LIVRE PREMIER: CONTRE LES CLERCS
QUI LOGENT DES VIERGES CHEZ EUX.
ANALYSE. Un abus étrange s'est
introduit dans l'Église ; on voit des ecclésiastiques et
des vierges habiter ensemble sous le même toit. Ceux qui commettent
cette irrégularité ont beau vouloir se justifier, on peut
les défier d'apporter aucune raison plausible. La volupté
est la seule et unique cause de ces cohabitations plus voluptueuses qu'un
mariage légitime. Vive peinture de cette volupté. Je
suppose, dit saint Chrysostome , ces sociétés aussi innocentes
qu'on veut bien le dire, elles sont encore très-pernicieuses à
cause du scandale qu'elles donnent. Le scandale est un péché
toutes les fois que l'action qui le produit n'est pas plus avantageuse
que nuisible. Exemple de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et de saint
Paul. Or, de quelle utilité sont ces sociétés?
Nous verrons qu'elles ne sont d'aucune utilité , qu'elles sont même
très-nuisibles soit aux fidèles qui en sont scandalisés,
soit aux clercs, soit aux vierges. Vous, qui habitez avec une vierge,
vous êtes fort ou faible ; si vous êtes faible, quittez cette
société pour vous-même; si vous êtes fort, quittez-la
pour les autres. Votre force n'est qu'imaginaire, votre faiblesse seule
est réelle : voyez plutôt le saint homme Job, voyez saint
Paul lui-même, l'un et l'autre se trouvaient faibles pour combattre
la volupté, avez-vous la prétention d'être plus fort
qu'eux? Comprenez la parole de Jésus-Christ : Qui potest capere
capiat. Il est moralement impossible que la cohabitation n'allume pas
la concupiscence. Vous voilà donc convaincu , vous êtes
forcé d'avouer que rien ne vous fait rester avec une vierge , excepté
la concupiscence et la volupté. Qu'avez-vous à objecter
pour votre défense? Mais une vierge a besoin de protection pour
sa personne et pour ses biens. Mauvaise raison. La protection que vous
exercez sur la personne de cette vierge ne fait que la perdre pour l'éternité
et vous-même avec elle. Quant à celle que vous exercez sur
ses biens, elle est tout à fait indigne d'un soldat de Jésus-Christ.
Votre objection n'est pas sincère, vous n'agissez point par charité;
car la charité ne fait acception de personne, et votre prétendue
protection ne s'étend que sur les vierges. Pourquoi cette prédilection?
Mais les femmes ont plus besoin de secours que les hommes. Cette raison
ne vaut pas mieux que l'autre. Les femmes qui sont accablées de
vieillesse et d'infirmités ont encore plus besoin d'aide que celles
qui sont jeunes et qui se portent bien, et vous ne secourez que celles-ci.
Je vais plus loin et je soutiens que quand même votre charité
ne trouverait aucune autre occasion de se déployer, vous devriez
vous abstenir de l'exercer en faveur de filles jeunes et belles. Le bien
que vous pouvez faire ainsi n'égale pas le scandale que vous causez.
Celui qui pèche sans scandaliser personne encourt une peine. moindre
: vérité prouvée par un exemple de Moïse. Ne
dites pas qu'une jeune fille vous est nécessaire pour prendre soin
de votre maison. La maison d'un ecclésiastique ne doit pas être
assez considérable pour exiger une intendante. Quand même
vous auriez besoin de quelqu'un pour cette charge, un frère vous
conviendrait mieux. Vive et spirituelle satire. Conduite aussi ridicule
que dégradante de ces clercs à l'égard des vierges,
dans l'intérieur des maisons, et jusqu'à l'église.
Après la correction qui est sévère, hardie, véhémente,
ironique, satirique, vient l'exhortation ; elle est pleine de douceur,
de charité, d'onction ; elle est pressante, amicale, paternelle.
Saint Chrysostome a, dans cet écrit, quelque chose de l'âpreté
de saint Jérôme. Cette remarque est de M. l'abbé
Martin.
1. Nos ancêtres ne connaissaient
que deux motifs pour lesquels l'homme habitait avec la femme : l'un est
ancien et juste et conforme à la raison, c'est le mariage qui a
été institué par Dieu, suprême législateur:
Pour cela, en
1 C'est le Traité de la Providence,
adressé à Stagyre, qui devrait se trouver à cette
place; un accident, que nous n'avons pu prévoir, nous oblige à
le renvoyer plus loin ; c'est une erreur toute matérielle qu'il
suffit de signaler pour qu'elle n'existe plus.
effet, dit le Seigneur, l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à son épouse, et ils seront deux en une seule et même chair. (Gen. II, 24.) L'autre est plus nouveau, il est condamnable et contraire à la loi, c'est la fornication qui s'est introduite par la malice du démon. Dans ce siècle on voit naître une troisième manière nouvelle et étrange. il ne serait pas facile d'en (92) découvrir la cause. Quelques-uns, en effet, prennent dans leurs maisons des jeunes filles encore vierges, les enferment et les entretiennent jusqu'à un âge très-avancé , et cela, non pour avoir des enfants , car ils disent n'avoir point de commerce charnel avec elles, ni pour satisfaire leur passion, puisqu'ils assurent qu'ils les conservent vierges. Si on leur demande le motif d'une telle conduite , ils répondent qu'ils en ont plusieurs; mais, faux prétextes; pour moi , je crois qu'ils n'ont aucune raison qui soit honnête ou même sérieuse. Cependant nous ne parlerons pas encore de la valeur de ces raisons; nous dirons auparavant ce que nous soupçonnons être le motif principal de cette conduite. Et quel est-il donc ? A coup sûr, si je m'éloigne du but, vous pouvez me répondre. Où trouver la vraie raison qui explique une manière d'agir si singulière?
Il me semble qu'il y a toujours quelque plaisir pour un homme à cohabiter avec une femme, je ne dis pas seulement en vivant selon la loi du mariage, mais même en dehors de cette loi et sans commerce charnel. Cette pensée est-elle juste? je ne puis le dire, je vous expose mon sentiment, et ce n'est peut-être pas seulement le mien, mais aussi celui des hommes que j'attaque ; oui, tel est leur sentiment, cela est manifeste: jamais ils ne négligeraient à ce point leur réputation, jamais ils ne causeraient un si grand scandale, si dans cette manière de vivre ils ne trouvaient pas quelque volupté secrète dont le charme puissant les enchaîne et les captive. Quelques-uns nous entendent peut-être avec peine tenir un pareil langage; je les prie de me pardonner et de ne pas s'indigner, car ce n'est pas sans répugnance et non plus sans réflexion que je m'expose à leur ressentiment. Je ne suis ni assez insensé, ni d'une humeur assez fâcheuse pour vouloir blesser tout le monde sans sujet; mais quelle douleur, quelle angoisse de voir la majesté de Dieu outragée et le salut de tant d'âmes compromis par cette décevante volupté, courant funeste dont les ondes enchantées glissent fatalement vers l'abîme ! Je prétends donc que ce commerce n'est pas sans douceur , je soutiens même qu'il allume, entre les personnes qui y vivent, une flamme plus ardente que le mariage entre les époux. Etrange langage, direz-vous d'abord; mais, quand je vous l'aurai démontré, vous serez de mon avis.
En effet, le commerce avec une épouse légitime n'étant pas défendu apaise la concupiscence , et souvent même en éteignant une flamme d'abord trop vive, éloigne de ce commerce l'époux rassasié.
L'enfantement et les douleurs qui l'accompagnent , la naissance et l'éducation des enfants , les fréquentes maladies qui en sont la suite, tout cela brise le corps, bientôt on voit se faner les fleurs de la première jeunesse et l'aiguillon de la volupté s'émousser. Il n'en est pas de même d'une vierge; ici, point de commerce charnel qui calme la nature ardente et en brise la fougue ; point d'enfantement douloureux, point de soins pénibles donnés aux enfants, qui usent le corps et en flétrissent la beauté, le corps conserve sa première vigueur loin de tout contact qui pourrait l'épuiser. Les femmes mariées, en devenant mères et en nourrissant leurs enfants, vieillissent vite, s'affaiblissent promptement. Les vierges conservent jusqu'à l'âge de quarante ans leur jeunesse et leur verdeur, elles pourraient rivaliser encore avec celles qui vont prendre un époux. Ceux qui habitent avec elles sont comme brûlés de deux feux, d'une part leur ardeur n'est point éteinte par le commerce charnel, puisqu'il leur est interdit, de l'autre le foyer de la concupiscence est toujours là qui s'embrase de plus en plus.
Telle est, je soupçonne, la cause de cette cohabitation. Mais pas d'indignation, pas d'emportement; ne blessons personne , celui qui veut guérir un malade n'agit point avec colère ni par des moyens violents, il présente le remède avec beaucoup de précaution et avec des paroles pleines de douceur. Si notre but était de punir, et si nous remplissions les fonctions de juge, nous devrions nous indigner; mais si, laissant de côté le rôle du juge qui punit, nous voulons être le médecin qui guérit, nous devons exhorter, conjurer et, si cela est nécessaire, nous jeter aux genoux des coupables, pour arriver au but que nous nous sommes proposé. Un médecin veut-il éloigner les malades d'une nourriture, d'une boisson nuisible, bien que cette nourriture, cette boisson , renferment une certaine douceur, il leur persuade qu'elles sont non-seulement nuisibles , mais même désagréables. Ainsi devons-nous agir en leur montrant que cette cohabitation, bien qu'elle paraisse douce et agréable, est funeste et non moins dangereuse qu'un breuvage (93) mortel. Elle paraît procurer beaucoup de plaisir, mais au fond quelle amertume pour cette âme qui met son bonheur dans la volupté !
Le renoncement à une mauvaise habitude n'est sérieux et durable que lorsqu'il est le fruit de la persuasion. Lorsque c'est la crainte ou la nécessité qui sépare quelqu'un d'une personne aimée , la passion s'en augmente encore et un retour est presque inévitable. L'homme qui se défait d'une habitude par la conviction qu'il a acquise qu'elle est nuisible et remplie de désagréments, cet homme est bien converti, la sentence de condamnation portée par lui-même , en pleine connaissance de cause, contre ce qu'il a quitté est plus forte que toute contrainte extérieure. Comment donc persuaderons-nous à ceux pour qui nous écrivons, que la cohabitation avec une vierge est un abus non-seulement funeste, mais même amer? comment? sinon par la nature même des choses. Si quelqu'un, pouvons-nous leur dire, devant une table somptueuse, chargée de viandes variées et exquises, défendait avec dès menaces terribles de toucher aux mets qui sont servis, qui est-ce qui voudrait s'asseoir à cette table et devenir ainsi son propre bourreau? Personne à mon avis; la vue des mets causerait moins de jouissance que la défense d'y toucher ne causerait de peine. Si quelqu'un montrait à un homme dévoré d'une soif ardente une fontaine aux eaux pures et limpides et lui défendait d'en boire, même d'y tremper l'extrémité de ses doigts, pourrait-on imaginer un supplice plus affreux?
2. Ici je ne pense pas avoir de contradicteur, ce supplice est si grand que les païens eux-mêmes, qui savent si bien ce que c'est que la volupté et la peine, voulant représenter des hommes en proie à de fortes souffrances, imaginent précisément une fiction de ce genre. Dans cette fable, il est question de quelqu'un qui mérite d'être puni par les plus cruels supplices : on place devant lui des mets de toutes sortes, il voit couler des ruisseaux limpides, et on lui interdit l'usage de tout cela. Etend-il la main, tout ce qu'il voit s'enfuit et s'enfuit toujours. Telle est la fiction relative à ce genre de tourment imaginé par les païens. (Xénophon. Apomnemon I, 3, 9.)
Un philosophe (Xén. X), voyant un de ses amis embrasser un fort bel enfant, s'écria tout étonné : voilà un homme qui sè précipiterait volontiers dans le feu, lui qui n'a pas craint
d'allumer, par ce baiser, un si grand incendie dans son coeur. Pour moi, je ne veux pas dire que les hommes dont je parle se permettent des baisers ou des attouchements sur les vierges qui habitent avec eux; supposons cependant que des calomniateurs osent l'avancer, et prouvons qu'en se permettant de telles libertés, ils ne feraient qu'accroître leur tourment. Le regard seul cause déjà une si vive douleur ! Si vous y joignez les attouchements, ce plaisir, plus grossier que le plaisir produit par le regard, allume aussi une flamme plus ardente, cause une douleur plus aiguë et.excite plus violemment la passion devenue plus terrible qu'une bête farouche. Plus nous donnons d'aliments au foyer de la concupiscence , plus grandes sont nos souffrances; et de même que celui qui, assis à une table ou sur le bord d'une fontaine, doit se contenter de regarder, est moins tourmenté que celui qui peut toucher sans pourtant goûter; ainsi, ceux qui sont à même de se procurer certains attouchements sur des vierges sont plus tourmentés par cet attouchement que par le simple regard; le toucher rendant la privation plus pénible.
Et qu'est-il besoin d'emprunter nos raisonnements aux fictions païennes, lorsque nous pouvons établir cette vérité sur un jugement de Dieu même? Lorsque le Seigneur veut punir Adam de sa désobéissance, est-ce loin du paradis terrestre, qu'il l'envoie fixer sa demeure ? non, c'est tout près de ce lieu de délices qu'il lui ordonne de rester, afin que la vue continuelle du bonheur qu'il a perdu par sa faute, excite en lui une plus cuisante douleur de son péché. Mais, va sans doute m'objecter quelqu'un, si c'est quelque chose de si amer que d'habiter avec une femme, comment se fait-il que la plupart s'y attachent avec tant d'ardeur? Voici ma réponse : Cette recherche ardente ne prouve qu'une chose, c'est que ces hommes sont malades et à l'extrémité : ainsi agissent les malades, pour un petit rafraîchissement, pour un plaisir d'un moment, ils s'exposent à prolonger et à augmenter leur mal chacun le peut constater dans les fiévreux ; ils ne veulent pas se priver pour quelque temps du soulagement bien court que procurent un mets, une boisson défendue, et ils tombent dans une maladie longue et difficile à guérir. Mais ceux qui se portent bien ne doivent pas se conduire comme ceux qui sont malades; (94) autrement et la médecine et la saine philosophie les condamnent.
Cela n'arrive pas seulement à ceux que dévorent la fièvre ou l'amour et ses flammes impures, mais aussi à ceux que la soif des richesses ou toute autre passion tourmente. Voyez un avare : il n'ignore pas que des biens infinis sont réservés à ceux qui distribuent aux pauvres ces trésors périssables et de si peu de valeur, et pourtant avec quelle âpre vigilance il les garde ! avec quel soin il les enfouit ! Un fugitif et misérable plaisir qui doit être suivi d'un supplice éternel, d'une part; de l'autre, la privation de quelques froides satisfactions, ayant pour conséquence assurée une félicité sans terme comme sans mesure, voilà ce qui s'offre à son choix, et c'est le premier lot qu'il préfère !.. C'est précisément ce qui arrive aux hommes que j'attaque ici, ils n'ont pas le courage de priver leurs yeux d'un plaisir rapide et vain et ils allument en eux des flammes insupportables ! plus ils s'imaginent se procurer de plaisir, plus ils sont malheureux; le démon, avec un artifice digne de sa malice , fait en sorte, pour augmenter et prolonger cet incendie, que ces malheureuses victimes jouissent et souffrent en même temps, leur procurant, pour les tromper, je ne sais quel adoucissement dans leur torture.
3. Mais j'entends déjà quelqu'un condamner mes paroles et m'accuser d'exagération. La cohabitation n'offre pas de si graves inconvénients pour des hommes vraiment dignes de ce nom. Heureux ceux qui sont tels, s'il y en a ! Combien je voudrais avoir leur force ! Cependant je suis disposé à tout croire, même que de pareils hommes peuvent exister ! Mais auparavant je voudrais que nos censeurs pussent nous persuader qu'un jeune homme plein de sève et de vigueur, habitant avec une fille vierge encore , et assis à ses côtés , mangeant avec elle, avec elle s'entretenant familièrement tout le jour, et, pour ne rien dire de plus, se laissant aller à une gaieté désordonnée, à des éclats de rire immodérés, à des paroles doucereuses et à d'autres choses que la modestie m'empêche de dire, qu'un jeune homme, comprenez bien, habitant la même maison, s'asseyant à la même table, là où règne une grande liberté de paroles, là où se font sans cesse des échanges mutuels, un jeune homme ne sera surpris par aucune affection humaine, qu'il sera pur de toute jouissance criminelle, de toute concupiscence ! Oui, que ceux qui nous accusent me démontrent cela. Mais ils ne veulent pas être instruits, et quand nous donnons des preuves pour nous justifier, ils crient contre nous à l'impudence; nous sommes, disent-ils, pris de la même maladie qu'eux et nous ne voulons que cacher notre malice.
Que nous importe, répondez-vous, ce que l'on peut dire? Nous ne sommes pas coupables des faiblesses des autres, et si quelqu'un se scandalise à tort, nous ne serons pas punis pour ce scandale des faibles. Ah ! tel n'est pas le langage de saint Paul, l'Apôtre ordonne d'avoir compassion de la faiblesse de celui qui se scandalise même à tort. Pour que le scandale soit exempt de châtiment, il faut que les suites en soient plus avantageuses que nuisibles. S'il en est autrement, si, en dehors de tout bon résultat, les autres sont scandalisés soit pour quelque raison, soit sans raison, soit parce qu'ils sont faibles , leur perte nous sera imputée et Dieu nous redemandera compte de ces âmes ainsi perdues. A ce sujet, pour que nous ne nous croyions pas dispensés, dans tous les cas, d'avoir égard à ceux pour qui nous pourrions être une occasion de scandale, le Christ nous a tracé certaines limites et donné des règles; car il a agi en cela, tantôt d'une manière et tantôt d'une autre, selon que le demandaient les circonstances.
Il parlait un jour de la nature des aliments et disait qu'ils n'avaient rien d'impur en soi, afin de nous affranchir des observances judaïques; Pierre entra et dit : Ils se scandalisent. (Math. XV, 12, 14.) Laissez-les, répondit le Sauveur. Et non-seulement il n'en tint pas compte, mais il les accusa: Tout arbre que n'a, pas planté mon Père céleste, sera arraché. (Ibid. V, 13.) Et ainsi il abolit la loi qui défendait l'usage de certaines viandes. Mais voici ceux qui réclamaient l'argent de l'impôt. Ils s'approchent de Pierre en lui disant : Votre Maître ne paie pas le tribut. (Math. XVII, 23.) Alors il n'agit pas comme auparavant, mais il s'abstint du scandale et dit: Pour ne pas les scandaliser, jette l'hameçon dans la mer, prends le premier poisson qui se présentera, tu trouveras dans sa bouche une pièce de monnaie : prends-la et donne-la pour toi et pour moi. (Ibid. V, 27.) Voyez-vous comment tantôt il évite le scandale, et tantôt, non. Dans ce dernier cas en effet, (95) il n'importait pas beaucoup que la gloire du Fils unique de Dieu fût manifestée; n'a-t-il pas cherché dans d'autres circonstances, à la couvrir comme d'un voile, défendant à la multitude de dire qu'il était le Christ? Il n'y avait pour lui aucun inconvénient à payer le tribut; mais que de malheurs s'il avait refusé de le payer ! On se serait éloigné de lui comme d'un tyran, comme d'un rebelle, comme d'un ennemi de sa patrie capable d'attirer sur elle les derniers malheurs. Aussi, quand on veut l'enlever et le faire roi, il s'enfuit et il craint que la multitude ne s'arrête à cette opinion. Dans le premier cas, il avait ses raisons pour agir comme il agit, pour ne tenir aucun compte du scandale. Il agissait en vue d'un bien beaucoup plus important que le mal qui pourrait résulter du scandale. Il convenait en effet parfaitement en ce temps, que ceux qui aspiraient à une plus haute perfection ne fussent pas arrêtés par les prescriptions judaïques; il fallait avant tout songer à la pureté du coeur, ne pas s'embarrasser des observances légales, et laisser de côté le soin minutieux de ces choses purement extérieures.
Imitateur du divin Maître, tantôt saint Paul tient compte du scandale , tantôt il néglige d'y faire attention : Je cherche , dit-il , à plaire à tous en toutes choses , ne recherchant pas ce qui m'est utile, mais ce qui est utile à tous, afin qu'ils soient sauvés. (I Cor. X, 33.) Si donc Paul dédaigne son utilité personnelle pour s'occuper de ce qui est utile aux autres, de quels châtiments ne serons-nous pas dignes, si nous refusons d'être utiles à nos frères, lorsqu'il ne faudrait pour cela que rompre avec une habitude dangereuse pour nous-mêmes, si nous prenons plaisir à nous perdre, nous et les autres, tandis que nous pourrions procurer le salut des autres et nous sauver en même temps qu'eux? En un mot, toutes les fois que l'Apôtre prévoit que l'action qu'il va faire sera plus profitable que dommageable, il passe outre, sans s'occuper de ceux qui se scandaliseront. S'aperçoit-il qu'il n'y a aucun avantage à espérer d'une action, et que le seul résultat sera le scandale, alors pour que le scandale n'arrive pas, il est disposé à tout faire et à tout souffrir. Et il ne discute pas sur tout cela comme vous. Il ne dit pas : pourquoi sont-ils faibles? pourquoi se scandalisent-ils sans raison? Mais il est surtout indulgent envers ceux qui sont assez faibles pour se scandaliser sans raison.
4. Dites-moi donc quel motif raisonnable peut alléguer celui qui se scandalise en voyant manger de la viande et boire du vin? Est-ce que Dieu ne l'a pas permis dès l'origine? Et pourtant, si quelqu'un se scandalise à ce sujet, Paul s'abstient: Je ne mangerai pas de viande, dit-il, je ne boirai point de vin, de peur de scandaliser mon frère. (I Cor. VIII, 13.) Il ne dit pas comme nous tout à l'heure : « Suis-je donc responsable de la faiblesse d'autrui? Un homme faible trouve l'occasion de se scandaliser, est-ce donc moi qui dois subir le châtiment? » Et en parlant de la sorte, son raisonnement eût été plus juste que le nôtre, car, se scandaliser pour ces sortes de choses, c'est de la folie et de l'extravagance. Mais pour les choses dont je parle, on peut donner des motifs, et en grand nombre, et des motifs légitimes qui valent la peine d'être examinés.
Oui , si Paul eût voulu , il aurait mis en avant des raisons plus fortes que les nôtres; il n'en dit rien, il ne voit qu'une chose : le salut du prochain. Et voyez avec quelle force il s'exprime: il ne dit pas une fois ou deux, il rie détermine pas de temps, mais : Jamais, dit-il, je n'en mangerai, un autre est scandalisé. Et n'allez pas croire qu'il s'arrête là, il va encore plus loin. Après avoir dit: Il est bon de ne pas manger de viande et de ne pas boire de vin (Rom. XIV, 21); il ajoute : Ni de faire quoique ce soit qui serait pour ton frère une pierre d'achoppement, une cause de scandale ou de défaillance. Et remarquez encore la sagesse de notre grand docteur. Laissant le faible, il commence par réprimander le fort. Car celui qui est fort est cause de la faiblesse de l'autre, parce qu'il peut corriger sa faiblesse et qu'il ne le fait pas. Et qu'est-il besoin de parler des frères qui sont faibles ? Il veut qu'on prenne les mêmes précautions avec les juifs et les païens : Ne soyez pas, dit-il, un sujet de scandale pour les juifs et les païens, ni pour l'Eglise de Dieu. (I Cor. X, 32). Ainsi, plus vous vous dites fort, plus vous prétendez ne courir aucun danger en habitant avec des vierges, plus vous êtes obligé de rompre ce lien ; plus vous êtes fort, plus il est juste que vous aidiez le faible à ne pas tomber. Ainsi donc , si vous êtes faible, à cause de votre faiblesse, cessez de cohabiter. Si vous êtes fort, cessez de cohabiter à cause de la faiblesse d'autrui. Celui qui est fort doit (96) l'être non-seulement pour lui, mais encore pour les autres. Si, en vous disant fort, vous méprisez la faiblesse d'autrui, vous serez doublement puni, et parce que vous n'avez pas épargné sa faiblesse, et parce que vous avez assez de force pour en avoir compassion. Chacun de nous est responsable du salut de son prochain; et voilà pourquoi il nous est ordonné de chercher non-seulement notre intérêt, mais encore celui des autres (I Cor. X, 24) ; nous avons été rachetés à un très-baut prix (I Cor. VI, 20) ; et notre rédempteur nous a imposé cette loi pour l'utilité commune de nos âmes. Certainement c'est déjà beaucoup de se sauver soi-même, néanmoins ce n'est pas tout; il faut encore aider les autres à opérer leur salut.
Les plus beaux raisonnements que vous pourrez faire seront inutiles, vos oeuvres vous condamneront, ainsi que le dommage qui résultera pour vous de la présence continuelle d'une jeune fille dans votre maison. Quand je vois que rien ne peut vous arracher à cette habitude, que vous ne tenez pas compte des choses qui peuvent vous causer tant de dommage, que vous ne vous rendez pas après tant de reproches; que vous foulez aux pieds jusqu'à votre réputation, que vous soulevez contre l'Eglise des haines violentes, que vous faites sortir le blasphème de la bouche des païens, et que vous accréditez partout les bruits les plus infamants; quand je vois cette cohabitation produire de si grands maux sans aucun bien; quand je réfléchis qu'il suffirait de rompre cette communauté de vie pour faire disparaître tous ces maux et attirer toutes sortes de biens, et qu'en présence de tout cela vous refusez de changer de conduite, comment puis-je persuader aux autres que vous êtes exempt de toute affection coupable et pur de toute mauvaise concupiscence ?
Allons plus loin, admettons que vous restiez pur en partageant votre habitation avec une jeune fille; voyez Job, ce bienheureux patriarche ne présumait pas autant de sa force et de sa sagesse. Il avait montré un courage à toute épreuve, il avait rompu tous les filets du démon ; il avait fait preuve d'une vertu extraordinaire, plus fort par sa chasteté que le fer et le diamant, il avait épuisé la puissance du démon, et pourtant il redoutait une semblable lutte et regardait tellement comme impossible de garder son coeur pur et intact en habitant
avec une vierge, qu'il voulut se soustraire non-seulement à toute cohabitation, mais à tout regard, à tout commerce, et qu'il fit avec ses yeux un pacte absolu pour s'interdire même un regard sur une vierge ; il savait, en effet, et il savait parfaitement qu'il est difficile , peut-être même impossible, de ne pas tomber dans le mal, je ne dis pas en habitant avec une vierge, mais en se permettant sur elle un regard curieux. Aussi il disait : Je ne veux pas même penser à une vierge. (Job. XXXI, 1.)
Et si Job ne vous paraît pas une autorité suffisante quoiqu'en réalité nous ne soyons pas dignes de son fumier, cependant si vous pensez que son exemple ne soit pas en rapport avec votre grandeur d'âme, rappelez-vous l'admirable prédicateur de la vérité, Paul, qui a parcouru l'univers tout entier et qui a pu dire ces paroles pleines d'une si grande sagesse : Je ne vis plus, mais Jésus-Christ vit en moi (Gal. II, 20) ; Je suis crucifié au monde et le monde est crucifié pour moi (Ib. VI,14) ; et encore : Je meurs chaque jour. (I Cor. XV, 31.) C'est cet homme comblé de tant de grâces, victorieux en tant de luttes , éprouvé par tant ;de dangers, modèle de prudence et de sagesse, c'est lui qui nous déclare, qui nous affirme que tant que nous respirerons dans cette prison de chair, il nous faudra combattre et travailler, parce que la continence ne se garde pas sans combat, parce que ce beau triomphe de la chasteté ne s'obtient qu'à force de sueurs et de travaux. Ecoutez ses paroles : Je châtie mon corps et je le réduis en servitude, dans la crainte qu'après avoir annoncé l'Evangile aux autres, je ne sois moi-même réprouvé. (I Cor. IX, 27.) Aveu manifeste des révoltes de la chair, de l'ardeur de la concupiscence, des luttes continuelles de l'Apôtre et d'une vie qui n'était qu'un combat de tous les instants.
Le Christ lui-même ne montre-t-il pas combien cette vertu est difficile, lorsqu'il ne permet même pas de regarder le visage des femmes, lorsqu'il menace du supplice des adultères ceux qui se permettent ces regards. Une autre fois, Pierre ayant fait la réflexion qu'il n'était pas avantageux de se marier (Matth. XIX, 10.), le Seigneur, dans sa réponse, ne va pas jusqu'à faire une loi du célibat et de la virginité, mais il insiste encore sur cette difficulté de la vertu de chasteté : Que celui qui peut y atteindre, y atteigne, dit-il. (Ibid. XII.)
Ne savons-nous pas que de nos jours des (97) hommes se lient avec une chaîne de fer; se couvrent d'un sac, se réfugient sur le sommet des montagnes, passent leur vie dans des jeûnes et des veilles continuelles, s'astreignant à la plus sévère discipline , interdisant à toute femme l'entrée de leur cellule, et se mortifiant rudement, et que, malgré tout cela, ils ont beaucoup de peine à éteindre le feu de la concupiscence ? Et l'on veut qu'en voyant un homme habiter avec une vierge, ne pouvoir s'en séparer, se plonger dans les délices, aimer mieux perdre son âme que cette compagne, être prêt à tout faire, à tout souffrir plutôt que de se séparer de cet objet de son amour; on veut, dis-je, que nous ne soupçonnions aucun mal, que nous voyions en cela non un ouvrage de la concupiscence, mais une oeuvre de piété !
O l'homme étonnant ! Mais, pour être capable de cette naïveté de sentiments, comme de cette pureté d'intention, c'est avec les rochers qu'il faut vivre et non dans la société des hommes. Peut-être ne le croirez-vous pas à cause de votre extraordinaire chasteté : cependant, j'ai entendu dire que des hommes se passionnaient pour des statues de pierre ! Si une vaine représentation, une figure inanimée et froide produit une telle impression, quelles ardeurs n'allumera pas la vue d'un vrai corps, joignant à la beauté des formes tout le charme du sentiment et de la vie ! Quoi que vous disiez pour vous défendre , on croira vos accusateurs plutôt que vous , parce qu'ils ont pour eux la vraisemblance. L'homme éprouve-t-il pour la femme un désir naturel, ou non? De quel côté est la vraisemblance? évidemment du côté de ceux qui soutiennent que ce désir existe. Quand, malgré tant de motifs qui poussent à renoncer à ces cohabitations, vous ne voulez pas vous rendre, quand vous vous jetez résolument dans cet abus, malgré le déshonneur et les désagréments qui vous attendent pour tout avantage, que faut-il vraisemblablement en conclure? Que vous agissez avec une bonne intention ou avec une mauvaise? A mon avis, on dira sans hésiter que votre intention n'est pas bonne.
Toutefois, nous ne voulons point trop approfondir; admettons que les scandales dont vous êtes loccasion n'ont point de motif réel: Veuillez me dire pourquoi vous avez une jeune fille dans votre maison. L'affection et l'amour, tel est le motif ordinaire de cette cohabitation. Otez l'amour , la cohabitation n'a plus de raison d'être. Quel homme, en effet, voudrait, sans ce motif impérieux, supporter les faiblesses, les caprices et toutes les autres imperfections d'une femme ? C'est pourquoi Dieu a donné à la femme une arme spéciale, la beauté,, sachant bien qu'elle serait méprisée si elle n'exerçait pas cette sorte d'empire, et qu'aucun homme exempt de passions ne voudrait s'unir avec elle. Si, maintenant qu'elles sont si indispensables, puisqu'elles servent à la propagation de l'espèce humaine, qu'elles gouvernent l'intérieur de la maison, et rendent encore beaucoup d'autres services, elles sont néanmoins souvent méprisées et chassées de la famille; comment, sans l'attrait de la concupiscence , pourriez-vous les aimer , surtout quand elles attirent tant d'opprobres sur vous? Avouez donc la cause de cette cohabitation, ou vous me forcerez à en soupçonner une, c'est-à-dire une coupable concupiscence , ou une honteuse volupté.
Mais quoi ! si nous pouvons, direz-vous, apporter une cause juste et raisonnable, n'aurez-vous pas parlé en vain? C'est évident, mais je vous défie d'alléguer aucun motif légitime ; néanmoins, parlez, je veux être instruit. Avez-vous seulement l'ombre d'un prétexte? Cette vierge, dites-vous, est sans défense, elle n'a ni époux ni tuteur, souvent même ni père ni frère; elle a besoin de quelqu'un qui lui tende la main, la console dans sa solitude et ses peines, lui fasse un rempart de sa personne contre ses ennemis , et la mette en sûreté comme dans un port à l'abri des tempêtes de la vie.
De quelle sûreté, je vous le demande, me parlez-vous ? Quel est ce port, cet asile ? Je vois bien une digue, mais elle ne met pas à l'abri des tempêtes, elle les excite au contraire; elle ne repousse pas l'effort des vagues , mais elle soulève des orages terribles qui sans elle ne seraient pas à craindre. Et vous ne rougissez pas, et vous ne voilez pas votre visage en vous défendant de la sorte ! Quand même, de ce ministère que vous prétendez remplir, il ne résulterait ni accusation, ni perte quelconque, ni scandale; quand vous pourriez vous en acquitter tout en conservant votre réputation pure de tout soupçon, ne serait-ce pas encore une tâche indigne de vous, que de grossir la fortune de ces jeunes filles, de les entretenir elles-mêmes dans l'amour de l'argent, de les lancer au milieu des affaires , de les former (98) aux occupations mondaines , en remplissant près d'elles les fonctions, d'intendants, de procurateurs, d'avocats? Pourrez-vous parler de la pauvreté et conseiller le mépris des richesses, vous qui faites profession d'enseigner comment l'on garde son bien, comment on l'augmente, comment l'on entasse revenus sur revenus, vous qui vous êtes faits trafiquants, banquiers pour l'amour de ces jeunes filles; c'est bien inutilement que vous le ferez, je vous en avertis.
Que vos espérances sont petites ! Ne devons-nous pas porter la croix et suivre le Christ? et vous, rejetant la croix comme de lâches soldats qui abandonnent leur bouclier, vous prenez la quenouille et la corbeille, rentrant ainsi par une porte d'ignominie dans la vie du monde à laquelle vous avez renoncé. Quand on est marié, on peut sans honte s'occuper de ces soins, mais quand on est censé avoir renonce au monde , quelle hypocrisie et par conséquent quelle honte d'y rentrer sous un autre nom ! Je ne m'étonne pas de la réputation qui vous est faite, de gourmands, de flatteurs, de parasites, d'esclaves des femmes , puisque, mettant de côté la noblesse que nous avons reçue du ciel, nous l'échangeons contre la servitude et la bassesse des choses de la terre. Jadis des hommes, vraiment grands et généreux ceux-là, refusèrent d'administrer les biens des veuves, nonobstant les murmures qui éclatèrent à cette occasion, et regardant une pareille occupation comme au-dessous de la dignité de leur ministère, ils la confièrent à d'autres. Et nous, nous ne rougissons pas de vouer notre existence à grossir la fortune des autres, même au détriment de leur salut , de nous ravaler ainsi au rang des eunuques que ces soins regardent, nous à qui il a été commandé de porter tous les jours dans nos mains notre vie et notre âme pour toute arme contre nos ennemis.
Quoi donc, dites-vous, on enlèvera les biens des vierges; elles seront ruinées, circonvenues par leurs parents, leurs amis, les étrangers et les serviteurs, et nous verrons cela avec indifférence ! Belle manière de témoigner à cette vierge combien nous apprécions le sacrifice qu'elle a fait en renonçant au mariage, en méprisant le monde, en préférant Jésus-Christ à tout, que de la laisser exposée sans défense aux embûches de ceux qui voudront la dépouiller de ses biens. Combien il vaudrait mieux pour elle qu'elle se mariât et vécût avec un époux qui administrerait ses biens, que de rester vierge en déchirant le pacte de son alliance avec Dieu, en déshonorant par une conduite mondaine une profession si sainte et si honorable, et en entraînant dans le même naufrage et les autres et elle-même ! Comment pouvez-vous dire qu'elle préfère le Christ à tout, puisque le Christ dit bien haut : Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent (Math. VI, 94) ; qu'elle méprise le monde et les biens présents, puisque vous lui conseillez de se passionner pour les plaisirs? Comment pourrez-vous exhorter une femme mariée à mépriser les richesses, vous qui en amassez pour une vierge ? et cette vierge elle-même, comment pourrez-vous la laisser unie constamment à Dieu, lorsque vous consumez votre vie et dépensez toute votre activité pour ses affaires temporelles ? Comment une vierge pourra-t-elle s'adonner à l'étude de la sagesse, quand elle vous verra, vous homme, vous indigner, vous irriter pour la moindre atteinte portée à ses intérêts pécuniaires ? Comment pourra-t-elle supporter avec résignation une perte d'argent, quand elle vous verra tout faire et tout souffrir pour augmenter sa fortune ? Ce n'est pas ainsi que Dieu veut nous voir délivrés de ces soucis ; il veut que nous méprisions les richesses et que nous renoncions à tout ce qui est de la vie présente; mais vous ne voulez pas que la loi de Dieu règne, vous ne le souffrez pas !
Mais quoi ! ajoutez-vous , si cette vierge a besoin de secours, si elle souffre de mauvais traitements? N'est-ce pas quelque chose de bien peu digne de son état? Il y a quelque chose de plus indigne encore d'une vierge, c'est de s'enrichir et de se jeter dans le tourbillon, les affaires temporelles.
Si elle exige encore quelque chose de plus, comme par exemple prêter à intérêt et qu'elle nous supplie de faire ce commerce, ne serons-nous pas répréhensibles de lui refuser un service qu'elle ira demander ailleurs? Bien plus, si elle se lance dans des spéculations indignes de sa condition et que, sur notre refus d'y coopérer, elle traite avec des étrangers, ne méritons-nous pas des- reproches? Nullement, vous serez digne d'éloges; vous ne mériteriez le blâme qu'en rendant vous-même ce coupable service. Vous voulez que nul ne puisse lui enlever ses richesses, ni la dépouiller, conseillez-lui de les déposer dans (99) le ciel, c'est un lieu où elle n'aura pas besoin d'un homme pour veiller à leur conservation. Si elle veut administrer ses biens. Pourquoi plaisanter en matière sérieuse? Etre vierge et agir ainsi, c'est jouer un jeu de mort. Quand elle s'expose à toutes ces luttes, et qu'elle se livre à des soins peu dignes d'elle, elle encourt la peine la plus grande, la plus terrible vengeance. N'avez-vous pas entendu la loi posée par Paul, ou plutôt par le Christ parlant par la bouche de Paul, lorsqu'il distingue l'une de l'autre la femme mariée et la vierge chrétienne, pour imposer à celle-ci des obligations particulières? Que celle qui n'est pas mariée, dit-il, pense aux choses du Seigneur, afin qu'elle soit pure et de corps et d'esprit. (I Cor. VII, 34.) Or, cette méditation des choses divines, vous en détournez les vierges par l'assiduité et la servilité des soins dont vous les entourez; attentif à leurs moindres désirs , vous êtes plus complaisant pour elles que des esclaves qu'elles achèteraient de leur argent.
Après cette première objection, sur laquelle vous passez condamnation, vous en faites une seconde et vous dites : pour ce qui est des jeunes filles riches, vous avez raison , nous n'avons rien à répondre; mais celles qui sont dans la misère, jusqu'à être obligées de mendier, quel crime y a-t-il de les en tirer?
Fasse le ciel qu'en les délivrant d'une misère, vous ne les précipitiez pas dans une autre plus terrible ! Si c'est par obéissance pour Celui qui a ordonné de secourir les pauvres, que vous agissez comme vous faites, vous avez une infinité de frères à soulager : la matière ne manquera pas à un si beau zèle; exercez la charité quand vous n'aurez pas à craindre de scandaliser quelqu'un; lorsque l'aumône produit le scandale, elle devient une cruauté et une barbarie. Où donc est l'avantage quand, en nourrissant le corps, vous perdez l'âme? quand, en donnant un vêtement, vous faites soupçonner une nudité plus honteuse que celle que vous cachez? lorsque, en servant les intérêts du corps, vous dissipez les trésors de l'âme? lorsque, en faisant prospérer les biens de la terre, vous compromettez l'héritage céleste? quelle aumône que celle qui insulte à la gloire de Dieu, que celle qui provoque les opprobres, la honte, les injures, les sarcasmes de la part des personnes scandalisées, quelquefois même de la part de celles que vous prétendez servir et soulager. Une telle aumône part non d'une âme compatissante , mais d'un coeur cruel et inhumain. Si vous agissiez par charité et par compassion, vous feriez de même pour tous les hommes indistinctement.
Les femmes, dites-vous, ont plus besoin de protection. Les hommes ont des ressources qu'elles n'ont pas. Vous ne faites pas attention que, parmi les hommes, beaucoup sont plus faibles que les femmes, tant à cause de leur grande vieillesse , qu'à cause de leur mauvaise santé, de la mutilation de leurs membres, ou d'autres infirmités. Mais enfin, puisque vous aimez mieux prendre soin des femmes, parce qu'elles sont en général plus faibles et que vous êtes pour elles plus miséricordieux et plus compatissant, vous ne serez pas sans trouver l'occasion de les soulager; nous vous en indiquerons, auxquelles vous pourrez faire du bien, sans être blâmé et même avec l'espérance d'une grande récompense. Il y a des femmes accablées de vieillesse, privées de l'usage de leurs mains, aveugles, affligées de mille autres manières, surtout pauvres, et la pauvreté est plus pénible à supporter que la maladie; un extrême dénuement produit les maladies du corps, et la pauvreté elle-même devient, par la maladie, plus lourde, plus insupportable.
Recherchez ces pauvres femmes , rassemblez-les, ou plutôt vous n'aurez pas pour cela beaucoup de peine à prendre : tout le monde les voit, elles sont toutes prêtes pour quiconque veut leur tendre une main secourable. Si vous avez des trésors, donnez-les pour les soulager; si vous êtes fort, robuste, aidez-les par vos soins et votre travail. Vous trouverez là de quoi employer, et la force de votre corps, et l'argent de votre bourse; vous ne manquerez même pas de démarches à faire. Il faudra leur procurer une demeure, leur préparer des remèdes, des lits, des vêtements, une bonne nourriture et bien d'autres choses. Ne seraient-elles que dix malades, vous aurez de quoi exercer votre zèle; or, notre ville en est remplie, on les compte par milliers. Les voilà, celles qui ont besoin de secours, celles qui sont désolées, celles qui sont là étendues à terre; voilà une aumône bien placée, voilà le cas de montrer de l'humanité , voilà ce qui procure la gloire de Dieu; voilà une charité utile, et à ceux qui en sont témoins, et à ceux qui la reçoivent, et à ceux qui la font. N'est-il pas plus juste d'aider les plus faibles de préférence (100) à celles qui sont plus fortes, celles qui sont âgées plutôt que les jeunes, celles qui manquent même du nécessaire avant celles qui possèdent quelque chose, celles qui inspirent l'horreur plutôt que celles qui sont aimées de tout le monde, celles qui sont accablées d'outrages plutôt que celles qui peuvent repousser l'insulte et se faire respecter?
Montrez donc que vous agissez pour Dieu, secourez ces infortunées. Si vous ne voulez pas même les voir en imagination, si vous continuez de vous mettre à la piste de celles qui sont jeunes et belles, expliquant cette recherche honteuse par une excuse que l'on ne peut accepter, mettant en avant un prétexte plus spécieux que vrai, c'est-à-dire, la protection de ces vierges, vous pourrez bien tromper les ,hommes, mais il n'en sera pas de même de Dieu , ce Juge que des présents ne peuvent corrompre; car le motif qui vous fait agir n'a rien de commun avec le prétexte que vous alléguez. Vous faites tout cela pour Dieu, dites-vous, et vous faites les oeuvres des ennemis de Dieu; car, être cause que le nom de Dieu est blasphémé et injurié, c'est bien l'oeuvre des ennemis de Dieu.
Je veux encore faire une autre supposition. Admettons que ceux que j'attaque disent vrai, qu'ils sont exempts de toute concupiscence, et qu'ils ne s'occupent du soin de ces vierges que par des motifs de piété, même dans cette supposition, je ne les trouve pas encore à l'abri de tout reproche, de tout châtiment. Quand même on n'aurait pas d'autre occasion pour exercer la charité, on ne devrait pas l'exercer dans des conditions, où la perte est plus considérable que le profit. Or, convient-il de négliger, pour les affaires temporelles d'une vierge ou deux, le salut d'une multitude infinie d'âmes? Non, sans doute, et un pareil acte de charité mériterait un blâme sévère. Vous avez mille autres occasions d'exercer votre piété , de l'exercer sans scandale et avec profit pour vous-même et pour les autres, pourquoi donc vous créer inutilement des embarras, et chercher le moyen le plus difficile, le plus funeste et le plus scandaleux de faire le bien quand vous pouvez le faire sans peine, sans danger et avec gloire ? Ne savez-vous pas que la vie du chrétien doit briller par toutes ses faces et que celui qui ternit sa gloire en quelque point sera partout, inutile et qu'il ne pourra rien gagner, quelques efforts
de vertus qu'il fasse? Car, si le sel devient fade, dit Jésus-Christ, avec quoi salera-t-on? (Math. V, 13.) Dieu veut que nous soyons le sel de la terre , une lumière, un levain, afin que nous puissions être utiles au monde. Si des hommes irréprochables peuvent à peine convertir les âmes paresseuses, comment ceux dont la conduite a donné prise à la médisance ne seraient-ils pas coupables de la perdition de ces mêmes âmes? Après le crime, rien ne conduit plus sûrement à la damnation que le déshonneur.
Laissez-moi vous dire quelque chose qui vous étonnera peut-être. Quelqu'un qui pèche gravement, mais dans le secret et sans scandaliser personne, subira un châtiment moindre que- celui qui pèche plus légèrement , mais avec effronterie et en causant le scandale. Et pour que cette parole cesse de vous étonner, pour que vous ne la croyiez pas contraire à là vérité, je vous montrerai que cette sentence vient du ciel et que cette loi a été portée par Dieu même. Le bienheureux Moïse était le plus doux des hommes qui furent sur la terre, l'ami de Dieu, le plus grand des prophètes, et Dieu, qui a parlé aux autres par figures, a parlé à Moïse comme un ami à son ami. Ce grand homme qui fut si longtemps dans le désert, qui passa par tant d'épreuves , dont la vie fut si souvent en danger au milieu des Egyptiens persécuteurs de son peuple, et au milieu de ce peuple ingrat qu'il avait délivré de la servitude, une seule chose l'empêcha, après tant de fatigues et de si grandes actions, d'entrer dans la terre promise : le scandale qu'il avait donné à ceux qui étaient avec lui près du rocher d'où jaillirent les eaux miraculeuses.
C'est ce que Dieu nous donne à entendre quand il dit : Parce que tu ne m'as pas cru pour faire éclater ma sainteté devant les enfants d'Israël, à cause de cela tu ne feras point entrer ce peuple dans la terre que je lui ai donnée. (Nom. XX, 12.) Et pourtant en plusieurs circonstances il avait été moins obéissant encore; il résista à Dieu plusieurs fois, soit lorsqu'il l'envoyait en Egypte, soit plus tard dans le désert, lorsqu'il disait avec un sentiment d'incrédulité : Ils sont au nombre de six cent mille, et vous avez dit : Je leur donnerai la viande et ils mangeront autant qu'ils voudront. Mettra-t-on à mort les brebis et les bufs, ou bien (101) rassemblera-t-on tous les poissons de la mer pour leur suffire? (Nom. XI, 21, 22.) Une autre fois encore il se montra difficile, il refusait de conduire le peuple. Mais rien ne le rendit indigne des récompenses dues à ses travaux que le scandale auquel il avait donné lieu près du rocher des Eaux.
En elle-même cette faute était plus légère que les précédentes , mais comme elle fut accompagnée de scandale, elle fut jugée plus considérable. Les premières étaient pour ainsi dire particulières, commises en secret, mais celle-ci était publique, commise en présence du peuple tout entier. Dieu l'insinue dans le reproche qu'il fait à Moïse : Parce que tu n'as pas fait éclater ma sainteté devant les enfants d'Israël. Ces paroles noms découvrent la nature du péché et nous montrent pourquoi il n'a pas été pardonné. Si le scandale a fait ainsi punir un homme tel que Moïse, comment ne nous perdra-t-il pas, nous, misérables vermisseaux, hommes de rien? Ce qui excite au plus haut point la colère de Dieu, c'est de voir son nom outragé. Il le fait sentir à chaque instant dans les reproches qu'il adresse aux Juifs. Mon nom, dit-il, est profané (Isaïe, XLVIII, 11), et encore: Vous profanez mon nom (Mal. I,12), et ailleurs : A cause de vous mon nom est blasphémé parmi lés nations. (Isaïe, LII, 5.) Et Dieu a tellement à coeur de prévenir ces outrages faits à son saint nom, qu'il sauve quelquefois ceux qui ne le méritent pas, afin que ce péché ne soit pas commis : Je l'ai fait, dit-il, pour que mon nom ne soit pas outragé, et encore : Ce n'est pas pour toi que je le fais, maison d'Israël, mais c'est pour que mon nom ne soit pas blasphémé. (Ezéch. XX, 9, et XXXVI, 22.)
Saint Paul désirait être anathème pour la gloire de Dieu, Moïse lui-même demandait à être rayé du livre de vie pour l'honneur du nom de Dieu. Quant à vous, non-seulement vous ne voulez rien souffrir pour empêcher ce blasphème, mais vous faites tout ce qui dépend de vous pour y porter les hommes; c'est votre application de tous les jours. Qui donc vous excusera? qui vous pardonnera? personne au monde. Si Dieu lui-même, si les saints ont tant à coeur que le Nom Divin ne soit pas outragé, ce n'est pas que Dieu ait besoin d'être glorifié par nous, il est parfait, et il se suffit à lui-même, mais c'est qu'il n'est rien de plus funeste aux hommes qu'une offense faite à sa majesté. Quand le nom de Dieu est outragé parmi les hommes, quand sa gloire est foulée aux pieds, Dieu ne fait plus rien pour eux. Si Dieu ainsi outragé retire son secours , à quoi serons-nous utiles, nous, hommes misérables?
Faisons donc tout notre possible pour ne donner lieu à aucun scandale; si nous sommes en butte à des accusations dénuées de fondement, ne laissons pas néanmoins de nous justifier, e imitons les saints qui avaient tant de zèle pour la gloire de Dieu qu'ils lui sacrifiaient la leur.
Rejetant, foulant aux pieds les raisons qui vous accusent, ne croyez pas qu'il vous suffise pour vous défendre de dire : Nous achetons à une vierge des vêtements, des chaussures, nous lui fournissons tout ce qui est nécessaire à son entretien : où est notre crime? Qui donc, dites-vous encore, veillerait sur notre maison? qui s'occuperait de nos biens? qui présiderait pendant notre absence, puisque nous n'avons pas de femmes qui se chargent de ces soins? Oui, ils osent donner ces raisons plus honteuses que les premières, outre que la contradiction est évidente. Mais peu leur importe, ils n'en rougissent pas plus que des hommes ivres qui disent tout ce qui leur vient à la bouche. Bien qu'une pareille défense ne mérite de ma part qu'un dédaigneux silence, je veux encore y répondre; je ne me lasserai pas de leur dire la vérité avec douceur, jusqu'à ce que je les aie ramenés, s'il est possible, à la raison. J'ai honte, en effet, je rougis quand j'essaie de réfuter ces raisons que nos contradicteurs ne rougissent pas, eux, de nous donner. Il faut cependant, oui, il faut supporter cette effronterie pour le bien de ceux qui ne savent pas rougir. Ne serait-il pas absurde, par suite d'une fausse honte, de ne pas s'occuper d'eux, alors que nous les blâmons de compter pour rien le scandale qu'ils donnent aux autres?
Parlez, quel besoin si pressant avez-vous d'une gouvernante dans votre maison? Avezvous acheté, tout récemment, des essaims de jeunes filles barbares qu'il faille instruire dans l'art de travailler la laine ou dresser à d'autres fonctions? Votre demeure regorge-t-elle d'une grande quantité de provisions et de vêtements, et faut-il que des yeux vigilants protègent ces richesses contre la malice des serviteurs? Avez-vous des festins à préparer du matin jusqu'au soir? Est-il nécessaire que la (102) maison soit toujours décorée et prête à recevoir les convives? Faut-il qu'une vierge surveille les cuisiniers et dirige les serviteurs? On fait donc chez vous des dépenses considérables? il faut donc toujours quelqu'un qui soit là pour tout garder avec le plus grand soin, pour qu'on ne laisse rien sortir de la maison -sans contrôle ?
Non, rien de tout cela. Elle s'occupe des dépenses journalières , des vêtements et autres menus détails; elle apprête convenablement la table, arrange le lit, allume le feu, lave les pieds et rend les autres services de ce genre. Et c'est à de si minces avantages que vous sacrifierez votre réputation et votre honneur ! Et combien un frère remplirait toutes ces fonctions et mieux et plus habilement ! Naturellement un homme est plus fort qu'une femme; pour le service, on a plus de liberté avec lui et son entretien est moins dispendieux. Une femme est plus délicate, a besoin d'un lit plus doux, d'un vêtement plus fin , et peut-être même encore d'une autre femme pour l'aider. Elle nous rend moins de services qu'elle ne nous en demande. Rien de tout cela avec un frère. Ses besoins sont les mêmes que les nôtres, grand avantage pour des personnes vivant ensemble, et dont un homme se prive quand il habite avec une femme.
Qu'elle ait besoin de prendre un bain, qu'elle soit malade, un frère, si hardi, si téméraire qu'on le suppose, n'osera lui rendre les services que réclame son état et la jeune fille ne pourra se suffire à elle-même. Ces services, des frères qui habitent ensemble peuvent très-bien se les rendre. S'agit-il de se livrer au sommeil, quand une jeune fille est dans votre maison, deux lits sont nécessaires, deux couvertures, et même si vous saviez vous respecter, deux appartements. Mais pour deux frères, un train de maison si considérable n'est pas nécessaire : une chambre, un oreiller, un lit, les mêmes couvertures suffisent à tous deux; en somme , si on veut entrer dans ces détails, on trouvera autant d'inconvénients et d'embarras d'un côté, que de facilités et d'avantages de l'autre. Encore je laisse de côté la question d'honneur et de bienséance.
Quel spectacle en effet quand on entre dans l'habitation d'un célibataire, de voir des souliers de femme suspendus, des ceintures et des coiffures, des paniers de toutes les dimensions, des aiguilles, des peignes, des fuseaux et mille autres choses que je ne puis énumérer en détail. S'il s'agit d'une femme riche, quel inventaire plus considérable et qui prête encore plus à rire ! Voyez cet homme, tout seul au milieu d'une troupe de jeunes filles. N'a-t-il pas l'air d'un chanteur qui dirige un choeur de danseuses? Quoi de plus honteux, de plus déshonorant? Une femme a besoin d'une foule de choses pour sa toilette, il faut que tout soit prêt à point, nécessité donc de faire marcher les domestiques, et pour cela il faut les gronder toute la journée; le malheureux s'en acquitte à se rompre les poumons. S'il néglige de le faire il s'expose à des réprimandes; quelle alternative ! s'il ne gronde pas, il est grondé lui -même, s'il gronde , il se déshonore. Il ne devrait pas s'occuper de choses temporelles, et il s'occupe de choses qui n'appartiennent qu'aux femmes. Le voilà qui porte aux orfèvres des vases à l'usage des femmes, qui va de temps en temps s'informer si le miroir de madame est prêt, si la jatte est terminée, si l'on a rendu le flacon. La corruption en est venue au point que les vierges ont besoin de plus d'objets de toilette que les femmes du monde. De là il ira à la boutique du parfumeur s'enquérir des parfums de madame, souvent même, emporté par son zèle, il ne craindra pas de faire affront à un pauvre. Les vierges se servent donc de parfums précieux et de tout genre? Oui ! De la boutique du parfumeur il ira chez la lingère, puis chez le tapissier. Pourquoi les femmes craindraient-elles de charger de ces petits soins des hommes qu'elles trouvent toujours si dociles et si obéissants, des hommes qui reçoivent leurs ordres de meilleure grâce qu'ils ne reçoivent les services des autres? Il y a encore la tente portative elle a besoin de réparations, et nos complaisants de rester jusqu'au soir sans manger dans les boutiques des artisans, pour les faire faire, ces urgentes réparations.
Du reste, cette excessive complaisance n'a rien qui me surprenne; mais comment se fait-il qu'elle se change en rigueur outrée pour les malheureux serviteurs qu'ils fatiguent de leurs ordres multipliés , et qu'ils injurient pour mieux les stimuler? Jugez à combien de plaintes tout cela donne lieu ! Le serviteur maltraité pour des choses de cette nature, ne pouvant se venger autrement, le fait par des coups de langue et par. de secrètes médisances : il n'épargne rien de ce qui peut assouvir (103) son ressentiment; il se venge avec le peu de réserve qu'il est facile de supposer dans un serviteur sous le coup de tels reproches, et qui n'a que cette vengeance pour toute consolation.
Celui qui garde chez soi, une vierge sans fortune, n'est pas exposé, il est vrai, à traiter avec les orfèvres non plus qu'avec les parfumeurs ; la pauvreté ne le permet pas : mais il faut toujours voir les cordonniers , les tisserands, les teinturiers, etc... Et qu'est-il besoin de peindre l'inconvenant trafic auquel ils descendent, quand ils vont par les maisons pour vendre de la chaîne et de la trame, ou sur la place publique pour en acheter. Voilà pour l'intérieur, au dehors c'est bien pire.
L'église est aussi témoin de leur honte, encore plus grande là que partout ailleurs. C'est comme une nécessité qu'aucun lieu n'ignore leur opprobre et leur dégradante servitude; et ils étalent leur impudence aux yeux de tous jusque dans ce lieu saint et terrible ! Ce qu'il y a de plus fâcheux, c'est qu'ils tirent vanité de ce qui devrait les faire rougir. Ils reçoivent ces femmes à la porte de l'église, et, remplissant les fonctions des eunuques, ils écartent la foule devant elles; ils les précèdent avec un orgueil qui s'étale à tous les regards, ils ne rougissent pas, ils se glorifient au contraire. Ils montrent leur complaisance pour elles, jusque dans le moment saint et redoutable où se consomment les divins mystères, sans craindre de scandaliser ceux qui les entourent. Quant aux vierges elles-mêmes, ces malheureuses, ces femmes de scandale, au lieu de s'opposer à ces démonstrations, elles en font gloire et n'en deviennent que plus hardies. Pourrait-on imaginer une injure plus flétrissante, que celle qu'ils se font à eux-mêmes par cette impudence, condamnée par de si nombreux témoins, et cette conduite inconvenante, exposée à tant de regards ! Qu'est-il besoin de dire combien de personnes dans l'église sont scandalisées à leur sujet, combien négligent les choses saintes et les exercices de piété, dans la crainte de les irriter ! Et quelle susceptibilité ! Un. regard trop peu bienveillant qu'on a lancé , un sourire qu'on a refusé, suffisent pour exciter leur colère et leur ressentiment; ils oseront éclater, ils risqueront tout plutôt que de passer sur ce qu'ils regardent comme une injure à leur protégée.
Mais jusqu'à quand nous-mêmes souillerons-nous nos lèvres du récit de ces turpitudes? Notre dessein n'est pas de tout raconter; cela nous entraînerait trop loin , et quand même nous voudrions tout dire, nous ne le pourrions pas, puisque nous sommes déjà si longs en recueillant seulement quelques faits çà et là. J'aurais même voulu omettre ces quelques détails, mais, malgré moi, j'ai été forcé de les rappeler, afin de corriger ceux de mes lecteurs qui ont de l'intelligence et du coeur. Il ne me reste plus maintenant qu'à recourir aux prières et aux, supplications.
Je vous conjure, je vous supplie, je me jette à vos genoux, je vous prie avec là plus vive instance, laissez-vous persuader. Sortons de notre égarement; soyons maîtres de nous-mêmes et reconnaissons l'honneur que Dieu nous a fait ; écoutons la voix de Paul : Ne soyez pas esclaves des hommes (I Cor. VII, 23) , et cessons d'être les esclaves des femmes pour notre perte et pour la leur. Le Christ veut que nous soyons des soldats courageux, des athlètes ; il ne nous a pas pourvus d'armes spirituelles pour être les hommes d'affaires de je ne sais quelles filles, pour nous occuper de laines, de tapisseries ou d'autres choses de ce genre, pour rester assis auprès de femmelettes qui tissent et filent, pour passer ainsi le jour entier; laissant amollir nos âmes aux paroles des femmes et leurs moeurs s'introduire dans nos habitudes; il nous les a données, au contraire, pour que nous triomphions des puissances invisibles qui nous font la guerre, pour que nous frappions le démon qui est le chef de nos ennemis, pour que nous chassions les redoutables phalanges des esprits de ténèbres , que nous renversions leurs remparts; pour que nous traînions en esclavage les puissances et les maîtres du monde, les princes des ténèbres, que nous mettions en fuite les esprits de malice; pour que nous respirions la flamme céleste et que nous soyons prêts à mourir chaque jour.
Voilà pourquoi le Seigneur nous a revêtus de la cuirasse de la justice et ceints de la ceinture de vérité ; c'est pour cela qu'il a placé sur notre tête le casque du salut, chaussé nos pieds des sandales de lApostolat , de la bonne nouvelle et de la paix, remis dans nos mains le glaive spirituel et allumé dans nos coeurs lé feu divin. Voyez ce soldat avec le casque , les bottes , la cuirasse , le glaive , la lance, le bouclier, les javelots, les flèches, le (104) carquois; déjà la trompette éclatante a sonné et appelé au combat, déjà les ennemis furieux se précipitent et s'efforcent de renverser la ville de fond en comble ; ce soldat, dis-je, voyez-le, non pas s'élancer au combat, mais entrer dans la maison , s'asseoir tout armé auprès d'une femme; si vous le pouviez, ne le transperceriez-vous pas de votre glaive, sans même daigner lui adresser un reproche ? Si vous êtes transporté d'une telle colère, comment pensez-vous que Dieu soit disposé envers celui qui se conduit encore plus indignement? Le désordre que j'attaque est plus honteux, plus absurde, que celui auquel je le compare, parce que la guerre est plus importante, les ennemis plais terribles, les récompenses plus belles, en un mot, parce qu'il y a entre ces deux ordres de choses la même différence qu'entre l'ombre et la réalité.
Ainsi, ne laissons pas nos courages s'amollir et nos forces s'épuiser dans ces conversations qui font à notre âme un mal considérable, un mal profond. Et que serait-ce donc si, à notre insu, l'amour venait nous enivrer? Le comble de notre malheur, c'est que sans comprendre ce qui nous énerve, nous devenons cependant plus mous que la cire la plus molle. Si quelqu'un saisissait un lion superbe, à l'il farouche, lui rasait la crinière, lui brisait les dents, hua coupait les griffes, le rendait tout honteux, ridicule, et le mettait dans un tel état, qu'un enfant pourrait facilement s'emparer de cet animal terrible, dont le seul rugissement naguère ébranlait les déserts, il aurait devant lui une image des hommes que les femmes prennent dans leurs filets et livrent sans difficulté au démon comme une vile proie. Ils deviennent faibles, emportés, effrontés, imprudents, colères, cruels, rampants, téméraires, lâches, badins, en un mot, ils ont tous les vices des femmes dont ils subissent la domination.
Non, il est impossible qu'un homme qui se plaît tant avec les femmes et qui ne sort pas d'une atmosphère si énervante ne soit pas un coureur, un être ignoble; toujours errant sur les marchés. Ouvre-t-il la bouche, c'est pour parler de laines et de tapisseries ; il devient bavard comme une femme; toutes ses actions sont marquées au coin de la plus grande bassesse; loin de lui , bien loin, la liberté chrétienne; il n'est bon à rien d'élevé, à rien de grand. Il est déjà incapable de s'occuper utilement des choses temporelles, civiles, à plus forte raison des choses spirituelles qui sont si grandes et qui réclament des esprits tellement supérieurs, qu'il faut, pour y atteindre, les vertus des anges ! Corrompus par les vierges, ces hommes les corrompent à leur tour. Car, autant ces clercs sortent de leur condition pour plaire à ces vierges, autant celles-ci s'éloignent, en demeurant avec des hommes , de la voie qui leur convient; ils se perdent ainsi mutuellement.
Ces femmes se parent avec plus de recherche, soignent leur mise, leur tournure, tout leur extérieur; elles s'occupent toute la journée de bagatelles qui ne sont nullement permises; s'apercevant que les hommes aiment avec passion ces moeurs pleines de mollesse et ces conversations frivoles et efféminées, elles mettent tout leur soin à les charmer par là de plus en plus, à resserrer toujours davantage les noeuds qui les enchaînent.
Allons, un peu de courage, revenons à nous , soyons maîtres de nous-mêmes, et nous gagnerons à Dieu ces personnes, nous nous sauverons nous-mêmes, ainsi que beaucoup d'autres avec nous; autant notre exemple a perdu d'âmes, autant notre exemple en sauvera, et nous en serons récompensés. Ce qui faisait notre honte, servira à notre honneur, à notre gloire. Pourquoi, dites-le moi, voulez-vous être admiré des femmes? il est tout-à-fait indigne d'un homme spirituel de rechercher cet honneur; j'ajoute que le moyen de l'acquérir, c'est de ne pas le rechercher. L'homme est ainsi fait, qu'il méprise ordinairement ceux qui font trop d'efforts pour lui plaire et qu'il admire ceux qui n'ont pas coutume de le flatter. Cela est vrai surtout pour les femmes. Celui qui les cajole leur devient insupportable, au contraire elles admirent ceux qui savent leur résister, et ne pas se plier à tous leurs caprices. J'en appelle ici à votre témoignage. L'état où vous êtes aujourd'hui ne vous attire pas seulement les moqueries des étrangers, il vous expose encore à celles de ces femmes qui demeurent avec vous. Si elles ne se moquent pas ouvertement , elles se moquent dans leur coeur ; la tyrannie qu'elles exercent sur vous leur donne de la vanité ; secouez leur joug si vous voulez gagner leur estime; elles ne vous admireront que si vous recouvrez votre liberté.
Si vous ne croyez pas à notre parole, (105) interrogez-les elles-mêmes. Pour qui ont-elles le plus d'estime et d'admiration? pour celui qui est leur esclave, ou pour celui qui est leur maître? pour celui qui leur est soumis, faisant tout, souffrant tout pour leur plaire, ou pour celui qui tient le mieux son rang, et qui rougit d'obéir à leur volonté capricieuse? Si elles veulent être sincères, elles diront que c'est pour le dernier. Mais , qu'est-il besoin de leur réponse? les choses parlent assez d'elles-mêmes.
Mais celui qui garde dans sa maison des vierges, est un homme avide de jouissances, il prend plaisir à repaître ses yeux de la vue des jeunes filles. Raison de plus pour fuir cette cohabitation. Quant au plaisir, je crois vous avoir démontré non-seulement qu'il est nul, mais qu'il se change même en amertume pour celui qui se contente devoir sans aller plus loin : ajoutez encore la joie d'une bonne conscience.
Rien ne nous réjouit comme une conscience pure et ses douces espérances.
Est-ce le repos que vous désirez? déjà on vous a montré que ce repos, vous l'auriez plus facilement si un frère habitait avec vous ; votre condition actuelle ne diffère en rien de celle d'un esclave; vous cherchez le repos et vous avez trouvé la plus lourde servitude; lorsque vous aurez secoué votre joug, vous serez du nombre de ceux qui commandent, et non plus du nombre de ceux qui obéissent. Ainsi donc, d'une part, le chagrin au lieu du bonheur, la confusion au lieu de la gloire, la servitude au lieu de la liberté, la fatigue au lieu du repos; ajoutez l'outrage fait à Dieu, la perte de tant d'âmes, tant de scandales, un châtiment perpétuel et la chute de tant de fidèles; d'autre part, c'est tout l'opposé, la gloire, l'honneur, le plaisir, la confiance, la liberté, le salut des âmes l'héritage du royaume céleste, la fuite du châtiment; et vous hésitez à abandonner le premier parti pour le second? Pour moi, je ne vois pas ce qui peut vous arrêter, à moins que vous ne désiriez vous-même votre perte; car, si vous ne changez de vie, ne comptez pas sur le pardon. Quand vous ne trouveriez aucun des avantages dont je viens de parler, vous devriez encore tout souffrir pour la gloire de Dieu. Lorsque, pouvant obtenir et les biens présents et les biens futurs, nous nous perdons nous-mêmes en outrageant Dieu, qui donc nous sauvera, nous délivrera du supplice qui nous menace? personne assurément.
Examinons sérieusement toutes ces raisons en nous-mêmes, pesons-les, et enfin, quoiqu'un peu tard, cherchons à réparer le mal et à sauver nos âmes; que si nous éprouvons quelque peine à rompre avec une longue habitude, employons pour y réussir toute la force de notre raison, surtout implorons le secours de la grâce de Dieu et persuadons-nous bien qu'il suffit de commencer pour que le reste devienne facile. C'est le seul moyen de triompher d'une mauvaise habitude. Séparez-vous pendant dix jours, vous supporterez plus facilement la séparation pendant vingt et ensuite pendant deux fois autant; puis avançant graduellement vous ne sentirez plus la difficulté que vous avez éprouvée d'abord, et vous verrez que ce qui demandait dans le commencement tant de luttes était très-facile; vous contracterez ensuite une autre habitude sans trouver ce changement si difficile que vous l'aviez cru d'abord; la joie d'une bonne conscience viendra se joindre à l'habitude pour avancer et pour affermir l'uvre de votre conversion.
Alors les femmes vous admireront, Dieu vous aimera, les hommes vous honoreront et vous vivrez libre, heureux ! Quoi de plus heureux que d'être délivré des remords de sa conscience; de terminer une lutte perpétuelle avec ses passions, et de se tresser à soi-même la couronne si belle de la chasteté, de regarder librement le ciel, et, le coeur pur, d'invoquer le Seigneur, maître de l'univers. Le prisonnier qui voit tout à coup tomber ses fers, que l'on retire du fond ténébreux d'un cachot infect, que dis-je, l'aveugle qui recouvre la vue, et que la lumière du jour, en éclairant tout à coup ses yeux, fait tressaillir de bonheur, éprouvent-ils une joie, des transports comparables à ceux de cet homme délivré de la servitude de ses passions? L'usage de la lumière a moins de douceur que la délivrance d'une âme longtemps asservie; la tyrannie d'une habitude vicieuse est plus lourde à supporter que des chaînes de fers, que les horreurs d'un cachot.
Au reste, qu'est-il besoin de parler plus longuement de ces deux états de vie, puisque l'un apporte avec soi la honte, la tristesse, le malheur avec la corruption; et l'autre la liberté, le plaisir, le bonheur avec la pureté. Aucune parole humaine ne peut représenter (106) ce dernier état. L'expérience seule peut en donner une idée. Vous comprendrez parfaitement de quels maux vous êtes délivré, quelle vie heureuse vous avez enfin gagnée, lorsque vous donnerez lieu à l'expérience de joindre sa voix à la mienne pour vous convaincre. Voulez-vous savoir si je dis la vérité, consultez l'expérience, c'est-à-dire vivez saintement.
Si vous rejetez mes paroles, si vous les dédaignez, interrogez ceux qui ont porté ce joug pendant quelque temps et qui ont recouvré la véritable liberté, et vous saurez ce que l'on gagne en écoutant ces avis. Salomon, par exemple, tant que l'amour des biens terrestres le captiva, regardait ces choses comme grandes, admirables; il y consacrait beaucoup de temps et de sollicitude, élevant de magnifiques maisons , entassant des monceaux d'or, réunissant des choeurs de musiciens et une foule de serviteurs pour lui présenter les viandes et les vins les plus exquis, mettant sa jouissance dans les jardins et dans la beauté des femmes, en un mot, épuisant toutes les voluptés de la terre. Mais quand il rentra en lui-même et que, sortant comme d'un abîme de ténèbres, il put ouvrir les yeux à la lumière de la vraie sagesse, alors il prononça cette parole sublime et digne du ciel : Vanité des vanités, tout est vanité!
Tel et plus sévère encore sera l'anathème que vous porterez contre les faux plaisirs d'ici-bas, si vous vous arrachez tant soit peu à de coupables habitudes.
Dans les siècles anciens , on ne demandait pas à Salomon une aussi grande sagesse ; la loi ancienne n'interdisait pas les plaisirs, elle ne disait pas qu'ils n'étaient que vanité, et pourtant Salomon, au milieu de tous ces plaisirs, put voir par lui-même leur vanité et leur folie. Pour nous, nous sommes appelés à une vie plus parfaite, nous cherchons à atteindre un but plus élevé et nous nous exerçons dans une arène; les combats sont plus difficiles. La vie à laquelle nous sommes appelés, c'est celle des vertus et des intelligences célestes , celle des purs esprits. N'est-ce pas une chose honteuse, digne du dernier supplice, que de se montrer si inférieur à cette sublime vocation , et non-seulement de ne pas triompher comme Salomon des plaisirs permis, mais de rechercher ceux qui sont défendus et qui seront pour nous la cause d'insupportables tourments ? Nourrir dans son coeur un amour coupable, regarder une femme avec concupiscence, contempler sa beauté avec des yeux passionnés, se déshonorer soi-même, nuire aux faibles, être une occasion de blasphème aux païens et aux Juifs, perdre les enfants de la maison de Dieu, aussi bien que les étrangers , occasionner toutes sortes d'outrages contre la gloire de Dieu, se vouer à un vil ministère, se jeter dans une foule d'occupations séculières, échanger, dans un pacte infâme avec le démon, la liberté, ce don du Christ, ce prix de son sang, contre la plus cruelle tyrannie; se rendre ridicule à ses amis, méprisable à ses ennemis, perdre la réputation de l'Eglise ; avilir la glorieuse profession des vierges, fournir aux impudiques des excuses, causer enfin beaucoup d'autres maux encore, car on ne peut savoir, on ne peut dire tout ce qui résulte de cette oeuvre d'iniquité : voilà certainement ce que Dieu défend très-sévèrement, ce qu'il punira avec la dernière rigueur.
Admettons qu'il y ait là.quelques petites jouissances; nous avons à lui opposer la moquerie, la honte, les soupçons de la part de beaucoup, les réprimandes, les injures, les reproches, le ver qui ne meurt point, les ténèbres extérieures, le feu inextinguible, la tribulation, l'angoisse, le grincement de dents, les liens indissolubles de l'enfer. Pesons tout cela comme dans une balance, et à la vue du châtiment qui nous attend, revenons sur nos pas, quoique tard, repoussons bien loin une maladie si pernicieuse, afin que nous puissions sortir de ce monde le front ceint d'une brillante couronne et dire à Jésus-Christ avec une entière liberté : « Pour vous et pour votre gloire nous avons brisé des liens coupables, commandé à nos passions, sacrifié nos affections, et foulant aux pieds tout autre amour et tout jugement humain nous avons à tout le reste préféré vous et votre amour. »
C'est le moyen de nous sauver, de
sauver nos malheureuses complices, de sauver ceux que nous scandalisons,
et de nous mettre sur le même rang que les martyrs; oui, nous serons
au premier rang ! Car un homme quia longtemps porté le joug de la
concupiscence, qui a été enchaîné dans les liens
d'une douce et ancienne habitude, et qui ensuite est amené par la
crainte de Dieu à rompre ces liens, à s'attacher à
ce que Dieu approuve, un tel homme n'est pas inférieur aux illustres
martyrs qui ont courageusement enduré tant de tortures.
107
Rien n'est plus difficile que de rejeter une affection, un amour enraciné, que de se garder de mille occasions de pécher et de déployer les ailes de son âme pour s'envoler aux voûtes célestes. La souffrance des martyrs passe vite, l'autre lutte est de plus longue durée; les combats sont les mêmes, quant au mérite, les couronnes seront les mêmes aussi. Si celui qui sépare ce qui est précieux d'avec ce qui est vil devient comme la bouche de Dieu (Jérém. XV, 19), celui qui se délivrera lui-même et délivrera les autres d'une pensée coupable, songez quelle récompense il recevra; encouragé par cette récompense , libre , dégagé de tout lien, rejetez une intimité funeste, afin que, vivant selon la volonté de Dieu, vous puissiez, après le pèlerinage de cette vie, revoir votre amie dans le ciel, pour jouir en toute sécurité de sa conversation et de sa présence.
Les affections charnelles étouffées,
les liens corporels brisés , il n'y aura aucun obstacle qui empêche
l'homme et la femme de rester ensemble, les mauvais soupçons auront
disparu; tous pourront, dans le ciel, mener éternellement la vie
des anges et des pures intelligences, par la grâce et la bonté
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel soit au Père
dans l'unité du Saint-Esprit gloire, honneur, puissance, dans les
siècles des siècles. Ainsi soit-il !
LIVRE DEUXIÈME. LES VIERGES VOUÉES A DIEU NE DOIVENT PAS
COHABITER AVEC DES HOMMES.
ANALYSE. Ici, ce n'est pas une plume que tient notre saint Docteur ,
c'est une verge qu'il porte pour mieux venger la morale chrétienne
outragée par l'étrange abus de la cohabitation des
clercs et des vierges consacrées à Dieu. Dans le livre
précédent, il s'adressait aux hommes ; dans celui-ci, c'est
aux femmes qu'il s'en prend particulièrement sans laisser de flageller
aussi leurs complices avec elles. Il débute par une lamentation
imitée de Jérémie. Il déplore la décadence
de la virginité autrefois l'honneur, maintenant la honte du nom
chrétien. En quoi différez-vous des femmes perdues ?
Il est vrai, vous ne provoquez pas les passants de la voix, mais vous les
provoquez par votre mise recherchée, par votre démarche pleine
de volupté, par vos regards. Les hommes que vous rendez adultères
par les désirs empoisonnés dont vous leur lancez les traits
seraient punis, et vous ne le seriez pas? Il y a encore, je le sais ,
des vierges dignes de ce nom , il est inutile de dire que mes reproches
ne les atteignent pas. Mais ces reproches, d'un caractère général,
ne sont rien : venons à une accusation plus précise, mettons
le doigt sur la plaie de notre époque. Certaines femmes qui se
sont vouées à Dieu et qui se disent vierges logent des hommes
dans leur maison. A quels bruits scandaleux, et quelquefois à
quels crimes cela ne donne-t-il pas lieu ? On devrait les traiter comme
Phinées traita la Madianite : mais il vaut mieux pleurer sur elles
pour les corriger, s'il est possible. Notre-Seigneur Jésus-Christ
a pleuré sur Jérusalem, saint Paul sur la perte des Juifs,
ses frères. Dieu veut que nous pleurions le malheur des coupables
que sa justice est obligée de punir; deux exemples tirés,
l'un d'Ezéchiel, l'autre de Michée, le prouvent. Nouvelle
lamentation. Objections des accusées et réfutation de ces
objections : 1° Notre corps est intact. Votre cur l'est-il? L'honneur
de Dieu et du christianisme l'est-il ? Si vous vouliez vivre dans la
société des hommes, il fallait entrer dans l'état,
non de la virginité, mais du mariage. Voyez donc à quel
point votre virginité mal observée vous dégrade :
qui êtes-vous ? quel nom vous donner ? Vous n'en avez pas qui soit
écrit dans les lois : mais quel est celui que l'on vous donne dans
les conversations ? Je n'ose pas le répéter. 2° Nous
n'avons pas d'enfants. Les prostituées non plus n'en ont pas.
3° Nous n'arrêtons pas les hommes au passage. Vous les tenez
continuellement enfermés dans vos demeures. 4° Nos chambres
sont séparées. Je l'admets , le scandale n'en subsiste
pas moins. 5° Mais ces hommes nous rendent. des services. A les
entendre, c'est vous au contraire qui les servez. Une femme vous servirait
mieux. Digression sur la dégradation d'un homme qui se réduit
à servir des femmes comme un vil esclave. Retour au sujet. Le
scandale. On ne doit pas mépriser la médisance quand on
y a donné lieu ; il faut même la faire cesser sans qu'on y
ait donné lieu, quand on le peut. Cette malheureuse cohabitation
vous sépare de Jésus-Christ. Je crois que c'est la vaine
gloire qui vous attache surtout à cette déplorable habitude.
Vous vous éloignez de votre but; en recherchant la gloire, vous
rencontrez l'ignominie. L'homme qui entre chez vous laisse dehors
ce qu'il pouvait avoir de mérite et de bonne réputation.
Il n'est pas convenable à vous de gouverner un homme, puisque
cela ne convient même pas à une épouse. Tenez-vous
à l'estime des hommes, n'ayez rien de commun avec eux. Comment
l'on exalte dans le monde les vierges dignes de cette sainte profession;
comment l'on vilipende au contraire celles qui cohabitent avec des hommes.
Vos adorateurs eux-mêmes vous méprisent au fond de leurs
coeurs. Les vierges coupables au jugement dernier. Admirable portrait
de la vierge chrétienne. Le vêtement a été
donné à l'homme pour couvrir sa nudité, et non comme
une parure. Il doit nous humilier et non nous donner de l'orgueil.
Ridicule de la cohabitation démontré par une description
pittoresque. Exhortation animée et pathétique sur ce texte
de David : Audi filia et vide. (Ps. XLIV, 12.)
1. Oh ! malheur, ô mon âme ! c'est bien ici le cas de pousser ce cri avec le Prophète, de répéter cette parole, de la répéter encore et à chaque instant, oh ! malheur, ô mon âme ! quelle chose déplorable ! quel oubli de toute sagesse !
La virginité est couverte d'opprobres. Le voile qui la séparait du mariage n'existe plus, des mains criminelles n'ont pas craint de le mettre en pièces. Le saint des saints est profané. Le sanctuaire vénérable et terrible de la virginité n'est plus qu'un lieu public, ouvert à tous les indignes qui veulent le fouler de leurs pieds impurs. Un état plus parfait que le (110) mariage a été tellement dégradé et avili, qu'au lieu de dire comme autrefois : Heureuses les vierges, il faut s'écrier : Heureuses les personnes mariées ! Comparé au mariage, le célibat avait toujours eu la priorité de dignité et d'honneur; mais aujourd'hui il n'est pas même digne d'occuper le second rang, il a été rejeté à la dernière place, bien loin après le mariage; ce qu'il y a de plus malheureux dans cette profanation , c'est qu'elle vient non des ennemis et des détracteurs de la virginité, mais de celles qui s'étaient spécialement vouées à son culte : oui, celles qui nous donnaient autrefois le droit d'être fiers en face des infidèles et de les défier hardiment, sont aujourd'hui celles qui nous ferment la bouche et nous couvrent de confusion.
Chez les Grecs, quelques hommes, un très-petit nombre, ont été assez sages pour mépriser les richesses et vaincre la colère; mais jamais la fleur de la virginité n'a brillé au milieu d'eux; sous ce rapport, ils nous l'ont toujours cédé, avouant que cette vertu était au-dessus, absolument au-dessus de la nature humaine aussi notre religion était pour eux un objet d'admiration; hélas ! il n'en est pas de même aujourd'hui; ils n'ont plus pour nous que des railleries et des sarcasmes.
Le démon n'a si violemment soufflé sa rage contre cette partie du troupeau , que parce qu'il a reconnu dans cette phalange des vierges le bataillon sacré du Christ; il a réussi à rendre la virginité assez méprisable pour nous faire souhaiter qu'il n'y ait plus de vierges, s'il` faut qu'elles soient ce que nous les voyons. La cause .de tous ces malheurs, c'est que la virginité n'est plus qu'un nom; tout consiste dans une appellation, ce qui est certainement la partie la moins importante de cette vertu. Quant aux conditions essentielles, on les néglige, on néglige jusqu'aux marques extérieures qui caractérisent cet état. On fait profession de virginité, et l'on n'a nul souci de ce qui sied aux vierges, ni de la décence du vêtement intérieur et extérieur, ni du recueillement, ni de l'esprit de componction, ni des autres qualités qui leur sont propres. On se plaît aux conversations les plus futiles, on se livre à une joie déplacée, on vit dans la dissipation, et on se plonge dans les délices plus que les femmes qui s'étalent dans les lieux de prostitution; des femmes qui se disent vierges usent de toutes sortes d'artifices pour attirer les
regards des hommes; elles se jettent dans les turpitudes des courtisanes, comme si elles luttaient avec elles à qui remportera la palme de la honte ! Car enfin, répondez-moi, où trouver quelque chose qui sépare des courtisanes une vierge qui se conduit comme les courtisanes; qui attire dans le piège le coeur des jeunes gens; qui est folâtre , sans retenue , qui présente les mêmes poisons, offre la même coupe et prépare le même breuvage mortel? Elle ne dit pas, il est vrai : Viens, livrons-nous à l'amour; ni : J'ai parfumé ma demeure de safran, ma couche de cinnamome (Prov. I, 17,18) ; plût au ciel qu'elles eussent embaumé leur demeure et leur couche, et non leurs vêtements et leurs corps l Les prostituées cachent leurs séductions dans leurs maisons, mais toi, vierge indigne de ce nom, tu jettes partout ton filet; portée sur les ailes de la volupté, tu rôdes impudemment sur les places publiques. Non, tu n'as pas articulé ces paroles de la courtisane : Viens, livrons-nous à l'amour. Non, tu ne les a pas dites par la langue, mais tout ton extérieur les proclame; ta bouche a été muette, mais ta démarche parle; ta voix n'a pas invité, mais tes yeux provoquent plus clairement que ta voix. Diras-tu que si tu as provoqué, tu ne t'es pas livrée; tu n'es pas exempte de péché pour cela; cette conduite. est une fornication d'un autre genre. Tu es restée pure de toute flétrissure dans ton corps, mais non dans ton âme. 1'u as commis le péché pleinement, sinon par l'acte charnel, du moins par le regard.
Pourquoi appelles-tu les passants? pourquoi allumes-tu le feu ? comment te crois-tu exempte d'un péché dont tu es la première cause? cet époux, séduit par ton extérieur immodeste, devient adultère, et toi tu ne le serais pas? que serais-tu donc, lorsque tes oeuvres sont des oeuvres d'adultère? Car la folle passion de ce malheureux est ton ouvrage. Puisque tu pousses à l'adultère, tu n'échapperas en aucune façon au- supplice réservé à ce crime. Tu as aiguisé le glaive, tu en as armé . ta main; cette main armée, tu l'as poussée contre cette âme infortunée : comment donc pourras-tu échapper au supplice de l'homicide? Dis-moi, quels sont ceux que nous détestons, que nous repoussons avec horreur? quels sont ceux que punissent les législateurs, les juges? Est-ce celui qui boit un poison mortel, ou celui qui apprête le breuvage, prépare la coupe et perd les autres par ses criminels artifices ? (111) Celui qui boit le poison, n'en prenons-nous pas pitié comme d'une victime malheureuse? Mais les empoisonneurs, ne les accablons-nous pas du poids unanime de toutes nos condamnations? Il ne suffit pas à ceux-ci de dire pour s'excuser; je ne me suis point fait de mal à moi-même, j'en ai seulement fait à un autre. C'est précisément ce qui vous expose à un plus rigoureux châtiment.
Toi, malheureuse, toi, misérable, tu as préparé la coupe mortelle, tu as présenté, tu as donné le poison; et quand le poison est bu, quand il a causé la mort, tu te crois en sûreté parce que, n'ayant pas bu toi-même, tu n'as fait que le donner à un autre ! Eh bien ! toi et tes semblables, vous subirez un châtiment plus rigoureux que les empoisonneurs publics, d'autant plus que la mort que vous donnez est plus terrible ; car, ce n'est pas le corps seulement, mais l'âme que vous frappez à mort. Ces empoisonneurs agissent souvent par fureur ou par colère ou poussés par la misère, pour vous, vous ne pouvez vous retrancher derrière aucun de ces prétextes. Vous n'avez pas d'injure à venger, ni d'ennemis à frapper, ni de misère à repousser; c'est par un simple motif de coquetterie que vous vous jouez du salut des âmes : vous mettez votre jouissance dans leur mort.
2. Mais je ne sais comment j'ai été entraîné à cette digression; il faut revenir au point de départ. Comme si ces désordres ne suffisaient pas pour couvrir de honte tout ce qu'il y a de femmes au monde, ces malheureuses ont encore imaginé quelque chose de plus; je ne parle pas ainsi de toutes indistinctement, je ne suis pas assez misérable pour mêler, pour confondre le bien avec le mal. Ce que j'ai dit et ce que je dirai ne regarde que les coupables.
Je le disais donc, comme si ce que je viens de leur reprocher ne suffisait pas pour produire tout le scandale auquel elles aspirent, elles admettent des hommes qui ne leur sont rien à partager leur demeure, elles s'enferment et passent leur vie avec eux; on dirait qu'elles tiennent à prouver, par ce fait et par ceux que nous avons signalés plus haut, qu'elles n'ont embrassé la virginité que malgré elles, que c'est par contrainte qu'elles ont subi ce joug, et qu'elles ont à cur de se venger de la violence qu'on leur a faite. Est-ce tout encore? N'entendons-nous pas dire, sur le compte de celles qui donnent ces sortes de scandales, des choses encore plus graves? Et ceux qui les connaissent ont-ils tort , quand ils s'écrient qu'on ne devrait pas les laisser vivre, respirer; qu'il faudrait plutôt les couper en morceaux ou les enterrer vivantes avec leurs complices. Car, voilà ce que disent d'elles ceux qui savent ce qui se passe dans leur intimité.
Du reste, on voit tous les jours des sages-femmes accourir dans les maisons des vierges, comme s'il s'agissait d'un accouchement; tel n'est pas cependant, à part quelques cas où cela arrive, le motif de leur visite. Elles sont appelées pour voir et examiner, comme cela se pratique à l'égard des esclaves que l'on achète, quelles sont celles qui sont vierges encore, quelles sont celles qui ne le sont plus. L'une se soumet sans peine à cet examen; l'autre s'y refuse, et se voit par ce seul fait condamnée, fût-elle innocente; l'une a été jugée coupable, l'autre non, mais cette dernière n'est pas moins couverte de honte que la première, puisque ses moeurs ne peuvent pas, par elles-mêmes, témoigner en sa faveur, mais qu'il faut recourir aux preuves matérielles. Qui pleurera ces désordres, qui les punira comme ils méritent de l'être? Il faudrait avoir la dureté et l'insensibilité du marbre pour ne pas se sentir brûlé du zèle d'un Phinées. Oui, si cet homme avait été témoin d'une pareille infamie, il n'aurait pas épargné les coupables; il les aurait traités comme il traita la Madianite. (Nom. XXV, 14.) Pour nous, il ne nous est pas permis de prendre le glaive, ni de percer avec la lance ceux qui commettent ces abominations, mais nous éprouvons les mêmes sentiments que ce saint personnage; Dieu ne nous ayant pas confié sa vengeance, nous soulageons notre douleur autrement, c'est-à-dire par des pleurs et des lamentations.
Venez donc, pleurez et gémissez avec nous, vous qu'une si honteuse contagion n'a pas atteintes; ces infortunées, ces misérables sont peut-être tellement plongées dans leur misère, qu'elles ne s'aperçoivent plus du mal affreux qui les ronge. Mais vous qui avez embrassé cette sainte profession de tout votre coeur, vous qui vous êtes rendues dignes des chastes embrassements du céleste Epoux, vous qui portez des lampes toutes brillantes et qui êtes plus ornées de la glorieuse couronne de la virginité que du diadème des rois, pleurez avec nous; poussez d'amers gémissements, vos larmes ne sont pas un remède de peu d'efficacité (112) et pour la guérison de ces malades désespérées et pour la consolation de ceux qu'affligent leur vie coupable: C'est ce que fit quelquefois votre Époux céleste. Voyant Jérusalem se précipiter vers sa ruine, et refuser le salut qu'il lui apportait, il se prit à pleurer sur le sort de cette malheureuse cité. (Luc. XIX, 41.) A l'égard de Bethsaïde, il n'a recours ni aux avertissements, ni aux miracles; sa commisération, voilà tout ce qu'il accorde à cette ville coupable , ainsi qu'aux autres qui sont ensuite nommées, s'écriant sur chacune d'elles : malheur à toi ! malheur à toi !
Le bienheureux Paul suivit l'exemple de son Maître: pendant toute sa vie il ne cessa de pleurer ceux qui, une fois tombés, restaient par terre, sans vouloir se relever, et il pleurait avec une amertume dont ses paroles aux Romains sont une preuve évidente. Ma tristesse est grande, et c'est une douleur continuelle pour mon coeur. Car moi-même je désirais d'être frappé d'anathème par le Christ, pour mes frères qui sont mes proches selon la chair, les Israélites. (Rom. IX, 2-4.) Quelle énergie dans ces paroles, comme elles expriment les cruelles angoisses du coeur ! De plus, il pleure sur les fidèles qui chancèlent et que les tempêtes sont sur le point de submerger, comme si lui-même éprouvait le même malheur : Qui de vous, dit-il, est faible sans que je sois faible aussi ? Qui est scandalisé, sans que je sois brûlé moi-même? (II Cor. II, 29.) Il ne dit pas: « contristé »,mais: « brûlé », voulant exprimer parce mot une douleur insupportable, insurmontable. Imitons nous aussi et Notre-Seigneur et son serviteur. Car nous serons largement récompensés de tous nos gémissements et de nos larmes, comme aussi le Seigneur traitera bien sévèrement ceux qui ne portent pas d'intérêt à leur prochain et ne font nulle attention aux maux qu'il souffre. On voit des exemples frappants de cette conduite de Dieu dans Ézéchiel, si sublime par sa patience, et dans le bienheureux Michée. Le premier raconte que les Juifs, s'étant livrés à tous les crimes possibles, et souillés par l'adoration volontaire des idoles, Dieu ordonna de marquer d'un signe le visage de ceux qui gémissaient et se lamentaient sur les crimes qu'ils voyaient commettre (car il ne suffisait pas de gémir en secret, il fallait encore faire éclater publiquement sa douleur). Ainsi quoique ces Juifs n'eussent rien dit ni rien fait pour corriger les coupables; par cela seul qu'ils avaient apporté le tribut de leur douleur, ils méritèrent de recevoir du, Dieu des miséricordes cette rare distinction avec une grande sécurité pour l'avenir et une grande gloire. Michée, à tous les autres reproches relatifs aux excès de table, à l'ivrognerie et à l'usage des parfums, ajoute le manque de compassion : Ils ne compatissaient pas, dit-il, aux malheurs de Joseph. (Amos, VI, 6.) Il adresse encore le même reproche aux habitants de la ville d'Anan, en disant : Qu'ils ne sont point sortis pour pleurer sur la maison de leurs voisins. (Mich. I, 11.) Si Dieu, dans sa colère, reprend l'homme qui ne pleure pas sur le sort de ceux qui subissent un juste châtiment, de quelle indulgence sera digne celui qui ne s'attriste pas au sujet d'un homme tombé dans le péché?
Ne vous étonnez pas que nous soyons tenus de compatir aux maux de ceux mêmes que Dieu punit; car Dieu qui punit voudrait bien ne pas punir : Ma volonté, dit-il, ne veut pas la mort du pécheur. (Ezéch. XVIII, 23.) Si donc celui, qui exerce la vengeance voudrait ne pas l'exercer, à plus forte raison devons-nous pleurer sur ceux qui sont punis; peut-être, par ce moyen, les retirerons-nous du précipice, peut-être les regagnerons-nous à Dieu.
Quand même nos malheureuses soeurs seraient perdues sans ressources , faisons encore tout ce qui dépend de nous; pleurons et gémissons, ne rassemblons pas des choeurs de pleureuses, mais que chacun, loin des coupables, verse des larmes en secret. Si vous le voulez, je commencerai moi-même ce cantique de deuil : je n'ai point honte de l'entonner avec Jérémie, Isaïe, Paul, et avant tout avec Notre-Seigneur. Commençons donc et disons comme le Christ : Malheur à toi, âme infortunée ! A quelle haute dignité t'appelait la bonté et la miséricorde de Dieu ! A quelle infamie descendras-tu par ta lâcheté ! Malheur à toi ! L'Époux céleste lui-même t'invitait à une union divine, et toi, tu as préféré te soustraire violemment à cet honneur, tu t'es précipitée dans le feu du démon et condamnée aux supplices les plus affreux : là seront les pleurs et les grincements de dents, là point de, consolateur, personne qui te tende une main secourable, tout sera ténèbres, angoisse, trouble, là des malheurs sans adoucissement, sans fin. Tels sont les maux enfantés par (113) l'amour du monde, voilà ce qui t'attend pour avoir préféré la terre au ciel et pour n'avoir pas voulu entendre la voix de l'Epoux qui sans cesse t'avertissait de rompre tout commerce avec le siècle. Malheureuse, qui pourra désormais avoir compassion de toi? C'est en vain que tu invoquerais Noé qui, dans le déluge universel, sauva toute sa famille dont il fut le protecteur dans ce jour de colère, c'est en vain que tu appellerais à ton secours Job, Daniel, et avec eux Moïse et Samuel et le patriarche Abraham, aucun ne te tendra la main; tu tiendrais à ces grands hommes par la race, tu serais leur fille, tu serais leur sueur, tu redoublerais tes supplications comme le mauvais riche de l'Evangile, efforts inutiles, avantages superflus. Comment es-tu tombée du ciel, toi qui n'es pas Lucifer (Isaïe, XIV, 12), ni l'étoile du matin, mais qui pouvais briller d'un éclat plus vif que les rayons du soleil? Comment es-tu là assise à l'écart, abandonnée? Non, ces lamentations faites pour Jérusalem, on n'exagérerait pas en les appliquant à l'âme captive d'une captivité plus dure que celle qui pesait sur la capitale des Juifs.
3. Mais, assez de lamentations, assez, dis-je, pour l'étendue de cet écrit; pour déplorer comme il convient le sort d'une âme accablée de tant de malheurs une vie tout entière ne suffirait pas. Que faudrait-il déplorer avant tout? Est-ce le vénérable, le saint, le grand nom de Dieu blasphémé à cause de vous au milieu des nations et sa gloire profanée? Est-ce une profession, par elle-même si vénérable et si grande, calomniée? Est-ce le malheur de tant d'âmes perdues par vos scandales? La gloire de votre saint ordre, honteusement ternie? Le feu inextinguible réservé à vous et à ceux qui habitent avec vous? Toutes ces menaces, dira-t-on, sont vaines, puisque nous pouvons prouver que notre corps n'est ni altéré, ni souillé. Nous saurons ce qu'il en est au grand jour des manifestations. La sage-femme, en effet, peut bien, par son art et sa science, voir si le commerce avec un homme a détruit l'intégrité de votre corps; mais avez-vous évité les attouchements déshonnêtes ? l'adultère, ne l'avez-vous pas commis par les baisers et les embrassements? Avez-vous évité toute souillure ? c'est ce que manifestera ce grand jour, lorsque le Verbe vivant de Dieu, qui dévoile les pensées cachées de l'homme et qui voit ce qui se passe dans le secret, placera toutes choses sous les yeux du monde entier à nu et à découvert; alors nous saurons si vous avez conservé votre corps parfaitement pur et intact.
Pourtant, ne soyons pas si minutieux et ne disputons pas; admettons que, triomphant de tous les pièges du démon, le corps soit resté pur et n'ait subi aucune flétrissure et que, vierge, vous soyiez restée vierge. En quoi cela affaiblit-il la force de nos paroles? En rien, et c'est là le plus grand de vos malheurs, celui qui mérite le plus d'être pleuré. Voilà donc à quoi viennent aboutir tant de combats livrés, tant de précautions prises contre le dernier degré de séduction; à faire blasphémer le nom de. Jésus Christ ! vos résistances ont sauvé l'honneur de votre chair, ont-elles sauvé l'honneur du christianisme? Tous vos efforts n'ont eu pour but que de préserver votre corps, et vous n'avez pris aucune peine pour épargner à Dieu les outrages et les dédains des hommes. Je voudrais que vous eussiez un peu moins travaillé à ternir la gloire de votre Dieu. Et comment l'ai-je ternie? répondez-vous : je vous l'ai déjà dit : en recevant des hommes dans votre maison, en vivant familièrement avec eux. Si vous désiriez la société des hommes, il ne fallait pas embrasser la virginité, mais vivre dans le mariage; il eût mieux valu vous marier que de vous dire vierge, en vivant comme vous faites.
En effet, Dieu ne condamne pas le mariage et les hommes l'estiment; c'est une union honnête, qui n'offense personne, ne blesse personne; tandis que la virginité qui ne sait pas se passer de la société des hommes, se fait réprouver de tout le monde, perd son rang et sa dignité propre, et tombe plus bas que la prostitution même. On ne saurait compter au nombre des vierges celle qui ne s'occupe pas des choses de Dieu et qui rend beaucoup d'hommes adultères; on ne la mettrait pas non plus au nombre des femmes mariées. L'épouse n'a le souci de plaire qu'à un seul homme; vous, c'est à une foule d'hommes que vous voulez être agréable, et cela sans qu'un mariage légitime vous unisse publiquement à aucun : ce qui existe entre eux et vous, c'est je ne sais quel lien honteux, cause de scandale pour tous ; et objet de la réprobation générale. C'est pourquoi je crains que, n'ayant la dignité ni de la vierge ni de l'épouse, vous ne soyez réduite à l'état humiliant des femmes dont le (114) déshonneur est public. Si quelqu'un voulait juger de l'état dans lequel vous vivez parle nom qu'il porte dans le monde, vous ne pourriez rien répondre. Toutes les fois que vous paraissez en public, toutes les fois qu'en particulier on s'entretient de ces absurdes liaisons, quel nom donne-t-on à la femme? On ne dit pas, c'est la mère d'un tel ; car elle ne l'a pas enfanté: ni, c'est sa sueur; les mêmes entrailles ne les ont pas portés : ni, c'est son épouse; la loi du mariage n'a pas sanctionné leur union. En un mot, aucun des noms de parenté écrits dans la loi et autorisés par elle ne convient à cette singulière union. Il ne reste plus qu'une appellation honteuse et méprisante que je ne voudrais pas prononcer, tant je l'ai en horreur, tant je la repousse : je préfère encore la dénomination de cohabitation.
Mais, direz-vous, je ne suis pas devenue mère, je n'ai pas connu les douleurs de l'enfantement? Quoi de plus misérable que cette défense? et quoi de plus honteux que de vouloir se donner comme vierge en recourant à des preuves que pourraient employer des femmes de mauvaise vie? Mais ces femmes , répliquez-vous, on peut, par d'autres indices les convaincre de leur commerce infâme. Quels indices; dites-moi? sont-ce leurs vêtements, leurs regards, leur démarche, les amants qu'elles attirent? Voilà bien, je l'avoue, les marques d'une prostituée. Mais, prenez bien garde qu'on ne vous reconnaisse d'abord vous-même dans le portrait que vous venez de tracer. Ne vous voit-on pas vous aussi, entourée d'une foule d'adorateurs, que vous séduisez par les mêmes appâts, que vous prenez dans les mêmes filets? Vous n'appelez pas les passants dans votre maison, soit, mais, ce qui est bien plus grave, vous tenez vos amants toujours renfermés chez vous, et cela pour une seule raison, pour je ne sais quelle satisfaction que vous goûtez l'un et l'autre à demeurer ensemble. Je ne parle pas de l'union charnelle, puisque vous n'allez pas jusque-là; mais qu'importe, si vous commettez le même péché par le commerce des .regards. S'il n'en n'était pas ainsi et si vous ne commettiez pas l'adultère par le regard, pourquoi garder cet homme dans votre maison? Quel motif légitime, raisonnable, pourrez-vous alléguer ? Une épouse dira : « le mariage; » une prostituée : « le libertinage; » mais vous, vierge, quelle cause juste et digne d'être mise en avant pourrez-vous alléguer?
4. Mais pourquoi, dites-vous, cette enquête si minutieuse et si acharnée? Ne vous suffit-il pas de savoir que ces hommes ne partagent pas le même lit avec nous, qu'il n'existe entre eux et nous aucun commerce charnel comme il en existe entre les femmes de mauvaise vie et leurs amants.? Plusieurs pourtant affirment positivement le contraire. Eh bien ! répliquez-vous, que cette calomnie retombe sur eux. Si cette accusation né doit retomber que sur eux, c'est ce que nous verrons plus tard. Nous avons déjà démontré dans le dis, cours que nous avons adressé aux hommes vos complices, qu'en cette circonstance la même culpabilité pèse et sur ceux qui médisent et sur qui ceux donnent lieu à la médisance. Néanmoins nous le démontrerons encore une fois. En attendant, si je vous demande pourquoi vous habitez avec un homme, vous ne pourrez absolument rien me répondre. Mais, dites-vous, je suis faible, je suis femme, et seule je ne puis me suffire. Pourtant, quand j'ai fait les mêmes représentations à ces hommes qui habitent avec vous, ils m'ont répondu au contraire, qu'ils vous conservaient près d'eux pour que vous les servissiez. Quand il s'agit de servir des hommes, vous trouvez en vous une surabondance de forces, et pour vous rendre ces services mutuels entre femmes, les forces vous manqueraient au point de vous obliger à appeler à vous des aides d'un autre sexe! Comment cela se fait-il? Non, il est plus avantageux et plus convenable que l'homme habite avec l'homme, et la femme avec la femme; les hommes trouvent votre service préférable à celui des hommes, les personnes de votre sexe devront penser de même, à plus forte raison.
En quoi, je vous le demande , là compagnie d'un homme peut-elle vous être nécessaire? Quelle fonction peut-il remplir à l'égard d'une femme, qu'une femme elle-même ne puisse remplir ? est-ce qu'il pourra mieux qu'une femme filer la laine et faire de la toile? c'est le contraire, il n'y réussirait pas avec la meilleure volonté du monde, à moins que vous ne lui apprissiez ce métier qui est exclusivement un métier de femmes. Saura-t-il laver les vêtements, allumer le feu, faire bouillir la marmite? encore moins; une femme fait mieux tout cela qu'un homme.
En quoi donc, je le répète, un homme, peut- il vous être utile? est-ce quand il s'agit de vendre ou d'acheter? ici encore la femme n'est (115) pas douée de moins d'aptitude que l'homme ; allez sur la place publique: par qui se fait le commerce des étoffes? par des femmes. Si vous dites que c'est une honte pour une vierge, et c'en est une en effet, de rester sur une place pour faire du commerce, je vous demanderai s'il n'est pas plus honteux encore d'habiter avec un homme? Evitez, je le veux bien, je vous y engage même, une occupation peu convenable à votre état, laissez le soin de vendre et d'acheter à la jeune fille qui sert comme domestique, ou aux personnes âgées qui sont propres à ces sortes de choses; mais évitez à plus forte raison une honteuse cohabitation.; De tout ce qui vient d'être dit, je conclus que ces raisons ne sont que de vains prétextes, et comme des voiles qui cachent une grande misère. Quelle misère, dites-vous, quels voiles ? Si je voulais un époux, si je désirais le mariage, qui pourrait m'empêcher d'embrasser cet état? ne saurais-je pas le faire sans que Dieu fût offensé, et sans que les hommes eussent des reproches à m'adresser? c'est précisément ce que je dis, et ces paroles sont moins les vôtres que les nôtres. Mais il reste toujours à nous dire en quoi un homme vous est si nécessaire , et si vous ne pouvez nous le dire, il faut chasser celui qui habite avec vous au scandale de tous, c'est le seul moyen que vous ayez de détourner de vous le déshonneur; car, encore une fois, ce que vous venez de dire se tourne contre vous; c'est précisément le langage que tiennent ceux qui gémissent de votre honte. Quand même le ministère d'un homme vous eût été très-avantageux, il ne fallait pas vous en servir au risque de vous déshonorer; là où la gloire de Dieu souffre préjudice, il ne peut exister de motif pour dispenser de tenir compte d'un si grand mal. Que dis-je? quand il faudrait mourir mille fois par jour pour éviter un tel malheur, on devrait le faire avec la plus grande joie, à plus forte raison ne doit-on pas s'y exposer pour un peu de repos, pour quelque soulagement à procurer à son corps. Ecoutez avec quel tremblement saint Paul redoutait de porter atteinte à la gloire de Dieu. J'aime mieux mourir, dit-il, que de voir quelqu'un me ravir ce qui fait ma gloire. (I Cor. IX, 15.) Oui, pour ne pas perdre ce qui faisait sa gloire, il eût préféré la mort, et nous, pour faire disparaître un scandale, nous ne mettons pas de côté un tout petit avantage? se laisser ravir ce qui fait sa gloire et sa réputation, et persister dans le crime, quelle différence ! Et comment serons-nous sauvés? En consentant à ce qu'on voulait de lui, saint Paul n'aurait point offensé Dieu , car Dieu lui-même avait déclaré qu'il avait le droit de vivre de l'Evangile, et pourtant il aurait mieux aimé mourir que de renoncer à la généreuse résolution qu'il avait prise de se suffire à lui-même; et nous , au mépris de l'ordre établi partout , nonobstant les jugements de Dieu, nous ne voulons pas rompre avec une misérable habitude, une habitude qui choque toutes les bienséances. Où est notre excuse pour compter sur l'indulgence du souverain Juge? quand même un homme paraîtrait nécessaire pour rendre certains services, comme déjà je l'ai dit, il vaudrait mieux, à cause des graves scandales qui en résultent, choisir la mort que de s'exposer à de tels inconvénients; mais, puisqu'une femme peut vous rendre tous les services dont vous avez besoin, et plus convenablement, et plus facilement, quel pardon pouvez-vous espérer pour toutes ces sensualités que vous ne craignez pas d'acheter au prix de votre honneur et de votre salut?
Dites-moi encore ceci : aux services que cet homme vous rend, ne répondez-vous pas par des services réciproques? Personne n'en doute. Combien donc ne vaudrait-il pas mieux ne recevoir aucun service pour n'en pas avoir à rendre, et profiter pour vous du temps que vous employez à ménager le repos d'un autre? A cela vous gagneriez doublement : vous auriez moins de peine, et vous ne perdriez pas votre réputation.
Vous ne lui rendez aucun service, direz-vous? Le voilà donc obligé d'être lui-même son propre serviteur. Arranger son lit, allumer le feu, préparer les aliments et se livrer à toutes les occupations de ce genre. Un serviteur ne voudrait pas faire une pareille besogne sans recevoir un salaire. Cet homme, dites-vous, la fait, lui, par des motifs de piété et à cause de la récompense qui en couronnera les fatigues; il nous saura gré des services que nous exigeons de sa docilité, bien loin de demander aucun salaire. Comment donc fermerons-nous la bouche à ces effrontées qui ne sont jamais à court d'objections? Si sa piété est aussi éminente que vous prétendez, s'il craint Dieu et respecte ses commandements au point de s'abaisser, pour ce motif, au-dessous du dernier des esclaves et de vous rendre tous (116) les services imaginables sans recevoir aucune récompense, avant tout ne devrait-il pas s'intéresser à l'honneur et à la gloire de Dieu? Comment expliquer de la part de la même âme et dans le même moment, tant de soumission et tant de mépris pour les commandements de Dieu? Comment concilier une si entière et si craintive docilité aux lois divines, avec l'outrage que l'on jette si hardiment au législateur divin lui-même ?Vous le supposez invulnérable aux traits de la volupté, supérieur aux faiblesses de la nature humaine; il s'humilie, se mortifie, se condamne à toutes sortes de travaux, pour procurer du soulagement aux autres. Voilà, je l'avoue, une vertu sublime, une charité héroïque. Mais pourquoi néglige-t-il les devoirs les plus ordinaires, ceux que l'on voit remplir aux hommes de la vertu la plus commune : s'abstenir de flétrir la gloire de Dieu, ne rien se permettre qui puisse provoquer les blasphèmes de l'impiété? Comment donc croirons-nous que vous fassiez uniquement pour Dieu, et par pur esprit de pénitence, des choses qui demandent, qui supposent une âme grande et généreuse, lorsque vous n'avez pas la force de pratiquer le devoir le plus simple, le plus élémentaire? Vous qui êtes si parfait, comment se fait-il que vous refusiez de sacrifier une liaison qui outrage Dieu, que vous persistiez dans un état qui lui déplaît au risque de vous perdre vous-mêmes corps et âme? A qui pourra-t-on faire croire de pareilles choses ? Mais je ne sais pourquoi j'ai laissé de côté les vierges pour parler de ceux qui habitent avec elles: je reviens à mon sujet.
5. Il circule sur leur compte des bruits injurieux que je voudrais arrêter. Ne vous en mettez pas en peine, me dit-on. Est-ce là le fait d'une âme qui craint Dieu? Ne nous inquiétons pas des médisants, lorsque nous ne donnons pas lieu à la médisance, soit; et encore devons-nous, même alors, leur fermer la bouche, si nous le pouvons; mais si la faute vient de nous, attendons-nous à voir retomber sur notre tête tout le feu qu'elle allumera dans l'enfer : Si vous péchez contre vos frères, dit l'Apôtre, et si vous blessez la conscience de ceux qui sont faibles, c'est contre le Christ que vous péchez. (I Cor. VIII, 12.) Il savait et savait très-bien que nous ne trouverions pas une excuse dans la faiblesse de ceux qui se scandalisent, mais que cette faiblesse serait précisément la cause de notre condamnation. Oui, plus nous sommes innocents du scandale, plus il est digne de nous de ménager la faiblesse de ceux qui en souffrent. Je ne soutiens pas encore qu'on a raison de se scandaliser de votre conduite ; je suppose au contraire qu'on se scandalise à tort : même dans ce cas il faut tenir compte de la faiblesse du prochain. Cette doctrine est celle de saint Paul dans son Epître aux Romains: N'allez pas, dit-il, sous prétexte de prendre votre nourriture, détruire l'uvre de Dieu. (Rom. XIV, 20.) Ceux dont parle l'Apôtre se scandalisaient à tort, pourtant ses reproches tombent non sur ceux qui sont scandalisés, mais sur celui qui scandalise. Car, je le répète, c'est seulement lorsque l'avantage surpasse le dommage qu'il ne faut pas tenir compte de ceux qui se scandalisent. Si l'unique résultat de votre conduite est la ruine des faibles, quand même ils auraient mille fois tort, il faudrait les épargner. Dieu appliquera la sentence. portée par lui et punira ceux qui poussent les autres vers leur ruine : parce que nuire gratuitement à autrui, suppose un coeur très-méchant. Quand nous voyons un homme que sa mauvaise santé rend morose, nous renvoyons de la maison ceux qui le fatiguent, sans trop nous inquiéter s'ils ont tort ou non; nous n'écoutons même pas leurs justifications; nous pardonnons tout au malade à cause de son état; et quand même son irritation serait injuste , nous lui donnons droit par pitié. Si donc nous usons de ces précautions en faveur de nos serviteurs et de nos enfants, si nous allons jusqu'à punir un fils pour cette faute, à plus forte raison, Dieu agira-t-il de la sorte, lui si bon, si clément, si juste?
N'objectez donc plus la faiblesse de celui que vous scandalisez. S'il est faible, c'est une raison pour l'épargner et non pour le blesser : Est-il blessé ? n'aigrissons pas sa plaie, pansonsla. Forme-t-il des soupçons injustes et téméraires? nous devons les faire disparaître et non les fortifier. C'est pécher contre le Christ que de contester cette doctrine. N'entendez-vous pas dans l'Ancien Testament Moïse dire souvent: Dieu est un Dieu jaloux (Exod. XX, 5) ; et encore : Je suis jaloux de Jérusalem (Zach. I, 14) ; et dans le Nouveau, Paul qui s'écrie : Mon amour pour vous me rend jaloux, mais jaloux selon Dieu? (II Cor. XI, 2.) Ce motif, quand il serait seul, devrait suffire pour ramener une (117) âme quine serait pas très-malade et très-pervertie. Si terrible qu'elle soit, cette jalousie de Dieu est encore plus douce que terrible. La jalousie ne va pas sans un grand amour, sans une charité ardente, lajalousie de Dieu est donc la preuve de la charité ardente, de l'immense amour de Dieu pour nous. La jalousie de Dieu n'est pas de la passion: mais Dieu voulant nous faire comprendre en une certaine façon la grandeur de son amour s'est souvent servi pour cela de cette expression. Et pourtant nous, insensés que nous sommes ! nous nous rabaissons aux affections humaines, nous outrageons Celui qui nous aime à ce point, et ceux qui ne peuvent être pour nous d'aucune utilité, nous avons pour eux toutes sortes d'égards et de tendresses.
Dites-moi, infortunée que vous êtes, quelle utilité retirez-vous de ce commerce misérable, en compensation des grands biens dont il vous prive? Voyez, je vous prie, il vous éloigne du ciel, il vous chasse de la chambre nuptiale du Fiancé céleste, il vous arrache à ses chastes embrassements , il vous prépare ici-bas des douleurs continuelles et vous montre dans l'avenir des tourments sans fin ! Quand même, celui qui habite avec vous, vous donnerait en retour de l'or en abondance, quand même il serait plus attentif que le plus fidèle des serviteurs , quand même il vous élèverait en honneur et en dignité comme une reine glorieuse, ne devriez-vous pas le repousser, l'avoir en horreur comme un ennemi, un fléau, un être odieux qui vous ravit plus qu'il ne vous donne? Votre devoir serait de vous appliquer aux biens célestes, au royaume futur, à la vie immortelle, à une gloire ineffable, et vous, vous ne parlez que d'affaires temporelles et vous honorez comme votre seigneur et maître celui que vous croyez utile à l'administration de ces biens, et vous ne vous cachez pas , et vous ne dites pas à la terre de vous engloutir pour vous dérober à la honte ! Mais voilà que vous mettez en avant la faiblesse de la femme, le maniement des choses temporelles, la tranquillité de votre maison : imagination que tout cela, prétextes vains ! vous ne tromperez pas les personnes clairvoyantes. Non, non, point de repos au prix d'une telle honte ! une femme, si elle veut, peut non-seulement se suffire à elle-même; mais encore être utile à beaucoup d'autres, puisque dès l'origine des choses l'homme a dû se charger de l'administration des affaires civiles et politiques, et que la femme a eu en partage le soin et le maniement des affaires domestiques. Ce n'est donc pas pour votre tranquillité que vous entraînez des hommes dans l'intérieur devos maisons. Pour quel motif est-ce donc? pour satisfaire des passions honteuses ? je ne le dis pas: arrière un tel langage , je reprends même sans cesse ceux qui parlent ainsi : fasse le ciel que je les persuade ! Voulez-vous que je vous dise, moi, quel est votre motif ? c'est l'amour de la vaine gloire. La cohabitation procure aux hommes un plaisir insipide, une jouissance misérable, et les femmes la désirent par amour de la vaine gloire et pour satisfaire leur vanité.
6. Le genre humain, presque tout entier, est avide de vaine gloire ; cela est vrai surtout pour les femmes. Cette cohabitation n'ayant pour objet ni l'utilité, je l'ai démontré, ni le plaisir des sens, il est évident qu'on ne peut plus supposer qu'un seul motif pour expliquer une telle conduite. Voilà donc la racine du mal, la vaine gloire : Laissons tout le reste de côté, seulement cherchons à leur prouver (et puissions-nous réussir) que leur sort est le même que celui des hommes. Les hommes, en habitant avec des vierges, paraissent, à la vérité, jouir d'un certain plaisir; mais, au fond, leur vie n'est qu'un supplice perpétuel: la pure et véritable satisfaction n'arrivera qu'avec la séparation et la retraite. De leur côté, les vierges s'imaginent que cette cohabitation fera rejaillir sur elles un certain éclat; mais pour l'oeil observateur, de combien de ridicule, de honte, d'opprobre et d'ignominie n'est-elle pas la source? J'ai déjà dit un mot là-dessus en commençant, parlons-en encore. Je suppose que l'homme qui habite avec vous rie soit pas vil et méprisable, mais qu'il soit revêtu d'une grande dignité dans l'Eglise, et que par l'éclat de sa naissance, son savoir et sa piété, il fasse l'admiration de tous , étant vraiment remarquable sous tout rapport, eh bien ! cet homme, même dans de pareilles conditions, ne pourra vous rendre illustre et recommandable. Quand nous voulons tirer gloire de l'amitié de quelqu'un, nous devons d'abord sauvegarder l'honneur de cette personne, car si elle perd son honneur, comment le partagera-t-elle avec nous? ou plutôt comment son déshonneur ne deviendra-t-il pas le nôtre? Ainsi, quand une source est empoisonnée, le courant formé par elle est empoisonné lui-même; quand la racine d'un (118) arbre est gâtée, les fruits n'en sont pas sains quand l'homme qui doit illustrer une vierge du reflet de sa gloire devient lui-même ridicule et méprisable, précisément parce qu'il habite avec elle, cette vierge tombe elle-même dans le ridicule et le mépris avant lui et avec lui. Ainsi, une femme jouissait d'une bonne réputation, mais voilà qu'un homme met-le pied chez elle, loin d'apporter une nouvelle gloire dans la maison, il en chasse la bonne réputation. Il en est de même pour l'homme s'il jouit de l'estime générale, elle le quitte aussitôt qu'il entre chez vous. Cette cohabitation ne vous procure donc pas une bonne renommée , loin de là , elle vous enlève celle dont vous jouissiez et vous en apporte une mauvaise que vous n'aviez pas; et l'on peut dire ici ce que le Prophète disait des Juifs : Si jamais l'éthiopien perd sa couleur, le léopard changera aussi sa robe tachetée (Jér. XIII, 23), et l'on verra aussi les vierges qui habitent avec des hommes se laver de la tache qui les déshonore. C'est comme un chancre qui ronge leur réputation, et dévore leurs vertus.
Peut-être s'imaginent-elles qu'il est glorieux de commander à des hommes : vanité ridicule, qui convient bien et qui ne convient qu'aux courtisanes. Des femmes honnêtes et chastes ne mettront jamais leurs jouissances à tendre ainsi des piéges , d'autant plus que je trouve encore là une nouvelle ignominie, plus elles exercent d'empire sur les hommes, plus elles leur imposent de lourds fardeaux et plus elles s'ensevelissent avec eux dans une honte profonde. La femme que tous honorent, la femme vraiment considérée, n'est pas celle qui fait de l'homme un esclave, ruais celle qui le respecte. Au reste, si elles ne peuvent supporter nos paroles, la parole de Dieu est là pour les réduire au silence : C'est vers ton époux que tu dois porter ton cur, et lui aura l'empire sur toi, car le chef de la femme, c'est l'homme. (Gen. III, 16; 1 Cor, II, 3.) Dans une foule de passages vous pouvez vérifier les prescriptions de la loi : tel est l'ordre établi dès l'origine aussi est-ce un désordre hideux que de voir en haut ce qui doit être en bas, la tête en bas et le corps en haut. Si un tel renversement est honteux dans l'état du mariage, il le deviendra bien davantage encore dans cette cohabitation, où la gravité du péché vient de ce que non-seulement la loi divine est violée, mais de ce que la flétrissure d'une mauvaise réputation est imprimée au front et de l'homme et de la femme. Habiter avec un homme, c'est une honte; le dominer est une honte plus grande encore. La gloire ne consiste pas à commander en tout et partout, il peut fort bien arriver que la gloire soit du côté de celui qui obéit, et la honte le partage de celui qui commande.
Si donc vous voulez jouir d'une véritable gloire auprès des hommes, qu'il n'y ait rien de commun entre eux et vous; arrière toute fréquentation, tout regard, toute cohabitation alors et les femmes et les hommes vous admireront et respecteront en vous une vierge assise près de l'Epoux, comme une compagne inséparable : alors non-seulement les chrétiens nos frères, mais même les païens et les juifs, et tous les hommes approuveront votre conduite. Aimez-vous la gloire? suivez cette route, rien que cette route : alors on dira que vous appartenez non à tel ou tel, mais au Christ; est-il pour vous un honneur comparable à celui-là? Dites-le-moi , quelles louanges plus dignes d'envie que celles qui retentissent sur le forum, dans les maisons, ici et même dans les autres villes : « Telle jeune personne dans la fleur de l'âge et dans tout l'éclat de la beauté n'avait qu'à vouloir, et de brillants partis assuraient son sort; elle n'a pas voulu elle a mieux aimé tout endurer, tout souffrir que de renoncer à l'amour du Christ et de voir se ternir la fleur de sa virginité. Ah! qu'elle est heureuse, oui mille et mille fois heureuse ! Quels biens sont mis en réserve pour elle, que sa couronne sera brillante, quelle grande récompense elle recevra, elle qui le dispute pour la pureté avec les purs esprits! » Voilà ce que l'on dira et davantage encore, et les mères la proposeront pour modèle à leurs filles. Quand on voudra encourager celles qui vivent dans la chasteté et ramener dans le sentier de la vertu celles qui s'en écartent, on répétera ces éloges, on les répétera toutes les fois qu'on parlera de la virginité, et elle sera louée par ceux qui vivent dans la chasteté comme par ceux qui ont fait tous leurs efforts pour obtenir sa main et qui ont été dédaignés et refusés.
Telle et mille fois plus belle sera sa gloire. Mais il en arrivera tout autrement pour celle qui demeure avec des hommes. D'abord lorsque, dans les cercles des hommes débauchés, (119) on censure la virginité, on parle nécessaire ment de ces deux sortes de -vierges; et la première prête des armes à ceux qui défendent la vertu et la seconde à ceux qui l'attaquent. De plus, quand il s'agit de corriger une personne et de l'amener à conformer sa conduite à la règle de la bienséance, la première est citée comme un remède opposé aux mauvaises passions et comme un préservatif contre la corruption du vice : son nom est le plus bel ornement des discours de celui qui prêche la vertu. Mais la seconde est pour ainsi dire placée sur la sellette avec la personne qui reçoit la réprimande : bien qu'éloignée pour le moment, on lui reproche sa honte et son déshonneur. A-t-on une chute à déplorer, il faut qu'elle en partage l'accusation et la honte avec celle qui a failli. Chaque fois qu'une conversation s'engage sur cette matière, autant le bonheur de l'une est porté aux nues, autant la misère de l'autre est traînée dans la boue. Tout le monde fait l'éloge et célèbre la vertu de la première, ceux qui la connaissent, comme les étrangers qu'elle n'a jamais édifiés par le spectacle de sa vie sainte. C'est le contraire pour l'autre : qu'on la connaisse ou qu'on ne la connaisse pas; qu'on ait eu à s'en plaindre ou non , partout on la flétrit , partout on la condamne. La louange et l'admiration ne manquent jamais à ceux qui vivent bien : elles leur sont prodiguées par leurs amis, par les étrangers et même par leurs ennemis. Mais les méchants, les gens corrompus, leurs amis les condamnent eux-mêmes.
Admirable disposition de la divine Providence ! La vertu nous charme et le vice nous fait horreur. La vertu, tous l'approuvent, l'admirent, ceux même qui ne la pratiquent pas, et le vice est maudit aussi bien par les mauvais que par les bons. Il est donc bien évident que celles dont je parle, personnes lâches qui trahissent la vertu, sont méprisées non-seulement par leurs. connaissances, mais même par les étrangers et surtout par ceux qui habitent avec elles. Peut-être disent-ils qu'ils vous aiment et vous admirent, qu'ils sont charmés et de vos services et du plaisir que vous leur procurez : n'importe, dans leur coeur, quand parlera la voix de la conscience, ils vous haïront aussitôt qu'ils réfléchiront et qu'ils verront le filet dans lequel ils auront été pris. Le mal est quelque chose de si odieux, que vous serez condamnées surtout par ceux que vous aurez entourés de plus de soins; comme ils vous connaissent mieux que les autres, étant admis dans votre intimité, votre diffamation ne viendra que d'eux. Et la preuve qu'ils vous haïssent, la voici : souvent ils ont souhaité d'être guéris de cette plaie honteuse, délivrés de cette accablante infirmité; mais la force de l'habitude les retient et aussi un certain plaisir qu'ils croient trouver; cet état d'indécision est pénible, on voudrait s'affranchir, on le voudrait; et cependant l'on trouve un certain charme à rester comme l'on est. Si misérable que l'on soit, on n'est cependant jamais assez privé de bon sens , assez partisan de son propre déshonneur pour vouloir passer toute sa vie dans l'ignominie, être la fable du monde, l'objet de la réprobation, de la risée universelle, devenir le point de mire des plaisanteries, des sarcasmes et des injures de la foule, servir de plastron à la populace sur la place publique; être hué et montré au doigt avec ignominie ! quelle amertume dans cette pensée qui tourmente jour et nuit la conscience et qui, comme un, ver attaché à sa proie, ronge sans cesse le coeur !
Si donc ce déshonneur dont on se couvre devant les hommes, bien qu'ils ne disent rien en public et se contentent de désapprouver en secret cause une si grande douleur, que sera-ce, quand nous irons trouver le céleste Epoux outragé par nous , quand les choses cachées seront mises au grand jour et les coeurs dévoilés; quand on connaîtra tout, parole, attitude, regard, pensée (je ne parle pas de choses plus honteuses) ; quand tout sera démasqué; quand la réalité apparaîtra nue et sans voile aux yeux de l'univers entier ! Quels regrets alors ! quels supplices ! quel tourment ! Toute aine qui ne se présentera pas brillante de vertu comme il convient à une âme unie à l'Epoux des vierges, qui ne sera pas pure de toute tache, de toute ride, de toute souillure, sera perdue et subira les plus terribles châtiments. Si une seule tache peut l'exclure du séjour du bonheur, qui pourra la soustraire aux châtiments, l'arracher au supplice quand les souillures seront ajoutées aux souillures, et que de ses nombreuses blessures s'exhalera une odeur infecte? Méprisée ici-bas, passant sa vie au milieu des plus grandes amertumes, au point qu'elle inspire de L'horreur à tous, amis et ennemis, comment pourra-t-elle s'envoler (120) vers les célestes demeures, couverte de la boue de tant d'iniquités?
Voyez si, dans la maison d'un simple particulier, on laisse entrer un pourceau qui vient de se rouler dans la fange; s'il se présentait, on le chasserait, on le repousserait bien loin, on fermerait sur lui la porte avec dégoût. Si donc les hommes ne peuvent souffrir dans l'intérieur de leurs maisons un animal de ce genre, nourri dans la boue, comment une âme souillée pourra-t-elle entrer dans la céleste Jérusalem où brillent tant de clartés, où tout est resplendissant, abîme immense de lumière dans lequel se plongent les vierges dont l'éclat surpasse tout ce que l'on peut imaginer?
Celles qui n'avaient pas d'huile ont vu se fermer devant elles l'appartement de l'Epoux, et vous, vous osez espérer que le ciel vous sera ouvert l Cependant votre crime surpasse de beaucoup le leur. Celles-là avaient négligé de, soulager les pauvres, et vous, vous perdez une foule d'âmes, quelle différence ! Elles n'avaient point maltraité les pauvres, non, elles furent punies pour n'avoir pas soulagé leurs misères en prenant sur leurs biens. Mais vous, vous maltraitez, vous ruinez; non-seulement vous êtes inutiles, mais vous êtes nuisibles, vous êtes des fléaux pour la religion. Si donc celles qui n'ont pas été nuisibles ont été punies si sévèrement, surtout si l'on considère qu'elles ont gardé la virginité, quel ne sera pas le châtiment infligé à celles qui font beaucoup plus que d'être inutiles, qui se nuisent à elles-mêmes, qui nuisent à ceux qui vivent avec elles, et qui nuisent enfin à tous ceux qu'une telle vie scandalise et qui surtout couvrent d'opprobres le nom du céleste Epoux?
Ignorez-vous donc quelle grande affaire vous avez entreprise? Dans quelle lutte vous êtes engagées7quel poste vous devez défendre au milieu du combat? c'est près du général, que dis-je, c'est à côté du roi lui-même que se trouve votre place, c'est là que vous devez combattre l Dans la guerre, chacun n'occupe pas indifféremment n'importe quel poste; les uns sont vers les ailes, les autres au milieu, ceux-ci à l'arrière-garde, ceux-là sur le front de la phalange; d'autres sont pour le roi comme une escorte d'honneur, et vont partout avec lui : telle est la sainte phalange des vierges, je parle de celles qui méritent vraiment ce nom, c'est là leur place , vers le roi des rois, pas ailleurs; et encore la comparaison est faible, et la vue de ces hommes tout brillants d'or, montés sur des coursiers richement caparaçonnés, couverts de cuirasses étincelantes d'or et de pierres précieuses indique moins la présence du roi que les vierges n'indiquent celle du Christ l Les premiers sont seulement autour du char royal, mais les secondes sont le char royal lui-même, comme les chérubins; elles servent d'escorte comme les séraphins.
7. Lorsque la vierge se montre en public, il faut qu'on voie en elle le modèle accompli de toutes les vertus, elle doit exciter l'admiration universelle comme si tout à coup un ange descendait du ciel; si un chérubin apparaissait sur la terre, tous les hommes porteraient sur lui leurs regards, ainsi une vierge paraissant en public doit frapper d'étonnement et exciter l'admiration. Quand elle paraît en public, qu'elle soit comme dans un désert; qu'à l'église, elle soit recueillie et dans le plus profond silence; que ses regards ne se fixent sur personne, homme ou femme, mais qu'ils soient attachés sur l'Epoux céleste que la foi lui rend présent; que, rentrée dans sa maison, elle lui parle par la prière; qu'en lisant la sainte Ecriture elle n'entende que sa voix; que dans sa solitude elle pense uniquement à cet objet divin de ses désirs et de son amour; qu'elle soit ici-bas comme étrangère et voyageuse; qu'elle ne fasse nullement attention aux choses de ce monde; qu'elle fuie le regard des hommes; qu'elle évite même la conversation des femmes du. monde; qu'elle ne donne à san corps que le nécessaire et sacrifie tout au salut de son âme, et vous verrez de quelle admiration l'entourera le monde. Qui ne serait saisi d'étonnement en voyant une faible femme vivre ainsi de la vie même des anges? qui oserait s'approcher d'elle ? quel mortel se hasarderait à effleurer cette âme entourée des flammes de l'amour de Dieu? Bon gré, mal gré, tous s'éloigneront, tous seront remplis d'étonnement, comme à la vue d'un or étincelant au milieu d'un brasier. L'or, de lui-même, est très-brillant, mais quand il réfléchit l'éclat du feu, on peut à peine en soutenir les rayons. Si cela est vrai d'une vile matière, quel admirable spectacle, quel spectacle digne des hommes et des anges eux-mêmes, qu'une âme toute d'or par ses vertus?
Ah? pourquoi donc recherchez-vous la parure des habits, quand vous en trouvez une si (121) belle dans cette flamme divine qui vous entoure. Les habits ne nous ont pas été donnés comme ornements, mais pour couvrir la honte de notre nudité; n'ayez donc pas d'habits plus honteux que la nudité même. C'est pourquoi Dieu a donné des vêtements de peau à Adam et à son épouse. S'il l'eût voulu, il aurait pu le couvrir de superbes habits; il ne l'a pas fait pour nous montrer dès le commencement du monde que le temps présent n'est pas un temps de délices, mais de gémissements et de larmes. Si le besoin que nous avons de vêtements vient du péché, si c'est pour nous une preuve de notre ignominie et un souvenir de notre condamnation, pourquoi tant mettre en relief le signe de notre honte? Ces vêtements dont nous ne pouvons nous passer ne prouvent-ils pas assez notre chute? Pourquoi étaler comme à plaisir ce qui nous accuse, en excédant ce qui est nécessaire? Il faudrait plutôt, comme saint Paul , pousser des gémissements, nous lamenter, châtier notre corps : mais , bien loin de là nous perdons notre temps à fabriquer avec tout l'artifice possible des habits que nous rehaussons encore de mille ornements. Nous faisons comme un homme qui, forcé de mettre un bandeau sur ses yeux malades s'aviserait d'orner ce bandeau pour en tirer vanité. Voilà pourquoi Elie, voilà pourquoi Jean-Baptiste, n'ayant pour tout vêtement que des tuniques de peaux de bêtes, soupiraient si ardemment après le glorieux vêtement de l'immortalité.
Vous, au contraire, vous portez des habits plus recherchés que ceux des femmes de théâtre, et vous vous en servez pour séduire les jeunes gens élégants et frivoles. Ce n'est pas par de telles parures et de tels ajustements que l'Epoux veut que vous cherchiez à lui plaire; mais c'est dans votre coeur qu'il veut que réside toute sa gloire. Pour vous, vous la négligez, vous embellissez de mille ornements la boue et la cendre, vous attirez à vous les coeurs souillés, vous faites commettre l'adultère, pour ainsi dire, à tous ceux qui vous voient ! Que par cette conduite vous accumuliez sur votre tête des charbons ardents, vous ne songez pas à le nier, je pense : il me reste à vous démontrer que vous vous couvrez d'ignominie, c'est une preuve que je vais vous faire donner par vos adorateurs eux-mêmes.
En effet, celle qui orne son coeur, se fait une beauté dont Dieu lui-même est épris. Mais vous, qu'avez-vous pour amant? des hommes, que dis-je ! des hommes? des animaux immondes, les êtres- les plus dégradés : car il faut être au niveau de la brute, pour vous croire plus belle que celles que Dieu lui-même aime et recherche à cause de leur beauté tout intérieure? Ainsi, plus vous vous adonnez à la coquetterie, plus vous vous rendez abominable. Vous éloignez Dieu de vous, pour attirer ces hommes dégradés, de là votre honte, votre abaissement. Comment ne seriez-vous pas un objet de dégoût, puisque vous ne pouvez plaire à Dieu? Si celle qui se pare est . méprisable à ce point, que dire de celle qui habite avec un homme !
8. Mais, si vous le trouvez bon, ne nous bornons plus seulement à prononcer le mot de cohabitation, examinons la chose elle-même, afin qu'elle se montre à nous dans toute sa turpitude. Elles ne craignent pas l'il de Dieu, qui est toujours ouvert, elles ne redoutent que l'il de l'homme. Enlevons-leur donc la consolation qui leur reste; révélons au grand jour les secrets que cachent les parois de leurs maisons, ouvrons la porte à ceux qui veulent voir, faisons-les sortir du lit on se cache leur infamie. Voyons d'abord ce qui se passe dans leurs maisons; supposons que des murailles les séparent et qu'ils couchent dans des lits différents : car je ne pense pas, quelle que soit leur dépravation , qu'ils avouent partager la même couche. Ils sont donc dans des appartements séparés. Et qu'est-ce que cela fait? ils ne sont pas pour cela à l'abri du soupçon, quand même il y aurait plusieurs personnes de service, que dis-je? nous voilà sur la trace d'une nouvelle ignominie.
Souvent ils se lèvent en même temps, non pour de pieuses veilles (il ne faut rien attendre de semblable de leur part), mais pour se rapprocher l'un de l'autre, et pour s'entretenir pendant la nuit. Quoi de plus honteux ? Qu'une indisposition survienne tout à coup, le mur de séparation devient inutile. Vite, l'homme qui dort sous le même toit se lève, et, devançant toutes les personnes de service, il entre dans la chambre de la jeune fille qu'il trouve au lit; et, prenant la maladie pour prétexte, à défaut des servantes souvent en retard, il s'établit garde-malade et rend des services qu'une femme seule peut rendre et encore à peine l Pour elle, elle n'en rougit pas, elle en tire (122) vanité ; lui de son côté, loin d'en être humilié, s'en réjouit et cela d'autant plus que les services qu'il rend sont plus bas. Ici se réalise la parole de l'Apôtre : Ils mettent leur gloire dans leur propre déshonneur. (Philipp. III, 19.) Mais voici les servantes qui se sont levées : la scène va être plus humiliante encore. Ces femmes arrivent la tête nue, vêtues d'une simple tunique, les bras découverts, en un mot, dans tout le désordre d'un sommeil interrompu; elles courent ça et là, comme lé requiert le devoir de leur charge, et pendant ce temps-là, notre homme est au milieu d'elles courant et s'agitant aussi? Peut-on se figurer quelque chose de plus révoltant. La sage-femme viendrait qu'il ne rougirait pas davantage. Des vierges étrangères se présentent-elles pour visiter la malade, leur présence ne le déconcerte pas, elle ne fait que l'encourager. Une seule chose le préoccupe, faire valoir ses services auprès de la malade, oubliant que plus il en rend, plus il se déshonore lui-même en même temps qu'elle. Et faut-il s'étonner qu'il ne rougisse pas, quand la sage-femme est présente? Souvent au milieu de la nuit, faisant l'office de la dernière des servantes, il court sans difficulté chercher la sage-femme? Voilà la sage-femme arrivée : quelquefois on le chasse malgré lui, quelle que soit son effronterie; ensuite on lui permet de rentrer et de s'asseoir dans l'appartement. Pourquoi le renvoyez-vous? vous feriez plus encore qu'il ne rougirait pas ; il en fait lui-même bien davantage.
Quand la nuit est passée, il s'agit de se lever .alors on s'épie, on s'observe; elle, c'est à peine si elle ose sortir de sa chambre; elle se hasarde pourtant. Quel est le premier objet qui frappe les yeux de cette vierge? un homme qui n'est pas encore vêtu. Celui-ci, qui s'en doute, annonce quelquefois sa présence; d'autres fois il se laisse surprendre, et c'est une scène honteuse, ridicule. Je ne veux rien dire de plus à la vérité, ces choses sont légères en elles-mêmes, mais ordinairement elles soufflent 1'in1pureté dans les coeurs et y allument un grand incendie. Voilà ce qui se passe à la maison et pis encore.
Mais quelle honte plus grande encore quand cet homme sort, par hasard, et qu'en rentrant sans se faire annoncer, comme il en userait chez lui , il trouve , avec la vierge , d'autres femmes qui sont venues pendant qu'il était sorti; quel embarras et quelle confusion pour la malheureuse ! La même chose lui arrive à lui en pareille circonstance. Femme, elle ne peut sans honte recevoir des femmes, ni lui, homme , des hommes. Ils ne rougissent pas d'habiter ensemble et ils se gardent bien de recevoir chacun des personnes de leur sexe. Que peut-on supposer de plus détestable ? Souvent on le trouve assis auprès de cette femme qui tient le dévidoir ou la quenouille. Qu'est-il besoin de parler dés disputes et des querelles de chaque jour ? Il est impossible que cela n'arrive pas , quelle que soit l'amitié qui les unisse l'un à l'autre. J'ai appris que quelques-uns étaient dévorés de jalousie. Là, en effet, où n'est pas l'amour selon Dieu, nécessairement se trouve la jalousie : de là mille aventures, des séductions, le dévergondage et l'effronterie dans les vierges. Leur corps peut être pur, leurs moeurs sont mauvaises; car, quand on s'habitue à parler librement avec un homme, à s'asseoir familièrement à côté de lui , à le regarder avec complaisance, à badiner avec lui et à se permettre mille autres indécences, le voile de la virginité tombe, sa fleur est fanée , foulée aux pieds! quand une fois elles en sont venues là, il n'est rien qu'elles n'entreprennent, elles ne reculent devant rien , elles s'occupent de négocier des alliances , de faire le commerce pour les autres, elles détournent de leur pieux dessein celles qui voudraient rester veuves, pensant trouver là une excuse de leur conduite; mais tout le monde les méprise, et les personnes mariées, en se comparant à ces vierges, se glorifient de leur état, et elles n'ont pas tort; car mieux vaudrait contracter un premier mariage, voire même un second, que de mener un tel genre de vie. On se fait passer pour une entremetteuse; qui s'abstient des douceurs du mariage pour en porter le fardeau. Quel fardeau plus grand que d'avoir un homme à soigner et d'avoir toujours le souci de ce qui le concerne. Dieu vous a délivrée de cette inquiétude exprimée par ces paroles : Tu t'occuperas de ton mari et lui-même sera ton maître. (Gen. III, 16.) Vous en êtes affranchie par votre condition de vierge, pourquoi vous soumettre de nouveau au joug ? le Christ vous a rendue libre; pourquoi vous forger de nouvelles chaînes ? il vous a exemptée de toute sollicitude, et vous inventez mille soucis pour vous tourmenter !
9. Mais, puisque j'ai parlé de sollicitude, ce (123) mot me fournit l'occasion de répéter une parole de l'Apôtre; si la cohabitation des hommes avec les femmes et des femmes avec les hommes faisait disparaître ces soucis, saint Paul n'aurait pas dit, en exhortant à la continence Or, je veux que vous soyez sans sollicitude. (I Cor. VII, 32.) C'est comme s'il disait : que voulez-vous? le repos et la liberté? mais ne voyez-vous pas qu'en habitant avec des hommes, vous prenez pour partage la servitude, les peines et des misères de toutes sortes? il arrive souvent que des femmes, après avoir perdu leur époux, ne se marient plus afin de ne pas subir le joug une seconde fois. Si vous êtes pauvre , sans patrimoine , soyez un modèle de vertu, n'ayez rien de commun avec les hommes. Vivez en union avec des femmes vertueuses , vous ne perdrez pas votre couronne et vous jouirez de l'abondance et de la paix. Cela vous paraît difficile : cherchez avec soin, vous trouverez certainement : que dis-je, est-il nécessaire de chercher beaucoup? De même que nous sommes tous attirés vers la lumière, ainsi, quand votre vertu rayonnera au loin, toutes les femmes pieuses vous rechercheront à l'envi; elles se disputeront l'honneur et l'avantage de vous servir et de pourvoir à vos besoins; vous serez regardée par elles comme le soutien de leurs maisons, l'ornement, la couronne de leur vie, selon la parole de Jésus-Christ; car il a dit: Cherchez le royaume de Dieu et toutes ces choses vous seront données par surcroît (Matth. VI, 33), et nous pouvons vous dire, en toute assurance, que la félicité temporelle ne nous est refusée que parce que nous négligeons les choses du ciel; quand je dis nous , je ne parle pas seulement des hommes, mais aussi de vous, et de vous plus encore que des hommes. Dès le commencement du monde la femme fut punie plus sévèrement parce qu'elle contribua davantage à la fauté; Dieu imposa un châtiment plus sévère à celle qui séduisit qu'à celui qui fut séduit tremblez donc pour vous si vous ne voulez pas vous corriger et recouvrer votre première dignité. Lorsque la femme fut reprise pour avoir présenté du fruit défendu, elle n'osa pas se justifier en disant que l'homme, vu sa dignité n'aurait pas dû se laisser persuader et induire en erreur, elle laissa de côté cette misérable défense; elle recourut à une autre, misérable elle aussi, mais qui avait plus d'apparence de raison. Par là on voit qu'il est plus permis à ceux qui sont séduits de rejeter la faute sur ceux qui les séduisent qu'à ceux-ci d'accuser ceux-là.
Une femme de mauvaise vie attire chez elle celui qui déshonore son corps, et après avoir dormi avec lui, elle le renvoie ; mais vous, après avoir appelé celui qui déshonore et souille votre âme, vous l'enfermez dans votre maison, vous ne lui permettez pas de sortir, vous l'enchaînez par la flatterie, par les caresses, liens difficiles à dénouer, et, travaillant à satisfaire votre vaine gloire, vous vous couvrez de honte.
Ah ! dites-moi , vous ne réfléchissez donc pas à la vie présente? Qu'elle est courte! n'estce pas un songe, une fleur qui se fane, une ombre qui passe? pourquoi voulez-vous vous réjouir maintenant dans l'illusion d'un songe pour être punie un jour dans la terreur de la réalité? Mais que parlé-je de se réjouir? quelle joie pourriez-vous rencontrer là où vous trouvez votre condamnation , et les reproches, et les injures, et les scandales? et quand même il y aurait une certaine jouissance, qu'est-ce qu'une goutte d'eau auprès d'un océan sans bornes? Ecoutez, ma fille, et voyez; prêtez l'oreille, et oubliez votre peuple et la maison de votre père, et le roi désirera votre beauté. (Psal. XLIV, 11 , 12.) Telles sont les paroles que David adressait à toutes les âmes entraînées par des affections coupables. Voilà ce que nous vous dirons en introduisant un léger changement dans les paroles du Prophète : Ecoutez, ma fille, et voyez, prêtez l'oreille et laissez de côté votre mauvaise habitude, oubliez ceux qui font votre malheur en habitant avec vous, et alors le roi désirera votre beauté. Que peut-on désirer de plus grand? que peut-on même comparer à la gloire d'avoir pour partage et pour ami le Maître de la terre, le Roi des anges et des archanges, le Souverain du ciel et des Vertus des cieux? quoi de plus heureux pour vous que d'être complètement délivrée des vils compagnons de votre servitude qui avilissent votre dignité ! Nous ne saurions mieux faire que de terminer ici ce discours tout ce que nous ajouterions serait faible à côté de cette gloire qui vous est promise. Celle qui épouse un roi de la terre se croit au comblé du bonheur, et vous, vous aurez non un roi de la terre, non un homme ordinaire; mais celui qui règne dans le ciel, qui est élevé au-dessus de toute principauté , de toute puissance, de toute vertu, de tout ce (124) qui a un nom dans l'univers entier, celui qui repose sur les chérubins, qui ébranle la terre, qui déroule le ciel comme un pavillon, celui que les chérubins eux-mêmes et les séraphins n'abordent et ne contemplent qu'en tremblant, vous l'aurez pour époux, vous l'aurez pour amant, amant beaucoup plus passionné qu'aucun homme ne peut l'être; comment pour en jouir ne quittez-vous pas tout ce qu'il y a sur la terre, fallût-il sacrifier votre vie?
Cette parole du Prophète doit suffire pour corriger notre mauvaise habitude, et fussions-nous plus lourds que le plomb, pour nous soulever jusqu'au ciel; aussi nous finissons et nous vous prions de chanter ce divin cantique à la maison, dans les rues, le jour, la nuit; en voyage et sur votre lit de repos, parlez à votre âme et de bouche et de coeur en répétant
a Ecoute, ô mon âme, et vois, prête l'oreille et oublie
cette détestable habitude, et le roi désirera ta beauté.
» Bien pénétrée de cette parole, vous rendrez
votre âme plus pure que l'or. Cette parole, plus brûlante,
plus active que le feu, aura assez de vertu pour dissiper vos pensées
criminelles et pour purifier votre cur de toutes ses taches, par la grâce
de Jésus-Christ Notre-Seigneur, à qui appartient la gloire
dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
(Traduit par l'abbé P. J***.)
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