il descendit alors sur les apôtres. il avait apparu autrefois sous la figure d'une colombe , et dans ce jour il se montra sous celle de langues de feu. Pourquoi ces symboles différents? Parce qu'au baptême de Jésus-Christ, il annonçait le règne de la douceur, et qu'au jour de la Pentecôte, il prophétisait la sévérité de la vengeance. Et c'est avec raison qu'on nous parle ici de jugement; car, si la miséricorde divine surabonde seule dans la rémission des péchés, il est juste, quand une âme a reçu les dons dé l'Esprit-Saint, examiner et d'apprécier l'usage qu'elle en fait.
Mais comment Jésus-Christ a-t-il pu dire : " Vous serez baptisés " , puisqu'il n'y avait point d'eau dans le cénacle? C'est que l'Esprit-Saint supplée à l'élément de l'eau. Et c'est ainsi qu'on dit de Jésus qu'il est Christ, quoiqu'il n'ait reçu aucune onction d'huile, parce que l'Esprit-Saint s'est reposé en lui. Au reste, il est facile de prouver que les apôtres ont également reçu le bapiême de l'eau, mais antérieurement. La pratique aujourd'hui est d'administrer en même temps le baptême et la confirmation, mais il n'en a pas été ainsi des apôtres, car ils furent d'abord baptisés par Jean-Baptiste. Et ne nous en étonnons point, les publicains et les courtisanes accouraient à son baptême, à plus forte raison ceux (564) qui devaient être baptisés dans l'Esprit-Saint. Mais comme le Sauveur avait souvent entretenu ses apôtres de la venue de l'Esprit-Saint, ils eussent pu penser qu'il s'en tiendrait encore à une promesse qui ne se réaliserait jamais. C'est pourquoi il a soin d'ajouter que " ce sera sous peu de jours ". Toutefois, il ne précise point le jour, afin d'exciter leur vigilance; mais il le leur annonce comme proche, pour entretenir leur courage; et s'il ne le leur fait point connaître plus explicitement, c'est qu'il veut qu'ils se tiennent toujours prêts et disposés. A ce premier motif de confiance), la brièveté du retard, il en ajoute un second, l'assurance " de la promesse qu'ils a ont entendue de sa bouche n. Car ce n'est plus ici, semble-t-il leur dire, une simple parole, mais une promesse solennelle. Quant à nous, ne nous étonnons point que Jésus-Christ nous cache le jour de son dernier avènement, puisqu'il n'a point voulu révéler à ses apôtres le jour si proche de la descente du Saint-Esprit. Et son silence à cet égard a eu pour but de les maintenir dans une attente vive et inquiète.
6. Et en effet, la grâce, je ne saurais trop le dire, la grâce ne se communique qu'aux âmes attentives et vigilantes. Aussi, le prophète Elie dit-il à son disciple : " Si tu me vois, lorsque je serai enlevé, tu auras ce que tu as demandé ". (IV Rois, II, 10.) Le Sauveur lui-même adressait presque toujours cette question à ceux qui l'approchaient : Croyez-vous? car si nous ne désirons vivement le bienfait que nous sollicitons, nous n'en apprécierons que faiblement le prix et l'importance. C'est ainsi encore que saint Paul ne recouvra pas la vue sur-le-champ, mais il resta aveugle pendant trois jours; et durant cet intervalle , la crainte le purifiait de ses péchés, et le disposait à recevoir l'Esprit-Saint. L'ouvrier qui teint en pourpre, fait subir aux étoffes une certaine préparation afin qu'elles retiennent mieux l'éclat de la couleur. Et c'est ainsi que Dieu veut que d'abord notre âme se dispose par une active vigilance à recevoir la plénitude de ses grâces. Il n'envoya donc point tout aussitôt l'Esprit consolateur, et attendit jusqu'au jour de la Pentecôte.
Peut-être demanderez-vous pourquoi nous ne conférons pas le baptême en ce jour, mais seulement à la fête de Pâques? La raison en est que si la grâce du sacrement est la même
dans ces deux jours, le jeûne qui précède le second y dispose mieux l'âme. Un second motif, non moins grave, se tire du temps même de la Pentecôte. Quel est-il? Nos pères ont considéré le baptême comme un frein puissant contre les passions, et une forte leçon de morale, en sorte qu'à l'époque même des plaisirs, il puisse nous retenir dans les bornes de la tempérance chrétienne. C'est pourquoi, lorsque nous devons nous nourrir de Jésus-Christ, et nous asseoir à sa table sainte, nous évitons les moindres péchés, et nous nous préparons à la communion par le jeûne, la prière et la vigilance. Celui que le prince nomme à une charge importante, ne néglige rien de ce qu'exige sa nouvelle dignité; et l'argent, le temps et les soins ne lui coûtent point pour se mettre à la hauteur de sa position. Mais quels châtiments ne méritons-nous pas, nous qui nous approchons de la table sainte avec tant de négligence, qui nous préparons si peu à recevoir cet aliment céleste, et qui, après l'avoir reçu, sommes si tièdes et si lâches?
Mais si nous sommes lâches après la communion, c'est qu'avant de nous y présenter, nous n'avons pas veillé sur nous-mêmes. Aussi, en voit-on plusieurs retourner presque immédiatement à leur premier vomissement. On dirait qu'ils n'ont été délivrés de leurs anciens péchés que pour tomber dans un état plus grave encore, et se rendre dignes de plus rigoureux supplices. Et, en effet, rien n'irrite plus le courroux du souverain Juge que cette coupable négligence après la grâce d'une heureuse guérison. Aussi réalisent-ils à leur égard cette menace de Jésus-Christ au paralytique : " Voilà que vous êtes guéri; ne péchez plus désormais, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pis ". (Jean, V, 14.) Le Sauveur fit aussi la même prédiction aux Juifs, et leur annonça que leur ingratitude serait punie des plus terribles châtiments. " Si je n'étais venu", dit-il, " et si je ne leur eusse parlé, ils ne seraient pas coupables ". (Jean, XV, 22.) Le péché de rechute est donc empreint d'une double et quadruple malice. Et comment? Parce qu'après avoir reçu l'honneur de la régénération spirituelle, nous devenons ingrats et pécheurs. Aussi le baptême n'est-il point pour nous un titre à un châtiment moins sévère.
Observez, en effet, que ce sacrement efface (565) tous les péchés, quelque graves qu'ils soient l'homicide ou l'adultère. Oui, il n'est aucun péché, ni aucune impiété que le baptême ne puisse remettre, parce que la grâce divine est pleine et entière. Supposons donc maintenant qu'après votre baptême vous retombiez dans ces mêmes crimes, sans doute le pardon qui vous a été précédemment accordé, n'est point révoqué, " car les dons de Dieu et sa grâce sont sans repentir " (Rom. XI, 29); mais vous n'en mériterez pas moins, pour ces nouveaux péchés, un même châtiment plus rigoureux que si les premiers ne vous eussent pas été pardonnés. Car ici ce n'est plus un simple péché, mais un double et triple caractère de malice. Au reste, l'apôtre nous apprend combien est grande la punition de ces péchés. "Celui ", dit-il, " qui viole la loi de Moïse, est mis à mort sans miséricorde, sur la déposition de deux ou trois témoins; songez donc combien mérite de plus grands supplices celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu, profané le sang de l'alliance, et outragé l'esprit. de la grâce ". (Hébr. X, 28, 29.)
Je crains que quelques-uns n'interprètent mes paroles comme un conseil de différer leur baptême. Mais telle n'est point mon intention, et je veux seulement exhorter ceux qui l'ont reçu à persévérer dans la tempérance et la douceur chrétiennes. J'appréhende, me direz-vous, de ne pas conserver l'innocence de mon baptême. Vous la conserverez en recevant ce sacrement dans de pieuses dispositions. Mais je ne le reçois point par un effet de cette même appréhension. Eh quoi ! ne craignez-vous pas de mourir sans baptême? Le Seigneur est miséricordieux, me répondrez-vous. C'est pourquoi vous devez recevoir le baptême, car le Seigneur est bon et secourable. Or, quand il est question d'agir sérieusement, vous oubliez cette bonté, et quand il ne faut que différer selon vos désirs, vous vous en faites un prétexte et un motif. Mais aujourd'hui le moment est favorable pour user de cette bonté, et plus nous aurons fait ce qui dépend de nous, et plus aussi elle s'épanchera large et abondante. Celui qui se confie à la miséricorde divine, obtiendra par la pénitence le pardon des péchés commis après le baptême, mais celui qui veut raffiner sur cette même miséricorde, s'expose, s'il meurt sans la grâce du baptême, à d'inévitables supplices.
Et pourquoi hasarder ainsi votre salut? Car il est impossible, oui, il est impossible, selon moi, que, bercé par de telles espérances, vous fassiez quelque chose de vraiment grand et généreux. Que ne bannissez-vous ces craintes chimériques? Et pourquoi attendre un avenir incertain? Ne vaut-il pas mieux échanger la crainte contre l'activité et le travail qui vous rendront devant Dieu grand et élevé? Est-ce que vous préféreriez la crainte au travail ? Mais si l'on vous mettait dans une maison qui menace ruine et qu'on vous dît : Attendez indolemment que la charpente tombe sur votre tête, car elle peut tomber comme elle peut tenir encore, ou bien remuez-vous et passez dans un bâtiment plus sûr. Je vous le demande, choisiriez-vous une indolence pleine de dangers, plutôt qu'un travail plein de sécurité ? Eh bien ! agissez de même aujourd'hui, car l'avenir est incertain et ressemble à une maison qui menace ruine; mais la réception du baptême, quelque laborieuse qu'elle soit, nous préserve de tout danger.
7. Sans doute, fasse le ciel que nous ne péchions point après notre baptême ! Mais si ce malheur nous arrivait, ne nous décourageons pas, car le Seigneur est miséricordieux, et il nous facilite mille moyens d'obtenir notre pardon. Au reste, de même que le chrétien qui pèche après son baptême mérite d'être puni plus sévèrement que le catéchumène, ainsi ceux qui connaissent les voies de la pénitence et ne veulent point les suivre, sont dignes de plus rigoureux châtiments. Et en effet, autant est immense la bonté de notre Dieu, autant, si nous n'en profitons point, s'accroîtront nos supplices. Que dis-tu, ô homme? Rempli de malice et de misères, soudain tu es rentré en grâce avec ton Dieu, et par un don gratuit de sa bonté, et non par tes propres efforts, tu as été élevé à l'honneur de partager son héritage, et voilà que de nouveau tu retombes dans tes premiers désordres, quoique tu n'ignores pas que tu en seras sévèrement puni. Cependant, ce même Dieu, loin de te repousser, multiplie sous tes pas les voies de la pénitence et les moyens de recouvrer son amitié; mais toi, tu ne veux te donner ni action, ni mouvement.
Comment mériter ton pardon? Et comment échapper aux justes railleries des gentils qui traitent ta conduite de mensonge et d'hypocrisie? Si votre religion, nous disent-ils, est la véritable, pourquoi un si grand nombre négligent-ils de s'y faire initier? Certes, vos (566) mystères sont sublimes et bien dignes d'être recherchés. Mais nul ne témoigne un sincère désir de se purifier par le baptême, et chacun le renvoie même à ce moment suprême, qui est bien plus l'heure de faire un testament que de demander l'initiation sacrée. Car celle-ci exige un esprit sain et une âme sobre et vigilante. Ainsi parlent les gentils; et moi j'ajoute que, dans l'état où vous demandez le baptême, vous ne voudriez pas faire un testament de peur de donner prise à quelques chicanes. C'est pourquoi on a soin d'ajouter cette clause à tout testament: Moi vivant, et jouissant de toutes mes facultés, j'écris les présentes dispositions. Comment donc le catéchumène, qui n'a pas la conscience de ses actions, pourra-t-il dignement recevoir le saint baptême ?
Mais si les lois interdisent à celui qui ne possède point le plein usage de sa raison, de disposer de choses terrestres et de sa propre fortune, quand il s'agit du royaume des cieux et de ses biens infinis, serez-vous capable, affaibli par la maladie, de recevoir pleinement l'instruction chrétienne? Comment pourrez,vous dire que vous êtes enseveli avec Jésus-Christ, puisque vous êtes sur le point de quitter la vie? Que dis-je? les paroles ne suffisent pas et la reconnaissance doit se manifester par les oeuvres. Mais vous agissez comme celui qui se fait inscrire pour la milice lorsque la guerre est terminée, ou comme l'athlète qui se dépouille de ses vêtements quand les spectateurs quittent le cirque. Et en effet, le soldat ne revêt point son armure pour prendre incontinent la fuite, mais il veut combattre l'ennemi et remporter la victoire. Au reste, n'accusez point mes paroles d'être intempestives, parce que nous ne sommes plus au temps du carême; car c'est pour moi une peine extrême que de vous voir observer si scrupuleusement à cet égard les temps et les moments. L'eunuque dont il est parlé au livre des Actes était en voyage, et toutefois il n'attendit pas une circonstance plus favorable. Et le geôlier de la prison où l'apôtre était détenu, le voyant battu de verges, chargé de fers et exposé à une longue captivité, se hâta de recevoir le baptême. Mais ici, on ne peut alléguer ni les embarras du voyage, ni les rigueurs de la prison, et l'on diffère jusqu'au dernier soupir.
8. Doutez-vous encore de la divinité de Jésus-Christ? Eh bien ! sortez de ce lieu, n'écoutez plus la parole sainte, et rasez votre nom de la liste des catéchumènes. Mais si vous croyez au Christ Dieu et homme, et si vous êtes éclairé sur la religion, pourquoi ces retards, ces délais et cette négligence? Je crains, dites-vous, de retomber dans le péché. Eh ! vous ne craignez pas un malheur plus grand encore, celui de quitter la vie tout chargé du poids de vos iniquités. Car l'on est plus coupable de ne pas recevoir la grâce qui nous est offerte, que d'échouer dans ses efforts pour la conserver. Dites-moi , que répondrez-vous au Seigneur quand il vous demandera pourquoi vous ne vous êtes pas approché du sacrement de la régénération, ou pourquoi vous n'en avez pas entièrement rempli les engagements? Ici vous pourrez alléguer la difficulté des commandements et des vertus ; mais il n'en est pas de même à l'égard du baptême, puisqu'il est une grâce toute gratuite et un plein affranchissement.
Vous craignez de retomber dans le péché c'est bon à dire après le baptême; et c'est alors en effet que vous devrez craindre de perdre votre liberté. Mais aujourd'hui pourquoi craindre d'en recevoir le don gratuit? Eh quoi! avant le baptême vous êtes pieux et fervent, et après le baptême vous seriez tâche et négligent! Vous voulez attendre l'époque du carême. Et pourquoi ? Ce temps est-il plus privilégié qu'un autre? Car ce ne fut pas au temps de Pâques, mais dans un autre, que les apôtres reçurent cette grâce. Ces huit mille hommes convertis par saint Pierre, le centurion Corneille, l'eunuque de la reine Candace et une multitude d'autres, n'ont pas été baptisés dans les solennités pascales. C'est pourquoi ne différons pas jusqu'à ce terme encore éloigné, de peur que, retardant toujours, nous ne soyons surpris par la mort vides de ce bienfait et privés de cette grâce. Ah! vous ne sauriez croire combien je souffre lorsque, apprenant qu'un d'entre vous est mort sans baptême, je songe aux épouvantables tourments et aux inévitables supplices de l'enfer ! Mais mon anxiété n'est pas moins douloureuse quand j'en vois d'autres toucher à leurs derniers moments et ne témoigner aucun désir du baptême.
Aussi comme les choses se passent alors tout contrairement à la dignité de ce sacrement ! Car le baptême devrait toujours être une occasion de joies pieuses, de réjouissances et de (567) fêtes, et voilà que l'épouse du malade apprenant qu'on se hâte sur l'avis du médecin, se répand en larmes et en soupirs, comme à l'approche d'un malheur. Bientôt, en effet, toute la ' maison retentit de cris et de gémissements, et l'on dirait qu'un criminel condamné à mort est conduit au supplice. Cependant le malade lui-même devient plus souffrant, et la guérison, quand elle a lieu, augmente son anxiété et semble le frapper d'un coup terrible. C'est que, ne s'étant point préparé au sacrement, il ne montre qu'une honteuse faiblesse et fuit les luttes de la vertu. Voyez-vous donc quels artifices déploie le démon, et combien il rend aux yeux dos païens notre foi risible et ridicule ! Mais si nous voulons nous soustraire à toutes ces dérisions, vivons selon les préceptes du divin Sauveur. Or, il a institué le baptême non pour crue nous le recevions à nos derniers moments, mais pour qu'après l'avoir reçu nous produisions des fruits de vie. Et comment direz-vous à un mourant : Couvrez-vous de fruits? Et cependant ne savez-vous pas que " les fruits de l'Esprit-Saint sont la charité, la joie et la paix?" (Gal. V, 22.)
Mais hélas! tout le contraire arrive. Une épouse verse
des larmes quand elle devrait se réjouir; des enfants sanglotent,
quand ils devraient se livrer à la joie; et le malade lui-même,
déjà entouré des ombres de la mort, ne manifeste que
trouble et qu'inquiétude; ce jour devrait être pour lui un
jour de fête, et il s'abandonne à un profond chagrin, parce
qu'il va laisser ses enfants orphelins, son épouse veuve et sa maison
déserte. Est-ce ainsi, je vous le demande, qu'on s'approche des
saints mystères et que l'on s'asseoit à la table eucharistique?
En vérité, ce n'est pas supportable. Lorsque l'empereur adresse
aux prisonniers 'des lettres de grâces, c'est un sujet de joie et
d'allégresse. Et quand, du haut des cieux, le Seigneur envoie son
divin Esprit et nous remet, non une dette pécuniaire, mais tous
nos péchés, vous n'accueillez cette grâce que par des
pleurs et des gémissements. N'est-ce pas là une révoltante
anomalie? Je ne dis pas encore que l'eau baptismale n'est versée
que sur un cadavre et qu'un sacrement est profané, car le ministère
du prêtre n'est pas ici en cause, et je n'attaque que l'indifférence
de quelques-uns. C'est pourquoi, je vous en conjure, élevez-vous
au-dessus de toutes ces difficultés et approchez-vous du baptême
avec un saint empressement. L'ardeur que nous aurons montrée sur
la terre pour mener une vie chrétienne, nous donnera l'assurance
de parvenir un jour au bonheur céleste. Puissions-nous tous l'obtenir,
par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
à qui soient la gloire et l'empire, dans tous les siècles
des siècles ! Ainsi soit-il.
HOMÉLIE II. OR, CEUX QUI ÉTAIENT
PRÉSENTS, L'INTERROGEAIENT, DISANT : SEIGNEUR, SERA-CE DANS CE TEMPS-CI
QUE VOUS RÉTABLIREZ LE ROYAUME D'ISRAEL? (ACT. I, 6.)
563
ANALYSE. 1 . Saint Chysostome, dans cette Homélie, développe d'abord les raisons qui ont porté le Sauveur à ne pas répondre directement à la question que lai faisaient les apôtres, s'il allait rétablir le royaume d'Israël, et il rapproche sa réponse évasive de celle qu'il leur fit quand ils l'interrogèrent sur la fin du monde.
2. Il décrit ensuite l'admirable spectacle de l'Ascension ; et il tire une preuve de la divinité de Jésus-Christ de ce qu'il s'éleva par sa propre vertu, et sans le secours d'un char de feu, comme le prophète Elle.
3. La vue de deux anges sous une forme humaine, vint alors consoler les apôtres consternés de ne plus voir Jésus, en les assurant qu'il reviendra, au dernier jour, de la même manière, c'est-à-dire, en son humanité sainte.
4. Mais il ne pourrait reparaître en cette humanité, s'il n'était véritablement ressuscité; c'est pourquoi l'orateur s'élève contre les Manichéens qui niaient la résurrection des corps, parce qu'ils regardaient la chair comme essentiellement mauvaise, et comme l'oeuvre du principe du mal. — Ce principe, ils le faisaient coéternel avec Dieu, et soutenaient que Dieu n'était bon que pour le combattre.
5. L'Orateur, pour réfuter ces blasphèmes, en montre l'extravagance, et prouve que sans le secours des sens corporels l'âme ne pourrait rien savoir, ni rien apprendre. — Enfin, il démontre que le mal ne peut exister exclusivement sans le bien, puisqu'il en renferme toujours quelque partie, et il termine par une profession de foi sur la résurrection des corps, dont celle de Jésus-Christ est le fondement et le modèle.
1. Les apôtres, voulant interroger Jésus-Christ, l'entourèrent tous ensemble, afin d'en obtenir une réponse, ne fût-ce que par unanimité de leur prière. Car ils n'ignoraient point que dans sa bouche cette parole : " Nul ne sait le jour " (Matth. XXIV, 36), signifiait moins un refus formel et une complète ignorance qu'une réponse évasive. Ils s'approchent donc de nouveau et renouvellent leur demande. Mais ils n'eussent jamais osé la lui adresser s'ils n'avaient cru à sa prédiction; et parce qu'il leur avait promis que bientôt ils recevraient l'Esprit-Saint, ils se croyaient déjà dignes de connaître ce jour et de jouir de la liberté promise. C'est qu'ils ne voulaient pas se lancer dans de nouveaux périls et ne songeaient qu'à goûter quelque repos. Et en effet, ils n'oubliaient point les dangers qu'ils avaient courus et même le péril de mort auquel ils avaient été exposés. Aussi, sans faire aucune mention de l'Esprit-Saint, posent-ils ainsi la question : " Seigneur, sera-ce dans ce temps-ci que vous " rétablirez le royaume d'Israël ? " Ils ne disent pas : Quand rétablirez-vous ? mais : Sera-ce présentement que vous rétablirez; tant ils désiraient connaître ce jour ! C'est pourquoi ils abordent le Sauveur tous ensemble et comme pour lui faire honneur.
Je pense toutefois qu'ils ne comprenaient pas clairement en quoi consistait ce royaume, car ils n'avaient pas encore été instruits par l'Esprit-Saint. Observons aussi qu'ils ne disent pas : Quand cela arrivera-t-il ? mais : " Sera-ce dans ce temps-ci que vous rétablirez le royaume d'Israël? " Comme si déjà l'époque était passée. Au reste, cette demande prouve qu'ils étaient encore attachés aux choses de la terre, quoique bien moins qu'auparavant. Et cependant, quelque imparfaits qu'ils soient, ils se font déjà de Jésus-Christ des idées plus hautes; et lui-même, les voyant plus avancés dans les voies spirituelles, leur tient un langage plus sublime. Il ne répète donc point ce mot : " Le Fils de l'homme ne connaît pas ce jour ", mais il leur dit : " Ce n'est point à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a disposés dans sa puissance ". C'est comme s'il leur eût dit : Vous demandez (569) à connaître une chose au-dessus de votre portée. Vous m'objecterez qu'ils avaient déjà connu des mystères bien plus relevés. Et si vous en doutez, direz-vous, voici quelques indications sommaires qui vous le prouveront. Oui, je vous le demande, quels mystères plus sublimes que ceux qui leur avaient été révélés. Car ils savaient que Jésus-Christ était Fils de Dieu et méritait les honneurs divins; ils savaient qu'il ressusciterait, qu'il monterait au ciel, et qu'il s'assoierait à la droite de Dieu le Père. Ils savaient, prodige vraiment incroyable, que dans la personne de Jésus-Christ, notre chair, élevée au plus haut des cieux, serait adorée des anges, et que cet Homme-Dieu reviendrait sur la terre pour juger tous les hommes. Enfin, ils savaient que dans ce grand jour, assis eux-mêmes sur des trônes, ils jugeraient les douze tribus d'Israël, et que les gentils prendraient la place des Juifs rejetés.
La connaissance d'un avenir si admirable tient vraiment du miracle, et il semble qu'il est moins étonnant de savoir l'époque précise où un royaume sera rétabli. De plus, l'apôtre a connu des secrets qu'il n'est pas permis à l'homme de révéler, les choses qui ont précédé la création du monde. Est-il donc plus difficile d'en connaître la fin que le commencement ? Il le paraît, vous répondrai-je , puisque Moïse, qui nous a donné la chronologie du monde, n'en marque point la fin. Salomon possédait aussi ces mêmes connaissances, car il dit : " Je raconterai ce qui a été dès le commencement du monde ". (Eccli. LI, 11.) Quant aux apôtres, ils connurent plus tard que l'avènement du Seigneur était proche, comme le prouve cette parole de saint Paul : " Le Seigneur est proche, soyez sans inquiétude ". (Philip. IV, 5, 6.) Mais alors ils ne le connaissaient pas, quoiqu'ils en eussent vu les signes avant-coureurs.
Observons aussi qu'au sujet de l'Esprit-Saint, Jésus-Christ s'était contenté de dire à ses apôtres, sans rien préciser, qu'ils le recevraient " sous peu de jours ". Et c'est pour les tenir dans l'attente qu'il adopte cette ligne de conduite. Car ce n'était plus, il est vrai, le dernier jour du monde qu'ils voulaient connaître, mais celui de sa royauté temporelle, comme le prouve leur demande : " Sera-ce en ce temps-ci que vous rétablirez le royaume d'Israël ? " Il ne leur fit donc aucune réponse positive. Quand ils l'avaient interrogé sur la fin du monde, il leur avait répondu sévèrement, pour éloigner d'eux la pensée que leur délivrance était proche. Et il les avait lancés dans les périls de la prédication évangélique. Ici, nous retrouvons la même conduite, mais avec un langage plus doux. Et en effet, il semble craindre que sa réponse ne leur paraisse une injure, ou un vain subterfuge; aussi, entendez la promesse qu'il leur fait d'un Consolateur qui les remplira de joie. " Vous recevrez ", leur dit-il, " la vertu du Saint-Esprit venant sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, et dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre". (Act. I, 8.) Et aussitôt, pour prévenir une seconde interrogation, il, s'éleva vers les cieux.
Lorsqu'ils l'avaient interrogé sur le dernier jour du monde, il leur avait fait cette réponse toute pleine de terreur et d'obscurité : Je né le sais pas; et ici il disparaît soudain à leurs regards. Car ils avaient un tel désir de connaître ce secret, qu'ils seraient revenus à la charge; néanmoins, il était absolument nécessaire qu'il leur fût caché. Et en effet, je vous le demande, les gentils ont-ils plus de peine à croire le dogme de la fin du monde que celui d'un Dieu fait homme, né d'une vierge, et,conversant parmi les hommes. Certes, c'est bien ce dernier mystère. Vous ne sauriez en douter, et je rougis de tant insister sur une chose aussi simple. Les apôtres eussent pu dire à Jésus-Christ: Pourquoi nous tenez-vous en suspens? et c'est pour prévenir cette parole qu'il leur parle " Des temps que le Père a disposés dans sa puissance ". Au reste, la puissance du Père et celle du Fils sont donc égales: " Car comme le Père ressuscite les morts et les vi" ville, ainsi le Fils vivifie ceux qu'il veut ". (Jean, V, 21.) Mais s'il y a égalité de puissance dans les actions, comment n'existerait-elle pas dans la science des événements, puisque la résurrection d'un mort est bien supérieure à la connaissance du jour où le royaume d'Israël sera rétabli ? Pourquoi donc le Fils de Dieu, qui opère ce premier et si étonnant prodige, ne ferait-il pas à plus forte raison le second?
2. La parabole suivante vous aidera à me comprendre. Lorsqu'un enfant pleure et nous demande un objet qui ne lui est pas utile, nous cachons cet objet, et montrant nos mains vides, nous lui disons : Je ne l'ai pas. Jésus-Christ en agit ainsi envers ses apôtres. Mais (570) comme ce même enfant, si on ne lui présente rien, redouble ses pleurs et ses cris, parce qu'il croit qu'on se moque de lui, nous nous éloignons sous prétexte que quelqu'un nous demande, et au lieu de l'objet qu'il désirait, nous lui en offrons un autre. Nous avons même bien soin, pour écarter ses premiers désirs, de louer cet objet au-dessus de celui qu'il demandait, et nous nous esquivons aussitôt. Ainsi se conduisit le divin Sauveur. Ses apôtres l'interrogeaient curieusement, et il leur répondit qu'il ne pouvait satisfaire leur curiosité. D'abord cette parole les consterna, ruais bientôt ils renouvelèrent leur demande; et de son côté , Jésus-Christ réitéra la même réponse. Cependant il ne cherche plus à les épouvanter, et après leur avoir rappelé :es oeuvres, il leur donne une raison plausible de son refus : c'est que " le Père a disposé ces temps dans sa puissance ".
Eh quoi ! ô Jésus, n'êtes-vous pas initié aux secrets du Père? Vous connaissez le Père, et il vous cacherait ses décrets? vous avez dit " Personne ne connaît le Père, si ce n'est le Fils " ; et encore : " L'Esprit pénètre toutes " choses, même les profondeurs de Dieu " ; et il n'y aurait que ce secret qui vous serait caché? (Luc, X; 22; I Cor. II, 10.) Cela ne peut être; et tel n'est point le sens de sa réponse. Mais Jésus-Christ a feint de ne pas connaître ce jour pour éloigner des questions intempestives. C'est pourquoi les apôtres n'osèrent plus l'interroger, de peur de s'attirer ce reproche : " Et vous aussi, vous avez perdu le sens ". (Matth. XV, 16.) Car ils ne l'abordaient alors qu'avec bien plus de réserve qu'auparavant. " Mais vous recevrez ", ajoute-t-il, " la vertu "de l'Esprit-Saint qui viendra en vous". Tout à l'heure il refusait de répondre à leurs questions, et maintenant, comme un maître qui seul est juge de ce qu'il doit dire à son élève, il leur révèle un secret dont la connaissance était utile pour calmer leurs frayeurs et étayer leur faiblesse. C'est aussi afin de mieux les rassurer et de raffermir leur courage, qu'il voile les difficultés de l'avenir. Comme il allait les quitter, il ne leur adresse nulle parole sévère, et avec un art infini il tempère le blâme par l'éloge. Ne craignez , point, leur dit-il, " car vous recevrez la vertu de l'Esprit-Saint qui viendra en vous , et vous serez mes témoins dans Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie ". Auparavant il leur avait dit : " N'allez point vers les nations, et n'entrez point dans les villes des Samaritains ". (Matth. X, 5.) plais aujourd'hui il veut qu'ils prêchent l'Évangile dans toute la Judée, dans la Samarie, et, ce qu'il dit pour la première fois, "jusqu'aux extrémités de la terre ".
Ce fut après cette solennelle parole que, prévenant toute nouvelle question, " il s'éleva en leur présence, et une nuée le déroba à leurs yeux ". Eh bien ! les apôtres n'ont-ils pas rempli leur mission, et prêché l'Évangile? Certes , Jésus-Christ leur avait confié une oeuvre vraiment grande ! Jérusalem, avait-il dit, a été témoin de votre faiblesse, et c'est à elle que vous adresserez tout d'abord la parole que vous porterez ensuite jusqu'aux extrémités de la terre. fuis, pour affermir leur croyance en ses paroles, " il s'éleva en leur présence ". Jésus-Christ, qui n'était point ressuscité sous le regard de ses apôtres , voulut donc monter au ciel en leur présence. C'est que dans ce dernier mystère il devait y avoir autre chose que le témoignage des yeux. Les apôtres, qui virent l'accomplissement du miracle de la résurrection, n'en avaient pas vu le commencement: et le contraire arriva dans l'ascension; il leur eût été vraiment inutile d'assister au prodige de la résurrection, puisque Jésus-Christ devait en personne le leur raconter, et que d'ailleurs le tombeau vide le proclamait lui-même. Mais une parole divine pouvait seule nous apprendre ce qui suivit l'ascension.
Et en effet l'oeil ne pouvait atteindre ces hauteurs incommensurables, ni s'assurer que le Christ s'était véritablement élevé jusqu'aux cieux. Aussi qu'est-il arrivé? Les apôtres savaient que celui qui s'élevait était Jésus-Christ, et ils s'en rapportaient sur ce point au témoignage de ses propres paroles; mais, parce qu'ils ne pouvaient plus le reconnaître dans un si prodigieux éloignement, il fut nécessaire que des anges vinssent les assurer qu'il était entré dans les cieux. C'est donc par suite d'une admirable disposition de la Providence, que dans ce mystère tout n'est pas révélé par l'Esprit-Saint, et qu'une partie nous est attestée par le témoignage des yeux. :liais pourquoi une nuée le déroba-t-elle aux regards des apôtres? Cette nuée était un signe que déjà il avait pénétré dans les cieux. Et en effet, ce ne fut point un tourbillon de feu ni un char de (571) feu qui le reçut comme le prophète Elie ( IV Rois, II, 11), mais une nuée qui symbolisait le ciel lui-même, selon cette parole du Psalmiste : " Le Seigneur s'élève sur les nuées ". (Ps. CIII, 3.) Quoique cette parole s'applique principalement à Dieu le Père, on peut néanmoins l'entendre de Jésus-Christ, comme se rapportant à la puissance divine, car autrement la nuée n'aurait aucune signification symbolique. Le prophète Isaïe dit également : " Le Seigneur est assis sur une nuée a légère ". (Isaïe, XIX, 1.)
3. Ce prodige s'opéra donc au moment où les apôtres faisaient à Jésus-Christ une question qu'ils considéraient comme très-importante, et où tout préoccupés de ce qu'il allait leur répondre, ils étaient attentifs et vigilants. Une nuée protectrice couvrit le mont Sinaï, lorsque Moïse pénétra dans le tourbillon; mais dans l'ascension, ce n'était point pour protéger Jésus-Christ. Observons aussi que le divin Sauveur ne dit pas absolument à ses apôtres
" Je m'en vais " , cette parole les eût contristés ; mais il leur dit : " Je vous enverrai l'Esprit consolateur ". (Jean, XVI, 5, 7.) Quant à son élévation au plus haut des cieux, ils la virent de leurs propres yeux. Dieu ! quel magnifique spectacle! " Et comme ils le contemplaient montant vers le ciel, voilà que deux hommes se présentèrent devant eux avec des vêtements blancs, et leur dirent : Hommes de Galilée , pourquoi demeurez-vous là regardant les cieux? Ce Jésus, qui du milieu, de vous a été élevé dans le ciel, viendra de la même manière que vous l'y avez vu monter ".
Ce sont des anges qui leur apparurent sous une forme humaine, et avec un visage riant. Observons aussi la manière dont ils s'expriment : en parlant de Jésus-Christ, ils disent : " ce Jésus ", comme le montrant du doigt, et en s'adressant aux apôtres, ils les nomment " hommes de Galilée", afin de donner à leur parole plus de poids et d'autorité. Autrement, pourquoi les désigner par le nom de leur patrie ? Ajoutons encore que l'éclat de leur beauté attirait sur eux les regards des apôtres, et prouvait surabondamment qu'ils venaient du ciel. Mais pourquoi Jésus-Christ leur envoie-t-il ses anges, au lieu de leur parler lui-même? C'est que déjà il les avait instruits de toutes choses, et qu'il suffisait de les leur rappeler par le ministère des esprits célestes.
Ceux-ci ne disent point : ce Jésus qui a été élevé , mais " qui est monté au ciel ", pour montrer au contraire dans ce mystère l'action de sa divinité. Quand ils veulent désigner son humanité ; ils disent : " Ce Jésus qui , du milieu de vous, a été élevé dans le ciel, viendra de la même manière ". Car ici la divinité élève l'humanité. " Il viendra ", disent-ils, et il ne sera pas envoyé. En quoi donc le Fils est-il moindre que le Père? " Une nuée le reçut " ; expression parfaitement juste, puisqu'il s'éleva lui-même sur la nuée, selon cette parole de l'apôtre : " Celui qui est descendu , est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux ". (Ephés. IV, 10.)
Observez donc comment les anges varient leur langage, selon qu'ils se proportionnent à l'intelligence des apôtres, ou qu'ils envisagent l'excellence du Fils de Dieu. D'ailleurs, cet admirable spectacle inspira aux apôtres des idées toutes sublimes, et leur donna une importante notion du second avènement de Jésus-Christ. " Il viendra de la même manière ", dirent les anges. Cette parole signifie que Jésus-Christ paraîtra en son humanité sainte, ce que les apôtres désiraient tant savoir, et que ce sera aussi sur les nuées qu'il paraîtra pour le jugement général. " Et voilà", dit saint Luc, " que deux hommes se présentèrent devant eux ". Pourquoi, dit-il, " deux hommes? " Parce que ces deux anges avaient revêtu une forme humaine, afin de ne point effrayer les apôtres. " Et ils leur dirent : Pourquoi demeurez-vous là, regardant les cieux?" Cette parole est pleine de bienveillance, et toutefois elle n'annonce pas comme prochain le second avènement du Sauveur. Les anges en affirment seulement la circonstance la plus importante, la certitude que Jésus-Christ reviendra, et la confiance avec laquelle nous devons attendre son retour. Mais quand aura lieu ce retour? C'est un détail moins important, et ils le taisent.
Cependant les apôtres, arrachés au magnifique spectacle qu'ils contemplaient, écoutent attentivement le message qui les assure que ce Jésus, qu'ils ne voient plus, est réellement monté au ciel, et qui les prémunit eux-mêmes contre une vaine curiosité. Car, si auparavant ils demandaient à Jésus-Christ : " Où allez-vous? " aujourd'hui, bien que dans toute autre circonstance ils eussent dit : " Sera-ce en ce temps-ci que vous rétablirez le (572) royaume d'Israël?" ils connaissaient tellement sa bonté, que, même après sa passion, ils renouvellent cette question : " Rétablirez-vous? " Il leur avait dit auparavant : " Vous entendrez parler de guerre et de bruits de guerre, mais ce ne sera encore ni la fin ", ni la prise de Jérusalem. (Marc, XIII, 7.) Aussi les apôtres ne parlent-ils que du royaume d'Israël, et non de la fin du monde. D'ailleurs, ils n'avaient eu avec lui que de courts entretiens après sa résurrection , et c'est pourquoi, altérés de gloire et de célébrité , ils s'empressent de l'interroger sur ce prochain rétablissement. Mais Jésus-Christ se renferme dans un silence absolu, parce qu'il n'y avait pour eux aucune nécessité de le savoir. C'est donc par respect pour ce silence du divin Maître, qu'ils ne lui disent plus : " Quel sera le signe de votre avènement et de la fin du monde?" mais : " Sera-ce dans ce temps-ci que vous rétablirez le royaume d'Israël? " Ils pensaient, en effet, que ce temps était déjà arrivé, quoique Jésus-Christ leur eût fait comprendre par une parabole qu'il n'était pas encore proche. Aussi ne répond-il à leur demande que par ces mots : " Vous recevrez la vertu de l'Esprit-Saint qui viendra en vous ".
Observez ici que Jésus-Christ dit, en parlant du Saint-Esprit, qu' " il viendra " en eux, et non qu'il leur sera envoyé, afin de lui conserver un honneur égal à celui des deux autres personnes de la Trinité. Comment donc, ô ennemis de l'Esprit-Saint, osez-vous dire qu'il est une créature? " Et vous serez mes témoins ". Cette parole donnait à entendre que Jésus-Christ allait monter au ciel , ou plutôt elle rappelait aux apôtres ce qu'il leur avait déjà annoncé. Au reste, c'est à l'ascension du divin Sauveur que se rapporte cette parole du Psalmiste : " Les nuées et l'obscurité sont sous ses pieds ". (Ps. XCVI, 2.) Et cette parole est identique à celle-ci : " Une nuée le reçut ". Reconnaissons donc en lui le roi des cieux, puisque son Père lui envoie un char royal : et il le lui envoie afin que les apôtres ne soient point tentés de murmurer ou d'imiter Elisée qui, voyant que son maître lui était ravi, déchira ses vêtements. Mais que disent les anges? " Ce Jésus qui, du milieu de vous, s'est élevé dans le ciel, viendra de la même manière ". C'est avec raison aussi que saint Luc dit : " Et voilà que deux hommes se présentèrent devant eux ". Car, nous lisons au livre de la loi que toute affaire se termine sur la déposition de deux ou trois témoins. (Deut. XVII, 6.) Aussi, les deux anges affirment-ils la même chose. " Avec des vêtements blancs ". Au sépulcre du Sauveur, les apôtres avaient déjà vu un ange brillant de lumière, qui leur avait révélé les pensées de leurs coeurs, et de même ici un ange leur annonce le mystère de l'ascension. Quant aux prophètes , ils en ont souvent parlé en le mêlant à celui de la résurrection.
4. Partout nous retrouvons ce ministère des esprits célestes : à Nazareth près de Marie, à Bethléem pour la naissance de Jésus, au sépulcre pour sa résurrection, et ici pour son ascension. De même aussi, dans son second avènement, les anges seront ses précurseurs. Mais; après avoir dit : " Ce Jésus qui, du milieu de vous s'est élevé dans le ciel " , ils ajoutent aussitôt, pour prévenir toute pensée de tristesse: " Il viendra de la même manière ". Les apôtres respirèrent donc un peu, en apprenant que Jésus ne leur était pas enlevé pour toujours, et qu'il reviendrait de la même manière qu'il était monté au ciel. Remarquons aussi ce mot . " Du milieu de vous ". Il a bien sa raison de convenance, car il rappelle aux apôtres l'amour de Jésus, le choix de leur élection, et la promesse de ne point lés abandonner. Jésus-Christ a voulu être seul témoin de sa résurrection; et de tous les miracles qui ont précédé ou suivi l'incarnation, celui-ci est le plus étonnant. Aussi disait-il lui-même : " Détruisez ce temple, et dans trois jours je le relèverai ". (Jean, II, 19.) Mais au jour de son ascension, ce sont des anges qui annoncent son second avènement, en disant : " Il viendra de la même manière ".
Que celui donc qui désire voir Jésus-Christ, et qui s'attriste de ne pas l'avoir vu, recueille cette parole; s'il mène une vie vraiment chrétienne, il est assuré de le voir et de réaliser ses désirs. Car il reviendra environné de gloire, porté sur les nuées, et dans son humanité sainte. Mais combien sera-t-il alors plus admirable de le voir descendre ainsi des cieux, que de (avoir vu s'y élevant de la terre ! Il viendra, disent les anges, mais ils se taisent sur les causes de ce second avènement. " Il viendra de la même manière " ; c'est une preuve de sa résurrection : car, s'il est monté au ciel en son corps, à plus forte raison est-il ressuscité en son corps. Où sont donc ceux qui (573) nient la résurrection? Sont-ils païens, ou chrétiens? Je l'ignore ; ou plutôt, je ne le sais que trop bien. Ce sont des païens qui nient la création, et qui affirment également que Dieu ne peut ni tirer une créature du néant, ni la ressusciter du tombeau. Cependant, ils rougissent bientôt de méconnaître ainsi la puissance du Seigneur, et tâchent de s'excuser en disant qu'absolument il pourrait ressusciter les corps, mais que cette résurrection est inutile. Elle est donc bien vraie, leur répondrai-je, cette parole dé l'Ecriture : " L'insensé ne dit que des extravagances ". (Isaïe, XXXII, 6.) Quoi ! vous n'avez pas honte de refuser à Dieu le pouvoir de tirer du néant une créature? Mais, s'il ne crée qu'avec une matière préexistante, en quoi diffère-t-il de l'homme ?
Eh ! d'où vient le mal? me direz-vous. Et moi, je vous répondrai que vous ne devez point, pour en expliquer l'existence, admettre un principe mauvais. D'ailleurs, votre langage est doublement absurde. Car, d'abord, si vous ne pouvez concevoir en Dieu le pouvoir créateur, vous comprendrez plus difficilement encore l'origine du mal; en second lieu , vous blasphémez en soutenant que le mal existe par lui-même. Réfléchissez donc combien il est dangereux de rechercher trop curieusement la source du mal, et parce qu'on ne la connaît pas, d'en faire un second Dieu. Sans doute, il vous est permis d'aborder cette question, mais évitez tout blasphème. Eh quoi! je blasphème ! Oui, c'est un blasphème que d'affirmer l'éternité d'un principe mauvais, de lui attribuer le pouvoir divin et de le mettre sur le même rang que la vertu. Le mal, dites-vous, existe par lui-même; mais vous avez oublié cette parole de l'apôtre : " Les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du monde, par tout ce qui a été fait ". (Rom. I, 20.) C'est pourquoi le démon dit que la matière préexistait avant Dieu et avant la création, afin que celle-ci ne nous conduise point à Dieu. Car, je vous le demande, est-il plus difficile de tirer une créature du néant que de rendre bon ce qui est essentiellement mauvais ? Je parle dans votre hypothèse, et, en supposant que ce principe existe, je dis qu'étant mauvais par lui-même, il ne peut être utilisé pour le bien. Et maintenant, pour parler des qualités d'un être, je vous demanderai lequel est le plus facile, ou d'ajouter une qualité qui n'existait pas, ou de changer une qualité existante en la qualité contraire ? Et encore, laquelle de ces deux choses est la plus aisée ou de bâtir une maison là où il n'y en a jamais eu , ou de relever des ruines? Evidemment, c'est la première. Concluons donc que le difficile ou même l'impossible ce n'est pas de créer bon ce qui n'existe pas, mais de faire que ce qui est essentiellement mauvais devienne bon.
5. Dites-moi encore lequel est le plus difficile de composer un parfum, ou de forcer la fange à prendre les propriétés du parfum ? Et puisque nous soumettons les couvres de Dieu à nos faibles raisonnements, (vous, du moins, car pour moi je m'en défends), répondez-moi n'est-il pas plus facile de former l'oeil que de faire qu'un aveugle voie, tout en demeurant aveugle, et voie mieux que celui qui a les meilleurs yeux, que de se servir de la cécité pour opérer la vue, de la surdité pour produire l'audition? Evidemment , la première chose est plus aisée. Eh bien ! vous accordez à Dieu le plus difficile, et vous lui refusez le plus facile 1 Mais pourquoi insister sur cette question? Nos contradicteurs disent encore que nos âmes sont une portion de la substance divine. Quel langage impie et extravagant ! Ils veulent prouver que Dieu est l'auteur du mal, et ils ne profèrent qu'un horrible blasphème. Car ils font le mal coéternel à Dieu, à qui ils refusent toute existence antérieure. Ainsi ils ne rougissent point d'admettre le mal en partage d'une si haute prérogative.
Mais en second lieu, le mal, selon eux, est immortel; car ce qui n'a pas eu de commencement, ne saurait avoir une fin. Entendez-vous ce blasphème? Il faut donc nécessairement admettre que rien ,ne vient de Dieu, ou dire que lui-même n'existe pas. Mais, en troisième lieu, comme je l'ai déjà observé, c'est là une contradiction flagrante, et qui ne peut qu'attirer la malédiction divine. En quatrième lieu, ils attribuent à une matière variable la puissance la plus absolue. En cinquième lieu, ils affirment que le mal est cause que Dieu est bon, en sorte que,, sans le principe mauvais, la bonté divine n'existerait point. En sixième lieu, il nous ferment toute voie pour arriver à la connaissance de Dieu. Septièmement enfin, ils abaissent Dieu jusqu'à l'homme; que dis-je ? jusqu'au bois et à la plante. Et en effet, si notre âme est une portion de la substance divine, et si elle passe dans le corps des (574) animaux, et même dans les plantes, comme les concombres, les melons et les raves, il est permis de dire que Dieu lui-même s'écoule en un concombre.
Voulons-nous donc dire que l'Esprit-Saint s'est bâti un temple dans le sein virginal de Marie, ils sourient de dédain; et quand nous ajoutons qu'il habite dans le sanctuaire de notre âme, nous provoquons leurs railleries. Et cependant ils ne rougissent point, par un nouveau genre d'idolâtrie, d'abaisser la substance divine jusqu'à un concombre, un melon, une mouche, un hanneton et un âne. Mais ce n'est pas la rave, direz-vous, qui est en Dieu, et c'est Dieu qui est dans la rave; car jamais la rave n'a été Dieu. — Et pourquoi reculez-vous devant cet écoulement de la divinité dans les corps? — Parce que ce serait peu digne de Dieu. — Mais votre système est mille fois plus indigne de lui. — Je ne saurais l'avouer. — Et pourquoi ? — C'est qu'il n'est réellement indigne de Dieu que d'habiter dans l'homme. — Découvrez-vous le venin de l'impiété ?
Mais pourquoi nient-ils la résurrection des corps, et que disent-ils à ce sujet? C'est que, selon eux, la chair est essentiellement mauvaise. Et comment, leur dirais-je, connaissez-vous Dieu et la nature? Comment encore un sage peut-il acquérir la sagesse sans le secours du corps? détruisez les sens, et que pourrez-vous savoir et apprendre? Quelle ignorance serait donc le partage de l'âme, si nos sens étaient viciés dans leur principe ! Car il suffit, pour affaiblir ses facultés, qu'une partie du corps, le cerveau par exemple, soit lésée ; et que serait-ce si le corps tout entier était mauvais! Montrez-moi l'âme en dehors du corps et n'entendez-vous pas les médecins dire chaque jour qu'une maladie violente affaiblit nos facultés mentales? Pourquoi donc, leur dirai-je encore, ne vous détruisez-vous pas? Car le corps n'est-il pas matière? — Certainement. — Vous devriez donc le haïr : et pourquoi encore lui prodiguez-vous la nourriture et mille caresses, quand depuis longtemps vous auriez dû le détruire et briser votre prison? Mais peut-être Dieu ne petit-il agir sur la matière, s'il ne s'infuse en elle, et ne peut-il lui commander, s'il ne se mêle avec elle, et ne se répand en toutes ses parties? Quelle faiblesse de raisonnement ! Dans un Etat, tous obéissent aux ordres du prince, et Dieu ne commanderait pas un principe mauvais ! Mais, en résumé, la matière elle-même ne saurait subsister, si elle ne contenait un peu de bien car le mal ne peut exister sans cette adjonction, et, s'il n'était joint à quelque vertu, il n'existerait point. Telle est la condition du mal.
Supposez, en effet, un voluptueux qui ne se contraigne jamais, et il
ne vivra pas dix jours : un malfaiteur qui attaque même ses complices
, et il sera bientôt condamné à mort : un voleur qui
dérobe publiquement, et il sera promptement jugé. Telle est
donc la nature du mal, qu'il ne peut subsister que par le mélange
de quelque bien, et telles sont, selon eux, les conditions d'existence
gaie Dieu lui a imposées. Une société uniquement composée
de citoyens pervers, ne saurait se soutenir ; et les méchants tombent
dès qu'ils s'élèvent non plus contre les bons, mais
contre eux-mêmes. " En vérité, ces hommes qui se disent
sages sont devenus fous ". (Rom. I, 22.) Car, si le corps de l'homme est
mauvais, pourquoi les éléments qui nous environnent, l'eau,
la terre, la lumière et l'air, ont-ils été créés?
Car l'air est un corps, quoiqu'il manque d'épaisseur et de solidité.
Nous avons bien raison de dire, avec le Psalmiste : " Les impies m'ont
raconté leurs fables ". (Ps. CXVIII, 85.) Mais ce langage est intolérable,
et nous ne devons plus l'écouter. Oui, la résurrection des
corps est certaine; c'est le dogme que proclament le tombeau vide du Sauveur
et le bois auquel il a été attaché. D'ailleurs, les
apôtres ne disent-ils pas : " Nous avons mangé et nous avons
bu avec lui? " Croyons donc à la résurrection, et que nos
moeurs soient en rapport avec notre foi, nous obtiendrons ainsi les biens
éternels, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soient,
avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire,
maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.
HOMÉLIE III. ALORS LES APÔTRES RETOURNÈRENT
A JÉRUSALEM, DE LA MONTAGNE APPELÉE DES OLIVIERS, ÉLOIGNÉE
DE JÉRUSALEM DE TOUT LE CHEMIN QU'ON PEUT FAIRE UN JOUR DE SABBAT.
(ACT. I, 12.)
575
ANALYSE.
1. L'Orateur, après avoir montré les apôtres et
les disciples retirés dans le Cénacle, explique la conduite
de Pierre dans l'élection du successeur de Judas, et fait ressortir
la primauté de cet apôtre, en même temps que sa douceur
et sa condescendance.
2. Il revient ensuite sur quelques circonstances précédentes,
et fait admirer le zèle des disciples à persévérer
dans la prière, et à ne faire tous qu'un coeur et qu'une
Ame : aussi le Cénacle était-il la vivante image du ciel.
— Après cette digression, saint Chrysostome continue le récit
de l'élection de saint Matthias, et trouve de belles paroles pour
louer la prudence avec laquelle saint Pierre conduisit toute cette affaire.
3. Il insiste sur le mot Haceldama, qui fut le nom du champ acheté
des trente deniers que rapporta Judas, et il trouve dans la signification
de ce mot, champ du sang, une prédiction des malheurs qui accablèrent
les Juifs.
4. L'Orateur prend occasion de l'abnégation humble et modeste
que fit paraître le juste Joseph, lorsque le sort lent décidé
contre lui, pour flétrir sévèrement ceux qui briguaient
l'épiscopat, et il trace à grands traits les devoirs et les
charges d'un véritable évêque.
5. Il termine en disant que sa joie et sa consolation est de voir son
cher troupeau marcher dans les voies de la justice et de la sainteté.
1. " Alors ", dit saint Luc, " les apôtres revinrent ". Alors : à quel moment? Après qu'ils eurent entendu les paroles des anges; car, comment eussent-ils pu soutenir cette séparation, si Jésus-Christ ne leur eût promis de revenir? J'incline aussi à croire que l'ascension arriva un jour de sabbat; autrement saint Luc n'eût pas spécifié aussi exactement due : " La montagne des Oliviers est éloignée de Jérusalem de tout le chemin qu'on peut faire un jour de sabbat ". On sait, en effet, que la longueur de ce chemin était fixée par la loi. " Et, étant entrés, ils montèrent dans une chambre haute où demeuraient Pierre, Jacques et Jean". Les apôtres étaient donc restés à Jérusalem après la résurrection ; et aux trois qu'il vient de nommer, saint Luc joint " André, frère de Pierre, Philippe et Thomas, Barthélemi et Matthieu, Jacques, fils d'Alphée, Simon le zélé, et Jude, frère de Jacques ". Or, ce n'est point sans raison qu'il dresse ainsi la liste des apôtres. Car puisque l'un avait trahi son divin Maître, qu'un autre l'avait renié, et qu'un troisième n'avait pas cru à sa résurrection, saint Luc nous assure, en les nommant tous, qu'à l'exception du traître, tous étaient rentrés en grâce.
" Ils persévéraient unanimement dans l'o" raison et la prière, avec les femmes ". Belle conduite ! Car la prière est une arme puissante contre la tentation, et le divin Maître leur en avait souvent parlé. D'ailleurs, leur situation présente les y portait assez; et ils craignaient tant les Juifs qu'ils s'étaient renfermés dans une chambre haute. " Avec les femmes". Ce sont celles qui, au témoignage du même évangéliste , suivaient le Sauveur "avec Marie, mère de Jésus, et ses frères ". Comment donc est-il dit que le disciple bien-aimé l'avait reçue chez lui? " (Jean, XIX, 26.) C'est qu'elle était revenue parmi les apôtres depuis que Jésus-Christ les avait réunis. " Et avec ses frères " : c'est-à-dire, avec ceux de ses proches qui d'abord ne croyaient pas en lui.
" En ces jours-là, Pierre se levant au milieu des frères ". Pierre est l'apôtre vif et impétueux auquel Jésus-Christ a confié la garde de (576) son troupeau; et parce qu'il est le premier en dignité, le premier aussi il prend la parole. Or, " ils étaient environ cent vingt". Et il dit: " Mes frères, il fallait que ce qu'avait prédit l'Esprit-Saint fût accompli". Mais ici on peut demander pourquoi Pierre ne s'adresse jas directement à Jésus-Christ, pour le prier de désigner celui qui devra remplacer le traître Judas , et pourquoi encore les apôtres ne se chargent pas seuls de cette élection ? Je réponds d'abord que Pierre était devenu moins présomptueux et plus humble, et je donne ensuite deux raisons de ce que les apôtres ont voulu remettre à Dieu le choix d'un douzième apôtre. La première est qu'ils étaient absorbés par de graves occupations, et la seconde, que ce mode d'élection prouvait parmi eux la présente du Sauveur. Et, en effet, c'était lui qui les avait choisis aux jours de sa vie mortelle, et c'est lui qui les choisit encore après son ascension. N'était-ce pas là pour eux une grande consolation?
Mais observez encore que Pierre prend en toutes choses l'avis de ses frères, et qu'il ne fait rien avec hauteur et autorité. Au lieu de dire simplement : Choisissons celui-ci à la place de Judas, il cherche à les consoler de ce crime horrible en usant de circonlocution. Car la trahison de Judas les avait profondément consternés; et ne nous en étonnons point, aujourd'hui encore nous en sommes tout bouleversés: et que ne durent-ils donc pas éprouver? " Mes frères" ; c'était le nom dont Jésus avait appelé ses apôtres; et quel autre nom convenait mieux en la bouche de Pierre ? Aussi est-ce à tous qu'il adresse ce langage affectueux. Cette église du cénacle représentait donc l'ordre et la hiérarchie des esprits célestes. Car tous, hommes et femmes, ne faisaient qu'un : et c'est ainsi que nous devrions être. Nul ne se préoccupait alors du monde, ni même des soins de la famille, tant les épreuves nous sont utiles, et les afflictions salutaires !
" Il fallait que ce qui a été prédit par l'Esprit-Saint fût accompli ". A l'exemple de Jésus-Christ, Pierre console ses frères en leur rappelant la prophétie divine, et il leur montre que rien n'arrive par hasard, et que tout a été prédit. " Il fallait", dit-il, " que ce que l'Esprit-Saint avait prédit par la bouche de David fût accompli ". Il ne dit point : David a prédit, mais l'Esprit-Saint par sa bouche. Voyez donc quelle doctrine saint Luc promulgue dès les premières lignes de son récit; aussi ai-je eu raison de dire, en commençant ces homélies, que le livre des Actes était l'Oeuvre du Saint-Esprit : " Ce que l'Esprit-Saint avait prédit par la bouche de David ". Ici saint Pierre cite le roi-prophète, et s'appuie sur son témoignage, parce qu'il savait qu'auprès des apôtres son autorité serait plus grande que celle de tout autre prophète. " Touchant Judas qui a été le guide ". Quelle réserve dans son langage! Nulle injure, nulle insulte; il s'abstient même d'appeler Judas du nom de scélérat et de maudit. Il se contente donc de raconter le fait, et, sans prononcer le mot trahison, il cherche à rejeter sur les complices de Judas la honte de son crime. Encore ne les poursuit-il pas avec véhémence, et se borne-t-il à les désigner par ces mots : " Ceux qui ont pris Jésus ".
Remarquons aussi qu'avant d'indiquer le psaume de David d'où il a tiré cette prophétie, Pierre raconte l'action de Judas, afin que le présent soit une garantie de l'avenir. Il rappelle également que ce traître a déjà reçu le châtiment de son crime. " Car il était compté parmi nous ", dit-il, " et il avait reçu sa part de ce ministère; et il a possédé un champ du salaire de l'iniquité ". Ici le discours devient moral, et laisse entrevoir une sévère leçon. Pierre dit aussi que ce champ a été possédé par Judas, et non par les Juifs. Mais parce que des esprits faibles sont plus touchés du présent que de l'avenir, il rappelle immédiatement quel a été son châtiment. " Et s'étant pendu, il s'est brisé par le milieu du corps, et ses entrailles se sont répandues sur la terre ". Remarquez qu'il insiste bien plus sur la punition du crime que sur le crime lui-même, et qu'il en tire comme un motif de consolation. " Et ceci a été connu de tous les habitants de Jérusalem, en sorte que ce champ a été appelé en leur langue HACELDAMA, c'est-à-dire, champ du sang ".
2. Les Juifs l'appelèrent donc ainsi uniquement par rapport à Judas, qui lui valut ce nom. Et Pierre cite en témoignage les ennemis mêmes du Christ, car c'est ce que signifie cette parole : " En leur langue ". Enfin, après avoir raconté l'événement, il mentionne la prophétie qui l'annonçait. " Comme il est écrit au livre des Psaumes : Que sa demeure soit déserte, et que nul n'y habite, et qu'un autre reçoive son apostolat ". (Ps. LXVII, 26.) La première (577) partie de la prophétie concerne la maison et les biens de Judas, et la seconde se rapporte à son apostolat et à son sacerdoce. Mais, par cette citation, Pierre semble dire : " que je vous propose est bien moins mon propre conseil que l'accomplissement des décrets de celui qui l'a fait prédire. Et en effet, le témoignage du Psalmiste empêchait qu'il ne parût vouloir exécuter seul cette élection, et faire ce que Jésus-Christ aurait fait lui-même.
" Il faut donc ", dit-il, " que parmi ceux " qui ont toujours été unis à nous". Pourquoi fait-il cette communication à toute l'assemblée? Afin de prévenir toute contestation, et toute dispute. Car ce qui était autrefois arrivé aux apôtres pouvait se renouveler parmi les disciples. Aussi Pierre, qui veut en éviter jusqu'au moindre prétexte, a-t-il soin de dire dès le début : " Mes frères, il faut choisir parmi nous ". Ainsi il abandonne l'élection au choix de la multitude, et par là il témoigne de son respect envers ceux qui seront proposés, et éloigne de lui tout soupçon de partialité. Or, qui ne sait que souvent ce soupçon a causé les plus grands maux? L'apôtre cite donc la prophétie pour établir la nécessité de l'élection , et il ne se réserve que de désigner ceux sur qui elle peut tomber, en disant : " Il faut choisir un de ceux qui ont toujours été unis à nous ". S'il eût circonscrit le choix parmi les plus dignes, il eût offensé tous les autres. C'est ce qu'il évite, s'en remettant au bénéfice de l'élection. Observons encore qu'il ne dit pas simplement : " Parmi ceux qui ont été unis à nous ", mais " parmi ceux qui ont toujours été unis à nous pendant que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous, à commencer depuis le baptême de Jean, jusqu'au jour où il a été enlevé du milieu de nous, il faut qu'on en choisisse un qui soit avec nous témoin de sa résurrection ". Eh ! pourquoi ce choix était-il nécessaire? Afin que le collège apostolique fût complet. Mais est-ce que Pierre ne pouvait pas choisir lui-même? Sans doute, il le pouvait, et il s'en abstint par humilité. D'ailleurs il n'avait pas encore reçu l'Esprit-Saint.
" Alors ils en présentèrent deux, Joseph, appelé Barsales; et surnommé le Juste, et Matthias ". C'est l'assemblée qui les présente, et non pas Pierre. Celui-ci s'est borné à proposer cette élection, moins comme un projet venant de lui que comme l'accomplissement d'une ancienne prophétie. Ainsi, il interprète l'Écriture, et ne commande rien. " Ils présentèrent Joseph, appelé Barsales; et surnommé le Juste ". Peut-être plusieurs parmi les frères se nommaient-ils Joseph : c'est pourquoi saint Lue désigne celui-ci par un double surnom. Nous observons également que parmi les apôtres plusieurs ont eu un surnom : ainsi nous trouvons Jacques, fils de Zébédée ; Jacques, fils d'Alphée; Simon Pierre; Simon le Zélé; Jude, frère de Jacques, et Judas Iscariote. Le surnom de Juste pouvait aussi lui venir du changement de ses moeurs, ou bien il se l'était donné lui-même. Quoi qu'il en soit, " ils présentèrent Joseph, appelé Barsabas, et surnommé le Juste, et Matthias ; et se mettant en prière; ils dirent : Seigneur, vous, qui connaissez les coeurs de tous les hommes, montrez-nous lequel des deux vous avez choisi pour prendre place dans ce ministère et dans l'apostolat dont Judas est déclin par son crime, pour s'en aller en son lieu ". Ils mentionnent ici son crime, comme pour déclarer qu'ils ne cherchent qu'un témoin de la résurrection de Jésus-Christ, et qu'ils ne veulent que compléter le collège apostolique. " Alors ils tirèrent leurs noms au sort, car l'Esprit-Saint n'avait pas encore été donné, et le sort tomba sur Matthias, et il fut compté avec les onze apôtres ". (Act. I, 20, 26.)
" Ceux-ci ", dit saint Luc (ayant entendu la parole des anges), " retournèrent à Jérusalem de la montagne appelée des Oliviers, éloignée de Jérusalem de tout le chemin qu'on peut faire un jour de sabbat ". Cette remarque indique qu'ils n'eussent pu faire un long trajet dans l'état de frayeur et de crainte où ils se trouvaient. " Et étant entrés, ils montèrent dans une chambre haute " , parce qu'ils n'osaient se montrer dans la ville. Ils montèrent donc dans une chambre haute, afin qu'il fût plus difficile de les découvrir. " Et ils persévéraient tous unanimement dans la prière ". Observez ici avec quel soin ils persévèrent dans la prière, et admirez l'unanimité qui règne parmi eux. Elle est si grande qu'ils semblent tous ne faire qu'un coeur et qu'une âme. C'est le double témoignage que leur rend saint Luc.
Quant à Joseph, époux de Marie, il était probablement mort, car si les frères de Jésus croyaient en lui, comment fût-il resté incrédule, lui qui avait cru avant tous ? Et en effet, (578) il ne considérait point le Christ comme un pur homme, ainsi que l'attestent ces paroles de Marie à Jésus : " Votre père et moi nous vous cherchions, fort affligés ". (Luc, II, 48.) Joseph avait donc connu le divin Sauveur avant tous. Et celui-ci disait à ses frères : " Le monde ne peut vous haïr, mais il me hait ". (Jean, VII, 7.) Je veux aussi vous faire admirer la modestie de Jacques. Il était désigné pour être évêque de Jérusalem, et cependant il garde le silence. Considérez également la profonde humilité de tous les autres disciples : ils ont banni toute rivalité et se cèdent mutuellement les honneurs de l'apostolat. Car il semblait que cet église naissante habitât déjà dans les cieux et ne tint plus à la terre. Aussi, sans être revêtu de marbre précieux, le cénacle était-il tout resplendissant de la ferveur des premiers fidèles. " Et ils étaient ", dit saint Luc, " environ cent vingt ". Ce nombre se composait sans doute des soixante-dix disciples que Jésus-Christ avait choisis lui-même, de quelques autres qui se distinguaient par leur piété, comme Joseph et Matthias, et des femmes qui suivaient le Sauveur.
3. Admirez ici la prudence de saint Pierre. Il commence par citer l'autorité d'un prophète, et ne dit point : Ma parole peut bien suffire, tant il est éloigné de toute pensée d'orgueil. Mais il n'envisage que l'élection d'un douzième apôtre, et il poursuit ce but, quoiqu'il n'ignore pas qu'il ne commande point à tous au même titre. Au reste, toute cette conduite 'prouve l'éminence de sa vertu, et montre que Pierre comprenait la prérogative du commandement bien moins comme une charge honorifique, que comme un engagement de veiller au salut de ses inférieurs. Au reste, ceux qui étaient proposés pour l'apostolat ne pouvaient en tirer vanité, car ce choix les exposait à mille dangers, et ceux qui n'étaient point désignés ne pouvaient également s'attrister et se croire déshonorés. Mais aujourd'hui , c'est tout le contraire qui arrive par rapport aux dignités ecclésiastiques.
Les disciples étaient au nombre de cent vingt, et de toute cette multitude, il n'en demande qu'un. Mais c'est à juste titre qu'il propose l'élection et qu'il prend dans cette affaire la principale autorité, parce que le soin de tous lui a été confié. Et en effet, Jésus-Christ lui avait dit : " Quand tu seras converti, confirme tes frères ". (Luc, XXII, 32.) " Judas",
continue donc saint Pierre, " avait été compté parmi nous ", et c'est pourquoi il faut choisir. en sa place un autre témoin. Là-dessus, il allègue, à l'exemple de son divin Maître, l'autorité de l'Ecriture ; et il ne parle pas de Jésus-Christ lui-même, parce que le Sauveur avait souvent prédit cette trahison. Il s'abstient également de citer ce passage des Psaumes qui s'y rapporte évidemment : " La bouche du pécheur et les lèvres du fourbe se sont ouvertes contre moi " (Ps. CVIII, 2) ; et il rappelle seulement la prophétie qui annonce le châtiment de l'apostat. C'était en effet tout ce, qu'il importait aux disciples de connaître.
Pierre déclare aussi combien a été grande envers Judas la bonté du divin Maître. Car " il avait été ", dit-il, " compté parmi nous, et il avait reçu sa part de ce ministère ". " Sa part ", dit-il toujours, montrant ainsi que tout vient de Dieu et de sa libre élection. Ce mot était encore un souvenir de l'ancienne loi et rappelait aux apôtres que Jésus-Christ les avait choisis pour être la part de son héritage, comme autrefois le Seigneur avait choisi les lévites. Enfin, Pierre insiste sur la fin honteuse de Judas, et il fait observer que le prix même de sa trahison en proclame le châtiment. " Il a possédé ", dit-il, " un champ du salaire de l'iniquité ". Voyez comme tout arrive selon les décrets divins. " Le salaire de l'iniquité ". Certes, il est plus d'une sorte d'iniquités, mais nulle n'est plus criminelle que la trahison de Judas; et cette trahison est une souveraine iniquité. Mais comme il ne suffisait pas qu'elle fût connue de la génération présente, les Juifs, à leur insu, et comme Caïphe, qui prophétisait sans le savoir, donnèrent à ce champ un nom qui devait perpétuer le souvenir de ce forfait. Le Seigneur les força donc à nommer ce champ " Haceldama ", comme en prévision des malheurs de la nation.
Déjà même ce nom prouve un premier accomplissement de la prophétie par rapport à Judas; car " il eût mieux valu pour lui de n'être jamais né". (Matth. XXVI, 24.) Au reste, cette parole s'applique également aux Juifs, qui ne méritaient pas moins que leur guide d'être châtiés. Mais, pour le moment, saint Pierre n'en parle point, et il se. borne à justifier ce nom prophétique : Haceldama, par la citation de ce verset des psaumes : " Que sa demeure soit déserte ". (Ps. LXVIII, 26.) Et en effet, quel lieu plus désert qu'un tombeau? Aussi ce (579) champ fut-il avec raison appelé ainsi. Et Judas, qui en fournit le prix, quoiqu'il ne l'ait pas lui-même acheté, doit être justement considéré comme la cause d'une si grande désolation. Or, une étude sérieuse des faits nous montre que cette première désolation fut le principe de toutes celles qui accablèrent les Juifs. Eh ! ne savons-nous pas que la famine en fit périr des milliers, et que la guerre en moissonna un si grand nombre, que Jérusalem devint le cimetière des étrangers et des soldats? Bien plus, on dédaignait d'enterrer les cadavres, parce qu'on les jugeait comme indignes des honneurs de la sépulture.
" Il faut ", dit saint Pierre, " que parmi ceux qui se sont unis à nous ". Observez avec quel soin il veut des témoins oculaires, quoiqu'il sût bien que l'Esprit-Saint devait leur être envoyé, et qu'il y attachât une grande importance. " Qui se sont unis à nous pendant tout le temps que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous ". Cette dernière parole signifie que les apôtres avaient habité avec lui, et qu'ils avaient été plus que ses disciples. Car, dès le commencement, plusieurs le suivaient, comme nous l'apprenons de l'évangéliste qui nous dit " qu'André, frère de Simon Pierre, était l'un des deux disciples qui avaient en" tendu Jean, et qui avaient suivi Jésus". (Jean, 1, 40.) " Pendant tout le temps ", poursuit l'apôtre, " que le Seigneur Jésus a vécu au milieu de nous, à commencer depuis le baptême de Jean ". Il précise avec raison cette époque, parce que l'Esprit-Saint leur avait seul révélé les mystères qui avaient précédé, et qui échappaient à la connaissance des hommes. " Jusqu'au jour où il a été enlevé du milieu de nous, on en choisisse un qui soit avec nous témoin de sa résurrection ". Il ne dit pas, un témoin de tous les miracles de Jésus-Christ, mais seulement un témoin de sa résurrection, parce qu'il avait droit à être cru sur tous les autres faits, celui qui pouvait dire : Ce Jésus, qui buvait et qui mangeait avec nous, et qui a été crucifié, est le même qui est ressuscité. Ainsi, il cherche, non un disciple qui ait vu les faits qui ont précédé ou suivi la résurrection . mais qui puisse rendre témoignage de celle-ci. Car les autres faits étaient publics et évidents, tandis que la résurrection s'était opérée comme en secret, et n'était connue que d'un petit nombre. Remarquez encore que les apôtres ne disent point : des anges nous l'ont affirmée, mais nous l'avons vue. Eh ! quelle preuve nous en donnez-vous? Les miracles que nous faisons. Ils étaient donc des témoins entièrement dignes de foi.
" Alors, ils en présentèrent deux ". Et pourquoi pas un plus grand nombre ? Pour ne pas augmenter le trouble des esprits, et circonscrire l’élection. Ce n'est pas non plus sans raisori que saint Luc ne place Matthias qu'au second rang; cela prouve que souvent celui qui est prééminent devant les hommes, est bien petit devant Dieu. Et se mettant en prière, ils dirent : " Seigneur, vous qui connaissez les coeurs de tous les hommes, montrez-nous lequel des deux vous avez choisi ". Vous, Seigneur, disent-ils, et non pas nous. Et ils rappellent bien à propos qu'il connaît les coeurs, car c'est lui seul, et non les hommes, qui doit faire l'élection. Tous les disciples priaient donc avec une entière confiance , car il fallait absolument que l'un des deux fût choisi. Et ils ne disent pas : choisissez, Seigneur; mais " montrez-nous lequel des deux vous avez choisi "; parce qu'ils n'ignoraient pas le dogme de la prescience divine. " Pour prendre place dans ce ministère et l'apostolat ". C'est qu'en dehors de l'apostolat, il y avait un autre ministère. " Et ils les tirèrent au sort". Ils s'en rapportèrent à ce signe de la volonté divine, se jugeant indignes de faire eux-mêmes l'élection.
4. L'histoire de Jonas nous apprend que sans égard à l'indignité des consultants, qui ne songeaient pas même à prier, le Seigneur dirigea le sort parce qu'ils agissaient de bonne foi. Mais ici cette direction ne pouvait leur faire défaut, puisqu'il s'agissait de compléter le choeur des apôtres et d'en parfaire le nombre sacré. Joseph ne murmura point de son exclusion , car, les apôtres ne nous l'eussent pas caché, eux qui nous ont rapporté les actes nombreux de murmures auxquels les principaux d'entre eux se laissèrent souvent entraîner. Imitons le silence de ce juste. Je ne le dis pas à tous, mais à ceux qui recherchent les dignités. Si vous croyez que le choix vient de Dieu, pourquoi murmurer? Vous vous irritez et vous murmurez contre Dieu même, puisque c'est lui qui a fait ce choix. Or, dans ces circonstances, la jalousie et le murmure rappelleraient la conduite de Caïn. Celui-ci éprouva un vif ressentiment de ce que le sacrifice de son frère était plus agréable au (580) Seigneur que le sien; et il ne fit paraître qu'une basse et envieuse jalousie, lorsqu'il eût dû montrer un sincère repentir. Je ne dis point que vous en veniez jusque là, mais je soutiens qu'il appartient à Dieu de dispenser utilement les charges et les dignités. Car, souvent vous, qui avez des moeurs simples et modestes, vous n'y êtes point propres. Et de même aussi, il ne suffit pas d'une vie pure et exemplaire pour gouverner une église. Car celui-ci est apte à un emploi, et celui-là â un autre- Il est facile d'en trouver mille exemples dans la sainte Ecriture.
Mais je dirai franchement pourquoi l'on brigue ainsi l'épiscopat.
C'est qu'on l'envisage moins comme une charge pleine de sollicitude
pour le salut de ses frères,
que comme un honneur et un repos.
Ah ! si vous étiez bien persuadé qu'un évêque
doit être le serviteur de tous, et qu'il doit porter les fardeaux
de tous;
qu'on pardonne aux autres quelques mouvements de colère, et
qu'en lui on n'en tolère aucun;
qu'on excuse beaucoup dans les autres, et que pour lui on est implacable,
vous n'ambitionneriez pas cette dignité.
Un évêque est exposé à la malignité
de toutes les langues et à la critique de tous, des sages comme
des insensés.
En proie à mille inquiétudes, le jour et même la
nuit, il devient encore pour plusieurs un objet de haine ou de jalousie.
Sans doute, je ne parle pas ici de ces évêques qui ne
s'étudient qu'à plaire à tout le monde, qui craignent
le moindre travail, et qui font de l'épiscopat un état de
repos et de somnolence. Je les laisse de côté, et je parle
de ceux qui veillent sur leur troupeau, et qui exposent leur salut pour
sauver vos âmes.
Répondez-moi : Le père de famille qui a dix enfants, tous parfaitement soumis, et habitant avec lui, ne laisse-t-il pas néanmoins d'exercer sur eux une continuelle vigilance? Eh ! que fera donc un évêque dont la nombreuse famille qui reconnaît son autorité n'est point placée sous son oeil, ni sous sa main ? Mais, direz-vous, il est entouré d'honneurs. De quels honneurs ? Sur la place publique, les derniers des mendiants lui prodiguent l'injure et le sarcasme. Eh ! pourquoi ne leur ferme-t-il pas la bouche ? Vous parlez tout à votre aise; mais la chose n'est pas facile à faire. Oui, si un évêque ne donne aux fainéants comme aux travailleurs, tous s'accordent pour le décrier, et tous osent l'accuser et le calomnier. Si c'était un prince, la crainte arrêterait; mais ici, ce motif est nul, car les insulteurs ne craignent point Dieu.
Qui pourrait encore se représenter les soucis d'un évêque par rapport à la prédication, au maintien de la doctrine, et aux nombreuses difficultés des ordinations ? Peut-être suis-je moi-même un évêque faible, misérable et de nulle valeur; mais il me semble que les choses sont bien telles que je les dépeins. Aussi, un pasteur est-il véritablement comme une nacelle qui est battue des vagues. Car de tous côtés, il est assailli par ses amis et ses ennemis, par ses proches et par les étrangers. Eh quoi ! un seul empereur gouverne l'univers, et un évêque ne l'est que d'une seule ville. Je l'avoue, et néanmoins les sollicitudes de l'évêque sont d'autant plus grandes que la mer est plus houleuse et les vagues plus furieuses. Comment ? C'est que le prince fait agir ses nombreux ministres, et que ses lois et ses volontés sont parfaitement exécutées. Mais ici il n'en est pas de même. L'évêque ne saurait commander avec une souveraine autorité; s'il est sévère, on l'appelle rigide, et s'il est bon et facile, on l'accuse d'être lâche et indifférent. Il faut donc qu'il unisse en lui comme deux éléments contraires, et qu'il ne s'attire ni le mépris, ni la haine.
Que dirai-je de la préoccupation des affaires ? Combien d'hommes il doit nécessairement offenser, même sans le vouloir ! et combien d'autres il est obligé de traiter avec sévérité ! Je parle ici dans toute la sincérité de mon âme, et je dis que peu de pasteurs se sauvent, et que le plus grand nombre se damnent, parce que la charge pastorale exige une vertu héroïque. Et en effet il faut que sans cesse l'évêque fasse violence à son caractère, et qu'il exerce sur lui-même la plus active vigilance. Eh! ne voyez-vous pas quelles qualités doit posséder un évêque ? Il doit être puissant en doctrine, patient, et capable d'instruire fidèlement. Mais que de difficultés dans ce ministère de la parole ! Bien plus, l'évêque est responsable du salut de ses frères ; et, pour ne citer qu'un seul exemple, si par sa faute un catéchumène meurt sans baptême, son salut n'est-il pas bien hasardé? car la perte d'une âme est un malheur qu'on ne peut assez déplorer.
Le salut d'une âme est d'un si haut prix que, pour l'assurer, le Fils de Dieu s'est fait homme, et qu'il est mort sur la croix: de quels supplices la perte de cette âme ne sera-t-elle donc pas punie ? La justice des hommes condamne l'homicide au dernier supplice ; eh ! que ne fera pas la justice divine ! Ne me dites point qu'ici le prêtre ou le diacre sont seuls responsables, car leur péché rejaillit sur l'évêque qui leur a imposé les mains. Nouvelle difficulté : un indigne a reçu l’ordination. Que conseillera la prudence pour réparer des fautes accomplies? L'évêque marche alors entre deux précipices, car il ne doit, ni tolérer l'homme en question, ni scandaliser les fidèles. Faut-il donc retrancher tout d'abord ? mais l'occasion ne se présente pas. Faut-il tolérer ? ce serait le mieux, direz-vous, car les fautes de ce clerc retombent sur celui qui lui a imposé les mains. Eh quoi ! faut-il ne plus lui imposer les mains et ne pas l'admettre à un degré plus élevé ? mais ce sera rendre son indignité publique. Nouvel écueil, nouveau scandale. L'admettra-t-on à un degré plus élevé ? on ne fera qu'aggraver le mal.
5. Concluons que celui qui considère la dignité épiscopale comme une charge lourde et onéreuse, ne s'y engagera pas facilement. Mais aujourd'hui on la regarde comme une magistrature séculière, et nous perdons devant Dieu tout ce que nous gagnons devant les hommes en gloire et en honneur. Quel gain solide en retirons-nous? et tout n'est-il pas néant et vanité ? Vous ambitionnez le sacerdoce; eh bien ! mettez en regard l'enfer, et le compte qu'il vous faudra rendre; la vie calme et paisible que vous menez, et la rigueur des supplices éternels. Si un laïque pèche, il sera puni moins sévèrement; mais si un prêtre pèche, il se damne. Rappelez-vous les travaux de Moïse, sa douceur et ses mérites; et cependant quelle punition ne lui attira pas un seul péché ! mais elle fut juste, parce que ce péché devint préjudiciable à tout le peuple. Moïse fut donc puni rigoureusement, bien moins parce que sa faute avait été publique, que parce qu'il avait péché comme prêtre. Car le châtiment d'un péché public est tout autre que celui d'un péché secret. La faute peut être la même; mais la punition en est différente. Que dis-je? il n'y a point égalité dans la faute; et autre est un péché secret, et autre un péché public. Au reste, un évêque ne saurait pécher en secret.
Juste et innocent, il est bien à souhaiter qu'il ne soit pas
exposé aux traits de la calomnie; mais, fautif et pécheur,
il ne peut les éviter.
Un mouvement de colère, un rire peu mesuré et un sommeil
trop prolongé, deviennent contre lui une occasion d'amères
critiques.
Que de gens s'en offensent ! Les uns lui tracent des règles
de conduite, et les autres, rappelant le souvenir des anciens évêques,
blâment le nouveau pasteur; mais s'ils retracent ainsi les vertus
de ces anciens prêtres et évêques, c'est bien moins
par zèle de leur gloire que par esprit de censure et de malignité.
La guerre, disent-ils, plaît toujours aux nouveaux soldats.
Ce proverbe est vrai aujourd'hui encore, et nous-mêmes nous le répétons
à la veille du combat. Mais dès qu'arrive ce jour, rien ne
nous distingue plus du grand nombre. Car, loin de combattre ceux qui oppriment
les pauvres, nous ne défendons pas même le troupeau de Jésus-Christ,
et nous ressemblons à ces pasteurs dont parle Ezéchiel, qui
tuent et dévorent les brebis. (Ezéch. XXXIV, 2.) Quel évêque
paît le troupeau de Jésus-Christ avec la même sollicitude
que Jacob gardait celui de Laban ? et qui, à son exemple, supporte
les froids de la nuit ? Ne m'objectez point mes veilles et mes soins empressés,
car tout ce que je fais n'est rien.
Cependant les consuls eux-mêmes sont moins honorés qu'un évêque. A la cour il est le premier; et parmi les dames, et dans le palais des grands on lui défère le premier rang. Hélas ! ces honneurs ont tout vicié et tout corrompu. Si je parle ainsi, ce n'est point pour vous faire rougir, et je ne veux que modérer en vous le désir de l'épiscopat. Quelle différence faites-vous entre le briguer vous-même, ou y parvenir par les intrigues d'un ami ? De quel oeil regarderez-vous désormais ce puissant auxiliaire ? et que pourrez-vous alléguer pour votre justification ? Celui qui n'a accepté l'épiscopat que malgré lui, peut du moins présenter cette répugnance comme une excuse; et, quoique le plus souvent on ne lui en tienne pas compte, elle ne laisse pas d'être une excuse réelle. Vous savez quel a été le sort de Simon ? Eh ! qu'importe qu'au lieu d'argent, vous prodiguiez l'adulation et l'intrigue ! "Que ton argent périsse avec toi ! " lui dit Pierre, et il vous dira à vous: Que votre ambition périsse avec vous, parce que vous avez cru que le don de Dieu s'acquérait par des moyens humains !
382
Mais qui arrive à l'épiscopat par cette voie ? Plût à Dieu qu'on ne pût en citer un seul exemple ! Au reste, je désire vivement que ces paroles ne vous concernent en rien, et ce n'est que par incident que j'ai touché ce sujet : car lorsque je m'élève contre l'avarice, je n'ai en vue aucun de vous, ni en général, ni en particulier. Plaise donc au ciel que tous nos avertissements vous deviennent inutiles ! Le désir du médecin est de voir que ses soins multipliés rendent superflu l'emploi des remèdes et de même je souhaite que mes paroles se perdent dans l'air, et né soient qu'un vain bruit. De mon côté, je suis disposé à tout souffrir plutôt que de reprendre ce sujet; et si vous le voulez, je n'y reviendrai plus, pourvu que mon silence soit sans danger. Car je ne pense pas que le plus ambitieux d'entre vous veuille, sans y être contraint, aspirer à l'épiscopat. Désormais je me bornerai à vous instruire par de bons exemples, car c'est là le meilleur de tous les enseignements. Un habile médecin gagne gros par ses cures, et néanmoins il préfère voir ses amis en bonne santé. C'est ainsi que je désire l'heureuse santé de vos âmes, car tout en voulant me sauver, je ne veux point votre perte. Ah ! si je pouvais vous faire voir toute la charité de mon coeur, nul ne s'offenserait même d'un reproche amer. " Car il est certain que les blessures d'un ami valent mieux que les baisers empressés d'un ennemi ". (Prov. XXVII, 6.)
Vous m'êtes plus chers que la lumière elle-même;
et je souhaiterais cent fois d'en être privé, pourvu que je
pusse à ce prix convertir vos âmes; tant votre salut m'est
plus doux que les rayons du soleil. Eh! de quels charmes sont-ils pour
moi, si la douleur de votre perte répand sur mes yeux d'épaisses
ténèbres ? La lumière extérieure est bonne,
quand elle s'harmonise avec la joie du coeur; et elle fatigue l'oeil, lorsque
l'âme est plongée dans un noir chagrin. Je parle ici en toute
sincérité, et puisse l'expérience ne jamais vous l'apprendre
! Au reste, s'il arrive qu'un seul d'entre vous tombe dans une faute grave,
réveillez mon zèle. Que je périsse si je deviens semblable
au paralytique ou à l'insensé, et si je suis réduit
à dire avec le prophète : " La lumière de mes yeux
s'éteint, et elle n'est plus en moi ". (Ps. XXXVII, 10.) Eh ! quelle
espérance peut me sourire, quand vous ne faites aucun progrès
dans la vertu ! Mais aussi quelle tristesse peut m'accabler, quand vous
vous conduisez dignement ! Oui, je ne marche plus, je vole lorsque j'entends
dire du bien de vous. " Comblez donc ma joie ". (Philip. XXIII.) Car je
ne souhaite, et je ne désire que votre avancement spirituel, et
je ne veux l'emporter sur vous tous qu'en une seule chose; c'est que je
vous aime et que je vous chéris. Oui, vous êtes tout pour
moi, père, mère, frères et enfants. Ah ! ne pensez
pas qu'aucune de mes paroles me soit inspirée par un sentiment d'aversion
! je ne parle que pour votre correction; " et le frère ", dit l'Ecriture,
" qui est aidé par son frère, est semblable à une
ville fortifiée ". (Prov. XVIII, 19.) Ne murmurez donc point; car,
moi aussi, j'estime votre parole, et bien volontiers je recevrais vos avis
et vos observations. Nous sommes tous frères, et nous n'avons tous
qu'un seul et même Maître. Or, dans une famille, un seul commande,
et tous les autres obéissent. C'est pourquoi ne murmurez point;
mais en toutes choses agissons pour Dieu, à qui soit la gloire dans
tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE IV. QUAND LES JOURS DE LA PENTECÔTE FURENT ACCOMPLIS,
LES DISCIPLES ÉTAIENT TOUS ENSEMBLE EN UN MÊME LIEU, ET SOUDAIN
UN BRUIT S'ENTENDIT VENANT DU CIEL. (ACT. II, 1, 2.)
583
ANALYSE. 1. L'orateur explique d'abord les rapports qui existent entre la Pentecôte des Juifs et celle des chrétiens, et puis les raisons symboliques des langues de feu, sous lesquelles se montra l'Esprit-Saint.
2. Il dépeint ensuite l'étonnement où le don des langues jeta tous ceux qui en furent témoins, et puis il oppose l'excellence et-la supériorité du feu, comme emblème de l'action de l'Esprit-Saint, aux divers signes de l'inspiration qu'avaient reçus les prophètes de l'Ancien Testament, et il y trouve une preuve de la sainteté des apôtres. — Ceux-ci parlent toutes les langues, parce qu'ils doivent convertir tous les peuples, et tandis que les uns sont dans l'admiration d'un tel prodige, les autres l'attribuent à l'ivresse, ainsi que les ennemis de Jésus-Christ attribuaient ses miracles au prince des démons.
3. Mais Pierre élève la voix au nom des onze qui l'entourent : Quel homme ! et quel langage ! à un tel changement on reconnaît l'action divine de l'Esprit-Saint. — Ici l'orateur trace un éloquent parallèle entre les plus diserts philosophes, et ce pécheur du lac de Génézareth, qui, tout rempli d'une science céleste, confond les plus beaux génies, et réfute les plus subtils sophistes.
4. Il compare ensuite la doctrine et la morale de ce Platon, qu'on a surnommé divin, à la doctrine et à la morale de l'apôtre, et laisse à ses auditeurs de décider lequel des deux fait plus d'honneur à l'humanité. — Enfin il termine en exaltant de nouveau la vertu humble et.réelle des apôtres en opposition avec l'orgueil et la vanité des philosophes païens.
1. A quelle époque de l'année se célébrait la fête de la Pentecôte ? Au moment de mettre la faux dans la moisson., et de recueillir le froment; telle est la figure, et voici la vérité. Lorsque la faux de la parole évangélique doit être mise dans la moisson des âmes, le Saint-Esprit paraît, semblable à une faux aiguë. Aussi le Sauveur avait-il dit : " Levez vos yeux et regardez les campagnes, car elles blanchissent déjà pour la moisson "; et encore : " La moisson est grande et les ouvriers peu nombreux ". (Jean, IV, 355 Luc, X, 2.) Il s'empresse d'envoyer la faux, parce que le moment de la moisson était arrivé. Et, en effet, il en avait déjà comme recueilli les prémices en introduisant notre nature dans les cieux. " Quand les jours de la Pentecôte furent accomplis ", c'est-à-dire, non avant la solennité, mais le jour même de la fête, et il y avait opportunité que la descente de l'Esprit-Saint s'opérât un jour de fête, afin que les témoins de la mort de Jésus-Christ vissent également ce prodige. " Et soudain un bruit s'en" tendit, venant du ciel ". Pourquoi la venue de l'Esprit-Saint,dst-elle annoncée par ces signes sensibles? Parce que, malgré ce concours de circonstances, si les Juifs dirent " ils sont, pris de vin ", que n'eussent-ils pas dit dans toute autre hypothèse? Mais ce ne fut pas un bruit ordinaire, " il vint du ciel "; et comme il se fit entendre soudain , il excita l'attention des disciples. " Et il remplit toute la maison ". C'est un symbole de la puissance de l'Esprit-Saint. Soyez attentifs : saint Luc nous dit que tous lés disciples étaient réunis; en sorte que tous crurent sur le témoignage de leurs sens, et que tous devinrent ainsi des témoins dignes de foi.
Mais voici un nouveau prodige plus étonnant encore. " Et ils virent comme des langues de feu qui se partagèrent ". Ce n'est pas sans raison que l'écrivain sacré dit : " Comme des langues ". Il vent prévenir l'erreur de ceux qui croient que l'Esprit-Saint est un élément sensible; aussi dit-il : " comme un feu ", et : " comme un vent ". Ce n'était donc pas un simple courant d'air. Lorsque ce même Esprit dut se manifester à Jean-Baptiste, il apparut (584) au-dessus de Jésus-Christ, sous la forme d'une colombe; et aujourd'hui qu'il s'agit d'évangéliser l'univers, il vient comme un feu ardent. " Et il s'arrêta sur.chacun d'eux "; c'est-à-dire, se fixa et se reposa sur chacun d'eux, car telle est la signification du verbe s'arrêter. Mais l'Esprit-Saint ne se reposa-t-il que sur les douze apôtres, à l'exclusion de tous les autres? Nullement, il se répandit également sur les disciples qui étaient au nombre de cent vingt. Aussi est-ce avec juste raison que saint Pierre cite ce passage d'un prophète : " Dans ces derniers temps, dit le Seigneur Dieu, je répandrai mon Esprit sur toute chair; et vos fils et vos filles prophétiseront; vos jeunes gens auront des visions, et vos vieillards auront des songes ". (Joël, 11, 28.)
Observez aussi que ce ne fut pas seulement pour frapper d'étonnement les disciples, mais encore pour les remplir de grâce que l'Esprit-Saint s'annonça sous le double symbole du vent et du feu. C'est pourquoi saint Luc ajoute " Qu'ils furent tous remplis de l'Esprit-Saint, et qu'ils commencèrent à parler diverses langues, selon que l'Esprit-Saint leur donnait " de les parler ". Ce don des langues, inouï jusqu'alors, fut le seul signe des opérations du divin Esprit, et il était un témoignage bien suffisant. Mais ce divin Esprit " s'arrêta sur chacun d'eux "; par conséquent sur Joseph qui n'avait pas été élu, et qui n'eut plus à envier la préférence donnée à Matthias. " Et tous furent remplis " ; c'est-à-dire que la grâce de l'Esprit-Saint ne leur fut point départie comme avec mesure, mais dans toute sa plénitude. " Et ils commencèrent à parler diverses langues, selon que l'Esprit-Saint leur donnait de les parler ". Saint Luc n'eût point dit " tous ", s'il n'eût voulu désigner que les apôtres, et si ce don n'eût été communiqué également à tous les autres disciples. Et, en effet, puisqu'il avait précédemment désigné les apôtres chacun par son nom, il lui eût suffi de constater ici leur présence.
Observez encore que l'Esprit-Saint descendit sur les disciples dans le temps qu'ils persévéraient dans la prière et l'union des coeurs. Ces mots : " Comme des langues de feu ", nous rappellent un autre prodige de ce genre, celui du buisson ardent. " Selon que l'Esprit-Saint leur donnait de parler ", car toutes leurs paroles étaient autant de sentences. " Or, il y avait à Jérusalem ", poursuit saint Luc, " des Juifs religieux qui y habitaient ". C'était par un motif de religion que ces Juifs s'y étaient fixés. Et, comment? Parce que pour le faire ils avaient dû, étant de diverses contrées, quitter leur patrie, leurs biens et leur famille. Aussi saint Luc dit-il " qu'il y avait à Jérusalem des habitants, Juifs religieux, de toutes les nations qui sont sous le ciel ; et ce bruit s'étant répandu, il s'en assembla un grand nombre, et ils furent fort étonnés ". Le prodige s'était accompli dans l'intérieur de la maison, et une légitime curiosité y faisait accourir tous ceux qui en entendaient parler. " Et ils étaient fort étonnés ". Que signifie cette expression? Elle marque en eux un mélange de trouble et d'admiration.
Mais saint Luc nous révèle la cause de cette disposition, quand il ajoute que " chacun les entendait parler en sa langue. Or, cette multitude s'entredisait : Ces gens-là qui parlent, ne sont-ils pas tous Galiléens ? " Voyez-vous comme tous les esprits et les regards se tournent vers les apôtres. " Comment donc les entendons-nous parler chacun la langue du pays où nous sommes nés? Parthes, Mèdes, Elamites, ceux qui habitent la Mésopotamie, la Judée, la Cappadoce, le Pont et l'Asie, la Phrygie et la Pamphylie, l'Égypte et cette partie de la Lybie qui est proche de Cyrène, et ceux qui sont venus de Rome, Juifs aussi et prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons parler, chacun en notre langue, des merveilles de Dieu. Ils étaient donc dans la stupeur et l'admiration, se disant l’un à l'autre : Que veut dire ceci? " (Act. II, V, 12.) Les voyez-vous accourir de l'Orient et de l'Occident? " Mais quelques-uns se moquaient, disant : C'est qu'ils sont pleins de vin nouveau ".
2. Quelle impudence et quelle malignité ! car la Pentecôte ne tombait pas au temps de la vendange. Mais, ô comble de la malice ! tandis que tous les autres, Romains, prosélytes, et peut-être même les bourreaux qui avaient crucifié le Christ , reconnaissent la vérité du prodige; ces Juifs ne savent répondre aux nombreux miracles qu'opèrent les apôtres que par cette raillerie : " Ces gens sont pleins de vin nouveau ". Mais reprenons l'explication des premiers versets. " L'Esprit-Saint ", dit saint Luc, " remplit toute la maison ". Ce divin Esprit fut pour les apôtres comme une piscine d'eau, et le feu (585) marquait, la plénitude de la grâce et la véhémence du zèle. Ce n'est pas ainsi que ce même Esprit se communiquait aux prophètes, et il le faisait d'une manière moins solennelle. Le Seigneur présenta un livre à Ezéchiel; et il lui dit: Dévore ce livre qui contient ce que tu devras dire. " Et je dévorai le livre ", dit le prophète, " et il fut dans ma bouche comme le miel le plus doux ". (Ezéch. III, 3.) A l'égard de Jérémie, c'est la main du Seigneur qui toucha ses lèvres. (Jérém. I, 9.) Mais ici l'Esprit-Saint paraît en personne, et se montre ainsi égal en gloire au Père et au Fils.
Ezéchiel dit encore : " Je vis un livre qui contenait des plaintes lugubres, des malédictions et des calamités ". (Ezéch. II, 9.) La tradition de ce livre lui fut une preuve suffisante de l'inspiration divine : et, en effet, il avait besoin d'en être averti par quelque signe; mais, du reste, il n'était envoyé qu'à une seule nation, et à ses concitoyens. Les apôtres, au contraire, devaient se répandre dans le monde entier, et parmi des peuples inconnus. Le manteau d'Elie fut pour Elisée le gage des dons de prophétie et de miracles, David reçut avec l'onction sainte celui de l'inspiration divine, et du milieu du buisson ardent le Seigneur confia à Moïse la mission de délivrer .Israël. Mais ici se révèle un ordre de choses tout nouveau, le feu lui-même s'arrête sur chacun des disciples. Eh ! pourquoi ce feu ne parut-il pas embraser toute la maison? Parce que tous en eussent été effrayés. Au reste, c'est ce qui eut effectivement lieu, car il faut faire plus attention à ce globe de feu qui parut alors, qu' " à ces langues qui se partagèrent". Eh ! combien devait être immense le foyer d'un aussi vaste incendie ! Saint Luc dit aussi avec raison que les langues " se partagèrent ", parce qu'elles partaient toutes d'un même tronc, et qu'elles recevaient leur force et leur énergie du divin Paraclet.
Observez encore qu'alors pour la première fois fut manifestée la sainteté des apôtres; aussi, reçurent-ils l'Esprit-Saint. Nous voyons également que David ne se montra pas moins fidèle au Seigneur après qu'il eut triomphé de ses ennemis, qu'il ne l'avait été lorsqu'il gardait les troupeaux; que Moïse, qui avait méprisé les palais des rois, prit en mains, après quarante ans, la conduite du peuple hébreu; que Samuel, élevé dans le temple, devint juge en Israël, et qu'Elisée et Ezéchiel, qui avaient tout quitté, reçurent le don de prophétie. La suite des faits prouve qu'il en avait été ainsi des apôtres, et qu'ils avaient eux-mêmes tout abandonné. C'est pourquoi l'Esprit-Saint vint en eux, parce qu'ils avaient fait preuve de vertu et de générosité. Ils avaient appris par leur propre expérience à connaître la faiblesse de l'homme, mais ils apprirent alors quel est le mérite de la pauvreté volontaire.
Saül reçut l'Esprit-Saint lorsque Samuel lui rendit témoignage qu'il était homme de bien. Mais personne ne l'a jamais reçu de la même manière que les disciples, pas même Moïse, le plus grand de tous les prophètes. Et en effet, il perdit quelque chose de sa plénitude, lorsque son esprit se reposa. sur Josué. Ici rien de semblable. Vous allumez à un brasier autant de lampes que, vous voulez, sans diminuer son volume ; et c'est ce qui arriva aux apôtres. Au reste, ce feu montrait moins l'abondance de la grâce qu'il ne signifiait la source même de l'Esprit-Saint où ils puisaient, et on peut y trouver un rapport réel avec cette parole du Sauveur : " Je donnerai à celui qui croira en moi, je lui donnerai une fontaine d'eau jaillissante jusqu'à la vie éternelle ". (Jean, IV, 14.) Or, il était bien à propos que la plénitude de l'Esprit-Saint se répandît sur les apôtres, car ils ne devaient point disputer avec un Pharaon, mais combattre contre le démon. Leur empressement à accepter cette lutte n'est pas moins admirable; ils ne s'autorisent point de l'exemple de Moïse pour dire que leur parole était lente et leur langue embarrassée, et ils n'allèguent point avec Jérémie leur inexpérience. Mais, quoiqu'ils aient entendu des prédictions plus effrayantes et plus élevées, ils n'osent se refuser à l'ordre du Seigneur. Nous pouvons donc en conclure qu'ils furent réellement des anges de lumière et les dispensateurs des vérités éternelles.
Jusqu'à ce jour les apôtres n'avaient été favorisés d'aucune vision céleste. Mais dès que l'homme-Dieu fut monté au plus haut des cieux, l'Esprit-Saint en descendit " pareil à un vent violent qui s'approche ". C'était déclarer aux apôtres que rien ne leur résisterait, et qu'ils disperseraient leurs ennemis comme une poussière légère. " Et il remplit toute la maison ". Cette maison figurait l'univers entier. " Et il s'arrêta sur chacun d'eux, et une grande multitude s'assembla et fut tout (586) étonnée ". Voyez la piété des apôtres: ils ne se hâtent pas,de parler et hésitent à rompre le silence. Les méchants, au contraire, s'écrient soudain : " Ces gens sont pleins de vin nouveau ". La loi ordonnait aux Juifs de se présenter au temple"troïs fois chaque année, et c'est pourquoi des hommes religieux de toutes les nations demeuraient à Jérusalem. Cette circonstance prouve combien l'auteur du livre des Actes cherche peu à flatter les Juifs. Et, en effet, il ne dit point qu'ils se soient exprimés en belles paroles, et il se contente d'écrire : " Ce bruit s'étant répandu, une grande multitude s'assembla et fut tout étonnée ".
Au reste, cet étonnement était tout naturel, car les Juifs croyaient que par la mort de Jésus-Christ tout était fini. Cependant leur conscience se troublait à la vue de ce sang dont leurs mains étaient encore toutes dégouttantes, aussi s'effrayaient-ils de tout : " Est-ce ", disent-ils, " que tous ceux qui parlent ne sont pas Galiléens? " Eh oui ! les apôtres étaient véritablement de la Galilée, et ils ne s'en cachaient pas. D'ailleurs le bruit de ce vent impétueux avait tellement saisi les esprits, qu'une grande multitude dé toutes les nations du monde s'était rassemblée. Quant aux apôtres, ils puisaient une nouvelle assurance dans ce fait, qu'ignorant l'idiome persan, ils apprenaient des Perses eux-mêmes qu'ils le parlaient. Saint Luc cite ici en particulier des peuples ennemis des Juifs pour annoncer que les apôtres devaient les soumettre au joug de l'Evangile.
3. Mais comme les Juifs étaient, à cette époque, dispersés au milieu des nations, il est vraisemblable que plusieurs gentils se trouvaient alors à Jérusalem, car la connaissance de la loi avait été répandue parmi eux. Ils étaient donc présents en grand nombre, et pouvaient rendre témoignage de ce qu'ils avaient entendu. Ainsi tous s'accordaient pour attester unanimement le prodige, les indigènes, les étrangers et les prosélytes. " Nous les entendons ", disent-ils, " parler en notre langue des grandeurs de Dieu ". C'est que la parole des apôtres n'était point une parole vulgaire, mais un langage sublime. C'est pourquoi ils hésitaient d'abord , car jamais semblable prodige ne s'était vu. Observez aussi parmi cette foule la probité des uns; ils s'étonnent, et expriment leur étonnement par cette exclamation : " Que veut dire ceci? Mais d'autres disaient en se moquant : Ils sont pleins de vin nouveau ". O impudence! Et toute s n'en soyons pas surpris, puisqu'ils ont bien dit que le Sauveur qui chassait les démons, était lui-même possédé du démon. (Jean, VIII, 48.) Ici comme toujours, l'intempérance de la langue ne cherche qu'à se répandre, et peu lui,importe qu'elle déraisonne; pourvu qu'elle parle.
" Ils sont pleins de vin nouveau " ; oui, c'est par l'effet d'une ivresse toute céleste que des hommes exposés à mille dangers, craignant la mort et plongés dans une profonde tristesse, osent tenir un tel langage. Au reste, il n'est pas inutile d'observer que ce reproche était si peu vraisemblable, que son énonciation seule prouvait "eux-mêmes étaient troublés par les fumées du vin. Ils expliquaient donc la conduite et le langage des apôtres, en disant: " Ils sont pleins de vin nouveau. Mais Pierre, se tenant debout avec les onze, éleva la voix et dit " : Vous avez admiré son esprit de sagesse dans l'élection de Matthias, admirez ici son courage. Et en effet, au milieu de cette stupeur et de cet étonnement général, ce n'était pas un prodige `moins surprenant qu'un homme simple et ignorant osât parler devant une aussi grande multitude. Car si quelquefois on se trouble dans un cercle d'amis, Pierre ne devait-il pas être tout interdit en s'adressant à des ennemis qui ne respiraient que le sang et le meurtre? D'ailleurs, le son seul de sa voix prouva que ni loi, ni ses collègues n'étaient ivres, et fit connaître qu'ils n'étaient point, comme les prêtres des idoles, agités de transports furieux, ou dominés par quelque violence extérieure. Que signifie cette parole : " avec les onze ? " Elle marque que tous avaient également reçu le don des langues, et que tous parlaient par là bouche de Pierre. C'est pourquoi les onze l'entourent, confirmant sa parole par leur témoignage. " Il éleva donc la voix et dit " : c'est-à-dire, qu'il s'exprima avec une rare intrépidité.
Or, Pierre n'agissait ainsi que pour faire comprendre aux Juifs quels miracles venait de produire la grâce de l'Esprit-Saint. Et en effet, ce même homme, qui avait tremblé à la voix d'une servante, parle hardiment au milieu d'un peuple nombreux qui ne respiré que le sang et le meurtre. Mais il fallait qu'il fût bien assuré de la résurrection de Jésus-Christ, pour qu'il en parlât avec une pleine assurance à des gens qui ne savaient que rire et se moquer.
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Eh ! n'était-ce donc point tout ensemble légèreté, impiété et impudence que d'attribuer à l'ivresse ce don merveilleux des langues? Mais cette froide raillerie ne troubla point les apôtres et ne les intimida point. Car la présence de l'Esprit-Saint les avait comme transformés et rendus supérieurs à tout sentiment bas et terrestre. Oui, quand l'Esprit-Saint remplit une âme, d'un vase de terre il en fait un vase d'or. Eh ! voyez Pierre ! Est-ce encore cet apôtre timide et insensé, auquel Jésus-Christ disait : " Et vous aussi êtes-vous sans intelligence ? et qu'il appelait Satan, même après son admirable profession de foi? (Matth. XV, 46 ; XVI, 23.)
Admirez également l'union qui règne entre tous les apôtres. Ils cèdent la parole à Pierre, parce qu'il né fallait pas que tous parlassent à la fois. " Pierre éleva donc la Voix " ; et il parla aux Juifs avec une grande hardiesse Voilà donc ce que c'est que d'être un homme spirituel, et pour que tout nous soit facile, il suffit que nous nous rendions dignes de recevoir les dons de l'Esprit-Saint. L'incendié qui rencontre des matières inflammables se nourrit et se développe avec une nouvelle rapidité, et dévore souvent ceux qui tentent d'arrêter ses progrès. C'est ce que l'on vit au jour de la Pentecôte; ou plutôt supposez un combat entre un homme qui porte un réchaud ardent, et un autre qui est tout chargé de paille et de foin, et vous comprendrez avec quelle supériorité les apôtres engagèrent la lutté. Le nombre de leurs adversaires les fit-il jamais reculer? N'avaient-ils pas à combattre l'indigence et la faim, la honte et l'infamie, l'insulte et là raillerie, car on les considérait comme de vils imposteurs? Tous ces maux fondaient sur eux, et ils étaient également en butte aux sarcasmes des uns et aux moqueries des autres. Nous les voyons encore exposés aux fureurs d'un peuple insensé, aux séditions et aux embûches; aux bûchers, aux glaives et aux bêtes féroces. De toutes parts on leur déclarait une guerre cruelle, et ils semblaient aussi insensibles à toutes ces persécutions que si elles n'eussent été qu'un rêve ou une ombre vaine. Que dis-je? Après avoir épuisé sur eux-mêmes toute la fureur de leurs ennemis, ils leur firent éprouver les mêmes anxiétés; car l'écrivain sacré nous les représente en proie à la colère et à la crainte, à l'incertitude et à la frayeur. C'est pourquoi ils s'écrient : " Voulez-vous donc faire tomber sur nous le sang de cet homme? " (Act. V, 28.)
Mais il n'est pas moins admirable de voir les apôtres nus et sans armes engager le combat contre des ennemis armés de toutes pièces, et lutter, faibles et infirmes, contre des princes qui avaient pour eux la puissance et l'autorité. Ignorants et peu orateurs, ils entraient en dispute avec des jongleurs et des magiciens, des sophistes, des rhéteurs et des philosophes qui avaient vieilli dans les chicanes de l'académie et du portique. Et cependant Pierre, qui n'avait fréquenté que les bords du lac de Génésareth, en triompha comme s'ils n'eussent été que des poissons muets. En vérité, il les vainquit avec autant de facilité qu'un pêcheur prend des poissons muets. Le fameux Platon, qui a débité tant de belles choses, se tait lui-même, tandis que Pierre parle aux Juifs, aux Parthes, aux Mèdes, aux Elamites, aux Indiens, et enfin à tous les peuples et aux nations les plus éloignées. Que devient aujourd'hui l'orgueil de la Grèce, le nom d'Athènes, et les rêve ries de ses philosophes? Pierre de Galilée, Pierre de Bethsaïde, Pierre t'ignorant les a tous surpassés. Mais, je vous en conjure, ne rougissez point de la patrie ni du nom de votre vainqueur; car, si vous voulez savoir son nom, il s'appelle Pierre, et ce vous sera une nouvelle confusion. Ce qui vous a perdu, c'est que vous avez méprisé la simplicité, et trop exalté l'éloquence. Vous vous êtes trompés de route, et ana lieu dé suivre la voie royale , facile et unie, vous avez pris un sentier rude, escarpé et difficile. Aussi n'avez-vous pu arriver au royaume des cieux.
4. Pourquoi donc, me direz-vous, Jésus-Christ ne s'est-il pas, de préférence, révélé à Platon, ou à Pythagore ? Parce que Pierre montrait plus de dispositions pour cette divine philosophie. Car les premiers n'étaient que des enfants, et ne recherchaient que la vanité de la gloire humaine ; le second, au contraire, était un homme mûr, et vraiment ami de la sagesse. Aussi était-il capable de recevoir les dons de la grâce. Vous riez peut-être de mes paroles, et je ne m'en étonne point, car les Juifs aussi se moquaient des apôtres, et disaient qu'ils étaient pleins de vin nouveau. Mais lorsque; quelques années après, ils furent en proie aux maux les plus extrêmes, et qu'ils virent la prise de Jérusalem et la démolition de ses murailles, l'incendie du temple et ces calamités (588) qu'on ne peut décrire, ils n'eurent plus envie de rire. Eh bien ! vous aussi, vous ne rirez plus au jour du jugement, et en face des feux de l'enfer.
Mais pourquoi parler de l'avenir? Désirez-vous connaître quel a été Pierre et quel a été Platon? Etudions leur conduite, leurs moeurs et leur doctrine. Platon a consacré son existence à formuler des aphorismes vains et inutiles. Car de quelle utilité m'est-il de savoir que l'âme d'un philosophe se transforme en mouche? En vérité, si l'âme de Platon n'a pas été transformée en mouche, du moins elle n'a pas bourdonné moins pertinemment qu'une mouche. Quelles niaiseries ! Et un esprit sage peut-il débiter de semblables rêveries ! Au reste, Platon était naturellement ironique et jaloux de tous. C'est pourquoi il s'est comme attaché à ne produire rien d'utile, ni par lui-même, ni par les autres. Ainsi il a emprunté à Pythagore le dogme de la métempsycose et a promulgué lui-même la théorie d'une république dont plusieurs lois sont infâmes. Que les femmes, dit-il, soient communes; que les jeunes filles paraissent nues devant les jeunes gens, et que les parents et les enfants ne se connaissent point. Est-il rien de plus insensé?
Mais en voilà assez pour Platon. Dans le christianisme, au contraire, ce n'est plus la nature, mais la philosophie de Pierre qui, au nom de la charité , déclare que tous les hommes sont frères, et corrige ainsi la doctrine scandaleuse de Platon. Car celui-ci ne cherchait qu'à introduire dans la famille un adultère et à faire rejeter le véritable père. N'était-ce pas plonger l'âme dans l'ivresse et la fange des passions? Aussi disait-il avec une cynique hardiesse : Que les femmes soient communes. Si je rapportais les théogonies des poètes, on m'accuserait de débiter des fables, mais ces philosophiques rêveries ne sont-elles pas plus ridicules encore ? Et jamais les poètes ont-ils propagé d'aussi monstrueuses doctrines? Ce prince des philosophes transforme encore la femme en amazone et l'arme d'un casque et d'une cuirasse. Enfin, il ose dire que l'homme et le chien sont une seule et même espèce, parce que dans l'un comme dans l'autre, il y a union des deux sexes. Peut-on déraisonner plus cyniquement !
Mais ici, je ne puis que reconnaître l'action du démon qui s'efforce de prouver que l'homme est l'égal de la bruite; et c'est par son inspiration que des philosophes ont accrédité cette absurde et dangereuse doctrine, et qu'ils ont dit que la brute était, comme l'homme, douée de raison. Eh ! voyez quel désordre règne parmi eut sur la question de l'âme. Les plus savants ont dit que notre âme se transformait en mouche, en chien et en bête; et leurs successeurs, rougissant d'une telle doctrine, sont tombés dans une autre non moins honteuse. Car ils veulent que l'animal entre en partage de la raison humaine, et ils nous montrent comme plus excellentes que l'homme les créatures qui ont été faites pour son service. Que dis-je? Ils leur accordent même le don de prescience et le sentiment religieux. Le corbeau et la corneille, disent-ils, connaissent Dieu, et comme les prophètes, ils prédisent l'avenir. Les chiens, au témoignage de Platon, forment une véritable république qui a ses lois, qui observe la justice, et qui même connaît la jalousie. Peut-être ne m'en croyez-vous pas? Je n'en suis pas surpris, car vous êtes nourris des saines doctrines du christianisme; et, accoutumés à ces viandes délicieuses, vous ne pouvez regarder comme un homme celui qui se repaît de telles ordures.
Mais lorsque nous reprochons aux païens ces fables insipides,- ils nous répondent que nous ne les comprenons pas. Ah ! plaise au ciel que jamais nous ne comprenions de pareilles inepties ! Au reste, il ne faut pas être bien savant pour découvrir l'abîme où nous conduisent cette impiété et cette confusion de toutes choses. Comme le corbeau, vous répétez, ô insensés, ce que vous n'entendez pas vous-mêmes, et vous agissez en enfants, car vous êtes de véritables enfants. Mais Pierre tient un tout autre langage, et sa parole est comme une vive lumière qui chasse les ténèbres et dissipe la nuit ,profonde qui enveloppait l'univers. Et muant à son mérite personnel, que dirai-je de sa douceur et de sa charité? Combien il était éloigné de tout sentiment de vanité; et quoiqu'il ressuscitât les morts, il regardait le ciel avec une humble simplicité. Si jamais un de ces prétendus philosophes eût pu, par des opérations magiques, produire quelque chose qui ressemblât à un tel miracle, n'eût-il pas immédiatement exigé qu'on l'honorât comme un Dieu et qu'on lui dressât des autels et des temples? Mais les apôtres opèrent chaque jour ces miracles, et ils n'imaginent rien de semblable.
589
Que sont, en réalité, les divinités du paganisme:
Minerve, Apollon et Junon? Des démons qui se font adorer sous ces
divers noms. Et est-il un roi idolâtre qui ne désire mourir
pour obtenir les honneurs de l'apothéose? Combien la conduite des
apôtres est opposée ! Car, écoutez ce que disent Pierre
et Jean après la guérison du boiteux: " Hommes d'Israël,
pourquoi nous regardez-vous , comme si par notre vertu ou notre puissance
nous avions fait marcher cet homme ? " Et dans une autre circonstance,
ils s'écrient : " Nous sommes mortels et hommes comme vous ". (Act.
III, 12; XIV, 14.) Dans les philosophes, au contraire, tout est orgueil,
arrogance et recherche de la gloire ; le vrai amour de la philosophie ne
dirigea jamais leur conduite. Or, dès qu'on n'agit que par désir
de la gloire, tout se ressent de cet esprit vil et grossier; et quelles
que soient d'ailleurs ses qualités extérieures, le philosophe
qui ne possède pas celle-ci, n'est point véritablement ami
de la sagesse; il n'est que l'esclave d'une violente et honteuse passion.
Mais le mépris de la gloire humaine est bien propre à nous
enseigner la vertu et à chasser de notre âme toute affection
vicieuse. Je vous exhorte donc à faire tous vos efforts pour guérir
en vous cette maladie, car c'est le seul moyen de nous rendre agréables
à Dieu et d'attirer sur nous le bienveillant regard de cet oeil
qui ne se ferme jamais. Ainsi, employons tous nos soins à acquérir
les dons célestes, à fuir les maux présents et à
mériter les biens éternels, par la grâce et la bonté
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père
et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant, toujours
et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
HOMÉLIE V. HOMMES DE LA JUDÉE, ET VOUS TOUS QUI, HABITEZ
JÉRUSALEM, APPRENEZ CECI ET PRÊTEZ L'OREILLE A MES PAROLES.
(ACT. II, 44, JUSQU'AU VERS. 21.)
ANALYSE. 1. L'orateur explique le discours de l'apôtre saint
Pierre, et en fait voir toutes les beautés d'ensemble et de détail.
— D'abord ce n'est plus cet homme timide qui tremblait à la voix
d'une servante, mais c'est un apôtre plein d'une noble hardiesse
et d'une mâle éloquence.
2. L'application de la prophétie de Joël à la conversion des gentils lui fournit ensuite d'heureux développements, et l'annonce qu'elle contient de la ruine de Jérusalem lui en fait tracer un lugubre et effrayant tableau.
3. Mais si le Seigneur châtie ainsi ses ennemis sur la terre, quels seront les supplices de l'enfer? Et quoique ce sujet soit peu agréable à ses auditeurs, il est obligé de le traiter pour satisfaire aux devoirs de sa charge.
4. De là l'orateur est amené à se comparer au magistrat sévère qui maintient l'ordre dans la cité, et que le peuple maudit quelquefois, tandis qu'il n'a que des louanges et des applaudissements pour le riche citoyen qui lui prodigue les fêtes et les jeux. — Mais lequel des deux est réellement le plus utile ? — Le doute n'est pas possible ; et de même l'évêque qui explique la loi divine, et qui montre la terrible sanction dans les menaces de l'enfer, est le vrai père de son peuple. — Celui-ci ne doit donc point murmurer contre lui, mais profiter de ses avis pour acquérir les biens éternels.
1. Pierre s'adresse ici à cette foule d'étrangers qui étaient. accourus, mais, en leur parlant, il ne néglige pas de réfuter ses calomniateurs. Car la divine Providence n'avait permis leurs amères critiques que pour donner à l'apôtre l'occasion de se défendre et d'annoncer l'Evangile. Et parce qu'ils se glorifiaient beaucoup d'habiter Jérusalem , il leur dit: " Apprenez (590) ceci, et prêtez l'oreille à mes paroles ". Ce langage ne pouvait que les rendre attentifs et les disposer à écouter favorablement sa défense. " Non, ces hommes ne sont point ivres, comme vous le pensez ". Que ce langage est doux et bienveillant ! Pierre avait pour lui la plus grande partie du peuple, et néanmoins il n'adresse à ses critiques que de bienveillantes paroles. Il écarte d'abord tout mauvais soupçon à leur égard, et n'établit sa propre défense qu'en second lieu. Aussi ne dit-il pas, comme vous vous l'imaginez par une supposition insensée, ou une froide plaisanterie, mais " comme vous le pensez ". Il donne ainsi à entendre qu'ils ne parlent point sérieusement, et il semble imputer leur faute bien plus à l'ignorance qu'à la malice.
" Non, ces hommes ne sont pas ivres, comme vous le pensez, puisqu'il n'est que la troisième heure du jour ". Cette raison est-elle péremptoire? et les apôtres ne pouvaient-ils, en effet, s'être enivrés à la troisième heure du jour? Sans doute, ils l'eussent pu; mais, sans beaucoup insister sur cette circonstance, Pierre se borne à nier le fait qu'alléguaient ses détracteurs; et cette réserve nous apprend à ne pas beaucoup parler hors de la nécessité. Au reste, la suite de son discours confirme cette assertion, et désormais il s'adresse à tous : " Mais c'est ce qui a été prédit par le prophète Joël , dans les derniers temps, dit le Seigneur ". (Joël, II, 28.) L'apôtre ne nomme pas encore le Christ, et, sans faire mention de sa promesse, il rapporte tout au Père; c'est de sa part une profonde habileté. Il évite donc d'insister de prime abord sur ce qui concernait Jésus-Christ, et de rappeler les promesses qu'il leur avait faites après sa mort sur la croix; car t'eût été ruiner par avance tout le succès de sa prédication. Mais les apôtres ne pouvaient-ils pas, me direz-vous, prouver sa divinité? Oui, sans doute, si vous supposer la foi en sa mort et sa résurrection. Mais en ce moment c'était ce qu'il fallait faire croire; et, en parler inconsidérément, c'était s'exposer à se faire lapider.
" Je répandrai de mon Esprit sur toute chair ". Il leur donnait ainsi de bonnes espérances, car, s'ils le voulaient, ils pouvaient, eux aussi , recevoir ce divin Esprit. Mais il les avertit en même temps qu'ils n'en jouiront pas exclusivement, afin de ne pas exciter contre eux la jalousie des gentils; et, pour couper dans sa racine toute pensée d'envie, il ajoute : " Et vos fils prophétiseront ". C'est comme s'il leur eût dit : Cette miraculeuse effusion de l'Esprit-Saint n'est ni votre bien, ni votre gloire exclusifs, mais la grâce en passera jusqu'à vos enfants. Par honneur il leur donne le nom de pères, et il appelle leurs fils ceux qui devaient être disciples de l'Evangile. Et vos jeunes gens auront des visions, et a vos vieillards auront des songes. Et, en ces jours-là, je répandrai mon Esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes, et ils prophétiseront ". C'était adroitement leur insinuer qu'eux, les apôtres, étaient approuvés de Dieu, puisqu'ils avaient mérité de recevoir l'Esprit-Saint, tandis que les Juifs en étaient rejetés, parce qu'ils avaient crucifié le Seigneur Jésus.
Autrefois Jésus-Christ, pour apaiser l'irritation des Juifs, leur disait : " Par qui vos enfants chassent-ils les démons? " (Matth. XII, 27.) Il ne disait pas, mes disciples, afin d'éviter tout soupçon de s'encenser lui-même; et c'est ainsi que Pierre ne dit pas nous ne sommes pas ivres, mais nous parlons sous l'inspiration du Saint-Esprit. Observons aussi qu'il ne se borne pas à alléguer ce fait, mais qu'il l'appuie sur l'autorité d'un prophète. Aussi, cette autorité le remplit-elle de force et de courage. Sa simple parole avait suffi pour repousser l'accusation d'ivresse ; mais, quand il s'agit d'attester l'effusion de la grâce, il invoque l'autorité d'un prophète. " Je répandrai ", dit le Seigneur, " de mon Esprit sur toute chair ". Cette expression générale se rapporte à ce que Dieu instruisait ses prophètes ou par songe, ou par une révélation manifeste. L'apôtre aborde ensuite ce passage assez terrible de la prophétie : " Et je ferai paraître ", dit le Seigneur, " des prodiges dans le ciel, et des miracles sur la terre ". Ces paroles désignent le jugement dernier et la ruine de Jérusalem. " Je ferai paraître du sang et du feu, et une colonne de fumée; et le soleil sera changé en ténèbres, et la lune en sang ". Quel tableau ! et quelles affreuses calamités ! Ces lugubres emblèmes représentent les maux extrêmes qui arriveront au dernier jour; et néanmoins, l'historien Josèphe raconte que plusieurs prodiges de ce genre parurent dans les airs, et annoncèrent les désastres de la Judée.
Cependant, l'apôtre répand parmi ses auditeurs un vif sentiment de crainte, en leur rappelant ces épaisses ténèbres et l'attente du jugement. " Car elles précéderont le grand "jour dit Seigneur ". C'était leur dire : ne vous abusez pas en croyant que vous pouvez pécher impunément. Et telle est la conclusion de cette annonce du jour grand et terrible du Seigneur. Eh bien ! a-t-il remué les consciences, et changé les rires en remords? Et, en effet, si déjà les pronostics de ce jour éclatent, les périls des derniers temps sont donc proches. Mais quoi ! va-t-il prolonger cet effrayant langage? Nullement; il permet à ses auditeurs de respirer, et continue ainsi : " Et il arrivera que quiconque invoquera le nom du Seigneur, sera sauvé ". Selon saint Paul, cette parole désigne Jésus-Christ ; mais, par prudence, Pierre ne le dit pas manifestement. (Rom. X, 13.)
Et maintenant, si nous revenons sur ses premières paroles, nous observerons qu'il s'est élevé avec force contre ses critiques et ses railleurs. " Apprenez ceci ", leur a-t-il dit, " et prêtez l'oreille à mes paroles ". En s'adressant à eux, il leur avait dit : " Hommes de la Judée ". C'est-à-dire, selon moi, vous qui habitez dans la Judée. Mais voulez-vous connaître combien Pierre est aujourd'hui changé? rappelons-nous ce passage de l'Evangile. " Une servante s'approcha de lui, disant : Et toi, tu étais avec Jésus de Nazareth. Mais il répondit: Je ne connais point cet homme. Et, interrogé de nouveau, il commença à faire des serments et des imprécations ". (Matth. XXVI, 69, 72.)
2. Admirez aussi l'assurance et la noble franchise de sa parole. Il ne loue point ceux de ses auditeurs qui avaient dit : " Nous les entendons parler en notre langue des grandeurs du Dieu "; et il se borne à exciter davantage leur zèle par la sévérité dont il use envers ses détracteurs. Ainsi son langage ne laisse apercevoir aucune trace de flatterie, et une remarqué qui se justifie toujours, c'est que son discours, quoique rempli d'une extrême bienveillance, présenté le rare mérite d'éviter également l'adulation et. l'injure. Ce n'est pas non plus sans une profonde raison que le prodige de la Pentecôte s'effectua à la troisième heure du jour, car à ce moment le soleil brille, les plaisirs de la table ne nous retiennent plus, et les charmes du jour et de la conversation attirent tous les hommes sur la place publique.
Au reste, le langage de Pierre respire une noble franchise. " Prêtez l'oreille à mes paroles ". Et aussitôt, sans rien dire de lui-même, il ajoute : " Ceci est ce qui a été dit par le prophète Joël, dans les derniers temps ". Il indique ainsi, par cette expression un peu emphatique, que la réalisation des menaces divines est peu éloignée, et, pour ne point paraître la fixer à la seconde génération , il ajoute : " Et vos vieillards auront des songes ". Voyez l'admirable enchaînement de ses paroles. D'abord il a nommé les fils, à l'exemple de David qui a dit : " A la place de vos pères, il vous est né des enfants ". (Ps. XLIV, 17.) Et Malachie dit également : " Il ramènera le coeur des pères à leurs enfants ". (Malach. IV, 6.)
" Je répandrai de mon Esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes ". Ces paroles nous révèlent toute la force de cet Esprit divin qui, en nous délivrant du péché, nous attache à son service. Eh ! quelle n'est pas l'excellence de ce don qui se communique même au sexe le plus faible, dans une large proportion, et noir à quelques individus seulement, comme autrefois à Débora et Holda. Mais observez que Pierre évite de dire que cet Esprit dont parle le prophète est l'Esprit-Saint , et qu'il néglige ainsi d'expliquer les termes de la prophétie. Il se contente de la citer, parce que cette citation suffit à son but. Il se tait également sur Judas, dont tout le monde connaissait la triste fin, et il pense avec raison, qu'à l'égard des Juifs, l'autorité du prophète Joël est l'argument le plus péremptoire. Et, en effet, aux yeux des Juifs, les prophéties l'emportaient sur les miracles. Aussi les voyons-nous contredire ceux de Jésus-Christ, et se taire quand il leur allègue une prophétie. Un jour il leur dit : " Le Seigneur a dit à mon Seigneur, asseyez-vous à ma droite " (Ps. CIX, 1 ; Matth. XXII, 42) ; et ils furent si confus qu'ils n'osèrent plus répondre. C'est pourquoi, et il est facile de le vérifier, le Sauveur ne négligeait aucune occasion de leur citer les saintes Ecritures, comme lorsqu'il leur dit : " L'Ecriture appelle dieux ceux auxquels la parole de Dieu est adressée ". (Jean, X, 35.) C'est donc à l'exemple de son divin Maître que Pierre cite cette prophétie : " Je répandrai de mon Esprit sur toute chair ", (592) c'est-à-dire, sur les gentils. Mais -il ne révèle rien et n'explique rien, parce que l'obscurité même de la prophétie servait ses projets. " Je ferai paraître des prodiges dans le ciel ". Le vague de cette menace était bien propre 'à épouvanter les esprits, et toute explication en eût diminué la salutaire terreur. Il se tait donc sur cette prophétie , comme étant par elle-même assez claire , et facile à comprendre. D'ailleurs , il se réserve de l'expliquer en parlant de la résurrection, et il y dirige l'enchaînement de son discours. Ainsi son silence est volontaire et réfléchi, parce que la promesse d'un heureux 'avenir eût été impuissante pour attirer les Juifs à l'Évangile. Ajoutez encore que nul n'échappera aux désastres du dernier jour, tandis que sous Vespasien les chrétiens évitèrent la mort. Et c'est à cette fuite que se rapportent ces paroles du Sauveur : " Si ces jours n'eussent été abrégés, toute chair eût été détruite ". (Matth. XXIV, 22.) Le premier malheur des Juifs fut, en effet, cette ligne de circonvallation qui prit, comme dans un filet, tous les habitants de Jérusalem, et le second fut la ruine et l'incendie de la ville.
L'apôtre continue ensuite la métaphore, et met, comme sous les yeux de ses auditeurs, la désolation de Jérusalem : " Le soleil ", dit-il, " se changera en ténèbres et la lune en sang". Que signifie ce changement de la lune en sang? Il me paraît indiquer un effroyable carnage; et ce langage était bien propre à consterner tous les esprits. " Et quiconque invoquera le nom du Seigneur, sera sauvé ". Quiconque, dit-il; c'est-à-dire, sans qu'il l'explique, le prêtre, l'esclave et l'homme libre. " Car il n'y a plus en Jésus-Christ d'homme ni de femme, d'esclave ni d'homme libre ". (Gal. III, 28.) Et certes, toutes distinctions sont avec raison abolies sous l'Évangile, de même qu'elles subsistaient sous la loi mosaïque, parce qu'elle n'était que figurative. Et en effet, si, dans le palais impérial, le noble ne se distingue point du plébéien, et si chacun ne s'illustre que par ses oeuvres et se recommande par son service, combien plus doit-il en être ainsi dans le christianisme ! " Quiconque invoquera le nom du Seigneur ". Ce n'est pas sans raison que le prophète emploie ce terme; car Jésus-Christ nous assure que " tous ceux qui lui disent : " Seigneur, Seigneur, ne seront point sauvés ", et qu'il n'y aura d'élus que ceux qui le lui diront avec ce véritable amour qui repose sur une bonne vie et une grande confiance. Au reste, l'apôtre ne décourage point ses auditeurs, bien qu'il leur révèle de profonds mystères et qu'il ne leur cache point les terreurs des supplices éternels. Et comment? Parce qu'il leur montre le salut dans l'invocation du nom du Seigneur.
3. Que dites-vous, ô grand apôtre? Vous placez le salut à côté de la croix ! Attendez un peu, et vous connaîtrez combien est grande la miséricorde du Sauveur Jésus. Car la vocation des gentils n'est pas une preuve moins éclatante de sa divinité que sa résurrection et ses miracles. Souvenez-vous aussi qu'un des attributs de Dieu est d'être infiniment bon; aussi Jésus-Christ dit-il : " Nul n'est bon, si ce n'est Dieu seul ". (Luc, XVIII, 19.) Mais il punit également en Dieu, en sorte que sa bonté ne doit point favoriser en nous la paresse et la négligence. C'est ce que nous apprend admirablement l'apôtre quand il dit : " Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé ".
Et maintenant je veux, en parlant de la ruine de Jérusalem et de l'effroyable vengeance que le Seigneur en tira, vous prémunir contre les marcionites et plusieurs autres hérétiques. Ils disent qu'en Jésus-Christ le Dieu était bon, et que l'homme était mauvais. Or, qui est l'auteur de ces maux? L'homme mauvais a-t-il vengé le Dieu bon ? Nullement. C'est donc un être qui lui est étranger, ou bien le Dieu bon a fait ainsi éclater ses vengeances. Mais alors il est manifeste qu'il faut les rapporter au Père non moins qu'au Fils. C'est ce que prouvent, pour le Père, plusieurs passages de l'Évangile, et spécialement celui-ci où il est dit que le père de famille détruira sa vigne. (Matth. XXI, 41.) Il est également écrit du Fils qu'il fait ce commandement à ses serviteurs " Quant à mes ennemis qui n'ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les et faites-les mourir devant moi ". (Luc, XIX, 27.)
Dans un autre endroit, Jésus-Christ annonce les calamités qui accableront Jérusalem, calamités inouïes jusqu'alors, et qu'il prédit lui-même. Voulez-vous que je vous en rappelle quelques traits? On vit une mère, épouvantable atrocité ! faire rôtir son propre enfant. Et quoi de plus lamentable qu'un tel fait ! Faut-il décrire les horreurs de la famine et de la peste ? Et il y eut des horreurs plus grandes encore. On foulait aux pieds les lois de la nature et (593) celles de l'humanité, et les hommes se montraient plus cruels que les bêtes féroces. Or tous ces maux furent amenés par cette guerre sanglante que permirent le Seigneur et son Christ. Ces faits sont un bon argument contre les marcionites et contre ceux qui nient l'existence de l'enfer; et on peut s'en servir utilement pour confondre leur impudence. Et puis , cette dernière désolation ne surpasse-t-elle pas celle de la captivité; et la famine qu'elle occasionna ne fut-elle pas plus cruelle qu'à cette époque? Certainement; et c'est de tous ces maux que Jésus-Christ lui-même a dit : " Cette tribulation sera telle qu'on n'en a jamais vu et qu'on n'en verra jamais de semblable ". (Matth. XXIV, 21.)
Comment donc quelques-uns disent-ils que Jésus-Christ a remis aux Juifs la peine de leur déicide ? Cette objection est peu grave, et vous pouvez facilement la résoudre. Au reste, on ne pourrait ici rien inventer qui approchât de la réalité; et si le récit que nous en possédons était dû à une plume chrétienne, il serait permis de le soupçonner d'exagération. Mais on ne saurait s'inscrire en faux contre sa véracité, puisqu'il a pour auteur un Juif, très attaché à sa nation, et qui écrivait après 1a promulgation de l'Evangile.On voit en effet que dans toutes circonstances il s'attache à relever ses concitoyens. Concluons qu'il existe un enfer, et que Dieu est bon. Le récit des malheurs de Jérusalem vous a remplis d'effroi; eh ! que sont ces maux en comparaison des supplices de l'enfer? Mais voilà que de nouveau je vous deviens fâcheux et importun. Que faire à cela? Ma position l'exige. Un évêque ressemble à un maître sévère qui encourt la haine de ses élèves. Mais, puisque les ministres d'un roi exécutent ses ordres, même les plus rigoureux, ne serait-il pas absurde que, pour vous complaire, je négligeasse les devoirs de ma charge?
Chacun a son oeuvre à remplir; et le devoir du plus grand nombre est de se secourir mutuellement dans un esprit de compassion et de bienveillance, de douceur et de bonté. Le pasteur, au contraire, pour être utile à son troupeau, doit se montrer dur et sévère, fâcheux et importun. Car il fera le bien par d'austères remontrances plus que par d'agréables compliments. Tel est aussi le sort du médecin; et toutefois il est moins rude, parce que les bienfaits de son art se réalisent soudain, tandis que ceux de l'évêque se réservent pour l'éternité. Ainsi encore, le juge est odieux aux malfaiteurs et aux séditieux, et le législateur est importun à ceux que gêne la loi. Mais un accueil bien différent est réservé à celui qui flatte le peuple, qui l'amuse et qui lui préparé des jeux et des fêtes. Et en effet, quels applaudissements ne reçoivent pas ces riches citoyens qui donnent les jeux publics et se ruinent en prodigalités ! Aussi le peuple reconnaissant célèbre-t-il leurs louanges , et par honneur il tend les rues de riches tapisseries, illumine les maisons, porte des palmes et leur offre des couronnes et de somptueux vêtements. Le malade, au contraire, s'attriste en voyant le médecin, et le séditieux devient humble en présence du juge : il perd soudain sa pétulance et son audace, parce qu'il sait que le devoir de ce juge est de le châtier.
Mais examinons qui est plus utile à une cité, ou l'édile qui fournit aux dépenses des jeux, du théâtre et des repas publics, ou le magistrat qui, an lieu de ces pompes superflues, s'entoure de chevalets, de fouets, de bourreaux et de soldats terribles, qui prononce des paroles sévères et des arrêts rigoureux, et qui commande à ses licteurs d'écarter (lu forum une foule tumultueuse. Eh bien ! examinons quels résultats amènent deux conduites si opposées. Le magistrat est un homme odieux et t'édile est un galant homme. Mais que produisent le fêtes qu'il prodigue? De froids plaisirs qui durent jusqu'au soir et s'évanouissent avec l'aurore; des rires indécents et des paroles libres et légères. Eh ! que doit-on au magistrat? La. crainte et la tempérance, la soumission de l'esprit et la retenue des moeurs, l'amour du travail, la répression des mauvaises passions de l'âme, est un rempart contre les désordres extérieurs. Sous l'égide de ces vertus, chacun jouit tranquillement de sa fortune, tandis que le régime contraire la dilapide dans les jeux et les fêtes ; et si des voleurs ne nous l'enlèvent pas, le plaisir et l'ostentation nous la ravissent. Cependant on s'aperçoit bien qu'on est volé, mais on ne laisse pas que d'en rire. Ce sont des voleurs d'un genre tout nouveau : ils dépouillent leur victime et puis lui persuadent qu'elle doit s'en réjouir.
4. Mais dans la religion, rien de semblable, et le Seigneur, qui est le père de tous, nous prescrit le secret de nos bonnes oeuvres, et même de nos bonnes intentions. Car il a dit :
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" Prenez garde de faire l'aumône devant les hommes ". (Matth. VI, 1.) Le chrétien y apprend donc à fuir toute injustice. Car il y a également injustice à dérober le bien d'autrui, et à se plonger dans les excès de la table, ou à s'abandonner à une joie effrénée et dissolue. Il y apprend encore à garder la chasteté, et à éviter l'impureté, puisque ce péché se commet même par un simple regard. Il y apprend enfin à pratiquer la modestie et à repousser le faste et l'orgueil, et il n'oublie point, selon la parole de l'apôtre, que : " si tout lui est permis, tout n'est pas expédient ". (I Cor. VI,12.) En un mot, l'Eglise est l'école des vertus, et le théâtre celle des vices. Mais laissons ce sujet, et je me borne à vous dire que les fêtes du monde sont plus fécondes en chagrins qu'en véritables plaisirs. Il suffit, pour nous en convaincre, de considérer au lendemain d'une fête, celui qui en a fait les frais, et ceux qui y ont pris part. Tous, et surtout le premier, nous les verrons tristes et abattus. Et en effet, le jour précédent, le peuple se livrait à une folle gaîté, et il se réjouissait sous un riche vêtement; mais, comme il ne lui appartenait pas, il s'attriste aujourd'hui, et s'afflige de ne plus le posséder. Quant à celui qui a fait les frais de la fête, il se croyait moins heureux que ses joyeux convives : mais le lendemain, ceux-ci n'ont qu'à rendre les habits qu'on leur avait prêtés, tandis que lui-même tombe dans un profond chagrin. Ah ! si, dans les choses extérieures, la joie enfante la tristesse, et le malheur l'utilité, à plus forte raison en est-il ainsi dans les choses spirituelles !
C'est pourquoi personne ne s'irrite contre les lois, et même tous les regardent comme protectrices de la sûreté publique; car elles ne sont point l'ouvrage de législateurs étrangers, ou ennemis, mais l'oeuvre des citoyens, des édiles et des tuteurs de la cité. Tous, ils ont cru bien mériter de la patrie en établissant ces lois, et cependant elles renferment des peines et des châtiments; car, toute loi contient une sanction pénale. Mais, n'est-il pas absurde. de décerner aux législateurs humains les noms de sauveurs, de bienfaiteurs et de protecteurs, et d'appeler dur et fâcheux l'évêque qui vous explique les lois divines? Oh! quand je vous parle de l'enfer, que fais-je, sinon de vous exposer la, sanction de ces lois? Les législations de la terre édictent des peines sévères contre l'homicide, le vol, l'adultère et autres crimes semblables; pourquoi donc murmurer si je mets sous vos yeux les supplices dont vous menace, non un homme, mais Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu ? Que celui, dit-il, qui est sans miséricorde, soit rigoureusement puni. Car, telle est la conclusion de la parabole sur le pardon des ennemis. Que celui, ajoute-t-il, qui garde le souvenir d'une offense, subisse le dernier supplice; que celui qui s'irrite sans motif soit jeté dans le feu, et que celui qui injurie son frère, soit condamné aux peines de l'enfer !
Au reste, ne vous troublez point si ces lois vous paraissent nouvelles ; car Jésus-Christ n'est venu sur la terre que pour y apporter une nouvelle législation. Et en effet, la raison seule nous dit que l'homicide et l'adultère doivent être punis ; et, si l'Evangile ne contenait pas une autre défense, il eût été inutile qu'un législateur divin nous l'eût apporté. Aussi ne dit-il pas : Que l'adultère soit puni, mais bien celui qui se permet même un regard mauvais, et il spécifie le lieu et le genre du supplice. Jésus-Christ n'a point écrit son Evangile sur des tables de pierre, et il ne l'a point gravé sur des colonnes de bronze; mais il a surnaturalisé l'âme des douze apôtres, et par l'opération de l'Esprit-Saint, il y a gravé ces lois que nous vous faisons connaître. C'était le devoir des prêtres à l'égard des Juifs, afin que nul ne prétextât son ignorance, et à plus forte raison est-ce le mien? Si quelqu'un disait: Je n'écouterai pas, et ainsi je ne serai point jugé; il devrait s'attendre à un châtiment plus rigoureux, car son excuse ne serait valable qu'en l'absence dé toute instruction. Mais, puisqu'un évêque instruit son peuple, elle n'est plus recevable. Souvenez-vous donc que Jésus-Christ lui-même a condamné les Juifs : " Si je n'étais pas venu ", disait-il, " et si je ne leur eusse pas parlé , ils ne seraient pas coupables ". (Jean, XV, 22.) L'apôtre s'écrie également : " Que dis-je ? Est-ce qu'ils n'ont pas entendu la parole du salut? Sans doute; car la voix des apôtres a retenti par toute la terre ". (Rom. X, 18.)
Alléguez donc votre ignorance, si personne ne vous prêche la doctrine évangélique. Mais quand l'évêque est assis dans sa chaire, et qu'il remplit son devoir , vous n'avez plus d'excuse. J'ajoute aussi que Jésus-Christ, qui a établi dans son Eglise les apôtres, comme autant de colonnes de la vérité, a voulu honorer (505) les évêques du même privilège. Et si nous nous sommes rendus indignes de comprendre les sublimes inscriptions que portent ces colonnes, fixons du moins sur elles un regard respectueux. Les colonnes, non plus que les lois, ne sont coupables des menaces qu'elles profèrent contre les malfaiteurs ; et il en est ainsi des bienheureux apôtres. Mais l'Eglise, qui est la colonne de vérité, ne se dresse pas dans un seul lieu, et ses inscriptions sont répandues dans le monde entier. Passez jusqu'aux Indes, et vous les entendrez publier; avancez jusqu'à l'Espagne, et jusqu'aux limites de l'univers, et vous ne trouverez personne qui, avec un peu de bonne volonté, ne parvienne à les connaître. Ne murmurez donc point contre ces lois divines, mais efforcez-vous de pratiquer les vertus chrétiennes, afin que vous puissiez obtenir les biens éternels, par Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui soit, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
FIN DU TOME HUITIÈME.
HOMÉLIE VI. HOMMES D'ISRAEL, ÉCOUTEZ CES PAROLES. (ACT.
II, 22, JUSQU'AU VERS. 36.)
ANALYSE. 1. Saint Chrysostome développe habilement l'art et
le tact exquis avec lesquels saint Pierre propose à ses auditeurs
les grands mystères de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ.
Il glisse légèrement sur le premier, comme étant un
fait public, et s'appuie pour prouver le second sur l'autorité de
David, dont les prophéties étaient connues et respectées
de tous.
2. Revenant ensuite sur l'explication des premiers versets de ce discours, l'orateur fait ressortir la force du témoignage qu'allègue l'apôtre en faveur de la résurrection de Jésus-Christ, et le montre assis dans les cieux sur un trône de gloire, régnant sur ses ennemis, et envoyant l'Esprit-Saint à ses apôtres. — Cependant, pour ne pas offusquer ses auditeurs, Pierre, comme l'observe saint Chrysostome, signale principalement ici l'action du Père, se contentant de faire entendre que le Fils étant Dieu comme lui, participe également à cet envoi.
3. Mais si Dieu le Père a établi dans les cieux le règne de son Fils, c'est afin de nous faire part de son royaume; et cependant les chrétiens méprisent ce royaume, et courent encenser le démon qui les conduit à l'enfer. — Ici l'orateur trace un éloquent parallèle entre la conduite du Seigneur et celle du démon; et entre l'homme doux et patient et celui qui habituellement se livre à tous les transports de la colère.
4. L'âme de l'un, calme et sereine, ressemble à ces montagnes qui jouissent d'une température toujours douce et toujours égale, et le coeur de l'autre rappelle le tumulte et les cris de la place publique. — Le choix d'un chrétien ne saurait donc être douteux.
1. Ces paroles ne sont point, dans la bouche de saint Pierre , un langage d'adulation ; mais parce qu'il avait vivement pressé ses auditeurs, il prend un ton plus modéré et cite, avec opportunité, un passage du Psalmiste. Il répète aussi le début de son discours, afin de prévenir en eux le trouble de l'esprit, car il va leur parler de Jésus-Christ. Précédemment ils ont entendu dans la paix et le calme la citation qu'il a faite du prophète. Joël; mais le nom de
Jésus les eût soudain offusqués; c'est pourquoi l'apôtre ne l'a pas prononcé. Observez encore qu'il ne dit pas : Obéissez à ma parole, mais Ecoutez ces paroles ; et certainement, il n'y avait là rien qui pût les offenser. Enfin, remarquons qu'il évite de toucher tout d'abord aux mystères les plus sublimes et qu'il commence par ce qu'il y a de plus humble: " Jésus de Nazareth " , dit-il. Pierre nomme donc la patrie de Jésus ; et cette patrie n'était qu'une (2) obscure bourgade; et il ne révèle de lui rien de grand et d'élevé, pas même ce que tout autre prophète en eût annoncé. " Jésus de Nazareth, homme que Dieu a rendu célèbre parmi vous". Ces premiers mots annoncent déjà un grand mystère, et révèlent que Jésus a été envoyé de Dieu. Or, c'est ce que toujours et en toute circonstance le précurseur et les apôtres ont soin de prouver. Ecoutez la parole du précurseur: " Celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, m'a dit : Celui sur qui tu verras l'Esprit descendre et se reposer, c'est celui-là". (Jean, I, 33.) Tel est aussi le témoignage que Jésus-Christ lui-même se rend tout spécialement, lorsqu'il dit : " Je ne suis point venu de moi-même, mais le Père m'a envoyé ". (Jean, VII, 28.) Et ce langage se retrouve à toutes les pages de l'Evangile.
C'est pourquoi Pierre, le prince du collège apostolique, l'ami du Christ et son ardent disciple, Pierre, à qui les clés du royaume des cieux ont été confiées, et qui a reçu les révélations de l'Esprit, a saisi d'abord ses auditeurs de crainte et d'effroi, et puis il a ranimé leur courage en leur montrant qu'ils n'étaient point exclus des grâces célestes. Enfin, après les avoir ainsi préparés à recevoir le don de la loi, il aborde la grande question de Jésus-Christ. Eh ! comment osera-t-il affirmer sa résurrection en face de ceux mêmes qui l'ont fait mourir? Aussi ne se hâte-t-il pas de dire qu'il est ressuscité, mais seulement que Dieu l'a envoyé vers eux. Et la preuve, ce sont les miracles qu'il a opérés. Encore ne dit-il pas que Jésus les a opérés lui-même, mais que Dieu les a opérés par lui, afin de mieux gagner ses auditeurs par ce langage si empreint de modération. Quant à la certitude de ces miracles, il s'en rapporte à leur propre témoignage. " Jésus ", dit-il, " homme que Dieu a rendu célèbre parmi vous par les merveilles, les prodiges et les miracles qu'il a faits par lui au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes". C'est alors seulement, et comme par incident, qu'il rappelle le crime affreux qu'ils avaient commis, et qu'il s'efforce de les excuser. Mais, en réalité; quoique ce déicide eût été arrêté dans les conseils divins, ils n'en étaient pas moins coupables.
" Ce Jésus ", dit-il, " qui vous a été livré par le conseil et la prescience de Dieu, l'immolant par la main des méchants, vous l'avez mis à mort ". Nous retrouvons ici le même langage et presque les mêmes expressions dont Joseph avait usé à l'égard de ses frères: " Ne craignez point, car ce n'est pas vous qui m'avez livré, mais c'est Dieu qui m'a envoyé ici ". (Gen. XV, 5.) Néanmoins, parce qu' il avait dit que la mort de Jésus était arrêtée dans les conseils divins, les Juifs eussent pu répliquer : Nous avons donc bien fait; c'est pourquoi il les convainc d'homicide par cette parole : " L'immolant par la main des méchants, vous l'avez mis à mort ". Il désigne ici Judas et montre que les Juifs n'eussent pu exécuter leur noir dessein, si Dieu ne le leur eût permis et si le traître ne leur eût livré Jésus. Car c'est ce que signifie ce mot " livré ", et l'apôtre rejette ainsi tout l'odieux du crime sur Judas qui livra le Sauveur et le trahit par un baiser. Quant à ces mots: " Par la main des méchants ", ils se rapportent à la trahison de Judas, ou aux soldats qui crucifièrent le Sauveur, en sorte que les Juifs l'ont,mis à mort, moins par eux-mêmes que " par la main des méchants ". Mais comme les apôtres ont toujours soin de prêcher d'abord la passion de Jésus-Christ, tandis que Pierre ne fait ici qu'indiquer sa résurrection; et quoiqu'elle soit le point fondamental de la religion, il se contente de l'affirmer. C'est que le crucifiement et la mort de Jésus étaient des fats publies; mais il. n'en était pas encore ainsi de sa résurrection. Aussi ajoute-t-il : "Dieu l’a ressuscité après l'avoir délivré des douleurs du tombeau, et il était impossible qu'il y fût retenu ".
Ici.l'apôtre nous révèle un grand et sublime mystère : car ce mot : " Il était impossible ", signifie que Jésus-Christ lui-même a permis au tombeau de le renfermer, et que la mort, en voulant le retenir, a souffert des violences aussi extrêmes que les douleurs de l'enfantement. C'est en effet sous cette image que l'Ecriture se plaît à nous représenter les efforts de la mort, et elle nous indique en même temps que le Christ est ressuscité pour ne plus mourir. On peut aussi donner un autre sens à ces paroles : " Il était impossible qu'il fût retenu dans le tombeau ", et dire qu'elles signifient que la résurrection de Jésus-Christ est différente de celle des autres hommes. Et aussitôt, avant que ses auditeurs aient eu le temps de s'arrêter à quelques pensées, Pierre cite le Psalmiste et coupe court à tout raisonnement humain : " Car David a dit de lui ". Mais observez combien cette façon de s'exprimer est (3) humble, et c'est la même modestie de langage que ci-dessus. Cependant il ne laisse pas que d'en tirer cette grande leçon, qu'il ne faut pas s'affliger de la mort. " J'ai toujours ", dit-il, " le Seigneur en ma présence ; et il est à ma droite, afin que je ne sois pas ébranlé. C'est pourquoi vous ne laisserez point mon âme dans l'enfer ". (Ps. XV, 8.)
Pierre voulant alors développer cette prophétie, commence ainsi.: " Mes frères ". C'est toujours ainsi qu'il s'exprime lorsqu'il veut annoncer quelques grandes vérités; et ce début est bien propre à rendre ses auditeurs attentifs et bienveillants. " Mes frères, qu'il soit permis de vous dire hardiment du patriarche David ". Quelle humilité ! et comme il parle modestement, dès qu'il peut le faire sans danger ! Il n'affirme donc pas que la prophétie concerne Jésus-Christ à l'exclusion de David; et il agit en cela très prudemment, afin qu'en honorant à leurs yeux cet illustre prophète, il les amène à mieux respecter son autorité. Bien plus, en s'excusant comme d'un trait de hardiesse, de rapporter un fait public, il les loue et les flatte habilement Aussi ne dit-il pas simplement David, mais le patriarche David. " Qu'il soit donc permis de dire hardiment du patriarche David qu'il est mort et enseveli ". Il n'ajoute point qu'il n'est pas ressuscité., mais il le fait assez entendre par ces mots : " Et son sépulcre est parmi nous jusqu'à ce jour ". Cette citation suffit à son dessein, et, au lien d'en venir immédiatement à Jésus-Christ, il loue de nouveau le saint roi. " Or, comme il était prophète et qu'il savait que Dieu lui avait promis avec serment ".
2. Pierre s'exprime ainsi afin que du moins; par honneur pour David et pour ses descendants, les Juifs accueillissent le dogme de la résurrection. Car si Jésus-Christ n'était réellement ressuscité, la prophétie ne serait pas accomplie, et eux-mêmes auraient à en rougir. " Et comme il savait que Dieu lui avait promis avec serment ". Ce n'était pas une simple promesse , mais un serment solennel. " Dieu lui avait donc promis avec serment que, selon la chair, le Christ sortirait de sa race, et qu'il serait assis sur son trône ". Admirez quels profonds mystères l'apôtre laisse soupçonner! et comme il cite avec assurance les paroles du prophète , dès qu'il a su s'insinuer dans l'esprit de ses auditeurs. Aussi proclame-t-il ouvertement la résurrection de Jésus-Christ. " C'est pourquoi son âme n'a point été laissée dans le tombeau , et sa chair n'a point vu la corruption ". Ce langage a droit de nous étonner. Et, en effet, il affirme que la résurrection de Jésus-Christ n'est point semblable à celle des autres hommes, et que la mort, qui l'a tenu quelques instants, n'a pu étendre sur lui son empire souverain.
Quant au péché des Juifs, Pierre l'a laissé entrevoir comme dans l'ombre, et sans parler du châtiment que ce péché méritait, il s'est borné à déclarer que les Juifs avaient mis à mort le Christ : puis il a exposé les preuves de sa divinité. Mais dès qu'il est démontré que celui qui a été mis à mort, est le Juste par excellence, et l'ami de Dieu, vous avez beau taire le châtiment de ce crime, les coupables se condamneront eux-mêmes plus sévèrement que vous ne pourriez le faire. C'est pourquoi, afin de mieux se concilier leur attention, il s'en réfère aux décrets du Père éternel, et tire cette conclusion de la prophétie, qu' " il était impossible " que le Christ restât dans le tombeau.
Mais revenons sur l'explication des premiers versets. " Jésus de Nazareth que Dieu a rendu célèbre parmi vous ". Ainsi, le doute n'est plus permis à son égard parce qu'il s'est fait connaître par ses oeuvres. Aussi, Nicodème disait-il à Jésus-Christ : " Personne ne peut faire " les. miracles que vous faites ". (Jean, III, 2.) Pierre dit également : " Dieu l'a rendu célèbre par les merveilles, les prodiges et les miracles qu'il a opérés par lui au milieu de vous ". Ce n'est donc point secrètement, puisqu'il a agi devant tout le peuple. C'est ainsi que l'apôtre conduit insensiblement ses auditeurs, des faits qu'ils connaissent à ceux qu'ils ignorent; et quand il dit que tout cela s'est fait " par suite des décrets divins ", il semble dire que de leur part ce crime a été involontaire, puisqu'il avait été prévu et réglé dans la sagesse et les conseils du Seigneur. Il passe donc rapidement sur tout ce qui eût pu les contrister, et dirige tous ses efforts à leur prouver que le Christ a été mis à mort. C'était dire à ses auditeurs : Quand vous le nieriez, ceux-ci, à savoir, les apôtres, l'attesteraient. Or, celui qui triomphe de la mort ne pourra-t-il pas plus aisément encore se venger de ses bourreaux ? Certainement. Mais Pierre évite de le dire; et, sans leur annoncer que le Christ (4) exterminera la nation déicide, il se borne à le leur faire comprendre.
Nous apprenons également du discours de l'apôtre quelle est la signification de ce mot " être retenu ". Car celui qui retient une chose avec souffrance, cherche moins à en conserver la possession qu'à s'en décharger et à soulager ainsi sa douleur. C'est aussi avec une admirable justesse que saint Pierre dit : " David parlant au nom du Christ ", de peur qu'on ne crût qu'il parlait en son nom. Voyez-vous maintenant avec quelle hardiesse il interprète la prophétie et en expose clairement le sens, en montrant le Christ assis sur son trône? Or, le royaume du Christ est un royaume spirituel qui n'existe qu'au ciel. C'est pourquoi le fait de la résurrection implique celui de la possession de ce royaume; et le prophète ne pouvait pas ne point en parler, puisque la prophétie concernait le Christ. Mais pourquoi le Psalmiste parle-t-il " de la résurrection du Christ ", plutôt que de son royaume? C'est pour nous révéler un grand mystère. Et pourquoi dit-il qu'il est assis sur son trône ? Parce que du haut des cieux il étend son autorité sur tous les Juifs et principalement sur ceux qui l'ont crucifié.
" Et sa chair n'a point vu la corruption ". Cette parole n'exprime pas moins fortement le dogme de la résurrection que celle-ci : " Dieu a ressuscité ce Jésus ". Et voyez-vous comme maintenant il le désigne par son nom? " Et nous en sommes tous témoins. Après donc qu'il a été élevé, de la main de Dieu " ; Pierre en revient encore à Dieu le Père, quoique déjà il ait suffisamment , montré son action, parce qu'il sait combien cet argument est puissant. Il laisse également comprendre, sans le dire ouvertement, que ce même Jésus est monté au ciel, et qu'il y réside. " Et après qu'il a reçu la promesse du Saint-Esprit ". Observez ici que l'apôtre attribue l'envoi de cet Esprit divin au Père, et non au Christ. Mais, après avoir rappelé les miracles de celui-ci, l'attentat des Juifs contre sa personne, et le prodige de sa résurrection, il s'enhardit à en parler librement, et leur cite la déclaration de témoins qui ont tout vu et tout entendu. Cependant, s'il revient fréquemment sur la résurrection de Jésus-Christ , il ne parle qu'une seule fois du crime de ceux qui l'ont crucifié, pour éviter de leur être importun. " Après donc qu'il a reçu la promesse du Saint-Esprit ". Quel sublime mystère recèlent ces paroles! Et je pense qu'ici saint Pierre fait allusion à la promesse que Jésus-Christ fit à ses apôtres avant sa passion. Aussi remarquez comme en ceci il lui attribue l'action principale, et comme il obtient adroitement un immense résultat. Car si Jésus-Christ a répandu l'Esprit-Saint, c'est de lui que parlait le prophète, quand il disait : " Dans les derniers jours je répandrai de mon Esprit sur vos serviteurs et sur vos servantes, et je ferai paraître des prodiges dans le ciel ".
Quelle doctrine se cachait donc sous ces paroles? Mais à cause même de sa sublimité, l'apôtre la voile aux regards de ses auditeurs, et attribue au Père l'envoi du Saint-Esprit; c'est pourquoi il se borne à énumérer les biens que nous a procurés l'incarnation du Fils, les miracles que celui-ci a opérés, la royauté qu'il a fondée, le peuple au milieu duquel il a paru , et il ajoute comme incidemment que lui aussi donne l'Esprit-Saint. Toute parole qui ne tend pas à l'utilité de ceux qui l'écoutent, est une parole vaine et inutile. C'est ce que témoigne le saint précurseur quand il dit: " Le Christ vous baptisera lui-même en l'Esprit-Saint ". (Matth. III, 11.) Pierre montre également que Jésus-Christ, bien loin d'affaiblir la vertu de sa croix, l'a rendue plus brillante, puisqu'il accomplit en ce jour, à l'égard de ses disciples, la promesse qu'il avait précédemment reçue de son Père. C'était donc, dit l'apôtre, cette promesse qu'il nous avait faite, et qu'il se réservait d'accomplir dans toute son étendue, après le mystère de sa passion. " Je répandrai " ; cette expression marque la dignité du bienfaiteur, et l'abondance de ses dons. La suite de ce discours en est une preuve sensible, car c'est après avoir reçu l'Esprit-Saint, que Pierre annonce hardiment l'ascension de Jésus-Christ, et que, pour la prouver, il allègue, à l'exemple du Sauveur, le témoignage du Psalmiste. " Car David , " dit-il, " n'est point monté au ciel ".
3. Ici la parole de l'apôtre se relève noblement, et il parle avec fermeté. Il n'a donc plus recours à ces précautions oratoires : qu'il me soit permis de vous dire; mais il s'exprime en toute franchise. " Le Seigneur a dit à mon Seigneur : assieds-toi à ma droite, jusqu'à ce que je réduise tes ennemis à te servir de marche-pied ". Or, si le Christ est le Seigneur de David, à plus forte raison l'est-il des (5) Juifs. " Assieds-toi à ma droite ". Cette parole résume toutes choses. " Jusqu'à ce que je réduise tes ennemis à te servir de marche-pied ". Cette citation ne pouvait manquer de renouveler dans les esprits une salutaire terreur, car elle montrait quelle sera la conduite du Seigneur envers ses amis et ses ennemis. Mais, pour se mieux concilier ses auditeurs, Pierre se hâte d'attribuer au Père l'exercice de la souveraineté, et, après avoir proclamé ces sublimes mystères , il abaisse insensiblement son langage.
" Que toute la maison d'Israël sache donc ". Voyez comme il prévient le doute et l'hésitation, et comme il continue avec autorité. "Que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus ". Il cite les paroles du Psalmiste , et, au lieu de dire : Que toute la maison d'Israël sache donc certainement que le Christ est assis à la droite de Dieu le Père, ce qui marquait la gloire la plus élevée , il laisse ce privilège , et dit plus humblement que Dieu l'a " fait " , c'est-à-dire , l'a établi Christ et Seigneur. Ainsi , il omet de parler de la personne même du Fils, et ne s'arrête qu'à l'action du Père. " Ce Jésus que vous avez crucifié". Que ce dernier membre de phrase est heureux ! et quels remords il devait exciter, dans l'âme de cette multitude. Car l'apôtre, qui lui a d'abord montré toute la grandeur du crime, en désigne ici les coupables, afin qu'ils en comprennent mieux l'énormité, et qu'ils en conçoivent une salutaire terreur. Et en effet, les bienfaits sont moins puissants pour attirer les hommes que la crainte pour les corriger. Mais il est des hommes admirables, de pieux amis du Seigneur, qui sont au-dessus de ce double motif; tel était Paul qui aimait Dieu sans s'inquiéter du ciel, ni de l'enfer.
C'est là véritablement aimer Jésus-Christ, et ne point se conduire en mercenaire, qui ne cherche que son profit et son avantage : c'est là être véritablement chrétien, et n'agir que par le principe de l'amour divin. Combien donc notre conduite est-elle digne de larmes, puisqu'appelés à cet héroïsme de vertu, nous ne savons pas même considérer le ciel comme le but d'un utile négoce. Jésus-Christ nous promet les plus riches trésors, et nous ne l'écoutons point. Ah ! quels châtiments ne mérite pas une telle indifférence ! L'homme qu'excite la tyrannique passion de l'or ne considère point s'il se trouve en rapport avec un étranger, ou un esclave; avec un ennemi, ou un rival implacable, pourvu qu'il espère en tirer quelqu'argent. Il n'est donc rien qu'il né fasse volontiers, fallût-il les aduler, les servir, et les tenir pour les plus honnêtes gens du monde, dès qu'il est assuré d'en être grassement payé: tant la soif du lucre éteint en lui toute autre pensée. Eh ! le royaume des cieux est moins puissant sur nous que la vue d'un vil métal ! Cette perspective ne peut émouvoir notre indifférence, et néanmoins celui qui nous promet ce royaume n'est pas un homme ordinaire; c'est le Roi des cieux.
Cependant, à ne considérer même que le royaume qui nous est promis, et le Dieu qui veut nous le donner, il est beau de recevoir un tel don, et de le recevoir de telles mains. Hélas ! nous agissons comme ces insensés à l'égard desquels un roi veut couronner mille bienfaits en les associant à l'héritage de son fils, et qui ne savent que mépriser ses offres généreuses. Mais, au contraire, que le prince des méchants, celui qui, plein de malice, a précipité nos premiers parents et toute leur postérité dans un abîme de maux, nous présente une obole, et soudain nous courons l'adorer. Dieu nous promet un royaume, et nous le méprisons; le démon nous entraîne vers l'enfer, et nous l'honorons. Ainsi, d'un côté le Seigneur, et dé l'autre le démon. Mais quelle différence encore dans leurs commandements ! Oui, supposons qu'il n'existe ni Dieu, ni démon, ni ciel, ni enfer, cette différence seule suffirait à éclairer notre choix. Et, qu'ordonnent-ils donc l'un et l'autre ? Le démon, tout ce qui souille l'homme; et Dieu, tout ce qui fait sa gloire et on honneur. Le démon, tout ce qui nous rend malheureux et infâmes; et Dieu, tout ce qui nous apporte la paix et la tranquillité. Ecoutez en effet les paroles de l'un : " Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes ". (Matth. XI, 29.) Quel est, au contraire, le langage de l'autre? Soyez dur et inhumain, furieux, et moins homme que bête féroce. Quant aux résultats de ces commandements, de quel côté est l'utilité et l'opportunité? Mais, à part toutes ces considérations, il suffit de savoir que l'un des deux est le démon; et, si nous en sommes bien persuadés, nous le vaincrons avec plus de gloire. Car l'utilité du précepte, et non sa facilité, nous doit faire connaître celui qui nous porte un (6) véritable intérêt. C'est ainsi que les pères donnent à leurs enfants des ordres sévères, et les maîtres à leurs esclaves; mais ils n'en sont pas moins pères et maîtres, tandis que les autres sont dépendants et serviteurs.
Et maintenant , voulez-vous examiner la question sous le rapport du bonheur? La solution en est facile et évidente. Et en effet, y a-t-il parité de satisfaction entre l'homme irascible et furieux et l'homme doux et patient ? L'esprit de ce dernier possède le calme d'une paisible solitude et l'âme du premier ressemble à ces places publiques où se presse une foule importune et où les gens qui conduisent des chameaux, des mulets et des ânes, crient à tue-tête pour avertir les passants de se garer. Oui, je comparerai le méchant à ces villes où l'on n'entend que le bruit de l'enclume et du marteau et où l'encombrement est si grand qu'à chaque pas on risque de heurter les autres ou d'en être soi-même heurté. Mais le juste est semblable à une montagne dont le sommet jouit de la douce haleine des zéphyrs et s'illumine des rayons d'une pure lumière. Des sources jaillissantes abreuvent mille fleurs qui en font un délicieux jardin ; l'on dirait une prairie que le printemps a émaillée de plantes et de fleurs et qu'il arrose de limpides ruisseaux. Ajoutez au plaisir des yeux celui de l'oreille que charment de suaves mélodies. Car, ou les oiseaux chantent sur les cimes élevées des grands arbres, ou la cigale, le rossignol et l'hirondelle harmonisent leurs voix et leurs concerts: D'autres fois c'est le zéphyr qui se joue dans les hautes branches des arbres et qui, agitant les pins et les mélèzes, imite les chants mélodieux du cygne; ou ce sont les lis et les roses de la vallée qui s'inclinent comme dans un fraternel embrassement et présentent l'image d'une.mer calme et tranquille. Les fleurs nous offrent d'autres emblèmes non moins gracieux. Ainsi la rose symbolise l'arc-en-ciel, la violette la mer azurée, et le lis le ciel.. Mais cet admirable spectacle de la nature qui réjouit l'oeil, récrée également le corps. On y respire en effet un tel bien-être qu'on se croit plutôt dans les cieux que sur la terre.
4. Dirai-je encore que le murmure des eaux qui se précipitent en cascade et frémissent sur un lit de cailloux, détend nos membres fatigués et provoque un doux sommeil? Cette description vous charme et vous ferait aimer la solitude ; ruais combien plus délicieux est L'état d'une âme humble et patiente. Et ne croyez pas que ma parole se soit égayée dans cette description pour le seul plaisir de peindre la nature et d'en tracer un riant tableau ; non, non. J'ai voulu vous montrer quels sont les charmes de la patience, et vous faire comprendre qu'il est plus doux et plus utile de vivre avec un homme vraiment patient, que d'habiter ces lieux enchanteurs. Et en effet, jamais il ne déchaîne autour de lui le souffle violent de l'aquilon, et son langage doux et modéré ne rappelle que les brises légères d'un paisible zéphyr. Ses reproches eux-mêmes sont pleins de bienveillance et imitent le chant des oiseaux. Comment donc ne pas trouver auprès de lui le véritable bonheur? Si sa parole ne peut rien sur le corps, du moins elle calme et récrée l'âme; et les soins habiles d'un médecin coupent moins vite la fièvre que la parole d'un homme patient n'apaise un esprit furieux et emporté. Eh ! pourquoi parler du médecin, puisqu'un fer rouge qu'on plonge dans l'eau, perd sa chaleur moins promptement qu'un coeur courroucé ne se calme au contact d'un homme patient? Mais de même qu'on ne fait sur la place publique aucune attention au chant des oiseaux, ainsi mes paroles frappent inutilement l'oreille d'un esprit furieux et irascible. Combien donc la douceur est préférable à la colère et à l'emportement. D'ailleurs Dieu nous commande la première et le démon la seconde. Aussi, quand même il n'existerait ni Dieu, ni démon, n'oubliez point que nos propres intérêts nous prescriraient encore de cultiver cette vertu et de fuir ce vice.
Et en effet, l'homme doux et patient est débonnaire pour lui-même et utile aux autres, tandis que l'homme violent et irascible devient ennuyeux à lui-même et inutile aux autres. Eh 1 y a-t-il rien de moins aimable et de plus triste, de plus fatigant et de plus insupportable que de vivre avec un esprit de ce caractère, tandis que nos relations avec un esprit pacifique sont empreintes de charmes et de douceurs ! Il vaut mieux habiter avec une bête féroce qu'avec le premier; car celle-ci s'apprivoise et devient soumise, mais celui-là s'irrite des démarches mêmes que vous faites pour l'apaiser, tant la colère est son état habituel ! Les jours joyeux et sereins de l'été et les tristes frimas de l'hiver sont moins opposés que ces deux hommes.
7
Mais, avant d'exposer tous les maux dont la colère est le principe à l'égard du prochain, examinons ceux qu'elle nous attire. Sans doute c'est déjà un grand mal que de nuire à ses frères, et j'en parlerai plus tard. Pour le moment je vous demande quel bourreau déchire les côtés comme la colère et l'emportement , quel dard transperce le corps aussi cruellement, et quel accès de folie ébranle aussi complètement la raison? J'en ai connu plusieurs que la colère a rendus malades; et, de toutes les fièvres, celles-ci sont les plus dangereuses. Mais si tels sont les ravages que cette passion porte dans le corps, que seront ceux dont elle afflige l'âme? Eh ! ne dites point qu'on ne les voit pas au dehors, mais pensez que si l'homme furieux et emporté se nuit ainsi à lui-même, il ne peut amener pour les autres que de terribles malheurs. Plusieurs en effet ont perdu la vue par suite d'un accès de colère, et plusieurs autres sont tombés dans de graves maladies. Mais l'homme vraiment patient soutient sans fléchir le poids de l'adversité. Et cependant, malgré, toute la rigueur de ses commandements et en dépit des supplices de l'enfer où ils nous conduisent, le démon, cet ennemi juré de notre salut, se voit obéi avec plus d'empressement que le Sauveur Jésus, qui est notre bienfaiteur et qui ne nous intime que des préceptes faciles, salutaires, et non moins utiles à nous-mêmes qu'à nos frères.
Rien de plus dangereux, mon cher frère, que la colère
et l'emportement. Si sa violence ne dure qu'un instant, les suites en sont
bien graves. Car souvent toute la vie ne suffit pas pour réparer
un mot prononcé dans la colère ; et un seul acte d'emportement
brise souvent toute une carrière. Mais ce qui est plus déplorable
encore, c'est que souvent un instant , une action et une parole nous font
perdre les biens éternels et nous dévouent aux plus affreux
supplices. Je vous en conjure donc, muselez cette bête féroce.
Mais c'est assez parler de la douceur et de la colère, et si vous
voulez poursuivre ce parallèle entre l'avarice et la générosité,
l'impureté et la chasteté, la jalousie et la bienveillance,
vous trouverez entre elles la même différence. Il me suffit
de vous avoir montré à reconnaître par le seul énoncé
du précepte quel en est l'auteur, Dieu ou le démon. Ah !
obéissons à Dieu et ne nous précipitons point dans
l'enfer; et tandis que nous en avons le temps et la facilité, purifions
notre âme de la tache du péché, afin que nous obtenions
les biens éternels, par la grâce et la miséricorde
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, avec le Père
et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours,
et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE VII. A CES PAROLES ILS FURENT TOUCHÉS AU FOND
DE LEUR COEUR, ET ILS DIRENT A PIERRE ET AUX AUTRES APÔTRES : FRÈRES,
QUE FERONS-NOUS ? (CHAP. II, 37, JUSQU'A LA FIN.)
ANALYSE. 1. L'Orateur montre, par les sentiments de componction que
font paraître les Juifs, le succès de la méthode que
saint Pierre a suivie, et développe la réponse de cet apôtre
: Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé. —
Ici saint Chrysostome trace le tableau de cette vie si admirable des premiers
fidèles , et nous les représente persévérant
dans la prière, la fraction du pain et la communauté des
biens.
2. A l'égard de ce merveilleux désintéressement, il observe qu'ils faisaient de leurs biens un sage et utile usage, et ne les dédaignaient point, comme quelques philosophes, par vanité et arrogance. — Il appuie également sur le tact avec lequel saint Pierre leur propose le baptême sans s'étendre sur la passion et la mort de Jésus-Christ, parce qu'il voulait ménager ici, comme précédemment, leur trop grande susceptibilité.
3. L'Orateur revient ensuite sur le spectacle qu'offraient les premiers fidèles, et exalte leur charité qui- enfantait pour tous la joie pure de l'âme, et l'abondance des biens célestes. — II rehausse ensuite magnifiquement leur simplicité, et prouve que la prudence qui accompagne toujours cette vertu, ainsi que la confiance en Dieu, finissent par réussir.
4. Ces premiers fidèles étaient ardents à se mortifier, et les chrétiens de nos jours ne recherchent que les délices ; ils se dépouillaient de leurs biens, et nous prétendons conserver les nôtres avec affection ; ils descendaient nus dans l'arène, et nous nous présentons au combat pompeusement parés : la lutte ne peut donc être égale. — C'est pourquoi nous devons, à leur exemple, retrancher toute cupidité , et, par un désintéressement vrai et sincère, nous assurer la victoire sur le démon, et la possession des biens éternels.
1. Considérez ici les avantages inestimables de la douceur. Elle pénètre dans les coeurs plus avant que la violence, et les perce plus profondément. Le fer qui ouvre un abcès dur et compact ne produit qu'une légère douleur; mais si des émollients ont rendu cet abcès tendre et impressionnable, la douleur devient vive et forte. C'est ainsi que l'apôtre devait amollir d'abord les esprits, et puis les piquer. Or ce résultat s'obtient par la douceur, et non par la colère, les reproches violents et les injures. Car l'emportement augmente le mal, et la douceur le diminue. Aussi voulez -vous amener celui qui vous a insulté à reconnaître sa faute, reprenez-le avec une extrême douceur. Telle est la conduite de l'apôtre. Il rappelle à ses auditeurs le souvenir de leur crime; et sans y ajouter aucun reproche, il s'étend sur les dons de Dieu à l'égard des Juifs, et sur les preuves des faits qui se sont accomplis parmi eux.
C'est pourquoi ils surent gré à l'apôtre de sa douceur , parce qu'il ne faisait entendre à ceux qui avaient crucifié son Dieu, et qui voulaient la mort de ses disciples, que le langage d'un père et d'un maître affectionné. Mais bientôt ils joignirent à ces sentiments de reconnaissance les remords d'une conscience coupable, et ils comprirent toute l'énormité de leur crime. Car Pierre ne permit point qu'ils s'abandonnassent aux fureurs du désespoir, ni que leurs âmes fussent enveloppées de ténèbres. Il se hâta donc de dissiper, par l'humilité de sa parole, les nuages de l'indignation, et puis il leur représenta la grièveté de leur faute. Chaque jour l'expérience justifie une semblable conduite. Quand nous disons à un injuste agresseur qu'il nous a blessé , il s'efforce de nous prouver le contraire. Mais si nous lui soutenons que, loin d'avoir été atteint par ses. traits, c'est nous qui l'avons percé, il se récrie et se déclare invulnérable. Aussi, voulez-vous fortement embarrasser votre ennemi , ne l'accusez pas, mais prenez sa défense, et il s'accusera lui-même. Car l'homme aime naturellement la contradiction. Pierre ne l'ignorait pas; (9) c'est pourquoi il évite de les reprendre avec aigreur, et s'efforce, autant qu'il peut, de les excuser tout doucement. Aussi parvint-il à toucher leurs esprits. Eh ! qui atteste ce succès ? Leurs propres paroles , car ils disent : " Frères, que ferons-nous? "
Voyez-vous comme ils appellent frères ces mêmes hommes qu'ils nommaient séducteurs? Ce n'est point qu'ils s'égalent à eux, et ils ne veulent que s'attirer leur bienveillance et leur amitié. Observez encore qu'après les avoir appelés frères, et avoir dit: " Que ferons-nous ? " ils n'ajoutent pas : Nous ferons donc pénitence , mais : qu'ils s'abandonnent à leur conduite. C'est ainsi que dans un naufrage imminent, ou dans une grave maladie, tous laissent agir le pilote ou le médecin, et lui obéissent docilement. Et de même ces Juifs reconnaissent hautement qu'ils sont en un péril extrême, et qu'il ne leur reste plus aucune espérance de salut. Aussi ne disent-ils point: Comment serons-nous sauvés? mais: " Que ferons-nous? " Ils s'adressaient à tous les apôtres; mais Pierre seul répond. Et que dit-il? " Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ ". Il ne dit pas encore: Croyez; mais : " Que chacun de vous soit baptisé " , parce qu'ils devaient recevoir la foi avec le baptême; et pour leur en montrer les avantages il ajoute: " En rémission de vos péchés; et vous recevrez le don du Saint-Esprit ". N'était-ce pas leur dire : Pourquoi différer ce baptême qui vous apportera la rémission de vos péchés et la plénitude des dons célestes ?
Bien plus, afin de rendre sa parole plus persuasive encore, il ajoute: " Car la promesse ", celle dont il avait parlé précédemment, " est faite à vous , et à vos enfants ". Ainsi le don de l'Esprit-Saint est d'autant plus excellent qu'ils pourront le laisser en héritage à leurs enfants. " Et à tous ceux qui sont éloignés " ; à plus forte raison à vous qui êtes proches " et à tous les hommes que le Seigneur notre Dieu appelle ". Observez que l'apôtre ne parle de " ceux qui sont éloignés " que quand il voit ses auditeurs rentrer en eux-mêmes et se condamner eux-mêmes. Car de semblables dispositions empêchaient qu'ils ne fussent jaloux des gentils. " Et par plusieurs autres discours il rendait témoignage et les exhortait en ces termes ". Voyez comme Pierre parle toujours brièvement, sans faste et sans ostentation - " Il rendait témoignage et les exhor" tait en ces termes ! " La doctrine parfaite sait également inspirer la crainte et l'amour. " Sauvez-vous de cette génération perverse ". S'il parle du présent plutôt que de l'avenir, c'est que rien ne nous touche plus vivement. Aussi leur prouve-t-il que sa parole les délivrera des maux présents et futurs.
" Ceux donc qui reçurent sa parole furent baptisés, et il y eut en ce jour environ trois mille personnes qui se joignirent aux disciples ". Ne pensez-vous pas que tout autre miracle eût moins réjoui les apôtres que ces nombreuses conversions ? " Or ils persévéraient dans la doctrine des apôtres et dans la communion ". Ici l'écrivain sacré note spécialement deux vertus : la persévérance et l'union; des esprits; et il nous fait ainsi entendre que les apôtres continuèrent longtemps encore à les instruire. " Ils persévéraient donc dans la communion, et dans la fraction du pain, et dans la prière ". En outre, dit saint Luc, tout était commun entre eux, et ils se soutenaient dans ces saintes dispositions. " Et la crainte était dans les âmes, et les apôtres opéraient beaucoup de merveilles et de miracles ". Je ne m'en étonne pas. Car ce n'étaient pas des hommes ordinaires. Ils n'envisageaient plus les choses sous un aspect tout profane; et ils étaient tout embrasés des feux de l'Esprit-Saint. Mais parce que Pierre, dans son discours , avait entremêlé les promesses et les menaces, le présent et l'avenir, les esprits étaient d'autant plus frappés de crainte que les prodiges confirmaient les paroles. Ainsi aux jours de la Pentecôte comme en ceux du Sauveur, les prodiges précédaient la doctrine et les miracles l'accompagnaient.
" Or tous ceux qui croyaient vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun ". Voyez quels progrès rapides ! Car à l'union de la prière et de la doctrine, ils ajoutaient celle de la vertu. " Ils vendaient leurs terres et leurs biens et les distribuaient à tous selon que chacun en avait besoin ". Voyez encore quelle crainte dominait les esprits ! " Et ils les distribuaient ", c'est-à-dire, en faisaient un sage partage, " selon que chacun en avait besoin ". Ce n'était donc pas cette prodigalité de certains philosophes qui abandonnaient leur patrimoine ou jetaient leur or dans la mer, plutôt par folie et déraison que par un véritable mépris des richesses. Car toujours le (10) démon s'est étudié à corrompre l'usage des créatures que Dieu a faites, comme si l'on ne pouvait user sagement de l'or et de l'argent.
2. " Et tous les jours ils étaient ensemble dans le temple ". Ces paroles nous apprennent quels fruits produisit immédiatement la prédication des apôtres; et admirez avec quel zèle ces Juifs oubliaient le soin de toute affaire temporelle et se rendaient assidûment au temple. Car leur respect pour ce lieu sacré croissait avec leur ferveur; et les apôtres ne les en éloignaient pas encore par bonté et par condescendance. " Et ils rompaient le pain dans leurs maisons, prenant leur nourriture avec joie et simplicité de coeur, louant Dieu et agréables à tout le peuple ". Je crois que, par cette expression : Rompant le pain , l'écrivain sacré a voulu désigner les jeûnes et l'abstinence que pratiquaient ces premiers chrétiens, puisque leur nourriture était frugale et ennemie de, toute recherche. Apprenez donc ici, mes frères, que le bonheur de la vie accompagne la frugalité bien plus que les délices de la table; et la pratique de la sobriété nous est une source de joie, tandis que l'intempérance du festin est un principe de tristesse. La parole de Pierre fit donc éclore la sobriété chrétienne qui produisit à son tour un pur et saint contentement.
Et comment ? me direz-vous. Parce que leurs aumônes " les rendaient agréables à tout le peuple ". Car il faut faire moins attention aux prêtres qui s'élevaient contre eux par esprit d'une basse jalousie, qu'au peuple qui les accueillait avec faveur. " Or le Seigneur augmentait chaque jour ceux qui devaient être sauvés dans l'Eglise ; et tous ceux qui croyaient vivaient ensemble ". Tant l'union et la concorde sont bonnes en toutes choses !
Cependant Pierre " rendait témoignage par d'autres discours ". Cette remarque de saint Lue nous fait entendre que l'apôtre donna quelque développement à ses premières paroles, ou qu'après avoir amené ses auditeurs à croire en Jésus-Christ, il laissa aux autres apôtres le soin de leur. expliquer la pratique de cette croyance. Il évite aussi de leur parler de la croix, et dit seulement : " Que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ". Pourquoi dont ne leur parle-t-il point fréquemment de la croix? Par ménagement et pour éviter tout reproche ; aussi se borne-t-il à dire : " Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ ". Ainsi, au tribunal de la religion, les choses se passent tout autrement que dans celui de la justice humaine : car l'aveu de sa faute assure le salut du pécheur.
Observez encore avec quel tact Pierre insiste sur un point bien important. Après avoir signalé la grâce du baptême, il ajoute immédiatement : " Vous recevrez le don de l'Esprit-Saint " ; et en présence des prodiges qui s'opéraient sous leurs yeux, les Juifs ne pouvaient pas ne point croire à cette promesse. Au reste, l'apôtre se contente de leur révéler ce qu'il y avait de plus facile, et qui, par la communication des dons célestes, les pouvait conduire au salut. Car il savait bien qu'à l'occasion la saveur de ces premiers biens les enflammerait d'un nouveau zèle. Mais parce qu'il voyait en ses auditeurs le désir de connaître ce point capital de son discours, il leur apprit que. cette connaissance était un don de l'Esprit-Saint. Aussi voyez avec quelle attention ils l'écoutent et comme ils louent une parole qui les remplit de crainte et de frayeur ! Bien plus, ils croient et demandent le baptême.
Mais reprenons l'explication des premiers versets de notre texte : " Ils persévéraient ", dit saint Luc, " dans la doctrine ". Nous pouvons évidemment conclure de ces paroles que les apôtres instruisirent ces néophytes non-seulement pendant un, deux ou trois jours, mais tout le temps que demandait leur conversion. " Et tous étaient dans une grande frayeur ". " Tous ", c'est-à-dire même ceux qui ne croyaient pas. Et il est vraisemblable que, dans ces derniers, cette frayeur venait ou du changement prodigieux qu'ils voyaient, ou peut-être des miracles qui s'opéraient sous leurs yeux. Saint Luc dit aussi qu'ils vivaient " dans une intime union " , expression plus forte que l'adverbe " ensemble ", parce qu'on peut vivre avec des personnes dont on ne partage pas les sentiments. Enfin il ajoute que Pierre les exhortait par ses discours, et sans en rien rapporter, il se borne .à cette sommaire indication. Mais elle suffit pour nous apprendre que les apôtres présentèrent d'abord à ces néophytes, comme à de tendres enfants, le lait et le miel de- la doctrine évangélique, et qu'en peu de temps ceux-ci atteignirent une perfection tout angélique.
" Et ils distribuaient à tous leurs biens, selon que chacun en avait besoin ". Ces nouveaux (11) disciples voyaient qu'entre eux les dons spirituels étaient communs et que tous en étaient également favorisés ; aussi en vinrent-ils promptement à l'idée d'en faire autant pour les biens de la terre. " Or, tous ceux qui " croyaient , vivaient ensemble ". Mais ils n'habitaient pas la même maison, comme le prouvent ces autres paroles : " Et ils avaient tout en commun ". Ainsi l'égalité était parfaite sans que l'un eût plus, et l'autre moins, et ils formaient comme une société d'esprits célestes, puisque chacun ne possédait, rien en propre. Cette pauvreté volontaire coupait donc jusque dans ses racines le principe de tous les maux, et ces nouveaux disciples prouvaient par là qu'ils avaient compris la doctrine évangélique.
Or, Pierre leur disait : " Sauvez-vous de cette génération perverse; et il y eut en ce jour environ, trois mille personnes qui se joignirent aux disciples". Parce qu'ils étaient trois mille, ils ne craignaient point de se produire au dehors, et chaque jour ils montaient au temple, où ils se rendaient assidûment. C'est aussi ce que firent peu après les apôtres Pierre et Jean, car tout d'abord ils ne changèrent rien à la loi de Moïse. Au reste l'honneur rendu au temple rejaillissait sur le Maître du temple. Voyez aussi quels rapides progrès faisait en eux l'esprit de piété ! Ils se dépouillaient avec joie de leurs biens terrestres, et ils s'en réjouissaient d'autant plus qu'ils estimaient davantage leurs richesses spirituelles. L'orgueil et la jalousie, le faste et le mépris étaient inconnus parmi eux, c'étaient des enfants qui ne voulaient qu'être instruits; et ils avaient la candeur d'un enfant nouveau-né.
Direz-vous que je trace un tableau d'imagination? mais rappelez-vous le dernier.tremblement de terre dont le Seigneur a épouvanté cette ville. Quel n'était pas l'effroi et la consternation générale ! qui songeait alors à tromper son frère, ou à médire de lui ! ce que faisait parmi nous la terreur et l'effroi, la charité l'opérait parmi les premiers chrétiens : ils ne connaissaient point cette froide parole , " le mien " et " le tien " ; aussi s'asseyaient-ils pleins de joie à une table commune. L'un ne pensait point qu'il faisait les frais du festin , et l'autre qu'il était nourri gratuitement, quoique cela nous paraisse aujourd'hui une véritable énigme. Mais c'est que chacun se regardait comme propriétaire des biens de la communauté, en même temps qu'il les considérait comme appartenant à tous les frères. Ainsi le pauvre ne rougissait point de sa pauvreté, et le riche ne s'enorgueillissait point de ses richesses. De là naissait une joie vraie et sincère, parce que dans l'un le sentiment de la reconnaissance, et dans l'autre celui d'une bonne oeuvre resserrait entre tous les liens d'une fraternelle unanimité. Mais parce que, même dans l'aumône, il peut se glisser quelque orgueil, quelque vanité ou quelque hauteur, l'apôtre nous dit : " qu'il ne faut point la faire avec tristesse, et comme par force". Qu'il est donc beau le témoignage que saint Luc rend à ces premiers chrétiens! il atteste leur foi sincère, leur vie irréprochable, et leur persévérance dans la doctrine , la prière, la frugalité et la joie.
3. Deux choses cependant pouvaient les attrister : le jeûne et l'abandon de leurs biens. Mais ils y trouvaient un double sujet de joie; et à la vue de semblables dispositions, chacun les aimait comme son père. Nul ne songeait à molester son frère, et ils s'abandonnaient entièrement à la grâce divine. Aussi étaient-ils généreux et intrépides au milieu des dangers. Mais cette confiante simplicité attestait tout l'héroïsme de leur vertu, plus encore que le mépris des richesses, le jeûne et la persévérance dans la prière. Ils louaient donc le Seigneur en esprit et en vérité ; et ce sont là les seules louanges qu'il demande. Eh ! voyez comme ils en sont immédiatement récompensés ! car la faveur dont le peuple les entoure prouve combien ils étaient aimables et savaient se faire aimer. Et en effet, qui ne loue et qui n'admire un homme simple dans ses moeurs , et qui . ne se lie volontiers avec un homme franc et sincère? Mais n'est-ce point à eux qu'appartiennent le salut et tous les dons du ciel?
Les bergers n'ont-ils pas été les premiers appelés à l'Evangile? et Joseph n'était-il pas admirable de simplicité , lui qui, même en soupçonnant une faute, ne s'arrête à aucune mesure rigoureuse. Est-ce que Dieu n'a point toujours choisi des hommes simples et francs? " Toute âme simple " , dit l'auteur des Proverbes, " sera bénie " ; et encore : " Celui qui marche avec simplicité, marche avec sécurité". (Prov. II, 25; X,9.) Je l'avoue, me direz-vous; mais il faut y joindre la prudence. Eh ! la (12) simplicité n'est-elle pas inséparable de la prudence? Vous ne soupçonnez pas le mal; vous ne le commettez donc point: vous ne vous offensez de rien; pourriez-vous donc conserver le souvenir d'une injure? on a cherché à vous humilier et vous n'en avez eu aucun ressentiment; on a parlé contre vous, et vous n'y avez fait aucune attention ; on vous jalouse , et vous restez calme et impassible. La simplicité nous conduit ainsi à la vraie sagesse; et l'âme n'est jamais plus belle que quand elle est simple. Et en effet le chagrin, l'accablement et le vague des pensées altèrent la beauté du visage, tandis que la joie et le sourire en augmentent les charmes; et de même un esprit fourbe et menteur corrompt toutes les bonnes qualités qu'il possède, au lieu qu'un esprit simple et franc les pare et les embellit. Avec un tel homme l'amitié est fidèle, et une réconciliation devient facile. Il ne faut pour cela ni chaînes, ni prison, et la plus grande sécurité règne entre lui et ses amis.
Mais qu'arrivera-t-il, direz-vous, si ce juste tombe entre les mains des méchants ? Le Seigneur, qui nous commande d'être simples, nous tend une main protectrice. Qui se montra plus simple que David et plus rusé que Saül? Et néanmoins qui fut vainqueur? Que n'eut pas à souffrir Joseph? Il agissait envers sa maîtresse en toute simplicité : et celle-ci usait de ruse à son égard : mais en devint-il la victime? Qui fut plus simple qu'Abel, et plus méchant que Caïn? Et pour en revenir à Joseph, ne se conduisit-il pas toujours envers ses frères avec une entière simplicité? et le rang élevé où il parvint, n'eut-il point pour principe la franchise de ses paroles et la malignité de ses frères? Il leur avait raconté ses deux songes, et sans aucune défiance de sa part, il leur apportait des vivres , se confiant pour toutes choses au Seigneur. C'est ainsi que plus ils le regardaient comme un ennemi, et plus il les traitait comme des frères. Sans doute Dieu pouvait empêcher qu'il ne tombât entre leurs mains; mais il le permit pour faire éclater la vertu de Joseph, et montrer qu'il triompherait de tous leurs mauvais desseins.
Concluons que si le juste est quelquefois éprouvé, le coup vient des autres et non de lui-même. Le méchant, au contraire, se blesse le premier et n'atteint point son adversaire, en en sorte qu'il est son propre ennemi. Son âme est toujours pleine d'un noir chagrin, et ses pensées troublées et confuses. Il ne saurait rien entendre, ni rien dire qu'il ne tourne tout en mal, et qu'il ne critique tout. Entre des hommes de ce caractère, l'amitié et l'union sont impossibles; ils ne savent que se disputer, se haïr et se contrarier; bien plus, ils se suspectent les uns les autres, ils ne connaissent ni les douceurs du sommeil, ni celles de la vie ; et s'ils sont mariés, hélas ! hélas ! ils n'aiment personne, et détestent tout le monde. Enfin mille jalousies les consument, et une crainte continuelle les agite. Aussi disons-nous que " mauvais " dérive de " mal " ; et en effet, l'Ecriture joint toujours ces deux mots : " Le mal et le travail", dit-elle, " résident sous la langue des mauvais " ; et encore : " Il ne reste aux mauvais que le mal et la douleur ". (Ps. IX, 7 et LXXXIX, 10).
Et maintenant si l'on s'étonne que les chrétiens aient été si parfaits au commencement, lors qu'aujourd'hui on les voit si imparfaits, je répondrai que cette perfection reposait sur le principe de la pauvreté volontaire, et que cette pauvreté était pour eux l'oracle de la sagesse et la mère de la piété; car en se dépouillant de leurs biens, ils tarissaient la source de toute iniquité. Je l'avoue , me direz-vous ; mais, souffrez que je vous le demande: pourquoi tant de vices parmi nous? A la parole des apôtres, trois mille hommes d'abord, et puis cinq mille embrassèrent soudain la vertu, et devinrent véritablement philosophes, tandis qu'aujourd'hui à peine ces premiers chrétiens comptent-ils un imitateur. D'où vient encore, qu'ils étaient si unis ensemble? si prompts et si agiles au service de Dieu? et quel feu sacré les embrasait? C'est qu'ils se convertissaient sincèrement, qu'ils ne recherchaient pas les- honneurs comme on le fait aujourd'hui, et que, dégagés de toute affection terrestre., ils élevaient leurs pensées vers les biens célestes. Le propre d'une âme ardente est de se plaire dans les souffrances, et c'est en cela que. ces premiers fidèles faisaient consister le christianisme. Nous, au contraire, nous ne recherchons qu'une vie molle et délicate. Aussi dans l'occasion, combien nous sommes loin de les imiter ! Ils disaient, en s'accusant eux-mêmes : " Que ferons-nous " ? Nous disons également: que ferons-nous? mais dans un sens tout contraire, car nous nous vendons au inonde, et nous nous estimons profondément sages. Ils (13) accomplissaient strictement leurs devoirs, et nous, nous négligeons les nôtres. Ils se condamnaient eux-mêmes, et craignaient pour leur salut ; aussi devinrent-ils des saints, et ils reconnurent toute l'excellence du don qu'ils avaient reçu.
4. Mais comment leur ressembleriez-vous, vous qui faites tout le contraire? Dès la première prédication, ils demandèrent le baptême, et n'alléguèrent point ces froides excuses qu'aujourd'hui nous mettons en avant. Ils ne cherchèrent ni retards, ni prétextes, quoiqu'ils ne connussent pas encore l'ensemble de la religion, et qu'ils n'eussent entendu que cette parole : " Sauvez-vous de cette génération perverse ". Ils ne furent donc pas lâches et négligents, mais ils crurent à la parole des apôtres, et prouvèrent leur foi par leurs oeuvres. Ils se montrèrent donc tels qu'ils étaient, et à peine entrés dans la lice, ils se dépouillèrent de leurs vêtements. Nous, au contraire, nous les conservons, même en nous présentant au combat. Aussi notre adversaire nous renverse-t-il sans grands efforts, car, par tout ce vain attrait, nous lui facilitons notre chute.
Nous agissons comme l'athlète qui, voyant son antagoniste nu et couvert de poussière, noirci par le soleil, frotté d'huile et tout ruisselant de sueur, de boue et de sable, se hâterait de parfumer sa chevelure, de revêtir un vêtement de soie, de chausser des brodequins dorés, de relever une robe longue et traînante, et de ceindre une couronne d'or, et puis engagerait la lutte. Non-seulement cette superbe parure gênerait ses mouvements, mais le soin qu'il prendrait pour ne la point salir ou déchirer occasionnerait promptement sa défaite, et il tomberait bientôt blessé, comme il le craignait, dans les principales parties du corps. Or, voilà l'heure du combat, et vous vous couvrez d'un vêtement de soie ? Voilà le moment de la lutte et de la course, et vous vous parez avec une ridicule recherche? Pouvez-vous espérer la victoire? Il ne s'agit pas ici de combats extérieurs, mais d'une lutte intestine. Car lorsque l'âme est enchaînée par les soucis et les préoccupations des biens terrestres, elle ne nous permet ni de lever le bras, ni de frapper l'ennemi, tant elle nous rend mous et efféminés. Ah ! puissions-nous briser ces liens, . et vaincre ce tyrannique ennemi !
C'est pourquoi, comme si ce n'était pas assez de renoncer à nos richesses, Jésus-Christ nous dit encore : " Vendez tout ce que vous possédez, et le donnez aux pauvres; et venez, et suivez-moi ". (Marc, X, 21.) Ainsi le renoncement aux biens de la terre ne suffit pas toujours pour nous établir dans une parfaite sûreté, et il faut y joindre mille précautions. - Mais, à plus forte raison, si nous retenons ces biens , deviendrons-nous incapables de tout héroïsme , et prêterons-nous à rire aux spectateurs et à notre cruel ennemi. Au reste, quand même le démon n'existerait point, et que nul ne nous attaquerait, l'amour des richesses. multiplierait pour nous les chemins (le l'enfer. Où sont donc aujourd'hui ceux qui disent : Pourquoi le démon a-t-il été créé? Car ici l'action du démon est nulle, et c'est nous qui faisons tout. Ce langage pourrait être permis à ces anachorètes qui vivent sur les montagnes, qui ont embrassé la sainte virginité, et qui ont méprisé l'argent et tous les biens de la terre, et qui ont quitté généreusement maison et champ, père, femme et enfants. Mais ils se taisent, et laissent ces blasphèmes à ceux qui ne devraient jamais les prononcer.
La passion de l'argent est comme une arène où le démon nous provoque, et il ne mérite pas que nous y descendions. Mais c'est lui, me direz-vous, qui allume en nous cette ardente cupidité. Fuyez donc, ô homme ! et éteignez ces feux dangereux. Si vous voyiez un homme secouer d'un lieu élevé un vêtement couvert de poussière, et un autre assis au-dessous recevoir tranquillement ces immondices; vous ne plaindriez point ce dernier, et même vous diriez dans votre indignation qu'il n'a que ce qu'il mérite. Tous les passants lui diraient également : Ne soyez donc pas si imbécile ! et ils blâmeraient plus celui qui reçoit l'outrage que celui qui en est l'auteur. Or, maintenant vous ne pouvez ignorer que le démon n'excite en nous la soif des richesses, et qu'il est à notre égard la cause d'épouvantables malheurs. Vous le voyez préparer, comme une fange immonde, les pensées les plus honteuses, et vous ne comprenez pas qu'il vous les jette au visage, quand il ne faudrait qu'un peu vous éloigner pour les éviter. L'imbécile dont je parlais tout à l'heure n'aurait qu'à changer de place, et il s'épargnerait tout désagrément; et vous aussi n'accueillez pas ces pensées, et vous éviterez le péché.
Réprimez donc en vous la cupidité. Eh ! comment y parviendrai-je,
me direz-vous? (14) Si vous étiez païen, et si, comme tel,
vous n'étiez touché que des biens de la terre, cela vous
serait peut-être difficile , quoique des païens l'aient fait.
Mais vous espérez le ciel et les biens- éternels, et vous
dites : Comment réprimer la cupidité? Si je volis tenais
un langage tout contraire, le doute vous serait permis; et si je vous disais
: Désirez les richesses, vous me répondriez avec raison Comment
puis-je les désirer en voyant tout ce que je vois? Si je vous disais
encore, en vous offrant de l'or et des pierres précieuses Donnez
la préférence à une masse de plomb, hésiteriez-vous
à me répondre : Eh ! puis-je le faire? S'il ne fallait, au
contraire, que mépriser le plomb, rien ne vous serait plus facile.
En vérité, j'admire moins qu'on méprise les richesses
que je ne m'étonne qu'on les puisse rechercher. Car c'est le caractère
d'une âme basse, qui n'a aucune élévation dans la pensée,
et qui, semblable à un vil insecte, rampe à terre, et se
complaît dans la boue et la fange. Etrange langage ! vous prétendez
à l'héritage de la vie éternelle, et vous dites: Comment
mépriserai-je la vie présente? Est-ce que ces deux vies peuvent
être comparées? on vous offre la pourpre impériale,
et vous dites Comment rejetterais-je ces sales haillons? on va vous introduire
dans le palais du prince, et vous dites : Comment abandonnerais-je cette
humble cabane? Certes, nous sommes toujours nous-mêmes la cause et
le principe de tous nos malheurs, parce que nous ne secouons jamais une
coupable indolence. Car tous ceux qui l'ont réellement voulu y sont
parvenus avec ferveur et facilité. Ah ! puissent mes paroles convaincre
vos esprits , en sorte que votre conduite soit vraiment chrétienne
, et que vous deveniez les imitateurs de ces premiers héros du christianisme,
par la grâce et la miséricorde du Fils unique de Dieu, à
qui soit, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et
l'empire, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles
! Ainsi soit-il.
HOMÉLIE VIII. OR, PIERRE ET JEAN MONTÈRENT ENSEMBLE AU
TEMPLE, A LA PRIÈRE DE LA NEUVIÈME HEURE. (ACT. III, 1, JUSQU'AU
VERSET 11.)
ANALYSE. 1. Le sujet de cette homélie est la guérison
d'un boiteux opérée par les apôtres saint Pierre et
saint Jean, et pour mieux faire ressortir l'éclat du miracle, l'orateur
constate d'abord l'état de cet homme. — Il développe ensuite
tous les détails de ce miracle, et loue la conduite pleine de reconnaissance
que tint ce boiteux.
2. Cependant le peuple s'étant rassemblé, Pierre en prend occasion de faire connaître Jésus-Christ. — Ici saint Chrysostome, après avoir rappelé le discours fait dans le cénacle, montre l'apôtre s'élevant dans celui-ci à une plus grande hauteur de force et de confiance. — Mais soudain il interrompt son sujet, et, abordant une question de morale, il exhorte. ses auditeurs à travailler courageusement à l'acquisition des vertus chrétiennes, leur prouvant que l'habitude d'une seule facilite la pratique de toutes les autres.
3. C'est pourquoi il les supplie avec prières et avec menaces d'extirper du milieu de Constantinople le jurement et le blasphème, et montre quelle sera sur l'univers entier l'heureuse influence d'un tel exemple. — Si un petit nombre seulement obéit à la voix du pasteur, il s'en consolera, parce qu'il vaut mieux pour lui n'avoir à diriger que quelques brebis dociles que de commander à une multitude de chrétiens qui déshonorent aux yeux des païens la sainteté de la religion.
1. Une étroite amitié unissait les deux apôtres, Pierre et Jean. Aussi voyons-nous 'que, dans la dernière cène, " Pierre fait signe à Jean ", et qu'ils courent tous deux au tombeau. C'est encore Pierre qui interroge Jésus-Christ au sujet de Jean, et lui dit : " Et (15) celui-ci, que deviendra-t- il?" (Jean, XXI, 21.) Saint Luc, qui a omis le récit de plusieurs autres miracles, y rapporte là guérison du boiteux, parce qu'elle frappa plus fortement tous ceux qui en furent témoins. Mais observons tout d'abord que les deux apôtres ne montèrent point. au temple dans le dessein d'opérer un miracle, car, à l'imitation de leur divin Maître, ils évitaient tout ce qui pouvait tourner à leur avantage. Pourquoi donc vinrent-ils au temple ? Est-ce qu'ils observaient encore le culte mosaïque? Nullement : trais c'était pour l'édification générale. Nous les voyons en effet opérer un prodige nouveau qui les affermit eux-mêmes dans leur vocation, et qui détermine la conversion d'un grand nombre de disciples. Ce boiteux l'était de naissance, et par conséquent incurable par les moyens ordinaires. Il était âgé de quarante ans, comme on va nous le dire, et depuis quarante ans on n'avait pu le guérir. Au reste vous savez assez combien toute infirmité de ce genre est rebelle aux traitements de la médecine, et la sienne était si grande qu'il ne pouvait même pourvoir aux besoins de son existence.
Du reste tout contribuait à le faire connaître, le lieu où il se tenait, et le genre même de son infirmité. " Or, il y avait, " dit saint Luc, un homme boiteux dès le sein de sa mère, qui était porté, et qu'on plaçait chaque jour à la porte du temple, appelée la Belle-Porte, pour demander l'aumône à ceux qui y entraient ". Il demandait donc l'aumône, et ne connaissait pas les apôtres auxquels il s'adressait. " Voyant Pierre et Jean entrer au temple, il les pria de lui "donner l'aumône. Mais Pierre et Jean le fixèrent, et Pierre lui dit: Regardez-nous ". A ces mots, il ne se lève point, et persiste à leur demander l'aumône. Car telle est la coutume du pauvre, il ne se rebute point d'un premier refus, et renouvelle ses instances. Rougissons donc, nous qui cessons de prier, si le Seigneur ne nous exauce sur-le-champ. Au reste voyez comme Pierre se hâte de lui adresser une parole de bienveillance : " Regardez-nous " , lui dit-il. Ainsi s'épanchaient au dehors les dispositions de son âme. "Mais celui-ci les regarda attentivement, "espérant en recevoir quelque aumône. Or, " Pierre dit : Je n'ai ni or, ni argent; mais ce que j'ai , je te le donne ". Il ne dit point : Je te donne une chose bien plus précieuse que l'argent; que dit-il donc? " Au nom de Jésus-Christ de Nazareth, lève-toi et marche, et l'ayant pris par la main droite, il le souleva". L'apôtre imita dans cette circonstance le Sauveur Jésus, qui, lui aussi, tendait la main à tous ceux dont la foi était faible et chancelante, pour prouver que ce n'était pas en eux un mouvement spontané.
" Et l'ayant pris par la main droite, il le souleva.". Cette guérison attestait la résurrection de Jésus-Christ, car elle en était une image. " Et aussitôt ses jambes et ses pieds s'affermirent; et, s'élançant , il se leva et marcha ". Il s'essayait, pour ainsi dire, à marcher, et il expérimentait si ses jambes pourraient le soutenir; il avait des pieds, mais ils étaient perclus. Quelques-uns même disent que dans le premier moment il ne savait pas marcher. " Et marchant, il entra avec eux dans le temple ". En vérité, voilà un étonnant prodige. Ce boiteux n'est point conduit par les deux apôtres, mais il les suit, et fait ainsi connaître ses bienfaiteurs. Bien plus , sautant de joie, il louait le Seigneur, et non les hommes, car il ne les regardait que comme tes instruments de la bonté divine. C'est ainsi qu'il se montrait reconnaissant.
Mais revenons sur l'explication des versets précédents. " Pierre et Jean montaient au temple à la neuvième heure de la prière ". Peut-être était-ce l'heure où l'on y portait le boiteux, parce que , à ce moment, le temple était plus fréquenté. Au reste saint Luc réfute tout autre motif que celui de recevoir l'aumône , car il dit expressément : " On le plaçait à la porte du temple pour demander l'aumône à ceux qui y entraient". Ce détail si précis est une preuve de la sincérité du récit. Mais pourquoi , direz-vous, ses parents ne l'avaient-ils pas conduit à Jésus-Christ? Peut-être étaient-ils eux-mêmes incrédules; et, en effet, quoiqu'ils se trouvassent en ce moment dans le temple, ils ne le présentèrent point aux deux apôtres. Cependant ils les virent entrer, et ils ne pouvaient ignorer les grands prodiges qu'ils avaient déjà opérés. " Il les priait de lui faire l'aumône ". Il les reconnut sans doute à leur extérieur pour des hommes charitables, aussi s'empressa-t-il de les arrêter.
Il n'est pas inutile d'observer qu'ici saint Jean garde le silence, et que saint Pierre (16) parle en son nom. " Je n'ai ", dit-il, " ni or, ni argent ". Il ne dit point, comme nous, je n'ai pas sur moi ; mais absolument: je n'ai pas. Vous rejetez donc ma demande, pouvait lui dire ce boiteux. Non, reprenait Pierre; mais je vous fais part de ce que j'ai. Voyez l'humble modestie de l'apôtre ! il ne se glorifie point même devant celui dont il va devenir le bienfaiteur. On ne voit ici agir que les lèvres et la main. Ce boiteux représentait les Juifs , qui, au lieu d'implorer la guérison, de leurs âmes, rampaient sur la terre, et ne demandaient que des biens temporels. Ils fréquentaient le temple, mais c'était pour mieux s'enrichir. Quelle fut donc la conduite de l'apôtre? Il ne méprisa point ce boiteux, et ne chercha point un riche, disant : Si le miracle s'opère à son égard, il ne fera aucun bruit., Ainsi il n'attendit aucune gloire de celui qu'il allait guérir, et il ne le guérit point en présence de nombreux témoins, car il était encore sur le seuil de la porte, et non dans l'intérieur du temple que. remplissait la multitude. Pierre ne, s'entoura point de tant ale solennité, et quand il fut entré dans le temple , il ne, publia point ce miracle. Son extérieur seul avait engagé ce boiteux à lui demander l'aumône. Mais, par un prodige nouveau et plus grand, cet homme eut à l'instant la conscience de sa guérison. Tout au contraire, un malade guéri après de longues années , en croit à peine une guérison qu'il voit de ses propres yeux. Or, ce boiteux étant guéri, suivit les apôtres et rendit grâces à Dieu. " Il entra avec eux dans le temple ", dit saint Luc, " marchant, sautant et louant Dieu ".
2. Admirez comme il saute de plaisir, et ferme ainsi la bouche à tous les murmures des Juifs. Je croirais aussi que, pour mieux prouver la réalité de sa guérison, il se donnait ces violents mouvements qu'on ne peut feindre. C'était bien ce même homme perclus des deux jambes, et qui ne pouvait se remuer, même pressé par la faim;-et certes, s'il eût pu marcher seul, il n'eût point voulu partager ses aumônes avec ceux qui l'assistaient. Comment donc aujourd'hui le voudrait-il? Ou comment feindrait-il une. guérison pour faire honneur à des gens qui lui auraient refusé une légère aumône? Mais il conservait, même après sa guérison, le sentiment d'une vive reconnaissance, et il en donna des preuves dans cette circonstance comme dans la suite. Au reste , il était généralement connu, et c'est ce que dit expressément saint Luc. " Et tout le peuple le vit marcher et louer Dieu. Et tous reconnaissaient que c'était celui-là même qui était assis à la Belle-Porte du temple pour demander l'aumône ". Cette expression " reconnaissaient ", est parfaitement juste, car ce ne fut point ce miracle qui le fit connaître, comme nous le disons de ceux dont nous n'avons qu'un vague souvenir. Mais pouvait-on ne pas croire qu'au nom de ce même Jésus qui opérait de si grands prodiges, les péchés étaient remis ?
" Et comme celui qui avait été guéri tenait par la main Pierre et Jean, tout le peuple étonné courut vers eux, au portique qui s'appelle le portique de Salomon ". L'attachement et l'amitié ne permettaient pas à ce boiteux de quitter ses bienfaiteurs, et sans doute qu'il les louait et les remerciait. " Et tout le peuple courait vers eux, ce que voyant Pierre, il prit la parole ". Pour la seconde fois le même apôtre agit et parle. Dans le cénacle le prodige de l'universalité des langues lui avait gagné l'attention de ses auditeurs , et dans le temple c'est la guérison de ce boiteux. Alors il avait pris, comme pour texte de son discours , le déicide que les Juifs avaient commis, et maintenant il part du sujet même de leurs pensées. Il ne sera donc pas sans intérêt d'examiner en quoi ces deux discours diffèrent et se ressemblent. Le premier fut prononcé dans le cénacle, avant toute conversion et tout miracle. le second, au contraire, le fut en présence du peuple étonné, du boiteux guéri, et d'une foule qui ne doutait plus, et qui ne disait plus : " Ces gens sont pris de vin ". Observez encore que là Pierre parlait au nom de tous les apôtres, et ici au nom seul de saint Jean ; et enfin .qu'il s'exprime avec plus de force et de confiance.
Tel est, en effet, le caractère de la vertu ; qu'elle progresse toujours et rie s'arrête jamais. Remarquez aussi que ce premier miracle s'opère dans le temple, afin de fortifier la foi des nouveaux fidèles. Ce n'est donc point dans un lieu retiré, et comme en secret que Pierre agit, et néanmoins ce n'est point dans l'intérieur du temple, où le peuple était nombreux. Mais comment le peuple put-il croire à ce miracle? Parce que celui-là même sur qui il (17) avait été opéré publiait sa guérison; or, si elle n'eût été réelle, aurait-il seulement osé se montrer à la foule? Ainsi ce miracle s'opère dans un lieu qui est tout ensemble public et secret. Et voyez ce qui arrive : Pierre et Jean montaient au temple pour prier, et ils firent tout autre chose. Ainsi le centurion Corneille priait et jeûnait pour obtenir une grâce tout autre que la révélation dont il fut favorisé.
Jusqu'ici Pierre désigne le Sauveur sous le nom de Jésus de Nazareth ; et il dit au boiteux " Au nom de Jésus de Nazareth , lève-toi et marche ". C'était un moyen de l'amener à croire à sa parole. Mais, je,vous le demande, ne vous lassez pas dès les premiers instants de cet entretien ; et quoique plusieurs peut-être se retireront après ce premier récit , je veux y revenir. D'ailleurs avec un peu de bonne volonté, nous arriverons bientôt à la fin, et nous atteindrons le but. Car, comme dit le proverbe, le zèle engendre le zèle, et la lâcheté, la lâcheté. Le peu de bien que l'on a fait, encourage à en faire plus encore , et on le continue avec confiance. Plus on met de bois sur un brasier, et plus il devient ardent. Ainsi plus l'âme se nourrit de pieuses pensées, et plus elle devient invincible à la tentation. Vous faut-il un exemple? Dans notre coeur naissent, comme des ronces et des épines, le parjure-, le mensonge , la dissimulation , la fraude, la malignité, la raillerie, l'injure, la moquerie et les paroles impures et obscènes. D'un autre côté pullulent dans ce même coeur l'avarice, la rapine, l'injustice , l'hypocrisie et la malice. Ajoutez-y encore la concupiscence, l'immodestie, l’impureté, la fornication et l'adultère; et enfin l'envie, la jalousie, la colère, l'emportement, la haine; la vengeance, le blasphème et mille autres vices. Si vous triomphez des premiers, vous vaincrez facilement les seconds et même les troisièmes.
C'est qu'une première victoire fortifie l'âme et la prépare à de nouveaux succès. Que celui qui a l'habitude de jurer, se corrige donc de cette diabolique coutume, et non-seulement il remplira un devoir, mais encore il se sentira porté aux divers exercices de la piété. Car celui qui s'interdit le péché du blasphème, ne voudra point en commettre d'autre, et il gardera honorablement la vertu qu'il s'est acquise. Il se respectera lui-même avec le même soin que nous évitons de salir un habit précieux. Il en arrivera donc bientôt à ne plus se permettre aucun acte de colère, d'emportement, ni de méchanceté, et ainsi, en avançant peu à peu, il atteindra la perfection. Mais souvent nous voyons arriver tout le contraire : car celui qui a bien commencé, ne se soutient pas; il retombe par lâcheté dans ses premiers désordres et devient incorrigible. Par exemple, nous nous sommes imposé la loi de rie pas jurer, et pendant trois ou quatre jours nous v avons été fidèles: Mais dans une circonstance la tentation l'a emporté et nous avons perdu tout le fruit de notre première victoire. Alors, hélas ! nous tombons dans un lâche découragement, et nous ne voulons plus renouveler nos efforts. Cela se comprend jusqu'à un certain point ; car on est toujours peu empressé à relever un bâtiment qu'on a vu s'écrouler; et cependant il faudrait s'armer de courage et recommencer avec une nouvelle énergie.
3. Proposons-nous donc chaque jour la pratique d'une vertu , et commençons par les plus faciles. Renonçons à la mauvaise habitude de jurer, mettons un frein à notre langue et ne prenons jamais en vain le nom du Seigneur. Ici point de dépenses, point de pratiques et nuls efforts pénibles : il suffit de le vouloir et tout est fait; car c'est une affaire d'habitude. Aussi je vous le demande instamment : sachez vouloir. Si je vous avais annoncé une distribution d'argent, tous, vous vous seriez empressés d'accourir; et si vous me voyiez dans un péril extrême, vous n'hésiteriez pas à exposer votre vie pour m'en arracher. Eh bien ! aujourd'hui, je suis en proie à une vive douleur, et je souffre tout autant que si j'étais prisonnier, battu de verges ou condamné aux mines. Tendez-moi une main secourable, et réfléchissez à quels dangers vous m'exposez si je ne puis obtenir de vous-mêmes le plus léger acte de vertu; je dis léger sous le rapport du travail et des efforts. Et en effet, que répondrai-je à ces accusations : Pourquoi n'as-tu pas exhorté et repris? Pourquoi n'as-tu pas commandé, insisté sur l'obligation et menacé fortement les. désobéissants
Il ne me suffira pas de répondre que j'ai averti, car on répliquera qu'il fallait plus que de simples remontrances, et l'on me condamnera par l'exemple d'Héli. Ce n'est point, à Dieu ne plaise ! que je vous compare à ses fis. Mais enfin il les reprenait et leur disait : " Mes enfants, n'agissez pas ainsi, car j'apprends qu'on parle mal de vous ". (I Rois, II, 24.) (18) Cependant l'Ecriture dit qu'il n'avertit point ses enfants, c'est-à-dire qu'il ne le fit pas avec assez .de force et de sévérité. De plus, n'est-il pas absurde de voir, parmi les Juifs, un chef de synagogue parler en maître et se faire obéir, tandis qu'ici ma parole est méprisée et dédaignée ? Je ne cherche point ma propre gloire et je n'en veux point d'autre que vos moeurs chrétiennes; mais je cherche votre, salut. Chaque jour je crie, je tonne à vos oreilles, et malgré la véhémence de mes paroles, personne ne m'écoute. Ah ! combien j'ai à craindre.qu'au jour du jugement je ne rende compte de ma trop grande indulgence ! C'est pourquoi je vous le déclare à haute et intelligible voix : j'interdis l'entrée de l'église à quiconque se permettra encore de parler le langage de Satan, c'est-à-dire de jurer.
Je vous donne un mois pour vous corriger; et ne m'alléguez point la nécessité de vos affaires ni la défiance que l'on a de votre parole, car vous pouvez changer cette habitude de tout attester par serment. Je sais bien que je vais prêter à la critique; mais il vaut mieux pour moi d'être critiqué pendant ma vie que de brûler après ma mort. Au reste, qui rira de moi, sinon les insensés? Car quel homme sage blâmerait mon zèle à faire observer la loi divine? Mais les plaisanteries des méchants retomberont bien moins sur moi que sur Jésus-Christ lui-même.: Ce mot vous fait horreur, et cependant il est vrai. Si j'étais l'auteur de cette loi, ces froides railleries m'atteindraient; mais puisque Jésus-Christ en est le législateur, elles se dirigent contre lui. Oui, il a été autrefois moqué, frappé à la joue et souffleté, et aujourd'hui encore il reçoit absolument les mêmes outrages. Aussi nous menace-t-il de l'enfer et du ver qui ne meurt pas.
Je le répète donc et je vous le déclare de nouveau : Rira et raillera qui voudra, peu m'importe; car je ne suis en place que pour être moqué et honni, et pour tout souffrir, étant, selon l'apôtre., " la balayure du monde ". (I Cor. IV, 13.) Mais quiconque enfreindra le précepte qui défend de jurer, j'interdis, comme à son de trompe, l'entrée de l'église, fût-il prince ou même empereur. Déposez-moi de ma charge, ou, si vous m'y laissez, ne m'exposez pas au péril de la damnation. Et comment oserais-je m'asseoir sur ce trône; si je ne fais rien de grand ? Il vaudrait beaucoup mieux alors que j'en descendisse, car je ne connais pas de position plus triste que celle d'un évêque qui est inutile à son peuple.
Convertissez-vous donc, je vous en supplie, et veillez sur vous-mêmes réunissons nos efforts et nous obtiendrons quelque succès. Avec moi employez le jeûne et la prière pour demander à Dieu qu'il vous accorde de déraciner cette funeste habitude. Est-il une gloire comparable à celle d'être les docteurs de l'univers? Et, ne sera-ce pas déjà beaucoup si partout on sait que le jurement est inconnu dans Constantinople? Par là vous aurez droit à une double. récompense, parce que vous aurez été vertueux et zélés pour la sanctification de vos frères. Car ce que je suis au milieu de vous, vous le serez à l'égard de toutes les nations pas une qui ne veuille vous imiter, en sorte que, vous luirez à tous les regards comme la lampe placée sur le chandelier. Est-ce tout? non certainement, et ce n'est que le commencement d'une vie vraiment chrétienne, car celui qui s'interdit le jurement s'adonnera bientôt, bon gré, mal gré, par honte ou par crainte, à la pratique des autres vertus.
Mais plusieurs, me direz-vous, vont se retirer, choqués de vos paroles. Eh ! ne savez-vous pas " qu'un seul qui fait la volonté de Dieu, vaut mieux que mille impies ". (Eccli. XVI, 3.) Aussi tout vous semble-t-il bouleversé, et sens dessus dessous, parce que, comme au théâtre, nous estimons plus le choix que le nombre des personnes. Et, en effet, à quoi sert le nombre? Voulez-vous connaître combien un saint l'emporte à lui seul sur toute une multitude? opposez-lui une armée entière, et vous verrez qui fera de plus grandes choses. Josué, fils de Navé, combattit seul contre les ennemis d'Israël, et il les vainquit, tandis que d'autres chefs succombèrent avec de -nombreuses armées. Ainsi, mon cher frère, une multitude qui ne fait pas la volonté de Dieu, est nulle. Sans doute, je désire et je souhaite, même aux dépens de ma vie, que cette Eglise brille par la multitude de ses fidèles, mais de véritables fidèles : et si je ne puis en réunir un grand nombre, je me consolerai par l'excellence du choix. Un seul diamant n'est-il pas plus précieux que mille oboles? ne vaut-il pas mieux avoir l'oeil bon et sain que de le perdre et de devenir gras et obèse? n'est-il pas plus avantageux de ne posséder qu'une brebis, que d'en avoir cent attaques de la teigne? enfin, un père ne préfère-t-il pas deux (19) ou trois enfants vertueux à un plus grand nombre méchants et vicieux?
D'ailleurs, ne savez-vous pas que peu entreront dans le royaume des cieux , et que beaucoup tomberont dans l'enfer ? Eh ! quel avantage me procurerait un grand nombre de mauvais chrétiens? aucun, ou plutôt leur exempte serait pernicieux aux autres. Ce serait comme si un chef, ayant le choix entre dix soldats valides et mille autres malades et infirmes, voulait les réunir tous ensemble. Certes, un tel mélange ne produirait aucun bon résultat; et de même je ne devrais en attendre que de la honte pendant nia vie, et d'affreux supplices après ma mort, car le grand nombre ne me justifiera point devant le Seigneur, et la stérilité de mes oeuvres me condamnera. N'est-ce pas même la réponse que nous font les païens, quand nous leur disons : Voyez comme nous sommes nombreux? Oui, vous êtes nombreux , disent-ils, mais mauvais.
Aussi je le déclare encore une fois à haute voix et du
ton le plus sévère : J'éloignerai et j'exclurai de
l'église tous ceux qui n'obéiront pas à cet ordre,
et tant que je serai assis sur ce trône, je n'admettrai là-dessus
aucune excuse. Si l'on m'en fait descendre, je n'aurai plus la responsabilité
de votre conduite; mais aussi longtemps que je serai votre pasteur, je
serai ferme et vigilant, moins par la crainte du. supplice que par le désir
de votre salut. Ah ! que je le souhaite ardemment ! et combien, pour l'obtenir,
je me répands en douloureux gémissements ! mais obéissez
à votre pasteur, afin que sur la terre et dans le ciel votre obéissance
soit magnifiquement récompensée, et que nous obtenions tous
les biens éternels, par la grâce et la miséricorde
du Fils unique, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint,
la gloire , l'honneur et l'empire, maintenant , toujours, et dans les siècles
des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE IX. OR, PIERRE VOYANT, CELA, DIT AU PEUPLE : HOMMES D'ISRAEL
, POURQUOI VOUS ÉTONNEZ-VOUS DE CECI, OU POURQUOI NOUS REGARDEZ-VOUS,
COMME SI C'ÉTAIT PAR NOTRE VERTU, OU PAR NOTRE PIÉTÉ,
QUE NOUS EUSSIONS FAIT MARCHER CE BOITEUX? (ACT. III, 12, JUSQU'A LA FIN
DU CHAPITRE.)
ANALYSE. 1. Après avoir montré la modestie de saint Pierre,
qui repousse personnellement la gloire de ce miracle, l'Orateur entre dans
le développement de son discours, et y rehausse deux éminentes
qualités : la force avec laquelle il reproche aux Juifs leur déicide,
et la douceur avec laquelle il leur ouvre la voie du repentir et de la
pénitence.
2. Il observe aussi que l'apôtre qui, dans son premier discours, s'était appuyé de l'autorité de David pour prouver la résurrection de Jésus-Christ, allègue ici celle de Moise pour établir que tous doivent croire à sa doctrine, et particulièrement les Juifs, qui sont les fils des prophètes.
3. A l'égard du déicide commis sur la personne de Jésus-Christ, Pierre oppose leur conduite à celle de Pilate qui vouait l'absoudre, et leur fait ainsi sentir l'énormité de leur crime.
4. Quant à la guérison de ce boiteux faite au nom de Jésus, elle prouve que Jésus ego vraiment ressuscité, car comment un mort pourrait-il opérer un tel prodige ?
5. L'Orateur revient ensuite sur la prophétie de Moise, et de nouveau en fait ressortir la gloire de Jésus-Christ, qui est ce législateur que tous doivent écouter.
6.Puis il terminé par une vive exhortation à bannir le serment de toutes transactions commerciales et alaires civiles.
1. Ce second discours de l'apôtre respire plus de confiance que le premier. Ce n'est point qu'il cédât alors à un sentiment de crainte, mais c'est qu'un ton moins humble (20) eût irrité des esprits railleurs. Aussi s'étudie-t-il dès les premiers mots à capter leur attention. Apprenez ceci, leur dit-il, et prêtez l'oreille à mes paroles. Ici , au contraire, ces précautions oratoires devenaient inutiles, car les esprits n'étaient point lâches ni distraits. Le miracle les avait rendus attentifs et les avait remplis de crainte et d'étonnement. Ces dispositions exigeaient donc un exorde tout différent, et en repoussant toute gloire personnelle, Pierre acquérait un nouveau droit à leur bienveillance. Et, en effet, l'orateur est assuré de plaire à son auditoire, quand il s'annonce modestement, et repousse tout soupçon d'orgueil et de vanité. Au reste, ce mépris de la gloire que faisaient paraître les deux. apôtres , rejaillissait glorieusement sur eux, et montrait que la guérison de ce boiteux était une couvre divine à laquelle les hommes n'avaient aucune part , et 'qu'eux-mêmes devaient admirer, bien loin de s'en attribuer l'honneur.
Voyez-vous donc combien Pierre est pur de toute ambition, et avec quel soin il repousse la gloire qu'on lui décerne? C'est ainsi qu'avaient agi les anciens justes; Daniel, qui disait : " Si je parle, ce ne sera point parce que je possède une sagesse toute particulière "; Joseph qui s'écriait : " L'interprétation des songes ne vient-elle pas de Dieu? " et David qui répondait à Saül : " Lorsqu'un lion ou un ours venait, j'invoquais le nom du Seigneur et je les déchirais de mes mains ". (Dan. II, 30; Gen. XL, 8; I Rois, XVII, 34.) Et de même nos deux apôtres disent : " Pourquoi nous regardez-vous comme si par notre vertu et notre piété nous avions fait marcher ce boiteux? " Car ce n'est pas ici notre oeuvre, et nous n'avons pu par nous-mêmes attirer sur cet homme une si grande grâce.
" Le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères ". L'apôtre rappelle souvent le souvenir dés anciens patriarches pour écarter tout soupçon d'une religion nouvelle, et de même que dans son premier discours.il avait nommé David,, il cite dans celui-ci Abraham et ses descendants. " A glorifié son Fils Jésus ". Toujours la même humilité que dans son exorde; et puis il insiste sur le crime des Juifs, le flétrit hautement et n'en parle plus en termes couverts, comme il avait fait précédemment. Son but est de presser leur conversion, car plus ouvertement il condamne leur déicide et plus il éveille leur attention. " A glorifié son Fils Jésus, que vous avez livré et renié devant Pilate, qui avait jugé qu'il devait être renvoyé absous ". Vous êtes donc coupables d'un double crime, parce que Pilate voulait le renvoyer absous et que vous vous y êtes opposés." Vous avez donc renié le saint et le juste, et vous avez demandé qu'on vous accordât la grâce d'un homicide; et vous avez fait mourir l'auteur de la vie, mais Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, et nous sommes témoins de sa résurrection ".
C'est comme s'il eût dit : vous avez préféré à Jésus un insigne voleur. C'était donc un reproche bien grave; mais parce qu'il les tenait sous sa main , il les presse vivement. " Vous avez fait mourir l'auteur de la vie; mais Dieu l'a ressuscité d'entre les morts ". Ici il montre le dogme de la résurrection ; et pour prévenir cette objection, sur quelles preuves se repose-t-il? il ne cite point lés prophètes, mais son propre témoignage, parce que désormais il mérite d'être cru. La première fois qu'il avait parlé de la résurrection de Jésus-Christ, il avait invoqué l'autorité de David. Et ici, en se posant lui-même comme témoin , il s'appuie sur le collège apostolique. " Nous sommes ", dit-il, " témoins de sa résurrection , et c'est par la foi en son nom, que sa puissance a affermi cet homme que vous voyez et que vous connaissez; et c'est la foi qui vient de lui , qui a donné à celui-ci une entière guérison en présence de vous tous ". Avant d'expliquer le miracle, il en montre la certitude par ces mots : " En présence de vous tous ". Mais, parce qu'il les avait sévèrement repris , en leur montrant glorieux et ressuscité ,ce Jésus qu'ils avaient fait mourir, il se hâte d'adoucir sa parole, et leur ouvre la voie du repentir.
" Et maintenant, mes frères, je sais que vous l'avez fait par ignorance, ainsi que vos chefs ". Il leur présente donc, une double excuse : d'abord leur " propre ignorance ", et puis " l'exemple de leurs chefs ". C'est ainsi que Joseph disait à ses frères : " Dieu m'a envoyé devant vous ". (Gen. XLV, 5.) Bien plus, ce qu'il n'avait fait qu'indiquer par ces mots
" Il a été livré par le conseil et la prescience de Dieu " (Act. II, 23), il le développe en disant que " le Seigneur vient d'accomplir " ainsi ce qu'il avait prédit par la bouche de (21) ses prophètes, que le Christ devait souffrir ". C'était presque les absoudre de ce crime, en leur montrant qu'ils n'avaient fait qu'exécuter la volonté de Dieu; et en disant : " selon ce qui avait été prédit ", il leur rappelle indirectement les reproches qu'ils adressaient à Jésus-Christ sur la croix: Que Dieu le délivre, s'il le veut; car il a dit : je suis le Fils de Dieu. Qu'il se confie donc en lui, et qu'il descende présentement de la croix. (Matth. XXVII, 40; Luc, XXIX, 35.)
Eh quoi ! ô insensés, pensiez-vous qu'il condescendrait à vos amères railleries? Non, bien certainement. Mais il fallait que ces choses arrivassent pour accomplir les prophéties. Aussi Jésus-Christ ne descendit-il point de la croix, non par impuissance, mais par un acte de sa puissance. C'est donc cette excuse que l'apôtre présente à ses auditeurs, afin qu'ils la saisissent avec empressement; et en disant : " Dieu vient d'accomplir ainsi ce qu'il avait prédit ", il rapporte toutes choses à l'exécution de ses volontés. " Faites donc pénitence", ajoute-t-il, " et convertissez-vous ". Il ne dit point : En renonçant à vos péchés, mais.: "Afin que vos péchés, soient effacés ", ce qui présente le même sens.; puis il indique quels seront les fruits de cette pénitence : " Quand les temps de repos que la présence du Seigneur doit donner, seront venus ". Pouvait-il mieux leur faire sentir dans quel abîme de maux ils étaient tombés, et de quels malheurs ils étaient affligés ! Il leur adresse donc ces paroles, parce qu'il n'ignore point qu'ils cherchent quelque consolation, et qu'elles sont propres à adoucir l'amertume de leur, douleur.
2. Mais admirez avec quelle sagesse procède l'apôtre. Dans son premier discours, il s'est borné à insinuer la résurrection de Jésus-Christ et son ascension : ici , au contraire, il n'hésite pas à annoncer son second avénement. " Quand le Seigneur ", dit-il, " aura envoyé Jésus-Christ prédit longtemps d'avance. Et il faut", c'est-à-dire, il est nécessaire, " que le ciel le reçoive jusqu'au jour du rétablissement de toutes choses ". Pourquoi ne vient-il donc pas aujourd'hui? la raison en est manifeste. " C'est qu'il faut que tout ce que Dieu a prédit par la bouche de ses saints prophètes, dès le commencement du monde, s'accomplisse. Car Moïse a dit à nos pères : Le Seigneur votre Dieu vous suscitera du milieu de vos frères un prophète semblable à moi, et vous l'écouterez en tout ce qu'il vous dira ". Précédemment Pierre avait cité David, et ici il cite Moïse. " Tout ce que Dieu a prédit ". L'apôtre ne dit pas : " Tout ce que le Christ a prédit " mais : " le Seigneur ", afin de les amener insensiblement à la foi au Sauveur Jésus. C'est pourquoi il leur allègue un témoignage irrécusable, celui, de Moïse qui a dit : " Le Seigneur, votre Dieu, vous suscitera d'au milieu de vos frères un prophète semblable à moi, et vous l'écouterez en tout ce qu'il vous dira ". Ecoutez maintenant la menace : " Et quiconque n'aura pas écouté ce prophète , sera exterminé du milieu du peuple ". (Deut. XVIII, 15.)
" Or tous les prophètes ", continue l'apôtre, ".depuis Samuel, et dans les temps postérieurs, ont annoncé ces jours ". C'était révéler clairement à ses auditeurs le châtiment d'Israël. Mais observez que toutes les fois que saint Pierre doit leur annoncer quelque chose d'important, il allègue le témoignage des prophètes, et qu'il en trouve des mieux appropriés aux promesses, non moins qu'aux menaces, comme celui-ci : " Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je place vos ennemis sous vos pieds ". (Ps. CIX, 2.) Dans son admirable concision, ce verset énonce le crime et le genre du châtiment. " Un prophète semblable à moi ". Pourquoi donc vous étonner ! " Car vous êtes les fils des prophètes " ; aussi vous disais-je que toutes ces choses ont été faites pour vous. Les Juifs pouvaient en effet se considérer comme rejetés, du Seigneur à cause de leur déicide; car il leur paraissait invraisemblable que le Dieu qu'ils venaient de crucifier les aimât comme. ses enfants. C'est néanmoins ce qu'avait prédit Moïse : " Vous êtes ", avait-il dit, " les fils des prophètes, et les enfants de l'alliance que Dieu a établie avec nos pères, disant à Abraham ; Et en ta race seront bénies toutes les familles de la terre ". (Gen. XII, 3.) C'est donc pour " vous premièrement que Dieu,a envoyé son Fils, le ressuscitant ". Sans doute, c'est aussi pour tous les autres peuples, mais premièrement pour vous qui l'avez crucifié. " Et il l'a envoyé afin que vous soyez bénis, et que chacun de vous revienne de son iniquité ".
Mais reprenons l'explication de ce discours. L'apôtre veut convaincre les Juifs que ni Jean, ni lui ne sont l'auteur de ce miracle; aussi leur dit-il: "Pourquoi vous étonnez-vous? " Cependant il ne veut ras qu'ils doutent de sa réalité; et c'est pour le leur rendre plus certain encore, qu'il prévient leurs pensées, et s'écrie : " Pourquoi nous regardez-vous comme si nous avions opéré ce prodige par notre vertu et notre piété? " Si cette guérison vous trouble et vous agite, apprenez quel en est l'auteur, et vous cesserez de vous en étonner. Ici encore , comme toujours, Pierre s'appuie sur le témoignage de Dieu, et dès qu'il a affirmé que tout. arrive selon ses conseils, il n'hésite plus à reprendre vivement ses auditeurs. Aussi a-t-il dans son premier discours nommé Jésus " un homme approuvé a de Dieu au milieu d'eux " ; et il leur rappelle sans cesse qu'ils l'ont mis à mort pour mieux faire resplendir le miracle de sa résurrection. Mais ici ce n'est plus seulement Jésus de Nazareth; et il lui donne un titre bien plus auguste. " Le Dieu de nos pères ", dit-il, " a glorifié son Fils Jésus ".
Admirez cependant l'humilité du saint apôtre; il ne s'emporte point contre ses auditeurs, et ne leur dit point subitement: Croyez en Jésus-Christ, car voilà que cet homme, âgé de quarante ans et boiteux de naissance, a été guéri en son nom. Un tel langage les eût rebutés: il s'en abstient donc, et s'empresse de louer l'étonnement qu`ils font paraître. Il nomme ensuite Dieu, le Père de Jésus, et ne dit point que celui-ci avait guéri le boiteux, quoiqu'il fût véritablement l'auteur de cette guérison, afin de prévenir cette objection Jésus était un malfaiteur, et comment peut-on lui attribuer cette gloire? C'est pourquoi il leur rappelle' quel jugement Pilate en a porté, et leur montre ainsi, pour peu qu'ils veuillent réfléchir, que Jésus n'était point un malfaiteur, car Pilate n'eût point alors voulu le relâcher. Observez aussi le choix de cette expression : " Pilate jugeant qu'il devait être absous ". Ce n'était pas en lui une simple volonté, mais un vrai jugement qui' attestait que vous demandiez la grâce de l'homme qui avait commis un meurtre, et que vous rejetiez celui .qui rappelait les morts à la vie.
Ils pouvaient encore faire cette objection Comment ceux qui abandonnèrent alors leur Maître, viennent-ils aujourd'hui le glorifier? Pierre y répond en citant le témoignage des prophètes qui avaient prédit que les choses devaient ainsi arriver. D'autre part il les reprend vivement, de peur qu'ils ne- cherchassent à s'excuser sur l'ordre et les conseils du Seigneur. Car c'était un crime énorme que d'avoir renié Jésus-Christ en présence de Pilate ; et la présence parmi eux du meurtrier qu'ils lui avaient préféré, leur ôtait à cet égard toute excuse. Pierre agit donc avec une grande sagesse, et leur prouve combien, dans ces circonstances, leur conduite a été honteuse et légère. Pilate, qui était païen, qui voyait Jésus pour la première fois, et qui n'avait été témoin d'aucun prodige, voulait le délivrer, et vous, qui aviez été comme nourris au milieu de ses miracles, vous vous y êtes opposés. Au reste Pilate, en renvoyant Jésus absous, prétendait accomplir un devoir de justice, et non point faire un acte de compassion et d'indulgence. Car écoutez ses propres paroles : La coutume est de vous accorder la délivrance d'un prisonnier : " Et voulez-vous que je vous délivre celui-ci? " Et vous, dit l'apôtre, " vous avez rejeté le saint et le juste ". Il ne dit point : Vous avez livré, mais : " vous avez rejeté ". Cette expression est parfaitement juste, parce qu'ils s'étaient écriés : " Nous n'avons pas d'autre roi que César ". (Jean, XIX, 15.)
Observons enfin que l'apôtre, après avoir reproché aux Juifs de n'avoir point réclamé la délivrance du juste, et même de l'avoir rejetée, ajoute : Et vous l'avez mis à mort. Lorsque les esprits étaient encore tout plongés dans les ,ténèbres, il n'avait eu garde de parler ainsi; mais les voyant troublés et agités, il frappe ces coups violents parce qu'ils peuvent mieux les sentir. Ce n'est point dans le transport de l'ivresse, mais quand elle est dissipée, qu'on peut faire d'utiles représentations ; et de même l'apôtre profite d'un moment lucide pour parler sévèrement et énumérer leurs nombreux forfaits. Ils ont livré à la mort celui que Dieu a glorifié, ils l'ont renié en présence de Pilate qui le trouvait innocent, et ils lui ont préféré un voleur.
3. Admirez aussi comme il insinue que la résurrection de Jésus-Christ est un effet de sa puissance. Dans son premier discours, il avait dit : " Il était impossible qu'il fût retenu dans le tombeau ". Et ici : "Vous avez mis à mort l'auteur même de la vie ". Il n'a donc point reçu la vie d'un autre. L'esprit de malice enfante le mal, et le père de l'homicide est celui qui a commis le premier meurtre. Ainsi (23) l'auteur de la vie est celui qui possède, la vie par lui-même : " Que Dieu a ressuscité ", ajoute l'apôtre, " et c'est par la foi en son nom", poursuit-il, " que sa puissance, a affermi cet homme que vous voyez, et que vous connaissez; et c'est cette foi qui vient par lui, qui a donné à cet homme une entière guérison ". Mais puisque la foi que ce boiteux a eue en Jésus-Christ a opéré son entière guérison, pourquoi Pierre dit-il " en son nom ", et non point par son nom? C'est que les apôtres n'osaient pas encore prêcher la foi en Jésus-Christ ; et néanmoins, pour ôter tout ce que ce mot " par son nom ", aurait eu de peu élevé, il ajoute immédiatement : " Que la puissance de ce nom a affermi cet homme, et que la foi qui vient par lui, a donné à cet homme une entière guérison ".
Observez donc avec quelle condescendance l'apôtre ménage ses paroles. Et en effet celui-là s'est ressuscité lui-même, dont le nom seul a redressé ce boiteux qui était aussi impuissant à marcher que s'il eût été mort. Remarquez aussi comme toujours il s'en rapporte à leur propre témoignage. Il avait dit précédemment : " Vous le savez vous-mêmes"; et: " au milieu de vous ". Ici il dit également : " Que vous voyez et que vous connaissez et en présence de vous tous ". Il est vrai qu'ils ignoraient que ce boiteux avait été guéri au nom de Jésus, mais ils savaient qu'il était boiteux. Et les deux apôtres publiaient que cette guérison n'était pas leur œuvre, mais celle de la. puissance de Jésus-Christ. Si ce miracle n'avait été bien réel , et s'ils n'avaient eux-mêmes cru fermement à la résurrection du Sauveur, jamais ils n'eussent cédé à un mort l’honneur de cette guérison, et ils l'eussent tournée à leur propre avantage, d'autant plus que tous les regards se fixaient sur eux.
Mais parce que Pierre voyait tous les esprits troublés et agités, il s'empresse de les rassurer en leur donnant le nom de frères. "Mes frères ", leur dit-il dans son premier discours, sans parler de lui-même; il les avait exclusivement entretenus de Jésus-Christ. " Que toute la maison d'Israël sache donc certainement ". Ici au contraire il ajoute quelques avis. Précédemment il avait attendu l'explosion de leur étonnement et de leurs railleries, et maintenant il parle le premier, parce qu'il connaît leurs oeuvres et qu'il sait que les esprits sont plus traitables. Toutefois on ne peut conclure des premières paroles de l'apôtre que les Juifs avaient agi par ignorance. Et en effet, qui oserait sous ce prétexte les excuser d'avoir demandé la grâce de l'homicide Barabbas, et d'avoir rejeté Jésus que Pilate jugeait digne d'être renvoyé absous, parce qu'ils voulaient le faire mourir? Cependant il leur ouvre comme une voie au repentir et à l'excuse , et leur suggère même un moyen assuré de défense, en disant : En faisant mourir Jésus, vous saviez bien qu'il était. innocent, mais peut-être ignoriez-vous qu'il fût le principe de la vie. C'est ainsi qu'il excuse ses auditeurs du crime de déicide, et même ceux qui en furent lés auteurs. Autrement il eût augmenté leur obstination , s'il se fût répandu en reproches amers. Car reprenez trop sévèrement l’homme qui a commis une faute grave, et il l'aggravera en cherchant à s'excuser.
Remarquez aussi que l'apôtre ne leur dit plus: Vous l'avez tué, vous l'avez crucifié; mais seulement: " vous Pavez fait mourir", amenant ainsi ses auditeurs à un sincère repentir. Si les premiers ont agi par ignorance, à plus forte raison les seconds; et si Dieu leur pardonne, pourrait-il né point pardonner aux autres? Admirez encore la réserve de l'apôtre. Il a dit précédemment: " Toutes ces choses sont arrivées selon le conseil et la prescience de Dieu " ; et ici : " Le Seigneur vient d'accomplir ce qu'il avait fait prédire de Jésus-Christ ". Mais il ne cite aucun fait en témoignage de sa parole, parce que dans toute cause criminelle ce genre de preuve présage le châtiment. " Je donnerai ", dit le Seigneur, " les impies pour le prix de sa sépulture, et les riches pour la récompense de sa mort ". (Isa. LIII, 9.) Et encore : " Le Seigneur a accompli ce qu'il avait fait prédire par la bouche de tous les prophètes, que le Christ devait souffrir ". L'apôtre leur révélait ainsi un grand mystère, puisque ce n'était pas un seul prophète, mais tous les prophètes, qui l'avaient annoncé; et en même temps il leur rappelait que, quoiqu'ils eussent agi par ignorance, rien n'était arrivé que selon la volonté du Seigneur.
Nous voyons donc combien est admirable cette sagesse divine qui fait concourir à ses fins même la malice des pécheurs : " Il a accompli ". Pierre emploie ce terme pour marquer que rien ne manquait aux (24) souffrances du Christ, et déclarer qu'il avait à cet égard accompli les prophéties dans toute leur étendue. Il semble aussi qu'il eût dû leur dire : Ne vous croyez pas innocents de ce déicide, parce qu'il avait été prédit, et que vous avez agi par ignorance. Toutefois ce langage eût été un peu sévère; aussi leur dit-il plus doucement : " Faites donc pénitence ". Et pourquoi? " Afin que tous vos péchés soient effacés ", et ceux que vous avez commis en crucifiant le Sauveur, quoique peut-être votre ignorance puisse en partie vous excuser, et tous les autres dont vous vous êtes rendus coupables. Il ajoute ensuite : " Quand les temps de repos seront venus ". C'était parler obscurément de la résurrection, car le temps véritable du repos est celui que désirait saint Paul, lorsqu'il disait : " Pendant que nous sommes dans ce corps, comme dans une tente, nous gémissons sous son poids ". (II Cor. V, 4.) Enfin, montrant que Dieu est l'auteur de ce repos , l'apôtre poursuit ainsi : " Quand le Seigneur aura envoyé Jésus-Christ qui vous a été annoncé depuis longtemps ". J'observe aussi que Pierre ne dit point : Afin que votre péché soit effacé, mais : " vos péchés " ; et encore qu'il se contente d'insinuer " l'envoi " ou la mission du Christ, sans entrer dans aucune explication. Il ajoute seulement " qu'il faut que le ciel le reçoive ". Mais pourquoi parler comme au futur, et ne pas dire que le ciel l'a reçu? C'est qu'il fait allusion aux prophéties anciennes qui annonçaient que tels étaient les décrets et les conseils divins. Au reste, il omet à dessein la génération éternelle du Verbe , et continue a parler de l'économie de son incarnation. " Moïse a dit à vos pères : le Seigneur vous suscitera un prophète ". Précédemment l'apôtre avait dit : " Jusqu'au jour du rétablissement de toutes choses, jour que Dieu à prédit par la bouche de tous ses saints prophètes, dès le commencement du monde ". Et ici il fait enfin paraître Jésus-Christ lui-même. Mais s'il a fait lui-même plusieurs prédictions, et si nous devons l'écouter, qui nous accuserait d'erreur lorsque nous disons que tout a été prédit par les prophètes?
4. Au reste l'apôtre veut montrer qu'ils ont en effet prédit toutes ces choses; et un examen attentif nous le prouvera, quoique les prophéties ne laissent pas que d'être quelquefois obscures. Pierre ne parlait donc pas un langage nouveau. " Selon ce qui a été prédit ". Ici encore il effraie ses auditeurs, en insinuant que plusieurs prophéties ne sont pas encore accomplies. Comment donc a-t-il pu dire que le Christ " avait accompli tout ce qu'il devait souffrir ? " Il a dit : " Le Christ a accompli ", et non pas . Tout a été accompli, déclarant, par cette manière de parler, que le Christ avait personnellement souffert tout ce qu'il devait souffrir, mais que tout ce qui avait été prédit, comme devant ensuite arriver, n'avait pas encore été accompli. " Le Seigneur Dieu vous suscitera du milieu de vos frères un prophète semblable à moi ". Cette parole ne pouvait que lui concilier la bienveillance de ses auditeurs; et admirez le double caractère d'humilité et d'élévation par lequel il désigne le Christ ! Et, en effet, le Christ est bien grand puisqu'il monte dans les cieux, et en même temps il est bien humble puisqu'il est semblable à Moïse. Au reste, cette ressemblance était alors très-importante.
Mais en même temps le Christ est bien au-dessus de Moïse , " puisque quiconque ne l'écoutera pas sera exterminé ". A cette première preuve de supériorité, l'apôtre en ajoute un grand nombre d'autres, et il en forme comme un imposant ensemble de témoignages. " Dieu le suscitera du milieu de vos frères ". Moïse lui-même a donc fait entendre de graves menaces contre ceux qui ne l'écouteraient pas, et l'apôtre les résume en quelques mots. " Et tous les prophètes ", ajoute-t-il, " depuis Samuel ". Il ne les cite point chacun en particulier, pour ne pas trop allonger son discours, et il les omet à dessein après avoir heureusement allégué le témoignage de Moïse. " Vous êtes ", poursuit-il, " les fils des prophètes, et les enfants de l'alliance que Dieu a faite ". Les enfants " de l'alliance ", c'est-à-dire les héritiers. Et afin d'éloigner jusqu'à la pensée qu'ils lui étaient redevables de ce bienfait, l'apôtre leur rappelle que depuis longtemps ils avaient acquis ce droit. Et il leur prouve ainsi combien le Seigneur les a aimés.
" C'est à vous que Dieu, ressuscitant son Fils, l'a premièrement envoyé ". Il ne dit point simplement : Dieu vous a envoyé son Fils, mais après l'avoir ressuscité, c'est-à-dire après que vous l'avez eu crucifié. Et pour qu'ils n'attribuassent point cet acte de miséricorde au Fils et non au Père, il ajoute : " Afin qu'il vous bénisse ". Mais si le Christ, qui (25) est votre frère , vous bénit, la promesse du Seigneur se réalise. Aussi, loin que vous soyez exclus du nombre de ses enfants, il veut que vous deveniez les maîtres et les chefs de vos frères. C'est pourquoi vous ne devez point-vous considérer comme rejetés et abandonnés de Dieu. " Afin que chacun de vous revienne de son iniquité ". Ainsi ce n'est pas une simple bénédiction , mais une bénédiction pleine et abondante. Eh ! que sera donc cette bénédiction ! Elle sera vraiment grande. Car revenir seulement de ses iniquités, ne suffit pas pour les expier, ni, à plus forte raison, pour obtenir la bénédiction divine. Et en effet, quand celui qui commettait l'injustice, devient vertueux, on ne peut dire qu'il est béni , et il reçoit seulement le pardon de ses fautes.
Mais ces mots . " Semblable à moi " , ne peuvent s'appliquer à Jésus-Christ qu'en qualité de législateur, et autrement ils n'auraient aucun sens. Aussi Moïse ne dit-il pas simplement : "Vous l'écouterez "; mais: " que toute âme qui n'écoutera pas ce prophète , sera exterminée du milieu du peuple ". Au reste ce n'est qu'après les avoir. convaincus de péché, et après leur en avoir offert la rémission avec la promesse dés biens du ciel, que l'apôtre allègue le témoignage de Moïse. Eh ! quelle est la conclusion de ses paroles ? " Jusqu' " au jour du rétablissement de toutes choses ". Ainsi il leur cite Moïse comme les engageant à écouter tout ce que Jésus-Christ leur dira, et les y invitant sous les plus graves menaces. Oui, ces menaces sont terribles, et c'est pourquoi il faut lui obéir. Et maintenant que signifient ces mots : " Fils des prophètes, et enfants de l'alliance? " Ils signifient héritiers et successeurs. Si vous êtes les fils du père de famille, pourquoi donc ne considérez-vous votre patrimoine que comme un bien étranger? Vous avez sans doute commis un grand crime, mais vous pouvez en obtenir le pardon.
Que ces paroles sont consolantes ! Et puis il ajoute ; " Dieu vous a envoyé son Fils pour " vous bénir ". Il ne dit pas; pour vous sauver; mais: pour, vous bénir, ce qui est bien plus excellent; et il montre ainsi que Jésus crucifié bénira ceux mêmes qui l'ont attaché à la croix. Imitons-le donc, et rejetons toute pensée de sang et d'inimitié. Il ne suffit pas de ne point se venger; car la vengeance était défendue par la loi ancienne; mais il faut nous conduire envers ceux qui nous ont fait tort comme envers de véritables amis, et les aimer comme nous-mêmes. Nous serons ainsi les imitateurs et les disciples de ce Jésus qui est mort sur la croix, et qui n'a rien épargné pour le salut de ses bourreaux, jusqu'à leur envoyer ses apôtres. D'ailleurs ne méritons-nous pas souvent l'injustice qu'on nous fait éprouver? Mais à l'égard de Jésus-Christ la conduite des Juifs fut aussi impie qu'injuste, car ils crucifièrent leur bienfaiteur, l'homme qui jamais ne leur avait fait de mal. Quel fut donc leur motif? Dites-le moi. L'orgueil et la vanité. Et cependant Jésus-Christ les honorait dans toute circonstance. Comment? Rappelez-vous ces paroles : " Les scribes et les pharisiens sont assis sur la chaire de Moïse, faites donc tout ce qu'ils vous disent, mais ne faites pas ce qu'ils font ". Et encore : " Allez, et montrez-vous au prêtre ". (Matth. XXIII, II, III, 8, 4.) C'est ainsi que Jésus, pouvant perdre ses ennemis , leur offrait le salut, et à son exemple soyons amis de tous, et réservons pour le démon seul tout sentiment de haine et d'inimitié.
5. Mais voulez-vous aimer facilement vos frères? évitez le serment et la colère. Car nous ne saurions haïr celui contre lequel nous ne nous permettrons pas même un mouvement de colère. Or puisque le serment en est la cause la plus ordinaire, ne jurez plus , et vous aurez comme coupé les ailes à la colère. On peut dire aussi que le serment et la colère sont le vent qui enfle la voile; mais s'il ne souffle pas, carguez la voile; il ne sert de rien de la tenir déployée. Oui, supprimons les cris et les jurements , et nous aurons comme coupé le nerf de la colère. Si vous en doutez , essayez, et l'expérience vous convaincra qu'il en est ainsi. Je propose cet accord à l'homme lé plus irascible ; qu'il s'abstienne de jurer, et de mon côté je ne lui parlerai plus de pratiquer la douceur chrétienne. Tout sera parfait, car il n'y aura plus ni serment, ni parjure.
Au reste, vous ne savez pas dans quelles difficultés vous vous engagez. Et en effet, le serment est une chaîne qui vous enlace de toutes parts, en sorte qu'il vous faut faire les plus grands efforts pour arracher votre âme à un péril inévitable. Mais si vous n'y réussissez pas, vous vous abandonnez aussitôt à la douleur, aux disputes et aux imprécations. Encore (26) toute cette colère s'échappe-t-elle en pure perte ! C'est pourquoi ordonnez et menacez, mais gardez-vous d'y ajouter le serment. Car vous pourrez alors, et à voire gré, revenir sur vos actes et sur vos paroles. D'ailleurs je né veux aujourd'hui que vous parler avec beaucoup de douceur, puisque votre bienveillante attention me prouve que déjà vous vous êtes en grande partie corrigés. Je me bornerai donc à vous rappeler quelles circonstances ont donné lieu au serment, et l'ont propagé parmi les hommes. Le récit de son origine et celui des temps et des personnages au milieu desquels il s'est produit pour la première fois vous sera un témoignage de ma reconnaissance. L'homme vertueux n'est point étranger au langage d'une saine philosophie, et l'homme vicieux n'est point digne de l'entendre.
Dès les premiers siècles, Abraham conclut plusieurs traités, immola des victimes et offrit des sacrifices; mais il ne prononça aucun serinent. Quelles en furent donc la cause et l'occasion ? La malice toujours croissante des hommes, l'oubli complet de toute notion de justice, et les progrès de l'idolâtrie. Alors donc, et alors seulement les hommes, étant devenus irréligieux, commencèrent à prendre Dieu à témoin de leurs paroles. Et en effet qu'est-ce que le serment? Une garantie qu'on donne de sa sincérité, quand la corruption des moeurs ôte toute confiance. Ainsi le premier reproche que mérite celui qui fait un serment est d'être si peu sincère qu'on ne saurait croire à sa parole sans une garantie , et même la plus grande qu'il puisse offrir. Car c'est parce qu'on le juge indigne de la moindre confiance, que l'on repousse toute garantie qui viendrait des hommes, et que l'on exige celle de Dieu. En second lieu, celui qui requiert le serment, n'est pas moins coupable, s'il l'exige dans toutes les affaires, et s'il refuse tout autre mode de transaction.
O démence, honte et folie ! ô homme, toi qui n'es qu'un ver de terre, cendre et poussière, tu appelles le Seigneur en témoignage de ta parole, et tu le forces à devenir ta caution ! Mais si une querelle s'élevait parmi vos esclaves, et si dans le feu de la dispute l'un d'eux osait appeler son maître en garantie de sa parole; pour toute réponse vous le feriez châtier sévèrement, et vous lui apprendriez ainsi à ne point se jouer de votre autorité. Bien plus, supposons qu'au lieu de son maître, cet esclave invoquât le témoignage d'un bomme vénérable , celui-ci ne s'en tiendrait-il pas offensé? Mais je ne demande point le serment, me direz-vous. Très-bien; cessez donc de l'exiger; et quand on vous dira : Voulez-vous un tel pour caution, refusez-vous y absolument. Quoi ! faut-il que je perde mon bien ? Je ne dis point cela, et, je me plains seulement de l'offense que vous faites à Dieu. C'est pourquoi celui qui exige le serment est certainement plus coupable que celui qui le prête; mais je n'absous point celui qui jure sans en être requis.
Une conduite bien plus criminelle est celle de ces hommes qui jurent pour une obole, pour un rien, souvent même pour une chose injuste. Encore du moins si l'on ne s'exposait point au parjure. Car dans ce cas, il y a un grave désordre, et il faut en faire retomber la responsabilité sur celui qui a reçu le serment et sur celui qui l'a prêté. Mais que de choses me direz-vous, sont douteuses et inconnues ! Vous devez alors n'agir qu'avec beaucoup de réserve, et si vous êtes imprudent, ne blâmez que,vous seul. Au reste, il vous serait plus avantageux de souffrir ce dommage que tout autre. Car , lorsque vous appelez à serment votre débiteur, que vous proposez-vous? de l'entraîner à un parjure? Mais ce serait une véritable démence, et le châtiment en retomberait sur votre tête; il vaudrait mieux pour vous perdre votre fortune, qu'exposer ainsi le salut de votre frère, risquer le vôtre et offenser le Seigneur. Une telle conduite dénoterait une grande insensibilité de coeur, et une profonde impiété.
Mais j'espère, me direz-vous, que cet homme gardera son serment. Pourquoi donc ne le croiriez-vous pas sur sa parole? C'est que plusieurs craignent de violer un serment, et se font un jeu d'une simple promesse. Erreur, erreur, ô mon frère ! car celui qui s'est accoutumé à ravir le bien ou la réputation du prochain, ne respectera pas un serment, et celui qui s'effraie d'un parjure, s'effraiera bien plus encore d'une injustice. Mais il ne s'y résout qu'avec peine. — Il mérite donc que vous le traitiez avec bonté. Au reste, oublions un instant cette coutume d'exiger le serment dans toutes les transactions et affaires civiles, et portons la question sur le terrain des moeurs privées : Ici, vous ne pouvez alléguer aucune excuse, car vous jurez, et vous vous parjurez (27) souvent pour une valeur de dix oboles. Mais parce que Dieu ne lance pas sa foudre et ne nous écrase pas, nous continuons à le blasphémer; et dans quelles circonstances? A propos d'un panier de légumes, d'une paire de souliers, ou d'une modique somme d'argent.
Eh quoi ! si Dieu ne nous punit pas sur-le-champ, croyons-nous ne pas commettre de péché ? Erreur ! ce délai de sa vengeance ne prouve qu'une chose, la miséricorde du Seigneur, et nullement notre vertu. Pourquoi donc ne jurez-vous point par la vie de votre enfant, ou par, la vôtre? Et pourquoi ne dites-vous pas : Si je manque à ma parole, que je sois livré aux mains du bourreau? Mais vous craignez de proférer un,pareil serment, et à vos yeux, Dieu est moins que vos membres et que votre tête. Prononcez du moins quelque, imprécation contre vous-mêmes. Mais Jésus-Christ a porté à notre égard la bonté jusqu'à nous défendre de jurer par notre tête; et nous, au contraire, nous poussons la témérité jusqu'à profaner la gloire de Dieu, et attester son saint nom sous le plus frivole prétexte. Vous ne savez donc pas ce qu'est Dieu, et quelle bouche est digne de l'invoquer? S'agit-il d'un homme illustre par ses vertus, nous disons : Purifiez vos lèvres et louez-le ensuite; mais nous prononçons à la légère et sans aucun respect le nom adorable du Seigneur, ce nom qui est au-dessus de tout nom, qui est admirable sur toute la terre, et que les démons eux-mêmes n'entendent qu'avec frémissement.
6. O détestable coutume qui nous fait mépriser le nom du Seigneur ! Certes, si vous forciez votre débiteur à jurer dans le lieu saint, vous vous croiriez coupable de sacrilège. Mais qui vous inspirerait cette horreur? L'usage qui est contraire à de pareils serments, tandis que ce même usage les autorise en tout autre lieu. Eh quoi ! est-il donc permis de prononcer en vain le saint nom de Dieu ? Les Juifs l'entouraient d'un tel respect qu'ils l'écrivaient sur une lame d'or, et que le grand prêtre seul la portait sur le front. Nous, au contraire, nous le proférons presque à chaque instant avec une coupable légèreté. Si dans l'ancienne loi il était interdit de prononcer même le nom de Dieu, n'est-ce pas, je vous le demande, une étrange audace et un véritable délire que de l'appeler en témoignage de notre parole? Toute perte devrait nous paraître préférable à un tel blasphème. Je vous le répète donc, et je vous adjure de ne pas l'oublier. Bannissez le serment de toutes vos transactions civiles ou commerciales, et amenez-moi tous les désobéissants. Oui, je vous le dis et je vous le recommande en présence de tout le clergé de cette ville, il n'est permis à personne de jurer, soit en prenant en vain le nom de Dieu, soit de toute autre manière.
Si quelqu'un viole cette défense, qu'on me le dénonce, quel qu'il soit. Vous n'êtes que des enfants, et il faut que je vous traite comme des enfants. Mais qu'il n'en soit pas ainsi ! car je rougirais pour vous si vous aviez encore besoin d'être menés la verge à la main. Oseriez-vous, n'étant que catéchumène , vous approcher de la table sainte? Et ce qui est bien plus grave encore , vous ne craignez point, après votre baptême, de vous asseoir à cette table, dont tous les prêtres n'approchent pas, et de vous permettre ensuite de criminels jurements. Certes, vous n'oseriez, au sortir de ce lieu saint, frapper votre enfant, et vous n'avez ni honte, ni crainte de jurer après avoir communié! Amenez-moi les coupables; j'en ferai bonne justice, et je les renverrai contents et satisfaits. Au reste, faites ce que vous voudrez; pour moi, je vous intime ce commandement : Ne jurez point. Eh ! comment espérer encore que l'on sera sauvé si l'on transgresse ainsi toutes les lois divines? Les contrats et les actes de commerce ne sont-ils donc faits que pour la perte de votre âme? Et pouvez-vous gagner autant que vous perdrez ?
Celui que vous avez appelé à serment se parjure-t-il? Vous perdez son âme et la vôtre. — Mais il remplira son serment. — Vous n'en avez pas moins donné la mort à son âme, en le forçant de transgresser un précepte divin. Corrigeons-nous donc de cette criminelle coutume, et bannissons le serment de la place publique, des boutiques, et en général de toutes nos transactions. Nous sommes, assurés d'en retirer le plus grand fruit. Car ne pensez pas avancer vos affaires en transgressant la loi divine. Mais personne, me direz-vous, ne veut me croire sur parole, et l'on m'oblige à mille serments. Telle est l'objection qui m'est faite souvent; et moi je vous réponds que vous êtes coupables de jurer ainsi avec tant de facilité. Car s'il en était autrement et si l'on savait bien que jamais vous ne vous permettez de jurer, je vous assure qu'on aurait plus de confiance en votre parole qu'aux serments multipliés de mille autres. Moi, je ne jure point, et cependant vous me croyez de préférence à ceux qui ont toujours te serment à la bouche.
Mais, m'objecterez-vous, vous êtes prince et évêque. Sans doute et même quelque chose de plus. Car, répondez-moi en toute franchise : , Si j'avais la criminelle habitude de jurer en toute circonstance, respecteriez-vous beaucoup ma dignité? Nullement. Ma, dignité est donc en dehors de la question. Et maintenant, je vous le demande, que gagnez-vous à jurer ainsi? L'apôtre savait endurer la faim; et à son exemple, vous devriez préférer la pauvreté à cette criminelle violation de la loi divine. Vous restez incrédule : eh bien ! ne néglige aucun moyen, et souffrez même, s'il le faut, pour, vous corriger; est-ce que Dieu ne vous en récompensera pas? Et Celui qui nourrit chaque jour les parjures et les blasphémateurs, vous laisserait-il mourir de faim parce que vous auriez obéi à sa parole?
O vous donc, qui êtes ici réunis, prenez tous l'engagement de ne plus jurer, et déjà célèbres par votre foi, distinguez-vous encore par là des autres églises de la.Grèce, et même de tous les autres peuples. Ce sera un sceau céleste qui nous désignera en tous lieux comme le royal troupeau de Jésus-Christ. Notre langage et nos paroles nous feront distinguer des autres fidèles comme un accent étranger fait reconnaître un barbare d'avec un grec. Eh ! dites-moi, qui distingue les perroquets des autres oiseaux? N'est-ce pas leur aptitude à parler ? Et de même, comme autrefois les apôtres, nous nous ferons connaître à notre parole, si nos entretiens sont tout angéliques. Lorsqu'on vous dira : Prêtez serment; répondez : Jésus-Christ le défend et je ne le prêterai pas. C'en sera assez pour vous affermir dans toutes les vertus chrétiennes, vous ouvrir les voies de la piété, vous initier à la véritable philosophie, et vous faciliter l'exercice des moyens de salut. Soyons fidèles à observer ces règles, et nous obtiendrons les biens du temps.et ceux de l'éternité, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
Traduit par M. l'abbé DUCHASSAING.
HOMÉLIE X. COMME ILS PARLAIENT AU PEUPLE, LES PRÊTRES ET
LE CAPITAINE DES GARDES DU TEMPLE SURVINRENT. (CHAP. IV, 1, JUSQU'AU VERS.
23.)
ANALYSE. 1-3. Les apôtres sont de nouveau arrêtés
et menés devant le tribunal des prêtres juifs. — Belle réponse
que fait saint Pierre; l'orateur en montre l'à-propos et la portée.
— Pierre qui tremblait naguère devant la servante de Caïphe,
parait aujourd'hui avec un visage assuré devant Caiphe lui-même.
4 et 5. Exhortation morale contre les théâtres et les jurements. — L'orateur est confondu de ce qu'au lieu de s'élancer dans les hautes régions de l'enseignement évangélique , il soit encore obligé de ramper à terre pour reprendre-les préceptes que les prophètes avaient jadis inculqués aux Juifs. — Pour extirper la criminelle habitude du jurement, donnons-nous des surveillants dans toutes les personnes qui nous entourent.
1. Ils n'avaient pas encore eu le temps de respirer après les premières persécutions, que déjà de nouvelles venaient les visiter. Et voyez comment la Providence ménage les (29) événements ! C'est d'abord ta persécution du rire qu'ils ont à souffrir tous ensemble, et ce n'est pas peu de chose. En second lieu, ce sont les chefs qui tombent en péril. Ces deux épreuves n'arrivent pas coup sur coup ni au hasard. Les apôtres se signalent d'abord par leurs discours à la multitude, leur puissance éclate ensuite par un grand miracle, et ce n'est qu'après cela, c'est-à-dire quand leur confiance s'est affermie; qu'ils sont appelés de Dieu à livrer des combats plus difficiles. Mais considérez comment ceux qui ont soudoyé un traître contre Jésus-Christ, en viennent maintenant à mettre eux-mêmes la main sur les disciples, et comment leur audace et leur impudence se sont accrues depuis le crucifiement du Sauveur. C'est que le péché, tant qu'il n'est pour ainsi parler qu'en enfantement, garde une certaine pudeur, et que, quand il est une fois accompli , il accroît l'impudence de ceux qui l'ont commis. Mais pourquoi le capitaine des gardes vient-il aussi ? " Les prêtres ", dit le texte, " survinrent avec le capitaine des gardes ". C'était afin de donner à cette affaire le caractère d'un crime d'Etat, et pour ne pas courir le risque de se faire justice eux-mêmes comme dans une affaire privée. C'est une conduite qu'ils s'appliquent partout à tenir. " Ne pouvant souffrir qu'ils enseignas" sent le peuple (2) ". Leur dépit venait non-seulement de ce que les apôtres enseignaient, mais de ce qu'ils annonçaient la résurrection du Sauveur, et même notre propre résurrection par Jésus-Christ. " Qu'ils enseignassent le " peuple ", dit le texte, " et qu'ils annonças" sent la résurrection des morts en Jésus" Christ ". Il y a eu tant de vertu dans la résurrection de Jésus-Christ, qu'il est devenu l'auteur de la résurrection des autres. " Et ils mirent la main sur eux, et ils les jetèrent en prison jusqu'au lendemain, parce qu'il était déjà tard ( 3) ". O impudence ! ils avaient les mains encore toutes pleines du premier sang qu'ils avaient répandu, et leur fureur n'en était pas ralentie, ils voulaient même lés remplir d'un nouveau sang. La présence du capitaine des gardes à cette affaire avait peut-être encore une autre raison outre celle que nous avons donnée; peut-être craignait-on les disciples qui étaient devenus une multitude. " Il était déjà tard ". Les Juifs agissaient de la sorte et gardaient les. apôtres pour lés adoucir, mais ce délai ne servait qu'à ajouter à leur constance. Considérez quels sont ceux qu'on arrête ; ce sont les chefs des apôtres : on veut en faire pour les autres un exemple qui les empêche de se rechercher les uns les autres et d'agir de concert.
" Cependant beaucoup de ceux qui avaient entendu le discours " de Pierre " crurent et le nombre des hommes fut d'environ cinq mille (4) ". Qu'est ceci? Les voyait-on entourés de considération ? Ne les voyait-on pas, au contraire, chargés de fers ? Qu'est-ce donc qui attirait à la foi ? Voyez-vous éclater la vertu de Dieu ? Tout conspire à ébranler la foi, et c'est le contraire qui arrive. C'est que le discours de Pierre avait jeté la semence divine fort avant dans les âmes, c'est qu'il avait touché les coeurs. Les Juifs étaient irrités de voir que les disciples ne les craignaient pas et qu'ils comptaient pour rien les maux présents. Voici en effet le raisonnement que faisaient les disciples : Si le Crucifié opère de telles oeuvres, s'il a fait marcher le boiteux, nous n'avons rien à craindre de ceux-ci. C'était donc là un effet de la divine sagesse. C'était par son action que le nombre des croyants augmentait. Effrayés de cet accroissement, les ennemis de la foi enchaînèrent les apôtres à la vue de leurs disciples, pour intimider ceux-ci. Le contraire de ce qu'ils voulaient arriva. . Ils n'interrogèrent pas les prisonniers devant les fidèles, mais à l'écart, de peur que ceux-ci ne profitassent de la fermeté de leurs réponses s'ils les entendaient.
" Le lendemain les chefs du peuple, les sénateurs et les scribes, s'assemblèrent dans Jérusalem, avec Ange le grand prêtre, Caïphe, Jean, Alexandre et tous ceux qui étaient de la race sacerdotale (5, 6). Voilà qu'ils se réunissent encore une fois; car, pour comble de malice, ils n'observaient plus même la loi. De nouveau ils dissimulent leur mauvais dessein sous les formes de la justice, afin de noircir ces innocents par un jugement injuste. " Et ayant fait venir les apôtres au milieu d'eux, ils leur dirent : Par quelle puissance ou au nom de qui, faites-vous ceci (7)? " Ils le savaient bien. " Ils ne pouvaient souffrir ", dit le texte, " qu'ils annonçassent en Jésus-Christ la résurrection des morts ". C'était pour cela même qu'ils les avaient arrêtés. Pourquoi donc les interrogent-ils? Ils espéraient les faire rétracter, et ils comptaient bien tout réparer par ce moyen. Voyons donc (30) ce qu'ils disent: " Au nom de qui faites-vous ceci ? Alors Pierre, rempli de l'Esprit-Saint leur dit " : C'est le moment de se rappeler les paroles de Jésus-Christ et d'en remarquer l'accomplissement : " Lorsqu'ils vous mèneront dans leurs synagogues, ne vous mettez point en peine comment vous répondrez ni de ce que vous direz ". (Luc, XII, 11, 12.) Ils avaient donc, reçu une grande puissance. Mais écoutons la réponse : " Princes du peuple et sénateurs d'Israël ". Admirez cette sagesse ! l'apôtre est plein de confiance, mais il ne dit rien d'injurieux, il s'exprime respectueusement : " Princes du peuple ", dit-il, " et sénateurs d'Israël , puisqu'aujourd'hui l’on nous demande raison du bien que nous avons fait à un homme infirme, et qu'on veut s'informer de la manière dont il a été guéri, nous vous déclarons à vous tous et à tout le peuple d'Israël". Dès son exorde il fait retentir à leurs oreilles des paroles courageuses et pénétrantes. Il leur rappelle ce qui s'est passé, il leur dit que c'est pour un bienfait qu'on les appelle en jugement. C'est comme s'il disait : Il fallait nous couronner pour cette action, il fallait nous signaler au publie comme des bienfaiteurs insignes : et maintenant nous sommes appelés en jugement pour le bien que nous avons fait à.un homme,infirme , non pas riche,, non pas noble : qui donc eu pourrait prendre ombrage?
2. Ce début est plein. de gravité. Il y est montré que les Juifs s'enlacent eux-mêmes dans les filets du malheur. " Nous vous déclarons que c'est au nom de Jésus de Nazareth ". Il ajoute aussitôt la chose qui causait surtout leur dépit. Il faisait ce que Jésus-Christ avait commandé : " Ce que l'on vous dit à l'oreille, prêchez-le sur les toits des maisons. (Matth. X, 27.) C'est au nom " de Jésus-Christ de Nazareth que vous avez crucifié, que Dieu a, ressuscité d'entre les morts, c'est en son nom que cet homme se tient debout devant vous et guéri (8-10) ". Ne croyez pas que nous cachions sa patrie ni le genre de sa mort. " Celui que, vous avez crucifié et que Dieu a ressuscité d'entre les morts, c'est en son. nom que cet homme-ci se tient debout devant vous et guéri ". Encore la passion, encore la résurrection. C'est lui qui est cette pierre " rejetée par vous, et que vous n'avez pas voulu admettre dans votre édifice, et qui est devenue la principale pierre de l’angle ". Il les fait souvenir d'une parole propre à les effrayer. " Car ", dit l'Ecriture, " celui qui tombera sur cette pierre, sera brisé, et celui sur qui tombera cette pierre, elle le broiera. (Matth. XXI, 44.) Et il n'y a et point de salut par aucun autre". Combien de coups pensez-vous que ces paroles leur ont valus? " Car nul autre none sous le ciel n'a été donné aux hommes par lequel nous devions être sauvés (12) ". Ici le discours devient sublime. Dès qu'il ne s'agit plus de devoir à remplir, mais seulement de liberté à montrer, Pierre ne ménage plus rien. Les mauvais traitements ne lui faisaient pas. peur. Il ne dit pas simplement : Nous ne pouvons être sauvés par un autre; mais : et Il n'y a point de salut " par aucun autre " , montrant ainsi que celui-là peut. nous sauver et voulant en même temps effrayer ses auditeurs. " Lorsqu'ils virent la constance de Pierre et de Jean, sachant que c'étaient des hommes sans lettres, et du commun du peuple, ils en furent étonnés; ils savaient aussi qu'ils avaient été disciples de Jésus (13) ". Et comment des hommes sans lettres étaient-ils devenus assez éloquents pour l'emporter sur des lettrés, sur des princes des prêtres ? — Ce n'étaient pas eux qui parlaient, mais la grâce du Saint-Esprit par leur bouche. " Et comme ils voyaient aussi l'homme qui avait été guéri présent avec eux, ils n'avaient rien à leur opposer (14) ". Cet homme ne manquait pas de courage, on le voit, puisqu'il accompagnait les apôtres devant le tribunal; de manière que si les Juifs avaient dit.: Non, vous n'avez guéri personne, il était là pour leur répondre.
" Ils leur commandèrent donc de sortir de l'assemblée, et ils se mirent à délibérer entre eux ". Voyez-vous leur embarras? Les voyez-vous agir par une crainte tout humaine? Autrefois, lorsqu'ils ne pouvaient ni empêcher l'oeuvre du Christ, ni en amortir l'éclat, mais que la foi à sa parole croissait en proportion des efforts qu'ils faisaient. pour l'arrêter, ils avaient dit : " Que ferons-nous ? " Et voici qu'ils le disent encore aujourd'hui. O démence, de s'imaginer que les mauvais traitements viendraient à bout de l'intrépidité des apôtres ! Ils n'avaient rien pu contre eux dès le commencement, et ils comptaient faire quelque chose après la puissance de parole qu'ils venaient de voir éclater.en eux. Plus (31) donc ils s'efforçaient d'arrêter l'Evangile, plus il faisait son chemin. " Que ferons-nous à ces gens-ci? Car ils ont fait un miracle qui est connu de tous les habitants de Jérusalem; cela est certain, et nous ne pouvons pas le nier. Mais afin qu'il ne se répande pas davantage parmi le peuple, défendons-leur avec menaces de parler à l'avenir en ce nom-là à qui que ce soit. Et les ayant fait appeler, ils leur défendirent de parler en quelque manière que ce fût, ni d'enseigner au nom de Jésus".
Voyez leur impudence et la sagesse des apôtres ! " Mais Pierre et Jean répondant, leur dirent. Jugez vous-mêmes s'il est juste devant Dieu de vous obéir plutôt qu'à Dieu; pour nous, nous ne pouvons ne point parler des choses que nous avons vues et entendues. Alors ils les renvoyèrent avec menaces, ne trouvant point de moyen de les punir à cause du peuple ". Les miracles leur fermèrent la bouche, et ne leur permirent pas d'accomplir, leurs menaces; néanmoins, ils n'avaient pas honte de leur défendre de parler. " Parce que tous rendaient gloire à Dieu de ce qui était. arrivé. Car l'homme qui avait été guéri d'une manière si miraculeuse avait plus de quarante ans ". (19-22.)
Mais reprenons. " Que ferons-nous ", disent-ils, " à ces gens-ci? " D'abord ils font tout pour la gloire humaine. Ils avaient encore.une autre intention: ils ne voulaient pas passer pour des meurtriers, comme on le voit par ce qu'ils disent quelque temps après : " Vous voulez faire retomber sur nous le sang de cet homme. — Défendons-leur avec menaces de ne plus parler en ce nom à qui que ce soit ". O démence ! Ils sont convaincus qu'il est ressuscité, par conséquent qu'il est Dieu ; et ils espèrent, par leurs machinations; retenir dans l'ombre celui que la mort n'a pu garder. Y a-t-il rien d'égal à cette démence? Cependant, ne vous étonnez pas trop de les voir encore une fois tenter l'impossible. Telle est l'impiété ; elle ne voit rien à rien, elle se trouble de tout, Ils se sont trompés dans leurs calculs, et ils en éprouvent un vif dépit; c'est l'histoire de tous ceux qui ont éprouvé une déception , une mystification. En effet, les apôtres, malgré la défense qu'on leur avait faite, allaient répétant sans cesse et partout que Dieu avait ressuscité Jésus, que c'était au nom de Jésus que le boiteux était maintenant guéri, preuve éclatante de la résurrection de Jésus-Christ. Quoique les pharisiens eussent eux-mêmes quelque idée de la résurrection, idée incomplète il est vrai et puérile, néanmoins ils tombent dans l'incrédulité et le trouble, ils se demandent ce qu'ils feront à ces hommes. Cependant, n'y avait-il pas dans cette franchise des apôtres de quoi les convaincre qu'il n'y avait rien à faire? Pourquoi es-tu incrédule, ô Juif, réponds-moi ? Il fallait considérer le miracle accompli et les discours entendus, et non la malice de la multitude. Pourquoi ne les livrent-ils pas aux Romains? C'est qu'ils s'étaient déjà discrédités auprès d'eux par leur conduite envers le Christ, de manière qu'ils travaillaient contre eux-mêmes en différant de dénoncer les disciples. Envers le Christ, ils n'avaient pas. agi de la sorte : ils l'avaient arrêté au milieu de la nuit et conduit aussitôt au supplice, et ils n'avaient pas différé d'agir, parce qu'ils redoutaient le peuple; mais au sujet des apôtres, ils n'agissent plus avec la même décision, et la même confiance. Ils ne les conduisent pas devant Pilate, le souvenir de la passion de Jésus-Christ les retient, ils craignent de recevoir des reproches. " Le lendemain les chefs du peuple, les sénateurs et les scribes s'assemblèrent dans Jérusalem ".
3. Voie de nouveau des assemblées à Jérusalem, le sang est répandu sans respect pour la ville sainte. Voici encore Anne et Caïphe. Naguère l'apôtre Pierre avait tremblé devant la servante de celui-ci qui l'interrogeait ; il avait renié son Maître déjà arrêté par le même Caïphe. Maintenant que le voilà lui-même amené en présence des mêmes hommes, voyez comme il parle : " Puisqu'aujourd'hui l'on nous demande raison du bien que nous avons fait à un homme infirme, et que l’on veut savoir par la vertu de qui il a été guéri, nous vous déclarons à vous tous". Ils disent : "Au nom de qui avez-vous fait cela? " Pourquoi dites-vous simplement " cela? " Pourquoi ne pas dire expressément la chose dont il s'agit? pourquoi la laisser dans l'ombre? " Au nom de qui avez-vous fait cela ? " Pierre répondit que ce n'était pas eux qui l'avaient fait. Voyez sa prudence; il ne dit pas simplement : Nous l'avons fait au nom de Jésus-Christ; mais que dit-il ? " C'est en son nom que celui-ci se tient debout devant vous et guéri". Il ne dit pas qu'il a été guéri par eux. Cette parole : " Puisqu'aujourd'hui l'on nous (32) demande raison du bien que nous avons fait", a une grande portée: Pierre les accuse par là de ne faire que des accusations de ce genre, et de ne se plaindre que du bien que l'on fait aux hommes. Il leur rappelle aussi ce qui s'est passé, et qu'ils sont toujours prêts à répandre le sang, et le sang des bienfaiteurs de l'humanité. Admirez encore une fois la force et la gravité de ce langage ! Les apôtres s'aguerrissaient et devenaient intrépides. Saint Pierre montre aux Juifs qu'ils prêchent eux-mêmes Jésus-Christ malgré eux, qu'ils ne font que mettre en évidence la doctrine nouvelle en la discutant et l'examinant. — " Que vous avez crucifié ". Quelle franchise ! ". Que Dieu a " ressuscité d'entré les morts". Ceci témoigne encore d'une plus grande liberté. C'est comme s'il disait : Ne croyez pas que nous cachions ce que vous tenez vous autres pour ignominieux; nous sommes si éloignés de le dissimuler, que nous le publions hautement. C'est presqu'une attaque ouverte, et il ne dit pas cela simplement, mais il insiste sur la même pensée en disant : " C'est lui qui est la pierre que vous avez rejetée, et que vous n'avez pas voulu admettre dans votre édifice ". Puis, pour montrer qu'ils n'ont fait que travailler malgré eux à sa gloire, il ajoute: " Il est devenu la pierre principale de l'angle ". Vous avez donc réprouvé, ô Juifs, celui qui était honorable et bon par nature. C'est ainsi qu'ils parlaient, tant le miracle qu'ils avaient opéré leur donnait de confiance. Remarquez comment, lorsqu'il s'agit d'enseigner, ils citent de nombreuses prophéties, et lorsqu'il ne faut que faire preuve d'assurance, ils se contentent d'affirmer leur sentiment : " Car nul autre nom sous le ciel n'a été donné aux hommes par lequel nous devions être sauvés; aux hommes ", parce que ce nom a été donné à tous, et non pas aux seuls Juifs.
L'apôtre prend ses adversaires eux-mêmes à témoin. Ceux-ci demandaient : " Au nom de qui avez-vous agi? " Au nom du Christ, répond Pierre. " Il n'y a pas d'autre nom que celui-là en qui nous puissions être sauvés ". La chose est d'elle-même évidente, pourquoi donc m'interrogez-vous? Ces paroles sont d'une âme qui méprise la vie présente. Cette liberté de langage le montre assez. Ici il fait clairement voir que, lorsqu'il s'exprimait humblement au sujet du Christ, c'était par condescendance et non par crainte qu'il le faisait.
Maintenant que le moment était venu, il en parlait avec une sublimité qui frappait d'étonnement tous les auditeurs. Voici un signe non moindre que le premier : "Ils les reconnaissaient pour les avoir vus avec Jésus ". L'écrivain sacré n'a pas tracé ces mots au hasard. C'était pour rappeler en quelle circonstance les Juifs avaient vu les apôtres, c'est-à-dire pendant la passion. Pierre et Jean étaient seuls avec Jésus alors, et c'est là que les pharisiens les virent si humbles et si tremblants. Aussi un changement si complet leur paraissait étrange. C'était toujours le même tribunal ayant Anne et Caïphe pour chefs. Ils étaient donc stupéfaits de retrouver maintenant si intrépides des hommes qu'ils avaient vus naguère si timides. Ce n'était pas seulement par leur langage que ceux-ci montraient qu'ils se souciaient fort peu d'une affaire où il y allait pour eux de la peine capitale, mais encore par leur attitude, par leur voix et par leurs regards; en un mot, la résolution où ils étaient de parler, de ce qu'ils savaient, éclatait dans toute leur personne aux yeux du peuple. Les Juifs s'étonnaient aussi parce que c'étaient des hommes sans lettres et du commun. Comme on peut être sans lettres et n'être cependant pas du commun, et réciproquement, il met les deux termes, parce que les deux choses étaient vraies pour les apôtres: " Sachant", dit le texte, "que c'étaient des hommes sans lettres ". Comment le savaient-ils? Par leur manière de s'énoncer. Les apôtres ne font pas de longs discours; ils disent simplement et sans artifice ce qu'ils veulent dire, mais avec un accent qui prouve leur résolution courageuse. Peut-être les eussent-ils maltraités, si l'homme guéri par eux n'eût été là. " Ils les reconnaissaient pour les avoir vus avec Jésus " ; circonstance qui leur faisait voir qu'ils tenaient de lui ce qu'ils disaient, et qu'ils agissaient en qualité de ses disciples. D'ailleurs le miracle récent parlait encore plus haut qu'eux, et c'était lui surtout qui fermait la bouche aux Juifs : " Jugez s'il est juste en présence de Dieu de vous obéir plutôt qu'à " Dieu ". Maintenant qu'ils n'ont plus rien à craindre (les menacer équivalait à les absoudre), leur langage s'adoucit, tant ils étaient loin de l'audace qui provoque. Ils ont fait un miracle qui est connu de tout le monde , " nous ne pouvons le nier ". De sorte qu'ils l'auraient nié, s'il en eût été autrement, si le témoignage de la multitude n'eût été là.
Le miracle était manifeste ; mais que n'ose pas l'iniquité , de quelle impudence n'est-elle pas capable? " Défendons-leur avec mes traces ". Que dites-vous? Vous croyez, par des menaces, pouvoir arrêter la prédication de la vérité? — Les commencements sont toujours pénibles et difficiles. Vous avez tué le Maître et, vous n'avez rien empêché; et maintenant vous espérez nous détourner par des menaces? L'emprisonnement n'a pas intimidé notre voix, et vous l'intimiderez, vous que nous ne comptons pour rien avec toutes vos menaces ? " Jugez devant Dieu s'il est juste de vous obéir plutôt qu'à Dieu ". Ici il dit Dieu pour Jésus-Christ. Voyez-vous l'accomplissement de cette parole : " Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups, ne les craignez point ?" (Matth. X, 16, 26.)
4. Ensuite ils affirment la résurrection par ce qu'ils ajoutent : " Pour nous, nous ne pouvons pas ne pas parler de ce que nous avons vu et entendu ".C'est-à-dire : Nous sommes des témoins dignes de foi, et vous qui nous menacez, vous nous menacez encore en vain. Au lieu de se convertir à la vue d'un miracle pour lequel le. peuple glorifiait Dieu , ils lancent des menaces de mort. C'était faire la guerre à Dieu lui-même. Après les avoir menacés, ils les renvoyèrent. Les apôtres n'en furent que plus illustres et plus glorieux. " Ma puissance ", est-il écrit, " se montre tout entière dans la faiblesse ". Ils avaient montré qu'ils étaient préparés à tout événement. Qu'est-ce à dire : " Nous ne pouvons pas ne point parler de ce que nous avons vu et entendu ? " C'est-à-dire: Si ce que nous disons est faux, reprenez-nous ; si c'est la vérité , pourquoi voulez-vous nous fermer la bouche ? Voyez ce que peut la sagesse. Les Juifs sont dans l'embarras, les apôtres dans la joie; ceux-là sont couverts de confusion, ceux-ci agissent en tout avec franchise;. ceux-là sont dans la crainte, ceux-ci dans la confiance. Quels étaient, dites-moi, ceux qui craignaient, de ceux qui disaient : " De peur que cette doctrine ne se répande dans le peuple ", ou de ceux qui disaient : " Nous ne pouvons pas ne point parler de ce que nous avons vu et entendu? " La joie, la franchise, l'allégresse, tels sont les sentiments des apôtres, et ceux des prêtres juifs sont le découragement, la honte et la crainte; ils redoutaient le peuple. Ceux-là disaient ouvertement ce qu'ils voulaient, ceux-ci ne faisaient pas ce qu'ils voulaient. Quels étaient ceux qui étaient dans les liens et les périls? N'était-ce pas surtout ceux-là?
Attachons-nous donc à la vertu. Faites en sorte que nous ne parlions pas seulement pour votre: plaisir et votre consolation. Ce n'est pas ici un théâtre, mon cher frère, où l'on vient voir des comédiens ou entendre des musiciens, où le fruit qu'on retire s'arrête à un plaisir qui ne dure qu'un jour. Et encore, plût à Dieu que ce plaisir fût seul, et qu'il ne fût pas accompagné d'un dommage ! Mais ce lieu-là, on ne le quitte pas sans remporter chez soi quelque chose des ordures qui s'y débitent. Le jeune homme remporte dans sa mémoire tout ce qu'il peut retenir des mélodies et des chants sataniques qu'il y a entendus, et constamment il les répète à la maison. Le vieillard, un peu moins léger, ne fredonne pas les airs, mais il redit les paroles qu'il a entendues. Mais d'ici, vous sortez sans rien remporter. Quelle honte, mes frères! Nous avons porté une loi, ou pour mieux dire, ce n'est pas nous qui l'avons portée, non : " N'appelez personne votre maître sur la terre ", dit le Sauveur. (Matth. XXIII, 8.) Le Christ a porté une loi qui défend de jurer. Comment cette loi est-elle observée ? C'est un sujet que je ne me lasserai pas de traiter. " Si je reviens de nouveau ", dit l'apôtre, "Je serai sans pitié ". (II Cor. III, 2.) Vous êtes-vous occupés de cette affaire ? Y avez-vous songé ? Avez-vous montré quelque zèle, ou bien faut-il que nous recommencions toujours la même exhortation ? Mais, dans tous les cas, je reprendrai encore ce sujet, afin que vous vous occupiez enfin de cette affaire, si jusqu'ici vous n'avez rien fait, et afin que vous redoubliez de zèle si vous en avez déjà montré, et que vous exhortiez les autres. Par où débuterons-nous donc? Voulez-vous que ce soit par un passage de l'Ancien Testament? Mais c'est là notre honte que nous n'observions pas même les prescriptions de l'Ancien Testament, lorsqu'il nous faudrait aller bien au delà. Nous ne devrions pas être obligés de vous prêcher ces préceptes, qui ne convenaient qu'à la faiblesse juive. Voici les exhortations qu'il conviendrait d'adresser à des chrétiens : Rejetez l'argent, soyez ferme, donnez votre vie pour l'Evangile, moquez-vous de toutes les choses de la terre, n'ayez aucune attache à la vie présente. Si quelqu'un vous fait tort, faites-lui du bien; (34) s'il vous trompe, bénissez-le; s'il vous injurie, honorez-le, élevez-vous au-dessus de tout. Ce sont ces préceptes et d'autres semblables qu'il faudrait vous inviter à pratiquer.
Mais maintenant c'est sur le jurement que nous sommes obligé de parler. Nous faisons comme un maître de philosophie qui se verrait contraint de remettre ses élèves à l'étude des syllabes et de l'alphabet. Songez combien serait ridicule un homme qui, portant une longue barbe, un bâton et une robe de philosophe, irait à l'école avec des enfants et étudierait les mêmes choses qu'eux. Eh bien ! notre conduite n'est pas moins singulière. Car la différence est moindre entre la philosophie et l'alphabet qu'entre le christianisme et le judaïsme. De l'un à l'autre, il y a la même distance qu'entre l'ange et l'homme. Si quelqu'un, dites-moi, faisant descendre un ange du ciel l'invitait à demeurer ici pour entendre nos discours comme devant en profiter pour mieux régler sa conduite , ne ferait-il pas une chose ridicule ? Que s'il est déjà ridicule d'avoir encore besoin de tels enseignements, que sera-ce que de n'y être même pas attentif? Quelle honte ! Quelle damnation ! Et comment ne serait-ce pas une honte pour des chrétiens d'avoir encore besoin qu'on leur apprenne qu'il ne faut pas jurer? Corrigeons-nous donc afin que nous cessions d'être dignes de risée. C'est donc à la loi ancienne que nous allons emprunter notre enseignement. Et que dit-elle ? " N'accoutumez point votre bouche au jurement, ne vous familiarisez pas avec le nom du Saint ". Pourquoi? " Parce que, comme un esclave qu'on met sans cesse à la torture en porte toujours la marque , ainsi en est-il de tout homme qui jure ". (Eccli. XIII, 9, 11.)
5.Voyez la prudence du Sage. Il ne dit pas: , n'accoutumez point votre pensée, mais: " votre bouche "; il savait que la bouche est tout dans ce péché qui se corrige aisément. C'est une pure habitude qui fait agir sans réflexion; telle que celle qu'ont beaucoup de personnes qui , allant au bain, se signent en entrant. C'est un geste que la main sait faire d'elle-même, sans que la volonté y ait aucune part. Une autre fois, c'est encore la main qui, au moment où une lampe s'allume , et pendant que l'esprit est ailleurs, fait le signe de la croix. Il en est ainsi de la bouche qui jure elle n'agit point avec le consentement de l'âme, mais par habitude, et tout est dans la langue. " Ne vous familiarisez pas avec le nom du Saint; parce que, comme un esclave qu'on met sans cesse à la torture , en porte toujours les marques; ainsi en est-il de tout homme qui jure". Ce n'est point le parjure, mais le jurement qui est ici défendu et menacé d'un châtiment. Donc, c'est un péché de jurer. L'âme de celui qui a l'habitude de jurer est en effet telle que ce serviteur mis tous les jours à la torture, elle est couverte d'autant de plaies et de meurtrissures. — Mais je ne vois pas cela, dites-vous. C'est précisément ce qu'il y a de terrible que vous ne le voyiez pas. Vous pourriez le voir, si vous vouliez. Dieu vous a pour cela donné des yeux. C'était avec ces yeux-là que voyait le prophète lorsqu'il disait " Mes plaies se sont pourries et corrompues, à cause de ma folie ". (Ps. XXXVII, 5.) Nous avons méprisé Dieu, nous avons haï le nom divin, nous avons foulé aux pieds le Christ, nous nous sommes affranchis de la pudeur, personne ne rappelle avec respect le nom de Dieu. Si vous aimez quelqu'un et que l'on prononce son nom, vous vous lèverez. Mais Dieu, vous l'appelez sans cesse comme s'il n'était rien. Appelez-le, lorsque vous faites du bien à votre ennemi ; appelez-le pour le salut de votre âme; alors il viendra, alors vous le réjouirez; au lieu que maintenant vous l'irritez. Appelez-le comme l'appela Etienne : " Seigneur ", disait-il, " ne leur imputez pas ce péché ". (Act. VII , 59.) Appelez-le comme l'appela la femme d'Elcana, avec des larmes, des gémissements, des prières. Je ne vous le défends pas, je vous y exhorte même fortement. Appelez-le comme l'appela Moïse, qui l'invoquait à haute voix pour ceux qui l'obligeaient de s'enfuir. Vous ne feriez que prononcer à la légère le nom d'un homme respectable, que cela serait considéré comme une offense; et lorsque vous avez continuellement, sans raison et même à contre-temps, le nom de Dieu à la bouche , vous croyez que c'est une chose sans conséquence? Quel châtiment ne mériterez-vous pas ? Je ne vous défends pas d'avoir toujours Dieu dans votre pensée, je le souhaite au contraire, c'est mon plus grand désir, mais que ce ne soit pas autrement qu'il ne lui plaît, que ce soit pour le louer, pour lui rendre hommage. Nous en retirerions de grands fruits, si nous ne l'appelions que lorsqu'il faut, et pour les choses qu'il faut.
35
Pourquoi ces faits miraculeux qui éclataient du temps des apôtres et dont nous sommes privés, aujourd'hui ? Cependant c'est toujours le même Dieu, le même nom ; et les effets ne sont pas les mêmes. Pourquoi cela? Parce que les apôtres ne l'appelaient qu'à propos de leur prédication. Mais nous l'appelons pour des choses toutes différentes. Si c'est parce qu'on ne vous croit pas que vous jurez, dites simplement : " Croyez-moi " ; ou, si vous voulez, jurez par vous-même. Je ne dis pas cela, à Dieu ne plaise ! pour faire une loi opposée à celle du Christ, qui nous commande de ne dire que " oui, oui, non, non ", je le dis par condescendance, pour vous induire à quelque chose de beaucoup moins grief , et pour vous affranchir d'une habitude tyrannique. Que de chrétiens recommandables à tout autre égard se sont perdus par ce seul vice ! Voulez-vous savoir pourquoi l'on permettait le serment aux anciens? (Le parjure leur était défendu) ; c'est parce qu'ils juraient par les idoles.
N'avez-vous pas honte d'être encore régis par les mêmes lois qui servaient à conduire ces hommes faibles? Lorsque j'entreprends de convertir un païen, je commence par lui faire connaître Jésus-Christ avant de lui enseigner qu'il ne faut pas jurer. Mais si le fidèle qui connaît déjà Jésus-Christ et sa doctrine a toujours besoin de la même condescendance que le païen, quel avantage le fidèle a-t-il sur le païen? — Mais l'habitude, dites-vous, est une chose fâcheuse ; il est difficile de s'en défaire. —Si telle est1a tyrannie de. l'habitude, changez votre. mauvaise habitude en une autre contraire. — Et comment est-ce possible? direz-vous. — Je répète ce que j'ai déjà dit bien des fois : Ayez des moniteurs pour observer vos paroles et les reprendre. Il n'y a aucune honte à être redressé par d'autres; il y en a bien plutôt à repousser la correction et de le faire au détriment de son salut. Quand il vous arrive de mettre votre vêtement à l'envers, vous permettez même à votre serviteur de vous en avertir, vous n'avez pas honte de recevoir de lui cette espèce de leçon, et cependant c'est un fait qui a bien son ridicule. Et vous aurez honte d'être averti par un autre d'un travers dont votre âme sera affectée ? Vous laisserez votre serviteur arranger votre vêtement, et si quelqu'un veut parer votre âme vous le repousserez? Quelle folie ! Laissez-vous reprendre par votre serviteur , par votre enfant , par votre ami , par votre parent, par votre voisin. Comme une bête féroce ne peut plus s'échapper quand elle est cernée de toutes parts, de même il faudra que vous vous observiez, lorsque vous serez entouré de tant de gens qui vous surveilleront, vous corrigeront; vous reprendront. Peut-être supporterez-vous difficilement ce régime pendant un , deux ou trois jours. Mais ensuite la difficulté disparaîtra, et au bout de quatre jours, il n'en sera plus question. Faites-en l'essai si vous ne me croyez pas; songez-y, je vous en conjure. Le mal à corriger est grave, mais la correction sera d'autant plus fructueuse ; vous avez tout ensemble un grand mal à détruire, un grand bien à conquérir. Puisse le bien se faire, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, empire,. honneur, soit au Père, ainsi qu'au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. JEANNIN.
HOMÉLIE XI. AYANT ÉTÉ RENVOYÉS, ILS REVINRENT
VERS LES LEURS ET LEUR RACONTÈRENT TOUT CE QUE LEUR AVAIENT DIT
LES PRINCES DES PRÊTRES ET LES ANCIENS. (CHAP. IV, 23, JUSQU'AU VERS.
35.)
ANALYSE. 1. Courage des apôtres. — Union admirable des premiers
fidèles.
2. Sens du mot main dans l'Ecriture. — Les miracles étaient nécessaires pour prouver la résurrection.
3. Saint Chrysostome propose aux cent mille chrétiens de Constantinople de renouveler la vie en commun des premiers chrétiens.
4. Contre les serments.
1. Ils racontent, mais non par vaine gloire comment cela serait-il? Ils font simplement voir des preuves de la grâce du Christ. Ils racontent donc tout ce qu'on leur a dit; et s'ils passent sous silence ce qu'ils ont dit eux-mêmes, ils n'en sont cependant pas moins devenus plus bardis. Et voyez comme ils reviennent au véritable secours, à leur invincible auxiliaire! comme ils y reviennent, dis-je, d'un même coeur et avec ardeur: car la prière qu'ils font n'est pas une prière ordinaire. " Ceux-ci ayant entendu., élevèrent " unanimement la voix vers Dieu et dirent " Voyez comme leurs prières sont déterminées et précises ! Quand ils demandaient que le ciel désignât un homme digne de l'apostolat, ils disaient : " Seigneur, qui connaissez le coeur " de tous les hommes, faites-nous connaître". (Là, en effet, la prescience était nécessaire.) Mais ici, comme il s'agissait de fermer la bouche à leurs adversaires, ils insistent sur l'idée de domination, et voici comme ils commencent " Seigneur Dieu, qui avez fait le ciel et la terre et la mer, et tout ce qu'ils renferment; qui avez dit par la bouche de votre serviteur David: " Pourquoi les nations ont-elles frémi, et les peuples ont-ils formé de vains projets? Les rois se sont levés et les princes se sont réunis contre le Seigneur et contre son Christ ". (Ps. XXI.) Ils rappellent cette prophétie comme pour réclamer de Dieu l'exécution des traités, et aussi pour se consoler eux-mêmes par l'inutilité des projets ennemis. Le sens de leurs paroles est donc celui-ci : Menez tout cela à terme et faites voir que leurs projets sont vains. " Car Hérode et Ponce-Pilate se sont réellement ligués dans cette ville avec les gentils et le peuple d'Israël contre votre saint Fils, Jésus, que vous avez consacré par votre onction, afin d'accomplir tout ce qui avait été décrété par votre main et dans votre conseil. Et maintenant, Seigneur, regardez leurs menaces ". Voyez-vous cette sagesse? Ils ne souhaitent point de mal , ils ne spécifient même. pas les menaces; ils se contentent de dire qu'on les a menacés; car l'écrivain ne parle qu'en abrégé. Voyez encore : ils ne disent point : brisez-les, renversez-les. Que disent-ils donc? " Donnez à vos serviteurs d'annoncer votre parole en toute liberté ". Apprenons à prier de la sorte. Quelle ne serait pas la colère d'un homme à la vie duquel on aurait attenté ou que l'on aurait menacé de mort? De quelle haine ne serait-il pas rempli? Il n'en est pas ainsi de ces saints. " En étendant votre main pour que des guérisons, des signes et des prodiges s'opèrent au nom de votre saint Fils Jésus ". Si par ce nom des miracles se font, la liberté de notre langage sera grande , veut-il dire. " Après qu'ils eurent prié, le lieu où ils étaient assemblés, s'ébranla". Preuve qu'ils avaient été exaucés et que Dieu les visitait. " Et ils furent tous remplis du Saint-Esprit ". Qu'est-ce (37) que cela : " Ils furent remplis? " C'est-à-dire : ils furent embrasés par l'Esprit; car c'était la grâce qui brûlait en eux. " Et ils annonçaient avec confiance la parole de Dieu. Or, la multitude des fidèles n'avait qu'un coeur et qu'une âme ". Voyez-vous qu'avec la grâce de Dieu ils faisaient encore tout ce qui dépendait d'eux? c'est ce qu'il faut remarquer partout, qu'avec la grâce de Dieu , ils déploient tout ce qui est en eux; ce qui fait dire à Pierre : " Je n'ai ni or ni argent ". Ainsi ce qui a été dit plus haut : que tous étaient " dans le même sentiment " est répété ici : " La multitude des fidèles n'avait qu'un coeur et qu'une âme ". Après avoir dit qu'ils furent exaucés , l'écrivain fait voir leur vertu. En effet, il est sur le point d'aborder l'histoire de Sapphire et d'Ananie : et avant de raconter leur crime, il parle d'abord de la vertu des autres. Dites-moi , je vous prie, est-ce la charité qui produit le désintéressement, ou le désintéressement qui produit la charité? Il me semble que la charité produit le désintéressement qui resserre davantage ses liens. Ecoutez ce qui est dit : " Tous n'avaient qu'un coeur et qu'une âme ". Mais le coeur et l'âme sont la même chose. " Aucun d'eux n'appelait sien ce qu'il possédait, mais tout était en commun parmi eux. Et les apôtres rendaient avec une grande force témoignage de la résurrection du Seigneur Jésus-Christ ". L'auteur s'exprime comme s'il s'agissait d'une mission à remplir par eux ou d'une dette à payer; c'est-à-dire ils rendaient à tous avec liberté témoignage du royaume de Dieu. " Aussi , une grande grâce était en eux tous; car il n'y avait point d'indignes parmi eux ". C'était comme dans la maison paternelle où tous les enfants sont égaux. Et on ne pouvait pas dire qu'ils nourrissaient les autres, quoique telles fussent leurs dispositions. Mais la merveille était que, renonçant à toute propriété, ils semblaient les nourrir, non plus de leurs biens particuliers, mais du bien commun. " En effet, tous ceux qui possédaient des champs ou des maisons les vendaient, en apportaient le prix, et le déposaient aux pieds des apôtres, et on distribuait à chacun selon ses besoins ". C'était un grand honneur que le prix fût déposé, non dans les mains, mais aux pieds des apôtres " Or, Joseph, surnommé par les apôtres Barnabas, ce qui est interprété fils de Consolation ".
Il ne me semble pas que ce soit le Joseph dont est question à propos de l'élection de l'apôtre Mathias : lequel s'appelait Joseph Barsabas, et fut ensuite surnommé le Juste. Celui-ci a reçu des apôtres le surnom de Barnabas, fils de Consolation. Ce surnom me paraît lui avoir été donné à cause de sa vertu, comme s'il eût eu une disposition particulière à consoler. " Lévite, cypriote d'origine, ayant un champ, le vendit, en apporta le prix et le déposa aux pieds des apôtres ".
2. Observez ici, je vous prie, comment il fait voir que là loi est annulée, comment il nous dit : " Lévite, cypriote d'origine ". En changeant de patrie, les lévites gardaient donc leur nom. Mais reprenons ce qui a été dit plus haut. " Ayant été renvoyés, ils vinrent près des leurs et leur racontèrent tout ce que leur avaient dit les princes des prêtres et les anciens ". Voyez l'humilité et la sagesse des apôtres. Ils ne vont point çà et là se vanter et dire comment ils ont réfuté les prêtres; ils ne cherchent pas dans leurs récits la vaine gloire, mais ils retournent vers les leurs et racontent simplement ce que les anciens leur ont dit. Par là, nous apprenons qu'ils ne se sont point jetés témérairement dans les épreuves, mais qu'ils les ont soutenues avec courage quand elles se sont présentées. Tout autre, appuyé sur la multitude, aurait peut-être dit des injures, proféré mille choses pénibles à entendre. Il n'en est pas ainsi de ces sages. ils font tout avec douceur et calme. " Ayant entendu cela, ils élevèrent tous ensemble la voix vers Dieu ". C'est le cri de la joie et d'une grande ferveur. Voilà les prières efficaces; celles qui sont pleines de sagesse, qui ont de tels objets, qui partent de telles sources, qui se font en de telles circonstances et de telle manière; les autres sont maudites et impures. Voyez comme il n'y a rien de superflu : ils ne parlent que de la puissance de Dieu; ou plutôt, comme le Christ disait aux Juifs: " Si je parle dans l'Esprit de Dieu ", de même les disciples parlent " par le Saint-Esprit". Et voilà que le Sauveur aussi parle dans l'Esprit. Mais écoutez ce qu'ils disent : " Seigneur Dieu, qui avez dit par la bouche de votre serviteur David : Pourquoi les nations ont" elles frémi? " L'usage de l'Ecriture est de parler d'une seule chose comme si elle parlait de plusieurs. Ils veulent donc dire : Ils ont été impuissants; mais vous, vous avez tout fait, vous qui dirigez et menez toute chose (38) à bon terme, vous l'habile et le sage par excellence, vous qui vous servez de vos ennemis pour accomplir vos desseins. Ils parlent de l'habileté et de la sagesse de Dieu pour montrer que c'était bien en qualité d'ennemis et d'adversaires et dans des vues homicides que les Juifs s'étaient ligués; mais, ô Dieu ! la conjuration n'a pas eu d'autre résultat que l'accomplissement de vos desseins, " de tout ce qui avait été décrété par a votre main et par votre conseil ". Qu'est-ce à dire: " Par votre main? " Votre main signifie ici, ce me semble, votre puissance et votre volonté. Il suffit, dit-il, que vous ayez voulu; car ce n'est pas la puissance qui prévoit. " Par " votre main " veut donc dire : tout ce que vous avez commandé ou tout ce que vous avez fait. Comme alors ils n'ont formé que de vains projets, faites qu'il en soit de même encore aujourd'hui.
" Et donnez à vos serviteurs ", c'est-à-dire que leurs menaces n'aient pas d'effets. Et ils font cette prière, non pour détourner d'eux les périls, mais en faveur de la prédication. En effet, ils ne disent pas : arrachez-nous aux dangers. Que disent-ils donc? " Donnez à vos serviteurs d'annoncer votre parole en toute liberté ". Vous qui avez mené ces choses à bon terme, menez-y encore celles-ci. " Que vous avez consacré par votre onction ". Voyez comme dans leur prière ils font la part de la passion du Christ; comme ils lui rapportent tout et lui attribuent la liberté dont ils jouissent ! Voyez-vous aussi comme ils demandent tout pour Dieu et rien par ambition et pour leur propre gloire? De leur part, ils promettent de ne point se laisser effrayer; mais ils demandent des signes. " En étendant votre main pour que des guérisons, des miracles et des prodiges s'opèrent ". Bien : sans cela, en effet, déployassent-ils une immense ardeur, ils n'aboutiraient à rien. Dieu exauça leur prière, et le prouva en ébranlant le lieu où ils étaient. " Après qu'ils eurent prié, le lieu fut ébranlé ". Et pour vous convaincre que telle était la cause de ce mouvement, écoutez le prophète : " Lui qui regarde la terre et la fait trembler " ; et encore : " La terre a été ébranlée à l'aspect de Dieu, à l'aspect du Dieu de Jacob ". (Ps. CIII, 32, et CXIII, 7.) Et Dieu fait cela pour imprimer une plus grande terreur, pour les fortifier après les menaces et leur inspirer une plus grande liberté. En effet, c'était au commencement; ils avaient besoin de signes sensibles pour opérer la foi : ce qui ensuite ne se reproduisit plus. Ils retirèrent donc une grande consolation de leur prière.
Ils ont raison de demander la grâce des miracles; autrement, ils n'eussent jamais pu démontrer la résurrection. Ils ne demandaient pas seulement un motif de sécurité pour eux, mais encore à ne pas être couverts de confusion et à pouvoir parler en liberté. Le lieu fut ébranlé, mais ils n'en furent que plus affermis. C'est quelquefois un signe de colère, quelquefois un signe de visite et de providence ; ici, c'est un signe de colère. Lors de la passion du Sauveur, le fait se produisit d'une manière étrange et surnaturelle; car alors toute la terre fut ébranlée. Et le Sauveur lui-même avait dit : " Il y aura des famines et des pestes et des tremblements de terre en divers lieux ". Du reste, c'était aussi un signe de colère contre les Juifs : mais il remplit les apôtres de l'Esprit. Voyez ! c'est après la prière que les apôtres sont remplis de l'Esprit. " Et la grâce était grande en eux tous : car il n'y avait point de pauvre parmi eux ". Vous voyez que la puissance de l'Esprit était grande où et quand il le fallait. Il s'agit encore de la question des biens, qu'il rappelle une seconde fois pour porter au mépris des richesses. Plus haut, il a dit : " Nul ne regardait comme étant à lui rien de ce qu'il possédait"; ici il dit : " Qu'il n'y avait point de pauvre parmi eux ".
3. Et ce n'était pas là uniquement l'effet des miracles, mais aussi de leur volonté, comme le prouve l'histoire de Sapphire et d'Avanie. Ils rendaient témoignage de la résurrection non-seulement par la parole, mais aussi par la vertu, selon ce que dit Paul : " Ma prédication a consisté, non dans les paroles persuasives de la sagesse humaine; mais dans la manifestation de l'Esprit et de la vertu ", non-seulement de la vertu, mais d'une grande vertu. Il a raison de dire : " La grâce était en eux tous ". C'était la grâce parce qu'il n'y avait pas de pauvres; c'est-à-dire il n'y avait point de pauvres à cause de la générosité de ceux qui donnaient. Car ils ne donnaient pas une partie pour conserver l'autre; ou encore ils ne donnaient pas le tout comme étant leur bien propre. Toute inégalité avait disparu , ils vivaient dans une grande abondance; et ils donnaient en témoignant leur respect pour les (39) apôtres. Car ils n'osaient pas déposer leurs dons dans les mains des apôtres, ils ne les leur présentaient pas avec ostentation, mais ils les mettaient à leurs pieds, les en constituaient dispensateurs et maîtres, afin que tout fût pris dans le trésor commun et non dans le leur. Par là ils n'étaient point exposés à la vaine gloire. S'il en était encore ainsi, nous serions tous, riches et pauvres, bien plus contents, et les. riches n'en seraient pas moins heureux que les pauvres. Dépeignons, si cela vous plaît, cet état en paroles et goûtons-en le charme, puisque nous ne pouvons pas le faire en réalité. Ce qui s'est passé alors démontre jusqu'à l'évidence qu'ils ne s'appauvrissaient pas en vendant, mais qu'ils enrichissaient les pauvres.
Traçons donc ce tableau. Supposons que tous vendent ce qui leur appartient, et en mettent le prix en commun ; c'est une simple supposition : que personne ne se trouble, ni riche ni pauvre. Quelle serait, pensez-vous, la quantité de l'or qui se recueillerait? Je conjecture (car il n'est pas possible d'arriver ici à une parfaite exactitude), que si tous et toutes se dépouillaient de leur argent et livraient leurs terres, leurs propriétés, leurs maisons (je ne parle pas des esclaves, car alors on ne les vendait pas, mais on leur donnait sans doute la liberté), on parviendrait peut-être à la somme d'un million de livres d'or, ou de deux fois, trois fois cette somme. Car, dites-moi, à quel nombre s'élève la population mêlée de cette ville? Combien y supposez-vous de chrétiens Voulez-vous cent mille, et le reste composé de gentils et de Juifs? Combien y recueillerait-on de millions de livres d'or? D'autre part, quel est le nombre des pauvres? Je ne pense pas qu'il dépasse cinquante mille. Que faudrait-il pour les nourrir chaque 'jour ? S'ils mangeaient en commun , s'ils s'asseyaient à la même table, la dépense ne serait pas énorme. Mais, dites-vous, que ferions-nous quand tout serait dépensé ? Eh ! pensez-vous qu'on en, viendrait jamais à bout? La grâce de Dieu ne serait-elle pas mille fois plus abondante? Ne se répandrait-elle pas avec largesse? Quoi ! n'aurions-nous pas fait de la terre un ciel ? Si parmi trois mille et cinq mille qu'ils étaient alors, on obtint un tel succès que personne ne se plaignait de la pauvreté, à. combien plus forte raison n'arriverait-on pas au même résultat dans une si grande multitude ? Et quel étranger refuserait d'y contribuer? Pour démontrer que la division des richesses amène un surcroît de dépenses et engendre la pauvreté, supposons une maison où il y a dix enfants, un homme et une femme : celle-ci, ouvrière en laine, celui-là apportant ses profits du dehors; dites-moi, cette famille mangeant en commun et habitant la même maison, dépenserait-elle plus que si elle était divisée? Il est évident qu'elle dépenserait plus si elle était divisée; car si ces dix enfants étaient séparés, il faudrait dix maisons, dix tables, dix domestiques, et des revenus en conséquence. Quoi encore ! Là où il y a une multitude de serviteurs, ne vivent-ils pas tous à la même table, afin de diminuer la dépense? La division entraîne donc toujours une diminution, tandis que l'union et la concorde produisent un accroissement. Ainsi les habitants des monastères vivent comme autrefois les fidèles. Et là, qui meurt de faim? Qui ne vit pas dans une grande abondance? Mais aujourd'hui les hommes ont plus.peur de cela que de tomber dans une mer sans fond et sans bord. Cependant , si nous avions fait l'expérience de ce genre de vie , nous l'embrasserions sans crainte. Et quelle grâce ne serait-ce pas? Car si, dans ce temps-là, quand il n'y avait que trois mille, que cinq mille fidèles, quand on avait pour ennemi le monde entier, quand on n'avait de consolation à attendre d'aucun côté, si alors, dis-je, on entra courageusement dans cette voie, à combien plus forte raison ne le pourrait-on pas aujourd'hui, où, par la grâce de Dieu, les fidèles remplissent le monde ? Et dans ce cas combien resterait-il de gentils? aucun, selon moi; nous les aurions bientôt tous gagnés et attirés à nous. Oui, si nous entrions dans cette voie, j'ai confiance en Dieu qu'il en serait ainsi. Croyez-moi seulement, et tout réussira comme je le dis; et si Dieu nous conserve la vie, j'espère que nous embrasserons bientôt cette règle.
4. En attendant, observez et maintenez avec force la loi sur le serment. Que celui qui l'observe dénonce celui qui la viole, qu'il l'accuse et le réprimande vertement. Car le temps fixé approche, où je ferai l'enquête et retrancherai et exclurai le prévaricateur. Puissions-nous n'en découvrir aucun parmi nous ! Puissent tous avoir été fidèles à observer ce pacte spirituel ! Qu'il en soit ici comme à l'armée, où le mot d'ordre distingue le soldat de l'étranger. En réalité , nous sommes maintenant en (40) guerre, et il est nécessaire de reconnaître nos frères. Et quel avantage n'est-ce pas d'avoir ce signe distinctif,.et chez nous et hors de chez nous? Quelle arme n'avons-nous pas contre les ruses du démon? Car une bouche qui ne sait pas jurer attirera promptement Dieu par la prière, et frappera le démon d'un coup mortel; une bouche qui ne sait pas jurer ne saura pas non plus proférer l'injure. Repoussez, jetez ce feu hors de votre langue comme hors de votre maison. Laissez-la un peu respirer, et diminuez la plaie. Je vous y exhorte vivement, afin de pouvoir vous donner un autre enseignement; car tant que ce succès ne sera pas obtenu, je n'ose passer à un autre sujet. Corrigez-vous donc entièrement sur ce point, saisissez d'abord toute l'importance du résultat, et alors je traiterai d'autres lois, ou plutôt ce ne sera pas moi, mais le Christ. Plantez cette vertu dans votre âme , et bientôt vous deviendrez le paradis de Dieu, paradis bien préférable au paradis terrestre. Car il n'y aura plus parmi vous ni serpent, ni arbre de mort, ni autre chose de ce genre. Enracinez profondément en vous cette habitude. Si vous le faites, le profit n'en sera pas pour vous seuls, qui êtes ici présents, mais pour tous les hommes, et non-seulement pour les hommes qui vivent aujourd'hui, mais pour ceux qui viendront dans la suite. Car une bonne habitude une fois établie et observée par tout le monde, se perpétue pendant de longs siècles, et le temps ne peut plus la détruire. Si un homme fut lapidé pour avoir ramassé du bois un jour de sabbat, quel ne sera pas le châtiment de celui qui commet une faute bien plus grave que de ramasser du bois, d'un homme qui amasse tout un fardeau de péchés, c'est-à-dire une multitude de serments? Quel ne sera pas son supplice? Si vous vous corrigez là-dessus, vous obtiendrez de grands secours de Dieu. Si je vous dis : n'injuriez pas, vous m'objecterez votre colère; si je vous dis : ne portez pas envie, vous trouvez une autre excuse. Ici vous, n'avez rien de pareil à dire. C'est pourquoi j'ai commencé par les choses faciles, comme il est d'usage dans tous les arts. On n'aborde les choses difficiles qu'après avoir d'abord appris les choses faciles. Vous verrez combien celle-ci l'était, quand, vous étant corrigés par la grâce de Dieu , vous recevrez d'autres prescriptions.
Donnez-moi confiance et devant les gentils et devant les Juifs, et surtout
devant Dieu. Je vous en conjure au nom de la charité, par les douleurs
dans lesquelles je vous ai enfantés, " vous, mes petits enfants
". Je n'ajouterai point ce qui suit : " Que j'enfante de nouveau " ; ni
je ne dirai : " Jusqu'à ce que le Christ soit formé en vous
". Car j'ai la confiance que le Christ est formé en vous. Mais j'ajouterai
: " Mes frères bien-aimés et chéris, ma joie et ma
couronne ". (Gal. IV, 19, et Philip. IV, 1.) Croyez bien que je ne tiendrai
pas un autre langage. Quand on me mettrait sur la tête mille couronnes
royales ornées de pierreries, je ne me réjouirais pas comme
je me réjouis de votre avancement; bien plus, je ne crois pas qu'un
roi goûte une joie comme celle que je ressens à votre occasion.
Que dis-je? Quand même il reviendrait vainqueur de tous ses ennemis;
quand, à sa propre couronne, il en ajouterait un grand nombre d'autres
et des diadèmes, symboles de son triomphe, je ne crois pas que ces
trophées lui procureraient autant de satisfaction que m'en procure
votre avancement. En effet, je suis fier comme si j'avais mille couronnes
sur la tête, et non' sans raison; car si, par la grâce de Dieu,
vous contractez cette habitude , vous aurez remporté mille victoires
plus difficiles que celles de ce souverain; vous aurez lutté et
combattu contre les méchants démons, contre les esprits pernicieux,
non par l'épée, mais par la langue et là volonté.
Et voyez quel succès que celui-là, si vous le remportez !
D'abord vous aurez rompu une mauvaise habitude; secondement, vous aurez
détruit un faux raisonnement, source de tous les maux, en vertu
duquel la chose est regardée comme indifférente et sans danger;
troisièmement, vous aurez vaincu la colère; quatrièmement,
l'avarice; car ce sont là les suites du serment. De plus, vous puiserez
là une grande ardeur pour d'autres progrès. Comme les enfants
qui apprennent les lettres, non-seulement les apprennent, mais par elles
se forment insensiblement à lire; ainsi en sera-t-il de vous; le
faux raisonnement ne vous trompera plus; vous ne direz plus que c'est une
chose indifférente , vous ne parlerez plus par habitude , mais en
toutes choses vous vous tiendrez fermes , afin qu'ayant pratiqué
en tout la vertu selon Dieu , vous jouissiez des biens éternels,
par la grâce et la bonté du Fils unique, avec qui, au Père,
et en (41) même temps au Saint-Esprit, sont la gloire la force ,
l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XII. MAIS JOSEPH, QUI FUT SURNOMMÉ PAR LES APÔTRES
BABNABAS (CE QUI EST INTERPRÉTÉ FILS DE CONSOLATION), LÉVITE,
ORIGINAIRE,DE CHYPRE, AYANT UN CHAMP, LE VENDIT, EN APPORTA LE PRIX ET
LE DÉPOSA AUX PIEDS DES APÔTRES. VERS. 36, 37, JUSQU'AU VERS.
16 DU CHAP. V.)
ANALYSE. 1. Histoire d'Avanie et de Sapphire punis pour avoir menti
au Saint-Esprit, et dérobé une partie de ce qu'ils avaient
déjà consacré au Seigneur.
2. Justice, nécessité et utilité du châtiment d'Avanie et de Sapphire.
3. Sagesse et puissance de saint Pierre.
4. Contre les serments et les parjures.
1. Sur le point de raconter l'histoire d'Avanie et de Sapphire, et avant de montrer un homme tombé dans un très-grand péché , saint Luc en rappelle un autre qui s'était bien conduit ; pour faire voir qu'an sein d'une multitude ainsi réglée, malgré une si grande grâce, au milieu de tant de signes miraculeux, Ananie, sans se corriger par l'exemple des autres, mais une fois aveuglé par l'avarice, a attiré le châtiment sur sa tête. " Ayant un champ ", ce qui indique qu'il n'en avait qu'un, " le vendit, en apporta le prix et le déposa aux pieds des apôtres. Or, un homme nommé Ananie avec Sapphire, son épouse, vendit ce qu'il possédait, et frauda sur le prix du champ, sa femme le sachant, et en apportant une certaine partie, la déposa aux pieds des apôtres ". Ce qu'il y avait de grave, c'est que la faute leur était commune et qu'il n'y avait pas d'autre témoin. Comment cette pensée était-elle venue à ce malheureux? " Mais Pierre lui dit: Avanie, pourquoi Satan a-t-il rempli ton coeur, au point de te faire mentir au Saint-Esprit et détourner une partie du prix de ton champ ? " Voyez encore ici un signe éclatant, beaucoup plus grand même que le premier. " Restant entre tes mains, ton champ n'était-il pas à toi? et vendu, le prix n'était-il pas encore en ta puissance? " C'est-à-dire : A-t-on usé de force? est-ce qu'on t'a fait violence ? vous attire-t-on malgré vous ? " Pourquoi as-tu formé ce dessein dans ton coeur? Ce n'est pas aux hommes, mais à Dieu que tu as menti. En entendant ces paroles, Ananie tomba et expira " : Et pourquoi ce signe est-il plus grand que l'autre ? Parce que la parole de Pierre donne la mort, parce qu'il lit dans la conscience et connaît des choses faites en secret. " Et tous ceux qui entendirent cela furent saisis d'une grande crainte. Des jeunes gens se levant, emportèrent le mort et allèrent l'ensevelir. Or, il s'écoula un espace d'environ trois heures, et sa femme, ignorant ce qui s'était passé, entra. Pierre lui dit : Répondez-moi : est-il vrai que vous avez vendu votre champ un tel prix? " Il voulait la sauver, car le mari était l'auteur de la faute. C'est pourquoi il s'empresse de lui offrir l'occasion de se justifier et la faculté de se repentir. C'est ce qui lui fait dire : " Répondez-moi : est-il vrai que vous avez vendu votre champ un tel prix? Oui, (42) répondit-elle. Mais Pierre reprit: Pourquoi vous êtes-vous concertés pour tenter le. Saint-Esprit? Voilà à la porte les pieds de ceux qui ont enseveli votre époux et ils vont vous emporter. Aussitôt elle tomba à ses pieds et expira. Les jeunes gens en entrant là trouvèrent morte, l'emportèrent et l'ensevelirent près de son époux. Et une grande frayeur se répandit dans toute l'Eglise et chez tous ceux qui apprirent ces choses ". Mais à la suite de cette frayeur, les signes se multiplièrent ; écoutez-en la preuve : " Il s'opérait beaucoup de signes et de prodiges dans le peuple par les mains des apôtres. Ils étaient tous réunis dans le portique de Salomon; et aucun des autres n'osait se joindre à eux; mais le peuple les exaltait ". Et c'était juste. Pierre était réellement terrible, lui qui reprochait et punissait les pensées les plus secrètes. On s'attachait particulièrement à lui, et à cause du miracle et à cause de son premier, de son second et de son troisième discours. C'était lui qui avait fait le premier et le second miracle, et encore celui-ci qui ne me semble pas simple, mais double, puisque d'abord il a pénétré le secret des consciences, et qu'ensuite la mort a obéi à ses ordres. " Mais le nombre de ceux qui croyaient au Seigneur, hommes et femmes, augmentait; de sorte qu'ils portaient les malades dans les places publiques et les déposaient sur des lits et des grabats, afin que quand Pierre viendrait, son ombre au moins couvrit quelqu'un d'eux". Cela n'a pas eu lieu pour le Christ; ainsi s'est réalisé ce qu'il avait dit : " Celui qui croit en moi fera les oeuvres que je fais et en fera de plus grandes encore ". (Jean, XIV, 12.) " Or, la foule accourait des villes voisines de Jérusalem, apportant des malades et ceux qui étaient tourmentés par les esprits impurs, et tous étaient guéris ".
Mais considérez avec moi comme toute leur vie est remplie de contrastes. D'abord, découragement à cause de l'ascension du Christ, puis courage à cause de la descente de l'Esprit; nouveau découragement, à raison des railleries, puis joie à cause des fidèles et du miracle; tristesse encore, parce qu'ils ont été saisis, puis contentement parce qu'ils ont pu se justifier. Et ici encore nous trouvons joie et tristesse: joie parce qu'ils brillent aux yeux des hommes, et qu'ils jouissent des révélations divines; tristesse parce qu'ils donnent la mort même à leurs frères; joie à cause de leur éclat, tristesse de la part du prince des prêtres. Du reste, c'est ce que nous pouvons voir partout, même chez les anciens, si nous voulons regarder attentivement. Mais reprenons ce qui a été dit plus haut : " Ils vendaient et apportaient les prix et les mettaient aux pieds des apôtres". Vous voyez, mon cher, qu'ils ne donnaient point aux apôtres la peine de vendre, mais qu'ils vendaient eux-mêmes et leur remettaient les prix. Ananie n'agit point ainsi: il soustrait une partie du prix du champ qu'il a vendu, et il est puni pour s'être mal conduit et avoir été surpris à dérober ce qui lui appartenait. Ceci est un reproche, et un reproche très-vif, à l'adresse des prêtres d'aujourd'hui. Et comme sa femme était complice, l'apôtre l'interroge à son tour.
2. Mais, dira-t-on peut-être, elle a été traitée bien durement. Que dites-vous? Quelle dureté y a-t-il là, de grâce? Si un homme qui a ramassé du bois est lapidé, à combien plus forte raison doit l'être un voleur sacrilège. Or, cet argent était déjà sacré. Par conséquent, celui qui avait voulu vendre son bien et en donner le prix, devenait certainement sacrilège en en soustrayant une partie. Or, si celui qui soustrait de son propre bien, est sacrilège, à plus forte raison celui qui dérobe du bien d'autrui. Et si les choses ne se passent plus ainsi, si le châtiment n'est plus, immédiat, n'allez pas croire à l'impunité. Voyez-vous qu'on lui fait un crime d'avoir dérobé une partie de l'argent qu'il avait rendu sacré? Ne pouviez-vous pas, lui dit l'apôtre, user de votre bien, même après l'avoir vendu? Vous en a-t-on empêché? Pourquoi le retirez-vous, après l'avoir promis? Voyez comme dès l'abord le diable se met à l'oeuvre, au milieu de si grands signes et de si grands prodiges, et surtout comment il a aveuglé ce malheureux. Un fait de ce genre s'est passé dans l'ancienne loi, quand Charmé (1) fut convaincu d'avoir soustrait des objets voués à l'anathème; et vous savez cependant quelle punition on en tira. Car, mon cher auditeur, le vol des choses sacrées est un péché extrêmement grave, un acte de souverain mépris. Nous ne vous avons point forcé de vendre, ni de nous donner votre argent après avoir vendu; vous avez agi par votre propre volonté : pourquoi donc dérobez-vous quelque
1 La Vulgate porte Achan, fils de Charmé (Jos. VII, 1.)
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chose d'objets consacrés? " Pourquoi Satan " a-t-il rempli ton coeur? " Mais si Satan est le coupable , pourquoi accuser Ananie? Parce qu'il a cédé à la puissance de Satan et en a été rempli. Il fallait le corriger, dira-t-on. Mais il ne se serait pas corrigé : celui qui avait eu sous les yeux de tels spectacles et n'en avait tiré aucun profit, se fût encore bien moins amendé par d'autres moyens. Et pourtant on ne pouvait passer légèrement là-dessus ; il fallait retrancher cette gangrène de peur que le corps entier n'en fût infecté. Ici, c'est l'avantage du coupable lui-même, qu'on l’empêche d'aller plus loin dans le mal, et ensuite tous les autres en sont rendus plus vigilants; dans l'autre supposition, t'eût été le contraire. C'est pourquoi Pierre réprimande d'abord et fait voir que la faute ne lui a point échappé, ensuite il prononce l'arrêt. " Pourquoi ", lui dit-il, " as-tu fait cela ? " Tu voulais posséder? Il fallait conserver dès le commencement et ne pas promettre ; mais maintenant que tu reprends après avoir consacré, c'est commettre un plus grand sacrilège. Celui qui prend le bien d'autrui peut y être poussé par le désir de posséder ce qui ne lui appartient pas; mais toi, tu pouvais garder le tien. Pourquoi donc consacrer ces choses, et les reprendre? Tu as agi là avec un souverain mépris. Point de pardon pour ton crime; il est inexcusable.
Que personne ne se scandalise s'il y a encore aujourd'hui des voleurs sacrilèges. Car, s'il y en avait alors, à plus forte raison y en a-t-il aujourd'hui, que les vices abondent. Accusons-les donc publiquement, afin, que les autres tremblent. Judas était sacrilège ; mais les disciples n'en furent, pas scandalisés. Voyez-vous les maux qu'engendre la passion des richesses? " Et tous ceux qui entendirent cela furent saisis d'une grande crainte ". Ananie fut puni, les autres en profitèrent; on avait donc eu raison d'agir ainsi; quoique d'autres signes eussent précédé celui-ci, jamais la frayeur n'avait été aussi grande. Ainsi se vérifie ce qui est écrit : " Le Seigneur se fera connaître en rendant des jugements ". La même chose était arrivée à l'occasion de l'arche : Oza fut puni, les autres eurent peur. Mais alors le roi, saisi de crainte, éloigna l'arche, tandis qu'ici les autres redoublèrent de vigilance. Vous voyez que Pierre n'appela point Sapphire , mais attendit qu'elle entrât; et aucun des autres n'avait osé annoncer ce qui était arrivé.
C'était l'effet de la crainte du maître, du respect et de l'obéissance des disciples. " Un espace de trois heures ". Sapphire ne savait rien, aucun de ceux qui étaient là ne l'avait avertie, bien que la nouvelle eût eu le temps de se répandre; mais ils avaient peur. Aussi l'historien nous dit-il, tout surpris : " Ne sachant pas ce qui s'était passé, elle entra ". Cependant voici qui pouvait faire voir que Pierre connaissait les choses cachées : pourquoi celui qui n'a interrogé personne , vous interroge-t-il ? N'est-ce pas évidemment parce qu'il sait ce qui s'est passé? Mais un grand aveuglement ne permit pas à Sapphire de dépouiller son intention criminelle; elle répond avec une grande audace : car elle croyait parler à un homme. C'était une aggravation de leur péché qu'ils l'eussent commis d'un commun consentement et comme en vertu d'un pacte. " Pourquoi vous êtes-vous concertés pour tenter le Saint-Esprit? Voilà à la porte les pieds de ceux qui ont enseveli votre époux, et qui vont vous emporter ". D'abord, il lui fait sentir sa faute , ensuite il annonce qu'elle subira le même châtiment que son mari, et avec justice, puisqu'elle a commis le même péché. Et comment, direz-vous, " soudain tomba-t-elle à ses pieds et rendit-elle l'âme?" Parce qu'elle était tout près. Ce fut ainsi qu'ils s'attirèrent leur propre punition. Et comment n'en aurait-on pas été frappé? Qui n'aurait pas craint l'apôtre ? Qui n'aurait pas été saisi d'admiration ? " Et ils étaient tous réunis dans le portique de Salomon ". D'où il suit qu'ils habitaient dans le temple, et non dans une maison quelconque. Ils ne craignaient plus, du reste , le contact des objets immondes; mais ils touchaient les morts sans scrupule. Et voyez comme ils sont sévères envers les leurs, tandis qu'ils n'usent point de leur pouvoir à l'égard des étrangers. " Mais le nombre de ceux qui croyaient au Seigneur, hommes et femmes, augmentait tous les jours, en sorte qu'on déposait dans les places publiques les malades sur des lits et des grabats, afin que, quand Pierre viendrait, son ombre au moins couvrît quelqu'un d'entre eux ".
3. La foi de ceux qui approchaient ainsi était grande, plus grande même que du temps du Christ. Pourquoi cela ? A cause de la prédiction que le Christ avait faite . " Celui qui croit en moi fera les oeuvres que je fais, il en fera de plus grandes encore ", comme (44) ils demeuraient au même lieu sans en sortir, tous leur apportaient leurs malades sur des lits et des grabats. : c'était prodige de tout côté, et de la part des croyants, et de la part de ceux qui étaient guéris, et de la part de celui qui avait été puni, et par la liberté de leur langage, et par la vertu de ceux dont la foi était affermie: car tout ne reposait pas.seulement sur les miracles. En effet, quoique dans leur modestie ils attribuassent tout au Christ, au nom duquel ils- déclaraient agir, cependant c'était aussi l'effet de leur vie et de leur vertu. Et remarquez qu'on ne fixe pas ici le nombre des croyants , mais qu'on l'abandonne aux conjectures du lecteur, tant les progrès de la foi étaient considérables ! Aussi prêchait-on la résurrection avec plus de force : " Personne n'osait se joindre à eux , mais le peuple les exaltait " . L'écrivain parle ainsi pour prouver qu'ils ne paraissaient déjà plus méprisables comme auparavant, et qu'un pêcheur, un simple particulier avait produit cet effet en peu de temps, en un moment.
Ce genre de vie, cette liberté de parole, ces miracles et tout le reste avaient fait de la terre un paradis. On les admirait comme des anges, rien ne les émouvait, ni les railleries, ni les menaces, ni les dangers, et de plus ils étaient extrêmement humains et pleins de sollicitude : ils aidaient les uns de leurs richesses et guérissaient les autres de leurs maladies. " Pourquoi Satan a-t-il rempli ton coeur? " Pierre, sur le point de punir, s'en justifie et instruit les autres. Car, comme le fait devait paraître très-dur, il exerce envers Ananie et sa femme un jugement terrible. S'il ne les eût pas frappés tous les deux d'un tel châtiment pour une faute impardonnable , quel mépris de Dieu n'en serait pas résulté! Ce qui prouve que c'était là la raison, c'est qu'il ne les punit pas avant d'avoir démontré la faute. Aussi personne ne gémit, personne ne poussa un cri ; mais tous furent saisis de frayeur. Et non sans raison : car leur foi augmentait , les signes se multipliaient , une grande crainte se répandit parmi les leurs , parce que.les choses du dehors nous troublent moins que celles du dedans. Si donc nous sommes unis les uns aux autres, personne ne nous fera la guerre; mais si, au contraire, nous sommes divisés, tous nos ennemis tomberont sur nous. Voilà pourquoi ils étaient pleins de confiance, se jetaient librement sur la place publique au milieu des ennemis et triomphaient; ainsi s'accomplissait cette parole : " Régnez au milieu de vos ennemis ". (Ps. CIX, 2.) Et la preuve d'une plus grande vertu, c'est qu'ils opéraient de tels prodiges même en prison, même dans les fers. — Mais si un simple mensonge attirait un si grand châtiment, que sera-ce du parjure? Bien plus, si une femme, pour avoir simplement dit " oui, tel prix ", n'a pu échapper à une si terrible punition, quel supplice sera le vôtre, ô vous qui jurez et vous parjurez ?_ Il est à propos aujourd'hui de démontrer par l'Ancien Testament la gravité du parjure. " La faux volait, large de dix coudées ". (Zac. V, 2.) Le vol désigne la rapidité avec laquelle la peine suit le parjure ; la largeur et la longueur de dix coudées indiquent la violence et l'étendue du châtiment; le vol partant du ciel fait voir que la sentence sort du tribunal céleste; la forme de faux montre que le supplice est inévitable. Car comme la faux qui tombe sur le cou ne se retire pas d'elle-même, mais reste même quand la tête est abattue ainsi la vengeance qui atteint ceux qui jurent est terrible et ne s'arrête que quand sa tâche est accomplie. Et ne nous rassurons pas si nous échappons au châtiment, bien que nous ayons juré; car ce délai tourne à notre détriment. A quoi pensez-vous ? Que depuis Ananie et Sapphire , beaucoup ont commis la même faute et n'ont point subi la même peine ? Et vous demandez pourquoi? Ce n'est pas qu'on leur ait fait grâce, mais ils sont réservés à un plus grand supplice.
4. Ainsi ceux qui pèchent souvent doivent plus craindre quand
ils ne sont pas punis que quand ils le sont; car le délai de la
punition et la longanimité de Dieu ne font qu'aggraver leur supplice.
Ce n'est donc pas à éviter la punition, mais le péché,
que nous devons tendre; et si la punition ne suit pas le péché,
nous n'en devons que trembler davantage. Dites-moi : si vous menaciez votre
esclave sans le frapper, quand.serait-il plus effrayé, plus disposé
à vous abandonner et à fuir? ne serait-ce pas sous le coup
de vos menaces? Aussi nous exhortons-nous mutuellement à ne pas
toujours menacer un serviteur, de peur d'imprimer en son âme une
crainte plus vive, d'y jeter un trouble plus grand que si nous le frappions;
du reste ici le mal (45) n'est que passager, tandis que là il est
éternel. Ne vous occupez donc pas de savoir si quelqu'un reçoit
le coup de faux, mais s'il commet telle ou telle faute. Il se fait maintenant
bien des choses qui se faisaient au temps du déluge, et le déluge
n'arrive plus; mais on est menacé de l'enfer et de ses supplices.
Beaucoup commettent les crimes qu'on commettait à Sodome, et la
pluie de feu ne tombe pas, parce que le fleuve de feu est prêt. Beaucoup
ont osé ce qu'osa Pharaon, et ils n'ont point subi le sort de Pharaon,
ils n'ont point été submergés dans la mer Rouge :
mais l'abîme les attend là où la souffrance n'éteint
pas le sentiment, là où il n'est pas donné de mourir,
mais où l'on est consumé par d'éternelles tortures,
par des chaudières brûlantes et les angoisses de la suffocation.
Beaucoup osent encore ce qu'ont osé les Israélites, et les
serpents ne les ont pas dévorés; mais le ver qui ne meurt
pas les attend. Beaucoup ont osé ce qu'a osé Giézi,
et ne sont pas devenus lépreux; mais, au lieu de la lèpre,
ils seront un jour déchirés et rangés parmi les hypocrites.
Beaucoup ont juré et se sont parjurés; s'ils ont jusqu'ici
échappé au châtiment, ne nous rassurons pas pour cela
: le grincement de dents les attend. Et peut-être seront-ils punis
et n'échapperont-ils pas même ici-bas, quoique plus tard,
en commettant d'autres péchés qui aggraveront leur supplice
; car souvent des fautes moindres nous conduisent à de plus grandes
pour lesquelles il faut tout acquitter. Ainsi quand quelque malheur vous
arrive, souvenez-vous que vous avez commis ce péché. C'est
ce qui arriva aux fils de. Jacob. Rappelez-vous les frères de Joseph
; ils avaient vendu leur frère, ils avaient essayé de le
tuer, ils l'avaient même tué autant qu'il était en
eux ; ils avaient trompé, affligé leur vieux père,
et rien de fâcheux ne leur était arrivé. Mais après
bien des années, ils coururent les plus grands périls, et
ils se souvinrent alors de leur péché. Et pour preuve que
ce n'est point ici une simple conjecture, écoutons ce qu'ils disent
: " Oui, " nous sommes coupables envers notre frère n . (Gen. XLII,
21.) De même quand il vous arrivera quelque chose, dites : Oui, nous
sommes coupables , parce que nous n'avons pas écouté le Christ,parce
que nous avons juré; mes serments et mes parjures sont retombés
sur ma tête.Faites donc votre confession; ils firent la leur et ils
furent sauvés. Eh ! quoi ? parce que le châtiment ne suit
pas immédiatement la faute, vous pècheriez plus hardiment?
Mais Achab ne subit pas son sort aussitôt après le meurtre
de Naboth. Et pourquoi cela? Dieu vous donne un certain temps pour vous
laver dans les eaux de la pénitence; si vous persévérez,
il amène enfin le châtiment. Vous voyez comme les menteurs
ont été punis; songez a ce que souffriront les parjures,
songez-y et abstenez-vous. Bon gré mal gré, il faut que celui
qui jure se parjure, et celui qui se parjure ne peut être sauvé.
Un seul parjure peut tout perdre et attirer le châtiment tout entier.
Ainsi donc, je vous en conjure, veillons sur nous, afin qu'évitant
la punition attachée à cette faute, nous soyons jugés
dignes de la miséricorde de Dieu, par la grâce et la compassion
du Fils unique en qui appartiennent, au Père, et en même temps
au Saint-Esprit, la gloire , la force, l'honneur, maintenant, et toujours,
et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XIII. LE PRINCE DES PRÉTRES SE LEVANT, LUI ET
TOUS CEUX QUI ÉTAIENT DE SON PARTI ILS APPARTENAIENT A LA SECTE
DES SADUCÉENS FURENT REMPLIS DE COLÈRE, ET ILS MIRENT LA
MAIN SUR LES APÔTRES ET LES JETÈRENT DANS UNE PRISON PUBLIQUE.
VERS. 17, 18, JUSQU'AU VERS. 33.)
46
ANALYSE. 1. Jetés en prison, les apôtres en sont miraculeusement tirés par un ange.
2. Fermeté des apôtres, belle réponse qu'ils font à ceux qui les interrogent.
3. Les apôtres persécutés, plus heureux que ceux qui les persécutent. — Il n'y a pas de jouissance comparable à celle de souffrir pour le Christ.
4. Que le pauvre jouit de plus de sécurité que le riche et est plus apte à accomplir les commandements de Dieu, par exemple celui qui défend de jurer.
1. Rien de plus impudent ni de plus audacieux que la malice. Connaissant, par expérience, le courage des apôtres d'après leurs premières tentatives, ils en forment cependant de nouvelles et se lèvent encore une fois. Qu'est-ce que ceci : " Le prince des prêtres se levant, lui et tous ceux qui étaient de son parti? " Cela veut dire qu'il, s'éveilla, tout ému de ce qui s'était passé. " Et ils. mirent la main sur les apôtres et les jetèrent dans une prison publique ". Maintenant l'attaque est plus violente. Ils ne les jugèrent pas immédiatement, espérant qu'ils s'adouciraient. Et,comment voyons-nous que l'attaque est plus violente? Parce qu'ils les mettent dans une prison publique. Voilà les apôtres exposés de nouveau aux dangers et éprouvant aussi de nouveau le secours de Dieu. Comment? Ecoutez la suite : " Mais un ange du Seigneur ouvrit pendant la nuit les portes de la prison et les faisant sortir, leur dit : Allez, et vous tenant dans le temple, annoncez au peuple toutes les paroles de cette vie ". Ceci s'est fait pour leur consolation, comme aussi pour leur avantage et leur instruction. Et voyez se renouveler ici ce qui s'est passé du temps du Christ. Il ne les rend pas témoins des miracles qu'il opère, mais il les dispose pour leur instruction ; ainsi il ne leur a pas permis de voir la manière dont il ressuscitait, car ils n'en étaient pas dignes; mais il leur démontre par ses oeuvres qu'il est ressuscité. De même, quand il changea l'eau en vin, les convives ne s'en aperçurent pas, puisqu'ils étaient ivres; ce fut à d'autres qu'il laissa le soin d'en juger. Il en est de même ici. On ne vit point sortir les apôtres, mais on eut des preuves pour constater leur évasion miraculeuse. Pourquoi les fait-il sortir pendant la nuit? Parce que c'était le meilleur moyen de faire croire à leur témoignage; parce qu'autrement on ne serait pas venu pour les interroger ou qu'on ne les aurait pas crus. Il en arriva de même autrefois : par exemple dans le temps de Nabuchodonosor : il vit les enfants louer Dieu au milieu de la fournaise et fut frappé de stupeur. Il aurait d'abord fallu demander aux apôtres Comment êtes-vous sortis?
Mais, comme si rien ne se fût passé, on leur dit : " Ne vous avions-nous pas absolument défendu de parler? " Et voyez comme ils ont tout appris par d'autres. Ils voient la prison fermée et les gardes debout de tant les portes. " Les apôtres ayant entendu ces paroles entrèrent dans le temple au point du jour, et là ils enseignaient. Mais le prince des prêtres arrivant et ceux de son parti avec lui, ils assemblèrent le conseil et tous les anciens des enfants d'Israël; et ils envoyèrent à la prison pour qu'on amenât les apôtres. (47) Quand les officiers furent arrivés, on ouvrit la prison, et ne les ayant pas trouvés, ils retournèrent en porter la nouvelle et dirent : Nous avons trouvé la prison soigneusement fermée et les gardes debout devant les portes ; mais ayant ouvert, nous n'avons trouvé personne dedans ". Il y avait ici, comme pour le sépulcre, une double garantie le sceau et les gardes. Voyez à quel point ils sont ennemis de Dieu ! Dites-moi : étaient-ce des faits humains, tout ce qui se passait? Qui les avait tirés de la prison fermée? Comment étaient-ils sortis, quand les gardes étaient debout devant les portes? C'est vraiment là le langage de gens furieux et ivres. Comme des enfants privés de raison, ils espèrent vaincre des hommes qu'une prison, que des chaînes, que des portes fermées n'ont pu retenir ! Cependant leurs ministres sont là, qui confessent le fait, comme pour leur ôter toute excuse. Voyez-vous comme les signes se multiplient, les uns par eux, les autres pour eux : ceux-ci plus éclatants que les premiers?
C'est avec raison que la nouvelle n'a pas été portée immédiatement, mais qu'il y a d'abord eu embarras, afin que, témoins de la puissance divine, ils soient ainsi instruits de tout. " Lorsqu'ils eurent entendu ces discours (1), le prince des prêtres, le magistrat du temple et les princes des prêtres étaient embarrassés et ne savaient que faire. Mais quelqu'un arriva et leur dit : Voilà que ceux que vous avez mis en prison sont dans le temple debout et enseignant le peuple. Alors le magistrat s'en allant avec les ministres, les amena sans violence, car ils craignaient d'être lapidés par le peuple ". O folie! Ils craignaient le peuple, dit-on; à quoi cela leur servait-il? C'était Dieu qu'il fallait craindre, Dieu qui les enlevait toujours de leurs mains comme des oiseaux; et ils craignaient le peuple ! " Le prince des prêtres les interrogea en disant : " Ne vous avions-nous pas absolument défendu d'enseigner en ce nom-là ? Et voilà que vous avez rempli Jérusalem de votre doctrine, et que vous voulez faire retomber sur nous le sang de cet homme ". Que répondent les apôtres? Ils leur parlent encore avec douceur, bien qu'ils pussent leur dire : Qui êtes-vous pour vous mettre en opposition avec Dieu? Que répondent ils enfin ? Ils répondent en
1 Ce texte diffère de celui de la Vulgate.
donnant encore avec douceur des exhortations et des conseils. " Pierre répond, et avec lui les apôtres : Il faut plutôt obéir à Dieu qu'aux hommes ". C'est là une grande philosophie par laquelle ils prouvent qu'ils combattent pour Dieu. " Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus que vous-mêmes avez fait mourir en le suspendant à un bois. Dieu a exalté de sa droite ce Prince, ce Sauveur, pour procurer à Israël la pénitence et la rémission des péchés ". Celui que vous avez fait mourir, leur dit-il, Dieu l'a ressuscité. Voyez comme il attribue encore tout au Père, de peur que le Christ, ne parût étranger au Père. " Et l'a exalté de sa droite ". Il n'indique pas seulement la résurrection, mais encore l'exaltation, c'est-à-dire l'ascension. " Pour procurer la pénitence à Israël ".
2. Voyez encore une fois le profit et l'enseignement parfait sous forme d'apologie. " Et nous sommes les témoins de ces choses ". Voilà une grande liberté de langage. Pour confirmer ce qu'il avance, il ajoute: " Et aussi l'Esprit-Saint que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent ". Vous voyez qu'ils ne s'appuient pas seulement sur leur propre témoignage, mais encore sur celui de l'Esprit. Et ils ne disent pas : " Qu'il nous a donné ", mais : " A ceux qui lui obéissent " ; usant en cela de modestie, faisant voir en même temps que cet Esprit est grand et qu'eux-mêmes peuvent le recevoir. Voyez comme ils sont instruits par paroles et par actions, et n'y font pas attention, en sorte que leur condamnation sera juste. Car Dieu a permis que les apôtres fussent traduits en jugement, afin que leurs ennemis fussent instruits, s'ils voulaient l'être , et pour qu'ils prissent eux-mêmes confiance. " Ayant entendu ces choses, ils frémissaient de rage et pensaient à les faire mourir ". Voyez l'excès de la malice ! Au lieu de s'effrayer de ce qu'ils avaient entendu, ils frémissent de rage et songent à les faire mourir. Mais il est nécessaire de reprendre ce qui a été lu plus haut. " Un ange du Seigneur ouvrant les portes de la prison pendant la nuit, les fit sortir en disant : Allez, tenez-vous dans le temple, et annoncez au peuple toutes les paroles de cette vie. Les fit sortir " ; il ne les emmène pas lui-même, mais il les renvoie ; ce qui montre l'intrépidité dont ils ont fait preuve eu entrant la nuit dans le temple pour enseigner. Si les gardes les avaient fait sortir, (48) comme leurs ennemis le pensaient, ils se seraient enfuis, à supposer qu'ils se fussent laissé séduire; bien plus, dans le cas même où les magistrats leur auraient donné la liberté, ils ne se seraient pas arrêtés dans le temple, mais ils auraient pris la fuite; il n'y a personne qui ne sente cela à moins d'être fou.
" Ne vous avions-nous pas absolument défendu ? " S'ils vous ont jamais obéi, votre reproche est fondé; mais s'ils vous ont dit qu'ils ne vous obéiraient pas, vos reproches sont inutiles, vos défenses superflues. Voyez l'inconséquence désastreuse et l'excès de la démence ! Ils veulent enfin révéler l'intention homicide des Juifs, et faire voir qu'ils n'agissent point par amour pour la vérité, mais par vengeance. Voilà pourquoi les apôtres ne leur répondent pas avec hauteur, car ils étaient docteurs; et pourtant quel homme, après avoir remué toute la ville, et étant favorisé de telle grâce, n'aurait pas pris un ton élevé? Autre fut la conduite des apôtres : ils ne se fâchèrent point, mais ils les prirent en pitié, versèrent des larmes et ne songèrent qu'aux moyens de les délivrer de l'erreur et de la colère. Ils ne leur disent plus: " Jugez vous-mêmes ", mais ils prêchent avec fermeté : " Celui que Dieu a ressuscité " ; montrant par là que tout ceci se passe selon la volonté de Dieu. Ils ne disent pas : Ne vous avons-nous pas dit que " nous ne pouvons taire ce que nous avons vu et entendu ", car ils ne sont point querelleurs; mais ils reviennent sur les mêmes sujets, à savoir: la croix et la résurrection. Ils ne disent pas pourquoi le Christ a été crucifié, ni qu'il l'a été pour nous ; mais ils y font allusion et ne parlent pas clairement, parce qu'ils veulent d'abord les épouvanter. Dites-moi : quelle rhétorique y a-t-il là-dedans ? Aucune. Ils annoncent sans apprêt l'Evangile de vie. Après avoir dit : " L'a exalté ", il ajoute pourquoi: " Pour procurer à Israël la pénitence et la rémission des péchés ".
Mais, direz-vous, cela paraissait alors incroyable. Eh! comment cela n'eût-il pas été croyable, quand ni les chefs, ni la foulé n'y pouvaient contredire? quand on fermait la bouche aux uns et qu'on instruisait les autres? " Et nous sommes les témoins de ces choses". De quelles choses? De l'annonce du pardon, de la pénitence; car la résurrection était un fait établi. Que le Christ donne la rémission , nous en sommes témoins et aussi l'Esprit-Saint, qui ne serait pas venu si les péchés n'avaient pas été remis; en sorte que cette preuve est incontestable. Tu entends, malheureux, parler de la rémission des péchés, tu entends dire que le Christ ne demande pas vengeance, et tu veux donner la mort? Quel excès de malice ! Il fallait donc ou convaincre les apôtres de mensonge, ou, si on ne le pouvait, ajouter foi à leur parole; que si on ne voulait pas ajouter foi à leur parole, il ne fallait pas les faire mourir. Qu'y a-t-il là-dedans qui mérite la mort? Mais dans leur fureur ils ne savaient pas même ce qui s'était passé. Voyez comme les apôtres, après avoir rappelé le crime, parlent de pardon; montrant par là que si le crime était digne de mort, la rémission était offerte au repentir. Comment les aurait-on persuadés autrement qu'en leur disant qu'ils feraient bien d'en profiter? Et voyez la méchanceté ! On leur amène des sadducéens., qui étaient les plus opposés au dogme de la résurrection. Mais leur malice ne leur servit à rien. — On dira peut-être. Comment un homme aussi favorisé que les apôtres ne serait-il pas devenu grand? Mais voyez comme, avant de recevoir la grâce, ils persévéraient tous dans l'oraison, et attendaient le secours d'en-haut. Et vous, mon cher auditeur, qui espérez le royaume du ciel, vous ne supportez rien? Vous avez reçu l'Esprit, et vous n'endurez ni de telles souffrances, ni de tels périls? Et eux, avant d'avoir pu respirer à la suite des premières épreuves, étaient conduits à de nouvelles. Et quel avantage de ne point s'enorgueillir, d'être exempt de vaine gloire? Quel profit de parler avec douceur ? Ici tout n'était pas l'effet de la grâce; leur bonne volonté se manifeste par bien des preuves; et si les dons de la grâce étaient chez eux si éclatants, il faut l'attribuer à leur fidélité et à l'ardeur de leur zèle.
3. Et voyez dès l'abord quelle est la sollicitude de Pierre, sa sobriété, sa vigilance; comment les fidèles se dépouillaient de leurs biens. Ils n'avaient rien en propre, ils s'adonnaient à la prière, ils vivaient dans la concorde, ils jeûnaient. Quels fruits de grâce ! Aussi, leurs ennemis sont-ils confondus par leurs propres ministres, lesquels reviennent annoncer ce qu'ils ont vu, comme ceux qu'on envoya un jour vers le Christ, disaient: " Jamais homme n'a parlé comme parle cet homme ". (Jean, VII, 46.) Considérez ici avec moi leur (49) mansuétude, leur condescendance, et aussi l'hypocrisie du prince des prêtres. Il leur parle en effet avec douceur, parce qu'il a peur, et qu'il veut plutôt les empêcher d'agir que les faire mourir, vu que ceci lui était, impossible. Et pour émouvoir la foule, et suspendre sur sa tête la menace des derniers périls, il leur dit : " Voulez-vous faire retomber sur nous le sang de cet homme ? " — Le crois-tu donc un homme encore? — Il s'exprime ainsi pour leur faire voir que l'ordre qu'il donne est dicté par la nécessité. Ecoutez la réponse de Pierre : " Dieu a exalté de sa droite ce Prince, ce Sauveur, pour procurer à Israël la pénitence et la rémission des péchés ". Il ne parle pas ici des nations, pour ne donner aucune prise.
" Et ils songeaient à les faire mourir ". Voyez encore une fois comme les uns sont dans l'angoisse et la douleur, et les autres dans le calme, l'allégresse et la joie ; et ce n'est pas chez ceux-là une simple douleur, mais " un frémissement de rage ". Il est donc vrai de dire : Mal faire, c'est souffrir; on le voit bien ici. Les apôtres sont dans les chaînes, sont traduits devant le tribunal, et leurs juges sont dans l'incertitude, dans un extrême embarras. Les voilà comme l'homme qui frappe le métal le plus dur, et reçoit lui-même le coup. Ils voyaient que la confiance des apôtres n'avait point diminué, que leur prédication augmentait, qu'ils parlaient sans crainte et ne fournissaient aucun prétexte contre eux. Imitons-les , chers auditeurs , et soyons intrépides dans tous les périls. Il n'y a pas de périls pour celui qui craint Dieu, mais pour celui qui ne le craint pas. Comment celui que la vertu élève au-dessus des souffrantes , qui considère le présent comme une ombre fugitive, pourrait-il éprouver quelque mal? Que craindrait-il ? Qu'est-ce qui pourra être un mal pour lui? Cherchons donc un asile sur ce roc inébranlable. Quand on nous construirait une ville entourée de murailles: mieux encore, quand on nous transporterait dans une terre où nous serions à l'abri de tout trouble et au sein de l'abondance, en sorte que nous n'eussions rien à démêler avec personne, notre sécurité serait moins grande que celle où nous met le Christ. Supposez, si vous le voulez, une ville d'airain,, entourée d'un mur inexpugnable ; il n'y a point d'ennemis, la terre est grasse et fertile, tout s'y trouve en abondance ; les citoyens y sont doux et bienveillants, il n'y a pas un seul méchant, ni voleur, ni brigand, ni calomniateur, ni tribunal; la parole y suffit pour les contrats; supposons, dis-je, que nous habitions cette ville : eh bien ! nous n'y serions pas encore en sécurité. Pourquoi? Parce qu'il faudrait se quereller avec des serviteurs, avec une femme, avec des enfants , ce qui serait la source d'un immense chagrin. Mais là, rien de pareil, rien qui puisse causer de la douleur ou de la tristesse.
Ce qu'il y a d'étonnant, c'est que tout ce qui nous semble un sujet de chagrin était pour eux une source de joie et de bonheur. En effet, pourquoi se seraient-ils attristés? De quoi se seraient-ils plaints? Voulez-vous une comparaison? D'un côté, c'est un homme consulaire, opulent, qui habite la ville impériale, qui n'a d'affaires avec personne, qui n'a d'autre occupation que de vivre dans les délices, qui se voit placé au faîte des richesses, des honneurs et de la puissance; de l'autre côté, plaçons Pierre, si vous le voulez, Pierre enchaîné, accablé de maux sans nombre ; et nous le trouverons plus heureux. Songez quelle est l'abondance de sa joie, puisqu'il jouit même dans les fers. Car, comme ceux qui possèdent une magistrature élevée sont insensibles au mal qui leur arrive et n'en sont pas troublés dans leur satisfaction ; ainsi les apôtres, au sein de leurs maux, éprouvaient plutôt de la joie que de la tristesse. Car il n'est pas possible, non, il n'est pas possible d'expliquer le plaisir que ressentent ceux qui souffrent quelque chose de pénible pour le Christ; ils jouissent beaucoup plus des maux que des biens. Si quelqu'un aime le Christ, il sait ce que je dis. Quoi ! devaient-ils fuir ces maux pour trouver la sécurité ? Mais s'il s'agissait d'un simple changement de gouvernement, quel est l'opulent qui eût pu échapper à tant de périls, en vivant au milieu de tant de peuples ? Eux pourtant, comme aidés par un ordre royal, sont venus à bout de tout, et même bien plus facilement. Car un ordre royal n'aurait pas fait ce qu'ont fait leurs paroles; un ordre royal impose la nécessité, et on venait à eux spontanément., volontiers, et avec de vives actions de grâce. Quel ordre souverain aurait pu déterminer à renoncer aux richesses, à la vie ; à mépriser sa maison, sa patrie, ses proches, son salut même? Et voilà ce qu'a pu la voix de pêcheurs et de fabricants de tentes. En sorte qu'ils étaient heureux, plus puissants et plus forts que tous. Oui, dirait-on, parce qu'ils faisaient des prodiges. Mais, dites-moi, quels prodiges faisaient les fidèles, les trois mille, les cinq mille, qui pourtant vivaient dans une grande allégresse ? Et cela devait être. Avec la possession des richesses, la cause de tous les chagrins avait été supprimée. Là, là, en effet, était la source des guerres, des disputes, de la tristesse , du découragement, de tous les maux ; la source de ce qui rend la vie désagréable et pénible. Car vous trouverez plus d'affligés chez les riches que chez les pauvres. Si quelques-uns pensent le contraire, ils jugent d'après leur opinion, et non d'après la nature des choses. Rieti d'étonnant, du reste, à ce que les riches éprouvent quelque jouissance ; les galeux en éprouvent lien une grande. Et la preuve qu'il n'y a pas (le différence, entre les galeux et l'âme des riches, c'est que ceux-ci, quoique accablés de soucis, s'y attachent pourtant à cause d'un plaisir passager; tandis que ceux qui en sont débarrassés .se portent bien et sont exempts de chagrin.
4. Lequel est le plus doux, dites-moi, lequel est le plus sûr, de n'avoir à songer qu'à un morceau de pain, qu'à un vêtement,. ou de s'occuper de mille personnes esclaves ou libres, tout en se négligeant soi-même? Celui-là ne craint que pour lui, et- vous, vous êtes inquiets pour tous ceux qui dépendent de -vous. Et pourquoi, direz-vous, croit-on devoir fuir la pauvreté? Parce qu'il y a d'autres biens que beaucoup ont, en aversion, non parce qu'il faut les fuir, mais parce qu'ils sont d'une pratique difficile; la pauvreté est de ce nombre. Celui qui peut la supporter ne la juge las digne d'aversion. Pourquoi les apôtres ne la repoussaient-ils point? Pourquoi beaucoup l'embrassent-ils et courent-ils à elle, loin de l'avoir en horreur? Car il n'y a que les fous qui puissent désirer ce qui est odieux.
Quand des philosophes, quand des hommes sublimes vont à elle comme à une place de sûreté, comme à un lieu salubre, il ne faut pas s'étonner que d'autres pensent différemment. Le riche ne nie semble pas être autre chose qu'une ville sans murailles, située en plaine, et s'attirant de tous côtés des ennemis, tandis que la pauvreté est une place sûre, entourée de murs d'airain et d'un accès difficile. C'est le contraire qui a lieu, direz-vous? Ce sont les pauvres qui sont souvent traînés devant les tribunaux, ce sont eux qu'on injurie et qu'on malmène. Alors ceux-là ne sont pas simplement des pauvres, mais des pauvres qui veulent s'enrichir. Je ne parle pas d'eux, mais de ceux qui embrassent volontairement la pauvreté. De grâce, pourquoi personne ne traduit-il devant les tribunaux les pauvres qui vivent dans les montagnes? Cependant, si la pauvreté prête facilement à l'oppression, ce sont ceux-là qu'on devrait le plus tôt traduire devant les tribunaux. Pourquoi n'y traîne-t-on pas les mendiants? Pourquoi personne ne leur fait-il violence, ne les calomnie-t-il ? N'est-ce pas parce qu'ils sont en un lieu de sûreté? A combien de gens la pauvreté et la mendicité ne paraissent-elles pas le comble du malheur? Quoi! direz-vous, la mendicité est-elle une bonne chose? Oui, s'il y a quelqu'un pour la consoler, pour en avoir pitié, pour lui donner l'aumône ; chacun sait que c'est une existence dégagée de soucis et pleine de sécurité. Je ne vous y exhorte pas, tant s'en faut, mais je vous engage à ne pas désirer les richesses. Lesquels, s'il vous plaît, vous semblent les plus heureux, de ceux qui pratiquent la vertu, ou de ceux qui s'en tiennent éloignés? Les premiers, sans doute. Et lesquels sont les plus aptes à apprendre des choses utiles et à briller dans la sagesse? Les premiers encore. Si vous en doutez, écoutez la preuve : Qu'on amène un mendiant de la place publique, qu'on le suppose estropié, boiteux, manchot; qu'on amène ensuite un autre homme, beau, robuste de corps, plein de vie, opulent, de naissance. illustre et très-puissant. Conduisons-les tous les deux à l'école de la philosophie, et voyons celui qui accueillera le mieux ses leçons. Commençons par, le premier précepte,: Soyez humble et modeste ; c'est là l'ordre du Christ: Lequel des deux l'accomplira le mieux? " Heureux ceux qui pleurent ! " lequel écoutera le mieux cette parole? " Heureux les humbles ! " Lequel sera le plus attentif? " Heureux ceux qui ont le coeur pur ! Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice ! Heureux ceux qui souffrent persécution pour la justice ! " (Matth. V, 5-10.). Lequel accueillera le mieux ces enseignements? Ou, si vous le voulez, rapprochons-les l'un de l'autre : N'est-il pas vrai que l'un est orgueilleux et enflé, et l'autre toujours humble et modeste? Evidemment, cette (51) pensée a cours, même chez les païens : Epictète, esclave, estropié, pauvre comme Irus, et ami des immortels; voilà le pauvre. L'âme du riche, au contraire, est remplie de tous les maux, de folie, de vaine gloire, de mille passions; de colère, de fureur, d'avarice, d'injustice, de tous les vices. Il est donc clair que le premier est plus disposé que le second à la philosophie. Vous voulez savoir laquelle des deux conditions est la plus douce, car c'est là, je le vois, ce qui préoccupe beaucoup de gens. Et encore ici il n'y a pas place au doute, car celui qui est le plus près de la santé jouit d'un grand bonheur. Répondez-moi donc: Lequel, du riche ou du pauvre, est le plus disposé à observer cette lui que nous voulons rétablir ? Lequel jure le plus facilement, de celui qui s'irrite,contre ses enfants, et qui a des affaires avec mille personnes, ou de celui qui demande un morceau de pain ou un vêtement? Celui-ci n'a aucun besoin de jurer, s'il le veut, mais passe sa vie sans rien faire . Bien plus, celui qui n'a point appris à jurer, dédaignera souvent les richesses, et verra que la pauvreté fraie de tout côté le chemin à la vertu , mène à l'équité, au mépris de la fortune, à la piété, au repos de l'âme, à la componction.
Ne nous négligeons pas, chers auditeurs, mais déployons
un grand zèle: ceux qui sont corrigés, pour se maintenir
en cet état, ne pas se relâcher, ne pas reculer en arrière;
ceux qui sont encore en retard, pour se relever et achever celui est commencé.
En attendant que les premiers tendent la main aux seconds, comme on le
fait à des naufragés afin de les amener au port, c'est-à-dire
au point de ne plus jurer. Car ne pas jurer est un port réellement
sûr, un port où l'on ne peut plus être submergé
par la violence des vents. La colère, l'injustice, la fureur ou
toute autre passion, ont beau s'agiter : l'âme est en sûreté
et ne laisse plus tomber une parole déplacée, car elle ne
s'est imposée aucune nécessité, aucune loi. Voyez
ce qu'Hérode a fait pour remplir un serment ! il a tranché
la tête du précurseur : " A cause de son serment et à
cause des convives il ne voulut point la contrarier ". (Marc, VI, 26.)
Que n'ont pas souffert les tribus, à raison du serment qu'elles
avaient fait contre celle de Benjamin? (Judit. XXI, 10.) Que n'a pas coûté,à
Saül son serment? Il est vrai qu'il s'est parjuré ; mais Hérode
a commis un meurtre qui est encore pire qu'un parjure.Vous savez aussi
ce qui est résulté du serinent de Josué aux Gabaonites.
Le serment est un filet du démon. Brisons donc le lien et nous pourrons
facilement nous tenir en garde. Dégageons-nous du filet de Satan
; craignons l'ordre de Dieu; prenons les meilleures habitudes, afin d'avancer,
d'observer ce commandement et tous les autres, et d'obtenir les biens promis
à ceux qui aiment Dieu, par la grâce et la bonté de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui est, au Père, en union
avec le Saint-Esprit, gloire, force, honneur, maintenant et toujours, et
dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XIV. ALORS UN PHARISIEN, NOMMÉ GAMALIEL, DOCTEUR
DE LA LOI, HONORÉ DE TOUT LE PEUPLE, SE LEVA DANS LE CONSEIL, ET
ORDONNA DE LES FAIRE SORTIR UN INSTANT. VERS. 34, JUSQU'AU VERS. 7 DU CHAP.
VI.)
ANALYSE. 1. Le pharisien Gamaliel, le maître de saint Paul, émet
l'avis de renvoyer les apôtres, et d'abandonner leur entreprise à
elle-même.
2. Institution des diacres.
3. Quand les prêtres et les diacres ont commencé dans l’Eglise.
4. Exhortation morale sur le mépris des injures.
1. Ce Gamaliel était le maître de Paul. Il est surprenant qu'étant judicieux et instruit dans la loi, il ne crût pas encore. Il n'était absolument pas possible qu'il restât incrédule; ses paroles, son conseil le prouvent : " Il ordonna de les faire sortir un instant". Voyez la prudence de l'orateur et comme il frappe d'abord d'épouvante ses auditeurs. Mais, pour ne pas être soupçonné de penser comme les apôtres, il s'adresse aux membres du conseil, comme s'ils étaient de son avis; son langage n'est pas violent, il semble traiter avec des hommes ivres de fureur, et dit : " Hommes d'Israël, prenez garde à ce que vous ferez à l'égard de ces hommes, c'est-à-dire, n'y allez pas au hasard et à la légère. Car avant ces jours-ci a paru Théodas se disant être quelqu'un, et auquel s'attacha un nombre d'environ quatre cents hommes; il a été tué, et tous ceux qui croyaient en lui ont été dispersés et réduits à rien ". C'est par des exemples qu'il cherche à les rendre sages, et, pour les consoler, il cite Théodas, qui avait séduit un grand nombre de partisans. Mais avant de rapporter des exemples, il leur dit : " Prenez garde à vous " ; et après les avoir rapportés, il exprime son avis en disant : " Et maintenant je vous le dis : ne vous occupez pas de ces hommes. Après Théodas, se leva Judas le Galiléen, dans le temps du recensement; il attira à sa suite une foule nombreuse; il périt à son tour et tous ceux qui s'étaient attachés à lui furent dispersés. Et maintenant je vous le dis : ne vous occupez pas de ces hommes et laissez-les. Si leur entreprise ou cette oeuvre est des hommes, elle tombera d'elle-même; niais si elle est de Dieu, vous ne pouvez la détruire ". Comme s'il disait : Attendez : s'ils se sont réunis d'eux-mêmes, rien ne les empêchera de se séparer : " Et peut-être vous vous trouveriez combattre contre Dieu ". L'impossibilité du succès, l'inutilité de leurs efforts, c'est ce qu'il objecte pour les détourner. Il ne dit point par qui les rebelles ont été tués , ruais seulement qu'ils ont été dispersés, croyant sans doute superflu d'en dire davantage. Mais, par ce qu'il ajoute, il leur fait comprendre que si l'oeuvre est de l'homme, il n'y a pas à s'en inquiéter; tandis que si elle est de Dieu, tous leurs efforts ne viendront pas à bout de la détruire. Et ce discours parut si sensé, qu'ils se déterminèrent à ne point faire mourir les apôtres, mais à les flageller. " Ils se rangèrent à son avis, et ayant rappelé les apôtres, ils les firent battre de verges et leur défendirent de parler au nom de Jésus, après quoi ils les renvoyèrent ". Voyez après quels prodiges on les flagelle. Et cependant la doctrine s'étendait de plus en plus, car ils enseignaient chez eux et dans le temple.
" Et eux sortaient du conseil pleins de joie (53) de ce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir un outrage pour le nom du Christ; et tous les jours ils ne cessaient d'enseigner et d'annoncer Jésus-Christ dans le temple et de maison en maison. Or en ces jours, comme le nombre des disciples augmentait, il s'éleva a chez les Grecs un murmure contre les Hébreux, parce que les veuves de ceux-là étaient dédaignées dans le service quotidien ". Il ne veut pas précisément parler de ce temps même, mais il suit l'usage de l'Ecriture de donner comme présent ce qui doit arriver dans la suite. Je pense que par grecs il entend ceux qui parlaient cette langue, bien qu'ils fussent hébreux. C'est donc une nouvelle tentation, et si vous y faites attention, vous verrez que dès le début il y a eu des guerres au dedans comme au dehors. " Mais les douze ayant convoqué la foule des disciples, dirent : Il n'est pas convenable que nous abandonnions la prédication pour vaquer au service des tables ". Très-bien : il faut en effet préférer le plus nécessaire au moins nécessaire. Mais voyez comme ils pourvoient à ce service, sans négliger la prédication. On choisit les plus respectables : " Frères, cherchez donc parmi vous sept hommes de bon témoignage, remplis de l'Esprit et de sagesse, à qui nous confierons ce service. Quant à nous, nous nous appliquerons à la prière et au ministère de la parole. La proposition fut agréée de toute la multitude; et ils choisirent Etienne, homme rempli de foi et du Saint-Esprit ". Ainsi ceux que l'on choisit sont remplis de foi, afin d'éviter ce qui est arrivé à l'occasion de Judas, d'Ananie et de Sapphire. " Et Philippe, et Prochore, et Nicanor, et Timon, et Parmena, et Nicolas, a prosélyte d'Antioche , qu'ils présentèrent aux apôtres; et ceux-ci, après avoir prié, leur imposèrent les mains. Et la parole du Seigneur s'étendait, et le nombre des disciples augmentait à Jérusalem ; beaucoup de a prêtres même obéissaient à la foi ". Mais revenons à ce qui a été dit plus haut : " Hommes, prenez garde à vous ! " Voyez comme Gamaliel leur parle avec douceur et en peu de mots; il ne leur rappelle point d'anciennes histoires, bien qu'il le pût, mais des faits récents plus propres à confirmer ce qu'il avance. Aussi s'enveloppe-t-il d'une espèce d'énigme : " Avant ces jours-ci" ; comme pour dire : Il y a peu de temps. S'il eût dit tout d'abord Renvoyez ces hommes, il eût éveillé des soupçons, et sa parole n'aurait pas eu autant de force, mais les exemples qu'il cite lui en donnent une particulière. C'est pourquoi il ne se contente pas d'un seul exemple, mais en cite un second. Il aurait pu en produire un troisième, et prouver ainsi surabondamment qu'il avait raison, en les détournant de leur projet homicide : " Ne vous occupez pas de ces hommes ".
2. Considérez aussi sa mansuétude. Il ne parle pas longuement, mais brièvement, et mentionne les rebelles sans colère : " Et tous ceux qui s'étaient attachés à lui furent dispersés". En disant cela, il ne blasphème point le Christ, mais il atteint son but : " Si l'œuvre est des hommes, elle tombera d'elle-même ". Il me semble faire ici un raisonnement et leur dire: " Comme elle n'est pas tombée, elle n'est donc pas de l'homme. Et peut-être vous vous trouverez combattre contre Dieu ". Pour les réprimer, il leur montre l'impossible, l'inutile
" Mais si elle est de Dieu, vous ne pourrez ". Il ne dit pas : Si le Christ est Dieu, car l'œuvre même le prouvait ; il n'affirme point que l'œuvre soit humaine ni divine, mais il laisse au temps le soin de décider et de convaincre. Mais, dira-t-on, s'il a persuadé les juges, pourquoi ont-ils ordonné la flagellation ? Ils n'avaient, il est vrai, rien à objecter à ce langage si juste; néanmoins ils ont voulu satisfaire leur fureur, et d'ailleurs ils pensaient par là épouvanter les apôtres. En parlant en l'absence de ceux-ci, Gamaliel eut plus de facilité à gagner les juges ; la douceur de sa parole et ses raisonnements fondés sur la justice les persuadèrent. Il leur prêchait presque l'Evangile; bien plus, son langage si juste semblait leur dire : vous êtes bien convaincus que vous ne pouvez détruire cette oeuvre. Pourquoi n'avez-vous pas cru? Cette prédication est si grande, qu'elle a le témoignage même de ses ennemis. La première fois il y avait quatre cents hommes, la seconde fois une grande multitude ; ici les premiers étaient douze. Ne vous épouvantez donc pas de la foule qui s'y joint: " Car si l'oeuvre est des hommes, elle tombera d'elle-même ". Il aurait encore pu citer un autre fait qui s'était passé en Egypte; mais la preuve eût été superflue. Voyez-vous comme il conclut son discours en imprimant la crainte? Il ne se contente pas d'ouvrir simplement son avis, pour ne pas avoir l'air de défendre les apôtres; mais il raisonne d'après les événements. Il n'a pas osé affirmer que (54) l'oeuvre ne vient pas des hommes, ni qu'elle ne vient pas de Dieu; car s'il eût dit qu'elle venait de Dieu, on l'eût contredit; s'il eût affirmé qu'elle venait de l'homme, ils eussent été disposés à la combattre. Voilà pourquoi il leur conseille d'attendre la fin, en disant : " Ne vous occupez pas ". Eux font entendre de nouvelles menaces, bien persuadés qu'ils ne pourront rien, mais ils suivent leurs propres inclinations. Car c'est là le caractère de la malice, de tenter souvent l'impossible : "Après celui-là, se leva Judas ". Ceux qui voudront plus de détails, n'ont qu'à lire Josèphe, qui raconte fidèlement l'histoire de ses personnages; Voyez-vous quel courage il a eu à dire : " est de Dieu ", quand la suite des événements a pu seule l'amener à la foi? Il y a là en effet une grande hardiesse de langage, et point d'acception de personnes : " Ils se rangèrent à son avis, et ayant appelé les apôtres, ils les firent fouetter de verges et les renvoyèrent ". Ils respectèrent l'opinion de cet homme ; par conséquent ils renoncèrent au projet de faire mourir les apôtres, et se contentèrent de les faire fouetter et de les renvoyer : " Mais eux sortirent du conseil pleins de joie de ce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir un outrage pour le nom du Christ " . Sur combien de prodiges ce prodige l'emporte ! Vous ne trouverez rien de semblable dans l'antiquité. Jérémie, il est vrai, fut flagellé pour la parole de Dieu ; Elie et d'autres encore furent menacés ; mais ici et par cela, comme par les signes miraculeux, ils manifestèrent la puissance de Dieu. On, ne dit pas qu'ils ne souffrirent point ; mais que la souffrance leur causa de la joie. Comment le voyons-nous? Par la liberté dont ils usèrent ensuite; même après la flagellation, ils se livrèrent à la prédication avec ardeur: " Ils ne cessaient d'enseigner et d'annoncer Jésus-Christ dans le temple et de maison en maison. Mais dans ces jours". Quels jours? Quand tout ceci se passait; quand on flagellait, quand on menaçait, quand le nombre des disciples augmentait; alors : " Un murmure s'éleva ". C'était peut-être à cause de la multitude, car il est difficile de maintenir l'ordre dans un si grand nombre : " Et beaucoup de prêtres obéissaient à la foi ". On insinue ici que beaucoup de ceux qui avaient comploté la mort du Christ, croyaient.
" Il s'éleva un murmure, parce que leurs veuves étaient dédaignées dans le service quotidien ". Il y avait donc un devoir quotidien à l'égard des veuves; vous voyez qu'il appelle cela service, et non d'abord aumône; c'est le moyen de relever ceux qui donnent et ceux qui reçoivent. Peut-être cela provenait-il de la négligence de la foule , et non de la malice; il signale le mal (et il était grand), afin qu'il fût immédiatement guéri. Voyez-vous. que, dès le début, il y a des maux, non-seulement au dehors , mais au dedans ? Ne songez pas seulement à la guérison du mal , mais à sa grandeur. " Mes frères , choisissez sept hommes parmi vous ". Ils n'agissent pas d'après leur propre volonté , mais ils s'excusent d'abord aux yeux de la foule. Ainsi faudrait-il encore agir maintenant: " Il n'est pas convenable que nous abandonnions la parole de Dieu pour le service des tables ". Il parle d'abord d'inconvenance, en faisant voir que les deux devoirs ne pouvaient se concilier ; comme quand il s'agissait d'élire Mathias, il parlait de nécessité, vu qu'un apôtre avait défailli et qu'ils devaient être douze. Ici aussi ils démontrent qu'il y a nécessité ; mais avant d'agir, ils avaient attendu que le murmure s'élevât ; toutefois,. ils ne le laissèrent pas grandir.
3. Voyez encore : ils leur laissent le choix et préfèrent ceux qui plaisent à tout le monde et reçoivent de tous un bon témoignage. Quand il s'agissait de proposer Mathias : " Il faut ", dirent-ils, " choisir un de ceux qui ont toujours été avec nous ". Ici, ils ne tiennent plus ce langage ; la question n'était pas la même. Aussi n'abandonnent-ils point le choix au sort, et quoiqu'ils pussent eux -mêmes choisir sous l'inspiration de l'Esprit, cependant ils s'en abstiennent; ils préfèrent s'en rapporter au témoignage de la foule. Ils se réservent, il est vrai, de fixer le nombre , de régler l'élection, d'en déterminer le but: mais ils abandonnent à la multitude la désignation des sujets, pour ne pas paraître faire des faveurs, quoique Dieu eût permis à Moïse de choisir des vieillards de sa connaissance. Dans de tels offices il faut une grande sagesse. N'allez pas croire que,parce qu'ils ne sont pas chargés de prêcher, ils n'ont pas besoin de sagesse; il leur en faut, et beaucoup. " Pour nous, nous nous appliquerons à la prière et au ministère de la parole ". Au commencement comme à la fin, ils s'excusent. " Nous (55) nous appliquerons". Il le fallait; ce n'était point assez d'y aller à la légère et comme au hasard ; l'application était nécessaire. " La proposition fut agréée de toute la multitude " : c'était le juste effet de leur sagesse, tous approuvèrent la proposition, parce qu'elle était raisonnable. " Et ils choisirent " (c'est le second choix qu'ils font) " Etienne , homme plein de foi et du Saint-Esprit, et Philippe, et Prochore, et Nicanor, et Timon , et Parména, et Nicolas, prosélyte d'Antioche, et les présentèrent aux apôtres. Et ceux-ci ayant prié, leur imposèrent les mains ". Ceci nous apprend que c'est la foule qui les a elle-même désignés et comme tirés de son sein, et non les apôtres. Voyez aussi comme l'écrivain est bref; il ne dit point comment ils ont été ordonnés, tuais simplement qu'ils l'ont été par la prière ; car c'était une ordination. Un homme impose la main ; mais c'est Dieu qui fait tout, c'est sa main qui touche la tête de l'ordonné, si l'ordination se fait comme il faut. " Et la parole de Dieu s'étendait, et le nombre des disciples augmentait ". Ceci n'est point dit sans raison, mais pour montrer la puissance de l'aumône et du bon ordre. Du reste, devant raconter ce qui regarde Etienne, ]'écrivain en donne d'abord les motifs : " Et beaucoup de prêtres ", dit-il, " obéissaient à la foi ". En voyant le chef et le docteur, parler ainsi , ils pouvaient encore juger par les œuvres. Ce qu'i][ y a d'étonnant , c'est que le peuple ne se soit pas divisé dans l'élection et n'ait pas désapprouvé les apôtres.
Mais quelle dignité conféra-t-on aux élus? Quelle ordination reçurent-ils? C'est ce qu'il faut savoir. Etait-ce celle de diacres? Elle n'existait pas encore dais les églises; toute l'administration, reposait sur les prêtres; il n'y avait même pas encore d'évêques, excepté les apôtres. Ainsi, je ne vois pas que le nom de diacres ni de prêtres fût alors clairement connu et admis; et pourtant, c'est dans ce but qu'ils furent ordonnés. On ne se contente pas de leur confier la fonction, ruais on prie pour qu'ils en aient le pouvoir. Et je vous demande si ces sept hommes en avaient besoin, au milieu d'une telle abondance d'argent , d'une telle multitude de veuves. Aussi ce ne sont pas de simples prières, triais de longues supplications; c'était ici le moyen d'action comme dans la prédication ; car ils faisaient presque tout par la prière. Ainsi les apôtres préféraient les choses spirituelles, ainsi ils étaient envoyés en mission, ainsi eux-mêmes avaient reçu ordre de prêcher. L'auteur ne dit pas cela, ne les loue pas, mais se contente de dire qu'il n'était pas convenable d'abandonner la fonction qui leur était confiée. Moïse avait aussi réglé que ceux qu'il choisissait ne se chargeraient point de tout. C'est encore pour cela que Paul dit : " Seulement nous devions nous ressouvenir des pauvres ". (Gal. XI, 10.) Mais voyez comme ceux-ci ont surpassé ceux-là. Ils jeûnaient , ils persévéraient dans la prière. C'est ce qu'il faudrait encore faire aujourd'hui. On ne dit pas seulement qu'ils sont spirituels , mais remplis de l'Esprit et de sagesse : indiquant par là qu'il fallait beaucoup de sagesse pour supporter les accusations des veuves. A quoi sert que le dispensateur ne vole pas, s'il dissipe tout, ou s'il est orgueilleux. et porté à la colère ? Sous ce rapport Philippe était admirable; car on dit de lui : " Nous sommes entrés dans la maison de Philippe l'évangéliste, qui était un des sept, et nous y avons séjourné ". (Act. XXI, 5.) Rien d'humain, vous le voyez. " Et le nombre des disciples augmentait à Jérusalem ". Le nombre augmentait à Jérusalem ! Il est étonnant que la prédication s'étende là où le Christ avait été mis à mort. Ainsi, non-seulement aucun des disciples ne se scandalisa de voir les apôtres flagellés, de voir les uns menacer, les autres tenter le Saint-Esprit, les autres murmurer; mais le nombre des croyants augmentait, tant le sort d'Avanie les avait rendus sages et les avait remplis de frayeur! Et voyez comment ce nombre augmente : c'est après les épreuves, et non auparavant. Considérez ici la bonté de Dieu. Parmi ces princes des prêtres qui excitaient la foule à demander la mort, qui s'écriaient et disaient : " Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même "; parmi ceux-là, dis-je : " Beaucoup obéissaient à la foi".
4. Soyons donc les imitateurs de Dieu. Il les a reçus, et non rejetés. Traitons ainsi les ennemis qui nous ont accablés de maux. Si nous avons quelque bien, faisons-leur-en part; ne les oublions jamais, dans nos bienfaits. Si nous calmons leur fureur en souffrant les mauvais traitements, à bien plus forte raison en leur faisant du bien ; ce dernier point est moins grand que l'autre. Car il n'y a pas de parité entre faire du bien à un ennemi et (56) désirer souffrir davantage; mais par l'un nous arriverons à l'autre. C'est là la dignité des disciples du Christ. Ils avaient crucifié celui qui était venu leur faire du bien ; ils avaient flagellé le maître des disciples, et néanmoins, il les appelle au même honneur que ses disciples, il leur communique des biens comme à eux. Soyons, je vous en prie, les imitateurs du Christ; c'est en cela qu'il faut l'imiter, par là nous serons égaux à Dieu ; c'est une chose plus qu'humaine. Pratiquons l'aumône : c'est à son école que s'apprend cette philosophie. Celui qui sait avoir pitié du malheureux , saura aussi oublier les injures; et celui qui sait oublier les injures, pourra aussi faire du bien à ses ennemis. Apprenons à compatir aux maux du prochain, et nous saurons aussi supporter ses mauvais traitements. Demandons à celui qui est mal disposé à notre égard, s'il ne se condamne pas lui-même, s'il ne voudrait pas être sage, s'il ne dit pas que tout est l'effet de la colère, de la bassesse, de l'infortune, s'il n'aimerait pas mieux être du côté de ceux qui supportent l'injure en silence que du côté de ceux qui la font dans un accès de fureur, s'il n'admire pas celui qui souffre. Et ne croyez pas que cette conduite rende méprisable. Rien ne rend méprisable comme de commettre l'injure; rien ne rend respectable comme de la supporter. Par l'un on est injuste , par l'autre on est philosophe ; l'un ravale au-dessous de l'homme, l'autre met au niveau de l'ange. Quand même l'injurié serait moindre que celui qui l'injurie, il pourrait encore s'en venger, s'il le voulait. En tout cas l'un excite la compassion de tout le monde, l'autre est un objet de haine. Quoi ! Le premier n'est-il pas de beaucoup meilleur que l'autre? Tous regarderont l'un comme un furieux et l'autre comme un homme sensé. Quand donc on veut vous forcer à dire du mal de quelqu'un , répondez : Je ne puis médire de cet homme, car je ne sais s'il est tel que vous le dites. Gardez-vous surtout d'en penser du mal ou d'en dire à un autre, ou d'en demander à Dieu contre lui. Si vous le voyez accuser, défendez-le; dites: c'est la passion qui a parlé, et non l'homme; c'est le courroux, et non l'amitié; c'est la colère, et non l'âme. Pour chaque faute raisonnons ainsi. N'attendez pas que le feu s'allume ; étouffez-le dès l'abord ; n'irritez pas la bête féroce et ne la laissez pas s'irriter; car vous ne seriez plus le maître d'éteindre l'incendie. Qu'a-t-il dit? Fou? insensé? Mais lequel est responsable du mot, de celui qui le dit ou de celui qui l'entend ? Celui qui le dit, fût-il sage , passera pour un fou ; celui à qui on l'adresse, fût-il insensé, passera pour un sage et un philosophe. Lequel, dites-moi , est insensé, de celui qui avance des faussetés, ou de celui qui n'en est pas même ému ? Car s'il est d'un sage de ne pas s'émouvoir même quand on l'excite ; de quelle folie taxera-t-on celui qui s'émeut sans cause? Je ne parle pas encore des supplices réservés à ceux qui injurient ou outragent leur prochain. Mais quoi ! il a traité son semblable de méprisable parmi les méprisables, de vil parmi les vils? Encore une fois, l'injure retombe sur sa tête. C'est lui qui paraît réellement vil , tandis que l'autre passera pour honorable et digne de respect; car faire un crime à quelqu'un de telles choses, je veux parler de l'obscurité de la naissance, est l'indice d'une âme basse. Mais celui-là est vraiment grand, vraiment admirable, qui regarde ces injures comme rien et les écoute avec autant de plaisir que si on lui attribuait quelque qualité. Mais on l'accuse d'adultère et d'autres crimes de ce genre? C'est le cas de rire alors : quand la conscience ne reproche rien , il n'y a pas lieu dé se fâcher. Même en songeant aux paroles méchantes et impures qu'il profère, vous ne devez pas vous affliger. Il n'a fait que révéler d'avance ce qui aurait été connu plus tard de chacun; il se montre aux yeux de tous comme indigne de confiance, lui qui ne sait pas cacher les défauts du prochain ; il se nuit donc plus qu'à un autre, il se ferme le port, et se prépare un compte terrible au dernier jugement. Il sera bien plus repoussé que l'autre, lui qui a révélé ce qui devait rester secret. Quant à vous, taisez ce que vous savez , si vous voulez avoir une bonne réputation. Non-seulement vous détruirez ce qui a été dit et vous ne le révélerez pas; mais vous obtiendrez encore un autre avantage : vous échapperez à toute condamnation. Un tel a dit du mal de vous? Dites : S'il savait tout, il ne se serait pas borné à cela.
Vous avez admiré ce que j'ai dit? vous en avez été frappés ? mais il faut le mettre en pratique. C'est pour cela que nous vous citons les paroles des infidèles; non que les Ecritures n'en renferment un grand nombre de semblables, mais parce que celles-là sont plus (57) propres à faire rougir. Ensuite, l'Ecriture elle-même dit à notre honte: " Les païens n'en n font-ils pas autant? " (Matth. V, 47.) Le prophète Jérémie nous montre les enfants de Rachel refusant de transgresser la loi de leur père. Marie dit du mal de Moïse; mais aussitôt Moïse prie pour faire cesser son châtiment et ne veut pas même qu'on sache qu'il a été vengé. Ce n'est pas ainsi que nous agissons nous voulons surtout qu'on sache que l'injure que nous avons reçue n'est pas restée impunie. Jusqu'à quand n'aurons-nous que des pensées terrestres? Tout combat suppose deux parties. Si vous tirez des deux côtés les hommes qui sont en fureur, vous les irritez davantage ; si vous les tirez à gauche ou à droite, vous calmez leurs transports. Si celui qui frappe rencontre un homme impatient, il en devient plus emporté ; s'il rencontre un homme qui lui cède , il se calme plus tôt et les coups retombent sur lui. Car un adversaire exercé à toutes sortes de combats ne triomphe pas aussi facilement de son antagoniste que l'homme qui se laisse injurier sans répondre. Alors l'insulteur se retire couvert de honte et condamné d'abord par sa conscience , puis par tous les témoins. C'est un proverbe que : qui honore, s'honore; donc aussi : qui injurie, s'injurie.
Personne, je le répète, ne pourra nous nuire, si nous
ne nous nuisons nous-mêmes ; personne ne m'appauvrira, si je ne m'appauvris
le premier. Examinons un peu , je vous prie : J'ai l'âme pauvre,
et tout le inonde s'épuise en dons pour moi : à quoi cela
me sert-il ? Tant que mon âme ne sera pas changée , c'est
parfaitement inutile. Que j'aie l'âme grande , au contraire , et
que tout le monde m'enlève ce que je possède : je n'ai rien
perdu. Que je mène une vie impure et que tout le monde dise le contraire
: quel profit en tiré-je? On dit, mais on ne croit pas. Au contraire
, que ma vie soit pure et que tout le monde dise le contraire : qu'importe?
Leur propre conscience les condamne; ils ne croient point ce qu'ils disent.
Il ne faut donc admettre ni l'éloge ni le blâme. Et pourquoi
dis-je cela? Parce que, si nous le voulons, personne ne pourra nous tendre
des embûches, ni nous envelopper dans une accusation. Examinons encore
: Quelqu'un est traîné devant un tribunal, calomnié,
si vous le voulez même, condamné à mort : Eh bien !
qu'est-ce que ces souffrances d'un moment, quand on est innocent ? Mais
c'est là qu'est le mal , direz-vous. Et moi je dis que c'est là
le bien : souffrir innocemment. Quoi ! voudriez-vous qu'on fût coupable?
Encore un mot: Un philosophe païen ayant appris qu'un tel était
mort, et un de ses disciples disant : Hélas ! et il est mort innocent;
le philosophe se retourna et lui dit voudriez-vous qu'il fût mort
coupable ? Et Jean n'est-il pas mort injustement? Lequel plaignez-vous
le plus de celui qui meurt coupable ou de celui qui meurt innocent? N'appelez-vous
pas l'un malheureux, et n'admirez-vous pas l'autre ? En quoi la mort nuit-elle
à celui qui y fait un profit immense loin d'y rien perdre? Si elle
rendait mortel un être immortel, peut-être lui ferait-elle
tort : mais si elle ne fait que tirer avec gloire de cette vie un homme
mortel et qui, d'après la loi de sa nature , devait bientôt
mourir; où est le dommage? Que notre âme soit en règle
et rien du dehors ne pourra lui nuire. Mais vous n'êtes pas dans
la gloire? Qu'importe? Il en est de la gloire comme des richesses. Si j'ai
l'âme grande, je n'ai besoin de rien; si je suis avide de vaine gloire,
plus j'acquerrai, plus j'aurai besoin. Mais si je méprise la gloire,
je deviendrai plus éclatant et plus glorieux. Puisque nous savons
cela, rendons grâces au Christ, notre Dieu, qui nous a accordé
une telle vie et embrassons-la pour sa gloire : car c'est à lui
qu'appartient la gloire, avec le Père qui n'a pas de commencement,
et son Saint-Esprit, dans les siècles des siècles. Ainsi
soit-il.
HOMÉLIE XV. MAIS ÉTIENNE, PLEIN DE GRACE ET DE FORCE,
FAISAIT DES PRODIGES ET DES MIRACLES ÉCLATANTS PARMI LE PEUPLE (VERS.
8, JUSQU'AU VERS. 5 DU CHAP. VII.)
58
ANALYSE. 1. Saint Etienne devant le conseil.
2 et 3. Les premiers mots du discours de saint Etienne sapent le judaïsme par sa base.
4 et 5. —,La vie présente est une lutte, un temps d'épreuve. — Agissons toujours de sorte que le Seigneur soit de notre côté. — Avantages de la tribulation. — Qu'il faut réprimer la colère.
1. Voyez comme il y en a un parmi les sept qui se distingue et tient le premier rang. Bien que tous aient reçu l'ordination, il a néanmoins attiré sur lui une plus grande grâce. Il ne faisait pas de miracles avant sa manifestation ; afin que nous apprenions que pour faire descendre le Saint-Esprit, la grâce ne suffit pas, mais qu'il faut encore l'ordination. Que si auparavant ils étaient remplis de l'Esprit, c'était de celui du baptême. " Quelques-uns de la synagogue se levèrent ". Il emploie encore cette expression " se levèrent", pour marquer leur exaspération et leur colère. Voyez ici leur grand nombre et aussi une nouvelle accusation. Car Gamaliel ayant écarté leur premier sujet d'accusation , ils en produisent Uni autre. " Alors se levèrent quelques-uns de la synagogue dite des Affranchis, de celle des Cyrénéens et des Alexandrins, et de ceux qui étaient de Cilicie et d'Asie, pour disputer avec Etienne; et ils ne pouvaient résister à sa sagesse et à l'Esprit qui parlait. Alors ils subornèrent des hommes pour dire qu'ils l'avaient entendu proférer des paroles de blasphème contre Dieu et contre Moïse ". Pour établir l'accusation, ils disent : Il parle contre Dieu et contre Moïse. Voilà pourquoi ils disputaient avec lui, afin de le forcer à dire quelque chose. Mais lui s'énonçait avec clarté, et peut-être parlait-il de l'expiration de la loi ; ou , s'il n'en parlait pas ouvertement, tout au moins l'insinuait-il : car, s'il en eût parlé explicitement, il n'y aurait pas eu besoin de suborner de faux témoins.
Les synagogues des Affranchis et des Cyrénéens étaient différentes. Les habitants de Cyrène, ville au delà d'Alexandrie, avaient des synagogues là et parmi les nations, et peut-être demeuraient-ils là pour ne pas être obligés de voyager continuellement. On appelait " libertini " , les esclaves affranchis par le s Romains. Comme beaucoup d'étrangers habitaient à Jérusalem, ils y avaient des synagogues où l'on devait lire la loi et prier. Examinez un peu avec moi comment Etienne est forcé ici d'enseigner, et comment ses adversaires, à la vue des miracles, ne sont pas seulement excités à la jalousie , mais subornent de faux témoins, parce qu'il les confond par ses discours et qu'ils ne peuvent.plus le supporter. Ils ne voulaient point le tuer sans motif, mais après condamnation, afin de compromettre la réputation des apôtres ; puis , laissant les apôtres, ils viennent aux diacres, toujours pour épouvanter les premiers. Ils ne disent pas : Il parle ; mais : " il ne cesse de parler ", aggravant ainsi la calomnie. " Ils soulevèrent les anciens et les scribes, et, accourant ensemble , l'entraînèrent et l'amenèrent au conseil; et ils produisirent de faux témoins qui dirent : Cet homme ne cesse de parler contre ce lieu saint et contre la loi. Il ne cesse ", disent-ils, comme pour montrer le but de ses efforts. " Nous l'avons entendu dire : (59) que Jésus de Nazareth détruira ce lieu et changera les traditions que Moïse nous a données ". Ils accusaient déjà ainsi le Christ, quand ils disaient : " Toi, qui détruis le temple de Dieu ".
Ils professaient un grand respect pour le temple, parce qu'ils voulaient s'y établir, et aussi pour le nom de Moïse. Vous voyez que l'accusation est double : " Il détruira ce lieu et changera les coutumes ". Elle n'est pas seulement double, mais amère et grosse de périls. " Et tous ceux qui étaient assis au conseil, jetant les yeux sur lui, virent que son visage était comme le visage d'un ange ". Ainsi peuvent briller même ceux qui sont dans un degré inférieur. Mais de grâce, qu'avait-il de moins que les apôtres? N'avait-il pas fait des miracles ? N'avait-il pas parlé avec une grande liberté ? ce : Ils virent que son visage était comme le visage d'un ange ". C'était la grâce, c'était la gloire de Moïse. Il me semble que Dieu l'avait revêtu de cet éclat , peut-être parce qu'il avait quelque chose à dire, et pour les frapper d'épouvante par son seul aspect. Car il est possible, très-possible, que des figures remplies de la grâce céleste soient aimables aux yeux des amis et respectables et terribles aux yeux des ennemis. Ou peut-être veut-on donner la raison pour laquelle on l'a laissé parler. Mais que dit le prince des prêtres? " Les choses sont-elles ainsi ? " Voyez-vous comme la question est. pleine de douceur et n'a rien de désagréable Aussi Etienne commence-t-il son discours de la façon la plus bienveillante: " Hommes, mes frères et mes pères , écoutez : le Dieu de gloire apparut à notre père Abraham quand il était en Mésopotamie,, avant qu'il habitât à Charan ". Dès le début il détruit leur opinion et prononce, sans qu'on s'en doute, que le temple n'est rien, non plus que la coutume, qu'ils n'empêcheront pas la prédication , et que toujours Dieu part de l'impossible pour préparer et exécuter ses desseins. C'est là le tissu de son discours par lequel il leur démontre qu'ayant toujours été l'objet de la bonté de Dieu, ils n'ont payé ses bienfaits que d'ingratitude et qu'ils tentent l'impossible. " Le Dieu de gloire apparut à notre père Abraham et lui dit : Sors de ton pays et viens dans la terre que je te montrerai ".
2. Il n'y avait pas de temple encore, pas de sacrifices, et pourtant Abraham était honoré de la vue de Dieu, lui dont les ancêtres étaient de l'Orient et qui habitait une terre étrangère. Et pourquoi tout d'abord appelaient-ils Dieu le Dieu de gloire? Parce que Dieu a glorifié ceux qui étaient méprisés; et pour nous montrer que, s'il a glorifié ceux-là , à plus forte raison , glorifiera-t-il ceux-ci. Voyez-vous comme il les entraîne loin des choses matérielles, et d'abord loin du lieu, puisqu'il s'agissait de lieu ? " Le Dieu de gloire ". Si Dieu est le Dieu de gloire, il est évident qu'il n'a pas besoin de la nôtre, ni de celle du temple, puisqu'il est lui-même la source de la gloire. Ne pensez donc pas que vous le glorifierez par là. Et pourquoi, direz-vous, l'Ecriture ne rapporte-t-elle ici que ce seul trait de la vie d'Abraham? Parce qu'elle omet ce qui n'est pas absolument nécessaire. Elle ne nous a appris que ce qu'il nous était utile de connaître ; à savoir qu'ayant vu le Fils, il a émigré vers lui (1). Elle a passé le reste sous silence, parce qu'Abraham est mort peu de temps après s'être établi à Charan.
" Sors de ta parenté". Ici il leur fait voir qu'ils ne sont pas fils d'Abraham. Comment cela ? Parce qu'Abraham a obéi et qu'ils n'obéissent point. De plus apprenons, par ce qu'Abraham a fait sur l'ordre de Dieu, que c'est lui qui a eu la peine et que ce sont eux qui recueillent les fruits, et que tous leurs pères ont été dans les tribulations. " Et sortant de la terre des Chaldéens, il habita à Charan ; et après la mort de son père Dieu le transporta dans la terre où vous habitez maintenant, mais il ne lui donna là ni héritage, ni seulement où poser le pied ". Voyez comme il les détache de la terre ! Il ne dit pas : Il donnera, mais: " il n'a pas donné " ; pour faire voir que tout vient de lui, et que rien ne vient d'eux. Abraham sortit, en laissant sa parenté et sa patrie. Pourquoi Dieu ne lui a-t-il pas donné cette terre? Parce que c'était la figure d'une autre terre et qu'il avait promis de la lui donner. Vous voyez que ce n'est pas sans raison qu'il reprend son discours : " Il ne l'a pas donnée ", dit-il. " Et il promit de la donner à sa race après lui, quoiqu'il n'eût point de fils ". Par là il montre la puissance de Dieu, qui fait des choses qui semblent impossibles. Dieu, en effet, promet de rendre maître de la Palestine
1 Allusion à ce passage de l'Evangile : Abrabam a désiré voir mon jour, il l'a vu, il s'en est réjoui.
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un homme qui en est à une si grande distance, puisqu'il habite en Perse.
Mais reprenons ce quia été dit plus haut " Fixant les yeux sur lui, ils virent que son visage était comme celui d'un ange ". D'où venait cette grâce qui brillait dans Etienne? N'était-ce pas de la foi? Evidemment : car on lui a rendu plus haut le témoignage qu'il était plein de foi. Il y a donc une grâce qui n'est pas celle des guérisons; c'est pourquoi l'apôtre dit : " A l'un est donné la grâce des guérisons, à l'autre le langage de la sagesse ". Ici, il me semble qu'on insinue qu'il était plein de grâce quand on dit : " Ils virent que son visage était comme celui d'un ange " : ce qui a été dit aussi de Barnabé. Nous apprenons par là que les hommes simples et innocents sont surtout admirés, et que la grâce brille particulièrement en eux : " Alors ils subornèrent des hommes pour dire : nous l'avons entendu proférer des paroles de blasphème ". Ils accusaient les apôtres de prêcher la résurrection et d'attirer à eux une grande foule; ici ils accusent parce que des guérisons s'opèrent. O stupidité! ils blâment ce qui devrait exciter leur reconnaissance; comme autrefois avec le Christ, ils espèrent vaincre en paroles ceux qui triomphent par les oeuvres, et ils se jettent dans des discours sans fin. Ils n'osaient les enlever sans motif, n'ayant aucun sujet d'accusation. Et voyez comme les juges eux-mêmes ne rendent aucun témoignage ! car ils auraient été réfutés mais ils en subornent d'autres, afin de ne pas avoir l'air de commettre une injustice. Il en avait été de même avec le Christ. Voyez-vous la force de la prédication ? Comment elle subsiste chez ceux qui ont été flagellés et même lapidés, traînés devant les tribunaux et même repoussés de tous côtés ? Aussi, nonobstant les faux témoignages, non-seulement ils n'ont pu vaincre les apôtres, mais ils n'ont pas même pu leur résister, malgré leur extrême impudence. Ainsi Etienne les a vaincus par force, quoiqu'ils se conduisissent indignement (comme ils l'avaient fait avec le Christ), eux qui ne négligeaient rien pour le faire mourir: afin qu'il fût évident pour tous que ce n'était pas un homme, mais Dieu qui combattait contre les hommes.
Et voyez ce que disent les faux témoins subornés par ceux qui l'avaient entraîné au conseil dans une intention homicide : " Nous l'avons entendu proférer des paroles de blasphème contre Moïse et contre Dieu ". O impudents ! vous faites des choses blasphématoires contre Dieu et vous n'en avez souci, et vous avez l'air de vous inquiéter de Moïse ! Moïse n'est là que parce qu'ils ne s'inquiètent guère du service de Dieu; c'est toujours Moïse qu'ils mettent en avant: "Moïse ", disent-ils, " qui nous a sauvés ", afin d'irriter un peuple prompt à s'enflammer. Et pourtant comment un blasphémateur remporterait-il de tels triomphes? comment un blasphémateur aurait-il fait de tels prodiges au milieu du peuple? Mais voilà ce que c'est que la jalousie: elle égare tellement ceux qu'elle saisit, qu'ils n'ont pas même la conscience de ce qu'ils disent. " Nous l'avons entendu proférer des paroles de blasphème contre Moïse et contre Dieu " ; Et encore : " Cet homme ne cesse de parler contre le lieu saint et la loi " ; et ils ajoutent : " Que nous a donné Moïse"; il n'est plus question de Dieu.
3. Voyez-vous comme ils l'accusent d'avoir renversé le gouvernement et d'être impie? Il était évident pour tous qu'il était incapable d'un langage si audacieux, tant il y avait de douceur dans ses traits ! L'Ecriture ne dit pas cela de lui, quand on ne le calomniait pas; maintenant que tout est calomnie, Dieu a raison de la confondre par le seul aspect de son visage: On ne calomniait pas les apôtres, mais on les empêchait d'agir; Etienne était calomnié, voilà pourquoi l'aspect de sa figure doit d'abord le justifier. Peut-être le prêtre en rougit-il. En disant: " Il promit ", Etienne fait voir que la promesse a été faite avant que le lieu en fût fixé, avant la circoncision, avant le sacrifice, avant le temple; qu'ils n'ont point reçu la circoncision ni la loi à raison de leurs mérites, mais que la terre seule a été la récompensé de l'obéissance. Avant même que la circoncision soit donnée, la promesse est remplie. Il insinue que, quitter par l'ordre de Dieu, sa patrie et sa parenté (la patrie est là où Dieu conduit) et n'y avoir point d'héritage, ce sont des figures ; et encore que les Juifs sont chaldéens, si on y regarde de près; ensuite qu'il faut obéir à la parole de Dieu, même sans miracles et quelque inconvénient qu'il en doive résulter; puisque le patriarche abandonna tout, même le tombeau de son père, pour obéir à Dieu; que si son père ne l'accompagna pas en Palestine , parce qu'il ne croyait pas, à (61) bien plus forte raison les fils seront-ils exclus, quoique bien avancés dans le chemin, puisqu'ils n'ont pas imité la foi de leur père. " Mais il promit de la lui donner et à sa postérité après lui".
On voit ici la bonté de. Dieu et la foi d'Abraham. Car obéir " lorsqu'il n'avait point encore de fils ", montre sa docilité et sa foi, surtout quand les faits semblaient démentir la promesse; par exemple de n'avoir pas même où poser le pied quand il serait arrivé, de n'avoir pas de fils : ce qui n'était pas propre à affermir sa foi. Réfléchissons-y, nous aussi, et croyons aux promesses divines, même quand les événements semblent les contredire; bien que chez nous, loin de les contredire, ils leur soient parfaitement conformes. Car là où il y a des promesses dans le monde, si les faits leur sont opposés, ils le sont réellement ; mais chez nous il en est tout autrement: Dieu a dit ici l'affliction, là le repos. Pourquoi confondre les temps? Pourquoi tout renverser sens dessus dessous ? Vous vous affligez parce que vous vivez dans la pauvreté? Et cela vous trouble? Que cela ne vous trouble pas. Vous auriez raison de vous troubler, si vous deviez être affligé là-bas, mais la tribulation en ce monde est une source de repos. " Cette maladie", lisons-nous, " ne va pas à là mort ". Cette tribulation est une punition; elle est une leçon et un amendement. Le présent est un temps de combat; il faut donc lutter; car c'est la guerre, c'est la lutte. Dans le combat, personne ne cherche le repos, personne ne cherche le plaisir, ni ne s'inquiète de ses biens, ni n'est en souci pour sa femme : on n'a qu'une chose en vue , vaincre l'ennemi. Faisons-en autant; et si nous triomphons , si nous revenons avec les palmes, Dieu nous donnera tout. N'ayons qu'un seul souci : vaincre le démon ; ou plutôt ce n'est point là le résultat de nos efforts, mais uniquement l'effet de.la grâce de Dieu. Que notre seule occupation soit donc de nous attirer la grâce, de nous procurer ce secours. " Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?" N'ayons qu'un souci , c'est qu'il ne soit point notre ennemi, qu'il ne se détourne pas de nous.
4. Ce n'est point l'affliction , mais le péché qui est un mal. Le péché , voilà la véritable affliction, quand même nous vivrions dans le plaisir; je ne parle pas seulement de l'avenir, mais du présent. Quels ne sont pas les remords de notre conscience ? Et est-il un tourment pire que celui-là? Je voudrais interroger ceux qui vivent dans les vices, leur demander si le souvenir de leurs péchés ne leur revient jamais? s'ils ne tremblent pas? s'ils ne craignent pas ? s'ils ne souffrent pas ? s'ils n'appellent pas heureux ceux qui vivent au sein des montagnes, dans la pratique du jeûne et de la sagesse? Voulez-vous goûter un jour le repos? souffrez ici-bas pour le Christ, rien n'égale cette satisfaction. Les apôtres se réjouissaient d'avoir été flagellés. Paul nous y exhorte quand il dit : " Réjouissez-vous dans le Seigneur ". Et comment, direz-vous, se réjouir dans les fers, dans les tourments , devant les tribunaux? On peut y goûter une très-grande volupté. Apprenez comment cela se fait : celui à qui sa conscience ne reproche rien, sera dans l'abondance de la joie; en sorte que plus son affliction sera grande, plus son bonheur augmentera. Dites-moi, je vous prie : Un soldat, couvert de blessures, n'est-il pas très-heureux de revenir et de pouvoir montrer ces signes de courage, d'illustration et de gloire? Et vous, si vous pouviez vous écrier comme Paul : " Je porte les stigmates de Jésus ", vous pourriez aussi être grand, illustre et glorieux. Mais , dites-vous, il n'y à plus de persécution? Alors combattez contre la vaine gloire; et si quelqu'un dit du mal de vous, supportez-le pour l'amour du Christ. Combattez coutre la tyrannie de l'orgueil, contre la colère, contre les tentations de la concupiscence. Voilà des stigmates, voilà des épreuves. Dites-moi : qu'y a-t-il de plus terrible que des épreuves? L'âme ne souffre-t-elle pas? ne brûle-t-elle pas? Là le corps seul est déchiré ; ici , l'âme souffre seule. Seule elle souffre quand elle se fâche, quand elle est envieuse, quand elle fait quelque chose de ce genre, ou pour mieux dire quand elle le souffre. Car ce n'est pas agir, mais souffrir, que de se mettre en colère, d'être jaloux; aussi cela s'appelle maladies, blessures, plaies de l'âme. En effet, c'est maladie et pire que maladie.
Vous, qui vous livrez à la colère, songez que vous vous rendez malades. Donc, celui qui ne se fâche pas, ne souffre pas. Vous voyez que ce n'est pas celui qui reçoit l'injure qui souffre, mais celui qui la fait, comme je le disais plus haut. Il est évident qu'il souffre, puisque cela s'appelle passion. Et il souffre même dans le corps; car la perte de la vue, la (62) stupidité et beaucoup d'autres maux sont les effets de la colère. Mais, direz-vous, il n'injurie que son fils ou son serviteur. Ne pensez pas que ce soit faiblesse, si vous n'en faites pas autant. Dites-moi, est-ce bien faire? Je ne pense pas que vous le disiez. Ne faites donc pas ce qu'il n'est pas bon de faire. Je sais à quelles colères de tels hommes sont sujets. Que sera-ce, direz-vous, s'il se contente de mépriser? de répéter ce qu'il a dit? Reprenez alors, menacez, suppliez : la douceur brise la colère; approchez-vous et reprenez. Cela ne doit pas se faire quand il s'agit de nous; mais cela est nécessaire quand il s'agit des autres. Ne regardez point comme fait à vous-même l'outrage fait à votre fils; si vous en souffrez, que ce ne soit pas comme d'une injure personnelle : car si votre fils est maltraité, ce n'est point sur vous , mais sur l'auteur, que retombe l'injure. Emoussez la pointe du glaive; qu'il rentre dans le fourreau. S'il en est tiré, souvent, dans un mouvement de colère, on peut s'en servir mal à propos; s'il y reste, même quand on a l'occasion de s'en servir, la colère s'éteindra. Le Christ ne veut pas que nous nous fâchions pour lui; écoutez en effet ce qu'il dit à Pierre : " Remettez votre épée au fourreau ". Et vous vous fâcheriez pour votre fils ! Apprenez à votre fils à être sage. Racontez-lui les souffrances du Maître : imitez le Maître vous-même. Quand ses apôtres devaient être livrés aux outrages, il ne leur a pas dit : Je vous vengerai: Que leur a-t-il dit? " S'ils m'ont persécuté , ils vous persécuteront aussi ". Souffrez donc avec courage : vous n'êtes pas meilleurs que moi. Dites cela à votre fils, à votre serviteur : Tu n'es pas meilleur que ton maître.
Mais ces paroles de la sagesse ont l'air de contes de vieille. Hélas ! pourquoi ne peut-on exprimer en paroles ce que l'expérience démontre si bien? Pour vous convaincre, supposez que vous êtes au milieu de deux partis en lutte, du côté des innocents et non des coupables; ne remporterez-vous pas vous-même la victoire? ne cueillerez-vous pas des palmes magnifiques? Voyez comme Dieu est injurié, et avec quelle douceur et quel calme il parle : " Où est ton frère Abel? " Et que répond Caïn ? " Est-ce que je suis le gardien de mon frère? " Quoi de plus arrogant? Qui aurait supporté cela, même de la part d'un fils? Et même de la part d'un frère, n'eût-on pas pris cela pour un affront? Mais Dieu reprend avec la même douceur : " La voix du sang de ton frère crie vers moi ". Mais, direz-vous, Dieu est au-dessus des atteintes de la colère. C'est pour cela que. le Fils de Dieu est descendu, pour vous faire dieu autant qu'un homme peut l'être. Je ne puis être Dieu, direz-vous, puisque je suis un homme. Eh bien ! amenons ici des hommes. Et n'allez pas croire que je parlerai de Paul et de Pierre; non, j'en prendrai qui leur sont bien inférieurs. Le serviteur d'Elie injurie Anne, en disant : " Allez cuver votre vin ". (I Rois, III, 14.) Que peut-on dire de plus injurieux? Mais que répond-elle ? " Je suis une femme qui ai l'amertume au coeur ". En vérité, rien n'égale l'affliction : elle est la mère de la sagesse. Et cette même Anne ayant une rivale , ne l'injurie pas; que fait-elle donc? Elle recourt à Dieu, elle prie, elle oublie sa rivale, et ne dit pas Elle m'a accablée d'ignominie, vengez-moi; tant cette femme avait l'habitude de la sagesse! Hommes, rougissons; car vous savez que rien n'est comparable à la jalousie.
5. Le publicain, injurié par le pharisien, ne rend pas injure pour injure, bien qu'il l'eût pu s'il l'eût voulu ; mais il supporte tout avec sagesse, et dit : " Ayez pitié de moi qui suis un pécheur! " Memphibaal (1) accusé, calomnié par un serviteur, ne dit rien, ne fait rien contre lui, pas même auprès du roi. Voulez-vous connaître la sagesse même d'une femme publique? Entendez le Christ dire, quand elle lui essuyait les pieds de ses cheveux: " Les publicains et les femmes de mauvaise vie vous précéderont dans le royaume ". (Matth. XXI, 31.) La voyez-vous debout, versant des larmes et expiant des péchés ? Le pharisien l'accable d'outrages, elle ne s'en fâche point. S'il savait, disait-il, que cette femme est une pécheresse, il ne la laisserait point approcher. Elle ne lui répond pas : Quoi ! êtes-vous donc exempt de péché? Mais elle souffre davantage, elle gémit davantage et verse des larmes plus brûlantes. Que.si les femmes, les publicains, les prostituées pratiquent la sagesse, même avant la grâce, quel pardon pouvons-nous espérer, nous qui, après une si grande grâce, sommes plus querelleurs, plus mordants, plus récalcitrants que les bêtes sauvages?
Rien de plus honteux que la colère, rien de
1 Mëmphiboseth dans la Vulgate.
63
plus vil, rien de plus terrible, rien de plus désagréable,
rien de plus nuisible. Et je dis cela, non-seulement pour vous engager
à être doux envers les hommes, mais aussi pour vous exhorter
à supporter votre femme, si elle est babillarde; qu'elle soit pour
vous une matière de lutte et d'exercice. Quoi de plus absurde que
d'établir des gymnases où nous n'avons rien à gagner,
où nous affligeons notre corps ; et de ne pas nous créer
des gymnases domestiques, où nous puissions gagner des couronnes,
même avant le combat ! Votre femme vous injurie? Ne devenez pas femme
vous-même; car dire des injures est le propre de la femme; c'est
une maladie de l'âme; c'est un défaut. N'estimez pas qu'il
soit indigne de vous d'être injurié par une femme; ce qui
serait indigne de vous, ce serait de dire des injures, quand une femme
est sage. C'est alors que vous vous déshonorez, que vous vous faites
tort à vous-même; mais si vous supportez l'injure, vous donnez
une grande preuve de force. Je ne dis pas ceci pour engager les femmes
à dire des injures, tant s'en faut; mais pour vous encourager à
être plus patients, quand cela arrive par l'instigation de Satan.
C'est le propre des hommes forts de supporter les faiblesses. Si votre
serviteur vous contredit, soyez sage; ne le traitez point comme il le mérite,
mais ne dites et ne faites que ce qu'il convient. Ne faites jamais d'injure
à une jeune fille, en proférant un mot déshonnête
; ne traitez jamais un serviteur de scélérat: ce n'est pas
lui qui recevrait l'injure, mais vous. Il n'est pas possible que l'homme
en colère reste en lui-même, pas plus qu'une mer en fureur;
et la source ne peut rester pure, si elle reçoit de la boue; alors
tout se mêle ; disons plus, tout est sens dessus dessous. Quand vous
frapperiez votre serviteur; quand vous déchireriez sa tunique ,
c'est encore vous qui souffririez le plus : il ne souffre que dans son
corps ou dans son vêtement, et vous, vous souffrez dans votre âme.
C'est elle que vous avez déchirée, que vous avez blessée
; vous avez renversé le cocher, et l'avez fait fouler et traîner
par les chevaux; absolument comme si un cocher se fâchait contre
un autre et se laissait traîner. Que vous grondiez, que vous avertissiez,
que vous fassiez toute autre chose, faites-le sans emportement et sans
colère. Car si celui qui reprend est le médecin du coupable,
comment le guérira-t-il s'il se nuit à lui-même et
ne se guérit pas? Si par exemple un médecin venait pour guérir
quelqu'un, et commençait par se blesser la main ou par se rendre
aveugle, dites-moi, guérirait-il son malade? Non, répondez-vous.
Donc , soit. que vous grondiez , soit que vous avertissiez, gardez vos
yeux purs. Ne remuez pas la vase de votre âme, autrement comment
la guérison serait-elle possible? L'homme calme et l'homme irrité
ne sauraient jouir de la même tranquillité. Pourquoi renverser
le maître de son siège et lui parler quand il est à
terre ? Ne voyez-vous pas que les juges, quand ils doivent exercer leur
fonction , s'asseyent sur leurs sièges et dans un vêtement
convenable ? Faites de même : revêtez votre âme de la
toge (qui n'est autre que la modération) et asseyez-vous sur le
trône, en qualité de juge. Mais le coupable ne craindra pas,
dites-vous. Il craindra bien davantage. Quand vous êtes irrité,
dissiez-vous les choses les plus justes, votre serviteur les attribue à
la colère; mais si vous lui parlez avec modération, il se
condamnera lui-même. Mais, ce qui est le point principal : Dieu vous
accueillera, et vous pourrez obtenir ainsi les biens éternels, par
la grâce, la compassion et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
à qui, en union avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire,
la force, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles
des siècles. Ainsi soit-il !
HOMÉLIE XVI. TOUTEFOIS DIEU LUI PARLA ET LUI DIT QUE SA POSTÉRITÉ
HABITERAIT EN UNE TETRE ÉTRANGÈRE OU ELLE SERAIT RÉDUITE
EN SERVITUDE ET MALTRAITÉE PENDANT QUATRE CENTS ANS. MAIS LA NATION
QUI L'AURA TENUE EN ESCLAVAGE : C'EST MOI QUI LA JUGERAI, DIT LE SEIGNEUR,
ET APRÈS CELA ELLE SORTIRA ET ME SERVIRA EN CE LIEU-CI. (CHAP. 6,
7, JUSQU'AU VERS. 34.)
64
ANALYSE. 1 et 2. Suite du discours de saint Etienne. — La résurrection figurée dans l'ancienne Loi. — Providence de Dieu.
3 et 4. Avantages des afflictions. — Preuve par des exemples. — La joie dans le Seigneur, la seule solide, naît des tribulations.Comparaison de l'homme orgueilleux et de l'humble. — Comparaison de l'homme luxurieux et de l'homme sobre et tempérant. — Portrait repoussant du premier. — Le travail seul peut nous donner la santé. — Exhortation à la sobriété.
1. Vous voyez l'ancienneté et le mode de la promesse; et il n'y a nulle part de sacrifice ni de circoncision. Ici il fait voir que Dieu a permis l'affliction des Juifs, mais qu'elle ne restera pas impunie. " Mais la nation qui l'aura " tenue en esclavage, c'est moi qui la, jugerai, " dit le Seigneur". Vous le voyez, celui qui a promis et donné la terre, a d'abord permis l'affliction; ainsi maintenant il promet le royaume, mais il permet auparavant l'épreuve des tentations. Si alors la liberté est venue après quatre cents ans, quoi d'étonnant à ce qu'il en soit de même pour le royaume des cieux? C'est cependant ce que Dieu a fait, et le temps n'a point démenti sa parole, bien que l'oppression des Juifs ait été grande. Mais il ne s'est pas contenté de punir les oppresseurs : il a aussi promis des biens aux opprimés. Etienne me semble ici rappeler aux Juifs les bienfaits qu'ils ont reçus. " Et il lui donna l'alliance de la circoncision; et ainsi il engendra Isaac ". Ici il baisse un peu le ton. " Et il le circoncit le huitième jour; et Isaac, Jacob; et Jacob, les douze patriarches. Et les patriarches jaloux vendirent Joseph pour " l'Egypte ". C'est aussi ce qui est arrivé pour le Christ, dont Joseph était la figure; c'est ce qu'il insinue et dont il forme tout le tissu de son histoire. Car ils l'ont maltraité sans avoir
rien à lui reprocher, et quand il venait leur apporter de la nourriture ils l'ont mal accueilli. Voyez encore ici la longue attente de l'exécution de la promesse, laquelle cependant a un terme. " Et Dieu était avec lui " , et cela à cause d'eux. " Et il l'a délivré de toutes ses " tribulations ". Ici il fait voir qu'ils ont contribué sans le savoir à l'accomplissement de la prophétie, qu'ils étaient eux-mêmes les auteurs du mal, que le mal est retombé sur leur tête. " Et il lui donna grâce et sagesse devant Pharaon, roi d'Egypte ". Il donna grâce devant un roi barbare, à un esclave, à un captif, que ses frères avaient vendu et que ce prince honora. " Or il vint une famine, dans toute la terre d'Egypte et en Chanaan, et une grande tribulation, et nos pères ne trouvaient pas de nourriture. Mais Jacob ayant appris qu'il y avait du blé en Egypte, il y envoya nos pères une première fois. Et la seconde fois, Joseph fut reconnu de ses frères ". Ils descendirent pour acheter, et ils eurent besoin de lui. Et lui, que fit-il? Il ne se contenta pas de montrer sa bonté, mais il instruisit Pharaon de leur présence et les lui présenta. " Et l'origine de Joseph fut connue de Pharaon. Or Joseph envoya chercher Jacob son père, et toute sa parenté, au nombre de soixante-quinze personnes. Et Jacob descendit en (65) Egypte et il y mourut, lui et nos pères. Et ils furent transportés à Sichem et déposés dans le sépulcre qu'Abraham avait acheté à prix d'argent du fils d'Hémor, fils de Sichem. Mais comme approchait le temps de la promesse que Dieu avait jurée à Abraham, le peuple crût et se multiplia en Egypte, jusqu'à ce qu'il s'éleva un autre roi qui ne connaissait pas Joseph ". Nouveaux motifs de désespoir : d'abord la famine; ensuite ils sont tombés aux mains de leur frère ; en troisième lieu, le roi prononce contre eux un arrêt de mort ; et pourtant ils ont été sauvés de tous ces dangers. Ensuite, pour montrer la sagesse de Dieu, il dit : " En ce temps-là naquit Moïse qui fut agréable au Seigneur". S'il est étonnant que Joseph ait été vendu par ses frères, il l'est.bien plus qu'un roi, destiné à périr, ait élevé celui même qui devait le renverser du trône.
Voyez-vous presque partout la figure de la résurrection? Que quelque chose se fasse par la volonté de Dieu ou par celle de l'homme, c'est bien différent. Mais rien, de ceci n'était l'effet de la volonté humaine. " Et il était puissant en paroles et en oeuvres ". Il dit cela pour montrer que Moïse fut un sauveur, et que l'on se montra ingrat envers lui. De même que Joseph, Moïse sauva ceux qui l'avaient maltraité. Sans doute on ne le fit pas réellement mourir, mais, comme Joseph, il fut tué en parole. Joseph fut vendu pour passer de sa patrie dans une terre étrangère; Moïse fut chassé d'une terre étrangère à une terre étrangère. L'un procura de la nourriture, l'autre donna des conseils pour apprendre à être avec Dieu. De tout cela, ressort la vérité proclamée par Gamaliel : " Si cette oeuvre est de Dieu, vous ne pourrez la détruire ". Mais vous, qui voyez comment ceux dont on a cherché la perte deviennent les sauveurs de ceux qui voulaient les perdre, admirez la sagesse et les ressources de Dieu ! car, si ceux-ci n'eussent pas formé leurs coupables projets, ils n'eussent pas été sauvés. Il vint une famine, et elle ne les fit pas mourir. Bien plus : ils furent sauvés par celui qu'ils croyaient perdu. Le roi donne un ordre, et il ne les détruit pas; au contraire, le peuple croissait quand celui qui les connaissait mourut. Ils voulaient faire périr leur sauveur, et ils n'en purent venir à bout.
2. Vous voyez comment Dieu fait tourner à l'accomplissement de sa promesse les efforts mêmes que le démon fait pour la détruire. Ils étaient donc autorisés à dire : Dieu est fécond en ressources et il peut nous tirer d'ici. Car, c'était là une preuve de la sagesse de Dieu que le peuple se multipliât au sein de l'adversité, au milieu de la servitude, des mauvais traitements, des meurtres. Telle était la grandeur de la promesse. Qu'ils se fussent multipliés dans leur propre pays, t'eût été moins étonnant. Et ils ne sont pas restés peu de temps sur la terre étrangère, mais quatre cents ans. Cela nous apprend qu'ils ont montré une grande sagesse : car on ne se conduisait point envers eux comme des maîtres à l'égard de leurs serviteurs, mais comme des ennemis et des tyrans. Voilà pourquoi Dieu prédit qu'ils seront un jour dans une grande liberté : car c'est le sens de ces paroles : " Ils me serviront et reviendront ici ", non sans être vengés. Et voyez comme il semble attribuer ici quelque chose à la circoncision, bien qu'il ne lui accorde réellement rien : car la promesse avait précédé la circoncision qui n'est venue qu'après. " Et les patriarches jaloux ". Ici, il ne les blesse pas; il cherche à leur faire plaisir. Il appelle leurs ancêtres patriarches, parce qu'ils en étaient fiers. D'autre part, il fait voir que les saints n'ont pas été exempts de tribulations; mais que c'est au sein même des tribulations qu'ils ont été secourus. Et non-seulement ils ne s'en dégageaient pas, mais quand ils auraient dû y mettre un terme, ils aidaient à leurs oppresseurs. Comme les frères de Joseph , en le vendant, l'avaient rendu plus illustre, ainsi fit le roi pour Moïse, en ordonnant de tuer les enfants : car, sans cet ordre, rien ne serait arrivé.
Voyez la providence de Dieu ! Le roi met Moïse en fuite, et Dieu ne s'y oppose pas, parce qu'il ménage l'avenir et veut le rendre digne de la vision céleste sur la terre étrangère. Ainsi, celui qui a été vendu comme esclave, il le fait roi là même où on le croit esclave. Et comme Joseph règne là où on l'a vendu, ainsi le Christ déploie sa puissance dans la mort. Ce n'était pas seulement une question d'honneur, mais aussi confiance en sa propre vertu. Mais reprenons ce qui a été dit plus haut. " Et il l'établit intendant sur l'Egypte et sur toute sa maison ". Voyez quels événements Dieu prépare par la famine. " Jacob descendit en Egypte avec soixante-quinze personnes. Et il y mourut, lui et nos pères. (66) " Et ils furent transportés à Sichem et déposés dans le sépulcre qu'Abraham avait acheté à prix d'argent du fils d'Hémor, fils de Sichem ". Preuve qu'ils n'avaient pas même la propriété d'un tombeau. " Mais comme approchait le temps de la promesse que Dieu avait jurée à Abraham, le peuple crût et se multiplia en Egypte, jusqu'à ce qu'il s'éleva un autre roi qui ne connaissait pas Joseph ". Vous voyez que Dieu ne les avait pas multipliés pendant tant d'années, mais seulement quand la fin approcha; et pourtant ils avaient passé plus de quatre cents ans en Egypte. Voilà le prodige. " Celui-ci, circonvenant notre nation, affligea nos pères, jusqu'à leur faire exposer leurs enfants pour en empêcher la propagation ". — "Circonvenant "; par ce mot il indique le meurtre secret: car Pharaon ne voulait pas les tuer publiquement; et pour cela il ajoute : " Jusqu'à leur faire exposer leurs enfants. En ce même temps naquit Moïse qui fut agréable à Dieu ". L'étonnant est que le futur chef ne naît ni avant ni après, mais au milieu même de ces mesures de fureur.
" Et il fut nourri trois mois dans la maison de son père ". C'est quand tout est humainement désespéré, quand ses parents l'ont rejeté, que l'action de la Providence se montre avec éclat. " Exposé ensuite, la fille de Pharaon le prit et le nourrit comme son fils ". Quand de si grands événements se passaient, il n'y avait encore ni temple, ni sacrifice. Et il fut nourri dans une maison étrangère. " Et Moïse fut instruit dans toute la sagesse des Egyptiens, et il était puissant en paroles et en oeuvres ". Je m'étonne qu'il eût vécu là quarante ans et que la circoncision ne l'ait.pas trahi; et encore plus que lui et Joseph, au sein d'une vie tranquille, aient ainsi négligé leurs propres intérêts pour sauver les autres. " Mais lorsque s'accomplissait sa quarantième année, il lui vint dans l'esprit de visiter ses frères, les enfants d'Israël. Et ayant vu l'un d'eux injustement traité, il défendit et vengea celui qui souffrait l'injure, en frappant l'Egyptien. Or, il pensait que ses frères comprendraient, que Dieu les sauverait par sa main; mais ils ne le comprirent pas ".
Voyez comme Etienne ne paraît point encore importun, quand il rappelle de si grands événements, et comment on supporte de l'entendre : tant la beauté de son visage les charmait ! " Il pensait que ses frères comprendraient ". Et pourtant il prouvait sa mission par ses oeuvres, et il n'y avait pas besoin d'un effort d'intelligence; néanmoins, ils ne comprirent pas. Voyez avec quelle modération il parle, et comment, après avoir montré Moïse irrité dans cette circonstance, il nous le présente plein de douceur dans une autre. " Le jour suivant il en vit qui se querellaient, et il s'efforçait de les remettre en paix, en disant : " Hommes, vous êtes frères; pourquoi vous faites-vous tort l'un à l'autre? Mais celui qui faisait injure à l'autre le repoussa en disant : Qui t'a établi chef et juge sur nous? Veux-tu me tuer comme tu as tué hier l'Egyptien? " C'était dans les mêmes sentiments, paraît-il, et dans le même langage qu'ils disaient au Christ : " Nous n'avons pas d'autre roi que César ". Ainsi les Juifs avaient-ils coutume de traiter leurs bienfaiteurs. Voyez-vous la folie? Ils accusent celui qui doit les sauver, en disant: " Comme tu as tué hier l'Egyptien. Sur cette parole, Moïse s'enfuit, et il demeura comme étranger sur la terre de Madian, où il engendra deux fils ". Il fuit, mais la fuite, pas plus que là mort, ne détruisit l'oeuvre providentielle. " Et après quarante ans, l'ange du Seigneur lui apparut dans le désert du mont Sina , au milieu d'un buisson enflammé ".
3. Voyez-vous comme le temps ne saurait nuire aux vues de la Providence? C'est quand il est en fuite, quand il est proscrit, quand il a passé un long temps sur la terre étrangère et qu'il y a eu deux fils, quand il n'y a plus d'espoir de retour, c'est alors que l'ange lui apparaît. Il donne le nom d'ange au Fils de Dieu, comme à un homme. Et où a lieu l'apparition? Dans le désert, non dans le temple. Vous le voyez : combien de prodiges ! Et il n'y a point de temple, point de sacrifice. Et ce n'est pas seulement dans le désert, mais dans un buisson. " Ce que Moïse apercevant, il admira la vision, et comme il s'approchait pour examiner, la voix du Seigneur se fit entendre ". Voilà que Dieu lui fait l'honneur de lui parler. " Je suis le Dieu de vos pères, le Dieu d'Abraham, et le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob ". Ici, on voit non-seulement que l'ange qui lui apparaît est l'ange du grand conseil, mais encore on découvre la bonté que Dieu montre dans cette vision. " Mais Moïse, devenu tout tremblant, n'osait plus (67) regarder. Et le Seigneur lui dit: Ote la chaussure de tes pieds; car le lieu où tu es est une terre sainte ". Il n'y a pas de temple, et le lieu est devenu saint par l'apparition et l'opération du Christ. C'est bien plus merveilleux que le Saint des saints , où Dieu n'a jamais apparu de cette manière, où jamais Moïse n'a ainsi tremblé. Vous avez vu la bonté de Dieu, voyez aussi sa sollicitude. " J'ai vu parfaitement l'affliction de mon peuple qui est en Egypte, j'ai entendu son gémissement, et je suis descendu pour le délivrer. Maintenant, viens, je t'enverrai en Egypte ". Ici, il fait voir que Dieu les conduisait par des bienfaits, par les châtiments et par les prodiges; mais eux restaient les mêmes. Ceci nous apprend aussi que Dieu est partout. Convaincus de cette vérité, recourons à lui dans les afflictions. " J'ai entendu son gémissement ". — Il ne dit pas simplement : " J'ai entendu "; mais : à cause des malheurs. Et si quelqu'un demande Pourquoi a-t-il permis qu'ils fussent ainsi affligés? qu'il apprenne que les afflictions sont pour tous les justes des sources de récompenses; ou encore il a permis qu'ils- fussent affligés pour faire éclater sa puissance et leur apprendre à être sages en tout. Et voyez que dans le désert non-seulement " ils s'engraissèrent, ils s'épaissirent, ils s'élargirent ", mais encore ils abandonnèrent Dieu. Car partout, mon cher auditeur, le relâchement de l'âme est un mal. Voilà pourquoi Dieu dit à Adam dès le commencement: " Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front ". Il a permis qu'ils fussent affligés, de peur que, passant à un repos parfait du sein d'une grande tribulation, ils n'en conçussent de l'arrogance
car l'affliction est un grand bien.
Ecoutez là-dessus le roi David : " C'est pour mon bien que vous m'avez humilié ! " L'affliction est une grande chose pour les grands hommes, objets de notre admiration, à plus forte raison pour nous. Si vous voulez, examinons-la en elle-même. Supposons un homme nageant dans la joie, livré au plaisir et à la volupté : quoi de plus honteux? quoi de plus insensé? Supposons au contraire quelqu'un accablé de douleur et de chagrin, quoi de plus sage? Aussi le Sage nous dit-il : " Il vaut mieux entrer dans une maison de deuil que dans une maison de joie ". (Eccli. VII, 3.) Peut-être vous moquez-vous de ce que je dis? Eh bien! voyons ce qu'Adam fut dans le paradis et ce qu'il fut après; ce que Caïn fut d'abord et ce qu'il fut ensuite. L'âme ne reste point fixe en elle-même; mais, comme le souffle du vent, le plaisir l'emporte, elle devient légère, elle n'a plus rien de solide. En effet, elle est prompte à promettre, prompte à engager sa parole, et ballottée par une multitude de raisonnements. De là des rires déplacés, de la gaîté sans raison, un flux de paroles niaises et inutiles. Mais pourquoi parler de la foule? Prenons quelque saint, par exemple, et voyons ce qu'il a été dans la joie et ce qu'il a été dans la tristesse. Voulez-vous que nous choisissions David ? Quand il était dans le plaisir et dans le bonheur à raison de ses nombreux trophées, de ses victoires, de ses couronnes, de ses délices, de sa sécurité, voyez ce qu'il a dit et ce qu'il a fait : " Pour moi j'ai dit au sein de mon abondance : Je ne serai plus jamais ébranlé ". (Ps. XXIX.) Mais écoutez ce qu'il disait quand il était dans l'affliction : " Et s'il me dit : Je ne veux plus de toi ; me voici : qu'il fasse ce qui sera agréable à ses yeux". (II Rois, XV, 26.) Quoi de plus sage que ces paroles : que tout ce qui plaît à Dieu s'accomplisse? Et encore ce qu'il disait à.Saül: " Si le Seigneur vous excite contre moi , que votre sacrifice soit de bonne odeur ". (I Rois, XXIV, 19.) Quand il était dans l'affliction , il épargnait même ses ennemis; mais dans la suite il n'épargna ni ses amis, ni ceux qui ne lui avaient fait aucun mal. Jacob disait aussi dans sa tristesse : " Si Dieu me donne du pain à manger et un vêtement pour me couvrir ". (Gen. XXVII, 30.) Jusque-là le fils de Noé n'avait rien fait de coupable; mais dès qu'il fut assuré d'être sauvé , vous savez comme il devint insolent. Et quand Ezéchias était dans l'affliction , voyez ce qu'il a fait pour son salut : il revêtit un sac et s'assit à terre ; mais quand il était dans la joie, il tomba par enflure de coeur. Aussi Moïse donne-t-il cet avis : " Quand tu auras mangé et bu et que tu seras rassasié, souviens-toi de ton Dieu ". (Deut. VI, 12.) Un lieu de délices est dangereux et produit l'oubli de Dieu. Quand les Israélites étaient dans l'affliction , ils étaient beaucoup plus nombreux; dans les temps prospères ils périssaient tous. Mais pourquoi chercher des exemples chez les anciens? Voyons, si vous le voulez, ce qui se passe chez nous. La plupart s'enflent quand ils sont dans la prospérité; (68) ils sont odieux à tout le monde, ils sont colères tant qu'ils jouissent du pouvoir : quand ils l'ont perdu, ils deviennent humbles, doux, et sont ramenés à l'étude, de leur propre nature. C'est ce que David nous enseigne, quand il dit : " L'orgueil les a dominés jusqu'à la fin; leur iniquité est comme le résultat de leur embonpoint ". J'ai dit tout cela afin que nous ne cherchions pas la joie à tout prix. Mais, demandez-vous, pourquoi Paul dit-il : " Réjouissez-vous toujours? " Il n'a pas dit simplement : " Réjouissez-vous "; mais il a ajouté : " Dans le Seigneur ".
4. Et voilà la plus grande joie, celle que goûtaient les apôtres, la joie profitable, qui a son principe, sa racine, sa matière dans les prisons, dans la flagellation , dans les persécutions, ce qui lui donne un résultat avantageux. Toute autre est la joie du monde : elle commence par le plaisir, elle finit par la tristesse. Je ne défends pas de se réjouir dans le Seigneur; j'y exhorte beaucoup au contraire. Les apôtres étaient flagellés, et ils se réjouissaient; ils étaient chargés de chaînes, et ils rendaient grâces; ils étaient lapidés, et ils prêchaient. Voilà la joie que je veux; celle qui ne procède point de la chair, mais de l'esprit. On ne peut se réjouir à la fois selon le monde et selon Dieu; car quiconque se réjouit selon le monde se réjouit de la richesse, de la volupté, de la gloire, de la puissance, du faste; mais celui qui se réjouit selon Dieu, se réjouit d'être méprisé pour lui , de la pauvreté, du délaissement, du jeûne, de l'humilité. Ce sont, vous le voyez, des motifs tout opposés. Ici tous ceux qui sont sans joie sont sans chagrin, et ceux qui sont sans chagrin sont sans joie. Et en réalité voilà ce qui fait le véritable bonheur; car, du côté du monde, il n'y en a que le nom de bonheur, puisque tout est dans la tristesse. Quelle n'est pas la tristesse de l'orgueilleux ? Combien son arrogance ne lui coûte-t-elle pas ! Il s'attire mille injures, une grande haine, beaucoup d'inimitié, de jalousie, d'envie. S'il est injurié par de plus puissants que lui, il s'en afflige ; s'il ne tient pas tête à tout le monde, il est déchiré. Mais l'homme humble, au contraire, jouit d'une grande félicité; il n'attend d'honneurs d'aucun côté; s'il en reçoit, il s'en réjouit; s'il n'en reçoit point, il ne s'attriste pas, il se félicite plutôt. Ainsi il y a une grande volupté à recevoir des honneurs sans les rechercher. L'homme du monde, au contraire, cherche à être honoré et ne l'est pas. Mais l'honneur ne procure pas le même plaisir à celui qui le recherche et à celui qui ne le recherche pas. Le premier ne croit jamais en avoir assez, tant qu'il en puisse avoir; si peu que le second en reçoive, il est aussi content que s'il avait tout. De plus l'homme qui vit dans les délices a mille affaires, bien que ses revenus arrivent facilement et coulent comme de source; il craint les maux qui naissent de la volupté, et les incertitudes de l'avenir; l'autre est toujours tranquille, toujours joyeux, parce qu'il est habitué au régime de la médiocrité. Il ne se croit pas malheureux parce qu'il n'a pas une table splendide, mais il jouit de n'avoir point à redouter un avenir incertain. Quant aux maux qui naissent d'une vie de délices, chacun les connaît, mais il est nécessaire d'en dire un mot. Il y a deux guerres, celle du corps et celle de l'âme; il y a deux tempêtes, deux maladies, et de plus, ces maladies sont incurables et entraînent de grandes calamités. Il n'en est pas de même de la frugalité; elle procure une double santé, des avantages doubles. " Un sommeil sain ", dit le Sage, " est le partage de l'estomac sobre ". (Eccli. XXXI, 24.) En toute chose la médiocrité est désirable, et le défaut de modération a des inconvénients. Et voyez jetez sur un petit charbon une grande quantité de bois, vous n'aurez pas une flamme brillante, mais une fumée extrêmement désagréable.
Chargez un homme grand et fort d'un fardeau qui dépasse ses forces, vous le verrez tomber à terre avec sa charge. Mettez sur un navire une cargaison trop lourde, vous ferez un misérable naufrage. Il en est ainsi d'une vie de délices; car de même que dans les vaisseaux surchargés il y a un grand tumulte, quand les matelots, le pilote, le timonier, les passagers, jettent à la mer ce qui est sur le pont et ce qui est, à fond de cale ; ainsi.le voluptueux rejette tout, se corrompt lui-même et périt (1). Et ce qu'il y a de plus honteux, c'est que le rôle des organes est interverti, que la bouche est assimilée aux parties les moins nobles et se trouve plus, déshonorée qu'elles; que si la bouche est ainsi dégradée, que sera-ce de l'âme? Là tout est obscurité, tempête,
1 Il serait difficile de rendre littéralement cette phrase et la suivante, sans blesser la délicatesse de notre langue.
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ténèbres, confusion de pensées pressées, étreintes, l'âme elle-même proclamant sa détresse. Aussi ceux qui sont les esclaves de leur ventre s'accusent les uns les autres, ne se supportent pas mutuellement et rejettent avec empressement toute l'ordure de leur coeur. Et quand elle est rejetée, ils n'ont pas le calme pour autant; mais il leur reste les maladies et les fièvres. Oui, dira-t-on, ils sont malades, et leur conduite est honteuse; il est inutile de nous raconter tout cela, de nous énumérer leurs maladies ; mais moi, qui n'ai pas de quoi manger, je suis malade aussi, je suis déchiré , je me conduis honteusement ; et ceux qui vivent dans les délices on les voit en bon état, gras, joyeux, montés sur des chevaux. Hélas ! quel langage déplorable ! Et ceux qui souffrent de la goutte, qui ne vont qu'en voiture, qui sont liés et bandés dans tous les membres , dites-moi un peu d'où viennent-ils ? Je les nommerais par leurs noms, si je ne craignais qu'ils ne s'en offensassent comme d'une injure. Mais, dirait-on, il y en a qui se portent bien, sans doute, mais parce qu'ils s'adonnent au travail et non pas seulement au plaisir. Mais montrez-moi un homme toujours s'engraissant, toujours oisif et inerte, inoccupé et malgré cela bien portant, vous ne le pouvez pas. Quand tous les médecins seraient là, ils ne pourraient guérir de ses maladies l'homme toujours adonné à son ventre : la nature des choses ne le permet pas. Je vais vous donner l'opinion même des médecins :
Tout ce qu'on introduit dans l'estomac ne devient pas aliment; car la
nourriture elle-même ne contient pas uniquement des éléments
nutritifs; il est des parties destinées aux sécrétions,
d'autres à l'alimentation. Si donc vous usez de modération,
tout se passe en règle, chaque chose prend sa place propre ce qui
est sain et utile va où il doit aller, l'inutile et le superflu
se sépare et est rejeté. Mais si vous ne gardez pas de mesure,
même ce qui est nutritif devient nuisible. Un exemple rendra ceci
plus sensible: Dans le blé il y a la fleur de farine, là
farine et le son. Si la meule rencontre la quantité qu'elle peut
moudre, elle sépare elle-même les parties; si on lui en jette
trop à la fois, tout est confondu. Il en est de même du vin:
si on le traite d'une manière convenable et dans le temps voulu,
il se fait d'abord un mélange, puis une partie descend et forme
la lie, l'autre monte en écume, et le reste est à l'usage
de ceux qui veulent en user : c'est la partie utile qui ne subit pas volontiers
de changements; mais jusque-là ce n'est ni du vin ni de la lie,
car tout est mêlé. Ainsi en est-il encore de la mer dans une
grande tempête. De même donc que nous voyons alors surnager
les poissons morts qui n'ont pu descendre au fond à raison du froid
; ainsi quand la voracité fond sur nous comme un torrent, elle met
tout en mouvement et fait surnager comme mortes nos pensées jusque-là
saines et tranquilles. Eh bien ! puisque tant d'exemples nous font voir
de si grands inconvénients, cessons d'appeler heureux ceux qu'il
faudrait appeler malheureux, et de plaindre ceux qu'il faudrait appeler
heureux, et aimons la sobriété. N'entendez-vous pas les médecins
dire que la pauvreté est la mère de la santé ? Et
moi je dis qu'elle n'est pas seulement la mère de la santé
du corps, mais aussi de celle de l'âme. C'est ce que Paul, ce vrai
médecin, nous crie : " Ayant la nourriture et le vêtement,
contentons-nous-en ". Suivons son avis, afin d'être sains et de faire
ce qu'il faut faire dans Jésus-Christ Notre-Seigneur, en qui appartiennent,
au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire , l'empire , l'honneur,
maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XVII. CE MOÏSE, QU'ILS AVAIENT RENIÉ, DISANT
: QUI L'A ÉTABLI CHEF ET JUGE SUR NOUS? FUT CELUI-LA MÊME
QUE DIEU ENVOYA COMME CHEF ET LIBÉRATEUR PAR LA MAIN DE L'ANGE QUI
LUI APPARUT DANS LE BUISSON. (CHAP. VII, 35, JUSQU'AU VERS. 53.)
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ANALYSE. 1 et 2. Suite du discours de saint Etienne. — Que la législation mosaïque et le temple n'étaient que des institutions transitoires.
3 et b. Parlons et agissons en toute occasion avec le calme et la confiance de saint Etienne. — La colère dégrade l'homme ; il n'est pas d'action dans la vie qu'elle ne trouble, pas de dessein qu'elle ne fasse échouer. — On l'a bien définie un mouvement déraisonnable. — Loin de nous cette colère funeste; mais ayons celle qui brûle d'opérer le salut de notre prochain. — Trop souvent nous sommes mous et sans vigueur lorsqu'il s'agit. de corriger le prochain, et violent quand il faudrait montrer de la mansuétude.
1. Voici qui convient parfaitement au but qu'on se propose. " Ce Moïse ", quel est-il? Celui qui a failli périr, celui qu'ils ont méprisé, qu'ils ont renié en disant : " Qui t'a établi chef? " Tout comme ils disaient au Christ : " Nous n'avons de roi que César. Ce fut celui-là que Dieu. envoya comme chef et " libérateur par la main de l'ange qui lui avait dit : Je suis le Dieu d'Abraham ". Il montre ici que les miracles qui furent opérés, le furent par le Christ. " Celui-là ", c'est-à-dire, Moïse (et voyez comme il le fait briller), " les a tirés de la terre d'Egypte, y opérant des prodiges et des miracles, aussi bien que dans la mer Rouge et dans le désert pendant quarante ans. C'est ce Moise qui a dit aux enfants d'Israël : Dieu vous suscitera du milieu de vos frères un prophète comme moi ", c'est-à-dire, méprisé, exposé aux embûches. En effet, Hérode a voulu tuer le Christ, qui a été sauvé en Egypte, comme Moïse encore enfant avait été mis en danger de périr. " C'est lui qui se trouva dans l'assemblée du peuple au désert, avec l'ange qui lui parlait sur le mont Sina, et avec nos pères, lui qui reçut les paroles de vie pour nous les donner ". Encore une fois, point de temple, point de sacrifice. " Avec l'ange, il reçut les paroles de vie pour nous les donner ". Ici il indique que Moïse n'a pas seulement fait des prodiges, mais aussi donné une loi comme le Christ. Et comme Moïse a fait des miracles avant de donner une loi, ainsi a fait le Christ. Mais habitués à désobéir, ils ne l'écoutèrent point, même après les prodiges, même après les miracles opérés pendant quarante ans. Non-seulement ils n'obéirent point, mais ils firent tout le contraire. D'où il ajoute : " Et nos pères ne voulurent point lui obéir, mais ils le repoussèrent, retournant de coeur en Egypte, et disant à Aaron : Fais-nous des dieux qui marchent devant nous; car ce Moïse, qui nous a tirés de la terre d'Egypte, nous ne savons ce qui lui est arrivé. Et ils firent un veau en ces jours-là, et ils offrirent une victime à l'idole, et ils se réjouissaient dans l’oeuvre de leurs mains. Mais Dieu se détourna et les laissa servir la milice du ciel, comme il est écrit au livre des prophètes : " Maison d'Israël, m'avez-vous offert des victimes et des sacrifices pendant quarante ans dans le désert? Vous avez porté le tabernacle de Moloch et l'astre de votre dieu Remphan, figures que vous avez faites pour les adorer. Aussi je vous transporterai au delà de Babylone. Il les laissa ", c'est-à-dire, il permit. " Et le tabernacle du témoignage a été avec nos pères dans le désert comme Dieu le leur (71) avait ordonné, parlant à Moïse afin qu'il le fit selon le modèle qu'il avait vu".
Bien qu'il y eût un tabernacle, il n'y avait pas de sacrifices. Et la preuve en est dans ces paroles du prophète : " M'avez-vous offert des victimes et des sacrifices ? " Le tabernacle du témoignage existait, et il leur était inutile , car ils périssaient. Avant cela les miracles n'avaient servi à rien ; ils ne servirent pas davantage après. " Et l'ayant reçu, nos pères l'emportèrent ". Voyez-vous que tout lieu est sanctifié par la présence de Dieu? Aussi dit-il : " Dans le désert ", pour comparer lieu à lieu. Ensuite vient le bienfait. " Et l'ayant reçu , nos pères l'emportèrent sous Jésus dans le pays des nations que Dieu chassa devant nos pères jusqu'aux jours de David, qui trouva grâce devant Dieu et demanda de trouver une demeure pour le Dieu de Jacob ". David demanda de bâtir, et cela ne lui fut point accordé, quoiqu'il fût grand et admirable. C'est Salomon, ce prince rejeté, qui bâtit. Aussi ajoute-t-il : " Ce fut Salomon qui lui bâtit un temple. Mais le Très-Haut n'habite pas dans les temples faits de main d'homme ". Ce qui précède l'avait déjà prouvé, mais la parole du prophète le déclare encore; écoutez comment : " Selon ce que dit le prophète : Le ciel est mon trône, et la terre l'escabeau de mes pieds. Quelle maison me bâtirez-vous, dit le Seigneur, ou quel est le lieu de mon repos? N'est-ce pas ma main qui a fait toutes ces choses,? " Ne vous étonnez pas, leur dit-il, si le Christ fait du bien même à ceux qui le rejettent comme roi, puisqu'il en a été ainsi du temps de Moïse. Et il ne les a pas seulement sauvés, mais sauvés pendant qu'ils étaient dans le désert. Ne voyez-vous pas que tous ces miracles ont été faits pour eux? Ainsi celui qui s'était entretenu avec Dieu, qui avait été sauvé contre toute attente, qui avait fait tant de prodiges et était doué d'une si grande puissance, montre que la prophétie devait être entièrement accomplie , et n'est point en contradiction avec lui-même.
Mais reprenons ce qui a été dit plus haut : " C'est ce Moïse qui a dit : Dieu vous suscitera un prophète comme moi ". C'est à cela, je pense, que le Christ. faisait allusion, quand il disait : " Le salut vient des Juifs " (Jean, IV, 22), se désignant lui-même : " C'est lui qui se trouva au désert avec l'ange qui lui parlait ". Il montre une seconde fois que c'est le Christ qui a donné la loi, puisqu'il était avec Moïse dans l'assemblée, dans le désert. Il rappelle ici le grand prodige qui s'est opéré sur la montagne. " Qui a reçu les paroles de vie pour nous les donner ". Moïse fut partout admirable, mais surtout au moment où il fallait donner la loi. Que signifient ces mots : " Paroles de vie?" Ils désignent ou ce que ses discours avaient en vue, ou les prophéties. Puis vient le reproche aux patriarches, qui, après tant de signes et de prodiges, après avoir reçu les paroles de vie, " ne voulurent point lui " obéir ". Il les appelle avec raison " paroles de vie ", pour montrer qu'il y en a d'autres qui ne sont point telles, ainsi que le dit Ezéchiel : " Je vous ai donné des commandements qui ne sont pas bons ". (Ezéch. XX, 25.) C'est pour cela qu'il dit: " Paroles de vie. Mais ils le repoussèrent, retournant de coeur en Egypte ", où, ils gémissaient, où ils criaient, où ils invoquaient Dieu. " Et ils dirent à Aaron : Fais-nous des dieux qui marchent devant nous ".
2. O folie ! " Fais ", disent-ils, " afin qu'ils marchent devant nous ". Où ? Vers l'Égypte. Voyez-vous comme ils renonçaient difficilement aux moeurs des Egyptiens ? Que dites-vous? Vous n'attendez pas celui qui vous a délivrés, vous rejetez le bienfait, vous fuyez votre bienfaiteur? Et voyez comme ils l'outragent ! " C'est ce Moïse qui nous a tirés de la terre d'Égypte ". Le nom de Dieu n'est prononcé nulle part; tout est attribué à Moïse. Quand il faudrait rendre grâces, on met en avant le nom de Moïse; mais quand il faut obéir à la loi, on n'en parle plus. Il leur avait dit qu'il montait pour recevoir la loi; ils me l'attendirent pas même quarante jours. " Fais-nous des dieux ". Ils ne disent pas: un dieu, mais "des dieux ", tant ils étaient égarés, au point de ne savoir ce qu'ils disaient. " Et ils firent un veau en ces jours-là, et ils offrirent des sacrifices à l'idole ". Voyez-vous l'excès de leur folie? Pendant que Dieu se manifeste à Moïse, ils font un veau et lui immolent des victimes. " Et ils se réjouissaient dans l'oeuvre de leurs mains ". Ils se réjouissaient quand il eût fallu rougir. Et quoi d'étonnant si vous méconnaissez le Christ, quand vous méconnaissez Moïse et Dieu qui s'est manifesté par tant de miracles? Mais les Juifs ne se contentent pas de méconnaître, ils outragent en faisant des idoles. " Mais Dieu se détourna et les laissa (72) servir la milice du ciel ". Voilà l'origine de ces coutumes, de ces sacrifices; ils ont d'abord immolé aux idoles. C'est ce que David rappelle quand il dit : " Et ils firent un veau à Horeb et ils adorèrent l'ouvrage du ciseau ". (Ps. CV.) En effet, avant cela on ne parlait pas même de sacrifices, mais de préceptes de vie, de paroles de vie; point d'initiations, mais des prodiges et des signes. " Comme il est écrit au livre des prophètes ". Ce n'est pas sans raison qu'il produit ce témoignage, ruais pour prouver qu'il n'y a pas besoin de sacrifices. Et voyez ce qu'il dit : " M'avez-vous offert des victimes et des sacrifices pendant quarante ans dans le désert? Au contraire, vous avez porté le tabernacle de Moloch et l'astre de votre dieu Remphan, figures que vous avez faites pour les adorer ". Ce langage est emphatique; il signifie: Vous ne pouvez dire que vous avez sacrifié aux dieux parce que vous me sacrifiiez d'abord à moi-même. Et cela dans le désert, où il avait surtout pris leur direction. " Et vous avez porté le tabernacle de Moloch ". Voilà la cause des sacrifices.
" Aussi je vous transporterai au delà de Babylone ". Ainsi la captivité accuse leur malice. Mais, direz-vous, pourquoi y avait-il un " tabernacle du témoignage? " Afin qu'ils eussent Dieu pour témoin ; c'était là son seul but. " Selon le modèle qui t'a été montré sur la montagne ". Ainsi la description en avait été faite sur la montagne ; on le portait de tous côtés dans le désert, et il ne se fixait nulle part. Il l'appelle " tabernacle du témoignage " uniquement à cause des prodiges et des préceptes. Cependant ni le tabernacle ni eux n'avaient de temple. L'ange en avait donc donné la figure. " Jusqu'aux jours de David ". Ainsi jusque-là il n'y eut pas de temple, et pourtant les nations avaient été repoussées, celles dont il est dit: " Que Dieu chassa devant nos pères ". Il a dit cela pour montrer encore une fois qu'il n'y avait pas de temple. Quoi donc? Tant de miracles et point de temple? Oui ; le tabernacle d'abord, et point de temple. Et il demanda de trouver grâce devant le Seigneur. Il demanda et ne bâtit pas; le temple n'était donc pas une bien grande chose, bien que, pour l'avoir bâti, Salomon soit réputé grand par quelques-uns et même préféré à son père. Mais la preuve qu'il n'était pas meilleur que son père, qu'il ne l'égalait même pas (sauf l'opinion d'un petit nombre), est dans le passage suivant: " Le Très-Haut n'habite pas dans des temples bâtis de main d'homme, selon la parole du prophète : Le ciel est mon trône et la terre l'escabeau de mes pieds ". Et encore ces choses ne sont-elles pas dignes de Dieu; puisqu'elles sont créées , puisqu'elles sont l'oeuvre de ses mains? Voyez comme il élève peu à peu leur pensée ! Il fait voir par le prophète que ce langage même n'est pas digne de Dieu.
Et pourquoi, dira-t-on , parle-t-il ici avec tant de vivacité? L'approche de la mort lui donnait une grande liberté : car je pense qu'il la connaissait par révélation. " Hommes à tête dure et incirconcis du coeur et des oreilles "; ceci est encore prophétique et ne lui est pas propre. " Vous résistez toujours à l'Esprit-Saint. Il en est de vous comme de vos pères ". Quand il ne voulait pas qu'il y eût de sacrifices, vous en faisiez; quand il en veut, vous n'en faites plus; quand il ne voulait pas vous donner de préceptes, vous en demandiez; quand vous les aviez reçus, vous les avez méprisés; quand le temple était debout, vous adoriez des idoles; quand il veut être adoré dans le temple, vous faites tout le contraire. Remarquez qu'il ne dit pas : Vous résistez à Dieu, mais et à l'Esprit " ; ainsi il n'y voyait aucune différence. Il va plus loin : " Il en est de vous comme de vos pères ". Le Christ leur faisait le même reproche, voyant qu'ils se glorifiaient toujours de.leurs pères " Lequel des prophètes vos pères n'ont-ils pas persécuté? Ils ont mis à mort ceux qui prédisaient la venue du Juste ". Pour les contenir, il leur parle encore " du Juste : que vous avez naguère trahi et mis à mort ". Il leur fait deux reproches : de l'avoir méconnu, et de l'avoir fait mourir. " Vous qui avez reçu la loi par le ministère, des anges et ne l'avez pas gardée "
3. Qu'est-ce que cela? Quelques-uns pensent que les anges auraient réglé la loi. Mais il n'en est pas ainsi. Où a-t-on jamais vu que les anges aient réglé une loi ? Il veut dire que la loi a été donnée à Moïse par le ministère de l'ange qui lui a apparu dans le buisson. En effet, n'était-il pas homme? Rien donc d'étonnant que ceux qui avaient fait l'un, aient encore fait l'autre; si vous avez tué ceux qui annonçaient, à plus forte raison deviez-vous tuer celui qui était annoncé. Il démontre ainsi qu'ils ont désobéi à Dieu, aux anges, aux (73) prophètes, à l'Esprit, à tous, comme le dit ailleurs l'Ecriture : " Seigneur, ils ont tué vos prophètes et renversé vos autels ". (III Rois, XIX, 10.) Ils ne respectaient donc la loi qu'en apparence, quand ils disaient : " Il blasphème contre Moïse ". Mais lui leur démontre qu'ils blasphèment non-seulement contre Moïse, mais aussi contre Dieu; qu'ils ont déjà fait cela autrefois, qu'ils ont détruit les traditions et qu'ils n'en ont plus besoin; que tout en lui reprochant d'être en opposition avec Moïse, ils résistent eux-mêmes à l'Esprit, non d'une manière ordinaire , mais avec homicide , et que depuis longtemps ils nourrissent leur inimitié. Voyez-vous comme il leur prouve qu'ils sont en opposition avec Moïse, avec tous, et qu'ils n'observent pas la loi ? En effet, Moïse avait dit : " Le Seigneur vous suscitera un prophète " ; d'autres avaient prédit qu'il viendrait; un prophète même avait dit : " Quelle maison me bâtirez-vous ? " Et encore : " M'avez-vous offert des victimes et des sacrifices pendant quarante ans? " C'était là la liberté d'un homme portant sa croix.
Imitons-la, bien que nous ne soyons pas en guerre; la liberté est de tous les temps. " Je parlais ", dit-il, " de votre loi en présence des rois et je n'étais point confondu ". (Ps. CXVIII.) Si nous sommes aux prises avec des gentils, fermons-leur ainsi la bouche, sans colère , sans rudesse. Car si nous agissons avec colère, ce n'est plus de la liberté, mais de la passion ; si nous procédons avec douceur, c'est de la vraie liberté. Il n'est pas possible que la même chose sait en même temps vertu et vice. La liberté est une vertu , la colère est un vice. Si nous voulons parler librement, nous devons donc être exempts de colère, de peur qu'on n'attribue notre langage à cette passion. Quelque justes que soient vos paroles, de quelque liberté que vous usiez, quelques avertissements que vous donniez, quoi que vous fassiez enfin; si vous agissez avec colère, tout est perdu. Voyez qu'Etienne parle sans colère; il ne les injurie pas, mais il se contente de leur rappeler les paroles des prophètes. Et la preuve qu'il était sans colère, c'est qu'il a prié pour ceux qui le maltraitaient, disant : "Ne leur imputez pas ce péché". Paroles qui ne respirent point la colère, mais la douleur et la tristesse qu'il ressent à leur occasion. Aussi est-il dit de son visage : " Ils virent son visage comme le visage d'un ange ", afin de les attirer.
Soyons donc exempts de colère. Là où elle se- trouve, l'Esprit-Saint n'habite pas maudit l'homme qui s'y livre ! Il n'y a rien de sain à attendre d'une telle source. Car comme dans la tempête il se fait un grand tumulte, de grands cris, et que ce n'est pas le moment de philosopher; ainsi en est-il dans la colère. Si on veut donner ou recevoir des leçons de philosophie, il faut attendre à être dans le port. Ne voyez-vous pas que, quand nous voulons parler de choses sérieuses , nous cherchons des endroits tranquilles, où règne le calme et la paix, afin de n'être point dérangés? Que si le tumulte du dehors nous gêne, à plus forte raison le trouble du dedans. Si quelqu'un prie, sa prière est inutile, s'il la fait avec emportement et colère; s'il parle, il est ridicule; s'il se tait , il ne l'est pas moins; s'il mange , il en souffre; de même s'il boit ou ne boit pas; s'il est assis ou debout; s'il marche ou s'il dort : car la colère peut s'imaginer dans les rêves. Y a-t-il rien qui ne soit déplacé dans l'homme en colère? Son regard est déplaisant, sa bouche tordue, ses membres tremblants et enflés, sa langue n'a plus de frein et ne ménage rien, son esprit est hors de lui même; sa tenue est inconvenante; tout est désagréable en lui. Quelle différence y a-t-il entre les yeux des possédés du démon et ceux de l'homme qui est ivre ou en colère? N'est-ce pas la même fureur? Cela ne dure qu'un temps, dira-t-on, mais le furieux n'est enchaîné non plus que temporairement : et quoi de plus misérable? Et on ne rougit pas de s'excuser en disant : Je ne savais ce que je disais l Et pourquoi ne le saviez-vous pas, vous homme raisonnable, vous qui avez la raison à votre disposition? Pourquoi vous conduisez-vous comme les animaux brutes, comme le cheval furieux et emporté? Cette apologie même est coupable. Plût au ciel que vous eussiez su ce que vous disiez ! C'était la colère qui parlait, dites-vous, et non pas moi. Comment était-ce la colère, puisqu'elle n'a pas d'autre puissance que celle que vous lui prêtez? C'est comme si l'on disait : Ce n'est pas moi, mais ma main qui a porté ces blessures. Qu'est-ce qui a surtout besoin de colère? n'est-ce pas la guerre? n'est-ce pas le combat? Et pourtant, là encore, la colère gâte tout, perd tout. Car c'est surtout dans le combat qu'il faut se tenir en garde (74) contre la colère; surtout encore quand on veut proférer une injure. Et comment combattre? direz-vous. Par la raison, par la douceur. Combattre, c'est être d'un côté opposé. Ne voyez-vous pas que les guerres mêmes ont des lois, un ordre, des temps fixes? La colère n'est autre chose qu'un élan déraisonnable; or, un être sans raison ne peut rien faire de raisonnable.
4. Ainsi donc Etienne disait tout cela et ne se fâchait point. C'était aussi sans colère qu'Elie disait : " Jusqu'à quand boiterez-vous des deux côtés? " (III Rois, XVIII, 21.) Phinéés porta le coup mortel et ne se fâcha pas. Car la colère ne laisse pas voir; enchaînant tout comme dans un combat de nuit,, elle égare à son gré les yeux et les oreilles. Débarrassons-nous donc de ce démon, arrêtons-le dès le début, mettons en guise de frein un sceau sur notre cœur. La colère est un chien impudent; qu'elle apprenne à se soumettre à la loi. Si le chien chargé de la garde du troupeau est tellement féroce, qu'il n'obéisse pas à l'ordre du berger et ne reconnaisse pas sa voix, tout est détruit, tout est perdu. Il paît avec les brebis; mais s'il les dévore, il devient inutile et on le tue. S'il sait vous obéir, nourrissez-le ; il est utile en aboyant contre les loups, contre les voleurs , contre le chef des voleurs, mais non contre les brebis ou les gens de la maison. S'il n'est pas docile, il perd tout; s'il méprise lavoir du maître, il détruit tout. Loin d'altérer la douceur. qui est en vous; que la colère la protège, et la fasse fleurir; or, elle la protégera et la fera prospérer en toute sécurité, si elle consume les pensées impures et mauvaises, si elle poursuit le démon à outrance. Et le moyen de conserver la douceur, c'est de ne jamais penser de mal du prochain : nous nous rendrons respectables en apprenant à né jamais agir avec insolence. Rien ne rend impudent comme une mauvaise conscience. Pourquoi les prostituées sont-elles impudentes? Pourquoi les vierges sont-elles pudiques? N'est-ce pas le péché qui en; est cause chez celles-là, et la chasteté chez celles-ci ? Car rien ne rend impudent comme le péché.. C'est tout le contraire, dites-vous; il inspire la honte. Qui , chez celui.qui se condamne lui-même; mais il rend les autres plus insolents, plus, hardis, car l'homme qui désespère de lui-même devient audacieux. Il est écrit, : " Quand l'impie est arrivé au fond de l'abîme du péché, il méprise ". (Prov. XVIII, 3.) Tout homme qui ne sait plus rougir est insolent, et tout insolent est audacieux. Voulez-vous savoir où se perd la douceur ? Quand les mauvaises pensées l'absorbent.
Mais quand cela serait, et quand le chien n'aurait pas poussé de grands aboiements, il ne faudrait pas encore désespérer. Car nous avons une fronde et une pierre (vous savez ce que je veux dire).: nous avons une lance, une étable, un enclos, où nous pouvons abriter nos pensées contre le péril. Traiter doucement les brebis, se montrer vigilant et féroce contre les étrangers, voilà le mérite du chien; puis ne pas toucher aux brebis, quand il a faim, et quand il est rassasié, ne pas épargner- les loups. Qu'il en soit ainsi de la colère; même quand elle mord , qu'elle ne s'écarte point des lois de la modération; quand elle est en repos, qu'elle s'anime contre les mauvaises pensées. Elle ne doit point négliger, mais garder ce qui est à nous, fût-il blessant d'ailleurs; elle doit détruire ce qui est étranger, quelque flatteur qu'il paraisse. Souvent le démon flatte comme un chien; mais que chacun sache qu'il est étranger. Ainsi, accueillons la vertu, même quand elle attriste : repoussons le vice, même quand il réjouit. Ne soyons pas au-dessous des chiens, à qui le fouet et les chaînes ne font pas lâcher prise. Mais si l'étranger les nourrit, ne seront-ils pas encore plus nuisibles? Il est des cas où la colère est utile : c'est quand elle aboie contre les étrangers.. Que signifient ces mots : " Celui qui se met sans raison en colère contre son frère? " (Matth. V, 22.) C'est-à-dire, ne vous vengez pas, ne réclamez pas en justice; mais si vous voyez quelqu'un en danger de périr, tendez-lui la main. Dès que vous êtes dégagé de toute affection personnelle, ce n'est plus de la colère.
David surprit Saül ; il ne se fâcha pas, ii ne le, perça
pas de sa lance, il ne s'empara point de son ennemi, mais il repoussa l'assaut
du démon. Moise tua l'étranger qui commettait une injustice;
mais il n'en agit point de même avec un homme de son peuple;.il réconciliait
ses frères et repoussait les étrangers. Aussi, l'Ecriture
lui rend-elle ce témoignage : qu'il était le plus doux des
hommes; et pourtant il était vigilant. Il n'en est pas,ainsi de
nous Quand nous devrions montrer de la douceur, nous sommes plus féroces
que les bêtes (75) sauvages; et quand il faudrait montrer de l'ardeur,
rien de plus lâche et de plus endormi. Ainsi donc, parce que nous
ne savons pas user des ressources qui sont en nous, notre vie se consume
dans l'inutilité. C'est comme en fait de meubles, si nous prenons
l'un pour l'autre, nous perdons tout. Par exemple : un homme a une épée,
et au lieu de l'employer où il faudrait, il se sert de sa main;
évidemment, il ne saurait réussir; et si, quand il faudrait
se servir de sa main , il emploie son épée, il perd tout.
Ainsi, un médecin qui ne coupe pas où il faudrait, et coupe
où il ne faudrait pas , gâte tout. Je vous prie donc d'agir
ici à propos. Tant qu'il ne s'agit que. de nos propres intérêts
, ce n'est pas le cas de nous mettre en colère; mais quand il faut
corriger les autres, usons de ce moyen pour les sauver. En nous tenant
ainsi toujours en garde contre cette passion, nous serons.semblables à
Dieu, et nous obtiendrons les biens à venir, par la grâce
et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ , à qui
appartiennent au Père , en union avec le Saint-Esprit, la gloire,
la force, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles
des siècles. Ainsi soit-il !
HOMÉLIE XVIII. EN ENTENDANT CELA, ILS FRÉMISSAIENT DE
RAGE DANS LEUR CŒUR, ET ILS GRINÇAIENT DES DENTS CONTRE LUI. (CH.
VII, 54, JUSQU'AU VERS. 25. DU CHAP. VIII.)
ANALYSE. 1. Martyre d'Étienne.
2. Dispersion de l'Église de Jérusalem. — L'Evangile prêché dans Samarie. — Simon le Magicien.
3. La différence qui avait paru autrefois entre les prestiges des magiciens de Pharaon et tes miracles de Moïse, se retrouve la même entre les oeuvres des apôtres et les enchantements de Simon le Magicien. — Saint Pierre le réprimande et ne le punit pas; pourquoi?
4 Saint Chrysostome exhorte ceux qui ont des maisons à la campagne d'y faire construire des églises. — Il est plus beau et plus utile de bâtir une église qu'un tombeau.
5. Bonheur des campagnes qui possèdent une église.
1. Il est étonnant qu'ils n'aient pas pris de ces paroles occasion de le tuer, ruais que, dans la fureur où ils sont, ils cherchent encore un motif d'accusation. Ainsi les méchants sont toujours malheureux. Comme les princes des prêtres se disaient dans leur embarras : " Que ferons-nous à ces hommes? " de même ceux-ci frémissent en eux -mêmes. Et pourtant c'était Etienne qui aurait dû s'irriter, lui gui n'avait point fait dé mal, et qui souffrait, et était calomnié comme s'il en eût fait. Mais les calomniateurs n'en sont que mieux confondus, tant j'avais raison de vous dire que mal faire c'est souffrir! Cependant il n'a rien avancé de faux, il a dit la vérité. Ainsi, quand on nous accuse sales raison, nous ne souffrons réellement pas. Ils voulaient le faire mourir, mais non sur-le-champ; il leur fallait un prétexte plausible pour voiler leur crime. Mais quoi ? L'affront qu'ils recevaient n'était-il pas un motif plausible? Non ; ce n'était pas une injure de la part d'Étienne, mais l'accusation du prophète. Ou peut-être différaient-ils volontairement l'exécution du crime, comme avec le .Christ, pour ne pas paraître le condamner, à cause dés accusations qu'il avait portées contre eux, mais à cause de son impiété. Et c'était la piété qui avait inspiré ses paroles ! C'est (76) pourquoi, après l'avoir fait mourir, cherchant encore .à détruire sa réputation, " ils frémissaient de rage " ; car ils craignaient qu'il n'arrivât quelque chose de nouveau à son occasion. Ils font donc à Etienne ce qu'ils avaient fait au Christ; et comme, lorsque celui-ci disait : " Vous verrez le Fils de l'homme assis à la droite de la majesté ", ils criaient au blasphème et en appelaient au témoignage de la foule; ainsi font-ils encore maintenant. Là ils déchirèrent leurs vêtements ; ici ils se bouchèrent les oreilles. " Mais comme il était rempli de l'Esprit-Saint, levant les yeux au ciel, il vit la gloire de Dieu et Jésus qui se tenait à la droite de Dieu, et il dit : Voilà que je vois les cieux ouverts et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu. Eux alors poussant un grand cri et se bouchant les oreilles, se précipitèrent tous ensemble sur lui. Et l'entraînant hors de la ville, ils le lapidèrent ".
Pourtant s'il avait menti, il aurait fallu le renvoyer comme un fou. Mais il n'avait parlé ainsi que pour les attirer. Et comme, en mentionnant seulement la mort du Christ, il n'avait rien dit de la résurrection, c'est à propos qu'il en vient enfin à ce dogme. Il raconte comment le Christ lui a apparu, afin de leur faire accepter sa parole : car voyant qu'il leur avait déplu en disant qu'il était assis, il traite du sujet de la résurrection et dit qu'il est debout. Voilà pourquoi, je présume, son visage a été glorifié. Car Dieu dans sa bonté voulait les attirer par les moyens mêmes qui leur servaient à tendre des embûches, bien que le résultat n'ait pas été obtenu. " Et l'entraînant hors de la ville, ils le lapidèrent ". Le supplice a lieu hors de la ville, comme pour le Christ ; et c'est dans la mort que se fait la confession et la prédication. " Et les témoins déposèrent leurs vêtements aux pieds d'un jeune homme nommé Saul. Et ils lapidaient " Etienne, qui priait et disait : Seigneur Jésus-Christ, recevez mon esprit ". Par là, il leur montre et leur apprend qu'il ne meurt pas., " Puis, ayant fléchi les genoux, il cria d'une " voix forte : Seigneur, ne leur imputez point ce péché ". Comme pour se purger du reproche d'avoir d'abord parlé avec colère, il dit : " Seigneur "; ou peut-être parce qu'il voulait les attirer par là. Car leur pardonner la colère et la fureur avec laquelle ils commettaient le meurtre, montrer une âme exempté de passion, c'était certainement le moyen de faire accueillir sa parole. " Or Saul était consentant de sa mort. Mais il s'éleva en ce temps-là une grande persécution contre l'Eglise qui était à Jérusalem ". Cette persécution n'était pas sans- cause, mais elle arrivait, ce me semble, par 'les vues de la Providence. " Et tous, excepté les apôtres, furent dispersés dans les régions de la Judée et de la Samarie ". Voyez-vous comme Dieu permet de nouveau les épreuves? Mais voyez aussi comme les choses sont ménagées. Les miracles leur avaient attiré l'admiration, ils n'avaient point souffert de la flagellation; ils sont établis dans les diverses contrées, la parole se multiplie, et à la fin Dieu permet qu'un grand obstacle survienne. Et il s'élève une persécution extraordinaire, telle qu'ils prennent la fuite en même temps (car ils craignaient leurs ennemis devenus plus audacieux), et que chacun peut se convaincre que les Juifs sont hommes à craindre et à fuir. Ils soutirent persécution pour que vous ne puissiez pas dire qu'ils devaient leur succès uniquement à la grâce ; ils deviennent plus timides et leurs ennemis plus audacieux. " Et ils furent tous dispersés , excepté les apôtres ". J'avais donc raison de dire que cette persécution était l'oeuvre de la Providence ; car si elle n'eût pas eu lieu, ils n'auraient pas été dispersés. " Mais des hommes religieux ensevelirent Etienne, et firent ses funérailles avec un grand deuil ". Ils le pleurent parce qu'ils n'étaient pas encore parfaits, ou parce qu'Etienne était aimable et digne de respect. Ainsi, non-seulement la crainte, mais aussi la douleur et le deuil, font voir qu'ils sont hommes.
3. Et qui n'aurait pas pleuré cet agneau plein de douceur, lapidé et étendu mort? L'évangéliste lui a composé une digne épitaphe, en disant : " Puis, ayant fléchi les genoux, il cria d'une voix forte. Et ils firent ses funérailles avec un grand deuil". Mais reprenons ce qui a été dit plus haut: " Comme il était rempli de l'Esprit-Saint, levant les yeux au ciel, il vit la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu; et il dit. Voilà que je vois les cieux ouverts. Et ils se bouchèrent les oreilles et se précipitèrent tous ensemble sur lui ". Comment y avait-il là matière à accusation? Et cependant celui qui avait fait tant de prodiges, qui les avait tous vaincus par la parole, qui avait dit de si grandes choses, ils l'entraînent à leur gré et assouvissent sur lui leur (77) fureur. " Mais les témoins déposèrent leurs vêtements aux pieds d'un jeune homme nommé Saul ". Voyez comme on raconte en détail tout ce qui regarde Paul, afin de vous faire voir l'oeuvre de Dieu qui s'accomplira plus tard en lui. En attendant, non-seulement il ne croit pas, mais il frappe Etienne par ces milliers de mains homicides; et c'est ce que ces mots indiquent : " Or Saul était consentant de sa mort". Et ce bienheureux ne se contente pas d'une simple prière, mais il prie avec attention : " Ayant fléchi les genoux ", dit-on. Aussi sa mort fut-elle divine; car jusqu'alors il était accordé aux âmes d'habiter les limbes. " Et tous furent dispersés dans les régions de la Judée et de la Samarie ". C'est sans crainte qu'ils se mêlent aux Samaritains, eux qui ont entendu dire: " N'allez point vers les gentils ". " Excepté les apôtres ". Par là on indique que, pour attirer les Juifs, les apôtres n'avaient point quitté la ville, ou qu'ils voulaient inspirer de la confiance aux autres.
" Cependant Saul ravageait l'Église; entrant dans les maisons et entraînant des hommes et des femmes, il les jetait en prison". C'était là une grande fureur : être seul et entrer dans les maisons, tant il était prêt à donner sa vie pour la loi ! " Traînant des hommes et des femmes ". Voyez donc quelle licence! quelle injure ! quelle folie! Enhardi par le meurtre d'Étienne, il maltraite en mille manières ceux qui tombent entre ses mains. " Et ceux donc qui avaient été dispersés, passaient d'un lieu dans un autre, en annonçant la parole de Dieu ". "Or Philippe étant descendu dans la ville de Samarie, leur prêchait le Christ. Et la foule était attentive à ce que disait Philippe, l'écoutant .unanimement et voyant les miracles qu'il faisait. Car des esprits impurs sortaient d'un " grand nombre d'entre eux en poussant de grands cris, et beaucoup de paralytiques et de boiteux furent guéris. Il y eut donc une grande joie dans cette ville. Or un certain homme, nommé Simon, qui auparavant avait exercé la magie dans la ville, séduisait " le peuple de Samarie, se disant être quelqu'un de grand. Et tous, du plus petit jus" qu'au plus grand, l'écoutaient disant : Celui-ci est la grande vertu de Dieu ". Observez une autre tentation, celle de Simon : " Et la foule s'attachait à lui , parce que depuis longtemps il leur avait troublé l'esprit par ses enchantements. Mais quand ils eurent cru à Philippe qui leur annonçait la parole de Dieu, ils furent baptisés, hommes et femmes. Alors Simon lui-même crut aussi, et lorsqu'il eut été baptisé, il s'attachait à Philippe. Mais voyant qu'il se faisait des prodiges et de grands miracles , il était frappé d'étonnement et d'admiration. Or les apôtres qui étaient à Jérusalem, ayant appris que Samarie avait reçu la parole de Dieu, leur envoyèrent Pierre et Jean, qui, étant venus, prièrent pour eux , afin qu'ils reçussent l'Esprit-Saint; car il n'était pas encore descendu sur aucun d'eux, mais ils avaient seulement été baptisés au. nom du Seigneur Jésus. Alors ils leur imposaient les mains et ils recevaient l'Esprit-Saint. Or Simon voyant que, par l'imposition des mains des apôtres, l'Esprit-Saint était donné, il leur a offrit de l'argent disant : Donnez-moi aussi ce pouvoir, afin que tous ceux à qui j'imposerai les mains, reçoivent l'Esprit-Saint ".
Comment, direz-vous, ceux-ci n'avaient-ils point reçu l'Esprit-Saint? Ils avaient reçu l'Esprit de rémission, mais pas encore celui des miracles. Et la preuve qu'ils n'avaient pas reçu l'Esprit des miracles, c'est que Simon , témoin de ses effets, vint le demander. Quoique la persécution sévît alors , le Seigneur les en sauva néanmoins, en leur faisant comme un rempart de prodiges. Bien loin d'abattre leur courage, la mort d'Étienne n'avait fait que l'augmenter; c'est pourquoi les maîtres se dispersent, afin de mieux propager la doctrine. Et voyez encore comme ils jouissent, comme ils sont heureux. " Il y avait une grande joie dans la ville ", quoique le deuil fût grand aussi. C'est ainsi que Dieu a coutume d'agir, mêlant la joie à la tristesse, afin de se faire mieux admirer. Mais la maladie de Simon était déjà vieille; voilà pourquoi elle ne se guérit pas. Et comment l'a-t-on baptisé? Comme le Christ a choisi Judas. Voyant les prodiges qui s'opéraient, il est saisi de stupeur; mais il n'ose pas demander la grâce des miracles, parce qu'il sait que les autres ne l'ont pas encore reçue. Pourquoi ne l'a-t-on pas frappé de mort , comme Ananie et Sapphire? Parce que celui qui avait " jadis " recueilli du bois ayant été puni de mort pour l'instruction des autres , personne ne subit ensuite le même supplice. Ainsi se conduit Pierre, qui ayant. frappé Ananie et Sapphire , (78) ne frappa point Simon, mais se contente de lui dire : " Que ton argent périsse avec toi, parce que tu as cru que le don de Dieu s'achète avec de l'argent ! "
3. Et pourquoi, étant baptisés, n'ont-ils pas reçu l'Esprit-Saint? C'est, ou parce que Philippe n'osait pas le donner , réservant cet honneur aux apôtres , ou (et cette opinion est préférable), parce qu'il n'avait pas un aussi grand pouvoir, bien qu'il fût des sept. Je pense que ce Philippe était certainement un des sept, le second après Etienne. Voilà pourquoi il baptise. Il ne donnait point l'Esprit à ceux qu'il baptisait; car il n'en avait pas le pouvoir ! Ce don n'appartenait qu'aux douze. Observez bien : les apôtres n'étaient pas sortis, mais on avait réglé que les disciples sortiraient, eux qui étaient inférieurs en grâce , puisqu'ils n'avaient pas encore reçu l'Esprit-Saint. Ils avaient reçu le pouvoir de faire des miracles, mais non celui de donner l'Esprit aux autres. C'était là le privilège des apôtres ; aussi voyons-nous qu'eux seuls, les Coryphées, et non les autres, l'exerçaient. " Or, Simon voyant que par l'imposition des mains des apôtres, l'Esprit-Saint était donné ". Il n'eût pas ainsi parlé s'il n'y avait pas eu quelque chose de sensible. Paul en fit autant quand ils parlaient les langues. Avez-vous vu la perversité de Simon? Il offre de l'argent; et cependant il n'avait pas vu Pierre opérer à prix d'argent; il n'agissait donc pas par ignorance, mais comme tentateur et afin d'établir une accusation. Aussi lui répond-on : " Il n'y a pour toi ni part ni sort dans tout ceci ; car ton coeur n'est pas droit devant Dieu ". Encore une fois il révèle la pensée, quand Simon croyait se cacher. " Fais donc pénitence de cette méchanceté, et prie le Seigneur qu'il te pardonne, s'il est possible, cette pensée de ton coeur. Car je vois que tu es dans un fiel d'amertume et dans des liens d'iniquité. " Simon répondant, dit : Priez vous-mêmes le Seigneur pour moi, afin qu'il ne m'arrive rien de ce que vous avez dit ". Quand il aurait dû se repentir du fond de son coeur et pleurer, il ne le fait que par manière d'acquit. " Qu'il te pardonne, s'il est possible ". Cela ne vent pas dire que la faute n'eût pas été pardonnée, si le coupable eût vergé des larmes ; mais c'est la coutume , même chez les prophètes, de ne point parler de pardon , de dénoncer d'une manière absolue le châtiment futur, et non de dire: Si vous faites telle chose, vous obtiendrez votre pardon.
Pour vous , admirez comme au milieu du malheur, ils s'attachent à la prédication , loin de la négliger; et comment, ainsi que du temps de Moïse, la distinction s'établit entre les prodiges. La magie était pratiquée, et néanmoins les vrais miracles faciles à distinguer, bien qu'il ait dû n’y avoir aucun possédé du démon, puisque depuis longtemps Simon troublait leur esprit par ses enchantements ; mais comme il y avait beaucoup de possédés, beaucoup de paralytiques, ces signes n'étaient donc pas vrais. Or, Pierre n'attirait pas seulement par les miracles, mais aussi par la parole, en prêchant le royaume du Christ. Simon ayant été baptisé, s'attachait, dit-on, à Philippe. Ce n'était pas par esprit de foi qu'il s'y attachait , mais pour devenir semblable à lui. " Etant venus, ils prièrent pour eux, afin qu'ils reçussent l'Esprit-Saint; car il n'était encore descendu sur aucun d'eux. Alors ils leur imposaient les mains et ils recevaient l'Esprit-Saint".Voyez-vous qu'il faut une grande puissance pour donner l'Esprit-Saint? Car ce n'est pas la même choie d'obtenir la rémission et de recevoir tin si grand pouvoir. " Mais Simon voyant que par l'imposition des mains des apôtres, l'Esprit-Saint était donné , il leur offrit de l'argent ".
Avait-il vu faire cela aux autres? L'avait-il vu faire à Philippe? Pensait-il que les apôtres ne connaissaient pas le motif de sa démarche? Aussi Pierre a-t-il raison d'appeler cela un don, quand il dit : " Que ton argent périsse avec toi, parce que tu as estimé que le don de Dieu peut s'acquérir pour de l'argent ! " Voyez-vous comme ils sont exempts de toute attache à l'argent? " Il n'y a pour toi ni part ni sort en ceci ; car ton coeur n'est pas droit devant Dieu ". Il agissait en tout par malice et il fallait être simple. " Fais donc pénitence, car je vois que tu es dans un fiel d'amertume et dans des liens d'iniquité ". Ces paroles sont pleines d'indignation. Il ne le punit point, pour que la foi ne fût pas imposée par nécessité, pour que la chose ne parût pas trop dure, pour produire des sentiments de pénitence, ou encore parce que pour le corriger il suffisait de l'avoir confondu, d'avoir révélé le fond de sa pensée et de l'avoir forcé de convenir qu'il était surpris. En effet, ces paroles " Priez vous-mêmes pour moi ", sont un (79) interdite et un aveu. Voyez comment, malgré sa perversité, il croit quand il est confondu, et comment il s'humilie quand on le reprend une seconde fois. " En voyant les signes qui se faisaient il était frappé d'étonnement " ; montrant par là que tout ce qu'il faisait lui-même était supercherie. On ne dit pas qu'il s'approcha , mais qu'il " fut frappé d'étonnement ". Et pourquoi ne vint-il pas tout d'abord? Parce qu'il espérait rester caché , parce qu'il attribuait à l'art les miracles qui s'opéraient; mais quand il vit qu'il ne pouvait échapper aux apôtres , il s'approcha. " Car des esprits impurs sortaient d'un grand nombre de possédés, en jetant de grands cris ". C'était le signe de leur sortie; chez les magiciens c'était tout le contraire ; ils ne faisaient que serrer les liens. " Beaucoup de paralytiques et de boiteux étaient guéris ". Ici aucune supercherie : il fallait marcher et agir. " Et tous l'écoutaient en disant : Celui-ci est " la vertu de Dieu ". Ainsi s'accomplit la parole du Christ : " Il s'élèvera beaucoup de faux " christs et de faux prophètes en mon nom ". Et pourquoi ne l'ont-ils pas confondu tout d'abord? C'était assez pour eux qu'il se condamnât lui-même; il y avait là dedans une instruction. Mais ne pouvant résister, il dissimule comme les magiciens qui disaient: " Le doigt de Dieu est là ". Et pour ne pas être repoussé une seconde fois, il s'attachait à Philippe et ne le quittait plus.
4. Considérez avec moi les conséquences providentielles de la mort d'Etienne. Les fidèles sont dispersés dans les pays de la Judée et de la Samarie , ils annoncent la parole, ils prêchent le Christ, ils opèrent des prodiges , peu à peu l'on reçoit le don. Il y a ici double signe : donner aux uns , refuser à l'autre, c'était un très-grand signe. " Et eux , après avoir rendu témoignage et prêché la parole de Dieu, revinrent à Jérusalem et " évangélisaient beaucoup de contrées des Samaritains ". C'est avec raison qu'on dit : " Après avoir rendu témoignage ". Peut-être le rendent-ils à cause de Simon , afin que les fidèles ne soient -plus trompés, qu'ils soient en sécurité et ne se laissent plus entraîner par l'inexpérience. " Ils revinrent à Jérusalem ". Pourquoi reviennent-ils là où domine la tyrannie, où est le principe du mal , où règne le goût du sang? Ils font ce que font les généraux d'armées, qui se portent au point le plus menacé. Remarquez qu'ils ne sont d'abord pas venus à Samarie, mais bien les disciples, qui avaient été chassés, comme sous le Christ; et qu'enfin les apôtres sont envoyés aux fidèles de cette ville. " Or les apôtres qui étaient à Jérusalem ayant appris cela leur envoyèrent Pierre et Jean". Pourquoi sont-ils envoyés? l'ourles délivrer de la magie et leur rappeler la doctrine qu'ils avaient reçue du Christ, lorsqu'ils commencèrent à croire. Quand donc Simon aurait dû au contraire demander à recevoir l'Esprit-Saint , il n'en a souci et demande de pouvoir le donner aux autres, quoique ceux-là ne l'eussent pas reçu de façon à le donner; mais il voulait l'emporter sur Philippe qui était un des disciples : " Que ton argent périsse avec toi ! " Ce m'est pas une malédiction , mais une leçon. Comme Simon ne savait pas employer son argent à propos , l'apôtre lui dit: Puisque tu es tel, qu'il te reste ; à peu près comme s'il disait : Qu'il périsse avec ta mauvaise volonté, puisque tu estimes assez peu le don de Dieu pour le croire une chose tout humaine : ce qui n'est pas. S'il s'était présenté comme il l'aurait dû, il aurait été reçu et non repoussé comme un fléau. Voyez-vous que celui qui se fait une idée basse des grandes choses commet une double faute Simon reçoit deux ordres : " Fais pénitence et prie Dieu qu'il te pardonne, s'il est possible, cette pensée de ton coeur ". Tant cette pensée était coupable ! Et comme l'apôtre le savait incorrigible , il dit : " Te pardonne , s'il est possible ". Et Simon, craignant la foule, n'osa nier. — Certainement s'il n'eût pas été troublé , il aurait dit : Je ne savais pas , j'ai agi sans réflexion ; mais il avait été frappé d'abord des miracles et ensuite de ce qu'on avait mis au jour le fond de sa pensée. C'est pourquoi il s'en alla au loin , à Rome, comme si l'apôtre n'eût pas dû y arriver avant lui. " Ils évangélisaient beaucoup de contrées des Samaritains ".
Voyez combien les voyages leur donnaient d'occupation ; mais ils ne les entreprenaient pas sans motifs. Nous devrions en faire de pareils. Mais que parlé-je de voyages? Beaucoup ont des villages et des campagnes et ne s'en inquiètent nullement. Ils déploient la plus grande sollicitude à se créer des salles de bains, à augmenter leurs prix, à se faire construire des cours et des maisons; quant à savoir comment les âmes sont cultivées, ils (80) n'en ont nul souci. Quand vous voyez des épines dans un champ, vous employez le fer et le feu, vous détruisez pour débarrasser la terre de cette peste; mais quand vous voyez les âmes des laboureurs pleines d'épines que vous n'arrachez pas, ne tremblez-vous pas, dites-moi, ne craignez-vous pas celui qui doit un jour vous en demander compte ? Ne faudrait-il pas que chaque fidèle construisît une église , eût un docteur pour conférer et avant tout travaillât à ce que tout le monde fût chrétien ? Comment, de grâce, un laboureur sera-t-il chrétien , quand il vous voit négliger ainsi votre propre salut? Vous ne pouvez pas- faire des prodiges et par là gagner les âmes? Soit :, mais employez les moyens qui sont à votre disposition : la bonté, l'autorité, la douceur, les caresses et le reste.
Beaucoup construisent des marchés publics et des bains, mais point d'églises. Tout plutôt qu'une église. C'est pourquoi je vous exhorte et vous supplie, je vous demande comme une grâce, ou plutôt je vous impose comme une loi, de n'avoir aucune maison de campagne qui ne soit pourvue d'une église. Ne me dites pas: Il y en a une tout près, dans le voisinage; la dépense serait grande et j'ai peu de revenus. Si vous avez quelque chose à donner aux pauvres, employez-le là; cela vaudra mieux. Nourrissez un docteur, un diacre, une assemblée de prêtres. Soyez à l'égard de l'Eglise comme vous seriez à l'égard d'une femme ou d'une fiancée, ou comme si vous mariiez votre fille: faites-lui une dot. Par là votre campagne sera comblée de bénédictions. Et en effet, quel bien lui manquera? Est-ce peu de chose, dites-moi, que le pressoir soit béni? Est-ce peu de chose que Dieu ait sa part et les prémices de tous vos fruits? Cela contribue à tenir les laboureurs en paix. Le prêtre en deviendra respectable : ce qui est utile à la sécurité du lieu. Il y aura là pour vous des prières continuelles, des hymnes, des communions, l'oblation tous les dimanches. Lequel est le plus admirable que d'autres construisent de magnifiques tombeaux pour que la postérité sache qu'un tel les a construits, ou que vous bâtissiez des églises? Pensez que jusqu'à l'arrivée du Christ vous serez récompensé pour avoir élevé un autel à Dieu.
5. Dites-moi : si un roi vous ordonnait de bâtir une maison où il dût loger, ne mettriez-vous pas tout en couvre ? Or, l'église que vous bâtissez est un palais pour le Christ. Ne regardez donc pas à la dépense, mais songez au fruit que vous en recueillerez; les laboureurs cultivent la terre, vous, cultivez leurs âmes; ils vous apportent des fruits, vous, menez-les au ciel. Celui qui pose le principe, est l'auteur de toutes les conséquences. Vous serez donc cause qu'il y aura des catéchumènes dans les lieux voisins. A coup sûr, les établissements de bains rendront les paysans plus mous, les cabarets les rendront plus voluptueux; et cependant vous en fondez par amour de la gloire. Les marchés, les fêtes, les rendront plus insolents; mais ici, il en est tout autrement. Quel beau spectacle que celui d'un vieillard, marchant sur les traces d'Abraham, blanchi par l'âge, les reins ceints, bêchant, travaillant de ses mains ! Quoi de plus aimable qu'untel champ? C'est là que la vertu est plus grande. Là, point d'impudicité, car on la repousse; là, point d'ivrognerie, point de volupté, car on l'élimine; là, point de vaine gloire, car on l'éteint; là, la bienveillance emprunte le plus vif éclat de la simplicité. Quel bonheur de sortir et d'entrer dans la maison de Dieu, de voir qu'on l'a construite, de prendre son repos , puis d'assister aux chants de la nuit et du matin, d'avoir un prêtre à sa table, de s'entretenir avec lui, et de voir les autres se rendre au saint lieu! Voilà le rempart, voilà la sécurité de la campagne. Voilà le champ dont il est dit: " L'odeur d'un champ rempli, que le Seigneur a béni ". Que si la,campagne est déjà agréable à cause du repos et des larges loisirs dont on y jouit, que sera-ce quand cet avantage s'y rencontrera encore ! Une campagne où il y aune église ressemble au paradis de Dieu. Là, oint de cri, point de tumulte, point d'ennemis d'aucune sorte, point. d'hérésies; tous y sont amis et partagent les mêmes croyances. Le repos vous amène à la philosophie; le prêtre, vous prenant à ce point de départ, vous guérira sans peine. Ici, la place publique fait oublier tout ce que nous disons; là, ce que vous entendrez restera gravé dans votre esprit. Par l'influence du. prêtre, vous deviendrez tout autre à la campagne; il sera le chef de tous, il en sera le gardien par sa présence et par l'ordre qu'il établira parmi eux. Dites-moi : à combien se monte la dépense? Faites d'abord un petit bâtiment en guise de temple; votre successeur y fera un portique, un autre y (81) ajoutera autre chose, et ainsi tout vous sera attribué. Voua aurez peu donné et vous recevrez la récompense du tout. Commencez, jetez les fondements : bien plus, excitez-vous les uns les autres; piquez-vous d'émulation. Maintenant, s'il s'agit de construire des magasins pour y déposer de la paille, du blé ou toute autre chose de ce genre,on s'y prête facilement; mais, quand il s'agit de récolter des âmes, on ne s'en inquiète pas; et les fidèles sont obligés de faire de longues routes, d'entreprendre. de longs voyages pour trouver une église.
Et quel avantage pourtant qu'au milieu d'un repos parfait un prêtre vienne dans une église, s'approche de Dieu, et prie chaque jour pour la maison, pour le domaine ! Est-ce peu de chose, dites-moi, que votre nom soit prononcé dans les saintes oblations, que chaque jour des prières montent vers Dieu en faveur de la localité? Quel profit pour vous et pour, les autres ! Peut-être y a-t-il des propriétaires voisins qui ont des intendants ; vous êtes pauvre et aucun d'eux ne daigne venir chez vous; mais ils pourront inviter le prêtre et le faire asseoir à leur table. Voyez-vous que de biens en résulteront? en attendant, votre demeure sera exempte de tout soupçon; on n'y accusera personne d'homicide, de vol; on n'y soupçonnera rien de semblable. Autre consolation encore, en cas de maladie ou de mort. L'amitié qui unira les membres de ces assemblées ne sera pas de circonstance et de hasard; ces assemblées elles-mêmes seront beaucoup plus agréables que celles qui ont lieu dans les solennités publiques. Non-seulement les réunions, mais ceux qui y président deviendront plus respectables à cause du prêtre. Vous entendez tout le monde dire que dans l'antiquité Jérusalem était plus honorée que toutes les autres villes, et non sans cause : la piété y régnait alors. En effet, partout où Dieu est honoré, il n'y a rien de mauvais; comme, au contraire, partout où il n'est pas honoré, il n'y arien de bon. Ce sera une grande sécurité devant Dieu et devant les hommes. Je vous en prie donc: mettez la main à l'oeuvre, non avec lenteur, mais avec zèle. Si celui qui sépare une chose précieuse d'une chose vile est comme la bouche de Dieu (Jér. XV, 19), quelle ne sera pas la bonté divine à l'égard de celui qui rend service à tant d'âmes, qui les sauve même et dans le temps présent et dans les temps à venir, jusqu'à l'avènement du Christ?
Formez un rempart contre le démon, et ce rempart c'est une église.
Que de là sortent les mains qui doivent travailler, mais qu'avant
d'aller au travail elles s'élèvent pour la prière.
Ainsi le corps se fortifiera, l'agriculture sera féconde et on se
délivrera de tous les maux. Il n'est pas possible d'expliquer un
tel bonheur, à moins de l'avoir éprouvé. Ne dites
pas que cela ne donne aucun revenu. Quelque décidé que vous
soyiez, ne mettez pas la main à l'oeuvre si vous n'êtes pas
convaincu que le profit en vaut mieux pour vous que toute la propriété
; n'entreprenez rien, si ce ne sont point là vos dispositions, si
vous ne regardez cette tâche comme préférable à
toutes les autres. Quel profit plus grand, que d'introduire des âmes
dans l'aire céleste? Hélas ! vous ne savez donc pas ce que
c'est que de gagner des âmes ! Ecoutez ce que le Christ dit à
Pierre : " Si tu m'aimes, pais mes brebis ". (Jean, XXI, 15.) Si vous voyiez
les brebis ou les chevaux du roi exposés aux embûches faute
d'étable, que vous leur en construisissiez une et leur donnassiez
un berger, quelle récompense te roi ne vous accorderait-il pas ?
Et maintenant que vous recueillez le troupeau du Christ et que vous lui
donnez un berger, vous ne croiriez pas faire quelque chose de grand? Que
dis-je? Si celui qui scandalise un seul homme, est menacé d'un si
grand supplice, celui qui en. sauve un si grand nombre ne sera-t-il pas
sauvé? Cela est de toute évidence. Quelque péché
qu'il ait commis ou doive commettre dans la suite, ne l'efface-t-il pas?
Mesurez, sur le supplice de celui qui scandalise, la récompense
de celui qui sauve. Si Dieu n'attachait pas tant d'importance au salut
d'une seule âme, il ne s'irriterait pas autant de sa perte. Convaincus
de ces vérités, attachons-nous à cette oeuvre spirituelle
; que chacun m'appelle, et nous nous y appliquerons ensemble dans la mesure
du possible. S'il y a trois propriétaires, qu'ils s'entendent entre
eux; s'il n'y en a qu'un, les voisins se laisseront gagner par son exemple.
Tendez à ce but unique, je vous en prie, afin que, agréables
à Dieu en toutes choses, nous obtenions les biens éternels,
par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
en qui appartiennent au Père, en union avec l'Esprit-Saint, la gloire,
la force, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles
des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XIX. CEPENDANT UN ANGE DU SEIGNEUR PARLA A PHILIPPE,
ET LUI DIT : LÈVE-TOI ET VA VERS LE MIDI, SUR LE CHEMIN QUI DESCEND
DE JÉRUSALEM A GAZA, CELLE QUI EST DÉSERTE. ET SE LEVANT
IL PARTIT. (CHAP. XIII, 26, 27, JUSQU'AU VERS. 9 DU CHAP. IX.)
Traduit par M. l'abbé DEVOILE.
ANALYSE. 1-3. Baptême de l'eunuque éthiopien. — Philippe transporté miraculeusement de Gaza à Azoth. — Conversion de saint Paul.
4. L'abandon des Livres saints nous conduit à notre perte.
5. Dans l'Eglise même il y a une inattention générale, lorsque la voix du lecteur fait entendre la sainte parole des Ecritures, et pourtant les auditeurs sont très-ignorants des mystères.
1. Il me semble qu'il a reçu cet ordre pendant qu'il était à Samarie : car, en partant de Jérusalem, on ne va pas vers le midi, mais vers le nord, tandis qu'en partant de Samarie, on va vers le midi. "Celle qui est déserte ". L'ange dit cela, pour le rassurer contre l'attaque des Juifs. Philippe ne demande pas pourquoi; mais il se lève et part. " Et voilà qu'un Ethiopien, eunuque, puissant auprès de Candace, reine d'Ethiopie, et préposé sur tous ses trésors, était venu adorer à Jérusalem et s'en retournait, assis sur son char, et lisant le prophète Isaïe ". Ces paroles contiennent un grand éloge. Il demeurait en Ethiopie, il était accablé d'affaires, ce n'était point un jour de fête, il se trouvait dans une ville livrée aux superstitions, et il était venu adorer à Jérusalem. Son empressement était grand, car il lisait assis sur son char. "Alors L'Esprit dit à Philippe : Approche et tiens-toi contre ce char. Et Philippe accourant, entendit l'eunuque qui lisait le prophète Isaïe, et il lui dit : Croyez-vous comprendre ce que vous lisez? Il répondit : Comment le pourrais-je, si personne ne me l'explique? " Voyez cette nouvelle preuve de piété. Quelle est-elle ? C'est qu'il lit sales comprendre, et qu'après avoir lu, il cherche le sens. " Et il prie Philippe de monter et de s'asseoir près de lui. Or le passage de l'Ecriture qu'il lisait était celui-ci : Comme une brebis, il a été mené à la boucherie, et comme un agneau sans voix devant celui qui le tond, il n'a pas ouvert sa bouche. Dans l'humiliation son jugement a été aboli. Qui racontera sa génération, puisque sa vie est retranchée de la terre? Or, répondant à Philippe, l'eunuque dit : De qui, je vous prie, dit-il cela? Est-ce de lui ou de quelque autre? Alors Philippe ouvrant la bouche, et commençant par ce passage de l'Ecriture, lui annonça Jésus ". Vous voyez comme la Providence arrange tout en faveur de l'eunuque. D'abord il lit et ne comprend pas; ensuite il lit le passage où sont racontés la passion, la résurrection et le don. " Et comme ils allaient par le chemin, ils rencontrèrent de l'eau, et l'eunuque dit : " Voilà de l'eau ; qu'est-ce qui empêche que je ne sois baptisé? " Voyez-vous son ardeur ? Voyez-vous son empressement ? " Et il fit arrêter le char; alors tous deux, Philippe et l'eunuque, descendirent dans l'eau, et il le baptisa. Lorsqu'ils furent remontés de l'eau, l'Esprit du Seigneur enleva Philippe, et l'eunuque ne le vit plus. Mais il continuait son chemin, plein de joie ".
Pourquoi, direz-vous, l'Esprit du Seigneur enleva-t-il Philippe? Parce qu'il devait traverser d'autres villes et y prêcher l'Evangile; et aussi pour le faire admirer, et prouver à l'eunuque que ce qui venait de se passer n'était pas l'effet de la puissance de l'homme, (83) mais de celle de Dieu. " Pour Philippe, il se trouva dans Azoth, et il évangélisait en passant toutes les villes, jusqu'à ce qu'il vînt à Césarée ". Ceci démontre qu'il était un des sept, puisqu'on le trouve ensuite à Césarée. L'Esprit l'enleva à propos; autrement l'eunuque l'aurait prié de venir avec lui, et Philippe l'aurait peut-être affligé par son refus ; car le moment n'était pas encore venu. Voyez-vous les anges coopérer à la prédication? Sans prêcher eux-mêmes, ils appellent les prédicateurs. Et c'est là qu'est la merveille : ce, qui était rare et difficile autrefois, devient maintenant très-fréquent. Ce qui s'était passé, présageait d'ailleurs qu'ils triompheraient des étrangers. Car le témoignage des croyants était digne de foi et propre à inspirer le même zèle à ceux qui les écoutaient. Voilà pourquoi l'eunuque s'en allait plein de joie; mais il n'eût pas été aussi joyeux s'il avait tout su. Mais qu'est-ce qui empêchait, direz-vous, qu'il n'apprit tout en détail, pendant qu'il était assis sur son char, surtout dans le désert? C'est qu'il ne s'agissait point de faire de l'ostentation.
Mais examinons ce qui a été lu plus haut. " Et voilà qu'un Ethiopien, eunuque, puissant auprès de Candace, reine d'Ethiopie ". Il est clair que Candace régnait sur les Ethiopiens. Autrefois les femmes régnaient, et c'était la loi en Ethiopie. Philippe ne savait pas pourquoi il se trouvait dans le désert, parce que ce n'était pas l'ange, mais l'Esprit qui l'avait enlevé. L'eunuque ne voit rien de cela, ou parce qu'il est encore imparfait, ou parce que c est l'affaire des hommes spirituels et non des hommes charnels, et il ne sait pas ce qu'a appris Philippe. Et pourquoi l'ange ne lui apparaît-il pas, pour le conduire à Philippe ? Parce que peut-être il eût été plutôt frappé d'étonnement que convaincu. Voyez la sagesse de Philippe ! Il ne blâme pas, il ne dit pas : Vous êtes un ignorant, moi je vous instruirai. Il ne dit pas : de sais cela parfaitement. Il ne le flatte pas en disant : Vous êtes bienheureux de lire. Son langage est donc également éloigné de la présomption et de la flatterie ; c'est plutôt celui du véritable intérêt et de la bonté. Il fallait que l'eunuque questionnât, exprimât un désir. Mais Philippe fait assez voir qu'il connaît son ignorance, quand il lui dit : " Croyez-vous comprendre ce que vous lisez? " Il lui indique en même temps qu'il y a là un grand trésor caché.
2. Mais voyez avec quelle prudence l'eunuque s'excuse. " Comment le pourrais-je", dit-il, " si personne ne me l'explique? " Il n'a point regardé à l'habit, il n'a point dit : Qui es-tu? Il ne blâme pas, il ne parle pas avec arrogance, il ne se vante pas de savoir, mais il confesse qu'il ignore; et voilà pourquoi on l'instruit. Il montre sa plaie au médecin; il comprend que celui-ci sait et veut l'instruire. Il le voit exempt de faste : car Philippe était modestement vêtu. Voilà pourquoi il est avide d'entendre et attentif à ce qui se dit; en lui s'accomplissait cette parole : " Celui qui cherche, trouve. (Matth. VII, 3.) Il pria Philippe " de monter et de s'asseoir près de lui ". Voyez-vous son empressement ? Voyez-vous son désir? Il le prie de monter et de s'asseoir près de lui; il ne savait pas ce qu'il allait lui dire, mais il s'attendait simplement à entendre expliquer une prophétie. C'était de sa part une plus grande marque d'honneur de ne pas seulement faire monter Philippe, mais de l'en prier. " Et Philippe accourant l'entendit qui lisait ". La course indique un homme avide d'enseigner, la lecture un homme avide de savoir. Car il lisait précisément à l'heure où le soleil est le plus ardent. Or le passage était celui-ci : " Comme une brebis, il a été mené à la boucherie ". Une autre preuve de son désir de s'instruire, c'est qu'il a dans les mains le plus sublime des prophètes. Aussi Philippe s'explique-t-il avec lui sans vivacité mais avec calme; il ne parle même qu'après avoir été interrogé, après en avoir été prié. Questionnant de nouveau, l'eunuque demande : " De qui, je vous prie, le prophète dit-il cela? " Il me semble qu'il ignorait que les prophètes parlent des autres, ou tout au moins d'eux-mêmes, sous des noms supposés. Pauvres et riches, que l'exemple de cet intendant nous fasse rougir. " Ensuite ils rencontrèrent de l'eau, et il dit : Voilà de l'eau ". Ceci est l'indice de son extrême ferveur. " Qu'est-ce qui " empêche que je ne sois baptisé? " Voyez-vous son désir? Il ne dit pas : Baptisez-moi; il ne se tait pas non plus; mais son langage tient en quelque sorte le milieu entre le désir et le respect : " Qu'est-ce qui empêche que je ne sois baptisé ". Voyez comme il a la doctrine complète; car le prophète embrasse tout : l'incarnation , la passion , la résurrection, l'ascension, le jugement futur; et c'est ce qui inspire à l'eunuque un grand (84) désir. Rougissez aussi, vous qui n'êtes pas encore éclairés. " Et il fit arrêter le char ". Il parle, il commande, avant même d'écouter. " Lorsqu'ils furent remontés de l'eau, l'Esprit du Seigneur enleva Philippe ". C'était pour montrer l'action de la divinité, et faire comprendre à l'eunuque que Philippe n'était point un homme ordinaire. " Et il continuait son chemin, plein de joie ". Ces paroles indiquent qu'il se fût attristé, s'il avait tout su ; mais la vivacité de sa joie l'empêchait de voir le présent, quoiqu'il eût été honoré de la visite de l'Esprit. " Et il se trouva dans Azoth ". Il y eut ici grand profit pour Philippe : car ce qu'il avait ouï dire des prophètes, d'Habacuc, d'Ezéchiel et d'autres, se réalisait en lui, puisqu'en un instant il avait parcouru une grande distance et se trouvait à Azoth, où il resta, parce qu'il devait y prêcher l'Evangile.
" Cependant Saul respirant encore menaces et meurtre contre les disciples du Seigneur, alla trouver le prince des prêtres, et lui demanda des lettres pour la synagogue de Damas, afin que s'il y trouvait des hommes et des femmes de cette voie, il les conduisît enchaînés à Jérusalem ". C'est à propos qu'il parle ici du zèle de Paul, pour montrer qu'il a été attiré au milieu de son extrême ardeur. Non encore rassasié par le meurtre d'Etienne, par la persécution et la dispersion de l'Eglise, il va trouver le prince des prêtres. Ici s'accomplit la parole du Christ à ses disciples : " L'heure vient où quiconque vous fera mourir, croira rendre hommage à Dieu ". (Jean, XVI, 2.) Ainsi agissait Paul, mais non pourtant comme les Juifs, tant s'en fallait ! Et la preuve que c'est le zèle qui l'anime, c'est qu'il passe aux villes étrangères. Mais eux ne s'inquiétaient pas même de ce qui se passait à Jérusalem ; ils n'avaient qu'une chose en vue , l'honneur. Et pourquoi allait-il à Damas? C'était une grande ville, une ville royale; il craignait qu'elle ne fût envahie. Et voyez son empressement, voyez son ardeur, et comme il se conforme bien à la loi! Il ne va pas trouver le gouverneur, mais le prince des prêtres. " Il lui demande des lettres, afin que s'il en trouvait de cette voie ". Il applique ce mot " voie " aux croyants, parce qu'alors tout le monde les appelait ainsi, peut-être parce qu'ils suivaient la voie qui mène au ciel. Mais pourquoi ne reçoit-il pas le pouvoir de les punir sur place, mais de les conduire à Jérusalem ?
Afin que le châtiment leur fût infligé par une puissance plus élevée. Voyez dans quel péril il se jette, et aussi comme il craint que mal ne lui arrive. Il s'associe des compagnons, peut-être par peur; ou bien, comme il marchait contre une multitude, il s'entoure d'une multitude, afin de pouvoir plus hardiment " amener, enchaînés, à Jérusalem, les hommes et les femmes qu'il trouverait ". Il voulait, d'ailleurs, montrer à tous, le long du chemin, qu'il était seul l'auteur de l'entreprise, dont les autres n'avaient pas- autant de souci. Et voyez que déjà auparavant il jetait en prison. Les autres n'en avaient pas le pouvoir, mais son ardeur le lui donnait. " Et comme il était en chemin et qu'il approchait de Damas, tout à coup une lumière du ciel brilla autour de lui; et, tombant à terre, il entendit une voix qui lui disait: Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? "
3. Pourquoi cela ne s'est-il point passé à Jérusalem? à Damas? Afin que d'autres ne pussent pas en altérer le récit, et que celui qui était parti pour un tel motif, fût cru quand il le raconterait. En effet, il l'expose lui-même, quand il se défend devant Agrippa. Ses yeux sont malades, parce qu'une lumière trop vive est nuisible; car les yeux ont leur mesure de force. On dit aussi qu'un son trop éclatant rend sourd et stupide. Mais il fut seul aveuglé, et la crainte éteignit sa colère, en sorte qu'il entendit ces paroles : " Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? " On ne lui dit pas,: crois, ni rien de semblable; maison l'accuse. Et celui qui l'accuse lui dit à peu près quel tort, grand ou petit, t'ai-je fait, pour que tu agisses ainsi? " Il dit : Qui êtes-vous, Seigneur ? " Déjà il se reconnaît serviteur. Le Seigneur répondit : " Je suis Jésus que tu persécutes ". Comme s'il disait: Ne t'imagine pas que tu fasses la guerre aux hommes. Ceux qui étaient avec lui entendirent bien la voix de Paul, mais ne virent point celui à qui il répondait. Et c'était juste : ils n'entendirent que ce qu'il y avait de moins important. Car s'ils avaient entendu cette voix, ils n'eussent pas cru : mais en voyant que Paul répondait, ils furent frappés d'étonnement. " Lève-toi, entre dans la ville, et là on te dira ce que tu dois faire ". Remarquez qu'on ne lui révèle pas tout, d'abord, qu'on se contente en premier lieu de calmer son âme et de lui donner bon espoir qu'il recouvrera la vue. " Or (85) les hommes qui l'accompagnaient demeuraient tout étonnés, entendant bien la voix, mais ne voyant personne. Saul se leva donc de terre et, les yeux ouverts, ne voyait personne. Alors le conduisant par la main, ils le firent entrer à Damas ". Ce sont les dépouilles du démon, ce sont ses instruments qu'ils introduisent, comme il est d'usage après la prise d'une ville ou d'une capitale. Et ce qu'il y a d'étonnant, c'est que ce sont des adversaires, des ennemis qui l'amènent, à la vue de tout le monde. " Et il fut trois jours sans voir, et il ne mangea ni ne but ". A-t-on jamais rien vu de semblable? La conversion de Paul console du chagrin causé par le, meurtre d'Etienne, bien que le genre de mort de celui-ci renferme en lui-même sa consolation ; et que la conversion du pais des Samaritains soit aussi un très-grand sujet de joie.
Et pourquoi, dira-t-on, cela n'est-il pas arrivé plus tôt? Pour montrer que le Christ était vraiment ressuscité. Car, comment celui qui le persécute, qui ne croit ni à sa mort ni à sa résurrection, qui s'acharne sur ses disciples ; comment, dites-moi, celui-là aurait-il cru, si le crucifié n'eût eu une grande puissance ? Les autres ont cru, soit! mais que direz-vous à celui-ci? D'ailleurs il n'est venu qu'après la résurrection, et pas immédiatement encore, afin que son hostilité devînt plus manifeste. Car ce furieux qui verse le sang, qui jette en prison, croit sur-le-champ. Ce n'était point assez qu'il ne fût pas avec le Christ, il fallait encore qu'il fit une guerre violente aux fidèles ; il n'est excès de fureur auquel il ne se livre; il est le plus emporté de tous. Mais dès qu'il a perdu la vue, il y voit un signe de la puissance et de la clémence divine. Peut-être aussi fallait-il qu'on ne le soupçonnât pas de dissimulation. Mais comment soupçonner de dissimulation un homme altéré de sang, qui va trouver les prêtres, qui se précipite dans les dangers, qui pourchasse et punit même les étrangers? Et c'est donc après tout cela qu'il reconnaît la puissance de Dieu. Et pourquoi la lumière ne (enveloppe-t-elle pas dans la ville, et non en dehors? Parce que la foule n'aurait pas cru, et s'en serait peut-être amusée; puisque un jour ceux qui étaient présents et qui avaient entendu une voix du ciel, disaient : " C'est le tonnerre ". (Jean, XII, 29.) Lui, au contraire, sera. bien plutôt cru quand il racontera ce qui le touche de si près. On le conduit enchaîné , quoique sans liens ; on traîne celui qui espérait traîner les autres. Et pourquoi ne mange-t-il ni ne boit-il? Il condamne sa conduite, il s'avoue coupable, il prie, il conjure le Seigneur. Que si l'on objecte que la nécessité l'y forçait (car il en arriva autant à Elymas) , nous répondrons : Soit ! mais Elymas demeura comme il était. Et comment se fait-il qu'il n'ait pas été forcé de croire? Eh ! qu'y avait-il de plus propre à faire violence que le tremblement de terre au moment de la résurrection; que le témoignage même des gardes qui, après tant d'autres signes, affirmaient avoir vu le Christ ressuscité? Tout cela instruit, mais ne force point à croire. Et pourquoi les Juifs n'ont-ils pas cru, bien qu'ils connussent tout cela? Il était évident que Paul disait la vérité : car si rien n'était arrivé, il ne se serait pas converti; tous devaient donc croire. Il n'était point au-dessous de ceux qui prêchaient la résurrection du Christ, il était même bien plus digne de foi, puisqu'il s'était converti subitement. Il n'avait eu de rapport avec aucun fidèle; c'est à Damas, ou plutôt près de Damas, qu'a eu lieu sa conversion. Je demande maintenant aux Juifs Pourquoi, de grâce, Paul s'est-il converti? Il a vu tant de prodiges et il ne s'est pas converti ; son maître a changé, et lui n'a point changé ; qui l'a convaincu, ou plutôt qui lui a inspiré subitement cette si grande ardeur, qui lui faisait désirer d'être anathème pour le Christ? Ici la vérité des choses apparaît dans tout son éclat. En attendant, comme je le disais tout à l'Heure, que la conduite de l'eunuque éclairé et appliqué à la lecture nous fasse rougir. Voyez-vous comme il est puissant, riche, et pourtant occupé, même en voyage? Que devait-il être chez lui, lui qui ne supportait pas même d'être oisif en route ? qu'était-il pendant la nuit?
4. Vous tous qui êtes dans les dignités, écoutez et imitez son humilité et sa piété. Quoi qu'il retournât chez lui, il ne dit point : Je rentre dans ma patrie, j'y recevrai le baptême : froid langage que tiennent la plupart. Il n'est pas besoin de signes, il n'est pas besoin de prodiges : il crut sur la parole du prophète. C'est pourquoi Paul s'afflige sur lui-même, en disant : " Moi j'ai obtenu miséricorde de Dieu, parce que j'ai agi par (86) ignorance, dans l'incrédulité, et afin qu'en moi le premier, le Christ Jésus montrât toute sa patience". (I Tim. I, 13, 16.) Certainement., cet eunuque est digne d'admiration. Il n'a point vu le Christ, il n'a point vu de miracle; il voyait Jérusalem encore debout, et il a cru à Philippe. Qui l'a donc rendu tel? son âme était pleine de sollicitude, il s'appliquait aux Ecritures, il s'adonnait à la lecture. Or le larron avait vu des prodiges, les mages avaient vu l'étoile; mais lui n'avait rien vu de pareil, et pourtant il crut , tant est utile la lecture des Ecritures ! Mais Paul, dira-t-on, ne méditait-il pas la loi? Oui, mais il me semble qu'il a été réservé à dessein pour le but que ,j'indiquais plus haut, à savoir, parce que le Christ voulait attirer les Juifs de tout côté, car rien ne pouvait leur être plus utile que sa conversion, s'ils eussent eu de l'intelligence. Elle devait plus les attirer que les signes, que tout autre moyen ; comme aussi rien n'était plus propre à scandaliser des âmes grossières. Voyez donc Dieu faire des prodiges après la dispersion des apôtres. Les Juifs avaient accusé les apôtres, les avaient jetés en prison; Dieu fait des miracles. Et voyez comment les tirer de prison, amener Philippe, attirer Paul, se montrer à Etienne : autant de signes de sa main. Et puis voyez quel honneur est fait à Paul, quel honneur à l'eunuque ! Au premier le Christ se montre, peut-être durement , parce qu'autrement il n'eût pas cru. Et nous qui sommes familiers avec ces prodiges, rendons-nous-en dignes. Beaucoup de gens entrent maintenant à l'église et ne savent pas ce qui s'y dit; mais l'eunuque, même sur la place publique, même sur son char, s'appliquait à la lecture des Ecritures.
Il n'en est pas de même de vous; personne n'a ce livre entre les mains; tout plutôt que la Bible. Mais pourquoi n'a-t-il pas vu Philippe avant d'entrer à Jérusalem, mais seulement après? Parce qu'il ne devait pas voir les apôtres chassés, vu qu'il était encore faible ; et parce qu'il n'aurait pas cru aussi facilement qu'il l'a fait après avoir été instruit par le prophète. Il en sera de même pour vous : si quelqu'un veut lire attentivement les prophètes, il n'aura pas besoin de signes; et si vous le voulez , voyons la prophétie elle-même. " Comme une brebis, il a été mené à la boucherie ; dans l'humiliation, son jugement a été aboli ". Par là l'eunuque apprit que le Christ a été crucifié, que la vie terrestre lui a été enlevée, qu'il n'avait pas commis de péché, qu'il a pu sauver les autres, que sa génération ne saurait être racontée, que les pierres se sont fendues, que le voile s'est déchiré, que les morts sont sortis de leurs tombeaux; ou plutôt Philippe lui dit tout cela en expliquant le texte du prophète. La lecture des Ecritures est donc une grande chose. Ainsi s'accomplissait la parole de Moïse : " Assis, couché, debout, marchant, souviens-toi de ton Dieu ". (Deut. VI, 7.) Les voyages surtout, quand ils se font dans la solitude, nous donnent occasion de réfléchir, parce que personne ne nous distrait. C'est en route que l'eunuque obtient la foi, et Paul aussi; mais c'est le Christ lui-même, et non un autre, qui attire Paul. Ceci dépassait le pouvoir des apôtres; le plus merveilleux encore , c'est que, quoique les apôtres fussent à Jérusalem et qu'aucun d'eux ne se trouvât à Damas, Paul revint croyant de cette ville ; et ceux qui étaient à Damas savaient qu'il n'avait point la foi en sortant de Jérusalem, puisqu'il portait des lettres pour enchaîner les fidèles. Comme un excellent médecin , le Christ l'a guéri au fort même do la fièvre; car il fallait le saisir dans l'accès de sa fureur. C'est alors que sa chute a été plus sensible, et qu'il s'est mieux condamné lui-même pour avoir formé de si criminelles entreprises. Mais il serait bon de reprendre le fil du discours que nous vous adressions. A quoi bon les Ecritures? je vous le demande? En ce qui vous regarde, elles n'existent plus. A quoi bon l'église? Enfouissez les livres; peut-être le jugement sera-t-il moins terrible, la punition moins forte. Oui, celui qui les enfouirait et ne les écouterait plus, les outragerait moins que vous ne le faites maintenant. Quel serait en effet son tort à leur égard ? De les avoir enfouis. Quel est le nôtre? De ne pas les écouter. Or, je vous le demande, lequel est le plus injurieux de ne pas répondre à qui se tait, ou de ne pas répondre à qui parle? Evidemment c'est ce dernier. Donc vous qui n'écoutez pas cette voix qui vous parle, vous commettez une plus grave injure, vous montrez un plus grand mépris. " Ne nous parlez pas ", disaient autrefois les Juifs aux prophètes; mais vous, vous faites pire, en disant : Ne nous parlez pas, nous ne ferons rien. Car les Juifs engageaient les prophètes à ne pas parler, de peur (87) que leur parole ne leur inspirât quelque sentiment de piété; mais vous, par un mépris plus grand, vous ne faites pas même cela. Croyez-moi : quand vous nous fermeriez la bouche de votre propre main, vous ne commettriez pas un aussi grand outrage que maintenant. Car enfin, celui qui écoute et n'obéit pas, ne montre-t-il pas un plus grand mépris que celui qui n'écoute pas?
5. Traitons ce sujet plus à fond. Si quelqu'un contenait celui qui l'injurie et lui fermait la bouche, à cause de la peine qu'il éprouverait à se voir injurié, et qu'un autre rien eût aucun souci, n'eût pas même l'air d'y faire attention, lequel montrerait le plus grand mépris? N'est-ce pas celui-ci? Le premier fait voir qu'il sent le coup; le second ferme, pour ainsi dire, la bouche à Dieu. Ce mot nous fait horreur mais écoutez comment cela se fait. La bouche par laquelle Dieu parle, est la bouche de Dieu. Car de même que notre bouche est celle de notre âme, bien que notre âme n'ait pas de bouche; ainsi la bouche des prophètes est la bouche de Dieu. Ecoutez et tremblez. Un diacre se tient debout , élève la voix et crie : " Attention ! " et cela bien des fois. Cette voix est celle de toute l'Eglise, et personne ne fait attention. Après lui, le lecteur commente la prophétie d'Isaïe, et personne encore ne fait attention, bien que ce langage n'ait rien d'humain. Ensuite, s'adressant à l'auditeur, il dit : " Voici ce que dit le Seigneur ", et personne encore n'est attentif. Que dis-je? Il raconte des choses effrayantes , horribles, et personne n'est attentif. Mais que dit la foule? — On nous lit toujours les mêmes choses. — Et voilà surtout ce qui vous perd. Quand même vous sauriez cela, ce n'est pas une raison pour en détourner votre esprit; au théâtre, le spectacle est toujours le même et vous ne vous en lassez pas. Comment osez-vous parler ainsi, vous qui ne connaissez pas même les noms des prophètes? Vous ne rougissez pas de vous excuser en disant qu'on vous lit toujours les mêmes choses, quand vous ne savez pas même les noms des écrivains, bien que vous les entendiez toujours? Vous convenez vous- même qu'on dit toujours les mêmes choses. Si je disais cela par manière de reproche, vous devriez recourir à une autre excuse, et ne pas ainsi vous accuser vous-même. Dites-moi : Ne donnez-vous point d'avis à votre fils? Et s'il vous disait que vous répétez toujours les mêmes choses, ne prendriez-vous pas cela pour une injure? Il serait permis de ne pas répéter, si nous savions bien ces choses, et que nous le prouvassions par notre conduite; et encore la lecture n'en serait-elle pas inutile. Qui égale Timothée? Et pourtant Paul lui écrit : " Appliquez-vous à la lecture et à l'exhortation ". (I Tim. IV, 13.) Car il est impossible , absolument impossible d'épuiser le sens des Ecritures; c'est une source qui n'a pas de fond. J'ai su, dit-on ordinairement, et cela m'a échappé (1).
Voulez-vous que je vous prouve que ce n'est pas toujours la même chose? A combien portez-vous le nombre de ceux qui ont parlé sur les évangiles? Eh bien ! tous ont dit quelque chose d'extraordinaire et de nouveau. Car plus on s'y applique, plus la vue devient perçante, plus on est éclairé de la pure lumière. Elles sont grandes, les choses dont je parle. Qu'est-ce qu'une prophétie, dites-le moi? qu'est-ce qu'un récit? qu'est-ce qu'une parabole? une allégorie? une figure? un symbole? les évangiles? Ou plutôt répondez seulement à cette question si claire : pourquoi les appelle-t-on évangiles? Vous avez souvent ouï dire que les évangiles ne doivent renfermer rien de triste; néanmoins ils sont remplis de passages bien sévères. " Leur feu ne s'éteindra pas et leur vie ne mourra point ". (Marc, IX, 43.) Et cet autre : " Et il le divisera et il lui donnera sa part avec les hypocrites " (Matth. XXIV, 51) ; et ceci : " Il leur dira : Je ne vous connais pas, retirez-vous de moi , vous qui commettez l'iniquité ". (Id. VII, 23.) Ne nous faisons donc point d'illusion, en nous imaginant que c'est là un langage à la façon des Grecs. Est-ce que cela ne nous regarde pas? Mais vous êtes sourds, et, dans votre stupidité, vous baissez la tête. Les évangiles, dit-on, ne doivent contenir rien de pratique, mais simplement donner de bons conseils. Et les choses pratiques y abondent, comme celle-ci : " Si quelqu'un ne hait pas son père et sa mère, il n'est pas digne de moi ". (Luc, XVI, 26.) "Je ne suis pas venu apporter la paix sur la terre, mais le glaive ". (Matth. X, 34.) " Vous aurez des tribulations dans le monde". (Jean, XVI, 33.) Voilà qui est bien, mais ce ne sont pas de bonnes nouvelles; la bonne nouvelle, c'est ceci : vous aurez tels biens; comme on se dit
1 Une note du texte dit que cette phrase ne se lie point avec ce qui précède.
familièrement les uns aux autres : qu'ai-je à faire avec les évangiles? Votre père ou votre mère viendra. L'évangile ne dit pas : Faites cela ! Dites-moi donc encore: quelle différence y a-t-il entre les évangiles et les livres des prophètes? Pourquoi ceux-ci ne s'appellent-ils pas évangiles? car ils disent les mêmes choses, comme, par exemple : " Le boiteux sautera comme un cerf ". (Isaïe, CXXV, 6.); " Le Seigneur donnera la parole à ceux qui évangélisent ". (Ps. LVII.) " Je vous donnerai un ciel nouveau et une terre nouvelle ". (Isaïe, LXV, 17.) Pourquoi ces livres ne s'appellent-ils pas évangiles? Pourquoi l'évangile ne s'appelle-t-il pas prophétie? Mais si, ne sachant pas même ce que c'est que les évangiles, vous méprisez ainsi la lecture des Ecritures, que vous dirai-je ? Je vous dirai encore autre chose : Pourquoi quatre Evangiles? Pourquoi pas dix? Pourquoi pas vingt? Pourquoi un plus grand nombre n'ont-ils pas entrepris de composer des évangiles ? Pourquoi pas un seul? Pourquoi des disciples? Pourquoi d'autres qui n'étaient pas disciples? En deux mots, pourquoi les Ecritures ? Pourtant l'Ancien Testament dit le contraire : " Je vous donnerai un Testament nouveau ". (Jér. XXXI, 31.)
Où sont ceux qui disent : c'est toujours la même chose? Vous ne parleriez pas ainsi , si vous saviez que quand même un homme vivrait dix mille ans, il n'y trouverait pas toujours la même chose. Croyez-moi bien : je ne résoudrai aucune de ces questions ni en particulier, ni en publie; si quelqu'un trouve la solution , j'approuverai par un signe de tête; sinon je resterai tranquille. Nous avons fait de vous des hommes inutiles, en expliquant toujours tout sur-le-champ, et en ne refusant pas quand il aurait fallu. Vous avez maintenant de nombreuses questions : étudiez-les, cherchez en la raison. Pourquoi évangiles? Pourquoi pas prophéties ? Pourquoi des choses pratiques dans les évangiles? Si quelqu'un- est embarrassé, qu'un autre cherche, et communiquez-vous le fruit de vos réflexions; quant à nous, nous garderons le silence. Car si ce que nous avons dit jusqu'ici ne vous a servi à rien, ce que nous pourrions ajouter serait encore plus inutile. En vérité, nous puisons dans un tonneau percé; mais votre punition n'en sera que plus terrible. Nous nous tairons donc. Il dépend de vous qu'il n'en soit pas ainsi. Si nous voyons en vous du zèle, peut-être reprendrons-nous la parole, afin que vous deveniez de plus en plus agréables à Dieu et que nous nous réjouissions en vous : glorifiant en tout Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire, la puissance, la grandeur et l'honneur, avec le Père, qui n'a pas de commencement, et son Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Traduit par M. l'abbé DEVOILE.
HOMÉLIE XX. OR, IL Y AVAIT A DAMAS UN DISCIPLE NOMMÉ ANANIE,
A QUI LE SEIGNEUR DIT , DANS UNE VISION " ANANIE ". ET IL RÉPONDIT
: " ME VOICI, SEIGNEUR ". LE SEIGNEUR LUI DIT : " LEVEZ-VOUS, ET VOUS EN
ALLEZ DANS LA RUE QU'ON APPELLE DROITE, CHERCHER DANS LA MAISON DE JUDAS
UN NOMMÉ SAUL DE TARSE, CAR IL Y EST EN PRIÈRES ". ET IL
A VU, DANS UNE VISION, UN HOMME NOMMÉ ANANIE, QUI ENTRAIT ET LUI
IMPOSAIT LES MAINS, AFIN QU'IL RECOUVRAT LA VUE. (VERS. 10, 11, 12, JUSQU'AU
VERS. 25.)
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ANALYSE. 1 et 2. Paul aveugle, à Damas, guéri par Ananie. — Zèle ardent de Paul; sa prudence et son courage.
3 et 4. Beau développement sur cette pensée : la grande accusation que le chrétien doit redouter, c'est d'avoir été inutile.
1. Pourquoi le Seigneur n'appelle-t-il, n'envoie-t-il aucun des principaux apôtres pour l'instruction de Paul? C'est qu'il ne fallait pas un homme pour amener Paul à la foi, il fallait le Christ lui-même. Ananie ne l'a pas enseigné, mais seulement baptisé. A peine baptisé, Paul s'attire la grâce de l'Esprit par l'ardeur de son zèle. Maintenant, qu'Avanie fut un personnage considérable, c'est ce qui est évident, et parce qui lui. est communiqué, et par la réponse qu'il oppose : " Seigneur, j'ai entendu dire à plusieurs, combien cet homme a fait de maux à vos saints, dans Jérusalem (13) ". S'il, a pu opposer, à Dieu, une pareille réponse, que n'aurait-il pas dit à un ange que Dieu lui aurait envoyé? Nous avons vu que Philippe ne fut pas averti de ce qui doit arriver; un ange se montre à lui; l'Esprit lui ordonne d'avancer, de s'approcher du chariot. Ici, l'Esprit fait plus; il rassure Ananie; il semble lui dire : C'est un homme qui est en prières, c'est un aveugle, et vous avez peur. Moïse aussi nous fait voir une peur semblable. Les paroles d'Avanie marquent plutôt la peur que le manque de foi. Ecoutez-les : " Seigneur, j'ai entendu dire à plusieurs, combien cet homme.... " Que dites-vous ? Dieu parle, et vous hésitez ! Ainsi, on ne connaissait pas encore la puissance du Christ. " Et même il est venu en cette ville, avec un pouvoir des princes des prêtres, pour emmener prisonniers tous ceux qui invoquent votre nom (14) ". D'où le savait-on ? Il faut croire que la terreur était générale, et l'on avait eu grand soin de courir aux informations. Ananie ne parle donc pas pour apprendre au Christ quelque chose, mais Ananie ne comprend pas, dans une pareille conjoncture, la possibilité de ce qu'on lui demande. C'est ainsi qu'ailleurs les disciples disent : " Qui peut être sauvé ? " (Marc, X, 26.) Mais voyez comme tout est disposé de manière à lui inspirer de la confiance. Un songe, une vision, une voix qui avertit : Il est en prières, dit le Seigneur, donc ne craignez rien. Et pourquoi ne lui annonce-t-il pas clairement la victoire remportée? C'est pour nous apprendre à ne pas publier nos triomphes, ou plutôt, c'est précisément parce que le Seigneur voyait la crainte d'Avanie. Et ce n'est pas pour Dieu une raison de lui dire : Il ne refusera pas de vous croire. Mais que lui dit-il? " Levez-vous, et vous en allez. Car il a vu, dans une vision, un homme qui lui imposait les mains. Dans une vision ", parce qu'il était aveugle. Et la grandeur du miracle n'a pas transporté le disciple, tant il avait peur ! C'est de lui pourtant que Dieu s'est servi pour rendre la vue à Paul devenu aveugle. Le Seigneur lui repartit : " Allez le trouver, parce que cet homme (90) m'est un vase d'élection pour porter mon nom devant les gentils, devant les rois, et devant les enfants d'Israël; car je lui montrerai combien il faudra qu'il souffre pour mon nom (15, 16) ". Non-seulement, ce sera un fidèle, dit le Seigneur, mais un docteur, et il parlera, en toute liberté, " devant les gentils et devant les rois ". Sa doctrine grandira au point de prévaloir sur toutes les nations et sur les rois. " Ananie s'en alla donc, et, étant entré dans la maison, il lui imposa les mains et lui dit . Saul, mon frère, le Seigneur m'a envoyé Jésus, qui vous est apparu dans le chemin par où vous veniez, afin que vous recouvriez la vue, et que vous soyez rempli du Saint-Esprit (17). Jésus ", dit-il, " qui vous est apparu dans le chemin ".
Certes, ce n'est pas le Christ qui lui a dit ces choses , mais l'Esprit. " Et aussitôt, il tomba de ses yeux comme des écailles, et il recouvra la vue; et s'étant levé, il fut baptisé (18). Ayant ensuite mangé, il reprit des forces (19) ". Il ne fit que lui imposer les mains, et aussitôt de ses yeux tombèrent les écailles. On a trouvé, dans ces écailles, la cause de cette cécité. Mais pourquoi le Seigneur ne lui enleva-t-il pas les yeux? Voici ce qu'il y eut de plus étrange : Saul, ayant les yeux ouverts, ne voyait point: il subit cette infirmité jusqu'à ce qu'il eut quitté la loi pour Jésus. " Et aussitôt ", dit le texte, " il fut baptisé. Ayant ensuite mangé, il reprit des for" ces". Il va sans dire qu'il était brisé par le voyage, par l'épouvante, par la faim, par le trouble de son coeur. Pour prolonger ce trouble, le Seigneur le laissa dans la cécité jusqu'à l'arrivée d'Avanie. Il ne fallait pas non plus qu'on prît cette cécité pour une imagination ; de là, les écailles. Ce qui est certain, c'est que Saul n'eut pas besoin d'autre enseignement; ce qui lui était arrivé lui tint lieu d'enseignement. " Et il demeura, durant quelques jours, avec les disciples qui étaient à Damas. Et il se mit aussitôt à prêcher Jésus dans les synagogues, assurant qu'il était le Fils de Dieu (20) ". Voyez, tout de suite il se met à enseigner dans les synagogues. Il ne rougit pas de son changement, il n'a pas peur de démentir ce qui l'a rendu fameux auparavant. Et non-seulement il enseigne, mais il enseigne dans les synagogues. Ainsi, il a commencé par donner la mort, il était prêt à commettre mille meurtres. Voyez-vous la puissance du signe qui l'a frappé? Par le même signe, Saul, à son tour, surprend tous les hommes. Ce que montre le texte, en ajoutant : " Tous ceux qui l'écoutaient étaient frappés d'étonnement, et ils disaient : N'est-ce pas là celui qui, persécutait avec tant d'ardeur, dans Jérusalem, ceux qui invoquaient ce nom , et qui est venu ici pour les emmener prisonniers aux princes des prêtres ? Mais Saul se fortifiait de plus en plus, et confondait les Juifs qui demeuraient à Damas, leur prouvant que Jésus était le Christ (21, 22) ". Dans sa connaissance de la loi, il leur fermait la bouche, il ne leur permettait pas de souffler le mot. Ils avaient cru se délivrer de tous les discours de ce genre en se délivrant d'Etienne, et ils retrouvaient un autre Etienne encore plus véhément.
2. Mais reprenons ce qui concerne la vision d'Avanie. Le Seigneur ne lui dit pas : Allez lui parler et l'instruire. Car si ces paroles: " Il est en prières, et il a vu un homme qui lui imposait les mains ", ne suffisaient pas pour persuader Ananie, à plus forte raison, les autres paroles eussent été peu convaincantes. " Il a vu ", dit le texte, " dans une vision " ; par conséquent il ne se défiera pas de vous; donc ne craignez rien, mettez-vous en route. C'est ainsi qu'il arrive à Philippe de ne pas tout comprendre au premier moment. " Parce qu'il m'est un vase d'élection ". Paroles qui ont pour but de dissiper la crainte, et d'inspirer la confiance; puisque ce persécuteur devait prendre les intérêts du Seigneur, au point de souffrir beaucoup de maux. L'expression, " C'est un vase ", montre que la perversité n'est pas naturelle en lui ; " d'élection " , montre qu'il a été trouvé bon, car on ne choisit que ce qui a été trouvé bon. La réponse d'Avanie ne prouve pas qu'il refuse de croire, ni qu'il pense que le Christ se soit trompé; rejetons ces pensées; mais Ananie effrayé , tremblant, n'a rien entendu de ce qu'on lui disait, du moment que le nom de Paul eut frappé son oreille ; telle fut son épouvante aussitôt qu'il eût entendu ce nom; et cependant, en apprenant la cécité dont le Seigneur l'avait frappé, Ananie devait se rassurer. " Et même il est venu en cette ville, dit-il, pour emmener prisonniers tous ceux qui invoquent votre nom ". C'est comme s'il disait J'ai peur qu'il n'aille, moi aussi, m'emmener à Jérusalem; voulez-vous me jeter dans la (91) gueule du lion ? Voulez-vous me livrer à lui ? Il a peur; et ce qu'il dit, c'est pour nous faire connaître, par tous les moyens, la vertu de Paul. Que les Juifs tiennent un pareil langage, il n'y a là rien de merveilleux; mais que ce soit Ananie qui parle ainsi et avec une telle épouvante, c'est la plus grande preuve de la puissance de Dieu.
" Saul, mon frère ". L'épouvante est grande; mais l'obéissance est plus grande encore, après l'épouvante. Le Seigneur avait dit : " C'est un vase d'élection"; on pouvait croire que Dieu agissait seul; pour corriger cette pensée , le texte ajoute : "Pour porter mon nom devant les gentils, devant les rois et devant les enfants d'Israël ". Ananie entend ici ce qui devait le plus réjouir son coeur ; le persécuteur allait donc se tourner contre les Juifs. Aussi ce n'est pas de la joie seulement, mais de la confiance qui remplit l'âme d'Ananie. " Car je lui montrerai ", dit le texte, " combien il faudra qu'il souffre pour mon nom ". Ces paroles révèlent l'avenir, et en même temps opèrent la persuasion : un jour , il souffrira tout, ce persécuteur si furieux, et Ananie ne veut pas le baptiser pour qu'il recouvre la vue; tant mieux, dit Ananie, laissez-le dans sa cécité; ce qui fait sa douceur aujourd'hui , c'est qu'il est aveugle. A quoi bon m'ordonner de lui ouvrir les yeux? pour, qu'il continue à nous emmener prisonniers? Eh bien ! non, ne redoutez pas l'avenir : quand ses yeux se rouvriront, ce n'est pas contre nous , mais pour nous, qu'il se servira de ses yeux; donc, " pour qu'il recouvre la vue ". Puis il ajoute: N'ayez pas peur, il ne vous fera aucun mal; au contraire, il souffrira un grand nombre de maux. Et ce qu'il y a d'étonnant, c'est qu'il souffrira d'abord ; et ensuite, il se précipitera dans les dangers. " Saul, mon frère, Jésus qui vous est apparu dans le chemin, m'a envoyé (47) ". Il ne lui dit pas : qui vous a aveuglé, mais " qui vous est apparu " ; langage plein de mesure, et qui n'a rien de présomptueux. Ainsi, de même que Pierre disait à propos du boiteux " Pourquoi nous regardez-vous comme si c'était par notre vertu ou par notre puissance, " que nous eussions fait marcher ce boiteux? " (Act. III, 12.) De même Ananie , en cette circonstance : " Jésus qui vous est apparu ". Il lui imposait les mains, en prononçant ces paroles, et la double cécité était guérie. Quant à cette observation, " ayant mangé, il reprit des forces "; c'est pour montrer l'affaiblissement de Saul, et par suite du chagrin que lui causait sa cécité, et par suite de la peur, et par suite de la faim. Car il ne voulut prendre de nourriture qu'après qu'il eût été baptisé, et gratifié ainsi des plus précieux dons. Et Ananie ne dit pas : Jésus le crucifié, le Fils de Dieu, celui qui fait des miracles; mais que lui dit-il? " Qui vous est apparu ". Il ne le désigne que parce que Saul connaît de lui; le Christ n'avait rien ajouté, n'avait pas dit : Je suis le crucifié, le ressuscité, mais : " Celui que vous persécutez ". Ananie ne lui dit pas : le persécuté, afin de ne pas prononcer des paroles de triomphe ni de sarcasme. " Qui vous est apparu ", dit-il, " dans le chemin ". Sans doute, il n'a pas été vu, mais ce qu'il a opéré, l'a fait voir. Et pour alléger ce qu'il y a de pénible dans ces paroles, vite Ananie ajoute : " Afin que vous recouvriez la vue, et que vous soyez rempli du Saint-Esprit ". Ainsi, il n'est pas venu pour le confondre à propos de ce qui est arrivé, mais pour lui apporter la grâce. Quant à moi, il me semble que Saul et que Corneille ont reçu le Saint-Esprit tout de suite après que ces paroles eurent été prononcées. Cependant celui qui le communiquait, n'était pas un des douze. Qu'importe ? il n'y avait, dans ces circonstances, rien qui appartînt à l'homme, rien qui se fît par l'énergie de l'homme. C'était Dieu qui était là, opérant tout. Et, en même temps, le Seigneur fait deux choses : il enseigne à Saul la modération de la sagesse, en ne le conduisant pas vers ceux qui reçurent les premiers le titre d'apôtres; de plus, le Seigneur montre qu'il n'y a, dans ce fait, rien d'humain. Ce qui n'empêche pas que Saul fût jugé digne de posséder l'Esprit qui donne des signes, afin que, par là encore, sa foi éclatât; car il ne fit pas de miracle. " Et aussitôt ", dit le texte, " il se mit à prêcher Jésus dans les synagogues, assurant qu'il est le Fils de Dieu ". Il ne prêchait pas le Christ ressuscité, le Christ -vivant; qu'annonçait-il donc? Il avait choisi avec une admirable précision son dogme, " que Jésus est le Fils de Dieu". Les infidèles refusent d'ajouter foi à ces paroles, quand ils auraient dû non-seulement y ajouter foi, mais les recevoir avec transport. Et pourquoi ne se bornent-ils pas à dire que c'était un persécuteur? pourquoi disent-ils qu'il exterminait ceux qui invoquent ce nom? Ils montraient (92) bien ainsi tout ce qu'il y avait d'insensé dans leur fureur; ils ne prononçaient pas le nom de Jésus; leur jalousie ne voulait pas entendre ce nom, tant ils étaient semblables à des bêtes fauves ! " Et même il est venu en cette ville pour ". Nous ne pouvons pas dire, dit le texte, qu'il fut d'abord avec les apôtres.
3. Voyez combien de témoignages pour montrer que Paul faisait partie des ennemis de la foi. Quant à lui, loin d'en rougir, au contraire, il s'en glorifiait. " Mais Saul se for" tifiait de plus en plus et confondait les Juifs (22) "; c'est-à-dire, leur fermait la bouche, ne leur permettait pas de souffler le mot; " leur prouvant que Jésus est le Christ ". Il instruisait, dit le texte, car il fut tout de suite docteur. " Longtemps après, les Juifs résolurent " ensemble de le faire mourir (23) ". Les Juifs reprennent l'argument toujours en vigueur chez eux, désormais ils ne cherchent plus sycophantes, accusateurs, faux témoins: ils n'en veulent plus. Que veulent-ils donc ? Désormais ils font eux-mêmes la besogne. Ils voyaient la doctrine se propager, ils ne veulent plus avoir recours à des jugements. " Mais Saul fut " averti du dessein qu'ils avaient formé contre " sa -vie; et comme ils faisaient bonne garde, " jour et nuit, aux portes, pour le tuer (24) ". Pourquoi ? c'est que Paul leur était plus insupportable que tous les miracles que l'on avait vus, que la conversion des cinq mille, que la conversion des trois mille. Et maintenant voyez-le sauvé, non par la grâce de Dieu, mais par l'habileté humaine; c'est pour vous faire connaître la vertu de l'homme qui brille même en l'absence de tout miracle, de son éclat propre. " Les disciples le prirent et le descendirent, durant la nuit, par la muraille, a dans une corbeille (25) ". Naturellement pour déjouer tous les soupçons. Eh bien, après, échappé à ce danger, renonce-t-il à sa mission? Nullement; il se retire, afin de mieux les attaquer; la sincérité de sa foi tenait encore en défiance un grand nombre de personnes. Voilà pourquoi cette fuite eut lieu longtemps après. Qu'est-ce à dire ? il est vraisemblable que Paul refusa longtemps de partir, malgré peut-être un grand nombre d'avertissements; mais, quand il sut le dessein formé contre lui, il permit à ses disciples d'agir; car il eut des disciples tout de suite.
C'est ce qu'il indiquait, en disant : " Celui qui était à Damas gouverneur de la province pour le roi Arétas, faisait faire la garde dans la ville des Damascéniens, afin de me prendre ". (II Cor. XI, 32.) Et, voyez : l'évangéliste ne dit rien avec exagération; il ne cherche pas la gloire de Paul ; il dit seulement que l'on excita le roi. Les disciples le firent donc partir seul, et personne avec lui. Ce qui s'explique, parce qu'il fallait qu'il allât se montrer aux apôtres à Jérusalem ; ou plutôt les disciples le firent partir de telle sorte que, dans la suite, c'était lui seul qui devait pourvoir à sa sûreté. Mais lui, bien loin d'y penser, fit tout le contraire, et aussitôt il s'élança au milieu des furieux. Voilà le zèle brûlant; voilà le comble de la ferveur. Et, voyez, sans discontinuer, dès le premier jour, comme il observe le précepte qu'entendirent les apôtres: " Celui qui ne prend pas sa croix, et ne me suit pas ". (Math. X, 38). Ce fait, qu'il venait après les autres, ne le rendait que plus ardent. Et sa conduite était l'application de cette parole : " Celui à qui on remet beaucoup, aimera davantage " .(Luc, VII, 47.) Aussi, plus il se fit attendre, plus il prouva son amour; condamnant ouvertement sa vie première, se reprenant à chaque instant à la flétrir, il ne croyait jamais avoir assez fait pour effacer ses premières actions. " Assurant " , dit le texte, c'est-à-dire, qu'il était plein de douceur dans son enseignement. Et, voyez, on ne lui dit pas: Toi qui désolais les fidèles, d'où vient que tu es changé? Ses ennemis rougissaient, et ne faisaient ces réflexions qu'en eux-mêmes; il , aurait pu leur dire avec beaucoup plus de raison : C'est vous surtout qu'il convient d'instruire, car c'est ainsi qu'il se défend auprès d'Agrippa.
Imitons-le, nous aussi, je vous en conjure, et soyons prêts à braver tous les dangers. plais pourquoi, dira-t-on, a-t-il pris la fuite? ce n'est pas par lâcheté; mais il voulait se conserver pour la prédication. S'il eût été lâche, il ne serait pas allé à Jérusalem ; il ne se serait pas aussitôt chargé de répandre la doctrine; il aurait modéré sa fougue. Non, il n'y avait en lui aucune lâcheté, mais il y avait de la prudence. Le meurtre d'Etienne l'avait instruit; aussi ne craignait-il pas de mourir pour la prédication, si toutefois sa mort était d'une grande utilité. C'était un homme qui ne voulait pas même voir le Christ, malgré l'ardent désir qu'il éprouvait de le voir, parce qu'il n'avait pas encore rempli sa tâche auprès des (93) hommes. Voilà ce que doit être l'âme d'un chrétien.
4. Dès le commencement, dès les premiers pas de sa course, le caractère de Paul se déclarait; disons mieux , même avant ce temps. Car, dans la conduite même qu'il tint avant de posséder la vraie science, il agissait conformément à la raison humaine. Si, après tant de temps, il n'éprouvait pas encore le désir de quitter la vie, à bien plus forte raison, au commencement de sa mission, quand il ne faisait que de sortir du port. Et maintenant le Christ ne l'arrache pas au danger, mais le laisse aller, parce qu'il est un grand nombre d'actions que le Seigneur tient à voir accomplir par la sagesse humaine. Autre raison encore de le laisser aller. C'est pour nous apprendre que les apôtres mêmes furent des hommes, et que ce n'est pas toujours, en toute occasion, la grâce seule qui opère; autrement, on aurait pu ne les prendre que pour des morceaux de bois. Voilà donc pourquoi ces hommes, en beaucoup de circonstances , administraient d'eux-mêmes. Faisons ainsi pour ce qui nous concerne, et sachons, de la même manière, prendre soin du salut de nos frères. Le martyre n'est pas plus glorieux que la force qui ne refuse aucune souffrance pour procurer le salut d'un grand nombre; rien ne réjouit tant le coeur de Dieu. Je veux redire ce que j'ai souvent dit; je le redirai pour exprimer mon vif désir: d'ailleurs, le Christ faisait de même quand il rappelait le devoir de pardonner : " Lorsque vous priez, remettez ce que vous pouvez avoir contre quelqu'un ". (Matth. V, 23.) Il dit encore à Pierre : " Je ne vous dis pas de pardonner jusqu'à sept fois, mais jusqu'à septante fois sept fois ". (Ibid. XVIII, 22.) Et en fait, il a pardonné lui-même le mal qu'on lui faisait; et c'est parce que nous savons que c'est là le but du christianisme, que nous revenons sans cesse sur ce sujet.
Non, rien n'est plus froid qu'un chrétien qui ne sauve pas ses
frères. Vous ne pouvez pas ici objecter la pauvreté; la femme
aux deux petites pièces de monnaie parlerait contre vous. Pierre
disait : " Je n'ai ni or ni argent ". (Act. III, 6.) Paul était
pauvre, à tel point que souvent il ressentit la faim et manqua de
la nourriture nécessaire. Vous ne pouvez pas objecter votre obscurité
: les apôtres étaient obscurs et sortis d'hommes obscurs.
Vous ne pouvez pas prétexter de votre ignorance dans-la littérature;
eux aussi étaient des hommes sans lettres. Et seriez-vous un esclave,
seriez-vous un esclave fugitif, vous pouvez toujours faire ce qui dépend
de vous. Tel était Onésime ; et voyez le nom que Paul lui
donne, à quelle dignité il l'élève : " Afin
", dit-il, " qu'il communique avec moi dans mes liens ". (Philém.
I, 10.) Vous ne pouvez pas objecter vos maladies ; car Timothée
aussi avait des maladies fréquentes ; écoutez la preuve qu'en
donne Paul : " Usez d'un peu de vin, à cause de votre estomac et
de vos fréquentes maladies ". (I Tim. V, 23.) Il n'est personne
qui ne puisse être utile au prochain, avec la volonté de faire
ce qui dépend de lui. Ne voyez-vous pas combien les arbres stériles
sont vigoureux, beaux, élancés, unis, élevés;
cependant, si nous avions un jardin, nous préférerions à
ces arbres des grenadiers, des oliviers couverts de fruits; car ces arbres
stériles sont pour le plaisir, non pour l'utilité; l'utilité
qu'ils peuvent avoir est mince; à eux ressemblent ceux qui ne considèrent
que leur intérêt propre; ou plutôt ils ne leur ressemblent
même pas, ils ne sont bons qu'à subir la vengeance. Ces arbres
stériles servent à construire des édifices, à
en consolider l'intérieur. Telles étaient ces vierges, chastes,
parées, pratiquant la continence, mais inutiles; aussi on les brûle.
Tels sont ceux qui n'ont pas nourri le Christ. Et maintenant, voyez : aucun
d'eux n'est accusé pour ses péchés, pour ses fornications,
pour ses parjures, pour rien; la grande accusation, c'est d'avoir été
inutile. Tel était celui qui enfouissait le talent; sa vie était
sans reproche, mais inutile. Comment, je vous le demande, un tel homme
peut-il être un chrétien ? Répondez-moi : si le ferment,
mêlé à la farine, ne transforme pas toute la pâte,
est-ce, à vrai dire, un ferment? Et encore, si un parfum n'embaume
pas ceux qui approchent, pouvons-nous l'appeler un parfum? Ne dites pas
qu'il vous est impossible d'agir sur les autres; si vous êtes chrétien,
ce qui est impossible, c'est que vous n'agissiez pas. Ce qui est dans la
nature n'admet pas de contradiction ; il en est de même de ce que
nous disons ici : Ce que nous demandons est dans la nature du chrétien;
n'outragez pas Dieu. Dire que le soleil ne peut pas briller, c'est outrager
le soleil; dire qu'un chrétien ne peut pas être utile, c'est
outrager Dieu et l'accuser de mensonge. Car il est plus facile pour le
soleil de (94) n'avoir ni chaleur ni clarté, que pour le chrétien
de n'avoir pas de lumière; il est plus facile à la lumière
de devenir les ténèbres, que de voir une telle contradiction.
Ne dites pas impossible ; l'impossible c'est le contraire. N'outragez pas
Dieu. Si nous disposons bien nos affaires, ce que je dis se fera comme
une conséquence naturelle; la lumière du chrétien
ne peut rester cachée ; on ne peut dérober aux regards cette
lampe brillante. Donc, pas de négligence. De même que la vertu
profite et à nous et à ceux à qui notre vertu est
utile, ainsi la malignité est doublement funeste et à nous
et à ceux que nous blessons. Supposez un ignorant, si vous voulez,
souffrant, de la part d'un ennemi, des maux sans nombre, et personne ne
le venge, et il répond à ses ennemis par des bienfaits .
quel enseignement, quelle parole , quelle exhortation ne serait pas au-dessous
de cette conduite ? Donc, pénétrés de ces vérités,
attachons-nous à la vertu, puisque c'est le seul moyen de conquérir
le salut, puisqu'il faut les bonnes oeuvres de la vie présente pour
entrer dans le partage des biens à venir, par la grâce et
par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui
appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la
force, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des
siècles. Ainsi soit-il.
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