.HOMÉLIES SUR LES ACTES DES APOTRES.
Tome VIII 557-595
HOMÉLIES SUR LES ACTES DES APOTRES. *
HOMÉLIE XL. PAUL, APRÈS ÊTRE DEMEURÉ UN GRAND NOMBRE DE JOURS AVEC LES FRÈRES, LEUR FIT SES ADIEUX, ET NAVIGUA POUR LA SYRIE. IL ÉTAIT ACCOMPAGNÉ PAR PRISCILLE ET AQUILA, S'ÉTANT FAIT COUPER LES CHEVEUX A CENCHRÉE, CAR IL AVAIT FAIT UN VOEU. (CHAP. XVIII, VERS. 8, JUSQU'AU VERS. 8 DU CHAP. XIX.) *
HOMÉLIE XLI. PAUL ENTRA DANS LA SYNAGOGUE, ET, PENDANT TROIS MOIS, IL Y PARLA AVEC LIBERTÉ, DISCOURANT SUR LE ROYAUME DE DIEU, ET PERSUADANT LES JUIFS. (CHAP. XIX, VERS. 8, JUSQU'AU VERS. 20.) *
HOMÉLIE XLII. APRÈS CES CHOSES, PAUL, PAR L'INSPIRATION DU SAINT-ESPRIT, RÉSOLUT D'ALLER A JÉRUSALEM ; EN PASSANT PAR L'ACHAÏE ET LA MACÉDOINE, IL DISAIT : " LORSQUE J'AURAI ÉTÉ LA IL FAUT QUE JE VOIE ROME". AYANT DONC ENVOYÉ EN MACÉDOINE DEUX D'ENTRE CEUX QUI LE SERVAIENT, TIMOTHÉE ET ÉRASTE: IL PASSA LUI-MÊME UN CERTAIN TEMPS EN ASIE. IL ARRIVA QUE PENDANT CE TEMPS IL Y EUT UN GRAND TROUBLE TOUCHANT LA VIE DU SEIGNEUR. (CHAP. XIX, VERS. 21-23, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE.) *
HOMÉLIE XLIII. LE TUMULTE APAISÉ, PAUL CONVOQUA LES DISCIPLES, ET LES AYANT SALUÉS, IL PARTIT POUR *
ALLER EN MACÉDOINE. (CHAP. XX, VERS. 1, JUSQU'AU VERS. 16.) *
HOMÉLIE XLIV. ÉTANT A MILET, PAUL ENVOYA A ÉPHÉSE ET CONVOQUA LES PRÊTRES DE CETTE ÉGLISE. LORSQU'ILS FURENT VENUS PRÉS DE LUI, IL LEUR DIT : " VOUS SAVEZ QUE DEPUIS LE PREMIER JOUR OU JE SUIS ENTRÉ EN ASIE, JE SUIS DEMEURÉ AVEC VOUS PENDANT TOUT LE TEMPS, SERVANT LE SEIGNEUR AVEC VOUS EN TOUTE HUMILITÉ, AVEC BEAUCOUP DE LARMES, ET AU MILIEU DE BEAUCOUP D'ÉPREUVES QUI NE SONT ARRIVÉES PAR LES EMBUCHES DES JUIFS; QUE JE N'AI RIEN NÉGLIGÉ DE CE QUI ÉTAIT NÉCESSAIRE POUR VOUS ANNONCER LA PAROLE ET VOUS INSTRUIRE EN PUBLIC ET EN PARTICULIER, PRÊCHANT AUX JUIFS ET AUX GENTILS LA PÉNITENCE ENVERS DIEU, ET LA FOI ENVERS NOTRE- *
SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST ". (CHAP. XX, 17-21, JUSQU'AU VERS. 31.) *
HOMÉLIE XLV. ET MAINTENANT, MES FRÈRES, JE VOUS RECOMMANDE A DIEU, ET AU VERRE DE SA GRACE, A CELUI QUI PEUT ACHEVER L'ÉDIFICE, ET VOUS DONNER LE DROIT D'HÉRITAGE PARMI TOUS LES SAINTS. (CHAP. XX, VERS. 32, JUSQU'AU VERS. 18 DU CHAP. XXI.) *
HOMÉLIE XLVI. LE JOUR SUIVANT PAUL ENTRAIT AVEC NOUS CHEZ JACQUES; TOUS LES PRÊTRES ÉTAIENT PRÉSENTS. LORSQU'IL LES EUT SALUÉS, IL LEUR RACONTA UNE A UNE LES CHOSES QUE DIEU AVAIT FAITES PARMI LES NATIONS PAR SON MINISTÈRE. (CHAP. XXI, 18, 19, JUSQU'AU VERSET 16. DU CHAP. XXII.) *
HOMÉLIE XLVII. PAUL DIT : " JE SUIS JUIF, NATIF DE TARSE EN CILICIE, CITOYEN DE CETTE VILLE. JE VOUS EN PRIE, PERMETTEZ-MOI DE PARLER *
AU PEUPLE ". LE TRIBUN LE LUI AYANT PERMIS, PAUL, SE TENANT DEBOUT SUR LES DEGRÉS, FIT SIGNE DE LA MAIN AU PEUPLE. UN GRAND SILENCE S'ÉTANT FAIT, IL PARLA EN HÉBREU, DISANT... (CHAP. XXI, VERS. 39 ET 40, JUSQU'AU VERS. 16 DU CHAP. XXII.) *
HOMÉLIE XLVIII. ÉTANT REVENU A JÉRUSALEM, PENDANT QUE JE PRIAIS DANS LE TEMPLE, IL ARRIVA QUE J'EUS UNE EXTASE, ET JE VIS JÉSUS QUI ME DISAIT: " HATE-TOI, SORS PROMPTEMENT DE JÉRUSALEM, CAR ILS NE RECEVRONT PAS TON TÉMOIGNAGE SUR MOI ", ET JE DIS : " SEIGNEUR, ILS SAVENT EUX-MÊMES QUE C'ÉTAIT MOI QUI METTAIS EN PRISON ET QUI FAISAIS FOUETTER DANS LES SYNAGOGUES CEUX QUI CROYAIENT EN VOUS, ET QUE, LORSQU'ON RÉPANDAIT LE SANG D'ÉTIENNE, VOTRE TÉMOIN, J'ÉTAIS PRÉSENT, ET QUE J'ÉTAIS CONSENTANT A SA MORT, ET QUE JE GARDAIS LES VÊTEMENTS DE CEUX QUI LE *
METTAIENT A MORT. " (CHAP. XXII, 17-20.) *
HOMÉLIE XLIX. OR, PAUL SACHANT QU'UNE PARTIE DE CEUX QUI ÉTAIENT LA ÉTAIENT SADUCÉENS, ET L'AUTRE PHARISIENS, IL S'ÉCRIA DANS L'ASSEMBLÉE : " MES FRÈRES, JE SUIS PHARISIEN ET FILS DE PHARISIEN; ET C'EST A CAUSE DE L'ESPÉRANCE D'UNE AUTRE VIE ET *
DE LA RÉSURRECTION QUE L'ON VEUT ME CONDAMNER ". PAUL AYANT PARLÉ DE LA SORTE, IL S'ÉLEVA UNE CONTESTATION ENTRE LES PHARISIENS ET LES SADUCÉENS , ET L'ASSEMBLÉE FUT DIVISÉE. CAR LES SADUCÉENS DISENT QU'IL N'Y A NI RÉSURRECTION, NI ANGE, NI ESPRIT; AU LIEU QUE LES PHARISIENS RECONNAISSENT L'UN ET L'AUTRE. (CHAP. XXIII, VERS. 6-8, JUSQU'AU VERS. 30.) *
HOMÉLIE L. LES SOLDATS DONC, POUR EXÉCUTER L'ORDRE QU'ILS AVAIÉNT REÇU, PRIRENT PAUL AVEC EUX, ET L'EMMENÈRENT LA NUIT A ANTIPATRIDE. ET LE LENDEMAIN, ILS S'EN RETOURNÈRENT A LA FORTERESSE, AYANT LAISSÉ LES CAVALIERS CONTINUER LEUR ROUTE AVEC LUI. CEUX-CI, ÉTANT ARRIVÉS A CÉSARÉE, RENDIRENT LA LETTRE AU PROCURATEUR, ET REMIRENT PAUL ENTRE SES MAINS. (CHAP. XXIII, VERS. 31-33, JUSQU'AU VERS. 21 DU CHAP. XXIV.) *
HOMÉLIE LI. OR FÉLIX, QUI CONNAISSAIT TRÈS-BIEN CETTE DOCTRINE, LES AJOURNA, DISANT : " LORSQUE LE TRIBUN LYSIAS SERA VENU, JE JUGERAI VOTRE AFFAIRE ". ET IL ORDONNA A UN CENTURION DE GARDER PAUL, MAIS EN LUI DONNANT PLUS DE LIBERTÉ, ET SANS EMPÊCHER QU'AUCUN DES SIENS LE SERVIT OU LE VISITAT. (CHAP. XXIV, 22-23, JUSQU'AU VERS. 22, DU CHAP. XXV.) *
HOMÉLIE LII. LE LENDEMAIN DONC, AGRIPPA ET, BÉRÉNICE VINRENT AVEC GRANDE POMPE, ET ETANT ENTRÉS DANS LA SALLE DES AUDIENCES AVEC LES TRIBUNS ET. LES PRINCIPAUX DE LA VILLE. PAUL FUT AMENÉ PAR LE COMMANDEMENT DE FESTUS. (CHAP. XIV, VERS. 23, JUSQU'AU VERS. 29 DU CHAP. XXVI.) . *
HOMÉLIE LIII. LE ROI, LE GOUVERNEUR, BÉRÉNICE, ET CEUX QUI ÉTAIENT ASSIS AVEC EUX, SE LEVÈRENT. ET S'ÉTANT RETIRÉS A PART, ILS PARLÉRENT ENSEMBLE ET DIRENT : " CET HOMME N'A RIEN FAIT QUI SOIT DIGNE DE LA MORT OU DE LA PRISON ". AGRIPPA DIT A FESTUS : " CET HOMME POUVAIT ÊTRE RENVOYÉ ABSOUS, S'IL N'EN EUT POINT APPELÉ A CÉSAR. " (CHAP. XXVI VERS. 30-32, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE XXVII.) *
HOMÉLIE LIV. ET LES BARBARES NOUS TRAITÈRENT AVEC BEAUCOUP DE BONTÉ, CAR ILS NOUS REÇURENT TOUS CHEZ EUX ET ILS ALLUMÈRENT UN GRAND FEU A CAUSÉ DE LA PLUIE ET DU FROID QU'IL FAISAIT, ALORS PAUL AYANT RAMASSÉ QUELQUES SARMENTS, ET LES AYANT MIS AU FEU, UNE VIPÈRE, QUE LA CHALEUR EN FIT SORTIR, LE PRIT A LA MAIN. (CHAP. XXVIII, VERS. 1-3, JUSQU'AU VERS. 16.) *
HOMÉLIE LV. TROIS JOURS APRÈS, PAUL PRIA LES PRINCIPAUX D'ENTRE LES JUIFS DE LE VENIR TROUVER; ET QUAND ILS FURENT VENUS, IL LEUR DIT : " MES FRÈRES, QUOIQUE JE N'EUSSE RIEN COMMIS CONTRE LE PEUPLE, NI CONTRE LES COUTUMES DE NOS PÈRES, J'AI ÉTÉ FAIT PRISONNIER A JÉRUSALEM, ET MIS ENTRE LES MAINS DES ROMAINS QUI, M'AYANT EXAMINÉ, ME VOULAIENT METTRE EN LIBERTÉ, PARCE QU'ILS NE ME TROUVAIENT COUPABLE D'AUCUN CRIME QUI MÉRITAT LA. MORT. MAIS LES JUIFS S'Y OPPOSANT. J'AI ÉTÉ CONTRAINT D'APPELER A CÉSAR, SANS QUE J'AIE DESSEIN NÉANMOINS D'ACCUSER EN AUCUNE CHOSE CEUX DE MA NATION. C’EST POUR CE *
SUJET QUE JE VOUS AI PRIÉS DE VENIR ICI, AFIN DE VOUS VOIR ET
DE VOUS PARLER ; CAR C'EST POUR L'ESPÉRANCE D'ISRAEL QUE JE SUIS
LIÉ DE CETTE CHAÎNE ". (CHAP. XXVIII, VERS. 17-20; JUSQU'A
LA FIN DU LIVRE DES ACTES.} *
HOMÉLIE XL. PAUL, APRÈS ÊTRE DEMEURÉ UN GRAND
NOMBRE DE JOURS AVEC LES FRÈRES, LEUR FIT SES ADIEUX, ET NAVIGUA
POUR LA SYRIE. IL ÉTAIT ACCOMPAGNÉ PAR PRISCILLE ET AQUILA,
S'ÉTANT FAIT COUPER LES CHEVEUX A CENCHRÉE, CAR IL AVAIT
FAIT UN VOEU. (CHAP. XVIII, VERS. 8, JUSQU'AU VERS. 8 DU CHAP. XIX.)
Traduit par M. HOUSEL.
ANALYSE. 1 et 2. Priscille et Aquila ; leur zèle. — Ils complètent l'instruction d'Apollon. — Zèle de ce disciple. — Divers voyages de saint Paul. — Saint Paul à Ephèse. — Différence entre le baptême de Jean et celui du Christ.
3 et 4. Exhortation à la charité, obstacles qui s'opposent à ce que la charité commence à exister; comment se forme la charité; sa force, ses effets.
1. Voyez comme la loi mosaïque n'est plus observée, et comme la conscience est désormais la règle des âmes ! C'était une coutume juive de se tondre la tête par suite d'un voeu. Le sacrifice qui n'avait pas été fait après que Sosthène avait été frappé, devait s'accomplir. Il fallait que Paul s'éloignât; c'est pourquoi il se hâte. Prié par les Ephésiens de rester avec eux, Paul n'accède pas à leur désir. Pourquoi va-t-il de nouveau à Antioche ?En effet: " Il monta à Jérusalem, et ayant salué l'Eglise, il descendit vers Antioche ". Il avait pour cette ville une sorte d'affection humaine. En effet, c'est là que les disciples avaient été qualifiés du nom de chrétiens, et l'apôtre livré à la grâce de Dieu; là qu'il avait achevé son instruction. Il navigua donc vers la Syrie, et laissa les autres à Ephèse pour y instruire les fidèles. Pendant le long séjour qu'ils avaient fait avec lui, ils avaient appris bien des choses, mais n'avaient pas encore cependant abandonné les pratiques judaïques. Une femme fait la même oeuvre que les hommes , elle enseigne. le pense que ce qui l'empêchait d'aller en Asie, (199) c'est que des affaires plus pressantes l'appelaient en Syrie. Remarquez que; prié de rester à Ephèse, il ne se rend pas à la demande qu'on lui fait, parce qu'il était nécessaire qu'il s'en allât. Il ne les quitte pas cependant sans leur promettre de revenir; apprenez de quelle manière. " Paul " , disent les Actes, " vint à Ephèse, et les y laissa. Pour lui, il entra dans la synagogue et discuta avec les Juifs. Comme ils lui demandaient de rester plus longtemps avec eux, il n'acquiesça pas à leur demande; mais il leur fit ses adieux, et leur dit : Il faut que j'aille passer la fête qui arrive, à Jérusalem; ensuite , si Dieu le veut, je reviendrai vers vous. Et il s'éloigna d'Ephèse , et partit pour Césarée. Lorsqu'il fut monté à Jérusalem et qu'il eut salué l'Eglise, il descendit vers Antioche. Il y passa un certain temps, et , lorsqu'il en fut parti , il traversa la Galatie et la Phrygie, en confirmant tous les disciples dans la foi (19-23) ". Remarquez qu'il visite tous les lieux où il est allé auparavant. " Un Juif, nommé Apollon, Alexandrin de naissance, homme éloquent et instruit dans les Ecritures, vint à Ephèse ". Voici que les hommes érudits entreprennent de prêcher, et les disciples voyagent. Voyez-vous comment se propage la prédication ? " Cet homme était instruit dans la voie du Seigneur , il parlait plein du feu de l'Esprit-Saint et enseignait exactement les choses du Seigneur, quoiqu'il ne connût que le baptême de Jean. Il commença à parler hardiment dans la synagogue; mais Aquila et "Priscille l'ayant entendu, s'emparèrent de lui et lui enseignèrent d'une manière plus exacte la voie du Seigneur (23-26) ". Si cet homme ne connaissait que le baptême de Jean, comment était-il enflammé du feu de l’Esprit-Saint? L'Esprit-Saint, en effet, n'était pas donné ainsi. Si ceux qui vinrent après lui eurent besoin du baptême du Christ, comment cet homme n'en eût-il pas eu besoin ? Qu'y a-t-il donc à dire ? Ce n'est pas sans raison que l’écrivain a marqué ces deux choses. Il me semble que cet Apollon était l'un des cent-vingt disciples qui furent baptisés avec les apôtres (Act. I, 15) ; ou bien, s'il n'en est pas ainsi, ce qui arriva à Corneille advint aussi pour lui. Mais ne fut-il baptisé qu'après qu'Aquila et Priscille l'eurent instruit plus exactement? Il me paraît certain qu'il avait dû être baptisé, puisque les douze apôtres ne connurent rien parfaitement, pas même ce qui concernait Jésus avant le baptême. Il est donc vraisemblable qu'il avait été baptisé. Du reste, si ceux qui avaient reçu le baptême de Jean se faisaient baptiser de nouveau, il convenait que les disciples le fissent aussi. " Apollon voulant passer en Achaïe, les frères qui l'y avaient engagé écrivirent aux disciples, et les supplièrent de le recevoir. Lorsqu'il y fut allé, il fut très-utile à ceux qui avaient cru par la grâce de Dieu. Il convainquait les Juifs en public avec grande force, et démontrait d'après les Ecritures que Jésus était le Christ. Il advint que, pendant qu'Apollon était à Corinthe, Paul, après avoir parcouru les hautes provinces, vint à Ephèse. Ayant rencontré plusieurs disciples, il leur dit : " Avez-vous reçu le Saint-Esprit après avoir cru? Ils lui répondirent : Nous n'avons pas même ouï dire qu'il y ait un Saint-Esprit. Il leur dit donc : En qui donc avez-vous été baptisés? Ils lui répondirent: Nous avons été baptisés du baptême de Jean. Paul leur dit : Jean a donné le baptême de la pénitence en disant au peuple de croire en Celui qui viendrait après lui, c'est-à-dire, en Jésus-Christ. " Lorsqu'ils l'eurent entendu, ils furent baptisés au nom du Seigneur Jésus; et Paul leur ayant imposé les mains, le Saint-Esprit descendit sur eux; et ils parlaient diverses langues et prophétisaient. Et ils étaient environ douze hommes (27; XIX, 7) ". Ceux-ci, qui ne savaient même pas si l'Esprit-Saint existait, étaient bien éloignés d'Apollon. Ceux qui lui ont expliqué plus complètement la voie du Seigneur, le poussent en avant et lui donnent des lettres pour les frères. " Lorsqu'il y fut allé, il fut très-utile à ceux qui avaient cru, car il convainquait fortement les Juifs en public, et démontrait d'après les Ecritures que Jésus était le Christ ". Par là Apollon montre combien il était savant dans les Ecritures. Il fermait vigoureusement la bouche aux Juifs, (c'est le sens du mot convainquait). Il augmentait la confiance de ceux qui avaient cru, et les faisait demeurer fidèles à la foi. " Il advint ", disent les Actes, " que Paul, après avoir parcouru les hautes provinces, arriva à Ephèse ". Ces provinces sont auprès de Césarée et au delà. " Et ayant rencontré quelques disciples, il leur dit : Avez-vous reçu le Saint-Esprit après avoir été baptisés? " Que ces hommes crussent en Jésus-Christ, cela (200) est évident par cette parole : " Disant qu'ils croient en Celui qui doit venir après lui ". Il ne dit pas : Le baptême de Jean n'est rien, mais : Il est imparfait. Il ne dit pas cela sans raison, mais pour les instruire et leur persuader de se faire baptiser au nom de Jésus-Christ: ce qu'ils firent; et ils reçurent le Saint-Esprit par l'imposition des mains de Paul. " Paul leur ayant imposé les mains, le Saint-Esprit vint en eux ". De sorte que ceux à qui il imposait les mains recevaient le Saint-Esprit. Il est vraisemblable qu'ils avaient le Saint-Esprit, mais sans qu'il se manifestât d'abord; il se montra ensuite par son action en leur faisant parler diverses langues.
2. Mais reprenons ce qui a été lu précédemment. " Paul s'embarqua pour la Syrie, ayant avec lui Priscille et Aquila ", qu'il laissa à Ephèse lorsqu'il y fut parvenu. Il les laissa à Ephèse, ou bien parce qu'il ne voulut pas leur faire partager la fatigue de ses voyages, ou bien parce qu'il voulait qu'ils demeurassent à Ephèse pour -y enseigner. lis habitèrent ensuite Corinthe : on le voit par le témoignage si honorable que Paul leur rend. Il les salue aussi dans son épître aux Romains : j'en conclus qu'ils allèrent ensuite à Rome, comme pour revoir, cette ville qu'ils avaient quittée par l'ordre de Néron. " Et après être descendu vers Césarée, il monta à Jérusalem , et lorsqu'il eut salué l'Eglise , il alla à Antioche. Il y séjourna un certain temps, et en partit pour parcourir la Galatie et la Phrygie ". Il me semble que les fidèles s'étaient rassemblés là, car les apôtres ne se séparaient pas d'eux si promptement. Voyez comment il les presse. Il parcourt de nouveau ces contrées afin de fortifier les disciples par sa présence. " Un Juif, nommé Apollon ", disent les Actes, " savant dans les Ecritures, vint à Ephèse ". C'était un homme zélé, c'est pour cela qu'il voyageait. " Celui-ci étant venu en Achaïe convainquait avec force les Juifs en public ". C'est de lui que parle Paul lorsqu'il écrit : " Touchant notre frère Apollon ". (I Cor. XVI, 42.) Qu'il les confondît en public, cela montrait sa confiance ; qu'il le fît avec vigueur, cela prouve son talent ; par les saintes Ecritures , cela témoigne en faveur de sa science. La confiance ne peut rien par elle-même sans le talent de la parole, ni le talent de la parole sans la confiance. Ce n'est donc pas en vain que Paul laissa Aquila à Ephèse : l’Esprit-Saint en disposa ainsi à cause d'Apollon, pour que cet homme fût plus fort pour Corinthe. Et pourquoi donc les Juifs ne firent-ils rien contre cet homme et se révoltèrent-ils contre Paul? Ils savaient que Paul était le Coryphée, ou bien que son nom était célèbre. " Aquila et Priscille le prirent chez eux , et l'instruisirent plus exactement sur les voies de Dieu ". Voyez comme ils agissent avec foi , et non par envie et malveillance. Aquila était instruit, mais il était plutôt instruit lui-même. Comme ils avaient fait un long séjour avec Paul, ils avaient été assez instruits pour pouvoir enseigner les autres. " Comme il voulait passer en Achaïe , ceux qui l'exhortaient écrivirent aux disciples " de le recevoir. L'auteur explique la raison pour laquelle ils écrivent: c'est " afin qu'on le reçoive ".
Comment est-il prouvé que ces habitants d'Ephèse avaient reçu le baptême de Jean? De ce qu'à l'interrogation : " Au nom de qui avez-vous été baptisés? " ils répondent ; " Nous avons été baptisés du baptême de Jean". Peut-être étaient-ils allés à Jérusalem dans ce temps; ils étaient sortis vers Jean, et s'étaient fait baptiser; mais, bien que baptisés, ils ne connaissaient pas Jésus. Il ne leur dit pas Croyez-vous en Jésus? mais bien : " Avez-vous reçu le Saint-Esprit? " Il savait qu'ils ne l’avaient pas reçu : Paul veut qu'ils le disent, afin que, sachant ce qui leur manquait, ils le demandassent. " Et Paul leur ayant imposé les mains, l'Esprit-Saint vint sur eux, et ils parlaient diverses langues et prophétisaient". En vertu même du baptême, ils prophétisent. Le baptême de Jean n'avait pas ce privilège, et c'est pour cela qu'il était imparfait. Pour qu'ils soient dignes de ces grâces, Paul les prépare d'avance. C'est pour cela que Jean, lorsqu'il baptisait, voulait qu'on crût en celui qui viendrait après lui. Par là est démontré un grand dogme, à savoir : que ceux qui sont baptisés sont purifiés totalement de leurs péchés. En effet, s'ils n'étaient pas purifiés, ils ne recevraient pas le Saint-Esprit, et ne seraient pas aussitôt dignes de ces grâces. Remarquez que la grâce était double : grâce de parler diverses langues, grâce de prophétiser. C'est donc avec raison que Paul leur dit que le baptême de Jean fut un baptême de pénitence et non de pardon, pour les élever plus haut, et leur persuader que le baptême était dénué de ce don; car le pardon était l'effet du baptême donné en (201) second lieu. Comment ceux-qui reçurent le Saint-Esprit n'enseignaient-ils pas , tandis qu'Apollon qui ne l'avait pas encore reçu enseignait? Parce qu'ils n'étaient ni si fervents, ni si instruits, et que celui-ci était très-instruit et brûlant de zèle. Il me semble que cet homme avait une grande liberté de parole. Cependant s'il parlait exactement de Jésus, il avait besoin d'une instruction plus soignée. Ainsi, bien qu'il ne sût pas toute chose, il attirait l'Esprit-Saint par sa ferveur, comme il arriva à Cornélius. Beaucoup peut-être regrettent le baptême de Jean et voudraient qu'il fût encore donné; mais beaucoup négligeraient de mener une vie vertueuse, ou bien chacun s'imaginerait de rechercher la vertu à cause de ce baptême, et non à cause du royaume des cieux. D'ailleurs il y aurait de nombreux faux prophètes; les hommes d'une vertu éprouvée ne brilleraient guère, et on n'appellerait non plus guère bienheureux ceux qui auraient reçu simplement la foi. De même donc que "Bienheureux sont ceux qui ont cru sans avoir vu ", bienheureux sont aussi ceux qui croient sans prodiges. Dites-moi, en effet, n'était-ce pas un reproche. que le Christ faisait aux Juifs, lorsqu'il disait : " Si vous ne voyez des miracles, vous ne croyez point ". (Jean, XX, 29.) Nous ne souffririons pas de l'absence des miracles si nous voulions regarder nos avantages actuels. Nous possédons la source de tous les biens par le baptême. Nous avons reçu le pardon de nos péchés, la sanctification, la participation de l'Esprit-Saint, l'adoption, la vie éternelle. Que voulez-vous de plus? Des prodiges ? Ils ont cessé. Vous avez la foi , l'espérance, la charité qui demeurent; cherchez ces choses, elles sont plus grandes que les prodiges. Rien de comparable à la charité : " La charité est la plus grande de toutes les vertus" (I Cor. XIII, 13) , dit l'Ecriture. Mais de nos jours la charité périclite, le nom seul en reste, mais la chose n'est nulle part , nous sommes divisés entre nous.
3. Que faire donc pour que nous soyons unis? Réprimander est facile, mais ce n'est là que la moitié de l'oeuvre. Il faut donc montrer comment se forme l'amitié ; il faut nous appliquer à rejoindre les membres désunis. Il n'y a pas seulement à chercher si nous avons une même église, un même dogme; mais, ce qui est grave, c'est que nous soyons en communion pour toute autre chose et que nous n'y soyons pas dans les choses nécessaires; que nous soyons en paix avec tous, et que sous d'autres rapports nous soyons en dissentiment. Ne considérez pas que nous n'excitons pas de luttes journalières, mais bien que nous n'avons plus une charité sincère et stable. Il est besoin d'huile et de ligaments. Pensons que la charité est la marque distinctive des disciples du Christ, que sans elle tout le reste n'est rien, et que la charité est chose facile si nous le voulons. Certes, dit-on, nous savons cela, mais comment s'y prendre pour y arriver? Comment faire pour que cela soit ? Comment s'y prendre pour nous aimer les uns les autres? Commençons par détruire ce qui détruit la charité, et nous l'établirons ensuite. Que personne n'ait souvenir des injures , que nul ne soit jaloux, que nul ne se réjouisse du mal. Voilà les obstacles de la charité. Ce qui la fait naître est tout autre. Il ne suffit pas de montrer quels sont les obstacles à enlever; il faut encore montrer ce qui la fait vivre. Sirach dit bien ce qui détruit la charité, mais non ce qui la concilie, et il indique les injures , la révélation d'un secret confié , et le mal fait par ruse. (Eccli. XXII, 27.) Mais ces choses convenaient aux Juifs charnels. Loin de nous de pareilles choses; nous ne vous conduisons pas par ces moyens, mais par d'autres: Rien ne nous 'est utile sans la charité. Ayez mille biens, qu'en revient-il? Ayez la richesse, soyez dans les délices et sans amis, quel gain en tirerez-vous? Rien même dans les biens de la vie n'est plus beau que la charité; de même que rien n'est plus nuisible que l'inimitié : " La charité couvre la multitude des péchés " (I Pier. IV, 8), l'inimitié soupçonne même ce qui n'est pas. Il ne suffit pas de n'être pas ennemi, mais il faut aimer. Pensez que le Christ l'a ordonné et cela suffit. La persécution forme les amitiés et les noue. Mais, direz-vous, que faire maintenant qu'il n'y a pas de persécution ? Comment s'y prendre pour devenir amis? n'avez-vous pas d'autres amis, dites -moi? Comment êtes-vous leurs amis? Comment persévérez-vous dans leur amitié? Que personne, en attendant, n'ait d'ennemi, c'est déjà, beaucoup; que personne ne porte envie; quand on n'est pas envieux, on n'accuse personne. Nous habitons tous une même terre, nous nous nourrissons des mêmes fruits. Mais tout cela est peu de chose; (202) nous jouissons des mêmes mystères et de la même nourriture spirituelle. Certes, ce sont là les droits de l'amitié. Mais l'affection chaleureuse, qui nous la donnera? dit-on. Qu'est-ce qui fait l'amour des corps, la beauté du corps? Formons-nous donc de belles âmes, et nous serons amoureux les uns des autres; car il ne suffit pas d'aimer, il faut encore être aimé. Obtenons d'abord d'être aimés, et l'autre sera facile. Comment nous ferons-nous aimer? Soyons beaux, et agissons de telle sorte que nous ayons toujours des amants. Que personne ne travaille autant à acquérir des biens, des serviteurs et des maisons-, qu'à se faire aimer, qu'à acquérir une bonne réputation. " La bonne renommée est meilleure que d'a" bordantes richesses ". (Prov. XXII, 1.) L'une demeure, les autres périssent; on peut s'approprier l'une, les autres sont impossibles à garder. Celui qui a une mauvaise réputation, s'en débarrassera difficilement; le pauvre sera vite riche par sa bonne renommée. Que quelqu'un ait dix mille talents, et un autre cent amis, celui-ci est plus riche que le premier. N'agissons pas sans réflexion, mais bien comme pour acquérir une certaine opulence. Comment le pourrons-nous? dit-on. " La gorge douce et la langue gracieuse multiplient les amis ". (Eccli. VI, 5.) Ayons donc une bouche qui parle comme il convient et des moeurs pures. Celui qui est ainsi fait ne saurait rester inconnu.
4. Voyez combien les païens avaient imaginé de liens d'amitié : l'adoption, le voisinage, la parenté. Mais les nôtres sont plus grands que ceux-là; cette table est plus digne de vénération. Beaucoup s'en approchent qui ne se connaissent même pas les uns les autres; c'est la multitude qui en est cause, direz-vous. Nullement, mais notre négligence. Ils étaient trois mille et cinq mille les premiers fidèles, et tous ils n'avaient qu'une âme; maintenant chacun méconnaît son frère, et ne rougit pas de prétexter la foule. Celui qui a de nombreux amis, est invincible à tous, est plus fort que tout tyran. Les gardes de celui-ci ne veillent pas si bien sur lui, que ses amis ne gardent l'autre, et le premier est plus honoré que le second. En effet, le tyran est gardé par ses esclaves, l'autre par ses égaux; le tyran par des gens qui y sont forcés et le craignent; l'autre par des gens qui veillent sur lui de bonne volonté et sans crainte; et on peut voir une chose admirable, beaucoup en un seul, et un seul en beaucoup. Et de même que dans une lyre il y a divers sons et une seule symphonie, et un seul musicien qui pince les cordes de la lyre; ainsi dans ce cas: la lyre est la charité, les sons qui retentissent, les paroles d'amour proférées par charité, formant une seule et même harmonie, une seule symphonie; le musicien est la vertu de la charité qui produit la douce mélodie. Je voudrais vous conduire dans une semblable cité, s'il était possible, où il y aurait une.seule âme, et où il se ferait une symphonie mieux accordée que celle de n'importe quelle lyre et de n'importe quel musicien, une symphonie qui ne laisse entendre aucun son discordant. Cette mélodie charme les anges et le Seigneur des anges, c'est elle qui anime le théâtre tout entier dans le ciel, retient la colère du démon, calme les élans de la passion. Cette mélodie ne charme pas seulement les passions, mais elle ne leur permet pas même de s'éveiller, et les réduit à un silence absolu: De même que dans un théâtre tous écoutent en silence le choeur des musiciens, et qu'on n'entend aucun bruit; ainsi parmi les amis, quand la charité s'exerce, toutes les passions s'apaisent et se calment comme des bêtes sauvages qu'on a charmées et fascinées; au sein des inimitiés, c'est tout le contraire. Mais nous ne dirons rien présentement de l'inimitié, nous ne parlerons que de l'amitié. S'il vous échappe une parole téméraire, personne ne se lève pour vous reprendre, mais tous vous pardonnent. Si vous avez mal agi, personne ne vous soupçonne, on a une grande indulgence; tous tendent la main bien vite à celui qui tombe, tous ont à coeur qu'il se relève.
L'amitié est véritablement un mur inébranlable
que ne peuvent prendre ni le démon, ni à plus forte raison
les hommes. Il ne se peut que celui qui a de nombreux amis tombe dans le
danger. Il n'a aucune occasion de colère, tout l'entretient dans
la paix. Il est toujours dans la joie et le contentement; l'envie n'a pas
de . prise sur lui,, le souvenir des injures ne saurait trouver place dans
son coeur. Voyez comme cet homme mène avec facilité ses affaires
temporelles et spirituelles. Qu'est-ce donc qui peut lui être comparé?
Il est comme une ville toute environnée de murailles; tout autre
est comme une cité sans murs. C'est le fait d'une grande sagesse
de pouvoir créer (203) l'amitié. Détruisez l'amitié,
et vous aurez tout détruit, vous aurez tout confondu. Si l'image
de la charité a tant de puissance, quelle force n'aura pas la vérité
elle-même ? Préparons-nous donc des amis, je vous en prie,
que chacun s'applique à cet art. — Mais voici, dites-vous, que je
m'y applique, mais celui-ci ne s'y applique pas. — Il y aura pour vous
une plus grande récompense. — Oui, dites-vous, mais la chose est
plus difficile. — Comment, dites-moi? Voici que je vous atteste que si
vous vous adjoignez seulement dix amis, et que si vous faites cette oeuvre
comme les apôtres ont fait celle de la prédication, les prophètes
celle de l'enseignement, la récompense sera grande. Préparons-nous
des images royales, c'est là la marque distinctive des disciples.
Comment négligeons-nous de faire une oeuvre qui est plus grande
que de ressusciter les morts? Le diadème et la pourpre désignent
le roi, et quoiqu'on ait des vêtements d'or, si l'on n'a pas la pourpre,
le roi ne se montre pas encore. Ainsi, dans le cas présent, prenez
cette marque, et vous vous ferez des amis à vous-même et aux
autres. Nul ne voudrait haïr étant aimé lui-même.
Apprenons quelles sont les couleurs à mélanger pour parvenir
à former cette image; soyons affables, allons au-devant des amis.
Ne dites pas : Si je vois quelqu'un en retard avec moi, je deviens plus
méchant que lui; mais lorsque vous voyez quelqu'un en retard avec
vous, allez au-devant et faites cesser sa froideur. Vous le voyez souffrir
et vous aggravez son mal? Appliquons-nous surtout à nous prévenir
mutuellement par des témoignages d'honneur. (Rom. XII, 10.) Ne pensez
pas que ce soit se rabaisser soi-même que de tenir les autres pour
supérieurs à nous. Si vous prévenez cet homme par
l'honneur que vous lui rendez, vous vous honorez bien plus encore vous-même
, à cause de l'honneur que vous vous attirez. Cédons partout
aux autres les premières places. N'ayons aucun souvenir du mal qu'on
nous a fait, ne nous souvenons que du bien. Rien ne rend si cher qu'un
langage gracieux, des paroles bienséantes, un esprit sans morgue,
méprisant la gloriole et les honneurs. Si nous agissons ainsi, nous
serons inaccessibles aux embûches du diable, et, après avoir
suivi avec exactitude les sentiers de la vertu, nous pourrons jouir des
biens promis à ceux qui aiment, par la grâce et la bonté
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui appartient gloire, puissance,
honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans
les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XLI. PAUL ENTRA DANS LA SYNAGOGUE, ET, PENDANT TROIS
MOIS, IL Y PARLA AVEC LIBERTÉ, DISCOURANT SUR LE ROYAUME DE DIEU,
ET PERSUADANT LES JUIFS. (CHAP. XIX, VERS. 8, JUSQU'AU VERS. 20.)
204
ANALYSE. 1-3. Saint Paul à Ephèse ; son zèle, ses miracles. — Punition des exorcistes juifs. — Examen de la manière d'agir du démon contre les fils de Scéva. — Puissance du démon contre les incrédules. — Les grands exemples servent peu de temps, à cause de la malice des hommes. — Puissance du nom de Jésus, Sauveur du monde. — Des possédés du démon, et des grâces que leur procure leur état.
4 et 5. Du péché et des maux qu'il cause à l'homme. — De la colère et de la rancune. — Maux qu'elles produisent, nécessité d'en triompher.
1. Voyez que Paul entre dans les synagogues partout où il va, c'est toujours par là qu'il débute. En effet, partout il voulait prendre chez les Juifs son point d'appui, comme je l'ai déjà dit. Du reste, déjà les nations remplies de ferveur le recevaient avec empressement , et les Juifs faisaient pénitence en voyant les gentils recevoir la foi. Il voulait trouver chez les Juifs quelques disciples, les séparer de leur nation et en faire un peuple à part. Il disputait assidûment avec eux, parce qu'il les persuadait. Parce qu'il est dit qu'il parlait avec liberté, ne croyez pas que cela veuille dire avec rudesse. " Comme plusieurs s'endurcissaient et ne voulaient pas croire, et parlaient en mal de la voie du Seigneur devant le peuple, il s'éloigna d'eux, et emmena ses disciples, et chaque jour il parlait dans l'école d'un certain Tyrannus. Cela eut lieu, pendant deux ales, si bien que tous les habitants de l'Asie, " Juifs et gentils, entendirent la parole du Seigneur Jésus ". On appelait avec raison la prédication une voie. Car c'était véritablement la route qui conduit au royaume des cieux. " Il disputait ", dit l’auteur, "dans l'école d'un certain Tyrannus. Et cela eut lieu pendant a deux ans, si bien que tous, Juifs et gentils, entendirent la parole du Seigneur Jésus". Voyez-vous combien fut utile l'assiduité de Paul? Les Juifs et les Grecs entendirent la parole. " Et Dieu faisait par les mains de Paul des prodiges plus qu'ordinaires; au point que l'on mettait sur les malades les mouchoirs et les linges qui avaient touché son corps, et les maladies les abandonnaient, et les esprits mauvais sortaient de leurs corps (9, 12) ". Non-seulement ceux qui les portaient les touchaient, mais ceux qui les recevaient se les appliquaient. C'est pourquoi le Christ, observant ces circonstances, ne permit pas, à ce que je crois, qu'il allât en Asie. " Quelques-uns des exorcistes juifs qui parcouraient le pays, essayèrent d'invoquer sur ceux qui étaient possédés des esprits mauvais le nom du Seigneur Jésus, en disant : Nous vous adjurons par le Jésus que prêche Paul ". Voyez : ils ne voulaient .pas croire en Jésus-Christ, et ils voulaient chasser les démons en son nom. Oh! combien était grand le nom de Paul. " Il y avait sept fils de Scéva, prince des prêtres, qui faisaient cela ". Mais l'esprit mauvais leur répondit et leur dit : " Je connais Jésus, et je sais qui est Paul, mais vous, qui êtes-vous ? Et l'homme en qui était l'esprit mauvais sauta sur eux, et s'étant rendu maître d'eux, les maltraita si fort qu'ils s'enfuirent de cette maison nus et blessés. Ce fait fut connu de tous les Juifs et des grecs qui habitaient Ephèse ". Ils agissaient ainsi en secret, et ensuite leur faiblesse fut divulguée. " Et la crainte s'empara de tous ceux-là, et le nom du Seigneur Jésus fut glorifié. Et un (205) grand nombre de ceux qui avaient cru, venaient, et ils confessaient et révélaient leurs actions ". Puisqu'ils avaient assez de puissance pour pouvoir faire de telles choses par les démons, c'est avec raison que tout se passe ainsi. " Beaucoup d'entre ceux qui avaient pratiqué la magie prirent leurs livres, et les brûlèrent en présence de tous; on supputa le prix de ces livres, et on trouva une somme de cinquante mille deniers d'argent; ainsi la parole de Dieu s'accroissait et se fortifiait (13, 20) ".Voyant qu'ils leur seront désormais inutiles, ils brûlent leurs livres. Quelquefois les démons eux-mêmes en agissent ainsi. Le nom ne sert donc à rien, s'il n'est prononcé avec foi. Le Christ a donc dit avec raison : " Celui qui croit en moi fera des choses plus grandes " (Jean, XIV, 12) ; et il faisait allusion à ces miracles. Voyez par là comment ils ont tourné leurs armes contre eux-mêmes. " Et il parlait ", dit l'auteur, " dans l'école d'un certain Tyran, pendant deux années ". Là, il y avait des hommes fidèles et très-fidèles. Ces Juifs croyaient si peu à la puissance de Jésus, qu'ils ajoutaient le nom de Paul, aimant mieux croire à la grandeur de Paul qu'à celle de son maître. On peut admirer ici que le démon ne voulut pas se prêter à la fourberie des exorcistes; qu'il les confondit et révéla leur comédie. Il me semble qu'il fut enflammé de colère, comme le serait quelqu'un qui, exposé aux derniers périls, se verrait poussé à bout par quelque misérable, et voudrait décharger sur lui toute sa colère. Pour ne pas sembler mépriser le nom de Jésus, il lé confessa d'abord, et reprit ensuite sa puissance. Il est évident que ce n'est pas l'impuissance du nom de Jésus, mais bien la fraude de ces hommes; autrement, comment expliquer que rien de semblable n'arriva à Paul? Et l'homme sautant sur eux ", dit l'auteur. Peut-être déchira-t-il leurs vêtements, et leur serra-t-il la tête; c'est ce qu'indique le mot : " Sautant sur eux"; c'est-à-dire, les attaquant avec une violence capable de les maltraiter de la sorte. Que signifie: " S'éloignant d'eux, il emmena "ses disciples? " Qu'il coupa court à leurs mauvais propos. Paul agit ainsi et s'en va parce qu'il ne voulait pas enflammer leur envie, ni amener une dispute plus grave. Le mot, " il parlait avec liberté ", signifie qu'il était préparé au danger, et qu'il enseignait clairement et sans voiler les dogmes. Par là, nous apprenons que nous ne devons pas nous mêler aux médisants, mais les fuir. Offensé en paroles par les Juifs, il ne leur rendit pas offense pour offense; au contraire, il redoublait de zèle pour la prédication, et se conciliait de nombreux adhérents; précisément, par cette raison que, bien qu'il entendît leurs mauvais propos, il ne s'en allait pas et ne se séparait pas d'eux. Remarquez que lorsque l'épreuve a cessé de la part des gens qui sont en dehors de l'Eglise, elle commence de la part des démons.
Voyez-vous l'aveuglement des Juifs ? Ils voyaient les vêtements de Paul accomplir des prodiges, ils n'y faisaient pas attention. Quel plus grand miracle pourrait-on voir? Mais au lieu de tourner à leur salut, il tourne à leur perte. Si quelque grec est incrédule, quil croie en voyant l'ombre de Paul faisant ces prodiges. Ainsi, parce que Paul s'éloigne d'eux, les médisants et ceux qui calomniaient la foi (il l'appelle la voie) sont vaincus. Il s'éloigne pour que les disciples ne se retirent pas, et pour -ne pas exciter les Juifs à la colère, et il montre qu'ils fuient le salut par tous les moyens. Du reste, il ne se disculpe pas devant eux et ne leur montre pas la foi partout embrassée par les gentils. Et il discourt, non pas dans n'importe quel lieu, mais dans une école, parce que l'endroit est plus commode pour se rassembler.
2. Oh ! combien est grande la vertu de ceux qui croient ! Combien est grand l'aveuglement de ceux qui demeurent dans l'incrédulité, même après la manifestation de la vertu divine ! Simon demandait par esprit de lucre la grâce du Saint-Esprit, et ceux-ci agissaient de même pour la même raison. Quel aveuglement ! Et pourquoi Paul ne leur fait-il pas de reproches? Parce que ses reproches eussent semblé dictés par l'envie. Telle est la raison de sa conduite en cette occasion. La même chose aussi au Christ; mais alors on n'empêchait rien (c'était le commencement de l'Evangile) : Judas volait et n'était pas réprimé. Ananie et Saphire furent frappés de mort. Beaucoup de Juifs, qui faisaient opposition à Jésus-Christ ne souffrirent aucun châtiment, et Elymas fut frappé de cécité. " Je ne suis pas venu ", dit le Christ, " pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé ". (Jean, III, 37.) Voyez quelle scélératesse ! Des Juifs qui demeuraient encore dans le judaïsme (206) voulaient trafiquer de ce nom divin. Ainsi ils faisaient tout par vaine gloire et en vue du gain. Considérez que partout les hommes se convertissent moins par les événements heureux que par les événements terribles. A propos du châtiment de Saphire , l'épouvante tomba sur l'Eglise, et les autres n'osaient se joindre à eux. Ici, ils prenaient les mouchoirs et les linges de Paul, et ils étaient guéris, mais ce n'est qu'après le châtiment infligé aux exorcistes qu'ils viennent confesser leurs fautes. De ce que le démon saute sur les Juifs, il est prouvé que la puissance du démon est grande lorsqu'elle s'exerce contre les infidèles. Pourquoi l'esprit mauvais ne dit-il pas : Qu'est-ce que Jésus? Pourquoi prononce-t-il des paroles inutiles pour lui? Il craignait lui-même le châtiment; il savait que c'était ce nom qui lui donnait la faculté de se venger des insulteurs. Pourquoi ces misérables ne lui dirent-ils pas : Nous croyons ? lis redoutaient Paul. Cependant, combien n'eût-il pas été plus glorieux pour eux de le dire, si par là ils s'étaient approprié la puissance de Jésus ? D'ailleurs, ce qui était arrivé à Philippes les rendit sages. Considérez la modération de l'auteur; il écrit simplement l'histoire, et n'accuse pas. La sincérité des apôtres est admirable. Saint Luc rapporte de qui ces exorcistes étaient fils, leur nom, leur nombre , donnant ainsi à ceux qui vivaient alors un signe certain de la vérité de ce qu'il raconte. Pourquoi donc ces Juifs voyageaient-ils? Pour gagner de l'argent, mais non pour annoncer la parole. Comment l'auraient-ils fait? Ils avaient raison de voyager, ensuite ce qui leur était arrivé faisait d'eux des prédicateurs involontaires. C'est ce que l'auteur donne à entendre en disant : " Cela fut connu de tous les Juifs et des Grecs habitants d'Ephèse " . Ce fait étrange ne devait-il pas convertir les endurcis, dites-moi? Mais il ne les convertit pas. Et qu'on ne s'en étonne pas, rien ne persuade la méchanceté. Permettez-moi de vous montrer quelle fut la malice des exorcistes.- Pourquoi cela n'arriva pas sous le Christ, ce n'est pas le moment de traiter cette question ; disons seulement que ce fait ne se produit qu'au temps où il pouvait se produire utilement. Je soupçonne que ces exorcistes agissaient ainsi pour se moquer ; c'est pourquoi ils sont châtiés, pour que personne désormais n'ose prononcer ce nom témérairement. Cet événement amena beaucoup de fidèles à la confession , les remplit de crainte et fut une preuve éclatante que Dieu connaît tout. Ils se préservaient de l'affront d'être accusés par les démons en s'accusant eux-mêmes. Du moment que les démons, leurs auxiliaires pour le péché , se faisaient leurs accusateurs au lieu de les défendre, quel espoir leur restait, sinon la confession de leurs péchés ? Voyez quels grands maux arrivent peu après que de si grands prodiges ont été accomplis. Notre nature est ainsi faite : nous oublions promptement les bienfaits. Ne vous souvient-il pas que la même chose a eu lieu de notre temps? Dites-moi donc : Est-ce que l'année dernière Dieu n'a pas ébranlé la ville entière ? Eh bien ! est-ce que tous ne couraient pas au baptême? Est-ce que les libertins, les hommes infâmes et corrompus, abandonnant leurs demeures et les lieux qu'ils habitaient, ne se convertirent pas et ne devinrent pas pieux? Or, trois jours après ils retournèrent à leur malice première. D'où cela vient-il ? De l'excès de notre lâcheté. Faut-il s'étonner qu'il en soit ainsi après un châtiment qui passe sans laisser de traces, lorsque la même chose arrive après une catastrophe qui laissé de son passage des monuments durables? Le châtiment de Sodome, par exemple, n'a-t-il pas laissé d'impérissables vestiges? Quoi donc ! Les peuples voisins en sont-ils devenus me.il. leurs ? Nullement. Et le fils de Noé n'était-il pas vicieux aussi ? Ne l'était-il pas en face même de la désolation universelle qu'il voyait de ses yeux? Ne nous étonnons donc pas si les Juifs restèrent incrédules malgré de tels prodiges, eux qui ont su corrompre jusqu'à la foi elle-même, et la faire servir au mal: par exemple, lorsqu'ils disaient que le Fils de Dieu était possédé du démon. Est-ce que vous ne voyez pas qu'il en est encore ainsi, et que beaucoup d'hommes sont de là nature des serpents , gens incrédules et ingrats qui, comme les vipères, se hâtent de mordre la main du bienfaiteur qui les a réchauffés? Je dis ceci afin que vous ne vous étonniez pas que ces miracles n'aient pas converti tous ceux qui les virent.
3. Notre âge a vu les miracles du tombeau de saint Babylas, il a vu ceux qui ont éclaté à Jérusalem et qui ont achevé la destruction du temple, et tous ne sont pas convertis. Qu'est-il besoin de rappeler les temps anciens? Je vous ai dit ce qui est arrivé l'année dernière; (207)
nul n'y a fait attention, on eut bientôt repris la pente du passé, et l'on est retombé aussi bas qu'auparavant. Toujours debout, le ciel crie, pour ainsi dire, sans cesse qu'il a un maître, que cet univers est l'oeuvre d'un ouvrier, et quelques-uns persistent à dire le contraire. Ce qui est arrivé à Théodore l'année dernière, qui n'en a pas été frappé d'étonnement? Et cependant la religion n'y a rien gagné; mais ceux qui étaient devenus pieux pour un instant, sont retournés à ce qu'ils étaient auparavant. La même chose arriva aussi aux Hébreux : c'est pour cela que le prophète a dit : " Lorsqu'il les mettait à mort, ils le recherchaient, se convertissaient, et venaient au matin près du Seigneur ". (Ps. LXXVII, 34.) Qu'est-il besoin de rapporter tout ce qui leur est arrivé en général? Combien de maladies n'éprouvèrent-ils pas ? Combien de fois s'étant relevés ont-ils promis de changer de vie, et sont-ils cependant restés les mêmes ? Le changement subit nous démontre notre volonté et la liberté de notre nature. En effet, si le mal était naturel, nous ne pourrions changer; car nous ne pouvons changer ce qui se fait par nature et par nécessité. Cependant nous changeons, direz-vous. Ne voyons-nous pas parfois des gens qui voient naturellement, devenir aveugles par frayeur ? parce que la nature cède lorsqu'une autre nature vient à l'encontre. Ainsi, c'est suivant l'ordre de nature que l'effroi nous cause l'aveuglement ; et c'est aussi naturellement que, s'il survient un sujet de frayeur plus terrible que le premier, la première crainte disparaît. Mais quoi donc, direz-vous, si la tempérance est dans la nature, et que la crainte la chasse lorsqu'elle l'a dominée? Que direz-vous si je vous démontre que, même sous l'empire de la crainte, certaines personnes ne sont pas tempérantes , mais conservent jusque-là leur impudence, ne serez-vous pas obligés d'avouer que la nature n'y est pour rien? Citerai-je des faits d'autrefois ou des faits d'aujourd'hui? Pharaon, dites-moi, ne fut-il pas changé tout d'un coup, et n'en revint-il pas à sa première malice? Dans le cas qui nous occupe, les exorcistes prononcèrent purement et simplement le nom de Jésus; et ils dirent aux démoniaques, qui n'ignoraient pas ce qu'était Jésus : " Nous vous adjurons par le Jésus que prêche Paul". La réponse que font les démoniaques prouve leur connaissance. Ces Juifs se bornent à dire Jésus, sans ajouter, comme ils devaient Le Sauveur du monde >z, celui qui est ressuscité. Mais ils ne voulaient pas confesser sa gloire. C'est pour cela que le démon, sautant sur eux, leur dit : " Je connais Jésus, et je sais qui est Paul ";comme s'il leur disait Vous ne croyez pas et vous abusez de ce nom en parlant comme vous faites. Le temple est désert, sa défense est facile à emporter; vous n'êtes pas des prédicateurs, vous êtes à moi, dit-il. La fureur du démon est grande. Les apôtres auraient pu aussi maltraiter les Juifs comme faisait le démon; étant plus forts que les démons, comment n'auraient-ils pu faire ce que faisaient ceux-ci? ils n'usaient pas néanmoins de ce pouvoir. Cela montre bien leur douceur: on les chasse, et ils font le bien; les démons que l'on sert font tout le contraire. " Je connais Jésus ", dit-il, rougissez de honte, vous qui ne le connaissez pas. " Et je connais aussi Paul ": Et, en effet, il savait qu'il était le prédicateur de Dieu. Ensuite il saute sur eux, déchire leurs vêtements, et par là il semble leur dire : Ne croyez pas que j'agisse ainsi par mépris pour Jésus et pour Paul. La crainte du démon était grande aussi. Pourquoi ne déchira-t-il pas leurs vêtements sans ajouter ces paroles ? il eût ainsi assouvi sa colère et établi l'erreur. Il redoutait, comme je l'ai dit, la puissance inabordable ; et il n'eût pas eu tant de force s'il n'eût prononcé ces paroles. Voyez, partout les démons sont plus sages que les Juifs; ils n'osent pas contredire la parole ni accuser les apôtres ni le Christ. Une fois ils disent : " Nous savons qui tu es "; et Pourquoi es-tu venu nous tourmenter avant le temps? " (Matth. VIII, 29.) Une autre fois : " Ces hommes sont les serviteurs du Dieu Très-Haut " (Act. XVI,17); ici ils disent : " Je connais Jésus et je connais aussi Paul "; car ils craignaient ces saints et tremblaient devant eux. Peut-être y a-t-il parmi vous quelqu'un qui, en entendant ces paroles, désire posséder une telle puissance de manière à empêcher les démons de le regarder en face, et qui envie l'avantage qu'ont eu ces saints de posséder aine telle force? qu'il écoute le Christ : " Ne vous réjouissez pas de ce que les démons vous sont soumis ", (Luc, X, 20), dit-il, parce qu'il savait que les hommes seraient fiers de ce privilége par vaine gloire. Si vous ambitionnez ce qui plaît à Dieu, et ce qui est d'utilité commune, vous suivrez une voie plus (208) glorieuse. Il n'est pas si difficile d'être délivré du démon, que de se délivrer du péché. Le démon n'empêche pas d'acquérir le royaume des cieux, il coopère à nous le faire obtenir malgré lui, à la vérité. Mais il y coopère cependant , car il rend plus continent celui qu'il possède. Le péché au contraire exclut du royaume des cieux.
4. Mais peut-être quelqu'un dira-t-il: je ne souhaite pas d'acquérir ainsi la continence ! Ni moi non plus je ne vous le souhaite pas, mais je vous souhaite de l'acquérir par une autre voie , en faisant tout par amour du Christ. Mais si, ce que je ne souhaite pas; ce malheur vous arrivait, il faudrait encore demander cette grâce. Si donc le démon n'exclut pas du ciel, et si le péché en exclut, c'est un plus grand bien d'être délivré du péché. Appliquons-nous donc à délivrer le prochain du péché, et avant le prochain à nous en délivrer nous-mêmes. Veillons à ne pas laisser le démon s'emparer de nous. Examinons-nous avec zèle. Le péché est pire que le démon; car le démon rend humble. Ne voyez-vous pas combien les démoniaques, lorsqu'ils sont délivrés, de leur maladie, sont tristes et chagrins ? comme leur visage est couvert de honte, et comme ils n'osent regarder? Voyez l'absurdité : ceux-ci rougissent de ce qu'ils souffrent, et nous, nous ne rougissons pas de ce que nous faisons; ils sont victimes de l'injustice, et ils ont honte, et nous, nous commettons l'injustice, et nous ne craignons rien. Et cependant leur malheur n'est pas digne de honte, mais bien de pitié, de bienveillance et d'indulgence; il est même digne d'admiration et de louanges sans nombre, lorsque, soutenant contre le démon un combat si rude, ils supportent tout en rendant à Dieu des actions d e grâces ; notre état à nous, au contraire, est ridicule, honteux, digne d'accusation, de supplice et de châtiment; il mérite les plus grands maux, l'enfer, il est impardonnable. Voyez-vous comme le péché est pire que le démon? Les démoniaques, à cause des maux qu'ils endurent, ont un double bénéfice : l'un, qui est d'être plus continents et plus sages; l'autre, qui est de s'en aller purs devant le Seigneur, puisqu'ils ont subi ici-bas le châtiment de leurs péchés. propres. Souvent nous avons parlé sur ce sujet, et nous avons montré que ceux qui sont châtiés ici-bas , s'ils supportent leurs maux avec patience, sont déchargés vraisemblablement d'une grande partie de leurs péchés. Le mal qui provient du péché est double aussi : d'une part nous offensons Dieu, de l'autre, nous devenons plus mauvais qu'auparavant ; faites attention à ce que je vous dis.
Le péché ne nous blesse pas seulement parce que nous péchons, mais encore parce que l'âme contracte une habitude, comme il arrive pour le corps. Un exemple exprimera plus clairement ma pensée. De même que le fiévreux ne souffre pas seulement de sa maladie actuelle, mais encore de la faiblesse qui en est la suite, lorsqu'il revient à la santé après une longue maladie ; ainsi en est-il du péché;. même après qu'il est guéri, nous ressentons encore l'affaiblissement qu'il nous a causé. Voyez celui qui a dit des injures à quelqu'un et n'en a pas été puni. Il ne doit pas seulement pleurer parce qu'il n'a pas subi la peine des injures qu'il a dites, il doit encore s'affliger pour une autre cause.. Pourquoi donc? Parce que son âme est devenue plus impudente. Chacun des, péchés que nous commettons dépose dans l'âme un certain poison qui y reste, même après la destruction du péché. N'entendez-vous pas ceux qui reviennent à la santé, après la maladie, dire : Je n'ose pas encore boire d'eau ? Et cependant ils sont rétablis; mais la maladie leur a laissé cette infirmité. Les démoniaques, au milieu de leurs tortures, rendent des actions de grâces à Dieu, et nous, qui sommes heureux, nous blasphémons Dieu, et nous le supportons avec peine. Il. s'en trouve plus parmi ceux qui jouissent de la santé et de la fortune, qui agissent ainsi, que parmi les pauvres et les infirmes. Le démon est là qui les menace comme un bourreau terrible, comme un maître d'école qui lève sa' lanière et ne la laisse jamais reposer. Que si quelques-uns ne deviennent pas sages en passant par une telle épreuve, ils n'en sont pas punis. Ce n'est pas là un médiocre avantage. Si les insensés, les fous, les enfants, ne sont pas responsables, les démoniaques ne le sont pas non plus; il n'y a personne d'assez cruel pour punir des péchés d'ignorance. Donc nous autres pécheurs sommes dans un état pire que celui des démoniaques. — Mais nous n'écumons pas, nos yeux ne se retournent pas, nos mains ne se tordent point. Plût à Dieu que nous souffrissions ces choses dans le corps, et non dans l'âme ! Voulez-vous que je vous (209) montre une âme écumante, impure, aux yeux égarés? Pensez aux hommes emportés par la colère et enivrés par la fureur ; ne lancent-ils pas des paroles plus impures que n'importe quelle écume? Ils vomissent la puanteur et l'ordure. De même que les démoniaques, ils ne connaissent plus personne. Leur esprit est dans les ténèbres, leurs yeux sont renversés, ils ne distinguent plus ni amis ni ennemis, ni ce qui est respectable ni ce qui ne l'est pas; ils voient tout à la fois sans rien distinguer. Ne les voyez-vous pas trembler comme les démoniaques? — Mais ils ne tombent pas par terre? Mais leur âme se jette par terre et tombe en se débattant dans l'agonie. Si elle se tenait comme il convient, la verrait-on dans cet état? Est-ce qu'il ne semble pas que les actions et les paroles de ces hommes enivrés par la colère soient le fait d'une âme avilie, ayant perdu sa liberté d'action. Il est encore une autre sorte de fureur plus grave que celle-là. Laquelle donc? — Lorsqu'on ne laisse pas la colère s'étendre, et qu'on nourrit en soi le souvenir du mal comme un bourreau domestique. Cette passion de la rancune perd d'abord ceux qui s'y livrent, pour ne pas parler de ce qu'elle cause dans l'avenir. Que pensez-vous que doive être le tourment d'un homme blessé jusqu'au fond de l'âme, examinant chaque jour comment il se vengera de son ennemi? Cet homme se punit le premier et se châtie en s'excitant, se combattant et s'enflammant lui-même. Sans cesse le feu brûle en vous; vous allumez la fièvre, vous attisez ce feu pour ne pas le laisser s'éteindre; et vous pensez à faire du mal à votre ennemi , tandis que vous vous consumez vous-même en portant continuellement en vous cette flamme ardente , et en ne permettant pas à votre âme de se reposer; Tous êtes comme une bête farouche, et votre esprit est plein de trouble et de tempêtes.
5. Que peut-il y avoir de plus funeste que cette fureur qui plonge dans un chagrin, une irritation et une ardeur perpétuelles ? Telles sont les âmes de ceux que tourmente la rancune. Sitôt qu'ils voient ceux dont ils veulent se venger, ils sont bouleversés; sitôt qu'ils entendent la voix de leur ennemi, ils sont comme abattus, ils tremblent; dans leur lit, ils se représentent mille sortes de vengeances, ils pendent leur ennemi, le tourmentent en esprit de mille manières; mais s'ils le voient fleurir et prospérer, oh ! quel affreux supplice ! Pardonnez à votre ennemi, et arrachez-vous à ces tortures. Pourquoi vous condamner à un supplice qui n'a pas de fin pour né volis venger et né le punir qu'une seule fois ? Pourquoi vous plonger ainsi vous-même dans une langueur continue ? Pourquoi retenir ainsi dans la contrainte votre coeur qui aspire à la liberté? Que votre haine ne dure pas jusqu'au soir " (Ephes. IV, 26), dit Paul. Comme la consomption ou un ver rongeur, elle dévore la racine de notre âme. Pourquoi enfermez-vous une bête féroce dans vos entrailles ? Mieux vaudrait avoir dans le coeur un serpent, une vipère, que la colère et la rancune; ces reptiles eussent été promptement chassés; mais la haine demeure toujours, elle s'attache aux dents, insère le poison et produit une armée de fâcheuses pensées. Mais j'agis ainsi, dit-on, pour que mon ennemi ne se moque pas de moi et ne me méprise pas. — O homme malheureux, homme infortuné, vous ne voulez pas être la risée de votre compagnon d'esclavage, mais vous consentez à être l'objet de la haine de votre Seigneur ! Vous ne voulez pas être méprisé par votre compagnon d'infortune, mais vous méprisez le Seigneur ! Vous ne pouvez supporter que cet homme vous méprise ; doutez-vous que Dieu ne s'indigne aussi lorsque vous vous riez de lui, que vous le méprisez et que vous ne voulez pas lui obéir? Ce qui montre que cet homme ne vous tournera pas en risée, le voici : Si vous vous vengez, ce sera pour vous une source de risée et de mépris, car la vengeance est le fait de la petitesse d'esprit; si au contraire vous pardonnez, vous exciterez l'admiration ; car pardonner est le fait d'un grand coeur. Mais mon ennemi ne le saura pas, dit-on. Que Dieu le sache, il suffit, pour que vous obteniez une plus ample récompense. " Prêtez ", est-il dit, " à ceux de qui vous n'espérez rien recevoir ". Ainsi faisons le bien à ceux qui ne s'en aperçoivent, pour qu'ils ne diminuent pas notre récompense en nous louant ou en nous récompensant de quelqu'autre manière. Moins nous aurons reçu des hommes, plus nous recevrons de Dieu.
Quoi de plus digne de risée, quoi de plus absurde qu'une âme
toujours enflammée par la colère, et désireuse de
se venger? C'est un projet de femme et d'enfant. Une femme s'irrite même
contre les choses inanimées , et pour passer sa colère, elle
frappera jusqu'au (210) pavé; tels sont les hommes qui veulent se
venger de ceux qui les ont offensés. Ils sont donc 'dignes de risée;
car c'est le fait d'une âme puérile d'être ainsi en
proie à la colère; en triompher au contraire est une oeuvre
virile. Ce n'est donc pus nous que notre modération expose à
la risée, mais nos ennemis. Vaincre la passion n'est pas le fait
d'hommes méprisables; il appartient aux hommes méprisables
de craindre le sourire des étrangers, d'en subir l'influence, de
succomber ainsi à sa passion, d'offenser Dieu et enfin de se venger.
Voilà ce qui est vraiment digne de risée. Fuyons donc ces
choses. Que celui qui nous a fait mille injures puisse dire qu'il n'a rien
souffert de notre part, et que, s'il recommençait, il n'en souffrirait
pas davantage. En tenant ce langage par lequel il croirait nous blesser,
il ne pourrait publier plus haut notre vertu, ni faire mieux notre éloge.
Plût à Dieu que tous ceux qui m'entourent pussent dire : c'est
un homme sans coeur, homme à tout souffrir; tous lui font injure,
et il le supporte; tous se jettent sur lui, et ï1 ne se venge pas
! Puissent-ils ajouter quand il le voudrait, il ne le pourrait pas; afin
que Dieu me loue et non les hommes. Qu'on dise si l'on veut que c'est par
défaut de coeur que nous ne nous vengeons pas. Cela ne nous fait
aucun mal, puisque Dieu sait ce qu'il en est, mais cela met notre trésor
sous une sauvegarde plus puissante. Si nous voulons considérer les
hommes, nous perdrons tout : ne nous occupons pas de ce qu'on dit, mais
de ce qui convient. Ceux-là disent : Je ne veux pas qu'on se moque
de moi, ni que personne se vante de m'avoir offensé. O folie ! personne
ne s'est ri de moi après m'avoir offensé, dit-on, c’est-à-dire:
je me suis vengé. Mais c'est précisément parce que
vous vous êtes vengé de l'offenseur que vous méritez
d'être un sujet de risée. D'où sont sortis ces mots
qui sont la honte, la ruine, la subversion de notre vie particulière
et sociale? N'est-ce pas de l'habitude de parler autrement que Dieu ? Ce
que vous jugez ridicule, c'est-à-dire, de ne pas se venger, c'est
précisément ce qui rend égal à Dieu. Est-ce
que nous ne sommes pas ridicules à nos propres yeux, ainsi qu'à
ceux des gentils, de parler ainsi en sens contraire de Dieu? Je veux raconter
un fait qui s'est passé dans les temps anciens, et qui a rapport
non à la colère , ruais aux richesses. Quelqu'un avait un
champ dans lequel était caché un trésor, sans que
le maître le sût. Il vendit ce champ. Celui qui l'avait acheté,
fouillant, cultivant, plantant, trouva le trésor qui était
enfoui. Le vendeur l'apprit, et vint vers l'acheteur pour le contraindre
à lui rendre le trésor, disant qu'il lui avait vendu le champ
et non le trésor. L'autre à son tour le réfutait en
disant qu'il avait acheté le champ et le trésor, qu'il n'y
avait rien à dire là-dessus. De là dispute entre eux,
l'un réclamant le trésor, l'autre refusant de le donner;
ils rencontrèrent un homme et se disputèrent devant lui;
ils lui demandèrent à qui devait être le trésor.
Mais lui ne prononça rien; il leur dit qu'il allait vider leur différend,
car il était le maître du trésor. Il prit donc le trésor
qu'ils lui abandonnèrent volontiers; il souffrit ensuite mille maux,
et apprit par là que les hommes avaient bien fait de se désister.
Il faut en agir ainsi par rapport à la colère; ne cherchons
point à nous venger, et que ceux qui ont fait des injures s'appliquent
à les réparer justement. Mais sans doute il y en a qui croient
cela ridicule. Lorsque cette folie a pris le dessus, les gens modérés
sont tournés en ridicule, et, au milieu de la foule des insensés,
celui qui ne l'est pas semble l'être. Je vous en supplie donc, supportons
l'injure. Contenons nous afin de pouvoir, purifiés que nous serons
de cette malheureuse passion, être jugés dignes du royaume
des cieux, par la grâce et les miséricordes du Fils unique,
à qui appartiennent avec le Père et l'Esprit-Saint, gloire
, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des
siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XLII. APRÈS CES CHOSES, PAUL, PAR L'INSPIRATION
DU SAINT-ESPRIT, RÉSOLUT D'ALLER A JÉRUSALEM ; EN PASSANT
PAR L'ACHAÏE ET LA MACÉDOINE, IL DISAIT : " LORSQUE J'AURAI
ÉTÉ LA IL FAUT QUE JE VOIE ROME". AYANT DONC ENVOYÉ
EN MACÉDOINE DEUX D'ENTRE CEUX QUI LE SERVAIENT, TIMOTHÉE
ET ÉRASTE: IL PASSA LUI-MÊME UN CERTAIN TEMPS EN ASIE. IL
ARRIVA QUE PENDANT CE TEMPS IL Y EUT UN GRAND TROUBLE TOUCHANT LA VIE DU
SEIGNEUR. (CHAP. XIX, VERS. 21-23, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE.)
ANALYSE. 1 et 2. Evénements-d'Ephèse; sédition
de Démétrius. — L'appât du gain en est la cause. —
Le juif Alexandre apaise la foule. — Son discours. — Commentaire sur le
discours de Démétrius.
3 et 4. Bons effets de la tribulation. — Comparaison entre le deuil et la joie : La maison où se fait une noce et celle qui est dans le deuil ; le théâtre et la prison ; l'âme plongée dans les délices, et celle qui est dans l'affliction.
l. Lorsqu'il eut demeuré assez longtemps dans cette ville, Paul voulut s'en aller ailleurs. C'est pour cela qu'il envoie Timothée et Eraste en Macédoine, tandis qu'il reste encore quelque temps à Ephèse. Mais comment se fait-il qu'ayant d'abord eu la pensée d'aller en Syrie, il se détermine maintenant il passer en Macédoine? Cela montre qu'il ne fait rien par sa propre volonté. Il prophétise en. disant : " Il faut que je voie Rome ". Peut-être dit.-il cela pour consoler les disciples comme s'il leur disait: Je ne reste pas, mais je reviendrai ; la prophétie qu'il ajoute est aussi un moyen de les encourager. De là il me semble que c'est d'Ephèse qu'il écrit aux Corinthiens, leur disant : " Je ne veux pas que vous ignoriez la a tribulation qui nous est arrivée en Asie ". (II Cor. 1, 8.) Comme il a promis d'aller à Corinthe, il s'excuse de son retard par l'épreuve qu'il a eue à subir, entendant par là ses démêlés avec Démétrius. C'est ce Démétrius qui suscita ce grand trouble dont parle saint Luc. Nouveau danger, nouvelle commotion. Voyez-vous quel éclat jette la vertu de Paul? Un double prodige s'opère , et les Juifs persistent dans la contradiction. Mais tout concourt au progrès de l'Evangile. " Un homme nommé Démétrius, orfèvre, qui faisait des temples a de Diane en argent, donnait beaucoup à gagner à ceux de ce métier. Il les réunit ainsi que d'autres qui étaient intéressés à ces sortes d'ouvrages et leur dit: Hommes, vous savez que le gain nous vient de cet art; et vous voyez et vous apprenez que non-seulement à Ephèse, mais encore dans presque toute l’Asie, ce Paul a persuadé et entraîné une foule nombreuse, en disant: " Ceux-ci ne sont pas des dieux qui sont fabriqués par la main des hommes. Non-seulement par là notre art est en danger de se perdre , mais il est à craindre que le temple de la grande Diane ne soit plus compté pour rien , et que soit détruite la majesté de celle que vénère toute l'Asie et l'univers (24-27) ". — " Qui faisait des temples de Diane en argent ", dit l'auteur. Comment peut-on faire des temples en argent? Ce n'était probablement que de petites boîtes. Diane était en grande vénération à Ephèse : l'incendie du temple causa tant d'affliction aux Ephésiens; qu'on défendit de prononcer jamais le nom de celui qui y avait mis le feu. Remarquez que partout l'idolâtrie ne subsiste que par l'argent. Les ouvriers sont poussés par l'argent, Démétrius est poussé par l'argent; le danger de leur religion n'est pas ce qui les fait agir, mais bien la crainte de voir disparaître leur gain. Voyez la malice de cet homme : il était opulent, et par (212) conséquent la perte serait pour lui peu sensible ; mais elle devait être grande pour les ouvriers qui sont pauvres et qui vivent du travail de chaque jour. Cependant ils ne disent rien, lui seul parle; et comme ils étaient du même métier que lui, il en fait des instruments de trouble. Ensuite il exagère le danger en disant : " Il est à craindre pour nous que notre partie ne se perde " : ce qui veut dire que, privés de ce métier, ils sont en danger de mourir de faim. Cependant ces paroles devaient suffire pour amener à la religion; mais, misérables et sans intelligence comme ils étaient, ils se révoltent plutôt, et ils n'ont garde de réfléchir et. de se dire à eux-mêmes: Si cet homme est assez puissant pour convertir le monde et mettre en danger les dieux, quelle doit être la puissance de son Dieu ! Combien donc ce Dieu nous donnera-t-il mieux les choses que nous craignons de perdre? Démétrius s'était déjà emparé de leur esprit, en leur disant : " Ceux-là ne sont pas des dieux qui sont faits par la main des hommes ". Voyez pour quelle raison s'indignent les gentils, c'est parce qu'on leur dit : " Ceux-là ne sont pas des dieux qui sont faits par la main des hommes ". Il insiste partout sur la question de leur métier. Ensuite, comme pour mettre le comble à leur douleur, il ajoute en dernier lieu : " Non-seulement notre métier est en danger", c'est-à-dire , tout cela n'est rien; mais ce qui est très-grave, c'est que le temple de la grande Déesse est en danger d'être détruit. Et pour ne pas sembler parler en vue du gain, il ajoute: " Que la terre entière vénère ". Voyez-vous comme il démontre là grande puissance de Paul; il dit à ces gens qu'ils seront tous réduits à la misère et perdus si cet homme chassé de son pays, ce fabricant de tentes, peut faire de si grandes choses? Voyez les témoignages rendus aux apôtres par leurs ennemis. Ailleurs ils disaient : " Vous avez rempli Jérusalem de votre doctrine " (Act. V, 28); ici : " La majesté de la grande Diane sera détruite". Dans une autre circonstance ces mêmes ennemis disaient: " Ceux qui ont bouleversé la terre sont ici " (Act. XVII, 6) ; maintenant ils disent : " Il y a danger pour nous que cette partie ne tombe à rien ". Les Juifs disaient aussi du Christ : " Voyez comme tout le monde va après lui, les Romains viendront et prendront notre ville ". (Jean , XII, 19 et XI, 48.)
Lorsqu'ils eurent entendu ce discours, ils furent remplis de fureur". D'où venait cette fureur? De ce qu'on leur avait dit de Diane et de la perte qu'ils allaient faire. C'est l'habitude, dans la place publique, de se soulever et de prendre feu à propos de quoi que ce soit. Il faut donc toujours agir avec circonspection. Voyez à quel point ils sont méprisables de s'enflammer à propos de tout. " Lorsqu'ils d l'eurent entendu, ils furent remplis de fureur ", dit l'auteur, " et ils s'écriaient : La Diane des Ephésiens est grande. Et la ville a entière fut remplie de confusion; ils se précipitèrent d'un commun accord vers le théâtre, entraînant avec eux Gaïus et Aristarque, " Macédoniens, compagnons de Paul (28-29) ".
2. Ils font irruption sans raison, comme les Juifs chez Jason; partout les apôtres sont prêts. Ils n'avaient, en agissant de la sorte, souci ni de la gloire, ni de la renommée. " Paul voulait sortir et aller vers le peuple; mais les disciples ne le permirent pas. Quelques-uns des Asiarques qui étaient ses amis, envoyèrent près de lui pour le prier de ne pas se montrer au théâtre (30, 31) ". Ils le prient de cela, parce que c'était une foule sans raison, capable de tout oser dans son aveugle fureur. " Paul accède à cette prière " ; car il n'était ni ambitieux, ni avide de vaine gloire. " Les uns criaient d'une manière, les autres d'une autre; car la foule était un mélange de toutes sortes de gens ". Telle est la multitude, elle se précipite au hasard, comme l'incendie. " La plupart ne savaient pas pourquoi ils s'étaient rassemblés. On fit sortir de la foule Alexandre que les Juifs poussaient en avant ". Les Juifs prenaient les devants par l'action de la divine Providence, afin qu'ils n'eussent pas possibilité de contredire ensuite. Cet homme est donc poussé en avant, et il parle; écoutez ce qu'il dit : " Alexandre ayant fait faire silence de la main, voulait se justifier devant le peuple. Lorsqu'on sut qu'il était Juif, un seul cri partit de la foule entière qui s'écriait, pendant environ deux heures: La Diane des Ephésiens est grande ! " C'était une pensée d'enfant. Ils criaient sans interruption, comme s'ils eussent craint que leur culte ne fût aboli. Paul est resté là pendant deux ans: voyez combien il y a encore de gentils. " Lorsque le greffier eut apaisé la foule, il leur dit : Ephésiens, quel homme ignore que la ville d'Ephèse honore d'un (213) culte particulier la grande déesse Diane, ainsi que le Diopétès ? " Cela tout d'abord éteignit leur fureur. " Le Diopétès ". Il ajoute ces mots pour plus de précision. C'était un autre temple qu'on nommait le Diopétès. Ou bien on appelait de ce nom l'idole de Diane pour signifier que cette argile venait de Jupiter, et n'avait pas été fait de la main d'un homme; ou bien une autre statue s'appelait ainsi chez eux. " Puisque nul ne peut contredire ces choses, vous devez vous apaiser et ne rien faire avec précipitation. Vous avez emmené ces hommes qui ne sont pas sacrilèges et ne blasphèment pas- votre déesse a (32-37 ". Tout cela était pur mensonge, mais il parlait ainsi au peuple pour l'apaiser. " Si donc Démétrius et les ouvriers qui sont avec a lui ont lieu de se plaindre de quelqu'un, il a se tient des audiences sur la place, il y a des proconsuls, que la cause leur soit déférée. Si vous vous plaignez de quelqu'autre chose, " on réglera tout dans une assemblée légitime. " Nous sommes en danger de nous entendre accuser de la sédition pour ce qui s'est passé aujourd'hui , sans aucun motif que nous a puissions présenter comme étant la raison "de ce tumulte. Par ces paroles, il dissipa l’assemblée (38-40). " Il dit : " l'assemblée légitime ", parce qu'il y avait en effet trois assemblées chaque mois. Cette assemblée était illégitime. Il les épouvante en disant : " Nous a sommes en danger d'être accusés de sédition ".
Mais reprenons. " Lorsque toutes ces choses eurent été accomplies ", dit l'auteur, " Paul, inspiré par l'Esprit-Saint, résolut d'aller à Jérusalem, en passant par la Macédoine et a l'Achaïe ". Il n'agit plus ici par des raisons humaines; mais c'est par l'inspiration de l'Esprit qu'il se décide à passer par ces pays. C'est là ce que signifie se décida ", et c'est le sens du mot. L'auteur ne dit pas pour quelle cause Paul envoie Timothée et Eraste ; il me semble que cette détermination est prise aussi par "l'inspiration de l'Esprit-Saint ". Il est dit de même ailleurs : " C'est pourquoi n'y tenant plus, nous avons préféré rester seul à Athènes ". ( I Thessal. III, 1.) Il envoya donc deux de ses ministres pour annoncer son arrivée et ranimer le zèle des distilles. C'est,en Asie qu'il demeure le plus longtemps, et c'est avec raison. Là, en effet, se trouvait une foule de philosophes. Et lorsqu'il fut au milieu d'eux, il
discutait avec eux comme d'habitude. En effet il y avait là beaucoup de superstition. " Démétrios ", dit l'auteur, " un orfèvre, ayant rassemblé les ouvriers de ce métier, leur dit
Hommes, vous savez, vous voyez, vous apprenez (tant le fait était notoire) que ce Paul a persuadé et converti une grande foule ". S'il a persuadé, il n'a pas usé de violence, c'est ainsi qu'il faut persuader une ville. Ensuite il amène ce qui le touche de près, et ajoute : " Il a persuadé que ce ne sont pas des dieux que ceux qui sont faits par la main des hommes ". Qu'est-ce à dire? C'est-à-dire; il renverse notre art. Et de peur qu'ils ne réfléchissent et ne disent : Si un homme seul fait de telles choses, et s'il a une telle puissance, il faut se laisser persuader par lui, Démétrius ajoute : " Que toute l'Asie et la terre vénèrent ". Ils croyaient que leur voix les défendrait contre l'Esprit-Saint, ces païens, ces enfants, pour mieux dire. Nous tirons, dit-il, notre subsistance de ce métier. Et si vous tirez votre subsistance de ce métier, comment un homme simple a-t-il pu persuader à tant de monde de renoncer à cette superstition? Comment a-t-il prévalu contre une coutume si invétérée? Que dit-il ? Ce qu'il dit, ce qu'il fait, n'est pas le fait de Paul, n'est pas l'oeuvre d'un homme. Il lui a suffi de dire : " Ce ne sont pas des dieux ". S'il a été si facile de trouver le défaut de cette impiété, il fallait la condamner dès longtemps; si elle eût été forte, elle n'eût pas dû être si vite anéantie. " Là ", dit-il, " ne se borne pas notre danger ". Il ajoute cela pour faire entendre quelque chose de plus grave. "Lorsqu'ils l'eurent entendu, ils furent remplis de fureur, et ils criaient : La Diane des Ephésiens est grande ". Dans chaque ville il y avait des dieux particuliers. Tel était l'état de leur esprit, qu'ils croyaient par leurs cris rétablir son culte et détruire ce qui venait de s'accomplir.
3. Voyez cette foule confuse. " Comme Paul ", dit l'auteur, " voulait aller vers le peuple, les disciples s'y opposèrent ". Paul voulait donc aller vers le peuple pour lui parler; car il saisissait les temps de persécution pour instruire. Mais les disciples ne le permirent pas. Remarquez partout de quel soin prévoyant on l'entoure. Et dès le commencement ils l'emmenèrent, de peur qu'il ne reçût quelque coup mortel. Quoiqu'ils lui aient entendu dire qu'il doit voir Rome, cependant ils l'empêchent de sortir. C'est par l'action de la (214) Providence qu'il l'a prédit par avance, afin que les disciples ne se troublent pas. Ils ne voulaient pas qu'il lui arrivât le moindre accident. " Quelques-uns des Asiarques le suppliaient", dit l'auteur; " de ne pas entrer au théâtre ". Voyant son ardeur, ils le suppliaient. Et pourquoi, direz-vous, Alexandre voulut-il se justifier devant le peuple? Etait-il accusé lui-même? Afin de trouver une occasion de tout bouleverser et d'exciter la fureur populaire. Vous avez vu l'emportement tumultueux des Ephésiens? C'est donc avec raison que le scribe leur dit, sous forme de reproche : " Quel homme ne sait que la cité d'Ephèse ". Il parle tout de suite de l'objet de leurs craintes. C'est comme s'il leur disait N'honorez-vous pas la déesse? Il ne dit pas : Quel homme ne connaît pas Diane? Mais "notre cité ", afin de les flatter. " Comme cela est incontestable, il faut vous calmer". Leur faire ce reproche, c'est presque leur dire Pourquoi vous inquiétez-vous donc comme si cela était incertain? Il est clair que l'insulte retombe sur la déesse. lis voulaient que la religion assurât leur gain. Il les prend ensuite par la douceur, en leur montrant qu'ils se sont rassemblés sans raison. " Et rien ", leur dit-il, " ne doit se faire témérairement ". Il leur parle ainsi pour leur montrer qu'ils ont agi étourdiment. " Si donc Démétrius et ceux qui sont avec lui ont quelque sujet de plainte, il y a des proconsuls ". Il leur dit cela en forme de reproche, pour indiquer qu'il ne fallait pas faire une assemblée publique pour des crimes privés. " Car nous sommes exposés à nous entendre reprocher " : Par là, il les jette dans l'embarras. " Puisqu'il n'y a pas de motif par lequel nous puissions rendre raison de cette émeute ". Voyez avec quelle prudence et quelle sagesse les infidèles raisonnent eux-mêmes. Il calma ainsi leur fureur. Aussi facilement elle avait été allumée, aussi facilement elle s'éteignit. " Par ces paroles, il dissout l'assemblée ", dit l'auteur. Remarquez-vous comment Dieu permet les épreuves, et par elles réveille les disciples et les rend plus fervents ? Ne nous laissons donc pas abattre par les afflictions, car Dieu nous donnera le moyen de les supporter.
Rien ne fait naître et ne fortifie l'amitié comme la tribulation. Rien ne relie et ne resserre si bien les âmes fidèles; rien ne nous est plus utile, à nous docteurs, pour que l'on écoute nos paroles. L'auditeur, qui demeure dans la tranquillité, est mou et négligent; il semble supporter péniblement l'orateur; dans la tribulation et l'angoisse, au contraire, il désire ardemment qu'on lui parle. Celui dont l'esprit est,dans la peine, cherche partout ce qui le console dans son affliction, et la parole procure une grande consolation: Pourquoi donc, direz-vous, les Juifs n'écoutaient-ils pas lorsqu'ils étaient dans l'affliction? Parce qu'ils étaient Juifs, toujours faibles et misérables; d'ailleurs, parce que leur affliction était extrême, et nous ne parlons que d'une affliction ordinaire. Remarquons donc ceci : les Juifs s'attendaient à être délivrés de leurs maux actuels, et ils se précipitèrent dans mille nouveaux malheurs. Cela ne jette pas l'âme dans un chagrin médiocre. Les tribulations nous détachent violemment de l'affection pour le monde d'ici-bas ; nous désirons bien vite la mort; nous ne sommes plus amoureux de notre corps. Et c'est une grande partie de la philosophie de ne plus se complaire dans la vie présente et de n'y être plus attaché. L'âme affligée ne cherche pas à s'attacher à toutes choses, elle n'aime plus que le calme et le repos; elle ne souhaite que d'être arrachée à la vie présente, quand même il n'y aurait rien à espérer après. De même qu'un corps fatigué et accablé de maux ne veut plus servir le ventre, triais se reposer et vivre dans la tranquillité ; de même l'âme affligée de mille maux, aspire au calme et à la paix; celle qui ne connaît pas la peine, est stupide, troublée, indécise ; celle-là ne s'ébahit de rien, elle est étrangère aux molles voluptés; toujours recueillie en elle-même, elle ne se laisse point emporter à tous les vents. L'une est plus virile, l'autre plus puérile ; celle-là est plus grave, celle-ci plus légère. Lorsqu'un corps tombe dans une eau profonde, s'il est léger, il surnage; il en est de même d'une âme tout à coup plongée dans une grande joie. Tout le monde sait que nos plus grandes fautes sont causées par l'entraînement du plaisir.
Si vous le voulez , faisons la description de deux maisons : l'une où l'on fait des noces, l'autre où l'on est dans le deuil. Entrons par la pensée dans toutes les deux, et voyons quelle est la meilleure. Nous trouverons celle où l'on pleure pleine de sagesse, l'autre où l'on fait des noces est pleine d'inconvenances. Regardez en effet : là se profèrent des paroles (215) honteuses, le rire est immodéré, les allures sont désordonnées, le vêtement et la démarche sans pudeur; toutes les marques de la folie et de la sottise s'y rencontrent : en un mot, rien autre ne s'y trouve que le rire et la dérision. Ce n'est pas le mariage que je condamne, à Dieu ne plaise ! mais c'est ce qui accompagne les mariages. La nature alors est comme agitée d'une fureur étrange ; les assistants y sont semblables à des êtres sans raison et non à des hommes : les uns hennissent comme des chevaux, les autres ruent comme des ânes; c'est une grande dissolution, une grande confusion; il n'y reste plus rien de vertueux ni d'honnête. Là est la pompe du démon, les cymbales, les flûtes; là se font entendre des chansons remplies de fornication et d'adultère. Il en est tout autrement là où l'on est dans le deuil, l'ordre y règne avec la bienséance. Un grand silence, un grand calme, une grande réserve, rien n'est déréglé; si quelqu'un parle, c'est pour faire entendre des paroles pleines de sagesse ; mais, chose étonnante, pendant ce temps, ce ne sont pas seulement les hommes, mais même les serviteurs et les femmes dont tous les propos respirent la sagesse. Telle est, en effet, la nature du deuil; chacun s'efforce de consoler celui qui est dans la peine, on lui communique mille pensées remplies de philosophie. On fait des prières pour que le malheur ne s'aggrave point. Pour consoler l'affligé, on lui énumère ceux qui ont souffert ce qu'il souffre. Qu'est-ce en effet que l'homme ? Etude de notre nature. Qu'est-ce donc que l'homme? Accusation de sa vie et de sa vile existence, souvenir des choses à venir et du jugement.
4. Chacun rentre dans sa demeure : celui qui revient des noces, s'afflige de n'être pas lui aussi dans la bonne fortune; celui qui revient du deuil est plus à l'aise, parce qu'il n'a rien souffert de semblable , et il s'en est allé, après avoir éteint en lui-même toute passion. Mais quoi ! Voulez-vous que nous mettions en parallèle les prisons et les théâtres? Les unes sont des lieux d'affliction , les autres des lieux de plaisir. Souffrez que nous vous fassions voir ce qui se passe dans l'un et l'autre séjour. Dans la prison, beaucoup de philosophie : en effet, là où est le chagrin, là est aussi la philosophie. Celui qui auparavant était riche, orgueilleux, supportera que n'importe qui lui parle, car la crainte et la douleur consument son âme avec plus d'ardeur que le feu, et en amollissent la dureté; alors il devient humble, austère, alors il comprend l'instabilité des choses de la vie, et il est fort contre toutes les adversités. Au théâtre, tout au contraire, se rencontrent le rire, la honte, la pompe diabolique, l'affaiblissement de l'esprit, la perte de temps, la dépense inutile des jours, tout l'apparat d'une concupiscence effrénée , l'enseignement de l'adultère, l'école de la prostitution et du libertinage, l'encouragement à la honte, les sujets de rire , l'exemple de la dépravation. Telle n'est pas la prison : là se trouvent l'humilité, l'exhortation, l'encouragement à la philosophie, le mépris des choses de cette vie. Toutes choses sont foulées aux pieds et méprisées; la crainte se tient auprès du prisonnier comme le précepteur près de l'enfant, et le forme à tout ce qui est bon. Si vous le voulez bien, examinons ces lieux sous un autre point de vue. Je voudrais que vous rencontrassiez un homme sortant du théâtre, et un autre quittant la prison , et que vous vissiez l'âme hébétée, troublée; et vraiment enchaînée du premier; et celle du second, tranquille, déliée et libre. Celui, en effet, qui sort du théâtre les yeux épris des femmes du lieu, est véritablement lié par des chaînes plus fortes que le fer, c'est-à-dire par les lieux eux-mêmes, les paroles et les formes qu'il y a vues. Celui qui sort de la prison est débarrassé de tout, il ne croira plus rien souffrir désormais en comparant son sort à celui des autres; pourvu qu'il ne soit plus enchaîné, il considérera cela comme une grâce , il méprisera les choses humaines en voyant tant de riches dans l'infortune, tant de puissants jetés dans les fers. Si on lui fait quelque injustice, il la supportera; il en a tant vu. Le jugement à venir lui viendra à l'esprit , et il frissonnera d'horreur à l'idée de la prison de l'autre monde. De même que la prison l'a rendu doux envers tout le monde; de même la perspective du jugement et du châtiment futur lui inspirera de la bonté pour sa femme, pour ses enfants et pour ses serviteurs.
Tel n'est pas celui qui revient du théâtre. Il regardera
sa femme d'une façon peu aimable, il sera dur envers les domestiques,
aigre avec ses enfants , sauvage avec tout le monde. Les théâtres
engendrent de grands maux pour les cités, de grands maux, et nous
n'en savons pas la grandeur. Si vous me le permettez, (216) nous examinerons
aussi ces séjours du rire , je veux dire les festins où se
rencontrent les parasites et les flatteurs, et les délices de la
bonne chère, et nous les comparerons avec les autres qu'habitent
les boiteux et les estropiés. Dans les premiers se voient l'ivresse
, les délices, l'énervement de l'âme. Dans les seconds,
c'est tout le contraire. Voyez le corps , lorsqu'il s'engraisse et vit
dans la délicatesse, il tombe promptement dans la maladie; il n'en
est pas ainsi lorsqu'il est réglé. Pour vous montrer cela
plus clairement, prenons un corps qui ait beaucoup de sang et de chairs,
et qui soit plein de sève; il ne faudra qu'une nourriture ordinaire
pour lui donner la fièvre, surtout s'il est oisif. Prenons-en un
autre qui lutte habituellement avec la faim et l'affliction, celui-ci sera
plus difficile à abattre et à vaincre. Quoique le sang soit
sain en nous, il engendre cependant souvent la maladie par la réplétion;
s'il est moins abondant, quoique moins sain, on peut facilement le guérir.
On peut en dire autant de l'âme, celle qui vit dans l'oisiveté
et les délices suit . une pente plus rapide vers le péché
: car elle est proche de la violence, de la volupté, de la vaine
gloire, de l'envie, des embûches et de la calomnie; mais il n'en
est pas ainsi de celle qui vit dans la tribulation et la frugalité,
elle est exempte de tous ses maux. Voyez combien est grande notre cité.
D'où viennent les maux? n'est-ce pas des riches? n'est-ce pas de
ceux qui sont dans la joie? Quels sont ceux qui traînent les autres
devant les tribunaux? qui est-ce qui dilapide sa fortune? Sont-ce les malheureux
et les rebuts du monde, ou bien les orgueilleux et ceux qui sont dans la
joie? Il n'appartient pas à l'âme affligée de faire
le mal. Paul a connu ses avantages, c'est pour cela qu'il dit : " La tribulation
engendre la "patience; la patience, l'épreuve; l'épreuve,
" l'espérance; l'espérance ne confond pas ". (Rom. V , 3-5.)
Ne nous laissons pas abattre dans l'affliction, mais rendons grâces
en toutes circonstances, pour gagner beaucoup et être, éprouvés
devant Dieu qui permet les tribulations. L'affliction est un grand bien,
et nous voyons cela par nos enfants; sans l'affliction, l'enfant n'apprend
rien de bon. Nous avons encore plus besoin qu'eux de l'affliction. S'ils
ne fleurissent que lorsque leurs passions sont tenues dans le calme, à
plus forte raison nous qui avons des passions beaucoup plus impérieuses,
nous aurions bien plus besoin de maîtres; les péchés
des enfants ne sont pas très-grands, mais les nôtres le sont.
L'affliction est notre précepteur. Ne l'attirons pas sur nous, mais
supportons-la avec courage lorsqu'elle survient; elle est la source de
mille biens; supportons-la afin de jouir de la grâce de Dieu et des
biens qui sont préparés à ceux qui l'aiment en Jésus-Christ
Notre-Seigneur, avec qui appartiennent, au Père et au Saint-Esprit,
gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles
des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XLIII. LE TUMULTE APAISÉ, PAUL CONVOQUA LES DISCIPLES,
ET LES AYANT SALUÉS, IL PARTIT POUR ALLER EN MACÉDOINE. (CHAP.
XX, VERS. 1, JUSQU'AU VERS. 16.)
217
ANALYSE. 1 et 2. Saint Paul, près de quitter Ephèse, passe la nuit à instruire les disciples. — Niort et résurrection d'Eutychus. — Voyages de saint Paul. — Commentaire sur le discours de saint.Paul pendant-la nuit à Ephèse. — Eloge de saint Paul.
3. Exhortation an zèle, à la miséricorde : Exemple de Dieu qui agit par lui-même pour combler de bienfaits, et punit par ses anges.
1. Il fallait des consolations après cette secousse. Paul y veille, c'est encore pour consoler les disciples qu'il va en Macédoine, et ensuite en Grèce. Ecoutez comme il les consola : " Lorsqu'il eut parcouru toutes les contrées, et eut exhorté les disciples par de nombreux a discours, il vint en Grèce. Il y demeura trois mois, et ayant été averti que les Juifs lui tendraient des embûches s'il allait par mer en Syrie, il prit la résolution de retourner a par la Macédoine. Il fut accompagné jusqu'en Asie par Sopater de Bérée, Aristarque et Secundus de Thessalonique , Gaius de Derbé, Timothée, et par Tychique et Trophime d'Asie. Ceux-ci étant partis avant nous, nous attendirent à Troade (2-5) ". Il est de nouveau persécuté par les Juifs et il va en Macédoine. Comment dit-il que Timothée était Thessalonicien ? Il ne dit pas cela, mais bien : Ceux-ci précédèrent l'Apôtre dans la Troade, pour lui préparer la voie. " Nous a mîmes à la voile à Philippes après les jours des Azymes, et nous arrivâmes auprès d'eux au bout de cinq jours. Nous restâmes là pendant sept jours ". Il me semble que Paul prenait soin de célébrer les fêtes dans les grandes villes. Il mit à la voile à Philippes, ville où il avait été mis en prison; c'est son troisième voyage en Macédoine, et il rend mille bons témoignages aux Philippiens. Il y reste donc. " Le premier jour après le sabbat, comme nous nous étions assemblés pour la fraction du pain, Paul avant de partir les instruisait, et il prolongea son discours jusqu'au milieu de la nuit (6-7) ". Remarquez comme tout le reste n'était que l'accessoire de la prédication. C'était alors la Pentecôte et le jour du Seigneur, Paul prolongea son discours jusqu'au milieu de la nuit. Il avait un tel souci du salut des disciples, qu'il ne se taisait pas même la nuit, et qu'il enseignait d'autant mieux alors qu'on était dans le repos. Remarquez qu'il fit de longs discours, puisqu'il parla même après l'heure du souper. Mais le démon troubla la fête et ne fut pas le plus fort, quoiqu'il eût plongé, un auditeur dans le sommeil et l'eût précipité en bas. L'auteur rapporte ce fait tel qu'il arriva en continuant ainsi : " Il y avait de nombreuses lumières dans la salle du haut où nous étions réunis. Un jeune homme nommé Eùtychus, assis au bord de la fenêtre, s'étant endormi profondément pendant le discours prolongé de Paul, fut entraîné par le poids du sommeil, et tomba du troisième étage en bas, et on le releva mort. Paul étant descendu, se coucha sur lui, et l'ayant embrassé, dit : Ne vous troublez pas, car son âme est en lui. Il remonta donc, fit la fraction du pain, mangea; puis ayant continué son entretien jusqu'au jour, il partit. Ils emmenèrent l'enfant vivant, et ne furent pas peu consolés (8-12) ".
Considérez avec moi ce spectacle. Ils sont rassemblés : " Les disciples étant rassemblés ", (218) dit le texte. Considérons aussi le prodige opéré. Le jeune homme était assis sur une fenêtre, et fort avant dans la nuit, tant était grand le zèle des auditeurs. Rougissons, nous qui sommes loin d'en montrer autant même pendant le jour. — Mais c'était Paul qui prêchait alors, dit-on. Que dites-vous? Mais c'est encore Paul qui parle maintenant. Ou plutôt Paul ne parlait pas alors non plus qu'aujourd'hui; celui qui parle, c'est le Christ, et personne n'écoute. Il n'y a pas de fenêtre maintenant, il n'y a pas de besoin pressant, le sommeil n'accable pas, et cependant nous n'écoutons pas. Vous ne pouvez non plus vous plaindre du manque d'espace ni d'aucune incommodité de ce genre. Ce qui est aussi admirable c'est que, quoique jeune, Eutychus n'était pas négligent; accablé de sommeil, il ne s'en alla pas, et ne redouta pas le danger de tomber. Ne vous étonnez pas qu'il soit tombé en dormant; car ce n'était pas par paresse qu'il dormait, mais par la faiblesse de la nature. Considérez, je vous prie, de quel zèle ils étaient enflammés jusqu'à monter à un troisième étage : il n'y avait pas alors d'Eglise. " Ne vous troublez pas ", dit Paul, " car son âme est en lui ". Il ne dit pas : Il ressuscitera, car je le réveillerai, mais bien : " Ne vous troublez pas ". Voyez comme il est éloigné du faste et de la vaine gloire. " Il mangea ", dit l'auteur, " les exhorta longuement jusqu'au jour, et partit ". Voyez-vous comment ils passaient la nuit en veillant? La table était telle, que les auditeurs la quittaient sobres, et capables d'écouter de nouveau. Pour nous, en quoi différons-nous des chiens? Voyez quelle différence entre les premiers disciples et nous ! " Ils emmenèrent l’enfant vivant, et furent grandement consolés ". Ils furent grandement consolés parce qu'ils avaient reçu l'enfant vivant, et aussi parce qu'un prodige s'était accompli. " Pour nous, nous montâmes sur un vaisseau et nous allâmes jusqu'à Asson, où nous devions reprendre Paul, selon l'ordre qu'il cri avait donné, car pour lui il avait voulu faire le chemin à pied. Lors donc qu'il nous eut rejoint à Asson, nous nous dirigeâmes sur Mitylène ". Souvent Paul se sépare des disciples. Voici qu'il va à pied, et eux voyagent sur un navire; il laisse aux autres ce qui est plus agréable, et choisit pour lui ce qui est plus rude. Il voyageait à pied pour arranger beaucoup de choses, et pour enseigner aux Chrétiens à ne point se séparer de lui. " Nous nous rembarquâmes le lendemain, et nous arrivâmes en face de Chio. Le jour suivant nous touchâmes Samos, et, nous étant arrêtés à Trogile, le deuxième jour nous arrivions à Milet ". Paul se hâte, ils continuent leur route sans perdre de temps et en laissant de côté les îles. " Paul avait résolu de passer Ephèse sans y prendre terre, afin qu'il n'eût point occasion de s'arrêter en Asie, se hâtant pour être, s'il était possible, le jour de la Pentecôte à Jérusalem (13-16) ".
2. Pourquoi cette hâte ? Ce n'était pas à cause de la fête, mais à cause de la multitude. Paul attirait à lui les Juifs par son respect pour les fêtes, et comme il voulait ramener les ennemis, il avait hâte de leur annoncer la parole. Songez quel grand fruit il dut faire en ce jour qui réunissait toute la nation. Mais d'ailleurs, pour que les Ephésiens ne fussent pas négligés, il prit d'autres mesures. Mais reprenons. " Et ayant salué les disciples ", dit l'auteur, " il partit pour aller en Macédoine, et lorsqu'il leur eut adressé de nombreuses exhortations, il alla en Grèce ". Il ranimait ainsi leur foi et leur donnait d'abondantes consolations. Remarquez que partout il opère par la parole et non par des prodiges. " Devant aller en Syrie " , dit l'auteur. Toujours il nous le montre empressé d'aller en Syrie. La cause, c'était l'Eglise et Jérusalem. C'était aussi son désir de régler toutes choses en ce pays. Cependant Troade n'est pas une grande ville; pourquoi donc y restent-ils durant sept jours? Peut-être était-elle grande par le nombre des disciples. Et lorsqu'il y fut demeuré sept jours, il passa la nuit suivante à les instruire, tant c'était avec peine qu'il se séparait d'eux, et eux de lui. " Lorsque nous fûmes rassemblés pour la fraction du pain ", dit l'auteur. Le discours commença donc à l'heure indiquée pour la fraction du pain, et cette heure n'était pas trop avancée , mais l'entretien une fois commencé se prolongea. Ce n'était pas précisément pour l'instruction que l'on s'était réuni, mais pour la fraction du pain; mais une fois qu'il eut entamé l'instruction, Paul ne s'arrêta plus qu'il ne l'eût longuement développée. Remarquez que tous participaient à la table de Paul. Il me semble qu'il parla à table, pour nous apprendre à regarder la nourriture de l'âme comme l'affaire principale, et celle du corps (219) comme l'accessoire. Imaginez-vous cette maison illuminée, pleine de monde, et Paul parlant au milieu de l'assemblée. Imaginez-vous celle maison dont la foule occupait les fenêtres pour entendre cette trompette retentissante et contempler son majestueux visage. Quels pensez-vous que furent les auditeurs, quelle joie ils goûtaient? Pourquoi parlait-il pendant la nuit? Parce qu'il devait s'en aller et ne les verrait plus désormais. Il ne dit pas cela à cette foule , trop faible pour l'entendre ; mais il le disait aux autres. Le miracle devait aussi rappeler à jamais le souvenir de cette soirée. La joie des auditeurs était grande, et elle fut augmentée encore par cette interruption; cette chute tourna aussi à l'avantage du docteur. D'ailleurs ce jeune homme qui mourut pour entendre Paul devait être un reproche continuel pour les paresseux. Mais pourquoi, dit-on, l'auteur énumère-t-il chaque endroit où ils allèrent , où ils s'arrêtèrent, et les endroits qu'il laissa de côté en naviguant? Pour montrer qu'il naviguait assez lentement, et que c'était aussi par un motif humain qu'il, laissait de côté certains lieux pendant la navigation. " Il décida qu'on passerait Ephèse sans a prendre terre, pour ne point perdre de temps en Asie ". C'était avec raison ; car il n'eût pu, s'il fut entré à Ephèse, ne pas s'y arrêter, parce qu'il n'aurait pas voulu affliger les disciples qui le prieraient de rester. Il faut ajouter qu'il était pressé. " Il se hâtait " , dit l'auteur, " afin , s'il était possible, de passer le jour de la Pentecôte à Jérusalem ". Il ne pouvait donc s'arrêter à Ephèse. Vous voyez que Paul subit aussi les conditions de l'humanité: il désire, il se hâte et ne réussit pas toujours ni infailliblement. Il en est ainsi pour que nous ne pensions pas qu'il fût au-dessus de la nature humaine. Les saints et les hommes illustres ne différaient pas de nous par la nature, mais seulement parla volonté. C'est par là qu'ils attiraient sur eux une grâce immense. Voyez quelles grandes choses ils exécutent par eux-mêmes. C'est à cause de cela que Paul disait: " Pour ne pas donner sujet de s'offenser à ceux qui le veulent " (II Cor. VI, 3); et ensuite: "Pour qu'on ne critique pas notre ministère ". Ces paroles sont la marque d'une vie sans tache et d'une grande indulgence. Atteindre au sommet de la vertu et conserver le sentiment d'une humble condescendance, voilà la perfection. Apprenez
comment cet homme, qui allait au delà des stricts préceptes du Christ, restait néanmoins le plus humble de tous: " Je me suis fait tout à tous pour les gagner tous " (I Cor. IX; 22), dit-il. Il se précipita même dans les dangers comme il le dit ailleurs: " Dans la patience sans bornes , dans les tribulations, dans le besoin, dans les malheurs, dans les prisons " (Il Cor. VI, 45) ; son amour pour le Christ était immense. S'il n'en eût été ainsi, tout le reste eût été vain , grâces reçues, vie sans tache et dangers. " Qui souffre sans que, je souffre? qui est scandalisé sans que je brûle? "
3. Suivons ces paroles, je vous en conjure, et exposons-nous au danger pour nos frères. Si le feu ou le fer vous menacent, précipitez-vous, mon cher, pour en arracher celui qui est avec vous membre d'un même corps; précipitez-vous et ne craignez point. Vous êtes le disciple du Christ qui a donné sa vie pour ses frères; le condisciple de Paul qui aurait voulu souffrir mille maux pour ses ennemis et pour ceux qui le persécutaient; soyez plein de zèle, imitez Moïse. Celui-ci vit quelqu'un qu'on traitait injustement, et il se fit son vengeur; il méprisa les délices des rois, et devint pour ceux qui souffraient, fugitif, errant, sans asile et sans parents; il demeura longtemps sur la terre étrangère, il ne s'en fit pas de reproches à soi-même, et ne dit jamais Qu'est-ce que cela? J'ai méprisé le trône, tant d'honneur et tant de gloire; j'ai préféré venger ceux qu'on accablait d'injustices, et Dieu ne m'en a pas tenu compte, et non-seulement il ne m'a pas rétabli dans mes premiers honneurs, mais voilà quarante ans que je passe sur la terre étrangère ; ce qui veut bien dire : Je n'ai pas reçu de récompense. Il ne dit ni ne pensa rien de tout cela. Faites donc ainsi Vous faites le bien et vous souffrez le mal, et cela pendant longtemps; néanmoins né vous scandalisez ni ne vous troublez point, car le Seigneur vous en donnera récompense entière. Plus le paiement est différé, plus s'accumulent les intérêts. Ayons donc une âme compatissante et qui sache prendre sa part de la douleur d'autrui; n'ayons jamais rien en nous de cruel et d'inhumain. Si vous ne pouvez faire plus, pleurez et gémissez : ces pleurs ne seront pas inutiles pour vous. S'il faut compatir aux maux de ceux que Dieu frappe justement, bien plus encore faut-il compatir aux maux de ceux qui souffrent injustement. " Les (220) gens d'OEnan ne sortirent point pour pleurer sur la maison qui leur était voisine. Ils recevront la douleur parce qu'ils l'ont tournée en dérision ". Ezéchiel leur reproche ainsi de n'avoir pas pleuré avec leurs voisins. Que dites-vous, ô prophète ! Dieu punit: et je pleurerais avec ceux qui sont châtiés? Certainement : car celui qui punit le veut ainsi, car lui-même en punissant ne se réjouit pas, mais il est plutôt dans la douleur. Puis donc que celui-là même qui punit ne se réjouit pas, ni vous non plus, ne vous réjouissez pas. Mais s'il sont punis justement, direz-vous, il ne faut pas s'attrister? Au contraire, il faut s'affliger même alors de ce qu'ils ont paru dignes du châtiment. Dites-moi : Lorsque vous voyez votre fils brûlé ou coupé, ne vous attristez-vous pas ? Certainement vous ne vous dites pas à vous-même : Qu'est-ce que cela? la coupure doit produire la santé; la brûlure a pour but la guérison : cependant lorsque vous entendez les cris de votre enfant qui ne peut supporter ses douleurs, vous souffrez, et l'espoir de son retour à la santé ne suffit pas pour surmonter le trouble de la nature. Usons-en de même envers les autres hommes; quoique le châtiment leur soit infligé pour leur bien, montrons-leur cependant une affection paternelle et des sentiments de père.
Les châtiments de Dieu sont des coupures et des brûlures,
et nous devons nous attrister de ce qu'ils aient eu besoin d'un tel remède
pour être guéris. Si quelqu'un souffre volontairement ces
maux pour là couronne, comme Pierre et Paul, alors ne vous affligez
pas; mais s'il subit un juste châtiment, alors pleurez et gémissez.
Tels étaient les prophètes. C'est pourquoi l'un d'eux a dit
: " Hélas ! Seigneur, détruirez-vous les restes d'Israël?
" (Ezéch. IX, 8.) Nous voyons souvent châtier des meurtriers
et des scélérats , et nous souffrons et nous nous attristons.
Ne soyons pas philosophes outre mesure : soyons miséricordieux,
afin de trouver miséricorde. Rien n'est comparable à cette
qualité, rien ne nous montre mieux un caractère humain que
la miséricorde et la douceur. C'est pourquoi les lois renvoient
tout le châtiment aux bourreaux; elles obligent le juge à
prononcer la sentence sans aller plus loin, elles appellent les bourreaux
pour l'exécution. Ainsi, quelque juste que soit le châtiment,
il n'appartient pas à l'homme qui se respecte de l'infliger, ce
ministère couvient à quelque mercenaire. Dieu ne frappe pas
par lui-même, mais par le moyen des anges. Les anges sont donc des
bourreaux, direz-vous ? Fi donc ! Je ne dis pas cela, mais ils sont des
puissances vengeresses. Lorsque Sodome fut détruite, elle le fut
par eux; les plaies de l'Égypte furent aussi leur oeuvre Il en a
donné mission aux anges mauvais" (Ps. LXXVII, 49), dit l'Écriture.
Lorsqu'il faut sauver, il agit par lui-même. Ainsi, il a envoyé
son Fils pour le salut du genre humain. Et ailleurs l'Écriture ne
dit-elle pas: " Je dirai aux anges : Rassemblez ceux qui commettent l'iniquité,
et jetez-les dans la fournaise ". (Matth. XIII, 41, 42.) Touchant les justes,
il n'agit pas ainsi; mais il leur dit: " Celui qui vous reçoit,
me reçoit" (Idem, X, 40); et ailleurs : " Liez-lui les pieds et
les mains, et jetez-le , dans les ténèbres extérieures
". (Idem, XXII, 13.) Voyez, ici ce sont les serviteurs qui accomplissent
ses ordres. Lorsqu'il doit faire du bien, c'est lui qui le fait, c'est
lui qui appelle : " Venez les bénis de mon Père, recevez
le royaume qui vous a été préparé en héritage
". (Idem, XXV, 34.) Lorsqu'il veut parler à Abraham, c'est lui qui
vient; lorsqu'il faut aller à Sodome, il envoie ses serviteurs comme
un juge qui envoie ceux qui doivent punir. Et ailleurs : " Courage, serviteur
bon et fidèle, parce que tu as été fidèle à
propos de peu, je t'établirai sur beaucoup ". (Idem, XXV, 21.) C'est
lui-même qui bénit cet homme ; ce n'est pas lui, mais les
serviteurs qui jettent le méchant dans les ténèbres.
Instruits de ces choses, ne nous réjouissons pas à la vie
de ceux qui sont punis, mais gémissons encore; attristons-nous et
pleurons sur eux, afin d'en recevoir récompense. Maintenant il y
en a beaucoup qui se réjouissent, même des maux endurés
par ceux qui souffrent injustement. Pour nous, n'agissons pas ainsi, mais
montrons toutes sortes de commisérations; afin que, nous aussi,
nous soyons jugés dignes de la miséricorde de Dieu, par la
grâce et la bonté de son Fils unique, avec qui appartiennent,
au Père et à l'Esprit. Saint, gloire, puissance, honneur,
maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi
soit-il.
HOMÉLIE XLIV. ÉTANT A MILET, PAUL ENVOYA A ÉPHÉSE
ET CONVOQUA LES PRÊTRES DE CETTE ÉGLISE. LORSQU'ILS FURENT
VENUS PRÉS DE LUI, IL LEUR DIT : " VOUS SAVEZ QUE DEPUIS LE PREMIER
JOUR OU JE SUIS ENTRÉ EN ASIE, JE SUIS DEMEURÉ AVEC VOUS
PENDANT TOUT LE TEMPS, SERVANT LE SEIGNEUR AVEC VOUS EN TOUTE HUMILITÉ,
AVEC BEAUCOUP DE LARMES, ET AU MILIEU DE BEAUCOUP D'ÉPREUVES QUI
NE SONT ARRIVÉES PAR LES EMBUCHES DES JUIFS; QUE JE N'AI RIEN NÉGLIGÉ
DE CE QUI ÉTAIT NÉCESSAIRE POUR VOUS ANNONCER LA PAROLE ET
VOUS INSTRUIRE EN PUBLIC ET EN PARTICULIER, PRÊCHANT AUX JUIFS ET
AUX GENTILS LA PÉNITENCE ENVERS DIEU, ET LA FOI ENVERS NOTRE-SEIGNEUR
JÉSUS-CHRIST ". (CHAP. XX, 17-21, JUSQU'AU VERS. 31.)
221
ANALYSE. 1.3. Discours de saint Paul aux Ephésiens. — Eloge de l'humilité, et de la liberté de parole quand il s'agit.de la vérité. — Nécessité de la vigilance pour les pasteurs. — Les loups puissants ravageurs du troupeau. — Nécessité de la vigilance pour les disciples.
f. Reproches que saint Jean Chrysostome adresse à son peuple. — Il rappelle ce qu'il a fait depuis qu'il prêche, et se livre à sa douleur. — Ardeur de son désir pour le salut de son peuple. `
1. Paul, quoique pressé de passer outre, ne néglige rien et pourvoit à tout. Il fait venir les chefs de l'église d'Éphèse et leur dit ce qu'on vient de lire. On ne peut qu'admirer comment, forcé qu'il est de dire quelque chose de glorieux pour lui, il s'y prend modestement. Ainsi Samuël, sur le point de remettre le commandement à Saül, dit à Israël: " Vous êtes témoins, ainsi que Dieu, si j'ai reçu quelque chose de vous ". (I Rois, XII, 5.) Et David, en qui l'on n'avait pas foi, dit aussi : " J'étais dans la bergerie, paissant les brebis ode mon père.; et lorsque vint l'ours, je le déchirai de mes mains ". ( I Rois, XVII, 34, 35.) Et Paul lui-même dit aux Corinthiens "J'ai été insensé; vous m'y avez forcé ". (II Cor. XII, 10.) Dieu fait de même aussi : il ne parle pas simplement de lui-même, mais lorsqu'on ne veut pas croire en lui, il allègue ses bienfaits. Voyez donc ce que fait Paul d'abord il en appelle au témoignage de l'auditoire, pour qu'on ne pense pas qu'il parle avec vanité, et il atteste les auditeurs eux-mêmes qu'il n'a pas menti en disant ce qu'il a dit. Rien ne donne tant d'autorité à un docteur que d'avoir pour témoins de ses propres bonnes oeuvres ceux qu'il a instruits. Ce qui est étonnant, c'est qu'il employa non pas un ou deux jours, mais plusieurs années à cette oeuvre. " Vous savez", dit-il, " que j'ai été avec vous pendant tout le temps ". Il veut donc les exhorter à supporter avec courage toutes choses, et leur séparation de lui, et les épreuves qui doivent arriver, de même que firent Moïse et Jésus. Et voyez aussi ce qu'il ajoute : " Que j'ai été avec vous pendant tout le temps, servant le Seigneur en toute humilité ". Remarquez ce qui convient surtout à ceux qui commandent. " Haïssant l'orgueil " ; paroles qui se rapportent surtout aux princes que l'élévation de leur état pousse à l'idée exagérée d'eux-mêmes. Cette vertu est tellement la source des bonnes oeuvres, que le Christ disait : " Bienheureux les pauvres en esprit ". (Matth. V, 3.) Non-seulement Paul dit : avec humilité, mais bien : " en toute humilité ". Il y a beaucoup de sortes d'humilité; car on peut voir l'humilité en paroles, en actions, envers les supérieurs, envers les inférieurs. Si vous le voulez, je vous dirai les divers modes de l'humilité. Il y en a qui sont humbles avec les humbles, et superbes avec les superbes; cela n'est pas (222) l'humilité. Il y en a d'autres qui, à l'occasion, conservent l'humilité et la grandeur envers toutes les personnes; et c'est là surtout de l'humilité. Paul ne voulant pas passer pour orgueilleux en enseignant l'humilité, donne une base solide à son enseignement, en supprimant d'avance tout soupçon de ce genre. En effet, si j'ai vécu avec toute humilité, ce n'est pas par vanité que je dis ce que je vous dis. Ensuite il allègue sa douceur: " Je fus avec vous, servant le Seigneur ", dit-il, pour montrer qu'ils furent les compagnons de ses bonnes oeuvres. Ainsi, partout la vie commune est bonne. Il rend donc ses bonnes oeuvres communes, et il ne s'attribue rien d'éminent. Pourquoi donc? direz-vous. Est-ce qu'il pouvait être arrogant envers Dieu? Il y en a beaucoup qui sont arrogants envers Dieu; Paul n'était pas même arrogant envers ses,disciples. C'est l'oeuvre parfaite du maître de former ses disciples par ses bonnes actions propres. Ensuite il montre sa force d'âme sur laquelle il passe rapidement : "Avec beaucoup de larmes, " au milieu de beaucoup d'épreuves qui me sont arrivées par les- embûches des Juifs ". Voyez-vous comme il s'attriste de ce qui est arrivé? Là il me semble indiquer clairement sa commisération; il s'affligeait sur ceux qui périssaient, sur les auteurs de ses tribulations. Il se réjouissait des maux qui lui arrivaient; car il faisait partie de ce collège apostolique dont les membres se réjouissaient d'avoir été jugés dignes de souffrir l'injure à cause de son nom ". (Act. V, 41.) Il dit lui-même . " Maintenant je me réjouis de ce que j'ai souffert à cause de vous " ; et. encore : " Une affliction légère et de courte durée nous acquiert un poids éternel de gloire au-dessus de toute grandeur dans le ciel ". (Coloss. I, 24; Il Cor. IV, 17.) Mais il dit cela par modestie. Ici il montre son courage, et non pas tant son courage que sa patience. C'est comme s'il disait : " J'endurais des maux, mais c'était avec vous; ce qui est grave de la part des Juifs ". Voyez maintenant le caractère de la doctrine; et il place en même temps la charité et la force : " Que je n'ai rien négligé ", dit-il. Ceci montre un zèle qui n'a rien épargné. " De ce qui était utile ". Il parle avec raison ainsi. Il y avait des choses qu'il était inutile aux fidèles de savoir. Si cacher certaines choses eût été de la méchanceté, tout dire eût été de la sottise. C'est pour cela qu'il a ajouté : " De ce qui était utile ". Il indique par là qu'il a enseigné la doctrine, ne se bornant pas à l'énoncer une fois seulement pour l'acquit de sa conscience : que ce soit là le vrai sens, écoutez ce qu'il dit ensuite; cela vous le prouvera, car il ajoute : " En public et dans les maisons " ; et il montre ainsi ses grands travaux, son zèle immense et sa persévérance Attestant aux Juifs et aux gentils ". Non à vous seulement, dit-il, mais aussi aux gentils. Là est la parole franche et libre ; cela veut dire qu'un apôtre doit parler, dût sa parole être inutile. Ce mot attester" qu'il emploie, signifie qu'il prêchait même à ceux qui n'étaient pas attentifs à sa parole; c'est le sens le plus fréquent d'attester. " J'atteste le ciel et la terre ", dit Moïse; et Paul : " Attestant aux Juifs et aux gentils la pénitence envers Dieu ".
2. Qu'attestez-vous donc? Qu'il faut changer de vie, qu'il faut se repentir et revenir à Dieu. Les Juifs ne l'avaient pas connu parce qu'ils avaient méconnu le Fils; parce qu'ils n'avaient pas les oeuvres; non plus que la foi dans le Seigneur Jésus. Pourquoi dites-vous cela? Pourquoi rappelez-vous ces choses? Que s'est-il passé? Quelle accusation portez-vous? "Et voilà que maintenant, enchaîné par l'Esprit-Saint, je vais à Jérusalem; ignorant ce qui doit m'y arriver, si ce n'est que dans toutes les villes où je passe l'Esprit-Saint me dit et m'atteste que des chaînes et des persécutions m'attendent. Mais je n'en fais aucun cas; ma vie ne m'est pas si précieuse que d'accomplir ma course avec joie, et le ministère que j'ai reçu du Seigneur Jésus, d'attester l'Évangile de la grâce de Dieu (22-24) ". Pourquoi Paul dit-il cela? Pour les préparer et les rendre capables de supporter-les dangers visibles ou cachés, et d'obéir en tout à l'Esprit-Saint. Il montre qu'il est conduit à de grandes choses. " Si ce n'est que l'Esprit-Saint me dit et m'atteste dans toutes les villes par où je passe ". Il parle ainsi pour faire voir qu'il agit librement, et afin qu'on ne pense pas qu'il n'est pas libre, mais poussé par la nécessité. Ensuite il ajoute : " Ma vie ne m'est pas si précieuse que d'accomplir ma course avec joie, ainsi que le ministère que j'ai reçu du Seigneur Jésus ". Vous voyez que ce ne sont pas là les paroles d'un homme qui se lamente, mais d'un homme modeste qui enseigne et qui ne reste pas indifférent aux événements. Il ne dit (223) pas: Nous sommes dans l'angoisse; mais: Il faut supporter nos maux; il ne dit pas même Je juge que... Il parle de la sorte, non pour se louer lui-même, mais pour leur enseigner d'abord l'humilité, ensuite le courage, la liberté de parole. C'est comme s'il disait: Je n'aime pas cette vie plus que l'autre; je pense qu'il est plus précieux pour moi d'accomplir ma course, et " d'attester avec insistance la doctrine de l'Evangile ". Il ne dit pas : Prêcher, enseigner; mais quoi donc? " Attester l'Evangile de la grâce de Dieu ". Il va dire quelque chose de plus pénible : " Je suis pur du sang de tous ". Il les prépare donc et leur montre qu'il ne reste plus rien. Comme il allait leur laisser la charge et le fardeau tout entiers, il attendrit leur coeur en disant : " Je sais maintenant que vous ne verrez plus désormais mon visage ". Puis il ajoute: " Je suis pur du sang de tous ". La douleur est double : ils ne verront plus son visage et eux tous. En effet, dit-il : " Vous ne verrez plus mon visage, vous tous, au milieu de qui je suis passé, prêchant le royaume de Dieu ". Je vous atteste donc avec raison, parce que je ne serai plus désormais avec vous, " que je suis pur du sang de tous ; car je n'ai pas craint de vous annoncer toute la volonté de Dieu ". Ne voyez-vous pas comme il les effraie et comme il accable leurs âmes affligées et troublées? C'est avec raison, car c'était nécessaire. "Car je n'ai pas craint de vous annoncer toute la volonté de Dieu ". Celui qui ne parle pas est responsable du sang de l'homme, c'est-à-dire du meurtre. Rien de plus effrayant que cela. Il leur montre que ceux qui n'agiront pas comme lui, sont responsables du sang. Il semble se disculper, et il les épouvante : " Veillez donc sur vous et sur tout le troupeau, sur lequel le Saint-Esprit vous a constitués évêques, pour paître a l'Eglise de Dieu qu'il a acquise par son propre sang ". Voyez-vous ; il leur ordonne deux choses : redresser seulement les autres ne procure aucun bénéfice. " Je crains qu'ayant prêché les autres, je ne sois moi-même réprouvé " (I Cor. IX, 27) ; non plus que de n'avoir soin que de soi-même. En effet, celui qui s'aime soi-même et ne recherche que ce qui le concerne, est semblable à celui qui a enfoui son talent. Ce qu'ajoute l'apôtre ne veut pas dire que notre salut est plus précieux que celui du troupeau; mais parce que, si nous veillons sur nous-mêmes, le troupeau aussi en profite. " Sur lequel l'Esprit-Saint vous a constitués évêques, pour paître l'Eglise de Dieu ". Voyez quelles grandes obligations ! Vous avez été ordonnés par l'Esprit-Saint; c'est ce que veut dire, en effet : " Vous a constitués ". C'est là une obligation; ensuite pour paître l'Eglise de Dieu ", voilà la seconde ; et voici la troisième: " Qu'il a acquise par son propre sang ". Ces paroles montrent la grandeur du ministère pastoral. Le danger non plus n'est pas médiocre pour nous, puisque le Seigneur, pour l'Eglise, n'a pas épargné son propre sang, si nous négligeons le salut de nos frères. Le Seigneur, pour réconcilier des ennemis, a versé son sang ; et vous n'avez pas même la force de conserver ceux qui sont devenus des amis. " Je sais qu'après mon départ des loups terribles viendront au milieu de vous, qui n'épargneront pas le troupeau (21-29) " . Il les fait ainsi porter leurs regards vers l'avenir, comme lorsqu'il dit ailleurs : " Nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang. (Ephés. VI, 12.) Il viendra au milieu de vous des loups terribles ". Double malheur qu'il ne soit plus là, et qu'il doive venir des ennemis menaçants. Pourquoi vous en allez-vous, ô Paul , si vous prévoyez cela? L'Esprit me pousse, dit-il.
3. Remarquez qu'il ne dit pas seulement " des loups" et que ce n'est pas sans raison qu'il ajoute " terribles " pour marquer leur violence et leur audace; et ce qui est plus grave, il, dit que ces loups devront surgir du milieu d'eux: ce qui, certes, est terrible puisque ce sera une guerre civile. Il dit donc avec beaucoup de raison : "Veillez", pour montrer que la chose exige beaucoup de zèle (il s'agit de l'Eglise); que le danger est grand (le Christ l'a rachetée de son sang), et que la guerre doit être grande, et qu'elle sera double. C'est là ce qu'il veut indiquer clairement en disant : " Et il surgira du milieu de vous des hommes proférant des paroles perverses pour entraîner les disciples à leur suite ". Ensuite, comme il les a tout à fait effrayés par cette parole : des " loups terribles ", et aussi par celle-ci, savoir: qu'il surgirait du milieu d'eux des hommes proférant des paroles perverses, comme si quelqu'un embarrassé lui demandait : Comment donc? comment faudra-t-il veiller? il ajoute : " Veillez, et souvenez-vous que pendant trois années, nuit et jour, je n'ai (224) cessé d'avertir avec larmes chacun de vous (32) ". Voyez quelle surabondance de zèle Avec larmes, nuit et jour, chacun de vous ". Qu'épargnait-il pour un grand nombre, celui qui savait ne rien épargner pour une seule âme. Ainsi il les unit tous. Ce qu'il dit signifie Ce que j'ai fait suffit; je suis resté trois :ans; ils sont suffisamment confirmés dans la foi, les racines sont assez fortes. " Avec larmes ", dit-il. Voyez-vous qu'il faut verser des larmes dans ce ministère? Faisons de même nous aussi. Le méchant ne s'attriste pas : attristez-vous, il s'attristera peut-être. Lorsqu'un malade voit le médecin prendre de la nourriture, il est excité par l'exemple. Ainsi en sera-t-il alors. S'il vous voit pleurer, il sera attendri, et deviendra un homme bon et doux. " Ne sachant pas", dit Paul, " ce qui doit m'arriver ". Mais quoi ! vous en allez-vous pour cela? Nullement ; mais je. sais sûrement que des chaînes et des tribulations m'attendent. Que des épreuves m'attendent; je le sais ; quelles elles sont, je ne le sais pas, ce qui était plus grave. Ne croyez pas que je dise ces choses pour me plaindre; je ne tiens pas ma vie comme si précieuse. Il parle ainsi pour leur rendre l'énergie, et leur persuader non-seulement de ne pas fuir, mais de souffrir avec courage. Il appelle sa mission une course et un ministère, pour leur faire envisager d'une part la gloire qui provient de la course , et le devoir qu'impose le ministère. Je suis ministre, . dit-il, je n'ai rien de plus. Il a soin de les consoler à l'avance et de prévenir la douleur que pourraient leur causer les maux qu'il doit souffrir, et de leur dire que c'est avec joie qu'il les endure, et ce n'est qu'après avoir montré le fruit qu'il vient à parler des choses pénibles. Il agit ainsi pour ne point accabler leur coeur. Quelles sont-elles ces choses pénibles? " Il surgira du milieu de vous des hommes proférant des paroles perverses ". Quoi donc , dira quelqu'un, vous croyez-vous si grand, que si vous vous en allez nous mourions? Je ne dis pas , répondit-il, que mon absence puisse avoir cet effet; mais quoi? Il surgira du milieu de vous ". Paul ne dit pas : à cause de mon départ; mais " après mon départ ", c'est-à-dire, après que je vous aurai quittés; cela est déjà arrivé mais si cela est déjà arrivé, à plus forte raison cela arrivera-t-il après que je vous aurai quittés. Ensuite il donne le but de ces méchants : " Pour entraîner les disciples à leur suite ". Les hérésies n'ont pas d'autre motif que celui-là. Puis vient la consolation : " Qu'il s'est acquise par son propre sang " : S'il (le Christ) l'a acquise par son propre sang, il triomphera complètement: " Jour et nuit avec larmes ", dit Paul, " je n'ai cessé d'avertir " : Ces choses nous seraient dites avec raison; le discours semble s'adresser spécialement aux docteurs , mais il est commun à tous les disciples. Pourquoi en effet parlerai-je, avertirai-je, pleurerai-je jour et nuit, si le disciple ne veut pas se laisser convaincre ?Afin que personne ne pense que c'est assez; pour sa défense, d'être.disciple et de ne faiblir pas. Paul, après avoir dit : " J'atteste ", ajoute ces mots : " Que je n'ai jamais négligé de vous annoncer". Le docteur seul doit donc annoncer, prêcher, enseigner, ne rien négliger, annoncer nuit et jour; mais lorsque ces oeuvres sont accomplies, s'il n'est rien fait de plus, vous savez ce qui reste. Ensuite vient une, autre apologie : " Je suis pur du sang de tous ". Ne croyez pas que ces choses ne soient dites qu'à nous, car ce discours s'adresse aussi à vous, afin que vous fassiez attention à nos paroles, et que vous, ne vous éloigniez pas des discours publics.
Que ferai-je ? Voici que tous les jours je me fatigue à crier,: Eloignez-vous du théâtre; beaucoup se rient de nous; abstenez-vous des serments, de l'avarice; nous donnons mille avertissements, personne ne nous entend. — Mais je ne prêche pas la nuit. — Je voudrais le faire, même la nuit ; je voudrais, si les mille affaires qui m'occupent me le permettaient, m'asseoir à vos tables, auprès de vous, et vous parler ; mais si vous êtes négligents lorsque nous ne vous convoquons qu'une fois par semaine, négligents à tel point que beaucoup ne viennent pas, et que ceux qui viennent ne retirent aucun fruit de nos paroles, que feriez-vous donc si nous vous prêchions plus souvent? Que ferons-nous? Beaucoup, je le sais, se moquent de nous parce que nous parlons sans cesse sur le même sujet, tant nous leur sommes à charge. Ce n'est pas notre faute, c'est la vôtre. En effet, celui qui agit bien aime à entendre les mêmes choses, comme s'il entendait son éloge; celui, au contraire, qui ne veut pas bien agir, pense qu'on l'importune, et s'il a entendu seulement deux fois parler de quelque sujet, il s'imagine (225) l'avoir entendu souvent. " Je suis innocent du sang de tous", dit l'apôtre.
4. Il convenait à Paul de ;prononcer cette parole, mais nous n'osons la dire, nous qui avons conscience de mille négligences. A lui, en effet, toujours vigilant, toujours debout, à lui qui supportait tout pour le salut de ses. disciples, il convenait de parler ainsi ; pour nous, nous emploierons la parole de Moïse et nous dirons : " Le Seigneur s'est irrité contre moi à cause de vous, parce que vous nous entraînez nous-mêmes dans beaucoup de péchés ". (Deutér. III, 26.) Lorsque nous perdons courage en voyant que vous ne faites aucun progrès, est-ce que la plus grande partie de nôs forces ne nous abandonne pas? Qu'est-il donc arrivé, dites moi? Voici que, par la grâce de Dieu, nous aussi depuis trois années, nous exhortons, non pas nuit et jour, il est vrai, mais souvent trois jours par semaine, et quelquefois sept. Quel avantage en avez-vous retiré? Nous accusons, nous réprimandons, nous pleurons, nous nous affligeons, sinon ouvertement, au moins au fond de notre coeur. Les larmes qui coulent sont moins amères que celles qui ne sortent pas du coeur; celles-là soulagent la douleur, celles-ci l'augmentent en la concentrant en nous-mêmes. Ainsi, lorsqu'on est dans la peine et qu'on ne peut exprimer son chagrin, pour ne pas paraître rechercher la vaine gloire, on souffre plus vivement que si l'on donnait cours à sa douleur. Si personne ne me croyait désireux de vains éloges, vous me verriez tous les jours verser des torrents de larmes qui n'ont pour témoins que ma petite demeure et la solitude. En effet, croyez-moi, j'ai désespéré de mon salut en pleurant sur vos maux ; je n'ai pas le loisir de pleurer sur les miens, tant vous êtes tout pour moi. Si je vous vois faire des progrès, ce bonheur m'empêche de sentir mes maux; si je m'aperçois que vous ne faites aucun progrès , j'oublie encore une fois mes maux. Je suis encore joyeux de votre bien, même lorsque j'endure mille peines; je serais encore triste de vos douleurs quand mille biens m'arriveraient. Quel espoir reste-t-il au docteur si le troupeau se corrompt? Quelle vie? quelle attente? Avec quelle confiance se présentera-t-il devant Dieu ? Que dira-t-il? Admettons qu'il ne lui soit pas fait de reproches, qu'on ne lui inflige pas de châtiment, mais qu'il soit pur du sang de tous, alors encore il souffrira cruellement ; car, quoique les pères ne doivent pas être accusés à cause de leurs fils, cependant ils gémissent et sont dans le chagrin.
Mais, dira-t-on, ne suffit-il pas au pasteur , pour qu'il soit justifié devant Dieu , qu'il ait veillé sur nos âmes? Mais ils veillent comme devant rendre compte (Hébr. XIII, 17) : ce qui paraît effrayant pour quelques-uns; mais pour moi je n'en ai aucun souci. Si vous venez à périr, que je rende compte ou non, cela m'importe peu. Mon désir est que vous soyez sauvés, dussé-je rendre compte pour vous; oui, que vous soyez sauvés, et que je sois accusé de n'avoir pas fait mon devoir. Je n'ai pas souci que vous soyez sauvés par mon moyen, pourvu que, par n'importe quelle voie, vous arriviez au salut. Vous ne savez pas la tyrannie des enfantements spirituels, vous ne savez pas que celui qui enfante de cette manière préférerait être coupé en morceaux que de voir un seul de ceux qu'il a enfantés périr ou se corrompre. Comment vous le persuader? Nous ne nous servirons pas pour cela d'autre chose que de ce qui a été lu aujourd'hui. Nous pouvons dire, nous aussi, que nous n'avons rien négligé ; mais cependant nous nous attristons; et la preuve en est que nous préparons que nous inventons mille moyens. Cependant nous aurions pu vous dire : Quel souci puis-je avoir? J'ai fait ce qui dépendait de moi, je suis pur du sang; mais cela ne console pas; si notre coeur pouvait se déchirer et se montrer à vos yeux, vous verriez que vous y êtes renfermés et y occupez une large place, vous tous, femmes, enfants et hommes. Car telle est la force de-la charité, qu'elle rend l'âme plus vaste que le ciel. " Recevez-nous ", dit Paul , " nous n'avons fait d'injustice à personne. (II Cor. VII, 2.) Vous n'êtes point dans nous à l'étroit ". (Ibid. VI, 12.) Nous aussi nous disons: Recevez,nous. Paul avait Corinthe entière dans son coeur, et il dit : " Dilatez-vous, vous aussi ; vous n'êtes point. à l'étroit ". (Ibid. XIII, 12.) Mais moi, je ne saurais parler ainsi, car je sais bien que vous m'aimez et que vous me recevez; mais quel bien retirer de ma charité ou de la vôtre, si les choses de Dieu ne font pas de progrès C'est là une grande source de peine, une grande cause de dommage. Je ne puis vous accuser en rien: " Car je vous rends témoignage que si cela eût été possible, vous vous (226) seriez arraché les yeux et me les eussiez donnés". (Gal. IV, 15.) Nous désirerions vous donner, non-seulement l'Evangile, mais même notre propre vie. Nous sommes aimés et nous aimons, mais cela n'est pas en question. Nous aimerons le Christ d'abord ; car le premier commandement est celui-ci : " Vous aimerez le Seigneur votre Dieu ; le second lui est semblable : Et le prochain comme vous-même ". (Matth. XXII, 37, 39; Marc, XII, 30.) Nous observons le second, nous manquons encore au premier. Oui, il nous manque beaucoup à l'égard du premier, à vous et à moi.
Nous l'observons, mais non comme il convient. Vous savez la grande récompense
promise à ceux qui aiment le Christ. Nous l’aimerons de toute la
ferveur de notre âme, de sorte que, jouissant de sa bienveillance,
nous éviterons les tempêtes de la vie présente, et
mériterons d'acquérir les biens promis à ceux qui
l'aiment, par la grâce et la miséricorde du Fils unique, avec
qui appartiennent, au Père et à l'Esprit-Saint, gloire, puissance,
honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles.
Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XLV. ET MAINTENANT, MES FRÈRES, JE VOUS RECOMMANDE
A DIEU, ET AU VERRE DE SA GRACE, A CELUI QUI PEUT ACHEVER L'ÉDIFICE,
ET VOUS DONNER LE DROIT D'HÉRITAGE PARMI TOUS LES SAINTS. (CHAP.
XX, VERS. 32, JUSQU'AU VERS. 18 DU CHAP. XXI.)
ANALYSE. 1-3. Suite du discours de saint Paul aux Ephésiens.
— Commentaire. — Voyages de saint Paul. — Agabus prophétise les
tribulations. qui doivent arriver à Paul. — Il faut secourir les
pauvres. — Nécessité de donner l'hospitalité. — Récompense
de h charité et de l'hospitalité. — Louanges d'Abraham.
4. Comment on doit donner l'hospitalité. — Chacun doit donner l'hospitalité à l'imitation de l'Eglise. — Il faut former ses serviteurs au bien.
1. Ce que Paul fait dans ses épîtres,, il le fait aussi dans ses conseils, il passe de l'exhortation à la prière. Comme il les a grandement effrayés, en leur disant : " Des loups terribles surgiront parmi vous " , pour ne pas les consterner et anéantir leur courage, voyez comment il les console. " Et maintenant ", dit-il. Il parle ainsi pour leur montrer que c'est comme -toujours. " Mes frères, je vous recommande à, Dieu et au Verbe de sa grâce ", c'est-à-dire, à sa grâce. Il avait raison de parler ainsi, car il savait que c'est la grâce qui sauve. Souvent il leur rappelle la grâce, afin de les rendre plus zélés, puisqu'ils sont débiteurs, et de leur persuader d'avoir confiance à celui qui peut achever l'édifice. Il ne dit pas simplement édifier, mais achever l'édifice, montrant par là qu'ils étaient déjà édifiés. Ensuite il leur parle de l'espérance à venir, en disant : " Et vous donner le droit d'héritage parmi tous les saints ". Vient ensuite une nouvelle exhortation : " Je n'ai désire l'argent, l'or et le vêtement de personne ". Il arrache la racine de tous les maux, l'avarice. Il ne dit pas : je n'ai pas reçu, mais bien : " Je n'ai pas désiré ". Ceci n'est pas grand encore, mais ce qui suit est magnifique. " Vous savez que pour mes besoins et pour ceux qui sont avec moi, ces mains m'ont servi. Je vous ai montré en tout par (227) mon exemple, que c'est ainsi, en travaillant, qu'il faut aider ceux qui sont faibles". Vous voyez qu'il travaille de ses mains et même jusqu'à se fatiguer. "Ces mains m'ont servi pour les besoins de ceux qui sont avec moi et les miens". Il leur dit cela en forme d'enseignement, et voyez avec quelle dignité. Il ne dit pas : c'est ainsi qu'il faut s'enrichir, mais, que dit-il? " C'est ainsi qu'il faut aider les faibles". Il ne dit pas tous, mais : " Les faibles. Et vous souvenir de la parole que le Seigneur a dite : On est plus heureux de donner que de recevoir ". De peur qu'on ne pense qu'il s'adresse à eux et se donne pour exemple, comme il a dit ailleurs : " Vous donnant l'exemple " (Ph. III, 17), il ajoute la sentence du Christ, qui a dit : " On est plus heureux de donner que de recevoir ". Il a prié pour eux en les exhortant; il prie aussi en action : "Ayant dit ces choses il se mit à genoux avec eux. tous et pria " : non d'une façon quelconque, mais avec une grande componction.
La consolation est grande; et lorsqu'il dit "Je vous recommande au Seigneur ", il les console: " Ils commencèrent aussitôt à fondre en larmes, ils se jetaient au cou de Paul et l'embrassaient. Ils étaient surtout attristés par les paroles qu'il leur avait dites, qu'ils ne devaient plus voir son visage. Et ils le conduisaient jusqu'au navire (33-38) ". Il leur dit: " Des loups terribles viendront "; il a dit "Je suis pur du sang de tous ". Ces deux choses sont effrayantes, et propres à attrister; mais ils s'affligeaient bien davantage de l'avoir entendu dire qu'ils ne le verraient plus; et c'était là, le plus rude combat pour eux. "Ils le conduisirent jusqu'au navire " ,dit l'auteur. C'est ainsi qu'ils l'aimaient, ainsi qu'ils lui étaient attachés. " Lorsque nous eûmes repris la mer après les avoir quittés, nous allâmes directement à Cos, le jour suivant à Rhodes et de là à Patare. Et ayant rencontré un navire qui passait en PhÉnicie nous y moulâmes, et prîmes, le large. Arrivés en vue de Chypre, nous la laissâmes sur la gauche, et nous fîmes. voile pour la Syrie, "et abordâmes à Tyr ". (Chap. XXI, 1, 2.) Voyez: il va en Lycie, passe en Phéuicie, laisse Chypre de côté et débarque à Tyr, parce que là le navire doit être déchargé. C'est la la cause pour laquelle il va à Tyr. " Y ayant trouvé des disciples, nous demeurâmes sept jours auprès d'eux : Ils disaient à Paul de ne pas monter à Jérusalem ". Voyez: ceux-ci lui annoncent aussi des afflictions. Ce fut providentiellement que ces choses lui furent dites Par d'autres, pour qu'on ne s'imaginât pas que Paul avait parlé au.hasard et par jactance. Là on se quitta de nouveau, après avoir prié en commun. " Et ces jours étant écoulés, nous nous mîmes en route accompagnés par eux tous, avec leurs femmes et leurs enfants, jusqu'en dehors de la ville, et nous étant mis à genoux sur le rivage, nous fîmes des prières. " On s'embrassa mutuellement , puis nous montâmes sur le navire ; eux retournèrent vers leur demeure. Pour nous, de Tyr nous vînmes à Ptolémaïs, où nous terminâmes notre navigation, et ayant salué les frères, " nous restâmes un jour avec eux. Le lendemain, nous nous mimes en route et allâmes à Césarée. Et étant entrés dans la demeure "de Philippe, l'évangéliste, l'un des sept, nous restâmes chez lui ". Nous vînmes à Césarée, dit-il, et nous demeurâmes chez Philippe, l'un des sept. " Il avait quatre filles qui prophétisaient ". Mais elles ne prédirent rien à Paul, quoiqu'elles fussent prophétesses ; ce fut Agabus qui prophétisa; écoutez comment: " Et comme nous demeurions pendant quelques jours il vint de la Judée un prophète nommé Agabus : Il vint à nous, prit la ceinture de Paul ; et s'en liant lui-même les pieds et les mains, il dit : Voici ce que dit l'Esprit-Saint: Ainsi dans Jérusalem les Juifs attacheront l'homme à qui appartient cette ceinture, et le livreront aux gentils ". Cet Agabus est celui qui avait prédit la famine. " Ils lieront ainsi l'homme à qui appartient cette ceinture ", dit-il. Cet homme a fait ce que faisaient les prophètes, en peignant aux yeux les choses à venir lorsqu'ils parlaient de la captivité comme Ezéehiel. Ce qu'il y a surtout de grave, c'est qu'ils le livreront entre les mains des gentils. Lorsque nous eûmes entendu ces paroles, nous le priions, nous et ceux du lieu, de ne point monter à Jérusalem ". Beaucoup le priaient de ne point s'en aller; mais lui ne l'entendit pas ainsi : " Paul répondit : Pourquoi pleurez-vous et affligez-vous mon coeur? Car je suis prêt, pour le nom du Seigneur Jésus, non-seulement à être lié, mais même à mourir à Jérusalem. Et comme nous ne pouvions le persuader, nous cessâmes d'insister, en (228) disant : " Que la volonté du Seigneur s'accomplisse (3-14").
2. Voyez-vous : toutes ces choses sont prédites par avance, pour que vous ne pensiez pas, par suite de cette parole : " Lié par l'Esprit-Saint ", que Paul agisse par nécessité; et aussi peur qu'on ne croie pas que Paul soit tombé dans des embûches qu'il ignorait. Les disciples pleuraient; lui l'es encourageait, chagrin qu'il était de les voir dans les larmes. " Que faites-vous? " dit-il. " Pourquoi pleurez-vous et affligez-vous mon coeur ? " Personne n'est plus aimant que Paul : parce qu'il les voyait pleurer, il s'affligeait, lui qui ne souffrait nullement de ses propres tribulations. Vous me faites injure en agissant ainsi, dit-il; est-ce que je m'attriste, moi? Alors ils cessèrent lorsqu'il leur dit : " Pourquoi agisses-vous ainsi, et affligez-vous mon coeur? " Je pleure sur vous, dit-il, et non sur mes souffrances; car je veux mourir pour eux.
" Je n'ai désiré ", dit Paul, " ni l'argent, ni l'or, ni les vêtements de personne; vous-mêmes savez que ces mains ont servi à mes besoins et aux besoins de ceux qui sont avec moi ". Ceux qui, à Corinthe et en Asie, pervertissaient les disciples, n'en faisaient pas autant. Il est vrai que nulle part il ne leur fait ce reproche dans son épître aux Ephésiens; mais pourquoi ? parce qu'il ne fut point obligé de le faire ; mais il dit aux Corinthiens : " On ne ne ravira point cette gloire dans toute l'Achaïe ". (II Cor. XI, 10.) Il ne dit pas : Vous ne m'avez pas donné, mais bien : " Je n'ai désiré ni argent, ni or, ni vêtement ", pour ne pas sembler dire qu'ils n'ont pas donné. Il ne dit pas de n'ai désiré rien des choses nécessaires à la vie, pour ne pas paraître les accuser; s'il dit cela, c'est pour leur insinuer qu'il n'a rien reçu, alors qu'il nourrissait les autres. Voyez comme il travaillait avec zèle, cet homme qui, nuit et jour, les instruisait avec larmes et les avertissait. " Je vous ai montré toutes choses par mon exemple, parce qu'il faut par un pénible travail aider ceux qui sont faibles". Cette parole est dite pour inspirer la terreur. Ce qu'il dit signifie : Vous ne pouvez arguer de votre ignorance; je vous ai montré par mes oeuvres qu'il faut travailler avec ardeur. Il ne dit pas que c'est mal de recevoir, mais qu'il est meilleur de ne pas recevoir : "Souvenez-vous de la parole du Seigneur qui a dit : On est plus heureux de donner que de recevoir ". Où le Christ a-t-il dit cela? Peut-être les apôtres ont transmis cette parole sans qu'elle ait été écrite; ou bien on peut la tirer par conclusion des autres paroles du Christ. En effet, il leur a montré, par son exemple, la force dans les dangers, la commisération envers les inférieurs , la hardiesse de langage dans l'enseignement, l'humilité, la pauvreté, et ceci, qui est plus grand que la pauvreté; car s'il a dit : " Vendez ce que vous avez, si vous voulez être parfait ", puisqu'il ne reçoit rien, et nourrit les autres, qu'y a-t-il de comparable à cela? Le premier degré consiste à rejeter ce qui est à soi ; le second, se suffire à soi-même; le troisième, aider les autres; le quatrième, ne rien recevoir lorsque l'on prêche et qu'on pourrait recevoir. Paul était donc meilleur que ceux qui n'avaient rien. Il dit donc avec raison : " Ainsi il faut aider les pauvres ". C'est le fait de la commisération envers les pauvres, de leur donner le fruit de son propre travail; leur donner le bien des autres, non-seulement n'est pas bien, mais est même dangereux. " Et sautant au cou de Paul, ils pleuraient " : cela montre leur affection pour lui. Ils se suspendaient à son cou, comme pour lui donner leurs derniers embrassements, et parce qu'ils avaient retiré de son enseignement une grande charité et une grande tendresse. En effet si nous-mêmes, pour une séparation ordinaire, nous gémissons, quoique nous sachions que nous nous réunirons, comment les disciples eussent-ils pu alors sans douleur voir Paul s'arracher à eux? Je pense que Paul dut pleurer aussi. " Arrachés ". Cela indique la violence " lorsque nous nous fûmes arrachés d' eux " . Le mot est juste. En effet ils ne pouvaient se jeter à lamer. Que veut dire: "Nous allâmes directement à Cos ? " C'est comme si l'auteur disait : Nous ne fîmes pas de détours, et ne nous arrêtâmes nulle part. " Le jour suivant nous étions à Rhodes ". Voyez comme Paul se hâte. " Et ayant rencontré un navire qui passait en Phénicie ". Peut-être ce navire était-il là, et ils y montèrent parce qu'ils n'en trouvèrent pas qui allât à Césarée. " Nous passâmes en vue de Chypre, en la laissant à gauche " ; il ne dit pas cela sans motif, mais pour montrer que Paul, quoique près de Chypre, ne jugea pas à propos de s'y arrêter, puisqu'ils allaient en droite lignes vers la Syrie. " Ensuite nous vînmes à Tyr ", dit-il, "et y ayant rencontré les disciples, nous restâmes (229) avec eux ". Comme ils sont proches de Jérusalem, ils ne se hâtent plus, mais ils demeurent avec les frères pendant sept jours. Voyez : il compte même les jours. Après les Azymes ils allèrent à Troade en cinq jours; ensuite ils y restent sept jours, ce qui fait douze jours; ensuite à Asson, à Mitylène, en face de Chio, à Trogile: à Samos, à Milet : en tout dix-huit jours; après cela ils vont à Cos, à Rhodes, à Patare, voilà vingt et un jours ; ensuite de là à Tyr cinq jours, ce qui donne vingt-six jours; il passe à Tyr sept jours, en tout trente-trois jours; puis, il reste à Ptolémaïs un jour, trente-quatre; puis. H reste un plus grand nombre de jours à Césarée; et alors en fn le prophète les emmène. Ainsi le jour de la Pentecôte est arrivé, et il la passe à Jérusalem. Voyez comme Paul se laissait persuader lorsque le Saint-Esprit ne l'en empêchait pas. Les disciples lui disaient : " Ne vous montrez pas en public ", et il n'y alla pas; souvent ils l'emmenaient, et il obéissait; il s'enfuit deux fois par une fenêtre; et maintenant que mille personnes, pour ainsi dire, le supplient, à Tyr et à Césarée, pleurent, lui annoncent toutes sortes de maux, il ne cède pas. Et on ne lui prédisait pas ces malheurs au hasard, mais par l'inspiration de l'Esprit-Saint. Si le Saint-Esprit ordonnait, pourquoi allaient-ils à l'encontre? Parce qu'ils ne savaient pas le but que se proposait l'Esprit. D'ailleurs, ils ne l'exhortaient pas ainsi par l'inspiration de l’Esprit-Saint. Non-seulement ils lui prédisaient des malheurs, mais ils lui disaient qu'il ne fallait pas qu'il allât à Jérusalem , par ménagement pour lui. " Et lorsque ces jours furent accomplis ", c'est-à-dire , lorsque furent passés les jours qu'il a énumérés "Tous nous faisant la conduite avec leurs femmes et leurs enfants.".
3. Considérez combien grande était, la consolation; après avoir prié de nouveau, ils se séparent. Paul et les siens demeurent un jour à Ptolémaïs, et plusieurs jour à Césarée. Et lorsque Paul a appris qu'il a de grands maux à souffrir, il se hâte, il ne s'arrache pas au danger, persuadé qu'il est du commandement de l'Esprit-Saint. " Après ces quelques jours nous nous préparâmes, et montâmes à Jérusalem". C'est-à-dire, après avoir pris ce qui était nécessaire pour la route. " Plusieurs des disciples de.Césarée vinrent avec nous, emmenant avec eux notre hôte, un nommé Mnason,.de Chypre, ancien disciple; lorsque nous fûmes arrivés à Jérusalem, les frères nous reçurent avec joie ". Remarquez qu'Agabus n'a pas dit : Ils lieront Paul, pour ne pas sembler parler suivant une convention faite entre eux, mais bien : " L'homme à qui appartient cette ceinture ". Paul avait donc une ceinture. S'ils pleuraient, c'était parce qu'ils ne pouvaient le persuader de rester, puis ils restèrent en repos. Remarquez-vous leur esprit chrétien, et la tendresse de leur amour? Nous cessâmes de le prier en disant
Que la volonté du Seigneur s'accomplisse. " Emmenant avec nous notre hôte ", dit l'auteur. Ils ne demeuraient donc pas dans l'Eglise. Alors qu'ils venaient pour enseigner, ils habitaient dans l'Eglise; mais ici ils sont reçus par un ancien disciple. Paul expose que le temps de sa prédication a été long; dès lors il me semble que, dans les. Actes; l'auteur a retranché beaucoup d'années et qu'il n'a rapporté que ce qu'il était nécessaire de dire. Que signifient ces mots : " Que la volonté du Seigneur s'accomplisse ". Le Seigneur, veut dire, fera ce qui semblera le meilleur à ses yeux. Les disciples se calaient donc et ne le pressent plus. Ils savaient sans doute que telle était ia volonté de Dieu, et ils le conjecturaient de l'ardeur de Paul. En effet, Paul n'eût pas été si ardent, et le Seigneur n'eût pas permis qu'il fût en danger, puisqu'il l'avait toujours retiré du danger. Paul et ses compagnons ne voulaient pas êtres charge à l'église, puisque quelqu'un leur donnait l'hospitalité; et ils n'exigeaient point qu'on leur fît honneur. " Les frères nous reçurent avec joie ", dit l'auteur. On était alors en paix chez les Juifs, et il n'y avait pas de guerre comme auparavant contre les disciples. " Ils nous conduisirent chez celui qui devait nous donner l'hospitalité " , dit-il. Celui-là. reçut donc Paul comme son hôte.
Peut-être quelqu'un nous dira-t-il: Si l'on m'offrait de donner l'hospitalité à Paul, je la lui donnerais aussitôt et avec un grand plaisir. Voici que vous pouvez donner l'hospitalité au Maître de Paul et vous ne le voulez pas. " Celui, dit en effet le Christ, celui qui reçoit l'un de ces petits me reçoit ". (Matth. XVIII, 5 ; Luc IX, 48.) Plus votre frère est petit, plus le Christ vient vers vous avec lui. Celui qui reçoit quelqu'un de grand, souvent te fait par vanité ; celui qui reçoit un petit, le fait (230) seulement pour le Christ. Vous pouvez recevoir aussi le Père du Christ, et vous ne le voulez pas. J'étais étranger et vous m'avez recueilli, dit le Christ, et ailleurs il dit encore: " Autant vous aurez fait pour l'un de ces petits, autant vous aurez fait pour moi ". (Matth. XXV, 35, 40.) Quoique ce ne soit pas Paul, si c'est un fidèle et un frère, quelque petit qu'il soit, le Christ vient avec lui. Ouvrez votre demeure, et recevez-le. " Celui qui- reçoit un prophète, recevra la récompense du prophète " (Id. X, 41), dit l'Écriture : Celui donc qui reçoit le Christ, recevra la récompense de l'hospitalité donnée au Christ. Ne refusez pas foi à ses paroles, mais Soyez fidèle. Le Christ a dit lui-même : Je viens avec eux. Et pour que vous ne soyez pas incrédule, il décerne le supplice à ceux qui ne le reçoivent pas, et des honneurs à ceux qui le reçoivent ; ce qu'il n'eût pas fait, si ce n'était lui-même qui dût recevoir l'honneur ou l'injure. Vous m'avez reçu dans votre demeure, dit-il, je vous recevrai dans le royaume de mon Père ; vous avez apaisé ma faim, je vous purifierai de vos péchés ; vous m'avez vu dans les chaînes, je vous ferai voir dans la liberté ; vous m'avez vu étranger, je vous fais citoyen des cieux; vous m'avez .donné du pain , je vous donne mon royaume tout entier pour que vous le receviez et le possédiez comme votre héritage. " Venez, possédez l'héritage du royaume qui vous a été préparé ". Il ne dit pas : Recevez; mais " Possédez en héritage "; ce qui se dit de ceux qui possèdent en maîtres, comme lorsque nous disons : Je possède cela par héritage. Vous avez agi envers moi en secret, je le dirai en public : ce que vous avez fait, c'était par bienveillance; ce que je ferai, moi, ce sera pour payer ma dette. Parce que vous avez commencé, dit-il, je vous suis je fais comme vous, je ne rougis pas de publier le bien qui m'a été fait, non plus que de dire ce dont vous m'avez délivré : la faim, là nudité, le vagabondage. Vous m'avez vu dans les chaînes, vous ne verrez pas le feu de l'enfer; vous m'avez vu infirme, vous ne verrez pas les tourments et les supplices. O mains véritablement bénies celles qui servent à de tels ministères, et sont jugées dignes de servir le Christ ! Les pieds qui entrent dans les prisons à cause du Christ, méprisent facilement le feu ; elles ne sont pas chargées de chaînes, les mains qui ont servi le Christ dans les chaînes; vous lui avez donné un vêtement, vous serez revêtu du vêtement du salut; vous avez été en prison avec lui, vous serez avec lui dans son royaume; il publie ces choses sans rougir, il sait que vous l'avez visité. Le patriarche ne savait pas qu'il donnait l'hospitalité aux anges, et il les recevait. Rougissons, je vous en conjure; il était assis en plein midi sur la terre étrangère ; il n'avait pas où poser son pied, puisqu'il était étranger; étranger, il donnait l'hospitalité aux étrangers; n'était-il pas en effet citoyen des cieux? C'est pour cela que, même étant sur la terre, il n'était pas étranger. Nous sommes plus étrangers- sur la terre que cet étranger, nous qui ne donnons pas l'hospitalité ;. il n'avait pas de demeure; une tente lui servait d'asile. Voyez aussi comme il est magnifique: il tue un veau, et pétrit de la farine. Voyez aussi son zèle: il fait cela par lui-même et avec sa femme. Considérez son humilité: il s'incline devant ses hôtes et les invite.
4. Celui qui donne l'hospitalité doit avoir toutes ces choses : empressement, gaieté, libéralité. L'étranger est craintif, il rougit, et si on ne lui montre pas une joie plus qu'ordinaire, il se retire comme si on le méprisait; et recevoir ainsi est pire que ne pas recevoir. C'est pour cela que le patriarche s'incline devant ses hôtes et qu'il les reçoit en leur parlant, qu'il leur offre un siège. Quel étranger serait dans l'embarras étant ainsi accueilli? Quoique notas ne soyons pas sur la terre étrangère, si nous le voulons, nous pourrons imiter le patriarche. Combien de nos frères sont étrangers ? L'Église , que nous appelons une hôtellerie est une demeure commune; cherchez, vous aussi, asseyez-vous devant votre porte, recevez les étrangers. Si vous ne voulez pas les recevoir dans votre maison, fournissez-leur autrement le nécessaire. Mais quoi direz-vous, est-ce que l'Église ne l'a pas, ce nécessaire? Elle l'a sans doute, mais qu'est-ce que cela vous fait? De ce que, les étrangers seront nourris des biens communs dé l'Église, cela pourra-t-il vous servir? Est-ce que si un autre prie, vous ne devez pas prier? Pourquoi ne dites-vous pas? Est-ce que les prêtres ne priant pas? Pourquoi prierais-je? Mais moi, direz-vous, je donne à celui qui ne peut pas être reçu là. Donnez cependant à celui-ci. Ce que nous désirons surtout, c'est qu'on donne à tous. Écoutez ce que dit Paul : " Qu'il suffise aux besoins de celles qui sont vraiment (231) veuves, et que l'Église ne soit pas surchargée ". (I Tim. V, 16.) Faites comme vous voulez, seulement faites quelque chose. Moi je ne dis pas : polar que l'Église ne soit pas surchargée; mais: pour que vous ne soyez pas surchargé. Par ce raisonnement vous ne ferez jamais rien, vous renverrez tout à l'Église. L'Église a assigné une demeure commune pour vous ôter ce prétexte.
Mais l'Église, direz-vous, l'Église a des revenus, des biens, des sommes à dépenser. Dites-moi, n'a-t-elle pas aussi des dépenses à faire ? n'a-t-elle pas des frais journaliers? Certainement. Pourquoi donc n'aidez-vous pas sa pauvreté? J'ai honte de dire ces choses, cependant je ne force personne. Si l'on pense que c'est un vil intérêt qui nous fait parler, faites vous-même une hôtellerie de votre maison; établissez-y un lit, établissez-y une table, mettez-y de la lumière. N'est-il pas absurde que, si des soldats arrivent, vous ayez pour eux,des de-' meures toutes prêtes, que vous y mettiez un grand soin; que vous leur fournissiez tout ce qu'il leur faut, parce qu'ils vous protégent durant la guerre qui vous fait sentir ce besoin; et que d'un autre côté vous n'ayez pas d'endroit où puissent demeurer les étrangers ? Faites mieux que l'Église : voulez-vous nous faire rougir? Agissez ainsi; surpassez-nous en libéralité ; ayez une demeure où le Christ vienne habiter; Dites : C'est ici la cellule du Christ; cette maison lui est destinée. Quoique ce soit une vile demeure, elle ne sera pas dédaignée. Le Christ, nu et étranger, voyage, il a besoin d'un toit. Fournissez-lui au moins cela; ne soyez point inhumain et cruel; si ardent pour les choses de la vie; et si froid pour les choses spirituelles. Que le plus fidèle de vos serviteurs soif chargé de cela; qu'il introduise les estropiés, les mendiants, ceux qui sont sans asile. Je dis cela pour vous faire honte. Il faudrait les recevoir dans le haut de votre demeure; si vous ne le voulez pas, recevez-les en bas; quoique fa soient les mulets et les serviteurs, recevez-y le Christ. Peut-être frémissez-vous en m'entendant. — Que dire cependant, si vous ne faites.même pas cela? Voici que je vous y exhorte; et que je vous dis : Que ceci soit l'objet de vos soins. Mais, direz-vous, ce moyen d'exercer l'hospitalité ne nous convient pas. —Alors, adoptez-en un autre. Il y a beaucoup de pauvres et de pauvresses; désignez quelqu'un uniquement pour les attendre; que le pauvre soit le gardien de votre maison; qu'il soit pour vous une enceinte et une muraille, un bouclier et une lance. Là où est l'aumône, le. diable n'ose pas approcher, non plus qu'un mal quelconque. Ne méprisez pas un si grand avantage. Il y a partout une place assignée au char et aux voitures; pour le Christ errant il n'y a aucune place. Abraham recevait les hôtes où il demeurait lui-même ; son épouse était là à la place de la servante, et eux à la place des maîtres. Il ignorait qu'il recevait le Christ; il ne savait pas qu'il recevait les anges; s'il l'eût su, il eût tout sacrifié. Mais nous, quoique nous sachions que nous recevons le Christ, nous ne montrons pas le zèle que déployait cet homme qui croyait recevoir des hommes.
Mais il y a, dira-t-on, beaucoup de trompeurs et d'ingrats. — Votre récompense en sera plus grande, parce que vous les recevez au nom du Christ. Si vous savez que ce sont des imposteurs, ne les recevez pas dans votre maison; si vous ne le savez pas, pourquoi les accusez-vous témérairement? C'est pour cela que je dis qu'ils aillent dans une hôtellerie. Quel moyen de défense avons-nous, puisque ceux-là,même que nous connaissons, nous ne les recevons pas et leur fermons la porte? Que notre maison soit l'hôtellerie du Christ. Réclamons d'eux notre récompense, non de l'argent, mais qu'ils fassent de notre demeure l'hôtellerie du Christ : allons de tous côtés, attirons-les, faisons-leur la chasse, nous recevrons plus de bien que nous n'en ferons nous-mêmes. Je ne commande pas de tuer le veau; donnez du pain au pauvre, un vêtement à l'homme nu, un toit à l'étranger. Ne prétextez pas qu'il y a la demeure commune de l'Église. Payez.en cet endroit, et. vous, donnez l'hospitalité, parce que chacun a la récompense de ce qui est fait par ses serviteurs. Les serviteurs du patriarche n'étaient pas formés comme les nôtres; ils couraient et ne murmuraient pas comme les nôtres, car il les avait rendus pieux. Il les mena à la guerre et ils ne murmuraient pas, tant ils étaient sages. Il prenait de tous autant de soin que de soi-même; car il disait sans doute comme Job : " Nous avons été formés du même sein ". (Job, XXXIII, 6.)
Prenons donc, nous aussi, soin de notre salut, et ayons une grande sollicitude pour nos serviteurs, afin de les. rendre honnêtes et vigilants, Que notre serviteur soit instruit des (232) choses de Dieu. La vertu ne nous sera pas difficile si nous les formons comme il convient. De même que, dans la bataille, si les soldats sont bien rangés, le général combat avec avantage, et que le contraire arrive s'ils sont mal disposés; de même que, lorsque les marins sont bien d'accord, le pilote dirige sans embarras; de même aussi, lorsque vos serviteurs seront instruits, vous ne vous irriterez pas facilement, vous ne gronderez pas, vous ne vous emporterez pas de colère, vous ne les injurierez pas. Il se peut faire que vous respectiez vos serviteurs, s'ils sont honnêtes; ils vous réjouiront et vous encourageront au bien. Par là toutes choses seront agréables, à Dieu; ainsi la maison entière sera remplie de bénédiction ; ainsi en faisant ce qui plait à Dieu nous jouirons abondamment du secours d'en-haut. Puissions-nous tous l'obtenir par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui appartiennent, au Père et à l'Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XLVI. LE JOUR SUIVANT PAUL ENTRAIT AVEC NOUS CHEZ JACQUES;
TOUS LES PRÊTRES ÉTAIENT PRÉSENTS. LORSQU'IL LES EUT
SALUÉS, IL LEUR RACONTA UNE A UNE LES CHOSES QUE DIEU AVAIT FAITES
PARMI LES NATIONS PAR SON MINISTÈRE. (CHAP. XXI, 18, 19, JUSQU'AU
VERSET 16. DU CHAP. XXII.)
ANALYSE. 1 et-2. Paul visite les apôtres à Jérusalem.
— Paroles de saint Jacques. — Les coutumes légales. — Paul s'y soumet.
— Sédition des Juifs contre Paul. — Nécessité des
imposteurs pour faire triompher la foi.
3. un scandale. — Quand il faut l'éviter, ou ne pas s'en occuper.
1. Celui-ci était le frère du Seigneur et évêque de Jérusalem, homme grand et admirable. Paul va vers lui, comme auparavant on l'a envoyé vers lui. Ecoutez comment : " Le jour suivant ", dit l'auteur, " Paul entra chez Jacques avec nous ". Voyez comme Paul est ennemi dé la vaine gloire. " Tous les prêtres étaient présents. Lorsqu'il les eut salués, il leur raconta une à une les choses que Dieu avait faites parmi les nations par son ministère ". Il raconte de nouveau les choses qui ont rapport aux nations, non par vaine gloire, loin de là , mais pour montrer la clémence de Dieu et les remplir d'une grande joie. Remarquez comme les auditeurs glorifiaient Dieu. Ils ne glorifiaient pas Paul, et ne s'étonnaient pas de ce qu'il avait fait, mais ils glorifiaient Dieu ". Il racontait la chose de façon à lui attribuer la gloire. " Lorsqu'ils l'eurent entendu, ils glorifiaient Dieu, et lui dirent : Vous voyez, mon frère, combien de milliers de Juifs ont cru, et tous sont zélés pour la loi. Ils ont appris de vous que vous enseigniez l'éloignement de Moïse à tous les Juifs qui résident au milieu des nations, et que vous dites qu'il ne faut pas circoncire les enfants, ni suivre les coutumes (20) ". Voyez avec quelle grande modération ils parlent. Jacques parle, comme évêque, avec autorité ; on admet Paul à décider la question. Le discours de ces chrétiens est rempli de précautions bienveillantes, ils semblent dire : nous ne voulions point.parler. Remarquez-vous l'importance de l'affaire! " Vous voyez combien (233) de milliers de Juifs ont cru ". Ils ne disent pas : combien de milliers de Juifs nous avons instruits ; mais : combien il y en a qui ont cru. Et ceux-ci sont tous zélés pour la loi ", dit-il. Deux causes, la multitude et son sentiment. En effet, s'ils étaient peu.nombreux, il faudrait les mépriser; et il n'y aurait pas beaucoup à s'en occuper, si, étant nombreux, ils n'eussent pas gardé la loi. Il se présente une troisième cause : " Tous ont appris de vous ", dit Jacques, " que vous enseignez l'éloignement de Moïse à tous les Juifs qui habitent a parmi les nations, et que vous dites qu'il ne a faut pas circoncire les enfants, ni suivre les coutumes ". Ensuite il ajoute : " Qu'en est-il donc? La multitude va se réunir sans doute, car ils vont apprendre que vous êtes venu. Faites donc ce que nous vous disons ". Ils parlent ainsi pour lui donner un conseil et non pas un ordre. " Il y a parmi nous quatre hommes qui ont un voeu. Prenez ces hommes et purifiez-vous avec eux; faites pour eux la dépense ; qu'ils se rasent la tête, et que tous sachent que ce qu'ils ont appris sur vous n'est rien, et que vous marchez en gardant la loi ". Ils lui conseillent de faire son apologie en actions et non en paroles. " Qu'ils se rasent la tête, et que tous sachent que ce qu'ils ont appris sur vous n'est rien ". Ils ne disent pas : Vous enseignez; mais: " ils ont appris ", signifiant par ce mot : ont été instruits ; " et que vous marchez ", c'est-à-dire, que vous les observez vous-même amplement. On ne s'inquiétait pas seulement qu’il enseignait les coutumes aux autres, mais si lui-même les observait. Mais quoi, si les nations l'apprennent, ne se scandaliseront-elles pas? Non, puisque nous, docteurs des Juifs, " nous leur avons envoyé dire ceci : mais touchant ceux qui a parmi les nations ont cru, nous avons écrit et décidé qu'ils n'aient point à observer rien a de semblable, si ce n'est qu'ils doivent s'abstenir de ce qui a été immolé aux idoles, du sang et de ce qui a été étouffé, et de la fornication ". Il parle ainsi en forme d'avertissement. Ce qu'il dit signifie : de même que nous l'avons réglé pour eux, quoique nous prêchions les Juifs; ainsi vous, quoique vous prêchiez aux gentils, travaillez avec nous. Considérez Paul; il ne dit pas : Je puis amener Timothée que j'ai circoncis, et je puis, par ce discours, les persuader certainement; mais il leur obéit et fit tout ce qu'on lui conseillait; et en effet, c'était le plus expédient. Ce n'était pas la même chose de faire son apologie en paroles, et de faire ces choses sans que personne ne sût rien. Payer pour eux n'était pas de nature à faire naître les soupçons. " Alors Paul ayant pris ces hommes, et, le jour suivant, s'étant purifié avec eux, il entra dans le temple en ",annonçant l'accomplissement des jours de la purification lorsqu'il offrirait l'oblation pour chacun d'eux (21 , 26.) ". " Annonçant ", c'est-à-dire, déclarant : de sorte que c'était lui-même qui se faisait connaître, mais " lorsque les sept jours furent écoulés ".
2. Remarquez le temps qu'il donne à ces choses. " Les Juifs d'Asie ayant vu Paul dans le temple , soulevèrent la foule entière, et mirent la main sur lui en criant : Hommes d'Israël, aidez-nous: c'est là L'homme qui enceigne en tout lieu contre le peuple, contre la loi et contre ce lieu; de plus il a introduit des gentils dans le temple et violé ce lieu saint". Voyez leurs moeurs partout turbulentes : ils crient témérairement dans le temple. " En effet, ils avaient vu avec lui dans la ville Trophime d'Ephèse, qu'ils pensaient avoir été introduit dans le temple. par Paul. La ville tout entière fut troublés, il se fit un rassemblement de peuple ; et s'étant saisis de Paul, et ils l'arrachèrent du temple , et aussitôt les portes furent. fermées ". Les Juifs mettent ici en avant ce qui les tourmentait le plus : " le temple et la loi ". Paul, quoiqu'il souffrît de telles injures , n'accusa pas les apôtres d'être la cause de ce qui lui arrivait, tant il avait un grand coeur. " Et ils le poussaient hors du temple; et les portes furent fermées ". Ils voulaient le tuer, et pour cela ils le tiraient hors du temple, pour commettre ce crime en toute liberté. " Comme ils cherchaient à le tuer , la nouvelle arriva au tribun de la cohorte , que Jérusalem tout entière était bouleversée. Celui-ci prit avec lui aussitôt des soldats et des centurions , et marcha contre eux. Voyant le tribun et les soldats, ils cessèrent de frapper Paul. Alors le tribun s'étant approché, s'empara de lui, ordonna de le lier avec deux chaînes; et il demandait qui était cet homme, et ce qu'il avait fait. Ils criaient dans la foule, l'un ceci, l'autre cela ". Et pourquoi, puisqu'il venait l'interroger, ordonna-t-il de le lier avec deux chaînes? Pour calmer la fureur du peuple. " Et comme, à cause du tumulte, il ne pouvait (234) savoir la vérité, il ordonna de le conduire dans le camp. Lorsqu'il fut arrivé près des a degrés, il se trouva qu'il était porté par les soldats à cause de la violence du peuple : La foule suivait, en effet, en criant: Otez-le". Que signifie : " Otez-le? " C'était l'habitude des Juifs de parler ainsi contre ceux qu'ils condamnaient , comme ils le firent contre le Christ, lorsqu'ils crièrent : " Otez-le ", c’est-à-dire : faites-le disparaître du nombre des vivants. D'autres disent que Otez-le " signifie ce qui se dit parmi nous suivant la coutume romaine : " Jetez-le aux enseignes. Et lorsque Paul allait entrer dans le camp, il dit au tribun : s'il m'était permis de vous dire quelque chose?" Porté sur les degrés, il demande à parler au tribun. Voyez avec quelle douceur : " S'il m'était permis de vous dire quelque chose? " dit-il. " Celui-ci lui dit : Savez-vous le grec? N'êtes-vous pas cet Egyptien qui, il y a quelques jours, a excité du tumulte, et a entraîné après lui au désert quatre mille sicaires ? " Cet Egyptien était un homme séditieux et novateur. Paul se lave de cette accusation, et, par ce qu'il dit, détruit ce soupçon.
Reprenons. " Il y. a parmi nous quatre hommes qui ont un voeu; prenez-les avec vous, et purifiez-vous avec eux ". Paul n'oppose rien à cela et se laisse persuader. D'où. l'on voit clairement qu'il n'était pas obligé de suivre ce conseil, mais que ce fut prévoyance et indulgence de sa part. Cela n'était pas un empêchement à la prédication, puisque les apôtres eux-mêmes gouvernaient les Juifs suivant les coutumes légales. Quoique Paul tienne ici lui-même.cette conduite , cependant plus tard il accuse Pierre; mais ce n'était pas une accusation pure et simple. En effet, ce qu'il avait fait lui-même dans le cas présent, Pierre, dans l'occasion à laquelle je fais allusion, le fit en se taisant pour .l'établissement de la doctrine véritable (1). Ils ne dirent pas: Il ne faut, pas enseigner. cela aux gentils; n : Il suffit que l'on ne le pêche pas ici; mais ils disent: Il faut faire quelque chose de plus, les persuader que vous gardez la loi. Ce n'est là qu'une condescendance : ne craignez rien. Envoyez : les apôtres ne le persuadent point avant de lui avoir montré la prévoyance qu'il y a à agir de la sorte et le gain qu'on en peut retirer. Il était supportable
1 Voyez tome IV, page 167.
d'agir de la sorte à Jérusalem. Faites cela ici, et hors de cette ville vous ferez autrement. " Alors Paul prit le lendemain ces hommes ", dit l'auteur. Il ne différa pas, mais montra par l'action qu'il était persuadé. Il prend donc ceux avec qui il devait se purifier; tant la prévoyance inspire de ferveur ! Et comment, direz-vous, les Juifs d'Asie le virent-ils dans le temple ? Il est vraisemblable qu'ils étaient venus passer quelques jours à Jérusalem. Voyez comment l'événement est préparé. En effet, après que les Juifs ont été persuadés, alors ils s'insurgent contre Paul ; et cela se passe ainsi pour que ces derniers ne s'insurgent pas en même temps contre lui. " Aidez-nous, hommes d'Israël " , disent-ils. Comme si quelqu'un de difficile à saisir et à vaincre était tombé entre leurs mains. " Aidez-nous ", disent-ils. " Cet homme est celui qui enseigne partout à tous ", non-seulement ici, mais partout. L'accusation tirée des circonstances présentes avait encore plus de gravité. "Il a même de plus profané le temple en y introduisant les gentils ". Cependant, au temps du Christ, les gentils montèrent au temple pour y adorer; mais ils parlent .de ceux qui étaient venus sans vouloir adorer. " Et s'étant emparés de Paul, ils le poussaient dehors". Considérez qu'ils le chassent du temple; ils se, passaient bien de lois et de tribunaux. C'est pourquoi ils le frappaient; ainsi en tout, ils sont audacieux et pétulants. Mais lui ne se défendit pas alors, mais seulement plus tard ; avec raison, car alors ils ne l'auraient pas écouté Et pourquoi criaient-ils donc: " Otez-le? " Ils craignaient qu'il ne s'enfuît. Mais voyez avec quelle modération Paul parle au tribun ! Que dit-il donc? S'il m'était permis de vous- dire quelque chose n. Il était tellement humble qu'il parlait toujours avec modestie. " N'êtes-vous pas cet égyptien? "
3. Voyez la malignité: du démon. Cet homme était un imposteur et un magicien ; et le démon espérait, par son moyen , pouvoir jeter de l'ombre sur le Christ et les apôtres, et les faire passer pour les complices de ses crimes. Mais il ne put rien ; la vérité n'en éclata que mieux; bien loin de souffrir des machinations du démon. S'il n'y eût pas eu d'imposteurs , le triomphe des apôtres eût peut-être provoqué quelques soupçons. Ce qui rend ce triomphe plus admirable, c'est qu'il s'est accompli malgré les imposteurs qui ont paru. Il (235) n'est pas mis d'empêchement à l'apparition des imposteurs pour que les apôtres brillent davantage, ainsi que Paul dit ailleurs: " Afin que ceux qui ont été éprouvés soient distingués ". (I Cor. XI, 19.) Gamaliel disait quelque chose de semblable: " Il y a peu de temps s'est élevé Théodas ". (Act. V, 36.) Quant aux sicaires, les uns disent que c'étaient des voleurs, qu'on appelait ainsi à cause des épées qu'ils portaient, et qu'on appelait chez les Romains " sica ", un poignard ; d'autres pensent que leur nom leur vient d'une secte juive.
Il y a en effet, chez. les Juifs, trois sectes principales : les Pharisiens , les Saducéens et les Esséniens, qui sont aussi appelés les saints (car le nom Esséniens signifie cela), à cause de la pureté de leur vie. On les appelait aussi les sicaires, parce qu'ils étaient zélés. Ne nous affligeons donc pas qu'il y ait des hérésies, puisque de faux christs voulurent tendre des embûches au Christ, afin d'obscurcir sa gloire, avant et après l'événement dont nous nous occupons. Mais la vérité brille et resplendit partout. Il en arriva de même du temps des prophètes. Il y avait de faux prophètes , et les prophètes brillaient par la comparaison. En effet, la maladie fait briller la santé; les ténèbres font remarquer la lumière; la, tempête fait aimer le. calme. Les païens ne peuvent pas dire que les apôtres furent des fourbes et des imposteurs, car les imposteurs furent convaincus. Cela arriva à Moïse. Dieu permit qu'il y eût des magiciens, afin que Moïse ne passât pas pour l'être; il permit qu'ils montrassent jusqu'à quel point la magie peut faire illusion; au delà ils né purent tromper, mais ils avouèrent leur défaite. Les imposteurs ne nuisent en rien; bien plus, ils rendent meilleurs ceux qui sont attentifs. Comment donc, direz-vous, si nous partageons leur gloire ? Les imposteurs ne sont pas glorifiés parmi nous, mais seulement par ceux qui n'ont pas de discernement. Ne nous occupons pas de la clameur de la coule, n'y attachons pas plus d'importance qu'il ne faut. Vivons pour Dieu et non pour lés hommes; vivons en citoyens du ciel et non de la terre; là sont les prix et les récompenses de nos travaux , là nous recevrons des louanges, là nous recevrons des couronnes. Ne nous occupons des hommes qu'autant qu'il est nécessaire pour ne pas leur donner prise sur nous. Si, sans que nous y ayons donné lieu ils veulent nous accuser témérairement et au hasard, rions et ne pleurons pas. Faites le bien devant Dieu et devant les hommes; si l'ennemi vous poursuit lorsque vous faites le bien, ne vous en occupez même pas. Vous avez des exemples dans les Ecritures : " Est-ce que j'obéis aux hommes ou bien à Dieu ? "(Gal. I,10) dit Paul; ,et ailleurs : " Nous persuadons les hommes , mais Dieu nous connaît ". (II Cor. V, 11.) Et le Christ disait de ceux qui se scandalisaient : " Laissez-les, ce sont des aveugles que conduisent des aveugles " (Matth. XV, 14) ; et ailleurs : " Malheur à vous lorsque tous les hommes diront du bien de vous " (Luc, VI, 26) ! et encore: " Que vos oeuvres brillent de sorte qu'elles soient vues des hommes , et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ". (Matth. V, 16.) Ne vous étonnez pas s'il dit ailleurs : " Si quelqu'un scandalise l'un de ces petits, il est bon pour lui qu'on lui attache la meule d'un âne au cou, et qu'on le précipite au fond de la mer ". Car ces paroles ne sont en rien contraires, elles s'accordent parfaitement. Si cela arrive parmi nous, malheur à nous ! si cela. n'arrive pas parmi nous, il en est autrement. Et ailleurs Paul dit : " Malheur à vous, par qui le nom de Dieu est blasphémé ! " (Rom. II , 24.) Mais quoi ! si je fais ce qu'il faut faire et qu'un autre blasphème ? Ce n'est pas votre affaire, c'est la sienne ; car c'est lui qui blasphème. Mais comment se peut-il que l'on fasse ce que l'on doit et qu'on donne prise aux autres? D'où voulez-vous que je tire des exemples? du temps passé ou du temps d'aujourd'hui ? De peur de sembler amoureux de vaine gloire, voulez-vous que nous parlions de ce qui se présente. aujourd'hui sous notre main? Paul judaïsait à Jérusalem et non à Antioche. Il judaïsait et on se scandalisait; mais les Juifs ne se scandalisaient pas avec raison. On dit qu'il salua l'échanson et la concubine de Néron. Combien eussent-ils dit de paroles contre lui à cause de cela, mais injustement! S'il avait salué par libertinage ou pour quelque mauvaise cause , on eût parlé justement contre lui ; mais s'il a salué pour une bonne cause, pourquoi l'en blâmer?
Je rapporterai quelque chose arrivé à l'un de mes amis. Dans un moment où Dieu faisait sentir sa colère, lorsqu'il était jeune, dans l'ordre des diacres, il se trouva que l'évêque était absent en ce moment, et qu'aucun des prêtres ne s'occupait d'instruire ; ils baptisaient à la hâte, en une seule nuit, une foule (236) immense de plusieurs milliers de personnes, et tous étaient simplement baptisés sans être instruits. Ce jeune homme, prenant alors en particulier cent et deux cents personnes, leur parlait, et ne leur enseignait rien autre chose que les mystères, de sorte qu'il ne laissait approcher que des initiés. Beaucoup crurent. qu'il ne faisait cela que parce qu'il désirait le commandement. Mais il ne prit pas garde à ce qu'ils pensaient; il ne continua pas cependant; il cessa immédiatement. Quoi donc? Celui-ci fut-il une cause de scandale? Je ne le pense pas; en effet, s'il avait agi sans aucun motif, on eût pu lui faire à bon droit des reproches, et aussi s'il avait continué. Lorsque l'on est empêché par le scandale d'autrui de faire ce qui plait. à, Dieu, on n'en doit faire aucun cas; mais il faut y faire attention, lorsque nous le pouvons sans offenser Dieu. Lorsque nous parlons, et raillons les ivrognes, si quelqu'un se scandalise, faudra-t-il, dites-moi, cesser notre discours? Ecoutez le Christ: " Voulez-vous aussi ", dit-il, " vous en aller?" (Jean, VI, 68.) Ainsi on ne doit ni.prendre trop de souci de la faiblesse de la multitude, ni la mépriser trop. Ne voyons-nous, pas les médecins agir ainsi? Lorsque cela se peut, ils sont prêts à satisfaire aux désirs de leurs malades ; si, au contraire, leur condescendance peut porter préjudice aux malades, ils n'accèdent plus à ce qu'ils désirent? En tout il faut observer la mesure convenable.
Plusieurs personnes poursuivaient d'injures une belle jeune fille à
cause de son assiduité à l'instruction ; ils l'assaillaient
et injuriaient même ceux qui l'instruisaient. Mais, quoi ? Fallait-il
que ses maîtres cessassent à cause de cela? En aucune façon
; car ils ne faisaient rien de contraire à la volonté de
Dieu, mais bien au contraire, une oeuvre très-agréable à
Dieu. Ne considérons donc pas si quelques-uns se scandalisent, mais
bien s'ils le font justement et si ce n'est pas pour nous perdre. " Si
ce que je mange scandalise un frère ", dit Paul, " je ne mangerai
plutôt jamais de chair". (I Cor. VIII, 13.) Il dit cela à
bon droit, car ce n'était pas une chose nuisible de n'en pas manger;
si toutefois quelqu'un se scandalise de ce que je veux renoncer, il ne
faut plus faire attention à son scandale? Mais qui, direz-vous,
peut se scandaliser de cela? Beaucoup, je le sais. Lors donc que la chose
qui fait scandale est indifférente, abstenons-nous-en ; si nous
voulons nous placer à ce point de vue, il faudra s'abstenir de beaucoup
de choses; au contraire, si nous ne donnons aucune attention au scandale
, beaucoup périront par notre faute. Paul s'est précautionné
contré le scandale en disant : " De peur que personne ne puisse
rien nous reprocher sur le sujet de cette aumône abondante dont nous
sommes les dispensateurs ". (II Cor. VIII, 20.) Ce .n'était pas
une close nuisible de détruire le soupçon. Lorsque nous sommes
dans une telle nécessité, qu'à cause du scandale que
l'on voudrait éviter, il peut arriver de grands maux , ne nous occupons
point de ce scandale. C'est celui qui se scandalise qui est à soi-même
la cause de scandale, mais nous ne sommes plus responsables; on ne peut
sans danger lui céder. Beaucoup se sont offensés de ce que
quelques fidèles couchaient dans les temples, comme si on ne devait
pas y coucher; mais c'est à- tort. Il n'y a aucun mal à cela.
On s'offensait de ce que Pierre mangeait avec les gentils; mais il s'en
abstint: Paul ne fit pas de même. Partout il convient, en suivant
les lois de Dieu , de veiller avec grand soin à ne pas fournir occasion
au scandale, afin de se conserver innocent; afin aussi de mériter
la miséricorde de Dieu, par la grâce et la charité
du Fils unique, avec qui appartiennent,. au Père et à l'Esprit-Saint,
gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, pendant les siècles
des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XLVII. PAUL DIT : " JE SUIS JUIF, NATIF DE TARSE EN CILICIE,
CITOYEN DE CETTE VILLE. JE VOUS EN PRIE, PERMETTEZ-MOI DE PARLER AU PEUPLE
". LE TRIBUN LE LUI AYANT PERMIS, PAUL, SE TENANT DEBOUT SUR LES DEGRÉS,
FIT SIGNE DE LA MAIN AU PEUPLE. UN GRAND SILENCE S'ÉTANT FAIT, IL
PARLA EN HÉBREU, DISANT... (CHAP. XXI, VERS. 39 ET 40, JUSQU'AU
VERS. 16 DU CHAP. XXII.)
237
ANALYSE. 1 et 2. Discours de saint Paul au peuple juif. — Habileté chrétienne de ce discours - Commentaire sur la conversion de saint Paul. — Il faut faire accorder sa croyance et sa conduite. — N'écoutons pas nos passions.
3 et 4. Que le témoignage que nous rendons à la foi s'accorde avec notre fidélité à la pratique des vertus. — Force de persuasion d'une bonne vie. — Maux produits par une vie mauvaise. — Punition de la mauvaise vie.
1. Remarquez que Paul, quand. il parle à ceux qui sont en dehors de la foi , ne refuse pas d'user du secours des lois. Dans ce moment, il rappelle le tribun au respect, en nommant sa cité. C'est ainsi qu'il disait autrefois: " Après nous avoir battus de verges, sans connaissance de cause, nous. qui sommes "citoyens romains, ils nous ont mis en prison ". (Act. XVI, 37.) Le tribun lui ayant demandé: " N'êtes-vous pas cet Egyptien ", Paul répond ; " Je suis Juif ". En parlant ainsi il fait cesser les soupçons du tribun. Ensuite, pour qu'on ne le croie pas Juif de naissance, il dit sa religion,; ailleurs il dit qu'il vit sous la loi du Christ. Qu'est-ce que cela ? Paul ment-il donc? Loin de là. Quoi donc? N'a-t-il pas nié ? Il n'en saurait être ainsi. Il était Juif et chrétien, observant ce qu'il fallait, puisqu'il obéissait à la loi plus que tout le monde, en croyant au Christ; en parlant à Pierre, il dit : " Nous sommes Juifs de race ". (Gal. II , 15.) — Je vous en prie, permettez-moi de parler "au peuple ". Et c'est là un signe qu'il ne ment pas, puisqu'il les prend tous à témoin. Remarquez de nouveau comme il parle avec douceur. Et c'est 1à une nouvelle et forte preuve de son innocence, qu'il soit ainsi prêt à rendre compte de ses actes, et qu'il veuille répondre,en présence du peuple.
Considérez cet homme tout préparé , voyez l'action de la Providence. Si le tribun n'était venu, s’il ne l'avait enchaîné , il n'eût pas eu l'occasion de faire un discours pour sa défense, il n'eût pas obtenu un si grand silence. " Le tribun le lui ayant permis, Paul se tenait sur les degrés ". L'endroit où il était placé lui donnait une plus grande facilité à cause de l'élévation des degrés et des chaînes dont il était attaché. Quel spectacle plus beau à voir que celui de Paul parlant au peuple, les mains liées par une double chaîne? Comment ne se trouble-t-il pas, comment n'est-il pas confondu à la vue d'une foule si nombreuse exaspérée contre lui, et en présence du chef des soldats? D'abord il calme leur fureur, puis il discute. Voyez avec quelle prudence. En effet, ce qu'il fait dans son épître aux Hébreux, il le fait là aussi : Tout d'abord., il les apprivoise par l'usage de leur langue, ensuite par sa douceur. C'est pour cela que l'auteur continue :. " Il se fit un grand silence: et leur parlant en hébreu, il dit : Hommes mes frères et mes pères, entendez mon apologie que je vous adresse ". Remarquez ce discours d'où toute flatterie est bannie, et si plein de douceur ; Il ne dit pas : maîtres ou seigneurs, mais " Frères" ; ce qu'ils aimaient le plus, comme s'il leur disait : Je ne vous suis pas étranger, (238) je ne suis pas contre vous. " Hommes mes frères et mes pères ", dit-il. Ce second mot est un titre d'honneur; le premier, l'expression de la fraternité. " Ecoutez mon apologie que je vous adresse ". Il ne dit pas l'enseignement, ni la harangue, mais l'Apologie "; il se pose lui-même comme un suppliant. " Entendant qu'il parlait hébreu, ils firent un plus grand silence, ". Ne voyez-vous, pas comme il s'empare d'eux par leur propre langue pour laquelle ils avaient une sorte de vénération ? Voyez comme il continue son discours ainsi commencé, en disant: " Je suis Juif, né à Tarse de Cilicie, mais élevé dans cette ville, aux pieds de Gamaliel, instruit suivant la vérité de la loi paternelle, serviteur zélé de Dieu, comme vous l'êtes aujourd'hui ". — " Je suis ", leur dit-il, " Juif ", ce qu'ils aimaient le plus à entendre, " né à Tarse de Cilicie ". Pour qu'ils n'aillent pas se figurer une nation étrangère , il ajoute sa religion : " mais élevé dans cette ville ".
Il montre son grand zèle pour le culte, puisqu'il avait quitté sa patrie, ville célèbre et si éloignée, et avait voulu être élevé à.Jérusalem pour s'instruire dans la loi. Voyez quel respect il avait autrefois pour la loi. Il ne parle pas ainsi , seulement pour se défendre , mais pour montrer que ce n'est pas dans un but humain qu'il a été conduit à la prédication, mais parla puissance divine; autrement il n'aurait pas été ainsi instruit tout d'un coup. S'il eût fait partie du commun des hommes, on eût pu faire cette supposition; si, contraire, il était du nombre de ceux qui étaient le plus attachés à 1a loi, il n'était pas vraisemblable qu'il eût changé d'avis au hasard, et sans l'impulsion d'une urgente nécessité. Mais peut-être quelqu'un dira-t-il : Qu'il eût été élevé à Jérusalem, cela importe peu ; qu'est-ce que cela signifie en effet, si pour quelque intérêt ou pour toute autre cause vous êtes venu ici? Pour qu'on ne pense pas ainsi, il ajoute " aux pieds de Gamaliel " : et il ne dit pas simplement auprès de Gamaliel , mais " aux pieds de Gamaliel ". Montrant par là sa persévérance, son. assiduité , son ardeur pour apprendre et son profond respect pour cet homme. " Instruit suivant la vérité de la loi paternelle "; il ne dit pas simplement de la loi, mais " de la loi paternelle.", pour montrer qu'autrefois il était observateur de la loi , et qu'il ne la connaissait pas simplement. Il
semble dire ces choses pour eux, mais c'est contre eux qu'il parle , puisqu'il a abandonné cette loi qu'il connaissait si bien. Ensuite, de peur qu'on ne lui fasse cette nouvelle objection :Pourquoi donc, si vous connaissez complètement la loi , ne la défendez-vous pas et ne l'aimez-vous pas? Il ajoute : " Zélé pour la "pratique de la loi", c'est-à-dire : Non-seulement je la connaissais, mais j'étais fort zélé pour elle. Et après qu'il a parlé de lui-même avec tant d'éloges, il dit: " Comme vous l'êtes tous aujourd'hui". Il les montre par là agissant, non par des raisons humaines, mais par zèle pour Dieu. Il parle ainsi pour capter leurs bonnes grâces, s'emparer de leurs. esprits, et les retenir par des moyens légitimes; voici des preuves : " Moi qui ai persécuté cette voie jusqu'à la mort, enchaînant et emprisonnant les hommes et les femmes, ainsi que le grand prêtre et les anciens m'en rendent témoignage ". Afin, d'empêcher, de dire : Et la preuve? Il apporte le témoignage du grand prêtre et du conseil des anciens. Il dit pour les adoucir : " Zélé dans la pratique de la loi comme vous " ; c'est-à-dire, autant que vous, et par ses oeuvres il leur montre qu'il l'était plus qu'eux. En effet, certes, je ne perdais pas de temps pour les saisir; mais de plus je pressais les prêtres, j'entreprenais, des voyages, je n'attaquais pas seulement les hommes comme vous, mais encore les femmes, et je les emprisonnais tous, et je les jetais dans les cachots. Ce témoignage est indubitable, les accusations des Juifs sont insoutenables. Voyez combien il cite de témoins : les anciens, le grand prêtre, les habitants de la cité.
2. Remarquez que sa défense n'est pas marquée au cachet de -l'a crainte , mais plutôt de l'enseignement et .de la- doctrine. Si les auditeurs n'eussent été des pierres, ils auraient fait attention à ses paroles. Jusqu'ici il a eu les Juifs pour témoins; ce qui suit s'était fait sans témoins. " De qui,ayant reçu des lettres, j'allais vers les frères à Damas pour emmener enchaînés ceux qui demeuraient en cette ville, et les conduire à Jérusalem afin qu'on les punît. Il arriva que lorsque j'étais en route et proche de Damas, vers le midi tout à coup une grande lumière venue du ciel m'enveloppa, je tombai par terre et j'entendis une voix qui me disait : Saul, Saul, " pourquoi me persécutes-tu ? Je répondis : (239) Qui êtes-vous, Seigneur.? Et il me dit : Je suis Jésus de Nazareth que tu persécutes " (Chap. XXII, 1-8.) Ces paroles étaient dignes de foi, la conversion de Paul inexplicable autrement, devait leur mériter créance. Qu'est-ce que cela prouve, dira-t-on, s'il se vante ? Il ne se vante nullement. Pourquoi, dites-moi, se serait-il tout d'un coup enflammé d'un tel zèle? Parce qu'il recherchait les honneurs? Or il a enduré les outrages. Il recherchait le repos? Cela non plus; quelqu'autre chose? La pensée ne peut rien"découvrir. Paul leur laisse ces conclusions à tirer, il raconte les choses , et leur dit: " J'étais proche de Damas, vers a midi tout à coup une grande lumière venue du ciel m'enveloppa , je tombai par "terre ". Ceux qui m'accompagnaient, qui m'ont conduit par la main , qui ont vu la.lumière, me sont témoins que je ne me vante point. " Ceux qui étaient avec moi virent la lumière ; et furent épouvantés ; mais ils n'entendirent pas là voix de celui qui me parlait". Ne vous étonnez pas s'il parle ainsi en cet endroit, et si , ailleurs, il est dit d'une autre manière : " Ils, restèrent debout entendant la voix, mais ne voyant personne ". (Act. IX, 7.) Il n'y a pas contradiction. En effet il y avait deux voix : la voix de Paul, et celle du Seigneur ! Dans le dernier passage, la voix dont parle Paul est la sienne. Mais dans celui qui nous occupe, Paul ajoute: " Ils n'entendirent pas la voix de celui qui me parlait ! " Donc ce mot ne voyant personne ", ne s'applique pas à la vision , mais signifie qu'ils n'entendirent pas. En effet; Paul ne dit pas qu'ils ne virent pas la lumière; mais : " Ne voyant personne, ils restèrent immobiles " c'est-à-dire, né voyant pas la personne qui me parlait. Il convenait que ce fait se passât ainsi, car il fallait que Paul fût seul jugé digne de cette voix. Si ceux qui accompagnaient Paul eussent entendu la voix, le prodige n'eût pas été aussi grand. Comme c'étaient des hommes grossiers, la vision était plus propre à les persuader; c'est pour cela qu'ils virent seulement la lumière, ce qui suffisait pour les persuader, et qui les épouvanta. D'ailleurs la lumière n'agit pas autant sur eux que sur Paul: La lumière en effet aveugla Paul, et, par ce qui lui arrivait, fournit à ses compagnons le moyen de voir, s'ils le voulaient. Il me semble que ce fut par une disposition de la Providence que ces hommes, ne crurent pas, pour qu'ils fussent des témoins dignes de foi. " Il me dit ", rapporte Paul : "Je suis Jésus de Nazareth que tu persécutes ". La ville est à propos nommée, pour qu'ils le reconnaissent. Et les apôtres disaient de même : "Jésus de Nazareth ". Voyez : le Christ lui-même témoignait qu'il était persécuté. " Ceux qui étaient avec moi virent la lumière et furent épouvantés; mais ils n'entendirent pas la voix de celui qui me parlait. Je dis : Que ferai-je, Seigneur? Le Seigneur me dit : Lève-toi , va à Damas, et là on te dira ce qu'il faut que tu fasses. Et comme je ne voyais pas , à cause de la splendeur de cette lumière, conduit par la main de mes compagnons, j'allai à Damas; mais Ananie , homme pieux suivant la loi, ayant le témoignage de tous les Juifs qui sont a Damas ; vint vers moi , et se tenant auprès de moi, me dit : Saul, mon frère, voyez. Et à l'heure même, je le regardai. Entrez, dit le Christ, dans la ville, et là on vous dira ce que vous devez faire ". Voici un nouveau témoin; et voyez comme il le montre digne de foi. " Un certain Ananias, homme pieux suivant la loi, ayant le témoignage de tous les Juifs, qui sont à Damas; étant venu vers moi, et s'étant tenir auprès de moi, me dit : " Voyez ". Ainsi, rien n'était étranger. " Et à la même heure, je le regardai ". C'est là le témoignage par les faits. Voyez comme il est mélangé de personnages amis et étrangers. Les personnages, ce sont les prêtres, les anciens, les compagnons de route de Paul; les événements, ce sont ce qu'il fait, ce qu'il souffre; les faits servent de témoins aux faits, et non pas seulement les personnes; ou bien encore d'une autre manière : Ananie était étranger. Ensuite, l'événement lui-même, c'est-à-dire, Paul recouvre la vue; puis une grande prophétie : " Ananie dit : Le Dieu de nos Pères a étendu sa main sur vous. par avance ; pour que vous connaissiez sa volonté et voyiez ce qui est juste ". Il dit à propos de nos pères ", pour montrer qu'ils ne sont pas Juifs, mais étrangers à la loi; et qu'ils agissent par envie ;et non par zèle. " Pour que vous connaissiez sa volonté et voyiez ce qui est juste ". Donc, c'est là sa volonté. Voyez comme la doctrine est expliquée par l'ordre de la narration. " Et que a vous entendiez la voix de sa bouche , parce d que vous serez son témoin auprès de tous (240) les hommes de ce que vous avez vu et entendu. — Et pour que vous voyiez ce qui est juste ", dit Ananie; ce qui revient à dire : Si donc vous êtes juste, les Juifs sont coupables. " Et pour que vous entendiez la voix de sa bouche ". Voyez comme il développe la chose : " Parce que ", dit-il , " vous serez son témoin ". Ainsi donc, à cause de cela, vous ne trahirez pas la vue et l'audition de ce que vous avez vu et entendu ; il le rend fidèle par ses deux sens qui ont été frappés. " Et maintenant qu'attendez-vous? Levez-vous et soyez baptisé; purifiez-vous de vos péchés, après avoir invoqué son nom (9-16) ".
3. Ananie, en cet endroit, prononça une grande parole; car il ne dit pas : Soyez baptisé en son nom, mais bien " après avoir invoqué le nom du Christ. " C'était proclamer le Christ Dieu, car il n'est pas permis d'invoquer quelqu'autre que Dieu. Paul montre ensuite qu'il n'a point été contraint, car il dit : " Le Seigneur me dit : Va à Damas, et là on te dira ce qu'il te faut faire ". Rien qui n'ait son témoignage, mais il produit ici le témoignage de cette ville entière qui l'a vu conduit par la. main. Remarquez aussi la, prophétie qu'il entend , dans laquelle on lui déclare qu'il sera le témoin du Seigneur. En effet, il a été le témoin du Seigneur; et le témoin tel qu'il convenait qu'il fût, et par ses oeuvres , et par ses paroles. Soyons nous-mêmes des témoins tels que lui, et ne trahissons pas nos croyances, non-seulement dogmatiques, mais morales. Voyez donc : ce qu'il a vu et entendu, Paul en a rendu témoignage à tous les hommes, et rien n'a pu l'arrêter. Nous aussi, nous avons appris qu'il y aura une résurrection et mille biens; donc, nous devons en rendre témoignage à tous les hommes; mais nous rendons témoignage, direz -vous , et nous croyons: Comment cela, lorsque vous faites tout le contraire? Mais, dites-mbi, le vous prie: Si quelqu'un se disait chrétien, et_ensuite, comme un-apostat, s'adonnait au judaisme, est-c'çe que ce témoignage serait suffisant? En aucune façon, parce qu'on rechercherait 1e témoignage de -ses, actions, Ainsi de nous,, si nous disons. qu'il y aura une résurrection, qu'il y aura des biens sans nombre, et qu'ensuite nous les dédaignions et nous. attachions aux choses d'ici-bas, qui nous croira? Tous, en effet, ne font attention qu'à ce que nous faisons et non à ce que nous disons. " Vous serez témoin devant tous les hommes ", non-seulement devant vos proches, mais aussi au milieu des infidèles. Les témoins, en effet, sont ceux qui persuadent ceux qui ne savent pas, et non ceux qui savent, Soyons des témoins dignes de foi. Mais comment serons-nous dignes de foi? Par notre vie. Les Juifs s'insurgeaient contre Paul : Les passions s'insurgent contre nous pour nous pousser à renier. notre témoignage. Mais ne leur cédons pas; mous sommes des témoins envoyés par Dieu. Il y a des hommes qui jugent que Dieu n'est pas Dieu; il nous a envoyés pour lui rendre témoignage. Rendons témoignage et Persuadons ceux qui nous contestent, car, si nous ne rendons pas témoignage, nous serons cause de leur erreur. Si, dans un tribunal où se traitent les affaires terrestres , on ne recevrait pas un témoin chargé de milles crimes, bien moins encore en ce cas où de si grandes choses sont l'objet de l'enquête. Nous disons, nous, que nous avons reçu renseignement du Christ, et que nous croyons à ce qu'il a enseigné; ils nous disent, eux : Montrez-nous cela par vos actes. Votre vie, en effet, nous témoigne tout lé contraire, c'est-à-dire, que vous ne croyez pas.
Voulez-vous que nous examinions les avares, les voleurs, les gens qui amassent des richesses; ceux qui pleurent, qui gémissent, qui bâtissent, qui s’occupent de toutes sortes d'affaires, comme s'ils ne devaient pas mourir? Si vous ne croyez pas que vous deviez mourir, quoique la chose soit tellement certaine et évidente, comment croirons-nous à votre témoignage? Il y a, en effet, beaucoup d'hommes qui vivent de telle sorte, qu'ils semblent ne pas croire qu'ils doivent mourir. Lorsque, dans une vieillesse avancée, ils commencent à bâtir, à cultiver leurs terres, quand donc penseront-ils à la mort? Notre punition sera grave, si, appelés en témoignage, nous ne pouvons attester ce que. nous voyons. Nous avons vu de nos .yeux les anges, et plus clairement que ceux qui les ont vu de leurs yeux. Rendons donc témoignage au Christ, car les apôtres ne sont pas seuls ses témoins, mais nous le sommes aussi. Les apôtres ont été appelés témoins (martyrs) parce que, sommés d'abjurer, ils souffrirent tout pour, dire la vérité; et nous, lorsque nos passions nous somment d'abjurer nos devoirs, ne succombons pas. L'or dit: Dis que le Christ n'est pas (241) le Christ: Ne l'écoutez pas comme un Dieu, mais méprisez ses insinuations. Les convoitises mauvaises disent la même chose : mais vous, ne vous laissez pas persuader, tenez bon pour qu'on ne dise pas de nous : " Ils confessent de "bouche qu'ils connaissent Dieu, et le nient par leurs actes ". (Tit. I, 16.) Ce n'est pas là l'oeuvre de témoins, c'est tout le contraire. Que les autres nient Dieu, il n'y a rien là d'étonnant; mais que nous, appelés à être ses témoins, devenions des renégats, cela est pénible et accablant, cela surtout nuit à la religion. " Il viendra en témoignage pour eux " (Luc, XXI, 1.3); mais si nous ne bronchons pas et sommes stables dans la foi. Si nous voulions tous rendre témoignage au Christ, bientôt nous aurions persuadé beaucoup, de gentils.
La vie est une grande chose , mes bien-aimés. Un homme, quelque sauvage qu'il soit, pourra condamner nos principes, mais il les admettra en secret, il les trouvera louables et les admirera. Et par quel moyen rendra-t-on sa vie la meilleure possible ? direz-vous. Par nul autre moyen qu'en agissant suivant l'impulsion de Dieu: Mais, quoi ! n'y a-t-il pas des gentils qui sont aussi vertueux? Ces gentils, quand ils sont tels, le sont ou par nature ou par vaine gloire. Voulez-vous savoir quelle est la splendeur d'une bonne vie, et quelle force de persuasion elle possède ? Si beaucoup d'hérétiques ont eu des succès malgré la corruption de leurs dogmes, ils ne les ont obtenus que parce que beaucoup de personnes; par respect pour la pureté de leur vie, n'examinèrent même pas leur doctrine; d'autres, qui les désapprouvaient dans leur doctrine, les respectaient à cause de leur bonne vie. Ce n'était pas juste, sans doute ; mais cependant c'est ce qui est arrivé. C'est là ce qui a diminué la vénération pour notre foi; tout est détruit et renversé, si l'on n'a pas une vie réglée; la foi elle-même est pervertie par là. Nous disons que le Christ est Dieu, nous proférons mille autres choses, celle-ci entre autres, qu'il a ordonné à tous de bien vivre; mais on ne voit la pratique de ce précepte que chez un petit nombre. Le dérèglement de la vie affaiblit le dogme de la résurrection, de l'immortalité de l'âme et du jugement, et il entraîne après lui beaucoup d'autres maux, tels que la croyance au destin, à la fatalité, et la négation de la Providence. L'âme, plongée dans des maux sans nombre, cherche à se consoler de cette façon pour ne pas s'attrister de la pensée qu'il doit y avoir un jugement, et que les principes de la vertu et de la malice sont en nous.
Une telle vie est la source de mille maux; elle rend les hommes semblables
à des bêtes sauvages, et même plus déraisonnables
qu'elles; car ce qui se trouve dans toutes les natures des bêtes
sauvages, souvent se rencontre dans un seul homme, et détruit tout
en lui: C'est pour cela que le démon a inventé l'erreur de
la fatalité; c'est pour cela qu'il a dit qu'aucune providence ne
gouvernait le .monde; pour cela qu'il a imaginé de dire qu'il y
avait de bonnes et de mauvaises natures, qu'il suppose le mal sans commencement
et matériel; c'est pour cela enfin qu'il fait tout pour corrompre
notre vie. En effet, il n'est pas possible que celui qui mène une
telle vie ne soit pas entraîné par les dogmes corrompus, et
persévère dans la saine croyance; ruais de toute nécessité
il devra embrasser la mauvaise doctrine. Je ne pense pas, en effet, que
l'on puisse parfaitement trouver, parmi ceux qui ne mènent pas .une
vie droite, quelqu'un qui ne médite mille choses sataniques; par
exemple, que tout marche au hasard et pêle-mêle dans le monde.
Ayons soin de bien régler notre vie, je vous en conjure, pour ne
point nous laisser aller aux mauvaises doctrines. Caïn eut pour châtiment
de gémir et de trembler. Tels sont les méchants : ils ont
tellement conscience de leurs maux sans l’ombre que souvent ils se réveillent
en sursaut; leurs pensées sont troublées, leurs yeux égarés;
tout fait naître en eux le soupçon, le doute est partout,
leur âme est remplie d'une terreur mêlée d'une attente
accablante, elle est bouleversée et rendue par la frayeur incapable
d'agir. Rien de plus dissolu que cette âme, rien de plus insensé
qu'elle. De même que les fous ne s'arrêtent à rien,
de même elle est mobile dans ses pensées; comment s'apercevrait-elle
de son aveuglement, elle qui ne peut qu'à grand'peine, au sein de
la paix et de la sérénité, découvrir sa propre
noblesse originelle? Lorsque tout est pour elle objet de trouble et de
crainte, songes, paroles, figures, soupçons téméraires,-comment
pourrait-elle se contempler elle-même, troublée et agitée
ainsi? Délivrons cette âme de ses craintes, brisons ses chaînes,
quand bien même il n'y aurait pas de châtiment futur; quel
châtiment plus dur y (242) aurait-il, que de vivre toujours dans
la crainte, de n'avoir jamais confiance en qui que ce soit, et de n'être
jamais en repos? Sachant pleinement toutes ces choses, conservons-nous
dans la tranquillité, cultivons la vertu, et nous pourrons obtenir
les biens promis à ceux qui aiment, par la grâce et la miséricorde
du Fils unique, avec qui appartiennent, au Père et à l'Esprit-Saint,
gloire, puissance, honneur, louange, maintenant et toujours, dans tous
les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XLVIII. ÉTANT REVENU A JÉRUSALEM, PENDANT
QUE JE PRIAIS DANS LE TEMPLE, IL ARRIVA QUE J'EUS UNE EXTASE, ET JE VIS
JÉSUS QUI ME DISAIT: " HATE-TOI, SORS PROMPTEMENT DE JÉRUSALEM,
CAR ILS NE RECEVRONT PAS TON TÉMOIGNAGE SUR MOI ", ET JE DIS : "
SEIGNEUR, ILS SAVENT EUX-MÊMES QUE C'ÉTAIT MOI QUI METTAIS
EN PRISON ET QUI FAISAIS FOUETTER DANS LES SYNAGOGUES CEUX QUI CROYAIENT
EN VOUS, ET QUE, LORSQU'ON RÉPANDAIT LE SANG D'ÉTIENNE, VOTRE
TÉMOIN, J'ÉTAIS PRÉSENT, ET QUE J'ÉTAIS CONSENTANT
A SA MORT, ET QUE JE GARDAIS LES VÊTEMENTS DE CEUX QUI LE METTAIENT
A MORT. " (CHAP. XXII, 17-20.)
ANALYSE. 1 et 2. Suite du discours de saint Paul aux Juifs. — Commentaire.
—'Injustice du tribun. — Paul dit : Je suis citoyen romain. — Fermeté
de saint Paul. — Saint Paul devant le Sanhédrin. — Conduite du grand-prêtre.
— Respect de saint Paul pour la Loi.
3. Exhortation. — Qu'il faut discerner avec soin : les vices et les vertus. — La magnanimité , l'économie, la prodigalité, l'avarice. — La mansuétude et la mollesse ; ta liberté de parole et l'audace.
1. Voyez comme il se précipite dans le danger; car il dit ensuite : " Lorsque je revins à Jérusalem " ; c'est-à-dire, après la vision de la route de Damas, je. vins de nouveau à Jérusalem. " Pendant que je priais dans le temple, il arriva que j'eus une extase, et je vis Jésus qui me disait : Hâte-toi, sors promptement, car ils ne recevront pas ton témoignage sur moi ". Cela encore n'est point sans témoignage, le témoignage se lire de l'événement. Le Christ avait dit : " Ils ne recevront pas ton témoignage ", et ils ne, le reçurent pas. Et certes, par le raisonnement,.on pouvait supposer qu'ils recevraient le témoignage de Paul. " Car c'était moi qui emprisonnais et qui faisais fouetter ", dit-il. Donc ils devaient recevoir son témoignage, mais cependant ils ne le reçurent pas. C'est pour cela qu'il apprend dans l'extase que son témoignage ne sera pas admis. Paul prouve deux choses en cet endroit : d'abord que les Juifs n'étaient pas excusables, puisqu'ils le persécutaient contre toute raison et toute vraisemblance ; en second lieu, il démontre que le Christ est Dieu, lui qui prédit ce qui est contraire à toute attente, et qui voit; non-seulement ce qui se faisait alors, .mais qui prévoit ce qui doit arriver. Comment donc le Christ dit-il : " Il portera mon nom devant les nations, les rois et les fils d'Israël. " Il portera ", dit-il, et non pas il persuadera. D'ailleurs, dans d'autres endroits, les Juifs étaient persuadés , mais non à Jérusalem. C'était là surtout qu'ils auraient dû croire, puisque tous avaient connu l'ancien zèle de l'apôtre ; et, au contraire, c'est là surtout qu'ils sont incrédules. " Et lorsque l'on versait le (243) sang d'Etienne votre témoin, j'étais présent, et consentais à sa, mort ". Voyez où le discours aboutit de nouveau, et quelle puissante preuve Paul fournit. Il montre qu'il était persécuteur, et non-seulement persécuteur, mais qu'il frappait Etienne par mille mains. Il leur rappelle ce grand meurtre. Ils ne purent souffrir qu'il les confondît ainsi; et la prophétie du Christ était accomplie. Le zèle de Paul était grand, son accusation était terrible; et les témoins de la vérité du Christ parlaient librement. Les Juifs ne voulurent pas entendre le reste du discours, mais, enflammés de fureur, ils poussèrent des clameurs. " Et il me dit : Va, parce que je t'enverrai vers les nations éloignées. Les Juifs l'écoutaient jusque-là, et ils élevèrent, la voix en disant. : Otez de la terre un tel homme, car il ne se peut qu'il vive. Comme ils poussaient des clameurs, jetaient leurs vêtements, et lançaient de la poussière en, l'air, le tribun ordonna de le conduire dans le camp, disant de lui donner la question par les fouets, afin d'apprendre pour quelle cause. ils criaient ainsi contre lui (21-24) ". Lorsque le tribun eût dû examiner si les choses étaient ainsi, et interroger les accusateurs, il ne fait rien de tout cela, il ordonne de le flageller. " En effet ", dit l'auteur, " le tribun ordonna de le conduire dans le camp et de,le flageller, afin de connaître la cause pour laquelle ils criaient ainsi contre lui ". Il fallait apprendre cette cause de ceux qui criaient, et leur demander s'ils avaient à lui reprocher quelque chose pour ses paroles; mais le tribun usé témérairement de son pouvoir, et agit de façon à leur faire plaisir; il ne s’inquiétait pas d'agir.avec justice, mais d'apaiser leur injuste fureur. " Comme on le conduisait aux lanières, .Paul dit au centurion qui était présent : Vous est-il permis de flageller un citoyen romain et qui, n'est pas condamné? "
Paul ne mentit pas, loin de là, en disant qu'il était Romain; il était en effet Romain ; aussi le tribun, en l'apprenant, eut peur. Et pourquoi craignit-il, dira-t-on ? Il craignait d'être lui-même saisi et de se voir infliger un grand châtiment. Remarquez que, Paul ne, parle pas au hasard ; mais il dit : " Vous est-il permis?." C'est en effet une double accusation : accusation, de punir sans cause, et de punir un citoyen romain. Ceux qui étaient honorés de ce.titre avaient de grands privilèges, et ce privilége n'appartenait pas à tout le, monde. En effet, depuis Adrien seulement, dit-on; tous furent appelés Romains.; mais anciennement, il n'en était pas ainsi. C'est pour s'exempter du supplice qu'il fait valoir son titre de Romain, car s'il eût été flagellé, il eût été par là rendu méprisable; mais, parce seul mot, il les remplissait d'une grande frayeur. S'ils l'eussent flagellé, ils eussent bouleversé tout, ou bien ils l'auraient mis à mort; mais il n'en arriva pas ainsi. Voyez comme Dieu permet, dans ce cas et dans d'autres, que les choses arrivent humainement. Le tribun répondit : " J'ai acquis ce droit de cité avec beaucoup d'argent ". Il voulait dire par là qu'il soupçonnait Paul; disant qu'il était Romain, d'user d'une feinte, et sans doute cette pensée lui vint de la mince apparence de Paul.
" Le centurion, après l'avoir entendu, alla dire au tribun : Voyez ce que vous allez faire, à cet homme est citoyen romain. Alors le tribun, venant vers Paul, lui dit : Dites-moi, êtes-vous Romain? Paul lui dit : Certainement: Le tribun répondit : J'ai acquis ce droit de cité avec beaucoup d'argent. Paul lui dit :Moi, je suis né Romain. Aussitôt, ceux qui devaient le torturer, le laissèrent. "
Et le tribun fut effrayé lorsqu'il sut qu'il était Romain, et qu'il l'avait lié. " Moi je suis né Romain ", dit Paul. Donc il était fils d'un père romain. Qu'arriva-t-il ensuite? Le tribun le délia, et le conduisit vers les Juifs. Il ne mentait pas en disant qu'il était Romain; il y gagna d'être délivré de ses liens. Ecoutez comment : " Le lendemain, le tribun voulant connaître d'une manière certaine de quoi les Juifs l'accusaient, le délia, et ordonna de réunir les princes des prêtres et le Sanhédrin; et ayant amené Paul; il le plaça au milieu d'eux (25-30). Paul regardant le conseil, leur dit". Il ne parla plus au tribun, mais à la foule et au peuple entier. Et que dit-il? Mes frères, jusqu'à cette heure je me suis conduit devant Dieu avec toute, la droiture d'une bonne conscience " ; ce qui veut dire : Je n'ai pas conscience d'avoir fait quoi que ce soit d'injuste envers vous, qui me rende digne d'être enchaîné ainsi: Que dit donc le grand prêtre? Il eût dû regretter de ce que Paul, à cause d'eux, avait été enchaîné injustement. Mais, au contraire, il ajoute à l'offense, et ordonne de le frapper, ce qui se voit dans la (24) parole suivante de l'auteur: " Le grand prêtre Ananie ordonna à ceux qui étaient présents de le frapper à la bouche ". Certes, voilà qui est bien : il est doux, le grand prêtre. " Alors Paul lui dit : Dieu te frappera, muraille blanchie. Tu es assis pour me juger suivant la loi, et tu ordonnes, malgré la loi, de me frapper. Ceux qui étaient présents lui dirent : Tu insultes le grand prêtre; mais Paul leur dit : Je ne savais as, mes frères, qu'il fût le grand prêtre; il est écrit, en effet : Tu ne maudiras pas le prince de ton peuple ". (Chap. XIII, 1-5.).
2. Quelques-uns disent qu'il parla avec connaissance de cause et par ironie; il me semble que Paul ne savait nullement que ce fût le grand prêtre, autrement il l'eût respecté; c'est pour cela qu'il s'excuse, lorsqu'il s'entend accuser, et qu'il ajoute: " Tu ne maudiras pas le prince de ton peuple ". Mais quoi, direz-vous, si ce n'était pas le prince.du peuplé, fallait-il en injurier un autre ? En aucune façon; il valait mieux supporter d'être insulté. On demande avec raison comment celui qui dit ailleurs
" Bénissez, lorsqu'on vous dit des injures; " supportez qu'on vous persécute " (I Cor. IV, 2), fait ici tout le contraire, et non-seulement dit des injures, mais même profère des malédictions? Loin de.nous cette pensée, Paul n'a fait ni l'un ni l'autre;mais, pour quelqu'un qui vent y faire attention, il est clair que ce sont là plutôt les paroles d'un homme qui parle avec liberté, que des paroles de colère; d'ailleurs il ne voulait pas paraître méprisable aux yeux du tribun. Si celui-ci s'était abstenu de flageller Paul pour le livrer aux Juifs, il fût devenu plus hardi en le voyant frapper par des valets; c'est pour cela que Paul attaque ainsi, non le serviteur, mais bien celui qui a commandé au serviteur. Ce mot : " Muraille blanchie, tu sièges pour me, juger suivant la loi ", signifie la même chose que si Paul disait : Vous qui êtes coupable, et digne de mille châtiments. Remarquez combien le peuple fut frappé de sa hardiesse; il fallait se repentir, mais ils préfèrent lui dire des injures. Mais Paul cite ta loi, parce qu'il veut montrer que s'il dit cet paroles, ce n'est ni par crainte, ni parce que celui qui les a entendues ne les méritait pas, mais bien parce qu'il obéit même alors à la loi. Je suis tout à fait convaincu que Paul ne savait pas qu'Ananie fût le grand prêtre, parce qu'il revenait après une longue absente, qu'il avait été rarement avec les Juifs, et que d'ailleurs il le voyait au milieu de beaucoup de monde. Le grand prêtre n'avait rien qui le désignât au milieu d'une foule de gens de toute espèce. Il me semble aussi qu'il leur adresse à tous ces paroles, pour leur montrer qu'il obéit à la loi; et voilà pourquoi il s'excuse.
Reprenons : " Pendant que je priais dans le temple, dit Paul, il m'arriva d'avoir une extase ". Pour montrer que ce ne fut pas une simple imagination, il dit auparavant : " Pendant que je priais. Hâte-toi, et sors promptement, car ils ne recevront pas ton témoignage ". Il montre ici qu'il ne s'est pas enfui par crainte de dangers de leur part, mais bien parce qu'ils n'admettraient pas son témoignage. Pourquoi dit-il donc : " Eux-mêmes savent que j'enchaînais? " Ce n'est pas pour contredire le Christ, loin de là, mais pour apprendre l'oeuvre admirable à laquelle il est destiné. " Va ", dit le Christ, " parce que je t'enverrai chez les nations lointaines ". Voyez : le Christ ne l'instruisit pas de ce qu'il devait faire, mais il lui dit seulement de partir, et il obéit, tant il était docile : " Et ils élevèrerit la voix, en disant : Otez-le, car il ne lai est pas permis de vivre ". O impudence ! certainement- il ne convient pas que vous viviez, vous, mais il n'en est pas de même de cet homme qui obéit en tout à Dieu. O scélérats et homicides ! " Et jetant leurs vêtements; ils lançaient de la. poussière.". Ils agissent ainsi pour exciter une sédition plus sérieuse et épouvanter le chef. Mais remarquez qu'ils ne disent aucune raison, puisqu'ils n'en avaient aucune ; mais ils pensent épouvanter parleurs cris; cependant il convenait que les accusateurs instruisissent le juge. " Et le tribun fut effrayé ", dit l'auteur, "lorsqu'il eut appris que Paul était romain ". Ce n'était donc pas un mensonge que faisait Paul en disant qu'il était romain. " Et il le délivra de ses chaînes; et l’ayant emmené, il le plaça devant le conseil ". C'est ce qu’il fallait faire au commencement, et non pas le lier et vouloir le fustiger ; il convenait de laisser libre l'homme qui n'avait rien fait pour mériter d'être enchaîné. " Et il le délivra, et l'emmenant, il le plaça au milieu d'eux ". Les Juifs étaient par là fort embarrassés. " Paul; portant ses regards sur le conseil, leur dit: Mes frères ". Il leur fait voir par là sa hardiesse et son intrépidité. (245) Mais voyez leur violence, car l'auteur ajoute : " Le grand prêtre Ananie ordonna de le frapper à la bouche". Pourquoi le frappez-vous? Qu'a-t-il dit d'insolent ? O impudence ! ô audace ! " Alors Paul lui. dit : Dieu doit te frapper, muraille blanchie ". Oh ! quelle liberté de parole ! Il le traîne dans la boue à cause de son. hypocrisie et de son injustice. Ananie, hésitant, n'ose même pas répondre ; mais ce sont ceux qui l’entourent qui ne peuvent. supporter la hardiesse de Paul. Ainsi ils voyaient un homme qui n'avait pas peur de la mort, et ils ne purent le supporter. " Je ne a savais pas ", dit Paul, " que ce fût le grand a prêtre ". Donc, s'il dit cette sévère parole, ce fut par ignorance ; s'il n'en eût pas été ainsi, le tribun l'ayant pris serait parti, ne se serait pas tu, et il l'aurait livré aux Juifs.
3. Paul fait voir ici qu'il souffre volontiers ce qu'il souffre, Et il se disculpe ainsi devant les Juifs; en montrant qu'il le fait par respect pour la loi. Il les condamnait d'ailleurs tout à fait. Il se disculpe donc à cause de la loi et non à cause du peuple.-Et il avait raison; car il était injuste de mettre à mort un homme innocent et qui ne leur faisait aucun mal. Ce que Paul a dit n'est donc point une injure, à moins que l'on ne dise aussi que le Christ proférait dès injures lorsqu'il disait : " Malheur à vous, scribes et pharisiens, parce que vous êtes semblables. à des murailles blanchies ". (Matth. XXIII, 27.) Certainement , direz-vous, s'il eût parlé ainsi avant d'être frappé, ce n'eût pas été de la colère, mais de la franchise. J'ai dit la raison qui le fit parler : il ne voulait pas être traité avec mépris. Le Christ, injurié par les Juifs, leur a souvent dit des paroles qui ressemblaient à des injures. Lorsqu'il leur dit : " Ne croyez pas que je vous accuse " (Jean, V, 45), ce n'est pas là une injure, loin de là. Voyez avec quelle. douceur Paul leur parle : " Je ne savais pas ", dit-il, " qu'il fût le grand prêtre de Dieu ". Il dit cela, et ajouta; pour montrer qu'il ne parlait pas par ironie: " Vous ne maudirez pas le prince de votre peuple ". Ne voyez-vous pas qu'il le reconnaît comme le prince du peuple. Apprenons, noua aussi, la mansuétude, pour devenir parfaits en toute chose. On a besoin de beaucoup d'attention pour connaître ce qu'est ceci, ce qu'est cela. Il faut beaucoup d'attention parce que les vices sont voisins des vertus. L'audace n'est pas éloignée de la liberté de parole, la mollesse de la mansuétude. Il faut donc voir de prés si, à la place d'une vertu qu'on croit avoir, on ne donne pas dans le vice voisin; c'est comme si, croyant épouser la maîtresse, on épousait la servante. Qu'est-ce donc que la mansuétude ? qu'est-ce donc aussi que la mollesse? Lorsque nous voyons les autres lésés, et que nous nous taisons, c'est de la mollesse ; lorsque nous-mêmes nous supportons l'injustice, c'est de la mansuétude. Qu'est-ce que la liberté de parole? Elle consiste à défendre les autres. Qu'est-ce que l'audace? C'est de vouloir nous venger nous-mêmes. De même que se lient ensemble la grandeur d'âme et la liberté de parole; de même s'unissent l'audace et la mollesse. En effet, celui qui ne s'attriste pas pour soi-même, difficilement s'attristera pour les autres ; de même aussi celui qui ne se défend pas soi-même, difficilement ne défendra pas les autres. Lorsque nos moeurs sont pures de toute passion , elles admettent la vertu. De même qu'un corps libre de la fièvre prend de la force; de même l'âme, libre des passions, prend de la force, aussi. La mansuétude ne saurait exister que dans une âme noble, virile et élevée. Croyez-vous que ce soit peu de chose de souffrir; et de ne pas s'exaspérer ? Et on ne se trompe pas en disant.que le soin des intérêts du prochain est la marque du courage.; en effet, celui qui a assez de force pour triompher.d'une si grande passion,saura certainement en vaincre une autre. Par exemple, la crainte et la colère sont deux passions : si vous domptez la colère, certainement vous surmonterez la crainte. Si vous êtes doux, vous dompterez la colère; si vous triomphez de la crainte, vous serez courageux. D'un autre côté, si vous ne domptez la colère, vous serez audacieux ; si vous ne pouvez triompher de ce vice, vous ne surmonterez pas non plus la crainte; ainsi donc vous serez craintif. On voit alors se produire les mêmes, effets que dans un corps faible et mal organisé qui rie peut supporter la moindre fatigue: il est bien vite saisi et détérioré par le froid et le chaud. Ce qui est mal constitué périt ; ce qui est bien constitué se soutient toujours. De même la grandeur d'âme est une vertu, la prodigalité lui est voisine; l'économie est une vertu qui a pour voisines l'avarice et la sordide épargne. Permettez-moi de faire d'autres rapprochements des diverses vertus.
246
Le prodigue n'est pas magnanime. En effet, comment celui qui est le jouet de mille passions pourrait-il avoir l'âme grande? La prodigalité n'est pas le mépris des richesses, ruais la sujétion à d'autres passions. Comme celui qui est forcé d'obéir à des voleurs n'est. pas libre, ainsi la profusion ne naît pas du mépris des richesses, mais de l'ignorance où l'on est de l'art de bien régler sa dépense. En effet, si le prodigue pouvait garder sa fortune et en jouir, certainement il le voudrait faire. Celui qui emploie ses biens convenablement, celui-là est magnanime ; cette âme est vraiment grande, en effet,-qui n'est point asservie à la passion, et compte pour rien les richesses. — De même l'économie est bonne; et le meilleur économe est celui qui dépense utilement sa, fortune et ne la répand pas au hasard. La parcimonie n'est pas cela. L'économe dépense toujours convenablement; l'avare , au contraire, même en cas d'urgente nécessité, ne donne pas son argent. L'économe serait donc frère de l'homme magnanime. Nous placerons donc ensemble le magnanime et l'économe, ainsi que le prodigue avec l'avare : tous les deux, en effet, souffrent de la pusillanimité, comme les deux premiers participent à la grandeur d'âme. N'appelons donc pas magnanime celui. qui dépense au hasard, mais bien celui qui dépense à propos ; ni économe l'homme avare et sordide; mais bien celui qui épargne à-propos son argent. Combien le riche vêtu de pourpre et d'or ne dépensait-il pas d'argent? Cependant il n'était pas magnanime, car son âme était retenue captive parla dureté du coeur et mille voluptés. Comment une telle âme serait-elle grande? Abraham était magnanime, lui qui dépensait pour donner l'hospitalité aux étrangers, tuait le veau; et qui, quand il était besoin, n'épargnait ni son argent, ni sa vie elle-même. Lors donc que nous voyons quelqu'un dresser une table abondante, avoir des courtisanes et des parasites, né l'appelons pas un homme magnanime, mais plutôt disons que c'est un petit esprit. Voyez, en effet, de combien de passions il est le serviteur et l'esclave : la gourmandise, l'absurde volupté, l'adulation; retenu qu'il est par de telles passions, réduit qu'il est par elles à l'impossibilité de fuir, comment l'appellerait-on une grande âme ? Aussi l'appellerons-nous plutôt un homme pusillanime; en effet, plus il dépense sa fortune, plus la tyrannie qu'exercent sur lui les, passions est manifeste; car si elles ne lui commandaient pas si impérieusement, il ne ferait pas tant de dépenses.
Enfin, si nous considérons un homme qui ne dépense rien
;pour aucune. de ces choses, mais qui nourrisse les pauvres, secoure ceux
qui sont dans le, besoin, et dresse pour soimême urge table frugale,
nous. l'appellerons un homme tout à fait magnanime. Il est, en effet,
d'une grande âme, tout en négligeant son propre repos, de
s'occuper de celui des autres. Dites-moi, en effet, si vous voyiez quelqu'un
gui, au mépris de tous lés tyrans, et ne tenant aucun compte
de leurs ordres; arrachât de leurs. mains ceux qu'ils oppriment et
qu'ils font souffrir, ne. penseriez-vous pas que. cette conduite a de la,
noblesse et de la grandeur? Pensez donc de même en ce cas présent.
Les passions sont un tyran; si nous les méprisons, nous serons.
grands ; si nous en retirons les autres; nous serons beaucoup plus grands
encore, et cela à bon droit. En effet, ceux qui suffisent, non-seulement
à eux-mêmes, mais encore aux autres, sont plus grands que
ceux qui ne font. ni l'un ni l'autre. Si au contraire quelqu'un, sur.l'ordre
d'un tyran, frappe l'un des inférieurs, en déchire un autre,
en accable un autre d'affronts, dirons-nous que ce soit là de la
grandeur d’âme? Non certes, nous le dirons d'autant moins qu'il sera
plus haut placé. Ainsi en est-il de nous. Voici que nous avons en
nous une âme noble et libre, le prodigue a ordonné de frapper
cette âme par les mauvaises passions ; dirons-nous que celui qui
la.frappe ainsi soit un grand coeur? Nullement. Apprenons donc ce que c’est
que la magnanimité et la prodigalité, l'économie et
la sordide avarice, la mansuétude et la mollesse, la liberté
de parole et l'audace ; afin que, les discernant entre elles,, nous puissions
passer la vie présente d'une manière agréable au Seigneur;
et acquérir les biens à venir, par la grâce et la miséricorde
du Fils unique, avec qui appartiennent, au Père, au Fils et à
l'Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans
tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE XLIX. OR, PAUL SACHANT QU'UNE PARTIE DE CEUX QUI ÉTAIENT
LA ÉTAIENT SADUCÉENS, ET L'AUTRE PHARISIENS, IL S'ÉCRIA
DANS L'ASSEMBLÉE : " MES FRÈRES, JE SUIS PHARISIEN ET FILS
DE PHARISIEN; ET C'EST A CAUSE DE L'ESPÉRANCE D'UNE AUTRE VIE ET
DE LA RÉSURRECTION QUE L'ON VEUT ME CONDAMNER ". PAUL AYANT PARLÉ
DE LA SORTE, IL S'ÉLEVA UNE CONTESTATION ENTRE LES PHARISIENS ET
LES SADUCÉENS , ET L'ASSEMBLÉE FUT DIVISÉE. CAR LES
SADUCÉENS DISENT QU'IL N'Y A NI RÉSURRECTION, NI ANGE, NI
ESPRIT; AU LIEU QUE LES PHARISIENS RECONNAISSENT L'UN ET L'AUTRE. (CHAP.
XXIII, VERS. 6-8, JUSQU'AU VERS. 30.)
247
ANALYSE. 1-3. Saint Paul devant le conseil des Juifs. — Il divise habilement ses adversaires. — Le tribun, averti du complot que les Juifs ont formé de le tuer, l'envoie, pour le mettre en sûreté, à Césarée sous bonne escorte.
3 et 4. Fermeté de saint Paul. — Comme tout ce que l'on entreprend contre les amis de Dieu tourne à leur avantage.
1. Voici encore un endroit où l'homme se montre seul. Paul en effet n'a pas continuellement l'assistance divine à son service, et il trouve parfois l'occasion de mettre du sien dans l'accomplissement de sa mission. Il le fait dans ce qui précède, il le fait encore après en continuant son apologie, et il réussit à diviser l'assemblée injustement conjurée contre lui. Il est sincère quand il se dit pharisien ; il était en effet pharisien.de père en fils. Ecoutez comment il use de cette circonstance pour se défendre . " Je suis pharisien et fils de pharisien, et c'est à cause de l'espérance d'une autre vie et de la résurrection des morts que l'on veut me condamner". Puisque ses accusateurs ne veulent pas dire pourquoi Ils cherchent à le faire condamner, il faut bien que Paul le dise : " Or les pharisiens reconnaissent l'un et l'autre ". Mais il y avait trois choses, pourquoi donc l'auteur dit-il l'un et l'autre? C'est parce que esprit et ange sont une même chose, ou bien encore, c'est parce que le mot .ne se dit pas seulement de deux, mais aussi de trois: Dans ce cas l'auteur se serait exprimé abusivement, et sans s'occuper de la propriété des termes. Et voyez dès qu'il s'est déclaré du parti des pharisiens, ceux-ci aussitôt prennent sa défense. — "Il y eut donc un grand bruit. Et quelques-uns des scribes du parti des pharisiens contestaient en disant : Nous ne trouvons point de mal en cet homme. Si un esprit lui est apparu en effet, ou bien un ange (9), n'allons pas combattre Dieu ", Et pourquoi n'avaient-ils -pas pris sa défense auparavant? Parce que Paul ne s'était pas encore montré comme un des leurs, et qu'il n'était pas encore connu avant cette apologie comme un pharisien de naissance. Voyez-vous comment, à l'instant même où les passions se dissipent, la vérité se découvre? Ce qu'ils disent revient à ceci : Quel crime y a-t-il si un ange lui a parlé, ou bien un esprit, et si, instruit par lui, il enseigne maintenant la résurrection ? Donc laissons-le, de peur qu'en le persécutant nous ne combattions contre Dieu même. La justification est parfaite, et Paul n'offre aucune prise à l'accusation. " Comme le tumulte augmentait, le tribun craignant que Paul ne. fût mis en pièces par ces gens-là, commanda qu'on fit venir des soldats, afin qu'ils l'enlevassent d'entre leurs mains et le menassent dans la forteresse (10) ". Maintenant qu'il a appris que Paul est citoyen romain, le tribun (248) appréhende que l'apôtre ne soit mis en pièces par la foule; la situation n'était donc pas sans péril. Voyez-vous qu'il a eu raison de faire connaître sa qualité de citoyen romain; sans cette révélation, le tribun n'eût pas conçu cette crainte. L'armée enlève donc l'apôtre. Les scélérats virent par là tous leurs efforts déjoués; néanmoins, ils redoublèrent d'ardeur sans se laisser arrêter par l'échec qu'ils avaient subi. C'est ainsi que la. méchanceté persiste toujours dans sa voie en dépit des obstacles. Combien cependant la Providence leur avait ménagé de motifs propres à faire tomber leur colère et à les faire venir à.résipiscence. Ils n'en persistent pas moins dans leur voie. Paul avait donc usé pour sa défense d'un moyen efficace, puisque par là il a échappé. au péril imminent d'être mis en pièces par ces furieux.
" La nuit suivante, le Seigneur se présenta à lui, et lui dit : Paul, ayez bon courage; car comme vous avez rendu témoignage.de moi dans Jérusalem, il faut aussi que vous me rendiez témoignage dans Rome. Le jour étant venu, les Juifs firent une ligue, et jurèrent, en appelant l'anathème sur eux-mêmes, de ne manger ni boire qu'ils n'eussent tué Paul. Ils étaient plus de quarante qui avaient fait cette conjuration (11-13). Ils jurèrent en appelant l'anathème sur eux-mêmes ", dit le texte; voyez quelle violence et quelle ardeur pour la vengeance et pour le mal. Que veut dire " appeler sur, soi l'anathème "? Cela veut dire que ces Juifs jurèrent de renoncer à la .foi en Dieu s'ils n'accomplissaient leur complot contre la vie de Paul. Ils ont donc été anathématisés à jamais, puisqu'ils ne tuèrent point Paul. Il y en eut quarante qui entrèrent dans .cette conspiration. Voilà bien cette nation, s'il s'agit de s'entendre pour faire le bien, on ne trouvera pas deux hommes pour agir de concert; s'il s'agit d'un crime à commettre, vous voyez aussitôt accourir un peuple entier. Et ils prennent pour complices même les chefs du peuple, comme l'affirme le texte en ajoutant : " Et ils vinrent se présenter aux princes:des prêtres et aux sénateurs, et ils leur dirent: Nous avons fait vśu, en appelant sur nous l'anathème, de ne point manger que nous n'ayons tué Paul. Vous n'avez donc qua faire savoir de la part du conseil au tribun, que vous le priez de faire amener demain Paul devant vous, comme pour connaître plus particulièrement de son affaire: et nous serons prêts pour le tuer avant qu'il arrive. " Mais le fils de la soeur de Paul ayant appris cette conspiration, vint et entra dans la forteresse, et en avertit Paul. Paul ayant appelé un des centeniers, lui dit : Je vous prie de mener ce jeune homme au tribun, car il a quelque chose à lui dire. Le. centenier prit le jeune homme avec lui, et le mena au tribun ". Voici encore une fois Paul sauvé par une mesure de. prudence humaine. Et voyez Paul ne.dit ce secret à personne, pas même au centenier, il ne veut pas que le complot formé contre lui se divulgue. " Et le centenier vint trouver le tribun et lui dit : Paul le prisonnier m'a prié de vous amener ce jeune homme, qui a quelque chose à vous dire. " Le tribun le prenant par la main, et l'ayant tiré à part, lui demanda : Qu'avez-vous à me dire? Ce jeune homme lui dit :Les Juifs ont résolu ensemble de vous prier que demain vous envoyiez Paul dans leur assemblée, comme .s'ils„ voulaient connaître plus exactement de son affaire; mais ne consentez pas à leur demande , car plus de quarante hommes d'entre eux doivent lui dresser des embûches,. ayant fait voeu, avec de grands serments, de ne manger ni boire qu'ils n'aient tué Paul ; et ils sont déjà tout préparés, attendant seulement que vous leur ayez accordé ce qu'ils désirent. Le tribun ayant appris cela, renvoya le jeune homme, et lui défendit de. découvrir à personne qu'il lui eût donné cet avis (14-22)".
2. Le tribun fait sagement de lui recommander de ne rien dire à personne. Il donne ensuite ses ordres aux centurions. Paul est envoyé à Césarée pour s'y faire entendre sur un plus grand théâtre et devant. un plus illustre auditoire. Les Juifs ne pourront pas dire qu'ils - auraient embrassé la foi s'ils avaient vu Paul, s'ils 'avaient entendu enseigner. Cette excuse leur est ainsi enlevée. La nuit suivante, le Seigneur se présenta à lui, et lui dit: " Paul, ayez bon courage; car comme vous avez rendu témoignage de moi dans Jérusalem, il faut aussi que vous me rendiez témoignage dans Rome ".. Remarquez : le Seigneur lui apparaît, puis il le laisse se sou-. ver par des voies humaines. Admirez l'apôtre, il ne se trouble pas, il ne dit pas : Qu'est-ce que ceci veut dire? Suis-je trompé par le (249) Seigneur? Pareille pensée ne lui vient même pas, nul soupçon de ce genre n'effleure son esprit, il croit simplement. Bien qu'il croie cependant, il ne s'endort pas, il ne néglige pas de prendre les mesures que lui suggère la sagesse humaine. Remarquez aussi comment les Juifs se sont imposés une sorte de nécessité, par l'anathème qu'ils ont appelé sur leurs têtes. Voilà le jeûne converti en un instrument de meurtre. Hérode s'était déjà assujéti à la nécessité du serment. Tel est l'artifice du démon, il cache ses piéges sous les apparences de la piété. Il eût fallu citer, accuser, composer un tribunal. Une conduite pareille n'était pas celle de prêtres, mais de chefs de brigands; ni de magistrats, mais de fléaux publics. Et voyez l'excès de la méchanceté. Il ne leur suffit pas de se corrompre entre eux, ils entreprennent encore de corrompre le gouverneur. C'est pourquoi la Providence permet qu'il soit instruit de leurs menées. Ainsi ces hommes montrent, tant par l'impossibilité où ils sont de rien dire, que par leurs menées secrètes, qu'ils ne sont rien. Il est vraisemblable qu'après le départ de Paul, les princes des prêtres se présentèrent chez le gouverneur pour le demander, et qu'ils se retirèrent couverts de confusion à cause de l'insuccès de leur démarche. Le tribun agit sagement. Il ne voulait point livrer Paul par une complaisance coupable. Comment, demandera-t-on, ajouta-t-il foi à ravis du jeune homme? Par ce qui s'était passé, il conjectura la vraisemblance de ce complot. Voyez que de méchanceté: ils imposent une sorte de nécessité aux prêtres eux-mêmes. Si les prêtres prirent sur eux une charge si importante, s'ils coururent ainsi tout le risque de l'affaire, faut-il s'étonner que les autres aient fait ce qu'ils ont fait. Paul est déclaré innocent par la sentence des païens, comme le Christ l'avait été par la voix de Pilate. Remarquez comme l'iniquité se combat elle-même. Ils :l'avaient livré pour le faire condamner et mettre à mort; et c'est le contraire qui arrive, il est trouvé innocent et sauvé. Sans cela il eût été mis en pièces; sans cela il eût été condamné, il eût péri. Non-seulement le tribun le dérobe à la rage de ses ennemis, mais il devient l'instrument de son salut en le faisant protéger par une si forte escorte. Ecoutez comment.
" Et ayant appelé deux centeniers, il leur dit. Tenez prêts dès la troisième heure de la nuit, deux cents soldats , soixante-dix cavaliers et deux cents lances , pour aller jusqu'à Césarée. Il leur ordonna aussi d'avoir des chevaux pour monter Paul, et le mener sûrement au gouverneur Félix. Il écrivit en même temps une lettre en ces termes : Claude Lysias, au très-excellent gouverneur Félix, salut. Les Juifs s'étant saisis de cet homme, et étant sur le point de le tuer, je suis intervenu avec des soldats et l'ai tiré de leurs mains, ayant su qu'il était citoyen romain. Et voulant savoir de quel crime ils l'accusaient, je le menai en leur conseil. J'ai trouvé qu'il n'était accusé que de. certaines choses qui regardent leur loi, sans qu'il y eût en lui aucun crime- qui fût digne de mort ou de prison. Et sur l'avis qu'on m'a donné d'une entreprise que les Juifs avaient formée pour le tuer, je vous l'ai envoyé, ayant aussi commandé à ses accusateurs d'aller proposer devant vous ce qu'ils ont à dire contre lui. Adieu. (23-30) ". Cette lettre contient une justification de Paul : " Je n'ai trouvé en lui aucun crime qui fût digne de mort", en même temps qu'une accusation contre les Juifs. — Ils étaient, dit-il, sur le point de le tuer. Puis il ajoute : " Je l'ai mené en leur conseil ", et ils n'ont rien trouvé à lui reprocher. Et- au lieu de s'arrêter après leur première tentative et d'en rougir, ils cherchent de nouveau à le tuer, en sorte que la justice de sa cause paraît avec plus d'éclat. Et pourquoi le tribun envoie-t-il aussi les accusateurs? Afin que devant le tribunal Paul fût déclaré innocent, après un. minutieux examen.
Reprenons. " Je suis pharisien ", dit-il. Il dit cette parole pour se les concilier. Puis, pour ne pas s'en tenir à une flatterie pure et simple, il ajoute : " Et c'est à cause de l'espérance d'une autre vie, et de la résurrection des morts, que l'on veut me condamner ". Il attaque pour se, mieux défendre; car les saducéens disent qu'il n'y a ni ange, ni esprit. Il n'existe rien d'incorporel selon les saducéens, pas même Dieu lui-même, tant ils étaient matériels. Par conséquent, ils refusaient de croire à la résurrection. " Et quelques scribes du parti des pharisiens s'étant levés, discutaient et disaient : Nous ne trouvons rien de mal en cet homme ".
3. Voyez : le tribun entend les pharisiens déclarer Paul innocent ; et il ne prononce dans le même sens et il l'enlève plus (250) hardiment. Les discours tenus par Paul avaient été remplis de sagesse. " La nuit suivante, le Seigneur se présentant à lui, lui dit: Ayez bon courage, Paul, comme vous m'avez rendu témoignage à Jérusalem, il faut de même que vous me rendiez témoignage dans Rome". Voyez quelle consolation ! Le Seigneur commence par louer son apôtre; ensuite, pour que son départ imprévu pour Rome ne l'effraie pas , il le lui annonce d'avance; comme s'il disait : non-seulement tu iras là, mais tu auras encore l'occasion d'y montrer la même intrépidité apostolique. Ensuite, il n'est pas dit qu'il. se sauvera du péril, mais qu'il méritera par son témoignage la grande couronne dans. la grande ville. Pourquoi l'apparition n'a-t-elle pas lieu avant le péril ? parce que c'est toujours dans les tribulations que Dieu console, c'est alors que sa présence est la plus désirée, et il nous exerce dans les périls. A ce moment-là, c'est vrai, il était dans le calme, étant débarrassé de ses liens; mais il allait bientôt courir un danger terrible : "Nous avons juré en appelant l'anathème sur nous, de ne pas manger ni boire ". Quelle fureur étrange ! ils se soumettent à l'anathème sans aucune raison. " Afin qu'il l'amène vers vous, comme devant connaître plus exactement de son affaire ". Que dites-vous? Est-ce qu'il ,n'a point parlé publiquement devant vous jusqu'à deux fois? n'a-t-il pas dit qu'il était pharisien ? N'est-il pas superflu d'aller plus loin? Mais ils aimaient tant les tribunaux et les lois, ils tenaient si fort à ne rien négliger ! Et ils déclarent leur dessein, et ils annoncent le forfait qu'ils méditent. "Le fils de la soeur de Paul ayant appris le complot ". C'est pan trait, de la divine providence qu'ils n'aient pas remarqué qu'on les entendait.
Que fit Paul? Il ne fut pas troublé, mais il vit dans ce qui se passait l'oeuvre de Dieu, et remettant tout à Dieu il sut tirer de ce fait son salut. Voyez .comment Dieu a tout dispensé pour le bien. Le jeune homme dénonce le complot, on l'en croit, et Paul est sauvé. — Mais, dira-t-on , puisqu'il avait été renvoyé absous, pourquoi faire partir des accusateurs? — Pour que l'enquête soit plus exacte et l'innocence de l'apôtre mieux établie. Telle est la conduite de Dieu: ce qui devait nous perdre dans la pensée de nos ennemis est souvent ce qui nous sauve. Aussi Joseph fut en butte aux pièges de la femme de son maître, et ce qui paraissait un piège se changea en voie de salut. Le séjour de la prison était en effet bien préférable à là maison où vivait ce monstre. Dans cette maison il était traité avec douceur, mais sa crainte des obsessions de sa maîtresse était continuelle, crainte pire pour lui que le séjour de la prison. Après l'accusation, il fut désormais libre et tranquille, et n'eut plus à redouter les piéges impurs de cette femme. Mieux valait pour lui la société des infortunés que celle d'une maîtresse égarée par sa passion. Ici il se consolait lui-même par la pensée qu'il était captif pour la chasteté; là il redoutait les blessures qui pouvaient être faites à son âme : rien de plus fâcheux qu'une femme amoureuse pour un jeune homme qui ne veut pas consentir à son désir, rien de plus impur, de plus repoussant. Il n'y a pas de prison qui soit aussi dure. On peut donc dire qu'au lieu d'être jeté en prison, il en fut délivré. Cette femme attira sur Joseph l'inimitié de son maître, mais elle lui assura l'amitié de Dieu, elle le fit avancer dans l'intimité du Maître véritable et absolu; elle le dépouilla de l'intendance de sa maison, mais elle l'introduisit dans la. maison dû Maître par excellence.
D'un autre côté ses frères le vendirent, mais ils le délivrèrent ainsi des ennemis qu'il rencontrait dans la maison de son père, de la haine, de l'envie, des embûches quotidiennes, ils l'envoyèrent loin de ceux qui le haïssaient. Quoi de plus fâcheux que d'être forcé de vivre avec des frères envieux, d'être en butte aux soupçons, aux pièges de toute espèce ? La Providence fit servir à ,la grandeur du juste Joseph ce que ses frères et la femme de Putiphar avaient tenté pour le perdre. Etait-il dans les honneurs, c'est alors qu'il était en danger; était-il dans l'abaissement, c'est alors qu'il était le plus en sûreté. Les eunuques l'oublient, et ceci tourne encore à sa gloire et ne fait que lui ménager une. occasion plus brillante pour sortir de prison ; de la sorte sa délivrance sera due non à la faveur humaine,.mais tout entière à la divine Providence ; il sortira à propos pour rendre de grands services, et Pharaon, en le tirant de sa prison, sera son obligé plus que son bienfaiteur. Il convenait que sa délivrance fût non pas une grâce accordée à un esclave, mais une conséquence de la nécessité où se (251) trouverait le roi. Il convenait aussi que la sagesse de ce juste fût manifestée avec éclat. Si l'eunuque l'oublie, c'est afin que l'Égypte ainsi que le roi apprennent à le connaître. S'il eût été délivré plus tôt, il eût peut-être désiré de revoir sa patrie. C'est pour cela que mille nécessités, l'arrêtent, d'abord la servitude, puis la prison, enfin le service du roi; c'est par ces ménagements que Dieu arrivait à ses fins. Il était donc comme un jeune cheval de bonne race qui brûlait de s'élancer librement dans l'espace pour rejoindre les siens, et que Dieu retenait là pour des motifs glorieux. Qu'il désirât de revoir son vieux père et de le délivrer de son chagrin, cela est évident puisque aussitôt il l'appelle près de lui.
4. Voulez-vous que nous.considérions d'autres embûches pour faire voir, plus clairement encore qu'elles sont utiles à ceux qui y sont exposés, non-seulement parce qu'elles sont toujours suivies d'une récompense sûre, mais encore parce qu'elles, sont accompagnées d'avantages actuels et présents? L'oncle de Joseph persécuta le père, de celui-ci, il le contraignit à quitter son pars. Hé bien ! il ne fit que l'éloigner du péril et le mettre en sûreté. Il contribua à le rendre plus sage, il lui procura la faveur d'une vision. On objectera qu'il servit sur une terre étrangère. Mais il "arrive dans sa parenté, et ii y prend une épouse, et se fait estimer de son beau-père. Il est vrai que celui-ci voulut aussi lui tendre des embûches. Or, ces embûches tournent encore à son avantage, en le ramenant dans son pays. Un bonheur sans mélange lui eût fait oublier ce retour. J'avoue qu'on lui fit perdre la récompense à laquelle il avait droit, mais par suite cette même récompense se trouva encore augmentée. Plus la persécution multipliait ses attaques, plus la prospérité de Jacob florissait. S'il n'eût pas épousé l’aînée des filles de Laban, il ne se serait point vu promptement père de tant d'enfants, il eût- passé d'assez longues années sans enfants, et dans le chagrin comme Rachel. Celle-ci avait un motif de pleurer étant si longtemps stérile, tandis que lui trouvait de la consolation, et pouvait repousser les plaintes de sa femme. De plus, s'il n'avait été privé de sa récompense, le désir. ne lui serait pas venu de revoir sa terre natale, sa sagesse n'eût pas été mise en évidence, il n'eût pas vu Rachel et Lia s'attacher à lui plus étroitement qu'auparavant. Écoutez ce qu'elles dirent : " Votre père ne nous a-t-il pas dévorées nous et notre argent? " (Gen. XXXI, 15.) Ainsi donc, à être persécuté, il gagna d'être aimé d'avantage. Il eut desservantes au lieu d'épouses, et il fut aimé d'elles, possession à laquelle nulle autre n'est comparable: Nul trésor, en effet, ne vaut l'amour qu'on se porte mutuellement entre époux. " Et une. femme vivant en parfait accord avec son mari " (Eccli. XXV, 2) : béatitude unique proclamée par le Sage. Cette condition existant, tout le reste , richesse et prospérité, vient par surcroît; si au contraire elle manque, tout le reste devient inutile, tout se trouve bouleversé, tout se remplit d'amertume et de confusion. Recherchons donc ce point- avant tout. Celui qui recherche l'argent, ne recherche pas autre chose. Recherchons ce qui peut être durable.
Ne recherchons pas en mariage les femmes riches, de peur que la disproportion de la fortune ne donne à l'épouse des sentiments de hauteur qui pourraient devenir une cause de discorde. Voyez ce que Dieu a fait, comment il a soumis la femme à son mari. Pourquoi n'avez-vous ni reconnaissance ni bon sens? Cessez de pervertir le don de Dieu. Ne recherchez donc pas une femme gui soit riche, mais une femme qui soit votre compagne dans la vie, pour la procréation des enfants. Dieu a donné la femme à l'homme, non pour qu'elle lui rapporte des revenus, mais pour qu'elle soit son aide..Celle qui vient avec une riche dot vient en ennemie, en souveraine, et non simplement comme une femme. Riche, elle se croit en droit d'être arrogante. Rien de plus vil qu'un homme qui a résolu de s'enrichir par cette voie. Si la richesse est déjà par elle- même remplie de tentations, que dire de la richesse ainsi acquise ? Ne considérez pas si un tel ou un tel a quelquefois réussi de cette manière par hasard, et contre toute vraisemblance. Ces heureuses fortunes; qui arrivent extraordinairement à quelques-uns, ne méritent guère qu'on s'y arrête. Or, si l'on examine cette question au point de vue de la raison, il est certain que ces sortes d'unions sont remplies d'amertume. De plus le déshonneur ne vous atteint pas seul, il atteint encore vos enfants que vous laisserez pauvres si vous vous en allez le premier, car votre femme ne manquera pas de prétextes pour contracter un second mariage. N'en voyons-nous pas un grand nombre se remarier sous le prétexte (252) d'éviter le mépris, et d'avoir quelqu'un qui administre leurs biens. Ne nous laissons donc pas entraîner au milieu de tant de maux par l'appât des richesses. Mais négligeons tout le reste, et recherchons une belle âme pour rencontrer l'affection. C'est là une grande richesse, un grand trésor qui comprend tous les biens de la vie; puissiez-vous en jouir convenablement et vivre selon les lois de Dieu, afin que vous puissiez aussi obtenir les biens futurs par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit au Père, en même temps qu'au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans lés siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Cette dernière homélie a été traduite par
M. JEANNIN.
HOMÉLIE L. LES SOLDATS DONC, POUR EXÉCUTER L'ORDRE QU'ILS
AVAIÉNT REÇU, PRIRENT PAUL AVEC EUX, ET L'EMMENÈRENT
LA NUIT A ANTIPATRIDE. ET LE LENDEMAIN, ILS S'EN RETOURNÈRENT A
LA FORTERESSE, AYANT LAISSÉ LES CAVALIERS CONTINUER LEUR ROUTE AVEC
LUI. CEUX-CI, ÉTANT ARRIVÉS A CÉSARÉE, RENDIRENT
LA LETTRE AU PROCURATEUR, ET REMIRENT PAUL ENTRE SES MAINS. (CHAP. XXIII,
VERS. 31-33, JUSQU'AU VERS. 21 DU CHAP. XXIV.)
ANALYSE. 1-3. Saint Paul descend de Jérusalem à Césarée
escorté comme un roi. — Il comparaît devant le gouverneur
qui le trouve innocent, mais néanmoins qui le retient prisonnier.
3 et 4. Il faut supporter patiemment les injures et se réconcilier avec son ennemi. — L'offensé s'honore lui-même en faisant les premières démarches auprès de l'offenseur.
1. Ainsi Paul se met en route, escorté comme un.roi, par un si grand nombre de gardes, et pendant la nuit, parce qu'ils redoutent l'effervescence de la colère du peuple. La multitude cesse du moins de le poursuivre, après qu'elle l'a expulsé de la ville. Or, le tribun n'eut pas protégé son départ avec tant de précautions, si lui-même ne l'eût reconnu innocent, et si, en même temps, il n'avait connu les passions sanguinaires auxquelles les Juifs étaient en proie. " Le procurateur ayant donc lu la lettre, s'enquit de quelle province était Paul, et ayant appris- qu'il était de Cilicie, il lui dit : Je vous entendrai, quand vos accusateurs seront venus, et il commanda qu'on le gardât au palais d'Hérode (34, 35) ".Lysias avait déjà pris sa défense; mais les Juifs reviennent à la charge contre lui, ils surprennent la bonne foi du juge, et Paul est de nouveau jeté en prison; écoutez de quelle manière, car le texte sacré ajoute : " Cinq jours après, le grand prêtre Ananie descendit à Césarée, avec quelques anciens du peuple et un certain orateur nommé Tertulle, qui se rendirent accusateurs de Paul devant le procurateur ". Voyez de quelle manière, loin de se désister, ils viennent sans être arrêtés par les mille obstacles qui s'opposaient à cette démarche, de sorte qu'en ce moment même il leur est impossible de ne pas en ressentir une (253) sorte de confusion. " Et Paul ayant été appelé, Tertulle commençai à l'accuser en ces termes : Comme c'est par vous, très-illustre Félix, que nous jouissons d'une profonde paix, et que plusieurs mesures très-salutaires à ce peuple ont été arrêtées par votre sage prévoyance, nous le reconnaissons en toutes rencontres et en tous lieux, et notes vous en rendons de très-humbles actions de grâces. Mais ne voulant pas vous détourner plus longtemps des affaires de votre gouvernement, je vous prie d'écouter avec votre bonté ordinaire ce que nous avons à vous dire en peu de paroles ". (Chap. XXIV, l, 4.) Mais c'est vous-mêmes, grand prêtre et anciens du peuple, qui avez tout fait; quel besoin aviez-vous donc d'un orateur? Voyez comme celui-ci, dès le début, cherche à présenter Paul comme un novateur et.comme un séditieux; comme il cherche, par ses éloges, à capter l'opinion du juge. Remarquez aussi que, comme s'il avait beaucoup à dire, il court rapidement d'une chose à l'autre, et se borne à dire ceci : " Afin de ne pas vous détourner glus longtemps des affaires de votre gouvernement". Voyez en même temps de quelle manière il fait naître dans le coeur du juge le désir de la sévérité, puisqu'il ne s'agit de rien moins pour lui que d'arrêter les menées du perturbateur de l'univers, et que c'est un grand intérêt qui excite leur zèle. " Ayant trouvé cet homme.qui est une peste publique, qui pousse à la révolté tous les Juifs de l'univers, quai est le chef de la secte des Nazararéens, qui a même tenté de profaner le "temple, nous nous étions saisis de lui, " et le voulions juger suivant notre loi. Mais le tribun Lysias étant survenu, nous l'a arraché d'entre les mains avec une grande violence, ordonnant que ses accusateurs viendraient comparaître devant vous; et vous pourrez vous-même l'examiner et reconnaître la vérité de toutes les choses dont nous l'accusons (54"). — "Il excite", dit-il, "le trouble parmi tous les Juifs répandus dans le monde". Ils l'accusent d'être le fléau, l'ennemi publie de la nation, et le chef de la secte des Nazaréens. Rien n'était plus infamant que cette dénomination de Nazaréen ", à cause du mépris qu'on affectait à l'égard de Nazareth. C'est pourquoi ils mettent. en avant cette particularité, et cherchent à y trouver un nouveau sujet d'accusation contre lui. " Ayant trouvé cet homme ", dit-il. Remarquez avec quelle méchanceté ils le décrient comme un criminel qui a pris la fuite, et qu'ils ont eu de la peine à atteindre, bien qu'il eût passé sept jours dans le temple. " Nous nous étions saisis de lui, et le voulions juger suivant notre loi ". Voyez comme ils outragent cette loi elle-même, à moins qu'il ne fût permis par la loi de frapper, de tuer, de dresser des embûches. Puis vient l'accusation dirigée contre Lysias. " Mais le tribun Lysias étant survenu, nous l'a arraché d’entre les mains avec une grande violence ", action, semble-t-il dire, qu'il ne lui appartenait pas de faire, et qu'il s'est pourtant permise. " Vous pourrez vous-même, en l'interrogeant, reconnaître la vérité des choses dont nous l'accusons. Les Juifs ajoutèrent que, -tout cela était véritable ". Mais que fait Paul pendant ce temps? Est-ce qu'il garde le silence sur tout cela? Nullement. Il prend de nouveau la parole librement et sans crainte, il répond, et cela par ordre du procurateur; car lé texte ajoute : " Mais le procurateur ayant fait signe à Paul de parler, il répondit en ces termes : J'entreprendrai avec d'autant plus de confiance de me justifier devant vous, que je sais que, depuis plusieurs années, vous gouvernez avec justice cette province, et qu'il vous est aisé de savoir qu'il n'y a pas plus de douze jours que je suis venu adorer à Jérusalem, et ils ne m'ont point trouvé disputant avec qui que ce soit dans le temple, ni amassant le peuple, soit dans les synagogues, soit dans la ville, et ils ne sauraient prouver aucun des chefs dont ils m'accusent maintenant (9-13) ". Rendre témoignage à l'équité du juge, ce n'est pas le langage de la flatterie, langage que nous trouvons bien plutôt dans ces paroles : " C'est par vous que nous jouissons d'une profonde paix", ce qui revient à dire : Mais vous, pourquoi excitez-vous injustement des séditions? Remarquez que les Juifs poussaient le juge à ,l'injustice; Paul ne cherche que la justice, et. c'est pour cela qu'il dit : " J'entreprendrai avec d'autant plus de confiance de me justifier ". Il se prévaut ensuite du temps : " Je sais que depuis plusieurs années vous rendez la justice dans cette province ". Cela importait-il beaucoup à sa démonstration? Sans doute: car par là il fait voir que le gouverneur lui-même sait que Paul n'a rien fait de ce dont il est accusé. Si, en effet, il eût excité quelque trouble, (254) Félix, en sa qualité de juge, l'aurait su, et un fait aussi grave ne se serait pas dérobé à sa connaissance. Puis, comme l'accusateur n'a rien pu prouver sur les prétendues menées de Paul dans la ville de Jérusalem, voyez ce qu'il ajoute : " Il excite le trouble parmi tous les Juifs répandus dans le monde ", accumulant ainsi mensonge sur mensonge. Voilà pourquoi Paul le chassant de cette position, dit : " Je suis venu pour adorer ", à peu près comme s'il disait pour se justifier: tant je suis éloigné de chercher à exciter des troubles. Et il insiste sur ce solide argument, en ajoutant : " Ils ne m'ont point trouvé disputant. avec qui que ce soit, ni dans le temple, ni dans la ville, ni dans la synagogue ", ce qui était vrai. Et Tertulle lui donne la qualification de chef.", comme dans un combat ou une émeute; mais Paul se borne à répondre avec douceur : " Il est vrai, et je le reconnais devant vous, que selon cette religion qu'ils appellent secte, je sers le Dieu de nos. pères, croyant. toutes les choses qui sont écrites dans la loi et dans les prophètes; espérant en Dieu, comme ils l'espèrent eux-mêmes, que tous les hommes justes injustes ressusciteront un jour (14, 15) ".
2. Considérez ceci : les Juifs s'attachent à le séparer, à l'isoler,d'eux : mais lui se confond avec eux en s'unissant à la,loi par les raisons mêmes qu'il fait valoir pour sa justification. Et pour donner plus de force à ce qu'il a dit, il ajoute : " C'est pourquoi je travaille incessamment à conserver ma conscience exempte de reproche devant Dieu et devant les hommes. Mais étant venu, après plusieurs années, pour faire des aumônes à ma nation et des sacrifices à Dieu.; lorsque je vaquais encore à ces exercices, ils m'ont trouvé purifié dans le temple , sans rassemblement du peuple et sans tumulte .(16, 18) ". Pourquoi êtes-vous monté à Jérusalem ? Pourquoi êtes-vous .venu? Pour adorer ", répondit-il, " pour à faire des aumônes ". Ce n'était pas le fait d'un séditieux. Ensuite , il fait tomber les masques , en disant, sans rien particulariser : " C'est dans ces exercices que m'ont trouvé quelques Juifs d'Asie , qui auraient dû comparaître devant vous, et se rendre.accusateurs, s'ils avaient quelque chose "contre moi; mais que ceux-ci déclarent "s'ils ont trouvé en moi quelque iniquité, lorsque j'ai comparu dans leur assemblée, à moins que l'on ne m'accuse de cette parole que j'ai dite hautement en leur présence : .C'est à cause de la résurrection des morts que je suis aujourd'hui traduit en justice par vous (19-21) ". Le propre d'une justification complète, c'est de ne pas reculer devant ses accusateurs , et d'être prêt à rendre compte à tous de sa conduite. " C'est à cause de la résurrection des morts que je suis aujourd'hui, " dit-il, " traduit en justice par vous ". Et il ne dit rien de tout ce qu'il pouvait dire à bon droit, à savoir : qu'ils l'ont épié, qu'ils l'ont détenu, qu'ils lui ont dressé des embûches : (car tout cela, ceux-ci racontent qu'ils l'ont fait, mais lui, quelque danger qu'il coure en ce moment, il n'en dit rien) il garde le silence à ce sujet; et bien qu'il eût mille choses à dire, il borné sa justification à ce seul point, dans la ville de Césarée, où son arrivée, au milieu d'une telle escorte, a eu un certain éclat. " Pendant que je vaquais à a ces exercices, ils m'ont trouvé purifié dans le temple ".. Comment donc l'a-t-il profané? La même personne n'a pu se purifier et adorer en même temps qu'elle profanait les saints lieux. Le soin qu'il a- de s'interdire les longueurs ajoute à la force de sa défense. Et cela même fait plaisir au juge; et c'est aussi dans ce dessein que Paul me paraît resserrer le champ de sa justification. Mais reprenons ce qui a été dit plus haut.
Comme Tertulle avait précédemment fait de longues harangues, il ne dit pas simplement : écoutez l'exposé de l'affaire , mais pour ne pas vous détourner plus longtemps des soins,de votre gouvernement, je vous prie de nous écouter avec votre bonté ordinaire ", montrant par là qu'il a l'intention d'abréger. Peut-être arrange-t-il ainsi son discours pour gagner la faveur de Félix, ou plutôt, n'y a-t-il pas quelque chose de bienveillant à ne dire que quelques mots pour ne pas être importun, alors qu'on aurait beaucoup à dire? " Nous avons trouvé cet homme qui est une pesté, publique... Il a même tenté de profaner le temple ". — Il ne l'a donc pas profané. effectivement. — Mais peut-être a-t-il commis ailleurs cette profanation. — Nullement; car, dans ce cas, Tertulle en eût parlé. Or, il se contente de dire ici : "il a tenté ",mais le " comment " il ne l'ajoute, pas. En même temps qu'il s'attache ainsi à mettre en relief et à exagérer tout ce qui est contre Paul, voyez (255) comme il atténue les torts des Juifs dans toute cette affaire. " Nous nous étions saisis de lui " , dit-il, " et le voulions juger suivant notre loi. Mais le tribun Lysias étant survenu , nous l'a arraché d'entre les mains avec une grande violence ". Il fait voir ici que c'est par suite d'une sorte de violence qu'ils comparaissent ainsi devant un tribunal étranger, et qu'ils n'importuneraient pas en ce moment le procurateur , si Lysias ne les y avait forcés, et qu'il n'avait pas le droit de leur enlever cet homme. C'est contre -nous que cet homme a commis ses méfaits ; c'est donc chez nous qu'il devrait être mis en jugement. — Pour reconnaître que c'est bien là ce qu'il veut dire, vous n'avez qu'à voir la suite : " Avec une grande violence ", dit-il, c'est là en effet de la violence. " Vous pourrez savoir de lui ". Il n'ose pas lui-même se porter accusateur , car c'était un homme indulgent pour ses semblables, et il ne veut pas non plus passer outre sans raison. Puis, pour qu'on ne croie pas qu'il vient, il fait de Paul son propre accusateur. "Vous pouvez", dit-il; " l'examiner et reconnaître la vérité de toutes ces choses ". Viennent ensuite les témoins qui doivent confirmer ses allégations : " Les Juifs ajoutèrent que tout cela était véritable". Les accusateurs sont ici à la fois témoins et accusateurs. Paul répond : " Sachant que depuis plusieurs années, vous gouvernez avec justice cette province ". Puisque depuis plusieurs années il connaît le juge , il n'est donc ni un étranger, ni un barbare , ni un novateur. Et c'est avec raison qu'il ajoute ce mot : " avec justice ", par lequel il exclut toute idée de partialité, soit à L'égard du grand prêtre, soit à l'égard du peuple, soit à l'égard de son accusateur. Remarquez qu'il s'abstient de toute invective, bien qu'il y soit poussé pair sa situation même. " Croyant ", dit-il " toutes les choses qui sont écrites dans la loi ". Il dit cela pour montrer que ce dont ils l'accusent ne saurait être le fait d'un homme qui croit à la résurrection, résurrection qu'ils attendent eux-mêmes. Il n'a pas dit, en parlant d'eux, qu'ils croient à ce qui est écrit dans les prophètes, (car ils n'y croyaient pas). Comment croyait-il, lui, à tous ces prophètes, et non les Juifs? C'est ce qu'il serait trop long d'expliquer en ce moment.
On pourrait s'étonner qu'énonçant tant de choses , nulle part il ne fasse mention du Christ. Je réponds que, dans ce terme croyant ", il a compris tout ce qui avait trait au Christ, mais il s'en tient pour le moment au sujet de la résurrection , parce que cette croyance était commune aux chrétiens et aux Juifs, et qu'ainsi il écarte- tout soupçon de sédition. Vient ensuite la raison de son voyage à Jérusalem. " Je suis venu faire des aumônes à ma nation et à Dieu des offrandes " , et cela depuis plusieurs années ". Comment donc aurait-il mis le trouble parmi des gens auxquels il est venu faire l'aumône, après avoir entrepris à cet effet un si grand.voyage ? "Sans attroupement ", dit-il, " sans tumulte ". Il s'attache partout à ôter à sa conduite tout caractère séditieux. C'est bien à propos qu'il fait appel, pour être ses accusateurs, aux Juifs d'Asie, disant : " Ils devraient paraître devant vous et m'accuser, s'ils avaient quelque grief contre moi ". Il est si assuré de son innocence quant aux choses dont on l'accuse, qu'il croit pouvoir leur porter ce défi. Et il accepte pour accusateurs; non-seulement les Juifs d'Asie, mais encore ceux de Jérusalem, et il presse ces derniers de se présenter aussi , en ajoutant : " Ou bien que ceux-ci même déclarent ". Car ce qu'ils supportaient avec peine dès le commencement, c'est que Paul annonçât la résurrection. Et il avait raison d'en agir ainsi: car ce point établi , il lui, était facile d'amener ce qui concerne la résurrection du Christ. " Quelle iniquité " , dit-il, " ont-ils trouvée en moi, " lorsque j'ai comparu dans leur assemblée?" Il dit: " Dans leur assemblée " , pour montrer qu'ils n'ont rien trouvé contre lui, non pas à la suite d'une enquête faite à son sujet en particulier, mais en présence d'une multitude de.gens examinant cette affaire avec le plus grand soin.
3. Que ce que je dis soit vrai, c'est ce que prouvent ceux-là même qui l'accusent sur ce point. C'est pour cela qu'il a dit: " C'est pourquoi je travaille incessamment à conserver ma conscience exempte de reproche devant Dieu et devant les hommes ". En effet, la vertu parfaite consiste à ne pas donner prise aux reproches des hommes, et à s'efforcer d'être également irréprochable devant Dieu. " J'ai crié ", dit-il, " dans l'assemblée ", montrant par cette expression : " J'ai crié " , leur violence à son égard, comme s'il disait: Ils ne sauraient alléguer que j'ai fait cela sous prétexte de faire l'aumône ; car il n'y a eu autour (256) de moi, à ce propos, ni attroupement, ni tumulte; et d'ailleurs, après enquête faite à ce sujet, on n'a pas trouvé autre chose dans ma conduite. — Avez-vous remarqué sa mansuétude au sein des périls? avez-vous remarqué la modération de son langage, et comme il n'a d'autre but que de détruire les accusations dirigées contre lui , sans les accuser à son tour, ne se justifiant qu'autant qu'il y est forcé? Il agit ainsi à l'exemple du Christ qui disait: " Je ne suis pas possédé du démon, mais j'honore mon Père, et vous, vous m'avez déshonoré". (Jean, VIII , 49.) Et nous, imitons Paul, puisqu'il a été lui-même l'imitateur du Christ. Si Paul n'a eu aucune parole dure pour ceux qui en étaient venus à son égard jusqu'à vouloir le faire mourir, comment, nous, pourrions-nous mériter notre pardon, si nous nous laissons emporter jusqu'aux injures et aux outrages, en appelant nos ennemis des scélérats, des infâmes? Comment pourrions-nous nous excuser même d'avoir des ennemis? Ne comprenez-vous pas que celui qui honore les autres s'honore lui-même ? Mais nous, tout au contraire, nous nous outrageons nous-mêmes. Tu accuses, parce que tu as été outragé! Pourquoi tombes-tu toi-même dans la même faute? Pourquoi te blesses-tu toi-même? Reste impassible, reste invulnérable , de peur qu'en voulant frapper autrui, tu ne te précipites toi-même dans le malheur. N'avons-nous pas assez de ces tempêtes de l'âme qui se soulèvent dans ses profondeurs sans que personne les excite, je veux sjire nos désirs insensés, nos folles tristesses, nos abattements, et tant d'autres mouvements désordonnés ? faut- il encore que nous y accumulions comme à plaisir d'autres orages?
Mais comment est-il possible, dites-vous, de supporter cet outrage? — Comment, vous demanderai-je à mon tour, comment n'est-ce pas possible? Est-ce que les mots peuvent nous blesser ?est-ce qu'il en reste sur notre corps des meurtrissures? Quel est donc le mal qu'ils nous font? Si nous le voulons, nais pouvons les supporter. Imposons-nous la loi de ne pas souffrir. de leur atteinte , et nous les supporterons. Disons-nous à nous-mêmes. Ceci n'est pas l'effet de la haine qu'on nous porte, c'est plutôt l'effet d'une sorte d'infirmité. Et ce qui prouve que ce n'est ni l'effet de la haine, ni l'effet de la méchanceté, c'est que notre ennemi.voulait se contenir, bien qu'on ait eu mille fois tort envers lui. Si nous nous contentons de faire cette réflexion que l'outrage provient d'une sorte d'infirmité, nous le supporterons, nous pardonnerons à celui qui nous a outragés, et nous nous efforcerons de ne pas tomber nous-mêmes dans ce défaut. Si je demande à tous ceux qui m'écoutent: Die pourriez-vous pas, si vous le vouliez bien, avoir assez de philosophie pour supporter les outrages ? chacun répondra: Pour moi, du moins, je le crois ainsi. Eh bien donc, lui dirai-je, si quelqu'un t'a offensé malgré lui, sans le vouloir, et comme poussé par la passion, possède-toi. Ne vois-tu pas les démoniaques? C'est bien moins une violente inimitié, qu'une sorte d'infirmité , qui met certaines personnes dans cet état. Il en est ainsi de nous; c'est en nous-mêmes, ce n'est pas dans la nature même des injures, que se trouve la cause de notre émotion. Comment se fait-il, en effet, que nous supportons les mêmes outrages de la part d'un fou? Et si ceux qui nous outragent sont des amis ou des supérieurs, nous supportons également leurs outrages. Mais quelle absurdité n'est-ce pas d'endurer ainsi ce qui nous vient de nos amis, des fous et des supérieurs, et de ne pas endurer ce qui nous vient de nos égaux ou de nos inférieurs ? Je l'ai déjà. dit bien des fois: il s'agit,d'une chose qui ne dure qu'un instant, et que l'instant d'après voit s'évanouir; un peu de patience , et tout est dit. Plus l'outrage est grave , plus est grande l'infirmité de celui qui outrage. Sais-tu dans quel cas il faut se chagriner? Lorsque, à nos outrages, un autre n'appose que le silence. Car alors c'est lui qui est fort , et c'est nous qui sommes faibles; mais si c'est le contraire qui arrive, non-seulement il ne faut pas s'en chagriner, mais il faut même s'en réjouir. Tu as été couronné, tuas été proclamé vainqueur, sans que tu aies eu besoin de descendre dans l'arène. Tu n'as été incommodé ni par l'ardeur du soleil, ni par la poussière; tu n'as pas eu à en venir aux mains, tu n'as eu qu'à vouloir: et assis ou debout, tu as reçu une belle couronne, une couronne plus belle que toutes celles qu'on décerne aux athlètes, car il est plus méritoire de triompher des traits de la colère que de frapper un ennemi qui vous attaque. Tu as vaincu, sans même avoir engagé la lutte; tu n'as eu qu'à dompter la passion qui était en toi, égorgeant ainsi la bête irritée, ou, pour mieux dire, la muselant au moment où elle entrait en (257) fureur, comme un pâtre prévoyant: c'était une guerre civile qui avait éclaté; c'était en toi- même que le combat était engagé. — Car de même que ceux qui assiègent une place, cherchent à fomenter la guerre civile dans l'intérieur de cette place, et sont vainqueurs par l'emploi de ce moyen : de même celui qui nous outrage, s'il ne parvient pas à exciter en nous-mêmes l'ardeur du ressentiment, échouera dans son entreprise ; il n'a aucune force, aucun pouvoir, si nous n'attisons le feu en nous-mêmes. — Que l'étincelle de la colère demeure donc en nous, pour n'y être ranimée qu'à propos, et non contre nous-mêmes, ce qui nous exposerait à mille maux.
Ne voyez-vous pas de quelle manière , dans les maisons, le feu est tenu caché, sans être éparpillé nulle part et jeté au hasard parmi la paille et les étoffes, de peur que le moindre vent qui viendrait à souffler n'allume un incendie ? Quand la servante va quelque part une lampe à la main, et quand le cuisinier allume ses fourneaux, on leur recommande expressément de prendre des précautions; et lorsque la nuit survient, nous avons soin de couvrir le feu de peur que, pendant notre sommeil; et lorsque personne n'est là pour y veiller, il ne 'se rallume et qu'un incendie n'éclate. — Agissons de même à l'égard de la colère: ne la laissons pas s'éparpiller çà et là dans notre pensée, mais renfermons-la dans, les profondeurs de l'âme, de peur que le vent ne vienne à souffler, je veux parler des paroles offensantes que . nous sommes exposés à entendre : sachons contenir le souffle en nous-mêmes, pour ne l'employer qu'à propos et lorsque la chose est sans danger pour nous. S'il se déchaîne du dehors en toute liberté, il ne connaîtra pas de bornes et allumera un incendié qui dévorera tout. Que cette étincelle de la colère ne nous serve donc qu'à nous donner de la lumière. En effet, la lumière naît de la colère , quand celle-ci n'éclate qu'à propos. Portons des torches allumées pour surprendre ceux qui , à là faveur des ténèbres, cherchent à nuire à leurs . semblables ; servons-nous-en pour. épier les pièges du démon. Que cette étincelle ne soit pas abandonnée 'un peu partout, comme au hasard; conservons-la sous la cendre; que d'humbles pensées la recueillent et l'endorment dans leur sein. Nous n'en avons pas toujours besoin,, mais seulement quand il nous faut vaincre quelque difficulté, aplanir quelque obstacle, quand il nous faut adoucir quelque coeur endurci, ou reprendre avec vigueur quelque esprit qui s'égare
4. Que de maux ont enfanté la colère et ses emportements ! Et ce qui est plus fâcheux, c'est qu'après que nous nous sommes séparés les.uns des autres à la suite d'une altercation, nous ne-nous sentons plus capables de nous réunir encore, mais nous attendons que les autres viennent à nous : chacun a honte de faire le premier pas en vue d'une réconciliation. Voyez donc, on ne rougit pas de donner comme le signal de cette mauvaise action, je veux dire, la séparation, le déchirement : mais on rougit de s'approcher pour rajuster ce qui a été ainsi mis en pièces, comme ferait celui qui n'éprouverait aucune peine à amputer son membre, mais qui rougirait d'avoir à le mettre en place, et à donner les soins nécessaires en pareil cas. Réponds-moi, ô homme ! As-tu de grands torts à te reprocher, et peut-on dire que c'est toi qui as provoqué la lutte? Dès lors, il est juste que ta fasses les premiers pas pour te réconcilier, puisque tu as été la cause première. du dissentiment. Mais c'est toi qui as été offensé; c'est lui, dis-tu, qui est cause de tout. — Eh bien, pour cette raison même, fais les premiers pas, afin qu'on t'en admire davantage, et que tu obtiennes ainsi doublement la première -place, et pour n'avoir pas été la cause de cette rupture, et pour avoir empêché qu'elle ne se prolonge; et peut-être déjà ton ennemi, à qui sa conscience reproche les mille méfaits dont tu te plains, en rougit-il, en a-t-il honte en secret. — Mais il s'est laissé aller aux derniers excès ! — Eh bien, pour cette raison même, n'hésite pas à accourir vers lui : car deux violentes passions le troublent,: l'emportement et la colère. Tu viens d'articuler toi-même lés motifs que tu as de faire les premières démarches : tu te possèdes, tu es sain d'esprit, ta vue n'est pas troublée comme la sienne, pour lui, il est plongé dans les ténèbres; car tel est l'effet de l'emportement et de la colère. Toi qui. es exempt de ces maux, toi qui te portes bien, va, comme le médecin; voir le malade- Quel est le médecin qui osera dire : Puisque .cet homme est malade, je ne veux pas aller à lui? Tout au contraire, les médecins sortent précisément. pour aller visiter ceux qu'ils savent hors d'état de venir les trouver. Quant à ceux qui sont en état de sortir, ils ne s'en inquiètent guère, (258) parce qu'ils savent qu'ils ne sont que légèrement indisposés : ils réservent toute leur sollicitude pour ceux qui sont obligés de garder le lit. Est-ce que tu ne considères pas la colère, l'emportement, comme la pire des maladies? L'emportement ne peut-il pas être assimilé à une fièvre violente, et la colère à une vive inflammation. qui fait enfler nos membres? Juge donc combien il est pénible d'être pris par la fièvre, ou d'avoir, une inflammation va, marche, éteins ce feu, car tu le peux- par la grâce de Dieu. : arrête au plais tôt cette inflammation, comme on arrête, au moyen.de l'eau, les progrès d'un incendie.
Mais quoi, diras-tu, mes avances ne feront que l'exalter davantage ! — Cela ne te regarde pas : tu as fait ce que tu pouvais faire; quant à lui, qu'il ne s'impute qu'à lui-même d'avoir si mal répondu à tes bons, sentiments : il doit nous suffire que notre conscience ne nous reproche pas qu'une chose fâcheuse soit arrivée parce que nous avons négligé de faire ce qui était de notre devoir. " Donnez ", dit l'apôtre, " donnez à manger à votre ennemi, car en faisant cela, vous amasserez des charbons de feu sur sa tête ". (Rom. XII, 20.) Et tout en disant cela, il n'en vçut.pas moins que nous allions trouver notre ennemi, que nous nous réconciliions avec lui, que nous lui fassions du bien, non, pour amasser ainsi ,des charbons , mais pour que notre ennemi , sachant cela, se calme, pour qu'il craigne et redoute les bienfaits et les témoignages d'amitié de son ennemi plus encore que ses embûches. Un ennemi vindicatif ne fait pas autant de mal à son ennemi, que celui-ci n'en reçoit d'un adversaire qui cherche à lui être utile et à lui faire du bien. En effet, le vindicatif se nuit à lui-même, et peut-être.un peu à celui dont il cherche à se venger : mais celui qui, tout au contraire, cherche à faire du bien.à son ennemi, " a amassé; des charbons de feu sur la tête de ce dernier. ". — Ne devons-nous pas, diras-tu, nous abstenir de lui faire du bien, afin de lui épargner ce malheur qui doit en être la suite? — Mais.voudras-tu donc; en agissant autrement, amasser les.charbons sur ta propre tête? Car c'est ce que fait la vengeance. — Mais vous voulez donc que j'aggrave encore le mal? - Point du tout : ce n'est pas toi qui l'aggraves_; ce n'est qu'à son humeur brutale qu'il doit s'eu prendre de cette aggravation. En effet, si alors que tu lui
fais du bien, que tu l'honores, que tu as à coeur de te réconcilier
avec lui, lui, au contraire, conserve au fond du coeur sa haine:, c'est
contre lui-même qu'il allume ce feu dévorant, ç'est
sa propre tête qu'il livre à ses' ravages. Quant à
toi, tu n'y es pour rien. Ne cherche p$a à être plus. miséricordieux
que Dieu lui-même ; car, en voulant l'être, tu t'exposerais
à mille maux. Mais que dis-je ! Quand tu voudrais l'être,
tu ne le pourrais pas, même au plus faible degré. Et comment
donc cela pourrait-il être? " Autant ", dit-il, " il y a de distance
entre le ciel et la terre, autant mes desseins, sont au-dessus de vos desseins
". (Isaïe, LV, 9.) Et en un autre endroit : "Si vous ", dit-il, "
qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos
enfants, combien plus vous donnera votre Père qui est dans les cieux
". (Matth. VII,. 11.) Mais tout, cela n'est qu'une excuse, qu'un vain prétexte.
Gardons-nous de porter un esprit de sophisme dans l'interprétation
des ordres de Dieu. Tu demandes comment tu tombes ici dans le sophisme
: le voici. L'apôtre a dit : " En faisant cela, vous amasserez des
charbons de feu sur sa tête ". Mais toi, tu dis : Je crains mon ennemi,
parce qu'il m'a fait beaucoup de tort, et cette crainte m'arrête
quand il s'agit de lui faire du bien. N'est-ce pas là ce que tu
dis? Mais comment donc se fait-il que tu aies un ennemi? Tu crains celui
qui t'a fait du, tort, et tu ne te crains pas toi-même ! Plût
à Dieu que tu eusses un peu plus de souci de ce qui te regarde !
N'agis pas, si tu veux, de cette façon envers ton ennemi dans cette
intention, mais dans telle ou telle autre... Mais tu n'agis pas du tout.
Eh bien, pour te déterminer, je ne veux plus te donner cette raison
: " Que tu amasseras sur la tête de ton ennemi des charbons ardents
", mais une autre raison plus haute. Tu peux agir, si tu veux, par ce nouveau
motif, mais agis enfin. Paul a dit ce qui précède, pour t'exciter,
par la crainte du châtiment, à bannir de ton coeur toute haine,
Sachant tout ce qu'il n’y a de purement animal dans nos. penchants, et
que, par suite, si l'on ne nous montrait la perspective de quelque châtiment,
il serait impossible de nous amener à aimer notre ennemi, il nous
jette, pour ainsi dire, cette grossière pâture. Mais ce n'est
pas là ce que le Christ a dit aux apôtres. Que leur dit-il?
Afin que vous deveniez semblables à votre Père qui est dans
les cieux". (Matth. V, 45.) (259) Il est, du reste, impossible que deux,
hommes restent ennemis, quand l'un des deux fait du bien à l'autre.
Voilà dans quelle vue Paul nous fait cette recommandation. Mais
toi, pourquoi, philosophe en paroles, ne gardes-tu aucune mesure dans tes
actions? Tu ne donnes pas à manger à ton ennemi, pour ne
pas amasser sur sa tête des charbons de feu. C'est fort bien. Mais
est-ce que tu as pour lui dés ménagements, de l'affection,
ou est-ce dans cette intention que tu agis ainsi envers lui? Dieu sait
si c'est ce motif qui te fait parler de la sorte. Toujours est-il que vis-à-vis
de nous, tu uses de sophismes et de vains prétextes. Ton ennemi
est-il réellement pour toi un objet de prévoyante sollicitude?
Crains-tu réellement qu'il ne soit châtié? Tu as donc
éteint en toi, en ce cas, toute l'ardeur de tes ressentiments :
car celui qui aime son semblable, à ce point qu'il négligé
son propre intérêt pour l'intérêt d'autrui, n'est
plus ion ennemi. Tu diras probablement : jusques à quand nous permettrons-nous
ces jeux d'esprit sans excuses en des choses aussi graves? Je vous supplie
donc de couper court à tout vain prétexte, quand il s'agit
d'obéir aux lois de Dieu; afin qu’après nous être conduits
, dans la vie présente, d'une manière qui lui soit agréable,
nous puissions obtenir les biens qui nous ont été, promis,
par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ,
avec lequel gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit,
maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi
soit-il.
HOMÉLIE LI. OR FÉLIX, QUI CONNAISSAIT TRÈS-BIEN
CETTE DOCTRINE, LES AJOURNA, DISANT : " LORSQUE LE TRIBUN LYSIAS SERA VENU,
JE JUGERAI VOTRE AFFAIRE ". ET IL ORDONNA A UN CENTURION DE GARDER PAUL,
MAIS EN LUI DONNANT PLUS DE LIBERTÉ, ET SANS EMPÊCHER QU'AUCUN
DES SIENS LE SERVIT OU LE VISITAT. (CHAP. XXIV, 22-23, JUSQU'AU VERS. 22,
DU CHAP. XXV.)
ANALYSE. 1-3. Paul comparaît devant Félix, Festus et le
roi Agrippa. — Il en appelle à César.
4 et 5. Nul ne peut nuire à qui ne se nuit pas à lui-même. — Malheur pie l'homme injuste.
1. Voyez le sérieux :examen auquel cette affaire est soumise : plusieurs juges s'en occupent, et pendant longtemps, pour que l'on ne pût pas dire que le jugement avait été surpris. Comme l'orateur avait fait mention de Lysias, disant qu'il leur avait enlevé. Paul avec violente, c'est à propos que le texte sacré nous montre Félix se prévalant de cette allégation :. " Or Félix, qui connaissait très-bien cette doctrine, les ajourna ", c'est-à-dire, les renvoya à dessein à un autre. jour,. non qu'il eût besoin d'en savoir davantage, mais pour se débarrasser des Juifs par ces lenteurs: Il ne voulait pas, à cause d'eux, mettre Paul en liberté, et, d'une autre part, il ne pouvait pas le frapper d'urne peine, car c'eût été honteux. C'est pourquoi il diffère de rendre sa sentence , disant : " Lorsque le tribun Lysias sera venu, je jugerai votre affaire. Et il ordonna au centurion de garder Paul, mais en lui donnant plus de liberté, et sans empêcher qu'aucun des siens le servît ou le visitât ". — En lui donnant plus de liberté " ; par là il l'absout de l'accusation dirigée contre lui. liais pourquoi donc (260) le retient-il après l'avoir absous? Pour ménager les Juifs, ou encore parce qu'il espère recevoir de l'argent. Voilà pourquoi il mande de nouveau Paul devant lui; et pour nous montrer clairement que c'est pour cela qu'il le mande, l'historien sacré ajoute : " Quelques jours après, Félix étant revenu à Césarée avec Drusille sa femme, qui était juive, fit appeler Paul, et écouta ce qu'il lui dit de la foi en Jésus-Christ. Mais comme Paul lui parlait de justice, de chasteté, et du jugement à venir, Félix en fut effrayé et lui dit: C'est assez maintenant, allez; je vous appellerai quand il en sera temps.; et parce qu'il espérait que Paul lui donnerait de l'argent, afin qu'il le mit en liberté, il l’envoyait chercher souvent et s'entretenait avec lui (24-26) ". Voyez quel caractère de vérité s'attache à l'Écriture. Il l'envoyait chercher souvent, non qu'il fût dans l'admiration à son sujet, ni qu'il donnât des éloges à ses paroles, ni qu’il fût disposé à croire; mais pourquoi donc? " Parce qu'il espérait qu'il lui donnerait de l'argent ". Considérez que, en relatant cette circonstance, l'écrivain sacré nous laisse assez comprendre quelle était l'opinion du juge. Certes, s'il eût condamné Paul, il n'eût pas agi de la sorte, et n'aurait pas voulu s'entretenir avec un criminel, avec un homme condamné par la justice. Et remarquez que Paul, admis aux entretiens du gouverneur, ne lui dit rien de ce qu'il fallait dire pour le toucher et le fléchir, mais lui tient des discours qui l'effrayent, qui jettent le trouble dans ses pensées.: " Il. parlait de justice, de chasteté et du jugement à venir; Félix en fut effrayé ". Telle était la force des paroles de Paul, qu'elles épouvantaient le gouverneur. Puis un successeur est donné à celui-ci; il n'en laissa pas moins Paul en prison, ce qu'il ne devait pas, faire, au lieu d'en finir en rendant son jugement. Mais c'est encore pour ménager les Juifs qu'il agit de la sorte. Et ceux-ci y mettaient untel acharnement, qu'ils revinrent à la charge auprès du juge ; jamais ils n'avaient poursuivi ainsi aucun des apôtres; après avoir commencé .à les attaquer, ils se désistaient. La Providence avait permis que Paul s'éloignât de Jérusalem où il avait à lutter contre ces bêtes féroces et voilà qu'ils demandent qu'il y soit amené de nouveau pour y être jugé. Mais ici encore se manifesta l'action de la Providence qui. ne permit pas que le gouverneur fît ce qu’on lui demandait, comme on pouvait s'y attendre de la part d'un homme qui, venant à peine de prendre possession de son gouvernement, était naturellement disposé à leur accorder. quelque faveur. Et quand ils furent arrivés; ils eurent l'impudence de renouveler leurs accusations avec plus de force ; et comme ils n'avaient pu le surprendre en faute contre leur loi, ils recoururent à leur ruse accoutumée, et qu'ils avaient déjà employée contre le Christ, et qui était de le représenter comme rebelle à César.
En effet, que Paul ait eu à se justifier d'offenses contré César, c'est ce qui est évident par ces mots que l'écrivain sacré, l'entendant ainsi., ajouté immédiatement : " Deux ans s'étant passés, Félix eut pour successeur Porcins Festus ; et voulant plaire aux Juifs, il laissa Paul en prison (27). Festus, " étant donc arrivé dans la province, trois jours après, monta de Césarée à Jérusalem. Et les princes des prêtres et les premiers d'entre les Juifs vinrent vers lui pour accuser Paul, et demandèrent en, grâce qu'il le fît amener à Jérusalem, préparant des embûches sur le chemin pour l'assassiner. Mais Festus leur répondit que Paul était gardé à Césarée, et que lui-même irait bientôt. Que les principaux d'entre vous, leur dit-il, y viennent avec moi, et s'il y a quelque crime en cet homme, qu'ils l'accusent. Or, après avoir demeuré huit ou dix jours à Jérusalem, il descendit à Césarée; et le lendemain, il s'assit. sur son. tribunal et commanda qu'on amenât Paul. Quand on l'eût amené, les Juifs qui étaient descendus de Jérusalem, l'entourèrent, accusèrent Paul de plusieurs grands crimes dont ils ne pouvaient apporter aucune preuve. Et Paul se défendait, disant: Je n'ai péché en rien contre la loi des Juifs, ni contre le temple, ni contre César. Festus, qui voulait plaire aux Juifs, demanda à Paul: " Voulez-vous aller à Jérusalem, et y être jugé devant moi sur ce dont on vous accuse ". (XXV , 1-9.) Voyez de quelle manière Festus cherche à satisfaire les Juifs, le peuple tout entier, et la cité. Une seconde fois Paul l'épouvante, en n'employant à cet effet que des armes honnêtes, écoutez de quelle manière : " Mais Paul dit : Me voici devant le tribunal de César, c'est là qu'il faut que je sois jugé. Je n'ai fait, aucun tort aux Juifs, comme vous le savez vous-même fort bien. Car, si (261) j'ai nui à quelqu'un, ou si j'ai fait quelque chose qui mérite la mort, je ne refuse pas ".de mourir; mais s'il n'y a rien de véritable dans leurs accusations, personne ne peut me livrer entre leurs mains. J'en appelle à César (10, 11) ". Quelqu'un dira peut-être ici : Pourquoi, après avoir entendu ces paroles : " Il faut aussi que tu rendes témoignage de moi à Rome " (Act. XXIII, 11), Paul agissait dans cette occasion comme s'il n'y croyait pas? Loin de nous une telle pensée ! Tout au contraire, il était plein de foi en ces paroles. C'eût été tenter Dieu que de se prévaloir de cette déclaration pour se précipiter en mille périls, en disant ensuite: Voyons si Dieu pourra me, délivrer. Mais ce n'est pas ainsi que Paul se conduit : il emploie pour sa défense tous les moyens qui sont en lui, et s'en remet à Dieu de j'issue de cette affaire. Et en se justifiant de cette façon, il fait une certaine impression sur l'esprit du gouverneur; car c'est comme. s'il lui disait : Si je suis coupable, c'est à bon droit que vous me livrez à mes ennemis; mais si je suis innocent, pourquoi me livrez-vous à eux? " Personne ", dit-il, " ne peut me livrer entre leurs mains ". Il lui inspire une certaine crainte qui l'empêche de le livrer, alors même qu'il y serait enclin, et cet appel à César est pour lui une excuse auprès d'eux. " Alors Festus, ayant délibéré avec le conseil, répondit : Vous en avez appelé à César, vous irez vers César (12) ".
2. Considérez que le gouverneur communique cette affaire à Agrippa, pour que d'autres que lui-même, à savoir : le roi, l'armée et Bérénice en soient informés. Et Paul est ainsi amené à présenter encore une fois sa défense : " Quelques jours après, le roi Agrippa et Bérénice vinrent à Césarée pour saluer Festus. Et comme ils y demeurèrent plusieurs jours, Festus parla de Paul au roi, disant : Il y a un homme que Félix-a laissé prisonnier; et que les princes des prêtres et les anciens des Juifs vinrent accuser devant moi pendant que j'étais à Jérusalem, me demandant sa condamnation. je leur répondis : Ce n'est point la coutume des Romains de condamner à mort un homme avant que l'accusé ait ses accusateurs présents, et qu'on lui ait donné la liberté de se justifier du crime dont on l'accuse. Après donc qu'ils furent arrivés ici, je m'assis, sans différer, et dès le lendemain, sur le tribunal , et j'ordonnai qu'on amenât cet homme. Ses accusateurs ayant paru , ne lui reprochaient aucun des crimes dont je le soupçonnais. " Ils l'accusaient seulement de quelques débats touchant leur superstition, et sur un certain Jésus mort, que Paul assurait être vivant. Et ne sachant comment décider cette question, je lui demandai s'il voulait aller à Jérusalem, et y être jugé sur les points dont on l'accusait: Mais Paul en ayant appelé, et voulant que sa cause fût réservée à la connaissance d'Auguste, j'ai ordonné qu'on le gardât jusqu'à ce que je l'envoie à César. Et Agrippa dit à Festus : Je voudrais moi-même entendre cet homme. — Vous l'entendrez demain, dit Festus (13-22) ".
Considérez ce nouvel exposé de l'accusation des Juifs, tel qu'il est fait, non plus par Paul,mais par le gouverneur. " Les princes des prêtres et les anciens des Juifs ", dit-il, " vinrent l'accuser devant moi, me demandant sa condamnation. Je leur répondis... " Voyez ce qu'il répond à leur confusion : " Ce n'est pas la coutume dos Romains de livrer un homme à ceux qui demandant sa mort ", c'est-à-dire, qu'il est absolument impossible de vous le livrer, avant de lui avoir permis de rendre compte de sa conduite: Ayant donc suivi cette coutume avant de condamner Paul, il n'a trouvé aucun grief : et voilà pourquoi il est dans la perplexité touchant. cette affaire, comme la suite le montre : " Ne sachant comment décider cette question ". Il né parle ainsi que pour voiler sa propre faute. Et pendant qu'il cherche à la voiler, Agrippa désire voir Paul. Remarquez que les gouverneurs, tout en ne cessant de repousser la haine des Juifs, sont souvent forcés d'agir contrairement à la justice, et de chercher des prétextes pour ajourner leur décision ; car ce n'était pas sans savoir ce qu'il faisait, que Festus venait d'ajourner sa sentence. Mais Agrippa, non-seulement ne manifeste contre Paul aucun sentiment de répulsion, mais il veut même l'entendre : et il y a lieu de s'étonner qu'il ait aussi vivement désiré voir un.homme qui était à ses yeux un accusé, bien qu'il le fût injustement. Et ceci serait encore une permission de la Providence. Aussi là femme même d'Agrippa entend Paul, comme son mari, et est admise dans l'assemblée. Et non-seulement ils l'entendent, mais encore c'est en grande pompe qu'ils y viennent. dans ce dessein, tant (262) était vif le désir qu'ils en avaient ! Car, à défaut, il n'eût pas cherché à l'entendre, et s'il n'eût pas eu de Paul une haute idée, il n'eût pas admis sa femme à l'entendre avec lui. Et il me semble que, de son côté, celle-ci ne le désirait pas moins vivement. Remarquez aussi de quelle manière Paul s'empresse d'exposer sa doctrine, non-seulement touchant, la foi en la rémission des péchés, mais encore sur les règles de la conduite humaine.
Mais reprenons ce. qui a été dit plus haut : " C'est assez maintenant, allez; je vous appellerai, quand il en sera temps ". Quel aveuglement ! Pendant que Paul lui faisait entendre Fa ,parole, il s'attendait à recevoir de lui de l'argent ! Et, chose plus étrange encore; après s'être entretenu avec lui, il, ne le mit pas en liberté ; mais comme il était arrivé au terme de son administration , voulant plaire aux Juifs, il laissa Paul en prison, prouvant par là qu'il n'était pas seulement l'esclave de l'argent, mais encore de l’opinion. — Misérable, comment peux-tu chercher à obtenir de l'argent d'un homme qui prêche le mépris de l'argent? Et ce qui montre qu'il n'en reçut pas, c'est qu'il laissa Paul en prison ; il l'eût mis en liberté, s'il en eût reçu. Ainsi, Paul prêchait sur la tempérance, pendant que le gouverneur s'abandonnait à ces vaines espérances de profit, sans toutefois oser lui rien demander; car c'est le propre de la méchanceté d'être lâche et de se métrer de tout. Il se contentait donc d'espérer; et il était tout naturel qu'il cherchât à plaire aux Juifs, ayant été si longtemps gouverneur de leur pays. " Festus ", dit notre texte, " étant donc arrivé dans sa province, les princes des prêtres et les premiers d'entre les Juifs vinrent, vers lui pour accuser Paul". Ce fut donc sans retard, et dès- son arrivée, que les prêtres vinrent; et ils n'eussent fait aucune difficulté de se rendre à Césarée, s'il ne les avait prévenus, puisqu'ils se présentent aussitôt qu'il est arrivé. " Et étant descendu à Césarée, il y passe dix jours ". Probablement, à ce que je vois, pour être à la disposition de ceux fui veulent le corrompre. Or Paul. était en prison. " Et ils lui demandaient qu'il le fit amener à Jérusalem. ". Et pourquoi le lui demandaient-ils comme une faveur, s'il était juste qu'il fût puni de mort? Mais Festus lui-même découvrit si nettement les menées des Juifs, qu'il s'écria dans l'assemblée : " Vous tous qui êtes ici présents, vous voyez cet homme contre qui toute la nation juive m'a sollicité ". En effet, par ce mot : " M'a sollicité ", il fait clairement allusion à cette faveur qu'ils lui ont demandée. Et on voit que, dès ce moment, ils voulaient le pousser à rendre sa sentence, redoutant l'effet des paroles de Paul. Que craignez-vous? Pourquoi vous hâter ainsi ? En effet, c'est une chose notoire " que Paul est gardé à vue ". Est-ce qu'il pourrait fuir? " Que les principaux d'ente vous ", dit-il, " l'accusent ". Voilà de nouveau ses accusateurs présents à Césarée, voilà de nouveau Paul tiré de sa prison. " Et le lendemain s'étant assis sur son tribunal ".
. 3. Voyez comme, aussitôt arrivé, il s'est assis sur son tribunal, tant ils ont mis d'ardeur à le pousser, à le presser. Et n'ayant pas encore été en rapport avec les Juifs, n'ayant pas encore reçu des preuves de leur déférence, il ne pouvait pas répondre autrement. qu'il l'a fait : mais lorsqu'il fut venu à Jérusalem; lui aussi cherche à leur plaire; seulement, il y met de la ruse, et écoutez comment; car le texte sacré ajoute : " Voulez-vous aller à Jérusalem, et y être jugé devant moi touchant ces choses? " Comme s'il disait : " Je ne vous livre pas à eux, mais je serai moi-même votre juge ". Il dit cela, et le laisse.ainsi maître du parti à prendre, afin de le séduire, pour ainsi dire, par ces ménagements et par ces égards. Car, s'il eût parlé sur le -ton du commandement; il eût paru tout à fait inconvenant de. vouloir, mander à Jérusalem celui qui avait été trouvé innocent à Césarée.
Et Paul se garde bien de dire : "Je ne veux pas ", de peur d'irriter le juge encore davantage ; mais il s'exprime de nouveau, comme il l'a fait, en toute liberté, et dit : " Je suis devant.le tribunal de César; c'est là qu'il faut que je sois jugé ". Admirable fierté! Voyez le raisonnement qu'il leur oppose ; c'est comme s'il disait pour sa justification : Ces hommes m'ont déjà fait sortir une fois de leur ville, et ils croient me condamner en montrant que j'ai manqué à César. Eh bien ! C'est par celui même à qui j'ai manqué; que je: veux être jugé. Et il ajoute : " Je n'ai nui en rien aux Juifs, comme vous le savez vous-même mieux que personne". Il touche légèrement par ces mots au désir que ressentait le juge de plaire aux Juifs; puis, arrivant finalement à sa conclusion : " Si j'ai fait quelque chose qui (263) mérite la mort, je ne refuse pas de mourir ". C'est comme s'il disait : Je prononce la sentence contre moi-même. Et ce n'est pas là le discours d'un homme qui se condamne lui-même à la mort, mais d'un homme qui.croit fermement à ses propres paroles. En effet, pour qu'une plaidoirie puisse convaincre et loucher, il faut qu'une noble assurance l'accompagne, " Mais s'il n'y a rien de véritable dans toutes les accusations qu'ils dirigent contre, moi, personne ne peut me livrer entre leurs mains ". Qu'est-ce à dire? Il ne le pourrait pas, quand. même il le voudrait. Il ne dit pas: Je ne mérite pas la mort, ou bien, je ne mérite pas d'être absous. Il se borne à dire : Je suis prêt à être jugé par César, et se souvenant en ce moment du songe qu'il avait eu, il n'en a que plus d'assurance pour en appeler à César. Et il ne dit pas: " Vous ne pouvez pas ", mais : " Personne ne peut " ; et il ajoute : " J'en appelle à César ", parole qui n'a rien d'offensant pour le gouverneur. " Alors Festus, après en avoir conféré avec l'assemblée, répondit :. Vous; en avez appelé à César, vous irez devant César ". . .
Avez-vous remarqué avec quelle faveur il traite les Juifs? En effet, conférer avec les accusateurs, c'est, de la part d'un juge, un acte de faveur ; c'est le propre d'un esprit déjà gagné et séduit, et qui trouble l'ordre rigoureux qui doit présider à un débat judiciaire. Voyez-le ajournant de nouveau son jugement, ct, par suite de cet ajournement, voyez comme Paul trouve , dans les embûches :qu'on lui tend , une occasion nouvelle de prêcher sa doctrine. En effet, la Providence permet qu'il soit amené à Jérusalem, entouré de gardes; et sans que, personne, dans le trajet, l'importune ou lui tende des piéges. Autre chose était d'arriver purement et simplement à Jérusalem, autre chose d'y arriver pour un pareil motif. Son arrivée même fut pour les Juifs une occasion de s'y rassembler de toutes parts. Puis un certain temps se passe pendant son séjour à Jérusalem, afin que vous appreniez que, même quand ils ont tout-le temps nécessaire pour préparer leurs attaques, ses ennemis ne sauraient prévaloir contre luit quand Dieu ne le leur permet pas. " Le roi Agrippa et Bérénice descendirent à Césarée ". Cet Agrippa, qui est aussi appelé Hérode Agrippa, me paraît être un autre que celui qui mit Jacques à mort; il est le quatrième des Hérodes, immédiatement après celui-ci. — Voyez maintenant les ennemis de Paul s'accordant et se concertant entre eux, comme malgré eux. Comme il y avait foule pour assister à cette affaire, Agrippa éprouva aussi le désir d'entendre les débats; et il ne se borne pas à venir les entendre, il y a plus : il se rend en grande pompe dans l'assemblée. Et voyez la manière dont le gouverneur se justifie : "Comme lui-même en a appelé à Auguste, j'ai résolu de lui envoyer cet homme sur le compte duquel je n'ai rien de certain à écrire à l'empereur ". Telle est la décision de Festus, et ainsi se montre au grand jour la cruauté des Juifs. Car en parlant de la sorte, le gouverneur n'est pas suspect. Mais Dieu permet qu'il parle ainsi, pour que les Juifs soient condamnés même par sa bouche; et après que tous les auront ainsi condamnés, alors Dieu lui-même enverra son châtiment. Or, examinez bien : Lysias les a condamnés, Félix les a condamnés , Festus, et ceux-là même qui voulaient leur être agréables, les ont condamnés, Agrippa les a condamnés. Que faut-il de plus? Les pharisiens eux-mêmes les condamnèrent. Et que Festus lui-même les ait condamnés, c'est ce.que vous pouvez entendre de sa bouche. " Ils n'intentaient contre lui aucune accusation touchant les choses dont je m'étais attendu qu'ils l'accuseraient ". Ils ont bien avancé certaines choses, mais ils n'ont rien. prouvé les embûches dressées par eut à Paul, et l'audace même avec laquelle ils l'accusaient, faisaient bien conjecturer qu'ils seraient en état de donner cette preuve ; mais l'examen de l'affaire a fait tomber ces conjectures. " Relativement ", dit-il, " à un certain Jésus mort". Cette expression : "Un certain", est ici bien placée dans la bouche d'un homme élevé en dignité, et qui ne s'occupe pas des détails. C'est pour la même raison qu'il ajoute : " Ne sachant donc quelle résolution je devais prendre dans cette affaire ". Effectivement, la recherche de ces sortes de choses dépassait là portée d'esprit d'un tel juge. — Mais si tu es dans l'embarras, pourquoi l'entraînes-tu à Jérusalem ? C'est pourquoi Paul, qui décline son jugement, en appelle à César, en disant Me voici devant le tribunal de César; c'est là qu'il faut que je sois jugé " ; car on l'accusait de rébellion contre César. Entendez-vous cet appel ? Entendez-vous les Juifs formant de nouveaux complots, préparant de nouveaux troubles ?
264
4. Tout cela fit naître dans le coeur d'Agrippa un vif désir de l'entendre. Et Festus lui accorde cette satisfaction, et la gloire de Paul n'en éclate que davantage. Tel est, ainsi que je l'ai dit, tout l'effet des menées ourdies contre lui. Sans ces menées, aucun magistrat .n'eût daigné l'entendre sur ces choses, aucun ne l'eût entendu avec ce grand calme et ce profond silence. Et, en apparence, Paul ne fait qu'enseigner et se justifier; mais, en réalité, c'est une harangue pleine de dignité qu'il fait entendre. Ne considérons donc pas toujours comme un malheur les mauvais desseins formés contre nous. Tant que nous ne nous dresserons pas des embûches à. nous-mêmes,. personne ne pourra nous en dresser, ou, pour mieux dire, on nous en dressera; mais, loin de nous faire aucun mat, on nous sera d'une grande utilité, de sorte qu'il dépend de nous d'être maltraité ou de ne pas l'être. Oui, je vous l'atteste, je vous le dis de ma plus grande voix, que je voudrais rendre plus retentissante que la trompette, et je monterais volontiers sur une hauteur pour vous crier : Aucun homme habitant cette terre ne pourra faire de mal à un chrétien ; et que dis-je, aucun homme? Il n'y a ni mauvais génie, ni tyran, ni diable, qui puisse lui. nuire, s'il ne se fait pas du, tort à lui-même ; et quoi qu'en essaye pour nous faire du mal, on l'essayera en vain. Car, comme aucun des hommes qui sont sur la terre ne saurait nuire à un ange, de même aucun homme ne saurait nuire à un homme. Il y a plus : l'homme ne pourra même pas nuire à son semblable tant qu'il restera bon. Ne pouvant donc recevoir aucun dommage, ni faire aucun dommage à autrui, où trouverait-il son égal? Car c'est pour lui un autre avantage qui ne le cède en rien aux deux premiers, de ne pas vouloir nuire à .autrui. L'homme est donc une espèce d'ange : il est semblable à Dieu. En effet, Dieu possède ces perfections, seulement il les a par nature, tandis que l'homme les tient de sa propre volonté. Il ne peut donc ni éprouver quelque dommage, ni en faire éprouver à autrui. Il ne le peut pas, non par impuissance (car l'impuissance est tout le contraire) ; je veux dire qu'il n'en est pas capable. Sa nature est telle, qu'elle ne comporte pi l'un ni l'autre ; car faire du tort à autrui, ne serait qu'une autre espèce de dommage qu'il se ferait à lui-même. Nuire à autrui, se nuire à soi-même, ces deux façons d'agir sont équivalentes, et c'est ainsi qu'il se fait que nos plus grands péchés proviennent du tort que nous nous faisons à nous-mêmes. Ainsi le chrétien ne peut pas éprouver de dommage; par cette raison même qu'il ne peut pas en causer.
Vérifions ensemble, .si vous le voulez bien, en discutant les faits et les prenant par le détail, vérifions la justesse de cette assertion, que, nuire aux autres, c'est se nuire à soi-même. Supposez qu'un homme en offense un autre, qu'il l'outrage, qu'il le vole ; à qui donc cause-t-il du dommage? N'est-ce pas à lui-même premièrement.? Il n'est personne qui ne voie cela clairement. L'offensé en éprouve un préjudice dans ses biens , et l'offenseur dans son âme; son âme est vouée à la perdition et au châtiment. Qu'un homme porte envie à un autre: à qui donc le premier fait-il du tort? Dites-moi, n'est-ce pas à lui-même? Oui, tel est le caractère de l'injustice : elle commence par.causer une infinité de maux à celui qui s'en rend coupable.; elle en fait peu à sa victime; que dis-je? Elle ne se contente pas de ne lui faire que peu de mal, on peut même dire qu'elle lui est utile. Vous faut-il d'autres preuves ? Eh bien, j'ajouterai : Supposons d'un côté (car tout est -là), supposons, un homme qui n'a que peu de bien, ou si vous voulez, qui n'a que le nécessaire pour vivre; et, d'un autre côté, un homme riche qui a tout en abondance, qui a beaucoup de pouvoir. Et supposons, en outre, que celui.ci s'empare du peu de bien possédé par l'autre, qu'il le dépouille, qu'il le livre aux tourments de la faim, et que lui-même vive dans les délices, en faisant servir à ses plaisirs ce qu'il a injustement ravi à l'autre; en agissant ainsi, on .peut dire que non-seulement il ne lui a pas nui, mais encore qu'il lui a été utile. Quant à lui-même, et pour ce qui le, concerne, non seulement il ne s'est procuré aucune utilité, mais il s'est: même causé un grand dommage. Et comment? Dans cette vie les remords le tourmentent, le déchirent chaque jour; et, autour de lui, tout le monde le condamne. A la suite de ces tortures, il entrevoit celles du jugement dernier.
Nous voyons bien, me direz-vous, tout le mal que l'un de ces deux hommes se fait à lui-même, mais dites-nous quelle utilité l'autre retire de tout cela. Je vous réponds : Il y a un grand profit à souffrir et à supporter (265) courageusement ses souffrances : les souffrances sont l'expiation de nos péchés; elles sont la grande école de la vertu, et comme l'apprentissage de la philosophie. Voyons donc lequel des deux est réellement malheureux. S'il est vraiment philosophe , l'un supportera avec courage les épreuves auxquelles il est soumis; l'autre sera nuit et jour dans les terreurs, dans la défiance. Est-ce celui-ci, ou celui-là, qui éprouve un véritable dommage? — Vous nous contez là des fables, dites-vous? Eh quoi ? lorsqu'un homme n'a pas de quoi manger, et que, par suite, il se lamente, il est dans les angoisses, qu'il est forcé de mendier sans que personne lui donne, est-ce qu'il ne perd pas à la fois et son âme et son corps ? — Je vous réponds : C'est vous, au contraire, qui nous débitez des fables, et moi, je vous montre là réalité. Dites-moi : parmi les riches, n'en est-il pas qui sont dans les angoisses ? Et s'il en est ainsi, ne faut-il pas dire que la pauvreté n'est pas la cause de cet état? — Mais, du moins, dites-vous, l'un de ces deux hommes n'éprouve pas les tortures de la faim. — Qu'est-ce à dire? Il n'en sera que plus puni, pour avoir. agi comme il fa fait, malgré ses richesses. Car ni la richesse ne rend l'homme fort, ni la pauvreté ne le rend faible; s'il en était ainsi, aucun de ceux qui vivent dans les richesses ne vivrait malheureux, et aucun de ceux qui vivent dans la pauvreté ne proférerait des imprécations contre lui-même. Mais je vais vous montrer plus clairement encore que c'est réellement de votre côté que sont les fables. Dites-moi : Paul était-il dans la pauvreté, ou dans les richesses? Souffrait-il de la faim, ou non ? Nous pouvons ici l'entendre parler lui-même : " Dans la faim et dans la soif". (II Cor. XI, 27) Les prophètes souffraient-ils de la faim, ou non? Eux aussi étaient dans les angoisses. — Vous me citez encore Paul, vous me citez encore les prophètes, dites-vous, c'est-à-dire une ou deux douzaines d'hommes. — D'où voulez-vous donc, que je tire mes preuves? — Montrez-nous en quelques-uns, dites-vous, pris sur un grand nombre, qui supportent courageusement toutes ces épreuves. — De tels exemples se produisent rarement, et les bons sont toujours en petit nombre. Mais, si vous le voulez, examinons la chose en elle-même. Voyons lequel des deux éprouve des inquiétudes plus' poignantes ; quel est celui des deux pour lequel elles sont plus légères. N'est-il pas vrai que si l'un deux est en souci pour sa nourriture de chaque jour, l'autre, bien que débarrassé de ce souci, est préoccupé d'une infinité d'autres choses? Le riche, il est vrai, ne craint pas d'avoir à souffrir de la faim, guais il a d'autres craintes: souvent il craint pour sa propre vie. Le pauvre n'est pas exempt d'inquiétudes pour sa subsistance ; mais, en compensation, il est exempt de beaucoup d'autres inquiétudes : il vit dans la sécurité, il a l'esprit tranquille, en repos.
5. Au surplus, si commettre une injustice, loin d'être un mal, est un bien, pourquoi en rougissons-nous, pourquoi erg éprouvons-nous de la confusion ? Pourquoi, lorsqu'on nous outrage; montrons-nous de l'indignation et le plus vif déplaisir? — Et s'il n'est pas beau d'être victime de l'injustice, pourquoi en tirons-nous vanité ? pourquoi nous en glorifions-nous ? pourquoi nous en faisons-nous un mérite ? Voulez-vous savoir pourquoi-le second de ces états.vaut mieux que le premier? Considérez ceux qui sont dans l'un, et ceux qui sont dans l'autre. Pourquoi y a-t-il des lois? pourquoi y a-t-il des tribunaux ? pourquoi y a-t-il des châtiments? N'est-ce pas pour les premiers, que l'on traite de cette façon comme des malades? — Mais, dites-vous; il y â. beaucoup de plaisir à faire le mal. — Laissons de côté les considérations tirées de. la vie future: n'examinons que l'état présent des choses. Qu'y a-t-il de plus malheureux qu'un homme qui est exposé à de tels soupçons? Qu'y a-t-il de plus fragile? qu'y a-t-il d'e plus chancelant? N'est-il pas constamment comme un homme qui fait naufrage? S'il fait quelque action juste, on ne le croit pas. Ayant égard à ce qu'il est capable de faire, plutôt qu'à ce qu'il a fait, tous le condamnent; il a autant d'accusateurs qu'il compte de concitoyens: l’amitié même lui est interdite, car personne n'est désireux de devenir l'ami d'un homme qui a; une telle réputation; personne n'est jaloux de partager sa -déconsidération. Tous se détournent à son aspect, comme devant une bête féroce, ne voyant en cet homme injuste qu'un fléau, un pervers, un homicide, un ennemi de la nature entière. Si l'homme qui a fait du tort à son semblable tombe entre les mains de la justice, il n'a pas besoin de trouver un accusateur pour que la justice ait son cours, sa propre réputation se levant contre lui pour le (266) condamner, mieux qu'un accusateur, quel qu'il fût, ne pourrait le faire.
Il n'en est pas ainsi de celui qui a été victime d'une
injustice : tous sont ses protecteurs; tous compatissent à son malheur;
tous lui tendent la main : il est en sûreté. S'il est, beau
de commettre, une injustice, et si on peut le faire en toute-sécurité,
que quelqu'un ose avouer hautement qu'il est injuste; mais s'il ne l'ose
pas, pourquoi poursuit-il comme un bien cette entreprise injuste? Voyons
que de maux résulteraient d'une semblable façon d'agir, en
ce qui nous concerne personnellement . Dites-moi, si quelqu'une des parties
de notre corps , dépassant sa sphère propre , empiétait
sur une autre; si, par exemple, la rate, ayant quitté sa place,
voulait se mettre à la place d'un autre organe, n'en résulterait-il
pas une maladie? — Si les humeurs qui sont en nous envahissaient tout,
n'en résulterait-il pas l'hydropisie? Et qu'arriverait-il si la
bile, si le sang, quittant les vaisseaux qui leur sont spécialement
affectés , se répandaient dans tout le corps? Mais quoi !
si, dans l'âme elle-même , la passion , le désir, et
tous les autres éléments dépassent leur sphère
propre , ne se perdent-ils pas eux-mêmes? Il en est ainsi de la nourriture
: si .nous en prenons plus que nous n'en pouvons digérer, notre
corps n'est-il pas immédiatement ravagé par les maladies?
D'où viennent les attaques de goutte? D'où viennent les paralysies
et l'agitation fébrile ? n'est-ce pas de l'excès dans l’usage
des aliments? Supposez encore que l'oeil veuille recevoir plus de lumière
qu'il ne peut, ou voir plus que ce qui est dans son horizon : cet excès,
loin de lui être utile, lui portera préjudice. Cependant la
lumière est bonne en elle-même , et le mal ne vient pour l'oeil
que de ce qu'il a méconnu sa portée et sa capacité
naturelles. Si les sons d'une voix bruyante viennent tout à coup
à blesser l'oreille , l'esprit est comme frappé de stupeur,
et lui-même, s'il vient à réfléchir sur les
choses qui sont au-dessus de sa portée, est comme saisi et confondu
: en tout, ce qui excède la mesure, est. funeste. Et ce qu'on appelle
avarice (pleonexia) consiste précisément dans le désir
d'avoir plus que ce qui a été fixé. Ainsi, à
l'égard des richesses, quand nous voulons nous charger de trop d'argent,
nous nourrissons en nous-mêmes, sans nous en apercevoir, une bête
féroce; bien que nous possédions beaucoup, nous manquons
encore de beaucoup de choses, et nous nous, embarrassons nous-mêmes
dans mille soucis, et offrons au démon mille occasions de nous perdre.
C'est pourquoi, quand il s'agit des riches, le démon n'a aucune
peine à se donner. Leurs richesses mêmes les disposent on
ne peut mieux à succomber à ses attaques. Mais tout le contraire
a lieu à l'égard de ceux qui vivent dans la pauvreté.
Ainsi , certaines situations se perdent d'elles-mêmes. Je vous exhorte
donc à vous interdire la convoitise des richesses, afin que nous
puissions tous éviter les piéges du malin esprit, et que;
nous étant attachés à la vertu, nous puissions obtenir
les biens éternels par la grâce et la charité de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, avec lequel, gloire, puissance , honneur, au Père
et au Saint-Esprit , maintenant et toujours, dans les siècles des
siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE LII. LE LENDEMAIN DONC, AGRIPPA ET, BÉRÉNICE
VINRENT AVEC GRANDE POMPE, ET ETANT ENTRÉS DANS LA SALLE DES AUDIENCES
AVEC LES TRIBUNS ET. LES PRINCIPAUX DE LA VILLE. PAUL FUT AMENÉ
PAR LE COMMANDEMENT DE FESTUS. (CHAP. XIV, VERS. 23, JUSQU'AU VERS. 29
DU CHAP. XXVI.) .
ANALYSE. 1. Paul devant le tribunal de Festus, et en présence
du roi Agrippa et de la reine Bérénice. — Il se justifie
et enseigne la résurrection de Jésus-Christ.
2 et 3. Éloge de Paul. — Qu'il ne faut pas souhaiter d'être craint des hommes et que la vertu: l'emporte sur tous les biens.
1. Voyez quel auditoire se forme autour de Paul ! " Avec les principaux de la ville ", dit le texte; car le gouverneur et le roi ne s'avancent qu'après avoir réuni autour de leurs personnes tous leurs gardes, et au cortège se sont joints les tribuns ainsi que les premiers citoyens de la ville: en effet, ce sont ceux-là que. le texte sacré appelle, par.excellence, " les principaux ". Paul est ensuite amené, et voyez de quelle manière Festus annonce à l'assemblée qu'il l'y a fait comparaître , ne se contentant pas, de le proclamer innocent, mais prenant, en outre, sa défense: Que dit-il en effet? " O roi Agrippa et vous qui êtes ici présents, vous voyez cet homme contre lequel tout le peuple juif m'est venu trouver dans Jérusalem et ici, me représentant avec de grands cris qu'il n'était pas juste de le laisser vivre plus longtemps. Cependant j'ai trouvé qu'il n'avait rien fait qui fût digne de mort; et comme lui-même en a appelé à Auguste, j’ai décidé de le lui envoyer. Mais parce que je n'ai rien de certain à écrire à l'empereur, je l'ai fait avenir devant cette assemblée, et principalement devant vous, ô roi Agrippa, afin qu'après avoir examiné cette affaire je sache ce que j'est dois écrire. Car il me semble déraisonnable d'envoyer un prisonnier; sans marquer en même temps quels, sont les crimes dont on l'accuse (24-27) ". Considérez de quelle manière d'une part, il accuse les Juifs, et de l'autre, proclame l'innocence de Paul. Quel luxe inutile de formalités judiciaires ! Après l'enquête la plus approfondie, .le gouverneur ne trouve pas de motif pour le condamner. Or les Juifs le disaient digne de mort. Voilà pourquoi il dit : " Cependant j'ai trouvé qu'il n'avait rien fait qui fût digne de mort " ; ajoutant ceci : " Je n'ai rien de certain à écrire à l'empereur ". Ainsi un trait bien frappant de l'innocence de Paul, c'est que le juge n'a rien à en dire. " C'est pourquoi, dit-il, je l'ai fait venir devant vous; car il me semble déraisonnable .d'envoyer un prisonnier sans marquer en même temps quels sont les crimes dont ou l'accuse ". Voyez dans quels embarras inextricables les Juifs ont jeté leurs magistrats ! Mais que fait Agrippa? Désireux d'être renseigné touchant ces choses, il dit à Paul : " On vous permet de parler, pour votre défense ". Poussé par le vif désir qu'il a de l'entendre, le roi lui permet de parler. Et Paul prend immédiatement la parole, et s'énonce avec assurance, sans flatterie, se bornant à se dire heureux de ce qu'il lui est permis de parler en présence d'un prince qui sait tout; et, ce qui le prouve, ce sont les raisons Mêmes qu'il avance; écoutez-les : " Alors Paul, ayant étendu la main, commença sa défense en ces termes : Je m'estime heureux, ô roi (268) Agrippa, de pouvoir me justifier devant vous de tous les griefs que les Juifs élèvent contre moi, parce que vous êtes pleinement informé de toutes les coutumes des Juifs, et de toutes les questions, qui sont entre eux; c'est pourquoi je vous supplie de m'écouter avec patience ". (Chap. XXVI. 1-3.) Certes, si sa conscience lui eût reproché quelque chose, il n'eût pas manqué de se troubler à la pensée d'être jugé par celui qui savait tout : mais c'est le propre d'une conscience pure, non-seulement de ne pas refuser comme juge celui-là même qui sait exactement ce qui s'est passé, mais encore de s'en réjouir voilà pourquoi il s'estime heureux de cette circonstance, et dit : " Je vous supplie de m'écouter avec patience ". Et c'est parce qu'il avait quelques développements.à donner à son discours, et qu'il avait quelque chose à dire sur lui-même, qu'il a pris celte précaution oratoire; puis il ajoute : " Premièrement, pour ce qui regarde la vie que j'ai menée dans Jérusalem parmi ceux de ma nation depuis ma jeunesse, elle est connue de tous les Juifs. S'ils veulent. rendre témoignage à la-vérité, ils savent déjà que dès mes plus tendres années, j'ai vécu en pharisien , faisant profession de cette secte"qui est la plus exacte de votre religion (4-6) ". C'est comme s'il disait : Comment pourrait-il se faire que j'aie été un séditieux , étant encore si jeune, et alors que je puis invoquer le témoignage de tous? Et pour qu'on ajoute foi à ce qu'il avance, il rappelle la secte à laquelle il appartient : " J'ai vécu faisant profession de cette secte. qui est la plus exacte de votre religion ".
Et comme quelques-uns auraient pu lui adresser cette objection : Mais quoi ! ne peut-il pas se faire que ta secte soit admirable et que tu sois un méchant? Voyez comme il prévient cette difficulté, en invoquant le témoignage de tous les Juifs qui connaissent sa vie et tout l'ensemble de sa conduite. " C'est ce que savent tous les Juifs, dit-il, s'ils veulent rendre témoignage à la vérité, m'ayant déjà connu dès mes plus tendres années. Et voilà que maintenant on m'oblige à paraître devant des juges; parce que j'espère en la promesse que Dieu a faite à nos pères : de laquelle nos douze tribus, qui servent Dieu sans relâche nuit et jour, espèrent obtenir l'effet. " C'est cette espérance, ô roi Agrippa ! qui est le sujet de l'accusation que les Juifs forment contre moi : est-ce que l'on regarde donc, parmi vous, comme incroyable que Dieu ressuscite les morts (6-8)? " — Il donne deux preuves de la résurrection : l'une est tirée des prophètes; il ne cite aucun prophète en particulier, mais se contente de dire que telle est la croyance des Juifs ; l'autre, qui est plus forte, il la tire des faits mêmes. Et quelle est-elle? Que le Christ, après être ressuscité des morts, s'est entretenu avec lui. Et cette preuve elle-même, il l'entoure d'autres preuves, en racontant, dans tous ses détails, son ancien emportement contre les chrétiens; et il la relève ensuite par l'éloge des Juifs : " De laquelle nos douze tribus, qui servent Dieu nuit et jour, espèrent obtenir l'effet". C'est comme s'il disait : Alors même que ma vie ne serait pas irréprochable, ce n'est pas sur ces choses que je devrais être jugé. Ô roi Agrippa ! Vient ensuite une autre raison : " Eh quoi, est-ce que l'on regarde parmi vous comme incroyable que Dieu ressuscite les morts?" Car si telle n'était pas leur croyance, s'ils n'avaient pas été élevés. dans ces dogmes, et que maintenant on vînt les mettre en avant, il y aurait probablement des gens qui fermeraient leurs oreilles à ce discours de Paul. Il rappelle ensuite ses persécutions contre les chrétiens, et cet exposé ne peut que donner plus de force à son raisonnement ; il invoque le témoignage des princes des prêtres, et des villes étrangères, et t'appelle la voix qui s'est fait entendre à lui, et qui lui a dit : " Il vous est dur de regimber contre l'aiguillon ". Après cela, il fait voir combien est grande la miséricorde de Dieu, lui apparaissant à lui, Paul; qui le persécutait. Et il n'a pas seulement été bon en, vers moi, l’a-t-il entendre, mais encore envers les autres hommes, auprès desquels il m'a envoyé pour leur enseigner la vérité.
2. Il cite ensuite la prophétie qu'il a entendue : " C'est pour cela que je vous ai apparu, vous délivrant de ce peuple et des gentils, auxquels je vous envoie maintenant ". Et pour mieux montrer les caractères divins de sa mission, il expose les faits en ces termes: " Pour moi, j'avais cru d'abord qu'il n'y avait rien que je ne dusse faire contre le nom de Jésus de Nazareth. Et c'est ce que j'ai exécuté dans Jérusalem, où j'ai mis en prison plusieurs dès Saints, en ayant reçu le pouvoir des princes des prêtres; et lorsqu'on les (269) faisait mourir, j'y ai donné mon consentement. J'ai été souvent dans toutes les synagogues où je les contraignais à blasphémer à force de supplices, et étant transporté de fureur contre eux, je les persécutais jusque dans les villes étrangères. Un jour donc, que j'allais dans ce dessein à Damas avec un pouvoir et une commission des princes des prêtres, et que j'étais en chemin, je vis, ô roi, briller du ciel, en plein midi, une lumière plus éclatante que celle du soleil, qui m'environna ainsi que tous ceux qui m'accompagnaient. Et étant nous tous tombés parterre, j'entendis une voix qui me disait en langue hébraïque : Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous ? Il vous est dur de regimber contre l'aiguillon. Et moi je dis : Qui êtes-vous, Seigneur? Et le Seigneur me dit : de suis Jésus, que vous persécutez. Mais levez-vous et vous tenez debout ; car je vous ai apparu, afin de vous établir ministre et témoin des choses que vous avez vues, et aussi de celles, que je vous montrerai, vous ayant délivré de ce peuple et des gentils auxquels je vous envoie maintenant, pour leur ouvrir les yeux, afin qu'ils se convertissent des ténèbres à la lumière, et de la puissance de Satan à Dieu, et que, pour la foi "qu'ils,auront en moi, ils reçoivent la rémission des péchés et aient leur part à l'héritage des saints (9-18) ". Considérez avec quelle douceur Paul s'exprime : " Dieu m'a dit : je vous ai apparu afin de vous établir a ministre et témoin des choses que vous avez vues, et de celles aussi que je vous montrerai, vous ayant délivré de ce peuple et des gentils auxquels je vous envoie maintenant, "pour leur ouvrir les yeux, afin qu'ils, se convertissent.des ténèbres à la lumière, et de la puissance de Satan à Dieu, et qu'ils reçoivent la rémission des péché". C'est comme s'il disait : J'ai cru à ces paroles, c'est par cette vision qu'il m'a ramené à lui, et qu'il m'a tellement convaincu que je n'ai pu différer d'un. seul instant. " Je ne résistai donc pas, ô roi Agrippa ! à la vision céleste ; mais j'ai annoncé premièrement. à ceux de Damas, et ensuite dans Jérusalem, dans toute la Judée et aux gentils, qu'ils fissent pénitence, et qu'ils se convertissent à Dieu, en faisant de dignes oeuvres de pénitence (19-20) ". Moi donc qui enseigne aux autres à vivre le plus saintement qu'il est possible, comment ai-je pu, dit-il , me faire le chef et l'instigateur de séditions et de disputes? " Voilà le sujet pour lequel les Juifs s'étant saisis de moi dans le temple, se sont efforcés de me tuer. Mais par l'assistance que Dieu m'a donnée, j'ai subsisté jusqu'à ce jour, rendant témoignage de Jésus aux grands et aux petit ! et ne disant autre chose que ce que les prophètes et Moïse ont prédit comme devant arriver; à savoir que le Christ souffrirait la mort, et qu'il serait le premier qui ressusciterait d'entre les morts, et qui annoncerait la lumière au peuple et aux gentils (21-23) ": Voyez comme tout ce discours est exempt de vanité et de vaine gloire, et comme il rapporte tout à Dieu. Voyez aussi avec quelle noble liberté il s'exprime : " Et maintenant même je ne me désiste pas de mon dessein ". Voyez son assurance : " Je suis fortifié dans ma croyance par les prophètes qui ont prédit que le Christ souffrirait la mort, et qu'il serait le premier qui, ressuscité d'entre les morts, annoncerait la lumière ". Comme si il disait : " Le premier ressuscité d'entre les morts, le Christ ne meurt plus ". (Rom. VI, 9.) Il est clair que cette vérité, étant annoncée à tous, tous doivent s'attendre à ce qu'elle se réalise pour eux-mêmes.
Festus voyant la liberté avec laquelle Paul parlait au roi, sans cesser d'avoir les yeux sur lui, lui dit comme s'il ressentait quelque chose en lui-même : " Vous êtes insensé , Paul ". Et la suite vous prouve l'émotion qui le fait parler ainsi : " Lorsqu'il disait ces choses pour sa .défense, Festus s'écria : Vous êtes insensé, Paul ; votre grand savoir vous met hors de sens (24) ". Et que fait Paul? Il se borne à répondre avec douceur : " Je ne suis point insensé, très-excellent Festus; mais a l'es paroles que je viens de dire sont des paroles de vérité , et de bon sens (25) ". Il expose ensuite les raisons qu'il a pour adresser .au roi son discours. " Car le roi devant lequel je parle avec liberté est bien informé de tout ceci ; je sais qu'il n'ignore rien de ce que je dis, parce que ce ne sont pas des choses qui se soient passées en secret. O roi Agrippa ! ne croyez-vous pas aux prophètes? Je sais que vous y croyez ". Il s'exprimait ainsi avec une sorte d'ironie; car c'est comme s'il leur disait : Je sois qu'Agrippa connaît ces choses parfaitement, et vous, vous devriez être les premiers à les savoir (car c'est à cette (270) conséquence que conduisent nécessairement ces mots : " Car ce ne sont pas des choses qui se soient passées en secret "); mais vous n'avez pas. voulu. " O roi Agrippa ! ne croyez-vous pas aux prophètes? Je sais que vous y croyez. — Et Agrippa dit à Paul : Il ne s'en faut.guère que vous me persuadiez d'être chrétien. Paul lui répondit : Plût à Dieu que nons-seulement il ne s'en fallût guère, mais qu'il ne s'en fallût rien du tout que vous, et tous ceux qui m'écoutent présentement, devinssent tels que je, suis, à la -réserve de, ces liens (26-29) ". Voyez comme il prie : " Plût à Dieu que, etc. ". Et non-seulement il prie, mais il prie avec ferveur : " Non-seulement vous, mais vous tous qui m'écoutez, puissiez-vous devenir tels que je suis " ! Puis il ajoute : " A la réserve de ces liens". Ce n'est pas qu'il éprouve de la peine à porter ces chaînes, ce n'est pas qu'il en rougisse (car rien n'était plus glorieux pour lui); mais il s'exprime ainsi, pour avoir égard à leur manière de voir. Telle est la raison polir laquelle il ajoute : " A la réserve de ces liens ".
Mais revenons sur ce qui a été lu plus haut. Le lendemain dont, comme ils furent entrés dans la salle des audiences, Paul fut amené par le commandement de Festus. " Déjà les Juifs s'étaient désistés, voyant que. Paul en avait appelé, et c'est alors qu'il trouvé devant .lui un brillant auditoire , le roi et toute la multitude des Juifs s'étant rendus là en grande pompe, sans. qu'on pût dire de ceux-ci que les uns y étaient venus, et.les autres non : " Tout le peuple Juif, dit. Festus, m'est venu trouver dans Jérusalem et ici, me représentant avec de grands cris qu'il n'était pas juste de le laisser vivre plus longtemps ".
3. Voyez leur folie: ils vociféraient, disant qu'il fallait le mettre à mort. Il montre par là que c'est à bon droit que Paul en a appelé à César. Car s'ils n'ont rien de grave à lui reprocher, et qu'en même temps ils se mettent en fureur, il est tout naturel qu'il s'adresse- à César. "Afin qu'après que vous aurez examiné son affaire, je sache ce que j'ai à écrire n, Avez-vous remarqué à combien d'informations diverses cette affaire est soumise? Et c'est aux Juifs que nous, devons cette défense que Paul. présente en ce moment ,, et qui sera bientôt entendue par ceux qui sont à Rome. " Je m'estime heureux, dit-il, ô roi Agrippa ! de pouvoir aujourd'hui me justifier devant vous de toutes les choses dont les Juifs m'accusent". Voyez.comme, malgré eux, ils sont devenus, auprès de celui-là même qui règne sur eux, les hérauts.de leur propre méchanceté et de la vertu de Paul, de sorte que Paul est renvoyé, à la suite de sa défense , avec plus d'éclat que si on l'avait délivré de ses chaînes; car ce n'était pas un trompeur, un magicien, qu'un si grand nombre de juges renvoyaient ainsi absous. Laissant donc tout ce qu'il avait, chez ses compatriotes , il part pour Rome, mon purement et simplement, mais exempta de tout soupçon. Et il n'a pas dit : Qu'est-ce donc? J'en ai déjà appelé à César; j'ai déjà été jugé bien des fois; quand tout cela, finira-t-il? Non. Il est encore.prêt à rendre compté de sa conduite devant celui qui connaît le mieux les affaires des Juifs. Aussi présente-t-il sa défense avec la plus grande liberté, en homme qui sait que ceux qui l'ont traduit en justice n'ont déjà plus de pouvoir sur lui ; toutefois, bien qu'ils fussent sans pouvoir sur lui, et qu'il ne relevât plus que de cette sentence : " Vous irez devant César ", il rend compte très au long de toutes choses, et sans se permettre, d'éclaircir les unes et de passer les autres sous silence. Sa réplique revient à ceci: Ils m'accusent d'être un séditieux, ils m'accusent d'être u n sectaire , ils m'accusent d'avoir profané le temple. Eh bien ! je rends compte de tout cela : " Quant à la vie que j'ai menée dans Jérusalem depuis ma jeunesse, elle est connue de tous les Juifs ". Et c'est ainsi que rues accusateurs mêmes sont témoins qu'il n'est pas, dans mes habitudes de fomenter des séditions. Ce qu'il a déjà dit auparavant "Zélé sectateur des traditions de nos pères", il l'insinue ici par ces paroles : " La vie que j'ai menée dès mon enfance "..Et c'est au moment même où le peuple était rassemblé qu'il invoque leur témoignage : ce qu'il a déjà fait, à cet égard, devant le tribunal de Lysias, il le renouvelle devant le tribunal de Festus, et il le renouvelle en ce, lieu, précisément parce qu'un plus grand nombre de Juifs étaient là pour l'entendre. Et il n'avait pas besoin d'une bien longue justification, en présence, des lettrés de Lysias qui l'absolvaient. " Tous les Juifs, dit-il, qui m'ont connu dès mes plus tendres années, le savent ". Et il ne se met pas à exposer quelle a été sa vie; c'est à leur conscience qu'il laisse ce point à décider, faisant tout dépendre de cette doctrine de la (271) résurrection des morts qu'il a embrassée, et faisant entendre par là qu'il ne l'aurait pas embrassée, s'il eût été un pervers, un criminel. " C'est donc, dit-il, pour cette doctrine de la résurrection , que je suis en ce moment "en jugement ". Cette même résurrection, ils la révèrent; c'est pour elle qu'ils prient; c'est pour elle qu'ils rendent un culte à Dieu, afin qu'il les y fasse participer; ors c'est cette doctrine même que j'annonce, c'est parce que j'entretiens cette espérance que l'on m'accuse en ce moment. N'y a-t-il pas folie à tout faire pour obtenir cette résurrection , en même temps que l'on chasse et que l'or persécute celui qui y croit? " Pour moi, dit-il, j'avais cru d'abord qu'il n'y avait rien que je ne dusse faire contre le nom de Jésus de Nazareth ", c'est-à-dire, si j'ai cru devoir agir ainsi,.c'est que, je n'étais pas au nombre des disciples du Christ, mais plutôt au nombre de ceux qui le combattaient. Ainsi Paul devint de la vérité chrétienne. un témoin digne de foi, puisqu'après avoir tout fait pour combattre les chrétiens, après les avoir excités à blasphémer, après avoir mis tout en oeuvre pour cette f ri, dans les villes, auprès des magistrats, et qu'après avoir fait tout cela par lui-même et de son propre mouvement, un changement si soudain s'est opéré en lui. feux qui agissaient de concert avec lui à cette époque sont aussi comme autant de témoins qu'il cite, et il montre ensuite toutes les raisons qu'il a eues de croire ; cette lumière resplendissante, les prophètes, les événements passés qui ont réalisé leurs prédictions, et ceux qui s'accomplissent en ce moment. Car il ajoute : " Lorsque j'étais en chemin, je vis en plein midi briller une lumière éclatante, qui m'environna ainsi que tous ceux qui m'accompagnaient ". Voyez donc de quelle manière il leur.propose comme motifs de croire et les prophètes et ces derniers faits. Pour ne pas se donner à leurs yeux les airs d'un novateur, bien qu'il lui soit facile, dans cet ordre d'idées, de leur dire de grandes choses, il a de nouveau recours aux prophètes , et met en avant leurs prédictions. Ce qui lui est arrivé est plus digne de foi, comme s'étant passé tout récemment; mais comme il a été seul à le voir, il le confirme de nouveau par l'autorité des prophètes : Et remarquez qu'il ne s'exprime pas devant le tribunal de la même manière que dans la synagogue. Là, en effet, il s'écrie : " Vous l'avez tué ! " Ici, il ne dit rien de semblable, pour ne pas enflammer encore davantage leur colère. Mais c'est bien la même chose qu'il fait entendre par ces mots : " Ne disant autre chose que ce que les prophètes et Moïse ont prédit devoir arriver, à savoir : que le Christ souffrirait ". Et ces paroles ne renferment aucune accusation, contre eux. Ainsi , ce que j'annonce, semble-t-il titre, à savoir : que le Christ serait le premier qui ressusciterait d'entre les morts, je le prouve par les prophètes : car c'est cela, même qu'ils annoncent. Recevez donc ce discours qui est le discours même des prophètes. Mais comme il a dit qu'il avait eu lui-même une vision , il s'exprime ensuite avec plus de fierté sur les belles et. saintes oeuvres dont l'accomplissement lui a. été confié dans cette vision même; et quelles sont-elles ? " Pour leur ouvrir les yeux , afin qu'ils se convertissent des ténèbres à la lumière, et de la puissance de Satan à Dieu; car c'est pour cela que je vous ai apparu ", c'est-à-dire, non pour punir, mais pour faire de vous un apôtre.
Remarquez qu'il énumère les maux . qui sont le partage des incrédules , Satan, les ténèbres; et les biens qui attendent les vrais croyants, la lumière, Dieu; et le sort réservé aux saints. Et par là il n'exhorte pas seulement à la, pénitence; il exhorte encore à mener une vie exemplaire. Remarquez en même temps que les gentils reviennent partout dans ce discours; car, outre les Juifs;il y avait des gentils dans l'auditoire. " Rendons, dit-il, témoignage de Jésus aux grands et aux petits ", c’est-à-dire , aux hommes d'un rang élevé comme à ceux d'une condition obscure. Cela est dit à cause des soldats. Puis quittant le poste qu'il a occupé jusqu'ici pour sa propre défense, il prend le rôle de docteur. Et c'est alors que Festus lui dit : " Vous êtes insensé, Paul ". Ensuite , pour ne pas paraître s'ériger lui-même en maître, et de sa propre autorité, il cite les prophètes , Moïse prédisant que le Christ souffrirait, et qu'il serait le premier qui ressusciterait d'entre les morts , et qui "annoncerait la lumière air peuple et aux gentils. Festus s'écria alors de toute la puissance de sa voix..... ", tant cette voix était pleine de fureur et de colère.
4. Et que répond Paul? Ce ne sont pas là des choses qui se soient passées en secret ". Il veut parler de la croix, de la résurrection, (272) de ces croyances qui se sont établies dans l'univers entier. " O roi Agrippa ", dit-il, " ne croyez-vous pas ", il ne dit pas: à la résurrection, mais " aux prophètes? " Puis prévenant sa réponse : " Je sais ", dit-il, " que vous y croyez ". Et Agrippa se borne à lui dire : " Il s'en faut peu que vous ne me persuadiez d'être chrétien ". Le mot : " Il s'en faut peu" , Paul ne l'entend pas du fond des choses, mais dans le sens de : " Depuis peu de temps ", et c’est à ce sens qu'il répond en homme simple et peu familier avec les artifices de la parole. Et il ne dit pas : " Je voudrais ", mais " je prie Dieu que non-seulement vous, mais tous ceux qui m’écoutent présentement... ". Remarquez combien ces paroles sont exemptes de toute flatterie : " Je prie Dieu ", dit-il, " que vous deveniez tous aujourd'hui. tels que je suis, à la réserve de ces liens ". Voyez : Lui qui se glorifie de ses chaînes, lui qui est fier de les montrer comme une chaîne d'or, les détourne maintenant des autres par ses voeux. Mais ne vous en étonnez pas; car ils étaient encore trop faibles, et par condescendance, il appropriait son langage à leur faiblesse. Et. quant au haut prix qu'il attacher à ses chaînes, écoutez comme il les met, dans ses épîtres, au-dessus de tout, quand il dit : " Moi, Paul, qui suis prisonnier de Jésus-Christ" (Ephés. III, 1); et encore : C'est pour Jésus-Christ que je suis dans les liens: c'est pour lui que je souffre beaucoup "de maux , jusqu'à être dans les chaînes comme un scélérat : mais la parole de Dieu n'est point enchaînée ". (Coloss. IV, 3 ; et II Tim. II, 9.) Remarquez qu'il ne mentionne pas seulement les chaînes " , mais qu'il ajoute encore : " Comme un scélérat ", pour élever d'autant la gloire qu'il tire de ces chaînes. Un double supplice lui a été infligé : il était enchaîné, et il l'était comme un scélérat. Car s'il eût été jeté dans les fers comme pour une bonne action, il trouverait quelque consolation dans cette circonstance même ; mais il l'a été comme un scélérat, comme un homme qu'on surprend dans une action criminelle, et il ne s'est pas inquiété de cette aggravation de châtiment. C'est ainsi que l'âme s'élève sur les ailes de l'amour divin. En effet, si ceux qui brûlent d'un amour déshonnête, n'estiment rien d'honorable et de précieux que ce qui peut servir à la satisfaction de leurs convoitises, de tells sorte que la femme qu'ils aiment est tout à leurs jeux, combien plus ceux que captive ce céleste amour méprisent-ils tout ce que les autres recherchent. Et il n'est pas étonnant que nous ne comprenions pas le sens sublime de ces paroles :.nous sommes tout à fait étrangers à cette haute philosophie. Celui qu'embrase ce feu du Christ, devient comme s'il était le seul homme vivant sur la terre, tant il n'a nul souci, ni de ce qu'on appelle la gloire, ni de ce qu'on appelle l'ignominie : il est aussi indifférent à. tout cela que le serait celui qui se trouverait seul au monde. Il méprise les afflictions, les flagellations, les cachots, comme s'il endurait tout cela dans un autre corps que le sien, ou plutôt comme s'il avait un corps plus dur que le diamant. Et quant aux plaisirs de cette vie, il s'en moque, il est insensible à leur égard, comme nous le sommes à l'égard des corps morts, ou comme si nous étions morts nous-mêmes. Il est aussi éloigné de se laisser surprendre par quelque passion, que l'or pur et, éprouvé par le feu est exempt de toute souillure. Et de même que les moucherons se gardent bien de se laisser tomber au milieu de la flamme, mais s'en écartent; de même les passions n'osent même pas s'approcher de ce feu divin. Je voudrais bien pouvoir tirer de nous-mêmes les exemples que j'ai à vous proposer à ce sujet; mais, n'en trouvant pas, je suis forcé de recourir à celui-là.
Considérez donc de quelle manière Paul envisage le monde entier. " Le monde ", dit-il, " est crucifié pour moi, et je suis crucifié pour le monde " (Gal. VI, 14), c'est-à-dire, je suis mort au monde, et le monde est mort en moi. Et encore : " Ce n'est plus moi qui vis, mais c'est Jésus-Christ qui vit en moi ". (ibid. II, 20.) Il n'appartient qu'à Paul de s'exprimer ainsi; mais nous qui sommes au-dessous de lui, autant que la- terre est éloignée du ciel, nous n'avons qu'à nous cacher, dans notre confusion, sans oser même ouvrir la bouche. Et ce qui prouve qu'il regardait les choses présentes tout comme s'il eût été dans un désert, c'est ce qu'il dit ailleurs; écoutez-le : " Nous ne considérons pas les choses visibles, mais les invisibles ", (II Cor. IV, 18. " Vous allez me dire : c'est précisément le contraire de ce que vous dites, qui est vrai : ce sont les choses invisibles que nous ne voyons pas, et les visibles que nous voyons. — Les yeux qui liens Ont été donnés par le Christ sont tels que (273) ceux que vous aviez déjà : ceux-ci voient les choses visibles, ruais ne voient pas les invisibles; il en est de même des autres, mais dans un sens inverse : aucun homme voyant les choses invisibles, ne voit les choses visibles; aucun homme voyant les choses visibles, ne voit les Invisibles. Est-ce qu'il.n'en est pas de même chez nous ? Car lorsque, recueillant notre esprit par la réflexion; nous raisonnons sur quelque chose d'invisible, c'est à l'aide de certaines facultés sublimes qui deviennent comme des yeux pour nous.
Méprisons la gloire ; préférons les moqueries aux éloges; celui dont on se' moque, n'en éprouve aucun mal; mais celui qu'on loue et qu'on flatte, éprouve dé grands maux. N'attachons pas grande importance aux choses qui ont coutume d'effrayer les hommes, mais traitons-les comme des jeux d'enfants. Si nous apercevons quelqu'un qui se met à faire peur à des enfants, nous ne. l'admirons pas pour, cela, car quel que soit d'ailleurs cet individu, il n'effraie, après tout, que des enfants , et n'aurait pas le pouvoir d'effrayer un homme. Physiquement, comment s'y prennent ceux qui cherchent à effrayer? Ils relèvent les sourcils, ou contournent de toute autre manière leur visage, pour. avoir l'aspect menaçant, et ceux qui ont le regard doux et bon ne pourraient y réussir : de même; au sens moral, c'est comme en émoussant la perspicacité naturelle de l'esprit de leurs semblables qu'ils parviennent à leur fin. Aussi un homme doux et doué d'une belle âme n'effraie personne tout au contraire, nous le révérons tous , nous l'honorons , nous avons pour lui une crainte respectueuse. Ne voyez-vous pas comme l’homme qui cherche à se rendre terrible est pour vous un objet de haine et d'abomination ? Ne suffit-il pas que certaines choses puissent nous effrayer pour que nous nous en détournions avec horreur? N'en est-il pas ainsi des bêtes féroces, de certaines voix, de certains spectacles, de certains lieux, de l'air.même, par exemple , quand nous sommes dans les ténèbres?
5. N'attachons donc pas une grande importance à ce que les hommes nous craignent. Car, premièrement, aucun homme ne nous craint véritablement. En second lieu, il n'y a aucune grandeur véritable à être nain. La grandeur vraiment estimable réside dans la vertu. Remarquez ce qui en fait la grandeur. Tout en considérant comme méprisables isolément, certaines choses dont elle se compose, nous la proclamons admirable et bienheureuse en elle-même. En effet, qui pourrait se refuser à proclamer bienheureux le philosophe, quoique la pauvreté et beaucoup d'autres choses pareilles semblent méprisables ? Ainsi, bien que le philosophie ne brille, pour ainsi dire , qu'à travers ce cortège de choses qui semblent méprisables, voyez à quelle hauteur incomparable il se place! Tu es orgueilleux de ta puissance , ô homme ! Mais, dis-moi, n'est-ce 'pas des hommes que te vient le pouvoir que tu exerces ? Eh bien, cet empire que tu as au dehors, exerce-le en toi-même et dans l'intérieur de ton être. Le véritable magistrat n'est pas celui qu'on appelle ainsi, mais celui qui l'est réellement. Car de même qu'un roi ne saurait faire un médecin, ni. un orateur, de même ne saurait-il faire un magistrat ; ce qui fait le magistrat, ce n'est ni la missive qui l'investit de.sa charge, ni le titre qui lui est conféré. — Une comparaison éclaircira ma pensée : Supposez qu'un homme établisse une officine de pharmacien ; qu'il y réunisse des élèves; qu'il y place des instruments de chirurgie et des remèdes, et qu'il aillé ensuite' visiter des malades. Est-ce que tout cela suffit pour faire un médecin? Nullement: il. lui faut l'art et l'habileté, et à défaut de cette condition , non-seulement toutes ces choses que nous venons d'énumérer ne servent de rien, mais encore sont dangereuses : car il vaut mieux que celui qui n'est pas médecin n'ait pas de remèdes à sa disposition. En effet, n'en ayant. pas, il ne peut ni guérir ni tuer les malades; mais s'il en a, comme en même temps il ne sait pas s'en servir : il ne peut que faire des victimes, l'efficacité des remèdes ne résidant pas seulement dans leur nature propre, mais encore dans fart et l'intelligence de celui qui les applique : sans cette condition, tout est perdu. Eh bien, il en est de même quand il s'agit d'un. magistrat : il a à sa disposition dès armes, une voix souvent enflée par la colère, des licteurs, les proscriptions qu'il peut prononcer : il est comblé d'honneurs, de présents, d'éloges; il a aussi ses remèdes, ce sont lés lois ; il a ses malades, ce sont les .hommes qu'il gouverne ; il a son officine, c'est le tribunal; ses élèves, ce sont les soldats : mais s'il ignore l'art du médecin, toutes ces choses ne lui serviront de rien. Le juge est le (274) médecin des âmes, et non des corps; or, si la santé du corps exige tant de soins, à combien plus forte raison la santé de l'âme, qui a sur le corps une telle prééminence. Ainsi, avoir le nom de magistrat, ce n'est pas être magistrat; car d'autres aussi sont appelés de grands noms, tels que Paul, Pierre, Jacques, Jean; mais ce n'est pas à cause des noms qu'ils portent qu'ils sont tels qu'on les appelle : pour ne citer qu'un exemple, bien que je porte le même nom que le dernier des saints que je viens de mentionner, cette homonymie ne fait pas que je sois une seule et même personne avec lui; je ne suis pas Jean, mais je m'appelle Jean. Ainsi, les hommes dont je parle ne sont pas des magistrats, mais on leur en donne le nom. Et il y en a qui sont magistrats, sans avoir rien de commun avec ceux dont je parle, comme le médecin est médecin, bien qu'il n'exerce pas son art, mais le tienne caché au-dedans de, lui-même. Il y a les magistrats qui se commandent à eux-mêmes.
Il y a pour l'âme trois choses : la maison, la cité, l'univers. Il faut que celui qui est chargé d'édifier une maison à laquelle il sera ensuite préposé, s'applique, au préalable, à régler son âme; car cette âme est sa maison et s'il ne peut pas gouverner cette maison, où il est le maître, où il habite toujours avec lui-même, comment pourra-t-il n édifier n les autres? Celui qui peut gouverner son âme, qui peut à telle de ses facultés assurer le commandement, à telle autre imposer l'obéissance, celui-là pourra aussi gouverner sa maison; or, celui qui sait gouverner sa maison, saura gouverner la cité., et celui qui sait- gouverner la cité, pourra gouverner l'univers. Mais s'il ne peut gouverner son âme, comment pourra-t-il gouverner l'univers? — J'ai dit tout cela pour que nous ne soyons pas follement engoués de l'autorité et de la puissance, pour que nous voyions bien ce que c'est que le pouvoir; car ce que je viens de retracer, n'est pas un vrai pouvoir : c'est une dérision, un esclavage, ou de tout autre nom qu'on veuille l'appeler. Dites-moi, quel est le propre d'un magistrat? N'est-ce pas d être utile à ceux qui sont sous son autorité, et de leur faire du bien? Or, comment pourra-t-il être utile aux autres, celui qui n'a pu être utile à lui-même? Celui dont l'âme est en proie aux mille tyrannies des passions, comment pourra-t-il apaiser les passions des autres?
Le même raisonnement pourrait s'appliquer à notre engouement
pour le plaisir. Examinons quels sont ceux qui ont le plaisir en partage.
Est-ce, que ce sont les riches,-ou ceux qui ne le sont pas ? Le plaisir
n'appartient, absolument parlant, ni aux uns ni aux autres, mais à
ceux qui règlent et gouvernent leur âme de manière
à ne pas nourrir d'avance en eux-mêmes une foule de sujets
de tristesse et de chagrin. Et en quoi, me dira-t-on peut-être, consiste
cette manière de vivre? Car je vous vois tous impatients d'apprendre
quelle est donc cette vie ainsi exempte de chagrins. Eh bien; que ce soit
d'abord pour vous une chose constante qu'il y a plaisir, qu'il y a jouissance
pour l'homme à ne pas être tourments par de vains.désirs,
à ne pas ressentir cette sensualité qui recherche la délicatesse
des mets et les vins, la somptuosité de la table et le luxe des
vêtements. Et si je vous montre que cette vie exempte de chagrins,
dont je viens de parler, consiste précisément à réprimer
ses désirs et cette sensualité, attachez-vous à cette
manière de vivre, et cherchez-y votre plaisir, car beaucoup de sujets
de tristesse nous arrivent faute d'avoir convenablement réfléchi.
Or, quel est celui des deux qui sera exposé à plus de chagrins:
celui. qui recherche toutes ces choses que j'ai énumérées,
ou celui qui ne s'en préoccupe pas; celui qui craint les vicissitudes
des affaires humaines, ou celui qui ne les craint pas ; celui qui redoute
les calomnies, l'envie, les délations, les embûches, l'a mort,
ou celui qui est exempt de toi . Toutes ces craintes; celui qui a besoin
de beaucoup de gens, ou celui qui n'a besoin de personne; celui qui est,
pour ainsi dire, l'esclave de tout le monde, ou celui qui n'est l'esclave
de personne; celui qui a mille maîtres, ou celui qui ne craint qu'un
seul maître? C'est donc, dans la condition et dans la situation du
second de ces deux hommes, que le plaisir est le plus grand. Attachons-nous
donc à ce plaisir, et ne soyons pas engoués des choses présentes,
mais tournons en risée les pompes et les vanités du monde,
et gardons en tout la mesure, afin que nous puissions passer cette vie
sans chagrins, et obtenir les biens promis, par la grâce et la charité
de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec lequel, gloire, puissance, honneur,
au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles
des siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE LIII. LE ROI, LE GOUVERNEUR, BÉRÉNICE,
ET CEUX QUI ÉTAIENT ASSIS AVEC EUX, SE LEVÈRENT. ET S'ÉTANT
RETIRÉS A PART, ILS PARLÉRENT ENSEMBLE ET DIRENT : " CET
HOMME N'A RIEN FAIT QUI SOIT DIGNE DE LA MORT OU DE LA PRISON ". AGRIPPA
DIT A FESTUS : " CET HOMME POUVAIT ÊTRE RENVOYÉ ABSOUS, S'IL
N'EN EUT POINT APPELÉ A CÉSAR. " (CHAP. XXVI VERS. 30-32,
JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE XXVII.)
275
ANALYSE. 1.- 4. Saint Paul est embarqué pour aller à Rome comme prisonnier. — Tempête et naufrage. — Le navire est jeté sur la côte de l'île de Malte ; pas un des passagers ne périt.
5 Que c'est un grand avantage pour les hommes d'avoir un seul saint parmi eux. — La foi est un port sûr. — Grand pouvoir des saints.
1. Voyez comme ils rendent de nouveau leur, sentence à son sujet; et après que Festus lui avait dit : "Vous êtes insensé, Paul ", ils le déclarent innocent cri disant ainsi qu'il n'a mérité ni la mort, ni même la prison ; et ils l'auraient complètement relâché et mis hors de cause, s'il n'en eût appelé à César. Or, ceci arriva par la permission de la Providence; c'est elle-même qui permit qu'on le laissât aller, sans le délivrer de ses chaînes. Voilà pourquoi il disait . " Jusqu'à. être dans les chaînes comme un scélérat ". (II Tim. II, 9.) Car si son maître a été mis an nombre îles méchants, à combien plus forte raison, lui, doit-il l'être; mais il n'a pas plus de souci que ce même maître de la gloire ale ce monde. Et ce qui paraît étonnant, c'est qu'étant mêlé et confondu dans leurs rangs, il n'en ait reçu aucun mal.
" Après qu'il eût été résolu que nous serions embarqués pour nous.rendre en Italie, on remit Paul avec d'autres prisonniers entre les mains d'un nommé Jules, centenier dans la cohorte appelée l'Auguste. Nous montâmes sur un vaisseau d'Adramyte, et nous levâmes l'ancre pour côtoyer les terres d'Asie, ayant avec nous Aristarque, macédonien de Thessalonique. Le jour suivant, nous arrivâmes à Sidon ". Remarquez que jusqu'à ce moment cet Aristarque est resté le compagnon de voyage de Paul, ce qui est. utile pour qu'il puisse annoncer ensuite en Macédoine tout ce qui s'est passé. " Et Jules traitant Paul avec humanité, permit qu'il allât voir ses amis, et que l'on eût soin de lui. Etant partis de là, nous prîmes notre route au-dessous de Chypre, parce que les vents étaient contraires " (Cliap. XXVII, 1-4.) Jules ", dit-il, " traitant Paul avec humanité, lui permit... " Cette permission donnée honorait Jules; de cette façon, Paul se rendant auprès de ses connaissances, pouvait en recevoir des soins; car il.est vraisemblable qu'il avait eu beaucoup à souffrir de la prison , des anxiétés, de ces déplacements incessants. Et remarquez que Jules ne dissimule pas ses intentions bienveillantes à ce sujet. Puis arrivent de nouvelles épreuves les vents sont encore une fois contraires. Voyez comme, de tout temps, les épreuves forment la trame de la vie des saints : ils avaient échappé au tribunal ; ils rencontrent maintenant le naufragé et 1a tempête. C'est ce que le texte expose comme il suit.
Et après avoir traversé la mer de Cilicie a et de Pamphylie, nous arrivâmes à Lystre de Lycie; et là, le centenier ayant trouvé un vaisseau d'Alexandrie, qui faisait voile pour l'Italie, nous y fit embarquer ". — " Ayant trouvé ", dit-il, " un vaisseau d'Alexandrie". C'est bien à propos que ce navire est trouvé, pour que les actes de Paul soient annoncés, (276) par les uns en Lycie, par les autres en Asie, Remarquez que Dieu n'innove rien, ne change rien quant à la marche des phénomènes naturels, et qu'il permet ainsi que Paul navigue avec des vents contraires. Mais c'est à cette occasion même qu'éclate l'action de la Providence.: pour les sauver de tout danger, pendant leur navigation, il ne les expose pas en pleine mer, mais il permet qu'ils ne s'écartent jamais des côtes. " Nous allâmes fort lentement pendant plusieurs jours, et.nous arrivâmes avec de grandes difficultés vis-à-vis de Cnide, et, comme le vent nous empêchait d'avancer, nous côtoyâmes l'île de Crète vers Salmone. Et allant avec peine le long de cette côte, nous abordâmes à. un lieu nommé Bons-Ports, près duquel était la ville de Lasée. Mais, parce que beaucoup de temps s'était écoulé, et que la navigation devenait périlleuse, le temps du jeûne, étant déjà passé, Paul donna cet avis à ceux qui nous conduisaient : Mes amis, je vois que la navigation va devenir très-fâcheuse et pleine de périls, non-seulement pour le vaisseau et' pour sa charge, mais aussi pour nos personnes et pour nos vies. Mais le centenier ajoutait plus de foi aux avis du pilote et du maître du vaisseau, qu'à ce que Paul disait (5-11) ". Je pense qu'on veut parler ici du jeûne que gardent les Juifs; car ce ne .fut que longtemps après la Pentecôte qu'ils repartirent de Bons-Ports; de sorte qu'on peut conjecturer que c'est dans le coeur même de l'hiver qu'ils étaient venus dans les parages de la Crète. Et ce n'est pas une petite merveille de voir que c'est à cause de lui que tous ceux qui montaient avec lui ce navire sont préservés du naufrage. " Mes amis, je vois que la navigation va devenir très-fâcheuse et pleine de périls; non-seulement pour le vaisseau et pour sa chargé, mais aussi pour nos personnes et nos vies ". Paul donc les exhortait à rester, et leur prédisait ce qui devait arriver; mais eux, pressés de partir, et ayant d'ailleurs quelque difficulté à aborder en cet endroit, voulaient aller passer l'hiver à Phénice.
2. Et considérez, je vous prie, les desseins de la Providence : ils commencèrent par lever l'ancre et ils partirent; ensuite le vent ayant soufflé avec violence; ils furent forcés de s'abandonner à sa discrétion, et eurent beaucoup de peine à se sauter. " Et comme le port n'était pas propre pour hiverner, la plupart furent d'avis de se mettre en mer pour tâcher de gagner Phénice, qui est un port de Crète qui regarde les vents du , couchant d'hiver et d'été, afin d'y passer l'hiver. Le vent du midi commençait à souffler doucement, ils pensèrent qu'ils viendraient à bout de leur, dessein, et ayant levé l'ancre, ils côtoyèrent le plus près qu'ils purent l'île de Crète. Mais il se leva peu après un vent impétueux de nord-est; qui donnait contre l'île; et comme il emportait le vaisseau, sans que nous pussions y résister, nous le laissâmes aller au gré du vent. Nous fûmes poussés au-dessous d'une petite île appelée Claude, où nous pûmes à peine être maîtres de l'esquif. " Mais rayant enfin tiré à nous, les matelots employèrent toutes sortes de moyens, et lièrent le vaisseau par dessous, craignant d'être jetés sur des bancs de sable ; ils abaissèrent les voiles, et s'abandonnèrent ainsi à la mer. Et comme nous étions rudement battus par la tempête, le jour suivant ils jetèrent les marchandises dans la mer, et le troisième jour, ils y jetèrent aussi de leurs propres mains tous les agrès du vaisseau. Le soleil ni les étoiles ne parurent durant plusieurs jours, et la tempête était toujours si violente que nous perdîmes tonte espérance de nous sauver. Mais comme il y avait longtemps que personne n'avait mangé , Paul se levant au milieu d'eux,- dit..... " Remarques qu'à la suite de cette violente tempête, il ne leur parle pas avec insolence, mais qu'il veut simplement lés disposer à ajouter, à l'avenir, plus de foi en ses paroles qu'ils ne l'ont fait. Voilà pourquoi il allègue ce qui vient de se passer comme confirmant la vérité de ce qu'il va dire. Et il leur prédit deux choses, à savoir: qu'ils seront jetés parles flots dans une île, et que le navire périra, mais que les passagers seront sauvés "(ce qui n'était pas une pure conjecture, mais une prophétie) ; et qu'il doit lui-même comparaître devant César. "Et ces paroles : " Dieu vous a donné tous ceux ", ce n'est pas par vaine jactance qu'il les prononce, mais pour amener à la vraie foi ses compagnons de navigation : il ne leur parle pas ainsi pour qu'ils lui soient reconnaissants de ce qu'il a fait; mais, pour qu'ils croient à la vérité de ses paroles: En disant : " Dieu vous a donné ", c'est comme si Paul disait . ils ont mérité la mort, car ils n'ont pas voulu t'écouter. Mais en ta faveur, je consens à leur faire grâce. (277) " Et parce qu'il y avait longtemps que personne n'avait mangé, Paul se levant au milieu d'eux, leur dit : Sans doute, mes amis, a vous eussiez mieux fait de me croire, et de ne point partir de Crète, pour nous épargner a tant de peine et une si grande perte. Je vous exhorte néanmoins à avoir bon courage, a parce que personne ne périra, et il n'y aura que le vaisseau de perdu. Car cette nuit même un ange de Dieu à qui je suis, et que je sers, m'a apparu et m'a dit : Paul, ne craignez point., il faut que vous comparaissiez devant César, et je vous annonce que Dieu vous a donné tous ceux qui naviguent avec vous. C'est pourquoi, mes amis, ayez bon courage: car j'ai cette confiance en Dieu que ce qui m'a été dit arrivera. Mais nous devons être jetés contre une certaine île. La quatorzième nuit, comme: les vents nous poussaient de tous côtés sur .la mer Adriatique, les matelots crurent vers minuit qu'ils approchaient de quelque terre ; et. ayant jeté la sonde, ils trouvèrent vingt brasses, et un peu plus loin ils en trouvèrent quinze. " Mais craignant que nous n'allassions donner a contre quelque écueil, ils jetèrent quatre ancres du côté de la poupe, et ils attendaient avec impatience que le jour parût. Or, comme les matelots cherchaient à s'enfuir du vaisseau, et qu'ils descendaient l'esquif en mer, a sous prétexte d'aller jeter les ancres du côté de la proue, Paul dit au centenier et aux soldats : Si ces gens-ci ne demeurent pas dans le vaisseau, vous ne pouvez vous sauver. Alors les soldats coupèrent les câbles de l'esquif et le laissèrent tomber (12-32) ".
Il nous a montré par là que les matelots, ne croyant pas à la vérité de ses paroles, étaient soir le point de s'éloigner du navire : mais le centenier et tous les soldats qui étaient avec lui, ne partageaient pas leur incrédulité. Voilà pourquoi il dit : " Si ces gens-ci prennent la fuite, vous ne pouvez vous sauver ". Au fond, il ne parle pas ainsi pour épargner ce malheur à ceux auxquels il s'adresse, mais pour retenir les matelots, et pour que la prophétie tout entière s'accomplisse.
Paul leur enseigne à tous sa sublime philosophie comme s'ils étaient réunis dans une église, et il les retire du milieu des dangers. Et la Providence permet que d'abord l'on n'ajoute pas foi aux discours de Paul, afin que l'expérience même des événements ramène la confiance en ses paroles. Et c'est ce qui arriva. Puis, il les exhorte à prendre de la nourriture, et c'est ce qu'ils font; et lui-même en prend le premier, pour leur persuader, non par des paroles, mais par des actes, que la tempête ne doit faire aucun mal à leurs corps; bien plus, qu'elle doit profiter à leurs âmes. " Au point du jour, Paul les exhorta tous à prendre de la nourriture, disant : Il y a aujourd'hui quatorze jours que vous êtes à jeun, et que vous n'avez rien pris en attendant la fin de la tempête. C'est pourquoi je vous exhorte à prendre de la nourriture, pour vous pouvoir sauver; car il ne tombera pas un seul cheveu de la tête d'aucun de vous. Après avoir dit cela, il prit du pain, et ayant rendu grâces à Dieu devant tous, il le rompit, et commença à manger. Tous les autres prirent courage à son exemple, et se mirent aussi à manger. Or, nous étions dans le vaisseau deux cent soixante-seize personnes en tout. Quand ils. furent. rassasiés, ils soulagèrent le vaisseau en jetant le blé dans la mer. Le jour étant venu; ils ne reconnurent point quelle terre c'était ; mais ils aperçurent un golfe ayant un rivage, et ils résolurent d'y faire échouer le vaisseau, s'ils pouvaient. Ils retirèrent les ancres, et lâchèrent en même temps les attaches des gouvernails, et s'abandonnant à la mer, après avoir déployé la voile de l'artimon, ils tiraient vers le rivage à la faveur du vent. Mais ayant rencontré une langue de terre qui avait la mer des deux côtés, ils y firent échouer le vaisseau, et la proue s'y étant enfoncée demeurait immobile, mais la poupe se rompit par la violence des vagues (33-41) ".
3. Le démon tente de nouveau d'empêcher l'accomplissement de la prophétie; déjà ils avaient décidé qu'un certain nombre de passagers. seraient mis, à mort: mais le centenier, voulant sauver Paul, ne le permit pas, tant il avait déjà d'attachement pour lui. " Les soldats étaient d'avis de tuer les prisonniers, de peur que quelqu'un d'eux, s'étant sauvé à la nage, ne s'enfuît. Mais le centenier les en empêcha parce qu'il voulait sauver Paul, et il commanda que ceux qui pouvaient nager se jetassent les premiers hors du vaisseau, et se sauvassent à terre, et que les autres se missent sur des planches et sur des pièces du vaisseau. Et ainsi ils gagnèrent tous la terre et se sauvèrent (42-44). Et s'étant ainsi (278) sauvés, ils reconnurent que l'île s'appelait Malte ". (Chap. XXVIII, 1.) Voyez-vous tout le bien qui est sorti de cette tempête? Si cette tempête est arrivée, ce n'est pas que la main de Dieu les ait abandonnés. Et comment, direz-vous, pouvaient-ils tenir ainsi à jeun, et ne prenant aucune nourriture ? Ils étaient sous l'empire d'une crainte si vive, qu'elle ne leur permettait pas de ressentir les atteintes de la faim, au moment même où ils allaient courir les plus grands dangers. Et la merveille est bien plus grande que, dans un tel moment, ils aient été sauvés du milieu des dangers, lui-même et tous les autres à cause de lui. " Et après avoir déployé la voile de l'artimon, ils tiraient vers le rivage à la faveur du vent". Il dit cela pour montrer toute la violence de la tempête par laquelle ils étaient ballottés. Car ordinairement ce n'est pas cette manoeuvre qu'ils exécutent. Et il a été dit plus haut (17) qu'ils abaissèrent les voiles (c'est ce qui a lieu, quand le veut est violent), pour se garantir ainsi contre, l'impétuosité du vent. Et c'est dans l'Adriatique, où il est si difficile de se sauver, qu'ils se trouvaient exposés à tous ces dangers. " Or nous étions dans le vaisseau deux cent soixante-seize personnes en tout ". Et comment l'auteur de ce récit sait-il qu'il y avait un tel nombre de gens naviguant ensemble? Il est probable qu'ils ont demandé pour quel motif tous ces hommes naviguaient, et qu'ils ont ainsi tout appris. Ils ne prenaient aucune nourriture, parce qu'ils ne songeaient pas à manger en présence d'un si affreux danger.
Et voyez comme Paul sait mettre à profit, pour enseigner sa doctrine, tons ces retards, tous ces contre-temps ! Et ce n'était pas un petit résultat que d'amener à la vraie foi tous ces hommes ! Mais reprenons de plus haut les paroles de notre texte. " Mais parce que beaucoup de temps s'était écoulé, et que la navigation devenait périlleuse, Paul leur donna cet avis : ales amis, je vois que la navigation s'en va devenir très-fâcheuse et pleine de périls ". Remarquez combien ce langage est exempt de tout orgueil :pour ne pas paraître, à leurs yeux, prophétiser, mais parler par simple conjecture. " Je vois ", dit-il; car ils ne l'eussent pas écouté, s'il. leur eût dit cela tout de suite, et comme devant certainement arriver...... Dans l'ordre naturel des choses, ils étaient destinés à périr, mais Dieu y a mis des empêchements. " Mais le centenier ajoutait plus de foi aux avis du pilote qu'à ce que disait Paul ". Pour qu'il apparaisse clairement que ce n'est pas par conjecture due Paul a dit tout cela, le pilote dit tout le contraire, lui qui connaît par expérience ces sortes de choses. " Et comme le port n'était pas propre pour hiverner ". Remarquez ceci : les lieux mêmes, ainsi qualifiés, nous apprennent que ce n'était, pas par conjecture que Paul parlait de la sorte : ceux qui paraissent avoir parlé par conjecture, ce sont les passagers, et il yen avait un. grand nombre de cet avis, qui conseillent au centenier de mettre. à la voile. Mais cela ne leur servit de rien ; car ils ne tardèrent pas à être battus par la tempête, et furent obligés de jeter à la mer une partie de leur chargement. C'est pour montrer cela, que le texte ajoute : " Et comme nous étions rudement battus par la tempête, nous jetâmes de nos propres mains les agrès du vaisseau ". La Providence permet que tout cela arrive, pour qu'à l'avenir ils cessât d'être incrédules. L'ouragan se lève, et d'épaisses ténèbres les enveloppent. Pour éviter le naufrage, ils jettent à la mer et le blé et tout le reste " ; car c'est ce que signifient ces mots : " Nous jetâmes les agrès du navire. Et parce qu'il y avait longtemps que personne n'avait mangé, Paul leur dit : Il fallait m'écouter, pour vous épargner une si grande perte ". Voyez-vous comme la tempête, et ces ténèbres qui les enveloppent, contribuent à les rendre plus dociles? Quant au centenier, il se montre docile à ce point qu'il laisse les soldats couper les câbles de l'esquif, pour le laisser périr dans les flots. Et ne soyez pas surpris que les matelots ne montrent que plus tard leurs dispositions à croire : cette espèce d'hommes est effrontée, et croit difficilement à ce qu'on lui dit.
Mais vous, considérez ici. la prudence de Paul. Il ne prend pas le ton du reproche, de la colère, mais se contente de leur dire doucement : " Il fallait ". Il savait, en effet, que celui qui prend ce ton au moment d'un grand désastre, est mal accueilli, mais qu'il n'en est pas ainsi lorsque le plus grand danger est passé. Il ne les presse donc que lorsqu'ils ont perdu tout espoir de se sauver, et alors même, leur annonce des choses utiles. " Quand la quatorzième nuit fut arrivée ", dit le texte, " pleins de crainte, ils attendaient avec (279) impatience que le jour vint ". Il s'exprime ainsi, de peur que quelqu'un ne vienne à dire qu'il n'était rien arrivé. Et leur frayeur montre lien ce qui s'était passé en effet. " Pleins de crainte", dit-il, " ils attendaient avec impatience que le jour vint ". La position est dangereuse; car c'est sur la mer Adriatique que tout cela arrive; et depuis longtemps ils n'avaient pas mangé. " Il y a aujourd'hui quatorze jours ", dit-il., " que vous êtes à jeun, et que vous. n'avez rien pris en attendant la fin de la tempête ". Ainsi, tout concourait à les mettre, pour ainsi dire, aux portes de la mort. C'est pourquoi il ajoute : " Je vous exhorte à prendre de la nourriture, car ce n'est qu'ainsi que vous pourrez vous sauver", c'est-à-dire, prenez de la nourriture pour ne pas mourir de faim. " Et ayant pris du pain ", dit le texte, " il rendit grâces à Dieu ".
4. Cette action de grâces pour ce qui vient de se passer non-seulement les fortifie, mais encore leur donne du courage. " Or, nous étions dans le vaisseau deux cent soixante-seize personnes en tout ". C'est de tout ce monde qu'il a dit : Il ne périra pas, d'entre a vous, une seule âme ". Cette prédiction qu'ils seront tous sauvés, ne peut partir que d'une âme qui est en possession d'une certitude pleine et entière. " Quand ils furent rassasiés, ils soulagèrent le vaisseau en jetant le blé dans la mer ". Avez-vous remarqué qu'ils ne croient Paul qu'en ce qui concerne le conseil qu'il leur a donné de prendre de la nourriture, et que déjà, ils s'en rapportaient tellement à Paul pour tout le reste, qu'ils jetaient le blé dans la mer. Voyez. comme ils se laissent aller, dans leurs actions, à des sentiments tout humains, sans. que Paul les en empêche. " Le jour étant venu, ils lâchèrent les attaches du gouvernail... Et les soldats étaient d'avis de tuer les prisonniers ". Ne pensez-vous pas qu'en cela encore ceux-ci auront été reconnaissants envers Paul? En effet, c'est à cause de lui que le centenier ne permit pas qu'on les tuât. Et ce qui me fait croire plue ces hommes étaient évidemment des scélérats, c'est qu'on se décide à les mettre à mort de préférence aux autres. Mais on n'en fit rien, parce qu'on en fut empêché par le centenier : les uns donc se sauvèrent à la nage, les autres sur des radeaux; de sorte qu'il n'y eut.pas un seul des passagers qui n'échappât à la mort, et que la prophétie reçut enfin son accomplissement, bien que sans éclat, quant à la durée du temps écoulé : en effet, ce n'était pas plusieurs années à l'avance que Paul avait prédit ces événements, mais il s'était contenté de suivre comme pas à pas la marche naturelle des choses. Tout ici dépassait les espérances purement humaines, et ce ne fut qu'au prix de leur, propre délivrance qu'ils.apprirent qui il était. On dira peut-être : mais pourquoi n'a-t-il pas sauvé aussi le navire?
Pour qu'ils sussent bien à quels dangers ils venaient d'échapper, et parce que rien n'arrivait.ici par l'effet d'un secours purement humain, ruais par la main de Dieu qui les a sauvés, bien qu'ils n'aient plus de navire. Ainsi les justes, dans le déchaînement même des tempêtes, au milieu des flots d'une mer en courroux, non-seulement ne souffrent aucun mal, mais encore ont le pouvoir de sauver ceux qui sont avec eux. Si ces prisonniers, après que le navire a été ballotté par les flots et a fait naufrage, ont été sauvés par Paul, songez combien on doit s'estimer heureux de posséder dans sa maison un saint homme ; car sur cette terre, bien des tempêtes tout autrement terribles que celles-là, se déchaînent sur nous; mais Dieu peut nous sauver, pourvu que nous écoutions les saints, comme firent ces prisonniers, pourvu que nous lassions ce qu'ils nous prescrivent. Et ils ne sont pas sauvés purement et simplement, mais encore ils ont porté avec eux la foi dans le monde. Bien qu'un saint soit enchaîné, il opère encore de plus grandes choses que ceux qui sont libres. Et remarquez que c'est ce qui arrive ici. Le centenier, tout libre qu'il était de ses mouvements, avait besoin de cet homme enchaîné; le pilote, si expérimenté dans son art, avait besoin de celui qui n'entendait rien à cet art, et qui, en réalité, était en ce moment le vrai pilote.
En effet, ce n'était pas ce navire-là, mais l'Eglise universelle qu'il gouvernait, non à l'aide d'un. art tout humain, mais en vertu d'une science toute spirituelle , après avoir appris ce gouvernement de Celui qui est aussi le maître de la mer. Pour ce navire, il y a aussi bien des écueils, bien des flots soulevés, bien des souffles de malice. a Ce n'est que combats au dehors, que frayeurs au dedans ". De sorte que le véritable pilote, c'était lui. (280) Jetez un coup d'oeil sur l'ensemble de la vie humaine. Tantôt nous sommes l'objet de toute la bienveillance de nos semblables; tantôt nous sommes ballottés. au gré de leurs caprices, et souvent aussi nous tombons dans mille maux par nos propres folies ou par nos propres négligences, mais bien plus encore parce que nous n'écoutons pas Paul, et que nous nous hâtons d'aller là où il ne veut pas que nous allions. En effet, maintenant encore il est embarqué avec nous, mais sans être enchaîné comme il l'était alors ; maintenant encore il exhorte ceux qui naviguent sur la mer de ce monde, et leur dit : " Prenez garde à vous-mêmes.:. " car je sais qu'après mon départ, il entrera parmi vous des loups ravissants ". Et encore : " Dans les derniers jours, il viendra des temps fâcheux, et il y aura des hommes amoureux d'eux-mêmes, avares, glorieux ": Et ce vent-là est bien le plus dangereux pour ceux qui traversent les flots agités de cette vie.
5. Restons donc où il nous ordonne de rester, dans la foi, qui
est pour nous le port le plus sûr; écoutons-le plutôt
que ce pilote qui est en nous, c'est-à-dire, notre raison. Ne faisons
pas ce que nous suggère ce pilote, faisons ce que Paul nous recommande
: il a déjà traversé sans péril bien d'autres
tempêtes. N'attendons pas l'expérience pour nous instruire,
mais avant toute expérience, sachons éviter l'outrage et
la ruine. Ecoutons-le nous disant : " Ceux qui veulent devenir riches tombent
dans la tentation ". Ajoutons foi à ces paroles, sachant ce qui
est arrivé à ceux qui n'ont pas voulu- l'écouter.
Et, dans un autre endroit, il explique d'où viennent les naufrages.
" Quelques-uns ont fait naufrage, en perdant la foi ". Persistez donc dans
les doctrines qui nous ont été enseignées, et auxquelles
vous avez cru. Ajoutons foi aux paroles de Paul, et nous serons délivrés
de tous les périls, alors même que nous serions au plus fort
de la tempête, que nous serions restés quatorze jours à
jeun, que tout espoir de salut serait perdu, que nous serions plongés
dans les plus épaisses ténèbres. Considérons
l'univers entier comme un navire sur lequel nous voguons, et où
nous avons pour compagnons de notre traversée des méchants,
des hommes perdus dé vices, les uns qui nous commandent, les autres
qui nous gardent, et, à côté de quelques justes, comme
Paul, des prisonniers, c'est-à-dire, des hommes qui sont dans les
liens du péché. Si nous croyons à la parole de Paul,
bien qu'enchaînés, nous ne périrons pas, mais, tout
au contraire, nous . serons délivrés de nos chaînes.
Car, à nous. aussi, Dieu pardonnera en sa faveur. Ne pensez-vous
pas que lés péchés et les passions sont de bien lourdes
chaînes? C'est sur l'homme tout entier, et non sur ses mains seulement,
qu'elles s'appesantissent. En effet, dites-moi : lorsqu'un homme, qui a
acquis de grandes richesses, ne les emploie ni ne les dépense, mais
les garde dans ses coffres, n'est-il pas chargé, par sa parcimonie
même, de chaînes plus dures que quelque prisonnier que ce puisse
être? De même, quand un homme s'abandonne aux caprices du sort,
ne se. charge-t-il pas d'une autre espèce de chaînes? Et lorsqu'il
se livre à des pratiques superstitieuses ; lorsqu'il consulte les
présages; ou bien, lorsqu'il est la proie de quelque passion insensée
ou de l'amour, ne trouve-t-il pas dans tout cela des chaînes plus
lourdes que toutes celles qu'on pourrait imaginer? Et qui pourra briser
toutes ces chaînes? Evidemment, nous ne pouvons en être délivrés
que par l'aide de Dieu. Et une seule de ces choses suffit pour nous mettre
en danger : mais si nous.nous trouvons à la fois enchaînés,
et ballottés par la tempête, jugez du danger dans lequel nous
sommes. La faim, la tempêté, la méchanceté de
nos guides, un contre-temps, chacun de ces maux pris à part ne suffit-il
pas pour nous perdre? Eh bien, c'est à tous ces maux réunis
que Paul résista glorieusement. Or, il en est de même aujourd'hui
: retenons les saints auprès de nous, et il n'y aura pas de tempête.
Que dis-je ? S'il s'élève une tempête, peu après
un grand calme, une grande sérénité lui succéderont,
et, par suite, nous serons délivrés de tout danger, comme
cette veuve qui avait donné l'hospitalité à un saint,
par l'intercession duquel son fils ressuscité fut rendu aux embrassements
de sa mère. Là où les saints mettent les pieds, il
n'arrivera, rien de fâcheux; ou s'il arrive quelque chose de fâcheux,
cela n'arrive que pour nous éprouver et procurer la plus grande
gloire de Dieu. Faites en sorte que le pavé de vos demeures soit
souvent foulé par de tels pieds, et il ne le sera pas par ceux du
démon. Et il est bien juste qu'il en soit ainsi. Un suave parfum
qui embaume l'air, ne laisse pas de place aux (281) odeurs désagréables
: dé même là où l'on respire le parfum de la
sainteté, le démon expire comme suffoqué par ces exhalaisons
mortelles pour lui, tandis que ce même parfum , se répandant
partout, réjouit tous ceux qui ont le bonheur de vivre avec ce saint,
et dilate leurs âmes. Là où croissent les ronces et
les épines, là pullulent de hideuses bêtes; mais il
ne.. croit ni ronces; ni épines, là où s'exerce l'hospitalité;
car l'esprit de miséricorde et de charité, en y pénétrant
, les retranche et les fait disparaître mieux que ne pourrait le
faire la faux la plus tranchante ou le feu le plus violent. Ne craignez
rien : de même que les renards respectent les lions, de même
tout respecte l'empreinte des pas des saints. " Le juste ", dit l'Ecriture,
" a toute l'assurance d'un lion ". Introduisons ces lions dans nos demeures,
et toutes ces bêtes seront mises en fuite, sans que ceux-ci aient
besoin de pousser de grands cris; il leur suffira de parler. Car le rugissement
du lion a moins de pouvoir pour mettre en fuite les bêtes sauvages,
que la prière du juste pour mettre en fuite les démons; il
n'a qu'à parler, ils tremblent. Mais, me direz-vous, où sont
aujourd'hui de tels hommes? — Partout, si nous avons la foi , si nous cherchons,
et si, pour trouver, nous n'épargnons pas nos peines. — Mais, dites-moi,
où donc avez-vous cherché? Quand vous êtes-vous jamais
occupé de ce soin? Si vous ne cherchez pas, ne soyez pas surpris
que vous ne trouviez paves. " Celui qui cherche , trouve ", et non celui
qui ne cherche.pas. Allez entendre ceux qui vivent dans la solitude; il
y en a dans toutes les parties de l'univers. Si vous ne pouvez pas recevoir
ce saint dans votre maison, allez le trouver, liez-vous avec lui; ou, du
moins, approchez-vous de sa demeure, pour que vous puissiez réussir
à le voir et obtenir sa bénédiction. Car elle est
puissante la bénédiction qui nous vient des saints : ne négligeons
rien pour l'obtenir, afin qu'à l'aide de leurs prières, nous
puissions jouir de la miséricorde de ce Dieu, qui fait ta. force
des. saints , par la grâce et la charité de son Fils unique,
avec lequel, gloire; puissance , honneur, au Père et, au Saint-Esprit,
maintenant et toujours, dans les siècles dès siècles.
Ainsi soit-il.
HOMÉLIE LIV. ET LES BARBARES NOUS TRAITÈRENT AVEC BEAUCOUP
DE BONTÉ, CAR ILS NOUS REÇURENT TOUS CHEZ EUX ET ILS ALLUMÈRENT
UN GRAND FEU A CAUSÉ DE LA PLUIE ET DU FROID QU'IL FAISAIT, ALORS
PAUL AYANT RAMASSÉ QUELQUES SARMENTS, ET LES AYANT MIS AU FEU, UNE
VIPÈRE, QUE LA CHALEUR EN FIT SORTIR, LE PRIT A LA MAIN. (CHAP.
XXVIII, VERS. 1-3, JUSQU'AU VERS. 16.)
ANALYSE. 1 et 2. Paul dans l'île de Malte, son arrivée
à Rome. — 3. Les tentations procurent de grands avantages. — Utilité
ces adversités. .
1. Le texte nous explique de quelle manière les barbares leur témoignèrent leur humanité. " Ils nous reçurent tous chez eux ", dit-il, " et allumèrent un grand feu ". Comme il était inutile qu'ils cherchassent à se sauver par un tel froid qui les aurait fait périr, ils allumèrent un grand feu. Paul ensuite jette dans le feu les sarments qu'il a ramassés. (282) Voyez-le toujours agissant, et ne cherchant jamais à faire des miracles sans raison et sans but, mais seulement par.nécessité. Et au moment même où la tempête s'élevait, ce n'était pas sans avoir des raisons qu'il prophétisait. Ici donc il se contente d'alimenter le feu, sans chercher par cela à se donner la. moindre importance, mais uniquement pour que ses compagnons de voyage puissent se réchauffer et se remettre par. ce moyen. Et en ce moment même une vipère que la chaleur avait fait sortir, le prit à la main. " Et quand les barbares virent cette bête qui pendait à sa main, ils s'entre-disaient : Cet homme, c'est sans doute quelque meurtrier, puisque, après avoir été sauvé de la mer; la vengeance divine le poursuit encore et ne veut pas le laisser vivre (4) ". Et ce n'est pas sans raison que la Providence permet qu'ils soient témoins de cet- accident , et qu'ils en parlent en ces termes, afin que, lorsque le miracle sera arrivé, ils ne refusent pas d'y croire.. Et voyez comme le sens commun et la raison naturelle se montrent, dans toute leur rectitude, même chez les barbares; voyez tout ce. qu'il y a d'honnêteté dans leurs sentiments, et de réserve dans leurs jugements. Et ceux-ci sont les premiers à voir, afin qu'ils en admirent davantage ce qui va arriver. " Mais Paul ayant secoué la vipère.dans le feu, n'en reçut aucun mal. Les barbares s'attendaient à ce que sa main s'enflerait , ou qu'il tomberait mort tout d'un coup : mais après avoir attendu longtemps., lorsqu'ils .virent qu'il ne lui en arrivait aucun mal, ils changèrent de sentiment, et dirent que c'était un Dieu (5-6) ". Ceux qui s'attendaient à le voir tomber mort, voyant qu'il n'éprouvait aucun mal , disent maintenant : c'est un Dieu. Et voilà que de nouveau il est comblé d'honneurs par ces hommes, comme il le fut par cette multitude de la Lycaonie. " Or, il y avait en cet endroit un nommé Publius, le premier de cette île, qui nous reçut, et exerça, avec une grande bonté , l'hospitalité envers nous pendant trois jours (7) " Voilà un nouveau Publius, hospitalier comme le premier, vivant dans l'opulence. Celui-ci, qui ne savait rien de la religion du Christ, mais que le seul spectacle de leurs malheurs disposait à la pitié, les reçut et leur prodigua ses soins. " Or, il se rencontra que le père de Publius était malade de fièvre et de dysenterie ; Paul l'alla voir, et ayant fait sa prière, il lui imposa les mains et le guérit (8) ". Il méritait bien d'obtenir de Paul ce service, et celui-ci , par un échange de bons procédés, guérit son père. " Après ce miracle, tous ceux de l'île qui étaient malades, vinrent à lui, et ils furent guéris. Ils nous rendirent ainsi de grands honneurs, et ils nous pourvurent de tout ce qui était nécessaire pour notre voyage (9-10) ". C'est-à-dire, tout ce qui était nécessaire; soit à. nous, soit aux autres qui étaient avec nous : considérez qu'à cause de Paul , après avoir échappé à la tempête, ils ne restent pas privés de soins, et sont même entourés de tous les égards d'une généreuse hospitalité; car ils furent nourris en cet endroit pendant trois mois. Ecoutez de quelle manière la suite du texte établit qu'ils sont demeurés là pendant tout ce temps.
" Au bout de trois mois, nous nous embarquâmes sur un vaisseau d'Alexandrie, qui avait passé l'hiver dans l'île , et qui portait pour enseigne : Castor et Pollux. Nous abordâmes à Syracuse où nous restâmes trois jours. De là,, en côtoyant la Sicile, nous vînmes à Rhégium, et un jour après, le vent du midi s'étant levé , nous arrivâmes en deux jours à Pouzzoles , où nous trouvâmes des frères qui nous prièrent de demeurer sept jours auprès d'eux, et ensuite nous prîmes le chemin de Rome. Lorsque les frères de Rome eurent appris des nouvelles da notre arrivée , ils.vinrent au-devant de nous jusqu'au lieu appelé le marché d'Appius et les Trois Hôtelleries. Et Paul les ayant vus, rendit grâces à Dieu , et fut rempli d'une nouvelle confiance (11-15) ". Voyez comme tout cela arrive à cause de Paul, et pour amener à la foi les prisonniers, les soldats, le centenier. Car alors même qu'ils eussent été dé pierre, ils ne pouvaient manquer de se faire une haute idée de lui , par les conseils qu'il leur avait donnés , par les prophéties qu'il avait fait entendre , par les miracles qu'il avait opérés, et enfin par ses bienfaits: car c'était à lui qu'ils devaient d'avoir été nourris si longtemps. Remarquez de quelle manière, quand le jugement est droit , et qu'aucune passion ne le trouble , il accueille les pensées droites et sages. La prédication chrétienne avait déjà pénétré en Sicile, elle était arrivée jusqu'à Pouzzoles, puisqu'ils y trouvent un certain nombre de frères auprès desquels ils demeurent. Là, (283) d'autres que la renommée avait attirés, vinrent au-devant d'eux ; l'affection qui unissait entre eux tous ces frères était si vive , qu'ils ne furent pas troublés dans leur résolution par cette pensée que Paul était dans les fers, mais se hâtèrent de venir au-devant de lui. — Avez-vous remarqué en même temps comme l'âme , de Paul , en cette circonstance , s'ouvre à des sentiments tout humains. Les ayant vus , dit notre texte, il fut rempli d'une nouvelle confiance. Bien qu'il eût déjà opéré tant de prodiges, il n'en puisa pas moins , dans cette vue de ses frères, de nouvelles forces, un nouveau Courage. Et cela nous apprend que , comme celle des autres hommes, son âme s'abandonnait tantôt au découragement, tantôt à l’espérance. " Quand nous fûmes arrivés à Rome, il fut permis à Paul de demeurer où il voudrait avec un soldat qui le gardait (16) ". C'est une bien forte preuve qu'il était l'objet de l'admiration publique : déjà on ne le mettait plus sur le même rang,que les autres prisonniers. " Or il arriva que. trois jours après, Paul pria les principaux d'entre les Juifs de le venir trouver ". Trois jours après , c'est-à-dire, avant qu'on eût eu le temps de semer des préventions dans leurs esprits. Qu'y avait-il de commun entré eux et lui? Ce n'étaient pas ces Juifs qui devaient l'accuser. — Mais Paul néglige cette circonstance : il veut leur enseigner sa doctrine dès ce moment.
2. Les Juifs donc qui avaient été témoins de tant de prodiges , le persécutaient, le chassaient; et les barbares, qui n'avaient rien vu, étaient touchés de compassion au seul spectacle de ses malheurs. " Cet homme ", disent-ils, " est sans aucun doute quelque meurtrier ". ils ne disent pas simplement: " C'est un meurtrier " ; mais : " sans aucun doute " , c’est-à-dire, qu'à leurs yeux la chose est certaine. " Et la vengeance divine", ajoutent-ils, " le Poursuit "encore et ne veut pas le laisser vivre ". En parlant ainsi, ils montraient qu'ils tenaient grand compte de la Providence, de sorte que les barbares étaient beaucoup plus philosophes que les philosophes mêmes. Ceux-ci , en effet , croient devoir retrancher ce monde sublunaire de l'ensemble des êtres auxquels s'étend l'action de la Providence ; ceux-là, au contraire, croient que Dieu est présent partout, et que l'on a beau se soustraire à son action, on finit toujours par se retrouver sous sa main puissante. Et voyez que non-seulement ils ne
se permettent absolument rien contre Paul, mais encore qu'ils le respectent, touchés de ses malheurs. Et on ne lée voit pas publier partout ce qu'ils pensent sur son compte; c'est en se parlant entre eux qu'ils disent: " Cet homme est. sans doute quelque meurtrier ", et les chaînes dont ils le voyaient chargé, ainsi que ses compagnons, éveillaient naturellement ce soupçon dans leur esprit. Qu'ils rougissent ceux qui disent : Ne faites pas du bien à ceux qui sont en prison. —. Que cette conduite des barbares les fasse rougir: ces barbares ne savaient pas qui étaient cep hommes, mais il leur a suffi d'apprendre, au seul spectacle de leurs infortunes, qu'ils étaient des hommes, et à l'instant même ils les ont accueillis avec humanité: " Après avoir attendu longtemps", c'est-à-dire, que pendant longtemps ils s'attendaient à ce que Paul mourrait. Mais lui secoua la vipère dans le feu , et leur montra sa main qui n'avait reçu aucun mal. A cette vue, ils furent comme frappés de stupeur et d'étonnement. Et ce prodige ne fut pas opéré à leurs yeux d'une manière soudaine; ils attendirent quelque temps avant de l'apercevoir, de manière que l'imagination n'était ici pour rien, et qu'il n'y avait ni supercherie, ni surprise. " Il y avait en cet endroit des terres qui appartenaient à un nommé Publius , le premier de cette île , qui nous reçut fort humainement, et exerça envers nous l'hospitalité ". Expressions bien justes , car il n'appartient qu'à un homme bon et généreux de donner l'hospitalité à deux cent soixante et dix personnes. Mais considérez les grands profits que donne l'hospitalité ! Ce n'est pas par nécessité, ce n'est pas malgré lui, mais parce qu'il pense y trouver quelque avantage , qu'il leur donne l’hospitalité pendant trois jours : c'est donc à bon droit qu'il reçoit la récompense de tant de générosité, récompense qui passe de beaucoup tout ce qu'il a fait. En effet,. Paul commence par guérir son père de la dysenterie à laquelle il était sur le point de succomber, et non-seulement son père, mais encore beaucoup d'autres malades qui le dédommagent de ses soins, en lui prodiguant les témoignages de respect et les provisions au moment de son départ. " Ils nous rendirent de grands honneurs, et ils nous pourvurent de tout ce qui nous était nécessaire pour notre voyage ". Ce n'est pas que Paul reçoive tout cela comme un salaire loin de nous cette idée ! Mais ainsi (284) s'accomplissent ces paroles de l'Ecriture : " L'ouvrier mérite de recevoir sa nourriture". (Matth. X, 10) Or, il est manifeste que ceux qui l'accueillirent ainsi durent recevoir de lui la parole de l’Évangile; il ne se serait pas écoulé trois mois dans ces entretiens, s’ils n'avaient cru et produit de dignes fruits de leur foi. Et l'on peut induire de là que le nombre de ceux qui crurent fut considérable.
Et nous nous.embarquâmes", dit le texte, " sur un vaisseau d'Alexandrie, qui avait passé l'hiver dans l'île, et qui portait pou .enseigne : Castor et Pollux ". L'image de ces dieux était probablement' peinte sur ce navire, et ainsi on peut croire que ceux qui le montaient étaient idolâtres. Voyez.d'abord les lenteurs de leur voyage, puis comme ils se hâtent d'arriver. " Mais il fut permis à Paul de demeurer où, il voudrait ". Paul était désormais si respectable à leurs yeux, qu'il lui était permis dé demeurer à part; et cela n'a rien d'étrange car si, précédemment, ils l'ont déjà accueilli avec bonté, à plus forte raison maintenant. " Et le vent du midi s'étant levé, nous arrivâmes en deux fours à Pouzzoles, où nous trouvâmes des frères qui. nous prièrent d'y demeurer sept jours; et ensuite nous prîmes le chemin de Rome. Lorsque les frères.de Rome eurent appris des nouvelles de notre arrivée, ils vinrent au-devant de nous, jusqu'au lieu appelé le Marché d'Appius, et aux Trois Hôtelleries ". Qu'ils soient sortis de Rome pour cette rencontre; parce qu'ils craignaient le danger qu'elle pouvait avoir pour eux dans Rome même, ce qui s'est passé jusqu'ici nous autorise à leur supposer ces sentiments. Remarquez que , dans le cours d'une aussi longue navigation, ils n'ont jamais débarqué dans aucune ville, ruais dans une île ; et que l'hiver tout entier s'écoule dans cette navigation, tout se coordonnant et se concernant pour que ceux qui naviguent ensemble soient amenés à la vraie foi. " Il fut permis à Paul de demeurer où il voudrait, avec un soldat. qui le gardait ". Précaution bien opportune, pour que personne ne pût lui tendre des. embûches en cet endroit; quant aux factions, il ne pouvait pas s'en fermer ici. Ainsi, ce soldat ne gardait pas Paul. précisément, mais veillait à ce qu'il ne lui arrivât rien de désagréable. En effet, au sein d'une si grande cité, résidence de l'empereur, de l'empereur à qui Paul en avait appelé, il ne pouvait se passer rien qui fût contraire à l'ordre. C'est ainsi que c'est toujours au moyen de ce qui semble être contre nous, qu'arrive tout ce qui est pour nous. — Ayant appelé auprès de lui les premiers d'entre les Juifs, il s'entretient avec eux, et ceux qui ne pouvant, s'accorder ni avec lui, ni entre eux, se retirent, s'attirent de sa part de sévères. paroles auxquelles ils n'ont rien à répondre, car déjà il ne leur était plus permis de rien tenter contre lui. Ce quia lieu d'étonner, c'est que tout ce qui nous arrive d'heureux ne se réalise pas à l'aide d'événements qui paraissent concourir à notre sécurité, mais à l'aide d'événements tout contraires..
Pour bien. voir. cela, remontons plus haut, Pharaon ordonna que les enfants fussent jetés dans le.Nil. Si ces enfants n'y avaient pas été jetés, si Pharaon n'avait pas donné cet ordre,, Moïse n'eût pas été sauvé et élevé dans le palais des rois. Au moment où on le sauvait des eaux,. il n'était pas élevé en honneur; il l'a été au moment où il à été exposé. Et Dieu agissait ainsi pour montrer les ressources infinies de sa sagesse et de sa puissance. Un Juif le menaça, en lui disant : " Est-ce que tu voudrais me tuer? " (Exod. II, 14.) Et cela lui fut utile. Ce fut aussi par une permission spéciale, de la Providence, qu'il eut cette vision dans le désert, qu'il philosopha dans ce même désert, et y vécut en sûreté jusqu'au temps marqué par elle. Et il en est ainsi de tous les piéges qui lui sont tendus parles Juifs. De chacune de ces épreuves, il reçoit un nouvel éclat, et c'est aussi ce qui.arrive à Aaron ; ils se lèvent contre lui, et ils ne font qu'ajouter par là à sa gloire, car c'est après cet événement, que sa robe sacerdotale se pare de broderies, qu'une tiare couvre sa tête, que tout l'ensemble de son costume devient plus riche et plus orné, et que, par la suite, les lames d'airain de son pectoral excitent l'admiration, comme si c'était à partir de ce moment que le caractère divin de son élévation est au-dessus de toute contestation. Vous connaissez parfaitement tous les détails de cette histoire : je puis donc passer rapidement. Mais si vous voulez, remontons encore plus haut sur le même sujet. Caïn tua son frère : mais par là on peut dire qu'il contribua, à sa glorification. Ecoutez ce que. dit l'Ecriture : " La voix, du sang de ton frère crie et s'élève devant moi ". (Gen. IV, 10.) Et ailleurs.: " Sang qui parle plus (285) avantageusement pour nous que celui d'Abel ". ( Héb. XII, 24.) Caïn a délivré des incertitudes de l'avenir; il a augmenté l'éclat de la récompense qui lui était destinée : nous avons tous vu dans l'Ecriture la tendresse que Dieu avait pour lui. Quel tort lui a été fait, parce que sa, vie a fini un peu plus tôt? Aucun. Que gagnent, dites-moi, ceux pour lesquels elle se prolonge un peu plus? Rien. Car le bonheur ne consiste pas à passer dans ce monde un peu plus ou un peu moins d'années, mais à bien user du temps que nous y passons. — Les trois enfants furent jetés dans la fournaise, et par la ils ont acquis une gloire immortelle. Daniel fut jeté dans la fosse aux lions, et-il en est sorti glorieux et triomphant.
3. Vous voyez que partout de grands biens sont sortis des épreuves, dans l'histoire de l'ancienne alliance. A combien plus forte raison doit-il en. être ainsi dans la nouvelle! La malice des hommes ne fait que rendre la vertu plus éclatante, à peu près comme il arrive à celui qui, à l'aide d'un simple roseau, veut se battre contre le feu : on dirait qu'il le bat, mais en réalité le feu n'en devient que plus flamboyant, et le roseau se réduit en cendres. Ainsi la vertu se nourrit et se fortifie au milieu des piéges que lui tend la malice des hommes, et n'en devient que plus éclatante. Dieu se sert au besoin, pour nous grandir, des injustices mêmes qui nous sont faites. De même, le démon, lorsqu'il intervient dans quelque affaire semblable, ne fait qu'ajouter à la gloire de ceux qui supportent vaillamment ses attaques. Comment se fait-il, dites-vous, que les choses ne se soient pas pissées ainsi à l'égard d'Adam, et que, tout au contraire, il ait été déchu de sa dignité première ? Je réponds qu'à son égard aussi; Dieu s'est servi, comme il le fallait, de l'épreuve, et que c'est lui-même qui s'est causé tout Je dommage qu'il a pu éprouver. Ce qui nous vient d'autrui; est pour nous la cause de grands biens : il n'en est pas de même de ce qui vient de nous-mêmes. Comme le tort que nous font les autres nous cause du. chagrin, et que nous n'en ressentons pas pour le tort que nous nous faisons à nous-mêmes, Dieu se plaît à faire voir que celui qui est injustement traité par autrui, est glorifié, et qu'au contraire, celui qui se fait du tort à lui-même en éprouve du dommage, afin que nous supportions avec courage l'un de ces torts,et que nous nous abstenions de tout ce qui pourrait constituer l'autre. Au reste, ces deux genres de torts se réunissent en la personne d'Adam. — Pourquoi as-tu ajouté. une foi aveugle aux paroles de ta femme? Pourquoi ne l'as-tu pas repoussée, lorsqu'elle te conseillait des choses funestes? Tu as été la cause de tout : car si c'était le démon, il faudrait. que ceux qu'il tente pareillement, succombent et périssent tous; s'ils ne périssent pas tous, c'est donc à l'homme qu'il faut remonter pour trouver la cause première du, péché.
Mais, direz-vous, si la cause du mal est en nous, faudra-t-il admettre que l'on se perd même sans l'intervention dû démon? — Eh bien ! c'est ce qui arrive : plusieurs se perdent en- dehors de toute action du démon. Oui, celui-ci ne fait pas tout le mal ; notre lâcheté seule est la cause de beaucoup de choses : ou, si c'est à l'action du démon qu'elles peuvent être attribuées, c'est nous-mêmes qui lui avons fourni l'occasion d'agir: Dites-moi; à quel moment le démon eut-il tout pouvoir sur Judas? — Lorsque Satan; me direz-vous, entra en lui. — Mais écoutez pour quel motif il y entra parce que c'était un voleur, et qu'il dérobait l'argent des aumônes. — Judas lui-même a donc ouvert à Satan une large entrée. Ainsi, ce n'est pas le démon, qui prend l’initiative : c'est nous qui l'appelons et le recevons n nous. — Mais; direz-vous, sans lui, le mal que nous commettons ne serait pas si grand. — Oui, mais dans ce cas, nous devrions nous attendre à d'affreux supplices : maintenant, mes chers amis, et dans l'état. actuel des choses; une certaine douceur tempère les châtiments infligés à nos fautes. Si c'était de nous-mêmes, et de nous seuls qu'elles procédaient, ces châtiments seraient intolérables. Dites-moi , la faute commise par Adam, s'il l'eût commise en-dehors de tout conseil et de toute suggestion, qui eût pu ensuite le soustraire aux dangers auxquels cette première faute l'exposait? Dans ce cas, il n'eût pas commis de faute, direz-vous. — D'où le savez-vous? En effet, celui que fut assez simple, assez sot, pour admettre un tel conseil, eût, à bien plus forte raison, agi par lui-même comme il l'a fait. Quel démon a soufflé dans l'âme des frères dé Joseph le feu de la jalousie? — Veillons sans cesse sur nous-mêmes; mes chers amis, et les piéges mêmes du démon tourneront à notre gloire. Quel mal lit-il à Jota en déployant contre lui tous ses artifices? — Ne nous parlez pas ainsi, (286) direz-vous : un infirme est nécessairement exposé à. éprouver quelque dommage. — Oui, mais cet infirme éprouvera ce dommage, alors même que le démon n'existerait pas. — Me direz-vous que ce dommage sera bien plias, grand, si, à celle cause première de mal pour lui, s'ajoute l'opération même du démon? — Je vous réponds qu'il est moins puni, si c'est avec cette coopération qu'il pèche : car tous les péchés ne sont pas suivis des mêmes châtiments. Ne nous trompons pas nous-mêmes : si nous veillons sur nous, le démon ne sera pas en nous l'auteur du mal : celui-ci sert bien plutôt à nous secouer dans notre sommeil, à nous. réveiller. En effet, supposez un moment avec, moi qu'il n'y a pas de. bêtes féroces, qu'il n'y a pas d'intempéries de l'air, qu'il n'y a pas de maladies, de douleurs, de chagrins, ni aucun autre mal physique de ce genre : dites-moi, dans ce cas, que serait l'homme? A mon avis, il ressemblerait plus au plus vil des animaux qu'à un homme, plongé qu'il serait dans toutes les voluptés, sans que rien ne vînt jamais le troubler dans ses grossières jouissances. Actuellement, les soucis, les inquiétudes dont il est assailli, ont pour lui comme un apprentissage, comme une école de philosophie, un excellent instrument d'éducation et de perfectionnement moral. Faites une autre supposition : figurez-vous l'homme élevé dans un palais, exempt de toute douleur, de tout souci, de toute préoccupation d'esprit, sans aucune occasion de se mettre en colère ou d'éprouver quelque déception, pouvant faire tout ce qu’il veut; obtenant tout ce qu'il désire, et trouvant toujours ses semblables disposés à lui obéir est-ce qu'un tel homme, au point de vue rationnel, ne serait pas au-dessous de quelque animal que ce puisse être?
Dans ce monde donc , les malheurs, les souffrances sont pour l'âme comme fa pierre à aiguiser: aussi les pauvres, ballottés, éprouvés qu'ils sont par tant de tempêtes, sont-ils, en général, plus intelligents que les riches. Un corps paresseux et toujours en repos est sujet aux maladies , et perd même , dans cette inertie, quelque chose de sa beauté naturelle : il en est tout autrement d'un corps qui trouve dans le travail l'occasion d'exercer ses forces. L'âme éprouve quelque chose de semblable. Le fer se rouille, si on ne s'en sert pas; il brille, au contraire, si on l'emploie, à quelque usage. Il en est ainsi de l'âme : il lui faut le
mouvement; or, le mouvement, elle le trouve dans les épreuves
et dans les soucis qui l'assiégent. Si l'âme est privée
de mouvement, les arts eux-mêmes périssent ; or, le mouvement
pour elle naît des difficultés qu'elle rencontre, des contrariétés
qu'elle éprouve. Sans les contrariétés, il n'y aurait
rien pour la mettre en mouvement, de même que l'art lui-même
ne trouverait pas de matière à s'exercer, si la perfection
existait partout clans les oeuvres de, la nature. L'âme aurait une
certaine laideur si, sans effort de sa part, elle était.comme portée
partout. Ne voyez-vous pas que nous prescrivons aux nourrices de ne pas
porter toujours les enfants dans leurs tafias, de peur que cétane
tourne pour eux en habitude, et qu'ils né deviennent faibles et
maladifs. Ceux qui sont nourris sous les yeux mêmes ale bons parents
sont souvent plus chétifs que les autres, par suite des ménagements
excessifs dont ils sont l'objet et qui altèrent leur santé-:
Urne douleur modérée, des inquiétudes modérées
; et même une certaine pauvreté, sont bonnes à l'âme
: car les bonnes choses, et leurs contraires, mais à un. degré
modéré, nous rendent également forts; c'est leur excès
seul qui nous perd : l'excès des unes nous amollit, l'excès
des autres nous brise. N'avez-vous pas remarqué que c'est ainsi
que le Christ a élevé. ses disciples? Si ceux-ci avaient
besoin de passer par les épreuves, à combien plus forte raison.
nous sont-elles nécessaires ? Si elles nous sont nécessaires,
ne nous fâchons pas , mais , tout au contraire, réjouissons-nous
dans les tribulations : car tels sont tes remèdes qu'il convient
. d'appliquer à nos blessures : les uns sont amers, les autres sont
doux : employé séparément, chacun de ces deux genres
de remèdes serait tout à fait inefficace. Rendons donc grâces
à Dieu pour toutes ces choses prises ensemble; car ce n'est pas
sans raison qu'il permet qu'elles nous arrivent toutes indistinctement,
mais parée que cela convient au plus .grand bien de nos âmes.
Elevant donc vers lui nos coeurs reconnaissants, rendons-lui grâces,
glorifions-le, luttons courageusement, en songeant que nos épreuves-
ne durent qu'un temps, et en tournant toutes nos pensées vers les
biens de l'éternité , afin que, après avoir supporté
avec résignation, soutenus par ces pensées, le poids de nos
misères présentes, nous méritions d'obtenir de Dieu
les biens à venir, par la grâce et (287) la bonté de
son Fils unique, avec lequel, gloire, puissance, honneur, au Père
et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des
siècles. Ainsi soit-il.
HOMÉLIE LV. TROIS JOURS APRÈS, PAUL PRIA LES PRINCIPAUX
D'ENTRE LES JUIFS DE LE VENIR TROUVER; ET QUAND ILS FURENT VENUS, IL LEUR
DIT : " MES FRÈRES, QUOIQUE JE N'EUSSE RIEN COMMIS CONTRE LE PEUPLE,
NI CONTRE LES COUTUMES DE NOS PÈRES, J'AI ÉTÉ FAIT
PRISONNIER A JÉRUSALEM, ET MIS ENTRE LES MAINS DES ROMAINS QUI,
M'AYANT EXAMINÉ, ME VOULAIENT METTRE EN LIBERTÉ, PARCE QU'ILS
NE ME TROUVAIENT COUPABLE D'AUCUN CRIME QUI MÉRITAT LA. MORT. MAIS
LES JUIFS S'Y OPPOSANT. J'AI ÉTÉ CONTRAINT D'APPELER A CÉSAR,
SANS QUE J'AIE DESSEIN NÉANMOINS D'ACCUSER EN AUCUNE CHOSE CEUX
DE MA NATION. C’EST POUR CE SUJET QUE JE VOUS AI PRIÉS DE VENIR
ICI, AFIN DE VOUS VOIR ET DE VOUS PARLER ; CAR C'EST POUR L'ESPÉRANCE
D'ISRAEL QUE JE SUIS LIÉ DE CETTE CHAÎNE ". (CHAP. XXVIII,
VERS. 17-20; JUSQU'A LA FIN DU LIVRE DES ACTES.}
ANALYSE. 1 et 2. Paul s'entretient avec les Juifs de Rome. — Il leur
démontre la vérité du Christianisme par les prophéties.
3. Eloge de saint Paul. — Comparaison de l'éloquence de d'apôtre
avec la mer.
1. C'est bien à propos qu'il convie ainsi les principaux d'entre les Juifs à avoir un entretien avec lui. Il désirait à la fois se justifier lui-même et justifier les autres: lui-même, de peur qu'ils ne l'accusassent et que cela ne leur fît du tort; les autres, de peur qu'il ne semblât que c'était d'eux que dépendait l’issue de toute cette affaire, Car il est vraisemblable que le bruit s'était répandu, qu'il avait été livré par les Juifs; or, cette circonstance suffisait pour, frapper l’esprit des Juifs de Rome. Il va. donc au plus tôt au-devant de cette difficulté, et voyez avec quelle douceur il entame sa propre défense : " Mes frères , quoique je n'eusse rien commis contre le peuple ni contre les coutumes de nos pères, j'ai été fait prisonnier à Jérusalem, et mis entre les mains des Romains ". Après ces paroles, comme il était vraisemblable que quelques-uns de ceux qui l'entendaient allaient dire : " Mais comment croire qu'il ait été livré par eux sans raison ?" il ajoute : " Qui, m'ayant examiné, me voulaient mettre en liberté" ; comme s'il disait : Ils attestent mon. innocence, les magistrats des Romains, lesquels m'ont jugé et voulaient me mettre en liberté. — Mais pourquoi donc ne t'ont-ils pas mis réellement eu liberté? — "Les Juifs s'y opposant" , ajoute-t-il. Voyez-vous comme il atténue leurs fautes? Car s'il eût voulu les aggraver, il n'avait qu'à prendre., à leur sujet, un ton plus vif et plus véhément. Il se contente d'ajouter: "J'ai été contraint d'en appeler à César". Ainsi tout tourne à l'indulgence et art pardon. Ensuite, de peur que l'on ne dise : " Mais quoi ! est-ce donc pour avoir un prétexte de les accuser, que tu en as appelé ? " Il prévient tout malentendu, en ajoutant : " Sans que j'aie dessein néanmoins d'accuser en aucune chose ceux de ma nation ". C'est-à-dire, j'en ai appelé. à César, non pour avoir occasion de les accuser; criais pour échapper au danger qui me menaçait moi-même. Car c'est à cause de vous que je suis chargé de ces chaînes.
288
Tant s'en faut que je sois animé de sentiments de haine à votre égard, qu'au contraire c'est pour vous que je suis chargé de chaînes.
Et eux, que disent-ils? Ils sont tellement gagnés par ce discours, qu'ils parlent comme s'ils cherchaient à se justifier eux-mêmes vis-à-vis de lui, et non-seulement eux-mêmes, mais encore leurs compatriotes. " Ils lui répondirent : Nous n'avons point reçu de lettres de Judée sur votre sujet, et il n'est venu aucun de nos frères de ce pays-là qui nous ait dit du mal de vous. Mais nous voudrions bien que vous nous dissiez vous-même vos sentiments ; car ce que nous savons de cette secte, c'est. qu'on la combat partout (21-22". Comme s'ils disaient : Ni par lettres, ni verbalement, ils ne nous ouf dit aucun mal de vous : toutefois nous voulons vous entendre vous-même à ce sujet. Et ils prennent, les devant quant à la manifestation de leurs propres sentiments, en ajoutant : Ce que nous savons de cette secte, c'est qu'on la combat partout ". Ils ne disent pas : " Nous la combattons ", mais " on la combat", se justifiant ainsi de tout reproche d'opposition. " Ayant donc pris jour avec lui, ils vinrent en grand nombre le trouver dans sa demeure, et il leur prêchait le royaume de Dieu, leur confirmant ce qu'il leur disait par plusieurs témoignages; et depuis le matin jusqu'au soir, il tâchait de leur persuader la foi de Jésus par la loi de Moïse et par les.prophètes. " Les uns croyaient ce qu'il disait, et les autres ne le croyaient pas ". Avez-vous remarqué qu'il ne leur répond pas immédiatement, mais qu'il leur fixe un jour pour venir l'entendre? Et quand ils sont venus, c'est la loi de Moïse, ce,sont les prophètes, qui sont le point de départ et le fondement de ses discours : " Et les uns croyaient, les autres ne croyaient pas. Et ne pouvant s'accorder entre eux, ils se retiraient. Ce qui donna sujet à Paul de leur dire cette parole : C'est avec grande raison que le Saint-Esprit, qui a parlé à nos pères par le prophète Isaïe, a dit : Allez vers ce peuple, et.lui dites : Vous écouterez, et en écoutant, vous n'entendrez pas; vous verrez, et en voyant, vous ne verrez point. Car le coeur de ce peuple s'est appesanti, et leurs oreilles sont devenues sourdes; et ils ont bouché leurs yeux de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n'entendent, " que leur coeur ne comprenne, et que, s'étant convertis, je ne les guérisse (23-27) ". Pendant qu'ils se retiraient en disputant.les uns contre les autres, il leur cite Isaïe, non pour injurier ceux qui ne croient pas, mais pour confirmer dans leur foi ceux qui croient. Que dit Isaïe? Vous écouterez, et en écoutant, " vous n'entendrez point ". Voyez-vous comme implicitement il montre qu'ils sont indignes de tout pardon, puisque; ayant un prophète qui, d'avance, il y a tant de siècles, leur a avancé tout cela, ils. ne se sont pats convertis? Par ces mots : " C'est avec grande raison ", il fait voir que c'est bien justement qu'ils ont été exclus du pardon; de sorte qu'il n'a été donné qu'aux gentils de connaître ce mystère. Et quant à la résistance et à l'endurcissement des Juifs, ils n'ont rien qui doive nous surprendre: Ils avaient été prédits, il y a bien longtemps. Cherchant toutefois à faire naître en eux une sainte.jalousie à la pensée de la conversion des gentils, il ajoute : " Sachez donc que ce salut de Dieu est envoyé aux gentils, et qu'ils le recevront. Lorsqu'il leur eût dit ces choses, les Juifs s'en allèrent, ayant de nouveau de grandes conversations entre eux. Paul ensuite demeura deux ans entiers dans une maison qu’il avait louée, et où il recevait tous ceux qui le venaient voir, prêchant le royaume de Dieu, et enseignant ce qui regarde le Seigneur Jésus-Christ avec toute liberté, sans que personne l'en empêchât. Ainsi soit-il (28, 31) ". Ainsi éclate au grand joule la liberté dont il jouit . lui qu'on avait empêché de prêcher en Judée, prêche à Rome sans. aucun obstacle, puisqu'il y demeure deux ans s'y livrant sans relâche à la prédication.
2. Mais reprenons. " C'est. pour ce sujet, dit-il, que je vous ai priés de venir ici, afin de vous.voir ", c'est-à-dire, j'ai désiré vous voir, afin d'empêcher que le premier vend ne m'accusât devant vous, en vous disant ce qui lui passerait par l'esprit sur les vrais motifs qui m'ont amené ici. Croyez bien que je n'y suis pas venu pour faire du mal aux autres , en évitant moi-même d'en recevoir. Eux lui répondirent : " Nous voudrions bien que vous nous dissiez vous-même vos sentiments ". Voyez comme ils lui parlent ici avec plus de douceur. "Nous voudrions bien", disent-ils; et ils sont disposés à.rendre compte eux-mêmes de leurs propres sentiments sur ces mêmes choses, et c'est pour cela qu'ils sont venus au jour marqué. Mais c'est là une (289) preuve qu'ils se condamnent. formellement eux-mêmes, qu'ils n'ont eu eux-mêmes aucune confiance. S'ils avaient eu cette confiance; ils se seraient .concertés entre eux pour s'emparer de lui; mais comme cette; assurance leur manque, ils mettent une certaine lenteur à se rendre auprès de lui. Et ce qui prouve bien que le coeur leur manquait, c'est qu'ils furent obligés de s'y prendre, à cet égard, à plusieurs reprises. " Et les uns a croyaient ce qu'il disait, et les autres ne le croyaient pas, et ne pouvant s'accorder entre a eux, ils se retiraient " ; c'est-à-dire, que ceux qui refusaient de croire s'en allaient. Remarquez qu'en ce moment ils n'ourdissent pas de complots pour leur tendre des embûches , comme ils l'avaient fait en Judée où ils étaient soumis au joug de la tyrannie. Pourquoi donc Dieu avait-il arrêté dans ses desseins qu'il se rendrait ici, pourquoi lui avait-il crié: " Hâte-toi, sors promptement de Jérusalem? " Pour faire éclater leur méchanceté et la vérité de la prophétie du Christ qui avait annoncé qu'ils ne voudraient pas recevoir ses envoyés; pour que tout le monde sût que Paul était prêt à souffrir; et enfin pour que la manière dont il était traité à Rome en ce moment, servît de consolation aux frères qu'il avait laissés en Judée où il avait souffert tant de maux. Et s'il a été exposé à tous ces maux en développant certains points de la doctrine judaïque, comment auraient-ils toléré qu'il leur prêchât tout ce qui concerne la gloire du Christ?
On ne le supportait pas, quand il se soumettait aux purifications légales.: comment l'eût-on supporté, s'il eût annoncé l'Evangile du Christ ? — Il s'est contenté de se montrer, et cette vue seule les a exaspérés. C'est donc à bon droit que le salut a été procuré aux gentils; c'est à bon droit que l'apôtre a été envoyé dans les pays lointains pour que les gentils reçussent sa parole. Examinez ce qui se passe : il appelle d'abord à lui les Juifs, et ce n'est qu'après qu'il leur a fait connaître sa mission, qu'il se rend chez les gentils. Ces expressions dont il se sert : "Le Saint-Esprit a dit ",n'ont rien qui doive nous surprendre; car les paroles mêmes du Seigneur sont sou vent mises dans la bouche d'un ange : " C'est avec grande raison que l'Esprit-Saint à dit ". Cette expression est permise ici ; elle ne l'est pas quand il s'agit d'un ange. Lorsque nous exposons les paroles qui ont été prononcées par un ange, nous ne disons pas: "C'est avec grande raison que l'ange a dit ", mais: " C'est avec grande raison que le Seigneur a dit ". — Ici nous lisons: "C'est avec grande raison que l'Esprit-Saint a dit " ; comme s'il voulait dire : Ce n'est pas à moi que vous refusez de croire, mais à l'Esprit, et c'est ce que, depuis longtemps, Dieu avait prédit. " M'ayant examiné, dit-il, ils voulaient me mettre en liberté " ; c'est-à-dire qu'ils voulaient me renvoyer absous, n'ayant rien trouvé en moi qui fût digne de condamnation. Et alors qu'il aurait fallu qu'ils l'arrachassent des nains des Romains, tout au contraire ils le leur livrent. Il lui restait encore tant de liberté, qu'ils n'ont pas eu le pouvoir de le condamner, et qu'ils se contentent de le livrer encore tout chargé de chaînes.
" J'ai été contraint d'en appeler à César, sans que j'aie dessein néanmoins d'accuser en aucune chose ceux de ma nation ". C'est-à-dire : ce n'est pas pour attirer de mauvais traitements sur la tête des autres, mais. pour m'en délivrer moi-même que j'ai agi ainsi, et cela, non de mon propre gré, mais contraint et forcé. Voyez quelle familiarité respire dans ses paroles : loin de s'aliéner leurs coeurs, il les attire au contraire à lui par ce mot : " de ma nation ". Par là il se ménage un accès dans leur esprit pour la propagation de sa doctrine. Et il ne leur dit pas : Je n'accuse pas, mais " sans que j'aie dessein d'accuser ", bien qu'il eût tant souffert de leur part en Judée. Voilà pourquoi il ne s'explique pas ouvertement , mais se contente de quelques allusions, et passe outre; car, en ce moment, tout ce qu'il s'attachait à montrer, c'est que les Juifs de Judée l'avaient livré enchaîné aux Romains. Et maintenant c'était à eux (aux Juifs de Rome) à condamner cette conduite; c'était à eux, du moins, à l'accuser, et bien plutôt ils les défendent ; mais par les choses mêmes qu'ils mettent en avant pour cette défense, en réalité ils les accusent. " Ce que nous savons, disent-ils, de cette secte, c'est qu'on la combat partout ". — Mais bien que les choses se passent ainsi, vous n'en croyez pas moins partout ". — " Auxquels il exposait le royaume de Dieu..... par la loi et par les prophètes ". Remarquez qu'ici encore ce n'est pas par des miracles, mais par la loi et les prophètes, qu'il leur ferme la bouché, et que c'est ainsi qu'il fait partout, bien qu'il (290) pût faire des miracles; mais ils n'eussent plus été un objet de foi, et c'était un bien grand miracle que de leur prouver sa doctrine parla loi et les prophètes. Ensuite, pour que vous ne considériez pas comme étrange que les Juifs persistent dans 1eur incrédulité, remarquez qu'il leur cite cette prophétie : " Vous écouterez, et en écoutant vous n'entendrez point; vous verrez, et en voyant vous ne verrez point ". — Et ces deux choses, semble-t-il leur dire, sont l'une et l'autre encore plus vraies qu'elles ne l'étaient alors. — Ces paroles 's'adressent à ceux qui refusaient de croire, et elles n'avaient rien d'injurieux elles se bornaient à prévenir le scandale. " Sachez donc que ce salut de Dieu est envoyé aux gentils, et qu'ils le recevront ". Pourquoi donc avez-vous voulu nous parler? Est-ce que vous ne saviez pas cela d'avance ? — Oui, sans doute, mais je vous rends compte de tout, pour essayer de vous convaincre et pour ôter tout prétexte de m'attaquer moi-même. " Et Paul demeura deux ans entiers..... enseignant avec toute liberté, sans que personne l'en empêchât ". Ce n'est pas sans raison que ces derniers mots sont ajoutés, car la prédication à parfois lieu librement, bien qu'avec certaines gênes. Rien donc ici ne fait obstacle à la liberté de Paul : il parlait sans aucune espèce d'empêchement. " Et Paul demeura deux ans
entiers dans la maison qu'il avait louée ", tant il était appliqué et assidu dans l'accomplissement de sa mission, ou, pour mieux dire, tant il avait à coeur d'imiter son Maître en toutes choses, pourvoyant à son logement à l'aide de soir travail, et non par le travail d'autrui; car c'est là ce. que signifient ces mots : " dans la maison qu'il avait louée ". Et que notre divin Maître n'ait pas eu de maison lui appartenant, c'est ce qui ressort de ces paroles qu'il adresse à celui qui lui a dit (sans trop savoir ce qu'il disait) : Je vous suivrai partout où vous irez : " Les renards ont des tanières, les oiseaux du ciel ont des nids; mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer sa tête ". (Matth. VIII, 20.) Et c'est ainsi qu'il a enseigné par son propre exemple à venir posséder , et à ne pas attacher son coeur aux biens de ce monde. " Et il y recevait tous ceux qui le venaient voir , prêchant le royaume de Dieu". — Remarquez qu'il ne dit mien des choses présentes, et ne parle que du royaume de Dieu. Avez-vous fait attention à la marche que suit ici la divine providence? L'historien arrête ici son récit, et laissé son lecteur tourmenté, pour ainsi dire, par la soif, et obligé de chercher en lui-même ce qu'il veut savoir. C'est ainsi qu'agissent aussi les auteurs profanes ; car, lorsqu'on sait tout, l'esprit se laisse aller à .une sorte de mollesse et de somnolence. C'est donc ainsi que procède l'historien sacré : il ne raconte rien des choses qui out suivi, jugeant cela inutile à ceux qui liront les auteurs qui en ont parlé, et qui y trouveront. Le moyen de suppléer à ce qui manque ici. Car ce qui a suivi devait être en parfait accord avec ce qui a précédé. Ecoutez Paul lui-même écrivant quelque . temps après aux Romains : " Lorsque je ferai le voyage d'Espagne, j'irai vers vous ". (Rom. X, 24.)
3. Voyez-vous comme elle sait tout prévoir cette âme sainte, et, pour ainsi dire, divine de Paul, qui, transporté par la sublimité de son génie , au-delà. même des cieux, est capable d'embrasser en même temps toutes choses, de ce Paul dont le nom seul, pour ceux qui le connaissent, suffit pour exciter l'âme à la vigilance, pour la réveiller du plus profond assoupissement? Rome l'a reçu chargé de chaînes, au moment où il vient de traverser les mers; sauvé du naufrage,. il vient pour la délivrer , d'un autre naufrage, celui de l'erreur. Car c'est, pour ainsi dire, comme un roi victorieux à la suite d'un combat sur mer, qu'il a fait son entrée dans cette splendide et royale cité: C'est de cela qu'il voulait parler, quand il écrivait : " Je viendrai, et nous jouirons d'une consolation mutuelle dans la plénitude de la consolation de l'Evangile ". (Rom. XV, 29.) Et,encore : " Je m'en vais, à Jérusalem pour remplir mon ministère envers les saints ". (Ibid. V, 25.) C'est-à-dire, comme il 1'a dit dans notre texte : " Je suis venu pour faire des aumônes à ma nation ": (Act. XXII, 17.) Mais déjà approchait le moment où il devait recevoir la couronne promise : Rome l'a reçu chargé de chaînes : elle le. verra couronné, elle entendra son nom proclamé avec honneur. " Là, dit-il, nous jouirons d'une consolation rituelle " (Rom. XV, 32) ; en ce moment je pars pour remplir à Jérusalem mon ministère. Tel est le point de départ de la nouvelle carrière qu'il va parcourir glorieusement, et où, invincible par la foi, il élèvera trophées sur trophées. Corinthe le retint deux (291) ans, l'Asie trois ans, et deux ans à Rome, où il était venu pour la seconde fois, quand il y termina sa vie mortelle. " La première fois, dit-il, que j'ai défendu ma cause, nul ne m'a assisté ". (II Tim. IV, 16.) Nous venons devoir comment il échappa à ses ennemis : ce ne fut qu'après qu'il eût. rempli l'univers entier de la parole évangélique, qu'il vint y finir sa vie.
Que voulez-vous apprendre touchant les choses qui ont suivi ? Elles ne sont pas différentes de celles qui précèdent : des chaînes, des tortures, des combats, des prisons, des embûches, des .délations, les bourreaux faisant, chaque jour, de nouvelles victimes. N'avez-vous pas aperçu déjà une petite partie de ce tableau? Représentez-vous tout le reste d'après cela.
Si vous attachez vos regards sur une partie déterminée du ciel, en quelque lieu que vous alliez ensuite, vous apercevrez la même chose. De même, si vous ne voyiez qu'en partie les rayons du soleil, vous pourriez, d'après cette impression, vous représenter l'image de cet astre. Ainsi en est-il de Paul. Vous avez vu une partie de ses actes : tous les autres leur ressemblent; c'est-à-dire qu'en tous vous ne ,trouvez qu'angoisses et périls. Paul était comme un autre ciel, bien supérieur au nôtre, puisqu'il était tout illuminé par le soleil de justice qu'il portait en lui, et non par ce soleil vulgaire. Croyez-vous donc que ce soit là peu de chose? Pour moi, je ne le.crois pas. Lorsqu'on parle de l'apôtre , immédiatement tout le monde songe à Paul; lorsqu'on parle de " Baptiste ", tout le monde songe à Jean. A quoi pourrait-on comparer son éloquence ? A la mer, à l'océan? Mais il n'y a aucune parité. Les flots de sa parole sont bien plus pressés, ils sont bien plus limpides, et en même temps bien plus profonds que ceux de la mer. Pour donner une idée de l'âme de Paul, il faudrait la comparer à la fois au ciel et à; la mer, à l'un pour sa pureté, à l'autre pour sa profondeur. Cette mer ne sert pas à porter les navigateurs d'une ville dans une autre; elle les porte de la terre au ciel; et celui qui se confie à ses flots sera sûr de naviguer avec un vent favorable. Sur cette mer les vents ne se déchaînent pas; à leur place, c'est le souffle divin du Saint-Esprit qui enfle les voiles et conduit les âmes au port. Il n'y a ici ni soulèvement des vagues, ni écueils, ni monstres
marins : le calme le plus profond y règne. Cette mort est plus tranquille et plus sûre que quelque port qu'on puisse imaginer ; les flots qu'elle roule ont l'éclat et la transparence même du soleil : cette mer ne renferme, dans ses abîmes, ni des pierres précieuses, ni le mollusque, non moins précieux, dont on extrait la pourpre ; elle renferme des trésors bien plus riches. Celui qui veut descendre au fond de cette mer, n'a pas besoin de plongeur ; ni de quelque autre artifice que ce puisse être : il n'a besoin que d'une grande philosophie : il y trouvera tous les biens que renferme le royaume des cieux. Que dis-je ? Il pourra lui-même devenir roi, étendre sa domination surie monde entier, et monter au faîte des plus grands honneurs. Sur cette mer, le navigateur n'éprouvera aucun naufrage, parce qu'il saura tout, et dans la perfection.
Mais il arrive, sur cette mer comme sur l'autre, que ceux qui s'y risquent sans aucune expérience, y trouvent la mort; c'est en effet le sort qui attend, les hérétiques qui tentent ce qui est au-dessus de leurs forces. Il faut connaître la profondeur de cette mer avant. de rien tenter. Avant donc de nous y embarquer, ceignons . nos reins avec le plus grand soin. " Je n'ai pu, dit-il; vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des personnes encore charnelles ". (I Cor. III, 1.) Que celui qui manque de patience, n'entreprenne pas cette navigation. Ayons soin de nous pourvoir d'avance de tout ce qui est nécessaire, je veux dire : du zèle, de la ferveur, des prières; ce n'est que par ces moyens que nous pourrons tranquillement traverser les eaux vives de cette mer. Celui qui tient en main, pour sa défense, un glaive d'acier fortement trempé, est, pour ainsi dire, inexpugnable ; il en est ainsi de celui qui connaît Paul : son âme est si fortement trempée, qu’elle résiste à toutes les attaques. Mais ce n'est qu'à l'aide d'une vie pure que l'on peut comprendre les pensées de Paul. Voilà pourquoi il a dit lui-même : " Vous êtes comme des personnes à qui on ne devrait donner que du lait, parce que vous êtes devenus faibles et lents pour entendre ". (Hébr. V, 11, 12.) Il existe, en effet, pour l'entendement une sorte d'infirmité. De même que l'estomac, quand il est malade , ne saurait recevoir les aliments, quelque sains qu'ils soient, s'ils sont de difficile digestion, de même l'âme enflée par (292) l'orgueil, énervée, frappée de.stérilité , devient incapable de recevoir la parole spirituelle. Vous vous rappelez que les disciples disaient à Notre-Seigneur : " Ce discours est dur; qui donc pourra l'entendre?" (Jean, VI, 61.) Mais si l'âme était forte, si elle était dans un état sain, tout lui deviendrait léger, tout lui deviendrait facile; ses facultés s'exalteraient; elle s'élèverait jusqu'à d'incommensurables hauteurs. Convaincus de cette vérité, donnons à notre âme cette belle santé : qu'une sainte émulation nous anime à imiter Paul, cette âme vaillante; cette âme de diamant ; afin que, marchant sur ses traces, nous puissions traverser cet océan de la vie présente, aborder à ce port dont rien ne trouble la tranquillité, et obtenir ainsi les biens promis à ceux qui vivent d'une manière digne du Christ, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec lequel, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit , maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
Ces six dernières Homélies ont été traduites par M. RICARD.
FIN DES HOMÉLIES SUR LES ACTES DES APÔTRES.
Bravo à http://www.abbaye-saint-benoit.ch/bibliotheque.htm pour l'édition numérique originale des oeuvres complètes de Saint Jean Chrysostome - vous pouvez féliciter le père Dominique qui a accompli ce travail admirable par un email à portier@abbaye-saint-benoit.ch pour commander leur cd-rom envoyez 11 Euros à l'ordre de Monastère saint Benoit de Port-Valais Chapelle Notre-Dame du Vorbourg CH-2800 Delémont (JU)